marketing des héros dans l'entertainment
Post on 07-Apr-2017
82 Views
Preview:
TRANSCRIPT
KEDGE Business School
MS Marketing et Management des Industries Culturelles et Créatives
Promotion PIC2013
Mémoire de Recherche Appliquée
Marketing des héros dans l’Entertainment :
Les héros de fiction en tant que marques
et leur exploitation sous forme de licences
Quentin BOUTHENET
Soutenu en février 2016
Sous la direction de Mme Anne Gombault
KEDGE Business School
MS Marketing et Management des Industries Culturelles et Créatives
Promotion PIC2013
Mémoire de Recherche Appliquée
Marketing des héros dans l’Entertainment :
Les héros de fiction en tant que marques
et leur exploitation sous forme de licences
Quentin BOUTHENET
Soutenu en février 2016
Sous la direction de Mme Anne Gombault
© 2
01
5 Im
age
min
iatu
re d
e la
vid
éo
Yo
uTu
be
BA
TMA
N v
s
DA
RTH
VA
DER
- A
LTER
NA
TE E
ND
ING
- S
up
er P
ow
er B
eat
Do
wn
Les opinions exprimées dans ce mémoire sont celles de l’auteur et ne sauraient en aucun
cas engager KEDGE et le Programme Grande École, ni la directrice de mémoire.
Remerciements
D’abord, merci à Mme Gombault et à la KEDGE de m’avoir laissé librement choisir mon
sujet.
Merci ensuite aux deux Justine et à Ugo pour le temps qu’ils m’ont consacré pour les
interviews ainsi que leurs précieux conseils.
Merci à toute l’équipe Marketing d’Univers Poche de m’avoir fait participer aux dossiers
Star Wars.
Un grand merci aux relecteurs acharnés : Célia, Carine et Pierre-Emmanuel.
Et pour finir, merci à mes parents et à Julia pour leur (super-)patience !
Sommaire
I. Introduction....................................................................................................... 7
II. Le héros : son mythe, sa marque et ses déclinaisons ..................................... 10
a. Le héros et le mythe ................................................................................. 10
i. Définition du héros par ses caractéristiques .................................. 10
ii. Les (douze) travaux de Campbell : le Voyage du Héros ................ 14
iii. Réinterprétation moderne : quels nouveaux mythes ? ................... 17
b. Le héros de fiction, une marque en puissance ? ....................................... 23
i. Personnification de marque et storytelling ..................................... 23
ii. Les valeurs .................................................................................... 25
iii. Identité visuelle ............................................................................. 29
iv. Identité sonore .............................................................................. 42
c. De la marque à la franchise : succès de masse à l’écran, licence et
sérialisation ............................................................................................... 46
i. Le cinéma : vecteur privilégié pour (re)lancer la franchise ............. 47
ii. Produit d’origine – Produit d’appel – Produits dérivés ................... 50
iii. Séries TV et jeux-vidéo, nouveaux produits d’appel ? ................... 58
iv. Notoriété, ciblage et licensing ........................................................ 63
III. Étude des cas Disney, Warner Bros. et Ubisoft .............................................. 70
a. L’enjeu d’acquérir le contenu du produit d’origine ..................................... 71
b. Campagne du produit d’appel, premières licences et sérialisation ............ 76
c. Produits dérivés classiques : textile, jeux/jouets et figurines ..................... 83
d. Produits dérivés culturels : livres, audiovisuel et jeu-vidéo ........................ 89
e. Implications managériales et structurelles du licensing ............................. 97
i. Un Brand Management complexe ................................................. 97
ii. Restructuration et internalisation des activités de diversification ... 98
iii. Politique extensive de Brand Content .......................................... 101
f. Réappropriation du contenu par les fans et influence culturelle (voire
mythique) des sagas héroïques .............................................................. 104
IV. Conclusion ................................................................................................... 109
V. Bibliographie sélective .................................................................................. 111
VI. Index des figures .......................................................................................... 114
VII. Annexes ....................................................................................................... 116
VIII. Table des matières ....................................................................................... 148
7
I. Introduction
Dans le contexte postmoderne, l’individu souffre d’un cruel manque de repères, de
modèles inspirants, de figures exemplaires au sein des structures l’environnant. Il n’existe
plus de leaders politiques qui fassent l’unanimité, c’est la méfiance qui guide l’électorat.
La religion, en Occident tout du moins, s’est largement érodée, elle a perdu sa fonction
fédératrice, elle est aujourd’hui plus facteur de tensions et de divisions que de
rassemblement. L’économie est loin d’être pérenne. Le jeune en construction fait de plus
en plus face à la dilution de la fonction d’autorité, à une famille éclatée ou devenue
presque contractuelle, et où les aînés ne cessent de brouiller les repères générationnels1.
Vous êtes sûrs de vouloir aller au bout de ce mémoire ? Évidemment, je noircis quelque
peu le tableau en combinant tous ces problèmes sociétaux mais ils existent bels et biens,
et ils poussent aujourd’hui les individus à se chercher d’autres idéaux, d’autres valeurs,
d’autres modèles en vue de s’épanouir. Vers qui se tourner alors ?
L’individu postmoderne a besoin de nouveaux héros auxquels s’identifier. Les sportifs, les
chanteurs, les acteurs de cinéma voire même les YouTubeurs, les candidats ne
manquent pas pour endosser le rôle. Je vois deux limites aux héros réels. La première est
soulignée par l’historien Pierre Boudrot, alors qu’il distingue le héros de l’idole : « si l’un et
l’autre poussent à l’imitation, le héros seul incite au dépassement de soi, à l’oubli de sa
personne, en transformant son partisan en acteur, tandis que l’idole encourage son fidèle
à la stricte identification, au mimétisme, à l’atrophie de la personnalité. La ferveur que
l’idole cristallise de son vivant se déprécie en adoration, en culte de la personnalité.2 » Et
je crois que nombre de héros réels sont finalement plus proches des idoles, fugaces
plutôt que constructifs, qu’on adule un jour et qu’on descend en flammes le lendemain. Je
vois un second problème : le héros réel reste un homme ou une femme, qui doit, en plus
d’être performant dans son métier, faire figure d’exemple. Le héros réel doit donc être
capable de gérer la pression de ses admirateurs, relayée et amplifiée par des média
voyeuristes qui scruteront le moindre écart de comportement. Combien de carrières
brisées pour ces jeunes sportifs et chanteurs exposés trop vite à la vindicte populaire ?
Les héros de fiction quant à eux, présentent l’avantage d’avoir tout un business derrière
eux pour encaisser les critiques. De plus, ils ne vieillissent pas, leurs histoires peuvent
être renouvelées à volonté.
1 LE BRETON David, « La scène adolescente : les signes d’identité », Adolescence, 2005/3 (n
o 53), p. 587
2 BOUDROT Pierre, « Le héros fondateur », Hypothèses, 2002/1 (5), p. 178
8
On a déjà commencé à définir le héros, ce sera fait plus en détails dans les premières
lignes du développement en II)a)i). Le héros de fiction, homme ou femme, est un
personnage imaginaire issu d’une œuvre de fiction, et la notion d’Entertainment, de
divertissement populaire, nous indique qu’on s’intéressera à des héros qui sont passés
sur les écrans de cinéma, de télévision et/ou de consoles de jeux. Je compte en effet me
concentrer sur les héros du monde de Tolkien (Seigneur des Anneaux et Le Hobbit), de
Star Wars et sur plusieurs personnages super-héroïques et vidéo-ludiques. Vous allez
apprendre à les connaître petit à petit au cours de votre lecture, ils ont pour point commun
d’évoluer dans des univers fantastiques ou de science-fiction et d’avoir connu de
nombreuses adaptations les sortant de leur produit d’origine. Pour ce qui est des
concepts de marque et de licence, je vous en donne ici les définitions sommaires, nous
aurons l’occasion d’y revenir plus en profondeur au début de la partie II)b) puis au début
de la partie II)c). La marque est « un signe distinctif permettant de déterminer un produit
ou un service.1 » La licence « est un titre de propriété, une marque ayant une valeur
immatérielle monnayable.2 »
Au niveau des délimitations du sujet, géographiquement, la plupart de mes chiffres
concerneront les marchés européen et nord-américain, souvent même plus précisément
français et américain. Si je ne parlerai que peu du Japon, c’est parce qu’il possède ses
propres codes culturels en termes de héros (avec les mangas notamment, desquels je
suis loin d’être expert). Sur le plan sectoriel, nous serons amenés à parler principalement
de l’édition, du cinéma, de la télévision, du streaming/VOD (avec Netflix), du jeu-vidéo et
du marché du jouet. Concernant l’âge du public cible, les héros de fiction sont plutôt
destinés aux individus en construction, en développement de soi, donc visant
prioritairement les enfants, les adolescents et les jeunes adultes.
Dans ce mémoire, nous tenterons d’expliquer comment, au travers de la marque et de la
licence, le héros de fiction peut atteindre le statut de modèle pour l’individu contemporain,
de référence pour la masse, de héros mythique.
Concernant le cadre théorique, nous serons amenés à étudier le mythe de plus près, sa
structure, sa fonction auprès des individus et de la société, la fonction de ses
personnages, pour savoir le chemin qu’il reste à accomplir à nos héros de fiction
sélectionnés. Ensuite nous devrons envisager les problématiques de marque, d’identité,
1 WARIN et TUBIANA, Marques sous licence : Les acheter – Les vendre – Les gérer, Éditions d’Organisation,
2003, p. 145 2 Ibid.
9
de valeurs, et trouver comment construire une marque à partir d’un héros. Enfin, une fois
cette marque établie, nous aurons besoin de comprendre en détails les mécanismes de la
licence, pour imaginer les déclinaisons du héros en tant que marque.
Pour le cadre méthodologique de la partie empirique, nous effectuerons l’étude de cas
comparés de trois entreprises Disney, Warner Bros. et Ubisoft, trois entreprises
extrêmement actives dans la licence et qui possèdent un large catalogue de héros. Nous
pourrons ainsi confirmer ou infirmer nos théories. Nous ajouterons aux interviews de
professionnels (entretiens semi-directifs) des données chiffrées ainsi que des études et
tendances de marché issues de revues professionnelles.
Concernant le plan, nous nous intéresserons d’abord au rapprochement entre héros de
fiction et mythe, puis nous regarderons comment le héros peut exister en tant que marque
et ensuite de quelle manière on peut décliner cette marque sous licence. Enfin, nous nous
pencherons sur l’étude de cas, en développant les différentes utilisations possibles de la
licence, leurs implications managériales et structurelles ainsi que leur influence sociale.
10
II. Le héros : son mythe, sa marque et ses déclinaisons
a. Le héros et le mythe
i. Définition du héros par ses caractéristiques
Qu’est ce qu’un héros, qu’est ce qui le définit ?
Avant de répondre à cette question, il convient de préciser le type de héros dont on va
discuter tout au long de ce mémoire. Comme explicité dans l’introduction, il ne s’agira pas
de héros réels, au sens de personnes ayant existé, mais bien de héros de fiction,
attachés à une histoire, à un récit. En outre, les héros dont nous parlerons ont en
commun d’avoir vu leur popularité exploser une fois portés à l’écran, au cinéma, en série
TV/streaming, ou encore en jeu-vidéo ; toutes ces formes de divertissement populaire,
que l’on regroupe sous le terme d’Entertainment.
Le héros est un personnage un peu particulier, un moteur de l’histoire, par ses
interactions avec les autres personnages il fait progresser ou non le récit. Et il n’est pas
forcément héros unique de la trame narrative, nombre de figures peuvent se partager la
tête d’affiche. Qui est le véritable héros du Seigneur des Anneaux ? Que l’on parle des
livres de Tolkien ou des films de Peter Jackson, la réponse pourrait être Frodon, après
tout c’est avec lui que l’on commence le récit et c’est lui qui détruit l’Anneau maléfique.
Mais alors que faire d’Aragorn, rôdeur a priori quelconque qui embrasse sa destinée
d’héritier du trône, et qui donne son titre au dernier volet de la trilogie Le Retour du Roi.
Et pourquoi ne pas raisonner en termes de popularité : alors ce serait Gandalf, figure
emblématique du monde de Tolkien, présent également dans Le Hobbit (films comme
livre) en véritable incarnation de son univers, qui éclipserait les deux premiers héros cités.
L’interrogation peut être la même pour Star Wars, entre Anakin, Obi-Wan, Luke ou Leia.
Le héros ne se limite donc pas au personnage principal du récit, il peut tout à fait être un
personnage secondaire qui prend de l’épaisseur au fur et à mesure de la narration. Mais
qu’est-ce qui place le héros au-dessus d’un simple personnage ? Et qu’est-ce qu’Anakin
et Gandalf ont en commun ?
Le héros possède cette capacité à inspirer autrui. En cela, on peut le rapprocher de la
vision du charisme chez le sociologue Max Weber : « nous appellerons charisme la
qualité extraordinaire […] d’un personnage, qui est, pour ainsi dire, doué de forces ou de
11
caractères surnaturels ou surhumains ou tout au moins en dehors de la vie
quotidienne1 ». Ce seraient donc des caractéristiques supérieures à la moyenne,
fondements du charisme des héros, qui les distingueraient des autres personnages, et les
placeraient dans une position d’influencer ce(ux) qui les entoure(nt). Mais alors quelles
sont ces caractéristiques ? La citation de Weber nous donne quelques indices : les
capacités extraordinaires peuvent être physiques, mentales, même aller jusqu’à des
pouvoirs magiques, surhumains. Des supers-pouvoirs ?
Les univers Marvel et DC Comics sont les principales sources de super-héros. Chez DC
Comics, vous connaissez sans doute Superman, Batman, Flash ou Wonder Woman.
Chez Marvel, on retrouve par exemple Spider-Man, les Avengers (des héros comme Iron
Man, Hulk, Thor), ou encore les X-Men (Magneto, Wolverine pour les plus célèbres). Pour
permettre de s’y retrouver dans toute sa galerie de super-héros, Marvel a pris l’habitude
de classer et noter ses personnages en fonction de leur degré de maîtrise dans 6
différentes catégories : Intelligence, Force, Vitesse, Endurance, Décharge d’énergie et
Combat au corps-à-corps. Les notes vont de 1, pour une faible maîtrise, à 7, où vous
détenez le pouvoir maximum en la matière. Pour vous donner une idée selon ce barème,
Einstein obtiendrait entre 5/7 et 6/7 en Intelligence, le judoka Teddy Riner une note de 5/7
en Combat, et un haltérophile entre 3/7 et 4/7 en Force. Voici le barème en détails :
1 WEBER Max, Économie et Société Tome 1, Éditions Pocket, 1995, p. 353
12
Figure 1 : Comparaison en infographies des capacités des personnages Marvel (sélection extraite de LEONG Tim, Super Graphic, Chronicle Books, 2013, pp. 184-191)
13
La Figure 1 nous permet de comparer les points forts et points faibles des principaux
héros de l’écurie Marvel. Le barème utilisé nous donne une vision plutôt complète de ce
qui peut définir un héros. J’ajouterai cependant à ces critères une capacité qui n’est pas
prise en compte : la force mentale. (Le critère d’Intelligence proposé correspond plus aux
capacités cognitives). Le courage et la détermination sont souvent ce qui distingue le
héros du personnage lambda : il est capable de faire ce qui est nécessaire, ce que
personne d’autre n’osera entreprendre. Et c’est aussi une raison pour laquelle il sera
respecté, admiré ou jalousé. Frodon dans Le Seigneur des Anneaux ne dispose pas de
qualités physiques ou cognitives extraordinaires, ni même de pouvoirs magiques. À
première vue il n’a pas l’étoffe d’un héros. Mais, au fur et à mesure du récit, il se découvre
des ressources insoupçonnées, une volonté d’aller au bout des choses et de se dépasser,
et il entraîne les autres héros de l’histoire dans son sillage.
Ce qui nous amène à une autre remarque, il ne faut pas oublier que la Figure 1 montre
des super-héros au zénith de leur performance dans les critères retenus. Qu’importe
l’adaptation, que ce soit dans les livres, les comics, ou au cinéma, le héros développe ses
capacités au fil de l’histoire. Même s’il vient d’une autre planète comme Superman, ou s’il
est un dieu comme Thor, le héros a besoin de temps et d’entraînement pour maîtriser
l’ensemble de ses pouvoirs. C’est aussi le cas pour les Jedi dans Star Wars. Et c’est
encore plus vrai pour des super-héros humains comme Batman ou Iron Man, qui seraient
démunis sans le développement de leurs gadgets et de leur technologie.
Pourquoi ne pas faire de distinction entre les super-héros et les héros a priori plus
normaux du monde de Tolkien ou de Star Wars ?
Les super-héros ont des capacités poussées à l’extrême, souvent pour faire face à
des menaces qui le sont. Sherlock Holmes, Zorro ou James Bond sont des héros
humains, mais surtout leurs actes s’inscrivent dans une réalité et une temporalité
vraisemblables. (Comparez la technologie de James Bond à celle d’Iron Man !)
Les univers fantastiques de Tolkien ou de Star Wars n’ont pas ces limites. En Terre
du Milieu (Tolkien), les héros doivent faire face à des créatures monstrueuses, à
des forces magiques, ce qui cautionne des capacités exceptionnelles et des actes
de bravoure hors du commun. Outre la dimension spatio-temporelle éloignée, chez
les Jedi et leurs antagonistes les Sith (Star Wars), il est intéressant de noter que la
maîtrise des pouvoirs de la Force s’apparente beaucoup aux superpouvoirs
(vitesse, saut, télépathie, télékinésie, décharge d’énergie).
14
ii. Les (douze) travaux de Campbell : le Voyage du Héros
Joseph Campbell (1904-1987) est un professeur et essayiste américain renommé pour
ses travaux dans le domaine de la mythologie comparée. S’il est peu connu en France
(notamment en raison de la traduction tardive de ses œuvres), il a véritablement
« renouvelé l’interprétation des mythes pour des millions d’Américains1 ». Polyglotte et
grand voyageur, Campbell a analysé en profondeur les récits fondateurs de différentes
cultures voire civilisations, de différentes époques, de différentes régions du monde : la
mythologie gréco-romaine, égyptienne, nordique, les légendes arthuriennes, celles des
chamans de Sibérie, les contes perses, coréens et même les textes religieux chrétiens,
musulmans et hindous. Chez Campbell, le mythe est pris au sens large, c’est un récit
relaté par des hommes, pour des hommes. Dans son ouvrage The Hero with a Thousand
Faces (Le Héros aux mille et uns visages) publié en 1949, il expose sa théorie du Voyage
du Héros, connue également sous le nom de théorie du monomythe. Dans toutes les
histoires mythiques, Campbell décèle un scénario commun, une structure universelle qui
s’articule autour de la quête du héros. Analysant cette théorie, le philosophe Richard
Mèmeteau parle même du héros comme « seul lien entre des mythes qui peuvent être lus
séparément2 », même si selon moi ce n’est pas tant le personnage du héros, mais sa
progression au fil du récit qui est le vrai dénominateur commun dans l’esprit de Campbell.
1 AMANIEUX Laureline, « La puissance des mythes : les travaux du mythologue américain Joseph
Campbell (1904-1987) », Revue de littérature comparée 2013/2 (n° 346), p. 167 2 MÈMETEAU Richard, Pop-culture. Réflexions sur les industries du rêve et l'invention des identités, Zones,
2014, p. 92
15
Figure 2 : Le Voyage du Héros
La Figure 2 (le schéma comme le détail des étapes) est extraite du livre de Christopher
Vogler The Writer’s Journey (édition de 2007), qui a vulgarisé au sens mélioratif du terme
les travaux de Campbell. Il convient de préciser que « nombre de légendes isolent et
amplifient largement l'un ou l'autre des éléments typiques du cycle complet (thème de
l'épreuve, thème de la fuite […]) ; d'autres relient plusieurs cycles indépendants en un
seul (comme dans L'Odyssée). Des personnages et des épisodes appartenant à des
cycles différents peuvent fusionner ; ou bien un élément unique du cycle peut se
dédoubler pour réapparaître sous de multiples variantes.1 » Pour autant, malgré les
particularismes culturels et les siècles qui séparent la formulation des différents mythes,
une trame narrative universelle subsiste. Mais alors pourquoi les mythes, en conservant
leurs nuances, suivent-ils un schéma similaire ?
Le mythe est une histoire porteuse de messages, de croyances et qui a pour but d’être
transmise aux autres (générations). « Selon Campbell, le mythe répond à quatre
fonctions: la première fonction est métaphysique (nous réconcilier avec la vie, malgré sa
violence, sa brutalité […]), puis sa fonction est cosmique (représenter l’univers, […] le
mythe nous donne une expérience de ce mystère). De plus, sa fonction est sociologique
(nous donner des règles et des valeurs pour vivre ensemble en société en sachant que
ces valeurs évoluent avec les époques), et enfin le mythe possède une fonction
1 CAMPBELL Joseph, Le Héros aux mille et un visages, OXUS, 2010, p. 216
16
psychologique et pédagogique.1 » Et c’est sur cette dernière fonction que Campbell va
beaucoup insister, et c’est ce qui rend sa théorie très moderne. Le mythe a alors un rôle
de « formation des individus2 », fournissant des métaphores, des expériences de vie.
Joseph Campbell est un proche du psychanalyste C.G. Jung (il sera même son éditeur
aux États-Unis). Jung a conceptualisé les archétypes, ces images mentales,
représentations symboliques sous forme de situations, de figures que l’on retrouve dans
les rêves et les fantasmes de chacun, ainsi que dans les mythes. Les archétypes
proviennent en effet de l’inconscient, individuel ou collectif. Finalement le Voyage du
Héros se situe au niveau archétypal, il est le fruit de l’inconscient collectif, ce qui explique
les situations et les personnages qui reviennent dans des mythes a priori totalement
différents.
Suivant les étapes du Voyage du Héros, Campbell a aussi développé les archétypes de
personnages. L’Héraut appellera le héros à se lancer dans l’aventure (étape 2.) et à
quitter son monde ordinaire, venant rompre le quotidien tranquille. Le Mentor, le Guide
viendra conseiller le héros (étape 4.) jusqu’au premier seuil (étape 5.), où le Gardien lui
fera passer un test avant d’entrer dans le monde inconnu. Jusqu’à son retour dans le
monde ordinaire avec l’élixir (étape 12.), récompense récupérée après l’ordalie centrale
(étape 8, mi-chemin où le héros fait face à ses plus grandes peurs), le héros sera ralenti
par un ou plusieurs Antagoniste(s) (incarnations du Mal ou de la rivalité) et aura besoin
d’Allié(s). Interviendront aussi des Shapeshifters (des métamorphes) et des Tricksters
(soit des personnages comiques, soit des personnages rusés, malins, à la limite des
règles et de la morale comme Loki ou Rumpelstiltskin). Il n’est pas rare de voir un
personnage revêtir plusieurs archétypes.
Le héros a également son propre archétype, venant compléter notre définition donnée
précédemment en i). En progressant dans son Voyage, en surmontant les épreuves et en
affrontant le Mal, le personnage héroïque est un symbole positif autant que rassurant car
il sauve son monde, ramène l’équilibre. Vogler analysant les fonctions dramatiques du
héros3, rappelle que le terme vient du grec et signifie à l’origine « protéger et servir » : le
héros est ainsi celui qui a le sens du sacrifice. Il précise que l’aspect universel ne doit pas
empêcher le héros de développer des particularismes et des faiblesses, d’autant plus que
cela aide à le rendre attachant. Vogler rappelle enfin que notre appréciation de l’histoire et
les fonctions du mythe chères à Campbell passent par notre identification au(x) héros.
1 AMANIEUX Laureline, « La puissance des mythes : les travaux du mythologue américain Joseph
Campbell (1904-1987) », Revue de littérature comparée 2013/2 (n° 346), p. 173 2 MÈMETEAU Richard, Pop-culture. Réflexions sur les industries du rêve et l'invention des identités, Zones,
2014, p. 93 3 VOGLER Christopher, The Writer’s Journey Third Edition, Michael Wiese Productions, 2007, pp. 29-32
17
iii. Réinterprétation moderne des travaux de Campbell : quels
nouveaux mythes ?
Les travaux de Campbell ne sont pas restés dans l’anonymat. Le Voyage du Héros, outil
à la fois souple et pouvant toucher un grand public, a été repris par nombre de
scénaristes, notamment dans le cinéma hollywoodien. On va s’attacher dans cette partie
à relier la structure des mythes et les archétypes de Campbell aux histoires de nos héros
de fiction modernes.
D’abord, j’ai envie de savoir si le Voyage du Héros peut s’appliquer, au moins les
premières étapes, au début de l’histoire du Hobbit de 1937, au début du premier film Star
Wars de 1977, et à la genèse de Batman dans la trilogie des films de Nolan (2005). J’ai
volontairement pris des époques très éloignées, pour voir si comme pour les mythes, le
squelette narratif survit à l’épreuve du temps.
Dans le livre Le Hobbit de J.R.R. Tolkien paru en 1937, Bilbon est un hobbit (un semi-
homme) qui vit paisiblement dans son monde ordinaire (étape 1.) jusqu’à ce que l’Héraut,
le magicien Gandalf lui propose de prendre part à une aventure (étape 2.). Bilbon refuse
(étape 3.) prétextant que sa routine lui va très bien. Gandalf en décide autrement et
donne rendez-vous à treize nains chez le hobbit. Les treize nains, aidés de Gandalf,
veulent reconquérir leur foyer, le Mont Erebor, gardé par le dragon Smaug (Antagoniste).
Après avoir expliqué leur quête à Bilbon et que lui pourrait faire partie de l’aventure,
Bilbon refuse à nouveau (étape 3. bis). Le lendemain matin, alors que les nains sont
partis, Bilbon se remémore les paroles de Gandalf et finit par céder à l’appel de
l’aventure. Il rattrape la compagnie de nains guidée par Gandalf (étape 4.) et la quête peut
commencer. À noter que dans ce récit, Gandalf joue le double rôle Héraut et Guide. Dans
Le Seigneur des Anneaux (1954), Gandalf est dans un rôle quasi-similaire auprès du
neveu de Bilbon, Frodon, mais le magicien revêt en plus l’archétype du héros, puisqu’il se
sacrifiera plus tard dans l’histoire pour ses compagnons (lorsqu’il affronte le Balrog de la
Moria, un démon des profondeurs).
Dans Star Wars : Épisode IV – Un nouvel espoir de George Lucas (1977), le jeune Luke
Skywalker vit tranquillement une vie de fermier avec son oncle et sa tante (étape 1.)
jusqu’à ce qu’il découvre dans son robot R2-D2 un message de détresse sous forme
d’hologramme (étape 2.), de la princesse Leia (Héraut) capturée par Dark Vador
(Antagoniste). Le message est adressé à Obi-Wan Kenobi (dit Ben Kenobi). Luke
retrouve Obi-Wan qui lui révèle qu’il est un Jedi et lui propose de rejoindre la quête, Luke
refuse de quitter son monde (étape 3.). Retournant à la ferme, Luke découvre les corps
de son oncle et de sa tante calcinés par les sbires de Dark Vador qui avaient retracé le
18
message de détresse jusqu’à la ferme. Alors Luke décide de rejoindre Obi-Wan pour
sauver Leia et combattre ceux qui ont tué sa famille. Le vieil Obi-Wan (Mentor) formera
Luke aux arts Jedi (étape 4.). Vous pouvez retrouver la suite de l’analyse des étapes dans
les premières pages de The Writer’s Journey de Christopher Vogler.
Dans le premier volet de la trilogie de Christopher Nolan, Batman Begins (2005), on
assiste dans la première heure du film à la genèse du super-héros. On a même un cycle
complet de Voyage du Héros. Bruce Wayne, orphelin, est un étudiant dissipé qui n’a pas
encore de sens à sa vie (étape 1.). Il est aveuglé par le désir de venger ses parents tués
par un criminel. Son amie Rachel (Héraut) l’emmène dans les bas-fonds de la ville de
Gotham pour lui faire prendre conscience que la ville gangrénée par la criminalité a
besoin de gens qui font le bien autour d’eux et défendent la justice, comme son père
avant lui (étape 2.). Bruce, préférant la vengeance à la justice, n’assume pas l’héritage de
son père (étape 3.). Après avoir confronté le parrain de la pègre locale, Falcone
(Antagoniste), qui lui assure qu’il aura toujours peur des criminels tant que ce monde lui
sera inconnu, Bruce s’exile loin de tout, où il n’aura plus à assumer le nom de Wayne, et
devient lui-même un voleur et un clandestin. On retrouve Bruce dans une prison asiatique
où un homme mystérieux Ducard (Mentor) lui propose de rejoindre la Ligue des Ombres
et combattre les criminels (étape 4.). Arrivé au temple de la Ligue (étape 5.), Bruce est
accueilli de manière musclée par Ducard (Gardien du seuil). Après une série de tests et
d’entraînements ninjas (étape 6.), Bruce, sous l’emprise de psychotropes (étape 7.), doit
affronter sa plus grande peur : les chauves-souris (étape 8.). Mais ce n’était pas le test
final, pour être définitivement membre de la Ligue des Ombres, Bruce doit tuer un criminel
de sang-froid (étape 8. bis). Ducard et le chef de la Ligue Ra’s al Ghul (Antagoniste) lui
expliquent alors leur projet : détruire Gotham pour éradiquer la criminalité. Bruce refuse,
tue Ra’s al Ghul et met le feu au temple. Il sauve Ducard des flammes et se souviendra
de ses enseignements (étape 9.) : inspirer la crainte à ses ennemis (d’où la chauve-souris
comme symbole). Sur le chemin du retour (étape 10.), dans l’avion le ramenant à
Gotham, Bruce discute avec son majordome Alfred qui lui apprend qu’il a été déclaré
mort. C’est l’occasion de ressusciter (métaphoriquement et civilement) Bruce Wayne qui
assumera désormais le rôle de son père (étape 11.) et une double identité avec la
naissance du justicier Batman dont il fera profiter son monde ordinaire (étape 12.).
Maintenant, essayons de comprendre pourquoi on retrouve chez Tolkien les archétypes
des mythes. Concernant ses sources d’inspiration, Tolkien s’est beaucoup intéressé à la
mythologie nordique, particulièrement aux mythes germaniques, mais aussi aux légendes
arthuriennes et au folklore celte. Ce n’est donc pas étonnant de retrouver une histoire
avec des elfes et des trolls, des anneaux magiques, et surtout des similitudes
19
archétypales : un Aragorn proche du Roi Arthur, et un Gandalf à la croisée entre Merlin et
Odin (le dieu nordique) sous sa forme humaine : « un vieil homme à la barbe grise qui
porte un bâton et porte un capuchon ou un manteau (généralement bleu) et un chapeau à
large bords1 ». C’est exactement la représentation que l’on se fait de l’archétype du
Mentor/Guide. Tolkien compare lui-même Gandalf à cet Odin voyageur dans l’une de ses
lettres datant de 19462. De plus, n’oublions pas qu’à l’origine, J.R.R. Tolkien est un
philologue, qui a créé plusieurs langues et leur alphabet (notamment deux de manière
très développée : le quenya et le sindarin). Mais il n’imagine pas une langue sans son
propre peuple, sans sa propre histoire, sans background. C’est ainsi que nait la Terre du
Milieu et les peuples qui la composent (elfes, nains, hommes, orques). Les écrits de
Tolkien sont l’œuvre de toute une vie : il dresse des cartes de la Terre du Milieu, invente
une chronologie propre avec l’évolution des peuples et de leurs langues, et une genèse à
son univers. En fait, il crée toute une mythologie à partir d’une œuvre de fiction (ce que
l’on nomme alors une œuvre mythopoïétique). Le Hobbit et Le Seigneur des Anneaux
sont finalement les récits les plus célèbres de cette mythologie, comme l’Odyssée,
l’épopée des Argonautes ou la légende d’Hercule dans la mythologie grecque. À l’image
de ce que Campbell disait de l’Odyssée dans la partie ii), les légendes de Bilbon, Frodon,
Aragorn ou encore Gandalf sont autant de cycles de héros qui s’entrecroisent dans Le
Hobbit et Le Seigneur des Anneaux. Consciemment ou inconsciemment, en s’inspirant de
mythes existants et en érigeant son propre univers mythologique, Tolkien s’est rapproché
du Voyage du Héros.
Star Wars est également une œuvre mythopoïétique. George Lucas a élaboré une galaxie
toute entière, avec son histoire, ses planètes, ses langues et ses peuples. En 1977
cependant, l’univers n’est pas encore à ce point développé. Il s’avère que le jeune George
Lucas a été très influencé par Campbell, il a en effet étudié ses textes et cite
régulièrement Le Héros aux mille et un visages comme source d’inspiration majeure pour
Star Wars3. Lucas était si reconnaissant envers Campbell qu’il l’a invité à voir en avant-
première, sur les lieux de tournage du premier film, l’intégralité de la trilogie. C’est ce que
l’on apprend sur le site officiel starwars.com4 : « And so Campbell, along with his wife
Jean, came to Marin County north of San Francisco. It was on a Sunday when Lucas took
the Campbells to the recently finished Skywalker Ranch. Lucas remembered, “I showed
them one in the morning [A New Hope], and we had lunch. I showed another one in the
1 BURNS Marjorie, « Gandalf and Odin », Tolkien's Legendarium: Essays on the History of Middle-earth,
Greenwood, 2000, p. 220 2 TOLKIEN J.R.R., Lettres, Christian Bourgeois Éditeur, 2005, p. 119
3 HIDALGO, WALLACE et WINDHAM, Générations Star Wars : La Chronique illustrée de 30 ans d’aventures -
Nouvelle édition, Hors Collection, 2012, p. 41 4 Dans la news intitulée « Mythic Discovery Within The Inner Reaches Of Outer Space: Joseph Campbell
Meets George Lucas – Part I » de Lucas O. SEASTROM publiée le 22 octobre 2015
20
afternoon [The Empire Strikes Back], then we had dinner. Then I showed another one in
the evening [Return of the Jedi]. It was actually the first time anybody, I think, had ever
seen all three of them together at one time!” » Ainsi, quand Christopher Vogler analyse
dans The Writer’s Journey le premier film Star Wars de 1977, on se doute qu’il trouvera
les traces du Voyage du Héros et des archétypes de Campbell. J’ai volontairement tu la
profession de Vogler jusque là. Christopher Vogler est un consultant et analyste de
scénarios à Hollywood. Il a travaillé pour les studios Disney, la Twentieth Century Fox,
Warner Bros., Paramount, Dreamworks et Universal. Alors qu’il est membre du
département d'écriture des studios d’animation Disney au début des années 1990, il
rédige comme outil de travail un mémo de sept pages, une version simplifiée et
modernisée des travaux de Campbell (version que je vous ai présentée avec la Figure 2).
Devant le succès de sa méthode qui se répand dans Hollywood, il la développe et en fait
un livre : The Writer’s Journey. Vogler a travaillé dans l’équipe de scénaristes ou a été
consultant pour de nombreux films, pour citer les plus connus : Aladdin (1992), Le Roi
lion (1994), Hercule (1997), Mulan (1998), La Ligne rouge (1999), Fight Club (1999),
Fantasia 2000 (1999), Je suis une légende (2007), Hancock (2008), The Wrestler (2009),
Fighter (2011), Black Swan (2011) et Men in Black 3 (2012)1. À partir des écrits riches et
complexes de Campbell, Vogler a mis sur pied un puissant outil de storytelling qui a le
potentiel, grâce aux archétypes, de plaire à un public de masse. Tous les réalisateurs
n’ont pas eu la chance de rencontrer Joseph Campbell (comme George Lucas) ou de
l’avoir comme professeur (comme Brian De Palma2), Vogler a permis aux idées de
Campbell de se diffuser dans le monde cinématographique américain.
Attaquons-nous désormais aux super-héros Marvel et DC Comics. Il est difficile d’établir
un lien direct entre Campbell et les comics, ou entre leurs adaptations sur grand écran et
Vogler. On a vu que le Voyage du Héros fonctionnait très bien pour le début de la trilogie
Batman de Nolan, mais on ne va pas s’amuser à faire cette analyse pour tous les films.
Les créateurs des personnages de comics se sont régulièrement inspirés de héros, de
fiction ou de mythe, déjà existants. On peut citer Bob Kane qui reconnaît s’être inspiré de
Zorro pour son Batman3. On peut voir en Green Arrow un Robin des Bois contemporain.
La mythologie a aussi été une source de super-héros : les dieux nordiques Thor, Loki et
Odin sont présents dans les comics, ainsi que le royaume céleste d’Asgard, équivalent de
l’Olympe grec. En parlant de mythologie grecque, Wonder Woman est la fille de Zeus et
c’est l’une des guerrières amazones, elle a souvent comme ennemi un certain Arès.
1 http://www.actingstudio-masterclass.com/presentation.php
2 BLUMENFELD et VACHAUD, Brian de Palma : Entretiens avec Samuel Blumenfeld et Laurent Vachaud,
Calmann-Lévy, 2001, p. 169 3 PEARSON et URICCHIO, The Many lives of the Batman, Routledge, 1991, p. 6
21
Flash, le héros à la vitesse supersonique, a
quant à lui beaucoup ressemblé au dieu
messager Hermès à ses débuts dans les années
1940 (voir ci-contre1). Pour aller plus loin,
l’économiste et sociologue Jean-Philippe Zanco
voit même le super-héros comme « une forme
syncrétique du héros mythologique, du saint, du
prophète, revêtu de couleurs chamarrées.2 » En
d’autres termes, on se rapprocherait du héros de
récits fondateurs décrit par Campbell.
Umberto Eco s’est intéressé dès 1976 aux super-héros. Dans Le mythe de Superman3,
Eco décrit ce même Superman p.24 comme « une image symbolique », comme « le
héros positif » par excellence, incarnation de « puissance », ce qui fait immédiatement
écho à l’archétype du héros chez Campbell, développé à la fin de la partie ii). Le
philosophe italien reconnait même p.25 « l’indéniable connotation mythologique du
personnage », thèse étendue aux super-héros en général à partir de la p.35. En d’autres
termes, le personnage du super-héros a toutes les caractéristiques du héros de mythes.
Par contre selon Eco, la saga Superman ne peut pas accéder au statut de mythe, car
l’histoire d’un héros de roman, de BD ou de comics est toujours en évolution. Eco oppose
p.26 l’imprévisibilité du « feuilleton pour les masses », c’est-à-dire du roman ou des
comics dont l’histoire ne peut être figée (elle doit en effet se développer pour satisfaire la
logique commerciale), à la prévisibilité du mythe. Il s’appuie sur l’exemple de la légende
d’Hercule, dont la narration et la fin sont universellement connues du public. Je ferai deux
objections à ce développement d’Umberto Eco. Premièrement, sans doute que du point
de vue d’un européen aux racines gréco-latines, l’histoire d’Hercule semble plus connue
que celle de Superman. (Et encore je vous mets au défi de me citer les douze travaux
d’Hercule.) Mais qu’en est-il d’un américain ? Deuxièmement, depuis 40 ans, la notoriété
de Superman, de son origine, de son histoire a fortement progressé, grâce aux
adaptations cinématographiques telles la tétralogie de 1978 à 1987, Superman Returns
en 2006 et Man of Steel en 2013, sans oublier la série TV Smallville et tous les animés
dans lesquels Superman intervient. Il faut garder à l’esprit que les comics ont continué et
continuent de proposer les aventures de Superman, avec un schéma narratif qui se
1 Source de l’image : http://www.ailleurs.ch/wp-content/uploads/2014/04/Dossier-p%C3%A9dagogique-
Superman-Batman-Co...-mics-Cycle-2-copie.pdf 2 ZANCO Jean-Philippe, La société des super-héros. Économie, sociologie, politique, Ellipses, coll. « Culture
pop », 2012, p. 175 3 ECO Umberto, "Le mythe de Superman", In: Communications, 24, 1976, La bande dessinée et son discours,
sous la direction de Michel COVIN, Pierre FRESNAULT-DERUELLE et Bernard TOUSSAINT, pp. 24-40
22
répète et en repartant régulièrement de zéro (ce que l’on appelle des reboot). On a donc
une histoire de Superman qui, particulièrement depuis la fin des années 1970, est
devenue prévisible pour le public, et a pu toucher différentes générations. Elle est
comparable à un mythe, à l’origine chez les Grecs une tradition orale1, une histoire dont
on connaissait les grandes étapes mais à laquelle l’orateur pouvait ajouter des péripéties.
Et quand j’affirme que Superman est multi-générationnel, je ne suis pas le seul à le
penser. Je cite le professeur-chercheur en sciences de l’éducation Gilles Brougère : « la
richesse de Superman aujourd’hui, c’est de s’adresser toujours aux enfants et aux
adolescents grâce à un processus de renouvellement constant, mais aussi à ceux qui
l’ont rencontré avant, à travers des produits nostalgiques qui permettent de retrouver le
Superman de son enfance, mais aussi des produits comme les films capables de
s’adresser à l’ensemble des publics.2 » La « dimension générationnelle », comme la
nomme Brougère, de Superman s’applique également aux autres super-héros fortement
déclinés en produits dérivés (je pense particulièrement à Batman et Spider-Man), nous le
verrons dans la suite du mémoire.
Dans Le mythe de Superman, Umberto Eco apporte p.25 un dernier éclairage très
intéressant sur la fonction de la double identité chez les super-héros. Superman est un
archétype poussé à l’extrême : c’est un idéal, un modèle de perfection, il est le héros tout-
puissant. Comme beaucoup d’autres super-héros, ses pouvoirs sont hors normes. Mais
sous son identité civile, en tant que Clark Kent, il redevient un homme ordinaire, timide et
vulnérable, bref beaucoup plus accessible. La double identité permet l’identification au
super-héros, tout en faisant fantasmer le lecteur / spectateur : tout Clark Kent peut
devenir un Superman.
Dans l’introduction, on a vu que l’individu postmoderne avait besoin de nouveaux repères,
de nouveaux modèles, de nouveaux idéaux. Au cours de cette partie a), on a démontré
tout le potentiel mythologique des univers de Tolkien, de Star Wars, de Marvel et de DC
Comics. Si les évolutions des héros en question ne respectent pas toujours point par
point, étape par étape le Voyage du Héros, on a montré que les archétypes eux étaient
une constante. Cela confère à nos personnages une forme d’universalité ainsi que les
valeurs symboliques du héros positif, rassurant, une référence, une figure exemplaire à
laquelle l’individu postmoderne peut se rattacher. Reste à savoir si, et si oui comment, les
héros de la Terre du Milieu, de Star Wars, et les super-héros peuvent porter les mythes
d’aujourd’hui et même incarner les mythes de demain.
1 VERNANT Jean-Pierre, L’Univers, les Dieux, les Hommes, Éditions du Seuil, 1990, p. 12
2 BROUGERE Gilles, « Et si Superman n’était qu’un jeu ? », La ronde des jeux et des jouets, Autrement
« Mutations », 2008, p. 144
23
b. Le héros de fiction, une marque en puissance ?
i. Personnification de marque et storytelling
Avant de faire le rapprochement entre héros et marques, il nous faut définir le terme de
« marque ». Selon l’American Marketing Association (AMA), la marque est « un nom,
terme, signe, dessin ou toute combinaison de ces éléments servant à identifier les biens
ou services d’un vendeur ou d’un groupe de vendeurs et à le différencier des
concurrents ». Pour compléter, le Mercator1 ajoute que ces signes « influencent la
perception et le comportement des clients par un ensemble de représentations mentales,
et créent ainsi de la valeur pour l’entreprise. » Pour faire la synthèse, la marque est un
signe dans tous les sens du terme, elle est « à la fois un signifiant et un signifié2 ». La
marque est un signifiant à travers les éléments tangibles qui la composent (nom, logo,
etc.), lui permettant d’être reconnue et de se distinguer des autres (définition de l’AMA).
La marque est aussi un signifié car elle évoque du sens, du contenu, elle renvoie à des
dimensions fonctionnelles et symboliques (définition du Mercator). La marque est donc un
ensemble d’éléments tangibles, un « véhicule sensoriel3 », qui alimente des éléments
intangibles.
Pour la suite du mémoire, j’utiliserai l’expression « identité de marque » pour évoquer la
marque telle qu’elle est construite par l’entreprise, et celle d’ « image de marque » pour la
marque telle qu’elle est perçue par les consommateurs.
Après ces précisions théoriques, concentrons-nous sur la dimension symbolique de la
marque, ce qu’elle représente. Pour sa dimension symbolique, la marque va s’appuyer
sur des valeurs, dont nous discuterons dans la partie ii), mais aussi « sur des
caractéristiques de personnalité, sur des bénéfices émotionnels.4 » Quoi de mieux qu’un
héros pour jouer sur le registre émotionnel et donner de la personnalité à sa marque ?
Les marques de la grande consommation l’ont vite compris, en s’associant régulièrement
avec des stars (des sportifs pour les équipementiers, des top-modèles pour les
cosmétiques), en créant des personnages (Mr. Propre, Géant Vert) ou encore des
animaux (Tony le tigre des Frosties) pour incarner leur marque. On peut très bien choisir
des animaux normaux, comme le hérisson de Spontex, qui vont augmenter la cote de
1 LENDREVIE et LÉVY, Mercator 11
ème édition, Dunod, 2014, p. 800
2 LAI Chantal, La marque 2
ème édition, Dunod, 2009, p. 9
3 Ibid.
4 Ibid., p. 19
24
sympathie envers la marque, mais pour passer au stade supérieur dans l’attachement et
l’identification à la marque, on favorisera des créatures anthropomorphisées. Et ce ne
sont pas toujours des animaux, on retrouve même des produits anthropomorphisés
(M&M’s) voire des ingrédients de produit (les supposés fruits dans l’Oasis). On peut
distinguer deux grands types de personnification de marque1 : celle où la marque et le
personnage ne font qu’un, ce qui se retranscrit alors dans le nom de marque (Mr. Propre,
Géant Vert, et pour nos héros on citera Batman, Superman et Spider-Man, on verra dans
la suite du mémoire que ce sont des marques à part entière) et celle où le personnage est
plus le ou l’un des représentant(s) de la marque, voire sa mascotte (Tony des Frosties, et
pour nos héros de fiction Gandalf pour la Terre du Milieu ou Dark Vador pour Star Wars
sont des représentants iconiques). Les héros de fiction sont des incarnations naturelles
de leur univers, donc de leur marque, ce qui présente un avantage considérable. Il n’y a
pas de risque en termes d’image de marque, alors qu’en créant sa mascotte ou en
s’associant avec une personnalité on peut vite perdre en crédibilité. Février 2014,
souvenez-vous : LCL a voulu faire de Gad Elmaleh son porte-parole pensant profiter de la
popularité de l’humoriste et de son accessibilité (aux yeux du public). On ne devait pas
nécessairement s’identifier à Gad Elmaleh, mais plutôt lui faire confiance dans un rôle de
prescripteur. Dans les faits, le résultat fut plutôt inverse, l’accueil de la publicité par le
public étant glacial, et force est de constater que les images de marque des deux parties
s’en sont vues largement dégradées.
Justine Villeneuve de chez Ubisoft (3ème éditeur indépendant de jeux-vidéo au monde) voit
trois avantages à une marque incarnée par un héros2. « Le premier point fort, c’est
l’identification, la possibilité de se projeter dans un personnage. » Comme on l’avait vu
avec Umberto Eco, la double fonction du héros à la fois accessible et exemplaire, va se
transférer à la marque qu’il représente. Deuxièmement, le héros va faire profiter la
marque de son identité visuelle impactante (on traitera l’identité visuelle en iii). Et en
dernier lieu, Justine insiste sur l’histoire derrière les personnages, en prenant l’exemple
des fruits Oasis devenus une licence à part entière. Orange Présslé, Mangue Debol &
Cie, n’apparaissent pas seulement dans les publicités de la marque de boisson, ou sur
ses packagings, ils bénéficient également de leur mini-série sur YouTube. On y raconte
leurs aventures, leur histoire. Cela leur donne un background, « de la richesse et de la
profondeur3 », et participe à la dimension symbolique de la marque Oasis.
1 COHEN R.J., “Brand Personification: Introduction and Overview”, Psychology & Marketing, Vol. 31(1), Wiley
Periodical Inc., January 2014, pp. 3-8 2 Cf. interview en annexe
3 LAI Chantal, La marque 2
ème édition, Dunod, 2009, p. 19
25
En effet une fois attaché au personnage, le fait de le voir évoluer, se développer, renforce
le lien affectif. Les grandes enseignes aiment se servir de cet aspect narratif, notamment
en points de vente, et se rapprocher du mythe1. Ce qui est intéressant avec les héros de
fiction, c’est que leur contenu narratif, leur Voyage du Héros existe déjà, il suffit juste de le
mettre en scène. Contrairement au storytelling de certaines célébrités ou de certains
hommes politiques, qui peut paraître monté de toutes pièces, le storytelling des héros de
l’Entertainment a de son côté une forme de légitimité, d’authenticité. Ainsi, le héros et le
contenu narratif facilitent une des trois fonctions principales de la marque2, celle de
réduire le risque perçu. Le consommateur se retrouve en effet dans un univers rassurant,
en territoire connu, et non dans un storytelling factice.
Le héros incarnation de marque est capable de générer la personnalité, le caractère, et le
potentiel affectif (à travers le storytelling) de la dimension symbolique. Qu’en est-il du
dernier pilier de la dimension symbolique, les valeurs de marque ?
ii. Les valeurs
Dès qu’un héros est utilisé pour représenter une marque, les valeurs associées au
personnage l’accompagnent. On peut les diviser en quatre catégories : valeurs
archétypales, valeurs individuelles, valeur collective, valeurs morales et politiques.
valeurs archétypales :
C’est ce que nous avons démontré tout au long de la partie a), ce que nombre de héros
dans l’Entertainment ont en commun par leur affiliation au récit mythique et à l’archétype
du héros chez Campbell. On retrouve un héros à portée universelle, positif, rassurant,
triomphant du Mal et n’hésitant pas à se sacrifier pour sauver son monde et/ou ceux qui
lui sont chers.
Mais rappelez-vous, il existe d’autres archétypes dans le Voyage du Héros, le Mentor (ou
le Guide), l’Héraut, l’Allié ou encore le Trickster. Il n’est pas rare de voir un héros revêtir
des archétypes supplémentaires, cumulant ainsi ce qu’ils représentent. Par exemple,
Gandalf est principalement un Guide, mais on a vu en partie a)iii) que c’était aussi un
héros et un Héraut. J’ajouterai que c’est également un Allié (car un Guide/Mentor exclusif
1 DEBOS Franck, « L’intégration de la sémiotique et des figures de style dans la stratégie Marketing des
distributeurs et des fabricants : des marques « mythiques » aux points de vente, espaces de narration et de langage », Market Management, ESKA, 2007/1 (Vol. 7), pp. 28-38 2 Les deux autres fonctions sont la simplification (du processus d’achat) et la personnalisation (ou sentiment
d’appartenance) : LAI Chantal, La marque 2ème
édition, Dunod, 2009, pp. 22-23
26
n’accompagne pas le héros dans le monde inconnu, il s’arrête à l’étape du seuil). En tant
que héros, Gandalf est associé aux valeurs d’exemplarité et de sauveur universel, mais
en sa qualité de Guide/Mentor, il est aussi le sage, le prophète, en étant Héraut, il est le
porteur de changement, et en tant qu’Allié, il est un personnage fiable en qui on peut avoir
confiance. Gandalf représente la somme de toutes ces valeurs. Et ce n’est pas un cas
isolé, au début du Seigneur des Anneaux, Merry et Pippin sont des Alliés-Trickster
(Trickster au sens de comiques), au fur et à mesure de l’histoire ils deviennent eux-
mêmes des héros. Au même titre que Gandalf, ils véhiculent les valeurs liées aux
archétypes les concernant, aux rôles qu’ils jouent dans le récit.
valeurs individuelles :
Ce sont les valeurs qui sont propres à chaque héros car reposant sur la combinaison
unique de leurs capacités, de leurs pouvoirs (voir la Figure 1 pour les super-héros
Marvel). Hulk est associé à la puissance débridée, La Chose à la solidité, l’endurance, Le
Professeur X (rien à voir avec l’industrie pornographique) au génie, Flash à la vitesse
supersonique, et Frodon à la bravoure sans limite.
valeur collective :
Même les héros les plus solitaires comme Wolverine ou Batman sont affiliés à un groupe,
à une équipe. Face à une menace extrême, quand les qualités individuelles ne suffisent
plus, les héros s’allient autour d’une cause commune et génèrent une force collective
pour faire front. C’est ainsi que se forment les Avengers, la Justice League ou la
Communauté de l’Anneau (Seigneur des Anneaux). On retrouve souvent des liens de
sang ou d’amitié profonde pour créer le noyau dur de l’équipe. Typiquement chez Les
Quatres Fantastiques : La Chose est le meilleur ami de Mr Fantastique, qui est le mari de
La Femme Invisible, qui elle-même est la sœur de La Torche. Certaines sont moins des
équipes mais plus des institutions : le Conseil des Jedi (Star Wars), l’école du Professeur
X (qui forme les X-Men) ou puisqu’on a commencé à parler jeux-vidéo, la confrérie des
Assassins pour Assassin’s Creed. Les héros sont alors aussi représentants des valeurs,
du crédo de leur institution.
valeurs morales et politiques :
On ne juge pas uniquement un héros sur ses pouvoirs, sur la cause de son équipe, ou sur
le rôle qu’il joue dans l’histoire, on le juge aussi sur son comportement, comment il passe
les épreuves, comment il résout les conflits. La manière dont il fait est tout aussi
importante que ce qu’il fait. On a tendance à penser que le héros est foncièrement moral,
il incarnerait le respect, l’humilité, la liberté, la tolérance. Umberto Eco décrit ainsi
27
Superman comme « beau, humble, bon et serviable1 ». Mais je trouve cette description
caricaturale, les héros ont souvent trop confiance en eux, et ne se soucient pas forcément
des nombreux dommages collatéraux, humains et matériels (des bâtiments voire des
villes entières) qu’ils occasionnent. Regardons de plus près comment agissent les héros
de comics si, aux idéaux moraux, on adjoint des idéaux politiques :
Figure 3 : Mapping des super-héros et de leurs ennemis selon leurs valeurs politico-morales (LEONG Tim, Super Graphic, Chronicle Books, 2013, p. 50)
Sur cette Figure 3, l’axe vertical représente la relation du héros à l’ordre, au contrôle et à
la liberté d’autrui, en haut les plus fermes, les autoritaires, les égocentrés, au milieu les
plus démocratiques, en bas les plus libertaires, anarchistes voire chaotiques. L’axe
horizontal représente quant à lui le rapport du personnage à la société, au risque et au
changement : les conservateurs, les plus prudents et les moins tolérants à droite, les
moins intégrés à la société, les réformistes voire révolutionnaires à gauche.
1 ECO Umberto, « Le mythe de Superman », In: Communications, 24, 1976, p. 24
28
Il n’est donc pas étonnant de voir Green Arrow, le Robin des Bois des comics, incarner en
bas à gauche la liberté et la tolérance. Iron Man, génie et marchand d’armes milliardaire,
est logiquement dans le carré en haut à droite, se montrant régulièrement individualiste et
cynique. Batman est aussi dans ce même carré, il est obsédé par le fait de ramener
l’ordre et est considéré comme conservateur car il est très prudent, très réfléchi dans ses
actions. Les mutants Magneto (l’Antagoniste principal des X-Men) et Hulk sont sur un
même plan vertical, plutôt à gauche, car peu intégrés à la société, mais Magneto veut
imposer sa vision au monde d’où son placement chez les autoritaires, tandis que Hulk
amène le désordre partout où il passe. Pour terminer, le Joker, le super-vilain ennemi juré
de Batman, se trouve au coin du carré inférieur gauche, il aime en effet bouleverser la
société en semant le chaos.
Les univers de super-héros, de Tolkien ou de Star Wars sont-ils manichéens ?
Certes on retrouve systématiquement dans ces univers deux camps opposés, le
Bien affrontant le Mal : les super-héros contre les super-vilains, les Gens Libres
contre les partisans de Sauron, et les Jedi contre les Sith. Certains personnages
sont profondément bons (Yoda, Gandalf) et d’autres viscéralement mauvais
(L’Empereur Dark Sidious, Sauron). On a donc une structure narrative à base
manichéenne, dans la droite lignée des mythes.
Cependant, ces histoires sont bien plus complexes quand on s’y intéresse de plus
près et la frontière entre Bien et Mal pas si infranchissable que cela. Magneto est
d’abord un collaborateur du Professeur Xavier avant de se retourner contre les X-
Men, Jean Grey est d’abord une super-héroïne avant de devenir une Antagoniste.
Saruman est avant tout le chef des Istari (les magiciens envoyés en Terre du
Milieu), il est le Mentor de Gandalf, mais choisit le camp de Sauron. À l’image de
Catwoman, tantôt alliée, tantôt amante, tantôt ennemie de Batman, il y a aussi
beaucoup de personnages neutres ou mercenaires qui ne prennent parti pour
aucun camp (Sylverbarbe du Seigneur des Anneaux) ou alternent entre deux
suivant leur propre intérêt (Gollum). Enfin pour Star Wars, c’est dans l’ADN-même
de la saga que les héros les plus puissants soient tentés par le côté obscur. Le
comte Dooku est un ancien apprenti de Maître Yoda avant de devenir l’un des
leaders Sith. Mais l’exemple le plus célèbre est bien sûr Anakin / Dark Vador.
Anakin est l’élu de la prophétie, le Jedi censé ramener l’équilibre dans la galaxie.
Sombrant peu à peu dans la passion et la colère, il devient Dark Vador le bras armé
de l’Empereur. Héros déchu, il finira par obtenir la rédemption de son fils Luke…
29
iii. Identité visuelle
Le héros est capable de donner beaucoup de valeurs et de personnalité à sa marque.
Mais le consommateur n’est pas toujours conscient de cette dimension symbolique et ce
n’est pas ce qu’il va percevoir en premier de l’image de marque. C’est en fait l’identité
sensorielle qui constitue son premier contact avec la marque, et si elle retient son
attention, si elle est impactante, alors la dimension symbolique suivra. C’est l’adhésion
aux éléments tangibles de la marque, au signifiant, (au « véhicule sensoriel » de Chantal
Lai,) qui amène le consommateur vers les éléments intangibles, le signifié.
Des cinq sens, la vue est ce qui va être le plus sollicité dans la reconnaissance d’une
marque et sa différenciation par rapport aux autres. L’identité visuelle est ainsi primordiale
dans la construction des marques-héros.
Quelles sont les valeurs des personnages maléfiques ? Pourquoi les aimons-nous
tant ?
Sauron, Saruman, Dark Vador, Magneto, Lex Luthor, ou encore Le Joker ne
véhiculent certainement pas les mêmes valeurs que les héros. On ne peut pas dire
qu’ils brillent par leurs valeurs morales. Ils peuvent faire preuve de valeur collective,
ils sont en effet suffisamment machiavéliques pour s’allier à leurs homologues
(exemples : Suicide Squad, l’Ordre Sith), mais c’est souvent par pur intérêt, pour
une durée limitée et les trahisons sont nombreuses. Et il ne faut pas oublier que ce
sont des Antagonistes, leurs valeurs archétypales sont donc à l’opposée de celles
des héros, ils sont ainsi rarement positifs et rarement rassurants. Alors pourquoi au
lieu de les rejeter les trouve-t-on fascinants ?
D’abord, sur le plan des valeurs individuelles, des capacités intrinsèques, ils n’ont
souvent rien à envier aux héros du Bien, ils les surpassent même régulièrement, ce
qui leur confère un charisme certain. Ensuite, comme on a pu le constater, ils sont
nombreux, à l’image de Dark Vador, à avoir été ou à revenir du bon côté, une
complexité qui les rend plus humains. Enfin, ils jouent sur notre registre émotionnel
profond, par la passion, par la colère, par la violence dont ils font preuve, ils sont
l’expression des frustrations enfouies dans notre inconscient. En bref, ils ont une
fonction cathartique, comme la tragédie grecque chez Aristote. Les personnages
maléfiques sont l’incarnation de nos pulsions extrêmes et cela explique que l’on
puisse s’identifier à eux de temps en temps, ils sont complémentaires des héros.
30
le nom :
Élément essentiel de toute marque, comment le choisir ? Pour nos marques héroïques, il
y a quatre choix possibles. Première solution, utiliser tout simplement le nom du héros
principal : Batman, Superman, Spider-Man. Dans ce cas-là, il faut comprendre que sous
la marque Batman sont racontées ses aventures, la marque ne désigne donc pas que le
héros principal mais bien tout son univers (incluant les autres personnages de l’histoire
comme Robin, Catwoman, Le Joker, ainsi que leur environnement, la ville fictive de
Gotham). Deuxième possibilité, faire référence au héros mais sans le nommer, à l’aide
d’une métaphore ou d’une périphrase : Le Hobbit (désignant Bilbon), ou pour les jeux-
vidéo Prince of Persia ou encore Tomb Raider (Lara Croft). Troisième configuration, le
héros partage la tête d’affiche, on utilise le nom de l’équipe, de l’organisation, à laquelle il
est affilié : les Avengers, les X-Men, Assassin’s Creed. Quatrième et dernier choix
possible, on désigne un élément constant de l’univers (comme l’Antagoniste principal
Sauron pour Le Seigneur des Anneaux), voire même l’univers tout entier (Star Wars). Ici,
la référence directe ou indirecte au(x) héros disparaît. Cependant, on la retrouve dans les
sous-titres des différents volets : par exemples les Star Wars : Épisode IV – Un nouvel
espoir et Star Wars : Épisode VI – Le retour du Jedi font référence à Luke, Le Seigneur
des Anneaux : La Communauté de l’Anneau désigne le groupe des neuf héros principaux
(dont Gandalf, Aragorn et Frodon) tandis que Le Seigneur des Anneaux : Le Retour du
Roi indique la destinée d’Aragorn.
Pour sortir du lot et se différencier, le nom de marque a aussi besoin d’une typographie,
d’une charte graphique qui lui est propre, on appelle cela un « logo-titre ». Typiquement,
le logo-titre Star Wars va être répété sur tous les supports utilisant la marque. Mais cela
n’est pas systématiquement respecté pour d’autres marques, comme Spider-Man, où le
logo-titre dépend des adaptations et des nombreux reboot (pour rappel, un reboot
correspond à un redémarrage à zéro de l’histoire).
Figure 4 : Continuité du logo-titre Star Wars
31
De gauche à droite sur la Figure 4, on retrouve le DVD du dernier volet de la trilogie des
années 1980, l’excellent jeu-vidéo Star Wars : Knights of the Old Republic (2003),
l’intégrale (en livre) de la trilogie des années 2000 (Pocket Jeunesse, 2015), et l’affiche du
film à venir : l’épisode VII de la saga (2015). Malgré les années les séparant et la diversité
des supports, on remarque la typographie identique du logo-titre Star Wars, seule la
couleur varie. Je précise que le DVD de l’épisode VI est évidemment sorti en 2006, mais
l’affiche de 1983 (cf. annexes) présente déjà le logo-titre Star Wars (cependant il est bien
plus visible sur le DVD, d’où ce choix en miniature plutôt que l’affiche).
Figure 5 : Discontinuité du logo-titre Spider-Man
Sur la Figure 5 au contraire, on est frappé par les logos-titres Spider-Man très distincts les
uns des autres. En partant de la gauche, celui du jeu-vidéo de 2000 (repris des comics
d’origine) n’a rien à voir avec celui plus moderne du film de Sam Raimi (2002, le premier
opus d’une trilogie). En 2012, le reboot de l’homme-araignée au cinéma s’offre
logiquement un nouveau logo-titre (troisième image en partant de la gauche), cependant
différent de celui de la série TV animée sortie la même année sur la chaîne Disney XD
(dernière image à droite). Notons avec amusement la plongée similaire sur New-York
entre le jeu-vidéo de 2000 et l’affiche du film de 2002, ou encore la position dynamique
très ressemblante de l’affiche cinéma de 2012 et de la jaquette DVD du film de 2002 (cf.
annexes).
Pour les marques incarnées par des héros, le nom de marque est donc une donnée
relativement stable, mais pas le logo-titre. Continuons de chercher ce qui fait la constante
et la force de l’identité visuelle de ces marques.
le logo / emblème / symbole :
Les marques qui ne possèdent pas de logo-titre fort, emploient souvent un logo-emblème,
un écusson, un symbole design pour mieux les représenter. J’en ai déjà fait mention, il
32
existe trois types de super-héros : les humains (tirant leurs pouvoirs de leur entraînement,
de leur technologie, de leurs accessoires), les mutants (victimes de mutations génétiques,
des humains à l’origine) et les extraterrestres (des non-humains venus soit d’une autre
planète, soit d’un monde céleste imaginaire).
Superman est dans le dernier cas cité, il est originaire de la planète Krypton. L’Homme
d’acier comme il est communément surnommé, est un pionnier. Créé en 1938, doyen des
super-héros, il est aussi le premier à arborer sur son torse un emblème. Oui c’est bien
cela, le fameux « S » rouge sur fond jaune. Dans les comics d’origine, le S signifie tout
simplement Superman, mais au fil des adaptations, il a revêtu d’autres significations, il
serait le blason de la famille de Superman, représenterait un serpent guérisseur ou
encore signifierait « espoir » en langage kryptonien. Il est intéressant de noter qu’en 1938,
la silhouette de l’emblème ressemble beaucoup à un insigne de police, avant d’adopter
progressivement la forme diamantaire qu’on lui connaît (cf. annexes pour l’évolution).
Selon Gilles Brougère1, « c’est sans doute l’une des forces de Superman de se décliner
sous une forme qui ressemble étrangement à un logo, mais un logo qui n’est pas
simplement une étiquette […], mais le signe même du personnage. » Ce logo, cet
emblème, ce fameux S signature du super-héros de Krypton permet aujourd’hui de
« penser Superman à la fois comme un héros et une marque ». À la suite de l’Homme
d’acier, de nombreux personnages ont orné leur poitrine d’un emblème caractéristique, on
peut déjà citer Flash et Green Lantern, mais ils ne sont pas les seuls.
Chez les humains et les mutants, volontairement pour les uns, accidentellement pour les
autres, il n’est pas rare que le nom et les pouvoirs du héros soient liés à un animal :
Batman, Le Faucon, La Veuve noire, Spider-Man, Wolverine. (Si vous désirez une liste
plus exhaustive, avec les héros classés selon les animaux auxquels ils se rapportent,
allez jeter un coup d’œil aux annexes). On retrouve ainsi Batman, le Chevalier noir, qui
choisit comme symbole la chauve-souris pour inspirer la peur à ses ennemis et Spider-
Man, qui mordu par une araignée mutante, développe des capacités arachnéennes. À
l’image de Superman, Batman et Spider-Man vont porter sur le torse leur symbole fétiche,
(de fait leur animal,) qui deviendra leur emblème en tant que personnage et en tant que
marque.
On a vu cependant que certaines marques ne se définissaient pas par le nom de leur
héros, mais par le nom de l’équipe ou de l’organisation à laquelle le héros est affilié. Et il
se peut que le groupe ou l’institution en question ait déjà son propre logo. Alors cela
donne par exemple la marque-équipe Avengers, avec pour logo un A cerclé et muni d’une
flèche dynamique, tandis que la marque Assassin’s Creed va naturellement utiliser
1 BROUGERE Gilles, « Et si Superman n’était qu’un jeu ? », La ronde des jeux et des jouets, Autrement
« Mutations », 2008, p. 146
33
comme emblème le symbole de la confrérie des Assassins. Observez-le bien sur la droite
de la Figure 6, c’est en fait une version stylisée de l’Équerre et du Compas franc-
maçonnique (si vous avez déjà joué à Assassin’s Creed, cela ne vous étonnera pas).
Figure 6 : Quelques logos héroïques (les marques Batman, Superman, Spider-Man, Avengers et Assassin’s Creed)
Malgré tout, nous n’avons pas encore trouvé la véritable constante visuelle des marques
incarnées par des héros. En effet, tous les héros ne disposent pas de logos-emblèmes. Si
vous êtes attentifs, vous aurez remarqué que les logos de la Figure 6 sont volontairement
dénués de couleurs. Les couleurs, est-ce un début de réponse à notre interrogation ?
le costume, design et couleurs :
La tenue du héros, son costume, c’est la première image qui me vient à l’esprit lorsqu’on
m’évoque les marques dont il est question depuis le début de ce mémoire. Quand le
produit d’origine de la marque est un roman, le héros
acquiert son identité visuelle lors de son passage sur les
écrans, de cinéma ou de télévision. C’est à ce moment
précis que son style particulier, design comme couleurs,
est déterminé aux yeux de tous. Gandalf existe en tant que
héros de fiction depuis 1937 (première parution du Hobbit)
mais ne voit son identité visuelle fixée qu’au tout début du
XXIème siècle avec les films de Peter Jackson1. C’est bien
le Gandalf ci-contre, image tirée du film, que je retrouverai
sur les produits dérivés de la marque.
Quand le produit d’origine est un jeu-vidéo, le design du héros est d’abord confronté aux
limites des premiers moteurs graphiques. L’industrie vidéo-ludique est très jeune
comparée au cinéma ou à la télévision, et le passage de la 2D vers la 3D ne s’effectue
qu’à la fin des années 1990 (en suivant la progression des consoles de jeu). En l’espace
1 La première vraie apparition de Gandalf et des autres héros de la Terre du Milieu sur grand écran est en
réalité en 1978, dans le film d’animation Le Seigneur des Anneaux réalisé par Ralph Bakshi. Il n’a cependant pas eu le même retentissement et la même postérité que la trilogie de Peter Jackson débutée en 2001.
34
de dix ans, le design du Prince of Persia a passé cette épreuve avec brio, conservant la
coiffe bleue, la lame courbe et le bas blanc caractéristiques du personnage.
Figure 7 : Passage de la 2D à la 3D réussi pour le Prince of Persia (1993-1999-2003)
(Si vous trouvez le Prince of Persia de 2003 trop en armure par rapport à ses
prédécesseurs, sachez qu’il finit torse nu à la fin du jeu !) On peut aussi remarquer
l’évolution graphique avec de plus en plus de détails sur la tenue. L’amélioration des
détails graphiques est également continue chez la plus célèbre des héroïnes de jeux-
vidéo : Lara Croft (voir Figure 8). Depuis près de vingt ans, l’aventurière de Tomb Raider
a conservé les mêmes atouts visuels (tout en multipliant les pixels) : la coiffure, le top
moulant un corps sculptural, les mitaines, les deux pistolets, les boots et le mini-short1.
Figure 8 : Évolution graphique de Lara Croft (1996-2015)
1 Dans certains opus, Lara Croft opte (à mon grand regret) pour le pantalon. C’est notamment le cas depuis le
reboot de la série de jeux (c’est-à-dire depuis 2013). On peut y voir la volonté de se démarquer de l’ancienne série (comme dans tout reboot, souvenez-vous entre les films Spider-Man de 2002 et 2012) et aussi l’envie de moderniser l’image de Lara, moins femme-objet et plus héroïne de son temps.
© 2
01
4-2
015
Ped
ro-C
roft
35
L’une des forces de la marque Tomb Raider, c’est d’avoir gardé
constante l’identité visuelle de Lara Croft, même lors de son
passage au cinéma en 2001 et 2003, sous les traits d’Angelina
Jolie (voir ci-contre). Cela fait d’elle une héroïne extrêmement
reconnaissable et rend sa marque unique. Chez les Assassin’s
Creed, le héros avec lequel vous jouez n’est jamais le même
suivant l’opus, le principe du jeu étant de se réincarner en ses
ancêtres à différentes périodes marquantes de l’Histoire (comme
les Croisades, la Renaissance italienne, la Révolution française). Cependant, même dans
ce cas, on va aussi observer la volonté d’un design cohérent des costumes, véritables
marques de fabrique des Assassins, avec des éléments constants quelle que soit
l’époque concernée (voir ci-dessous la Figure 9). Les héros aux deux extrémités sont
même issus de produits dérivés (en l’occurrence les BD) mais maintiennent la cohérence.
Figure 9 : Filiation costumière des Assassins à travers l’Histoire1
Quand le produit d’origine est un comics, tout l’enjeu est de savoir si un dessin de plus de
50 ans est capable de survivre à l’épreuve du temps et aux déclinaisons des super-héros
sur les écrans. On a déjà eu une première réponse en observant la Figure 5, le design
général du costume de Spider-Man est toujours le même, ainsi que ses couleurs rouge et
bleu caractéristiques. Évidemment, il subit quelques modifications ça et là selon les
adaptations, mais elles sont minimes (plus de détails en annexes). Pour Flash, le héros
1 La Figure comprend les principaux héros des jeux-vidéo et BD Assassin’s Creed sortis avant 2014 ; source :
http://www.wallpapermade.com
36
courant à la vitesse de l’éclair, le costume a connu plus de changements entre les
décennies 1940 et 1950 qu’entre les décennies 1950 et 2000 ! La longévité du costume
super-héroïque dans les comics se transmet aussi sur petit ou grand écran, en témoigne,
pour Flash, la série TV éponyme débutée en 2014.
Figure 10 : Flash et son costume à travers des décennies de comics1 et la série TV de 2014
Spider-Man et Flash ne sont pas des cas isolés, les costumes définissent l’identité
visuelle des super-héros. Dernièrement cependant, lors des adaptations audiovisuelles de
leurs aventures, on constate un assombrissement des couleurs de leur tenue. C’est
particulièrement le cas chez les héros DC Comics, où l’on tente de camper des univers
plus sombres et plus adultes depuis une dizaine d’années (comparés aux comics). Le
Batman de la trilogie cinématographique de Christopher Nolan (2005-2012) ou dans la
série de jeux-vidéo Batman Arkham (2009-2015) est tout de noir vêtu, alors qu’il
mélangeait le noir, le gris clair et le jaune (sur son torse et au niveau de la ceinture) dans
les comics et les films jusqu’en 1995. Les costumes de Superman et de Wonder Woman
perdent également un peu de leurs couleurs vives ces derniers temps :
1 Source : giirlgonegeek.wordpress.com/2014/12/11/the-evolution-of-the-flash
© 2
01
5 T
he
CW
Net
wo
rk
37
Figure 11 : Assombrissement des costumes de Superman (1938-2013) et Wonder Woman (1942-2016)1
La Figure 11 permet d’observer que la version 2013 de Superman sur grand écran
possède les couleurs les plus foncées. On remarque la même dynamique pour Wonder
Woman. En effet, si la série TV de 1975 respectait au détail près le dessin du comic book,
l’apparition de l’héroïne amazone au cinéma dans le Batman vs. Superman prévu en
2016 devrait être moins colorée. (Notez que j’ai mis deux images pour illustrer la Wonder
Woman 2016 : à gauche la tenue présentée au Comic-Con 2015 à San Diego et à droite
l’un des posters officiels du film).
Concernant les couleurs, n’avez-vous jamais remarqué celles qui reviennent le plus
souvent sur les costumes de super-héros ? Ce sont en fait les trois couleurs primaires : le
rouge, le bleu et le jaune. Sur la Figure 12, nous retrouvons la proportion de couleurs sur
le costume de neuf héros, six de Marvel (Wolverine des X-Men, Spider-Man, Ant Man, et
les trois Avengers : Iron Man, Thor et Captain America) et trois de DC Comics (tous
membres de la Justice League : Wonder Woman, Flash et Superman). Résultats sur les
neuf super-héros : rouge 9/9, bleu 7/9 et jaune 6/9. Que représentent ces colorations ?
D’après le peintre Kandinsky2, le rouge symbolise la vitalité, la force, la puissance, la
couleur idéale des super-héros ! Le jaune est une couleur plus chaude, elle est l’énergie
pure, la lumière, la proximité, tandis que le bleu est une couleur plus froide, distanciée,
représentant le calme et l’ordre. Par opposition, les super-vilains optent quant à eux pour
les couleurs secondaires (cf. annexes), des mélanges, plus difficiles à obtenir et plus
instables. Le orange est un rouge qui a gagné en chaleur, une puissance non-maîtrisée,
irradiante. Le vert est associé aux superstitions, à la jalousie et à l’immaturité. Le violet est
un rouge refroidi, déshumanisé, magique, qui symbolise la crainte et la mélancolie.
1 Sources multiples : briff.me/2014/11/01 ; www.cinemablend.com ; moviepilot.com/posts/3359223
2 KANDINSKY Vassily, Du spirituel dans l'art, éd. Denoël, 1989, pp. 142-163
38
Figure 12 : Super-héros, costumes et couleurs primaires (sélection extraite de LEONG Tim, Super Graphic, Chronicle Books, 2013, pp. 8-9)
Pour l’anecdote, Iron Man n’a pas toujours porté son armure aux couleurs jaune et rouge
bordeaux. Il étrennait à ses débuts une armure grise métallisée plus conforme à son nom.
Ses créateurs ont-ils fini par lire Kandinsky ?
Quand le produit d’origine est un film, comme pour la saga Star Wars débutée en 1977, le
design des personnages est fixé depuis leur première apparition. Le look de Dark Vador
n’a ainsi pas beaucoup changé entre les deux trilogies. Celui de Maître Yoda non plus,
même s’il a profité des progrès techniques en matière d’effets spéciaux, pour passer de la
marionnette en latex à l’image de synthèse (dès l’épisode II de 2002). Les Jedi et les Sith
(les Jedi obscurs) ont un dress code particulier. Ils revêtent traditionnellement une robe de
bure, ce qui leur confère une allure monastique, et bien sûr ne se déplacent jamais sans
leur sabre laser. C’est en fait le code couleurs qui va différencier les Jedi des Sith. Les
représentants du côté obscur associent le noir de leur tenue au rouge de leur sabre laser.
D’après Kandinsky (et Stendhal), le rouge et le noir combinent puissance, passion, colère,
néant et mort. Observez sur la Figure 13 tout à droite le Seigneur Noir des Sith (alias Dark
Sidious alias l’Empereur) et ses trois apprentis : le Comte Dooku (alias Dark Tyranus),
Dark Maul avec son sabre laser double, et Dark Vador. Contrairement à ce que l’on
39
pourrait penser, le titre « Dark » ne fait pas référence à la couleur sombre de leur tenue,
mais est simplement la traduction française du « Darth » de la version originale. De leur
côté, les Jedi choisissent le brun et/ou le blanc cassé pour leur bure, et le vert ou le bleu
pour les sabres lasers. Le vert associé au blanc retrouve de la stabilité, leur association
symbolise la concentration, la sagesse, tandis que le brun apporte de la fermeté. Le sabre
laser vert est celui des Jedi Consulaires, qui se focalisent sur la maîtrise des pouvoirs de
la Force. Le sabre laser bleu est l’arme des Jedi Gardiens, les plus talentueux dans le
maniement du sabre. Sur la Figure 13 à gauche, vous retrouvez les Jedi les plus influents
des deux trilogies cinématographiques : de gauche à droite Maître Yoda, puis son
apprenti Qui-Gon Jinn, lui-même maître d’Obi-Wan Kenobi, qui initiera Luke Skywalker
aux arts Jedi. (Luke est ici représenté avec le sabre laser bleu de son père Anakin/Vador).
Figure 13 : Les principaux Jedi et Sith des deux trilogies de George Lucas (1977-2005)
le costume, armes et équipement :
À l’image des sabres lasers et des Jedi, les héros se caractérisent par leur(s) arme(s) de
prédilection. On l’a vu, pas de Lara Croft sans ses deux pistolets, et pas de Prince of
Persia sans sa lame courbe (et sa Dague du Temps à partir de la version Ubisoft de
2003). Les Assassins ont naturellement un équipement qui évolue en fonction des
époques (voir Figure 9) mais disposent toujours de lames secrètes (actionnées par un
mécanisme au niveau du poignet).
En Terre du Milieu, les armes ou objets magiques à qui l’on donne un nom sont légions.
En plus de son bâton de magicien, Gandalf ne porte pas Excalibur et l’Anneau des
Nibelungen mais l’épée Glamdring et l’anneau elfique Narya. Thorin, le héros nain du
© wallhaven.cc 2015.
40
Hobbit, combat avec l’épée Orcrist, Aragorn avec Anduril et
Bilbon avec l’épée nommée Dard, qu’il lèguera ensuite à son
neveu Frodon. L’Anneau Unique est l’objet phare de la
mythologie de Tolkien, il est devenu l’un de ses symboles (voir
ci-contre). Cet anneau empreint de maléfices a pour porteurs
successifs des héros comme des personnages néfastes : Sauron (créateur de l’Anneau),
Isildur (ancêtre d’Aragorn), Gollum, Bilbon, Frodon et Sam. C’est un outil à la disposition
de Bilbon dans Le Hobbit, il a une influence positive, alors qu’on découvre ensuite dans
Le Seigneur des Anneaux son potentiel envoûtant, objet de tentation et de corruption,
véritable prolongement de la volonté de Sauron.
Chez les super-héros, l’équipement fait partie intégrante du
design général et il arrive qu’une arme fétiche concentre les
pouvoirs du personnage : Green Lantern et son anneau (tiens
tiens), Green Arrow et son arc, et à moindre mesure Wonder
Woman et son lasso magique, ou Batman et tous ses
gadgets auxquels on ajoute le préfixe Bat- (comme la
Batmobile de la Figure 14). Pour les Avengers, que seraient
Thor sans son marteau, Iron Man sans son armure et Captain
America sans son bouclier étoilé (ci-contre) ?
Figure 14 : La Batmobile dans le jeu-vidéo Batman : Arkham Knight (2015)
le costume, cape et masque :
Qu’est ce que les super-héros ont en commun ? À cette question, les équipes de
Supergraphic ont trouvé trois éléments récurrents (cf. annexes pour l’infographie).
41
Déjà, beaucoup de super-héros sont orphelins. D’un point de vue narratif, c’est
doublement pratique. Le lecteur ou spectateur prendra en effet plus facilement fait et
cause pour un jeune enfant délaissé. De plus, avoir peu de proches permet au héros de
vivre sa double identité sans qu’on lui pose trop de questions. Ensuite, de nombreux
super-héros portent leur sous-vêtement par-dessus leur costume. Un détail qui, j’en
conviens, peut paraître ridicule. Je pense que c’est à l’origine pour mettre en valeur leurs
attributs, comme les combinaisons et les collants moulants (au-delà du fait que ce soit
recommandé pour faire des pirouettes de gymnaste) mettent en avant les muscles
saillants et les formes avantageuses des personnages. (D’ailleurs pour en revenir aux
sous-vêtements, il semblerait que cette mode n’ait pas résisté aux derniers passages sur
grand écran, en témoigne l’affiche de Batman vs. Superman de la Figure 11, où les trois
héros en sont dispensés). Enfin, une majorité de héros de comics possède des capes.
Les capes ont une fonction esthétique, elles donnent une prestance certaine. Dans mon
esprit, la cape est rattachée à la noblesse, à la chevalerie, ce qui est en adéquation avec
la définition du héros de Max Weber que l’on énonçait au tout début de ce mémoire : le
héros est un personnage placé au-dessus des autres, avec un statut particulier. Peut-être
est-ce visuellement ce que la cape représente dans l’élaboration du costume d’un héros.
Pour aller dans ce sens, les Assassins (Assassin’s Creed) ont des capes, les Jedi et les
Sith (Star Wars) ont des capes, et chacun des héros membres de la Communauté de
l’Anneau (Seigneur des Anneaux) arrivant devant la Reine Galadriel se voit offrir ... une
cape elfique.
Le masque est le dernier élément venant compléter le costume du héros. Il peut être un
simple masque sur les yeux (Green Lantern, Green Arrow, Robin), recouvrir toute la tête
comme une cagoule (Spider-Man, Flash) ou un casque (Dark Vador, Batman, Captain
America), et même prendre la forme d’autres couvre-chefs tels le chapeau de Gandalf ou
encore les capuches d’Aragorn, des Assassins et des Jedi. Le masque (pris au sens
large) a un rôle esthétique, il peut simplement prolonger le costume (Spider-Man) ou lui
donner un style unique (Dark Vador, Batman). Mais avant tout, le masque cache le visage
de son porteur, il entretient le mystère, il préserve la double identité du héros. Mettre ou
retirer son masque implique la transformation d’une identité à une autre. La plupart des
héros mettent leur masque pour passer de leur identité civile à leur identité héroïque, c’est
ainsi que Bruce Wayne et Peter Parker par exemples se changent en Batman et en
Spider-Man. La mécanique est similaire dans Assassin’s Creed, vous incarnez un civil
contemporain, un citoyen a priori lambda (Desmond Miles jusqu’à Assassin’s Creed III)
qui peut revivre les aventures de ses ancêtres grâce à une machine lisant son ADN. Ce
n’est qu’une fois encapuchonné dans la peau de ses ancêtres Assassins que Desmond
évolue en héros. Mais il existe aussi des personnages qui au contraire en ôtant leur
42
masque basculent vers une identité (encore plus) héroïque. Clark Kent enlevant ses
lunettes n’est plus le journaliste du Daily Planet, mais bien le super-héros de Krypton.
Anakin Skywalker se transforme définitivement en Dark Vador une fois le masque
caractéristique enfilé, son humanité s’effaçant derrière la machine. Mais lorsqu’il enlève
son masque à la fin de l’Épisode VI, il est pardonné par son fils et redevient le héros
Anakin. Dernier exemple : Gandalf (dit le Gris), après s’être sacrifié pour la Communauté1,
est ramené à la vie et est renommé Gandalf le Blanc. Gandalf abandonne alors son
chapeau et troque cheveux et barbe hirsutes contre une pilosité parfaitement entretenue.
Il change d’identité, visuelle et nominale, pour devenir le leader des Gens Libres2.
iv. Identité sonore
« L’identité sonore est devenue ces dernières années un pan assez incontournable de
l’identité sensorielle de marque.3 » On vient de voir que les héros avaient de nombreux
atouts visuels, mais ce n’est pas tout. Il semble difficile de reconnaître un personnage par
son goût, son odeur ou au toucher. Par contre, comme une marque a son jingle, le héros
peut disposer d’une identité sonore qui lui est propre. Que seraient les princesses Disney
sans leurs chansons ?
thème musical :
Pour la bande originale de leurs films, les studios hollywoodiens font confiance aux
compositeurs les plus réputés. Dans ce cercle restreint, on trouve John Williams (Les
Dents de la mer, le Superman de 1978, E.T. l’extra-terrestre, les trois premiers Harry
Potter, tous les films Star Wars et Indiana Jones), Howard Shore (trilogies Le Seigneur
des Anneaux et Le Hobbit), James Horner (Braveheart, Titanic, Avatar, The Amazing
Spider-Man), Hans Zimmer (Le Roi lion, Gladiator, Inception, la trilogie Batman de Nolan,
The Amazing Spider-Man 2, Man of Steel et Batman vs. Superman) ou encore Danny
Elfman (les deux Batman de Burton, Mission Impossible, les deux premiers Spider-Man
de Raimi, le Hulk de 2003, Avengers : L’ère d’Ultron, ainsi que les génériques de la série
TV Flash de 1990 et de la série animée Batman de 1992). Après ces longues listes, il faut
retenir que la musique des films (voire des séries) concernant les héros de ce mémoire
est tout simplement composée par les meilleurs.
1 Gandalf combat seul la créature démoniaque nommée Balrog pour laisser le temps aux autres héros de
s’enfuir, et meurt dans le duel. 2 Et des magiciens, double rôle que devait assumer le Mentor de Gandalf, Saruman, autrefois appelé
Saruman le Blanc avant qu’il ne choisisse le camp du Seigneur des Ténèbres. 3 LAI Chantal, La marque 2
ème édition, Dunod, 2009, p. 16
43
L’identité musicale du monde de Tolkien est entièrement créée par Howard Shore. Et on
entend ses thèmes musicaux dans tous les produits dérivés du Seigneur des Annneaux et
du Hobbit (pour peu que ces produits puissent avoir du son) ainsi que dans les jeux-
vidéos élargissant l’univers, jeux alors estampillés Terre du Milieu. Pour moi, la bande
originale du Seigneur des Anneaux est la plus complète jamais composée, elle
accompagne parfaitement les images et il existe des thèmes marquants pour chaque lieu
et chaque moment de l’histoire. Beaucoup d’entre eux sont d’ailleurs subtilement réutilisés
dans la trilogie du Hobbit, cependant, je ne vois pas réellement de thème attaché
directement à un héros1.
La bande-son de Star Wars est également incarnée par un seul homme, John Williams.
Au même titre que Le Seigneur des Annneaux, les morceaux de Williams apparaissent
dans tous les produits possibles de la marque, dans leur version originale ou bien en
version remasterisée. Vous connaissez sans doute la musique du générique baptisée
« Main Title » ou la fameuse « Cantina Band » de l’Épisode IV. Mais encore plus
intéressant, il existe des thèmes récurrents pour de nombreux personnages de la saga :
« Princess Leia’s Theme », « Yoda’s Theme », « General Grievous », « Emperor’s Throne
Room », « Rey’s Theme ». Si ces derniers morceaux ne vous disent rien, celui qui
accompagne chacun des pas de Dark Vador vous est forcément familier, « The Imperial
March » est encore plus célèbre que le générique. Comme l’indique son nom, il
représente à la base l’Empire et ses troupes implacables, mais a fini par devenir l’hymne
de Dark Vador.
Pour le trio des super-héros les plus adaptés à l’écran, les compositeurs sont multiples.
Côté Spider-Man, nous avons le choix entre les musiques de Danny Elfman (2002 et
2004), de James Horner (2012) et de Hans Zimmer (2014). Je vote Elfman pour la
longévité et la récurrence du thème principal (utilisé de 2002 à 2007 dans les trois films
de Sam Raimi). Pour Batman, il y a duel entre Elfman (1989 et 1992) et Zimmer (2005-
2012). Je pense que la bande originale toute entière de Zimmer l’emporte cette fois-ci,
plus rythmée, sombre et puissante, à l’image des films de Nolan. Notons que le duo
Zimmer pour la musique et Nolan pour le scénario revient pour proposer Man of Steel en
2013, (énième) reboot de l’histoire de Superman. Malgré tous ses efforts, Zimmer est ici
battu par le thème le plus connu pour un super-héros, celui composé par … John Williams
pour le Superman de 1978. Ce thème de générique a une longévité exceptionnelle
puisqu’il sera repris dans les trois films des années 1980 (les suites de celui de 1978),
1 À part celui associé à Sam : « Samwise The Brave ». Pourtant, les Nazgûl, les neuf Antagonistes s’opposant
aux neuf héros de la Communauté, ont leur propre thème dans Le Seigneur des Anneaux : « A Knife in The Dark ». Ajoutons que dans Le Hobbit, Azog l’ennemi juré de Thorin a de même un thème dédié : « The Defiler », et ce dernier est associé dans le film à un remix du thème des Nazgûl, comme pour montrer la
filiation maléfique entre les deux trilogies (écoutez donc : www.youtube.com/watch?v=HKwmFPUeB_Y).
44
dans le reboot de 2006 Superman Returns et même à la fin de la dernière saison de la
série TV Smallville quand Clark Kent devient enfin Superman1 (2011).
identité vocale :
Un thème musical est caractéristique de son héros à partir du moment où il dure sur le
long terme. C’est également le cas pour l’identité vocale. Au cinéma, la voix est liée à
l’acteur qui incarne le personnage. Or, on s’en est aperçu, les reboot sont si fréquents,
avec des réalisateurs ou des acteurs arrivant en fin de cycle ou simplement car le film ne
plaît pas au public, que garder une seule et même voix pour un héros est compliqué. La
preuve que cette continuité est essentielle cependant, pour les jeux-vidéo et les séries
animées dérivés directement de films, on tente de conserver les mêmes acteurs (ou les
mêmes doubleurs si c’est en français) pour doubler les mêmes personnages. Puisqu’on
en parle, l’avantage des séries/films d’animation et des jeux-vidéo c’est qu’on ne voit pas
les acteurs/doubleurs vieillir à l’écran, ils peuvent donc assurer une vraie longévité vocale
à leur personnage. C’est notamment le cas de Kevin Conroy et Mark Hamill (oui oui
l’acteur jouant Luke Skywalker) qui prêtent leur voix à Batman et au Joker dans presque
tous les animés (séries TV et films) et jeux-vidéo, depuis 1992 et la première série animée
de l’homme chauve-souris, jusqu’en 2015 et le dernier volet du jeu Batman Arkham. Les
doubleurs français tiennent aussi la distance, avec pour Batman Richard Darbois de 1992
à 2004, Adrien Antoine depuis, et Pierre Hatet pour le Joker de 1992 à 2015.
L’identité vocale ne se cantonne pas à la voix-même. La façon de s’exprimer du
personnage est tout aussi importante, et elle peut se transmettre entre différents
acteurs/doubleurs. Batman parle ainsi avec un ton grave, déterminé et rassurant, alors
que les interventions du Joker sont beaucoup plus irrégulières et ponctuées de son
célèbre rire. Jack Nicholson, Mark Hamill et Heath Ledger ont du travailler ce rire
spécifique pour le rôle, en suivant l’évolution du personnage (passant du clown au
psychopathe). Il est vrai que les rires à pleines dents font souvent leur effet chez les
Antagonistes. Je vais aller plus loin, je pense même que certains personnages, bons ou
mauvais, n’auraient pas eu le succès qu’on leur connait sans leur façon très spéciale de
s’exprimer. Gollum (du Seigneur des Anneaux et du Hobbit) est reconnaissable à sa voix
gutturale et à ses phrases ponctuées de « Mon Précieuuux » (qu’il utilise tantôt pour
désigner l’Anneau, tantôt pour se parler à lui-même). De plus en version originale, Gollum
parle un anglais rudimentaire et ajoute de nombreux « s » à la fin des mots (qui font
échos au « My Preciousss »). Ces allitérations en « s » ne sont pas sans rappelées les
sifflements des serpents Disney (Kaa du Livre de la Jungle et Triste Sire alias Persifleur
1 www.dailymotion.com/video/xjl5zi
45
de Robin des Bois), des personnages en qui on ne peut avoir confiance. Dans Star Wars,
le général Grievous (commandant cyborg des armées droïdes) a une respiration difficile,
parle de manière étouffée et tousse régulièrement, ce qui lui donne de la personnalité.
Autre cyborg à la respiration tellement caractéristique : Dark Vador, dont les inspirations
et expirations s’apparentent à celles en plongée sous-marine, et s’ajoutent à sa voix
métallique spécifique. Pour finir, comment ne pas se pencher sur Maître Yoda ? Le petit
humanoïde vert a une manière de parler bien à lui. Il bouleverse en effet la syntaxe de
ses phrases en plaçant quasi systématiquement le sujet et le verbe en dernières
positions. Cette originalité syntaxique fait partie de son identité, et est assurément l’une
des composantes principales de sa popularité.
On a vu dans cette partie b) que les héros de fiction ont un indéniable potentiel en tant
que marques. Ils disposent en effet d’une identité sensorielle forte car constante sur la
durée. Celle-ci repose en grande partie sur l’atout visuel numéro un du héros : le costume
(propre à chaque héros de par son design, sa combinaison de couleurs et ses
accessoires). À cela peuvent s’ajouter, en fonction des personnages, un logo-titre, un
logo-emblème, un thème musical et/ou une identité vocale caractéristique. L’identité
sensorielle du héros de fiction lui permet de transmettre facilement au public les valeurs
qui lui sont associées, piliers de la dimension symbolique de marque. De plus, le héros de
fiction personnifie naturellement sa marque et lui apporte à travers ses aventures un
solide background en termes de storytelling.
Si les héros de fiction, particulièrement grâce à leurs passages sur les écrans, ont toutes
les qualités requises pour être des marques, cela ne signifie pas forcément qu’une
marque à leur nom va être développée. Gandalf et Iron Man par exemples ne sont pas
des marques en tant que telles. Le magicien au chapeau est soit englobé dans une
marque relatant ses aventures (Le Hobbit, Le Seigneur des Anneaux), soit dans une
marque représentant son univers (Terre du Milieu). Le milliardaire en armure quant à lui
est inclus dans la marque de son équipe de super-héros (Les Avengers). Gandalf et Iron
Man n’en restent pas moins les figures de proue, les incarnations de leur marque, bien
qu’ils partagent la tête d’affiche avec d’autres héros. Ils font en quelque sorte partie d’une
marque à héros multiples, contrairement à Superman ou Spider-Man, qui sont des
marques à héros unique. Mais qui décide alors que Superman et Spider-Man auront leur
propre marque, tandis que Gandalf et Iron Man resteront associés à des marques plus
larges ? Quelles sont les logiques marketing et business derrière ces choix stratégiques ?
46
c. De la marque à la franchise : succès de masse à l’écran,
licence et sérialisation
Lorsque l’on interroge les professionnels de l’Entertainment, la marque est un thème
récurrent. Pour autant, on lui préfère souvent le terme de franchise. Que veut dire
« franchise » dans le milieu du divertissement populaire ? J’ai posé la question à Ugo
Noury, Brand Manager chez Walt Disney France (cf. interview en annexes). (On verra par
la suite que Disney est bien plus impliqué que ce que l’on pourrait croire dans le
Marketing des héros de ce mémoire). Voici la définition donnée : « ce que l’on nomme
franchise, c’est une marque à laquelle on attribue un fort potentiel business,
essentiellement en termes de produits dérivés. » Pour mieux comprendre l’évolution d’une
marque en franchise, il faut donc s’intéresser aux produits dérivés.
Un produit dérivé est en fait un produit sous licence (appelé dérivé car il s’éloigne de la
fonction première de la marque)1. Le licensing, le fait d’utiliser des produits sous licence,
est défini plus précisément comme « l’action d’un licencieur (ayant droit) qui cède
légalement (par un contrat de licence) une licence (propriété) à un licencié (acheteur du
droit d’exploitation commerciale de la propriété), moyennant des royalties (pourcentage
des ventes).2 » Le licensing recouvre finalement « toute utilisation de marques, logos,
symboles, dessins, images, personnes sous licence3 ». Il ne faut bien sûr pas occulter le
fondement juridique de la licence, son contrat4. Pour schématiser, « le contrat de licence
comporte deux parties principales, l’ayant droit et le licencié, auxquelles peut s’ajouter un
agent représentant les intérêts de l’ayant droit5 » :
Figure 15 : Les différentes parties dans un contrat de licence6
1 WARIN et TUBIANA, Marques sous licence : Les acheter – Les vendre – Les gérer, Éditions d’Organisation,
2003, p. 2 2 Ibid.
3 VIOT Catherine, Le capital marque : concept, mesure et valorisation, e-thèque, 2004, p. 101
4 « Le contrat de licence de marque est celui par lequel le titulaire d’une marque confère à un tiers le droit
d’apposer sa marque sur ses propres produits et d’en faire un usage commercial. » (Chavanne et Burst, 1998) D’ailleurs en matière de droit, la franchise est une forme de licence particulière, qui demande plus d’implication aux deux parties. 5 VIOT Catherine, Le capital marque : concept, mesure et valorisation, e-thèque, 2004, p. 102
6 Source : Ibid.
47
Les opérations promotionnelles reposent sur des contrats de même nature, mais plus
temporaires, alors que le licensing classique s’apparente à des contrats d’au moins trois
ans1. Outre l’aspect juridique, le licensing est devenu une technique marketing à part
entière, une forme évoluée de l’extension de marque. Le professeur d’HEC Jean-Noël
Kapferer, spécialiste du Brand Management, reconnaît même le licensing comme « un
outil de développement de la compétitivité des marques2 ».
On vient de voir que la franchise est intimement liée au licensing, au développement de
produits dérivés. Comment les marques de héros de fiction accèdent-elles au rang de
franchises ?
i. Le cinéma : vecteur privilégié pour (re)lancer la franchise
Si vous pensez que les héros de fiction constituent une frange minoritaire sur le marché
du licensing, il n’en est rien. Bien au contraire, en France, ils représentent 60% des
licences3.
Pourquoi le cinéma est-il le média idéal pour que les héros prennent leur envol et portent
leur franchise ? Historiquement déjà, il faut se tourner vers les États-Unis de l’entre-deux-
guerres pour trouver la première licence reconnue. C’est bien un héros de cinéma, de
dessins animés plus précisément, qui le premier dès 1928, sera cédé sous forme de
licence à un papetier4. Le nom de ce personnage ? Un certain Mickey Mouse. Ce qui est
très intéressant, c’est que les courts-métrages relatant les aventures de Mickey sont
précurseurs en matière de synchronisation de l’image et du son. Comme on l’a vu
précédemment dans la partie II)b), le héros en tant que marque a besoin que ses identités
visuelle et sonore soient mises en avant. La radio ne propose que le son, les comics
seulement l’image. À l’époque, le cinéma est le seul média capable de relayer les deux à
la fois, bien avant la télévision.
Cependant, le cinéma n’est pas encore l’industrie structurée telle qu’on la connait
désormais, il n’est pas encore devenu ce média de masse. Les projections des courts-
métrages Mickey sont cantonnées à des salles de théâtre. On ne cible alors pas un public
très large, particulièrement en termes de catégories socioprofessionnelles, et le
rayonnement de ces films n’est pas aussi international que peuvent l’être les productions
1 VIOT Catherine, Le capital marque : concept, mesure et valorisation, e-thèque, 2004, pp. 102-105
2 Préface de WARIN et TUBIANA, Marques sous licence : Les acheter – Les vendre – Les gérer, Éditions
d’Organisation, 2003 3 VIOT Catherine, Le capital marque : concept, mesure et valorisation, e-thèque, 2004, p. 101
4 WARIN et TUBIANA, Marques sous licence : Les acheter – Les vendre – Les gérer, Éditions d’Organisation,
2003, p. 2
48
hollywoodiennes de nos jours. De la fin des années 1930 au début des années 1950 en
revanche, il existe aux États-Unis, puis en Europe, un média capable de jouer ce rôle de
diffuseur pour la masse : le comic book. On appelle cette époque l’âge d’or des comics.
C’est en effet la naissance des deux écuries concurrentes Marvel et DC Comics, et de
nombre de leurs personnages iconiques (Superman, Batman, Wonder Woman, Captain
America), mais c’est aussi l’internationalisation croissante du secteur, symbolisée par le
Journal de Mickey (publié en France dès 1934). Gilles Brougère qualifie les comics de
premiers supports de « la culture enfantine de masse1 ». Leur succès s’explique
notamment par leur accessibilité en termes de prix, permettant une véritable
autonomisation de l’acte d’achat par l’enfant (sans passer par ses parents). Dans le
même passage2, Brougère nous apprend autre chose : dans l’un des premiers numéros
de Superman (en 1940), le journaliste Clark Kent (qui est l’identité civile de Superman) et
son rédacteur en chef rencontrent le prétendu manager de Superman. S’en suit une
discussion visionnaire où le faux manager propose de développer la licence Superman,
sous forme de produits dérivés classiques, d’opérations promotionnelles, mais aussi
d’adaptations radiophoniques, cinématographiques et même, comble de la mise en
abyme, en bandes dessinées. Moralité : les créateurs de comics étaient tout à fait
conscients du potentiel business, du potentiel licensing de leurs héros. Et toutes les
adaptations dont ils anticipaient le succès ont vu le jour. Mais pourquoi a-t-il fallu attendre
les films Superman des années 1980 pour voir l’explosion des produits dérivés ? Qu’est-
ce qu’ils manquaient aux éditeurs de comics pour exploiter pleinement le filon
Superman ?
J’ai posé ces questions à Justine Rochereuil (cf. interview en annexes), qui a travaillé
chez Warner (on verra par la suite quelles franchises se cachent derrière ce géant de
l’Entertainment). Voici sa réponse : « c’est avant tout une explication économique, les
frais engagés pour faire une BD sont bien moindres que les moyens financiers
nécessaires pour monter un film de super-héros (frais de production, effets spéciaux,
campagne marketing). Et dans ton business model, tu as besoin de retours sur
investissement d’autant plus importants. Ce qui implique la nécessité d’exploiter au mieux
sa marque et trouver des revenus complémentaires, d’où le licensing et les produits
dérivés. Cela nous ramène au 1er blockbuster de l’histoire du cinéma Les Dents de la Mer
(1975). Le patron d’Universal Pictures veut faire de ce film à gros budget un produit
rentable. Pour s’assurer d’un box-office maximum, il va, et c’est du jamais vu, faire parler
du film avant sa sortie, le faire connaître à travers des spots de publicité à la télévision.
1 BROUGERE Gilles, « Et si Superman n’était qu’un jeu ? », La ronde des jeux et des jouets, Autrement
« Mutations », 2008, p. 144 2 Ibid., pp. 140-143
49
C’est la première fois qu’un film est considéré comme une marque et qu’une campagne
marketing va lui être dédiée, avec le succès que l’on connaît. » En d’autres termes, c’est
l’avènement des blockbusters hollywoodiens, de ces films grand public et à gros budgets,
en constante inflation, et ce à toutes les strates de l’industrie cinématographique, qui a
entraîné le besoin urgent d’une nouvelle source d’importants revenus, et donc le
développement accéléré de la licence. Alors qu’est-ce qu’ils manquaient aux éditeurs de
comics ? Les moyens financiers et la nécessité du retour sur investissement.
Pour trouver les premiers produits dérivés intégrés au business model, autrement dit la
première véritable franchise cinématographique, il faut avancer de deux ans après Les
Dents de la Mer, précisément en 1977, année de sortie d’un certain Star Wars. On sait
que George Lucas avait la main sur les films, ce que l’on sait moins, c’est qu’il avait
également la main sur les produits dérivés. Il eut la bonne idée de prendre le contrôle total
de la franchise Star Wars, le produit principal comme les produits connexes1. Et bien lui
en a pris. « Star Wars n’a pas seulement démontré que les films pour la jeunesse étaient
en mesure de toucher un public dans le monde entier, mais aussi que la vente de produits
sous licence associés à ces films pouvait les rendre fabuleusement lucratifs.2 » Résultat :
plus d’un milliard de dollars de ventes de figurines Dark Vador, de robots R2-D2 et autres
chasseurs TIE3. Les produits dérivés plus complexes, comme les romans et les jeux-vidéo
complétant l’histoire des films, ont mis plus de temps à percer (plutôt dans les années
1990)4.
Les produits dérivés sont là pour prolonger l’expérience après le film, ou mieux, entre
deux films. Car c’est aussi l’une des constantes du cinéma contemporain, la volonté de
sérialiser, d’étendre le succès de l’univers et de ses personnages sur le long terme. Alors
les franchises de héros sortent avec des suites déjà annoncées, et les trilogies se
multiplient. Quitte parfois à étirer le contenu : le dernier livre Harry Potter adapté en deux
films (2010 et 2011), le livre du Hobbit en une trilogie (2012-2014). Cette tendance est
d’ailleurs directement héritée du monde de l’édition, ces romans-feuilletons qui
paraissaient à la fin des magazines et dont on devait attendre le prochain numéro pour
avoir la suite de l’histoire.
Alors, pourquoi le cinéma est-il le tremplin idéal des franchises héroïques ? On peut y voir
trois axes explicatifs. D’abord pour des raisons historiques, le cinéma est le premier à
1 CHEVALDONNE et LAFRANCE, « BD, dessins animés et jeux vidéo, même combat ! », Hermès,
La Revue 2009/2 (n° 54), p. 110 2 BOTTERILL et KLINE, « Médias et Marketing des jeux et des jouets », La ronde des jeux et des jouets,
Autrement « Mutations », 2008, pp. 125-126 3 Ibid., p. 125
4 CHEVALDONNE et LAFRANCE, « BD, dessins animés et jeux vidéo, même combat ! », Hermès,
La Revue 2009/2 (n° 54), p. 110
50
avoir utilisé la licence pour qu’un personnage s’incarne sur un autre support, et est
également pionnier en matière de développement de produits dérivés intégré au business
model. Des pratiques ancrées dans l’ADN de l’industrie cinématographique, et qui sont
toujours d’actualité. Ensuite par sa nature, le septième art est capable de relayer les
identités visuelle et sonore du héros, le tout sous forme d’expérience immersive dans les
salles obscures. De plus, le cinéma est devenu un média de masse, capable de toucher
un public large et international, et il se prête parfaitement à la sérialisation, permettant à
l’image de marque de perdurer et pour ainsi dire de marquer les esprits. Enfin, le dernier
axe explicatif est économique, les budgets pharaoniques investis pour faire un film
blockbuster ont pour conséquence une campagne marketing et un licensing tous azimuts.
ii. Produit d’origine – Produit d’appel – Produits dérivés,
la circulation permanente
La franchise s’appuie sur des sorties produits pour exister. Elle bâtit son succès sur le
triptyque : produit d’origine – produit d’appel – produits dérivés. Le produit d’origine est
celui par lequel naît l’univers, et souvent dans lequel apparait le héros (ou les héros) pour
la première fois. Ce sera un certain numéro de comics pour les super-héros, le film de
1977 pour Star Wars, un roman pour Tolkien et un jeu-vidéo pour Lara Croft. Mais ce
produit originel peut être resté trop confidentiel ou trop marginal, ou encore être trop
ancien. Un produit d’appel est alors nécessaire pour faire connaître le personnage et son
histoire au grand public. Le produit d’appel a pour rôle de lancer ou relancer la franchise.
Une sortie de film au cinéma paraît tout indiquée pour jouer ce rôle, comme on l’a
démontré dans la partie précédente. L’économiste Laurent Creton va également dans ce
sens : « le cinéma a de plus en plus un statut de produit d’appel, et la salle une vocation
de vitrine, de système promotionnel pour une valorisation marchande qui s’effectue pour
l’essentiel sur d’autres supports.1 » Il ajoute que la projection (d’un film au) cinéma se
résumerait presque « à la création d’un capital symbolique et de notoriété destiné à se
rentabiliser tout au long d’une chaîne de valorisation sur de nombreux supports2 ». Les
nombreux supports auxquels Creton fait référence ne sont autres que les déclinaisons
sous licence du produit d’appel, autrement dit les produits dérivés.
1 CRETON Laurent, « Modes de consommation et enjeux de la diffusion », dans Le Cinéma dans la cité, Kiron
Espace / Éditions du Félin, 2001, p. 77 2 Ibid.
51
Figure 16 : Les trois piliers d’une franchise
Les trois catégories de produit qui forment la base de la franchise ne sont pas immuables.
Si le produit d’origine restera a priori toujours le même, les produits d’appel et dérivés
sont voués à changer en fonction de l’époque, à être remplacés par d’autres une fois leur
cycle de vie terminé, si l’on veut que la franchise perdure. En fait, les termes de piliers
sont volontairement trompeurs, triptyque semble une dénomination plus appropriée, car la
franchise est loin d’être statique. À maturité, une franchise à succès n’est plus seulement
définie par son produit d’origine (n’en déplaise aux fans intégristes), elle ne l’est pas non
plus par son produit d’appel ni uniquement par ses produits dérivés, mais bien par
l’ensemble de ceux-ci. La franchise n’est pas statique non, elle est la circulation
permanente, le mouvement perpétuel entre ses produits, qui s’inspirent et s’influencent
les uns les autres. Le rôle de l’ayant droit est alors d’insuffler la dynamique, et pour
garantir cette circulation, en véritable moteur du mouvement perpétuel, il utilisera le
licensing, qui permettra les adaptations d’un produit vers un autre.
Notre professeur en sciences de l’éducation préféré, Gilles Brougère, s’est penché sur la
franchise phénomène de ces vingt dernières années : Pokémon1. Vous aussi vous
pensiez que c’était passé de mode ? Pas du tout, la franchise japonaise est encore
vivace. Une étude réalisée (en France) en avril 2014 auprès de 300 enfants entre 7 et 14
ans donne ce résultat étonnant : à la question « que collectionnes-tu ? », 15% des enfants
répondent les cartes Pokémon. La franchise de Pikachu arrive largement en tête, avec
près du double du score des Lego (7%) et le triple de celui des Playmobil (5%)2 !
Brougère donc, raconte ainsi les premiers pas et exploitations de la licence Pokémon :
« C’est avant tout un jeu-vidéo développé pour la console portable Game Boy, ayant
1 BROUGERE Gilles, « La ronde de la culture enfantine de masse », La ronde des jeux et des jouets,
Autrement « Mutations », 2008, pp. 5-20 2 Baromètre Kids & Teens’ Mirror© de Junior City, issu de l’article « La collection fait recette », paru dans La
Revue du jouet, n°483, octobre 2014, p. 8
52
rencontré un succès inattendu. Très vite, la danse folle a commencé : série télévisée,
premier film suivi de huit autres, jeu de cartes à collectionner vendu dans le monde entier,
puis autres jeux-vidéo pour la console de salon de Nintendo, peluches et figurines
multiples, sans oublier des jeux de société, mais aussi des vêtements, un avion de la
compagnie aérienne ANA (le Pokémon jet), des aliments… Une ronde d’objets sans
limites ». Le produit d’origine de la franchise Pokémon est donc le jeu-vidéo sorti au
Japon sur Game Boy en 1996, et même les jeux-vidéo puisqu’il existait plusieurs
versions : Pokémon Rouge, Pokémon Vert (qui est resté cantonné aux frontières
nippones) et Pokémon Bleu. Comme produit d’appel ce ne seront pas les films cinéma
(dès 1998) mais plutôt la série animée éponyme dont la diffusion TV commence à peine
un an après le lancement des jeux-vidéo. Remarquons que pour la série, Nintendo
(propriétaire de Pokémon et de … la Game Boy) fait émerger un duo de héros : un parmi
les dresseurs de Pokémon, Sacha, et un parmi les monstres de poche, le célèbre
Pikachu. Ce dernier deviendra l’ambassadeur principal de la franchise. En termes de
produits dérivés, j’insisterai sur le plus emblématique, et comme on l’a vu d’une longévité
exceptionnelle : les cartes Pokémon (sorties neuf mois seulement après les jeux Game
Boy).
Figure 17 : Triptyque de la franchise Pokémon
Les flèches au centre du triangle représentent la circulation permanente, la « ronde »
ainsi que la qualifie Brougère, au sein de la franchise. Chaque nouveau produit Pokémon
53
s’inspire des autres déjà parus, en reprend les codes et les
héros. Par exemple, suite au succès mondial de la série
animée, une version de jeu-vidéo un peu particulière va voir
le jour : Pokémon Jaune (sortie en 1998 au Japon). C’est le
même système de jeu que les Pokémon Rouge et Bleu, et
presque le même scénario, à ceci près qu’on y incarne le duo
Sacha-Pikachu admiré à la télévision. Le packaging parle de
lui-même (ci-dessus). Pokémon Jaune est une adaptation à mi-chemin entre le produit
d’appel et le produit d’origine. Les adaptations ne sont pas seules à garantir la circulation,
la diffusion internationale peut aussi faire bouger les positions. Sur le marché américain,
la série animée est sortie avant les jeux-vidéo, laissant à penser que c’est bien elle le
produit d’origine, et non les versions Rouge et Bleu, qui changent alors de statut (aux
yeux des consommateurs américains) pour devenir des produits dérivés de la série.
Qu’est-ce que Pokémon selon Gilles Brougère ? « Pokémon est l’ensemble de tous les
supports, ou plutôt, car il n’est pas besoin d’avoir rencontré tous ses avatars pour en
saisir la logique, la circulation même, le mouvement qui conduit à passer d’un support à
l’autre, ce principe de transformation continuelle, pris entre la reproduction et la
transformation. » Mais qu’apportent ces adaptations, transformations, diversifications du
produit d’origine ? Elles permettent d’ « enrichir l’univers de référence en fonction de la
spécificité de chaque support. La série télévisée a permis de développer l’histoire, le
dessin des personnages, de produire le personnage central de Pikachu, et de viser ainsi
un public plus large que les garçons entre huit et douze ans, en s’adressant à des enfants
plus jeunes et aux filles. En proposant du matériel, des collections de “vrais“ objets, les
cartes ont permis aux enfants de jouer aux Pokémon dans leur monde social, par
exemple celui de la cour de récréation, et non seulement dans un monde virtuel. Le jeu de
cartes a sorti le jeu de l’univers virtuel en l’inscrivant dans la sociabilité enfantine
quotidienne. »
Gardons à l’esprit que ce qui est démontré ici pour Pokémon peut s’appliquer à d’autres
franchises. Premièrement grâce à la circulation, grâce à la licence, on s’offre la possibilité
de développer du contenu (narratif) complémentaire. Deuxièmement, autre élément
essentiel, du fait de la multiplication des supports et particulièrement avec les cartes,
l’enfant pouvait vivre, penser et jouer à Pokémon à n’importe quel moment de la journée.
La saturation à la fois spatiale, temporelle et matérielle est à souligner. C’est en fait
l’identité de marque, développée en II)b), qui va être martelée. L’image graphique du
héros et ses valeurs symboliques sont destinées à être reproduites sur un maximum de
produits sous licence. Brougère en vient à penser que les jeux et jouets « ne sont plus
des industries d’objets mais bien d’images. » Et c’est ce qui rend le passage sur écran, et
54
particulièrement au cinéma, si important : (Brougère prend ici l’exemple d’Harry Potter)
« le film est le support de la plongée dans la circulation car il opère une traduction
visuelle, graphique sur laquelle s’appuient les autres supports comme les jeux-vidéo, les
jeux de société, de construction (Lego), les jouets et tous les objets (vêtements,
alimentation) qui y font référence. » S’il y a tant d’importance à la répétition des images et
de la marque, se pose l’enjeu de leur propriétaire, de l’ayant droit. « Les propriétaires
veillent au grain, vérifient, quand ils en ont les moyens, que la reproduction est fidèle. »
Mais comme on vient de le voir, la reproduction seule ne suffit pas, le contenu se doit
d’être une adaptation, se doit d’apporter une valeur ajoutée, complémentaire. Alors « la
traduction d’un support à l’autre se veut reproduction fidèle tout en étant interprétation. »
Enfin troisièmement, les produits sous licence sont autant de nouveaux points d’entrée
dans la franchise : pour Pokémon, les enfants non-joueurs de jeux-vidéo ont pu découvrir
l’univers à travers la série TV ou le jeu de cartes. Le licensing permet de s’ouvrir à
différents publics, au-delà du cœur de cible initial. Brougère constate que la dynamique
de circulation ne concerne pas uniquement les produits destinés aux plus jeunes : « une
part de plus en plus importante de la culture obéit à cette logique qui semble aller au-delà
des enfants, vers les adolescents et les jeunes adultes, voire encore au-delà. »
L’analyse du phénomène Pokémon peut être étendue à d’autres franchises, que ce soient
des franchises à héros unique ou des franchises à héros multiples. Brougère lui-même s’y
est essayé avec Superman1. Voici quelques morceaux choisis : le personnage de
Superman « va s’étoffer de deux façons, d’une part en passant d’un média à l’autre,
d’autre part en enrichissant sa narration. » En effet, la notoriété de Superman fait un
grand bond en avant grâce aux émissions radio qui lui sont consacrées dans les années
1940 et 1950, période où la radio est le média populaire par excellence. Et encore plus
lors de son passage au cinéma dans les années 1970 puis 1980. Pour ce qui est du
développement narratif : « les premières histoires sont généreuses et simples, l’intrigue
minimaliste. Progressivement, le personnage va gagner en épaisseur en étant doté d’une
origine, d’une histoire, d’une explication de ses pouvoirs (reprises et transformées bien
des fois), trame pour de nombreuses aventures. Il va gagner en finesse psychologique
dans ses relations avec Loïs. Les méchants vont être plus subtils, plus dangereux.
D’autres super-héros croiseront sa route, il vivra des aventures communes avec eux,
moyen de relancer l’intérêt des lecteurs pour ces personnages. » Sans surprise, la cible
de la franchise Superman va également grandir, moins enfantine et plus grand public. En
résumé, dans la droite lignée de la double dynamique de reproduction-transformation,
« d’un support à l’autre ou d’une époque à l’autre, Superman est à la fois toujours le
1 BROUGERE Gilles, « Et si Superman n’était qu’un jeu ? », La ronde des jeux et des jouets, Autrement
« Mutations », 2008, pp. 145-150
55
même et sans cesse différent. » Brougère conclue en faisant le parallèle avec « l’univers
de Tolkien, repris sous des formes variées. »
Puisqu’on évoque Tolkien, le licensing autour de son univers a attendu le début des
années 2000 pour décoller, il lui manquait un produit d’appel pour entrer dans la ronde.
Ce fut une adaptation cinéma : « Le Seigneur des Anneaux accomplit le tour de force de
réconcilier légitimité culturelle et culture de masse. La trilogie de Tolkien est un classique
littéraire, légitimé par la critique, l’institution universitaire et le grand public ; des pans
entiers de son univers se sont imposés à la fantasy comme des figures incontournables
[…]. C’est finalement la logique marketing consécutive aux films de Peter Jackson qui va
véritablement lancer la machine à produits dérivés : sortie d’un nouveau jeu de rôle, de
divers jeux de société, d’un jeu de cartes à collectionner, d’un MMORPG, etc.1 »
Revenons-en aux super-héros. Le travail analytique pour Superman a déjà été effectué. À
présent, j’aimerais savoir si je peux établir un triptyque cohérent pour son compère de DC
Comics, un certain Batman.
Figure 18 : Triptyque de la franchise Batman
1 DAUPHRAGNE Antoine, « Dynamiques ludiques et logiques de genre : les univers de fantasy », La ronde
des jeux et des jouets, Autrement « Mutations », 2008, p. 55
56
Pour la franchise du Chevalier Noir, le produit d’origine est évidemment le comic book.
(Batman est créé en 1939, mais le premier numéro à son nom date de 1940). En produit
d’appel, j’ai choisi la trilogie cinéma réalisée par Christopher Nolan, qui a complètement
relancé la franchise. Si j’avais fait ce triptyque dans les années 1980-1990, cela aurait été
les films de Tim Burton. Le produit d’appel est évidemment fonction de son temps. Parmi
les nombreux produits dérivés, mon attention s’est porté sur la série des quatre jeux-vidéo
Batman Arkham, qui est à mon sens l’une des meilleures, si ce n’est la meilleure
adaptation vidéo-ludique d’un univers de super-héros à ce jour.
Pour ne pas faire de jaloux, intéressons-nous maintenant à la superstar de Marvel, le
dénommé Spider-Man.
Figure 19 : Triptyque de la franchise Spider-Man
En produit d’origine, nous retrouvons des comics, en produit d’appel, du cinéma, et en
exemple de produit dérivé cette fois-ci, une série TV. On peut noter ici l’évolution du cœur
de cible (en termes d’âge). Spider-Man (créé en 1962) voit le premier comic book à son
nom publié en 1963. C’est alors l’âge d’argent des comics, avec le renouveau de Marvel,
des histoires et des personnages complexifiés, moins dans la perfection et plus dans
57
l’introspection, et c’est ainsi le repositionnement du secteur vers les adolescents
(contrairement à l’âge d’or où les comics étaient destinés aux enfants). Avec la trilogie
cinéma de Sam Raimi (2002-2007), Spider-Man en vient même à viser les jeunes adultes,
campant un univers plus sombre. Mais les deux films plus récents The Amazing Spider-
Man 1 et puis sa suite le 2, produits d’appel plus actuels, sont revenus aux racines, de par
leur nom et leur cible (plutôt adolescente). Et avec un produit comme la série TV
d’animation Ultimate Spider-Man, on arrive à séduire un public plus jeune, enfantin, qui
sera encore plus sensibles aux figurines, aux jouets et aux fournitures scolaires
estampillés Homme-Araignée.
Mais il n’y a pas que les franchises à héros unique qui profitent du mouvement circulatoire
de la licence. Pour conclure cette partie, faisons un dernier focus sur une franchise à
héros multiples, dont le produit d’origine ne vient pas, une fois n’est pas coutume, du
monde de l’édition.
Figure 20 : Triptyque de la franchise Star Wars
58
iii. Séries TV et jeux-vidéo, nouveaux produits d’appel ?
Un film au cinéma est le produit d’appel par excellence, idéal pour lancer ou relancer la
circulation au sein d’une franchise. Les séries TV et les jeux-vidéo quant à eux font de
parfaits produits dérivés, comme on vient de le constater pour Spider-Man et Batman.
Mais sont-ils en mesure de dépasser leur fonction de simples produits connexes ?
Jerôme Le Grand, Vice-Président Senior Retail, Licensing & Disney Store chez Disney
France, reconnaît cette possibilité : « la licence peut désormais germer de médias comme
la télévision […] ou du jeu vidéo qui est devenue une source de création importante.1 »
La série TV peut être une alternative intéressante au cinéma en tant que produit d’appel.
On va reprendre la structure d’explication de la partie i). Historiquement d’abord, la
télévision a pris le relais des comics comme média de la culture enfantine de masse, à
partir de la fin des années 19502. L’industrie du comic book traverse alors une petite crise
et ne s’en remettra qu’en créant de nouveaux super-héros destinés aux adolescents, au
début des années 1960. Les émissions radio ont pu quelque peu assurer la transition
entre comics et TV, mais elles sont vite supplantées par les séries animées venant
coloniser les téléviseurs de nombreux foyers européens et nord-américains. On peut par
exemple citer les animés du « Mickey Mouse Club », diffusés dès 1955 sur la chaîne
américaine ABC3, qui vont rencontrer un succès phénoménal et sont aussi les premiers à
introduire le marketing et la publicité de produits sous licence, directement dans la vie des
enfants4. Pour y exposer un maximum les écoliers, Disney et ABC décident même de
programmer l’émission juste après la sortie des classes. Ce timing de programmation et
ces publicités ciblées sont des pratiques toujours utilisées de nos jours. Typiquement,
cela avait été repris par Pokémon pour rythmer le quotidien des enfants. Leur influence
socioculturelle n’est pas à négliger. « L’expérience de programmation après l’école tentée
par Disney a contribué par la suite à déplacer les enfants nord-américains de la rue vers
le petit écran en les rassemblant sous forme d’ “audience“. La télé a ainsi imposé un
nouveau choix dans la vie de chaque enfant : “Que vas-tu regarder ?“ en lieu et place de :
“À quoi allons-nous jouer ?“ Les enfants rassemblés devant l’écran sont ensuite devenus
1 Article « Disney, en toute franchise… », paru dans La Revue du jouet, n°484, novembre 2014, p. 42
2 BROUGERE Gilles, « La ronde de la culture enfantine de masse », La ronde des jeux et des jouets,
Autrement « Mutations », 2008, p. 12 3 Ceci marque le début d’une collaboration fructueuse entre ABC et Disney. La première saison du « Mickey
Mouse Club » attire en effet près de 20 millions de dollars de publicité destinée aux enfants. Ce qui motivera le groupe télévisé ABC à investir dans les parcs à thème Disneyland (source ci-dessous). Aujourd’hui, le mariage est consommé, ABC est devenue une filiale de Disney. 4 BOTTERILL et KLINE, « Médias et Marketing des jeux et des jouets », La ronde des jeux et des jouets,
Autrement « Mutations », 2008, pp. 120-123
59
la cible des fabricants de jouets1 ». Puis, progressivement, en multipliant sa présence
dans les foyers, la télévision devient capable de toucher un public de masse, et de tout
âge (diversité des programmes). Cependant, j’apporterai un bémol. Aujourd’hui, la série
TV reste à même de cibler les enfants (avec les animés) et les adultes (qui ont grandi
avec ce média). Mais pour séduire les adolescents et les jeunes adultes, il faut désormais
se tourner vers la diffusion en streaming (type Netflix ou même sous forme de miniséries
YouTube). L’ancienne série uniquement TV devient une série TV/streaming à laquelle on
peut accéder à tout moment depuis son ordinateur, son smartphone ou sa tablette (grâce
à Internet). De par son passé et surtout son évolution, la télévision est devenue un média
grand public, sans doute encore plus que le cinéma. Son histoire nous apprend aussi
qu’elle est, de longue date, de connivence avec les jouets et produits sous licence (par la
publicité et la télévision dite commerciale). Selon Brougère2, c’est à partir des années
1980 que se sont développées des stratégies où les séries télévisées sont devenues
« des moments essentiels de la chaîne de circulation » et même des fois « l’élément initial
d’une stratégie multi-support ».
Après ces arguments historiques, plaidant en faveur de la série TV/streaming comme
produit d’appel, place aux arguments liés à sa nature. Voici ce qu’en dit Brougère (en
parlant de Pokémon) : « la série télévisée développe le potentiel narratif mais aussi
représentatif en produisant des histoires et des images.3 » Des qualités similaires à celles
que l’on avait associées au cinéma en i), la sérialisation d’une part et le relais des
identités visuelle et sonore d’autre part, essentielles aux marques héroïques. L’essence
même des séries TV/streaming est de pouvoir étoffer la narration sur la durée, d’épisode
en épisode, de saison en saison. De ce point de vue, la série est plus puissante qu’un film
au cinéma. Pour le potentiel représentatif, malgré la qualité grandissante des définitions
des téléviseurs et des diffusions streaming, l’expérience audiovisuelle reste plus
marquante dans une salle de cinéma car plus intense et immersive. L’avantage de la
série est cependant la répétition de ces images et de ces sons.
Pour finir, abordons le registre économique, qui a longtemps été le facteur bloquant pour
le décollage d’une franchise via la télévision. On aurait tendance à croire que les séries
TV n’offrent pas de projets aussi ambitieux que les films cinéma, en raison de cachets pas
assez élevés et d‘effets spéciaux au rabais (pourtant primordiaux pour des univers de
science fiction, de médiéval-fantastique ou de super-héros, dont il est question dans ce
mémoire). Mais une série telle Game of Thrones a prouvé le contraire, en s’assurant d’un
1 BOTTERILL et KLINE, « Médias et Marketing des jeux et des jouets », La ronde des jeux et des jouets,
Autrement « Mutations », 2008, p. 122 2 BROUGERE Gilles, « La ronde de la culture enfantine de masse », La ronde des jeux et des jouets,
Autrement « Mutations », 2008, p. 13 3 Ibid., p. 9
60
budget de production rivalisant avec les films hollywoodiens (en cumulant plusieurs
saisons tout de même), elle n’a pas tardé à connaître un succès planétaire et à lancer des
produits sous licence dans la foulée (T-shirts, jeux online), sans avoir besoin de passer
par la case cinéma. Game of Thrones ou Le Trône de Fer en français est avant tout
l’adaptation d’une série de livres, sept au total, comme Harry Potter (cf. annexes à la toute
fin pour son Voyage du Héros). Les deux univers, bien entendu très différents, ont en
commun une narration fouillée, une profondeur et toute une galerie de personnages
complexes, avec des héros et des Antagonistes marquants. Il y a quinze ans cependant,
l’adaptation cinéma se serait imposée d’office à Game of Thrones, comme cela a été le
cas avec Harry Potter, pour ambitionner le lancement de la franchise. Aujourd’hui, la
télévision n’est plus l’antichambre du cinéma. Le petit écran a tout d’un grand.
Passons maintenant aux jeux-vidéo. Ces derniers ont-ils le potentiel pour être les produits
d’appel de demain ? Il subsiste beaucoup de préjugés concernant les jeux-vidéo. Violents,
puérils, les gamers ne sont en réalité que des adolescents boutonneux. Après tout, les
jeux-vidéo ne sont rien d’autres que des jeux version 2.0. Et ainsi que le souligne Gilles
Brougère, « on véhicule souvent l’idée que jeux et jouets ne sont que produits dérivés de
pratiques culturelles plus nobles, objets seconds qui n’existeraient que pour rappeler à la
mémoire le film1 ». Pourtant, reconnaissons-le, « la culture vidéo-ludique tend également
à s’exporter vers d’autres sphères : cinéma, télévision, bande dessinée2 » grâce à des
héros tels Mario ou Lara Croft. La question que je me suis posé et que j’ai posée à
Justine Villeneuve, Chef de Projets Édition et Diversification chez Ubisoft, c’est pourquoi
le jeu-vidéo a-t-il attendu si longtemps avant de se mettre au licensing ? (cf. annexes pour
l’interview complète). Voici sa réponse : « L’industrie vidéo-ludique est plutôt jeune –
Ubisoft a à peine 30 ans – et le licensing n’est pas un enjeu que tu intègres en premier
dans ta structure et ton développement. Les éditeurs de jeux-vidéo vont d’abord solidifier
leur core business, privilégier le développement du studio et assurer la distribution des
produits, avant de s’attaquer aux business complémentaires. Chez Ubisoft, le
département Licensing existe depuis 10 ans. » Ce sera donc difficile d’avancer des
arguments historiques rapprochant le jeu-vidéo et la licence, comme on avait pu le faire
pour le cinéma et la télévision, du fait de la jeunesse de l’industrie vidéo-ludique.
Si l’industrie des jeux-vidéo arrive progressivement à maturité structurelle, est-ce que cela
suffit à justifier l’émergence de la licence dans le secteur ? Est-ce qu’elle n’est pas aussi
due au fait que les jeux-vidéo sont aujourd’hui capables de toucher un public plus large
1 BROUGERE Gilles, « La ronde de la culture enfantine de masse », La ronde des jeux et des jouets,
Autrement « Mutations », 2008, p. 11 2 BERRY Vincent, « De Pong à World of Warcraft : construction et circulation de la culture (vidéo)ludique », La
ronde des jeux et des jouets, Autrement « Mutations », 2008, p. 22
61
que par le passé ? Réponse de Justine : « Oui certainement, et c’est aussi l’évolution
technique des consoles, des graphismes, qui a permis aux premiers personnages, telle
Lara Croft, de sortir du cadre du jeu-vidéo. On s’est rapproché petit à petit d’univers
immersifs et d’expériences visuelles rivalisant avec le cinéma. Et de là on a pu toucher
une cible plus large. » Comme pour les autres média audiovisuels, le jeu-vidéo est en
mesure de relayer (ou de créer) les identités visuelle et sonore de la franchise héroïque.
Et il le fait d’une manière peut être encore plus expérientielle que le cinéma, en
demandant au consommateur de s’impliquer, de part le caractère interactif du jeu et
l’identification quasi fusionnelle au(x) héros. La nature-même du jeu vidéo est donc un
atout de poids. Outre les qualités graphiques en constante progression, le jeu-vidéo se
caractérise aussi par des scénarios extensibles, facilités par les DLC (contenu
téléchargeable), fruits de la dématérialisation du secteur. La sérialisation a ainsi
également colonisé l’industrie vidéo-ludique. Pour finir avec les arguments de nature, je
pense qu’on peut désormais affirmer que le jeu-vidéo ne concerne plus un marché de
niche, mais bien un marché de masse. Mario, Sacha et Pikachu ont été créés pour
s’adresser aux enfants. (Cela a toujours été et est toujours la ligne directrice de Nintendo,
orientée enfants et famille). Mais au fil du temps, les univers de jeux-vidéo ont évolué,
capables de viser la cible adolescente sous l’impulsion de Sega au début des années
1990 (Sonic, Mortal Kombat), puis même un public de jeunes adultes dès la fin des
années 1990, avec le succès des consoles de salon et des héros de plus en plus
sexualisés1 (Lara Croft en tête). Le jeu-vidéo s’est finalement démocratisé (et féminisé).
Aujourd’hui en effet, 54% des hommes européens âgés de 16 à 64 ans sont des joueurs
de jeux-vidéo (le pourcentage culmine à 80% pour les 16-24 ans et 67% pour les 25-34
ans, il descend à 28% pour les 55-64 ans) tandis que 43% des femmes européennes de
la même tranche d’âge sont des joueuses de jeux-vidéo (le pourcentage s’élève à 61%
pour les 16-24 ans et 49% pour les 25-34 ans, il descend à 27% pour les 55-64 ans)2.
Pour expliquer ces chiffres, il faut comprendre que le jeu-vidéo actuel ne se limite plus
aux consoles (portables ou de salon) et aux ordinateurs mais est désormais de plus en
plus développé sous des versions disponibles/compatibles sur smartphones et tablettes.
On peut ajouter que la diversité des genres de jeux-vidéo est maintenant suffisamment
importante pour toucher n’importe quel type de public, à l’image des romans ou des films.
Pour aller dans ce sens du jeu-vidéo comme média de masse, on peut aussi mettre en
avant le chiffre d’affaires mondial du secteur (qui atteindrait les 80 Md€ en 2016), tantôt
placé en première position devant la musique et le cinéma, tantôt dans le trio de tête des
1 BERRY Vincent, « De Pong à World of Warcraft : construction et circulation de la culture (vidéo)ludique », La
ronde des jeux et des jouets, Autrement « Mutations », 2008, p. 35 2 Est considéré comme joueur de jeux-vidéo celui qui y a joué au moins une fois dans les 6 derniers mois.
Source : Étude Xerfi Video Game Companies – World – February 2014
62
industries culturelles1 (selon que l’on y inclue les ventes de consoles, dont les fabricants
sont aussi des éditeurs de jeux, tels Nintendo, et selon les estimations des ventes de jeux
dématérialisés souvent sous-évaluées).
Reste à savoir si l’industrie vidéo-ludique a les moyens financiers et le modèle
économique nécessaires au lancement de franchises circulatoires telles qu’on les a
définies. Le tout jeune jeu-vidéo s’est en réalité inspiré de ses grands frères audiovisuels,
particulièrement du cinéma. Il y a d’abord eu des rapprochements entres les deux
secteurs sous formes de rachats/acquisitions, Atari racheté en 1976 par Warner Bros.,
Sega et Paramount dans le même conglomérat entre 1969 et 19842. Puis il y a eu des
mises en commun de techniques, de l’échange de savoir-faire profitable aux deux parties.
En 2006, Activision a ainsi implanté des studios (de développement) dans le complexe de
production de DreamWorks3. Plus récemment, Ubisoft a participé aux effets spéciaux du
film Avatar (2009) via son studio de Montréal et a travaillé avec Weta Digital sur le film
d’animation Tintin (2011) réalisé par Spielberg4. (Weta Digital est la société spécialisée en
effets visuels de Peter Jackson, le réalisateur des trilogies du Seigneur des Anneaux et
du Hobbit). La synergie entre les deux industries a eu une certaine influence sur
l’économie du jeu-vidéo. « Désormais, les budgets explosent, les équipes de
développeurs ressemblent à des régiments d’infanterie et le marketing devient un
implacable instrument de communication. Par exemple, la dernière grosse production
d’Activision, Destiny, space opera impressionnant aura coûté la bagatelle de 500 M$ et
mobilisé plusieurs centaines de collaborateurs (graphistes, développeurs, designers,
musiciens, consultants, etc.) sur plusieurs années. C’est le jeu-vidéo le plus cher de tous
les temps, coiffant sur le poteau des productions hollywoodiennes comme, par exemple,
la dernière trilogie de Star Wars et ses 330 M$.5 » Pour proposer un spectacle de même
envergure que le cinéma, le jeu-vidéo s’est mis à engager les mêmes acteurs (qui prêtent
leur voix en tant que doubleurs et parfois leur visage grâce à la motion capture), les
mêmes scénaristes et les mêmes compositeurs de musique. Je pense notamment à la
série de jeux Call of Duty (2003-2015) qui a rassemblé, d’épisode en épisode, un casting
impressionnant de stars du grand écran : Bill Murray (voix), Ed Harris (voix), Gary Oldman
(voix), Kevin Spacey (voix et visage), David S. Goyer (scénario ; c’est le co-scénariste des
Batman de Nolan) et Hans Zimmer (musique), pour citer les plus célèbres. Le studio
Quantic Dream a lui poussé le mimétisme plus loin en développant des jeux simili films,
1 Article « Le jeu vidéo fait son cinéma », paru dans Écran Total, n°1015, 22 octobre 2014, p. 25
2 Ibid., pp. 22-23
3 BLANCHET Alexis, « Des films aux jeux vidéo : quand le jeu impose ses règles », La ronde des jeux et des
jouets, Autrement « Mutations », 2008, p. 64 4 Interview d’Yves Guillemot (le PDG d’Ubisoft), issue de l’article « Ubisoft la creative team », paru dans Le
Film Français, n°3427, 3 juin 2011, p. 16 5 Article « Le jeu vidéo fait son cinéma », paru dans Écran Total, n°1015, 22 octobre 2014, p. 24
63
hybrides, des films interactifs1 comme on les appelle. Le gameplay devient alors
secondaire et s’efface devant la qualité du scénario2, de la mise en scène et la
performance des acteurs (Ellen Page et Willem Defoe pour le dernier en date : Beyond
Two Souls). La frontière entre jeu-vidéo et cinéma n’a jamais été aussi ténue.
iv. Notoriété, ciblage et licensing
Afin de conclure cette partie c) et même le II), nous allons nous concentrer sur les
avantages et inconvénients du licensing. Pour l’entreprise sous licence, l’intérêt est
d’apposer sur ses produits une marque qui plaît au grand public, de s’associer à ses
valeurs. Avec le visuel du héros, elle gagne aussi un moyen de se différencier de ses
concurrents en linéaire. En termes de risques, ils sont principalement financiers pour le
licencié, c’est en effet lui qui fabriquera le produit.
Au contraire, l’ayant droit, le propriétaire de la franchise, voit dans le licensing une source
de revenus substantiels, sans devoir se charger de la production. De plus, comme on l’a
mis en lumière dans la partie ii), la dynamique de répétition-transformation liée aux
produits sous licence offre également l’opportunité de développer du contenu (narratif)
complémentaire au produit d’origine, qui alimentera la dimension symbolique de la
marque. Toujours dans la partie ii), on a vu que les produits dérivés constituaient des
nouveaux points d’entrée dans la franchise (on va en mesurer l’importance dans quelques
paragraphes) et qu’ils assuraient la reproduction de l’identité de marque sur de multiples
supports. Attention tout de même, cette reproduction/répétition/saturation, si elle est trop
ou mal appliquée, peut entraîner la dilution de l’image de marque et une perte de contrôle
sur la franchise. Le licensing permet une saturation à la fois spatiale et temporelle.
Spatiale car le design du héros va se retrouver, en plus de la campagne marketing
classique (affichage dans les espaces publics et publicités à la TV par exemple), sur les
packagings à tous les rayons du supermarché, vêtements, jouets, hygiène, DVD, livres.
La licence assure une énorme « visibilité en linéaire3 », qui s’additionne ou se substitue à
la visibilité médiatique. La saturation est aussi temporelle, parce que les produits dérivés
permettent d’occuper les temps faibles, entre deux sorties de film notamment. Finalement,
1 Bien qu’on perde beaucoup en interactivité à mon goût par rapport à un jeu-vidéo classique. C’est
cependant l’appellation officielle. 2 On retrouve en effet un scénario à arborescence, courant dans les RPG (Star Wars KOTOR, Mass Effect),
où les choix du joueur influencent le cours (et débloque certains pans) de la narration, mais il est ici particulièrement soigné. 3 Expression chère à Justine Villeneuve (Ubisoft), plus de détails dans l’interview en annexes.
64
nous rejoignons les deux principales raisons de faire du licensing défendues par Warin et
Tubiana1 : la licence est un accélérateur de notoriété et elle renforce l’image de marque.
Il convient de préciser ce qu’est la notoriété. « La notoriété de la marque se définit comme
le degré de connaissance d’une marque et se mesure par la présence à l’esprit d’une
marque pour un individu dans une catégorie de produits donnée. La notoriété s’exprime
sous la forme d’un score : le taux de notoriété.2 » Et si on combine la notoriété avec
l’image de marque, c’est-à-dire avec la représentation restée en mémoire (l’adhésion ou
non à l’identité sensorielle et à la dimension symbolique du héros), alors on obtient le
capital de marque du point de vue du consommateur, quelle valeur il attribue à la marque
en question. En d’autres termes, le degré de connaissance de la marque et l’affinité, l’avis
favorable ou non sur la marque constituent la valeur perçue par le consommateur,
déterminant son attitude envers la marque, sa propension à acheter les produits
estampillés. Lors d’une campagne marketing pour accompagner la sortie d’un produit de
la franchise, que ce soit un simple plan média (pure communication), que ce soient des
opérations promotionnelles ou de l’événementiel, on va vouloir insister sur ces deux
variables : faire grimper la notoriété et renforcer l’image de marque, auprès du public cible
bien entendu. Comme on l’a énoncé un peu plus haut, c’est exactement ce dont est
capable le licensing. Il peut alors venir compléter ou remplacer, au moins en partie, le
plan publi-promotionnel. Dans ce cas, il est plus que nécessaire d’inclure le licensing dans
la stratégie marketing-communication de la marque.
Si je voulais déterminer avec précision le positionnement stratégique de la franchise
Batman, j’aurais beaucoup de difficultés. Suivant la logique de circulation expliquée en ii),
le positionnement de la franchise est en effet fonction des positionnements de tous les
produits sous licence Batman (pour rappel, même les produits d’appel sont sous licence,
puisque sous licence du produit d’origine). De manière basique, le positionnement est
déterminé en croisant trois éléments : les qualités intrinsèques de la marque ou du
produit, les qualités des concurrents (sur le marché) et les attentes de la cible visée. Je
peux croiser sans problème les deux premiers pour la franchise Batman, trouver ce qui
fait son unicité, son avantage concurrentiel, que ce soit par rapport aux autres super-
héros de son univers (DC Comics), aux super-héros rivaux (de Marvel), ou même aux
autres héros de fiction : Batman est un héros humain, perfectible ; c’est aussi un grand
détective, réfléchi, aux principes moraux inflexibles ; visuellement, son costume noir lui
1 WARIN et TUBIANA, Marques sous licence : Les acheter – Les vendre – Les gérer, Éditions d’Organisation,
2003, p. 102 2 LAI Chantal, La marque 2
ème édition, Dunod, 2009, p. 49
65
confère classe et sex-appeal, mais rappelle aussi son caractère sombre, symbolisé par la
nocturne chauve-souris ; enfin, Batman est bien entouré, par des Alliés et des
Antagonistes presque aussi populaires que lui. Voici ce qui fait la force, l’originalité de
Batman et le différencie des autres marques héroïques. Ces éléments différenciants sont
la garantie de la cohérence de la franchise. Cependant, le public cible lui, peut varier
selon les produits que je veux lancer. L’accompagnement marketing doit alors choisir
d’insister sur certaines qualités différenciantes de Batman, celles qui sont les plus
adaptées à la cible du produit (dans le but d’obtenir un positionnement en parfaite
adéquation). Chaque produit dérivé peut cibler un public bien spécifique et donc
demander un positionnement réajusté.
Je vois trois critères clivants capables de faire varier le positionnement marketing.
Premier critère : le sexe. On ne s’adresse pas de la même manière aux hommes et aux
femmes. Et sans conteste, les héros de comic-book, de jeux-vidéo, de Tolkien et de Star
Wars plaisent à un public majoritairement masculin. Ainsi, 93% des lecteurs de DC
Comics sont des hommes1. Ce qui est sans doute lié au fait que la majorité des
personnages de comics sont également masculins. (Chez Marvel, plus de 75% des
super-héros sont des hommes, et cela monte à 90% pour les super-vilains)2. Lors des
passages au cinéma de Superman à la fin des années 1970 – début des années 1980, la
composition de l’audience devait être très masculine. Mais avec la série TV Smallville
dont la diffusion débute en 2001, on a décidé de séduire un peu plus la gente féminine, se
rendant sans doute compte de la faible popularité du super-héros de Krypton auprès de
ces dames. Au lieu d’un Superman combattant le Mal, en pleine possession de ses
pouvoirs, on y retrouve Clark Kent dans sa vie adolescente puis étudiante, son amitié
mouvementée avec Lex Luthor, ses amours de lycée. Le focus est donné sur les relations
humaines et sentimentales. Pour atteindre encore plus facilement une audience à
tendance féminine, la série était diffusée sur M6 en France. Au vu du succès de la série
(10 saisons au total !), il y a fort à parier que les reboots au cinéma Superman Returns
(2006) et Man of Steel (2013) ont attiré un public avec un rapport homme-femme plus
équilibré. Pour Pokémon, comme on s’en est aperçu dans la partie ii), la dynamique est la
même, la série TV a permis de s’ouvrir à une cible plus féminine, ou du moins plus
paritaire. C’est ce que propose le produit série TV et que les comics et jeux-vidéo ne sont
pas toujours en mesure de faire.
Deuxième critère clivant : l’âge. On a vu avec Spider-Man dans la partie ii) que les
différents produits permettent de toucher des cibles d’âge complémentaire. Typiquement,
une série d’animation est toute désignée pour augmenter la notoriété et l’image de
1 Cf. annexes pour plus de détails sur le profil-type du lecteur DC Comics.
2 Plus de détails en annexes (selon le jeu de cartes à collectionner Marvel).
66
marque d’un héros chez les enfants. Autre exemple, les séries Jessica Jones et Daredevil
– ce sont des super-héros de l’univers Marvel mais moins connus que les Spider-Man ou
Avengers – sont exclusivement diffusées en streaming sur Netflix (sous-entendu sur
aucune chaîne de télévision). On comprend alors très vite que ces séries Marvel ont pour
cœur de cible les adolescents et les jeunes adultes. Grâce à ce critère de l’âge de la
cible, on va pouvoir introduire la notion de versioning. Contrairement au licensing qui
permet les adaptations de produit en externe, le versioning correspond plus à une
reproduction en interne, en fait un même produit décliné sous plusieurs versions1. Dans le
secteur de jeu-vidéo, si on veut séduire un public de tout âge, on utilise souvent le
versioning, on développe le jeu à la fois sur consoles de salon pour les ados / jeunes
adultes et sur smartphones/tablettes pour un public plus large (comprenez plus adulte).
Troisième et dernier critère, le plus complexe : le rapport à la marque. Les nombreuses
étapes du cycle de vie d’un film sont marquées par le versioning : bande-annonce,
projection au cinéma, diffusion TV, sortie DVD, DVD version longue (et même pour les
grandes sagas à succès, retour en salles de la version longue comme pour la trilogie du
Seigneur des Anneaux, ou d’une version 3D comme l’épisode I de Star Wars). Plus on se
rapproche de la fin de vie du produit-film, plus la cible va se réduire (en quantité). Mais les
acheteurs du DVD version longue seront ceux qui ont le rapport le plus fort avec la
franchise, les consommateurs les plus impliqués, les fans. En marketing-communication
(« marcom » chez les anglo-saxons), on a pris l’habitude de classer les différents groupes
cibles selon leur implication, leur rapport à la marque.
Figure 21 : Publics cibles en marketing-communication2
1 Pour être plus précis, la technique du versioning consiste à proposer diverses versions d’un même contenu
se distinguant par la qualité, la date de disponibilité, la quantité offerte ou encore le support utilisé (Curien et Moreau, 2006). 2 Source: PERCY & ROSENBAUM-ELLIOTT, Strategic Advertising Management, 4th edition
67
Comme vous vous en doutez, le degré d’implication des cibles est basé sur la notoriété et
l’image qu’ils ont de la marque. Pour expliquer la Figure 21, je vais reprendre l’exemple
de la franchise Batman, en imaginant que je veuille sortir un nouveau film Batman au
cinéma. Mes Brand Loyals vont être ceux que l’on appelle les core fans ou pure fans,
c’est-à-dire des fans absolus de la franchise, qui aiment consommer toute sortie de
contenu en rapport avec leur univers favori. Notoriété et image de marque sont à leur
maximum chez ces aficionados. Je nuancerai légèrement pour l’image de marque, car il
est courant que les fans soient dans une relation d’amour-haine envers la franchise. D’un
côté ils sont passionnés par le héros, son histoire, son entourage. Et d’un autre il y a de la
méfiance, particulièrement chez les fans du produit d’origine, ils n’apprécient pas
forcément l’entreprise qui exploite l’univers sous forme de produits d’appel ou dérivés, de
peur qu’elle trahisse l’esprit de l’œuvre. Certaines communautés de fans se construisent
par opposition au business. Mais ne vous inquiétez pas, même si leur relation à mon film
Batman est plus complexe qu’elle n’en a l’air, ils ne résisteront pas à l’envie de le voir. Sur
la plupart des campagnes marketing accompagnant mes sorties produits, je ne ciblerai
donc pas les Brand Loyals. Ils sont déjà au courant et difficiles à faire changer d’avis.
Cependant, il est possible de les entretenir sur le long terme, avec une communication
fine, sans trop d’empreinte business et avec des moyens moins conventionnels (réseaux
sociaux, événementiel) pour continuer à les fidéliser. Ils jugeront avant tout sur la qualité
du contenu.
Ma cible principale lors d’une campagne de marketing-communication, ce seront plutôt les
Favorable Brand Switchers. Ils ont une notoriété forte et une image positive de ma
marque. Mais ce sont des fans relatifs, moins exclusifs que les Brand Loyals, en fait ils
ont pris l’habitude de passer de marque en marque. Vers qui peuvent-ils switcher ? On va
faire face à une double détermination concurrentielle. Mon produit est un film Batman au
cinéma. D’une part, je vais subir la concurrence des autres super-héros adaptés sur
grand écran, qu’ils soient de mon écurie (Superman par exemple) ou de la rivale Marvel
(avec un Spider-Man) ou même la concurrence plus indirecte d’autres films avec des
héros de fiction populaires (imaginons un énième Robin des Bois). D’autre part, je sors un
film qui va être caractérisé par son genre1 et éventuellement son budget. Les autres films
du même genre (thriller sécuritaire) voire les autres blockbusters (grand public et gros
budget) peuvent me faire de l’ombre lors de la sortie cinéma. Un amateur de thrillers au
cinéma, qui n’a rien contre Batman, a le potentiel d’un Favorable Brand Switcher. Autre
1 Pour moi, le film dit de super-héros n’existe pas en tant que genre à proprement parler. Je trouve cela assez
réducteur. Les films contenant des super-héros abordent des thèmes différents. Les Batman de Nolan sont des thrillers, les Captain America sont plutôt des films de guerre ou d’espionnage, Thor fait intervenir de la fantasy, Les Gardiens de la Galaxie est un film de space opera, Ant-Man est une comédie.
68
exemple de profil : un ancien lecteur de comics, Batman lui rappelle son enfance, et qui
apprécie les films populaires au cinéma, fera un parfait Favorable Brand Switcher.
Les Other Brand Switchers sont également un groupe qu’il est possible de cibler. Ils ne
sont sans doute pas au courant de la sortie du film (manque de notoriété) et l’image qu’ils
ont de Batman est neutre ou peu favorable. Mais le plan de communication peut agir sur
ces variables et les amener à voir le film. Les Other Brand Loyals quant à eux ne
changeront pas d’avis, ils resteront fidèles à Superman ou à Marvel.
Le dernier public cible est extrêmement intéressant, c’est le groupe des New Category
Users. Notoriété et image de marque ne déterminent pas votre appartenance à ce
groupe. Si on se situait dans la catégorie automobile, les New Category Users seraient
les personnes qui viennent juste d’obtenir leur permis de conduire. Dans notre cas, ce
sont des gens qui n’ont pas l’habitude d’aller au cinéma mais qui connaissent Batman via
un autre média. Vous me voyez venir, ces personnes sont entrées dans la franchise
grâce à une série TV Batman, grâce à un jeu-vidéo, bref grâce à la licence. Le licensing
va faire grossir ce groupe de New Category Users, charge ensuite au marketing de les
convaincre de passer à un support qui ne leur est pas familier, de consommer le reste de
la franchise. Le fait de consommer la même marque sous de multiples formes est une
tendance assez récente mais porteuse. Le licensing est ainsi conçu « pour tirer parti des
mécanismes de consommation de la culture de masse : contrairement à l’amateur de
grande musique ou de grande littérature, attentif à la spécificité du langage et du média, à
l’auteur et à l’unicité de l’œuvre, le consommateur de ce type de produits
transmédiatiques ne cherche pas l’artéfact unique, mais sa déclinaison sous des formes
et des langages différents. Il collectionne les produits qui formulent à travers un autre
média, et donc d’autres mécanismes de communication, l’univers qui lui avait plu à
l’origine dans le jouet, le livre, le film…1 »
Tout au long de cette partie c), on s’est rendu compte de la manière avec laquelle le
licensing fait évoluer une simple marque en franchise à succès. On a vu que la licence a
effectué ses premières apparitions au cinéma, d’abord pensée comme une source de
revenus à intégrer au business model. Puis elle est devenue le moteur des franchises, de
la circulation permanente entre produit d’origine, produit d’appel et produits dérivés. Elle
est désormais capable d’assurer le passage d’un support à l’autre, la dynamique de
reproduction-transformation du contenu, ainsi que la répétition à volonté de la charte
graphique de la marque, du design du héros et des valeurs qui l’accompagnent. Enfin, on
1 LETOURNEUX Matthieu, « Le devenir livre des jeux et jouets », La ronde des jeux et des jouets, Autrement
« Mutations », 2008, p. 79
69
s’est aperçu de toute son influence sur la stratégie de marketing-communication, elle est
un puissant outil d’extension de marque, qu’il faut apprendre à maîtriser.
La partie suivante se veut moins théorique, plus factuelle. On se posera de nouvelles
questions. Qui se cache derrière les franchises de héros ? Quelles entreprises sont en
mesure d’impulser la circulation ? Quels nouveaux enjeux et implications marketing ?
70
III. Étude des cas Disney, Warner Bros. et Ubisoft
Pourquoi ces trois entreprises ? The Walt Disney Company et Warner Bros. sont deux
majors de l’Entertainment, deux mastodontes du divertissement de masse, tandis
qu’Ubisoft est l’un des piliers de l’industrie vidéo-ludique mondiale (3ème éditeur
indépendant). En 2014, leurs CA respectifs s’élèvent à 36,49 Md€, 8,75 Md€ et 1,46
Md€.1 Disney et Warner ont toujours été en concurrence directe, depuis leur date de
création (1923 pour les deux), en passant par leurs premiers personnages d’animation à
succès (Mickey vs les Looney Tunes) jusqu’aux adaptations de super-héros aujourd’hui
(Marvel vs DC Comics). Voilà ce qui m’intéresse particulièrement chez ces deux
américains et ce français, ils disposent tous trois d’un large catalogue de marques
héroïques à fort potentiel et sont des acteurs majeurs du cinéma, de la télévision et/ou du
jeu-vidéo à l’échelle de la planète. Sur ces secteurs, en plus de leurs activités studios, ce
sont des distributeurs (ciné), des diffuseurs (TV) et/ou des éditeurs (JV). Ce sont donc
bien eux qui s’occuperont du marketing de leurs franchises. Et leur gestion de marques
mérite qu’on s’y intéresse d’un peu plus près, Disney, Warner Bros. et Ubisoft ont en effet
un penchant naturel pour la diversification et le développement de produits dérivés. Je me
permets de justifier un peu plus pour Ubisoft : « si, à ce jour, la grande majorité des
revenus d’Ubisoft, sont issus de l’activité jeu-vidéo, l’objectif du groupe, en tant que
créateur de marques de divertissement, est d’étendre l’impact de ses propriétés
intellectuelles sur d’autres segments tels que le cinéma, les séries télévisées et le
merchandising.2 »
Pour réaliser cette partie empirique, je me suis appuyé sur trois types de sources. J’ai
réalisé des entretiens semi-directifs auprès de professionnels : Justine Villeneuve en sa
qualité de Chef de Projets Édition et Diversification chez Ubisoft ; Justine Rochereuil qui a
travaillé aux départements Business Development, Promotion et Partenariats chez
Warner Bros. France puis Warner Bros. Sydney ; et enfin Ugo Noury, Brand Manager
chez Walt Disney France. (L’intégralité des retranscriptions se trouve en annexes.) Le but
de ces interviews est d’avoir un représentant pour chacune des entreprises étudiées, et
que chaque représentant se situe à un poste différent, pour me donner un maximum de
visibilité sur la gestion du licensing. Justine V., Justine R. et Ugo se complètent
idéalement : une qui est plutôt sur de la licence de long terme (diversification), une sur de
la licence de plus court terme (promotion et partenariats) et le dernier qui chapeaute, qui
1 Sources : Études Xerfi Mass Entertainment Groups – World – November 2015 et Video Game Companies –
World – December 2015 2 Source : Étude Xerfi L’industrie du jeu vidéo – France – Juillet 2015
71
supervise les franchises. Concernant les différentes questions, j’ai abordé les thèmes
jalonnant ce mémoire : le héros en tant que marque, l’intérêt du licensing, l’enjeu
d’acquérir le produit d’origine, la question du contenu dans les produits dérivés et en off
pour finir l’influence culturelle des héros, leurs qualités mythiques. J’ai déjà utilisé à
plusieurs reprises dans le II) quelques-unes des citations d’Ugo et des deux Justine,
désormais pour la suite du mémoire, je ferai juste référence à leur nom (au lieu de
renvoyer systématiquement en annexes). Pour rebondir sur ces avis professionnels, je
ferai appel à des données chiffrées, des analyses sectorielles et de stratégie d'entreprise,
qui j’ai dénichées dans des magazines business ou qui sont issues d’études de marché
(principalement Xerfi). Enfin pour compléter, j’utiliserai mon expérience au Marketing
d’Univers Poche (maison d’édition, groupe Éditis) où j’ai pu travailler sur des produits et
des supports publi-promotionnels sous licence (notamment Star Wars), ce qui nous
permettra d’apporter un regard de « licensee » comme disent les anglo-saxons face aux
« licensors », aux ayant droits des interviews.
a. L’enjeu d’acquérir le contenu du produit d’origine
Autrement dit, l’enjeu d’acquérir le héros et son histoire. On peut mettre la main sur ce
contenu de trois manières différentes.
Première possibilité : en créant soi-même le personnage et son univers. Comme on l’a
déjà évoqué, les Looney Tunes et Mickey ont permis à Warner et à Disney de se faire un
nom à leurs débuts. Pour Ubisoft (fondé en 1986), ce fut avec la sortie de Rayman en
1995 et la confirmation sur le plan international, avec le premier Assassin’s Creed en
2007. Ubisoft reste très porté sur la création de contenu original. On remarquera que plus
une société accumule les succès et prend de l’âge, moins elle a tendance à créer de
nouveaux héros, non pas par manque de créativité, mais plutôt parce qu’elle se retrouve
avec les moyens financiers et donc la tentation de faire main basse sur les contenus
d’autres entreprises moins développées.
Deuxième voie : acquérir le contenu d’autrui temporairement, c’est-à-dire acheter les
droits d’adaptation d’une œuvre par un contrat de licence. Parmi tous les exemples
possibles, c’est ce qui a permis à New Line Cinema de retranscrire sur grand écran Le
Seigneur des Anneaux à partir de 2001. Et Warner Bros. a pris la suite avec Le Hobbit.
(New Line Cinema était en 2001 une société-sœur de Warner Bros., la maison-mère étant
Time Warner. New Line Cinema est depuis 2008 une filiale de Warner Bros.) Pour la
petite histoire, l’ayant droit du Seigneur des Anneaux comme du Hobbit, c’est-à-dire celui
72
avec lequel New Line et Warner Bros. ont du négocié s’appelle Middle-Earth Enterprises.
Cette dernière est une filiale de la Saul Zaentz Company, la société de production du film
d’animation Le Seigneur des Anneaux réalisé par Ralph Bakshi en 1978. The Saul Zaentz
Company a eu le nez creux, elle n’a pas fait que produire le film à l’époque, elle a
récupéré dans l’opération les droits d’adaptation et d’exploitation des livres de Tolkien.
Cela peut paraître anodin mais cela signifie qu’aujourd’hui encore, tout produit dérivé des
films Seigneur des Anneaux ou des films du Hobbit est sous le coup d’une double
licence : Warner Bros. pour les images et Middle-Earth Enterprises pour les noms des
personnages, des lieux, etc. Vous verrez par la suite du mémoire que double licence
équivaut à double circuit de validation, et c’est une sacrée contrainte.
Troisième solution : faire l’acquisition définitive du contenu, le racheter au propriétaire et
devenir soi-même l’ayant droit. Comme Warner Bros. avec DC Comics dès 1969 ou
Ubisoft avec Prince of Persia en 2001. Mais aussi et surtout comme la stratégie
boulimique de Disney depuis 10 ans, qui en 2006 a racheté Pixar pour environ 7,4 Md$
(dont la moitié par un échange d’actions), qui en 2009 acquiert Marvel pour 4 Md$ et qui
en 2012 décide de faire de même avec Lucasfilm (la société de George Lucas) en mettant
sur la table 4,06 Md$1. Autant l’acquisition de Pixar semble couler de source, cohérente
avec la tradition et la passion de Disney pour l’animation, mais pourquoi Marvel et Star
Wars ? Réponse de Xavier Albert, Directeur des Activités Studio de Disney France :
« avec Lucasfilm, Disney élargit son champ d’action. Le rachat de Marvel l’a déjà bien
ouvert, c’est une marque forte sur le segment jeunes adolescents et adultes. Nous avons
toujours subi une perte d’audience au moment du passage à l’adolescence sur la marque
Disney. Avec Lucasfilm, nous toucherons une cible encore plus large qu’avec Marvel.2 »
On souhaite donc jouer sur la complémentarité des franchises en termes de publics visés.
Malgré tout, et c’est un risque qui peut se présenter lors de tout rapprochement entre
franchises (y compris avec le licensing), c’est un pari osé que fait Disney en termes
d’image de marque. Associer Mickey et Dark Vador, associer les Princesses Disney aux
super-héros Marvel, cela ne va pas de soi pour le public, et surtout pas pour les fans. Et,
comme expliqué en II)c)iv), les fans ne voient jamais d’un très bon œil les changements
de propriétaires (ou même les changements tout court concernant les pure fans Star
Wars …3) D’autant plus quand on sait que lors du rachat, Disney a fait arrêté la série TV
Clone Wars et a supprimé LucasArts, qui était la division spécialisée de Lucasfilm dans
1 Chiffres issus de l’article « Star Wars dans la galaxie Disney », paru dans Trends, n°22, 20 mai 2013, p. 62
2 Article « Il faut absolument défendre notre écosystème », paru dans Écran Total, n°924, 28 novembre 2012,
p. 12 3 L’anecdote est savoureuse. George Lucas s’est fait détester d’une partie de ses fans, les plus fanatiques
c’est le cas de le dire, en retravaillant ses films de la trilogie originelle. Lui voulait faire un cadeau à ses fans. Eux lui ont reproché d’ajouter des images de synthèse à outrance, certains effets sonores et même d’avoir osé toucher à une scène où Han Solo tire sur Greedo. Les core fans Star Wars ne seraient-ils pas un peu psychorigides ?
73
les jeux-vidéo, deux marques populaires chez les fans. Heureusement pour Disney,
l’annonce de la nouvelle trilogie et de trois films dérivés (dont un sur Han Solo) a fait
salivé la majorité des fans, peut-être pas les plus intégristes, mais ceux-là n’aimaient déjà
pas la trilogie des années 2000. Ugo Noury apporte d’autres arguments intéressants
concernant la compatibilité de Disney avec Marvel et Star Wars ainsi que la réception de
la chose par le public: « pour moi cela fait sens, même si leurs personnages sont bien
différents, Star Wars et Marvel se rejoignent avec Disney dans l’idée de concevoir des
histoires originales. Leur dénominateur commun, c’est le storytelling. De plus pour Star
Wars, même avant le rachat de Lucasfilm, il y avait déjà un historique en commun, avec
notamment l’attraction Star Tours dans les parcs Disneyland. Dans les dernières études,
on remarque que les gens ne sont pas si étonnés que cela : près d’un français sur deux
est au courant que Disney a racheté Star Wars et affirme que cela ne lui fait pas peur en
termes d’attente pour le prochain film. C’est aussi pour cela qu’on peut associer sur les
produits dérivés Star Wars les logos des marques Disney et Lucasfilm, alors que c’est
impossible avec Marvel (exception faite des jeux-vidéos Disney Infinity où tous les héros
donc toutes les marques cohabitent). On peut avoir une stratégie de visibilité adaptée au
public, avec sur les produits mainstream la cohabitation de Disney et Lucasfilm, et sur les
produits pure fans, seulement la marque Lucasfilm. (Le logo-titre Star Wars est quant à lui
évidemment présent partout). »
Quand on génère de nouvelles franchises, que ce soit en les créant ou les rachetant, on
est amené à restructurer son portefeuille de marques. Chez Ubisoft, chaque jeu est une
marque et toute série de jeux à succès devient une franchise (à l’image de Prince of
Persia et d’Assassin’s Creed). Chez Disney, les marques sont divisées en deux
catégories : les franchises et les propriétés. Ugo Noury explique : « pour faire la
distinction, les propriétés sont plus utilisées pour des partenariats one-shot, alors que la
franchise ce sera plutôt du long terme. La continuité, la pérennité, c’est aussi ce qui définit
une franchise.» Du coup, autour des trois marques ombrelles Disney, Marvel et Star
Wars, il existe une dizaine de franchises à la Walt Disney Company « en exemples pour
Disney : Cars, Princesses, Les Fées, Disney Baby ; Marvel est scindé en deux
franchises : Les Avengers et Spider-Man ; et sous la marque ombrelle Star Wars, on
retrouve sans surprise la franchise éponyme. » Chez Warner, on ne fonctionne pas trop
avec des marques ombrelles mais plus suivant les sorties cinéma. Il y a cependant
également plusieurs catégories de marques-films, ceux de classe A sont les franchises du
groupe. On retrouve dans ce cercle restreint Le Hobbit (Le Seigneur des Anneaux n’est
logiquement plus très actif), Batman et Superman. Pour l’instant les deux héros de DC
Comics sont sous deux franchises séparées, il se pourrait que cela change dans les mois
74
ou les années à venir avec les différentes sorties de film. On pourrait retrouver d’ici peu
une Justice League en fusionnant les deux franchises et en y intégrant Wonder Woman
par exemple.
La complexité du cas Marvel mérite qu’on y accorde un paragraphe supplémentaire.
Disney a certes acquis Marvel en 2009, mais elle ne dispose pas des droits d’adaptation
et d’exploitation sur tous les héros du catalogue. En effet, elle ne peut pas exploiter un
héros qui a déjà été adapté par une autre major avant 2009. Ainsi, si Disney dispose bien
de tous les droits sur Les Avengers (n’ayant jamais été vus sur grand écran auparavant),
c’est bien la 20th Century Fox qui distribue les films X-Men et les 4 Fantastiques, et c’est
Sony Pictures qui s’occupe de ceux concernant Spider-Man. Cependant, les relations
entre Disney et Sony Pictures étant plutôt bonnes, cela a permis à Disney de récupérer
l’exploitation des produits dérivés Spider-Man il y a plusieurs années déjà ainsi que la
série d’animation Ultimate Spider-Man, et plus récemment de sceller un accord pour
réunir sur grand écran l’Homme-Araignée et les Avengers1.
Alors pourquoi y a-t-il tant d’enjeu autour de ces contenus héroïques ? Vous vous
souvenez, Disney a racheté Marvel en 2009 pour 4 Md$. La coopération entre Disney et
les studios Marvel n’a été effective qu’à partir du premier film Avengers (2012). Cinq films
plus tard en comptant Avengers, soit en août 2014 avec Les Gardiens de la Galaxie,
Disney-Marvel avait déjà généré plus de box-office que le coût du rachat : 4,84 Md$.2 Ces
chiffres stratosphériques (près de 1 Md$ de box-office par film !) sont sans doute le fruit
d’une réalisation de qualité et d’un marketing efficace, mais cela montre surtout qu’il y a
une énorme demande de la part du public, et qu’elle n’attend qu’à être entretenue par une
habile sérialisation (nous le verrons dans la partie b).
Le licensing a aussi son rôle à jouer pour d’une part accroître cette demande, en
fonctionnant comme accélérateur de notoriété et d’image, et d’autre part, pour la
satisfaire. Avant d’aborder plus en qualitatif dans les parties c) et d) les produits dérivés,
discutons chiffres et royalties de nos licences héroïques. « Un contrat de licence implique
la négociation d'un taux de royalties (ou redevance). Celui-ci varie souvent de 2 à 14 %
du chiffre d'affaires HT réalisé par le licencié sur les produits dérivés. Mais pour s'assurer
une certaine sécurité, l'ayant droit l'assortit le plus souvent d'un minimum garanti, c'est-à-
dire d'une avance sur les royalties, qu'il percevra quel que soit le chiffre d'affaires effectif.
Au-delà de ce minimum incompressible, la redevance sera versée selon un rythme défini
1 Interview d’Eric BRUNE – DG de Sony Pictures Releasing France, parue dans Cahier des Exploitants,
n°153, 8 juillet 2015, p. 8 2 Article « Disney-Marvel, cinq ans d’idylle sans nuages », paru dans Le film français, n°3615, 28 novembre
2014, p. 6
75
dans le contrat. Enfin, l'ayant droit négocie, parfois, en plus, l'inscription d'un objectif de
chiffre d'affaires dans le contrat.1 » « Le taux varie selon le type de licence et le type de
marché. Il baisse quand la licence s’applique à des produits vendus avec de faibles
marges (alimentation, distribution). Ce taux monte lorsque la licence est très demandée
(14 % pour Pokémon) ou lorsqu’il s’agit d’un événement très médiatisé (jusqu’à 20 % pour
la coupe du monde de football). Le taux de royalties est négocié à la hausse lorsque le
licencié a de fortes marges sur la vente de ses produits.2 » Les deals entre signataires du
contrat de licence sont rarement dévoilés, ils font partie intégrante de la stratégie des
entreprises, d’où la difficulté de chiffrer l’impact du licensing. Selon l’OBS3, un revendeur
de T-shirts à l’effigie des héros Star Wars paie 80 000 € par an pour l’utilisation de la
licence et 5% par vente. C’est un exemple de produit vendu avec une marge faible (avec
donc un taux de royalties faible). Au contraire, « depuis 1998, le fabricant Hasbro propose
des jouets Star Wars pour des droits de franchise estimés à 250 M$, plus une
commission de 20% sur chaque vente.4 » À la vue de ces données, on peut évaluer le
taux de royalties de chacune de nos franchises héroïques entre 5% et 20%, selon le type
de produits sous licence, ce qui, quand on les agrège, constitue une manne financière
non négligeable. Ainsi, autour des films des années 1990, précisément de 1989 à 1996,
les produits sous licence Batman ont rapporté 4 Md$ à travers le monde5. Plus
récemment entre 2013 et 2015, les produits dérivés (type textiles, jouets, figurines) DC
Comics, ce qui inclue les franchises Batman et Superman + les propriétés telles que
Super Friends, ont rapporté 8 Md$ à Warner Bros., et 3 Md$ en produits vidéo6. Côté
Disney, Ugo Noury me confiait que « les produits dérivés forment une part essentielle des
revenus de la Walt Disney Company, de mémoire près de 60% ». Si bien que d’après une
étude Xerfi7, on retrouve Disney en tête du classement mondial des entreprises de
l’Entertainment les plus performantes en termes de recettes dues au licensing sur l’année
2014, avec 33,8 Md$ (avec en top-licences Avengers, Spider-Man, Star Wars et Cars),
loin devant son dauphin, qui n’est autre que Warner Bros. avec 4,5 Md$ cumulés (ses
top-licences sont Batman, Superman, The Hobbit et Harry Potter).
1 Article « Doper son chiffre d’affaires grâce à une licence de marque », paru dans Chef d’Entreprise
Magazine, juin 2009, p. 2 2 WARIN et TUBIANA, Marques sous licence : Les acheter – Les vendre – Les gérer, Éditions d’Organisation,
2003, p. 108 3 Article « Star Wars : le mythe revient », paru dans l’OBS, n°2649, 13 août 2015, p. 27
4 Ibid.
5 WARIN et TUBIANA, Marques sous licence : Les acheter – Les vendre – Les gérer, Éditions d’Organisation,
2003, p. 3 6 https://www.actualitte.com/article/monde-edition/dc-entertainment-le-super-heros-de-la-warner/60683
7 Étude Xerfi Mass Entertainment Groups – World – November 2015
76
b. Campagne du produit d’appel, premières licences et
sérialisation
Quand on veut accompagner la sortie du produit d’appel de la franchise (en général un
film au cinéma), on peut opter pour un plan média classique (avec affichage, presse et
spots TV ou radio), pour des opérations promotionnelles / des partenariats, pour des
lancements de produits dérivés avant le film, ou pour une combinaison de plusieurs ou de
tous ces éléments. Ugo Noury en tant que Brand Manager explique ainsi que son rôle
« est de faire vivre la franchise au-delà des événements naturels (comme une sortie de
film), à travers des opérations marketing et communication 360°. Ces opérations prennent
place avant, pendant ou après les événements naturels, mais la plupart du temps avant,
pour faire monter la notoriété de la marque. Pour donner un exemple, pour la sortie
d’Avengers 2, on a fait un “Road to the Movie“, on a utilisé l’ensemble de nos
plateformes/média pour augmenter la notoriété des personnages jusqu’à la sortie du film :
à la télé avec une programmation spéciale autour des Avengers, en publicité avec des
achats média pour la campagne “Avengers en avant ! “, et à cela venait s’ajouter la
communication autour du film. Tout cet ensemble nous a permis d’obtenir de très bons
résultats en termes de notoriété, d’entrées ciné et de produits dérivés Avengers. » Pour le
succès des produits dérivés, on en a eu un aperçu il y a quelques lignes (quand nous
évoquions les performances de Disney sur le marché de la licence). Concernant les
entrées ciné, Avengers : L'Ère d'Ultron a réalisé un très solide box-office (dans le top 8 de
tous les temps) : plus de 1,40 Md$1. Pour ce qui est de la notoriété, « le pari semble
réussi, puisque les Avengers bénéficient désormais d’un taux de notoriété de 93% chez
les garçons de 10 à 14 ans (89% chez les 6-14 ans) et de 91% chez les 18-34 ans2 »,
alors qu’avant les films, ils étaient de parfaits inconnus sur le sol français.
Du point de vue de Disney, Ugo Noury me confiait que « le rôle du héros est de porter la
franchise. » Je voudrais savoir si cela se confirme en termes d’affichage. Pour les
franchises à héros unique (Batman, Superman, Spider-Man), cela ne fait pas trop de
doute, le héros occupera le centre de l’affiche. Qu’en est-il des franchises à héros
multiples ?
Commençons par l’équipe de super-héros des Avengers. Sur la Figure 22 (page
suivante), on remarque la similarité entre les deux affiches, entre celle du premier film à
gauche (2012) et celle de sa suite à droite (2015). Quatre héros majeurs se détachent :
1 Source : Box Office Mojo
2 Article « Le match super-héroïque entre Warner Bros et Disney », paru dans LSA, n°2364, 30 avril 2015
77
Iron Man, Thor, Captain America et Hulk. Ce n’est pas un hasard, ces quatre-là avaient
déjà connu au moins une adaptation au cinéma (mais séparément).
Figure 22 : Affiches des films Avengers 1 et 2 (2012 et 2015)
À gauche, Iron Man est le plus mis en avant. Car c’est lui qui est chargé de porter la
franchise en 2012, surfant sur la vague du succès des deux films à son nom Iron Man 1 et
2 (2008 et 2010). L’affiche de 2015, à droite, est plus équilibrée, avec une meilleure
cohésion d’équipe. Elle est également intéressante parce que les armes et équipement
des héros, soit une part essentielle de leur identité visuelle, sont bien plus visibles : les
biceps de Hulk, l’armure et le projecteur d’énergie d’Iron Man, le bouclier de Captain
America et le marteau de Thor.
Figure 23 : Affiches de la trilogie Seigneur des Anneaux (2001-2003)
78
Sur la Figure 23, on observe un quatuor de héros dominants sur la continuité des trois
affiches : Frodon, Gandalf, Aragorn et Arwen, la romance entre ces deux derniers étant
très développée dans les films. Deux autres remarques : Aragorn est logiquement plus
central sur le poster du troisième film Le Retour du Roi ; on peut également noter
l’apparition progressive de Sam et Gollum au devant de la scène.
Figure 24 : Affiches de la trilogie Le Hobbit (2012-2014)
Pour la trilogie du Hobbit, Warner Bros. effectue un choix différent. Le premier et le
dernier film proposent Bilbon en tête d’affiche, le deuxième quant à lui reprend la
construction des posters du Seigneur des Anneaux. On y retrouve Gandalf, Bilbon, Thorin
et Legolas, les quatre héros dont les aventures (les « Voyages » à la sauce Campbell) se
croisent dans les films. L’Antagoniste Smaug (dragon) est subtilement représenté.
Sur la Figure 25 (page suivante), on remarque à quel point les affiches Star Wars
conservent un style similaire malgré l’éloignement temporel. De plus, les sabres lasers
sont omniprésents. Pour les épisodes I à III, en haut de la Figure, la franchise s’appuie
sur le trio Obi-Wan, Padmé et bien sûr Anakin/Vador. L’ombre de Vador apparait sur
l’affiche du troisième opus, permettant une parfaite transition avec les posters des
épisodes IV à VI (en bas de la Figure). Pour la trilogie originelle, le trio Luke, Leia et
Vador est mis en avant. Han Solo prend progressivement de
l’importance au fur et à mesure des films et cela se retranscrit sur
les affiches. Avec l’épisode VII pour finir (sur la droite), on retrouve
encore un trio : l’héroïne Rey, son acolyte Finn et le vrai-faux
méchant Kylo Ren. Les anciens héros Leia et Han apparaissent en
seconds rôles. Etonnamment, Yoda n’est jamais présent. Il se
rattrape sur l’affiche de la sortie 3D de l’épisode I (2012, ci-contre).
79
Figure 25 : Affiches des films Star Wars, épisodes I à VII (1977-2015)
La campagne média peut être complétée par du licensing promotionnel, des partenariats.
D’abord, il faut trouver le bon partenaire, et le convaincre. De l’aveu d’Ugo Noury, « ce qui
va nous permettre de convaincre, ce sont les études. Des études qui montrent à quel
point la marque partenaire et notre franchise sont bien alignées en termes de cibles et
positionnement. » Justine Villeneuve acquiesce « il vaut mieux que les deux marques
coïncident, sur leur marketing-mix et sur leur cible » et complète « il se peut que l’image
de marque de l’un ou de l’autre des partenaires soit altérée si cela ne fonctionne pas,
et/ou si elles ne correspondent pas au même standard de qualité. » On l’a déjà vu avec
Disney et Star Wars, dès qu’il y a association de marques, et cela est également valable
pour tout type de licensing, il y a risque d’altération.
Justine Rochereuil nous livre un exemple de partenariat, sans altération d’images de
marque je vous rassure. « Pour le 2ème volet du Hobbit : La Désolation de Smaug (2013),
nous avions un partenariat avec Philips TP Vision, qui recouvrait trois étapes du cycle de
vie du film-marque. Étape 1 : une campagne média co-brandée où Philips TP Vision a
financé une partie de la campagne média pour la sortie ciné. On pouvait ainsi voir dans le
métro des affiches avec un écran Philips aux couleurs du Hobbit. Étape 2 : la licence,
Philips achète les droits d’images du film pour les utiliser sur ses emballages produits ou
80
supports de communication. Pour terminer, l’étape 3 : nous vendions des DVD à Philips
pour des opérations “bundles“, c’est-à-dire des opérations promo qui offrent par exemple
pour X euros de plus, le DVD du Hobbit pour un lecteur Blu-Ray Philips acheté. » Entre
Le Hobbit et Philips, il y a donc eu du co-branding (une forme de licensing) permettant de
compléter la campagne média, de la licence classique (de long terme) et de la licence
promotionnelle avec les bundles (mais ceux-ci pour la sortie DVD et non ciné).
En France, la législation interdit de faire la publicité d’une sortie cinéma à la télévision.
Aux États-Unis au contraire, c’est le média par excellence pour promouvoir le produit
d’appel cinématographique (surtout lors du Super Bowl !) Les mois précédents la sortie de
l’épisode VII, le petit écran américain a été inondé de pubs Star Wars, comme celle de
Duracell par exemple1. Plus originale en 2012, et plus drôle2, la marque de boisson Brisk
avait mis en scène Dark Maul et Yoda à l’occasion du passage de l’épisode I en 3D dans
les salles obscures (de la Force). En France, il faut trouver un moyen de contourner plus
ou moins subtilement la loi. La Poste s’y est essayée avec brio pour la sortie de l’épisode
VII3. La sortie cinéma n’est jamais évoquée, mais comme par hasard, le colis livré par La
Poste contient des figurines Star Wars. Quand on est Warner ou Disney et qu’on possède
ses propres chaînes TV, on peut aussi habilement trouver des alternatives, en
programmant des contenus reprenant les mêmes héros que ceux du cinéma, comme
nous l’avait confié Ugo Noury au début de cette partie b) avec la campagne Avengers 2.
De plus en plus de films sortent avec une suite déjà annoncée. On ne fait plus vraiment la
campagne pour la sortie d’un produit d’appel isolé, mais on effectue le lancement
marketing de toute une série de films appelés à former un ensemble cohérent.
Quel est l’intérêt d’une telle sérialisation ? Faire des suites permet de rassurer le
consommateur, de lui proposer une histoire construite pour durer. Justine Villeneuve va
dans ce sens : « les séries permettent de prolonger l’expérience, les gens veulent rester
dans le contenu. Il y aussi une explication plus éditoriale, avec les suites, on peut
construire sur le long terme un univers, une mythologie de marque. » Une mythologie de
marque ? « C’est tout ce qui fait l’ADN de la marque, plutôt dans notre cas les ingrédients
de l’univers construit, ce qui fait sa cohérence et sa crédibilité. » Justine Rochereuil
ajoute : « cela permet de prolonger l’attachement au héros, à ce qu’il ressent, jusqu’à un
sentiment de proximité avec le personnage. Cela permet aussi d’apporter de la continuité
à l’histoire et de voir les héros, mais aussi les personnages secondaires, ou encore les
1 https://www.youtube.com/watch?v=YBh0hgP8wWk
2 https://www.youtube.com/watch?v=LwabxgoSGZY
3 https://www.youtube.com/watch?v=AN03_CNwfww ; les trois dernières secondes de la vidéo YouTube
n’apparaissent pas dans le spot TV.
81
méchants, évoluer peu à peu. » On s’intéressera à ces développements de personnages
secondaires dans le e)iii). Mais surtout, du point de vue de l’exploitant de la franchise, la
sérialisation permet de rentabiliser au maximum le contenu du produit d’origine.
Figure 26 : Top 15 des franchises cinématographiques les plus performantes au monde (1962-2014)1
Sur la Figure 26, on observe la bonne forme des super-héros. Notez cependant que
l’appellation « Marvel Cinematic Universe » est ici utilisée à tort. Xerfi, qui a réalisé cette
étude, a pris en compte tous les films produits par les studios Marvel depuis leur création
en 1993 (soit 35 films à la date de l’étude) alors que le véritable « Marvel Cinematic
Universe » ne commence qu’en 2008 avec le premier Iron Man (le MCU ne comptabilise
fin 2015 « que » 12 films, je vais vous en présenter les prochaines échéances dans
quelques lignes). La franchise Avengers, en cumulant les films introduisant les héros et
les films où ils se retrouvent, pèse à elle seule près de 7,8 Md$ en box-office2. Sous le
nom « The Lord of the Rings », Xerfi a cumulé les box-offices de la trilogie Seigneur des
Anneaux et des deux premiers volets du Hobbit (le troisième a fait près de 1 Md$). Pour
Star Wars, il faudrait désormais rajouter les chiffres de l’épisode VII, c’est-à-dire plus de 2
1 Étude Xerfi Mass Entertainment Groups – World – November 2015
2 Source : Box Office Mojo
82
Md$ supplémentaires, ce qui placerait la franchise galactique sur les talons de Harry
Potter (8 films pour ce dernier, contre 7 pour Star Wars). Pour être complet, précisons
bien qu’il s’agit des box-offices absolus, autrement dit ne prenant pas en compte
l’inflation. En box-office relatif, il faudrait encore 33% de rentrées ciné supplémentaires
pour permettre à l’épisode VII d’égaler son aïeul de 1977 l’épisode IV1 !
Pour rester sur Star Wars et illustrer ce que j’écrivais quelques lignes plus tôt concernant
l’annonce des séries de films à l’avance, on sait d’ores et déjà que l’épisode VII est le
premier d’une trilogie, que les épisodes sont prévus tous les deux ans, et qu’ils seront
entrecoupés de trois films dérivés : l’un Rogue One se passant entre les épisodes III et IV
(ce film est annoncé pour 2016), et les deux autres se concentrant tour à tour sur Han
Solo puis Boba Fett. Star Wars étant dans le groupe Disney désormais, cette planification
n’est pas sans rappeler celle de Disney-Marvel qui a découpé ses lancements cinéma en
plusieurs phases. Le « Marvel Cinematic Universe » dit MCU prévoit les adaptations
cinématographiques de ses comics jusqu’en 2019. Les phases I (2008-2012) et II (2013-
2015) se concentraient sur la montée en puissance des Avengers, la phase III, qui
débutera en 2016, élargira encore le nombre de super-héros portés à l’écran. De son côté
Warner-DC va lancer la riposte dès Batman vs. Superman en mars prochain, avec des
sorties de super-héros prévues jusqu’en 2020. Un petit récapitulatif s’impose :
Figure 27 : Planification des prochaines sorties cinéma de Marvel et DC2
1 Source : Box Office Mojo
2 Article « Le match super-héroïque entre Warner Bros et Disney », paru dans LSA, n°2364, 30 avril 2015
83
c. Produits dérivés classiques : textile, jeux/jouets et figurines
Avec la campagne marketing du b), on ne lance pas seulement un film ou une série de
films, on lance également la circulation au sein de la franchise. La ronde des produits
sous licence peut commencer. À partir de maintenant, on ne sera plus dans de la licence
promotionnelle, avec des opérations avant ou autour des films, mais bien dans de la
licence de plus long terme, qui a pour rôle de satisfaire les consommateurs attendant
avec impatience la sortie du prochain volet de leur franchise favorite. Comme l’affirme
Ugo Noury, « les produits sous licence permettent de revivre l’expérience du film chez
soi » et de rester au contact de ses héros préférés. Pour rappel, Disney gère les produits
dérivés Spider-Man, Avengers et Star Wars ; Warner Bros. s’occupe des produits dérivés
Batman, Superman et Seigneur des Anneaux / Hobbit. J’aimerais pouvoir parler de
merchandising de Disney et de Warner, mais autant ce serait le terme adéquat en
anglais, autant en français, le merchandising désigne plutôt les « techniques et matériels
élaborés pour maximiser les ventes de produits sur points de vente1 » (ce qui correspond
au retail merchandising des anglo-saxons). Les produits dérivés que l’on va décrire dans
cette partie c) sont les agents principaux de la saturation physique et matérielle des
rayons de supermarchés, ils assurent la visibilité de la franchise en linéaire (alors que
dans la partie b) on s’occupait d’un autre type de saturation spatiale, celle de l’espace
médiatique).
produits textiles et autres biens de consommation :
Avec les produits textiles et plus généralement les biens de consommation, on va pouvoir
viser la cible grand public, dans la droite lignée du produit d’appel cinématographique.
Pour cette catégorie de produits dérivés, on va évidemment trouver de nombreux articles
à l’effigie des héros mais pour les vêtements
en particulier, ce sont les marques héroïques
avec des logos-symboles très distinctifs qui
vont être les plus performantes – Batman,
Superman et Spider-Man notamment, je vous
renvoie à la partie II)b)iii). Ces marques
fonctionnent alors comme des griffes de
mode. Les héros peuvent être déclinés sous
toute forme et leurs éléments de marques apposés sur tout bien de consommation
possible et imaginable, des accessoires (bijoux, montres, lunettes, casquette), des objets
1 WARIN et TUBIANA, Marques sous licence : Les acheter – Les vendre – Les gérer, Éditions d’Organisation,
2003, p. 145
84
déco ou pour la cuisine, ou certains plus insolites.
J’aimerais à présent faire un focus sur les fournitures
scolaires (à ne pas confondre avec l’image ci-contre).
C’est une catégorie intéressante car le produit doit
séduire une double cible : les enfants comme les parents.
Et la force de Star Wars, de Tolkien et des héros de
comics est d’avoir déjà touché de multiples générations.
Leur force, c’est leur universalité. Je repense au taux de
notoriété des Avengers exprimé en partie a), culminant à 90% pour les 10-34 ans, ou aux
films des années 1980 qui doivent rappeler aux parents leur jeunesse dorée. Ainsi, le
parent aura peut-être plus de facilité à acheter un cartable Batman, plutôt qu’un sac de
célèbre équipementier sportif, pensant que le meilleur modèle pour son enfant est sans
doute plus proche du super-héros, que du footballeur professionnel (pour coller à
l’actualité).
jeux/jouets et figurines :
Ici, on retrouve des produits qui ciblent particulièrement les enfants (à part les jeux de
société qui se destinent à un public résolument familial). « Les ventes de jouets sont
passées de 4,6 à 12,3 Md$ entre 1982 et 1986, mais ce sont les ventes de jouets sous
licence (figurines, peluches et poupées à la mode) qui ont augmenté le plus rapidement,
de 20% du total des ventes en 1977 à environ 70% des 18 Md$ du marché américain du
jouet et des jeux en 1992.1 » Étrangement ces chiffres coïncident avec les sorties de la
trilogie Star Wars, de la tétralogie Superman et des Batman de Burton (à une époque où
les héros DC Comics étaient moins sombres et moins adultes à l’écran). En France, la
licence a mis plus de temps à percer, et en 2015, elle représente 23,6% du marché du
jouet, cependant en progression par rapport aux 21,6% de 20142. Notons aussi que le
marché du jouet hexagonal est porteur, il progressait de 5% fin août 20143. Au niveau des
leaders sur le marché des jeux et jouets, on retrouve de vieilles connaissances, Disney en
n°1 et Warner Bros. en n°7.4
Sur ce marché, Disney profite de son image de marque associée à la cible enfantine et de
son expertise acquise au fil des années. Avec les Avengers ou Star Wars (sans oublier
les classiques nostalgiques type Mickey), elle peut aussi désormais viser un public plus
adolescent et même adulte, en s’associant avec des marques de vêtements tels Célio
1 BOTTERILL et KLINE, « Médias et Marketing des jeux et des jouets », La ronde des jeux et des jouets,
Autrement « Mutations », 2008, p. 127 2 Article « Des licences toujours plus fortes », paru dans LSA, n°2396, 20 janvier 2015
3 Article « Disney, en toute franchise… », paru dans La Revue du jouet, n°484, novembre 2014, p. 44
4 Étude Xerfi Toy and Game Groups – World – October 2014
85
(avec Avengers), Uniqlo (aussi Avengers) ou Undiz (avec Star Wars), je vous renvoie
alors à la sous-partie précédente sur les produits textiles. « Chez Warner, le problème est
inverse. Batman était la licence numéro un en jouets en 2000, mais la saga
cinématographique Dark Knight l’a rendue plus adulte. Une cible travaillée de longue date
par Warner avec ses héros DC Comics, en édition et en textile notamment, et que le
groupe entend continuer à cultiver… tout en se rapprochant aussi des enfants. Outre des
séries animées (Batman en tête) toujours présentes en télé, Warner monte ainsi en
puissance au cinéma avec Lego : après La Grande Aventure Lego, sorti l’an dernier et
dans lequel apparaissent Batman et Wonder Woman notamment, Warner sortira en 2017
un film Lego Batman.1 » Si vous voulez cibler les enfants, les séries animées couplées
aux sorties de jeux et jouets représentent l’arme fatale. On remarque à quel point Warner
et Disney veulent, à travers leurs différents produits sous licence, rendre leurs franchises
multi-générationnelles. Si on s’intéresse au top 5 des licences en valeur sur le marché du
jeu et jouet français en 2015, on obtient une écrasante domination de Disney avec
l’ensemble du top totalement acquis à sa cause : n°1 Reine des Neiges, n°2 Star Wars,
n°3 Mickey, n°4 Princesses Disney et n°5 Avengers2. Mieux, sur la période 2008-2015,
seule Hello Kitty parvient à s’insérer dans l’hégémonie Disney : n°1 Star Wars, n°2 Cars,
n°3 Princesses Disney, n°4 Hello Kitty et n°5 Mickey3. Rien d’étonnant pour Star Wars,
puisqu’on estime à 12 Md$ les revenus cumulés liés aux jouets de la franchise Jedi,
depuis 19774. On apprend aussi qu’en déguisement, les héros Marvel (Spider-Man +
Avengers) sont désormais numéro 2 des ventes, juste derrière la Reine des Neiges5.
Avec Cars et les héros Marvel, Disney a pu rétablir le déséquilibre historique de son offre
de franchises, qui avait toujours plutôt penché vers les petites filles (avec les Princesses
Disney). Si vous consultez les annexes, vous apprendrez dans l’interview d’Ugo Noury
que Cars n’était à la base qu’une propriété mais que ses résultats en termes de produits
dérivés l’ont transformé en franchise à part entière.
Au niveau des fabricants pour schématiser, Hasbro s’occupe pour Disney des produits
Star Wars, Spider-Man et Avengers (et ce depuis un accord datant de juillet 20136), tandis
que Warner Bros. privilégie Mattel et Lego pour ses franchises et propriétés issues de DC
Comics, et également pour Le Hobbit. Comme on l’a déjà souligné, les jeux et jouets
s’inspirent souvent des séries animées. Ce fut le cas avec la gamme de figurines DC
Super Friends créée dans les années 1980 par Mattel en se basant sur les visuels de la
série TV éponyme. La propriété a perduré et en 2015, c’est à présent Warner qui s’inspire
1 Article « Le match super-héroïque entre Warner Bros et Disney », paru dans LSA, n°2364, 30 avril 2015
2 Article « Des licences toujours plus fortes », paru dans LSA, n°2396, 20 janvier 2016
3 Ibid.
4 Article « Toys Story », paru dans Geek, vol. 2 / n°3, mai 2015, p. 74
5Article « Des licences toujours plus fortes », paru dans LSA, n°2396, 20 janvier 2016
6 Étude Xerfi Toy and Game Groups – World – October 2014
86
des jouets pour en faire des contenus courts animés disponibles sur YouTube1. Ce n’est
pas une première pour Mattel et Warner puisque la gamme Batman Unlimited a aussi été
adaptée en un film d’animation du même nom (sorti directement en DVD en mai 2015)2.
On a vu dans la partie a) que la licence Star Wars avait un taux de royalties estimé à 20%
pour ses jouets. La question qu’on peut se poser, est-ce si intéressant que cela pour
Hasbro, Mattel ou Lego de vendre des produits sous licence si on part déjà avec un
handicap de -20% ? La réponse est positive bien évidemment, elle s’explique par la
perception du capital de marque par le consommateur, la valeur que la franchise a à ses
yeux comparée à un produit sans marque, en d’autre termes, combien il est prêt à payer
en plus pour le produit avec marque. Or, sur le marché des jeux et jouets, les produits
sous licence se vendent 50% plus chers que ceux sans licence3. Ainsi, faisons un rapide
calcul. Hasbro peut vendre son jouet sans licence 1€, ou bien il peut vendre ce même
produit sous licence 1,50€. Même en enlevant les 20% de royalties dues à Star Wars,
Hasbro est gagnant dans l’opération, récupérant 1,20€ pour son jouet sous licence (au
lieu de 1€ sans).
Sur le segment de marché de la figurine, Avengers est la licence n°1, ex-æquo avec Star
Wars4.
produits hybrides, exemples d’un jeu de figurines et du jouet-vidéo :
Commençons par le marché de niche qu’est le jeu de figurines. Je vais vous parler
particulièrement du Seigneur des Anneaux : Le jeu de batailles devenu Le Hobbit : Le jeu
de batailles. Comme presque tout produit dérivé de cet univers, il est sous la double
licence Middle-Earth Enterprises et Warner Bros. Le jeu se compose de deux éléments :
les figurines de 2,5mm de haut en métal ou en résine, basées sur les visuels des films, et
les livres de règles édités par Games Workshop (spécialiste des jeux de figurines et jeux
de plateaux, avec Warhammer notamment). Il suffit ensuite d’un simple mètre (pour le
déplacement des troupes) et de dés (déterminant la réussite ou non des actions des
personnages). Le jeu est interdit aux moins de douze ans, non pas pour une question de
violence, mais parce que les figurines s’achètent en kit et nécessitent outils, colle forte,
peinture et beaucoup de patience pour être mises sur pied. Ce jeu s’adresse aux fans de
la saga (ou aux adeptes des jeux de plateaux). Il a été lancé au début des années 2000
en suivant l’engouement autour des films de Peter Jackson. On peut bien sûr reproduire
les grands moments des films, avec les scénarios dédiés, et on retrouve tous les héros de
la trilogie cinéma en miniature en tant que figurines d’une part et avec un profil à leur nom
1 https://www.youtube.com/playlist?list=PLcrApfnvcfVziLpbjdtWlpJd7E9czrZR3
2 Article « Super New Content », paru dans License Mag, février 2015, pp. 64-66
3 Étude Xerfi Toy and Game Groups – World – October 2014
4 Article « Licences : De l’art de perpétuer les grandes sagas », paru dans LSA, n°2396, 20 janvier 2016
87
dans le livre d’autre part, décrivant leurs caractéristiques de jeu (ainsi qu’un petit
descriptif). Je vous ai mis le profil de l’elfe Legolas en exemple (en haut de la Figure 28).
Pourquoi je vous parle de ce jeu ? Parce qu’on n’imagine pas qu’un produit dérivé si
marginal, qu’un simple jeu avec des figurines puissent apporter un quelconque contenu.
Or au bout de quelques années, il n’y avait plus de nouveaux personnages à sortir, tous
les peuples, toutes les créatures, tous les personnages vus sur grand écran avaient un
profil. Alors Games Workshop est allé puiser dans les livres de Tolkien, pour trouver de
nouveaux héros nommés qui puissent alimenter la gamme. Et ils leur ont créé une identité
visuelle à part entière, en interprétant les écrits de Tolkien. Ils ont fait leur propre
adaptation de certains personnages (comme pour Thranduil, le père de Legolas, en bas
de la Figure 28). Ils ont même fini par inventer des héros de toutes pièces, avec un
storytelling cohérent derrière, venant s’inscrire dans tel ou tel peuple de la Terre du Milieu.
Figure 28 : Profils de Legolas et Thranduil dans Le Seigneur des Anneaux : Le jeu de batailles
88
Avec les films du Hobbit, la deuxième trilogie de Peter Jackson en Terre du Milieu, la
licence a été renouvelée par Games Workshop et le jeu a changé de nom pour Le
Hobbit : Le jeu de batailles. Ce qui est assez cocasse, c’est que Thranduil est un
personnage assez important de la trilogie du Hobbit, il a donc bénéficié d’une nouvelle
figurine reprenant les traits de l’acteur et son costume, ainsi que d’un nouveau profil,
conforme à ce qu’il démontre au cinéma. Thranduil a radicalement changé, passant d’un
archer et magicien de talent, un roi sage, à un combattant redoutable au corps-à-corps
beaucoup plus impétueux (voir Figure 29). Les deux versions cohabitent dans la nouvelle
édition des règles de jeu.
Figure 29 : Profil de Thranduil version Le Hobbit
Passons maintenant à un secteur émergent très prometteur : le jouet-vidéo, qui devrait
représenter 15 Md$ au niveau mondial d’ici 20171. Alliant monde virtuel et figurines en
plastique bien réelles, ce sont en fait des jouets connectés (qui gardent en mémoire les
données de joueur). On fait interagir les figurines équipées de puces NFC (Near Field
Communication, soit communication en champ proche) avec le lecteur, une sorte de socle
relié à la console de jeu. Chaque figurine débloque son double virtuel dans le jeu. C’est
l’éditeur de jeux-vidéo Activision-Blizzard qui s’est lancé le premier sur ce créneau en
2011 avec les Skylanders, et a généré plus de 1,5 M$ en moins de deux ans2. Disney,
toujours à l’affût sur le marché du jouet, a vu là l’occasion de briller dans un secteur vidéo-
ludique qui ne lui réussit que peu ces dernières années. (Sa filiale dédiée Disney
1 Article « Comment Disney compte s’imposer dans le jeu vidéo », paru dans 01 Business, n°2177, 14 mars
2013, p. 48 2 Ibid., p. 46
89
Interactive enregistrait en effet des pertes à hauteur de 125 M$ sur l’année 2013)1. Disney
a alors investi 100 M$ pour mettre au point un jeu capable de concurrencer Skylanders2.
Ainsi naquit en 2013 le jeu Disney Infinity. L’une de ses particularités est que les univers
construits par les enfants sont stockés dans le cloud de Disney, ce qui permet aux enfants
cibles, les 7-12 ans, de faire valoir leur créativité et amène un aspect participatif très
actuel dans le jeu-vidéo (la tendance sandbox game). « Le joueur part d’un univers vide
qu’il complète et remplit au gré de ses fantaisies. Du coup, il est possible de faire évoluer
Jack Sparrow dans le monde graphique et musical de Cendrillon.3 » Disney Infinity avait
été lancé avec les personnages de la marque ombrelle Disney, puis en 2014 se sont
ajoutés les héros Marvel, et enfin en 2015, ceux de Star Wars. Les marques et les héros
de divers horizons cohabitent exceptionnellement pour proposer un catalogue de plus de
90 figurines fin 2015. Et ainsi exposer les enfants au virus de la collectionnite, à près de
15€ pièce la figurine à l’effigie du héros (et autour de 50€ pour le pack de démarrage,
sans compter tous les contenus additionnels proposés). Une vraie mine d’or qui risque
bien de devenir l’axe stratégique de Disney dans le secteur vidéo-ludique. C’est en tout
cas un pari réussi au vu des chiffres de l’année 2014 : Disney Interactive a retrouvé la
croissance (+22,1% de recettes par rapport à 2013)4. Mais attention aux nouveaux
arrivants sur le marché, Amiibo de Nintendo lancé en 2014 ou encore Lego Dimensions
en 2015 (jeu édité par … Warner Bros.)
d. Produits dérivés culturels : livres, audiovisuel et jeu-vidéo
Tandis que les produits dérivés classiques de la partie c), produits hybrides mis à part,
n’ont pas fonction à apporter du contenu complémentaire au produit d’appel, les produits
dérivés culturels eux donnent tous la possibilité d’enrichir la narration. Justine Villeneuve
développe : « l’enjeu, c’est de créer du contenu. Le contenu, c’est ce qui fait la valeur
dans l’Entertainment, ce qui enrichit ton territoire de marque. Pour ce faire, tu dois profiter
des spécificités des différents supports/média du divertissement : avec un roman, tu as
plus de place pour explorer ce que le héros a en tête, son questionnement intérieur ; avec
une BD, tu peux poser une certaine ambiance, un univers ; avec un jeu-vidéo c’est
différent, tu seras plus dans l’incarnation et l’identification au héros. Mais dans ce dernier
cas, il faut également que le héros soit un peu “dépersonnalisé“ pour que chacun puisse
1 Article « Comment Disney compte s’imposer dans le jeu vidéo », paru dans 01 Business, n°2177, 14 mars
2013, p. 47 2 Ibid.
3 Ibid
4 Étude Xerfi Mass Entertainment Groups – World – November
90
entrer dans la peau du personnage. L’intérêt des adaptations est aussi de prolonger ton
actu, casser la saisonnalité d’une seule sortie par an, et en venir à réduire la dépendance
à un seul médium. Certaines personnes peuvent apprécier tes personnages à travers une
BD sans pour autant être intéressées par les jeux-vidéo. Les diverses adaptations sont
autant de portes d’entrée à ton univers. » Justine Rochereuil acquiesce : « ce qui va être
le plus intéressant en diversifiant, c’est qu’en se retrouvant sur différents supports média
(cinéma, TV, Netflix, jeux-vidéo, livres), tu vas toucher différents publics. » Cela fait écho
à ce que l’on avait prouvé théoriquement en partie II)c)iv) concernant le potentiel du
licensing : au-delà de ses fonctions premières d’accélérateur de notoriété et de soutien à
l’image de marque, le licensing permet de développer des pans inédits de l’histoire, crée
de nouveaux points d’entrée dans la franchise et fait perdurer le héros et son univers avec
des productions tout au long de l’année. Cette saturation temporelle vient compléter la
saturation spatiale des parties b) et c) (médiatique et physique), les produits dérivés
culturels étant moins dépendants de la saisonnalité que les produits dérivés classiques
(qui surperforment à Noël ou lors de la rentrée scolaire).
jeu-vidéo :
L’industrie vidéo-ludique en tant que produit dérivé a toujours bien fonctionné avec le
produit d’appel cinématographique. Elle est cependant tiraillée entre la dynamique de
reproduction et celle de transformation.
« La pratique de l’adaptation s’est structurée tout au long des trente dernières années
pour devenir aujourd’hui une catégorie importante de la production vidéo-ludique,
représentant près de 10% de l’édition de jeux-vidéo prise dans sa totalité.1 » « En 1989,
Warner Bros. céda les droits d’adaptation de son blockbuster de l’été, Batman, réalisé par
Tim Burton, à trois éditeurs qui produisirent pas moins de onze adaptations différentes.2 »
« Développer et publier une adaptation vidéo-ludique d’un film permet de bénéficier de
lourds investissements promotionnels consentis lors de l’exploitation en salle […] ; ce
choix éditorial fortement dicté par des impératifs commerciaux assure donc une certaine
visibilité au jeu. Cette stratégie s’applique particulièrement bien à ce que l’industrie
hollywoodienne nomme le movie tie-in game, c’est-à-dire le jeu adapté d’un film éponyme
dont la commercialisation se fait en même temps que l’exploitation en salle.3 » Cette
remarque sur le fait de bénéficier de la campagne de soutien élaborée pour la sortie
cinéma s’applique pour tous les produits dérivés. « En plus de profiter de la popularité
1 BLANCHET Alexis, « Des films aux jeux vidéo : quand le jeu impose ses règles », La ronde des jeux et des
jouets, Autrement « Mutations », 2008, p. 60 2 Ibid., p. 69
3 Ibid., p. 60
91
d’un film et de ses personnages, l’adaptation permet aux créateurs de jeux d’obtenir “clefs
en main“ une trame narrative, une galerie de personnages, des registres d’action, un
contexte fictionnel, en somme tout un univers dans lequel penser des situations
ludiques.1 » Mais le movie tie-in game possède un énorme inconvénient, celui de devoir
caler le développement de son jeu-vidéo sur le rythme de production du film. Et les deux
industries ne concordent pas forcément sur ce point. « Voilà pourquoi on se retrouve
souvent avec des adaptations “légères“, dont le scénario se résume généralement à
reproduire les scènes les plus spectaculaires des films qu’elles exploitent.2 » En exemples
de movie tie-in game, on pourra citer l’adaptation du dernier volet de la trilogie Seigneur
des Anneaux (2003) et celle du troisième opus de la prélogie Star Wars (2005). Je me
souviens avoir joué, respectivement, à l’un sur Game Boy Advance et à l’autre sur PS2.
En plus de simplement retranscrire le déroulement de la version cinéma, ces deux jeux-
vidéo avaient la particularité de faire découvrir des scènes de la version longue, bien
avant que cette dernière ne soit même sortie en DVD ! Ces scènes supplémentaires ont
du être coupées au montage par Peter Jackson et George Lucas en dernière minute, et le
jeu-vidéo ne pouvait plus revenir sur son développement, elles sont donc restées dans le
scénario du jeu3.
En raison de ces difficultés à faire concorder les deux calendriers de production, et
également sans doute en raison de la prise de confiance et l’affirmation des acteurs du
jeu-vidéo – souvenez-vous de la partie II)c)iii) et des synergies cinéma / jeu-vidéo dont ce
dernier a profité – on a assiste à l’émancipation progressive puis à l’autonomisation du
jeu-vidéo vis-à-vis du cinéma. De plus en plus de non-movie based games ont vu le jour
en lieu et place des movie tie-in games. La reproduction toute simple a laissé place à la
transformation, à des scénarios originaux et à des jeux qui ne reprennent plus le titre
exact du film. Pour la trilogie du Hobbit (2012-2014), il n’y a même pas eu une seule
adaptation directe reprenant le scénario des films sur console (au nombre de trois
pourtant !) Par contre, on a eu droit à un jeu-vidéo dérivé intitulé La Terre du Milieu :
L’Ombre du Mordor (2014) qui se déroule entre Le Seigneur des Anneaux et Le Hobbit,
rendant compte de la montée en puissance des armées de Sauron. Cette sortie signe la
confirmation de la fiabilité de Warner Bros. en termes de jeux-vidéo. Warner Bros. a en
effet créé ses propres studios, Warner Bros. Games, implantés à Montréal,
accompagnant le succès de la série de jeux Batman Arkham (2009-2015). Warner Bros.
Games est placé sous l’égide de Warner Bros. Interactive Entertainement, filiale de
1 BLANCHET Alexis, « Des films aux jeux vidéo : quand le jeu impose ses règles », La ronde des jeux et des
jouets, Autrement « Mutations », 2008, p. 61 2 Article « Le jeu vidéo fait son cinéma », paru dans Écran total, n°1015, 22 octobre 2014, p. 23
3 Pour le jeu Le Seigneur des Anneaux : Le Retour du Roi, il y avait toute la partie dans la vallée de Morts
ainsi que la conquête des ports pirates d’Umbar, tandis que dans le jeu Star Wars – Épisode III : La Revanche des Sith, il subsistait le passage scénaristique dans les égouts.
92
Warner Bros. fondée en 2004, dédiée à l’édition de jeux-vidéo et ayant racheté de
nombreux studios de qualité. Warner se distingue ici de Disney en proposant des jeux-
vidéo à destination des adolescents et des adultes, dans la droite lignée de ses produits
d’appel (mais amenant un contenu complémentaire). Pour séduire la cible enfantine,
Warner Bros. peut compter sur les jeux-vidéo Lego, dont elle est l’éditrice de nombreux
opus depuis 2011, les Lego Batman bien sûr, mais aussi les Lego Seigneur des Anneaux,
Lego Hobbit, et encore mieux les Lego Marvel ! Comme quoi, malgré leur concurrence
farouche, Warner et Disney savent s’entendre quand les deux parties y trouvent leur
compte. De plus, on a vu en fin de partie précédente que Warner édite également Lego
Dimensions, nouveau rival de Disney Infinity sur le marché des jouets-vidéo. Côté Disney
on dispose pour le public ado/adulte, malgré la fermeture de LucasArts, d’un catalogue de
jeux Star Wars qui ne demande qu’à être à nouveau exploité. « Aujourd’hui, la richesse et
la complexité de l’univers développé par la licence vidéo-ludique Star Wars, en termes de
personnages, d’espaces, de temporalité, en somme de consistance, dépasse largement
les bases posées par les deux trilogies cinématographiques.1 » On peut citer deux
exemples, Star Wars : Le Pouvoir de la Force (2008) qui propose d’incarner l’apprenti fictif
de Dark Vador dans la transition entre les épisodes III et IV ; et Star Wars : Knights of the
Old Republic (2003), salué par la critique, qui se situe des millénaires avant les films, en
reprenant bien entendu les codes de l’univers, la « mythologie de marque » dirait Justine
Villeneuve. Il y a même eu des romans dérivés de ce dernier jeu (édités en France chez
Pocket). Finalement, il y a trois axes possibles pour étoffer la narration lors de l’adaptation
d’un film en jeu-vidéo : « expansion de l’espace, dilatation du temps, inflation des ennemis
pour converger vers un accroissement des possibilités.2 »
La forte dématérialisation qui touche le secteur vidéo-ludique offre de nouveaux moyens
d’acheminer le contenu supplémentaire, avec les DLC (= downloadable content, soit
contenu téléchargeable). Justine Rochereuil nous explique : « ces contenus additionnels
(payants) vont être mis en ligne à intervalles réguliers après la sortie du jeu principal. Les
DLC vont venir augmenter la durée de vie du jeu, ajouter des pans de l’histoire, débloquer
des personnages, customiser le héros, bref prolonger l’expérience pour le joueur. Et c’est
un moyen pour l’éditeur de monétiser le jeu par le contenu bien après le premier achat. »
En 2015, les DLC représentent tout de même 14% des ventes totales sur le marché du
jeu-vidéo3.
D’autres tendances de marché peuvent venir aider ou freiner le jeu-vidéo dans son
ascension vers le rôle de produit d’appel. En frein, je vois le développement du modèle
1 BLANCHET Alexis, « Des films aux jeux vidéo : quand le jeu impose ses règles », La ronde des jeux et des
jouets, Autrement « Mutations », 2008, p. 68 2 Ibid., p. 74
3 Étude Xerfi Video Game Companies – World – December 2015
93
économique du free-to-play ou freemium, qui ne me semble pas un business model
suffisamment solide pour générer de la licence. Sont nominés dans la catégorie
opportunités : le développement de l’e-sport d’une part, pouvant générer une attention
médiatique et donc des revenus substantiels pour le secteur, et la réalité virtuelle d’autre
part, qui entraînera sans doute une nouvelle génération de consoles dans son sillage et
peut révolutionner l’expérience de jeu, se substituant ainsi définitivement aux salles
obscures immersives.
audiovisuel :
Malgré toutes mes démonstrations, le jeu-vidéo n’a pas encore aujourd’hui le statut de
produit d’appel. Pour autant, il existe de nombreux films dérivés d’univers vidéo-ludiques.
Parmi les plus célèbres, on pourra citer les deux adaptations de Tomb Raider (2001 et
2003) avec Angelina Jolie en Lara Croft, les cinq films Resident Evil (2002-2012) avec
Milla Jovovich (un sixième film est prévu pour 2017) et bien sûr Prince of Persia (2010)
avec Jake Gyllenhaal dans le rôle titre. (Je vous avais déjà présenté les identités visuelles
de Lara Croft et du Prince of Persia plus tôt dans ce mémoire). Pourquoi le cas de Prince
of Persia est-il particulièrement intéressant ? En bref, c’est une série de 11 jeux-vidéo
débutée en 1989, relancée par Ubisoft en 2003 avec Prince of Persia : Les Sables du
Temps et adaptée au cinéma par Disney en 2010. Le film se classe en deuxième position
du classement des meilleures adaptations de jeu-vidéo au cinéma (en termes de box-
office), juste derrière le Tomb Raider de 20011. Ce n’est pas forcément le film en lui-
même qui nous intéresse mais les conséquences qu’il a pu avoir. En effet, les rapports
entre Disney et Ubisoft étaient loin d’être idylliques, l’éditeur français n’ayant eu aucun
droit de regard sur l’adaptation de son jeu2. Ceci a poussé Ubisoft à accélérer sa
diversification et à créer son propre de studio de production audiovisuelle Ubisoft Motion
Pictures afin de retranscrire plus fidèlement ses franchises sur grand ou petit écran, une
première pour un éditeur de jeu-vidéo. Ainsi, Ubisoft s’est mis à la série TV animée avec
Les Lapins Crétins (diffusée sur France 3 depuis 2013) et est en production de
nombreuses adaptations cinéma : Assassin’s Creed avec Michael Fassbender dont la
sortie est annoncée fin 2016, mais aussi Splinter Cell, Watchdogs ou encore Ghost Recon
(qui sera distribué par Warner Bros.). Prince of Persia n’en fera pas partie, puisque les
droits d’adaptation restent détenus par Disney3. Cette dynamique de films dérivés de jeux-
vidéo va continuer à se développer (Angry Birds et Warcraft en 2016, Uncharted en
2017).
1 Source : Box Office Mojo
2 Article « Le jeu vidéo fait son cinéma », paru dans Écran total, n°1015, 22 octobre 2014, p. 24
3 Article « Ubisoft valorise ses franchises au cinéma », paru dans Le film français, n°3421, 29 avril 2011, p. 6
94
Après les films en tant que produits dérivés, intéressons-nous aux séries TV/streaming
dérivées. On remarquera que la télévision a toujours été friande de héros de fiction, et
particulièrement de super-héros. À titre d’exemple, de 1966 à 2010, Batman est apparu à
18 reprises dans des séries TV (cf. annexes).
Attaquons nous d’abord aux séries d’animation. On a déjà maintes fois souligné l’impact
des séries animées afin de viser la cible enfantine, ce que Warner, Disney et Ubisoft ont
parfaitement intégré. Mais au-delà de la cible enfantine, ces mêmes séries animées sont
parfois en mesure, dans la logique de circulation au sein de la franchise, d’influencer le
reste de l’univers. Ainsi, c’est dans la série animée Batman diffusée de 1992 à 1995 sur la
Fox, que le personnage de Harley Quinn, la partenaire du Joker, est inventé. Harley
Quinn a ensuite été reprise dans les comics, les jeux-vidéo et à nouveau la télévision (elle
l’aurait sans doute été aussi au cinéma dans la trilogie de Nolan, mais la mort de Heath
Ledger, l’interprète du Joker, a bouleversé le scénario initial prévu pour le troisième volet).
Côté Disney, on a l’avantage de posséder des chaînes thématiques à destination des
enfants ou des ados (Disney Junior, Disney XD et Disney Channel) ce qui permet de
diffuser directement les séries animées telles qu’Ultimate Spider-Man, Avengers
Rassemblement et Star Wars Rebels (qui se situe entre les épisodes III et IV).
Regardons maintenant ce qui se passe du côté des séries en live action. Côté Warner-
DC, il y avait eu dans les années 2000 la série Smallville proposant un Superman à ses
débuts, et nous avons maintenant Gotham depuis 2014, mettant en scène la ville de
Batman lorsqu’il est encore jeune. Gotham se concentre ainsi plutôt sur le commissaire
Gordon et sur les Antagonistes de Batman en devenir (qui auront courant 2016 leur
propre film au cinéma Suicide Squad). Deux autres alliés de Batman et Superman ont fait
irruption sur petit écran : Arrow (2012) et Flash (2014). Ces deux séries TV ont pour
particularité d’avoir certains épisodes en commun et de s’influencer l’une l’autre. Côté
Disney-Marvel, on va encore plus loin dans cet esprit puisque les séries en live action
sont même intégrées au Marvel Cinematic Universe, au sens où ce qui se passe au
cinéma influence les épisodes de la série (et on retrouve les mêmes acteurs pour les
mêmes rôles). Les séries TV Les Agents du SHIELD (2013) ou Agent Carter (2015)
mettent ainsi en scène les seconds couteaux des films sur les Avengers. De plus, Disney-
Marvel ont également choisi la diffusion exclusive sur Netflix pour introduire d’autres
personnages de leur univers : Daredevil (2015) Jessica Jones (2015), Luke Cage (2016)
et Iron Fist (2017).
livre :
Le monde de l’édition est doublement lié aux héros de fiction : les romans et comics sont
de parfaits produits d’origine, et ils font également de très bons produits dérivés. Le livre
95
va en fait profiter de l’effet d’entrainement du cinéma. Soit
directement : on va rééditer le produit d’origine, ou si ce n’est pas
un livre, on fera ce que l’on appelle des novélisations, c’est-à-dire
retranscrire telle quelle l’histoire du film. Soit indirectement : on
va en profiter pour sortir toute la collection en rapport avec
l’auteur ou en rapport avec l’univers. Par exemple chez Univers
Poche, en plus de la novélisation, une cinquantaine de livres Star
Wars ont été (ré)édités, physiquement et/ou sous forme d’e-
book, dans les mois précédant la sortie de l’épisode VII au
cinéma. Il y avait bien sur des intégrales relatant les trilogies
cinématographiques, mais aussi des romans sur l’univers étendu, venant boucher les
trous de narration entre les films, se déroulant bien avant ou bien après les films, ou
encore se concentrant sur l’origine d’un héros. Un peu plus haut en illustration, je vous ai
mis un roman Pocket relatant les aventures d’Obi-Wan Kenobi entre les épisodes III et IV.
Il y avait également des livres Pocket Jeunesse venant raconter les histoires des premiers
films avec une narration adaptée aux plus jeunes. L’effet d’entrainement peut être
observé à plus grande échelle. Suite aux nombreuses adaptations de super-héros sur
grand écran, les ventes de comics en France, jusque là un marché confidentiel, ont
fortement progressé : entre 2013 et 2014, +14% en volume et +17% en valeur1.
L’édition voit également naître des produits dérivés de produits
dérivés. Typiquement chez Pocket, il y a une série de livres Star
Wars : The Old Republic (ci-contre). Celle-ci vient apporter des
compléments de narration à la série de jeux-vidéo du même
nom, elle-même dérivée des films de George Lucas. Puisqu’on
discute jeux-vidéo, Ubisoft a également sa propre maison
d’édition, baptisée Les Deux Royaumes (en hommage à Prince
of Persia). Elle publie principalement des BD, avec en licence
star Assassin’s Creed – vous avez déjà aperçu deux
personnages des BD Assassin’s Creed dans la partie II)b)iii) – et
pour la jeunesse Les Lapins Crétins. Justine Villeneuve me confiait qu’elle travaillait
également « en externe, sous licences avec des éditeurs partenaires tels que Glénat,
Albin Michel, ou encore Larousse. »
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, outre son apport narratif, l’édition de romans
permet aussi de relayer l’identité visuelle des héros, sur les couvertures bien sûr, mais
aussi sur les nombreuses publicités et autres matériels promotionnels qui vont
1 Article « Comics : le réveil de la force », paru dans Livres Hebdo, n°1026, 23 janvier 2015, p. 66
96
accompagner les livres en librairie ou dans les grandes surfaces. L’entreprise sous
licence n’est alors plus seulement relais de la franchise de part ses produits mais aussi de
par ses campagnes marketing. La Figure 30 peut en témoigner. On y retrouve des
présentoirs promotionnels à l’effigie de Yoda et Vador ainsi que la première et la
quatrième de couverture de l’intégrale des épisodes IV à VI, présentant elles aussi les
deux personnages. Avec cette couverture double, Pocket est également dans l’idée de
reprendre les codes Star Wars, les deux faces du livre représentant la dualité de la Force.
Figure 30 : Relais visuel et marketing du partenaire sous licence (ici Univers Poche)
Chez Univers Poche, j’ai eu l’occasion de travailler sur ces publicités et ces matériels
promotionnels sous licence. J’ai aussi pu suivre avec attention l’évolution des
couvertures. Et j’ai constaté que les validations de ces différents supports visuels
pouvaient prendre beaucoup de temps, la partie suivante va, entre autres, vous expliquer
pourquoi.
97
e. Implications managériales et structurelles du licensing
i. Un Brand Management complexe
On vient de voir dans les parties précédentes que le développement de la franchise par le
licensing permettait la multiplication du héros et de toutes ses composantes de marque,
c’est-à-dire son design, son histoire, ses valeurs, et ce sur un maximum de supports. Mais
plus le nombre d’interlocuteurs sous licence est important, plus la gestion va s’avérer
ardue pour le Brand Manager ou le Superviseur Franchises.
Déjà, par la nature juridique de la licence, les difficultés peuvent intervenir au moment de
trouver un nouveau partenaire sous licence. Justine Rochereuil rappelle que « le licencié
achète le droit d’exploitation de la marque sur une certaine durée et sur un certain nombre
de territoires. Avant de nouer un partenariat sous licence, le Brand Manager doit faire ce
que l’on appelle des “conflict checks“. Si le Brand Manager France est en train de monter
un deal pour des parfums à l’effigie de Batman commercialisés de 2015 à 2017 sur les
marchés suisses et luxembourgeois, il doit s’assurer qu’il n’y en pas d’autres de prévu
avec ce même type de produit (ici les parfums) sur la même période et dans les mêmes
pays. Il arrive régulièrement dans les multinationales comme Warner que le créneau soit
déjà occupé : un deal peut très bien avoir été négocié par le Brand Manager Australie
avec une autre marque de parfum. »
Ensuite, un plus grand nombre d’interlocuteurs sous licence implique un plus grand
nombre de produits et de supports de communication à valider. Or, tout doit être contrôlé
pour assurer la pérennité de l’image de marque. Justine Rochereuil continue : « cela peut
être difficile à coordonner en termes de processus de validation. Chez Warner, chaque
licencié doit respecter une charte bien codifiée, piocher dans une certaine banque
d’images, et tout échantillon est soumis à validation. Il n’y a pas trop de marge de
manœuvre pour le licencié, ni en termes d’images, ni en termes de message (cela est
évidemment aussi fonction des sous mis sur la table). La validation chez Warner passe
également par les US (à Burbank, près de Los Angeles). » Ugo Noury abonde dans ce
sens : « c’est extrêmement charté, on a des guidelines très précises pour nos
personnages/marques, que l’on va communiquer à nos partenaires que ce soit pour la
promotion d’un film, pour de la communication ou pour nos produits dérivés.
Typiquement, nos personnages ne peuvent pas parler : jamais on ne verra Mickey dire
98
“Viens acheter ce produit !“. Mais les plus contraignants, cela ne va pas être Disney, mais
Marvel ou Star Wars. Pour Star Wars, depuis le rachat de Lucasfilm, on est en train en
quelque sorte de faire nos preuves auprès d’eux, et de leur côté, il leur arrive d’être
craintifs sur certains contenus. Il y a ainsi beaucoup de contrôles, tant au niveau local
qu’au niveau régional (à Londres où se situe la base européenne). (La validation ne
passe pas systématiquement par les US.) Tout support de communication, tout produit,
toute sortie sous licence doit être validé(e). »
On comprend mieux pourquoi les validations de contenu peuvent être longues, il y a
plusieurs niveaux de contrôle (au minimum local puis régional et parfois même jusqu’à la
maison-mère ou à la filiale concernée comme avec Star Wars) et les chartes qu’elles
soient graphiques ou autres sont extrêmement rigides, ce qui occasionne un nombre
d’allers-retours importants, surtout si les licenciés n’en font qu’à leur tête. Comme
exemple de ces chartes je vous ai mis en annexes une page de celle de Disney
concernant les romans Star Wars, plus précisément les romans sur l’univers étendu de
Star Wars.
Ugo Noury ajoute : « il y aussi des contraintes qui découlent de choix stratégiques. Avant
son rachat par la Walt Disney Company, la marque Marvel avait une notoriété faible.
Désormais, et c’est une volonté des US, on est tenu de mettre en avant la marque rouge
et de faire grimper sa notoriété. Ainsi, le logo Marvel va être présent sur tous les produits
sous licence, sans avoir Disney à ses côtés. » La gestion des associations de marque est
aussi à prendre en considération. Elle peut en effet varier en fonction des cibles. Outre
Marvel, on avait vu en partie a) que les logos Disney et Lucasfilm n’étaient pas associés
sur les produits destinés aux pure fans, par crainte de les froisser. L’âge peut aussi être
un critère déterminant. Ainsi, la charte de Disney est très précise : pour un roman
novélisant les épisodes I à VI ou du matériel marketing destinés aux 0-12 ans, seul le logo
Disney doit apparaître, en première de couverture ; tandis que pour un même roman ou
matériel marketing mais visant cette fois les plus de 12 ans, les deux logos Disney et
Lucasfilm doivent apparaître, mais en quatrième de couverture.
ii. Restructuration et internalisation des activités de
diversification
D’abord, le développement du licensing a des conséquences sur l’organisation des
départements Marketing. Jérôme Le Grand, Vice-Président Senior Retail, Licensing &
Disney Store chez Disney France nous indique en effet que les « équipes marketing sont
99
aujourd’hui en charge d’une licence tout au long de son cycle de vie. Cela veut dire que
ceux qui travaillent sur la sortie d’un film travailleront aussi sur le lancement du DVD, tout
en réfléchissant, avant même la première projection en salle, à la dimension marketing
des produits dérivés.1 » Côté Warner, Justine Rochereuil parle quant à elle d’une
organisation similaire, « une unité dite cross-divisionnelle, recouvrant toutes les étapes de
cycle de vie du produit : Cinéma, Home Entertainment (DVD, jeux-vidéo et digital),
Télévision et Licences. »
Ensuite, pour pouvoir gérer au mieux les différents produits sous licence, des
départements spéciaux vont y être dédiés. Ubisoft bénéficie ainsi de deux départements
Licensing (un Licensing-In et un Licensing-Out, plus de détails dans l’interview de Justine
Villeneuve) et d’un autre gérant les Produits Dérivés. Ces derniers sont cependant moins
mass market et beaucoup plus orientés fans, objets de collection. C’est pour cela que je
ne les ai pas intégrés à la partie c), au contraire des produits dérivés gérés par les
départements Warner Consumer Products et Disney Consumer Products, ces derniers
pouvant être distribués par Disney lui-même avec son réseau de Disney Stores (et pas
qu’aux États-Unis, il y a 104 magasins ouverts en Union Européenne2).
En vue de valoriser ses licences, outre ses chaines de télévision que nous avons déjà
évoquées en partie d) et outre le cinéma, Disney peut aussi compter sur ses célèbres
parcs d’attraction. D’ici 2018, des attractions Marvel devraient être proposées à
Disneyland Paris (il y en a déjà quatre à Orlando, dont l’Incredible Hulk Coaster et The
Amazing Adventures of Spider-Man)3. Ubisoft a aussi annoncé il y a peu sa volonté
d’ouvrir son propre parc d’attractions à l’horizon 2020, à Kuala Lumpur en Malaisie4. Il
existe déjà une attraction Lapins Crétins au Futuroscope.
Enfin, le dernier impact du développement du licensing en termes structurels est selon
moi, l’internalisation des activités de diversification. Justine Villeneuve « pense que cela
reflète la volonté de contrôle autour des licences, et évidemment les gros enjeux
financiers qui les accompagnent. » Je crois que c’est aussi un moyen de réduire les
contraintes évoquées dans la partie précédente suite à la multiplication du nombre
d’interlocuteurs sous licence. En tout cas, il en résulte une concentration accentuée du
secteur de l’Entertainment. Cette tendance n’est pas si nouvelle pour les majors outre-
Atlantiques. « En 1973, le cinéma américain vit une révolution, les grandes majors
1 Article « Disney, en toute franchise… », paru dans La Revue du jouet, n°484, novembre 2014, pp. 42-43
2 Article « Disney Store, l’Amérique de Mickey repart en conquête », paru dans LSA, n°2252, 22 novembre
2012 3 Article « Marvel in real life ! », paru dans Popcorn, hors-série n°14, mai 2015
4 http://www.afjv.com/news/5475_ubisoft-cree-son-parc-d-attractions-nouvelle-generation.htm
100
hollywoodiennes sont lentement mais sûrement intégrées à des très grands groupes
industriels qui se spécialisent progressivement dans des conglomérats du divertissement
et de l’audiovisuel. Citons par exemple la Warner Communications Incorporated, qui
intègre à la fois les activités du cinéma, de la radio, de la télévision, de la presse et du
merchandising. Leur but ? Se placer dans chacun des domaines émergents.1 » Et
aujourd’hui pour ces majors, le domaine émergent est le jeu-vidéo. C’est donc sans
surprise que Warner Bros. a fondé sa propre filiale d’édition de jeu et s’est solidement
installé à Montréal, l’eldorado du jeu-vidéo. Warner Bros. Games profite ainsi des 37,5%
de crédit d’impôt proposés par le Québec (contre 20% en France, ce qui est déjà très
haut, mais ce qui explique aussi que les grosses productions Ubisoft se fassent
désormais à leur studio montréalais plutôt qu’en France). Warner assure désormais un
contrôle plus important sur ses franchises, comme pour celle de Batman ci-dessous :
Figure 31 : Triptyque de la franchise Batman sous contrôle de Warner Bros.
1 Article « Le jeu vidéo fait son cinéma », paru dans Écran total, n°1015, 22 octobre 2014, p. 22
101
Côté Disney Interactive, on semble tout miser sur le succès des jouets-vidéo avec Disney
Infinity, d’autant plus après avoir annoncé en juin dernier la fusion des départements
Interactive et Consumer Products1. L’internalisation ne doit pas non plus se faire à tout
prix, il faut avoir (acquis) les compétences en interne. C’est ainsi qu’Ugo Noury nuance :
« pour le prochain Star Wars Battlefront (sorti en novembre 2015), on continue de sous-
traiter, de passer par des éditeurs spécialisés pour garantir la meilleure qualité de jeu et la
meilleure expérience client possibles. »
Ubisoft de son côté est dans une dynamique similaire de concentration, en témoigne
l’internalisation progressive des métiers de l’édition et de la production audiovisuelle au
sein de sa structure. De l’aveu de son PDG Yves Guillemot, « nous visons une vraie
complémentarité entre le film et le jeu-vidéo […] pour que nos licences durent dans le
temps2 », cela se confirmera ou s’infirmera en décembre 2016 avec la sortie du film
Assassin’s Creed. Ubisoft a été le pionnier mais n’est désormais plus seul : son
concurrent (et devancier) Activision-Blizzard a en effet créé en novembre dernier
Activision Blizzard Studios, un studio de production audiovisuelle destiné à adapter ses
énormes franchises vidéo-ludiques à la TV et au cinéma (comme le prochain Warcraft)3.
En évoquant concentration, Ubisoft et Activision, je ne peux m’empêcher de penser à
Videndi. Le groupe français Videndi avait créé un gigantesque conglomérat dans
l’Entertainment il y a une quinzaine d’années déjà, rassemblant Universal, Havas
(édition), Canal+ et Activision sous la même bannière. Quelques scandales plus tard, la
groupe avait éclaté et on ne l’entendait plus, jusqu’à l’arrivée de Vincent Bolloré à sa tête.
Depuis, la salve des acquisitions a repris, d’abord avec Canal+ puis maintenant avec une
participation dans Ubisoft puis Gameloft (éditeur de jeux digitaux dont Ubisoft est
actionnaire et dont le PDG n’est autre que le frère du PDG d’Ubisoft) …
iii. Politique extensive de Brand Content
Jean-Noël Kapferer4, le gourou du marketing stratégique de marque, explique que
l’ancêtre du Brand Content n’est autre que le Guide Michelin. Il définit ainsi le Brand
Content comme un contenu développé sur un support finalement assez éloigné du produit
d’origine, qui raconte quelque chose sur la marque sous un angle foncièrement différent
1 Étude Xerfi Mass Entertainment Groups – World – November 2015
2 Article « Ubisoft la creative team », paru dans Le Film Français, n°3427, 3 juin 2011, p. 16
3 Étude Xerfi Video Game Companies – World – December 2015
4 Source pour tout ce paragraphe : KAPFERER Jean-Noël, The New Strategic Brand Management :
Advanced insights and strategic thinking, Kogan Page Limited, 2012, pp. 141-143
102
et qui est capable de fédérer une communauté autour de la marque. Sa version la plus
courante aujourd’hui est la création de contenu sur le web ou les réseaux sociaux, mais
Kapferer reconnaît que d’autres média plus traditionnels peuvent y participer.
La circulation au sein de la franchise est opérée selon la dynamique de reproduction-
transformation. Mais à force de répétition de l’image du héros, de saturation médiatique,
matérielle et temporelle permise par la licence, ne risque-t-on pas la dilution de l’image de
marque ? Justine Rochereuil émet également des doutes à ce sujet : « avec le héros
présent sur tous les produits partenaires, que ce soit la marque de bouteille de lait ou la
marque de téléviseurs, on peut tomber dans une forme de banalisation du (super-)héros.
Alors qu’il a vocation à être exceptionnel, avec une histoire unique, on peut en venir à
appauvrir ce qu’il représente, ses valeurs. »
Comment arriver à contrer l’essoufflement de la franchise ? Comment retarder son
épuisement ? On y a déjà un peu répondu dans la partie d), les produits dérivés créateurs
de contenu vont en effet être la clé.
On peut choisir parmi plusieurs techniques d’extension de narration se concentrant sur les
héros. Il est possible de faire un préquel, racontant les origines du personnage ; un
séquel, une suite avec possiblement une ellipse temporelle ; ou encore très à la mode, un
cross-over ou dit plus simplement un cross. Les cross sont en fait issus des comics (cf.
l’infographie en annexes), ce sont des numéros spéciaux où plusieurs super-héros se
retrouvent à partager une seule et même aventure. Ils ont mis un peu de temps à se
démocratiser sur d’autres média. Les deux séries TV Flash et Arrow possèdent, comme
on l’a déjà fait remarquer en d), quelques épisodes en cross. Les films sur les Avengers et
le prochain Batman vs. Superman sont aussi des cross, mais version cinéma. J’en ai
discuté un peu avec Ugo Noury, la sortie des Avengers en 2012 a donné l’opportunité à
Disney de mettre Iron Man, Thor, Hulk et Captain America sous une seule et même
marque, devenue une franchise désormais. Pris séparément, Ugo me disait que ces
héros n’auraient jamais été considérés comme marques, ils seraient restés sous
l’ombrelle Marvel. Pour Batman vs. Superman, j’en discutais avec Justine Rochereuil
cette fois-ci, cela pose d’autres interrogations. Comment les deux super-héros vont-ils
cohabiter à l’intérieur du film ? Avec deux visions de la justice s’opposant : pragmatisme
contre idéalisme ? Ce schisme de valeurs aura forcément des conséquences sur la
dimension symbolique de marque de chacun. De plus, cela va poser la question de la
gestion des franchises Batman et Superman, vont-elles rester séparées ou fusionner en
une seule et même équipe et donner naissance à une franchise Justice League ? Côté
Marvel, on pourra se demander la même chose avec Civil War où Iron Man et Captain
America s’affronteront, et avec Spider-Man qui fera son apparition dans les prochains
103
films Disney-Marvel. Les franchises Avengers et Spider-Man en tant que telles risquent
d’être bouleversées.
Pour aller encore plus loin dans la politique de Brand Content, il faut en fait prendre
exemple sur l’univers étendu de Star Wars qui a « pour double fonction de densifier
l’univers (récits d’événements contemporains de l’action des films) et de l’étirer
chronologiquement (récits portant sur des événements antérieurs et postérieurs).1 » On
vient avec la densification boucher les trous de narration, en se recentrant soit sur les
initiatives d’un seul héros (comme le roman Pocket Obi-Wan présenté plus tôt), soit sur
des personnages secondaires devenant héros de la nouvelle histoire, ce que l’on nomme
en anglais des spin-offs (la série TV Flash est un spin-off de Arrow), soit en créant un
nouveau héros qui sera accompagné à ses débuts par les anciens pour assurer la
transition (l’apprenti de Dark Vador dans le jeu-vidéo Star Wars : Le Pouvoir de la Force,
situé entre les épisodes III et IV ; le Rôdeur Talion dans La Terre du Milieu : L’Ombre du
Mordor aidé par Celebrimbor et Gollum, l’histoire se déroule entre les évènements du
Hobbit et ceux du Seigneur des Anneaux ; ou encore l’apprentie d’Anakin, la dénommée
Ahsoka, dans la série TV Clone Wars, située entre les épisodes II et III). On peut
également pratiquer l’étirement chronologique, en se déconnectant totalement de l’histoire
principale, mais en reprenant juste les codes de l’univers, la « mythologie de marque »
dirait Justine Villeneuve. Star Wars : Knights of the Old Republic se situe ainsi des
millénaires avant l’épisode I ; les récents comics et BD d’Assassin’s Creed sont aussi de
cette trempe, introduisant des Assassins à des époques non couvertes par les jeux. Mais
dans ces cas de spin-off ou d’univers étendu, comme le souligne Justine Rochereuil, « le
risque peut être de perdre ce qui faisait la force de ta marque, sa clef de voûte : le héros
principal, celui qui incarnait les valeurs universelles. » Ce sera ensuite à l’ayant droit de
déterminer ce qui fait partie de l’univers principal (désigné comme « canon » en anglais)
soit ce qui reste en cohérence avec le produit d’appel / le média principal, et ce qui l’est
moins, ce que Disney a nommé Star Wars Légendes comme on l’a vu un peu plus tôt
dans la partie sur l’édition (de livres). Peut-être que Marvel sera amené à faire cette
distinction avec son MCU, ou trouver un autre moyen de segmenter, pour éviter que l’on
s’y perde. On peut tout à fait imaginer créer une marque voire une franchise à partir d’un
spin-off, ce fut le cas de Super Mario à la base un spin-off de Donkey Kong, mais qui est
désormais le héros emblème de Nintendo.
1 DAUPHRAGNE Antoine, « Dynamiques ludiques et logiques de genre : les univers de fantasy », La ronde
des jeux et des jouets, Autrement « Mutations », 2008, p. 56
104
Pour terminer dans les méthodes d’extension de contenu, je vois deux tendances assez
récentes se détacher. Elles sont dérivées du spin-off. À force d’exploiter les héros
principaux et leurs acolytes secondaires, il n’y a plus grand-chose de neuf à raconter. Il
est alors possible de développer un peu plus les Antagonistes : les sorties cinéma Suicide
Squad (groupe d’Antagonistes opposés à Batman) pour Warner-DC et Deadpool
(Antagoniste des X-Men) pour Marvel en attestent. Attention, les valeurs associées à ces
personnages ne sont évidemment pas les mêmes que pour les héros, je vous renvoie à
l’encadré dédié en fin de partie II)b)ii). Dernière possibilité, en venir à développer les
personnages tertiaires, les personnages de background, en général des comiques (ce qui
correspond à l’archétype des Tricksters chez Cambell). C’est ainsi qu’est née la franchise
des Lapins Crétins d’Ubisoft, à la base des personnages à la fois Antagonistes et caution
comique dans les jeux Rayman, ils ont à présent leurs propres jeux et leurs propres
produits sous licence (BD, série TV, T-shirts, objets déco et même leur attraction au
Futuroscope !) C’est exactement la même dynamique pour les Minions, passés de
personnages de background anonymes, à stars du cinéma. Dans le film projeté en salles,
on peut remarquer avec amusement que trois des Minions ont été pourvus de nom et
ainsi hissés au rang de héros.
f. Réappropriation du contenu par les fans et influence
culturelle (voire mythique) des sagas héroïques
On s’en est aperçu dans la partie II)c)iv), il est difficile de faire changer d’avis les fans les
plus ultras de la franchise. Tout le marketing présenté dans ce III) et bon nombre de
produits dérivés ne seront pas à même d’améliorer l’image de marque chez ce core fan, il
considérera tout cela comme trop mainstream. L’ayant droit doit alors utiliser des moyens
moins institutionnels dirons-nous. Il peut passer par les réseaux sociaux (exemple : en
demandant aux fans de se positionner pour la #TeamBatman ou pour la #TeamSuperman
côté Warner et celle de Captain America contre celle d’Iron Man côté Marvel, faisant
monter l’attente auprès des fans avant les films cross) ou avec de l’événementiel (comme
pour les 75 ans de Batman évoqués par Justine Rochereuil). On peut aussi imaginer des
campagnes de communication / promotion de film entièrement dédiées aux fans, mais il
faut alors se montrer créatifs pour les impliquer dans le processus. Typiquement, c’est ce
qui a été fait par l’agence spécialisée 42 Entertainment durant les 15 mois précédant la
sortie du deuxième volet de la trilogie Dark Knight (2008) portant sur Batman. La
campagne « Why so serious ? » (selon la célèbre réplique du Joker) proposait ainsi de
105
faire la transition entre le premier volet et le second avec des jeux en réalité augmentée
(ARGs en anglais, des sortes de chasse aux trésors / jeu de piste grandeur nature avec
relais digital), suivant la montée en puissance du Joker, l’élection du procureur Harvey
Dent et les premières réactions de Batman. La campagne était multi-supports, mêlant
faux sites internet, jeux interactifs, des rassemblements de fans, des mails, de la
distribution de journaux et d’indices matériels pour faire avancer le puzzle de manière
communautaire1. Cette campagne 360° a réuni plus de 10 millions de fans à travers 75
pays2. Elle n’a pas permis à elle seule le succès du film mais y a largement contribué.
L’ayant droit et ses licenciés ne sont pas les seuls à pouvoir créer du contenu. Quand les
fans considèrent que celui-ci n’est pas complet, pas à la hauteur de leurs attentes, ou
simplement parce qu’ils en ont envie, ils peuvent prendre le relais. Dans les jeux-vidéo,
j’ai en tête l’exemple du jeu Star Wars : Knights of The Old Republic 2, dont le
développement avait été raccourci, à tel point que le jeu est sorti sur le marché avec de
nombreux manques : des cinématiques, des dialogues, des missions incomplètes. La
communauté de joueurs / fans Star Wars, s’est emparée du problème et a sorti quelques
mois plus tard une version sous forme de patch (à télécharger) rétablissant le contenu
d’origine et débloquant les bugs. La réappropriation par les fans dans les jeux-vidéo peut
aussi prendre la forme de « mod » (abréviation de modification) : un fan vient transformer
l’environnement du jeu pour le faire coller à son univers favori. Par exemples, il existe
beaucoup de mods habillant des jeux avec l’univers de Tolkien (on peut citer celui sur
Total War qui porte le doux nom de Rise of Mordor). L’idée est que ce mod créé soit
ensuite partagé par le plus grand nombre. Plus généralement, la production de contenu
par les fans est appelée fan-fiction (des films disponibles sur YouTube3, des pages
internet complétant la narration, etc.) Les fan-fictions correspondent à l’économie grise du
licensing, pas vraiment autorisées mais pas interdites non plus.
Passons désormais à l’influence populaire, culturelle et sociétale que peuvent avoir les
franchises héroïques. Déjà, il existe un nombre croissant de core fans, de fans très
impliqués, en témoigne l’audience chaque année plus massive au Comic-Con de San
Diego (cf. infographie en annexes). Pour Star Wars, il existe même une fédération des
différents fan-clubs, baptisée la « 501ème Légion », qui participe activement à la promotion
galactique par le biais du cosplay et organise la convention bisannuelle « Star Wars
Celebration »4. Sans oublier qu’il existe même une journée Star Wars dans le calendrier :
1 http://www.42entertainment.com/work/whysoserious
2 Ibid.
3 https://www.youtube.com/user/huntforgollum
4 Article « Fans des étoiles : le nerf de la guerre », paru dans Geek, vol. 2 / n°3, mai 2015, p. 64
106
May, the 4th (comprenez May the Force), date à laquelle les réseaux sociaux s’en
donnent à cœur joie (cf. annexes, avec en bonus une pub super-héroïque).
Mais il y a aussi un autre mouvement qui a gagné en puissance ces quinze dernières
années, des fans moins absolus, passant d’univers en univers : les geeks. David Peyron,
docteur en sciences de l’information et de la communication, les définit1 ainsi comme ceux
qui ont répondu ou fait naître (c’est toujours la question de l’œuf ou de la poule) le
« transmedia storytelling », qui correspond plutôt bien à notre démonstration de
l’importance du contenu dans le licensing. Peyron défend en effet la thèse selon laquelle
les geeks ne seraient plus seulement des fans limités à un seul univers, mais qu’ils se
caractériseraient au contraire par une consommation éclectique, multi-supports, avides de
connaître et d’approfondir leurs univers favoris (en général les héros issus comics, la
science-fiction et l’heroic-fantasy, bref tout ce dont on parle depuis le début de ce
mémoire). Le seul point sur lequel je ne suis pas en accord avec Peyron, c’est que pour
lui, cette forme de consommation s’explique par un besoin identitaire, de se rattacher à
une communauté, ce qui pourrait laisser croire que les geeks forment des tribus bien à
part et qu’ils ne seraient pas miscibles dans la société. Bien au contraire, je pense que ce
sont des communautés de passionnés certes, mais des passionnées plutôt ouverts
d’esprit car ils aiment se plonger dans de nouveaux contenus, et qu’ils ont développé une
culture du partage. Grâce à la musique pour certains, grâce à l’informatique et internet
pour d’autres, les geeks sont pour moi une génération ou même plusieurs générations qui
n’hésitent pas à partager leur passion.
Côté musique, les Led Zeppelin ont composé plusieurs
morceaux dont le titre est un hommage au Seigneur des
anneaux, comme The Battle of Evermore et Misty
Mountain Hop (sur Led Zeppelin IV), et Over the Hills and
Far Away (sur Houses of the Holy). Outre-Atlantique, les
rappeurs américains à l’image d’Eminem et Snoop Dogg,
se sont très souvent associés aux super-héros, que ce
soit par leur nom de scène, les titres ou les paroles de
leurs chansons (je vous laisse découvrir l’infographie idoine en annexes). En France,
cette culture a mis un peu plus de temps à arriver. Sur son album Le Chant des Sirènes
(2011), Orelsan arbore un masque qui ne laisse pas de place au doute (observez un peu
plus haut). Je vous propose même de quoi me détester pendant les trois prochaines
heures en regardant le clip « Sur ma route » où vous pourrez admirer Black M grimé en
1 PEYRON David, « Les mondes transmédiatiques, un enjeu identitaire de la culture geek », Les Enjeux de
l’information et de la communication, n°15/3, 30 novembre 2014, p. 53
107
Joker puis en Frodon1. Ces choix ne sont évidemment pas innocents de la part de ces
musiciens ou rappeurs célèbres, qui savent que s’associer à de telles figures populaires
est un gage d’universalité.
Internet est également une formidable plateforme, idéale pour partager le contenu. Sur le
web, les Batman, Gandalf ou Vador ne véhiculent souvent plus les valeurs et images de
marque originelles exposées en II)b)ii), ils ne possèdent plus ces valeurs archétypales
inspirantes, car ils sont définitivement parodiés, récupérés par la culture populaire de
masse. Ils conservent cependant leur statut de référence commune. Ainsi, les geeks
s’adonnent à des memes (voir Figure 32) reprenant les citations ou les situations cultes
de leurs héros, les détournant, les croisant, ils créent des vidéos humoristiques virales2 ou
même des chaînes YouTube dédiées3. Ce faisant, ils génèrent du contenu autour des
franchises héroïques et participent à leur manière à l’extension du Brand Content.
Figure 32 : Quatre exemples de meme4
1 https://www.youtube.com/watch?v=U-Z_bZS8t3M
2 https://www.youtube.com/watch?v=Sagg08DrO5U ; https://www.youtube.com/watch?v=uE-1RPDqJAY ; ou
encore : https://www.youtube.com/watch?v=KaqC5FnvAEc 3 https://www.youtube.com/user/HISHEdotcom ; https://www.youtube.com/user/batinthesun
4 Sources multiples : http://poppedculture.soup.io/tag/Admiral%20Ackbar ;
http://www.memecenter.com/fun/342674/gandalf-told-you ; https://www.pinterest.com/cailineberhard/one-does-not-simply/ ; http://funnypicturesplus.com/batman-and-darth-vader.html
108
Grâce à la circulation au sein de la franchise d’une part et au relais des fans et d’internet
d’autre part, les grandes sagas héroïques se rapprochent de ce qui fait la force des
mythes, à savoir la longévité et la transmission d’individu en individu, de génération en
génération. Star Wars, Le Seigneur des Anneaux, les univers super-héroïques et vidéo-
ludiques, ne seront jamais les récits fondateurs de grandes civilisations, mais peuvent
être les récits fédérateurs d’au moins une voire de plusieurs générations. Vador, Gandalf,
Batman et les autres, sont autant de modèles, de repères, de références communes pour
des individus postmodernes qui en manquent tant.
109
IV. Conclusion
Tout au long de ce mémoire, on s’est attaché à démontrer en quoi les héros de fiction et
particulièrement ceux des grandes sagas fantastiques, super-héroïques, vidéo-ludiques
et/ou de science-fiction, étaient en mesure d’incarner les mythes de la société
contemporaine, tout du moins s’ils pouvaient servir d’idéaux fédérateurs, de figures
exemplaires, de références communes entre individus, entre communautés et entre
générations.
D’abord, dans la partie théorique, on s’est penché sur le potentiel mythologique des
aventures héroïques chez Tolkien, Star Wars, Marvel et DC Comics. On s’est aperçu que
la structure narrative de ces récits à succès ainsi que leurs archétypes de personnages
suivaient à peu de choses près ceux du Voyage du Héros, le cycle propre aux grands
mythes. Aragorn, Luke, Spider-Man et Batman portent ainsi en eux une universalité et des
valeurs symboliques positives, rassurantes, ils forment des repères, ils représentent des
modèles auxquels l’individu postmoderne peut se rattacher. Mais le potentiel ne fait pas
tout. Comment l’exploiter ?
On peut ériger les héros en tant que marques, que ce soit une marque à héros unique
(Batman, Superman, Spider-Man ou Prince of Persia), ou une marque à héros multiples
(alors rassemblés sous une même équipe/organisation type Les Avengers ou Assassin’s
Creed, sous une même légende telle Le Seigneur des Anneaux, ou sous un même
univers comme Star Wars). Dans tous les cas, les héros possèdent de solides atouts de
marque, particulièrement sur le plan visuel grâce à la longévité de leur costume. L’identité
visuelle (et parfois sonore) du héros de fiction lui permet de transmettre facilement au
public les valeurs qui lui sont associées, piliers de la dimension symbolique de marque.
De plus, le héros personnifie naturellement sa marque, il l’incarne et lui apporte à travers
ses aventures un solide background en termes de storytelling.
Il s’agit désormais de faire apprécier cette puissante image de marque à un maximum
d’individus. Et c’est grâce au licensing que la marque va s’étendre, se transformer en
franchise, en produits pour la masse. Passée par les écrans (cinéma, TV et aujourd’hui
jeu-vidéo) pour prendre son appel, la marque-héros peut ensuite sauter à pieds joints
dans les déclinaisons sous licence. La ronde des produits dérivés est sur le point de
commencer. La licence va servir à accélérer la notoriété et à renforcer l’image de marque
110
du héros franchisé, le tout suivant une dynamique de reproduction-transformation,
répétant son design et ses valeurs sur tous les supports possibles et permettant la
génération de contenu complémentaire selon les adaptations.
Puis, dans la seconde partie plus empirique, nous avons étudié les cas de Disney,
Warner Bros. et Ubisoft. Ces trois acteurs de l’Entertainment, deux mastodontes et un
challenger, sont en effet friands de création et/ou d’acquisition de héros (ils possèdent ou
exploitent toutes les franchises décrites il y a deux paragraphes), aiment à sérialiser leurs
aventures et surtout à les décliner sur différents supports, sous forme de produits dérivés
classiques (textile, jeux/jouets et figurines) et sous forme de produits dérivés culturels
(livre, audiovisuel et jeu-vidéo), ces derniers permettant plus d’apport de contenu. La
licence leur donne également l’opportunité de créer de nouvelles portes d’entrée dans la
franchise et de toucher des publics divers en termes d’âge, de sexe et de degré
d’implication à la marque (fan, switcher ou profane). En combinant marketing classique et
licensing, Disney, Warner Bros. et Ubisoft s’emploient à saturer les espaces médiatiques,
les linéaires et à casser la saisonnalité d’une seule sortie par an.
Le licensing entraîne un Brand Management plus complexe avec une supervision des
franchises de tous les instants ainsi que nombre de modifications structurelles au sein de
l’entreprise (réorganisation du Marketing et des autres départements concernés,
internalisation des activités de diversification). En tant qu’extension de marque, la licence
permet un Brand Content toujours plus enrichi mais prend le risque d’une image de
marque qui s’étiole et d’une narration qui s’épuise. Les franchises à héros unique risquent
à terme de fusionner avec leurs homologues, suivant la mode des cross-overs.
Enfin, les communautés de fans et les geeks peuvent venir prendre le relais de la major et
proposer du contenu alternatif, ou complémentaire. Ils vont avoir tendance à se le
réapproprier pour mieux le transmettre et le partager. Ce sont ces deux entités parallèles,
l’ayant droit et ses fans, qui sont à même d’assurer la transformation d’une simple histoire
et de son banal héros en un mythe mondialement populaire.
111
V. Bibliographie sélective
Ouvrages
CAMPBELL Joseph, Le Héros aux mille et un visages, OXUS, 2010
KANDINSKY Vassily, Du spirituel dans l'art, éd. Denoël, 1989
KAPFERER Jean-Noël, The New Strategic Brand Management: Advanced insights and
strategic thinking, Kogan Page Limited, 2012
LAI Chantal, La marque 2ème édition, Dunod, 2009
LEONG Tim, Super Graphic, Chronicle Books, 2013
PERCY & ROSENBAUM-ELLIOTT, Strategic Advertising Management, 4th edition
VIOT Catherine, Le capital marque : concept, mesure et valorisation, e-thèque, 2004
VOGLER Christopher, The Writer’s Journey Third Edition, Michael Wiese Productions,
2007
WARIN et TUBIANA, Marques sous licence : Les acheter – Les vendre – Les gérer,
Éditions d’Organisation, 2003
WEBER Max, Économie et Société Tome 1, Éditions Pocket, 1995
ZANCO Jean-Philippe, La société des super-héros. Économie, sociologie, politique,
Ellipses, coll. « Culture pop », 2012
112
Articles académiques
AMANIEUX Laureline, « La puissance des mythes : les travaux du mythologue américain
Joseph Campbell (1904-1987) », Revue de littérature comparée 2013/2 (n° 346)
BERRY Vincent, « De Pong à World of Warcraft : construction et circulation de la culture
(vidéo)ludique », La ronde des jeux et des jouets, Autrement « Mutations », 2008
BLANCHET Alexis, « Des films aux jeux vidéo : quand le jeu impose ses règles », La
ronde des jeux et des jouets, Autrement « Mutations », 2008
BOTTERILL et KLINE, « Médias et Marketing des jeux et des jouets », La ronde des jeux
et des jouets, Autrement « Mutations », 2008
BROUGERE Gilles, « Et si Superman n’était qu’un jeu ? », La ronde des jeux et des
jouets, Autrement « Mutations », 2008
BROUGERE Gilles, « La ronde de la culture enfantine de masse », La ronde des jeux et
des jouets, Autrement « Mutations », 2008
BOUDROT Pierre, « Le héros fondateur », Hypothèses, 2002/1 (5)
CHEVALDONNE et LAFRANCE, « BD, dessins animés et jeux vidéo, même combat ! »,
Hermès, La Revue 2009/2 (n° 54)
COHEN R.J., “Brand Personification: Introduction and Overview”, Psychology &
Marketing, Vol. 31(1), Wiley Periodical Inc., January 2014
CRETON Laurent, « Modes de consommation et enjeux de la diffusion », dans Le Cinéma
dans la cité, Kiron Espace / Éditions du Félin, 2001
DAUPHRAGNE Antoine, « Dynamiques ludiques et logiques de genre : les univers de
fantasy », La ronde des jeux et des jouets, Autrement « Mutations », 2008
113
DEBOS Franck, « L’intégration de la sémiotique et des figures de style dans la stratégie
Marketing des distributeurs et des fabricants : des marques « mythiques » aux points de
vente, espaces de narration et de langage », Market Management, ESKA, 2007/1 (Vol. 7)
ECO Umberto, « Le mythe de Superman », In: Communications, 24, 1976, La bande
dessinée et son discours, sous la direction de Michel COVIN, Pierre FRESNAULT-
DERUELLE et Bernard TOUSSAINT
LETOURNEUX Matthieu, « Le devenir livre des jeux et jouets », La ronde des jeux et des
jouets, Autrement « Mutations », 2008
PEYRON David, « Les mondes transmédiatiques, un enjeu identitaire de la culture
geek », Les Enjeux de l’information et de la communication, n°15/3, 30 novembre 2014
114
VI. Index des figures
Figure 1 : Comparaison en infographies des capacités des personnages Marvel ............12
Figure 2 : Le Voyage du Héros ........................................................................................15
Figure 3 : Mapping des super-héros et de leurs ennemis selon leurs valeurs politico-
morales ............................................................................................................................27
Figure 4 : Continuité du logo-titre Star Wars ....................................................................30
Figure 5 : Discontinuité du logo-titre Spider-Man .............................................................31
Figure 6 : Quelques logos héroïques ...............................................................................33
Figure 7 : Passage de la 2D à la 3D réussi pour le Prince of Persia (1993-1999-2003) ...34
Figure 8 : Évolution graphique de Lara Croft (1996-2015) ...............................................34
Figure 9 : Filiation costumière des Assassins à travers l’Histoire .....................................35
Figure 10 : Flash et son costume à travers des décennies de comics et la série TV de
2014 ................................................................................................................................36
Figure 11 : Assombrissement des costumes de Superman (1938-2013) et Wonder
Woman (1942-2016) ........................................................................................................37
Figure 12 : Super-héros, costumes et couleurs primaires ................................................38
Figure 13 : Les principaux Jedi et Sith des deux trilogies de George Lucas (1977-2005) .39
Figure 14 : La Batmobile dans le jeu-vidéo Batman : Arkham Knight (2015) ....................40
Figure 15 : Les différentes parties dans un contrat de licence ..........................................47
Figure 16 : Les trois piliers d’une franchise ......................................................................51
Figure 17 : Triptyque de la franchise Pokémon ................................................................53
Figure 18 : Triptyque de la franchise Batman ...................................................................56
Figure 19 : Triptyque de la franchise Spider-Man .............................................................57
Figure 20 : Triptyque de la franchise Star Wars ...............................................................58
Figure 21 : Publics cibles en marketing-communication ...................................................67
Figure 22 : Affiches des films Avengers 1 et 2 (2012 et 2015) .........................................77
Figure 23 : Affiches de la trilogie Seigneur des Anneaux (2001-2003) .............................77
Figure 24 : Affiches de la trilogie Le Hobbit (2012-2014) ..................................................78
Figure 25 : Affiches des films Star Wars, épisodes I à VII (1977-2015) ............................79
Figure 26 : Top 15 des franchises cinématographiques les plus performantes au monde
(1962-2014) .....................................................................................................................81
Figure 27 : Planification des prochaines sorties cinéma de Marvel et DC ........................83
Figure 28 : Profils de Legolas et Thranduil dans Le Seigneur des Anneaux : Le jeu de
batailles ...........................................................................................................................88
Figure 29 : Profil de Thranduil version Le Hobbit .............................................................89
115
Figure 30 : Relais visuel et marketing du partenaire sous licence (ici Univers Poche)......97
Figure 31 : Triptyque de la franchise Batman sous contrôle de Warner Bros. ................ 101
Figure 32 : Quatre exemples de meme .......................................................................... 108
116
VII. Annexes
Retranscription de l’entretien avec
Justine Villeneuve – Chef de Projets Édition et Diversification chez Ubisoft
Quentin Bouthenet : Justine, quel est ton rôle au sein d'Ubisoft ?
Justine Villeneuve : Je travaille au sein du département Diversification d'Ubisoft, qui
regroupe toutes les activités d'exploitation et de développement de nos marques et
produits, à l'exception du produit jeu(-vidéo). On y retrouve ainsi le développement de
produits dérivés, de partenariats, les expositions, et bien sûr les projets d'édition. Sur ce
segment bien spécifique, nous avons une double activité :
- en externe sous licences avec des éditeurs partenaires tels que Glénat, Albin Michel, ou
encore Larousse
- et en interne où nous avons depuis 2009 notre propre maison d'édition (Les Deux
Royaumes) avec comme produits des BD et des calendriers.
QB : Sur quelles franchises et personnages travailles-tu ?
JV : Je me suis occupée pendant deux ans des Lapins Crétins - désormais c'est ma
collègue - actuellement je suis sur toutes les autres franchises d’Ubisoft, notamment
Assassin's Creed, Watchdogs, et Farcry.
QB : Quelle est la ligne éditoriale de ces BD ? Quelle place accorder au personnage, à
l'univers ?
JV : Chez Ubisoft et c'est un parti pris stratégique, l'enjeu de n'importe quel produit sous
licence, c'est d'adapter les aventures des personnages et leur univers au support. La BD
ne déroge pas à la règle, on ne va pas prendre le scénario du jeu Assassin's Creed et
simplement le répliquer en format BD. Ce ne serait intéressant ni pour nos auteurs, ni
pour nos fans. Tout l'enjeu est de créer quelque chose de nouveau. C'est ce qu'on
demandera aux auteurs : proposer leur interprétation de l'univers, tout en s'appuyant sur
nos bibles de marque.
117
À mon avis, on ne peut pas dissocier le Marketing des héros de leur contenu. Créer du
contenu, étendre son territoire de marque, c’est quelque chose qui fait partie du
développement stratégique. D’ailleurs on parle aussi d’éditorial dans les jeux-vidéo quand
il s’agit de contenu. Les contraintes techniques sont bien différentes de la BD mais les
opportunités aussi : l’expérience que j’offrirai en BD sera moins interactive, mais j’ai plus
d’espace pour le questionnement du personnage et pour développer sa complexité.
Cependant, il faut nuancer, les adaptations ne visent pas systématiquement à créer du
contenu, pour le passage d’un livre best-seller au cinéma (elle prend l’exemple d’Harry
Potter), on a des fois plus intérêt à rester fidèle à l’histoire d’origine.
Note de QB : la valeur ajoutée du passage d’un livre aux écrans n’est en effet pas
toujours le contenu, mais l’image générée, une représentation uniformisée du héros.
QB : Abordons le thème du héros/personnage en tant que marque. À ton avis, qu’est-ce
qui fait sa valeur ajoutée par rapport à une marque de produit vaisselle par exemple ?
JV : Le premier point fort, c’est l’identification, la possibilité de se projeter dans un
personnage. On ne s’identifiera pas forcément soi-même à un Lapin Crétin mais on
pensera à un de nos amis, à des enfants. Dans les Assassin’s Creed, et c’est ce qui fait la
force de la marque, on s’identifiera au héros, on voudra lui ressembler.
Et le deuxième point fort, c’est assurément l’identité visuelle. Sur les affiches, sur les
packagings, en linéaire, on reconnait tout de suite le héros, son design, ses couleurs. Il
est impactant.
QB : Les marques de grande consommation utilisent aussi des personnages comme
représentants, comme incarnation de marque…
JV : Ça peut être le cas en effet, Mr. Propre, Géant Vert, Spontex, les marques de grande
conso ressentent parfois le besoin d’être incarnées. Avec Oasis ou M&M’s, les
personnages sont même devenus des licences à part entière !
QB : On voit de plus en plus de jeux-vidéo ou de films qui sortent en ayant déjà une suite
annoncée, quel intérêt de sérialiser ?
JV : D’un point de vue personnel, je pense que les séries permettent de prolonger
l’expérience, les gens veulent rester dans le contenu. C’est sûrement ce qui explique la
tendance aux séries de films, de jeux-vidéo, mais aussi l’explosion des séries TV.
118
Il y aussi une explication plus éditoriale, avec les suites, on peut construire sur le long
terme un univers, une mythologie de marque.
QB : Qu’est-ce que tu entends par mythologie de marque ?
JV : C’est tout ce qui fait l’ADN de la marque, plutôt dans notre cas les ingrédients de
l’univers construit, ce qui fait sa cohérence et sa crédibilité. Par exemple, la mythologie de
marque d’Assassin’s Creed, c’est l’exploration, à la fois spatiale et temporelle (car tu revis
la mémoire de tes ancêtres), et aussi le côté aventure, intrigues. Ces éléments font la
cohérence de la marque, ce sont ses piliers, et il faudra les garder lors d’une adaptation
sur un autre support. On peut aller plus loin, la mythologie de cette franchise, au sens de
sa crédibilité, c’est tout le développement autour de la génétique et de la machine –
l’Animus – qui permet au héros de se réincarner en ses ancêtres.
Ça existe aussi pour Star Wars (la Force, les Jedi) mais c’est quelque chose qui prend du
temps à se construire. Les piliers de la marque ne sont pas immédiats. Assassin’s Creed
existe d’ailleurs depuis 10 ans !
QB : Quel intérêt de créer une licence autour d’un héros et de développer différents
partenariats / produits dérivés sous licence ?
JV : Déjà, il faut que tes éventuels partenaires soient convaincus de la notoriété de ta
marque, de son potentiel à court et long terme, pour prendre ce risque d’accepter le
contrat d’exploitation des droits contre paiement de royalties (système de licence de
base).
En tant que licensor (l’ayant-droit, le propriétaire de la franchise), l’intérêt est d’abord
financier, d’autant plus que ce n’est pas toi qui fabrique le produit. Et surtout c’est un gros
enjeu de notoriété, de visibilité. Tu crées des nouveaux points de contact visuel pour ta
franchise, en étant présent dans divers linéaires en magasin. En prenant l’exemple des
Lapins Crétins, tu vas les retrouver au rayon jeux-vidéo évidemment, mais aussi aux
rayons DVD (avec la série TV), textile (chaussettes, pantoufles) ou encore hygiène
(dentifrices, brosses à dent).
Le retail, la visibilité en linéaire c’est primordial pour une marque. Et finalement, c’est ce
qui pousse aussi Signal à s’associer aux Lapins Crétins. Ils se différencient des autres
produits du même rayon par un visuel qui sort du lot : les personnages, les héros.
En termes de risque, il se peut que l’image de marque de l’un ou de l’autre des
partenaires soit altérée si cela ne fonctionne pas, et/ou si elles ne correspondent pas au
119
même standard de qualité. Il vaut mieux que les deux marques coïncident, sur leur
marketing-mix et sur leur cible.
QB : Pourquoi avoir attendu si longtemps pour faire des produits dérivés de jeux-vidéo ?
JV : L’industrie vidéo-ludique est plutôt jeune – Ubisoft a à peine 30 ans – et le licensing
n’est pas un enjeu que tu intègres en premier dans ta structure et ton développement. Les
éditeurs de jeux-vidéo vont d’abord solidifier leur core business, privilégier le
développement du studio et assurer la distribution des produits, avant de s’attaquer aux
business complémentaires. Chez Ubisoft, le département Licensing existe depuis 10 ans.
QB : Outre la maturité et la structure de l’industrie, est-ce que le jeu-vidéo aujourd’hui
n’est pas aussi capable de toucher une cible plus large que par le passé ?
JV : Oui certainement, et c’est aussi l’évolution technique des consoles, des graphismes,
qui a permis aux premiers personnages, telle Lara Croft, de sortir du cadre du jeu-vidéo.
On s’est rapproché petit à petit d’univers immersifs et d’expériences visuelles rivalisant
avec le cinéma. Et de là on a pu toucher une cible plus large.
QB : Quel est l’intérêt de diversifier, d’adapter le héros et son univers sur d’autres
supports ? Plus seulement sous forme de produits dérivés classiques (textile ou jouets),
mais sous forme d’autres produits culturels ?
JV : L’enjeu, c’est de créer du contenu. Le contenu, c’est ce qui fait la valeur dans
l’Entertainment, ce qui enrichit ton territoire de marque. Pour ce faire, tu dois profiter des
spécificités des différents supports/média du divertissement : avec un roman, tu as plus
de place pour explorer ce que le héros a en tête, son questionnement intérieur ; avec une
BD, tu peux poser une certaine ambiance, un univers ; avec un jeu-vidéo c’est différent, tu
seras plus dans l’incarnation et l’identification au héros. Mais dans ce dernier cas, il faut
également que le héros soit un peu « dépersonnalisé » pour que chacun puisse entrer
dans la peau du personnage.
L’intérêt des adaptations est aussi de prolonger ton actu, casser la saisonnalité d’une
seule sortie par an, et en venir à réduire la dépendance à un seul médium. Certaines
personnes peuvent apprécier tes personnages à travers une BD sans pour autant être
intéressées par les jeux-vidéo. Les diverses adaptations sont autant de portes d’entrée à
ton univers.
120
QB : Cette dynamique d’adaptations concerne également les géants de l’Entertainment
tels que Warner et Disney. Comme le fait Ubisoft avec les BD ou avec Ubisoft Motion
Pictures, ils ont même tendance à internaliser l’activité en créant des départements
dédiés (Warner Bros. Games), qu’est-ce que tu en penses ?
JV : Je pense que cela reflète la volonté de contrôle autour des licences, et évidemment
les gros enjeux financiers qui les accompagnent.
QB : J’ai vu aussi qu’il existait un département Licensing-In chez Ubisoft. Qu’est ce que
cela veut dire : Licensing-In et Licensing-Out ?
JV : Licensing-Out c’est ce que l’on peut faire dans notre département Diversification,
vendre nos marques à des industriels, des partenaires extérieurs. Et le Licensing-In, c’est
de l’achat de licences, comme quand Ubisoft avait acheté les droits d’exploitation du film
Avatar (2009) pour en faire un jeu-vidéo.
QB : On voit se développer de nouvelles techniques pour étendre l’univers, développer
les personnages souvent autres que le héros principal : préquel, spin off, cross, entre
autres. Sachant que les Lapins Crétins sont à la base des personnages de l’univers de
Rayman, comment vois-tu cette tendance ?
JV : S’appuyer sur les bases d’un univers existant, déjà construit, c’est sécurisant,
rassurant, pour nous, comme pour les consommateurs.
On peut aller plus loin, et parler des core fans, ces fans absolus qui consommeront 100%
de ton contenu : les films, les livres, les séries, les jeux-vidéo, les BD ! Il faut qu’eux aient
le sentiment qu’il y a des choses cachées, toujours plus à découvrir, de la profondeur à
l’univers. Il faut aussi les laisser s’approprier les liens entre les contenus/adaptations,
ainsi que la complexité des personnages.
L’exploration de l’univers, c’est l’axe de développement stratégique d’Ubisoft. Après cela
ne passe pas uniquement par les personnages, mais également, en témoignent nos
derniers jeux, par l’exploration spatiale, la création de mondes ouverts de plus en plus
vastes !
121
Retranscription de l’entretien avec
Justine Rochereuil – Départements Business Development, Promotion et
Partenariats chez Warner Bros. France puis Warner Bros. Sydney
Quentin Bouthenet : Justine, quelles ont été tes missions au sein de Warner Bros. ?
Justine Rochereuil : À Paris d’abord, j’étais Assistante Business Development et
Partenariats dans une unité dite cross-divisionnelle, recouvrant toutes les étapes de cycle
de vie du produit : Cinéma, Home Entertainment (DVD, jeux-vidéo et digital), Télévision et
Licences. Le but étant de convaincre des marques partenaires de s’associer avec nous
durant idéalement tout le cycle de vie du produit. Par exemple pour le 2ème volet du
Hobbit : La Désolation de Smaug (2013), nous avions un partenariat avec Philips TP
Vision, qui recouvrait trois étapes du cycle de vie du film-marque. Étape 1 : une
campagne média co-brandée où Philips TP Vision a financé une partie de la campagne
média pour la sortie ciné. On pouvait ainsi voir dans le métro des affiches avec un écran
Philips aux couleurs du Hobbit. Étape 2 : la licence, Philips achète les droits d’images du
film pour les utiliser sur ses emballages produits ou supports de communication. Pour
terminer, l’étape 3 : nous vendions des DVD à Philips pour des opérations « bundles »,
c’est-à-dire des opérations promo qui offrent par exemple pour X euros de plus, le DVD
du Hobbit pour un lecteur Blu-Ray Philips acheté.
À Sydney ensuite, c’étaient plus des campagnes marketing classiques pour la branche
Home Entertainment. Je me suis occupée des campagnes pour les jeux-vidéo Batman
Arkham Knight (2015, 3ème et dernier volet de la série), L’Ombre du Mordor (2014), et
Lego Batman 3 (2014), ainsi que les sorties DVD d’Interstellar (2014), Gravity (2013) et
Le Hobbit 3 : La Bataille des Cinq Armées (2014).
QB : Tu viens de me parler de Batman et du Hobbit, qui sont des marques un peu
particulières... À ton avis, qu’est-ce qui fait leur valeur ajoutée par rapport à une marque
de produit vaisselle par exemple ?
JR : Les partenaires avec qui tu peux t’associer, que ce soit une marque de téléviseurs
comme Philips TP Vision ou une marque de grande conso, sont très demandeurs de
films-franchises comme Le Hobbit ou de héros Marvel ou DC, car ils représentent un
univers rassurant pour le consommateur, des héros connus de tous, des produits à valeur
universelle. Dans les histoires de super-héros, tu vas souvent avoir les mêmes schémas
narratifs, le mythe du sauveur de l’humanité qui vient à bout du Mal. Ces personnages,
122
même s’ils ont tous leurs spécificités, incarnent des valeurs sûres et positives aux yeux
des consommateurs. Quand on sait que Batman a fêté ses 75 ans l’année dernière
(2014), on se rend aussi compte qu’il a pu toucher différentes générations au fil du temps,
les petits comme les grands le reconnaîtront sur une bouteille de lait. Ce sont des
marques faciles à vendre !
QB : On voit de plus en plus de films ou de jeux-vidéo qui sortent en ayant déjà une suite
annoncée, quel intérêt de sérialiser ?
JR : En tant que spectatrice je pense que cela permet de prolonger l’attachement au
héros, à ce qu’il ressent, jusqu’à un sentiment de proximité avec le personnage. Cela
permet aussi d’apporter de la continuité à l’histoire et de voir les héros, mais aussi les
personnages secondaires, ou encore les méchants, évoluer peu à peu.
Il ne faut pas non plus oublier que beaucoup de ces univers avant d’être adaptés à l’écran
sont déjà des séries de livres ou de comics.
Note de QB : Je suis assez d’accord avec ça, le contenu narratif des comics Marvel et DC
est quasi inépuisable. A contrario, il y a l’exemple du Hobbit, un seul livre, qui s’est
transformé en une trilogie de films, dans lesquels le contenu d’origine a du être étoffé et
par moments étiré.
D’ailleurs, je lisais un article sur Superman l’autre jour1, et les auteurs des comics étaient
déjà à l’époque conscients du potentiel business de leur personnage. En effet dans un
des numéros de la série, Clark Kent, journaliste au Daily Planet, discute avec le manager
de Superman (un imposteur) de l’intérêt de fournir plus d’articles sur le super-héros. Le
manager fictif rêve de revenus plus conséquents et continus, et voit les choses en grand
avec des émissions radio sur Superman, des T-shirts à l’effigie du héros, … Ce qui a
finalement été le cas par la suite dans le monde réel !
QB : Justement en parlant des comics, pourquoi a-t-il fallu attendre le passage des super-
héros aux écrans pour en faire des franchises d’une si grande ampleur et pouvoir
fortement développer les produits sous licence ?
JR : Je pense que c’est avant tout une explication économique, les frais engagés pour
faire une BD sont bien moindres que les moyens financiers nécessaires pour monter un
film de super-héros (frais de production, effets spéciaux, campagne marketing). Et dans
ton business model, tu as besoin de retours sur investissement d’autant plus importants.
1 BROUGERE Gilles, « Et si Superman n’était qu’un jeu ? », La ronde des jeux et des jouets, Autrement
« Mutations », 2008, pp. 140-143
123
Ce qui implique la nécessité d’exploiter au mieux sa marque et trouver des revenus
complémentaires, d’où le licensing et les produits dérivés.
Cela nous ramène au 1er blockbuster de l’histoire du cinéma Les Dents de la Mer (1975).
Le patron d’Universal Pictures veut faire de ce film à gros budget un produit rentable.
Pour s’assurer d’un box-office maximum, il va, et c’est du jamais vu, faire parler du film
avant sa sortie, le faire connaître à travers des spots de publicité à la télévision. C’est la
première fois qu’un film est considéré comme une marque et qu’une campagne marketing
va lui être dédiée, avec le succès que l’on connaît.
Note de QB : Pour les premiers produits dérivés et la première franchise de l’univers
cinématographique, il faut avancer de deux ans jusqu’à un certain Star Wars (1977).
QB : Est-ce que les différents partenariats s’effectuent toujours sous licence ?
JR : En fait cela dépend de la catégorie du film. Chez Warner, on va d’abord avoir les
films de classe A, mainstream, à portée universelle, gros budget et pouvant générer un
box-office record. Rentrent dans cette catégorie les films sur Le Hobbit et Batman vs.
Superman (2016), venant concurrencer les blockbusters de Marvel et Star Wars. Ces
films-là vont occasionner des frais de licence, comme expliqué précédemment le licensing
est nécessairement inscrit dans leur business model. Ils disposent en plus d’une équipe
juridique béton pour gérer au quotidien les droits des films avec les ayant-droits.
Et puis on va avoir les films de classe B, comme Godzilla (2014) ou Pacific Rim (2013), ce
sont des films qui peuvent avoir un potentiel de franchises mais ne sont pas encore
considérés en tant que tel. Ces films vont demander des frais de licence moins importants
que ceux de classe A. Il existe aussi une classe C mais rarement concernée par les
partenariats.
Concrètement si je suis une marque de bouteilles de lait et que je veux mettre en avant le
côté énergétique, riche en calcium, fort, puissant de mon produit, je peux utiliser l’image
de Godzilla sur mon packaging sans frais de licence. Par contre pour Superman, sauf si je
ne parle que de la date de sortie du film, dès que j’utiliserai l’image du héros, je devrais
payer des droits à la Warner (et à DC).
QB : On a parlé de l’intérêt économique du licensing, de l’avantage de retrouver l’image
de son héros répétée sur différents supports partenaires. Quel va-t-être l’inconvénient
d’avoir une franchise de plus en plus développée ?
JR : Avec le héros présent sur tous les produits partenaires, que ce soit la marque de
bouteille de lait ou la marque de téléviseurs, on peut tomber dans une forme de
124
banalisation du (super-)héros. Alors qu’il a vocation à être exceptionnel, avec une histoire
unique, on peut en venir à appauvrir ce qu’il représente, ses valeurs.
En développant sa franchise, on multiplie également le nombre d’interlocuteurs, le
nombre de produits, de supports de communication faisant intervenir l’image du héros
donc de la licence. Cela peut être difficile à coordonner en termes de processus de
validation. Chez Warner, chaque licencié doit respecter une charte bien codifiée, piocher
dans une certaine banque d’images, et tout échantillon est soumis à validation. Il n’y a
pas trop de marge de manœuvre pour le licencié, ni en termes d’images, ni en termes de
message (cela est évidemment aussi fonction des sous mis sur la table). Comme pour
tout major de l’Entertainment, la validation chez Warner passe également par les US (à
Burbank, près de Los Angeles).
Il ne faut pas oublier que le licencié achète le droit d’exploitation de la marque sur une
certaine durée et sur un certain nombre de territoires. Avant de nouer un partenariat sous
licence, le Brand Manager doit faire ce que l’on appelle des « conflict checks ». Si le
Brand Manager France est en train de monter un deal pour des parfums à l’effigie de
Batman commercialisés de 2015 à 2017 sur les marchés suisses et luxembourgeois, il
doit s’assurer qu’il n’y en pas d’autres de prévu avec ce même type de produit (ici les
parfums) sur la même période et dans les mêmes pays. Il arrive régulièrement dans les
multinationales comme Warner que le créneau soit déjà occupé : un deal peut très bien
avoir été négocié par le Brand Manager Australie avec une autre marque de parfum.
Dans ce cas, s’il a des impératifs de faire fructifier la licence, le Brand Manager France
devra s’orienter vers un tout autre type de partenariat.
QB : Quel est l’intérêt de diversifier, d’adapter le héros et son univers sur d’autres
supports ? Plus seulement sous forme de produits dérivés classiques (textile ou jouets),
mais sous forme d’autres produits culturels ?
JR : Ce qui va être le plus intéressant en diversifiant, c’est qu’en se retrouvant sur
différents supports média (cinéma, TV, Netflix, jeux-vidéo, livres), tu vas toucher différents
publics. En sortant le jeu-vidéo La Terre du Milieu : L’Ombre du Mordor (2014), on va
cibler un public de gamer et/ou de nostalgiques du Seigneur des Anneaux. Conquis par le
jeu-vidéo, il se peut que ces gamer aient envie de prolonger l’expérience en Terre du
Milieu en achetant le DVD du Hobbit. Finalement ta franchise, ton univers va se raconter
au travers de différents média qui se complètent.
C’est la même idée pour la série de jeux-vidéo Batman Arkham Knight, par rapport aux
films, on va découvrir d’autres facettes du personnage Batman, retracer ses origines, il va
125
faire face à des super-vilains que l’on ne connaissait pas. On complète l’histoire, on la
raconte sous différents angles de vue.
QB : Que penses-tu de la tendance à internaliser les activités de diversification en créant
des départements dédiés ? En d’autres termes, pourquoi la Warner a-t-elle récemment
créé son propre département WB Games ?
JR : Le jeu-vidéo a désormais une place importante dans le business de la Warner. C’est
un média qui a pour spécificité un public aux attentes fortes mais qui en retour délivre des
messages très positifs sur ta marque. Cela peut aussi être une ouverture vers le digital.
En fait l’industrie vidéo-ludique est elle-même devenue très puissante. Il suffit de regarder
Ubisoft qui va adapter sa franchise Assassin’s Creed en film pour 2016 et sans doute
développer des produits dérivés autour.
J’ajouterai que pour les jeux-vidéo, il existe les DLC (= downloadable content), ces
contenus additionnels (payants) qui vont être mis en ligne à intervalles réguliers après la
sortie du jeu principal. Ces DLC vont venir augmenter la durée de vie du jeu, ajouter des
pans de l’histoire, débloquer des personnages, customiser le héros, bref prolonger
l’expérience pour le joueur. Et c’est un moyen pour l’éditeur de monétiser le jeu par le
contenu bien après le premier achat.
QB : On vient de parler des DLC, qui permettent d’étirer le succès du jeu sur la durée en
enrichissant son contenu. Finalement c’est un moyen de plus pour ralentir, contrer l’effet
d’épuisement de la franchise. En ce moment, au cinéma et en séries TV, Warner-DC
comme Disney-Marvel multiplient les techniques pour exploiter le même univers : suites,
préquel, spin-off, cross, focus sur les méchants, ... Que penses-tu de cette tendance ?
JR : C’est somme toute logique de profiter de la puissance de la franchise que tu as
développée. Avec des spin-offs, tu peux raconter l’histoire sous une autre perspective en
te concentrant sur un ou plusieurs personnages secondaires. En fait je pense que tu
espères récupérer la fan-base de l’histoire d’origine. Mais dans ces cas-là, le risque peut
être de perdre ce qui faisait la force de ta marque, sa clef de voûte : le héros principal,
celui qui incarnait les valeurs universelles.
Ce problème de devoir trouver un nouveau pilier de marque se pose moins avec les
cross, mais ces derniers suscitent d’autres interrogations. Déjà, il faut savoir que les films
cross comme Batman vs. Superman ou Les Avengers sont tirés d’épisodes de comics, ce
sont des adaptations et pas juste des inventions à visée commerciale. Avec Batman vs.
Superman ce sont deux héros-marques, avec leur propre histoire, qui vont se confronter
et cela va être intéressant de voir comment cela va être géré à l’intérieur du film et en
126
dehors, s’ils vont parvenir à être complémentaires. J’ai vu que pour la campagne
marketing du film, on pouvait se positionner pour la Team Batman ou la Team Superman,
preuve que l’opposition a déjà commencé. Avec les Avengers ou la future Justice League,
on retrouve des groupes de super-héros qui font cause commune contre une menace
sans précédent : la valeur individuelle du super-héros ne suffit plus, il faut des valeurs
collectives, une équipe !
127
Retranscription de l’entretien avec
Ugo Noury – Brand Manager chez Walt Disney France
Quentin Bouthenet : Ugo, quel est votre rôle au sein de la Walt Disney Company ?
Ugo Noury : Je suis ce que l’on appelle ici un Superviseur Franchises, c’est-à-dire que je
m’occupe, autour des trois marques ombrelles Disney, Marvel et Star Wars, de toutes les
franchises de la Walt Disney Company. Il y en a une dizaine en tout, en exemples pour
Disney : Cars, Princesses, Les Fées, Disney Baby ; Marvel est chez nous scindé en deux
franchises : Les Avengers et Spider-Man ; et sous la marque ombrelle Star Wars, on
retrouve sans surprise la franchise éponyme.
Ce que l’on nomme franchise, c’est une marque à laquelle on attribue un fort potentiel
business, essentiellement en termes de produits dérivés.
Mon rôle est de faire vivre la franchise au-delà des événements naturels (comme une
sortie de film), à travers des opérations marketing et communication 360°. Ces opérations
prennent place avant, pendant ou après les événements naturels, mais la plupart du
temps avant, pour faire monter la notoriété de la marque. Pour donner un exemple, pour
la sortie d’Avengers 2, on a fait un « Road to the Movie », on a utilisé l’ensemble de nos
plateformes/média pour augmenter la notoriété des personnages jusqu’à la sortie du film :
à la télé avec une programmation spéciale autour des Avengers, en publicité avec des
achats média pour la campagne « Avengers en avant ! », et à cela venait s’ajouter la
communication autour du film. Tout cet ensemble nous a permis d’obtenir de très bons
résultats en termes de notoriété, d’entrées ciné et de produits dérivés Avengers.
QB : Vous évoquiez Spider-Man tout à l’heure, n’est-ce pas un cas un peu particulier
puisque le distributeur du film n’est pas Disney ?
UN : En effet, la distribution du film est chez Sony Pictures, et nous, nous avons le reste :
essentiellement les produits dérivés et le contenu télé avec la série Ultimate Spider-Man,
diffusée sur nos chaines Disney et sur France 4. Les produits dérivés forment une part
essentielle des revenus de la Walt Disney Company, de mémoire près de 60% !
QB : Abordons le thème du héros en tant que marque ou incarnation de marque. À votre
avis, qu’est-ce qui fait sa valeur ajoutée par rapport à une marque de produit vaisselle par
exemple ?
128
UN : Chez Disney, on s’appuie sur une grande valeur qui est le storytelling, on ne va
jamais rien faire si l’on ne raconte pas une histoire derrière. De notre point de vue, le rôle
du héros est ainsi de porter la franchise.
Une autre des particularités de Disney est que nous avons tellement de franchises, qu’on
doit extrêmement bien assigner nos stratégies marketing, au risque de voir nos marques
se cannibaliser. Au maximum on doit veiller à ce que les cibles soit bien distinctes et que
chaque franchise se démarque des autres. À la base quand on pense à Disney, on y
associe les dessins animés et la cible des 0-14 ans. Depuis quelques années, on adopte
aussi des stratégies qui nous permettent de toucher les adultes, avec par exemple des
produits de mode revisitant les classiques comme Mickey, ou avec Spider-Man.
QB : Quand vous êtes en contact avec des partenaires éventuels ou en communication
BtoB, qu’est-ce que vous mettez le plus en avant ? Les valeurs de la marque, l’identité
visuelle du héros ?
UN : En fait, ce qui va nous permettre de convaincre, ce sont les études. Des études qui
montrent à quel point la marque partenaire et notre franchise sont bien alignées en
termes de cibles et positionnement.
D’ailleurs les contenus que l’on va mettre en avant pour les partenariats ne sont pas tous
liés à des franchises, il y a également ce que l’on appelle des propriétés. Pour faire la
distinction, les propriétés sont plus utilisées pour des partenariats one-shot, alors que la
franchise ce sera plutôt du long terme. La continuité, la pérennité, c’est aussi ce qui définit
une franchise.
En exemple de propriété chez nous, je peux citer Toy Story. Même s’il y a des films, des
produits dérivés, et des courts-métrages à la télé, Toy Story n’a pas le poids et la
notoriété suffisante pour en faire une franchise.
QB : Pour revenir à votre rôle de Brand Manager, vous devez gérer des interlocuteurs
très différents, tous vos partenaires sous licences, est-ce que vous avez plus tendance à
uniformiser la marque ou à laisser beaucoup de libertés à vos licenciés ?
UN : C’est extrêmement charté chez nous, on a des guidelines très précises pour nos
personnages/marques, que l’on va communiquer à nos partenaires que ce soit pour la
promotion d’un film, pour de la communication ou pour nos produits dérivés.
Typiquement, nos personnages ne peuvent pas parler : jamais on ne verra Mickey dire
« Viens acheter ce produit ! ».
129
Mais les plus contraignants, cela ne va pas être Disney, mais Marvel ou Star Wars. Pour
Star Wars, depuis le rachat de Lucasfilm, on est en train en quelque sorte de faire nos
preuves auprès d’eux, et de leur côté, il leur arrive d’être craintifs sur certains contenus. Il
y a ainsi beaucoup de contrôles, tant au niveau local qu’au niveau régional (à Londres où
se situe la base européenne). (La validation ne passe pas systématiquement par les US.)
Tout support de communication, tout produit, toute sortie sous licence doit être validé(e).
Il y aussi des contraintes qui découlent de choix stratégiques. Avant son rachat par la
Walt Disney Company, la marque Marvel avait une notoriété faible. Désormais, et c’est
une volonté des US, on est tenu de mettre en avant la marque rouge et de faire grimper
sa notoriété. Ainsi, le logo Marvel va être présent sur tous les produits sous licence, sans
avoir Disney à ses côtés.
QB : On voit de plus en plus de films qui sortent en ayant déjà une suite annoncée, quel
intérêt de sérialiser, puis de créer une franchise et développer des produits dérivés ?
UN : En fait, tout dépend du potentiel. Et parfois ce potentiel peut évoluer, en fonction de
l’accueil du public et des intentions des US. En exemple type, on peut citer Le Monde de
Némo, qui a été un grand succès au cinéma, et qui aura son film dérivé Le Monde de
Dory l’année prochaine (2016). Désormais, nouvelle ligne stratégique, on considère
l’ensemble de l’univers de Némo comme une franchise, avec potentiellement du contenu
additionnel à venir (une série TV par ex).
Un exemple un peu différent, cela va être Cars, qui a été un succès assez moyen au
cinéma, mais dont on a décidé de faire une franchise pour son potentiel en termes de
produits dérivés. Et c’est une énorme réussite ! À mon avis, l’univers crée la demande. La
force de Cars, c’est aussi un storytelling et des personnages novateurs : ces voitures qui
parlent – du jamais vu – ont plu aux petits garçons et leur ont donné envie de jouer avec.
QB : Quel est l’intérêt de diversifier la franchise, d’adapter le héros et son univers sur
d’autres supports ? Plus seulement sous forme de produits dérivés classiques (textile ou
jouets), mais sous forme d’autres produits culturels ?
UN : On en revient à l’importance du storytelling. Quoi de mieux que de suivre les
aventures du héros sur différents supports pour s’attacher au personnage et pouvoir s’y
identifier. Avec la série TV Avengers, on peut préparer les petits garçons à la sortie des
jouets ainsi qu’à la sortie ciné, faire monter la notoriété et l’attachement au(x) héros en
amont.
130
QB : Cette dynamique d’adaptations semble devenue primordiale chez vous comme chez
Warner, notamment pour les jeux-vidéo. Que pensez-vous de la tendance à internaliser
l’activité en créant des départements dédiés (Disney Interactive, Warner Bros. Games) ?
UN : Pour Disney Infinity (version 3.0 désormais), je pense que c’était aussi normal
d’avoir une équipe dédiée, tant il y a d’enjeu business autour de ce projet. (Ce jeu-vidéo
nécessite en effet l’achat de figurines, des héros Disney au sens large, pour pouvoir les
jouer dans le monde virtuel). Mais ce n’est pas toujours justifié (d’internaliser). Pour
d’autres projets comme pour le prochain Star Wars Battlefront (qui sortira en novembre
2015), on continue de sous-traiter, de passer par des éditeurs spécialisés pour garantir la
meilleure qualité de jeu et la meilleure expérience client possibles.
QB : Que pensez-vous de la stratégie relativement récente de la part de Warner et Disney
d’acquérir des univers à forts personnages et à fort potentiel, que ce soit des éditeurs de
comics (DC, Marvel) ou des sagas mythiques (Star Wars) ?
UN : Pour moi cela fait sens, même si leurs personnages sont bien différents, Star Wars
et Marvel se rejoignent avec Disney dans l’idée de concevoir des histoires originales. Leur
dénominateur commun, c’est le storytelling. De plus pour Star Wars, même avant le
rachat de Lucasfilm, il y avait déjà un historique en commun, avec notamment l’attraction
Star Tours dans les parcs Disneyland. Dans les dernières études, on remarque que les
gens ne sont pas si étonnés que cela : près d’un français sur deux est au courant que
Disney a racheté Star Wars et affirme que cela ne lui fait pas peur en termes d’attente
pour le prochain film. C’est aussi pour cela qu’on peut associer sur les produits dérivés
Star Wars les logos des marques Disney et Lucasfilm, alors que c’est impossible avec
Marvel (exception faite des jeux-vidéos Disney Infinity où tous les héros donc toutes les
marques cohabitent). On peut avoir une stratégie de visibilité adaptée au public, avec sur
les produits mainstream la cohabitation de Disney et Lucasfilm, et sur les produits pure
fans, seulement la marque Lucasfilm. (Le logo-titre Star Wars est quant à lui évidemment
présent partout).
QB : Le licensing n’est-il pas finalement un moyen d’étirer sur le long terme le succès d’un
univers ?
UN : Si complètement, les produits sous licence permettent de revivre l’expérience du film
chez soi. On recrée des situations et on en réinvente d’autres, il n’y a qu’à voir ce qui
fonctionne le plus dans nos produits dérivés : les figurines pour Marvel et Star Wars, les
mini-véhicules pour Cars, les poupées, les accessoires et les costumes pour les
131
Princesses Disney. Et on voit bien que cela passe par le personnage / le héros auquel on
va s’identifier.
QB : Est-ce que cela ne pose pas problème pour Les Avengers d’avoir d’abord eu des
films centrés sur chaque héros puis de les voir se regrouper sous un seul film (que l’on
appelle un cross), et maintenant sous une seule marque ? Est-ce qu’il n’y a pas un risque
de brouiller l’image de marque et les valeurs de chaque personnage ?
Note de QB : la question pourrait aussi se poser pour les Princesses Disney en tant que
marque.
UN : Du point de vue marketing/business, on traite sous forme d’une seule et même
marque Iron Man, Thor ou Captain America. On aura sur tous les packagings de ces
héros le sceau Avengers, le sceau de la franchise. Pourquoi ? Parce qu’a contrario de
Spider-Man, ils n’ont pas le potentiel business pour être des franchises chacun de leur
côté. (J’interromps Ugo pour demander alors comment Disney gérait les produits dérivés
Iron Man suite aux deux 1ers films de 2008 et 2010, sortis avant le 1er film Avengers de
2012). Je n’étais pas encore en poste ici, mais je pense qu’on traitait alors Iron Man sous
la marque ombrelle Marvel.
Vous évoquiez les cross dans votre question, je pense que c’est également l’une des
grosses forces de Marvel au cinéma, cette capacité à planifier une histoire (les fameuses
« phases » de Marvel) structurée avec des passerelles entre chaque film. Tout l’univers
est cohérent, il y a même une série TV dérivée Les Agents du SHIELD qui elle-même est
connectée à l’évolution des films. D’ailleurs DC Comics suit aussi cette mécanique avec à
venir au cinéma Batman vs. Superman et en série DC’s Legends of Tomorrow.
QB : Quel rôle accorder aux méchants ? Est-ce qu’il vous arrive de les mettre en avant
dans vos produits sous licence ?
UN : Les méchants Disney sont régulièrement mis en avant (sans pour autant en faire des
franchises). Pour la sortie de Maléfique avec Angelina Jolie (2014), on a fait une opération
thématique centrée sur les méchants Disney. Il y avait un partenariat avec l’Institut
Français de la Mode qui avait développé une collection autour de ces personnages
malfaisants. Je me souviens aussi d’une collection DVD, une OP Trade pour cette
thématique. Plus récemment (d’avril à mai), il y aussi eu une exposition à Paris à la
galerie Arludik présentant des artworks de nos personnages maléfiques. D’ailleurs
l’événement de la rentrée sur nos chaines, c’est Descendants, une série qui met en scène
les fils et filles de méchants Disney.
132
Chez Marvel, ce n’est pas quelque chose qui est très développé. Et pour Star Wars avec
Dark Vador, on se retrouve dans une des seules franchises où le méchant est finalement
préféré aux gentils !
133
Affiche cinéma de 1983 (logo-titre Star Wars déjà présent !)
Vous avez dit reboot ? (DVD de 2002 vs. Affiche cinéma de 2012)
134
De l’insigne de police au diamant brut : évolution du logo Superman à travers les âges
Source: LEONG Tim, Super Graphic, Chronicle Books, 2013, pp. 30-31
135
Quel animal êtes-vous ?
Source: LEONG Tim, Super Graphic, Chronicle Books, 2013, pp. 118-119
136
Évolution des costumes de Superman (1938-2011) et Spider-Man (1962-2014)
© 2
01
3-2
015
Cla
rkyB
oin
go
© 2
01
4 Im
age
Hal
low
een
Co
stu
mes
.co
m
137
Super-vilains, costumes et couleurs secondaires
Source: LEONG Tim, Super Graphic, Chronicle Books, 2013, pp. 10-11
138
Qu’est ce que les super-héros ont en commun ?
Source: LEONG Tim, Super Graphic, Chronicle Books, 2013, pp. 12-13
139
Profil-type des lecteurs de DC Comics
Source: LEONG Tim, Super Graphic, Chronicle Books, 2013, pp. 72-73
140
Le jeu de cartes à collectionner Marvel en quelques chiffres
Source: LEONG Tim, Super Graphic, Chronicle Books, 2013, pp. 152-153
141
Batman et le petit écran, une grande histoire d’amour
Source: LEONG Tim, Super Graphic, Chronicle Books, 2013, pp. 116-117
142
Charte de Disney pour les romans Star Wars concernant l’univers étendu
143
Les cross-overs dans les comics
Source: LEONG Tim, Super Graphic, Chronicle Books, 2013, pp. 138-139
144
Évolution de la participation au Comic-Con de San Diego
Source: LEONG Tim, Super Graphic, Chronicle Books, 2013, pp. 96-97
145
Rap et cape, cap ou pas cap ?
Source: LEONG Tim, Super Graphic, Chronicle Books, 2013, pp. 106-107
146
May the Fourth be with you !
Affichage Clairefontaine repéré dans les couloirs du métro parisien à la rentrée 2015
Un subtil mélange geek à la croisée entre Superman et Game Of Thrones !
147
Le Voyage du Héros version Harry Potter
Source: BROWN Stephen, Harry Potter: Comment le petit Sorcier est devenu le roi du Marketing,
Dunod, 2005, pp. 76-77
148
VIII. Table des matières
I. Introduction....................................................................................................... 7
II. Le héros : son mythe, sa marque et ses déclinaisons ..................................... 10
a. Le héros et le mythe ................................................................................. 10
i. Définition du héros par ses caractéristiques .................................. 10
ii. Les (douze) travaux de Campbell : le Voyage du Héros ................ 14
iii. Réinterprétation moderne des travaux de Campbell : quels
nouveaux mythes ? ....................................................................... 17
b. Le héros de fiction, une marque en puissance ? ....................................... 23
i. Personnification de marque et storytelling ..................................... 23
ii. Les valeurs .................................................................................... 25
valeurs archétypales .......................................................... 25
valeurs individuelles ........................................................... 26
valeur collective ................................................................. 26
valeurs morales et politiques ............................................. 26
iii. Identité visuelle ............................................................................. 29
le nom................................................................................ 30
le logo / emblème / symbole .............................................. 31
le costume, design et couleurs .......................................... 33
le costume, armes et équipement ...................................... 39
le costume, cape et masque .............................................. 40
iv. Identité sonore .............................................................................. 42
thème musical ................................................................... 42
identité vocale .................................................................... 44
c. De la marque à la franchise : succès de masse à l’écran, licence et
sérialisation ............................................................................................... 46
i. Le cinéma : vecteur privilégié pour (re)lancer la franchise ............. 47
ii. Produit d’origine – Produit d’appel – Produits dérivés, la
circulation permanente .................................................................. 50
149
iii. Séries TV et jeux-vidéo, nouveaux produits d’appel ? ................... 58
iv. Notoriété, ciblage et licensing ........................................................ 63
III. Étude des cas Disney, Warner Bros. et Ubisoft .............................................. 70
a. L’enjeu d’acquérir le contenu du produit d’origine ..................................... 71
b. Campagne du produit d’appel, premières licences et sérialisation ............ 76
c. Produits dérivés classiques : textile, jeux/jouets et figurines ..................... 83
produits textiles et autres biens de consommation ............. 83
jeux/jouets et figurines ....................................................... 84
produits hybrides, exemples d’un jeu de figurines et du
jouet-vidéo ......................................................................... 86
d. Produits dérivés culturels : livres, audiovisuel et jeu-vidéo ........................ 89
jeu-vidéo ............................................................................ 90
audiovisuel ........................................................................ 93
livre .................................................................................... 94
e. Implications managériales et structurelles du licensing ............................. 97
i. Un Brand Management complexe ................................................. 97
ii. Restructuration et internalisation des activités de diversification ... 98
iii. Politique extensive de Brand Content .......................................... 101
f. Réappropriation du contenu par les fans et influence culturelle (voire
mythique) des sagas héroïques .............................................................. 104
IV. Conclusion ................................................................................................... 109
V. Bibliographie sélective .................................................................................. 111
VI. Index des figures .......................................................................................... 114
VII. Annexes ....................................................................................................... 116
VIII. Table des matières ....................................................................................... 148
150
Marketing des héros dans l’Entertainment :
Les héros de fiction comme marques et leur exploitation sous forme de licences
Mots-clés : #héros #mythe #marque #licence #Disney #WarnerBros #Ubisoft
From Superman to Gandalf:
The Branding and Licensing of Fictional Heroes in the Entertainment Industry
Key words: #heroes #myth #brand #licensing #Disney #WarnerBros #Ubisoft
The fictional heroes from Tolkien’s universe, Star Wars and comic books have much in
common with heroes from ancient mythology. Their adventures share similar base
storylines and involve the same universal archetypes. In this way, a hero serves as
both a point of reference and role model with which individuals can identify, giving
heroes the power to captivate the attention of mass audiences. Thanks also in part to
their unique visual identity and their strong symbolic value, many heroes even become
household names and major brands. In order to maintain long-term success, hero-
based brands turn to licensing to increase their brand awareness, strengthen their
brand image and target new audiences. By reaching wider audiences, heroes and their
stories are able to rise up the ranks among the world’s most popular myths.
This essay focuses on two of the global entertainment industries biggest players,
Disney and Warner Bros., as well as Ubisoft, a rising industry competitor. All three
have identified key business and marketing opportunities surrounding “hero branding”
and have adapted their licensing policies accordingly.
Chez Tolkien, dans Star Wars ou dans les univers super-héroïques, le héros de fiction
partage de nombreux points communs avec le héros mythologique. Leurs récits
possèdent en effet une structure narrative commune et reposent sur des archétypes
de personnages universels. Le héros est ainsi le point d’identification pour l’individu, le
repère, l’exemple à suivre, tout en étant le porte-drapeau de l’histoire. Cela lui confère
un formidable potentiel pour séduire la masse, un potentiel à exploiter. On peut alors
ériger le héros en tant que marque, profitant de son identité visuelle différenciante et
de sa forte dimension symbolique. Pour pérenniser son succès, il convient ensuite de
développer la marque et de décliner le héros sous forme de produits sous licence. La
licence permettra au héros de gagner en notoriété, de renforcer son image de marque
et de toucher de nouvelles cibles. Ce public toujours plus large et international peut
amener le héros et son histoire au rang de mythe populaire.
Dans ce mémoire, on se penche plus précisément sur les cas de Disney, Warner Bros.
et Ubisoft, deux majors et un challenger de l’Entertainment mondial, qui ont vite pris
conscience des enjeux business et marketing autour de ces héros, et ont organisé
leurs marques et leurs politiques de licence en conséquence.
top related