4 maintenant pour l'eternite
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MAINTENANT POUR L'TERNIT
Jean Dutertre
Table des matires
1 - L'Univer-bloc relativisteL'Horloger (d'Espagnat)Ronds dans l'eau
Figure 01 (inversion d'une onde)L'Entropie a encore augment (Henry Bergson)
Figure 02 (tirage de 6 pices) Figure 03 (rien n'est moins probable)O se cache le futur?
Figure 04 (trois vnements relativistes)Le Grand RouleauMaintenant pour l'ternitL'Envers du Temps
Figure 05 (Un Univers-bloc)Rsurrection Rsum 1
2 - L'Univers Quantique
Le Quantum d'Action de Planck Les "Incertitudes"La Mcanique ondulatoireL'Espace des phasesLa Physique des gaminsLe Monde est discontinuUn Photon et quatre miroirs
Figure 06 (un Photon et quatre miroirs) Figure 07 (un Photon et quatre miroirs 2) Figure 08 (une bombe)Les "Ondes de probabilit"En termes simplesLe Jardin aux sentiers qui bifurquent
Figure 09 (addition de vecteurs)L'Ingalit de BellUn Tout non-sparableUnivers ParalllesLe Multivers
Rsum 2
3 - La Somme de toutes les Histoires
Une Histoire de chatCas de ConscienceL'Action libre
Figure 10 (un "instant" prsent) Figure 11 (une "ligne de vie") Figure 12 (les "lignes d'une vie" dans le multivers)Pourquoi la Conscience?Tout faire avec RienLa Fin du parcours
Rsum 3 Bibliographie
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1 - L'UNIVERS-BLOC RELATIVISTE
L'tang est lisse, miroir gris sous le ciel gris. Prs de la rive, un petit monde, sable,
brins d'herbes diverses, et de minuscules bestioles qui vont leurs affaires. Vus d'ici, les
gestes de ces bestioles paraissent dsordonns. Que l'on fixe son attention sur l'uned'elles, ne serait-ce que quelques instants, et l'on souponne volontiers le projet: on
cherche, on amasse ou collectionne, on s'active en vue de quelque chose de
dlicieusement vague ou de mticuleusement prcis. Tout voque l'expression de
Jacques Monod qui dfinit ainsi la vie: un objet muni d'un projet.
L'Horloger
- C'est une vue de l'esprit. En biologie, pas plus qu'en physique, il n'existe rien qui soit
vritablement un projet. Des ractions physiques, ou physico-chimiques, s'entranent
ncessairement les unes les autres... c'est tout.
- Vous voulez dire que ces vnements sont corrls? C'est un point de vue
dterministe, je vois! - Ce n'est pas un point de vue, c'est de la logique solide et sre.
Les projets, autrement dit les "causes finales", cela n'existe plus depuis le seizime
sicle.
- C'est dommage, vraiment. Aristote, parmi les cinq "causes" qu'il dcrit, conoit sans
hsitation la cause finale. L'ide de Dieu, par exemple, est insparable de celle de
projet. Pour Bernard d'Espagnat:
On ne remarque pas toujours assez qu' l'poque de Dante la notion que les personnes
instruites avaient de Dieu tait beaucoup moins celle d'un Dieu crateur, ou "horloger" (notion
qui bien entendu tait prsente elle aussi leur esprit, mais en retrait) que celle d'un Dieu, cause
finale (entendons: un Dieu tel que la finalit la plus haute de l'homme et du monde fut de
parvenir "un jour" s'unir lui pour l'ternit). C'est cette notion l, extrmement motivante
pour la vie intrieure que nous devons en grande partie, sans doute, les trsors, par exemple, de
l'art primitif italien. Et ce n'est qu'aprs Galile que, la propagation d'une vision mcanistique
du rel ayant rendu paradoxale la notion dont il s'agit, les penseurs durent se contenter d'une
conception jusqu'alors tenue, d'aprs Burtt, pour plus grossire et populaire, savoir celle d'un
Dieu crateur. Ils ne pouvaient en effet, sans contradiction avec leur savoir, gure attribuer
d'autre rle Dieu que celui d'avoir donn la "chiquenaude initiale" l'univers. Mais il est clair
que mme le zle thologique d'un Newton ou d'un Maxwell ne pouvait russir confrer cette
conception nouvelle d'un Dieu essentiellement " horloger " le caractre d'une vision qui, pour l'esprit, fut aussi "porteuse" que la prcdente.
- C'est grotesque. A l'extrme rigueur c'est vrai j'aurais pu vous concder l'ide d'un
Dieu horloger, responsable du "point de dpart" de l'univers. A partir de l, tout ce qui
s'ensuit procde ncessairement de quelques lois physiques de porte universelle.
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- De sorte que pour vous, l'avenir est ncessairement issu du pass?
- Cela ne peut tre mis en doute .
Ronds dans l'eau
Un moucheron s'active ainsi au dessus de la surface lisse de l'tang. Il s'approche del'eau, un peu trop peut-tre et hop! une carpe effleure la surface, gobe le moucheron,
disparat avec lui dans les profondeurs. Minuscule drame instantan. Il n'en persiste
qu'un rond dans l'eau, un cercle, qui grandit, indfiniment, atteint la rive de l'tang et
s'y perd. Maintenant tout est revenu au calme.
- Vous avez vu l'onde qui s'est propage toute la surface de l'tang?
- Oui, comme vous, bien sr.
- Les physiciens appellent ces ondes des ondes retardes. Vous qui aimez la physique et
les lois dterministes...
- Oui, encore une fois. Et alors?
- Alors? Toutes les lois physiques sont symtriques par rapport au temps. Elles sont T-
invariantes, dans le jargon scientifique, c'est dire qu'une loi "fonctionne" aussi bien
quand on remplace "T" (le temps) par "moins T" dans la formule mathmatique. Les
formules mathmatiques des ondes - quelles qu'elles soient, radio, lumineuses, sonores,
celles de la surface des tangs - sont symtriques. D'o il rsulte qu' ct des ondes
retardes (on les dit retardes car elles suivent leur cause) les lois physiques, dont vous
faites si grand cas, supposent galement des ondes avances.
-
Des quoi?- Des ondes avances, des ondes qui convergent vers leur cause.
- Vous voulez rire?
- J'ai l'air de rire? Vous faites confiance la physique et, en particulier, la
physique de Newton et suivants, c'est a?
- Oui, cela va sans dire.
- Alors cette physique connat les ondes avances. Je n'y puis rien et ce n'est pas
moi qui les ai inventes.
- En avez-vous vu?
- Non. Cela ne veut pas dire qu'elles n'existent pas.
- Personne n'en a vu.
- Je rpte, cela ne veut pas dire qu'elles n'existent pas. De plus, il faudrait savoir ce
qu'est le temps, et le sens du temps, pour en parler. Bien, pourquoi pensez-vous qu'elles
n'existent pas? Aprs tout, il suffirait qu'au bord de cet tang les petits grains de sable,
les petites herbes, fragments de feuilles, les animaux minuscules, soient agits de telle
faon extrmement prcise et coordonne pour qu'une onde surgisse, se propage vers le
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milieu de l'tang, en un cercle concentrique. Aprs tout, l'onde circulaire qui s'est tale
tout l'heure a bien t absorbe par tous ces lments minuscules. Il suffirait donc,
mme si cela devait tonner Karl Popper , qu'ils reprennent tous le mme mouvement,
en sens inverse bien sr, pour qu'un onde convergente se dirige vers le centre de
l'tang.
- J'aime bien, moi aussi, ce "il suffirait"! Tout cela serait hautement invraisemblable,et ne suffirait pas du tout.
- Je ne sais pas. A moins que, par une trange aberration de l'esprit, vous ne
considriez pas l'application des lois physiques de la mme faon quand il s'agit du
pass et quand s'agit du futur.
- Justement si, c'est tout fait diffrent!
- Ah bon. Pour vous? Pour vous seul, alors... car, en physique et je viens de le dire, les
lois sont symtriques par rapport au temps. Vous n'avez pas le droit de faire deux
poids deux mesures. A moins que vous ne soyez plus "mtaphysique" que vous ne le
pensiez!
- Enfin quoi, pour crer cette onde avance dont vous parlez, il faudrait une
extraordinaire coordination de tous ces millions d'lment minuscules autour de
l'tang, et une synchronisation peu croyable, car tous les points du rivage sont
distance ingale du centre. Quel mcanisme impensable pourrait donc ainsi tre
mis en oeuvre... cela semble d'une telle parfaite vidence... De plus, cette onde ne
convergerait pas vers sa cause, ce serait une onde l'envers, certes, mais sa cause,
ce sont les brins d'herbe.
- Pas vraiment... car ce mouvement des brins d'herbe, grains de sable et autres, il
est l'exact inverse de ce qui a t d'abord provoqu par la carpe. Il faudrait un
mcanisme hautement improbable pour mettre en oeuvre cette inversion j'enconviens - moins d'inverser le sens du temps - mais... la vraie cause, ce serait
encore la carpe, et dans ce dernier cas une future carpe. Il faudra prciser tout cela,
vous verrez qu'on y viendra de faon trs claire, au prix d'un changement radical de
point de vue c'est vrai. La causalit suppose-t-elle un sens du temps, c'est ce qu'il
faut savoir, et je persiste penser que vous ne regardez pas le pass et le futur dans
le mme esprit, ce que tout physicien devrait pourtant faire.
- Mais si, je vous assure. Il n'existe pas de biais dans ma faon de voir les choses.
Il n'existe pas non plus d'onde qui converge vers le centre d'un tang, jamais, car la
coordination de tous les lments priphriques de cet tang est hautement
improbable, un point c'est tout.
- Tandis que dans l'autre sens?
- Dans l'autre sens, pas de problme.
- Bien. Le dbat est mieux circonscrit. Hautement improbable et impossible, cela
fait deux choses et cela ne fait pas une loi. Dans ces conditions-l, ma question est -
condition que les seules lois physiques soient prises en compte, j'insiste mais il
faut bien insister - quelle est la probabilit d'une mouche, quelle est la probabilit
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- A mon tour, je demande, en ce qui concerne la cause de l'onde retarde, si
l'existence dans notre univers d'organismes aussi incroyablement complexes que la
mouche et la carpe n'est pas encore plus invraisemblable. Songez l'anatomie, la
physiologie, aux nerfs, aux hormones, tout l'appareil gntique qui organise ces
nerfs et ces hormones, tous les processus qui rgulent ensemble tous ces
mouvements... oui, quelle est la probabilit d'une carpe? Ne cherchez pas, parceque cette probabilit, elle est - compte tenu des seules lois physiques -
pratiquement nulle. Seulement, voil o le bt blesse: la coordination de quelques
brins d'herbe vous tonne tandis que celle d'organismes animaux incroyablement
complexes vous semble naturelle. Ils existent, vous les prenez comme ils sont: or ils
sont invraisemblables!
- Les animaux sont naturels... puisqu'ils existent.
- Eh bien voyons! Non, invraisemblance pour invraisemblance, il va vous falloir
expliquer d'abord l'existence des carpes et des mouches. Ah ha! Sinon, vous ne vous
en sortirez pas: l'onde retarde n'est pas plus vraisemblable que l'autre. Ce sont vos
habitudes qui tiennent le pass pour donn, et l'avenir natre, qui vous la rendent
si vidente. Il en va de mme de votre prsuppos en faveur des causes initiales et
c'est votre ide mtaphysique a priori de la causalit elle-mme qui devrait tre
rexamine.
- Excusez-moi mais... enfin... le pass n'a rien voir avec l'avenir: je me souviens du
pass, j'ignore l'avenir.
- Belle formule, nous en reparlerons. C'est votre dfinition du sens du temps?
- En gros, oui. Je poursuis. Un vnement pass peut tre la cause d'un vnement
venir, quand il survient ce dernier est donc corrl avec l'vnement pass qui l'a
entran... Comment et par quel miracle un vnement pass pourrait-il dpendred'avance d'un vnement venir encore inexistant?
- C'est tout simple et c'est mme vident sauf si vous vous accrochez votre
prsuppos, - d'ordre mtaphysique j'insiste - d'une diffrence fondamentale entre le
pass et l'avenir, que la physique ignore. C'est simple, et vous l'avez exprim vous-
mme en disant qu'un vnement pass est corrl avec un vnement venir dont il
est la cause?
- Eh bien... oui, en effet...
- Il en rsulte, ou alors je ne sais plus ce que c'est qu'une corrlation, c'est bilatral une
corrlation, que l'vnement venir est corrl avec l'vnement pass?
- Attendez...
- Enfin, c'est oui, ou c'est non?
- C'est dire, oui, partir du moment o il a eu lieu...
- Qu'est-ce que c'est que a, maintenant... Vous me parliez bien d'un vnement
venir? Qu'est-ce que cela veut dire: "quand il a eu lieu"? Il est bizarre ( j'ai dit bizarre? )
votre vnement venir qui a eu lieu!
- Vous m'avez pris en dfaut quelque part, j'ai d perdre le fil.
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- Aucunement: relisez le tout. Vous verrez.
- Je verrai, mais ce dont je suis sr, c'est qu'un vnement venir ne peut tre la cause
d'un vnement pass, puisqu'il n'existe pas.
- Pour vous, si je vous suis bien - enfin, j'essaie de vous suivre - un vnement pass
existe?
- Bien sr!- O a?
- ... dans le pass... enfin non, ce que je veux dire c'est qu'il a exist. Ce qui a exist
correspond un fait.
- Mais cet vnement n'existe plus?
- Non. A proprement parler, non.
- Comment peut-il tre la cause de quoi que ce soit?
- Mais par corrlation, des vnement successifs sont corrls entre eux, et constituent
une chane ininterrompue de cause effet...
- Seul l'instant prsent existe, votre chane disparat continuellement?
- La chane, oui, non pas ses effets.
- Les vnement futurs "quand ils auront eu lieu" pour parler comme vous, seront alors
corrls aussi avec des vnements maintenant passs? Ils seront l'effet de votre chane
de cause effet?
- Oui.
- C'est bien votre point de vue de la causalit, point de vue solide et sr?
- Oui.
- A ce moment-l votre chane de cause effet aura disparu sans que pour autant ses
effets en soient annuls?
- Evidemment, oui, mais je discerne mal o vous voulez en venir.- Oh que si, vous discernez bien. Vous venez d'admettre l'existence d'une chane
continue de cause effet entre un vnement futur et un vnement pass, c'est bien ce
que nous venons de dire, une chane de corrlations dterministe. Toutefois, les
corrlations qui lient deux vnements, et sur ce point la physique T-invariante est
formelle, ces corrlation sont symtriques par rapport au temps. La chane future - qui
est appele apparatre puis disparatre, comme la chane passe, sans que ses effet
en soient annuls - est aussi rigoureusement relie au pass que chane passe peut
l'tre au futur...
L'Entropie a encore augment!
- Ce raisonnement respire le sophisme! Par ailleurs, le sens du temps est dtermin de
faon trs physique par l'augmentation de l'entropie. Je cite Henri Bergson:
... Il en est autrement du second principe de la thermodynamique. La loi de dgradation de
l'nergie, en effet, ne porte pas essentiellement sur des grandeurs. Sans doute l'ide en naquit,
dans la pense de Carnot, de certaines considrations quantitatives sur le rendement des
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machines thermiques. Sans doute aussi, c'est en termes de mathmatiques que Clausius la
gnralisa, et c'est la conception d'une grandeur calculable, "l'entropie", qu'il aboutit. Mais la
loi resterait vaguement formulable et aurait pu, la rigueur, tre formule en gros, lors mme
qu'on n'et jamais song mesurer les diverses nergies du monde physique, lors mme qu'on
n'et pas cr le concept d'nergie. Elle exprime essentiellement, en effet, que tous les
changements physiques ont une tendance se dgrader en chaleur, et que la chaleur elle-mme
tend se rpartir d'une manire uniforme entre les corps. Sous cette forme moins prcise, elle
devient indpendante de toute convention; elle est la plus mtaphysique de toutes les lois de la
physique, en ce qu'elle nous montre du doigt, sans symboles interposs, sans artifices de
mesure, la direction o marche le monde. Elle dit que les changements visibles et htrognes
les uns aux autres se dilueront de plus en plus en changements invisibles et homognes, et que
l'instabilit laquelle nous devons la richesse et la varit des changements s'accomplissant
dans notre systme solaire cdera peu peu la stabilit relative d'branlements lmentaires
qui se rpteront indfiniment les uns les autres...
- La premire fois que j'ai lu ce passage, j'ai t fascin par cette expression, la plus
mtaphysique de toutes les lois de la physique , avant de comprendre que,prcisment, le dfaut venait de l. Combien de physiciens se sont attachs
dmontrer la flche du temps partir de l'entropie... Boltzmann lui-mme, qui en
donna une interprtation mcanique, n'y est pas parvenu. Newton, qui a cr la
physique classique, n'avait pas vu qu'il introduisait la rversibilit dans la
mcanique, alors que la science, et avant elle le bon vieux bon sens, considrait
l'irrversibilit comme allant de soi. Vous savez comment Boltzmann a d se
rsoudre expliquer l'augmentation de l'entropie? Son premier calcul, mcanique,
liait le nombre de chocs entre deux particules animes de telle et telle vitesse la
proportion de telles particules dans le gaz.
- Cela parat naturel...
- Oui, ceci prs que cette formule suppose ce qu'il voulait dmontrer. Cela revient dire
que les vitesses de deux particules sont corrles aprs un choc, mais non avant. Or cette
supposition est dj asymtrique, de plus elle est fausse. Il a ensuite pens un argument
statistique: dans un volume quelconque, il y a beaucoup plus de combinaisons de molcules
correspondant une entropie leve que de combinaisons entropie basse (il y a
normment plus de faons de tirer trois pile et trois face, il y en a vingt, que de faons de
tirer six pile, il n'y en a qu'une) donc, en passant au hasard de l'une l'autre, l'entropie doit
augmenter, c'est vrai (figure 02). Mais un tel raisonnement est bien sr indpendant dutemps, autrement dit, si l'on retournait vers le pass l'entropie augmenterait toujours... ce
qui n'est pas. Il lui restait dire, aprs Henri Poincar, que le hasard - pour peu qu'on lui
donne infiniment de temps - peut crer n'importe quelle situation. Il peut crer en
particulier une sorte de "trou", une priode o l'entropie tant devenue exceptionnellement
basse, elle ne pouvait plus ensuite que crotre. Mais il ne savait pas que l'univers tait n
tout rcemment, il y a tout juste quinze milliards d'annes, ce qui ne laisse pas au hasard
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assez de temps pour crer des conditions aussi exceptionnelles...
- Si exceptionnelles que a?
- Oh oui! Tenez, avez-vous jamais entendu parler de la thse "crationniste"?
- Oui. Trs amusant. Certains tenants de la Bible au pied de la lettre assurent que le monde
a t cr il y a sept mille ans, terre, ciel, toiles et tout, carpes et mouches, et mme les
squelettes des dinosaures dans des couches gologiques d'apparence beaucoup plusancienne, le tout d'un seul coup. - Cela vous parat plausible?
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figure 02. LE TIRAGE DE 6 PIECES(on crit zro pour face et un pour pile).
- Tellement peu que c'est comique, de tels arguments n'ont mme pas besoin d'tre
rfuts!
- Pourtant, dans un verre de vin coup d'eau, les molcules d'eau et les molcules de vin se
dplacent au hasard, elles peuvent se retrouver spares - rarement mais invitablement -
vin d'un ct, eau de l'autre. C'est un tirage de loterie. Si toutes les particules constitutives
de l'univers, par le simple jeu du hasard, se trouvaient brusquement, il y a sept mille ans,
en telle disposition complte, terre, air, ciel, cette thse crationniste serait ralise.
- Folie. C'est totalement incroyable, quel miracle faudrait-il, c'est bien pire que les brins
d'herbe et les grains de sable autour de l'tang de la carpe.- On voit que vous n'avez pas ide de ce que peut tre une probabilit: un univers qui se
serait trouv, il y a quinze milliards d'annes et du seul fait du hasard, dans un tat
d'entropie aussi basse que celui qu'il a d connatre pour voluer jusqu' nous aujourd'hui
est inimaginablement plus improbable encore - tous calculs faits et Roger Penrose les a
faits (figure 03), une chance sur dix puissance dix puissance cent vingt-trois - que cet
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univers n tout fait, fossiles compris, il y a sept mille ans...
- Non?
RIEN N'EST MOINS PROBABLE
Figure 03.
Un sur dix la puissance dix la puissance 123... Dix puissance cent vingt trois, c'est 1avec 123 zros derrire. Pour chaque tranche de neuf zros rptez "milliards de" ... unmilliard de milliards de milliards de milliards de... Ce sera le nombre de zros mettreaprs le premier un du dnominateur de cette fraction. Ce nombre fantastique de zros estinimaginable, on sait que le nombre total de particules de l'univers connu est seulementde 10 puissance 80, un nombre infiniment moins grand...
- Mais si. Ce qui n'empche pas qu'actuellement les physiciens tombent d'accord
pour expliquer l'augmentation actuelle de l'entropie par des conditions aux limites: le
monde a commenc avec un niveau d'entropie exceptionnellement bas... Pourquoi?
Parce que. Et toc. Autrement dit, les choses sont comme a, parce qu'elles taient
comme a avant, grand merci pour l'explication. Concluons: il n'existe pas de flche du
temps physique, toutes les lois de la physique sont rversibles, elles sont T-
invariantes... il faut faire avec.
O se cache le futur?
- De sorte que - pour en revenir ce que nous disions avant cette digression sur
l'entropie - le raisonnement ne "respire pas le sophisme", ce raisonnement, il ne respire
rien du tout, il est parfaitement rigoureux. Et il suppose une chose beaucoup plus
importante que vous ne l'avez remarqu: ce raisonnement suppose que l'avenir
"quelque part" existe dj. Saint Augustin avait rflchi cette question. La position
personnelle de Saint Augustin sur le temps n'est toutefois pas trs claire car il n'ose
s'arrter ses hypothses les plus hardies; il suggre pourtant que si le pass et l'avenir
existent, ce ne peut tre qu'en tant que formes de prsent. " Ou bien faut-il dire qu'ilsexistent aussi, mais que le prsent sort de je ne sais quelle mystrieuse retraite, quand
de futur il devient prsent, et que le pass se retire dans une retraite galement
mystrieuse, quand, de prsent, il devient pass " (Confessions , Livre 11, XVII 22). Il
ajoute, mais alors sur ce point il affirme sa certitude, qu'avant la cration du monde,
Dieu n'est pas " demeur oisif pendant d'innombrables sicles " (Livre 11, XIII 15), parce
que le temps a fait partie de la cration, comme l'tendue: il n'y a pas d'avant. L'ide
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n'est pas donc pas nouvelle. Depuis Einstein et la relativit, elle est mme devenue le
modle "standard" actuel de l'univers. On l'appelle "l'univers-bloc", avec son espace-
temps interne, continu, monobloc, si je puis dire. Il n'y a pas de pass disparu ni
d'avenir natre, tout est "l", pass, prsent, venir. Pour reprendre la vision de Saint
Augustin, l'ternit n'est pas un temps qui dure toujours, c'est la ralit instantane,
totale, immuable, dfinitive.- Ce monde, cet univers "complet", d'o vient-il, qu'est-ce qui existait avant? "Que
faisait Dieu, avant la cration du ciel et de la terre?" C'est la question que l'on posait
justement Saint Augustin...
- En fait, cette histoire - drle - ressemble celle que l'on raconte sur Epimnide le
crtois, qui dit que tous les crtois sont des menteurs: s'il dit vrai, c'est que c'est faux,
mais alors si c'est faux, il dit vrai, et ainsi de suite. Saint Augustin raconte ( Confessions ,
Livre 11, XII 14) qu' la question que faisait Dieu avant de crer le ciel et la terre, on lui
a attribu cette rponse: Il prparait un enfer pour les curieux , mais il ajoute aussitt
que ce n'est pas vrai et qu'il n'a jamais dit a. C'est peut-tre exact, aprs tout: il
n'empche que si cette anecdote est connue c'est bien parce que Saint Augustin la
rapporte lui-mme! Quoi qu'il en soit, c'est ainsi que les physiciens dans leur immense
majorit voient l'univers actuellement, "l'univers-bloc" ternel est un modle standard.
- De quel bloc
- Henri Poincar a t amen, au dbut du sicle, aprs une tentative de Lorentz,
prciser quelle forme il faudrait donner aux lois du mouvement mcanique pour
qu'elles restent valables, lorsque l'observateur de ces mouvements est en mouvement
lui-mme par rapport eux.
- Je m'y perds un peu
- Ma phrase est trop complique. Supposez que vous observez une toile en mouvementdans le ciel, vous devez tenir compte du fait que vous, et votre lunette, n'tes pas fixes,
mais que la terre qui vous porte se meut elle-mme autour du soleil, et grande
vitesse. Ce que vous observez, la lumire qui vous parvient, est affect par ce
mouvement, mais les lois de la mcanique devraient rester valable. Poincar aboutit
donc deux formules de transformation qu'il appelle aimablement les "transformations
de Lorentz". Je ne les reproduis pas ici, mais l'essentiel est de savoir que les
coordonnes nouvelles d'espace sont une fonction du temps. Il y a maintenant le
systme de coordonnes li l'toile observe, le systme de coordonnes d'espace li
au laboratoire, et la formule de transformation d'un systme l'autre, dpendant donc
du temps
- Je veux bien le croire.
- et aussi (attention, ne tombez pas de votre chaise) une formule de transformation du
temps de l'toile en temps du laboratoire!
- Oh!
- Oui, oh! c'est le moins que l'on sache dire. La formule de transformation du temps
tient compte des coordonnes d'espace. Tout est li. Qu'il n'existe pas d'espace absolu,
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on le savait depuis Galile. Qu'il n'existe pas de temps absolu, c'est une nouvelle
surprise, et de taille. Que le temps et l'espace soient dsormais intriqus en un "bloc",
c'est mieux encore.
- Cela a d faire du bruit.
- A peine, car un mathmaticien comme Poincar, c'est une personnalit bien peu
mdiatique, si j'ose dire. Il a publi dans une revue italienne de trs haut niveau et depeu de lecteurs
- On l'a nglig?
- Pas vraiment, il y a eu au moins un lecteur, Albert Einstein, ou peut-tre surtout son
pouse Milena Maric qui, elle, tait bonne mathmaticienne. Albert Einstein rebondit
sur l'ide.
- Qu'en dit-il ?
- Pour lui, le monde est quadri-dimensionnel. Il existe trois dimensions d'espace et une
de temps, qui forment un tout indissociable. Les observateurs, en fonction de leur
vitesse de dplacement dans ce bloc, par un effet, en quelque sorte, de perspective, ne
dcoupent pas les quatre dimensions de la mme faon en espace et en temps. Ce qui
reste constant, ce n'est plus, et la distance, et la dure, mais un "intervalle", compos de
d'espace et de temps. Pour qui se dplace trs vite, les distances raccourcissent et le
temps ralentit. C'est en cela que l'espace et le temps ne sont pas absolus mais "relatifs"
l'observateur, et c'est cette relativit, prcisment, qui donne son nom la thorie. Un
vnement pass pour un observateur peut tre venir pour un autre (figure 04), de
sorte qu'il n'est plus question de dcouper mentalement l'univers en un "pass"
derrire, et en un "avenir" devant. Si un vnement peut tre pass pour un
observateur, venir pour un autre, il faut bien que quelque part il soit toujours
"prsent" comme le pressentait Saint Augustin. Le vieux temps de Newton n'est plus.La consquence de cette manire de voir, c'est que le temps n'est plus quelque chose qui
nat au fur et mesure pour disparatre aussitt dans un pass mort: mme ainsi, on a
vu qu'il ne serait pas mort simultanment pour tous les observateurs. Lorsqu'on se
dplace en avion d'Abidjan Paris, on ne pense pas qu'Abidjan a disparu, que Paris va
natre et que pour la minute n'existe dans le champ du rel qu'une mince tranche de
Sahara. L'observateur sait, sans le voir, qu'Abidjan existe toujours avec ceux qu'il y a
laisss, que Paris vit de sa propre vie et que le dplacement entre les deux n'implique
que lui.
TROIS EVENEMENTS RELATIVISTES
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Figure 04
Les observateurs X et Y se dplacent des vitesses trs diffrentes:L'vnement A est pass pour X et pour Y; l'vnement C est futur pourX et pour Y. L'vnement B est futur pour X et pass pour Y.
Le Grand Rouleau
- Il est difficile d'imaginer une chose pareille... o se trouve le pass...
- Il pourrait n'tre vivant que dans votre mmoire, comme le disent avec nostalgie
beaucoup de gens, et bien des potes. En fait, il est vivant vraiment: chacun des instants
du pass est prsent pour lui, comme chaque lieu de cette terre - que vous y soyez
encore ou non - est ici pour lui!- Le pass... c'est un peu inimaginable... mais l'avenir... n'allez pas dire, tout de mme,
que l'avenir existe!
- Chaque instant de l'avenir est prsent, lui aussi.
- Pour vous, tout est crit dj dans le "grand livre" du destin?
- C'est un comble, c'est le monde l'envers, mais c'est vous, jusqu'ici, qui vouliez jouer
le rle du physicien dterministe, et maintenant... vous pleurez sur votre libert?
- Je n'ai pas dit a mais... oui, je n'y rflchissais pas, pourtant c'est en effet la grande
diffrence entre le pass dtermin pour toujours, et l'avenir ouvert... oui, je voyais cela
ainsi.
- On y reviendra.
- A l'avenir ouvert?
- Oh, ne vous rjouissez pas trop vite, la physique est symtrique par rapport au temps,
souvenez-vous, si l'avenir est ouvert, le pass doit donc l'tre aussi. Nous y reviendrons.
Pour la minute, vous tes dans la situation des disciples de Copernic: la terre tait
videmment fixe, solide sous les pas des gens, les astres tournaient tout autour...
- Pas un seul astre fixe et tant d'astres errants ...
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- ... et il a fallu, norme effort d'imagination, se penser mobile, accroch un astre
rond, toupillant son chemin autour du soleil... songez aux compagnons de Magellan
partis vers l'ouest, revenus par l'est... ah, on parle avec assez d'aisance de cette
rvolution copernicienne, il en faudra encore quelques belles autres. Aprs tout,
Einstein et la " relativit " ne datent que de 1905, cela fait trois gnrations, et l'univers-
bloc relativiste n'est pas encore bien entr dans les esprits.- On trouverait encore des gens pour imaginer la terre plate...
- Au moins les enfants, certes. Quand mes parents - j'tais petit - me disaient que, peut-
tre, il y avait des gens qui vivaient sur la lune (il y en a eu, c'est vrai, mais plus tard,
Armstrong, Aldrin et quelques autres), alors je les imaginais, appuys sur une
balustrade tout au bord de ce disque rond, et regardant, en bas, pour voir si j'tais dans
mon jardin, sur la terre, le regard tourn en haut vers eux. Combien m'a-t-il fallu
d'annes pour imaginer calmement qu'Armstrong, par exemple, regardait le ciel en
levant la tte, pour apercevoir, haut dans le ciel, le disque bleut de la terre? Chacun
doit faire sa propre rvolution copernicienne. Revenons l'univers-bloc. Imaginez un
livre - le grand Livre disiez-vous - chaque page est "aujourd'hui" et le livre entier
reprsente l'univers. Les vnement de chaque page sont relis, de cause effet, la
page prcdente comme la page suivante. Ce livre est une image de l'univers-bloc.
- Imparfaite.
- Toutes les images le sont.
- Maintenant lisez le Livre. Vous aurez bientt en mmoire des pages que vous
appellerez le pass, vous lisez un page que vous nommez le prsent, encore qu'elle ne
diffre en rien des autres, et vous pensez, distraitement o avec angoisse - selon que
l'histoire vous ennuie, vous captive ou vous inquite - aux pages inconnues venir. En
fait, c'est vrai, toutes sont lies. Les vnements dcrits forment une chane continue,solide, sans lment contingent... " tout est crit " disent les philosophes arabes...
- Comme Jacques le fataliste, " Et qui est-ce qui a fait le grand rouleau o tout est crit?
Un capitaine, ami de mon capitaine, aurait bien donn un petit cu pour le savoir; lui,
n'aurait pas donn une obole, ni moi non plus; car quoi cela me servirait-il? En
viterais-je pour cela le trou o je dois m'aller casser le cou? "
- On y reviendra, je l'ai dj dit, mais le point sur lequel j'insistais est bien celui-ci, la
page du prsent n'offre, du point de vue du Livre, de l'univers-bloc, aucun caractre
particulier. Pour vous, le fugitif lecteur, oui, peut-tre, une page est au prsent, puis une
autre, puis une autre...
- J'aime bien " puis une autre, puis une autre ..." et ce retour subreptice du temps!
- Bien sr que non, il n'en est rien, je ne parlais que de l'image du lecteur du livre. En
fait, dans chaque page du "prsent" il y a un lecteur, avec sa conscience et sa mmoire,
et c'est sa propre "mmoire" de ce qu'il appelle l'instant prcdent qui constitue son
"temps subjectif". En ralit, rien ne bouge. Le livre, lui, est indiffrent, immuable,
ternel...
- C'est un peu trange, cette ide.
-
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- Vous voyez ce que peut tre l'ternit, elle n'est pas faite d'un temps qui s'coulerait
indfiniment, comme un vent qui n'aurait jamais de fin. L'ternit, c'est le paysage
aperu dans sa totalit. " Non autem praeterire quicquam in aeterno, sed totum esse
praesens " dit Augustin (C. L11, XI, 13) (entendez-vous le latin?) C'est aussi le sens
profond de ce que Mose pouvait apprendre auprs du buisson ardent, savoir que
l'Auteur du Livre s'appelle Je Suis celui qui Suis, au prsent pour l'ternit, il faudrait beaucoup d'imagination pour inventer une pareille formule. Le monde ne devient pas, il
est. Vous aimez les citations? En voici d'autres, recopies en vrac: Grnbaum affirme
que " le concept du devenir n'a aucune application significative en dehors de l'humaine
conscience ". Spinoza crit Oldenburg " tempus non est affectio rerum sed merus
modus cogitandi ". Ah, je voulais citer aussi Albert Schopenhauer, mais je vous poserai
avant une innocente question.
Maintenant pour l'Eternit
- Innocente, j'en doute un peu.
- Depuis combien de temps existe-t-il des hommes sur la terre?
- Les hommes de Neandertal... les hommes de Cro-Magnon?
- Pour fuir toute objection, l'espce humaine actuelle, au sens strict, Homo sapiens
sapiens, le Cro-Magnon...
- Cela fait quarante mille ans...
- Et l'avenir de l'espce?
- Sauf suicide collectif, vraisemblablement des centaines de milliers d'annes...
nous sommes l pour durer!
- De ce fait la grande majorit de la population humaine totale est, soit morte dj,soit encore natre. Quelle est la probabilit, pour tel individu donn, d'tre
justement vivant, c'est dire de jouir actuellement de son prsent?
- Je sens que vous allez me refaire le coup de la carpe et du moucheron...
- C'est gagn. La probabilit - pour tel individu donn - d'tre actuellement vivant
est pratiquement nulle. Quand vous aurez bien compris ceci - vous devriez tre
mort depuis longtemps ou encore natre dans des milliers d'annes - vous
m'expliquerez par quel miracle tes vous justement en vie, et au prsent?
- Je n'avais jamais vu les choses comme a.
- On ne sort pas de l, ou bien c'est un miracle... et les physiciens mcanicistes et
dterministes n'aiment pas beaucoup les explications qui font appel un miracle...
- Il y a tant de pierres dans mon jardin que je songe ds maintenant en faire une
cour pave.
- Ne soyons pas amer... ou bien c'est un miracle, ou bien... ou bien, oui, ou bien
alors simplement, c'est la rgle et tout devient plus simple, la vie est au prsent,
toujours et pour l'ternit!
- Je... une minute...
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- Bien sr, bien sr, bien sr... alors voil, comme promis, ce que dit Schopenhauer:
"... Ou encore, la question sera plus brve, mais non moins trange; pourquoi ce
maintenant-ci, son maintenant lui, est-il justement maintenant? Pourquoi n'a-t-
il pas t il y a longtemps dj? On le voit par la singularit mme de la question
qu'il pose, ses yeux son existence et son temps sont deux choses indpendantes
entre elles; celle-ci s'est trouve jete au milieu de celui-l; au fond, il admet deux maintenant, l'un qui appartient l'objet, l'autre au sujet, et il se rjouit du hasard
heureux qui les a fait concider... "
C'est exactement la mme ide. Sa conclusion est importante: " Je suis, une fois
pour toutes, matre du prsent; durant toute l'ternit entire, le prsent
m'accompagnera, comme mon ombre; aussi je n'ai point m'tonner,
demander d'o il est venu, et comment il se fait qu'il tombe justement
maintenant ..." Le prsent tombe justement maintenant, parce que le seul mode
d'existence, c'est le prsent. L'univers-bloc est , et ne devient pas. Ce qu'i l faudra
expliquer encore c'est vrai, c'est pourquoi les tres conscients - peut-tre aussi tous
les tres vivants dans leur ensemble, mais il faudrait le leur demander, s'ils
parlaient - pourquoi les tres conscients prouvent ce sentiment subjectif de dure,
de succession des vnements, alors que pour la physique pure et dure ces
vnements coexistent pour l'ternit.
- Intressante question.
- C'est celle de la conscience, de l'attention l'tre , ce qui pourrait diffrer de l'tre
simple, de l'tre des objets.
- Prcisons immdiatement cela. La conscience, c'est le fonctionnement du cerveau.
Je ne voudrais pas voir rapparatre, comme au coin d'un bois, un animisme, ou
une force vitale, ou un esprit, que la science a chass de nos ides contemporaines.- Que la science a chass - oui certes, et c'est bien utile - chass de son domaine de
comptence, celui des faits reproductibles. La science concerne les recettes qui
marchent toujours, tout le reste est la littrature , disait Paul Valry. Il est vaste, ce
tout le reste, et il intresse nos ides.
- Oui, bien sr.
- Nos ides dont on peut chasser l'esprit, j'en conviens, mais il ne faut pas s'appuyer
sur la science pour cela, dans la mesure o l'on a quitt le domaine de comptence
de la science. On peut chasser l'esprit, mais on doit honntement reconnatre qu'il
s'agit l d'une position a priori et le surnaturel n'a rien voir, mais alors rien du
tout, dans les prsentes considrations.
- Je ferais volontiers une autre objection ce solide univers-bloc d'Einstein.
- Oui?
- C'est un modle mathmatique de la ralit, c'est un modle qui fonctionne. Mais
peut-on - sans prcautions - en transposer les conclusions dans le rel?
- Comment cela?
- Oui, je prends par exemple la loi d 'Ohm, en lectricit, qui s'crit "i gale e que
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divise r" avec i pour le courant, e pour la force lectromotrice, et r la rsistance du
circuit.
- Vieux souvenir du bac!
- Cette formule est un modle mathmatique du circuit lectrique. Elle n'est pas la
ralit. Elle ne tient pas compte de tout: si l'on augmente le courant, le fil de cuivre
s'chauffe, il peut mme fondre, de tout cela la formule ne sait rien? Vous voyez ceque je veux dire?
- Bien, trs bien. Et je vois aussi que par ce dtour, nous allons voquer la caverne
de Platon, et les ombres sur le mur, qui sont des modles de la ralit extrieure,
qu'ignorent les habitants de la caverne.
- On va un peu loin, l.
L'Envers du Temps
- Aucunement. C'est une question, encore une, sur laquelle il sera ncessaire de
revenir. Mais pour rpondre votre objection, c'est la physique elle-mme, par
l'observation des rgularits de la nature, puis par la recherche d'une explication
satisfaisante, qui en est venue imposer les lois physiques et enfin cette notion
d'univers-bloc, avec son espace quadri-dimensionnel immuable. Ce n'est pas une
simple construction de l'esprit, c'est une ncessit qui s'est impose l'esprit des
chercheurs, tout au contraire, des esprits qui en ont t torturs, comme l'avait
t celui des compagnons de Magellan lorsqu'il voyaient les vieilles constellations
se lever l'envers sur leur horizon. Il leur avait fallu imaginer comment on pouvait
contourner la terre, la tte en bas: allez donc passer des vacances dans l'le Maurice
et regardez la lune avec une me nave, la lune en forme de C quand elle crot!- Allons voyons, Luna mendax , tout le monde sait qu'elle est en forme de D quand
elle Crot, en forme de C quand elle Dcroit...
- Hi hi ...
- Non, c'est dire... oui...
- Penchez un peu la tte en bas... pour voir... encore un peu!
- Ne vous moquez pas.
- Je ne me moque pas, dans l'hmisphre sud, la lune ne ment plus. Mais il vous
faut pencher la tte, et plus pensivement encore, pour concevoir, en vrai, l'univers-
bloc ternel. Pour lui, il n'y a pas de temps qui s'coule. Il existe bien une extrmit
du temps, en tel point de l'univers-bloc pourrait-on dire, mais cette extrmit est
une convention, non une mort. Tous les mridiens finissent au ple nord de la
terre, et sur la sphre terrestre ce point final des mridiens ressemble tous les
autres, sans pour autant signifier la fin de l'espace.
- L'univers a bien commenc avec le Big-bang!
- Oui, c'est possible en effet, en tel point de l'univers-bloc il y a le big-bang (figure
05), comme il y a l'origine de toutes les routes de France sur le parvis de Notre-
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Dame. Allez le voir, marchez dessus c'est du beau bronze, ce point ne diffre pas
essentiellement de ceux qui l'entourent. Le Big-bang a exist, existe, existera pour
l'ternit. Comme vous, comme moi...
- Comment a, j'existe pour l'ternit?
- Mais... mais c'est vident, on ne parle que de cela depuis tout l'heure.
- Si c'est aussi raliste que l'existence des ondes avances, celles qui, souvenez vous,convergent vers leur (future) cause, je ne suis pas encore rassur.
- Elles existent, ces ondes, vous les avez constamment sous les yeux.
- ...?
- C'est vident. Que se passerait-il si vous renversiez le sens du temps?
- Si je savais comment faire, je n'hsiterais pas.
- A titre d'exprience de pense...
- Dans ce cas, c'est simple, vous et moi rajeunirions...
- Oui, et sur l'tang?
- Les ondes rouleraient l'envers, convergeraient vers la carpe et le moucheron...
- Est-ce que vous trouveriez cela tonnant?
- Laissez-moi rflchir... je regarderais ces ondes converger vers le museau d'une
future carpe, prte exhaler une mouche...
- Comment le savez-vous?
UN UNIVERS-BLOC
Figure 05
Pour raliser ce schma, on a supprim une des dimensions d'espace, la hauteur. Cet univers est donc plat. Les
disques horizontaux reprsentent des "instants". Pour un autre observateur un disque instant pourrait tre inclin
(figure 04). Le temps s'tend verticalement, l'univers commence "en bas" et il finit "en haut". Le ple sud est alors
une reprsentation du commencement ou "Big Bang". Notons que les coordonnes ne concernent que le schma.
Pour l'univers-bloc il n'y a n i temps ni espace "extrieurs", il contient tout ce qui est.
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- Je rflchis, le temps marche l'envers, donc, ce qui va arriver prochainement, c'est ce
que j'appelle mon pass immdiat, ce qui va arriver plus long terme, c'est ma
jeunesse... ma mmoire marche l'envers aussi, c'est pourquoi je sais dj ce qui va
arriver... oui, c'est bien ainsi que fonctionne ce monde rebours, je sais ce qui va
arriver...
- Voila, c'est exactement cela, le futur vous est connu, il ne comporte aucun degr delibert, en revanche, le pass, qu'en faites-vous?
- Le pass... bien, le temps marche l'envers, mon pass, c'est ce qu'en temps normal, si
j'ose dire...
- Osez!
- Ce qu'en temps normal, si j'ose dire, j'aurais appel le lendemain, ou ma vieillesse...
bon, j'imagine que dans ces conditions, je ne dois plus en savoir grand-chose.
- Exact. Tout fait exact. Si le temps marche l'envers, le futur est dtermin, le pass
est inconnu, il est construire, il est libre. La situation est symtrique, c'est
parfaitement logique. Bien, j'en reviens nos ondes avances qui convergent vers leur
cause... il n'est pas tonnant que vous n'en ayez jamais vu: ce sont strictement les
mmes que les ondes retardes. Simplement, il suffit de considrer ces mmes ondes
retardes, celles que vous trouviez naturelles, tout en renversant le sens du temps...
elles ne sont pas autres, ces ondes, ce sont les mmes d'un autre point de vue. La
physique, avons-nous dit, est symtrique par rapport au temps. Pour la mettre
l'preuve, renversez le sens du temps et voyez ce qui se passe: rien d'inimaginable, tout
se passe comme avant, sans problme, et, effectivement, vous observez maintenant des
ondes avances, qui existent bel et bien. Un physicien, Olivier Costa de Beauregard,
avait tent d'expliquer certains phnomnes observs en physique quantique (on y
reviendra) par des ondes avances, des ondes qui se seraient propages rebrousse-temps vers le pass. Il n'a pas t vraiment pris au srieux. Richard Feynman, quand il
prparait sa thse, avait eu lui aussi recours ce mcanisme. Dans sa Confrence
Nobel, il explique pourquoi il y a renonc. Maintenant vous le voyez bien: ces ondes
avances existent, ce sont les mmes que les ondes retardes condition de changer le
sens du temps. Mais...
- Je sens que cela va tre un bien grand "mais"!
- Oh que oui! Mais... cette exprience de pense, qui vous a permis de conclure que
changer le sens du temps ne changeait pas grand chose...
- Tout de mme si, nous rajeunirions!
- Bien, vous croyez? Soit... le temps, avec l'aide de Dieu, a donc chang de sens, il
marche l'envers. Ds maintenant. Qu'en savez vous?
- Bravo, bravo, vive la jeunesse, o sont mon seau et ma pelle, je vais jouer au sable...
- Attention, vous connaissez maintenant le futur, mais vous oubliez votre vie au fur et
mesure que vous devenez plus jeune...
- Mmm... moui! Ce n'est peut-tre pas sans inconvnients.
- Vous avez men bien des tudes classiques, vous tes en train de tout perdre, il vous
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suffit de lire un livre, en commenant par la dernire page, pour en oublier
dfinitivement le contenu!
- Drle de vie.
- Au fond, qu'appelez-vous le pass, qu'appelez vous l'avenir? Vous souvenez-vous de ce
que vous avez dit vous-mme tout rcemment: " je me souviens du pass, j'ignore
l'avenir " et vous avez ajout que c'tait votre dfinition du sens du temps. Si vousn'avez pas chang d'opinion, et je ne vois pas pourquoi vous devriez le faire, il en rsulte
ceci: si le temps se mettait couler l'envers, ce futur que maintenant vous connaissez,
vous allez l'appeler tout btement le pass... et rciproquement, le pass oubli, effac
de votre mmoire mesure que vous vivez, vous aller le nommer avenir...
L'argument le plus souvent avanc, pour dfinir la flche du temps, fait appel au
verre d'eau renvers. Karl Popper insiste: lorsque l'on voit tomber un verre d'eau,
malencontreusement pos trop au bord d'une table, on voit l'eau se rpandre et le verre
se briser au sol. L'observateur trouve cette scne trs naturelle. Physiquement, il serait
possible de voir cette eau rpandue sur le sol qui se rassemble en une masse unique,
autour de laquelle tous les fragments de verre bris viendraient reconstituer le gobelet,
lequel pourrait bondir, s'lever et reprendre sa place sur la table. C'est invraisemblable,
dit Popper. Certes! Mais que suppose donc le philosophe? Que le temps du verre d'eau
marche l'envers, cependant que l'observateur prouve lui-mme un coulement du
temps en sens normal? Existe-t-il donc, entre le gobelet bondissant et l'observateur,
une limite, comme une glace d'aquarium: un temps l'endroit d'un ct, un temps
l'envers de l'autre? Bien sr que non, nous venons de le voir. Si le sens du temps
changeait, c'est vrai, le verre se reconstituerait partir de fragments et, rcuprant son
eau au passage, remonterait sur la table. Oui mais attention, l'observateur, puisque le
temps s'coule l'envers pour lui aussi, n'y verrait rien d'extraordinaire. Pour lui, l' venir s'appelle le pass: un verre d'eau intact au bord fragile d'une table!
- C'est trange...
- Il y a plus trange encore, si l'on en revient la notion d'univers-bloc relativiste,
immuable pour l'ternit: peu importe le sens du temps, qui n'a pas d'existence
physique. Essayez un peu de demander quelle vitesse s'coule le temps? A la vitesse
d'une heure l'heure? A la vitesse d'un jour par jour? Vous voyez bien que a ne veut
rien dire. Rien du tout. Si le temps brusquement changeait de sens, vous ne vous en
apercevriez mme pas! C'est dire l'importance que cela pourrait avoir. Tentez donc
plutt de songer avec Grnbaum que " le concept du devenir n'a aucune application
significative en dehors de l'humaine conscience ". Le monde ne devient pas, il est . Si le
temps est un mode de pense humain, si l'coulement du temps n'existe pas, attention,
il en rsulte cette consquence, notez bien: il ne peut exister de fin du temps, ni de
mort.
- Oh...
- Eh oui, "oh". Toute cette discussion revient ceci, il existe une immense collection
d'instants prsents... jamais prsents. Rien ne s'efface jamais de cette ardoise
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ternelle, la notion de passage, de fin, de mort, est une subjectivit humaine et ne
correspond rien de physique. La mort n'existe pas.
- Etrange...Rsurrection
- Ce qui est trange, c'est que dans cette optique, la rsurrection de la chair, la vieternelle, est une vidence. Il n'y a pas lieu de faire appel au surnaturel (dont je ne nie
pas l'existence, mais qui n'a rien voir dans les prsentes considrations) pour
expliquer la rsurrection des morts, tout au contraire elle va de soi. La vie ternelle ne
consiste pas en une survie d'hypothtiques "mes" dsincarnes, dont il est vident
qu'elles ne serviraient rien ou presque... pour voir il faut des yeux, pour penser, il faut
un cerveau. L'me dsincarne relve du bavardage puril. C'tait l'ide dualiste des
grecs, dont Aristote et jusqu' Descartes, encore Aristote consacre-t-il l'me
immortelle une ligne et demie sur son trait entier De l'Ame , se demander s'il y
croyait vraiment. Les Hbreux avaient du corps-anim une notion unitaire toute
diffrente et trs forte. C'est si vrai que de nos jours les chrtiens traduisent " sed
tantum dic verbo et sanabitur anima mea " par " dis seulement une parole et je serai
guri ". A la trappe, l'me. Le Credo quand lui invoque bien la rsurrection de la chair
- indispensable - avant la vie ternelle: il n'y a pas de vie sans corps-anim .
- Encore ne faudrait-il pas mlanger les genres, nous parlions de physique pure et dure.
- C'est vrai. Alors, nous pouvons nous en tenir ceci: la vie ternelle est une ralit
physique incontournable. Vous vivez au prsent, maintenant et pour l'ternit.
- Bonne nouvelle, encore que...
- Que quoi?
- Cette vie ternelle... c'est un peu une prison.- Oui.
- C'est tout ce que cela vous fait? Nous sommes condamns vivre, revivre
indfiniment la mme vie, une vie o tout est jou d'avance...
- Ah, le sacro-saint libre arbitre des philosophes!
- Riez, riez, je ne ris pas. Maintenant, je ne puis mme plus imaginer l'avenir ouvert...
mes choix possibles...
- Vos lendemains qui chantent!
- Arrtez. Un moment, cette ide d'univers-bloc m'a paru lumineuse, maintenant elle
m'effraie. Pas vous?
- Non.
- Pourquoi?
- Elle est fausse.
- Vous vous moquez de moi? Einstein n'est donc pas le gnie du vingtime sicle...
vous...
- Si, mais si, i l est gnial. Ce qu'il a fait est l pour rester. Il a franchi le pas qui sparait
l'univers de Newton, passager et temporel, de l'univers relativiste, ternel, immuable.
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Eternel et immuable, mais non pas encore complet: on a fait mieux depuis. Avez vous
une ide de ce que peut tre la physique quantique?
- Je connais, j'aime bien le mot.
- Que sera-ce la chose! Alors, rsumons-nous:
Pour la physique, il n'existe ni temps ni sens du temps. Le sentiment d'coulement
du temps est psychologique. L'univers-bloc relativiste est immuable et ternel. Il est construit d'une immense multitude d'instants tous prsents. Ces instants prsents sont
relis entre eux par ce qu'on appelle les lois de la physique. Ce qui est venir existe
dj, ce qui est pass existe encore.
Tout cela est acquis. Seulement voil, on sait maintenant que "tout ce qui existe" ne
se rsume pas - et de trs loin - cet univers-bloc. A ct de l'univers visible, il y a les
univers invisibles. Il reste connatre bien d'autres univers, parlons-en maintenant.
2 - L'Univers Quantique
En quelques annes, compter de la fin du XIXe sicle, la vision du monde a plus
chang encore que du temps de Copernic. Cela s'est fait en deux temps rapprochs. Il y
a eu au dbut du sicle avec Einstein l'univers-bloc relativiste, le grand Livre aux
feuillets toujours prsents... puis depuis les annes vingt l'apparition de la physique
quantique. Il se trouve que ceux qui l'ont invente n'ont jamais pu vraiment
l'interprter eux-mmes et ce n'est au fond ni trange, ni surprenant... compagnons
de Magellan!
- Que dit la physique quantique?
- La quantique dit des choses simples... efficaces... mais si surprenantes que j'hsite
nous y lancer...
- Est-elle si surprenante que a, cette nouvelle physique?
- Oui, surprenante n'est pas le terme juste, elle a horrifi ses propres parents...
Copernic, lui seul, a refond l'Astronomie, Newton, seul, a instaur la Mcanique
classique, la Relativit doit tout (mise part la mathmatique d'Henri Poincar) au seul
Einstein...
- Ah, je vois, la quantique est un enfant adoptif!
- Planck fut le premier s'y fourvoyer... c'tait propos du rayonnement du "corpsnoir". Si vous voulez, je rsume de faon honte: imaginez un rcipient ferm, du
genre calorimtre, contenant un gaz. Certaines molcules possdent une grande
nergie, d'autres moins, un quilibre finit par s'instaurer aprs une srie de chocs
hasardeux entre toutes ces molcules, les moins rapides sont pousses, les plus rapides
sont freines... A l'quilibre, la distribution des vitesses est en "chapeau de gendarme"...
- Que vois-je ici paratre... notre vieille entropie!
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- Et Boltzmann aussi, vous pensez bien. C'est lui le matre de la "mcanique statistique"
et des calculs qui concernent un nombre immense de molcules. Chacune d'elles obit
pour son compte aux lois de la mcanique c'est vrai, mais le calcul n'est plus maniable si
ce n'est par une statistique d'ensemble. Il existe pour cela une "formule de Maxwell-
Boltzmann" pour dcrire le "chapeau de gendarme", en fonction de la temprature.
- Jusqu'ici tout va bien!- Profonde et juste remarque du couvreur qui, chu du toit, passe devant les fentres du
premier tage. Nous sommes dans sa situation. Le rayonnement du corps noir...
imaginez la mme bote, munie d'un trou, on tudie cette fois le rayonnement qui en
sort comme d'une gueule de four, fonction de la temprature toujours... infrarouge
d'abord, puis rouge sombre, puis rouge vif, puis jaune, blanc... et alors l, catastrophe.
La distribution du rayonnement que l'on observe est en chapeau de gendarme, comme
celle des molcules. Par ailleurs on a pour le rayonnement une thorie, toujours juste,
ce sont les lectrons de la paroi qui absorbent et re-mettent le rayonnement. Calcul
fait, indubitablement fait, rien ne va plus. La formule issue de la physique classique
prvoit une courbe qui monte, monte... car du rouge vers le violet l'nergie est de plus
en plus grande, vers le violet, l'ultraviolet... l'nergie devrait tre infinie au del, c'est la
"catastrophe ultraviolette" de la fin du sicle dernier... dont nul ne sait se tirer.
- ... et c'est alors qu'un jeune gnie...
- Oh, jeune, oui et non, on est en 1900, le trs srieux Max Planck a quarante deux ans,
c'est un physicien bien classique. Il s'attelle au problme et prsente une formule
mathmatique efficace mais difficile expliquer, et en aucune faon drivable de la
physique classique. Il la prsente comme un succs de devinette. Il faut dire qu'
l'poque, il y avait ceux qui croyaient aux atomes...
- ... et ceux qui n'y croyaient pas!- Boltzmann y croyait, Ernest Mach, le matre penser de Max Planck, n'y croyait pas.
Planck travaille expliquer "sa" formule. Rien n'y fait.
Le "Quantum d'Action" de Planck
En dsespoir de cause, Planck se tourne alors vers ce que lui mme appelle la
"dgotante" mcanique statistique de Boltzmann, et fait l'hypothse que le
rayonnement -suppos continu- ne peut tre absorb et re-mis que sous forme dequantits entires. On voit trs bien ce quoi il pense: puisque a marche pour les
molcules. Ds lors, il dduit de cette hypothse hardie sa formule, magnifique, avec,
entre autres belles choses le nombre Pi, la vitesse de la lumire, la constante de
Boltzmann et une constante nouvelle, "h"... appele devenir l'ponyme et clbre
"constante de Planck" ou quantum d'action.
J'en reviens une remarque: la quantique a horrifi ses propres parents, Planck le
-
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premier. Il a vraiment introduit reculons cette ide de quantification de l'nergie... il a
propos de "faire comme si"... et encore, il ne connaissait pas l'poque la suite de
l'histoire. Nous reparlerons de Schrdinger, encore un physicien bien classique, et de
son quation dont plus tard il a dit: " si j'avais su o tout cela nous mnerait, jamais je
ne m'en serais ml! ". Einstein n'a pas peu contribu cette ide l. Ce n'est pas
l'existence des corps solides qui l'inquitait lorsqu'il s'est occup de la thorie descellules photolectriques. Il savait, tout le monde savait, que lorsqu'on diminue
l'intensit de la lumire sur une cellule, l'intensit du courant diminue et lorsqu'on
augmente au contraire l'intensit de la lumire, l'intensit du courant augmente. Mais,
en dessous d'une certaine longueur d'onde, quelque quantit de lumire qu'on impose
la cellule aucun courant n'tait produit et a, aucune thorie ne l'expliquait. Bien sr,
les rayons violets sont plus "nergiques" que les rouges, mais pourquoi ne suffit-il pas,
avec les rayons rouges, de "mettre la quantit" pour dloger un lectron? Il a fallu en
conclure que l'nergie lumineuse ne se propageait pas "en continuit" mais "par
paquets" indivisibles: si un paquet rouge ne suffit pas dloger un lectron, mille
paquets rouges ne dlogeront rien non plus... C'est donc lui qui a dfinitivement
quantifi la lumire et impos en 1905 l'ide des "photons" sinon le mot... Pourtant
l'interprtation mtaphysique de Copenhague qui a suivi l'a horrifi lui aussi et il est
toujours rest raliste. C'est pourquoi un jeune physicien, Philipp Franck, lui a fait
remarquer quelques annes plus tard au cours d'une discussion de couloir que c'tait
pourtant lui qui avait dclench, avec sa thorie du photon, toute cette incroyable
philosophie la Bohr-Heisenberg, vous savez ce qu'il a rpondu?
- Dites toujours...
- " Il ne faut pas rpter trop souvent une bonne plaisanterie! "
Les "Incertitudes"
- Werner Heisenberg a tremp lui aussi dans cette aventure?
- Plutt, oui. L'ide de "particules" d'nergie n'tait dj pas si avenante, encore fallait-il
faire des calculs. Pour le jeune Heisenberg l'inspiration vient dans l'le d'Heligoland o
il s'tait retir pour une sorte de retraite, on tait en juin 1925, il souffrait d'allergie aux
pollens, Heligoland il n'y avait pas d'herbe, c'est la "cure radicale du rhume des foins".
Il invente la "mcanique des matrices".
- La quoi?
- Il reprsente une particule par une table de chiffres, une matrice, la table de Pythagore
en est un exemple si vous voyez a. Reste que pour se "reprsenter" une particule, le
tableau de chiffres ce n'est pas ce qu'il y a de plus parlant.
- Quelle ide...
- Il voulait remplacer la dcomposition analogique d'une onde (quelconque) en srie de
Fourier (toutes bien sinusodes: la fondamentale, la premire harmonique, la deuxime
harmonique, la troisime...) par une procdure numrique, et rinvente ce faisant le
-
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calcul matriciel dont il ignorait l'existence. Il le fait parce qu'il part du principe qu'on ne
doit parler ni de la position de l'lectron, qu'on n'a jamais vu, ni de sa trajectoire, qu'on
voit moins encore, et insiste sur l'utilit de s'en tenir aux "grandeurs observables"...
restreinte et honnte formule de Niels Bohr. Ses grandeurs observables lui sont les
"raies" spectroscopiques de l'atome d'hydrogne... Bon, il prsente une "table de
chiffres" appele Q pour la position de l'lectron, et une autre "table de chiffres" appeleP pour la quantit de mouvement. Il crit les produits QP et PQ et dcouvre avec
horreur (oui, toujours!) que ces produits ne "commutent" pas. Normalement, trois fois
cinq et cinq fois trois, c'est pareil: la multiplication "commute". S'il avait connu le calcul
matriciel, il aurait dj su que les produits de matrices ne commutent pas: il y a la
multiplication gauche et la multiplication droite...
- Rien que a!
- Quand on le sait. Mais attendez... il s'ensuit quelque chose d'tonnant... Heisenberg
montre son article Max Born qui, lui, reconnat le calcul matriciel et travaille la
question avec son lve Pascual Jordan. Il en rsulte ce que David Wick appelle " la plus
trange quation depuis l'invention de la multiplication il y a quatre mille ans par les
babyloniens "...
- Quelle?
- Je me suis promis de ne mettre aucune quation dans ce papier.
- Sauf que cette fois-ci on a l'eau la bouche!
- Pour la beaut de la chose, cette quation de Born-Jordan s'crit:
Il faut reconnatre que l, il y a le paquet: non seulement les produits ne commutentpas ( gauche) mais ( droite) leur diffrence implique la racine carre de moins un, la
constante de Planck h et le nombre Pi. Voil ce qu'a fait Heisenberg: il a montr que
dans le cas d'une particule quantique, il n'est pas possible de mesurer la fois la
position et la quantit de mouvement! Or, pour dterminer le devenir d'un objet quel
qu'il soit c'est en mcanique la premire chose faire. Une vraie impasse... la
premire... il y en aura d'autres.
- Mais pourquoi?
- On y reviendra, je ne fais ici qu'numrer les difficults. Celle-ci, qui est de taille,
introduit les "incertitudes" d'Heisenberg, ce n'est pas une classique ignorance issue de
l'imprcision, un flou dans la pratique d'une mesure, mais bel et bien un tout nouvel
indterminisme rel, thorique, absolu.
- Vous avez un exemple?
- Oui, et trs simple. Soit un rayon de lumire, nous allons le "diaphragmer" avec un
petit trou bien rond dans une feuille d'aluminium. Vous voyez, il en sort un rayon bien
limit qui peut faire une tache ronde claire sur une feuille de papier. Si le trou est plus
petit, la tache ronde claire est plus petite. Maintenant, perons de la pointe d'une
-
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aiguille un trou vraiment trs petit dans la feuille d'aluminium, un trou net mais
imperceptible, et regardons...
- Hum, la lumire passe mal dans ce trou, elle s'tale...
- Oui. Ne dirait-on pas que le trou se comporte comme une source secondaire? La
lumire ne passe plus "droit", elle s'tale en effet.
- N'appelle-t-on pas cela une "diffraction"?- Si, justement. A quoi est-elle due? Vous ne le savez pas?
- J'ai d l'oublier.
- Non, vous ne l'avez jamais su. Mais vous allez le savoir: avec le trou trs petit, vous
avez dtermin de faon prcise la position des photons, donc, vous avez dispers la
quantit de mouvement...
- Moi, j'ai fait a?
- Oui.
- Il a fallu Heisenberg pour dmontrer cette... incertitude?
- Et ce n'est pas un flou artistique: regardez l'quation de Born-Jordan. Il en rsulte que
le produit de la prcision en position par la prcision en quantit de mouvement est
toujours suprieur la constante de Planck. Autrement dit, plus vous augmentez la
prcision en position, plus vous perdez en quantit de mouvement. Ce rsultat est
pratique aussi bien que thorique, regardez votre tout petit trou dans l'aluminium, et la
large tache de lumire qui s 'ensuit. En physique quantique, l'indterminisme est
fondamental...
- Et ensuite? J'attends la suite des catastrophes.
- La suivante, il fallait s'y attendre, se prsente comme l'envers de la quantification du
rayonnement.
La Mcanique ondulatoire
Un jeune homme prpare sa thse de physique. En 1923 il sait que la matire est
constitue de particules: l'poque la querelle de Mach et de Boltzmann est dpasse.
De plus l'quivalence nergtique de la matire et du rayonnement a dj t montre
par Einstein. Le jeune homme entend montrer que la matire se comporte aussi comme
une onde. C'est la "mcanique ondulatoire" de Louis de Broglie.
- a a d faire du bruit.
- Ses matres ont t horrifis, et, faute de savoir que dire, ont montr le manuscrit
Albert Einstein, qui a rpondu que cette thse l'intressait prodigieusement. Et voil
notre Louis de Broglie docteur s-sciences avec un pav de plus dans une mare qui n'en
manque dsormais gure. Comme consquence de cette thorie, et comme il faut
toujours un comique dans toute belle histoire, le jeune (fils de son pre) George
Thomson dmontre la nature ondulatoire de l'lectron en 1937, quarante ans tout juste
aprs que son pre, Joseph John Thomson, eut dmontr le caractre corpusculaire de
-
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ce mme lectron... bien entendu, le pre et le fils ont parfaitement raison tous les deux.
- La coupe est pleine, ou on continue?
L'Espace des phases
Il y a ensuite Paul Dirac. Excellent mathmaticien, non seulement il reconnatcomme Max Born le calcul matriciel, mais il y voit une "dynamique Hamiltonienne" ...
- Encore un jouet neuf?
- Pas vraiment. Imaginez... oui, je sais, encore un petit effort... vous avez un objet qui se
dplace dans l'espace. Sa position est fixe en longueur, largeur, hauteur... et pour
connatre son volution, il vous faut aussi sa quantit de mouvement en longueur,
largeur, hauteur?
- Mmm... oui. Je vois.
- Supposez maintenant un espace six dimensions...
- Ah, mais non, je m'y refuse: a n'existe pas!
- Supposez, j'ai dit. C'est un espace fictif, cela s'appelle un espace de reprsentation.
Dans cet espace, un point, un seul, va pouvoir dfinir, puisqu'il comporte six
dimensions, la fois la position et le mouvement de votre objet. Autrement dit, on
transforme la dynamique Newtonienne en une figure de gomtrie. Vous voyez cela: un
espace fixe o rien ne bouge reprsente un objet en mouvement... on appelle a un
"espace des phases" Hamiltonien.
- Les mathmaticiens sont de redoutables petits malins.
- Ils fourbissent, et fournissent des outils aux physiciens. Ce que Paul Dirac voit, et
publie, c'est que les matrices de Heisenberg voluent dans un "espace vectoriel
complexe de Hilbert", encore un espace de reprsentation qui existait dj, comme lesmatrices, ou les quations de Hamilton, mais la question n'est pas l. L'quation de
Dirac pour l'lectron est une pure merveille.
- Et puis?
La "Physique des gamins"
- Wolfgang Pauli fait le chemin inverse et recalcule les "raies" de l'hydrogne partir
du calcul matriciel. Mais alors... Voyons un peu. Heisenberg avait 20 ans, Jordan 22
ans, Dirac 23 ans, Pauli 25 ans, de Broglie 30 ans. A Gttingen, on commence appeler
tout a "la physique des gamins". En consquence de quoi les "particules" devenaientdes objets de plus en plus thoriques et de moins en moins imaginables. Au point que,
pour la majorit des gens, l'ide qu'on s'en formait restait l'antique image de l'atome en
"systme solaire" d'Ernest Rutherford, un noyau central et des lectrons qui gravitent
autour...
- Ah bon, ce n'est plus comme a?
- Vous tes drle... Entre ces orbites de l'atome de Rutherford, 1910, et les matrices de
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Heisenberg, 1925, il ne s'est coul que quinze ans... Quinze ans de "petit systme
solaire" et pourtant, trois quarts de sicle plus tard, le grand public vit toujours avec
cette image obsolte... demandez n'importe qui de dessiner un atome et hop... retour
des petites plantes de Rutherford... On aime tant "imaginer", je sais!
- Ils ressemblent quoi, en fait, les atomes?
- Quelle sacre bonne question! Sans vraie rponse... L'exprience humaine classiquemanque d'images pour cette ralit l... Et vous touchez du doigt ce qui faisait tant
horreur aux physiciens...
- Mais pourquoi... qu'est-ce qu'ils avaient contre la quantique?
- Sa logique folle. Les physiciens, trs l'aise dans la physique classique, en scurit
dans le dterminisme et dans les certitudes, sentaient tout coup que le tapis leur tait
tir sous les pieds... Je vous jure, c'tait cent fois pire que le dsarroi des compagnons
de Magellan... les constellations l'envers dans le ciel, a n'tait pas facile avaler. La
quantique, c'tait dfinitivement immangeable. Pour beaucoup, a l'est encore. On s'en
sert tous les jours car elle est indispensable, mais en bon instrumentaliste on mne
bien ses calculs et on vite d'y penser.
- Ah... je vois. Alors... Qu'est-ce qu'on fait, on se lance? Que dit la physique quantique?
Le Monde est discontinu
Essentiellement, elle dit qu'il existe une quantit minimum d'action. De proche en
proche, il s'ensuit bien des choses, il existe une quantit minimum de matire, en gros,
en trs gros, les particules, mais si Ernest Mach y rpugnait encore Boltzmann le croyait
dj et cela ne paraissait pas encore surhumain penser. Il existe une quantit
minimum d'nergie, il existe une quantit minimum de vitesse, ah, c'est plus difficile imaginer, il existe une quantit minimum d'espace et alors l, oui, l'espace ne saurait
plus tre "continu", il existe enfin une quantit minimum de temps, le temps de Planck.
Le temps n'est plus "continu", il procde par tranches spares, tic tac tic tac...
La physique quantique n'est pas une simple curiosit. Elle explique des aspects du
monde que la physique classique -sans en rien dire d'ail leurs- ne prenait pas en compte.
Ce n'est pas un mince dfaut de "l'enseignement" que de dcrire en dtail ce qui est
connu, et de ne parler jamais de ce qu'on ignore. Cette attitude se comprend, mais elle
entrane des consquences parfois catastrophiques. C'est ainsi que la physique
"classique", la physique de Newton, ne peut pas expliquer l'existence des corps solides.
Or les corps solides font partie de la vie quotidienne, on les considre comme "acquis"
et personne ne signale jamais, ni aux enfants des coles ni plus tard aux tudiants des
universits, que la physique ne peut les expliquer. Cette simple mention, pourtant,
serait susceptible d'veiller...
- ... leur mfiance ...
- ... mais non, leur simple curiosit! Et cette curiosit est trs ncessaire.
- C'est inou ce que vous me dites-l, on s' inquitait de la "catastrophe ultraviolette" et
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personne ne s'inquitait des corps solides?
- Non, oh, c'est dire si... mais... pour la distribution du rayonnement, on touchait du
doigt le fait que quelque chose clochait... on s'inquitait, oui... mais pour l'tat solide,
on ne peut mme pas dire que quelque chose clochait, on n'avait rien, mais alors rien de
rien. Mme pas la notion d'un problme... c'est dire.
- C'est fou.- Tous les physiciens connaissent le discours du grand William Thomson, lord Kelvin,
la fin du XIXe sicle devant des tudiants qu'il plaignait d'arriver dans la carrire alors
que la physique tait acheve. Magnifique difice complet, superbe, dfinitif, avec, oh,
oui, peut tre une ou deux petites questions de dtail, une avance inexplique de
quarante trois secondes d'arc par sicle dans le prihlie de la plante Mercure, et aussi
une distribution du rayonnement du corps noir qui ne correspondait pas l'attente, peu
de choses, en vrit. Thomson se trompait, car en rponse sa premire petite question
devait surgir la Relativit, en rponse sa seconde petite question la mcanique
Quantique, mais on ne peut lui reprocher un manque de sens critique... et sa superbe
physique tait d'un coup rduite au rle de l'enduit sur la toile o le chef-d'uvre restait
peindre!
- O en est-on?
- Comme je l'ai dit, il y a deux positions. Il y a la position universitaire des
instrumentalistes, qui sagement calculent juste et ne cherchent surtout pas
d'interprtation; ils ne "veulent pas le savoir". Et puis il y a ceux qui voudraient bien le
savoir, justement, ceux qui interprtent... et alors l, les interprtations n'ont pas
manqu, des plus folles...
- Aux plus raisonnables?
- Non, hlas, pour le moment l'ventail s'tend des plus folles aux plus folles encore.Mais vous allez voir que cette folie tient avant tout la nature des choses.
Un Photon et quatre miroirs
Nous allons organiser une petite exprience. Pour cela, il faut un rayon laser, une
"flche rouge" de confrencier par exemple, et quatre miroirs disposs aux quatre coins
d'un carr. Plus exactement, il y aura, aux deux extrmits d'une diagonale, deux vrais
miroirs, les deux autres seront des miroirs "semi-transparents" comme ceux que l'ont
peut remarquer dans un magasin pour la surveillance, ou dans le laboratoire de
psychologie d'une universit. Ah, vous ne saviez pas? Bien, vous le savez, maintenant.
D'un ct, ce sont de vrais miroirs, on se voit dedans, de l'autre ct ce sont des vitres,
on voit au travers... et c'est assez pratique.
En fait, ce qui se passe, c'est que ces miroirs renvoient la moiti de la lumire (on
peut se voir dedans) et se laissent traverser par l'autre moiti (ce qui permet de voir au
travers). On va maintenant diriger le faisceau laser vers un miroir semi-transparent de
sorte que la moiti de la lumire qui le traverse longe exactement un ct du carr, et
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que l'autre moiti, celle qui est rflchie, longe le ct adjacent. Ces deux demi faisceaux
rencontrent les deux vrais miroirs, ils sont rflchis le long des deux autre cts et se
rejoignent juste sur le dernier miroir semi-tranparent, au quatrime angle du carr. La
question est: que se passe-t-il? Si l'on en croit ce fameux "bon sens" qui est la chose du
monde la mieux partage, la lumire se re-subdivise encore en deux, un quart de
faisceau droit devant et un quart de faisceau rflchi, autrement dit, moiti moiti,puisque les deux faisceaux se rejoignent.
Figure 06
En science hlas, le "bon sens" est pratiquement toujours trompeur. Si l'exprience est
bien monte, les quatre cts du carr bien gaux, les quatre angles bien droits ( vrai
dire, ce n'est pas un "travaux pratiques" de classe de seconde, mais une "manip" de
doctorat), toute la lumire prend une seule direction, ici X, parallle la direction
d'entre (Figure 06). Tout se passe comme si le faisceau lumineux se divisait en deux
trajets, puis nouveau runi continuait son droit chemin.
- Bien, et qu'est-ce que cela prsente d'extraordinaire?- Tout de mme, on s'attendrait ce que la lumire qui arrive sur un miroir semi-
transparent soit divise, c'est ce qui se passe toujours. Or l, c'est le contraire, tout
ressort du mme ct.
- Bien, c'est comme a.
- Vous avez une explication?
- Oh... j'en ai une, si je me souviens de la physique du Lyce, il doit y avoir la dessous un
phnomne d'interfrence.
- Gagn. Mais, il y a une nuance... enfin, oui, laissons les nuances pour le moment. C'est
un phnomne d'interfrence; en fait l'appareil est l'interfromtre de Mach-Zehnder.
Nous allons le vrifier. Je place un carton sur l'un quelconque des trajets, j'interromps
ainsi un des deux demi faisceaux (Figure 07).
- Je constate.
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Figure 07
- Ah... oui, cette fois, la lumire du demi faisceau restant se divise sur le miroir semi-
transparent de sortie. J'avais raison, il n'y a plus deux lumires qui se rejoignent, mais
maintenant une seule et il n'y a plus d'interfrence.
- De sorte qu'en Y o il n'y avait que de l'ombre quand toute la lumire pouvait passer, il
y a une tache lumineuse depuis que l'on a supprim un des deux chemins.
- Oui.- Et... c'est... normal?
- Au fond, vous avez raison. On va compliquer un peu cette mme exprience. Je
dispose maintenant, sur le trajet de mon faisceau laser, avant de le diriger vers la carr
aux miroirs, un verre teint noir, un verre si teint qu'il n'est travers toutes les heures
que par un seul photon. Voil, j'ai maintenant un appareil qui produit un photon
l'heure. (En ralit, une source de photons isols est un appareil beaucoup plus
compliqu, et surtout plus coteux, que ce qui est dcrit l, il suffit de savoir que cela
existe). L'exprience continue. Ah, pour que l'on puisse constater ce qui se passe, l'oeil
ne suffit plus et nous mettons en place des plaques photographiques. Vingt-quatre
photons par jour, dix jours, cela fait dans les deux cent cinquante photons, de quoi
noircir efficacement un point de la plaque...
- Bien, bien, trs bien... et alors?
- Alors, dix jours aprs, une seule plaque montre une tache d'argent noir dans le
glatino-bromure.
- Oui, et alors, bien sr c'est comme avant.
- C'est comme avant, mais o sont les interfrences? Toutes les heures peu prs il
passe un seul photon dans le dispositif... ce photon suit un des deux chemins,
souvenons-nous, les quanta ne sont pas divisibles. Un photon est un "paquet"
indivisible qui passe d'un ct o de l'autre, au hasard. On ne sort pas de l.- Oui, je comprends...
- Alors, comment sait-il qu'il doit toujours ressortir du dispositif en prenant sa direction
initiale? S'il a travers le premier miroir, il est rflchi par le dernier, s'il a t rflchi
par le premier miroir, il traverse le dernier, toujours, de sorte qu'il reprend sa
direction...
- Oui, c'est vrai, c'est curieux...
-
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- Attendez, a va devenir plus curieux encore. L, je dispose un carton, comme je l'avais
fait dj. Je remplace les plaques photographiques. J'attends nouveau dix jours.
- Patientons.
- Je vous donne le rsultat tout de suite: nous avons deux taches, la moiti des photons
repris la direction initiale, l'autre moiti en a chang et c'est cela qui est le rsultat
normal, le rsultat "de bon sens". La question que l'on doit poser, maintenant, lagrande, la vraie question, c'est celle-ci: quand il y a deux trajets possibles, comment un
photon sait-il qu'il ne doit prendre qu'une seule des deux sorties, toujours la mme?
Quand il y a un obstacle d'un ct, comment le photon qui emprunte l'autre chemin
sait-il qu'il est libre d'tre rflchi, ou de traverser le miroir? O sont les interfrences...
il passe un seul photon toutes les heures, ils ne doivent pas se gner tout de mme?
- C'est curieux, mais je ne vois pas bien ce qu'il y a de si extraordinaire dans tout cela...
- Vous ne voyez pas... Alors, je vous propose le malicieux problme d'Elitzur-Vaidman.
Vous allez voir, c'est une preuve de travaux pratiques. Vous tes pacifiste, vous avez
cependant, pour la dfense, prpar des bombes, mais il y a cinquante ans qu'elles n'ont
pas servi. Une priode de crise, vous savez comment a se passe...
- Non...
- Ca ne fait rien. On vous demande de trier les bonnes et les mauvaises seulement voil,
le dtonateur est incroyablement pernicieux. Chaque bombe est munie d'un petit
miroir. Si un seul photon tombe sur le miroir, la bombe explose. Comment allez-vous
faire?
- Pour essayer la bombe, je me sers de votre source de photons isols, j'expdie un
photon sur le miroir dtonateur et...
- Si elle est mauvaise, rien ne se passe, et hop, la poubelle. Si elle est bonne?
- Si elle est bonne, le photon atteint le miroir, et elle explose!- A la fin de la journe, les mauvaises sont la poubelle et les bonnes ont explos. Vous
ne ferez pas un ingnieur de l'armement trs recommandable...
- a n'est pas possible, votre truc!
- Dans le monde de Newton, a n'est pas possible en effet mais rflchissez... nous
vivons dans le monde quantique... regardez un peu nos panneaux des quatre miroirs,
vous n'avez pas une ide?
- Il faudrait rflchir...
- Bonne ide pour un miroir. Regardez, je reprends le dispositif et je pose la bombe la
place d'un des "vrais" miroirs, comme ceci (Figure 08):
Quatre cas sont possibles. Un, si la bombe est mauvaise, elle agit comme un vrai
miroir tout bte, nous sommes donc dans le cas de la figure 6 et le photon ressort
toujours du ct du dtecteur X. Si donc c'est le cas, on jette la bombe la poubelle.
Mais si elle est bonne, elle constitue un obstacle, puisque, si elle reoit le photon, il se
passe quelque chose...
-
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Figure 08
- Une explosion, en effet!
- Quoi qu'il en soit nous retrouvons le dispositif de la figure 7. Il reste trois cas
possibles. Deux, le photon arrive effectivement sur la bombe, elle explose.
- C'est dommage.
- Vous, vous ne faisiez pas mieux. Trois, le photon prend l'autre chemin, ah... nous y
voil, comment le photon sait-il qu'il y a un obstacle sur le chemin qu'il n'a pas emprunt... bon, il le sait ou pour toute autre raison, il peut maintenant se diriger soit
vers le dtecteur X et l'on peut croire que la bombe est mauvaise -mme si ce n'est pas
le cas, hop, la poubelle- ou bien encore, quatre, hip hip hip, hourra, il est rflchi vers
le dtecteur Y et c'est la solution du problme: on est sr d'avoir une bombe en parfait
tat de fonctionnement sans pour autant l'avoir dtruite. Voil: on a pratiqu sur cette
bombe une mesure nulle... mais dans une exprience o pareil rsultat s'observe si, et
seulement si, le dtonateur de la bombe est fonctionnel. Commencez-vous voir "ce
qu'il y a de si extraordinaire dans tout cela..."? Je rpte, quand il y a un obstacle d'un
ct, comment le photon qui emprunte l'autre chemin sait-il qu'il est libre d'tre
rflchi, ou de traverser le miroir? O sont les interfrences? Ici encore, on ne met en
jeu qu'un seul photon la fois!
- Je me souviens d'avoir entendu parler de la "dualit onde-corpuscule"..?
- En effet, c'est une des nombreuses contorsions intellectuelles de ce dbut de sicle!
David Deutsh dit que les inventeurs de la quantique n'ont jamais compris leur propre
thorie. Tout ce qu'on en savait, c'est qu'elle marchait. Comme je l'ai dit, elle explique
l'tat solide, elle permet de faire des calculs avec une prcision incroyable, douze
dcimales, c'est le millionime de millionime.
- C'est beaucoup?
- Pour l'apprcier, il faut connatre d'autres cas. La mcanique cleste de Newton offrequatre dcimales seulement, la Relativit en revanche offre plus encore que la
quantique avec quatorze dcimales exactes, le cent millionime d'un millionime. J'en
reviens au paradoxe et certains, comme Einstein, on toujours dit que (malgr cette
prcision), une thorie nouvelle (mais alors, il faudrait qu'elle soit plus prcise encore)
viendrait remplacer la quantique, cette thorie que l'on n'a jamais prise en dfaut, cette
thorie qui prvoit tout et n'explique rien. D'autres, comme Niels Bohr, ont pris le parti
-
8/14/2019 4 Maintenant Pour l'Eternite
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de constater que le rel est "hors d'atteinte", qu'en dehors des observations il n'existe
rien... on est mme all jusqu' dire que le monde rel n'existe pas, que lorsqu'on
aperoit une thire sur la table, prtendre que cette observation tient au fait qu'il
existe vraiment une thire sur une vraie table est un prsuppos philosophique: seule
l'observation compte... Cette position maintenant archaque s'appelle "le point de vue
de Copenhague".
Les "Ondes de probabilit"
En fait, tout cela tourne aussi autour de l'quation de Schrdinger. Erwin
Schrdinger n'tait pas un brillant tout jeune physicien comme Heisenberg, mais un
professeur trs classique. Les matrices lui faisaient, dit-il, plutt horreur, comme la
physique discontinue. Il avait l'impression que l'on pouvait exprimer tout cela par de
"vraies" ondes, surtout aprs avoir lu la thse de Louis de Broglie. Pendant l'hiver 1926
il passa deux ou trois semaines dans les Alpes suisses avec une amie et la thse susdite,
ce qui ne laissait pas tellement de temps pour le ski. Au retour, il pouvait publier son
quation. Cette quation a d'abord t considre comme une horreur ma