analyse economique de l’organisationmysweetshadow.free.fr/analyse economique de...

56
1 L3 Economie et Management de l’Entreprise ANALYSE ECONOMIQUE DE L’ORGANISATION M.RENAULT 24h Documents de cours Usage interne uniquement Séance 1: Les approches de l’individu dans les organisations I Préliminaires : qu’est ce qu’une organisation ? Intégration et autonomie : une double problématique Images de l’organisation et conception de l’action De l’homme machine aux relations humaines

Upload: vuongphuc

Post on 10-Sep-2018

218 views

Category:

Documents


2 download

TRANSCRIPT

1

LL33 EEccoonnoommiiee eett MMaannaaggeemmeenntt ddee ll ’’EEnnttrreepprr iissee

AANNAALLYYSSEE EECCOONNOOMMIIQQUUEE DDEE LL’’OORRGGAANNIISSAATTIIOONN

MM..RREENNAAUULLTT

2244hh

Documents de cours

Usage interne uniquement

SSééaannccee 11:: LLeess aapppprroocchheess ddee ll ’’ iinnddiivviidduu ddaannss lleess oorrggaanniissaatt iioonnss II

Préliminaires : qu’est ce qu’une organisation ?

□ □ □ □ Intégration et autonomie : une double problématique

□ □ □ □ Images de l’organisation et conception de l’action

□ □ □ □ De l’homme machine aux relations humaines

2

LL’’OORRGGAANNIISSAATTIIOONN CCHHEEZZ AARRGGYYRRIISS EETT SSCCHHOONN

C.Argyris et D.Schön se posent la question de savoi r ce qui distingue une manifestation d’étudiants et une organisation. -une manifestation est une collectivité qui ne peut pas prendre une décision ou entreprendre une action en son nom prop re. Ses frontières sont vagues et diffuses. -lorsque la manifestation commence à satisfaire tro is sortes de conditions, elle devient presque une organisation. Les participants doivent mettre en place des procédures pour :

1-prendre des décisions au nom de la collectivité

2-déléguer à des individus l’autorité d’agir pour l a collectivité

3-délimiter des frontières entre la collectivité et le reste du monde

3

AArrggyyrr iiss eett SScchhöönn rreett iieennnneenntt 66 ccrr ii ttèèrreess ppoouurr ddééff iinnii rr uunnee oorrggaanniissaatt iioonn :: Critères d’action :

1-une organisation est un gouvernement au sens de « polis » 2-elle est une agence (au sens de délégation) 3-elle est un système de tâches (au sens de divisio n du travail)

Critères cognitifs

4-elle est une « théorie » de l’action (au sens de système complexe de normes, de stratégies, de routines…) 5-elle est une entreprise cognitive (au sens de thé orie mise en action de façon effective par ses membres) 6-elle est un artefact cognitif (au sens d’images individuelles et de représentations collectives)

4

CCAARRAACCTTEERRIISSTTIIQQUUEESS DDEE LL’’OORRGGAANNIISSAATTIIOONN ::

-DES FRONTIERES -LA POSSESSION DE RESSOURCES MATERIELLES OU IMMATERIELLES CONSTITUANT UN PATRIMOINE -L’ INTENTIONALITE : L’ORGANISATION EST FINALISEE. ELLE POSSEDE UN OU PLUSIEURS OBJECTIFS. -ELLE FONCTIONNE PAR ECHANGE. ELLE EST OUVERTE SUR L’EXTERIEUR

CCOORRRROOLLAAIIRREESS ::

-L’ORGANISATION EST UN CENTRE DE DECISIONS -L’ORGANISATION CONSTITUE UN CADRE STRUCTURE D’ACTION -L’ORGANISATION NECESSITE L’ ADHESION DE SES PARTICIPANTS -L’ORGANISATION DOIT COLLECTER TRAITER ET PRODUIRE DE L’ INFORMATION

5

DDééff iinnii tt iioonnss ddee CC..MMéénnaarrdd

« Une organisation se caractérise par : 1/ un ensemble de participants ; 2/ une entente, implicite ou explicite, sur certains objectifs, et des moyens pour exprimer son accord avec ses objectifs ou s'en dissocier (contrats, démission, grèves, etc. 3/ une coordination formelle, définissant une structure caractérisée par son degré de complexité (la hiérarchie), par des règles et procédures (la formalisation), et par son degré de centralisation (la décision). »

C. Ménard

« Une organisation économique est une procédure de coordination spécifique. Il en est ainsi parce qu'elle assure l'allocation de ressources selon des modalités propres, et parce qu'elle prospère, soit en raison d'insuffisances des mécanismes de marché, soit en raison de leurs inconvénients. On est ainsi conduit à une représentation de l'économie de marché marquée par l'articulation structurelle de ces deux formes, les marchés et les organisations. »

C. Ménard

6

« Au cœur de la production de richesses, les entreprises sont un lieu d'échange et de socialisation pour les individus. Plutôt que d'entreprises, les sociologues et les économistes préfèrent parler d'organisations. Cette nuance traduit un déplacement. Alors que l'entreprise renvoie au registre de l'initiative individuelle, l'organisation inclut un ensemble complexe d'activités sociales . Formellement, les organisations sont un mode de coordination intermédiaire entre le principe hiérarchique incarné par l'Etat et l'individualisme marchand. Comme l'Etat, elles constituent des ensembles structurés selon des règles formelles. Mais elles sont aussi, comme les acteurs marchands, des centres autonomes de décision. »

F. Cusin et D. Benamouzig : Economie et sociologie, PUF, Coll. Quadrige, 2004

7

DDEEFFIINNIITTIIOONN DDEE HH..SSiimmoonn eett JJ..GG..MMaarrcchh

Herbert Simon

James March LLeess oorrggaanniissaatt iioonnss ssoonntt ddeess ssyyssttèèmmeess dd’’aacctt iioonnss ccoooorrddoonnnnééeess eennttrree iinnddiivviidduuss eett ggrroouuppeess ddoonntt lleess pprrééfféérreenncceess,, ll ’’ iinnffoorrmmaatt iioonn,, lleess iinnttéérrêêttss eett lleess ssaavvooii rrss ddii ff ffèèrreenntt .. Les théories de l’organisation décrivent la convers ion délicate du conflit en coopération, la mobilisation des ressour ces et la coordination des efforts qui facilitent la survie s imultanée d’une organisation et de ses membres.

8

NNOOTTIIOONNSS CCOONNNNEEXXEESS

« Par institutions, on entendra un ensemble de règles socio-économiques, mises en place dans des conditions historiques sur lesquelles les individus ou les groupes d'individus n'ont guère de prise, pour l'essentiel, dans le court et le moyen terme.

Du point de vue économique, ces règles visent à définir les conditions dans lesquelles les choix, individuels ou collectifs, d'allocation des ressources pourront s'effectuer. »

C. Ménard

Quelques références : Ménard C. (2004) « L’économie des organisations » La Découverte

Argyris, C., & Schön, D. (1978) « Organizational learning: A theory of action perspective » , Reading, Mass: Addison Wesley.

Argyris, C. and Schön, D. (1996) « Organizational learning II: Theory, method and practice», Reading, Mass: Addison Wesley

9

IIMMAAGGEESS DDEE LL’’OORRGGAANNIISSAATTIIOONN EETT CCOONNCCEEPPTTIIOONNSS DDEE LL’’AACCTTIIOONN

Gareth Morgan Un résumé de l’ouvrage sur : http://www.cnam.fr/lipsor/dso/articles/fiche/morgan .html LL’’oorrggaanniissaatt iioonn ccoommmmee uunnee mmaacchhiinnee •Fondement du modèle bureaucratique et de l’organisa tion taylorienne •L’organisation est vue comme un agencement de pièce s - décomposable - chaque pièce joue un rôle précis •Vision mécaniste •Interprétation mécaniste

–De la nature –Du comportement humain –De l’organisation

•Recherche de prévisibilité des actes et des comport ements.

–Division précise du travail –Standardisation des activités et des procédures –Mécanismes de contrôle

10

Origines de la vision mécaniste des organisations

•Tâches, buts et objectifs = outils et instruments p our atteindre les missions d’une organisation •Automatisation qui accentue la standardisation - la bureaucratisation - le contrôle •Division du travail - Adam Smith 1776 •Mais aussi Descartes: « l’univers est une machine où il n’y a rien du tout à considérer que les figures et les mouvements des parties ».

Gestion dans le modèle mécaniste

•Planification •Organisation et coordination (ordre, chaque chose à sa place, distinction conception-exécution) •Direction (unité de commandement et hiérarchie, aut orité et discipline) •Contrôle des méthodes et des résultats

Organisation scientifique du travail

•Décomposition fine de chaque tâche - tâches parcell aires et spécialisées •Analyse et normalisation des activités •Recherche de la façon optimale de fonctionner •Contrôle du temps et des mouvements ( des tâches) •Contrôle strict sur le respect des méthodes et les résultats •Utilisation des machines pour donner le rythme et l e format •Séparation conception – exécution

Approche des Relations Humaines

•Isolement des travailleurs – peur des syndicats et mouvements collectifs •Intérêt général > intérêt particulier •Motivation et implication : vision technique (renfo rcement positif ou négatif) •Logique de l’adaptation de l’individu à l’organisat ion

Vision de l’humain

•Maîtrisable et manipulable •Prévisible ( logique de conditionnement - Skinner) •Automate •Normalisation •Interchangeable •Contrôle - direction – discipline

11

Postulat central

•Hypothèse de rationalité « une façon rationnelle - « scientifique » - d’organiser les choses » •Hypothèse d’efficacité : le « one best way »

LL’’oorrggaanniissaatt iioonn ccoommmmee uunn oorrggaanniissmmee Une vision organiciste

•Systèmes vivants •Qui existent dans un milieu (environnement) •Dépendance à cet environnement pour la satisfaction de ces besoins •Échange avec environnement = fondement de l’autocon servation •Différentes espèces correspondant à différents envi ronnements

Des analogies avec des concepts biologiques

•Molécules •Cellules •Organismes •Espèces •Écologie •Individus •Groupes •Organisations •Populations - configurations •Écologie sociale •

Des aspects privilégiés

•Les besoins des individus •Les organisations comme systèmes ouverts •Le processus d’adaptation de l’organisation à son m ilieu environnant •Le cycle de vie d’une organisation •Facteurs qui influencent la santé et le développeme nt des organisations •Les différentes espèces d’organisation •Les rapports entre les espèces et leur écologie

12

L’individu: théorie des besoins •Mayo - Western Electric company

•Étude sur les rapports entre les conditions de trav ail et l’incidence de la fatigue et de l’ennui chez les travailleurs •Approche de départ = approche technique - « ergonom ique ». •Progressivement mise en évidence de « l’informel », auto-gestion clandestine, effet du groupe, mécanisme de reconnai ssance et valorisation au travail Les besoins …

•Maslow - pyramide des besoins

–Physiologique : rémunérations, sécurité au travail –Sécurité : emploi, assurance-maladie, retraite, car rière –Appartenance sociale: interactions avec collègues –Estime de soi: récompenses, autonomie, responsabili té –Autoréalisation: moyens d’expression du salarié, en trepreneurship Des besoins …

•Argyris, Herzberg (satisfaction - motivation), McGr egor (style X et style Y)

•Développement organisationnel (DO) •Créer des tâches enrichissantes et motivantes •Capacité de création, d’implication •Enrichissement des tâches et style de gestion plus démocratique

13

LL’’oorrggaanniissaatt iioonn vvuuee ccoommmmee uunn ssyyssttèèmmee ddee rreellaatt iioonnss ppssyycchhoollooggiiqquueess

•Influence des phénomènes conscients et inconscients •« emprisonnés » par les idées, les images et les pe nsées •Réalités construites •Platon : relation entre apparence, réalité et savoi r •Éléments pathologiques qui peuvent accompagner notr e manière de penser

L’influence des façons de penser

•Sentiment de supériorité des constructeurs automobi les USA et Europe lors de l’entrée sur le marché des automobiles japo naises puis recherche de « boucs émissaires » •IBM et la micro-informatique •Miller « le paradoxe d’Icare » : la supériorité dev ient dans un autre contexte une faiblesse majeure

L’organisation et l’inconscient

•Organisation - culture et inconscient •Êtres humains sont prisonniers ou produits de leur propre histoire psychique individuelle et collective •Passé est dans le présent au travers de l’inconscie nt •Importance de la psychanalyse pour la compréhension de la vie de l’organisation

Organisation et pathologies de la personnalité

•Taylor … et le taylorisme (OST) fruit d’une personn alité troublée et névrosée •Efforts pour organiser l’entreprise … efforts pour s’organiser et se dominer lui-même •Influence de la personnalité des individus sur l’en treprise et les modes d’organisation du travail (ordre, exhibition, …)

14

Organisation et modèle patriarcal

•Patriarcat = prison conceptuelle qui produit et rep roduit des organisations dont les structures assurent la domination des homm es et des valeurs masculines traditionnelles •Hommes dans des rôles (des fonctions) de domination , femmes dans des rôles (des fonctions) de soumission •Valeurs masculines : compétitivité, bagarre, lutte pour le pouvoir, excellence, affirmation de soi •Valeurs féminines : intuition, tendresse, empathie, collaboration, consensus •Organisation qui fonctionne comme une famille tradi tionnelle « patriarcale »

Organisation et angoisse

•Expérience de l’adulte = reproduction des mécanisme s de défense contre l’angoisse dans la petite enfance •Sentiment de persécution, dépression, deuil et culp abilité •Techniques de clivage, de projection, d’introjectio n, d’idéalisation, de dénégation déterminent nos rapports avec l’extérieu r •Gérer l’angoisse :

–La dépendance « recherche du chef » –Le couplage: « attente du messie » –L’attaque-fuite: le groupe projette ses peurs sur u n ennemi (bouc-émissaire)

15

LL’’oorrggaanniissaatt iioonn vvuuee ccoommmmee uunn ssyyssttèèmmee ppooll ii tt iiqquuee

Intérêt- Conflit – Pouvoir Niveaux d’analyse

•L’organisation comme un système de gouvernement •L’organisation comme la rencontre d’intérêts diverg ents

–L’analyse stratégique (Crozier / Friedberg) –L’analyse du conflit –Rapports sociaux dans l’organisation

•L’individu : la conciliation interne d’intérêts div ergents L’organisation vue comme un système de gouvernement

•Autocratie : pouvoir absolu aux mains d’un individu ou d’un pe tit groupe (ressources financières, droit de propriété, charis me, tradition …) « nous allons faire comme cela » •Bureaucratie : autorité rationnelle-légale (procédures, lois, ré glements) « nous sommes censés faire comme cela » •Technocratie : pouvoir aux mains des spécialistes (connaissances , expertise, …) : « le mieux est de faire comme cela » •Cogestion : pouvoir distribué, participation des parties oppo sées aux processus de décision, recherche de conciliation (m odèle allemand) •Démocratie représentative : membres élus (durée limitée) - mandat : agir aux noms des autres •Démocratie directe : chacun a le même droit, participe directement aux processus de décision (référendum, coopérative, col lectif) :« que pensez-vous qu’il faut faire ? » Ou « qu’allons-nous faire ?»

L’organisation : lieu de rencontres d’intérêts dive rgents

•Individus comme acteurs stratégiques •Comportements d’alliance, de manipulation, de propa gande… •Remise en cause de l’unicité des objectifs (vision rationnelle) •Organisation: rencontre d’intérêts différents et di vergents •Recherche de conciliation via la négociation, la co nsultation ou … rapports de force •Créer de l’ordre à partir de la diversité … tout en évitant le totalitarisme •Organisation comme lieu de production de règles et de normes

16

LL’’oorrggaanniissaatt iioonn ccoommmmee pphhéénnoommèènnee ccuull ttuurreell La notion de Culture

•Système de comportements (actes), normes (permis-in terdit) , valeurs (Bien-mal), attitudes (favorable ou défavor able): idéologie •Mécanismes d’apprentissage et rituels (socialisatio n) •Représentations individuelles et collectives (à l’é gard du travail, des rapports hommes/femmes, de la réussite , du temps…)

Cultures nationales et organisations □ □ □ □ Approche comparative:

–Modes d’organisation du travail dans les différents pays (Hofstede) –Influence du monde de fonctionnement de la société (institutions et structures) (D’Iribarne) –Relations interculturelles: difficulté de se compre ndre et donc de faire des affaires si on est issu de contextes c ulturels différents (Handy, Hall, …)

Exemple : l’analyse de Hofstede Un lien vers un résumé : http://www.cnam.fr/lipsor/dso/articles/fiche/bollin ger_hotsf.html •Travaux de 1967-1973 •vaste enquête internationale portant sur les valeur s culturelles véhiculées par le personnel d ’IBM à travers le mon de •72 pays - 116.000 questionnaires

17

□ Influence de l’organisation globale d’une société

•D’Iribarne - comparaison sociétés allemande / franç aise / marocaine en regard de l’influence de leurs institutions (systèm e scolaire notamment) •Murray Sayle – influence des facteurs historiques E x: le Japon - solidarité - valeurs culturelles de la rizière et esprit de sa crifice du samouraï •Sparrow et Hiltrop : comparaison des modèles de GRH au niveau européen en regard du mode d’organisation globale d e la société (notamment juridique et politique) Relations interculturelles •Le message n’a de sens qu’en regard du contexte •La culture détermine ce qui est perçu et ignoré (Ha ll)

–Culture où le message est dans un contexte riche ( Asie) / culture où le message est dans un contexte pauvre (Amériqu e du Nord) –Temps monochronique et temps polychronique –Rapport à l’espace (entre individus, entre lieux, … )

La culture d’entreprise

•Ensemble de normes, de valeurs, d’attitudes, de rit uels qui « intègrent » les comportements des individus dans l’organisation •Ensemble complexe et multidimensionnel de ce qui fa it la vie en commun dans les groupes sociaux •Implique une interdépendance entre histoire, struct ure, conditions de vie et vécus subjectifs des personnes •Ensemble d’éléments économiques, sociaux et symboli ques en rapports dialectiques •Pas forcément unité ou homogénéité aussi opposition s et clivages •Histoires, légendes, mythes •Socialisation des nouveaux entrants •Standardisation des normes •Communauté de vision et identité partagée

Processus de construction d’une réalité commune (We ick)

•Quels cadres de référence communs rendent l’organis ation possible? •D’où viennent-ils? •Comment sont-ils créés, transmis et maintenus?

–« par une équipe dirigeante » : culture « instrume ntale » - gurus du management comme Peters et Waterman –via les structures, les règles, les procédés formel s, les outils de contrôle, …

18

LLEE TTAAYYLLOORRIISSMMEE EETT LL’’HHOOMMMMEE MMAACCHHIINNEE

DDeess pprrééccuurrsseeuurrss

CHARLES BABBAGE (1792-1871)

De l’Organisation au Calcul… Le temps de Charles Babbage Philippe AIGRAIN (1980). publié s dans AFCET Interfaces 25 Depuis longtemps déjà, hommes et machines entretiennent des relations particulières. Il y a des moments où de soudains basculements philosophiques font entrevoir en l’homme une machine particulière, et dans la société, la machine par excellence. L’idée de machine devient alors si générale, si essentielle, si englobante que plus rien ne lui échappe, hors l’essence divine ou l’intelligence poétique, incertains refuges. Mais il y a aussi des moments où, entre hommes et machines, les rapports se déploient sur d’autres modes. Un troisième terme est introduit dans leur face à face : la production, la vérité, l’intelligence ou la communication. Ce troisième terme joue le rôle d’un processus abstrait et pratique tout à la fois, par rapport auquel le rapport des hommes et des machines, la définition même de ces entités, ne sont plus que des problèmes – si l’on ose dire – techniques. On voit alors fleurir des discours dont le but est l’agencement des hommes et des machines, leur distribution à l’intérieur du processus abstrait qui joue le rôle du monde, leur perfectionnement, leurs adaptations réciproques, leurs imitations. Ces discours pèsent de peu de poids philosophique si on les compare aux grandes invocations de la Machine, mais ils sont au coeur d’un univers pratique, ils constituent l’usine où l’on redéfinit concrètement les activités humaines. Ce texte vous invite à la découverte de l’un de ces temps techniques de l’histoire des rapports homme-machine : celui où le troisième terme qui les agençait portait le nom de production. Mais que l’on se rassure, c’est bien de l’informatique qu’il s’agit, car, en ce temps-là, la production s’annexa le calcul. Ce ne fut pas son moindre exploit. Présentation Charles Babbage aimait les machines à calculer : il ne vivait que pour elles. Au panthéon des inventeurs scientifiques, on le célèbre pour avoir amoureusement construit de 1830 à 1867 les pièces d’une extraordinaire machine, que dans le langage de son temps, il appelait une machine à calculer, mais dans laquelle on voit aujourd’hui le premier ordinateur. Il mourut sans avoir eu le temps et l’argent d’assembler sa machine, mais en 1920, un savant espagnol, M. Torres y Quevedo reconstruisit sur le même plan (avec une technologie de relais électro-magnétiques) la machine de Babbage, qui se révéla fonctionner parfaitement. Les machines de Babbage – il en construisit une autre avant l’analytic engine qui fit sa renommée – sont devenues célèbres ces dernières années, et il n’est pas un historien de l’informatique qui ne mentionne ces « précurseurs des ordinateurs ». Mais Babbage et ses machines méritent plus qu’une référence « en passant ». L’analytic engine est une machine mécanique à base de pignons et d’engrenages, semblable en cela aux machines à calculer de l’époque, tel l’arithmomètre de Thomas de Colmar. Mais fait unique, cette machine possède une mémoire (également mécanique et décimale), est programmable avec un programme séparé écrit sur des cartes perforées de métier à tisser Jacquart, et enfin possède

19

la possibilité d’entrée « conversationnelle » des données en temps réel, comme Babbage l’explique : « … La question était de savoir comment la machine analytique pourrait exécuter des calculs pour lesquels l’utilisation des tables de logarithmes, de sinus, etc. ou de toute autre table serait nécessaire … La machine, en arrivant à tout nombre qu’on ne peut trouver que dans une table, le logarithme de 1207, par exemple, sonnerait une cloche pour appeler un assistant qui trouverait écrit à un certain endroit de la machine : « j’ai besoin du logarithme de 1207 ». L’assistant regarderait alors dans les tables précédemment calculées par la machine le logarithme requis, et l’introduirait à l’endroit souhaité, puis appuierait sur un levier, permettant à la machine de continuer son travail » (1). En dehors des technologies utilisées (mécaniques au lieu d’électriques puis électroniques) un seul point différencie au fond la machine de Babbage des ordinateurs que nous connaissons : le programme ne peut agir sur lui-même, se transformer lui-même, ou agir sur d’autres programmes. Cette différence importante –essentielle même- tient à ce que les supports du programme (cartes perforées) et de la mémoire (roues dentées) sont distincts, alors que dans les ordinateurs modernes, le même support est utilisé : le programme est « en mémoire ». Le fondement théorique de la machine de Babbage est sa théorie de la calculabilité, c’est-à-dire de la possibilité de faire des calculs à partir d’opérations élémentaires, qui est extraordinairement proche de celle que Turing développera au 20 ième siècle. Babbage inspirera directement les constructeurs de machines à calculer complexes : Hollerith, Bull, puis ceux qui formaliseront la structure des ordinateurs des années 1940. Mais ce n’est pas seulement parce qu’il est en avance sur son temps que Babbage mérite l’intérêt. Ce n’est même pas parce qu’il avait pour assistante Ada Byron, Comtesse de Lovelace, et fille de poète, qui inventa la programmation de sa machine. C’est qu’il est une autre face du génie de Babbage, qui est au coeur du mouvement même de son temps : la science des manufactures. En effet, lorsqu’en 1820 le projet de sa première machine à calculer prend forme dans son esprit, Babbage se rend compte que tout lui fait défaut : la connaissance des technologies à mettre en oeuvre, et jusqu’aux moyens de dessiner une machine aussi complexe pour expliquer ses projets aux artisans chargés de l’exécution des pièces. Babbage entreprend alors un voyage de 10 ans à travers l’Europe des manufactures ; il s’intéresse aux fabrications les plus diverses, note les moindres détails de l’environnement économique, des principes technologiques, de l’agencement des machines. Il invente une méthode de description des machines sous forme d’automates qui est très proche de la « science des machines » qu’élaborent des ingénieurs allemands à la même époque (2). En chemin le projet change. Babbage oublie presque le projet de son voyage : fasciné par l’univers de la production, il entreprend la fondation d’une méthode rationnelle d’organisation de la production, qui fait à la division technique du travail et au machinisme une place sans précédent. En 1831, Babbage publie sa « Science économique des machines et des manufactures » (3) ouvrage rapidement traduit en français, en italien et en allemand. On reviendra sur le contenu de cet ouvrage, mais qu’il soit dit dès à présent qu’il s’agit, pour Babbage, de penser le processus matériel de production comme un enchaînement de tâches élémentaires, lesquelles peuvent être assurées par des hommes et des machines. Le rapport – matériel, économique et social – qu’entretiennent les hommes et les machines devient le nœud de la science des manufactures. Il y a dans ce noeud, que l’organisation du calcul automatique tisse avec le modèle d’organisation des tâches incarné par la production manufacturière, autre chose qu’une rencontre de hasard. Ce « modèle productif », c’est l’univers général dans lequel les rapports des hommes et des machines peuvent être pensés au 19 ième siècle. Les ordinateurs et nous-mêmes en portons encore les traces : le modèle a changé mais l’habitude est prise, la machinisation continue. La division du travail entre les hommes, et la machine comme outil A la fin du 18 ième siècle, la conception dominante de la division du travail est celle formulée par Adam Smith dans l’exemple de la manufacture d’épingles (4). Il s’agit déjà d’une division du travail au sein d’une même fabrication et non d’une division entre différentes fabrications. Le principe est simple : en faisant faire à chaque homme, non pas l’ensemble des actes nécessaires à la fabrication d’un objet, mais seulement certains d’entre eux, en réunissant dans un même lieu les travailleurs qui font les mêmes tâches, on augmente considérablement l’efficacité du travail, grâce principalement à l’accroissement d’habileté des ouvriers affectés à une seule tâche. La machine est déjà présente dans la division smithienne du travail ; mais elle est présente comme outil, dont la division du travail stimule l’invention et l’introduction, mais qui n’a pas de valeur directement substitutive au travail humain. La division du travail humain est essentiellement une division du travail entre les hommes (ici les ouvriers) : c’est ce qui fonde sa généralité, sa valeur de paradigme social. La manufacture donne l’exemple de la division technique du travail, mais cet exemple n’est pas encore un modèle, le modèle reste celui de la division dans l’échange. La production n’est pas abstraite du travail humain, saisie comme processus objectif. Smith parle bien de l’ensemble des tâches nécessaires à une fabrication, mais il s’agit de l’ensemble des travaux humains. L’idée d’une équivalence possible entre travail humain et action machinique – qui a déjà été formulée à cette époque – est rejetée hors de la pensée. La machine économise certes le travail humain, elle permet de réaliser la même chose avec moins d’ouvriers, on s’en était aperçu longtemps avant Smith. Ainsi F. Braudel rapporte une lettre écrite en 1754 par un ambassadeur de France en Hollande qui demande « un bon mécanicien en état de dérober le secret des

20

différents moulins et machines que l’on emploie à Amsterdam et qui évitent la consommation du travail de beaucoup d’hommes » (5). Mais si les machines y parviennent, c’est par un meilleur emploi des forces humaines (quand on ne leur suppose pas une véritable magie). Cette économie de travail humain n’est d’ailleurs pas valorisée en général : F. Braudel fait remarquer que l’on refusa d’envoyer le mécanicien demandé. De même, l’idée que la division du travail puisse concerner le travail de l’esprit, le calcul, n’a pas été formulée. Elle révulserait sans doute Smith qui sous le titre « Inconvénients de la division du travail », n’hésite pas dénoncer le caractère abêtissant et démotivant des tâches répétitives, dont la saine participation de tous à la vie politique est l’antidote nécessaire (6). Cette idée que la division du travail passe entre les hommes, que les machines ne sont que des outils, se retrouve également dans les essais sur machines à cette époque. Lazare Carnot, ingénieur militaire et physicien à l’époque, et qui réapparaîtra bientôt dans ces lignes, publie en 1783 son « Essai sur les machines en général ». Par-delà les premières énonciations des principes de la mécanique, on peut y lire clairement une conception de la machine comme outil. Carnot pourfend la croyance tenace à une production des forces par la machine, alors qu’il ne faut y voir qu’une aide pour une meilleure application des forces. Ainsi « l’avantage que procurent les machines n’est pas de produire de grands effets avec de petits moyens, mais de donner à choisir entre différents moyens que l’on peut appeler égaux, celui qui convient le mieux à la circonstance présente. » Et plus loin : « les machines sont donc très utiles, non en augmentant l’effet dont les puissances sont capables, mais en modifiant cet effet (7). » Les forces que les machines agencent ne sont pas nécessairement des forces humaines (moulins, machines à vapeur). Si la science des machines s’était préoccupée d’organisation de la production, elle aurait sans doute été amenée à formuler la substituabilité des hommes et des machines. Mais ce n’est que par des voies détournées, et fort lentement, que les ingénieurs poseront le problème de l’environnement économique et humain des machines. A la fin du 18 ième siècle, l’équivalence des hommes et des machines, la faculté que peuvent avoir les machines d’imiter les hommes, de s’approprier certaines de leurs activités, ne sont pas impensables, mais sont à l’extérieur des problèmes que se posent l’économie et le discours savant sur la technique. Seuls « les fous de la techné » ou les « philosophistes », de Vaucanson à La Mettrie…, mais c’est une autre histoire. La division du travail à l’assaut du calcul Dans ce monde, un événement et une dérive vont nous entraîner vers d’autres rivages. Honneur soit d’abord à l’événement. Il se situe au point de départ obligé des sagas françaises : nous sommes en l’an II de la Révolution française, le Comité de Salut Public gouverne, la guerre est aux frontières et la Raison aux nues. En ce début de l’an II, le Comité de Salut Public, sur proposition de Lazare Carnot, avec l’appui des citoyens Prieur et Brunet, met à la disposition du citoyen de Prony des ressources humaines illimitées, avec pour mission « d’élever à la gloire du système métrique français un monument de calcul plus grandiose qu’on n’en exécuta jamais, ni même qu’on en conçut » (8). Les auteurs de la proposition ne s’intéressent pas au calcul par une quelconque lubie. Carnot, ingénieur militaire déjà cité, futur chef d’état-major, est un spécialiste de balistique ; Brunet est l’un des trois membres de la Commission des Subsistances qui doit résoudre les gigantesques problèmes du ravitaillement des armées et des villes ; Prieur dit Crieur de la Marne, est un défenseur des réquisitions économiques et l’auteur du célèbre décret sur la levée en masse du 24 février 1793. Or, avec les questions militaires et les problèmes de subsistance, nous sommes au coeur des pratiques de gouvernement qui imposent les calculs les plus complexes, les plus répétitifs. Cependant la motivation du Comité du Salut Public est sans doute de « faire la pige aux Anglais ».Lesquels, beaux joueurs, proposèrent d’aider à financer le projet, ce qui ne fut pas fait, la guerre aidant. Voilà donc de Prony, mathématicien renommé, chargé de l’établissement de « grandes tables logarithmiques et trigonométriques » (les logarithmes des 200 000 premiers nombres avec les 19 décimales, les fonctions trigonométriques des 10 000 premiers 100 000 ièmes du cercle avec 25 décimales !) (8). On lui adjoint les calculateurs du service du Cadastre – autrefois royal. Un délai terriblement sévère lui est fixé qui ne le rassure pas, en ces temps où l’on fait vite d’un retard une trahison. A première vue, le problème est insoluble car, avec les méthodes de calcul de l’époque, chaque valeur des tables doit être calculée séparément par des formules complexes que seuls quatre ou cinq mathématiciens savent utiliser au Cadastre. De Prony, stimulé par la peur et l’enthousiasme révolutionnaire, trouvera pourtant une solution. Il se remémore la lecture d’Adam Smith et invente, le mot n’est pas trop fort, l’application de la division du travail au calcul. Voici comment il procède : « La nouvelle méthode que je projetai d’employer est précisément l’inverse de la précédente : elle consiste à calculer immédiatement, et par des formules particulières, un nombre déterminé de la table, un sinus par exemple, et ses différences de plusieurs ordres […] et à partir de ces différences pour obtenir par de simples additions ou soustractions successives, tant les différences qui se rapportent aux sinus suivants que ces sinus eux mêmes. Ce procédé de calcul conduit depuis le sinus dont on est parti, jusqu’à un autre sinus tel que, dans l’intervalle qui les sépare, la différence de l’ordre le plus élevé puisse être regardée comme constante »… « Il est aisé de comprendre comment cette méthode rend possible et commode la distribution du travail à autant de calculateurs qu’on veut, parmi lesquels il suffit d’en avoir un très petit nombre

21

exercés à la théorie du calcul et à l’analyse : ce qu’on doit exiger rigoureusement des autres se réduisant à écrire lisiblement les chiffres, et à savoir faire l’addition et la soustraction numériques. D’après ce plan, les calculateurs du cadastre ont été divisés en 3 sections :La première section était composée de 5 à 6 mathématiciens d’un très grand mérite Ils s’occupaient de la partie analytique du travail, et en général de l’application de la méthode des différences à la formation des tables, du calcul de plusieurs nombres fondamentaux, etc. La deuxième section contenait 7 à 8 calculateurs exercés tant aux calculs arithmétiques qu’à l’analyse : ils étaient employés à déduire des formules générales les nombres et différences formant les points de départ et d’arrivée des intervalles, à vérifier les cahiers qu’on leur faisait repasser de la troisième section, etc. … Le résultat du travail des mathématiciens dont je viens de parler était de remplir la première ligne horizontale et la dernière ligne verticale d’un certain nombre de tableaux qu’on distribuait aux calculateurs de la troisième section et ceux-ci au moyen des deux lignes qui leur étaient données remplissaient tout le surplus de l’aire de la table par de simples additions ou soustractions : ils ont été communément au nombre de 60 ou 80 ; les 9/10 ième au moins d’entre eux savaient tout au plus les 2 ou 4 premières règles de l’arithmétique et ceux qui en savaient davantage n’ont toujours pas été les moins sujets à erreur. Le travail de chaque section se faisait en double, par des formules différentes dans les deux premières et sans aucune communication pendant la durée du calcul, en sorte qu’on pouvait considérer l’ensemble des calculateurs comme composé de 2 divisions dont chacune était séparément occupée à faire le même travail que l’autre » (9). Ironie terrible, ces « Grandes tables du Cadastre » qui représentent 17 volumes grand in-folio, sans erreur, réalisées dans un délai invraisemblable de 6 mois, ne furent jamais éditées, « les embarras des finances, la chute du papier-monnaie et des dépenses plus urgentes » l’empêchant. De Prony, amer, ne put que souhaiter « que, dans des temps de paix et de bonheur, un gouvernement ami des arts ordonnera l’achèvement d’un ouvrage qui doit être désiré au coeur de tous ceux qui cultivent les sciences mathématiques » (10). On en parlera en 1830, mais la chose ne fut pas faite. Les Tables eurent pourtant un brillant destin car la méthode de Prony donna à Babbage l’idée de ses machines et l’intuition de sa théorie de la calculabilité. On reconnaît d’ailleurs sans peine dans la description des 3 sections une structure de la division du travail qui s’est maintenue jusque dans les services informatiquesmodernes. Mais, si la division du travail vient de franchir un pas décisif en s’installant dans les activités de l’esprit, elle n’y a pas encore entraîné à sa suite les machines. Il faudra pour cela que toute la conception des rapports de l’homme et des machines se modifie lentement, au long de la dérive promise plus haut. Les performances de la machine énergétique humaine On l’a vu, les ingénieurs se préoccupent assez peu jusqu’en 1792 des rapports entre les hommes et les machines, en France du moins. Ils se désolent périodiquement des réactions hostiles des ouvriers casseurs de machines, sans y trouver de remède. Or, progressivement le problème des rapports physiques des hommes et des machines va être posé à partir de l’impulsion que la république jacobine va donner au machinisme dans quelques secteurs (coton, armes). Il s’agit d’un processus qui s’est probablement déroulé antérieurement dans d’autres pays où le machinisme était plus développé (Angleterre, Italie) mais qui ne semble pas avoir donné lieu aux mêmes formulations (11). Dans les nouvelles manufactures, un problème inédit se pose : les machines « mal calculées » ne peuvent être actionnées par les hommes qui sont censés le faire, l’effort physique nécessaire dépassant leurs possibilités. C’est ainsi que va se trouver posé le problème des performances de l’homme comme machine. C’est le physicien Coulomb qui formule le problème. Au départ Coulomb est un ingénieur militaire, comme Carnot. Il a publié en 1779 sa « Théorie des machines simples » où il étudie les frottements, tout à fait dans l’esprit de la science des machines comme outils dont on a parlé plus haut. Mais le 6 Ventose An VI, Coulomb lit à l’Institut son mémoire intitulé « Résultat de plusieurs expériences destinées à déterminer la quantité d’action que les hommes peuvent fournir par leur travail journalier, suivant la manière dont ils emploient leur force ». Dans ce mémoire, Coulomb décrit les possibilités du travail humain moyen en un certain temps, lorsque les hommes :

- marchent, - portent un fardeau (à plat, en montant), - le transportent avec une brouette, - enfoncent des pieux - agissent des manivelles, - agissent des leviers, etc.

L’homme est ainsi étudié comme une machine particulière. L’attention portée au caractère scientifique de l’observation produit des résultats étonnants comme cette description des principes du chronométrage : « Je prie ceux qui voudraient répéter (mes expériences), s’ils n’ont pas le temps de mesurer les résultats après plusieurs jours de travail continu, d’observer les ouvriers à différentes reprises dans la journée, sans qu’ils sachent qu’ils sont observés. L’on ne peut trop avertir combien l’on risque de se tromper en calculant soit la vitesse, soit le temps effectif de travail, d’après une observation de quelques minutes » (12).

22

Il ne faudrait cependant pas généraliser hâtivement à partir des accents « tayloriens » de Coulomb. Lorsque Coulomb étudie les performances humaines, il n’a pas en tête l’organisation du travail, mais uniquement le calcul des machines et c’est dans ce seul domaine que les résultats de ce genre de travaux furent appliqués avant longtemps. Paradoxe : c’est parce que l’on veut adapter la machine à l’homme (par souci de productivité, certes pas par philanthropie) que l’on est amené à décrire l’homme comme une machine particulière. Cette description emprunte ses catégories à la science des machines, comme plus tard la psychologie de la connaissance (cognitive psychology) empruntera les siennes à l’informatique. La description de Coulomb est principalement énergétique, contrairement à celle de Taylor, qui est mécanique et donc plus adaptée à l’organisation du travail humain dans les détails. Premier pas, donc, cette description de l’homme comme machine. Un autre pas est franchi, sur un tout autre plan, avec le développement de processus de production qui apparaissent comme machiniques de bout en bout, ce qui ne veut pas dire que les hommes n’y interviennent pas, mais que les étapes du processus sont définies par les machines dont les hommes ne sont plus que les « servants ». Les exemples les plus marquants sont ceux de la machine à papier en continu (vers 1830) et du laminage. Là, la production s’abstrait de la division du travail entre les hommes, elle s’automatise comme processus technique. Enfin, il est un domaine où une mise en rapport et une substitution des machines aux hommes ont été pratiquées depuis longtemps : celui de la surveillance. E. Thomson rapporte l’introduction de mouchards pour les veilleurs de nuit, puis d’horloges pointeuses au 18 ième siècle (13). On verra que le mouvement ne fait que s’intensifier. Les machines de surveillance présentent le double avantage de remplacer un personnel dont la prolifération n’est pas valorisée par les capitalistes (« non-productif »), et de donner un caractère impersonnel à la surveillance. C’est parce qu’il discerne ces processus, qu’il sait les réunir, que Babbage occupe une place à part dans ce petit récit. Le « modèle productif » Ce que va réussir Babbage, c’est la redéfinition simultanée de la production et du calcul ! De Prony avait rapproché ces deux termes en montrant que la division du travail pouvait également s’y appliquer, mais Babbage va pousser beaucoup plus loin : il va leur appliquer une définition formelle commune. Tentons de préciser ce qu’est cette définition formelle, ce modèle productif. Qu’on se représente une boîte, percée d’un certain nombre d’orifices par où sont introduits des flux matériels et d’où ressort un flux unique, matériel lui aussi. Vue en coupe, la boîte fera apparaître une succession d’opérations que subissent les flux d’entrée pour se transformer en celui de sortie. L’application de ce modèle à la production est aujourd’hui évidente. On espère avoir fait ressortir qu’elle ne l’était pas en 1830, et que Babbage fait oeuvre de novateur lorsqu’il définit la production comme processus, comme succession d’opérations abstraites de transformations des matières premières. Par « abstraites » il faut entendre bien sûr abstraites du travail humain, définies indépendamment de qui ou quoi les effectue. Babbage a tiré des enseignements forts concrets de l’application de ce modèle à la production, il s’en est servi pour construire des instruments pratiques :

- un questionnaire d’enquête dans les manufactures permettant de recenser toutes les données sur les améliorations pouvant être apportées à une production existante (ce qu’on appellerait aujourd’hui un questionnaire d’audit) ; - un questionnaire d’étude préalable à toute tentative de fabrication nouvelle ; - un projet d’association manufacturière consistant en un système de rémunération qui réunit le paiement aux pièces, la participation aux bénéficies et surtout l’intéressement au progrès technique, et qui valorise les associations (opposées aux « ligues ») parce qu’elles permettent une meilleure connaissance par les ouvriers des contraintes économiques.

L’ensemble de l’organisation de la production vue par Babbage est centrée autour du machinisme ce qui répond à deux avantages centraux des machines. D’une part, bien sûr, l’augmentation de la productivité qu’elles permettent, mais aussi « cette surveillance qu’elles exercent sur l’inattention, la négligence et la paresse de l’homme » (14). Cette citation introduit un chapitre consacré par Babbage aux machines de surveillance et de mesure du travail humain. Mais si les machines surveillent les hommes, c’est parce que l’essence même de l’activité productive est le rapport de l’homme à la machine. Le travailleur, c’est celui qui fabrique, actionne, surveille les machines. Le fait que la production ait été abstraite ne sert pas à substituer les machines aux hommes, il sert à installer leur face à face : c’est dans son rapport à la machine que l’ouvrier doit être observé, éduqué, encouragé. Plus encore, à partir de la redéfinition de la production, le travail créateur, celui qui mobilise le savoir, se trouve déplacé et non pas supprimé ; la création passe aux mains de deux spécialités étroitement liées : l’organisation du travail, l’invention/fabrication des machines. … Appliqué au calcul L’application du « modèle productif » au calcul est moins familière, au moins aux non informaticiens. Tout d’abord, l’insistance sur le caractère matériel des flux d’entrée et de sortie de la boîte « calcul », peut surprendre. On pourrait penser que les entrées du calcul sont des concepts mathématiques, des nombres en particulier. Or, à partir de Babbage, il n’en est rien. Les entrées du calcul sont des signes, il devient essentiel que les nombres soient

23

écrits quelque part : dans les neurones humains, les tables imprimées, les roues dentées, les tores magnétiques. Le calcul devient un processus de transformation de signes (15). A partir de là, il devient intégrable dans une économie d’ensemble des signes, dont la notion d’information est venue plus tard ponctuer la naissance. Ensuite, on discerne peut-être de façon moins évidente la redistribution des rôles, les savoirs spécifiques sur le rapport des hommes et des machines (ici à calculer), le déplacement de l’activité créatrice qui ont succédé à cette redéfinition du calcul. Les machines informatiques modernes portent encore les traces de cette origine « manufacturière » dans leurs spécifications techniques. C’est ici que joue la pesanteur technique : même si la production n’est plus aujourd’hui l’espace théorique dans lequel on définit l’ordinateur, la structure de celui-ci continue à s’y référer. En particulier, le caractère séquentiel des opérations et des fichiers de données, la conception même d’un programme comme une boîte qui transforme un ou des flux séquentiels d’entrée en un flux séquentiel de résultats (particulièrement sensible dans les langages dits de gestion) sont des symptômes de cette origine. Cependant, les machines informatiques sont en train de se dégager de cette gangue technique. Leur structure interne reste dominée par elle (opérations et transmissions séquentielles) mais leurs opérations vues de l’extérieur le sont moins (Full Screen Management, fichiers à accès direct, langages « parallèles » ou « applicatifs »). Mais c’est dans le domaine de la pensée sociale des machines, de la place qu’une société leur fait que Babbage peut le plus nous éclairer. Il nous apprend à viser d’emblée l’essentiel : que ce qui compte est ce qui se joue entre hommes et machines, et que c’est un double jeu. Jeu de savoir, où l’adaptation réciproque des hommes et des machines fonde de nouvelles disciplines – dans tous les sens du mot - : la psychologie de la programmation, la science du dialogue homme-machine, en un mot, le machinal. Mais aussi jeu de création, où l’on jette toujours en avant une machine de plus, dans un espace qui n’est certes pas libre, mais dont les règles ont le bon goût d’être mal connues : une machination. Entre le machinal et la machination, les sociétés industrielles maintiennent à grand mal un équilibre pesant qui interdit malheureusement de les considérer comme deux termes indépendants dont nous pourrions jouer l’un contre l’autre. IBM, par exemple, embauche systématiquement les meilleurs machinateurs avec comme but à peine caché de les neutraliser : nos sociétés ne se jettent dans la technique que lorsqu’elle a déjà secrété ses antidotes disciplinaires. Ainsi s’éclaire peut-être l’extrême difficulté qu’il y a à porter un jugement sur l’intelligence artificielle : elle apparaît tour à tour comme un projet d’une terrifiante bêtise (16) et comme un exercice d’une merveilleuse ingéniosité. RÉFÉRENCES (1) Charles Babbage, « Exposition of 1851 », Londres 1851, p. 186. (2) « On a method of expressing by signs the action of machinery », Philosophical Transactions, 1826. (3) On citera la traduction française de 1833. (4) A. Smith, « Recherche sur la nature et les causes de la richesse des Nations », Ed. Gallimard, p. 37-46. (5) F. Braudel, « Civilisation matérielle, économie et capitalisme », t. 1, p. 382. (6) A. Smith, op. cit., Ed. Dalloz, p. 281-282. (7) L. Carnot, « Essai sur les machines en général », 2è éd., 1786, p. 85 et 89. (8) De Prony, « Eclaircissements sur un point de l’histoire des grandes tables trigonométriques », Mémoire lu à l’Institut le 16 Germinal An IX, Mémoires de l’Institut, t. V, 1ère série. (9) De Prony, op. cit., p. 3 à 6. (10) Annexe au mémoire de De Prony cité précédemment. (11) Sur l’introduction du machinisme en France, voir Ch. Ballot, « L’introduction du machinisme en France », Lille 1923. (12) Mémoire lu à l’Institut, t. 1, 1ère série le 6 Ventose An VI. E. Thomson fait remonter les origines du chronométrage jusqu’en 1700, mais il donne une définition totalement différente de ce mot, qu’il considère comme la mesure du temps effectif de travail (qui sert alors à établir la paye) ce qui n’a rien à voir avec la mesure des performances humaines que recherche le chronométrage moderne. Voir E. P. Thomson, « Temps, Travail et Capitalisme Industriel », Revue Libre n° 5, p. 30-33. (13) E. P. Thomson, op. cit. (14) Ch. Babbage, « Science économique des machines et des manufactures », p. 70. (15) La machine de Turing qui est un modèle formel de la calculabilité qu’ont utilisé les concepteurs des ordinateurs est une petite usine à signes. (16) Si l’on examine par exemple le « résultat » du programme SHRDLU de Terry Winograd, on est confondu par l’inanité de ce qui se passe entre l’homme et la machine. Mais si l’on examine les tripes de SHRDLU ou que l’on parle avec Winograd on a sans doute unsentiment différent

24

CITATIONS J.Amar (Le moteur humain 1914) :

« Pour l’industriel, le travail extérieur compte seul, et le problème intéressant est de définir les conditions qui peuvent, pour une fatigue donnée de l’ouvrier, amener ce travail extérieur à sa valeur maxima . »

V.Poncelet :

« Les moteurs animés peuvent être considérés en eux-mêmes comme des réservoirs de travail ou d’action susceptibles d’être épuisés plus ou moins rapidement, et qui ont besoin d’être entretenus et renouvelés fréquemment. Or, le degré de fatigue éprouvé par de pareils moteurs est (en un mot) l’un des éléments essentiels du prix de la journée dans chaque pays. On voit donc que, pour l’industriel, le chef de fabrique, la question n’est pas de faire produire chaque jour aux hommes et aux animaux la plus grande quantité de travail absolu, au risque de compromettre leur santé, mais bien d’utiliser de la manière la plus avantageuse possible toute la part d’action intérieure que la nourriture et le repos rendent possible ».

E.J.Marey (La machine animale) :

« Dans toutes les machines employées par l’industrie, il faut des organes qui servent d’intermédiaires entre la force dont on dispose et les résistances auxquelles ont veut l’appliquer. Ce mot organe est précisément celui dont se servent les anatomistes pour désigner les pièces qui composent la machine animale. Les lois de la mécanique s’appliquent aussi bien aux moteurs animé s, qu’aux autres machines ».

25

EEtt iieennnnee JJuulleess MMaarreeyy eett llaa mmaacchhiinnee hhuummaaiinnee

http://www.expo-marey.com/home.html

Le chronophotographe E-J. Marey est né à Beaune en 1830. Etudiant à la faculté de médecine de Paris et interne à l'hôpital Cochin, il soutient, en 1859, une thèse sur la circulation du sang à l'état physiologique et pathologique. Très vite il abandonne ses recherches médicales au profit de la physiologie. Il est nommé professeur d'histoire naturelle au Collège de France en 1867 où il installe un laboratoire. Intéressé par la fonctionnement du cœur, il invente le sphygmographe, appareil permettant d'enregistrer les battements de cet organe. Grace à sa méthode, il obtient des images qui respectent l'égalité des intervalles de temps entre les positions. Tous ces procédés permettent au chercheur français de disséquer au ralenti les différentes phases de la locomotion humaine et animale. Il publie de nombreux ouvrages traitant de ses travaux dont les principaux sont : La machine animale (1872), La méthode graphique dans les sciences expérimentales (1878), Etude de la locomotion animale par la chronophotographie (1887), Le vol des oiseaux (1890) et Le mouvement (1894).

26

Marey est nommé membre de l'Académie des sciences en 1878 puis puis élu Président de cette même académie en 1895 et Président de la Société française de photographie en 1894.Il meurt à Paris en 1904.

. Il prend connaissance en 1870 des travaux de l'américain Muybridge, et décide de concentrer ses recherches sur la décomposition du mouvement. Il invente alors une série d'appareil pour atteindre cet objectif, mais ce n'est qu'en 1882, après avoir vu les images de cheval au galop réalisées par Muybridge, qu'il utilise la photographie. Il crée ainsi le fusil photographique en 1882, appareil permettant de prendre 12 vues par seconde. La même année, il construit le chronophotographe à plaque fixe puis le chronophotographe sur pellicule mobile en 1890 et parvient enfin à projeter des images décomposées en 1893.

Sculpture matérialisant géométriquement le mouvemen t humain

27

Les échanges énergétiques du corps humain

28

Calorimètre d’Atwater et Benedict

29

FREDERICK W. TAYLOR (1856-1915)

Frederick Winslow Taylor naît à Germantown (Pennsylvanie) le 20 mars 1856. Sa jeunesse, au sein d'une famille de forte tradition quaker, n'est pas une partie de plaisir. Il reçoit une éducation rigoureuse basée sur le travail, les exercices physiques et la discipline. Bon élève, le jeune Taylor n'en oublie pas le sport. Il pratique à un haut niveau le base-ball et le tennis. Il est aussi un bricoleur hors pair. Ainsi, il confectionne sa propre raquette de tennis en vue d'accroître ses performances. En 1872, il prépare le concours d'entrée à Harvard, mais un problème de santé vient bousculer ses plans. Il change d'orientation et intègre un atelier pour apprendre le dessin et la mécanique. A 22 ans, il entre aux aciéries de Midvale. Il s'y ennuie profondément et décide de suivre des cours du soir pour décrocher un diplôme d'ingénieur. Son ascension est alors fulgurante. En l'espace de six ans, il devient ingénieur en chef de l'usine. A 37 ans, une nouvelle carrière s'ouvre à lui : celle d'ingénieur consultant. Voici venu le temps de ses premières publications ( A Piece of Rate System , 1895) et des premières interventions. En 1898, la Bethlehem Steel Company fait appel à lui pour réduire les coûts. Taylor réorganise la production, la gestion financière et la gestion des temps en chronométrant toutes les tâches. L'OST (organisation scientifique du travail) en gestation soulève déjà la révolte des ouvriers. Taylor est congédié en 1901. Il se met à écrire : Shop Management en 1904, les fameux Principles of Scientific Management en 1911, et il donne des conférences à travers le monde pour vanter les mérites de son OST. Mais il se heurte à une forte résistance, notamment syndicale, qui impulse une commission d'enquête sur les effets du « système Taylor ». En 1915, il est hospitalisé. Motif : dépression. La mort l'emporte à 59 ans, sa montre à la main, selon la légende.

30

TTaayylloorr eett ll ''oorrggaanniissaatt iioonn sscciieenntt ii ff iiqquuee dduu tt rraavvaaii ll

par Marc Mousli Magazine Alternatives Économiques © 2006

Ingénieur de formation, Frederick Taylor a mis au point une méthode de rationalisation de la prod uction afin d'augmenter la productivité. Son organisation scientifique du travail a rencontré beaucoup de résistances.

Pour comprendre la révolution introduite par Frederick Winslow Taylor, il faut imaginer ce qu'était une usine américaine au milieu du XIXe siècle. Les dirigeants s'occupaient peu de la production. L'atelier était le royaume des contremaîtres, qui organisaient le travail, fixaient les salaires, embauchaient et licenciaient le personnel. Ils régnaient sur deux catégories de salariés : les manœuvres, dont on n'utilisait que la force physique, et les ouvriers qualifiés. Ces derniers possédaient un métier et avaient hérité de leurs ancêtres artisans la maîtrise de leur poste de travail. Ils avaient conscience qu'il s'agissait de leur dernière marge d'autonomie, qu'ils défendaient farouchement. Un auteur de l'époque raconte que dans un atelier, « l'un des forgerons entra en furie quand le directeur de la production, lors du tour de l'usine qu'il faisait chaque matin, s'arrêta pendant cinq minutes pour regarder son feu. Le syndicat se saisit de l'affaire, une délégation alla voir le directeur et obtint la promesse que cela ne se renouvellerait plus. » C'est à cette situation que Taylor s'attaqua, avec la vigueur et l'entêtement qui le caractérisaient. Né en 1856 dans une vieille famille quaker de Philadelphie, Frederick Winslow Taylor est promis à une carrière de juriste, comme son père. Mais il ne s'intéresse guère au droit. Admis à l'université d'Harvard, il préfère, par goût de la mécanique, entrer comme ouvrier dans une petite entreprise appartenant à un ami de sa famille.

31

Produire plus en moins de temps Dès ses premiers mois d'atelier, il est choqué par le faible rendement de ses camarades, qui s'organisent entre eux pour limiter leurs efforts et ne travailler le plus souvent qu'au tiers de leur capacité. Leur raisonnement est logique : s'ils sont payés à la journée, ils ne gagnent rien à en faire plus et, s'ils sont payés aux pièces, ils savent que s'ils dépassent trop facilement les quotas de production, le chef d'atelier fera revoir les taux. Ils travailleront alors davantage pour le même salaire. Ils s'arrangent donc pour freiner la production et ralentir les machines. Selon l'expression anglaise, ils « font le soldat », l'armée étant alors considérée comme le modèle le plus achevé de fainéantise. Le jeune Frederick, lui, est un travailleur acharné. Après sa journée à l'usine, il passe une partie de ses nuits à préparer le diplôme d'ingénieur mécanicien. En 1878, il est chef d'équipe à l'atelier des machines de la Midvale Steel Company. C'est là qu'il engage son combat pour la productivité. Ses premières innovations sont techniques. Il invente de nouveaux outils d'usinage en acier au chrome et au tungstène qui permettent de quadrupler les vitesses de coupe des métaux. Il améliore leur forme et leur refroidissement, ainsi que le réglage des machines. Il étudiera ces questions pendant vingt-cinq ans, avec l'aide ponctuelle de collaborateurs comme Cari G. Barth, un excellent mathématicien, ou Henry L. Gantt, l'inventeur du diagramme de Gantt, un outil de planification des tâches, encore utilisé aujourd'hui. Vite promu contremaître, il s'attaque au rendement des hommes par les moyens traditionnels : incitations, sanctions, licenciements. Bien entendu, il se heurte à la résistance des ouvriers et son zèle lui fait courir des risques personnels disproportionnés en regard des résultats obtenus. Mais il sait qu'il est possible de produire beaucoup plus en moins de temps. Et il ira jusqu'au bout de ses convictions. Travail en miettes et salaire aux pièces La Midvale Steel lui donne l'occasion d'expérimenter ses idées en lui confiant la conception et l'installation d'un nouvel atelier d'usinage. Il se lance dans l'étude des temps de travail. Ce n'est pas une nouveauté : le chronométrage des opérations de production était déjà pratiqué. Mais Taylor va au-delà. Il effectue de véritables analyses des tâches et met au point la méthode qui le rendra célèbre : il choisit de bons ouvriers, leur demande d'exécuter la même opération, décompose chacun de leurs mouvements, compare leur efficacité et reconstruit la meilleure façon d'opérer - « the one best way » - en enchaînant les gestes permettant d'abattre le plus de besogne rapidement et avec le moins de fatigue possible (voir encadré).

La méthode scientifique à la Taylor Étudier comment plusieurs ouvriers habiles exécutent l'opération. Décomposer leurs gestes en mouvements élémentaires. Éliminer les mouvements inutiles. Décrire chaque mouvement élémentaire et enregistrer son temps. Ajouter un pourcentage adéquat aux temps enregistrés, afin de couvrir les inévitables

retards. Ajouter un pourcentage pour les repos, étudier les intervalles auxquels ils doivent être

accordés pour réduire la fatigue. Reconstituer les combinaisons des mouvements élémentaires les plus fréquents. Enregistrer le temps de ces groupes de mouvements et les classer. Élaborer des tables de temps et de mouvements élémentaires.

C'est la base de la révolution taylorienne : le bureau des méthodes prend le contrôle du poste de travail et ne laisse à l'ouvrier que le soin d'exécuter ce qui a été conçu par les ingénieurs. Les tours de main, l'expérience de l'homme de métier perdent beaucoup de leur importance, et la voie est ouverte aux ouvriers dits « spécialisés », c'est-à-dire n'effectuant qu'une série limitée d'opérations parfaitement définies. On les retrouvera sur les chaînes des usines de montage d'automobiles. C'est en s'appuyant sur les travaux de Taylor qu'Henry Ford développera, dès 1903, cette forme efficace mais particulièrement déshumanisante d'organisation, magnifiquement illustrée par Chaplin dans Les temps modernes. Au début des années 1890, Taylor dirige pendant trois ans une société de fabrication de pâte à papier. La gestion quotidienne lui prend beaucoup de temps, ses actionnaires ne sont intéressés que par les bénéfices immédiats, et ses travaux personnels n'avancent pas. Il se met donc à son compte en 1893, comme ingénieur-conseil. Il publie un premier mémoire sur l'utilisation des courroies, dispositif capital de transmission d'énergie dans les ateliers de l'époque, puis un second sur un système de « salaire

32

différentiel aux pièces » qu'il a mis au point. Un ouvrier « aux pièces » recevait une somme fixe par pièce produite. Taylor, lui, prévoit deux taux : si l'ouvrier respecte la norme fixée par les responsables des méthodes, il est payé nettement plus cher par unité produite que s'il ne la respecte pas. En 1898, il est recruté comme ingénieur-conseil par la Bethlehem Steel Company, un producteur d'acier. Il va y réaliser ses expériences les plus fameuses. Dans Les principes du management scientifique, publié en 1911, il raconte comment il a quadruplé le tonnage de gueuses de fonte — des lingots de 45 kilos chacun — manutentionnées par Schmidt, un manœuvre peu intelligent mais courageux et âpre au gain. En rationalisant les gestes, en dosant soigneusement le temps de travail et le temps de repos, il fait charger par son cobaye 47,5 tonnes en une journée de 10 heures, au lieu des 12,5 tonnes habituelles. Il récompense Schmidt largement, faisant passer son salaire quotidien de 1,15 dollar à 1,85 dollar. Organiser scientifiquement le travail Taylor arrange un peu l'histoire, pour illustrer toutes les phases de sa méthode. Premier point, le recrutement : il choisit un ouvrier robuste, qui « chaque soir repart chez lui d'un bon pas, aussi frais que le matin en arrivant ». L'homme est également courageux : avant et après sa journée de travail, il bâtit lui-même sa future maison. Deuxième point, la formation : les premiers jours, un assistant suit Schmidt pas à pas, lui montre les gestes à faire, lui indique à quel moment il doit s'arrêter pour se reposer, puis repartir. Troisième élément, le partage du gain : la Bethlehem Steel Company fait l'économie de trois manutentionnaires sur quatre, et Schmidt empoche 70 cents de plus par jour, soit une augmentation de 60%. L'incitation par le salaire fait partie du système, et Taylor pense que « le principal objet du management est d'assurer le maximum de prospérité pour l'employeur, couplé avec le maximum de prospérité pour chaque employé ». On doit aussi à Taylor l'invention des cadres « fonctionnels ». Le contremaître traditionnel, hiérarchique, continue à diriger l'atelier, à embaucher et à licencier. Mais parallèlement, des spécialistes étudient les temps et les gestes, ils fixent les standards et dirigent techniquement les ouvriers. Taylor avait imaginé huit lignes de commandement spécialisées par fonction. Cette innovation n'a pas eu de succès. Un modèle contesté Les méthodes tayloriennes ont mis du temps à se diffuser aux États-unis et dans le monde. Taylor a pourtant consacré les quinze dernières années de sa vie à les faire connaître, comme consultant, auteur et conférencier. Il a formé des disciples de grande qualité, parmi lesquels Franck Gilbreth, spécialiste de l'analyse du mouvement par la photo et le cinéma, et Henry Gantt, déjà cité. Mais, dès l'origine, les oppositions sont fortes. Les syndicats se battent avec détermination contre ce « travail en miettes » et la dépossession des ouvriers qualifiés de leur dernière parcelle d'autonomie. Et ils remportent des victoires : en 1915, après une grève dans l'arsenal de Watertown, près de Boston, le Congrès américain interdit le chronométrage et le salaire aux pièces dans les arsenaux militaires. Taylor est affecté par cet échec. Il meurt le 21 mars 1915.

33

Le taylorisme finira par être adopté par de très nombreuses entreprises. Mais la guérilla entre les ouvriers et les contremaîtres continuera longtemps. Donald Roy, un sociologue américain, a décrit en détail les stratégies ouvrières de résistance dans les années 40. Trente ans après Taylor, le freinage de la production avait fait plus de progrès que le chronométrage! En France, le plus ardent défenseur du taylorisme est Henry Le Chatelier, un polytechnicien du corps des Mines, premier traducteur de Taylor. Des industriels comme Renault, Michelin ou Panhard envoient des ingénieurs aux États-unis pour étudier les nouvelles méthodes, dont l'introduction dans leurs usines ne se fera pas sans heurts. Frederick Taylor était un homme autoritaire, perfectionniste et ne supportant pas l'échec. Pour mettre toutes les chances de son côté, il travaillait longuement sur les machines, les outils et l'organisation des postes de travail, avant de s'attaquer au rendement des ouvriers. Parallèlement, il mettait en place un système de comptabilité, de gestion, une hiérarchie fonctionnelle et le salaire différentiel aux pièces. Peu d'industriels avaient cette rigueur et cette patience. Pressés de tirer profit du système et peu enclins à en partager les gains, ils ne prenaient pas le temps de la préparation et n'amélioraient ni les outils ni les salaires. Ce qui a contribué à faire détester un système dont les côtés positifs pour l'époque — les progrès techniques, la productivité supérieure avec une fatigue moindre — ont été totalement occultés par l'usage exclusif qui en a été fait pour accroître les profits en instaurant un travail intensif et déqualifiant. Peu d'industriels avaient la rigueur et la patience de Taylor, ce qui a contribué à faire détester ce système.

34

F.Taylor: les principes du management scientifique (extraits) This paper will show that the underlying philosophy of all of the old systems of management in common use makes it imperative that each workman shall be left with the final responsibility for doing his job practically as he thinks best, with comparatively little help and advice from the management. And it will also show that because of this isolation of workmen, it is in most cases impossible for the men working under these systems to do their work in accordance with the rules and laws of a science or art, even where one exists. The writer asserts as a general principle (and he proposes to give illustrations tending to prove the fact later in this paper) that in almost all of the mechanic arts the science which underlies each act of each workman is so great and amounts to so much that the workman who is best suited to actually doing the work is incapable of fully understanding this science, without the guidance and help of those who are working with him or over him, either through lack of education or through insufficient mental capacity. In order that the work may be done in accordance with scientific laws, it is necessary that there shall be a far more equal division of the responsibility between the management and the workmen than exists under any of the ordinary types of management. Those in the management whose duty it is to develop this science should also guide and help the workman in working under it, and should assume a much larger share of the responsibility for results than under usual conditions is assumed by the management. The body of this paper will make it clear that, to work according to scientific laws, the management must take over and perform much of the work which is now left to the men; almost every act of the workman should be preceded by one or more preparatory acts of the management which enable him to do his work better and quicker than he otherwise could. And each man should daily be taught by and receive the most friendly help from those who are over him, instead of being, at the one extreme, driven or coerced by his bosses, and at the other left to his own unaided devices. This close, intimate, personal cooperation between the management and the men is of the essence of modern scientific or task management. It will be shown by a series of practical illustrations that, through this friendly cooperation, namely, through sharing equally in every day's burden, all of the great obstacles (above described) to obtaining the maximum output for each man and each machine in the establishment are swept away. The\ 30 per cent to 100 per cent increase in wages which the workmen are able to earn beyond what they receive under the old type of management, coupled with the daily intimate shoulder to shoulder contact with the management, entirely removes all cause for soldiering. And in a few years, under this system, the workmen have before them the object lesson of seeing that a great increase in the output per man results in giving employment to more men, instead of throwing men out of work, thus completely eradicating the fallacy that a larger output for each man will throw other men out of work.

…/… The writer has gone thus fully into Mr. Gilbreth's method in order that it may be perfectly clear that this increase in output and that this harmony could not have been attained under the management of "initiative and incentive" (that is, by putting the problem up to the workman and leaving him to solve it alone) which has been the philosophy of the past. And that his success has been due to the use of the four elements which constitute the essence of scientific management. First. The development (by the management, not the workman) of the science of bricklaying, with rigid rules for each motion of every man, and the perfection and standardization of all implements and working conditions. Second. The careful selection and subsequent training of the bricklayers into first-class men, and the elimination of all men who refuse to or are unable to adopt the best methods. Third. Bringing the first-class bricklayer and the science of bricklaying together, through the constant help and watchfulness of the management, and through paying each man a large daily bonus for working fast and doing what he is told to do. Fourth. An almost equal division of the work and responsibility between the workman and the management. All day long the management work almost side by side with the men, helping, encouraging, and smoothing the way for them, while in the past they stood one side, gave the men but little help, and threw on to them almost the entire responsibility as to methods, implements, speed, and harmonious cooperation. Extrait de F.W.Taylor: The principles of scientific management (1911) http://www.gutenberg.org/dirs/etext04/pscmg10.txt

35

HENRY FORD (1863-1947)

La logique du fordisme

36

La politique des prix et des salaires préconisée pa r Henry Ford « Mon principe est d'abaisser les prix, d'étendre les opérations et de perfectionner nos voitures. Il faut noter que la réduction du prix vient en première ligne. Je n'ai jamais considéré le coût de fabrication comme quelque chose de fixe. En conséquence, je commence par réduire les prix pour vendre davantage, puis on se met à l'oeuvre, et on tâche de s'arranger du nouveau prix. Je ne me préoccupe pas du coût de fabrication. Le nouveau prix oblige le coût de fabrication à descendre. La manière d'agir habituelle, je crois, est d'évaluer le coût de fabrication et de fixer le prix ensuite : bien que cette méthode soit rationnelle au sens étroit du terme, elle ne l'est pas au sens large ; car, à quoi bon connaître un coût de fabrication, si cela ne sert qu'à vous démontrer qu'il vous sera impossible de fabriquer à un prix permettant de vendre vos articles ? Une des façons de l'apprendre est de fixer un prix de vente assez bas pour forcer tous les services de l'usine à donner le plus haut rendement possible ; l'abaissement du prix oblige chacun à rechercher les moindres profits. Cette contrainte me fait trouver plus d'idées nouvelles, en matière de fabrication et de vente, que n'importe quelle autre méthode moins exigeante. Par bonheur, les gros salaires contribuent à l'abaissement du coût de fabrication, les ouvriers devenant de plus en plus industrieux une fois exempts de préoccupations étrangères à leur travail. La fixation du salaire de la journée de huit heures à cinq dollars fut une des plus belles économies que j'aie jamais faite, mais en le portant à six dollars, j'en fis une plus belle encore. Jusqu'où irons-nous dans cette voie, je n'en sais rien. Je pourrais probablement trouver des hommes qui feraient pour trois dollars par jour le genre de travail que je paie six dollars. Sans me prétendre, plus qu'un autre, en mesure d'établir un calcul exact, la question étant sujette à conjectures, j'estime, au jugé, qu'il me faudrait deux et peut-être trois de ces ouvriers à bas prix pour remplacer chacun de mes ouvriers bien payés. Cela entraînerait plus de machines, plus de force motrice, et un accroissement considérable de confusion et de frais. Les prix de vente fixés par nous nous ont toujours laissé du bénéfice, et de même que je n'imagine pas jusqu'où monteront les salaires, je n'imagine pas davantage jusqu'où tomberont les prix de vente. Il n'y a donc pas lieu de s'attarder à cette question. Notre tracteur, par exemple, se vendait en premier lieu 756 dollars ; puis 650 ; puis 625 ; et tout récemment nous l'avons diminué de 37 % et mis à 395 dollars. Si nous avons pu faire cet abattement, c'est parce que nous venons juste de commencer à fabriquer en grand les tracteurs. « Henry Ford , Ma vie et mon oeuvre(1925), Payot, p. 167.

37

“The economic fundamental is labour. Labour is the human element which makes the fruitful seasons of the earth useful to men. It is men's labour that makes the harvest what it is. That is the economic fundamental: every one of us is working with material which we did not and could not create, but which was presented to us by Nature. The moral fundamental is man's right in his labour. This is variously stated. It is sometimes called "the right of property." It is sometimes masked in the command, "Thou shalt not steal." It is the other man's right in his property that makes stealing a crime. When a man has earned his bread, he has a right to that bread. If another steals it, he does more than steal bread; he invades a sacred human right. If we cannot produce we cannot have--but some say if we produce it is only for the capitalists. Capitalists who become such because they provide better means of production are of the foundation of society. They have really nothing of their own. They merely manage property for the benefit of others. Capitalists who become such through trading in money are a temporarily necessary evil. They may not be evil at all if their money goes to production. If their money goes to complicating distribution--to raising barriers between the producer and the consumer--then they are evil capitalists and they will pass away when money is better adjusted to work; and money will become better adjusted to work when it is fully realized that through work and work alone may health, wealth, and happiness inevitably be secured. There is no reason why a man who is willing to work should not be able to work and to receive the full value of his work. There is equally no reason why a man who can but will not work should not receive the full value of his services to the community. He should most certainly be permitted to take away from the community an equivalent of what he contributes to it. If he contributes nothing he should take away nothing. He should have the freedom of starvation. We are not getting anywhere when we insist that every man ought to have more than he deserves to have--just because some do get more than they deserve to have.” Extrait de H.Ford My life and work http://www.gutenberg.org/dirs/etext05/hnfrd10.txt

38

EExxttrraaii tt ddee:: DDooccttrr iinneess ééccoonnoommiiqquueess,, llééggiissllaatt iioonn eett ddiissccrr iimmiinnaatt iioonn...... MMaaiiss ddee qquueell llee ddiissccrr iimmiinnaatt iioonn ppaarr lloonnss nnoouuss ?? Michel E. philip Centre d’analyse économique Université d’Aix Marseille III , Innovations no 20 –2004/2 Le ranking (management par classement des salariés en fonction de la réalisation des objectifs) est utilisé par 25% des entreprises américaines dont Ford, General Electric, Microsoft, Coca-Cola, Enron [11] … Ce procédé consiste à imposer à la hié rarchie de classer les salariés en catégories sur une échelle imposée du meilleur au pire. Son originalité est de bâtir une méritocratie en gérant à la fois un flux et un stock de main-d’œuvre : (1) la stabilisation de l’élite est obtenue par le versement de primes au mérite (carotte) ; (2) les moins performants sont, quant à eux, remerciés dans la version la plus dure (out-and-out) ou reçoivent dans le meilleur des cas un ultime avertissement up or out (le bâton concerne environ 5 à 10% de l’effectif) ; (3) il est conseillé aux moyens d’améliorer leurs performances. Il n’y a pas cohabitation de modes différenciés de gestion flux/stock sur des segments internes de marché du travail distincts mais concomitance. Cette gestion a donc la particularité de voir cohabiter des pratiques discriminantes et non discriminantes (au sens de la théorie économique). Les deux idées sous-jacentes sont de réaffirmer que (i) le mécanisme le plus incitatif est la concurrence qui oblige les agents à maximiser leur effort et minimiser leur coût et (ii) que le supplément d’autonomie généré par les nouvelles technologies et la demande de réactivité accrue ont un prix : transférer une partie du risque sur les employés (Richevaux et al. 2002). La simplicité du ranking en fait l’évaluation salariale la plus utilisée en Amérique du Nord. Malheureusement, elle s’applique très subjectivement sur le plan individuel et pernicieusement au niveau collectif. En effet, d’une part, la hiérarchie directe établit souvent seule les règles aux vues de ses propres objectifs; d’autre part, elle pénalisera de bons mais non excellents salariés s’ils ont le malheur d’appartenir à une équipe d’élite (réciproquement, le classement relatif ne châtie que peu les moins bons composant le pire groupe). Ces usages induisent sans doute des effets de réputation négatifs susceptibles de gêner les recrutements de l’entreprise, si plus aucun candidat ne croit au respect du contrat ou à la loyauté de la hiérarchie. De plus, la spécialisation à outrance induite viciera la polyvalence, donc les performances futures ou incitera les employés à des comportements de mercenaires. Le contrat de travail confère à l’employeur un pouvoir de direction lui donnant le droit d’évaluer le travail des salariés. Or, il serait très réducteur de ramener la validité des critères d’évaluation à la seule observation d’un résultat quantifiable. En effet, la notion d’accomplissement de tâches prescrites en termes généraux suppose un bon contrôle des variables contextuelles que l’encadrement ne possède pas forcément. C’est pourquoi le ranking risque très souvent de se retrouver en rupture avec la théorie de l’équité initiée par le psychologue Adams (1965). Cette théorie précise que si un agent se trouve en présence de cognitions (idées) contradictoires, il ressent une tension psychologique désagréable qu’il tente de réduire. Il sera ainsi motivé à se comporter de façon à rétablir une situation d’équité (i.e. avoir le sentiment d’être traité de façon juste et impartiale) en rééquilibrant ses contributions proportionnellement aux récompenses et valorisations données par l’organisation [12]. Cet esprit se retrouve également dans le five dollars days d’Henry Ford. L’échange portera sur une honnête journée de travail (a fair day’s work) contre un juste salaire (a fair wage) par rapport à la norme définie par l’expérience en référence à des travaux proches, réalisés dans le passé, etc. (Akerlof 1982). La firme est loyale et sa justice se base sur la logique du précédent optimisée par la menace de chômage pour le passager clandestin et le tire au flanc. Mais les partisans du ranking le considèrent comme un outil efficace au service d’une gestion où l’objectif recherché vise à convaincre le salarié qu’il est seul responsable de sa réussite ou de son échec. Chez IBM, la prime variable annuelle est indexée sur la notation. La notation joue ainsi un rôle dans les augmentations – individualisation salariale pour tous – et sur la carrière : un cadre continûment évalué comme apportant une contribution exceptionnelle connaîtra une évolution rapide. Quant aux autres… ? De l’objectif de perfectionnement du salarié, l’évaluation-notation vise désormais la préparation de plans de licenciement. La pratique est aux antipodes des discours managériaux tenus sur la responsabilité sociale de l’entreprise et l’éthique.

39

DDeess ll iiaaiissoonnss ddaannggeerreeuusseess Ford recevant une récompense des officiels nazis Henry Ford: « Le juif international » (extraits) http://www.jrbooksonline.com/Intl_Jew_full_version/ijtoc_.htm The International Jew – Vol. 1 Preface Why discuss the Jewish Question? Because it is here , and because its emergence into American thought should contribute to its solution, and not to a continuance of those bad conditions which surround the Question in other countries. The Jewish Question has existed in the United States for a long time. Jews themselves have known this, even if Gentiles have not. There have been periods in our own country when it has broken forth with a sullen sort of strength which presaged darker things to come. Many signs portend that it is approaching an acute stage. Not only does the Jewish Question touch those matters that are of common knowledge, such as financial and commercial control, usurpation of political power, monopoly of necessities, and autocratic direction of the very news that the American people read; but it reaches into cultural regions and so touches the very heart of American life. This question reaches down into South America and threatens to become an important factor in Pan-American relations. It is interwoven with much of the menace of organized and calculated disorder which troubles the nations today. It is not of recent growth, but its roots go deep, and the long Past of this Problem is counterbalanced by prophetic hopes and programs which involve a very deliberate and creative view of the Future. This little book is the partial record of an investigation of the Jewish Question. It is printed to enable interested readers to inform themselves on the data published in The Dearborn Independent prior to Oct. 1, 1920. The demand for back copies of the paper was so great that the supply was exhausted early, as was also a large edition of a booklet containing the first nine articles of the series. The investigation still proceeds, and the articles will continue to appear as heretofore until the work is done. The motive of this work is simply a desire to make facts known to the people. Other motives have, of course, been ascribed to it. But the motive of prejudice or any form of antagonism is hardly strong enough to support such an investigation as this. Moreover, had an unworthy motive existed, some sign of it would inevitably appear in the work itself. We confidently call the reader to witness that the tone of these articles is all that it should be. The International Jew and his satellites, as the conscious enemies of all that Anglo-Saxons mean by civilization, are not spared, nor is that unthinking mass which defends anything that a Jew does, simply because it has been taught to believe that what Jewish leaders do is Jewish. Neither do these articles proceed upon a false emotion of brotherhood and apology, as if this stream of doubtful tendency in the world were only accidentally Jewish. We give the facts as we find them; that of itself is sufficient protection against prejudice or passion. This volume does not complete the case by any means. But it brings the reader along one step. In future compilations of these and subsequent articles the entire scope of the inquiry will more clearly appear. October, 1920.

40

HENRI FAYOL (1841-1925)

Les outils de gestion L’« outillage administratif », les outils de gestion, sont des pratiques qui facilitent la gestion.

• Outils pour planifier : veille stratégique, programme d’action, budget, règles, formation permanente. Quand sa mine s’épuise, il en achète d’autres et y réaffecte les personnes, en fonction d’un plan de cessation progressive d’activité de la mine qui s’épuise. De façon moderne, on parle de plan, de «business plan» • Outils pour organiser : organigramme, description de poste, état-major, recrutement, formation, carrière, gestion des salaires. • Outils pour commander : rôle de chaque chef, circulation des informations (documents) entre les chefs. • Outils pour coordonner : conférence des chefs de service, services communs, éviter les cloisons étanches.

Pour Fayol, un chef d'entreprise accomplit 5 choses qu'il nomme « éléments d'administration ». Il les popularise sous la forme d'un sigle : POCCC. - Planifier (prévoyance) anticiper, prévoir. - Organiser « munir l'entreprise de tout ce qui est utile à son fonctionnement». - Commander « faire fonctionner le corps social ». - Coordonner « mettre l'harmonie entre tous les actes de l'entreprise ». - Contrôler : « vérifier que tout se passe conformément au programme adopté, aux ordres donnés, aux principes admis » et signaler « les fautes et les erreurs afin qu'on puisse réparer et en éviter le retour ».

41

• Outils pour contrôler : rapports réguliers, inspections, inventaire, gestion budgétaire. Le contrôle de gestion est réalisé par la hiérarchie qui surveille notamment les coûts de revient et rédige des rapports ou tableaux de bord.

Les principes d'administration Fayol exprime sa pensée sous forme de « principes » qui constituent les axiomes d’une théorie. Il énonce 14 principes généraux d'administration. Son but est de se rapprocher de la forme des sciences physiques de son époque. Ce sont des guides pour ce que doit faire le chef.

• La division du travail, par une description des postes de chacun • L'autorité et responsabilité, pouvoir de se faire obéir et le courage d’assumer ses ordres • La discipline interdisant des actes non voulus par la hiérarchie • L'unité de commandement. Pour Fayol, une grande entreprise c'est d'abord une hiérarchie à plusieurs niveaux. Chaque personne obéit à un chef et un seul. Ceci signifie qu'un grand chef ne peut pas « court-circuiter » ses collaborateurs et donner des ordres directement à tout le monde. L’organigramme représente formellement la dépendance entre les personnes. • L'unité de direction, un seul projet commun, la cohérence entre les actions engagées • La subordination des intérêts particuliers à l'intérêt général, en cas d’incertitude • La rémunération, la gestion du personnel est essentielle avec notamment une participation aux résultats • La centralisation, plus ou moins accentuée en fonction de la valeur relative des chefs et de ses collaborateurs • La hiérarchie, selon le nombre de subordonnés de chaque chef intermédiaire, la pyramide de l’entreprise est plus ou moins pointue • L'ordre, ordre matériel et ordre social, chacun étant à sa place • L'équité, principe fondamental dans les relations avec le personnel • La stabilité du personnel, les personnes bien formées doivent trouver intérêt à passer toute leur carrière dans l’entreprise • L'initiative, tous les membres de l’entreprise peuvent proposer des actions • L'union du personnel, pour éviter les conflits, notamment par une bonne communication personnelle, le long de la ligne hiérarchique

42

LLeess ccoommbbaattss ddee HHeennrr ii FFaayyooll ((22000022))

ppaarr JJeeaann--LLoouuiiss PPeeaauucceell llee PPrrooffeesssseeuurr ddee GGeesstt iioonn 1)Introduction La publication de Administration Industrielle et Générale, en 1916, était tout à fait liée aux circonstances. En pleine guerre, le texte argumentait, de manière cachée, pour une meilleure administration des opérations militaires[1]. La généralité des principes que Henri Fayol avait découverts dans les entreprises privées englobait toute l'activité de l'Etat, armée y compris. Promouvoir ces principes faisait partie de son nationalisme. Il voulait construire une industrie forte, afin que la France prenne sa revanche après la défaite de 1870. Pendant que nos soldats cherchent à relever l'armée, nous autres industriels, tâchons d'éviter une défaite qui pourrait avoir des conséquences encore plus funestes que celle de Sedan[2]. Cet arrière plan de guerre est camouflé. La notion de conflit est absente de la doctrine de Henri Fayol. Le chef est source du pouvoir interne. La bonne administration consiste à établir l'ordre social[3], donc à éviter les conflits du travail. Vis à vis de l'extérieur, à la concurrence avec les autres entreprises, il préférait les ententes[4]. Henri Fayol évita de parler du conflit dans sa doctrine, mais, dans sa vie, il vécut des combats intenses. Il en gagna certains et en perdit d'autres. Par rapport au silence de la doctrine, il est intéressant de repérer ces luttes personnelles. La source principale qui sera utilisée ici est la troisième partie de Administration Industrielle et Générale, retrouvée dans les archives du Centre d'histoire de l'Europe du 20° siècle (Fondation des Sciences Politiques)[5]. Ce texte est une autobiographie professionnelle de Henri Fayol, passionnante pour comprendre comment s'est construit sa doctrine[6]. Les combats de Fayol sont d'abord des combats contre la nature. Le charbon de la mine de Commentry s'enflamme spontanément sous la forme de poussière. Henri Fayol acquit une expertise dans la lutte contre les feux. Il y fonda son autorité, sur les ouvriers et sur les actionnaires. Henri Fayol devient ensuite le patron de l'entreprise. Il lutta sur trois fronts : contre les syndicats ouvriers, contre les actionnaires qui veulent liquider, contre les confrères avec lesquels il voudrait fusionner. Enfin, patron arrivé, reconnu, il devient l'apôtre de sa doctrine. Celle-ci n'est pas comprise de ses pairs. Il lutta pour convaincre et échoua. Le taylorisme est beaucoup plus connu que ses propres idées. A ces luttes professionnelles, s'ajoutèrent des conflits familiaux. Henri Fayol apparaissait comme le chef de famille respecté, comme il convenait à son époque. De manière souterraine, les relations familiales étaient loin d'être simples. 2) La lutte contre le feu Henri Fayol arriva aux houillères de Commentry en 1860, à 19 ans, frais émoulu de l'école des mines de Saint Etienne. Les Houillères de Commentry étaient déjà célèbres dans ce temps là par leurs incendies souterrains. Les feux y étaient extrêmement développés, surtout dans ma division. La sécurité des chantiers était à la merci d'une surprise constamment possible ; il fallait veiller et se défendre. La lutte était extrêmement pénible. J'en donnerai une idée en disant que je passai au feu mes deux premières nuits et que pendant un an il n'y eut guère de semaine où je ne fusse appelé au feu la nuit. C'était la grande préoccupation des ingénieurs ; le directeur y usait sa robuste santé. Telle était la situation, au point de vue des feux, en 1860[7]. Ce fut un défi pour le jeune ingénieur. Il revint à ses cours. Il expérimenta. Il agit sur le terrain, auprès des mineurs. Il obtint des succès. Il évita les solutions extrêmes de la tradition : murer les galeries en feu, noyer la mine. Dans ces deux cas, les mineurs auprès du feu étaient sacrifiés. Il sauva ainsi la vie de ses mineurs. Il en aura une reconnaissance sans borne. Sa fille raconte qu'à la fin de sa vie, il venait passer quelques jours à Commentry et il revoyait à cette occasion les vieux mineurs qu'il avait connus alors. Il voulut faire connaître sa technique pour éteindre les feux. Il rédigea un article. Il a raconté l'histoire des feux de la mine de Commentry dans le Bulletin de la Société de l'Industrie Minérale sous le titre « Etudes sur l'altération et la combustion spontanée de la houille exposée à l'air », 1878. Cet ouvrage a été honoré de la médaille d'or de la Société de l'Industrie Minérale[8]. Ce texte[9] énonce exhaustivement les moyens d'arrêter les feux (barrages, submersion, attaque vive à niveau et par-dessus etc.). Il y recommande la solution qui lui a réussi : le creusement de galeries au-dessus du feu et l'arrosage avec un mélange d'eau et d'argile (embouage). L'eau glisse sur le charbon.

43

La boue y colle. Quand l'eau s'est évaporée, il reste une gangue de terre qui enveloppe le charbon et l'empêche de s'enflammer. Pour se rapprocher du feu, il conçoit des scaphandres alimentés en air par des tuyaux ou des poches de réserve en sac à dos. Henri Fayol fait breveter ces scaphandres. Ils équiperont d'autres mines. Ce travail remarquable est distingué par une médaille d'or. Les résultats à Commentry étaient déjà sensibles en 1865. Cinq ans après la situation était déjà très heureusement modifiée : de nouveaux moyens rendaient la lutte moins pénible et plus sûre ; on résistait mieux aux progrès du feu. Pendant que des changements dans la méthode d'exploitation diminuaient les causes d'échauffement et d'embrasement, on reprenait possession de régions depuis longtemps envahies par le feu. Cependant, il y avait encore de terribles assauts à subir[10]. Cette compétence technique a fondé l'autorité de Henri Fayol dans son entreprise, vis à vis des ouvriers et vis à vis de la direction. Le charbon en feu était autant de pertes de l'exploitation future. Au milieu des ingénieurs des mines, Henri Fayol avait une expertise reconnue. On faisait appel à ses services quand il y avait des problèmes de feux persistants. 3) La lutte contre les syndicats ouvriers Les relations de Henri Fayol avec les ouvriers sont celles d'un patron de son époque. Il luttait contre les syndicats. Il s'opposait à la grève. Mais il accordait aussi de bons salaires et avait une attitude paternaliste de subvention aux oeuvres sociales. Il côtoyait les ouvriers dans la mine. Il allait aussi chez eux. Son patron, M. Mony, voulait appliquer le questionnaire Le Play aux ouvriers de Commentry. L'enquête imaginée par Frédéric Le Play, ingénieur en chef des Mines, portait sur la situation économique des ouvriers. On sélectionnait un ménage « méritant » et on faisait l'inventaire de ses biens puis la liste de ses gains et de ses dépenses. La démonstration attendue était que les ouvriers n'étaient pas si pauvres que cela, s'ils savaient gérer leur ménage avec économie. Mony avait demandé à Fayol de faire cette enquête à sa place en 1868, puis il l'avait répété les années suivantes jusqu'à ce que, en 1871, il se fasse mettre à la porte. La Commune de Paris est bien connue. Dans toute la France, des sentiments similaires ont animé les ouvriers, ulcérés par l'occupation allemande et leurs conditions de vie. A la fin du 19° siècle, commencèrent des grèves, il légales d'ailleurs. Henri Fayol parle en détail de deux grèves auxquelles il a fait face. La première à Commentry, en juin 1881. La mine occupait 1650 personnes. Pour économiser le gisement, Fayol réduisit la production. 200 mineurs devaient partir. Plan social classique. A la moitié, aux plus anciens, on offrait une pension (à la charge de la Société) ; aux autres on offrait du travail à Montluçon et à Montvicq[11]. Montluçon et à Montvicq étaient des usines métallurgiques du groupe, distantes de 15 et 8 Km. Toute la mine se mit en grève. Des piquets s'installèrent sur toutes les routes conduisant à la mine. Henri Fayol fut sur la brèche. A une heure du matin, trois équipes de quatre ouvriers munis de haches et de pics, postés sur les principaux chemins essayèrent d'arrêter les mineurs venant au travail. Ils n'y réussirent point. Je m'étais rendu sur l'un des barrages et j'avais envoyé des ingénieurs sur les autres. Les mineurs passèrent en notre présence et les postes furent ce jour-là à peu près complets[12]. Le lendemain 500 seulement purent descendre. A la fin de la semaine, Henri Fayol licencia tout le personnel et réembaucha ceux qui voulaient travailler. Tous les ouvriers se présentèrent pour reprendre le travail. Ainsi se termina cette grève sans qu'aucune réclamation autre que la lettre anonyme du 4 juin ne nous eut été adressée. Il n'y fut plus question ni de salaires, ni d'heures de travail, ni de règlement d'atelier. C'est au nom de la fraternité et de la solidarité que quelques ouvriers imposèrent la grève à la masse. Ce fut la première grève des mineurs de Commentry ; ce fut aussi la dernière. Le travail n'a pas cessé un seul instant lors de la grève générale de 1902 qui avait cependant été décidée par un Congrès général des mineurs tenu à Commentry même[13]. Henri Fayol se glorifie d'avoir gagné ce conflit. Mais il aurait aimé l'éviter. Il en a cherché les causes, quels étaient les meneurs. Nous ne fûmes pas peu surpris en constatant que les quelques meneurs de notre grève étaient presque tous d'excellents ouvriers, très appréciés sous tous les rapports. Alors, comment éviter que de bons ouvriers soient opposés au patron ? En les formant aux nécessités administratives et en discutant avec eux. Mais nous n'avions pas soupçonné la nécessité de cet entretien. En 1916, Henri Fayol pense à une « police secrète » pour l'informer des risques de grève. Il en utilisa une à Decazeville. Les revendications y avaient une longue tradition. Le syndicat était puissant. Henri Fayol le faisait espionner par le concierge de l'usine. Dans les archives de l'entreprise[14], on trouve des comptes rendus des réunions du syndicat, avec des analyses sur l'évolution des actions. Pendant les grèves, Fayol recevait à Paris le nombre de grévistes, chaque jour, par télégramme chiffré. Henri Fayol n'a pas toujours réussi à casser la grève. En 1901, le syndicat national des mouleurs décida de refuser le salaire aux pièces. Deux semaines après le déclenchement de la grève, il reçoit le Secrétaire du Syndicat Général des Mouleurs de France. Ils ont une discussion très franche. Fayol résume la position de son interlocuteur : Le travail aux pièces déprécie l'industrie française en livrant à la

44

clientèle des produits inférieurs ; le travail aux pièces n'est pas soigné, n'est pas fini. Il fait disparaître des ouvriers habiles et les remplace par des manouvriers. Les patrons y tiennent parce qu'ils augmentent le rendement des ouvriers, ce qui a un résultat doublement fâcheux. Cela diminue les salaires, cela diminue le nombre de bras occupés. C'est un tiers des ouvriers mis sur le pavé alors que le travail à la journée occuperait tout le monde[15]. L'opposition devient doctrinale. Il n'y avait pas d'issue. Au bout de 5 mois, les ouvriers cédèrent. On les réembaucha, mais il n'y avait plus de commandes. L'activité de moulage disparut de l'usine de Montluçon. Ces conflits sont regrettables pour Henri Fayol. Il est probable que des conversations amicales entre ouvriers et patrons, comme il eût été possible de les avoir étant donné la nature des relations existantes, auraient empêché ces deux grèves. Mais il n'y eut pas d'entretien préalable. Faciliter ces entretiens, éclairer les ouvriers, sont des moyens de combattre la grève. Les syndicats bien organisés concourent à l'utilisation de ces moyens.[16] Qu'est-ce qu'un syndicat « bien organisé » ? C'est un syndicat « responsable » qui évite la surenchère et comprend la position patronale. Je crois que, dans l'intérêt des patrons, comme dans celui des ouvriers, un syndicat groupant la majorité et légalement constitué est de beaucoup préférable. Je suis convaincu que l'expansion d'une bonne doctrine administrative contribuera à empêcher que cet instrument de paix et de bien être reste une cause de guerre et de destruction[17]. Cette phrase est très révélatrice de la pensée de Henri Fayol. La doctrine administrative, une fois comprise et appliquée, supprimera le conflit. Evidemment, puisque la dite doctrine ne laisse aucune place au conflit. 4) La lutte contre les supérieurs La hiérarchie prônée par Henri Fayol est d'abord une lutte contre les structures en râteau, où le chef ultime peut directement donner des ordres à tout un chacun. Il cite un extrait de son journal : Juin 1861. Hier matin pendant que j'étais au puits St Edmond, le directeur visitait le puits St Etienne. Il a donné au chef mineur l'ordre d'arrêter un chantier que j'avais fait ouvrir quelques jours auparavant.[18] Fayol fut furieux d'être ainsi déjugé devant les hommes qu'il commandait directement. Il protesta. Finalement il eût gain de cause. Un an plus tard il note que les ordres directs du directeur à mes subordonnés se font plus rares. Est-ce parce qu'il a confiance en moi ou parce que j'ai toujours défendu - très respectueusement - mais très fermement - les instructions que j'avais données ? Quoiqu'il en soit, mon initiative est maintenant plutôt encouragée. Pour Fayol, l'organigramme et les descriptions de fonction limitent les incursions des chefs dans le domaine de responsabilité de leurs subordonnés. Ce sont aussi les moyens des personnes de tout niveau de faire respecter leur degré d'autonomie. La position récriminante de Henri Fayol est acceptée par son directeur à cause de ses compétences techniques (contre les feux). A sa mort, il le remplace. A 25 ans, quelle promotion ! 50 ans après, Henri Fayol continue de se moquer de lui. En 1866, le directeur mourait (il avait 40 ans) emporté par la petite vérole[19]. Devenu directeur de la mine, Henri Fayol continua de ne pas apprécier son chef, qui était alors le directeur général, Alfred de Sessevalle, nommé en 1884. Celui-ci était le gendre d'une des familles propriétaires. En 4 ans, en tant que directeur général unique, il réussit à ruiner l'entreprise. Henri Fayol le remplaça avec mission de tout liquider. Il ne fut pas admis au conseil d'administration. Réussissant à sauver l'entreprise, progressivement il étendit son pouvoir. Il acquit de l'ascendant sur les propriétaires d'origine en retrouvant les bénéfices, en sauvant leurs capitaux. Il fut alors nommé au conseil d'administration, mais les conflits continuèrent sur l'opportunité d'investir[20]. Fayol fit ouvrir le capital dans les années 1900, pour financer le redéploiement sur les mines de l'Est (Joudreville) et l'usine sidérurgique du Nord (Pont à Vendin). Les nouveaux actionnaires demandèrent une rentabilité immédiate à Fayol. Celui-ci les rabroua vivement par un rapport sur l'histoire de l'entreprise[21]. Dans la doctrine administrative, Fayol est le chantre de la hiérarchie. Dans la vie, il a résisté à ses chefs et à ses actionnaires. En 1954, un ouvrage fut édité à l'occasion du centenaire de sa société[22]. L'auteur évoque bien entendu Henri Fayol et ses 30 ans à la tête de l'entreprise. Il conclut sur l'originalité du personnage. « Ce non-conformisme, cette indépendance d'esprit, cette espèce de foncière irrévérence jointe à un grand respect de l'autorité et des valeurs établies, est un des traits les plus frappants du caractère de Henri Fayol. »[23] 5) Convaincre les égaux Henri Fayol avait aussi besoin de s'affirmer vis à vis de ses pairs. Ses pairs sont les ingénieurs des mines. Ce sont aussi les directeurs de mines et d'usines sidérurgiques. Plus largement, sont aussi concernés les autres réformateurs de l'entreprise, au premier rang desquels Taylor.

45

5.1.) Les ingénieurs des mines Vis à vis des ingénieurs des mines, Henri Fayol publia ses découvertes. Il se voulut un chercheur appliqué. Il caressa d'ailleurs des ambitions dans le domaine scientifique. Quand il vit sa carrière de mineur se terminer avec l'épuisement de sa mine, il se reconvertit en observateur de ce monde fossile qui disparaissait une deuxième fois. Végétaux et animaux pris dans la masse du charbon furent dessinés et répertoriés[24]. Certains portent un nom tiré du patronyme de Fayol. A cette occasion, il découvrit la théorie des deltas. Les gisements de charbon viennent de l'accumulation de forêts, arrachées par des crues et déposées au bord des lacs, sur les flancs des cônes de déjection des fleuves, dans les deltas. A partir de 1881, il publia largement cette théorie dans les revues scientifiques et à l'Académie des Sciences. Henri Fayol cherchait probablement une reconnaissance scientifique dans son domaine d'expertise, la géologie. Il aurait probablement voulu enseigner à l'Ecole des Mines, son école. On ne lui en offrit pas l'occasion. Les enseignants de l'école de Saint Etienne étaient des mineurs du Corps des Mines, polytechniciens. Les querelles entre anciens des diverses écoles d'ingénieurs étaient fréquentes. Quand, en 1918, Henri Fayol se présenta à l'Académie des Sciences sur des postes créés spécifiquement pour la recherche appliquée à l'industrie, il fut écarté. Ce furent quatre polytechniciens, scientifiques remarquables d'ailleurs, qui furent choisis. Malgré ses découvertes, Henri Fayol reste, aux yeux de ses pairs, un ingénieur d'une école de province, deuxième de sa promotion, pas le major. Il a de plus l'outrecuidance de critiquer la sélection des meilleurs par l'habileté en mathématiques. Les polytechniciens furent obligés de le contrer. 5.2.) Les directeurs de mines et usines sidérurgiques Vis à vis des autres patrons de mines, il chercha l'entente. Dès que j'ai eu à m'occuper de la vente des charbons de Commentry, j'ai cherché à vivre en bonne intelligence avec nos deux grands concurrents du Centre. Quelques petits accords s'établirent d'abord, puis de plus en plus étendus et, avec le temps, l'entente devint à peu près générale.[25] En 1888, ayant été chargé de liquider son entreprise, il essaya de vendre à ces confrères régionaux : Schneider au Creusot et Chatillon-Commentry. Il fit intervenir M. Darcy, directeur du syndicat patronal. Tout le monde se méfiait de lui et des pertes considérables laissées par son prédécesseur. Il ne réussit pas à les convaincre. Cet échec le contraignit au succès dans la reprise en main de la gestion. Et il a réussi. Ce succès, Henri Fayol voulut le transformer en transportant son entreprise d'abord à Decazeville qu'il racheta à bas prix en 1892, puis vers l'Est, où le minerai de fer était moins onéreux à extraire, et le Nord, où il voulut construire une usine sidérurgique compétitive. Fayol séduisit d'abord les pouvoirs publics pour obtenir la concession de Joudreville. Puis il créa des filiales financées partiellement par des capitaux extérieurs. Il resta le directeur, avec des capitaux d'origines multiples. Ce redéploiement fut un échec en 1914. Ces deux implantations nouvelles sont dans la zone occupée par les Allemands. Ils détruisirent tout. L'entente entre concurrents est une idée centrale de Henri Fayol. Son directeur commercial, Jean Carlioz, fit des cours sur la fonction commerciale à HEC. Il y parlait de la concurrence. « Nous savons que la concurrence est un bien, en ce sens qu'elle profite au plus grand nombre ; car elle est le gage à la fois des progrès industriels et de la modération des vendeurs. Mais il ne faut pas que la concurrence, dépassant la mesure dans laquelle elle est utile, devienne nuisible ; il faut qu'elle existe, atténuée, assagie. On n'a pas trouvé un meilleur moyen pour atténuer la concurrence, que l'entente entre les producteurs. »[26] Carlioz cite ensuite l'exemple des cartels allemands avant guerre. Ses idées sont aussi celles de Henri Fayol car les deux hommes sont très proches. En 1924, la fille de Carlioz épouse un petit-fils de Henri Fayol, Henri Oberthür. 5.3.) Les théoriciens de la gestion Henri Fayol, à partir de 1900, fut un inventeur dans le domaine des sciences sociales, inventeur de la doctrine administrative. Il n'a pas eu de succès dans cette campagne, dans ce combat. Malgré ses discours, les ingénieurs des mines considérèrent que c'étaient des banalités. En 1925, Sainte Claire Deville, directeur des mines de la Sarre, rappelle que les discours de Fayol d'avant guerre était écoutés avec des « sourires sceptiques. Cela paraissait si évident. »[27] Cependant, à partir de 1916, les difficultés du début de la guerre obligèrent les autorités à envisager des changements. Le pays les exigeait. On entra dans une décennie de la réforme, évoquée, étudiée, rarement mise en place[28]. Henri Fayol y eut sa place, à côté de Taylor naturellement. La grande querelle intellectuelle commença. Elle se limita à l'hexagone. Henri Fayol fut connu à l'étranger beaucoup plus tard.

46

Taylor possédait de forts soutiens en France. En 1898, quand il était aux aciéries de Bethlehem Steel, pour mettre au point l'acier rapide, il eut besoin de mesurer des températures de l'ordre de 1500°c. I l utilisa le pyromètre inventé par Henry Le Chatelier [29]. Il fut un des premiers à l'introduire dans une usine[30]. En découla une correspondance entre les deux hommes[31]. En échange, Le Chatelier fut le propagateur de la pensée de Taylor en France. Il a barré la route systématiquement à Henri Fayol. En 1919, Fayoliens et Tayloriens s'affrontèrent dans la collecte de disciples. Ils fondèrent chacun une association pour se retrouver et diffuser leurs idées. Finalement, les deux mouvements fusionnèrent, en 1925, sous le nom de CNOF (Centre National de l'Organisation Française). Le CNOF présentait une synthèse où les idées de Taylor avaient leur place dans l'atelier et celles de Fayol dans les sièges sociaux. Mais toutes les actions d'organisation avaient lieu dans les ateliers. Les idées de Fayol dans le CNOF s'étiolèrent au long des années. Henri Fayol fut chargé d'une étude sur le fonctionnement des Postes (PTT). Son rapport fut enterré[32]. De même, dans la commission de réforme du monopole des tabacs (présidée par André Citroën), il ne réussit pas à faire passer ses idées. Et pourtant il y déploya une grande énergie. Finalement, il demanda à ce que ses opinions soient séparées dans le rapport final[33]. La réforme de l'appareil administratif de l'Etat, selon les idées de Henri Fayol, n'a jamais eu lieu. 6) Conclusion Henri Fayol a construit sa vie sur un chemin qu'il s'est frayé continuellement. Rien ne le prédisposait aux fonctions qu'il a exercées ni au rôle intellectuel qu'il a joué. Il s'est battu pour se faire reconnaître dans la société de son époque. Même dans sa vie familiale, il n'était pas à l'abri de ces conflits. Son père, André (1805-1888) était un contremaître en métallurgie. Il a monté un pont métallique à Istamboul[34] et a aidé à améliorer la fabrication des canons dans les ateliers du sultan. Il revint à La Voulte, où Henri Fayol est allé à l'école primaire. Il y travailla dans des usines métallurgiques, probablement des usines de canons. On ne sait rien des relations avec son père. On peut penser qu'elles n'étaient pas excellentes. Henri aurait pu choisir l'option métallurgie à l'école des mines. Il aurait pu conserver les ateliers métallurgiques de Fourchambault, il les revendit. Probablement, le métier du père, dans la métallurgie, bloque l'esprit du fils. Ainsi, Henri Fayol ne suivra jamais l'exemple de Schneider. Sa société disposait des mêmes ressources que celles du Creusot. L'épuisement du charbon y survint plus vite. Le Creusot a déplacé son activité vers l'aval ; les canons (sous Napoléon III), puis les machines à vapeur, les bateaux ; aujourd'hui l'électronique. Et ce fut un immense succès industriel. Fayol reste sur son métier de base, la mine et la sidérurgie lourde. Les relations avec sa femme sont celles des couples de l'époque. Adélaïde Saulé, fille de commerçants de province, est bigote. Elle élève ses filles dans la foi catholique. Pendant ce temps, le père n'est pas du tout croyant. Pour lui, Dieu, c'est l'ensemble des forces et des lois auxquelles nous sommes soumis[35]. Cet athéisme du père était occulté par la foi de la mère. La famille avait gardé la culture très religieuse d'Adélaïde. Les héritiers ont été fort surpris quand ils ont vu, dans les papiers de famille, les phrases anti-religieuses de l'ancêtre si célèbre. Les relations de Henri Fayol père avec son fils, prénommé aussi Henri, n'ont pas été simples non plus. Le fils était né tardivement, 21 ans après sa soeur. Il était chouchouté par sa mère. Les relations s'envenimèrent quand la mère disparût, en 1917. Le fils avait 18 ans. Sa mobilisation devait être objet de débats. Le fils commit alors un crime. Il fit éditer une petite plaquette de propagande sur Taylor[36], l'ennemi du père. Il persistera et sera le taylorien de la famille. Il fut vice-président du CNOF, en représentant finalement plus les tayloriens que les idées de son père. Avec tous ces combats personnels, l'absence de la notion de conflit dans la doctrine administrative n'en apparaît que plus étonnante. Henri Fayol a occulté tous ces aspects essentiels de sa vie. Son ascension sociale venait de son intelligence, de sa personnalité, de son énergie. Il avait lutté pour faire reconnaître sa place, originale. Pourtant, il était foncièrement conservateur. Ses combats ont toujours été menés avec les armes classiques. Vainqueur, il s'empressait de respecter le vaincu. L'ordre social devait être modifié, mais le moins possible. Les organisations avaient fait faillite dans l'ancien monde. Il proposait, en fait, une manière de les faire fonctionner, sans vraiment les changer. Il aurait suffi de mettre à leur tête des chefs meilleurs, de leur donner un outillage administratif. D'ailleurs, si tous les hommes étaient bons, il n'y aurait pas de conflit. Ainsi, l'utopie de la théorie de Fayol transparaît et son échec s'explique plus facilement. Les idées de Fayol ont probablement une filiation avec le saint-simonisme, dans son aspect planificateur et technocratique. Claude Henri de Rouvroy, comte de Saint-Simon (1760-1825) avait eu de nombreux disciples, avant la condamnation de son mouvement, en tant que secte religieuse, en 1833. Stéphane Mony, jeune étudiant à l'école des mines de Paris, était un disciple de Saint-Simon. Stéphane Mony a passé l'essentiel de sa carrière à Commentry Fourchambault. Il en fut le gérant de 1856 jusqu'à sa mort, en 1883. Il a protégé la carrière de Henri Fayol. Il a eu certainement une grande influence sur lui.

47

[1] Peaucelle, J-L., 2001, « Henri Fayol et la guerre de 1914 », Revue Française de Gestion, septembre, N° 136. [2] Archives du Centre d'histoire de l'Europe du 20° siècle (Fondation des Sciences Politiques), HF4, DR4, notes du 29 juillet 1898 [3] Administration Industrielle et Générale page 42 de l'édition de 1999. [4] AIG p. 6 [5] Henri Fayol, 1916, «Observations et expériences personnelles», Archives du Centre d'histoire de l'Europe du 20° siècle (Fondation des Sciences Poli tiques), cote HF5bis DR3, cahier GREGOR http://gregoriae.univ-paris1.fr/pdf/2000-09.pdf [6] Peaucelle, J-L., « Henri Fayol et la recherche action », Gérer et Comprendre, décembre, N° 62, 73-87. [7] AIG 3°partie [8] ibidem [9] Fayol, Henri, 1879, «Etudes sur l'altération et la combustion spontanée de la houille exposée à l'air», Bulletin de la Société de l'Industrie Minérale, 2° série tome VIII, 487-746. [10] AIG 3°partie [11] ibidem [12] ibidem [13] ibidem [14] Centre des Archives du Monde du Travail, Roubaix, 110 AQ 50 [15] AIG 3°partie [16] ibidem [17] ibidem [18] ibidem [19] ibidem [20] Donald Reid, 1986, «Genèse du fayolisme», Sociologie du Travail, N°1, 75-93. [21] « Note sur la marche depuis 1888 sur la situation actuelle et sur l'avenir de la société CFD », 26 pages, Archives du Centre d'histoire de l'Europe du 20° siècle (Fondation des Sciences Politiques), co te HF4 DR5, 6 février 1911. Annotation au crayon : Cette note a été faite pour répondre aux critiques virulentes de Mr Sabatier, [un des nouveaux actionnaires]. [22] Déjà l'histoire des entreprises ! [23] Maurice de Longevialle, 1954, La société de Commentry-Fourchambault et Decazeville 1854-1954, Office de propagande générale à paris, 336p. [24] Henri Fayol, 1887, «Etude sur le terrain houiller de Commentry, théorie des deltas», Bulletin de la Société de l'Industrie Minérale, un volume de 543 pages. [25] AIG 3°partie [26] Page 222, Jean Carlioz, 1918, «Administration et organisation commerciale», Bulletin de la Société de l'Industrie Minérale, 5° série tome XIII, 153-32 8. [27] Henri Verney, 1925, Henri Fayol, Discours prononcés au banquet du 7 juin 1925, Dunod, 117 pages. [28] Stéphane Rials, 1977, Administration et organisation, de l'organisation de la bataille à la bataille de l'organisation dans l'administration française, Editions Beauchesne. [29] Henri Le Chatelier (1850-1936), ingénieur du corps des Mines, docteur en physique, candidat à l'Académie des Sciences en 1894, 1897, 1899 et 1900, élu en 1907. Il est chimiste, spécialiste de la chimie des métaux, à haute température. [30] D'après Frank Barkley Copley, 1923, Frederick W. Taylor, father of the scientific management. [31] Taylor parle Français et Allemand, Le Chatelier parle Anglais. [32] Henri Fayol, 1921, L'incapacité industrielle de l'Etat : les PTT, Dunod, 118p. [33] Henri Fayol, 1925, « Note de M. Fayol sur le Rapport présenté par M. André Citroën au nom de la commission chargée d'étudier les questions concernant l'organisation et le fonctionnement du monopole des tabacs et des allumettes, Annexe C du rapport de André Citroën », pages 163-174. [34] Tsuneo Sasaki, 1995, «Henri Fayol's family relationships», Journal of Management History, Vol. 1, N°3, 13-20. [35] Archives du Centre d'histoire de l'Europe du 20° siècle (Fondation des Sciences Politiques), cote HF5bis DR1 [36] Henri Fayol, (fils), 1918, « Le Taylorisme », conférence faite à l'association générale des étudiants de Paris, 10 janvier, Dunod, archives du Centre d'histoire de l'Europe du 20° siècle (Fondation des Sciences Politiques), cote HF4 DR5.

48

LL’’ IINNVVEENNTTIIOONN DDEESS RREELLAATTIIOONNSS HHUUMMAAIINNEESS

-lien vers un site très complet renvoyant lui-même à d’autres liens : http://web.upmf-grenoble.fr/emanagement/HTML/Ecole%20Relations%20Humaines.htm# -Vous pouvez aussi trouver de nombreux textes classiques et contemporains sur le site : http://classiques.uqac.ca/

Fritz Roethlisberger

Un ouvrage de référence sur les experiences Hawthorne: Roethlisberger, F.J.; Dickson, W.J. (1939). Management and the Worker. Cambridge, MA: Harvard University Press

49

LL’’eexxppéérr iieennccee ffoonnddaattrr iiccee

L’usine Hawthorne works de Cicero Illinois en 1925

Femmes dans l’atelier d’assemblage de relais (1930 )

50

Ballantyne, P.F. (2000) Hawthorne Research. Reader' s Guide to the Social Sciences . London: Fitzroy Dearborn.

From 1924[-]32, an innovative series of research studies was funded by the Western Electric Company at its Hawthorne plant in Chicago, then a manufacturing division of AT&T. The plant was one of the oldest in operation and employed approximately 25,000 of Western Electric's 45,000 workers. The research proceeded through five phases: (1) The initial Illumination studies (1924[-]27) were aimed at evaluating the effect of lighting conditions on productivity; (2) the Relay-assembly Room studies (August 1928[-]March 1929) assessed the effects

of pay incentives, rest periods, and active job input on the productivity of five selected woman workers; (3) the Mica-Splitting Test group (October 1928[-]September 1930) in which a group of piece-workers were used to corroborate the relative importance of work-group dynamics vs. pay incentives; (4) the Bank Wiring Observation group (November 1931[-]May 1932) a covert observational design in which the dynamics of control in a work-group of 14 male employees on the regular factory floor were observed; and (5) the plantwide Interviewing program (September 1928[-]early 1931) essentially an attempt by the company to categorize concerns, mitigate grievances, and manipulate employee morale according to the principles of social control learned in the previous phases). The latter two phases were interrupted by the detrimental effects of the Great Depression on company production orders, but the interviewing phase was later reinstated as a "Personnel Counseling" program, and was even expanded throughout the Western Electric company system between 1936[-]1955.

Expériences d’éclairage 1926

The Hawthorne effect, defined as the tendency under conditions of observation for worker productivity to steadily increase, was discovered during the earliest "scientific management" phases of the research. It was suggested that when human work relations (ie., supervision and worker camaraderie) were appropriate, adverse physical

51

conditions had little negative effect upon worker productivity. If the company could only learn more about the human relations aspects of the workplace, they might soon be able to utilize them to increase overall plant production. The latter phases of research, therefore, become more sociopsychological in design.

Comparaison de la production suivant les heures de repos

MAY0 was the most prominent early popularizer of these studies. His previous industrial psychology work included reducing turnover in a Philadelphia area textile mill by establishing a system of rest periods for workers but he now stressed a social relations interpretation of the ongoing Hawthorne research. This portrayal had the eventual disciplinary effect of extending the purview of industrial testing beyond the previous individualized placement of workers toward the wider realm of manipulation of work-place relationships. Mayo’s account is altogether more programmatic than the guarded comments of WHITEHEAD or of ROETHLISBERGER and DICKSON in their official company research report (where more of the messy empirical details of the early phases of research were presented). All three sources, however, intentionally portray the Harvard Business School researchers as equally benevolent toward worker and company interests.

The standard portrayal of wholehearted cooperation between the workers and supervisors in the latter phases of research came under sharp attack from industrial sociologists from 1937 onward including: GILSON; LYND; MILLS; LANDSBERGER. It was BARITZ, however, who popularized the notion that industrial researchers were inevitably "servants of power." The counseling phase of research in particular was designed to apply the listening techniques of the "Catholic confessional" and the "psychiatric couch" (p. 116) with the aim of adjusting people to situations (rather than alleviating those situations from the workplace). An attempt at disciplinary damage control was then published by DICKSON and ROETHLISBERGER. A more convincing counter argument can be gained from other sources. Baritz clearly overstated his argument. Early 20th century immigrant workers were not simply hapless victims of capitalism. They used the limited opportunities presented by the industrial workplace to create their own conditions for the further development of their sub-cultures. ALTHENBAUGH; BERNSTEIN; SUSMAN; NELSON-ROWE all indicate that these self-made conditions included such features as parochial schools, organized labor unions, and even labor colleges.

52

LLeess pprr iinncciippaauuxx ffoonnddaatteeuurrss dduu ccoouurraanntt ddeess rreellaatt iioonnss hhuummaaiinneess

GGeeoorrggee EEll ttoonn MMAAYYOO ((11888800--11994499))

Considéré comme le fondateur du mouvement des relations humaines, l'australien E. Mayo est également précurseur dans le domaine de la psychosociologie du travail avec ses travaux sur les relations entre la productivité et le moral des employés ou les rapports personnels à l'intérieur

et entre les groupes. Médecin et psychologue de formation, il s'intéresse trés tôt à l'absentéisme et à la fatigue dans l'entreprise. Puis, émigré aux Etats-Unis comme professeur et chercheur, il intègre l'Université de Harvard, où il dirige des recherches sur l'homme au travail dont la plus connue est l'enquête de cinq ans menée à partir de 1923 à l'atelier Hawthorne de la Western Electric Company, une usine de fabrication de téléphone. Contrairement aux idées reçues de l'époque, Mayo découvre que la capacité physique, le salaire, les récompenses matérielles, la spécialisation du travail n'interviennent pas ou peu dans la motivation. En revanche, la reconnaissance, la coopération, l'intégration dans un groupe structuré possédant ses propres valeurs sont des moteurs de l'action.

Ouvrage de référence : The human problems of an industrial civilization, MacMillan, 1933.

KKuurrtt LLEEWWIINN ((11889900 –– 11994477))

Lewin est une philosophe d’origine allemande qui a porté son analyse sur l’étude des comportements des groupes. Il est l’inventeur de la notion de dynamique des groupes.

53

AAbbrraahhaamm MMAASSLLOOWW ((11990088 –– 11997700))

Abraham Maslow est un psychologue américain qui a élaboré la théorie des besoins (ou des "motivations"). Maslow a commencé sa carrière au collège Brooklyn ou sa combinaison inhabituelle de confiance dans son sujet et d'humilité personnelle l'a rendu très populaire avec ses étudiants. De nombreux étudiants se souviennent que c'était son amour pour la

psychologie et son enthousiasme pour la science de la psychologie qui les a conduit vers des carrières dans le domaine.Maslow a quitté le collège Brooklyn pour devenir président du département de psychologie à l'université Brandeis. Il a aussi été président de l'association américaine de psychologie de 1967 à 1968.

Bien que Maslow a conduit de la recherche et des études dans une myriade de domaines, on se souvient surtout de lui pour sa hiérarchie des besoins et pour les concepts de réalisation de soi en tant que plus haute force motivationnelle. À partir de son travail, les gens ont commencé à élaborer une structure plus positive pour la motivation humaine et le potentiel humain. Faisant fréquemment référence comme le père de la psychologie humaniste, Maslow s'est écarté des béhavioristes et des praticiens et universitaires freudiens pour postuler une théorie beaucoup plus éclairée à propos de l'humanité.

Un auteur prolifique, il a signé des centaines d'articles sur des questions allant de la créativité, les techniques de management éclairé, la motivation humaine, et l'accomplissement de soi. Son ouvrage le plus connu, Vers une Psychologie de l'Etre était le genre d'ouvrage que les gens se faisaient passer sans cesse. Décrit comme un livre qui non seulement inspire, mais change la vie des personnes, il y a catapulté Maslow sur la scène nationale. Des termes comme réalisation de soi et expérience paroxystique sont devenus des termes usuels, intégrés au langage courant des turbulentes années 60.

Le travail central de Maslow était peut-être son développement de la hiérarchie des besoins. Maslow croyait que les êtres humains aspiraient à s'accomplir. Il voyait le potentiel humain comme un territoire largement sous-estimé et inexpliqué. La pyramide désormais fameuse en est venue à illustrer ce concept:

Au cours de l'été 1962, Maslow a tenu un cahier alors qu'il se trouvait dans une usine en Californie du Sud. Le cahier, à l'origine ronéotypé, était intitulé Summer Notes [Notes d'Eté]. Le cahier a d'abord été publié sous le titre "Eupsychian Management" et n’était pratiquement connu que des universitaires et des théoriciens du Business. Il a été réédité en 1998 sous le titre Maslow on Management.

Abraham Maslow et décédé en juin 1970 à Menlo Park, en Californie, à l’âge de 62 ans.

Source : http://www.human-side.com/maslow/MoM/index.htm#AbeMaslow

54

DDoouuggllaass MMcc GGRREEGGOORR ((11990066 –– 11996644)) Douglas Mc Gregor, docteur en psychologie de l’Université de Harvard, a élaboré une véritable théorie de management basée deux conceptions de l’homme au travail : la théorie X et la théorie Y. Psychosociologue américain, Douglas McGregor a été président de l’Antioch Collège (1948-

54) avant d’enseigner le management au prestigieux M.I.T. Il a élaboré et fait connaître l’une des grandes thèses du management des années 1960 : la théorie X opposée à la théorie Y

Ouvrage de référence : La Dimension Humaine de l’entreprise, traduction française de The Human Side of Enterprise, New York, McGraw-Hill Book Company, 1960.

LLeess tthhééoorr iieess XX eett YY

55

FFrreeddeerr iicckk HHEERRZZBBEERRGG ((11992233 –– 22000000)) Professeur de psychologie industrielle, scientifique et praticien, Frederick Herzberg estime que l'organisation scientifique du travail conduit à un sous-emploi des ressources humaines en méconnaissant ses potentialités. Professeur de psychologie aux Etats-Unis, F. Herzberg a conduit de

nombreuses recherches sur les motivations humaines au travail et l'adéquation des méthodes d'organisation du travail aux besoins de l'homme. Il est l'auteur dans les années 60 d'une théorie originale sur la motivation (la théorie bi-factorielle), à la base de l'enrichissement des tâches (job enrichment, en anglais) et de la DPO (direction par objectifs).

Ouvrage de référence : Le travail et la nature de l'homme, Entreprise Moderne d'Edition, 1971, traduction française de Work and the nature of man, World Publishing, 1966

Les deux catégories de facteurs identifiées par Herzberg

• Facteurs moteurs = Facteurs INTRINSEQUES : liés au contenu du travail Relation homme/ce qu’il fait

• Facteurs d’ambiance = Facteurs EXTRINSEQUES (c’est-à-dire extérieurs à la tâche), liés au contexte de travail Relation homme/milieu du travail

RReennssiiss LLIIKKEERRTT ((11990033 –– 11998811))

Psychologue et auteur américain, il a prolongé les travaux de MAYO et LEWIN.

CChhrr iiss AARRGGYYRRIISS ((11992233--))

56

LLaa tthhééoorr iiee ZZ

WWii ll ll iiaamm OOUUCCHHII

La théorie Z est née à partir d’une comparaison d’u n professeur et chercheur américain, W.Ouchi, entre les entreprises japonaise s et occidentales dans les années 80.

Entreprises japonaises Entreprises occidentales (US) Emploi à vie Emploi limité dans le temps Évolution et promotion lente Évolution et promotions rapides Carrières non spécialisées Carrières spécialisées Procédures de contrôle implicites Procédures de contrôle explicites

Prises de décisions collectives Prises de décisions individuelles

Intérêt global Intérêt limité

Les principes de la théorie Z (13 phases synthétisé s en 10 points) sont :

1. Définition d’une culture d’entreprise impliquant fortement la direction de l’entreprise,

2. Mise en place de structures et de stimulants en adéquation avec la culture d’entreprise,

3. Développement des techniques de communication (reconnaître le droit à l'erreur),

4. Faire participer les salariés de l’entreprise,

5. Réduire la rotation du personnel : rechercher l’intégration du personnel à l’intérieur de l’entreprise,

6. Adopter le système d’évaluation et de promotion lente,

7. Elargir les possibilités de carrière,

8. Développer systématiquement la participation des salariés,

9. Encourager le développement des relations directes (direction - salariés).

10. Prise en compte de l'intérêt général.