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1939: L ' A L L I A N C E DE LA D E R N I E R E C H A N C EUNE RÉINTERPRÉTATION DES ORIGINES DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE

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1939L'ALLIANCE DE LA DERNIERE CHANCE

UNE RÉINTERPRÉTATION DES ORIGINES

DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE

Traduit de l'anglais par

Jean-Christophe Paccoud

LES PRESSES DE L'UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL

Michael Jabara carley

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Crédit photo : Superstock

Conception graphique : Gianni Caccia

Mise en pages : Folio infographie

Données de catalogage avant publication (Canada)

Carley, Michael Jabara, 1945-1939 : l'alliance de la dernière chance :une réinterprétation des origines de la Seconde Guerre mondialeTraduction de : 1939.ISBN 2-7606-1763-7

1. Guerre mondiale, 1939-1945 - Histoire diplomatique. 2. Guerre mondiale, 1939-1945 - Causes.3. France - Relations extérieures -1914-1940.4. Grande-Bretagne - Relations extérieures - 1936-1945.5. U.R.S.S. - Relations extérieures -1917-1945.1. Titre0748.03714 2001 94o.53'2 02001-940067-5

Dépôt légal : 3e trimestre 2001Bibliothèque nationale du Québec

L'édition originale de cet ouvrage a été publiée sous le titre 1939.The Alliance that Never was and thé Corning of World War II

par Ivan R Dee Publisher.© 1999 by Michael Jabara Carley© Les Presses de l'Université de Montréal, 2001

Cet ouvrage a été publié grâce à une subvention de la Fédération canadienne des sciences humaineset sociales, dont les fonds proviennent du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.

Les Presses de l'Université de Montréal remercient le ministère du Patrimoine canadien du soutienqui leur est accordé dans le cadre du Progamme d'aide au développement de l'industrie de l'édition.

Les Presses de l'Université de Montréal remercient également le Conseil des Arts du Canada et laSociété de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC).

La traduction de cet ouvrage a été réalisée grâce à une subventiondu Conseil des Arts du Canada.

Imprimé au Canada

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Pour Irusia, Maman, Big, Steve, Linde,

Grisha, Eddie, Jack et Vo

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E N 1997, mon bon ami Geoffrey Roberts me demanda par hasardpourquoi je n'avais pas écrit un ouvrage sur 1939. « Tu es celui quidoit le faire, me dit-il, maintenant que tant de documents sovié-

tiques ont été rendus publics. » Tout d'abord, je me suis demandé s'il étaitvraiment nécessaire de faire un autre livre sur 1:'appeasement, la sécuritécollective et les préparatifs de la Seconde Guerre mondiale. Après tout, ily a l'œuvre d'A. J. P. Taylor, dont on sait qu'elle a suscité — et susciteencore — bien des controverses ; l'étude de Sidney Aster s'appuyant surdes documents du Foreign Office ; et, plus récemment, l'épais volume deDonald Cameron Watt sur la dernière année de paix — ou plutôt de paix

relative1. D'autre part, j'avais déjà écrit une série d'articles sur les relationsfranco-anglo-soviétiques des années 30 et sur l'avènement de la guerre2.Cependant, plus j'y pensais, plus j'étais attiré par l'idée de Geoffrey. Alorsque je me demandais si j'allais m'engager dans ce projet, Lloyd Gardnerme présenta à Ivan R. Dec, qui flirtait avec l'idée d'un ouvrage sur 1939 : ilm'incita à continuer. Ce que je fis.

Je m'étais déjà rendu à Moscou à deux reprises, afin d'effectuer desrecherches sur les années 20. Lors de ma dernière visite, les archivistes duministère russe des Affaires étrangères (AVPRF) ne purent me donneraccès suffisamment longtemps aux dossiers concernant 1938-1939, car lesarchives russes ne sont que « partiellement » ouvertes. Toutefois, les docu-ments publiés pour 1938-1941 donnaient une bonne idée des positions etdes objectifs de la politique étrangère soviétique. La plupart des nou-veautés concernant cette période ont été publiées entre 1990 et 1998, etn'ont été que peu utilisées jusqu'à présent. Ces documents présententun point de vue soviétique sur des événements que jusqu'ici nous avons

ements

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surtout vus à travers un prisme occidental. Qui plus est, la combinaisondes quatre sources archivistiques — britannique, française, soviétique etallemande — crée une plus grande profondeur de champ sur ces sujetsencore fort controversés.

J'ai donc entrepris ce travail. Grâce au soutien financier du Conseil derecherches en sciences humaines du Canada, j'ai pu le mener à bien. Jedois ajouter que mes recherches n'auraient pas progressé aussi aisémentsans la bonne volonté et l'assistance des nombreux archivistes quej'ai rencontrés à Paris, Londres et Moscou. Je leur adresse à tous magratitude.

Ma vision du monde commença à se développer durant les années 60.Elle fut guidée par John M. Sherwood qui, hélas, nous a quittés préma-turément. De bons amis et collègues, tels que Joël Blatt, John C. Cairns,Richard K. Debo, William D. Irvine, William R. Keylor, Sally Marks,Geoffrey Roberts, Stephen A. Schuker et Robert J. Young, m'ont aidé àfaçonner mes idées en polémiquant et même en manifestant leur désac-cord. Je rends hommage à leur amitié et à leur esprit universitaire. Ilssavent que j'ai rédigé ce manuscrit dans l'adversité. Ce ne fut pas facile.Mais, comme le dit un vieux proverbe, «ce fut un bien pour un mal».J'espère que ce livre en sera l'illustration. En attendant, je lève les bras ensigne de célébration, tout en dansant. Nunc est bibendum.

M. j. G.

Ottawa, avril 1999

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Avant-propos

C E LIVRE TRAITE des préparatifs de la Seconde Guerre mondiale. Je neprétends pas faire une étude exhaustive des événements de 1939,mais plutôt me concentrer sur les relations entre la France, la

Grande-Bretagne, l'URSS et l'Allemagne nazie. Je tiens, dès le départ, àavertir le lecteur que cet ouvrage n'est pas une lecture postmoderne : il n'arien à voir avec la sémiotique, « les cadres de la mémoire », ou la nouvellecritique littéraire. C'est une étude des relations internationales à un pointcrucial du xxe siècle, basée sur des documents officiels qui ont été renduspublics ou qui sont toujours inédits, et s'appuyant sur les travaux denombreux historiens d'hier et d'aujourd'hui.

Ce n'est pas une belle histoire. C'est celle de Vappeasement et des échecssface à la tentative pour établir une sécurité collective contre l'agressionnazie. C'est celle de la dépravation morale et de l'aveuglement, desscélérats et des lâches, mais aussi celle de braves qui s'élevèrent contre lescourants intellectuels et populaires de leur époque. Certains sont mortspour leurs idées, d'autres œuvrèrent dans l'ombre et sont presque oubliés.Nous connaissons tous les vilains de cette histoire et certains de ses héros,bien que beaucoup parmi ces derniers — français, britanniques,soviétiques — ne soient connus que des spécialistes. En 1939, ilscherchèrent à réaliser l'alliance de la dernière chance entre la France, laGrande-Bretagne et l'URSS. C'est l'histoire de leurs efforts qui est racontéeici : elle constitue l'arrière-plan de la grande alliance créée en 1941 sans laFrance mais avec les États-Unis, afin de vaincre un ennemi démoniaque.

Les historiens d'aujourd'hui ont tendance à être plus compréhensifsenvers Yappeasement que la génération d'après-guerre, qui condamnaitles « coupables » des années 30 pour n'avoir pas su défendre leurs pays

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contre le fascisme. Il y eut de violentes attaques contre « les hommes deMunich» — notamment Neville Chamberlain, sir Samuel Hoare,sir John Simon, lord Halifax, Georges Bonnet, Edouard Daladier. L'imagepoétique d'une « décennie malsaine et déloyale » véhiculée par W. H.Auden semble tout à fait convenir à cette période lamentable etmeurtrière. Le plus connu de ces historiens qui assaillirent les partisans deYappeasement et leur politique de concession à l'Allemagne fut peut-êtresir Lewis Namier1. Une quantité non négligeable d'historiens canadiens,britanniques et américains considérèrent Yappeasement comme unemanifestation de l'idéologie profasciste et anticommuniste et insistèrentsur l'incapacité coupable du gouvernement britannique à mener unepolitique antinazie énergique2. Selon l'argument contraire, la politiqueétrangère britannique d'alors fut mal présentée. Ce n'était pas « unequestion de morale » opposant les adversaires de Yappeasement, anti-i_hitlériens et prosoviétiques, aux tenants de cette politique de conciliation,prohitlériens et antisoviétiques3. En fait, selon cette vision, le gouver-nement conservateur britannique élabora une réponse calculée et réalisteface à la puissance montante de l'Allemagne nazie, réponse où l'URSS nefigurait ni comme facteur déterminant ni comme allié souhaitable4.

Selon l'interprétation classique, la Grande-Bretagne avait peu d'op-tions politiques. Elle fut obligée par des contraintes économico-stratégiques de limiter son réarmement et de penser à la défense del'Empire. Le Japon était un adversaire potentiel et les ressources britan-niques étaient trop éparpillées pour fournir une défense adaptée àl'Europe et à l'Asie en même temps. Du reste, l'économie britannique nepermettait pas un réarmement général de la taille préconisée notammentpar Churchill ou sir Robert Vansittart, le sous-secrétaire permanent, puispremier conseiller diplomatique au Foreign Office. La priorité devait allerà la Royal Air Force, puis à la marine, l'armée de Terre étant limitée àquelques divisions sans aucun rôle éventuel dans un conflit européen5.Advenant la guerre, c'était à l'armée française de subir les lourdes pertesdes combats terrestres. Cette hypothèse rendait amers les généraux et lespoliticiens français.

Le gouvernement conservateur britannique espérait éviter la guerre,non pas tant par la dissuasion que par la conciliation (appeasement). Évi-demment, selon certains éclairages britanniques, cette dernière n'avait

t

contre

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Avant-propos il

pas la connotation péjorative et lâche qu'elle a prise aujourd'hui : c'étaitun effort raisonnable pour satisfaire les griefs « légitimes » d'Adolf Hitlerpar rapport au traité de Versailles (qui avait mis fin à la Première Guerremondiale). Neville Chamberlain, par exemple, pensait qu'on pouvaits'entendre avec Hitler. On devait permettre à l'Allemagne de réaliser sesobjectifs en Europe centrale et orientale tant qu'elle acceptait certaineslimites et ne compromettait pas la sécurité à l'Ouest. Ce faisant, il étaitpossible que Hitler devienne plus raisonnable et mieux disposé. Enréalité, certains conservateurs se souciaient peu de ces limites et de savoirsi Hitler désirait se rassasier aux dépens de l'URSS. Comme l'indiqua sibien un député conservateur: «[...] que la brave petite Allemagne serepaisse des [...] rouges à l'Est [...]6. » En définitive, les conservateursbritanniques espéraient éviter la guerre, quitte à ce que l'Europe de l'Estpaie le prix fort. La perspective d'un conflit avec l'Allemagne requérait lacoopération de l'URSS, sans laquelle la France et la Grande-Bretagne nepouvaient pas vaincre. Une alliance avec les Soviétiques garantissait lavictoire — mais elle propageait en même temps la révolution com-muniste et l'influence soviétique en Europe. Le «dilemme guerre-révolution », pour reprendre les mots de William Irvine, s'imposait ; pers-pective vraiment obsédante vers la fin des années 3O7.

Il se produisit une évolution semblable dans l'interprétation de Vappea-sement et de la politique de défense de la France à cette époque. MarcBloch, qui écrivit L'étrange défaite juste après l'effondrement français et futexécuté par ses bourreaux nazis en 1944, jugeait qu'au début de la guerre, laFrance était trop sûre d'elle-même, pas préparée, mal organisée et dirigéepar des incompétents. Ses généraux avaient abandonné trop tôt la luttecontre l'ennemi nazi. L'équivalent français des « coupables » était les« fossoyeurs », ces leaders tenus pour responsables de la défaite de 1940 parle journaliste de droite Pertinax. Jean-Baptiste Duroselle et Eugen Weberont prétendu que la France des années 30 était une société « décadente » eten faillite morale, déchirée par des querelles politiques, handicapée parl'instabilité des gouvernements, trahie par des dirigeants sans courage niimagination, et corrompue par les ligues fascistes ou protofascistesdisposées à faire tomber la IIIe République8. René Girault, de son côté, adécrit une France divisée, déchirée par des clivages idéologiques entre ladroite et la gauche qui paralysaient le gouvernement9. Cette vision de la

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politique et de la société françaises fut confirmée par de nombreuxtémoins de l'époque, y compris, soit dit en passant, par les trois ambas-sadeurs de l'URSS à Paris durant les années 30.

Comme pour la politique britannique, certains travaux récents — telsceux de Stephen Schuker, Martin Alexander, Elisabeth Du Réau, WilliamIrvine et Robert J. Young — estiment que les dirigeants français n'étaientpas aussi lâches et incompétents qu'il aurait pu sembler au départ. Lasociété française n'était pas si décadente : elle était en train de se rétabliren 1939 et 1940 ; l'effondrement de mai-juin 1940 fut une défaite militaire— désastreuse, certes, mais rien de plus. En fait, selon ces historiens, lesdirigeants français, étant donné les circonstances économiques, poli-tiques et militaires, firent face le mieux qu'ils purent à la situation.Schuker est un des plus connus parmi ces historiens ; son travail sur lacrise de la Rhénanie en 1936 illustre bien cette position révisionniste.Irvine, de son côté, conclut simplement que « ce n'est pas la décadencequi a mené à 1940 ; c'est 1940 qui nous a conduits à percevoir la fin de laIIP République comme décadente ». « Deux hourras pour Vappease-ment», a récemment clamé Schuker10.

Malgré la haute réputation des historiens qui soutiennent cette visiondes choses — ou ses variantes —, celle-ci me semble surdéterminée, tropmécanique et trop propre. Elle affirme que les décideurs étaient enfermésdans leurs dilemmes, alors que les critiques de l'époque prétendaient lecontraire. Même Weber, qui déclara que la société française « marchaitinexorablement vers la guerre », nota que les Français ne furent pasimpuissants à influencer leur destinée.

Car les hommes (et les femmes qui en avaient l'occasion, chose rare àl'époque) ne sont pas des objets de l'histoire — jouets des flux, des cou-rants, des lois qu'ils ne peuvent changer. Ils sont des sujets responsables :des acteurs qui écrivent et réécrivent leur scénario en passant d'une déci-sion à l'autre, ou qui, en ne décidant pas, l'abandonnent à d'autres. Chaquechoix, chaque décision manquée les engagent dans une direction et fixentles limites de leurs choix futurs. Les décisions et les événements ne sont pasdus au destin et nous n'en sommes pas les jouets à moins de le vouloir. Prisglobalement, les Français des années 30 ne voulaient pas, ne pouvaient pasdécider. Ils ont laissé les autres forger leur destin et ont dû payer le prix decette abdication11.

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Avant-propos 13

L'explication surdéterminée du cheminement vers la guerre en 1939dissocie également les prises de décision franco-britanniques de leurcontexte sociopolitique, en insistant sur des réserves d'or insuffisantes,une politique monétaire déflationniste, des structures industrielles oubureaucratiques inefficaces et un processus de réarmement nécessaire-ment lent. Mais, à l'échelle européenne, la conjoncture sociopolitiqueétait tumultueuse et instable : on se disputait la légitimité du fascisme etdu communisme, il y avait des aspirations et des idéaux déçus, des hainesdéchirantes, la peur de la guerre et de la révolution, et la volonté crois-sante des États de recourir à la force. Cet environnement turbulent eut unimpact sur les prises de décision.

Des travaux plus récents, comme ceux de R. A. C. Parker et les miens,suggèrent une position « contre-révisionniste » qui reprend l'argumenta-tion de Weber et, dans mon cas, retourne à des interprétations plusanciennes de l'avènement de la guerre. Cette position fait remarquer que,lorsque les décideurs affirmèrent qu'ils n'avaient pas le choix, l'oppositionles contesta. D'autres options n'auraient pas conduit à Yappeasement et àl'échec d'une grande coalition européenne antinazie12. Elles auraientforcément conduit à une alliance avec l'URSS et très vraisemblablement àla guerre. C'était précisément ce que les forces dominantes conservatriceset anticommunistes de France et de Grande-Bretagne souhaitaient éviterà n'importe quel prix. Dans la vision de la décadence de Duroselle et deWeber, l'anticommunisme ne joue pas un rôle important alors que, àmon avis, ce fut le contraire.

Les historiens se sont souvent concentrés sur l'échec des négociationsfranco-anglo-soviétiques et sur le pacte germano-soviétique de non-agression, lequel fut un événement-clé de 1939. Staline, le tsar rouge, étaitperfide et avait trompé les Français et les Britanniques, tandis qu'il négo-ciait secrètement avec les Allemands. « Le pacte germano-soviétiquesuinte de filouterie », écrivit le comte de Birkenhead13. Par ailleurs, deshistoriens soviétiques, tels que V. la. Sipols, ou occidentaux, tels queNamier, soutiennent que ni les Français ni les Britanniques n'avaientl'intention de négocier sérieusement et berçaient le gouvernement sovié-tique de fausses illusions14. Selon Donald Cameron Watt, cette interpré-tation ne tient pas compte du sérieux des hommes d'État français etanglais. L'URSS « détruisit les espoirs britanniques d'un front oriental »

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contre l'Allemagne15. Les Français, en réaffirmant l'indépendance de leurpolitique, après plusieurs années passées sous la coupe britannique, cher-chaient une alliance avec les Soviétiques ; c'est pourquoi ils pressèrent lesBritanniques d'en faire autant16.

Geoffrey Roberts soutient — comme Donald Cameron Watt — que« l'opinion selon laquelle les dirigeants français et britanniques étaientmotivés surtout par l'antibolchevisme déraillait complètement». Ce n'estpas nouveau : Keith Feiling écrivit après la guerre que Neville Chamber-lain n'avait pas de parti pris idéologique17. Watt et Roberts prétendent queles idéologues étaient du côté soviétique18. La vision contraire n'est pasnouvelle non plus : les conservateurs opposés à Yappeasement accusèrentChamberlain et son entourage de confondre leurs intérêts de classe avecceux du pays19. A. J. P. Taylor, dans Origins ofthe Second World War, notafort à propos que les reproches occidentaux envers le pacte germano-soviétique de non-agression « étaient malvenus de la part des participantsà Munich. [...] Les Russes, en fait, réussirent là où les hommes d'Étatoccidentaux avaient échoué; et l'amertume occidentale était de ladéception mêlée de colère, car les professions de foi communiste n'étaientpas plus sincères que les leurs sur la démocratie20. » Lorsque Taylor fitcette remarque et d'autres sur les relations soviéto-occidentales, ses con-temporains les rejetèrent, pensant qu'il était délibérément provocateur. Iln'y avait pas d'archives accessibles pour étayer ses arguments ou pourpermettre de les réviser en fonction de ce qui aurait été trouvé. Aujour-d'hui nous disposons d'une grande partie de celles-ci : elles confirmentnombre de suppositions de Taylor.

Tout comme l'historien russe Roy Medvedev et le général DimitriVolkogonov, Taylor conclut que l'Ouest ne laissa pas d'autre choix augouvernement soviétique que de conclure le pacte de non-agression avecHitler21. Mais «peu d'historiens, écrit Gabriel Gorodetsky, prennent ausérieux l'invariable version soviétique [...] selon laquelle l'URSS auraitsigné le pacte contrainte et forcée, le considérant comme le moindre dedeux maux22 ». Certains historiens prétendent que Staline préférait unaccord avec les Allemands, et ce, depuis le début. Mais Roberts et Sipolsrépliquent que le pacte était le résultat de l'incertitude et de la dérive. Enréalité, la politique soviétique, piètrement élaborée, était un revirementinspiré par la peur qui se produisit en août 193923. Ils suggèrent implicite-

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Avant-propos 15

ment que le pacte de non-agression était dû à l'échec des négociationsfranco-anglo-soviétiques plutôt que le contraire.

Dans le présent ouvrage, je reviens, comme je l'ai fait par le passé, à desexplications antérieures de l'échec des négociations, à savoir que l'anti-communisme entrava les efforts franco-britanniques visant à conclureavec l'URSS une alliance en cas de guerre contre l'Allemagne. Le rejet parla France et la Grande-Bretagne des nombreuses initiatives soviétiques envue d'améliorer les relations durant 1'entre-deux-guerres, ou pour créerune coalition antinazie, spécialement entre 1935 et 1938, augmenta con-sidérablement la méfiance et le cynisme soviétiques. Les historiensoccidentaux considèrent rarement le pacte de non-agression dans cecontexte plus large. Ils l'analysent uniquement dans la courte période demars à août 1939. De ce point de vue aussi étroit, le pacte est un événe-ment singulier qui démontre l'absolue perfidie soviétique. Le gouverne-ment soviétique voyait les choses différemment : ce n'était qu'« unetrahison pour une autre », après des années de duplicité et de mauvaisefoi franco-britanniques, atteignant leur paroxysme lors du démembre-ment de la Tchécoslovaquie en septembre 1938 à Munich. Selon lesSoviétiques, il s'agissait d'une abdication et d'une félonie. La répliquesoviétique — le pacte de non-agression avec les Allemands — était de lamauvaise diplomatie, comme le concèdent aujourd'hui de nombreuxhistoriens russes, mais alors, dans l'extrême tension des dernièressemaines de paix, cela semblait être le seul moyen d'assurer la sécurité, aumoins à court terme, de l'URSS24. Le gouvernement soviétique, ayantlongtemps condamné la France et la Grande-Bretagne pour Yappease-ment, adoptait désormais la même politique pour les mêmes raisons. Si,après tout, les « révisionnistes » peuvent se réjouir de la politique franco-britannique, ne devraient-ils pas en faire autant pour son équivalentsoviétique ?

En fin de compte, on doit revenir aux critiques de l'époque concernantVappeasement pour en comprendre la dynamique et les alternatives. Cecritiques furent des Cassandre, rejetés comme négativistes germano-phobes et oiseaux de mauvais augure ou pourvoyeurs de la révolutioncommuniste, car ils disaient que l'Allemagne nazie voulait la guerre etqu'une grande alliance antinazie était la seule façon de la contenir oude la vaincre. Robert Vansittart, Churchill, Laurence Collier (un des

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subordonnés de Vansittart), Maksim Maksimovitch Litvinov (com-missaire soviétique aux Affaires étrangères), la journaliste françaiseGeneviève Tabouis et les politiciens français Edouard Herriot et GeorgesMandel faisaient partie de ces Cassandre. C'était un groupe hétéroclite dehéros. Les historiens s'occupent souvent des scélérats ; voyons qui étaientces braves qui se battirent presque seuls, mais tinrent leurs positions contrevents et marées, et à qui l'histoire donna raison. À l'exception de Churchill,aucun de ces hommes et aucune de ces femmes ne furent reconnus en leurtemps, Mandel étant même assassiné en 1944 par les fascistes français.Nous devrions leur être reconnaissants d'avoir vu en l'Allemagne nazie laforce maléfique qu'elle était, alors que beaucoup d'autres considéraient lenazisme comme un simple antidote, certes désagréable mais efficace,contre le communisme et l'agitation populaire.

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Principaux acteurs du drame

CHARLES ALPHAND

ambassadeur de France à Moscou, 1933-1936.

FRANK ASHTON-GWATKIN

économiste au Foreign Office, 1938-1939.

GIORGI A. ASTAKHOV

chargé d'affaires soviétique à Berlin, 1938-1939.

STANLEY BALDWIN

premier ministre britannique, 1935-1937.

LOUIS BARTHOU

ministre des Affaires étrangères français, 1934.

JÔZEF BECK

ministre des Affaires étrangères polonais, 1932-1939.

EDVARD BENES

président de la Tchécoslovaquie, 1935-1938.

LÉON BLUM

député, 1919-1940 ; chef du parti socialiste français,président du Conseil, 1936-1937,1938.

GEORGES BONNET

ministre des Affaires étrangères français, 1938-1939.

R. A. BUTLER

sous-secrétaire d'État parlementaire au Foreign Office, 1938-1940.

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SIR ALEXANDER CADOGAN

sous-secrétaire d'État permanent au Foreign Office, 1938-1945.

NEVILLE CHAMBERLAIN

chancelier de l'Échiquier, 1931-1937 ;premier ministre britannique, 1937-1940.

SIR HENRY CHANNON

membre du Parlement, 1935-1958 ; secrétaire parlementaire privé ausous-secrétaire d'État aux Affaires étrangères (R. A. Butler), 1938-1941.

ALFRED ERNLE LORD CHATFIELD

ministre pour la Coordination et la Défense britannique, 1939-1940.

CAMILLE CHAUTEMPS

plusieurs fois ministre; président du Conseil, 1937-1938.

ARETAS AKERS-DOUGLAS LORD CHILSTON

ambassadeur de Grande-Bretagne à Moscou, 1933-1938.

WINSTON S. CHURCHILL

membre du Parlement ; Premier lord de l'Amirauté britannique,1939-1940; premier ministre, 1940-1945.

GEORGES CLEMENCEAU

président du Conseil français, 1917-1920.

LAURENCE COLLIER

responsable, section Nord, au Foreign Office, 1935-1942.

NICOLAE PETRESCU-COMNEN

ministre des Affaires étrangères roumain, 1938.

CHARLES CORBIN

ambassadeur de France à Londres, 1933-1940.

ROBERT COULONDRE

ambassadeur de France à Moscou, 1936-1938 ; à Berlin, 1938-1939.

SIR STAFFORD CRIPPS

ambassadeur de Grande-Bretagne à Moscou, 1940-1942.

Extrait de la publication

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Principaux acteurs du drame 19

EDOUARD DALADIER

président du Conseil français, 1938-1940; ministre de la Défenseet de la Guerre, 1936-1940 ; ministre des Affaires étrangères, 1939-1940.

YVON DELBOS

ministre des Affaires étrangères français, 1936-1938.

GÉNÉRAL JOSEPH DOUMENC

chef de la mission militaire française à Moscou, 1939.

AMIRAL SIR REGINALD PLUNKETT ERNLE ERLE DRAX

chef de la mission militaire britannique à Moscou, 1939.

ANTHONY EDEN

ministre des Affaires étrangères britannique, 1935-1938,1940-1945 ;secrétaire aux Dominions, 1939-1940.

WALTER ELLIOT

ministre de la Santé britannique, 1938-1940.

GÉNÉRAL MAURICE GAMELIN

chef de l'état-major général français, 1938-1939 ;commandant en chef de l'armée française, 1939-1940.

EDWARD FREDERICK LORD HALIFAX

lord président du Conseil britannique, 1937-1938 ;ministre des Affaires étrangères, 1938-1940.

OLIVER CHARLES HARVEY

principal secrétaire privé du ministre des Affaires étrangèresbritannique, 1936-1939 ; ministre de Grande-Bretagne à Paris, 1940.

SIR NEVILE HENDERSON

ambassadeur de Grande-Bretagne à Berlin, 1937-1939.

EDOUARD HERRIOT

député, 1919-1940 ; chef du Parti radical français, 1919-1936 ;ministre, 1926-1936 ; président du Conseil, 1932 ;président de la Chambre des députés, 1936-1940.

ADOLF HITLER

fiïhrer et chancelier d'Allemagne, 1933-1945.

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AGMV Marquis

M E M B R E D E S C A B R I N I M E D I A

Québec, Canada2001

Extrait de la publication