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LEPOINTDEVUEDESÉDITEURS
Quelques jours avantNoël,MartinMolin, le collèguedePatrikHedström, accompagne sapetite amieLisetteàuneréuniondefamillesuruneîleaulargedeFjällbacka.Maisaucoursdupremierrepas, legrand-père,unrichissimemagnatdel’industrie,leurannonceuneterriblenouvelleavantdes’effondrer,terrassé.Danssonverre,Martindécèleuneodeurfaiblemaisdistincted’amandeamère.Uneodeurdemeurtre.Unetempêtedeneigefaitrage,l’îleestisoléedumondeetMartindécidedemenerl’enquête.Commencealorsunpatientinterrogatoirequevasoudaintroublerunnouveaucoupdethéâtre…Offrant une pause à son héroïne Erica Falck, Camilla Läckberg nous livre un polar familial
délicieusementempoisonné.
“ACTESNOIRS”
sériedirigéeparManuelTricoteaux
CAMILLALÄCKBERG
Née en 1974, Camilla Läckberg est l’auteur d’une série de romans policiers mettant en scène lepersonnage d’Erica Falck. Ses ouvrages caracolent tous en tête des ventes en Suède comme àl’étranger.
DUMÊMEAUTEUR
LAPRINCESSEDESGLACES,ActesSud,2008.
LEPRÉDICATEUR,ActesSud,2009.LETAILLEURDEPIERRE,ActesSud,2009.
L’OISEAUDEMAUVAISAUGURE,ActesSud,2010.L’ENFANTALLEMAND,ActesSud,2011.
Illustrationdecouverture:©NatalieShau
Titreoriginal:
SnöstormochmandeldoftEditeuroriginal:
Månpocket,Stockholm©CamillaLäckberg,2007
Publiéavecl’accorddeNordinAgency,Suède
©ACTESSUD,2011pourlatraductionfrançaiseISBN978-2-330-00459-0
Çasentaitdenouveaulaneige.Noëlétaitdansmoinsd’unesemaineetlemoisdedécembreavaitdéjàapportésonlotdefroidetdeflocons.Pendantplusieurssemaines,uneglaceépaisseavaitrecouvertlamer,maisleredouxdecesderniersjoursl’avaitrenduefragileettraîtresse.MartinMolinsetenaitàl’avantdubateauquifaisaitcapsurValödanslechenalouvertdanslaglace
par la vedette de sauvetage en mer. Il se demandait s’il avait pris la bonne décision. Lisette avaittellementinsistépourqu’ilvienne.Ellel’avaitsuppliémême.Lesréunionsdefamillen’étaientpassonfort,avait-elledit,etcelle-cisepasseraitbeaucoupmieuxs’ilétaitlà.Seulement,unerencontreavecsafamillesous-entendaitqueleurrelationétaitsérieuse,etilnevoyaitpasdutoutleschosesainsi.Maismaintenantc’étaitfait.Illeluiavaitpromisetilétaitlà,enroutepourl’îledeValöetl’ancienne
coloniedevacancestransforméeenmaisond’hôte,oùilpasseraitdeuxjoursaveclafamilledeLisette.Ilseretourna.Fjällbackaétaitmagnifique,surtoutenhiver,lorsquesespetitesmaisonsrougesétaient
enfouies dans toute cette blancheur. La hautemontagne grise qui ceinturait la petite ville lui apportaitaussi une intensité dramatique et une esthétique incomparables. Il devrait peut-être abandonnerTanumshedepourvenirvivreici,sedit-ilenriantdecetteidéefolle.Lejouroùilauraitgagnéauloto,peut-être.—Vousmelancezlebout?crial’hommesurl’appontement.Martinémergeadesesrêveries.Il se pencha et prit la corde enroulée à l’avant du bateau. Lorsqu’ils furent suffisamment près du
ponton,illajetaàl’hommequil’attrapahabilementetamarral’embarcation.—Vousêtesledernier.Touslesautressontdéjàlà.Martindescenditprudemmentlapetitepasserelleglissanteetpritlamainqu’illuitendait.—Jedevaisterminerquelquesdossiersaucommissariatavantdepartir.—Oui, j’aiapprisqu’onallaitavoirunreprésentantdesforcesde l’ordrepour leweek-end.Jeme
senstoutdesuiteplusrassuré,ditl’hommeavecungrosrireavantdeseprésenter:jesuisBörje.Avecma femme, on a repris l’endroit, et du coup, je suis l’homme à tout faire ici : menuisier, cuisinier,majordome.Ehoui,mieuxvautavoirplusieurscordesàsonarc.Ilpartitencoreunefoisd’unrirejovial.MartinattrapasonsacetsuivitBörjeendirectiondeslumièresquiscintillaiententrelesarbres.—D’aprèscequ’onm’adit,vousavezfaitdesmiraclesaveccevieuxbâtiment,dit-il.—Çaaétépasmaldeboulot,réponditfièrementBörje.Etd’argent.Ilfautlereconnaître.Maisonest
arrivésauboutdenospeinesmaintenant.C’étaitpleincetété,etmadulcinéeetmoi,onaeudesgensjusquetardenautomne.NotreoffredeNoëlremporteunfrancsuccès,onnes’yattendaitpas.—J’imaginequelesgensontenvied’échapperàl’hystériedesfêtes,ditMartin.Il s’efforça de ne pas trop souffler enmontant le raidillon vers lamaison. Il eut un peu honte. Sa
condition physique était lamentable. Compte tenu de son âge et de son métier, il aurait dû être enmeilleureforme.En levantun instant lesyeuxdu sentier, il fut saisid’émerveillement. Ils avaient réellement faitdes
miraclesaveclevieuxbâtiment.Commelaplupartdeceuxquiavaientgrandidanslarégion,MartinétaitvenuàValöavecl’écoleoupourdescampsdevacances,etilserappelaitunemaisonverte,certesjolie,maisassezdélabréeetentouréed’uneimmensepelouse.Aujourd’hui,delapeintureblancheétaitvenuerecouvrir l’ancienne, et lamaison rénovée de fond en comble était un vrai bijou.Une lumière chaudesemblaitruisselerdesfenêtresetmettaitenvaleurlafaçadeclaire.Devantl’escalier,onavaitallumédesbougiesd’extérieuretparunefenêtredurez-de-chaussée,ilaperçutungrandsapindeNoël.C’étaitundécorféeriqueetilmarquaunehaltepourl’admirer.—Joli,n’est-cepas?ditBörjequis’arrêtaégalement.—C’estincroyable,réponditMartin,époustouflé.
Ilsarrivèrentàlamaison,entrèrentdanslevestibuleettapèrentdespiedssurlesolpourôterlaneigedeleurschaussures.—Voilàledernierarrivé!criaBörje,etMartinentenditdespasrapidess’approcher.—Martin!Commejesuiscontentedetevoir!LisettesejetaàsoncouetMartineutdenouveaulesentimentqu’iln’auraitpasdûvenir.Lisetteavait
beauêtremignonneetsympathique,ilcommençaitàsedirequ’elleprenaitleurrelationtropausérieux.Ilétaitcependanttroptardpourfairemarchearrière.Ilfallaitseulementessayerdesurvivreàceweek-end.—Viens!Ellelepritparlamainetl’entraînaplusoumoinsdeforceverslagrandesalleàgaucheduvestibule.
DanslessouvenirsdeMartin,ils’agissaitd’undortoirencombrédelitssuperposés.Aprésent,unemainau goût sûr l’avait transformée en une salle de séjour et une bibliothèque. Un énorme sapin de Noëldécorédanslesrèglesdel’arttrônaitaucentredelapièce.—Levoici!claironnatriomphalementLisette.Touslesregardssetournèrentverslui.Ilréprimal’enviederajusterlecoldesachemiseetsecontenta
defaireunpetitgesteridiculedelamain.Lisetteluifitcomprendreparunpetitcoupdecoudequel’ons’attendait probablement à plus de sa part, et il entreprit d’aller saluer chacun des invités. Lisettel’accompagnaetsechargeadesprésentations.—Monpère,Harald.Unhommegrandavec les cheveuxenbataille etunemoustache tout aussi fournie se levaet secoua
frénétiquementlamaindeMartin.—EtvoiciBritten,mamère.—MonvrainomestBritt-Marie,maispersonnenem’ajamaisappeléeautrementqueBrittendepuis
mescinqans.LamèredeLisetteselevaégalement,etMartinfutfrappéparlaressemblanceentrelamèreetlafille.
Ellesavaientlamêmesilhouettemenue,lesmêmesyeuxnoisetteetlesmêmescheveuxchâtainsbienqueceuxdeBrittensoientparsemésdequelquescheveuxblancs.—Jesuiscontentedepouvoirenfinvousrencontrer,luidit-elle.Martin murmura quelque chose du même ordre en guise de réponse et espéra que son manque de
sincériténesoitpastropmanifeste.—MononcleGustav,repritLisette.De toute évidence, l’homme,qui ressemblait à uneversionpluspetite et décharnéede sonpère, ne
faisaitpaspartiedesespréférés.—Enchanté,enchanté,ditGustavavecunairquelquepeuempeséens’inclinantlégèrement.Martin se demanda s’il devait s’incliner à son tour,mais décida qu’un petit signe de la tête ferait
l’affaire.EnsuitevintletourdelafemmedeGustavqui,àenjugerparletonqu’employaitLisette,neluiinspiraitpasnonplusunenthousiasmedébordant.—MatanteVivi.Martinsentitunemainsècheetratatinéeserrerlasienne.Celle-cicontrastaitfortementavecunvisage
sidépourvuderidesquesapeauparaissaittenduecommeuntambour.Ilétaitpersuadéques’iljetaituncoup d’œil derrière ses oreilles, il découvrirait les cicatrices d’un certain nombre d’interventionschirurgicales.Heureusement,ilréussitàs’enabstenir.—MoncousinBernard,continuaLisetted’unevoixchaleureuse.Il y avait apparemment plus d’amour entre Lisette et l’homme assis à côté de tante Vivi. Martin
éprouvauneaversioninstinctivepourcetéléganttrentenaire.Ilarboraitunecoiffurequi,pouruneraisonincompréhensible,étaitpriséedanslesmilieuxdelafinance:cheveuxgominésetplaquésenarrière.—Tiens,voilàdonclepolicierdeLisette…
Ilparlaitavecl’accentsnobdeStockholm,etmêmesil’énoncéétaitcorrectetparfaitementinnocent,Martinperçutautrechosederrièresontondésinvolte.Quelquechosedecondescendantqu’ileutdumalàdéfinir.—Eneffet,c’estça,répondit-ilsèchementendirigeantsonattentionsurlajeunefemmequisetenait
prèsdeBernard.—LasœurdeBernard,Miranda,annonçaLisette.Martinneputs’empêcherdetressaillirlorsqu’ilpritlamaintenduedelacousinedeLisette.Miranda
étaitbelleàcouperlesouffle.Elleavaitenvironvingt-cinqans,lesmêmescheveuxailedecorbeauquesonfrère,maispluslongs,etdesyeuxd’unbleuintensequ’elleposasurlui.Martinsentitqu’ilperdaitcontenance.UnpetittoussotementdeLisetteluifitcomprendrequ’ilavaitprobablementgardélamaindesacousineunpeutroplongtempsdanslasienne,etillalâchacommes’ils’étaitbrûlé.—Monfrère,Mattias.Maistoutlemondel’appelleMatte.LavoixdeLisetteétaitdevenueglaciale,etMartinsetournaavechâteverssonfrèreaîné.Matteavait
unvisagesympathiqueetilsecoualamaindeMartinavecbeaucoupd’entrain.—J’aipresquel’impressiondeteconnaître!Lisettenefaitqueparlerdetoidepuiscetété.Jesuis
vraiment,vraimentcontentdeterencontrer!Lisettemarquaunepausethéâtraleavantdedire:—Etenfin,leplusimportant–mongrand-pèreRuben.Unhommeâgéenfauteuilroulantsetenaitdevantlui.Rubenavaitdonnésestraitsàsesdeuxfils,mais
lui-mêmesemblaits’êtrerabougri.Iln’étaitpasplusgrandqu’unenfant.Ilétaitinstallédanssonfauteuilavecunecouvertureàcarreauxsurlesgenoux.Malgrécela,sapoignéedemainétaitfermeetsonregardvif.—Aaahhh,voilàdoncnotrejeunehomme,dit-ilavecuneexpressionamusée,etfaceàlui,Martinse
sentitcommeunécolier.Le vieil homme avait quelque chose d’extrêmement impressionnant. Martin connaissait bien son
histoire.IlétaitnépauvrecommeJobet,àpartirderien,ilavaitbâtiunempirequibrassaitaujourd’huidesmilliardsdanslemondeentier.SoncontedeféesétaitconnudelaplupartdesSuédois.—Lerepasestservi!Toutlemonderegardaendirectiondelavoixclairequisefitentendredepuisl’embrasuredelaporte.
Unefemmeavecuntablierblancàl’ancienneindiquaitlasalleàmanger.Martinsupposaqu’ils’agissaitdelafemmedeBörje.—Ehbien,çatombebien,parcequej’aiunedecesfaims,ditHaraldquifutlepremieràserendre
danslasalleàmanger.Avant qu’un petit groupe ne se forme à sa suite,Martin fut témoin d’une scène cocasse. Plusieurs
membres de la famille Liljecrona se précipitèrent vers le fauteuil roulant de Ruben en rivalisant devitessepourl’atteindrelepremier.Lisette,quiétaitleplusprès,sortitgagnantedel’épreuveetjetaunregardtriomphantsur tanteVivi. Ilsedéroulaitmanifestement icideschosesauxquellesMartinn’avaitpasétéinitié.Intérieurement,ilsoupiraunefoisdeplus.Leweek-ends’annonçaittrès,trèslong.
Lisettesentitlesregardsdanssondostandisqu’ellepoussaitlefauteuildesongrand-pèreverslasalleàmanger. L’émotion de la victoire empourpra ses joues et elle espéra que ce succès préfigurait levainqueurdelagrandebataille.Cellepourl’argentdesongrand-père.L’idéequ’unetellesommepuisseunjourluiappartenirlafaisaitrêver.Ilnes’agissaitpasdemillions,maisdemilliards.Toutcequ’ilyavait à faire était de rester en bons termes avec le vieux et croiser les doigts pour que les autres sedisqualifientàtourderôle.Etcen’étaitpassiutopique.Ellesavaitaveccertitudequesonpèreetsononcle étaient en train de brûler leurs vaisseaux ; ils ne représenteraient pas ungrandobstacle sur son
chemin.NiBernard etMirandad’ailleurs.Non, sonprincipal concurrent à la course à l’héritage étaitMatte.Pourlemoment,ilfallaitadmettrequ’ilétaitbienmieuxplacéqu’elleauprèsdugrand-père.Maiselle était certaine que c’était temporaire.Matte finirait forcément parmontrer une faiblesse dont ellepourraittirerparti,ilsuffisaitdes’armerdepatience.—Ohpardon!ElleavaitheurtélajambedeMartinaveclefauteuilroulant,etelles’arrêtapourlelaisserpasser.Elle
sedemandauninstantsielleavaiteuraisondeluidemanderdevenir.Ellevoulaitmontreràgrand-pèrequ’elle était désormais une adulte, qu’elle avaitmûri, et un petit ami policier venait avantageusementcompléter le tableau. Même si elle aurait préféré qu’il se montre moins empoté. Un seul regard surBernard lors des présentations lui avait suffi pour comprendre ce qu’il pensait deMartin, et elle sedemanda si tous partageaient son avis. Martin était certes sympathique et charmant, mais de touteévidenceilmanquaitdesavoir-vivre.Ellel’avaitfaitvenir,tantpispourelle.Maintenant,ilneluirestaitqu’àessayerdepasserceweek-endaumieux.
La vue de tous les mets du buffet installé le long du mur était impressionnante. La table croulaitlittéralementsouslesspécialités:dujambon,dufromagedetête,desharengssoustouteslesformes,desboulettes de viande, des saucisses cocktail et bien d’autres plats encore. Il y avait tout ce que doitcomporterunbuffetdeNoëlquiserespecte,etl’estomacdeMartinsemitàgronderbruyamment.—Jecroisquelejeunehommeafaim!ditHaraldenrianttandisqu’illuidonnaitunetapedansledos.—C’estvrai,j’avouequej’aiunpetitcreux,répondit-ilavecunsourireforcé.Ilespéraque lepèredeLisetteneprendraitpas l’habitudede l’appeler“le jeunehomme”etde lui
taperdansledosàtoutboutdechamp.Chacunavaitrapidementremplisonassietteets’étaitinstalléautourdelatablejolimentdécoréepour
l’occasion.Dehors,lafaiblechutedeneigeavaitévoluéenunequasi-tempête.Börjefitletourdelatableavecunebouteilled’aquavitglacéàlamain.Ilavaitl’airsoucieux.—Çanemeditrienquivaille.D’aprèslamétéo,onvaavoirunsaletemps.J’espèrequ’onn’aurapas
besoinderejoindrelecontinent,parcequeçapourraits’avérerdifficile.—Onnemanquederienici,ditRubendesavoixsèchedevieillard.Onn’apasprévudepartiravant
dimanche,etj’ail’impressionqu’onnevapasmourirdefaim.Tout le monde rit de son commentaire. Un peu trop fort et un peu trop cordialement. Une ride de
mécontentement se forma entre ses sourcils broussailleux ; il en avait probablement plus qu’assezdescourbettes.Pendantuneseconde,Martincroisasonregardetilcompritquelevieilhommeavaitdevinésespensées. Ilbaissa lesyeuxet s’appliquaà tremperunesaucissecocktaildansde lamoutarde.Unepetiteentaillefaiteàchaqueboutdespetitessaucisseslesavaitfaitserecourbersurelles-mêmes.Quandil était petit, il les appelait des saucisses-bouclettes, et ses parents le lui rappelaient encore à chaqueNoël.—AlorsBernard,ditRubenendéplaçantsonattentionsursonpetit-fils.Commentvatasociété?Ilya
certainesrumeursquicourentàlabourse.IlyeutunpetitsilencepesantavantqueBernardréponde:—Cesontdesmauvaiseslangues.L’entreprisenes’estjamaisaussibienportée.—Ahbon,cen’estpascequej’aientendu,ditRubend’unevoixdoucereuse.Etmessourcessont…
commetulesais…àconsidérercommeparfaitementfiables.—Loindemoil’idéedecritiquer tessources,grand-père,mais jemedisqu’ellessontpeut-êtreun
peudépassées.Alorsqu’est-cequetuveuxqu’ellessachentsur…VivilançaunregardacéréàBernardquileréduisitausilence.Enbaissantleton,ilpoursuivit:
—Ehbien, tout ceque jepeux tedire, c’estque tes sources se trompent.Nousauronsdes chiffresexcellentsàprésenterlorsdenotreprochainbilan.—Ettoi,Miranda?Commentseportetonagencededesign?LesyeuxdeRubenseposèrentsurMirandacommedesrayonsX,etellesetortillaenrépondant:—Ehbien,onaétépoursuivisparlamalchance.Beaucoupdecommandesontétéannuléesaudernier
moment,etonadûfairepasmaldeboulotgratuitementpournousprocurerdesclientsderéférence,et…Rubenlevaunemainosseuse.—Merci,merci,celamesuffit.Jevoisparfaitementletopo.Autrementdit,ilnerestepasgrand-chose
ducapitalquej’aiinjectédanstonaffaire?—Ben,tuvoisgrand-père,j’avaisl’intentiondet’enparler…Elle enroula une mèche de ses magnifiques cheveux longs autour d’un doigt et adressa un sourire
obséquieux au vieil homme. Vivi essaya de sauver la situation avec son verbiage tout en tirantnerveusementsursoncollierdeperles:—Lesenfantssedébrouillentvraimentbien,ilstravaillentdur.Onnelesvoitpratiquementpluspasser
àlamaison,Gustavetmoi,c’estboulot,boulot,boulot…Martin commença à avoir du mal à avaler ses mini-saucisses. Le repas avait pris une tournure
désagréable, et il chercha à croiser le regard deLisette. Seulement, comme les autresmembres de lafamille,elleécoutaitavidementlajouteverbaleetattendaitlasuite.—EttoiLisette,tuenvisagesdecommenceràtravaillerbientôt?LabouchedeLisetteserefermad’uncouplorsquesongrand-pèresefocalisasurelle.—Mais…moi…jen’aipasencorefinimesétudes,bégaya-t-elleetellesemblarétréciràvued’œil.—Oui,jesaisquetufaisdesétudes,ditsèchementRuben.C’estmoiquilesfinance.Depuishuitans.
Jevoulaisseulementsavoirs’iln’étaitpastempsdemettretoutecetteconnaissanceenpratique?Sontonétaittoujoursd’unedouceurtrompeuse,etLisetteavaitlesyeuxbaisséslorsqu’ellerépondit:—Si,biensûr,grand-père.Rubensoufflademépris,puisilregardafinalementsesfils.—Quelquesproblèmesauboulot,sij’aibiencompris.L’œil exercédeMartinvitHaraldetGustavéchangerun regard rapide.Ce futunéchangemuetd’à
peineuneseconde,maisMartineutletempsd’ylireàlafoisdelahaineetdelapeur.—Qu’est-ce que tu as compris, papa ? finit par direHarald. Tout roule comme sur des roulettes.
Businessasusual,tusais.Exactementcommeàtonépoque.Un sourire joyeux,mais superficiel, accompagna ses propos. Sesmains, qui réduisaient fébrilement
uneservietteenconfettistandisqu’ilparlait,trahissaientsessentimentsréels.—Mon époque ! Tu sais très bien que “mon époque” ne remonte qu’à deux ans. A t’entendre, on
pourraitcroirequejetenaislabarreilyaplusdecentans.Etsijen’avaispaseuces…–ilcherchalemot–…cesproblèmesdesanté,jelatiendraisencore.Maisj’aitoujoursmessourcesdanslasociété.Etcequej’aientenduestalarmant,dit-ilenlesmenaçantdudoigt.Aprèsavoirjetéuncoupd’œilobliqueàsonfrère,Gustavpritlaparole.—CommeHaraldvientdeledire,toutestenordre.Jenecomprendspascequetuaspuentendre…Denouveau,Rubensoufflaetdelasalivejaillitdesabouchelorsqu’ils’exclama:—Vous faites vraiment piètre figure, tous autant quevous êtes.Vous avezvécu àmesdépens toute
votrevie,profitédemonargentetattenduquelescaillestombenttoutesrôties!Etj’aicommislabêtisedevous fournir desoccasions enor, j’ai sans arrêt injectéde l’argentdansvos activités, et vous– ilhochalatêteendirectiondesesdeuxfils–jevousailaissésdirigerl’entrepriseaprèsmaretraite,parcequejedésiraisqu’ellerestedanslafamille.Maisvousm’aveztrahi,tous!Vousavezdétourné,dépenséetdilapidécequejevousaidonné!Etmaintenantjevousledis:çasuffit!
Rubentapadupoingsurlatableettoutlemondesursauta.L’instinctdeMartinluidictaitdefuircettesituationpourlemoinsdéplaisante.Pourtant,ellesemblaitprovoquerlemêmeeffetquelesaccidentsdelaroute.Ilnepouvaits’empêcherderegarder.—J’ail’intentiondevousdéshériter,sachez-le!Tous!Letestamentestrédigéetsigné,lasignature
est authentifiée, vous n’obtiendrez que ce que la loi m’oblige à vous donner. Un certain nombred’organisationsdebienfaisancetriéessurlevoletvontpouvoirremercierleurbonneétoilelejouroùjecasseraimapipe,carc’estellesquivonthériterdureste!Toutelafamilledévisageal’hommedanslefauteuilroulant.C’étaitcommesiquelqu’unavaitappuyé
surunboutonet figé l’image,personnenebougeaitd’uncil.Onn’entendaitpasunbruitdans lapiècehormislarespirationsifflantedeRubenetlatempêtequirugissaittelunfauvederrièrelesfenêtres.Sonéclatdecolèreavaitdûluidonnersoif,carilsaisitsonverred’eaud’unemaintremblanteetlebut
d’untrait.Toutlemondesetaisaitetsetenaitabsolumentimmobile.Rubenreposaleverre.Ilsemblaitquesespoumonssevidaientlentement,commeunballonquisedégonfle.Unlégerfrémissementsursonvisagefutlepremiersignequequelquechoseclochait.Ilfutsuivid’un
tressaillementdiscretdelamoitiédroitequisepropageaensuiteàgauche.Puislecorpsentierduvieilhomme futprisde soubresauts.D’abordpresque imperceptibles, les spasmes se firentdeplus enplusviolents.Unsongutturalsortitdesongosiertandisquelesconvulsionssecouaientlepetitcorpsefflanquédanslefauteuilroulant.LesmembresdelafamilleLiljecronacommencèrentàréagir.—Grand-père!s’écriaLisetteenseprécipitantsurlui.Bernard aussi se leva d’un bond,mais tous deux demeurèrent hésitants quant à lamarche à suivre.
Bernardessayad’arrêterlesspasmesenappuyantsurlesépaulesdécharnéesdeRuben,maisilsétaienttropviolentspourqu’ilyparvienne.— Ilmeurt, ilmeurt ! criaVivi et elle tira tellement fort sur son collier deperlesque le fil cassa,
laissantserépandreunecascadenacréesurleparquet.—Maisfaitesquelquechose!lançaBrittend’unairdésemparé.MartinseruasurRuben,maisaumomentoùill’atteignit,lesspasmescessèrentnetetsatêtetombasur
l’assietteavecunbruitaffreux.Enprenant lepoignetosseuxduvieilhommeentre lepouceet l’index,Martincherchasonpouls,maisaprèsuninstantilannonça:—Jesuisvraimentdésolé.Ilestmort.Vivilaissaéchapperunnouveaucriettâtasursoncoulecollierquin’yétaitplus.BörjeetsafemmearrivèrentencourantdelacuisineetHaraldleurcria:—Appelezuneambulance!Monpèrevientd’avoiruneattaque.Ilnousfautdel’aide!—Jesuisdésolé,maiscen’estpaspossible.Latempêteaarrachéleslignestéléphoniques,ditBörje,
l’airnavré.J’aiessayédetéléphonerilyauninstant,maisiln’yavaitpasdetonalité.—Detoutefaçon,celan’auraitserviàrien,ditMartinenserelevant.Ilestmort.—Maisqu’est-cequis’estpassé?sanglotaBritten.Ilaeuuneattaque?Unecrisecardiaque?Qu’est-
cequis’estpassé?Martinpensad’abordhausserlesépaulespourmontrerqu’iln’ensavaitrien.Puisilhumal’air.Une
odeurentouraitlevieilhommemort…uneodeurquineluiétaitpasinconnue…IlsepenchasurRuben,dontlevisagereposaittoujoursparmileharengetlesboulettesdeviande,etilaspiraunelargeboufféed’air. Oui, elle était bien là. Faible, mais distincte. Une odeur d’amandes amères. Une odeur qu’iln’aurait pas dû sentir dansdepareilles circonstances. Il prit le verre queRubenvenait devider et lerenifla.Uneexhalationtrèsnetted’amandesamèress’endégageaetconfirmasessoupçons.—Ilaétéassassiné.
Soncœurcognaitfortdanssapoitrinequandelleregardaitlecrânedesongrand-père.Ilétaittellementimmobile.Mirandaserraleborddelatableetneputserésoudreàdétacherlesyeuxdumort.Elleétaitencoreen
colère contre lui après qu’il lui eut parlé de façon si agressive, et elle dut réfréner son envie de luibalancer un coup de pied dans le tibia. Il avait osé s’en prendre à elle !Devant tout lemonde ! Passeulement devant ses parents et son frère,mais aussi devant ses cousins, sa tante et son oncle. Ils nel’avaientpasquittéedesyeux,commedesfauvesaffamésprêtsàsejetersurlesrestesaprèsquelechefdemeutes’étaitservi.Pourquoineluiavait-ilpasdonnéplusdetemps?Siquelqu’unétaitenmesuredecomprendrequ’il
était très longdeconstruireuneactivitéàpartirde rien,c’étaitbien lui. Ilsauraientpu résoudre leursproblèmesavectoutl’argentqu’ilpossédait.Unmilliondeplusoudemoins,quelledifférence?C’étaitdel’argentdepochepourlui.EtcepauvreBernard.Luinonplusn’avaitpasméritéd’êtreclouéaupiloridelasorte.Iltravaillaittellementduretavaitvraimenttoutesleschancesderéussir.Siseulementilavaiteuunpeuplusdetemps…Etd’argent.MonDieu!Ets’ilavaitdéjàchangéletestament?CettepenséefrappaMirandadepleinfouetetlui
coupapresquelesouffle.Sesonglescreusèrentunpeuplusleboisdelatableetellesentitleslarmesluimonterauxyeux. Ilavaitpeut-êtredéjàmissamenaceàexécution! Ilavaitpeut-êtredéjàcontactéunavocatetfaitfairelesmodificationsnécessaires.Atouslescoups,ils’agissaitbiendecela.Ilenétaitcapable,cevieuxschnoquefourbeetrusé,elleenétaitsûre.Justepouravoirleplaisirdelesvoirramperdevantluietfayoteravantqu’ilneleurportel’estocade.Ilneleurresteraitquelesmiettesdecequelaloil’obligeaitàleurdonner,déductionfaitedecequ’ils
avaientdéjàperçu.Pourraient-ilsmêmeseretrouverendettés?Etellequiétaitdéjàcribléededettes!Mirandaeutdeplusenplusdemalàrespireretjetaunregardfurieuxsurl’hommeassassinédanssonfauteuilroulant.
Lerestedelasoiréesepassacommedansunesortedebrouillard.LesparolesdeMartinprovoquèrentd’abord un silence pesant dans la pièce. Puis elles déclenchèrent une cacophonie impressionnante.Personnenevoulut le croire,mais il expliqua calmementque l’odeurd’amandes amères indiquait uneprésencedecyanure.L’attaquedeRubencorrespondaitparfaitementàl’effetinduitparceviolentpoison.IldemandaàBörjeunsacenpapier,danslequelilglissaleverre.Ilfaudraitlefaireanalyseretils’en
voulaitdel’avoirtouchéàlalégère.Ilavaittrèsbienpudétruiredeprécieusesempreintesdigitales.—Ilfautqu’onessaiederejoindrelecontinent,dit-ilàBörjeavecautorité.Mentalement,ilavaitdéjàcommencéàénumérerlesmesuresàprendre.Convoquersescollèguesau
commissariat. Envoyer les pièces à conviction au labo. Veiller à faire partir le corps à l’institutmédicolégal,et surtout,commencerà interroger les témoins.Ainsi,dès lorsqu’ils seraientsur la terreferme,ilpourraitenclencherleprocessuspourretrouverl’assassin.—Onnepeutpas,réponditBörjeàvoixbasseenmontrantlatempêtequisévissaitdehorsetlaneige
quitombaitsidruqu’ellesemblaitformerunmurblanc.—Commentça,onnepeutpas?Ilfautabsolumentqu’onretournesurlecontinent!—Pasavecletempsqu’ilfait.C’estimpossible,ditBörjeenécartantlesmains.—Maisc’esttoutprès!Martinserenditcomptedesonirritationetseditqu’ildevaitymettreunesourdine.Ilétaitlepremier
àdevoirrestermaîtredesoi.—Börjearaison,ajoutasafemme.Onneréussirajamaisàsortirlebateau.C’estimpossible,levent
nous repoussera immédiatement vers le ponton. Non, il faut attendre que le temps se calme, toutsimplement.
—Onn’aqu’àappelerlessecoursenmer,ditrésolumentMartin.— Le téléphone ne marche plus, tu n’as pas entendu ? rétorqua Bernard sur un ton qui indiquait
clairementcequ’ilpensaitdeMartin.—Etlesportables,qu’est-cequetuenfais?Martinsortitvivementlesiendesapoche,maissentitsoncœurflancherenvoyantqu’iln’yavaitpas
lamoindrecouvertureréseau.—Merde!s’écria-t-ilenparvenanttoutjusteàs’empêcherdejeterletéléphonecontrelemur.—C’estbiencequejedisais,répliquaBernardavecunricanementmaldissimuléetMartineutenvie
deluidonnerunegifle.—Vousvoulezdirequ’onestcoincésici?sanglotaMiranda.Elles’accrochaaubrasdeMatte.Sesyeuxmouillésétaientrivéssurl’hommeaffaissé.Matteneparut
mêmepaslaremarquer.Pour la première fois, Martin réalisa que Matte était le seul à avoir échappé à l’humiliant
interrogatoire pendant le repas, et qu’il était également le seul à montrer du chagrin. Comme pourconfirmer ses réflexions,Matte s’approchaduvieil homme, souleva tendrement sa têtede l’assiette etcommençaànettoyersonvisageavecuneserviette.Touslefixèrentcommehypnotisés,maispersonnenefit un geste pour l’aider. Lorsque le visage de Ruben fut propre,Matte l’inclina doucement contre ledossierdufauteuilroulantetréarrangealacouverturesursesjambes.—Merci,Matte,ditBrittenenregardantsonfilsavecreconnaissance.—Ilfaudraitlemettredansunendroitfroid,ditMartinenévitantdecroiserlesyeuxdeMatte.Sinous
n’arrivonspasàpartird’ici,ilestimportantdeconserver…lespiècesàconviction.Ils’exprimaitsansdouteavecmaladresse,maisilétaitleseulàpouvoirgarantirlebondéroulement
del’enquêteetàfaireensortequ’ilyaitlemoinsdedégâtspossible.Quelquepartdanscettemaisonilyavaitunassassin,etiln’avaitpasl’intentiondelelaissers’entirer.—Onpeutledéposerdanslachambrefroide,ditBörjeetils’avançapourluidonneruncoupdemain.—Parfait.Le corps était bien calé dans le fauteuil roulantMartin put aisément le transporter seul jusqu’à la
chambrefroide.—Est-cequelaportefermeàclé?demanda-t-ilàBörjequihochalatêteenmontrantlecadenas.—Onnetientpasàcequenosclientsviennentfairemainbassesurlestournedos,n’est-cepas?dit-il
avecunsourireencoinquis’effaçaaussitôtdevantlevisageimpassibledeMartin.AprèsavoirenferméàclélecorpsdeRuben,MartinetBörjeretournèrentdanslasalleàmangeroù
toutlemondeoccupaitencoreexactementlamêmeplace.Personnenesemblaitenétatdebouger.—Allonsdans labibliothèque,ditMartinenfaisantunsignede têtevers lapièceà l’autreboutdu
couloir.Börje,est-cequevousavezducognac?Lepropriétairedugîteopinadelatêteetpartitenchercherunebouteille.—Est-cequeceseraitpossibled’allumerunfeudanslacheminée?demandaMartinàlafemmede
Börje, qu’il ne connaissait toujours pas autrement que sous le nom de “ma dulcinée”. Je ne sais pascommentvousvous…—Kerstin,jem’appelleKerstin,compléta-t-elle.Et,oui,c’esttoutàfaitpossible.Jem’enoccupe.Elle quitta la pièce et Martin prit un ton péremptoire pour s’adresser aux membres de la famille
Liljecrona,quin’avaienttoujourspasbougéd’unpouce.—Allons-y.Venezavecmoi.Ilpartitlepremierenprésumantquelesautreslesuivraient.L’unaprèsl’autre,ilsvinrents’installer
danslabibliothèque.Kerstinétaitentraind’allumerlefeu,etlorsquetousfurentassemblés,Börjearrivaaveclabouteille.Ilsortitdesballonsàcognacd’ungrandvaisselieretservitunebonnedoseduliquideambréàchacun.
—C’estlanormedanslapoliceparici?Deservirdel’alcoolauxtémoins?demandaGustavd’unevoixfaible.IlvidacependantavecreconnaissancesonverreetletenditdenouveauàBörje.—Non,pasvraiment,ditMartinavecunlégersourire.Maisriendanscetteaffairenesembleentrer
danslesnormes.C’estpourçaqu’onavanceentâtonnant.Un instant, il aurait voulu que Patrik Hedström, son collègue le plus proche au commissariat de
Tanumshede, soit là. Cela ne faisait pas très longtemps qu’ils travaillaient ensemble, mais Martinl’admiraiténormément.IlseseraitsentiplusconfiantavecPatrikàsescôtés.Ilauraittrèscertainementsuquoifaire.Tantpis,iln’étaitpaslà,etMartindevraitsedébrouillerseul.Simplement,ilnefallaitpasdécevoirPatrik.Cen’étaitqu’unequestiondebonsens,ilsuffisaitdeprocéderparétapes.—Puisquenousnepouvonspasnousrendreaucommissariat,jeprendraivostémoignagesici.Jevais
vousentendreàtourderôle,etjeparsduprincipequevousallezcoopérer.Ilposauninstantsonregardsurchacund’eux,personnenesemblaitavoird’objectionàfaire.—Jeproposequenouscommencionstouslesdeux,poursuivit-ilenfaisantsigneàHaralddelesuivre.
Lamainquitenaitleballonàcognactremblait.Brittenregardaavecpréoccupationlelargedosdesonmariquidisparaissaitparlaporte.Elles’inquiétaitpourluietsedemandaitcommentilrésisteraitàlapression.Haraldparaissait si solide.Un roc.Mais elle savait quecen’était qu’une façade.Leur longmariageluiavaitapprisqu’ilétaittoujoursunpetitgarçoneffrayé.ElleenimputaitlafauteàRuben.Ilavaitététropdur.Tropexigeant.Ildésiraitquesesfilssoientdelamêmetrempequelui.Maisnil’un,nil’autre ne l’avaient jamais été. Gustav avait une apparence physique aussi veule que l’était sontempéramentets’enétaittoujoursmieuxtiréquesonfrèredontlagrandetailledonnaituneimpressiondeforce.Personnen’avaitjamaisdécelélafaiblessequ’ilportaitenlui.Pourtant,ellesupposaitqueRubenavaitdûlesavoirmaisilavaitchoisidel’ignorer,etellelehaïssaitpourcela.Lamissionqu’ilavaitdonnéeàHaraldétaitdèsledépartvouéeàl’échec.Etl’idéedelaisserGustav
etHaraldtravaillerensemble…ehbien,elleétaitsisaugrenuequeBrittens’étaitdemandésiRubenavaittoutesatêtelorsqu’illeuravaitfaitcetteoffre.Maissesfilsavaientmorduàl’hameçon,évidemment.Ilsétaientsienthousiastesqu’ilsensalivaientàl’avance.Ilsmouraientd’enviedemontreràleurpèrequ’ilsétaient aptes à lui succéder et que tous leurs fiascos précédents seraient balayés d’un seul coup. Ilsauraientenfinl’occasionderegagnerlerespectdeRuben,aprèstantd’années.Oui,ilsavaientpeut-êtremêmeosépenserqu’ilsregagneraientsonamourmaiscelaavaitfinieneaudeboudin.Haraldrentraitdubureau chaque jour de plus en plus pâle, de plus en plus tassé. L’année passée, son infarctus n’avaitsurprispersonne.Pendantquelquetemps,ilavaitmêmeredonnéespoiràBritten.CarHaralds’enétaittiré,etelleavaitcruqueRubenverraitenfinquelatâcheétaittroplourdepoursonfils.Cenefutpaslecas.Ilavaitenvoyéunebrasséedefleursàsonchevet,puisluiavaitdemandéquandilseraitprêtàseremettreenselle.—Qu’est-cequ’ilvaraconter,àtonavis?luichuchotaGustav.Tucroisqu’il…—Jenesaispas,Gustav,ditBrittensèchement.Lecôtégeignarddesonbeau-frèreetsafaçondetoujourssedébinercommençaientàluiportersurles
nerfs.—J’espèrevraimentqu’ilne…Ilutilisaitdenouveaucetonpleurnichardetsavoixétaitunpoiltrop
aiguëlorsqu’ilrépéta,enchuchotantcettefois:j’espèrevraimentqu’ilne…—Arrête ! aboyaBritten, et ce fut son intonation plus que l’injonction qui interrompitGustav. Peu
importecequeHaraldvadireounepasdire.La limiteest franchie, et j’aimerais autantque tout soitrévélé.—Mais…,tentaGustav,leregarderrant.
MaisBrittenenavaitassez.Elleluitournaledosetseconcentrasurlatempêtequirégnaitau-dehors.Ladiscussionétaitclose.
—Vousêtesdoncl’aîné?—Oui.Harald Liljecrona fixa le vide devant lui. Ils avaient emprunté le bureau de Börje et Kerstin et se
trouvaientdechaquecôtéd’unetabledetravailsurchargée.Kerstinavaittrouvéunbloc-notesviergeetunstylopourMartin,et il se tenaitprêtànoter tous les renseignementsqu’ilpourraitobtenir. Ilauraitpréféréunmagnétophone,commeaucommissariat,maisdutsecontenterdecequiétaitàsadisposition.—Oui,jesuislefilsaîné,répétaHaraldenobservantMartin.—Etvoustravaillezdansl’entreprisefamiliale,sij’aibiencompris?Haralds’esclaffa,sonrireétaitétrange,beaucouptropfluetpourunhommedesacorpulence.—Oui,sionpeutqualifierd’“entreprisefamiliale”unemultinationalequibrassedesmilliards.—Etquelestvotrerôledansl’entreprise?demandaMartinenl’étudiantdeprès.—JesuislePDG.Gustavestledirecteurfinancier.—Commentfonctionnevotrecollaboration?Ilpoussadenouveauunpetitrire.— Eh bien, je suppose que ce n’est pas la meilleure idée qu’ait eue papa, de nous confier des
responsabilitésquiempiètentl’unesurl’autre.Nousnenoussommesjamaisentendus,Gustavetmoi.Cen’estpaslapeined’enfaireunmystère,vousallezcertainementapprendredeschosesbienpiresdelabouchedes autres, surtoutdeVivi.Mabelle-sœur estunevraie languedevipère…Il se tut, avantdereprendre : Papa espérait peut-être que Gustav et moi serions plus proches si nous étions forcés detravaillerensembletouslesjours.Enréalité,çan’afaitqu’empirerleschoses.—Pendantlerepas,faisait-ilallusionàunfaitenparticulierlorsqu’ilademandécommentseportait
l’entreprise?Cettefois,lerirenevintpas.—J’ignoretotalementdequoiilavouluparler.Certes,nousavonsdumalànousentendre,Gustavet
moi,etparfois lesassiettesvolentaubureau–c’estunemétaphore–mais,non, jenesaispascequepapaapuentendrepournousposerunetellequestion.—Vousl’ignoreztotalement?—Totalement.Le ton secdeHarald indiquait clairementqu’il n’avait pas l’intentionde fournirde réponse à cette
questionmêmes’ilenexistaitune.—Avez-vousune idéedequi apuvouloir assassinervotrepère ?demandaMartin et il attendit la
réponseavecimpatienceentenantlapointedesonstyloàquelquescentimètresau-dessusdubloc-notes.—Ehbien,vousétiezlà,vousavezbienvul’atmosphèrequirégnaitàtable.Pensez-vousqu’ilyenait
unparmicesvautoursquinesouhaitaitpassamort?ditHaraldspontanément,puisilparutregrettersoncommentaire.Non, jepoussepeut-être lebouchonunpeu loin. Jeveuxdire,onaeunosheurts etnosdésaccordsdanslafamille,jenepeuxpaslenier.Maisdelààvouloirl’assassiner…Pourrépondreàvotrequestion,jen’enaiaucuneidée.Martin lui posa encore une poignée de questions et mit fin à l’interrogatoire lorsqu’il sentit qu’il
n’apprendraitriendeplus.
LapersonnesuivanteàprendreplacedevantMartin futMiranda. Iln’avaitpasétablidesystèmepourl’ordredepassagedesmembresdelafamille,ilcomptaittouslesentendre.
Miranda paraissait petite et fragile. Ses cheveux noirs qui auparavant tombaient librement sur sesépaulesétaientramassésenunequeue-de-chevalserrée,cequimettaitencoreplusenvaleursabeauté.—C’esttellementhorrible,dit-elle.Salèvreinférieuretremblait.Martin fut obligé de faire un effort pour ne pas la prendre dans ses bras et lui dire que tout allait
s’arranger.Ils’envoulut.Cen’étaitpastrèsprofessionnelcommeréaction.—Oui,c’estvraimenthorrible,dit-illentemententapotantaveclestylosurlebloc-notes.Est-ceque
tusaisquipourraitavoirenviedetuertongrand-père?— Non, je ne vois absolument pas, sanglota Miranda. Je ne comprends pas comment ça a pu se
produire!Commentpeut-onfaireunechosepareille!Embarrassé,Martinluitenditunmouchoirenpapierqu’iltirad’uneboîtesurlebureau.Lesfemmes
quipleuraientlemettaienttoujoursmalàl’aise.Ilseraclalagorge.—D’après ce que j’ai entendu pendant le repas, ton grand-père n’était pas satisfait de ta façon de
gérertesaffaires,ditMartinenserendantcomptequecelasonnaitguindé.—Grand-pèreatoujoursététrèsgénéreuxavecsesenfantsetsespetits-enfants,hoqueta-t-elle.Ilm’a
prêtélecapitalpourdémarrermonagencededesign,etsiseulementj’avaiseuunpeuplusdetemps…etpeut-êtreuntoutpetitpeuplusdefonds,j’yseraisarrivée,j’ensuissûre.Maisj’aiétépoursuivieparlamalchance,etlesclientsn’ontpasencoredécouvertmesproduitset…—Tongrand-pèret’adoncprêtédel’argent.Etmaintenanttun’enasplusettuavaisl’intentiondelui
endemanderdavantage?Ai-jebiencompris?—Oui,ilnemefallaitqu’untoutpetitmilliondepluspourrenflouerlescaisses,çam’auraitdonnéle
temps nécessaire pour que ça décolle.Lemonde de lamode n’est pas tendre, il fautmiser gros pourréussir!répondit-elleenrelevantlatête.Salèvrenetremblaitplus.—Tuvoulaisdemanderunmilliondecouronnesàtongrand-père?—Oui.C’estdel’argentdepochepourlui.Tuasidéedetoutcequ’ilasursescomptesenbanque,le
vieux?Ellerefitunpetitmouvementdelatêteetlevalesyeuxauciel,puiselleparutréalisercequ’ellevenait
dedireetsalèvreseremitàtrembler.—Alorstuneleluiavaispasencoredemandé?Martinregardaavecmoinsdesympathieleslarmesdecrocodilequiruisselaientsursesjoues.—Non,non,jura-t-elleensepenchantverslebureau.J’avaisl’intentiondelefaireaucoursduweek-
end,maisjen’avaispasencoreeuletempsd’entamerlesujet.—Etlesautresmembresdelafamille?—Oui?Qu’est-cequ’ilsont?—Rubensemblaitavoirdeschosesàleurreprocheraussi.Est-cequetupensesquequelqu’unaurait
puréagirplusviolemmentque…Mirandal’interrompit.Sesyeuxfurieuxsemblaientlancerdeséclairs.—Tucroisréellementquejedésigneraisquelqu’undemaproprefamillecommeassassin?Tulecrois
vraiment?—J’aisimplementdemandésil’und’euxapuréagirplusviolemmentquelesautres.—Etceneseraitpaspareilquededemanderqui,àmonavis,aputuergrand-père?Intérieurement, Martin dut lui donner raison. Il se sentit tout à coup terriblement fatigué. Pendant
plusieurs semaines, il avait redouté ce séjour avec Lisette, et on pouvait sans exagérer dire que celas’étaitrévélécentfoispirequecequ’ilauraitpuimaginer.Ilregardasamontrequiindiquait23heurespasséesetdit:—Ilesttard.Jepensequ’onvas’arrêterlà,onreprendrademain.Unevaguede soulagementparcourut levisagedeMiranda.Ellehocha la tête et se leva.Martin lui
emboîtalepaspourretournerauprèsdesautresdanslabibliothèque.L’ambianceétaittellementpesante
qu’illuisemblarentrerdansunmur.—Jevaisinterromprelesinterrogatoirespourcesoir.Onesttousfatigués,etjepensequ’ilvautmieux
reprendredemain,àtêtereposée.Personnenerépondit,maistoussemblèrentsoulagés.—Tuveuxuncognac?Lisette vint le rejoindre et posa samain sur son bras. Son premier instinct fut de répondre par la
négative,ilétaitpourainsidireenservice.Maislafatigueetlepoidsdelaresponsabilitéaidant,ilfitouidelatêteetselaissatomberdanslefauteuilleplusproche.Dehors,laneigetourbillonnaittoujours.Unebranchebattaitcontreunefenêtreàl’autreboutdelamaison.—C’estsûralors,qu’onnepeutpasrejoindrelaterreferme?demandaVivientouchantsoncoud’une
maintremblanteàl’endroitoùs’étaittrouvélecollierdeperles.—Tuasentenducequ’ilsontdit!Cen’estpaspossible!s’exclamaGustav.Savoixétaitunpeutrop
hautperchéeetilrépétasuruntonplusdoux:cen’estpaspossible,Vivi.Onverrademain.Latempêteseserapeut-êtrecalméed’icilàetonpourrafairelatraversée.—Jen’ycompteraispas,ditHarald.Lamétéoditqueçavacontinuercommeçajusqu’àdimanche.Je
pensequ’ilnousfaudraprendrenotremalenpatienceetattendresagementici.—Maisjenepeuxpasresterdeuxjoursici…avecuncadavre!C’étaitdenouveaulavoixdeVivi,ettouslesregardssetournèrentverselle.—Etqu’est-cequetuproposesqu’onfasse?Qu’onvolepar-dessuslaglacejusqu’àFjällbacka?rugit
Harald.Gustavselevaetposaunbrasautourdesafemme.—TuneparlespasàVivisurceton.Elleestenétatdechoc,tulevoisbien…Noussommestousen
étatdechoc.Harald renifla, et au lieu de répondre, il but une grandegorgée de cognac.Unevoix étouffée se fit
entendredepuislefauteuilprèsdelafenêtre.—Vousvousdisputez,commed’hab.Personneneparledegrand-père.Ilestmort!Iln’estpluslà!
Vousentendez?Ondiraitquevousn’enavezrienàfoutre.Laseulechosequicomptepourvous,c’estdecontinueràvousprendrelatête.Pourdesconneries!Etpourl’argent!Grand-pèreavaithontedevous,tousautantquevousêtes,etjepeuxlecomprendre!Matterespirabruyammentets’essuyalesyeuxaveclamanchedesonpull.—Voilàl’autrequiseréveille!ditBernardavecmépris.Ilétaitnonchalammentinstallédansuncoin
du canapé et faisait tourner le cognac dans son verre. Le chouchou de grand-père. Le brave toutoutoujoursprêtàécouterseshistoires interminables.Tuasmêmefaitsemblantde tepassionnerpoursesfoutaisesdeclubSherlockHolmes.Ettunet’espasgênépouracceptersonargent,toinonplus.—Bernard…,suppliaLisette,maissoncousinneprêtaaucuneattentionàsonintervention.—Tut’esretrouvéavecunappartementenvillequandtuascommencétesétudes.Combienilvaut?
Troismillions?Quatre?—Jen’aijamaisriendemandé!ditMatteenfoudroyantBernardduregard.Contrairementàvous,je
nesuispasallémendierauprèsdeluipourunouioupourunnon.L’appartementétaitaunomdegrand-père,etjepouvaisyhabiterenattendantd’avoirmondiplôme,maisaprès,jedevaismedébrouillertoutseul,c’étaitledeal.Etjenevoulaispasqu’ilensoitautrement!Grand-pèrelesavait!Il essuya encore une fois ses larmes, puis se tourna vers la fenêtre,manifestement gêné de pleurer
devantlesautres.—Matte, nous savons combien vous étiez proches, grand-père et toi, dit Britten. Et nous sommes
sincèrementdésolés.Simplement,noussommes…souslechoc,commeoncleGustavvientdeledire.Elles’assitsurl’accoudoirdufauteuildesonfilsetluicaressadoucementlebras.Illalaissafaire,
maisconservasonregardbraquésurl’obscurité.
—Bon, ilestpeut-être tempsd’allersemettreau lit,ditHaraldense levant.Avantqu’ondise deschosesqu’onregretterademain.Unmurmureconfirmaque tout lemondeétaitdumêmeavis,etce fut lesignedudépart.SeuleVivi
s’attardadanslabibliothèque.—Notrechambreestàl’étage,ditLisetteentirantlégèrementMartinparlebras.Tun’asquetonsacà
monter,lemienyestdéjà.Illasuivitdanslelongescalieretilnefallutpaslongtempsavantqu’ilssoientcouchés.Mêmesiles
litsétaientd’unconfortdivin,ilrestalongtempséveilléàécouterlarespirationprofondedeLisetteàsescôtés.Dehors,latempêtefaisaitrageetMartinsedemandadequoilelendemainseraitfait.
Toucher son collier de perles lorsqu’elle était inquiète était une habitude que sa mère avait depuisl’adolescence. Et après toutes ces années, cela représentait beaucoup de tripotage. “Viveca a desproblèmesavecsesnerfs”,avait-elleentendurépétersamèreàtoutboutdechamppendantsajeunesse.Celaavaitfinipardeveniruneréalité.Elleavaitcruaudébutqu’onledisaitpourjustifierleseffusionsdesentimentnaturelleschezuneenfantouuneadolescente.Maisavecletemps,cetteformulationluiavaitcollé à la peau telle une sorte de pellicule sale. Les gens la traitaient comme si elle avait les nerfsmalades,alorsautants’yconformer.Aujourd’hui,toutluifaisaitpeur.Lesaraignées,lesserpents,l’effetdeserreetlacourseàl’armementnucléaireauMoyen-Orient.Cescraintespouvaientparaîtrejustifiéesmaiselleredoutaitégalementdeschosesinfimesauquotidiencommeleregarddeceuxqu’ellecroisait,les sous-entendus lorsqu’ils s’adressaient à elle, les offenses invisibles et les attaques inattendues.Lemondeentierétaitdevenuunendroitmenaçantetelleétaitpresqueconstammententraindetripotersoncollier.Etmaintenantellenel’avaitplus.Descentainesdepetitesperless’étaientrépanduessurlesoldelasalleàmanger.Kerstinl’avaitconsoléeetluiavaitditqu’ellelesretrouveraitcertainementtoutesenbalayant.Ellen’auraitqu’àlesdonneràunbijoutierquilesenfileraitdenouveau.C’étaitsûrementvrai.Maisceneseraitpluspareil.Cequiétaitdétruitnepouvaitjamaisredevenircommeavant.Unobjetneufrestaitunobjetneuf.Uninstant,elleeutl’impressiondevoirleregardaccusateurdeRubendevantelle.Celuiqu’ilposait
toujourssurelle.Accablantetpleindeméprispoursafaiblesse.Oh,commeelleauraitvouluavoirneserait-cequ’uncentièmedelaforcequiémanaitsinaturellementdelui!SansparlerdesondésirdevoirGustav hériter au moins d’une toute petite partie de ses biens. Ensemble, ils étaient encore plusvulnérablesqueseulset sansRuben,cettemenaceunificatrice,qui lesavait soudéspendant toutescesannées,leurcouplenesurvivraitjamais.Vivilesavait.Alorsqu’ellefixaitdesesyeuxsecsetaveugleslefeuquisemourait,elleeutlepressentimentqu’unecatastrophes’approchaitàlavitessedel’éclair.Devieuxsecretsavaientcommencéàreprendrevie,commeunecréaturemonstrueusesouslasurface.
Lelendemain,latempêten’avaitpasfaibli.BörjeetKerstinavaientvaillammentessayédedéblayerlaneigedevantlaported’entrée,maisilenétaittombéunetellequantitéqu’elleatteignaitpresquelereborddesfenêtres.Sicelacontinuaitàcerythmependantencorevingt-quatreheures,ilsseraientcomplètementensevelis.Cefutungroupemorosequiseréunitdanslasalleàmanger.Ilétaitétrangedes’asseoiràlamême
tablequelaveilleausoirmaispersonnen’yavaitvud’objectionlorsqueleurshôtesavaientdemandésicelaleurconvenait.Encoreunefois,ilyavaitprofusiondevictuailles.Desœufsàlacoque,troissortesde fromages,du jambon,dusalami,dubaconetdupain tout justesortidu four.Pourtant,presque tousmangèrentduboutdes lèvres.SeulsHaraldetBernard firenthonneuraupetitdéjeuner sans laisserunmeurtregâcherleurappétit.
—Vous avez bien dormi ? lança Britten qui tentait d’engager une conversation. Elle n’obtint quequelques murmures épars en guise de réponse. Les lits sont vraiment confortables, poursuivit-elle àl’intentiondeKerstinquifaisaitletourdelatablepourservirducafé.— J’espère que vous n’avez pas eu froid ?Autrement, il fautme le dire, on peut vous donner des
couverturessupplémentaires.—Non,iln’yapaseudeproblème.C’étaittrèsbien.Britten jeta un regard autour d’elle pour voir si quelqu’un voulait ajouter quelque chose,mais tous
avaientlesyeuxrivéssurleurassiette.Martinnesupportaitpluscetteambiancepesanteetannonçabrusquement:— J’aimerais poursuivre les interrogatoires après le petit déjeuner. Gustav, pourriez-vous me
rejoindredanslebureaudans…Ilregardasamontre.Disonsdansdixminutes?—Biensûr.Dansdixminutes.J’yserai.Leprochainàpassersurlegril,c’estça?Ileutunpetitrirequipartitdanslesaigus.Ilfutleseulàtrouvercelaamusant.—Mercipourlepetitdéjeuner,ditMartinenselevant.Iln’avaitriendeparticulieràpréparerdanslebureau,maisilvoulaitrestertranquilleetseconcentrer
unpetitmoment.Exactementdixminutesplustard,àlasecondeprès,GustavLiljecronapénétradanslapièce.Martin
futdenouveaufrappéparladifférenceentresonfrèreetlui.LàoùHaraldétaitgrand,larged’épaulesetpourvud’unechevelureabondante,Gustavétaitpetit,fluetavecseulementuneamorced’épaulesetdescheveuxquin’étaientplusqu’unlointainsouvenir.—Bien,mevoici,dit-ilens’asseyant.Martinattaquasanspréambuleavecunepremièrequestion:—Commentétaitvotrerelationavecvotrepère?Gustavsursautaetparutnepassavoiroùposersonregard.Ilfinitparsedéciderpourleplateaudu
bureauetréponditlentement:—Ehbien,quoidire?Elleétaitcommelesrelationspère-filsengénéral,jesuppose.Autrementdit,
unriencompliquéeparmoments,dit-ilavecunpetitrirenerveux.Martinfeuilletalesnotesconsacréesàl’interrogatoiredeHaraldavantdepoursuivre:—Unriencompliquée?D’aprèscequej’aicompris,vousaviezunerelationextrêmementcompliquée
avec Ruben. Comme votre frère, d’ailleurs. Et la relation entre vous deux semble égalementproblématique.Gustavlaissaéchapperunautrepetitrirenerveux.IlneregardaittoujourspasMartindanslesyeux.—C’estvrai,cen’estpastoujourstrèsfacile,lafamille.Etpapaavaitmislabarretrèshaut–c’estle
moinsqu’onpuissedire.—Sonidée,envousattribuantdespostesclésdansl’entreprise,étaitsansdoutedevousrapprocher
l’undel’autre?Iln’obtintqu’unreniflementdeméprispourtouteréponse.—Sij’aibiencompris,lerésultatn’apasétéàlahauteurdesattentes,insistaMartin.—Jesupposequenon.Gustavneparaissaitpasavoirtrèsenviedediscuterdecesujet,maiscelan’empêchapasMartinde
poursuivre:—Cequevotrepèreamentionnéaudîner.Ausujetdel’entreprise.Dequois’agissait-il?Gustavsetortillasursachaise,malàl’aise.—Aucuneidée.C’était lamême réponsequ’avait donnée son frère.Martinne croyait ni l’unni l’autre, pasun seul
instant.
—Ilavaitquandmêmequelquechosederrièrelatête,non?D’autantquesadernièredémarcheaplusoumoinsétédevousdéshériter.C’estunemesureplutôtradicale.— Je pense que ce n’étaient que des paroles en l’air, répondit Gustav en tripotant nerveusement
l’ourlet de sa veste. Ça lui prenait de temps en temps. Comme une façon demontrer qui décidait. Ilréaffirmaitsonpouvoir.Maisçanevoulaitriendire.Riendutout.—Cen’estpasl’impressionquej’aieue,ditMartin.—Non,maisc’estnormal,vousneconnaissezpasnotrefamille,lerabrouaGustaventriturantencore
plusfortsaveste.Ilavaitl’airinquiet,maisMartinneselaissapasintimider.—Vousavezraison,dit-ilcalmement.Maisjecompteensavoirconsidérablementplusaprèsavoireu
unentretienavecchacund’entrevous.IlcontinuaàquestionnerGustavpendantencoreunedemi-heure,maisneparvintpasà lui fairedire
quoiquecesoitd’utile.Personnedanslafamillen’avaitderaisondevouloirtuerRuben.Non,iln’avaitrienvudesuspectnidanslajournée,nidanslasoirée.Non,ilnecomprenaitpasceàquoisonpèreavaitfaitallusionenparlantdel’entreprise.Unpetitcoupfrappéàlaportevintfinalementlesinterrompre.C’étaitKerstin.—Désoléesi jevousdérange.Jevoulais justevousdireque lecaféestservidans labibliothèque,
alorsquandvousaurezterminé,sivous…—Jepensequ’onpeuts’arrêterlà,ditMartinensoupirant.Maisonreprendraàuneautreoccasion.Il n’avait pas voulu dire cela comme unemenace, plutôt comme une constatation. Pourtant, Gustav
tressaillit.Puisilselevaetsortitvivementdubureau.Martin,quisesentaitdeplusenplusfrustré,commençaitàsedemanders’ilétaitvraimentàlahauteur
delatâche.Denouveau,ilregrettadenepasavoirlesoutiendePatrikHedström.Iln’avaitcependantpaslechoix.Ilseretrouvaitaveccetteaffairesurlesbrasetilferaitdesonmieux.Dèsqu’ilsauraientrejoint la civilisation, il recevrait toute l’assistance dont il avait besoin. En attendant, il lui fallaitseulementrestermaîtredelasituationettoutiraitbien.
Martin entendit des voix agitées dans la bibliothèque et en entrant dans la pièce, il trouvaGustav etHaralddeboutfaceàface,aussiécarlatesl’unquel’autre.Ilssedisputaientetdelasalivegiclaitdeleurbouche.—Toi,tuneteprendspaspourdelamerde!Tupensesquetusaistoutmieuxfairequelesautres!
hurlaGustavenmenaçantsonfrèredupoing.—C’estparcequejesaiseffectivementtoutmieuxfairequetoi!Qu’est-cequetuasréussidansla
vie?Hein?Qu’est-cequetuasréussi?LevisagedeHaraldavaitprisunetelleteintequeMartineutpeurqu’ilnefasseunecrisecardiaque
sousleursyeux.Brittennourrissaitmanifestementlesmêmescraintes,carellevinttirersurlebrasdesonmarienlesuppliantd’arrêter.—Tutecroisfortiche,mais tutemetsledoigtdansl’œil!crachaGustav.J’aiapprispourquoinos
fournisseursaméricainssesontretirésauprintempsdernier.Tut’esmontréincompétentetimprévisible,tuasmêmeréussil’exploitd’offusquerleurPDG.Commeça,grâceàtoionaperduuncontratquiauraitpugénérerjusqu’à10%denotrechiffred’affairesdel’annéeprochaine.Haraldvoulut frapperGustav,mais celui-ci esquivahabilement le coup.Britten tiraplus fort sur le
brasdesonmaripourleretenir.—Jet’enprie,Harald,arrêtemaintenant.C’estvraimentinutile,toutça!Vousêtesfrères,aprèstout.
Penseàtatension…Maissonmarinevoulutrienentendre.
—Ehbienmoientoutcas,jen’aipasdétournédefonds…,lâchaHarald,puisilsetournaversMartin.Vousnelesaviezpas,ça.Quemoncherfrèreapuisédanslescaissesdelaboîtependantplusd’unan.Ilmanqueplusdecinqmillions.Lesexperts-comptablesviennentdemettrelenezdedans,c’estsûrementàçaquepapafaisaitallusionhieràtable.Alorssivouscherchezunmobile,envoilàun.Cinqmillionsplusprécisément.Haraldpointaundoigttriomphantsursonfrère.Gustavpâlitaupointdedevenirpresquetransparent.—Ha!Çateclouelebecça,hein!HaraldsedébarrassadelamaindeBrittenpuisilcroisalesbrassurlapoitrine.Onauraitditunchat
quivenaitd’avaleruncanaribiengras.—C’est…Ce n’était qu’un emprunt…, bégayaGustav. J’avais l’intention de le rendre. Je le jure.
Jusqu’audernieröre.J’aijusteempruntéparceque…J’aijuste…Il bafouilla puis se tourna versVivi qui, elle aussi, était restée derrière sonmari pendant la passe
d’armes. Elle était aussi blanche queGustav et elle le fixait, les yeux écarquillés. Elle cherchait soncollierdelamain.—Gustav?Que…queveut-ildire?Cinqmillions?Gustav…?Avecunairdésespéré,Gustavtenditlamainverssafemme,quifitunrapidepasenarrièrepouréviter
soncontact.—Chérie…je…Ilregardaparlafenêtrecommepouressayerdedécouvrirunmoyendefuir,maislatempêtesévissait
avec autant de fureur qu’auparavant et empêchait toute retraite. Il se laissa tomber dans un fauteuil etenfouit levisageentresesmains.Onauraitpuentendreunemouchevolerdans lapiècealorsque tousl’observaient.Vivi avec incrédulité,Harald avec triomphe,Bernard avec une satisfactionmanifeste etBrittenavecunecertainepitié.Vivifutlapremièreàromprelesilenced’unevoixtremblante.—Qu’as-tufaitdetoutcetargentGustav?Qu’as-tufaitdel’argent?Danssonfauteuil,Gustavpoussad’abordunprofondsoupir,puisilréponditd’unevoixsaccadée.—Je…l’ai…perduaujeu.Viviprituneprofonde inspiration.Bernardpoussaunpetit rire etMartinvitMiranda lui donner un
coupdecoudeetchuchoter:—Reprends-toi!—Tuas…perdul’argentaujeu…,ditViviensecouantlentementlatêtecommesiellenevoulaitpas
ycroire.Quelsjeux?Latêtetoujoursenfouieentresesmains,Gustavmurmura:— Courses de chevaux, poker en ligne, n’importe quoi qui pouvait me procurer une poussée
d’adrénaline.Audébut,jegagnais.Puisj’aicommencéàperdre.J’aipenséqu’encontinuantencoreunpeu, la chance allait tourner et que je regagnerais tout ce que j’avais perdu pour pouvoir rembourserl’entreprise.—Tun’esqu’unfoutuloser,ditHaraldd’unairdégoûté.Gustavlevabrusquementlatêteetfoudroyasonfrèreduregard.—Nelaramènepas,toi!CommePDG,tunevauxpasunclou,papaétaitsurlepointdetevirer!Ettu
lesais!Etqu’aurais-tufaitdanscecas-là,hein?Plusdepostededirecteur,papanet’auraitpasdonnéd’argentettuteseraisretrouvésansunradis.Tuasprofitédeseslargessestoutetavieettuesincapabledetedébrouillerseul.Alorssituveuxqu’onparledemobile,letienvautbienlemien!Gustavlâchacettedernièrephraseàl’intentiondeMartin,avantdeseleveretdeseruerverslaporte.Lesilencerésonnadanslapièce.PuisBernardlançasuruntonguilleret:—Voilà,lespectacleestterminé.Quelqu’unveutducafé?
Qu’ilssoientaussiautodestructeurslelaissaitpantois.Bernardn’auraitjamaiscruquesonvieuxaiteul’audacededétournercinqmillionsdecouronnes–etdelesperdreaujeu!Ilgloussatoutbasetpritunebriocheàlacannelle.Enfait,ilauraitdûleplaindre,maislapitién’avaitjamaisétésonfort.Detempsen temps, cela l’étonnait, quequelqu’und’aussibrillant et déterminéque luipuisse êtrenédeparentsaussiminables.Celaendisaitlongsurlathéoriedel’innéetl’acquis.Ils’installaprèsdesasœurquiétaitseuleàunetable.Elle tournait lentementunecuillèredansson
café.—Tuneprendsrien?demanda-t-ilendésignantlesassiettesquidébordaientdepâtisseriesderrière
lui.—Non,jesuisaurégime,dit-elledistraitement.C’étaitmanifestementunephrasetoutefaitequidécrivaitsonquotidienplutôtqu’unétattemporaire.—Tantpispourtoi,ditBernardetilmorditdanssabrioche.—Jenecomprendspascommenttupeuxmangerautantdesucreriesetrestersimince,ditMirandaen
lecontemplant,dégoûtée.—J’aihéritéd’excellentsgènes,dit-ilentapotantsonventreplat.—Oui,c’estvraimenttoiquiastirélegroslot,réponditjalousementMiranda.Mamanetpapat’ont
refilélesbonsgènesetmoij’aieu…bah,vasavoircequej’aieu,dit-elleenriant.—Entoutcas,c’estlaseulebonnechosequ’ilsm’aientdonnée,ditBernardavecunsourireencoin.—Ehoui,soupiraMiranda.Cen’étaitpaslapremièrefoisqu’ilsdiscutaientdecela,ilsétaientd’accordpourdirequ’ilsn’avaient
pasgrand-choseencommunavecleursparents.—Tuenpensesquoi?—Detoutça?Jen’ensaistroprien,ditMirandaensoupirantdenouveau.—Tupenseslamêmechosequemoi?chuchotaBernard.—Queletestamentestpeut-êtredéjàmodifié?Oui,l’idéem’atraversél’esprit…Entoutcas,c’estce
qu’ildisait.—Alors ce n’est pas la peine de paniquer. Il est toujours possible de contester un testament. On
trouverasansproblèmedestémoinspourcertifierquelevioqueétaitcomplètementgâteux.—Mmm,fitMiranda,l’airsceptique.Ellecessabrusquementlemouvementdesacuillèreetparcourut
lapièceduregard,avantdechuchoter:tucroisquec’estqui,l’assassin?—Jen’enaiaucune idée.Absolumentaucune,ditBernardavantd’avaler lederniermorceaudesa
brioche.
Aprèsavoirmangéuncertainnombredepâtisseriesde toutessortes,Martinfutprisd’unesomnolenceirrésistible.IlauraitdûexaminerlachambredeRubenpouressayerdetrouverquelquechose,n’importequoi,quiferaitavancerl’enquête,maisoptapourunepetitesieste.Ilavaitbesoind’unepausepourtoutpasserenrevue.Asongrandregret,Lisettel’accompagnaetaulieud’unmomentdecalme,ildutécoutersonéternelbavardage.—Jetrouveçaaffreuxqu’oncleGustavaitdétournélefricdel’entreprise,etpuisilaleculotdedire
ceshorreurssurpapa…Rienqu’àypenser…Quepapapourrait…Monpauvrepapa.Jenelesaijamaisvraimentaimés,oncleGustavettanteVivi,jedoislereconnaître…Martineutdumalàréprimerunprofondsoupir.CequiaudébutluiavaitpluchezLisette,safacilitéà
parleravecentrain,commençaitàperdredesoncharmeenuntempsrecord.IlréalisaitqueLisetten’étaitqu’uneamourettedevacancesetqu’elleauraitdûlerester.Manquedechance,iltombaittoujourssurlesfillesqu’ilne fallaitpas !Parfois il sedemandait s’il trouveraitun jourquelqu’unquipartagerait son
existence.Pourl’instant,cesexpériencesn’étaientpastrèsprometteuses.D’unautrecôté,iln’étaitpassivieuxetavaitencoretoutsontemps.Maisildevaitd’abordsesortirdecemauvaispas.—Entoutcas,j’aidumalàcomprendrecommentGustavapuavoirunfilsaussibeauqueBernard,
poursuivitLisette.Viviétaitpas tropmalquandelleétait jeune, j’aivudesphotos, il tient sansdouted’elle.EtMiranda,elleestvraimentbelle,tunetrouvespas,Martin?AutondeLisette,Martincompritqueleterrainétaitminé,etqu’ilferaitmieuxd’ignorerlaquestion.Il
poussadoncunpetitronflementenespérantqueLisettenecomprennepaslesubterfuge.Dieusoitloué!Celasemblaitfonctionner,ellen’insistapas.Uninstantplustard,ils’étaitendormi.
Martin se redressa d’un coup et réalisa qu’il avait dormi plus d’une heure. Il rejeta la couverture enpoussant un juron. La place à côté de lui était vide et froide, Lisette avait quitté le lit depuis un bonmoment.Irrité,ilpassasamaindanssescheveuxetrejoignitlecouloir.Ducoindel’œil,ilaperçutdeuxombres qui tournèrent rapidement au bout du corridor. Il courut pour les rattraper,mais elles avaientdisparuavantqu’iln’atteignel’escalier.Quivoulaitl’éviteretpourquoi?Toujoursdansunétatdelégèresomnolence,ildescenditlesmarchesetsuivitlesondesvoixjusqu’à
labibliothèque.La tempêtedeneigenemontrait aucun signed’accalmie, aucontraire.L’inquiétudededevoir rester enfermés dans de pareilles circonstances se lisait sur tous les visages. Tous avaient lestraits tirés et semblaient couverts d’un voile gris. Martin scruta la pièce d’un œil suspicieux en sedemandantquiavaitvoulusesoustraireàsonregard.Personnen’avaitl’airinquiet,nimêmeessoufflé.—Tiens,tiens,onseréveille?tonitruaHarald.C’estsympadevoiroùpassel’argentducontribuable.
Lesforcesdel’ordrepiquentunroupillonpendantqu’unassassinsebaladeenliberté.IlgloussaetBritten,quitrouvaitapparemmentsaplaisanteriedefortmauvaisgoût,luidonnauncoup
decoude.—J’aimeraispoursuivrelesinterrogatoires,ditMartin.Ilserenditcomptequ’ildevaitparaîtrebourru
etajoutasuruntonplusdoux:Bernard,est-cequetupourrais…Bernardnesedonnapas lapeinede répondre. Il leva lentementunsourcil,posasonverreet suivit
Martin.—C’est toi que j’ai aperçu aupremier tout à l’heure ?demandaMartin enobservant attentivement
l’hommeassisenfacedelui.—Al’étage?Non,j’étaisdanslabibliothèque.Tum’asbienvuenarrivant,non?Bernardcroisalesjambesavecunairnarquois.Martinn’étaitpasconvaincu,sibienqu’ilajouta:—As-tuvuquelqu’und’autredescendreàl’instant?—Mmmm,non,onétaittousdanslabibliothèque.Maisdis-moi,jecroyaisqu’onétaitlàpourparler
d’hiersoir.Pouressayerdetrouverquiatuénotrechergrand-pèreRuben,celuiquireposemaintenantdansunechambrefroide…Paspoursavoirquisebaladaitàl’étage.—Oui,parlonsd’hiersoir.Tongrand-pèren’apasététendreavectoiaudîner.Quevoulait-ildire?
De quelles “sources” parlait-il, et quelles révélations avaient-elles à faire sur l’entreprise dont tu esapparemmentl’undesassociés?Bernard enleva quelques fils invisibles de son pantalon impeccablement repassé. Puis il regarda
Martin droit dans les yeux, un petit sourire errant sur les lèvres. Tout son corps, toute son apparenceexprimaitledédainet,pensaMartin,unsentimentdesupérioritéfaceauxgensqu’ilrencontrait.—Eh bien, comme tu as dû l’entendre hier à table, j’ignore totalement de quoi grand-père voulait
parler.Monentrepriseestflorissante,nousallonsbientôtêtrecotésenbourse,etencequiconcernelessources de grand-père… Je vais le dire comme ça : le vieux n’était plus dans le bain. Toutes ses
prétenduessourcessontdeshasbeenquin’ontplusledroitdejouer,etquis’amusentparconséquentàrépandredefaussesrumeurs.—Tongrand-pèrenem’apasfaitl’impressiond’êtreunhasbeen.Plutôtl’inverse.Bernardsoufflaavecmorgue.Iltripotaencoresonpantalonavantderépondre:—Grand-pèreRubenainstallémonpèreetHaraldàdeuxpostesclésdesonentreprise.Est-cequeça
tesembleunedécisionsaine,intelligenteetprofessionnelle?Martincompritcequ’ilvoulaitdire.Levieilhommes’étaitpeut-êtreégarédanssespropos.—J’ail’impressionqu’ilyavaitunritueldanslafamilleLiljecronaquiconsistaitàallerlevoirpour
toutes sortes de… d’investissements financiers… Est-ce que toi aussi, tu as profité du tiroir-caissefamilial?—Etalors ?L’argentallait tôtou tardnous revenir enhéritage.C’étaitquandmêmemieuxpour le
vieuxdenousaiderdesonvivant,commeça,onpouvaitleremercierdevivevoix.Etilétaittémoindenosréussites…—Combien?demandaMartinfroidement.—Commentça,combien?—Combienas-tuamenéRubenàinvestirdanstonentreprise?Bernardsemblauninstantperdrecontenanceetilréfléchitunmomentavantderépondre:—Vingtmillions.—Vingtmillions?ditMartinincrédule,tantlasommeétaitcolossale.—Ilallaitlesrécupéreraveclesintérêts.Dèsquel’introductionenbourseseraitfaite.—Alors quel était le problème hier soir ? J’ai cru comprendre que ton grand-père avait certaines
craintesparrapportàsoninvestissement.—Commejeviensdeledire,jenesaispasdequoiilparlait!L’introductionenbourseauralieudans
quelquessemainesetilauraitimmédiatementrécupérésesvingtmillionsplusungrospaquetdefricenrab!Sonassurancesemblaitsefissurer,etBernardpassalamaindanssescheveuxgominés.—Alorssijedemandeàlabrigadefinancièred’opéreruncontrôlesurtonentreprise,ilsnetrouveront
riendebizarre?Ilavaitdenouveaulamaindanssescheveuxgras,etMartinressentitunegrandesatisfactionenvoyant
leregarddeBernarderrerdanslapièce.—Combiendefoisest-cequejedoislerépéter?J’ignoretotalementdequoiilvoulaitparler,dit-il
entresesdents.—Tun’avaisdoncaucuneraisondel’assassiner,c’estça?Etlesautres?Penses-tuqu’unmembrede
votrefamilleaitpupasseràl’acte?Bernardavaitretrouvésonaplombhabituel.Etilréponditcommesasœur:—Penses-turéellementquejetelediraissic’étaitlecas?Martincompritqu’iln’enobtiendraitpasdavantage.—Bon,ons’arrêtelà.Pourl’instant.Peux-tudemanderàMattiasdevenir?—Personnenel’appelleMattias.OnditMatte.Maispasdeproblème,jevaisdireàmonchercousin
devenir.Irrité,Martin observaBernardquimarchait nonchalamment vers la porte.Cet hommeavait quelque
chosequiluitapaitsurlesystème.
—Tuvoulaismevoir.Matte apparut timidement dans l’embrasure de la porte. Martin vit que ses yeux étaient rouges et
compritqu’ilavaitverséd’autreslarmesdepuislaveille.
—Entre,dit-ilgentimentenmontrantlachaisedevantlebureau.—Pourunepremièrerencontreaveclafamille,tuesservi…—Oui,jepensequeçavaêtreunrecorddifficileàbattre,ritMartinavantdepoursuivresurunton
plussérieux:Commenttesens-tu?—Jen’arrivepasàmefaireàl’idéequegrand-pèren’estpluslà,ditMatteensecouantlatête.Etque
personnenesembles’enémouvoir.—Jevoiscequetuveuxdire.Tuesleseulquej’aievupleurerRubenLiljecrona.J’imaginequevous
étieztrèsproches,tongrand-pèreettoi?—Onavaitnotrerituel.Unefoisparsemaine,levendrediaprès-midi,jeprenaislethéchezlui.On
parlait de tout et de rien. Grand-père était une des personnes les plus intelligentes que j’aie jamaisrencontrées,unhommetrèscultivéettrèslarged’esprit.C’étaitunvraiprivilègedel’avoirdansmavie.—Onnediraitpasquelesautresmembresdelafamillesoientdetonavis.— Ils avaient des dollars plein les yeux dès qu’il était question de grand-père, soufflaMatte avec
dédain. Même papa. Tout ce qu’ils voulaient, c’était lui extorquer le plus de fric possible. Çan’intéressaitpersonnedesavoirquiilétaitréellement.—Etcettehistoired’appartementdontparlaitBernard…—C’étaitunarrangemententregrand-pèreetmoi,ditMatteavecunsoupirde lassitude.Jepouvais
occuperundesesappartementsletempsdemesétudes.Ilnemel’avaitpasdonné,jepayaisunloyer.Martinobservaunpetitsilenceavantdedemanderàvoixbasse:—Est-cequetuasdessoupçonsenversquelqu’un?Matteneréagitpastoutdesuiteàlaquestion,puisilsecoualatête:—Non,aucun.Martineutl’impressionqu’ilvoulaitdireautrechose,etilredemandaenlefixantdesyeux:—Tuessûr?Tunesoupçonnespersonned’avoirvoulutuertongrand-père?—Non,personne,ditMatte,plusfermementcettefois.Biensûr,toutlemondetiraitprofitdelui,mais
delààvouloirletuer…Non,jen’imaginepersonnefaireça.—Alorsçaseratoutpourlemoment.—Tun’aspasd’autresquestions?Maisildoityavoirbeaucoupplusà…—Oui,biensûr,j’aiencoredeschosesàdemander,àvoustousd’ailleurs,avantdetirerçaauclair.
Maispourl’instant,j’aibesoindemefaireuneidéeglobaledelasituation.Jereviendraiverstoi.Matteseleva,maisilnequittapaslapièce.Ils’immobilisauninstantdevantlaporte,ilparaissaitsur
lepointdeparlermaisilseretournaetpartit.Martinauraitbienaimésavoiràquellesquestionsilavaitfaitallusion.
Matteavaitlesjambesencotonensortantdubureau.Quelquechosedansleregarddecepolicierrouquinsemblait le mettre à nu. Avait-il démasqué l’imposteur qu’il était ? Il sentit une panique familières’installer au creuxde sonventre.Cellequi se signalait toujoursparunpetit grondementpour ensuites’intensifiertelunouragans’ilnel’arrêtaitpas.Plusjeune,iln’avaitpaseud’autrechoixquedesubircette vague de panique lorsqu’elle montait en lui jusqu’à presque l’étouffer. Aujourd’hui, il savaitcommentlagérer.Ilpossédaitlesoutils,commeauraitditsonpsy.Sibienqu’ilfitquelquespasjusqu’aumur,s’yadossaetselaissaglisserenpositionassise.Ilappuyasonfrontcontresesgenouxetfermalesyeux. Il devait seulement se focaliser sur unpoint fixe au centrede tout cenoir.Lepoint qu’il faisaitgrandirl’aidaitàseconcentrersursonsouffle.Inspirer,expirer.Inspirer,expirer.Calmement,jusqu’àcequesarespirationnemenaceplusdel’emporter.L’obscuritéderrièresespaupièresferméesl’apaisa.Aujourd’hui,ilavaitdelacompagniedanslenoir.
Quelquepartaumilieudupointquigrossissait,ilvitsongrand-père.Rubenluifitunsignedelamain.Un
clind’œil.Illuimontraitquetoutallaitbien,quetoutétaitparfaitementenordre.Aprèsunmoment,ilputserelever.Lacriseétaitpasséepourcettefois.
—Quandest-cequevouspensezqu’onpourrapartird’ici?demandaVivialorsquesalèvreinférieure
semitàtrembler.—Onl’adéjàdit,ilfautattendrequelatempêtesecalme.Martinentenditl’impatiencedanssaproprevoix.Etait-cesidifficilequecelaàcomprendre?Onne
pouvaitpassongeràfairelatraverséepourlemoment.Puisilfutprisderemords.Lafemmedevantluisemblaitsurlepointdes’effondrer,etiln’avaitpasbesoind’empirerleschosesenétantdésagréable.—Vousallezvoir,letempsfinirapars’améliorer,dit-ilgentimentenluitendantunmouchoirqu’elle
pritavecreconnaissance,puisilpoursuivit:Jecomprendsquetoutçasoittrèspéniblepourvoustous.—Oui, sanglotaViviense tamponnant lesyeux.Çacommenceà faire troppourmoi. J’ai lesnerfs
fragiles,vouscomprenez.Martinhochalatêteensignedesympathie.—Jevousprometsd’yallerendouceur.Maisilnousfautabsolumenttirercetteaffaireauclair.—Oui,oui,jesais,sanglotaVivi.Elles’essuyaencoreunefoislesyeuxennoircissantsonmouchoirdemascara.—Etiez-vousaucourantdes…agissementsdevotremari?demandaMartin.Vivisanglotadeplusbelle,etsamainpartitnerveusementverssoncou.—Non,absolumentpas…Qu’ilaitpu…Non,j’ignoraistout.Sa voix se brisa et elle sembla abandonner la lutte avec la bonne tenue de son maquillage. Deux
traînées noires coulaient désormais sur ses joues. Elle serra le mouchoir dans ses mains. Martinl’observa avec attention. Il la trouva plutôt crédible et décida d’abandonner cette partie-là del’interrogatoirepouraborderunautresujet.—QuelleétaitvotrerelationavecRuben?Lessanglotss’atténuèrentetelleavalasasaliveavantderépondre:—Nous…Ehbien, jediraisplutôtquenousn’avionspasde relationdu tout.Rubennem’a jamais
tenueentrèshauteestime,ilm’atoujoursplusoumoinsignorée.Etilmerendaittoujoursnerveuse.—Nerveuse?— Oui, nerveuse. C’était un homme avec une aura immense. Gustav était toujours stressé par la
présencedeRuben,ilavaittellementenvied’êtreàlahauteur,etjesupposequeçadéteignaitsurmoi.—D’aprèsvous,quiauraitpuavoiruneraisondetuervotrebeau-père?LamaindeVivirepartitverssoncou.— Je ne vois absolument personne vouloir faire une telle chose. C’est inimaginable. Totalement
inimaginable!—Mais suffisamment imaginable pour que quelqu’un soit passé à l’acte, dit doucementMartin en
inclinantlatêtesurlecôté.Vivi ne répondit pas, elle se trémoussait sur sa chaise et étaitmanifestement inquiète. Soit elle ne
voulaitpasrépondreàlaquestion,soitellenelepouvaitpas.Martin respiraprofondémentavantdeposer laquestionsuivante,maisunbruitde l’autrecôtéde la
portel’arrêtadanssonélan,ettouslesdeuxtournèrentlatête.Deséclatsdevoixetlebruitdemeublesqu’ondéplaceleurparvinrentdepuislabibliothèque.Martinserelevarapidementets’yprécipita.MatteetBernardsefaisaientface,Matteaveclenetavantaged’avoiracculésoncousincontrelemur
etdetenirsachemised’unemainferme.Ilhurlaitetpostillonnait,etBernardn’osaitmanifestementpasleverlesmainspours’essuyerlevisage.—Tagueule,espècedesalaud!Tum’entends?Tagueule!
Matteétaitrougedecolère,etàchaquemot,ilpoussaitdavantageBernardcontrelemur.—Bernardnevoulaitpas…,hasardaplatementGustav.Sonregardallaitetvenaitentresonfilsetson
neveu.—Gustav,qu’est-cequisepasse?s’écriaViviquiavaitemboîtélepasàMartin.—Tonfilss’estmisàlancerdesaccusationscontrelemien,ditBrittend’unevoixglacialeàsabelle-
sœur,puisens’adressantàMatted’unevoixnettementplusdouce:jet’enprie,Matte,arrêtemaintenant.Lâche-le.Neprêtepasattentionàcequ’ildit.C’estuncrétin,ettulesais.—Tu traitesmon filsdecrétin? s’interposaGustavenbombant le torsealorsqu’il la fustigeaitdu
regard.—Tuastrèsbienentenducequej’aidit,Gustav.Tonfilsestuncrétindepremière,cen’estunsecret
pourpersonne!—Tupeuxparler,toi,avectonnévrosédefils!SiRubenn’étaitpasintervenu,ilseraitprobablement
encoreinterné!Etjecommenceàmedirequeçaauraitétémieuxpourtoutlemonde!GustavetBritten se faisaient face commedeuxcoqsde combat.Acôtéd’eux,Matte tenait toujours
Bernardd’unemainde feret semblaitnepasse rendrecomptedecequi sepassaitautourde lui.Lesautresmembresdelafamilleétaientcommepétrifiés.Martincompritqu’ildevaitagir.Desavoixlaplusautoritaireildit:—Maintenantonsecalme!EnuneseuleenjambéeilfutdevantMatteetl’obligeaàlâcherBernard,cequifutétonnammentfacile.
Mattesemblasevidercommeunebaudrucheàl’instantmêmeoùMartinlepritparlebras,etils’écrouladanslefauteuilleplusproche.Bernardsefrottalapoitrineaveclamain.Sachemiseétaitfroisséeetilallaitsûrementavoirunbeau
bleu. Sans avoir entendu l’origine de la dispute,Martin avait cru comprendre queBernardméritait lacorrectionqu’ilvenaitdesubir.—Maintenanttoutlemondesecalme,dit-il.—Ilfaudraitl’enfermeraveclesfous,celui-là!Espècedemalade!crachaBernardenfusillantMatte
duregard.MaislefrèredeLisetteneprêtaitplusattentionàlui.Ilétaitprostrédanssonfauteuil,latêteentreles
mains,fixantlevidedevantlui.Brittenfitlesquelquespasquilesséparaientettombaàgenoux.Ellepassalentementlamaindansle
dosdesonfilstoutenluiparlantdoucementpourlecalmer.—Putain,ilestcomplètementcinglé!maugréaBernardentirantsursacravatepourlaremettredroit.—Tutecalmesmaintenant.Gustavfitsigneàsonfilsdes’écarterunpeu.Bernardobéit,toutencontinuantàfoudroyerMattedu
regard.—Jesaisque lescirconstancessont terriblementstressantespour tout lemonde,ditMartin,mais il
fautquechacunfasseuneffortetacceptelasituation.OnpourrasûrementrejoindreFjällbackabientôt,etenattendantjevousconseilledegardervotresang-froid.Ilregardalonguementlesdeuxbelligérantsetrépéta:—Toutlemondesetienttranquille.C’estcompris?Bernardhochalatêteàcontrecœur,maisMattenesemblapasentendrecequisedisait.Subitementil
seleva,seruaversl’escalieretmontadanssachambre.Brittenvoulutlesuivre,maisHaraldl’arrêtaenposantunemainsursonbras.—Laisse-lepartir.Ilabesoinqu’onluifichelapaix.—Ça,c’estMattetoutcraché!lançaLisetteàl’autreboutdelapièce.Ilfauttoujoursqu’ilfasseune
scène.
—Lisette,tudevraisplutôtêtresolidairedetonfrère!Tuasentenducequetonchercousinluiadit!C’estnormalqu’ilréagisse,protestaBritten.—MaisBernardaraison.Matteestbonàenfermer.Lisetteparlaitsuruntongeignard,etMartinlatrouvademoinsenmoinsattiranteàchaqueminutequi
passait.—Lisette!LavoixdeBrittenvintinterrompretoutautrecommentairedelapartdesafille.Martinenprofitapour
répéterfermementàl’adressedesacopine:—Onsecalme,jeviensdeledire.Çanesertàriendesedisputer.Etc’estvalablepourvoustous,
jusqu’àcequ’onpuisseretournersurlecontinent.Leregardque lui jetaLisette lui fitcomprendrequ’ilnedevraitpascomptersursonamourpendant
quelquetemps.Tantmieux.Unefoispartid’ici,ilnelareverraitplusjamais.Martinleurtournaledosetsedirigeaverslacuisinepoursefaireuncafé.Ilenavaitpar-dessuslatête
delafamilleLiljecrona.
LisettecontemplaledosdeMartinquandilsortitdelapièce.Ellebouillonnaitintérieurement.Quelculotde la corriger comme il l’avait fait ! Pareil pour sa mère, d’ailleurs ! Ses parents avaient toujourschouchoutéMattecommeunbébé.Touteleurattentionavaittoujoursétépourlui–àsesdépens.“Matteabesoinqu’onl’aideunpeu,alorsquetoi, tut’ensorstellementbientouteseule…”Ilsavaient toujoursdonné la priorité à son frère.AMatte avec ses peurs et ses hésitations. Pendant sa première année àl’université,quandilavaitexploséenpleinvol,elleauraittoutaussibienpuêtreinvisible.Iln’yenavaiteuquepour“cepauvreMatte”quin’avaitpassupportélapressionetquidevaitmaintenant“serefaireune santé”.Même grand-pèreRuben s’était inquiété.Matte avait toujours été la prunelle de ses yeux.C’étaitvraimentinjuste.Elle échangea un regard avec Bernard qui se tenait de l’autre côté de la pièce. Il était le seul à
comprendre. Ilsavaientpasséplusd’unesoiréeensemble,à ressasser lesmanquementsde leurspèresrespectifs enbuvantduvin,parfoisunpeu trop.Aquelques reprises, ils s’étaient carrément retrouvésdanslemêmelit.Maiscen’étaitpasunechoseàcriersurtouslestoits,ilsétaienttoutdemêmecousins.C’était dommage d’ailleurs. Lisette avait toujours trouvé qu’ils étaient comme faits l’un pour l’autre.Bernardétaitunhomme,unvrai.Encomparaison,Martinétaitd’unebanalitéconsternante.Et rienquel’idéequ’ilpuissesesatisfaired’unsalairedepolicierlafaisaitrire.C’étaitmoinsquecequesonpèreluidonnaitcommeargentdepoche.Elleseréjouitenpensantaupetittête-à-têtequ’ilsavaienteu,Bernardetelle.Plustôtdanslajournée,
ilsavaient réussiàseménagerun instantencatimini.Mais il s’enétait falludepeuqueMartinne lessurprenne.—Lisette,j’auraisvraimentaiméquetufassesplusattentionàMatte.Brittenfutsubitementàsescôtés,etLisettesursauta,puisellesesecoualebraspoursedébarrasserde
lamaindesamère.—Matte,Matte,Matte. Je ne supporte plus d’entendre parler de lui tout le temps. Pourquoi faut-il
toujoursquetuledéfendes?Tun’aspasvucommentilasautésurcepauvreBernard?—CepauvreBernard,répétaBrittenavecdédain.Ilseraittempsquetuouvreslesyeuxsurlavraie
personnalitédetoncousin.Tun’aspasentenducequ’iladitàMatte?Cen’estpasquejedéfendemonfils,onnerésoutrienparlaviolence,maisjepeuxcomprendresaréaction,c’étaitvraimentdéplacé…—Déplacé?Ettunetrouvespasquec’estdéplacéd’essayerd’étranglerBernard?LavoixdeLisettemontaversleplafondettouslesregardssetournèrentverselleetBritten.—Çasuffit,onarrêtemaintenant!Baissezleton,s’ilvousplaît,ditHarald.
SavoixétaitsupplianteetLisetteseréjouitdelevoiraussimalàl’aise.Sonpèreavaittoujoursétéunlâchequicraignaitlesconflits.C’estBrittenquis’étaitchargéedetouteslesdiscussionsorageusesavecMatteetelle,tandisqueHaraldsetenaitàl’écart.Lisetteregardasonpère,dontlesyeuxerraientdanslevague.Commeelleleméprisait!Commeelleméprisaittoutesafamille!Saseuleconsolationavaitétédesavoirqu’unjourellehériteraitdel’argentdegrand-pèreRuben.Desavoirqu’elleleurferaitundoigtd’honneuràtousetvivraituneviedepatachonsurlaCôted’Azurpourjouirdechaquejourcommes’ilétaitledernier.Qu’ellelaisseraittombersesfoutuesétudesetneferaitque…vivre!ElleposaunregardfroidsurHaraldetBritten.Puiselletournalestalonsetpartit,avecuneseuleidée
entête.Pouvoirbientôtquittercetendroit.
BörjeetKerstinétaientplongésdanslapréparationdudéjeunerlorsqueMartinentradanslacuisine.—Est-ceque jepeuxprendreducafé?demanda-t-il enhochant la têteendirectionde lacafetière
électrique.—Biensûr,servez-vous,ditKerstin,quicoupaitdupain.Martinenversadansunetasse,puisils’appuyacontrelemontantdelaporteetregardaparlafenêtre.
Latempêtesévissaittoujours.—Çanerigolepasdehors,ditBörje.—C’estlemoinsqu’onpuissedire.Martintrempaseslèvresdanslecafébrûlantetlereposapourlelaisserrefroidirunpeu.—Martin…?commençaKerstin.Euh…onsedemandaitsivouspouviezsortirlerôtidelachambre
froide?Pourqu’ilaitletempsdedécongelerd’iciàcesoir.Martin ne comprit pas tout de suite pourquoi ils tenaient à ce que ce soit lui qui le fasse.Soudain,
l’évidencelefrappa.LecorpsdeRubens’ytrouvait.—Biensûr.Aucunproblème.KerstinetBörjeeurentl’airsoulagé.Malgré son tonguilleret,Martinhésita un instant avant d’ouvrir la porte.Seshôtesdevaient penser
qu’entantquepolicier,ilavaitl’habitudedevoirdescadavres.C’étaitpeut-êtrelecasdanslesgrandesvilles.Poursapart,iln’avaitvudesmortsqu’endeuxoccasions–unepersonnequiavaitperdulaviedansunaccidentdelarouteprèsdeTanumshede,etuntouristefinsoûlquis’étaitnoyé.Ilentradanslachambrefroide.Rubenétaittoujourslà.Martins’étonnadenepassesentirplusmalà
l’aise.Lapièceparaissaitpaisible.Le vieil homme était allongé sur la table qu’ils y avaient apportée. Moins de vingt-quatre heures
s’étaientécouléesdepuisledînerdramatique,maisl’atmosphèreoppressantequirégnaitdanslamaisondonnaitl’impressionqu’ilsyétaientenfermésdepuisdessemaines,desmois,uneéternité.Martincontournalentementlatablesurlaquelleétaitétendulecorpspours’approcherducongélateur.
Il lui semblaapercevoirunmouvementducoinde l’œilmais il réalisaaussitôtquecen’étaitquesonimagination.Rubenétaitparfaitementimmobile.Lecouvercleducongélateurnebougeaitpas,ilfutobligéd’utilisertoutessesforcespourl’ouvrir.Un
souffle froid l’atteignit au visage et il recula instinctivement. Le rosbif était sur le dessus. Il étaitsoigneusementemballéetportaituneétiquetteàl’écritureféminine.Legrandpaquetétaitsifroidqu’illuibrûla les mains, et il se dépêcha de sortir. Bien qu’il n’ait pas ressenti la présence du mort commedésagréable,iléprouvauncertainsoulagementlorsquelaporteserefermaderrièrelui.—Çaaété?demandaKerstin,etàsonintonation,onauraitpucroirequ’ilrevenaitd’uneexpédition
aupôleNordetnonqu’ilétaitalléchercherdelaviandedansuncongélateur.—Oui,trèsbien.Ilposalerôtisurgeléetsefrottalesmainspourréactiverlacirculationdusang.
—Qu’est-cequevousenpensez?Vousobtenezdesrésultats?demandaBörjeendésignantlachambrefroidedelatête.Ledécouragementl’envahissait,maisMartinnepouvaitdirequecequ’ilenétait.—Non,pasvraiment.Personnen’arienvu.Personnenesaitrien.Personnen’ademobile.Pourtantils
sontcommechiensetchats,tousautantqu’ilssont.—J’aicomprisquec’étaitlapremièrefoisquevouslesrencontriez,ditBörjeavecunpetitsourire.
Enmatièred’introduction,c’estfoutrementréussi!Kerstinpoussasonmariducoude.—MaisBörje,envoilàunefaçondeparler!—Çanefaitrien,ditMartinenriant.Etvousavezraison,c’estfoutrementréussi!TouslestroisrirentetMartinsentitlatensionserelâcherdanssapoitrine.
Lahainecontinuaitàbouillonnerenlui.Ilavaitétéobligédepartir.Autrement,elleauraitprisledessus,l’auraitvaincuetfaitfairedeschosesqu’ilauraitregrettées.Assisdosàlaportedanssachambre,Matteserralesmains,rythmiquement.Ilnesesentaitrassuréqu’enmaintenantsaporteferméeàclé,qu’enétantseul.Lesautresreprésentaientundangeretunrisque.Ilsavaientbeauavoirlesmeilleuresintentionsdumonde,ilspouvaientêtrepleinsd’amourmême,maisenréalitéilsétaientdangereuxetperfides.Laseulepersonneavecquiilsesentaitensécuritéétaitsongrand-père.Ensacompagnie,ilpouvaitsedétendreetselaisseraller.Ilavaitpuluiparlerdetouteslespenséesquifusaiententoutsensdanssonespritetqui,inlassablement,semblaientguetterunmomentderelâchement.Alamoindreoccasion,elless’immisçaientenlui.Grand-pèrel’avaitcomprisetn’avaitjamaisrienremisendoute.Iln’avaitjamaispestécontreluicomme papa, ni pleuré commemaman, ne l’avait jamais méprisé comme Lisette. Il ne s’était jamaismoquédeluicommeBernard.Lesautresnecomprenaientpaspourquoi ilnourrissaitunehaine irrationnelle à l’égarddeBernard.
Matte avait pourtant tentéde semaîtriser, de faire fi de ses souvenirs.De se comporter correctement,commeilsdésiraientqu’illefasse.Maislessouvenirsétaienttoujourslà.Ilsressurgissaientlorsqu’ilnesetenaitpassursesgardes.Bernardetluiavaientfréquentélamêmeécole,dansdesclassesdifférentesmais dumêmeniveau.Durant toute leur scolarité,Bernard avait fait de lui son souffre-douleur, et lesautresélèvessuivaientlemeneurqu’ilétait.Ilslefrappaientetleridiculisaientsansrelâche.Encoreetencore.Toujoursaveccesourirenarquois.Toujoursàlarecherchedenouveauxstratagèmespourbrisersonexistence.Avecl’âge,leschosess’étaientaméliorées.Ilsn’étaientpasallésdanslemêmelycée,etBernard s’était sans doute lassé et avait trouvé d’autres exutoires pour son énergie perverse. Maislorsqu’ils se croisaient, il affichait lemême sourire commepourdirequ’il voyait clair en lui et qu’ilsavaitexactementsurquelsboutonsappuyerpourlebriser.C’étaitlaseulechosequ’iln’avaitjamaisracontéeàgrand-père.IlsedoutaitbienqueRubenvoyait
Bernardtelqu’ilétait,maisqu’ilgardaitespoirenlui.EtMattenevoulaitpasluiôtercetteconfiance.C’estpourquoiilconservaitlesilencelorsqueRubenparlaitdeBernard.Ilneluirépondaitpaslorsqu’illuidisait:“Ilvas’assagir,luicommetoutlemonde,quandilaurafinidejouer.Detoutefaçon,çanepartpas d’une mauvaise intention.” Dans ces moments-là, Matte scrutait attentivement son grand-père.Croyait-ilcequ’ildisait?Nevoyait-ilvraimentpaslemasquedontils’étaitparéetlemalquiricanaitderrière le beau sourire deBernard ? Peut-être. Peut-être pas.Quoi qu’il en soit,Matte avait très tôtdécidé de ne pas être celui qui étoufferait l’espoir que Ruben plaçait en Bernard. Le temps s’enchargeraitàsaplace.Maismaintenantilétaittroptard.Grand-pèren’étaitpluslà.Sonseulamiaumonde,leseulêtreavec
quiilsesentaitensécuritéavaitdisparu.Etlesouriremoqueurdesoncousinluidisaitqu’ilavaitfinipargagner.
Le tonnerre retentit si fort que les carreaux des fenêtres en tremblèrent.La tempête de neige s’étaitdésormaismuéeenorage!Mattepritconsciencedecequ’ildevaitfaire.Maisd’abordil luifallaitsereposerunmoment. Il s’allongeasur le lit et ferma lesyeux.Etaprèsquelquessecondesseulement, ildormait.
—Ehbien,ça,c’estcequej’appelleundramefamilial,ditGustav.Ilétaitconfortablementinstalléavecsafemmeetsesenfantsdanslescanapésetfauteuilsblancsdela
bibliothèque. Un fumet appétissant leur parvenait depuis la cuisine et l’estomac de Gustav se mit àgronderbruyamment.—Mmm,j’aifaim,dit-ilavecunenjouementfeintavantdeboireunegouléedecognac.Avec les événements du week-end, toutes les règles de convenance étaient négligées, et le cognac
généreusementservi.Personne ne répondit à sa tentative de lancer la conversation. Bernard se frotta la peau du cou en
marmonnant:—Merdealors, jesuissûrque jevaisavoirunputaindebleu.Vafalloirexpliquerçaaubouloten
plus.Jeparspouruneréuniondefamilleetjereviensavecunemarquedestrangulation…—Matte a toujours été instable. Je ne comprends pas qu’ils ne se soient pas occupés de ça plus
sérieusement.C’est un véritable danger pour son entourage, ditGustav en secouant la tête alors qu’ilfaisaittournerleliquideambrédanssonverre.—Vouspensezque…?Mirandas’arrêtanetpuispoursuivit:VouspensezqueçapeutêtreMattequi…Elleneterminapassaphrase,iln’enfallaitpasplus.Unelueurs’allumadanslesyeuxdesmembresde
safamille.—Maisbiensûr,putain!s’exclamaBernard,quisemblaitconsidérablementragaillardi.Ilseredressa
sur lecanapéetpoursuivitd’un tonexcité :Maisbiensûrquec’estMatte ! Ilya toujourseuquelquechosequinetournaitpasrondchezlui.Etvousavezvucommentilm’aagressé.—Mais…Rubenetluiétaienttellementproches,protestaVivi.SonobjectionfutbalayéeparGustavquiavait,luiaussi,unéclatfiévreuxdanslesyeux.—Justement!Çarendlachosed’autantplusplausible.Quisaitcommentsoncerveaumaladeaperçu
leschoses?Leplussouvent,lesvictimessonttuéesparunmembredeleurfamille,non?Bernard et Gustav hochèrent la tête en signe d’assentiment. Miranda avait toujours l’air un peu
hésitante.Elleneparaissaitpasaussiconvaincue,bienqu’elleaitlancélapistelapremière.—Mais…,dit-elleencherchantdesyeuxunpeudesoutienauprèsdesamèreavantdepoursuivre.
Quelseraitsonmobile?—L’argent,lavengeance,desgriefsimaginaires–tuchoisis,soufflaBernard.—Jenesaispas,vraiment,ditMirandaentripotantundescoussinsducanapé.Jenesaispas…—Maismoi, jesais,ditBernardenselevant.Jem’envaisdecepasdireunmotauflicdeLisette
pourqu’ilaituneimageplusnettedetoutça.Etçanem’étonneraitpasqu’iltrouvelapistefranchementprometteuse.—Mais…Mirandasemblaitavoirautrechoseàdire,maisBernardétaitdéjàentraindequitterlapièce.
Soudainelles’envoulutdenepasavoirsutenirsalangue.Enfait,elleaimaitbienMatte.Etiln’étaitpasdérangéàcepoint-là.Bonsang,unepersonnesurdeuxdanssonentourageavaitdéjàfaitunedépression.S’empiffrerdeProzacetautrespilulesrosesétaitpresquelégitime,etdéfinitivementpasquelquechoseque l’on gardait secret. Au contraire. Il ne fallait pas s’étonner non plus que Matte s’en soit pris àBernard.Elleadoraitsonfrère,maisilpouvaitêtreassezprovocateur.Ilavaitledonétrangededevinerquelsétaientlespointsfaiblesdesgens,etilenusaitavecunesortedejouissancemalsaine.— Et Harald et Britten, qu’est-ce qu’ils vont dire s’ils apprennent que Bernard traite leur fils
d’assassin?ditVivid’untoninquietens’agitantnerveusementsurlecanapé.—Ils sont libresdedirecequ’ilsveulent, jem’en fous,ditGustavqui tournait encore sonverreà
cognac.Matte est instable et de toute évidence agressif, alors ce n’est pas absurde de le considérercommelecandidatleplusprobable.—Maisunassassin…,ditViviavecunregardsuppliantàMiranda.—Jedoisdonnerraisonàmaman.Jesaisquec’estmoiquiailancél’idée,mais…non,jenevoispas
Matteenassassinsanguinaire…çanecollepas.Mirandafutsurprisedes’entendredirecela.Ellen’étaitpassouventd’accordavecsamère,etpour
unefois,ellessemblaientêtredumêmecôté.—Bah,lesbonnesfemmes,ditGustavavantdeboireunegrandelampéed’alcool.Vousêtestoujours
tellementconfiantes.Vous lesvoyezcomment, lesassassins?Commedesmonstres sauvagesavecunegrossebarbeetdestatouagespartout?Pourmapart,jecroisMattetoutàfaitcapabledetuerquelqu’un.Satisfait,ils’enfonçadanssonfauteuilavecl’airdepenserqu’ilavaiteulederniermot.MirandaetViviéchangèrentunregarddeconnivence.Cecineprésageaitriendebon.Aucontraire.—Tupensesqu’ons’yestmalpris?ditBrittenàvoixbasse.Harald et elle s’étaient réfugiés dans la salle à manger pour s’isoler un moment. Matte et Lisette
avaientchacunfoncédansleurchambre,Gustavetsafamilleétaientdanslabibliothèque,certainemententraindesegargariserdel’agitation,etducoindel’œilellevitMartinMolindanslacuisine,quiparlaitaveclespropriétairesdeslieux.Haraldétaitassisenfaced’elle.Sonvisageavaitprisuneteintecendréequil’inquiétaaussitôt.—Tuvasbien?demanda-t-elleenposantunemainsurcelledesonmari.—Net’inquiètepas,répondit-ilavecunsourireforcé.—Tusaisquejem’inquiètequoiquetudises.—Oui,jesais.Haralddéplaça samainafindepouvoir tapotercelledeBrittenenungestequi sevoulut rassurant.
Vainetentative.—Jevousapporteducafé.Vousn’avezqu’àvousservir.KerstinposaunplateauavecunThermosetdestassessurlatablelelongdumur,avantdedisparaître
danslacuisine.—Tuenveux?demandaBritten.Haraldhochalatêteenguisederéponse,etelleselevapourservirdeuxcafés,noirpourelle,aulait
avecdeuxmorceauxdesucrepourHarald.Depuistoujours,elleluidisaitdenepasmettredesucredanssoncafé,maiselleavaitfiniparcomprendrequec’étaituncombatdésespéré.—Tun’aspasoubliélesucre?—Non,monchéri,jen’aipasoubliélesucre,ditBrittenquisouritensongeantàleurcomplicité.Ellebutquelquesgorgéesavantderépétersaquestion:—Tupensesqu’ons’yestmalpris?—PourMatte,tuveuxdire?—PourMatte etpourLisette.Elle a raison, tu sais.On l’anégligée.Matte a eudroit à toutenotre
attention,alorsqu’onluidisaitsansarrêtqu’ilfallaitêtregentilleetnousaider,qu’elleétaitunegrande
filleetqu’ellesedébrouilleraittoujours.Maisellenes’estpasdébrouillée…Toujourspas.—Qu’est-ce qu’on aurait dû faire alors ? ditHarald d’une voix lasse en passant unemain sur son
visage.Matteétaitexigeant.Onafaitcequ’onapu.—Tucroisqu’onafaitcequ’onapu?répliquaBrittenalorsquesesyeuxs’emplissaientdelarmes.
Vraiment?N’aurait-onpaspufaireunpeuplusd’efforts?Pouressayerd’être làpour tous lesdeux?PourdonneràLisetteletempsetl’attentionqu’elleméritait.Maintenantj’aipeurqu’ilnesoittroptard.Unelarmecoulasursajoue.Haraldfixasatassedecafé,puisilsecoualatête.—J’auraispeut-êtrepuessayerdemoinstravailler…,dit-il.Brittenréalisaquec’étaitlapremièrefoisqu’ilévoquaitunetelleéventualité.Elleleluiavaitdittant
defois,parfoisenlesuppliant,parfoisaveccolère.Maisàprésentqu’illeformulait,ellecompritquecelan’auraitjamaisfonctionné.Haraldn’étaitpeut-êtrepasd’unecompétencehorsducommun,c’étaitunfaitqu’elleavaitdécouvertdepuisbelle lurette,mais iladorait travailler,et travaillerdur. Ilnesavaitrienfaired’autre,etiln’auraitpasaiméfaireautrechose.Sibienqu’ilavaitpeut-êtreraison.Ilsavaientpeut-êtrefaitdeleurmieux,aveclesmoyensquiétaientlesleurs.—Qu’est-cequ’onfaitmaintenant?demanda-t-elleenposantdenouveausamainsurlasienne.—Onleurfichelapaixunpetitmoment.Ensuite,quandonserapartid’ici,ontrouveraunesolution.Il
yaforcémentunesolution.Ilsfinirentleurcaféensilence.Iln’yavaitpasgrand-choseàajouter.
Martin fit unbond lorsque le tonnerre se remit àgronder. Il avait toujours eupeurdesorages.C’étaitgênant pour un homme adulte, mais cette fureur soudaine qui inondait tout de sa lumière crue avaitquelque chosede sinistre.Et cette attente…celledu tonnerrequ’on savait imminent.Lorsqu’un éclairilluminaànouveaulacuisine,ilcomptalessecondesensilence.Un,deux,trois…—Boum.Martinsursauta.Bernardsurgitderrièreluiaveccesouriredésagréabledontilavaitlesecret.—Pardon,jet’aifaitpeur?—Non,pasdutout,minimisaMartin.—C’estquandledéjeuner?demandaBernardàKerstinetBörje.Asonton,onauraitpucroirequ’il
lesconsidéraitcommesesdomestiques.—Dansunedemi-heure,réponditKerstinavantdeseretournerpourcontinuerlapréparationdurepas.—Parfait,commeça,onaletempsdeparler.BernardfitunsignedetêteàMartin,quisuivitàcontrecœurl’hommegrandetbrun.Ileutbeautrouver
Bernard fort antipathique, il était obligé de reconnaître qu’il possédait une bonne dose d’autorité. IlsemblaitdifficiledenepassuivreBernardLiljecrona.—Dequoiveux-tumeparler?demandaMartinquitentaitdereprendrelesrênes.BernardjetaunregardversHaraldetBritteninstallésplusloindanslasalleàmanger,etilnerépondit
pas.Agrandesenjambées,ilsedirigeaverslepetitcabinetdetravail,etuninstantMartincrutqu’ilallaits’asseoirderrièrelebureauetcommenceràl’interroger.MaisBernardchoisitlachaisedevantlebureauetposaunregardimpérieuxsurMartin.LacuriositédeMartin s’éveillamalgré lui. Il s’assit à son tour et leva les sourcilspour signaler à
Bernardd’enveniraufait.—Tuasvucequis’estpassétoutàl’heure,ditBernardd’unevoixsècheetneutre.—Tuveuxdirevotre…différend,àtoietMatte?Même s’il s’en doutait déjà un peu, Martin se demandait quelle tournure allait prendre cette
conversation.—Oui.TuasvuqueMattem’aattaqué,sanslamoindreprovocationdemapart.
Martinn’enétaitnullementconvaincu,maisilattenditlasuitesansfairedecommentaire.—Bon,donc,cen’estpasnouveau.Matteacertains…problèmes.HaraldetBrittenontfaitdeleur
mieuxpourgarderçasouscontrôle,etlecacher–etRubenaussi,tantqu’onyest.MaislavéritéestqueMattealecerveaudétraqué,iladéjàfaitquelquesséjoursenpsy.Et…sijedevaischercherl’assassinleplusvraisemblabledanscetteassemblée,alors…,dit-ilenécartantlesmainsd’ungestethéâtral.Martin soupira. Il avait espéré que Bernard lui fournirait quelque chose de plus consistant. Les
problèmespsychiquesdeMatten’étaientpasunscoop,etçan’aideraitpasl’enquêteàprogresser.—Tun’asriendeplusconcret?dit-ild’unevoixfatiguée.—Commentça,deplusconcret?Ilm’aattaqué!Ilaessayédem’étrangler!Est-cequeçapeutêtre
plusconcretqueça?Putain,c’estunetentatived’assassinat!—Situveuxmonavis,appelerçaunetentatived’assassinatestunpeuexagérédanscecontexte.Et
celanelelieenrienàlamortdeRuben,n’est-cepas?Deplus,vousaveztousditqueRubenetMatteétaienttrèsproches.Danscecas,quelmobileaurait-ileupourtuersongrand-père?Letonnerregronda.BernardetMartinsursautèrent.—Mobile,mobile,répétaBernard.Quipeutsavoircommentfonctionneuncerveaumalade?Etlefait
qu’ilssoientprochesrendlachoseplusprobable,pasvrai?— Qu’est-ce que tu veux dire par là ? demanda Martin, sans réussir à paraître spécialement
enthousiaste.—Ehbien,l’amoursechangefacilementenhaine.UnepersonneinstablecommeMattepeutfacilement
imaginerdeschoses,etquisaitcequ’ilapusemettreentêteconcernantgrand-père?—Hmm…C’estunpeutropléger,ditMartinensecouantlatête.J’ainotécequetuviensdemedire,
maisjepensequ’iltefautmefournirdespreuvesplusconcrètespourmeconvaincredeplacerMatteentêtedelalistedessuspects.—Quoiqu’ilensoit,dèsqu’onauraquittécettefoutueîle,j’ail’intentiond’allerporterplainte,sache-
le.Ilnes’attaquerapasimpunémentàmoi,claironnaBernardenfixantMartindroitdanslesyeux.—C’esttondroit.Martinselevapourmontrerquelaconversationétaitterminée.Ilyeutencoreuncoupdetonnerre,et
cettefoisileutl’impressionquel’orages’étaitconsidérablementrapproché.
Ledéjeunersedéroulaensilence.Lisettelesavaitrejointsmêmesielleétaitdemauvaisehumeur,tandisqueMattebrillaittoujoursparsonabsence.LerepasqueKerstinetBörjeavaientserviétaitdélicieux,maispersonnen’étaitvraimentenétatdel’apprécieràsajustevaleur.Martinsedemandaquelleserait la réactiondeHaraldetBrittens’ilsapprenaientqueBernardavait
cherchéàdésigner leur fils commeassassin. Il n’avait cependantpas l’intentionde les en informer. IllorgnaversLisettequis’entêtaità regardersonassiette.Ellene luiavaitpasadressé laparoledepuisqu’elle était revenue, ce qui confirma le fait qu’ils avaient dépassé le stade où les choses pouvaientencores’arranger.Cedontiln’avaitaucuneenvie.Unefoisqu’ilsauraientquittél’île,ilsecontenteraitparfaitementdenepluslarevoir.Enattendant,leurrelationseraitforcémentquelquepeuglaciale.—Est-cequel’undevousaparléavecMatte?dit-ilàvoixbasseàHaraldetBrittenquiétaientassis
enfacedeLisetteetlui.Tousdeuxsecouèrentlatêteenmêmetemps.—Non,finitpardireBrittenenjetantuncoupd’œilàHarald.Onl’alaissétranquille.Engénéral,il
secalmetoutseul,pourvuqu’onluifichelapaix.—Ondevraitpeut-êtremontervoircommentilva?ditHaraldenbaissantencored’unton.—Non,ilvautmieuxlelaisser,réponditBrittenquin’enparaissaitpastotalementconvaincue.
Haraldn’insistapasetilscontinuèrentàmangerdansunsilenceoppressantrompuparleseulcliquetisdescouverts.Martinsentitlapaniquepoindreenlui.Iln’avaitqu’uneseuleenvie:quittercettemaisonetcetteîle.Il
étaitsurtoutimpatientd’obtenirl’aidedequelqu’undeplusexpérimentéqueluipourl’enquête,quelqu’unquisauraitcommentlafaireprogresseretquienvisageraitdespossibilitésquemanifestementilloupait.Ilignoraitquipouvaitêtrel’assassinduvieilhomme.Iln’étaitabsolumentpasplusaviséquelaveille,etenvenaitàdoutersérieusementdesescompétences.— Je crois que je vais aller faire une petite sieste digestive, dit Harald en tapotant son ventre
volumineux.—Oui,c’estunebonneidée,réponditMartinenétouffantunbâillement.L’atmosphère pesante, la grande quantité de nourriture et de boissons le rendaient terriblement
somnolent.Pourtant,ilavaitdéjàdormiuneheuredanslamatinée.—Jemontem’allongerunmoment,dit-ilàLisette.Ellemurmuraunevagueréponsesansluiadresserunregard.Uninstantplustardalorsqu’ilétaitétendusursonlit,ilentenditlesportessefermerlesunesaprèsles
autres.Presquetoussemblaientsuivresonexemple.Lescoupsdetonnerrefurentladernièrechosequ’ilentenditavantdesombrerdanslesommeil.
Brittenseréveillaavecl’impressionquetoutn’étaitpastoutàfaitnormal.Elletentadesedébarrasserdesonmalaise.Peut-êtreavait-elle rêvédequelquechosededésagréable?Cettesensationnes’atténuaitpas.Quelquechoseclochait.Elleseredressaettenditl’oreille.Lesseulsbruitsqu’ellepercevaitétaientles ronflementsdeHaraldallongéàcôtéd’elleet le tonnerre.Jamaisellen’avaitvécuunoraged’unetelleforce.Ilmontraitparmomentsdessignesd’apaisementpourreveniravecunevirulencedécuplée.Elleavaitl’impressionquec’étaituncoupdetonnerrequil’avaitréveillée.Cependant,ellen’enétaitpassûre.Ilyavaitautrechose…Elleserallongeaetfermalesyeux.Celanefonctionnaitpas,elleétaitdéfinitivementréveillée.Haraldrenifladanssonsommeiletseretournasurlecôté.Unefoisqu’ilétaitendormi,aucunorageau
mondenepouvaitleréveiller.Elles’assit,fitpivotersesjambessurleborddulitetposalespiedsparterre.Mêmeàtraversseschaussettes,ellesentaitquelesolétaitfroid.Unsentimentd’inquiétudelafrappadepleinfouetlorsqu’ellepensaàMatte.Elleeneutpresquedes
nausées.Cetteinquiétuded’unemèrepoursonenfantnes’atténueraitdoncjamais?Elleavaitdébutéàlamaternitépoursepoursuivreindéfiniment.LisettenecomprenaitpasqueBrittensefaisaitautantdesoucipourellequepourMatte.Etqu’ellel’aimaitautant.Seulement,l’amourqu’elleportaitàsafillenes’étaitjamais exprimé aussi concrètement que celui qu’elle ressentait pourMatte. Lui avait eu besoin d’unegrandesollicitudeetdemesurespratiques,contrairementàsasœur.Brittensoupira,selevaetenfilaungilet.Apparemment,elleétaitlaseuledelamaisonàêtreréveillée.
Cecalmeluiparutpresquefuneste.Elle se dirigea lentement vers la porte, ne sachant pas trop quoi faire. Lisette était étendue sur le
canapédelabibliothèqueetBrittennevoulaitpaslaréveiller.Ellen’avaitpaslaforcedes’embarquerdansuneénièmediscussionavecelle,pasaveclemalaisequ’elleressentaitdanstoutsoncorps.Unefoisdanslecouloir,ellesutoùaller.Ilfallaitqu’ellevoieMatte,qu’ellevérifies’ildormaitetlui
caresselescheveuxcommelorsqu’ilétaitpetit.S’ilnedormaitpas,elleluiparleraitunmomentafindes’assurerqu’ilallaitbien.Ellepressadoucementlapoignéedesaporte.Elleauraitpeut-êtredûfrapper,maiselleespéraitqu’il
seraitendormi.Brittenvoulaits’asseoirsurleborddesonlitetregardersonfilsdormirpaisiblement,retrouverdanssonvisaged’adultelerefletdeceuxquis’étaientsuccédéaufildesans.Mattelorsqu’il
était encore bébé, Matte à cinq ans, posant plein de questions, à dix ans, curieux de tout, et aussil’adolescentrenfrognéqu’ilavaitété.Elleouvritlentementlaporteetentra.Puisvintlecri.
Vivi n’arrivait pas à dormir. Elle s’était allongée et avait fixé le plafond pendant près d’une heure.Comme à son habitude, Gustav s’était endormi instantanément. Il sombrait dans la seconde, et elleregardaitlenoir,heureaprèsheure.Ellen’avaitpasenviedefaireunesieste,maistouslesautresavaientdisparu,etilneluirestaitpasbeaucoupdechoix.Quelqu’unmarchaitdanslecouloir.Ellepritappuisursescoudesetseredressaunpeupourécouter.
Aprèsquelquessecondes,elleentenditqu’onouvraituneporte.Lecriquisuivitnesemblaitpashumain.Onauraitditceluid’unanimalquihurlaitdedouleur,etsoncœursemitàcognerdanssapoitrine.—Quoi,quoi?Qu’est-cequisepasse,bordel?Gustavseredressa,ilétaitàpeineéveilléetsesyeuxécarquillésbalayèrentlapièce.—Jenesaispas.Viviétaitdéjàsortiedulit.Elleenfilalarobedechambrequ’elleavaitaccrochéesurlemontantdulit
etnoualaceinture.Lecris’intensifiaitetétaitseulementinterrompupardelongssanglots.Viviouvritlaporteetseprécipitadanslecouloir,suiviedeprèsparGustav,vêtuseulementd’untee-
shirtetd’uncaleçon.Tousavaientététirésdeleursiesteetseretrouvèrentdanslecouloir.—Qu’est-cequisepasse?demandaHaraldenlesrejoignant.IldirigeasonregardverslachambredeMatteetréalisaquelecrivenaitdecettepièce.Ilrejoignitla
porteenuneenjambée,l’ouvritengrandpuischancela.Safemmeétaitassiseparterre,latêtedeMatteposée sur ses genoux. Elle se balançait d’avant en arrière sans arrêter de crier. Ses genoux étaientrecouvertsdesang,toutcommesesmainsquitenaientlatêtedesonfils.Untroubéants’ouvraitdanssapoitrine.Vivin’arrivaitpasàendétacherlesyeuxpuisdevantelledansl’encadrementdelaporte,ellevitHarald qui oscillait de droite à gauche,muet, en état de choc.Vivi semit à haleter en posant sonregardsurlatêtedeMatte.Lesyeuxdesonneveuétaientouverts.Illafixaitetellecrutuninstantqu’ilétaitvivant.Puiselleréalisaqu’iln’yavaitpersonnederrièreceregard.Ilétaitseulementlerefletdelamort,del’absencedevie.Haraldfitquelquespasdanslapièceettombaàgenouxprèsdesafemme.Luiaussisanglota,caressant
maladroitement le bras deMatte comme pour s’assurer qu’il ne s’agissait que d’unmauvais rêve. IlvoulutprendreBrittendanssesbras,maisellelerepoussad’ungestevifetcontinuaàbercersonfilstoutenproférantdessonsquiglaçaientlesang.Vivifrissonna.Ellenepouvaitpasadmettrelaréalitédelascènequisedéroulaitsoussesyeux.Quelqu’unessayadesefrayerunpassagederrièreelle.C’étaitMartinMolin.—Ques’est-ilpassé?Luiaussi s’arrêtabrusquement. Il retrouvacependant rapidement sesesprits, et s’agenouillaprèsdu
corps.Cettefoisiln’eutpasbesoindeprendresonpouls.IlnefaisaitaucundoutequeMatten’étaitplusenvie.—Onluiatirédessus,constata-t-il.Brusquement, tous semblèrent prendre conscience de ce que signifiait le trou dans sa poitrine. On
entendaitquelqu’unqui tentaitde reprendresonsouffle :Mirandavenaitd’arriveret fixait lachambreavecdesyeuxécarquillés.—Est-cequequelqu’unaentenduladétonation?demandaMartin.Personnenerépondit,maisquelques-unssecouèrentlatête.—Commentest-cepossible?s’entenditdireVivi.Nousaurionsquandmêmedûentendreuncoupde
feu?
—L’orage,ditMiranda.Lecoupdefeuaétécouvertparletonnerre.—C’est toutà faitprobable, réponditMartin. Ilapuêtre tirépendantundescoupsde tonnerre, ils
étaientvraimentassourdissants.—Etlepistolet,oùest-il?demandaMiranda,Vivi,quisetenaitprèsdeMiranda,lasentaittrembler.Elles’écartadequelquescentimètresetserra
sa robe de chambre contre elle. Les battements de son cœur qui résonnaient dans tout son corpssemblaientêtrerythmésparlepoidsdesonsecret,etelleévitadeposerlesyeuxsursafille.Martininspectalapièce.Ilsoulevalecouvre-litetregardasouslelit,maisnevitriendeparticulier.Il
sedressaetexaminalefoyerdelacheminéequinecontenaitquequelquesbûchettescarbonisées.L’armeducrimen’étaitpasici.—L’assassin l’asûrementemportée, finit-ilpardire.Entoutcas, iln’estpasdans lapièce.Jevais
vousdemanderderesterdanslecouloir.Tous ceux qui se tenaient dans l’ouverture de la porte firent un pas en arrière. Harald et Britten
restèrent où ils étaient. Britten poussait à présent de longs gémissements qui étaient presque plusdéchirantsquesescris.Martins’accroupitàsescôtésetluiparlacalmementetdistinctementcommeàuneenfant:—J’aibesoindevoircequis’estpasséici.Est-cequevouspouvezmelaisseravecMatteuntoutpetit
moment?Il posa samain sur son épaule et elle n’essaya pas de la retirer.Martin attendit qu’elle se décide,
pendantqu’ellecontinuaitàbercersonfilssursesgenoux.Elles’arrêtaenfin,reposadoucementsatêtesur le solet se leva.Ellechancelaet faillit tomber,maisHarald la rattrapa.Aprèsavoir jetéuncoupd’œilàMartin,ilmitsonbrasautourdesafemmeetl’entraînahorsdelapièce.—Voilà,machérie.OnvalaisserMartinfairesonboulotmaintenant.Là.Là.Lesmembresdelafamillequiétaientrestésdanslecouloirs’écartèrentpourleslaisserpasser.Harald
ne les regarda pas quand il emmenaBritten en bas de l’escalier.Tous demeurèrent figés sur place uninstant avantde réagir et de les suivre.L’imagedesmains ensanglantéesdeBritten s’attarda sur leursrétines.
Une fois seul, Martin inspecta la chambre plus en détail. Il savait qu’en temps normal, il auraitpratiquement été lynché par ses collègues en piétinant ainsi une scène de crime.Mais à circonstancesextraordinaires, mesures extraordinaires. Il n’avait pas d’autre choix que de chercher lui-même lesindicesquipouvaients’ytrouver.Pourcommencer,ilsemitàquatrepattesetprogressasurlesolcentimètreparcentimètreencherchant
desyeuxn’importequelélémentquipourraitéveillersonintérêt.Leplancherétaitimpeccable.Ilsoulevade nouveau le couvre-lit, mais sous le lit le sol était tout aussi propre.Matte était apparemment unepersonnetrèsordonnée.Deuxpairesdechaussuresétaientconsciencieusementposéesprèsdelaporte,ettoussesvêtementsétaientrangésdansl’armoire.Ilpivotadecentquatre-vingtsdegrésetentrepritlamêmeinspectionminutieusedel’autrecôtédela
chambreenmaintenantsonvisageprèsdusolpourrepérerlamoindreparticule.Lànonplus,ilnetrouvariend’intéressant,maisendéplaçantleregardunpeusurlagauche,ilvitquelquechosescintillersouslatabledenuit.Ils’enapprochaetglissalamainsouslemeuble.Sesdoigtsserefermèrentsurunobjetduret froid.Un téléphoneportable.C’était unmodèlehautdegamme. Il lui semblait enavoirvuunautrequelquepartdanslachambre,etilletrouvaeffectivementsurlatabledechevet.Unmodèlebonmarchéetbeaucoupplususéyétaitposé,etMartinsupposaqu’ilappartenaitàMatte.Restaitmaintenantàsavoirquiétaitlepropriétairedel’autreportable.
IlleposaàcôtédeceluideMatteetpoursuivitsesrecherches,maisl’inspectionduplanchernelivraaucunautre indice,et il seconcentrasur lecorps.Unpetit frisson leparcourut lorsqu’il le toucha.Ceséjour s’était transformé en une formation accélérée dans l’art demanipuler les cadavres. Il examinad’abordlablessureà lapoitrine.Sansêtreunspécialiste, ilputsupposerquelaballeavaitété tiréeàfaible distance car la plaie était bordée de noir. Il retourna le corps et constata que la balle l’avaittraversé.IlreposadoucementMattesurledosetsereleva.Ilscrutalapièce.Aenjugerparlapositiondu corps, la balle devait se trouver quelque part vers la porte qui était restée ouverte. Il la referma.Effectivement,laballeétaitfichéedanslebois.Elleavaitdûêtreralentieparlatraverséeducorpsetn’yétaitpasenfoncéeprofondément.Martinnelatouchapas,lestechnicienss’enchargeraientàleurarrivée.Ilseretournaverslachambre,lessourcilsfroncés.Unechoseluisemblaitétrange.Ill’avaitvuesans
vraimenty faireattention.Devant lacheminée, ilyavaitde la finepoussièreetquelques fragmentsdepierreplusgrossurlesol.Lemanteaudelacheminéeavaituneentailleensonmilieuets’iln’avaitpasretrouvélaballefichéedanslaporte,Martinauraitcruqu’elleavaitcausécesdégâts.Pourtant,c’étaitimpossible. Le corps de Matte ne présentait les blessures que d’un seul impact de balle, et rienn’indiquaitqu’unsecondcoupdefeuaitététiré.Lacheminéeavaitforcémentétéabîméeparautrechose.Iln’yavaitaucunetracedeluttedanslapièce.Toutyétaitsoigneusementrangé.Lemanteauébréchédelacheminéeetlepetittasdepoussièredepierresurlesolétaientlaseulediscordance.Etrange.Cependant,lacheminéepouvaittrèsbienavoirétéendommagéeavantqueMattenesoitassassiné.Martinsoupira.Ilne s’en sortirait pas. Si aumoins il avait pu discuter de l’affaire avec PatrikHedström, cela l’auraitcertainementaidé.Seul,ilétaitcomplètementperdu.Ilsortitde lapièceàreculons.Iln’ytrouveraitriendeplus.Maintenant il fallaitmettre lecorpsde
Matte dans la chambre froide où il reposerait temporairement avec son grand-père. Martin ne seréjouissaitpasd’avoiràdemanderdel’aidepourlefaire.
Lisettedormaitd’unsommeilagité.Lecanapéétaitcertesconfortable,maisdesombresrêvesvenaientperturbersonrepos.ElleavaitmisdesboulesQuièspournepasêtredérangéeparlatempête,maislesilencequ’ellesprovoquaientsemblaitouvrirlavoieauxpenséesangoissantes.Elleétaitpoursuivieparsesrêvesdanslesquelsdesvisagesseconfondaient.RubendevenaitBernard,
qui devenait Matte. Des yeux accusateurs. Des yeux tristes. Des yeux désespérés. Des yeux qui setournaient vers elle, pleins de colère et de haine. Derrière ses paupières closes, ses propres yeuxs’agitaientnerveusement.UnsonavaitfranchilebarragedesboulesQuies,c’étaituncridedouleuretdedétresse.Maislafrontièreentrerêveetréalitéétaitfloue,etlecriaccompagnalesimagesdecesyeuxquilapoursuivaient.Malgrélescauchemars,elleluttapoursemaintenirdanslesommeil.Laréaliténevalaitguèremieuxet
elle ne souhaitait pas la retrouver. Cependant, elle sentit une main sur son épaule et se réveilladéfinitivement.Enouvrantlespaupières,ellevit levisagedesonpère.Ilétaitsiaffligéqu’elleeutdumalàlereconnaître.Elleseredressad’uncoup.—Qu’est-cequ’ilya,papa?Ellesutd’instinctquequelquechosen’allaitpas.Lesouvenirducridanssonrêve,quid’uneétrange
façonluiavaitparusiréel,refitsurface.Ellepritsonpèreparlebras.—Maisdis-moi,qu’est-cequ’ilya?Elleréalisaseulementàcetinstantquelabibliothèqueétaitpleinedemonde.Ilsétaienttouslà.Elle
vitsamèreeffondréedansunfauteuiletlapaniquel’envahit.Elles’accrochaaubrasdeHaraldlorsqu’ilselaissalourdementtomberàcôtéd’elle.—Qu’est-cequis’estpassé?
Elle les regarda un à un et lentement, elle commença à comprendre. Tout lemonde était là…Toussauf…—Matte!s’écria-t-elle.OùestMatte?Ellevoulut se lever,maissonpère l’enempêchaet lapritdanssesbras.Legesteétaitdestinéà la
consolerautantqu’àlaretenir.—Ils’estpasséunechose…épouvantable,Lisette.Savoixsebrisa,etLisetteréalisaquec’étaitlapremièrefoisqu’ellevoyaitsonpèrepleurer.Iln’en
fallutpaspluspouramplifierlapaniquequil’assaillaitdéjà.—OùestMatte?répéta-t-elle.Savoixétaitfaibleetatone.Enfait,ellelesavait.Ellelelisaitsurtouslesvisages.—Matte est mort, dit Harald, confirmant ainsi ce que son cerveau avait déjà commencé à tenter
d’assimiler.Elle poussa un sanglot, toujours avec l’étrange sensation d’être encore dans son rêve. Une chose
comme celle-ci ne pouvait pas réellement avoir eu lieu. PasMatte. Toute son amertume à son égarddisparutinstantanémentcommesiellen’avaitjamaisexisté.—Comment?demanda-t-elleenserendantcomptequ’elletremblait.—Onluiatirédessus,ditHaraldenposantsesmainsmoitessurlessiennes.—Qui?—Onn’ensaitrien…HaraldsepassaunemainsurlesyeuxetLisettepritsoudainconsciencedel’étatdanslequeldevait
êtresamère.ElleseprécipitasurBrittenetposalatêtesursesgenoux,enlarmes.Brittenavaitcessédecrier,ellesemblaitêtreenétatdechoc,sesyeuxfixaientlevide.EllecaressalescheveuxdeLisetted’unaircomplètementabsent.—J’auraisbesoind’uncoupdemain.Martin se tenait sur le seuil de labibliothèque.Sonvisage était gris et il évitade regarderBritten,
commesisadouleur luiétait insupportable. Il fallutquelquessecondesauxautrespourcomprendrecequ’ilvoulaitdire.Haraldse levaenpremier.Gustav fitunpasvers son frèreetposasamainsur sonépaule. Iln’avaitmanifestementpas l’habitudedecegenredegeste, il étaitmaladroitmais témoignaitd’unegrandecompassion.—Ons’enoccupe,Harald.Toi,turestesiciavecBrittenetLisette.Gustav fit un signe de tête àBernard qui lui répondit par un hochement silencieux et suivitMartin.
Gustavfermasoigneusement laportederrièreeux. Ilétait inutileque lafamilledeMatteassisteà leurtristebesogne.—Qu’est-cequ’ilsvontfaire?demandaBrittend’unevoixdistante.Lisettepritlesmainsdesamèreentrelessiennes.—Tun’aspasbesoindet’ensoucier,maman.— Ils le déplacent, c’est ça ?Où vont-ils lemettre ? Je dois lui trouver une couverture, il risque
d’avoirfroid.Brittententadeselever,maisLisettelamaintintdoucementdanslefauteuil.—Ilss’occupentdelui,maman.Jetepromets.Tunepeuxplusrienfairepourl’instant.—Mais…—Chuut…Lisettes’installacontresamèredans legrand fauteuil, l’entouradesesbraset laberçacommeune
enfant.Elleavaitl’impressionqu’onluiavaitarrachélecœurmaiscen’étaitpaslemomentdeselaisseraller.Samèreavaitbesoind’elle.Derrièrelaportefermée,ilsécoutèrentensilencelesondeslourdspasdansl’escalier.Troishommes
quidescendaientets’éloignaientlentement.
Enarrivantdanslacuisine,Martinserenditcomptequelecoupledepropriétairesignorait toujourscequi s’était passé.La pièce était vide, ils s’étaientmanifestement absentés et toute la confusion de cesdernièresminutesavaitdûleuréchapper.Ilsne tarderaientcependantpasà l’apprendre.Mais il fallaitd’aborddéposerlecorpsdeMattedanslachambrefroide.Martinmarchaitentête,etilréussitàouvrirlecadenasetlaported’unemain.Lasoudainebaissedetempératurelefitgrelotterlorsqu’ilpénétradanslapièce.IlcherchadesyeuxunendroitoùdéposerMatteets’aperçutquelaseulepossibilitéquis’offraitàeuxétaitlecongélateur.Leposeràterreneluiparaissaitpastrèsrespectueux.—On va le poser sur le congélateur pour l’instant, puis on ira chercher une table dans la salle à
manger.Bernard et Gustav hochèrent la tête sans rien dire. Ils se faufilèrent devant Ruben en évitant de le
regarder.AussitôtaprèsavoirétendulecorpsdeMatte, ilsrepartirentchercherunetable.Ilsn’avaientaucuneenviederesterlàplusquenécessaire.Quelquesminutesplus tard,Matte était convenablement installé à côtéde songrand-père.Cesdeux
hommesde lafamilleLiljecronaavaient tousdeuxconnuunemortviolente.Etcettemaisonabritaitunassassin.Quelqu’unavaittuéMatteetsongrand-père,etMartinréalisaencetinstantqu’iln’avaitpaslamoindreidéedesonidentité.Cettepenséeleglaça.Aucun d’eux n’avait la force de se confronter au chagrin qui régnait dans la bibliothèque. Ils
s’attardèrentdanslacuisineetseversèrentunetassedecaféqu’ilssirotèrentensilence.—Savez-voussiquelqu’undanslafamillepossèdeunearmeàfeu?L’undevouspeut-être?demanda
Martin.Sonintonationétaitplusincisivequ’ilnel’auraitvoulumaisils’agissaitd’unequestionassezdifficile
à enrober. Un silence pesant s’installa pendant lequel Bernard et Gustav échangèrent un long regard.Enfin,Gustavpritlaparole.—Monpèreavaittoujoursunrevolveraveclui.Çaacommencéaprèslatentatived’enlèvement.SoudainMartinsesouvintd’uneinformationqu’ilavaitoubliée.Ilyavaitunequinzained’années,la
mafia de l’Est avait tenté de kidnapper Ruben Liljecrona. La police avait eu vent du projet et étaitintervenueavantqueleraptn’aitlieu.Lesjournauxenavaientfaitleurschouxgraspendantdessemaines.—Aprèsça,ilnes’estplusjamaisvraimentsentiensécurité,poursuivitGustav.Alorsils’estprocuré
unrevolverqu’ilgardaittoujoursàproximitédelui.—Commenta-t-ilfaitpourobtenirunpermis?demandaMartinquiserenditimmédiatementcompte
delanaïvetédesaquestion.Bernardpoussaunpetitsoupircommepourconfirmersespensées.—Ils’enfoutaitcomplètementd’avoirunpermis.Ettrouverunrevolvern’étaitpasunproblème.—QuisavaitqueRubenavaitunearme,etoùillagardait?—Tousceuxquisontici,ditBernardsurcetondédaigneuxquiportaitsurlesnerfsdeMartindepuis
qu’il l’avait rencontré.Personnedans la famillen’ignoraitqueRubenétait tout le tempsarmé,etqu’ilgardaitsonarmedansuncompartimentdesaserviette.—Etpersonnen’aeul’idéedem’eninformer?ditMartinquiétaitdésormaishorsdelui.Unmeurtre
a été commis, le tueur n’a pas encore été identifié, nous sommes coincés ici, et vous ne trouvez paspertinentdem’informerqu’ilyaunpistoletdanslamaison?poursuivit-ilentremblantdecolère.—On…jecroisqu’onn’yapaspensé…,ditGustavsurun ton inquiet.Onlesaitdepuis tellement
longtempsqu’onn’ypenseplus…Son regard seposa sur la chambre froide, etMartin espérade tout soncœurqu’il pensait lamême
chosequelui.S’ilss’étaientdonnélapeinedel’informerdel’existencedupistolet,Matteauraitpeut-êtreeulaviesauve.
—Jemontejeteruncoupd’œil.Martinposabruyammentsa tassesur leplande travail.Unefoisdans l’escalier, ilpestacontre lui-
même.Pourquoin’avait-ilpasprislapeined’examinerlachambredeRubenplustôt?Surlemoment,lestémoignagesluiavaientparuplusimportants.Ilentraprudemmentdanslachambre,laplusgrandeetlaplusbelledelamaison,cequiétaitpeut-être
justifiépuisquec’étaitRubenquirégalait.Unlitàbaldaquintrônaitaucentredelapièce.Iln’avaitpasétédéfait,puisquelevieilhommen’avaitpaseuletempsdes’yglisser.Ilyavaitdespilesdevêtementssoigneusementpliésdansunegrandevaliseouverte.Unlivreétaitposésurlatabledechevet,etMartinleprit,curieuxdevoirquelleétaitlalecturedeRuben.LesAventuresdeSherlockHolmes.Ileutunpetitsourire.C’étaitunlivre…toutàfaitapproprié.Martinauraitbienaiméavoirneserait-cequ’uneinfimepartiedugéniedeSherlockHolmesetdesondonpourrésoudrelesmystèresquiparaissaientinsolubles.Il s’accroupitdevant lavaliseetcommençaàensortir lecontenu.Deschemises,despullsen laine
d’agneau, des pantalons et des sous-vêtements. Il y avait de quoi s’habiller pour quinze jours.Evidemment lorsqu’on ne portait pas ses bagages, il était tentant de les surcharger.Une fois vidée, ilexaminalavalise.Ellenecontenaitriend’autre.Pasdetracedupistolet.Toutaussisoigneusementqu’illesavaitsorties,ilyreplaçalespilesdevêtements,puisscrutalapièceunmoment.Unporte-documentétaitappuyécontrelatabledechevetet,sentantunelueurd’espoirpoindreenlui,illesaisitets’assitsurle lit.La serrure codée à quatre chiffres n’était que sommairement fermée et ce fut un jeud’enfant del’ouvrir. La première chose qu’il vit était une épaisse liasse de documents et quelques chemises enplastique. Il les sortituneàuneet lesposasur le lit. Iln’yavait riend’autredans la serviette. Il tâtal’intérieurdelamainetsentitunmorceaudetissudoux.Ilétaitdelamêmecouleurqueladoublureetcela expliquait pourquoi il ne l’avait pas vu tout de suite. Il le déplia et comprit qu’il contemplaitvraisemblablementlelingequiavaitserviàenvelopperunearme.Lepistoletquidevaitdoncyêtrerangénes’ytrouvaitplus.Martinfixalevidedevantlui.Lespenséessebousculaientdanssatête.L’armedeRubenavaitdisparu,et ilne fallaitpasêtreungéniepourconclurequ’elleavaitprobablementserviàtuerMatte.Aprèsavoirremislelingeaufonddelaserviette,ilexaminalesdocumentsdansl’espoird’ytrouver
unepiste.Riennesemblaitêtreuntantsoitpeuassociéauxdeuxmeurtres.Ilyavaituncompterenduderéunion, un rapport financier et une analyse de risques concernant unepropositiond’investissement. Ilremitlesdossiersenplaceetdemeuraunmomentassissurlelitpourréfléchir.Quelqu’unétaitentrédanslachambredeRubenetavaitprissonrevolver.Quelqu’unquisavaitqu’ill’avaitetoùillegardait,cequi était probablement le cas de toute la famille Liljecrona. Martin soupira. Il appréhendait deredescendre affronter l’accablement qui avait envahi la bibliothèque et d’avoir à assumer laresponsabilitéquipesaitsursesépaules.Ilseleva.Autants’ymettresanstarder,ilnepouvaitpasresterassisiciéternellement.
Mirandapénétra dans le vestibule aumoment où l’onouvrait la porte d’entrée.L’air froid et la neiges’engouffrèrentdanslamaisonetellefrissonna.KerstinetBörjeétaientbiencouvertsetilstapèrentdespiedsavantd’entrerpourdégagerlespaquetsdeneigecollésàleursbottes.—Brrr,queltempsdecochon!ditBörjeenenlevantsesgants.Onestdescendusjusqu’auponton,on
diraitqueletempssecalme.Silebrise-glacearriveàsortir,onvabientôtpouvoirrejoindreFjällbacka.Il se poussa pour laisser place àKerstin, et ils enlevèrent les doudounes dont ils s’étaient équipés
contrelevent.QuelquechosedansleregarddeMirandaattiral’attentiondeBörje,etils’arrêtanet,sonblousonàlamain.—Qu’est-cequ’ilya?Ils’estpasséquelquechose?
Kerstins’interrompitelleaussienpercevantlemalaisequiflottaitdansl’air.Toutd’abord,Mirandaneputquehocherlatêtecarsespleursl’empêchaientdeparler.Puisellefituneffortpourseressaisiretseraclalagorge.—Ilest…Ils’estpasséquelquechose…Matte…il…Ellebutasurlesmotsetessayadeseconcentrerpourformulercequidevaitêtredit.—Matte…il…ilestmort.Lesmots résonnèrent, froids, entre lesmurs. Ils paraissaient durs et définitifs dans sa bouche, et la
bouledanssonventregranditavecchaquesyllabe.Elleentenditdessanglotsdepuislabibliothèque.LespropriétairesdeValösefigèrentcommefrappésparlafoudre.—Qu’est-ceque tudis?Mais…comment…?bégayaBörjequiavait luiaussidumalàs’exprimer
avecdesphrasescomplètes.C’estarrivécomment?reprit-ilensecouantlatêtecommepourchassercequ’ilvenaitd’entendre.—Onluiatirédessus…—Tirédessus?répétaKerstin,livide,puisellechancelaets’appuyacontrelemur.—Tirédessus?répétaBörjeencontinuantàsecouerlatêted’unairincrédule.—Brittenl’a trouvédanssachambre,ditMirandaetsesyeuxseposèrentsur laporteferméedela
bibliothèque.—OhmonDieu.Pauvre femme, s’exclamaKerstind’unevoixcompatissante.Comment…comment
va-t-elle?—Elleestenétatdechoc.Unsanglots’échappadelapiècefermée,commeunetristeillustrationsonoredecequ’ellevenaitde
dire.—Pauvrefemme,répétaKerstinquiparaissaits’êtreressaisie.Börje,onvaleurpréparerducaféet
dessandwiches,etpuisilfautvérifierlefeudanslacheminéepourqu’ilsn’aientpasfroid.Ondoitleuroffrirunserviceirréprochable,c’estlemoinsqu’onpuissefaire.CesdirectivesrapidestirèrentBörjedesatorpeuretilôtavivementsesbottesetsonpantalondeski.—Biensûr.Jem’occupedufeu,situprendslacuisine,dit-ilensedirigeantverslabibliothèque.La
mainsurlapoignéedeporte,ils’arrêtabrusquement.—Où…l’avez-vousmis?—Danslachambrefroide.Ilreposedanslachambrefroide.—Etvousnesavezpasqui…,ditBörjequilaissalerestedelaphrases’éteindredanssabouche.—Non.Nousnesavonspasqui,réponditMirandaavantdeleurtournerledospourmonterdanssa
chambre.Elleavaitunbesoincriantdeseretrouverseuleunmoment.
BrittenrelevalatêtelorsqueBörjeouvritlaporte.Ilrestatimidementdansl’ouvertureetditd’untonpeuassuré:—Toutesmescondoléances…Brittencompritqu’ilignoraitcommentpoursuivre.Quelsmotschoisirpourcegenredesituation?Il s’approcha de la cheminée et farfouilla avec le tisonnier dans le feu avant d’y ajouter quelques
bûches.—Commeça,vousaurezunpeupluschaud.Kerstinvavousapporterducaféetdessandwichesdans
uninstant,dit-ilàvoixbasseavantderefermerlaportederrièrelui.Britten le suivit d’un regard apathique. La température de la pièce était le cadet de ses soucis. Le
thermomètrepourraitdescendreendessousdezéro,qu’ellenes’enrendraitpascompte.C’étaitcommesisoncorpsavaitétédébranché,illuisemblaitqu’ellenepouvaitplusressentirdeschosesaussitriviales
quelachaleur,lefroid,lafaimoulasoif.Sonesprittraitaitlesimagesimpriméessursarétinecommeuneinformationirrecevables.Commentpourrait-elleaccepter?Commentpourrait-elleaccepterlamortdeMatte,sonfils?Lisette était accroupie la tête sur ses genoux. Elle sentit que sa fille était secouée de pleurs et, ne
sachant pas la consoler véritablement, elle lui caressa distraitement les cheveux. Elle était incapabled’accordersonattentionauchagrind’autruialorsqu’ellesedébattaitavecsapropredouleur.ElleseremémoralejourdejuilletoùMatteétaitné.Ilfaisaitunechaleurinsupportabledanslasalle
detravail.Elleavaitaperçuuneguêpecoincéederrièrelesurvitragedelafenêtreets’étaitconcentréesursaluttepourensortirtoutaulongdesonaccouchement.Maisdèsl’instantoùelleavaitvusonfils,laguêpe avait cessé d’exister, la douleur également. Il était si petit. Il avait un poids normal, mais luisemblait terriblement fragile. Elle avait compté ses doigts et ses orteils, plusieurs fois, comme uneformuleincantatoirepours’assurerquetoutallaitbien.Ilnecriaitpas.Emerveillée,elleavaitconstatéqu’ilétaitvenuaumondeensilence,lesyeuxécarquillésd’étonnement,louchantunpeulorsqu’ilessayaitde la fixer.Dès la première seconde où elle l’avait vu, elle l’avait aimé passionnément. Et quelquesannéesaprès,elleavaitégalementaiméLisettedèssanaissancemaisMatteétaitsonpremierenfant,etilsavaientpartagéquelquechosedespécial.Unlienuniques’étaitcrééàl’instantoùpourlapremièrefoisses yeux curieux avaient rencontré les siens.Harald n’avait pas assisté à l’accouchement. Cela ne sefaisaitpasàcetteépoque.Etcelan’avaitfaitquerenforcerlelienentreMatteetelle.C’étaitluietellefaceaurestedumonde.Riennepourraitvenirs’interposerentreeux.Bien sûr, cela avait changé lorsqu’il avait grandi. Ils n’avaient jamais retrouvé la magie des tout
premiers instants, mais quelque chose demeurait. Un sentiment de partage exceptionnel. Elle avaitterriblementsouffertdelevoirdevenirquelqu’und’aussitourmenté,d’imaginerquelsdémonsildevaitcombattre.Maintesfois,lesquestionsavaientmenacédel’étouffer–était-cequelquechosequ’elleavaitfait, qu’ils avaient fait ?Cependant, elle savait en son for intérieur que ce n’était pas le cas.Dès lespremièressecondes,lorsqu’ilétaitcouché,chaudethumide,sursapoitrine,elleavaitperçuunegravitédanssesyeuxcommesiuneâmeancienneavaitétéremisesurlechemindelavie,alorsqu’elleauraitpeut-êtrepréférélapaixetlerepos.Cen’étaitpasdesidéesdontelleavaitdiscutéavecHaraldmaisunepartd’ellen’avaitpasétésurpriselorsqu’ellel’avaitdécouvertétendusurlesol,sesbeauxyeuxbleusfixantlevidesansrienvoir.D’unecertainefaçon,elleavaittoujourssuquecetteâmeancienneenMatten’auraitpaslaforced’assumerunevieentière.Elleavaitdéjàtropvu,tropvécu.Ilavaitétédonnéàsonfilsdevivretrenteans,plusqu’ellen’avaitoséespérer,pourtantcelanerendaitpasledeuilplusfacileàporter.EllecontinuaàcaresserlescheveuxdeLisette.
MartinpénétradanslacuisineaumomentoùKerstinversaitducafédansunThermos.—Oh,est-ceque jepeuxenavoir?demanda-t-il, enquêtedumoindre stimulantpourcombattre la
fatigueetledécouragement.—Biensûr,réponditKerstinenluiservantuncafénoirdansungrandmug.Ellehésitauninstantavant
dedire:Onaappriscequiestarrivé.Ças’estpassécomment?Börje entra à son tour dans la cuisine, lui aussi voulait connaître les détails du drame.Martin but
goulûmentunegorgéedecafé.—Matteaété tuéparballe.Samèrel’a trouvédanssachambreetà l’heureactuelle,nousn’avons
aucuneidéedequiapufaireça.—C’estforcémentlemeurtrierdeRuben,ditBörje,lefrontplisséenjetantunregardsurlaportedela
chambrefroide.
—Trèssincèrement,jen’ensaisrien.Maisjesupposequ’ilyadesraisonsdecroirequ’ils’agitdelamêmepersonne.—Avez-voustrouvél’arme?—Non.Iln’yavaitpasdepistoletdanslachambredeMatte.Jel’aifouilléedefondencomble.—Vousl’avezmislà-dedans?demandaKerstind’unevoixtremblanteendésignantlachambrefroide.—Oui.Onl’ainstalléàcôtédeRuben.Maisilfaudrarapidementlestransportersurlecontinent.Et
destechniciensdoiventàtoutprixveniriciavantquetouteslestracesnedisparaissent.Börjerépétacequ’ilvenaitjustededireàMiranda:—Onrevientduponton.Cen’estpasuneminceaffaired’ydescendreavectoutecetteneige.Ellevous
arrivejusqu’àlataille.Maisonaréussi,etsileventtombeencoreunpeu,lebrise-glacepourrasortir,etonpourrabientôtquitterl’île.—Iln’yapasmoyenderétablirletéléphone?demandaMartinsansgrandespoir.—Onenaprofitépourvérifierlaligne.Leventl’aarrachée,etonnepeutrienfaire,ilfautattendre
qu’ilsviennentlaréparer.—Bon,tousnosespoirsreposentdésormaissurlebrise-glace,ditMartin.Sera-t-onprévenusdeson
arrivée?—Onlesaura,vouspouvezmecroire,ditKerstinquiavaitcommencéàpréparerdessandwiches.Il
faitundecesboucans,onl’entendsansproblème.Pasd’inquiétudeàavoirdececôté-là.—Etdanscecas,ilscassentlaglacejusqu’ici?—Ilssaventqu’onadumonde.Jeleurenaiparlélasemainedernière.Dèsqu’ilspourrontsortir,ils
ouvrirontunchenaljusqu’àl’appontement.—Tantmieux,ditMartinen tendant lamainversun sandwich jambon-fromage.Enattendant,on se
débrouillera comme on pourra. Mais pour le bien de tous, il vaudrait mieux qu’il y ait bientôt uneaccalmie.Touslestroisjetèrentuncoupd’œilverslaporteferméedelachambrefroide.
Avecunregarddeconnivence,GustavetBernardsortirentdiscrètementdelabibliothèqueoùilsétaientretournésaprèsavoiraidéMartinàtransporterlecorpsdeMatte.Incapablesdumoindregeste,ilsétaientrestésplantésdansuncoindelapièce,enchuchotantentreeux,nesachantquelleattitudeadoptervis-à-vis de la famille deMatte. Vivi etMiranda étaient montées dans leurs chambres. Bernard et Gustavenfilèrent quant à eux leur veste et sortirent affronter le froid. Après l’atmosphère oppressante de lamaison,respirerlegrandair,fût-ilglacial,étaitunelibération.—Uncigare?demandaGustavenluiprésentantunétuicontenantdescigaresroulésàlamain.—Pourquoipas?réponditBernard,s’ilssontbonspourlesfêtes, jesupposequ’ilssontbonsaussi
pourcegenredecirconstances.Il en prit un dont il coupa adroitement le bout, l’alluma et inspira une première bouffée jouissive.
C’étaitdivin.Connaissantsonpère,ilsn’étaientcertainementpasbonmarché.Alamaison,ilpossédaitunepetitefortunedanssacaveàcigares.Gustav en savoura également les premières bouffées et ferma les yeux en recrachant lentement la
fumée.—Qu’est-cequetuenpenses?dit-ilenfixantl’obscuritéetenserrantdavantagesavesteautourde
lui.—Qu’est-cequ’onpeutenpenser?Ondiraitunesortedevaudeville.—Vaudevillen’estpeut-êtrepaslemotapproprié,ditGustavavecunregardsévèrepoursonfils.—Non,cen’estpascequejevoulaisdire,simplement,toutçaestunpeu…absurdeseraitpeut-être
mieux.—Jesuisd’accord.C’estpourlemoinsabsurde.EtunetragédiepourBrittenetHarald.
—Putain,oui,unevraietragédie,renchéritBernardentapotantsursoncigarepourendétacherunpeudecendre.—Mais à ton avis ? Qui a tué Matte et Ruben ? Je dois reconnaître que je ne pensais pas que
quelqu’undanscettefamilleaitsuffisammentdecouillespourfaireunechosepareille.—Jesuisentièrementd’accordavectoi,papa,ditBernardenriant.Tusais,àunmoment,j’aimême
cruquec’étaittoi.Maisc’étaitavantqueMattesoittué.—Moi!?s’écriaGustavd’unairoffensé.—Oui,jesaisquegrand-pèren’apasététendreavectoidernièrement,etjemesuisdit…quetuavais
simplementrégléçaàtamanière.Bernardritdenouveauetéteignitsoncigaredanslaneigesurlarambardeduperron.—Tuforcesunpeuladose,là.Tuermonproprepère?Parfoisjemedemandecommenttuesfoutu?
ditGustav,indigné.—Prends-lecommeuncompliment.Ilmesemblebienquetupassespouruntrouillardauxyeuxdes
autres.Sijet’aisoupçonné,c’estquejeconsidèrequemonvieuxpèrepeutfairepreuved’initiative.Malgrélui,Gustaveutl’airassezsatisfaitenentendantlesparolesdesonfils.—Oui,c’estvrai,onpeutlevoircommeça.Luiaussiéteignitsoncigaredanslaneigeetglissalesmainsdanslespochesdesonduffel-coat.—TucroisqueHaraldauraitpu…?Bernard laissa sa question en suspens. Gustav eut tout d’abord l’air de vouloir protester avant de
réfléchiràcetteéventualité.—S’iln’yavaiteuqueRuben…peut-être.MaisMatte?J’aileplusgrandmalàcroirequ’ilpourrait
abattresonfilsdesang-froid.—Maisonnesaitpasdutoutcommentças’estpassé,ditBernard.Ilsontpeut-êtrecommencéàse
bagarrer,etlecoupestparti…Qu’est-cequej’ensais?Cen’estpassiinvraisemblable.— Non, tu as peut-être raison. Ce n’est pas totalement impensable. Harald aussi a eu sa part de
réprimandesdelapartdepapa,etilatoujoursétésisusceptible…,ditGustav,l’airpréoccupé.—Espéronsquelapoliceducontinentpourrabientôtprendretoutel’affaireenmain.LemecdeLisette
estunblanc-bec, il ne fait pas le poids. Je neme fais pas tropd’illusions sur sa capacité à résoudrel’affaire,ditBernardavecunriredédaigneux.—C’estvrai,ilnevautpastripette.—Tripette,quelmot!TuparlescommedansunesérieBdesannées1930,ditBernardenriantavant
d’ouvrirlaported’entrée.—Disdonc,faisattentionàcequetudis,jesuistonpèreaprèstout!Dèsqu’ilsfurententrés,ilsadoptèrentuneexpressionendeuilléeplusappropriée.
—Est-cequ’onpeutseparlerunpeu?Vousenavezlaforce?Martinavaitdiscrètementpassélatêteparlaportedelabibliothèqueets’adressaitàHarald.Celui-ci
interrogeaBrittenduregardetellehochalatête.Enjetantunderniercoupd’œilàsafemmeetsafille,ilselevaetluiemboîtalepas.—Onpourraitpeut-êtres’installerdanslasalleàmanger,ditMartin.Haraldneréponditpasmaisillesuivit.Ilss’assirentàunetableaufonddelapièce,etKerstinleur
apportaducaféetdestartinesavantd’allerservirdanslabibliothèque.—Mangezunpeu,ditMartin,maisHaraldfitunegrimaceetrepoussaleplat.J’aiquelquesquestions
àvousposer,poursuivit-il,assezmalàl’aised’avoiràl’importunerainsi,maisHaraldneparutpass’enoffusquer.—Allez-y,dit-ild’unevoixlasse.
—Ils’agitdupistoletdevotrepère,ditMartinquivitHaraldsursauteràcesmots.—Lepistoletdemonpère?Qu’est-cequ’il…?Ilcompritcequ’ilenétaitetsonvisageprituneteintecendrée.—C’estluiquia…?—On ne peut l’affirmer avec certitude avant que les techniciens aient fait leur boulot. Mais il a
disparu,alorsonadesraisonsdecroireque…Quiconnaissaitl’existencedecettearme?poursuivit-ilpourobteniruneconfirmationdecequ’ilavaitdéjàentendu.LamaindeHaraldtremblalorsqu’ilsaisitsatasseavantderépondre.— Toute la famille. Tout le monde était au courant. Mon père a été victime d’une tentative
d’enlèvementilyaquinzeans.Lesravisseursétaientàdeuxjoursdel’exécutiondeleurprojetlorsquel’und’euxabuuncoupdetropdansunbaretabavardéaveclamauvaisepersonne.Jesaisquepapaaeutrès, très peur. Peut-être pour la première fois de sa vie, d’ailleurs. Ils avaient bricolé un coffre danslequelilsavaientl’intentiondel’enfermer.Papal’avuenphotodansunjournal,etlelendemainils’estarrangépourtrouverunrevolver.Illeportaittoutletempsaveclui.Toutelafamilleétaitaucourant.—Apparemment,illegardaitdanssaserviette.—Oui.—Est-cequ’ilfermaitlaservietteàclé?— C’était un sujet de dispute entre nous tous. Il était très distrait. La serviette est pourvue d’une
serrureàcombinaison,maisilnes’enservaitjamais,çal’agaçait.Onn’arrêtaitpasdeleluidire,d’unepartàcausedurevolver,d’autrepartàcausedesdocumentsconfidentielsquipouvaients’ytrouver.Ilyadesgensquiferaientn’importequoipourmettrelamainsurcegenred’informations.Maisbizarrement,çaluiétaitégal.—C’étaitdoncquelquechosequetoutlemondedanslafamillesavait?—Oui.Maisj’aidumalàcroireque…,ditHaraldensecouantlatêted’unairsceptique.Jeveuxdire,
qui…?Quidans la famillepourraitenvisagerune tellechose?Mattequin’a jamais faitdemalàunemouche…Ses yeux s’emplirent de larmes. Ce n’était pas évident, mais Martin se sentit obligé de faire une
remarque.—Ilavaittoutdemêmesérieusementessayédes’enprendreàBernardplustôtdanslajournée.—ParcequeBernard l’avaitprovoqué,sifflaHarald.Sonénervement lequittaaussivitequ’ilétait
apparuetilajoutasuruntonpluscalme:Bernardaundonpourappuyerlàoùçafaitmal.J’aitoujourseulesentimentqu’ilyavaitunconflitlarvéentreluietMatte,etje…j’auraissansdoutedûessayerd’ensavoirplus.Subitement,ilseredressasursachaise,etsonvisagerepritdescouleurs.—VouscroyezqueBernard…?—Pourl’heure,jenecroisrien.Etnousnevoulonspasempirerlasituationavecuntasd’accusations
infondées,ditMartinenfixantHaralddanslesyeux.—J’entendscequevousdites.Jevaismeteniràcarreaux.Maiss’ilyalamoindrepreuveque…,dit
Haralddontleregardsemblaits’êtreobscurci.—Despreuves…CesmotsrésonnèrentenMartin.Ilavaitmanquéquelquechose.Quelquechosequ’ilauraitdûfaire,ou
voir,etquiluiéchappaitàprésent.Illaissaencoreunefoiscesmotslepénétrer…despreuves…C’estça!DanslachambredeMatte!Ilselevabrusquement.—Excusez-moi,Harald,maisjedoisallervérifierunechose.Mercidevotreaide.Ilsedirigeaverslaporte,maiss’arrêtaavantdequitterlasalleàmangeretditgentiment:—Essayezquandmêmedemangerunpeu.Puisilfiladanslevestibuleetgrimpal’escalierquatreàquatre.
Vivi était allongée sur son lit et avait le regard rivé auplafond.Elle laissait vagabonder sespensées.Ellesétaientsombresetchaotiques.Chaquefoisqu’ellefermaitlesyeux,ellerevoyaitlecorpsdeMatte.Lesangsursapoitrineetceluiquis’étaitrépanduàterre.L’expressionqu’avaitBrittenenberçantlatêtedesonfilssursesgenoux.Vivifinitalorsparlesgarderouvertsetlesimagesétaientmoinspuissantes,moins horribles lorsqu’elle focalisait son attention sur le plafond. Sa propre culpabilité pesait sur sapoitrine.C’étaitlepoidsd’unsecretenfouipendanttroplongtemps.Sapeurl’avaitmaintenusousbonnegarde,maisdésormaisilsemblaitlutterpourremonteràlasurfaceetelleignoraitpourquoi.Ellen’avaitjamaisressentilebesoindesoulagersaconscienceets’étaittoujoursditqu’elleemporteraitsonsecretdanslatombe.Aprésent,toutparaissaitsidifférent.Peut-êtreparcequepourlapremièrefois,elleétaitconfrontéedeprèsàlamort.Peut-êtreàcausedel’expressionterriblesurlevisagedeBritten.Riennepouvait êtrepire.Comparé à la douleurdeperdreun enfant, tout le resteparaissait simesquin et sonsecretnefaisaitpasexception.Samèreluidisaittoujoursquelesmonstreséclatentàlalumièredusoleil.Pourlapremièrefois,elleeutl’impressionquecettelumièreéclairaitsonsecretenlerendantinsignifiantetfutile.Elleseleva.Soncorpsn’étaitpashabituéàladéterminationquil’inondait.Detoutesavie,ellen’avaitjamaisprisdedécisiondésagréableetavaittoujoursessayédesemaintenirsurunchemindroit,large et régulier. Maintenant elle s’apprêtait à souffler sur des braises dont presque tous ignoraientl’existence.Elleenfilasongiletetglissasespiedsdanslespantouflesqu’elleavaitméticuleusementrangéesàcôté
du lit.Ellehésitaun instant,maisdèsqu’elleeutouvert laporteetqu’elle futdans lecouloir,ellesutqu’ellenepouvaitplusreculer.L’heureétaitvenue.
Elle rejoignit en quelques pas la chambre deMiranda qui était située en face de la sienne et frappadoucementàlaporte.Ellen’entenditquequelquespetitsbruitsépars,puisenfinlavoixdesafille:—Quiest-ce?—C’estmoi.Mirandavintluiouvrir,elleparaissaitinquiète.—Ils’estpasséquelquechose?—Non,réponditViviensecouantrapidementlatête.Jepeuxentreruninstant?—Oui,biensûr,ditMirandaens’effaçantpourlafaireentrer.J’étaisentraindelire.J’avaisbesoin
dem’éloignerde…detoutça.Uneombrepassasursonvisage,etVivisedemandasielleavaitfaitlebonchoix.Maissesscrupules
disparurentaussivitequ’ilsétaientapparus.Ilétaittempsd’aérer,deviderlesplacardsetdesortirtouslesvieuxsquelettesàlalumièredujour.—J’aiquelquechoseàtedire,annonça-t-elleens’asseyantsurlelit.—Oui?—Je…Les mots ne vinrent pas et comme à son habitude, Vivi passa sa main sur son cou. Elle ignorait
commentformulercequ’elleavaitàannonceràsafille,etelleseraclalagorge.—J’ai faitunebêtise. Ilyadenombreusesannées.Pourtant jen’ai jamais regretté…,ajouta-t-elle
rapidement.Mirandalacontempla,déconcertée.Elleignoraittotalementdequoisamèrevoulaitparler.—J’ai…j’aieuunebrèveaventure.Avecunautrehomme.Etjesuistombéeenceinte.Les yeux deMiranda s’agrandirent soudain. Elle leva les mains pour se boucher les oreilles à la
manièred’unenfantquichoisitd’évitercequ’ilneveutpasentendre.Maiselleleslaissaretombersur
sesgenouxetfixasamère,muette.—Tonpèren’estpasaucourant.Ilasansdoutepenséquetuétaisarrivéeunpeuvite,maistusais,les
hommes… eh bien, ils sont très doués pour se leurrer. Je me demande parfois s’il a envisagé cettepossibilité,maisjenelecroispas.—Alorstuveuxdirequeje…Mirandaavalasasaliveetcontinuaà regarder fixementsamère.Vivipouvait littéralementvoirson
cerveautravaillerpouraccueillirl’information.—Oui,jeveuxdirequeGustavn’estpastonpère.Vivi fut étonnée de la facilité avec laquelle elle lâchait lesmots qui étaient restés enfouis en elle
pendanttrenteans.Ellelesavaitsurveillésdeprès,lesavaitretenus,s’étaitmêmeinterditd’ypenser.Etdésormais, elle laissait s’échapper son secret d’un ton calme et détaché. Elle sentit une sensation desoulagementserépandreenelleenprenantconsciencequecefardeauavaitététrèslourdàporter.—Maisquialors…?Mirandadéglutit avec peine.Sesmains bougeaient nerveusement, commedepetits oisillons sur ses
genouxtandisqueVivitripotaitlespeluchesducouvre-lit.—Harald.C’estHarald,tonpèrebiologique.Onaeuunerelationassezbrève,j’airompulorsquej’ai
comprisquej’étaisenceinte.MirandaeutlesoufflecoupéetVivienprofitapourcontinuer:—Personned’autrequemoi,etpeut-êtreHarald,n’estaucourant.Maisjevoulaisquetusachesque
Matteétaittonfrère,pastoncousin.Elleavaitpresquelevertigetantelleétaitsoulagéed’entendreenfinjaillircesparoles.C’étaitcomme
sitouslesévénementstragiquesdeceweek-end,lamortdeRuben,lamortdeMatte,l’avaientlibérée.Quereste-t-ilàcraindrelorsquelecielvousestdéjàtombédessus?—Matte… était…mon… frère…, bégayaMiranda. Je n’arrive pas à le croire.Mais comment…
quand…?Ellesecoualatête,sansquittersamèreduregard.—Onenreparleraplustard,déclaraVivientapotantlamaindesafille.Jepensequetuasbesoinde
digérertoutçatranquillement,ensuitetupourrasmeposertouteslesquestionsquetuveux.Entoutcas,maintenanttuesaucourant.Elles entendirent quelqu’unmonter l’escalier aupasde course et en sortant de la chambre,Vivi fut
presquerenverséeparMartinquipassaitentrombedanslecouloir.—Pardon,dit-elle,maisilneluiprêtaaucuneattention.Il s’arrêta devant la chambre de Matte et elle se demanda ce qui pouvait bien mériter une telle
précipitation.
Martin se maudit. Comment avait-il pu être aussi négligent ? Il avait une preuve, une seule preuveéventuelle,etill’avaitlaisséedanslachambre.Etsil’assassinétaitdéjàvenulachercher?IlpestaenouvrantlaportedelachambredeMatte.Puisils’arrêtanetàlavuedelaflaquedesanget
se calma. Cela n’améliorerait certainement pas les choses s’il se ruait dans la pièce et se mettait àpiétinerlestracesquipouvaients’ytrouver.Ilentradonclentementdanslachambreetavançajusqu’àlatabledechevet.Ilneserenditcomptequ’ilretenaitsarespirationquelorsqu’ilsouffladesoulagementàlavuedutéléphoneportabledontlepropriétaireétaitencoreinconnu.Ilétaitéteint.Quellepoisse!Ilrefermaleclapetetl’emporta,redescenditethésitauninstantdevantla
portedelabibliothèqueavantdel’ouvrir.Enpénétrantdanslapièce,ilressentitpresquephysiquementladouleur des membres de cette famille et envisagea un instant de tourner les talons pour ne pas lesdéranger.Pourtant,ilsavaitquecen’étaitpasuneoption.
Ilseraclalagorgepoursignalersaprésence.—N’ya-t-ilvraimentaucunmoyendepartird’ici?demandaBritten.Alorsqu’iln’étaitqu’àdeuxmètresd’elle,Martineutpeineà l’entendreavantquesonfiletdevoix
casséesedissolveetdisparaisse.Ilsecoualatête.—Pasencore.MaisBörjeetKerstinsontdescendusauponton,ilsdisentquesileventsecalmeun
peu,lebrise-glaceviendrajusqu’ici.—OnpourraprendreMatteavecnousalors?demandaBritten.Elleserrasacouvertureplusprèsducorps.Martinvitqu’elleclaquaitdesdentsbienquelefeudans
lacheminéeeûtréchauffélapièce.—Onferaensortequ’ilvienneavecnous,réponditMartin.Ilespéranepasluifaireunepromessequ’ilnepourraitpastenirmaisiln’avaitpaslaforcedelelui
refuseralorsqu’ellesemblaitsurlepointdes’effondrer.Ilverraitplustardcommentfairepourassumersadécision.—J’aiunequestion.Est-cequequelqu’unreconnaîtceci?demanda-t-ilenbrandissant le téléphone
portable.—C’estlemien,réponditBernard.Oùl’as-tutrouvé?—DanslachambredeMatte.LevisagedeBernardétaittotalementinexpressiflorsqu’ildemanda:—Commentilestarrivélà?—C’estexactementcequejem’apprêtaisàtedemander,ditMartinenexhortantBernardduregard.—Jen’enaiaucuneidée.Ladernièrefoisquejel’aivu,ilétaitdansmachambre.Cen’étaitpasla
peinedeletrimballerpartoutalorsqu’iln’yapasderéseau.—Etquandest-cequetul’asvupourladernièrefois?—Cematinenmeréveillant,réponditBernard.Ilmesertderéveilaussi.—Ettun’espasentrédanslachambredeMattedepuis?Martinsavaitquesaquestionétait tropdirecte,maiscesdernièresvingt-quatreheuresavaientétési
stressantesqu’ilavaitdumalàcontrôlersesnerfs.—Non,jenesuisjamaisentrédanslachambredeMatte,pasuneseulefois!Tuessaiesdem’accuser
dequoi?Bernardfitunpasenavant,maissonpèrel’arrêtaenposantsamainsursonbras.—Martinfaitsonboulot,Bernard.Calme-toimaintenant.Ilfautbienquetoutelalumièresoitfaitesur
cetteaffaire.Bernardsedégageadel’étreintedesonpère,puisilrépétasuruntonpluscalme:—JenesuispasentrédanslachambredeMatte.Jamais.—Tun’asaucuneidéealorsdecommenttontéléphones’yestretrouvé?—Quelqu’unadûvenir leprendredansmachambre. Jenevoispasd’autrepossibilité.Quelqu’un
chercheàmecoincer.L’assassinestvenuprendremontéléphonepourallerlemettredanslachambredeMatte.—Onpeutmonteryjeteruncoupd’œil?—Biensûr,jen’airienàcacher,ditBernardenécartantlesbras.Tupeuxregardertantquetuveux.SontonétaitrailleuretMartindutréprimersonenviedeluidonnerunviolentcoupdepied.Ilsuivit
Bernarddansl’escalieretarrivésenhaut,ilscroisèrentVivietMiranda.Ellesfaisaientunedrôledetête,maisMartinavaitd’autreschatsàfouetterpourl’instant.—Quefaites-vous?demandaVivi.—Rien.Onva justevérifierun truc,ditévasivementBernardensedirigeantverssachambreavec
Martinsurlestalons.—Tuvois,cen’estmêmepasferméàclé.N’importequipeutentrer.
BernardouvritlaporteavecungestedémonstratifetfitsigneàMartind’entrerlepremier.La chambre était un miracle d’ordre. Trois chemises blanches parfaitement repassées étaient
suspendues dans la penderie ouverte. Une paire de chaussures noires cirées, identiques à celles queBernardavaitauxpieds,étaitposéesousleschemises.Iln’aperçutaucunevaliseetseditqu’elledevaitêtrerangée.Unlivreétaitposésurlatabledechevet,LesAventuresdeSherlockHolmes.Martineutletempsdesefairelaréflexionqu’iln’avaitpasimaginéBernardenlecteurassidulorsquecelui-cis’arrêtanetderrièrelui.—Cen’estpasmoiquiaiposéçalà.—Comment?demandaMartinenseretournant.—Lelivre.Iln’estpasàmoi.Martinhaussalessourcils.—Tuprétendsquequelqu’unestvenuicipourvolertontéléphoneportableetpourposerunlivresur
tatabledechevet.Situveuxmonavis,çanetientpasdebout…—C’estpourtantcequis’estpassé,réponditBernard,irrité.Jenelisquelesjournauxéconomiques.
EtSherlockHolmes,c’estuntrucàgrand-père.Personnellement,jetrouveçaterriblementcon.—Tuessûrquelelivren’étaitpaslàcematin?—Tuécoutescequejedis?s’exclamaBernarddesavoixhautainequirésonnaentrelesmurs.Jene
possèdepasuntellivre.Etpourterépondre:non,iln’étaitpaslàcematin.Quelqu’unl’yamis.Bernard prononça cette dernière phrase lentement et distinctement comme s’il parlait à un enfant.
Encoreunefois,lajambedroitedeMartinfutparcouruedetressaillements,tantilavaitenviedeplacerunboncoupdepiedsurletibiadeBernard.Ilsemaîtrisa.—N’exagèrepas.J’entendscequetudis,répliquaMartinsuruntonquiétaitaussiguindéqueceluide
Bernardétaithautain.Tunevoisriend’autrequitesembleétrange?Quelquechosequ’onaajoutéouquiauraitdisparu?Bernardparcourutlapièceduregard,puissecoualatête.—Non,toutleresteestcommelorsquejesuisparti.Martins’agenouillapourregardersouslelit.—Qu’est-cequetufais?demandaBernard,interloqué.Ahah,tucherchesl’armeducrime.—Exactement.Tuasquelquechoseàyredire?—Non,jet’enprie,faiscommecheztoi!Bernards’adossaaumur,croisalesbrasetobservaMartind’unairamusé.Aprèsunmoment,celui-ci
sereleva,époussetasonpantalonetdemanda:—Jesupposequetuasunevalise.Est-cequejepeuxlavoir?—Pasdeproblème,ditBernardenindiquantleplacard.Elleestlà-dedans.Vas-y,siçatefaitplaisir
defarfouillerdansmescalebards.Martin sortit la valise, la posa à terre et l’ouvrit. Il chercha parmi les vêtements, inspecta
soigneusementlesdifférentscompartiments,maisnetrouvariendeparticulier.—Aucunpistoletquifume?ditBernardenobservantMartinquiremettaitlavaliseàsaplace.—Non.— Suis-je considéré comme le principal suspect maintenant ? demanda Bernard que la situation
semblaitsincèrementamuser.—Entoutcas,tufiguresparmilespremiersdelaliste.Tuespriédenepasquitterlaville,commeils
disent.—Çane risquepas, réponditBernard en riant.Tiens, ondirait presqueque le temps se calme,ma
parole.Onpourrapeut-êtrebientôtquittercetrouperdu.—Espérons-le.Martinobservalapièceunedernièrefoisavantdelaquitter.Bernardlesuivit.
—Est-cequejepeuxrécupérermonportablemaintenant?demandaBernardentendantlamain.—Non,jelegardeencoreunpeu.Detoutefaçon,ilnetesertàrien,iln’yapasderéseauici.—Etpourlelivre,qu’est-cequ’onfait?—Jevaisdemanderenbassiquelqu’unestaucourant.Maisçam’étonneraitqu’onmedonnecette
informationsifacilement.Qu’est-cequetuendis?Serait-ceunesortedemessagepourtoi?—Amoinsquejenel’yaiemismoi-même,poursemerletrouble.N’oubliepasquejesuislesuspect
numéroun.Ilritdenouveau,etcettefois,Martinneputsetaire.—Tutrouvesvraimentçadrôle?Toncousinestmort, tongrand-pèreaussi,et toi, tuconsidèresce
dramecommeunesortededivertissement.—Jepleuredansmoncœur,ditBernardenposantthéâtralementsesmainssursapoitrine.Martin,quinesupportaitplusdelevoir,descenditl’escaliersansl’attendre.IlcroisaBörje.—Ondiraitqu’ilyauneaccalmie,constata-t-iletMartinacquiesça.—Oui,ons’enestrenducompte.Onpourrapeut-êtrebientôtpartir.—C’estvraiqu’onn’ajamaisspécialementenviedevoirnoshôtesvouloirnousquitter.Maisdansle
casprésent,jelecomprends.Jevousaiapportéducafé,ditBörjeenmontrantlabibliothèque.—Merci.Martin entendit Bernard descendre l’escalier et se hâta vers la bibliothèque pour éviter d’autres
commentairesidiots.— Qu’êtes-vous allés faire ? demanda Harald qui avait retrouvé une partie de son incontestable
autorité.—Vérifierquelquechose,c’esttout,réponditMartinenfaisantunpetitsignedelamain.Entempsvoulu,illesinformeraittous,maisilvoulaitlefaireàsonproprerythme.Ils’approchadela
tableoùsetrouvaitlacafetièreetseservitunetasseavantdes’asseoirsurlecanapé.Lisetteavaitquittélaplaceauxpiedsdesamèreetétaitmaintenantassiseàl’autreboutducanapé,commeabsente,lesyeuxrivéssurlesol.SamainreposaitsuruncoussinetMartinsepenchapourl’effleurer.Elleneréagitpas,maisaumoinsellenelerepoussapas.Martincompritqu’ilavaitgrossièrementnégligésesdevoirsdepetitami,ouplutôtd’ex-petitami.Ilauraitaumoinspuessayerdelaréconforter.IlentenditqueBernardcommençaitàparleràsonpèredulivresurlatabledechevet,etilsedépêcha
deledevancer.—Quelqu’unestapparemmententrédanslachambredeBernardaucoursdelajournée.D’aprèsluien
toutcas,neput-ils’empêcherd’ajouter,etcettepersonneaprissontéléphoneportableetaposéunlivresursatabledenuit.Est-cequel’undevousensaitquelquechose?Martinparcourutlabibliothèqueduregardetdutfairefaceàunmurdesilence.Brittennesemblaitpas
avoir entendu la question. Bernard et Gustav se contentèrent de secouer la tête. Vivi etMiranda quiétaientassisessurlecanapéenfacedeluisemblaientabsentes.Mirandaétaitblanchecommeunlinge,etMartin se rappela soudain l’étrange expression qu’elles avaient lorsqu’il les avait croisées dansl’escalier.Encoreunélémentàtirerauclair.—C’étaitquoicommelivre?demandaLisette.—UntrucdeSherlockHolmes.Unrecueildenouvelles,jecrois.Ellepouffa,unpetitrirequisonnaitcreux.—C’estsûrementlebouquindegrand-père.IlétaittotalementobsédéparSherlockHolmes.—Lorsqu’ilétaitplusjeune,ilétaitprésidentd’uneassociationdédiéeàSherlockHolmes,compléta
Harald.Et ilacontinuéàenêtremembrependant toutescesannées. J’ai toujourseu l’impressionquecetteassociation–etcettepassion–offraitsurtoutunprétexteàunebandedevieuxpourseretrouverunefoisparmoisetradoterenbuvantduwhisky.
—Non,c’étaitun intérêt sincère,glissaBrittend’unevoix toujoursaussi frêle. Il l’avait transmisàMatteetilsdiscutaienttoujoursdeceslivres-làlesvendredisquandilssevoyaient.—Maisvousnesavezpasquiapuposerlelivrelà,nipourquoi?Martinn’obtintpasderéponse.Gustavs’éclaircitlagorge.—Pasdetracedurevolver?—Non,malheureusement.Lesilences’installadenouveau.Tousétaient réunis,etpour lapremière fois,Martin fut frappépar
l’évidencedelasituation.L’unedecespersonnesétaitunassassin.Iln’yavaitpasd’autrespossibilités.Lescorpsdedeuxhommesgisaientdans lachambre froide.L’unavait étéempoisonné, l’autre tuéparballe,etquelqu’unavaitcommiscesmeurtres.Ilétaitforcémentdanscettepièce.Cettepenséeluifaisaitfroiddansledos.—Queva-t-ilsepasserquandnousseronssurlecontinent?Mirandaavaitformulélaquestionquiétaitprobablementsurtoutesleslèvres.—Vousserezinterrogésparmescollèguesducommissariatetdestechniciensferontlesexamensqui
s’imposentici,réponditMartinquimarquaunepetitepauseavantdepoursuivre:RubenetMatteseronttransportés à l’unité médicolégale pour qu’on effectue une autopsie. J’ai bon espoir que nous tirionsl’affaireauclairrelativementvite.Miranda hocha la tête. Ses yeux se posèrent sur chacun desmembres de sa famille et elle sembla
penser la même chose queMartin. C’était comme si elle les voyait pour la première fois. Puis elleobservasamèreeteutdenouveauuneexpressionétrange.LeregarddeViviseposasurMartinetilylutune sérénitéqu’il n’avait pas remarquée auparavant.Ellen’avait plus l’air nerveuse et ce changementsoudainattisalacuriositédeMartin.Ildécidadel’interroger.—Vivi…est-cequejepourraisvousparlerunpeu?Danslebureau?Ellehochalatêteetseleva.Ilss’installèrentdanslepetitcabinetdetravailpourlasecondefoisau
coursdecedramatiqueweek-end.Vivinesemblaitplusêtrelamêmefemme.— J’ai l’impression qu’il s’est passé quelque chose, commença-t-il, puis après une seconde
d’hésitation,ilpoursuivit:jen’arrivepasàmettreledoigtsurquoiquecesoitdeconcret,maisjesensque…MartincherchaittoujourssesmotslorsqueVivil’interrompit.—Vousêtesplusperspicacequejenel’auraiscru.Lecalmedontelle faisaitpreuvesemblait luiprocurerune toutenouvellepersonnalité,etMartinse
renditcomptequ’ill’aimaitbien.Quellequefûtlacausedecechangement,illuiétaitprofitable.—Sijevousdisqu’ils’agitd’uneaffairedefamillequin’arienàvoiraveclesmeurtres,est-ceque
celavoussuffit?Elleinclinalatêtesurlecôtéetl’observaenattendantsaréponse.—Non.Encemoment,jevoudraisêtreleseulàdéterminercequiconcernelesmeurtresounon.Je
voussauraisgrédememettreaucourantmêmesivousauriezpréférélegarderpourvous.—C’estbiencequejepensais.Bon,detoutefaçon,laboîtedePandoreestdéjàouverte,alorsjepeux
toutaussibieninformerlaforcepublique.Elle rit etMartin l’appréciait davantage à chaqueminute qui passait. C’était comme si elle s’était
réveillée.Viviétaitdésormaisunefemmeforteetvivantequis’étaitdébarrasséedesafragilecarapace.—CequevousavezvuentreMirandaetmoiétaitlecontrecoupdelarévélationquejeluiaifaite.Je
l’aiinforméequ’ellen’estpaslafilledeGustav,maiscelledeHarald.Martinenfutbouchebée.Ilnes’attendaitàriendeteletlaissaVivipoursuivresonexplication.—J’aieuunebrèveaventureavecHaraldetjesuistombéeenceinte.DeMiranda.—EtBernard?demandaMartin,passablementébranlé.
—Non,BernardestdeGustav,aucundoutelà-dessus,c’estsonpèretoutcraché.AlorsqueMirandaatoujours euquelquechosequi rappelaitMatte, ditVivi, et pour lapremière foisdepuisqu’elle s’étaitmiseàparler,savoixtrembla.C’estpourçaqueje…Ehbien,jetrouvaisqu’elleétaitendroitdesavoirquec’estsonfrèrequiestmortetnonsoncousin.—EtGustav?Illesait?Martinn’était toujourspassûrdevouloircroirecequ’ilvenaitd’apprendre.Toutcelasemblait tiré
d’unsitcomdebasétage.—Gustav… non, il ne pourrait jamais imaginer que j’aie le courage d’agir dans son dos. Je n’ai
jamais compté pour lui. En quoi que ce soit. Je pense qu’il serait surtout étonné et fou furieux contreHarald,évidemment.—MaisHaraldestaucourant?—Oui,ilétaitprésentaumomentdelaconceptionsijepuisdire,ditViviavecunpetitrire.Maisje
croisqu’iln’enajamaisétévraimentsûr.Celadit,ilatoujourssuquec’étaitpossible.—Vousavezdûavoirtrèspeurqu’onl’apprenne.LavoixdeMartinétaitpleinedesympathieetlevisagedeVivis’adoucit.Ellehochalatête.—Oui,j’aieumapartdenuitsblanches.Maissurtout…Jem’inquiétaispourl’héritage…—L’héritage?L’argent?demandaMartinperplexe.VousvoulezdirequeRubenn’auraitpasapprécié
s’il…Vivisecouaénergiquementlatête.—Non,pascethéritage-là.Jeparledel’héritagegénétique.EnpensantàtoutcequeMatteatraversé
aufildesans…toutescesdépressions.J’aieupeurqueMirandasoitfrappéedumêmemal.—Maisellen’arieneu?—Non,Dieusoitloué.SeulcepauvreMatteenasouffert.—Cesdépressions,quelleétaitleurréellegravité,aufait?Personneneveutvraimentm’enparler.—Çanem’étonnepas!Çan’apasétéfacilepourlui,pauvregarçon.Brittenatoutessayé,maisles
hommesdelafamilleonttoujourspréférétoutminimiser.MêmeRuben,quitenaittantàMatte,nevoulaitpasvoirlagravitédesestroubles.Ilauraiteubesoind’aidemédicalebienplustôt,etd’uneaidebienplusimportantequ’ellen’aété.Mêmequandil…Ungrondementlointainsefitentendreetelleregardaparlafenêtre.—Ondiraitquelebrise-glaceestenchemin,constataMartinavantd’encouragerViviàreprendrele
fildesespensées.Vousdisiez“mêmequandil”…—Oui.Jeveuxdire,ilaessayédesesuicideràplusieursreprisesetmêmeçanesemblepaslesavoir
alertéssursonétat.Ilafaitunbrefséjouràl’hôpitalpour“sereposer”,maisiln’ajamaisétéquestiondevéritabletraitement.JecroismêmeavoirentenduHaralddirequ’il“espéraitquesonfilsenauraitbientôtterminéaveccesbêtises”,dit-elled’unevoixindignée.Uncoupfrappéàlaportelesinterrompit.C’étaitBörje.— Le brise-glace arrive. Ce serait bien de faire vos valises et de descendre au ponton assez
rapidement.—Jepensequenousavonsterminé,ditMartinenregardantVivi,quihochalatêteetseleva.—Jevaispréparermesaffaires.Jedoisdirequeceseraunvraibonheurdepartird’ici.Martinlalaissasortirenpremierdelapièce,puismontadanslachambrequ’ilpartageaitavecLisette.
Elleétaitdéjàentraindebouclersesbagages.Sesyeuxétaientcernésderouge.—Commentçava?demanda-t-ilenlaprenantdanssesbras.Pendantuninstant,ellesedétenditetse
serracontrelui.Puisellelerepoussadoucementendisant:Jesupposequec’estunaurevoir.Pasvrai?ElleleregardaitdroitdanslesyeuxetMartinneputquerépondre:—Oui,j’imagine.Jecroisquetuasraison.Ellepritsonvisageentresesmainsetl’embrassasurlajoue.
—Pardonsij’aiétébête.—Bah,lescirconstancesontété…disonsstressantes.Ons’enesttousrenducompte,d’unefaçonou
d’uneautre.—Tuesquelqu’undebien,Martin.Elle lui fitencoreunebise,puiselleprit savaliseet sortitde lachambresansse retourner.Martin
demeuraunlongmomentimmobile.Ilressentaitsurtoutdusoulagement,maisaussiunepetitepointedetristesse. Ilvenaitdenouveaudevoirunerelationtomberà l’eauetcommençaitàenavoirassez.N’yavait-ildoncpersonnepourluiencemonde?Avecunsoupir,ilfourrasesaffairesdanssonsacetlehissasursonépaule.Ilavaitglisséleportable
deBernardet le livredeSherlockHolmesdansdeuxsacsenpapierqu’ilavait roulésdansunpulletposéssurledessus.Leverrequiavaitcontenudupoisonétaitbienàl’abriaumilieudusac.Iln’auraitpasétéprudentdelelaisserici.Avantdesuivrelesautres, ilretournadanslachambredeMatte.Ilobservalapiècedepuislaporte
commepourlasupplierdeluirévélercequis’yétaitdéroulé.Lamarquesurlemanteaudelacheminéelenarguaittoujours.Ilneparvenaitabsolumentpasàsavoirpourquoielleluisemblaitsiimportante.Dixminutes plus tard, tous pataugeaient dans la neige en direction de l’appontement et le poids de
leurs bagages ne facilitait pas leur progression. Börje était parti avant les autres et avait réussi àdémarrer le moteur du bateau sans problème. Ils seraient bientôt sur le continent. Après une brèveconcertation, ils s’étaient mis d’accord pour descendre tous les bagages au ponton, les hommesremonteraientensuitechercher lescorpsdans lachambrefroide.C’étaitune tâchedontpersonneneseréjouissait,etMartinavaitconsciencequed’unpointdevueprofessionnel,ilauraitdûordonnerqu’ilsyrestent.LeregarddeBrittenlorsqu’elleavaitdemandés’ilsemporteraientMattel’avaitdéterminé.Qu’ilensoitainsi.Alorsqu’ilremontaitverslamaison,lespenséessebousculaientdanssatête.Lepistolet,lelivre,les
entretiensqu’ilavaiteusaveclesmembresdelafamilleLiljecrona,etlorsdudînerdupremiersoir,lessous-entendusetlespiquesquiavaientvolécommedesflèchesempoisonnées.Toutseconfondaitenunbourbier innommable dans son esprit. Matte et Ruben. Grand-père et petit-fils. Plus proches l’un del’autre que d’aucun autre membre de la famille. Ils se voyaient tous les vendredis pour discuter etpartagerquelquechosedeparticulier.Unvieux,unjeune.L’unmaladeducorpsetl’autredel’âme.LeurintérêtpourSherlockHolmes.Martinenavaitseulementvudesadaptationsàlatéléetilavaitdumalàcomprendrequ’onpuisseàcepointseprendredepassionpour…Ilinterrompitnetsaréflexion.Quelquechosesemitenbranleàlapériphériedesaconscience.Ils’arrêtasibrusquementdanslaneigeprofondequeBernardluirentrainvolontairementdedans.—Putain,qu’est-ceque…—Pardon,ditMartind’unairabsentavantdecontinuersonchemin.Ils avaient presque rejoint le ponton lorsqu’il secoua la tête comme pour faire ressurgir l’idée qui
l’avait effleuré. C’était un éclair qui avait fusé aumoment où il pensait aux adaptations de SherlockHolmespourlecinéma…Oui!C’étaitça!Ilsentitlacertitudeetunsentimentdetriomphegrandirenluietilseprécipitaverslamaison.—Merde,qu’est-cequisepasse?criaBernardderrièrelui.Martin l’ignora. Il ne se donna pas la peine d’ôter ses chaussures pleines de neige, glissa et faillit
tomberàlarenverse.Auderniermoment,ilputseretenirgrâceàlarampedel’escalieretrétablirsonéquilibre. Ilmonta lesmarchesquatreàquatreetseruadans lecouloirendirectionde lachambredeMatte.Derrière lui, les autres l’appelèrent,mais il était si absorbé par ce qu’il avait en tête qu’il leremarquaàpeine.Ilfallaitqu’ilaitraison!Ilsavaitqu’ilavaitraison.Celaexpliqueraittout!EnouvrantlaportedelachambredeMatte,ilralentitlepas.Soncœurs’étaitemballé,tantsousl’effet
delacoursedansl’escalierquesousceluidel’excitationquantàcequ’ilpensaitavoirdeviné.Ilentra
prudemment dans la pièce, contourna la flaquede sang et se dirigea droit sur la cheminée. Il observal’entaillesurlabordure,tenditlamainetlaglissaàl’intérieurduconduit.Samainnerencontraquelapierrefroideetunsentimentdedoutes’immisçaenlui.Pouvait-ilsetromper?Ilcontinuaàtâtonnersurlaparoietsentitsoudainquelquechosededuretdefroidsoussesdoigts.Unesensationdebienêtreserépanditalorsdanstoutsoncorps.Ilavaitraison.Ilentenditdesvoixderrièrelui.—Qu’est-cequetufous?Bernard apparut à la porte, déconcerté et les cheveux en bataille, ce qui ne lui ressemblait pas.
Derrièrelui,HaraldetGustavsemblaienttoutaussiperplexes.Sans un mot, Martin saisit l’objet qu’il avait trouvé et tira dessus. Les hommes à la porte furent
estomaquésenvoyantcequ’iltenaitàlamain.—Lerevolver?ditHaraldincrédule.Mais?Où?Commentest-cequ’ilapuseretrouverlà?Martintiraplusfortpourqu’ilslevoient,toujourssansriendire.Lepistoletétaitattachéàunruban
élastique.—Je…jenecomprendspas…,bredouillaGustavenfixantl’armeetl’élastique.Cen’étaitpasencorelebonmomentpourleurfairepartdesesconclusions,etMartinleurtournale
dos et continua son inspection dans la hotte de la cheminée. Une nouvelle expression de satisfactionparcourut son visage lorsque ses doigts sentirent un autre élément.C’était du plastique. Il tira dessus,entenditunpetitbruissement,maisl’objetnevintpas.Alorsilessayadelepousserverslehaut,etlesacsedétacha.Ils’agissaitd’unsacplastiquedesupermarché.Ilétaitlourdetilleposadoucementàterre.Ilcontenaitdeuxchoses:unecaméravidéoetuneenveloppe.Leshommesde la familleLiljecronaétaientàprésententrésdans lachambreet formaientuncercle
autourdelui,touslestroistotalementabasourdis.—Unecaméra?Al’intérieurdelacheminée?Pourquoi?demandaGustav.—C’estcequ’onvavoir,réponditMartinenallumantl’appareil.Lacamérasemitàbourdonner,etil
appuyasurRewindpuissurPlay.L’écrandevintnoiretaprèsquelquessecondes,desvoixfamilièressefirententendre.CellesdeMatteetdeRuben.Rubenétaitassisdanssonfauteuilroulantfaceàlacaméra,Mattelefilmait.Rubens’éclaircissaitlavoix.—Lorsquevousverrezceci,jeseraimort.Harald en eut le souffle coupé. Gustav pâlit soudain tandis que Bernard avait presque l’air de
s’amuser,commes’ilsavaitcequilesattendait.Rubenpoursuivait:—D’aprèslesmédecins,ilmerestesixmoisàvivre.Jen’aipaspourhabituded’abandonner,sibien
quej’aiconsultétouslesspécialistespossibles,maisleurpronosticesttoujourslemême.C’estfini.Etce sera douloureux. Et indigne. Comme vous le savez, je peux vivre avec la douleur. Mais une finindigne…Jamais.Alorsj’aidécidédeprendreleschosesenmain.Etjenerésistepasàl’opportunitédevousdonnerunepetiteleçon.Vousm’aveztrahi,grossièrement,etvousn’avezpasétéàlahauteurdemesattentes.Maisrassurez-vous,vousaurezmonargent.Telsquejevousconnais,ilnevousapporterapaslebonheur, bien au contraire, il vousmènera à votre perte. Soit.Mais je n’ai pas l’intention de vous ledonnersansvousfairesouffrirunpeu.Rubensouriaitettendaitlamainversquelquechosehorschamp.Martinreconnutlelitàbaldaquinà
l’arrière-plan.C’étaitfilmédanslachambredeRuben,icisurl’îledeValö.Rubentenaitunsachetremplidepoudreàhauteurdesonvisage.—Voiciducyanuredepotassium.Iln’estpastrèsdifficiledes’enprocurersionadel’argentetdes
contacts. Je vais moi-même le verser dans mon verre au cours du dîner, et vous offrir un spectacleinoubliable,jel’espère.Jerépète,jevaismoi-mêmeleverserdansmonverre.Matten’aurarienàvoiravecmamort,autrementquecommesoutienetobservateur.Jeveuxaussisoulignerqu’ilatoutfaitpourmedissuader.Puis,ilapeuàpeucomprisquejesuistotalementdéterminé,etafiniparaccéderàmon
derniersouhaitenacceptantdem’aideraveccepetitrappelàl’ordre.J’espèrequepourquelquetempsvousallezvivredanslessoupçons,lacrainteetledésespoird’êtredéshérités.Lorsdelalecturedemontestament, il sera révélé que ce n’est pas le cas.EtMatte veillera à ce que cette vidéo soit projetée.L’énigme diabolique digne d’un polar dont vous avez été les acteurs involontaires – et innocents –trouverasonexplication.Elémentaire,moncherWatson,commeauraitditmonamiSherlockHolmes.Rubenpoussaunpetitrireaprèssonmotd’esprit.Ilsemblaitsatisfaitduplanqu’ilavaitconcoctépour
sondépartdansl’au-delà.Mattetenaitlacaméraensilence,maissaforterespirationtrahissaitsonétat.Rubensetortillaitdanssonfauteuiletsemblaitsepréparerpourunesalvefinale.—JevoussouhaiteàtousunNoëlinfernaletunenouvelleannéevéritablementcalamiteuse.Quemon
argentnevousprofitepas.Ilgloussait.L’images’éteignit.—Quelputainde…salaud,crachaGustav.Haraldfixal’écranéteintdelacamérad’unregardvide,commes’iln’avaittoujourspascomprisce
qu’ilvenaitd’entendre.Bernardsemitàrire.Unrirequidevintdeplusenplusfort,jusqu’àcequeleslarmessemettentàruisselersursesjouesetqu’ilsoitobligédesetenirlescôtes.Ilsetordaitderireetsonpèrefinitparluidonneruncoupdecoude.—Arrêtemaintenant,Bernard,tuteridiculises.—Quelvieuxfilou,beuglaBernardquisemblaitincapabledecalmersonfourire.Ilnousatouseus!Les larmescontinuaientàcouler le longdeses joueset ils’essuyalesyeuxavecledosdelamain.
Haraldselaissatombersurlelit.Iln’esquissaitpaslemoindresourire.—MaisMatte…pourquoi?Martinluitenditl’enveloppeblanche.—Cecidonnerapeut-êtreuneexplication.Harald prit l’enveloppe, l’ouvrit et sortit la lettre d’unemain tremblante. Ils le regardèrent lire en
silence.Aprèsuninstant,ilposalafeuillesursesgenouxetditàvoixbasse:—Ilnepouvaitpasvivreavecça,savoirqu’ilavaitaidésongrand-pèreàsedonnerlamort.Ruben
l’a persuadé, il l’a supplié de l’aider à mettre en scène cette farce macabre.Matte a hésité, tout enespérantêtreassezfort.Maisilnel’étaitpas.Ilécritqu’ilnesupportepasl’idéed’avoiraidéRubenàmourir.Puisilteprésentesesexcuses,Bernard.C’estluiquiamislelivredanstachambreetilapristonportableet l’aposédanssachambrepourdiriger lessoupçonssurtoi.Maisilsavaitquetuseraisinnocentédèsqu’onauraitcomprisqu’ils’agissaitd’unsuicide.Ilditqu’encela,ilestbienlepetit-filsdeRuben.Ilnepouvaitpaslaisserpasserunetelleoccasiondesevengeretvoulaitterendrelapareille.—Unsuicide?Gustavsemblaitnetoujourspastrèsbiencomprendre,etMartinluiexpliqua.—JemesuissubitementrappeléavoirvuceladansunfilmdeSherlockHolmes.Matteaattachéle
pistoletàunélastiqueetilafixél’autreboutàl’intérieurdelahotte.Puisils’esttiréuneballedanslecœur.Dèsquesamainalâchél’arme,l’élastiquel’aremontéedansleconduitdelacheminée,àl’abridesregards.Abracadabra–nivu,niconnu!Nousavonscruqu’ilavaitétéassassiné.C’estlepistoletquiafaitcettemarquesurlemanteaudelacheminéeenremontantavecl’élastique.—Jen’aurais jamaiscruqu’ilpuisseêtreaussifinaud,ditBernardquiavaitcesséderiremaisqui
conservaittoutdemêmeunpetitairamusé.Bon,maintenantqu’onatirétoutçaauclair,jevousproposed’yaller,lebateaunousattend.MêmesiMartinn’approuvaitpassontoninsouciant,ilsavaitqueBernardavaitraison.Ilsn’avaient
plusrienàfairesurcetteîle.
Unedemi-heureplustard,lebateauquittaleponton.C’étaitunesoiréesansluneavecuncielétoilé.Lesprojecteursdelavedetteéclairaientlaneigeépaissesurlaglacedepartetd’autreduchenalouvertparlebrise-glace.Toussavaientdésormaiscequis’étaitdéroulépendantcesvingt-quatreheuresàValö.Iln’yavaitplusrienàdire.Lesilences’étaitinstalléparmilespassagers.Martintournaitledosàl’îlequis’éloignait lentement derrière eux. Devant lui, Fjällbacka scintillait dans l’obscurité. Deux corpsrecouvertsd’unebâcheétaientétendusdanslacabinedubateau.IlrestaitcinqjoursavantNoël.
OUVRAGERÉALISÉ
PARL’ATELIERGRAPHIQUEACTESSUD
LeformatePubaétépréparéparIsakowww.isako.comàpartirdel'éditionpapierdumêmeouvrage
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