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ANNIE BESANT L’ÉMANCIPATRICE : UNE PENSÉE LIBRE POUR UNMONDE LIBÉRÉ

Sophie Geoffroy

Grand Orient de France | « La chaîne d'union »

2013/2 N° 64 | pages 70 à 82 ISSN 0292-8000DOI 10.3917/cdu.064.0070

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Annie Besant à Sydney, Australie, en 1922

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DOSSIER

LA CHAÎNE D’UNION n°64 � Avril 2013

Le parcours d’Annie Besant, née Wood1 le 1er octobre 1847 àLondres, fut orienté par une seule quête : le bonheur de l’humanité,indissociable de la conquête de l’égalité des femmes et des hommes, etde la lutte contre la pauvreté, l’obscurantisme et l’oppression des plusvulnérables (classe ouvrière en Grande-Bretagne, peuples colonisés parl’Empire britannique : Irlande, Inde1).

Initiée à Paris en 1902, elle fut à l’origine de la Fédération bri-tannique du Droit Humain (DH) et y assuma de hautes fonctions (vice-présidente du Suprême Conseil dirigé par Marie Bonnevial). Elle permitl’ouverture de la Franc-maçonnerie à l’international et à la mixité, décla-rant : « S‘il est vrai que ce sont les Anglais qui ont porté la Maçonnerieà la France, ce sont les Français, aujourd’hui, qui la rapportent, régéné-rée, à l’Angleterre, complétée et fortifiée par l‘admission de la femmedans la loge à côté de l’homme. »2 Pleinement représentative de la

nnnniiee BBeessaanntt eesstt àà ll’’oorriiggiinnee dduu DDrrooiitt HHuummaaiinn bbrriittaannnniiqquuee..AApprrèèss uunn ppaarrccoouurrss mmaarrqquuéé ppaarr uunnee qquuêêttee ddee sseennss eett ddee ppaaiixx qquuii llaammeennaa àà llaa lliibbrree--ppeennssééee,, aauu fféémmiinniissmmee,, aauu ssyynnddiiccaalliissmmee,, àà ll’’hhiinnddoouuiissmmee,,eellllee ffuutt ccoonnvvaaiinnccuuee ppaarr MMaarriiaa DDeerraaiissmmeess dd’’eennttrreerr eenn ffrraanncc--mmaaççoonnnneerriiee..PPoouurr eelllleess,, hhoommmmeess eett ffeemmmmeess ddeevvaaiieenntt ppoouuvvooiirr yy ppaarrttaaggeerr ééggaalleemmeennttuunnee ccoommmmuunnaauuttéé ddee vvaalleeuurrss.. MMaaiiss lleess mmœœuurrss eett llaa ttrraaddiittiioonn llooccaalleess nneess’’yy pprrêêttaaiieenntt gguuèèrree..

ANNIE BESANT L’ÉMANCIPATRICEUNE PENSÉE LIBRE POUR UN MONDE LIBÉRÉ

PAR SOPHIE GEOFFROY

AAAA

LA LONGUE MARCHE DES FRANC-MAÇONNES

1 Annie Besant est aux trois-quarts Irlandaise. Héritière de deux lignées distinguées désargentées,elle est éduquée en « gentlewoman » et femme d’honneur.2 http://www.droit-humain.org/fr_origines.html


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contribution de la Franc-maçonnerie à l’émancipation des femmes et àla solution des problèmes sociaux féminins, elle « domine l’histoire dela Franc-maçonnerie féminine en Angleterre » (Prescott).3

Trois grandes étapes sont repérables dans son parcours, aprèssa séparation d’avec son époux le pasteur Franck Besant, et la mort desa mère.

11.. AANNNNIIEE BBEESSAANNTT,, LLIIBBRREE--PPEENNSSEEUURR,, AATTHHÉÉEE,, FFÉÉMMIINNIISSTTEE EETTLLEESS MMYYSSTTÈÈRREESS DDEE LLAA GGÉÉNNÉÉRRAATTIIOONN

Entre 1874 et 1885, de 27 à 38 ans, Annie Besant est athée,libre-penseure, conférencière (aux côtés de Charles Bradlaugh)4, auteured’articles pour The National Reformer, membre de la National SecularSociety (Société Nationale pour la Laïcité), dont elle devient (1875) lavice-présidente et adopte la devise : « Nous cherchons la vérité ». En1877, avec Bradlaugh, elle porte la liberté de pensée et d’expression etla question du contrôle des naissances devant les tribunaux, tourne enridicule l’Obscene Publication Act et l’hypocrisie victorienne, mais paierasa victoire au prix fort (elle perdra la garde de sa fille Mabel, âgée de 7 ans) : c’est le célèbre procès Knowlton.5

Annie Besant est la première femme à défendre publiquementle contrôle des naissances, expliquant, dans un discours à la DialecticalSociety, comment les couples mariés pouvaient limiter leur famille.Rappelons qu’à l’époque les rares ouvrages des libres-penseurs sur laquestion développent des arguments utilitaristes (ainsi de Francis Place,disciple de Jeremy Bentham). Millicent Garret Fawcett, la suffragette,craint que les techniques pour limiter la fécondité des femmes n’aggraventleur « sujétion aux désirs des hommes ». Pour beaucoup, alors, la contra-ception constitue un encouragement à l’amour libre, chose inconcevablealors pour les femmes, en particulier dans les classes populaires.

Annie Besant, elle, plaide pour que tout un chacun, homme oufemme, pauvre ou riche, jouisse de la liberté de choisir en fonction deconnaissances complètes et fiables, en fonction d’un projet de vie, decroyances ou de valeurs, plutôt que de confier ces choix à des autorités(scientifiques, morales et religieuses, politiques). Elle préconise que legouvernement favorise la recherche médicale sur ce point et mette cesinformations à la disposition de tous, surtout des jeunes gens et jeunes

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ANNIE BESANT L’ÉMANCIPATRICE : UNE PENSÉE LIBRE POUR UN MONDE LIBÉRÉ

3 A. Prescott, « Builders of the Temple of the New Civilisation : Annie Besant andFreemasonry », in Alexandra Heidle and Jan Snoek (eds.), Women’s Agency and Rituals inMixed and Female Masonic Orders. Leiden : Brill, 2008, pp. 359-424, p. 3.4 Juriste, franc-maçon de la Grande Loge Unie d’Angleterre puis membre d’honneur de deuxloges du GODF. Annie Besant le soutient lorsque, élu quatre fois au Parlement, il ne peut siégercar il refuse de prêter serment sur la Bible … Voir A. Buisine, « Annie Besant, socialiste, théosopheet franc-maçonne (1847-1933) », Cahiers de la Commission de l’Histoire, FédérationFrançaise du Droit Humain, p. 2-3.5 Voir S. Geoffroy, « C. Darwin et les féministes : A. Besant et la question du contrôle desnaissances », in Michel Prum et Sophie Geoffroy (éds.), Darwin dans la bataille des idées,Paris, L’Harmattan, 2012.


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filles pour épargner, entre autres, à celles-ci le traumatisme de la nuit denoces qui l’a personnellement profondément marquée ; traumatisme entiè-rement dû à son ignorance totale des « choses de la vie », révélé dansson autobiographie.

TToouutteess lleess ffeemmmmeess ddooiivveenntt ccoonnnnaaîîttrree lleeuurr ccoorrppss eett mmaaîîttrriisseerr llaaffoonnccttiioonn ddee rreepprroodduuccttiioonn

Estimant que toutes les femmes, riches ET pauvres, doiventconnaître leur corps et apprendre à en maîtriser l’une des fonctionsessentielles : la fonction reproductrice6, et que “les connaissances médi-cales sont indispensables au peuple et devraient être mises à leur portée[et que] la méconnaissance de leur propre corps jette bon nombre dejeunes gens et de jeunes filles dans les griffes de charlatans qui profitentde manière éhontée de l’ignorance des pauvres », Annie Besant crée, le20 janvier 1877, avec Charles Bradlaugh, The Freethought PublishingCompany (les Editions de la Libre-pensée) pour rééditer à très bas prixet à fort tirage The Fruits of Philosophy, dont le sous-titre est remplacépar An Essay on the Population Question. Pour en diffuser le message,ils organisent un coup médiatique en invitant la police à la ventepublique de l’ouvrage à 6 pence.

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6 À défaut de pouvoir disposer librement de leur patrimoine. Il faudra attendre pour cela leMarried Women’s Property Act de 1882. Avant cette loi, tous les revenus de la femme mariéerevenaient à son « propriétaire », ainsi qu’Annie appelle son époux. Quelques repères : – 1839 : la loi autorise une femme séparée de son époux et ‘innocent’ à demander la gardede ses enfants de moins de sept ans – 1857 : Divorce and Matrimonial Causes Act – 1870 :le Married Woman’s Property Act permet aux femmes mariées de conserver leur salaire– 1873 : une loi autorise une femme séparée de son époux et ‘innocent’ à demander la gardede ses enfants de moins de seize ans – 1882 : le Married Woman’s Property Act permet auxfemmes mariées de conserver les biens qu’elles possédaient avant le mariage – 1886 :l’Infants Custody Act stipule que les décisions doivent être prises dans l’intérêt de l’enfant,mais le père reste le tuteur légal.

Annie Besant en 1897

Charles Bradlaugh1833-1891


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Pour lutter contre l’infanticide et contre l’avortement, au nomdu bonheur de la société et de l’espèce humaine, Annie Besant, l’unedes rares femmes de l’époque à posséder une formation scientifique,préconise la contraception et dispense des conseils précis dans The Lawof Population : calcul des périodes fécondes, retrait « à la française » ( !),préservatif, éponge imprégnée de spermicide …

Le livre tombe sous le coup de l’Obscene Publication Act. Au procès,Annie Besant provoque un débat fondamental entre les défenseurs du « progrèsde l’espèce humaine » (Darwin, positive checks) et les défenseurs du « bonheur »de l’humanité et des familles (Malthus, John Stuart Mill, preventive checks),bien au-delà de la notion victorienne d’obscénité. Au fond, il faut redéfinirce qui est « moral » et ce qui ne l’est pas ; c’est la pauvreté, avec son cortège de maux (promiscuité, maladies, malnutrition, etc.), qui est immorale :« Il est immoral de mettre au monde des enfants qu’on ne peut pas vêtir,nourrir et éduquer.” (Annie Besant, The Law of Population, op. cit., p. 37.)

Annie Besant plaide pour une éducation sexuelle ouverte à touset annonce son intention d’éduquer sa fille aux mystères de la génération,en tant que mère de famille préoccupée du bonheur et de la santé deson enfant. Raison pour laquelle elle perdra la garde de sa fille, âgée de7 ans. Le jury estime en effet que « Les vérités [contenues dans ce livre],même si elles étaient scientifiques et utiles pour les médecins et pourdes hommes et des femmes qui pouvaient se permettre de payer (leurdemi-guinée) pour y avoir accès en achetant le livre, n’étaient pas desvérités à crier sur tous les toits, ou qu’on pouvait vendre à 6 pence lapièce à de jeunes servantes ou de jeunes commis, ou, de façon généra-le, aux couples non mariés pauvres »7.

Elle y répondra point par point dans le brûlot publié après leprocès : « Is the Bible Indictable ? Being an Enquiry whether the BibleComes within the Ruling of the Lord Chief Justice as to ObsceneLiterature »8, montrant que l’enjeu est l’accès des masses populaires àla maîtrise de leur fécondité: “Ce qui est obscène dans ce livre, c’est sur-tout son faible prix (…) Les pauvres doivent se contenter de rester dansl’ignorance ou d’acheter les traités pseudomédicaux qui circulent sous lemanteau (…) Ils ne doivent pas se plaindre : la Nature et la Providence lesont placés dans la pauvreté et ont charitablement mis à leur dispositiondes moyens efficaces quoique douloureux de limiter leur fécondité »…9

UUnn pprrooccèèss ppoouurr oobbssccéénniittéé,, uunn ddeeuuxxiièèmmee ppoouurr llaa ggaarrddee ddee sseess eennffaannttss

Le second procès de sa vie, contre son époux le pasteur FranckBesant, lui fera perdre la garde de ses enfants. Le chagrin alimente sonénergie militante.

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7 Cité dans Anne Taylor, op.cit., p. 119. Traduit par mes soins.8 Annie Besant, « Is the Bible Indictable? Being an Enquiry whether the Bible Comes withinthe Ruling of the Lord Chief Justice as to Obscene Literature », Londres, The FreethoughtPublishing Company, 1877. 9 Annie Besant, Procès, p. 237.


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En 1880, à 33 ans, elle participe au congrès des libres-penseurs de Bruxelles, puis à celui de Londres en 1881 et à celuid’Amsterdam en 1882. Selon A. Buisine10, elle y rencontre « un certainnombre de ceux qui, ultérieurement, fondèrent l’obédience du DroitHumain : Maria Deraismes, Marie Bonnevial, Marie Becquet de Vienne,Georges Martin et Marie-Georges Martin »11.

Féministe dès son premier discours public12, elle a participé(peut-être13) au 1er Congrès International des Femmes (1878) où MariaDeraismes prédit qu’en matière de droits des femmes, « l’Angleterrecommencera et la France suivra ».14 Elle participera à la retentissanteprocession pour le droit de vote des femmes, le 17 juin 1911, à Londres.

22.. AANNNNIIEE BBEESSAANNTT,, «« JJEEAANNNNEE DD’’AARRCC DDUU PPRROOLLÉÉTTAARRIIAATT »»,,SSOOCCIIAALLIISSTTEE FFAABBIIEENNNNEE,, PPOOSSIITTIIVVIISSTTEE EETT SSYYNNDDIICCAALLIISSTTEE

Entre 1885 et 1889 (de 38 à 42 ans), elle est toujoursathée15 : « L’humanité idéale de l’Athée est l’humanité de l’homme libre,fier, sincère, loyal et courageux qui ne connaît aucun maître, n’est soumis à aucune tyrannie, ne compte que sur sa propre force, embrassela cause de son frère. » (Annie Besant, “Evangiles de l’Athéisme”).

Annie Besant devient Socialiste Fabienne, amie de G. B. Shawet de W. Morris, positiviste et darwinienne. Même si elle est proched’Edward B. Avelin et soutient la Social Democratic Federation deHyndman (1888) et participe en 1889 au Congrès Marxiste de Paris (quiprépare la 2ème Internationale), la « Jeanne d’Arc du prolétariat » préfèrel’éducation, la conscientisation et l’organisation à la lutte des classes.Avec W. Stead, elle fonde le journal The Link et la Ligue pour la défensede la loi et de la liberté (LLL). Elle contribue aux grèves et aux luttesouvrières de l’époque, assiste au Congrès International des Syndicats àLondres (1888) et participe activement à l’organisation du mondeouvrier en syndicats : celui des allumettières de Bryant et May (1888),celui des dockers de Londres (1889), celui des horlogers, des ouvriers

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10 A. Buisine, p. 8.11 Rappelons-en l’histoire : ils initient Maria Deraismes (14 janvier 1882), quittent la GLSEqui a déclaré l’initiation irrégulière, puis la réintègrent quelques mois plus tard en acceptantla condition imposée, laissant M. Deraismes – et les femmes – exclue du monde maçonniquependant onze ans, en attendant la naissance du Droit Humain. Entre-temps, Georges Martin,président de la Jérusalem Ecossaise, qui travaille pour faire changer les mentalités, inviteM. Deraismes à la conférence qu’il organise sur l’admission des femmes (1890). Face à l’op-position persistante de la GLSE, en 1893, il propose à M. Deraismes de fonder ensemble unenouvelle obédience mixte. Le 14 mars 1893, M. Deraismes initie 13 femmes. Le 4 avril1893, M. Deraismes et G. Martin créent la première loge mixte sous l’appellation de GrandeLoge Symbolique Ecossaise de France le Droit Humain. En 1899, cinq ans après la mort deM. Deraismes, le DH deviendra la première obédience mixte française et, en 1901, G. Martin créera le Suprême Conseil Universel Mixte le Droit Humain, marquant la naissancede l’Ordre Maçonnique Mixte International le Droit Humain.12 “The Political Status of Women” (30 août 1874).13 On sait qu’elle s’y était inscrite avec Bradlaugh.14 In Maria Deraismes, p. 80.15 Ma traduction d’après “Gospels of Atheism”, 1876, in Autogiography, p. 158.

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du gaz, des ouvriers des tramways – syndicats qui sont à l’origine del’Independent Labour Party.16 Depuis 1888, Annie Besant est aussimembre du London School Board, où elle œuvre en faveur de la scolaritélaïque, gratuite et obligatoire et de la gratuité de la cantine.

33.. AANNNNIIEE BBEESSAANNTT,, LLAA TTHHÉÉOOSSOOPPHHEE,, LL’’HHIINNDDOOUUIISSTTEE

En 1899, à 52 ans, sa rencontre avec Helena PetrovnaBlavatsky et la découverte de la théosophie17 ouvre une phase nouvelle.Elle adhère très vite à la Société Théosophique, et se délie d’engage-ments incompatibles avec les principes théosophiques. Cette conversionest une rupture qui la conduit à renier son néo-malthusianisme18, àdémissionner de la Fabian Society à la demande d’Helena Blavatski et àrenoncer au London School Board (1891).

Mais son idéal – la fraternité universelle – demeure inchangé :pour transformer la société, il faut trouver une énergie nouvelle et acquérirune meilleure connaissance de l’homme et de soi que ne permet pasl’approche matérialiste de la science, y compris la psychologie qui lapassionne.

Annie Besant publie de multiples ouvrages théosophiques,qu’elle co-signe parfois avec Leadbeater, et effectue nombre de voyages,partageant son temps entre l’Angleterre et l’Inde. C’est à son contact queGandhi prend conscience de la valeur de l’hindouisme ; le livre d’AnnieBesant (Comment je suis devenue Théosophe) le convertit à la théosophie,mais il n’adhère pas à la Société Théosophique ; c’est Annie Besant quilui confère le titre de Mahatma.

Avec C. W. Leadbeater, elle adopte Krishnamurti et son frèreNytia, afin de le préparer à ce qu’elle pense être sa mission de WorldTeacher (guide mondial) pour la nouvelle race d’hommes à venir. Puis,en juillet 1911, le pasteur Besant crée The Order of the Star in the East(OSE) dont il est le guide.19

44.. AANNNNIIEE BBEESSAANNTT EETT LLAA FFRRAANNCC--MMAAÇÇOONNNNEERRIIEE

Dès 1893, Maria Deraismes avait invité Annie Besant àrejoindre la Franc-maçonnerie. Mais ce n’est qu’en 1902 qu’elle se décideà y entrer ; ses amis en Inde, Georges et Francesca Arundale, lui en ont parlé.Francesca (sœur aînée de Maria Martin), théosophe et franc-maçonne,

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16 « Pour être représentés au Parlement, ces syndicats fondèrent l’Independent Labour Partyqui devint le Labour Party, lequel fit une forte percée aux élections de 1906. » A. Buisine.17 A travers The Secret Doctrine, dont W. Stead lui a demandé un compte-rendu de lecturepour The National Reformer.18 Annie Besant, The Law of Population : its Consequences, and its Bearing upon HumanConduct and Morals. (by instalments) in The National Reformer, 1877. 19 En 1925, Krishnamurti renonce au rôle de World Teacher qui lui était assigné : « Truth isa pathless land. » Trois ans plus tard, l’annonce (1928) de l’arrivée de la WorldMother (Rukmini Devi, épouse de George Arundale le neveu de Francesca Arundale) provoqueune crise similaire au sein de la Société Théosophique. L’année suivante, en 1929,Krishnamurti dissout l’Order of the Star in the East.


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première femme britannique initiée au Droit Humain en France, lui a parlé de l’égalité hommes-femmes au DH. Pour Annie Besant, séduite par une communauté de valeurs et d’idéaux, la maçonneriemixte, en brisant les barrières liées au sexe, montre la voie du progrèsde l’humanité vers la fraternité universelle.20 Annie Besant est en outrefrappée par la tolérance des fondateurs et leur ouverture à une quête de la vérité qui ne souffre ni des limites de la religion ni de celles de l’athéisme.

Elle se rend à Paris avec F. Arundale et cinq autres théosophespour se faire initier au DH.21 Mais c’est à Londres – terrain plus favorableque la France à l’installation d’une co-masonry non athée22 – qu’ellecrée, dès son retour, la première loge maçonnique mixte en Grande-Bretagne.23 Le 26 septembre 1902, en présence de Georges Martin et desa femme, a lieu l’inauguration à Londres, dans la salle de conférencesde la Société Théosophique, de cet atelier, la loge n° 6 Human Duty del’Ordre Mixte le Droit Humain.24

C’est la première loge maçonnique mixte en Grande-Bretagne ;elle est placée sous la juridiction du Suprême Conseil de Paris. Annie Besant

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20 provoque une crise similaire au sein de la Société Théosophique. L’année suivante, en1929, Krishnamurti dissout l’Order of the Star in the East.20 « A brotherhood which shall know no distinctions of race, sex or colour or creed. » Discoursd’Annie Besant (1925). Cité par A. Prescott, p. 24, d’après Jeanne Heaslewood, « The NewOrder ». Paper at the First International Conference of the Centre for Research intoFreemasonry, July 2002. Copy in the Library and Museum of Freemasonry, London. « … co-masonry … came into the position of being a possible instrument for helping in the evolutionof mankind into the really Universal Brotherhood it proclaims. »21 Annie Besant, F. Arundale, George Arundale, Ursula Bright et sa fille Esther Bright, Col. EtMme Lauder.22 A. Prescott, p. 20 et n. 85.23 Voir J. Decoen, p. 43. 24 A. Prescott, p. 20.

Georges Martin


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en est la présidente.25 La loge utilise une traduction, par Francesca etGeorge Arundale, du rite utilisé par le DH français. « En très peu detemps, d’autres seront créées : 3 à Londres, 3 au sud de l’Angleterre, 3 au nord et au nord-ouest, 1 en Ecosse. »26

Longtemps connue comme « une athée intégriste »27, AnnieBesant impose pourtant à la Fédération britannique certains élémentsmal perçus en France par les athées. Rappelons que, du point de vuebritannique, laïcité (séparation de l’Eglise et de l’Etat : secularism) n’estpas athéisme.28

La période 1903-1905 est celle de l’extension internationaledu Droit Humain, largement due à Annie Besant. A partir de 1904, elleétablit le DH en Hollande, en Italie, en Ecosse, en Amérique du Sud, enAustralie, au Canada, en Nouvelle-Zélande. Les loges du monde anglo-phone sont unies sous le nom de Fédération Britannique29. En 1905, à58 ans, Annie Besant est membre du Suprême Conseil. Prescott soulignesa position dominante30 et son influence. Charge à laquelle s’ajoute, en1907, à la mort d’Olcott, la présidence de la Société Théosophique Inter-nationale, ce qui fait d’elle l’une des femmes les plus influentes du monde.

Son influence s’étend au-delà de la Fédération britannique,jusqu’en Inde, où elle développe la franc-maçonnerie mixte. Le 17 avril1909, elle pose à Adyar la première pierre d’un grand temple « quideviendra le Centre du Droit Humain dans l’Inde. »31 La cérémonie sedéroule avec faste sous l’égide d’Annie Besant, de Francesca et GeorgesArundale. D’autres loges sont créées à Adyar, au Sri Lanka et enBirmanie. L’action internationale d’Annie Besant favorise le développementdu DH ; elle déploie ses efforts en Hollande, où les loges deviendront lepoint de départ de la Fédération « hollandaise » qui englobe en 1932,outre la Hollande, la Tchécoslovaquie, l’Allemagne, l’Autriche et laYougoslavie (Prat, 65). Même constat en Finlande.

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Ainsi que le démontre A. Prescott, Annie Besant est à l’originede l’article 45 de la Constitution Internationale de l’Ordre MaçonniqueMixte International le Droit Humain. Connu comme « the Besantconcord » (« l’accord Besant »), cet article garantit l’autonomie relativedes fédérations dans le respect des règles, de l’intérêt et des principesfixés par la Constitution,32 et permet à Annie Besant d’imprimer sonorientation à la Fédération britannique. Certains de ses choix constitueront

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25 A. Buisine, p.826 J. Decoen, p. 43.27 « An Atheist Bible smasher », A. Prescott, p. 24.28 Annie Besant défendra en 1905 la loi sur la laïcité en Europe. 29 J. Decoen, p. 44. Voir aussi M. Grosjean, pp. 140-41.30 « She served on the Supreme Council for over thirty years. » A. Prescott, p. 13.31 M. Grosjean, p. 145.32 Constitution promulguée au Convent international de 1920, modifiée par les Convents de1927, 1934, 1947, 1961, 1969, 1976, 1983, 1990, 1997, 2002 et 2007.


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des points de divergences entre la fédération française et la fédérationbritannique. C’est le cas de la croyance en un être suprême, qu’AnnieBesant impose aux membres du DH britannique.33 Il ne s’agit pas là d’unDieu anthropomorphe, mais d’une divinité confondue avec la Nature, ensomme notre GADLU.34

Dans une lettre de 1923, elle présente cette croyance commeune nécessité stratégique pour lutter contre les préjugés desBritanniques envers la Franc-maçonnerie : préjugés défavorables, dusselon elle à l’athéisme militant de nombreux francs-maçons français.Annie Besant fait donc de la croyance en l’être suprême un marqueurd’identité pour le DH britannique mais n’en affirme pas moins ferme-ment son caractère adogmatique : « L’obédience ne peut pas et ne doitpas imposer des convictions personnelles qui ne sont pas partagées parl’ensemble de ses membres. »35

Mais ce qui, pour Annie Besant, est une synthèse légitimée parl’article 45, est pour d’autres, maçons ou théosophes (comme Olcott),une confusion troublante voire inacceptable. Des controverses éclatententre la fédération britannique (dirigée par Mabel Besant-Scott depuis1921)36 et le Suprême Conseil de Paris, puis des scissions tant au seinde la Société Théosophique qu’au DH.

Le DH connaît, même en Grande-Bretagne, des tensions enréaction contre le pouvoir des théosophes. Ainsi, en 1908, William Cobbfait sécession et crée The Honourable Fraternity of Antient Masonry37

« afin de pratiquer dans des loges mixtes une franc-maçonnerie utilisantles mêmes rituels que la Grande Loge Unie. »38 L’espoir d’une recon-naissance d’une franc-maçonnerie mixte par la Grande Loge d’Angleterreest cependant déçu.39 Même chose pour la nouvelle HonourableFraternity of Ancient Freemasons (mixte) qui en est issue en 1913.

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33 « Besant insisted that English speaking co-masons should be required to believe in asupreme being. » A. Prescott, p. 25.34 « The Deity becomes identified with nature, co-extensive with the universe, but the God ofthe orthodox no longer exists.” Annie Besant, On the Nature and Existence of God, 1874.35 Regarding the regulation of the International Order of Co-Freemasonry, the SupremeCouncil is the guardian of the Constitution and as such respects the beliefs of all the mem-bers of the Obedience. No limit is put to the search for the Truth but of course, the greatestfreedom cannot serve the peculiar interests of a member to the detriment of The Order. Theobedience neither may nor must insist on its own convictions which are not shared by all itsmembers ». http://www.droit-humain.org/uk/html/besant.html36 En 1921, Mabel Besant-Scott devient Grand Secretary de la Juridiction britannique. A.Prescott, p. 13.37 Il deviendra plus tard l’OWF (Order of Women’s Freemasonry) « par extinction du recrute-ment masculin » (Buisine).38 Ann Pilcher-Dayton, « Women Freemasons in England 1908-1935 », ColloqueInternational “Les Femmes et la Franc-Maçonnerie”. U. de Bordeaux 3, 17-19 juin 2010.Recueil de textes à circulation restreinte, C. Révauger (éd.), p. 1. « Dr William Cobb led abreakaway group of men and women to form the Honourable Fraternity of Antient Masonry,later the Order of Women’s Freemasonry (“OWF”, 1964). » Diane Clements, « Its membersare of all sorts … », Colloque International “Les Femmes et la Franc-Maçonnerie”, ibid. 39 Voir A. Buisine.


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D’où une évolution vers des obédiences masculines ou fémi-nines séparées. La seule obédience mixte qui subsiste en Grande-Bretagne après la première guerre mondiale est celle du Droit Humain,héritier d’Annie Besant : « Within twenty years or so membership of thetwo breakaway Grand Lodges had become restricted to women, leavingonly Besant’s Order of Co-Freemasonry as mixed. »40

Mais, en 1925, la Fédération britannique éclate une nouvellefois et donne naissance à The Order of Free and Accepted Masonry forMen and Women.41 Entre les deux guerres, la fédération britannique sera denouveau éprouvée par « les interférences fâcheuses » entre la maçonneriemixte internationale et la Théosophie.42 Mabel Besant-Scott démissionnede l’Ordre et rejoint les Rose-Croix (florissants après la deuxième guerre mondiale).

En France, en 1926, le Suprême Conseil sépare clairementDroit Humain et Théosophie, avec l’appui d’Annie Besant. Une circulairedu Grand Maître Eugène Piron (25 avril 1926) rappelle les caractères duDH, « obédience mixte et internationale régie par la Constitution inter-nationale de 1920 », placée sous l’autorité du Suprême Conseil et de luiseul. E. Piron ajoute : « Il est bien entendu que la liberté ne doit pasavoir pour conséquence une absorption de l’activité générale de l’Ordreau profit d’un idéal particulier. »43

Le 27 décembre 1926, une autre circulaire rédigée en com-mun par le Conseil National de la Fédération française et le SuprêmeConseil « déclare fausses les affirmations relatives aux rapports entrenotre obédience et la Théosophie. »44 Les membres du DH sont incités àfaire connaître les valeurs de l’obédience afin de lever les ambiguïtés quipourraient subsister dans l’opinion. Le rapport moral de 1926 indique :« Respectueux de toutes les croyances, le Conseil National tient à ce quetoutes les croyances soient respectées, mais il veille également àdéfendre la Fédération contre toute orientation particulière quelle qu’ellesoit. »45 Le rapport moral de 1927 rappelle « l’indépendance absolue del’obédience à l’égard de toute orientation particulière ».46

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L’influence de la théosophie et l’interprétation de l’article 45sera durable : une crise récente a éclaté au sein de la Fédération

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40 Diane Clements, p. 1.41 Voir A. Buisine.42 Cahiers de la Commission de l’Histoire, n° 4, février 2001, p. 77.43 A. Prat, “Droit Humain et Théosophie”, p. 57.44 Ibid.45 C. Loubatière, « Le travail maçonnique dans les loges de la Fédération Française du DroitHumain entre 1922 et 1938 », Cahiers de la Commission de l’Histoire, Paris, APFDH, n° 2,janvier 2000, p. 19.46 Ibid.


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britannique du Droit Humain, comme l’évoque A. Prescott47 : départ en2000 de l’une des plus vieilles loges de Grande-Bretagne ; naissanced’un nouvel ordre (The Order of Freemasonry for Men and Women) enfévrier 2001 ; création d’un nouvel ordre (The Eastern Order ofInternational Co-Freemasonry) en 2002 à Adyar qui se réclame d’AnnieBesant, tout comme la Fédération britannique Le Droit Humain, quidemeure toutefois « numériquement la plus importante des deux et seconsidère comme l’héritière maçonnique légitime de Besant ».48

« Le feu de la destinée purifie ou dévore chacun selon sa naturepropre » (G. Meyrink, L’ange à la fenêtre d’occident). On peut dire quecelle d’Annie Besant fut l’opposée de celle de Maria Deraismes. Sa natureimpérieuse, audacieuse et visionnaire lui a permis de voir l’aboutissementde son action politique, sociale, spirituelle, contrairement à MariaDeraismes, qui a « passé sa vie à préparer les réformes accomplies aprèssa mort ».

49Son héritage spirituel est omniprésent, de la culture New Age

à la littérature et au cinéma (fantasy, science fiction) et à l’éducation(notamment le Collège Philosophique de Bénarès, fondé en 1899). Sesactions en faveur des enfants, notamment des filles (ouverture d’écoles,de maternités et de crèches, formation d’associations, lutte contre lemariage des enfants, scoutisme), ont porté leurs fruits.

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Mais sa part d’ombre, qu’elle appelait lumière50, et la paixqu’elle pensait avoir trouvée au sein de la Société Théosophique, provo-

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47 A. Prescott, pp. 25-6.48 A. Prescott, p. 25. Ma traduction.49 Maria Deraismes, p. 74.50 « One soul that went out alone into the darkness and on the other side found light, thatstruggled through the Storm and on the other side found Peace ». Annie Besant,Autobiography, p. 6.

Funérailles d’Annie Besant à Adyard, Inde, 21 septembre 1933


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quèrent des crises majeures qui lui valurent d’assister à des scissions età des recompositions au sein des organisations qu’elle avait elle-mêmefondées (Société Théosophique, Fédération britannique le Droit Humain,et Order of the Star in the East en 1925, 1926, 1929). Elle ne s’enremit pas. Elle meurt en Inde le 20 septembre 1933, à 86 ans. Commele veut la coutume indienne, elle y est incinérée ; la cérémonie estmaçonnique ; sur sa poitrine on peut voir le sceau de la SociétéThéosophique.51

Après Besant, l’élément occulte a disparu de la gouvernance etdes valeurs fondamentales, tant au Droit Humain qu’à la SociétéThéosophique, au profit de la liberté individuelle et de la raison : tousles chemins peuvent mener à la vérité, pourvu qu’ils soient parcourus entoute liberté et en pleine conscience. « La vérité est une contrée sanschemin » (J. Krishnamurti).

�� SOPHIE GEOFFROY

51 A. Prescott, p. 10.

Annie Besant et Gandhi


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annie besant l'emancipatrice : une pensee libre pour un

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