agir par la culture n°26

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Agir par le Culture N°26 - Menaces sur la démocratie, espoirs des révolutions.

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Page 1: Agir par la Culture N°26

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Page 2: Agir par la Culture N°26

temps fort

Camp des indignés, P lace Saint Lamber t à L iège, le 31 ma i 2011

© Serge Smal / Valé rie Jamagne - PAC L iège

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Page 3: Agir par la Culture N°26

sommaire

dossier

TemPS forT

eDITo

enTreT Ien :

• fr ançois Ju l l ien

DoSSIer  :

menaces sur la démocr a t ie, espoir s des révolut ions

• Hervé Kempf : revivifier notre démocratie•Grand marché transatlantique : danger made in Ue/USA ?

- Interview de r icardo Cherent iet Br uno Ponce let

- Les réactions de T hier r y Bodsonet marc Tarabel la

• Le Bhoutan : la recherche du bonheur comme mo-dèle de développement, par Jean Cor n i l

• L’expérience révolutionnaire de la commune de Paris,par Denis Le febvre

• Les printemps des Peuples de l’Amérique latine, par Jean Cor n i l

• révolution : la leçon tunisienne, par A lex is Doutain

refLeXIonS  :

• Pasca l Chabot : la philosophie dans la vie

CôTé norD :

• Ber t Kr u ismans : rions ensemble

DoCUmenTAIre  :

• Pour la gauche d’après : Jérémy for n i ,par Auré l ien Ber th ie r

A BAS LA CULTUre  :

• L’art commercial est enfant de bohème, par Denis Dargent

meDIAS  :

• Les questions publiques, oubliées de l’information,par mar c S innaeve

PorTrAIT CULTUreL  :

• Leï la Shahid : Palestine forever

DeCoUVerTeS

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édito

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AGIr PAr LA CULTUre n°26Une publication de Présence et Action Culturelles – 8, rue Joseph Stevens - 1000Bruxelles – Belgique - www.pac-g.be - n° Tél : 02 545 79 11

Tirage : 10.000 exemplaires, imprimés sur papier recyclé

edi teur r esponsable : Yanic Samzunrédacteur en chef : Aurélien Berthier - [email protected] 545 77 65equipe rédact ionne l le : Sabine Beaucamp, Jean Cornil, Denis Dargent, Yanic Samzun, marc Sinnaeve. ont par t ic ipé à ce numéro : Leopold Charond, ricardo Cherenti, Alexis Doutain,Thierry Bodson, Yannic Keepen, Denis Lefebvre, nathalie misson, Lucrèce monneret,Bruno Poncelet, marc Tarabella.C rédi ts pho tographiques : André Delier, Jean-françois rochez Lay-out  : nino Lodicoma i l ing : maria Casale

Pour recevoir gratuitement AGIr PAr LA CULTUre par la poste ou pour vous désinscrirede la liste d’envoi, prière de contacter maria Casale par mail ([email protected])ou par téléphone (02/545 79 11)

Le contenu des articles n’engage que leur(s) auteur(s). Tout les articles peuvent libre-ment être reproduits à condition de mentionner la source.

Conformément à la loi du 8 décembre 1992 relative à la protection de la vie privée àl’égard des traitements de données à caractère personnel, vous pouvez consulter, fairemodifier vos informations de nos fichiers d’abonnés ou vous opposez à leur utilisation.

Cette publication reçoit le soutien du Service éducation permanente du ministère de lafédération Wallonie Bruxelles, de la Loterie nationale, de la région wallonne et del’Agence du fonds social européen.

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AGIR PAR LA CULTUREAGIr PAr LA CULTUre est gratuit. Si vous habitez en Belgique, vouspouvez le recevoir gratuitement chez vous. Pour les autres pays, desfrais de ports peuvent s’appliquer (nous contacter).

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A renvoyer par courrier ou par mail à :

AGIr PAr LA CULTUre/ PAC - 8 rue Joseph Stevens - 1000 [email protected]

force est de constater que le monde bouge, et même parfois dans le bon sens.La jeunesse est sortie courageusement dans les rues, au Caire, à Tunis, à rabat,pour bousculer, voire renverser des régimes dictatoriaux qui ne leur donnaient aucuneperspective d’avenir. on ne sait pas ce qu’il en adviendra ici ou là, mais cela consti-tue déjà une avancée historique en matière de Démocratie et de Droits de l’homme.nous étions il y a quelques jours avec l’équipe de PAC en mission en Palestine. Là aussiles choses bougent lentement mais sûrement. L’accord intervenu entre le fatah et leHamas constitue une avancée indispensable pour la création d’un rapport de forceentre Palestiniens et Israéliens. La proclamation potentielle par la Communauté in-ternationale de la reconnaissance de l’état palestinien dans les frontières de 1967,même si c’est dans un premier temps purement symbolique, soulève beaucoup d’es-poir en Cisjordanie. et le dernier discours de Barack obama envoie un signal trèsclair au Gouvernement Israélien.Par ailleurs, les résistances populaires aux mesures d’austérité dictées par le fmI etles agences de notation s’affirment un peu partout en europe et singulièrement enGrèce et en espagne.

Dans ce numéro, nous nous penchons sur les nouvelles stratégies à l’œuvre au seindu grand marché transatlantique initié en toute discrétion par l’Union européenne etles etats-Unis au travers de leurs multinationales respectives. Si l’on n’y prend pasgarde, ce dispositif de libéralisation totale du marché mettra demain en péril l’en-semble des services publics européens, précarisera les travailleurs et confisquera lasouveraineté législative des parlements nationaux et européens. À l’heure où lesforces nationalistes et de droite progressent partout en europe, il nous faut aiguisernotre vigilance citoyenne et organiser très largement la résistance politique, syndi-cale, associative et culturelle.

Yanic SamzunSecré ta i re généra l

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Vous ê tes spéc ia l is t e de l a Ch i ne , vouspar lez souvent à propos de la Ch ine, detr ansfo r mat ion s i lenc ieuse e t vous d ist in-guez des concepts comme l ’un i ver se l t r a-d i t ionne l de l ’occ ident et de l ’europe desLumières, e t l ’un i for me et le commun dela Ch ine. Cet te dis t inct ion é ta i t tout à fa i tin té ressante pour appréhender justementde manière plus c la i re le regard di f fé rentque l ’on peut avoir sur l ’empire du mi l ieu.

Je crois que cela implique un tout petit peu de net-toyage conceptuel. L’universel est une notion de laphilosophie et de la science mais le terme est am-bigu parce qu’il y a deux façons de concevoir l’uni-versel. Soit l’universel est un universel de constat,c’est-à-dire de généralités, c’est-à-dire que cela atoujours été ainsi, soit c’est un universel de néces-sité : il ne peut pas en être autrement.Quand on dit que les Droits de l’Homme sont uni-versels, quel est l’universel en question ? Il faut suivre les étapes. L’universel vient d’une his-toire singulière. La question aujourd’hui pour nous,c’est que nous découvrons, à la rencontre des au-tres cultures, que l’universel est une production sin-gulière, donc en contradiction avec elle-même.L’universel n’est pas universel. L’universel serait delui-même le contraire de l’universel. C’est une pro-duction singulière de l’histoire, de la culture euro-péenne qui, par la philosophie, par le droit, a produitcette exigence-là.

Tandi s que l ’un i fo r me, c’ est p lut ôt unconcept économique ?

L’uniforme pour moi, c’est disons l’inverse, c’est-à-dire non plus selon une exigence de nécessité doncrationnelle mais effectivement, ce qui se rapporte àla production, au standard, au stéréotype. et la dif-ficulté aujourd’hui pour nous c’est que l’uniforme,tendant à recouvrir le monde entier par le fait de lamondialisation, fait comme s’il était l’universel. Il seprévaut d’une légitimité de raison, alors qu’il n’estqu’une commodité de la production.

e st-ce que l ’on pou r r a i t di r e que l ’un i -for me s ’ incar ne dans l ’hégémonie cu l tu-r el le anglo -saxonne ?

oh, cela changera ! oui pour l’instant ! oui parcequ’il y a une uniformisation, qui est un mode de vie,qui est le fait que vous trouvez Harry Potter enChine comme à Paris au même moment et que tousles enfants du monde auront le même imaginaire.C’est cette uniformisation-là qui fait qu’il y a du stan-dard, du stéréotype et donc un danger de répéti-tion ennuyeuse.

ma is les ch inois ont-i ls accepté cet te un i-for mi té   ?  J ’a i é té en Ch ine i l y a un an.mes enfants voulaient un jour manger aumcDona ld ’s . Je pense qu’ i l y a p lus de200 mcDo à Pék in e t à Shangha i .

Là, il faut rentrer dans l’histoire. nous sommes allésen Chine. nous sommes allés au travers des mis-

sions religieuses avec plus ou moins d’effets. noussommes retournés par la force et nous avons ou-verts les ports chinois, les traités inégaux, lesconcessions. on a donc rompu l’histoire chinoise.on y a apporté une modernité qu’elle n’attendaitpas. Ils ont dû emprunter les catégories euro-péennes car la modernisation a commencé.et la question aujourd’hui, c’est justement de voircomment les cultures réagissent par rapport à desstandardisations qui sont-là à l’œuvre.

on vo i t ce qui se passe maintenant dansl ’exp los ion démocra t ique au moyen et auProche-or ient. est-ce qu’on pour ra it ima-g iner un p rocessus de ce type- là commeévo lut ion dans la Ch ine d’au jourd’hu i  ?

on m’a beaucoup posé cette question depuis deuxmois ! La réponse est : « Je ne crois pas ». Parce quece qui a permis ces révolutions au maghreb, c’est qu’ily avait un dictateur à abattre. en Chine, il n’y en apas. Qui voulez-vous abattre en Chine ? Quelle est lafigure symbolique qu’il faut supprimer ? non, le pou-voir est structuré, par le parti, par l’armée.Il n’y a aucun intérêt à tuer le président chinoisparce que c’est un appareil. D’autre part, il faut tenircompte du fait que les conditions ne sont pas dutout les mêmes. La Chine a connu la révolution cul-turelle.La Chine n’a jamais produit de conception politiqueautre que la monarchie, c’est comme cela. Lesformes de régime telles que les européens les ontpensées, il n’y a pas de tradition équivalente enChine.

Rencontre avec François Jullien

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entretien

fr anço is Ju l l ien es t ph i l osophe e t s i no-logue. I l est venu en av ri l der n ier dans lecadr e de Ph i lo, l es r encont res phi l oso-phiques de PAC organisées en co l labora-t ion avec Ph i losoph ie ma gaz ine , nousentr eten ir de l’un iver sel à l ’ép reuve de laChine . Un beau moment de ré f lex ion dé-calé en regard de la pu issance de la ra -

t ional i té occ identale .

© C

S PH

oToG

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Ie

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Donc la Chine a une tradition très monarchique dupouvoir, monarchique et bureaucratique. D’autrepart, elle a connu la révolution culturelle, un désor-dre, et elle a aujourd’hui un désir d’enrichissementet de puissance.

L’ambi t ion de Ta iwan, système par lemen-tai re, qu i se rapproche plus de l ’occident ,e t qu i espère que par contag ion la Ch inecont inentale s’aligne sur eux ? Qu’en pen-sez-vous ?

Peut-être. Peut-être sous une forme progressive detransmission silencieuse. Pas sous forme de révo-lution comme ce qu’on a vu récemment dans leProche-orient. Je ne crois pas à un grand événe-ment. Vous savez la grande formule en Chine au-jourd’hui c’est celle qu’on avait à l’époque de Guizoten france : « enrichissez-vous par le travail et parl’épargne ».Je veux exprimer par-là que certains journalistes di-sent qu’il y a une sorte de contagion révolution-naire. maintenant, on est dans le régime desportables et des SmS et donc cela va flamber d’oc-cident en orient. Je ne suis pas sûr de cela. Parcontre, il y a des transformations à l’œuvre et le ré-gime chinois il faut bien le comprendre, se trans-forme. Le Parti communiste d’aujourd’hui n’a plusgrand-chose à voir avec le Parti communiste d’il ya 40 ans. Aujourd’hui ce sont des managers.

J ’a i lu que dans le l i v r e d ’André Ch iengqui accompagne votre pensée, vous fai tesune d is tinction entre ce que les Al lemandsont fai t après la 2ème Guer re mondiale, nu-r emberg, e t les Ch inois, qui n’ont r ien fai taprès la révolut ion cu l ture l le. I l y a doncun rappor t di f fér ent à l ’h isto i re  ?

L’idée chinoise stratégique dans le monde politique,c’est de laisser mûrir les conditions. Donc ce créditaccordé à la durée dans ses effets propres aveccette conviction que le forçage produit un contreeffet. Si vous imposez un modèle à une situation,vous produisez du rejet.

es t-ce que vous pensez que la compré-hens ion de la Ch ine dans toute sa subt i -l i té e t qu i est e f fec t i vement une v r a ieext ér io r i t é par r appor t à l ’occ iden t , àl ’europe, au monde occ idental , progressedans le monde po l i t ique , dans le mondedes af fai r es , dans le monde économique ,dans le monde cu l ture l  ?

Il faut distinguer les mondes. Dans le monde

économique certainement. Je peux vous dire quedepuis 15 ans je suis en relation avec les entreprises,y compris à Bruxelles, en Allemagne et en france. Jevois que les chefs d’entreprises ont compris non seu-lement qu’il y a des stratégies diverses mais ils ontcompris l’intérêt à réfléchir à d’autres stratégies quela stratégie européenne modélisante des objectifs.

Y a -t - i l une contradict ion entr e l ’ef f icacitée t le système démocr at ique ?

oui, c’est clair. Il faut la réfléchir. Je ne pense pasque les hommes politiques incarnent le monde dé-mocratique. Je pense qu’ils sont plus dans le mé-diatique qui n’est pas démocratique. exemple : lessondages qui polluent la france aujourd’hui. Lessondages ne sont pas démocratiques, ils sont mé-diatiques. Ils font de l’évènement tous les jours quipermettent aux journalistes de produire des arti-cles et des débats. mais je crois aux électionscomme épisode démocratique dans l’isoloir et tousles cinq ans. Je crois qu’il faut laisser agir le temps.C’est pour cette raison que je suis contre les son-dages car le court terme ne produit rien.

C ’est la thèse de Domin ique Bourg dansson l iv r e «   Ver s une démocr a t ie éco lo -g i que   » . I l const a te que les en jeux ma-jeur s sont sur la longue durée o r la viepol i t ique est sur la cour te durée . Donc i ly a un décalage dans le r ythme pol it ique ?

et puis il faut alimenter le médiatique. Il faut quetous les jours il y ait de l’évènement, il faut toujoursque l’on parle de vous et il faut toujours soigner sonimage et ça c’est antidémocratique et c’est coûteuxen terme d’efficacité.

on est de p lus en plus dans la d icta turede l ’urgence  ?

Absolument. Une fausse urgence d’ailleurs. Quandon dit que l’on veut arrêter le chômage, au lieu del’annoncer tous les jours par des mesures soi-di-sant spectaculaires et qui n’ont pas d’effet, il vautmieux amorcer des modifications discrètes au dé-part qui progressivement produiront leurs effets.

Le p r ix nobe l de l a pa ix à un d i ss i den tch ino is . Quel est le point de vue que vousexpr imez sur ce t te quest ion ?

Un prix nobel c’est toujours un compromis. Cela netombe pas du ciel comme cela. La religion du droit-de-l’hommisme n’est pas lamienne mais les Droits de l’homme, c’est une pro-

duction singulière de l’europe à une époque. J’aiécrit pour dire à quel point je ne voulais pas relati-viser les droits de l’homme. Je garde un statut d’ab-solu, mais je ne prends pas pour absolu les valeursdes droits de l’homme. Je ne prends pour absoluque le nom de résistance à l’oppression, le nom del’insupportable, le nom de la révolte. Je me méfie du culturalisme d’une part, du droit-de-l’hommisme de l’autre et il me semble qu’il faut tra-vailler non pas dans l’entre-deux mais pourdépasser cette alternative-là.

Ce la m’a f rappé , en Ch ine , le r egard en-cor e extrêmemen t nég at i f , même desj eunes génér a t ions c h ino ises, sur leJapon comme s i on n’avai t pas fa it le deui ldes massacres de nankin en 1937.

Ils n’ont pas la même taille. La grande Chine et lepetit Japon. C’est par la Chine que le Japon s’est ou-vert à l’extérieur. Le Japon est une île et le Japon aconnu une montée nationaliste parce c’est sa façonde digérer la modernité, l’époque meiji, l’ouvertureau monde extérieur. Le Japon a fait la guerre à laChine, à la russie puis aux etats-Unis sans se ren-dre compte qu’il se passait peut-être autre chose.Il y a eu la guerre de nankin, c’est vrai. Le Japonsouffre d’une hégémonie chinoise encore plus main-tenant que la Chine a dépassé le Japon en terme dePIB. Je trouve les japonais assez héroïques à cetégard, il faut quand même le reconnaître.

Le Tibet  ? Le na t iona l isme ch ino is  ?

Je me méfie du nationalisme et surtout quand le na-tionalisme prend le relais des régimes dictatoriauxou autoritaires. on sait bien que les régimes auto-ritaires quand ils n’ont plus d’éléments porteurssont des régimes nationalistes. on l’a vu en europesuffisamment. Donc, je me méfie du nationalismechinois parce que les dépenses militaires chinoises,on le voit aujourd’hui, sont quand même colossales.

Propos r ecuei l l i s par Jean Cor n i l

fr ançois Ju l l ien  :«  Phi losophie de v iv re  »

Gal l imard 2011.Autour de l ’auteur  :

«  La pr at ique de la Ch ine, en compagnie de fr ançois Ju l l ien  » ,

de André Ch ieng Gr asse t , 2006.

entretien

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Menaces sur la démocratie, espoirs des révolutions

L’époque es t à l’accé lér at ion des évènements. Le pro-je t d ’un gr and marché tr ansat lant ique , actuel lementnégocié dans la p lus grande discrét ion e t qu i pour ra itdébuter potent ie l lement en 2015, augur e de régres-s ions soc ia les e t de pr ess ion sur notr e modèle dé-mocr at i que . Un modè le démocr at i que que Her véKempf pense peu à peu remplacé par celu i de l ’ol i -garch ie , le pouvoir d’ un pe t i t nombr e. face à ce t telame de fond l ibér ale et à la col lusion des pouvo ir spol i t iques et économiques, des mouvements révolu-t ionna ires cons t i tuent désor ma is un espoir ra isonna-b le . Qu’ i l s ’a g isse d ’une révo lut i on dans lacomptabi l i té nat iona le (prise en compte du bonheurau Bhoutan), d ’une révolut ion c itoyenne (Bo l iv ie) , del ’exemp le de l ’h istoi r e (La Commune de Paris ) ou dela leçon magis tr ale de la révo lut ion tun is ienne .

dossier

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Her vé Kempf est jour na l is te et écr iva in .Chacun de ses l ivres «  coup de poing » dé-nonce le pouvo ir cro issant de l ’o l igarch ief inanciè re qui ronge nos pr incipes démo-cr a t iques au nom du l ib r e mar ché e td ’une c i r cu la t i on des bi ens e t des ser -v ices sans p lus aucune entrave .

Dans votr e der n ier l i vr e, vous dénoncezl a dér i ve ol igar ch ique de nos démocr a-t ies. notre système représenta ti f est- i l unl eur r e qui masque l a nat ur e rée l le deno tre mode de gouver nement  ?

Le système représentatif est très largement unleurre, dans la mesure où l’attention publique se fo-calise sur l’élection, alors que le pouvoir s’est dé-placé. D‘une part, la puissance du système financieret bancaire l’emporte de loin sur la puissance pu-blique. D‘autre part, la majorité de ceux qui sontmandatés pour exercer la puissance publique dansl’intérêt du peuple partage en fait les intérêts dusystème financier et en applique les règles. ensuite,parce que les médias, qui conditionnent laconscience publique, sont massivement aux mainsdes mêmes intérêts économiques.

Cependant, nous ne devons pas abandonner lemode représentatif. Il reste un outil par lequel nouspourrons réinvestir le champ de la décision pu-blique. mais il faut surtout ne pas penser -commeveut nous le faire croire l’oligarchie- que la repré-sentation est le mode exclusif de la vie démocra-tique : la libre délibération -d’où l’importance demener une vive critique des médias- et l’expressiondirecte -quoique non violente- des citoyens sont desmodes tout aussi importants pour faire vivre unevéritable démocratie.

L’Union européenne et les états-Unis é la-bor ent , d isc rè t emen t e t depui s des an-nées, le p roje t t ransat lant ique qui v ise àér iger un g rand marché to talement dél i -v ré de toute en tr ave , entr e les deuxcontinents. face à une tel le menace, com-ment constr u i re une al te r nat i ve po l i t iqueet cu l ture l le ?Ce projet transatlantique est le signe que le capita-lisme n’a en aucun cas modifié, malgré le quasi-ef-

fondrement du système financier en 2008, son pro-jet global d’assujettir l’ensemble de l’économie etde la vie sociale à la règle du marché et de la pri-vatisation. Je n’ai aucune recette magique pourconstruire une alternative. D’ailleurs, elle seconstruit toute seule, mais on s’en rend mal compteparce que les médias, contrôlés par l’oligarchie, neveulent pas la montrer, ou de manière très affaiblie.Il nous faut continuer à montrer, aussi bien par desinitiatives locales et par les luttes qu’en posant fer-mement les objectifs politiques prioritaires (reprisedu contrôle de la monnaie, réduction drastique desinégalités, engagement dans la transition écolo-gique), qu’un autre monde est possible. mais, ilnous faut le faire en dénonçant, plus radicalementque cela n’est le cas, le caractère pervers et dan-gereux de l’oligarchie. La majorité des citoyens,parce qu’ils sont eux-mêmes honnêtes et soucieuxde l’intérêt général, ont du mal à imaginer que lesdépositaires de l’autorité publique ne sont pas ani-més des mêmes principes. Il est essentiel d’aban-donner cette candeur et de savoir dire que « le roiest nu », que le capitalisme est devenu intrinsèque-ment dangereux.

La catastrophe au Japon. L’échec t ragiqued ’un monde soumis aux techno-sc ienceset à la fol ie prométhéenne de l ’homme quitente, en vain , d’asser vi r la na ture  ?

fukushima est surtout la manifestation du fait que,si la technologie n’est pas décidée et contrôlée dé-mocratiquement, elle est dangereuse. La compa-gnie Tepco, qui gérait la centrale, a régulièrementenfreint des règles de sécurité, et les autorités desurveillance – parce qu’elles participaient d’un sys-tème général voulant promouvoir l’énergie nucléairesans vrai débat démocratique – n’ont pas été assezrigoureuses. La catastrophe découle de conditionssociales. Quelle conclusion en tirer ? Qu’il seraitsans doute possible d’éviter les catastrophes nu-cléaires, mais à condition d’entourer cette techno-logie d’un tel luxe de précautions qu’elle ne seraittout simplement pas rentable. Cela est vrai de nom-bre de technologies que le capitalisme finissanttente d‘imposer : les oGm, les nanotechnologies, labiologie synthétique, la géo-ingénierie, etc. on ou-blie que le mouvement écologique est largement né,dans les années 1960 et 1970, d’une revendication

démocratique, à propos du nucléaire, justement : lesécologistes affirmaient que le pouvoir des expertsdevait être soumis au regard des citoyens et à ladiscussion ouverte. Cette revendication reste tou-jours aussi pertinente aujourd’hui.

J’ajoute cependant que ces technologies doiventaussi être discutées au regard de leur caractère ir-réversible : le nucléaire pose un problème moral quime paraît insoluble, celui du caractère millénaire desdéchets qu’il va léguer à nos descendants ; les oGm,si on les laissait se répandre massivement, pour-raient sans doute transformer radicalement la bio-diversité. Plus que la question de« l’assujettissement par l’homme de la nature », leproblème philosophique de l’irréversibilité me pa-raît être le problème philosophique majeur posé parce type de technologies.

Jean Cor n i l a éga lement mené une in-t e r v ie w vi déo d ’Her vé Kempf pourCana l CAL e t PAC di sponi ble à ce t teadr esse  : www.youtube.com/user /canalcal#p/u/1/G13Wt7Slz6w

L’o l igarch ie , ça suf f i t , v ive la démo-cr at ie - Her vé Kempféd i t ions du Seui l , 2011Si te an imé par Her vé Kempf : www.r e-por ter r e.ne t

dossier

Hervé Kempf:revivifier notredémocratie

© J-fr rochez

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ricardo Cherent i et Br uno Poncele t sonttous deux chercheur s à econospheres.be.I ls so r tent p rocha inemen t le l i vr e «   Legrand marché t ransatlant ique  : les mul t i -na t iona les con tr e la démocr a t i e   » , f r u i td ’une enquête poussée qu’ i ls ont menéeensemble . nous les avons quest ionné surce p roje t actue l lement négocié sans pu-bl ic i té n i débat , fa i t par e t pour les mul-t ina t iona l es , e t po ten t ie l lement t rèsdommageable pour no tre système socia le t démocr at ique. Son about issement estp révu en 2015. Autrement d i t , dema in.

Vous sor tez un l i v re consacré au gr andmar ché t r ansat l ant ique . Qu’es t-ce qu ivous a amené à t r av a i l le r sur la ques-t ion ?

Amis dans la vie et chercheurs à econosphères(www.econospheres.be), nous voulions travailler en-semble sur un thème qui réunisse nos préoccupa-tions réciproques. Dans une interview, nous avonsentendu Jean-Luc mélenchon parler d’un grandmarché transatlantique se créant dans l’ignorancede tous. Ce que nous avons découvert aprèsquelques recherches nous a réellement effrayés etnous avons choisi de travailler sur ce thème.

Pour r iez -vous nous p résent er ce p r oj e tde gr and marché t r ansat lant ique et dansquel contexte i l est appar u ?

Le marché transatlantique est né quelques annéesaprès la chute du mur de Berlin, lorsque les états-Unis et l’Union européenne ont décidé, sous l’im-pulsion de puissantes multinationales, de bâtir(quitte à l’imposer) un monde de plus en plus mar-chand.Le marché transatlantique c’est la création, par lesdeux grandes puissances, d’une liberté de circula-tion totale pour les multinationales et acteurs finan-ciers sur un énorme marché de plus de 800 millionsde consommateurs, sans harmonisation fiscale, so-ciale ou environnementale. Cela passe par des ac-cords décidés avec et pour les multinationales, endehors des règles démocratiques, comme le débatpublic et contradictoire. C’est pour cela que nousne parlons plus de démocratie mais bien de lobby-cratie. Les accords se négocient au profit des mul-tinationales, contre l’intérêt général et au détrimentdes valeurs sociales ou écologiques par exemple.

Pouvez-vous donne r que lques exempl esconcre ts de conséquences de l ’en t rée envigueur d’un te l t r ai té pour les populat ionseuropéennes, que ce so ien t aux n iveauxéconomique, démocrat ique ou socia l  ?

Une multinationale cherche toujours à s’étendre, encolonisant de nouveaux secteurs (comme les ser-vices publics), en imposant ses valeurs à tout lemonde (comme le droit de propriété intellectuelle)ou en élargissant la taille des marchés (de façon àagir sans contraintes sur une zone de plus en pluslarge). Ce faisant, elles mangent les Pme ou les ré-duisent à des sous-traitants. elles peuvent égalementmettre les états en concurrence les uns contre lesautres (chantage à la délocalisation), et ainsi impo-ser leurs idées et désirs : détricotage des conquêtessociales, réduction des salaires, flexibilisation du tra-vail, attaque contre les solidarités sociales (chasseaux chômeurs, par exemple), obtention de privilègesfiscaux et endettement croissant des états justifiantune gouvernance par le haut, dans des structuresopaques bafouant une démocratie trop encombranteà leurs yeux. Soulignons le rôle assez masochiste despolitiques qui donnent aux multinationales un bâtonpour les battre.De plus, la croissance économique sans fin accélèrela prédation des multinationales et met en danger,de façon irréversible, notre environnement. nous lesavons, la terre est mise à sac, mais nous continuonsà faire comme s’il n’y avait pas de problème majeur.enfin, pour que cette « agression » des multinatio-nales puisse fonctionner, des institutions et législa-tions répressives doivent être mises en place. Lemarché prétendument « libre » est en fait très ré-pressif !

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Grand marché transatlantique:danger made in UE/USA?

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est- i l juste de d i re que le g rand marchétr ansat lant ique, c ’est un marché commun( suppr ess ion des bar r iè r es douanièr es,«  concur rence l ib re et non faussée », l ibrec i r cu lat ion des b iens, ser v ices, cap i tauxe t t rava i l leur s) comme l ’on fa i t 27 payseu ropéens avec l ’ Ue, qu i réuni r a i t cesmêmes pays avec en p lus les éta ts-Unisd ’Amér ique  ?

nous dirions plutôt qu’il s’agit d’un remodelage po-litique. on crée de nouvelles institutions (plus éloi-gnées du local) qui organisent le fonctionnement,non démocratique rappelons-le, de cette relation etmettent en place des législations transatlantiquesdans certains domaines marchands. Il y a égale-ment de plus en plus d’accords de reconnaissancemutuelle qui modifient les relations économiquessans passer par de nouvelles législations. Pour d’au-tres domaines (social, fiscal, écologique...), chacunedes puissances garde son entité, son fonctionne-ment et ses législations… laissant aux multinatio-nales le choix de s’établir dans les zones les moinscontraignantes.

A-t - il été faci le d’enquêter sur ce tte ques-t ion ? Avez-vous rencontré des obstac lesno tables ?

Si la question est de savoir si des informations sontdisponibles : oui. on trouve beaucoup de choses surinternet. mais si la question est de savoir si c’est fa-cile à trouver, la réponse est non. Les informationssont dispersées, quelques fois sommaires, et detemps en temps contradictoires. enfin, il y a un as-

pect pour lequel les informations sont quasi impos-sibles à trouver, à savoir les négociations sur les as-pects financiers.

Cet accord donne l ’ impress ion de se fa i re«dans le dos des c i toyens» . Pour quoi n’ena-t-on pas entendu par ler, y compris dansbon nombre de cerc les m i l i tants   ? Pour-quoi n’est- i l pas di scut é , par exemp le ,dans les par lements des états-membres ?Pourquoi cet te question n’est pas por téepar les méd ias dans la sphère publ ique ?

nous mettrions des nuances. L’AmI s’est négociédans le secret, au sein de l’oCDe.Dès que les citoyens ont eu vent de ces accords, ilsleur ont barré la route (raison pour laquelle on ap-pelle ces accords « Dracula » : sitôt à la lumière, ilsmeurent). Cet échec a servi d’exemple aux concep-teurs du marché transatlantique. Pour éviter lesmêmes critiques, ils ont mis en place deux straté-gies. Premièrement, il y a un dialogue continu avec« la société civile ». Toutefois, il nous faut préciserqu’ils ont changé la définition usuelle de « société ci-vile », qui exclut les acteurs commerciaux, pour unedéfinition qui inclut ces derniers en leur donnantune priorité absolue ! Deuxièmement, le travail delobbying des multinationales est aussi discret qu’im-pressionnant. Citons par exemple le TPn (Transat-lantic Policy network) qui se sert d’élus politiquesaméricains et européens pour relayer ses positions.S’il est vrai que la plupart des accords ne sont quasijamais discutés dans les parlements nationaux, cer-tains (comme la coopération judicaire transatlan-tique) nécessitent des législations nationales. mais

ils sont alors présentés sans mise en contexte,comme une nécessité « neutre » ne requérant pasde réels débats.

Le gr and mar ché est soutenu par bonnombre de membres du groupe «   Socia -l is tes et Démocr ates  » au Par lement eu-r opéen ai ns i que par le g roupeéco lo g is t e . Comment expl iquez -vous cephénomène qui semb le par adoxa l , ce lu ioù des progress is tes sout iennent un p ro-je t de l ibér al isat ion po tent ie l lement r av a-geur pour la pr otec t ion soc iale  ?

Depuis la chute du mur de Berlin (pour les socia-listes) et leur première participation gouvernemen-tale (pour les écologistes), il y a un assez largeconsensus de soutien aux valeurs néolibérales. faceà la montée en puissance des pays émergents(Chine, Inde, Brésil, russie,…), il y a aussi une vo-lonté de conserver le pouvoir en agitant la menace :« ce sera soit eux, soit nous » ! Par peur, nous pré-férons céder et penser qu’il n’existe pas d’alterna-tive. Dès lors, les valeurs néolibérales sontprésentées par tous comme inéluctables, « natu-relles », universelles... Dans ces conditions, com-ment passer outre ? Il y a un nouvel imaginairesociétal à reconstruire.

Que lles sont les menaces sur la souver ai -ne té des é ta ts-membres de l ’Un ion ? Que lpouvo ir ce t ra i té donner a i t - i l aux éta ts-Uni s d ’Amér i que ou à des str uc t ur escon jo int es (comme l ’oTAn pou r la dé-fense) dans l a déc is ion des pol i t iques,lo is e t nor mes européennes ?

on est passé d’un régime démocratique à un ré-gime lobbycratique. La souveraineté locale dispa-raît au profit d’une gouvernance « par le haut » oùles multinationales sont suffisamment puissantes etmobiles pour faire un chantage permanent : soit onrépond favorablement à leurs exigences, soit ellesvont ailleurs.Les nouvelles institutions créées par le transatlan-tisme sont des instances relativement opaques, oùles lobbys ont un rôle officiel très important et où onne peut plus parler de démocratie. Par exemple, leConseil économique transatlantique est une institu-tion créée pour négocier le marché transatlantiquedans ses aspects législatifs liés à la production, auxinvestissements et au commerce (comme l’adoptionde normes communes). C’est donc un travail poli-tique important. mais il est fait par des personnes,désignées par la Commission européenne et le gou-

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vernement américain, qui n’ont pas à répondre deleurs décisions devant les parlements. Ses positionsne font pas l’objet d’un débat public. Peu de ses tra-vaux sont traduits. Ce Comité n’est donc pas démo-cratique.

Dans le cadre de ces négoc iat ions rev ientsouvent l ’ i dée de la c réa t ion d’un   «   es-pace de l iber té , de sécur ité et de just ice »potentie l lement danger eux pour les l iber-tés publ iques. Par exemple , les donnéesper sonnel les de tous les ci toyens de l ’Ueser a ient par t agées avec l es auto r i t ésamér i ca i nes, l es lo is ant i te r ro r is tes USs ’app l i quer a ien t sur le te r r i t o i r e eu ro-péen… Pouvez-vous nous en d i re p lus ?

C’est sous l’impulsion des états-Unis (et avec l’ac-cord des autorités européennes) qu’on assiste à unemontée en puissance des législations répressives.Sous prétexte de lutter contre le terrorisme, les deuxblocs mettent à mal des principes démocratiques fon-damentaux : droit à la vie privée, droit à un procèséquitable, droit de manifester. Donnons un exemple :par l’échange international de données personnelles,il y a un fichage et un espionnage de tout un chacun.Ainsi, le parlement européen a voté une loi obligeanttous les fournisseurs d’accès aux communications(GSm, Internet...) à conserver les données deconnexion : qui appelle qui, combien de temps, dequel endroit, etc. ? De même, le droit de se rassem-bler et de manifester peut être fortement cadenassépar les autorités si elles estiment qu’il s’agit là d’une« contrainte indue » à leur encontre. Le champ sé-mantique du terme étant volontairement très ouvert,on pourrait ainsi qualifier de « terroriste » tout mou-vement social trop dérangeant, par exemple pour lesmultinationales.

Au-de là du marché tr ansatlant ique, n’y a-t - i l pas un souci avec le fonc t ionnementdes inst i tutions de l ’Un ion européenne  :opac i té des négocia t ions (cf. l ’ACTA) oulobbies économiques intégrés aux str uc-t ures po l i t iques (Commiss i on, euro-par -lement) qu i jouent le rô le de consul tantse t par fois même -dit -on- de rédacteur s decer taines lois et di rec ti ves européennes.Les récents cas de cor r upt ions d’eurodé-putés -susci t és par la p resse- révè lent-i ls les déri ves ou bien les conséquencesd ’un tel système lobbycra t ique  ?

Il y a, autour de la Commission européenne, 15.000lobbyistes. Certains sont des représentants de pe-

tites structures peu influentes, mais beaucoup sontdes représentants de multinationales. Ces dernierssont souvent des spécialistes, bien armés, avec desmoyens puissants et des relais efficaces. Deuxchoses à ce propos. D’abord, dans leurs discours,les autorités considèrent que c’est « normal » et queles lobbys ne font que donner une information per-tinente sur les attentes de la société civile. ensuite,quand on analyse les revendications des lobbys etles décisions politiques, on peut effectivement diredes lobbys qu’ils tiennent la plume pour rédiger leslois. Les cas de corruptions ne sont qu’un arbre ca-chant une forêt. C’est un système profondément an-tidémocratique qu’il faut changer radicalement. or,jusqu’à présent, la seule proposition de l’Ue pourmettre de l’ordre, c’est d’imaginer que les lobbysdevraient être agréés avant d’intervenir. franche-ment où est l’amélioration ?

Q ue fa i r e pou r empêc her que le g r andmar ché t r ansat lant ique so i t adopt é parl es ins tances eur opéennes   ? Commen ts ’or ganiser et que ls sont les mots d’o r-d re  à fa i re passer ?

Il nous faut faire ici une remarque importante.Lorsqu’on dit que le marché transatlantique doitêtre finalisé pour 2015, cela ne veut pas dire qued’ici là il n’y a que des préparations. La mise enplace est graduelle, et se renforce à chaque nou-velle décision. 2015 est une date symbolique, des-tinée à motiver les négociateurs, au-delà de laquellele travail législatif se poursuivra (comme il se pour-suit avec le marché unique européen… officielle-ment achevé depuis 1993  !). Il y a donc deuxchoses : un, il faut arrêter l’avancement du marchéet deux, il faut détricoter ce qui a déjà été fait.

Pour cela, il est nécessaire de : - rendre publiques ces négociations très discrètes ;- faire prendre conscience qu’il y a des intérêtscommuns entre des mondes qui se pensent souventcomme divergents. Par exemple, dans ce marché,les Pme ont autant à perdre que les travailleurs.Les journalistes, attachés à juste titre à la protectionde leurs sources, autant à perdre que les citoyens,etc.

enfin, une plateforme de mobilisation se met enplace via un site Internet www.no-transat.be où cha-cun pourra, dès la mi-mai, trouver des informations,et se positionner contre le marché transatlantique.

mais plus que tout, il nous semble important de direqu’un nouvel imaginaire collectif est tout à fait pos-

sible et que nous pouvons choisir ensemble d’au-tres valeurs que celles basées sur le profit et la mar-chandisation du monde, la compétition de touscontre tous, l’individualisme forcené, l’intérêt parti-culier… C’est possible, mais cela demande un en-gagement minimum, celui de dire non aux valeurstransatlantiques et de créer un débat sur les valeursque nous, citoyens, voulons voir porter par les po-litiques.

Propos recue i l l i s par Auré l ien Ber th ier

r icardo Cherent i , Br uno Poncele tLe gr and marché t r ansat lantique,Les mul t ina tionales contr e la démo-cr at ieBr uno Lepr ince , Co l l . Pol i t ique àgaucheA para î t re au p rintemps 2011www.br uno-leprince. f r

r icardo Cher ent i v ient du monde so-c i a l . Son engagement s ’ est expr imédans la lut te contr e la pauvr eté e t lar emise en ques t ion des tenan ts del ’ imag ina i re co l l ect i f, comme l e rô ledu P IB ou le concep t de r i chesse .Br uno Ponce let a , quant à lu i , long-t emps t r ava i l lé dans l ’as soc ia t i fb r uxe l lo i s ( envi ronnement , ant i r a -c i sme, sans-abr i s , sans-pap ier s…)avant de devenir fo r mateur syndica l .Pass ionné d’anthropologie , i l mi l ite ett r ava i l l e à une ré f lex ion su r l esmythes de la moder n i té .

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Moins d’opacité,plus de débats

marc Tar abe l la , député eur opéen soc ia -l is te depuis le 16 ju i l le t 2009, nous l iv rei c i s a pos i t i on sur l e p ro je t de marc hétr ansat lant ique.

Je suis un homme d’ouverture mais l’ouverture nepeut se faire à n’importe quel prix. Par exemple, jen’ai jamais été contre la libéralisation des marchésmais par contre je n’accepte pas que les citoyens etles travailleurs puissent en devenir les victimes. enBelgique, force est de constater que l’ouverture decertains marchés à outrance, sans réel contrôle n’apas fait baisser le prix des services ni augmenter laqualité de ceux-ci. Par contre la libéralisation estdevenue avec la crise l’alibi parfait à nombre delicenciement.

De la même manière, peut-être n’est ce pas le mar-ché transatlantique le problème mais  bien lesnormes d’encadrement et de contrôle.

Il ne faudrait pas que l’on assiste au triomphe descadres économiques structurels néolibéraux dansune soumission à la puissance étasunienne.A un moment où le Parlement européen veut légi-férer sur le travail des lobbys, il ne faudrait pas quela démocratie devienne le terrain de jeu des multi-nationales qui, d’un claquement de doigts, feraitpencher des décisions dans un sens ou dans unautre. Jusqu’à preuve du contraire, nous représen-tons tous les citoyens !

Certains thèmes m’interpellent dans cette résolu-tion : que ce soit celui sur l’échange de donnéespersonnelles ; sur la demande d’intégration desmarchés financiers avec convergence des cadresréglementaires actuels et suppression de toutes en-traves aux échanges ; ou encore la libéralisation desinvestissements étrangers grâce à une « législationayant une incidence territoriale sans consultation niaccord préalable », ...

Pourquoi toujours mettre l’accent sur la concur-rence et exacerber les forces en présence. Dansnombre de matière, ne pourrait-on pas jouer lacarte de la complémentarité ?

Pour la Commission,  le partenariat transatlantiquedoit demeurer une pierre angulaire de l’action ex-térieure de l’Union, le but de cette résolution est af-firmé sans détour : il s’agit de construire « unvéritable marché transatlantique intégré, qui devraêtre établi d’ici à 2015, fruit du travail du Conseiléconomique transatlantique (CeT) ». Soit. mais il estimportant pour le citoyen que tout se fasse dans la

plus grande transparence : Le CeT qui veillera no-tamment à l’harmonisation des législations pour fa-ciliter l’approfondissement du marchétransatlantique, sera conseillé entre autres par desreprésentants du monde de l’entreprise, et d’autrespersonnes désignées par la Commission et les Amé-ricains. Ces personnes ne doivent pourtant pas ré-pondre de leurs travaux devant les parlements.

Le marché transatlantique n’est pas nécessairementune mauvaise chose. Dans l’histoire, ce ne seraitpas la première fois qu’on se méfie d’un change-ment si important. Ce qui est plus gênant est l’opa-cité qui règne autour de cette thématique. Desdébats sur la place publique, moins d’opacité mesemblent être indispensable avant même d’imagi-ner pouvoir aller plus loin. et plus important quetout, il est temps de remettre le citoyen au centredes préoccupations et peser objectivement lesconséquences sur lui, car un marché qui ne feraitle bonheur que d’une infime minorité n’aurait riende démocratique.   

marc Tarabel la

Démasquer le marché transatlantique

T hier r y Bodson, Secréta i re Généra l de lafGTB wal lonne, ind ique le l ’oppos i t ion del a fGTB wa l l onne au p ro je t de marc hét r ansat lant ique e t que l ques ou t i ls dé jàm i s en p l ace pou r r endr e v i s ib le e t dé-noncer ces négoc iat ions.

Il y a quelques mois, la fGTB wallonne a découvertqu’un marché transatlantique se négociait en toutediscrétion au niveau de la Commission européenneet des autorités américaines. en octobre 2010, unematinée de réflexion a été organisée à ce sujet, àl’occasion d’une invitation faite à Jean-Lucmélenchon (Président du Parti de Gauche) de venirdébattre avec nous d’enjeux sociaux et syndicaux.

en renforçant les mécanismes de compétitivité déjàà l’œuvre avec le marché unique européen, sansaucune harmonisation par le haut des législationssociales, fiscales ou écologiques, ce marché trans-atlantique va renforcer les pratiques de dumping(chantage à l’emploi, exigence de réductions d’im-pôts, pression sur les salaires…) exercées en touteimpunité par le monde patronal depuis des années.on peut craindre ainsi  une précarisation accrue destravailleurs, de nouveaux cadeaux fiscaux aux en-treprises, ainsi qu’une intensification de la chasseaux chômeurs - autant de pratiques que la fGTBwallonne condamne depuis de nombreuses années.

en outre, ce marché est inacceptable parce qu’ilconfisque l’autonomie politique (et la souverainetélégislative des parlements) au profit des multinatio-nales et des marchés financiers, qui exercent un tra-vail de lobbying d’une intensité inacceptable endémocratie. Par exemple, qui sait que 6 % des Par-lementaires européens actuels sont membres duTransatlantic Policy network, un réseau qui sertavant tout les intérêts des grands patrons ?

C’est pourquoi, à l’initiative des Interrégionales Wal-lonne et Bruxelloise de la fGTB et en collaborationavec le CePAG, une journée de sensibilisation a étéorganisée le 21 mars dernier avec deux chercheurstravaillant sur ce thème depuis deux ans. Le but decette journée était de commencer un travail de sen-sibilisation auprès du monde syndical, associatif,académique et culturel pour révéler l’existence dumarché transatlantique.

Ce travail de sensibilisation va se poursuivre dansles mois à venir, avec l’organisation de confé-rences/débats sur le contenu et les enjeux du dos-sier (toute organisation désireuse de contribuer àce travail de sensibilisation peut contacter la per-sonne de référence à l’adresse suivante  :[email protected]).

Une plateforme d’opposition au marché transatlan-tique sera lancée début mai via le site www.no-transat.be. Les internautes pourront y signer letexte d’opposition au marché transatlantique,consulter l’agenda des activités de la campagne demobilisation, et obtenir des informations complé-mentaires sur les conséquences des accords trans-atlantiques. Cette plateforme se veut large etouverte à tous les citoyens.

Le but sera de provoquer un sursaut démocratique,de perturber le planning des négociations et d’an-nuler les accords déjà signés. Plus généralement, ils’agit d’arrêter la soumission du monde politiqueaux logiques marchandes, les intérêts des multina-tionales et des marchés financiers passant trop sou-vent pour neutres, nécessaires et naturels, alorsqu’il sont en réalité subjectifs, antisociaux, antidé-mocratiques et tout à fait intenables sur le plan en-vironnemental.

C’est pourquoi cette campagne contre le marchétransatlantique s’inscrit en complément à d’autresactions que nous menons : par exemple contre le« pacte pour l’euro », ou contre la rémunérationcroissante des actionnaires au détriment des sala-riés.

T h ier r y Bodson

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Un des obs tac l es , me semb le- t - i l , à laconstr uc t ion d’une al te r nat i ve au modèledominant de gouver nement du monde, enest la re la ti ve absence en dehor s des dis-cour s e t des imag ina ir es. Comment ene ffet tr acer un chemin crédible s i tous nosrêves e t nos espér ances ne f igurent quedans les l i v res e t dans les mots ?

Il y a comme une abondance d’essais et de pro-grammes pour un autre monde, de « La Voie » d’ed-gar morin ou « Pour changer de civilisation » demartine Aubry, de « Tu dois changer ta vie » de PeterSloterdijk au très passionnant et collectif « Penser àgauche », aussi stimulants soient-ils, mais trop raresme paraissent les incarnations dans le réel de cesidéaux, malgré le foisonnement d’expériences al-ternatives et citoyennes dans la société civile. Plusclairsemés encore les projets gouvernementaux etles politiques publiques qui rompent réellement avecles vents dominants. C’est pourquoi, malgré les évi-dentes imperfections, les échecs et la difficulté detransposer dans d’autres conditions économiqueset culturelles, il est intéressant de se pencher, avectout l’esprit critique adéquat, sur des expériencespolitiques qui privilégient des options opposées àl’anthropologie capitaliste qui prédomine à la desti-née de notre planète.

Le BnB  : Une eXPérIenCe ConCrÈTe

Prenez l’exemple du Bhoutan, ce petit royaumecoincé, entre l’Inde et la Chine, dans les replis del’Himalaya, 900.000 habitants et une des plusjeunes démocraties du monde. Ce pays a connu unecertaine notoriété pour avoir inscrit dans sa Consti-

tution le Bonheur national Brut (BnB) ce qui« pousse, comme l’écrit Ursula Gauthier, vers unesociété plus équitable via la généralisation des ser-vices sociaux  ». et, de fait, le niveau de vie desBhoutanais atteint aujourd’hui un niveau bien su-périeur à celui des Indiens, des Birmans ou des né-palais.

Le BnB est un indicateur de bien-être alternatif auPnB, qui est exclusivement quantitatif et ne prendpas en compte les inégalités sociales ou le bien-êtredes citoyens, construit en associant à la fois les as-pects matériels (le revenu ou la distance de l’hôpi-tal le plus proche) et des aspects plus personnelscomme le bien-être psychologique et le bien-êtrespirituel des Bhoutanais. Au-delà des débats tech-niques, l’intérêt du BnB est qu’il indique clairementla volonté des autorités de tracer un chemin pour lapopulation, fondé sur le maximum de bien-être ma-tériel, psychologique et spirituel, en alliant le déve-loppement économique, la préservation desécosystèmes et des cultures traditionnelles et l’éga-lité entre les citoyens.

AU-DeLÀ DeS ConTrADICT IonS

Bien évidemment, cette expérience, fondée sur lesvaleurs bouddhistes, est éloignée de l’univers men-tal de l’occident. Bien évidemment, les conditionssocio-économiques et géographiques n’ont rien decomparable avec nos contrées. Bien évidemment,les imperfections sont légion : du côté du népal,certains voient le Bhoutan comme une autocratiemoyenâgeuse imposant le costume national, refu-sant d’accueillir les réfugiés népalais, voire complicede nettoyage ethnique. Il faut souligner le tourisme

de luxe, le chômage et le matérialisme qui envahis-sent les jeunes générations : pas facile de tenter dese développer en dehors de la mondialisation libé-rale, loin de l’empire de techno-sciences et desgrandes marques internationales.

Il n’empêche que, malgré ses contradictions, cettemonarchie constitutionnelle présente une empreintecarbone négative, le maintien volontariste de sacouverture forestière, un niveau de vie appréciableen regard de ses voisins et le soutien à sa cultureancestrale face au mainstream planétaire. Un étatqui ne mise pas tout sur la croissance et se veut lechantre d’un modèle alternatif de développement.C’est si rare dans le concert des nations qu’à toutle moins un regard attentif s’impose sur cette petitemélodie pas comme les autres.

Jean Cor n i l

Pour en savoir p lus :- Le Bhoutan, Au p lus secr et de

l ’Himalaya , fr anço ise Pommaret ,Découver tes Gal l imard , 2005.

- Une écolog ie du bonheur , er ic Lam-b in, Les essais du Pommier, 2009.

- Voya ge au cœur du bonheur br ut ,U r su la Gauth ie r, Le nouvel obser -v ateur, n°2404, décembr e 2010.

- Le bonheur b r ut , Ar naud Grégoire ,webdocumenta i re , 2010.

h t tp: / /b log. leso ir.be/bonheurbr ut /le -webdocumenta i re

Le Bhoutan:la recherche du bonheur comme modèle de développement

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L’expérience révolutionnaire de la commune de Paris

I l y a 140 ans, à la f aveur d’une s i tuat ionmi l i tai r e dé l ica te, le peup le s ’empare dupouvoir à Paris le 18 mar s 1871. Un en-semble de mesur es progr ess is tes et au-dac ieuses sont a lo r s p r is es. S i laCommune se te r mine t r ag i quement aubout de deux mois par une répr ess ion demasse , la «  Sema ine sanglante » du 21 au28 ma i 1871, les idées e t ac tes de ce vé-r i table labor ato i re soc ia l cont inueront ài r r iguer la pensée soc ial is te jusqu’à nosjour s. re tour sur les évènements.

© Col lec tion our s-Par is

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LoUISe mICHeL,

«  LA V IerGe roUGe »…

née en 1830, Louise michel est élevée dans le cultede la philosophie des Lumières. Institutrice dans leprivé, elle « monte » à Paris. La Commune de 1871la révèle : la « Vierge rouge » sert comme ambulan-cière et, à l’instar de nombreuses femmes, participeaux combats. Arrêtée, elle est condamnée à huit ansde prison. Courageuse, elle lancera à ses juges : « Sivous n’êtes pas des lâches, tuez-moi ! ». elle est dé-portée en nouvelle-Calédonie où elle se dévouesans compter pour ses compagnons d’infor tune,mais aussi pour les Canaques, organisant des infir-

meries et des cours d’alphabétisation. À son retour en 1880, ne quittant jamais ses habitsnoirs symbolisant le deuil (celui de la Commune etcelui de Théophile ferré, fusillé en 1871, qu’elle aaimé), elle reprend son activité militante portée versl’anarchisme, écrit et manifeste.Cette écorchée vive décède le 9 janvier 1905 à mar-seille. Son corps est rapatrié à Paris et son enter-rement suivi par cent mille femmes et hommes.Jean-Baptiste Clément (lui-même communard) luidédie en 1885 sa célèbre chanson, Le Temps descerises avec ces mots : « À la vaillante citoyenneLouise, l’ambulancière de la rue fontaine-au-roi, ledimanche 28 mai 1871 ». La bluette devient alorschant révolutionnaire.

La Commune de Paris naît d’un échec militaire : laguerre engagée par napoléon III contre la Prusse serévèle désastreuse, et se termine par la capitulationde Sedan le 1er septembre 1870. Les 3 et 4, à Paris,la république est proclamée, un « gouvernement dedéfense nationale » est constitué. Suivent en février1871 des élections législatives, qui voient le succèsdes conservateurs. Adolphe Thiers devient « chef dupouvoir exécutif de la république française ». mais leconflit se noue rapidement avec Paris, qui a voté ré-publicain, alors que le gouvernement a laissé s’ar-mer le peuple avec des bataillons de gardesnationaux. Leur Comité central, dans lequel figurentnombre de militants révolutionnaires, demande une« Commune issue du peuple ».

L’incident décisif survient le 18 mars quand Thiersdonne l’ordre de retirer les canons de la garde na-tionale sur la butte montmartre. La foule s’y oppose,deux généraux sont fusillés : le gouvernement quitteParis pour se réfugier à Versailles.Le Comité central de la Garde nationale assume l’au-torité dans la ville. Il organise des élections à laCommune, où votent surtout les quartiers popu-laires de la capitale : une coalition de blanquistes, derépublicains jacobins et de militants proudhonienset internationalistes l’emporte.

L’ŒUVre De LA CommUne

Les mesures prises par la Commune permettentd’avoir une idée de la nature de sa politique. Lespréoccupations démocratiques l’emportent avec laproclamation du suffrage universel (dont les élussont révocables à tout moment), de la séparationde l’église et de l’état, d’une instruction publiqueobligatoire, gratuite… et laïque, de la suppressiondes armées permanentes. Une commission du tra-vail et du commerce prend toute une série de me-sures sociales. Les unes touchant la vie quotidienne,comme l’interdiction du travail de nuit des boulan-gers, la remise aux locataires de deux termes deloyer, un prix minimal de travail à la journée. Les au-tres ont un caractère plus socialiste, comme la pré-férence accordée pour les marchés publics auxcoopératives de production.

mais les jours de la Commune sont vite comptés,sur fond de divisions internes, sous la menace del’armée de Versailles et sous le regard de l’arméeprussienne qui encercle le nord et l’est de la capi-tale. La garde nationale n’arrive pas à briser l’en-cerclement. La ville est affamée et isolée.

L’assaut final est donné le 21 mai, avec l’entrée desVersaillais dans Paris. Les derniers combats se dé-roulent dans le cimetière du Père-Lachaise, puisdans le XXe arrondissement. Il y a au moins 3.000

tués ou fusillés du côté de la Commune pendant lescombats, et sans doute près de 20000 exécutéssommairement dans les semaines qui suivent, sou-vent sans jugement. Plus de 40.000 personnes sontarrêtées, et 13.500 sont condamnées à la prisonet à la déportation. Quelques milliers réussissent àpartir en exil. Une loi d’amnistie, en juillet 1880, leuraccordera à toutes et tous la grâce.

LA CommUne eT Le SoC IALISme

La Commune a-t-elle nourri une politique socialiste ?elle n’en a pas eu le temps. elle a été, qui plus est,dominée par la passion d’un nationalisme blessé.Les interprétations ont oscillé selon les orientationsidéologiques. marx lui-même a pu écrire, à la fois,qu’elle a été « la forme politique enfin trouvée per-mettant de réaliser l’émancipation du travail » et que« la grande mesure sociale de la Commune, ce fut sapropre existence ». elle a, cependant, posé des pro-blèmes qui étaient jusque-là seulement débattus :la nature de l’état, la pertinence du fédéralisme, lerapport entre la démocratie et le socialisme, le pa-triotisme et l’internationalisme. Les socialistes desdécennies suivantes y puiseront matière à d’amplesréflexions.

Denis Le febvreSecré tai r e génér a l de l ’oUrS

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© Co l lec t ion our s-Par is

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J ean Cor n i l qu i écr i t régul ièr ement dansnos pages, rev ient d’une m iss ion en Bo-l iv ie qu i v isa it la créat ion là -bas d ’un Cen-t re pou r l ’éga l i t é des chances. I l nousr amène un r epor tage qui re la te ses im-press ions g lanées dans le pays d’evo mo-r a l es où les t r ansfor mat i onsdémocr a t iques e t p rogr ess is t es son t àl ’œuvre .

Avril 2011. Je suis assis dans un grand immeublede La Paz, la capitale politique de la république deBolivie. Séminaire sur la lutte contre les discrimina-tions, dans un pays qui compte plus de 60% de sapopulation d’origine indienne. A mes côtés la re-présentante des nations-Unies pour les droits del’homme et la ministre de la Justice, nilda Copa.

nilda Copa est jeune, indienne, habillée selon lestraditions vestimentaires de l’indianité. Jupe de cou-leurs vives et haut chapeau noir arrondi. Ses deuxGSm n’arrêtent pas de grésiller. Ses conseillers, encostume-cravate, virevoltent autour de leur minis-tre. Au premier rang, un blanc moustachu, généraldes forces armées de la Bolivie. À ses côtés, un deshauts responsables de la marine, dans ce pays quia perdu son accès à la mer.

La symbolique me frappe. Les militaires qui écoutentavec attention la ministre du président evo morales.Quel renversement ! Il y a encore quelques décen-nies, l’Amérique latine illustrait les peuples écraséssous la botte des juntes armées. Pinochet et Viledaqui avaient anéanti les espérances de l’unité popu-laire de Salvador Allende et les processus égalitairesà Buenos Aires. Aujourd’hui, à La Paz, tout en hautde la Cordillère, dans ce pays où a été assassiné leChe et capturé Klaus Barbie, dans ce pays où, pourla première fois, un Président est d’origine indienne,les traditionnels représentants de l’ordre, de la sé-curité, souvent de l’oppression et de la torture, at-tendent sagement et respectueusement la fin dudiscours de la ministre, issue de l’indianité. Sommes-nous toujours dans la même Amérique latine ?

Quelques jours auparavant, je traversais le Pérou,de Cusco au lac Titicaca, en pleine campagne pré-sidentielle. Le candidat de la gauche, ollanta Humala,est arrivé en tête du premier tour. Suivi par la fille defujimori, l’ancien chef de l’état, corrompu et traduit

devant les tribunaux. rien n’indique qu’ollanta l’em-portera tant les forces conservatrices, les médias,l’oligarchie foncière et les intérêts multinationauxsont puissants. Verdict le 5 juin. mais imaginez unpeu la victoire d’un indien à Lima. Après la Bolivie,l’équateur, le Venezuela. Après la victoire des forcesde la solidarité à montevideo, à Brasilia, à BuenosAires, au-delà des différences politiques et des spé-cificités nationales. À quelques malheureuses excep-tions près, de Bogota à Santiago, ce serait tout uncontinent qui basculerait dans les espoirs de solida-rité et de fraternité. Vu l’état de la gauche en europeet ailleurs dans le monde, voilà une formidable bouf-fée d’air pour le droit des peuples et la dignité desdamnés de la terre.

La veille, au soir d’une rencontre très émouvanteavec la communauté afro-bolivienne de La Paz, descitoyens encore plus discriminés que les indiens parl’arrogance métis et créole de la bourgeoisie locale,nous avons assisté au spectacle « Les veines ou-vertes de l’Amérique latine » d’après le superbe récitd’eduardo Galeano, paru en 1971. Une saisissantereconstitution de toutes les dominations, des espa-gnols aux français, des Anglais aux Américains, etde tous les esclavages qui ont décimé hommes,femmes et enfants pendant des siècles. Pour lesucre, le café, le caoutchouc, l’or, l’argent, le gaz, lepétrole, la coca. et toutes les résistances qui se sontlevées, de Bolivar à Sandino, de Lula à Correa, pourrefuser l’ordre dominant du capitalisme occidental.Des civilisations se sont effondrées, des mayas auxIncas. Des peuples exterminés, par la variole et ladictature. Des militants martyrisés, de Victor Jara àtous ces anonymes disparus et dont les mères, in-lassablement, réclament justice. Aujourd’hui, aprèstant de souffrances et de tragédies, les peuples detout un continent dressent le poing.

Ce poing dressé, cette revanche des peuples tantmassacrés torturés, niés dans leurs identités, domi-nés et exploités par l’europe puis par les successivesadministrations de Washington, s’illustrent magnifi-quement par l’arrivée au pouvoir de morales et deChavez, de Kirchner et de Dilma rousseff, de Correaet peut-être de ollanta… Chacun, à son rythme etselon les circonstances nationales, veut rompre avecle néolibéralisme, plus ou moins encadré par des ré-gimes militaires, qui a prévalu pendant des décen-nies. Les politiques sociales, la défense de

l’environnement, la réappropriation par l’état de sonrôle moteur dans l’économie, la nationalisation, plusou moins avancée, des ressources naturelles, malgrél’opposition, parfois violente, des aristocraties et despropriétaires fonciers, toutes ces politiques coura-geuses, bien éloignées des atermoiements de la so-ciale-démocratie du vieux continent, représententaujourd’hui un phare pour la gauche mondiale.

Ce qui me frappe, c’est souvent l’exceptionnelle dés-information en europe sur ces processus de trans-formation sociale et culturelle. Quelle erreur… Quelcontresens… De Caracas à La Paz, la presse, to-talement libre, tire à boulets continus, via leschaînes de télévision privée, contre les gouverne-ments démocratiquement élus. Dans la capitale duVenezuela, j’ai arpenté les sentiers des bidonvilles,perchés sur les hauteurs : des centres de santé,des coopératives alimentaires, des créations cultu-relles. en revanche, dans la capitale administrativede la Bolivie, Sucre, jusqu’il y a peu les femmes nepouvaient pas accéder aux places publiques en cos-tume traditionnel. Une insupportable discriminationà laquelle le gouvernement morales a mis fin.

Ce printemps des peuples en Amérique latine lèveles enthousiasmes et les résistances. mais ces mé-tamorphoses restent fragiles tant les ennemis de laplèbe sont vigoureux et déterminés, de la critiquedes armes aux armes de la critique. Une des plusgrandes figures intellectuelles de notre temps, Al-varo Garcia Linera, intellectuel engagé aux côtés du« nelson mandela de l’Amérique latine », vice-prési-dent d’evo morales, inspiré par Antonio Gramsci etPierre Bourdieu, évoque dans certains textes cepoint de bifurcation d’un état, d’une révolution, d’unprocessus radical de changement social et culturel.Ce point de bifurcation, ce moment de confrontationdes forces, est proche, pense-t-il, pour son pays. Ill’est pour tout un continent. C’est historique. C’estaussi le moment de ne pas trop hésiter pour unegauche européenne, parfois trop sensible aux si-rènes du compromis et d’une propagande qui veutétouffer, sous le nom de populisme, l’émancipationdes peuples. el pueblo, unido, jamás,….

Jean Cor n i l

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Les printemps des peuples de l’Amérique latine

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Le mouvement des révo lut ions qu i secouele monde arabe depuis janvier dernier a dé-buté en Tunis ie. retour sur les événements,car actér ist iques et per spect i ves de l ’après-révo lut ion.

Depuis le 7 novembre 1987, la Tunisie vivait sous lejoug du régime de Zine el-Abidine Ben Ali. Les chosesn’avaient pourtant pas si mal commencé : Ben Ali ren-versait ce jour-là le régime de Habib Bourguiba, dé-mocrate et laïque au début de son règne, mais, affaiblipar la maladie, de plus en plus autocrate et sous in-fluence de proches soucieux de profiter au maximumdes années de règne du père de l’indépendance tu-nisienne. Dans les mois qui suivirent son arrivée aupouvoir, Ben Ali tiendra ses promesses. Les prison-niers politiques sont libérés  : un vent de réformessouffle sur le pays. L’état de grâce durera environ 2ans. La pression islamiste en Algérie (le front isla-mique du Salut gagne les élections, l’armée prend lecontrôle du pays pour empêcher l’installation d’ungouvernement religieux) et quelques troubles interneseux-aussi fomentés par la mouvance islamiste vontpermettre à Ben Ali d’installer un régime policier etnon démocratique. et cela a duré plus de 20 ans…avec, périodiquement, des parodies électorales avecdes scores pour le quasi unique candidat supérieur à95 % !

Il ne faut pas se tromper : si quelques voix osaientparler de libertés, de droits de l’homme et de démo-cratie, la majorité des Tunisiens se sont accommodésde ce régime qui a fait de la Tunisie le pays le plusprospère de la région et ce malgré l’absence de res-sources naturelles. Une prospérité qui a permis au ré-gime de maintenir un réseau scolaire et de santé élevéet même, fait rare dans le monde arabo-berbère, deslibertés spécifiques pour les femmes et les enfants.L’échange inconscient était donc clair : absence des li-bertés fondamentales (et acceptation du népotisme)

contre prospérité et couverture sociale. Chacunconnaissait la ligne à ne pas franchir.

La majorité des états, france en tête, bien que n’igno-rant pas les manquements graves du régime, s’en ac-commodait. et, chaque année, 3 à 4 millions detouristes, parqués dans de beaux hôtels, venaient té-moigner que tout était pour le meilleur des mondes.

Tout aurait pu continuer encore longtemps… c’est ceque le régime et la grande majorité des observateurscroyaient. Qu’est-ce qui a dérapé ?

LA f In D’Une GénérATIon

Tous les pays actuellement secoués par ces volontésde changement sont dans une pliure générationnelle.Une génération dure plus ou moins 25 ans. or, tousces états ont acquis leur indépendance il y a près de50 ans. Deux générations donc. La première, celle despères de l’indépendance, est intouchable car revêtuede la légitimité de leur lutte victorieuse. (Bourguibaen Tunisie). La seconde, qui prit le relais dans les an-nées 70 et 80, plus ou moins violemment, a construitson action en mettant l’accent sur l’économique. Lespremiers résultats furent plutôt encourageants jusqu’àce que les crises économiques répétées mirent fin àla croissance et provoquèrent mécontentements et ré-voltes. Quand les schémas de gestion de cette géné-ration apparurent clairement obsolètes (souvent avecla confirmation de leur enrichissement personnel), lechangement générationnel devint indispensable…Ce fut le cas de la Tunisie. C’est aussi le cas de l’egypteet de d’autres pays du monde arabes ou même del’Afrique sub-saharienne.

reL IG Ion eT moDernITé

La révolution tunisienne peut être considérée commela première digital revolution en ce sens que les

moyens de communications ont formidablement accé-léré les événements en tissant des liens entre des per-sonnes qui n’avaient pas nécessairement quelquechose en commun. Avec pour corollaire la multiplica-tion des acteurs et l’absence de leaders charisma-tiques. Les structures traditionnelles sont contournées(dont les partis) et les forces de sécurité sont dansl’impossibilité de contrôler le flux.Cette impossibilité d’organiser le contrôle permetaussi une importante liberté de ton. Comme en 68sur les murs de Paris l’imagination est au pouvoir,mais ici amplifiée et rapidement redistribuée. La formeest inventive et il n’y a pratiquement plus d’autocen-sure. Les jeunes internautes n’acceptent plus quel’état et la religion (même s’ils demeurent majoritai-rement croyants) les empêchent de vivre dans la mo-dernité du monde. est-ce un hasard si des messagesprônant la laïcité circulent entre les messages de na-ture plus politiques ?

fin d’une génération, épuisement des régimes, au-tisme de l’occident, outils au service de la circulationdes idées… autant d’éléments qui ont alimenté –etalimentent toujours- l’effervescence d’aujourd’hui.Certains prédisent que, comme le temps des ceriseset le printemps 68, les révolutions arabes s’essouf-fleront au profit des structures politiques, religieuseset traditionnelles. Certains imaginent que des régimesde type iranien se mettront en place. Je crois aucontraire que le vent des libertés ne s’essoufflera pas.Des formes nouvelles sont en gestation. La révolutiontunisienne, celles qui ont suivies et celles qui se pré-parent, ne vont pas seulement provoquer un change-ment à court terme. on n’arrêtera plus l’envie deliberté de la jeunesse. C’est une leçon pour tous.

A lexi s Dou ta in

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Révolution:la leçon tunisienne

« The Los t Sp r ings » mounir fa tmi

(Gale r ie Hussenot)

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Pasca l Chabot est ph i l osophe . Son der -n ie r l i v re , Les sept stades de la ph i loso-ph ie est lum ineux . Un l i v r e que chacunpeut s ’approprie r dans sa ré f lex ion per-sonne l le e t son engagement de c i toyenb ien é loigné des austèr es t ra i tés de phi-l osophie , réser vés aux spéci a l i s tes . I lmontr e avec émot ion e t convic t ion que laphi losophie est un ac te s imp le, immer gédans no tr e v ie , l o i n des a bs tr ac t i onsthéor iques e t des débats académiques.

Henr i Bergson , que vous c i t ez souven t ,écr iv ai t   : «   Phi losopher est un acte s im-p le. P lus nous nous pénétrerons de cet tevér i té , plus nous inc l inerons à fai r e sor-t i r la ph i losophie de l ’école e t à la r ap-procher de la vie » . en quoi la phi losophiepeut-el le nous a ider à m ieux vi vre  ?

Une tradition assez répandue en philosophie vou-drait que cette discipline soit inutile, car ce seraitpour elle déchoir que d’avoir une utilité. Je prendsle contre-pied de cette thèse, car dans ma vie la phi-losophie s’est révélée nécessaire, et même indis-pensable. C’est pourquoi j’ai voulu, dans ce livre,explorer les liens entre la vie et la théorie, ce quimène en effet à rapprocher la philosophie de la vie,comme le dit Bergson. Si la philosophie peut nousaider à mieux vivre, c’est d’abord parce qu’elle in-terroge ce que serait une bonne vie. mais elle n’enreste pas à l’interrogation. À mon sens, elle opère,elle a des fonctions qu’elle applique à une question :élucider, libérer, se connaître, transmettre, pros-pecter, transformer et réjouir. Être philosophe, c’estpenser que ces opérations intellectuelles permet-tent de mieux vivre.

m i che l Ser r es éc r i t que «   Ph i losopher,c ’est ant ic iper la civ il i sat ion à venir  » . J ’a ibeaucoup a imé le s tade «  Pr ospecter » e tl ’exemple d’emmanuel Kant sur son proje tde paix per pétuel le ou de devo ir d ’hospi-ta l i té. La phi losophie peut-el le modeste-ment nous éc la i re r sur les chemins desa l ter nat i ves à la pesanteur du présent  ?

Il me semble, oui. et vous avez raison d’utiliser l’ad-verbe « modestement », tant il est vrai que c’est sou-vent sans aucune modestie, mais avec la conviction

de détenir une vérité incontestable, que la philoso-phie a produit des utopies et des mondes possibles.L’acte philosophique de prospecter n’est pas unetentative neutre de connaître les grandes lignes dufutur, si tant est que cela soit possible. Il me paraîtau contraire un acte très engagé, dans lequel le phi-losophe exprime sa « préférence ». Toute utopie estnourrie par un désir, lequel indique ce que le philo-sophe préfère pour lui et pour les autres. nousavons besoin d’utopie, d’imaginer des possibles. Au-jourd’hui, les nouvelles utopies sont celles qui cher-chent à réinventer notre lien avec la nature et avecla technique.

Vous éc r ivez que la ph i l osoph ie peu tt r ansfor mer le plomb de l ’ex is tence en ordu sens. Cette métamor phose de soi , dontpar len t auss i P i e r r e Hadot ou Chr i s t i anAr nsper ger, e t qu i me para î t essent iel le ,peut-el le conduire à une véri table t r ans-for mat ion soc ia le et cu l ture l le  ?

Transformer le plomb de l’existence en or du sensest en effet une métaphore pour exprimer la trans-formation de soi par soi que cherche le philosophe.Par ses questions, le philosophe se met souventdans la position de devoir formuler ce qu’il en est,pour lui, du sens de son existence. Il me semble quesa réponse, si elle est sincère, ne peut qu’avoir unimpact sur sa manière de vivre, laquelle a peut-êtremême dicté cette réponse. entre vie et théorie, lesinteractions sont constantes. mais peut-on de là in-férer que cette métamorphose de soi conduira àune transformation sociale et culturelle ? C’est unequestion difficile… et d’abord, il faut distinguer lescas. Si pour un philosophe, la vie est absurde, il estpeut-être préférable que sa réponse reste une vé-rité privée, sans impact social ou culturel… Dansd’autres cas, il serait souhaitable que l’impact soitimportant. mais on ne peut prévoir cet effet. La phi-losophie s’exerce sous le signe de la transmission,laquelle n’est pas une contrainte mais un passage.

Les impasses, éco log iques, économiques,soc ia l es , cu l tu re l les , s ’accumul en t . Cer -tains nous prédisent la catastrophe. D’au-t res l e s a lut par les tec hno-s c iences.Peut-on penser un monde post- industr iel ,post-occidenta l e t post-matéria l is te ?

Au sens strict, non. Je n’imagine pas un humain sansindustrie, puisque faire des outils est une de sespremières noblesses et qu’il y a 7 milliards debouches à nourrir, ni sans occident, car alors il per-drait aussi l’orient, ni sans matière, car ce serait safin… Il faut d’abord prendre acte du réel, de seslois, de ce qu’il impose… mais par contre, ce quel’on peut tenter de changer, c’est notre relation auréel. et là, comme vous le dites, le travail est im-mense. J’ai l’impression que nous devons apprendreà sortir de l’âge des extrêmes, qui a caractérisé leXXe siècle, et à méditer la question de l’équilibre.Le monde est devenu tellement complexe qu’aucunesolution extrême ou frénétique ne me paraît salu-taire, sans compter le fait que les extrémismes sontaliénants et asservissants. mais se demander ce queserait aujourd’hui un équilibre, voilà une piste quime tente intellectuellement. Le « post- » dont vousparler passera nécessairement par un rééquili-brage, tant il est vrai que notre relation à la natureou à l’économie est aujourd’hui déséquilibrée et in-stable. mais l’humain est capable de nouveauté…

Propos r ecuei l l i s par Jean Cor n i l

Pasca l Chabot Les sep t s tades de la ph i losophiePUf, 2011

réflexions

Pascal Chabot:La philosophie dans la vie

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PUBLICS DE LA CULTURE : SAVOIR RÉINVENTER POUR FAIRE SENS

Publics ou population ? A qui s’adresse-t-on vraiment ? n’avons-nous pas collectivement axé nos politiques culturelles sur lespublics déjà constitués ou ciblés, au détriment parfois d’une action plus large en direction de la population toute entière, dansson extrême diversité ? Ce discours trouve-t-il aujourd’hui une résonnance nouvelle, à l’heure où les politiques de démocra-tisation culturelle déployées depuis cinquante ans sont aujourd’hui contestées ? est-il vraiment en contradiction avec l’essencemême de ce projet de démocratisation culturelle ou en constitue-t-il une nouvelle étape ? Qu’avons-nous à apprendre, en franceet en Belgique, des opérateurs culturels qui ont centré toute ou partie de leur action sur la co-construction de projets artis-tiques et culturels avec une population et un territoire ? et, finalement, que savons-nous vraiment des publics de la culture et,plus largement, des appétences culturelles de nos concitoyens ? Comment, au quotidien, mobiliser les publics ? Quelles sontles formes novatrices de communication et de mobilisation ? Quelle est l’efficacité et les limites de moyens originaux d’inter-vention, des formes traditionnelles d’information et de nouvelles formes de communication ?

DeUX JoUrnéeS De CoLLoQUe LeS 18 eT 19 oCToBreL ieu des débats  : IHeCS (Br uxe l les)

Journées La Scène organisées en partenariat avec Présence et Action Culturelles et l’IHeCS avec le soutien de la Communauté française de Belgique

Plus d’informations sur www. lascene .com

JOURNÉE DE RENCONTRE ET DE RÉFLEXION AUTOUR DE L’ÉDUCATION PERMANENTE

Perspectives et réflexions dans le secteur de l’éducation permanente aujourd’hui . etat des lieux et débat avec des représentantsdu Conseil supérieur, du Service de l’éducation permanente et du Service de l’inspection

Présentation de l’ouvrage de Chr ist ian mAUreL, « education populaire et puissance d’agir, les processus culturels de l’émancipation » par l’auteur.

VenDreDI 17 JU In, De  9H30 À 16HAu CenTre CULTUreL D’oTTIGnIeS 41, avenue des Combattants - 1340 ottignies

renseignements et inscriptions : 02/413.25.30 (Service de l’éducation permanente du ministère de la Communauté française)

Une organisation du Conseil supérieur de l’éducation permanente et du Service de l’education permanente

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Bert Kruismans:rions ensembleBer t Kr u i smans, humor i s te f l amand qu iv ient d’A lost, vous ne connaissez que lu i !I l est par tout , sur les r ad ios e t cha inest él év isées f lamandes e t p lu s récemmentl e vendr ed i mat i n su r la P r emièr e dans«  Ca fé ser ré   » où i l t ient une chronique .Son spectac le «  La flandre pour les nuls  »fai t salle comble par tout où i l passe. nousl ’avons rencontré à e l lezel les le jeudi 7avr i l où i l se produisa i t .

Conna is sez -vous auss i b ien le f r ança i sque vous le mettez en scène ?

et bien franchement, quand je suis sur scène, jecommence à parler comme un flamand et je parleun peu le français, mon français à moi. C’est ce per-sonnage que je joue sur scène. Si on vient en Wal-lonie avec ce spectacle qui s’appelle « La flandrepour les nuls », on est déjà assez dikkenek commeon dit à Bruxelles, alors je dois jouer l’underdogcomme on dit en anglais : un mec très simple avecdes vêtements comme ceux que je porte, un meccélibataire, un peu triste.

en génér al , les flamands ont-i ls le sensde l ’au todér is i on , le s ens du seconddegré ?

C’est un point que les flamands et les Wallons onten commun. nous pouvons rire et nous moquer denous-mêmes. Quant au second degré, je l’utilisemais avec une différence. Pour le moment, c’est lestand-up qui cartonne en flandre, les jeux de motsjoués à la façon de Bruno Coppens, ça n’y existepas. Les Belges sont for t impressionnés parquelqu’un qui maitrise parfaitement sa langue. Jepense que c’est là l’explication, les Belges franco-phones ont peur de parler une autre langue que cesoit le néerlandais ou l’anglais, qu’importe. Il y ades gens qui me disent : « Je vais faire des fautes,je vais passer pour un con ». Chez nous en flandre, on n’est pas vraiment im-

pressionné par quelqu’un qui parle très bien salangue. Alors, on ‘’tire son plan’’ comme on dit cheznous, on parle comme on peut le français ou l’an-glais. Les flamands n’ont pas ce respect pour lalangue comme l’ont les francophones.

C ’est pl utôt un spec tac le qu i détend lesgens et r i t de la s i tuat ion te l le qu’on lav i t au jourd ’hu i .

oui, ils ont besoin de rire ensemble, les néerlando-phones et les francophones ensemble. et c’est mar-rant, les gens s’amusent au même moment, avecles mêmes blagues sur l’actualité. Comme quoi on aquand même des choses en commun sinon on nepourrait partager une sorte d’humour belge.

Que l les sont , se lon vous, les di f fé rencesmar quan tes de compor temen t , de p r a-t iques cu l tu re l les entr e les flamands e tles Wal lons ?

Les Belges francophones sont culturellement fixéssur la france, du point de vue de la culture popu-laire, les films, la télé. La flandre n’a plus besoin deça. Il y a 25 ans les télés hollandaises étaient pré-sentes à 36 % et ça a complètement disparu au-jourd’hui. maintenant, nous avons douze chaines detélé en flandre. Dans l’humour aussi, du côté fran-cophone, on a les revues, les imitations, les dégui-sements comme « Sois belge et tais-toi », cela acomplètement disparu chez nous et a été remplacépar le stand-up.

Lor s de votr e spec tac le vous cons idérez-vous comme le réuni f ica teur belge  ?

en tout cas, cela n’a jamais été le but, mais depuisles querelles politiques je suis sollicité pour des in-terviews de tous côtés. Il y a ce fossé dans les mé-dias et du côté francophone, on ne sait pas que lesflamands possèdent cette autodérision ni qu’on saitse moquer de la nVA aussi en flandre. Tout comme

chez nous, on ne sait pas que les humoristes fran-cophones comme André Lamy se moquent chaquejour sur rTL des personnalités politiques franco-phones. en tant que flamand, je fais des spectaclesdans le français qui est le mien, et ça parait com-plètement nouveau pour les Belges francophones.Je suis un humoriste qui donne son opinion, à la téléou à la radio et les gens, surtout du côté franco-phone, savent que je ne suis pas un politicien fla-mand et que je n’ai rien à vendre. À la vérité, je memoque d’abord de moi-même et après des fla-mands, Wallons, Bruxellois, Hollandais etc.

f inalement, vous pouvez par ler de chosesgraves tout en pla isantant , c ’est que lquechose qui marche bien en génér al  ?

Parfois, c’est un peu plus délicat, par exemple lesblagues sur la famille royale. Quand je joue àBruxelles, les gens, surtout un peu plus âgés, sontplus sensibles. Alors que quand je joue à Seraingou à Alleur ça passe très bien. Les mêmes blaguesen flandre paraissent beaucoup moins fortes, moinssujettes à réaction. À la rTBf radio, j’ai dit à olivier maingain qu’on avaitbeaucoup de choses en commun, ma mère estd’Alost comme la vôtre et vous êtes un demi-fla-mand… Il a répondu que oui et il a même dit « ja,ik ben van Aalst », j’ai réussi à faire parler oliviermaingain en flamand à la radio francophone !

Propos recue i l l i s par Sab ine Beaucamp

extra i ts des spectac les et in fos sur les i te de Ber t Kr u ismans : www.kr u ismans.com

foer t non d i d ju , Ch ron ique de lac rise gouver nementale la plus longuede l 'H is t oi r e , P ie r r e K ro l l , Ber tK r u ismans, edi t ions La rena issance ,2011

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Côté Nord

© André Del ie r

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J é rémy for n i est un jeune réal i sateur. I lv i t e t t r av a i l le en tr e l a fr ance e tBr uxel les. f i ls de raymond for n i , f iguredu PS f r ançais , Jérémy a tou jour s ba ignédans un cou r ant de gauche . I l est au-jourd’hu i à la tê te de la ma ison de p ro-duct ion Che va l Deux Tr o is , réa l ise desdocumenta i res e t t r ava i l le à la m ise surp ied de f ic tions et docu de c réat ion, cour te t long mét r age de jeunes auteu r s .«  Après la gauc he » est son second docu-menta i re . I l sor t i ra en DVD le 1er ju i l le t .

Dans « Après la gauche », Jérémy forni questionnel’idée de la gauche, ses possibilités, ses errementset ses espoirs. Treize penseurs ou acteurs desgauches se répondent et argumentent (voir enca-dré).

« on ne voulait pas d’historiens, pas d’économisteset pas d’hommes politiques en activité. » nous ap-prend Jérémy forni. L’idée du film, c’est de confron-ter des figures de la gauche du XXe siècle auxquestionnements d’une autre génération. « Le filmpart du constat d’une désespérance. Une désespé-rance du peuple de gauche. ma génération, ceuxqui m’entouraient et avec qui j’avais grandi. La gé-nération mitterrand qui a cru à une possibilité de lavictoire de la gauche avec Lionel Jospin et qui a euà subir la déception du 21 avril 2002. Ceux qui sedisent : J’ai 30 ans, je me sens de gauche, qu’est-ce qui m’arrive ? ». À l’origine donc, la présence deJean-marie Le Pen au deuxième tour, brutale entréedans le monde adulte entraînant de nombreux ques-tionnements : où en sommes-nous à gauche ? Pour-quoi n’avons-nous pas réussi à incarner uneutopie ? Le film revient sur des évènements struc-turants tout au long de ces 20 dernières années.Le point de départ de 1989 a été choisi car il s’agitd’une année charnière qui a notamment vu la chutedu mur de Berlin et Tien Anmen.

Deux amis, journalistes, Geoffroy fauquier et GaëlBizien, même génération et questionnement simi-laire bien que provenant de sensibilité de gaucheplus écologiste ou libertaire, se joignent à lui pourscénariser le documentaire.

Un f I Lm De PAro Le À DeST InAT Ion DeToUS

« Le film est très construit. on donne des pointsd’entrée auxquels tout le monde peut se rattachermême sans background politique important. » C’étaitimportant pour le réalisateur, lui qui a consacré sonprécédent documentaire, « Traces de lutte », à l’ac-tivité du groupe medvekine, expérience d’éducationpopulaire, qui a vu se construire la rencontre entreouvriers et cinéastes, où il s’est agi pour les tra-vailleurs de se saisir des outils de leur propre re-présentation. «  Selon moi, il ne faut pas que laculture soit populiste ou élitiste. mais culture popu-laire ne veut pas dire culture pas exigeante. » Ainsiont été particulièrement soignés le cadre cinéma-tographique, l’esthétique, la lumière, l’ambiance dece « film de parole ».

Interventions et balises explicatives se succèdent àl’écran dans le décor d’une usine désaffectée de labanlieue parisienne à la charge forte symbolique.« Le lieu est un personnage du film. on a voulu ex-primer la disparition de la culture ouvrière. Ce décord’effondrement d’usine est une métaphore de lagauche ces 20 dernières années, de la fin des illu-sions, de la délocalisation d’une grande partie dela production industrielle européenne… »

De LA DéfAITe À L’eSPérAnCe

«  Après la gauche  » pourrait presque s’appelerAprès la défaite de la gauche car il débute juste-ment sur ce constat. mais, « au fur et à mesure dufilm, on passe du constat sombre à l’espérance.L’idée est de montrer une direction. »

Le film revient longuement sur le projet social-dé-mocrate des années 1990, celui qui a vu « la muta-tion d’une logique de transformation sociale versune logique gestionnaire et d’accompagnement dulibéralisme même si  c’est plus facile de développerune argumentation contre la social-démocratie carhistoriquement elle a été au pouvoir. mais on n’estpas tendre non plus avec les autres mouvances dela gauche : l’extrême gauche qui continue de refu-ser l’exercice du pouvoir, ou l’altermondialisme, quin’a pas su exercer sa force, et s’est perdu dans un

combat stérile face aux grandes organisations in-ternationales et qui n’a jamais su rentrer dans lechamp politique. »

Le film situe le « principe espérance » en Amériquedu Sud, continent des avancées sérieuses qui re-mettent en cause la logique du système capitaliste.« Pour le vieux continent, ça a toujours été un eldo-rado idéologique. Le pays des révolutions, Allende,Cuba. mais c’est aussi le continent des dictatures, del’ultralibéralisme. Aujourd’hui, c’est l’endroit où unegauche renaît. Avec des exemples très différents :Chavez, Bachelet, Correa ou Lula . » en europe, quipeut espérer un « retour des caravelles », la gauchereprend des couleurs depuis quelque temps, se re-forme idéologiquement, et se réinstalle comme pos-sibilité «  Tout concourt pour que les forcesidéologiques et le mouvement social débutent unevraie réflexion sur la nécessité de sortir du systèmelibérale suite à la crise de 2008. C’est dans la criseque les idéaux de gauche se révèlent. ». en atten-dant l’après droite.

Auré l ien Ber th ier

Après la gaucheDe Jérémy for n i , Geof f roy fauquier e tGaë l B iz ien2010,Cie des Phares et Balises, ChevaldeuxtroisAvec  : Chr is tophe Agui ton (Chercheur etsyndicaliste), rober t Caste l (Sociologue),Ch r is t ian Cor ouge (ouvrier, sociologue,ancien du groupe medvekine), SusanGeorge (essayiste et militante altermondia-liste), eric Hazan (editeur -La fabrique- etessayiste), françois Houtar t (Prêtre et so-ciologue), A lber t Jacquard (Généticien etmilitant au Droit au logement), L ione l Jospin(Ancien Premier ministre), Ar mand matte-la r t (Sociologue), Antonio negr i (Philo-sophe), ed wy Pl ene l (Journaliste, anciendirecteur du monde, fondateur de mediapart),Ber nard St i eg le r (Philosophe) , JeanZieg ler (Ancien rapporteur à l’onU).De nombreux extraits des entretiens sont dis-ponibles en ligne : www.apreslagauche.com

documentaire

Pour la gauche d’après

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A l’idiot, toujours sûr de lui, de ses opinions et de ses goûts,pris d’un petit rire moqueur à la vue de ce tableau qui a pour-tant tout son sens dans votre intérieur, vous pouvez expliquercertaines choses...

Tout d’abord, que l’original de ce tableau reproduit ici par unprocédé d’impression industriel, est l’œuvre hyperréalisted’un peintre oublié qu’on appelait Torino, œuvre datée du mi-lieu des années 60, représentant maria Yañez Garcia, star dumusic-hall espagnol, morte à l’âge de cent ans en 2001,mieux connue (mais pas chez nous) sous le nom de La BellaDorita.

ensuite, que le peintre a choisi d’incarner la chanteuse en gi-tane d’espagne. Que les gitanes de Torino connaîtront d’ail-leurs un certain succès à cette époque, mais moins toutefoisque les femmes dénudées de Lynch ou les Chinoises habilléesde Tretchikoff (tapez dans Google images, vous verrez).

Ajoutez d’emblée qu’il s’agit bel et bien d’une œuvre d’artcommercial, expression désignant « les peintures et sculp-tures non reconnues par le marché de l’ar t contemporainet/ou servant à la production de posters. » (Hervé Di rosa,l’Art modeste, Hoëbeke, 2007). Que les artistes comme To-rino, producteurs d’images et non de sens, cherchent à ga-gner leur vie sans chercher à marquer l’histoire de l’art. etqu’à l’occasion, cela fait du bien de se foutre de l’histoire del’art et de se laisser guider par son instinct. Qu’en matièred’instinct, les gitanes espagnoles sont expertes. Que la pluscélèbre d’entre elles, Carmen, est née sous la plume de Pros-per mérimée en 1845. Que « sa peau, d’ailleurs parfaitementunie, approchait fort de la teinte du cuivre. » Que « ses yeuxétaient obliques mais admirablement fendus ; ses lèvres unpeu fortes, mais bien dessinées et laissant voir des dents plusblanches que des amandes sans leur peau (folio, p. 60). »rappelez que Carmen accéda à la postérité grâce à l’opéra-comique de Georges Bizet (1875), qu’elle y perdit certes unpeu de tempérament (relisez mérimée, y a pas photo) maisque nous savons tous depuis lors que l’amour est enfant debohème. rappelez aussi que par les temps qui courent, onpréfère ne plus accrocher chez soi des tableaux représen-tants roms, gitans ou tziganes. Que la bohème s’est em-bourgeoisée mais que, malgré tout, certaines femmescontinuent à faire perdre la tête aux hommes et c’est trèsbien ainsi. Précisez que tout est dans tout, définitivement.C’est pour cela qu’on aime aussi, beaucoup, les poupéesrusses. et qu’on vous en reparlera, à l’occasion. Parce mêmeles choses les plus futiles ont une histoire à raconter.

Qu’enfin, comme disait marcel (Duchamp), le grand ennemide l’art, c’est le bon goût.

et si après tout ça, l’idiot rit toujours, tuez-le !

Denis Dargent

à bas la Culture

L’art commercial est enfant de bohème

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mi-avril 2011, le Premier ministre Yves Letermetransmettait à la Commission européenne le « de-voir » de l’état belge : son Programme national deréformes et son Programme de stabilité budgétaire.en jeu, notamment, la création de 600.000 emplois(57.000 par an) projetée à l’horizon 2020, la ré-duction de la pauvreté, l’amélioration de l’efficacitéénergétique… parallèlement à la réduction parétapes du déficit budgétaire et du taux d’endette-ment.

Si ces objectifs chiffrés de politique économique etde trajectoire budgétaire ont bien été repris dansla presse et les médias audiovisuels, c’est, à chaquefois, de manière subsidiaire dans l’actualité du jour :ici dans un encadré, là dans un article second, ail-leurs encore dans un sujet pleine page… 12(L’echo), dans des emplacements et formats detoute façon toujours subordonnés, en termes d’im-portance, à la chronique – pourtant quotidienne,elle depuis près d’un an – des négociations – pour-tant au point mort, alors – pour la formation dugouvernement fédéral.

Le jour de la présentation du budget 2011 de laCommunauté française, en ce même mois d’octobre2010, l’annonce de la création de 10.000 nouvellesplaces d’école, dont plus de la moitié à Bruxelles,qui en a un besoin urgent en regard de l’évolution

démographique de la région-Capitale, a fait 10 se-condes au JT de la rTBf… A mettre en regard desdizaines de sujets et de minutes (heures ?) consa-crés, dans le même domaine, depuis quelques an-nées, aux heurts et malheurs du décret mixitéscolaire devenu décret Inscriptions.

DeS Pr oTAGo nISTeS en APeSAnTeUrSoCIALe

Deux exemples, certes, ne font pas un argumen-taire. Ils sont néanmoins exemplaires du traitementmédiatique de la chose publique. et de ce constat enparticulier : la politique dans l’information, se trouveramenée, la plupart du temps, soit à la théâtralisa-tion de la vie des partis et des déclarations desmandataires (intrigues et rivalités interpersonnellesdans la lutte pour le pouvoir), à sa mise en straté-gie (comment se positionnent les uns et les autres,plutôt que pourquoi), à sa privatisation (mise enscène de la vie privée ou peopolisation), soit encoreau management fonctionnel et éthique du pouvoirsur le mode la bonne gouvernance*.

« Le lecteur, écrit Grégory rzepski du collectif Acri-med, est réduit au rang de spectateur d’une scènepolitique sur laquelle les protagonistes, sorte dehéros récurrents, évoluent en apesanteur sociale,sans base, sans parti. »

nombre de journalistes politiques en arrivent, effec-tivement, à ne plus considérer la politique que sousl’angle d’un échiquier grandeur nature ; ils ne voientque pions, coups joués et réponses à ces coups. enoubliant, un peu légèrement, que, si les hommes po-litiques au cœur du processus de négociation de laformation du gouvernement fédéral, par exemple, sedoivent d’être des stratèges, ils sont aussi, voireavant tout, des représentants de formations animéespar des visions plus ou moins antagonistes de la so-ciété et du vivre-ensemble, au service desquelleschacun déploie son action et ses positions.

De ce point de vue, la petite musique « morale » quiaccompagne le discours journalistique quotidien tendà déconsidérer le conflit ou l’affrontement politique -non sans en traiter, avec une certaine gourmandise,les effets les plus aigus – comme une atteinte à l’har-monie naturelle supposée de la société ou du paysBelgique : « Politiques, mettez-vous d’accord et diri-gez ! » Dans cette injonction récurrente, le consensusapparaît comme le signifiant même de la démocratie.C’est éminemment contestable. « en démocratie, lacontroverse est de règle, note le sociologue ClaudeJaveau (La Libre du 13 octobre 2004). L’accordspontané est l’exception. » et le règlement descontroverses institutionnelles a toujours pris dutemps dans l’histoire de la Belgique.

médias

LES QUESTIONS PUBLIQUES,

OUBLIÉES DE L’INFORMATION

Quel le image l ’ infor mat ionvéh icu l e- t -e l le de la po l i -t i que   ? Comment l es mé-dias rendent- ils compte dechose publ i que   ? Pour-quoi  ? Avec quel les consé-quences   ? Ce qu i f r appedans l ’ i n fo r mat ion po l i -t ique contemporaine , c ’estqu’e l le t end à se dé tour -ner de la «  pol is  » , c’est-à-d i r e de la gest ion desaf fai res de la ci té , du gou-ver nement de la soc i é téhuma ine , qu i est la f i na-l i té , au p ropre comme auf iguré, de la po l i t ique .

DP

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Les journalistes de la rue de la Loi l’ignorent-ils ?Sans doute pas. mais le spectacle (en l’occurrence,ici, le feuilleton de la crise) doit continuer… et lemomentum émotionnel être cultivé.

La plupart des questions, des sujets, des angles et,plus encore, des titres, aujourd’hui, dans l’informa-tion politique s’inscrivent dans le registre de l’in-quiétude immédiate et récurrente, de l’entretiend’un climat de peur… pourtant démenti par les faitseux-mêmes, et d’une certaine vindicte à l’adresse,le plus souvent indistincte, de « nos décideurs ».

Dans la même optique, des consignes circulent deplus en plus à l’intérieur des rédactions de manièreà inciter les journalistes à éviter de citer trop sou-vent les noms des hommes ou des partis politiquesà l’origine de telle ou telle mesure, réalisation ou loi: « Quand quelque chose ne va pas dans la société,c’est par principe de la faute des politiques, résume,amer, un porte-parole. Quand tout va bien, ce n’estjamais porté à leur crédit. »

Il est rejoint par l’ex-journaliste et professeur del’ULB Jean-Jacques Jespers pour qui le plus inquié-tant dans les « idées reçues » que le discours mé-diatique majoritaire véhicule sur le politique, c’estqu’« elles coïncident avec les représentations men-tales dont Barthes faisait l’essence du poujadismepolitique » (Document etopia, décembre 2005) :

mépris pour les politiques et les fonctionnaires (ouagents de la fonction publique), méfiance envers lesélites et les intellectuels, rejet de l’impôt et dénon-ciation de la gabegie des pouvoirs publics qui gas-pilleraient les deniers des contribuables (ou lesdétourneraient à des fins indues ou privées), dé-fiance envers les institutions publiques, croyance enla supériorité du marché…

DeS enCLoS D’ InformATIon ÀmonoCULTUre

rarement, en revanche, la politique est-elle consi-dérée dans l’actualité courante pour ce qu’elle estou devrait être davantage aux yeux de tous en dé-mocratie : le lieu d’intersection, toujours conflictuel,de tous les domaines de la vie en société, dont lagestion incombe aux gouvernants.

en cause, notamment, les effets de case, c’est-à-dire le produit d’une logique de « parcage » des in-formations dans des enclos à monoculture : lesrubriques ou services de l’information, Politique,etranger, europe, Société, Sports, Culture, etc.continuent à fonctionner de façon très cloisonnéemalgré l’interpénétration croissante des différentsdomaines de la vie publique et le caractère par es-sence complexe (au sens de tissé, entremêlé, dansl’optique d’edgar morin, non de compliqué) du réel.C’est ainsi qu’un sommet européen de la Culture et

de l’Audiovisuel dans le cadre de la Présidencebelge de l’Union européenne à l’automne 2010, nesera traité nulle part, ni dans les pages « Politique »,ni dans le cahier «  Culture et médias  », ni en« eco »… en dépit des enjeux – politiques, écono-miques, sociaux ou proprement culturels – pour-tant majeurs d’un tel sommet : aucun des servicesn’ayant estimé que c’était de son ressort.

C’est que ces problématiques transversales ou lesévolutions structurelles, que C.W. mills (cité par lemagazine en ligne de rTA, Intermag) appelle des« enjeux collectifs de structure sociale », ou, plussimplement, des questions publiques telles l’emploi,la mobilité, la santé, le logement, l’éducation, etc.,ont en commun d’inscrire leur sens et leurs déve-loppements dans une logique de long terme. Sauféclat soudain, elles se prêtent d’autant moins autraitement événementiel, devenu le paradigme dela manière d’informer.

Par ailleurs, observer et détecter leurs mouvementslents et imperceptibles à l’œil nu, tels ceux desplaques tectoniques ou de la fonte des glaciers, de-mande l’acquisition de connaissances et un inves-tissement journalistique long, qui sont rarementimmédiatement rentables pour les entreprises depresse. Ce qui explique d’ailleurs le désarroi fré-quent des commentateurs confrontés à un « tsu-nami » politique (ou autre) : concentrés sur les picsévénementiels et n’ayant pas pris la mesure de lapartie immergée des icebergs de l’actualité, ils setrouvent souvent dépourvus des moyens d’expliquerl’ampleur ou la force de la vague qui surgit de lamontée des eaux.

Ils sont alors réduits à relater, à raconter sur lemode du storytelling, à cultiver stéréotypes et lieuxcommuns et à s’engouffrer dans les registres de lasurenchère émotionnelle et de la mise en scènespectaculaire. or, en mettant le monde « en scène »davantage qu’« en question », les discours média-tiques véhiculent souvent, selon le sociologue desmédias erik neveu, « une vision du monde déférentepour l’ordre établi ».

marc S innaeve

* Le concept, dans son acception contemporaine, est hé-rité de la corporate governance (gouvernance d’entre-prise) des milieux d’affaires, et des usages del’administration publique. Il est consacré comme notionfétiche au début des années 1990 par les organisationséconomiques internationales qui entendent propager ledéveloppement et l’ouverture des marchés mondiauxcomme corollaire de bonne pratique démocratique.

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médias

DP

©Paul r iedel 1957

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Le ï la , tes souvenir s d’enfance quels sont-i ls , tes parents, le L iban…

Je n’aime pas vraiment parler de moi. Pendant long-temps, je pensais que la souffrance collective desPalestiniens primait sur l’itinéraire personnel, je nesuis pas la seule à sentir cela. Je pense que danstous les peuples qui ont mené des luttes trèslongues, on a tendance à ne pas aimer personnali-ser. mais avec le temps, j’ai compris que l’identifica-tion ne peut se faire s’il n’existe pas un aspect intimeet personnel. Je suis née dans une famille de Palestiniens en exildepuis des générations. Je suis née au Liban toutcomme mes deux sœurs, de parents tous deux nésen Palestine. ma mère est de Jérusalem et mon pèrede Saint Jean-d’Acre. mon père a quitté sa ville na-tale pour aller étudier au Liban chez les jésuites àl’âge de 10 ans. ma mère était la fille d’un dirigeantpolitique qui fut arrêté et déporté par les Britan-niques en 1936 et dont la famille a été déportée au

Liban. mes parents se sont rencontrés à l’Univer-sité américaine de Beyrouth, et ils sont revenus enPalestine pour se marier à Jérusalem en 1944. Jesuis née en 1949, un an après la nakba (al-nakba)dans une famille qui venait de perdre sa patrie, lablessure était très récente, la douleur aussi, surtoutpour ma mère, car mon père était professeur demédecine, très pris par son travail et se consacraità ses passions et passait au-delà de la frustrationd’avoir perdu un pays en faisant de la science, sanouvelle patrie. ma mère était une femme de sa gé-nération, qui ne travaillait pas, et son arrachementà la Palestine était encore très douloureux lorsqueje suis née. mais elle l’a comblé en travaillant pourles réfugiés au Liban.ma petite enfance et mon adolescence, je les ai pas-sées au Liban et j’ai gardé du Beyrouth de l’époqueun immense amour. mon attachement au militan-tisme, à la culture et au pluralisme vient de là. C’étaitbien avant l’exacerbation confessionnelle qui a menéà la guerre civile en 1975.

ensuite, j’ai suivi ma licence à l’université américaineen anthropologie et même commencé un travail dedoctorat sur « l’Intifada » des camps palestiniens, jesentais qu’il fallait que je l’inscrive dans le tempshistorique. J’avais une hypothèse d’ordre virtuel quiétait que cette expérience ne pouvait qu’aboutir àun affrontement avec les forces politiques libanaisesqui n’étaient pas de notre bord, ils étaient la droiteconservatrice et en particulier celle qui est devenuel’alliée des Israéliens, ça veut dire les forces liba-naises et les phalangistes. mais moi lorsque j’ai ins-crit cette thèse en 1972, j’étais à mille lieues depenser qu’elle allait se réaliser… je disais que ladroite libanaise pro-israélienne, anti-palestiniennene pourrait pas accepter cette alliance objectiveentre la gauche libanaise et les Palestiniens, jen’imaginais pas que cela mènerait à des massacrescomme Tel el Zaatar et Sabra et Chatila. J’étais hor-rifiée que ma thèse universitaire devienne une réa-lité, et j’ai fait un total rejet de la position del’observateur, du chercheur. Je considérais que je

portrait culturel

Leïla Shahid:Palestine forever

© J-fr rochez

nous avons r encontré Le ï la Shahid (Dé-léguée génér a le de Pa les t ine auprès del ’Un ion européenne de la Belg ique e t duLuxembour g) , une femme in te l l igente ,pé t i l l ante d ’human i té e t de bon sens,une femme de 62 ans qui t ient la pêche !

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ne pouvais pas rester dans le statut d’universitaireet j’ai donc recommencé à militer avec ezzedinKalak, notre représentant à Paris, assassiné mal-heureusement en 1978 à Paris.

Tu as rencontré Yasser Ara fat  ?

J’ai rencontré Arafat très tôt, en 1968, je faisais par-tie de la jeunesse de son mouvement fatah qui étaitun mouvement vraiment démocratique et où laproximité des dirigeants et des cadres était im-mense. Je pense que c’était aussi vrai pour le frontPopulaire et le front Démocratique, il y avait unetelle joie, un tel bonheur de se retrouver que les di-rigeants avaient besoin d’être proches de leurs ca-dres politiques et inversement les cadres politiquesavaient un accès extraordinairement ouvert àl’égard de leurs dirigeants. C’était la naissanced’une révolution, un moment magique, de rassem-blement, de créativité, très riche, de proximité ex-traordinaire. Je dirais même d’affection fraternelle.on sentait comme une étincelle, une renaissance.J’ai 62 ans, mais je me rappelle encore les annéesoù on ne pouvait accéder aux camps de réfugiés,l’écrasement, l’atmosphère humiliante et humiliéede la population palestinienne. Certes, on n’avaitmême pas libéré la Palestine mais on avait lancéune révolte contre l’humiliation, à l’intérieur ducamp, dans cet espace fictif d’une patrie. moi j’ap-pelle les camps, la Palestine en exil, la Palestinetransportée dans la valise. Tout regroupement deplus de quatre personnes était considéré commeune cellule politique et interdit. Les camps étaientgérés par l’armée libanaise. Les gens ont appelé cemouvement de soulèvement pacifique dans le camp,mouvement non violent « Intifada », le peuple qui serelève, se soulève, s’autogère. Arafat était particu-lièrement, et c’est son tempérament chaleureux,quelqu’un qui recherchait le contact avec les jeuneset avec les femmes. Il a beaucoup encouragé lesfemmes à militer dans ces années-là, et c’est restéle cas pendant toute la période jusqu’en 1982.Comme il me connaissait bien, en tant que militanteau Liban il m’a choisie comme première femme am-bassadeur en 1989. Aujourd’hui les relations sontbeaucoup plus formelles entre la direction palesti-nienne et les cadres palestiniens car aujourd’huic’est une autorité officielle, installée, à l’époquec’était un mouvement révolutionnaire qui se voulaitnon-hiérarchisé, non institutionnalisé qui relevaitplus d’un mouvement de libération que d’une auto-rité. Je pense qu’on a perdu cette proximité entre ladirection et les cadres, c’est dommage parce que

je pense qu’elle est nécessaire mais la Palestine acela de très particulier c’est qu’elle doit assumerparallèlement les fonctions d’un mouvement de li-bération nationale et d’une autorité gouvernemen-tale qui n’est pas encore un état. D’où une certainecomplexité.

Ce la c ’est le côt é po l i t ique de la femmeengagée, j ’a imer ais plus t ’emmener ver sl e pan cu l t ur e l , s avo i r que l l es sont t espass ions ?

mes deux meilleurs souvenirs dans ma carrière po-litique, c’est les deux saisons culturelles que j’ai or-ganisées à Paris et à Bruxelles.Je crois que j’ai été très jeune attiré par la dimensionculturelle de la vie, et par toutes les formes d’ex-pression artistiques. Je pense que ce n’est pasétranger au fait que j’ai grandi dans un pays où l’ex-pression culturelle était très riche, probablementaussi du fait de la diversité de la société libanaise,la diversité des langues. Beyrouth était une villesans régime militaire, mais aussi sans état centra-lisé, où tu pouvais créer en arabe, en français, enanglais. Il y avait une liberté d’expression sur le planpolitique et médiatique. encore étudiante, je suis devenue la rédactrice enchef du journal de l’université « outlook » qui signi-fie « vision ». J’aimais beaucoup les enquêtes de ter-rain sur les réalités sociale et politique, ça m’apermis d’ailleurs de voir le Liban d’un œil plus ob-jectif que de mon simple statut de citoyenne. et puisnotre combat de Palestiniens est avant tout une re-naissance identitaire dont la première expressionest bien sûr culturelle.

À Beyrouth à l’époque, le théâtre était à l’avant-garde du théâtre du monde arabe, la musique, lesmaisons d’édition, la plupart des écrivains dumonde arabe étaient publiés au Liban et je penseque j’ai été influencée par la richesse de la scèneculturelle libanaise et cela ne m’a jamais quitté, çacorrespondait beaucoup à mon tempérament. J’aitoujours pensé que j’étais plus intéressée par la di-mension culturelle de la politique que par la poli-tique politicienne, elle ne m’intéresse pas.Personnellement, je trouve que le PAC remplit unefonction extraordinaire de culture populaire inscriteaussi dans un mouvement politique. Aujourd’hui, jedirais qu’il faudrait un PAC français. Je retrouve cetesprit au festival d’Avignon, que je fréquente beau-coup. Je retrouve cet esprit, d’une culture populaireouverte à tous, je suis une très grande amie d’un

homme que j’adore, qui s’appelle Jack ralite. C’estaussi l’ami d’Antoine Vitez, d’Aragon, il est commu-niste, français et aujourd’hui sénateur, il a été mairede la ville d’Aubervilliers. C’est lui qui a créé les As-sises de la Culture en france, un lieu de réflexion etde propulsion d’idées sur la question «comment laculture peut devenir ouverte à tous, ne reste pasuniquement dans le champ de l’élite parisienne«. Au-jourd’hui, la culture est devenue une industrie, uneindustrie culturelle et elle répond aux lois du mar-ché. Les lois du marché sont en train de tuer la cul-ture. Il faut dans les mouvements politiques dansles mouvements citoyens, une réflexion volontairede quelle est la place de la culture dans la société,dans la cité

Par l e-moi du f i lm «   Leï l a Shahid Pa les-t ine for ever  »…

Je ne l’aime pas beaucoup à vrai dire. Je n’aime pasbeaucoup ce qui est trop personnalisé. J’ai été ame-née à ce que l’on fasse ce film-documentaire surmoi car michèle Collery, la réalisatrice avait lu lelivre de ma mère et en était tombée amoureuse.C’est comme cela qu’elle m’a convaincue. ma mèreest décédée en 2008, c’est quelqu’un à qui j’ai ététrès attaché. on se ressemble physiquement beau-coup, on a été très proches et très complices. ellea très bien vécu sa vie, elle est morte à 88 ans, onne peut pas espérer mieux, mais elle a eu la bril-lante idée, la capacité, la force, l’inspiration d’écrireà 80 ans, un très beau livre qui s’appelle « Souve-nirs de Jérusalem ». Tout ce qu’elle nous avait ra-conté lorsque nous étions enfants, elle l’a écrit enanglais. ensuite il a été traduit en français, en hé-breux, en arabe. Comme mahmoud Darwish qui l’ai-mait beaucoup a dit : « ce qu’elle veut faire passer,c’est la mémoire du lieu et c’est Jérusalem quin’existe plus, qui était la Jérusalem cosmopolite,multiculturelle, multiconfessionnelle, où son grand-père était maire et où il y avait des élus juifs, mu-sulmans et chrétiens dans sa municipalité. ».malheureusement, pour des raisons de production,Arte a changé le scénario du film, il ne représentepas ce que la réalisatrice voulait faire, ni ce que moije voulais qu’il soit. C’est un film sur ma personneplus que sur ma mère. mais je ne désespère pasqu’elle refasse un jour son propre montage.Lorsqu’elle l’a présenté, en avant-première à Pariselle a dit : « ça c’est le film d’Arte et moi je vais re-faire mon film lorsque j’aurai assez d’argent ». etj’espère qu’elle le fera.

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Q u’est -ce qu’ un bon e t v r a i moment dedétente pour toi  ?

Je vais te dire, le seul vrai moment de détente, c’estlorsque je me rends dans un musée ou une galerie,ça veut dire que je dois me plonger dans un autremonde. Je vais me mettre au soleil sur un transatma tête continue à fonctionner tandis que lorsque jesuis dans le monde de la fiction que crée un livre,une exposition, un musée, une création artistique,une installation : j’ai tellement envie de rentrer de-dans que je sors de ma peau et cela ce sont les plusbelles vacances, j’oublie la Palestine et ma fonction,les Palestiniens et leur tragédie. J’essaie de choisirune exposition à visiter par semaine et je m’y rendsle samedi avec mon mari. C’est mon Shabat à moi !!Je pense que le fait que je sois mariée à un roman-cier et critique littéraire qui a été longtemps un ac-tiviste culturel dans son pays montre aussi la placede la culture dans ma vie.

I l y a un aut eur, un éc r iv a in que t uappréc ies par t icu l ièr ement  ?

Je lis beaucoup, des essais et des romans mais aussiénormément de dossiers et rapports relatifs à montravail concernant la Palestine. Je ne lis que duroman, je ne suis pas porté sur la poésie. Je trouveque le roman me fait entrer dans un monde et puisj’ai toujours cette attirance pour l’anthropologie quine me quitte pas, je trouve qu’aujourd’hui la littéra-ture est une manière extraordinaire de connaîtred’autres cultures. Lorsque je peux, je laisse dutemps pour les romans, j’aime aussi les nouvelles…mais c’est plus une tradition de ma génération quede celles des jeunes. J’ai besoin de lire avant de dor-mir. Je peux lire plusieurs livres en même temps, etdans des langues différentes : en arabe, en fran-çais, en anglais. La littérature a une fonction trèsimportante dans ma vie et c’est probablement pourcela que je suis mariée depuis 33 ans à un roman-cier marocain qui s’appelle mohamed Berrada. Je ne dirais pas quels sont mes écrivains préférés,mais deux amis écrivains ont été une lumière dansma vie et m’ont beaucoup influencé : Jean Genet etmahmoud Darwish.

Cô t é mus ique t u es p lu tô t mus iquec lass ique  ?

J’aime beaucoup la musique classique parce qu’elleme donne un baume et je peux passer une journéeentière à l’écouter, mais j’adore les musiquesturques, iraniennes… et toute la tradition mystique.Je peux autant plonger dans les musiques tradition-

nelles des cultures d’Amérique latine que dans lesmusiques mystiques de Turquie et d’Iran, que demozart ou Bach. J’aime la diversité et je suis trèsrebelle à la nécessité de n’aimer qu’une forme deculture, qu’une langue.

Les musiques actuel les te lles que le s lam,le r ap, qu’en penses-tu ?

Le rap j’adore, parce que le rap comme le slam sonttrès inscrits dans les réalités culturelles, politiques,citoyennes. nous avons des groupes comme Dan,un groupe palestinien d’Israël ou Gaza Undergroundqui sont des rappeurs de très bon niveau et connusdans les festivals internationaux. Ces courants mu-sicaux représentent à mes yeux une expression ar-tistique d’une réalité sociale et politique particulière.Cela reflète une phase de l’évolution sociologiquede la modernité. C’est avec le rap qu’on a ouvert lasaison masarat aux Halles de Schaerbeek.

Que l qual i f i ca t i f t ’ insp ire le mot «  paix  »  ?

Avant tout « vivre ensemble », pour moi c’est ana-chronique de continuer à accepter la fatalité de laguerre, il n’y a pas de fatalité de la guerre, c’est unchoix tout comme la paix. Vous avez vu les assassi-nats de Juliano mer-Khamis et de Vittorio Arrigoni. Ilsont payé de leur vie, le choix de défendre le droitdes Palestiniens à l’indépendance. Pour moi la paixc’est la coexistence, c’est le vivre ensemble. C’estpour cela que je suis en politique, parce qu’on peutsouhaiter tout le bien du monde, mais si ce n’estpas traduit sur le plan politique cela n’a aucun effet.

e t der r iè r e la v ie , tu met tr a is que lqual i f i cat i f  ?

Je dirais la « nature », nous sommes au printemps,nous somme assis sous les arbres qui viennent defleurir, la vie devient plus belle avec le printemps, lesoleil, les fleurs et les arbres. Personnellement jesuis très sensible à l’effet du soleil et de la nature,pour moi c’est une règle naturelle du monde la vie,elle renaît après l’hiver alors qu’on a l’impressionque tout est mort, il n’y a plus de feuilles aux ar-bres, plus de fleurs autour de nous et tout renaîtlorsque le soleil revient au printemps. Pour moi lavie est associée à la nature et elle est incontourna-ble.

Der r ièr e la mor t  ?

La guerre bien sûr c’est la mort et je dirais que lafonction de la mort selon moi c’est de donner unsens à la vie, défendre la vie. J’ai physiquement lesentiment que la guerre est contre nature, qu’ellen’est pas une fatalité mais bien un choix de certains,qui ont un pouvoir militaire, financier, économique.C’est pour cela que je suis tellement positive sur lesrévolutions arabes actuelles. Pour la première foisdepuis au moins cinquante ans on voit les citoyensdu monde arabe s’approprier le champ politique.eux, les citoyens, pas les partis, ce sont les citoyensen égypte, en Tunisie qui ont ranimé la société civilearabe de demain.

Propos recue i l l i s par Sab ine Beaucamp

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« J ’essa ie de cho is i r une expos i -t ion par sema ine. C ’es t mon Sha-bat à moi   ! ! »

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r omAnGeorges e t Louisemichel ragonAlbin michel, 2000

en ce mois de mai, on célèbre le 140ème anniver-saire de la Commune de Paris, ce rêve de justice ré-volutionnaire qui sombra dans la tragédie sous lescanons des versaillais. Lui parlant du projet du PACd’une journée à Paris sur les traces des commu-nards, du mur des fédérés au Père Lachaise, Xaviermabille, avec sa malice habituelle, me suggère delire le petit roman de michel ragon, « Georges etLouise ». Je suivis son judicieux conseil et je dévoraicette extraordinaire amitié entre Georges Clémen-ceau et Louise michel. entre le premier flic defrance et l’institutrice enflammée et déportée ennouvelle-Calédonie. Un texte sobre qui rend parfai-tement bien cette relation ambivalente mais durableentre la militante anarchiste et le défenseur de Drey-fus. Beaucoup d’émotion face à ces deux « grands »de l’histoire de france. (Jean Cornil)

PoLArPe ine maximumGilles VincentTimée editions, 2011

Grand amateur de littérature policière, j’avais dé-couvert par hasard, il y a deux ans à Pau, le romande Gilles Vincent, Sad Sunday. J’avais adoré, tant laqualité limpide de la plume que la construction sub-tile du suspense. Le tout sur fond de réalisme poli-tique contemporain. et voilà son troisième roman,toujours avec le même policier devenu détectiveprivé, qui nous entraîne sur la piste de meurtresatroces au cœur de marseille, inspirés par les mé-thodes nazies lors de la Shoah. Sinistre et haletant.À l’heure de la profusion des polars scandinaves etanglo-saxons, je ne comprends pas le peu d’échofait à cet auteur qui combine une douceur senti-mentale avec la pire des barbaries. (JC)

BDL’a f fai r e des a f fa i resT.1 L’argent invisible et T.2 L’enquêteDenis robert Laurent Astier, Yan LindingreDargaud, 2009

Il y a quelques années, j’ai lu avec intérêt les ro-mans et les essais de Denis robert, ce journalistecourageux et opiniâtre, accablé sous les procès in-tentés par le monde bancaire, parti dans une salu-taire croisade contre les sociétés de clearing, facecachée de l’iceberg de la finance. Il a raconté sondouloureux combat sous bien des formes notam-ment pour éviter une procédure judiciaire de plus. etvoilà que maintenant c’est en bande dessinée qu’ilse met en scène pour dénoncer les requins du ca-pitalisme financier. Dans ce monde opaque, souventdifficile et délicat à décrypter, Denis robert nousconte, de façon lumineuse et pédagogique, la luttepresque désespérée qu’il mène depuis tant d’an-nées contre l’hydre à mille têtes. Juste pour informerle citoyen. (JC)

T.3 manipulation - à paraître (mai 2011)http://www.dargaud.com/affaire-affaires-l,300/

PreSSeCauset teBimestriel publié par les éditions Gynéthic

Causette est un magazine français créé il y a deuxans par un ancien pigiste de Charlie hebdo et del’Huma. Son crédo « Plus féminine du cerveau que

du capiton » lui va comme un gant. Dans ce maga-zine pas de page mode ou Bien-être, et sûrementpas de mensonges : photos non photoshopées dansun souci de réalisme, et des sujets qui nous concer-nent toutes et tous. on y trouve les avancées, etmalheureusement aussi les reculs, en matièred’égalité hommes femmes. mais il n’est pas réservéaux femmes, puisqu’il se préoccupe des droits detoutes et tous, même ceux que notre société ne saitpas où ranger comme les transgenres.Voici quelques sujets qu’on trouve dans le derniernuméro : les révolutions arabes, la coupe du mondede foot des sans-abris ou encore l’obsession de lataille du pénis. Vous pouvez en lire quelques pagessur leur site et aussi trouver les points de vente enBelgique de ce magazine qui signale un certain re-nouveau dans la presse française avec les revuesXXI, Uzbek et rica ou encore Books. (Lucrèce monneret)

www.causette.fr

STreeT ArTBonomVisible un peu partout à Bruxelles(carte disponible sur www.bonom.be)

Les Bruxellois n’ont pu échapper à l’un des graffi-tis de Bonom. Quadrillant la ville, il décore le plussouvent façades décrépies ou murs déprimants,suscitant l’étonnement par des évocations poétiquesd’animaux squelettiques, d’araignées géantes ou depetits bonshommes qui s’intègrent dans le paysageurbain local ou qui forment de fantastiques filmsd’animation en stop-motion (images par images) vi-sibles depuis sa rame de métro.Le mouvement des peintures urbaines et du street-art a pris d’assaut depuis 30 ans les murs de nosvilles même s’il s’inclut évidemment dans le tempsmillénaire des graffitis et, moins loin, dans la tradi-tion des affichistes, des décollagistes, des mura-listes et autres qui considèrent l’espace publiccomme support à l’art. Dans quelle mesure ce mou-vement favorise-t-il l’accès à l’art, un art de et dansla rue, rendu direct au passant, qui devient regar-deur de fait et qui s’inclut dans son quotidien. Ces

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Découvertes

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œuvres dégradent-elles les murs ou améliorent-elles un décor urbain dégradé ? en quoi ces œu-vres sont-elles moins légitimes que, par exemple,des panneaux de publicité qui peuvent défigurercertains environnements urbains ? Autant de ques-tions que cette tendance soulève. Là où règnentl’abandon, le laisser-aller de certains propriétaires(très souvent lié à la spéculation) ou le consensusde la grisaille de certains bureaux d’urbanisme,Bonom et les autres (roA, Jef Aerosol, mimi theClown, Login Hicks pour ne citer que des Bruxellois)viennent – gratuitement — introduire un peu d’artpoétique et, en quelques mots, embellir la ville. AlainLapiower, directeur de Lézarts Urbains, insiste à cesujet sur le plus, la valeur ajoutée, l’amélioration del’environnement urbain quotidien que cela peut ap-porter. même si Bonom est moins porteur d’un dis-cours politique que par exemple Banksy et sespochoirs urbains, il partage avec lui le goût de l’ano-nymat et de l’action directe. Actuellement sous lecoup d’une procédure judiciaire à la suite de sonarrestation en février 2010, il bénéficie d’une vaguede sympathie et de soutien qui rend hommage à cequi est considéré par beaucoup comme un servicerendu gratuitement à la communauté plutôt quecomme du vandalisme. (Aurélien Berthier)

Info notamment sur www.fatcap.org/article/soutenir-bonom.html et www.lezarts-urbains.be

DICT IonnAIrePet i t d ic t ionna ir e amour eux des soc ia -l ismesJean Cornil, Anne Demelenne, Isabelle Grippa, Yvanmayeur, Yanic Samzun, olga Zrihen.ADen, 2011

Trois femmes, trois hommes issus du monde poli-tique, associatif, syndical. Trois femmes, troishommes qui se sont faits plaisir en construisant en-semble un petit dictionnaire amoureux des socia-lismes. Des ami(e)s, des potes qui partagent lemême sens des valeurs, la même intensité dans lajungle des mots, des sens et des idées. Deshommes et des femmes qui se sont laissés aller, at-trapant les anecdotes, les souvenirs marqués etmarquants, les tournants dans une vie, les passagesà l’acte, les émotions vives, les tranches de vie, lescombats porteurs. De A à Z, chacun et chacune àleur tour se sont emparés d’un mot qu’ils asso-ciaient à la lettre de l’alphabet. Au gré des lettres,on explore avec eux des lieux, des personnages,des révolutions tranquilles et moins tranquilles, despersonnages politiques incontournables, des situa-tions momentanées et spontanées, des mouve-ments qui se créent , se soulèvent, des pays qui sedistinguent, des auteurs engagés, de la littératureintemporelle, des vocables syndicaux, des contréesmoins connues, des films hors pair, du cinéma d’au-teur, du cœur et de la passion, de la sueur et desusines, des couleurs, etc. Du mot Admirations àZebda (le nom d’un groupe musical toulousain, en-gagé politiquement), on plonge dans un dictionnaireiconoclaste empreint d’histoires et de découvertesamoureuses. Ce petit ouvrage nous projette dansl’univers des mots et nous fait partager des mo-ments volés aux auteurs que sont : Jean Cornil, AnneDemelenne, Isabelle Grippa, Yvan mayeur, YanicSamzun et olga Zrihen avec une postface de Xaviermabille (ancien directeur du CrISP). originalecomme démarche et plaisant à compulser et aussià discuter entre amis. (Sabine Beaucamp)

www.aden.be

eSSAI/eTUDeS CULTUreLLeSStuart HallI dent i tés e t cu l tur es, Pol i t iques des cu l -tur al s tudieseditions Amsterdam, 2008

Peu connu des francophones car peu traduit, StuartHall, né en Jamaïque en 1932, est un sociologuerattaché au mouvement des cultural studies. Les ar-ticles qui composent ce recueil se penchent sur lesconditions qui ont vu la naissance de cette « disci-pline indisciplinée », son devenir et ce qu’elle peutpolitiquement, notamment dans sa visée socialiste.Les études culturelles, dont Stuart Hall est l’un despères fondateurs (avec l’Indien Homi Bhabha et lePalestinien edward Said) se situent au croisementdes disciplines des sciences sociales et des

humanités (sociologie, anthropologie, psychanalyse,histoire, littérature, art, médiologie…). elles por-tent sur des champs d’investigation liés aux culturespopulaires, minoritaires ou contestataires et les af-frontements symboliques (genres, classes sociales,sexualités, colon/colonisé etc.). Le regard du « sub-alterne » et les relations de pouvoir entre celui-ci etla culture dominante y sont privilégiés. Leur but estaussi politique puisqu’elles visent à redonner une« puissance d’agir sociale » aux groupes considé-rés.néo-gramscien, Hall considère la culture comme unlieu de conflit et une question hautement politique.Sa pensée permet d’interroger des champs tels queles médias (question de la réception plurielle où l’in-dividu, loin d’être un « idiot culturel », négocie, ac-cepte ou refuse les messages médiatiques), dessuites du colonialisme (hantant encore aujourd’huiles discours des anciens colons et des décolonisés),de l’ethnicité ou des phénomènes liés à la diasporamais aussi de déconstruire certains concepts usuelstels que « culture », « populaire », « multicultura-lisme » ou « identité  » qu’il s’agit de redéfinir. Ces articles parus dans la période thatchériennedes années1980 et 90 (et en vue de résister à sapolitique) offrent une panoplie de concepts et re-nouvellent des paradigmes qui permettent d’ap-préhender la société postfordiste au populismeautoritaire prégnant dans laquelle nous baignons etde mieux s’expliquer -du point de vue culturel- desphénomènes parfois embrouillés tels que mondiali-sation, ar ticulation/désarticulation des identitéscontemporaines, migrations, mass medias… S’il est souvent dur de rentrer dans l’analyse exi-geante de Hall, la boîte à outils qu’il propose et letype de réflexion très moderne qu’il suggère sur

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l’univers social actuel donnent tout à fait la mesurede ce que les études culturelles, leurs objets, leursméthodes, peuvent amener au monde militant et àla pratique de l’éducation populaire. (AB)

www.editionsamsterdam.fr

eSSAI/PHILoCeci n’est pas un manuel de phi losophieCharles Pépinflammarion, 2010

mon amour pour la philo me fait me précipiter defaçon compulsive sur presque toutes les histoiresde la philosophie qui paraissent. Il y en a des tech-niques, quasi incompréhensibles au profane que jesuis, des classiques, un peu somnolentes et conve-nues. Il y en a des drôles et puis il y en a des origi-nales. Celle de Charles Pépin, collaborateur àPhilosophie magazine, sort totalement de l’ordinaireacadémique. C’est une éducation populaire à la ré-flexion et à la pensée critique. À partir des grandsthèmes classiques – le sujet, la culture, la raison,la politique, la morale –, l’auteur traite de manièrepédagogique et éclairante les grandes options phi-losophiques et les principales questions sociétales.Il y a des portraits – Platon, Spinoza, freud, Sar-tre… - une boîte à outils pour se familiariser avecles concepts - croire / savoir, contingent / néces-saire, transcendant / immanent… - et des copiesde rêve. Le tout avec des exemples tirés de notre vieordinaire de simples existants. formatif pour clari-fier sa pensée dans les brumes de la sur/désinfor-mation médiatique et face aux slogans de la vacuitépolitique. (JC)

eSSAI/PoLITIQUePour changer de civ i l i sat ionmartine Aubry (avec 50 chercheurs et citoyens)odile Jacob, 2011

martine Aubry, avec 50 chercheurs et citoyens, deDominique Bourg à Paul magnette, de Ulrich Beck àPatrick Weil, d’Alain Caillé à françoise Héritier, publieune réflexion visionnaire face aux impasses du pré-sent. L’essai est dense, parfois inégal, mais porteurde valeurs et conscient de la nécessité de changernotre paradigme de développement. Je ne partagepas toutes les approches, dont certaines trop conve-nues, mais je veux saluer la qualité de l’exercice quidépasse enfin les petits livres politiciens, nombrilistes,superficiels et à très courte vue. Cette recherche denouvelles Lumières est plus que salutaire. elle permetaussi de joindre la sphère de l’action et celle de la ré-flexion pour construire ensemble un vrai projet detransformation du monde post-industriel, post-occi-dental et post-matérialiste. (JC)

Chercheurs et citoyens se sont accordés du tempspour tourner la page d’un modèle de civilisation quin’est plus synonyme de progrès. La france dont ilsveulent est une france d’économie innovante, unesociété créative qui sache apporter des idées neuveset des biens communs, une prise de conscience col-lective qui donne à la culture une place première. Ilfaut repenser aujourd’hui la solidarité, à la fois parceque la société salariale est en crise et que les institu-tions de solidarité se sont essoufflées. La démocra-tie est en chantier, si les français ont du bon sens, onne peut refuser dès lors de les entendre quand ils re-jettent la loi sur les retraites ou contestent les choix

brouillons pour l’éducation. Thomas Piketty, économiste français écrit : « L’éco-nomie de marché et la propriété privée du capitalméritent certes d’être enfin pensées dans leurs di-mensions positives ». La toute première étape restede comprendre le phénomène auquel on estconfronté. Ainsi, précise-t-il, les inégalités ne sont pasconstruites par le travail ou les différences de salaire,mais bien structurées par l’héritage, les inégalités depatrimoine et l’arbitraire de ces rendements. Côtémonde de l’éducation, Alain Bergounioux (présidentde l’office Universitaire de la recherche Socialiste)écrit : « Loin de penser que nous aurions ‘’la meil-leure école du monde’’, sans non plus affirmer commeune poignée d’intégristes qu’elle est ‘’un champ deruines’’ il faut retravailler à définir les conditions del’égalité des chances ». Sans nul doute, l’éducationsera un grand enjeu de l’élection présidentielle, voiremême constituera son enjeu majeur. Dominique Perrault, architecte et urbaniste français,soumet à la réflexion l’actuel défi de loger toute la po-pulation dans sa diversité. Comment faire aujourd’huila ville habitante, la métropole habitante ? en imagi-nant la nouvelle « physicalité » de la ville au travers del’irruption des vides et au regard de la faible présencedu bâti. Le ministre belge de l’énergie Paul magnettesouligne que la gauche au XXIe siècle ne réussit plusà transmettre un souffle mobilisateur aux citoyens. « Ilfaut aujourd’hui, dit-il, constituer une vraie force po-litique de gauche au plan européen qui fasse conver-ger les partis socialistes nationaux et noue desalliances avec les forces de progrès ». Bien d’autresnoms qui influent sur le monde politique, économiqueet culturel laissent une trace dans ce livre qui consti-tue un bel ouvrage de réflexion. (SB)

eSSAI PoLIT IQUema gaucheedgar morin editions françois Bourin. 2010

À 89 ans, edgar morin, soyez-en certains, n’enta-mera pas une carrière de président de la répu-blique, ou de dictateur de la pensée. on leregretterait presque… Ce sociologue et philosopherevêt pourtant l’énergie intellectuelle et la vitalitéqu’il faut pour stimuler tous ceux qui s’efforcent desortir de la « grande régression ». Si le diagnosticglobal est sévère pour la gauche française, il restecelui d’un ami aux propositions emballées. La si-tuation exige une résistance qui préparerait une re-naissance. Une régénération de la pensée, etsingulièrement de la pensée politique, pourrait pré-parer un futur. Pour cela, il faut réapprendre à ap-prendre, il faut se rééduquer pour pouvoir éduquer.

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Contre toute attente, edgar morin a toujours répu-gné à ce « LA » unificateur qui précède gauche, quiselon lui occulte les différences, les oppositions etles conflits. Dans le chapitre « Si j’étais candidat », ilconcède que la tâche serait énorme mais indispen-sable dans le sens ou tout est à penser, tout est àrepenser, tout est à refonder, tout est à réformer.« Je m’efforcerais de dégager la Voie d’une grandepolitique concernant tous les aspects de la vie (éco-nomique, sociale, individuelle) afin de ressusciterles solidarités, faire reculer l’égoïsme, et plus pro-fondément réformer la société, réformer nos vies »écrit-il dans son ouvrage.La gauche recouvre quatre sources d’inspiration,explique edgar morin, sources jusqu’à maintenantdisjointes et concurrentes : le socialisme (société),le communisme (communauté) et l’anarchisme (in-dividu) auxquelles on ajoute l’écologie. L’enjeu deces gauches, désormais, est de se relier de façoncomplémentaire. retournons aux sources degauche, qui sont à la fois révolte et aspiration. As-piration, non pas au meilleur des mondes, mais àun monde meilleur. Aujourd’hui, le destin de l’hu-manité, le destin de la biosphère, le destin de la ci-vilisation sont liés. en effet, nous ne sommes passeulement dans une époque de changement, noussommes surtout dans un changement d’époque. Lesystème planétaire est condamné à la mort ou à latransformation. L’auteur s’appuie sur plus de qua-rante années de réflexion et d’interventions pu-bliques, nous aidant ainsi à reconsidérer cettegauche qui doit relever les défis de la dégradationdes solidarités, de la planète en crise et de la mon-dialisation.

Par les temps qui courent, l’unité est le trésor de ladiversité humaine, la diversité est le trésor de l’unitéhumaine. (SB)

eSSAI/eCoLes 7 péchés cap i taux du capi ta l isme Pierre moulinéditions Persée, 2011

Un livre singulier, quelque peu déroutant, un essaicurieusement amené sous le prisme du capitalismesacrifié sur l’autel des sept péchés capitaux ! Lesujet du livre est louable : la question des sociétéscapitalistes est ici abordée en actionnant le levierde l’orgueil ; le péché d’envie; l’avarice ; la gour-mandise ; la paresse ; la luxure et la colère. merci àl’auteur Pierre moulin de nous les avoir remis enmémoire, on les avait presque oubliés si pas tota-lement ! originale comme démarche on vous le di-sait…Ce livre plonge le lecteur dans un sentiment de meaculpa pour avoir cédé lâchement à l’un ou l’autremoment à ces péchés capitaux ! Certes sur le fond,l’auteur a raison : le terme « capitalisme » est demoins en moins utilisé. « Il évoque pêle-mêle un vo-cabulaire cryptocommuniste, une histoire déplai-sante, un système que l’on croit avoir régulé écritl’auteur. C’est un mot qui évoque l’asservissementdes ouvriers, l’exploitation des masses, le travail desenfants, l’asservissement par le prix et le coût, lescoups de grisou. Alors, on a trouvé un mot plus ac-ceptable, plus doux : l’économie de marché » pour-suit encore Pierre moulin. Licencié en scienceséconomiques, l’auteur a travaillé durant 35 ansdans le monde des multinationales. Il a donc vécu de

l’intérieur la mondialisation de l’économie et peutdonc nous en parler avec l’expérience qui fut lasienne et avec beaucoup de détachement. La grillede lecture des 7 péchés capitaux aborde entre au-tres dans ses chapitres : le besoin de croissance, lesparadis fiscaux, le nucléaire civil, la voiture et l’en-vie, la richesse et l’injustice sociale, la malbouffe, le« travailler toujours plus », le sexe sur Internet, la co-lère extérieure contre le capitalisme etc. Une mo-rale de fond en guise de conclusion …. La fin de cetessai rappelle que poursuivre les principes éthiquesde liberté, d’égalité, de fraternité et de générositécontribue à notre bonheur plus que la recherchefrénétique de biens au profit de ceux qui possèdentle capital. À bon entendeur….salut ! (SB)

www.7pechescapitaux.be

eSSAI / PAUVreTeActes du Colloque Images et usages de la pauvretéPAC éditions, 2011Coll. Cahiers de l’éducation permanente

Le 14 décembre 2010, professionnels de l’actionsociale et culturelle et chercheurs se sont réunis auCentre culturel de Seraing autour du thème desimages et usages des pauvres et de la pauvretéc’est-à-dire des représentations et des pratiques(bonnes comme mauvaises) que les mondes so-ciaux, culturels, politiques ou médiatiques peuventfaire de la pauvreté dans leurs secteurs respectifs.Ce recueil reproduit l’ensemble des interventions etdiscussions ou propose des textes de complémentspar les économistes, sociologues, hommes etfemmes de terrain qui ont alimenté les débats

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comme Christine mahy, Pierre reman, françoiseBaré, marc Sinnaeve ou encore Luc Carton. Le pau-vre se doit-il d’être un citoyen parfait ? Qu’est-ceque la participation des pauvres  et à quoiparticipent-ils ? Comment la pauvreté est-elle miseen scène dans les médias ? Comment le monde po-litique perçoit-il la problématique de la pauvreté ?Quelles images de l’individu et du pauvre sont por-tées dans les différentes politiques publiques de ces60 dernières années ? L’éducation populaire per-met-elle de lutter contre les images dominantes vé-hiculées au sujet de la pauvreté ? Un document detravail indispensable à qui s’intéresse ou travailledans le champ de la lutte contre la pauvreté. (Léopold Charond)

www.pac-g.be

eSSAI/PHILoLa dic ta ture de l ’urgenceGilles finchelsteinfayard, 2011

Gilles finchelstein est un intel-lectuel actif en politique. Il a étéconseiller du gouvernementJospin, chargé des questionspolitiques pour DominiqueStrauss-Kahn puis Pierre mos-covici et ensuite directeur gé-néral de la fondation JeanJaurès. Dans son dernier ou-

vrage, il écrit que l’urgence est partout. Il nourrit ceconstat par une enquête, et des analyses scienti-fiques, économiques, sociologiques, philosophiqueset politiques. L’urgence est cette suractivité, choi-sie ou subie, qui touche de plus en plus de gens,conjonction de deux phénomènes : le culte de la vi-tesse et le culte de l’instant. Serions-nous incapa-bles dès lors de nous projeter dans l’avenir ? elle est présente dans l’ensemble de nos vies : per-sonnelle, professionnelle, ou publique. entre autresexemples : nous consommons la nourriture plus ra-pidement ; la durée de vie des films dans les ciné-mas  : en moins d’un mois se joue le succès oul’échec d’un film ; l’information est transmise de plusen plus souvent en temps réel ; le TGV modifie notrerapport à l’espace ; les services d’urgence qui sesont imposés comme étant le mode normal d’en-trée à l’hôpital. L’auteur, à la suite de régis Debray,affirme que même notre diction s’est accélérée, pas-sant de 185 à 199 mots par minute en 10 ans, soit8 % de mots en plus à la minute ! Le monde de l’en-treprise n’est pas épargné, il doit fournir régulière-ment des rapports économiques à des rythmes de

plus en plus rapprochés.Côté vie publique : les lois ont de plus en plus sou-vent pour origine une réaction à l’actualité, on parled’ailleurs de procédure... d’urgence  ! L’auteur explore les deux grandes voies face à l’ur-gence. L’une se concentre sur le temps physique,l’autre sur le temps symbolique. L’une joue sur lerythme du temps, on peut vouloir freiner, il s’agit dechoix essentiellement individuels. on reconnaîtra icile sens du combat des partisans de la décroissance,le mouvement de la lenteur. L’autre, serait plutôt devouloir accélérer et répondre à la vitesse par la vi-tesse, à la manière du président nicolas Sarkozy.Gilles finchelstein considère qu’il faut gouverner au-trement : Sarkozy devrait être en charge de l’es-sentiel et pas de tout ! Au contraire, il cherche àsaturer l’espace et à compresser le temps. Gillesfinchelstein propose alors dans son ouvrage unevoie alternative pour décélérer : redonner une placeà la négociation et à la concertation, réguler en pri-vilégiant le long terme. Il faut pour cela redonner dela profondeur et de la perspective au temps long,retrouver un passé et un avenir. La priorité est dedonner du sens au temps. (SB)

eSSAI/PALeST IneJe ne haïr ai po intIzzeldin Abuelaish Laffont, 2011

A l’origine, un drame : trois des filles et la nièce duDr Izzeldin Abuelaish sont tuées par une roquette

israélienne. Les faits se déroulent pendant les bom-bardements de Gaza de l’hiver 2008-2009, l’opé-ration dite « Plomb durci ». Triste ironie, c’est aumoment-même où le Dr Abuelaish, médecin et cher-cheur émérite travaillant très souvent en Israël, té-moignait justement de la violence du conflit partéléphone et en direct sur une chaine israélienneque le bombardement se produisit. Son histoire, il laraconte en parallèle et avec celle de son peuple,celle des Palestiniens de Gaza. C’est aussi celle del’homme qui ne souhaite pas se laisser sombrerdans la haine, comportement héroïque lorsqu’onest meurtri par l’injustice et la tragédie. exemplaireaussi celui de continuer à vouloir la paix, de conti-nuer à jeter des ponts. Il faut à la fois briser le cyclemortifère de la vengeance et accepter la mort deses enfants, lui donner un sens : celui, peut-être,du dernier sacrifice avant une paix réelle. C’est làoù se situe tout le propos du livre, entre l’expérienceindividuelle et les conséquences historiques et col-lectives possible. (LC)

C InemA/DVDT he runawaysDe floria Sigismondi

The runaways est un film musical de floria Sigis-mondi, photographe et réalisatrice italienne. on re-trouve son univers surréaliste dans des clips vidéosd’artistes comme marilyn manson, David Bowie ouencore The Cure. elle met ici en scène une biogra-phie de l’un des premiers groupes de glam rock fé-minin des années 70 : The runaways. Le film retrace

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la trajectoire étonnante et l’histoire vraie de jeunesfilles qui en veulent et qui, en se cherchant, vontfinir par réaliser leurs rêves et changer peu à peules mentalités, les clichés que le monde musical vé-hicule au sujet de la gente féminine. The runawaysdeviennent alors les égéries, des stars légendairesde la scène rock américaine. Un film très chouettequi vous replonge dans les sons et voix de l’époque.Un groupe qui mettra le pied à l’étrier à d’autresgroupes féminins comme «  The Slits  », premiergroupe punk féminin en 1977. Sorti en septembre2010, ce film procure beaucoup de plaisir à voir età écouter. (SB)

DVD/DoCUmenTAIrefa i tes le mur  !BanksyParanoïd Pictures / Le Pacte - 2010

on ne présente plus Banksy, artiste street-art clan-destin et multifacette au discours poético-politiqueplus que percutant dont les pochoirs ornent lesmurs de Londres, Bristol ou encore le mur honteuxqui sépare Israël et la Cisjordanie. Il signe ce docu-mentaire intitulé « faites le mur ! » (exit Through theGift Store en anglais), un récit dont la véracité am-bigüe brouille les pistes. Il retrace les débuts dustreet-art à travers les yeux d’un certain ThierryGuetta, dont on doutera progressivement de l’exis-tence. Ce dernier, vendeur de fripes qui filmeconstamment sa vie, va devenir le témoin chanceuxde la naissance du mouvement puis son documen-tariste officiel. en plus de Banksy, on croise entreautres, dans des images aussi rares qu’impres-sionnantes, Space Invader ou Shepard fairey –

celui-là même qui colla des milliers d’affiches« obey » dans les rues de Los Angles, Paris et tantd’autres villes et deviendra ensuite célèbre en com-posant l’affiche ‘Hope’ pour Barack obama. Aprèsun parcours hilarant, Thierry Guetta finira par de-venir à son tour une méga-star du street-art, « mis-ter Brain Wash  », au discours creux et à lamégalomanie frappante, sorte de némésis deBanksy. C’est pourtant les conseils de ce dernier quiavait suscité cette vocation. Canular ? en tout cas,à travers l’avènement de l’art de Thierry Guetta parquelques coups de pubs et recommandations sepose la question de la capacité de subversion réellede l’art, fût-il issu de la rue, de la vacuité de la cé-lébrité ou encore du succès qui dépasse sont au-teur. Des questionnements qui taraudent sans douteBanksy, ar tiste intègre à l’anonymat revendiquémais rendu sans cesse plus difficile en raison d’unsuccès croissant. est-il possible d’échapper au mar-ché et aux médias comme on échappe à la police ?(AB)

http://www.faiteslemur-lefilm.com/www.banksy.com

DVD/ C InemA T he Dar jee l ing L imi tedWes Anderson

L’auteur de « La vie aquatique » signe ici un railmovie mystique et fraternel. on pourrait qualifier cecinéaste comme étant le double de Tim Burton. TheDarjeeling Limited suscite l’imaginaire du spectateurse servant comme métaphore d’un train qu’il ne fautrater sous aucun prétexte sous peine de louperl’aventure. Cette aventure, c’est celle de trois frères,qui ne se sont pas parlés et revus depuis la mort deleur père, et qui vont la vivre dans une Inde réduiteà un défilé de vignettes figées dans son passé fol-

klorique et colonial. Leur but : renouer les liens d’au-trefois. malheureusement, la «quête spirituelle» destrois frères va vite dérailler dans ce pays magiquedont ils ignorent tout, c’est alors un autre voyagequi commence, riche en imprévus. S’ensuit alors unepléiade de quiproquos qu’aucun d’eux ne pouvaitimaginer. The Darjeeling Limited met en scène lechoc des civilisations avec pour seul levier le bur-lesque et l’ironie… (SB)

C InemA/DVDBus Pa l ladiumChristopher Thompson

Bus Palladium, c’est le nom d’une discothèque pa-risienne située dans le quartier de Pigalle. Cinqjeunes amis d’enfance sont au cœur d’un groupede rock, « Lust », qui connaît de plus en plus de suc-cès. Le scénario met surtout à l’avant-scène Lucaset manu, deux leaders charismatiques, qui du mêmebond se posent des tas de questions par rapport àleur avenir. L’un voudrait poursuivre ses études mal-gré l’envol de leur groupe. L’autre veut totalements’immerger dans la musique au risque de s’y perdre.L’arrivée de Laura dans leur vie va mettre à vif et àl’épreuve les sentiments d’amitié qui font la forcede ce groupe de potes de longue date. S’en suiventalors, la déchirure amoureuse, les promesses inte-nables, les trahisons affectives, les rendez-vousmanqués, les espoirs perdus. Bus Palladium met ensituation tous ces moments fragiles qui font qu’à cetâge de la vie on se sent parfois seul au monde. Ten-dre et sympathique. (SB)

découvertes

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PoP/roCKAnikaAnikaInvada records, 2010

Berlinoise et réincarnation de nico dont elle pos-sède quasiment la même voix enchanteresse, Anikapropose pour son premier album dix morceaux, dontplusieurs reprises, éditées dans un album éponymesur le label de Geoff Barrow (Beak, Portishead) quil’a d’ailleurs produit. Sur le plan des reprises, onreste abasourdi par le « I go to sleep » des Kinks,le « masters of War » de Dylan ou encore le « YangYang » de Yoko ono complètement transfigurés parun chant aussi éthéré que touchant et une instru-mentation aux chaudes envolées cold où un Joy Di-vision jouerait du dub dans les années 60.réécoutage en boucle probable. (AB)

www.myspace.com/anikainvada

mUSIQUe/roCKCheveumilleBorn Bad records, 2010

L’excellent label français Born Bad records édite letroisième album de l’un des groupes français derock indépendant les plus excitants du moment,Cheveu. Après un premier LP éponyme, undeuxième intitulé « Cheveau », ce trio parisien sort« mille », encore un autre oVnI rock’n’roll. Cet albummélange un rock garage genre Black Lips avec desmoments électro proche de Suicide pour les syn-thés, des boîtes à rythmes indus et des samplesétranges, des instants très heavy à la melvins maisaussi de grandes envolées orchestrales. Humour

noir à tous les étages, titres de morceaux idiots etpassages-noise-déjantés-qui-s’écoutent-très-biengarantis. (AB)

www.myspace.com/cheveu

PoP/roCKT he Bewi tched HandsBirds & DrumsSony music, 2010

originaire de reims, ce surprenant groupe françaispop psychédélique/folk enregistre depuis 2007.Birds & Drums est leur premier album qui révèle desmorceaux interprétés par sept intervenants, typepetite fanfare, plusieurs vocalistes et pas mal d’ins-truments percussifs. Pour situer l’ambiance dudisque, elle navigue entre Arcade fire et I’m fromBarcelona. Un album dont les influences ressortenttout au long des 13 titres presque nostalgiques, quel’on écoute avec grand plaisir. en effet sur cet albumplane la griffe et le souffle des Beach Boys, des Pix-ies ou de T-rex. en un mot très positif cet album.ne pas passer à côté The Bewitched Hands, ce

groupe sur disque vous donne déjà une sacrée dosed’énergie, on n’ose imaginer ce que peut donnersur scène ce big band folk. Ils sont passés en marsdernier sur la scène belge au Botanique. (SB)

www.myspace.com/handsbewitched

PoP/roCKPJ Har veyLet england ShakeUniversal, 2011

Le retour de PJ Harvey était attendu à la fois avecune certaine impatience animée par une grande curiosité. Qu’allait-elle pouvoir pro-poser pour son huitième album ? Allait-elle encorenous surprendre ? Pour sûr « Let england Shake »est un album enraciné mirifique qui nous plongedans l’histoire de l’Angleterre avec légendes etchamps de bataille. Un album composé de douze ti-tres aux textes for ts et provocateurs, enregistrédans son Dorset natal (au sud de l’Angleterre) dansune église posée sur la lande à quelques encabluresde la mer. Somptueuse source d’inspiration. PollyJean Harvey, la plus charismatique des chanteusesrock y va de sa voix puissante, module les sons avecun talent fou. Du bonheur à l’état pur, vous êtescomme transporté dans un univers à la Barry Lin-don, on y retrouve des accents des Cure, l’ambiancedes albums d’echo and the Bunnymen, les rythmesendiablés des feelies et des bribes poétiquesproches de celles de Patti Smith. (SB)

www.myspace.com/pjharvey

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découvertes

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blalbla

Le socia l isme, les socia l ismes, représentent une conste l la t ion d ’idées, d ’espérances, d ’expériences, de luttes, de v aleur s , d ’en-gagements, de mémo ires, de musiques, de concepts , de l ieux,… excep t ionne l le dans la dest inée des femmes e t des hommes. Au-delà des str uctures e t des s logans, tr ois femmes et tr ois hommes ont souhai té r aconter, sous fo r me d ’abécéda ire , leur imagi-na ire socia l is te, p lurie l e t dense , a rdent e t pass ionné . Un pet i t d ic t ionna ire amour eux, af fect i f e t sent imenta l , lo in du t ra i té de sc iences po l i t iques, un f lor i lège d’ indignat ions e t d’émer-vei l lements , face au désenchantement rés igné de l ’époque et face au t r iomphe des va leur s marchandes.et plaisant à compulser

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