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  • 8/14/2019 4 Maintenant Pour l'Eternite

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    MAINTENANT POUR L'TERNIT

    Jean Dutertre

    Table des matires

    1 - L'Univer-bloc relativisteL'Horloger (d'Espagnat)Ronds dans l'eau

    Figure 01 (inversion d'une onde)L'Entropie a encore augment (Henry Bergson)

    Figure 02 (tirage de 6 pices) Figure 03 (rien n'est moins probable)O se cache le futur?

    Figure 04 (trois vnements relativistes)Le Grand RouleauMaintenant pour l'ternitL'Envers du Temps

    Figure 05 (Un Univers-bloc)Rsurrection Rsum 1

    2 - L'Univers Quantique

    Le Quantum d'Action de Planck Les "Incertitudes"La Mcanique ondulatoireL'Espace des phasesLa Physique des gaminsLe Monde est discontinuUn Photon et quatre miroirs

    Figure 06 (un Photon et quatre miroirs) Figure 07 (un Photon et quatre miroirs 2) Figure 08 (une bombe)Les "Ondes de probabilit"En termes simplesLe Jardin aux sentiers qui bifurquent

    Figure 09 (addition de vecteurs)L'Ingalit de BellUn Tout non-sparableUnivers ParalllesLe Multivers

    Rsum 2

    3 - La Somme de toutes les Histoires

    Une Histoire de chatCas de ConscienceL'Action libre

    Figure 10 (un "instant" prsent) Figure 11 (une "ligne de vie") Figure 12 (les "lignes d'une vie" dans le multivers)Pourquoi la Conscience?Tout faire avec RienLa Fin du parcours

    Rsum 3 Bibliographie

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    1 - L'UNIVERS-BLOC RELATIVISTE

    L'tang est lisse, miroir gris sous le ciel gris. Prs de la rive, un petit monde, sable,

    brins d'herbes diverses, et de minuscules bestioles qui vont leurs affaires. Vus d'ici, les

    gestes de ces bestioles paraissent dsordonns. Que l'on fixe son attention sur l'uned'elles, ne serait-ce que quelques instants, et l'on souponne volontiers le projet: on

    cherche, on amasse ou collectionne, on s'active en vue de quelque chose de

    dlicieusement vague ou de mticuleusement prcis. Tout voque l'expression de

    Jacques Monod qui dfinit ainsi la vie: un objet muni d'un projet.

    L'Horloger

    - C'est une vue de l'esprit. En biologie, pas plus qu'en physique, il n'existe rien qui soit

    vritablement un projet. Des ractions physiques, ou physico-chimiques, s'entranent

    ncessairement les unes les autres... c'est tout.

    - Vous voulez dire que ces vnements sont corrls? C'est un point de vue

    dterministe, je vois! - Ce n'est pas un point de vue, c'est de la logique solide et sre.

    Les projets, autrement dit les "causes finales", cela n'existe plus depuis le seizime

    sicle.

    - C'est dommage, vraiment. Aristote, parmi les cinq "causes" qu'il dcrit, conoit sans

    hsitation la cause finale. L'ide de Dieu, par exemple, est insparable de celle de

    projet. Pour Bernard d'Espagnat:

    On ne remarque pas toujours assez qu' l'poque de Dante la notion que les personnes

    instruites avaient de Dieu tait beaucoup moins celle d'un Dieu crateur, ou "horloger" (notion

    qui bien entendu tait prsente elle aussi leur esprit, mais en retrait) que celle d'un Dieu, cause

    finale (entendons: un Dieu tel que la finalit la plus haute de l'homme et du monde fut de

    parvenir "un jour" s'unir lui pour l'ternit). C'est cette notion l, extrmement motivante

    pour la vie intrieure que nous devons en grande partie, sans doute, les trsors, par exemple, de

    l'art primitif italien. Et ce n'est qu'aprs Galile que, la propagation d'une vision mcanistique

    du rel ayant rendu paradoxale la notion dont il s'agit, les penseurs durent se contenter d'une

    conception jusqu'alors tenue, d'aprs Burtt, pour plus grossire et populaire, savoir celle d'un

    Dieu crateur. Ils ne pouvaient en effet, sans contradiction avec leur savoir, gure attribuer

    d'autre rle Dieu que celui d'avoir donn la "chiquenaude initiale" l'univers. Mais il est clair

    que mme le zle thologique d'un Newton ou d'un Maxwell ne pouvait russir confrer cette

    conception nouvelle d'un Dieu essentiellement " horloger " le caractre d'une vision qui, pour l'esprit, fut aussi "porteuse" que la prcdente.

    - C'est grotesque. A l'extrme rigueur c'est vrai j'aurais pu vous concder l'ide d'un

    Dieu horloger, responsable du "point de dpart" de l'univers. A partir de l, tout ce qui

    s'ensuit procde ncessairement de quelques lois physiques de porte universelle.

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    - De sorte que pour vous, l'avenir est ncessairement issu du pass?

    - Cela ne peut tre mis en doute .

    Ronds dans l'eau

    Un moucheron s'active ainsi au dessus de la surface lisse de l'tang. Il s'approche del'eau, un peu trop peut-tre et hop! une carpe effleure la surface, gobe le moucheron,

    disparat avec lui dans les profondeurs. Minuscule drame instantan. Il n'en persiste

    qu'un rond dans l'eau, un cercle, qui grandit, indfiniment, atteint la rive de l'tang et

    s'y perd. Maintenant tout est revenu au calme.

    - Vous avez vu l'onde qui s'est propage toute la surface de l'tang?

    - Oui, comme vous, bien sr.

    - Les physiciens appellent ces ondes des ondes retardes. Vous qui aimez la physique et

    les lois dterministes...

    - Oui, encore une fois. Et alors?

    - Alors? Toutes les lois physiques sont symtriques par rapport au temps. Elles sont T-

    invariantes, dans le jargon scientifique, c'est dire qu'une loi "fonctionne" aussi bien

    quand on remplace "T" (le temps) par "moins T" dans la formule mathmatique. Les

    formules mathmatiques des ondes - quelles qu'elles soient, radio, lumineuses, sonores,

    celles de la surface des tangs - sont symtriques. D'o il rsulte qu' ct des ondes

    retardes (on les dit retardes car elles suivent leur cause) les lois physiques, dont vous

    faites si grand cas, supposent galement des ondes avances.

    -

    Des quoi?- Des ondes avances, des ondes qui convergent vers leur cause.

    - Vous voulez rire?

    - J'ai l'air de rire? Vous faites confiance la physique et, en particulier, la

    physique de Newton et suivants, c'est a?

    - Oui, cela va sans dire.

    - Alors cette physique connat les ondes avances. Je n'y puis rien et ce n'est pas

    moi qui les ai inventes.

    - En avez-vous vu?

    - Non. Cela ne veut pas dire qu'elles n'existent pas.

    - Personne n'en a vu.

    - Je rpte, cela ne veut pas dire qu'elles n'existent pas. De plus, il faudrait savoir ce

    qu'est le temps, et le sens du temps, pour en parler. Bien, pourquoi pensez-vous qu'elles

    n'existent pas? Aprs tout, il suffirait qu'au bord de cet tang les petits grains de sable,

    les petites herbes, fragments de feuilles, les animaux minuscules, soient agits de telle

    faon extrmement prcise et coordonne pour qu'une onde surgisse, se propage vers le

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    milieu de l'tang, en un cercle concentrique. Aprs tout, l'onde circulaire qui s'est tale

    tout l'heure a bien t absorbe par tous ces lments minuscules. Il suffirait donc,

    mme si cela devait tonner Karl Popper , qu'ils reprennent tous le mme mouvement,

    en sens inverse bien sr, pour qu'un onde convergente se dirige vers le centre de

    l'tang.

    - J'aime bien, moi aussi, ce "il suffirait"! Tout cela serait hautement invraisemblable,et ne suffirait pas du tout.

    - Je ne sais pas. A moins que, par une trange aberration de l'esprit, vous ne

    considriez pas l'application des lois physiques de la mme faon quand il s'agit du

    pass et quand s'agit du futur.

    - Justement si, c'est tout fait diffrent!

    - Ah bon. Pour vous? Pour vous seul, alors... car, en physique et je viens de le dire, les

    lois sont symtriques par rapport au temps. Vous n'avez pas le droit de faire deux

    poids deux mesures. A moins que vous ne soyez plus "mtaphysique" que vous ne le

    pensiez!

    - Enfin quoi, pour crer cette onde avance dont vous parlez, il faudrait une

    extraordinaire coordination de tous ces millions d'lment minuscules autour de

    l'tang, et une synchronisation peu croyable, car tous les points du rivage sont

    distance ingale du centre. Quel mcanisme impensable pourrait donc ainsi tre

    mis en oeuvre... cela semble d'une telle parfaite vidence... De plus, cette onde ne

    convergerait pas vers sa cause, ce serait une onde l'envers, certes, mais sa cause,

    ce sont les brins d'herbe.

    - Pas vraiment... car ce mouvement des brins d'herbe, grains de sable et autres, il

    est l'exact inverse de ce qui a t d'abord provoqu par la carpe. Il faudrait un

    mcanisme hautement improbable pour mettre en oeuvre cette inversion j'enconviens - moins d'inverser le sens du temps - mais... la vraie cause, ce serait

    encore la carpe, et dans ce dernier cas une future carpe. Il faudra prciser tout cela,

    vous verrez qu'on y viendra de faon trs claire, au prix d'un changement radical de

    point de vue c'est vrai. La causalit suppose-t-elle un sens du temps, c'est ce qu'il

    faut savoir, et je persiste penser que vous ne regardez pas le pass et le futur dans

    le mme esprit, ce que tout physicien devrait pourtant faire.

    - Mais si, je vous assure. Il n'existe pas de biais dans ma faon de voir les choses.

    Il n'existe pas non plus d'onde qui converge vers le centre d'un tang, jamais, car la

    coordination de tous les lments priphriques de cet tang est hautement

    improbable, un point c'est tout.

    - Tandis que dans l'autre sens?

    - Dans l'autre sens, pas de problme.

    - Bien. Le dbat est mieux circonscrit. Hautement improbable et impossible, cela

    fait deux choses et cela ne fait pas une loi. Dans ces conditions-l, ma question est -

    condition que les seules lois physiques soient prises en compte, j'insiste mais il

    faut bien insister - quelle est la probabilit d'une mouche, quelle est la probabilit

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    - A mon tour, je demande, en ce qui concerne la cause de l'onde retarde, si

    l'existence dans notre univers d'organismes aussi incroyablement complexes que la

    mouche et la carpe n'est pas encore plus invraisemblable. Songez l'anatomie, la

    physiologie, aux nerfs, aux hormones, tout l'appareil gntique qui organise ces

    nerfs et ces hormones, tous les processus qui rgulent ensemble tous ces

    mouvements... oui, quelle est la probabilit d'une carpe? Ne cherchez pas, parceque cette probabilit, elle est - compte tenu des seules lois physiques -

    pratiquement nulle. Seulement, voil o le bt blesse: la coordination de quelques

    brins d'herbe vous tonne tandis que celle d'organismes animaux incroyablement

    complexes vous semble naturelle. Ils existent, vous les prenez comme ils sont: or ils

    sont invraisemblables!

    - Les animaux sont naturels... puisqu'ils existent.

    - Eh bien voyons! Non, invraisemblance pour invraisemblance, il va vous falloir

    expliquer d'abord l'existence des carpes et des mouches. Ah ha! Sinon, vous ne vous

    en sortirez pas: l'onde retarde n'est pas plus vraisemblable que l'autre. Ce sont vos

    habitudes qui tiennent le pass pour donn, et l'avenir natre, qui vous la rendent

    si vidente. Il en va de mme de votre prsuppos en faveur des causes initiales et

    c'est votre ide mtaphysique a priori de la causalit elle-mme qui devrait tre

    rexamine.

    - Excusez-moi mais... enfin... le pass n'a rien voir avec l'avenir: je me souviens du

    pass, j'ignore l'avenir.

    - Belle formule, nous en reparlerons. C'est votre dfinition du sens du temps?

    - En gros, oui. Je poursuis. Un vnement pass peut tre la cause d'un vnement

    venir, quand il survient ce dernier est donc corrl avec l'vnement pass qui l'a

    entran... Comment et par quel miracle un vnement pass pourrait-il dpendred'avance d'un vnement venir encore inexistant?

    - C'est tout simple et c'est mme vident sauf si vous vous accrochez votre

    prsuppos, - d'ordre mtaphysique j'insiste - d'une diffrence fondamentale entre le

    pass et l'avenir, que la physique ignore. C'est simple, et vous l'avez exprim vous-

    mme en disant qu'un vnement pass est corrl avec un vnement venir dont il

    est la cause?

    - Eh bien... oui, en effet...

    - Il en rsulte, ou alors je ne sais plus ce que c'est qu'une corrlation, c'est bilatral une

    corrlation, que l'vnement venir est corrl avec l'vnement pass?

    - Attendez...

    - Enfin, c'est oui, ou c'est non?

    - C'est dire, oui, partir du moment o il a eu lieu...

    - Qu'est-ce que c'est que a, maintenant... Vous me parliez bien d'un vnement

    venir? Qu'est-ce que cela veut dire: "quand il a eu lieu"? Il est bizarre ( j'ai dit bizarre? )

    votre vnement venir qui a eu lieu!

    - Vous m'avez pris en dfaut quelque part, j'ai d perdre le fil.

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    - Aucunement: relisez le tout. Vous verrez.

    - Je verrai, mais ce dont je suis sr, c'est qu'un vnement venir ne peut tre la cause

    d'un vnement pass, puisqu'il n'existe pas.

    - Pour vous, si je vous suis bien - enfin, j'essaie de vous suivre - un vnement pass

    existe?

    - Bien sr!- O a?

    - ... dans le pass... enfin non, ce que je veux dire c'est qu'il a exist. Ce qui a exist

    correspond un fait.

    - Mais cet vnement n'existe plus?

    - Non. A proprement parler, non.

    - Comment peut-il tre la cause de quoi que ce soit?

    - Mais par corrlation, des vnement successifs sont corrls entre eux, et constituent

    une chane ininterrompue de cause effet...

    - Seul l'instant prsent existe, votre chane disparat continuellement?

    - La chane, oui, non pas ses effets.

    - Les vnement futurs "quand ils auront eu lieu" pour parler comme vous, seront alors

    corrls aussi avec des vnements maintenant passs? Ils seront l'effet de votre chane

    de cause effet?

    - Oui.

    - C'est bien votre point de vue de la causalit, point de vue solide et sr?

    - Oui.

    - A ce moment-l votre chane de cause effet aura disparu sans que pour autant ses

    effets en soient annuls?

    - Evidemment, oui, mais je discerne mal o vous voulez en venir.- Oh que si, vous discernez bien. Vous venez d'admettre l'existence d'une chane

    continue de cause effet entre un vnement futur et un vnement pass, c'est bien ce

    que nous venons de dire, une chane de corrlations dterministe. Toutefois, les

    corrlations qui lient deux vnements, et sur ce point la physique T-invariante est

    formelle, ces corrlation sont symtriques par rapport au temps. La chane future - qui

    est appele apparatre puis disparatre, comme la chane passe, sans que ses effet

    en soient annuls - est aussi rigoureusement relie au pass que chane passe peut

    l'tre au futur...

    L'Entropie a encore augment!

    - Ce raisonnement respire le sophisme! Par ailleurs, le sens du temps est dtermin de

    faon trs physique par l'augmentation de l'entropie. Je cite Henri Bergson:

    ... Il en est autrement du second principe de la thermodynamique. La loi de dgradation de

    l'nergie, en effet, ne porte pas essentiellement sur des grandeurs. Sans doute l'ide en naquit,

    dans la pense de Carnot, de certaines considrations quantitatives sur le rendement des

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    machines thermiques. Sans doute aussi, c'est en termes de mathmatiques que Clausius la

    gnralisa, et c'est la conception d'une grandeur calculable, "l'entropie", qu'il aboutit. Mais la

    loi resterait vaguement formulable et aurait pu, la rigueur, tre formule en gros, lors mme

    qu'on n'et jamais song mesurer les diverses nergies du monde physique, lors mme qu'on

    n'et pas cr le concept d'nergie. Elle exprime essentiellement, en effet, que tous les

    changements physiques ont une tendance se dgrader en chaleur, et que la chaleur elle-mme

    tend se rpartir d'une manire uniforme entre les corps. Sous cette forme moins prcise, elle

    devient indpendante de toute convention; elle est la plus mtaphysique de toutes les lois de la

    physique, en ce qu'elle nous montre du doigt, sans symboles interposs, sans artifices de

    mesure, la direction o marche le monde. Elle dit que les changements visibles et htrognes

    les uns aux autres se dilueront de plus en plus en changements invisibles et homognes, et que

    l'instabilit laquelle nous devons la richesse et la varit des changements s'accomplissant

    dans notre systme solaire cdera peu peu la stabilit relative d'branlements lmentaires

    qui se rpteront indfiniment les uns les autres...

    - La premire fois que j'ai lu ce passage, j'ai t fascin par cette expression, la plus

    mtaphysique de toutes les lois de la physique , avant de comprendre que,prcisment, le dfaut venait de l. Combien de physiciens se sont attachs

    dmontrer la flche du temps partir de l'entropie... Boltzmann lui-mme, qui en

    donna une interprtation mcanique, n'y est pas parvenu. Newton, qui a cr la

    physique classique, n'avait pas vu qu'il introduisait la rversibilit dans la

    mcanique, alors que la science, et avant elle le bon vieux bon sens, considrait

    l'irrversibilit comme allant de soi. Vous savez comment Boltzmann a d se

    rsoudre expliquer l'augmentation de l'entropie? Son premier calcul, mcanique,

    liait le nombre de chocs entre deux particules animes de telle et telle vitesse la

    proportion de telles particules dans le gaz.

    - Cela parat naturel...

    - Oui, ceci prs que cette formule suppose ce qu'il voulait dmontrer. Cela revient dire

    que les vitesses de deux particules sont corrles aprs un choc, mais non avant. Or cette

    supposition est dj asymtrique, de plus elle est fausse. Il a ensuite pens un argument

    statistique: dans un volume quelconque, il y a beaucoup plus de combinaisons de molcules

    correspondant une entropie leve que de combinaisons entropie basse (il y a

    normment plus de faons de tirer trois pile et trois face, il y en a vingt, que de faons de

    tirer six pile, il n'y en a qu'une) donc, en passant au hasard de l'une l'autre, l'entropie doit

    augmenter, c'est vrai (figure 02). Mais un tel raisonnement est bien sr indpendant dutemps, autrement dit, si l'on retournait vers le pass l'entropie augmenterait toujours... ce

    qui n'est pas. Il lui restait dire, aprs Henri Poincar, que le hasard - pour peu qu'on lui

    donne infiniment de temps - peut crer n'importe quelle situation. Il peut crer en

    particulier une sorte de "trou", une priode o l'entropie tant devenue exceptionnellement

    basse, elle ne pouvait plus ensuite que crotre. Mais il ne savait pas que l'univers tait n

    tout rcemment, il y a tout juste quinze milliards d'annes, ce qui ne laisse pas au hasard

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    assez de temps pour crer des conditions aussi exceptionnelles...

    - Si exceptionnelles que a?

    - Oh oui! Tenez, avez-vous jamais entendu parler de la thse "crationniste"?

    - Oui. Trs amusant. Certains tenants de la Bible au pied de la lettre assurent que le monde

    a t cr il y a sept mille ans, terre, ciel, toiles et tout, carpes et mouches, et mme les

    squelettes des dinosaures dans des couches gologiques d'apparence beaucoup plusancienne, le tout d'un seul coup. - Cela vous parat plausible?

    000111001011001101001110010011

    000011 010101 111100000101 010110 111010000110 011001 111001001001 011010 110110001010 011100 110101001100 100011 110011

    010001 100101 011101010010 100110 101101010100 101001 101011

    000001 011000 101010 100111 111110000010 100001 101100 011110 111101000100 100010 110001 011101 111011001000 100100 110010 011011 110111010000 101000 110100 010111 101111

    000000 100000 110000 111000 001111 011111 111111

    0 1 2 3 4 5 6

    figure 02. LE TIRAGE DE 6 PIECES(on crit zro pour face et un pour pile).

    - Tellement peu que c'est comique, de tels arguments n'ont mme pas besoin d'tre

    rfuts!

    - Pourtant, dans un verre de vin coup d'eau, les molcules d'eau et les molcules de vin se

    dplacent au hasard, elles peuvent se retrouver spares - rarement mais invitablement -

    vin d'un ct, eau de l'autre. C'est un tirage de loterie. Si toutes les particules constitutives

    de l'univers, par le simple jeu du hasard, se trouvaient brusquement, il y a sept mille ans,

    en telle disposition complte, terre, air, ciel, cette thse crationniste serait ralise.

    - Folie. C'est totalement incroyable, quel miracle faudrait-il, c'est bien pire que les brins

    d'herbe et les grains de sable autour de l'tang de la carpe.- On voit que vous n'avez pas ide de ce que peut tre une probabilit: un univers qui se

    serait trouv, il y a quinze milliards d'annes et du seul fait du hasard, dans un tat

    d'entropie aussi basse que celui qu'il a d connatre pour voluer jusqu' nous aujourd'hui

    est inimaginablement plus improbable encore - tous calculs faits et Roger Penrose les a

    faits (figure 03), une chance sur dix puissance dix puissance cent vingt-trois - que cet

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    univers n tout fait, fossiles compris, il y a sept mille ans...

    - Non?

    RIEN N'EST MOINS PROBABLE

    Figure 03.

    Un sur dix la puissance dix la puissance 123... Dix puissance cent vingt trois, c'est 1avec 123 zros derrire. Pour chaque tranche de neuf zros rptez "milliards de" ... unmilliard de milliards de milliards de milliards de... Ce sera le nombre de zros mettreaprs le premier un du dnominateur de cette fraction. Ce nombre fantastique de zros estinimaginable, on sait que le nombre total de particules de l'univers connu est seulementde 10 puissance 80, un nombre infiniment moins grand...

    - Mais si. Ce qui n'empche pas qu'actuellement les physiciens tombent d'accord

    pour expliquer l'augmentation actuelle de l'entropie par des conditions aux limites: le

    monde a commenc avec un niveau d'entropie exceptionnellement bas... Pourquoi?

    Parce que. Et toc. Autrement dit, les choses sont comme a, parce qu'elles taient

    comme a avant, grand merci pour l'explication. Concluons: il n'existe pas de flche du

    temps physique, toutes les lois de la physique sont rversibles, elles sont T-

    invariantes... il faut faire avec.

    O se cache le futur?

    - De sorte que - pour en revenir ce que nous disions avant cette digression sur

    l'entropie - le raisonnement ne "respire pas le sophisme", ce raisonnement, il ne respire

    rien du tout, il est parfaitement rigoureux. Et il suppose une chose beaucoup plus

    importante que vous ne l'avez remarqu: ce raisonnement suppose que l'avenir

    "quelque part" existe dj. Saint Augustin avait rflchi cette question. La position

    personnelle de Saint Augustin sur le temps n'est toutefois pas trs claire car il n'ose

    s'arrter ses hypothses les plus hardies; il suggre pourtant que si le pass et l'avenir

    existent, ce ne peut tre qu'en tant que formes de prsent. " Ou bien faut-il dire qu'ilsexistent aussi, mais que le prsent sort de je ne sais quelle mystrieuse retraite, quand

    de futur il devient prsent, et que le pass se retire dans une retraite galement

    mystrieuse, quand, de prsent, il devient pass " (Confessions , Livre 11, XVII 22). Il

    ajoute, mais alors sur ce point il affirme sa certitude, qu'avant la cration du monde,

    Dieu n'est pas " demeur oisif pendant d'innombrables sicles " (Livre 11, XIII 15), parce

    que le temps a fait partie de la cration, comme l'tendue: il n'y a pas d'avant. L'ide

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    n'est pas donc pas nouvelle. Depuis Einstein et la relativit, elle est mme devenue le

    modle "standard" actuel de l'univers. On l'appelle "l'univers-bloc", avec son espace-

    temps interne, continu, monobloc, si je puis dire. Il n'y a pas de pass disparu ni

    d'avenir natre, tout est "l", pass, prsent, venir. Pour reprendre la vision de Saint

    Augustin, l'ternit n'est pas un temps qui dure toujours, c'est la ralit instantane,

    totale, immuable, dfinitive.- Ce monde, cet univers "complet", d'o vient-il, qu'est-ce qui existait avant? "Que

    faisait Dieu, avant la cration du ciel et de la terre?" C'est la question que l'on posait

    justement Saint Augustin...

    - En fait, cette histoire - drle - ressemble celle que l'on raconte sur Epimnide le

    crtois, qui dit que tous les crtois sont des menteurs: s'il dit vrai, c'est que c'est faux,

    mais alors si c'est faux, il dit vrai, et ainsi de suite. Saint Augustin raconte ( Confessions ,

    Livre 11, XII 14) qu' la question que faisait Dieu avant de crer le ciel et la terre, on lui

    a attribu cette rponse: Il prparait un enfer pour les curieux , mais il ajoute aussitt

    que ce n'est pas vrai et qu'il n'a jamais dit a. C'est peut-tre exact, aprs tout: il

    n'empche que si cette anecdote est connue c'est bien parce que Saint Augustin la

    rapporte lui-mme! Quoi qu'il en soit, c'est ainsi que les physiciens dans leur immense

    majorit voient l'univers actuellement, "l'univers-bloc" ternel est un modle standard.

    - De quel bloc

    - Henri Poincar a t amen, au dbut du sicle, aprs une tentative de Lorentz,

    prciser quelle forme il faudrait donner aux lois du mouvement mcanique pour

    qu'elles restent valables, lorsque l'observateur de ces mouvements est en mouvement

    lui-mme par rapport eux.

    - Je m'y perds un peu

    - Ma phrase est trop complique. Supposez que vous observez une toile en mouvementdans le ciel, vous devez tenir compte du fait que vous, et votre lunette, n'tes pas fixes,

    mais que la terre qui vous porte se meut elle-mme autour du soleil, et grande

    vitesse. Ce que vous observez, la lumire qui vous parvient, est affect par ce

    mouvement, mais les lois de la mcanique devraient rester valable. Poincar aboutit

    donc deux formules de transformation qu'il appelle aimablement les "transformations

    de Lorentz". Je ne les reproduis pas ici, mais l'essentiel est de savoir que les

    coordonnes nouvelles d'espace sont une fonction du temps. Il y a maintenant le

    systme de coordonnes li l'toile observe, le systme de coordonnes d'espace li

    au laboratoire, et la formule de transformation d'un systme l'autre, dpendant donc

    du temps

    - Je veux bien le croire.

    - et aussi (attention, ne tombez pas de votre chaise) une formule de transformation du

    temps de l'toile en temps du laboratoire!

    - Oh!

    - Oui, oh! c'est le moins que l'on sache dire. La formule de transformation du temps

    tient compte des coordonnes d'espace. Tout est li. Qu'il n'existe pas d'espace absolu,

  • 8/14/2019 4 Maintenant Pour l'Eternite

    12/66

    on le savait depuis Galile. Qu'il n'existe pas de temps absolu, c'est une nouvelle

    surprise, et de taille. Que le temps et l'espace soient dsormais intriqus en un "bloc",

    c'est mieux encore.

    - Cela a d faire du bruit.

    - A peine, car un mathmaticien comme Poincar, c'est une personnalit bien peu

    mdiatique, si j'ose dire. Il a publi dans une revue italienne de trs haut niveau et depeu de lecteurs

    - On l'a nglig?

    - Pas vraiment, il y a eu au moins un lecteur, Albert Einstein, ou peut-tre surtout son

    pouse Milena Maric qui, elle, tait bonne mathmaticienne. Albert Einstein rebondit

    sur l'ide.

    - Qu'en dit-il ?

    - Pour lui, le monde est quadri-dimensionnel. Il existe trois dimensions d'espace et une

    de temps, qui forment un tout indissociable. Les observateurs, en fonction de leur

    vitesse de dplacement dans ce bloc, par un effet, en quelque sorte, de perspective, ne

    dcoupent pas les quatre dimensions de la mme faon en espace et en temps. Ce qui

    reste constant, ce n'est plus, et la distance, et la dure, mais un "intervalle", compos de

    d'espace et de temps. Pour qui se dplace trs vite, les distances raccourcissent et le

    temps ralentit. C'est en cela que l'espace et le temps ne sont pas absolus mais "relatifs"

    l'observateur, et c'est cette relativit, prcisment, qui donne son nom la thorie. Un

    vnement pass pour un observateur peut tre venir pour un autre (figure 04), de

    sorte qu'il n'est plus question de dcouper mentalement l'univers en un "pass"

    derrire, et en un "avenir" devant. Si un vnement peut tre pass pour un

    observateur, venir pour un autre, il faut bien que quelque part il soit toujours

    "prsent" comme le pressentait Saint Augustin. Le vieux temps de Newton n'est plus.La consquence de cette manire de voir, c'est que le temps n'est plus quelque chose qui

    nat au fur et mesure pour disparatre aussitt dans un pass mort: mme ainsi, on a

    vu qu'il ne serait pas mort simultanment pour tous les observateurs. Lorsqu'on se

    dplace en avion d'Abidjan Paris, on ne pense pas qu'Abidjan a disparu, que Paris va

    natre et que pour la minute n'existe dans le champ du rel qu'une mince tranche de

    Sahara. L'observateur sait, sans le voir, qu'Abidjan existe toujours avec ceux qu'il y a

    laisss, que Paris vit de sa propre vie et que le dplacement entre les deux n'implique

    que lui.

    TROIS EVENEMENTS RELATIVISTES

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    Figure 04

    Les observateurs X et Y se dplacent des vitesses trs diffrentes:L'vnement A est pass pour X et pour Y; l'vnement C est futur pourX et pour Y. L'vnement B est futur pour X et pass pour Y.

    Le Grand Rouleau

    - Il est difficile d'imaginer une chose pareille... o se trouve le pass...

    - Il pourrait n'tre vivant que dans votre mmoire, comme le disent avec nostalgie

    beaucoup de gens, et bien des potes. En fait, il est vivant vraiment: chacun des instants

    du pass est prsent pour lui, comme chaque lieu de cette terre - que vous y soyez

    encore ou non - est ici pour lui!- Le pass... c'est un peu inimaginable... mais l'avenir... n'allez pas dire, tout de mme,

    que l'avenir existe!

    - Chaque instant de l'avenir est prsent, lui aussi.

    - Pour vous, tout est crit dj dans le "grand livre" du destin?

    - C'est un comble, c'est le monde l'envers, mais c'est vous, jusqu'ici, qui vouliez jouer

    le rle du physicien dterministe, et maintenant... vous pleurez sur votre libert?

    - Je n'ai pas dit a mais... oui, je n'y rflchissais pas, pourtant c'est en effet la grande

    diffrence entre le pass dtermin pour toujours, et l'avenir ouvert... oui, je voyais cela

    ainsi.

    - On y reviendra.

    - A l'avenir ouvert?

    - Oh, ne vous rjouissez pas trop vite, la physique est symtrique par rapport au temps,

    souvenez-vous, si l'avenir est ouvert, le pass doit donc l'tre aussi. Nous y reviendrons.

    Pour la minute, vous tes dans la situation des disciples de Copernic: la terre tait

    videmment fixe, solide sous les pas des gens, les astres tournaient tout autour...

    - Pas un seul astre fixe et tant d'astres errants ...

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    - ... et il a fallu, norme effort d'imagination, se penser mobile, accroch un astre

    rond, toupillant son chemin autour du soleil... songez aux compagnons de Magellan

    partis vers l'ouest, revenus par l'est... ah, on parle avec assez d'aisance de cette

    rvolution copernicienne, il en faudra encore quelques belles autres. Aprs tout,

    Einstein et la " relativit " ne datent que de 1905, cela fait trois gnrations, et l'univers-

    bloc relativiste n'est pas encore bien entr dans les esprits.- On trouverait encore des gens pour imaginer la terre plate...

    - Au moins les enfants, certes. Quand mes parents - j'tais petit - me disaient que, peut-

    tre, il y avait des gens qui vivaient sur la lune (il y en a eu, c'est vrai, mais plus tard,

    Armstrong, Aldrin et quelques autres), alors je les imaginais, appuys sur une

    balustrade tout au bord de ce disque rond, et regardant, en bas, pour voir si j'tais dans

    mon jardin, sur la terre, le regard tourn en haut vers eux. Combien m'a-t-il fallu

    d'annes pour imaginer calmement qu'Armstrong, par exemple, regardait le ciel en

    levant la tte, pour apercevoir, haut dans le ciel, le disque bleut de la terre? Chacun

    doit faire sa propre rvolution copernicienne. Revenons l'univers-bloc. Imaginez un

    livre - le grand Livre disiez-vous - chaque page est "aujourd'hui" et le livre entier

    reprsente l'univers. Les vnement de chaque page sont relis, de cause effet, la

    page prcdente comme la page suivante. Ce livre est une image de l'univers-bloc.

    - Imparfaite.

    - Toutes les images le sont.

    - Maintenant lisez le Livre. Vous aurez bientt en mmoire des pages que vous

    appellerez le pass, vous lisez un page que vous nommez le prsent, encore qu'elle ne

    diffre en rien des autres, et vous pensez, distraitement o avec angoisse - selon que

    l'histoire vous ennuie, vous captive ou vous inquite - aux pages inconnues venir. En

    fait, c'est vrai, toutes sont lies. Les vnements dcrits forment une chane continue,solide, sans lment contingent... " tout est crit " disent les philosophes arabes...

    - Comme Jacques le fataliste, " Et qui est-ce qui a fait le grand rouleau o tout est crit?

    Un capitaine, ami de mon capitaine, aurait bien donn un petit cu pour le savoir; lui,

    n'aurait pas donn une obole, ni moi non plus; car quoi cela me servirait-il? En

    viterais-je pour cela le trou o je dois m'aller casser le cou? "

    - On y reviendra, je l'ai dj dit, mais le point sur lequel j'insistais est bien celui-ci, la

    page du prsent n'offre, du point de vue du Livre, de l'univers-bloc, aucun caractre

    particulier. Pour vous, le fugitif lecteur, oui, peut-tre, une page est au prsent, puis une

    autre, puis une autre...

    - J'aime bien " puis une autre, puis une autre ..." et ce retour subreptice du temps!

    - Bien sr que non, il n'en est rien, je ne parlais que de l'image du lecteur du livre. En

    fait, dans chaque page du "prsent" il y a un lecteur, avec sa conscience et sa mmoire,

    et c'est sa propre "mmoire" de ce qu'il appelle l'instant prcdent qui constitue son

    "temps subjectif". En ralit, rien ne bouge. Le livre, lui, est indiffrent, immuable,

    ternel...

    - C'est un peu trange, cette ide.

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    - Vous voyez ce que peut tre l'ternit, elle n'est pas faite d'un temps qui s'coulerait

    indfiniment, comme un vent qui n'aurait jamais de fin. L'ternit, c'est le paysage

    aperu dans sa totalit. " Non autem praeterire quicquam in aeterno, sed totum esse

    praesens " dit Augustin (C. L11, XI, 13) (entendez-vous le latin?) C'est aussi le sens

    profond de ce que Mose pouvait apprendre auprs du buisson ardent, savoir que

    l'Auteur du Livre s'appelle Je Suis celui qui Suis, au prsent pour l'ternit, il faudrait beaucoup d'imagination pour inventer une pareille formule. Le monde ne devient pas, il

    est. Vous aimez les citations? En voici d'autres, recopies en vrac: Grnbaum affirme

    que " le concept du devenir n'a aucune application significative en dehors de l'humaine

    conscience ". Spinoza crit Oldenburg " tempus non est affectio rerum sed merus

    modus cogitandi ". Ah, je voulais citer aussi Albert Schopenhauer, mais je vous poserai

    avant une innocente question.

    Maintenant pour l'Eternit

    - Innocente, j'en doute un peu.

    - Depuis combien de temps existe-t-il des hommes sur la terre?

    - Les hommes de Neandertal... les hommes de Cro-Magnon?

    - Pour fuir toute objection, l'espce humaine actuelle, au sens strict, Homo sapiens

    sapiens, le Cro-Magnon...

    - Cela fait quarante mille ans...

    - Et l'avenir de l'espce?

    - Sauf suicide collectif, vraisemblablement des centaines de milliers d'annes...

    nous sommes l pour durer!

    - De ce fait la grande majorit de la population humaine totale est, soit morte dj,soit encore natre. Quelle est la probabilit, pour tel individu donn, d'tre

    justement vivant, c'est dire de jouir actuellement de son prsent?

    - Je sens que vous allez me refaire le coup de la carpe et du moucheron...

    - C'est gagn. La probabilit - pour tel individu donn - d'tre actuellement vivant

    est pratiquement nulle. Quand vous aurez bien compris ceci - vous devriez tre

    mort depuis longtemps ou encore natre dans des milliers d'annes - vous

    m'expliquerez par quel miracle tes vous justement en vie, et au prsent?

    - Je n'avais jamais vu les choses comme a.

    - On ne sort pas de l, ou bien c'est un miracle... et les physiciens mcanicistes et

    dterministes n'aiment pas beaucoup les explications qui font appel un miracle...

    - Il y a tant de pierres dans mon jardin que je songe ds maintenant en faire une

    cour pave.

    - Ne soyons pas amer... ou bien c'est un miracle, ou bien... ou bien, oui, ou bien

    alors simplement, c'est la rgle et tout devient plus simple, la vie est au prsent,

    toujours et pour l'ternit!

    - Je... une minute...

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    - Bien sr, bien sr, bien sr... alors voil, comme promis, ce que dit Schopenhauer:

    "... Ou encore, la question sera plus brve, mais non moins trange; pourquoi ce

    maintenant-ci, son maintenant lui, est-il justement maintenant? Pourquoi n'a-t-

    il pas t il y a longtemps dj? On le voit par la singularit mme de la question

    qu'il pose, ses yeux son existence et son temps sont deux choses indpendantes

    entre elles; celle-ci s'est trouve jete au milieu de celui-l; au fond, il admet deux maintenant, l'un qui appartient l'objet, l'autre au sujet, et il se rjouit du hasard

    heureux qui les a fait concider... "

    C'est exactement la mme ide. Sa conclusion est importante: " Je suis, une fois

    pour toutes, matre du prsent; durant toute l'ternit entire, le prsent

    m'accompagnera, comme mon ombre; aussi je n'ai point m'tonner,

    demander d'o il est venu, et comment il se fait qu'il tombe justement

    maintenant ..." Le prsent tombe justement maintenant, parce que le seul mode

    d'existence, c'est le prsent. L'univers-bloc est , et ne devient pas. Ce qu'i l faudra

    expliquer encore c'est vrai, c'est pourquoi les tres conscients - peut-tre aussi tous

    les tres vivants dans leur ensemble, mais il faudrait le leur demander, s'ils

    parlaient - pourquoi les tres conscients prouvent ce sentiment subjectif de dure,

    de succession des vnements, alors que pour la physique pure et dure ces

    vnements coexistent pour l'ternit.

    - Intressante question.

    - C'est celle de la conscience, de l'attention l'tre , ce qui pourrait diffrer de l'tre

    simple, de l'tre des objets.

    - Prcisons immdiatement cela. La conscience, c'est le fonctionnement du cerveau.

    Je ne voudrais pas voir rapparatre, comme au coin d'un bois, un animisme, ou

    une force vitale, ou un esprit, que la science a chass de nos ides contemporaines.- Que la science a chass - oui certes, et c'est bien utile - chass de son domaine de

    comptence, celui des faits reproductibles. La science concerne les recettes qui

    marchent toujours, tout le reste est la littrature , disait Paul Valry. Il est vaste, ce

    tout le reste, et il intresse nos ides.

    - Oui, bien sr.

    - Nos ides dont on peut chasser l'esprit, j'en conviens, mais il ne faut pas s'appuyer

    sur la science pour cela, dans la mesure o l'on a quitt le domaine de comptence

    de la science. On peut chasser l'esprit, mais on doit honntement reconnatre qu'il

    s'agit l d'une position a priori et le surnaturel n'a rien voir, mais alors rien du

    tout, dans les prsentes considrations.

    - Je ferais volontiers une autre objection ce solide univers-bloc d'Einstein.

    - Oui?

    - C'est un modle mathmatique de la ralit, c'est un modle qui fonctionne. Mais

    peut-on - sans prcautions - en transposer les conclusions dans le rel?

    - Comment cela?

    - Oui, je prends par exemple la loi d 'Ohm, en lectricit, qui s'crit "i gale e que

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    divise r" avec i pour le courant, e pour la force lectromotrice, et r la rsistance du

    circuit.

    - Vieux souvenir du bac!

    - Cette formule est un modle mathmatique du circuit lectrique. Elle n'est pas la

    ralit. Elle ne tient pas compte de tout: si l'on augmente le courant, le fil de cuivre

    s'chauffe, il peut mme fondre, de tout cela la formule ne sait rien? Vous voyez ceque je veux dire?

    - Bien, trs bien. Et je vois aussi que par ce dtour, nous allons voquer la caverne

    de Platon, et les ombres sur le mur, qui sont des modles de la ralit extrieure,

    qu'ignorent les habitants de la caverne.

    - On va un peu loin, l.

    L'Envers du Temps

    - Aucunement. C'est une question, encore une, sur laquelle il sera ncessaire de

    revenir. Mais pour rpondre votre objection, c'est la physique elle-mme, par

    l'observation des rgularits de la nature, puis par la recherche d'une explication

    satisfaisante, qui en est venue imposer les lois physiques et enfin cette notion

    d'univers-bloc, avec son espace quadri-dimensionnel immuable. Ce n'est pas une

    simple construction de l'esprit, c'est une ncessit qui s'est impose l'esprit des

    chercheurs, tout au contraire, des esprits qui en ont t torturs, comme l'avait

    t celui des compagnons de Magellan lorsqu'il voyaient les vieilles constellations

    se lever l'envers sur leur horizon. Il leur avait fallu imaginer comment on pouvait

    contourner la terre, la tte en bas: allez donc passer des vacances dans l'le Maurice

    et regardez la lune avec une me nave, la lune en forme de C quand elle crot!- Allons voyons, Luna mendax , tout le monde sait qu'elle est en forme de D quand

    elle Crot, en forme de C quand elle Dcroit...

    - Hi hi ...

    - Non, c'est dire... oui...

    - Penchez un peu la tte en bas... pour voir... encore un peu!

    - Ne vous moquez pas.

    - Je ne me moque pas, dans l'hmisphre sud, la lune ne ment plus. Mais il vous

    faut pencher la tte, et plus pensivement encore, pour concevoir, en vrai, l'univers-

    bloc ternel. Pour lui, il n'y a pas de temps qui s'coule. Il existe bien une extrmit

    du temps, en tel point de l'univers-bloc pourrait-on dire, mais cette extrmit est

    une convention, non une mort. Tous les mridiens finissent au ple nord de la

    terre, et sur la sphre terrestre ce point final des mridiens ressemble tous les

    autres, sans pour autant signifier la fin de l'espace.

    - L'univers a bien commenc avec le Big-bang!

    - Oui, c'est possible en effet, en tel point de l'univers-bloc il y a le big-bang (figure

    05), comme il y a l'origine de toutes les routes de France sur le parvis de Notre-

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    Dame. Allez le voir, marchez dessus c'est du beau bronze, ce point ne diffre pas

    essentiellement de ceux qui l'entourent. Le Big-bang a exist, existe, existera pour

    l'ternit. Comme vous, comme moi...

    - Comment a, j'existe pour l'ternit?

    - Mais... mais c'est vident, on ne parle que de cela depuis tout l'heure.

    - Si c'est aussi raliste que l'existence des ondes avances, celles qui, souvenez vous,convergent vers leur (future) cause, je ne suis pas encore rassur.

    - Elles existent, ces ondes, vous les avez constamment sous les yeux.

    - ...?

    - C'est vident. Que se passerait-il si vous renversiez le sens du temps?

    - Si je savais comment faire, je n'hsiterais pas.

    - A titre d'exprience de pense...

    - Dans ce cas, c'est simple, vous et moi rajeunirions...

    - Oui, et sur l'tang?

    - Les ondes rouleraient l'envers, convergeraient vers la carpe et le moucheron...

    - Est-ce que vous trouveriez cela tonnant?

    - Laissez-moi rflchir... je regarderais ces ondes converger vers le museau d'une

    future carpe, prte exhaler une mouche...

    - Comment le savez-vous?

    UN UNIVERS-BLOC

    Figure 05

    Pour raliser ce schma, on a supprim une des dimensions d'espace, la hauteur. Cet univers est donc plat. Les

    disques horizontaux reprsentent des "instants". Pour un autre observateur un disque instant pourrait tre inclin

    (figure 04). Le temps s'tend verticalement, l'univers commence "en bas" et il finit "en haut". Le ple sud est alors

    une reprsentation du commencement ou "Big Bang". Notons que les coordonnes ne concernent que le schma.

    Pour l'univers-bloc il n'y a n i temps ni espace "extrieurs", il contient tout ce qui est.

  • 8/14/2019 4 Maintenant Pour l'Eternite

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    - Je rflchis, le temps marche l'envers, donc, ce qui va arriver prochainement, c'est ce

    que j'appelle mon pass immdiat, ce qui va arriver plus long terme, c'est ma

    jeunesse... ma mmoire marche l'envers aussi, c'est pourquoi je sais dj ce qui va

    arriver... oui, c'est bien ainsi que fonctionne ce monde rebours, je sais ce qui va

    arriver...

    - Voila, c'est exactement cela, le futur vous est connu, il ne comporte aucun degr delibert, en revanche, le pass, qu'en faites-vous?

    - Le pass... bien, le temps marche l'envers, mon pass, c'est ce qu'en temps normal, si

    j'ose dire...

    - Osez!

    - Ce qu'en temps normal, si j'ose dire, j'aurais appel le lendemain, ou ma vieillesse...

    bon, j'imagine que dans ces conditions, je ne dois plus en savoir grand-chose.

    - Exact. Tout fait exact. Si le temps marche l'envers, le futur est dtermin, le pass

    est inconnu, il est construire, il est libre. La situation est symtrique, c'est

    parfaitement logique. Bien, j'en reviens nos ondes avances qui convergent vers leur

    cause... il n'est pas tonnant que vous n'en ayez jamais vu: ce sont strictement les

    mmes que les ondes retardes. Simplement, il suffit de considrer ces mmes ondes

    retardes, celles que vous trouviez naturelles, tout en renversant le sens du temps...

    elles ne sont pas autres, ces ondes, ce sont les mmes d'un autre point de vue. La

    physique, avons-nous dit, est symtrique par rapport au temps. Pour la mettre

    l'preuve, renversez le sens du temps et voyez ce qui se passe: rien d'inimaginable, tout

    se passe comme avant, sans problme, et, effectivement, vous observez maintenant des

    ondes avances, qui existent bel et bien. Un physicien, Olivier Costa de Beauregard,

    avait tent d'expliquer certains phnomnes observs en physique quantique (on y

    reviendra) par des ondes avances, des ondes qui se seraient propages rebrousse-temps vers le pass. Il n'a pas t vraiment pris au srieux. Richard Feynman, quand il

    prparait sa thse, avait eu lui aussi recours ce mcanisme. Dans sa Confrence

    Nobel, il explique pourquoi il y a renonc. Maintenant vous le voyez bien: ces ondes

    avances existent, ce sont les mmes que les ondes retardes condition de changer le

    sens du temps. Mais...

    - Je sens que cela va tre un bien grand "mais"!

    - Oh que oui! Mais... cette exprience de pense, qui vous a permis de conclure que

    changer le sens du temps ne changeait pas grand chose...

    - Tout de mme si, nous rajeunirions!

    - Bien, vous croyez? Soit... le temps, avec l'aide de Dieu, a donc chang de sens, il

    marche l'envers. Ds maintenant. Qu'en savez vous?

    - Bravo, bravo, vive la jeunesse, o sont mon seau et ma pelle, je vais jouer au sable...

    - Attention, vous connaissez maintenant le futur, mais vous oubliez votre vie au fur et

    mesure que vous devenez plus jeune...

    - Mmm... moui! Ce n'est peut-tre pas sans inconvnients.

    - Vous avez men bien des tudes classiques, vous tes en train de tout perdre, il vous

  • 8/14/2019 4 Maintenant Pour l'Eternite

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    suffit de lire un livre, en commenant par la dernire page, pour en oublier

    dfinitivement le contenu!

    - Drle de vie.

    - Au fond, qu'appelez-vous le pass, qu'appelez vous l'avenir? Vous souvenez-vous de ce

    que vous avez dit vous-mme tout rcemment: " je me souviens du pass, j'ignore

    l'avenir " et vous avez ajout que c'tait votre dfinition du sens du temps. Si vousn'avez pas chang d'opinion, et je ne vois pas pourquoi vous devriez le faire, il en rsulte

    ceci: si le temps se mettait couler l'envers, ce futur que maintenant vous connaissez,

    vous allez l'appeler tout btement le pass... et rciproquement, le pass oubli, effac

    de votre mmoire mesure que vous vivez, vous aller le nommer avenir...

    L'argument le plus souvent avanc, pour dfinir la flche du temps, fait appel au

    verre d'eau renvers. Karl Popper insiste: lorsque l'on voit tomber un verre d'eau,

    malencontreusement pos trop au bord d'une table, on voit l'eau se rpandre et le verre

    se briser au sol. L'observateur trouve cette scne trs naturelle. Physiquement, il serait

    possible de voir cette eau rpandue sur le sol qui se rassemble en une masse unique,

    autour de laquelle tous les fragments de verre bris viendraient reconstituer le gobelet,

    lequel pourrait bondir, s'lever et reprendre sa place sur la table. C'est invraisemblable,

    dit Popper. Certes! Mais que suppose donc le philosophe? Que le temps du verre d'eau

    marche l'envers, cependant que l'observateur prouve lui-mme un coulement du

    temps en sens normal? Existe-t-il donc, entre le gobelet bondissant et l'observateur,

    une limite, comme une glace d'aquarium: un temps l'endroit d'un ct, un temps

    l'envers de l'autre? Bien sr que non, nous venons de le voir. Si le sens du temps

    changeait, c'est vrai, le verre se reconstituerait partir de fragments et, rcuprant son

    eau au passage, remonterait sur la table. Oui mais attention, l'observateur, puisque le

    temps s'coule l'envers pour lui aussi, n'y verrait rien d'extraordinaire. Pour lui, l' venir s'appelle le pass: un verre d'eau intact au bord fragile d'une table!

    - C'est trange...

    - Il y a plus trange encore, si l'on en revient la notion d'univers-bloc relativiste,

    immuable pour l'ternit: peu importe le sens du temps, qui n'a pas d'existence

    physique. Essayez un peu de demander quelle vitesse s'coule le temps? A la vitesse

    d'une heure l'heure? A la vitesse d'un jour par jour? Vous voyez bien que a ne veut

    rien dire. Rien du tout. Si le temps brusquement changeait de sens, vous ne vous en

    apercevriez mme pas! C'est dire l'importance que cela pourrait avoir. Tentez donc

    plutt de songer avec Grnbaum que " le concept du devenir n'a aucune application

    significative en dehors de l'humaine conscience ". Le monde ne devient pas, il est . Si le

    temps est un mode de pense humain, si l'coulement du temps n'existe pas, attention,

    il en rsulte cette consquence, notez bien: il ne peut exister de fin du temps, ni de

    mort.

    - Oh...

    - Eh oui, "oh". Toute cette discussion revient ceci, il existe une immense collection

    d'instants prsents... jamais prsents. Rien ne s'efface jamais de cette ardoise

  • 8/14/2019 4 Maintenant Pour l'Eternite

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    ternelle, la notion de passage, de fin, de mort, est une subjectivit humaine et ne

    correspond rien de physique. La mort n'existe pas.

    - Etrange...Rsurrection

    - Ce qui est trange, c'est que dans cette optique, la rsurrection de la chair, la vieternelle, est une vidence. Il n'y a pas lieu de faire appel au surnaturel (dont je ne nie

    pas l'existence, mais qui n'a rien voir dans les prsentes considrations) pour

    expliquer la rsurrection des morts, tout au contraire elle va de soi. La vie ternelle ne

    consiste pas en une survie d'hypothtiques "mes" dsincarnes, dont il est vident

    qu'elles ne serviraient rien ou presque... pour voir il faut des yeux, pour penser, il faut

    un cerveau. L'me dsincarne relve du bavardage puril. C'tait l'ide dualiste des

    grecs, dont Aristote et jusqu' Descartes, encore Aristote consacre-t-il l'me

    immortelle une ligne et demie sur son trait entier De l'Ame , se demander s'il y

    croyait vraiment. Les Hbreux avaient du corps-anim une notion unitaire toute

    diffrente et trs forte. C'est si vrai que de nos jours les chrtiens traduisent " sed

    tantum dic verbo et sanabitur anima mea " par " dis seulement une parole et je serai

    guri ". A la trappe, l'me. Le Credo quand lui invoque bien la rsurrection de la chair

    - indispensable - avant la vie ternelle: il n'y a pas de vie sans corps-anim .

    - Encore ne faudrait-il pas mlanger les genres, nous parlions de physique pure et dure.

    - C'est vrai. Alors, nous pouvons nous en tenir ceci: la vie ternelle est une ralit

    physique incontournable. Vous vivez au prsent, maintenant et pour l'ternit.

    - Bonne nouvelle, encore que...

    - Que quoi?

    - Cette vie ternelle... c'est un peu une prison.- Oui.

    - C'est tout ce que cela vous fait? Nous sommes condamns vivre, revivre

    indfiniment la mme vie, une vie o tout est jou d'avance...

    - Ah, le sacro-saint libre arbitre des philosophes!

    - Riez, riez, je ne ris pas. Maintenant, je ne puis mme plus imaginer l'avenir ouvert...

    mes choix possibles...

    - Vos lendemains qui chantent!

    - Arrtez. Un moment, cette ide d'univers-bloc m'a paru lumineuse, maintenant elle

    m'effraie. Pas vous?

    - Non.

    - Pourquoi?

    - Elle est fausse.

    - Vous vous moquez de moi? Einstein n'est donc pas le gnie du vingtime sicle...

    vous...

    - Si, mais si, i l est gnial. Ce qu'il a fait est l pour rester. Il a franchi le pas qui sparait

    l'univers de Newton, passager et temporel, de l'univers relativiste, ternel, immuable.

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    Eternel et immuable, mais non pas encore complet: on a fait mieux depuis. Avez vous

    une ide de ce que peut tre la physique quantique?

    - Je connais, j'aime bien le mot.

    - Que sera-ce la chose! Alors, rsumons-nous:

    Pour la physique, il n'existe ni temps ni sens du temps. Le sentiment d'coulement

    du temps est psychologique. L'univers-bloc relativiste est immuable et ternel. Il est construit d'une immense multitude d'instants tous prsents. Ces instants prsents sont

    relis entre eux par ce qu'on appelle les lois de la physique. Ce qui est venir existe

    dj, ce qui est pass existe encore.

    Tout cela est acquis. Seulement voil, on sait maintenant que "tout ce qui existe" ne

    se rsume pas - et de trs loin - cet univers-bloc. A ct de l'univers visible, il y a les

    univers invisibles. Il reste connatre bien d'autres univers, parlons-en maintenant.

    2 - L'Univers Quantique

    En quelques annes, compter de la fin du XIXe sicle, la vision du monde a plus

    chang encore que du temps de Copernic. Cela s'est fait en deux temps rapprochs. Il y

    a eu au dbut du sicle avec Einstein l'univers-bloc relativiste, le grand Livre aux

    feuillets toujours prsents... puis depuis les annes vingt l'apparition de la physique

    quantique. Il se trouve que ceux qui l'ont invente n'ont jamais pu vraiment

    l'interprter eux-mmes et ce n'est au fond ni trange, ni surprenant... compagnons

    de Magellan!

    - Que dit la physique quantique?

    - La quantique dit des choses simples... efficaces... mais si surprenantes que j'hsite

    nous y lancer...

    - Est-elle si surprenante que a, cette nouvelle physique?

    - Oui, surprenante n'est pas le terme juste, elle a horrifi ses propres parents...

    Copernic, lui seul, a refond l'Astronomie, Newton, seul, a instaur la Mcanique

    classique, la Relativit doit tout (mise part la mathmatique d'Henri Poincar) au seul

    Einstein...

    - Ah, je vois, la quantique est un enfant adoptif!

    - Planck fut le premier s'y fourvoyer... c'tait propos du rayonnement du "corpsnoir". Si vous voulez, je rsume de faon honte: imaginez un rcipient ferm, du

    genre calorimtre, contenant un gaz. Certaines molcules possdent une grande

    nergie, d'autres moins, un quilibre finit par s'instaurer aprs une srie de chocs

    hasardeux entre toutes ces molcules, les moins rapides sont pousses, les plus rapides

    sont freines... A l'quilibre, la distribution des vitesses est en "chapeau de gendarme"...

    - Que vois-je ici paratre... notre vieille entropie!

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    - Et Boltzmann aussi, vous pensez bien. C'est lui le matre de la "mcanique statistique"

    et des calculs qui concernent un nombre immense de molcules. Chacune d'elles obit

    pour son compte aux lois de la mcanique c'est vrai, mais le calcul n'est plus maniable si

    ce n'est par une statistique d'ensemble. Il existe pour cela une "formule de Maxwell-

    Boltzmann" pour dcrire le "chapeau de gendarme", en fonction de la temprature.

    - Jusqu'ici tout va bien!- Profonde et juste remarque du couvreur qui, chu du toit, passe devant les fentres du

    premier tage. Nous sommes dans sa situation. Le rayonnement du corps noir...

    imaginez la mme bote, munie d'un trou, on tudie cette fois le rayonnement qui en

    sort comme d'une gueule de four, fonction de la temprature toujours... infrarouge

    d'abord, puis rouge sombre, puis rouge vif, puis jaune, blanc... et alors l, catastrophe.

    La distribution du rayonnement que l'on observe est en chapeau de gendarme, comme

    celle des molcules. Par ailleurs on a pour le rayonnement une thorie, toujours juste,

    ce sont les lectrons de la paroi qui absorbent et re-mettent le rayonnement. Calcul

    fait, indubitablement fait, rien ne va plus. La formule issue de la physique classique

    prvoit une courbe qui monte, monte... car du rouge vers le violet l'nergie est de plus

    en plus grande, vers le violet, l'ultraviolet... l'nergie devrait tre infinie au del, c'est la

    "catastrophe ultraviolette" de la fin du sicle dernier... dont nul ne sait se tirer.

    - ... et c'est alors qu'un jeune gnie...

    - Oh, jeune, oui et non, on est en 1900, le trs srieux Max Planck a quarante deux ans,

    c'est un physicien bien classique. Il s'attelle au problme et prsente une formule

    mathmatique efficace mais difficile expliquer, et en aucune faon drivable de la

    physique classique. Il la prsente comme un succs de devinette. Il faut dire qu'

    l'poque, il y avait ceux qui croyaient aux atomes...

    - ... et ceux qui n'y croyaient pas!- Boltzmann y croyait, Ernest Mach, le matre penser de Max Planck, n'y croyait pas.

    Planck travaille expliquer "sa" formule. Rien n'y fait.

    Le "Quantum d'Action" de Planck

    En dsespoir de cause, Planck se tourne alors vers ce que lui mme appelle la

    "dgotante" mcanique statistique de Boltzmann, et fait l'hypothse que le

    rayonnement -suppos continu- ne peut tre absorb et re-mis que sous forme dequantits entires. On voit trs bien ce quoi il pense: puisque a marche pour les

    molcules. Ds lors, il dduit de cette hypothse hardie sa formule, magnifique, avec,

    entre autres belles choses le nombre Pi, la vitesse de la lumire, la constante de

    Boltzmann et une constante nouvelle, "h"... appele devenir l'ponyme et clbre

    "constante de Planck" ou quantum d'action.

    J'en reviens une remarque: la quantique a horrifi ses propres parents, Planck le

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    premier. Il a vraiment introduit reculons cette ide de quantification de l'nergie... il a

    propos de "faire comme si"... et encore, il ne connaissait pas l'poque la suite de

    l'histoire. Nous reparlerons de Schrdinger, encore un physicien bien classique, et de

    son quation dont plus tard il a dit: " si j'avais su o tout cela nous mnerait, jamais je

    ne m'en serais ml! ". Einstein n'a pas peu contribu cette ide l. Ce n'est pas

    l'existence des corps solides qui l'inquitait lorsqu'il s'est occup de la thorie descellules photolectriques. Il savait, tout le monde savait, que lorsqu'on diminue

    l'intensit de la lumire sur une cellule, l'intensit du courant diminue et lorsqu'on

    augmente au contraire l'intensit de la lumire, l'intensit du courant augmente. Mais,

    en dessous d'une certaine longueur d'onde, quelque quantit de lumire qu'on impose

    la cellule aucun courant n'tait produit et a, aucune thorie ne l'expliquait. Bien sr,

    les rayons violets sont plus "nergiques" que les rouges, mais pourquoi ne suffit-il pas,

    avec les rayons rouges, de "mettre la quantit" pour dloger un lectron? Il a fallu en

    conclure que l'nergie lumineuse ne se propageait pas "en continuit" mais "par

    paquets" indivisibles: si un paquet rouge ne suffit pas dloger un lectron, mille

    paquets rouges ne dlogeront rien non plus... C'est donc lui qui a dfinitivement

    quantifi la lumire et impos en 1905 l'ide des "photons" sinon le mot... Pourtant

    l'interprtation mtaphysique de Copenhague qui a suivi l'a horrifi lui aussi et il est

    toujours rest raliste. C'est pourquoi un jeune physicien, Philipp Franck, lui a fait

    remarquer quelques annes plus tard au cours d'une discussion de couloir que c'tait

    pourtant lui qui avait dclench, avec sa thorie du photon, toute cette incroyable

    philosophie la Bohr-Heisenberg, vous savez ce qu'il a rpondu?

    - Dites toujours...

    - " Il ne faut pas rpter trop souvent une bonne plaisanterie! "

    Les "Incertitudes"

    - Werner Heisenberg a tremp lui aussi dans cette aventure?

    - Plutt, oui. L'ide de "particules" d'nergie n'tait dj pas si avenante, encore fallait-il

    faire des calculs. Pour le jeune Heisenberg l'inspiration vient dans l'le d'Heligoland o

    il s'tait retir pour une sorte de retraite, on tait en juin 1925, il souffrait d'allergie aux

    pollens, Heligoland il n'y avait pas d'herbe, c'est la "cure radicale du rhume des foins".

    Il invente la "mcanique des matrices".

    - La quoi?

    - Il reprsente une particule par une table de chiffres, une matrice, la table de Pythagore

    en est un exemple si vous voyez a. Reste que pour se "reprsenter" une particule, le

    tableau de chiffres ce n'est pas ce qu'il y a de plus parlant.

    - Quelle ide...

    - Il voulait remplacer la dcomposition analogique d'une onde (quelconque) en srie de

    Fourier (toutes bien sinusodes: la fondamentale, la premire harmonique, la deuxime

    harmonique, la troisime...) par une procdure numrique, et rinvente ce faisant le

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    calcul matriciel dont il ignorait l'existence. Il le fait parce qu'il part du principe qu'on ne

    doit parler ni de la position de l'lectron, qu'on n'a jamais vu, ni de sa trajectoire, qu'on

    voit moins encore, et insiste sur l'utilit de s'en tenir aux "grandeurs observables"...

    restreinte et honnte formule de Niels Bohr. Ses grandeurs observables lui sont les

    "raies" spectroscopiques de l'atome d'hydrogne... Bon, il prsente une "table de

    chiffres" appele Q pour la position de l'lectron, et une autre "table de chiffres" appeleP pour la quantit de mouvement. Il crit les produits QP et PQ et dcouvre avec

    horreur (oui, toujours!) que ces produits ne "commutent" pas. Normalement, trois fois

    cinq et cinq fois trois, c'est pareil: la multiplication "commute". S'il avait connu le calcul

    matriciel, il aurait dj su que les produits de matrices ne commutent pas: il y a la

    multiplication gauche et la multiplication droite...

    - Rien que a!

    - Quand on le sait. Mais attendez... il s'ensuit quelque chose d'tonnant... Heisenberg

    montre son article Max Born qui, lui, reconnat le calcul matriciel et travaille la

    question avec son lve Pascual Jordan. Il en rsulte ce que David Wick appelle " la plus

    trange quation depuis l'invention de la multiplication il y a quatre mille ans par les

    babyloniens "...

    - Quelle?

    - Je me suis promis de ne mettre aucune quation dans ce papier.

    - Sauf que cette fois-ci on a l'eau la bouche!

    - Pour la beaut de la chose, cette quation de Born-Jordan s'crit:

    Il faut reconnatre que l, il y a le paquet: non seulement les produits ne commutentpas ( gauche) mais ( droite) leur diffrence implique la racine carre de moins un, la

    constante de Planck h et le nombre Pi. Voil ce qu'a fait Heisenberg: il a montr que

    dans le cas d'une particule quantique, il n'est pas possible de mesurer la fois la

    position et la quantit de mouvement! Or, pour dterminer le devenir d'un objet quel

    qu'il soit c'est en mcanique la premire chose faire. Une vraie impasse... la

    premire... il y en aura d'autres.

    - Mais pourquoi?

    - On y reviendra, je ne fais ici qu'numrer les difficults. Celle-ci, qui est de taille,

    introduit les "incertitudes" d'Heisenberg, ce n'est pas une classique ignorance issue de

    l'imprcision, un flou dans la pratique d'une mesure, mais bel et bien un tout nouvel

    indterminisme rel, thorique, absolu.

    - Vous avez un exemple?

    - Oui, et trs simple. Soit un rayon de lumire, nous allons le "diaphragmer" avec un

    petit trou bien rond dans une feuille d'aluminium. Vous voyez, il en sort un rayon bien

    limit qui peut faire une tache ronde claire sur une feuille de papier. Si le trou est plus

    petit, la tache ronde claire est plus petite. Maintenant, perons de la pointe d'une

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    aiguille un trou vraiment trs petit dans la feuille d'aluminium, un trou net mais

    imperceptible, et regardons...

    - Hum, la lumire passe mal dans ce trou, elle s'tale...

    - Oui. Ne dirait-on pas que le trou se comporte comme une source secondaire? La

    lumire ne passe plus "droit", elle s'tale en effet.

    - N'appelle-t-on pas cela une "diffraction"?- Si, justement. A quoi est-elle due? Vous ne le savez pas?

    - J'ai d l'oublier.

    - Non, vous ne l'avez jamais su. Mais vous allez le savoir: avec le trou trs petit, vous

    avez dtermin de faon prcise la position des photons, donc, vous avez dispers la

    quantit de mouvement...

    - Moi, j'ai fait a?

    - Oui.

    - Il a fallu Heisenberg pour dmontrer cette... incertitude?

    - Et ce n'est pas un flou artistique: regardez l'quation de Born-Jordan. Il en rsulte que

    le produit de la prcision en position par la prcision en quantit de mouvement est

    toujours suprieur la constante de Planck. Autrement dit, plus vous augmentez la

    prcision en position, plus vous perdez en quantit de mouvement. Ce rsultat est

    pratique aussi bien que thorique, regardez votre tout petit trou dans l'aluminium, et la

    large tache de lumire qui s 'ensuit. En physique quantique, l'indterminisme est

    fondamental...

    - Et ensuite? J'attends la suite des catastrophes.

    - La suivante, il fallait s'y attendre, se prsente comme l'envers de la quantification du

    rayonnement.

    La Mcanique ondulatoire

    Un jeune homme prpare sa thse de physique. En 1923 il sait que la matire est

    constitue de particules: l'poque la querelle de Mach et de Boltzmann est dpasse.

    De plus l'quivalence nergtique de la matire et du rayonnement a dj t montre

    par Einstein. Le jeune homme entend montrer que la matire se comporte aussi comme

    une onde. C'est la "mcanique ondulatoire" de Louis de Broglie.

    - a a d faire du bruit.

    - Ses matres ont t horrifis, et, faute de savoir que dire, ont montr le manuscrit

    Albert Einstein, qui a rpondu que cette thse l'intressait prodigieusement. Et voil

    notre Louis de Broglie docteur s-sciences avec un pav de plus dans une mare qui n'en

    manque dsormais gure. Comme consquence de cette thorie, et comme il faut

    toujours un comique dans toute belle histoire, le jeune (fils de son pre) George

    Thomson dmontre la nature ondulatoire de l'lectron en 1937, quarante ans tout juste

    aprs que son pre, Joseph John Thomson, eut dmontr le caractre corpusculaire de

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    ce mme lectron... bien entendu, le pre et le fils ont parfaitement raison tous les deux.

    - La coupe est pleine, ou on continue?

    L'Espace des phases

    Il y a ensuite Paul Dirac. Excellent mathmaticien, non seulement il reconnatcomme Max Born le calcul matriciel, mais il y voit une "dynamique Hamiltonienne" ...

    - Encore un jouet neuf?

    - Pas vraiment. Imaginez... oui, je sais, encore un petit effort... vous avez un objet qui se

    dplace dans l'espace. Sa position est fixe en longueur, largeur, hauteur... et pour

    connatre son volution, il vous faut aussi sa quantit de mouvement en longueur,

    largeur, hauteur?

    - Mmm... oui. Je vois.

    - Supposez maintenant un espace six dimensions...

    - Ah, mais non, je m'y refuse: a n'existe pas!

    - Supposez, j'ai dit. C'est un espace fictif, cela s'appelle un espace de reprsentation.

    Dans cet espace, un point, un seul, va pouvoir dfinir, puisqu'il comporte six

    dimensions, la fois la position et le mouvement de votre objet. Autrement dit, on

    transforme la dynamique Newtonienne en une figure de gomtrie. Vous voyez cela: un

    espace fixe o rien ne bouge reprsente un objet en mouvement... on appelle a un

    "espace des phases" Hamiltonien.

    - Les mathmaticiens sont de redoutables petits malins.

    - Ils fourbissent, et fournissent des outils aux physiciens. Ce que Paul Dirac voit, et

    publie, c'est que les matrices de Heisenberg voluent dans un "espace vectoriel

    complexe de Hilbert", encore un espace de reprsentation qui existait dj, comme lesmatrices, ou les quations de Hamilton, mais la question n'est pas l. L'quation de

    Dirac pour l'lectron est une pure merveille.

    - Et puis?

    La "Physique des gamins"

    - Wolfgang Pauli fait le chemin inverse et recalcule les "raies" de l'hydrogne partir

    du calcul matriciel. Mais alors... Voyons un peu. Heisenberg avait 20 ans, Jordan 22

    ans, Dirac 23 ans, Pauli 25 ans, de Broglie 30 ans. A Gttingen, on commence appeler

    tout a "la physique des gamins". En consquence de quoi les "particules" devenaientdes objets de plus en plus thoriques et de moins en moins imaginables. Au point que,

    pour la majorit des gens, l'ide qu'on s'en formait restait l'antique image de l'atome en

    "systme solaire" d'Ernest Rutherford, un noyau central et des lectrons qui gravitent

    autour...

    - Ah bon, ce n'est plus comme a?

    - Vous tes drle... Entre ces orbites de l'atome de Rutherford, 1910, et les matrices de

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    Heisenberg, 1925, il ne s'est coul que quinze ans... Quinze ans de "petit systme

    solaire" et pourtant, trois quarts de sicle plus tard, le grand public vit toujours avec

    cette image obsolte... demandez n'importe qui de dessiner un atome et hop... retour

    des petites plantes de Rutherford... On aime tant "imaginer", je sais!

    - Ils ressemblent quoi, en fait, les atomes?

    - Quelle sacre bonne question! Sans vraie rponse... L'exprience humaine classiquemanque d'images pour cette ralit l... Et vous touchez du doigt ce qui faisait tant

    horreur aux physiciens...

    - Mais pourquoi... qu'est-ce qu'ils avaient contre la quantique?

    - Sa logique folle. Les physiciens, trs l'aise dans la physique classique, en scurit

    dans le dterminisme et dans les certitudes, sentaient tout coup que le tapis leur tait

    tir sous les pieds... Je vous jure, c'tait cent fois pire que le dsarroi des compagnons

    de Magellan... les constellations l'envers dans le ciel, a n'tait pas facile avaler. La

    quantique, c'tait dfinitivement immangeable. Pour beaucoup, a l'est encore. On s'en

    sert tous les jours car elle est indispensable, mais en bon instrumentaliste on mne

    bien ses calculs et on vite d'y penser.

    - Ah... je vois. Alors... Qu'est-ce qu'on fait, on se lance? Que dit la physique quantique?

    Le Monde est discontinu

    Essentiellement, elle dit qu'il existe une quantit minimum d'action. De proche en

    proche, il s'ensuit bien des choses, il existe une quantit minimum de matire, en gros,

    en trs gros, les particules, mais si Ernest Mach y rpugnait encore Boltzmann le croyait

    dj et cela ne paraissait pas encore surhumain penser. Il existe une quantit

    minimum d'nergie, il existe une quantit minimum de vitesse, ah, c'est plus difficile imaginer, il existe une quantit minimum d'espace et alors l, oui, l'espace ne saurait

    plus tre "continu", il existe enfin une quantit minimum de temps, le temps de Planck.

    Le temps n'est plus "continu", il procde par tranches spares, tic tac tic tac...

    La physique quantique n'est pas une simple curiosit. Elle explique des aspects du

    monde que la physique classique -sans en rien dire d'ail leurs- ne prenait pas en compte.

    Ce n'est pas un mince dfaut de "l'enseignement" que de dcrire en dtail ce qui est

    connu, et de ne parler jamais de ce qu'on ignore. Cette attitude se comprend, mais elle

    entrane des consquences parfois catastrophiques. C'est ainsi que la physique

    "classique", la physique de Newton, ne peut pas expliquer l'existence des corps solides.

    Or les corps solides font partie de la vie quotidienne, on les considre comme "acquis"

    et personne ne signale jamais, ni aux enfants des coles ni plus tard aux tudiants des

    universits, que la physique ne peut les expliquer. Cette simple mention, pourtant,

    serait susceptible d'veiller...

    - ... leur mfiance ...

    - ... mais non, leur simple curiosit! Et cette curiosit est trs ncessaire.

    - C'est inou ce que vous me dites-l, on s' inquitait de la "catastrophe ultraviolette" et

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    personne ne s'inquitait des corps solides?

    - Non, oh, c'est dire si... mais... pour la distribution du rayonnement, on touchait du

    doigt le fait que quelque chose clochait... on s'inquitait, oui... mais pour l'tat solide,

    on ne peut mme pas dire que quelque chose clochait, on n'avait rien, mais alors rien de

    rien. Mme pas la notion d'un problme... c'est dire.

    - C'est fou.- Tous les physiciens connaissent le discours du grand William Thomson, lord Kelvin,

    la fin du XIXe sicle devant des tudiants qu'il plaignait d'arriver dans la carrire alors

    que la physique tait acheve. Magnifique difice complet, superbe, dfinitif, avec, oh,

    oui, peut tre une ou deux petites questions de dtail, une avance inexplique de

    quarante trois secondes d'arc par sicle dans le prihlie de la plante Mercure, et aussi

    une distribution du rayonnement du corps noir qui ne correspondait pas l'attente, peu

    de choses, en vrit. Thomson se trompait, car en rponse sa premire petite question

    devait surgir la Relativit, en rponse sa seconde petite question la mcanique

    Quantique, mais on ne peut lui reprocher un manque de sens critique... et sa superbe

    physique tait d'un coup rduite au rle de l'enduit sur la toile o le chef-d'uvre restait

    peindre!

    - O en est-on?

    - Comme je l'ai dit, il y a deux positions. Il y a la position universitaire des

    instrumentalistes, qui sagement calculent juste et ne cherchent surtout pas

    d'interprtation; ils ne "veulent pas le savoir". Et puis il y a ceux qui voudraient bien le

    savoir, justement, ceux qui interprtent... et alors l, les interprtations n'ont pas

    manqu, des plus folles...

    - Aux plus raisonnables?

    - Non, hlas, pour le moment l'ventail s'tend des plus folles aux plus folles encore.Mais vous allez voir que cette folie tient avant tout la nature des choses.

    Un Photon et quatre miroirs

    Nous allons organiser une petite exprience. Pour cela, il faut un rayon laser, une

    "flche rouge" de confrencier par exemple, et quatre miroirs disposs aux quatre coins

    d'un carr. Plus exactement, il y aura, aux deux extrmits d'une diagonale, deux vrais

    miroirs, les deux autres seront des miroirs "semi-transparents" comme ceux que l'ont

    peut remarquer dans un magasin pour la surveillance, ou dans le laboratoire de

    psychologie d'une universit. Ah, vous ne saviez pas? Bien, vous le savez, maintenant.

    D'un ct, ce sont de vrais miroirs, on se voit dedans, de l'autre ct ce sont des vitres,

    on voit au travers... et c'est assez pratique.

    En fait, ce qui se passe, c'est que ces miroirs renvoient la moiti de la lumire (on

    peut se voir dedans) et se laissent traverser par l'autre moiti (ce qui permet de voir au

    travers). On va maintenant diriger le faisceau laser vers un miroir semi-transparent de

    sorte que la moiti de la lumire qui le traverse longe exactement un ct du carr, et

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    que l'autre moiti, celle qui est rflchie, longe le ct adjacent. Ces deux demi faisceaux

    rencontrent les deux vrais miroirs, ils sont rflchis le long des deux autre cts et se

    rejoignent juste sur le dernier miroir semi-tranparent, au quatrime angle du carr. La

    question est: que se passe-t-il? Si l'on en croit ce fameux "bon sens" qui est la chose du

    monde la mieux partage, la lumire se re-subdivise encore en deux, un quart de

    faisceau droit devant et un quart de faisceau rflchi, autrement dit, moiti moiti,puisque les deux faisceaux se rejoignent.

    Figure 06

    En science hlas, le "bon sens" est pratiquement toujours trompeur. Si l'exprience est

    bien monte, les quatre cts du carr bien gaux, les quatre angles bien droits ( vrai

    dire, ce n'est pas un "travaux pratiques" de classe de seconde, mais une "manip" de

    doctorat), toute la lumire prend une seule direction, ici X, parallle la direction

    d'entre (Figure 06). Tout se passe comme si le faisceau lumineux se divisait en deux

    trajets, puis nouveau runi continuait son droit chemin.

    - Bien, et qu'est-ce que cela prsente d'extraordinaire?- Tout de mme, on s'attendrait ce que la lumire qui arrive sur un miroir semi-

    transparent soit divise, c'est ce qui se passe toujours. Or l, c'est le contraire, tout

    ressort du mme ct.

    - Bien, c'est comme a.

    - Vous avez une explication?

    - Oh... j'en ai une, si je me souviens de la physique du Lyce, il doit y avoir la dessous un

    phnomne d'interfrence.

    - Gagn. Mais, il y a une nuance... enfin, oui, laissons les nuances pour le moment. C'est

    un phnomne d'interfrence; en fait l'appareil est l'interfromtre de Mach-Zehnder.

    Nous allons le vrifier. Je place un carton sur l'un quelconque des trajets, j'interromps

    ainsi un des deux demi faisceaux (Figure 07).

    - Je constate.

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    Figure 07

    - Ah... oui, cette fois, la lumire du demi faisceau restant se divise sur le miroir semi-

    transparent de sortie. J'avais raison, il n'y a plus deux lumires qui se rejoignent, mais

    maintenant une seule et il n'y a plus d'interfrence.

    - De sorte qu'en Y o il n'y avait que de l'ombre quand toute la lumire pouvait passer, il

    y a une tache lumineuse depuis que l'on a supprim un des deux chemins.

    - Oui.- Et... c'est... normal?

    - Au fond, vous avez raison. On va compliquer un peu cette mme exprience. Je

    dispose maintenant, sur le trajet de mon faisceau laser, avant de le diriger vers la carr

    aux miroirs, un verre teint noir, un verre si teint qu'il n'est travers toutes les heures

    que par un seul photon. Voil, j'ai maintenant un appareil qui produit un photon

    l'heure. (En ralit, une source de photons isols est un appareil beaucoup plus

    compliqu, et surtout plus coteux, que ce qui est dcrit l, il suffit de savoir que cela

    existe). L'exprience continue. Ah, pour que l'on puisse constater ce qui se passe, l'oeil

    ne suffit plus et nous mettons en place des plaques photographiques. Vingt-quatre

    photons par jour, dix jours, cela fait dans les deux cent cinquante photons, de quoi

    noircir efficacement un point de la plaque...

    - Bien, bien, trs bien... et alors?

    - Alors, dix jours aprs, une seule plaque montre une tache d'argent noir dans le

    glatino-bromure.

    - Oui, et alors, bien sr c'est comme avant.

    - C'est comme avant, mais o sont les interfrences? Toutes les heures peu prs il

    passe un seul photon dans le dispositif... ce photon suit un des deux chemins,

    souvenons-nous, les quanta ne sont pas divisibles. Un photon est un "paquet"

    indivisible qui passe d'un ct o de l'autre, au hasard. On ne sort pas de l.- Oui, je comprends...

    - Alors, comment sait-il qu'il doit toujours ressortir du dispositif en prenant sa direction

    initiale? S'il a travers le premier miroir, il est rflchi par le dernier, s'il a t rflchi

    par le premier miroir, il traverse le dernier, toujours, de sorte qu'il reprend sa

    direction...

    - Oui, c'est vrai, c'est curieux...

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    - Attendez, a va devenir plus curieux encore. L, je dispose un carton, comme je l'avais

    fait dj. Je remplace les plaques photographiques. J'attends nouveau dix jours.

    - Patientons.

    - Je vous donne le rsultat tout de suite: nous avons deux taches, la moiti des photons

    repris la direction initiale, l'autre moiti en a chang et c'est cela qui est le rsultat

    normal, le rsultat "de bon sens". La question que l'on doit poser, maintenant, lagrande, la vraie question, c'est celle-ci: quand il y a deux trajets possibles, comment un

    photon sait-il qu'il ne doit prendre qu'une seule des deux sorties, toujours la mme?

    Quand il y a un obstacle d'un ct, comment le photon qui emprunte l'autre chemin

    sait-il qu'il est libre d'tre rflchi, ou de traverser le miroir? O sont les interfrences...

    il passe un seul photon toutes les heures, ils ne doivent pas se gner tout de mme?

    - C'est curieux, mais je ne vois pas bien ce qu'il y a de si extraordinaire dans tout cela...

    - Vous ne voyez pas... Alors, je vous propose le malicieux problme d'Elitzur-Vaidman.

    Vous allez voir, c'est une preuve de travaux pratiques. Vous tes pacifiste, vous avez

    cependant, pour la dfense, prpar des bombes, mais il y a cinquante ans qu'elles n'ont

    pas servi. Une priode de crise, vous savez comment a se passe...

    - Non...

    - Ca ne fait rien. On vous demande de trier les bonnes et les mauvaises seulement voil,

    le dtonateur est incroyablement pernicieux. Chaque bombe est munie d'un petit

    miroir. Si un seul photon tombe sur le miroir, la bombe explose. Comment allez-vous

    faire?

    - Pour essayer la bombe, je me sers de votre source de photons isols, j'expdie un

    photon sur le miroir dtonateur et...

    - Si elle est mauvaise, rien ne se passe, et hop, la poubelle. Si elle est bonne?

    - Si elle est bonne, le photon atteint le miroir, et elle explose!- A la fin de la journe, les mauvaises sont la poubelle et les bonnes ont explos. Vous

    ne ferez pas un ingnieur de l'armement trs recommandable...

    - a n'est pas possible, votre truc!

    - Dans le monde de Newton, a n'est pas possible en effet mais rflchissez... nous

    vivons dans le monde quantique... regardez un peu nos panneaux des quatre miroirs,

    vous n'avez pas une ide?

    - Il faudrait rflchir...

    - Bonne ide pour un miroir. Regardez, je reprends le dispositif et je pose la bombe la

    place d'un des "vrais" miroirs, comme ceci (Figure 08):

    Quatre cas sont possibles. Un, si la bombe est mauvaise, elle agit comme un vrai

    miroir tout bte, nous sommes donc dans le cas de la figure 6 et le photon ressort

    toujours du ct du dtecteur X. Si donc c'est le cas, on jette la bombe la poubelle.

    Mais si elle est bonne, elle constitue un obstacle, puisque, si elle reoit le photon, il se

    passe quelque chose...

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    Figure 08

    - Une explosion, en effet!

    - Quoi qu'il en soit nous retrouvons le dispositif de la figure 7. Il reste trois cas

    possibles. Deux, le photon arrive effectivement sur la bombe, elle explose.

    - C'est dommage.

    - Vous, vous ne faisiez pas mieux. Trois, le photon prend l'autre chemin, ah... nous y

    voil, comment le photon sait-il qu'il y a un obstacle sur le chemin qu'il n'a pas emprunt... bon, il le sait ou pour toute autre raison, il peut maintenant se diriger soit

    vers le dtecteur X et l'on peut croire que la bombe est mauvaise -mme si ce n'est pas

    le cas, hop, la poubelle- ou bien encore, quatre, hip hip hip, hourra, il est rflchi vers

    le dtecteur Y et c'est la solution du problme: on est sr d'avoir une bombe en parfait

    tat de fonctionnement sans pour autant l'avoir dtruite. Voil: on a pratiqu sur cette

    bombe une mesure nulle... mais dans une exprience o pareil rsultat s'observe si, et

    seulement si, le dtonateur de la bombe est fonctionnel. Commencez-vous voir "ce

    qu'il y a de si extraordinaire dans tout cela..."? Je rpte, quand il y a un obstacle d'un

    ct, comment le photon qui emprunte l'autre chemin sait-il qu'il est libre d'tre

    rflchi, ou de traverser le miroir? O sont les interfrences? Ici encore, on ne met en

    jeu qu'un seul photon la fois!

    - Je me souviens d'avoir entendu parler de la "dualit onde-corpuscule"..?

    - En effet, c'est une des nombreuses contorsions intellectuelles de ce dbut de sicle!

    David Deutsh dit que les inventeurs de la quantique n'ont jamais compris leur propre

    thorie. Tout ce qu'on en savait, c'est qu'elle marchait. Comme je l'ai dit, elle explique

    l'tat solide, elle permet de faire des calculs avec une prcision incroyable, douze

    dcimales, c'est le millionime de millionime.

    - C'est beaucoup?

    - Pour l'apprcier, il faut connatre d'autres cas. La mcanique cleste de Newton offrequatre dcimales seulement, la Relativit en revanche offre plus encore que la

    quantique avec quatorze dcimales exactes, le cent millionime d'un millionime. J'en

    reviens au paradoxe et certains, comme Einstein, on toujours dit que (malgr cette

    prcision), une thorie nouvelle (mais alors, il faudrait qu'elle soit plus prcise encore)

    viendrait remplacer la quantique, cette thorie que l'on n'a jamais prise en dfaut, cette

    thorie qui prvoit tout et n'explique rien. D'autres, comme Niels Bohr, ont pris le parti

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    de constater que le rel est "hors d'atteinte", qu'en dehors des observations il n'existe

    rien... on est mme all jusqu' dire que le monde rel n'existe pas, que lorsqu'on

    aperoit une thire sur la table, prtendre que cette observation tient au fait qu'il

    existe vraiment une thire sur une vraie table est un prsuppos philosophique: seule

    l'observation compte... Cette position maintenant archaque s'appelle "le point de vue

    de Copenhague".

    Les "Ondes de probabilit"

    En fait, tout cela tourne aussi autour de l'quation de Schrdinger. Erwin

    Schrdinger n'tait pas un brillant tout jeune physicien comme Heisenberg, mais un

    professeur trs classique. Les matrices lui faisaient, dit-il, plutt horreur, comme la

    physique discontinue. Il avait l'impression que l'on pouvait exprimer tout cela par de

    "vraies" ondes, surtout aprs avoir lu la thse de Louis de Broglie. Pendant l'hiver 1926

    il passa deux ou trois semaines dans les Alpes suisses avec une amie et la thse susdite,

    ce qui ne laissait pas tellement de temps pour le ski. Au retour, il pouvait publier son

    quation. Cette quation a d'abord t considre comme une horreur ma