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    L Eglise comme communion

    RFLEXIONS A PROPOS DU RAPPORT FINALDU SYNODE EXTRAORDINAIRE DE 1985 *

    A la fin de 1985, un Synode extraordinaire tait convoqu Rome pour clbrer, vrifier et promouvoir le IIe Concile du Vati-can, cltur vingt ans plus tt. Les vques voulaient dresser un bilade la manire dont le Concile avait t reu dans l'Eglise et avaitpntr sa vie. On le sait, Vatican II, plus que tout autre concilea rflchi sur le mystre de l'Eglise. On ne s'tonnera donc pas sile Rapport final du Synode est fortement marqu par l'ecclsiolog

    Tout concile est li son temps; les documents qu'il promulgue,on ne les comprend bien qu' la lumire des situations auxquelleil ragit. Vatican II marquait une raction contre une conceptionde l'Eglise unilatralement juridique et hirarchique et lui opposaitune image plus riche et plus nuance, dans l'espoir de susciter unvie ecclsiale plus positive. Aprs Vatican II, la vie de l'Eglise nes'est pas arrte; elle a continu se dvelopper en interaction aveccelle de la socit. Un certain nombre de modles, tel celui du Peuple de Dieu en marche y ont trouv un large cho. D'autres, commecelui du Corps mystique du Christ, sont peu peu tombs dansl'oubli. D'autres encore n'ont pas retenu suffisamment l'attention.Des mots cls servant dsigner l'Eglise ont parfois t interprtsdans un sens diffrent de celui du Concile. C'est la lumire decette volution postconciliaire qu'il faut comprendre le Rapport finaldu Synode; celui-ci son tour prend ses distances vis--vis de certaines conceptions dformes de l'Eglise et accentue certains points en

    vue d'une plus exacte interprtation des documents conciliaires. Si

    * Cet article a paru dans Collationes 16 (1986) 171-215, sous le titre Kerk asgemeenschap. Overwegingen b i ] het eindrapport van de buitengewone Bisschoppensnode 1985; il a t en partie retravaille en vue de la traduction franaise.

    1. Sur le Synode, voir Synode extraordinaire. Clbration de Vatican I I , Pans,Cerf, 1986; Synode extraordinaire, Rome 1985. Vingt ans aprs Vatican I I , Pans,

    Centurion, 1986; Le Synode extraordinaire. Dossier, dans Doc. Cath. 83 (1986) 17-46Nous renvoyons aux textes de Vatican II par les sigles suivants : SC = Sacrosanctum Concilium; LG = Lumen gentium; OE = Onentalium ecclesiarum; UR =Umtatis redintegratio ; CD = Christus Dominas; AA = Apostolicam actuositatem ;AG = Ad ventes divinitus: PO = Prestrvterorum Ordinis: GS = Gaudium et sties.

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    L'GLISE C O M M E C O M M U N IO N 17

    l'on tient compte de cette dialectique entre, d'une part, certainessituations historiques et, d'autre part, des textes conciliaires ou syno-daux, on percevra le sens trs particulier de cette phrase du Rapporfinal: Nous ne pouvons pas remplacer une fausse vision unilatrade l'Eglise comme purement hirarchique par une nouvelle concep-tion sociologique tout aussi unilatrale (II, A, 3). Vatican II a ragicontre la premire vision unilatrale ; les Pres du Synode ont voulu leur tour ragir contre la seconde, qui s'est manifeste au coursdes vingt ans qui ont suivi le Concile. Nous nous proposons dedgager les implications de cette petite phrase.

    Avant d'entrer dans le vif du sujet, mentionnons encore une autredonne. C'est le propre de l'homme de dcrire ou d'exprimer pardes mots la ralit qui l'entoure; il essaie ainsi de la comprendreet de dterminer son comportement son gard. Ceci vaut galement pour l'Eglise. Tous les chrtiens et, dans une certaine mesules non-chrtiens ont une certaine image de l'Eglise, qu'ils expriment de temps en temps en de brves formulations. Pourtant l'Eglisest trs vaste et trs complexe, puisqu'avec ses millions de membres,ses conceptions et ses structures propres, elle est rpandue dans lemonde entier. En outre, elle est une ralit eschatologique , quis'tend au-del de l'horizon de l'histoire humaine. Elle est unmystre: sa dimension visible et historique en porte une autreinvisible, suprasensible. Comment donc la saisir en quelques mots?On comprend l'hsitation des thologiens la dfinir. En fait onne peut pas l'exprimer, l'objectiver ou la dfinir entirement pardes mots. Et cependant l'homme sent en lui une impulsion irrsistible dcrire avec des mois la ralit qui l'entoure, dont il n'estlui-mme qu'une partie infime, en mme temps qu'il exprimenteson impuissance y parvenir. Aussi l'Ecriture recourt-elle une pro-fusion d images et d'expressions pour signifier la ralit de l'Eglise:chacune d'elles en exprime un certain aspect; mais aucune ne peuten rendre compte exhaustivement2. Bien que l'image joue ici unrle dcisif, l'ecclsiologie, en tant que rflexion plus systmatiquesur le mystre de l'Eglise, va plus loin; elle utilise les images bibliques de manire rflexive et critique, afin d'laborer une notion plus

    2. P. MINEAR, Images of th Church in th New Testament, Philadelphia/Weminster, 1960, donne une liste de prs de 96 termes diffrents pour exprimer l 'uni-que ralit de l'Eglise; parmi elles: bergerie, t roupeau; champ, olivier, vigne, sar-ments entourant le cep; temple, difice, maison de Dieu ; pouse, femme, mrefamille, f raternit; peuple de Dieu, corps, plnitude (cf. la liste en LG, 6).

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    prcise, plus gnrale de l'glise. Dans ce cas, on parle de modles1.De soi, il est trs important de savoir quel modle on utilise cons-ciemment ou inconsciemment ; autrement dit : par quel concept, ide

    ou notion on essaie de cerner l'Eglise. La voie que l'on empruntdterminera en grande partie l'image de l'Eglise que l'on va dvelopper, les attentes dont on l'investit, la manire dont on structure lavie ecclsiale et le comportement qu'on adopte son gard.

    Yves Congar, l'minent spcialiste de l'histoire de l'ecclsiologifait observer qu' travers les sicles deux modles de l'Eglise se sontdvelopps, sensiblement diffrents. Trs tt, vraisemblablement dj partir du IIe sicle, l'Eglise a connu, d'une part, une structure devie ecclsiale et d'existence canonique dans la ligne d'une commu-nion d'Eglises locales, reprsentes par leurs vques respectifs, etd'autre part une structure de vie ecclsiale et d'existence canoniqudans la ligne d'une Eglise unique, virtuellement universelle, qui pos-sdait son centre, son point de rfrence et, en une certaine mesureson instance normative dans le sige piscopal de Rome. Parfois entrcroises ou mme unies en synthse, ces deux orientations ont aussivcu parfois dans l'ignorance mutuelle ou mme sont entres en con-currence, sinon en opposition. Dans la mesure o elles s'ignoraient,elles ont dvelopp, chacune pour sa part, un droit ecclsiastiq

    public: l'un rglait la communion des Eglises sous le signe de l'pis-copat et des synodes; l'autre sous l'autorit cumnique du pape;mais celle-ci s'est longtemps trouve en tension avec une autre auto-rit, cumnique en un certain sens, celle de l'empereur romain,d'autant plus que Rome, jusqu'au dbut du IXe sicle, n'tait passpare de l'Orient. Celui-ci s'en est tenu un droit public de com-

    munion, au-dessus duquel s'est rig un droit cumnique impriaqui, cote que cote, devait parvenir s'accorder aux exigences d'unecommunion universelle poses par l'autorit papale. L'Occident a,de plus en plus, reconnu dans l'autorit du pape le principe d'undroit ecclsiastique public vraiment catholique. Cela certes ne s'estpas fait sans rsistance de la part des autorits locales et du pouvoir

    3. Dans son ouvrage Models of th Church, Dublin, 1976, A. DULLES traite decinq modles courants de l'Eglise: 1. l'Eglise comme institution ou societas perfecta(modle prconciliaire) ; ensuite deux modles conciliaires: 2. l'Eglise comme com-munion mystique, ou les expressions Peuple de Dieu et Corps du Christont leur place; 3. l'Eglise comme sacrement (modle typiquement catholiqueet enfin deux modles postconciliaires: 4. l'Eglise^ comme messagre, porteuse dela bonne nouvelle (modle plutt protestant); 5. l'glise comme servante du monde(modle plus scularise, qui souligne davantage sa fonction critique envers lasocit).

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    piscopal, pour ne rien dire de l'opposition des dtenteurs de l'auto-rit sculire. L'Occident a davantage reconnu les exigences de l'unituniverselle au niveau mme des structures visibles. En contrepartie,

    il a laiss dans l'ombre certains aspects de sa tradition propre rcemment mis en lumire grce au ressourcement biblique, liturg etpatristique, au dialogue cumnique et la vie apostolique, pastoralet missionnaire de l'Eglise elle-mme4. Cette tension fondamentaet sculaire entre deux modles d'Eglise la communion d'Egliselocales et l'Eglise universelle forme le cadre plus large l'intrieur

    duquel les prises

    de position

    de Vatican II et du Synode extraordnaire prennent leur sens.

    I . - Le modle prconciliaire: l Eglise socithirarchique parfaite 5

    Chez les catholiques, c'est l'ecclsiologie de l'Eglise universelle quia prvalu. La lutte mene pour s'affranchir de l'autorit civile econtre des conceptions des Rformateurs a inspir une dfinitiode l'Eglise comme societas perfecta et hierarchica, une socit parfaitet hirarchique, selon la formule des manuels. A partir de la findu Moyen Age, durant la priode de la Contre-Rforme et jusqu'Vatican II, ce modle prdomine en effet. Il considre essentiellment l'Eglise comme une socit, c'est--dire une runion de personnes qui cherchent atteindre un but commun, sous la prsidencd'une autorit et par la conjugaison de leurs forces. Sous cet anglel'Eglise ressemble d'autres institutions du mme genre, comme l'Etat.Bellarmin dj soulignait le fait que l'Eglise est une socit aussvisible et tangible que la communaut du peuple romain, ou quele royaume de France ou la rpublique de Venise6. De plus, on re-garde l'Eglise comme une socit parfaite, en ce sens qu'elle n'estsoumise aucune autre, par exemple l'Etat, l'empereur ou les prin-ces, et que rien ne lui manque de ce que requiert sa perfection institutionnelle.

    Dans cette perspective, l'accent porte sur la visibilit de l'EgliseEt l'on peroit ici sans doute aucun une pointe contre la RformePar opposition la conception des Rformateurs, la thologie catho

    4. Cf. Y. CONGAR, De la communion des Eglises une ecclsiologie de l'Eglisuniverselle, dans Y. CONGAR B.D. DUPUY, L piscopat et l glise universellParis, 1962, p. 227-260, spcialement p. 230-231.

    5. Cf. A. DULLES, Modek..., cit n. 3, p. 31-42.6. Cf. U. VALESKE Votum Eccleslae M unchen 1962 . 12.

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    lique souligne la visibilit relle de la vritable Eglise du Christ.L'influence du grand thologien de la Contre-Rforme au XVIe si-cle, le Cardinal Robert Bellarmin, fut ici dcisive. Dans son ouvrag

    De Conduis (I, 3, 2) il s'en prend la conception de quelques Rformateurs, qui distinguent deux glises: l 'une invisible et l'autre visi-ble: L'une est la vritable glise, laquelle appartiennent les privi-lges mentionns dans les Ecritures; et c'est le rassemblement dessaints qui croient ou obissent vraiment Dieu; cette Eglise-l n'estvisible qu'aux yeux de la foi. L'autre, extrieure, qui n'a d'Eglis

    que le nom; et c'est le rassemblement des hommes qui se rencontrent dans la profession de la doctrine de foi et dans l'usage dessacrements; dans cette Eglise, il y a place pour les bons et pourles mchants. Bellarmin poursuit alors: Quant notre opinion,c'est que l'Eglise est seulement une et non pas deux, et cette (Egliseune et vritable n'est autre que la runion des hommes relis par

    la profession de la mme foi chrtienne et la communion aux mmesacrements, sous le gouvernement des pasteurs lgitimes et principalement du Pontife Romain, unique Vicaire du Christ sur la terre7.

    La notion d'Eglise comme socit conduit facilement mettre davantage en avant ses lments institutionnels, ses structures visibles. Onla regarde comme une institution, une organisation, une socit juri-diquement ordonne, dans laquelle on attribue au droit canoniquun grand rle. Et en vrit, elle est bien aussi une institution, avecdes ministres officiellement reconnus, des formules de professiode foi communment admises et des formes prescrites de culte publicIl est bon de le redire une poque de forte raction contre l'institution. M ais la reconnaissance de l'aspect essentiellement institutionnde l'Eglise ne doit pas, de soi, mener l 'institutionnalisme unsystme qui privilgie unilatralement l'lment institutionnel , pasplus que la papaut ne doit mener la papoltrie, ou les lois aulgalisme, ou les dogmes au dogmatisme.

    Le modle de l'Eglise comme socit conduit souvent aussi souligner dans l'institution le rle de la hirarchie. Les manuels d'ecclsiologie consacrent de nombreuses pages dmontrer que l'Egliest une societas hierarchica, une socit hirarchique, pourvue d'uneautorit d'institution divine ou, autrement dit, une societas inaequalis, qui n'est pas constitue de pairs, mais ordonne hirarchiqument en clerg et lacat, essentiellement ingaux quant leur comp

    7. Cf. H. MHLEN L E sprit d*ns l gfw, Paru 1969, t. I p. 16.

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    tence l'intrieur de l'Eglise 8. La thologie catholique a, selon Y.Congar, manifest la tendance considrer l'Eglise comme un appareide mdiation hirarchique, des pouvoirs et de la primaut du Sigeromain, bref une 'hirarchiologie'. Par contre, les deux termes entrelesquels se place une telle mdiation, le Saint-Esprit d'un ct, lepeuple fidle ou le sujet religieux de l'autre, taient comme exclude la considration ecclsiologique 9.

    De plus, au cours du XIXe sicle, cette attention unilatrale l'l-

    ment hirarchique s'est, pour toutes sortes de raisons, d'ailleurs com-prhensibles, centre sur l'autorit pontificale. Il nous suffira ici derappeler le premier Concile du Vatican avec ses dfinitions dogmati-ques du primat de juridiction universelle du successeur de Pierreet de l 'infaillibilit du magistre pontifical. Les manuels se sont efforcs de montrer que l'Eglise est une monarchie, une societasmonarchica 10. La conscience des fidles a labor ainsi une concetion pyramidale de l'Eglise, descendant du pape aux vques, puisaux prtres, jusqu'au lacat croyant. Et l'attention s'est porte davantage sur l'Eglise universelle rpartie en diocses que sur les Egliselocales, qui forment ensemble une communion universelle.

    Bien que cette vue nous paraisse aujourd'hui marque par le temps

    et dpasse, on ne niera cependant pas qu'elle ouvre une problmati-que relle et touche une dimension essentielle de l'Eglise en tantque communion universelle. Aujourd'hui encore, aucun thologiencatholique ne conteste que l'Eglise du Christ soit une communionvisible, institutionnelle, hirarchiquement ordonne et universelle.Mais la manire unilatrale dont on a, dans le pass, soulign ces

    aspects a conduit sous-estimer la face intrieure, invisible, de l'EgliseOn n'a plus vu suffisamment que l'Eglise n'est pas seulement uneinstitution, mais aussi une communion de foi et de chant, qu'ellecomprend, avec le pape, les vques et les prtres, la grande fouledes lacs croyants appels en vertu de la grce baptismale et des donsde l'Esprit l'difier, et enfin que l'Eglise universelle est une com-

    munion d'Eglises locales ou particulires. Il ne faut donc pas s'ton-ner que, ds le XIXe sicle, mais de plus en plus, au XXe, se soientdveloppes des ides nouvelles et revigorantes, visant rompre lecaractre unilatral du modle de socit ou de le complter. Dans ce

    8. Un exemple parmi d'autres: G. VAN NOORT, Tmctatus de Ecclesia ChristiAmsterdam, 1909, p. 22s.

    9. Y. CONGAR, Jalons pour une thologie du lacat, Paris, 1953, p. 68-69.10. G. VAN NOORT Tractatus..., cit n. 8, . 44s.

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    renouveau, la thologie du Corps mystique du Christ a jou un rleimportant; prpare par l'uvre novatrice du thologien de gnique fut Johann Adam Mohler 11, elle a, entre les deux guerres mondiales, gagn toute la thologie ainsi que la pit catholique 12.

    I I . Le tournant de Vatican I I et la rception du Concile

    Le IIe Concile du Vatican s'est nettement distanci de la thologiclassique, hypnotise pour ainsi dire par le modle de la socit par-faite. M gr E.J. De Smedt, vque de Bruges, a rsum le mcontentment de beaucoup d'vques lorsqu'il a stigmatis, avec l'loquencqu'on lui connat, le triomphalisme, le clricalisme et le juridismedont le projet de schma sur l'Eglise portait la marque 13. Le document fut renvoy la commission, qui dut laborer un autre projesuivant une optique nouvelle.

    1. L Eglise comme Peuple de Dieu 14

    Le Concile a vit consciemment de dcrire l'Eglise au moyen d'unseul modle ou d'une seule image; il a estim ne pouvoir le fairequ' l'aide de plusieurs reprsentations (LG, 6). Il a gard les l-

    11. Cf. J.A. MOHLER, La symbolique ou exposition des contrarits dogmatiqentre les catholiques et les protestants, Besanon, 1836, t. II, p. 5: L'Eglise, surla terre, est la socit des fidles fonde par Jsus-Christ ; socit o, par le ministre d 'un apostolat perptuel, dirig par son Esprit, toutes les uvres du Sauveurdurant sa vie mortelle, sont continues jusqu' la fin du monde, et o tous lespeuples, dans la suite des temps, sont ramens Dieu... Considre sous ce pointde vue, l'Eglise est donc Jsus-Christ se renouvelant sans cesse, reparaissant conti-

    nuellement sous une forme humaine; c est l incarnation permanente du Fils de Dieu;aussi, dans l 'Ecriture, les fidles sont-ils appels le corps de Jsus-Christ (Ep 1 , 23)(nous soulignons).

    12. Voir ce propos l'aperu d'U. VALESKE, Votum Ecclesiae, cit n. 6, p.196-236. L'Encyclique Mystici Corporis (29.6.1943) identifie le Corps mystique (lemystre) avec l'institution ecclsiale qu'est l'Eglise catholique; ce faisant, elle donnede la notion Corps mystique une version bellarminienne. Le modle du Corpsmystique est entirement subordonn au modle de socit, en opposition lavue d'E. M ersch, la conception plus nuan ce duquel Vatican II a rendu hommag(LG, 8).

    13. Acta synodalia Sacrosancti Concilii Oecumenici Vaticani 1 1 , Vol. I, Pars IV,Roma, 1971, p. 142-144.

    14. Cf. Y. CONGAR, L glise comme peuple de Dieu, dans Concilium 1 (1965/1)15-32; M . KELLER, Volk Gottes as Kirchenbegriff. Eine Untersuchung zum neue-ren Verstandnis, Zrich-EinsiedeIn-K ln, _1970; H. K N G , L glise, Bruges, 1968t. I, p. 153-209; 0. SEMMELROTH, L'glise, nouveau Peuple de Dieu, dansL glise de Vatican I I , Paris, 1966, t. II, p. 395-409; R. MiCHIELS, Over het zelfverstaan van de Kerk na Vaticanum 1 1 , dans Collationes 16 (1986) 145-170.

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    ments valables du modle de socit, qui s'insrent dans le 3e chapitre de Lumen gentium: La constitution hirarchique de l'Eglise etspcialement l'piscopat . Il a accueilli galement la thologie du Corps

    mystique du Christ (LG, 7). Toutefois il semble avoir accord laprfrence l'expression Peuple de Dieu, ce qui ressort du faitque le chapitre 2 de Lumen gentium s'intitule: Le Peuple de D ieuL'expression le Peuple de Dieu en marche a servi par la suite dsigner de faon concise l'ecclsiologie du Concile. On peut affir-mer avec raison qu'elle a traduit la prfrence des Pres par rapport

    d'autres

    expressions comme Corps

    du Christ ou Temple

    del 'Esprit, elles aussi reprises, bien sr, par Vatican II.Cette prfrence, suggre par des motifs thologiques et pasto-

    raux, permettait de laisser de ct ou du moins de relativiser le modleunilatral de socit.

    De soi, la notion de Peuple de D ieu convient pa rfaitement pourmontrer l'Eglise d'abord et avant tout comme un ensemble, avade poser distinctions ou articulations. Une conception clricale quiidentifierait l'Eglise la hirarchie est ici exclue. Comme ralit communautaire, l'Eglise appartient tous les baptiss, pour ce qui con-cerne tant leur dignit de membres que leur responsabilit dans lemonde. A insi se trouve souligne la dimension essentiellement cmunautaire de l'Eglise. En outre, la notion de Peuple de Dieunous garde d'une conception purement institutionnelle.

    Souvent, en crivant ou prononant le mot Eglise, on pense l'institution comme telle. Parfois, dans ces conditions, l'Eglise a tet est encore conue indpendamment des hommes, comme si ellen'tait pas essentiellement faite de chrtiens. C'est au point que cer-tains textes distinguent entre l'Eglise et les hommes, les opposantpresque, comme l'institution mdiatrice et ceux en faveur desquelcette institution fonctionne. Ce qu'on dsigne ainsi est quelque chosede rel, qui a sa vrit. Cependant, en parlant ainsi, on laisse de ctun aspect essentiel de l'Eglise, l'aspect selon lequel elle est faite deshommes qui se convertissent l'Evangile 15.

    La notion de Peuple de Dieu indique ensuite que le facteur d'unitde la communion ecclsiale est de nature religieuse. C'est Dieu lui-mme qui est le fondement et le facteur omnidterminant du nouveIsral. Le Peuple de Dieu vient d'en haut. Il doit son existence l'initiative salvifique de Dieu, c'est--dire son lection souverament libre, l'alliance qu'il contracte avec son peuple, la missionqu'il lui confie dans le monde. Par consquent, toute interprtation

    15. Y C O N G A R .L alise.... t n 14 B . 22

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    purement biologique, raciale, culturelle, politique ou idologique duterme peuple est limine. En appelant l'Eglise le Peuple de Dieu,on carte, entre autres, la conception privatise de l'Eglise, qui latient pour une assemble libre de personnes de mme opinion; onexclut de mme une certaine conception dmocratique (par exemple,celle qui introduit les modles d'organisation de la dmocratie politi-que) et une conception idologique (par exemple, celle qui applique la relation hirarchie/lacs le modle superstructure / base, oppres-seurs/opprims).

    Enfin, l'expression Peuple de Dieu en marche connote une dimension historique, dynamique et missionnaire. Elle souligne le caractrehistorique de l'Eglise, son lien essentiel avec Isral, le Peuple de Dieude l'Ancien Testament, sa marche continue travers l'histoire, sonorientation dynamique, qui entrane toute l'humanit dans le mystredu salut, son regard tendu vers l'accomplissement eschatologique.

    L volution postconciliaire: la rception de Vatican II

    En prparation au Synode extraordinaire de 1985, les confrencespiscopales s'taient vu assigner la tche d'esquisser, chacune poursa rgion, un aperu de la pntration et de la rception des dcisionde Vatican II et du modle qu'il avait labor. Au dbut du Synode,

    le Cardinal G. Danneels, qui prsentait une synthse des rponses,traita aussi de la rception de Vatican II16. A l'actif du bilan, onaffiche :

    Une comprhension plus profonde de l'Eglise se manifeste dansun nombre toujours croissant de fidles hommes et femmes ,qui acceptent des responsabilits dans l'Eglise, participent un renou-veau et collaborent avec les vques et les prtres dans un engagement souvent trs_ dvou. La conscience que tous nous sommesresponsables de l'Eglise a fait de grands progrs. La diversificatides rles diacres, lecteurs, acolytes, ministres extraordinaires dela communion, catchistes et un grand nombre d'autres charismeset services bnvoles s'est faite l'instigation des documents conciliaires. Les communauts de base, condition d'tre vraimentd'Eglise, constituent un grand espoir pour l'Eglise, comme le notait

    dj Evangelii nuntiandi (58). En bref, on peut parler d'une vue dynamique de l'Eglise, succdant une mentalit trop dfensive, d'uneprise de conscience renouvele de sa mission prophtique et d'unapprofondissement de sa conscience et de sa pratique missionnaire(II, 2 c).

    16. Card. G. DANNEELS, S y n t h s e d e s r p o n s e s au q u e s t i o n n a i r e p r p a r a to ir edansD o c Cath. 83 1986) 31-35, spcialement p. 32-33.

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    Voyons le ct ngatif:Le noyau de la crise se trouve sur le terrain de 1ecclsiologie. Beau

    coup de rpondants parlent d'une rception de la doctrine conciliairesur l'Eglise trop unilatrale et superficielle. Surtout le concept d'EglisePeuple de Dieu est dfini de faon idologique et dtach d'autresconcepts complmentaires dont parlent les textes du Concile: Corpsdu Christ, Temple de l'Esprit. La comprhension de l'Eglise commemystre s'avre difficile pour beaucoup de chrtiens. D'o un certaingot pour les oppositions indues : Eglise-Institution et Eglise-M ystEglise du Peuple et Eglise hirarchique. Il y a une crise de confiancedans l'Eglise qui, ici et l, s'est transforme en une mfiance certaine.L'ide Eglise-Communion n'a pas pntr dans le tissu du peuplechrtien. Il reste des questions thologiques rsoudre: quelle estla relation entre Eglise universelle et Eglise particulire? Commentpromouvoir la collgialit? Quel est le statut thologique des confrences piscopales? Sur ce dernier point, beaucoup de rpondantsreviennent avec insistance. Ils mentionnent en outre leur dsir dvoir s'amliorer sensiblement les relations entre les Eglises particuli-res et la Curie romaine. Enfin, les rapports insistent sur une information, une consultation mutuelle et une communication intensifie(II, 3, c).

    Que veut dire le Synode lorsqu'il parle d'une interprtation ido-logique de la notion de Peuple de Dieu ou d'une conceptionsociologique tout aussi unilatrale de l'Eglise (Rapport final, II, A,3) ? Probablement ceci : dans certaines conceptions, la notion de Peu-ple de Dieu est farcie de connotations empruntes aux idologiesdmocratiques ou marxistes modernes, et cela dans une mesure telleque le sens premier, biblique et traditionnel de cette expression seperd 17 .

    III. - Un nouvel accent: l'Eglise comme communion

    Dans le contexte de l'volution postconciliaire dcrite plus haut,le Synode propose une lecture renouvele des documents conciliai-

    17. Voir l'analyse de M gr R. COFFY, L Eglise, vingt ans aprs Vatican I I , dansNRT 105 (1985) 161-173, surtout p. 162-166. La rception du modle de l'glislabor par Vatican II n 'a pas t G . GUTIRREZ lui aussi le reconnat pr-sent exempte d'ambigut pour ce qui touche l'ide d' Eglise populaire, quis'est dveloppe dans les cercles de la thologie de la libration: En un premietemps, l'expression Eglise populaire ou Eglise du Peuple voulait signifier Eglisedes pauvres, vocation de toute l'Eglise et non d'une glise alternative... Aujourd'hucette expression doit tre absolument carte en raison de son ambigut et desconsquences malheureuses de son emploi (Le rapport entre l'Eglise et les pau-vres vu d'Amrique latine, dans G . ALBERIGO & J.P. JOSSUA, La rception deVatican I I , Paris, 1985, p. 250, n. 35).

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    res, dans laquelle l'accent porte sur le mystre de l'Eglise et surtoutsur le modle de communion: L'ecclsiologie de communion estle concept central et fondamental dans les documents du Concile18.

    Il ne s'agit pas, dans le Rapport final, d'une relecture des documentsconciliaires au sens strict du mot: la notion de Peuple de Dieu n'estpas remplace sans plus par le modle de communion. Pourtant leRapport final marque, sans aucun doute, un nouvel accent. En mmetemps, il offre une cl d'interprtation des textes conciliaires. La pr-frence du Synode se porte non plus sur le concept de Peuple deDieu, mais sur le modle de l'Eglise comme communion. Un exa-men rapide des textes de Vatican II fait voir, en effet, que le termecommunia y revient peu prs quatre-vingts fois, assez frquemmentdans Lumen gentium et Unitatis redintegratio, et souvent dans unsens ecclsiologique19. Ainsi la notion de communion est loin d'treabsente des actes du Concile; elle n'a cependant pas retenu l'atten-tion au cours des vingt dernires annes. Mais fait typique dansl'histoire de l'interprtation de ces documents certains thmes quel'on n'entendait rsonner qu'au loin ont tout dernirement, de faonsubite, cause de certaines circonstances ou de nouveaux dveloppments, gagn le premier plan et dploy leur richesse et leurs virtualits thologiques et pastorales. A l'ide de communion, le Synods'est particulirement intress; il en montre le fondement scripturaire et traditionnel en l'occurrence patristique et relve le faitque, dans les Eglises orientales, cette notion n'a cess de dsigneune ralit intensment vcue. En tout cas, le Synode espre qu'uneprise de conscience plus vive du modle de communion sera de natur faire entrevoir une solution aux tensions internes et aux problmequi restent sans solution. Aprs un bref expos sur la significatidu concept (II, C, 1), le Synode parle des diffrents domaines aux-quels, son avis, la thologie de communion peut apporter plusde lumire: unit et pluriformit dans l'Eglise (Point 2), les gliseorientales (Point 3), la collgialit (Point 4), les confrences piscopa

    18. Rapport final, II, C, 1 dans Synode extraordinaire. Clbration de VaticanI I , cit n. 1, p. 559.19. Pour la notion de communion Vatican II, voir A . ACERBI, Due ecclesiologie. Ecclesiologia giuridica ed ecclesiologia di comunione nella Lumen Gentium,Bologna, 1975; P.C. BORI, Koinonia. L idea dlia, comunione nell ecclesiologia rcentee nel Nuovo Testamento, Brescia, 1972; G. GHIRLANDA, Hierarchica communia,significato dlia formula nella Lumen Gentium, Roma, 1980; J.H. PROVOST, Inte-recclesial Communion in th Light ofthe IL Vatican Council, Roma, 1967; H. ROSSKirche as personale Gemeinschaft. Der kommunitare Charakter der Kirche nach den

    Dokumehten und Akten des Zweiten Vatikanischen Konzils, Kln, 1976; 0.

    SAIERCommunia in der Lehre des zweitens Vatikanischen Konzils, Munchen, 1973

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    L'GLISE COMME COMMUNION 27

    les (Point 5), participation et coresponsabilit dans l'Eglise (Point6) et enfin la situation cumnique (Point 7). Dans les pages suivantes, nous essaierons de prsenter, en la dveloppant quelque peu,

    la richesse de sens contenue dans l'ide de communion et de montrercomment ce concept ouvre de nouvelles perspectives d'avenir dansles domaines touchs par les problmes mentionns.

    1. Premire approche de la notion de communion

    Dire: L'Eglise est essentiellement une communion peut semble premire vue un lieu commun, une lapalissade. Mais, en y regardant de plus prs, on dcouvre l'intrt que mrite cette proposition.D'abord, aprs des sicles o l'on a rpt que l'Eglise est une socithirarchique parfaite, elle exprime une manire nouvelle de la considrer et d'y vivre. Ensuite elle rejoint une aspiration profonde del'homme lui-mme. Au premier livre de la Bible, nous lisons djII n'est pas bon que l'homme soit seul (Gn 2, 18). La philosophie, paralllement, a dfini l'homme comme animal social ou communautaire, zon politikon : en sa chair comme en son esprit, il esttoujours renvoy d'autres que lui; ce n'est que dans \a. polis, dansla coexistence avec d'autres, qu'il peut atteindre la plnitude deson humanit20. Si l'Eglise pouvait donner aux hommes le sentiment qu'elle offre une rponse ce dsir fondamental de communion, elle exercerait sans conteste une grande force d'attraction.

    Chaque homme fait normalement partie de plusieurs communau-ts: famille, voisinage, communaut linguistique, culturelle, nationale, communaut humaine, etc. Chacune d'elles comporte entre ses

    membres une solidarit qui trouve son expression dans une qualitparticulire de leurs relations mutuelles et qui se fonde sur la participation de tous une valeur, un bien, un donn commun21. Pourdcouvrir le caractre propre de la communaut ecclsiale, il fautse demander quelle valeur unique, quel bien spcifique les fidle

    20. W. KASPER, L Eglise comme communion. Un/Il conducteur dans l ecclsiologie de Vatican I I , dans Communia (Paris) 12 (1987/1) 15-31, p. 15.21. Le sens premier de participation, avant la notion de communion, se trouvedj dans la racine grecque koinn : cf. J.M. Me DERMOTT, Th Biblical DoctrinofKoinnia, dans BZ 19 (1975) 64-77, 219-233, p. 65: La signification fondamentale du mot koinneo est 'participer ou avoir part , avoir en commun ou agiravec'. Du verbe drive le substantif koinnia, qui signifie essentiellement participation commune ou part ', d'o le sens de 'communaut', 'association' et, plusgnralement, tout genre de relation en commun entre des personnes ou des cho-ses. Enfin, il y a le substantif koinnos qui signifie 'partenaire, compagnon, asso-ci'. Ces trois formes issues de la racine koinn s'clairent mutuel lement.

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    participent et quelle est la nature de la solidarit qui les rassemblQuand donc nous appelons l 'Eglise communion, nous signifionune ralite bien dfinie, dont le sens propre n'apparat qu' condtion de scruter patiemment la signification et l'volution de ce con-cept dans l'criture et la tradition22. A la fin du Ve sicle, l'expression communia sanctorum apparat dans le symbole baptismad'Occident pour dsigner l'Eglise. La communion des saints faittoujours partie du Credo proclam au cours de l'assemble dominicale. Que signifie-t-elle exactement23? Dj le Nouveau Testamenutilise la notion de communia terme traduit, dans la Vulgate, dugrec koinnia dans trois contextes diffrents: le sens mystiquela communion avec Dieu; le sens eucharistique et sacramentel, lacommunion avec le Christ; le sens ecclsiologique, la communionde l'Eglise24. Dans une rflexion sur l'Eglise comme communion,il importe grandement de ne pas sparer dans cette notion la dimension ecclsiale de son sens mystique ni de sa signification euchar

    22. Cf. J. HAMER, L Eglise est une communion, Paris, 1962; M.-J. LE GUILLOMission et unit. Les exigences de la communion, vols, Paris, 1960; L. HERTLINCommunia und Primat, Roma, 1943 ; ID., Communia, Church and Papacy in EarlyChristianity, Chicago, 1972; Th Church as Communia, dans Th Jurist 36 (1976n0'5 1-2; J.M.R. TILLARD, L glise de Dieu est une communion, dans Irnikon 53(1980) 451-468: ce dernier article a beaucoup inspir notre expos; voir galemen

    infra n. 24.23. Cf. W. BEINERT, Um das dritte Kirchenattribut, t. II, Essen, 1964, p. 371 :La notion de 'sanctorum communio ' apparat pour la premire fois la fin duVe sicle, dans le symbole baptismal d'Occident. Chacun de ses lments, ainsique sa place dans le symbole a fait, jusqu' ce jour, l 'objet de discussions. S'agit-id'un ajout au prcdent article de foi ('la sainte glise catholique') ou d 'un articleparticulier de la profession de foi ? Le terme 'communie' a-t-il le sens de commnaut de personnes ou de participation l 'un des biens du salut, ou de commu

    naut de personnes par la participation l'un des biens du salut? Que signifi' sanctorum'? Ce peut tre un gnitif masculin; dans ce cas, l'on peut se demandede quels sancti il est ici question, les saints qui contemplent Dieu ou ceux quiprgrinent sur la terre et sont ontologiquement sanctifis par les moyens de grces; en d'autres mots s'agit-il de la communion eschatologique auprs de Dieuou de l'Eglise militante? Mais ce peut tre aussi un gnitif neutre; et alors laquestion reste ouverte: quels sont ces biens du salut dsigns par sancta? Seulun examen, si bref soit-il, des sources de la tradition peut apporter une rponse toutes ces questions et aux problmes qui en dcoulent.

    24. Sur la notion de koinnia dans l'criture, voir J.Y. CAMPBELL, Koinniaand its Cogntes in th New Testament, dans JBL 51 (1932) 352-380; J. HAINZKoinnia. Kirche as Gemeinschafr bei Paulus, Regensburg, 1982; F. HAUCK, Koi-nnos, etc., dans ThWNT, S tuttgart, 1938, p. 798-810; J.M. McDERMOTT, ThBiblical Doctrine..., cit n. 21 ; G. PANIKULAM, Koinnia in th New TestamentA Dynamic Expression of Christian Life, Roma, 1979; R. SCHNACKENBURG, DieEinheit der Kirche unter dem Koinnia-Gedanken, dans Einheit der Kirche. Grund-legung im neuen Testament, Freiburg-Basel-Wien, 1979, p. 52-93; H. SEESEMADer Begriff koinnia im Neuen Testament, Giessen, 1933.

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    que et sacramentelle. Ce n'est qu'en procdant de la sorte que l'ondgagera clairement toute la richesse du modle de communion.

    Dans toute espce de communaut apparat le problme de l 'unitet de la diversit. Chacune se compose de personnes libres et ind-pendantes qui en tant que telles veulent tre reconnues et respectePar ailleurs, ces personnes aspirent une forme d'unit: commentla raliser? Par une association libre ou par un ensemble juridiqude lois et de rgles imposes du dehors, ou mme par les deux

    la fois ? Cette unit nat-elle uniquement de la libre dcision des mem-bres ou bien est-elle un donn prexistant que les membres reoiven

    ou auquel ils ont part? En d'autres termes, est-ce la diversit quifonde l'unit ou l'inverse?

    Quand on considre la socit contemporaine, on a souvent l'imprsion de se trouver devant une immense accumulation d'individus,et non devant un tout organique. Sur le plan social et politique,la constitution de la socit se meut entre les deux extrmes de l'indi-vidualisme (ainsi les formes d'Etat capitaliste) et du collectivisme (ainsiles Etats marxistes).

    A l'individualisme moderne le collectivisme n'est sans doute pasune solution ; individualisme et collectivisme sont deux extrmes, quise rejoignent sur un point: l'un et l'autre laissent l'individu sL'un et l'autre ignorent donc ce que, comme personnes, nous som-mes essentiellement: des tres qui ne peuvent trouver bonheur etpaix que dans la relation interpersonnelle, dans une communaut devaleurs et de buts, dans l'change et le don25.

    A l'intrieur de l'Eglise, qui est une communion internationalede millions de membres, surgit aussi, de la mme manire, le pro-

    blme de l'unit et de la diversit. Nous avons d) mentionn latension entre les deux aspects de l'Eglise: est-elle une communionde charit entre chrtiens et Eglises locales ou bien une socit uni-verselle hirarchiquement constitue? Dans son ouvrage L glise latineet le protestantisme au point de vue de l Eglise d Orient, publi Lau-sanne et Vevey en 1872, une des grandes figures de la nouvelle eccl-

    siologie orthodoxe russe, le slavophile A.S. Khomiakoff (1803-1860s'lve contre l'ecclsiologie des Eglises occidentales qui, selon lui,ont pris le chemin du rationalisme, du despotisme, du juridisme etde l'utilitarisme. Obissez et croyez mes dcrets, dit la voix deRome. Soyez libres et tchez de vous faire une croyance, dit lavoix du protestantisme. Et la voix de l'Eglise (c'est l'Eglise ortho-

    25. W. KASPER. L oliu comme communion citt n. 20. n. 15.

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    doxe) dit ses enfants, et ici Khomiakoff cite la liturgie de sainJean Chrysostome : Aimons-nous les uns les autres pour pouvoird'un accord unanime confesser le Pre, le Fils et le Saint-Espri

    (p. 308). Pour lui l'Eglise catholique est une association tyrannique,le protestantisme une alliance libre, l'Eglise orthodoxe une unit quilibre. L'Eglise vraie, orthodoxe, n'est pas une institution, mais unecommunion, non pas une organisation, mais un organisme dans lequeles membres sont unis par la foi et la charit; elle est une rvlatiode l'Esprit Saint26. Cette vue de Khomiakoff est partage bien

    qu'avec des adoucissements par d'autres thologiens orthodoxes 27.

    Elle combine remarquablement, d'une part, une manire polmiquede- typer le catholicisme et le protestantisme et, d'autre part, uneprsentation idalisante et romantique de l'orthodoxie. Aucun desdeux tableaux ne concorde avec la ralit des faits. M ais tous lesdeux contiennent une part de vrit et dcouvrent le point nvralgque dont il est question dans ces diffrentes ecclsiologies : comment,

    26. Cf. op. cit., p. 237, 311, 267, 110; cf. aussi A.J. VA N DER AALST, Kerk assaamhorigheid. Idealistische impulsen in de russische ecclesiologie, dans Tijd-schrift voor Thologie 23 (1983) 147-165, spcialement p. 152-153; ID., Kerk as saamhorigheid in thorie en praktijk. De sobomostj en het institut in de russischorthodoxie, ibtd. 24 (1984) 18-35.

    27. Cf. P. EVDOKIMOV, L orthodoxie, Paris, 1959, p. 129-130: Le P. Afanassimet aussi en relief la diffrence fondamentale entre une 'ecclesiologie eucharistque' et une 'ecclesiologie' base sur l'ide de l'Eglise universelle. Cette derniraffirme un seul organisme universel dont les membres les glises locales nesont que des parties. L'universalisme, de par sa nature, est centraliste; logiquement, il mne vers un centre d'intgration et d'expression sous la forme d 'unpouvoir juridictionnel hypostasi du^type monarchique (le pape de Rome, parexemple); T. WARE, L orthodoxie. L Eglise des sept conciles, Paris, 1968, p. 321-322Contrairement au protestantisme, l'orthodoxie insiste sur la structure hirarchi-que de l'Eglise, sur la succession apostolique, l'piscopat et la prtrise; les saintsont honors et pris, et l'Eglise intercde pour les dfunts. Jusque-l Rome etl'orthodoxie se rencontrent sans difficults. Mais lorsque Rome pense premirement en termes de suprmatie et de juridiction universelle du pape, l'orthodoxiepense en termes de collge d'vques et de conciles cumniques; l o Romemet en avant l'infaillibilit papale, l'orthodoxie insiste sur l'infaillibilit de l'Eglisdans sa totalit. Les deux cts ne sont probablement pas toujours quitables l'unenvers Fautre, il semble souvent aux orthodoxes que Rome envisage trop facilement l'Eglise comme un pouvoir temporel et une organisation. Et il semble auxcatholiques romains que les doctrines de l'Eglise orthodoxe aussi spirituelles etmystiques soient-elles, restent vagues, incohrentes et incompltes. A quoi l'ortho-doxie peut rpondre qu'elle ne nglige pas entirement l'organisation temporellede l'Eglise et quiconque lirait les canons de l'Eglise orthodoxe verrait combienles rgles en sont strictes et minutieuses. Mais 1 ide que l'orthodoxie se fait del'Eglise est certainement spirituelle et mystique, en^ce sens que la thologie netraite jamais isolment aucun aspect temporel de l'Eglise, mais le considre tou-jours par rapport au Christ et l'Esprit Saint. Tout orthodoxe qui rflchit aux

    choses de l'Eglise retourne toujours la base fondamentale des relations qui existent entre elle et Dieu.

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    dans l'glise, s'allient unit et diversit? A l'intrieur de l'Eglisequel rle doit-on doit-on reconnatre l'institution, au droit, l'auto-rit ? Comment la libert et l'indpendance des chrtiens pris indivi

    duellement et des Eglises locales peuvent-elles tre garanties l'int-rieur de l'Eglise? Comme d'habitude, la vrit se trouve ici galdistance des extrmes. La voie du salut nous parat tre non pasun choix exclusif mais la synthse des donnes, mme si elle provo-que parfois des tensions : communion et institution, autorit et libertcharit et droit, libert et ordonnance juridique. Eglises locales etEglise universelle, structure piscopale et papaut, structures synodales et structures personnelles d'autorit, charismes des fidles et structure ministrielle. A condition de maintenir les lments valabledu modle de socit, nous estimons le modle de communion capable de contribuer donner de l'Eglise une vue synthtique, et noustenterons maintenant de le dcrire dans ce sens.

    2. La communion avec Dieu par Jsus-Christ dans l Esprit Saint19

    C'est du judasme que le christianisme a reu en hritage le mono-thisme, la foi au seul et unique Dieu. M ais en s'appuyant sur l'vnement du Christ, l'glise chrtienne croit en mme temps que, dansl'histoire. Dieu s'est rvl Pre, Fils et Esprit Saint. A la lumirede la Rvlation, la tradition chrtienne a reprsent le mystre deDieu comme une communion de trois Personnes en une seule naturedivine. La doctrine de la Trinit confre l'ide du monothismeune dimension communautaire essentielle. Le mystre de Dieu nepeut, en fin de compte, tre pens que comme une communion devie des trois Personnes divines. En Dieu, unit et diversit s'allienparfaitement. De toute ternit, le Pre engendre le Fils, et l'EspritSaint est le lien d'amour entre eux deux. Et comme la nature divinet la nature humaine s'unissent sans confusion et sans sparatiodans l'unique personne de Jsus-Christ (DZ-SCH 148), les trois per-

    28. Cf. Y. CONGAR, Ecclesia de Trinitate, dans Irnikon 14 (1937) 131-146; ID.,La Tri-unit de Dieu et de l glise, dans La Vie Spirituelle 56 (1974) 687-703 ; Com-mission mixte internationale de dialogue thplogique entre l'Eglise catholiquromaine et l'Eglise orthodoxe. Le mystre de l Eglise et de l Eucharistie la lumirdu mystre de la Sainte Trinit (Document de M unich, 30 juin-6 juillet 1982), dansDoc. Cath. 79 (1982) 941-945; R. K . R E S S , Th Church as Communia: Trinity andIncarnation as th Foundation of Ecclesiology, dans Th Jurist 36 (1976) 127-15G. LARENTZAKIS, Trinitarisches Kirchenverstandnis, dans Trinitt. Aktuelle Pers-pektiven der Thologie, dit. W. BREUNING, Freiburg-Basel-Wien, 1984, p. 73-11M . PHILIPPON, La Trs Sainte Trinit et l'glise, dans L glise de Vatican I I ,Paris, 1966, t. II, p. 275-298; H. SCHAUF, Die Kirche in ihrem Bezug zum Drei-faltigen Gott in der Thologie des K onzilstheologen Cl. Schrader, dans Ecclesia Spiritu Sancto edocta (LG 5 3 } . Mlanges Mgr G. Philips, Gembloux, 1970, p. 241-25

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    sonnes divines ne peuvent non plus, en vertu de l 'unit de leur natudivine, tre ou confondues ou spares (Dz-ScH 281). Le rapportentre la non-sparation (unit) et la non-confusion (diversit) repose

    finalement sur le fait que l'unit de la nature divine est le fondement

    et la condition de la distinction entre les personnes. L'intensit decette unit dfie toute reprsentation, si bien qu'elle se dploie danscette distinction mme. De par sa nature, l'unit de Dieu est

    icicommunautaire29

    Parce que, dans son mystre le plus profond, Dieu est commu-nion, le tout premier effet de l'Evangile est d'introduire les hommesdans la communion de la vie divine. Avant de mourir, Jsus prieson Pre pour que tous soient un comme le Pre et le Fils sontun (Jn 17, 20-23). Le but de l'annonce de l'Evangile est prcismend'tablir cette communion : Ce que nous avons vu et entendu, nousvous l'annonons afin que vous aussi soyez en communion avec nousQuant notre communion, elle est avec le Pre et avec son FilsJsus-Christ (1 Jn 1, 3). Paul, lui aussi, caractrise l'Eglise commla communion des chrtiens avec le Seigneur Jsus-Christ et, parlui, avec le Pre et l'Esprit Saint (1 Co 1, 9; 2 Co 13, 13). L'entredans la communion de la vie divine commence se raliser par lafoi qui, fondamentalement, signifie l'accueil de la Parole, elle-mmenracine dans le Logos ternel de Dieu. La foi est scelle par lebaptme au nom du Pre, du Fils et de l'Esprit. Foi et baptmtendent l'Eucharistie (UR, 22 b), selon la nature mme de l'initiation chrtienne, qui forme un tout. L'entre des hommes dans lacommunion de vie avec Dieu prsente donc une structure ecclsialsacramentelle.

    De mme que l'homme a t cr l'image de Dieu, ainsi l'Eglisest, dans sa totalit, une icne de la Trinit. L'Eglise de la terrereflte le mystre de l'unit dans la diversit. La communion de l'Eglisa sa source et son principe vital dans la communion trinitaire. Entant que communion des saints, elle est l'image de cette koinnia

    la plus leve et la plus parfaite.Prcisons encore cette vue gnrale selon laquelle la communionecclsiale est, en un certain sens, l'image du Dieu Trine. D'abord:de mme que l'unit est, l'intrieur de la Trinit, le fondemenet la condition de la diversit, de mme la communion prcde aussi l'intrieur de l'Eglise, les membres pris individuellement. Ceux-c

    9 Cf. H MOHLEN, L Esprit.. . . t n. 7 p. 274.292.

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    L'GLISE C O M M E COMMUNION 33

    ne font pas l'unit, ils ne ralisent pas eux-mmes la communion.Ils reoivent l'unit comme un don leur venant de la main de Dieu.Ils sont insrs dans une communion donne par avance. L'Eglisest dj a priori contenue dans la plnitude du Christ. Selon Col1, 18 s., le Christ, comme tte de l'Eglise, est en mme temps levecteur historique de cette plnitude divine. Celle-ci s'tend l'Eglisede sorte qu'elle est la plnitude de Celui qui remplit tout de toutemanire (Ep 1, 22-23). Ensuite

    parce que le Dieu un et unique est la communion de trois personnel'Eglise une et unique est communion de plusieurs communauts etl'Eglise locale, communion de personnes. L'Eglise une et unique s'identifie la koinoma des Eglises. Unit et multiplicit apparaissent ce point lies que l'une ne saurait exister sans l'autre. C'est cetterelation constitutive de l'Eglise que les institutions rendent visibleet, pourrait-on dire, historicisent .

    Allons plus loin : de mme que les trois Personnes divines, en vertu

    de l'unit de leur nature, ne peuvent tre ni confondues ni sparesainsi les Eglises locales, dont la communion concide avec la seuleet unique Eglise, ne peuvent tre confondues ni spares. Confusionsignifie que l'on absorbe l'indpendance relative des Eglises dans unsystme monarchique de l'Eglise universelle : c'est le danger du catho-licisme. Sparation veut dire que l'on privilgie l'autonomie des Egli-

    ses locales au dtriment de l'universalit de l'Eglise: c'est le dangerde l'orthodoxie 31. On peut raisonner de manire analogue quant aurapport entre unit et diversit l'intrieur de l'Eglise locale. Enfinde mme qu' l'intrieur de la communion trinitaire amour et obis-sance vont de pair le Fils obit au Pre, l'Esprit est le lien d'amourentre eux , ainsi l'Eglise est la fois une communion de charit

    et une institution hirarchiquement ordonne. La dpendance du Filspar rapport au Pre, c'est--dire sa diffrence comme Personne, n'exclupas son galit divine essentielle avec le Pre. Ainsi la diffrence desmembres l'intrieur de l'Eglise hirarchiquement ordonne n'exclutpas leur galit essentielle comme baptiss, non plus que leur ind-

    30. Document d e Munich, cit n. 28, p. 944.3 1 . _ I c i aussi apparat l'importance du rapport entre l'image de Dieu et l'image

    de l'Eglise dans le christianisme. Une image de Dieu unilatralement monothispeut mener une conception de l'Eglise qui est trop monarchique, qui met forte-ment l'accent sur l'Eglise universelle, ordonne hirarchiquement. Une image deDieu qui souligne unilatralement la distinction et l'galit des trois Personnepeut conduire un modle unilatral de communion des Eglises locales qui nglla dimension essentiellement universelle de l'glise.

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    34 A . D E N A U X

    pendance relative. Il n'y a pas, dans l'Eglise, de conflit entre libertet autorit. Il y a unit, mais celle-ci n'est pas totalitaire.

    La communion de vie au sein de la Trinit est donc tout autan

    la source que le but de la communion ecclsiale. La section initialde Lumen gentium (2 4), consacre VEcclesia de Trinitate, se cltsur une citation de Cyprien: l'Eglise apparat comme le peuple quitire son unit de l'unit du Pre et du Fils et de l'Esprit Saint32.Cette dimension verticale, mystique, de la communion ecclsiale peutsembler trs leve peut-tre, trs loigne des problmes concretdes hommes et de l'Eglise. Ce n'est l qu'apparence. L'expos quiprcde montre en effet que le dsir de communion, fondamentchez l'homme, ne trouve finalement son objet que par l'insertionde l 'homme dans la communion de vie divine du Pre, du Fils etde l'Esprit Saint. Ceci, d'une part, relativise les problmes de l'Eglisecar la communion de l'Eglise introduit l'homme dans un mystrequi la dpasse. Mais d'autre part ceci souligne galement l'impor-tance du modle de la communion : seule une Eglise qui est en vritl'icne de la communion de vie du Dieu Trinit peut tre signeet instrument de la communion de l'homme avec Dieu et de la com-munion des hommes entre eux33.

    3. L Eglise comme communion eucharistique^

    La communion avec Dieu se ralise dans la vie concrte de l'Eglisepar la communion avec le Christ dans l'Eucharistie. Nous voici la seconde dimension du concept de koinnia, la dimension sacramentelle, eucharistique. En effet, l'Eglise est essentiellement une com-munion eucharistique {UR, 22). Au sens le plus fort du mot, elle

    32. CYPRIEN, De Oratione dominica, 23: De unitate Patris et Filii et SpirituSancti plebs adunata.33. Cf. W. KASPER, L glise..., cit n. 20, p. 23.34. Cf. W. ELERT, Abendmahl und Kirchengemeinschaft in der alten Kirche haupt-

    sachlich des Ostens, Berlin, 1954; P.M. G Y, Eucharistie et ecclesia dans le premiervocabulaire de la liturgie chrtienne, dans LM D 130 (1977) 19-34; M . K . A S Z O WLes sources de l ecclsiologie eucharistique du P. Nicolas Afanasieff, dans EThL 52(1976) 331-343; K . KERTELGE, A bendmahisgemeinschaft und Kirchengemei

    chaft im Neuen Testament und in der alten Kirche, dans Einheit der Kirchecit n. 24, p. 94-132; J. LESCRAUWAET, Eucharistische eredienst en kerkelijke een-heid, dans Bijdragen 25 (1964) 117-142; P. PLANK, Die Eucharistieversammiung asKirche. ur Entstehung und Entfaltung der eucharistischen Ekkiesiologie Nikolaj Afa-nasievs (1893-1966), Wrzburg, 1980; B. SCHULTZE, Eucharistie und Kirche in derrussischen Thologie der Gegenwart, dans ThK 77 (1955) 257-300; H. VOLK, Got-tesdienst as Seibstdarstellung der Kirche, dans Lit. Jahrbuch 16 (1966) 65-90; J. ZiZOUL I A S , H Henots tes Ekkiesias en te Eucharistiakai t Episkop1 kata tous treisprotous aimas (L'unit de l'Eglise dans la divine Eucharistie et dans l'vque durantles trois premiers sicles), Athnes, 1965.

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    L'GLISE COMME COMMUNION 35

    n'est pleinement vnement que dans la clbration locale de l'Eucharistie, en soi la plus sublime clbration de l'Eglise. Le terme com-mun qui relie l'Eucharistie et l'Eglise de manire trs relle, c'est

    justement le Corps ressuscit, pneumatique, du Christ, qui, d 'unepart, se rend prsent dans l 'Eucharistie et auquel les fidles partici-pent dans la communion et qui, d'autre part, s'agrandit jusqu'parvenir sa taille parfaite par l'incorporation des fidles dans l'EglisParticipant rellement au Corps du Seigneur dans la fraction dupain eucharistique, nous sommes levs la communion avec lui

    et entre nous (LG, 7). Plus encore, le fruit spcifique de l'Eucharistie est la ralisation de l'unit chrtienne, la communion ecclsialeRestaurs par le Corps du Christ au cours de la sainte liturgie eucharistique, ils (les fidles) manifestent, sous une forme concrte, l'unitdu Peuple de Dieu que ce trs grand sacrement signifie en perfectioet ralise admirablement (LG, 11).

    Cette immanence rciproque de la communion eucharistique etde la communion ecclsiale trouve son fondement biblique dans ladescription paulinienne du Corps du Christ. En 1 Co 12, 27 , Pauldit propos de l'Eglise locale de Corinthe: vous tes le corps duChrist, et membres chacun pour sa part. Et en 1 Co 11, 24, il citela formule liturgique traditionnelle, qui reprend les paroles du Christsur le pain: Ceci (ce pain) est mon corps. Le sens eucharistiquet le sens ecclsial de cette unique ralit du Corps du Christ sontrunis en 1 Co 10, 16-17, et leur lien rciproque est explicit traversla notion de koinnia. Le v. 16 parle du Corps eucharistique duChrist et le v. 17 de son Corps ecclsial. Dans le dveloppemede la pense de Paul, le v. 17 n'est pas le fondement mais la cons-quence du v. 16. On peut donc paraphraser ainsi le sens du v. 16:la coupe de bndiction que nous bnissons (et buvons) n'est-ellpas (c'est--dire n'est-elle pas l'instrument de et ne ralise-t-elle pune communion au Christ par la participation son sang? Et lepain que nous rompons (et consommons) n'est-il pas (c'est--dire n'est-ipas l 'instrument de et ne ralise-t-il pas) une communion au Christpar la participation son corps? Le v. 17 poursuit: puisqu'il n'ya qu'un pain, dont tous nous mangeons (un morceau), nous sommetous ensemble en communion parce que nous avons part son corpset ainsi nous parvenons l'unit d'un corps (c'est--dire le sien) uni-que. Ce qui relie les v. 16 et 17, c'est donc la dduction de la com-munion dans le Corps du Christ de la participation communeau Cor s du Christ l'ide ui relie les deux versets c'est la consti

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    L'GLISE COMME C O M M U N I O N 37

    un unique Corps du Christ, un mme sang et membres les uns desautres; nous sommes appels sussmoi du Christ (PG 94, col. 1153a

    Au dbut du Moyen Age, cette tradition est encore vivante, ains

    qu'en tmoigne la magnifique expression de Guillaume de Saint-Thier(+1148): En mangeant le Corps du Christ, nous devenons leCorps du Christ (PL 180, col. 354). Thomas d'Aquin fait cho cette tradition en dfinissant l'unit du Corps mystique du Christcomme la res sacramenti de l'Eucharistie, comme la ralit qu'enfait elle produit et signifie.

    Lors donc que l'Eglise est caractrise comme communion, cela inclutaussi, de soi, la communion eucharistique. Plus encore: la commu-nion ecclsiale est rellement fonde dans la communion eucharisti-que. Ceci confre au concept de communion un sens tout faiactuel et local.

    Comme communion eucharistique, l'Eglise n'est pas seulement ureflet de la communion trinitaire, mais elle en est galement la ralisation. Elle n'est pas seulement un signe et un moyen du salut, maiselle est aussi un fruit du salut. Comme communion eucharistiquelle est la rponse qui comble le dsir de communion dont l 'hommest habit38.

    Si l'Eglise est rellement une communion eucharistique, il s'ensuitqu'elle ne cesse de s'actualiser au lieu mme o les fidles se rassem

    blent pour clbrer l'Eucharistie. En ce sens, on peut parler d'ecclsiologie eucharistique, la condition toutefois de ne pas perdre devue le lien de la communion eucharistique de l'Eglise locale avecles autres Eglises locales et, par l, avec l'Eglise universelle.

    Cette dimension sacramentelle de la communion ecclsiale forme

    le fondement propre des droits des fidles dans l'Eglise. Ce droitne repose pas sur une organisation interne de la communaut (iln'est pas rgl par l'autorit institue), mais sur la grce que l'Espritaccorde dans le sacrement; il prcde donc toutes les articulationset toutes les distinctions internes de l'Eglise. C'est un droit fondamental du croyant, qui dcoule de l'essence mme de la communion.

    Disons plus, la fonction de la hirarchie est prcisment de le prot-ger et d'en favoriser l'exercice 39. suivre)

    B-8000 Brugge Adelbert DENAUXPotterierei, 72 Prsident du Grand Sminaire