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A/CN.4/SER.A/1973/Add.l ANNUAIRE DE LA COMMISSION DU DROIT INTERNATIONAL 1973 Volume II Documents de la vingt-cinquième session y compris le rapport de la Commission à l'Assemblée générale NATIONS UNIES

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A/CN.4/SER.A/1973/Add.l

ANNUAIREDE LA

COMMISSIONDU DROIT

INTERNATIONAL

1973Volume II

Documents de la vingt-cinquième sessiony compris le rapport de la Commission

à l'Assemblée générale

N A T I O N S U N I E S

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ANNUAIREDE LA

COMMISSIONDU DROIT

INTERNATIONAL

1973Volume II

Documents de la vingt-cinquième sessiony compris le rapport de la Commission

à l'Assemblée générale

NATIONS UNIES

New York, 1975

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NOTE

Les cotes des documents de l'Organisation des Nations Unies se composent delettres majuscules et de chiffres. La mention dans un texte d'une cote ainsi composéesignifie qu'il s'agit d'un document de l'Organisation.

L'expression Annuaire (suivie de points de suspension et de l'année: Annuaire...1970) s'entend de VAnnuaire de la Commission du droit international.

A/CN.4/SER.A/1973/Add.l

PUBLICATION DES NATIONS UNIES

Numéro de vente: F.74.V.5

Prix: 10 dollars des Etats-Unis(ou l'équivalent en monnaie du pays)

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TABLE DES MATIÈRES

Pages

Nomination à des sièges devenus vacants (point 1 de l'ordre du jour)

Document A/CN.4/268. — Note du Secrétariat 1

Succession d'Etats dans les matières autres que les traités (point 3 de Tordre du jour)

Document A/CN.4/267. — Sixième rapport sur la succession dans les matières autresque les traités, par M. Mohammed Bedjaoui, rapporteur spécial. — Projet d'articlessur la succession aux biens publics, accompagné de commentaires 3

Question des traités conclus entre Etats et organisations internationales ou entre deux ouplusieurs organisations internationales (point 4 de l'ordre du jour)

Document A/CN.4/271. — Deuxième rapport sur la question des traités conclus entreEtats et organisations internationales ou entre deux ou plusieurs organisations inter-nationales, par M. Paul Reuter, rapporteur spécial 73

Priorité à donner à la question du droit relatif aux utilisations des voies d'eau internationalesà des fins autres que la navigation (paragraphe 5 de la section I des résolutions 2780[XXVI] et 2926 [XXVII] de l'Assemblée générale) (point 5 b de l'ordre du jour)

Document A/CN.4/270. — Rapport supplémentaire sur les problèmes juridiques que posentles utilisations des voies d'eau internationales à des fins autres que la navigation,demandé par l'Assemblée générale dans sa résolution 2669 (XXV): rapport sur l'étatd'avancement des travaux, présenté par le Secrétaire général en application de larésolution 2926 (XXVII) de l'Assemblée générale 93

Clause de la nation la plus favorisée (point 6 de l'ordre du jour)

Document A/CN.4/266. — Quatrième rapport sur la clause de la nation la plus favorisée,par M. Endre Ustor, rapporteur spécial. — Projet d'articles [articles 6 à 8], accom-pagné de commentaires (suite) 95

Document A/CN.4/269. — Sommaire de la jurisprudence des tribunaux nationaux ence qui concerne la clause de la nation la plus favorisée: document préparé par leSecrétariat 116

Coopération avec d'autres organismes (point 8 de l'ordre du jour)

Document A/CN.4/272. — Rapport sur les travaux de la quatorzième session du Comitéjuridique consultatif africano-asiatique, par M. Abdul Hakim Tabibi, observateurde la Commission 157

Rapport de la Commission à l'Assemblée générale

Document A/9010/Rev.l. — Rapport de la Commission du droit international sur les

travaux de sa vingt-cinquième session (7 mai-13 juillet 1973) 163

Répertoire des documents mentionnés dans le présent volume 241

Répertoire des documents de la vingt-cinquième session non reproduits dans le présentvolume 243

1H

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NOMINATION À DES SIÈGES DEVENUS VACANTS

[Point 1 de Tordre du jour]

DOCUMENT A/CN.4/268

Note du Secrétariat

[Texte original en anglais][29 mars 1973]

1. A la suite du décès, survenu le 14 mars 1973, de M. Gonzalo Alcivar et del'élection, le 30 octobre 1972, de M. Nagendra Singh, de M. José Maria Ruda et desir Humphrey Waldock aux fonctions de juges à la Cour internationale de Justice,quatre sièges sont devenus vacants à la Commission du droit international.

2. En pareil cas, l'article 11 du statut de la Commission s'applique. Cet articledispose:

En cas de vacance survenant après élection, la Commission pourvoit elle-même au siège vacant,en tenant compte des dispositions contenues dans les articles 2 et 8 ci-dessus.

L'article 2 est ainsi conçu:1. La Commission se compose de vingt-cinq membres, possédant une compétence reconnue

en matière de droit international.2. Elle ne peut comprendre plus d'un ressortissant d'un même Etat.3. En cas de double nationalité, un candidat sera considéré comme ayant la nationalité du

pays dans lequel il exerce ordinairement ses droits civils et politiques.

L'article 8 stipule:A l'élection, les électeurs auront en vue que les personnes appelées à faire partie de la Com-

mission réunissent individuellement les conditions requises, et que, dans l'ensemble, la représen-tation des grandes formes de civilisation et des principaux systèmes juridiques du monde soit assurée.

3. Le mandat des membres qui seront élus par la Commission expirera à la finde 1976.

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SUCCESSION D'ÉTATS DANS LES MATIÈRES AUTRES QUE LES TRAITÉS

[Point 3 de l'ordre du jour]

DOCUMENT A/CN.4/267

Sixième rapport sur la succession dans les matières autres que les traités,par M. Mohammed Bedjaoui, rapporteur spécial

Projet d'articles sur la succession aux biens publics, accompagné de commentaires

[Texte original en français][20 mars 1973]

TABLE DES MATIÈRESPages

Liste des abréviations 8

Note explicative: italique dans les citations 8

Paragraphes

Première partie. — Dispositions préliminaires relatives à la succession d'Etats dans les matières autresque les traités 1-2 9

Article premier. — Portée des présents articles 9Article 2. — Cas de succession d'Etats visés par les présents articles 9Article 3. — Expressions employées 9

Deuxième partie. — Projet d'articles sur la succession aux biens publics 3-4 9

I. DISPOSITIONS PRÉLIMINAIRES

Article 4. — Domaine d'application des présents articles 9Article 5. — Définition et détermination des biens publics 9

II. DISPOSITIONS GÉNÉRALES

Article 6. — Transfert des biens publics tels quels 9Article 7. — Date du transfert des biens publics 9Article 8. — Sort général des biens publics selon leur appartenance 9

III. DISPOSITIONS COMMUNES À TOUS LES TYPES DE SUCCESSION D'ETATS

Article 9. — Principe général de transfert de l'ensemble des biens d'Etat 9Article 10. — Droits de puissance concédante 9Article 11. — Succession aux créances publiques 9

IV. DISPOSITIONS PARTICULIÈRES À CHAQUE TYPE DE SUCCESSION D'ETATS

Section 1. — Transfert partiel de territoireArticle 12. — Monnaie et privilège d'émission 10Article 13. — Fonds publics et Trésor 10Article 14. — Archives et bibliothèques publiques 10Article 15. — Biens situés hors du territoire transféré 10

Section 2. — Etats nouvellement indépendantsArticle 16. — Monnaie et privilège d'émission 10Article 17. — Fonds publics et Trésor 10Article 18. — Archives et bibliothèques publiques 10Article 19. — Biens situés hors du territoire de l'Etat nouvellement indépendant 10

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Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

Pages

Section 3. — Unification d'Etats et dissolution d'unions

Article 20. — Monnaie et privilège d'émission 10Article 21. — Fonds publics et Trésor 11Article 22. — Archives et bibliothèques publiques 11Article 23. — Biens situés hors du territoire de l'union 11

Section 4. — Disparition d'Etat par partage ou absorption

Article 24. — Monnaie et privilège d'émission 11Article 25. — Fonds publics et Trésor 11Article 26. — Archives et bibliothèques publiques 11Article 27. — Biens situés hors du territoire absorbé ou partagé 11

Section 5. — Sécession ou séparation d'une ou de plusieurs parties d'un ou de plusieurs Etats

Article 28. — Monnaie et privilège d'émission 11Article 29. — Fonds publics et Trésor 11Article 30. — Archives et bibliothèques publiques 11Article 31. — Biens situés hors du territoire détaché 11

V. DISPOSITIONS SPÉCIALES AUX ÉTABLISSEMENTS PUBLICS

Article 32. — Définition des établissements publics 11Article 33. — Etablissements publics du territoire transféré 11Article 34. — Biens d'Etat dans les établissements publics 12Article 35. — Cas de plusieurs Etats successeurs 12

VI. DISPOSITIONS RELATIVES AUX COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

Article 36. — Définition des collectivités territoriales 12Article 37. — Biens publics propres aux collectivités territoriales 12Article 38. — Biens d'Etat dans les collectivités territoriales 12Article 39. — Collectivités territoriales scindées 12

VII. BIENS DES FONDATIONS

Article 40. — Biens des fondations 12

Troisième partie. — Commentaires sur les dispositions préliminaires relatives à la succession d'Etats dans les matièresautres que les traités 12

Article premier. — Portée des présents articles 12Commentaire 12

Article 2. — Cas de succession d'Etats visés par les présents articles 13Commentaire 13

Article 3. — Expressions employées 14Commentaire 14

A. Définition de la succession d'Etats 14B. Définition des expressions « Etat prédécesseur » et « Etat successeur » 15C. Autres expressions employées 15

Paragraphes

Quatrième partie. — Projet d'articles sur la succession aux biens publics et commentaires 5-51 15

INTRODUCTION 5-15 15

I. DISPOSITIONS PRÉLIMINAIRES 17

Article 4.— Domaine d'application des présents articles 17Commentaire 17

Article 5. — Définition et détermination des biens publics 17Commentaire 17

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Succession d'Etats dans les matières autres que les traités

Pages

A. Biens publics 17

B. Droits et intérêts 18

C. Réclamations et droits non encore liquidés 18

Paragraphes

II. DISPOSITIONS GÉNÉRALES 16-19 19

Article 6.— Transfert des biens publics tels quels 19

Commentaire 19

Article 7. — Date du transfert des biens publics 19

Commentaire 19

Article 8. — Sort général des biens publics selon leur appartenance 20

Commentaire 20

III. DISPOSITIONS COMMUNES À TOUS LES TYPES DE SUCCESSION D'ETATS 22

Article 9. — Principe général de transfert de l'ensemble des biens d'Etat 22

Commentaire 22

Article 10. — Droits de puissance concédante 24

Commentaire 24

A. Définition de la « concession » 241. La concession est un acte émanant de l'autorité publique 242. La concession est un acte autorisant la gestion d'un service public ou l'ex-

ploitation d'une ressource naturelle 25

3. Leconcessionnaireestunepersonneouuneentrepriseprivée,oumêmeparfoisunEtat 25

B. Les « droits de la puissance concédante » et leur nature juridique 26

C. Les obligations en matière de concessions, problème à réserver 27

Article 11. — Succession aux créances publiques 27

Commentaire 27

A. Introduction 27

B. Droits patrimoniaux «juridiquement déterminés» 28

C. Observations sur l'article 11 29

IV. DISPOSITIONS PARTICULIÈRES À CHAQUE TYPE DE SUCCESSION D'ETATS 20-51 29

Introduction. — Typologie retenue 20-51 29

A. Succession sans création ni disparition d'Etat (cas du transfert partiel de territoire) 31-32 31

B. Succession par création d'Etat, mais sans disparition du prédécesseur (cas des Etatsnouvellement indépendants) 33-38 31

C. Succession par création d'Etat et disparition du ou des prédécesseurs (cas d'unifica-tion d'Etats, de dissolution d'unions, de fusion et de création d'Etats dits «composés») 39-43 32

D. Succession sans création d'Etat, mais avec disparition du prédécesseur 44-48 33

E. Cas particulier de la séparation d'une partie d'un Etat (sécession) 49-51 33

Section 1. — Transfert partiel de territoire

Article 12. — Monnaie et privilège d'émission 33

Commentaire 34

A. Introduction 34

B. Privilège d'émission 34

C. Monnaie 35

D. Cas de transferts partiels de territoire à différents Etats successeurs préexistants 35

Article 13. — Trésor et fonds publics 35

Commentaire 36

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Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

Pages

A. Fonds publics 361. Fonds publics d'Etat 362. Fonds propres au territoire transféré 36

B. Trésor 36

Article 14. —Archives et bibliothèques publiques 37

Commentaire 37

A. Définition des pièces concernées par le transfert 37

B. Principe du transfert des archives à l'Etat successeur 371. Archives de toute nature 372. Archives, moyens de preuve 383. Archives, moyens d'administration 38

C. Le lien archives-territoire 38

D. Archives situées hors du territoire 391. Archives emportées 392. Archives constituées hors du territoire 41

E. Problème de la « propriété » des archives 41

F. Obligations particulières de l'Etat successeur 41

G. Délais de remise des archives 42

H. Transfert et restitution gratuits 42

Article 15. — Biens situés hors du territoire transféré 42

Commentaire 42

A. Introduction 42

B. Biens propres au territoire transféré et situés hors de celui-ci 431. Biens propres au territoire et situés dans l'Etat prédécesseur 43

Immutabilité de la propriété de ces biens 44Modification du régime juridique de ces biens 44

2. Biens propres au territoire transféré et situés dans un Etat tiers 44

C. Biens de l'Etat prédécesseur situés hors du territoire conservé par lui 44

Section 2. — Etats nouvellement indépendants

Article 16. — Monnaie et privilège d'émission 44

Commentaire 44

Article 17. — Fonds publics et Trésor 46

Commentaire 46

A. Fonds publics 461. Fonds propres au territoire 462. Fonds d'Etat 47

B. Trésor 47

Article 18. — Archives et bibliothèques publiques 47

Commentaire 47

A. Le lien archives-territoire 47

B. Archives situées hors du territoire devenu indépendant 48

1. Archives emportées 482. Archives constituées hors du territoire 49

C. Obligations particulières de l'Etat nouvellement indépendant 49

Article 19. — Biens situés hors du territoire de l'Etat nouvellement indépendant 49

Commentaire 49

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Succession d'Etats dans les matières autres que les traités

Pages

A. Biens propres au territoire devenu indépendant 491. Biens situés dans l'ancienne métropole 492. Biens situés dans un Etat tiers 50

B. Biens appartenant à l'Etat prédécesseur et situés dans un Etat tiers 51

Section 3. — Unification d'Etats et dissolution d'unions

Article 20. — Monnaie et privilège d'émission 51

Commentaire 51

Article 21. — Fonds publics et Trésor 52

Commentaire 52

Article 22. — Archives et bibliothèques publiques 52Commentaire 52

Article 23. — Biens situés hors du territoire de l'union 53

Commentaire 53

Section 4. — Disparition d'Etat par partage ou absorption

Article 24. — Monnaie et privilège d'émission 54

Commentaire 54

Article 25. — Fonds publics et Trésor 54

Commentaire 54

Article 26. — Archives et bibliothèques publiques 54

Commentaire 55

Article 27. — Biens situés hors du territoire absorbé ou partagé 55

Commentaire 55

Section 5. — Sécession ou séparation d'une ou de plusieurs parties d'un ou de plusieurs Etats

Article 28. — Monnaie et privilège d'émission 56

Commentaire 56

Article 29. — Fonds publics et Trésor 57

Commentaire 57

Article 30. — Archives et bibliothèques publiques 57Commentaire 57

Article 31. — Biens situés hors du territoire détaché 57

Commentaire 58

V. DISPOSITIONS SPÉCIALES AUX ÉTABLISSEMENTS PUBLICS 59

Article 32. — Définition des établissements publics 59

Commentaire 59

A. L'établissement public gère un service public 59

B. L'établissement public peut entreprendre une activité économique 59

C. Etablissement d'utilité publique ou d'intérêt général 59

D. Caractère public ou d'utilité publique 591. Lien avec la population 602. Lien avec l'économie du territoire 60

E. Critères de définition 601. Sentence arbitrale relative à l'interprétation de l'article 260 du Traité de Versailles 602. Décision du Tribunal des Nations Unies en Libye 603. Décision de la CPJI dans une affaire d'établissement public universitaire hongrois 61

F. Détermination conventionnelle 61

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Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

Pages

Article 33. — Etablissements publics du territoire transféré 61Commentaire 61

Article 34. — Biens d'Etat dans les établissements publics 62Commentaire 62

A. Succession automatique et intégrale 62B. Succession limitée aux biens des établissements publics situés dans le territoire 64C. Succession moyennant rachat 64D. Usage temporaire des biens par l'Etat prédécesseur 65

Article 35. — Cas de plusieurs Etats successeurs 65Commentaire 65

VI. DISPOSITIONS RELATIVES AUX COLLECTIVITÉS TERRITORIALES 66

Article 36. — Définition des collectivités territoriales 66Commentaire 66

Article 37. — Biens publics propres aux collectivités territoriales 67Commentaire 67

Article 38. — Biens d'Etat dans les collectivités territoriales 67Commentaire 68

Article 39. — Collectivités territoriales scindées 68Commentaire 68

VIL BIENS DES FONDATIONS 69

Article 40. — Biens des fondations 69Commentaire 69

A. Situation patrimoniale inchangée 69B. Exceptions au principe 71C. Biens d'Etat dans les fondations 71D. Les biens de l'Institut musulman et de la Mosquée de Paris 72

LISTE DES ABRÉVIATIONS

CDI Commission du droit internationalCIJ Cour internationale de JusticeC.I.J. Recueil CIJ, Recueil des arrêts, avis consultatifs et ordonnancesCPJI Cour permanente de justice internationaleC.P.J.I., série A/B CPJI, Arrêts, ordonnances et avis consultatifsILA International Law AssociationONU Organisation des Nations UniesRAU République arabe unieSDN Société des Nations

NOTE EXPLICATIVE: ITALIQUE DANS LES CITATIONS

Dans le présent document, un astérisque placé dans une citation indique que le passage qui pré-cède immédiatement l'astérisque a été souligné par le Rapporteur spécial.

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Succession d'Etats dans les matières autres que les traités

Première partie

Dispositions préliminaires relatives à la succes-sion d'Etats dans les matières autres queles traités

1. Les dispositions qui suivent se rapportent à l'en-semble du domaine de la « succession d'Etats dans lesmatières autres que les traités », et doivent préluder parconséquent à l'examen de la succession d'Etats en matièrede biens publics. Elles sont nécessairement fragmentaireset seront complétées au fur et à mesure que la CDIavancera dans ses travaux dans les divers domainesconsidérés.2. Ces dispositions préliminairesVinstant les articles suivants :

comportent pour

Article premier. — Portée des présents articles

Les présents articles s'appliquent aux effets de la succession d'Etatsdans les matières autres que les traités.

Article 2. — Cas de succession d'Etats visés par les présents articles

Les présents articles s'appliquent uniquement aux effets d'unesuccession d'Etats se produisant conformément au droit international,et plus particulièrement aux principes du droit international incor-porés dans la Charte des Nations Unies.

Article 3. — Expressions employées

Aux fins des présents articles:

a) L'expression « succession d'Etats » s'entend de la substitutiond'une souveraineté à une autre dans ses effets pratiques sur les droitset obligations de chacune d'elles pour le territoire concerné par lechangement de souveraineté;

b) L'expression «Etat prédécesseur» s'entend de l'Etat auquelun autre Etat s'est substitué à l'occasion d'une succession d'Etats;

c) L'expression « Etat successeur » s'entend de l'Etat qui s'estsubstitué à un autre Etat à l'occasion d'une succession d'Etats.

Deuxième partie

Projet d'articles sur la successionaux biens publics

3. Dans ses troisième \ quatrième2 et cinquième3

rapports, le Rapporteur spécial avait préparé un projetd'articles, avec commentaires et observations, sur lasuccession d'Etats en matière de biens publics.4. Après avoir réexaminé son projet et cru nécessairede tenir compte des travaux de la Commission du droitinternational dans le domaine de la succession d'Etats enmatière de traités, il présente ci-après les articles suivants:

1 Annuaire... 1970, vol. II, p. 143, doc. A/CN.4/226.2 Annuaire... 1971, vol. II ( l r e partie), p. 167, doc. A/CN.4/247 et

Add.l.8 Annuaire... 1972, vol. II, p. 67, doc. A/CN.4/259.

I. — DISPOSITIONS PRÉLIMINAIRES

Article 4. — Domaine d'application des présents articles

Les présents articles se rapportent aux effets de la succession d'Etatsen matière de biens publics.

Article 5. — Définition et détermination des biens publics

Aux fins des présents articles, les « biens publics » désignentl'ensemble des biens, droits et intérêts qui, à la date du changementde souveraineté, ne faisaient pas l'objet, au regard de la législationde l'Etat prédécesseur, d'une appropriation privée dans le territoireaffecté par la substitution de souveraineté, ou qui sont nécessaires àl'exercice de la souveraineté de l'Etat successeur sur ce territoire.

II. — DISPOSITIONS GÉNÉRALES

Article 6. — Transfert des biens publics tels quels

1. L'Etat prédécesseur ne peut transférer un territoire qu'auxconditions auxquelles il le possède lui-même.

2. Les biens publics sont transférés, conformément aux dispositionsdes présents articles, à l'Etat successeur avec leurs caractères propreset leur condition juridique.

Article 7. — Date du transfert des biens publics

A moins qu'une souveraineté ait été restaurée et considérée commerétroagissant au jour de sa disparition, ou que la date du transfert aitété subordonnée, conventionnellement ou non, à la réalisation d'unecondition suspensive ou tout simplement à l'échéance d'un termefixe, la date de transfert des biens publics est celle à laquelle le change-ment de souveraineté

a) s'opère de jure par la ratification d'accords de dévolution, ou

b) se réalise effectivement dans les cas où il n'existe pas d'accord,ou bien où l'accord existant renvoie à cette date d'effectivité.

Article 8. — Sort général des biens publics selon leur appartenance

Toutes les conditions fixées par les présents articles étant par ailleursremplies,

a) les biens publics ou privés de l'Etat prédécesseur tombent dans lepatrimoine de l'Etat successeur;

b) les biens publics des collectivités ou organes autres qu'éta-tiques tombent dans l'ordre juridique de l'Etat successeur;

c) les biens propres au territoire affecté par le changement desouveraineté tombent dans l'ordre juridique de l'Etat successeur.

III. — DISPOSITIONS COMMUNES A TOUSLES TYPES DE SUCCESSION D'ETATS

Article 9. — Principe général de transfert de l'ensembledes biens d'Etat

Sont dévolus de plein droit et sans compensation à l'Etat successeurles biens nécessaires à l'exercice de la souveraineté sur le territoireaffecté par la succession d'Etats.

Article 10. — Droits de puissance concédante

1. Au sens du présent article, le terme « concession » désignel'acte par lequel l'Etat attribue, sur le territoire relevant de sa compé-tence nationale, à une entreprise privée ou une personne de droit

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10 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

privé ou à un autre Etat la gestion d'un service public ou l'exploitationd'une ressource naturelle.

2. Quel que soit le type de succession d'Etats, l'Etat successeur sesubstitue à l'Etat prédécesseur dans ses droits de propriété sur l'en-semble des biens publics faisant l'objet d'une concession dans leterritoire affecté par le changement de souveraineté.

3. L'existence d'accords de dévolution portant règlement dusort des concessions n'affecte pas le droit éminent de l'Etat sur lesbiens publics et les ressources naturelles de son territoire.

Article 11. — Succession aux créances publiques

1. Quel que soit le type de succession d'Etats, les créances pu-bliques propres au territoire affecté par le changement de souverainetédemeurent dans le patrimoine de ce territoire.

2. L'Etat successeur bénéficie, lorsque se réalise la mutationterritoriale, des créances publiques de toute nature redefables àl'Etat prédécesseur du fait de l'exercice de sa souveraineté ou de sonactivité dans le territoire concerné.

IV. — DISPOSITIONS PARTICULIÈRES A CHAQUE TYPEDE SUCCESSION D'ÉTATS

SECTION 1. — TRANSFERT PARTIEL DE TERRITOIRE

Article 12. — Monnaie et privilège d'émission

1. Le privilège d'émission appartient à l'Etat successeur surl'ensemble du territoire transféré.

2. La monnaie, les réserves d'or et de devises et, d'une manièregénérale, les signes monétaires de toute nature en circulation oustockés dans ledit territoire passent à l'Etat successeur.

3. Les actifs de l'institut central d'émission dans l'Etat prédé-cesseur, notamment ceux qui sont affectés à la couverture des émissionspour le territoire transféré, sont partagés en proportion du volume de lamonnaie circulant ou détenue dans le territoire considéré.

Article 13. — Fonds publics et Trésor

1. Les fonds publics de l'Etat prédécesseur, liquides ou investis,situés dans le territoire transféré tombent dans le patrimoine de l'Etatsuccesseur.

2. Quelle que soit leur localisation, les fonds publics, liquides ouinvestis, propres au territoire transféré conservent leur affectation etleur appartenance au territoire transféré.

3. Le bilan des opérations de trésorerie étant arrêté dans lesécritures publiques du territoire transféré, l'Etat successeur reçoitl'actif du Trésor et assume les charges afférentes ainsi que les déficitsbugétaires ou de trésorerie. Il subit en outre le passif dans les conditionset selon les règles relatives à la succession à la dette publique.

Article 14. — Archives et bibliothèques publiques

1. Quelle que soit leur localisation, les archives et documentspublics de toute nature se rapportant directement ou appartenant auterritoire transféré, ainsi que les bibliothèques publiques de celui-ci,suivent le territoire transféré.

2. L'Etat successeur ne refusera pas de délivrer à l'Etat prédé-cesseur ou à tout Etat tiers concerné, sur leur demande et à leurs frais,copies de ces pièces, sauf si elles touchent à sa propre sécurité ou à sasouveraineté.

Article 15. — Biens situés hors du territoire transféré

1. Sous réserve de l'application des règles relatives à la reconnais-sance, les biens publics propres au territoire transféré et situés horsde celui-ci entrent dans l'ordre juridique de l'Etat successeur.

2. La propriété des biens appartenant à l'Etat prédécesseur etsitués dans un Etat tiers est dévolue à l'Etat successeur dans la pro-portion indiquée par la contribution du territoire transféré à la créationde ces biens.

SECTION 2. — ETATS NOUVELLEMENT INDÉPENDANTS

Article 16. — Monnaie et privilège d'émission

1. Le privilège d'émission appartient au nouveau souverain surl'ensemble du territoire nouvellement indépendant.

2. La monnaie, les réserves d'or et de devises et, d'une manièregénérale, les signes monétaires de toute nature propres au territoireconcerné passent à l'Etat successeur.

3. En contrepartie, l'Etat successeur assume la charge de l'échangedes instruments monétaires anciens, avec toutes les conséquenceslégales qu'entraîne cette substitution de monnaie.

Article 17. — Fonds publics et Trésor

1. Les fonds publics, liquides ou investis, propres au territoiredevenu indépendant demeurent la propriété de celui-ci, quelle que soitleur localisation.

2. Les fonds publics de l'Etat prédécesseur, liquides ou investis,situés dans le territoire devenu indépendant tombent dans le patri-moine de ce dernier.

3. Les droits du Trésor du territoire devenu indépendant ne sontpas affectés par le changement de souveraineté, notamment vis-à-visde l'Etat prédécesseur.

4. Les obligations du Trésor du territoire devenu indépendantsont assumées par celui-ci dans les conditions et selon les règlesrelatives à la succession à la dette publique.

Article 18. — Archives et bibliothèques publiques

1. Sont transférés à l'Etat nouvellement indépendant les archives etdocuments publics de toute nature, quelle que soit leur localisation,qui se rapportent directement ou qui ont appartenu au territoiredevenu indépendant, ainsi que les bibliothèques publiques de celui-ci.

2. L'Etat nouvellement indépendant ne refusera pas de délivrerà l'Etat prédécesseur ou à tout Etat tiers concerné, sur leur demande età leurs frais, copies de ces pièces, sauf si elles touchent à sa sécuritéou à sa souveraineté.

Article 19. — Biens situés hors du territoire de l'Etatnouvellement indépendant

1. Les biens publics propres au territoire devenu indépendant etsitués hors de celui-ci demeurent sa propriété à son accession àl'indépendance.

2. Les biens publics appartenant à l'Etat prédécesseur et situésdans un Etat tiers sont répartis entre l'Etat prédécesseur et l'Etatnouvellement indépendant proportionnellement à la contribution de cedernier à leur création.

SECTION 3. — UNIFICATION D'ETATS

ET DISSOLUTION D'UNIONS

Article 20. — Monnaie et privilège d'émission

1. Le privilège d'émission appartient à l'Etat successeur surl'étendue du territoire de l'union ou de chaque Etat en cas de dissolutionde l'union.

2. En cas de dissolution de l'union, les avoirs de l'institut commund'émission sont partagés pro parte entre les Etats successeurs, quiassument en contrepartie les obligations afférentes à la substitutionde nouvelles monnaies à l'ancienne.

Page 17: Annuaires de la Commission du droit international 1973 …...Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II Pages A. Fonds publics 36 1. Fonds publics d'Etat 36 2

Succession d'Etats dans les matières autres que les traités 11

Article 21. — Fonds publics et Trésor

1. L'union reçoit en patrimoine les fonds publics et les Trésorsde chacun des Etats qui la composent, à moins que le degré d'inté-gration de ceux-ci dans l'union ou des stipulations conventionnellesne permettent la conservation par chaque Etat de tout ou partie de cesbiens.

2. En cas de dissolution de l'union, les fonds publics et le Trésor del'union sont répartis équitablement entre les Etats composant celle-ci.

Article 22. — Archives et bibliothèques publiques

1. Sauf dispositions conventionnelles contraires en vue de laconstitution d'un fonds d'archives centrales communes, les archiveset documents publics de toute nature appartenant à un Etat qui s'unità un ou plusieurs autres, ainsi que ses bibliothèques publiques,demeurent sa propriété.

2. En cas de dissolution, les archives centrales de l'union et lesbibliothèques de celle-ci sont confiées à l'Etat successeur auquel elles serapportent le plus ou réparties entre les Etats successeurs selon tousautres critères d'équité.

Article 23. — Biens situés hors du territoire de l'union

1. Les biens situés hors du territoire de l'union et appartenant auxEtats constituants deviennent, sauf stipulations conventionnellescontraires, la propriété de l'union.

2. Les biens de l'union situés hors du territoire de celle-ci sont, encas de dissolution, répartis équitablement entre les Etats successeurs.

SECTION 4. — DISPARITION D'ETAT

PAR PARTAGE OU ABSORPTION

Article 24. — Monnaie et privilège d'émission

1. Le privilège d'émission appartient à l'Etat successeur sur leterritoire absorbé ou la partie de territoire à lui revenue en partage.

2. Le ou les Etats successeurs prennent en charge les actifsde l'institut d'émission et en assument le passif proportionnellementau volume de la monnaie circulant ou détenue dans le territoireconsidéré.

Article 25. — Fonds publics et Trésor

1. L'Etat successeur reçoit l'intégralité des fonds publics et duTrésor appartenant à l'Etat absorbé, quelle que soit la localisation desavoirs considérés. Il en assume les obligations afférentes dans les limitesdes règles relatives à la succession à la dette publique.

2. En cas de partage d'un Etat entre plusieurs Etats préexistants,chacun de ceux-ci succède à une partie, conventionnellement déter-minée, des fonds publics et du Trésor.

Article 26. — Archives et bibliothèques publiques

1. La propriété des archives et documents publics de toute nature,ainsi que des bibliothèques publiques, appartenant à l'Etat absorbéest transférée à l'Etat successeur, quelle que soit la localisation de cesbiens.

2. Les archives et documents publics de toute nature, ainsi que lesbibliothèques publiques, appartenant à l'Etat partagé entre plusieursautres sont répartis entre les Etats successeurs en fonction notammentdu lien existant entre ces biens et le territoire transféré à chaque Etat.

2. En cas de démembrement total d'un Etat au bénéfice de plu-sieurs autres préexistants, les biens situés à l'extérieur de l'Etatdisparu sont partagés équitablement entre les Etats successeurs.

SECTION 5. — SÉCESSION OU SÉPARATION D'UNE OU DE PLUSIEURS

PARTIES D'UN OU DE PLUSIEURS ETATS

Article 28. — Monnaie et privilège d'émission

1. Le privilège d'émission appartient à l'Etat successeur surl'ensemble du ou des territoires détachés.

2. La monnaie, les réserves d'or et de devises et, d'une manièregénérale, les signes monétaires de toute nature propres au territoiredétaché passent à l'Etat successeur.

3. En contrepartie, l'Etat successeur assume la charge de l'échangedes instruments monétaires anciens, avec toutes les conséquenceslégales qu'entraîne cette substitution de monnaie.

Article 29. — Fonds publics et Trésor

1. Quelle que soit leur situation géographique, les fonds publicset la trésorerie propres au territoire détaché ne sont pas affectés parle changement de souveraineté.

2. La fortune d'Etat — fonds publics et avoirs de trésorerie — estrépartie entre l'Etat prédécesseur et l'Etat successeur, compte dûmenttenu des critères de viabilité de chacun des Etats.

Article 30. — Archives et bibliothèques publiques

1. Quelle que soit leur localisation, les archives et documentspublics de toute nature se rapportant directement ou appartenant àun territoire qui s'est détaché pour se constituer en un Etat distinct,ainsi que les bibliothèques publiques de celui-ci, sont transférés à cetEtat.

2. Ce dernier ne refusera pas de délivrer à l'Etat prédécesseur ou àtout Etat tiers concerné, sur leur demande et à leurs frais, copies deces pièces, sauf si elles touchent à sa propre sécurité ou à sa souve-raineté.

Article 31. — Biens situés hors du territoire détaché

1. Lorqu'un Etat se constitue par suite du détachement d'unepartie du territoire d'un ou de plusieurs Etats, la propriété des bienspublics appartenant à ce ou ces territoires constituants et situés horsdes frontières de ceux-ci n'est pas affectée par ce ou ces changementsde souveraineté.

2. Les biens publics appartenant à l'Etat prédécesseur et situésdans un Etat tiers deviennent la propriété de l'Etat successeur dans laproportion de la contribution du territoire détaché à la création de cesbiens.

V. — DISPOSITIONS SPÉCIALESAUX ÉTABLISSEMENTS PUBLICS

Article 32. —• Définition des établissements publics

Aux fins des présents articles, les « établissements publics » désignentles organismes ou entreprises ayant une activité économique ou assurantun service public et qui présentent un caractère public ou d'utilitépublique.

Article 27. — Biens situés hors du territoire absorbé ou partagé

1. Sous réserve de l'application des règles relatives à la recon-naissance, la propriété de l'ensemble des biens publics de l'Etat disparusitués hors de son territoire est dévolue à l'Etat successeur.

Article 33. — Etablissements publics du territoire transféré

Les établissements publics appartenant en totalité au territoire trans-féré ne sont pas affectés par le seul fait du changement de souve-raineté.

Page 18: Annuaires de la Commission du droit international 1973 …...Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II Pages A. Fonds publics 36 1. Fonds publics d'Etat 36 2

12 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

Article 34. — Biens d'Etat dans les établissements publics

L'Etat successeur est automatiquement et pleinement subrogé dansles droits patrimoniaux de l'Etat prédécesseur dans les établissementspublics situés sur le territoire transféré.

Article 35. — Cas de plusieurs Etats successeurs

Dans l'hypothèse de pluralité d'Etats successeurs, les droits patri-moniaux de l'Etat prédécesseur dans les établissements publics situésdans les territoires transférés sont répartis entre les Etats successeursselon les critères de localisation géographique, d'origine des biens et deviabilité desdits établissements, et moyennant, éventuellement, dessoultes et compensations.

VI. — DISPOSITIONS RELATIVESAUX COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

Article 36. — Définition des collectivités territoriales

Version A

Aux fins des présents articles, la « collectivité territoriale » s'entendde toute division administrative du territoire d'un Etat.

Version B

Aux fins des présents articles, la « collectivité territoriale » s'entendde toute division administrative du territoire d'un Etat qui, bien quecaractérisée par un territoire, une population et une autorité administra-tive propres, ne possède pas la personnalité juridique internationale.

Article 37. — Biens publics propres aux collectivités territoriales

Version A

Le changement de souveraineté laisse intégralement subsister lapropriété des biens, droits et intérêts patrimoniaux propres aux col-lectivités territoriales.

Version B

Le changement de souveraineté laisse intégralement subsister lapropriété des biens, droits et intérêts patrimoniaux propres aux collecti-vités territoriales, lesquels sont intégrés, tout comme ces collectivités, àl'ordre juridique de l'Etat successeur.

Article 38. — Biens d'Etat dans les collectivités territoriales

1. La part de l'Etat prédécesseur dans les biens, droits et intérêtsd'une collectivité territoriale est transférée ipso jure à l'Etat successeur.

2. Lorsqu'il existe deux ou plusieurs Etats successeurs, cettepart est répartie entre ceux-ci, compte dûment tenu de la viabilité de lacollectivité territoriale, de la situation géographique et de l'originedes biens, et moyennant, éventuellement, des soultes et compensations.

Article 39. — Collectivités territoriales scindées

Lorsque le changement de souveraineté a pour effet de scinder unecollectivité territoriale en deux ou plusieurs parties rattachées à deux ouplusieurs Etats successeurs, les biens, droits et intérêts patrimoniaux dela collectivité territoriale sont répartis équitablement entre ces diversesparties, compte dûment tenu des conditions de viabilité de celles-ci,de la situation géographique et de l'origine des biens, et moyennant,éventuellement, des soultes et compensations.

VII. — BIENS DES FONDATIONS

Article 40. — Biens des fondations

1. Dans les limites permises par l'ordre public de l'Etat successeur,la situation juridique des biens des fondations pieuses, charitables ouculturelles n'est pas affectée par le changement de souveraineté.

2. Lorsque l'Etat prédécesseur possédait une part dans le patri-moine d'une fondation, cette part est transférée à l'Etat successeur;en cas de pluralité d'Etats successeurs, elle est répartie équitablemententre eux.

Troisième partie

Commentaires sur les dispositions préliminairesrelatives à la succession d'Etats dans les ma-tières autres que les traités

Article premier. — Portée des présents articles

Les présents articles s'appliquent aux effets de la suc-cession d'Etats dans les matières autres que les traités.

COMMENTAIRE

1) L'article ci-dessus, réplique de celui qui fut adoptépar la Commission dans le projet sur la succession d'Etatsen matière de traités 4, permet de délimiter le sujet dansl'esprit du premier rapport du Rapporteur spécial5 etselon les instructions à lui données par la Commission à savingtième session 6.2) Le Rapporteur spécial avait en effet, on s'en souvient,prié la Commission, qui avait accédé à sa demande, demodifier la formulation de son sujet, qui visait primitive-ment « la succession d'Etats et les droits et obligationsdécoulant de sources autres que les traités ».

Dans les paragraphes 19 à 21 de son premier rapport, ilavait indiqué comment le libellé de la matière risquaitde rendre le sujet impraticable du fait que le terme« traité » ne comportait pas le même sens selon qu'ilvisait une matière successorale dans le sujet réservé àsir Humphrey Waldock, ou un instrument successoraldans le domaine imparti au second Rapporteur spécial.3) La Commission a accepté d'uniformiser la visiondes problèmes et a en conséquence défini le domaine duRapporteur spécial comme couvrant « la succession dansles matières autres que les traités ».4) II s'agit de la succession d'Etats en matière de bienspublics, dettes publiques, législation, nationalité, condi-tion des personnes, droits acquis, etc. Ces diverses matièressont couvertes par les dispositions des articles présents età venir, inspirés de la pratique, conventionnelle ou non,des Etats, aussi bien que de la jurisprudence, interne ouinternationale.

La succession d'Etats en ces matières peut avoir étéréglée par des traités conclus entre l'Etat prédécesseuret l'Etat successeur, l'accord étant ainsi envisagé icicomme un moyen ou un instrument successoral, ayant déjàpu être considéré par ailleurs comme une matière succes-sorale dans le sujet examiné par la Commission sur labase des rapports de sir Humphrey Waldock.

4 Pour le texte du projet d'articles sur la succession d'Etats enmatière de traités, voir Annuaire... 1972, vol. II, p. 248, doc.A/8710/Rev.l, chap. II, sect. C.

6 Annuaire... 1968, vol. II, p. 96, doc. A/CN.4/204.8 Ibid., p. 224 et suiv., doc. A/7209/Rev.l, par. 45 et suiv.

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Succession d'Etats dans les matières autres que les traités 13

Autrement dit, de la même manière que dans cesderniers travaux, le problème de la « succession auxtraités par traités» n'a pas été négligé; de même, onrencontrera ici la question de la « succession par traités auxbiens publics, dettes publiques, etc. ». On envisagera doncdans leur contenu matériel, et non dans leur cadre formelet instrumental, les « accords de dévolution » ou tousautres traités pertinents réglant les cas de successiond'Etats en ces diverses matières.

5) Le problème de la validité de ces instruments appa-raîtra non pas dans son principe (il l'a été dans le cadredu droit de la succession d'Etats en matière de traités),mais dans son retentissement pratique sur le sort desbiens publics, dettes publiques, etc.

6) S'agissant par ailleurs des régimes territoriaux quiont fait l'objet des articles 29 et 30 du projet sur lasuccession d'Etats en matière de traités, le Rapporteurspécial a noté avec intérêt la réaction de certains membresde la Sixième Commission durant la vingt-septième sessionde l'Assemblée générale:

Certains représentants, qui ont appuyé les articles 29 et 30, sesont demandé si la CDI avait bien résolu le problème de doctrinequi était enjeu. Ces règles devaient-elles viser les régimes de frontièreet les régimes territoriaux résultant du dispositif d'un traité, ou lasuccession en ce qui concerne le traité lui-même ? Il semblait que lesarticles 29 et 30 eussent été rédigés en prenant pour hypothèse quela question était le maintien en vigueur non pas du traité, mais desdroits et obligations dévolus à l'Etat successeur*. Or, on pouvaitse demander, d'un point de vue purement juridique, comment lesdroits et obligations résultant d'un traité donné pouvaient êtreséparés de l'instrument international qui les avait créés.

On a fait remarquer que, si ces dispositions devaient concerner le« régime » plutôt que le « traité », il serait peut-être plus appropriéde les faire figurer dans le futur projet sur la succession d'Etats dansles matières autres que les traités 7.

Le Rapporteur spécial tiendra compte, le moment venu,de ces suggestions, qui renforcent son opinion, expriméedans son premier rapport, au moment où il délimitaitle sujet à traiter.

Article 2. — Cas de succession d'Etatsvisés par les présents articles

Les présents articles s'appliquent uniquement aux effetsd'une succession d'Etats se produisant conformémentau droit international, et plus particulièrement aux prin-cipes du droit international incorporés dans la Charte desNations Unies.

COMMENTAIRE

1) Dans son quatrième rapport, le Rapporteur spécialavait proposé un projet d'article 1er assorti de com-mentaires et ainsi conçu :

1. Les modifications territoriales intervenues par la force oumoyennant une violation du droit international ou de la Charte desNations Unies n'emportent pas d'effets juridiques.

2. L'Etat auteur de la conquête ou de l'annexion ne peut êtreconsidéré comme un Etat successeur, ni devenir en particulier lepropriétaire des biens de l'Etat prédécesseur 8.

2) L'ordre du jour particulièrement chargé de la vingt-troisième session de la Commission n'avait pas permisà celle-ci d'examiner les travaux des divers rapporteursspéciaux, à l'exclusion de celui de M. Abdullah El-Erian,auquel devait revenir la priorité, à la demande de l'As-semblée générale. Le Rapporteur spécial avait pu toute-fois bénéficier au cours de la même session de quelquessuggestions du Bureau de la Commission, aux membresduquel il demeure particulièrement reconnaissant. Ilavait en conséquence présenté l'année suivante, dans soncinquième rapport, une autre formulation de l'articleconsidéré, qui se lisait ainsi :

Parmi les conditions de la succession d'Etats doivent figurer lerespect du droit international général et des dispositions de laCharte des Nations Unies sur l'intégrité territoriale des Etats et ledroit des peuples à disposer d'eux-mêmes9.

3) Dans son commentaire sur cet article, il considéraitque, quel que soit le moment auquel la Commissiondésirerait par commodité aborder d'une manière ou d'uneautre le problème évoqué par cet article, il lui paraissaitinévitable de retenir une disposition du type de celleproposée, car elle constituait « un préalable à toutesuccession 10 ».

Les travaux ultérieurs de la Commission dans ledomaine de la succession d'Etats en matière de traitésont renforcé le Rapporteur spécial dans son opinion.De son côté, sir Humphrey Waldock avait en effet envi-sagé à la vingt-quatrième session un projet d'article n

répondant sensiblement aux mêmes préoccupations etprésenté en deux versions différentes, dont la premières'inspirait de l'article 73 de la Convention de Vienne surle droit des traités 12.

4) Renonçant à ses propres formulations, le Rapporteurspécial propose à la Commission de faire opportunémentl'économie d'une nouvelle discussion sur le même pro-blème en retenant d'emblée, à titre de disposition pré-liminaire à la succession d'Etats dans les matières autresque les traités, la disposition qu'elle a eu l'avantagede mettre au point, au cours de sa vingt-quatrième session,sous la forme de l'article 6 du projet sur la succession enmatière de traités, à savoir:

Les présents articles s'appliquent uniquement aux effets d'une•succession d'Etats se produisant conformément au droit internationalet, plus particulièrement, aux principes du droit international incor-porés dans la Charte des Nations Unies.

5) De l'avis du Rapporteur spécial, il serait dommageque la Commission vienne à renoncer à un tel article pourla matière faisant l'objet du présent rapport, pour le

7 Documents officiels de l'Assemblée générale, vingt-septièmesession, Annexes, point 85 de l'ordre du jour, doc. A/8892, par. 106et 107.

8 Annuaire... 1971, vol. II (l r e partie), p. 171, doc. A/CN.4/247et Add.l.

9 Annuaire... 1972, vol. II, p. 72, doc. A/CN.4/259, par. 28.10 Ibid., p. 71, par. 25. Voir aussi par. 26 et 27.11 Ibid., p. 65, doc. A/CN.4/L.184.12 Pour le texte de la Convention, voir Documents officiels de la

Conférence des Nations Unies sur le droit des traités, Documents dela Conférence (publication des Nations Unies, numéro de vente:F.70.V.5), p. 309.

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14 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

seul motif qu'il figure déjà dans le projet relatif à lasuccession en matière de traités.

Tout d'abord, et comme le signale la CDI dans soncommentaire, il n'est pas possible de s'en tenir pourcertaines situations à une présomption générale d'aprèslaquelle les articles qu'elle élabore ne s'appliqueront qu'àdes faits se produisant ou à des situations créées confor-mément au droit international :

Ainsi, dans son projet d'articles sur le droit des traités, la Commis-sion avait fait figurer, notamment, des dispositions particulières surles traités obtenus par la contrainte et les traités en conflit avec desnormes du jus cogens, ainsi que certaines réserves concernant lesquestions particulières de la responsabilité des Etats, de l'ouvertured'hostilités et des cas d'agression 13.

6) En second lieu, la Commission avait sagementpréféré, contrairement à quelques avis, ne pas se limiter àsignaler la nécessité d'une telle disposition pour le seulcas des transferts territoriaux non conformes au droitinternational, considérant très justement que

le fait de mentionner expressément cet élément de conformitéavec le droit international à propos d'une [seule] catégorie de cas desuccession d'Etats aurait risqué de donner lieu à des malentendusquant à la position prise à l'égard dudit élément pour d'autrescatégories de cas de succession d'Etats 14.

C'est très exactement le souci d'éviter la survenance detels malentendus à propos de la succession dans les ma-tières autres que les traités qui appelle la reprise du mêmearticle. Il paraîtrait donc particulièrement inappropriéde réserver un traitement différent à chacun des deuxprojets.7) En troisième lieu, la répétition du même article estdevenue plus indispensable que jamais, car la dispositionqu'il contient est loin de valoir automatiquement pour lasuccession dans les matières autres que les traités par leseul fait de son insertion dans le projet sur la successionen matière de traités. On pourrait même soutenir exacte-ment le contraire, l'omission de l'article dans l'un desdeux projets dans le même temps où il est inclus dansl'autre ne pouvant signifier rien d'autre que son inappli-cation au premier.

D'autre part, le projet d'articles sur la succession enmatière de traités pourrait, quant à sa forme et à saportée, avoir une vie juridique autonome et être appeléà un sort différent de celui qui sera élaboré sur la succes-sion dans les matières autres que les traités.

Enfin, même si, comme cela serait souhaitable (etcomme la Sixième Commission l'a déjà décidé pour lepremier, ainsi qu'il ressort de son rapport15), l'un etl'autre projets devaient servir de base pour la conclusionultérieure de conventions en ces matières, il serait encoreplus recommandé de faire figurer la même dispositiondans le second comme cela a été fait dans le premier —et parce que cela a été fait dans le premier. La Commissionest du reste techniquement habituée à une telle pratique.

13 Annuaire... 1972, vol. II, p. 255, doc. A/8710/Rev.l, chap. II,C, art. 6, par. 1 du commentaire.

14 Ibid., par. 2 du commentaire.18 Documents officiels de l'Assemblée générale, vingt-septième

session, Annexes, point 85 de l'ordre du jour, doc. A/8892, par. 50.

Par ailleurs, il existe, comme on sait, de nombreusesconventions qui reproduisent intégralement, quand celaest nécessaire, une même disposition dans chacuned'elles 16.8) II convient d'observer aussi que l'insertion de l'ar-ticle 2 dans le projet en cours ne répond pas à une simplepréoccupation théorique. En matière de succession auxbiens publics, notamment, il existe une pratique et unejurisprudence importantes, rappelées par le Rapporteurspécial dans son quatrième rapport17, et d'où il résulteque la qualité de « successeur », donc en particulier detitulaire de droits patrimoniaux, n'est pas reconnue àl'Etat dans certaines situations non conformes au droitinternational.

Article 3. — Expressions employées

Aux fins des présents articles:

a) L'expression « succession d'Etats » s'entend de lasubstitution d'une souveraineté à une autre dans ses effetspratiques sur les droits et obligations de chacune d'ellespour le territoire concerné par le changement de souverai-neté;

b) L'expression « Etat prédécesseur » s'entend de l'Etatauquel un autre Etat s'est substitué à l'occasion d'unesuccession d'Etats;

c) L'expression « Etat successeur » s'entend de l'Etatqui s'est substitué à un autre Etat à l'occasion d'unesuccession d'Etats.

COMMENTAIRE

A. — Définition de la succession d'Etats

1) La notion de « succession d'Etats » à laquelle aabouti la CDI dans ses travaux est la suivante :l'expression «succession d'Etats» est employée dans tout le projetd'articles pour indiquer simplement un changement dans la respon-sabilité des relations internationales d'un territoire, ce qui exclutde la définition toutes les questions relatives aux droits et obligationsen tant que conséquences juridiques accessoires de ce changement *18.

2) Le Rapporteur spécial n'ignore pas qu'aussi bienparmi les auteurs que dans la pratique des Etats il existe

16 Par exemple, le Pacte international relatif aux droits écono-miques, sociaux et culturels et le Pacte international relatif auxdroits civils et politiques (résolution 2200 A [XXI] de l'Assembléegénérale, en date du 16 décembre 1966) comportent chacun unemême disposition relative au droit des peuples à disposer de leursressources naturelles.

17 Annuaire... 1971, vol. II (l r e partie), p. 172 et suiv., doc.A/CN.4/247 et Add.l, art. 1er, commentaire, notamment par. 11(litige entre Haïlé Sélassié et une compagnie d'installations radio-télégraphiques et téléphoniques), 12 (affaire du chemin de ferfranco-éthiopien), 14 (restauration de la Pologne), 17 et suiv. Voiraussi Annuaire... 1970, vol. II, p. 179 et 180, doc. A/CN.4/226,art. 8, par. 30 à 32 du commentaire, et passim.

18 Annuaire... 1972, vol. II, p. 244, doc. A/8710/Rev.l, par. 30.Auparavant, la Commission avait renoncé à retenir une définitiongénérale de la succession, car, au stade où elle en était de sestravaux, cela lui paraissait être « une question théorique ou acadé-mique qu'il convenait d'éviter », ayant « un caractère abstrait et uneutilité douteuse » (Annuaire... 1968, vol. II, p. 225, doc. A/7209/Rev.l.par. 48).

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Succession d'Etats dans les matières autres que les traités 15

une tendance assez naturelle à employer le mot « succession »comme un terme commode désignant tous les cas où un Etat assumeles droits et obligations antérieurement applicables à l'égard d'unterritoire qui est passé sous sa souveraineté, sans se demander s'ils'agit vraiment de succession résultant de l'application du droitou simplement d'un arrangement volontairement conclu par lesEtats intéressés 19.

3) Le Rapporteur spécial pense qu'il n'aurait pas étéimpossible de dégager une seule définition de la successiond'États, valable aussi bien pour le projet de sir HumphreyWaldock que pour le sien. Certains membres de laCommission étaient du même avis 20. En tout cas, ladéfinition sur la base de laquelle la CDI a bâti ses articlessur la succession d'Etats en matière de traités ne sauraits'appliquer au projet actuel. Ce sont les « conséquencesjuridiques accessoires » du changement de souveraineté,exclues de la première définition, qui doivent nécessaire-ment être prises en considération dans le projet du Rap-porteur spécial.

4) En passant de la succession en matière de traitésà la succession dans les matières autres que les traités,on s'aperçoit que l'on passe du fait de la simple substi-tution d'un Etat à un autre dans la responsabilité desrelations internationales sur un territoire au problèmedu contenu concret des droits et obligations transférésde ce fait à l'Etat successeur dans les divers domainesrelatifs aux biens publics, aux dettes publiques, à la condi-tion des habitants, etc. Mais, ce faisant, on ne doit pasperdre complètement de vue le fait originaire de substi-tution de souveraineté qui a été l'occasion soit des trans-ferts soit de l'exercice propre de droits et obligationsdéterminés. C'est du reste cela même qui apporte deséléments de complexité aux problèmes de la successiond'Etats.

5) II est nécessaire, surtout lorsque la succession d'Etatsn'est pas réglée conventionnellement, de rechercherquelles règles de fond peuvent être dégagées pour définirles droits et obligations de chaque Etat concerné. Enconséquence, la succession d'Etats n'apparaît pas seule-ment comme le fait de substituer un Etat à un autre dansla responsabilité des relations internationales d'unterritoire. C'est pourquoi le Rapporteur spécial proposeà titre provisoire que l'on entende par succession d'Etats« la substitution d'une souveraineté à une autre dans seseffets pratiques sur les droits et obligations de chacuned'elles pour le territoire concerné par le changementde souveraineté ».

B. — Définition des expressions « Etat prédécesseur »et « Etat successeur »

6) Le Rapporteur spécial s'est borné là à reprendreles définitions retenues par la Commission sur propo-sitions de sir Humphrey Waldock. Elles lui paraissentacceptables dans Je cadre de son projet et propres à fairefaire à la CDI l'économie d'un nouveau débat sur cesexpressions.

19 Annuaire... 1972, vol. II, p. 244, doc. A/8710/Rev.l, par. 28;et premier rapport de sir Humphrey Waldock (Annuaire... 1968,vol. II, p. 92, doc. A/CN.4/202, II, art. 1er, par. 3 du commentaire).

20 Voir p. ex. l'intervention de M. Ouchakov (Annuaire... 1972,vol. I, p. 36, 1156e séance, par. 14).

C. — Autres expressions employées

7) II est évident que le projet d'article 3 à l'examen est,sinon embryonnaire, du moins lacunaire, et que biendes expressions employées devront y trouver place poury recevoir leur définition. Le projet d'article (que leRapporteur spécial abandonne pour l'instant en cetétat) sera enrichi au fur et à mesure de l'avancement de laCommission dans ses travaux.

Il est probable que la nécessité apparaîtra de regrouper,en les faisant figurer dans cet article 3, les définitionsconsacrées aux établissements publics (faisant pour l'ins-tant l'objet de l'article 32), aux collectivités territoriales(auxquelles est consacré l'article 36), et peut-être auxbiens publics eux-mêmes (art. 5) ainsi qu'à la notionde concession (art. 10, par. 1). Mais, par souci de clarté,le Rapporteur spécial conserve cette approche quelquepeu fragmentée, se réservant le soin d'effectuer les regrou-pements souhaitables à un stade plus avancé des travauxde la Commission.

Quatrième partie

Projet d'articles sur la successionaux biens publics et commentaires

INTRODUCTION

5. En abordant dans ses troisième et quatrième rapportsl'examen de la succession d'Etats en matière de bienspublics, le Rapporteur spécial n'avait pas tenu à seplacer sur le plan doctrinal, se bornant à la recherchede l'énoncé de règles pragmatiques inspirées de la pra-tique des Etats. C'est ainsi qu'il a volontairement écartéde ses préoccupations la question préalable de savoir si leproblème du transfert des biens publics relève du droitinternational de la succession d'Etats.

6. On pourrait en effet concevoir que la successiond'Etats, phénomène de substitution d'une souverainetéà une autre sur un territoire, comporte la déchéanceautomatique du support matériel de la souverainetéantérieure, et donc la substitution ipso jure de l'Etatsuccesseur à l'Etat prédécesseur dans le droit à la pro-priété publique. Le droit aux biens publics apparaîtraitainsi comme un effet de la naissance ou de l'existence d'unnouveau sujet du droit international sur le territoireconsidéré, et non plus comme une conséquence de lasuccession d'Etats proprement dite.

7. Dans cette perspective, la théorie de la successiond'Etats ne s'appliquerait pas aux droits et obligationsde l'Etat en matière de biens publics. Dès lors que ledroit international reconnaît la validité du nouvel ordrejuridique, cela entraînerait pour l'Etat successeur undroit sur la propriété publique d'Etat. Plus exactement,le droit international se bornerait à reconnaître la validitédu nouvel ordre juridique étatique qui s'exprime par età travers une législation interne dans le cadre de laquelles'effectue la substitution automatique du droit à lapropriété publique.

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16 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

8. Cette approche réduit la souveraineté à un phéno-mène qui serait inconcevable sans un ensemble d'attri-buts opérationnels et matériels tels que, par exemple, lesbiens publics par lesquels l'Etat concourt à la satisfactionde certains besoins essentiels de la population du terri-toire. Mais, surtout, une objection assez sérieuse pourraitêtre faite à cette façon de procéder. Si l'Etat successeuracquiert automatiquement la propriété publique du seulfait de sa propre souveraineté et de son propre pouvoir,comment alors expliquer que les biens situés hors duterritoire affecté par le changement, c'est-à-dire hors de lasphère de compétence territoriale de l'Etat successeur,puissent tomber dans son patrimoine ?

9. Renonçant donc à un examen tout théorique de ceproblème ainsi que d'autres que peut soulever la succes-sion d'Etats en matière de biens publics, le Rapporteurspécial s'était limité à rédiger des projets d'articles aussiconcrets que possible. Tout au long de ses travaux, il acherché à garder présente à l'esprit une préoccupationexprimée par trois questions: 1° quels sont les bienspublics! (problèmes de définition et de déterminationde ceux-ci); 2° quels sont les biens publics transférables!(Sont-ce tous les biens publics, ou les biens de la puis-sance publique, ou seulement les biens d'Etat? Sont-cetous les biens d'Etat, ou seulement ceux qui ressortissentà la souveraineté?); 3° les biens sont-ils transférables enpropriété (ce qui concerne la succession aux biens strictosensu), ou seulement placés sous l'empire du nouvelordre juridique (ce qui touche aussi au chapitre de lasuccession à la législation) ?

10. Les projets d'articles proposés par le Rapporteurspécial dans ses travaux précédents pour couvrir lamatière de la succession aux biens publics étaient inspiréspar une approche synthétique. Ils visaient donc à s'appli-quer indistinctement à tous les types de succession d'Etats.

11. En abordant la présente étude, le Rapporteurspécial se sent le devoir de tenir compte de l'élémentnouveau constitué d'un côté par l'adoption en premièrelecture par la CDI du projet d'articles sur la successiond'Etats en matière de traités (sur la base des rapportsde sir Humphrey Waldock) et de l'autre par l'examen de cemême projet par la Sixième Commission de l'Assembléegénérale des Nations Unies.

12. Pour faciliter la tâche de la CDI et dans toute lamesure compatible avec les spécificités de la matièrequ'il traite, le Rapporteur spécial compte suivre enconséquence la méthode et l'approche utilisées pourl'élaboration des règles concernant la succession enmatière de traités.

Une telle démarche comporte à l'évidence ses avantages,car elle économisera le temps de la Commission et per-mettra l'uniformisation de la matière examinée, grâceà une approche sensiblement parallèle. C'est ainsi quecertains articles, qui possèdent à présent l'avantaged'avoir déjà été adoptés par la CDI et approuvés par laSixième Commission, pourraient, le cas échéant, êtretranscrits dans le projet en cours. De même, et en dépitde ses insuffisances, la typologie successorale sur labase de laquelle la Commission a travaillé pourrait être

retenue ici, le Rapporteur spécial étant disposé à coulerses articles dans le moule avec lequel sont à présentfamiliarisées la CDI et la Sixième Commission. Il sepropose donc de relire son projet à travers une approcheanalytique.

13. Cependant, une telle méthode comporte bien évi-demment ses limites. Tout d'abord, la notion même de« succession » doit être réévaluée en fonction de l'accep-tion que le terme doit avoir dans le domaine de rechercheimparti au Rapporteur spécial. Par ailleurs, si la relationintime établie entre le droit des traités et celui de la suc-cession d'Etats en matière de traités s'est révélée siféconde, une telle démarche n'est naturellement pluspraticable pour le droit de la succession d'Etats dans lesmatières autres que les traités.

14. En revanche, le Rapporteur spécial estime, comme ill'a indiqué dans tous ses précédents rapports, que lesprincipes de la Charte des Nations Unies (et en particulierceux du droit des peuples à l'autodétermination et à lalibre disposition de leurs ressources naturelles) doiventtrouver leur pleine expression dans le projet en cours, toutcomme ils ont pu, en ce qui concerne du moins le droit despeuples à disposer d'eux-mêmes, recevoir une heureuseapplication dans les articles relatifs à la succession d'Etatsen matière de traités.

Dans le domaine de la succession en matière de bienspublics, notamment, le droit à l'autodétermination (qui,là, se réincarne dans le principe élémentaire de la viabilitéd'un Etat nouveau) pousse à la formulation de règlespréconisant le transfert automatique à l'Etat successeurdes biens nécessaires à l'exercice de la souveraineté sur leterritoire.

15. Le Rapporteur spécial propose à titre provisoirele plan de travail suivant.

Partie I: Dispositions préliminaires

Partie II : Dispositions générales

Partie III : Dispositions communes à tous les types desuccession

Partie IV : Dispositions particulières à chaque type desuccession1) Transfert partiel de territoire2) Etats nouvellement indépendants3) Unification d'Etats et dissolution

d'unions4) Disparition d'Etat par partage ou

absorption5) Sécession ou séparation d'une ou de

plusieurs parties d'un ou de plusieursEtats

Partie V : Dispositions spéciales aux établissementspublics

Partie VI : Dispositions relatives aux collectivitésterritoriales

Partie VII : Biens des fondations

Partie VIII : Dispositions diverses

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Succession d'Etats dans les matières autres que les traités 17

I. — DISPOSITIONS PRÉLIMINAIRES

Article 4. — Domaine d'application des présents articles

Les présents articles se rapportent aux effets de lasuccession d'Etat en matière de biens publics.

COMMENTAIRE

1) II y a peu de chose à relever concernant ce projetd'articles. En plus de son utilité, il est d'une simplicitéqui dispense pratiquement de tout commentaire. L'articlea essentiellement pour objet de délimiter la portée desprésents articles: d'une part, il s'agit de la successiond'Etats et non point de la succession de gouvernements,non plus que de la succession dans les organisationsinternationales; d'autre part, il est question des bienspublics et non pas des autres « matières successorales »telles que les dettes publiques, la législation, la conditiondes habitants, les droits acquis, etc. — ou encore lestraités déjà étudiés dans un autre projet.

2) Ces biens publics ne sont pas définis dans le présentarticle. Ils le seront dans le suivant. Le Rapporteurspécial n'a toutefois pas précisé, dans l'article 4, à quelleautorité, Etat, collectivité territoriale, ou établissementpublic, doivent appartenir ces biens publics. Il ne s'agitdonc pas seulement des biens publics d'Etat, mais dusort de tous les biens publics. Cette proposition duRapporteur spécial trouvera sa justification dans l'article 5.

Article 5. — Définition et détermination des biens publics

Aux fins des présents articles, les « biens publics »désignent l'ensemble des biens, droits et intérêts qui, à ladate du changement de souveraineté, ne faisaient pas l'objet,au regard de la législation de l'Etat prédécesseur, d'uneappropriation privée dans le territoire affecté par la substi-tution de souveraineté, ou qui sont nécessaires à l'exercicede la souveraineté de l'Etat successeur sur ce territoire.

COMMENTAIRE

A. — Biens publics

1) Dans son troisième rapport, le Rapporteur spécialavait proposé un projet d'article 1er en deux versions,offrant une définition en même temps que des méthodes dedétermination des biens publics. Ceux-ci étaient désignéscomme étant ceux qui possèdent un caractère « public »par leur appartenance à l'Etat, à une collectivité publiqueterritoriale, à une corporation ou établissement de droitpublic. Le long commentaire du Rapporteur spécial 21

soulignait le triple fait a) qu'une approche purementinternationaliste de la notion de biens publics étaitimpraticable parce qu'il n'existe pas en droit internationalde critère autonome de détermination des biens publics;b) qu'une détermination des biens publics par voied'accord ou par la jurisprudence internationale comportait

des limites et ne résolvait pas tous les problèmes; c) qu'entout état de cause il paraissait inévitable de recourir audroit interne pour cette détermination, l'essentiel étantde savoir à quelle législation (celle de l'Etat prédécesseur,celle de l'Etat successeur, ou celle du territoire affectépar le changement de souveraineté) il convenait de faireappel.

2) La pratique et la jurisprudence étant apparues auRapporteur spécial assez contradictoires22, il avaitproposé que la détermination des biens publics se fassepar référence au droit interne qui régissait le territoireconcerné « sauf cas de contrariété grave avec l'ordrepublic de l'Etat successeur ». Il s'en est expliqué dans lesparagraphes 9 à 13 du commentaire de l'article 1er

(troisième rapport). Mais, bien entendu, sitôt que le droitinterne de l'Etat prédécesseur ou du territoire affectépar le changement de souveraineté a rempli sa fonctionde détermination des biens publics, il s'éclipse devantl'ordre juridique de l'Etat successeur. Ce dernier, unefois réalisée la qualification des biens aux fins de dévolu-tion, reprend son pouvoir souverain de modifier s'ille désire la situation juridique des biens à lui dévolus.

Cela dit, par la rédaction du projet d'article, le Rappor-teur spécial avait laissé le problème ouvert à la discussionen proposant provisoirement une solution permettantde renoncer à l'application du droit de l'Etat prédécesseurau bénéfice de la législation de l'Etat successeur si lecontraire risquait de constituer une contrariété graveà l'ordre public.

3) En conséquence de quoi, le Rapporteur spécial avaitproposé l'une des deux formules suivantes :

Version A

Au sens des présents articles, les «biens publics» s'entendentde toutes choses, matérielles ou incorporelles, ainsi que des droitset intérêts sur ces choses, qui appartiennent à l'Etat, à l'une de sescollectivités territoriales ou à un organisme à caractère public.

Sauf cas de contrariété grave avec l'ordre public de l'Etat suc-cesseur, la détermination des biens publics se fait par référence audroit interne qui régissait le territoire affecté par le changement desouveraineté.

Version B

Au sens des présents articles, les « biens publics » désignent tousles biens, droits et intérêts qui, à la date du changement de souve-raineté et au regard de la législation de l'Etat prédécesseur, nefaisaient pas l'objet d'une appropriation privée dans le territoirecédé par cet Etat.

4) Reprenant l'examen de cette définition dans sonquatrième rapport sous les articles 5 et 5 bis, le Rappor-teur spécial précisait que la formulation proposée n'avaitd'autre ambition que de définir les biens publics, qu'ilsappartiennent à l'Etat, à une collectivité territoriale ou à

21 Annuaire... 1970, vol. II, p. 145 à 155, doc. A/CN.4/226,2e partie.

22 Cf. en particulier les affaires des hôpitaux des missions protes-tantes à Madagascar (ibid., p. 149, par. 18), des biens « habous » ou«waqf» en Algérie (p. 150, par. Î9), de la restauration de l'Etatpolonais (par. 20), des forêts du Rhodope central (p. 151, par. 21à 23), des « enti pubblici » italiens en Libye (par. 24 et 25), des biensde l'ordre de Saint-Maurice et Saint-Lazare au Petit-Saint-Bernard(par. 26), de l'Université Peter Pâzmâny (p. 152, par. 27 à 30), del'usine de Chorzow (p. 152 à 154, par. 31 à 35, et par. 36 à 42), descolons allemands de Haute-Silésie (p. 154, par. 43 à 45), etc.

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18 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

une entreprise publique. Un autre problème était desavoir si tous ces biens publics étaient transférables àl'Etat successeur (c'était même tout le problème quedevaient régler les projets d'articles subséquents). Ainsi,la définition et la détermination des biens publics devaientouvrir la voie à la distinction entre le transfert effectifdes biens d'Etat et le simple placement de la propriétépublique sous l'empire de l'ordre juridique de l'Etatsuccesseur 23.

5) Dans son cinquième rapport, le Rapporteur spécial aproposé à la Commission de ne retenir finalement que lavariante figurant à l'article 5 bis 24. En effet, malgré toutel'extension donnée au champ d'application de l'article 5,la définition offerte ne couvrait pas l'ensemble des bienspublics. Le Rapporteur spécial craignait d'avoir laisséhors du champ de l'article 5 des catégories de biens àcaractère incontestablement publics, tels que ceux quirelèvent de la notion de « propriété socialiste ». C'estainsi par exemple que les biens en autogestion ne pouvaientêtre visés par l'article 5 proposé, puisqu'il est dans leurnature de n'appartenir ni à l'Etat, ni à « l'une de sescollectivités territoriales », ni, enfin, à « un organisme àcaractère public ».

6) Le problème de la législation qui doit servir de réfé-rence pour la détermination des biens publics avait faitl'objet, comme il vient d'être rappelé 25, de longs commen-taires. De ceux-ci, il est apparu à l'évidence, à la suitede l'examen de nombreux précédents, que la législationde l'Etat prédécesseur n'est pas toujours prise en consi-dération. Il est fréquemment arrivé que l'Etat successeurdéfinisse lui-même souverainement les biens publicsqu'il estime devoir intégrer dans son patrimoine. C'estpourquoi, dans la variante proposée dans le quatrièmerapport (art. 5 bis), la référence à la législation de l'Etatprédécesseur, n'étant pas toujours conforme à une pra-tique par ailleurs plus diversifiée, devait être amendée demanière à rendre mieux compte de cette réalité.

7) Le Rapporteur spécial a proposé en conséquenceune rédaction nouvelle, l'article 5 bis devenant désormaisl'article 5 dans l'actuelle numérotation. Ainsi, tout enfaisant une certaine place au droit interne de l'Etatsuccesseur dans la détermination des biens publics, onévite tout de même de la sorte la référence toujoursambiguë et dangereuse à «l'ordre public» de l'Etatsuccesseur, contenue dans le paragraphe 2 du premierprojet d'article 5 (quatrième rapport).

8) Comme l'avait noté le Rapporteur spécial dans sonquatrième rapport26, les internationalistes se sont rare-ment préoccupés de la définition de la propriété publique.L'occasion leur en fut donnée lorsque l'article 56 durèglement annexé à la Convention de La Haye du 18 oc-tobre 1907 concernant les lois et coutumes de la guerresur terre a tenté d'aménager un système de protection entemps de guerre des « biens des communes, ceux des

établissements consacrés aux cultes, à la charité et àl'instruction, aux arts et aux sciences, même appartenantà l 'Etat27 » 28.

De même, dans le cadre de la Commission des répara-tions prévue par les traités de paix de 1919, le Rapporteurspécial avait relevé l'existence d'une approche interna-tionaliste pour la définition et la détermination des bienspublics 29.

B. — Droits et intérêts

9) La définition proposée pour la propriété publiquevise les droits et les intérêts. Si la notion de droits —réels, patrimoniaux, pécuniaires — est très juridique,celle d'intérêts est plus fuyante. A la connaissance duRapporteur spécial, il n'existe pas une définition des« intérêts » aussi nette que celle qu'on pourrait donnerdes « droits ». Les premiers possèdent un contenu pro-bablement plus politique que juridique. Le Dictionnairede la terminologie du droit international définit le mot« intérêt » comme

Terme désignant ce qui affecte matériellement ou moralementune personne physique ou juridique, l'avantage matériel ou moralque présente pour elle une action ou une abstention, le maintienou le changement d'une situation 30. »

10) Le Rapporteur spécial a néanmoins intégré ceterme, malgré son imprécision, dans la définition qu'ila proposée de la propriété publique. La seule raison (dontil a conscience qu'elle n'est d'ailleurs pas suffisante) enest qu'il figure dans de fort nombreux accords et textesdiplomatiques. Le Traité de Versailles, du 28 juin 1919,pour ne s'en tenir qu'à cet instrument, comporte unesection spéciale (partie X, sect. IV) intitulée « Biens, droitset intérêts * 31 ».

C. — Réclamations et droits non encore liquidés

11) Une facette spéciale du problème de la déterminationdes biens publics transférables s'offre à l'examen avecla question des réclamations et des droits non encoreliquidés. Une partie de la doctrine pense qu'il est relative-ment malaisé de considérer de telles réclamations commeune « propriété publique » susceptible d'un transfertà l'Etat successeur 32. On estime en effet que ces récla-

23 Voir les commentaires et les exemples cités dans le quatrièmerapport (Annuaire... 1971, vol. II [l re partie], p. 184 et 185, doc.A/CN.4/247 et Add.l, 2e partie, art. 5, par. 1 à 5 du commentaire).

24 Annuaire... 1972, vol . I I , p . 72, doc . A / C N . 4 / 2 5 9 , par . 30.25 Voir ci-dessus pa r . 1 et 2.26 Annuaire... 1971, vol. II (l r e partie), p. 185, doc. A/CN.4/247

et Add.l, 2e partie, art. 5, par. 6 du commentaire.

27 J. B . Scott , Les conventions et déclarations de La Haye de 1899et 1907, New Y o r k , Oxford Univers i ty Press, 1918, p . 127.

28 M. Huber (« La propriété publique en cas de guerre sur terre »,Revue générale de droit international public, Paris, t. XX, 1913,p. 680) avait tenté de déterminer la situation juridique des biens« des organes administratifs locaux qui occupent une place inter-médiaire entre les communes et l'administration centrale de l'Etat»,des « établissements et fondations ressortissant de l'Etat », et des«patrimoines séparés, distincts du patrimoine général de l'Etat»;mais les critères qu'il a dégagés ne sont pas rigoureux, pas plusd'ailleurs que les catégories distinguées ci-dessus.

29 Annuaire... 1971, vol. II (l r e partie), p. 185 et 186, doc.A/CN.4/247 et Add.l, 2e partie, art. 5, par. 8 à 12 du commentaire.

30 Dictionnaire de la terminologie du droit international, sous ladirection de J. Basdevant, Paris, Sirey, 1960, p. 342.

31 G. F. de Martens, éd., Nouveau Recueil général de traités,Leipzig, Weicher, 1923, 3e série, t. XI, p. 323.

32 Ch. Rousseau, Cours de droit international public. — Les trans-formations territoriales des Etats et leurs conséquences juridiques,Paris, Les cours de droit, 1964-1965, p. 142 et 143.

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Succession d'Etats dans les matières autres que les traités 19

mations seraient propres à l'Etat prédécesseur au profitduquel elles sont nées et que, faute d'une continuationlégale entre l'auteur du dommage subi et l'Etat prédéces-seur — relation qui ne survivrait pas au changement desouveraineté —, on ne saurait en faire créditer l'Etatsuccesseur.

Il n'existe, certes, pas de lien de droit entre l'Etatprédécesseur et celui qui lui succède, ni de lien immédiatentre le nouveau souverain et le tiers auteur du dommage.Mais en cette matière — qui ressortit, à vrai dire, plusau domaine de la responsabilité internationale qu'à lamatière de la succession d'Etats —, une novation desrapports s'opère. Le dommage subi, s'il est réel, n'est pasindéterminé; il a laissé quelque empreinte — ou à toutle moins, si sa réparation est considérée comme juste, ila affecté d'une manière ou d'une autre l'exercice de lasouveraineté, ou perturbé plus ou moins gravement uncertain ordre juridique, économique et social, attachéau territoire transféré. Au surplus, on ne devrait pasreconnaître ou non un droit (par ailleurs juridiquementdéterminé, mais pas encore liquidé) selon le momentou la période auxquels il est réclamé. Si la réclamationavait été liquidée avant le changement de souveraineté,son produit, maintenu à l'état brut ou réemployé, auraitenrichi d'une manière ou d'une autre le territoire. Ceproblème n'est pas sans importance pratique, car iltouche aussi à celui des créances, et notamment desimpôts, non encore réclamées 33.

II. — DISPOSITIONS GENERALES

Article 6. — Transfert des biens publics tels quels

1. L'Etat prédécesseur ne peut transférer un territoirequ'aux conditions auxquelles il le possède lui-même.

2. Les biens publics sont transférés, conformément auxdispositions des présents articles, à l'Etat successeur avecleurs caractères propres et leur condition juridique.

COMMENTAIRE

1) Le Rapporteur spécial se borne à renvoyer aucommentaire de l'article 2 figurant dans son quatrièmerapport. Entre les deux paragraphes de l'article 6 ci-dessus proposé figurait, dans l'article 2 du quatrièmerapport, un autre alinéa, qui a été ici supprimé — nonsans hésitation du reste.

2) Par ailleurs, le paragraphe 2 du présent article 6 asubi une petite modification par rapport à sa premièreformulation dans l'ancien article 2. La transférabilitédes biens avec leurs caractères propres et leur conditionjuridique particulière ne s'accompagne plus de la restric-tion tirée de la compatibilité avec le droit interne de l'Etatsuccesseur.

Article 7. — Date du transfert des biens publics

A moins qu'une souveraineté ait été restaurée et consi-dérée comme rétroagissant au jour de sa disparition, ou

que la date du transfert ait été subordonnée, convention-nellement ou non, à la réalisation d'une condition suspensiveou tout simplement à l'échéance d'un terme fixe, la date detransfert des biens publics est celle à laquelle le changementde souveraineté

a) s'opère de jure par la ratification d'accords dedévolution, ou

b) se réalise effectivement dans les cas où il n'existepas d'accord, ou bien où l'accord existant renvoie à cettedate d'effectivité.

COMMENTAIRE

1) A quelques modifications de forme près, parfaitementnégligeables, l'article 7 ci-dessus reproduit l'article 3présenté dans le quatrième rapport. Le Rapporteurspécial renvoie donc au commentaire de cet article.

2) On rappellera à toutes fins utiles que, dans le projetd'articles sur la succession d'Etats en matière de traités,la Commission a ainsi défini l'expression « date de lasuccession d'Etats » 34:

L'expression « date de la succession d'Etats » s'entend de ladate à laquelle l'Etat successeur s'est substitué à l'Etat prédécesseurdans la responsabilité des relations internationales du territoireauquel se rapporte la succession d'Etats 3B.

Cette définition se ressent elle-même de la définition de lasuccession d'Etats considérée comme la substitutiond'un Etat à un autre dans la responsabilité des relationsinternationales d'un territoire.

** *

16. Ici pouvait prendre sa place une disposition quiaurait pu traiter des limitations conventionnellementapportées au principe du transfert général et gratuit desbiens publics. Dans son quatrième rapport, le Rapporteurspécial avait retenu un projet d'article 4 ainsi conçu:

Sans préjudice de l'application du droit international généralet du droit des traités pour interpréter ou même invalider un accordréglant une succession d'Etats, toute limitation conventionnelleapportée au principe, ci-après articulé, du transfert général etgratuit des biens publics est d'interprétation stricte.

17. Le Rapporteur spécial croit devoir renoncer pourl'instant à la présentation d'une disposition spéciale decette nature.

18. De même hésite-t-il encore à proposer à la Com-mission un article qui se préoccuperait du sort des bienspublics dans les cas où d'une part un ancien traité,contenant en tout ou partie des dispositions relatives auxbiens publics, ne serait pas considéré comme liant l'Etatsuccesseur par application des articles relatifs à la suc-cession d'Etats en matière de traités, et d'autre part unaccord de dévolution touchant aux biens publics seraitconsidéré comme invalide par application des règlesgénérales du droit des traités.

33 Voir ci-dessous a r t . 11, par . 6 et 7 du commen ta i r e .

34 Utilisée dans les articles 7 et 8, 10 à 15, 18 et 19, 21 à 23, et25 du projet.

35 Ar t . 2, par . 1, al . e.

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20 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

19. De l'avis du Rapporteur spécial, il est de pureévidence que les obligations imposées à l'Etat prédéces-seur par le droit international et codifiées dans les présentsarticles sont indépendantes de l'existence ou de la validitéde traités. Non point que les Etats concernés ne puissentconventionnellement réglementer le problème du trans-fert des biens publics — mais si les traités ou les accords dedévolution relatifs à cet objet venaient à être considérésles uns comme inapplicables les autres comme invalides,ce serait le « droit commun » de la succession d'Etatsdans les matières autres que les traités, tel que codifiédans les présents articles, qui serait appliqué. Si parexemple l'Etat prédécesseur avait naguère conclu untraité qui a eu pour conséquence d'accroître son patri-moine sur le territoire concerné par la suite par la succes-sion d'Etats, il ne peut invoquer l'inapplication éventuelledudit traité à l'Etat successeur pour se dérober à l'obliga-tion de transférer ces biens. Le droit conventionnel viciéou caduc doit de toute évidence s'effacer devant le« droit commun » du transfert obligatoire et gratuit.

Article 8. — Sort général des biens publicsselon leur appartenance

Toutes les conditions fixées par les présents articles étantpar ailleurs remplies,

a) les biens publics ou privés de l'Etat prédécesseurtombent dans le patrimoine de l'Etat successeur;

b) les biens publics des collectivités ou organes autresqu'étatiques tombent dans l'ordre juridique de l'Etat suc-cesseur;

c) les biens propres au territoire affecté par le change-ment de souveraineté tombent dans l'ordre juridique del'Etat successeur.

COMMENTAIRE

1) Placés à la confluence du droit de la successionaux biens publics, du droit de la succession à la législation,et enfin du droit interne de l'Etat successeur, les problèmesque l'on peut évoquer dans le cadre de l'article 8 pa-raissent fondamentaux au Rapporteur spécial. C'estpour tenter d'apporter quelque clarté à ces questionsconfuses, charriées par la succession d'Etats et décelablesau détour de chaque règle, que le Rapporteur spécialpropose l'article 8. Celui-ci ne constitue pas en lui-mêmeune règle de fond, directement opérationnelle pour ainsidire. L'ambition d'indiquer concrètement quels bienspublics doivent être transférés à l'Etat successeur lui estétrangère, car il faut à cet effet que « toutes les conditionsfixées par les présents articles [soient] par ailleurs rem-plies », comme l'indique le préambule de l'article.

2) Ce ne sont assurément pas tous les biens publicset privés de l'Etat prédécesseur qui tombent dans lepatrimoine de l'Etat successeur. D'autres conditions,précisément énoncées dans tout le projet, doivent inter-venir. Le but visé par le Rapporteur spécial dans l'article 8consiste exclusivement à établir une nette distinction deprincipe entre le problème de la transférabilité des bienspublics en pleine propriété à l'Etat successeur et celui dustatu quo patrimonial lorsque le changement de souve-raineté n'affecte pas la propriété des biens publics, mais

transforme la « condition juridique » de ceux-ci. Encorecette dernière expression n'est-elle pas heureuse si ellevient à évoquer le pouvoir (non en cause ici) de l'Etatsuccesseur de maintenir ou de modifier, à l'instar de toutautre Etat, la législation applicable à ces biens dont lapropriété n'a pas été affectée par le changement desouveraineté. Ce qui est en cause, c'est le fait que, sanschangement de propriété, ni même modification delégislation, les biens publics en question entrent dans lasphère de compétence d'un autre souverain à l'occasionde la succession d'Etats. C'est ce que le Rapporteurspécial a voulu préciser en se référant à un autre ordreinterne: l'ordre juridique de l'Etat successeur.

3) II n'existe au fond que trois catégories de biens,celles-là mêmes qui sont visées par les trois alinéas del'article 8: les biens, publics ou privés, d'Etat; ceux quiappartiennent à des collectivités territoriales ou desorganismes autres qu'étatiques; et ceux qui sont possédésen propre par le territoire affecté par le changement desouveraineté. La propriété des premiers ne peut quechanger de titulaire et tomber dans le patrimoine de l'Etatsuccesseur, si par ailleurs toutes les conditions sontremplies. Tel n'est pas le cas pour les deux autres caté-gories de biens, qui continuent d'appartenir en propreà la collectivité territoriale, à l'organisme public ou auterritoire transféré. Toutefois, ces biens tombent dans lamouvance juridique de l'Etat successeur, ou si l'on veut,relèvent dorénavant d'un nouvel ordre juridique. Leprojet d'article 8 n'a pas d'autre objet que de clarifier cela.

4) Le Rapporteur spécial était revenu dans son cinquièmerapport sur le problème de la transférabilité des bienspublics d'Etat à l'exclusion des autres catégories de bienspublics 36. Ces dernières pouvaient apparaître commeétrangères à la succession d'Etats proprement dite. Onne peut toutefois les écarter complètement, car d'unepart les biens qui ne tombent pas dans le patrimoine del'Etat successeur tombent tout au moins dans sa sphèrede compétence, et d'autre part le transfert, quand il alieu, ne s'effectue pas toujours d'organismes publics àorganismes correspondants, mais fait intervenir desprocédures et des règles, conventionnelles ou autres, quimettent la plupart du temps en présence l'Etat prédéces-seur et l'Etat successeur.

5) La doctrine ne prête que rarement attention aux bienspropres au territoire concerné par le changement desouveraineté. Leur importance est pourtant considérable.Il n'y a pas de territoire qui ne possède ses propres biens.

Dans les colonies, la situation n'était pas toujoursclaire, et souvent une multitude de régimes juridiquesvoisinaient ou s'interpénétraient pour ces biens.

Dans les systèmes de droit qui connaissent la notionde domaine public et de domaine privé de l'Etat, lasituation n'est pas toujours simple. Par exemple, iln'existait pas moins de huit sortes de domaines dansl'ancienne Indochine française: il y avait a) et b) undomaine dit « colonial » composé des deux domaines,public et privé, de l'Etat français en Indochine, c) et d)un domaine dit « général » comprenant les deux domaines,

36 Voir Annuaire... 1972, vol. II, p. 72 et 73, doc. A/CN.4/259,par. 34 et 35.

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Succession d'Etats dans les matières autres que les traités 21

public et privé, de l'ancienne Fédération des Etats d'Indo-chine, é) et f) des « domaines locaux » appartenant àchaque protectorat ou colonie composant la Fédération(Tonkin, Annam, Cochinchine, Cambodge, Laos), avecdes distinctions entre domaine public et domaine privé, etg) et h) des domaines publics et privés ressortissant auxcollectivités provinciales, locales, communales danschaque protectorat ou colonie de la Fédération 37.

6) Si la doctrine a négligé ce problème des biens propresau territoire, c'est peut-être parce qu'elle estimait que cettecatégorie ne devait pas être affectée par le changementde souveraineté.

Mais s'il paraît évident que ces biens ne doivent pasêtre dévolus à l'Etat successeur 38 et demeurent la pro-priété du territoire cédé, il est non moins évident que celane signifie pas le maintien du statu quo ante. Ces biens nedemeurent pas régis par le droit antérieur ni soumis à lasouveraineté antérieure. Cela relève, bien sûr, du problèmeplus général de la succession d'Etats en matière de législa-tion. Mais il importait ici de préciser que les biens publicspossédés en propre par le territoire cédé continuent àappartenir à celui-ci, mais suivent le sort politique etjuridique du territoire qui passe sous une autre souve-raineté. Ce seront des biens qui demeureront propriétédu territoire mais qui seront régis par la législation del'Etat successeur. En un mot, les biens publics apparte-nant au territoire ne sont pas affectés, quant à la propriété,par le changement de souveraineté, mais ils entrent dansl'ordre juridique de l'Etat successeur.

7) Une résolution de l'Institut de droit international aposé le même principe, en se prononçant pour le maintiendu droit de propriété des collectivités locales sur leursbiens après les mutations territoriales : « Le changementterritorial laisse subsister les droits patrimoniaux régu-

37 La situation était (et demeure probablement) assez complexeau Congo anciennement belge. Par exemple, les biens du Comitéspécial du Haut-Katanga ont posé des problèmes très ardus quantà leur qualification juridique précise (cf. J.-P. Paulus, Droit publicdu Congo belge, Université libre de Bruxelles, Institut de sociologieSoWay, Etudes coloniales, n° 6, 1959, p. 120 et suiv.). Le Traité du9 janvier 1895 entre « l'Etat indépendant du Congo » et l'Etat belgeavait cédé à la Belgique, aux termes de son article 2,

«tout l'avoir immobilier et mobilier de l'Etat indépendant, etnotamment: 1° la propriété de toutes les terres appartenant à sondomaine public ou privé [...]; 2° les actions et parts de fonda-teurs [...]; 3° tous les bâtiments, constructions, installations,plantations et appropriations quelconques établis ou acquis parle gouvernement^..], les objets mobiliers de toute nature et lebétail [...], ses bateaux et embarcations avec leur matériel, ainsique son matériel d'armement militaire; 4° l'ivoire, le caoutchoucet les autres produits africains qui sont actuellement la propriétéde l'Etat indépendant, de même que les objets d'approvision-nement et autres marchandises lui appartenant. » (G. F. deMartens, éd., Nouveau Recueil général de traités, Gottingue,Dieterich, 1896, 2 e série, t. XXI , p . 693.)

Par la suite, une classification des biens publics fut entreprise.Les terres, par exemple, comprenaient une catégorie, celle des« terres domaniales », elles-mêmes divisées en terres du domainepublic, terres du domaine privé, terres concédées et terres vacantes(Paulus, op. cit., p . 15 et suiv.). Mais la séparation des patrimoinescolonial et métropolitain n ' a jamais été indiscutable (ibid., p . 26et suiv.).

38 Sauf dans le cas de disparition totale de l 'Etat prédécesseur —c'est-à-dire le cas où, par hypothèse, il n 'y a pas de biens propresdu territoire distincts des biens de l 'Etat disparu. Le territoire cédécoïncide avec le territoire disparu.

lièrement acquis antérieurement à ce changement. »La résolution précise que « ces règles s'appliquent aussiaux droits patrimoniaux de communes ou d'autres col-lectivités faisant partie de l'Etat atteint par le changementterritorial * 39 ».

8) Cette évidence est utile à rappeler et à consigner sousforme de règle du genre de celle que propose le Rappor-teur spécial. En effet, si elle est tellement évidente qu'onn'y prend pas garde quand il s'agit de biens situés dans leterritoire même, elle revêt toute son importance lorsqu'ilest question de fixer le sort des biens propres au terri-toire, mais localisés hors de ses limites géographiques. Ceproblème spécifique trouvera sa solution dans diversarticles proposés ci-dessous et dans le cadre de la règled'évidence exprimée ici.

9) Le problème se pose souvent, soit parce que leterritoire possède des biens propres qui peuvent êtresitués normalement dans ses limites géographiques, soitparce que ces biens viennent à se trouver hors de sesnouvelles limites à la suite d'un partage du territoire, de lacession d'une portion de celui-ci, de rectifications defrontières, etc.

La Commission de conciliation franco-italienne insti-tuée en vertu du Traité de paix avec l'Italie, du 10 février1947, a eu à connaître d'un tel problème 40. Ici, la Com-mission, tenue par la lettre très claire du paragraphe 1de l'annexe XIV au Traité 41, qu'elle devait interpréter,est allée plus loin que ce que nous proposons et a reconnula dévolution, en pleine propriété, à l'Etat successeur desbiens propres au territoire cédé. Ces biens ne tombentpas seulement dans Y ordre juridique de l'Etat successeur.

10) L'agent du Gouvernement italien avait, quant à lui,soutenu que

Lorsque le paragraphe 1 affirme que l'Etat successeur recevra,sans paiement, les biens stataux et parastataux (y compris ceux desorganismes locaux) situés sur le territoire cédé, il ne se réfère pas,en tout cas en ce qui concerne les biens des organismes locaux, à unesuccession de l'Etat dans la propriété desdits biens, mais à uneintégration de ces derniers dans l'ordre juridique de l'Etat succes-seur 42.

11) La Commission a rejeté ce point de vue, car

L'argumentation principale du Gouvernement italien se heurteà la lettre, très claire, du chapitre I: c'est l'Etat successeur quirecevra sans paiement non seulement les biens d'Etat, mais aussiles biens parastataux, y compris les biens communaux, situés sur lesterritoires cédés. C'est à la législation interne de l'Etat successeur

39 Paragraphes 3 et 4 de la résolution II de l'Institut de droitinternational adoptée à sa quarante-cinquième session, tenue àSienne du 17 au 26 avril 1952 (Annuaire de Vlnstitut de droitinternational, 1952, II, Bâle, p. 471 et 472).

40 Commission de conciliation franco-italienne, « Différend relatifà la répartition des biens des collectivités locales dont le territoire aété coupé par la frontière établie en vertu de l'article 2 du traité depaix — Décisions nos 145 et 163, rendues respectivement en datedes 20 janvier et 9 octobre 1953 » (Nations Unies, Recueil dessentences arbitrales, vol. XIII [publication des Nations Unies,numéro de vente: 64.V.3], p. 501 à 549).

41 Nations Unies, Recueil des Traités, vol. 49, p. 114.42 Na t ions Unies , Recueil des sentences arbitrales, vol . X I I I (op.

cit.), p. 512 et 513. L'annexe XIV, par. 1, disposait que «l'Etatsuccesseur recevra, sans paiement, les biens italiens d'Etat ouparastataux situés sur le territoire cédé [...] » (ibid., p. 503).

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qu'il appartient de décider le sort (destination finale et régimejuridique) des biens ainsi transférés, dans le nouveau cadre étatiquedans lequel ils viennent se trouver par suite de la cession de terri-toire 43>44.

III. — DISPOSITIONS COMMUNES À TOUSLES TYPES DE SUCCESSION D'ÉTATS

Article 9. — Principe général de transfertde l'ensemble des biens d'Etat

Sont dévolus de plein droit et sans compensation àl'Etat successeur les biens nécessaires à l'exercice de lasouveraineté sur le territoire affecté par la succession d'Etats.

COMMENTAIRE

1) Le principe général du transfert de l'ensemble desbiens d'Etat a été abordé par le Rapporteur spécial dansun article intitulé « Biens ressortissant à la souveraineté »,dont le premier paragraphe se lisait ainsi dans sestroisième et quatrième rapports:

Sont dévolus à l'Etat successeur, de plein droit et sans compen-sation, les biens qui ressortissent à la souveraineté sur le territoire 45.

2) Le Rapporteur spécial notait dans son troisièmerapport46 la difficulté à trouver une expression satisfai-sante pour désigner les biens à caractère public, qui,liés à Yimperium de l'Etat prédécesseur sur le territoire, nesauraient à l'évidence demeurer propriété de cet Etataprès le changement de souveraineté, c'est-à-dire après ladisparition de cet imperium. Beaucoup de ces biens, sinonla totalité d'entre eux, sont désignés dans certaineslégislations par la dénomination de biens « du domainepublic ». Mais de nombreux systèmes de droit interneignorent cette expression, dont le défaut d'universalitéempêche de la retenir dans le projet d'articles.

3) La distinction entre domaine public et domaine privéest impraticable non seulement parce qu'elle n'existe pasdans tous les systèmes de droit, mais aussi parce qu'ellene couvre pas les biens publics de façon uniforme etidentique d'un pays à l'autre. Il peut dès lors paraîtrepeu satisfaisant pour l'esprit de décider, par exemple,que tous les biens du domaine public sont dévolus de pleindroit et sans compensation au successeur, alors même quela consistance et la nature des biens que comprendraitce domaine peuvent varier très considérablement. Plusdécevante encore serait la solution selon laquelle l'Etatprédécesseur, pour certains auteurs, conserverait sondomaine privé, et pour d'autres ne le céderait à sonsuccesseur que moyennant indemnité. Il n'existe pas uncritère de répartition uniforme des biens entre domainepublic et domaine privé. On élaborerait ainsi des règles

i3Ibid.,p. 514 et 515.44 Sur les « biens propres », cf. aussi le cinquième rapport

(Annuaire... 1972, vol. II, p. 73 et 74, doc. A/CN.4/259), par. 42 à 45."Annuaire... 1970, vol. II, p. 155, doc. A/CN.4/226, 2e partie,

art. 2; et Annuaire... 1971, vol. II (l r e partie), p. 187, doc.A/CN.4/247 et Add.l, 2e partie, art. 6.

"Annuaire... 1970, vol. II, p. 155 et 156, doc. A/CN.4/226,2e partie, art. 2, par. 2 à 6 du commentaire.

qui ne recevraient pas en fait une application identique etdont le champ d'application varierait d'un pays à l'autre.

4) Ce que proposait le Rapporteur spécial, en substituantà la notion de domaine public et de domaine privé cellede « biens ressortissant à la souveraineté », n'étaitpeut-être pas sensiblement meilleur et pouvait encourirles mêmes reproches. Cette proposition n'épargnait pasl'inconvénient de la recherche, toujours difficile, d'unedéfinition de ces biens. Mais celle-ci, pour délicate qu'ellefût, était tout de même plus aisée à exprimer au planinternational qu'une définition qui aurait essayé d'em-brasser des notions variables et non communémentadmises, comme celles de domaine public et domaineprivé.

On peut affirmer que les biens ressortissant à la souve-raineté sur le territoire représentent l'aspect patrimonialde l'expression de la souveraineté interne de l'Etat. Certes,cette expression peut être différente selon les systèmespolitiques, mais elle a la particularité de couvrir tout ceque l'Etat, selon la philosophie qui l'anime, considèrecomme une activité « stratégique », qui ne peut êtreconfiée à un particulier.

L'Etat en vient à posséder, pour l'accomplissement decette activité, des biens meubles et immeubles. Ce sontces biens, dont il fait usage pour la manifestation etl'exercice de sa souveraineté ou pour l'accomplissementdes devoirs généraux qu'implique l'exercice de cettesouveraineté (devoir de défense du territoire, de sécurité,de promotion de la santé publique et de l'instruction, dedéveloppement national, etc.), qui peuvent être considéréscomme biens ressortissant à la souveraineté sur le terri-toire.

5) Comment déterminer plus précisément ces biens ?// s'agira d'abord de biens « publics », c'est-à-dire de

biens qui se définissent par un triple critère: celui ducaractère public qu'ils possèdent du fait de l'applicationà eux d'un droit public; celui de leur non-appropriationpar une personne privée, donc de leur appartenanceà l'Etat; et, enfin, celui de leur affectation à l'usage ou auservice de tous les habitants.

// s'agit ensuite de biens qui, selon la législation del'Etat prédécesseur, concourent à la satisfaction de l'intérêtgénéral et grâce auxquels la puissance publique exprimesa souveraineté sur le territoire. Il peut arriver, et ilarrivera sûrement, que ces biens reçoivent une consistancequi varie selon les Etats, et selon leurs systèmes politiques.Cela est inévitable. Tel Etat peut estimer qu'il n'exprimepas sa souveraineté, et qu'il ne possède pas entièrementtous ses attributs de puissance publique, s'il ne gère pasdirectement et exclusivement tel ou tel secteur d'activité,voire tous les secteurs d'activité. Tel autre Etat, aucontraire, confine son activité à des secteurs très limités.Il peut considérer certaines routes, certains aérodromes —des usines d'armement même — comme pouvant fairel'objet d'une propriété privée. C'est la gamme très limitéede biens à laquelle il confine ses activités qu'il faudraconsidérer comme biens ressortissant à sa souveraineté.Ce sont en somme tous les biens qui suivent le destinjuridique du territoire et qui, de ce fait, sont transférablesavec celui-ci, contrairement aux biens qui sont sans lienétroit avec ce territoire.

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Succession d'Etats dans les matières autres que les traités 23

Le Ministre de la guerre de la France écrivait en 1876 47 :

[...] le droit et le devoir d'assurer le fonctionnement des servicespublics, [...] d'ordonner, par exemple, de grands travaux de voirie, decanalisation, de fortification, la propriété ou le domaine éminent deces ouvrages qui constituent une dépendance du domaine public,tout cet ensemble de devoirs et de droits est en définitive un attributde la souveraineté. Cet attribut inséparable de la souveraineté sedéplace avec la souveraineté même * [...].

6) C'était donc pour tenir compte du fait que la discus-sion n'était pas épuisée en doctrine et en jurisprudencesur le point de savoir si les biens du domaine privé del'Etat sont transférables ipso jure au même titre queceux qui font partie de son domaine public que le Rap-porteur spécial avait pour sa part cherché à dépassercette distinction, ignorée au surplus de certaines législa-tions nationales 48.

7) Dans son troisième rapport, le Rapporteur spécialavait fait très largement état de la pratique internationalede dévolution des biens publics ressortissant à la souve-raineté sur le territoire 49. Cette pratique consacre leprincipe du transfert automatique et gratuit de ces biensquel que soit le type de succession. La doctrine estunanime à considérer comme obligatoire le principe dutransfert de ces biens, même si une partie d'entre elle,attachée à la distinction entre « domaine public » et«domaine privé » de l'Etat, conditionne le transfert desbiens de cette seconde catégorie au versement d'uneindemnité compensatrice à l'Etat prédécesseur. La règlede dévolution générale remonte à l'époque où la concep-tion patrimoniale de l'Etat était en honneur dans dessystèmes juridiques où les droits patrimoniaux de l'Etatétaient considérés comme des accessoires du territoire.

8) Dans son quatrième rapport, le Rapporteur spécialavait ajouté de nouveaux commentaires sur ce principedu transfert des biens ressortissant à la souveraineté,c'est-à-dire de biens affectés par l'Etat à un servicepublic ou à l'utilité publique, l'une et l'autre de cesexpressions étant acceptées dans un sens large 50.

Peut-être existe-t-il d'autres biens qui, sans relever de lasouveraineté, peuvent toutefois appartenir au domainepublic de l'Etat et devraient normalement, de ce fait,être transférés à titre gratuit aussi ? Une telle possibilité,si elle apparaissait, pourrait être traitée dans le cadred'autres projets d'articles.

47 II s'agissait d'un mémoire pour soutenir un recours devant leConseil d'Etat (France, Conseil d'Etat, 28 avril 1876, Ministre dela guerre c. Hallet et Cie, Recueil des arrêts du Conseil d'Etat, Paris,Marchai, Billard, 1876, 2e série, t. 46, p. 398, note de bas de page).

48 Le rapport de la Sixième Commission à la vingt-sixième sessionde l'Assemblée générale (Documents officiels de l'Assemblée générale,vingt-sixième session, Annexes, point 88 de l'ordre du jour, doc.A/8537) indique en son paragraphe 136 que certains représentants,« rappelant le principe nemo plus juris transferre potest quant ipsehabet, ont désapprouvé la tentative faite par le Rapporteur spécialde distinguer, dans la propriété d'Etat, le domaine privé du domainepublic ». Une erreur a dû se glisser, car il est clair, au contraire,que tous les efforts du Rapporteur spécial avaient consisté à dépassercette distinction non universelle.

iB Annuaire... 1970, vol. II, p. 156 et suiv., doc. A/CN.4/226,2e partie, art. 2, par. 7 à 23 du commentaire.

50 Annuaire... 1971, vol. II ( l r e partie), p. 187 et 188, doc.A/CN.4/247 et Add.l, 2e partie, commentaire de l'article 6.

9) Revenant sur la question dans son cinquièmerappport51, le Rapporteur spécial avait craint que leprojet d'articles à l'examen ne comportât dans sa présen-tation un inconvénient du fait de l'ambiguïté de l'expres-sion « biens ressortissant à la souveraineté ». La formu-lation pouvait en effet laisser l'impression, étrangère à lapensée du Rapporteur spécial, que la souveraineté del'Etat successeur serait en quelque sorte la continuationde celle de l'Etat prédécesseur, ce qui aurait des consé-quences très importantes sur les dettes publiques et lepassif en général, sur le sort des traités, des droits acquis,etc. Le Rapporteur spécial s'est expliqué là-dessus 52.Cet inconvénient s'ajoute à celui, bien réel, de ne pou-voir disposer d'un critère sûr pour la détermination des« biens qui ressortissent à la souveraineté ».

10) Le Rapporteur spécial propose donc que l'on seréfère aux biens nécessaires à l'exercice de la souverainetéplutôt qu'aux biens ressortissant à la souveraineté.L'article se lirait ainsi:

Sont dévolus de plein droit et sans compensation à l'Etat successeurles biens nécessaires à l'exercice de la souveraineté sur le territoire.

Sans doute une telle formulation pose-t-elle toujoursle problème, non tranché, de savoir a) quels sont les biensnécessaires à l'exercice de la souveraineté, et b) quelleautorité possède le pouvoir de les déterminer. Il n'existepas de réponse précise, tirée du droit internationalcontemporain, à de telles questions. On ne pourra éviterde recourir au droit public interne, de même qu'il seramalaisé d'écarter partout et toujours l'application dudroit public de l'Etat successeur. C'est pourquoi, d'ailleurs,la formulation de l'article proposé est neutre. Il n'est pasindiqué quel Etat, prédécesseur ou successeur, sert deréférence pour la détermination des « biens nécessairesà l'exercice de la souveraineté » sur le territoire.

11) On pourrait faire valoir l'argument selon lequell'ordre juridique de l'Etat prédécesseur devrait s'imposerde plein droit en vue de la détermination des biensnécessaires à l'exercice de la souveraineté. Si cet exercicevenait à être entendu plus largement par le successeur,au point d'exiger l'intégration dans son patrimoine debiens ci-devant considérés comme superflus ou nondéterminants, la logique, du moins apparente, comman-derait que l'on ne fasse pas payer à l'Etat prédécesseurle prix de la réalisation d'un régime politique et idéo-logique ou d'un modèle institutionnel différents. Ilappartient à l'Etat successeur de payer un tel prix pourfaire valoir sa Weltanschauung — sa propre « vision deschoses » — et intégrer, cette fois avec compensation oupar d'autres moyens, des biens autres que ceux quiservaient à l'exercice ou à l'expression de la souverainetéde l'Etat prédécesseur sur le territoire transféré.

12) Telle qu'elle est retenue ici, la notion de « biensnécessaires à l'exercice de la souveraineté » rappelle unpeu celle qu'a consacrée la jurisprudence internationaleet qui est relative au transfert des biens communauxnécessaires à la viabilité de la collectivité territoriale

51 Annuaire... 1972, vol. II, p. 73, doc. A/CN.4/259, par. 37 et suiv.52 Voir Annuaire... 1969, vol. II, p. 77 et 78, doc. A/CN.4/216/

Rev.l, par. 29 à 34.

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considérée. C'est ainsi que, dans un différend relatifà la répartition des biens des collectivités locales dont leterritoire a été coupé par un nouveau tracé de la frontièreentre la France et l'Italie, la Commission de conciliationfranco-italienne instituée en vertu du Traité de paix avecl'Italie, du 10 février 1947, avait noté que

[...] Le Traité de paix n'a pas repris les distinctions [...] entredomaine public et domaine privé * pouvant exister dans la législationou bien de l'Italie, ou bien de l'Etat auquel le territoire est cédé.Mais la nature et l'utilisation économique des biens ne sont pas sanseffet sur la répartition *

Celle-ci, en effet, doit être, en premier lieu, juste et équitable. LeTraité de paix ne s'en tient toutefois pas à ce renvoi à la justice et àl'équité, mais il donne un critère plus précis pour toute une catégorie debiens communaux * et pour la catégorie qui est généralement laplus importante.

La question peut être laissée ouverte de savoir si le [...] [Traité]prévoit deux sortes d'accord [...], les uns répartissant les biens descollectivités publiques visées, les autres assurant « le maintien deceux des services communaux nécessaires aux habitants * [...] ».Même s'il en était ainsi, le critère du maintien des services communauxnécessaires aux habitants devrait a fortiori jouer un rôle déterminant *lorsque ces services — ce qui sera la règle — sont assurés par desbiens appartenant à la commune et qu'il faut répartir. C'est selon unprincipe d'utilité * que doit être opérée la répartition de ces biens,un tel principe étant apparu, dans cette hypothèse, aux auteurs duTraité comme le plus conforme à la justice et à l'équité 53.

Article 10. — Droits de puissance concédante

1. Au sens du présent article, le terme « concession »désigne l'acte par lequel l'Etat attribue, sur le territoirerelevant de sa compétence nationale, à une entrepriseprivée ou une personne de droit privé ou à un autre Etatla gestion d'un service public ou l'exploitation d'uneressource naturelle.

2. Quel que soit le type de succession d'Etats, l'Etatsuccesseur se substitue à l'Etat prédécesseur dans sesdroits de propriété sur l'ensemble des biens publics faisantl'objet d'une concession dans le territoire affecté par lechangement de souveraineté.

3. L'existence d'accords de dévolution portant règle-ment du sort des concessions n'affecte pas le droit éminentde l'Etat sur les biens publics et les ressources naturelles deson territoire.

COMMENTAIRE

A. — Définition de la « concession »

1) La définition ci-dessus proposée trouvera sans doutesa place, le moment venu, dans le cadre de l'article 3(Expressions employées). En attendant d'effectuer ceregroupement, le Rapporteur spécial donne ci-aprèsquelques éléments simples de définition.

2) Le terme « concession » est susceptible de plusieursacceptions différentes. Il peut signifier:

a) Vu du côté du bénéficiaire, une autorisation degérer un service public ou un droit d'exploiter des gise-ments minéraux ou miniers;

b) Vu du côté de l'Etat concédant, un acte par lequella puissance publique accorde à une entreprise privéeou à une personne de droit privé le droit d'entreprendredes travaux à caractère public et d'exploiter des ressourcesnaturelles ou de gérer un service public.

Dans le cadre du présent article, il ne sera nullementquestion de l'ensemble des problèmes posés à l'Etatsuccesseur par les concessions accordées par son prédé-cesseur. Un des aspects de ces problèmes, sur lequel on nereviendra pas ici, a été abordé par le Rapporteur spécialdans son second rapport, intitulé « Les droits acquiséconomiques et financiers et la succession d'Etats » 54.

En particulier, le terme « concession » ne sera pasentendu ici dans son premier sens, ci-dessus rappelé, ense plaçant du côté du bénéficiaire de la concession. C'estle devenir des droits de l'Etat concédant en cas de suc-cession d'Etats qui sera analysé dans le cadre des présentsarticles — dont il convient de ne pas perdre de vue, eneffet, qu'ils se rapportent aux biens publics. S'il estexact que la concession se caractérise, selon les juris-consultes Lyon-Caen et Renault55, par la «juxtapositiond'un contrat à un acte de souveraineté », on n'envisagerapas pour l'instant ici Vaspect contractuel de la concession,qui pose divers problèmes de droits acquis. On neretiendra que l'acte de souveraineté, ou, si l'on veut, lesdroits de la puissance concédante et leur sort en cas demutations territoriales.

1. La concession est un acte émanant de Vautoritépublique

3) Dans la sentence arbitrale du 3 septembre 1924rendue dans VAffaire des réparations allemandes56,l'arbitre Beichmann rappelait ainsi la définition donnéede la concession par la Commission des réparations:

[...] la Commission des réparations déclarait, dans sa lettre du7 janvier 1921, qu'elle avait « de sérieuses raisons de penser que lemot concession doit s'entendre comme englobant tous droits etprivilèges revêtant un caractère économique qui ont été accordéspar le gouvernement ou l'autorité publique à la suite des mesureslégislatives ou administratives spéciales prises en vertu des pouvoirsexécutifs souverains appartenant aux autorités compétentes, que cedroit ait ou n'ait pas été exercé et que son exercice constitue ou nonune entreprise d'utilité publique » 57.

Et, plus loin:

[...] la Commission des réparations, dans une lettre en date du27 avril 1921, déclarait que «la Commission interprète le motconcession dans le sens de droit d'exploitation agricole, minière,industrielle, commerciale, ou d'une façon générale de droit ayantun caractère économique accordé soit par mesure législative spéciale,soit par décret rendu en vertu d'un pouvoir, en principe discré-

53 Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales, vol. XIII (op.cit.), p. 519.

54 Annuaire... 1969, vol. II, p. 70, doc. A/CN.4/216/Rev.l."Cités par D. Bardonnet: La succession d'Etats à Madagascar

(Succession aux droits conventionnels et aux droits patrimoniaux),Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1970 (Biblio-thèque de droit international, t. LVII), p. 210, note 241 in fine.

56 Sentence arbitrale relative à l'interprétation de l'article 260 duTraité de paix de Versailles [arbitre F. W. N. Beichmann], publica-tion de la Commission des réparations, annexe 2145a, Paris, 1924,et Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales, vol. I (publicationdes Nations Unies, numéro de vente: 1948.V.2), p. 429 à 528.

57 Ibid., p . 469 .

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Succession d'Etats dans les matières autres que les traités 25

tionnaire, par l'autorité executive et qui ne découle par conséquentpas du simple jeu de la loi générale » 58.

4) Dans ses conclusions finales, la Commission desréparations a demandé à l'arbitre Beichmann de

Dire pour droit:a) Que l'expression « toute concession », telle qu'elle est employée

dans l'article 260, signifie aussi bien l'exploitation elle-même que letitre ou le droit subjectif de la concession;

b) Que cette expression ne peut être limitée aux concessionsaccordées en vue d'une entreprise d'utilité publique;

c) Qu'elle ne comporte pas nécessairement l'attribution auconcessionnaire de privilèges ressortissant à la puissance publique;

d) Que l'octroi d'une concession ne doit pas dépendre néces-sairement du pouvoir exécutif agissant discrétionnairement;

é) Qu'il suffit, pour qu'on se trouve en présence d'une concessiondans le sens de l'article 260, qu'il y ait constitution, par l'Etatou par une autorité en dépendant, d'un droit au profit d'un béné-ficiaire sur une matière relevant du domaine public ou privé del'Etat ou de son domaine éminent;

/ ) Que constituent notamment des concessions au sens de l'ar-ticle 260 tous actes par lesquels un tiers obtient de l'autorité publiquele droit:

Soit d'utiliser de façon permanente ou temporaire une partie dudomaine public ou privé (Etat ou circonscriptions administratives) ;

Soit d'entreprendre en vue d'un service public ou d'une entreprised'utilité publique un travail public;

Soit d'entreprendre et de poursuivre une exploitation de biens detoute nature que l'Etat a soustraits au régime de la libre concurrenceou de la libre appropriation etsur l'attribution desquels il se réserve,sous forme d'octroi de concession, un droit de contrôle et de décision.En conséquence, déclarer que constituent des concessions, au sens

de l'article 260, l'octroi du droit d'exploiter et l'exploitation même:

a) Des mines de charbon, de fer ou autres minéraux et les gise-ments de pétrole en Chine, en Bulgarie, en Turquie;

b) Des mines de charbon, de fer et autres minéraux dans lesterritoires cédés par l'Allemagne, ainsi que dans les colonies alle-mandes mises sous mandat;

c) Des mines de charbon, de fer et autres minéraux en Autriche, enHongrie et dans les territoires cédés par l'Autriche et la Hongrie,ainsi que les gisements de pétrole concédés avant la promulgationde la loi du 11 mai 1884, sous le régime de la loi de 1854;

d) Des mines et gisements de sel ordinaire, sels potassiques viséspar la loi VII hongroise de 1911 et les gisements des huiles et gazminéraux visés par la loi VI hongroise de 1911 ;

é) Des mines de charbon, de fer ou autres minéraux dans lesterrains de la Couronne, en Russie, ainsi que des mines de sel dansle même pays 69.

5) Selon l'arbitre,

Pour qu'on puisse parler de «concession» [...], il faut que ledroit [...] à l'exploitation de la mine ou du gisement soit attribuéau bénéficiaire par un acte de l'autorité publique. [...] cet acte doitêtre un acte spécial au profit d'un bénéficiaire déterminé. Ne constituepas une concession une loi qui, par exemple, confère généralementaux propriétaires de la surface le droit aux richesses minières qui setrouvent sous leur sol ou à certaines de ces richesses. Par contre,

l'acte ne doit pas nécessairement émaner du pouvoir exécutif [...].Rien ne s'oppose à ce que l'acte émane du pouvoir législatif pourvuqu'il ait le caractère spécial indiqué. C'est là seulement une questionde droit constitutionnel à laquelle on ne saurait attribuer aucuneimportance pour la détermination du sens du mot « concession » 60.

2. La concession est un acte autorisant la gestion d'unservice public ou V exploitation d'une ressourcenaturelle

6) La mission de gestion, d'exploitation ou d'exécutionsur le domaine de l'Etat confiée par la puissance publiqueà une personne de droit privé est généralement tempo-raire, ou plus exactement limitée dans le temps, mêmelorsque l'acte de concession prévoit une longue durée.Une telle mission a en outre généralement la particularitéd'exclure tout droit de propriété sur le sol ou le sous-soldu territoire de l'Etat. Ainsi, lit-on dans la sentenceBeichmann précitée, « ne constitue pas une concessionune loi qui, par exemple, confère généralement aux pro-priétaires de la surface le droit aux richesses minièresqui se trouvent sous leur sol ou à certaines de ces richesses ».

7. Dans la résolution 530 (VI), du 29 janvier 1952, parlaquelle l'Assemblée générale des Nations Unies a adoptédes « Dispositions économiques et financières relativesà l'Erythrée », figure un article X donnant une définitionde la concession et se lisant ainsi :

ARTICLE X

1. Aux fins du présent article:

a) Le terme « concession » désigne l'octroi par l'ancienne admi-nistration italienne, par la Puissance administrante, ou par uneautorité municipale, de l'autorisation d'exercer certains droitsdéterminés en l'Erythrée ou d'y user de certains biens déterminés,moyennant des obligations précises à la charge du concessionnairerelativement à l'utilisation et à l'amélioration desdits biens, laditeautorisation ayant été accordée en conformité des lois, arrêtés etrèglements en vigueur en Erythrée à l'époque où elle sera intervenue.

3. Le concessionnaire est une personne ou une entrepriseprivée, ou même parfois un Etat

8) Dans la concession, l'acte de la puissance publiquea généralement pour destinataire et pour bénéficiaire unepersonne de droit privé. Mais l'on observe parfois l'exis-tence de droits conventionnels dont peuvent jouir certainsEtats sur le territoire d'un ou de plusieurs autres Etats,c'est-à-dire le cas de concessions dont le bénéficiaire seraitun Etat. Il s'agit principalement, selon une étude duSecrétariat de l'ONU 61, de droits de transit, dedroits miniers, de droits relatifs à la construction despipelines internationaux et de droits d'exploitation desressources hydrauliques.

9) Les droits de transit, consentis par des accordsbilatéraux à la suite de modifications territoriales, per-mettent aux Etats d'exploiter leur voies de communi-

68 Ibid.59 Ibid., p . 4 7 0 .

60 Ibid., p. 473 et 474.61 /. — Etat de la question de la souveraineté permanente sur les

richesses et les ressources naturelles: étude préparée par le Secrétariat[ci-après dénommée « étude du Secrétariat »] ; //. — Rapport de laCommission pour la souveraineté permanente sur les ressourcesnaturelles (publication des Nations Unies, numéro de vente : 62.V.6).

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26 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

cations routières ou ferrées en dépit du fait qu'elles tra-versent des territoires devenus étrangers par de nouveauxtracés frontaliers 62.

Un certain nombre de pays, principalement ceux quisont dépourvus de littoral et ceux qui ne peuvent pastoujours utiliser leurs côtes ou leurs installations por-tuaires en raison du climat ou du relief, bénéficient dedroits généraux de transit, qui constituent « un élémentessentiel de la souveraineté sur les ressources naturelles,si l'on interprète cette notion de souveraineté commecomprenant le droit de disposer librement de ses res-sources ou des produits qui en dérivent 63 ». C'est ainsique les traités et conventions relatifs à la dissolution, en1905, de l'Union suédo-norvégienne comportent uneconvention concernant le trafic en transit 64, qui permetl'acheminement du minerai de fer de la Suède septen-trionale par le chemin de fer de Laponie jusqu'au portnorvégien de Narvik. De même, la Belgique et la Rhodésiedu Nord jouissaient d'un droit de transit à traversl'Angola et le Mozambique, respectivement, pour l'éva-cuation du minerai de cuivre du Haut-Katanga et de laRhodésie 65.

10) Par ailleurs, il est arrivé fréquemment que des Etatsconcluent entre eux des accords relatifs aux droits miniersconsentis par l'un sur le territoire de l'autre pour l'ex-ploitation de gisements frontaliers. Quant aux pipelinesinternationaux, on peut citer de nombreux accordsbilatéraux de coopération économique ou militairepermettant la construction ou l'exploitation de cesouvrages par un Etat sur le territoire de l'autre. S'agissantdes ressources hydrauliques communes à deux ou plu-sieurs Etats, on peut observer qu'elles font souventl'objet d'arrangements interétatiques pour leur exploi-tation.

11) Enfin, on sait que des Etats peuvent jouir, sur leterritoire d'un ou de plusieurs autres, de droits conven-tionnels fixés par des accords multilatéraux, tels que ceuxqui instituent les communautés européennes, et auxtermes desquels « les Etats acceptent de renoncer àcertains attributs de leur souveraineté nationale sur lesressources naturelles en échange de la possibilité d'at-teindre des buts communs ou d'obtenir des avantagesmutuels 66 ».

62 L'étude du Secrétariat en fournit de nombreux exemples:exploitation des lignes de chemin de fer tchécoslovaques et polonaisespassant pour une courte distance sur le territoire de l'autre Etat;ligne d'Alep (Syrie) à Mossoul (Irak); chemin de fer finlandaisreliant Niirala à Parkkala en passant par 140 kilomètres deterritoire soviétique; arrangements spéciaux relatifs au trafic entransit grec et au trafic en transit turc sur la voie ferrée reliantIstanbul à Svilengrad (Bulgarie); etc.

63 Etude du Secrétariat, p. 84, par. 72.64 G . F . de M a r t e n s , éd. , Nouveau Recueil général de traités,

Leipzig, Die ter ich , 1907, 2 e série, t. X X X I V , p . 708 à 710.65 Convention du 21 juillet 1927 entre la Belgique et le Portugal

concernant le trafic du Katanga par le port de Lobito et le cheminde fer du Benguela (SDN, Recueil des Traités, vol. LXXI, p. 439).On sait qu'actuellement des problèmes de droit de transit se posentde façon aiguë à la Zambie pour son cuivre. L'étude du Secrétariatanalyse d'autres cas encore, intéressant d'autres pays (voir p. 85,par. 78 à 88).

66 Cf. é tude du Secrétariat, p . 88 à 95, par . 111 à 167.

B. — Les « droits de la puissance concédante »et leur nature juridique

12) De l'avis du Rapporteur spécial, il est tout à faitimpropre de considérer l'Etat successeur comme « su-brogé » aux droits de l'Etat prédécesseur, ou comme« succédant » à celui-ci dans ses droits de puissanceconcédante. De même, il ne serait pas exact de considérerces droits comme «transférés» à l'Etat successeur.Ni la subrogation, ni la succession, ni le transfert nerendent correctement compte du phénomène examiné.Toutes ces notions juridiques ont le défaut de donner àpenser que l'Etat successeur exerce, par subrogation,succession ou transfert les droits propres de l'Etat pré-décesseur.

Le Rapporteur spécial est au contraire d'avis quel'Etat successeur exerce ses droits propres en tant quenouvelle puissance concédante substituée à l'ancienne.C'est en vertu de sa souveraineté que l'Etat successeuracquiert le titre de propriétaire du sol et du sous-soldu territoire transféré.

13) Dans un de ses rapports, le Secrétaire général del'Organisation des Nations Unies déclarait:

La souveraineté sur les ressources naturelles est inhérente à laqualité d'Etat et fait partie intégrante de la souveraineté territoriale *,c'est-à-dire du « pouvoir qu'a tout Etat d'exercer l'autorité suprêmesur toutes les personnes et tous les objets situés sur son terri-toire » 67>68.

Cette conception de la souveraineté est, de l'avis duRapporteur spécial, irréprochable et ne peut qu'excluretoute idée de subrogation, succession ou transfert dansl'exercice des droits de puissances concédantes. Lesstipulations conventionnelles, notamment dans les accordsde dévolution, ont souvent reçu une formulation qui necontribue guère à clarifier ce problème 69. Mais on conçoitbien que les parties contractantes se préoccupent moinsde sacrifier à la rectitude juridique que de modeler leursdroits et leurs obligations respectives sur leurs convenancesparticulières.

14) Si les droits de puissance concédante appartiennentà l'Etat successeur en sa qualité non pas de successeurmais d'Etat, ce fait, pourrait-on objecter, devrait situerl'examen de ces droits hors du champ de la successiond'Etats. Cela est en grande partie exact, et le problèmedes concessions paraît à priori s'exclure du domainede la succession d'Etats. A l'exception des cas où laconcession est accordée à un Etat, l'acte souverain parlequel sont autorisées l'occupation et l'exploitation dudomaine public relève exclusivement de l'ordre juridiqueinterne de l'Etat.

67 Le Secrétaire général cite ici L . O p p e n h e i m , International Law:A Treatise, 8e éd. [Lauterpacht], Londres, Longmans, Green, 1955,vol. I, p. 286.

68 A/8058, par. 1.69 On lit dans le deuxième alinéa du préambule de la Déclaration

de principes sur la coopération pour la mise en valeur des richessesdu sous-sol du Sahara, signée le 19 mars 1962, que «l'Algériesuccède à la France dans ses droits, prérogatives et obligations depuissance publique concédante au Sahara pour l'application de lalégislation minière et pétrolière [...] » {Journal officiel de la Républiquefrançaise, Lois et décrets, Paris, 20 mars 1962, 94e année, n° 67,p. 3026.)

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Succession d'Etats dans les matières autres que les traités 27

Dans la ligne de pensée du Rapporteur spécial, laquestion des droits de puissance concédante ne relève pasde l'étude de la succession d'Etats en matière de législa-tion. Il ne devrait pas suffire que l'Etat successeur« reçoive » l'odre juridique interne de son prédécesseurpour que le régime des concessions soit reconduit dumême coup. Plus exactement, cela n'est ni nécessaire nisuffisant — simplement inopérant. Car dès lors que l'Etatsuccesseur est considéré comme exerçant ses propresdroits de puissance concédante quand il « prend à soncompte » des concessions passées, la reconduction ou lerejet de la législation de l'Etat prédécesseur se révèlesans influence sur le problème. La prise en considérationdes concessions antérieurement consenties n'est pas le faitde la reconduction du droit interne de l'Etat prédécesseur,mais bien de l'exercice des droits de la nouvelle puissanceconcédante, c'est-à-dire l'expression d'une volonté éta-tique nouvelle.

C. — Les obligations en matière de concessions,problème à réserver

15) En vérité, dans le cadre des présents articles (dontil convient de ne pas perdre de vue qu'ils sont consacrésaux biens publics), le Rapporteur spécial ne peut examinerle problème de la concession sous tous ses aspects (dontcertains relèvent de la succession d'Etats en matière delégislation, quelques-uns de la question des droits acquis,d'autres de celle de la responsabilité internationale).Le contrat de concession est générateur de droits, maisaussi d'obligations, dont il faudra plus tard préciserl'influence de la succession d'Etats sur leur devenir.Telle n'est pas pour l'instant la préoccupation du Rap-porteur spécial, qui, du problème de la concession,s'est borné à isoler celui des droits (et nullement desobligations) de la puissance concédante, en affirmant quel'Etat successeur jouit par nature de ceux-ci en tantqu'attributs essentiels de la souveraineté.

L'article que le Rapporteur spécial propose à l'examende la Commission ne pouvait avoir d'autre objet, dèslors qu'il s'inscrit dans le cadre des biens publics. Il seborne à reconnaître les droits de l'Etat successeur sansindiquer pour le moment comment et dans quel sens ilsdevront s'exercer (maintien ou caducité de la concession).

16) Ce serait une autre chose que de préciser quel sortdoit être réservé à la concession en tant que telle, car englissant ainsi du problème des droits de la puissanceconcédante à celui des obligations de celle-ci, on passeraitdu domaine des biens publics, objet de la présente étude,à celui des contrats ou des concessions proprement dites,ainsi qu'à celui des droits acquis, qui seront examinéspar le Rapporteur spécial dans une phase ultérieure deses travaux. C'est pourquoi il ne compte pas étudierprésentement les questions de fond de la concession,c'est-à-dire celles de la « subordination du maintien desconcessions à la preuve qu'elles sont à l'avantage duterritoire cédé » de la « caducité des concessions ditesodieuses », de la « caducité des concessions octroyéesmalafide», comme, enfin ,de celle « des droits régaliens »70.

17) Le Rapporteur spécial considère toutefois quel'approche qui a servi à définir les droits de la puissanceconcédante comme ne dérivant ni de la subrogation, nide la succession, ni du transfert fournira pour plus tard leséléments de réponse pour ce qui concerne le problèmedes obligations.

Si la concession exprime un acte souverain de la puis-sance publique, c'est-à-dire un engagement volontaireenvers un particulier ou un Etat bénéficiaire de la conces-sion, la CDI sait comment traiter cet engagement (ou,si l'on veut, ce consentement) à être lié. Quelle que soitla différence de nature entre une concession et un traité(et cette différence est nulle lorsque la concession estaccordée par un traité), il convient d'envisager mutatismutandis pour la concession les mêmes règles que cellesqui ont été retenues pour le traité dans le cadre du projetd'articles sur la succession d'Etats en matière de traités.

Article 11. — Succession aux créances publiques

1. Quel que soit le type de succession d'Etats, lescréances publiques propres au territoire affecté par le chan-gement de souveraineté demeurent dans le patrimoinede ce territoire.

2. L'Etat successeur bénéficie, lorsque se réalise lamutation territoriale, des créances publiques de toutenature redevables à l'Etat prédécesseur du fait de l'exercicede sa souveraineté ou de son activité dans le territoireconcerné.

COMMENTAIRE

1) Avec l'article 11, on aborde un des aspects des bienset droits incorporels. Quelques considérations généralessur cette catégorie de biens préluderont au commentaireproprement dit de l'article.

A. — Introduction

2) L'article 11 et les suivants représentent en quelquesorte la lex specialis, par rapport à la lex generalis portéepar l'article 9.

Bluntschli énonçait jadis une règle selon laquelle« la fortune * des Etats qui cessent d'exister passe active-ment et passivement aux successeurs de ces Etats 71 ».Dans une autre règle, il examinait le sort des « caissespubliques », qu'il partageait entre plusieurs successeursproportionnellement à la population, car, « pour arriver àune solution équitable et conforme à la raison, il fautremonter aux éléments primordiaux de l'Etat, c'est-à-direaux hommes 72 ». Chez l'auteur, le mot « fortune » étaitpris dans le sens large qu'il possédait à l'époque, etcomprenait « fortune privée, qui appartient au fisc, parexemple certaines industries, certaines terres, numé-raire 73 ».

3) Aujourd'hui, le Trésor, les fonds publics, la monnaie,les dépôts bancaires d'Etat, l'encaisse-or de l'institut

70 C'est pourtant bien dans le cadre de la succession aux bienspublics que Charles Rousseau, en particulier, envisage toutes cesquestions. Cf. Rousseau, op. cit., p. 190 à 237.

71J.-K. Bluntschli, Le droit international codifié, 5e éd. rev. etaugm., tr. de l'allemand par M. C. Lardy, Paris, Alcan, 1895, p. 85(règle 54).

72 Ibid., p. 87 (règle 58), commentaire sous la règle 58.73 Ibid., p. 85, commentaire sous la règle 54.

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28 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

d'émission, les créances publiques, les revenus fiscaux,les ressources domaniales, etc., représentent pour laplupart des biens qui assortissent à la souveraineté surle territoire et ses habitants. Il s'agit de moyens financierspar lesquels ou pour lesquels s'exprime cette souveraineté.Le droit de battre monnaie ou privilège d'émission,le droit de lever des impôts, le pouvoir coercitif de lapuissance publique pour opérer le recouvrement de touteredevance fiscale ou taxe douanière ou de toute créance dueà l'Etat, sont d'une nature juridique telle qu'on ne peutconcevoir leur maintien au bénéfice de l'Etat prédéces-seur 74.

4) Cela ne signifie pas nécessairement que ces droitspatrimoniaux ou ces biens fassent tous partie de ce quecertaines législations dénomment le « domaine public »de l'Etat ou soient les seuls à en faire partie. Il est possibleque certains droits incorporels — comme des créances oudes revenus tirés d'une activité commerçante de l'Etat —relèvent du « domaine privé » dans les pays qui connaissentcette institution, ou, selon une autre terminologie, dujus gestionis, par opposition au jus imperii, qui caractérised'autres activités de l'Etat liées directement à l'exercicede la souveraineté 75.

Partant de là, Guggenheim écrit en particulier que

La fortune fiscale de l'Etat [...] est considérée dans la plupartdes Etats comme faisant partie du domaine privé, et comme tellesoumise au droit civil. Le sort de cette fortune fiscale doit * êtreréglé par accord entre l'Etat cédant et l'Etat cessionnaire 76.

En réalité, la fortune fiscale est régie de plus en plus,et dans la plupart des Etats, par le droit public. Parailleurs, l'existence de stipulations conventionnelles, ausurplus extrêmement rares (voir article 256 du Traitéde Versailles), est loin d'être suffisante pour permettrede conclure à l'existence d'une obligation de régler paraccord le sort de cette fortune fiscale. Cette remarque asurtout pour objet de souligner, comme on le fera denouveau plus loin, l'existence d'une norme coutumièrede succession à l'impôt dans le cas très fréquent où aucunaccord ne règle un tel problème.

74 Une lettre du 5 septembre 1952 de l'ambassadeur britanniqueà Addis-Abeba, M. D. L. Busk, au Ministre des affaires étrangèresd'Ethiopie précisait que:

« Le transfert des pouvoirs en Erythrée au Gouvernement impé-rial éthiopien et au Gouvernement érythréen s'opérera comme s'ils'agissait de transférer une « entreprise en activité * ». En d'autrestermes, jusqu'au 15 septembre 1952, l'administration britanniqueactuelle percevra toutes les recettes fiscales et réglera toutes lesdépenses administratives (notamment les créances des tiers[...]) »(Echange de notes constituant un accord entre le Gouvernementdu Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord et leGouvernement de l'Ethiopie relatif aux arrangements financiersà intervenir lors de l'établissement de la Fédération entrel'Erythrée et l'Ethiopie [Addis-Abeba, 5 et 6 septembre 1952],dans Nations Unies, Recueil des Traités, vol. 149, p. 59).Quoique l'expression « entreprise en activité » risque de rappeler

la technique commerciale, elle n'en demeure pas moins suggestiveen la circonstance, le territoire devant être transféré dans les condi-tions normales de fonctionnement de tous ses rouages financierstels qu'ils existaient auparavant (impôts, douanes, monnaie,Trésor, etc.).

75 D ' a p r è s n o t a m m e n t P. Guggenhe im: Traité de droit inter-national public, Genève, Georg , 1953, t. I , p . 467 et 468, note 2.

76 Ibid., p . 468 et 469.

5) Selon Guggenheim, cet accord vaudrait particulièrement

lorsque l'Etat prédécesseur n'est pas incorporé à l'Etat successeuret continue donc d'exister [....]. Si l'Etat est démembré, sa fortunefiscale tombe dans la masse de liquidation. Lors du partage, lesobjets sont en général attribués à l'Etat de leur situation, mais sontcependant imputés sur la part lui revenant. Si l'Etat cesse d'existeret qu'il n'y ait qu'un seul Etat à lui succéder, ce dernier acquiertnon seulement la fortune fiscale située sur le territoire de son prédé-cesseur, mais également celle qui est située dans les Etats tiers 77.

Toutefois, en cas de disparition d'Etat, on ne décèlegénéralement pas l'existence d'un accord de dévolutionde la fortune fiscale, et dans les cas de pluralité d'Etatssuccesseurs l'accord, s'il intervient, est conclu entre ceux-ci.

L'auteur cité limite lui-même la portée de sa règle enen bornant l'application aux impôts: «La fortunefiscale immobilière * passe toutefois à l'Etat successeur[...] si ce dernier accepte les charges qui la grèvent78. »

De l'avis du Rapporteur spécial, il existe une obligationimpérative de dévolution de tous les biens publics ressor-tissant à la souveraineté, et singulièrement des ressources,créances et fonds publics 79.

B. — Droits patrimoniaux «juridiquement déterminés »

6) Le problème posé ici consiste à savoir si tous lesdroits corporels, qu'ils soient acquis ou éventuels, passentà l'Etat successeur. Il est très aisé de citer diverses juris-prudences nationales (et notamment la jurisprudencepolonaise après la première guerre mondiale) qui enten-dent dans le sens le plus large et le plus complet la suc-cession aux biens publics et à tous les droits nés ou ànaître 80.

La succession aux « droits » et surtout aux « intérêts »(cette dernière expression étant, comme on sait, trèsvague) implique la possibilité pour l'Etat cessionnairede faire valoir des prétentions futures et des droits ànaître. On est même allé parfois plus loin que la successionà des droits à naître ou à des intérêts. La Conventiondu 4 août 1916 entre les Etats-Unis d'Amérique et leDanemark, au sujet de la cession des Antilles danoises,

77 Ibid., p . 469 .™ Ibid., p . 468 , n o t e 2 .79 D. Bardonnet (op. cit., p. 573 et 574) considère qu'il existe« une présomption de succession aux biens publics en général,qu'ils constituent des dépendances du domaine public ou dudomaine privé, qu'ils soient immobiliers ou mobiliers [...]. Lesexceptions au principe du transfert intégral doivent être expressé-ment prévues dans les conventions et interprétées strictement ».On trouve chez un des auteurs qui avaient tenté de codifier le

droit international (J. Internoscia, Nouveau code de droit inter-national, New York, The International Code Company, 1910, p. 54)une règle n° 310 ainsi conçue: « Un Etat qui hérite doit prendre àsa charge [...] 3) l'argent et les biens du fisc », et une règle n° 313rédigée comme suit: « L'argent, les forêts, les terres et, en général,tous les biens mobiliers et immobiliers du Trésor de l'Etat éteintdeviennent sa propriété. » (II s'agit ici de « perte du territoireentier ».)

80 Cf. p. ex. Cour suprême de Pologne, Trésor de l'Etat polonaisc. Skibniewska (1928), dans A. D. McNair et H. Lauterpacht, éd.,Annual Digest of Public International Law Cases, 1927-1928, Londres,1931, affaire n° 48, p. 73 et 74, interprétant l'article 208 du Traitéde Saint-Germain-en-Laye (qui transfère aux successeurs del'Autriche-Hongrie tous les « biens et propriétés ») comme englobantaussi toutes les réclamations.

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Succession d'Etats dans les matières autres que les traités 29

décide en son article 1er le transfert aux Etats-Unis detous « droits d'empire et de souveraineté, possédés,revendiqués ou prétendus * par le Danemark 81 ».

On citera à titre d'exemple encore l'article 1er duTraité de Paris (1861), par lequel

Son Altesse Sérénissime le prince de Monaco renonce à perpétuitétant pour lui que pour ses successeurs, en faveur de Sa Majestél'Empereur des Français, à tous ses droits directs ou indirects *sur les communes de Menton et de Roquebrune, quelles que soientVorigine et la nature * de ses droits 82.

7) La jurisprudence reconnaît même le droit à l'Etatsuccesseur d'exiger des paiements au profit d'un tiers.En 1866, l'Etat prussien avait conclu un accord avec uneville, cédée ultérieurement à la Pologne, à l'effet de mettreà sa charge l'entretien d'une école secondaire. La Coursuprême de Pologne a jugé que l'Etat successeur avaitacquis les droits que l'accord de 1866 conférait à l'Etatprussien, même s'il s'agissait du droit d'exiger des paie-ments au profit d'un tiers, l'école ayant sa propre per-sonnalité juridique 83.

C. — Observations sur l'article 11

8) Le Rapporteur spécial est d'avis que la règle énoncéeest d'une application acceptable pour l'ensemble destypes de succession d'Etats. C'est pourquoi il a placél'article 11 dans la partie relative aux dispositions com-munes. Il se borne en conséquence à renvoyer au com-mentaire figurant dans son quatrième rapport84.

IV. — DISPOSITIONS PARTICULIÈRESÀ CHAQUE TYPE DE SUCCESSION D'ÉTATS

INTRODUCTION.— TYPOLOGIE RETENUE

20. Comme il l'a rappelé plus haut85 , le Rapporteurspécial avait, dans ses troisième, quatrième et cinquièmerapports, présenté des articles à caractère synthétique,ambitionnant de couvrir l'ensemble des types possiblesde succession. Il ignore s'il y est bien parvenu, mais cequ'il croit mieux savoir, c'est à la fois la complexité d'unetelle démarche et, déjà et par avance, les risques qu'ellecomportait.

21. C'est aussi pour faciliter un premier examen de cettematière par la Commission que le Rapporteur spécial

81 Texte anglais dans Supplément to the American Journal ofInternational Law, New York, 1917, vol. II, p. 55; texte françaisdans Revue générale de droit international public, Paris, 1917,t. XXIV, p. 454. Quant aux biens « prétendus » par le Danemark,Etat prédécesseur, v. commentaire du paragraphe 2 (biens possédésirrégulièrement) du projet d'article 2 dans le quatrième rapport(Annuaire... 1971, vol. II [l re partie], p. 178 et 179, doc. A/CN.4/247et Add.l, deuxième partie, art. 2, par. 9 à 12 du commentaire).

82 G . F . de Mar tens , éd., Nouveau Recueil général de traités,Got t ingue , Dieterich, 1869, t. XVII , part ie I I , p . 56.

83 C o u r suprême de Pologne, Trésor de l 'Eta t polonais c. Villede Gniezno (1930), dans H . Lauterpacht , éd., Annual Digest...,1929-1930, Londres , 1935, affaire n° 31 , p . 54 (citée dans Annuaire...1963, vol. I I , p . 139, doc . A/CN.4/157 , par . 336), ainsi que d 'au t resaffaires du m ê m e genre.

84 Annuaire... 1971, vol. II ( l r e partie), p. 196 et suiv., doc.A/CN.4/247 et Add.l, deuxième partie, commentaire de l'article 9.

86 Voir ci-dessus par. 10 à 12.

revient à la méthode analytique, au risque d'entreprendreune besogne répétitive et parcellaire, de dresser en consé-quence un catalogue fastidieux, pour constater en finde compte qu'un certain nombre de questions comportentles mêmes solutions quel que soit le type de succession.Mais il sera toujours temps, par la suite, d'opérer unregroupement de divers articles, à un stade plus avancédes travaux de la Commission.

22. Reste à trancher le problème du nombre de cas desuccession à retenir à cette fin. Là aussi, et pour faciliterl'examen du projet par la Commission, le Rapporteurspécial envisage d'adopter, grosso modo, les distinctionsproposées par sir Humphrey Waldock et approuvées parla Commission lors de l'étude du projet d'articles sur lasuccession d'Etats en matière de traités. Comme on sait,il a été relativement aisé (et finalement plus fécond) derattacher cette dernière étude au droit des traités, déjàplus élaboré. L'avantage qu'il y avait à examiner lasuccession d'Etats en matière de traités à travers des« canaux » déjà familiers était réel. On pourrait a priorien escompter un autre en rattachant le projet en cours,qui n'est pas codifié, à un autre qui vient de l'être. Maiscela comporte à l'évidence ses limites.

23. On retiendra à tout le moins les cas de successiontels qu'ils furent dégagés pour la succession d'Etats enmatière de traités, c'est-à-dire: «a) transferts de terri-toire; b) Etats nouvellement indépendants; c) unificationd'Etats, dissolution d'un Etat et séparation d'une partied'un Etat8 6 ». Fondamentalement, ce sont ces catégoriesqui seront retenues, même si par ailleurs les spécificitésde la matière qu'il traite amènent le Rapporteur spécialà formuler de façon légèrement différente cette typologiesuccessorale.

24. La difficulté d'approche provient certes de l'ef-froyable complexité propre à la matière de la successiond'Etats. Elle résulte également, il est vrai, du fait qu'unmême phénomène d'Etats peut être défini de plusieursfaçons différentes: la disparition de la dynastie desHabsbourg à la fin de la première guerre mondiale est à lafois une extinction d'Etat (vue sous l'angle de la disparitionde l'Empire austro-hongrois), un démembrement d'Etat(selon la même approche), une dissolution d'Etat ou uneséparation d'Etats (l'Autriche et la Hongrie), et uneémergence d'Etats nouveaux (les parties du territoire del'Empire autres que la Hongrie et l'Autriche sont devenuesou redevenues des Etats, comme la Tchécoslovaquie ou laPologne). Cette extinction de l'Empire austro-hongroispeut-être regardée aussi comme l'occasion d'une restau-ration ou résurrection d'Etat (la Pologne), ou comme unpartage entre des Etats anciens et des Etats nouveaux(ces derniers étant du reste de deux sortes: des Etatsressuscites et des territoires devenus des Etats).

25. Si l'embarras du choix pour un classement est évidentdans ce genre de cas, dans d'autres, et à l'inverse, ilpeut ne pas exister du tout de classement possible etsatisfaisant. La typologie retenue par la Commission nepermet nulle part l'examen historique des cas de coloni-sation.

86 Annuaire... 1972, vol. II, p. 247, doc. A/8710/Rev.l, par. 45.

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30 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

De même, un autre cas de succession d'Etats, nonisolé non plus, peut montrer l'étroitesse des choix offerts,en dépit des efforts réels de la Commission pour couvrirtoutes les hypothèses. Il s'agit de la remise en 1954 desEtablissements français de l'Inde à l'Union indienne.Ce n'est pas un transfert partiel de territoire d'un Etatà un autre. En effet, une telle opération implique ledétachement du territoire d'un Etat et son rattachementà un autre. Or, la Déclaration relative aux principes dudroit international touchant les relations amicales etla coopération entre les Etats conformément à la Chartedes Nations Unies (résolution 2625 [XXV] de l'Assem-blée générale, annexe) précise bien que le territoire encoredépendant ne fait pas partie de celui de la puissancecoloniale. L'argument de la postériorité de la Déclarationsur l'événement de 1954 ne saurait être invoqué 87. Il nes'agit pas davantage d'un Etat nouvellement indépendant,les Etablissements concernés ne s'étant pas constituésen Etat. On ne pourrait de toute évidence guère parler nonplus d'unification d'Etats ou de dissolution d'union,ces hypothèses supposant que les Etablissements de l'Indeconstituaient auparavant des Etats. Ces comptoirs n'ayantpas été des Etats, on ne peut les situer dans le cadre del'absorption complète par un autre Etat qui serait l'Inde.Enfin, on ne peut les classer dans l'hypothèse de la séces-sion par séparation d'une partie du territoire d'un Etat,car il ne s'agit ni, comme on sait, du détachement d'unterritoire ni de la création d'un Etat nouveau.

26. Mais ce qui complique la tâche, c'est une certaineinconstance dans la définition des phénomènes lorsqu'ilssont approchés à cet effet non point d'un seul et mêmecôté (par exemple du côté de l'Etat prédécesseur oude celui de l'Etat successeur), mais des deux côtés indiffé-remment, et avec une tendance à passer souvent de l'unà l'autre sans précaution ni délimitations préalables.C'est sans doute un peu cela qui faisait dire en 1963à notre ancien collègue, le professeur Herbert Briggs, quel'on ne trouverait pas deux juristes pour parler un mêmelangage face au même phénomène de succession considéré.

27. Quelle typologie retenir 88?

87 D'ailleurs, le Rapporteur spécial croit, sauf erreur, que mêmeen droit français les Etablissements de l'Inde n'étaient pas considéréscomme faisant rigoureusement partie du « territoire français ».

8 8 Voici que lques exemples de typologie suivis : Bluntschl i (op.cit., p. 81 à 88) envisage quatre hypothèses: a) la fin des Etats;b) la cession de territoires; c) les annexions; d)\e remplacement d'unEtat par d'autres. A l'article « Succession d'Etats », le Dictionnairede la terminologie du droit international (Paris, Sirey, 1960, p. 587)définit ce phénomène en se référant à quatre types de succession:a) incorporation totale; b) annexion partielle; c) partage; c?)créationd'un Etat nouveau. A. Bondé (Traité élémentaire de droit inter-national public, Paris, Dalloz, 1926, p. 114 à 128) envisage a) «latransformation des Etats dans leur composition territoriale quiconsiste en démembrements ou en annexions »; b) « la fin des Etatspar dispersion, destruction du territoire, annexion à un autre Etatou incorporation ». P. Fiore (// diritto internazionale codificato e lasua sanzione giuridica, 5e éd. augm., Turin, Unione tipografico-editrice torinese, 1915, p. 151 et suiv.) considère à) la séparationd'un Etat constitué; b) la restauration; c) l'Etat formé par l'unionde plusieurs autres; d) l'annexion totale; e) la cession partielle deterritoire. A. S. de Bustamante y Sirvén (Droit international public,tr. P. Goulé, Paris, Sirey, 1936, t. III, p. 273 à 342) distingue les«cas de survie de l'Etat affecté» (avec a) l'indépendance; b) ledémembrement; c) l'annexion partielle) et « la succession proprement

28. Un effort de clarification serait certainement lebienvenu. Hans Kelsen avait raison de ramener tout leproblème de la succession d'Etats 89, quant à sa définitiontypologique, à l'acquisition d'un territoire par l'Etatsuccesseur et la perte de ce territoire par l'Etat prédé-cesseur. Ce phénomène « d'acquisition-perte » s'accom-pagne ou non de la création d'un Etat ou de la disparitionde l'Etat prédécesseur. Autrement dit, il y a, selon l'auteur:

1. L'acquisition d'un territoire, c'est-à-dire le fait qu'un territoiredevient territoire d'un Etat donné, soit qu'il vienne s'ajouter àcelui d'un Etat déjà existant et qui, de la sorte, s'agrandit, soit qu'ils'agisse d'un Etat jusque-là inexistant et qui prend naissance ainsi; et

2. La perte d'un territoire, c'est-à-dire le fait qu'un territoirecesse de faire partie du territoire d'un Etat donné, soit que le domaineterritorial de ce dernier ait été diminué, soit que, dans le cas où la

dite avec la disparition et extinction de l'Etat » (avec a) l'absorptionpar un Etat; b) la désagrégation ou le partage; c) la fusion et l'union).F. Despagnet (Cours de droit international public, 2e éd., Paris,Sirey, 1899, p. 92 à 108) oppose «l'extinction des Etats» aux casde « changements survenus dans celui-ci », ces derniers étant selonl'auteur « l'annexion totale ou partielle » et la « formation d'unEtat nouveau par séparation ». L. Cavaré (Le droit internationalpublic positif, 3e éd., Paris, Pédone, 1967,1.1, p. 367 à 416) envisagea) «les nouveaux Etats formés par détachement d'un autre»;b) les « transformations de l'Etat dans sa constitution territorialepar agrandissement ou diminution (cession, annexion)»; c) les« transformations de l'Etat dans sa constitution juridique inter-nationale ou dans sa forme internationale » (amoindrissement de sapersonnalité lorsqu'il devient membre d'une fédération, d'une uniond'Etats ou d'une union réelle ou devient un Etat protégé, et accrois-sement de sa personnalité dans les cas de sécession d'une fédérationou d'une confédération, dans le cas d'acquisition, par un Etatfédéral d'une forme unitaire, et dans le cas de disparition d'unprotectorat). Ch. G. Fenwick (International Law, 3e éd. rev. etaugm., New York, Appleton-Century-Crofts, 1948) oppose lasuccession universelle (absorption par annexion, absorption parincorporation dans une union fédérale et division d'un Etat enplusieurs autres) à la succession partielle (annexion partielle, indé-pendance d'un Etat membre d'une confédération ou sous protec-torat). M. S0rensen (Manual of Public International Law, Londres,Macmillan, 1968) distingue a) « l'absorption complète » par annexiontotale; b) «la désintégration d'un Etat»; c) «les sécessions à lasuite de rébellions»; d) «les cessions de territoires»; e) «lesfédérations ou unions d'Etats ». D. P. O'Connell (International Law,2e éd., Londres, Stevens, 1970, vol. I) considère que le transfert deterritoire d'un Etat à un autre se produit dans au moins cinq cas(cession, annexion, émancipation ou indépendance, union, fédéra-tion). Dans ces cinq cas, une souveraineté se substitue à une autre,la substitution pouvant être complète (annexion totale) ou seulementpartielle. Oppenheim, éd. par sir Hersch Lauterpacht (InternationalLaw: A Treatise, 7e éd., Londres, Longmans, Green, 1948, vol. I)oppose a) la succession universelle (absorption, démembrement) ab) la succession partielle (indépendance, cession de territoire, consti-tution d'un Etat fédéral, accession de protectorat à la souverainetécomplète). K. Strupp (« Les règles générales du droit de la paix »,Recueil des cours... 1934-1, p. 255 à 595) distingue a) la sécession-indépendance; b) l'annexion totale; c) l'entrée d'Etats dans uneunion fédérale ou leur absorption dans un autre Etat; d) le démem-brement, cas « où toute une série d'Etats se constituent sur leterrain d'un autre, éteint par des faits révolutionnaires ou autres »(p. 473). Il ramène le tout à a) l'extinction totale d'un Etat et b) auxchangements partiels (p. 474). Accioly (Traité de droit internationalpublic, tr. P. Goulé, Paris, Sirey, vol. 1, 1940, p. 190 à 200) établitainsi sa typologie: à) «l'absorption ou l'annexion de tout oupartie du territoire d'un Etat »; b) « sa division ou son démembre-ment»; c) «l'extinction totale ou partielle d'un Etat» (p. 191),après quoi, envisageant les effets de chaque cas, il les classe ainsi:à) annexion totale; b) fusion; c) annexion partielle; d) séparation oudémembrement.

89 Le problème ne concerne bien évidemment pas le cas de lasuccession de gouvernements.

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Succession d'Etats dans les matières autres que les traités 31

perte englobe le territoire entier de l'Etat, celui-ci vienne à disparaîtrecomplètement90.

En conséquence de quoi, il dresse la typologie suivante:

1° Une partie du territoire d'un Etat devient partie du territoired'un autre Etat;

2° Ou bien forme un nouvel Etat;3° [...] le territoire entier d'un Etat devient partie d'un autre Etat;4° Ou est partagé, par parties, entre plusieurs Etats déjà existants;5° Ou encore devient territoire de plusieurs Etats nouveaux ;6° Ou, enfin, devient territoire d'un Etat nouveau 91.

29. En suivant d'aussi près que possible la typologieretenue par la CDI, on pourrait probablement envisager,du moins sur le plan de la pure logique, une doubleclassification des cas selon qu'il y a ou non création d'unEtat et disparition ou non de l'Etat prédécesseur. Chacunde ces deux grands cas comporte ainsi deux sous-groupes.On aurait alors :

a) Succession sans création ni disparition d'Etat (casdu transfert partiel de territoire) ;

b) Succession par création d'Etat, mais sans disparitiondu prédécesseur (cas des Etats nouvellement indépendants) ;

c) Succession par création d'Etat et disparition duou des Etats prédécesseurs (cas d'unification d'Etats, dedissolution d'unions, de fusion et de création d'Etats dits« composés ») ;

d) Succession sans création d'Etat, mais avec dispari-tion du prédécesseur (absorption, extinction, intégrationtotales, et partage entre plusieurs Etats) ;

é) Enfin, cas particulier de la séparation d'une partied'un Etat (sécession).

30. Reprenons chacun de ces types :

A. — Succession sans création ni disparition d'Etat(cas du transfert partiel de territoire)

31. C'est effectivement l'hypothèse du «transfert deterritoire » sur laquelle la CDI a travaillé dans le projetsur la succession en matière de traités. Ce sont les cas decessions ou annexions partielles, de rectifications ou derattachements territoriaux et, d'une manière générale, lescas définis par la Commission comme étant ceux où« un territoire relevant de la souveraineté ou de l'adminis-tration d'un Etat devient partie d'un autre Etat » (article10 du projet adopté en 1972). Le commentaire de l'articleen question rappelle que l'hypothèse couvre le cas de

un territoire qui n'est pas lui-même un Etat, lorsqu'il s'y produitun changement de souveraineté et que l'Etat successeur est un Etatqui existe déjà. L'article concerne donc des cas dans lesquels il nes'agit ni d'une union d'Etats, ni de la fusion d'un Etat avec un autre,non plus que de la naissance d'un nouvel Etat indépendant92.

32. Le Rapporteur spécial retient donc commodémentune telle définition et un tel commentaire, à cette nuance

près qu'il préfère qualifier de « partiel » le « transfert deterritoire » pour bien le distinguer du cas du transferttotal de territoire, qui implique la disparition de l'Etatprédécesseur. Il s'agit au contraire ici exclusivement dutransfert partiel de territoire, c'est-à-dire de successionsans création ni disparition d'Etat.

B. — Succession par création d'Etat, mais sans disparitiondu prédécesseur (cas des Etats nouvellement indépen-dants)

33. C'est également une hypothèse isolée par la Commis-sion et couvrant les cas dits d'accession à l'indépendanceou de décolonisation. En fait, la succession par créationd'Etat mais sans disparition du prédécesseur couvre descas plus vastes que ceux-là, et notamment ceux desécession ou de séparation, par détachement d'une partiedu territoire d'un Etat, unitaire ou non, et sa constitutionen Etat distinct93.

34. Cependant, à la fois pour suivre commodément et aumaximum les travaux précédents de la Commission, etaussi pour individualiser davantage les cas de décoloni-sation et apprécier éventuellement, à la demande répétéede l'Assemblée générale, l'apport de ces derniers à lathéorie de la succession d'Etats, le Rapporteur spécialn'envisagera sous cette rubrique que les cas des « Etatsnouvellement indépendants », terminologie qu'il conser-vera 94.

Il retient en conséquence les définitions sur ce pointdonnées par la Commission dans son projet sur la suc-cession en matière de traités. L'expression « Etats nouvel-lement indépendants » comportera une double acception.

35. Tout d'abord, et selon l 'al inéa/de l'article 2 (Ex-pressions employées) du projet de 1972, elle « s'entendd'un Etat dont le territoire, immédiatement avant la datede la succession d'Etats, était un territoire dépendantdont l'Etat prédécesseur avait la responsabilité des rela-tions internationales ».

De même pourra-t-on retenir le commentaire sur lemême alinéa de l'article 2, qui précise que « la défini-tion englobe [...] tous les cas d'accession à l'indépendanced'un ancien territoire dépendant, à quelque catégorie

90 H. Kelsen : « Théorie générale du droit international public —Problèmes choisis », Recueil des cours..., 1932-IV, Paris, Sirey, t. 42,p. 315.

91Ibid., p. 315 et 316.92 Annuaire... 1972, vol. II, p. 269, doc. A/8710/Rev. 1, chap. II, C,

art. 10, par. 1 du commentaire.

93 C'est également ainsi que sir H u m p h r e y Waldock l 'avaitentendu quand , dans son troisième r a p p o r t (Annuaire... 1970,vol. I I , p . 30, doc . A/CN.4 /224 et A d d . l , par . 9), il a défini le« nouvel Eta t » en se référant « au cas de succession dans lequel unterritoire qui faisait antérieurement partie d'un Etat existant estdevenu un Etat indépendant ».

94 Par ailleurs, comme on le sait, il y a lieu pour une autre raisonde distinguer l'accession à l'indépendance de la sécession. Le cas dela Belgique, qui a fait sécession d'avec les Pays-Bas en 1830, ne doitpas être traité de la même manière que celui de la libération d'unecolonie. La Déclaration relative aux principes du droit internationaltouchant les relations amicales et la coopération entre les Etats, déjàcitée (v. ci-dessus par. 25), a considéré que la souveraineté de l'Etatmétropolitain ne s'étendait pas aux territoires coloniaux. (Cf.Annuaire... 1971, vol. II [l re partie], p. 176, doc. A/CN.4/247 etAdd.l, deuxième partie, art. 1er, par. 30 et 31 du commentaire, eten particulier la note 33, où il est dit que, du fait de « l'altérité » duterritoire colonial, « une indépendance proclamée ne peut pluss'analyser en termes de sécession ou de cession partielle d'unterritoire, qui supposent l'une et l'autre une unicité territoriale del'ensemble colonie-métropole, unicité désormais sans fondementlégal ».)

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32 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

qu'il puisse appartenir [colonies, territoires sous tutelle,mandats, protectorats, etc.]95 ».

36. Toutefois, le Rapporteur spécial craint de nepouvoir souscrire à la partie de ce commentaire selonlaquelle l'Etat nouvellement indépendant « désigne unEtat issu d'une succession d'Etats * portant sur unterritoire [...]». En effet, il n'est pas juridiquement irré-prochable de soutenir que l'Etat nouvellement indépen-dant naît d'une succession. C'est exactement l'inversequi est correct, c'est-à-dire que ce sont les problèmes desuccession qui naissent de la création d'un Etat nouvel-lement indépendant.

37. En second lieu, et conformément à l'article 25 duprojet sur la succession en matière de traités, l'hypothèsevise aussi le cas d'un Etat nouvellement indépendant« formé de deux ou plusieurs territoires qui n'étaientpas encore des Etats à la date de la succession 96 ».

38. Là aussi, la Commission semble n'avoir retenu dansce cadre que les hypothèses de décolonisation. Les casde création d'un Etat sans disparition de l'Etat prédé-cesseur, examinés ici, devraient normalement engloberceux qui ont trait par exemple à la création de la Pologne,à la fin de la première guerre mondiale, à partir deterritoires détachés de la Russie, de l'Autriche-Hongrieet de l'Allemagne. C'est là aussi une hypothèse de créationd'un Etat formé, selon la définition précitée de la Commis-sion, « de deux ou plusieurs territoires qui n'étaient pasencore des Etats à la date de la succession ». Non seule-ment l'hypothèse visée par la Commission ramène leproblème au seul cas de décolonisation, mais encore ellen'envisage la formation de l'Etat nouveau qu'à partir deterritoires qui étaient eux-mêmes sous la mouvance d'unseul Etat prédécesseur: l'ancienne métropole. Le cas de laPologne montre que ces territoires peuvent avoir étédétachés de plusieurs Etats prédécesseurs. Suivant encela aussi la Commission, le Rapporteur spécial réserveratoutefois cette catégorie, dont il ne traitera que trèsallusivement.

C. — Succession par création d'Etat et disparition duou des prédécesseurs (cas d'unification d'Etats, dedissolution d'unions, de fusion et de création d'Etatsdits « composés »)

39. C'est là également une troisième catégorie retenueen 1972 par la CDI dans son projet d'articles sur lasuccession en matière de traités. Ici, un Etat prédécesseurdonne naissance à plusieurs Etats successeurs par disso-lution d'une union ou, à l'inverse, plusieurs Etats prédé-

95 Annuaire... 1972, vol. II, p. 250, doc. A/8710/Rev.l, chap. II, C,art. 2, par. 6 du commentaire.

96 C'est le cas, par exemple, de la fédération des Emirats arabesunis, des fédérations du Nigeria, de Malaisie, du Ghana, de laSomalie, ou encore de la Fédération de Rhodésie et du Nyassaland.Cf. l'article 25 du projet de la Commission, ainsi que le paragraphe 1du commentaire de cet article (ibid., p. 306).

Le cas de /'Ethiopie, annexée par l'Italie et libérée après la secondeguerre mondiale, est fondamentalement un cas de décolonisation. Ilest toutefois difficile de considérer l'Ethiopie comme un « Etatnouvellement indépendant », à moins d'interpréter l'expression« nouvellement » comme signifiant « à nouveau », c'est-à-dire laréédition d'un événement.

cesseurs laissent la place à un seul Etat successeur parunification d'Etats.

40. Aux fins de ses articles, le Rapporteur spécial tiendrapour acquise la définition de l'unification d'Etats, qui,selon l'article 26 du projet de 1972, vise 1' «unification dedeux ou plusieurs Etats en un Etat ». Le commentaire dumême article précise qu'il s'agit « d'une successiond'Etats résultant de l'unification en un Etat de deux ouplusieurs Etats, dont chacun avait une personnalitéinternationale distincte à la date de la succession 97 »,ce qui « implique, par conséquent, la disparition de deuxou plusieurs Etats souverains et, par suite de leur unifi-cation, la création d'un nouvel Etat98 ».

4L De même, le Rapporteur spécial retiendra la défi-nition donnée à l'article 27 du même projet, selon lequelil y a dissolution « lorsqu'un Etat est dissous et que desparties de son territoire deviennent des Etats distincts " »ou « lorsque des parties de son territoire deviennent desEtats indépendants distincts et que l'Etat originaire acessé d'exister 10°».

42. Toutefois, il y a lieu de lever une équivoque: leprojet de 1972 semble, ce faisant, évoquer littéralementle cas de la dissolution d'un Etat et non point celui de ladisparition d'une union, risquant ainsi de ramener leproblème examiné à celui du démembrement total d'unEtat unitaire qui viendrait à éclater et auquel se substi-tueraient sur chacune des parties de son territoire autantd'Etats nouveaux. Mais les exemples longuement évo-qués dans le commentaire indiquent clairement qu'ils'agit bien de dissolution d'unions 101. Au surplus, « laCommission a reconnu que presque tous les précédentsdans lesquels la désintégration d'un Etat aboutissait àsa disparition ont été des cas de dissolution de ce quel'on appelle une union d'Etats 102».

43. Quant à Y Etat composé qui, selon l'InternationalLaw Association, est «formé de plusieurs Etats outerritoires * antérieurement séparés 103 », il est plus clairde distinguer entre l'Etat composé de plusieurs territoiresantérieurement séparés, ce qui nous ramène au cas desEtats nouvellement indépendants, examiné sous B 104, etl'Etat formé par plusieurs Etats antérieurement séparés,ce qui nous place dans l'hypothèse d'une unification tellequ'elle est examinée dans la présente rubrique.

97 Ibid., p. 310, art. 26, par. 1 du commentaire.98 Ibid., par. 2 du commentaire.69 Ibid., p . 317.

100 Ibid., art. 27, par. 1 du commentaire.101 Dissolution entre 1829 et 1831 de la Grande-Colombie,

constituée auparavant par l'union de la Nouvelle-Grenade, duVenezuela et du Quito (Equateur), dissolution en 1905 de l'Unionde la Norvège et de la Suède, disparition en 1918 de l'Empireaustro-hongrois, éclatement en 1944 de l'Union Danemark-Islande,dissolution de la RAU et de la Fédération du Mali, etc.

102 Annuaire... 1972, vol. II, p. 320, doc. A/8710/Rev.l, chap. II,C, art. 27, par. 12 du commentaire.

103ILA, Report of the Fifty-third Conférence (Buenos Aires, 1968),Londres, 1969, p. 600 [Intérim Report of the Committee on theSuccession of New States to the Treaties and Certain OtherObligations of their Predecessors (rapport provisoire du Comité dela succession des Etats nouveaux aux traités et à certaines autresobligations de leurs prédécesseurs), note 2].

104 Voir ci-dessus par. 33 et suiv.

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Succession d'Etats dans les matières autres que les traités 33

D. — Succession sans création d'Etat,mais avec disparition du prédécesseur

44. Cette hypothèse se réfère au cas où l'Etat prédéces-seur disparaît soit au bénéfice d'un Etat successeurpréexistant {absorption totale ou extinction ou intégration)soit à l'avantage de plusieurs Etats préexistants (partaged'un Etat entre plusieurs autres) 105.

45. La différence entre cette hypothèse et celles qui sontexaminées ci-dessus sous C est évidente. Le cas où l'Etatdisparaît complètement par démembrement et rattache-ment de chacune de ses parties à des Etats préexistantsdoit être soigneusement distingué de celui où il disparaîtau bénéfice soit d'un Etat nouveau, par fusion ou unifi-cation, soit de plusieurs Etats nouveaux, par constitutionde chacun de ces territoires en Etats.

46. Le Rapporteur spécial considère pour sa part lescas envisagés dans cette hypothèse comme fondamenta-lement invalides au regard du droit international contem-porain, qui prohibe l'annexion, le partage ou l'absorptiond'un Etat par un ou plusieurs autres, même si la pratique,notamment au cours de conflits armés, enregistre descas de cette sorte.

47. La Commission se souvient de ce que le Rapporteurspécial avait déjà dans son quatrième rapport proposéun projet d'article 1er selon lequel

Les modifications territoriales intervenues par la force ou moyen-nant une violation du droit international ou de la Charte des NationsUnies n'emportent pas d'effets juridiques,

et

L'Etat auteur de la conquête ou de l'annexion ne peut êtreconsidéré comme un Etat successeur [...]106.

Dans le présent rapport, il a rappelé ces observations enprésentant un projet d'article 2 relatif à la nécessité den'envisager que les cas de succession d'Etats « se produi-sant conformément aux principes du droit international,et plus particulièrement aux principes du droit interna-tional incorporés dans la Charte des Nations Unies ».

48. La Commission dira s'il convient de retenir défi-nitivement ce type de « succession sans création d'Etat,mais avec disparition du prédécesseur », que le Rappor-teur spécial n'a envisagé ici que par souci d'être completen se référant aux quatre types successoraux logiquementconcevables.

E. — Cas particulier de la séparationd'une partie d'un Etat (sécession)

49. Pour suivre d'aussi près que possible les choixantérieurs et la démarche générale de la Commission,Je Rapporteur spécial traitera à part le cas de la séparation

d'une partie d'un Etat (ou sécession), qui fut réservé parla Commission, laquelle n'entendait pas le mêler à celuides Etats nouvellement indépendants 107, et lui a consacrédans le projet de 1972 un article spécial (art. 28).

50. Le Rapporteur spécial retiendra l'approche approu-vée par la Commission pour définir la « séparation d'unepartie d'un Etat » ou la « sécession »: l'article 28 préciseque l'hypothèse se réalise « si une partie du territoire d'unEtat s'en sépare et devient un Etat distinct ». Et lecommentaire de l'article souligne que

il s'agit du cas où une partie d'un territoire s'en sépare et devientelle-même un Etat indépendant, mais où l'Etat dont elle est issue(l'Etat prédécesseur) poursuit son existence sans autre changementque la diminution de son territoire 108.

51. Donc, la typologie retenue pour la présente étudesuivra d'aussi près que possible celle qui fut approuvéepar la Commission. Il s'agit des hypothèses suivantes:

a) Transfert partiel de territoire ;

b) Etats nouvellement indépendants;

c) Unification d'Etats et dissolution d'unions[toutes hypothèses retenues par la Commission];

d) Disparition d'un Etat au bénéfice d'un ou deplusieurs autres préexistants[hypothèse que le Rapporteur spécial souhaite voirexclue par la Commission comme non conforme, doré-navant, au droit international contemporain] ;

e) Séparation d'une partie d'un Etat (ou de diversesparties d'Etats différents)[hypothèse spécialement réservée par la Commission].

SECTION 1. — TRANSFERT PARTIEL DE TERRITOIRE

Article 12. — Monnaie et privilège d'émission

1. Le privilège d'émission appartient à l'Etat successeursur l'ensemble du territoire transféré.

2. La monnaie, les réserves d'or et de devises et,d'une manière générale, les signes monétaires de toutenature en circulation ou stockés dans ledit territoire passentà l'Etat successeur.

3. Les actifs de l'institut central d'émission dansl'Etat prédécesseur, notamment ceux qui sont affectés à lacouverture des émissions pour le territoire transféré, sontpartagés en proportion du volume de la monnaie circulantou détenue dans le territoire considéré.

105 On peut évidemment enrichir ou compl iquer cette hypothèsede la dispari t ion de l 'E ta t prédécesseur par le par tage p roprementdit in tervenant soit en t re des Eta ts préexistants, soit entre plusieursterritoires du m ê m e Eta t érigés eux-mêmes en Eta ts , soit entre desEta t s préexistants et des Eta ts nouveaux.

106 Annuaire... 1971, vol. II (l r e partie), p. 169, doc. A/CN.4/247et Add.l.

107 Voir ci-dessus par . 33 et 34.108 Annuaire... 1972, vol . I I , p . 321 , doc . A / 8 7 1 0 / R e v . l , c h a p . I I ,

C, art. 28, par. 1 du commentaire. Sécession de la Belgique (qui s'estséparée des Pays-Bas en 1830), de Cuba (qui s'est séparée de l'Espagneen 1898), de Panama (qui s'est séparé de la Colombie en 1903);séparation de la Finlande de la Russie après la première guerremondiale; création de la Tchécoslovaquie et de la Pologne sur lesdécombres de l'Empire austro-hongrois; sécession de l'Etat libred'Irlande en 1922; «partition» du Pakistan en 1947 (les accordsanglo-indiens considérant l'Inde comme l'Etat ancien et le Pakistancomme l'Etat nouveau); sécession du Bangladesh (qui s'est séparédu Pakistan en 1972), etc.

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34 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

COMMENTAIRE

A. — Introduction

1) Le problème de la monnaie se ramène dans tous lescas de succession d'Etats à une nouvelle définition ou àla liquidation équitable des rapports juridico-financiersentre les détenteurs de papier-monnaie, les Etats suc-cesseurs et les Etats prédécesseurs. L'interventionnismeétatique a depuis fort longtemps posé ce problème entermes de relations entre l'Etat prédécesseur et l'Etatsuccesseur, mais ne lui a pas pour autant ôté de sa grandecomplexité technique, dans laquelle le Rapporteur spécialestime inutile que la Commission s'enferme. Mêmedépouillé complètement de ses aspects financiers etcantonné strictement au plan de la succession d'Etats,ce problème comporte des difficultés réelles dans lamesure où // concerne à la fois la succession aux bienspublics et la succession aux dettes publiques.

2) Les instruments de paiement sont en effet générale-ment constitués par trois sortes de signes monétaires:1° la monnaie métallique proprement dite, formée parles pièces divisionnaires en circulation; 2° les réserves demétal ou l'encaisse-or servant de couverture; 3° le papier-monnaie ou monnaie fiduciaire, dont l'émission estgénéralement confiée à un institut bancaire appartenant àl'Etat. Or, si les deux premières catégories de signesmonétaires posent le problème du changement de souve-raineté en termes de succession aux biens publics, latroisième le pose dans le cadre de la succession aux dettespubliques. Le papier-monnaie, gagé généralement parune couverture-or, représente en théorie une dette del'institut d'émission vis-à-vis du porteur de cette mon-naie fiduciaire.

3) L'Etat successeur peut très bien laisser subsisterl'ancienne monnaie. L'expression de son pouvoir discré-tionnaire consiste aussi bien à user de son privilèged'émission qu'à ne pas s'en servir. Il peut se borner à desmodifications symboliques de forme (estampillage, sur-charges, nouvelles effigies) ou d'appellation de l'unitémonétaire ancienne laissée en circulation. Il peut, àl'inverse, introduire une nouvelle monnaie sur le terri-toire transféré: c'est généralement la propre monnaiede l'Etat successeur s'il s'agit de transfert partiel deterritoire, ou une monnaie nouvelle s'il est question de lacréation d'un Etat successeur. Dans cette hypothèse, ilindique le taux d'échange de l'ancienne monnaie par lanouvelle.

4) Pour illustrer l'aspect de « dette publique » quecomporte la monnaie, Max Huber écrivait jadis :

Dès lors que les billets de banque d'Etat forment dans leurtotalité une dette, les règles ordinaires sur la cession des obligationssont en vigueur. Le billet de banque conserve son ancien débiteur,auquel reste la totalité du fond de couverture. La situation du billetde banque est la même que celle de tout détenteur d'un papier privéau porteur 10*.

Il n'est pas dès lors illogique de conclure que, dans lamesure où le nouvel Etat successeur se substitue sur leterritoire transféré à l'ancien Etat en faisant face en seslieu et place aux obligations découlant de la circulationou de la détention de papier-monnaie dans le territoireconsidéré, il est admis à revendiquer la partie correspon-dante des actifs et aussi une part proportionnelle de lagarantie d'or ou de devises qui a servi à gager la monnaiefiduciaire.

Il faut signaler que dans les types de succession ancienson ne se préoccupait que de la monnaie métallique, ennégligeant la question des billets de banque, considéréscomme du simple papier commercial dont la liquidationse produit sans l'intervention du nouveau souverain.

B. — Privilège d'émission

5) Le paragraphe 1 de l'article proposé n'appelle pas delongs commentaires, car il va de soi que le privilèged'émission, qui est un attribut de la puissance publique,ne peut qu'appartenir au nouveau souverain sur le terri-toire transféré.

6) Tel qu'il est rédigé, le paragraphe ne signifie pas que leprivilège d'émission fasse l'objet d'une succession oud'un transfert. L'Etat prédécesseur perd son privilèged'émission sur le territoire transféré et l'Etat successeurexerce le sien propre, qu'il tient de sa souveraineté. Demême que le successeur ne tient pas sa souveraineté duprédécesseur 110, il ne reçoit pas non plus de lui un desattributs de celle-ci, qui est le privilège d'émission. Leparagraphe se borne tout simplement à rappeler que leprivilège d'émission « appartient » au nouveau souverainsur l'ensemble du territoire affecté par le changement.Il n'est pas hérité.

7) Toutefois, dans ce privilège comme dans tout droit,il faut distinguer la jouissance de Y exercice. Le fait quel'Etat successeur accepte conventionnellement d'enconfier ou d'en maintenir l'exercice à d'autres que luiconfirme, par ce pouvoir de disposition, qu'il est pleine-ment titulaire de ce privilège.

On lit ce qui suit à l'article 3 de la Convention entre lesEtats-Unis d'Amérique et le Danemark au sujet de lacession des Antilles danoises U 1 :

II est toutefois spécialement convenu que

4° Les Etats-Unis maintiendront [...]:

h) Une concession du 20 juin 1904 pour l'établissement d'unebanque d'émission dans l'Inde occidentale danoise. Cette banque aacquis pour une période de 30 années le monopole de l'émissiondes billets de banque dans les îles de l'Inde occidentale danoisemoyennant le paiement au Trésor danois d'une taxe de 10% surses profits annuels.

Bien entendu, les Etats-Unis se sont trouvés subrogés auDanemark, Etat cédant, pour ce qui concerne la per-ception de la taxe de 10%. Mais de telles pratiques — quidu reste n'ont jamais été très répandues — se perdent, et

109 M. Huber, Die Staatensukzession — Vôlkerrechtliche undstaatsrechtliche Praxis im XIX. Jahrhundert, Leipzig, Dunker &Umblot, 1898, p. 108.

110 Voir Annuaire... 1969, vol. II, p. 77, doc. A/CN.4/216/Rev.l,par. 29.

111 Pour référence, voir ci-dessus note 81.

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Succession d'Etats dans les matières autres que les traités 35

l'Etat successeur exerce lui-même son pouvoir de battremonnaie et d'émettre des billets.

8) II est arrivé parfois que l'exercice souverain duprivilège d'émission du successeur fût limité convention-nellement. Lors de la cession de Gênes au Roi deSardaigne, en 1814, il fut décidé que «les monnaiescourantes d'or et d'argent de l'ancien Etat de Gênesactuellement existantes seront admises dans les caissespubliques concurremment avec les monnaies piémon-taises 112 ». L'article 77 du Traité de paix avec la Turquie,signé à Sèvres le 10 août 1920 113, prévoyait pour lacession de Smyrne à la Grèce le maintien de la monnaieturque pendant cinq ans. Mais l'on sait que le traité nefut jamais mis en vigueur.

9) De son côté, la Yougoslavie exerça son privilèged'émission dans la zone B du territoire de Trieste enintroduisant d'abord, en novembre 1945, une monnaiespéciale, la « yougolira », et plus tard la monnaie natio-nale yougoslave, le dinar.

C. — Monnaie

10) En devenant la Jordanie, la TransJordanie a succédéà une part de l'excédent de l'Office monétaire palesti-nien (Palestine Currency Board), évaluée à un millionde livres sterling, mais a dû verser une somme équiva-lente, à d'autres titres, à la Grande-Bretagne 114.

11) Si le Gouvernement français a retiré ses signesmonétaires des Etablissements français de l'Inde, il acependant acquiescé à des compensations. L'article 23de l'Accord franco-indien du 21 octobre 1954 115 disposeen effet que

Le Gouvernement français remboursera au Gouvernement del'Inde, pendant une période d'un an à dater du transfert de facto,la valeur équivalente au pair, en livres sterling ou en roupies indiennes,de la monnaie retirée de la circulation dans les Etablissementsaprès le transfert de facto.

D. — Cas de transferts partiels de territoireà différents Etats successeurs préexistants

12) C'est l'hypothèse de la pluralité d'Etats succes-seurs par suite de la pluralité de territoires transférés.L'Etat prédécesseur peut survivre en n'abandonnantqu'une partie de son territoire au partage entre plusieursEtats.

112 Protocole du Congrès de Vienne: projet d'articles annexé auprotocole de la séance du 12 décembre 1814, dans G. F. de Martens,éd., Nouveau Recueil général de traités, Gottingue, Dieterich, 1887,t. II, p. 88.

113 G. F. de Martens, éd., Nouveau Recueil général de traités,Leipzig, Weicher, 1924, 3e série, t. XII, p. 681.

114 Voir Accord du 1er mai 1951 entre le Royaume-Uni et laJordanie relatif au règlement des questions financières restées ensuspens par suite de la fin du mandat pour la Palestine (NationsUnies, Recueil des Traités, vol. 117, p. 19).

118 France, Ministère des affaires étrangères, Recueil des traités etaccords de la France, année 1962, Paris, 1962, p. 535, et Journalofficiel de Vlnde française, Pondichéry, 22 octobre 1954, n° 105,p. 567; texte anglais dans: Inde, Foreign Policy of India: Texts ofDocuments, 1947-64, New Delhi, Lok Sabha (Secrétariat), 1966,p. 212.

Chacun des Etats successeurs possède, du fait de sapropre souveraineté, son privilège d'émission, dont ildispose discrétionnairement : cette question ne pose pas dedifficulté particulière. Le problème ici est de savoircomment les successeurs se partagent l'encaisse métal-lique, les réserves en devises, la circulation monétaire, etc.Généralement, le sort de ces biens publics est réglépar un accord de répartition. Il ne semble pas possibled'énoncer une règle de répartition qui tienne compte detous les paramètres (importance numérique de la popu-lation du territoire, degré de richesse de celui-ci, contri-bution passée à la constitution des réserves centrales,pourcentage de papier-monnaie en circulation dans leterritoire, etc.).

13) On ne perdra pas de vue le fait que le transfert dece papier-monnaie au nouveau souverain représenteavant tout une succession à une dette, tandis que l'apportde l'encaisse métallique constitue une succession à unbien public. Ainsi, l'Etat cessionnaire essaie la plupart dutemps de faire retirer de la circulation les anciennes cou-pures, à la fois parce qu'elles représentent une detteet parce que cette opération lui offre l'occasion d'exprimerson pouvoir souverain d'émission.

Lorsque l'ancien empire des tsars disparut après lapremière guerre mondiale, divers territoires de celui-cipassèrent à l'Estonie, à la Lettonie, à la Lituanie et à laPologne, notamment116. Les traités de paix concluslaissèrent entièrement à la charge du nouveau régime desSoviets la dette correspondant au papier-monnaie émispar la Banque d'Etat russe dans les quatre pays citésci-dessus 117. Les dispositions de certains de ces instru-ments indiquaient que la Russie libérait ces Etats de lapartie de la dette correspondante, comme s'il s'agissaitd'une dérogation conventionnelle à un principe de suc-cession automatique à cette dette. D'autres dispositionssont allées même jusqu'à signaler le motif d'une telledérogation, trouvé dans le fait des destructions éprouvéespar ces pays pendant la guerre 118.

14) Parallèlement et par ces mêmes traités, une partie dela couverture métallique de la Banque d'Etat russe a ététransférée à chacun de ces Etats. Le motif invoqué pourcela dans le cas de la Pologne est très intéressant à souli-gner: les 30 millions de roubles-or versés à ce titre par laRussie correspondaient à la « participation active » desterritoires polonais à la vie économique de l'empiretsariste.

Article 13. — Trésor et fonds publics

1. Les fonds publics de l'Etat prédécesseur, liquidesou investis, situés dans le territoire transféré tombent dansle patrimoine de l'Etat successeur.

116 On laisse ici les cas de la Finlande, qui possédait déjà sonautonomie monétaire sous l'ancien régime russe, de la Bessarabie,rattachée par les grandes puissances à la Roumanie, et de la Turquie.

117 Cf. les traités avec l'Estonie (2 février 1920), art. 12; avec laLatvie (11 août 1920), art. 16; avec la Lituanie (12 juillet 1920),art. 12; et avec la Pologne (18 mars 1921), art. 180 (SDN, Recueildes Traités, vol. XI, p. 29; vol. II, p. 195; vol. III, p. 105; et vol. VI,P. 51).

118 Cf. B. Nolde, « La monnaie en droit international public »,Recueil des cours... 1929-11, Paris, Hachette, 1930, t. 27, p. 295.

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36 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

2. Quelle que soit leur localisation, les fonds publics,liquides ou investis, propres au territoire transféré conserventleur affectation et leur appartenance au territoire transféré.

3. Le bilan des opérations de trésorerie étant arrêté dansles écritures publiques du territoire transféré, l'Etatsuccesseur reçoit l'actif du Trésor et assume les chargesafférentes ainsi que les déficits budgétaires ou de trésorerie.Il subit en outre le passif dans les conditions et selon lesrègles relatives à la succession à la dette publique.

COMMENTAIRE

A. — Fonds publics

1) II y a lieu de distinguer entre les fonds publicsappartenant à l'Etat prédécesseur et ceux qui sont propresau territoire transféré.

1. Fonds publics d'Etat

2) II faudrait entendre par fonds publics d'Etat sur leterritoire transféré du numéraire, des actions et partici-pations qui, tout en faisant partie de l'actif global del'Etat, sont situés dans le territoire ou possèdent un lienavec celui-ci en raison de la souveraineté de l'Etat sur cetterégion ou de son activité dans celle-ci. Le principe dutransfert intégral de l'ensemble de l'actif de l'Etat prédé-cesseur commande la passation de ces fonds à l'Etatsuccesseur. Ceux-ci peuvent être liquides ou investis;ils comprennent les participations et actions de toutesnatures. Ainsi, l'acquisition de « tous les biens et pos-sessions » des Etats allemands dans les territoires cédésà la Pologne comprenait aussi, selon la Cour suprêmede Pologne, le transfert au successeur de la participationau capital d'une société 119.3) La Slovaquie a succédé aux participations de laTchécoslovaquie par un accord avec le IIIe Reich du13 avril 1940. Tous les fonds des caisses publiques « avecou sans personnalité juridique 120 » devenaient automa-tiquement et gratuitement slovaques dès lors qu'ils setrouvaient sur le territoire de la Slovaquie. La Hongrie,à sont tour, succédait ipso jure, par l'accord du 21 mai 1940avec le IIIe Reich, aux biens des caisses « contrôlées »par la Tchécoslovaquie dans le territoire pris par lapremière sur la seconde.

4) Dans le cadre du « transfert gratuit du droit depropriété sur les biens d'Etat », l'URSS a reçu les fondspublics se trouvant en Ukraine subcarpatique cédée parla Tchécoslovaquie conformément au Traité du 29 juin1945 et dans les limites prévues par le Traité de Saint-Germain-en-Laye, du 10 septembre 1919.

5) Le Territoire libre de Trieste a succédé à tous lesavoirs mobiliers de l'Italie, y compris les fonds publics,en vertu du Traité de paix de 1947 121.

114 Résumé, établi par le Secrétariat, de la décision de la Coursuprême de Pologne dans l'Affaire Trésor de l'Etat polonais c.Deutsche Mittelstandskasse (1929) [Annuaire... 1963, vol. II, p. 139,doc. A/CN.4/157, par. 337].

120 « Betr iebe, Ans ta l ten u n d F o n d s , mit oder ohne eigene Rechts-persônlichkeit * », précise l 'Accord Slovaquie-Reich du 13 avril1940, cité p a r I . P a e n s o n : Les conséquences financières de la succes-sion des Etats (1932-1953), Par is , D o m a t - M o n c h r e s t i e n , 1954, p . 104.

121 Annexe X au Traité de paix du 10 février 1947 avec l'Italie(Nations Unies, Recueil des Traités, vol. 49, p. 97).

2. Fonds propres au territoire transféré

6) Par fonds publics « propres » au territoire transféré,on vise tout d'abord les fonds appartenant au territoireen tant que collectivité autonome sur le plan administra-tif et financier. Ces fonds, qui n'ont jamais appartenu àl'Etat prédécesseur pendant toute la période où il exerçaitencore sa juridiction sur le territoire, peuvent encoremoins lui revenir après la perte de sa souveraineté surcelui-ci.

7) II est évident que les fonds appartenant en propreau territoire transféré ne doivent pas être affectés par lechangement de souveraineté, dans leur destination nonplus que dans leur propriété. Il est, certes, du pouvoir del'Etat successeur de mettre fin à l'application de lalégislation financière ou autre de l'Etat prédécesseur dansle territoire transféré et d'y substituer sa propre régle-mentation ou toute autre qu'il lui plaira d'élaborerspécialement pour le territoire considéré. Mais desmodifications qui toucheraient ainsi au statut de cesbiens publics seraient le fait de l'Etat successeur agissanten sa qualité d'Etat souverain et ne sauraient trouverleur justification dans le fait même de la successiond'Etats. La règle paraît devoir s'imposer quelle que soitla situation juridique ou géographique de ces biens dèslors qu'ils appartiennent en propre au territoire transféré.Ils peuvent se trouver dans le territoire même ou dans celuide l'Etat prédécesseur, ou encore dans celui d'un Etattiers.

B. — Trésor

8) Généralement, les comptes publics sont arrêtés à ladate du transfert et celui-ci a lieu ipso facto. Mais letransfert du Trésor est chose toujours délicate, en raisonde la complexité des opérations faites par cette institution.Les actifs, composés des fonds publics, effets et valeurs,masses budgétaires, produits divers du Trésor, ainsi queles installations mobilières et immobilières utilisées parles services du Trésor, doivent normalement être trans-férés à l'Etat successeur. En contrepartie, celui-ci assumele passif comprenant les charges diverses et de gestion duTrésor, la dette publique proprement dite et les diversdéficits éventuels.

9) L'Etat successeur assume aussi, pour le territoiretransféré, ce qui peut être dû à l'Etat prédécesseur sicelui-ci détient une créance certaine sur le Trésor local oului a consenti des avances. Mais tout cela doit être renvoyéau chapitre de la dette publique, dont les modalitésd'extinction seront étudiées plus tard par la CDI. Lescharges qui passent à l'Etat successeur sont notammentreprésentées par les dépenses de service du Trésor. Lesdéficits budgétaires ainsi que les déficits de trésoreriedoivent être soigneusement distingués du passif repré-senté par la dette publique. Celle-ci est constituée pardiverses créances sur le Trésor détenues par des particu-liers ou des personnes morales. Le déficit budgétaire oude gestion n'est pas nécessairement de même nature etn'a pas obligatoirement les mêmes origines.

10) Le Rapporteur spécial a proposé un projet d'articleobligeant l'Etat successeur à assumer les charges pesantsur le Trésor transféré par l'Etat prédécesseur. Il convienttoutefois de ne pas se dissimuler l'existence de cas où ces

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Succession d'Etats dans les matières autres que les traités 37

charges furent laissées à l'Etat cédant. C'est ainsi parexemple que le Traité de paix conclu à Bucarest le 7 mai1918 entre les puissances centrales et la Roumanie 122

stipule en son article XII que les biens d'Etat (Staats-vermôgen) des territoires roumains cédés passent auxEtats acquéreurs francs et quittes de toutes indemnitéset charges. On pourrait facilement multiplier les exemplesde cette espèce.

Article 14. — Archives et bibliothèques publiques

1. Quelle que soit leur localisation, les archives etdocuments publics de toute nature se rapportant directementou appartenant au territoire transféré, ainsi que les biblio-thèques publiques de celui-ci, suivent le territoire transféré.

2. L'Etat successeur ne refusera pas de délivrer àl'Etat prédécesseur ou à tout Etat tiers concerné, sur leurdemande et à leurs frais, copies de ces pièces, sauf si ellestouchent à sa propre sécurité ou à sa souveraineté.

COMMENTAIRE

1) Le Rapporteur spécial ne reviendra pas sur lesindications fournies dans son troisième rapport123.

A. — Définition des pièces concernéespar le transfert

2) Le projet d'article se réfère à des « archives et docu-ments publics de toute nature ». Il n'existe pas, tout aumoins en langue française, de terme générique suscep-tible de couvrir toute la richesse du matériel scriptural,photographié ou dessiné que tend à suggérer l'expressionemployée. Celle-ci doit être entendue comme visant à lafois l'appartenance, le genre, le caractère, la catégorieet la nature des pièces, et un commentaire circonstanciédevra suivre l'article, dans sa rédaction définitive, auxfins d'éclaircissement nécessaire.

3) La conception la plus large de la formule « archiveset documents » est retenue ici, eu égard à une pratiquediplomatique des plus constantes.

Il est entendu que l'expression « de toute nature » vised'abord l'appartenance de ces archives, dont il importepeu qu'elles soient la propriété de l'Etat, d'une collectivitéintermédiaire ou d'un organisme local à caractèrepublic, l'essentiel étant qu'il s'agit de documents publics.Quelles que soient les corporations de droit public et lesdivisions administratives que connaisse un Etat, leursarchives sont visées.

L'expression « de toute nature » vise aussi le genre —que les archives soient diplomatiques, politiques ouadministratives, militaires, civiles ou ecclésiastiques,historiques ou géographiques, législatives ou réglemen-taires, judiciaires, financières ou autres.

Le caractère de ces pièces importe peu également(qu'elles soient publiques ou secrètes).

La nature ou la catégorie ne vise pas seulement le faitqu'il peut s'agir d'écrit, qu'il soit manuscrit ou imprimé,ou de photographie, dessin, etc., ou encore d'un originalou d'une copie, mais encore de la matière dont il est fait:papier, parchemin, étoffe, cuir, etc.

Enfin, l'expression employée a la prétention de couvrirtoutes les variétés de documents. Il a paru en effet inutileet vain au Rapporteur spécial d'énumérer dans une liste— nécessairement incomplète et sûrement fastidieuse —toutes ces variétés. Les instruments diplomatiques visentpar exemple nommément « les archives, registres, plans,titres et documents de toute nature 124 », « les archives,documents et registres concernant l'administration civile,militaire et judiciaire des territoires cédés 125 », « tousles titres, plans, matrices cadastrales, registres et pa-piers 126 », « toutes archives du gouvernement et tousrapports, papiers ou documents qui ont trait à la cessionou aux droits et à la propriété des habitants des îlescédées 127 », « toutes archives ayant un intérêt historiquegénéral », par opposition aux « archives présentant unintérêt pour l'administration locale128», «tous lesdocuments se rapportant exclusivement à la souverainetéabandonnée ou cédée [...], les archives officielles, execu-tives aussi bien que judiciaires 129 », les « documents,actes et archives [...], les registres de l'état civil, les registresfonciers, les registres cadastraux [...] 130 », etc.

B. — Principe du transfert des archivesà VEtat successeur

4) Le principe du transfert des archives à l'Etat succes-seur ne semble pas faire de doute. La pratique diploma-tique le montre.

1. Archives de toute nature

5) Généralement, les archives de toute nature sont remisesimmédiatement ou dans des délais très courts à VEtatsuccesseur. Le Traité franco-allemand de transfert de 1871fait obligation au Gouvernement français de remettre au

122 G. F . de Mar tens , éd., Nouveau Recueil général de traités,Leipzig, Weicher, 1921, 3 e série, t. X , p . 856.

123 Annuaire... 1970, vol . I I , p . 164 et 165, doc . A/CN.4 /226 ,deuxième partie, art. 7, par. 1 à 6 du commentaire.

124 Expression figurant dans plusieurs dispositions du Traité deVersailles, du 28 juin 1919: par t . I I I , sect. I, art . 38, concernantl 'Allemagne et la Belgique; sect. V, art . 52, concernant l 'Allemagneet la France pour l 'Alsace-Lorraine (G. F . de Martens , éd., NouveauRecueil général de traités, Leipzig, Weicher, 1923, 3 e série, t. XI ,p . 358, 380 et 381).

126 Article 3 du Trai té de paix entre l 'Empire al lemand et laFrance , signé à Francfort le 10 mai 1871 (ibid., Got t ingue, Dieterich,1874, t. X I X , p . 689).

126 Article 8 de la Convention additionnelle au Trai té de paix,signée à Francfort le 11 décembre 1871 (ibid., 1875, t. X X , p . 854).

127 Article 1 e r , par . 3, de la Convention entre les Etats-Unisd 'Amérique et le Danemark au sujet de la cession des Antillesdanoises [pour référence, v. ci-dessus note 81].

128 Article VI du Trai té de cession du territoire de la Ville librede Chandernagor , entre l ' Inde et la France, signé à Paris le 2 février1951 (Nat ions Unies, Recueil des Traités, vol. 203, p . 159 à 161).

129 Article VIII du Trai té de paix entre l 'Espagne et les Etats-Unisd 'Amér ique , signé à Paris le 10 décembre 1898 [texte anglais d a n s :W. M . Malloy (comp.), Treaties, Conventions, International Acts,Protocols and Agreements between the United States of America andother Power s, 1776-1909, Washington (D.C.) , U.S . GovernmentPrinting Office, 1910, vol. II , p . 1693].

130 Article 8 du Traité de frontière entre les Pays-Bas et laRépublique fédérale d'Allemagne, signé à La Haye le 8 avril 1960(Nations Unies, Recueil des Traités, vol. 508, p. 155).

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38 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

Gouvernement allemand les archives se rapportant auxterritoires cédés m . La convention additionnelle à cetraité a mis à la charge des deux Etats l'obligation de serestituer réciproquement tous les titres, registres, etc., descommunes respectives délimitées par le nouveau tracéfrontalier entre les deux pays 132. Après la premièreguerre mondiale, les territoires cédés en 1871 ayantchangé de camp, les archives ont suivi le même sort,et le Traité de Versailles a imposé au Gouvernementallemand de remettre sans délai au Gouvernement françaisles pièces concernant ces territoires 133. Par le mêmetraité, et selon une disposition rédactionnelle identique, leGouvernement allemand contractait la même obligationvis-à-vis de la Belgique 134.

2. Archives, moyens de preuve

6) Dans les anciens traités, les archives sont remises àl'Etat successeur avant tout comme moyens de preuveet en tant que titres de propriété.

La doctrine ancienne paraît conserver la trace de cespréoccupations « probatoires ». « Les archives, écrivaitFauchille, et titres relatifs à la propriété des biens acquispar VEtat annexant * qui font [...] partie du domainepublic doivent aussi lui être remis 135 ». La conventionpar laquelle les diverses îles constituant les Antillesdanoises furent vendues en 1916 aux Etats-Unis d'Amé-rique par le Danemark disposait que

Dans cette cession seront aussi compris toutes archives du gou-vernement et tous rapports, papiers ou documents qui ont trait à lacession ou aux droits et à la propriété * des habitants des îles cédées

Lorsque, par le Traité de Paris, du 10 décembre 1898,l'Espagne a cédé aux Etats-Unis d'Amérique les biensdu domaine public de Cuba, de Porto Rico, de l'île deGuam et de l'archipel des Philippines, il a été déclaréqu'étaient compris dans cette cession

tous les documents se rapportant exclusivement à la souverainetéabandonnée ou cédée [...] et les droits * de la Couronne d'Espagneet de ses autorités sur les archives officielles [...]13?.

Mais ces traités ne semblaient pas pour autant impliquerun droit pour l'Etat cédant de conserver les autrescatégories d'archives.

3. Archives, moyens d'administration

7) L'idée simple a prévalu que, dans le transfert deterritoire, le souci de livrer un territoire aussi viable que

131 Article 3 du Trai té de paix signé à Francfort le 10 mai 1871(v. ci-dessus note 125).

132 Article 8 de la Convent ion additionnelle du 11 décembre 1871(v. ci-dessus note 126).

133 Tra i té de Versailles, d u 28 ju in 1919, par t . I I I , sect. V (Alsace-Lorra ine) , a r t . 52 (v. ci-dessus note 124).

134 Ibid., par t . III, sect. I, a r t . 38 (ibid.).135 p F a u c h i l l e , Traité de droit international public, 8 e édition du

Manue l de droi t internat ional public de H . Bonfils, Paris , Rousseau ,1922, t. 1 e r , p . 360, par . 219.

136 Article 1 e r , par . 3, de la Convent ion d u 4 a o û t 1916 (v. ci-dessusnote 81).

137 Article VIII du Traité du 10 décembre 1898 (v. ci-dessusnote 129).

possible devait amener l'Etat prédécesseur à abondonnerau successeur tous les instruments permettant d'éviterautant que possible une perturbation dans sa gestionet de faciliter une administration convenable. D'oùl'habitude de laisser au territoire tout le matériel écrit,dessiné, photographique, nécessaire à la poursuite du bonfonctionnement administratif du territoire.

8) Cette « pratique », que l'on rencontre dans quelquestraités d'annexion, notamment en Europe, a aboutiquelques rares fois à laisser l'Etat prédécesseur se croireautorisé à ne remettre que les archives à caractère admi-nistratif138 et à conserver celles qui possédaient unintérêt historique. Mais de tels « précédents » paraissentisolés.

L'Histoire a enregistré des cas nombreux de transfertsd'archives, documents historiques compris. Cette dernièrecatégorie est même parfois seule visée, non point parcequ'elle a pu être exclue à une période donnée de ce trans-fert, mais simplement parce que les tribulations de la vieinternationale n'avaient pas encore attiré l'attention surelle. C'est ainsi que la France a pu, en tant qu'Etatsuccesseur en Savoie et à Nice, obtenir non seulement duGouvernement sarde les archives historiques se trouvantà cette époque sur ces territoires cédés, mais encore del'Italie 139, un siècle plus tard, les archives historiquesse trouvant à Turin 140. De même, la Yougoslavie et laTchécoslovaquie ont obtenu de la Hongrie, par le Traitéde paix du 10 février 1947, toutes les archives historiquesconstituées par la monarchie hongroise entre 1848 et1919 sur ces territoires. Par le même instrument, laYougoslavie devait recevoir en outre de la Hongrie lesarchives concernant l'Illyrie, datant du xvme siècle 141.Il est aisé de multiplier les exemples sur ce point.

Il semble donc que l'on soit fondé à poser en règlegénérale pour tous les cas de succession le principe dutransfert des archives de toute nature à l'Etat successeur.Mais le projet d'article apporte une autre précision quiappelle un commentaire. Il s'agit des archives « serapportant [...] ou appartenant au territoire ».

C. — Le lien archives-territoire

9) Le texte proposé énonce le principe de la remise àl'Etat successeur des archives « se rapportant directementou appartenant au territoire ». Il convient de préciserces expressions.

Il est évident que l'Etat successeur ne peut réclamern'importe quelles archives, mais seulement celles-làseules qui appartiennent au territoire. Cette appartenances'apprécie à un double point de vue.

10) Dans une première approche, il s'agit des archivesacquises avant le changement de souveraineté soit par le

138 Celles-ci étaient entendues au sens le plus la rge : documentsfiscaux de toutes sortes, registres cadas t raux, domaniaux , documentsadministrat ifs , registres d 'é ta t civil, livres fonciers, archives jud i -ciaires et pénitentiaires, e tc .

139 Cela para î t d ' a u t a n t plus significatif que l 'Italie était elle-mêmele successeur du Gouvernement sarde.

140 Voir ci-dessous par. 21.141 Article 11 du Traité de paix avec la Hongrie (Nations Unies,

Recueil des Traités, vol. 41, p. 179).

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Succession d'Etats dans les matières autres que les traités 39

territoire soit pour son compte, à titre onéreux ou gratuit,et avec ses deniers ou non. De ce premier point de vue, cesarchives « appartiennent » au territoire et doivent suivreson sort dans le changement de souveraineté. Il n'estpas nécessaire pour cela que ces archives se rapportentau territoire, car on peut parfaitement concevoir quecelui-ci ait acquis à titre gratuit ou onéreux des documentshistoriques, culturels ou autre relatifs à d'autres régionsdu monde.11) Dans une seconde approche, c'est le lien organiquerattachant le territoire aux archives le concernant qui estpris en considération. Mais une difficulté surgit quand ilfaut apprécier, selon les catégories d'archives, la puissancedu lien considéré. La doctrine s'accorde à estimer quelorsque les documents en question « concernent l'Etatprédécesseur comme tel et [...] ne se réfèrent qu'incidem-ment au territoire cédé », ils « restent la propriété de l'Etatcédant, [mais] il est généralement admis que des copiesseront fournies à l'Etat annexant sur sa demande 142 ».Le lien « archives-territoire » a été pris en considération defaçon précise dans l'accord de Rome du 23 décembre 1950signé à propos des archives entre la Yougoslavie etl'Italie 143.

On relèvera ici la décision de la Commission de conci-liation franco-italienne par laquelle celle-ci a jugé que lesarchives et documents historiques, même s'ils appartien-nent à une commune dont le territoire est divisé par lanouvelle frontière arrêtée par le Traité de paix avec l'Italie,doivent être attribués dans leur totalité à la France dèsl'instant où ils se rapportent au territoire cédé 144.

12) Après la guerre franco-allemande de 1870, les ar-chives de l'Alsace-Lorraine furent remises à la nouvelleautorité allemande dans ce territoire. Cependant, uneconvention spéciale régla à l'amiable le problème desarchives de l'Académie de Strasbourg et de ses facultés.

142 Ch. Rousseau, op. cit., p. 136, Cf., dans le même sens,D. P. O'Connell, State Succession in Municipal Law and InternationalLaw, Cambridge, University Press, 1967, vol. I: Internai Relations,p. 232 et 233.

113 L'article 6 de cet accord (Nations Unies, Recueil des Traités,vol. 171, p. 291) dispose que les archives indivisibles ou d'intérêtcommun pour les deux parties

« seront attribuées à celle des deux parties qui, d'après l'avis de laCommission, sera la plus intéressée à la possession des documentsen question, selon l'extension du territoire ou le nombre despersonnes, des institutions ou des sociétés auxquelles ces documentsse rapportent *. Dans ce cas, l'autre partie en recevra une copie,qui lui sera remise par la partie détenant l'original. »144 Décision n° 163 rendue le 9 octobre 1953 (Nations Unies,

Recueil des sentences arbitrales, vol. XIII [publication des NationsUnies, numéro de vente: 64.V.3], p. 503). Cette décision contient lepassage suivant:

« Des biens communaux qui devront ainsi être répartis en appli-cation du paragraphe 18 [de l'annexe XIV au Traité de paix avecl'Italie], il y a lieu d'exclure « les archives et tous les documentsappropriés d'ordre administratif ou d'intérêt historique»; cesarchives et ces documents, même s'ils appartiennent à unecommune dont le territoire se trouve divisé par une frontièreétablie en vertu du traité, passent à l'Etat dit successeur s'ilsconcernent le territoire cédé ou se rapportent à des biens transférés *(par. 1 de l'annexe XIV); ci ces conditions ne sont pas remplies,ils ne sont soumis ni au transfert du paragraphe 1, ni à la réparti-tion du paragraphe 18, mais restent propriété de la communeitalienne. Ce gui est décisif, pour ces biens d'une catégorie spéciale,c'est le lien idéal avec un autre bien ou un territoire * » (ibid.,p. 516 et 517).

Mais dans ce cas le critère tiré du lien « archives-terri-toire » n'a été appliqué que pour des documents jugés« d'un intérêt secondaire pour le Gouvernement alle-mand 145 ».

13) Un autre problème qu'esquisse le projet d'articleet qui a soulevé quelques difficultés concerne les archivesqui se trouvent, pour une raison ou une autre, situéeshors du territoire touché par le changement de souve-raineté.

D. — Archives situées hors du territoire

14) Le texte proposé par le Rapporteur spécial estgénéral. L'Etat successeur possède, d'après la rédactionsoumise à discussion, le droit de réclamer ses archivesoù qu'elles se trouvent. De fait, l'énoncé d'une règle de cegenre semble ressortir et s'imposer de l'examen de lapratique, dont on donnera ci-dessous quelques aperçus.

On peut distinguer deux cas: celui des archives empor-tées ou enlevées du territoire considéré, et celui desarchives constituées hors du territoire mais le concernantdirectement. (Un troisième cas sera négligé dans cetteétude: il est relatif aux documents appartenant ou seréférant au territoire, mais qui se trouvent hors deslimites géographiques à la fois de l'Etat prédécesseur et del'Etat successeur.)

1. Archives emportées

15) II semble admis par une pratique courante que lesarchives emportées par l'Etat prédécesseur, soit à laveille du transfert de souveraineté, soit même à une périodebeaucoup plus reculée, reviennent à l'Etat successeur.

On rencontre un parallélisme frappant des formulesdans les instruments qui ont mis fin aux guerres de 1870et de 1914. Le Traité de paix signé à Francfort le 10 mai1871 entre la France et l'Allemagne 146 disposait en sonarticle 3 :

Si quelques-uns de ces titres [archives, documents, registres, etc.]avaient été déplacés, ils seront restitués par le Gouvernementfrançais sur la demande du Gouvernement allemand.

Cette affirmation du principe du retour des archivesemportées devait trouver son expression en des termesidentiques dans l'article 52 du Traité de Versailles 147,à ce détail près que cette fois-là c'était l'Allemagne quisubissait la loi qu'elle jugeait excellente en des temps plusheureux pour elle.

16) Ce sont des préoccupations analogues qui ont pré-valu dans les relations entre l'Italie et la Yougoslavie.Les archives administratives intéressant les territoiresrattachés à la Yougoslavie par les Traités de Rapallo, du12 novembre 1920, et de Rome, du 27 janvier 1924, et quiavaient été emportées par l'Italie entre le 4 novembre 1918et le 2 mars 1924 à l'occasion de l'occupation italienne,ainsi que les titres, documents, registres, etc., provenantde ces mêmes territoires et qui avaient été enlevés par la

145 Convention du 26 avril 1872, signée à Strasbourg (G. F. deMartens, éd., Nouveau Recueil général de traités, Gottingue,Dieterich, 1875, t. XX, p. 875).

148 Voir ci-dessus note 125.147 Voir ci-dessus note 124.

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mission italienne d'armistice siégeant à Vienne après lapremière guerre mondiale, devaient être restitués parl'Italie 148. L'Accord italo-yougoslave du 23 décembre1950 est encore plus précis: son article 1er stipule laremise à la Yougoslavie de toutes les archives « qui setrouvent ou qui rentreront en la possession * de l'Etatitalien, des collectivités publiques locales, des établisse-ments publics et des sociétés et associations de propriétépublique », et ajoute que «dans le cas où le matériel enquestion ne se trouverait pas en Italie *, le Gouvernementitalien s'efforcera de le recouvrer et de le remettre auGouvernement yougoslave 149 ».

17) Cependant, une partie de l'ancienne doctrinefrançaise a semblé un certain temps faire prévaloir unerègle contraire. Envisageant le cas de l'annexion partiellequi était le cas de succession d'Etats le plus courant àl'époque, du fait des modifications fréquentes de lacarte politique de l'Europe, Despagnet écrivait: «l'Etatdémembré garde [...] les archives relatives au territoirecédé et qui sont conservées dans un dépôt situé hors dece territoire 150 ». Fauchille, quant à lui, n'est pas alléjusqu'à donner sa caution à cette règle contraire, mais alaisssé supposer que des distinctions pouvaient êtreopérées: si les archives sont hors du territoire concernépar le changement de souveraineté, quelles sont exacte-ment celles dont l'Etat démembré doit se démunir?

Sont-ce, écrivait-il, seulement les documents de nature à constituerentre les mains de l'annexant un moyen d'administrer la région,ou encore ceux qui ont un caractère purement historique 1B1 ?

18) Cette doctrine a en réalité marqué son hésitationà adhérer à la règle généralement admise et est alléejusqu'à ériger une règle contraire parce qu'elle avaittenu compte à l'excès d'une décision jurisprudentielle,dont on peut affirmer qu'elle était à la fois isolée etmarquée par les circonstances politiques de l'époque.Il s'agissait d'un arrêt de la Cour de Nancy du 16 mai1896, qui, après le rattachement de l'Alsace-Lorraineà l'Allemagne, devait décider que

l'Etat français, investi sur la totalité de ces archives avant 1871 d'undroit de propriété imprescriptible et inaliénable, n'en a nullementété dépouillé par le changement de nationalité imposé* à une portionde son territoire 152.

Il convient de remarquer que ce qui importait avanttout, en l'espèce, c'était non point de refuser à l'Allemagne(non partie au procès) un droit sur des archives apparte-nant à des territoires contrôlés par elle à l'époque, maisd'enlever à un simple particulier la possession indued'archives publiques 153. Ainsi la portée de cet arrêt,

" « A r t i c l e 12 du Tra i té de paix avec l ' I tal ie, du 10 février 1947(Nat ions Unies , Recueil des Traités, vol. 49, p . 12). P o u r le Tra i téde Rapa l lo , v. S D N , Recueil des Traités, vol . XVI I I , p . 387; pou rle Tra i té de R o m e , ibid., vol. X X I V , p . 3 1 .

149 Na t ions Unies , Recueil des Traités, vol. 171, p . 292.150 F. Despagnet, op. cit., p. 114, par. 99.151 P. Fauchille, op. cit., p. 360, par. 219.154 Arrêt de la Cour de Nancy du 16 mai 1896, Affaire Dufresne

c. l'Etat (M. Dalloz et al., Recueil périodique, Paris, Bureau dejurisprudence générale, 1896, l re part., p. 411 et 412).

153 II s'agissait de seize cartons d'archives déposés par un parti-culier entre les mains de l'archiviste de Meurthe-et-Moselle. Ilsconcernaient d'ailleurs à la fois les territoires cédés et des territoiresdemeurés français, ce qui pouvait justifier la décision de la Cour.

au demeurant isolé, qui semblait laisser à la France ledroit de revendiquer vis-à-vis des particuliers des archivesqui devaient ou pouvaient revenir à l'Allemagne, paraîtassez limitée.

19) Si le Rapporteur spécial a cependant mentionnécette tendance isolée, c'est parce qu'elle a semblé pré-valoir, pendant quelque temps du moins et pour certainscas, dans la pratique diplomatique française. Cette pra-tique, à en croire tout au moins les textes dans une de leurinterprétation, semble n'admettre le retour dans le terri-toire ayant changé de souveraineté que des archives àcaractère administratif, les documents historiques situésou emportés en dehors de ce territoire et s'y rapportantdemeurant la propriété de l'Etat prédécesseur. Ainsi, leTraité de Zurich, du 10 novembre 1859, entre la Franceet l'Autriche prévoyait que les archives contenant lestitres de propriété et documents administratifs et dejustice civile intéressant le territoire cédé par l'Autriche àl'Empereur des Français « qui peuvent se trouver dans lesarchives de l'Empire d'Autriche », à Vienne notamment,seraient remis aux commissaires du nouveau gouverne-ment de la Lombardie 154. S'il est justifié d'interpréter defaçon très stricte et très étroite les expressions employées— qui apparemment ne viseraient que les pièces d'admi-nistration courante —, on serait fondé à conclure que lesarchives impériales de Vienne n'étaient pas touchéesdans leur partie historique se référant aux territoirescédés 155.

Le traité du même jour entre la France et la Sardaignerenvoyait en son article 2 156 aux dispositions ci-dessus duTraité de Zurich, pendant que le traité du même jourentre l'Autriche, la France et la Sardaigne les reprenaitpurement et simplement en son article 15 157.

De même, une convention franco-sarde signée le23 août 1860 en application du Traité de Turin, du24 mars 1860, consacrant la cession de la Savoie et ducomté de Nice par la Sardaigne à la France, comporte unarticle 10 coulé dans le même moule que les précédents,qui déclare que

Les archives contenant les titres de propriété, les documentsadministratifs, religieux et de justice civile relatifs à la Savoie et àl'arrondissement de Nice qui peuvent se trouver entre les mainsdu Gouvernement sarde seront remis au Gouvernement français 158.

164 Article 15 du Traité de paix franco-autrichien signé à Zurich le10 novembre 1859 (France, Archives diplomatiques, Recueil dediplomatie et d'histoire, Paris, Aymot, 1861, t. Ier, p. 10 ; M. de Clercq,Recueil des traités de la France, Paris, Durand et Pédone-Lauriel,1880, t. VII* [1856-1859], p. 647).

155 Voir, en ce sens, G . May , « La saisie des archives du dépar te -men t de la Meur the pendan t la guerre de 1870-1871 », Revuegénérale de droit international public, Paris , t. XVII I , 1911, p . 3 5 ;et id., Le Traité de Francfort, Par is , Berger-Levrault , 1909, p . 269,note 2.

156 Article 2 du Trai té franco-sarde relatif à la cession de laLombard ie , signé à Zurich le 10 novembre 1859 (France, Archivesdiplomatiques [op. cit.], p . 14; M . de Clercq, op. cit. p . 652).

157 Article 15 du Trai té entre l 'Autr iche, la France et la Sardaigne,signé à Zurich le 10 novembre 1859 (France, Archives diplomatiques[op. cit.], p . 22 et 2 3 ; de Clercq, op. cit., p . 661 et 662).

158 M. de Clercq, op. cit., t. VII I e (1860-1863), p . 8 3 ; G. F . deMartens , éd., Nouveau Recueil général de traités, Got t ingue,Dieterich, 1869, t. XVII , par t . I I , p . 25.

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Succession d'Etats dans les matières autres que les traités 41

20) Encore une fois, le Rapporteur spécial éprouvequelque hésitation à conclure de ces textes qu'ils viennentcontreacarrer l'existence d'une règle permettant à l'Etatsuccesseur de revendiquer toutes les archives, historiquescomprises, qui se rapportent au territoire objet du change-ment de souveraineté et qui se trouveraient en dehors dece territoire. Serait-il en effet très aventureux d'inter-préter l'expression titres de propriété, intégrée dans laformule « titres de propriété, documents administratifs,religieux et de justice civile », qui figure dans tous cestraités, comme visant les documents à caractère histo-rique (et non pas seulement administratif) par lesquelsla propriété du territoire est prouvée? De fait, en cesépoques, le territoire lui-même était une propriété dusouverain dans la vieille Europe. De sorte que tous lestitres retraçant l'histoire de la région considérée et servantde preuve à la possession de celle-ci sont revendiquéspar le successeur 159. Si ce point de vue est exact, les textesci-dessus, pour isolés qu'ils soient, ne viennent pascontrarier la règle de la transmission générale des archives,même historiques, se trouvant hors du territoire considéré.Si les titres de propriété ne visaient que la propriétépublique, ils seraient couverts par l'expression « docu-ments administratifs et judiciaires ». On serait encouragédans une telle interprétation par le fait que ces traitéscomportent généralement une clause semblant apporterune exception au transfert de la totalité des documentshistoriques, les documents privés de la famille régnante,tels que contrats de mariage, testaments, souvenirs defamille, etc., étant exclus de cette remise 160.

21) Mais en réalité, ce qui coupe court à toutediscussion, c'est le fait que ces cas, peu nombreux,observés dans la pratique française se sont trouvés privésde toute portée dès lors que la France, quelque quatre-vingt-dix ans plus tard, a réclamé et effectivement obtenula partie restante des archives sardes, aussi bienhistoriques qu'administratives, qui se trouvaient dans ledépôt de Turin et qui se rapportaient à la cession de laSavoie et de l'arrondissement de Nice. En effet, lesaccords de 1860 relatifs à cette cession se sont trouvéscomplétés par les dispositions du Traité de paix avecl'Italie, du 10 février 1947, dont l'article 7 faisaitobligation au Gouvernement italien de remettre auGouvernement français

toutes les archives historiques et administratives antérieures à 1860qui se rappportent * au territoire cédé à la France pa r le Trai té du24 mars 1860 et pa r la Convent ion du 23 août 1860 1 6 1 .

159 Le Rappor teu r spécial a indiqué ci-dessus que les documentshistoriques étaient revendiqués souvent par l 'Etat successeur à titred ' ins t ruments et de moyens de preuve (v. par . 6).

160 L'article 10 de la Convention franco-sarde du 23 août 1860(v. ci-dessus note 158) impose à la France de restituer (ce qui supposequ'elle en avait déjà pris possession avec les autres archives histo-riques) au Gouvernement sarde « les titres et documents relatifs àla famille royale ». Cette clause visant des papiers en somme privéset dictée par les convenances de la courtoisie figure aussi, parexemple, dans le Traité du 28 août 1736 entre la France et l'Autriche,relatif à la cession de la Lorraine, dont l'article 16 laissait à ladisposition du duc de Lorraine les papiers de famille tels que« contrats de mariage, testaments ou autres ».

161 Nations Unies, Recueil des Traités, vol. 49, p. 10.

22) II semble donc qu'il soit amplement justifiéd'admettre comme règle suffisamment expressive de lapratique des Etats le fait de faire bénéficier l'Etatsuccesseur de toutes les archives, historiques ou autres, serapportant au territoire objet du changement desouveraineté, et même si ces archives ont pu êtreemportées ou se trouvent hors de ce territoire.

2. Archives constituées hors du territoire

23) Dans cette hypothèse, il s'agit de pièces etdocuments se rapportant au territoire qui a fait l'objet duchangement de souveraineté, mais constitués et conservésde tout temps hors de ce territoire. Bien des traitésenglobent cette catégorie dans ce qui doit faire retour àl'Etat successeur.

La France a pu obtenir par le Traité de paix avecl'Italie de 1947, comme on vient de le voir 162, des lotsd'archives constituées par la ville de Turin et serapportant à la Savoie et à Nice.

Par l'accord de Craiova, du 7 septembre 1940, signéentre la Bulgarie et la Roumanie pour la cession par celle-ci à celle-là de la Dobroudja du Sud, la Bulgarie aobtenu, outre les archives se trouvant dans le territoirecédé, les copies certifiées des documents se trouvant àBucarest et se rapportant à la région devenue bulgare.

24) Quid si les archives relatives au territoire qui achangé de souveraineté ne se trouvent ni à l'intérieur desfrontières de celui-ci ni dans l'Etat prédécesseur?

L'accord italo-yougoslave du 23 décembre 1950163

précisait dans son article 1er que « dans le cas où lematériel en question ne se trouverait pas en Italie, leGouvernement italien s'efforcera * de le recouvrer et de leremettre au Gouvernement yougoslave ». Autrement dit,pour employer une terminologie chère aux civilistesfrançais, il s'est agi là d'une obligation rigoureuse derésultat, et ici d'une simple obligation de moyen.

E. — Problème de la « propriété » des archives

25) Le Rapporteur spécial, dans l'article à l'étude, a prissoin de préciser que les archives « suivent le territoiretransféré ». Par cette formule, il a cherché à éviter de seprononcer sur la propriété des archives. L'article signalesimplement que les archives ne peuvent plus rester dans lepatrimoine de l'Etat prédécesseur. Elles « suivent leterritoire », c'est-à-dire qu'elles peuvent devenir lapropriété aussi bien de l'Etat successeur que du territoiretransféré. C'est l'affaire de circonstances autant que denature des archives (archives propres au territoire ouarchives se rapportant à celui-ci et existant en dehors duterritoire). C'est aussi une question laissée à laréglementation discrétionnaire de l'Etat successeur,l'essentiel étant que ces pièces ne peuvent plus demeurerdans le patrimoine de l'Etat prédécesseur.

F. — Obligations particulières de l'Etat successeur

26) Le projet d'article met à la charge de l'Etatsuccesseur une obligation essentielle qui constitue la

162 Ci-dessus par . 21 .163 p o u r référence, voir ci-dessus note 143.

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contrepartie normale de celle du prédécesseur, qui doit luitransférer toutes les archives. Les changements desouveraineté sur un territoire s'accompagnent souvent dedéplacements de populations (nouveaux tracés frontaliersrépartissant les habitants sur la base d'un droit d'option,annexions laissant à la population l'option de nationalité,etc.). Il est évident que l'administration de cettepopulation ne peut se faire sans archives, tout au moinsadministratives. C'est pourquoi le projet d'article spécifieen son paragraphe 2 que l'Etat successeur ne devra pasrefuser de délivrer à l'Etat prédécesseur, lorsque celui-cile demande, toutes copies d'archives dont il aurait besoin.Cette opération ne peut bien entendu se faire qu'aux fraisdu demandeur.

Il a paru utile d'étendre cette possibilité même à unEtat tiers, car il peut arriver que celui-ci ait desressortissants venus du territoire ayant fait l'objet duchangement de souveraineté, où ils ont pu constituer uneminorité relativement importante.

27) Toutefois, il est évident que l'Etat successeur n'estobligé de délivrer des copies que des documents,administratifs et autres, utiles à la gestion courante.Encore faut-il que la délivrance de ces pièces ne viennepas compromettre la sécurité ou la souveraineté de l'Etatsuccesseur. Si par exemple l'Etat prédécesseur réclame ledossier purement technique d'une base militaire qu'il apu construire sur le territoire ou un dossier pénalconcernant un de ses ressortissants ayant quitté leterritoire cédé, l'Etat successeur peut refuser de délivrercopies de l'un comme de l'autre. Il y a là des élémentsd'appréciation et d'opportunité dont on ne peut priverl'Etat successeur, non plus que tout autre Etat.

28) II est conventionnellement fait parfois obligation àl'Etat successeur de conserver soigneusement certainesarchives en tant qu'elles peuvent intéresser dans l'avenirl'Etat prédécesseur.

L'accord passé le 21 octobre 1954 entre la France etl'Inde concernant les Etablissements français de l'Inde 164

est intéressant par le fait qu'il précise la durée deconservation des archives, et confie à l'Etat prédécesseurle double des archives chaque fois qu'il existe.

Il est arrivé que l'Etat successeur délivre des copies oudes microfilms non pas seulement d'archives administra-tives, mais de documents et pièces historiques.

164 Pour référence, voir ci-dessus note 115.L'article 10 de l'accord dispose in fine:

« Les archives des juridictions françaises devront être conservéesintactes pendant un délai de vingt ans et communication de leurséléments devra être donnée aux représentants accrédités de laFrance, toutes les fois qu'ils en feront la demande. »Aux termes de l'article 11 :

« Les registres d'état civil seront conservés et les extraits d'actesdélivrés à la demande des intéressés ou des autorités compétentes.

« Le troisième registre d'état civil de toutes les communes seradéposé aux archives du représentant de la France à la date dutransfert de facto.

« Pour l'année 1954, transmission sera faite en fin d'année auMinistère de la France d'outre-mer (Service de l'Etat civil et desArchives) du registre d'état civil destiné à ce déplacement.

« Les casiers judiciaires des greffes des tribunaux serontconservés et les extraits délivrés à la demande des autoritésfrançaises. »

G. — Délais de remise des archives

29) Le Rapporteur spécial n'a pas cru nécessaire deproposer la fixation d'un délai au terme duquel lesarchives doivent être transférées ou restituées à l'Etatsuccesseur, quoique la pratique diplomatique consacresouvent l'existence de clauses expresses en ce sens 165.

D'ailleurs, dans la plupart des pays, les archivespubliques sont non seulement inaliénables, mais encorepeuvent être revendiquées à tout moment en raison ducaractère d'imprescriptibilité qui s'y attache. Le Rappor-teur spécial a cité divers cas tout au long de cecommentaire.

H. — Transfert et restitution gratuits

30) II n'a pas paru utile au Rapporteur spécial derappeler ce qui va de soi : que la remise à l'Etat successeurdoit se faire gratuitement, et n'être frappée d'aucune taxeou impôt. Le problème a été déjà tranché en son principedans le projet d'article 9, relatif au transfert de plein droitet gratuit des biens ressortissant à la souveraineté sur leterritoire. Les archives comptent au nombre de ces biens.Au surplus, la pratique est très nettement fixée dans cesens.

Le Rapporteur spécial a tout de même, implicitementet a contrario, retenu le principe de la gratuité dans leprojet à l'examen, où il est précisé que les copiesd'archives sont faites aux frais de l'Etat demandeur.

Article 15. — Biens situés hors du territoire transféré

1. Sous réserve de l'application des règles relatives à lareconnaissance, les biens publics propres au territoiretransféré et situés hors de celui-ci entrent dans l'ordrejuridique de l'Etat successeur.

2. La propriété des biens appartenant à l'Etat prédéces-seur et situés dans un Etat tiers est dévolue à l'Etatsuccesseur dans la proportion indiquée par la contributiondu territoire transféré à la création de ces biens.

COMMENTAIRE

A. — Introduction

1) Le professeur O'Connell écrit:

II semblerait qu'en cas de succession partielle les biens de l'Etatprédécesseur qui ne se trouvent pas effectivement dans le territoirene changent pas de propriétaire. Ils ne sont pas entrés dans le champde la juridiction souveraine de l'Etat successeur, et ce dernier nepeut prétendre avoir de droit que sur ceux d'entre eux qu'il peutsaisir ou qui lui sont cédés. En cas de succession totale, toutefois, leprédécesseur n'a plus qualité pour posséder des biens. En consé-quence, ceux de ses avoirs qui se trouvent à l'étranger doivent oubien devenir propriété de l'Etat successeur ou bien devenir des biens

165 Les délais de remise varient, selon les accords, de trois àdix-huit mois. Il a été également stipulé que la remise des archivesdevait être réglée d'un commun accord « si possible dans les sixmois * qui suivront l'entrée en vigueur du [...] traité (article 8 duTraité du 8 avril 1960 entre les Pays-Bas et la République fédéraled'Allemagne relatif à certaines parcelles frontalières [v. ci-dessusnote 130]).

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Succession d'Etats dans les matières autres que les traités 43

sans maître. Il n'y a aucune raison d'opter pour la deuxièmesolution. En cas de succession totale, l'Etat successeur acquiert tousles droits de l'Etat prédécesseur qui ressortissent à la souveraineté.Or, la souveraineté comporte la capacité de posséder des avoirssitués à l'étranger. On peut donc raisonnablement conclure que lesprétentions de l'Etat successeur revendiquant la propriété des avoirsde l'Etat prédécesseur situés dans d'autres Etats doivent êtrereconnues par les Etats intéressés 16a.

Il cite aussi un certain nombre d'auteurs qui admettentla succession à l'étranger dans les cas de successiontotale 167.

2) Le professeur Rousseau estime aussi que

selon la conception généralement adoptée, les biens d'un Etatdémembré ou disparu qui se trouvent à l'étranger doivent égalementêtre transférés aux Etats successeurs [...]. Il y a peu de divergences endoctrine à cet égard 188.

Mais il cite, comme O'Connell, le professeur Hall, qui,avec quelques rares auteurs, estime que dans le cas debiens situés à l'étranger l'Etat successeur peut tout auplus prétendre à être crédité de leur valeur 169. Uneobligation d'aliénation lui serait imposée, car le droit dejouissance effective peut se révéler plus ou moinsimpraticable pour une quelconque raison tirée du fait queces biens se trouvent désormais en territoire étranger.

3) Dans le cas d'un transfert partiel de territoire, ce quiest en jeu, tout au moins selon le Rapporteur spécial, cen'est pas le devenir des « biens publics de l'Etatprédécesseur non situés sur le territoire cédé ». Il estévident qu'à une réserve près, qui sera examinée plus loin,de tels biens demeurent la propriété de cet Etat et nepeuvent faire l'objet d'aucun transfert au successeur. Cequi en revanche est en discussion, c'est tout le contraire:c'est le sort des biens publics du territoire cédé situés horsdes limites de celui-ci, et en particulier sur le sol de l'Etatprédécesseur.

4) Or, dans le cas de succession partielle, la doctrinen'envisage pas toujours, ou pas clairement, le sort desbiens du territoire cédé qui seraient situés soit sur le sol— désormais étranger — de l'Etat prédécesseur, soit surcelui d'un Etat tiers. Rousseau, par exemple, nel'envisage pas du tout, puisqu'il n'examine que le cas dela succession totale, c'est-à-dire de l'« Etat démembré oudisparu 17° ».

5) Comme nous l'avons rappelé m , le territoire trans-féré peut avoir, et possède nécessairement, des bienspropres distincts de ceux dont la propriété était aux mainsde l'Etat prédécesseur lorsqu'il faisait partie intégrante de

186 D . P . O 'Connel l , State Succession... (op. cit.), p . 207.167 lbid., no te 2.168 Ch . Rousseau , op. cit., p . 143.188 W. E. Hal l , A Treatise on International Law, 8 e éd., Oxford,

Cla rendon Press, 1924, p . 115.170 D a n s un paragraphe intitulé « Posit ion du problème »,

Char les Rousseau exclut plus net tement encore de ses préoccupat ionsle problème des biens du terri toire cédé situés dans l 'E ta t prédé-cesseur :

« II est également impor tan t de savoir où sont situés les bienstouchés par le transfert: s'ils se trouvent dans le territoire transféréou s'ils se trouvent dans le territoire d'un Etat tiers quelconque * »(Ch. Rousseau, op. cit., p. 122 et 123).171 Voir Annuaire... 1970, vol. II, p. 163, doc. A/CN.4/226,

deuxième partie, art. 2, par. 28 et 29 du commentaire.

celui-ci. Et ces biens du territoire cédé peuvent, pour uneraison ou une autre172, être situés hors de son airegéographique propre, soit sur le sol restant à l'Etatprédécesseur, soit dans un Etat tiers. Ce sont les deuxhypothèses qu'il faudra distinguer en abordant leproblème des biens propres situés à l'étranger.

6) Restent les biens qui ont fait l'objet d'une réserve 173.Ils sont situés à l'étranger et appartenaient à l'Etatprédécesseur avant le changement de souveraineté. Leproblème est de savoir si l'Etat successeur serait en droitd'en revendiquer une part en arguant du fait que leterritoire dont il s'est accru a pu contribuer à leurcréation quand il faisait partie intégrante de l'Etatprédécesseur. C'est une autre hypothèse à distinguer. Elleest couverte par le paragraphe 2 de l'article proposé.

Examinons chacune des hypothèses :

B. — Biens propres au territoire transféréet situés hors de celui-ci

7) Le Rapporteur spécial avait noté le peu d'attentionque la doctrine prête généralement aux biens publicspropres au territoire transféré 174. Si elle a paru négligerce problème pourtant important, c'est sans doute parcequ'elle estimait tacitement que cette catégorie ne devaitpas être affectée par le fait du transfert de territoire. Touten continuant à appartenir à ce dernier, les biens publicsconcernés suivent son sort politique et juridique.

8) Une résolution de l'Institut de droit international aposé le même principe en déclarant le maintien du droitde propriété des collectivités locales sur leurs biens aprèsles mutations territoriales: «Le changement territoriallaisse subsister les droits patrimoniaux régulièrementacquis antérieurement à ce changement. » La résolutionprécisait que « ces règles s'appliquent aussi aux droitspatrimoniaux de communes ou d'autres collectivités faisantpartie de l'Etat atteint par le changement territorial* 175 ».

Cette évidence est utile à rappeler et à consigner sousforme de règle du genre de celle que propose leRapporteur spécial, car si elle est tellement évidentequ'on n'y prend pas garde lorsqu'il s'agit de biens situésdans le territoire même, elle revêt toute son importancequand il est question de fixer le sort des biens propres auterritoire et situés hors de ses limites géographiques.

9) Le souci de clarté commande de faire la distinctionentre le cas où ces biens sont dans l'Etat prédécesseur etcelui où ils se trouvent dans un Etat tiers.

1. Biens propres au territoire et situés dans l'Etatprédécesseur

10) L'hypothèse est claire: il s'agit de biens appartenanten propre au territoire rattaché à un Etat préexistant,

172 lbid., par . 32 du commenta i re .173 Voir ci-dessus par . 3 .174 Voir Annuaire... 1970, vol . I I , p . 163 et 164, doc . A/CN.4 /226 ,

deuxième partie, art . 2, par. 28 et suiv. du commenta i re ; et p . 168et suiv., art . 7, par . 21 et suiv. du commentaire .

175 Paragraphes 3 et 4 de la résolution II de l ' Inst i tut de droitinternational adoptée à sa quarante-cinquième session, tenue àSienne du 17 au 26 avril 1952 (Annuaire de / 'Institut de droit inter-national, 1952-11, Bâle, vol. 44, p . 471 et 472).

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mais situés dans le reste du territoire conservé par l'Etatprédécesseur. On peut, en ce cas, relever l'existence d'undouble principe, celui de l'immutabilité de la propriété deces biens et celui de la modification de leur régimejuridique.

Immutabilité de la propriété de ces biens11) Le phénomène de la succession d'Etats n'altère pasici l'appartenance du droit de propriété sur ces biens.Ceux-ci demeurent dans le patrimoine du territoire cédé.Ces biens ne peuvent en effet devenir subitement, par leseul fait de la succession, des biens de l'Etat prédécesseur,quoique situés sur le territoire qui lui reste aprèsamputation. N'ayant pas eu la propriété sur ces biensavant succession, il ne saurait, par le fait de celle-ci, secréer des droits nouveaux. Ces biens ne passent pasdavantage à l'Etat successeur par le seul fait de lasuccession. On n'aperçoit pas de raison valable dedépouiller le territoire cédé de ses biens propres.

Modification du régime juridique de ces biens

12) Si ces biens ne doivent jamais passer à l'Etatprédécesseur — et ils ne passent généralement pas à l'Etatsuccesseur sauf stipulations contraires —, ils ne peuventque demeurer la propriété du territoire cédé. Mais cetteimmutabilité du droit de propriété s'accompagne d'unchangement dans les règles qui régissent l'exercice et lajouissance de ce droit. Cela intervient à un double pointde vue.

D'un côté, pour l'Etat prédécesseur, dans lequel setrouvent ces biens, il s'agira désormais de biens publicsétrangers, avec ce que cela peut impliquer au regard de salégislation en fait de limitations ou de protection. Ainsi,le cadre dans lequel s'exerce ce droit de propriété (parailleurs inchangé quant à son titulaire) se modifie quant àson contenu, et c'est la législation sur la propriétéétrangère, si elle existe, qui lui sera dorénavant appliquéepar l'Etat prédécesseur.

D'un autre côté, le territoire cédé est passé dans unordre juridique nouveau, celui de l'Etat successeur. De cefait, les biens qui appartiennent à ce territoire, et quisuivent naturellement le sort de leur titulaire, ne peuventqu'être placés sous la protection de ce nouvel ordrejuridique. Si l'Etat successeur ne reçoit certes pas lapropriété de ces biens, il n'en devient pas moins le sujetde droit international responsable de ces biens. Apparte-nant à un territoire qui lui appartient, ces biens tombentdans son ordre juridique. Par exemple, ce sera l'Etatsuccesseur qui assurera la protection internationale de cesbiens contre l'Etat prédécesseur dans lequel ils sont situésou contre tout Etat tiers.

C'est ce que, dans une formulation provisoire etprobablement pas tout à fait appropriée, le Rapporteurspécial a tenté d'exprimer dans la règle proposée, selonlaquelle « les biens publics propres au territoire transféréet situés hors de celui-ci entrent dans Vordre juridique del'Etat successeur * ».

2. Biens propres au territoire transféré et situés dans unEtat tiers

13) II ne fait pas de doute que ces biens passent sous laprotection de l'ordre juridique de l'Etat successeur.

C. — Biens de l'Etat prédécesseur situéshors du territoire conservé par lui

14) Les biens de l'Etat prédécesseur sont de quatrecatégories, selon l'endroit où ils se trouvent:

a) Propriété de l'Etat prédécesseur, ils peuvent setrouver dans la partie du territoire conservé par lui,auquel cas ils demeurent bien évidemment et en toutescirconstances sa propriété exclusive.

b) Ils peuvent être situés sur la partie du territoirecédée à l'Etat successeur. En ce cas, le principe déjàexaminé du transfert des biens d'Etat situés sur leterritoire concerné par le changement de souverainetéreçoit toute son application, et les biens considérés sontacquis par l'Etat successeur.

c) Restent les deux hypothèses où les biens de l'Etatprédécesseur se trouvent soit dans le territoire déjàexaminé de l'Etat successeur, soit dans celui d'un Etattiers. A première vue, il semble bien que seul le statu quoserait équitable et acceptable. Mais il a pu advenir quedes prétentions soient élevées par l'Etat successeur.

15) C'est en pensant à ces cas que le Rapporteur spéciala proposé, non sans beaucoup d'hésitations, un para-graphe 2 d'après lequel les biens publics de l'Etatprédécesseur, dans la mesure où ils sont situés hors duterritoire transféré et hors de celui de l'Etat prédécesseur,font l'objet d'une répartition entre le successeur et leprédécesseur en fonction de la contribution passée duterritoire transféré à la création de ces biens. LaCommission dira s'il est à la fois correct et utile deprévoir une disposition de ce type.

SECTION 2. — ETATS NOUVELLEMENT INDÉPENDANTS

Article 16. — Monnaie et privilège d'émission

1. Le privilège d'émission appartient au nouveau souve-rain sur l'ensemble du territoire nouvellement indépendant.

2. La monnaie, les réserves d'or et de devises et, d'unemanière générale, les signes monétaires de toute naturepropres au territoire concerné passent à l'Etat successeur.

3. En contrepartie, l'Etat successeur assume la charge del'échange des instruments monétaires anciens, avec toutesles conséquences légales qu'entraîne cette substitution demonnaie.

COMMENTAIRE

1) Les mêmes remarques déjà formulées au sujet duprivilège d'émission176, attribut de la souveraineté,demeurent bien entendu valables pour le cas del'accession à l'indépendance. Il est arrivé que des accordsentre l'ancienne métropole et l'ex-colonie aient reconnu àl'Etat prédécesseur la possibilité de continuer à exercerencore, provisoirement, le privilège d'émission sur leterritoire devenu indépendant.

Le principe de la jouissance du privilège d'émission parl'Etat successeur n'en est pas moins certain. L'existence

176 Voir ci-dessus art. 12, par. 5 et suiv. du commentaire.

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Succession d'Etats dans les matières autres que les traités 45

de ces accords n'en exprime pas moins, en effet, lepouvoir de libre disposition, que l'Etat nouvellementindépendant possède en ce domaine jusqu'à l'aliénation.

2) Les accords passés par les Etats africains franco-phones et la France sont, à cet égard, intéressants àexaminer. L'Etat nouvellement indépendant est reconnutitulaire exclusif du privilège d'émission, qu'il confiecependant à un organisme français ou communautaire.On lit dans l'article 1er de l'accord de coopération entrela France et les Etats d'Afrique équatoriale:

La République française reconnaît que Vaccession à la souverainetéinternationale * des Etats d'Afrique équatoriale leur confère le droitde créer une monnaie et un institut d'émission qui leur soient propres *.

La jouissance du droit ainsi reconnue, Y exercice de celui-ci est laissé provisoirement à un organisme communau-taire contrôlé par la République française. L'article 2 dumême accord est donc ainsi rédigé :

Les Etats d'Afrique équatoriale confirment leur adhésion àl'union monétaire dont ils sont membres à l'intérieur de la zonefranc. Le franc CFA émis par la Banque centrale des Etatsd'Afrique équatoriale [...] demeure la monnaie légale ayant pouvoirlibératoire sur toute l'étendue de leurs territoires 177.

3) Dans ce système franco-africain, la politique moné-taire était en principe décidée multilatéralement dans lecadre d'une zone franc. Celle-ci compte, en dehors de laBanque de France, quatre instituts d'émission étroitementrattachés au Trésor français. L'Union monétaire ouest-africaine (UMOA), composée de la Côte d'Ivoire, duSénégal, de la Haute-Volta, du Niger, du Dahomey et duTogo178, possède une monnaie commune, le franc CFA(Communauté financière africaine), émis par la Banquecentrale des Etats de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO), dontle siège est à Paris. La Banque centrale des Etats del'Afrique équatoriale et du Cameroun — devenue,depuis les récents accords de Brazzaville (décembre 1972)

177 Accord de coopération en matière économique et financièreentre la République française, la République centrafricaine, laRépublique du Congo et la République du Tchad (France, Journalofficiel de la République française, Lois et décrets, Paris, 24 novembre1960, 92e année, n° 273, p. 10461, et Décret de publication n° 60-1230,ibid., p. 10459).

L'Accord de coopération en matière monétaire, économique etfinancière entre la République française et la République malgache{ibid., 20 juillet 1960, n° 167, p. 6612) comporte un article 1er recon-naissant à Madagascar le droit de créer sa monnaie nationale et soninstitut d'émission national, et un article 2 confiant le service del'émission à un établissement public malgache et créant une monnaierattachée au franc français.

Cf. aussi les accords passés par la France en matière monétaire,économique et financière, et notamment le traité du 24 avril 1961avec la Côte d'Ivoire {ibid., 6 février 1962, 94e année, n° 30, p. 1261),notamment art. 19; les accords du 22 juin 1960 avec la Fédérationdu Mali {ibid., 20 juillet 1960 [op. cit.], p. 6629); l'accord du 9 mars1962, dit « de Bamako », avec le Mali après la dissolution de laFédération du Mali {ibid., 10 juillet 1964, 96e année, n° 160, p. 6131);les accords du 24 avril 1961 avec le Niger {ibid., 6 février 1962 [op.cit.], p. 1292); l'accord du 13 novembre 1960 avec le Cameroun{ibid., 9 août 1961, 93e année, n° 186, p. 7429); les accords du17 août 1960 avec le Gabon {ibid., 24 novembre 1960 [op. cit.],p. 10481); l'accord du 10 juillet 1963 avec le Togo {ibid., 10 juin1964, 96e année, n° 134, p. 5000); le traité du 19 juin 1961 avec laMauritanie {ibid., 6 février 1962 [op. cit.]. p. 1324), etc.

178 La Mauritanie, qui constituait le septième membre, s'en estretirée depuis fin décembre 1972 et a créé son propre institutd'émission.

et de Fort-Lamy (février 1973), la Banque d'Etat del'Afrique centrale (BEAC) — regroupe le Cameroun, laRépublique populaire du Congo, le Gabon, le Tchad et laRépublique centrafricaine et siège également à Paris. LeMali et la République malgache possèdent chacun leurinstitut d'émission.

4) La particularité de ces quatre instituts (qui émettentun franc CFA n'ayant pas de « personnalité internatio-nale », s'échangeant avec le franc français à un tauxabsolument fixe) est qu'ils possèdent chacun un « compted'opérations » ouvert en leur nom auprès du Trésorfrançais à Paris. Ce compte est crédité de toutes lesrecettes réalisées par l'Etat ou le groupe d'Etats africainsfrancophones à l'occasion de leurs échanges avecl'extérieur, et débité du montant des dépenses effectuéespar eux à l'étranger.

Le Trésor français apporte en contrepartie sa garantieen principe illimitée à ces quatre instituts d'émission, enprenant l'engagement de les approvisionner en francs eten devises pour équilibrer leurs comptes d'opérations 179.

5) La révision en cours de ces accords monétairestémoigne à la fois de leur caractère éminemment évolutifet du droit de libre disposition de l'Etat nouvellementindépendant quant à son privilège d'émission, dont ilpeut reprendre à tout moment l'exercice à son compte,n'en ayant par ailleurs jamais perdu juridiquement lajouissance.

6) Lors de la proclamation d'indépendance des diversescolonies d'Amérique latine au début du xixe siècle, lamonnaie espagnole ne fut généralement pas supprimée.Les diverses républiques se bornèrent à remplacer sur lespièces en circulation l'effigie et le nom du Roi TrèsCatholique par un sceau, des armes ou des inscriptionspropres au nouvel Etat 18°, ou à dénommer autrement lepeso espagnol sans en modifier la valeur ou la structuremonétaire181.

7) On trouve dans les travaux de la Conférence de laTable ronde de La Haye un cas de limitation de l'exercicedu privilège d'émission. La nouvelle République indoné-sienne était tenue, tant qu'elle restait débitrice des Pays-Bas, de consulter ces derniers avant de procéder à lacréation d'un nouvel institut d'émission et d'une nouvellemonnaie. Mais cette limitation a vite disparu.

179 Toutefois, on sait que beaucoup d'Etats africains ont demandéla révision de ces accords à caractère monétaire parce qu'ils ontjugé illusoire la garantie offerte par le Trésor français. Selon eux,celui-ci fonctionne moins comme un tuteur généreux que comme unbanquier avisé, qui n'accorde une garantie illimitée qu'à un clientpossédant une balance positive. Autrement dit, la garantie nejouerait pas. De fait, les accords passés prévoient des règles trèsstrictes pour se prémunir contre les déséquilibres entre les recetteset les dépenses dans les comptes d'opérations ouverts dans lesécritures du Trésor français. De fait aussi, ces comptes d'opérationssont en excédent et drainent ainsi vers la France les ressourcesafricaines collectées par les banques locales.

180 Au Chili, on lisait sur le peso espagnol en 1817 les nouvellesinscriptions: «Liberté, Union et Force» et «Chili indépendant»;en Argentine: «Union et Liberté» et «Provinces de Rio de laPlata ». Au Pérou et au Mexique, on frappa sur les pièces l'emblème,les armes ou le sceau nouveaux.

181 « Boliviano », « bolivar », « sucre » furent les nouvelles déno-minations monétaires du peso espagnol en Bolivie, au Venezuela eten Equateur.

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8) L'Ethiopie et la Libye ne semblent pas avoir succédéaux réserves monétaires, si l'on en juge par le fait, pluscertain, qu'elles n'ont pas succédé aux obligations nées del'émission de monnaie italienne. Mais l'un et l'autre desdeux pays usèrent de leur droit d'émission pourentreprendre, à l'indépendance, une réforme monétaire.

9) Dans le cadre des décisions de la conférence surl'Indochine tenue à Pau du 30 juin au 27 novembre 1950,une banque d'Indochine devait fonctionner le 1er janvier1952 avec le pouvoir d'émettre des coupures libellées enpiastres et individualisées pour chacun des trois Etatsassociés d'Indochine, mais ayant cours légal et libératoireindifféremment dans l'ensemble de ces Etats.

10) Le paragraphe 2 de l'article proposé vise leproblème des signes monétaires propres au territoiretransféré. Ce paragraphe, tout comme le premier del'article à l'examen, peut paraître comme une dispositionsimplement descriptive et ne relevant pas stricto sensu dela succession d'Etats. De nombreux territoires dépen-dants avaient leur institut d'émission et leur monnaiepropres. Le privilège d'émission y était exercé soit parune banque privée, soit par un organisme étatiquemétropolitain, soit enfin par un organisme public duterritoire. Il a pu arriver que, sur le plan des actifs, lamasse des signes monétaires ait été composée des apportsconjugués d'institutions diverses du type que l'on vient deciter. Le paragraphe 2 de l'article se borne à préciser quela part de ces signes monétaires dont était propriétaire leterritoire transféré doit lui revenir normalement et endehors même de tout problème de succession d'Etats —ou, si l'on veut, doit passer sous le contrôle de l'Etatsuccesseur.

11) En ce qui concerne l'Inde, divers accords sontintervenus entre le Royaume-Uni et ses deux anciensdominions et entre ceux-ci également. On observera toutd'abord que le système monétaire de l'Inde était, avant ledépart de la puissance coloniale et le partage, tout à faitautonome. Normalement, le seul problème qui devait seposer était celui de la répartition des réserves et de lamonnaie entre l'Inde et le Pakistan. La Reserve Bank ofIndia devait transférer au Pakistan aussitôt après le 30septembre 1948 des valeurs égales au volume de lacirculation monétaire effective à ce moment-là dans cetEtat. Avant cette échéance, les billets de banque libellésen roupies indiennes et émis par la Reserve Bank of Indiadevaient continuer à avoir cours légal au Pakistan. Cesont les accords de décembre 1947182 entre l'Inde et lePakistan ainsi que le Pakistan (Monetary System andReserve Bank) Order, 1947 qui déterminèrent larépartition de l'encaisse de la Reserve Bank of India,laquelle s'élevait à quelque 400 crores de roupies. LePakistan en recevait 75 crores et obtenait aussi une partiedes avoirs en livres de la Banque. Le pourcentage depapier-monnaie en circulation au Pakistan et en Inde parrapport au volume total de la circulation avait été pris enconsidération pour cette répartition. La part effective duPakistan fut de 17,5%

12) L'Inde succéda aux avoirs en livres sterling de laReserve Bank of India, estimés à 1 milliard 160 millionsde livres183. Mais l'utilisation n'en fut pas libre, elles'opéra progressivement. Une somme de 65 millions delivres fut placée au crédit d'un compte libre et le reste,c'est-à-dire la majeure partie des avoirs, consigné dans uncompte bloqué. Certaines sommes durent être transféréesà la Grande-Bretagne par l'Inde au titre de fonds deroulement (« working balances ») et mises au crédit d'uncompte ouvert par la Banque d'Angleterre au nom duPakistan. Les conditions d'utilisation furent précisées en1948 et 1949 par divers accords que le Royaume-Unipassa avec l'Inde et le Pakistan184.

Article 17. — Fonds publics et Trésor

1. Les fonds publics, liquides ou investis, propres auterritoire devenu indépendant demeurent la propriété decelui-ci, quelle que soit leur localisation.

2. Les fonds publics de l'Etat prédécesseur, liquides ouinvestis, situés dans le territoire devenu indépendanttombent dans le patrimoine de ce dernier.

3. Les droits du Trésor du territoire devenu indépendantne sont pas affectés par le changement de souveraineté,notamment vis-à-vis de l'Etat prédécesseur.

4. Les obligations du Trésor du territoire devenuindépendant sont assumées par celui-ci dans les conditionset selon les règles relatives à la succession à la dettepublique.

COMMENTAIRE

A. — Fonds publics

1. Fonds propres au territoire

1) Le paragraphe 1 ne semble pas soulever de questionscomplexes, tout au moins en ce qui concerne l'énoncé duprincipe, même si l'application concrète de celui-ci peutposer des problèmes particuliers, notamment quant à ladéfinition pratique des fonds publics «propres auterritoire ».

2) Considéré comme personne morale de droit publicinterne, le territoire possédait généralement, avant sonaccession à l'indépendance, un régime de financespubliques concrétisé par des mécanismes, des institutionset un Trésor distincts de ceux de la puissance coloniale.Les fonds publics appartenant ainsi au territoire avantson accession à l'indépendance, produit des redevances,impôts, taxes de toutes natures, créances, droits et autres,et liés à l'activité dans le territoire, ne peuvent que demeurerdans le patrimoine financier du territoire une fois celui-cidevenu indépendant. Logiquement, leur localisation soitdans le territoire soit dans celui de l'Etat prédécesseur oude tout autre Etat tiers n'emporte aucun effet quant à leurstatut dès lors qu'il est bien établi par ailleurs qu'ilsappartenaient au territoire devenu indépendant.

182 Voir Keesing^s Contemporary Archives, 1946-1948, vol. VI,January 24-31, p. 9066.

183 R o y a u m e - U n i , Financial Agreement between the Government othe United Kingdom and the Government of India, C m d 7195, L o n d r e s ,H . M . Stat ionery Office, 14 aoû t 1947.

184 Pou r les détails, voir I. Paenson , op. cit., passim, et n o t a m m e n tp . 65 et 66 et 80.

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Succession d'Etats dans les matières autres que les traités 47

2. Fonds d'Etat

3) Quant aux fonds d'Etat appartenant à la puissancecoloniale mais se trouvant dans le territoire, ils devraient,liquides ou investis, tomber dans le patrimoine de l'Etatsuccesseur par application du principe général detransfert des biens publics de l'Etat.

4) Si les fonds publics de l'administration britanniquemandataire en Palestine semblent avoir été retirés par leRoyaume-Uni, l'exemple ne dément pas le principegénéral dans la mesure où le mandat, conçu comme unservice public international assumé par un Etat au nomde la communauté internationale, n'enlève nullement lepouvoir à la puissance mandataire de retirer ses bienspropres quand ils sont nettement séparables et déta-chables de ceux du pays sous mandat.

B. — Trésor

5) Les relations de trésorerie sont très complexes.Ramenées à des éléments simples, elles comportent deuxaspects. D'une part, il n'y a aucune raison pour que lesdroits du Trésor du territoire devenu indépendants'évanouissent paradoxalement du seul fait que ceterritoire a accédé à l'indépendance. D'autre part, lesobligations, correspondantes ou non, contractées anté-rieurement par le Trésor du territoire à l'égard departiculiers (ou de l'Etat prédécesseur, ou de tout autreEtat) sont assumées, à défaut de dispositions convention-nelles particulières, dans les conditions et selon les règlesrelatives à la succession à la dette publique. On ne peut,semble-t-il, en dire davantage sans risquer de se naufragerdans la complexité technique de ces problèmes.

6) A la fin du mandat français, la Syrie et le Libansuccédaient conjointement aux avoirs des « intérêtscommuns », comprenant la trésorerie de ces « intérêts »ainsi que les bénéfices retirés par les deux Etats dediverses concessions. Les deux pays succédèrent auxavoirs de la « Banque de Syrie et du Liban ». Mais la plusgrande partie de ces avoirs fut bloquée et ne fut libéréeque progressivement, avec un étalement jusqu'en 1958 185

7) En ce qui concerne les avances faites par leRoyaume-Uni dans le passé pour combler les déficitsbudgétaires de la Birmanie, la Grande-Bretagne renonçaau remboursement de 15 millions de livres sterling etaccorda pour le reste à la Birmanie un délai de vingt anspour son remboursement sans intérêt à partir du 1er avril1952. L'ancienne puissance coloniale renonça aussi auremboursement des dépenses qu'elle avait encourues pourl'administration civile de la Birmanie après 1945 pendantla période de reconstruction186.

185 Voir, pou r la Syrie, la convent ion de l iquidat ion, la convent ionde règlement des créances et l 'accord de paiement , tous trois en datedu 7 février 1949 (France, Journal officiel de la République française,Lois et décrets, Paris, 10 mars 1950, 82e année, n° 60, p. 2697 à 2700),et pour le Liban, l'accord monétaire et financier franco-libanais du24 janvier 1948 {ibid., 14 et 15 mars 1949, 81e année, n° 64, p. 2651 à2654; également dans Nations Unies, Recueil des Traités, vol. 173,p. 99).

186 Le Royaume-Uni remboursa aussi à la Birmanie les fraisd'approvisionnement de l'armée britannique encourus par ce terri-toire pendant la campagne de 1942 et certains frais afférents à ladémobilisation.

Article 18. — Archives et bibliothèques publiques

1. Sont transférés à l'Etat nouvellement indépendant lesarchives et documents publics de toute nature, quelle quesoit leur localisation, qui se rapportent directement ou quiont appartenu au territoire, devenu indépendant, ainsi queles bibliothèques publiques de celui-ci.

2. L'Etat nouvellement indépendant ne refusera pas dedélivrer à l'Etat prédécesseur ou à tout Etat tiers concerné,sur leur demande et à leurs frais, copies de ces pièces, saufsi elles touchent à sa sécurité ou à sa souveraineté.

COMMENTAIRE

1) Le Rapporteur spécial ne reviendra pas sur l'impor-tance des archives187 ni sur la définition des piècesconcernées par le transfert. Il s'agit des archives etdocuments publics de toute nature188, c'est-à-dire quelsque soient a) leur appartenance (à l'Etat, à une collectivitéintermédiaire, à un organisme à caractère public, etc.), b)leur genre (diplomatique, politique, administratif, mili-taire, économique, judiciaire, historique, géographique,législatif, réglementaire, civil, ecclésiastique, etc.), c) leurcaractère (archives publiques ou secrètes), d) leur nature(manuscrits ou imprimés, dessins ou photographies), é)leur matière (papier, parchemin, étoffe, cuir, etc.),/) leurvariété (plans, registres, rouleaux, titres, documents, etc.).On sait aussi que les archives « de toute nature » visentaussi bien les pièces servant d'éléments de preuve que lespièces servant de moyens d'administration189.

2) On lit dans l'article 33 de l'accord de 1954 entre laFrance et l'Inde concernant les Etablissements français del'Inde 190 :

Le Gouvernement français conservera les archives ayant unintérêt historique et laissera au Gouvernement indien celles qui sontnécessaires à l'administration du territoire.

Quoique ce cas de décolonisation ne relève pas du présentarticle, relatif aux « Etats nouvellement indépendants », leRapporteur spécial a cru utile de s'y référer pour signalerque les rares exemples de ce genre limitant le transfertd'archives à une catégorie de celles-ci expriment la libertédes Etats sur le plan conventionnel, mais nullement unerègle ou une coutume 1 9 \ rien ne pouvant dispenser l'Etatprédécesseur de la livraison de l'ensemble des archives dèslors qu'elles ont un lien avec le territoire.

A. — Le lien archives-territoire

3) II est évident que l'Etat successeur ne peut réclamern'importe quelles archives, mais seulement celles-làmêmes qui appartiennent au territoire192. Le Rapporteur

187 Voir Annuaire... 1970, vol. I I , p . 164 et 165, doc . A /CN.4 /226 ,deuxième part ie , ar t . 7, par . 1 à 6 du commenta i re .

188 Cf. ci-dessus ar t . 14, par . 2 et suiv. du commenta i re .189 Ibid., par. 6 et suiv. du commenta i re .190 p o u r référence, voir ci-dessus no te 115.191 Voir Annuaire... 1970, vol. I I , p . 167, doc . A / C N . 4 / 2 2 6 ,

deuxième part ie , a r t . 7, par . 13 à 15 du commenta i re .192 La résolut ion 388 (V) de l 'Assemblée générale, intitulée

« Disposi t ions économiques et financières relatives à la Libye »,déclare dans son article 1 e r [par. 2, al . a] que seront immédia tement

(suite de la note page suivante.)

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48 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

spécial renvoie à un commentaire antérieur pour éclairercette expression 193. Cette appartenance des archives auterritoire doit s'apprécier à un double point de vue. Ils'agit d'une part des archives acquises par le territoire oupour son compte, et d'autre part des pièces concernant leterritoire par le lien organique qui les rattache à celui-ci.

B. — Archives situées hors du territoire devenu indépendant

1. Archives emportées

4) II semble bien qu'il soit justifié d'admettre commerègle le fait de faire bénéficier l'Etat successeur de toutesles archives, historiques ou autres, se rapportant auterritoire objet du changement de souveraineté, même sices archives ont été emportées par l'Etat prédécesseur. Lamise en œuvre d'un tel principe aiderait beaucoup lesnouveaux Etats à acquérir une plus grande maîtrise desproblèmes internes et extérieurs auxquels ils sontconfrontés, et dont une meilleure connaissance ne peutêtre acquise que grâce à la possession d'archives, mortesou vivantes, qui devraient leur être laissées ou retournées.Mais, pour des raisons évidentes, on ne peut s'attendreque l'ancienne souveraineté coloniale accepte de rendretoutes les archives, notamment celles qui sont liées à sonimperium sur le territoire considéré. Bien des considéra-tions de politique ou d'opportunité l'empêchent delaisser, livrés au nouveau souverain, des documentsrévélateurs de la gestion coloniale. C'est pourquoi il estrare de voir réellement appliqué le principe du transfertde telles archives, que l'ancienne métropole se préoccupede faire enlever dès la veille de l'indépendance.

C'est le moment de faire la distinction entre les diversescatégories d'archives que l'ancienne métropole est tentéede faire évacuer avant la fin de sa souveraineté. Il sembleque l'on doive faire le départ entre a) les archiveshistoriques proprement dites antérieures à la date qui amarqué le début de la colonisation du territoire, b) lesarchives de la colonisation liées à Y imperium et audominium, et d'une manière générale à la politiquecoloniale de la métropole dans ce territoire, et c) lesarchives purement administratives et techniques liées à lagestion courante du territoire.

5) Des informations recueillies par le Rapporteurspécial — qui, pour aussi nombreuses qu'elles soient, nesont toutefois pas assez complètes pour autoriser unjugement définitif —, il semble que le problème du retourdans le nouvel Etat indépendant des archives emportéespar l'ancienne métropole n'ait pas reçu une solutionsatisfaisante. On peut certainement affirmer que, quelsque soient la solidité et le bien-fondé du principe dutransfert des archives tel qu'il est énoncé, il seraitdéraisonnable de s'attendre au retour immédiat etintégral des archives visées sous b. Peut-être même, dansl'intérêt des bonnes relations entre l'Etat prédécesseur etl'Etat successeur, n'est-il pas réaliste et souhaitable pour

(suite de la note 192.)

transférés « les archives et les documents appropriés de caractèreadministratif ou d'intérêt technique concernant la Libye ou serapportant à des biens * dont le transfert est prévu par la présenterésolution ».

193 Voir ci-dessus art. 14, par. 9 à 12 du commentaire.

le nouvel Etat indépendant de les réclamer et d'en faireun contentieux qui ne peut être que difficile.

6) Mais en ce qui concerne les archives visées sous a etqui ont pu être emportées par l'ancienne métropole, il estnécessaire que le principe du transfert énoncé reçoive uneapplication ferme et immédiate. Ces archives sontantérieures à la colonisation; elles sont le produit de laterre et du terroir; elles sont attachées au sol qui les avues naître et se constituer et portent son histoire et sonpatrimoine culturel.

7) De même, l'enlèvement, lorsqu'il a pu se produiredans certains cas, de documents administratifs de toutessortes visés sous c ne peut qu'être une source considérablede gêne, de confusion et de mauvaise gestion administra-tive pour le jeune Etat indépendant, déjà en butte à desdifficultés considérables du fait de son inexpérience et de sesinsuffisances qualitatives et quantitatives en cadres. Sil'on excepte le cas, rare, de l'indépendance par rupturesubite et brutale des liens entre la métropole et leterritoire — cas qui a pu entraîner, incompréhensions ourancœurs aidant, des destructions ou des retraitsmalveillants des instruments de l'administration —,l'enlèvement de l'un de ces moyens d'administration quesont ces archives a répondu surtout à la préoccupation dela métropole de ne pas se dessaisir de documents et titrespouvant intéresser la minorité constituée par ses propresressortissants. Mais les techniques actuelles de reproduc-tion sont si avancées qu'il serait déraisonnable et injustifiéde continuer à détenir des archives administratives outechniques de cette nature, dont on viendrait à priver unemajorité pour les besoins, par ailleurs possibles àsatisfaire autrement, d'une minorité.

8) D'une manière générale, il faut espérer que l'énoncéde la règle du transfert aidera aux meilleures relationsentre les Etats et permettra d'ouvrir la voie d'unecoopération appropriée dans ce domaine des archives.Cela permettra à la nouvelle souveraineté de récupérer cepar quoi s'exprimèrent son passé, ses traditions, sonpatrimoine, son génie national, aussi bien que ce par quoielle tente d'apporter un mieux-être quotidien auxhabitants, et à l'ancienne souveraineté d'alléger sespropres difficultés morales et matérielles qui accom-pagnent inévitablement son reflux du territoire.

9) Envisageant un cas de décolonisation, le professeurRousseau écrit:

Le problème se pose à l'heure actuelle dans les rapports de laFrance et du Cambodge, mais ne semble avoir fait l'objet jusqu'icid'aucun règlement définitif. La solution logique serait la remise detoutes les pièces concernant l'histoire de cet Etat pendant la périodeoù la France a assumé la responsabilité internationale de ses affaires(1863-1953) 194.

Dans le cas de l'Algérie, des archives à caractèrehistorique intéressant la période antécoloniale, quiavaient été inventoriées avec précision par l'administra-tion coloniale, ont été emportées par celle-ci à la veille del'indépendance195. Les négociations entre les deuxgouvernements ont permis jusqu'ici le retour d'une partie

194 Ch. Rousseau, op. cit., p. 136.196 II s'agit de ce que l'on appelle communément le fonds arabe,

le fonds turc et le fonds espagnol.

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Succession d'Etats dans les matières autres que les traités 49

des documents du fonds turc ainsi que des microfilmsd'une partie du fonds espagnol196.

2. Archives constituées hors du territoire10) Le Rapporteur spécial n'a pas trouvé d'indicationsprécises couvrant ce domaine et intéressant ce type desuccession. Le problème de l'attribution de la biblio-thèque de l'India Office offre toutefois l'exemple d'un cas« inachevé ». On sait que la Compagnie anglaise desIndes orientales avait constitué en 1801 une bibliothèquequi renferme actuellement 280 000 volumes et quelque20 000 manuscrits inédits qui constituent le plus beautrésor de l'hindouisme dans le monde. Cette bibliothèquefut transférée en 1858 à l'India Office, à Whitehall. Aprèsle partage, en 1948, c'est le Commonwealth RelationsOffice qui en eut la responsabilité. Les deux payssuccesseurs, l'Inde et le Pakistan, demandèrent le 16 mai1955 au Gouvernement britannique de les laisser separtager cette bibliothèque sur la base de la proportion(82,5% pour l'Inde, 17,5% pour le Pakistan) adoptéeen 1947 pour la répartition de tout l'actif entre les deuxdominions.

La question serait à vrai dire assez délicate à trancherdans la mesure où la Government oflndia Act (1935) avaitattribué le contenu de la bibliothèque à la Couronne. LeCommonwealth Relations Office n'ayant pas trouvé desolution, l'affaire fut renvoyée en juin 1961 à l'arbitragede trois juristes du Commonwealth membres du Comitéjudiciaire du Conseil privé.

C. — Obligations particulières de l'Etat nouvellementindépendant

11) Le projet d'article met à la charge de l'Etatsuccesseur une obligation essentielle qui constitue lacontrepartie normale de celle du prédécesseur, investi dudevoir de lui transférer toutes les archives. La décolonisa-tion a parfois entraîné le rapatriement dans Pex-métropole de populations qui ne peuvent être adminis-trées sans archives. C'est pourquoi l'article spécifie en sonparagraphe 2 que l'Etat successeur ne devra pas refuserde délivrer à l'Etat prédécesseur, lorsque celui-ci ledemande, toutes copies d'archives dont il aurait besoin.

Il est arrivé que l'Etat nouvellement indépendantdélivre des copies ou des microfilms non pas seulementd'archives administratives, mais aussi de documents etpièces historiques 197.

Article 19. — Biens situés hors du territoire de l'Etatnouvellement indépendant

1. Les biens publics propres au territoire devenuindépendant et situés hors de celui-ci demeurent sa propriétéà son accession à l'indépendance.

198 Echange de notes algéro-français intervenu à Alger le23 décembre 1966.

187 A la suite de la restitution par la France à l'Algérie de quelquespièces du « fonds turc » qui compose une partie de ses archiveshistoriques emportées à la veille de l'indépendance (cf. ci-dessuspar. 9 et note 195), l'Algérie a offert le microfilm de certains docu-ments de ce fonds après leur retour. Elle avait auparavant donnéson accord à une opération de microfilmage de tous les registresd'état civil détenus par les greffes des juridictions algériennes.

2. Les biens publics appartenant à l'Etat prédécesseur etsitués dans un Etat tiers sont répartis entre l'Etatprédécesseur et l'Etat nouvellement indépendant proportion-nellement à la contribution de ce dernier à leur création.

COMMENTAIRE

A. — Biens propres au territoire devenu indépendant

1) Le territoire qui accède à l'indépendance peut laisser,spécialement dans ce qui fut pour lui la métropole, desbiens acquis sur ses deniers propres. Il peut aussi posséderdes biens dans d'autres pays. La succession d'Etats nepeut avoir paradoxalement pour effet de conférer à l'Etatprédécesseur un droit de propriété qu'il ne possédait passur ces biens antérieurement à l'indépendance duterritoire. Ce principe d'évidence ne saurait comporterquelque exception du seul fait que les biens considérésseraient localisés hors du territoire devenu indépendant.La propriété de ces biens ne peut dépendre de leuremplacement géographique.

2) Cependant, contrairement au cas examiné plus hautdu transfert partiel d'un territoire d'un Etat à un autrepréexistant, le territoire transféré et celui de l'Etatsuccesseur coïncident géographiquement dans le cas dedécolonisation, de sorte que les biens de l'un ne sont riend'autre que ceux de l'autre. Dans ce type de succession,l'Etat successeur jouit donc lui-même de la propriété deces biens et ne se borne pas seulement à les accueillir dansle nouvel ordre juridique qui aura été créé.

3) II conviendrait de faire l'habituelle distinction entreles biens du territoire situés dans l'ancienne métropole etceux qui se trouvent sur le territoire d'un Etat tiers.

1. Biens situés dans l'ancienne métropole

4) Le phénomène de la succession d'Etats n'altère pasen ce cas l'appartenance du droit de propriété sur cesbiens publics, et l'Etat successeur, c'est-à-dire le territoireanciennement dépendant, conserve la disposition de cesbiens.

La pratique diplomatique est toutefois discordante, et ila été difficile au Rapporteur spécial d'en faire le point. Sile principe du transfert de ces biens à l'Etat nouvellementindépendant n'est aucunement contesté, il s'avère enpratique souvent malaisé de le mettre en œuvre, soit parceque l'ancienne métropole conteste non le principe mais laréalité du droit de propriété, soit parce que le territoirequi a fait sécession éprouve des difficultés à connaîtreavec précision la consistance et la nature de tous les biensqu'il pourrait à bon droit réclamer, soit pour d'autresraisons, plus ou moins politiques. Divers offices colo-niaux, à caractère administratif ou industriel et commer-cial, des établissements de repos, de villégiature ou devacances pour les agents du territoire colonial ou leursenfants, des locaux administratifs ou des résidences, parexemple, ont pu être construits ou achetés sur le solmétropolitain par le territoire détaché et avec ses deniersou celui de divers organismes financiers publics relevantde lui (caisses d'allocations familiales, de sécurité sociale,etc.).

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50 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

5) L'ancienne colonie du Congo possédait dans sonpatrimoine un portefeuille de valeurs belges situé enBelgique et estimé, selon le professeur D. P. O'Connell,en 1959 à 750 millions de dollars. Le Congo indépendantne semble pas avoir récupéré ces valeurs dans leurintégralité 198.

A la veille de l'indépendance, lors de la Conférenceéconomique belgo-congolaise tenue à Bruxelles, en mai1960, les négociateurs congolais avaient demandé que lesactifs disponibles, les titres et les droits immobiliers duComité spécial du Katanga et de l'Union minière soientrépartis en tenant compte des avoirs respectifs du Congoet de ses provinces, d'une part, et des intérêts privés,d'autre part, pour permettre au nouvel Etat de succédernotamment à l'important portefeuille d'actions et devaleurs mobilières qui se trouvait hors de son territoire.De multiples péripéties s'ensuivirent, au cours desquelles leGouvernement belge avait notamment prononcé, à l'insudu gouvernement congolais qui allait être constitué, ladissolution anticipée du Comité spécial du Katanga, pourpermettre le partage de ses avoirs, ainsi qu'une nouvellerépartition du capital de l'Union minière, le tout de tellesorte que le Congo ne se retrouve plus majoritaire dansces organismes 199. Cette première dissolution du Comitéspécial, qui était le principal actionnaire de l'Union et quiappartenait pour les deux tiers à l'Etat et pour le reste àla Compagnie du Katanga, était décidée le 24 juin 1960par une convention signée des représentants du Congobelge et de ceux de la compagnie200. Cette conventionétait approuvée par un décret du Roi des Belges le 27 juinI960201.

Réagissant contre cette première dissolution prononcéepar les autorités belges, les pouvoirs publics du Congoindépendant prononcèrent, par un décret-loi du 29novembre 1964, une seconde dissolution du Comitéspécial.

6) Finalement, les accords belgo-congolais du 6 février1965 202 mirent un terme à ces mesures prises unilatérale-ment par chacune des deux parties. Ces accordsintéressent pour partie l'actif situé en Belgique, c'est-à-dire les biens publics sis hors du territoire concerné par lechangement de souveraineté. En échange de la cession auCongo de l'actif net géré par le Comité spécial dans ceterritoire, la partie congolaise reconnaissait la dévolutionà la Compagnie du Katanga de l'actif net situé enBelgique. Diverses compensations et diverses rétroces-sions mutuelles sont intervenues pour démêler l'écheveaucompliqué des droits respectifs. Le 8 février 1965,M. Tschombé recevait à Bruxelles, au nom de songouvernement, la première partie du portefeuille duCongo, au cours d'une cérémonie solennelle.

Mais l'affaire ne se termina pas ainsi. A la suite del'arrivée au pouvoir du général Mobutu, et après diversrebondissements, l'Union minière du Haut-Katanga fut

nationalisée le 23 décembre 1966, car elle avait refusé detransférer son siège de Bruxelles à Kinshasa, estimant quecette opération aurait eu pour effet de placer sousjuridiction congolaise tous les avoirs de la société situéshors Congo. Finalement, le 15 février 1967, uncompromis intervint.

7) Lors de la désannexion de l'Ethiopie203, il fut imposéà l'Italie, par les articles 37 et 75 du Traité de paix de1947204, la restitution à l'Ethiopie d'objets d'intérêthistorique, et l'accord du 5 mars 1956 entre les deuxpays205 comportait diverses annexes donnant la liste deces objets. Une annexe C permettait la restitution àl'Ethiopie du grand obélisque d'Aksoum, que l'Italie s'estvue obligée de desceller d'une place de Rome et de fairetransporter à ses frais jusqu'à Naples pour sonacheminement vers l'Ethiopie.

8) Certaines stipulations contractuelles autorisent res-trictivement la succession aux biens publics en la limitantaux seuls biens situés sur le territoire, à l'exclusion deceux qui se trouveraient hors de celui-ci.

Ainsi en ont décidé les résolutions de l'Assembléegénérale des Nations Unies relatives aux dispositionséconomiques et financières pour la Libye et l'Erythrée206.

Mais de telles stipulations ne contrecarrent pas enréalité la règle proposée, car elles visent une hypothèsedifférente de celle qui nous occupe ici. En effet, dans lessituations évoquées, il est question des biens publics deY Etat cédant — par exemple de l'Italie en Libye ou enErythrée—, tandis que l'hypothèse envisagée ici concernetout le contraire, c'est-à-dire les biens propres de la Libyeou de l'Erythrée, ci-devant italiennes, et qui se trouventhors de leurs limites géographiques.

9) II reste à examiner à présent la situation des bienspropres au territoire devenu indépendant et situés dansun Etat tiers.

2. Biens situés dans un Etat tiers

10) L'hypothèse ne pose pas en soi des problèmesspécifiques. Le territoire devenu indépendant conserve lapleine propriété des biens publics possédés par lui dansun pays tiers (par exemple des bâtiments ou immeublessitués dans un pays ou territoire voisin ou, ce qui estencore plus fréquent, le prolongement d'une ligne dechemin de fer). Parfois, les problèmes se posent en partieen termes de succession de gouvernements. L'affaire desfonds algériens déposés en Suisse pendant la guerre delibération en fournit un bon exemple.

11) Le parti du Front de libération nationale algérienavait ramassé de 1954 à 1962 des fonds destinés à couvrirles besoins de la lutte armée de l'Algérie. Le 19 septembre1958 devait être constitué au Caire un gouvernementprovisoire de la République algérienne (GPRA), qui fut

198 D. P. O'Connell, State Succession... (op. cit.), p. 228.199 Sur tous ces problèmes, voir R. Kovar , « La « congolisat ion »

de l 'Un ion minière du H a u t - K a t a n g a » , Annuaire français de droitinternational, 1967, Paris, vol. XI I I , p . 742 à 781.

200 Moniteur congolais, 19 sep t embre 1960, n° 38, p . 2053.201 Ibid.202 N a t i o n s Unies , Recueil des Traités, vol . 540, p . 227.

203 Le Rapporteur spécial sait que ce cas ne devrait pas normale-ment être examiné dans le cadre des « Etats nouvellement indépen-dants ». Voir plus haut le deuxième alinéa de la note 96.

204 Pour référence, voir ci-dessus note 148.205 N a t i o n s Unies , Recueil des Traités, vol . 267, p . 189.206 Réso lu t ions 338 (V) et 530 (VI) de l 'Assemblée générale des

Nations Unies, du 15 décembre 1950 et du 29 janvier 1952, respec-tivement.

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Succession d'Etats dans les matières autres que les traités 51

reconnu de facto ou de jure par une trentaine de pays207.Le Front de libération nationale, parti unique à la fois delibération pendant la guerre et de gouvernement aprèsl'indépendance, précisait dans ses statuts, adoptés en1959, que ses ressources ne lui appartenaient pas en tantque mouvement mais étaient, en droit et en fait,«propriété nationale» selon les termes de l'article 39,alinéa 2. A la fin de la guerre, le reliquat des fondsdestinés à la lutte se montait à quelque 80 millions defrancs suisses et figurait dans divers comptes bancaires auMoyen-Orient au nom du GPRA et en Europe au nomdu FLN. Le tout fut regroupé en 1962 dans une banquesuisse au nom de M. Mohammed Khider, secrétairegénéral du FLN agissant es qualités. Des différendspolitiques s'étant élevés entre celui-ci et les autoritésgouvernementales algériennes, M. Khider, qui fut déchude sa qualité de secrétaire général du parti au pouvoir,refusa de remettre les fonds qui étaient en sa possession àGenève.

12) Diverses procédures, tant civiles que pénales,assorties de séquestres bancaires, n'ont pas permis encoreà ce jour à l'Etat algérien et au parti du FLN dereprendre ces sommes. A vrai dire, le problème n'a pasété posé sous l'angle de la succession d'Etats ou degouvernements. En effet, il s'y était greffé un aspectpénal, du fait que la banque dépositaire des fondsrevendiqués avait permis irrégulièrement leur retraitprécipité par M. Khider, qui venait pourtant d'êtredéchargé de ses fonctions et n'avait plus alors qualitépour gérer ces fonds. Ceux-ci ont été en conséquencefrauduleusement transférés vers une destination et pourune affectation demeurées inconnues à ce jour.

Ramenée, sur le plan civil, à un problème de successionde gouvernements, cette affaire comporte des analogiesévidentes avec celle des fonds irlandais, examinée plusloin208. Le mouvement algérien de libération et songouvernement provisoire de l'époque ont laissé des biensauxquels devrait normalement succéder l'Algérie indépen-dante par son parti unique au pouvoir et son nouveaugouvernement. Ces biens avaient dès leur constitution laqualité de « propriété nationale », selon les statuts duFLN.

13) Les tribunaux helvétiques, saisis le 16 juillet 1964par les autorités algériennes — représentées par leresponsable du parti du FLN et le chef du gouvernement—, avaient cependant été entraînés par la défense àapprécier la légitimité du parti du Front de libérationnationale, alors qu'ils sont des organes juridictionnels,étrangers au surplus. Le défendeur avait en effet alléguéqu'il ne remettrait les fonds qu'au FLN « légitime ».Lequel? Celui qui, selon lui, serait issu d'un nouveaucongrès national du parti. Un congrès s'était effective-ment tenu, mais le défendeur avait estimé qu'il n'était pas« légitime ». Il est certain que cette notion de légitimitédevrait rester, sur le plan strictement juridique, étrangèreau débat. Les fonds constituant dès l'origine une« propriété nationale algérienne », ils devaient sans aucun

207 y o j r M Bedjaoui, La révolution algérienne et le droit, Bruxelles,Editions de l'Association internationale des juristes démocrates,1961, p. 91 et passim.

208 y o j r ci-dessous art. 31, par. 1 et 2 du commentaire.

doute revenir, à l'indépendance, aux autorités publiquesalgériennes, parti et gouvernement.

L'affaire, qui possède ses spécificités mais qui, àcertains égards, ressemble à celle des fonds irlandais,devrait d'autant plus trouver son dénouement logiqueque, M. Khider étant mort à Madrid le 4 janvier 1967, cesfonds, s'ils ne sont pas attribués à l'autorité algériennepropriétaire, risquent de devenir « biens vacants ».

B. — Biens appartenant à l'Etat prédécesseuret situés dans un Etat tiers

14) Dans le projet d'article à l'examen, le Rapporteurspécial a prévu un paragraphe 2 relatif à la répartitionentre l'Etat prédécesseur et l'Etat successeur de bienssitués dans un pays tiers et à la création desquels leterritoire ci-devant dépendant a contribué.

15) Un auteur signale que « les pays nés de ladécolonisation ne paraissent pas avoir revendiqué unepartie de la souscription des Etats qui assuraient leursrelations internationales », et notamment leur représenta-tion dans des institutions financières internationales ourégionales209. Le fait que ces pays nouvellementindépendants, surtout ceux qui étaient juridiquementconsidérés comme faisant partie intégrante du territoirede la puissance coloniale, n'aient pas pensé à réclamerune partie de ces avoirs, ou n'aient pas pu le faire, nesemble pas logiquement devoir laisser quelque doute surla validité du principe énoncé au paragraphe 2 del'article.

16) Cela paraît d'autant plus vraisemblable que laparticipation à divers organismes intergouvernementaux àcaractère technique est ouverte aux territoires dépendantset qu'à ce titre peuvent se poser des problèmes du typeévoqué ci-dessus. Mais sans doute de telles questionsseront-elles examinées par la Commission lorsqu'elleabordera l'étude concernant « la succession d'Etats et lesorganisations internationales ».

SECTION 3. — UNIFICATION D'ETATS ET DISSOLUTIOND'UNIONS

Article 20. — Monnaie et privilège d'émission

1. Le privilège d'émission appartient à l'Etat successeursur l'étendue du territoire de l'union ou de chaque Etat encas de dissolution de l'union.

2. En cas de dissolution de l'union, les avoirs de l'institutcommun d'émission sont partagés pro parte entre les Etatssuccesseurs, qui assument en contrepartie les obligationsafférentes à la substitution de nouvelles monnaies àl'ancienne.

COMMENTAIRE

Généralement, ce sont les actes constitutifs de l'uniond'Etats qui règlent le problème de la jouissance et del'exercice du privilège d'émission. Celui-ci est reconnu au

209 L. Focsaneanu, « Les banques internationales intergouverne-mentales », Annuaire français de droit international, 1963, Paris,vol. IX, p. 133.

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bénéfice de l'Etat successeur, c'est-à-dire de l'union. Encas de dissolution de celle-ci, chaque Etat possède sonprivilège d'émission, mais le règlement pratique de cesproblèmes est extrêmement complexe. Les Traités de paixde Saint-Germain-en-Laye et de Trianon, qui consa-crèrent le démembrement de la monarchie austro-hongroise, durent tenir compte de la volonté des Etatssuccesseurs d'exercer leur privilège d'émission et de neplus accepter le papier-monnaie austro-hongrois qui avaitcontinué pendant une brève période à être émis par labanque de l'Empire austro-hongrois. Celle-ci fut liquidée,et les Etats successeurs, pour la plupart, estampillèrentdans un premier temps l'ancien papier-monnaie pourexprimer extérieurement leur pouvoir d'émission moné-taire 210.

Article 21. — Fonds publics et Trésor

1. L'union reçoit en patrimoine les fonds publics et lesTrésors de chacun des Etats qui la composent, à moins quele degré d'intégration de ceux-ci dans l'union ou desstipulations conventionnelles ne permettent la conservationpar chaque Etat de tout ou partie de ces biens.

2. En cas de dissolution de l'union, les fonds publics et leTrésor de l'union sont répartis équitablement entre les Btatscomposant celle-ci.

COMMENTAIRE

1) Ce sont généralement tout à la fois des instrumentsconventionnels internationaux et des actes de droitinterne (comme le référendum) qui définissent et réalisentl'unification d'Etats en précisant son degré d'intégration.C'est sur la base de ces diverses manifestations de volontéque le régime financier de l'union, et notamment le sortréservé aux fonds publics et aux Trésors de chaque Etatprédécesseur, est fixé.

A défaut d'indications précises fournies sur ce pointpar les accords d'unification conclus, le Rapporteurspécial a cru devoir proposer, au paragraphe 1 del'article, une règle simple et logique de successioncomplète de l'union aux Etats la composant.

2) Quant à la dissolution de l'union, le paragraphe 2 del'article se borne à énoncer une règle de répartition

210 Pour le détail, assez compliqué, des dispositions prises enmatière monétaire, voir les longs articles 189 du Traité de Trianonet 206 du Traité de Saint-Germain-en-Laye (G. F. de Martens, éd.,Nouveau Recueil général de traités, Leipzig, Weicher, 1924, 3e série,t. XII, p. 491, et ibid., 1923, 3e série, t. XI, p. 764). Ces articlesréglèrent le problème de la manière suivante : a) « les Etats auxquelsun territoire de l'ancienne monarchie austro-hongroise a été transféréou qui sont nés du démembrement de cette monarchie, y comprisl'Autriche et la Hongrie, » avaient eu deux mois pour estampillerles billets émis sur leurs territoires respectifs par l'ancien institutaustro-hongrois; b) les mêmes Etats devaient dans un délai dedouze mois remplacer ces billets estampillés par leur propre monnaieou une monnaie nouvelle aux conditions qu'il leur appartenait dedéterminer; c) ces mêmes Etats devaient soit estampiller les billetsdéjà retirés de la circulation par leurs soins soit les tenir à ladisposition de la Commission des réparations. D'autres dispositionsfigurent dans ces articles et aménagent un régime très complexe deliquidation de la banque austro-hongroise. (Voir. Monès del Pujol,« La solution d'un grand problème monétaire la liquidation de labanque d'émission de l'ancienne monarchie austro-hongroise»,Revue des sciences politiques, Paris, vol. XLVI, avril-juin 1923,p. 161 à 195.)

équitable des fonds publics et du Trésor communs entreles Etats successeurs.

La pratique internationale a consacré cette formule deliquidation selon les principes d'équité. Le Rapporteurspécial n'a pas cru devoir alourdir le texte de l'article parune recherche laborieuse des critères d'équité dans unematière particulièrement technique qu'il est loin demaîtriser personnellement. S'il estime que l'équité doitpleinement jouer — et qu'il ne saurait en aller autrement—, il pense en revanche qu'une répartition, pour êtreéquitable, doit tenir compte de très nombreuses donnéesde fait, variables selon les pays et les situations, et rebellesà une codification. Autrement dit, le recours à l'équitéveut dire tout et rien à la fois. Autant laisser aux accordsparticuliers le soin de lui donner dans chaque cas soncontenu concret.

3) La liquidation de l'éphémère Fédération du Mali futréglée, en ce qui concerne les fonds publics et les créances,par une résolution n° 11 sénégalo-malienne, qui permit àchaque Etat de s'attribuer l'actif selon sa localisationgéographique. Les pourcentages de répartition de l'actifmobilier entre les deux Etats furent (comme pourl'immobilier) fixés à 62% pour le Sénégal et 38%pour le Mali. L'Etat qui recevait une part d'actifsupérieure à celle à lui due était redevable d'une soulteprélevée sur sa part dans la Caisse de réserve211.

Article 22. — Archives et bibliothèques publiques

1. Sauf dispositions conventionnelles contraires en vue dela constitution d'un fonds d'archives centrales communes,les archives et documents publics de toute natureappartenant à un Etat qui s'unit à un ou plusieurs autres,ainsi que ses bibliothèques publiques, demeurent sapropriété.

2. En cas de dissolution, les archives centrales de l'unionet les bibliothèques de celle-ci sont confiées à l'Etatsuccesseur auquel elles se rapportent le plus ou répartiesentre les Etats successeurs selon tous autres critèresd'équité.

COMMENTAIRE

1) Le Rapporteur spécial ne reviendra pas sur l'impor-tance non plus que sur la définition des archives etdocuments publics 212. On rappellera seulement que les« archives » doivent s'entendre dans leur acception la pluslarge, telle qu'on peut la rencontrer dans des instrumentsdiplomatiques intéressant les cas présentement étudiés dedissolution d'unions et visant à cet effet « les archives,registres, plans, titres et documents de toute nature 213 ».

2) L'article 22 est d'inspiration à la fois semblable etdifférente de l'article précédent. Comme l'article 21, il

211 Voir J.-Cl. G a u t r o n , « Sur quelques aspects de la successiond 'E ta t s au Sénégal », Annuaire français de droit international, 1962,Paris, vol. VII I , 1963, p . 861.

212 Voir ci-dessus commenta i re de l 'article 14.213 Trai té de Saint -Germain-en-Laye, ar t . 93 (Autriche) [G. F . de

Mar tens , éd., Nouveau Recueil général de traités, Leipzig, Weicher,1923, 3 e série, t. XI , p . 715], et Tra i té de Tr ianon , ar t . 77 (Hongrie)[ibid., 1924, 3 e série, t. XI I , p . 443 et 444].

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Succession d'Etats dans les matières autres que les traités 53

laisse en effet aux stipulations conventionnelles le soin derégler le sort des archives des Etats qui s'unissent. Mais, àl'inverse de cet article et en l'absence de dispositionscontractuelles, l'article 22 laisse à l'Etat prédécesseur ladisposition de ses archives là où l'article 21 confiait àl'union, c'est-à-dire à l'Etat successeur, la pleinedisposition des fonds publics et des Trésors.

3) Cette différence s'impose d'évidence. Si elles ont uncaractère historique, les archives de l'Etat prédécesseurn'intéressent que celui-ci et relativement peu l'union (saufà décider conventionnellement, pour des raisons deprestige ou autres, de les transférer au siège de l'union oude les déclarer propriété de celle-ci). Le changement destatut ou d'affectation et, surtout, le transfert au bénéficede l'union des autres catégories d'archives utiles à lagestion directe des administrés de chaque Etat seraientnon seulement sans intérêt pour l'union, mais grande-ment dommageables pour l'administration des Etatscomposant celle-ci.

Il en va différemment pour les fonds publics et lesTrésors, dont il faut, sauf dispositions conventionnellescontraires, présumer le transfert à l'union, car il ne faitpas de doute qu'ils doivent faire l'objet et être lesinstruments nécessaires d'une politique unifiée au niveaude l'union.

4) Le paragraphe 2 de l'article proposé se réfère au casde dissolution. Chacun des Etats successeurs reçoit lesarchives et documents publics de toute nature apparte-nant, ou plutôt se rapportant, à son territoire, à chargepour lui d'en délivrer des reproductions aux autres Etatssuccesseurs, à leur demande et à leurs frais. Les archivescentrales de l'union sont réparties entre les successeurs sielles sont divisibles, ou confiées à l'Etat successeur auquelelles se rapportent le plus si elles sont indivisibles, àcharge dans les deux cas pour le bénéficiaire d'en faire oud'en autoriser toute reproduction pour les autres Etats, àleur demande et à leurs frais.

5) C'est généralement le lien que possèdent les archivesavec le territoire qui est déterminant.

Par exemple, à la suite de la disparition en 1944 del'Union dano-islandaise, la Haute Cour de justice duDanemark a décidé, par un arrêt du 17 novembre1966214, la restitution à l'Islande de quelque 1600parchemins et manuscrits d'une valeur inestimable etcontenant de vieilles légendes islandaises. On observeraqu'il ne s'agissait pas d'archives publiques au double sensqu'elles ne concernaient pas à proprement parlerl'histoire des pouvoirs publics et de l'administrationislandais et qu'elles n'étaient pas la propriété de l'Islande,puisque ces parchemins avaient été collectionnés auDanemark par un Islandais, professeur d'histoire àl'université de Copenhague. Il les avait sauvés de ladestruction en Islande alors qu'ils y auraient parfois servià boucher les trous des portes et des fenêtres de foyers depêcheurs islandais. Ces parchemins — estimés, au dired'experts, à 600 millions de francs suisses — avaient étélégués pour toujours par leur propriétaire à une fondationuniversitaire au Danemark.

Le Rapporteur spécial doit à l'obligeance de soncollègue de la CDI le professeur Tammes quelquesinformations relatives à ces archives. Parmi les 1600pièces et documents qui constituent cette collection, ditede Magnusson, figure un manuscrit en deux volumes (le« Flatey Book ») écrit au xive siècle par deux moines del'île de Flatey, partie intégrante de l'Islande, et quiretrace l'histoire des royaumes de Norvège. L'accordintervenu a mis fin à une longue et amère controverseentre Danois et Islandais, attachés les uns et les autres àcette collection, représentant des valeurs culturelles ethistoriques très élevées pour eux. Les autorités danoisesont rendu le 21 avril 1971 le « Flatey Book » et d'autrespièces, et durant les vingt-cinq prochaines annéesl'ensemble des documents rejoindront à Reykjavikl'Institut des manuscrits de l'Islande. Lorsque lacérémonie de remise officielle eut lieu et que les premiersdocuments quittèrent la Bibliothèque royale de Copen-hague, celle-ci mit le drapeau en berne... 215.

Article 23. — Biens situés hors du territoire de l'union

1. Les biens situés hors du territoire de l'union etappartenant aux Etats constituants deviennent, saufstipulations conventionnelles contraires, la propriété del'union.

2. Les biens de l'union situés hors du territoire de celle-cisont, en cas de dissolution, répartis équitablement entre lesEtats successeurs.

COMMENTAIRE

1) Le Rapporteur spécial ne cache pas avoir beaucouphésité à proposer au paragraphe 1 de l'article 23 une règled'attribution à l'union de l'ensemble des biens des Etatsconstituants, lorsque ces biens sont situés à l'étranger.Peut-être l'économie générale de tout le projet d'articlessuggérerait-elle que l'on énonçât plutôt ici une règlecontraire, permettant aux Etats composants de conserverla propriété de leurs biens situés à l'étranger. LeRapporteur spécial laisse la question ouverte à ladiscussion.

2) Plus sûre semble être la règle énoncée au paragraphe2 de l'article. Dans l'hypothèse d'une dissolution, lesbiens possédés par l'union à l'étranger ne peuvent qu'êtrepartagés « équitablement » entre les Etats successeurs. Làaussi, le Rapporteur a renoncé à s'aventurer dans larecherche de divers critères plus ou moins précis derépartition équitable, le tout ne pouvant être qu'affaire decirconstances.

3) On rappellera ici pour mémoire seulement un casmarginal, difficile à classer dans la typologie successoraleet concernant du reste une tentative échouée dedissolution d'une union. Il s'agit de Y Affaire McRae, quis'est produite lors de la Guerre de Sécession américaine.La sécession des Etats sudistes des Etats-Unis d'Amé-rique ayant échoué, le gouvernement fédéral réclama à un

214 Revue générale de droit international public, Paris, 3e série,t. XXXVIII, n° 2 (avril-juin 1967), p. 401.

215 A. E. Pederson, « Scandinavian sagas sail back to Iceland »,International Herald Tribune, 23 avril 1971, p. 16.

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agent sudiste établi en Angleterre des fonds que celui-ci yavait déposés d'ordre des autorités sécessionnistes. L'agenten question refusa de remettre au gouvernement fédéralces fonds, arguant qu'il possédait lui-même diversescréances sur le gouvernement sudiste disparu.

4) L'arrêt rendu par la Court of Equity d'Angleterre en1869 devait rappeler le principe selon lequel la propriétédu gouvernement insurrectionnel devait, si celui-ci estdéfait, revenir au gouvernement légal en sa qualité desuccesseur. Mais l'Etat successeur ne pouvant avoir plusde droits que n'en avait l'ancien titulaire, la demandereconventionnelle de l'agent McRae devait être accueillieet le montant des créances de celui-ci, si elles étaientjustifiées, venir en déduction sur les fonds réclamés.

L'arrêt de la Cour confirmait donc le principe dutransfert à l'Etat successeur des biens publics situés àl'étranger:

II est clairement de droit public universel, y lit-on, que toutgouvernement qui succède de facto à un autre gouvernement, que cesoit par révolution, restauration, conquête ou reconquête, succède àtous les biens publics [...] ainsi qu'à tous les droits relatifs aux bienspublics de rautorité déchue* 21S.

5) Selon certains auteurs, nous sommes là en présenced'un cas de succession d'Etat et non point de successionde gouvernement, car le gouvernement de la Confédéra-tion sudiste, qui regroupait un certain nombre d'Etats,avait été reconnu, au moins comme belligérant, par diversEtats étrangers parce qu'il avait exercé pendant plusieursannées une autorité effective sur un territoire biendéterminé.

SECTION 4. — DISPARITION D'ETAT PAR PARTAGEOU ABSORPTION

Article 24. — Monnaie et privilège d'émission

1. Le privilège d'émission appartient à l'Etat successeursur le territoire absorbé ou la partie de territoire à luirevenue en partage.

2. Le ou les Etats successeurs prennent en charge lesactifs de l'institut d'émission et en assument le passifproportionnellement au volume de la monnaie circulant oudétenue dans le territoire considéré.

COMMENTAIRE

1) Les observations formulées à propos d'articlesprécédents concernant le sort du privilège d'émission217,qui est un attribut de la souveraineté, demeurent bienévidemment valables pour les cas de disparition d'Etatpar suite de partage ou d'absorption, avec cette nuance,particulière à la « radicalisation » de la situationconsidérée, que le privilège d'émission ne peut forcément,en tout état de cause, être exercé que par l'Etatsuccesseur, du fait de la disparition totale de l'Etatprédécesseur.

216 D. P. O'Connell, State Succession... (op. cit.), p. 208.217 Voir ci-dessus art. 12, par. 5 à 7 du commentaire; art. 16,

par. 1 et 3 du commentaire; et commentaire de l'article 20.

2) L'Allemagne nazie avait, au moment de VAnschlussde l'Autriche, fait purement et simplement absorber laBanque nationale d'Autriche par la Reichsbank. Elle enfit autant dans le cas de l'invasion des Sudètes et de ladisparition de la Tchécoslovaquie. Il avait été convenud'abord entre Prague et Berlin que la Banque tchécoslo-vaque céderait à l'Allemagne le sixième environ de sesréserves métalliques: 390 millions de couronnes, soit unpeu plus de 12 tonnes d'or. Mais l'invasion allemande etle démembrement tchécoslovaque ont bouleversé l'éco-nomie de ce premier accord, sans toutefois que les arméesallemandes aient trouvé à Prague tout l'or que Berlinconvoitait. Toutefois, il s'agit là de cas de transfertsterritoriaux forcés et illicites.

Article 25. — Fonds publics et Trésor

1. L'Etat successeur reçoit l'intégralité des fonds publicset du Trésor appartenant à l'Etat absorbé, quelle que soit lalocalisation des avoirs considérés. Il en assume lesobligations afférentes dans les limites des règles relatives àla succession à la dette publique.

2. En cas de partage d'un Etat entre plusieurs Etatspréexistants, chacun de ceux-ci succède à une partie,conventionnellement déterminée, des fonds publics et duTrésor.

COMMENTAIRE

1) Le paragraphe 1 de l'article 25 a pour luil'élémentaire logique. L'Etat absorbé n'ayant plusd'existence, l'intégralité de ses fonds publics et de sonTrésor ne peut passer qu'à l'Etat au profit duquell'extinction du premier s'est consommée. Après VAn-schluss de 1938, si l'on veut raisonner sur un cas dedisparition d'Etat forcée, tous les avoirs de l'Autriche, dequelque nature qu'ils fussent, passèrent au IIIe Reich. Parailleurs, le paragraphe ne peut que renvoyer aux règlessur la succession à la dette publique pour les problèmestouchant aux obligations correspondant à la successionaux fonds publics et au Trésor.

2) Dans l'hypothèse où l'Etat prédécesseur subit undémembrement total par rattachement de chacune de sesparties à divers Etats préexistants, la règle proposée auparagraphe 2 de l'article renvoie, très prudemment, auxaccords passés entre les Etats successeurs au bénéficedesquels le partage est intervenu. Tout ce que l'on peutdire, c'est que chaque Etat succède à une partie des fondspublics et du Trésor de l'Etat disparu.

Article 26. — Archives et bibliothèques publiques

1. La propriété des archives et documents publics detoute nature, ainsi que des bibliothèques publiques,appartenant à l'Etat absorbé est transférée à l'Etatsuccesseur, quelle que soit la localisation de ces biens.

2. Les archives et documents publics de toute nature,ainsi que les bibliothèques publiques, appartenant à l'Etatpartagé entre plusieurs autres sont répartis entre les Etatssuccesseurs en fonction notamment du lien existant entreces biens et le territoire transféré à chaque Etat.

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Succession d'Etats dans les matières autres que les traités 55

COMMENTAIRE

1) Le paragraphe 1 de l'article 26 exprime une règlesimple. L'extinction de l'Etat absorbé laisse à l'Etatsuccesseur le champ libre pour agrandir son patrimoinede l'ensemble des biens publics, archives et documentscompris, où qu'ils se trouvent. En annexant l'Ethiopie en1936, ou l'Albanie en 1939, l'Italie avait succédé àl'ensemble des biens publics de ces deux pays.

2) Le problème des délais de remise des archives ne sepose pas dans les mêmes termes que dans les autres typesde succession, car, l'Etat prédécesseur s'étant éteint, il nedépend plus que de l'Etat successeur d'entrer enpossession des archives, sauf pour celles qui seraientsituées dans un Etat tiers. De même, la question ducaractère gratuit de ce transfert n'a plus de sens, du faitde la disparition de l'Etat prédécesseur.

3) Le paragraphe 2 de l'article vise le cas d'uneextinction d'Etat du fait de son partage entre plusieursautres. Dans cette hypothèse, la répartition des archivesdoit normalement s'effectuer en considération du lienexistant entre celles-ci et la partie de territoire reçue parchaque Etat. Le paragraphe est conçu dans le mêmeesprit que ses équivalents dans les deux articlesprécédents.

Article 27. — Biens situés hors du territoire absorbéou partagé

1. Sous réserve de l'application des règles relatives à lareconnaissance, la propriété de l'ensemble des biens publicsde l'Etat disparu situés hors de son territoire est dévolue àl'Etat successeur.

2. En cas de démembrement total d'un Etat au bénéficede plusieurs autres préexistants, les biens situés àl'extérieur de l'Etat disparu sont partagés équitablemententre les Etats successeurs.

COMMENTAIRE

1) La doctrine estime que l'Etat absorbé ou partagé nepossède plus la capacité juridique d'être propriétaire, etque ses biens à l'étranger deviendraient sans maître s'ilsn'étaient pas dévolus à l'Etat successeur. De ce fait, il n'yaurait pas de raison, selon nombre d'auteurs, de refuserl'attribution de ces biens à l'Etat successeur.

2) Ce raisonnement n'est pas pleinement satisfaisant. Lavacance de ces biens n'est pas la raison du droit àsuccession, tout au plus en est-elle Yoccasion. D'ailleurs,un bien sans maître peut être approprié par n'importequi, et pas nécessairement par l'Etat successeur. Ilpourrait même paraître plus normal — ou tout au moinsplus expédient — de l'attribuer, si seule la question devacance était en jeu, à l'Etat tiers sur le territoire duquelil se trouve. En réalité, la succession d'Etats déclenche unprocessus de transfert de droits qui doit se faire sûrementau bénéfice de l'Etat successeur, nullement à celui del'Etat prédécesseur ou de l'Etat tiers.

3) La jurisprudence n'a parfois pas semblé suivre larègle de dévolution de l'ensemble du patrimoine de l'Etat

disparu à l'Etat successeur, du fait qu'un problème dereconnaissance se posait.

L'Etat étranger sur le territoire duquel est situé le bienrevendiqué par l'Etat successeur ne fait généralementdroit à la réclamation de ce dernier que s'il l'a reconnu dejure. C'est ce qui ressort d'un arrêt de la Cour d'appeld'Angleterre 218. Après l'annexion, en 1936, de l'Ethiopiepar l'Italie, l'empereur Hailé Sélassié actionna unecompagnie d'installations radiotélégraphiques et télé-phoniques pour des sommes à lui dues par cette société.Celle-ci a opposé, en défense, le fait que la créance due àl'Empereur es qualités était passée dans le patrimoine del'Etat italien qui avait succédé au souverain déchu pourtous les biens publics.

4) En première instance, devant la Chancery Division, leproblème central avait été de savoir quelle pouvait être laportée de la reconnaissance de facto dont avait bénéficiél'Italie le 21 décembre 1936 de la part de la Grande-Bretagne pour l'annexion de l'Ethiopie, dont l'Empereurdemeurait le souverain encore reconnu de jure parl'Angleterre. La juridiction de première instance ayantestimé, par une décision du 27 juillet 1938, que cettereconnaissance de facto de l'annexion ne pouvait suffire àopérer le transfert à l'Italie de la créance située enAngleterre, l'affaire fut portée devant la Cour d'appel duRoyaume. Mais le Gouvernement britannique finit parreconnaître de jure, le 16 novembre 1938, le Roi d'Italiecomme Empereur d'Ethiopie, avant que l'appel interjeténe fût vidé au fond. La juridiction d'appel décida, par sonarrêt du 6 décembre 1938, que le droit d'actionner enjustice était lui-même passé à l'Etat successeur depuis lareconnaissance de facto du 21 décembre 1936, et qu'enconséquence le nouveau souverain était le titulaire de lacréance située en Angleterre. Le principe de la successionaux biens publics situés à l'étranger était de ce faitconsacré même dans le cas d'une reconnaissance de facto.

5) L'empereur Hailé Sélassié n'eut pas plus de succèsdevant les juridictions françaises dans une autre espèce. Ilétait détenteur es qualités de 8 000 actions de lacompagnie du chemin de fer franco-éthiopien Djibouti-Addis-Abeba, immatriculées au nom du Gouvernementéthiopien, qu'il voulait convertir en titres au porteur etdont il voulait toucher les coupons échus. Le Gouverne-ment italien a fait opposition auprès du siège social de lacompagnie à Paris à l'effet d'interdire à l'empereur HailéSélassié de vendre, transférer ou céder ces titres, quidevaient, soutenait-il, revenir à l'Etat successeur. Le Jugedes référés du Tribunal de la Seine, saisi par le souveraindéchu pour lever l'opposition du Gouvernement italien,devait se déclarer incompétent, s'agissant d'un acte desouveraineté de l'Italie 219. Cette décision avait abouti en

218 Cour d'appel d'Angleterre, arrêt du 6 décembre 1938, Empe-reur Hailé Sélassié c. Cables and Wireless Ltd. (H. Lauterpacht,Annual Digest and Reports of Public International Law Cases,1938-1940, Londres, 1942, cas n° 37, p . 94 à 101).

219 Un des attendus de l 'ordonnance rendue se lit ainsi:« Attendu que le Juge des référés ne saurait se prononcer sur

la validité de l 'opposition sans résoudre, tout au moins implicite-ment, la contestation qui s'élève sur la propriété des titres, contes-tation des plus sérieuses qui met en jeu des principes de droitpublic international et de droit privé et qui échappe manifestementà sa compétence » (Tribunal civil de la Seine, ordonnance de référé

(Suite de la note page suivante.)

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56 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

pratique à laisser le Gouvernement italien maître de cestitres, qui lui revinrent malgré un appel interjeté parl'empereur Hailé Sélassié. Cet appel220 devait en effetconfirmer la première décision intervenue et, quoique seplaçant, lui aussi, uniquement sur le terrain de lacompétence, aboutir à laisser à l'Etat successeur lapropriété des biens publics de l'Etat prédécesseur situés àl'étranger. Les deux décisions ont donc eu pourconséquence indirecte de consacrer le principe énoncé dutransfert des biens publics.6) Cependant, dans toutes ces situations de démem-brement total, d'absorption, d'incorporation et departage, le problème dominant demeure incontestable-ment, par-delà les questions de reconnaissance, celui dessituations créées d'une manière non conforme « au droitinternational, et plus particulièrement aux principes dudroit international incorporés dans la Charte des NationsUnies » 221.7) On rapprochera la position prise par certainespuissances dans le cas de l'annexion de l'Ethiopie de cellequi fut la leur dans l'affaire de l'incorporation des Etatsbaltes à l'URSS 222. Cette incorporation ne fut pasreconnue par divers pays, notamment la Grande-Bretagneet les Etats-Unis d'Amérique, qui refusèrent d'admettreles républiques socialistes soviétiques comme les succes-seurs de ces Etats pour les biens situés à l'étranger. Lespays occidentaux qui n'ont pas reconnu cette incorpora-tion ont continué de laisser accréditer, pendant un certainnombre d'années, l'ancienne représentation, chez eux, deces Etats, à laquelle ils ont reconnu les droits depropriété, ou tout au moins de gestion, sur les biens situéshors des frontières des républiques baltes. Des immeublesde légations et consulats et des navires baltes223 ne purentpendant longtemps être reconnus propriété des succes-seurs. La situation se normalisa plus tard.

Le professeur Guggenheim rapporte la décision duConseil fédéral suisse du 15 novembre 1946 224

(Suite de la note 219.)

de son président, en da te du 2 novembre 1937, Gazette du Palais,16 décembre 1937; commentai re no tamment dans Ch. Rousseau :« Le conflit italo-éthiopien », Revue générale de droit internationalpublic, Paris, 3 e série, t. XI I , n° 1 [janv.-févr. 1938], p . 98 et 99,et ibid., 3 e série, t. XI I I , n° 4 [juil.-août 1939], p . 445 à 447).

220 Cour d 'appel de Paris, Hailé Sélassié c. E ta t italien, 1 e r février1939, Gazette des tribunaux, 18 mars 1939; Gazette du Palais,11 avril 1939; Revue générale de droit international public, Paris,3 e série, t. XVIII , 1947, p . 248. La Cour , en plus d 'a t tendus propres,a repris mot pour mo t l 'a t tendu (cité dans la note précédente)du Juge des référés.

221 Voir ci-dessus art . 2.222 Voir no tamment K. Marek , Identity and Continuity of States

in Public International Law, Genève, Droz , 1954, p . 369 à 416;M. Flory, Le statut international des gouvernements réfugiés etle cas de la France libre, 1939-1945, Paris, Pédone, 1952, p . 202 à205 et passim, ainsi que leurs bibliographies.

223 Onze navires a rboran t le pavillon des nat ions baltes demeurèrent longtemps « réfugiés » dans des ports américains. Cf.H. W. Briggs, « Non-recognit ion in the courts : the ships of theBaltic republics », American Journal of International Law,Washington (D.C.) , vol. 37, n° 4 (octobre 1943), p . 585 à 596.Quan t à l 'Angleterre, elle avait réquisitionné trente-quatre naviresbaltes pendant la guerre, mais elle est entrée en négociation àleur sujet avec l 'URSS, qu'elle a fini par reconnaître comme pro-priétaire de ces biens.

224 Suisse, Rapport du Conseil fédéral à rAssemblée fédéralesur sa gestion en 1946, n° 5231, 1 e r avril 1947, p . 119.

plaçant sous la gestion fiduciaire de la Confédération les avoirspublics des Etats baltes, ainsi que les archives de leurs anciennesreprésentations en Suisse, les représentations diplomatiques de cesEtats ayant cessé d 'ê tre reconnues dès le 1 e r janvier 1941 225.

8) En rédigeant le paragraphe 2 de l'article à l'examen,le Rapporteur spécial a pensé aux hypothèses du genre decelles qui se sont présentées à la suite des différentspartages de la Pologne entre plusieurs Etats voisins. Ilfournira plus tard quelques informations précises quant àla dévolution des biens publics situés hors du territoire dela Pologne partagée.

SECTION 5. — SÉCESSION OU SÉPARATION D'UNE OU DEPLUSIEURS PARTIES D'UN OU DE PLUSIEURS ETATS

Article 28. — Monnaie et privilège d'émission

1. Le privilège d'émission appartient à l'Etat successeursur l'ensemble du ou des territoires détachés.

2. La monnaie, les réserves d'or et de devises et, d'unemanière générale, les signes monétaires de toute naturepropres au territoire détaché passent à l'Etat successeur.

3. En contrepartie, l'Etat successeur assume la chargede l'échange des instruments monétaires anciens, {avectoutes les conséquences légales qu'entraîne cette substitu-tion de monnaie.

COMMENTAIRE

1) L'article 28 ressemble à l'article 16, qui traite de lamonnaie et du privilège d'émission dans l'hypothèse del'émergence d'un « Etat nouvellement indépendant ». Iln'y a là rien de surprenant, l'hypothèse de sécession ou deséparation ayant été distinguée de celle de la décolonisa-tion pour des raisons simplement méthodologiques226. LeRapporteur spécial renvoie donc par commodité à soncommentaire de l'article 16, tout au moins pour lesconsidérations à caractère général, qui sont valables aussibien pour cet article que pour l'article 28.

2) Lorsque la Tchécoslovaquie se constitua après lapremière guerre mondiale par détachement de plusieursterritoires de l'ex-empire austro-hongrois, la monnaietchécoslovaque naquit en 1919 à la suite d'un estampil-lage pur et simple des billets autrichiens en circulationdans le territoire de la jeune république et moyennant uneretenue de 50% sur la valeur des coupures.

3) L'Etat polonais, reconstitué à la fin de la premièreguerre mondiale à partir de territoires repris surl'Allemagne, l'Autriche-Hongrie et la Russie, avaitintroduit le zloty, nouvelle monnaie nationale, sans que,dans une première phase, la circulation des anciennesmonnaies ait été interdite. Ce furent donc quatremonnaies différentes qui coexistèrent quelque temps enPologne. Après quoi, diverses mesures législatives

226 P. Guggenheim, op. cit., p. 466, note 1.226 y o j r cj-dessus par. 33 et 34. Les raisons sont de cette nature

tout au moins pour la succession aux biens publics. Elles pourraientse révéler plus profondes dans la matière de la succession auxdettes publiques.

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Succession d'Etats dans les matières autres que les traités 57

ordonnèrent l'échange des marks allemands, des roublesrusses et des couronnes austro-hongroises227 ou décla-rèrent que ces monnaies avaient perdu leur cours commeinstrument légal de paiement228.

Article 29. — Fonds publics et Trésor

1. Quelle que soit leur situation géographique, les fondspublics et la trésorerie propres au territoire détaché ne sontpas affectés par le changement de souveraineté.

2. La fortune d'Etat — fonds publics et avoirs detrésorerie — est répartie entre l'Etat prédécesseur et l'Etatsuccesseur, compte dûment tenu des critères de viabilité dechacun des Etats.

COMMENTAIRE

1) Le paragraphe 1 de l'article 29 exprime une règleobservée pratiquement dans tous les cas de successiond'Etats. On n'aperçoit pas de raison pour laquelle lesbiens publics propres au territoire détaché, et enparticulier ses avoirs, sa trésorerie et ses fonds propres, nedemeureraient pas sa propriété. Le paragraphe 2 vise aucontraire la fortune d'Etat. La partie du territoiretransférée peut être plus ou moins considérable, et il n'estpas indiqué que seul le territoire restant conservel'intégralité des fonds publics et de la trésorerie. C'estpourquoi il a paru correct de prévoir une répartition deces biens entre l'Etat prédécesseur et l'Etat sécessionniste.C'est aussi la raison pour laquelle la viabilité de chacundes Etats a paru devoir être au Rapporteur spécial lecritère fondamental.

2) Le cas le plus récent de sécession est celui duBangladesh. Mais il n'a pas été possible à ce jourd'obtenir des informations substantielles sur la pratiquesuivie en ce cas.

Article 30. — Archives et bibliothèques publiques

1. Quelle que soit leur localisation, les archives etdocuments publics de toute nature se rapportant directe-ment ou appartenant à un territoire qui s'est détaché pourse constituer en un Etat distinct, ainsi que les bibliothèquespubliques de celui-ci, sont transférés à cet Etat.

2. Ce dernier ne refusera pas de délivrer à l'Etatprédécesseur ou à tout Etat tiers concerné, sur leur demandeet à leurs frais, copies de ces pièces, sauf si elles touchent àsa propre sécurité ou à sa souveraineté.

COMMENTAIRE

1) Cet article est identique aux articles 14 et 18 proposésci-dessus pour régir respectivement les cas de transfertpartiel de territoire et d'émergence d'un Etat nouvel-lement indépendant. Le Rapporteur spécial renvoie doncaux commentaires de ces articles, la situation étant, dans

tous ces cas, fondamentalement la même, du moins pourles archives et bibliothèques publiques.

2) Les territoires qui se sont détachés de l'Empireaustro-hongrois pour constituer des Etats nouveaux,comme la Tchécoslovaquie après la première guerremondiale, se sont fait remettre les archives qui lesconcernaient229. Par la suite, la Yougoslavie et laTchécoslovaquie ont obtenu de la Hongrie après laseconde guerre mondiale, par le Traité de paix de 1947,toutes les archives historiques constituées par lamonarchie austro-hongroise entre 1848 et 1919 sur cesterritoires. Par le même instrument, la Yougoslavie devaiten outre recevoir de la Hongrie les archives concernantl'Illyrie, datant du xvme siècle 230.

3) L'article 11, paragraphe 1, du même traité précisebien que le territoire détaché, qui s'est constitué en Etatcomme la Tchécoslovaquie, avait droit aux objets « quiconstituent [son] patrimoine culturel, [et] qui ont eu leurorigine dans ces territoires * », se fondant ainsi sur le lienexistant entre les archives et le territoire, ce qui justifiel'expression « archives [...] se rapportant directement [...]à un territoire », proposée par le Rapporteur spécial dansle projet d'article.

4) Par ailleurs, dans le même cas, le paragraphe 2 dumême article dispose à juste titre que la Tchécoslovaquien'aura aucun droit sur les archives ou objets « acquis à lasuite d'achats, dons ou legs, et les œuvres originales duesà des Hongrois », ce qui suppose a contrario que lesobjets acquis par le territoire tchécoslovaque doivent luirevenir. Cela justifie l'expression « archives [...] appar-tenant à un territoire », employée par le Rapporteurspécial. De fait, ces biens sont retournés à laTchécoslovaquie 231.

5) L'article 11 précité du Traité de paix de 1947 avec laHongrie est l'un des plus précis en matière de délais deremise des archives : il dresse un véritable calendrier dansle cadre d'un délai maximal de dix-huit mois.

Article 31. — Biens situés hors du territoire détaché

1. Lorsqu'un Etat se constitue par suite du détachementd'une partie du territoire d'un ou de plusieurs Etats, lapropriété des biens publics appartenant à ce ou cesterritoires constituants et situés hors des frontières de ceux-ci n'est pas affectée par ce ou ces changements desouveraineté.

2. Les biens publics appartenant à l'Etat prédécesseur etsitués dans un Etat tiers deviennent la propriété de l'Etatsuccesseur dans la proportion de la contribution duterritoire détaché à la création de ces biens.

227 Voir notamment la loi du 9 mai 1919.228 Voir en particulier la loi du 29 avril 1920.

229 Article 93 du Traité de Saint-Germain-en-Laye (G. F. deMartens, éd., Nouveau Recueil général de traités, Leipzig, Weicher,1923, 3e série, t. XI, p. 715) et article 77 du Traité de Trianon(ibid., 1924, t. XII, p. 443).

230 Article 11 du Traité de paix avec la Hongrie, du 10 février1947 (Nations Unies, Recueil des Traités, vol. 41, p. 179).

231 Les mêmes dispositions ont été reprises pour le cas de laYougoslavie, à l'article 12 du Traité du 10 février 1947, déjà cité(v. ci-dessus note 148).

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58 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

COMMENTAIRE

1) Le paragraphe 1 de l'article 31 énonce une règle quine semble pas faire de doute, même si par ailleurs lajurisprudence a semé quelque incertitude dans l'« Affairedes fonds irlandais déposés aux Etats-Unis d'Amé-rique 232 ».

Des agents révolutionnaires irlandais du mouvementSinn Fein avaient déposé aux Etats-Unis des fondsrassemblés par une organisation politique républicaine, laDâil Eireann, créée dès la fin de la première guerremondiale dans le but de renverser par la force l'autoritébritannique en Irlande et de proclamer l'indépendance dece pays. Ces mouvements donnèrent naissance pendantl'insurrection irlandaise de 1920-1921 à un gouvernementde fait républicain et révolutionnaire, dirigé par E. DeValera. Lorsqu'un gouvernement de « l'Etat libred'Irlande » fut constitué par le Traité anglo-irlandais du 6décembre 1921, cette nouvelle autorité réclama ces fondsaux Etats-Unis, en tant que successeur du gouvernementinsurrectionnel de fait. La jurisprudence irlandaise avaitfait droit à cette revendication, en décidant que leGouvernement de l'Etat libre d'Irlande possédait « undroit absolu à tous les biens et avoirs du gouvernementrévolutionnaire [de facto] à partir duquel il avait étéétabli 233 ».

2) La jurisprudence américaine, par contre, devaitdébouter les demandeurs. Les deux arrêts rendus à ceteffet par la Suprême Court of New York (New YorkCounty) 234 considéraient que le fond de l'affaire seramenait à un problème de succession d'Etats ou degouvernements, mais estimaient que l'Etat libre d'Irlandeétait le successeur de l'Etat britannique, et qu'enconséquence le gouvernement de cet Etat libre n'était pasle successeur du « gouvernement insurrectionnel », quin'était qu'une organisation politique et non un gouverne-ment reconnu comme tel par l'autorité britannique oupar tout Etat étranger. La Suprême Court of New Yorkconsidérait donc que seule la Grande-Bretagne pouvaitêtre qualifiée pour réclamer ces fonds. Quoique l'affairene se rapporte pas à une succession d'Etats, il estintéressant d'observer que, des attendus de la Cour, onpouvait conclure que si les fonds avaient été versés à laGrande-Bretagne, l'Etat libre d'Irlande aurait pu lesrevendiquer à son tour à la Grande-Bretagne en tantqu'Etat successeur de celle-ci.

232 y o j r £ £) Dickinson, « The case of the Irish Republic'sfunds », American Journal of International Law, Washington (D.C.),vol. 21, n° 4 (octobre 1927), p. 747 à 753; J. W. Garner, « A questionof State succession», ibid., p. 753 à 757; D. P. O'Connell, StateSuccession... (op. cit.), p. 208 et 209; Ch. K. Uren, « The successionof the Irish Free State », Michigan Law Review, Ann Arbor (Mich.),vol. XXVIII (1929-1930), 1930, p. 149; Ch. Rousseau, Cours dedroit international public — Les transformations territoriales...(op. cit.), p . 145 et 146.

233 Cour suprême de l 'Etat libre d ' I r lande , Affaire Fogar tyet consorts c. O ' D o n o g h u e et consor ts , 17 décembre 1925. VoirA. D . McNai r et H . Lauterpacht , Annual Digest of Public Inter-national Law Cases, 1925-1926, Londres , 1929, cas n° 76, p . 98à 100.

234 Cour suprême de New York (New York County) ,AffaireEta t libre d ' I r lande c. Guaran ty Safe Deposi t Company . Ibid.,cas n° 77, p . 100 à 102.

3) On rappellera ici Y Affaire McRae, citée à propos dela dissolution d'unions 235, mais pouvant être égalementexaminée sous l'angle de la sécession. Il s'agit toutefoisd'une tentative de séparation qui s'est achevée par unéchec.

4) La pratique diplomatique suivie par la Polognelorsque celle-ci s'est reconstituée en Etat en recouvrantdes territoires sur la Russie, l'Autriche-Hongrie etl'Allemagne a consisté, comme on sait, à réclamer lapropriété, à l'intérieur comme à l'extérieur, des biensayant appartenu aux territoires qu'elle a repris.

5) Le paragraphe 2 de l'article proposé vise le cas desbiens appartenant à l'Etat ou aux Etats prédécesseursdont une ou des parties de territoire se sont détachéespour constituer le nouvel Etat. Si le ou les territoirescomposants ont contribué à la constitution des bienssitués dans un Etat tiers, ils sont fondés à réclamer leurpart de ces biens, déterminée en fonction de leurcontribution.

6) Toutefois, il ne semble pas que cette règle ait toujoursété retenue par la pratique diplomatique. Si l'on envisagele cas du démembrement des territoires de la dynastie desHabsbourg, on y décèle, entre autres, un type de sécessiondans la mesure où la Tchécoslovaquie par exemple s'estconstituée à partir de certains territoires détachés del'Empire.

7) Une sentence arbitrale avait été rendue, précisémentà la requête de la Tchécoslovaquie, dans une affaire decession de bateaux et de remorqueurs pour la navigationsur le Danube 236.

La Tchécoslovaquie avait, en cours d'instance, présentéune réclamation tendant à se faire reconnaître lapropriété d'une partie des biens de certaines compagniesde navigation qui avaient appartenu à la Monarchiehongroise et à l'Empire autrichien ou qui avaient étésubventionnées par eux, motif pris de ce que

ces intérêts avaient été acquis à l'aide de fonds provenant de tous lespays constitutifs de l'ancien Empire autrichien et de l'ancienneMonarchie hongroise et de ce que lesdits pays, ayant contribué àcette acquisition en proportion des impôts versés par eux, étaient,dans la proportion correspondante, propriétaires des biens enquestion 237.

8) La position de l'Autriche et de la Hongrie était qu'ilne s'agissait pas, tout d'abord, de biens publics, seulssusceptibles de passer aux Etats successeurs, et qu'en-suite, en admettant même qu'ils eussent cette qualité enraison de la participation financière plus ou moinsimportante de la puissance publique, « les traités nedonnent pas de droits à la Tchécoslovaquie sur les biens

235 y o j r cj_dessus art. 23, par. 3 à 5 du commentaire.236 Affaire relative à la cession de bateaux et de remorqueurs

pour la navigation sur le Danube, puissances alliées (Grèce, Rou-manie, Royaume serbo-croate-slovène, Tchécoslovaquie) c. Alle-magne, Autriche, Hongrie et Bulgarie [Cession of vessels and tugsfor navigation on the Danube, Décision: Paris, August 2, 1921;Arbitrator: Walker D. Hines (U.S.A.)]. Voir Nat ions Unies,Recueil des sentences arbitrales, vol. I (publication des Nat ionsUnies, numéro de vente: 1948.V.2), p . 97 à 212.

237 Ibid., p . 120.

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Succession d'Etats dans les matières autres que les traités 59

publics autres que ceux qui sont situés en territoiretchécoslovaque * 238 ».

9) L'arbitre n'a pas tranché le problème, invoquant sonincompétence pour en connaître au regard des clauses destraités. Il n'existe pas de contrariété entre cette décision etle principe énoncé de la succession aux biens publicssitués à l'étranger. Il est évident qu'il est du pouvoir desEtats d'apporter conventionnellement une exception à unprincipe.

V. — DISPOSITIONS SPÉCIALESAUX ÉTABLISSEMENTS PUBLICS

Article 32. — Définition des établissements publics

Aux fins des présents articles, les «établissementspublics » désignent les organismes ou entreprises ayant uneactivité économique ou assurant un service public et quiprésentent un caractère public ou d'utilité publique.

COMMENTAIRE

1) Le droit interne de nombreux Etats étant relative-ment imprécis dans la définition des « établissementspublics » ou des organismes équivalents, il paraîtpréférable de définir cette institution moins en fonction desa qualification par un texte de droit interne que par lecaractère objectif de sa mission.

Les établissements publics existent dans presque tousles secteurs de l'activité humaine: éducation (universités,collèges, lycées, instituts de recherche, musées, théâtres,bibliothèques); social (hôpitaux, organismes d'aide oud'assistance sociale); financier (instituts d'émission,banques, caisses de dépôts, trésors); communications(chemins de fer, établissements portuaires, aérodromes);etc.239. Si ces organismes ont un champ d'activité plus oumoins large selon les pays, ils ont tous la particularité soitde fournir ou d'assurer un service public soit d'avoir uneactivité publique qui s'inscrit dans le cadre de l'économienationale.

A. — Vétablissement public gère un service public

2) Créé pour assurer la gestion d'un service public,l'établissement public est doté à ce titre d'un statutdéterminant ses structures et son fonctionnement. Sa

238Ibid., p. 120 et 121. Il s'agissait des articles 208 du Traitéde Saint-Germain-en-Laye (G. F. de Martens, éd., Nouveau Recueilgénéral de traités, Leipzig, Weicher, 1923, 3e série, t. XI, p. 767)et 191 du Traité de Trianon (ibid., 1924, t. XII, p. 494).

239 Comme le droit administratif français, le droit allemanddistingue l'établissement public (« ôffentliche Anstalt ») de l'entre-prise publique (« ôffentliche Unternehmung »). Le droit anglo-saxon distingue, semble-t-il, difficilement entre la «public cor-poration», l'«enterprise », l'« undertaking» et la «public under-taking » ou « public utility undertaking » (entreprise d'utilitépublique). Les Espagnols connaissent les « institutos publicos »,les Italiens les « enti pubblici » et les « imprese pubbliche », lesLatino-Américains les « autarquias » et les Portugais les « esta-belecimentos publicos » ou les « fiscalias ». Voir W. Friedmann,The Public Corporation: A Comparative Symposium (Universityof Toronto School of Law, Comparative Law Séries, vol. 1), Londres,Stevens, 1954.

création, comme sa suppression, est liée intimement àcelle du service public considéré. Le patrimoine del'établissement est constitué de biens qui peuventappartenir à l'Etat intégralement ou en partie — le resteétant la propriété, en ce dernier cas, de diversescollectivités territoriales (communes, départements, dis-tricts, arrondissements, etc.) ou de l'établissement publiclui-même. Celui-ci possède en effet la personnalitémorale. Il a un caractère public du fait qu'il fournit unservice public à une population ou à une catégorie decelle-ci.

B. — L'établissement public peut entreprendreune activité économique

3) Prenant dans ce cas des formes et des dénominationsdiverses en fonction de ses origines et de sa finalité,l'établissement public à caractère industriel ou commer-cial possède généralement un régime juridique différentdu premier type. Il jouit de plus d'autonomie que lepremier par rapport à l'administration, en recourant pourson organisation et sa gestion à des procédés de droitprivé. Le patrimoine de l'établissement est constitué debiens pouvant appartenir à l'Etat, à des collectivitéslocales, à l'établissement lui-même, et parfois aussi à despersonnes privées (dans le cas des sociétés mixtes). Entout état de cause, l'établissement public considérépossède là aussi un caractère public évident.

C. — Etablissement d'utilité publique ou d'intérêt général

4) L'établissement de cette catégorie particulière ne gèrepas un service public, mais il entreprend une activitésuffisamment importante pour la population pour êtreconsidérée comme «d'intérêt général» ou «d'utilitépublique ». Créé à l'initiative privée dans ce cas,l'établissement considéré peut être de deux sortes: il peutgérer des activités sensiblement parallèles à celles d'unservice public chaque fois que celui-ci n'a pas lemonopole intégral de ce genre d'activités; ou bien il peutgérer un service particulier à un groupe chaque fois quel'administration juge qu'il n'est pas nécessaire de créer unservice public pour la satisfaction des besoins de cegroupe limité — l'administration intervenant cependantpour reconnaître le caractère d'utilité publique del'établissement voué à la satisfaction de tels besoins.

5) L'administration accorde de diverses manières sonconcours ou son aide à l'établissement privé d'utilitépublique (subventions, régime douanier ou fiscal defaveur, régime de prix particulier, monopole, privilèges depuissance publique tels que l'expropriation ou laperception de taxes fiscales). En contrepartie de cela, unpouvoir de contrôle est reconnu à l'administration surl'établissement.

D. — Caractère public ou d'utilité publique

6) Malgré la diversité de leurs régimes juridiques, lestrois catégories d'établissement envisagées ci-dessuspossèdent un trait commun, représenté par leur caractèrepublic ou d'utilité publique. Cette particularité s'apprécie

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en fonction du lien entre l'établissement et le territoire,c'est-à-dire selon, d'une part, la relation entre l'orga-nisme et la population et, d'autre part, le rapport entrel'établissement et l'économie du territoire.

1. Lien avec la population

7) L'établissement est destiné à satisfaire les besoins dupublic dans un secteur donné. Dans l'affaire del'interprétation de l'article 260 du Traité de Versaillessoumise à l'arbitre Beichmann, la Commission desréparations avait estimé que le lien entre l'établissementet la population était primordial pour l'attribution ducaractère d'utilité publique à une entreprise. Celle-ci doit« [...] desservir sur une étendue plus ou moinsconsidérable de territoire la masse des consomma-teurs * 240 » et assurer « à une collectivité, par des moyensde répartition collectifs, la satisfaction d'un besoinprimordial * 241 », ou encore assurer « dans une zoneterritoriale plus ou moins étendue, en vue de satisfaire unbesoin collectif*, l'exécution d'un service dont l'utilité estconsidérée comme générale dans toutes les communautéscivilisées modernes 242 ».

L'arbitre Beichmann avait de son côté mis aussil'accent sur ce lien en concluant que les établissementsconsidérés «expriment l'idée d'une utilité spéciale pour lepublic en général, et quelquefois aussi de l'utilisationdirecte par le public 243 ».

2. Lien avec l'économie du territoire

8) Par son activité, l'établissement peut « fournir leursmatières premières et leur aliment à des entreprisesindustrielles et commerciales éparses sur le territoire244 ».

9) Le double lien avec à la fois l'économie et lapopulation du territoire met en relief l'importance, dansl'établissement ou l'entreprise, de Vêlement objectifreprésenté par le caractère d'utilité publique en général, etfait passer commodément au second plan les critèresdéfinitionnels trop dissemblables qu'on peut tirer du droitinterne de chaque Etat. L'arbitre Beichmann avait biensignalé quelques disparités 245, relevées d'un ordrejuridique interne à l'autre, dans la qualification del'organisme 246.

240 Affaire des réparations allemandes: Sentence arbitrale relativeà rinterprétation de l'article 260 du Traité de paix de Versailles[arbitre F. W. N. Beichmann], publication de la Commissiondes réparations, annexe 2145a, Paris, 1924; et Nations Unies,Recueil des sentences arbitrales, vol. I (op. cit.), p. 455.

241 Ibid., p . 456.242 Ibid., p . 455. « L'ut i l isat ion par le public est un élément

important* » de définition, avait ajouté la Commiss ion {ibid.,p . 462).

243 Ibid., p . 468.244 Ibid., p . 455.245 Ibid., p . 460 et no te .246 Et même quand il est reconnu à celui-ci un caractère public,

sa nature réelle est souvent un objet de disputes savantes entrejuristes de diverses écoles à l'intérieur d'un même ordre juridique(établissement public, entreprise publique, établissement public àcaractère industriel ou commercial, service public, corporationde droit public, entreprise d'utilité publique, etc.).

E. — Critères de définition

10) C'est pour ces raisons que l'on observe unetendance de la jurisprudence internationale à écarter lescritères de définition tirés du droit interne en cas dechangement de souveraineté affectant un territoire. Onpeut citer trois exemples de cette orientation.

1. Sentence arbitrale relative à Vinterprétation de Varticle260 du Traité de Versailles

11) Un différend avait en l'espèce opposé les parties auTraité de Versailles sur le sens réel de l'expression« entreprise d'utilité publique » employée dans l'article260 de ce traité, chacune des parties cherchant à faireprévaloir l'interprétation plus ou moins large donnée àces termes par son propre droit administratif. Après avoiranalysé les thèses en présence, l'arbitre Beichmann aestimé que les expressions « entreprise d'utilité publique »et « public utility undertaking » figurant dans l'articleconsidéré aux fins de réparations allemandes « nesauraient être, ni considérées comme empruntées auvocabulaire juridique anglais ou français, ni assimilées àune formule du droit administratif de Vun ou de Vautrepays * 247 ». De même a-t-il considéré que l'expression« entreprise d'utilité publique » ne peut être nécessairementliée à la notion de « délégation de puissance publique ou(à) d'autres critériums de nature juridique comme ceuxcontenus dans la définition des conclusions du Gouver-nement allemand 248 ».

12) En conclusion, et après avoir écarté tous les droitsinternes, l'arbitre a jugé que la signification del'expression litigieuse et, partant, sa définition, devaientêtre données conformément au sens qu'elle avait dans lelangage courant.

2. Décision du Tribunal des Nations Unies en Libye

13) Etabli par la résolution 388 (V) de l'Assembléegénérale des Nations Unies en date du 15 décembre 1950,le Tribunal avait eu à décider, relativement au transfert àla Libye de biens appartenant à l'Etat italien, si uncertain nombre d'institutions anciennement régies par ledroit italien pouvaient être qualifiées d'« établissementspublics » au sens de l'article 1er de l'annexe XIV auTraité de paix du 10 février 1947. L'agent duGouvernement italien avait soutenu que le Tribunaldevait décider du caractère d'« ente pubblico » dans lesens strict de l'expression et en se conformant au sens quecelle-ci possédait dans la législation italienne.

14) Le tribunal a écarté cette opinion en déclarant qu'iln'était «pas lié par la législation et la jurisprudenceitaliennes *. Le Tribunal examinera donc cette questionen appréciant librement les divers éléments de chaque casparticulier249 ». Selon lui, les parties « ont à dessein

247 N a t i o n s Unies , Recueil des sentences arbitrales, vol . I (op.cit.), p. 467.

248 Ibid.249 Affaire relative aux institutions, sociétés et associations

visées à l'article 5 de l'accord conclu, en date du 28 juin 1951,entre les Gouvernements britannique et italien, concernant ladisposition de certains biens italiens en Libye: décision du 27 juin1955 (Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales, vol. XII[publication des Nations Unies, numéro de vente: 63.V.3], p. 390).

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Succession d'Etats dans les matières autres que les traités 61

choisi une expression d'un sens général et plus large quecelui que le terme ente pubblico a en droit italien2S0 ».

3. Décision de la CPJI dans une affaire d'établissementpublic universitaire hongrois 251

15) Dans l'affaire des biens appartenant à l'UniversitéPeter Pâzmâny (Budapest) et situés dans les territoirescédés par la Hongrie à la Tchécoslovaquie, la CPJI avait,on s'en souvient, décidé qu'elle

n'a[vait] pas besoin de se fonder sur l'interprétation du droithongrois *. Il lui suffira de constater que la distinction entre bienspublics et biens privés, au sens de la thèse soutenue par leGouvernement tchécoslovaque, n'est ni reconnue ni appliquée par leTraité de Trianon 252.

16) Ainsi la jurisprudence internationale ne se déclarepas liée par le droit interne, la situation de chaqueétablissement public devant être appréciée en fonction desdivers éléments qui lui sont propres ou de la volontémanifestée par les parties contractantes.

F. — Détermination conventionnelle

17) C'est sans doute parce que la définition des« établissements ou organismes de droit public » estmalaisée que l'Etat prédécesseur et l'Etat successeurpréfèrent parfois en dresser conventionnellement la listedans les accords de dévolution qu'il leur arrive deconclure. Cette situation est fréquente dans tous les typesde succession, mais s'est généralisée dans les cas dedécolonisation.

La France, en particulier, a passé avec les Etatsafricains francophones de nombreux accords réglant lesort des « organismes de droit public français » et decertaines « entités administratives françaises » situésdans ces pays. Mais il ne faut pas chercher dans cesstipulations conventionnelles des éléments de définitionrigoureuse des établissements publics, de déterminationde leurs biens ou de la nature juridique de leurs droits surces biens, non plus que des raisons de principe justifiant lemaintien de ces établissements dans le patrimoine del'Etat prédécesseur.

La notion d'organisme de droit public français — écrit M. DanielBardonnet — ne présente aucune spécificité sur le plan juridique.Elle ne se caractérise guère [...] que par l'existence de la personnalitécivile et de l'autonomie financière. En réalité, il s'agit simplementd'une étiquette commode pour couvrir un ensemble assez hétéroclited'organismes publics, semi-publics ou d'intérêt public [...] 253.

250 Ibid.251 Voir Annuaire... 1970, vol. I I , p . 152, doc . A /CN.4 /226 ,

deuxième par t ie , a r t . 1 e r , par . 27 à 30 du commenta i r e .262 Ar rê t d u 15 décembre 1933, Appel con t re une sentence du

Tribunal arbitral mixte hungaro-tchécoslovaque (Université PeterPâzmâny c. Etat tchécoslovaque), C.P.J.I., série A/B, n° 61, p. 236et 237.

253 D. Bardonnet, op. cit., p. 601. Au terme d'une analyse d'unerare minutie, l'auteur a estimé notamment que

«La liste des organismes de droit publics français, telle qu'ellefigure dans l'état liquidatif (franco-malgache) du 18 avril 1961,devrait être révisée. Il est en effet anormal d'y voir figurer dessociétés anonymes proprement malgaches, comme la Sociétéd'énergie de Madagascar [...] ou la Société des pétroles de Mada-gascar. De même, le Directeur de la Compagnie française pour

Article 33. — Etablissements publics du territoire transféré

Les établissements publics appartenant en totalité auterritoire transféré ne sont pas affectés par le seul fait duchangement de souveraineté.

COMMENTAIRE

1) La situation juridique des organismes ou corpora-tions de droit public ou des entreprises et établissementspublics qui appartiennent en propre au territoire concernépar le changement de souveraineté ne peut pas êtreaffectée par la succession d'Etat en tant que telle. Quelque soit le type de celle-ci, le patrimoine du territoireconserve sa consistance antérieure au changement.

2) La situation est claire pour les cas a) de transfertpartiel de territoire, b) de l'Etat nouvellement indépen-dant et c) de la sécession ou séparation d'une partie duterritoire d'un Etat. Dans l'hypothèse d) de l'unificationd'Etats, la règle semble aussi parfaitement susceptible dejouer, les établissements publics de chacun des Etats quis'unissent demeurant, sauf dispositions conventionnellescontraires, la propriété de ces Etats. En cas de dissolutionde l'union, si, par hypothèse, chaque Etat composantl'union possédait en propre des établissements publics surson territoire, il est évident qu'il ne peut a fortiori perdrela propriété de ceux-ci lorsque survient la dissolution del'Union.

Reste la seule hypothèse de l'absorption d'un Etat oudu partage de celui-ci entre plusieurs autres : c'est un casoù l'ensemble du territoire transféré coïncide en étendueavec celui de l'Etat prédécesseur. Autrement dit, « lesétablissements publics appartenant en totalité au terri-toire transféré » — c'est-à-dire les organismes possédés enpropre par le territoire — ne sont rien d'autre dans ce casque les établissements appartenant à l'Etat absorbé oupartagé, et cela nous renvoie au cas examiné à l'article 34,relatif aux biens d'Etat dans les établissements publics.

3) Les exemples ne manquent pas pour chaque type desuccession, mais, afin de ne pas alourdir inutilement cecommentaire relatif à un article par ailleurs évident, on sebornera à retenir ici le seul cas de décolonisation et, danscelui-ci, le seul cas de l'Afrique du Nord.

4) C'est ainsi que le Protocole franco-marocain du 11février 1956 signé à Rabat en vue d'une répartition desservices publics entre le Maroc et la France précisait bien,jusque dans son titre, que la Résidence générale deFrance ne possédait au Maroc au temps du protectoratque des « pouvoirs de gestion » sur certains établisse-ments publics, dont la propriété marocaine était ainsireconnue. Radio-Maroc, l'Imprimerie officielle et lesservices de l'enseignement furent de la sorte repris par leGouvernement chérifien. Le Secrétaire d'Etat françaisaux affaires étrangères chargé des affaires marocaines ettunisiennes devait déclarer à cet effet à un parlementairequi s'interrogeait sur la restitution des services d'ensei-gnement: «Tous les services [de l'enseignement] ont

le développement des fibres textiles a été jusqu'à demander àêtre rayé de cette liste, estimant que son établissement avait uncaractère purement privé» (ibid., p. 602, note 146).

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62 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

d'ailleurs toujours été, sur le plan administratif etbudgétaire, chérifiens254 ». Il devait ajouter, plus tard,qu'« au Maroc les bâtiments et équipements de Radio-Maroc, payés sur le budget marocain, ont toujoursappartenu à l'Etat chérifien », mais que tel n'était pas lecas pour « les installations de Radio-Tunis 255 ».

5) Effectivement, l'Accord franco-tunisien du 29 août1956 sur la radiodiffusion prévoyait que, à partir du 31mars 1957, « l'ensemble des terrains, bâtiments, locaux etinstallations appartenant à la Radiodiffusion française enTunisie fera l'objet d'une cession en toute propriété àl'Etat tunisien par voie de rachat dans le cadre desnégociations domaniales entre les deux pays ». L'accordprécité devait permettre au Gouvernement tunisiend'assurer lui-même, à la date du 31 mars 1957, «lagestion, l'exploitation et l'équipement de la Radiotélévi-sion tunisienne * ».

6) Les établissements publics ayant appartenu en propreà l'Algérie ont été conservés par celle-ci lors de sonaccession à l'indépendance.

La Déclaration de principes relative à la coopérationéconomique et financière, du 19 mars 1962, précisait enson article 18 que

L'Algérie assume les obligations et bénéficie des droits * contractésen son nom ou en celui des établissements publics algériens * par lesautorités françaises compétentes 258.

Mais l'Algérie a provisoirement laissé à la Francel'usage de certains services pour les besoins de lacoopération technique et culturelle entre les deux pays,comme cela s'est également produit entre la France et lesautres pays du Maghreb ou les Etats africains etmalgache 257.

Article 34. — Biens d'Etat dans les établissements publics

L'Etat successeur est automatiquement et pleinementsubrogé dans les droits patrimoniaux de l'Etat prédécesseurdans les établissements publics situés sur le territoiretransféré.

254 Réponse du Secrétaire d 'E ta t à une question écrite deM. Debré , n° 6663 (France, Journal officiel de la République fran-çaise, Débats parlementaires: Conseil de la République, Paris,20 juin 1956, année 1956, n° 37 C.R., p . 1191).

255 Réponse du Secrétaire d 'E ta t à la Présidence du Conseilà une question orale de M. Debré (ibid., 16 janvier 1957, année1957, n° 1 C.R., p . 7).

256 Nat ions Unies, Recueil des Traités, vol. 507, p . 64.257 L 'art icle 2 de la Déclarat ion de principes relative à la coopé-

rat ion culturelle précisait q u ' à cet effet « la France conservera*en Algérie un certain nombre d'établissements d 'enseignement »(ibid., p . 76). En application de cet article, le Protocole du 7 sep-tembre 1962 relatif à la réparti t ion des établissements d'enseigne-ment (v. Algérie, Journal officiel de VEtat algérien, Ordonnances,Alger, 11 septembre 1962, l r e année, n° 13, p . 173) prévoyait « unerépart i t ion provisoire » des établissements, et comportai t uneannexe intitulée « Liste des établissements conservés* par la France »(ibid., p . 174). U n autre protocole, du 11 juin 1963 (v. France ,Journal officiel de la République française, Lois et décrets, Paris,4 mars 1964, 96e année, n° 54, p. 2097), a permis à la France de«conserver» certains établissements algériens, l'Algérie confiantpar ailleurs « temporairement la gestion de certains instituts » àun Conseil mixte de la recherche scientifique (art. 1er du protocole).

COMMENTAIRE

1) Simple, claire et logique, la règle proposée ci-dessus anéanmoins reçu, il faut le reconnaître, des applications àéclipses. Le Rapporteur spécial se hasarde toutefois à laproposer à la Commission en lui laissant le soin de jugersi les incertitudes de la pratique lui paraissent de naturesoit à la renverser, soit à en nuancer la formulation.L'examen de la pratique des Etats nous offre tout aussigénéreusement des exemples à la fois a) de successionautomatique et intégrale de l'Etat successeur aux biensd'Etat dans les établissements publics, b) de successionautomatique mais limitée aux biens des établissementssitués dans le territoire concerné par le changement desouveraineté, c) de succession moyennant rachat, et d) deconservation temporaire de ces biens par l'Etat prédéces-seur.

2) Toutefois, il semble que le principe de succession nesoit pas écarté : c'est seulement sa mise en jeu pratiquequi reçoit conventionnellement quelques restrictions.Même lorsque deux Etats décident d'écarter le principe,c'est aussi une façon de reconnaître son existence: leshautes parties contractantes « conviennent de substituer aurèglement domanial fondé sur la nature des dépendances *un règlement forfaitaire fondé sur l'équité et satisfaisant àleurs besoins respectifs 258 ».

A. — Succession automatique et intégrale

3) L'Allemagne s'était substituée en 1871 aux droits etbiens détenus par la France dans le réseau de chemin defer de la Compagnie de l'Est pour sa partie située enAlsace-Lorraine259. Bismarck avait en effet décidé, aprèsla conclusion du Traité de paix de Francfort260, de retenircomme propriété d'Etat les lignes d'Alsace-Lorraine. LaFrance ayant protesté contre cette décision, l'Allemagneconsentit au versement d'une indemnité, mais le caractèretout à fait fictif de celle-ci permet de conclure à un casdéguisé de succession automatique et intégrale. D'ail-leurs, c'est la compagnie et non la France qui futindemnisée. La France avait racheté ses droits à lacompagnie pour les donner à l'Allemagne.

4) Le Traité de Francfort comportait en effet des articlesadditionnels, au nombre de trois, dont deux serapportaient à ce problème des réseaux de la Compagniede l'Est. L'Empire allemand imposait à la France lerachat des concessions accordées à la Compagnie enAlsace-Lorraine, et devait en contrepartie verser à laFrance un forfait qu'il s'était borné à défalquer del'indemnité de guerre exigée de celle-ci (325 millions sur 5milliards de francs-or).

258 Article 31 de l 'Accord de coopérat ion franco-malgache du27 juin 1960 en matière monétaire , économique et financière(approuvé à Madagascar par une loi du 5 juillet 1960 et en Francepar une loi du 18 juillet 1960). Voir France , Journal officiel dela République française, Lois et décrets, Paris, 20 juillet 1960,92 e année, n° 167, p . 6615.

259 II ne semble pas qu' i l se soit agi, dans ce cas de transfertpartiel de territoire, de l 'hypothèse, examinée à l 'article 10, desseuls droits de puissance concédante.

260 p o u r référence, voir ci-dessus note 125.

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Succession d'Etats dans les matières autres que les traités 63

5) Lorsque, après la première guerre mondiale, laFrance reprit l'Alsace-Lorraine à l'Allemagne, on assistaà une succession automatique et intégrale, considéréecomme une restitution exclusive de toute indemnité. LaFrance reprit non seulement le réseau des chemins de ferde l'Est, mais également tout le matériel roulant, aprèsavoir fait observer par son représentant à la Conférencede la paix que cette question était

uniquement une question connexe à une cession territoriale etnullement une question d'indemnité. La France réclame le matérielroulant appartenant au réseau d'Alsace-Lorraine comme unaccessoire du sol alsacien-lorrain, comme une sorte de domaine publicroulant affecté au sol, et cela en vertu d'une sorte de droit desuite * 261« 262 .

6) Par le Traité de paix avec l'Italie, du 10 février 1947(annexe X, par. 1), « le Territoire libre de Trieste[recevait], sans paiement, les biens italiens d'Etat ouparastataux * situés dans le Territoire libre263 ». Etaientconsidérés comme biens d'Etat ou parastataux

les biens et propriétés de l'Etat italien, des collectivités publiqueslocales, des établissements publics et des sociétés et associations quisont propriété publique ainsi que les biens et propriétés ayantappartenu au parti fasciste ou à des organisations auxiliaires de ceparti264.

7) Le Traité de paix entre la Finlande et l'URSS, du 12mars 1940, qui prévoyait des cessions territorialesréciproques entre les deux pays, comportait un protocoleannexe aux termes duquel divers biens d'importanceéconomique ou militaire (et notamment des entreprises

261 Conférence de la paix (1919-1920), Recueil des actes de laConférence de la paix, Paris, Imprimerie Nat ionale , 1922, part ie IV(Commissions de la Conférence), B (Questions générales), 5) Com-mission du régime internat ional des por ts , voies d ' eau et voiesferrées, séance du 21 mars 1919, extrait du procès-verbal n° 14,p. 122.

2 6 2 « M . ARMITAGE SMITH (Empire br i tannique) : [...] Les pré-liminaires de paix stipuleraient, au regard de l 'Allemagne, lacession gratuite de son domaine public. Puis, entre Alliés, onexaminerait l ' imputat ion de la valeur de ce domaine sur l ' indem-nité due aux Eta ts cessionnaires.

« M . SERGENT (France) : [...] Si par surcroît l 'E ta t cessionnairelaisse imputer la valeur de ce domaine sur sa créance à l 'égardde l 'Allemagne, il diminue cette créance. D a n s le cas de l 'Alsace-Lorraine, l 'Allemagne, en 1871, s"1 étant saisie sans indemnité*du domaine public français, la méthode proposée aboutirai tà faire payer par la France des biens domaniaux qui lui avaientété arrachés par la force.

« M . M O N T A G U E (Empire bri tannique) suggère qu ' i l soitstipulé que le domaine public al lemand sera transféré gratuite-ment à l 'E ta t cessionnaire, et que la question de la prise encompte sera réglée ultérieurement entre Alliés.

« M . SERGENT dit que la France ne saurait payer aux Alliésce qu 'el le t iendra gratuitement de l 'Al lemagne» .[Ibid., 6) Commission financière, Première Sous-Commission,séance du 21 mars 1919, extrait du procès-verbal n° 4, p . 130et 131.]Voir aussi les a t tendus de l 'arrêt de la Cour de cassation fran-

çaise dans l'Affaire Compagnie des chemins de fer d 'Alsace et deLorraine c. Ducreux (Cour de cassation française, Chambre civile,arrêt du 11 juillet 1928 [Dalloz, Recueil hebdomadaire de juris-prudence, année 1928, Paris, Dalloz, p . 512]).

263 Nat ions Unies, Recueil des Traités, vol. 49, p . 97.2 6 4 Ibid. Voir aussi l ' annexe X I V (Disposi t ions économiques et

financières relatives aux territoires cédés) [ibid., p . 114], où lesdispositions relatives au Territoire de Trieste sont reprises identi-quement au bénéfice des Etats successeurs de l'Italie pour d'autresterritoires.

industrielles, des installations télégraphiques, des stationsélectriques, des aérodromes, des entrepôts de marchan-dises) devaient être livrés intacts par chaque partie àl'autre 265.

8) Après sa restauration en 1918, la Pologne a entendureprendre l'ensemble des biens russes, allemands etaustro-hongrois situés dans les territoires sur lesquels elles'est reconstituée. On est en présence d'un cas dépassantl'hypothèse de succession gratuite et automatique auxbiens d'Etat dans les entreprises publiques ou d'utilitépublique, puisque la Pologne a entendu recouvrer mêmedes biens privés 266.

9) Le traité de paix signé à Bucarest le 7 mai 1918 entreles puissances centrales et la Roumanie267 stipule en sonarticle 12 que l'ensemble des biens d'Etat (« Staatsver-môgen ») des territoires roumains cédés passent aux Etatssuccesseurs francs et quittes de toutes indemnités oucharges.

10) Par la résolution 388 (V) de l'Assemblée généraledes Nations Unies, du 15 décembre 1950, relative aux« Dispositions économiques et financières relatives à laLibye », ce dernier pays devait recevoir, « sans paiement,les biens meubles et immeubles situés en Libye dont lepropriétaire est l'Etat italien, en son nom propre ou aunom de l'administration italienne de la Libye». Leparagraphe 2 de l'article 1er de ladite résolution prévoyaitle transfert gratuit et immédiat des biens du domainepublic (« demanio pubblico »), de ceux du patrimoineindisponible (« patrimonio indisponibile ») et de ceux duparti et des organisations fascistes. Le paragraphe 3 dumême article disposait par ailleurs que

Seront transférés par surcroît et aux conditions à fixer par accordspécial entre l'Italie et la Libye:

a) Les biens disponibles de l'Etat (patrimonio disponibile) et lesbiens appartenant aux agences autonomes de l'Etat * (aziendeautonome), les uns et les autres situés en Libye;

b) Les droits de l'Etat sur les capitaux et sur les biens desétablissements, sociétés et associations de caractère public situés enLibye *.

On sait que le Tribunal des Nations Unies a eu àconnaître de ce problème du transfert à l'Etat successeurdes biens publics et notamment des biens d'Etat dans lesorganismes à caractère public ou semi-public.

11) Les mêmes dispositions ont, grosso modo, étéappliquées au cas de l'Erythrée, qui, en vertu de larésolution 530 (VI) de l'Assemblée générale, a succédégratuitement et automatiquement aux biens du « demanio

265 British and Foreign State Papers, 1940-1942, vol . 144, Londres ,H . M . Sta t ionery Office, 1952, p . 383. Voir aussi I. Paenson , op.cit., p . 105.

266 y o j r ] e troisième rapport {Annuaire... 1970, vol. II, p. 143,doc. A/CN.4/226), passim, et la jurisprudence très abondante dela Cour suprême de Pologne. Selon un arrêt de celle-ci (Coopé-rateurs agricoles de Tarnow c. Trésor polonais), l'Etat polonaiss'était approprié les chemins de fer nationaux autrichiens en acqué-rant la souveraineté sur le territoire en question, accomplissantainsi un acte de droit public (v. Annuaire... 1963, vol. II, p. 149,doc. A/CN.4/157, par. 434).

267 G . F . de Mar t ens , éd. , Nouveau Recueil général de Traités,Leipzig, Weicher , 1921, 3 e série, t . X , p . 856.

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pubblico », du « patrimonio disponibile » et « indisponi-bile », du parti et des organisations fascistes et des« aziende autonome» suivantes: chemins de fer del'Erythrée (« Ferrovie dell'Eritrea »), « Azienda SpécialeApprovigionamenti », « Azienda Minière Africa Orien-tale » (AMAO), et « Azienda Autonoma Strade Statali »(AASS), ainsi qu'aux « droits de l'Etat italien sous formede parts et de droits analogues dans les capitaux desétablissements, sociétés et associations de caractèrepublic * qui ont leur siège social en Erythrée » 268.

12) L'Algérie devait succéder aux biens d'Etat françaisdans les organismes de droit public en Algérie: «Lesétablissements publics de l'Etat [français] ou sociétésappartenant à l'Etat [français], chargés de la gestion deservices publics algériens, seront transférés à l'Algé-rie 269 ». Dans les faits, l'application du principe a soulevédiverses difficultés 27°.

B. — Succession limitée aux biens des établissementspublics situés dans le territoire

13) Parmi les exemples cités ci-dessus relatifs à lasuccession automatique et gratuite à l'ensemble des biensd'Etat pouvant figurer dans le patrimoine des établisse-ments publics ou assimilés, il en est où cette succession aété expressément limitée au cas où ces biens sont situésdans le territoire concerné par le changement desouveraineté.

14) C'est ainsi que ni la Libye ni l'Erythrée n'ont pusuccéder aux biens de l'Etat italien dans les établisse-ments publics lorsque ces biens ou l'activité qui leurservait de support étaient situés hors d'Erythrée ou deLibye.

Lorsque l'activité desdits établissements, sociétés et associations,lit-on dans la résolution 388 (V), s'étend à l'Italie ou à d'autres paysque la Libye, la Libye recevra uniquement les droits de l'Etat italienou de r administration italienne de la Libye qui ne concernent que leuractivité en Libye *. Dans les cas où l'Etat italien ou l'administrationitalienne de la Libye n'avaient dans ces établissements, sociétés etassociations que des fonctions de direction, la Libye ne pourraprétendre à aucun droit dans ces organismes 271.

268 Résolution 530(VI), du 29 janvier 1952 («Dispositionséconomiques et financières relatives à l'Erythrée »), art. Ier. Cetterésolution est beaucoup plus détaillée que la résolution 388 (V),relative à la Libye.

289 Article 19 de la Déclaration de principes relative à la coopé-ration économique et financière (pour référence, v. ci-dessusnote 256). Le fait que ce texte, même s'il renvoie à un accord ulté-rieur, soit muet sur le caractère gratuit ou onéreux de ce transfertdevrait s'interpréter comme excluant toute indemnité ou rachat.

a7° Voir G. Fouilloux, « La succession des Etats de l'Afriquedu Nord aux biens publics français », Annuaire de VAfrique duNord, 1966, Paris, vol. V, 1967, p. 51 à 79. A l'occupation, le18 octobre 1962, par l'armée française de la cité administrativede Rocher-Noir, construite sur des terrains acquis par un établis-sement public (la CEDA [Caisse d'équipement et de développe-ment de l'Algérie]), répondait du côté algérien une prise en chargeaccélérée de divers établissements publics, dont Radio-Alger. Letransfert à l'Algérie des éléments patrimoniaux des divers orga-nismes de droit public s'est finalement opéré progressivement àla suite de longues et complexes négociations, et moyennant souventdivers rachats ou compensations.

271 Article Ier, par. 4, de la résolution 388 (V). Ce paragraphea été repris intégralement dans l'alinéa / du paragraphe 2 del'article Ier de la résolution 530 (VI) précitée concernant l'Erythrée.

15) Des dispositions analogues ou parallèles se retrou-vent dans des accords de dévolution. L'article 19 de laDéclaration de principes relative à la coopérationéconomique et financière entre l'Algérie et la France, déjàcité, prévoit que le transfert des établissements publics del'Etat français « portera sur les éléments patrimoniauxaffectés en Algérie * à la gestion de ces services publics ».

C. — Succession moyennant rachat

16) Lorsque les Etablissements français de l'Inde furentrattachés à l'Union indienne, il fut décidé que « leGouvernement français (mettrait) une centrale électriqueà la disposition du Gouvernement indien. Les conditionsde rachat feront l'objet d'examen entre les autoritéscompétentes272 ».

17) Le Liban avait racheté à la France, lorsque celle-cis'était retirée de ce pays, divers biens de l'Etat françaisdans des établissements publics au Liban, tels que leréseau téléphonique, le poste de radiodiffusion deBeyrouth et des postes de radiotransmission et demétéorologie pour la sécurité aérienne. Il s'est agi deforfaits versés par le Liban273.

18) Un protocole du 24 septembre 1962 «relatif à lacoopération technique entre l'Etat français et l'Etatalgérien dans le domaine des travaux publics, destransports et du tourisme»274 vise le transfert des biensd'Etat figurant dans le patrimoine de divers établisse-ments publics. En particulier, l'article 1er du protocoleporte qu'«à dater du 1er juillet 1962, l'Etat algérien estsubstitué à l'Etat français dans les droits et obligationsattachés aux biens du réseau des chemins de fer d'intérêtgénéral », la France s'étant engagée à « céder » à l'Algérieles actions qu'elle détenait dans la Société nationale deschemins de fer algériens (SNCFA). Cela s'est effectué àtitre onéreux, tout comme pour d'autres organismes dedroit public, tels que l'Electricité et Gaz d'Algérie (EGA),Air-Algérie, la Caisse d'équipement et de développementde l'Algérie (CEDA) dont le patrimoine devait êtretransféré au nouvel organisme algérien équivalent,dénommé Caisse algérienne de développement (CAD),

etc. 275

19) II ne semble pas qu'il faille tirer de ces quelquesexemples, rapidement évoqués, des renseignements nor-matifs qu'ils n'avaient pas pour objet de donner. Car, endépit de leur relative répétition dans les faits, ilss'inspiraient de diverses circonstances de temps et de lieuqui rendent hasardeuse toute extrapolation pour dégagerune règle à partir d'eux.

272 Article 22 de l 'accord franco-indien du 21 octobre 1954(pour référence, v. ci-dessus note 115). L ' indemni té de rachatde cette centrale fut fixée par une commission mixte à 21,65 lakhs.

273 Accord entre la France et le Liban sur les relations moné-taires et financières, signé à Paris le 24 janvier 1948 (Nat ions Unies,Recueil des Traités, vol. 173, p . 99), ar t . 8, par . 3, 4 et 5.

274 Algérie, Journal officiel de VEtat algérien, Ordonnances,Alger, 24 septembre 1962, l r e année, n° 19, p . 311 ; et France ,Journal officiel de la République française, Lois et décrets, Paris ,6 octobre 1962, 94 e année, n° 236, p . 9660.

275 y o j r a u s s i 5 p O u r i e rachat des biens de la Banque d'Algérie,institut d 'émission, Annuaire... 1971, vol. I I ( l r e partie), p . 192,doc. A/CN.4/247 et Add . 1, deuxième partie, ar t . 7, par . 14 ducommentaire , troisième alinéa.

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Succession d'Etats dans les matières autres que les traités 65

II convient d'observer par ailleurs que le caractèreonéreux du transfert se justifiait parfois par le fait que,dans le cadre de la coopération, l'Etat successeur et l'Etatprédécesseur procédaient chacun à une évaluation desbiens qu'il abandonnait à l'autre. Les cessions réci-proques devaient être chiffrées pour les besoins de lacompensation.

Il faudrait également noter que, tout au moins pour cequi concerne la décolonisation, le rachat est parfois plusthéorique que réel.

Le caractère onéreux de la succession aux biens, écrit M. GérardFouilloux, est illusoire soit parce que l'Etat nouveau ne dispose pasdes moyens financiers nécessaires, soit surtout parce qu'il est denature à ouvrir un contentieux peu favorable à la coopération * 376.

Un tel contentieux est la manifestation apparente de lacontestation du bien-fondé d'une éventuelle règle consa-crant le caractère onéreux des transferts.

Enfin, il n'est pas superflu de préciser que le versementd'indemnités ou de forfaits imposé par divers accordsintéressant des cessions territoriales en Europe aux xvme

et xixe siècles était parfois destiné, selon un auteur, àremplacer « en quelque sorte le système qui imposerait àl'Etat acquéreur l'obligation de supporter une part de ladette publique afférente à ces territoires 277 ».

D. — Usage temporaire des biens par VEtat prédécesseur

20) II est arrivé que l'Etat prédécesseur ait été autorisé àconserver temporairement l'usage de biens publics, enparticulier pour y installer ou gérer des services mettanten œuvre une politique de coopération technique ouculturelle avec l'Etat successeur. Il est évident que lemaintien temporaire de ces biens à la disposition de l'Etatprédécesseur ne peut constituer une base permettantd'énoncer une règle contraire à celle que propose leRapporteur spécial. C'est surtout dans le cadre de lacoopération culturelle qu'un certain nombre d'établisse-ments publics d'enseignement, de recherche ou de cultureont été ainsi conservés provisoirement par l'Etatprédécesseur avec l'accord exprès de l'Etat successeur.Par elle-même, l'existence d'un tel accord témoigned'ailleurs à l'évidence du droit de l'Etat successeur desuccéder à ces biens, sans quoi il n'aurait aucune qualitépour en disposer dans cet accord.

21) Au terme de ce commentaire, il semble donc bienqu'il soit possible d'admettre la règle proposée par leRapporteur spécial dans le projet d'article 34. Elle devraits'appliquer sans problème dans les cas du transfert partielde territoire, de l'Etat nouvellement indépendant et de laséparation ou sécession de territoire. Elle ne faitévidemment aucun doute dans l'hypothèse de disparitionde l'Etat prédécesseur par absorption ou partage. Dans cecas, la règle s'impose par impossibilité radicale de laisserun patrimoine à un Etat qui s'est éteint. Reste le cas deVunion d'Etats et de la dissolution d'une union d'Etats.C'est pour cette dernière hypothèse qu'il peut paraître

nécessaire ou utile à la Commission d'apporter quelquenuance ou quelque aménagement spécial à l'articleproposé. Il peut être jugé normal, en effet, que l'Etatprédécesseur conserve les biens qu'il possède dans unétablissement public dans l'hypothèse d'une union d'États— mais, là encore, tout est affaire de nature et de degréd'intégration des Etats dans l'union, donc de stipulationsconventionnelles.

Article 35. — Cas de plusieurs Etats successeurs

Dans l'hypothèse de pluralité d'Etats successeurs, lesdroits patrimoniaux de l'Etat prédécesseur dans lesétablissements publics situés dans les territoires transféréssont répartis entre les Etats successeurs selon les critères delocalisation géographique, d'origine des biens et de viabilitédesdits établissements, et moyennant, éventuellement, dessoultes et compensations.

COMMENTAIRE

1) Lorsque l'Algérie accéda à l'indépendance, il s'étaitposé le problème du sort des biens des « Chemins de ferMéditerranée-Niger », qui intéressait plusieurs pays. Unprotocole franco-algérien avait alors décidé provisoire-ment que « sous réserve des changements découlant pourle domaine public du transfert de souveraineté, leschemins de fer du Méditerranée-Niger sont maintenus enactivité comme établissements publics français * jusqu'au31 décembre 1962278 ». Par la suite, cet établissement futliquidé.

2) II ne semble pas qu'il soit indiqué de préciser plusqu'on ne l'a fait dans l'article 35 la manière dont doiventêtre répartis entre plusieurs Etats successeurs les droitspatrimoniaux que l'Etat prédécesseur peut posséder dansles établissements publics. Les critères de répartitionretenus permettent toutes les combinaisons propres àépouser les réalités les plus variées. Cependant, contraire-ment à ce que pourrait laisser supposer le cas des cheminsde fer Méditerranée-Niger, ce n'est pas à l'Etatprédécesseur que devrait revenir le soin de répartir lesbiens d'Etat entre les divers Etats successeurs. Commel'écrit Max Huber dans son ouvrage déjà cité 279, lesuccesseur du droit public, à la différence de celui dudroit civil, s'investit lui-même de la succession en semettant en possession de son objet. C'est aux Etatssuccesseurs qu'il appartient de procéder entre eux aurèglement de la question 28°.

276 G . Foui l loux, loc. cit., p . 78.277 J. T . N . Dimi t r iu , Le régime des biens d'Etat cédés en vertu

des anciens et des nouveaux traités, Paris , Les Presses modernes ,1927 [thèse], p . 38.

278 Article 10 d u protocole du 24 septembre 1962 (pour référence,v. ci-dessus note 274).

279 Voir ci-dessus note 109.280 Sur la répartition des réseaux de chemin de fer en Europe

centrale et leur réorganisation administrative et technique, voirl'Affaire du chemin de fer de Barcs-Pakrac (Nations Unies, Recueildes sentences arbitrales, vol. III [publication des Nations Unies,numéro de vente: 1949.V.2], p. 1569), l'Affaire du chemin de ferde Sopron-Kôszeg (ibid., vol. II [numéro de vente: 1949.V.1],p. 961 ; et Revue générale de droit international public, Paris, 3e série,t. IV, 1930, p. 324 à 334), et l'Affaire des chemins de fer Zeltweg-Wolfsberg et Unterdrauburg-Woellan (Nations Unies, Recueil dessentences arbitrales, vol. III [op. cit.], p. 1795).

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66 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

3) L'avenir des établissements et organismes publicspeut poser des problèmes insolubles, en cas de pluralitéd'Etats successeurs, s'il n'est pas tenu compte judicieuse-ment des critères évoqués ci-dessus et des intérêts dechaque partie. Le partage des biens risque de viderl'établissement de ce qui est fondamental à son existence,et doit donc tenir également compte du critère de viabilitéde l'établissement.

4) Peut-être est-il possible d'envisager ici, en appendiceà ce commentaire, le cas de la pluralité d'Etats tiers, quiest évidemment différent de celui (examiné ici) de lapluralité d'Etats successeurs. L'hypothèse se rencontrequand, surtout dans le cas de décolonisation, l'Etatprédécesseur a créé un établissement public commun àplusieurs pays voisins, mais dont le siège et l'essentiel dupatrimoine ou de l'activité se trouvaient dans le territoiredevenu indépendant. On peut par exemple penser à descas comme le chemin de fer Djibouti-Addis-Abeba. Lepatrimoine de la puissance coloniale dans l'établissementpublic doit faire l'objet d'un plan de partage tenantcompte de l'importance des parts détenues par chaqueEtat dans l'organisme. Seules des stipulations convention-nelles peuvent résoudre le problème, par des compensa-tions accordées par l'Etat successeur aux Etats tiersproportionnellement à leurs parts ou, mieux encore, parune coopération économique entre tous les Etatsconcernés.

VI. — DISPOSITIONS RELATIVESAUX COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

Article 36. — Définition des collectivités territoriales

Version A

Aux fins des présents articles, la « collectivité territo-riale » s'entend de toute division administrative du territoired'un Etat.

Version B

Aux fins des présents articles, la «collectivité territo-riale » s'entend de toute division administrative du territoired'un Etat qui, bien que caractérisée par un territoire, unepopulation et une autorité administrante propres, ne possèdepas la personnalité juridique internationale.

COMMENTAIRE

1) Le Rapporteur spécial propose deux versions diffé-rentes, l'une dans le prolongement de l'autre, pour ladéfinition des collectivités territoriales. La premièreversion se borne à les définir comme de simples divisionsadministratives. La seconde fournit une définition enquelque sorte négative: tout ce qui n'est pas un Etat,bien que possédant un territoire, une population et uneautorité, ne peut être qu'une collectivité territoriale.

2) Le droit international ne fournit pas une définitionpour un sujet de droit interne. Les collectivitésterritoriales — communes, districts, cantons, arrondisse-ments, provinces, régions et même Etats fédérés —possèdent bien une personnalité juridique, mais seulement

dans l'ordre juridique interne de l'Etat unitaire oufédéral. Elles ne sont pas sujets du droit international.

3) Le Rapporteur spécial aurait pu se référer au droitinterne d'un Etat pour définir les collectivités territoriales,mais, à supposer qu'une telle définition existe et qu'il soitpossible et souhaitable d'ériger en règle de droitinternational une norme de droit interne, cette solutionn'aurait présenté aucun intérêt, car la nature, le rôle et lerégime juridique des collectivités territoriales varientconsidérablement d'un Etat à l'autre.

4) Les internationalistes ont abordé le problème de ladéfinition des « biens des communes », et donc indirecte-ment celle des communes, dans le cadre du droit de laguerre, et en particulier des Conventions de La Haye de1907. Ils ont examiné la question du sort des bienscommunaux en cas d'occupation militaire étrangère.Mais leurs interprétations divergent sur le contenu àdonner à l'expression «biens des communes»281.Certains estiment que la Convention de La Haye a vouluappliquer le même régime aux biens des communes et àceux de l'Etat282. D'autres considèrent que la distinctionentre les biens des communes et ceux de l'Etat nerecouvre pas la réalité, et proposent des critères dedétermination du patrimoine de l'Etat283. Max Huber,devant la difficulté de définir le patrimoine de l'Etat etcelui de ce qu'il appelle les « établissements indépen-dants », propose deux critères, l'un formel, concernant lapersonnalité juridique du détenteur du patrimoine, etl'autre matériel, se rapportant à la destination dupatrimoine. En cas de doute, il faut admettre, selonl'auteur, l'existence d'une personnalité juridique distinctede l'Etat si trois caractères sont réunis:

a) Un organe légalement indépendant des organes administratifsde l'Etat;

b) La capacité d'avoir des droits et des biens propres;

c) Un but distinct [de celui de l'Etat] 284.

5) Enfin, d'autres auteurs considèrent que le régimeréservé par la Convention de La Haye aux « biens descommunes » — qui permet de les assimiler à la propriétéprivée en vue de leur protection — s'applique aussi auxbiens de toutes les autres collectivités territoriales, lecritère déterminant étant que les biens en questionrépondent à des besoins purement locaux 285.

6) Ces diverses interprétations, moulées du reste dans lecadre du droit de la guerre, ne permettent pas de retenirune définition précise des collectivités territoriales. Ellesont conduit le Rapporteur spécial à leur préférer l'une oul'autre des deux versions qu'il propose.

2 8 1 0 . Debbasch, L'occupation militaire — Pouvoirs reconnusaux forces armées hors de leur territoire national, Paris, Librairiegénérale de droi t et de jur i sprudence , 1962, p . 29 et 30.

282 W . M. Frank l in , « Municipal p roper ty under belligerentoccupat ion », American Journal of International Law, Wash ing ton(D.C. ) , vol. 38, n° 3 (juillet 1944), p . 394 et suiv.

283 M . H u b e r , « L a propr ié té publ ique. . . », Revue générale...(loc. cit.), p. 680 et suiv.

284 Ibid., p . 682.285 A. Rolin, Le droit moderne de la guerre, Bruxelles, Dewit,

1920, t. I, p. 540 et suiv.

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Succession d'Etats dans les matières autres que les traités 67

Article 37. — Biens publics propresaux collectivités territoriales

Version A

Le changement de souveraineté laisse intégralementsubsister la propriété des biens, droits et intérêtspatrimoniaux propres aux collectivités territoriales.

Version B

Le changement de souveraineté laisse intégralementsubsister la propriété des biens, droits et intérêtspatrimoniaux propres aux collectivités territoriales, lesquelssont intégrés, tout comme ces collectivités, à Tordrejuridique de l'Etat successeur.

COMMENTAIRE

1) Dans le projet d'article 8 (Sort général des bienspublics selon leur appartenance), le Rapporteur spécial ainséré un paragraphe b ainsi conçu:

Les biens publics des collectivités ou organes autres qu'étatiquestombent dans Tordre juridique de l'Etat successeur.

Le commentaire qu'il a consacré à cet article lui permetd'être bref ici.

2) On se souvient qu'une résolution adoptée parl'Institut de droit international en 1952 s'était prononcéepour le maintien du droit de propriété des collectivitéslocales sur leurs biens après les mutations territoriales286.On sait aussi que le régime des biens publics appartenanten propre aux collectivités locales avait notamment donnélieu à une décision de la Commission de conciliationfranco-italienne du 9 octobre 1953287. La Commissiondevait statuer sur le sort des biens appartenant auxcommunes frontières dont le territoire se trouvait divisépar la nouvelle frontière établie par le Traité de paix du10 février 1947.

3) L'agent du Gouvernement français estimait que lesbiens parastataux transférés à l'Etat successeur par leparagraphe 1, alinéa 2, de l'annexe XIV au Traité de paixcomprenaient les biens des collectivités locales. Pourl'Italie, au contraire, il ne s'agissait pas d'un véritabletransfert de propriété, mais d'une intégration de ces biensdans l'ordre juridique de l'Etat successeur.

La Commission avait déclaré quant à elle que

le partage ne saurait, dans la règle, modifier la nature des droitsexistants; il est bien entendu toutefois que ces droits s'exercerontdésormais, le cas échéant, dans le cadre de l'ordre juridique internefrançais au lieu que dans le cadre de l'ordre juridique interne italien,ou vice versa. Les biens qui appartenaient, à titre de propriété, à descommunes italiennes doivent normalement, s'ils leur reviennent lorsde la répartition, leur être attribués en propriété, même s'ils sontdésormais sur territoire français; de même, les biens sur territoireitalien revenant à des communes autrefois italiennes et aujourd'huifrançaises doivent leur rester à titre de propriété, si c'est à titre depropriété que la commune les possédait avant l'entrée en vigueur duTraité de paix 288.

4) Cependant, par ailleurs, la Commission s'étaitappuyée sur la lettre claire du Traité pour décider que

c'est l'Etat successeur qui recevra sans paiement non seulement lesbiens d'Etat, mais aussi les biens parastataux, y compris les bienscommunaux, situés sur les territoires cédés. C'est à la législationinterne de l'Etat successeur qu'il appartient de décider le sort(destination finale et régime juridique) des biens ainsi transférés,dans le nouveau cadre étatique dans lequel ils viennent se trouverpar suite de la cession de territoire 289.

5) II s'agit en vérité d'une stipulation conventionnelle.La Commission a décidé sans équivoque le transfert enpropriété de biens communaux à l'Etat successeur. Maisla solution normale ne peut pas être autre que le main-tien du droit de propriété des collectivités territoriales surleurs biens propres en cas de transferts territoriaux. Si, parla suite, l'Etat successeur modifie la substance de ce droit,il le fera par un acte de puissance publique en tant qu'Etatsouverain, nullement en tant qu'Etat successeur. Celanous situe alors hors du champ de la succession d'Etat.

D'autre part, la succession aux biens des collectivitéslocales pose le problème de la succession à la législation,qui sera étudié ultérieurement par la CDI. Ces biens setrouvent désormais intégrés dans un ordre juridiquedifférent de celui dans lequel ils étaient jusqu'alors. Leurrégime juridique peut donc subsister ou au contraireévoluer suivant les conditions du passage de la législationde l'Etat prédécesseur à celle de l'Etat successeur.

6) Un auteur a signalé que

les conventions [...] entre le Reich et le Protectorat de Bohême-Moravie, la Slovaquie et la Hongrie stipulaient toutes que les biensdes collectivités locales, pour autant que les territoires de ceux-cin'étaient pas partagés en vertu des cessions territoriales consentiespar la Tchécoslovaquie, demeuraient intacts 29°.

Mais, malgré l'exception constituée par le partage desbiens des collectivités locales entre la Roumanie et laBulgarie291, il ressort donc également de la pratiqueconventionnelle que le droit de propriété des collectivitésterritoriales subsiste intégralement.

Article 38. — Biens d'Etat dans les collectivités territoriales

1. La part de l'Etat prédécesseur dans les biens, droits etintérêts d'une collectivité territoriale est transférée ipso jureà l'Etat successeur.

2. Lorsqu'il existe deux ou plusieurs Etats successeurs,cette part est répartie entre ceux-ci, compte dûment tenu dela viabilité de la collectivité territoriale, de la situationgéographique et de l'origine des biens, et moyennant,éventuellement, des soultes et compensations.

286 y o j r ci-dessus art. 8, par. 7 du commentaire.287 Voir ci-dessus note 40.288 Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales, vol. XIII

(publication des Nations Unies, numéro de vente: 64.V.3), p. 520et 521.

280 Ibid., p. 514 et 515.2 9 0 1 . Paenson, op. cit., p. 111. Convention du 4 octobre 1941

entre le IIIe Reich et le Protectorat de Bohême-Moravie (Reichs-gesetzblatt, IIe partie, Berlin, 24 avril 1942, n° 13, p. 195); Accorddu 13 avril 1940 entre le IIIe Reich et la Slovaquie (ibid., 20 août1941, n° 34, p. 305); Accord du 21 mai 1940 entre le IIIe Reichet la Hongrie (ibid., 6 juin 1941, n° 23, p. 199).

291 La Roumanie a cédé à la Bulgarie des biens de collectivitéslocales, au même titre que ceux d'Etat, par le Traité de Craiova,du 7 septembre 1940.

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68 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

COMMENTAIRE

1) L'article 38 constitue la réplique de l'article 34 (Biensd'Etat dans les établissements publics). C'est dire qu'ilretient une solution identique, répondant à des préoccu-pations sensiblement analogues. Les biens possédés parl'Etat prédécesseur dans une collectivité territoriale oudans une entreprise de celle-ci suivent le sort des autresbiens publics qui constituent le patrimoine de l'Etat, etdoivent donc être transférés à l'Etat successeur.

Il semble bien que cette règle soit valable pourl'ensemble des types de succession d'Etat, à l'exclusion,apparemment, du cas d'unification d'Etats. Dans cettedernière hypothèse, ce qui paraîtrait être normal serait lemaintien du statu quo, sauf s'il en est décidé autrementpar accord. La Commission jugera de l'opportunité deréserver ce cas ou de nuancer la formulation de l'articlede manière à en tenir compte.

2) S'il existe plusieurs Etats successeurs, les biens del'Etat prédécesseur dans le patrimoine des collectivitésterritoriales sont répartis de manière juste et équitableentre les Etats successeurs. L'occasion de définir un peuplus les critères de répartition (viabilité, situationgéographique, origine des biens, soultes et compensa-tions) va être fournie avec l'examen de l'article 39,consacré au problème des collectivités territorialesscindées à la suite de transferts territoriaux.

Article 39. — Collectivités territoriales scindées

Lorsque le changement de souveraineté a pour effet descinder une collectivité territoriale en deux ou plusieursparties rattachées à deux ou plusieurs Etats successeurs, lesbiens, droits et intérêts patrimoniaux de la collectivitéterritoriale sont répartis équitablement entre ces diversesparties, compte dûment tenu des conditions de viabilité decelles-ci, de la situation géographique et de l'origine desbiens, et moyennant, éventuellement, des soultes etcompensations.

COMMENTAIRE

1) Dans sa décision précitée du 9 octobre 1953 292, laCommission de conciliation franco-italienne s'étaitappuyée sur le paragraphe 18 de l'annexe XIV au Traitéde paix de 1947 avec l'Italie, qui prévoyait que les biensdes communes dont le territoire se trouvait divisé seraientrépartis « d'une manière juste et équitable » entre cescommunes 293.

L'hypothèse concerne en l'espèce le partage de bienscommunaux entre un Etat prédécesseur et un Etatsuccesseur, et non pas entre plusieurs Etats successeurs.Mais les solutions demeurent les mêmes, et l'article 39pourrait tout aussi bien viser le cas du changement desouveraineté qui aurait pour effet de scinder unecollectivité territoriale en deux ou plusieurs parties, l'unemaintenue dans l'Etat prédécesseur s'il subsiste, et l'autreou les autres étant rattachées à un ou plusieurs Etatssuccesseurs.

2) La Commission de conciliation avait déclaré que larépartition de ces biens devait s'effectuer dans le cadre dechaque ancienne commune. Partant du texte du Traité depaix de 1947, elle a dégagé certains principes. Leparagraphe 18 de l'annexe XIV du Traité prévoyait unerépartition par accord entre les Etats successeurs. Celle-cidoit être juste et équitable. De plus, elle doit assurer lemaintien des services communaux nécessaires aux habi-tants. Elle doit donc se faire selon un principe d'utilité. LaCommission a insisté sur le fait que c'est l'intérêt de lapopulation qui doit, avant toute chose, être pris enconsidération dans la répartition des biens des communesdivisées (il s'agit bien entendu de la population de lacommune démembrée, et non de celle qui a vu sonterritoire agrandi du fait de l'annexion).

3) La Commission a donné une définition des « servicescommunaux nécessaires aux habitants » visés par leparagraphe 18 de l'annexe XIV: « un ensemble de biensqui, par leur usage, leur nature ou leur situation,commandent la vie locale * ». De plus, dans ce cas demodification de frontière,

ce qui qualifie ici le service public est le lien entre la possession par lacommune des biens en question et la satisfaction, grâce à cettepossession, des besoins économiques, sociaux ou familiaux deshabitants*; peu importe le mode d'utilisation; peu importe lecaractère plus ou moins direct du lien en question 294.

4) Sur la base de cette décision de la Commission deconciliation franco-italienne, on peut donc conclure quela répartition des biens des collectivités territoriales dontle territoire est divisé doit

a) Etre faite dans un souci de justice et d'équité;b) Tenir compte des conditions économiques, géogra-

phiques, sociales, démographiques de ces collectivitésterritoriales, ainsi que de la nature et de la situation desbiens;

c) Sauvegarder l'intérêt du service public au sens large;d) Comprendre éventuellement des compensations en

nature ou en argent, estimées suivant les besoins despopulations.

Toutefois, en l'espèce, la Commission n'a pas estiménécessaire d'établir un compte de répartition.

5) Le principe de la prise en considération desconditions de viabilité avait été également appliqué lorsde la division du canton de Bâle en deux demi-cantons enexécution d'une décision de la Diète fédérale en 1833. Letribunal arbitral présidé par le professeur Keller avaitprocédé à une estimation de la fortune administrative etfiscale de l'Etat et l'avait répartie entre les deux demi-cantons en tenant compte de la répartition de lapopulation 295.

6) De même, dans l'ouvrage précité de Paenson, ontrouvera des exemples de conventions qui prévoienttoujours une répartition juste et équitable des biens descollectivités territoriales dont le territoire est divisé.

292 y o j r c i .d e s s u s n o t e 40.2 9 3 Na t i ons Unies , Recueil des Traités, vol. 49, p . 118.

2 9 4 Na t i ons Unies , Recueil des sentences arbitrales, vol. X I I I(publicat ion des Na t ions Unies, n u m é r o de ven te : 64.V.3), p . 520.

2 9 5 P . Guggenheim, op. cit., p . 467.

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Succession d'Etats dans les matières autres que les traités 69

VIL — BIENS DES FONDATIONS

Article 40. — Biens des fondations

1. Dans les limites permises par l'ordre public de l'Etatsuccesseur, la situation juridique des biens des fondationspieuses, charitables ou culturelles n'est pas affectée par lechangement de souveraineté.

2. Lorsque l'Etat prédécesseur possédait une part dans lepatrimoine d'une fondation, cette part est transférée àl'Etat successeur; en cas de pluralité d'Etats successeurs,elle est répartie équitablement entre eux.

COMMENTAIRE

1) Les biens des fondations pieuses, charitables, cultu-relles ou scientifiques ont fait l'objet de dispositionsspéciales dans de nombreux accords relatifs à dessuccessions d'Etats, ainsi que d'une jurisprudencerelativement abondante. On peut dégager ainsi de lapratique internationale et des décisions jurisprudentiellescertains principes.

L'article proposé pose le problème des fondations sousle triple aspect a) du respect des fondations privées, quiconservent en principe leurs biens sans aucun change-ment, b) de l'interférence possible de la notion d'ordrepublic, qui peut entraîner l'Etat successeur à porteratteinte au respect du statu quo, et c) du transfert à l'Etatou aux Etats successeurs des biens possédés par l'Etatprédécesseur dans le patrimoine d'une fondation.

A. — Situation patrimoniale inchangée

2) La Convention austro-bavaroise de 1814296, le Traité de1815 entre le Roi de Sardaigne, l'Autriche, l'Angleterre,la Russie, la Prusse et la France297, le Traité de 1815entre la Prusse et la Saxe298 et l'Acte du Congrès deVienne2" ont disposé que les fondations ou communau-tés, corporations et établissements religieux et d'instruc-tion publique des provinces et districts cédés conserverontleurs propriétés ainsi que les revenus qu'ils possèdentd'après l'acte même de fondation ou selon les acquisi-tions faites légalement par eux. L'article XV du Traitéadditionnel relatif à Cracovie signé à Vienne les 21 avril-3 mai 1815 entre l'Autriche, la Prusse et la Russie se lisaitainsi : « L'Académie de Cracovie est confirmée dans sesprivilèges et dans la propriété des bâtiments et de labibliothèque qui en dépendent, ainsi que des sommesqu'elle possède en terres ou en capitaux hypothé-qués 300. »

296 Article IX de la Convent ion signée à Paris le 3 juin 1814entre l 'Autr iche et la Bavière (G. F . de Mar tens , éd., NouveauRecueil de traités, Got t ingue , Dieterich, 1887, t. II (1814-1815)[réimpr.], p. 18).

297 Annexe à l 'article VII et annexe à l 'article IV du Trai tédu 20 mai 1815 (ibid., p . 298).

298 Article XVI du Trai té du 18 mai 1815 (ibid., p . 272).299 Article X X I de l 'Acte du Congrès de Vienne, du 9 juin 1815

(ibid., p . 379).300 Ibid, p. 256.

On pourrait citer ainsi une multitude de textesdiplomatiques du même genre, d'où il résulte que leschangements territoriaux n'ont pas eu d'effet sur lasituation du patrimoine des fondations.

3) Les biens dits « consacrés » en droit musulman 301,enlevés au commerce et à la dévolution successorale etrendus ainsi inaliénables et imprescriptibles dans uneintention pieuse, sont affectés par leurs titulaires à uneœuvre ou à un but de religion, d'assistance sociale, decharité ou d'autre utilité publique.

L'article 12 du Traité de Constantinople entre laTurquie et la Bulgarie réglait le problème de ces biensdans le sens du maintien du statu quo :

Les vakoufs Mustesna, Mulhaka, Idjarétein, Moukataa, ldjaréi-Vahidé, ainsi que les dîmes vakoufs, dans les territoires cédés, telsqu'ils résultent actuellement des lois ottomanes, seront respectés *.

Ils seront gérés par qui de droit.Leurs régimes ne pourront être modifiés que par indemnisation

juste et préalable.Les droits des établissements religieux et de bienfaisance de

l'Empire ottoman sur les revenus vakoufs dans les territoires cédés,à titre d'Idjaréi-Vahidé, de Moukataa, de droits divers, de contre-valeur de dîmes vakoufs et autres, sur les vakoufs bâtis ou non bâtisseront respectés * 302.

4) Lorsque la France annexa Nice et la Savoie, l'article7 de la Convention franco-sarde du 23 août 1860303 réglaen principe dans le sens du statu quo le problème desbiens des églises et congrégations religieuses. Mais desdifficultés intervinrent, spécialement après le passage de laloi française concernant la séparation des Eglises et del'Etat, du 9 décembre 1905. La France a toutefoisconservé, même après l'adoption de cette loi, le régimedes bourses et des « cartelli ». Les bourses ecclésiastiquesétant servies aux jeunes écoliers pauvres, la jurisprudencefrançaise en a admis le maintien304. Quant auxtraitements ecclésiastiques, et en particulier aux « car-telli » (qui constituaient une rente perpétuelle versée

301 II s'agit de biens dénommés « habous », ou «waqf» (oudésignés par le pluriel arabe de ce mot : « awqâf », transcrit enfrançais de diverses manières et notamment par « vakouf » dansquelques textes diplomatiques). Voir Annuaire... 1970, vol. II,p. 150, doc. A/CN.4/226, deuxième partie, art. 1er, par. 19 ducommentaire, et notes 22 et 23. On a beaucoup parlé de ces biensà la suite des divers démembrements de l'Empire ottoman, desmandats et des capitulations au Proche-Orient et de la coloni-sation ou des protectorats en Afrique du Nord en ce qui concernela France ou l'Italie.

302 G. F. de Martens, éd., Nouveau Recueil général de traités,Leipzig, Weicher, 1915, 3e série, t. VIII, p. 78. L'article 8de l'annexe II du même traité fournit de plus amples détails surla gestion de ces biens par la communauté musulmane, sur lescimetières et mosquées, et sur la procédure d'expropriation pourdes causes impérieuses, ainsi que sur les cas de démolition. Voiraussi l'article 12 du Traité gréco-turc des 1er-14 novembre 1913,qui dit que seront respectés les biens vakoufs de certains « Tekkès,mosquées, Médressés, écoles, hôpitaux et autres institutions reli-gieuses et de bienfaisance », mais y apporte diverses limitations(ibid., p. 97 et 98).

303 G . F . de Mar tens , éd., Nouveau Recueil général de traités,Got t ingue , Dieterich, 1869, t. XVII , par t . I I , p . 22.

304 Cf. Ch. Rousseau (op. cit., p. 169), qui cite la jurisprudenceconcordante de la Cour de cassation (22 juillet 1914) et du Conseild'Etat (France, Conseil d'Etat, 19 juillet 1916, Bourse des pauvresécoliers d'Annecy, Recueil des arrêts du Conseil d'Etat, Paris,1916, p. 188).

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70 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

régulièrement par le Gouvernement sarde aux ministresdu culte), le Gouvernement français en a pris la charge,en dépit de l'affirmation de la loi de 1905 selon laquelle« la République [...] ne salarie [...] aucun culte305 ».

5) De même peut-on lire dans le traité de cession desAntilles danoises aux Etats-Unis d'Amérique que « Lescongrégations appartenant à l'Eglise nationale danoiseconserveront le paisible usage des églises dont elles usentactuellement, avec les presbytères en dépendant et autresdépendances, y compris les fonds assignés auxéglises306 ».

6) Un autre exemple est fourni par l'Accord franco-indien de 1954 relatif au rattachement des Etablissementsfrançais de l'Inde à l'Union indienne307. L'article 9 de cetaccord est ainsi conçu:

Les biens de caractère religieux et culturels seront la propriété desmissions ou des organismes chargés, dans le cadre actuel de laréglementation française, de la gestion de ces biens.

Le Gouvernement indien reconnaît avec tous les droits qui endécoulent la personnalité civile des conseils de fabriques et conseilsd'administration des missions religieuses.

L'article 32 du même accord précise:

Les immeubles qui sont actuellement en possession des autoritésreligieuses seront conservés par celles-ci, et le Gouvernement del'Inde accepte, dans tous les cas où cela sera nécessaire, de leurtransférer les titres de propriété correspondants.

7) Le Traité de paix de 1947 avec l'Italie prévoyait deson côté que les biens des institutions religieuses ou desinstitutions philanthropiques privées italiennes seraientexemptés de toute mesure de confiscation308.

8) Dans l'espèce Bolshanin et consorts c. Zlobin etconsorts, la District Court of Alaska s'est prononcée pourle maintien des droits de propriété d'une fondationreligieuse. Des membres de l'Eglise russe de Sitka(Alaska) revendiquaient la propriété des terrains et desbâtiments de l'église en vertu du traité de 1867 par lequella Russie avait cédé l'Alaska aux Etats-Unis d'Amérique.L'article II de ce traité prévoyait que « les églisesconstruites par le Gouvernement russe sur le territoirecédé resteront la propriété des membres de l'Eglisegrecque orientale résidant dans ce territoire et apparte-nant à ce culte ». Les défendeurs, le prêtre et lemétropolite de l'Eglise gréco-russe en Amérique faisaientétat d'une concession que le Gouvernement américainleur avait accordée en 1914. Le tribunal a jugé que lesdroits privés accordés par un ancien souverain n'étaientpas affectés par le changement de souveraineté inter-venu 309.

305 F r a n c e , Bulletin des lois de la République française, Par is ,1905, X I I e série, t. 7 1 , n° 2663, p . 1697. Voi r aussi C h . R o u s s e a u ,op. cit., p . 169.

306 Article 2, in fine, de la Convention du 4 août 1916 (pourréférence, v. ci-dessus note 81).

307 P o u r référence, voir ci-dessus no t e 115.308 Art. 79, par. 6, al. b, du Traité.309 Affaire Bolshanin et consor ts c. Zlobin et consor t s : E ta t s -

Unis d 'Amér ique , District Cour t of Alaska, 27 mai 1948 (AmericanJournal of International Law, Washing ton (D.C.) , vol. 42, n° 3(juillet 1948), p . 735, cité dans Annuaire... 1963, vol. I I , p . 130,doc . A/CN.4 /157 , par . 255 à 257).

9) Dans l'affaire de l'Université Peter Pâzmâny, jugéepar la CPJI, les mêmes principes de respect des biens desfondations ont été appliqués310. L'article 250 du Traitéde Trianon allait dans le même sens en disposant que« les biens, droits et intérêts des ressortissants hongroisou des sociétés contrôlées par eux, situés sur les territoiresde l'ancienne monarchie austro-hongroise, ne seront passujets à saisie ou liquidation 3 U ».

Le Tribunal arbitral mixte hungaro-tchécoslovaqueavait, par une sentence du 3 février 1933, déclaré que, envertu de l'article précité, l'Etat tchécoslovaque devaitrestituer certains biens immobiliers à l'Université PeterPâzmâny de Budapest. La Tchécoslovaquie fit vainementappel de ce jugement devant la CPJI, qui confirma lapremière sentence.

Les biens en question avaient été donnés à l'Universitéen 1775 par la reine Marie-Thérèse pour qu'elle «lespossède, les ait et les tienne au titre de dot et de fondationperpétuelles312 ». La donation fut confirmée lors dutransfert de l'Université à Buda puis à Pest en 1804, ettransformée en droit de propriété. Un autre domaine,objet du litige, fut acheté en 1914 par l'Université. En1918, les troupes tchécoslovaques envahirent le nord de laHongrie, et les biens de l'Université situés en Slovaquiefirent l'objet d'une mainmise de l'Etat tchécoslovaque. Ilsfurent placés sous l'administration de la Commissioncentrale pour les biens de l'Eglise catholique romaine enSlovaquie. L'Université saisit alors le Tribunal arbitralmixte hungaro-tchécoslovaque en restitution de ses biens.Le tribunal, confirmé dans son jugement par la CPJI, fitdroit à la requête de l'Université313.

10) Une espèce jugée par la Cour d'appel de Paris,concernant la fondation Waqf Abou Médiane, se réfèreau problème du sort des biens des fondations religieuses.La Cour a jugé que

L'engagement pris par l 'Etat français envers un avocat israélienpour la défense d 'une fondation privée musulmane au profit despèlerins musulmans du Maghreb n ' a été contracté ni au n o m de

310 Arrêt du 15 décembre 1933, Appel contre une sentence duTribunal arbitral mixte hungaro-tchécoslovaque (Université PeterPâzmâny c. Eta t tchécoslovaque), C.P.J.I., série A /B , n° 61 , p . 208à 262. Voir Annuaire... 1970, vol. II , p . 152, doc. A/CN.4/226,deuxième partie, art . 1 e r , par . 27 à 30 du commentai re .

311 G . F . de Martens , éd., Nouveau Recueil général de traités,Leipzig, Weicher, 1924, 3 e série, t. XI I , p . 540.

312 C.P.J.I., série A/B, n° 61 , p . 223.313 La Tchécoslovaquie avait en vain invoqué les dispositions de

l'article 249, sixième alinéa, du Trai té de Tr ianon selon lesquelles« les legs, donat ions , bourses, fondations de toutes sortes fondésou créés dans l 'ancien R o y a u m e de Hongr ie et destinés auxressortissants de celui-ci seront mis pa r la Hongrie , en tantque ces fondations se trouvent sur son territoire, à la dispositionde la puissance alliée ou associée dont lesdites personnes sontactuellement ressortissants ou deviendront ressortissants parsuite des dispositions du présent T r a i t é » (G. F . de Martens ,éd., Nouveau Recueil général de traités, Leipzig, Weicher, 1924,3e série, t. XII, p. 540).De même, la Tchécoslovaquie n'a-t-elle pas réussi à faire valoir

devant la Cour le Protocole de Paris du 26 avril 1930 (ibid., Leipzig,Buske, 1934, 3e série, t. XXIX, p. 356), qui précisait que « Chacundes deux Etats contractants gardera les legs, donations, bourses,fondations de toute sorte, en tant qu'ils se trouvent sur son ter-ritoire ». Il ne pouvait en aller autrement puisque ledit protocoleportait qu'il ne devait toucher «en rien au procès intenté parl'Université de Budapest près le Tribunal arbitral mixte ».

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Succession d'Etats dans les matières autres que les traités 71

l'Algérie ni au nom d'un établissement public algérien et n'est doncpas transféré à l'Etat algérien par l'article 18 de la Déclaration du 19mars 1962 relative à la coopération économique et financière franco-algérienne 314.

La Cour a fondé son raisonnement sur le fait, d'une part,qu'il ne s'agissait pas d'une fondation algérienne maisd'une fondation multinationale, et, d'autre part, que l'onétait en présence non d'un établissement public revenantà l'Algérie mais d'une fondation privée non transférable.

B. — Exceptions au principe

11) L'arrêté général du 25 février 1803 de la Députationextraordinaire de l'Empire allemand, concernant lerèglement des indemnités fixées d'après la paix deLunéville, avait établi en ses paragraphes XXXV etXXXVII que les biens de certains chapitres, abbayes etcouvents, « sont mis à la libre et pleine disposition desprinces territoriaux respectifs *, tant pour dépenses duculte, frais d'instruction et autres établissements d'utilitépublique, que pour le soulagement de leurs finances » etque « les biens et revenus appartenant aux hôpitaux,fabriques, universités, collèges et autres fondationspieuses [...] sont mis à la disposition des gouvernementsrespectifs*315». Mais il semble bien que cela s'expliquepar le fait de la survivance, ici ou là, du droit médiéval ouféodal, qui admettait en Europe la libre disposition desbiens ecclésiastiques.

12) Le problème de la propriété des églises de Savoieaprès l'annexion de cette province ci-devant sarde par laFrance en 1860 avait fait l'objet d'un avis du Conseild'Etat par lequel la haute juridiction administrativefrançaise avait écarté le principe de la non-rétroactivitédes lois et soumis les églises de Savoie au même régimejuridique que les autres églises de France316. Or, celles-ciétaient la propriété des communes. Ainsi se trouvaienttransférées à ces dernières les églises savoyardes et leursdépendances, qui, selon la loi sarde, appartenaient auxfabriques et aux menses curiales et ne pouvaient êtrenormalement transférées aux communes que moyennantune procédure d'expropriation pour cause d'utilitépublique317. Par la suite, les «corps moraux ecclésias-tiques » (chapitres, canonicats, établissements publics duculte, chapellenies laïcales, et établissements hospitaliers)se virent les uns supprimés, les autres empêchés debénéficier de leur statut patrimonial antérieur aurattachement de la Savoie318.

13) Toutefois, l'affaire la plus célèbre fut celle deshôpitaux des missions protestantes anglo-saxonnes à

314 Cour d 'appel de Paris, arrêt du 19 février 1968, Journaldu droit international, Paris, 95 e année, n° 2, avril-juin 1968, p . 336.

315 G . F . de Mar tens , éd., Recueil des principaux traités, 2 e éd.rev. et augm., Got t ingue, Dieterich, 1831, t. VII , p . 499.

316 Avis du Conseil d 'E ta t du 24 décembre 1896 (France, Journalofficiel de la République française, 29 janvier 1897).

317 Cf. F . Grivaz, « La question des églises de Savoie et la théoriedes droits acquis », Revue générale de droit international public,Paris, t. IV, 1897, p . 645 à 680. Cf. aussi L. Tro tabas , Le droitpublic dans i'annexion et le respect des droits acquis, Paris, 1921[thèse], p . 87 à 147.

318 Cf. Ch. Rousseau, op. cit., p . 168, et les références aux aviset arrêts du Conseil d'Etat.

Madagascar319. L'affaire dite de l'hôpital de Soavinan-driana avait débouché sur la question de l'appropriationgénérale des édifices religieux par l'Etat successeur.L'hôpital avait été construit par des missionnairesbritanniques sur la base d'un acte de concession de lareine Ranavalo, qui devait conserver la propriété del'ensemble des biens au jour de la cessation des activitéshospitalières. Lorsque l'annexion se substitua au protec-torat français, en 1896, il fut mis fin à la concession par legénéral Gallieni, qui réquisitionna l'hôpital. Les juristesde la Couronne britannique rendirent, les 22 mars 1897 et2 février 1898, deux avis critiquant la position française,qui ne fut pas modifiée. Les deux parlements, les deuxgouvernements et les juridictions anglaises et franco-malgaches s'opposèrent dans de vives controverses, dontl'épilogue fut l'allocation aux missions dépossédéesd'indemnités assez minces.

14) La situation des biens habous et de diversesfondations religieuses en Algérie ne fut pas respectée parl'Etat successeur en 1830320. Il en fut de même pour lesbiens de même nature lors de l'annexion de la Libye parl'Italie. Les fondations religieuses libyennes ont recouvréleurs biens en 1950, et les édifices destinés aux cultes nonmusulmans ont été transférés par l'Italie aux commu-nautés religieuses respectives.

15) De même, les différents traités de cession deterritoires de l'Empire ottoman, notamment à la Bulgarieet à la Grèce, au xixe siècle et au début du xxe, n'ont pastoujours respecté la nature de ces biens habous ou awqâftelle que la connaissait le droit interne de l'Etatcédant321. C'est ainsi que le protocole gréco-turc signélors de la conférence tenue à Londres le 16 juin 1830322

avait supprimé les vakoufs sans indemnité dans lesterritoires occupés par l'armée grecque, et dévolu à laGrèce les biens d'Etat et des fondations musulmanes dansles autres territoires qui devaient passer à la Grèce. Seulsles vakoufs possédés par des particuliers avaient étérespectés323.

C. — Biens d'Etat dans les fondations

16) II existe des fondations semi-publiques dans les-quelles l'Etat possède une partie du capital. Ce sont en

319 Voir Annuaire... 1970, vol. II , p . 149, doc. A/CN.4/226,deuxième partie, art . 1 e r , par . 18 du commentai re . Aux référencesbibliographiques fournies, ajouter l 'ouvrage fortement documenté ,paru postérieurement, de D . Bardonne t : La succession d'Etatsà Madagascar... (op. cit.), passim, et spécialement p . 178 à 205.

320 Voir Annuaire... 1970, vol . I I , p . 150, doc . A /CN.4 /226 ,deuxième part ie, ar t . 1 e r , par . 19 du commentai re , ainsi que lesréférences aux divers actes de l 'Eta t successeur.

321 Voir M. Costes, Des cessions de territoires envisagées dansleur principe et dans leurs effets relatifs au changement de souve-raineté et de nationalité, Paris, Rivière, 1914 [thèse], p . 77 à 9 1 .

322 British and Foreign State Paper s, 1830-1831, vol. 18, Londres ,Ridgway, 1833, p . 600.

323 Voir aussi la Convent ion du 2 juillet 1881 entre la Grèceet la Turquie pour la fixation définitive des nouvelles frontièresdes deux pays (G. F . de Mar tens , éd., Nouveau Recueil généralde traités, Got t ingue, Dieterich, 1883, 2 e série, t. VIII , p . 2), quilaissait le soin à l 'Etat successeur de régler, selon sa législationet les exigences de son ordre public, le régime de quelques awqâfmaintenus, les autres ayant été supprimés.

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72 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

général des fondations culturelles ou scientifiques ou desécoles et instituts.

La part de l'Etat prédécesseur est, selon le paragraphe2 de l'article 40, transférée à l'Etat ou aux Etatssuccesseurs. Il est cependant arrivé que l'Etat prédéces-seur ait conservé une partie du patrimoine de cesfondations. Par exemple, lors de l'indépendance del'Indochine, le patrimoine de l'Ecole française d'Extrême-Orient était devenu patrimoine commun inaliénable destrois Etats associés et de la France. II en fut de mêmepour le patrimoine de l'Institut Pasteur en Indochine.

17) On citera ici en marge (quoiqu'il ne s'agisse pas debiens d'Etat dans des fondations) deux cas où l'Etatprédécesseur a retenu les avoirs de ces fondations soit àtitre provisoire soit à titre définitif. Les conditionsviolentes dans lesquelles Israël s'est créé ont amené leRoyaume-Uni, puissance mandataire en Palestine, àprendre de telles mesures. C'est ainsi que les fonds duRockefeller Endowment Fund destinés au Musée archéo-logique de Palestine restèrent entre les mains duGouvernement britannique en attendant une décision duSecrétaire d'Etat au Foreign Office324.

Un accord jordano-britannique avait par ailleurspermis de débloquer, après plusieurs années, la moitié desavoirs d'une fondation au bénéfice de la Jordanie325.L'article 7 de cet accord mettait

à la disposition du Gouvernement jordanien, aux conditions fixéesdans le legs de feu sir Ellis Khadoorie et en vue de leur utilisationaux fins poursuivies par l'Ecole d'agriculture Khadoorie enJordanie, la moitié du solde dudit legs, lequel solde s'élève à 86 237livres sterling, et la moitié des intérêts échus sur ledit solde 326.

D. — Les biens de VInstitut musulmanet de la Mosquée de Paris

18) Le Rapporteur spécial fournit, en appendice à cesdéveloppements, quelques informations concernant le casde la fondation dite Société des habous et des lieux saintsde l'Islam, qui, créée à Alger avant l'indépendance del'Algérie, avait érigé et gérait à Paris un institutmusulman et une mosquée. On se trouve, dans cetteaffaire, en présence d'un cas de biens d'une fondationreligieuse situés hors du territoire concerné par lechangement de souveraineté.

19) La Société des habous et des lieux saints de l'Islamfut créée le 16 février 1917 à Alger, par acte déposé chezle cadi de rite hanéfite d'Alger. Ayant son siège social à lagrande Mosquée d'Alger, elle s'était fixé comme butl'achat de deux immeubles à La Mecque et à Médine auprofit des pèlerins nécessiteux d'Afrique du Nord etd'Afrique occidentale. Le 24 décembre 1921, la Sociétéfut transformée en association de droit français obéissantà la loi française de 1901 sur les associations, et déclarée

324 Voir I. Paenson, op. cit., p . 74.325 Accord entre le Gouvernement du Royaume-Uni de Grande -

Bretagne et d ' I r lande du N o r d et le Gouvernement du Royaumehachémite de Jordanie relatif au règlement des questions financièresrestées en suspens par suite de la fin du manda t pour la Palestine,signé à A m m a n le 1 e r mai 1951 (Nat ions Unies, Recueil des Traités,vol. 117, p . 19).

326 Selon un accord du 30 mars 1950 entre l 'Angleterre et Israël,l 'autre moitié du legs Khadoor ie fut remise à Israël.

comme telle à la Préfecture d'Alger. La Société décidaalors la construction et la fondation à Paris d'unemosquée et d'un institut musulman, et reçut à cet effet duGouvernement français une somme de 500 000 francs, duConseil municipal de Paris une subvention pour l'achatdes terrains, et de l'Algérie, du Maroc, de la Tunisie etd'autres pays d'Afrique des subventions annuelles, dontla plus régulièrement servie fut de loin celle de l'Algérie.

20) Depuis la création de la Mosquée et de l'Institutmusulman, ce fut toujours un Algérien qui fut désigné parle Conseil d'administration de la Société pour représentercelle-ci à Paris et assurer l'administration des deuxinstitutions parisiennes. Mais, au cours de la guerred'Algérie, M. Guy Mollet, président du Conseil, sesubstitua au Conseil d'administration de la Société etnomma par décret du 18 mai 1957 un Algérien — au seulsens ethnique du mot — comme directeur de la Mosquéeet de l'Institut. Le 16 janvier 1958, ce directeur fit réviserles statuts de la Société, annulant ainsi l'acte constitutifde la fondation, et, deux semaines avant le cessez-le-feuen Algérie, fit transférer le 2 mars 1962 d'Alger à Paris lesiège de la Société.

21) Le 12 février 1963, le Tribunal administratif de Parisdevait annuler, comme entachée d'irrégularité, la décisionde nomination du directeur de la Mosquée et de l'Institutpar M. Guy Mollet. Un arrêt du Conseil d'Etat en datedu 8 novembre 1963 327 devait confirmer l'illégalité del'acte du Président du Conseil. Le directeur se maintinttoutefois à la tête des deux institutions religieuses en seprévalant d'une décision qui aurait été prise par une« assemblée générale » de la Société après qu'il eutmodifié les statuts de celle-ci.

22) Au lendemain de l'indépendance de l'Algérie, leGouvernement français, saisi par les autorités algériennes,faisait savoir à celles-ci que, selon lui, la Société nepouvait plus prétendre à l'existence juridique et que sesbiens, tombant en déshérence, devaient obéir au jus soli.Le Gouvernement algérien estimait pour sa part que laSociété existait toujours à Alger et que ses droits sur laMosquée et l'Institut n'étaient pas éteints.

Le Gouvernement français avait alors proposé, en1963, la remise des biens de la Société, éteinte selon lui, àune nouvelle association qui serait constituée à Alger avecla participation du Maroc et de la Tunisie.

23) Par la suite, un jugement du Tribunal de premièreinstance de la Seine, rendu le 24 mai 1967, avait préciséque a) la Société était étrangère et que, par application del'article 21 de la loi de 1901 sur les associations, son siègese trouvait toujours à Alger, b) que la Société n'avait pastenu du Gouvernement algérien la capacité d'ester enjustice.

24) Des consultations sont toujours en cours entre leGouvernement français, d'une part, et les Gouvernementsalgérien, tunisien et marocain, de l'autre, à l'effet derégler définitivement cette affaire en écartant l'actueldirecteur (nommé par un décret réputé irrégulier) et enremettant aux autorités maghrébines le patrimoine desdeux institutions parisiennes.

327 France, Conseil d'Etat, Recueil des décisions du Conseild'Etat, Paris, novembre-décembre 1963, par. 378.

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QUESTION DES TRAITÉS CONCLUS ENTRE ÉTATSET ORGANISATIONS INTERNATIONALES OU ENTRE DEUX OU PLUSIEURS

ORGANISATIONS INTERNATIONALES

[Point 4 de l'ordre du jour]

DOCUMENT A/CN.4/271

Deuxième rapport sur la question des traités conclus entre Etats et organisations internationalesou entre deux ou plusieurs organisations internationales,

par M. Paul Reuter, rapporteur spécial

[Texte original en français][15 mai 1973]

TABLE DES MATIÈRES

Pages

Liste des abréviations 74Paragraphes

INTRODUCTION 1-6 74

PREMIÈRE PARTIE. — QUESTIONS DE MÉTHODE 7-21 75

A. Rédaction d'un projet d'articles comme objectif final 8 75

B. Respect du cadre de la Convention de Vienne sur le droit des traités (1969) 9-12 75

C. Portée du premier questionnaire adressé aux organisations internationales 13-15 76

D. Difficulté de principe 16-21 76

DEUXIÈME PARTIE. — QUELQUES PROBLÈMES DE FOND 22-107 77

A. Partie I (Introduction) de la Convention de 1969 et notion de partie 23-33 77

B. Partie II (Conclusion et entrée en vigueur des traités) de la Convention de 1969 34-77 79

1. Forme des accords 35-37 79

2. Capacité des organisations internationales de conclure des traités 38-52 79

3. Représentation 53-77 81

a) Détermination et preuve de la qualité pour représenter une organisation internationaledans une des phases quelconques de la conclusion d'un traité 56-64 82

b) Accords conclus par les organes subsidiaires 65-68 83c) Participation d'une organisation internationale à un traité pour le compte d'un territoire

qu'elle représente 69-77 84

C. Partie III (Respect, application et interprétation des traités) de la Convention de 1969 . . . 78-107 86

1. Accords conclus en vue de l'exécution d'un autre accord 79-82 86

2. « Accords internes » par rapport à une organisation internationale 83-88 87

3. Effets des accords à l'égard des tiers 89-107 88a) L'organisation internationale est-elle un tiers par rapport à certains traités entre Etats? 92-98 88b) Les Etats membres d'une organisation internationale sont-ils des tiers par rapport aux

accords conclus par cette organisation? 99-107 90

ANNEXE. — QUESTIONNAIRE ÉTABLI PAR LE RAPPORTEUR SPÉCIAL 91

73

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74 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

LISTE DES ABRÉVIATIONS

AIEA Agence internationale de l'énergie atomiqueBIRD Banque internationale pour la reconstruction et le développementCDI Commission du droit internationalCIJ Cour internationale de JusticeC.I.J. Mémoires CIJ, Mémoires, plaidoiries et documentsC.I.J. Recueil CIJ, Recueil des arrêts, avis consultatifs et ordonnancesFAO Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agricultureIDA Association internationale de développementOIT Organisation internationale du TravailOMCI Organisation intergouvernementale consultative de la navigation maritimeOMM Organisation météorologique mondialeOMPI Organisation mondiale de la propriété intellectuelleOMS Organisation mondiale de la santéONU Organisation des Nations UniesSDN Société des NationsSFI Société financière internationaleUIT Union internationale des télécommunicationsUNESCO Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture

Introduction

1. Dans un premier rapport, en date du 3 avril 1972 1, leRapporteur spécial avait exposé à la CDI comment lamatière s'était historiquement développée, puis il s'étaitefforcé de présenter dans leurs grandes lignes quelquesorientations qui lui paraissaient déjà s'imposer. Il posaitaussi quelques questions au sujet desquelles il auraitsouhaité connaître les sentiments de la Commission.L'ordre du jour très chargé de la CDI et les priorités quis'imposaient à elle ont empêché que ce rapport soitexaminé à sa vingt-quatrième session.

2. Ce deuxième rapport a pour objet de compléter lerapport précédent, de faciliter l'examen de celui-ci enrésumant les aspects essentiels, et, surtout, de tenircompte d'éléments nouveaux 2, au premier rang desquelsil faut ranger les substantielles informations recueilliesentre-temps auprès des organisations internationales.

On se souviendra en effet qu'à sa vingt-troisièmesession, en désignant un rapporteur spécial, la Commis-sion avait précisé que parmi les documents à préparer envue de l'étude envisagée devrait figurer « un exposé de lapratique de l'ONU et des principales organisationsinternationales en la matière 3 », ces dernières ayant étédéfinies « pour le moment et aux fins de cette étude [...]

1 Annuaire... 1972, vol. II, p. 187, doc. A/CN.4/258.2 Parmi les publications consacrées à ce sujet, on mentionnera

surtout le rapport présenté par M. R.-J. Dupuy à l'Institut dedroit international: L'application des règles du droit internationalgénéral des traités aux accords conclus par les organisations inter-nationales, Genève, Imprimerie de la «Tribune de Genève», 1972.

3 Annuaire... 1971, vol. II (l r e partie), p. 368, doc. A/8410/Rev.l,par. 118, al. b.

comme [...] celles qui ont été invitées à envoyer desobservateurs à la Conférence de Vienne sur le droit destraités 4 ».

3. En exécution de cette disposition, le Rapporteurspécial a élaboré un questionnaire que le Secrétairegénéral a adressé aux organisations intéressées enprécisant dans sa lettre d'envoi que, étant donné que cetteconsultation n'avait qu'un caractère préliminaire, lesréponses seraient pour le moment communiquées à titrepersonnel au Rapporteur spécial. Le Secrétaire généralajoutait: « Une fois que le cadre de l'exposé demandé parla Commission aura été plus clairement défini, votreorganisation sera de nouveau consultée et pourraprésenter une réponse définitive qui sera publiée dansl'exposé en question. »

4. Les organisations consultées ont envoyé des réponsesplus ou moins longues, selon que les questions poséeséveillaient au regard de leur expérience et de leurspréoccupations des échos plus ou moins prolongés, maistoutes leurs communications sont dignes du plus vifintérêt. Quand on est pleinement averti des chargesécrasantes qui pèsent sur les secrétariats des organisationsinternationales, on apprécie à sa juste valeur l'effortfourni, et le Rapporteur spécial tient à exprimer toute sagratitude pour l'aide inappréciable qui lui a été ainsiprocurée. Ces réponses devront être l'objet d'une étudeattentive et d'une méditation prolongée, mais, avant desoutenir jusqu'à leur terme les travaux du Rapporteurspécial, elles peuvent déjà illustrer certaines considéra-tions générales qui doivent être soumises à la Commis-sion.

4 Annuaire... 1970, vol. II, p. 331, doc. A/8010/Rev.l, par. 89.

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Question des traités conclus entre Etats et organisations internationales 75

5. Le Rapporteur spécial s'en tiendra à leur sujet auxconditions et aux engagements qui ont été pris à l'égarddes organisations, c'est-à-dire que ces réponses ne serontpas pour le moment publiées; on ajoutera seulement enannexe au présent rapport le questionnaire auquel ellesrépondent. Leur substance ne sera présentée qu'en termesgénéraux, sans référence aux positions propres à chaqueorganisation, sauf dans le cas où les représentants desorganisations les ont rendues publiques dans descirconstances étrangères à l'envoi de ce questionnaire.

6. Pour faciliter le travail de la Commission, leRapporteur spécial reprendra sous une forme abrégée (et,il l'espère, plus précise et plus catégorique) certaines desorientations proposées dans son premier rapport etinsistera sur les éléments nouveaux recueillis grâce à lacoopération des secrétariats internationaux. Les dévelop-pements qui suivent seront consacrés en premier lieu auxquestions de méthode, qui continuent à présenter enl'espèce une importance exceptionnelle et, en second lieu,à quelques-unes des questions de fond les plusimportantes.

Première partie

Questions de méthode

7. La position qui semble s'imposer actuellement auRapporteur spécial pourrait être présentée en quatrepoints.

A. — RÉDACTION D'UN PROJET D'ARTICLESCOMME OBJECTIF FINAL

8. Le Rapporteur spécial s'assigne, comme objectiffinal, de terminer son travail par la rédaction d'un projetd'articles. Il semble en effet que cette méthode,aujourd'hui suivie par tous les rapporteurs spéciaux, soitla seule qui, en elle-même, comporte la rigueur et laprécision qui doivent marquer tous les travaux de laCommission; au surplus, elle est indispensable si l'onn'exclut pas que la consécration finale des travaux duRapporteur spécial reçoive la forme d'une conventionformelle. Ce rappel serait inutile si, d'un autre côté, il nefallait pas réserver entièrement, à raison d'une difficultépropre à la matière, la question de la forme juridiquefinale que devront recevoir ces travaux. En effet, lesorganisations internationales intéressées devront, d'unemanière ou d'une autre, être associées à l'entreprise,notamment pour la mener à son terme, et la participationdes organisations internationales à la conclusion d'uneconvention sur ce genre de traités met en cause lesproblèmes de fond qu'elle a précisément pour objet derésoudre. La participation des organisations internatio-nales à une convention multilatérale générale soulève eneffet certaines objections. D'autres solutions qu'uneconvention générale sont possibles: soit une déclarationpar l'Assemblée générale, soit un recours à un mécanismeanalogue à celui qui a été mis au point pour laConvention de 1947 sur les privilèges et immunités desinstitutions spécialisées5. On reviendra plus loin surcertains de ces points.

B. — RESPECT DU CADRE DE LA CONVENTION DE VIENNESUR LE DROIT DES TRAITÉS (1969)

9. Dans les travaux de la sous-commission qui a précédéla désignation d'un rapporteur spécial6, il a été admisque l'objectif à atteindre était l'extension et, à défaut,l'adaptation des articles de la Convention de Vienne surle droit des traités7 aux accords des organisationsinternationales, en restant fidèle à l'esprit, aux formes et àla structure de cette convention. Cette position entraîneune conséquence négative importante: en principe, il neconviendrait pas d'inclure des matières ou des sujets que,en ce qui concerne les traités entre Etats, la Conventionde 1969 a délibérément laissés de côté; c'est à ce titrenotamment qu'il semble nécessaire, sous le bénéfice d'uneou deux remarques, de laisser de côté tant la définitionque le régime des accords non écrits 8.10. Mais cette position de principe entraîne biend'autres conséquences essentielles. Ainsi en ce quiconcerne le champ d'application du projet d'articles àélaborer, il conviendrait, au moins au premier abord, departir d'une définition de l'organisation internationaleidentique à celle de la Convention de 1969. En effet, cetteconvention contient déjà quelques règles qui intéressentles organisations internationales9. Si l'on suppose uninstant qu'un projet d'articles sur les accords desorganisations internationales part d'une définition plusrestreinte des organisations pour lesquelles il dispose, onaboutirait à un triple régime juridique applicable auxaccords des organisations: celui de la Convention de1969, celui du projet d'articles, et celui qui découle de lacoutume et des principes généraux du droit. Une tellesituation irait à rencontre de tous les objectifs de lacodification, en compliquant et en rendant incertaine lasituation actuelle.11. Une autre conséquence de cette dépendance (surlaquelle on reviendra encore plus loin, mais qui souffre, àraison de son importance, d'être plusieurs fois énoncée)réside dans le caractère nécessairement très général desdispositions du futur projet d'articles. Si l'on part en effetde la définition, très large et même indéterminée, de laConvention de 1969 en ce qui concerne les organisationsinternationales, il s'ensuit que les règles à prévoir doivents'appliquer à toutes les organisations internationales etqu'elles ne peuvent, par conséquent, qu'être trèsgénérales.

12. Enfin, d'une manière encore plus précise, la tâche duRapporteur spécial va consister à examiner un à un lesdifférents articles de la Convention de 1969 afin derechercher ceux qui peuvent s'appliquer sans autreadaptation aux accords des organisations internationaleset de proposer pour les autres articles les modificationsnécessaires.

5 Voir Annuaire... 1972, vol. II, p. 204, 210 et suiv., doc.A/CN.4/258, par. 52, 68 et suiv.

6 Voir Annuaire... 1971, vol. II (l r e partie), p. 368, doc. A/8410/Rev.l, chap. IV, annexe.

7 Pour le texte de la Convention, voir Documents officiels dela Conférence des Nations Unies sur le droit des traités, Documentsde la Conférence (publication des Nations Unies, numéro de vente:F.7O.V.5), p. 309. La convention est ci-après dénommée « Conven-tion de 1969 ».

8 Voir ci-dessous par. 37.9 Voir Annuaire... 1972, vol. II, p. 198, 203, 208 et suiv.,

doc. A/CN.4/258, par. 36, 51, 65 et suiv.

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76 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

C. — PORTÉE DU PREMIER QUESTIONNAIRE ADRESSÉAUX ORGANISATIONS INTERNATIONALES

13. La dernière observation permet d'éclairer la portéedu questionnaire qui a été adressé aux organisationsinternationales dans les conditions rappelées plus haut.

14. En effet, cette fidélité très étroite au texte et au cadrede la Convention de 1969 repose sur l'idée qu'il n'y a pasun seul problème qui présenterait le double caractère,d'une part, d'être important et de pouvoir comporter unesolution générale commune pour toutes les organisationsinternationales et, d'autre part, d'échapper à l'applicationdes dispositions de la Convention de 1969. Or, cette idéeest peut-être exacte, mais elle appelle une vérification parune contre-épreuve. Il faut en effet tenter de vérifier, en seplaçant hors du cadre si exactement élaboré de laConvention, qu'il n'y a pas un point importantsusceptible d'être codifié qui soit laissé de côté.

15. C'est dans cet esprit qu'un certain nombre dequestions, volontairement limitées à quelques pointschoisis avec soin, ont été adressées aux organisationsinternationales. Dans la pensée du Rapporteur spécial,elles représentent en quelque sorte un sondage, et rien deplus. Rien ne serait plus contraire à ses intentions que deconsidérer qu'elles représentent une tentative d'étendre ledomaine de la codification et qu'il est d'ores et déjàenvisagé de présenter des projets d'articles sur lesmatières qui en sont l'objet. Le Rapporteur spécial nenourrissait pas à ce sujet d'ambitions aussi étendues, et ilvoulait surtout obtenir la confirmation de certainesappréciations et établir avec plus de sécurité les limites deson entreprise. Il apparaîtra ainsi au terme de cet exposéque bien des questions ne sont pas encore mûres pour lacodification, soit que la pratique ne soit pas encore fixée,soit qu'elle ne les ait pas encore rencontrées, soit même— et c'est le dernier point qu'il faut aborder maintenant— que les solutions qu'elles comportent soient tropdiversifiées pour faire l'objet d'une codification.

D. — DIFFICULTÉ DE PRINCIPE

16. Comme on l'a précédemment indiqué 10, les organi-sations internationales n'ont pas suivi sans appréhensionles travaux qui devaient aboutir à la Convention de 1969;les textes adoptés ne laissaient pas en dehors de leurinfluence l'activité des organisations internationales enmatière conventionnelle, qu'il s'agisse soit des accordsconclus par les organisations, soit des accords conclusdans leur sein ou sous leurs auspices. Si le domained'application de la Convention a été finalement, à cesujet, assez restreint et si des garanties ont été prévuespour les organisations internationales, il est normal queces appréhensions demeurent entières lorsqu'il s'agit de lapréparation d'un projet qui vise spécifiquement lesaccords conclus par les organisations internationales. Lesorganisations consultées à la demande du Rapporteurspécial ont répondu avec une grande complaisance auquestionnaire qui leur était adressé, et on leur doitd'autant plus de reconnaissance que certaines desquestions qui leur ont été adressées mettaient en caused'une manière presque indiscrète des pratiques ou des

10 Ibid., p. 201 et 203, par. 46 et 51.

positions qui n'avaient pas encore fait de leur part l'objetd'une ligne de conduite définitive.

17. Le Rapporteur spécial a toujours été conscient que,au-delà même des particularités pouvant toucher un pointprécis, l'élaboration d'un projet d'articles sur les accordsdes organisations internationales soulève une question deprincipe essentielle. Jusqu'à présent, les organisationsinternationales, agissant surtout par leurs secrétariatsgénéraux, sans disposer généralement des ressources detextes généraux ni de précédents, ont construit lentementet sans éclat, par le seul développement de la pratique, uncorps de solutions ajusté aux besoins et aux caractèrespropres de chaque organisation. La codification actuelle-ment envisagée pourrait risquer de modifier cetteélaboration spontanée en introduisant dans le régime desaccords des organisations internationales deux traitsnouveaux : la stabilité et la généralité.

18. On a exposé longuement dans le premier rapport11

comment la Convention de 1969, tout en s'appliquantaux traités constitutifs d'une organisation internationaleet aux traités adoptés en son sein, avait posé la « réservede toute règle pertinente de l'organisation » (art. 5), etcomment un doute s'était élevé sur la question de savoirsi les règles pertinentes d'une organisation pouvaientcomprendre également la pratique à ce stade où celle-ci nepeut encore être considérée comme constituant une règlede droit. Ce qui est certain, en tout cas, c'est que lacodification, sous peine de perdre sa significationessentielle, exerce un effet stabilisateur, au moins pendantun certain temps, sur le développement de la pratique etla naissance de la coutume. On ne comprendrait pas lestravaux de la codification si celle-ci était rigoureusementdépourvue d'effet juridique.

19. Mais la codification a également un effet degénéralisation et d'uniformisation. Au lieu que chaqueorganisation définisse à son propre usage un régimeindividualisé, elle subira une règle générale, formulantune solution moyenne, applicable à toutes les organisa-tions. On craint donc la perte de l'autonomie dontchaque organisation disposait jusqu'à présent. Bien plus,on va même parfois jusqu'à penser et même à écrire quel'existence d'un droit commun à toutes les organisations— d'un « droit des organisations internationales » —serait difficile à concevoir, voire même impossible àréaliser.

On a précédemment rappelé 12 que la base même d'unetelle position était l'existence d'un droit propre à chaqueorganisation, qui n'est lui-même que l'expression desdifférences qui existent dans le régime de chaqueorganisation, et avant tout dans ses fonctions. On a, àcette même occasion, indiqué selon quelles lignesgénérales une place pouvait être faite à ces considérationssans mettre radicalement en cause le principe d'unecodification concernant les accords des organisationsinternationales. Mais ce point est tellement capital qu'ilest nécessaire d'y revenir encore une fois.

20. Une comparaison entre la position des Etats et celledes organisations internationales aidera peut-être à

11 Ibid., p. 203, par. 51.12 Ibid., p. 215, par. 86 et suiv.

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Question des traités conclus entre Etats et organisations internationales 77

exposer plus clairement ce qu'il semble raisonnabled'admettre dans ce domaine. Chaque Etat dispose d'unegrande liberté pour régler les problèmes de sa propreconstitution et se donner les règles internes les plusappropriées à ses besoins. Mais cela n'empêche pas que,pour ses relations avec les autres Etats, et notammentpour le régime des traités internationaux, il estindispensable et reconnu par tous qu'existent des règlesde droit international qui sont les mêmes pour tous lesEtats. Il doit' en être de même pour les organisationsinternationales. Celles-ci ont évidemment chacune undroit propre, qui est fondé sur une charte constitutive etsur tout le droit qui en est dérivé; mais il seraitinconcevable que leurs relations mutuelles ou avec desEtats tiers soient soumises au droit propre à l'uned'elles13. Elles doivent relever de règles générales qui nepeuvent que faire partie du droit international publicgénéral. Il existe, certes, une différence capitale avec lesEtats: dans le droit international général, les Etats setrouvent les uns à l'égard des autres sur un plan d'égalitésouveraine; ils possèdent au regard du droit internationalla même structure et assument les mêmes fonctions, lesseules différences étant d'ordre quantitatif. Chaqueorganisation est au contraire différente de toutes lesautres, étant uniquement définie par des fonctions quivarient largement d'une organisation à une autre. Maiscette opposition entre le statut de l'Etat en droitinternational et le statut de chaque organisation peut bieninterdire de formuler certaines règles générales quiméconnaîtraient les différences distinguant entre elles lesorganisations internationales; elle ne saurait empêcherque, dans le cadre de leurs relations mutuelles et de leursrelations avec les Etats tiers, les organisations interna-tionales aient vocation de suivre des règles généralescommunes — et qu'il est nécessaire qu'elles le fassent.

21. Si telle est vraiment la manière dont on doit aborderle problème des accords conclus par des organisationsinternationales, on doit admettre qu'il ne doit pas y avoird'obstacles majeurs à soumettre ces accords à unensemble de règles générales, si l'on veut bien prendrecertaines précautions. L'une d'elles consiste, pour éviterautant que possible une excessive rigidité, à écarter dansl'énoncé des règles tout formalisme et tous détailsinutiles; l'autre consiste à renoncer à soumettre à desrègles communes des questions qui doivent être régléespour chaque organisation selon ses caractères propres. Sil'on accepte ces bases, il n'y a aucune raison de penserque les dispositions de la Convention de 1969 ne sont pasen général valables pour les accords des organisationsinternationales.

13 On met de côté la question des accords conclus par une organi-sation avec ses propres membres. En effet, on pourrait concevoirque, en raison d'une étroite dépendance avec la charte constitutive,ces accords soient soumis au droit propre de l'organisation, quipourrait ainsi présenter, par rapport au droit international public,un caractère autonome. Mais cette hypothèse ne caractérise en faitque des systèmes politiques en voie d'intégration. Aux questions A.3(accords présentant un caractère interne) et A.5 (accords ayant pourobjet d'exécuter un autre accord), il a été donné par les organisationsconsultées des réponses intéressantes à d'autres points de vue, maiscelles-ci montrent que la soumission générale de certains accords audroit « interne » de l'organisation n'entre pas actuellement dansleurs perspectives.

Deuxième partie

Quelques problèmes de fond

22. On voudrait, dans cette deuxième partie, expo-ser quelques problèmes du droit des traités surlesquels les réponses données par les organisationsinternationales au questionnaire qui leur a été adresséainsi que les réflexions du Rapporteur spécial permettantd'ajouter quelques données à celles qui, pour la plupartdes points que l'on va aborder, avaient déjà été présentéesdans le premier rapport.

On suivra, sans y apporter une rigueur complète,l'ordre des matières qui correspond à la Convention de1969, et en ne s'attachant, bien entendu, qu'à quelquespoints caractéristiques choisis en raison de leur valeurd'exemples ou de leur importance. On les groupera ensuivant les titres des trois premières parties de laConvention, à savoir Introduction; Conclusion et entréeen vigueur des traités; Respect, application et interpréta-tion. On n'abordera pas de points relatifs aux parties IV àVIII, qui n'ont pas fait l'objet de questions adressées auxorganisations.

A. — PARTIE I (INTRODUCTION) DE LA CONVENTION DE1969 ET NOTION DE PARTIE

23. Parmi les dispositions générales de la Convention de1969, il y en a quelques-unes qu'il serait souhaitable, del'avis du Rapporteur spécial, tel qu'il peut provisoirementêtre formulé avant d'avoir entendu les observations de laCommission, de ne pas modifier. On ne reviendra pas surles points qui ont été déjà signalés tels l'opportunité de neconsidérer, pour les accords des organisations commepour ceux des Etats, que les accords écrits ou deconserver la même définition des organisations internatio-nales. En revanche, il serait utile de s'étendre assezlonguement sur un point délicat et important quiconcerne la définition de « partie » à un traité.

24. Comme on le sait, l'article 2, par. 1, al. g, de laConvention de 1969 donne de l'expression «partie» ladéfinition suivante: « s'entend d'un Etat qui a consenti àêtre lié par le traité et à l'égard duquel le traité est envigueur ». Il apparaît du contexte comme des travaux dela CDI que cette définition a été élaborée pour l'opposerà l'expression «Etat contractant», qui s'entend «d'unEtat qui a consenti à être lié par le traité, que le traité soitentré en vigueur ou non » (art. 2, par. 1, al. / ) . Jamais,semble-t-il, la question n'a été posée de savoir si un Etatpouvait se trouver dans une position qui, sans être celled'une « partie », ne serait pas celle d'un « tiers » — c'est-à-dire que, tout en étant tenu par les règles de fond dutraité, cet Etat ne participerait pas à l'administration dutraité, et notamment à sa révision. Ce que la Conventionde 1969 prévoit, c'est un mécanisme collatéral à un traitépar lequel un Etat tiers peut accepter certains droits etobligations — mais ce mécanisme est un accordabsolument distinct du traité originaire et il dispose d'unemanière totalement libre de certains droits et obligations.Il semble donc qu'au point de vue de la Convention il n'yait pas à proprement parler de situation intermédiaireentre celle de « partie » et celle de « tiers » par rapport àun traité.

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78 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

25. La question pourrait être tranchée dans les mêmestermes quant à la situation d'une organisation parrapport à un traité multilatéral. On peut cependant sedemander si la situation dans laquelle une organisation,sans être partie à un traité entre Etats, bénéficie de droitset d'obligations étendus n'est pas très fréquente etn'appelle pas un examen nouveau.

26. C'est pour cette raison qu'il a été demandé à chaqueorganisation consultée, par une formule volontairementvague, d'indiquer si elle est actuellement, par rapport àdes traités multilatéraux entre Etats, dans la position de«partie» à ces traités, d'« associée », ou de «personneobligée à respecter ces traités » (question A. 6).

Dans l'ensemble, les réponses groupées autour de cethème sont d'une grande richesse et montrent qu'il existedes situations variées qui ont été réglées par des voiesdiverses. On pourrait peut-être distinguer deux groupesde situations exposées par les organisations internatio-nales.

27. (A) Dans le premier groupe, des Etats membresd'une organisation (mais comprenant aussi à l'occasiondes non-membres) concluent une convention à laquellel'organisation n'est pas partie, mais en vertu de laquellecelle-ci se voit confier des droits et des obligationsnouvelles. Cette situation est extrêmement fréquente pourtoutes les organisations. Peut-on dire qu'elle n'appelleaucun examen particulier et s'explique au besoin par unaccord collatéral tacite entre les Etats parties à laconvention et l'organisation? Ou bien faut-il considérerque c'est là une situation spéciale, qui appellerait uneffort de codification particulier à raison de sa fréquence ?

28. Le problème 14 sera repris plus loin 15, car il met encause les effets des traités à l'égard des tiers. Il supposeune étude plus approfondie, non seulement en droit maisaussi en fait, pour répondre à la question de savoir si, enmatière d'accords des organisations internationales, il yaurait intérêt à créer une position spéciale pour lesorganisations non « parties » à un accord, mais étroite-ment associées à sa mise en œuvre.

29. (B) Dans le deuxième groupe se trouvent desaccords qui lient les organisations internationales entoutes leurs dispositions de fond, mais sans quel'organisation possède les pouvoirs qui appartiennentnormalement aux parties à un traité en ce qui concernel'administration de la convention, sa révision, ou laparticipation avec voix délibérante aux organes qu'ellecrée. Les exemples les plus récents se trouvent, outrecertaines dispositions d'accords relatifs aux produits debase, dans les accords qui ont permis la participation desorganisations internationales à certaines conventionsinternationales relatives à l'espace — mais il y a desexemples plus anciens, notamment en ce qui concerne lasituation de l'ONU au sein de l'UIT.

30. Deux cas particuliers ont fait l'objet de deuxquestions expresses, adressées l'une à l'ONU, l'autre auxinstitutions spécialisées. Elles portent sur la situation de

la première par rapport à la Convention de 1946 sur lesprivilèges et immunités des Nations Unies16, et dessecondes au regard de la Convention de 1947 sur lesprivilèges et immunités des institutions spécialisées 17.

31. En ce qui concerne la Convention de 1946, il suffîtde rappeler que la position maintenue sans défaillance parle Secrétaire général depuis l'avis consultatif de la CIJ àpropos de la Réparation des dommages subis au service desNations Unies18 est que l'ONU est partie à cetteconvention. Les motifs qui justifient cette position ont étéà plusieurs reprises exposés aux Nations Unies19, etpourraient se résumer dans la revendication pourl'Organisation et le Secrétariat général du droit de veillerà l'observation de cette convention et, au besoin, de lafaire respecter par tous les Etats. Le Rapporteur spécialn'entend nullement mettre en doute les conséquences dela qualité de partie de l'ONU ni le bien-fondé del'affirmation de principe elle-même, qui présente certainsavantages 20; on peut se demander cependant si l'ONU atechniquement la position de partie par rapport à tous lesproblèmes que peut poser la vie de la convention, etnotamment sa révision.

32. Une question identique se pose pour la Conventionsur les privilèges et immunités des institutions spéciali-sées, dont le mécanisme original est connu de tous. Onpeut donner de bons arguments pour considérer lesorganisations comme parties à cette convention21, etpresque toutes les institutions spécialisées qui ont acceptéen ce qui les concerne le mécanisme de la convention sesont considérées comme parties à celle-ci. Cependant,l'une d'entre elles a fait remarquer qu'à son avis lesorganisations n'étaient pas parties, mais avaient danscette convention un intérêt juridique que l'on pouvaitqualifier de sui generis. Une autre considère que la qualitéde partie est acquise, mais est portée à croire qu'il s'agiten l'occurrence d'une qualité sui generis. Une troisièmeprend la position suivante — que, vu son intérêt, il estnécessaire de transcrire intégralement:

En ce qui concerne la position juridique des institutionsspécialisées au regard de la Convention de 1947, une distinction peutêtre faite entre être une « partie » (un terme que la Conventionemploie seulement en ce qui concerne les Etats) et participer dans unsens extensif, c'est-à-dire être titulaire de droits et d'obligationsdérivés des dispositions de la Convention. Les institutionsspécialisées sont clairement des participants dans ce sens large, ainsiqu'il est indiqué dans l'avis du 10 juillet 1964 du Service juridique del'ONU, qui conclut:

14 Cf. aussi Annuaire... 1972, vol. II, p. 211, doc. A/CN.4/258,par. 73.

15 Voir ci-dessous par. 89 et suiv.

16 Nations Unies, Recueil des Traités, vol. 1, p. 15.17 Ibid., vol. 33, p. 261. L'AIEA n'est pas touchée par la Conven-

tion de 1947, mais par un accord spécial, pour lequel le problèmeévoqué actuellement disparaît; on peut même remarquer que c'estl'organisation qui s'est réservé le droit de réviser l'accord (v. Annu-aire... 1972, vol. II, p. 212, doc. A/CN.4/258, note 181).

18 Réparation des dommages subis au service des Nations Unies,Avis consultatif du 11 avril 1949, C.I.J. Mémoires, 1949, p. 70 et suiv.

19 Cf. Déclaration du Conseiller juridique à la 1016e séance de laSixième Commission {Documents officiels de VAssemblée générale,vingt-deuxième session, Annexes, point 98 de l'ordre du jour, doc.A/C.6/385).

20 Notamment de faire disparaître la singularité théorique quiexistait à l'origine et selon laquelle la convention pouvait entrer envigueur par la ratification d'un seul Etat contractant. Voir P. Reuter,Introduction au droit des traités, Paris, Colin, 1972, p. 42, par. 69.

21 Voir Annuaire... 1972, vol. II, p. 212, doc. A/CN.4/258, note 181.

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Question des traités conclus entre Etats et organisations internationales 79

«En conséquence, les clauses et l'exécution de la Conventionprésentent pour chaque institution spécialisée le même intérêtjuridique que pour un Etat partie, la question de savoir si chaqueinstitution peut ou non être qualifiée, d'un point de vue strictementjuridique, de « partie » à la Convention mise à part 22. »

33. Ces positions montrent qu'il existe effectivement unproblème de vocabulaire et de fond. On devra, pour lerésoudre, revenir sur les mécanismes de la Convention de1969 relatifs aux effets des traités à l'égard des tiers 23. Ilsuffira pour le moment d'en avoir en quelque sortedéterminé les contours externes.

B. — PARTIE II (CONCLUSION ET ENTRÉE EN VIGUEUR DESTRAITÉS) DE LA CONVENTION DE 1969

34. Plusieurs points méritent d'être exposés. Pourcertains, il s'agira d'un simple rappel de ce que leRapporteur spécial a eu l'occasion d'exposer précédem-ment; pour d'autres, il sera possible de prendre uneposition plus ferme, parce que mieux informée, que dansle premier rapport. On regroupera ces différentsdéveloppements sous trois chefs: forme des accords,capacité des organisations, et représentation.

1. Forme des accords

35. Il n'y a rien à ajouter à ce qui a été dit sur ce pointdans le premier rapport, et qui peut être résumé dansdeux propositions :

a) La plus grande partie des objections et desréticences opposées par les organisations internationales àl'extension de la Convention de 1969 aux accords desorganisations internationales provenait des conditions deforme qui, à tort ou à raison, semblaient présider, selon leprojet d'articles préparé par la CDI, à la conclusionrégulière des traités internationaux 24;

b) L'adoption par la Conférence sur le droit destraités de l'amendement qui est devenu l'actuel article 11de la Convention de 1969 a fait disparaître toute rigiditédans la conclusion des accords écrits25.

36. La conséquence qui découle de ces deux proposi-tions est fort simple: les plus grands obstacles quis'opposaient à l'extension de la Convention de 1969 auxaccords des organisations internationales ont aujourd'huidisparu. Le principe du consensualisme pur, qui est à labase de la Convention, ne peut nuire à la pratique et audéveloppement des organisations internationales. Ilpermet également de présumer que toutes les consé-quences de ce principe qui sont l'objet de l'ensemble de laConvention s'appliquent aux organisations internatio-nales 26.

37. Il n'y a rien à ajouter à une conclusion aussi nette.Pour souligner la liberté donnée par l'article 11 de la

22 N a t i o n s Unies , Annuaire juridique, 1964 (publ icat ion des N a t i o n sUnies , n u m é r o de ven te : 66.V.4), p . 277, par . 5.

23 Voir ci-dessous pa r . 89 et suiv.24 Annuaire... 1972, vol . I I , p . 203, 204 et 213, d o c . A / C N . 4 / 2 5 8 ,

par . 51 , 52 et 80.25 lbid., p . 204 et 213, par . 55 et suiv., et 80.24 lbid. Voir n o t a m m e n t par . 81 en ce qui concerne le régime des

nullités, les règles d ' in terpré ta t ion, etc.

Convention de 1969 aux parties, on ajoutera cependantune dernière observation, qui porte sur des exemplesparticulièrement significatifs. Ni la Convention de 1969 niles travaux de la CDI n'ont donné une définition trèsprécise de ce qu'était un traité conclu par écrit. Si cetteformule excluait les accords purement verbaux (etdavantage encore les accords tacites), on pouvait sedemander si la formule ne s'appliquait qu'à la conditionque l'écrit soit constitué par des instruments spécialementrédigés à cet effet, ou bien s'il suffisait que le texte soit enfait consigné par écrit. Dans le second cas, est considérécomme écrit l'accord qui résulte incidemment d'unecorrespondance ordinaire, de même que celui qui résulted'un procès-verbal de réunion accepté par deux partiesqui ont fait des déclarations orales qui y sont consignées etd'où résulte un accord. Si, avant l'adoption de l'article 11,on pouvait hésiter entre l'une ou l'autre solution, ilsemble bien aujourd'hui que la conclusion soit tranchéeen faveur de la solution la plus large; en effet, selon cetarticle le consentement d'un Etat à être lié par un traitépeut être exprimé par « tout autre moyen convenu ». Ilest bien certain que ce moyen peut être convenuautrement que par écrit27, et ces deux formes extrême-ment fréquentes dans la pratique des organisations:l'accord par échange courant de correspondance etl'accord par procès-verbal d'une réunion accepté par lesintéressés, entrent dans la catégorie des accords écrits tellequ'elle semble conçue par la Convention de 1969.

2. Capacité des organisations internationalesde conclure des traités

38. La Convention de 1969 contient un article 6 quidispose : « Tout Etat a la capacité de conclure destraités. » Pareille disposition n'appelle-t-elle pas unedisposition symétrique concernant les organisationsinternationales? Avant toute réponse à cette question, ilconvient d'observer qu'une disposition de ce genre pourles organisations internationales répond à une préoccupa-tion assez différente. En effet, l'article 6 est le résidu d'unarticle beaucoup plus ambitieux28, sur lequel onreviendra. Sa signification, qui a pu être discutée, a pourobjet probable de consacrer l'interdiction pour un Etat derenoncer d'une manière définitive à cette capacitéinhérente à la qualité d'Etat — on a pensé auxprotectorats de type colonial. Pour les organisations, ceque l'on veut, au contraire, c'est poser une règleapplicable dans le cas où la charge constitutive estmuette. Beaucoup ont pensé que la capacité de concluredes accords appartenait aux organisations internationalesd'une manière naturelle — qu'elle leur était inhérente.Une telle analyse peut se recommander d'une certainejurisprudence de la CIJ mettant en œuvre des notionscomme celles de compétence fonctionnelle et de pouvoirsimplicites. La base d'une telle conception réside dans laconstatation qu'une organisation internationale est parnature faite pour participer aux relations internationales,et que cette participation est difficilement concevable sielle exclut la conclusion de tout accord.

27 P. Reuter, op. cit., p. 41, par. 67.28 Voir Annuaire... 1972, vol. II, p. 195 et 196, doc. A/CN.4/258,

par. 25. 28 et suiv.

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39. Si la Commission souhaitait s'orienter vers unesolution de ce genre, elle pourrait s'inspirer de certainesformules comme celle qui a été proposée par le professeurDupuy à l'Institut de droit international dans sonrapport29:

Art. 4 — A moins que l'acte constitutif n'en dispose autrement,toute organisation internationale a la capacité de conclure desaccords dans l'exercice de ses fonctions et la réalisation de son objet.

40. Cependant, malgré sa sympathie pour les formulesde ce genre, le Rapporteur spécial est plutôt enclin àproposer à la Commission une solution plus radicale, quiconsiste à écarter tout article sur la capacité desorganisations internationales. Il croit pouvoir invoquerpour justifier cette solution, d'une part, des considéra-tions de principe et, d'autre part, des considérationspratiques.

41. La considération de principe essentielle est relativeà la constatation fort simple que la capacité d'uneorganisation internationale relève du statut particulier, dudroit propre à cette organisation, et non d'une règle dedroit international général. Sans doute peut-on direqu'aucune règle de droit international général n'interdit àdes Etats de créer telle organisation internationale qu'illeur convient d'établir et de la doter d'une capacité deconclure des traités, et l'on peut être tenté d'en conclurequ'il y a en droit international une règle permissiveconcernant la capacité des organisations internationales.Mais cette règle permissive n'est rien d'autre que la règle« pacta sunt servanda » et l'existence au profit des Etatsd'une très large autonomie conventionnelle. Il estimportant de rappeler que l'existence de l'organisation àl'égard des tiers dépendra de leur reconnaissance, et setrouve ainsi découler de la règle « pacta sunt ser-vanda »30.

42. A cela, on pourrait objecter la jurisprudence célèbrede la CIJ dans l'avis sur la réparation des dommagessubis au service des Nations Unies, qui s'est référé à unepersonnalité « objective » des Nations Unies31, opposableà des Etats tiers. Mais l'ONU (et peut-être d'autresorganisations de la même famille) constitue de par sonuniversalité un cas spécial qu'en tout état de cause il estimpossible d'étendre à toutes les organisations quellessoient — sur ce point, la pratique internationale est tropqu'elles connue pour qu'il soit utile d'insister davantage.

43. Au surplus, le point fondamental que l'on vient desouligner n'est pas relatif à l'existence et à la significationthéorique de la « personnalité » internationale desorganisations: c'est un fait qu'il y a des organisationsinternationales et qu'elles concluent des traités entre elleset avec les Etats. Le point fondamental est qu'il n'y a pas,d'une organisation à une autre, de capacité identique, etque cette capacité dépend des Etats fondateurs et, par lasuite, des Etats membres. Sur ce dernier principe l'accordest d'ailleurs unanime; il n'est guère contestable qu'il y aune grande variété de solutions possibles et que la libertédes Etats reste entière.

29 Op. cit., p . 101.30 Annuaire... 1972, vol. II, p. 195, doc. A/CN.4/258, par. 26,

notamment note 69.31 CIJ. Recueil 1949, p. 185.

44. A ce titre, une règle qui stipulerait que, faute dedisposition expresse de son acte constitutif, une organisa-tion jouit de toute la capacité nécessaire pour conclure lesaccords internationaux nécessaires à l'accomplissementde ses fonctions et à la réalisation de ses buts, même sielle est satisfaisante et vraie dans la majorité des casconnus, peut encourir le reproche d'une universalité etd'une rigidité excessives. En effet, il est possible que, pourcertaines organisations internationales dont le traitéconstitutif ne contient aucune disposition relative à lacapacité de conclure des accords internationaux, l'inten-tion des Etats, telle qu'elle se consolide par la pratiqueconsécutive, est que cette organisation ne dispose pas dela capacité de conclure des accords internationaux, ou nedispose que d'une capacité réduite. On peut mêmeimaginer que, en présence d'une clause excluant lacapacité de conclure des accords, se développe unepratique autorisant la conclusion de certains accordsportant sur des matières administratives. On n'iraitcependant pas jusqu'à dire que c'est la pratique quidispose d'une manière absolue de la capacité desorganisations internationales — bien qu'en fait il en soitgénéralement ainsi. En effet, il s'agit là d'un problèmeque l'on pourrait qualifier, par rapport aux organisationsinternationales, de constitutionnel; il relève de solutionsindividualisées, et non d'une règle commune à toutes lesorganisations, et il peut y avoir des chartes constitutivesrigides qui n'admettent pas ce pouvoir créateur de lapratique.45. Ces thèses n'épuisent pas encore le problème, car onpourrait se demander si, au lieu de poser une règlegénérale qui définisse le principe fondamental de lacapacité des organisations internationales, on ne pourraitpas se donner comme objectif de définir une capacitéminimale qui appartiendrait à toutes les organisationsinternationales, certaines d'entre elles possédant unecapacité plus étendue que ce minimum. Avant de tenterde définir quelle pourrait être cette capacité minimale, ilfaut bien mesurer la portée profonde d'une telle solution:elle consiste à redéfinir, au sens retenu par le futur projetd'articles, la notion d'organisation internationale. Eneffet, le projet ne pourra empêcher que Je terme« organisation internationale » soit employé dans lapratique pour désigner des entités qui ne disposeront pasde cette capacité minimale; ces entités seront ainsi excluesdu champ d'application du projet d'articles. Ainsiapparaîtrait un abandon de la position initiale, définieprécédemment, consistant à maintenir pour les organisa-tions internationales la même définition que celle quifigure dans la Convention de 1969.

46. Par ailleurs, même à ce degré assez réduit de rigidité,la règle envisagée n'est pas sans présenter des inconvé-nients. Il peut exister aujourd'hui une entité que les Etatsmembres ont qualifiée d'organisation internationale quin'a conclu jusqu'à présent aucun accord, dont les actesconstitutifs ne prévoient aucune capacité à conclure detels accords, et pour laquelle les Etats membresn'envisagent actuellement aucun développement tendant àlui conférer une capacité internationale même réduite. Siun texte prévoyant pour les organisations internationalesune capacité minimale était actuellement en vigueur, ilfaudrait simplement en conclure qu'au sens de ce texte

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Question des traités conclus entre Etats et organisations internationales 81

l'entité en cause n'est pas une organisation internationale.Une telle issue ne favoriserait pas une évolution qui restetoujours possible et aux termes de laquelle les Etatsviendraient à admettre progressivement pour cette entitéune capacité à conclure des accords internationaux.

47. Enfin, on peut se demander quel serait l'objet decette capacité minimale. Comme on l'a dit précédem-ment32, l'immense majorité des accords conclus par lesorganisations internationales porte sur les questionsadministratives et sur des activités opérationnelles. Maissi ces deux termes présentent une certaine clarté sur leplan académique, on peut estimer qu'ils appelleraient desprécisions s'ils devaient définir conventionnellement leslimites d'une capacité. Ainsi, la question des immunitésde l'organisation, de ses agents et des représentants desEtats membres est une question administrative, mais elleprésente aussi des aspects vraiment fondamentaux etpourrait tout aussi bien être qualifiée de politique; en toutcas, on remarque que, dans certains cas, les Etatsmembres se réservent la conclusion des accords relatifsaux immunités et privilèges33. Ce n'est là qu'unexemple des problèmes que l'on devrait affronter si l'ons'orientait vers une définition de la capacité minimaledes organisations internationales.

48. Telles sont les considérations de principe quiinclineraient le Rapporteur spécial à ne pas recommanderà la CDI l'insertion d'un article ou d'une série d'articlesrelatifs à la capacité des organisations internationales,tout en reconnaissant qu'il a lui-même longtemps hésité àarrêter une telle position et qu'il est prêt à orienter sestravaux suivant toutes les indications que la Commissionvoudra bien lui donner.

49. Cependant, des considérations autres que celles quitiennent aux principes ont renforcé la position que l'onvient d'exposer; elles sont d'ordre pratique et s'inspirentdes expériences antérieures de la CDI. En effet, celle-ci aabordé le problème de la capacité des organisationsinternationales dans ses travaux sur la codification dudroit des traités, notamment à un moment où sirHumphrey Waldock, rapporteur spécial, envisageait deconsidérer simultanément les traités entre Etats et lesaccords des organisations internationales. On a présentédans le premier rapport34 un long exposé de l'histoire destravaux de la Commission à ce sujet. Il en résulte que laCDI est restée toujours divisée sur ce problème et qu'ellea préféré finalement écarter de son projet toutedisposition relative à la capacité des organisationsinternationales. Cependant, si l'on devait s'arrêter à uneformule qui exprime en son dernier stade la pensée de sirHumphrey Waldock, on pourrait rappeler que la CDIavait envisagé la formule suivante:

32 Voir Annuaire... 1972, vol. II , p . 190, doc . A/CN.4 /258 , par . 8et suiv.

33 II est à noter d 'ai l leurs que l 'on assiste quelquefois à une com-binaison d'accords entre Etats membres et d'accords conclus parl'organisation avec des Etats, membres ou non, notamment avecl'Etat du siège. Le maintien d'une compétence concurrente entrel'organisation, d'une part, et les Etats membres, d'autre part, est letémoignage des grandes hésitations qui existent dans la pratique surla capacité des organisations internationales.

34 Annuaire... 1972, vol. II, p. 195 et suiv., doc. A/CN.4/258,par. 25 à 36.

Dans le cas des organisations internationales, la capacité deconclure des traités dépend de l'acte constitutif de chaqueorganisation 35.

Et, si l'on voulait utiliser les formules rédactionnellesmises au point ultérieurement à d'autres propos etadoptés finalement dans la Convention de 1969, onpourrait proposer la rédaction suivante 36:

Dans le cas des organisations internationales, la capacité deconclure des traités dépend de toute règle pertinente del'organisation.

50. Il va sans dire qu'une telle règle générale ne faitqu'exprimer l'idée que la capacité de chaque organisationest individualisée par les termes de son statut particulier;elle revient à reconnaître qu'il n'y a pas, en matière decapacité des organisations internationales, de règlegénérale. Une telle disposition pourrait être discutée lemoment venu par la Commission, mais le Rapporteurspécial a des doutes sur son utilité.

51. Plus intéressantes encore que les résultats plutôtnégatifs obtenus par la CDI dans ses travaux antérieurs,tels que l'on vient de les rappeler, sont les positions prisesen la matière par de nombreux gouvernements. L'histoiredes organisations internationales (y compris celles qui ontun caractère préfédéral) montre que les gouvernementssont extrêmement sensibles à toutes les interventions desorganisations internationales dans les relations exté-rieures; fréquemment, ils ont mis en cause leur légitimité,même lorsqu'elle ne présentent qu'un caractère mineur.L'expérience leur apprend en effet que c'est parl'intervention dans les relations extérieures que sedéveloppent au sein des unions d'Etats les processusfédératifs. Par ailleurs, toute organisation internationalepeut apparaître en certaines circonstances comme unmécanisme technique destiné à imposer les vues de lamajorité des Etats qui la contrôle, et à ce titre les Etatssont souvent méfiants à l'égard de tout processus quiétend l'emprise d'un tel mécanisme. En bref, ledéveloppement du droit pour les organisations interna-tionales de conclure des accords internationaux présentedes aspects politiques caractérisés. On peut estimer que,dans ces conditions, il n'est pas opportun de proposerune formule générale, qui dans certains cas serait bien enretrait par rapport à ce qui est possible (ou même déjàadmis) et dans d'autres risquerait de bloquer uneévolution qui n'est pas exclue dans un proche avenir.

52. En un mot, c'est un juste souci de ménager laconstitution encore fragile, et sur tant de points encoreindécise, des organisations internationales qui sembleimposer une certaine prudence dans la formulation derègles générales. Une telle attitude ne comporte aucunevision pessimiste de l'avenir des institutions internatio-nales, mais bien au contraire une confiance fondamentaleen un développement naturel et spontané qu'il fautfaciliter — et pour cela, tout d'abord, respecter.

3. Représentation

53. En réalité, le terme même de « représentation »recouvre une série de problèmes bien différents les uns des

35 Annuaire... 1962, vol . I , p . 214, 6 5 8 e s éance , pa r . 87 .36 Voir Annuaire... 1972, vol. II, p. 198, doc. A/CN.4/258, par. 35.

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autres, encore qu'il y ait de l'un à l'autre des liens peut-être plus encore pratiques que théoriques. La complica-tion vient de ce que l'on doit se poser la question « quireprésente qui?». Cette question est, le plus générale-ment, unique et vise la représentation d'une entitéjuridique bien déterminée (tel Etat, telle organisationinternationale) par une personne physique habilitée àl'engager, mais elle peut être parfois double et porteraussi sur l'identification de l'entité véritablement engagée.Il en était ainsi dans les systèmes dits de protectorat, oùl'on se demandait parfois si l'Etat protecteur traitait enson propre nom ou au nom de l'Etat protégé, ou au nomdes deux.

54. Pour les relations entre Etats, le droit actuel n'estpas favorable aux systèmes de représentation qui feraientpasser la représentation d'un Etat par un autre Etat — detels systèmes encourageraient, dit-on, des processuscontraires à l'égalité souveraine des Etats. Même dans lecas où le problème viendrait à se poser dans le cadre d'unfédéralisme en devenir, on lui a parfois reprochéd'introduire finalement dans les relations internationalesune absence peu souhaitable de clarté. En tout cas, laCDI, suivie sur ce point par la Conférence des NationsUnies sur le droit des traités, n'a pas abordé ceproblème 37. En revanche, la Commission a préparé unsubstantiel article, confirmé par la Convention de 1969,en ce qui concerne la représentation des Etats dans laconclusion des traités (article 7 [Pleins pouvoirs] de laConvention).

55. En ce qui concerne les organisations internationales,la détermination et la preuve de la qualité pourreprésenter une organisation internationale dans une desphases quelconques de la conclusion d'un traité se posentau moins en principe 38. Une question (A. 2) a été posée àce sujet dans le cadre du questionnaire adressé auxorganisations internationales. Mais, bien que la Conven-tion de 1969 soit muette, comme on l'a dit, sur lesproblèmes de «représentation» relatifs à l'identificationde l'entité engagée, on a estimé utile de procéder à unsondage au sujet de deux problèmes relatifs à la questionde savoir qui, du côté de l'organisation, se trouveréellement engagé. Deux questions ont été ainsi adressées,dans le même cadre, en ce qui concerne les accordsconclus par les organes subsidiaires (A. 4) et laparticipation d'une organisation à un traité pour le

37 On pourra rapprocher de cette réserve la position prise par laCDI au sujet de la représentation par une seule personne de plusieursEtats dans son projet d'articles sur la représentation des Etats dansleurs relations avec les organisations internationales (Annuaire...1972, vol. II [l re partie], p. 330, doc. A/8410/Rev.l, chap. II, D,art. 42, par. 3 du commentaire).

38 Dans le rapport de M. Dupuy à l'Institut de droit international,la question est étudiée sous tous ses aspects (op. cit., p. 64 et suiv.),et il est proposé en ce qui concerne les pouvoirs un article 7 dont lepremier alinéa est ainsi conçu :

« La personne qui représente ou qui exprime le consentement del'organisation internationale à être liée par l'accord doit fournir àl'autre partie la preuve de son pouvoir si celle-ci en fait lademande. » (Op. cit., p. 102.)Les conditions dans lesquelles est délivrée cette habilitation sont

fixées par chaque organisation internationale. Un acte relatif à laconclusion d'un accord accompli par une personne qui ne peut fairela preuve de son pouvoir est sans effet juridique, à moins qu'il ne soitconfirmé ultérieurement par l'organisation internationale.

compte d'un territoire qu'elle représente (A. 1). LeRapporteur spécial voudrait présenter sur ces trois pointsquelques indications sommaires que l'on peut tirer desréponses reçues.

a) Détermination et preuve de la qualité pour représenterune organisation internationale dans une des phasesquelconques de la conclusion d'un traité

56. En réalité, le problème est double; il s'agit toutd'abord de savoir quel est Y organe compétent pourdécider de procéder à un acte relatif à la conclusion d'unaccord, et ensuite quelle est la personne physique qualifiéepour représenter l'organisation dans l'accomplissementde cet acte. Les deux problèmes peuvent se ramener à unseul dans les cas les plus simples; ainsi en est-il quand unacte est statutairement de la compétence du fonctionnairele plus élevé du secrétariat international et que cefonctionnaire accomplit l'acte lui-même. Mais, dans deshypothèses assez fréquentes, la situation est beaucoupplus compliquée.

57. Il arrive en effet que la compétence pour accomplirun acte déterminé se répartisse statutairement entreplusieurs organes, ou bien que certains organes chargentd'agir à leur place un autre organe de l'organisation, oumême un organe ad hoc. S'agit-il alors d'une « déléga-tion », ou d'une représentation analogue à un « man-dat»? Les réponses diffèrent largement d'une organisa-tion à une autre. La description et la classification desdiverses solutions admises ont été souvent faites etrelèvent du droit comparé des organisations internatio-nales. Les données ainsi recueillies peuvent apporterparfois certaines indications pour résoudre un problèmede droit constitutionnel relatif à une organisation donnée,mais, bien que la suggestion en ait parfois été faite, il asemblé au Rapporteur spécial que ce sont là desproblèmes qui relèvent de ce que l'on peut appeler ledroit constitutionnel des organisations internationales. Ace titre, ils sont impropres à recevoir une solutiongénérale, même à titre supplétif pour le cas où les chartesconstitutives sont muettes.

58. En théorie, et s'il en était pour les organisationscomme pour les Etats, l'identification des personnesphysiques habilitées à exprimer à l'égard des tiers lavolonté de l'organisation par rapport à l'accomplissementd'un des actes relatifs à la conclusion d'un contrat devraitêtre simple. Il suffirait de décider, comme pour les Etats,quelles sont les personnes qui ont un pouvoir decertification analogue à celui, pour les Etats, du chef del'Etat et du ministre des affaires étrangères, quelles sontles personnes qui, en raison de leurs fonctions, sontdispensées de toute preuve de leurs pouvoirs, et commentsont établis les documents certifiant pour les autrespersonnes leurs aptitudes juridiques à représenter l'Etat.

59. Il y aurait ainsi — et le point est d'une grandeimportance pratique —, comme pour les Etats, uneséparation claire entre les problèmes et procédures quiconcernent, selon la constitution propre à l'organisation,l'élaboration de sa décision par rapport à un actedéterminé, et les problèmes et procédures relatifs à lacommunication de cette volonté aux autres parties à une

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Question des traités conclus entre Etats et organisations internationales 83

convention. Mais, pour les organisations, le problème sepose en des termes qui risquent d'être différents, parcequ'il n'existe pas dans les organisations d'agentsspécialisés dans les relations extérieures, groupés sousl'autorité d'un chef hiérarchique également spécialisé,sous la dépendance lui-même d'un chef suprême doté,comme le chef de l'Etat, d'une fonction générale dereprésentation. Non seulement des différences profondesdistinguent de l'une à l'autre les structures générales desorganisations internationales, mais, surtout, l'absence dereprésentants spécialisés devrait introduire une différenceentre les cas des organisations et celui de l'Etat.

60. La conséquence la plus directe de cette situationpourrait être que l'entité qui conclut un accord avec uneorganisation internationale devrait théoriquement deman-der une démonstration beaucoup plus étendue surl'intervention de tous les organes compétents pourengager l'organisation et exiger ensuite de la personnephysique qui finalement formule la volonté de l'organisa-tion une preuve qu'elle est régulièrement habilitée pourles actes qu'elle entend accomplir. Autrement dit, laséparation entre la phase « interne » et la phase« internationale » de la conclusion des accords nepourrait s'opérer, en l'état actuel des relations internatio-nales, d'une manière aussi nette que pour les Etats.

61. Cependant, il semble bien résulter des indicationsdonnées par les organisations internationales que lapratique ne rencontre pas des difficultés aussi grandes quel'on pourrait craindre. Tout d'abord, il se dégage, par laforce des choses, une situation privilégiée pour l'agent leplus élevé des secrétariats internationaux : sa permanence,le poids des responsabilités internationales qui pèsent surlui, son indépendance relative contribuent à lui donnerdans les relations extérieures une situation privilégiée; ilsemble acquérir en fait dans toutes les organisationsinternationales un pouvoir de certification admis commetel par les partenaires de l'organisation, et par ailleurs sesactes échappent, en raison de son rang, à la nécessité detoute certification. Que la situation du chef du secrétariatpuisse s'étendre dans certaines organisations à quelquesagents d'un rang proche du sien ou analogue, qu'il y aitdans certaines autres organisations des organes propre-ment exécutifs qui bénéficient d'une pratique comparable,ne change rien à une constatation de base : dans chaqueorganisation apparaît une tendance à créer une situationprivilégiée dans les relations externes et dans la procédureconventionnelle, notamment en ce qui concerne lacertification de la volonté de l'organisation de procéder àl'un des actes relatifs à la conclusion d'un accord.

62. Ensuite, toutes les organisations ont insisté avecforce sur l'importance pratique de la correspondanceéchangée préalablement à la conclusion d'un accord. Enréalité, toutes les phases — constitutionnelles, internes,autorisations, délégations, approbations — sont nonseulement annoncées et décrites dans cette correspon-dance, mais copie des actes et délibérations qui lesconcernent est généralement jointe à cet échange decorrespondance. Le partenaire d'une organisation estainsi régulièrement informé, et le plus souvent au jour lejour, de l'évolution d'une situation qui intéresse toutes lesétapes de la conclusion de l'accord. La certification finale

relative à la personne physique habilitée à procéder àl'acte, quand il ne s'agit pas d'un de ces agents supérieursou représentants de haut rang dispensés de par leurfonction de toute certification, résultera le plus souventd'une lettre émanant de ces agents supérieurs oureprésentants de haut rang désignant l'agent qualifié pourexprimer la volonté de l'organisation.

63. Si l'on voulait résumer la situation telle qu'ellesemble résulter des informations recueillies, on pourraitdonc l'exprimer d'une manière peut-être un peusurprenante, mais exacte, en disant qu'elle n'est pasradicalement différente de celle des relations entre Etats.La procédure interne propre à chaque organisation reste,comme pour les Etats en ce qui les concerne, l'affaire dechaque organisation, mais le partenaire aux accords del'organisation en est généralement informé par lacorrespondance administrative. Les organisations déter-minent par leur pratique les agents ou représentants derang élevé qui ont, dans la conclusion des accords, uneposition privilégiée en ce double sens que leurs acteséchappent à toute certification et qu'ils sont appelés àcertifier ceux des autres. S'il n'y a pas de « pouvoirs » ausens formel du terme, la production des correspondancesadministratives en tient généralement lieu.

64. Si l'analyse qui précède est exacte, on peutévidemment s'interroger sur la possibilité et l'opportunitéd'élaborer des textes qui seraient l'homologue de l'article 7de la Convention de 1969, relatif aux pleins pouvoirs.Faut-il rappeler le principe que chaque partenaireconventionnel peut exiger la preuve de la capacité d'unagent à engager l'organisation? Cette affirmation est-ellenécessaire? Est-elle même exacte lorsque le partenaireconventionnel est membre de l'organisation et qu'en cettequalité il doit être capable de vérifier directement larégularité de tous les consentements et de toutes lesreprésentations39? Faut-il exprimer sous une formeadéquate l'existence d'agents ou de représentants de hautrang bénéficiant en principe d'une fonction de représenta-tion privilégiée? Telles sont quelques-unes des questionsque l'on peut dès maintenant poser, sinon résoudre.

b) Accords conclus par les organes subsidiaires

65. La décentralisation des activités des organisationsinternationales, la nécessité de rechercher des modes definancement extra-budgétaires, les interventions dans dessecteurs techniques de plus en plus spécialisés, ontconduit les organisations internationales, et surtoutl'ONU, à multiplier ces organes — fondés entièrementsur un acte unilatéral de l'organisation, chargés desfonctions les plus diverses et bénéficiant parfois depouvoirs étendus — que l'on appelle en général « organessubsidiaires ». Certains de ces organes concluent desaccords internationaux. Ces accords engagent-ils l'organesubsidiaire, ou l'organisation à laquelle il est rattaché,ou les deux? La question n'est pas purement théorique etpourrait avoir des conséquences fort importantes,notamment sur le plan financier.

39 On aura à rechercher plus tard si cette remarque n'entraîne pasdes conséquences en ce qui concerne une adaptation des dispositionsde la Convention de 1969 relatives à la constitutionnalité des accords(art. 46).

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84 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

66. Les organisations consultées ont eu, au moins pourcertaines d'entre elles, un grand mérite à répondre à laquestion posée (A.4), car il s'agit évidemment d'unematière qui n'est pas encore fixée. Ce qui est d'abordfrappant dans la variété des réponses, c'est que toutes lesorganisations ne pratiquent pas la solution de Vorganesubsidiaire; certaines en connaissent quelques cas seule-ment. Pour la plupart des organisations le problème nesemble pas avoir eu jusqu'à présent des aspects pratiquesquelconques. Certaines organisations ont spécifiquementprévu la possibilité de donner aux organes subsidiairesune capacité pour conclure des accords internationaux,sans que cette capacité semble jusqu'à présent avoir étémise en œuvre. Deux organisations considèrent franche-ment les accords conclus par l'organe subsidiaire commedes accords de l'organisation internationale elle-même.Une autre organisation relève que, bien qu'en règlegénérale l'organe subsidiaire engage l'organisation elle-même, la pratique de l'enregistrement révèle une certainehésitation dans la désignation de la partie à l'accord; parailleurs, l'organisation pourrait, du fait même des termesde l'accord, n'être engagée que pour partie par celui-ci.

67. Il semble que deux conclusions peuvent actuellementse dégager des indications recueillies. En premier lieu, lafigure juridique de l'organe subsidiaire n'est pas l'objetd'une conception tout à fait fixée; la pratique sembleencore en voie d'évolution. Rien ne permet d'ailleurs dedémontrer qu'il doive y avoir une série de règlescommunes à toutes les organisations internationales en lamatière. La question fait finalement partie du droitpropre à chaque organisation internationale40. A laréflexion, cela n'a rien d'étonnant: la liberté de créer desorganes et de leur conférer un degré variable dedécentralisation est un trait important du droit constitu-tionnel propre à chaque organisation. Vue sous cet angle,la question des organes subsidiaires ne peut relever d'unecodification applicable à toutes les organisations interna-tionales — même limitée à l'objet spécial des accords desorganisations internationales.

68. En second lieu, il demeure dans la pratique unecertaine incertitude sur l'identification de la partie àl'accord quand celui-ci est conclu par un organesubsidiaire. Peut-on et doit-on, par une règle générale,chercher à remédier à cette situation? Une réponseaffirmative partirait de l'idée que la partie à un accordinternational doit être toujours clairement désignée etque, si elle ne l'est pas, il convient de choisir la solutionqui assure la plus grande sécurité aux autres parties àl'accord. Cela reviendrait à poser comme règle généraleque c'est bien l'organisation elle-même qui est en principepartie à l'accord, mais que la solution contraire estpossible dans certains cas, qu'il conviendrait d'étudier etde définir. Cette solution semble techniquement possible,mais le Rapporteur spécial ne peut établir en l'état de sesinformations si elle est utile et opportune.

c) Participation d'une organisation internationale à untraité pour le compte d'un territoire qu'elle représente

69. En des termes qui varient sensiblement d'une espèceà une autre, certaines chartes constitutives et certainstraités internationaux prévoient qu'une organisation peutparticiper à un traité pour le compte d'un territoirequ'elle représente. La question qui se pose est de savoir siune telle situation est suffisamment importante etsuffisamment définie pour pouvoir faire l'objet d'uneétude et de propositions du Rapporteur spécial.

70. Les réponses données par les organisations consul-tées présentent d'une manière générale un caractèrenégatif, soit que les organisations n'aient pas la capaciténécessaire à cet effet, soit que cette capacité ait bien étéprévue par certaines conventions, mais qu'il n'en aitjamais été fait usage. Le Rapporteur spécial aurait étéréduit à abandonner purement et simplement ce point sile Secrétaire général des Nations Unies n'avait paseffectué sur cette question un très important et trèsremarquable travail de recherche qui mériterait unepublication immédiate et permettrait d'envisager leproblème d'une manière approfondie. Le Rapporteurspécial ne peut prétendre épuiser immédiatement enquelques réflexions tous les aspects qui ont été ainsi mis àsa portée. En attendant mieux, il estime cependantpouvoir dès maintenant soumettre à la Commissionquelques observations générales.

71. Les cas dans lesquels une organisation internatio-nale pourrait se trouver, par rapport à un traité, exercerune certaine participation à ce traité pour le compte d'unterritoire à l'égard duquel elle exerce certaines fonctionssont en principe assez nombreux. Une telle situationaurait pu se produire en vertu de l'Article 81 de la Chartedans le cadre du système de tutelle; mais cette possibilitén'a eu jusqu'à présent aucune application pratique, mêmepas dans le cadre des mesures prises en 1947 à l'égard descolonies italiennes ou des solutions envisagées vers lamême époque à l'égard de Jérusalem et des Lieux saints.

72. Il existe de même dans un assez grand nombre detraités (qui sont soit des chartes constitutives d'organisa-tions internationales soit des traités multilatérauxouverts) des dispositions qui prévoient le cas où l'ONU setrouve être l'autorité administrante d'un territoire soustutelle ou d'un territoire quelconque, ou bien le cas plusgénéral d'une autorité quelconque responsable del'administration d'un territoire ou de ses relationsinternationales. Parmi les cas les plus importants, on peutsignaler ceux des actes constitutifs de l 'OMM4 1 (art. 3 et34), de l 'OMCI42 (art. 9, 58 et 59), de l 'UIT4 3 (art. 1 et21), de la FAO4 4 (art. II), de l 'OMS4 5 (art. 8), del'UNESCO (art. II, amendé le 11 juillet 1951 46), de

40 Peut-être, dans une brève étude déjà ancienne, le Rapporteurspécial avait-il nourri à cet égard quelques illusions (P. Reuter, « Lesorganes subsidiaires des organisations internationales », dansHommage d'une génération de juristes au président Basdevant, Par is ,P é d o n e , 1960, p . 415 et suiv.).

4 1 N a t i o n s Unies , Recueil des Traités, vol . 77, p . 143.4 2 Ibid., vol . 289, p . 49 .43 Nations Unies, Annuaire juridique, 1965 (publication des Nations

Unies, numéro de vente: F.67.V.3), p. 186.44 FAO, Textes fondamentaux, vol. I et II (édition de 1970),

1970, p. 3.45 Nations Unies, Recueil des Traités, vol. 14, p. 185.46 Ibid., vol. 575, p. 261.

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Question des traités conclus entre Etats et organisations internationales 85

l 'OIT4 7 (art. 35, amendé le 9 octobre 1946), ainsi queceux des conventions suivantes: Convention du 19septembre 1949 sur la circulation routière48 (art. 27),Protocole du 19 septembre 1949 relatif à la signalisationroutière49 (art. 56), Convention internationale du 17 juin1960 pour la sauvegarde de la vie humaine en mer50

(art. XIII), Convention internationale du 12 mai 1954pour la prévention de la pollution des eaux de la mer parles hydrocarbures (art. XVIII, amendé le 11 avril 1962 51),Convention du 9 avril 1965 visant à faciliter le traficmaritime international52 (art. XIII), Convention interna-tionale du 5 avril 1966 sur les lignes de charge53 (art. 32),Convention internationale du 29 novembre 1969 surl'intervention en haute mer en cas d'accident entraînantou pouvant entraîner une pollution par les hydrocar-bures 54 (art. XIII), Convention internationale du 29novembre 1969 sur la responsabilité civile pour lesdommages dus à la pollution par les hydrocarbures55

(art. XVII).

73. Les dispositions relatives à cette participation n'ontété jusqu'à présent l'objet d'aucune application en ce quiconcerne une organisation internationale, et l'on nedispose par conséquent à leur sujet d'aucun précédent.On doit d'ailleurs souligner qu'elles sont d'une grandevariété. Quand il s'agit de la participation à la charteconstitutive d'une organisation internationale, les effetsde la participation du territoire comportent généralementdes droits réduits par rapport à la qualité de membre. Parailleurs, quand il s'agit d'une convention multilatéraleouverte, il y a des cas où il semble s'agir d'uneparticipation des Nations Unies en tant que « partie »pour le compte du territoire en cause; il y a en revanched'autres cas où il est seulement prévu une « extension »de la convention au territoire dont l'organisation assurel'administration, ou même une « application » de laconvention au territoire intéressé. On est ainsi amené àsoulever un certain nombre de problèmes difficiles. Asupposer que ce soit vraiment l'organisation qui devienne« partie » au traité, elle n'acquiert cette qualité que pourle compte d'un territoire et il s'agit d'un mécanisme dereprésentation, mais quels sont exactement ses conditionset ses effets? Quand il n'est pas expressément prévu quel'organisation ou le territoire devient « partie » au traité,mais qu'il s'agit plutôt d'une «extension» ou d'une« application » du traité, on peut se demander si l'on setrouve dans une des situations qui ont été sommairementexaminées au début de ce rapport56.

74. Cependant la question des accords conclus par uneorganisation pour le compte d'un territoire peut encore

47 Ibid., vo l . 15, p . 35.48 Ibid., vo l . 125, p . 2 3 .i9Ibid., vol. 182, p. 229.50 Ibid., vol. 536, p. 27.51 Ibid., vol. 600, p. 347.52 Ibid., vol. 591, p. 265.r>3 Ibid., vol. 640, p. 133.54 Nations Unies, Annuaire juridique, 1969 (publication des

Nations Unies, numéro de vente: F.71.V.4), p. 173.5iIbid.,p. 181.56 Par. 25 et suiv.

être évoquée dans un cadre plus concret à propos de laNouvelle-Guinée occidentale (Irian occidental) et de laNamibie.

75. L'administration exercée par l'ONU sur la Nou-velle-Guinée occidentale (Irian occidental) du 1er octobre1962 au 1er mai 1963, sur le fondement d'un accord du15 août 1962 conclu entre l'Indonésie et les Pays-Baset de la résolution 1752 (XVII) [21 septembre 1962] del'Assemblée générale, présente pour la pratique des accordsconclus par les organisations internationales des aspectsintéressants, bien qu'aucun accord n'ait été conclu aunom du territoire au cours de cette brève période.L'ONU a été amenée à considérer qu'elle ne « représen-tait » pas le territoire au sens propre du terme dansquelques accords qu'elle a conclus avec l'Indonésie et lesPays-Bas pour l'exécution de l'accord de base 57, et dansun accord formel avec le Pakistan concernant la Force desécurité des Nations Unies en Nouvelle-Guinée occiden-tale (Irian occidental)58.

76. La prise en charge par l'ONU de l'administrationdu Sud-Ouest africain par un organe subsidiaire del'Assemblée générale, le Conseil des Nations Unies pourle Sud-Ouest africain, et par le Commissaire pour le Sud-Ouest africain, la consécration de la personnalité duterritoire par l'attribution au territoire intéressé dunouveau nom de « Namibie » et l'élargissement desmissions du Conseil des Nations Unies pour la Namibiedevaient conduire à développer aussi largement quepossible, au profit de la Namibie, une certaine forme depersonnalité internationale représentée par les organesinstitués à cet effet au sein même de l'ONU. Ainsi s'estposée la question des accords internationaux conclus parles autorités chargées de représenter la Namibie au seinde l'ONU. Les six accords qui ont été jusqu'à présentconclus concernent l'émission de documents de voyagepar le Conseil des Nations Unies pour la Namibie. Maisles résolutions de l'Assemblée générale qui affirment lecaractère pleinement représentatif du Conseil ontdemandé à celui-ci d'assurer une fonction conventionnelledans des termes très généraux. En la forme, les accordsdéjà conclus l'ont été au nom du Conseil des NationsUnies pour la Namibie 59; il semble donc que l'on aitsuivi la même marche que pour maints accords concluspar des organes subsidiaires60, et il n'est pas encorepossible d'établir dans quelle mesure ils ont été concluspar l'ONU en tant que tels. Du point de vue de la forme,ils ne se présentent pas comme des accords conclus par lesNations Unies pour le compte d'un territoire, mais plutôtcomme des accords engageant directement le territoire.Quoi qu'il en soit, il n'est pas possible de tirer desconclusions très précises de ce précédent, et il faudraattendre d'autres développements avant de présenter uneanalyse définitive — et surtout de proposer unegénéralisation.

57 II s'est agi en fait de m é m o r a n d u m s d 'accord conclus paréchange de notes sur une base trilatérale (Nat ions Unies , Recueildes Traités, vol. 437, p . 305).

58 Ibid., vol . 503 , p . 25 .59 Cf. documents A/AC.131/20, A/AC.131/24, A/AC.131/25,

A/AC. 131/26 et A/AC.131/29.60 Voir ci-dessus par. 65 et suiv.

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86 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

77. La recherche entreprise par le Secrétaire général deFONU montre donc en conclusion qu'il s'agit d'unematière présentant des aspects très variés et qu'elle a étél'objet de développements récents, avant tout dans lecadre des Nations Unies. Mais les applications concrètesne sont pas très nombreuses et la pratique est peuélaborée. Il ne semble donc pas qu'il soit possible, pour lemoment, de consacrer à cette hypothèse des dispositionsspécifiques. Toutefois, l'examen de la matière a été loind'être inutile. Il fait apparaître, comme pour les organessubsidiaires en général, quelque incertitude. Quand uneorganisation assume des responsabilités internationalesau regard d'un territoire, il est presque inévitable qu'elleait des organismes spécialisés et même une certaineadministration locale. Il est important de mettre au clair,en présence d'un accord, la position respective del'organisation et du territoire, et de préciser si la qualitéde «partie» à l'accord appartient à l'organisation ounon, pour son propre compte ou pour le compte duterritoire. Le vrai problème étant celui de l'identificationdes parties à un accord, on pourrait imaginer que l'oncherche à établir sur ce point une règle supplétive, auxtermes de laquelle, faute de dispositions spécifiques, uneorganisation est présumée être partie à un accord pour lecompte du territoire. Cependant, l'opportunité deproposer des dispositions de ce genre ne semble pas pourle moment établie 61.

C. — PARTIE III(RESPECT, APPLICATION ET INTERPRÉTATION DES TRAITÉS)

DE LA CONVENTION DE 1969

78. Deux questions posées aux organisations dans lecadre du questionnaire ont déjà été évoquées à propos dela conclusion des traités62; elles entraînent égalementcertaines conséquences en ce qui concerne les règles quifont l'objet de la troisième partie de la Convention de1969. On les examinera à nouveau rapidement, il s'agitdes accords conclus en vue de l'exécution d'un autreaccord (A. 5) et de la qualification d'« internes»appliquée à certaines règles liant les organisations (A. 3).On abordera ensuite les principes fondamentaux touchant

s l Si l'on pouvait raisonner par analogie avec ce qui s'est passésous le régime des mandats internationaux de la SDN, on seraitamené à considérer qu'il est aisé pour une organisation interna-tionale de mettre sur pied des systèmes flexibles et évolutifs. En effet,si, pour les mandats B et C, le mandataire s'est borné, soit à étendreles effets des traités conclus par lui aux territoires sous mandat, soità conclure, mais en son propre nom, des traités relatifs à ces terri-toires, il en va tout autrement pour les mandats A. Pour ceux-ci,certains traités désignent directement le territoire sous mandat comme« partie », et celui-ci dispose ainsi d'une certaine personnalité inter-nationale, bien que, comme le remarque Lissitzyn, « la responsa-bilité finale pour leurs relations extérieures reste aux mandataires »(O. J. Lissitzyn, « Territorial entities other than independent Statesin the law of treaties », Recueil des cours de /'Académie de droitinternational de La Haye, 1968-IH, Leyde, Sijthoff, 1970, t. 125, p. 54et suiv.). Ce même auteur admet que de tels « territoires » assumentle cas échéant une responsabilité propre, qui n'exclut pas celle dumandataire. De telles solutions pourraient être transposées au casdes accords conclus par un territoire ou pour le compte d'un terri-toire placé sous l'administration de l'ONU, ou même, plus générale-ment, au problème des organes subsidiaires. Ce que l'on peutsouhaiter, c'est que, pour chaque accord, la solution adoptée soitaussi claire que possible.

82 Voir ci-dessus note 13.

la situation des tiers en matière d'accords intéressant lesorganisations internationales — cette difficile questiondevra retenir l'attention plus longuement.

1. Accords conclus en vue de Vexécution d'un autre accord

79. Bien souvent, un traité international se présentecomme une mesure d'exécution d'un autre traité, soit quece traité de base soit conclu entre les mêmes parties, soitqu'il soit conclu entre des parties différentes. Laconséquence majeure d'une telle situation est celle qui aété clairement énoncée par le paragraphe 2 de l'article 30de la Convention de 1969, qui dispose:

Lorsqu'un traité précise qu'il est subordonné à un traité antérieurou postérieur ou qu'il ne doit pas être considéré commeincompatible avec cet autre traité, les dispositions de celui-cil'emportent.

80. Les réponses reçues à ce sujet montrent que cettequestion présente une importance inégale d'une organisa-tion à une autre; certaines semblent l'ignorer, d'autres enreconnaissent la fréquence. Ces dernières citent notam-ment comme exemples des accords conclus pourl'exécution d'un accord de siège et des accords conclus enapplication d'un accord de base en matière d'assistance.Toutes ces organisations ont déduit des conséquencesjuridiques du caractère «dérivé» d'un accord: engénéral, l'accord « dérivé » peut être conclu par desagents d'un rang hiérarchique inférieur par rapport àceux qui ont conclu l'accord de base, et par principel'accord dérivé est subordonné à l'accord principal en cequi concerne son interprétation et son régime juridique.Si la première conséquence relève du droit constitutionnelpropre à l'organisation, il n'en va pas de même de laseconde, qui constitue une application intéressante duparagraphe 2 de l'article 30 de la Convention de 196963.

81. On ajoutera une dernière considération, qui met encause l'enregistrement des accords (ou leur classificationet inscription). Il avait été demandé selon quels critères ilétait procédé à l'enregistrement des accords conclus parl'organisation (question A. 8). Bien que l'enregistrementne touche qu'une formalité accessoire de la conclusiondes traités, il est bien connu que c'est cette formalité quiconduit parfois à mettre en lumière certains des traits lesplus caractéristiques des traités64. Les réponses desorganisations attestent une fois de plus ce qui était bienconnu de la pratique65, à savoir que les accords de

63 Une organisation a montré à juste titre l'intérêt particulier del'hypothèse suivante. L 'Etat A met à la disposition de l'organisationdes fonds pour que celle-ci en dispose en faveur d 'Etats tiers B, C, D ,etc., tout en se réservant certains droits sur la conclusion et l'exécu-tion des accords que l'organisation va conclure avec lesdits Etats B,C, D . On peut dire que les accords entre l 'organisation et les béné-ficiaires B, C, D sont des accords d'exécution de l'accord entre Aet l 'organisation. Il s'agit ici d 'une situation juridique complexe oùdeux accords séparés dans le temps peuvent jouer le même rôle qu 'unaccord trilatéral (v. Annuaire... 1972, vol. II , p . 207 et 208, doc.A/CN.4/258, par. 61 à 63), mais présenter une figure juridiqueoriginale.

64 Voir ci-dessus par . 66 à p ropos de la conclusion d ' accords parles organes subsidiaires.

85 Nations Unies, Répertoire de la pratique des Nations Unies,vol. V, Articles 92 à 111 de la Charte [publication des Nations Unies,numéro de vente: 1955.V.2 (Vol. V)], p. 307 à 309, Art. 102, par.29à 31.

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Question des traités conclus entre Etats et organisations internationales 87

moindre importance, de courte durée ou sujets à defréquents changements ne sont pas enregistrés. Lesaccords ayant pour but d'exécuter un autre accord sontfréquemment dans ce cas.82. Malgré certains aspects pleins d'intérêt, les accordsqui se présentent comme une mesure d'exécution d'unautre accord n'appellent pas pour le moment, de l'avis duRapporteur spécial, des dispositions générales particu-lières.

2. « Accords internes » par rapport à une organisationinternationale

83. On pourrait concevoir que certains accords interna-tionaux, au lieu d'être régis uniquement par le droitinternational général, soient soumis au droit propreparticulier à une organisation. Il s'agirait notamment,mais non exclusivement, des accords conclus entre lesdifférents organes d'une organisation, ainsi que desaccords conclus entre l'organisation et des Etatsmembres. Les effets de cette soumission au droit proprede l'organisation pourraient être plus ou moins étendusselon la consistance et le développement de ce droitpropre à chaque organisation. Dans les cas les plussimples, il s'agirait d'une subordination au traitéconstitutif de l'organisation. Dans les cas les pluscomplexes, la subordination pourrait être étendue àl'égard d'autres actes que les traités constitutifs, et lesaccords pourraient être soumis (en ce qui concerne leursconditions d'application ou leur rang hiérarchique dans lesystème juridique de l'organisation) à des règles précises.84. Poser ce problème n'a rien de révolutionnaire.Quand la Convention de 1969, dans son article 5, aprécisé qu'elle s'appliquait à l'acte constitutif d'uneorganisation internationale et à tout traité adopté au seind'une organisation internationale « sous réserve de touterègle pertinente de l'organisation », elle a reconnu leprincipe fondamental qui, tout à la fois, affirmel'existence d'un droit propre à chaque organisation etreconnaît en matière de traité sa supériorité par rapportaux règles générales du droit des traités. Comme on l'adit — mais il faut le répéter —, ce qui est vrai des traitésentre Etats « adoptés au sein d'une organisationinternationale » devrait l'être encore bien davantage pources accords conclus « au sein » d'une organisationinternationale et auxquels seraient parties soit l'organisa-tion internationale elle-même soit certains de ses organes.

85. Comme on l'a déjà indiqué, la question posée à cesujet n'a pas suscité auprès des organisations consultéesun vif intérêt. Cela tient à plusieurs raisons. Toutd'abord, les organisations ne connaissent guère d'accordsconclus entre leurs organes — il existe cependant desaccords entre organes subsidiaires d'une même organisa-tion, mais cette situation ne semble pas avoir soulevé deproblèmes. Par ailleurs, les règles pertinentes de chaqueorganisation ne sont peut-être pas si riches de substancequ'elles impliquent un régime particulier pour desaccords internationaux qui, par hypothèse, seraientsoumis à ces règles.86. Cela ne veut pas cependant dire que la transpositiondes règles de la Convention de 1969 ne mette pas en causele problème que l'on vient de signaler. On n'en donnera

ici qu'un exemple, relatif à ses articles 27 et 4666. Il n'y aévidemment aucune raison a priori qui conduise à écarterles règles énoncées dans ces articles lorsqu'il s'agitd'organisations internationales. Cependant, la transposi-tion soulève quelques difficultés.

87. Tout d'abord, une question de terminologie se pose.Peut-on parler du « droit interne » d'une organisationinternationale? Non seulement le terme correspondant dela langue anglaise — « municipal law » — doit êtremodifié, mais on peut se demander si les esprits sont prêtsà accepter que les « règles pertinentes » d'une organisa-tion puissent être qualifiées de « droit interne »67. Onpourrait en effet soutenir qu'il s'agit plutôt d'un droitinternational particulier que d'un droit interne.

88. On peut se demander ensuite si la règle patiemmentélaborée et consacrée par l'article 46 est valable dans tousles cas pour les organisations internationales. Elle réalisefinalement un délicat équilibre entre les droits et intérêtsdes tiers de bonne foi et ceux de la partie qui peut exigerjusqu'à un certain point que soit respecté le statut quidétermine comment sa volonté de s'engager doit êtrelégalement formée. Mais si cette règle peut êtretransposée telle quelle pour un accord entre deuxorganisations internationales, ou un accord entre uneorganisation et un Etat tiers, en est-il de même quand ils'agit d'un accord entre l'organisation et un de sesmembres*8! C'est qu'en effet, comme on aura l'occasionde le dire plus loin, l'Etat membre n'est pas un tiers parrapport à l'organisation. Non seulement il doit être censéconnaître tout le statut de l'organisation, mais il a ledevoir de le connaître. Il faut aller plus loin: il contribue,par ses représentants au sein de l'organisation, à laformation de la volonté de l'organisation. Maintenir àson profit un accord irrégulièrement conclu par l'organi-sation ne se justifierait pas pour une raison de sécurité;un tel accord devrait donc être nul, à moins que les autresmembres de l'organisation ne soient responsables, toutautant que l'Etat partie à l'accord, de la violation dudroit propre à l'organisation. Peut-on raisonner en cestermes? Il y a quelque chose de juste dans l'analyseprécédente, mais elle n'est finalement pas tout à faitconvaincante, car elle fait abstraction de l'existencepropre de l'organisation et ramène le problème à lasituation des membres de l'organisation les uns à l'égard

66 Ces dispositions ont la teneur suivante:« Article 27. — Droit interne et respect des traités

« Une partie ne peut invoquer les dispositions de son droitinterne comme justifiant la non-exécution d'un traité. Cette règleest sans préjudice de l'article 46. »

« Article 46. — Dispositions du droit interne concernantla compétence pour conclure des traités

« 1. Le fait que le consentement d'un Etat à être lié par un traité aété exprimé en violation d'une disposition de son droit interneconcernant la compétence pour conclure des traités ne peut êtreinvoqué par cet Etat comme viciant son consentement, à moinsque cette violation n'ait été manifeste et ne concerne une règle deson droit interne d'importance fondamentale.

«2. Une violation est manifeste si elle est objectivementévidente pour tout Etat se comportant en la matière conformémentà la pratique habituelle et de bonne foi. »67 Dans ses travaux, la Commission a employé parfois ce terme,

mais sans en souligner la portée (v. Annuaire... 1972, vol. II, p. 197,doc. A/CN.4/258, par. 33, note 85).

68 Voir ci-dessus par . 64, no t e 39.

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des autres. Il semble donc qu'il ne faudrait (en admettantqu'il faille le faire) que toucher d'une main assez légère àl'article 46 de la Convention de 1969.

3. Effets des accords à F égard des tiers

89. La Convention de 1969 a résolu les problèmesrelatifs à la position des Etats tiers à l'égard des traitésd'une manière rigoureuse, mais en s'efTorçant d'évitertoute position dogmatique. Les règles qu'elle pose à cesujet n'ont pas pris en considération les accords desorganisations internationales; mais on peut aller plus loinet dire que, même pour les traités entre Etats, elles n'ontpas envisagé la situation particulière qui pourrait êtrecelle d'une organisation internationale non partie à cestraités, mais directement intéressée par eux. Aussi faut-ilexaminer ici, non seulement les problèmes propres auxaccords des organisations internationales, mais encoreceux qui touchent certains traités entre Etats intéressantétroitement la position d'une organisation internationale.

90. On a en effet déjà indiqué le lien qui existe entre cesdeux catégories d'accords. En apparence, ils se distin-guent nettement: d'un côté, les accords auxquels seuls desEtats sont parties et auxquels s'applique la Convention de1969; d'un autre côté, les accords auxquels une ouplusieurs organisations internationales sont parties et quisont l'objet du présent rapport. La distinction est solidetant que l'on ne met pas en question un postulat trèssimple aux termes duquel un Etat ou une organisation estpartie ou bien n'est pas partie à un traité, sans autrealternative. A partir du moment où, au contraire, on metle postulat en question, la distinction entre les traités quine comportent comme parties que des Etats et ceux quiont pour parties une ou plusieurs organisations interna-tionales ne suffit peut-être plus à rendre compte de toutela réalité.

91. On a déjà indiqué plus haut69 que le problème de ladétermination exacte de la position d'une organisationinternationale par rapport à un traité entre Etats se posaitdans de nombreux cas. Il convient de reprendre cettequestion à la lumière des dispositions précises de laConvention de 1969; il faut établir notamment si celles-cin'appellent pas d'objections au regard de la pratiqueinternationale, lorsque l'on veut en étendre les disposi-tions au cas des organisations internationales. Ce seral'objet d'un premier développement. On examineraensuite le problème par rapport à des accords auxquelsdes organisations internationales sont incontestablementparties. La question est alors de savoir si les dispositionsde la Convention de 1969, tout en restant valables d'unemanière générale, n'appellent pas cependant un complé-ment en ce qui concerne les effets de tels accords sur lesEtats membres des organisations. Ce sera l'objet d'undeuxième développement.

a) L'organisation internationale est-elle un tiers par rap-port à certains traités entre Etats ?

92. Il faut commencer par poser le problème parrapport à un traité spécial, en principe unique pour

chaque organisation. L'organisation est-elle un tiers parrapport à sa charte constitutive? Elle n'apparaît pascomme partie à celle-ci — d'ailleurs, en principe,l'organisation ne voit le jour qu'après que sa charte estentrée en vigueur. Dire qu'elle est un tiers ne semble pasnon plus facile à admettre: l'organisation tire de sa charteconstitutive des droits et des obligations, mais dire queces droits et obligations lui sont attribués parce qu'elle lesa acceptés ne semble guère satisfaisant, car en réalité c'estde la charte constitutive que l'organisation tire sonexistence — pour pouvoir se poser une questionquelconque, l'organisation doit d'abord exister, c'est-à-dire se référer à sa charte constitutive. De l'avis duRapporteur spécial, aucune organisation ne peut doncêtre dite dans la position d'un tiers par rapport à sacharte constitutive.93. Il en va de même à l'égard d'un traité qui amende lacharte constitutive. On fera même observer que, trèsfréquemment, l'organisation participe par ses organes à larévision de sa charte constitutive. Elle exerce donc, aumoins partiellement, une des prérogatives les plusspécifiques des « parties » à un traité: le droit d'adminis-trer le traité et de participer à la détermination de sasubstance future70. Mais l'on dira peut-être que ce sont làdes remarques un peu trop évidentes, allant de soi, et quin'ont jamais fait l'objet de contestations ou de difficultés.La Convention de 1969, qui s'est attachée aux principesgénéraux et ne pouvait traiter de cas particuliers,n'appellerait donc sur ce point aucune dispositioncomplémentaire.

94. La question devient plus délicate lorsqu'il s'agit detraités auxquels sont parties un certain nombre d'Etatsmembres de l'organisation (mais non point tous) ainsique, le plus souvent, quelques Etats non membres del'organisation, et que, par ailleurs, ces traités confèrent àl'organisation ou à l'un de ses organes de nouvellesfonctions, et par conséquent des droits et des obligations.C'est là une hypothèse très fréquente: elle permet d'unemanière rationnelle le développement de l'organisation enévitant la solution onéreuse qui consisterait à créer pourchaque traité une organisation distincte 71. Mais ici ondoit admettre qu'au départ l'organisation est manifeste-ment un tiers par rapport au traité; les relations del'organisation avec le traité pourraient donc tombernormalement sous le coup de règles inspirées des articles34 à 38 de la Convention de 1969. Pour examiner lesmérites d'une telle solution, il faut rappeler l'essencemême du régime institué par la Convention, décrirerapidement la pratique des organisations, et finalementtirer les conclusions qui s'en dégagent.

95. S'agissant de traités dont l'objet est de conférer à untiers (en l'espèce à l'organisation ou à l'un de ses organes)des droits et des obligations, c'est le régime le plus strictqui s'applique et, en principe (art. 35), l'organisationdevrait procéder à une acceptation expresse et par écrit deses obligations. On peut discuter de l'interprétation exacte

69 P a r . 23 et suiv.

70 Aussi les organisations qui ne sont pas dépositaires des chartesconstitutives originaires réclament-elles, et obtiennent-elles générale-ment, le dépôt des actes de révision desdites chartes.

71 Voir Annuaire... 1972, vol. II, p. 205 à 207, doc. A/CN.4/258,par. 58 à 60.

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Question des traités conclus entre Etats et organisations internationales 89

d'une telle règle dans le cas d'une organisation, mais elleexclut toute acceptation tacite ou implicite. Une fois lasituation de l'organisation ainsi établie au regard dutraité, la question se poserait de savoir si elle peut êtremodifiée unilatéralement par les parties au traitéoriginaire. La Convention de 1969 traite cette questiondans son article 37 : elle admet évidemment que les partiesau traité originaire et l'Etat tiers (ici l'organisation)peuvent régler cette question comme ils l'entendent, mais,de plus, l'article établit des présomptions pour le cas oùla volonté des intéressés n'est pas établie. S'il s'agit pourle tiers d'obligations à sa charge, il est présumé que sonconsentement est nécessaire si cette obligation estrévoquée ou modifiée; au contraire, s'il s'agit de droits,on présume que le consentement du tiers n'est pas requis.

96. Dans leurs réponses au questionnaire, les organisa-tions consultées ont fait état d'une pratique abondantequi suffit à établir que l'on touche ici un point important.Parmi les réponses, certaines se bornent à constater quel'organisation est obligée de respecter de tels traités pourautant qu'ils ne contredisent pas sa charte constitutive;d'autres font remarquer que certaines conventions ontcréé des droits pour certaines organisations sans que cesorganisations y aient expressément consenti (ainsi l'article6 ter de la Convention de Paris pour la protection de lapropriété industrielle, révisée à Lisbonne en 1958 72), cequi est d'ailleurs conforme à l'article 36 de la Conventionde 1969. Cependant, le sentiment dominant, sans prendrela forme d'aucune élaboration doctrinale, est bien qu'unconsentement de l'organisation est nécessaire, mais que ceconsentement peut être donné sous les formes les plusdiverses. Comme le fait remarquer une organisation, iln'y a pas lieu de mettre en cause le principe même de lanécessité d'un consentement: cette solution a étéconsacrée par la Convention de 1947 sur les privilèges etimmunités des institutions spécialisées, qui a la valeurd'un précédent important. De nombreux autres exemplessont indiqués dans les réponses; ils établissent le caractèreformel de l'acceptation par l'organisation de certainesfonctions prévues par des traités multilatéraux oubilatéraux entre Etats73. Toutefois, il est également

72 OMPI, Manuel des conventions concernant la propriété indus-trielle, premier volume, Genève [s.d.], sect. F 1.

73 Ainsi la résolution du 30 septembre 1968 de la Conférencegénérale de l'AIEA (AIEA, Conférence générale, douzième sessionordinaire, 24-30 septembre 1968, Résolutions et autres décisions[GC(XII)/RÉSOLUTIONS (1968)], Vienne, 1969, p. 8), qui autorisecelle-ci à assumer le rôle envisagé par le Traité sur la non-proliféra-tion des armes nucléaires (résolution 2373 [XXII] de l'Assembléegénérale); la signature apposée par la BIRD à certains accords(statuts de la SFI [Nations Unies, Recueil des Traités, vol. 264,p. 117] et de l'IDA [ibid., vol. 439, p. 249]; Traité de 1960 sur leseaux de l'Indus [ibid., vol. 419, p. 125]; Convention de 1965 pour lerèglement des différends relatifs aux investissements entre Etats etressortissants d'autres Etats [ibid., vol. 575, p. 159]). Pour la Conven-tion de 1969, l'Assemblée générale a expressément approuvé (résolu-tion 2534 [XXIV], du 8 décembre 1969) le paragraphe 7 de l'annexeà la Convention, après que le représentant du Secrétaire général eutexposé à la Conférence qu'une telle approbation était nécessaire(v. Documents officiels de la Conférence des Nations Unies sur le droitdes traités, deuxième session, Comptes rendus analytiques des séancesplénières et des séances de la Commission plénière [publication desNations Unies, numéro de vente: F.70.V.6], p. 159 et 160, 26e séance,par. 71 et 72). Pour la Convention du 21 février 1971 sur les sub-stances psychotropes (publication des Nations Unies, numéro de

possible de donner de nombreux exemples d'acceptationimplicite; celle-ci est acquise, par exemple, pour les traitésdont le texte est adopté au sein même d'un des organesprincipaux de l'organisation74. On peut considérer demême que, lorsqu'une organisation demande instammentaux Etats de devenir parties à une convention, celaimplique que l'organisation, pour ce qui la concerne,accepte les fonctions et obligations qui lui sont dévoluespar cette convention75. Enfin, il y a d'innombrablesexemples dans lesquels l'acceptation d'une fonction telleque celle de dépositaire est opérée tout simplement par lamise en œuvre, le moment venu, de ladite fonction.

97. On pourrait donc dire que dans toutes ceshypothèses le consentement de l'organisation est toujoursrequis, mais qu'il n'est assujetti à aucune condition deforme. En revanche, rien n'indique dans la pratiquequ'une organisation puisse s'opposer à la disparition desfonctions qui lui sont confiées; s'il s'agit d'unemodification de ces fonctions, il est normal qu'elle soitconsultée et son consentement requis. Ces solutionss'écartent donc notablement des dispositions de laConvention de 1969, et cela se conçoit facilement. UnEtat dispose d'un pouvoir souverain dont le droit destraités doit tenir compte; une organisation est, aucontraire, orientée entièrement vers le service à rendreaux collectivités humaines qui peuvent s'adresser à elle. Ilest donc normal qu'aucune condition de forme ne soitmise à son consentement et qu'elle ne puisse opposeraucun « droit subjectif» au maintien d'une fonction quetous les Etats qui ont institué cette fonction ont décidéd'abolir. Mais, d'un autre côté, ce consentement àl'acceptation de fonctions nouvelles est toujours néces-saire, et cela pour plusieurs raisons. Tout d'abord,l'organisation doit pouvoir vérifier qu'elle est compétentejuridiquement, d'après sa charte constitutive, pour lesfonctions qu'on envisage de lui confier et qu'elle disposedes moyens matériels pour les exercer. Ensuite, il n'y apratiquement jamais coïncidence entre le cercle d'Etatsliés par la charte constitutive et le cercle d'Etats parties àune convention élargissant les pouvoirs de l'organisa-tion 76. Il est nécessaire, pour que cette différence neconduise pas à des distorsions, que certaines précautionssoient prises, notamment sur le plan financier. Dans lapratique, on répartit les charges d'exécution de laconvention de manière que les Etats non membres del'organisation mais parties à la convention en assument

vente : F.73.XI.3), le Conseil économique et social, pa r sa résolut ion1576 (L), du 20 mai 1971, a formellement accepté les fonctions quilui sont assignées par cette convention.

74 Par exemple, la Convent ion internat ionale sur l 'éliminationde toutes les formes de discrimination raciale, adoptée par la résolu-t ion 2106 A (XX) [21 décembre 1965] de l 'Assemblée générale; lePacte international relatif aux droits économiques , sociaux etculturels et le Pacte international relatif aux droi ts civils et politiques,adoptés par la résolution 2200 A (XXI) [16 décembre 1966] del 'Assemblée générale.

75 Résolu t ion 833 B ( X X X I I ) [3 aoû t 1961] du Conseil é conomiqueet social et résolut ion 1774 (XVII) [7 décembre 1962] de l 'Assembléegénérale, relatives à la Convention unique de 1961 sur les stupéfiants(Nations Unies, Recueil des Traités, vol. 520, p. 205).

76 Si le cercle était identique, pourrait-on considérer, au moinsdans certains cas, que le problème est simplifié et le consentement del'organisation rendu inutile, au moins formellement? La réponsepeut être discutée.

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90 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

une part; cette individualisation des charges financièresde la convention permet également, bien que la pratiquene soit pas uniforme, d'exonérer du fardeau dufinancement les Etats membres de l'organisation, maisnon parties à la convention.

98. Sous bénéfice d'un approfondissement ultérieur duproblème, le Rapporteur spécial est donc amené àconsidérer que l'on se trouve en présence d'une hypothèsefréquente et importante pour laquelle des solutionsidentiques à celles de la Convention de 1969 neconstitueraient pas une formule adéquate. Le texte decette convention devrait en conséquence être l'objet d'uneadaptation assez substantielle.

b) Les Etats membres d'une organisation internationalesont-ils des tiers par rapport aux accords conclus parcette organisation ?

99. Avant de répondre à cette question, dont la formuleest volontairement un peu provocante, il convient de voirquelle est sa portée pratique. Si l'on considère un traitéconclu par une organisation internationale et prévoyantuniquement des droits pour ses Etats membres, parexemple un accord de siège, le principe posé par laConvention de 1969 dans son article 36 pourraits'appliquer sans grand inconvénient: les Etats membrespourraient normalement invoquer de tels droits puisqueleur consentement serait présumé. L'organisation, avecl'accord de l'Etat avec qui elle a contracté, pourraitmodifier ou abroger l'accord sans un consentementspécifique des Etats membres (art. 37, par. 2, de laConvention de 1969), mais cette solution ne présenteraitpas de grands inconvénients, car il est bien évident que lesEtats membres sont représentés au sein de l'organisationet déterminent collectivement la volonté de celle-ci —autrement dit, les Etats membres n'auraient pas àconsentir individuellement, et d'une manière que l'onpourrait qualifier d'externe, à la modification des droitsdérivés pour eux de la convention, mais ils yconsentiraient en fait collectivement et à traversl'organisation elle-même par ses procédures internes. Lecas de l'accord de siège semble donc, comme l'ont faitremarquer certaines organisations, relativement simple.

100. Les difficultés commencent lorsqu'il s'agit de créerà la charge des Etats membres d'une organisation desobligations du fait d'un accord conclu par cetteorganisation. Le problème est d'autant plus sérieux quebien rares sont les accords qui ne créeraient pour les Etatsmembres d'une organisation que des droits sans prévoird'une manière ou d'une autre quelque obligation, et que,comme on l'a déjà dit, en présence d'un mélange dedroits et d'obligations, ce serait en principe les règles lesplus strictes qui devraient l'emporter77.

101. Si l'on raisonne d'une manière purement formelle,ne va-t-il pas résulter d'une règle analogue à celle de laConvention de 1969 que, faute d'un consentement exprès,les accords des organisations internationales n'auront

aucun effet juridique sur les Etats membres sans leurconsentement explicite? Une telle solution n'est-elle pasen contradiction avec les besoins de la pratique et avec lesnécessités mêmes du fonctionnement correct des organisa-tions internationales? Si l'on répond affirmativement àces deux questions, on sera tenté de proposer une autrerègle que celle qui découle de la Convention de 1969 78.

102. Il est difficile de tirer de la pratique une conclusionincontestable. A tout le moins faut-il, avant d'en rappelerquelques données, présenter une distinction qui sembledécouler des principes généraux du droit des traités. Eneffet, avant de déterminer quel serait éventuellement lecontenu de l'obligation d'un Etat membre, il fautdéterminer à Végard de qui l'obligation de l'Etat membreexisterait. On peut en effet imaginer que les obligationsassumées par l'organisation dans un accord avec un EtatA lient directement les Etats membres à l'égard de cetEtat A; dans ce cas, l'accord aurait un effet direct sur lesmembres de l'organisation. On peut imaginer aussi que,selon les règles les plus classiques, l'accord entrel'organisation et l'Etat A, en tant que tel, n'ait aucun effetsur les Etats membres, mais que ceux-ci aient l'obligationde respecter, voire même d'exécuter, un tel accord envertu des règles de la charte constitutive de l'organisation— toutefois, cette obligation n'existe qu'à l'égard deVorganisation elle-même, non à Végard de l'Etat A.

103. Ces deux situations sont juridiquement trèsdifférentes. Dans la première, l'organisation traite tant enson nom qu'en celui des Etats membres; juridiquement,elle représente dans tous ses accords les Etats membres.Dans la seconde, l'organisation n'engage qu'elle-même,mais dans ses rapports avec ses propres membres elledispose statutairement d'une position forte qui lui permetd'assurer dans les meilleures conditions l'exécution de sesengagements. On remarquera également que la personna-lité juridique de l'organisation est posée d'une manièreplus forte, plus autonome, dans cette dernière hypothèse:en effet, l'Etat A ne connaît que l'organisation, et celle-cirépond seule de l'exécution du traité. La distinction quel'on vient de poser contribuera peut-être à éclairer lapratique.

104. Celle-ci contient quelques indications qui semblentà première vue favorables à une analyse classique et aurespect du principe de la relativité des traités, mêmelorsqu'il s'agit des membres d'une organisation interna-tionale à l'égard d'un accord de cette dernière. Enprincipe, ce n'est pas la même chose de traiter avec uneorganisation internationale ou de traiter également avecses membres — que l'on songe à tous les accords concluspar les organisations internationales en matière financièreet en matière de développement: il est clair que seulel'organisation, et non ses Etats membres en tant que tels,a la qualité de « partie » à ces accords 79. Ce qui prouve

77 II en est ainsi au moins en ce qui concerne les formes du con-sentement requis. Le Rapporteur spécial reconnaît que pour cequi est des règles concernant la révocation ou la modification leproblème est moins simple, mais ce n'est pas le lieu de le discuter.

78 C'est bien ce qui semble résulter du rapport de M. Dupuy, quipropose la formule suivante : « Un accord conclu légalement par uneorganisation internationale engage juridiquement tous ses membres. »(Op. cit., p. 103.)

79 On réserve bien entendu le cas où certains Etats membresinterviennent expressément comme parties et celui où une organisa-tion venant à disparaître se poserait le problème de la succession àses obligations, cas qui n'a pas à être envisagé ici.

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Question des traités conclus entre Etats et organisations internationales 91

bien la réalité de cette situation est que l'Etat A, quiconclut un accord avec une organisation, peut demander(et demande en fait parfois) que les Etats membres del'organisation ou certains d'entre eux interviennentcomme « parties » à l'accord, soit qu'ils s'engagent encautionnant les obligations de l'organisation, soit qu'ilss'engagent « pour ce qui relève de leur compétence » 80.

105. La pratique montre également qu'au sein dechaque organisation prévaut un principe général suivantlequel les Etats membres apportent leur concours àtoutes les mesures décidées par l'organisation, l'aidentdans l'accomplissement de sa mission et la réalisation deses fins. Pour établir le contenu général d'une telleobligation, il faut se référer à toute règle pertinente del'organisation, c'est-à-dire en premier lieu à la charteconstitutive, mais également aux pratiques dûmentétablies. Parfois ces obligations sont exprimées enformules très générales81, parfois elles sont plus précises;rarement prennent-elles en considération particulière lesaccords conclus par l'organisation 82. Mais il est clair quedans toute organisation internationale les Etats membress'engagent à l'égard de l'organisation par des obligationsgénérales de coopération et que, même en l'absence detoute référence expresse, cette obligation leur donne desdevoirs à l'égard des accords de l'organisation: obligationpassive de les respecter et de n'en pas gêner l'exécution;obligation active d'en faciliter, dans la limite de leursengagements généraux, l'exécution. En aucun cas, il nesemble possible à un Etat membre d'ignorer les accordsrégulièrement conclus par une organisation.

106. De ce qui précède, il semble possible de tirerquelques conclusions.

a) Rien n'interdit d'imaginer dans la pratique qu'uneorganisation concluant un accord avec un Etat tiers (ouune autre organisation) veuille faire naître une obligationdirecte à l'égard de son cocontractant à la charge d'un, deplusieurs ou de tous ses Etats membres. Dans ce cas, unmécanisme analogue à celui des articles 35 et 37 de laConvention de 1969 peut se concevoir. Il apparaîtraitalors normal, non seulement que le consentement desEtats membres soit requis, mais qu'il soit exprès et écrit,et que ces relations directes avec un partenaire del'organisation ne puissent être modifiées ni abrogées sans

80 La Communauté économique européenne a fait un largerecours aux accords mixtes dans lesquels figurent comme « parties »du côté communautaire la Communauté en tant que telle et chacunde ses Etats membres.

81 Voir, pour l'ONU, le paragraphe 4 de l'Article 1er, l'Article 36et le paragraphe d de l'Article 73 de la Charte des Nations Unies.

82 Le traité instituant la Communauté économique européenne(Nations Unies, Recueil des Traités, vol. 294, p. 17) contient desformules souvent commentées par la doctrine et reprises par lajurisprudence, notamment l'article 228, par. 2, qui prévoit que lesaccords de la Communauté « lient les institutions de la Communautéet les Etats membres » (P. Pescatore, « Les relations extérieures descommunautés européennes », Recueil des cours de l'Académie dedroit international de La Haye, 1961-11, Leyde, Sijthoff, 1962,t. 103, p. 133 et suiv.), et l'article 5:

«Les Etats membres prennent toutes mesures générales ouparticulières propres à assurer l'exécution des obligations décou-iant du présent Traité ou résultant des actes des institutions dela Communauté. Ils facilitent à celle-ci l'accomplissement de samission. Ils s'abstiennent de toutes mesures susceptibles de mettreen péril les buts du présent Traité. »

leur consentement, car il s'agit d'engagements d'Etatsmembres 83. Mais il semble que cette possibilité soit restéejusqu'à présent théorique; les partenaires de l'organisa-tion, s'ils désirent d'autres engagements, ont intérêt à ceque les Etats membres deviennent « parties », aux côtésde l'organisation.

b) Les accords conclus par l'organisation ne peuventêtre ignorés par les Etats membres dans leurs relationsavec l'organisation. Us engendrent des obligations plus oumoins étroites selon l'organisation, selon l'objet desaccords, selon la manière dont ils touchent les compé-tences des Etats membres. Ils engendrent au minimum uneobligation générale de comportement mettant en œuvre ledevoir qu'a tout Etat membre de respecter les engage-ments de l'organisation et de coopérer avec elle. En cesens, on pourrait dire, quoique d'une manière en partieimpropre, que les Etats membres, sans être « parties » auxaccords de l'organisation, ne sont pas à leur égard destiers.

107. Telles sont les observations que le Rapporteurspécial soumet, à titre tout à fait provisoire, à la CDI ence qui concerne, dans le cas des organisations internatio-nales, le problème de l'effet des traités à l'égard des tiers.

83 On pourrait également imaginer que ce consentement exprèset écrit soit donné, non pas à propos d'un accord en particulier,mais en bloc, pour une variété plus ou moins étendue d'accords,dans la charte constitutive de l'organisation. Dans ce cas, la positionexacte des membres à l'égard des accords de ce genre conclus parl'organisation devrait être définie d'après les dispositions précisesde la charte constitutive.

Annexe

Questionnaire établi par le Rapporteur spécial

A. — QUESTIONS DESTINÉES À TOUTES LES ORGANISATIONS

INTERNATIONALES AUXQUELLES LE QUESTIONNAIRE A ÉTÉ ADRESSÉ

1. Possibilités ouvertes à une organisation internationale, dans destraités conclus sous les auspices de votre organisation, departiciper à une convention pour le compte d'un territoire qu'ellereprésente

La question a été soulevée par les Etats-Unis d'Amérique dansleur exposé écrit soumis à la CIJ à l'occasion de l'avis consultatif surla Namibie rendu en 1971a. En outre, deux conventions patronnéespar l'OMCI: la Convention internationale sur l'intervention enhaute mer en cas d'accident entraînant ou pouvant entraîner unepollution par les hydrocarbures (art. XIII) et la Conventioninternationale sur la responsabilité civile pour les dommages dus à lapollution par les hydrocarbures (art. XVII) — l'une et l'autrepubliées dans Y Annuaire juridique^3 — contiennent également desclauses intéressantes sur ce point.

2. Recours dans la conclusion des accords à des «pouvoirs», àd'autres documents justificatifs de la qualité représentative pourconclure un accord, ou à des documents établissant une délégation

Importante question pratique. Il faudrait l'élargir pour y inclurele problème des « délégations » d'un organe à un autre, de mêmequ'à un organe subsidiaire.

a C.I.J. Mémoires, Conséquences juridiques pour les Etats de laprésence continue de l'Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouestafricain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité,vol. I, p. 884 à 887.

b Nations Unies, Annuaire juridique, 1969 (publication des NationsUnies, numéro de vente: F.71.V.4), p. 173 et 181, respectivement.

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92 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

3. Distinction entre des accords qui présenteraient par rapport àl'organisation un caractère interne et ceux qui présenteraient uncaractère externe. Une telle distinction est-elle connue ? Connaît-on les problèmes qu'elle recouvre ?

Parmi les accords internes figureraient tous les accords entreorganes principaux ou entre organes subsidiaires. Il est beaucoupmoins certain que présenteraient un caractère interne les accordsconclus entre l'organisation et un Etat membre, même si celui-ci leconclut en sa qualité de membre.

4. Pratique de i'organisation en ce qui concerne les accords concluspar ses organes subsidiaires. Sont-ils des accords de Vorganisationou non ?

5. L'organisation connaît-elle des accords conclus par elle en vued'exécuter d'autres accords internationaux ou traités? Lasubordination de ces accords aux instruments qu'ils ont pour objetd'exécuter se traduit-elle par des conséquences juridiques(aptitude à les conclure, régime juridique) ?

6. L'organisation est-elle, par rapport à des traités multilatérauxentre Etats, dans la position de « partie » à ces traités,d'« associée », ou de « personne obligée à respecter ces traités » ?

7. Existe-t-il des cas pratiques dans lesquels la position des Etatsmembres d'une organisation a été mise en cause par rapport à unaccord conclu par une organisation, accord auquel ces Etatsn'apparaissent pas formellement comme parties? Autrement dit,

connaissez-vous des cas dans lesquels un accord conclu par uneorganisation a eu certains effets à l'égard des Etats membres del'organisation non parties à cet accord d'un point de vue formel ?

8. Quels sont en gros tes critères suivis par l'organisation pourl'enregistrement des accords auxquels elle est partie ?

B. — QUESTION DESTINÉE UNIQUEMENT À L ' O N U

Position exacte de l'ONU à l'égard de la Convention de 1946 sur lesprivilèges et immunités des Nations Unies

J'ai plusieurs références sur des déclarations de représentants duSecrétaire général sur ce point: je ne souhaite pas une mise au pointofficielle à ce sujet, mais les références les plus actuelles sur lespositions déjà prises.

C. — QUESTION DESTINÉE UNIQUEMENT AUX INSTITUTIONSSPÉCIALISÉES ET À L'AIEA

Positions prises en ce qui concerne: 1) la situation des institutionsspécialisées au regard de la Convention de 1947 sur les privilèges etimmunités des institutions spécialisées; 2) la situation de l'AIEA auregard de l'Accord sur les privilèges et immunités de l'AIEA

II s'agit de savoir si les institutions en cause se considèrent commeparties aux accords en question et si des problèmes juridiquesconcrets ont été discutés à ce sujet.

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PRIORITÉ À DONNER À LA QUESTION DU DROIT RELATIF AUX UTILISATIONSDES VOIES D'EAU INTERNATIONALES À DES FINS AUTRES QUE LA NAVI-GATION (PARAGRAPHE 5 DE LA SECTION I DES RÉSOLUTIONS 2780 [XXVIJET 2926 [XXVII] DE L'ASSEMBLÉE GÉNÉRALE)

[Point 5 b de l'ordre du jour]

DOCUMENT A/CN.4/270

Rapport supplémentaire sur les problèmes juridiquesque posent les utilisations des voies d'eau internationales à des fins autres que la navigation,

demandé par l'Assemblée générale dans sa résolution 2669 (XXV)

Rapport sur l'état d'avancement des travaux, présenté par le Secrétaire généralen application de la résolution 2926 (XXVII) de l'Assemblée générale

TABLE DES MATIÈRES

[Texte original en anglais][11 avril 1973]

Pages

Liste des abréviations 93Paragraphes

INTRODUCTION 1-2 93

A. Plan du rapport supplémentaire 3 93

B. Renseignements reçus aux fins d'inclusion dans le rapport supplémentaire 4-5 94

C. Avancement des travaux relatifs aux diverses parties du rapport supplémentaire 6-12 94

LISTE DES ABRÉVIATIONS

AIEA Agence internationale de l'énergie atomique

CDI Commission du droit international

ONU Organisation des Nations Unies

Introduction

1. Par la résolution 2669 (XXV), du 8 décembre 1970,intitulée « Développement progressif et codification desrègles de droit international relatives aux voies d'eauinternationales », l'Assemblée générale a prié le Secrétairegénéralde poursuivre l'étude entreprise aux termes de la résolution 1401(XIV) de l'Assemblée générale en vue de préparer un rapportsupplémentaire sur les problèmes juridiques que posent l'exploita-tion et l'utilisation des voies d'eau internationales, en tenant comptede l'application récente du droit relatif aux voies d'eauinternationales, tant dans la pratique des Etats que dans lajurisprudence internationale, ainsi que des études de la questioneffectuées par des organismes intergouvernementaux et nongouvernementaux.

2. Par la résolution 2996 (XXVII), du 28 novembre1972, l'Assemblée générale a prié le Secrétaire général

de soumettre dès que possible l'étude sur les problèmes juridiquesque posent les utilisations des voies d'eau internationales à des finsautres que la navigation, demandée par l'Assemblée générale danssa résolution 2669 (XXV) du 8 décembre 1970, et de présenter à laCommission du droit international, lors de sa vingt-cinquièmesession, un rapport sur l'état d'avancement de cette étude.

C'est en application de cette résolution que le Secrétairegénéral présente le présent rapport.

A. — Plan du rapport supplémentaire

3. Il convient de rappeler que le rapport du Secrétairegénéral intitulé « Problèmes juridiques posés par l'exploi-tation et l'utilisation des fleuves internationaux », préparéen application de la résolution 1401 (XIV) de l'Assembléegénérale, du 21 novembre 1959, a été publié en 1963 sous

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94 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

la forme d'un document multicopié *. Conformément àcette résolution, le rapport contenait: a) les renseigne-ments fournis par les Etats Membres au sujet de leurlégislation en vigueur dans ce domaine; b) un résumé destraités bilatéraux et multilatéraux en vigueur; c) unrésumé des décisions rendues par les tribunaux interna-tionaux, y compris les sentences arbitrales ; d) un tableaud'ensemble des études qu'avaient effectuées ou qu'effec-tuaient alors les organisations non gouvernementaless'occupant du droit international. Le rapport supplé-mentaire que l'on prépare actuellement en application dela résolution 2669 (XXV) de l'Assemblée générale seradivisé selon les mêmes catégories de renseignements quele rapport initial, et contiendra en outre les étudespertinentes effectuées par les organisations intergouverne-mentales.

B. — Renseignements reçus aux fins d'inclusiondans le rapport supplémentaire

4. Dans le rapport sur sa vingt-troisième session, la CDIa indiqué qu'elle prévoyait que, pour préparer ce« rapport supplémentaire », le Secrétaire généraldemandera certainement aux gouvernements des Etats Membres delui procurer des matériaux complémentaires concernant les texteslégislatifs et les dispositions de traités ainsi que tous autresrenseignements pertinents pouvant servir à établir leur pratique 2.

Le 22 novembre 1971, le Secrétaire général a adressé auxgouvernements des Etats Membres une note où il leurdemandait de lui faire parvenir, au plus tard le 1er

octobre 1972, les matériaux et renseignements complé-mentaires dont il était fait état dans le texte susmentionnéde la Commission. Dans le rapport sur sa vingt-quatrièmesession, la CDI a observé quele problème de la pollution des voies d'eau internationales était à lafois très urgent et très complexe. En conséquence, elle a prié leSecrétariat de continuer à réunir la documentation se rapportant àce sujet, particulièrement en ce qui concerne les problèmes de lapollution des voies d'eau internationales 3.

Le 22 septembre 1972, le Secrétaire général a adressé auxgouvernements des Etats Membres une note danslaquelle, après s'être référé à sa première note citée plushaut, il les priait de lui faire parvenir, au plus tard le 1er

juillet 1973, les matériaux et renseignements pertinents,particulièrement en ce qui concerne la question de lapollution des voies d'eau internationales dont il était faitétat dans l'observation susmentionnée de la Commission.Le 27 décembre 1972, une lettre analogue a été envoyéeaux organisations intergouvernementales.

5. Au 15 avril 1973, des renseignements avaient étéreçus de neuf Etats Membres, dont huit avaientcommuniqué les textes des traités pertinents auxquels ilsétaient parties; un seul Etat Membre avait fourni desrenseignements au sujet de sa législation nationale en

1 A/5409 [à paraître dans Y Annuaire ... 1974, vol. II (2e partie)].Une grande partie des textes résumés dans ce document a étépubliée dans un volume de la Série législative des Nations Uniesintitulé Textes législatifs et dispositions de traités concernantr utilisation des fleuves internationaux à des fins autres que la navigation(publication des Nations Unies, numéro de vente: 63.V.4).

2 Voir Annuaire... 1971, vol. II (l r e partie), p. 370, doc. A/8410/Rev.l, par. 121.

3 Voir Annuaire... 1972, vol. II, p. 353, doc. A/8710/Rev.l, par. 77.

vigueur dans ce domaine. En outre, trois organisationsinternationales avaient envoyé des renseignements concer-nant leurs travaux.

C. — Avancement des travaux relatifsaux diverses parties du rapport supplémentaire

6. Le rapport supplémentaire est établi sur la base desrenseignements fournis par les Etats Membres et lesorganisations intergouvernementales, ainsi que des tra-vaux de recherche entrepris par le Secrétariat.

7. Comme c'était le cas pour le rapport initial, la partiedu rapport supplémentaire consacrée à la législationnationale comprendra des renseignements sur un nombretrès limité d'Etats Membres. Jusqu'ici, comme il a été ditplus haut 4, un seul Etat Membre a communiqué lestextes législatifs qui doivent être reproduits dans cettepartie.

8. On a rassemblé un nombre important de traitésbilatéraux et multilatéraux, dont près de 60 ont étérésumés et sont prêts à être inclus dans le rapportsupplémentaire. On s'emploie actuellement à résumer lesautres traités.

9. On n'a pas encore trouvé de décisions de tribunauxinternationaux autres que celles qui figurent déjà dans lerapport initial. Il se pourrait donc que le rapportsupplémentaire ne contienne aucun renseignement de cetordre.

10. En ce qui concerne la partie du rapport supplé-mentaire relative aux études qu'ont effectuées ouqu'effectuent présentement les organisations intergouver-nementales, on a examiné les travaux accomplis dans lecadre de l'ONU ou sous ses auspices. Plus précisément,on a envisagé de faire figurer dans le rapportsupplémentaire les résolutions et les rapports pertinentsdu Conseil économique et social ainsi qu'un exposé desactivités du Centre de mise en valeur des ressourceshydrauliques du Département des affaires économiques etsociales du Secrétariat. Cependant, les travaux effectuésen la matière par les commissions économiques régio-nales, les institutions spécialisées et l'AIEA, ainsi que pard'autres organisations intergouvernementales, serontexaminés à la lumière des renseignements reçus enréponse aux lettres du Secrétaire général mentionnées ci-dessus 5. On examinera également les travaux prépara-toires de la Conférence des Nations Unies sur l'environ-nement, tenue à Stockholm en 1972, de même que lesrésolutions pertinentes de cette conférence.

11. La partie du rapport supplémentaire relative auxétudes qu'ont effectuées ou qu'effectuent présentement lesorganisations non gouvernementales s'occupant du droitinternational comprendra également les travaux del'Institut de droit international, de l'Association inter-américaine des avocats et de l'International LawAssociation.

12. On prévoit que le rapport supplémentaire seraterminé avant l'ouverture de la vingt-sixième session de laCDI.

4 Voir par. 5.5 Voir par. 4.

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CLAUSE DE LA NATION LA PLUS FAVORISÉE

[Point 6 de l'ordre du jour]

DOCUMENT A/CN.4/266

Quatrième rapport sur la clause de la nation la plus favorisée,par M. Endre Ustor, rapporteur spécial

Projet d'articles, accompagné de commentaires (suite*)

[Texte original en anglais][7 mars 1973]

TABLE DES MATIÈRES

Pages

Liste des abréviations 95

Article 6. — Présomption en faveur du caractère inconditionnel de la clause 96

Commentaire 96

Article 7. — La règle ejusdem generis 100

Commentaire 101

Article 8. — Droits acquis de l'Etat bénéficiaire 107

Commentaire 107

Annexe. — Résolution adoptée le 10 septembre 1969 par l'Institut de droit international à sa sessiond'Edimbourg (4-13 septembre 1969) 115

LISTE DES ABRÉVIATIONS

CDI Commission du droit international

CIJ Cour internationale de Justice

C.I.J. Mémoires CIJ, Mémoires, plaidoiries et documents

C.I.J. Recueil CIJ, Recueil des arrêts, avis consultatifs et ordonnances

CNUCED Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement

GATT Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce

SDN Société des Nations

* Pour les projets d'articles 1 à 5, voir le troisième rapport.

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96 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

Article 6. — Présomption en faveur du caractèreinconditionnel de la clause

Sauf dans les cas appropriés où le traitement de la nationla plus favorisée est appliqué sous condition d'avantagesréciproques, la clause de la nation la plus favorisée estinconditionnelle, c'est-à-dire que l'Etat concédant est tenud'accorder et que l'Etat bénéficiaire a le droit de recevoir letraitement de la nation la plus favorisée qu'il y ait ou noncontrepartie aux avantages reconnus par l'Etat concédant àtout Etat tiers.

COMMENTAIRE

1) Les juristes ont souvent exercé leur talent à classer lesdifférents types de clauses. Nous nous contenterons, pournotre part, d'en distinguer trois types fondamentaux: laclause conditionnelle, la clause inconditionnelle, et laclause conditionnelle sous réserve d'avantages réci-proques, qui est une variante du premier type.

a) Clause inconditionnelle et clause conditionnelle

2) Sur la notion et l'historique de la clause « condition-nelle » de la nation la plus favorisée, le lecteur voudrabien consulter en premier lieu les passages pertinents dudocument de travail « La clause de la nation la plusfavorisée dans le droit des traités », préparé par leRapporteur spécial1, et des premier2 et deuxième3

rapports. Les vues du Comité économique de la SDNsont indiquées dans une annexe au premier rapport 4. Lesparagraphes ci-après apportent des explications complé-mentaires.

3) La différence entre la clause inconditionnelle et laclause conditionnelle, telle qu'elle apparaît dans lapratique suivie par les Etats-Unis d'Amérique jusqu'en1923, a été mise en évidence par le Département d'Etat en1940:

Dans les clauses de la nation la plus favorisée qui figurent dans lestraités ou accords commerciaux bilatéraux, chacune des partiess'engage à appliquer aux marchandises de l'autre partie untraitement non moins favorable que le traitement qu'elle accordeaux marchandises du même type provenant d'un pays tiers. Sous saforme inconditionnelle, la clause de la nation la plus favoriséeprévoit que tous avantages, faveurs, privilèges ou immunités quel'une des parties peut accorder aux marchandises d'un pays tiersseront étendus immédiatement et sans condition aux marchandisesdu même type provenant de l'autre partie. Ce n'est que sous cetteforme que la clause permet d'assurer un traitement nondiscriminatoire complet et constant. Lorsque la clause estconditionnelle, l'Etat partie n'est pas tenu d'étendre immédiatementet sans condition aux produits du même type provenant de l'autrepartie les avantages qu'il peut accorder aux produits de pays tiers enretour de concessions réciproques; l'Etat partie n'est tenu deconsentir ces avantages que si et lorsque l'autre partie octroie des

concessions « équivalentes » aux concessions faites par les pays tiersen question [...]5.

4) En demandant au Sénat d'approuver le changementde politique des Etats-Unis en matière commerciale, leSecrétaire d'Etat Hughes écrivait en 1924:

L'intérêt et le but essentiel des Etats-Unis étaient de réaliserl'égalité de traitement, mais la clause conditionnelle de la nation laplus favorisée ne permettait en fait ni d'assurer ni de garantir cetteégalité: elle n'offrait qu'un moyen de négociation pour essayer del'obtenir. En outre, on s'est aperçu qu'il était difficile, sinonimpossible, de définir ce qui pouvait constituer la compensation« équivalente » nécessaire à l'application de la clause conditionnelle.Les arrangements commerciaux réciproques, simples expédientstemporaires, étaient cause de négociations permanentes et créaientune situation précaire. Dans l'état actuel des choses, la croissance ducommerce extérieur des Etats-Unis exige que l'égalité de traitementsoit accompagnée d'une garantie que n'offre pas la formeconditionnelle de la clause de la nation la plus favorisée.

Tandis que nous continuions à appliquer le principe du traitementconditionnel de la nation la plus favorisée, les pays européens lesplus importants sur le plan commercial, comme d'ailleurs la plupartdes pays du monde, adoptaient et appliquaient le principe dutraitement inconditionnel de la nation la plus favorisée: chaqueconcession faite par un pays à un autre était accordée du même coupà tous les pays auxquels le pays concédant était tenu par traitéd'étendre le traitement de la nation la plus favorisée. [...] Puisquenous demandons aux autres pays de nous garantir qu'ilss'abstiendront de toute pratique discriminatoire à notre égard, nousdevons être prêts à leur accorder la même garantie, et l'expériencemontre que la seule façon d'obtenir des garanties satisfaisantes àcette fin est de recourir au traitement inconditionnel de la nation laplus favorisée 6.

5) En d'autres termes, la clause conditionnelle a servi lesobjectifs des Etats-Unis tant que leurs importationsétaient supérieures à leurs exportations et que leurprincipal but était de protéger la croissance de leursystème industriel. Lorsque la situation des Etats-Unisdans l'économie mondiale s'est transformée, après lapremière guerre mondiale, la clause conditionnelle aperdu son utilité. La condition essentielle pour réussir àpénétrer sur les marchés internationaux, à savoirl'élimination de la discrimination à l'égard des produitsaméricains, ne pouvait être remplie qu'en adoptant laclause inconditionnelle 7.

6) Non seulement les Etats-Unis sont passés de l'emploides clauses conditionnelles à celui des clauses incondi-tionnelles dans leur politique commerciale et leurpratique en matière de traités commerciaux, mais leurinterprétation des clauses conditionnelles restantes a elleaussi évolué. A l'époque de la conclusion du Traité de

1 Annuaire... 1968, vol. II, p. 170 et 171, doc. A/CN.4/L.127,par. 9 et 10.

2 Annuaire... 1969, vol. II, p. 167 et 168 et 178, doc. A/CN.4/213,par. 25 à 27 et 84.

3 Annuaire... 1970, vol. II, p. 222 et 223, doc. A/CN.4/228 etAdd. 1, par. 51 à 53.

* Annuaire... 1969, vol. II, p. 182, doc. A/CN.4/213, annexe I.

5 Etats-Unis d'Amérique, Department of State, Bulletin n° 58,du 3 août 1940, cité dans M. Whiteman, Digest of International Law,Washington (D.C.), U.S. Government Printing Office, 1970, vol. XIV,p. 751.

6 G. H. Hackworth, Digest of International Law, Washington(D.C.), U.S. Government Printing Office, vol. V, 1943, p. 273.

7 R. C. Snyder, The Most-Favored-Nation Clause: An Analysiswith Particular Référence to Récent Treaty Practice and Tariffs,New York, King's Crown Press, Columbia University, 1948, p. 243;et E. T. Ousenko, chapitre sur les traités commerciaux dans: Institutd'Etat du droit de l'Académie des sciences de l'Union soviétique,Kours mejdounarodnogo prava [Cours de droit international],rédaction générale par F. I. Kojevnikov et al., Moscou, Naouka,1968, t. IV, p. 251.

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Clause de la nation la plus favorisée 97

1923 entre l'Allemagne et les Etats-Unis, le Secrétaired'Etat Hughes exposait de la façon suivante la positionaméricaine:

II y a un malentendu que j'aimerais dissiper. On dira que, par lesclauses de la nation la plus favorisée qui figurent dans le traité prévuavec l'Allemagne, nous étendrons automatiquement à d'autres paysles privilèges accordés à l'Allemagne, sans obtenir de ces pays lesavantages que nous donne le traité avec l'Allemagne. C'est là uneerreur. Nous accordons explicitement à l'Allemagne le traitementinconditionnel de la nation la plus favorisée, qu'elle nous octroie deson côté. Mais nous n'accorderons ce traitement aux autres pays quedans la mesure où ceux-ci accepteront de conclure avec nous untraité analogue quant au fond à celui qui va nous lier avecl'Allemagne. Le traitement de la nation la plus favorisée ne peut êtreaccordé aux autres pays qu'en vertu de nos traités avec eux, et cestraités, sous leur forme actuelle, ne prévoient pas ce traitement soussa forme inconditionnelle. Nous ne pouvons conclure des traitésavec tous les pays en même temps, mais, si le Sénat approuve letraité que nous avons négocié avec l'Allemagne, nous nousefforcerons de négocier des traités similaires avec d'autrespuissances, et celles-ci n'obtiendront le traitement inconditionnel dela nation la plus favorisée qu'à condition de conclure avec nous destraités analogues à notre traité avec l'Allemagne 8.

7) Dix ans plus tard, le Secrétaire d'Etat Hull adoptaitune position moins rigoureuse, estimant que l'octroi d'unavantage à un pays conformément à une clauseinconditionnelle de la nation la plus favorisée revenait àaccorder gratuitement cet avantage dans le cadre d'uneclause conditionnelle de la nation la plus favorisée, cetavantage étant accordé immédiatement et sans compen-sation selon les modalités prévues par la clauseconditionnelle en question. Conformément à cetteinterprétation, lorsque les Etats-Unis recherchèrent en1946 des dérogations aux clauses de la nation la plusfavorisée contenues dans les traités existants, de façon àpouvoir accorder des préférences tarifaires sur une basede réciprocité à la plupart des produits philippins aprèsl'indépendance des Philippines, ils demandèrent cesdérogations, non seulement aux pays avec lesquels ilsavaient conclu des accords contenant des clausesinconditionnelles, mais aussi aux pays auxquels les liaientdes accords assortis de clauses conditionnelles 9.

8) La clause conditionnelle, telle qu'elle a été employéejusqu'en 1923 par les Etats-Unis, a complètement disparude la scène internationale. Virally explique ainsi cephénomène :

[...] la suppression de l'automatisme dans la clause de la nation laplus favorisée, prétendument pour mieux assurer la réciprocité,manque son objectif et fait perdre toute utilité à la clause elle-même.Cette constatation ainsi que l'orientation vers l'expansion deséchanges qui caractérise la politique commerciale de tous les Etatsaujourd'hui expliquent l'abandon général de la clause conditionnelledans la pratique conventionnelle récente 10.

9) Etant donné l'abandon de la forme conditionnelle dela clause, celle-ci n'a plus désormais qu'un intérêthistorique. Tous les auteurs consultés reconnaissent que

la forme traditionnelle de la clause est définitivementtombée en désuétude 11.

b) Clause et principe de réciprocité

10) Quand on parle de réciprocité à propos de la clausede la nation la plus favorisée, il faut se rappeler que lesclauses de la nation la plus favorisée sont normalementaccordées sur une base de réciprocité, c'est-à-dire que lesdeux parties à un traité bilatéral ou toutes les parties à untraité multilatéral s'accordent mutuellement le traitementde la nation la plus favorisée dans un domaine déterminé.Cette réciprocité formelle est une caractéristique normalede la clause inconditionnelle de la nation la plus favorisée— son élément essentiel, pourrait-on dire. A l'époqueactuelle, les clauses unilatérales de la nation la plusfavorisée ne sont que des exceptions12. On trouve desclauses unilatérales assorties d'une réciprocité formelledans les traités de paix de 1947 conclus par les Puissancesalliées et associées avec la Bulgarie (art. 29)13, la Hongrie(art. 33)14, la Roumanie (art. 31) 15, la Finlande(art. 30)16 et l'Italie (art. 82)17. On trouve également uneclause de ce genre dans le Traité d'Etat portantrétablissement d'une Autriche indépendante et démocra-tique (art. 29)18. La simple stipulation de la réciprocitéformelle ne transforme par une clause unilatérale enclause bilatérale (comme l'a fait observer le Rapporteurde l'Institut de droit international19). C'est ce quemontrent par exemple les dispositions ci-après de l'article33 du Traité de paix avec la Hongrie:

[...] le Gouvernement hongrois devra [...] accorder à chacune desNations Unies qui, en fait, accordent par voie de réciprocité untraitement analogue à la Hongrie dans ces domaines le traitementsuivant:

a) Pour tout ce qui concerne les droits et redevances [...], lesNations Unies bénéficieront de la clause inconditionnelle de lanation la plus favorisée 20.

Le sens de cette clause est clair: bien que soumis àl'octroi de la réciprocité, le droit des Nations Unies deréclamer le traitement de la nation la plus favorisée restaitun droit unilatéral; cette disposition ne permettait pas àla Hongrie de formuler la même exigence.

8 M. Whiteman, op. cit., p. 754.9 Ibid., p. 753.10 M. Virally, « Le principe de réciprocité en droit international

contemporain », Recueil des cours de VAcadémie de droit interna-tional de La Haye, 1967-111, Leyde, Sijthoff, 1969, t. 122, p. 74.

11 R. C. Snyder, op. cit., p. 56. Voir aussi G. Jaenicke, « Meis-begûnstigungsklausel », dans K. Strupp, Wôrterbuchdes Vôlkerrechts,2e éd. [Schlochauer], Berlin, de Gruyter, 1961, vol. II, p. 498;P. Level, « Clause de la nation la plus favorisée », EncyclopédieDalloz — Droit international, Paris, Dalloz, 1968,1.1, p. 333, par. 5;E. Sauvignon, La clause de la nation la plus favorisée, Grenoble,Presses universitaires de Grenoble, 1972, p. 23.

12 Voir Annuaire... 1972, vol. II, p. 179, doc. A/CN.4/257 etAdd.l, par. 7 du commentaire des articles 2 et 3.

13 Nations Unies, Recueil des Traités, vol. 41, p. 21.llIbid.,p. 135.15 Ibid., vol. 42, p. 3.18 Ibid., vol. 48, p. 203.17 Ibid., vol. 49, p. 3."Ibid., vol. 217, p. 223.19 P. Pescatore, « La clause de la nation la plus favorisée dans les

conventions multilatérales », Annuaire de VInstitut de droit inter-national, 1969, Bâle, vol. 53,1.1, p. 204, note 3.

20 Nations Unies, Recueil des Traités, vol. 41, p. 205.

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98 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

c) Clause assortie d'avantages réciproques(réciprocité trait pour trait)

11) Si l'on peut considérer que la version américaine dela clause conditionnelle a pratiquement disparu, enrevanche, la clause de la nation la plus favorisée souscondition d'avantages réciproques continue à êtreemployée. On remarquera cependant que son utilisationest limitée à certains domaines, tels que les immunités etfonctions consulaires, les questions de droit internationalprivé et les questions généralement réglées par les traitésd'établissement.

12) A la vingtième session de la CDI, M. RichardKearney a fait remarquer que si les Etats-Unisd'Amérique avaient abandonné peu après 1920 letraitement conditionnel de la nation la plus favoriséepour le traitement inconditionnel en matière de relationscommerciales, cette évolution ne s'était pas accompagnéed'une évolution semblable dans le domaine des droits etprivilèges consulaires, pour lesquels on continuait àutiliser la clause conditionnelle21. C'est ce qui ressort parexemple de l'extrait ci-après d'une lettre du 20 janvier1967 adressée par le Département d'Etat à la Commissiondes affaires étrangères du Sénat, au sujet d'unedisposition de la Convention consulaire avec l'URSS22,alors en cours d'examen devant cette commission, qui serapportait à l'immunité des agents consulaires en matièrepénale:

Les Etats-Unis d'Amérique sont partie à trente-cinq accordsprésentement en vigueur qui leur imposent d'accorder le traitementde la nation la plus favorisée aux agents consulaires et, dans certainscas, aux employés consulaires des autres Etats parties à ces accords.On trouvera ci-jointe une liste des trente-cinq Etats en question. Uneétude récente indique que vingt-sept de ces Etats ont aux Etats-Unisdes établissements consulaires, dont le personnel agréé s'élève àquelque 577 personnes. On trouvera également jointe à la présentelettre une liste de ces Etats accompagnée du nombre des agents ouemployés consulaires qui représentent chacun d'eux aux Etats-Unis.L'immunité de juridiction pénale qui est prévue à l'article 19 de laConvention consulaire URSS/Etats-Unis s'appliquera aux membresde ce personnel si l'Etat d'envoi en question accepte d'accorder untraitement réciproque aux agents et employés consulaires américainsqui y sont en poste. Nous avons demandé à nos ambassades dans cesvingt-sept Etats de nous faire savoir si, à leur avis, le traitement de lanation la plus favorisée serait effectivement demandé sur une base deréciprocité. Les réponses indiquent que onze Etats au plusdemanderont probablement ce traitement, ce qui affectera 290environ de leurs agents et employés consulaires aux Etats-Unis 23.

Il s'agissait en l'espèce du paragraphe 2 de l'article 19 dela Convention consulaire du 1er juin 1964 entre l'URSS etles Etats-Unis, disposition qui est ainsi rédigée:

Les fonctionnaires consulaires et les employés de l'établissementconsulaire qui sont ressortissants de l'Etat d'envoi jouissent del'immunité de la juridiction pénale de l'Etat de résidence 24.

13) Les trente-cinq accords auxquels fait allusion lalettre citée ci-dessus, les clauses de la nation la plusfavorisée qui figurent dans ces traités et la terminologie

21 Voir Annuaire... 1968, vol. I, p . 192, 976 e séance, par . 8.22 Na t ions Unies , Recueil des Traités, vol. 655, p . 213.23 M . Whi teman , op. cit., p . 752 et 753. [C'est le Rappo r t eu r

spécial qui souligne.]24 N a t i o n s Unies , Recueil des Traités, vol . 655, p . 252.

utilisée à cet égard n'ont pu faire l'objet de recherchesdétaillées. Mais on peut affirmer sans risque d'erreur quela plupart de ces clauses, sinon toutes, ont pour conditionl'octroi d'avantages réciproques (que cette réciprocité soitexpressément stipulée ou qu'elle découle de l'interpréta-tion des clauses en question). Ce type de clauseconditionnelle s'écarte nettement du type de clauseconditionnelle habituellement utilisé jusque-là par lesEtats-Unis (« gratuitement », « si la concession estgratuite», etc.), et sa persistance ne se limite pas auxtraités conclus par ce pays25 ni aux traités consulaires.Mm e S. Basdevant, dans un article sur la clause26, cite desexemples tels que la Convention d'établissement turco-hongroise du 20 décembre 1926 (art. 3)2 7 et laConvention turco-finlandaise de commerce et denavigation du 2 juin 1926 (articles 2 et 10 du chapitre Ier,relatif à l'établissement)28.

14) Un exemple plus récent de ce genre de dispositionest fourni par le premier alinéa de l'article 3 de laConvention d'établissement et de navigation entre laSuède et la France, signée à Paris le 16 février 195429:

Sous réserve de l'application de la réciprocité effective, lesressortissants de chacune des Hautes Parties contractantes résidantsur le territoire de l'autre Partie contractante auront, sur le territoirede l'autre Partie contractante, aux mêmes conditions que lesressortissants de la nation la plus favorisée, le droit d'exercer toutcommerce et industrie ainsi que tout métier ou profession dontl'exercice n'est pas réservé aux nationaux 30.

15) On peut trouver un autre exemple récent dans laConvention consulaire entre la Pologne et la Yougoslavie,signée à Belgrade le 17 novembre 1958 31, dont l'article 46est ainsi conçu:

Chacune des Parties contractantes s'engage à accorder à l'autrePartie le traitement de la nation la plus favorisée pour tout ce quiaura trait aux privilèges, immunités, droits et attributions desconsuls et du personnel consulaire. Toutefois, aucune des Partiescontractantes ne pourra invoquer la clause de la nation la plusfavorisée pour revendiquer des privilèges, immunités ou droitsautres, ou plus étendus, que ceux qu'elle-même accorde aux consulset au personnel consulaire de l'autre Partie32.

16) La clause conditionnelle sous réserve d'avantagesréciproques peut être considérée comme une formesimplifiée de la clause conditionnelle classique33.

Selon Mm e A. Piot:

Ce système paraît plus clair et plus pratique que le précédent : eneffet, il ne se réfère pas à la contrepartie fournie par l'Etat favorisé,mais vise à la parfaite symétrie des prestations fournies par l'Etatconcédant et l'Etat bénéficiaire de la clause. C'est en somme la

25 Voir Annuaire... 1969, vol. II, p. 173, doc. A/CN.4/213, par. 56à 58.

26 S. Basdevant, « Clause de la nation la plus favorisée », dansA. G. de Lapradelle et J.-P. Niboyet, Répertoire de droit inter-national, Paris, Sirey, 1929, t. III, p. 480.

27 S D N , Recueil des Traités, vol . L X X I I , p . 245.28 Ibid., vol . L X X , p . 329." N a t i o n s Unies , Recueil des Traités, vol. 228, p . 137.30 Ibid., p . 140.31 Ibid., vol . 432 , p . 267 .32 Ibid., p . 323 .33 Voir Annuaire... 1969, vol. II, p. 173, doc. A/CN.4/213, par. 58.

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Clause de la nation la plus favorisée 99

réciprocité trait pour trait. Celle-ci implique une certaine symétriedes législations. Comme le dit Niboyet : « Cette réciprocitédiplomatique a donc une tête internationale, mais deux piedsnationaux. C'est un triptyque. »

Du point de vue de la logique pure, c'est assez satisfaisant pourl'esprit, mais cela ne l'est guère dans les faits. En effet, sans parlerdes difficultés que soulève toujours l'interprétation de la réciprocité,ce système a l'inconvénient de réduire le bienfait, si tant est qu'ilexiste, de la clause de la nation la plus favorisée sans supprimer lesinconvénients qui en résultent pour l'Etat concédant: assurément,l'Etat bénéficiaire ne peut déclencher le jeu de la clause qu'à lacondition d'offrir les avantages mêmes qu'il réclame: mais lecaractère unilatéral de ce déclenchement aura presque toujours pourconséquence que les prestations réciproques, bien que formellementéquivalentes, seront matériellement très différentes [...]34.

17) De toute évidence, les auteurs de clauses de lanation la plus favorisée sous condition de réciprocitén'ont pas pour but d'assurer à leurs compatriotes vivantà l'étranger un traitement égal à celui dont bénéficient lesressortissants d'autres pays. (L'égalité avec les concurrentsest d'une importance essentielle en matière commerciale,et notamment pour ce qui touche les droits de douane.) Ilsont en vue une égalité d'un genre différent: l'égalité detraitement accordée par les Etats contractants à leursressortissants réciproques. D'où l'opinion de Level:

La clause de la nation la plus favorisée sous condition deréciprocité ne paraît pas être un facteur d'unification et desimplification des relations internationales — ce qui fait perdre à laclause les rares mérites qu'on lui reconnaissait jadis 35.

d) Doctrine

18) Au xixe siècle et au début du xxe, la doctrine et lapratique internationales étaient divisées quant à l'inter-prétation d'une clause de la nation la plus favorisée neprécisant pas explicitement son caractère conditionnel ouinconditionnel36. Cette division était due à la pratiquesuivie par les Etats-Unis d'Amérique, qui considéraientsystématiquement ces clauses comme conditionnelles,même lorsque leur caractère n'était pas expressémentindiqué37. On peut faire remonter cette position desEtats-Unis à l'année 1817, date où le Secrétaire d'EtatAdams déclarait:

Le huitième article du traité [Achat de la Louisiane, 30 avril 1803]stipule que les navires français seront traités sur le pied de la nationla plus favorisée dans les ports du territoire cédé; mais il ne dit pasque la France bénéficiera gratuitement de ce qui est concédé auxautres nations en échange d'avantages correspondants, et on ne peutl'interpréter comme ayant ce sens s8.

19) La position soutenue à l'époque par la Grande-Bretagne et par les autres pays européens était que les

3 4 A . Piot , « La clause de la na t ion la p lus favorisée », Revuecritique de droit international privé, Par is , vol. 45 , n° 1, j anv . -mars1956, p . 9 et 10.

3 5 P . Level , op. cit., p . 338, pa r . 37.36 S. Basdevant, loc. cit., p. 479, par. 73.37 Voir C. C. Hyde, « Concerning the interprétation of treaties »,

American Journal of International Law, Washington (D.C.), vol. 3,n° 1 (janvier 1909), p. 57.

38 Ibid., note 16. Voir aussi S. Basdevant, loc. cit., p. 479, par. 75,et Annuaire... 1969, vol. II, p. 167, doc. A/CN.4/213, par. 27.

concessions accordées en échange d'avantages réci-proques pouvaient à bon droit être réclamées en vertud'une clause de la nation la plus favorisée:

[...] Le fondement de la théorie américaine se trouve dans lesystème anglo-saxon des contrats et dans l'exigence de la réciprocitéd'avantages pour la formation du contrat (considération). Maiscette application de la théorie n'est pas justifiée ici, car la nation quia acquis le traitement égalitaire a payé à l'avance les droits des tiersqu'elle peut acquérir de ce chef, car elle a concédé à l'autre partiecontractante le même traitement égalitaire et le droit de celle-ci derecevoir d'elle les avantages des tiers. [...] La recherche des« équivalents » destinés à payer les droits des tiers par voieconventionnelle, imposée aux contractants, équivaut à déclarerqu'en soi la clause de la nation la plus favorisée ne donneabsolument rien. Enfin, au point de vue douanier, le systèmeaméricain aboutit à un système préférentiel basé sur des faveursaccordées à certaines nations et refusées aux autres; les Etats ayantréformé leurs tarifs n'ont plus d'équivalents à offrir 39.

20) D'après l'Institut de droit international, dans sarésolution de 1936 intitulée « Les effets de la clause de lanation la plus favorisée en matière de commerce et denavigation »:

La clause de la nation la plus favorisée a, sauf dispositionsexpresses contraires, le caractère inconditionnel.

En conséquence, la clause confère de plein droit et sanscompensation en matière de commerce et de navigation, auxressortissants, marchandises et navires des pays contractants lerégime dont bénéficie tout pays tiers 40.

D'autres auteurs énoncent la même règle en termesgénéraux, sans en limiter l'application aux relationscommerciales :

La clause de la nation la plus favorisée doit être considérée dans ledoute comme inconditionnelle 41.

De nature à limiter l'application de la clause, la condition ne peutêtre sous-entendue42.

La clause est en principe inconditionnelle. [...] S'il est loisible auxHautes Parties contractantes de stipuler le caractère conditionnel dela clause, celui-ci n'est pas présumé et n'est donc pas de l'essence decette dernière [...]43.

En l'absence d'une mention expresse que la clause estconditionnelle, on s'accorde [...] pour la considérer commeinconditionnelle44.

39 S. Basdevant, loc. cit., p. 479 et 480, par. 77, citant notam-ment P. L. E. Pradier-Fodéré, Traité de droit international publiceuropéen et américain, suivant les progrès de la science et de lapratique contemporaines, Paris, Durand et Pédone-Lauriel, 1888,t. IV, p. 394.

40 Annuaire... 1969, vol. II, p. 188, doc. A/CN.4/213, annexe II.41 P. Guggenheim, Traité de droit international public, 2e éd.

rev. et augm., Genève, Georg, 1967,1.1, p. 211.42 P. Level, op. cit., p. 333, par. 5, citant l'Affaire des pêcheries

des côtes septentrionales de l'Atlantique, du 7 septembre 1910,soumise à la Cour permanente d'arbitrage (v. Nations Unies,Recueil des sentences arbitrales, vol. XI [publication des NationsUnies, numéro de vente: 61.V.4], p. 167); et J. Basdevant, « L'affairedes pêcheries des côtes septentrionales de l'Atlantique », Revuegénérale de droit international public, Paris, t. XIX, 1912, p. 538et suiv.

4 3 P . Level , op. cit., p . 338, pa r . 35.44 D. Vignes, « La clause de la nation la plus favorisée et sa

pratique contemporaine », Recueil des cours..., 1970-11, Leyde,Sijthoff, 1971, t. 130, p. 219, qui cite également à l'appui de cettethèse D. P. O'Connell, International Law, Londres, Stevens, 1965,

(suite de la note page suivante.)

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100 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

Dans la pratique suivie par l'Union soviétique et lesautres pays socialistes en matière de traités commerciaux,la clause de la nation la plus favorisée est toujours utiliséesous sa forme inconditionnelle et gratuite. Ce caractère dela clause est expressément indiqué dans de nombreuxtraités, mais, même en l'absence de toute dispositionexpresse à cet effet, les clauses de la nation la plusfavorisée sont interprétées comme accordant le traitementde la nation la plus favorisée sans condition et sanscompensation. Cette interprétation est confirmée par lefait que les traités en question ne contiennent aucuneréserve relative à des contreparties ou à des prestationsréciproques 45.

En principe, les clauses de la nation la plus favorisée doivents'entendre sans condition [...]. « Ces clauses ont toujours le mêmesens, que les mots [sans condition] y figurent ou non »48.

Le même auteur ajoute:

Cette règle d'interprétation doit cependant être assortie d'uneexception, à savoir qu'elle ne peut s'appliquer à rencontre d'un paysdont chacun sait qu'il a fait du type conditionnel de la clause unepartie intégrante de sa politique nationale en matière de traités 47.

Sur ce point, une thèse plus nuancée a été soutenuedevant la CD par le représentant des Etats-Unis dansY Affaire relative aux droits des ressortissants des Etats-Unis d'Amérique au Maroc (1952):

Les Etats-Unis partagent pleinement l'avis selon lequel lasignification de la clause doit être déterminée par référence àl'intention des parties à l'époque. La seule divergence qui séparenotre point de vue de celui de nos éminents adversaires est que cesderniers ne considèrent la clause comme conditionnelle que parréférence à la pratique suivie par les Etats-Unis pour l'interprétationVautres traités conclus dans d'autres circonstances, et non en sebasant sur les intentions qui étaient respectivement celles des Etats-Unis et du Maroc à l'époque où ils ont signé les traités dont la Courest aujourd'hui saisie 4S.

L'extrait ci-après d'un mémoire du Conseiller juridiquedu Département d'Etat (Moore), en date du 8 octobre1913, est également à relever:

II faut tenir compte de ce que les clauses dites de la nation la plusfavorisée n'appartiennent pas toutes au même type. Deux fois aucours des vingt-cinq dernières années, les Etats-Unis ont été obligésde renoncer à l'interprétation qu'ils en font habituellement, devantla preuve que l'on avait expressément convenu en cours denégociation que la clause aurait l'effet — plus large — réclamé parles autres parties contractantes " .

21) La règle proposée dans l'article 6 ne se contente pasd'affirmer le caractère inconditionnel des clauses ne

(suite de la note 44.)

vol. I , p . 268, et J. Dehaussy , Juris-classeur de droit international,fasc. 12-B, Sources du droit international — Les traités (Effets:Situation des Etats tiers et de leurs ressortissants), Paris , Edi t ionstechniques, 1959, t. 5, p . 7, par . 15.

45 Institut d'Etat du droit de l'Académie des sciences de l'Unionsoviétique, op. cit., p. 251.

46 G . Schwarzenberger , International Law and Order, L o n d r e s ,Stevens, 1971, p . 137, c i tan t British and Foreign State Papers,1885-1886, vol . 77, L o n d r e s , R idgway , 1893, p . 796.

47 Ibid.48 Dup l ique du 26 juillet 1952 (C.I.J. Mémoires, Affaire du

Maroc [France c. E.-U.A.], vol. I I , p . 318). Pour un extrait pluscomplet de cette dupl ique, voir Annuaire... 1970, vol. I I , p . 223,doc. A/CN.4/228 et A d d . l , par . 52.

49 G . H . Hackwor th , op. cit., p . 279.

portant pas d'indication contraire. La façon dont elle estrédigée souligne que, étant donné la complète disparitionde la clause conditionnelle classique (type américain), iln'existe plus que deux types de clause de la nation la plusfavorisée: la clause inconditionnelle et la clause condi-tionnelle sous réserve d'avantages réciproques. L'article 6proposé indique qu'en cas de doute la présomption joueen faveur du caractère inconditionnel de la clause. Onpourrait d'ailleurs préciser expressément qu'en matièrecommerciale (notamment droits de douane, etc.) la clauseest toujours inconditionnelle, et qu'en matière de droitinternational privé (immunités, etc.) la clause peutcomporter une stipulation de réciprocité, mais que, enl'absence d'une stipulation de ce genre, la clause est làaussi inconditionnelle. La Commission préférera peut-êtreun libellé de ce genre. L'expression « les cas appropriés »renvoie dans l'article aux questions relevant du droitinternational privé, à la caution judicatum solvi, auximmunités consulaires, etc.

22) La question se pose de savoir si la présomptions'applique également dans les domaines où le droitnational d'un pays donné prescrit en principe laréciprocité. Ainsi, par exemple, l'article 11 du Code civilfrançais dispose que

L'étranger jouira en France des mêmes droits civils que ceux quisont ou seront accordés aux Français par les traités de la nation àlaquelle cet étranger appartiendra50.

S'appuyant sur cette disposition et sur la jurisprudencedes tribunaux français, Guggenheim conclut:

Si une règle de droit interne fait dépendre l'application de laclause de l'octroi de la réciprocité, la clause est considérée commeayant été accordée conditionnellement61.

Selon d'autres, comme par exemple les auteurs de larésolution de 1936 de l'Institut de droit international(par. 2)52, ou encore Sauvignon53, une disposition dedroit national ne saurait prévaloir sur les obligationscontractuelles d'un Etat. Cette opinion est largementpartagée.

23) La condition de réciprocité figurant dans une clausede la nation la plus favorisée risque de soulever de sérieuxproblèmes d'interprétation, surtout si les règles perti-nentes des pays intéressés diffèrent sur des pointsimportants54. Mais cette difficulté est inhérente à la règleproposée et ne change rien à sa validité.

Article 7. — La règle « ejusdem generis »

L'Etat bénéficiaire d'une clause de la nation la plusfavorisée ne peut prétendre à des droits autres que ceux quise rapportent à la matière de la clause et qui entrent dans lechamp d'application de celle-ci.

50 Code civil, Paris , Dal loz , 1972-1973, p . 13.51 P . Guggenheim, op. cit., p . 211 et 212." V o i r Annuaire... 1969, vol . I I , p . 188, doc . A/CN.4 /213 ,

annexe I I .53 E . Sauvignon, op. cit., p . 25 .54 H . Batiffol, Droit international privé, 4 e éd. , Par i s , Libra i r ie

générale de droit et de jurisprudence, 1967, p. 213 et 214, n° 188.

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Clause de la nation la plus favorisée 101

COMMENTAIRE

1) La règle ejusdem gêneris est généralement reconnue etaffirmée par la jurisprudence des tribunaux internatio-naux et nationaux, comme par la pratique diplomatique.McNair explique la teneur de cette règle par le schémasuivant :

Supposons qu'un traité commercial conclu entre l'Etat A etl'Etat B comporte une clause de la nation la plus favorisée quipermet à l'Etat A de revendiquer auprès de l'Etat B le traitementque ce dernier accorde à tout autre Etat. L'Etat A ne serait pas pourautant en droit de demander à l'Etat B l'extradition d'une personneaccusée d'un crime du seul fait que l'Etat B s'est engagé à extraderles personnes accusées de crimes du même type dans l'Etat C, ou lefait volontairement. La raison de cette situation, qui semble résiderdans l'intention commune des parties, est que la clause ne peut avoird'effet qu'en ce qui concerne la matière que les deux Etats avaient envue lorsqu'ils ont inséré la clause dans leur traité55.

Si le sens de cette règle est clair, son application n'estpas toujours simple. On peut tirer de la pratique, fortabondante, quelques exemples qui illustrent les difficultésrencontrées et les solutions possibles.

2) Dans Y Affaire de V Anglo-Iranian OU Company(1952), la CIJ a déclaré ce qui suit:

Le Royaume-Uni a également avancé, sous une forme toutedifférente, un argument relatif à la clause de la nation la plusfavorisée. Si le Danemark pouvait porter devant la Cour desquestions relatives à l'application du traité conclu par lui en 1934avec l'Iran, et si le Royaume-Uni ne pouvait soumettre à la Courdes questions relatives à l'application du même traité, au bénéficeduquel il a droit en vertu de la clause de la nation la plus favorisée,le Royaume-Uni ne serait pas dans la situation de la nation la plusfavorisée. Il suffit à la Cour de faire observer que la clause de lanation la plus favorisée contenue dans les traités de 1857 et de 1903entre l'Iran et le Royaume-Uni n'a aucun rapport quelconque avecles questions juridictionnelles entre les deux gouvernements. Si leDanemark a le droit, d'après l'article 36, paragraphe 2, du Statut, deporter devant la Cour un différend relatif à l'application du traitéconclu par lui avec l'Iran, c'est parce que ce traité est postérieur à laratification de la déclaration de l'Iran. Ceci ne peut faire surgiraucune question se rapportant au traitement de la nation la plusfavorisée 5S.

3) Les conclusions auxquelles a donné lieu l'applicationde cette règle dans Y Affaire Ambatielos57 ont étémentionnées dans le deuxième rapport58. Il paraîtnécessaire de citer ici un peu plus en détail la partiepertinente de la sentence rendue le 6 mars 1956 par laCommission d'arbitrage.

En ce qui concerne l'interprétation de l'article X(clause de la nation la plus favorisée) du Traité decommerce anglo-grec de 1886, la Commission d'arbitragea déclaré ce qui suit :

55 A. D. McNair, The Law of Treaties, Oxford, Clarendon Press,1961, p. 287.

56 Affaire de l'Anglo-Iranian Oil Co. (compétence), Arrêt du22 juillet 1952: C.I.J. Recueil 1952, p. 110. Pour les faits et lesautres aspects de l'affaire, voir Annuaire... 1970, vol. II, p. 216à 219, doc. A/CN.4/228 et Add.l, par. 10 à 30.

"Affaire Ambatielos (fond: obligation d'arbitrage), Arrêt du19 mai 1953: C.I.J. Recueil 1953, p. 10.

58 Annuaire... 1970, vol. II, p. 225 et 226, doc. A/CN.4/228 etAdd.l, par. 66 à 73.

La Commission n'estime pas nécessaire d'exprimer une opinionsur la question générale de savoir si la clause de la nation la plusfavorisée ne peut jamais avoir pour effet d'assurer à ses bénéficiairesun traitement conforme aux principes généraux du droitinternational parce que, en l'espèce, l'effet de la clause estexpressément limité à « tout privilège, faveur ou immunitéquelconque que l'une des Parties contractantes a actuellementaccordé ou pourra désormais accorder aux sujets ou citoyens d'unautre Etat », ce qui ne serait évidemment pas le cas si le seul objet decette disposition était de garantir à ces personnes un traitementconforme aux principes généraux du droit international.

D'un autre côté, la Commission considère que la clause de lanation la plus favorisée ne peut attirer que des questions appartenantà la même catégorie que celles qui font l'objet de la clause elle-même.

Cependant, la Commission est d'avis qu'en l'espèce l'applicationde cette règle peut conduire à des conclusions différentes de cellesqu'a avancées le Gouvernement du Royaume-Uni.

Dans le Traité de 1886, le domaine d'application de la clause de lanation la plus favorisée est défini comme englobant « toutes lesquestions relatives au commerce et à la navigation ». Il semble quecette expression n'ait pas, en soi, de signification strictement définie.La diversité des dispositions contenues dans les traités de commerceet de navigation prouve que, dans la pratique, la signification qui yest attachée est assez souple. On remarquera par exemple que laplupart de ces traités contiennent des dispositions concernantl'administration de la justice. Tel est le cas en particulier dutroisième paragraphe de l'article XV du Traité de 1886, qui garantitaux sujets des deux Parties contractantes le « libre accès aux coursde justice pour la poursuite et la défense de leurs droits ». Tel estégalement le cas des autres traités mentionnés par le Gouvernementgrec à propos de l'application de la clause de la nation la plusfavorisée.

Il est vrai que l'administration de la justice, considérée isolément,n'est pas une question relative « au commerce et à la navigation »;mais il peut en aller différemment si on l'envisage dans le contextede la protection des droits des commerçants. La protection desdroits des commerçants trouve naturellement sa place parmi lesmatières traitées dans les conventions de commerce et de navigation.

On ne peut donc pas dire que l'administration de la justice, dansla mesure où elle intéresse la protection de ces droits, doit êtreobligatoirement exclue du champ d'application de la clause de lanation la plus favorisée lorsque cette dernière recouvre « toutes lesquestions relatives au commerce et à la navigation ». La question nepeut être déterminée que conformément à l'intention des Partiescontractantes, telle qu'elle peut être déduite d'une interprétationraisonnable du traité69.

En résumant ses conclusions sur l'interprétation del'article X du Traité de 1886, la Commission s'estdéclaiée d'avis:

1) Que le Traité conclu le 1er août 1911 entre le Royaume-Uni etla Bolivie ne peut avoir pour effet d'incorporer dans le Traité anglo-grec de 1886 les «principes du droit international » par le jeu del'application de la clause de la nation la plus favorisée;

2) Que les effets de la clause de la nation la plus favorisée figurantà l'article X dudit Traité de 1886 peuvent être étendus au système del'administration de la justice dans la mesure où celui-ci intéresse laprotection par les tribunaux des droits des personnes qui s'occupentde commerce et de navigation;

3) Qu'aucune des dispositions concernant l'administration de lajustice qui figurent dans les traités invoqués par le Gouvernementgrec ne peut être interprétée comme assurant aux bénéficiaires de la

69 Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales, vol. XII(publication des Nations Unies, numéro de vente: 1963.V.3),p. 106 et 107. [C'est le Rapporteur spécial qui souligne.]

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clause de la nation la plus favorisée un système de « justice », de« droit » et d'« équité » différent de celui qui est prévu par le droitinterne de l'Etat intéressé;

4) Que l'objet de ces dispositions correspond à celui del'article XV du Traité anglo-grec de 1886, et que la seule questionqui se pose est donc de savoir si ces dispositions englobent des« privilèges », « faveurs » ou « immunités » plus étendus que ceuxqui résultent dudit article XV;

5) Qu'il s'ensuit de la décision résumée au paragraphe 3 ci-dessusque l'article X du Traité n'accorde à ses bénéficiaires aucun recoursfondé sur «l'enrichissement sans cause» autre que celui qui estprévu par le droit interne de l'Etat.

[...] la Commission est d'avis que le « libre accès aux cours dejustice », qui est garanti aux ressortissants grecs au Royaume-Unipar l'article XV du Traité de 1886, comprend le droit d'avoirpleinement recours aux tribunaux et d'invoquer tout recours et toutegarantie de procédure prévus par le droit du pays afin que la justicesoit administrée sur un pied d'égalité avec les ressortissants de cepays.

La Commission est donc d'avis que les dispositions contenuesdans d'autres traités invoqués par le Gouvernement grec neprévoient aucun « privilège, faveur ou immunité » plus étendus queceux qui résultent dudit article XV, et que par conséquent la clausede la nation la plus favorisée contenue à l'article X est sans rapportavec le présent différend [...]60.

4) Les décisions des tribunaux nationaux prouventégalement que la règle ejusdem generis est généralementreconnue.

Dans une affaire assez ancienne (1913), la Cour decassation française était appelée à décider si certainesrègles de procédure applicables à l'introduction d'uneaction en justice, telles qu'elles étaient prévues dans uneconvention franco-suisse concernant la juridiction etl'exécution des jugements, s'appliquaient également auxressortissants allemands par le biais de la clause de lanation la plus favorisée qui figurait dans un Traitécommercial franco-allemand signé à Francfort le 10 mai1871. Le Traité franco-allemand garantissait le traitementde la nation la plus favorisée dans les relationscommerciales entre les deux Etats, y compris en ce quiconcernait « l'admission et le traitement des sujets desdeux nations ». Dans son arrêt, la Cour de cassation aconsidéré notamment que

ces dispositions concernent exclusivement les relations commercialesentre la France et l'Allemagne, envisagées au point de vue desfacultés du droit des gens, mais qu'elles ne visent, ni expressément niimplicitement, les facultés de droit civil, et, notamment, les règles decompétence et de procédure applicables aux litiges que les rapportscommerciaux font naître entre les sujets des deux Etats,

et que « la clause de la nation la plus favorisée ne peutêtre invoquée que si la matière du traité qui la stipule estidentique à celle du traité, particulièrement favorable,dont le bénéfice est réclamé » 61.

5) Dans VAffaire Lloyds Bank c. de Ricqlès et deGaillard, qu'a eue à trancher le Tribunal de commerce de

la Seine, la Lloyds Bank, invitée en sa qualité dedemanderesse à verser la caution judicatum solvi, avaitinvoqué l'article Ier de la Convention anglo-française du28 février 188262. Cette convention avait pour but — auxtermes de son préambule — « de régler l'état des relationscommerciales et maritimes entre les deux pays, ainsi quel'établissement de leurs nationaux », et son article Ier

stipulait, avec une exception qui ne nous intéresse pas ici,que

[...] chacune des Hautes Parties contractantes s'engage à faireprofiter l'autre, immédiatement et sans condition, de toute faveur,immunité ou privilège, en matière de commerce ou d'industrie, quiaurait pu ou pourrait être concédé par une des Parties contractantesà une tierce Puissance en Europe ou hors d'Europe *3.

S'appuyant sur cet article, la Lloyds Bank invoquait lebénéfice des dispositions d'un Traité franco-suisse du15 juin 1889, qui donnait aux ressoitissants suisses le droitd'agir en France sans être tenus de verser la cautionjudicatum solvi. Le Tribunal a rejeté cette thèse et aconsidéré qu'un Etat partie à une convention de caractèregénéral telle que la Convention anglo-française, quiréglementait les relations commerciales et maritimes entreles deux pays, ne pouvait invoquer par le biais de laclause de la nation la plus favorisée le bénéfice d'uneconvention spéciale telle que la Convention franco-suisse,qui traitait d'une question particulière, à savoir ladispense de l'obligation de verser la caution judicatumsolvi™.

6) En comparant ces deux arrêts de tribunaux françaisavec la sentence rendue par la Commission d'arbitragedans VAffaire Ambatielos, on constate que, si la règleejusdem generis est reconnue par tous, une différenceconsidérable sépare l'interprétation libérale de la Com-mission d'arbitrage et l'interprétation stricte des tribu-naux français. On est ainsi conduit à se demander s'il nefaudrait pas, lors de la codification de la règle ejusdemgeneris, s'efforcer de proposer une réglementation plusdétaillée, notamment pour ce qui est des rapports entreune clause relativement générale (intéressant par exempletoutes les questions de commerce et de navigation) et uneprétention spécifique (concernant par exemple l'adminis-tration de la justice ou la caution judicatum solvi). On aprovisoirement répondu à cette question par la négative,en proposant une règle générale et en laissant les détailsde celle-ci à l'interprétation des traités. Les rédacteurs desclauses de la nation la plus favorisée se trouvent toujoursplacés devant le dilemme qui consiste soit à rédiger laclause en termes trop généraux — ce qui risque de nuire àson efficacité si la règle ejusdem generis est interprétée

«° Ibid., p. 109 et 110.61 M. Whiteman, op. cit., p. 755 et 756, citant l'arrêt du

22 décembre 1913 de la Cour de cassation française dans l'AffaireBraunkohlen Briket Verkaufsverein Gesellschaft c. Goffart, esqualités. Texte cité aussi par P. Level, op. cit., p. 338, par. 38, etpar H. Batiffol, op. cit., p. 216, n° 189.

62 British and Foreign State Papers, 1881-1882, vol . 73 , Lond re s ,R idgway , 1889, p . 22.

63 lbid., p . 23 et 24.64 H . Lau t e rpach t , éd. , Annual Digest of Public International

Law Cases, 1929-1930, Lond re s , vol . 5, 1935, affaire n° 252, p . 404 ;Journal du droit international, Par is , 58 e année , 1931, p . 1018,résumé par A. D. McNair, op. cit., p. 287. D'autres affaires faisantintervenir la règle ejusdem generis sont citées, pour ce qui est destribunaux français, par A.-Ch. Kiss, «La convention européenned'établissement et la clause de la nation la plus favorisée », Annuairefrançais de droit international, 1957, Paris, vol. III, p. 478, et,pour ce qui est des tribunaux américains, par G. H. Hackworth,op. cit., p. 292 et 293.

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Clause de la nation la plus favorisée 103

strictement — soit à la rédiger de façon trop explicite enénumérant ses domaines d'application spécifiques —auquel cas rénumération risque de n'être pas complète.

7) La règle ejusdem generis est également observée dansla pratique extrajudiciaire des Etats, comme le montrel'affaire concernant l'Accord commercial du 25 mai 1935entre les Etats-Unis d'Amérique et la Suède65. L'article Ier

de cet accord étaient ainsi conçu :

La Suède et les Etats-Unis d'Amérique s'accorderont réciproque-ment le traitement inconditionnel et illimité de la nation la plusfavorisée pour tout ce qui concerne les droits de douane et taxesaccessoires de toute nature et leur mode de perception, ainsi que lesrèglements, formalités et taxes applicables à l'occasion dudédouanement et l'ensemble des lois ou règlements régissant la venteou l'utilisation, à l'intérieur du pays, des marchandises importées 66.

En 1949, le Département d'Etat fut prié d'informer laLiquor Authority de l'Etat de New York qu'une licencepour la vente à New York de bière suédoise importéedevait être délivrée à une certaine société d'importation.Le Service juridique du Département d'Etat interprétacomme suit les dispositions du traité:

Etant donné que la clause de la nation la plus favorisée qui figuredans l'Accord commercial réciproque signé entre les Etats-Unis et laSuède en 1935 a pour seul objet d'empêcher la discrimination entre,d'une part, les importations et exportations en provenance et àdestination de la Suède et, d'autre part, les importations etexportations en provenance et à destination d'autres pays, j'ai leregret de vous informer que le Département n'est pas en mesured'adresser à la Liquor Authority de New York, comme vous lesuggérez, une lettre attestant que cet accord octroie auxressortissants suédois le même traitement que celui qui est accordéaux ressortissants d'autres pays.

Tous les pays énumérés dans la pièce jointe à votre lettre (paysdont les ressortissants sont considérés par la Liquor Authority del'Etat de New York comme pouvant être titulaires de licences pourla vente de boissons alcoolisées) ont conclu avec les Etats-Unis destraités qui accordent le droit au traitement national ou au traitementde la nation la plus favorisée aux ressortissants de ces pays exerçantdes activités commerciales. Il n'y a donc pas lieu de tenir compte del'existence des accords commerciaux que vous mentionnez [...]67.

8) Dans les exemples ci-après, la question de l'applica-tion de la règle se pose dans des circonstancesexceptionnelles. Dans Y Affaire du « Nyugat» — Sociétéanonyme maritime et commerciale suisse c. Royaume desPays-Bas, les faits étaient les suivants :

Le 13 avril 1941, le Nyugat, battant pavillon hongrois,naviguait hors des eaux territoriales des anciennes Indesnéerlandaises. Le destroyer néerlandais Kortenaer l'ar-rêta, l'arraisonna et le conduisit à Surabaya, où le navirefut coulé en 1942. Les demandeurs affirmèrent que leNyugat avait fait l'objet de mesures illicites. Le navireétait de propriété suisse. Il avait appartenu précédemmentà une société hongroise, mais la société suisse en étaitdevenue propriétaire en 1941, date à laquelle elle détenaitdéjà la totalité des parts dans la société hongroise. Lepavillon hongrois était un pavillon neutre. De son côté, le

défendeur fit valoir que les relations diplomatiques entreles Pays-Bas et la Hongrie avaient été rompues le 9 avril1941, que la Hongrie, alliée de l'Allemagne, avait attaquéla Yougoslavie le 11 avril 1941, et que par conséquent,sur la base de certains décrets néerlandais applicables enla matière, la prise du navire était licite. Les demandeurssoutinrent que ces décrets étaient contraires au Traitéd'amitié d'établissement et de commerce conclu avec laSuisse à Berne le 19 août 1875 68 ainsi qu'au Traité decommerce conclu avec la Hongrie le 9 décembre 192469,et en particulier à la clause de la nation la plus favoriséefigurant dans ces traités. Les demandeurs invoquèrentle Traité d'amitié, de navigation et de commerce conclule 1er mai 1829 avec la République de Colombie, lequelstipulait que « si, malheureusement, par la suite, il surve-nait quelque interruption dans les relations amicalesactuellement existantes », les sujets de l'une des partiescontractantes se trouvant sur le territoire de l'autre «joui-ront du privilège d'y rester et d'y continuer à vaquer àleurs affaires [...] aussi longtemps qu'ils s'y conduirontpaisiblement, et qu'ils ne commettront point d'offensescontre les lois; leurs effets et propriétés [...] ne serontsujets ni à la saisie, ni au séquestre 70 ».

Le tribunal a déclaré ce qui suit:L'argument fondé sur cette disposition ne peut à bon droit être

invoqué, car une rupture des relations amicales, telle qu'elle étaitenvisagée en 1829, ne saurait être assimilée à une rupture desrelations diplomatiques telle que celle qui s'est produite au cours dela deuxième guerre mondiale. En outre, en l'espèce, le pavillonarboré indiquait que le navire avait la nationalité hongroise, c'est-à-dire d'un pays qui avait adopté une attitude contraire aux intérêtsdu Royaume en collaborant à l'attaque allemande contre laYougoslavie, ce que les auteurs des dispositions du traité de 1829n'avaient certainement pas prévu. 11 s'ensuit de ce qui précède queles propriétaires du navire font erreur en pensant que le Tribunal nedevrait pas appliquer les décrets pour le motif qu'ils seraientcontraires à des dispositions internationales 71.

9) Pour sa part, la Commission permanente deconciliation italo-suisse, créée par le Traité de conciliationet de règlement judiciaire entre l'Italie et la Suisse, concluen 1924 72, se trouva saisie d'un différend survenu entreles deux parties à propos de l'application aux ressortis-sants suisses d'un impôt spécial sur le capital établi parl'Italie.

Le Gouvernement suisse soutenait que cet impôtspécial ne devait pas s'appliquer aux biens desressortissants suisses. Cette prétention se fondait sur laclause de la nation la plus favorisée figurant à l'article 5de la Convention d'établissement et consulaire entrel'Italie et la Suisse, signée le 22 juillet 1868. En vertu decette clause, prétendait-on, l'Italie était tenue d'exempterde la contribution spéciale les ressortissants suisses dontla situation correspondait à celle des ressortissants desNations Unies qui se trouvaient exemptés de ladite

65 SDN, Recueil des Traités, vol. CLXI, p. 109.t6Ibid.,p. 136.87 Jurisconsulte Fisher, Département d'Etat, 3 novembre 1949,

« MS. Department of State », cité par M. Whiteman, op. cit.,p 760.

68 Pays-Bas , Staatsblad van het Koninkrijk der Nedertanden,n° 137, 1878, décret du 19 septembre 1878.

69 lbid., n° 36, 1926, décret du 3 mars 1926.70 British and Foreign State Papers, 1829-1830, Londres, Ridgway,

1832, p. 909 et 910.71 Arrêt du 6 mars 1959 de la Cour suprême des Pays-Bas

(Nederlandse Jurispmdentie 1962, n° 2, p. 18 et 19) [texte originalen néerlandais].

72 SDN, Recueil des Traités, vol. XXXIII, p. 91.

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contribution par l'effet de l'article 78, paragraphe 6, duTraité de paix de 1947 avec l'Italie73.

Le passage pertinent de l'article V du Traité de 1868 estle suivant:

En temps de paix comme en temps de guerre, il ne pourra, dansaucune circonstance, être imposé ou exigé, pour les biens d'uncitoyen de l'un des deux pays dans le territoire de l'autre, des taxes,droits, contributions ou charges autres ou plus fortes qu'il n'enserait imposé ou exigé pour la même propriété si elle appartenait àun citoyen du pays ou à un citoyen de la nation la plus favorisée. Ilest d'ailleurs entendu qu'il ne sera perçu ni exigé d'un citoyen del'un des deux Etats qui se trouvera dans le territoire de l'autre aucunimpôt quelconque autre ou plus fort que ceux qui pourront êtreimposés ou levés sur un citoyen du pays ou de la nation la plusfavorisée 74.

Pour le Gouvernement italien, cette clause de la nationla plus favorisée — qui, il faut le remarquer, contientaussi un engagement au traitement national — ne pouvaitêtre invoquée à ce propos. Ce gouvernement fondait sathèse sur l'intention commune des parties au moment dela conclusion de la convention d'établissement de 1868, etsoutenait que lesdites parties avaient alors en vue laréglementation de relations pacifiques normales etn'entendaient pas appliquer la clause de la nation la plusfavorisée à des circonstances de guerre ni aux traités depaix subséquents. Il soutenait également que les traités depaix tombaient dans une catégorie particulière et tenaientplus du règlement imposé que de l'accord contractuel.

Le 9 octobre 1956, la Commission décidait de rejeter laplainte de la Suisse. Voici quelques extraits de l'exposé deses motifs:

[...] De ce que les conditions du Traité de paix ont été imposées àl'Italie, de ce que la détermination de ces conditions n'a pu fairel'objet de libres négociations entre ses parties, il a été déduit [par lapartie italienne] que l'exonération des ressortissants des puissancesalliées reposerait sur de simples décisions unilatérales de cespuissances; en conséquence, a-t-il été allégué du côté italien,l'avantage non contractuel qui en est résulté pour ces ressortissantsdevrait être considéré comme échappant à l'action de la clause de lanation la plus favorisée. La Commission ne partage pas cetteopinion. Bien qu'elle puisse être déterminée par la contrainte, lavolonté de l'Etat vaincu n'en intervient pas moins, dans un traité depaix, en toutes et en chacune des clauses qu'il contient. S'il n'enétait point ainsi, c'est la qualité même de traité qu'il faudrait dénierà tout traité de paix mettant fin à une guerre victorieuse.

Pour étendre le jeu de la clause de la nation la plus favorisée auxstipulations de l'article 78, paragraphe 6, du Traité de paix de Parisdu 10 février 1947, on [la partie suisse] a mis en avant la formeabsolue de l'article 5 de la Convention d'établissement du 22 juillet1868: « En temps de paix comme en temps de guerre, il ne pourra,dans aucune circonstance...». Il a été reconnu que la premièreformule (« en temps de paix comme en temps de guerre ») avait unsens purement temporel. La seconde elle-même (« dans aucunecirconstance ») ne saurait attribuer à la clause une fonctionexorbitante et qui serait en contradiction avec son rôle bien connudans la vie internationale, à savoir celui d'assurer l'égalité detraitement des ressortissants des divers pays dans le commercejuridique habituel. Or l'extension ici réclamée sur la base de laclause de la nation la plus favorisée aurait pour effet d'étendre

l'inégalité exceptionnelle stipulée par l'article 78 du Traité du 10février 1947. [...]

[...] Les rapports qui ont donné lieu au Traité du 10 février 1947entre l'Italie et les puissances alliées étaient des rapports debelligérance ou de post-belligérance, de vainqueur à vaincu, et quiseuls pouvaient servir de justification à l'exonération de l'impôtextraordinaire sur le patrimoine, inscrite à l'article 78, paragraphe 6,de ce traité de paix. L'absence de pareils rapports entre l'Italie et laSuisse semble exclure le jeu de la clause de la nation la plus favoriséeau bénéfice de celle-ci.

Et il importe peu, également, que la clause de l'article 5 de laConvention d'établissement italo-suisse de 1868 vise matériellementles mêmes taxes et impôts que ceux dont l'article 78, paragraphe 6,du Traité de paix du 10 février 1947 a stipulé l'exonération en faveurdes ressortissants des nations alliées. Pareille identité permettraitassurément à la Suisse d'invoquer le bénéfice de la clause sil'exonération de pareilles charges fiscales accordée par l'Italie auprofit de ressortissants tiers tendait à favoriser des relationséconomiques de même nature que celles qui existent entre la Suisseet l'Italie75.

Tout en rejetant les prétentions de la Suisse fondées surla clause de la nation la plus favorisée, la Commission,qui « s'est efforcée d'établir un règlement équitable dudifférend », estima que la Suisse devait bénéficier dutraitement national en vertu de la clause du traité de 1868citée plus haut. De la sorte, il semble que leGouvernement suisse, demandeur dans cette affaire, aitquasiment atteint son but original: si les sociétés suissesn'étaient pas totalement exemptées de la contributionspéciale en question, elles obtenaient cependant untraitement égal à celui dont bénéficiaient les sociétésitaliennes, qui supportaient une taxe variant entre 2 et 4p. 100, au lieu d'être assimilées aux autres sociétésétrangères, soumises à une contribution dont le tauxmaximal atteignait 15 p. 100 du montant total de leurcapital investi en Italie. C'est dans ces conditions que laSuisse accepta la proposition de la Commission deconciliation et acquiesça au règlement du différend. Ilfaut noter également que, aux termes du traité instituantla Commission de conciliation,

La Commission permanente de conciliation aura pour tâche defaciliter la solution du différend en éclaircissant, par un examenimpartial et consciencieux, les questions de fait et en formulant despropositions en vue du règlement de la contestation 76,

et queLe rapport de la Commission n'aura, ni en ce qui concerne

l'exposé des faits, ni en ce qui concerne les considérations juridiques,le caractère d'une sentence arbitrale 77.

10) McNair reconnaît « un certain bien-fondé » à lathèse selon laquelle les droits et privilèges obtenus dans lecadre d'un accord territorial et politique ou d'un traité de

73 P o u r référence, voir ci-dessus no te 17.74 British and Foreign State Papers, 1867-1868, vol. 58, Londres ,

Ridgway, 1873, p . 1336.

75 Commissione permanente di conciliazione fra la Repubblicaitaliana e la Confederazione svizzera, Atti relativi alla vertenzaper Vapplicazione ai cittadini svizzeri deW imposta straordinariaitaliana sul patrimonio, R o m e , Tipografia r iservata del Minis te rodegli affari esteri , 1960, p . 185 à 187.

76 Trai té de conciliation et de règlement judiciaire entre l 'Italieet la Suisse, signé à R o m e le 20 septembre 1924 ( S D N , Recueildes Traités, vol. X X X I I I , p . 94), ar t . 5.

77 Ibid., p . 96 (art. 12).

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Clause de la nation la plus favorisée 105

paix ne peuvent être réclamés par le biais d'une clause dela nation la plus favorisée. « La raison, pense-t-il, en estsans doute que de telles concessions ne sont pas de naturecommerciale, alors que le domaine habituel de la clausede la nation la plus favorisée est celui des relationsd'affaires et des relations commerciales78 ». McNair citeà ce sujet une consultation donnée par un conseillerjuridique de la Couronne en 1851. Dans sa consultation,le conseiller contestait au Portugal et aux sujets portugaisle droit « de faire sécher sur la côte de Terre-Neuve lamorue pêchée sur les bancs voisins ». La demande étaitfondée sur une clause de la nation la plus favoriséefigurant dans un traité de 1842 entre la Grande-Bretagneet le Portugal et visant à obtenir l'octroi de privilègesidentiques à ceux qui avaient été accordés par la Grande-Bretagne à la France et aux Etats-Unis d'Amérique envertu des traités de 1783. Ces traités faisaient partie d'unaccord général intervenu à la fin d'un conflit armé. Leconseiller de la Couronne déclarait :

[...] Mon opinion est que l'on ne peut légitimement considérer laclause de l'article 4 du Traité de 1842 comme s'appliquant àl'autorisation qu'il [le Chargé d'affaires portugais] réclame au profitdes sujets portugais.

J'estime que ces privilèges ont été concédés à la France et auxEtats-Unis d'Amérique dans le cadre d'un accord territorial etpolitique extorqué à la Grande-Bretagne à la fin d'une guerreremportée à ses dépens par ces deux nations 78.

11) Aucun auteur ne songerait à nier la validité de larègle ejusdem generis, qui découle de la nature même de laclause de la nation la plus favorisée. Il est généralementreconnu qu'une clause conférant les droits de la nation laplus favorisée pour certaines matières ou certainescatégories de matières ne peut s'étendre qu'aux droitsconférés dans d'autres traités (ou actes unilatéraux) en cequi concerne les mêmes matières ou les mêmes catégoriesde matières80.

12) Le système du traitement de la nation la plusfavorisée a pour effet d'attirer les dispositions d'un traitépar le biais des dispositions d'un autre. Si ce système nese limitait pas strictement aux cas où les sujets surlesquels portent les deux séries de clauses en question sontsensiblement identiques, on risquerait dans bien des casd'imposer à l'Etat concédant des obligations qu'il n'avaitjamais envisagé de souscrire81. Ainsi, la règle dériveclairement du principe de la souveraineté et del'indépendance des Etats. Ceux-ci ne peuvent être consi-dérés comme tenus au-delà des engagements qu'ils ontexpressément souscrits.

13) Une théorie tout à fait originale a récemment étéélaborée par M. Pierre Pescatore, éminent magistrat de laCour de justice des communautés européennes, dans lecadre des recherches qu'il a entreprises pour l'Institut dedroit international. Son raisonnement est le suivant:

Originairement, la règle eiusdem generis a été développée pourexprimer l'exigence d'une identité ou, à tout le moins, d'unesimilitude de l'objet des avantages qui doivent être étendus en vertu

78 A. D. McNair, op. cit., p. 302.79 Ibid., p. 303. [C'est le Rapporteur spécial qui souligne.]80 Voir Annuaire... 1970, vol. II, p. 225, doc. A/CN.4/228 et

Add.l, par. 68.81 Ibid., p. 225 et 226, par. 72.

de la clause. C'est dans cette perspective que la règle est expriméedans les dispositions de l'Accord général [du GATT], dont l'article Iprévoit l'extension des réductions tarifaires à tout «produitsimilaire ».

Mais ce n'est pas là que s'arrête cette exigence. Il faut que lerapport de similitude existe également en ce qui concerne la naturede la mesure dont l'extension est revendiquée en application de laclause et, même, en ce qui concerne le conditionnement juridique decette mesure, c'est-à-dire le cadre dans lequel elle intervient.

Ainsi, comme nous l'avons exposé ci-dessus, un Etat ne peut pas,en vertu de la clause — dont la nature est d'assurer le traitementd'étranger le plus favorable — revendiquer le bénéfice du traitementnational. La clause de traitement national, nous l'avons dit, aintrinsèquement une autre portée que la clause de la nation la plusfavorisée; elle n'est donc pas eiusdem generis par rapport à cettedernière, et son bénéfice ne peut dès lors pas être acquis parl'intermédiaire de la c.n.p.f. [clause de la nation la plus favorisée].

Quant au « conditionnement juridique », on a donné au n° 133 durapport provisoire un exemple tiré de la pratique arbitrale [il s'agitde l'affaire traitée par la Commission de conciliation italo-suisse]qui montre qu'une clause de la nation la plus favorisée insérée dansun traité d'établissement ne peut pas assurer le bénéfice d'avantagesconsentis en vertu d'un traité d'une tout autre nature, à savoir untraité de paix. Ce qui est en cause ici, ce n'est pas la natureintrinsèque de la clause, mais bien le contexte juridique: le bénéficede la clause ne peut pas porter plus loin que l'objet même du traitédans lequel elle se trouve insérée. Or, pour en rester à l'exempledonné, un traité de paix poursuit une finalité profondémentdifférente de celle d'un traité d'établissement. On a transposél'argument à la question de l'effet de la c.n.p.f. encadrée dans untraité commercial, à l'égard des avantages concédés dans le cadred'un système d'intégration économique. De l'avis du Rapporteur, iln'existe, en effet, aucune commune mesure entre un traité destinésimplement à faciliter le commerce international et l'objectifbeaucoup plus ambitieux et plus fondamental d'un traitéd'intégration économique sous forme de zone de libre-échange,d'union douanière ou d'union économique. On a donc conclu que lac.n.p.f. «commerciale» est inopérante à l'égard des avantagesconcédés dans le cadre d'un système d'intégration.

On voit dès lors l'importance capitale de la règle eiusdem generis,autant pour l'Etat qui concède la c.n.p.f. que pour les Etats qui enbénéficient. C'est en effet cette règle qui indique au premier lamesure de ses engagements, et aux seconds les limites des prétentionsqu'ils peuvent légitimement élever.

Résumons en disant que la clause ne peut produire son effet qu'àla triple condition qu'il y ait, en ce qui concerne l'avantagerevendiqué en vertu de la clause, à la fois

Identité, ou à tout le moins similitude d'objet;Identité de nature entre le standard de référence envisagé par la

clause et l'avantage concédé; enfin,Identité entre le conditionnement juridique de la clause et le

cadre dans lequel un avantage est revendiqué.

Ce sera sans doute par un approfondissement de la règle eiusdemgeneris que l'on pourra circonscrire d'une manière plus précise laportée de la clause et, par là, vider un certain nombre de divergencesqui se manifestent autour de la question de son effet82.

14) Le Rapporteur spécial ne peut partager cetteopinion. Celle-ci, dénuée de fondement théorique etpratique, est construite à partir d'un seul précédent(l'affaire entre la Suisse et l'Italie, à laquelle leRapporteur spécial ajoutera l'affaire entre le Portugal etla Grande-Bretagne) et constitue une généralisation

82 P. Pescatore, loc. cit., p. 207 à 209.

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abusive de deux cas isolés. Sauvignon critique à bon droitles conclusions de la Commission de conciliation et cellesde Pescatore dans les termes suivants:

L'inconvénient du raisonnement de la Commission et duRapporteur de l'Institut de droit international est qu'il aboutit àtransformer une clause inconditionnelle en clause conditionnelle:celle-ci ne produira ses effets qu'à la condition que le traitement plusfavorable soit d'une certaine nature, et que les rapports concédant-favorisé et concédant-bénéficiaire soient identiques ou équivalents,ce qui peut d'ailleurs être fort délicat à apprécier83.

Le même auteur conclut:

[...] en l'affaire examinée par la Commission, la solution juridiqueparaît résider dans la référence à une coutume écartant lesconventions d'ordre politique du champ d'application de laclause84.

Toutefois, cette conclusion ne s'appuie que sur uneréférence au différend entre le Portugal et l'Angleterre età la remarque de McNair citée plus haut85. A l'évidence,deux affaires ne prouvent pas l'existence d'une coutumeobligatoire. Mais, quelles conclusions pourrait-on tirer deces affaires? Si l'on admet la règle posée par l'article 5,selon laquelle les droits du bénéficiaire (et les obligationscorrespondantes de l'Etat concédant) trouvent leur sourcedans le traité contenant la clause, c'est là qu'il fautrechercher une solution au différend italo-suisse. Laclause contient la promesse de l'Etat concédant d'accor-der à l'Etat bénéficiaire le même traitement qu'il accorde(de son plein gré, cela va de soi) à tout autre Etat. L'Etatconcédant y promet de ne pas pratiquer de discriminationentre Etats au détriment du bénéficiaire de la clause. Or,la demande de la Suisse visait à étendre le jeu de la clausede la nation la plus favorisée à un traitement que l'Etatconcédant était contraint d'accorder sur la base d'untraité de paix qui, selon les termes du conseiller de laCouronne (1851), lui avait été extorqué par d'autresEtats. La partie italienne évoquait, parmi ses arguments,le fait que le traité de paix avait été imposé à l'Italie. LaCommission de conciliation a rejeté cette thèse: « Mêmes'il a été dicté par la contrainte86 », déclare laCommission, le traité de paix est un traité dans lequel lavolonté de l'Etat défendeur est néanmoins intervenue(jamenetsi coactus voluit, attamen voluit). Il est parfai-tement exact que le Traité de paix de 1947 est un traitéobligatoire — et qu'il comporte un élément de contrainte.Cet élément, sans suffire à annuler le traité, fait que lesavantages accordés aux alliés par ledit traité ne pouvaientêtre transmis à la Suisse. La clause de la nation la plusfavorisée promettait à la Suisse l'égalité de traitementdans le domaine d'application de la clause dans la mesureoù l'Etat concédant était libre de choisir parmi les autresEtats, et selon ses intérêts particuliers, ceux de sespartenaires auxquels il accordait ses faveurs. Cependant,les membres de la Commission de conciliation ont estimé— en se fondant sur l'équité — que l'obligation de l'Etatconcédant ne devait pas s'étendre aux faveurs accordées

dans les circonstances particulières déjà décrites, quiavaient conduit l'Italie à prendre un tel engagement dansun traité — traité coloré d'un élément de contrainte. Ladécision de la Commission permanente de conciliationitalo-suisse, si elle n'était pas un cas isolé appuyéseulement par un autre exemple, permettrait peut-êtred'induire qu'une clause de la nation la plus favoriséen'attire pas normalement les avantages stipulés dans untraité de paix. En revanche, affirmer d'une façon généraleque le jeu de la clause de la nation la plus favorisée exigeque non seulement la matière de la clause mais encore larelation entre l'Etat concédant et l'Etat bénéficiaire et larelation entre l'Etat concédant et l'Etat tiers soientidentiques ou similaires ne revient pas, selon nous, à« approfondir » la règle ejusdem generis, mais bien plutôtà l'étendre au-delà des limites acceptables.

15) L'essence de la règle est que le bénéficiaire d'uneclause de la nation la plus favorisée ne peut exiger del'Etat concédant des avantages d'un type autre que celuiqui est stipulé dans la clause. En termes clairs, si la clausene promet le traitement de la nation la plus favorisée quepour le poisson, on ne peut réclamer un tel traitement envertu de la même clause pour la viande87. Sauf réserveexpresse en ce sens, l'Etat concédant ne peut échapper àses obligations en faisant valoir que ses relations avec lepays tiers sont plus amicales ou « ne sont passemblables » à celles qu'il entretient avec le bénéficiaire(comme l'affirmait le dictum de la Commission deconciliation italo-suisse). C'est seulement la matièrefaisant l'objet de la clause qui doit relever de la mêmecatégorie — idem genus — et non pas la relation entrel'Etat concédant et l'Etat tiers, d'une part, et la relationentre l'Etat concédant et l'Etat bénéficiaire, de l'autre.On ne peut davantage prétendre que le traité contenant laclause doit appartenir à la même catégorie (ejusdemgeneris) que celle dont relèvent les avantages réclamés envertu de la clause88. En décider autrement réduiraitconsidérablement la valeur de la clause de la nation laplus favorisée.

16) On examinera plus loin la question de l'effet desclauses de la nation la plus favorisée sur les avantagesaccordés par des traités multilatéraux (parmi lesquels les« traités d'intégration ») et sur les avantages accordéssous forme de « traitement national », sujets évoquésdans le passage cité de M. Pescatore89.

83 E . Sauv ignon , op. cit., p . 73 et 74.84 Ibid.85 Voir ci-dessus pa r . 10.86 E. Lauterpacht, éd., InternationalLaw Reports, 1958-1, Londres,

vol. 25, 1963, p. 317.

87 Sur le problème des produits «de même nature», voir lepassage pertinent des extraits des conclusions du Comité écono-mique de la SDN concernant la clause de la nation la plus favoriséequi figurent en annexe au premier rapport du Rapporteur spécial{Annuaire... 1969, vol. II, p. 182, doc. A/CN.4/213, annexe I),et les articles Ier, II et XIII de l'Accord général du GATT (NationsUnies, Recueil des Traités, vol. 55, p. 97 à 201, 205 à 209, et 235à 239; ibid., vol. 62, p. 83 à 87, et 91; ibid., vol. 138, p. 337). Desefforts notables sont en cours pour faciliter l'identification et lacomparaison des produits grâce à l'établissement de critères uni-formes — p. ex. Convention de Bruxelles du 15 décembre 1950portant création d'un Conseil de coopération douanière (ibid.,vol. 157, p. 129), Convention du 15 décembre 1950 sur la nomen-clature pour la classification des marchandises dans les tarifsdouaniers (ibid., vol. 347, p. 127).

88 D . Vignes, op. cit., p . 282.88 Voir ci-dessus pa r . 13.

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Clause de la nation la plus favorisée 107

Article 8. — Droits acquis de l'Etat bénéficiaire

Les droits de l'Etat bénéficiaire d'une clause de la nationla plus favorisée à l'égard de l'Etat concédant ne sauraientêtre affectés par aucun accord passé entre ce dernier et unou plusieurs Etats tiers et en vertu duquel les signataires seréservent mutuellement le bénéfice de certains avantages, àmoins que l'Etat bénéficiaire ne consente expressément etpar écrit à la limitation de ses droits.

COMMENTAIRE

1) Si l'Etat A accorde le traitement de la nation la plusfavorisée à l'Etat B (et, s'il s'agit d'un traité multilatéral,aux Etats Bl, B2, B3... Bx), il s'oblige par là même àétendre à l'Etat B (Bl, B2, B3... Bx) le bénéfice de tous lesavantages qu'il octroie à tout autre Etat (C en casd'accord bilatéral, Cl, C2, C3... Cx en cas d'accordmultilatéral). Si les Etats A et C (Cl, C2, C3... Cx)conviennent de s'octroyer mutuellement des avantagesparticuliers sans en étendre le bénéfice aux autres Etats,cet accord n'affecte en rien le droit de B (Bl, B2, B3... Bx)de réclamer à A le bénéfice des avantages reconnus à C(Cl, C2, C3... Cx).

2) Cette règle découle tout naturellement de la règlegénérale en matière d'Etats tiers qui fait l'objet desarticles 34 et 35 de la Convention de Vienne sur le droitdes traités 90, ainsi que de la nature même de la clause dela nation la plus favorisée. Il paraît cependant nécessairede l'énoncer, car il existe un certain nombre d'accords,ayant plus ou moins directement pour but de créer lasituation visée dans l'article, quels que soient les doutesque l'on puisse avoir quant aux effets de ces arrangementssur le droit des Etats tiers bénéficiaires de la clause de lanation la plus favorisée. Les arrangements en questionpeuvent, soit prendre la forme de dispositions conven-tionnelles (ce qu'on appelle en français des « clausesréservées »), soit être implicitement contenus danscertains traités multilatéraux.

3) La règle proposée dans l'article 8 s'applique à toutesles clauses de la nation la plus favorisée, qu'elles soient decaractère inconditionnel ou qu'il s'agisse de clausesconditionnelles sous réserve d'avantages réciproques91.Elle est exprimée de la façon suivante au paragraphe 2 dela résolution adoptée par l'Institut de droit internationalà sa quarantième session, en 1936:

Ce régime d'égalité inconditionnelle [résultant de l'applicationd'une clause inconditionnelle de la nation la plus favorisée] nesaurait être affecté par les dispositions contraires [...] desconventions fixant les rapports avec les Etats tiers 92.

a) La « clause réservée »

4) Un débat a eu lieu au Comité économique de la SDNsur la question, posée à l'origine lors de la Conférencediplomatique réunie à Genève pour établir une conven-

tion internationale sur l'abolition des prohibitions etrestrictions à l'importation et à l'exportation, de savoir sides Etats non parties à cette convention pourraient, en seprévalant d'accords bilatéraux fondés sur la clause de lanation la plus favorisée, réclamer le bénéfice desavantages que se concéderaient réciproquement lessignataires de la convention internationale. A laConférence,

on ne tarda pas à se rendre compte que la réponse à cette questionne pouvait être donnée par la convention, qui ne saurait porternovation au contenu des accords bilatéraux reposant sur la clause dela nation la plus favorisée.

Au Comité économique, il fut proposé de prévoir dans laconvention une disposition visant à limiter les stipulationsde la convention aux parties contractantesfl3.

5) Le premier paragraphe de l'article 6 de la Conventioninternationale pour l'unification de certaines règlesconcernant les immunités des navires d'Etat, signée àBruxelles le 10 avril 192694, est conçu comme suit:

Les dispositions de la présente convention seront appliquées danschaque Etat contractant sous la réserve de ne pas en faire bénéficierles Etats non contractants et leurs ressortissants, ou d'ensubordonner l'application à la condition de réciprocité.

Vignes a fait la remarque suivante à l'égard de cettedisposition:

Une telle stipulation présente l'inconvénient de ne pas délier lesEtats contractants des obligations résultant pour eux de clausesantérieures, d'être à l'égard des partenaires de celles-ci res inter aliosacta, et donc de mettre ces auteurs en situation potentielle deviolation de la clause *5.

La référence au principe de réciprocité que contient cettedisposition n'en efface pas la faiblesse fondamentale, caron ne saurait transformer des obligations incondition-nelles en obligations conditionnelles sans le consentementde leurs bénéficiaires.

6) La même règle figure, sous une version quelque peuatténuée, dans la Convention internationale pour l'unifi-cation de certaines règles relatives aux privilèges ethypothèques maritimes, également signée à Bruxelles le10 avril 192696. L'article 14 de cette convention est ainsirédigé:

Les dispositions de la présente convention seront appliquées danschaque Etat contractant lorsque le navire grevé est ressortissantd'un Etat contractant, ainsi que dans les autres cas prévus par leslois nationales.

Toutefois, le principe formulé dans l'alinéa précédent ne porte pasatteinte au droit des Etats contractants de ne pas appliquer lesdispositions de la présente convention en faveur des ressortissantsd'un Etat non contractant.

7) Le paragraphe 4 de l'article 98 de la Charte de LaHavane, du 24 mars 1948, signée en vue de créerl'Organisation internationale du commerce, est libellé dela façon suivante:

90 Voir Documents officiels de la Conférence des Nations Uniessur le droit des traités, Documents de la Conférence (publicationdes Nations Unies, numéro de vente: F.70.V.5), p. 309.

91 Voir ci-dessus art. 6 et commentaire y relatif.92 Annuaire... 1969, vol . I I , p . 188, doc . A / C N . 4 / 2 1 3 , annexe I I .

t3Ibid., p. 187, doc. A/CN.4/213, annexe I, sous le titre « Rela-tions entre les accords bilatéraux basés sur la clause de la nationla plus favorisée et les conventions économiques plurilatérales ».

94 SDN, Recueil des Traités, vol. CLXXVI, p. 199.96 D. Vignes, op. cit., p. 291.96 SDN, Recueil des Traités, vol. CXX, p. 209.

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108 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

aucune disposition de la présente charte ne sera interprétée commeobligeant un Etat membre à accorder aux Etats non membres untraitement aussi favorable que celui qu'il accorde aux Etatsmembres aux termes de la Charte. Le fait de ne pas accorder un teltraitement ne sera pas considéré comme contraire à la lettre ou àl'esprit de la Charte 97.

La nature de cette disposition — qui n'est pas une« clause réservée » au sens strict du terme — et lescritiques formulées à son égard au Conseil économique etsocial par le représentant de l'Union soviétique sontexaminées dans le deuxième rapport du Rapporteurspécial98. Cette disposition n'a pas été retenue dansl'Accord général du GATT.

8) Les rédacteurs du Traité instituant la Communautéeuropéenne du charbon et de l 'acier" n'ont pas adoptéde «clause réservée»; mais ils ont introduit dans laConvention relative aux dispositions transitoires, signée àParis le 18 avril 1951, l'importante disposition ci-après:

DÉROGATION À LA CLAUSE DE LA NATION LA PLUS FAVORISÉE

Paragraphe 20

A l'égard des pays qui bénéficient de la clause de la nation la plusfavorisée par application de l'article premier de l'Accord général surles tarifs douaniers et le commerce, les Etats membres devrontexercer, auprès des parties contractantes audit accord, une actioncommune en vue de soustraire les dispositions du Traité àl'application de l'article premier précité. La convocation d'unesession spéciale du GATT sera, en tant que de besoin, demandée àcette fin.

En ce qui concerne les pays qui, n'étant pas parties à l'Accordgénéral sur les tarifs douaniers et le commerce, bénéficientnéanmoins de la clause de la nation la plus favorisée en vertu desconventions bilatérales en vigueur, des négociations seront engagéesdès la signature du Traité. A défaut du consentement des paysintéressés, la modification ou la dénonciation des engagements devraêtre effectuée conformément aux conditions fixées par lesditsengagements.

Au cas où un pays refuserait son consentement aux Etatsmembres ou à l'un d'entre eux, les autres Etats membres s'engagentà se prêter une aide effective qui pourrait aller jusqu'à ladénonciation par tous les Etats membres des accords passés avec lepays en question 10°.

On peut reprocher aux dispositions du troisième alinéa,du point de vue économique ou politique, d'être trop« radicales » ou « coercitives »101, mais, d'un point devue strictement juridique, il en ressort clairement quel'engagement de l'Etat qui a concédé une clause de lanation la plus favorisée ne peut prendre fin ou êtremodifié par d'autres moyens que ceux du droit des traités.

9) Le Traité instituant la Communauté économiqueeuropéenne, signé à Rome le 25 mars 1957, contientnotamment les dispositions suivantes:

97 Voir Conférence des Nations Unies sur le commerce et F emploi(La Havane, Cuba, novembre 1947-mars 1948), Acte final et docu-ments connexes (publication des Nations Unies, numéro de vente:1948.II.D.4), p. 51.

"Voir Annuaire... 1970, vol. II, p. 246, doc. A/CN.4/228 etAdd.l, par. 183 et suiv.

99 Nations Unies, Recueil des Traités, vol. 261, p. 141.100 Ibid., p. 298 et 300.101 A.-Ch. Kiss, op. cit., p. 485.

Article 234

Les droits et obligations résultant de conventions concluesantérieurement à l'entrée en vigueur du présent Traité, entre un ouplusieurs Etats membres, d'une part, et un ou plusieurs Etats tiers,d'autre part, ne sont pas affectés par les dispositions du présentTraité.

Dans la mesure où ces conventions ne sont pas compatibles avecle présent Traité, le ou les Etats membres en cause recourent à tousles moyens appropriés pour éliminer les incompatibilités constatées.En cas de besoin, les Etats membres se prêtent une assistancemutuelle en vue d'arriver à cette fin, et adoptent le cas échéant uneattitude commune.

Dans l'application des conventions visées au premier alinéa, lesEtats membres tiennent compte du fait que les avantages consentisdans le présent Traité par chacun des Etats membres font partieintégrante de l'établissement de la Communauté et sont, de ce fait,inséparablement liés à la création d'institutions communes, àl'attribution de compétences en leur faveur et à l'octroi des mêmesavantages par tous les autres Etats membres102.

Les premier et deuxième alinéas de cet article reprennentles mêmes idées que le paragraphe 20 de la Conventionrelative aux dispositions transitoires du Traité instituantla Communauté européenne du charbon et de l'acier, citéci-dessus. Le troisième se rapproche davantage d'une« clause réservée », tout en évitant de porter directementatteinte aux droits des Etats tiers. Pour sa part, Vignes yvoit une « disposition explicative et incitative103 ».

Cet « élément d'incitation » est pris plus au sérieux parle manuel soviétique de droit international, suivant lequel

le libellé assez obscur de l'article 234 ne peut en cacher le sens réel,qui fait à tout Etat partie au traité l'obligation de refuser aux paystiers, en dépit même d'accords préalables, les privilèges dontjouissent les membres du bloc communautaire104. »

Un auteur français, Thiébaud Flory, adopte uneoptique différente :

Comment les Etats membres de la CEE [Communautééconomique européenne] peuvent-ils concilier les engagements quidécoulent pour eux de la signature du Traité de Rome avec lesobligations qu'ils avaient précédemment contractées en signant desaccords multilatéraux tels que le GATT? Aux termes de l'article 234du Traité de Rome, c'est le principe de la fidélité aux engagementsantérieurement conclus qui doit prévaloir. En soumettant le Traitéde Rome à l'examen du GATT et en se montrant conciliants àl'égard des parties contractantes, les Six ont respecté ce principe105.

Bien que contradictoires à première vue, les deuxdernières opinions citées ne sont pas inconciliables: lemanuel soviétique retient l'élément « d'incitation » de ladisposition considérée; l'auteur français estime qu'ildécoule de l'article 234, pris dans son ensemble, que lesparties contractantes reconnaissent implicitement lavalidité de leurs engagements antérieurs.

10) La Convention européenne d'établissement, signée àParis le 13 décembre 1955, ne contient pas non plus de« clause réservée ». Selon Vignes :

102 Nations Unies, Recueil des Traités, vol. 294, p. 130 et 131.103 D . Vignes, op. cit., p . 293 .104 Institut d'Etat du droit de l'Académie des sciences de l'Union

soviétique, op. cit., p. 269.105 j Flory, Le GATT — Droit international et commerce mon-

dial, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1968,p. 124.

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Clause de la nation la plus favorisée 109

[...] à l'occasion de la rédaction de [cette] convention [...], [lesrédacteurs ont songé d'abord] à insérer une stipulation expresseexcluant les non-signataires de la convention du bénéfice de celle-ci,mais cette idée fut écartée, car cette stipulation eût été res inter aliosacta. On se contenta alors d'insérer dans le préambule de laconvention une phrase de nature déclarative exposant (et cherchantà convaincre les Etats non membres de ce) que les avantages que lessignataires de la convention se donneraient étaient uniquementconcédés en raison de l'étroitesse de leur association.

Il semble toutefois que même les signataires de la conventionn'aient pas été convaincus de l'excellence de leur méthode, et quecertains retards dans la ratification de la convention soient dus à undésir de s'assurer que les Etats tiers n'en demanderaient pas lebénéfice106.

La partie qui nous intéresse du préambule de cetteconvention est ainsi rédigée :

Les gouvernements signataires, membres du Conseil de l'Europe,Considérant que le Conseil de l'Europe a pour objet de

sauvegarder et de promouvoir les idéaux et les principes qui sont lepatrimoine commun de ses membres et de favoriser leur progrèséconomique et social ;

Reconnaissant le caractère tout particulier des liens qui existententre les pays membres du Conseil de l'Europe et qui trouvent leuraffirmation dans les conventions et accords déjà conclus dans lecadre du Conseil [...];

Convaincus que, par la conclusion d'une convention régionale,l'établissement de règles communes concernant le traitementaccordé aux ressortissants de chacun d'eux sur le territoire desautres est de nature à faire progresser cette œuvre d'unification;

Affirmant que les droits et prérogatives qu'ils accordentmutuellement à leurs ressortissants sont concédés uniquement enraison de l'étroite association qui unit, de par le Statut, les paysmembres du Conseil de l'Europe;

Constatant que l'économie de la Convention s'insère étroitementdans le cadre de l'organisation du Conseil de l'Europe;

Sont convenus de ce qui suit: [...]107.

11) La clause ci-après, qui figure dans l'Accord du 15juillet 1949 visant à faciliter la circulation internationaledu matériel visuel et auditif de caractère éducatif,scientifique et culturel, est le contraire d'une «clauseréservée », puisqu'elle prévoit expressément la possibilitéd'étendre à des pays tiers le bénéfice des dispositions d'untraité multilatéral :

Article III

4. Rien dans le présent Accord n'obligerait un Etat contractant àrefuser d'étendre le bénéfice des dispositions du présent article aumatériel produit dans un Etat quelconque qui ne serait pas partie àcet Accord si un tel refus était incompatible avec les obligationsinternationales ou la politique commerciale dudit Etat contrac-tant 108.

12) La Convention relative au commerce de transit desEtats sans littoral, du 8 juillet 1965, contient ladisposition suivante (art. 10), relative à la clause de lanation la plus favorisée :

1. Les Etats contractants conviennent que les facilités et droitsspéciaux accordés aux termes de la présente Convention aux Etats

sans littoral en raison de leur situation géographique particulièresont exclus du jeu de la clause de la nation la plus favorisée. Un Etatsans littoral qui n'est pas partie à la présente Convention ne peutrevendiquer les facilités et droits spéciaux accordés aux Etats sanslittoral aux termes de la présente Convention qu'en vertu d'uneclause de la nation la plus favorisée figurant dans un traité concluentre ledit Etat sans littoral et l'Etat contractant qui accorde lesditsdroits spéciaux et facilités.

2. Si un Etat contractant accorde à un Etat sans littoral desfacilités ou droits spéciaux supérieurs à ceux [qui sont] prévus par laprésente Convention, ces facilités ou droits spéciaux pourront êtrelimités audit Etat, à moins que le fait de ne pas les accorder à unautre Etat sans littoral n'enfreigne la clause de la nation la plusfavorisée contenue dans un traité conclu entre cet autre Etat sanslittoral et l'Etat contractant qui accorde lesdits droits spéciaux oufacilités109.

Le préambule de cette convention réaffirme le septièmeprincipe adopté par la Conférence des Nations Unies surle commerce et le développement à propos du commercede transit des pays sans littoral :

Les facilités et les droits spéciaux accordés aux Etats sans littoralen raison de leur situation géographique spéciale ne rentrent pasdans le champ d'application de la clause de la nation la plusfavorisée110.

Ce principe a son origine dans un projet d'article visant àl'exclusion de la validité de la clause de la nation la plusfavorisée qui faisait partie d'un texte sur le droit de libreaccès à la mer des Etats sans littoral présenté par laTchécoslovaquie en février 1958 à la Conférencepréliminaire d'Etats sans littoral. La proposition étaitassortie du commentaire ci-dessous :

Le droit fondamental du pays enclavé à l'accès de la mer, dérivantdu principe de la liberté de la haute mer, constitue un droitspécifique à ce pays, droit qui dépend de la situation géographiquenaturelle de ce pays. Il va sans dire que, vu le caractère de ce droit,nul pays tiers ne peut le faire valoir en vertu de la clause de la nationla plus favorisée. L'exclusion des accords sur les conditions dutransit, conclus entre les pays enclavés et les pays transitaires, de lasphère d'action de la clause de la nation la plus favorisée se trouvepleinement justifiée par le fait que ces accords dérivent justement dece droit fondamental111.

Les rédacteurs de la convention se sont fondés sur ceprincipe VII, dont l'article 10 semble n'être qu'uneapplication pratique. Pour apprécier la validité de l'article10 à l'égard des Etats qui ne sont pas parties à laconvention, il faut donc préciser la nature du « principe »sur lequel il repose. Ce principe dérive-t-il de règles dudroit positif, ou d'une prise de position théorique? Leconsensus auquel est arrivée la CNUCED suffit-il à enfaire une règle du droit coutumier, ou s'agit-il seulementd'«une étape dans le développement progressif et lacodification des principes du droit international », d'unenorme juridique imparfaite qui, pour devenir une

106 D . Vignes, op. cit., p . 283 et 284; voir aussi A. -Ch. Kiss ,op. cit., p . 478 à 484.

107 N a t i o n s Unies , Recueil des Traités, vol. 529, p . 143 et 145.108 Ibid., vol . 197, p . 7.

109 Ibid., vol. 597, p. 55.110 Ibid., p. 47.111 Documents officiels

le droit de la mer, vol.du libre accès à la merNations Unies, numérodoc. A/CONF.13/C.5/L.1Voir aussi le rapport dumission {ibid., p. 89, doc.

de la Conférence des Nations Unies surVII, Cinquième Commission (Question

des pays sans littoral) [publication desde vente: 58.V.4, Vol. VII], p. 82,

, annexe VI, commentaire de l'article 8.Groupe de travail à la Cinquième Com-A/CONF.13/C.5/L.16, par. 13).

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110 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

véritable règle de droit international, doit être incorporéedans la pratique des Etats112?

13) Aucun auteur ne rejette expressément la règleproposée à l'article 8. L'un d'eux écrit:

La validité de la clause réservée est d'une appréciation délicate.Res inter alios acta à l'égard de l'Etat bénéficiaire, créancier dutraitement le plus favorisé, on voit difficilement comment la clauseréservée à laquelle il n'a pas adhéré peut réduire la portée desengagements souscrits à son égard par l'Etat concédant113.

Le même auteur tente de distinguer deux situations :

Si le traité consacrant les avantages privilégiés et portant à leurégard clause réservée est antérieur à la convention accordant letraitement le plus favorisé, on pourrait arguer, compte tenu de lanécessaire publicité des traités, que l'Etat bénéficiaire n'a pu ignorerles engagements pris par l'Etat concédant et la clause réservée qui lesaffecte. On admettrait ici une adhésion implicite de l'Etatbénéficiaire à la clause réservée. En revanche, s'agissant d'une clauseréservée stipulée postérieurement aux clauses de la nation la plusfavorisée, l'Etat concédant, qui n'a assorti ces dernières d'aucunestipulation en limitant la portée, ne peut a posteriori se soustraire àleur application en vertu d'un engagement, conclu avec l'Etatfavorisé, auquel l'Etat bénéficiaire est resté étranger11*.

Cette distinction semble toutefois injustifiée, et l'argu-mentation en faveur de la validité de la « clause réservée »stipulée antérieurement à la clause de la nation la plusfavorisée ne s'appuie sur aucune règle du droit des traités.L'auteur cité renonce lui-même à cette idée et conclut:

On sait la solution qui a été [...] donnée par la Cour internationalede Justice [dans VAffaire de Y'Anglo-Iranian OH Co.]. Le traitementde la nation la plus favorisée trouve son titre dans le traité qui lastipule, et ce n'est que par référence que les avantages reconnus àl'Etat tiers s'appliquent à l'Etat bénéficiaire. La clause réservée n'estdonc pas opposable à l'Etat bénéficiaire de la clause de la nation laplus favorisée, puisque les droits du premier ne trouvent pas leursource dans le traité contenant la clause réservée11B.

b) Traités multilatéraux

14) II semble qu'il faille conclure de ce qui précède quela « clause réservée », c'est-à-dire la clause convention-nelle stipulant que l'Etat concédant et un ou plusieurs« Etats tiers » excluent expressément l'application d'uneclause de la nation la plus favorisée, n'est pas opposable àl'Etat bénéficiaire de cette dernière. A fortiori, les traitésentre Etat concédant et Etats tiers qui ne contiennentaucune stipulation expresse à cette fin ne sauraientaffecter les droits de l'Etat bénéficiaire. Cependant, on nemanque pas de disputer si, dans un domaine déterminédes relations entre Etats, certains types d'accords nedevraient pas être exclus du champ d'application de laclause de la nation la plus favorisée. Nous touchons ici à

112 Voir M. Virally, « Le rôle des principes dans le développementdu droit international », et S. Bastid, « Observations sur uneétape dans le développement progressif et la codification des prin-cipes du droit international », dans: Faculté de droit de l'universitéde Genève et Institut universitaire de hautes études internationales,Genève, Recueil d'études de droit international — En hommage àPaul Guggenheim, Genève, Imprimerie de la « Tribune de Genève »,1968, p. 531 et 132.

113 P. Level, op. cit., p. 336, par. 20.114/&</., par. 21.116 Ibid.

la question des « traités plurilatéraux », et le lecteurvoudra bien se reporter à une annexe du premier rapportdu Rapporteur spécial, où est brièvement résumé unrapport succinct présenté par le secrétariat de la SDN en1933 116. La CDI n'a fait qu'aborder cette question aucours de ses délibérations117, et il semble donc utile d'enretracer l'historique plus en détail. Sans vouloir remonterplus haut118, nous rappellerons que la question desaccords plurilatéraux a été au premier plan des débats dela Conférence monétaire et économique mondiale de1933. Une commission préparatoire d'experts avaitprésenté un « projet d'ordre du jour annoté » de laConférence, où l'on peut lire le passage suivant:

De divers côtés, on a demandé avec insistance que les Etatsprévoient une exception à la clause de la nation la plus favorisée, parlaquelle les avantages résultant d'accords multilatéraux resteraientlimités aux Etats contractants ainsi qu'aux Etats qui accorderaientpar voie autonome des avantages équivalents. Cette proposition, quia déjà été adoptée dans certains traités bilatéraux, devra, sans aucundoute, être attentivement étudiée. On fait valoir, à l'appui de cetteproposition, qu'à défaut d'une semblable exception la conclusion deconventions collectives se heurterait à des obstacles insurmontables,l'application de la clause, en pareil cas, constituant une véritableprime à l'abstention. D'autre part, il y a lieu de se rappeler que lescirconstances dans lesquelles se trouvent les divers pays diffèrentconsidérablement, de sorte que, dans bien des cas, certains Etats setrouveraient dans l'impossibilité de renoncer à l'application de laclause dans le cas des accords collectifs, alors qu'ils ignorent encoreà quels accords pourrait ultérieurement s'appliquer cette renoncia-tion et qu'ils ne peuvent prévoir les conséquences qui enrésulteraient pour eux. Par ailleurs, si l'on créait des groupes de paysopposés les uns aux autres, on courrait le risque de voir s'aggraverles maux qu'on voulait précisément empêcher. On a enfin soutenuqu'il fallait éviter de porter atteinte aux droits des tiers.

En tout état de cause, la dérogation envisagée doit êtresubordonnée à la condition que les accords collectifs visés soientouverts à l'adhésion de tous les Etats intéressés et que leur objet soitconforme à l'intérêt général. Parmi les conditions qui pourraientêtre prises en considération, on a mentionné une disposition d'aprèslaquelle ces accords devraient être conclus sous les auspices de laSociété des Nations ou des organismes qui en dépendent. En outre,ils ne devront pas comporter de nouvelles entraves aux échangescommerciaux dans les relations avec les pays bénéficiant de la clausede la nation la plus favorisée. Enfin, les « accords collectifs » nepourront être considérés comme tels que dans des conditions à fixer,en ce qui concerne le nombre des Etats participants.

La Conférence devra rechercher sur l'ensemble de cette questionune solution qui concilierait les intérêts de tous119.

15) Avant la Conférence de 1933, les pays européensavaient formulé des propositions en vue de l'applicationd'un régime dérogatoire en matière d'accords collectifs,propositions qui tendaient, sous une forme ou sous uneautre, à lutter contre la concurrence commerciale

119 Voir Annuaire... 1969, vol. II, p. 186 et 187, doc. A/CN.4/213,annexe I, « Relations entre les accords bilatéraux basés sur laclause de la nation la plus favorisée et les conventions économiquesplurilatérales ».

117 Voir Annuaire... 1968, vol. I, p. 192, 976e séance, par. 11.us y o j r j v j n e r ) fne Customs Union Issue, Studies in the admin-

istration of international law and organization, n° 10, New York,Carnegie Endowment for International Peace, 1950, p. 22 et suiv.

119 SDN, Conférence monétaire et économique, Projet d'ordredu jour annoté soumis par la Commission préparatoire des experts(C.48.M.18.1933.II [Conf. M.E. I]), p. 31 et 32.

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Clause de la nation la plus favorisée 111

américaine sur Je marché européen120. Ces propositionss'étaient heurtées à l'opposition résolue des Etats-Unis.La situation évolua quelque peu lors de la Conférence de1933, au cours de laquelle le Secrétaire d'Etat des Etats-Unis, M. Cordell Hull, précisa les conditions danslesquelles les Etats-Unis accepteraient que les avantagesrésultant d'accords multilatéraux soient exclus du jeu dela clause de la nation la plus favorisée.

La disposition proposée par M. Hull à la Conférenceétait la suivante :

Les gouvernements participants insistent pour que l'on accepted'une manière générale le principe suivant: la règle de l'égalitén'exigera pas que l'on étende aux non-participants la réduction destarifs ou des restrictions d'importation consentie en exécutiond'accords plurilatéraux et permettant raisonnablement d'espérerqu'elle aboutira à une amélioration économique générale de larégion commerciale intéressée, suffisante pour que les avantages ensoient ressentis pas les pays d'une manière générale; pourvu quelesdits accords :

a) S'appliquent à une zone commerciale d'une importance assezgrande;

b) Prévoient des réductions qui seront réalisées par voie depourcentages uniformes de tous les taux tarifaires ou par toute autreformule d'une application également large;

c) Soient ouverts à l'adhésion de tous les pays;

d) Accordent le bénéfice des réductions à tous les pays qui, enfait, accorderont les concessions stipulées; et

é) Pourvu que les pays parties aux accords plurilatéraux nerelèvent pas d'une manière sensible, pendant la période de validitédu traité plurilatéral, leurs barrières commerciales contre lesimportations de pays non parties auxdits accords121.

Cependant, la Conférence de Londres « n'était passeulement condamnée à s'ajouter à la liste déjà longue desconférences économiques internationales qui avaientavorté, mais, le président Roosevelt ayant, dans unmessage retentissant, rejeté catégoriquement les propo-sitions pour une stabilisation monétaire dont la Confé-rence était saisie, elle devait s'achever sans même que l'onfît les efforts habituels pour prétendre qu'elle avait faitœuvre utile122 ». Un peu plus tard la même année, lors dela Conférence internationale américaine de Montevideo,M. Hull présenta un projet d'accord ayant de nombreuxpoints communs avec la proposition qu'il avait soumise àla Conférence de Londres, et il en obtint l'adoption deprincipe.

16) La proposition des Etats-Unis aboutit à l'ouvertureà la signature, le 15 juillet 1934, d'un accord concernantla non-application de la clause de la nation la plusfavorisée à certaines conventions économiques multilaté-rales123. Cet accord dispose:

120 y o j r j e s détails dans Viner, op. cit., p. 22 et suiv.121SDN, Conférence monétaire et économique, Rapports

approuvés par la Conférence le 27 juillet 1933 et résolutions duBureau et du Comité exécutif (C.435.M.220.1933.II [Conf.M . E . 22 (1)]), p . 43 .

122 J. Viner, op. cit., p . 36.123 Accord entre les Etats-Unis d'Amérique, l'Union économique

belgo-luxembourgeoise, la Colombie, Cuba, la Grèce, le Guatemala,le Nicaragua et le Panama, en vue d'éviter que les obligationsdécoulant de la clause de la nation la plus favorisée ne soientinvoquées pour obtenir les avantages et bénéfices établis par cer-taines conventions économiques multilatérales (SDN, Recueildes Traités, vol. CLXV, p. 9).

Article premier

Les Hautes Parties contractantes ne feront pas appel, dans leursrelations entre elles, sauf dans les cas prévus à l'article II du présentaccord, aux obligations découlant de la clause de la nation la plusfavorisée, dans le but de se procurer des pays parties à desconventions multilatérales du genre exposé ci-après les avantages oubénéfices dont jouissent les parties à ces conventions.

Le présent article vise les conventions économiques multilatéralessusceptibles d'une application générale, qui englobent une zonecommerciale sensiblement étendue, qui ont pour objet de faciliter etde stimuler le commerce international ou d'autres relationséconomiques internationales, et auxquelles tous les pays sont admisà adhérer.

Article II

Nonobstant les dispositions de l'article premier, toute HautePartie contractante peut demander à un Etat avec lequel elle aura untraité contenant la clause de la nation la plus favorisée l'observationde cette clause, pour autant que ladite Haute Partie contractanteaccorde en fait audit Etat les avantages qu'elle réclame.

Malgré la déclaration du Secrétaire d'Etat Hull citéedevant la CDI124, la seule interprétation possible de cetaccord semble bien être que selon ses auteurs, et saufdispositions contraires, le traitement de la nation la plusfavorisée inclut les avantages accordés dans les accordsmultilatéraux. (C'est également dans ce sens queWhiteman paraît interpréter la position adoptée par lesEtats-Unis à cette époque125.) L'accord visait manifeste-ment à créer par consentement mutuel une dérogationconventionnelle et, si possible, largement acceptée à larègle générale. L'expérience devait échouer, trois Etatsseulement (et non pas deux, comme il est indiqué dans lepremier rapport du Rapporteur spécial126) étant devenusparties à l'accord: Cuba, les Etats-Unis d'Amérique et laGrèce. On ne peut retenir le fait que, en signant l'accordad référendum, l'ambassadeur de Belgique ait affirmé quece document ne constituait pas une règle nouvelle et nefaisait que sanctionner ce qui était déjà une norme dudroit international127. Ce que l'ambassadeur de Belgiqueconsidérait en 1935 comme une norme établie devait, en1938, devenir l'objet d'une proposition du PremierMinistre de Belgique. M. van Zeeland, dans son rapportprésenté à la demande des Gouvernements britannique etfrançais, recommanda que

Des exceptions à la clause de la nation la plus favorisée soientadmises pour permettre des accords de groupe visant à abaisser lesbarrières tarifaires, sous réserve que ces accords soient ouverts àl'adhésion d'autres Etats128.

L'idée que la clause de la nation la plus favorisée nedonne pas droit au traitement résultant des stipulationsde conventions commerciales multilatérales ouvertes àl'adhésion de tous les Etats a mené à la résolutionadoptée par l'Institut de droit international à saquarantième session (Bruxelles, 1936)129.

124 P o u r référence, voir ci-dessus no te 117.125 M . W h i t e m a n , op. cit., p . 765.126 Annuaire... 1969, vol. I I , p . 182, doc . A / C N . 4 / 2 1 3 , pa r . 105.127 G . H . H a c k w o r t h , op. cit., p . 293.128 S D N , La politique commerciale entre les deux guerres: Pro-

positions internationales et politiques nationales (Sér. pub l . de laS D N , 1942.II.A.6), p . 77.

129 Voir pa ragraphe 7 de la résolution {Annuaire... 1969, vol. I I ,p . 188, doc . A /CN.4 /213 , annexe II).

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112 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

17) En ce qui concerne la doctrine, c'est un auteurjaponais130 qui a proposé qu'on fasse une distinctionentre les « traités collectifs d'intérêt particulier » et les« traités collectifs d'intérêt général » concernant lecommerce international et les tarifs douaniers. Les clausesde la nation la plus favorisée contenues dans des traitésbilatéraux donneraient uniquement droit aux avantagesprévus dans les conventions appartenant à la premièrecatégorie, car, selon l'auteur, les traités appartenant à ladeuxième catégorie étant ouverts à tous les Etats, ilsuffirait à ceux-ci d'y adhérer pour bénéficier desavantages qu'ils stipulent. Cette solution, en obligeant lesEtats qui voudraient bénéficier des avantages d'un traitémultilatéral à y adhérer et à assumer également lesobligations qui en résultent, les placerait sur le même piedque les autres parties contractantes, alors que, si la clausede la nation la plus favorisée jouait, ces Etats pourraientse contenter de réclamer les avantages stipulés dans letraité multilatéral sans se soumettre aux obligationscorrespondantes13X.

Cette théorie a été sévèrement critiquée par E. Allix,qui écrit, au sujet de l'argument fondé sur le caractèreouvert de certains traités multilatéraux :

Ici deux réponses se présentent: la première, c'est que, si la clauseest inconditionnelle, elle va être transformée en clause condition-nelle, puisque le pays qui adhérera au traité devra en assumer lesobligations pour en recueillir les avantages. Prétendre qu'il y auraitimmoralité à ce qu'il en fût autrement, c'est refaire le procès de laclause inconditionnelle, car elle aboutit toujours à conférer desavantages gratuits. Comment concilier, au surplus, la critique qu'onlui adresse à propos des traités plurilatéraux avec la recommanda-tion faite par le Comité économique d'employer toujours la formuleinconditionnelle? D'autre part, il ne suffit pas que l'engagementqu'on a souscrit devienne gênant à un moment donné pour qu'onpuisse s'arroger le droit de le modifier.

Enfin, qu'est-ce qu'un traité ouvert? M. Ito évoque lui-même lecas d'un traité auquel seraient théoriquement admis tous les Etatsqui le désireraient et dont les conditions seraient telles qu'elles nepourraient être remplies, en fait, que par les premiers signataires.

Par ailleurs, ces conditions, même réalisables, sont loin d'êtreindifférentes. L'Etat qui adhérera dans la suite au traité devra lesaccepter sans avoir pu les discuter. Les obligations dont on lui ferapayer des avantages qui lui étaient dus gratuitement, si la clause étaitinconditionnelle, peuvent être plus gênantes pour lui que pour lesautres pays. Il peut aussi avoir des raisons particulières de ne pasadhérer au traité. L'affiliation à un groupement même purementéconomique a toujours des répercussions politiques qui peuvent lalui interdire.

Mettre le pays auquel on a accordé la clause en demeured'adhérer à une entente qui peut lui répugner, c'est agir un peucomme la personne qui dirait à son créancier : « Je vous avais promisde vous verser un million, mais je suis dispensé de vous le payer, caril vous est loisible d'épouser Mlle X, qui vous l'apportera en dot. »

Le fait qu'on retire, en l'espèce, tous les bénéfices de la clause aupays envers qui on s'était lié ressort, au surplus, avec évidence decette constatation qu'il se trouvera placé exactement sur le mêmepied que les pays qui n'avaient pas obtenu la promesse du traitementle plus favorable et qui pourront aussi bien que lui adhérer au traitéouvert.

Nous sommes ainsi amenés à conclure que la clause de la nationla plus favorisée fait bien obstacle à la négociation de traitésplurilatéraux, et que cet obstacle ne peut être levé que par uneréserve explicitement formulée dans l'acte qui l'a octroyée ou par leconsentement amiable des Etats bénéficiaires de la clause132.

Rousseau écrit dans le même sens :

[...] l'exclusion [des avantages d'un traité collectif] de l'Etat partieau traité bilatéral, quels que soient les arguments d'opportunité quimilitent en sa faveur, cadre difficilement avec la clause de la nationla plus favorisée et est en contradiction évidente avec les garantiesd'égalité antérieurement données à l'Etat bénéficiaire de laditeclause. Sous couleur de déjouer les calculs égoïstes d'un Etatdésireux d'obtenir à bon compte des avantages tarifaires, ne va-t-onpas commettre une immoralité pire en refusant à un cocontractantl'application d'une clause dont on lui avait à l'avance promis lebénéfice133?

Rousseau conclut comme Allix :

Force est bien de reconnaître que, du point de vue de la techniquejuridique, cette dernière solution [réserve explicitement formulée ouconsentement amiable des Etats bénéficiaires de la clause] était pluscorrecte, parce que plus soucieuse de respecter l'accord de volontésdes Etats, seul fondement solide du droit positif134.

18) La pratique elle aussi prouve que le conflit entre lesaccords plurilatéraux et les obligations résultant desclauses de la nation la plus favorisée ne peut être résolupar la théorie d'Ito. La convention négociée à Ouchy etsignée à Genève le 18 juillet 1932 par la Belgique, leLuxembourg et les Pays-Bas disposait notamment que lesparties ne relèveraient pas les droits existants et necréeraient pas de nouveaux droits sur les importationsprovenant des autres parties signataires; que les droitsexistants sur les importations provenant des autres Etatssignataires seraient réduits de 50%, à raison de 10% paran; qu'aucune nouvelle barrière ne serait ajoutée auxdroits sur les importations provenant des autres Etatssignataires ; et que la convention serait ouverte aux autresEtats et que les avantages en résultant seraient consentisaux Etats qui, sans y adhérer, en appliqueraienteffectivement les clauses. La Belgique et les Pays-Bas,cependant, étaient liés par des traités commerciauxassortis de clauses de la nation la plus favorisée avec leRoyaume-Uni et d'autres pays, et la Convention d'Ouchyne devait entrer en vigueur qu'après que ces pays auraientrenoncé à leurs droits. La Grande-Bretagne refusa de lefaire, la Conférence d'Ottawa, tenue la même année,adopta une résolution déclarant que les accords régio-naux ne devaient pas l'emporter sur les obligationsrésultant de la clause de la nation la plus favorisée, et lesEtats-Unis d'Amérique ne répondirent pas à la demandequi leur avait été adressée. En conséquence, la conventiondevint caduque sans être jamais entrée en vigueur135. LaConvention de La Haye, du 28 mai 1937, pour sa part,fut signée par les pays signataires de la Convention

130 N . I t o , La clause de la nation la plus favorisée, Pa r i s , LesEdit ions internationales, 1930.

131 Voir, dans le même sens, G . Scelle, Précis de droit desgens — Principes et systématique, Paris, Sirey, 1934, t. I I , p . 390.

132 E. Allix, « Les aspects juridiques de la clause de la nat ionla plus favorisée», Revue politique et parlementaire, Paris, t. 148,juillet-septembre 1931, p . 231 et 232. [C'est le Rappor teur spécialqui souligne.]

133 Ch. Rousseau, Principes généraux du droit internationalpublic, Paris, Pédone, 1944, t. I, p . 777.

134 Ibid., p . 778.135 J. Viner, op. cit., p . 30 et 31 .

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Clause de la nation la plus favorisée 113

d'Ouchy et par la Norvège, la Suède, le Danemark et laFinlande. Cette convention fixait des taux tarifaires« obligatoires » et prévoyait la suppression de certainesrestrictions quantitatives concernant les importations enprovenance des parties contractantes, qui s'engageaient àne pas fixer de contingents pour les produits pour lesquelsil n'en existait pas déjà. Tous les Etats qui n'étaient pasparties à la convention étaient admis à y adhérer, selondes conditions à négocier avec les pays signataires. LaConvention de La Haye entra bien en vigueur, mais lesPays-Bas refusèrent de la reconduire à la fin de lapremière année, et les autres Etats parties la laissèrent seprescrire. Là encore, l'échec provenait de ce que d'autrespays, et en particulier le Royaume-Uni, avaient insistépour faire jouer la clause de la nation la plus favorisée136.

c) Le G A TT et les Etats non membres

19) L'Accord général du GATT ne contient aucunedisposition semblable à celle du paragraphe 4 de l'article98 de la Charte de La Havane137. La pierre angulaire del'Accord général est une clause inconditionnelle de lanation la plus favorisée. L'Accord est ouvert à l'adhésionde tous les Etats, du moins selon certains auteurs138, quiinterprètent ainsi le texte de l'article XXXIII, rédigécomme suit :

Tout gouvernement qui n'est pas partie au présent Accord [...]pourra adhérer au présent Accord [...] à des conditions à fixer entrece gouvernement et les Parties contractantes. Les Partiescontractantes prendront à la majorité des deux tiers les décisionsvisées au présent paragraphe13B.

Quelle est la position des Etats tiers non membres duGATT? Peuvent-ils invoquer des clauses bilatérales de lanation la plus favorisée pour demander à bénéficier dutraitement prévu par le GATT pour ses membres? Rienn'empêche de répondre à cette question par l'affirmative,et le fait que certains traités excluent expressément lesavantages prévus par le GATT du domaine d'applicationde la clause, loin de contredire ce point de vue, ne fait quele confirmer140.

Le Groupe de travail du GATT des questions rela-tives à l'organisation et aux fonctions a examiné en1955 les problèmes qui se posent lorsque des partiescontractantes veulent étendre à des parties non contrac-tantes, par la conclusion d'accords bilatéraux, lesavantages résultant de l'Accord. On a fait observer à cetteoccasion que les parties non contractantes bénéficiaientfréquemment de tous les avantages de l'Accord sans avoirà en assumer les obligations. Malgré un certainmécontentement provoqué par cette situation, la majoritédes membres du Comité s'est accordée à reconnaître quel'attitude de chacune des parties contractantes à cet égardne relevait que d'elle-même141. Selon le manuel sovié-

136 Ibid.137 Voir ci-dessus par . 7.138 y o j r g Sauvignon, op. cit., p. 266.139 Na t ions Unies , Recueil des Traités, vol. 62, p . 35.140 E . Sauv ignon , op. cit., p . 267.141 Document GATT L/327, cité par K. Hyder (Hasan), Equality

ofTreatment and Trade Discrimination in International Law, La Haye,Nijhoff, 1968, p. 78, note 2. Voir aussi Annuaire... 1970, vol. II,p. 247, doc. A/CN.4/228 et Add.l, par. 187.

tique de droit international, l'Autriche, après avoiradhéré au GATT, n'a pas étendu immédiatement lestarifs douaniers du GATT à l'Union soviétique, malgré letraitement de la nation la plus favorisée prévu par traitéentre les deux pays. Ces tarifs n'ont été appliqués àl'URSS qu'à la demande expresse de celle-ci. Par contre,d'autres pays d'Europe occidentale ayant conclu avecl'Union soviétique des traités du même type ont faitbénéficier automatiquement les produits soviétiques desavantages prévus par le GATT142.

20) Dans Y Affaire C. Tennant, Sons and Co., of NewYork c. DM1*3, jugée devant le tribunal de district dudistrict sud de New York, la partie requérante a invoquéun accord commercial entre les Etats-Unis d'Amérique etle Paraguay prévoyant le traitement de la nation la plusfavorisée pour les droits et les formalités douanières144.Elle cherchait à obtenir, en se fondant sur cette clause, lesavantages de l'exception aux restrictions quantitatives quel'Accord général du GATT prévoit pour les marchandises« en cours de route » (par. 3, al. b, de l'article XIII)145.Grâce à cette exception, les marchandises en cours deroute au moment où sont établies des restrictionsquantitatives peuvent entrer dans le pays qui institue cesrestrictions. Le Paraguay n'étant pas partie à l'Accordgénéral, les requérants se fondaient sur l'octroi dutraitement de la nation la plus favorisée stipulé dansl'accord bilatéral. Le tribunal a rejeté la demande en1957, mais seulement pour le motif que la clause de lanation la plus favorisée figurant à l'article Ier de l'accordcommercial avec le Paraguay, rédigée avec clarté etprécision, s'appliquait aux droits de douane et dansd'autres domaines, mais ne contenait aucune dispositionpermettant de l'appliquer aux restrictions à l'importationcomportant la fixation de contingents :

II semble donc clair que la clause de la nation la plus favoriséefigurant dans l'accord commercial avec le Paraguay n'a pas uncaractère suffisamment général pour donner au Paraguay, et par là àla partie requérante, le droit aux avantages résultant de ladisposition du GATT relative aux marchandises en cours deroute1*6.

Ainsi, le jugement reconnaissait implicitement qu'il étaitpossible d'invoquer une clause bilatérale pour demanderà bénéficier des avantages du GATT, à condition queceux-ci soient de même nature.

d) Autres accords multilatéraux ouverts à l'adhésion, etEtats non parties

21) Avant de devenir partie à l'Accord du 22 novembre1950 pour l'importation d'objets de caractère éducatif,scientifique ou culturel (Accord de Florence)147, les Etats-Unis avaient réclamé pour les produits américains, autitre de clauses de la nation la plus favorisée, le même

142 Inst i tut d 'E t a t du droit de l 'Académie des sciences de l 'Un ionsoviétique, op. cit., p . 270.

1 4 3 1 5 8 F . Supp.63 (S .D.N.Y. 1957), cité pa r M . Whi teman ,op. cit., p . 760 à 762.

144 Accord d u 12 septembre 1946 relatif aux échanges commer -ciaux (Nat ions Unies , Recueil des Traités, vol. 125, p . 179).

145 Ibid., vol. 55, p . 239.146 Voir M . Whi teman , op. cit., p . 761 et 762.147 Na t ions Unies , Recueil des Traités, vol. 131, p . 25.

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114 Annuaire de la Commission du droit international, 1793, vol. II

traitement que celui que s'accordaient réciproquement lesparties à l'Accord. C'est ainsi que, le 12 juin 1963, leDépartement d'Etat adressait les instructions suivantes àl'ambassade des Etats-Unis à Rome:

Etant donné la position désavantageuse dans laquelle les mesuresdu Gouvernement italien ont placé les exportations américaines dematériel scientifique par rapport aux exportations concurrentes,l'Ambassade pourrait aborder officieusement cette question avec lesautorités italiennes compétentes. Ces discussions auraient pour butd'obtenir l'entrée en franchise du matériel de ce type qui est importédes Etats-Unis pour être vendu aux institutions agréées. En prenantcontact avec le Gouvernement italien, l'Ambassade pourra faireobserver que le paragraphe 1 de l'article XIV de notre traité avecl'Italie148 et le paragraphe 1 de l'article Ier de l'Accord général duGATT149 prévoient le traitement inconditionnel de la nation la plusfavorisée pour les produits américains. Ce traitement est soumis àcertaines exceptions déterminées, mais l'Accord de Florence nesemble correspondre à aucune de ces exceptions. Si l'Italie autorisedans certaines conditions l'entrée en franchise du matérielscientifique provenant de quelque autre pays que ce soit, elle doitfaire bénéficier du même traitement les importations de matérielscientifique américain 15°.

En présentant au Congrès le projet de loi nécessaire àl'entrée en vigueur de cet accord, le Gouvernement desEtats-Unis fit valoir que, selon lui, un pays non partie àl'Accord avait « droit, en vertu de la clause de la nationla plus favorisée, à la franchise douanière que s'accordentréciproquement les Etats parties à l'Accord ». Legouvernement précisait sa position en ajoutant que, « aupoint de vue juridique, un pays non partie à l'Accord adroit à ce traitement en vertu de toute clauseinconditionnelle de la nation la plus favorisée le liant àune partie audit accord », tout en reconnaissant quecertaines parties à l'Accord donneraient peut-être uneréponse différente à la même question151.

Le 21 octobre 1957, lors d'une réunion d'expertsgouvernementaux sur l'Accord pour l'importation d'ob-jets de caractère éducatif, scientifique ou culturel (tenue àGenève du 21 au 29 octobre 1957), le représentant de laFrance exposa les vues ci-après :

M. Roisin (France) rappelle que les dispositions de l'article Ier,paragraphe 1, ne sont applicables qu'aux objets visés dans lesannexes A, B, C, D et E de l'Accord et qui sont des produits d'unautre Etat contractant. La France accorde néanmoins la franchise,quel que soit le pays d'origine ou de provenance des envois. Elleestime en effet que, par le jeu de la clause inconditionnelle de lanation la plus favorisée inscrite dans les accords commerciauxqu'elle a conclus avec la plupart des pays, et compte tenu parailleurs des engagements figurant à l'alinéa a de l'article IV del'Accord, il ne doit être fait à l'égard des objets visés aucunedistinction d'origine ou de provenance. Le Gouvernement françaisaimerait savoir si cette interprétation est admise par les autres Etatscontractants152.

L'article IV, al. a, de l'Accord de Florence susmentionnéprévoit que les parties « s'engagent, dans toute la mesuredu possible [...] à poursuivre leurs efforts communs afinde favoriser par tous les moyens la libre circulation » des

148 Traité d'amitié, de commerce et de navigation, signé à Romele 2 février 1948 (ibid., vol. 79, p. 226).

li9Ibid., vol. 55, p. 197, et vol. 138, p. 337.150 y o j r M Whiteman, op. cit., p. 766 et 767.151 Ibid., p. 767.152 Document UNESCO/MC/34/SR.l-ll, p. 10, cité par

M. Whiteman, op. cit., p. 768.

objets sur lesquels porte l'accord et « d'abolir ou deréduire toutes restrictions à cette libre circulation qui nesont pas visées par le présent Accord153 ».

e) Traités multilatéraux non ouverts à l'adhésion

22) Les exemples donnés ci-dessus semblent suffire àprouver que la règle envisagée à l'article 8, étantconforme au droit général des traités, est valable, etqu'un accord — exprès ou implicite — entre l'Etatconcédant et un Etat tiers ne peut priver l'Etatbénéficiaire des droits dont il jouit en vertu de la clause.L'étude réalisée dans ce domaine repose principalement,sinon exclusivement, sur la pratique et la doctrine enmatière de traités multilatéraux ouverts à l'adhésionconclus dans le cadre du commerce international. Ausujet des traités de ce type, on a invoqué certainsarguments fondés sur une conception erronée de la naturede la clause inconditionnelle de la nation la plusfavorisée, en se référant à une certaine pratique quitendrait à faire exception à l'application de la clause de lanation la plus favorisée. Toutefois, après examenapprofondi de la pratique et de la doctrine des Etats, on aconclu qu'« il n'est pas possible de dégager de tout celaune coutume constante et uniforme acceptée comme étantle droit154» qui justifierait l'élaboration d'une règleexcluant les traités multilatéraux ouverts à l'adhésion —ou plutôt les avantages résultant de ces traités — duchamp d'application des clauses de la nation la plusfavorisée. Les arguments tendant à exclure les avantagesprévus par certains traités commerciaux multilatérauxreposaient sur le fait que ces traités sont ouverts àl'adhésion, de sorte que l'Etat bénéficiaire aurait lapossibilité d'adhérer à ces traités et de jouir ainsi desavantages reconnus à tout signataire. En examinant — eten rejetant — cet argument, on est amené à conclure qu'ilest encore plus impossible d'accepter une dérogationquelconque à l'application des clauses de la nation la plusfavorisée figurant dans les traités qui ne sont pas ouvertsà l'adhésion. Il convient néanmoins d'étudier cettequestion plus à fond, étant donné surtout que l'onpropose encore, dans certains cas, d'exclure du champd'application de la clause les avantages octroyés dans lecadre de groupements économiques d'Etats qui ne sontpas ouverts à la signature des pays non parties, et l'onavance différentes théories pour faire reconnaître cesexceptions. On se contentera à ce sujet de se référer auparagraphe 7 de la résolution de 1936 de l'Institut dedroit international155 et à la résolution que celui-ci aadoptée à Edimbourg le 10 septembre 1969156. En ce quiconcerne la résolution de 1936, Vignes a fait observer àjuste titre qu'elle va beaucoup plus loin que leRapporteur (Nolde) ne l'avait prévu à l'origine, et quel'exception des arrangements régionaux (« accordsmutuels et exclusifs entre Etats, impliquant l'organisationde régimes économiques d'un caractère régional oucontinental») n'a été adoptée que par 19 voix contre

153 Nat ions Unies, Recueil des Traités, vol. 131, p . 31 .154 Affaire colombo-péruvienne relative au droit d'asile, Arrêt

du 20 novembre 1950, CM. Recueil 1950, p . 277.155 Voir Annuaire... 1969, vol . I I , p . 188, doc . A /CN.4 /213 ,

annexe I I ; et P . Pescatore , loc. cit., p . 1 à 159.156 y o j r ci-dessous annexe.

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Clause de la nation la plus favorisée 115

14157. Tout en pensant que cette résolution avait un« caractère très progressif», Vignes ajoute:

On peut s'interroger sur le bien-fondé de telles exceptions. Ellessont très largement formulées, et la pratique subséquente ne semblepas les avoir reconnues, du moins d'une manière universelle158.

Quant à la résolution de 1969, et sans vouloir aborder leproblème capital évoqué à l'alinéa a du paragraphe 2, onpeut dire sans trop s'avancer que l'alinéa b du paragra-phe 2 n'a qu'une importance limitée: d'abord parce qu'ilporte uniquement sur les clauses de la nation la plusfavorisée qui figurent dans les conventions multilatéralesrelatives au commerce international, et ensuite « car iln'est pas indiqué qu'il s'agisse d'une exception de pleindroit159 ». Cette disposition semble moins viser à établirun principe juridique d'ordre général qu'à fournir unélément de solution à certains problèmes particuliers, telsque la compatibilité du Traité de Rome, instituant laCommunauté économique européenne 16°, avec les règlesde l'Accord général du GATT. Les prochaines étudesenvisagées devront manifestement s'étendre à des ques-tions délicates comme le «fameux problème de l'uniondouanière et de la zone de libre-échange, [...] ce problèmesi compliqué et toujours si actuel161», et s'attarder enoutre sur les rapports entre la règle proposée pourl'article 8 et les exceptions conventionnelles et coutu-mières à la clause de la nation la plus favorisée.

157 Annuaire de VInstitut de droit international, 1936, Par i s , vol . 39,1936, t. I I , p . 83 .

158 D . Vignes, op. cit., p . 270.159 lbid., p . 280.160 N a t i o n s Unies , Recueil des Traités, vol . 294, p . 17.161 M. Virally, « Le principe de réciprocité... » (loc. cit.), p. 76.

Annexe

Résolution adoptée le 10 septembre 1969 par l'Institut de droitinternational à sa session d'Edimbourg (4-13 septembre 1969)a

II. — LA CLAUSE DE LA NATION LA PLUS FAVORISÉEDANS LES CONVENTIONS MULTILATÉRALES

(Quatrième Commission)

L'Institut de droit international,Rappelant la résolution votée au cours de sa quarantième session

(1936) sur « Les effets de la clause de la nation la plus favorisée en

a Annuaire de VInstitut de droit international, 1969, Bâle, vol. 53,t. II, p. 361 et 362.

matière de commerce et de navigation », spécialement en ce quiconcerne le caractère inconditionnel de la clause, l'automaticité etl'étendue de ses effets, ainsi que le respect du principe de la bonnefoi dans son application ;

Considérant la nécessité de revoir les problèmes soulevés parl'application et l'interprétation de la clause en raison de la profondemutation intervenue depuis cette époque dans les rapportsinternationaux par l'effet de l'introduction, dans le domaine desrelations économiques, des pratiques du multilatéralisme et desméthodes institutionnelles, à l'échelle tant mondiale que régionale,compte tenu des différences entre les systèmes économiquespratiqués par les différents Etats ainsi que des exigences d'unepolitique favorable à la promotion économique des pays en voie dedéveloppement;

Ayant pris connaissance du rapport approfondi élaboré sur le sujetde la clause de la nation la plus favorisée dans les conventionsmultilatérales par M. Pierre Pescatore, rapporteur de la QuatrièmeCommission, et des prises de position des membres de celle-ci;

Reconnaissant les nombreux avantages qui résultent, pourl'efficacité de la clause, de l'insertion du principe du traitement de lanation la plus favorisée dans des systèmes multilatéraux de caractèreinstitutionnel;

Tenant compte du fait que l'étude du sujet, si elle devait aboutir àdes conclusions complètes, amènerait l'Institut à prendre positionsur divers problèmes encore largement ouverts et controversés dontla solution exige, au premier chef, des décisions politiques;

1. Prend acte du rapport et de ses conclusions, en remerciant leRapporteur et les membres de la Commission de la contributionqu'ils ont, par là, apportée à l'étude du problème posé;

2. Souligne particulièrement, en ce qui concerne la clause de lanation la plus favorisée dans les conventions multilatéralesintéressant le commerce international, l'importance des pointssuivants:

a) La clause ne doit pas empêcher l'établissement d'un traitementpréférentiel en faveur de pays en voie de développement, au moyend'un système généralisé de préférences accordées suivant des critèresobjectifs.

b) Les Etats bénéficiaires de la clause ne doivent pas pouvoirinvoquer celle-ci pour réclamer un traitement identique à celui ques'accordent mutuellement les Etats participant à un système régionald'intégration.

c) II importe de lier la faculté de déroger à la clause à desgaranties d'ordre institutionnel et procédural adéquates, telles quecelles données par un système multilatéral.

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DOCUMENT A/CN.4/269

Sommaire de la jurisprudence des tribunaux nationaux en ce qui concernela clause de la nation la plus favorisée

Document préparé par le Secrétariat

[Texte original en anglais, en espagnol et en français][29 mars 1973]

TABLE DES MATIÈRES

Pages

Liste des abréviations 116

Introduction 116

I. La clause de la nation la plus favorisée en matière commerciale et douanière 117

II. La clause de la nation la plus favorisée en matière de traitement des étrangers, y compris lesdroits successoraux, la fiscalité et la caution judicatum sohi 128

III. La clause de la nation la plus favorisée en matière consulaire 151

CDI

FMI

GATT

TSUS

U.S.C.

LISTE DES ABRÉVIATIONS

Commission du droit international

Fonds monétaire international

Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce

Tariff Schedule of the United States (Tarif douanier des Etats-Unis d'Amérique)

United States Code (Code des Etats-Unis)

U.S.C.A. United States Code Annotated (Code des Etats-Unis annoté)

Introduction

1. Le présent document, préparé par le Secrétariat,contient un « sommaire de la jurisprudence des tribunauxnationaux en ce qui concerne la clause de la nation la plusfavorisée ». Ainsi qu'il est indiqué dans le rapport sur savingt-troisième session, la CDI a demandé au Secrétariatd'établir un tel sommaire « à partir des recueils dejurisprudence dont il dispose et des renseignements qu'ilobtiendra en s'adressant aux gouvernements1 ». Enconséquence, par une circulaire datée du 28 décembre1971, le Secrétaire général a invité les gouvernements desEtats Membres à lui transmettre, jusqu'au 31 juillet 1972,des documents et des renseignements concernant lesdécisions des tribunaux nationaux à propos de la clausede la nation la plus favorisée. Lorsque a été établi le

présent sommaire, le Secrétariat avait reçu des renseigne-ments émanant des Gouvernements finlandais, français,grec et néerlandais 2.

1 Annuaire... 1971, vol. II (l r e partie), p. 367, doc. A/8410/Rev.l,par. 113.

2 En réponse à la circulaire ci-dessus mentionnée du Secrétairegénéral,

L'Argentine a indiqué ce qui suit:« Ce n'est qu'indirectement et incidemment que notre plus

haute juridiction, en se prononçant sur la recevabilité d'unrecours extraordinaire introduit contre une décision du Tribunalsupérieur de Santa Fe, qui refusait de reconnaître un droitfondé sur les clauses d'un traité international, a rejeté le recourset confirmé la décision attaquée par un arrêt du 9 décembre1919 rendu par MM. Bermejo, Gonzalez del Solar, Palacio,Figueroa Alcorta et Mendez, et a déclaré

« [...] Que si le requérant se réfère aux pouvoirs conférés« aux consuls par les traités conclus avec la Grande-Bretagne«en 1825 (art. 13) et avec le Royaume de Prusse et les Etats« du Zollverein allemand en 1857 (art. 9), pouvoirs qu'il considère« comme devant être étendus aux consuls du Royaume d'Italie« en vertu de la clause de la nation la plus favorisée incluse

116

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Clause de la nation la plus favorisée 117

2. Le présent sommaire est établi sur la base desrenseignements reçus des gouvernements des EtatsMembres susmentionnés. Il reproduit également des

« dans les conventions conclues avec ce royaume, même ce« précédent, à supposer qu'il ait valeur de précédent, n'influerait« aucunement sur la solution du problème de droit fédéral en« question. Et ce tout d'abord parce que, s'agissant de conces-« sions consenties sous condition de réciprocité, il aurait fallu<< démontrer que le Gouvernement italien les accordait ou était« disposé à les accorder aux consuls argentins... » (Argentine,Fallos de la Cor te Suprema de Justicia: con relation de sus res-pectivas causas, vol. 130, p. 328). [Tr. de l'espagnol.]

L'Australie a formulé les observations suivantes:« II n'existe pas de décisions de tribunaux australiens concernant

la clause de la nation la plus favorisée. La raison en est qu'enAustralie seule peut être invoquée devant les tribunaux nationauxla législation nationale portant application d'un traité, et nonpas le traité lui-même. Bien que, lorsqu'un traité l'exigeait,le principe contenu dans la clause de la nation la plus favoriséeait été respecté dans la législation correspondante (c'est le casdu «Tarif douanier»), il n'existe pas de législation prévoyantexpressément et à titre général au profit d'un individu le droit autraitement de la nation la plus favorisée en tant que tel. »

L'Iran, à propos de la clause de la nation la plus favorisée, aprécisé que

« bien que cette clause ait été incluse dans certains de nostraités d'établissement et de commerce, il est à noter que saportée pratique se trouve fort limitée, pour les raisons suivantes :

« 1) Les tribunaux iraniens appliquent la loi nationale desétrangers quant à leur état civil;

« 2) Les conditions de séjour, d'établissement et de travaildes étrangers ainsi que celles procédant de leur propriété immo-bilière sont, sous condition de réciprocité, identiques pour tousles étrangers ;

« 3) Dans le domaine commercial, la réglementation doua-nière iranienne est établie sur la base du tarif douanier unique,et ne prévoit pas de régime préférentiel. »

L'Italie a précisé que :« II résulte du défaut de toute décision spécifique de tribu-

naux italiens dans ce domaine que l'insertion de la clause dela nation la plus favorisée dans les instruments internationauxbilatéraux ou multilatéraux suppose des droits et des obliga-tions qui doivent nécessairement être attribués à l'Etat en tantque tel et en tant que partie contractante à l'instrument inter-national, c'est-à-dire en tant que sujet du droit international.En conséquence, tout différend concernant l'application ou lanon-application de la clause de la nation la plus favorisée devientun différend international et, dès lors que c'est l'Etat qui jouele rôle actif ou passif dans le différend en tant que sujet du droitinternational, pour régler tout différend de ce genre, il faut ensaisir un organe arbitral ou un tribunal international préétabliet institutionnalisé. »

Le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord afait observer que,

«Au Royaume-Uni et en conformité avec la pratique cons-titutionnelle de ce pays, les traités conclus par le Royaume-Uni ne sont pas applicables de plein droit et ne font pas partiedu droit du pays. Avant qu'ils n'entrent en vigueur, la législationnécessaire est édictée afin de leur donner effet. Dans de nombreuxdomaines où s'applique, traditionnellement, la clause de lanation la plus favorisée, la législation du Royaume-Uni n'opèreaucune distinction en tenant compte de la nationalité et, enconséquence, il n'y a pas lieu d'édicter de législation spécifiquepour donner effet aux obligations qui découleraient d'une clausede la nation la plus favorisée. Dans ces circonstances, le problèmede la portée et de la mise en œuvre des clauses de la nation laplus favorisée n'a pas l'occasion de se poser devant les tribunauxdu Royaume-Uni. Pour cette raison, le Gouvernement duRoyaume-Uni n'est pas en mesure de transmettre, à proposdes décisions des tribunaux concernant la clause de la nationla plus favorisée, d'autres documents ou renseignements quel'explication donnée dans la présente note. »

décisions et d'autres renseignements concernant ceproblème extraits de diverses publications juridiques quiont pu être utilisées, tout particulièrement Y InternationalLaw Reports et ses prédécesseurs 3. Les décisions ont étéclassées par sujet, ainsi qu'il ressort des titres des diversessections de ce sommaire; à l'intérieur de chaque section,elles ont été classées par ordre chronologique.

I. — La clause de la nation la plus favoriséeen matière commerciale et douanière

Thomas W. Bartram c. William H. RobertsonEtats-Unis d'Amérique: Cour suprême, 23 mai 1887U.S. Reports, vol. 122*, p. 116 et suiv.

3. Les demandeurs, des commerçants établis à NewYork, ont à quatre reprises, en mars et avril 1882,importé du sucre brun et non raffiné, produit etmanufacturé dans l'île de Sainte-Croix, qui faisait partiedes possessions du Royaume du Danemark. Cesmarchandises ont été régulièrement enregistrées à ladouane de New York, les demandeurs prétendant qu'ellessoient admises en franchise, en vertu du traité conclu avecle Danemark le 26 avril 1826, au motif que desmarchandises analogues, produites et manufacturées dansles îles Hawaii, étaient admises en franchise enapplication du traité du 30 janvier 1875 entre les Etats-Un;s et les Hawaii. Toutefois, le défendeur, qui était leCollector du port de New York, a considéré cesmarchandises comme pouvant donner lieu à la percep-tion de droits de douane et, contrairement à la prétentiondes demandeurs, leur a imposé des droits, qu'ils lui ontpayés afin d'entrer en possession de leurs marchandises,tout en formulant des réserves. Us ont alors introduit laprésente procédure contre le Collector pour obtenir leremboursement du montant ainsi versé. La procédure acommencé devant un tribunal de l'Etat de New York et,à la demande du défendeur, a été transférée devant laCircuit Court des Etats-Unis. Le défendeur a formulé uneobjection contre la demande au motif que, notamment,elle n'invoquait pas de faits suffisants pour justifierl'introduction d'une action contre lui. La Circuit Court aaccueilli cette objection et a statué en faveur dudéfendeur. Les demandeurs ont alors saisi la Coursuprême. Rejetant le recours et confirmant la décisionattaquée, la Cour suprême a déclaré:

3 Annual Digest of Public International Law Cases, Londres,vol. 1 et 2 (années 1919 à 1924), éd. par J. Fischer Williams etH. Lauterpacht; vol. 3 et 4 (1925 à 1928), éd. par A. D. McNairet H. Lauterpacht; vol. 5 à 7 (1929 à 1934), éd. par H. Lauterpacht;Annual Digest and Reports of Public International Law Cases,Londres, vol. 8 à 16 (1935 à 1949), éd. par H. Lauterpacht; Inter-national Law Reports, Londres, vol. 17 à 23 (1950 à 1956), éd.par H. Lauterpacht; vol. 24 (1957), éd. par H. et E. Lauterpacht;vol. 25 (1958-1), 26 (1958-11), 27 et suiv., éd. par E. Lauterpacht.Les deux premières publications sont dénommées ci-après « AnnualDigest ».

4 United States Reports, vol. 122, Cases adjudged in the SuprêmeCourt at October Term, 1886, New York, Banks Law Publishing,1921. Les volumes de cette collection sont dénommés ci-après« U.S. Reports ».

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118 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

Les droits de douane qui sont à l'origine de la présente action ontété perçus en application de la loi du 14 juillet 1870, modifiée le 22décembre de la même année [...]. Cette loi, qui est d'applicationgénérale, ne prévoit d'exception en faveur ni du Danemark nid'aucun autre pays. Elle dispose que les marchandises indiquées,sans qu'il soit fait mention du pays d'origine, seront soumises auxdroits prescrits. Cette loi est postérieure de plusieurs années auTraité avec le Danemark.

Il ne peut être mis en doute que cette loi votée par le Congrès, tellequ'elle a été modifiée, autorisait et imposait les droits à percevoir surles marchandises en question, sauf dispositions contraires du Traitéavec le Danemark, postérieurement à la ratification du Traité avecles îles Hawaii. Et il n'appartenait pas aux fonctionnaires desdouanes de refuser de se conformer aux dispositions de ce derniertraité pour tenir compte de celles du Traité avec le Danemark.Même s'il était admis qu'elles soient immédiatement applicables envertu d'une disposition spéciale ou par exception aux dispositionsgénérales qui imposent les droits de douane, les dispositions duTraité avec le Danemark ne prévoient pas de concessions analoguesà celles qui ont été consenties aux îles Hawaii en échange d'unecontrepartie. Il s'agissait de promesses que se faisaient les deuxparties contractantes, les Etats-Unis et le Royaume du Danemark,en vertu desquelles, lors de l'imposition de droits de douane sur desmarchandises (produit naturel ou manufacturé) de l'un des deuxpays qui sont importées dans l'autre, aucune discrimination nefavoriserait des biens analogues importés de tout autre pays. Cestextes ont imposé aux deux pays l'obligation d'éviter à cet égardtoute législation de caractère hostile. Mais elles ne visaient pas àcontrecarrer tous arrangements particuliers qui pourraient êtreconclus avec d'autres pays sur la base de la concession de privilègesspéciaux. Il s'agissait de stipulations mutuelles, en vue d'avantagesréciproques. « Aucun droit plus élevé ni aucun autre droit » nedevait être imposé par l'un ou l'autre pays sur les marchandises enquestion; mais, dans l'hypothèse où l'un ou l'autre des deux paysaccorderait à d'autres pays des faveurs particulières en matière decommerce ou de navigation, cette disposition devait s'appliquerégalement à l'autre partie, en échange de la même contrepartie —c'est-à-dire que le bénéfice devait en être accordé librement si laconcession était faite sans condition, ou qu'elle supposait la mêmecontrepartie si la concession était consentie sous réserve deréciprocité.

Aucune disposition du Traité avec les Hawaii ne prévoit de droitslors de l'importation aux Etats-Unis de marchandises produites oumanufacturées aux Hawaii. Le traité prévoit que certainesmarchandises ainsi importées seront exemptées de droits, encontrepartie et en échange de certaines concessions réciproquesconsenties par les Hawaii au profit des Etats-Unis. Cette exemptionne constitue pas une violation des dispositions du Traité avec leDanemark, et si l'on considère que cette exemption constitue une« faveur particulière » en matière de commerce et de navigation, auxtermes de l'article premier de ce traité, le Danemark ne peut yprétendre que s'il accorde aux Etats-Unis la même contrepartie. Ilne semble pas que le Danemark ait jamais formulé d'objection àl'imposition de droits de douane lors de l'importation aux Etats-Unis de marchandises en provenance de ses possessions au motifque des marchandises similaires en provenance des Hawaii étaientexemptées de droits, cette exemption étant accordée pour tenircompte de concessions réciproques, que le Danemark n'a jamaisproposé d'accorder.

Nous concluons que les Etats-Unis ne sont pas tenus, en vertu duTraité avec le Danemark, d'étendre à ce pays, sans contrepartie, lebénéfice des privilèges qu'ils ont accordés aux îles Hawaii enéchange de concessions équivalentes. Au contraire, le traité prévoitqu'une telle contrepartie devra être accordée lorsque serontconcédées ces faveurs spéciales. Lorsque cette contrepartie aura étéaccordée, il sera temps de se demander si le sucre importé enprovenance des possessions danoises pourra être importéen franchise.

James F. Whitney et autres c. William H. Robertson(« Collecter » du port de New York)

Etats-Unis d'Amérique: Cour suprême, 9 janvier 1888U.S. Reports, vol. 124, p. 190 et suiv.

4. Les demandeurs étaient commerçants à New York;en août 1882, ils ont importé une grande quantité de« sucre centrifugé et sucre de mélasse », produit naturel etmanufacturé dans l'île de Saint-Domingue. Ces marchan-dises étaient analogues aux sucres produits dans les îlesHawaii, lesquels étaient admis en franchise aux termes duTraité du 30 janvier 1875 conclu avec le Souverain de cesîles et de la loi votée par le Congrès en vue de donnereffet à ce traité. Elles ont été dûment enregistrées auxdouanes de New York, les demandeurs soutenant que, envertu du Traité du 8 février 1867 avec la République deSaint-Domingue, ces marchandises devaient être admisesen franchise, de la même façon que les marchandisesanalogues produites et manufacturées dans les îlesHawaii. Le défendeur, c'est-à-dire le Collector, a rejetécette demande et a considéré les marchandises commeimposables, en application des lois votées par le Congrès.En conséquence, il a procédé à la liquidation des droits dedouane sur ces marchandises. Les demandeurs ont faitappel de sa décision devant le Secrétaire au Trésor,lequel a rejeté leur appel. Ils ont alors payé, en formulantdes réserves, les droits qui étaient exigés et ils ontintroduit la présente action en vue d'obtenir leremboursement du montant. La Cour suprême a déclaré:

Le Traité conclu avec le Souverain des îles Hawaii prévoitl'importation aux Etats-Unis, en franchise, de divers articlesproduits et manufacturés dans ces îles, en échange, notamment,d'une exemption de droits correspondants pour l'importation dansce pays de divers articles dûment spécifiés produits et manufacturésaux Etats-Unis [...] Le texte des deux premiers articles du Traité, quiénonce les engagements réciproques des deux pays, précise qu'ilssont assumés en tenant compte et en contrepartie des droits etprivilèges que chacun des deux Etats concède à l'autre.

Pour obtenir la même exemption pour les sucres importés par euxde Saint-Domingue, les demandeurs invoquent l'article 9 du Traitéconclu avec la République Dominicaine, qui est libellé comme suit:

« II ne sera prélevé aucun impôt pour l'importation aux Etats-Unis de tout article cultivé, produit ou manufacturé en Répu-blique Dominicaine ou provenant de ses pêcheries; et il ne seraprélevé aucun droit sur l'importation en République Dominicainede tout article, produit naturel fabriqué ou manufacturé auxEtats-Unis ou provenant de leurs pêcheries, autre ou d'un mon-tant plus élevé que les droits qui sont ou seront payés sur desarticles analogues, produits naturels, fabriqués ou manufacturésdans tout autre pays étranger ou provenant de ses pêcheries. »[...] L'article 9 du Traité conclu avec cette république [...] est,

pour l'essentiel, analogue à l'article 4 du Traité conclu avec le Roidu Danemark. [...] Il constitue, de la part des parties contractantes,l'engagement de n'appliquer aucune législation discriminatoire lorsde l'importation d'articles qui sont les produits naturels, fabriquésou manufacturés des deux pays, pour favoriser des articlesanalogues importés de tout autre pays. Ce texte n'a pas d'autreportée. Il n'a jamais eu pour but d'empêcher que soient accordéesdes concessions spéciales, en échange d'une contrepartie correspon-dante lors de l'importation dans l'un des deux pays d'articlesdéterminés en provenance de l'autre. Ce n'est qu'en présence de laformulation la plus claire que l'on serait fondé à conclure que notregouvernement a entendu s'interdire la conclusion de tels accordsavec d'autres pays, ce qui pourrait avoir, dans l'avenir, la plusgrande importance pour la défense de ses intérêts.

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Clause de la nation la plus favorisée 119

[...] La loi votée par le Congrès en application de laquelle lesdroits ont été perçus autorisait cette perception. Cette loi estd'application générale, aucune exception n'étant faite pour lesmarchandises en provenance d'aucun pays. Elle est postérieure auTraité avec la République Dominicaine; et, dans l'hypothèse d'unconflit entre les dispositions du Traité et celles de la loi, c'est la loiqui doit prévaloir. Un traité est avant tout un contrat entre deux ouplusieurs nations indépendantes [...]. En cas de violation de sesdispositions, la partie qui en est la victime doit chercher à obtenirréparation en présentant des réclamations contre l'autre partie.Lorsque les dispositions du traité ne sont pas directementapplicables, elles ne peuvent être appliquées qu'aux termes d'unelégislation visant à leur donner effet, et cette législation est toutautant soumise à modification et abrogation par le Congrès que cellequi porte sur toute autre question. Lorsque le traité contient desdispositions qui sont susceptibles d'application immédiate (c'est-à-dire qu'aucune législation n'est nécessaire pour les rendreapplicables), ces dispositions ont, dans cette mesure, la force etl'effet d'une disposition législative, que le Congrès peut soitmodifier, pour autant qu'elles lient les Etats-Unis, soit écartercomplètement. En vertu de la Constitution, un traité est placé sur lemême plan qu'un acte législatif et comporte les mêmes obligations.L'un et l'autre, aux termes de la Constitution, constituent le droitsuprême de l'Etat et ni l'un ni l'autre ne se voit reconnaître de forcesupérieure. Lorsque l'un et l'autre textes ont trait au même sujet, lestribunaux s'efforceront toujours de les interpréter de façon à leurdonner effet à tous deux, si cela est possible sans violer les termes del'un ni de l'autre; par contre, s'ils sont incompatibles, le dernier endate prévaudra sur l'autre, à condition toujours que les dispositionsdu traité en la matière soient susceptibles d'application immédiate.Lorsque l'Etat avec lequel le traité a été conclu n'est pas satisfait del'action du législateur, il peut se plaindre auprès de l'autoritéexecutive qui dirige le gouvernement et prendre toutes autresmesures qu'il juge essentielles pour protéger ses intérêts. Lestribunaux ne peuvent accorder aucune réparation.

[...] Il s'ensuit, par conséquent, que lorsque les dispositions d'uneloi sont claires sa validité ne saurait être contestée devant lestribunaux au motif que cette loi ne serait pas conforme auxdispositions d'un traité antérieur non encore appliqué. Lestribunaux ont le devoir d'interpréter la dernière expression de lavolonté souveraine et d'en assurer l'application. « Dans la mesureoù les tribunaux de ce pays sont susceptibles d'être saisis du texted'un traité conclu par les Etats-Unis avec tout Etat étranger, cetraité est subordonné à toute loi que le Congrès peut voter en vue desa mise en application, de sa modification ou de son abrogation.

En conséquence, le jugement attaqué a été confirmé.

Douglas Fairbanks c. Etats-Unis d'AmériqueEtats-Unis d'Amérique: Customs Court [Tribunal des

douanes], Third Division, 29 octobre 1929U.S. Treasury Décisions 5, p. 371 et suiv., T.D. 43643

5. Cette demande concernait une automobile importéed'Angleterre et considérée comme soumise à des droits dedouane ad valorem de 33 1/3 pour 100 en application del'article 369, par. 1, de la Tariff Act (Loi sur les tarifsdouaniers) de 1922 6. Le demandeur a soutenu qu'im-

5 Etats-Unis d'Amérique, Treasury Décisions under Customsand other Laws, vol. 56, July-December 1929, Washington (D.C.),U.S. Government Printing Office, 1930.

6 L'article 369, par. 1, de la Tariff Act de 1922 est ainsi libellé:« Automobiles, carrosseries d'automobile, châssis d'auto-

mobile, motocycles et pièces détachées correspondantes, pneusexceptés, qu'ils soient tous achevés ou inachevés: 25 % ad valorem.Dans l'hypothèse où un pays, un territoire, une province, ou

poser ce droit compensatoire sur une automobile enprovenance de Grande-Bretagne constituait une violationde la « clause de la nation la plus favorisée » contenuedans le Traité de 1815 conclu entre les Etats-Unis et laGrande-Bretagne, au motif que les automobiles enprovenance d'autres pays étaient admises moyennant undroit d'un taux moins élevé. En conséquence, ledemandeur a soutenu que, pour cette marchandise, letaux d'évaluation des droits de douane ne devait pasdépasser le taux le plus bas appliqué à des marchandisesanalogues importées aux Etats-Unis en provenance detout autre pays 7. La Cour a déclaré :

II n'y a pas, à notre avis, de violation démontrée de la « clause dela nation la plus favorisée », pour la bonne raison que notre droit neprévoit aucune discrimination dès lors qu'il traite tous les Etats de lamême manière. Les Etats-Unis imposent, sur les automobiles enprovenance d'un pays donné, les mêmes droits de douane que ceuxque ce pays perçoit sur les automobiles importées des Etats-Unis.Cela est conforme à l'esprit de l'article précité. C'est du paysexportateur que dépend la détermination du taux auquel tellemarchandise sera admise aux Etats-Unis. Les mesures de rétorsionont elles aussi un caractère de réciprocité. Le droit des Etats-Unis nefait d'exception ni pour ni contre la Grande-Bretagne. Chaque paysdétermine le taux sur la base duquel sera calculé le droitcompensatoire.

Il y a donc lieu de rejeter la demande.

Etats-Unis d'Amérique c. Domestic Fuel Corporation etautres

Etats-Unis d'Amérique: Court of Customs and PatentAppeals [Cour d'appel des douanes et des brevets], 2avril 1934

Fédéral Reporter, Second Séries, vol. 71 (2d) 8, p. 424 etsuiv.

Annual Digest, 1933-1934, affaire n° 199

6. Cette affaire concerne l'interprétation de la clause dela nation la plus favorisée dans des traités conclus entreles Etats-Unis et la Grande-Bretagne le 3 juillet 1815 et

toute autre subdivision territoriale imposerait, lors de l'impor-tation aux Etats-Unis de tout article mentionné dans le présentparagraphe, un droit d'un taux plus élevé que ne le prévoitce texte, ledit article donnera lieu, lorsqu'il sera importé, direc-tement ou indirectement, en provenance de ce pays, de ce terri-toire, de cette province ou autre subdivision territoriale, à laperception d'un droit égal à celui qui aura été imposé par cepays, ce territoire, cette province ou autre subdivision territorialesur semblable article lors de son importation en provenancedes Etats-Unis; mais en aucun cas un tel droit n'excédera 50%ad valorem. »7 Convention, en date du 3 juillet 1815, visant à réglementer

le commerce entre les Etats-Unis d'Amérique et les territoiresde Sa Majesté britannique, dont l'article pertinent (art. II) renfermele passage suivant:

« [...] il ne sera point imposé de plus hauts ou d'autres droitssur l'importation dans les Etats-Unis d'articles du cru, de laproduction ou des manufactures des territoires de S.M. britan-nique en Europe que ceux qui sont ou seront payables sur desemblables articles du cru, de la production ou des manufacturesd'aucun autre pays étranger [...].»8 Etats-Unis d'Amérique, Fédéral Reporter, Second Séries,

Cases argued and determined in the United States Circuit Courtsof Appeals, United States Courts of Appeals, United States Courtof Customs and Patent Appeals, vol. 71 (2d), juillet-septembre1934, Saint Paul (Minn.), West Publishing, 1934. Les volumesde cette collection sont dénommés ci-après « Fédéral Reporter,Second Séries ».

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120 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

les Etats-Unis et l'Allemagne le 14 octobre 1925. En vertude la Revenue Act (Loi portant réglementation douanière)de 1932, le charbon était soumis à des droits de douane« sauf dispositions contraires d'un traité conclu par lesEtats-Unis », et exception faite du charbon importé depays dont la balance commerciale, pour ce qui est ducharbon, était favorable aux Etats-Unis pendant l'annéeprécédente. En 1931, cette balance commerciale favorableexistait avec le Mexique et le Canada et, en 1932, lesdroits de douane ont été levés sur Je charbon enprovenance de ces deux pays. Les demandeurs, sociétésimportatrices, ont payé, en formulant des réserves, desdroits d'importation sur des cargaisons de charbon enprovenance de Grande-Bretagne et d'Allemagne et ontintenté une procédure pour en obtenir le remboursement,soutenant que la Revenue Act de 1932 n'avait ni abrogé nimodifié les traités contenant des clauses de la nation laplus favorisée, mais qu'au contraire elle s'y était référéeexpressément dans le passage où il est dit « saufdispositions contraires d'un traité conclu par les Etats-Unis ». Ils soutenaient que les exemptions accordées pourdes cargaisons provenant du Canada et du Mexiqueentraînaient pour les demandeurs le droit à la libreimportation de leurs marchandises. Le Customs Court(Tribunal des douanes) des Etats-Unis a accueilli cetteprétention, et l'Administration a fait appel.

7. La Cour a jugé que cette décision devait êtreconfirmée. Le traitement accordé aux importations enprovenance du Mexique et du Canada et à celles enprovenance d'Allemagne et de Grande-Bretagne résultaituniquement d'un état de choses, en matière commerciale,qui était antérieur à l'entrée en vigueur de la Revenue Act.Il était impossible, pour l'un quelconque des Etatsintéressés, de modifier un fait ou une situation de cettenature. Dès lors qu'il est évident que, selon le droit envigueur, il n'était pas possible de prélever des droits sur lecharbon en provenance du Canada et du Mexique,accorder un traitement différent à des importations enprovenance d'autres pays en se fondant sur une situationqui n'est pas susceptible de modification constitue unemesure discriminatoire, au sens juridique du terme aussibien qu'en fait. En conséquence, les droits de douanelitigieux étaient en contradiction avec les dispositions destraités correspondants. La Cour a déclaré :

Le Traité avec la Grande-Bretagne appartient à cette catégorie detraités que l'on appelle « traités conditionnels de la nation la plusfavorisée », alors que le Traité avec l'Allemagne a un caractèreabsolu.

Ce dernier texte dispose: «Tout avantage, quel qu'il soit, quel'une des deux parties contractantes pourra accorder à un articlequelconque, produit naturel, fabriqué ou manufacturé, de tout autrepays étranger, s'appliquera simultanément et d'une manière absolue,sans que la demande en soit formulée et sans compensation, aumême article, produit naturel, fabriqué ou manufacturé, de l'autrepartie contractante. » (art. 7).

Le Traité avec la Grande-Bretagne ne contient aucune formuletelle que « d'une manière absolue » ou « sans que la demande en soitformulée et sans compensation », et l'on affirme, au nom dudemandeur, que même s'il était jugé que le charbon importéd'Allemagne pouvait l'être en franchise, le charbon importé deGrande-Bretagne ne le pourrait pas.

En d'autres termes, il est soutenu que, même si le Traité avecl'Allemagne est susceptible d'application immédiate, le Traité avec

la Grande-Bretagne est un contrat assorti d'une conditionsuspensive qui suppose une confirmation législative de la part duCongrès pour entrer en application.

Il semblerait donc que le Tribunal de première instance aitrapproché le Traité de 1815 avec la Grande-Bretagne du Traité de1925 avec l'Allemagne et ait considéré que le premier traité étaitapplicable dans ces affaires puisque le dernier était considéré commeapplicable.

Alors que nous sommes d'accord avec la conclusion générale àlaquelle est parvenu le Tribunal de première instance, nous nefondons pas notre décision relative aux importations en provenancedu pays de Galles sur les mêmes motifs que ce tribunal; nousestimons que l'une et l'autre de ces affaires peut être dûmenttranchée sans référence à l'autre.

Nous estimons que la Revenue Act de 1932 était censée tenircompte — et, en fait, tenait compte — des clauses de la nation laplus favorisée contenues dans tous les traités auxquels les Etats-Unisétaient alors partie.

Le Traité avec la Grande-Bretagne contient la dispositionsuivante, qui est très claire: « il ne sera point imposé de plus hautsou d'autres droits sur l'importation [...] [aux Etats-Unis enprovenance de Grande-Bretagne et vice versa] [...] d'articles [...] queceux qui sont ou seront payables sur de semblables articles [...]d'aucun autre pays étranger [...]» (art. 2).

Le Traité et la loi sont des règles juridiques portant sur la mêmematière et doivent donc être interprétés l'un par rapport à l'autre.Telle étant la situation, en ce qui concerne les espèces dont noussommes présentement saisis, nous ne voyons pas la nécessitéd'examiner des questions soulevées par la distinction entre traitésdont les dispositions sont ou ne sont pas susceptibles d'applicationimmédiate. A notre point de vue, dès lors qu'en 1932 le charbonétait importé légalement en franchise du Canada et du Mexique, ledroit, tel qu'il ressort de la loi et du Traité avec la Grande-Bretagne,permettait l'importation en franchise, au cours de la même année,du charbon en provenance du Royaume-Uni de Grande-Bretagne etd'Irlande, sans qu'il soit besoin de faire référence au Traité avecl'Allemagne.

NOTE. — Dans l'affaire George E. Warren Corporation c. Etats-Unis, jugée par la Court of Customs and Patent Appeals le 12 juin1934 (v. Fédéral Reporter, Second Séries, vol. 71 [2d], p. 434), lasociété demanderesse, jointe au demandeur dans l'affaire ci-dessus, a protesté ici séparément contre le calcul et la perceptionde droits sur certaines importations de charbon en provenance deRussie en 1932, soutenant que, bien que la balance commercialeait été favorable à la Russie en 1931 pour le charbon, et bienqu'aucun traité n'existât entre les deux pays à l'époque,l'exemption des droits était étendue aux importations de charbonen provenance de n'importe quel pays dès lors que la loi tenaitcompte des dispositions des traités, que des clauses « de la nationla plus favorisée » figuraient dans des traités conclus avec d'autrespays et que le charbon était admis en franchise en application dela disposition relative à la balance commerciale. La Cour aconfirmé un jugement du Customs Court (Tribunal des douanes)qui rejetait cette prétention: « [...] Quel besoin est-il de concluredes traités de commerce séparés et distincts entre Etats si un Etatavec lequel aucun traité comportant une clause de la nation laplus favorisée n'a été conclu doit se voir autoriser l'accès auxmarchés d'un pays dans les mêmes conditions qu'un Etat aveclequel existe effectivement pareil traité, en raison même de cetraité? Les traités comportant des clauses de la nation la plusfavorisée sont toujours conclus sous condition de réciprocité,qu'ils soient assortis de condition suspensive ou susceptiblesd'application immédiate. Nous n'avons pas conclu pareil traitéavec la Russie. La Russie peut imposer toutes les conditions queson gouvernement jugera bon d'imposer à l'importation de

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Clause de la nation la plus favorisée 121

charbon en provenance des Etats-Unis. Parce que nous avonsconclu des conventions aux termes desquelles nous avons acceptéde ne faire aucune discrimination en ce qui concerne les droits àpercevoir sur les marchandises en provenance d'un pays, lacontrepartie étant que ce pays nous accorde le même traitement,sommes-nous, de quelque façon que ce soit, juridiquement tenusd'étendre les termes de ce traité à un autre pays qui, en aucunemanière, n'est tenu de réciproquer? Nous estimons que, de touteévidence, la réponse doit être négative. [...] »

Lorsque, dans l'article 601 de la Revenue Act de 1932, le Congrèsa précisé que les impôts prévus dans ce texte devaient être levés« sauf dispositions contraires de traités conclus par les Etats-Unis »,nous estimons que l'intention était uniquement de reconnaître et demaintenir en vigueur les conventions qui existaient entre les Etats-Unis et les autres Etats et que la formule ne s'applique pas auximportations en provenance de pays avec lesquels aucun traitén'existe qui comporte des « dispositions contraires ». Assurément,ceux qui sont parties à un contrat ont seuls droit aux avantagesqui en résultent; ils sont seuls liés par ce contrat; et ils ne sont liésque les uns à l'égard des autres.

Si des Etats qui ne sont pas parties à un traité devaient bénéficierdes avantages et des privilèges qui en résultent de la même manièreque ceux qui y sont parties, nous craignons qu'il n'en résulte unegrande confusion dans le domaine du commerce international et dudroit international.

Supposons, à titre d'exemple, l'un des Etats avec lesquels lesEtats-Unis ont conclu un traité comportant la clause de la nation laplus favorisée, clause en vertu de laquelle, conformément à notrearrêt rendu dans l'affaire Domestic Fuel Corporation précitée, lecharbon peut être importé en franchise; supposons que cet Etat,pour une raison quelconque, décide de dénoncer ou de modifier cetraité et d'imposer des droits de caractère discriminatoire à l'égarddes produits des Etats-Unis. Pourrait-on, en bonne logique, soutenirque nous continuerions à être tenus d'admettre leur charbon enfranchise? Nous ne pouvons concevoir que notre gouvernement soitainsi lié. Tel serait pourtant le résultat inévitable si le principeinvoqué ici par le demandeur était retenu et appliqué.

Nous n'avons pas, depuis 1932, conclu avec la Russie de traité quicontienne des « dispositions contraires » à celles qui prévoient qu'undroit peut être perçu lors de l'importation de charbon en provenancede Russie; et la Russie n'était pas, en vertu d'aucune conventionconclue avec les Etats-Unis, au nombre des nations les plusfavorisées. Nous n'avions, à l'égard de la Russie, aucune obligationjuridiquement valable et la Russie n'en avait aucune à notre égarden ce qui concerne les droits ou les impôts à percevoir sur lesproduits faisant l'objet d'échanges commerciaux entre les deux pays.

Il n'est rien, dans les travaux préparatoires de la loi en question(qui, dans leur ensemble, sont décrits dans notre décision renduedans l'affaire Domestic Fuel Corporation) qui nous amène à conclureque le Congrès ait entendu que l'on donne à la loi une quelconqueinterprétation autre que celle qui en est donnée ici.

Affaire du « Yulu » — Bush et autres c. Etats- Unisd'Amérique

Etats-Unis d''Amérique: Circuit Court of Appeals, FifthCircuit, 16 juin 1934

Fédéral Reporter, Second Séries, vol. 71 (2d), p. 635 etsuiv.

8. Le Yulu, bateau à moteur hondurien, a été découvertpar les gardes-côtes, le 28 octobre 1932, à l'extérieur de lalimite des 3 milles mais à l'intérieur de celle des 12 milles,au large des côtes des Etats-Unis, dans la zone soumise àla compétence des douanes de New Orléans. L'ordre a étéintimé au bateau de s'approcher, mais il a changé de capet a tenté de s'échapper en s'éloignant de la côte. Il a été

poursuivi et capturé à l'intérieur de la limite des 12 milles.Le maître du navire a refusé de produire un manifeste etil n'en a pas été trouvé à bord, après une visite. Le bateaua été saisi et conduit à Mobile (Alabama), puis remis auCollector des douanes. Par la suite, des mémoires ont étédéposés concernant le navire et sa cargaison devant leDistrict Court du district sud de l'Alabama. Lespropriétaires du navire et de la cargaison en ont demandéle rejet pour divers motifs, tous fondés sur l'idée del'incompétence du tribunal. Ces demandes ont étérejetées, et une décision a été rendue confisquant le navireet sa cargaison, en application des dispositions desarticles 584 et 585 de la Customs Act (Loi portantréglementation douanière) du 17 juin 1930.

9. En appel, il a été soutenu, notamment, que laRépublique du Honduras avait conclu avec les Etats-Unis, le 7 décembre 1927, un traité comportant la clausede la nation la plus favorisée; que, compte tenu de cetteclause, les ressortissants du Honduras avaient le droitd'invoquer les dispositions du Traité du 22 mai 1924conclu entre la Grande-Bretagne et les Etats-Unis. LaCour d'appel a déclaré:

L'examen des autres traités conclus entre les Etats-Unis et les paysqui avaient négocié des traités analogues au traité de 1924 avec laGrande-Bretagne fait apparaître qu'ils contiennent la clause de lanation la plus favorisée. Il ne semble jamais être venu à l'idée dequiconque que ces pays auraient le droit, en raison de cette clause,de bénéficier des avantages résultant du traité conclu avec laGrande-Bretagne. Cela équivaudrait à une interprétation parl'Exécutif.

Il apparaît clairement que les dispositions précitées du traité avecle Honduras devaient être applicables à des activités commercialeslégales, mais ne devaient pas servir à justifier la violation de laréglementation douanière des Etats-Unis sous prétexte de la clausede la nation la plus favorisée. Le Yulu n'avait aucunement le droitde bénéficier des dispositions du Traité anglo-américain du 22 mai1924.

Minerva Automobiles, Inc. c. Etats-Unis d'AmériqueEtats-Unis d'Amérique: Court of Customs and Patent

Appeals [Cour d'appel des douanes et des brevets], 7février 1938

Fédéral Reporter, Second Séries, vol. 96 (2d), p. 836 etsuiv.

Annual Digest, 1938-1940, affaire n° 196

10. Il s'agissait ici de l'appel interjeté contre unjugement rendu par le Customs Court (Tribunal desdouanes) des Etats-Unis, qui avait rejeté la requêteintroduite par l'appelant contre l'évaluation, par leCollector des douanes du port de Los Angeles, d'un droitcompensatoire en application du paragraphe 1 de l'article369 de la Tariff Act (Loi sur les tarifs douaniers) de1922 9, droit dont le montant atteignait 960 francs belgespar kilogramme et concernait une automobile importéede Belgique. Le requérant soutenait que l'automobileaurait dû être taxée selon les droits normalement perçusen application du paragraphe précité, compte tenu de laclause de la nation la plus favorisée qui figure dans le

9 Pour le texte, voir ci-dessus note 6.

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122 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

traité du 29 juin 1875 entre la Belgique et les Etats-Unis 10. Le jugement a été confirmé. La Cour a déclaré:

Le requérant n'a pas cherché à apporter la preuve du montant desdroits de douane imposés par la Belgique ou par l'Allemagne lorsde l'importation d'automobiles américaines, mais il a déclaré quel'Allemagne perçoit un droit ad valorem de plus de 25 pour 100,et il cite une décision du Trésor à cet effet. Bien entendu, il estévident que si les allégations du requérant sont exactes peu importele taux des droits perçus par la Belgique et l'Allemagne.

Le requérant admet volontiers que si ses allégations dans laprésente espèce sont exactes, tout Etat ayant conclu un traitécontenant une clause de la nation la plus favorisée, de quelquenature qu'elle soit, a le droit d'obtenir, pour ses automobiles, uneexemption des droits compensatoires prévus dans le texte litigieux. Ilsouligne que, après la conclusion du Traité avec l'Allemagne, laReciprocal Trade Agreement Act (Loi sur les accords commerciauxréciproques) est devenue partie intégrante de la Tariff Act de 1930,dont elle constitue l'article 350 [...], et il déclare:

«[...] En conséquence, pour mettre en œuvre sa politique dedéveloppement du commerce extérieur sans porter atteinte auxrelations conventionnelles et pour éviter dufférends et discrimi-nation, le Congrès a expressément étendu à tous les autres Etatsles avantages préalablement accordés à un Etat quelconque. »

II est de notoriété publique que pratiquement tous les Etats dumonde avec lesquels nous entretenons des relations commercialesont conclu un traité contenant une clause de la nation la plusfavorisée.

Le Tribunal de première instance a jugé que, étant donné que laBelgique avait conclu un traité contenant une clause conditionnellede la nation la plus favorisée, cet Etat n'était pas en droit deprétendre, pour ses automobiles, au même traitement, en matièretarifaire, que l'Allemagne, dont le traité comportait une clause de lanation la plus favorisée de caractère absolu, et il a cité nombre dedécisions au motif qu'elles concernaient cet aspect de l'affaire.Aucune de ces décisions ne portait sur la question ici examinée, dèslors que n'était pas en cause le traitement accordé à l'Allemagne enmatière de tarif douanier ou étendu à tout Etat ayant conclu untraité comparable à celui conclu avec l'Allemagne.

Dans ce cas comme dans l'autre, il est impensable que le Congrèsait envisagé le résultat que prétend le requérant lorsqu'il a voté lesdispositions de l'article 369 précité concernant les droitscompensatoires. Le Congrès, lorsqu'il a voté cet article, connaissaitl'existence des nombreux traités comportant des clauses de la nationla plus favorisée et il devait être conscient du fait que, s'il était admisque ces clauses aient des conséquences sur l'application de cetarticle, il aurait été inutile et vain de l'élaborer. On ne sauraitattribuer au Congrès la volonté d'accomplir un acte aussi vain etdépourvu d'objet.

Nous parvenons, par conséquent, à la conclusion que le Tribunalde première instance était fondé à juger, en substance, que le

10 L'article XII de ce traité est ainsi libellé:« En tout ce qui concerne les droits de douane et de naviga-

tion, les deux hautes parties contractantes se promettent réci-proquement de n'accorder aucune faveur, privilège, ou immunitéà un autre Etat, qui ne soit aussi et à l'instant étendu à leurssujets ou citoyens respectifs, gratuitement si la concession enfaveur de l'autre Etat est gratuite, et en donnant la même com-pensation ou l'équivalent si la concession est conditionnelle.

« Ni l'une ni l'autre des parties contractantes n'imposerontsur les marchandises provenant du sol ou de l'industrie de l'autrepartie, qui seront importées dans ses ports, d'autres ni de plusforts droits d'importation ou de réexportation, que ceux quiseront imposés sur l'importation ou la réexportation de mar-chandises similaires provenant de tout autre pays étranger.

Congrès entendait bien que les dispositions de l'article 369 relativesaux droits compensatoires soient amenées à prévaloir sur le traitéavec la Belgique, s'agissant des droits compensatoires applicablesaux automobiles. Nous estimons que l'on ne saurait, en bonnelogique, parvenir à aucune autre décision sans conclure, en fait, à lanullité de l'article litigieux de la Tariff Act. C'est ce que nous nesaurions admettre.

John T. Bill Co., Inc. et autres c. Etats-Unis d'AmériqueEtats-Unis d'Amérique: Court of Customs and Patent

Appeals [Cour d'appel des douanes et des brevets], 29mai 1939

Fédéral Reporter, Second Séries, vol. 104 (2d), p. 67 etsuiv.

Annual Digest, 1938-1940, affaire n° 197

11. Il s'agissait d'un appel interjeté contre un jugementdu Customs Court (Tribunal des douanes) des Etats-Unis ; étaient en cause les demandes de deux importateurs(les deux affaires ayant été jointes) tendant à obtenir leremboursement des droits qui avaient été imposés à titrecompensatoire sur des marchandises désignées commeétant des pièces détachées de bicyclettes, importéesd'Allemagne en 1931 et en 1934. Cette marchandise a étéclassée comme relevant de l'article 371 de la Tariff Act(Loi sur les tarifs douaniers) de 1930 u . Des droits advalorem de 50% ont été imposés sur ces importations.L'article 371 prévoit un taux normal de droits ad valoremde 30%. Les droits résultant de l'application de ce tauxn'étaient pas contestés, car les deux requêtes soutenaientque le calcul des droits devait se faire à ce taux. Lesrequêtes étaient fondées sur le Traité d'amitié, decommerce et de droits consulaires du 14 octobre 1925entre les Etats-Unis et l'Allemagne, et en particulier surson article VII12.

11 L'article 371 de la Tariff Act de 1930 est ainsi libellé:« Bicyclettes et pièces détachées de bicyclette, à l'exclusion

des pneus: 30% ad valorem. Dans l'hypothèse où un pays, unterritoire, une province ou toute autre subdivision territorialeimposerait, lors de l'importation en provenance des Etats-Unisde tout article mentionné dans le présent paragraphe, un droitd'un taux plus élevé que ne le prévoit ce texte, ledit article donneralieu, lorsqu'il sera importé, directement ou indirectement, enprovenance de ce pays, de ce territoire, de cette province ouautre subdivision territoriale, à la perception d'un droit égalà celui qui aura été imposé par ce pays, ce territoire, cette pro-vince ou autre subdivision territoriale sur semblable articlelors de son importation en provenance des Etats-Unis; maisen aucun cas un tel droit n'excédera 50% ad valorem. » {FédéralReporter, Second Séries, vol. 104 [2d], p. 68.)12 L'article VII est ainsi libellé:

« Chacune des Hautes Parties contractantes s'engage, d'unemanière absolue, à ne pas soumettre l'importation d'une mar-chandise quelconque, produit naturel, fabriqué ou manufacturé,en provenance des territoires de l'autre partie, à des mesuresde prohibition, à des conditions ou à des droits autres ou plusélevés, que ceux auxquels est soumis l'importation de toutemarchandise similaire, produit naturel, fabriqué ou manufacturé,provenant de tout autre pays étranger.

« Chacune des Hautes Parties contractantes s'engage égale-ment, d'une manière absolue, à ne pas soumettre les marchan-dises exportées à destination des territoires de l'autre partiecontractante à des taxes autres ou plus élevées, ou à d'autresrestrictions ou interdictions que celles auxquelles sont soumisesles marchandises exportées à destination de tout autre paysétranger.

« Tout avantage, quel qu'il soit, que l'une des deux partiescontractantes pourra accorder à un article quelconque, produitnaturel, fabriqué ou manufacturé, de tout autre pays étranger

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Clause de la nation la plus favorisée 123

12. Les requérants ont indiqué qu'en percevant un droitad valorem de 50% le Collector a agi en violation dutraitement de la nation la plus favorisée accordé sanscondition à l'Allemagne dans le traité précité, comptetenu de ce que les pièces détachées de bicyclettes en ferforgé étaient alors admises, en provenance d'autres pays,moyennant un droit d'un taux moins élevé. L'argumenta-tion reposait tout entière sur le caractère absolu du traité,car il était en effet admis que, compte tenu d'unejurisprudence constante et ancienne, comportant à la foisdes décisions du pouvoir exécutif et du pouvoir judiciaire,la règle de la nation la plus favorisée ne serait pasapplicable dans cette espèce si l'engagement contracté parce traité avait eu un caractère conditionnel — ce qui, parexemple, était le cas dans une autre espèce où il étaitquestion du traité avec la Belgique13. Le jugementattaqué a été infirmé. La Cour a déclaré :

II n'est pas contesté que l'article VII du traité était en vigueurlorsque ont eu lieu les diverses importations dont il est ici question,et plusieurs décisions du Trésor ont été citées qui démontrent qu'àce moment-là les marchandises appartenant à la catégorie enquestion étaient admises en provenance d'autres pays étrangersmoyennant des droits dont le taux était seulement de 30% advalorem.

Il nous apparaît que, de la lettre du traité, [...] il résulte clairementque la perception de droits calculés au taux de 50% ad valorem,alors que des marchandises similaires étaient admises ou susceptiblesde l'être en provenance d'autres pays moyennant un taux de 30% advalorem, était en contradiction avec les dispositions du traité.

L'article 371 de cette loi (42 Stat. 885) était rédigé en les termesprécis de l'article 371 de la loi de 1930 [...]. Nous estimons qu'il étaitentendu, de façon claire, que le traité avait pour but et pour effet demodifier les dispositions de la loi sur les tarifs douaniers pour ce quiconcernait les importations en provenance de l'Allemagne,l'Allemagne n'étant pas tenue d'offrir à cet égard dans sa proprelégislation d'autre compensation que celle qui résulte de l'assuranceque les marchandises importées des Etats-Unis devront être traitéesde la même manière que les mêmes marchandises en provenanced'autres pays.

s'appliquera simultanément et d'une manière absolue, sans quela demande en soit formulée et sans compensation, au mêmearticle, produit naturel, fabriqué ou manufacturé, de l'autrepartie contractante.

« ...« En ce qui concerne le montant et le recouvrement des droits

sur les importations et exportations de toutes sortes, chacunedes deux Hautes Parties contractantes s'engage à accorder auxressortissants, navires et marchandises de l'autre partie le bénéficede tout avantage, privilège ou immunité qu'elle aura accordéaux ressortissants, navires et marchandises d'un troisième Etat,que cet Etat ait bénéficié de ce traitement de faveur à titre gratuitou à titre de réciprocité, par mesure de compensation. Toutavantage, privilège ou immunité de cette nature qui sera ulté-rieurement accordé aux ressortissants, navires ou marchandisesd'un troisième Etat sera simultanément, et d'une manière absolue,sans que la demande en soit formulée et sans compensation,étendu à l'autre Haute Partie contractante pour son propreavantage ainsi que pour celui de ses ressortissants et de sesnavires. » (Etats-Unis d'Amérique, The Stat ut es at Large ofthe United States of America from December, 1925, to March,1927, vol. XLIV, part. 3, Washington [D.C.], U.S. GovernmentPrinting Office, 1927, p. 2137.) [Dans le présent document,les références à cette publication sont faites sous la forme abrégée« Stat. » précédée du numéro du volume et suivie de celui de lapage: «44 Stat. 2137».]13 Voir ci-dessus par. 10.

Le traité avait un caractère de réciprocité et était applicabledirectement, aucune autre législation n'étant nécessaire, en ce quiconcerne tous les points dont il est ici question. Il n'a pas étésoutenu que le taux des droits imposés par l'Allemagne pourl'importation de pièces détachées de bicyclettes en provenance desEtats-Unis ait été plus élevé que celui qui était imposé pourl'importation de ces pièces détachées en provenance d'autres pays,et il importe peu, sur le plan juridique, que ce taux ait été plus élevéque le taux de base appliqué par les Etats-Unis.

Reste à envisager l'allégation faite par le conseil du gouvernementselon laquelle la clause de la nation la plus favorisée incluse dans letraité avec l'Allemagne s'est trouvée remplacée parla Tariff Actde1930 et, plus précisément (en ce qui concerne la marchandise dont ilest ici question), par l'article 371 [...] de cette loi. Ainsi qu'il a étéprécisé, on insiste pour que notre décision soit prise conformément àcelle qu'a rendue cette Cour dans l'affaire Minerva AutomobilesInc. [...].

Nous ne partageons pas ce point de vue. 11 est manifeste que cesdeux affaires sont différentes. Dans la première, il avait été soutenuque la clause de la nation la plus favorisée (qui avait un caractèreconditionnel) incluse dans le Traité conclu avec la Belgique en 1875avait été remplacée, pour ce qui concernait la marchandise enquestion, par l'article 369 de la Tariff Act de 1922. Pour autant quenous ayons été en mesure de le déterminer, aucune dispositionlégislative analogue à l'article 369 n'était en vigueur lors de laratification du traité avec la Belgique: en conséquence de quoi cetraité n'a eu pour effet ni d'abroger ni de remplacer aucun textelégislatif préalablement voté par le Congrès.

Lorsque le traité avec l'Allemagne a été ratifié, l'article 371 de laTariff Act de 1922 était en vigueur et, à notre avis, le traité aremplacé cette loi pour ce qui concerne les importations enprovenance d'Allemagne. Toutefois, l'article est demeuré en vigueurpour ce qui concerne les importations en provenance de pays aveclesquels nous n'avions pas conclu de traité de commerce ou aveclesquels nous n'avions conclu que des traités de caractèreconditionnel. Pour que ces pays puissent bénéficier du taux normal,il fallait qu'ils accordent une contrepartie en faisant bénéficier lesimportations en provenance des Etats-Unis d'un taux analogue.L'accord conclu entre les Etats-Unis et l'Allemagne consistait en ceque chacun des deux Etats ait le bénéfice du taux le plus bas accordépar lui à tout pays tiers, « simultanément et d'une manière absolue,sans que la demande en soit formulée et sans compensation ». Pourque le taux de 30 pour 100 ad valorem soit applicable aux piècesdétachées de bicyclettes importées d'Allemagne, il n'était pas exigéque ce pays accorde ce taux aux importations en provenance desEtats-Unis. Il était seulement exigé que l'Allemagne admette lesmarchandises importées des Etats-Unis au taux le plus bas accordépar elle aux importations en provenance de tout autre pays.

Telle était la situation lorsqu'est intervenue la Tariff Act de 1930.Cette loi n'a pas abrogé l'article 371 de la loi de 1922, mais elle enest le prolongement. La clause générale d'abrogation contenue dansl'article 651 de la loi de 1930 ne concerne que « toutes les lois oupassages de lois incompatibles avec les dispositions de la présenteloi ». L'article 371 demeurait très largement applicable auximportations en provenance de nombreux pays autres quel'Allemagne. Lors de l'élaboration de la Tariff Act de 1930, le traitéconclu avec l'Allemagne était le seul de ce genre à avoir été ratifié ettraduit dans la législation en général. Rien dans les circonstances duvote de la loi sur les tarifs douaniers ne fait apparaître, de la part duCongrès, la volonté d'abroger ou de remplacer ce traité. Bienentendu, il est bien établi que, lorsqu'il y a contradiction entre untraité et une loi votée par le Congrès, c'est le texte le plus récent quidoit prévaloir. [...]

Il est évident que le traité avec l'Allemagne a marqué le débutd'une nouvelle politique de la part des Etats-Unis. L'histoire decette période abonde en déclarations à cet effet et, [...] il a étéenvisagé de suivre cette nouvelle politique au cours de la négociationde futurs traités avec d'autres pays. Il nous paraît fondé de conclure

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124 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

que le Congrès, lorsqu'il a élaboré la Tariff Act de 1930, a dû tenircompte de ces faits et de cette intention expresse; et que, sil'intention du Congrès avait été de modifier cette politique, elleaurait été exprimée dans la loi.

Il est bien connu en droit que l'abrogation implicite des lois n'estpas jugée souhaitable, et les tribunaux se sont, de façon uniforme,montrés encore plus désireux d'appliquer la règle lorsque des traitéssont en cause.

[...] Nous estimons que l'article 371 de la Tariff Act de 1930 [...]n'a ni abrogé ni remplacé, pour ce qui concerne les marchandises enquestion, les dispositions du traité conclu avec l'Allemagne quicontiennent la clause de la nation la plus favorisée et qui ont uncaractère absolu; et, dès lors que nous estimons que le calcul desdroits litigieux était en contradiction avec ces dispositions, nous nesommes pas d'accord avec la conclusion à laquelle est parvenue laTroisième Division.

Application de Vaccord commercial conclu entre laFinlande et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne etd'Irlande du Nord

Finlande: Cour suprême administrative, 12 mars 194314

13. Les droits applicables à certains produits en vertu del'accord commercial conclu entre la Finlande et leRoyaume-Uni devaient s'appliquer également aux pro-duits importés d'Allemagne, conformément à la clause dela nation la plus favorisée en vigueur entre la Finlande etl'Allemagne. La Cour a décidé que, après que leRoyaume-Uni eut déclaré la guerre à la Finlande, laclause de la nation la plus favorisée n'était plus applicableà l'Allemagne et, par conséquent, que les droits imposésaux marchandises en provenance de l'Allemagne devaientêtre traités de façon autonome et non plus par référence àl'accord commercial entre la Finlande et le Royaume-Uni.

Colonial Molasses Co., Inc. c. Etats-Unis d'AmériqueEtats-Unis d'Amérique: Customs Court [Tribunal des

douanes], Third Division, 22 janvier 1957Fédéral Supplément, vol. 15215, p. 242 et suiv.International Law Reports, vol. 24, 1957, p. 670

14. Cette procédure résulte d'une requête contre ladécision du Collector des douanes de ne pas appliquer à50 boîtes de miel d'abeilles, importées aux Etats-Unis enprovenance de Cuba, le dégrèvement préférentiel dedroits de douane de 20% prévu par la Convention decommerce Etats-Unis/Cuba signée à La Havane le 11décembre 1902. Le Collector avait évalué les droits enappliquant le taux prévu par la Tariff Act (Loi sur lestarifs douaniers) de 1930, en tenant compte des modifica-tions apportées par l'Accord général du GATT, signé àGenève le 30 octobre 194716. Dans un accord exclusifcomplémentaire à l'Accord du GATT et signé le mêmejour, les Etats-Unis et Cuba étaient convenus de

14 Renseignement reçu du Gouvernement finlandais. On nedispose d'aucune autre indication sur cette affaire.

15 Etats-Unis d'Amérique, Fédéral Supplément, Cases Arguedand Determined in the United States District Courts, United StatesCustoms Courts, vol. 152, Saint Paul (Minn.), West Publishing,1957. Les volumes de cette collection sont dénommés ci-après« Fédéral Supplément ».

16 Pour le texte de l'Accord général du GATT, voir NationsUnies, Recueil des Traités, vol. 55, p. 195.

considérer le Traité de 1902 et l'Accord de commerce de1934 comme inapplicables tant que les Etats-Unis etCuba seraient, l'un et l'autre, parties à l'Accord duGATT. L'accord de 1947 a supprimé le dégrèvementpréférentiel de 20% prévu par le traité de 1902 et parl'accord de 1934, adoptant le taux fixe accepté dans lecadre de l'Accord du GATT. Le demandeur a soutenuque le fait d'avoir suspendu l'application du traité de1902 ou de l'avoir rendu inopérant a eu pourconséquence d'augmenter les droits sur le miel d'abeilles,et que cette augmentation des droits n'avait pas étéautorisée par le Congrès.

15. Le Customs Court (Tribunal des douanes) a renduun jugement favorable à l'Administration. Conformé-ment à l'article 350 b de la Trade Agreements Act (Loi surles accords de commerce) (48 Stat. 944, modifiée, 19U.S.C. 1351 b), il n'était pas interdit au Président desEtats-Unis de modifier les conditions préférentiellesconsenties, en matière douanière, à l'égard de tout article,à condition que les droits en vigueur en 1945 ne soientpas de ce fait accrus ou diminués de plus de 50%. Mêmesi l'on tient compte du traité de 1902, dont l'application aété suspendue, les droits sur le miel importé demeuraienten deçà de la marge de 50 %. La Cour a déclaré :

Le taux des droits sur le miel importé de Cuba, établi le 1er janvier1945, était de 0,012 cent la livre, sauf diminution en application d'untarif résultant d'une clause de la nation la plus favorisée. Il n'a pasété prouvé que ce taux ait été réduit. Le Président, exerçant lespouvoirs qui lui ont été conférés par le Congrès, a modifié les droitsapplicables au miel d'abeilles en provenance de Cuba, ensupprimant le dégrèvement préférentiel général de 20 %, et cela a étéréalisé grâce au maintien de la suspension du traité de 1902 avecCuba, cette situation étant confirmée en même temps qu'était fixé unnouveau taux de 0,01 cent par livre, en application de l'Accordgénéral sur les tarifs douaniers et le commerce précité. Même si lestermes de l'article 350 b qui ont été cités signifiaient (et c'est loind'être évident) que, dans l'exercice de son pouvoir d'accroître ou dediminuer les droits sur les importations en provenance de Cuba, lePrésident doit tenir compte (en tant que fondement del'augmentation ou de la diminution) du traité de 1902, dontl'application est momentanément suspendue, les droits perçus sur lemiel importé de Cuba demeurent, toutefois ^n deçà de la limite de50% autorisée [...].

C. Tennant, Sons and Co. (New York) c. Robert W. DillEtats-Unis d'Amérique: District Court [Tribunal de

district], District Sud de New York, 16 décembre 1957Fédéral Supplément, vol. 158, p. 63International Law Reports, 1957, p. 677

16. La demanderesse, société importatrice d'huile deToung en provenance du Paraguay, a demandé que soitrendu un jugement d'avant dire droit interdisant audéfendeur de refuser l'importation aux Etats-Unis d'huilede Toung qui lui appartenait. Le 2 septembre 1957,662 450 livres d'huile de Toung, représentant une valeurd'environ 150 000 dollars, ont été envoyées à lademanderesse depuis Asunciôn (Paraguay), un secondenvoi de 485 012 livres étant fait le 12 septembre. Le 9septembre 1957, en application de la AgriculturalAdjustment Act (Loi sur l'agriculture), le Président desEtats-Unis a fait une proclamation prescrivant uncontingentement pour l'importation d'huile de Toung,

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Clause de la nation la plus favorisée 125

soit 96 452 livres avant le 1er octobre 1957 et aumaximum 131 556 livres par mois entre octobre 1957 etjanvier 1958. Il n'est pas fait mention de l'huile qui seraitdéjà en route vers les Etats-Unis. Le 7 octobre, lademanderesse a tenté d'obtenir l'autorisation d'importerle premier envoi, mais le défendeur, le Collector desdouanes, n'a autorisé l'importation que de 131 460 livres,ce qui correspondait à la totalité du quota prévu pour lemois d'octobre 1957. La même décision négative a étéprise à propos du second envoi. La demanderesse asoutenu que, en vertu de la clause de la nation la plusfavorisée contenue dans le traité de commerce signé parles Etats-Unis et le Paraguay à Asunciôn le 12 septembre194617, elle était en droit de bénéficier des dispositions duparagraphe 3, al. b, de l'article XIII de l'Accord généraldu GATT, conclu à Genève le 30 octobre 1947, auxtermes duquel les marchandises qui sont en cours deroute lorsque sont établies les restrictions à l'importationéchappent au contingentement. Le Paraguay n'était paspartie à cet accord.

17. Le Tribunal a rejeté la demande de jugementd'avant dire droit. Un accord qui prévoit l'applicationdu traitement de la nation la plus favorisée lorsqu'ils'agit de droits et de formalités douanières ne prévoitpas ce même traitement en matière de contingentementet de restrictions à l'importation. La clause de l'Accordgénéral du GATT qui concerne les marchandises « encours de route » est inapplicable aux relations commer-ciales entre le Paraguay (Etat non partie à l'Accordgénéral) et les Etats-Unis. En tout cas, c'est VAgriculturalAdjustment Act (Loi sur l'agriculture) qui prévaudrait encas de contradiction avec les dispositions d'un accordinternational. Le Tribunal a déclaré:

Le Paraguay n'a pas signé l'Accord du GATT [...]. Le demandeursoutient toutefois qu'en raison de la clause « de la nation la plus

17 Nations Unies, Recueil des Traités, vol. 125, p. 215. L'article Ier

du traité contient les dispositions ci-après:« 1. Les Etats-Unis d'Amérique et la République du Paraguay

s'accorderont mutuellement, sans conditions ni restrictions, letraitement de la nation la plus favorisée pour tout ce qui concerneles droits de douane et les redevances accessoires de toute natureainsi que le mode de perception de ces droits et redevanceset, de plus, pour tout ce qui touche les règles, formalités et taxesimposées pour le dédouanement, et toutes les dispositions légis-latives ou réglementaires concernant la vente, l'imposition, ladistribution ou l'utilisation à l'intérieur du pays, de marchandisesimportées.

« 2. En conséquence, les articles récoltés, produits ou manu-facturés dans l'un des deux pays et importés dans l'autre neseront en aucun cas soumis, pour tout ce qui concerne les ques-tions mentionnées ci-dessus, à des droits de douane, taxes ouredevances autres ou plus élevés, ou à des règles ou formalitésautres ou plus strictes, que ceux auxquels sont soumis, ou pourrontêtre soumis ultérieurement, les articles similaires récoltés, pro-duits ou manufacturés dans un pays tiers. »L'article III, par. 1, du traité est rédigé comme suit:

« 1. Ni le Gouvernement des Etats-Unis d'Amérique ni leGouvernement de la République du Paraguay n'imposerad'interdictions ou de restrictions d'aucune sorte à l'importation,à la vente, à la distribution ou à l'utilisation d'articles récoltés,produits ou manufacturés dans l'autre pays, ou à l'exportationd'articles destinés au territoire de l'autre pays, à moins quel'importation, la vente, la distribution ou l'utilisation d'articlessimilaires récoltés, produits ou manufacturés dans les pays tiersou l'exportation d'articles similaires vers les pays tiers, selonle cas, ne fassent l'objet d'interdictions ou de restrictions ana-logues. » (Jbid., p. 216.)

favorisée » contenue dans l'article I de l'accord de commerce avec leParaguay, cet Etat doit bénéficier de la clause relative auxmarchandises « en cours de route » de l'Accord du GATT, et qu'enconséquence le contingentement litigieux ne s'applique pas à l'huilede Toung déjà en route et destinée au demandeur. Je considère quecette affirmation est dépourvue de fondement. Selon l'article I,alinéa 1, de l'accord de commerce avec le Paraguay, les signatairessont en effet tenus de s'accorder l'un à l'autre le traitement de lanation la plus favorisée, de façon inconditionnelle et sans aucunerestriction, s'agissant de toute question concernant:

1. Les droits de douane et redevances connexes de toutes sortes;2. La méthode de perception desdits droits et redevances;3. Les règles, formalités et droits liés aux opérations de

dédouanement des marchandises;4. Tous lois et règlements relatifs à la vente, à l'imposition, à la

distribution et à l'utilisation dans le pays des marchandisesimportées.

L'alinéa 2 de l'article prévoit que sera accordé à chacun dessignataires un traitement égal à celui de tout Etat tiers en matièrede « droits, taxes ou redevances » ainsi que de « règles ou formalités».

Les questions régies par les alinéas 1 et 2 de l'article I sontindiquées de façon claire et précise. Les termes « restrictions àl'importation » et « contingentement » n'apparaissent nulle part. Enoutre, j'estime que l'on ne saurait déduire de la lettre de cesdispositions qu'elles soient applicables à des restrictions àl'importation comportant l'établissement de contingentements.

Il est intéressant de noter que l'article I de l'accord de commerceavec le Paraguay est beaucoup plus explicite et plus restrictif quecertains autres passages de l'accord. Par exemple, l'alinéa 1 del'article III contient la formule « n'imposera d'interdiction ou derestriction d'aucune sorte », et l'alinéa 1 de l'article XII contient lesexpressions de portée générale « concession » et « traitementdouanier ».

Il semble donc évident que la clause « de la nation la plusfavorisée » contenue dans l'accord de commerce avec le Paraguayn'a pas une portée suffisamment large pour que le Paraguay, et doncle demandeur, ait droit au bénéfice des dispositions de l'Accord duGATT relatives à la marchandise « en cours de route ».

La Proclamation présidentielle du 9 septembre 1957, si elle ne seréfère pas expressément aux marchandises « en cours de route »,déclare cependant que « la quantité d'huile de Toung importée entrele 9 septembre 1957 et le 31 octobre 1958 ne devra pas dépasser autotal 26 000 000 de livres » (c'est nous qui soulignons). Aucuneexception n'ayant été prévue pour l'huile qui se trouverait en route,il y a lieu de présumer que l'intention n'était pas d'en prévoir. Il enest ainsi tout particulièrement dans la présente espèce, oùl'interprétation contraire aurait pour conséquence de portersérieusement atteinte à l'application de la Proclamation du fait quele marché américain serait inondé par de grandes quantités d'huilede Toung importée.

Energetic Worsted Corp. c. Etats-Unis d'AmériqueEtats-Unis d'Amérique: Customs Court [Tribunal des

douanes], Third Division, 21 octobre 1963Fédéral Supplément, vol. 224, p. 606International Law Reports, vol. 34, p. 217

18. Le Collector des douanes des Etats-Unis a perçu desdroits compensatoires sur l'importation aux Etats-Unis,en provenance de l'Uruguay, de boules de laine peignée,au motif que le système de taux de change multiples envigueur en Uruguay équivalait à l'octroi d'une aide àl'exportation et accordait, pour la laine peignée, uneprime ou une aide qui rendait nécessaire un droit

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126 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

compensatoire en application de l'article 303 de la TariffAct (Loi sur les tarifs douaniers) de 1930. La procédureétait dirigée contre la décision du Collector. Ledemandeur soutenait que l'établissement de droitscompensatoires constituait une violation de la clause « dela nation la plus favorisée » contenue dans un traitéconclu entre les Etats-Unis et l'Uruguay le 21 juillet 1942,car aucun droit compensatoire n'était imposé pourl'importation aux Etats-Unis de boules de laine peignéeen provenance d'Argentine, bien qu'un système de tauxde change multiples soit en vigueur dans ce pays.

19. La Cour a jugé que la demande devait être rejetée etqu'il convenait de statuer en faveur du défendeur. Lesystème de taux de change multiples en vigueur enUruguay lors de l'exportation de ces marchandisesentraînait l'octroi d'une prime ou d'une subvention denature à rendre nécessaire l'imposition de droitscompensatoires en application de l'article 303 de la TariffAct. L'imposition de droits compensatoires n'était pasune violation de la clause « de la nation la plusfavorisée ». La Cour a déclaré:

Le demandeur soutient également que, dans cette espèce, le faitd'imposer des droits compensatoires constituait une violation de laclause de la nation la plus favorisée contenue dans l'accord decommerce conclu avec l'Uruguay, étant donné qu'aucun droitcompensatoire n'était imposé sur les boules de laine peignée enprovenance d'Argentine. Tout d'abord, il n'est pas établi que lesystème de change argentin ait eu pour conséquence l'octroi d'uneprime pour la laine peignée. En second lieu, ainsi qu'il est indiquédans le mémoire soumis par le défendeur:

« Dès lors que l'application de la loi relative aux droitscompensatoires est liée au point de savoir si, dans un pays donné,une subvention ou une prime a été versée ou octroyée, directementou indirectement, lors de la fabrication, de la production ou del'exportation de tous articles ou marchandises, et étant donné quela situation dans un pays donné a un caractère spécifique, toutescomparaisons avec l'attitude que le Gouvernement des Etats-Unisaurait ou non adoptée à l'égard d'importations en provenance detout autre pays sont sans pertinence. »

[...] L'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, [...]en vertu duquel ont été calculés les droits normalement prélevés surla laine peignée dont il est ici question, dispose que des droitscompensatoires peuvent être imposés à condition de ne pas excéderle montant supposé de la prime ou de la subvention dont il a étéétabli qu'elle a été accordée, directement ou indirectement, pour ceproduit. En outre, il a été soutenu que l'imposition de droitscompensatoires n'est pas une violation de la clause de la nation laplus favorisée.

Etats-Unis d'Amérique c. Star Industries, Inc.Etats-Unis d'Amérique: Court of Customs and Patent

Appeals [Cour d'appel des douanes et des brevets], 22juin 1972

International Légal Materials, Current Documents,vol. XI, n° 518, p. 1093

20. Il s'agit d'un appel interjeté contre la décision et lejugement du Customs Court (Tribunal des douanes) desEtats-Unis, qui a accueilli la réclamation de la sociétéStar Industries relative au montant des droits imposés surl'importation d'eau-de-vie en provenance d'Espagne.

Cette eau-de-vie avait été classée dans la catégorie 945.16,TSUS (5 dollars le gallon) en application de laProclamation présidentielle n° 3564, qui a créé lacatégorie 945.1619. Le Tribunal des douanes a décidé quecette marchandise aurait dû être classée dans la catégorie168.20 (1,25 dollar le gallon) et que la proclamationprésidentielle était frappée de nullité. La Court ofCustoms and Patent Appeals (Cour d'appel des douaneset des brevets) a jugé que le Président n'a pas excédé lespouvoirs qui lui sont conférés en vertu de l'article 252 cde la Trade Expansion Act (Loi sur le développement ducommerce) de 1962 (19 U.S.C. 1882 c) lorsqu'il a fait laproclamation n° 3564. Cette proclamation, par consé-quent, demeure légalement applicable, et le jugement duTribunal des douanes a été infirmé.

21. La proclamation n° 3564 se fonde expressément surle texte suivant :

Loi de 1962 sur le développement du commerce, art. 252 c (19U.S.C. 1882 c):

c) Dès lors qu'un Etat ou un organisme étranger dont les produitsbénéficient d'avantages accordés par les Etats-Unis en applicationd'un accord de commerce impose aux importations des restrictionsexcessives qui, directement ou indirectement, constituent une chargesubstantielle pour le commerce des Etats-Unis, le Président peut,dans la mesure où cela est compatible avec les objectifs énoncés àl'article 1801 de ce titre et en tenant dûment compte des obligationsinternationales des Etats-Unis,

1) Soit suspendre, supprimer ou empêcher l'octroi des avantagesaccordés en application d'accords de commerce aux produits enprovenance de cet Etat ou de cet organisme,

2) Soit s'abstenir de faire connaître les avantages résultantd'accords de commerce pour l'application d'un accord de commerceconclu avec cet Etat ou cet organisme.

22. La Cour a déclaré :

Le Customs Court (Tribunal des douanes) a déclaré, en ce quiconcerne la référence qui est faite, dans la Proclamation n° 3564, àl'article XXVIII, al. 3, de l'Accord du GATT:

« A la lecture de l'alinéa 3 de l'article XXVIII de l'Accord duGATT, il n'apparaît pas que soit exigée la suspension desconcessions accordées, sur la base d'une clause de la nation la plus

18 Washington (D.C.), septembre 1972.

19 « Les circonstances dans lesquelles est intervenue la Procla-mation n° 3564 sont désignées, dans les milieux commerciauxinternationaux, par l'expression « guerre des poulets ». En bref,il apparaît que, vers la fin des années 50 et au début des années 60,les producteurs de volailles des Etats-Unis ont trouvé en Allemagneun marché en rapide extension pour les volailles congelées. En 1962,toutefois, les droits d'importation allemands sur les volailles ontété remplacés par les droits d'importation établis par la Com-munauté économique européenne. Les droits d'importation de laCommunauté étaient à peu près trois fois plus élevés que les droitsd'importation allemands qu'ils remplaçaient, ce qui a nui auximportations en Allemagne de volailles en provenance des Etats-Unis.La mesure prise par le Président dans la Proclamation n° 3564 avaitle caractère d'un retrait, à titre compensatoire, des avantages précé-demment accordés en matière de tarifs douaniers. Les taux plusélevés ont été calculés de manière à augmenter le montant des droitssur les marchandises en provenance de la Communauté, à concur-rence d'un montant qui équilibrerait à peu près les droits d'impor-tation plus élevés de la Communauté.

« Bien que l'Espagne ne soit pas membre de la Communauté, letaux prévu pour la catégorie 945.16 a été appliqué à cette eau-de-vie,ce taux ayant été établi sur la base du principe de la nation la plusfavorisée. Les produits auxquels s'applique la Proclamation n° 3564semblent avoir été choisis parmi ceux qui sont importés presqueexclusivement des Etats membres de la Communauté (InternationalLégal Materials [op. cit.], p. 1095 et 1096.)

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Clause de la nation la plus favorisée 127

favorisée, en application d'un accord de commerce. En fait, letraitement de la nation la plus favorisée n'est même pasmentionné, ni sous-entendu, dans l'alinéa 3. Aux termes de cetalinéa, un Etat ayant un intérêt essentiel ou un intérêt substantiela le droit de mettre fin à des concessions sensiblement équivalentesnégociées primitivement avec la partie contractante qui les sollicite.Nous interprétons ce texte comme autorisant simplement desmesures réciproques de la part de parties à l'Accord du GATT,pour ce qui est de la modification de concessions tarifaires à lasuite de la rupture de négociations et du retrait unilatéral deconcessions faites par l'une des parties contractantes. »

Les deux dernières phrases du texte précité, bien qu'exactes, sontsans rapport avec la question de savoir si le retrait unilatéral deconcessions en application de l'article XXVIII, al. 3, doit êtreeffectuée sur la base du principe de la nation la plus favorisée. Restedonc la remarque faite par la Cour selon laquelle cet article ne faitpas expressément mention du traitement de la nation la plusfavorisée et sa conclusion selon laquelle ce traitement n'est ni sous-entendu ni exigé, de quelque autre façon que ce soit, par cet article.

L'appelant soutient que l'article XXVIII, al. 3, doit être considérépar rapport au contexte de l'accord dans son ensemble, et il attirel'attention sur l'article Ier de l'Accord du GATT, dont le passagepertinent dispose :

« Article premier. — Traitement général de la nationla plus favorisée

« 1. Tous avantages, faveurs, privilèges ou immunités accordéspar une partie contractante à un produit originaire ou àdestination de tout autre pays, seront, immédiatement et sanscondition, étendus à tout produit similaire originaire ou àdestination du territoire de toutes les autres parties contractantes.Cette disposition concerne les droits de douane et les impositionsde toute nature perçus à l'importation ou à l'exportation [...] ».Le demandeur soutient également que :

« En vertu de sa nature même, l'article XXVIII exige que lesmesures prises en application de son texte le soient sur la base dutraitement de la nation la plus favorisée. De telles concessions nepeuvent être retirées uniquement à l'égard d'une partie donnée.Lorsqu'elles sont retirées, il en résulte un retrait à l'égard detoutes les parties, c'est-à-dire de tous ceux qui avaient obtenu lesconcessions sur la base du traitement de la nation la plusfavorisée. Il est manifeste que l'article XXVIII n'envisage aucunarrangement en vertu duquel des concessions données continue-raient à être applicables à toutes ces autres parties, mais non pasaux parties avec lesquelles à l'origine elles avaient été négociées.Dans la présente affaire, l'eau-de-vie importée d'Espagnebénéficiait de la concession faite à l'origine à la France, Etatmembre de la Communauté économique européenne, et il n'y aguère de raison de maintenir une concession lorsqu'elle a pris fin àl'égard de l'Etat qui était, à l'origine, la partie contractante.»

Pour ce qui est des termes de l'article XXVIII, al. 3, il est clair queles conséquences négatives résultant, pour un certain nombred'Etats, du retrait unilatéral de concessions ont été envisagées. Unmécanisme compensatoire y est donc prévu pour trois catégoriesd'Etats qui subiraient des conséquences négatives du fait du retraitunilatéral d'une concession relative à une marchandise donnée:l'Etat avec lequel la concession avait à l'origine été négociée, l'Etatayant à l'égard de cette marchandise un intérêt comme principalfournisseur, et l'Etat ayant à son égard un intérêt substantiel [...].Ainsi l'article XXVIII, al. 3, n'est-il du moins pas incompatible avecle principe du traitement de la nation la plus favorisée [...].

Si l'on examine l'article XXVIII, al. 3, par rapport au contexte del'ensemble de l'accord, il est clair que cet article exige la conformitéavec le principe de la nation la plus favorisée. L'un des objectifsprincipaux du GATT, énoncé dans le préambule de l'Accord, est« l'élimination des discriminations en matière de commerceinternational ». A cette fin, le principe de la nation la plus favorisée

a été formulé dans l'article Ier précité, ainsi que dans nombred'autres articles de l'Accord du GATT. Il a été dit que ce principeétait au cœur même de l'Accord. S'il contient effectivement quelquesexceptions à ce principe, elles sont peu nombreuses et, lorsqu'ellessont formulées dans le texte, elles sont énoncées avec clarté. Rien,dans l'article XXVIII, al. 3, ne semble indiquer que cet article aitentendu faire exception au principe.

En outre, la phase des négociations des travaux préparatoires decet article fait apparaître clairement que les négociateurs entendaientque les mesures prises en application de cet article soient soumisesau principe de la nation la plus favorisée. L'un des principauxchangements intervenus dans les premiers stades de la rédaction decet article a été l'introduction de la formule «retirer [...] desconcessions » à la place de « suspendre l'application de concessionssubstantiellement équivalentes consenties au commerce de la partiecontractante auteur d'une telle mesure », l'intention étant que cetarticle ait pour effet non plus une mesure discriminatoire, mais unemesure non discriminatoire [...]. Ainsi, même s'il existait un doutequelconque sur le point de savoir si l'article XXVIII, al. 3, prescritdes mesures non discriminatoires (conformes au principe de lanation la plus favorisée), ce doute serait écarté par référence auxnégociations en vue de l'élaboration de cet article. (Voir Nielsen c.Johnson, 279 U.S. 47, 52, 49 S. Ct. 223,73 L. Ed. 607 [1929] et lesdiverses affaires citées; W. Bishop, International Law, 171-172[2d éd., 1962].)

Reste à savoir si, en vertu du texte qui figure sous la référence 19U.S.C. 1882 c, le Président a le droit de prendre des mesures autresque sélectives ou discriminatoires, même s'il décide qu'une mesurenon discriminatoire est exigée en raison de nos obligationsinternationales. Le Customs Court (Tribunal des douanes) s'estréféré à 19 U.S.C. 1881, texte qui dispose:

«§ 1881. Principe de la nation la plus favorisée«Sauf disposition contraire de la présente section, de l'article 1351

du présent titre ou de l'article 401a de la Tariff Classification Act(Loi portant classification tarifaire) de 1962, tout droit ou touterestriction à l'importation ou tout traitement en franchise accordéen application d'un accord de commerce dans le cadre de laprésente section ou de l'article 1351 du présent titre s'appliqueraaux produits en provenance de tous les pays étrangers, qu'ilssoient importés directement ou indirectement. »

Le Tribunal a estimé que l'article 1881, lorsqu'on le confronteavec les termes de l'article 1882 c, qui précise les mesures à prendreen ce qui concerne les « produits provenant d'un tel pays ouorganisme » ou « un accord de commerce conclu avec un tel pays ouintermédiaire », a créé une exception au principe de la nation la plusfavorisée selon la procédure de l'article 1882 c. Ainsi, le Tribunal nes'est pas expressément prononcé sur les dispositions de l'article1882 c qui limitent le champ d'action du Président « dans la mesureoù cette action est compatible avec les objectifs énoncés à l'article1801 du présent titre et compte tenu des obligations internationalesdes Etats-Unis [...] ».

Les objectifs auxquels il est fait allusion sont énumérés commesuit sous la référence 19 U.S.C. 1801:

« 1) Stimuler la croissance économique des Etats-Unis etpréserver et élargir les marchés étrangers pour les produits del'agriculture, de l'industrie, du secteur minier et du commerce desEtats-Unis;

«2) Renforcer les relations économiques avec les Etatsétrangers grâce au développement de relations commercialesouvertes et non discriminatoires dans le monde libre;

« 3) Empêcher la pénétration économique communiste. » (C'estnous qui soulignons.)

Ainsi l'application de l'article 1882 c sur une base nondiscriminatoire ou par référence au principe de la nation la plusfavorisée ne serait pas incompatible avec les objectifs énoncés danscet article.

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128 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

Quant à l'apparente contradiction entre les obligationsinternationales que nous avons assumées dans le cadre du GATT etles dispositions de l'article 1882 c selon lesquelles des mesuresdoivent être prises contre l'Etat ou l'organisme qui impose desrestrictions excessives à l'importation, nous estimons que le passageci-après, extrait des travaux préparatoires de cet article, est fortinstructif:

« Les alinéas a et b de l'article 252 du projet de loi concourent àautoriser des mesures contre des restrictions trop gênantesimposées à l'importation par des Etats étrangers. Toutefois, ellesne comportent pas l'autorisation d'agir contre les restrictionsétrangères à l'importation qui, même si juridiquement ellespeuvent se justifier, imposent au commerce des Etats-Unis unecharge importante. L'amendement prévoit que, lorsqu'un paysqui a reçu des avantages en application d'un accord de commerceconclu avec les Etats-Unis applique à l'importation desrestrictions excessives qui constituent une charge, directe ouindirecte, pour le commerce des Etats-Unis, le Président peutretirer les avantages existant en vertu de l'accord de commerce ous'abstenir d'accorder toutes concessions en faveur de ces produitsqui auraient été négociées dans le cadre d'un accord de commerce.Aux termes de cet alinéa, le Président ne peut agir que dans lamesure où son action serait compatible avec les objectifs énoncéspar la loi et, ce faisant, il est tenu de prendre en considération lesobligations internationales assumées par les Etats-Unis. Ainsi,l'amendement n'autoriserait nullement la rupture, opérée sansdiscrimination, d'obligations internationales assumées par lesEtats-Unis, telles que les traités comportant des clauses de la nationla plus favorisée applicables aux produits en provenance d'autrespays [...]. » (C'est nous qui soulignons.)

L'amendement dont il est ici question est celui qu'a apporté leSénat à la loi votée par la Chambre des représentants sous le numéro11970, en ajoutant l'alinéa c à l'article 252 de la Trade ExpansionAct (Loi sur le développement du commerce) de 1962 (19 U.S.C.1882).

L'appelante invoque d'autres éléments des travaux préparatoiresqui font apparaître la volonté de donner au Président le pouvoir deprendre des mesures énergiques pour lutter contre la discriminationcommerciale de l'étranger. Nous estimons que l'interprétation del'article 1882 c que traduit la Proclamation n°3564 est tout à faitconforme à cette volonté. Selon cette interprétation, l'article 1882 cprévoit que le traitement de la nation la plus favorisée sera refusélorsque le Président en aura ainsi décidé « en tenant dûment comptedes obligations internationales des Etats-Unis » [...]. Dans laprésente affaire, il résulte de la Proclamation que le Président n'apas choisi de prendre cette attitude parce qu'elle aurait étéincompatible avec nos obligations internationales. Toutefois, lesmesures prises en application de la Proclamation avaient nettementpour cible l'organisme qui appliquait les restrictions excessives àl'importation, c'est-à-dire la Communauté économique européenne.Ainsi, la volonté du législateur de prendre des mesures énergiquescontre ceux qui appliquent des restrictions excessives à l'importationa été respectée et, en même temps, il n'y a pas eu rupture de nosobligations internationales.

II. — La clause de la nation la plus favorisée en matièrede traitement des étrangers, y compris les droits succes-soraux, la fiscalité et la caution judicatum solvi

Sullivan et autres c. KiddEtats-Unis d'Amérique: Cour suprême, 3 janvier 1921U.S. Reports, vol. 254, p. 433Annual Digest, 1919-1922, affaire n° 252

23. Un ressortissant britannique résidant au Canadaréclamait, en qualité de légataire, une partie du produit

provenant de biens fonciers situés dans l'Etat du Kansas.Il a invoqué le Traité conclu le 2 mars 1899 entre laGrande-Bretagne et les Etats-Unis, applicable auxsuccessions immobilières ouvertes dans le territoire desdeux parties contractantes au profit de ressortissants oude sujets de l'autre Etat et prévoyant la vente de ces bienset le retrait du produit de cette vente. Les ressortissantsou les sujets de l'une et l'autre partie contractante sevoyaient garantir le traitement de la nation la plusfavorisée pour tout ce qui concernait le droit de disposerde « toute sorte de biens ». Aucune notification d'acces-sion n'était intervenue en ce qui concernait le Dominiondu Canada. Le Gouvernement britannique avait inter-prété le traité comme conférant aux sujets britanniques,quelle que soit leur résidence, le droit d'hériter de biensaux Etats-Unis. D'après cette interprétation, une notifica-tion d'accession relative au Canada n'était nécessaire quepour donner effet au traité à l'égard des biens fonciers sisau Canada. Le Gouvernement des Etats-Unis, d'autrepart, avait interprété le traité comme supposant unenotification concernant le Canada pour rendre ce texteapplicable soit aux biens situés au Canada, soit aux sujetsbritanniques résidant dans ce pays. Le Tribunal depremière instance a jugé que le traité était applicable. Enappel, il a été jugé que cette décision devait être infirmée.En ce qui concerne la clause de la nation la plus favorisée,la Cour a déclaré:

Dans la pratique en vigueur dans ce pays, il a été considéré quecette clause n'entraînait pas l'extension des droits acquis en vertudes traités dans lesquels elle est contenue, en raison des avantagesréciproques expressément conférés dans des conventions concluesavec d'autres Etats en échange de droits ou privilèges accordés à cegouvernement.

Affaire relative à une caution «judicatum solvi » (Traité deVersailles)

Allemagne: Cour supérieure de district, Francfort-sur-le-Main, 11 décembre 1922

Juristische Wochenschrift20, 1923, p. 191Annual Digest, 1919-1922, affaire n° 255

24. Il s'agissait du recours introduit par un demandeurfrançais contre l'ordre qui lui avait été notifié d'avoir àfournir une caution judicatum solvi dans le cadre d'uneprocédure intentée par lui contre un ressortissantallemand. Selon l'article 110 du Code allemand deprocédure civile, les étrangers demandeurs devant destribunaux allemands devaient, si le défendeur le deman-dait, déposer une caution judicatum solvi. Ce texte nes'appliquait pas aux étrangers dont l'Etat nationaln'exigeait pas des ressortissants allemands demandeursdevant ses tribunaux le dépôt d'une caution judicatumsolvi. Une convention conclue à La Haye le 14 novembre1896 par un certain nombre d'Etats, parmi lesquelsl'Allemagne et la France, a exempté les ressortissants desparties contractantes de l'obligation de déposer unecaution judicatum solvi. Cette convention ne figurait pasparmi celles qui, en application de l'article 287 du Traitéde Versailles, devaient être considérées comme remises envigueur entre les Puissances alliées et l'Allemagne. Par

20 Berlin.

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Clause de la nation la plus favorisée 129

l'article 291, alinéa 1, de ce traité, l'Allemagne s'estengagée

à assurer de plein droit aux puissances alliées et associées, ainsiqu'aux fonctionnaires et ressortissants desdites puissances, lebénéfice de tous les droits et avantages, de quelque nature que cesoit, qu'elle a pu concéder à l'Autriche, à la Hongrie, à la Bulgarieou à la Turquie, ou concéder aux fonctionnaires et ressortissants deces Etats, par traités, conventions ou accords, conclus avant le1er août 1914, aussi longtemps que ces traités, conventions ouaccords resteront en vigueur.

Le second alinéa de cet article dispose que: «lesPuissances alliées et associées se réservent le droitd'accepter ou non le bénéfice de ces droits et avantages ».Il existait entre l'Allemagne et la Bulgarie un traité quiprévoyait, sur une base de réciprocité, l'exemption del'obligation de déposer une caution judicatum solvi. Dansune note communiquée à l'Allemagne en avril 1921, leGouvernement français a informé le Gouvernementallemand qu'il entendait se prévaloir des dispositionspertinentes de ce traité. Le demandeur n'a pas apporté lapreuve qu'en France les ressortissants allemands étaientexemptés de l'obligation de déposer une cautionjudicatum solvi dans le cas de procédures intentées contredes ressortissants français.

25. La Cour supérieure de district a jugé que l'appeldevait être rejeté. L'article 291 du Traité de Versaillesn'obligeait pas l'Allemagne à accorder aux ressortissantsfrançais des avantages plus étendus que ceux qui étaientaccordés aux ressortissants de l'ancienne Puissancecentrale. Le traité conclu avec la Bulgarie reposait sur leprincipe de la réciprocité. Dès lors que la Francen'accordait pas, à titre de réciprocité, le même traitement,ses ressortissants n'avaient pas droit à l'exemption del'obligation de déposer une caution judicatum solvi.

Dobrin c. Mallory S. S. Co. et autresEtats-Unis d'Amérique: District Court [Tribunal de

district], District Est de New York, 2 avril 1924Fédéral Reporter, vol. 29821, p. 349

26. Thomas Waldron, décédé intestat — ce qui est àl'origine de la requête —, a été tué le 30 novembre 1921alors qu'il travaillait en qualité de débardeur à bord dunavire Agwidale, dont la cargaison était à ce moment-làen cours de déchargement sur un quai du port de Seattle,dans l'Etat de Washington. Au moment de sa mort,Thomas Waldron ne laissait ni femme, ni enfant, mais illaissait un père et une mère, dont il est allégué qu'ilsétaient à sa charge et qui, lors du décès du de cujus et lorsde la désignation du demandeur en tant qu'« administra-teur », résidaient l'un et l'autre en Irlande et non pas auxEtats-Unis. Le demandeur a soutenu que les parents dudéfunt, résidant en Grande-Bretagne, pouvaient obtenirréparation en raison du fait que, au moment de la mortdu de cujus, il existait effectivement entre les Etats-Unis etla Grande-Bretagne un traité comportant une clause « dela nation la plus favorisée », et qu'au surplus, un traitéayant ultérieurement été conclu, le 25 février 1913, entreles Etats-Unis et l'Italie aux termes duquel réparation

21 Etats-Unis d'Amérique, Fédéral Reporter, vol. 298, Saint Paul(Minn.), West Publishing, 1924.

pouvait être accordée aux Italiens, le même droit devaitêtre accordé aux sujets britanniques. La Cour n'a pasadmis la prétention du demandeur et a déclaré:

La clause de la nation la plus favorisée (l'article 5 de laconvention) invoquée par le demandeur est ainsi rédigée:

« Pour tout ce qui concerne le droit de disposer de toutescatégories de biens, meubles ou immeubles, les ressortissants ousujets de l'une et l'autre des Hautes Parties contractantesbénéficieront, dans le territoire de l'autre, des droits accordés oupouvant être accordés aux ressortissants ou sujets de la nation laplus favorisée.»

Par conséquent, il est clair que la clause « de la nation la plusfavorisée » contenue dans ce traité n'est applicable qu'à ce quiconfère le droit de disposer de toutes catégories de biens, meubles ouimmeubles, et ne concerne pas le droit à réparation en raison dudécès d'un parent.

En 1908, il existait dans l'Etat de Pennsylvanie une loi analogue àladite loi de l'Etat de Washington. Un Italien a été tué à la suited'une négligence, laissant des parents qui étaient à sa charge etrésidaient en Italie. Le tribunal a jugé que, en application du traitéalors en vigueur, ils ne pouvaient recevoir de réparation.

Par la suite, un traité complémentaire a été négocié entre ce payset l'Italie en 1913, [...] qui contenait les dispositions suivantes:

« Les ressortissants ou sujets de l'une et l'autre des HautesParties contractantes bénéficieront, dans les Etats et territoires del'autre partie, de la sécurité la plus constante et de la protection deleur personne et de leurs biens ainsi que de leurs droits, y compriscette modalité de protection qu'accorde toute législation, au plande l'Etat ou au plan national, lorsqu'elle établit une responsabilitécivile en cas de décès ou de dommages causés du fait d'unenégligence ou d'une faute et lorsqu'elle accorde aux parents ouaux héritiers de la victime le droit d'agir, droit qui ne devra pasêtre limité en raison de la nationalité desdits parents ou héritiers,lesquels jouiront à cet égard des mêmes droits et privilèges queceux qui sont ou seront accordés aux nationaux, sous réservequ'ils se soumettent aux conditions imposées à ces derniers. »

Ce traité complémentaire conclu avec l'Italie n'a pas eu pourconséquence, en vertu de la clause « de la nation la plus favorisée »contenue dans le traité conclu avec la Grande-Bretagne, d'étendreaux ressortissants britanniques les droits conférés par ledit traitécomplémentaire aux ressortissants italiens, étant donné que, ainsiqu'il a été indiqué plus haut, la portée de cette clause du traité étaitlimitée, de par ses termes mêmes, au droit de disposer de toutescatégories de biens, meubles ou immeubles, et ne recouvrait aucundroit qui pourrait être conféré par la loi en vue de bénéficier d'uneréparation en cas de décès d'un parent; par conséquent, la portée dela loi en vigueur dans l'Etat de Washington n'était ni limitée nimodifiée par le traité conclu entre ce pays et la Grande-Bretagne, etla requête doit donc être rejetée.

Zaklady Griotte Lud. Wantoch (demandeur) c. Gerner etO. Henigsberg (défendeurs)

Pologne: Cour suprême, Troisième Division, 7er avril 1925Orzecznictwo Sadôw Polskich, IV, n° 465Annual Digest, 1925-1926, affaire n° 293

27. La demanderesse, une société tchécoslovaque, avaitfait enregistrer des marques en Autriche en 1912 et enTchécoslovaquie en 1922, mais avait omis de les faireenregistrer en Pologne. Elle intentait à présent contre lesdeux défendeurs des poursuites pour infraction à lalégislation sur les marques. Le Tribunal de Stanislawowavait relaxé les défendeurs. La société demanderesse s'estalors pourvue devant la Cour suprême, laquelle a jugé

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130 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

que, aux termes de la Convention de Paris, du 20 mai1883, les ressortissants des Etats contractants nebénéficiaient de la protection de leurs marques qu'àcondition de les avoir enregistrées dans l'Etat concerné.Les dispositions du Traité de Saint-Germain-en-Laye(art. 274) ne pouvaient s'appliquer à la présente espèce,antérieure à l'entrée en vigueur de ce traité en Pologne.Par conséquent, la situation des ressortissants tchécoslo-vaques en territoire polonais ne pouvait être envisagée, àcet égard, qu'en fonction du droit interne polonais et dela Convention de Paris de 1883. Etant donné que le droitpolonais ne protégeait pas les marques des ressortissantspolonais avant l'enregistrement desdites marques, on nesaurait prétendre que ce droit protégeait à cet égard lesétrangers avant cet enregistrement. Il garantissait à cetégard aux étrangers la même protection, et uniquement lamême protection, qu'aux ressortissants polonais, et mêmela possibilité d'accorder le bénéfice de la clause de lanation la plus favorisée ne pouvait être interprétée commeaccordant aux étrangers des droits plus étendus que ceuxdont bénéficiaient les ressortissants polonais.

Betsou c. VolzenlogelFrance: Tribunal civil de la Seine, 23 décembre 1927Cour d'appel de Paris (Première Chambre), 24 décembre

1928Clunet22, t. 55, 1928, p. 999; ibid., t. 56, 1929, p. 1269Annual Digest, 1927-1928, affaire n° 313

28. Les frères Betsou, ressortissants grecs, avaient loué àParis, en 1917, des locaux à usage commercial. Le bailexpirait en 1926. Les propriétaires ayant refusé lerenouvellement du bail, les demandeurs ont réclamé200 000 francs d'indemnité d'éviction. Leur réclamationétait fondée sur les dispositions de la loi du 30 juin 1926,qui accordait certains privilèges aux commerçants. Al'appui de leurs réclamations tendant à bénéficier desprivilèges conférés par cette loi en dépit de leurnationalité étrangère, ils invoquaient la conventionfranco-hellénique du 8 septembre 1926 et, par le biais dela clause de la nation la plus favorisée, le traité franco-danois du 9 février 1910, le Danemark étant à cet égard lanation la plus favorisée. L'article 19 de la loi de 1926disposait que les étrangers ne devaient avoir droit aubénéfice des privilèges prévus par cette loi que sousréserve de réciprocité.

29. Le Tribunal civil de la Seine s'est prononcé enfaveur des demandeurs et a déclaré que, par le biais de laclause de la nation la plus favorisée, les ressortissantsgrecs jouissaient en France des mêmes privilèges, enmatière de commerce et d'industrie, que les ressortissantsdanois. Le traité franco-danois disposait que, dansl'exercice de leurs activités commerciales, les Danoisjouiraient de tous les privilèges que la législation pourraitultérieurement conférer aux ressortissants français. La loidu 30 juin 1926 accorde incontestablement des privilègesà ceux qui exercent une activité commerciale. Bien quel'article 19 de cette loi érige en règle absolue et impérativel'exigence de la réciprocité en matière législative et bien

qu'il n'y ait pas eu au Danemark de législation en matièrede propriété commerciale, le droit français doit êtreinterprété conformément au traité franco-danois. Lesressortissants danois ne sauraient être privés de leursdroits et privilèges par une législation française ultérieure.Selon le Tribunal,

une convention entre nations constitue, au même titre qu'un contratentre particuliers, un engagement réciproque qui doit être respectéde part et d'autre tant que cette convention n'est pas dénoncéeou qu'un nouveau traité ne vienne restreindre les effets du contratprimitif.

30. La Cour d'appel de Paris, infirmant la décision duTribunal civil de la Seine, a déclaré que les frères Betsoune pouvaient prétendre à un droit au renouvellement deleur bail. La loi de 1926 indique clairement que le droit àla propriété commerciale est interprété comme « un droitcivil stricto sensu », c'est-à-dire comme un droit soumisaux dispositions de l'article 11 du Code civil, en vertuduquel les étrangers ne jouissent de droits en France quesous réserve de réciprocité dans le traitement réservé àl'étranger aux ressortissants français. II est bien précisé,dans le traité franco-danois, que les ressortissants desdeux Etats ne jouiraient des droits et privilèges prévusque dans la mesure où ces droits et privilèges seraientcompatibles avec la législation en vigueur dans les deuxEtats, et la législation danoise ne reconnaît pas auxétrangers le droit à la propriété commerciale auDanemark.

Trossy c. DumortierBelgique: Tribunal civil de Bruxelles (Chambre des appels

de loyers), 31 mai 1928Belgique judiciaire, 192923, col. 60 et 61; Clunet, t. 56,

1929, p. 203Annual Digest, 1927-1928, affaire n° 312

31. En vertu d'une législation belge spéciale relative à ladurée des baux, les ressortissants des pays qui étaient soitneutres soit alliés de la Belgique pendant la premièreguerre mondiale étaient susceptibles de jouir desavantages concédés par la loi, sous réserve de réciprocité.La demanderesse s'est plainte de ce que le privilège de laprolongation légale de son bail lui ait été refusé en raisonde sa nationalité française et du fait que les ressortissantsbelges ne bénéficiaient pas en France du mêmetraitement. Le tribunal a statué en faveur de lademanderesse. Aux termes de la convention franco-belgedu 6 octobre 1927, les ressortissants des deux partiescontractantes bénéficient du traitement de la nation laplus favorisée sur le territoire des deux parties pour toutesles questions relatives à la résidence et à l'établissement,de même qu'à l'exercice d'une activité commerciale etindustrielle et à celui de professions libérales (art. 1er). Ceprivilège a été étendu à la possession, l'acquisition et lalocation de biens meubles ou immeubles (art. 2). Le traitéconclu entre la Belgique et l'Italie le 11 décembre 1882 aprévu, dans son article 3, que « les sujets de chacune desparties contractantes jouiront dans le territoire de l'autrede la plénitude des droits civils comme les nationaux ».

22 Journal du droit international, Paris. Ci-après dénommé« Clunet ».

23 La Belgique judiciaire: Gazette des tribunaux belges et étrangers,Bruxelles, 87e année, n° 2, 15 janvier 1929.

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Clause de la nation la plus favorisée 131

[...] il s'ensuit donc que, par le jeu de la clause de la nation la plusfavorisée, les Français sont en Belgique assimilés complètement auxBelges au point de vue de la jouissance des droits civils, etbénéficient de la loi sur les loyers;

Attendu qu'il importe peu que ces traités soient antérieurs oupostérieurs à la législation exceptionnelle des loyers; que le traitéfranco-belge du 6 octobre 1927 a été négocié par le Gouvernementbelge en vue d'obtenir, pour ses nationaux établis en France, lebénéfice total des lois sur les loyers et sur la propriété commerciale;que les ressortissants des deux pays jouissent des mêmes droits [...];

[...] l'appelante, de nationalité française, est fondée à bénéficier dela prorogation légale en vertu du traité d'établissement du 6 octobre1927.

Affaire relative à la valorisation en AllemagneAllemagne: Reichsgericht [Cour suprême du Reich alle-

mand], 6 juin 1928Animal Digest, 1927-1928, affaire n° 230

32. L'appelant, ressortissant italien, était syndic d'unebanque suisse qui, en janvier 1920, avait effectué auprèsdu défendeur, une banque allemande, un dépôt de 2millions de marks papier pour une durée de trois mois,renouvelable par périodes de trois mois. Le dépôt a étérenouvelé jusqu'en août 1923, date à laquelle il est devenusans valeur. D'après l'article 66 de la loi allemanderelative à la valorisation, ces espèces n'étaient passoumises à valorisation. Il a été soutenu, au nom del'appelant, que l'article 66 était inapplicable à un étrangerdès lors que, d'après le droit international — qui, enapplication de l'article 4 de la Constitution, faisait partiedu droit allemand —, il était impossible de refuser à unétranger le bénéfice de la valorisation. Il a aussi étésoutenu que cet article était en contradiction avec le traitéde commerce germano-italien du 31 octobre 1925, envertu duquel les ressortissants des parties contractantespourront, en toute liberté, lorsqu'ils se trouveront dans leterritoire de l'autre partie contractante, acquérir etposséder librement des biens, dans la mesure où ce droitest par ailleurs accordé aux ressortissants d'un autre Etat.Il a été soutenu que cet article constituait une clause de lanation la plus favorisée, et l'appelant a réclamé lebénéfice du Traité de commerce de 1925 entre les Etats-Unis d'Amérique et l'Allemagne, lequel dispose que lesressortissants des parties contractantes bénéficieront de laprotection des règles du droit international et ne serontpas privées de leurs biens sans une procédure légale(« due process of law ») et sans réparation adéquate.

33. L'appelant a été débouté. La Cour a déclaréqu'aucune règle de droit international ne confère auxétrangers le droit de demander le remboursement de leursemprunts en or. Par conséquent, on ne saurait considérerque l'article 66 de la loi sur la valorisation est contraireau droit international. La clause de la nation la plusfavorisée n'a rien à voir en l'espèce. Les dispositions del'article 66 ne peuvent être considérées comme consti-tuant l'équivalent d'une expropriation. L'appelant aprorogé périodiquement son dépôt, et il doit subir lesconséquences de la dépréciation monétaire ultérieure. IIn'est pas recevable à se plaindre de ce que la loi, dans sonarticle 66, lui refuse certains avantages qu'elle confère auxcréanciers dans d'autres cas.

Hawaiian Trust Co. c. SmithEtats-Unis d'Amérique: Cour suprême du territoire de

Hawaii, 18 décembre 1929Annual Digest, 1929-1930, affaire n° 251

34. Un ressortissant canadien est décédé à Hawaii,laissant un testament par lequel il léguait des biensmeubles et immeubles situés à Hawaii à des ressortissantsbritanniques qui n'y étaient pas résidents. La loi sur lesdroits de succession en vigueur à Hawaii prévoyait untaux d'imposition plus élevé pour la transmission de biensà des étrangers non résidents que pour la transmission àdes résidents ou à des ressortissants hawaiiens. Il a étésoutenu que, en application du Traité du 2 mars 1899entre la Grande-Bretagne et les Etats-Unis, une succes-sion ne pouvait être imposée à un taux plus élevé quecelui qui était applicable à la transmission de biens à desressortissants hawaiiens résidant dans le pays24. Lesdispositions de ce traité avaient été rendues applicables àHawaii. L'article V du Traité conclu le 25 novembre 1850entre la Suisse et les Etats-Unis d'Amérique contenait lesdispositions suivantes:

Les citoyens de chacune des parties contractantes pourrontlibrement disposer de leurs biens personnels sis dans la juridiction del'autre, soit par vente, testament, donation ou de toute autremanière, et leurs héritiers testamentaires ou ab intestate, ou leurssuccesseurs quelconques, citoyens de l'autre partie, acquerront cesdits biens ou en hériteront et ils pourront en prendre possession eux-mêmes ou par fondés de pouvoirs; ils pourront en disposer commeils l'entendront, n'ayant à payer d'autres droits que ceux auxquelssont soumis en pareils cas les habitants mêmes du pays dans lequelces biens sont situés. [...]

Des traités analogues étaient en vigueur entre les Etats-Unis et l'Italie, le Brésil et l'Espagne.

35. La Cour a jugé que la succession ne pouvait êtreimposée à un taux plus élevé que celui qui est applicableaux biens transmis à des ressortissants du pays résidantsur son territoire. Etant donné que la loi prévoit un impôtplus élevé lorsqu'il s'agit de biens passant entre les mainsde ressortissants qui ne résident pas sur le territoire del'Etat, de même que lorsqu'il s'agit de biens passant entreles mains d'étrangers non résidents, il n'y a pas eu, enl'espèce, de refus de protection égale au sens des garantiesprévues dans la Constitution. Il n'y a pas eu non plus,contre les ressortissants britanniques, de discriminationcontraire au traité. La Cour a déclaré :

Nous ne saurions conclure que, lorsque des ressortissantsaméricains non résidents sont imposés sur la base d'un certain taux,le traité a entendu que les ressortissants britanniques non résidentssoient imposés selon un taux moins élevé. L'expression « dans descas analogues «, qui figure à la fois dans l'article Ier et dans l'ar-ticle II [du Traité du 2 mars 1899 entre la Grande-Bretagne et lesEtats-Unis] désigne des cas dont toutes les circonstances, et pas seu-lement certaines d'entre elles, sont identiques. L'expression désignesans aucun doute [...] des circonstances similaires du point de vue desdegrés de parenté et du point de vue des montants devant faire

24 L'article V du Traité du 2 mars 1899 est ainsi rédigé:« Pour tout ce qui concerne le droit de disposer de toutes

catégories de biens, meubles ou immeubles, les ressortissants ousujets de l'une ou l'autre des Hautes Parties contractantes jouiront,sur le territoire de l'autre partie, des droits qui sont ou qui pourrontêtre accordés aux ressortissants ou sujets de la nation la plusfavorisée. »

Page 138: Annuaires de la Commission du droit international 1973 …...Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II Pages A. Fonds publics 36 1. Fonds publics d'Etat 36 2

132 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

l'objet d'une imposition; toutefois, elle concerne également larésidence ou la non-résidence lorsque, en vertu de la loi, ces faitsjustifient ou motivent une classification et une discrimination. [...]Les termes dans lesquels est rédigée la clause de la nation la plusfavorisée étaient assurément destinés à avoir un sens et à pouvoirêtre appliqués. [...] Si l'on considère uniquement l'article II duTraité avec la Grande-Bretagne ainsi que l'article Ier, dans la mesureoù il est question dans tous les cas de biens immobiliers, il estuniquement prévu, comme il est indiqué plus haut, qu'unressortissant britannique ne résidant pas à Hawaii ne sera pasimposé à un taux plus élevé que le taux applicable à un ressortissantaméricain qui ne réside pas à Hawaii [...].

Comptoir tchécoslovaque et Liebken c. New Callao GoldMining Co.

France: Tribunal de commerce de la Seine, 4 mars 1930Annual Digest, 1929-1930, affaire n° 234

36. La défenderesse, une société anglaise, prétendaitéchapper à l'application de la règle qui impose à toutdemandeur domicilié à l'étranger le versement d'unecaution judicatwn solvi. En vertu du Traité de commerceanglo-français du 28 février 1882, les ressortissantsbritanniques bénéficiaient en France du traitement de lanation la plus favorisée. Des « déclarations interpréta-tives » du Ministre des affaires étrangères publiées auJournal officiel en juillet et août 1929 expliquaient que laclause de la nation la plus favorisée conférait auxressortissants britanniques le droit de se prévaloir detraités conclus par la France et assimilant le statut desétrangers à celui des ressortissants français. Le tribunal ajugé que les déclarations interprétatives doivent êtreconsidérées comme faisant partie du texte du traité, etqu'en conséquence elles lient les tribunaux. En consé-quence, les ressortissants britanniques peuvent se préva-loir de la Convention franco-suisse du 15 juin 1869autorisant les ressortissants suisses à ester en justice enFrance sans être tenus de verser une caution judicatwnsolvi.

Lloyds Bank c. de Ricqlès et de GaillardFrance: Tribunal de commerce de la Seine, 4 novembre

1930Clunet, t. 58, 1931, p. 1018; Sirey25, 1931, IIe partie, p. 97Annual Digest, 1929-1930, affaire n° 252

37. La banque Lloyds, lorsqu'elle a intenté une actioncontre les défendeurs, a été requise de déposer unecaution judicatum solvi, en sa qualité de société étrangère.La Banque a invoqué l'article 1 de la Convention anglo-française du 28 février 1882, qui accordait aux sujets dechacune des deux parties contractantes le traitement de lanation la plus favorisée dans le territoire de l'autre. Al'appui, la Banque s'est prévalue des dispositions duTraité franco-suisse du 15 juin 1869 donnant aux sujetssuisses le droit d'ester en justice en France sans être tenusde verser la caution judicatum solvi. Le tribunal a concluau rejet de cette demande. Il a déclaré :

Attendu que la clause de la nation la plus favorisée ne dispensepas les nationaux des Etats contractants de fournir la cautionjudicatum solvi lorsque le traité qui la contient a un objet spécial et

25 Recueil général des lois et des arrêts fondé par J.-B. Sirey, Paris,1931. Ci-après dénommé « Sirey ».

ne règle pas l'ensemble des droits civils des ressortissants respectifsde ces Etats;

Qu'il n'est pas douteux que la Convention franco-britannique du28 février 1882, dont la Lloyds Bank Limited se réclame, est uneconvention particulière, puisqu'elle règle uniquement les relationscommerciales et maritimes entre les deux pays;

Que la demanderesse ne peut exciper d'aucun traité diplomatiqueintervenu entre la Grande-Bretagne et la France stipulantexpressément la dispense de fournir la caution judicatum solvi, ouqui, visant soit les questions de procédure soit l'ensemble des droitscivils, contiendrait à cet égard la clause de la nation la plusfavorisée;

Attendu que vainement la Lloyds Bank Limited entendrait encorese réclamer d'une interprétation de la Convention franco-britannique du 28 février 1882 donnée dans une correspondanceéchangée au cours du mois de mai 1929 entre M. l'ambassadeur deGrande-Bretagne à Paris et M. le ministre des affaires étrangères,d'une part, et entre ce dernier et M. le garde des sceaux, d'autrepart, correspondance publiée au Journal ojficiel des 20 juillet et 13août 1929;

Qu'en effet, l'interprétation dont il s'agit fait seulement ressortirque la clause de la nation la plus favorisée contenue dans laditeconvention du 28 février 1882 doit s'étendre aux lois réglant lesrapports en Angleterre et en France entre bailleurs et locataires;

Que, dès lors, cette interprétation se limitant à un point particulierde droit tout à fait étranger à la matière de la caution judicatumsolvi, on ne saurait en inférer qu'elle dispense également les sujetsbritanniques plaidant en France de fournir cette caution;

Attendu, au surplus, que l'interprétation sus-analysée est baséesur la condition de réciprocité:

Que d'ailleurs, aux termes de l'article 11 du Code civil, l'étrangerdoit jouir en France des mêmes droits civils que ceux qui sontaccordés aux Français par les traités de la nation à laquelleappartient cet étranger;

Or, attendu qu'il est constant que les Français demandeurs devantles tribunaux anglais ne sont pas dispensés de fournir caution pourle paiement de la cause qu'ils soumettent à leur appréciation;

Que, par voie de conséquence, les ressortissants britanniques nepeuvent prétendre à bénéficier de pareille dispense devant lestribunaux français; qu'il échet, par suite, d'accueillir l'exception decaution judicatum solvi opposée.

Lukich c. Department ofLabor and IndustriesEtats-Unis d'Amérique: Cour suprême de Washington

(Department One), 22 janvier 1934Annual Digest, 1933-1934, affaire n° 200

38. Il s'agissait d'un recours contre le jugement d'untribunal de rang inférieur annulant une décision duDépartement du travail et de l'industrie de l'Etat deWashington, au motif que cette décision était encontradiction avec la clause de la « nation la plusfavorisée » contenue dans une convention de commerce etde navigation conclue entre les Etats-Unis d'Amérique etla Serbie le 27 décembre 1882. La défenderesse,ressortissante yougoslave et résidant en Yougoslavie, ademandé à bénéficier pleinement des indemnités dues auxtravailleurs du fait du décès de son mari dans un accidentdu travail survenu dans l'Etat de Washington. L'appe-lant, conformément au droit de l'Etat, n'avait accordéque 50% de l'indemnité normale, le bénéficiaire étantétranger et ne résidant pas aux Etats-Unis. D'après la loi(Rem. Rev. Stat. § 7684), il était prévu que, « saufdispositions contraires d'un traité », un étranger nonrésident n'avait droit qu'à 50% des indemnités normales.

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Clause de la nation la plus favorisée 133

La défenderesse a invoqué des traités conclus postérieure-ment par les Etats-Unis avec d'autres Etats, aux termesdesquels les ressortissants de ces Etats qui se trouveraientdans la situation qui est la sienne bénéficieraient d'unepleine indemnité, sans déduction aucune.

39. La Cour a jugé qu'il convenait d'infirmer la décisionattaquée. La clause « de la nation la plus favorisée »contenue dans le traité de commerce et de navigation enquestion « ne porte que sur les points qui constituent lamatière du traité contenant la clause », et la portée decelle-ci ne se trouvait pas étendue du fait d'autres clausesincluses dans des traités d'amitié ou de commerce ourelatifs aux droits consulaires conclus entre les Etats-Uniset d'autres Etats et prévoyant le droit à une pleineindemnité. La Cour a déclaré:

En examinant cette clause par rapport au contexte immédiat et àl'ensemble du traité actuellement étudié, il nous apparaît clairementque ce traité ne concerne que des questions de navigation, decommerce et d'industrie, et que la clause de la nation la plusfavorisée ne peut pas être considérée comme mettant en cause destraités de portée générale conclus avec d'autres Etats et concernantmanifestement des questions que les Hautes Parties contractantesn'ont pas envisagées lors de l'élaboration du traité invoqué par ledéfendeur à l'appui de ses prétentions, ni comme conférant audéfendeur le droit de bénéficier des dispositions de ces traités. [...] Ilest évident que le traité a trait au « commerce » et à la« navigation ». Sa portée est limitée aux questions qui s'yrapportent. Il est vrai que le mot « industrie » est utilisé, mais lecontexte fait clairement apparaître que ce mot a été employé àpropos du commerce, et non dans le sens du travail. Dans cescirconstances, la clause « de la nation la plus favorisée » contenuedans le traité n'empêche pas l'application à la prétention fondée parle défendeur sur la loi relative à l'indemnisation des travailleurs de laloi citée sous la référence Rem. Rev. Stat. § 7684, alors même quecette clause s'étend à toutes les questions contenues dans des traitésultérieurs portant sur des domaines voisins de celui du commerce etde la navigation.

Z)'Oldenbourg c. SerebriakoffFrance: Cour d'appel de Paris, 8 juin 1935Gazette des tribunaux, 21-23 juillet 1935Recueil général, 193526, IIIe partie, p. 85Annual Digest, 1935-1937, affaire n° 221

40. Alexandre Serebriakoff, ressortissant russe, a intentéune action contre la dame d'Oldenbourg, égalementressortissante russe, alléguant la nullité d'un testamentaux termes duquel elle avait la qualité de légataire. Ladame d'Oldenbourg a soulevé une exception de cautionjudicatum solvi. Un jugement du Tribunal civil de la Seineen date du 12 novembre 1931 l'a déboutée, au motif queles deux parties étaient de nationalité russe. Le 4 mai1932, la dame d'Oldenbourg est devenue, par naturalisa-tion, ressortissante française. Elle a alors obtenu de laCour d'appel de Paris une décision ex parte ordonnant àSerebriakoff de verser une caution de 100 000 francs.Serebriakoff a fait appel de cette décision en soutenant:1° que la dame d'Oldenbourg n'était pas recevable àdemander le dépôt d'une caution judicatum solvi étantdonné qu'elle était de nationalité russe lorsque laprocédure a commencé; 2° que lui-même était dispensé du

dépôt d'une caution par les dispositions du Traité franco-russe du 11 janvier 1934. La Cour a jugé que l'appeldevait être rejeté. Elle a déclaré:

Considérant qu'il importe peu que, au moment où elle a étéassignée et où elle a soulevé l'exception, la dame d'Oldenbourg fûtde nationalité étrangère;

Que si, en principe, l'exploit introductif d'instance fixe leséléments du litige, notamment en ce qui concerne le fond du procès,il n'en est pas de même en ce qui touche les qualités des parties; que,devenue Française au cours de l'instance d'appel, la damed'Oldenbourg est fondée à se réclamer immédiatement lesprérogatives ou mesures de protection attachées à cette qualité et,par suite, en l'espèce, à se prévaloir de l'exception judicatum solvi;

Considérant que le décret du 23 janvier 1934 ordonnant la mise enapplication provisoire de l'accord commercial conclu le 11 janvier1934 entre la France et l'URSS [...] est sans application en l'espèce;que vainement Alexandre Serebriakoff en invoque le bénéfice; quesi, en effet, cef accord prévoit, à titre de réciprocité, le libre et facileaccès aux tribunaux français pour les sujets russes, l'avantage ainsiaccordé à ceux-ci est strictement limité aux commerçants etindustriels; que cette constatation résulte inéluctablement tant del'ensemble du traité que de chacune de ces dispositions envisagéesséparément; que ce traité a pour titre « accord commercial »;

Que les différents articles qui le composent confirment cettedénomination, et que notamment l'article 9, spécialement invoquépar Serebriakoff, déterminant les bénéficiaires de ces dispositions,débute en ces termes: «Sans préjudice de toutes stipulationsultérieures, les commerçants et industriels français, personnesphysiques ou personnes morales constituées conformément à la loifrançaise, seront aussi favorablement traités que les ressortissants dela nation la plus favorisée... »

Société Poulin c. Utilities Improvements Co.France: Cour d'appel d'Amiens, 4 novembre 1937Gazette du Palais27, 17 décembre 1937, ITe partieNouvelle Revue de droit international privé28, 4e année,

vol. IV (1937), p. 761 à 763Annual Digest, 1935-1937, affaire n° 220

41. Le Tribunal civil de Compiègne avait rejeté lademande présentée par l'appelante, la Société Poulin,société française, tendant à obtenir que la sociétébritannique Utilities Improvements Co., demanderesse enpremière instance, ait à déposer une caution judicatumsolvi en application des articles 16 du Code civil et 166 duCode de procédure civile. L'un et l'autre de ces textesprévoient que leurs dispositions sont susceptibles demodifications par des traités conclus entre la France etd'autres Etats. L'article 11 du Code civil français disposeque les étrangers jouissent en France des mêmes droitscivils que les Français dans leur pays respectif. La Cour aconclu au bien-fondé de l'appel. La Cour a déclaré:

Attendu qu'il est constant que la législation anglaise ne dispenseni les Français, ni d'ailleurs dans certains cas les citoyensbritanniques, de fournir la caution judicatum solvi; que l'applicationde l'article 11 du Code civil ne saurait avoir pour effet de fairebénéficier les citoyens britanniques plaidant en France de cetteexonération;

Attendu qu'il est unanimement admis que les dispositions del'article 16 du Code civil et 166 du Code de procédure civile peuventêtre modifiées par les clauses des traités conclus entre la France et les

26 Recueil général périodique et critique des décisions, conventionset lois relatives au droit international public et privé — année 1935,Paris.

27 Paris.28 Paris.

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134 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

nations étrangères; qu'il est cependant nécessaire, pour qu'il soit faitéchec aux prescriptions formelles de la loi, qu'une conventionintervenue entre les Etats intéressés le décide formellement et entermes non équivoques;

Attendu que les rapports entre la France et la Grande-Bretagnesont régis par la convention du 28 février 1882, qui a réservé auxnationaux de chacune des Hautes Parties contractantes les faveurs,immunités ou privilèges qui pourraient être concédés par elles auxnationaux d'une tierce puissance en certaines matières de commerce,d'industrie et de navigation maritime; que, par lettres échangées les21 et 25 mai 1929 entre l'Ambassadeur de Grande-Bretagne et leMinistre des affaires étrangères français, lettres dont les dispositionsapprouvées par décret doivent être considérées comme incorporéesau traité, il a été déclaré que la clause de la nation la plus favorisée,qui est à la base de la susdite convention, permet, avec réciprocité,d'assimiler les citoyens britanniques aux Français en ce qui concernele bénéfice des lois concernant les loyers tant des locaux d'habitationque des locaux commerciaux ou industriels;

Attendu, il est vrai, que les lettres susmentionnées font découler ladécision spéciale aux loyers qui forme leur unique objet de deuxprincipes plus généraux qu'elles posent également, à savoir que laconvention franco-britannique du 28 février 1882 n'est pas limitéeau domaine commercial et maritime, mais s'étend à l'établissement,et que la clause de la nation la plus favorisée qui est à la base decette convention donne aux sujets britanniques le droit de seprévaloir des traités de la France stipulant l'assimilation del'étranger au national;

Mais attendu que la clause d'assimilation de l'étranger aunational, déclarée équivalente à la clause de la nation la plusfavorisée, n'est considérée ni par la jurisprudence ni même par lalégislation comme de nature à attribuer automatiquement auxétrangers qui en sont bénéficiaires en France la totalité des droitsprivés stricto sensu; que, notamment, la loi du 30 juin 1926 qui aréservé la réciprocité législative au profit des étrangers est interprétéepar la jurisprudence comme excluant de son bénéfice les locatairesétrangers, qui ne peuvent invoquer que la seule clause de la nation laplus favorisée;

Attendu que la convention du 28 février 1882 et les lettres qui enont étendu l'application réservent dans leurs dispositions expressesle principe de la réciprocité; qu'il ne paraît pas vraisemblable que lesHautes Parties contractantes aient entendu, sans exprimer nettementleur pensée, porter atteinte au principe posé à l'article 11 du Codecivil en visant tacitement une catégorie de droits pour lesquels laréciprocité s'avère impossible;

Attendu enfin que si les textes susvisés portaient exonération pourles sujets britanniques de payer la caution judicatwn solvi dans toutesles natures d'instances on ne comprendrait pas le motif pour lequelune convention postérieure du 18 janvier 1934 a prévu cetteexonération seulement pour les demandes d'enregistrement etd'exequatur;

Attendu, en conséquence, qu'il ne peut être déduit des termesgénéraux mais imprécis des lettres des 21 et 25 mai 1929 l'existenced'un accord diplomatique qui soit de nature à limiter l'applicationdes règles inscrites dans la loi française en ce qui concerne la cautionjudicatum solvi.

Magnani c. HartnettEtats-Unis d'Amérique: Cour suprême de New York

(Spécial Term), comté d'Albany: Cour suprême de NewYork (Appellate Division); 14 décembre 1938 et 11

juillet 1939New York Supplément, Second Séries, vol. 8, p. 448;

vol. 14, p. 107Annual Digest, 1938-1940, affaire rfi 123

42. La demande tendait à l'octroi d'une décisionordonnant au Commissaire chargé des véhicules à moteur

de l'Etat de New York d'annuler le permis professionnelde chauffeur délivré à un certain Matthews, ressortissantbritannique, en application de l'article 20 de la Vehicleand Traffic Law (Loi sur les véhicules et la circulation), envertu duquel ces permis ne sont pas accordés à desétrangers, exception faite de ceux qui ont déclaré avoirl'intention de devenir ressortissants des Etats-Unis. Acette demande a été opposé l'argument que la loi del'Etat de New York était inconstitutionnelle, en tantqu'elle constituait une violation du traité du 3 juillet 1815entre les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, qui prévoit« à titre réciproque la liberté du commerce ». La Coursuprême (Spécial Term) a jugé que la demande devaitêtre accueillie. En appel, la Cour suprême (Divisiond'appel) a jugé que cette décision devait être infirmée. LaCour a déclaré :

Etant donné que la loi en question contient une interdictionabsolue à l'égard des chauffeurs étrangers, il est évident qu'elle esten contradiction avec les termes des traités de 1794 et de 1815conclus entre les Etats-Unis et la Grande-Bretagne et que, parconséquent, elle est inconstitutionnelle et nulle. [...] Il ne convientpas d'interpréter de façon restrictive les termes du Traité de 1794selon lesquels « les colons et les commerçants [...] continueront àjouir librement de leurs biens de toute sorte ». La protection que cesmots ont pour but d'apporter recouvre beaucoup plus que le simpledroit de propriété. Elle garantit aux ressortissants de Grande-Bretagne le droit d'exercer des activités commerciales, de faire desaffaires ou de travailler dans les mêmes conditions que nos propresressortissants. La promesse du bénéfice du droit de propriété quifigure dans l'accord a nécessairement pour corollaire le droit debénéficier de tous les éléments accessoires essentiels pour la pleinejouissance de ce droit de propriété. Assurément, la jouissance de telsavantages n'est aucunement limitée, comme le soutient ledemandeur, à des lieux précis, c'est-à-dire aux « postes », au sens oùce terme est utilisé dans le traité. Cette prétention ne trouve aucunfondement dans les termes du traité. 11 convient de noter quel'article TI, qui prévoit le droit en question, mentionne les « postesou endroits à l'intérieur des frontières que le traité de paix attribueaux Etats-Unis », et là encore, en parlant des ressortissantsbritanniques, le texte se réfère à tous ceux qui « résident à l'intérieurdesdites frontières ».

Les dispositions du Traité de 1794 sont très complètes et de portéetrès générale et ont pour objet de régir non seulement les conditionset les problèmes qui existaient lors de sa signature, mais aussi detenir compte des problèmes et des contingences susceptiblesd'intervenir dans l'avenir.

11 est clair également que les dispositions du Traité de 1794avaient pour objectif de régir toutes les professions et tous lesmétiers habituels.

43. Passant alors à l'article Ier du Traité de 1815,d'après lequel « en général, les marchands et commer-çants de chaque Etat jouiront réciproquement de laprotection et de la sécurité la plus complète pour leurcommerce », la Cour a déclaré:

Là encore, le mot « commerce » devrait être pris dans son sens leplus large, compatible avec les buts et objectifs que cherche àatteindre ce traité. Les règles d'interprétation invoquées pourinterpréter les termes du Traité de 1794 s'appliquent, en produisantles mêmes effets, aux dispositions du traité postérieur. Le sens pluslarge donné au terme « commerce » recouvre l'occupation lucrativequi consiste à conduire un véhicule à moteur de location. Il en estainsi tout particulièrement lorsqu'on a pour intention de conduire

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Clause de la nation la plus favorisée 135

son véhicule à moteur dans des circonstances où un permis est exigéen qualité de chauffeur.

Aux termes du principe « de la nation la plus favorisée » quidomine nos relations avec la Grande-Bretagne, ces traités confèrentaux ressortissants auxquels ils s'appliquent le droit d'exercer uneactivité commerciale tout aussi librement que les ressortissantsd'Etats comme la Chine, le Japon et l'Allemagne en vertu de traitéspostérieurs et de caractère plus exclusif. La décision a pour effet derefuser aux ressortissants de la Grande-Bretagne la liberté que nousaccordons, pour leurs activités commerciales, à ceux de la Chine, duJapon et de l'Allemagne. II n'y a pas lieu d'opérer une telledistinction, et les termes de ces traités n'en justifient aucune.

Les traités conclus avec la Grande-Bretagne font partie du droitsuprême du pays et ont primauté sur toute législation locale quiserait en contradiction avec leurs termes [...].

Le sec c. LuykfasseelBelgique: Cour d'appel de Bruxelles, 7er mai 1940Pasicrisie belge, 194129, IIe partie, p. 62Annual Digest, 1919-1942 (Supplémentary Volume),

affaire n° 4

44. Une loi belge du 24 juillet 1939 a notammentinterdit les mesures d'exécution forcée contre lespersonnes appelées sous les drapeaux en application desdispositions spéciales de l'article 53 de la loi sur la milice.Aux termes de l'article 3 de la loi du 24 juillet 1939, sesdispositions ne sont applicables qu'aux ressortissantsbelges. L'appelant, ressortissant français, appelé dansl'armée française, a été déclaré en faillite par un jugementdu Tribunal de commerce de Bruxelles en date du7 octobre 1939. Il a soutenu qu'il avait droit au bénéficede la convention d'établissement franco-belge conclue le6 octobre 1927, qui a accordé le traitement de la nation laplus favorisée à tout ressortissant d'un pays en résidencedans l'autre. La Cour a conclu au rejet de l'appel.L'appelant n'avait pas droit au bénéfice de la loi du24 juillet 1939. La Cour a déclaré:

Attendu que cet article 53, ainsi que toute les dispositions de la loisur la milice (arrêté royal du 15 février 1937), n'est applicable qu'aucitoyen belge;

Qu'un Français ne peut donc invoquer en faveur de l'article 3 dela loi du 24 juillet 1939;

Attendu, cependant, que l'appelant allègue que cette loi lui estapplicable, en vertu de la convention d'établissement conclue entrela Belgique et la France le 6 octobre 1927 [...];

Attendu que l'article Ier de cette convention dispose que lesressortissants de chacune des parties contractantes jouiraient, sur leterritoire de l'autre, du traitement de la nation la plus favorisée en cequi concerne le séjour et l'établissement, ainsi que l'exercice ducommerce, de l'industrie et des professions;

Attendu que le jugement a quo [...] admet que la nation la plusfavorisée est la Suisse, et que, le 4 juin 1887, fut conclue entre laBelgique et la Suisse une convention d'établissement par laquelle ilfut stipulé que les Suisses sont, en Belgique, assimilés aux Belgespour ce qui concerne leur personne et leurs propriétés;

Attendu que la première intimée et le jugement a quo objectent àbon droit que la Convention d'établissement du 6 octobre 1927 eûtdû être approuvée par les chambres législatives, ce qui ne fut pointfait;

Attendu, en effet, que le second alinéa de l'article 68 de laConstitution prescrit que les traités qui pourraient lier individuelle-

2B Pasicrisie belge: Recueil général de la jurisprudence des cours ettribunaux en Belgique — année 1941.

ment des Belges n'ont d'effet qu'après avoir reçu l'assentimen tdeschambres;

[...]Attendu que la Convention d'établissement du 6 octobre 1927,

ainsi combinée avec le traité d'établissement belgo-suisse du 1er juin1887, concède en Belgique un traitement semblable aux sujets belgeset aux sujets français, en ce qui concerne leur séjour, leurétablissement, l'exercice du commerce, de l'industrie et de laprofession ;

Attendu que cette concession, par laquelle les Français obtiennentdes droits qui ne leur étaient pas reconnus antérieurement, imposeaux Belges un champ étendu d'obligations correspondantes;

Attendu qu'il faut spécialement souligner que l'effet de ce traitéest de concéder aux Français le bénéfice de tout traitement quipourrait être, dans la suite, bonifié aux Belges en Belgique;

Attendu qu'il résulte de cet exposé que le traité du 6 octobre J927,par lequel l'exercice ou la jouissance des droits des citoyens belgespeuvent être modifiés, devait être approuvé par les chambres;

Attendu que cette approbation n'a été donné ni sous forme dedélégation préalable ni sous forme de ratification;

Attendu enfin que, fallût-il admettre que la Convention de 1927est applicable, soit parce qu'elle ne devait pas être approuvée par leschambres, soit parce que les chambres l'ont tacitement ratifiée,encore n'en résulterait-il pas que l'appelant peut invoquer lebénéfice de l'article 3 de la loi du 24 juillet 1939; qu'en effet, [...]cette disposition ne concède d'avantage qu'aux Belges rappelés sousles armes.

Compagnie internationale des wagons-lits c. Société deshôtels réunis

France: Cour d'appel de Paris, 29 octobre 1940Gazette du Palais, 7 novembre 1940Annual Digest, 1919-1942 (Supplementary Volume),

affaire n° 131

45. L'article 2 de la Convention franco-belge du 6 oc-tobre 1927 dispose:

Les ressortissants de chacune des Parties contractantes jouiront,sur le territoire de l'autre, du traitement de la nation la plusfavorisée en ce qui concerne la possession, l'acquisition,l'occupation et la location de tout bien, meuble ou immeuble.

Il ressort de l'échange de lettres entre les deuxgouvernements qui a eu lieu entre le 16 et le 24 avril 1934que cette disposition devait être interprétée largement. Enconséquence, les ressortissants belges en France pou-vaient sans restriction se prévaloir de diverses loisfrançaises de 1926-1930 et de 1933 relatives à la locationde locaux d'habitation et de locaux commerciaux etindustriels. Lorsque les hostilités ont éclaté, le Gouver-nement français a édicté un décret-loi, daté du 26 sep-tembre 1939, concernant la réduction des loyers. Auxtermes de l'article 25 de ce décret, les seuls étrangersadmis à se prévaloir de cette loi étaient les ressortissantsde pays de protectorat ou de territoires sous mandatfrançais, les étrangers servant dans les forces arméesfrançaises ou alliées, leurs descendants et leur conjoint.

46. Invoquant cette loi, la société belge Compagnieinternationale des wagons-lits et des grands expresseuropéens, qui occupait à Paris des locaux appartenant àla Société des hôtels réunis, société française, a demandé

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136 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

une réduction du montant de son loyer annuel. Par unedécision du 16 janvier 1940, le Président du Tribunal civilde la Seine a rejeté cette demande, estimant que le décret-loi de 1939 n'était pas applicable à la Compagnieinternationale des wagons-lits. Celle-ci a fait appel. LaCour d'appel a conclu au rejet de l'appel:

Les Parties contractantes à l'accord franco-belge de 1927 et auxconventions interprétatives [...] de 1934 n'ayant ni prévu l'état deguerre ni pris des mesures pour en tenir compte, il est évidentqu'elles n'entendaient pas inclure parmi les avantages consentis auxressortissants belges le bénéfice de mesures exceptionnelles que lesbesoins de la défense nationale autorisent un pays en guerre àréserver à ses seuls ressortissants et à une certaine catégoried'étrangers limitativement énumérés.

Application du Traité de commerce entre la Finlande et laSuède

Finlande: Cour suprême administrative, 24 mars 1943 30

47. Le traité de commerce finno-suédois dispose que nil'une ni l'autre des parties ne devra imposer auxressortissants de l'autre partie des droits ou autrescharges fiscales autres que ceux qu'elle impose à sespropres ressortissants. Une autorisation accordée par uneautorité provinciale à un ressortissant suédois en vue del'installation d'une société en Finlande a imposé à cepropos le paiement d'un droit de timbre. La Cour aordonné que soit restitué au ressortissant suédois, enapplication de la clause de la nation la plus favoriséecontenue dans le traité de commerce finno-suédois, lemontant de ce droit de timbre qui était en excédent dumontant susceptible d'être imposé à un ressortissantfinlandais en pareil cas.

Affaire concernant l'Inspecteur turc des étudiantsSuisse: Commission de recours en matière d'impôts de

Zurich, 12 septembre 1945Annual Digest, 1946, affaire rP 80

48. Un ressortissant turc employé par son gouverne-ment en qualité d'inspecteur des étudiants turcs en Suisseet possesseur d'un passeport de service a contestél'obligation de payer des impôts dans le canton deZurich. La Cour a jugé que son appel devait être rejeté.Que l'appelant possédât un passeport diplomatique nepouvait rien changer au fait qu'en Suisse il était considérécomme un simple particulier. Il n'a été en mesured'invoquer aucune convention destinée à éviter la doubleimposition, car aucune convention de ce genre n'a étéconclue entre la Suisse et la Turquie. Le Traité de doubleimposition conclu lé 15 juillet 1931 entre la Suisse etl'Allemagne n'aurait pu s'appliquer à l'appelant — quine possédait ni la nationalité suisse ni la nationalitéallemande — que s'il avait contenu des dispositionsspéciales dispensant de la double imposition les personnesqui se trouvent dans sa situation. La clause de la nation laplus favorisée contenue dans l'article 1 (2) et dans l'article 7du Traité d'amitié et de commerce du 13 décembre 1930

30 Renseignement reçu du Gouvernement finlandais. On nedispose d'aucune autre indication sur cette affaire.

entre la Suisse et la Turquie excluait que puisse êtreinvoqué le traité germano-suisse ou tout autre traitérelatif à la double imposition. En effet, les accords relatifsà la double imposition ne sont applicables qu'aux partiescontractantes en raison de ce que leur unique objectif estla définition de la compétence respective de ces Etats enmatière fiscale.

National Provincial Bank c. DollfusFrance: Cour d'appel de Paris, 9 juillet 1947Sirey, 1948, IIe partie, p. 49Annual Digest, 1947, affaire n° 79

49. La dame Dollfus, défenderesse, avait intenté unprocès à la National Provincial Bank à propos d'uncontrat conclu en Grande-Bretagne. La banque avaitplaidé l'incompétence du tribunal. Le Tribunal decommerce de la Seine s'était déclaré compétent enapplication de l'article 14 du Code civil, qui dispose que

L'étranger, même non résidant en France, pourra être cité devantles tribunaux français pour l'exécution des obligations par luicontractées en France avec un Français; il pourra être traduit devantles tribunaux de France pour les obligations par lui contractées enpays étranger envers des Français.

La National Provincial Bank a fait appel. Il a été soutenuen son nom que l'article 14 ne s'appliquait pas aux sujetsbritanniques, du fait qu'ils bénéficiaient en France dutraitement de la nation la plus favorisée. La Cour a jugéque l'appel était recevable. A propos du premier moyeninvoqué en appel, la Cour a jugé que la clause de lanation la plus favorisée ne s'appliquait qu'à l'objet dutraité dans lequel la clause était incluse, et que laconvention franco-britannique de 1882 ne concernait pasles questions de compétence et de procédure. La Cour aestimé

que, selon la convention franco-anglaise du 28 juin 1882, lesressortissants britanniques bénéficient du traitement de la nation laplus favorisée; que la National Provincial Bank invoque laditeconvention en même temps que le traité franco-belge du 8 juillet1899, d'après lequel, en matière civile et commerciale, les Françaisen Belgique et les Belges en France sont régis par les mêmes règlesde compétence que les nationaux; qu'elle entend déduire de cestextes que les dispositions de l'article 14 du Code civil ne seraientplus applicables à l'égard des ressortissants britanniques et que, dèslors, le Tribunal de commerce de la Seine était incompétent pourconnaître de la demande; [...] que la clause de la nation la plusfavorisée ne peut être invoquée que si la matière du traité qui lastipule est identique à celle du traité particulièrement favorable dontle bénéfice est réclamé; — Mais [...] que, dans la convention franco-britannique de 1882, la clause de la nation la plus favorisée n'est pasaccordée d'une manière générale, qu'elle porte seulement sur lesmatières spéciales qui y sont énumérées; que cette énumérationn'englobe ni expressément ni implicitement les questions decompétence et de procédure; que, sans doute, les 21 et 29 mai 1929sont intervenus d'autres accords franco-britanniques dont laNational Provincial Bank entend faire état; — Mais [...] que cesnouveaux accords, ainsi que le décret du 16 juin 1933 interprétés parle rapport au Président de la République accompagnant ce derniertexte ont eu seulement pour but d'assurer aux sujets britanniques enFrance et aux Français en Grande-Bretagne le bénéfice des lois surles loyers, leurs effets étant strictement limités à cet objet spécial;que, dès lors, la convention franco-britannique de 1882, étant restéeétrangère aux questions de compétence et de procédure, ne saurait

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Clause de la nation la plus favorisée 137

permettre, par application de la clause de la nation la plus favorisée,à un sujet britannique de réclamer le bénéfice d'un traité intervenuentre la France et un autre pays étranger relatif à ces matières.

Verbrigghe c. Bel lestFrance: Cour de cassation (Chambre sociale), 11 juillet

1947Dalloz hebdomadaire, 1947 31, « Jurisprudence », p. 396Annual Digest, 1947, affaire n° 76

50. Il s'agit d'un pourvoi contre une décision de laCommission paritaire d'arrondissement de Louviers, endate du 19 juillet 1946, décision selon laquelle le bénéficede l'ordonnance sur les baux à ferme n'était pasapplicable au demandeur, sujet belge, locataire d'uneferme en France, qui avait demandé le renouvellement deson bail en application de cette ordonnance. LaCommission paritaire a jugé qu'aux termes de cetteordonnance le bénéfice ne pouvait en être invoqué quepar des étrangers dont les enfants avaient acquis lanationalité française. Le demandeur a soutenu qu'il avaitdroit au bénéfice des dispositions de l'ordonnance envertu de l'article 2 de la Convention d'établissementconclue entre la Belgique et la France le 6 octobre 1927,complétée par un accord interprétatif des 16 et 24 avril1934, fondé sur un échange de notes diplomatiques.L'article 2 de la convention disposait:

Les ressortissants de chacune des parties contractantes jouiront,sur le territoire de l'autre, du traitement de la nation la plusfavorisée en ce qui concerne la possession, l'acquisition,l'occupation et la location de tout bien meuble ou immeuble. [...]

Dans la note belge du 11 avril 1934, il était précisé que

les sujets belges peuvent invoquer en France, comme les Françaiseux-mêmes, le bénéfice de toutes les dispositions s'appliquant auxpropriétaires ou locataires, tant en matière de locaux d'habi-tation qu'en matière de locaux à usage commercial, industriel ouartisanal [...].

Le demandeur a également invoqué les dispositions de laloi du 28 mai 1943 relative à l'application aux étrangersdes lois sur les baux, dispositions qui assimilaient auxFrançais, en cette matière, les étrangers protégés par uneconvention diplomatique, et ce nonobstant toutes lesdispositions restrictives contenues dans la législationrelative aux baux. La Cour a jugé que la décision dutribunal inférieur devait être infirmée. Elle a déclaré

que l'article 61 [...] [de l'ordonnance du 17 octobre 1945 modifiéepar la loi du 13 avril 1946], refusant aux exploitants de nationalitéétrangère le bénéfice des dispositions de ladite ordonnance s'ils neremplissent pas certaines conditions, réserve nécessairement le cas oùl'étranger peut invoquer une convention internationale le dispensantde ces conditions; que telle est la portée, en matière de baux à ferme,de la convention franco-belge du 6 octobre 1927, interprétée parl'accord des 16 et 24 avril 1934, [...] qui décide que les ressortissantsdes parties contractantes jouiront sur le territoire de l'autre dutraitement de la nation la plus favorisée en ce qui concernespécialement la location de tous biens, meubles et immeubles, et queles sujets belges peuvent invoquer en France, comme les Françaiseux-mêmes, le bénéfice de toutes les dispositions s'appliquant auxbaux; [...] que ce bénéfice leur est d'ailleurs confirmé par la loi du 28mai 1943 [...].

31 Recueil Dalloz de doctrine, de jurisprudence et de législation,année 1947, Paris. Ci-après dénommé «Dalloz hebdomadaire».

Mandel c. VatanFrance: Tribunal civil de la Seine, 28 juillet 1948Gazette du Palais, 1948 (2e sem.),p. 162Annual Digest, 1948, affaire n° 1.

51. Il s'agissait d'une action intentée par un certainMandel, ressortissant polonais, en vue d'obtenir l'expul-sion du défendeur, ressortissant français, d'un apparte-ment. Mandel s'était vu accorder la jouissance del'appartement par décision du même tribunal en date du17 avril 1946, en application de l'ordonnance du 14novembre 1944, laquelle disposait que les locataires quiavaient été contraints de quitter leur résidence du fait dela guerre étaient en droit d'y être réintégrés. Il étaitprésentement soutenu, au nom du défendeur, qu'une loidu 7 mai 1946 disposait que les étrangers réintégrés dansleurs appartements ne pouvaient demander l'expulsion deressortissants français qu'après leur avoir procuré un localsuffisant. Au nom du demandeur, il a été piaidé que leTraité franco-polonais de 1937 l'autorisait à recouvrerpossession de l'appartement, du fait que ce traité luiaccordait le bénéfice de la clause de la nation la plusfavorisée en matière de possession et d'occupation debiens immobiliers. La Cour a jugé que le défendeur devaitêtre expulsé. Une loi interne doit être interprétée demanière à éviter toute contradiction avec une conventioninternationale. La Cour a déclaré :

[...] qu'un traité régulièrement ratifié et publié a une autoritésupérieure à celle des lois internes;

[...] que la loi du 7 mai 1946, refusant aux personnes denationalité étrangère réintégrées dans leurs appartements depoursuivre l'expulsion de Français sans mettre à leur disposition unlocal suffisant, réserve nécessairement le cas où l'étranger peutinvoquer une convention internationale le dispensant de cettecondition;

[...] que telle est bien la portée [...] du traité conclu entre la Franceet la Pologne le 22 mai 1937, promulgué par décret du 31 mai 1937

[...] que si les Hautes Parties contractantes ne pouvaientévidemment prévoir la matière qui fait l'objet de l'ordonnance du 14novembre 1944 et de la loi du 7 mai 1946, il est spécifié que lesressortissants de chacun des pays jouissent sur le territoire de l'autredu traitement de la nation la plus favorisée en ce qui concerne « ledroit de posséder, d'acquérir, d'occuper tous biens, meubles etimmeubles [...] »;

[...] que les citoyens polonais jouissant de la clause de la nation laplus favorisée doivent donc en bénéficier également; que le droit de« posséder » et d'« occuper » comprend nécessairement celui d'êtreréintégré dans un local dont on a été dépossédé de façon illicite [...].

Lovera c. RinaldiFrance: Cour de cassation (Assemblée plénière), 22 juin

1949Dalloz hebdomadaire, 1951, « Jurisprudence », p. 770Annual Digest, 1949, affaire n° 130

52. Le demandeur, ressortissant italien, avait, le 23novembre 1946, sollicité le renouvellement de son bail, enapplication d'une ordonnance du 17 octobre 1945. Letribunal a rejeté sa demande au motif que l'article 61 decette ordonnance, telle qu'elle a été modifiée par une loidu 13 avril 1946, refuse aux étrangers le bénéfice de sesdispositions. Il a alors été soutenu au nom du demandeurque la convention franco-italienne du 3 juin 1930

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138 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

disposait que les ressortissants italiens jouiraient enFrance du même traitement que les ressortissantsfrançais, ou du moins que les étrangers les plus favorisés.La Cour a jugé que le pourvoi devait être rejeté. Laconvention franco-italienne est devenue caduque lorsquela guerre a éclaté entre les deux pays. La Cour a déclaré:

[...] que si l'article 61 de l'ordonnance [du 17 octobre 1945] [...]réserve nécessairement le cas où l'étranger peut invoquer uneconvention internationale le dispensant des conditions restrictivesqu'il pose, encore faut-il que cette convention soit en vigueur à ladate de l'engagement de l'instance;

[...] que la guerre rend caduques les obligations réciproquesassumées par les Hautes Parties contractantes dans un traité conclusur des matières de droit privé en considération des relations dutemps de paix; [...] que l'état de guerre entre l'Italie et la Franceétait incompatible avec le maintien des obligations que laconvention de 1930 imposait à celle-ci au regard de l'établissementdes Italiens sur notre territoire; que l'armistice, qui avait suspendules hostilités, laissait subsister cet état de guerre; qu'à la date où ledemandeur a introduit sa demande, ladite convention n'était pasremise en vigueur.

X... et dame X...France: Conseil d'Etat, 3 février 1950Revue critique 32, vol. 40, 1951, p. 635International Law Reports, 1950, affaire n° 99

53. Une loi française de 1944 et 1945 a prévu laconfiscation des profits provenant du commerce avecl'ennemi. Les requérants, ressortissants suisses, ontsoutenu qu'ils n'étaient pas soumis à cette législation, aumotif qu'ils étaient ressortissants d'un Etat neutre et que,aux termes du traité franco-suisse de 1882, ils étaient endroit de bénéficier du traitement de la nation la plusfavorisée, et par conséquent, en application d'un traitéfranco-espagnol et d'un traité franco-britannique, del'exemption de toutes les contributions de guerre. Lesprétentions des demandeurs ont été rejetées. Le Conseild'Etat a déclaré ce qui suit:

Considérant que les requérants soutiennent qu'en vertu du traitéconclu le 23 février 1882 entre la France et la Suisse pourl'établissement des Français en Suisse et des Suisses en France, dontl'article 6 dispose que «tout avantage que l'une des partiescontractantes aurait concédé ou pourrait concéder à l'avenir, d'unemanière quelconque, à une autre puissance, en ce qui concernel'établissement des citoyens et l'exercice des professions indus-trielles, sera applicable de la même manière et à la même époque àl'autre partie, sans qu'il soit nécessaire de faire une conventionspéciale à cet effet », le bénéfice de l'exemption prévue en faveur desressortissants espagnols par l'article 4, paragraphe 2, de laconvention consulaire franco-espagnole du 7 janvier 1862, et enfaveur des sujets britanniques par l'article 11 de la conventionfranco-britannique du 28 février 1882 en ce qui concerne «toutescontributions de guerre, et toutes contributions extraordinaires dequelque nature qu'elles soient », doit être reconnu aux ressortissantssuisses établis en France; — Considérant que le moyen ainsi invoquénécessite l'interprétation des conventions internationales précitées,question sur laquelle il n'appartient pas au Conseil d'Etat de seprononcer; qu'à défaut de tout accord spécial entre lesgouvernements intéressés, il n'appartient en France qu'au Ministredes affaires étrangères de fixer le sens et la portée des stipulations

32 Revue critique de droit international privé, Paris. Ci-aprèsdénommée « Revue critique ».

dont il s'agit; qu'il résulte de l'interprétation donnée par la dépêcheen date du 6 novembre 1947 adressée par le Ministre des affairesétrangères au Ministre des finances que les ressortissants suisses nesauraient se prévaloir des dispositions de l'article 6 précité du traitéd'établissement du 23 février 1882 pour réclamer le bénéfice del'exemption prévue en faveur des ressortissants espagnols etbritanniques; que, dès lors, le sieur et la dame X... ne sont pasfondés à soutenir, par ce moyen, que les dispositions del'ordonnance du 18 octobre 1944 et des textes qui l'ont modifiée neleur sont pas applicables [...].

Jones-Dujardin c. Tournant et HaussyFrance: Tribunal civil d'Arras, 2 février 1951Dalloz hebdomadaire, 1951, « Jurisprudence », p. 360International Law Reports, 1951, affaire n° 135

54. Une loi française du 1er septembre 1948 a accordéaux locataires la stabilité des baux. Cette loi disposaittoutefois que, dans certaines circonstances (par exempledans le cas où il aurait personnellement besoin deslocaux), le propriétaire pourrait évincer un locataire. Lesdemandeurs, ressortissants britanniques, étaient les pro-priétaires d'une maison dont le second défendeur étaitlocataire. Ils ont cherché à obtenir un ordre d'expulsionau motif qu'ils avaient besoin de la maison pour leurusage personnel. Il a été soutenu au nom du défendeurque seuls les ressortissants français pouvaient bénéficierdu droit exceptionnel d'évincer un locataire. La Cour ajugé que les demandeurs avaient le droit de reprendrepossession de la maison dont ils étaient les propriétaires.Elle a déclaré:

que la convention franco-anglaise du 28 février 1882 sur les relationscommerciales et maritimes comporte la clause de la nation la plusfavorisée et qu'un accord promulgué par décret du 16 juin 1933 aétendu ladite convention à la matière des loyers; [...] qu'il n'est pasnécessaire, pour que la loi du 1er septembre 1948 sur les loyers, etnotamment l'article 19 de cette loi, réservé aux propriétaires denationalité française, puisse être invoquée par un sujet britannique,que la législation interne de la Grande-Bretagne contienne desdispositions analogues à la législation française sur les loyers, laConstitution de 1946 affirmant la suprématie du traité sur la loiinterne, même si celle-ci est postérieure en date au traité [...].

Asia Trading Co. Limited c. BiltimexPays-Bas: Cour de district d'Amsterdam, 17 octobre 1951Nederlandse Jurisprudentie [Jurisprudence des Pavs-

Bas] 33, 1952, n° 336, p. 676 et 677International Law Reports, 1951, affaire n° 134

55. L'Asia Trading Company, de Djakarta, a intenté,devant la Cour de district d'Amsterdam, une actioncontre la société Biltimex, d'Amsterdam. Le défendeur ademandé qu'il soit jugé que la demanderesse, société denationalité étrangère, était tenue de déposer une cautionjudicatum solvi. La demanderesse a contesté cettedemande.

La Cour a jugé qu'il convenait de refuser d'ordonner ledépôt d'une caution. Cette décision était fondée surl'article 24 (par. 1 et 2) de la Loi relative à l'union entreles Pays-Bas et l'Indonésie, du 2 novembre 1949, quipromettait aux ressortissants de chacun des membres del'union un traitement substantiellement égal à celui qui

33 Zwolle, N. V. Uitgeversmaatschappij W. E. J. Tjeenk Willink.

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Clause de la nation la plus favorisée 139

était accordé aux ressortissants de l'autre, et, en tout cas,le traitement de la nation la plus favorisée. Cette dernièredisposition donnait aux Indonésiens la garantie qu'ilsseraient exemptés de la caution judicatum so/vi, car lesPays-Bas en avaient auparavant dispensé les autresétrangers et sociétés étrangères en application de laConvention de La Haye relative à la procédure civile, du17 juillet 1905.

Rex c. Hans BeckmannNorvège: Cour suprême, 6 mai 1954International Law Reports, 1954, p. 307

56. L'accusé avait accepté un emploi de baleinier à bordd'un navire-usine néerlandais qui avait participé auxopérations néerlandaises de pêche de la baleine pendantla campagne 1952/53. Il a été poursuivi pour infraction àla Loi sur la pêche de la baleine du 16 juin 1939, quiinterdit aux ressortissants norvégiens, aux sociétésnorvégiennes et aux personnes physiques domiciliées enNorvège toute participation à des expéditions de chassede la baleine sous pavillon étranger. L'accusé a soutenuque cette loi violait le droit international, et en particulierles traités conclus avec les Pays-Bas. L'article 5, par. a, dela Loi sur la pêche de la baleine dispose :

II est interdit aux sociétés et aux ressortissants norvégiens ainsiqu'aux personnes domiciliées en Norvège de participer ou decoopérer, directement ou indirectement, au développement de lapêche de la baleine au moyen d'usines flottantes battant pavillonétranger.

Le Roi ou quiconque aura été habilité par lui à cet effet pourraexempter de l'application de cette disposition des étrangers ou dessociétés étrangères déjà engagés dans cette activité au cours de ladernière campagne de pêche de la baleine dans l'Antarctiqueantérieurement au 3 septembre 1939, ou tout navire-usine étrangeremployé à cette pêche avant cette date.

57. Le recours a été rejeté. La Cour a déclaré qu'elle nepouvait

considérer que l'état du droit résultant de l'article 5, par. a, de laLoi sur la pêche de la baleine du 16 juin 1939 ainsi que de la loicomplémentaire du 24 mai 1946 constitue une violation de traitésconclus par la Norvège ni de principes que la Norvège serait tenuede respecter en vertu d'engagements internationaux. Il en est ainsides traités conclus tout aussi bien avant qu'après la promulgationdes lois de 1939 et de 1946. En particulier, le Traité de commerce etde navigation conclu avec les Pays-Bas le 20 mai 1912 n'est pasincompatible avec le droit pour la Norvège d'établir uneréglementation telle que celle qui est prévue par l'article 5, a, de laLoi sur la pêche de la baleine. Ni l'article 1er du Traité (qui prévoit,à titre de réciprocité, le traitement de la nation la plus favorisée pourles ressortissants des deux Etats) ni l'article 3 (qui garantit le« traitement national » dans l'autre pays) n'entendent régir dessituations telles que celles que réglemente l'article 5 de la Loi sur lapêche de la baleine. Le défendeur a souligné tout particulièrementque la dispense prévue au second alinéa de l'article 5, a, constitueune discrimination contre les Pays-Bas, en violation de la clause dela nation la plus favorisée contenue dans le traité de 1912. Cetargument est sans fondement. La disposition en question a uneportée générale et place sur le même plan tous les pays qui nepratiquaient pas la pêche de la baleine avant le 3 septembre 1939.[En conséquence], [...] l'interprétation restrictive qu'il a été proposéde donner à l'article 5, a, de la Loi est sans fondement.

Affaire d'exemption fiscale en GrèceGrèce: Conseil d'Etat, 1954Revue hellénique de droit international^, vol. 8, 1955,

p. 301International Law Reports, 1954, p. 305

58. La Convention d'établissement et de protectionjuridique conclue entre la Grèce et la Suisse le 1er

décembre 1927 dispose, dans son article 9, que

En aucun cas les ressortissants de chacune des partiescontractantes ne seront soumis, sur le territoire de l'autre partie, àdes charges ou à des droits, impôts, taxes ou contributions, dequelque nature que ce soit, autres ou plus élevés que ceux qui sontou pourront être imposés aux ressortissants de la nation la plusfavorisée.

L'article 11, qui concerne les sociétés commerciales,industrielles, agricoles ou financières valablement consti-tuées d'après la législation de l'une des partiescontractantes et ayant leur siège sur son territoire, disposeque ces sociétés «jouiront, à tous égards, du traitementaccordé aux sociétés similaires de la nation la plusfavorisée » et que

elles ne seront astreintes, notamment, à aucune contribution ouredevance fiscale, de quelque dénomination ou de quelque espèceque ce soit, autres ou plus élevées que celles qui sont ou serontperçues de sociétés de la nation la plus favorisée.

La requérante, en l'espèce, était une société suisse dont lesiège social se trouvait à Genève et qui prétendait êtreexemptée de l'impôt sur le revenu en invoquant à l'appuila Convention anglo-grecque de 1936 relative à l'exemp-tion réciproque de l'impôt sur le revenu concernantcertains bénéfices ou gains de personnes morales. Auxtermes de cette convention, les bénéfices ou les gainsobtenus en Grèce soit par une personne résidant enGrande-Bretagne, soit par une personne morale adminis-trée et dirigée en Grande-Bretagne, échappent à l'impôtsur le revenu, à moins qu'ils ne résultent de la vente demarchandises provenant d'un stock situé en Grèce ouqu'ils aient été obtenus par l'intermédiaire d'une filiale oude la direction situées en Grèce ou d'un agent en Grèceauquel serait reconnu, d'une façon générale, le pouvoir denégocier et de conclure des contrats. La requérante a faitvaloir qu'elle ne possédait rien de tel en Grèce, dès lorsque son représentant dans ce pays n'avait pas qualitépour contracter en son propre nom et pour son proprecompte. Par conséquent, les conditions prévues par laConvention anglo-grecque étant remplies, la requéranteprétendait devoir bénéficier d'une exemption de l'impôtsur le revenu.

59. Il a été jugé que la requérante avait droit àl'exemption fiscale, sans considération de réciprocité. LeConseil d'Etat a statué comme suit:

Attendu que le tribunal du fond, interprétant la Conventiongréco-helvétique, a admis que l'exemption fiscale des entreprisessuisses en Grèce est dépendante du fait qu'une exemptioncorrespondante aurait été instituée en Suisse (soit directement, soitindirectement, en vertu de la clause de la nation la plus favorisée,par l'exemption des entreprises d'un tiers pays quelconque) pour lesentreprises helléniques y travaillant par l'entremise d'un représen-

34 Athènes.

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140 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

tant, exactement comme l'exemption des entreprises britanniques enGrèce dépend de l'exemption, en Grande-Bretagne, des entrepriseshelléniques y travaillant. Retenant, la preuve en ayant été faite,qu'une telle exemption n'est pas en vigueur en Suisse, il a rejetéfondamentalement le motif correspondant de l'appel, ayantconsidéré, en conséquence, que l'allégation de la requérante au sujetdes pouvoirs restreints de son représentant est sans pertinence et nedoit pas être examinée.

Attendu que, dans les traités économiques notamment, la clausede la nation la plus favorisée a pour but de prévenir le péril que lasituation des sujets des Etats contractants ne devienne éventuelle-ment désavantageuse en comparaison de celle des sujets d'autresEtats, sur le domaine de la concurrence économique internatio-nale. Grâce au mécanisme de cette clause, chacun des deux Etatscontractants, d'une part, accorde à l'autre les avantages qu'il a déjàaccordés à un Etat tiers, et, d'autre part, assume l'obligation de luiaccorder tout avantage qu'il accorderait à un Etat tiers à l'avenir,pendant la durée du traité. L'acquisition de ce dernier avantage auprofit du bénéficiaire de la clause a lieu — pour autant que lecontraire n'a pas été stipulé dans l'accord — ipso jure, sansl'obligation pour lui de procurer une contrepartie additionnelle,même si les concessions faites au profit de l'Etat tiers ne sont pasunilatérales, mais sont soumises à la condition de réciprocité.Interprétée dans cet esprit, la clause assure la réalisation du but danslequel elle a été instituée, savoir l'assimilation dans chacun des deuxEtats, pour les questions que la clause concerne, des sujets ou desentreprises de l'autre Etat aux sujets ou aux entreprises d'un tierspays favorisé.

Attendu qu'en l'occurrence la clause de la nation la plus favoriséecontenue dans la Convention gréco-helvétique a été stipulée pure etsimple, sans restrictions ni conditions onéreuses, et comme telle elledonne aux entreprises suisses travaillant en Grèce le droit àl'exemption fiscale aux conditions auxquelles la même exemption estaccordée aux entreprises britanniques, même si les entreprisesgrecques ne jouissent pas en Suisse de la faveur dont elles jouissenten Grande-Bretagne. En conséquence, l'arrêt attaqué, ayant faitdépendre l'exemption de la requérante de l'existence en Suisse, encontrepartie, d'un régime semblable en faveur des entrepriseshelléniques y établies, a interprété de façon erronée la Conventiongréco-helvétique et doit, pour cela, être cassé, conformément audeuxième motif bien fondé du présent pourvoi, et l'affaire doit êtrerenvoyée devant la même cour, pour que soit examinée la questionde savoir si la requérante réunit les conditions nécessaires pourbénéficier de la Convention gréco-helvétique et sur le bien-fondé dumotif d'appel selon lequel l'établissement de la requérante en Grècen'a pas la forme qui, selon les dispositions de ladite convention,exclut l'exemption fiscale.

Affaire John CrausazFrance: Cour d'appel de Paris, 18 mars 1955Clunet, t. 82, 1955, p. 669

60. L'appelant a invoqué les articles 1 et 3 du Traitéd'établissement du 23 février 1882 — en vertu desquels lesressortissants français en Suisse et les ressortissantssuisses en France peuvent librement exercer uneprofession commerciale, tout comme les nationaux — etl'article 6 du même traité, qui contient, en ce quiconcerne le droit d'établissement, la clause de la nation laplus favorisée. En conséquence, il a invoqué laConvention franco-sarroise du 3 mars 1950. Dans sonarrêt, la Cour a déclaré :

Considérant que si les tribunaux judiciaires sont compétents pourinterpréter les clauses des accords internationaux relatives auxrapports de droit privé qui existent entre les parties en cause, ilsn'ont pas qualité, en cas d'incertitude, pour fixer le sens et la portée

de celles de ces clauses qui relèvent du droit public, le pouvoirexécutif étant seul compétent pour les interpréter.

Considérant que le Traité franco-suisse du 23 février 1882 pose leprincipe de l'égalité de traitement dans chacun des deux paysintéressés des ressortissants de l'autre pays, mais qu'il réserveexpressément l'obligation pour eux de se conformer aux lois etrèglements de police; que cette dernière clause relève incontestable-ment du droit public.

Considérant que le décret-loi du 12 novembre 1938, ensemble ledécret du 2 février 1939 et les autres textes visés à l'inculpationconstituent des lois et des règlements de police applicables auxétrangers dans l'exercice de leur profession sur le territoire françaiset qu'il appartient au Gouvernement français d'apprécier si cestextes atteignent les ressortissants suisses qui bénéficient de laconvention du 23 février 1882.

Considérant, d'autre part, que le Traité du 23 février 1882 est fondésur la notion de réciprocité des avantages consentis aux ressortissantsde l'un et de l'autre pays; qu'il importe de savoir si les Françaisétablis en Suisse sont effectivement soumis à des lois et règlementsde police dans l'exercice de leur industrie ou de leur commerce.

Considérant enfin que la question de savoir si l'article 6 du Traitéfranco-suisse du 23 février 1882 a pour effet l'obligation pour lesautorités françaises d'admettre de plein droit les Suisses résidant enFrance au bénéfice des dispositions exprimées par l'article 8 de laConvention franco-sarroise du 3 mars 1950, lequel dispense lescitoyens sarrois de certaines obligations imposées par l'Ordonnancedu 2 novembre 1945 aux étrangers dans l'exercice des diversesactivités professionnelles, relève également du droit public; par cesmotifs [•••] sursoit à statuer.

Lloyds Register of Shipping c. BammevilleFrance: Tribunal civil de la Seine, 22 mars 1958Gazette du Palais, 1958, Iie partie, « Jurisprudence »,

p. 316International Law Reports, 1958-11, p. 599

61. A l'expiration d'un bail commercial, un locataireétait en droit, conformément à un décret français du 30septembre 1953, de demander au propriétaire derenouveler son bail ou, à défaut, de lui verser uneindemnité s'il refusait ce renouvellement. La sociétéLloyds Register of Shipping, demanderesse dans cetteaffaire, qui réclamait une indemnité en raison du non-renouvellement de son bail, a soutenu que la loi du 28mai 1943, à laquelle se réfère l'article 38 du décret,dispose que le bénéfice des garanties en matière de baux(ou, à défaut, le droit à une indemnité) s'applique auxressortissants des pays qui accordent les mêmes droits auxressortissants français, et que tel est le cas du Royaume-Uni, étant donné que la Convention franco-anglaise de1882 concernant les relations commerciales et maritimescontient une clause de la nation la plus favorisée devenueapplicable à la réglementation des rapports entre pro-priétaire et locataire en vertu d'un accord interprétatifdes 21 et 26 mai 1929.

62. La Cour a jugé que les demandeurs avaient le droit,en application de la convention et de l'accord interpréta-tif, de demander à bénéficier des dispositions du décret du30 septembre 1953, et qu'en conséquence ils avaient droità indemnité. La Cour a déclaré

que Lloyds Register of Shipping est régulièrement cessionnaire d'unbail [...] portant sur un appartement sis à Paris, 28, rue Cambon, etappartenant [...] [aux défendeurs];

Page 147: Annuaires de la Commission du droit international 1973 …...Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II Pages A. Fonds publics 36 1. Fonds publics d'Etat 36 2

Clause de la nation la plus favorisée 141

[...] qu'il est précisé dans l'acte de cession dudit bail, auquel sontintervenues les propriétaires, que Lloyds Register a pour objet laclassification des navires;

[...] que ce bail, arrivé à expiration le 1er avril 1955, s'est ensuitepoursuivi par tacite reconduction; que la Lloyds Register ayantdemandé, le 13 juin 1955, le renouvellement de ce bail, les consortsde Bammeville ont répondu par un refus, les locaux litigieux neconstituant pour le locataire qu'un local accessoire et nonobligatoire pour l'exercice de son commerce et la Lloyds Registerétant une société anglaise qui ne peut prétendre au bénéfice des loissur la propriété commerciale :

Sur l'exception de nationalité de la société locataire soulevée parles consorts de Bammeville :

[...] qu'en vertu de l'article 38 du décret du 30 septembre 1953 lesdispositions de ce décret ne sont pas applicables aux commerçantsétrangers;

[...] que [...] toutefois [...] la loi du 28 mai 1943, à laquelle se réfèrel'article 38 susvisé, réserve expressément le cas des ressortissants despays qui offrent aux Français les avantages d'une législationanalogue ainsi que celui des ressortissants étrangers dispensés parconvention internationale de cette réciprocité;

[...] que tel est le cas des ressortissants britanniques;[...] que la convention franco-anglaise du 28 février 1882

concernant les relations commerciales et maritimes comporte laclause de la nation la plus favorisée et que l'accord interprétatif des21 et 26 mai 1929 en a admis l'application en matière de loyers;

[...] que [...] dans ces conditions, [...] la Lloyds Register est endroit d'invoquer les dispositions du décret du 30 septembre 1953

Affaire CorneliFrance: Cour de cassation, 2 juillet 1958Gazette du Palais, 1958, IIe partie, « Jurisprudence »,

p. 217International Law Reports, 1958-11, p. 490

63. En application de l'article 1er du décret-loi du 12novembre 1938, le demandeur, ressortissant italien, a étécondamné au motif qu'il n'avait pas, en sa qualitéd'étranger, obtenu la carte de commerçant étranger. Il asoutenu qu'il n'était pas tenu d'en posséder une, car, envertu de la clause de la nation la plus favorisée contenuedans l'accord franco-italien du 17 mai 1946, il était endroit d'invoquer la convention franco-espagnole du7 janvier 1862, qui a donné aux ressortissants espagnols ledroit d'exercer une activité commerciale en France. LeProcureur de la République a soutenu que la conventionfranco-espagnole ne dispensait pas les ressortissantsespagnols de l'obligation d'obtenir une carte d'identité decommerçant, et que, aux termes d'une lettre du Ministrefrançais des affaires étrangères du 15 avril 1957, qui lie lestribunaux, les ressortissants étrangers autorisés à invo-quer des traités leur accordant le droit de commercer enFrance étaient cependant tenus d'obtenir une carte decommerçant étranger. Le pourvoi a été rejeté. La Cour adéclaré :

que l'arrêt, au vu de la lettre du 15 avril 1957 du Ministre desaffaires étrangères, [...] constate que la jouissance du droit de faire lecommerce en France, reconnu aux étrangers par des conventionsinternationales, ne dispense pas pour son exercice de remplir lacondition nécessaire en même temps que suffisante d'être titulaire

d'une carte d'identité de commerçant, qu'il en est notamment ainsides Italiens en application de l'accord franco-italien de 17 mai 1946;

[...] qu'en statuant ainsi, l'arrêt a justifié sa décision sans violeraucun des textes visés au moyen ;

[...] que si les conventions diplomatiques ne peuvent êtreinterprétées que par les parties contractantes, cette interprétation estréservée pour la France au Gouvernement français, qui a seulqualité pour fixer le sens et la portée d'un acte diplomatique; que,d'autre part, l'accord franco-italien du 17 mai 1946 ayant prévupour les ressortissants italiens le bénéfice de la clause de la nation laplus favorisée, la convention du 7 janvier 1862 passée entre laFrance et l'Espagne, dont le demandeur se réclame et qui estapplicable aux Italiens pour l'exercice des professions commerciales,doit, suivant l'interprétation donnée par le Ministre des affairesétrangères, être entendue en ce sens que si la réglementationapplicable aux étrangers ne saurait, sans enfreindre les dispositionsde la convention, avoir pour objet et pour résultat de restreindre lajouissance des droits que la convention confère aux ressortissantsespagnols, l'obligation pour un commerçant espagnol d'êtredétenteur d'une carte spéciale n'affecte pas la jouissance des droitsqui lui sont reconnus par la convention, mais seulement lesconditions d'exercice de ces droits, et que la possession d'une cartede commerçant, en ce qui concerne l'étranger assimilé au national,est par suite une condition nécessaire en même temps que suffisantepour l'admettre au régime applicable aux nationaux [...].

Affaire relative à la succession WieboldtEtats-Unis d'Amérique: Cour suprême du Wisconsin, 5

novembre 1958International Law Reports, 1958-11, p. 592

64. Le défunt, résidant dans l'Etat du Wisconsin, alégué le reliquat de sa succession à Theodor Heuss,président de la République fédérale d'Allemagne. D'aprèsle testament, il s'agissait d'un don à des fins debienfaisance. Le Country Court (tribunal du comté) ajugé que ce legs devait être exempté de l'impôt sur lessuccessions en vigueur dans le Wisconsin. L'Etat a faitappel. Le conseil du Consul général d'Allemagne,représentant du président Heuss, a soutenu que ce legsétait exempt de toute imposition en vertu du traitementnational et de la clause de la nation la plus favorisée, auxtermes du Traité d'amitié, de commerce et de droitsconsulaires conclu entre les Etats-Unis d'Amérique etl'Allemagne et signé à Washington le 8 décembre 1923 etdu Traité d'amitié, de commerce et de navigation concluentre les Etats-Unis et l'Allemagne et signé à Washingtonle 29 octobre 1954. La Cour suprême du Wisconsin ainfirmé la décision du Country Court et l'affaire a étérenvoyée au motif que la clause de la nation la plusfavorisée, relative aux « nationaux et [aux] marchan-dises » des deux parties, n'était applicable qu'auxmarchandises et aux transactions commerciales et neconcernait pas les legs. Même si les dispositions du Traitéd'amitié, de commerce et de navigation conclu entre lesEtats-Unis et le Japon et signé à Tokyo le 2 avril 1953étaient invoquées, en vertu de la clause de la nation laplus favorisée, le maximum qui pourrait être obtenu grâceà ce traité serait le traitement national, ce qui, d'après ledroit du Wisconsin, n'exonérerait pas le legs del'imposition. Les dispositions du traité de 1954 relativesau traitement national et au traitement de la nation laplus favorisée ne prévoyaient pas non plus d'exonérationd'impôt pour ce legs. En conséquence, le legs était soumis

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142 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

à imposition en vertu du droit du Wisconsin. Apropos du Traité de 1923 avec l'Allemagne, la Cour adéclaré :

Ce traité a été remis en vigueur et rendu applicable à l'actuelleRépublique fédérale d'Allemagne en vertu d'un traité signé le 3 juin1953 et entré en vigueur le 22 octobre 1954, avant le décès dutestateur.

Le County Court (tribunal du comté) a fondé sa décision en partiesur l'article IV du traité de 1923, dont le passage pertinent (relatifaux modalités de disposition des biens personnels) est ainsi libellé:

« Les ressortissants de chacune des Hautes Parties contractantesjouiront pleinement du droit de disposer de leurs biens mobiliers,quels qu'ils soient, sur les territoires de Vautre partie, partestament, donation ou de toute autre manière; leurs héritiers,légataires et donataires, quelle que soit leur nationalité, qu'ilssoient résidents ou non résidents, seront saisis de plein droit de cesbiens et pourront en prendre possession, soit eux-mêmes soit pardes mandataires agissant en leur nom, et conserver ces biens ou endisposer à leur gré, à condition d'acquitter les seuls droits ou taxesauxquels seraient soumis, en pareil cas, les ressortissants de laHaute Partie contractante sur les territoires de laquelle setrouveraient ces biens. (L'italique ne figure pas dans l'original.) »

Cette disposition ne vient pas à l'appui de la demanded'exemption [...].

Il a été soutenu ensuite que d'autres dispositions du traité de 1923donnaient aux ressortissants allemands le droit au traitementnational et, sans condition, au traitement de la nation la plusfavorisée pour ce qui est de l'exonération des droits de succession; etque, étant donné que le traité était en vigueur lorsque le testateur estdécédé, le 1er juillet 1955, il donnait au défendeur le droit debénéficier des exonérations d'impôt prévues par les dispositions dutraité conclu avec le Japon le 2 avril 1953.

L'article Ier du traité de 1923 autorisait les ressortissants dechacune des deux parties à entrer, voyager et résider sur le territoirede l'autre, à faire un certain nombre de choses déterminées [...].

[...] Ces dispositions ne donnent aux ressortissants allemands quele droit de se livrer dans ce pays à certaines activités bien déterminées— ce qui ne comprend pas l'acceptation et l'utilisation de legs — et,pendant qu'ils sont dans ce pays, le droit de ne pas être tenus depayer des impôts autres ou plus élevés que ceux qui s'appliquent ànos ressortissants.

L'article VII du traité de 1923 garantissait le traitement de lanation la plus favorisée en ce qui concernait la navigation, lesimportations et les exportations, ainsi que les impôts y afférents.L'article VIII est ainsi rédigé:

« Les ressortissants et les marchandises de chacune des HautesParties contractantes jouiront, à l'intérieur des territoires del'autre partie, du même traitement que les ressortissants et lesmarchandises dudit pays en matière d'impôts intérieurs, de droitsde transit, de taxes afférentes aux entrepôts et autres facilités, ainsiqu'en ce qui concerne le montant des drawbacks et des primes. »

II est évident que ces dispositions ne concernent que desmarchandises et des transactions commerciales et ne suffisent pas àfonder l'exonération de l'impôt sur les successions qui estdemandée.

Le défendeur soutient que certaines déclarations du Secrétaired'Etat, lorsqu'il a recommandé au Président et au Sénat laconclusion du traité de 1923, font apparaître l'intention d'accorderune très large réciprocité, qui devrait être étendue à des questionstelles que les droits de succession. Cependant, la lecture de cesdocuments indique que le Secrétaire se préoccupait d'encourager lecommerce international. Par conséquent, il considérait l'adoptiond'une politique sans condition de la nation la plus favorisée comme

« le moyen le plus simple de poursuivre notre politique tarifaire » et,par conséquent, de développer notre commerce à l'étranger, et il afait mention de « l'intérêt du commerce des Etats-Unis enconcurrence avec le commerce des autres pays » [...].

65. Pour ce qui est du problème de savoir si le Traité du2 avril 1953 avec le Japon établissait la réciprocité en cequi concerne l'exemption du paiement des droits desuccession, la Cour a déclaré:

Rien de tel n'apparaît dans le traité japonais [...]. Le paragraphe 1dispose, quant à lui, que les ressortissants de l'une et l'autre partierésidant sur le territoire de l'autre ou y exerçant des activitéslucratives ou philanthropiques ne seront pas tenus, sur le territoirede l'autre partie, de payer des impôts sur « le revenu, le capital, lestransactions, les activités ou tout autre objet [...] qui soient pluslourds que ceux qui sont mis à la charge des ressortissants et dessociétés de l'autre partie». [L'italique ne figure pas dans l'original.]

Si vraiment cela s'appliquait aux droits de succession, lasignification semblerait seulement être que les Etats-Unis aurontpour objectif d'appliquer de façon générale le principe selon lequelles ressortissants japonais qui ne sont pas résidents et qui n'exercentpas des activités commerciales ne seront pas tenus de verser desdroits de succession « plus lourds que ceux qui sont mis à la chargedes ressortissants » des Etats-Unis. Bien entendu, toute restrictionainsi imposée aux Etats-Unis s'appliquerait à l'Etat du Wisconsin.

En supposant, aux fins de la présente affaire, qu'en application dutraité avec l'Allemagne M. Heuss a droit à un traitement aussifavorable, pour ce qui concerne les droits de succession, que celuiqui serait réservé à un ressortissant du Japon, et sans tenir comptedu ton précatif de la formule « auront pour objectif [...] d'appliquerde façon générale », il y a lieu de conclure que, dans la meilleure deshypothèses, le legs qui lui a été fait ne saurait être exonéré enapplication des traités que dans le cas où il le serait si le légataire étaitrésident au Wisconsin et si le testament lui imposait d'utiliserl'argent dans l'Etat du Wisconsin.

Même si tel était le cas, cependant, le legs ne serait pas exonéré dedroits de succession. L'article 72.04 (1) de la loi s'appliquerait. Cetexte dispose que sera exemptée d'impôts la transmission de biens àdes individus résidents de cet Etat seulement dans la mesure où ilsreçoivent les biens dans cet Etat « en tant que « trustées», en « trust »à des fins [...] exclusivement [...] charitables » [...]. [L'italique nefigure pas dans l'original.]

66. A propos du Traité conclu avec l'Allemagne le29 octobre 1954, la Cour a déclaré:

L'article III dispose que les ressortissants de chacune des partiesne seront pas molestés et recevront protection et sécurité dans lesterritoires de l'autre partie et qu'il ne leur sera pas accordé, « pourla protection et la sécurité de leur personne et de leurs droits », detraitement moins favorable que celui qui est accordé auxressortissants de l'autre partie ou de tout autre pays. Nous nesaunons interpréter cet article comme incluant l'exonération fiscale.

L'article XXV définit le « traitement national » et le « traitementde la nation la plus favorisée » dans le sens qui est donné à cestermes dans d'autres parties du traité.

L'article XI a trait à l'imposition. Les quatre premiersparagraphes sont, sur tous les points pertinents, identiques auxdispositions de l'article XI du traité avec le Japon [...]. Cesparagraphes ne suffisent pas à établir le droit à l'exonération qui estréclamé dans la présente espèce [...].

En vertu du paragraphe 5 de l'article XI, l'une et l'autre partie seréservent le droit «d'appliquer des dispositions spéciales pourl'octroi aux résidents, à titre personnel, d'exonérations de l'impôtsur le revenu et des droits de succession ». Il est inutile de décider du

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Clause de la nation la plus favorisée 143

sens de ce texte, car il est clair qu'il ne crée pas la réciprocité à titreobligatoire.

En conclusion, on peut faire observer que, même si le traité quiétait en vigueur lors du décès du testateur devait être interprétécomme établissant une règle de réciprocité en vertu de laquelle l'Etatdu Wisconsin serait tenu d'exonérer de droits de succession pareillegs fait à un ressortissant allemand résidant en Allemagne au cas oùl'Allemagne accorderait la même exonération pour un legs analoguedans la situation inverse, l'argumentation du défendeur en faveur del'exonération resterait très contestable. S'il apparaît que laRépublique fédérale d'Allemagne ne taxerait pas la transmissiond'un bien d'un testateur résidant dans ce pays à une personnerésidant aux Etats-Unis, soumise à la condition que ce bien soitutilisé uniquement à des fins de bienfaisance, la déclaration faite parle Secrétaire du Trésor allemand, qui figure dans le dossier, ajouteprudemment : « si cette utilisation est garantie ». Cela semblesignifier qu'il doit y avoir une certaine garantie, susceptible d'êtremise en œuvre par un processus juridique, de ce que l'argent serautilisé aux fins spécifiées par le testateur. En conséquence, laréciprocité supposée ne s'appliquerait qu'au cas où l'usage à des finsde bienfaisance, qui est la condition du legs fait par le résident del'Etat de Wisconsin à un résident d'Allemagne, pourrait être assuréen Allemagne par des moyens juridiques.

Le tribunal de première instance a conclu — et cela ne paraît pasêtre contesté — que le procédé du « trust » n'existe pas enAllemagne. Aucune indication n'est fournie dans le dossier quipuisse démontrer qu'existerait tout autre processus judiciaire ouadministratif permettant d'exercer un contrôle sur l'emploi desfonds par le bénéficiaire dans ce pays. 11 ne nous appartient pas, entant que juridiction, de tenir compte du droit allemand. Ensoulignant cet aspect de l'affaire, nous ne prétendons pas mettre endoute que l'éminent légataire fera un usage approprié du legs qui luia été consenti, en vue du but prévu. Nous avons toute confiancedans le fait que lui-même (et, si l'occasion s'en présentait, sonsuccesseur) utiliserait les fonds en se conformant le plusscrupuleusement au souhait du testateur. Toutefois, lorsqu'uneexonération fiscale a pour condition l'assurance juridiquementétablie que les conditions prescrites seront respectées, la certitudemorale ne suffit pas.

Heaton c. Delco Appliance Division, General MotorsCorporation

Etats-Unis d'Amérique: Cour suprême de New York(Appellate Division), Third Department, 2 décembre1958

International Law Reports, 1958-11, p. 482

67. Il s'agissait d'un recours introduit par un ressortis-sant britannique contre une décision de la Workmen'sCompensation Board (Commission d'indemnisation destravailleurs), qui avait ordonné que lui soit payée, en saqualité d'étranger, la moitié seulement du montant aprèsconversion de l'indemnité à laquelle aurait droit unressortissant des Etats-Unis35. Le requérant a soutenuqu'il devait bénéficier des mêmes droits qu'un ressortis-

35 L'article 17 de la Workmen's Compensation Law (Loi surl'indemnisation des travailleurs) contient notamment les passagessuivants :

« Les indemnités allouées en application du présent chapitre àdes étrangers [...] qui sont sur le point de devenir non-résidentsdes Etats-Unis [...] seront du même montant que les indemnitésprévues en faveur des résidents, si ce n'est que les personnes àcharge dans tous pays étrangers seront uniquement l'épousesurvivante et le ou les enfants [...] et si ce n'est que la Commission

sant des Etats-Unis en application de l'article X du Traitéd'amitié, de commerce et de navigation entre les Etats-Unis et la Grande-Bretagne (traité Jay) signé à Londres le19 novembre 1794, ainsi que des articles II et V de laConvention entre les Etats-Unis et la Grande-Bretagnerelative à la possession et à la disposition de biensmeubles et immeubles, signée à Washington le 2 mars1899. La Cour, qui a confirmé la décision de laWorkmen's Compensation Board, a déclaré:

Si l'on tient compte des termes, des conditions et descirconstances dans lesquels l'article X a été intégré dans le traité de1794 et si l'on donne à ce texte l'interprétation la plus favorable, ilapparaît que les parties contractantes n'ont jamais entendu inclureles modalités d'indemnisation actuellement pratiquées entreemployeur et employé ni quoi que ce soit d'analogue qui aurait puexister à l'époque du traité. L'intention était, par un traité d'amitié,de commerce et de navigation, de mettre fin au différend sans tenircompte du fond; de parvenir à une satisfaction et unecompréhension mutuelles; de réglementer le commerce et lanavigation afin d'instaurer une réciprocité au bénéfice et pour lasatisfaction des deux Etats. L'article X mentionne les dettes desressortissants des deux Etats et la protection de ces individus en casde guerre ou de différends entre Etats. L'article X avait à l'originepour objet d'empêcher dans l'avenir des pratiques telles que lesconfiscations illégalement effectuées après la guerre de l'Indépen-dance. Cet article concernait les droits individuels en tant que tels, etne pouvait avoir pour effet d'abroger l'article 17 de la Loi de l'Etatde New York sur l'indemnisation des travailleurs.

De même, nous concluons que les articles II et V de la conventionde 1899 ne sauraient apporter au demandeur ni aide ni réconfort.Les termes de l'article II sont clairs en ce qu'ils visent la disposition,par testament, donation ou tout autre procédé, de biens personnels,et ce texte ne peut, par le biais d'aucune déduction dans le cadred'aucune interprétation favorable, être interprété comme devants'appliquer aux faits de la présente espèce.

Il n'y a dans le traité aucune disposition dont l'interprétationpuisse permettre de prétendre à des indemnités en cas de décès ou deblessures en invoquant le rapport juridique d'employeur à employé.Le droit à indemnité en l'absence de négligence ou de faute estaccordé uniquement et exclusivement par la loi dont fait partiel'article 17. Même si une législation de caractère social comme celle-ci doit être interprétée de façon libérale, elle ne peut être interprétéede manière à annuler la lettre même et l'esprit de Ja loi.

[...] Pour ce qui est du traité de 1794 et de la convention de 1899,leurs termes, si l'on tient compte de l'époque, des circonstances etdes conditions dans lesquelles ces textes ont été écrits, ainsi que descirconstances actuelles, ne permettent pas d'écarter ni de considérercomme abrogé l'article 17 de la Loi de l'Etat de New York surl'indemnisation des travailleurs.

•••II a été nécessaire de compléter, au moyen d'amendements, notre

propre Constitution tout au long des années, et de nombreux traitésmodernes ont été conclus par notre gouvernement avec d'autresEtats. L'article 17 dont il est ici question a été décrit comme unedisposition très sévère que les principes de justice ne justifient guère.Toutefois, les circonstances fortuites ne peuvent ici être écartées parl'interprétation judiciaire. Notre devoir est accompli lorsque nousavons appliqué la loi telle qu'elle est écrite par l'autorité législative.

pourra, si elle le juge bon, ou devra, à la demande de l'assureur,transférer à dater du décès toutes les indemnités payables à cesétrangers en leur versant ou en leur faisant verser la moitié dumontant, après conversion, de l'indemnité évaluée par la Com-mission. Dans le cas d'un étranger résident qui est sur le point dedevenir non-résident, les versements d'indemnités à venir serontcalculés à partir de la date de la non-résidence. » (InternationalLaw Reports, 1958-11, p. 484.)

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144 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

McLane c. N.V. Koninklijke Vleeswarenfabriek B.Linthorst en Zonen

Pays-Bas: Cour d'appel de La Haye, 4 février 1959Nederlandse Jurisprudentie, 1960, n° 339International Law Reports, vol. 28, p. 494

68. L'appelant, ressortissant des Etats-Unis domicilié enBelgique, avait une dette, dûment reconnue, enversl'intimé. Se trouvant aux Pays-Bas, il a été mis en prisonpour dette en application d'une décision du Président duTribunal de district de Zutphen. L'appelant s'est adressé,pour obtenir sa remise en liberté, au Président duTribunal de district de La Haye, mais sa demande n'apas été accueillie. Il a saisi ensuite la Cour d'appel deLa Haye, en invoquant notamment deux dispositions detraités en application desquelles, selon lui, il devait êtrelibéré. Le premier de ces textes était l'article 24 de laConvention concernant la procédure civile, du 17 juillet190536. L'appelant a soutenu que devraient bénéficier decet article non seulement les ressortissants des partiescontractantes, mais aussi les ressortissants d'Etats nonsignataires domiciliés dans le territoire de l'une de cesparties. Le second texte invoqué par l'appelant est leparagraphe 1 de l'article III du Traité d'amitié, decommerce et de navigation du 27 mars 1956 entre lesPays-Bas et les Etats-Unis37. L'appelant a soutenu qu'ilétait en droit de bénéficier des dispositions de l'article 24de la Convention concernant la procédure civile en raisonde cette clause de la nation la plus favorisée. La Cour, quia rejeté cet appel, a déclaré:

Etant donné que le demandeur est ressortissant des Etats-Unisd'Amérique et que les Etats-Unis n'ont jamais accédé à cetteconvention, il n'est pas recevable à invoquer la protection del'article 24 de celle-ci, bien qu'il soit domicilié en Belgique, c'est-à-dire dans un pays qui a accédé [...]. Le demandeur considère qu'il aété emprisonné illégalement, cette mesure étant contraire à l'articleIII, par. 1, du Traité d'amitié, de commerce et de navigation concluentre les Pays-Bas et les Etats-Unis et ratifié par la loi néerlandaisedu 5 décembre 1957 [...]. Cette disposition, à supposer qu'elle soitobligatoire pour tous, n'empêche pas un ressortissant des Etats-Unisd'être emprisonné dans ce pays en application de l'article 768 duCode de procédure civile. La contrainte par corps n'est évidemmentpas contraire à la protection des droits que le Royaume des Pays-Bas doit, en application du traité, aux ressortissants des Etats-Unis.Au surplus, il ressort clairement de l'article V du traité, de mêmeque de l'article 5 du protocole de signature qui y est annexé, que les

36 Art icle ainsi libellé (dans le texte français officiel):« La contrainte par corps, soit comme moyen d'exécution, soit

comme mesure simplement conservatoire, ne pourra pas, enmatière civile ou commerciale, être appliquée aux étrangersappartenant à un Etat contractant dans les cas où elle ne serait pasapplicable aux ressortissants du pays. Un fait qui peut êtreinvoqué par un ressortissant domicilié dans le pays pour obtenirla levée de la contrainte par corps doit produire le même effet auprofit du ressortissant d'un Etat contractant, même si ce fait s'estproduit à l'étranger. »37 Cette disposition est libellée comme suit:

« Les ressortissants de chaque partie se trouvant sur le territoirede l'autre partie seront protégés contre tout sévice, et leur per-sonne et leurs droits seront protégés et sauvegardés en toutecirconstance. Le traitement qui leur sera fait ne sera pas moinsfavorable que celui qui est fait, dans des circonstances semblables,aux ressortissants de l'autre partie pour ce qui est de la protectionet la sauvegarde de leur personne et de leurs droits. Ce traitementne sera en aucun cas moins favorable que celui qui est fait auxressortissants d'un pays tiers ou qui est prescrit par le droitinternational. »

objectifs poursuivis par le traité sont limités au domaine de laprocédure civile: la contrainte par corps n'y est pas mentionnée, etmoins encore interdite. L'interprétation moins restrictive de l'articleIII, par. 1, que souhaite le demandeur et aux termes de laquelle,dans ce pays, un ressortissant des Etats-Unis bénéficierait de laprotection résultant de l'article 24 de la Convention concernant laprocédure civile sans que les Etats-Unis y aient accédé est, enconséquence, inacceptable pour la Cour.

Affaire du « Nyugat » — Société anonyme maritime etcommerciale suisse c. Royaume des Pays-Bas

Pays-Bas: Cour suprême, 6 mars 1959Nederlandse Jurisprudentie, 1956, n° 141, p. 305; ibid.,

1962, n° 2, p. 13

69. Le 13 avril 1941, le Nyugat naviguait hors des eauxterritoriales des anciennes Indes néerlandaises. Le navirebattait pavillon hongrois. Le destroyer néerlandaisKortenaer l'a arraisonné, a procédé à une fouille et l'aamené à Surabaya, où il a été coulé en 1942. Lesdemandeurs ont soutenu que la Cour suprême devraitrendre une décision de caractère déclaratoire aux finsd'indiquer que le Nyugat avait été illégalement arrai-sonné, fouillé, capturé, détourné de sa route, amené àSurabaya, et qu'ils avaient le droit de réclamer uneindemnité pour tous dommages résultant de ces actes etde la perte du Nyugat. Ils ont invoqué le Traité d'amitié,d'établissement et de commerce conclu avec la Suisse le19 août 1875 à Berne ainsi que le Traité de commerceconclu avec la Hongrie le 9 décembre 1924. La Coursuprême a confirmé sa première décision et a rejeté larequête en déclarant :

Les propriétaires du navire estiment qu'il y a contradiction directeentre le Traité d'amitié, d'établissement et de commerce conclu avecla Suisse à Berne le 19 août 1875 et le Traité de commerce concluavec la Hongrie le 9 décembre 1924. La Cour suprême a déclaré,dans sa première décision, que des traités de ce genre ont trait à desquestions totalement différentes. A rencontre de cette opinion, lespropriétaires du navire font valoir l'argument selon lequell'application du régime des décrets aux ressortissants de certainsEtats équivaudrait à exercer à l'égard de ces ressortissants unediscrimination qui serait incompatible avec la clause de la nation laplus favorisée contenue dans ces traités. De l'avis de la Cour, cettediscrimination a pour origine des mesures qui ne sont pas encontradiction avec une clause de la nation la plus favorisée. Al'occasion des plaidoiries, les propriétaires du navire ont égalementsoutenu que la clause de la nation la plus favorisée pouvait sansaucun doute être invoquée dans la présente espèce, étant donné quela situation actuelle est visée dans certains traités de commerce. Enguise d'exemple, ils ont cité le Traité du 1er mai 1829 avec laRépublique de Colombie, lequel dispose que «s'il advenaitmalheureusement, à un moment quelconque, que se produise unerupture des liens d'amitié », les ressortissants de l'une des partiesrésidant sur le territoire de l'autre « bénéficieront du privilège d'yrésider et d'y poursuivre leur activité aussi longtemps qu'ils secomportent de manière pacifique et ne violent pas le droit; leursbiens ne feront l'objet ni de confiscation ni de saisie ». L'argumentfondé sur cette disposition ne peut aboutir, dès lors que l'on nesaurait assimiler la rupture de relations amicales, telle qu'elle étaitcomprise en l'année 1829, à une rupture des relations diplomatiquestelle qu'il s'en est produit au cours de la seconde guerre mondiale;dans la présente espèce, la détermination du pavillon était fondéeégalement sur le fait que la Hongrie avait adopté un comportementcontraire aux intérêts du Royaume-Uni en collaborant à l'attaqueallemande contre la Yougoslavie. Assurément, la présente espèce ne

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Clause de la nation la plus favorisée 145

concorde pas avec la disposition du traité de 1829. Il ressort de cequi précède que les propriétaires du navire ont tort de penser que laCour ne devrait pas appliquer les décrets parce qu'ils seraient encontradiction avec des dispositions internationales. [L'italique nefigure pas dans l'original.]

Guiseppe et autres c. Cozzani et autresEtats-Unis d'Amérique: Cour suprême du Mississipi,

22 février 1960International Law Reports, vol. 31, p. 1

70. Il s'agissait d'une instance introduite en équité envue de faire reconnaître les droits que prétendaient avoirles demandeurs en tant que locataires, conjointement avecles défendeurs, de biens transmis en application dutestament de Frank Toney, qui avait légué le reliquat desa succession à sa femme pour le restant de sa vie et à sesneveux et nièces ainsi qu'à sa sœur, ultérieurement. Lafemme de Toney est décédée en 1933. Les demandeurs,résidant tous en Italie, ont soutenu qu'ils étaient lesneveux et nièces ou les descendants de neveux et de niècesde Toney ainsi que les descendants de sa sœur. Lesdéfendeurs ont soutenu que, en application du droit duMississipi, les étrangers ne pouvaient posséder de terre.Le tribunal (Chancery Court) s'est prononcé en faveurdes défendeurs, et les demandeurs ont fait appel.

71. La Cour a jugé que la décision du tribunal devaitêtre infirmée et que l'affaire devait être renvoyée.L'interdiction faite par les textes aux étrangers deposséder de la terre est incompatible avec le Traité decommerce et de navigation de 1871 entre les Etats-Unis etl'Italie, traité qui comprend une clause de la nation laplus favorisée garantissant aux ressortissants italiens ledroit d'hériter et de posséder des biens, droit que le Traitéde 1782 entre les Etats-Unis et les Pays-Bas a reconnu.Dans l'hypothèse d'une incompatibilité entre une loi d'unEtat des Etats-Unis et un traité, c'est ce dernier quiprévaut. La Cour a déclaré:

Deux traités sont pertinents dans la présente espèce: 1) Le Traitéde commerce et de navigation conclu entre les Etats-Unisd'Amérique et le Royaume d'Italie le 26 février 1871. [...] Dans sonarticle 22, ce traité dispose : « Pour ce qui est des biens immobiliers,les ressortissants et sujets des deux parties contractantesbénéficieront du traitement de la nation la plus favorisée. » [...] A cetégard, il faut tenir compte du Traité de 1782 entre les Etats-Unis etle Royaume des Pays-Bas [...]. 2) Le Traité d'amitié, de commerce etde navigation entre les Etats-Unis d'Amérique et la Républiqueitalienne, en date du 2 février 1948, dispose notamment que:« Aucune saisie de biens appartenant à des ressortissants [...] del'une ou l'autre des Hautes Parties contractantes [...] ne pourraintervenir qu'à l'issue d'une procédure régulière » (art. V, par. 2).[...] Voir aussi le paragraphe 2 de l'article 7 dudit traité, qui prévoit,en substance, qu'un étranger non résident dispose d'un délai de troisans pour vendre des biens ou les céder de toute autre manière, et quece délai peut être prorogé, dans une proportion raisonnable, si lescirconstances l'exigent [...]. En supposant que ce traité n'ait pas étécensé avoir un effet rétroactif, la disposition qui prévoit un délai detrois ans pour la vente ou la cession des biens d'un étranger nonrésident ne saurait s'appliquer à la présente espèce, étant donné queles droits des demandeurs, si droits il y a, ont pour origine leurqualité de propriétaires de biens envoyés en possession et inclus dansla succession ouverte par le décès de Frank Toney en 1906, et queleurs droits à la possession de ces biens résultent du décès d'EmmaToney, survenu en 1933 [...].

Kolovrat et autres c. OregonEtats-Unis d'Amérique: Cour suprême, 1er mai 1961U.S. Reports, vol. 366, p. 187International Law Reports, vol. 32, p. 203

72. Deux résidents de l'Etat d'Oregon sont décédés en1953 sans avoir fait de testament, laissant des biensmeubles dans cet Etat et aucun héritier, si ce n'estcertains résidents et ressortissants yougoslaves quiauraient hérité des biens, n'étaient les dispositions desLois de l'Etat d'Oregon modifiées (art. III.070 [1963]38).L'Etat d'Oregon a prétendu avoir droit aux biens dudéfunt, ces biens étant considérés comme tombés endéshérence, et il a soutenu que les héritiers yougoslavesn'avaient pas droit à la succession. Les héritiers ontsoutenu que leurs droits à l'héritage avaient pourfondement l'article 11 du Traité conclu entre les Etats-Unis et la Serbie le 14 octobre 1881, traité dont il a étéadmis qu'il était en vigueur entre les Etats-Unis et laYougoslavie. Le Circuit Court (Tribunal de circuit) a prisdes décisions rejetant les prétentions de l'Etat fondées surla déshérence et reconnaissant les droits des héritiersétrangers à recevoir leur part de la succession. LeTribunal a jugé que les ressortissants des Etats-Unisavaient le droit de recevoir des paiements provenant de lasuccession de personnes décédées en Yougoslavie et que,par conséquent, la condition prévue par la loi etprésentement contestée était remplie.

73. En appel, la Cour suprême de l'Oregon a jugé queles décisions du tribunal inférieur devaient être infirmées.La Cour suprême des Etats-Unis a jugé que l'arrêt de laCour suprême de l'Oregon devait être infirmé et l'affairerenvoyée en vue d'une procédure ultérieure. En applica-tion du traité de 1881 et de la clause de la nation la plusfavorisée qui y figure, les héritiers non résidents avaientles mêmes droits de recevoir une succession que s'ilsavaient été des ressortissants des Etats-Unis établis dans

38 L'article III.070 (1963) des Lois de l'Etat d'Oregon modifiéesdispose:

« 1) Le droit pour un étranger qui ne réside pas aux Etats-Unisou dans leurs territoires d'hériter des biens meubles ou immeubles,ou du produit de ces biens, dans cet Etat, par succession ou envertu de dispositions testamentaires, dans les mêmes conditionsque les habitants et les ressortissants des Etats-Unis, dépend, danschaque cas :

« a) De l'existence, à titre de réciprocité, d'un droit pour lesressortissants des Etats-Unis d'hériter des biens meubles ouimmeubles ou de leur produit dans les mêmes conditions que leshabitants et les ressortissants du pays dont l'étranger en questionest habitant ou ressortissant;

« b) Des droits pour les ressortissants des Etats-Unis de recevoir,aux Etats-Unis ou dans leurs territoires, le paiement de montantsayant pour origine la succession de personnes décédées dans cespays étrangers ; et

« c) De la preuve qui doit être fournie que ces héritiers, béné-ficiaires, légataires à titre universel ou particulier, peuvent avoirle bénéfice, l'usage ou le contrôle de toutes espèces ou biensprovenant de la succession de personnes décédées dans cet Etat,sans faire l'objet d'aucune confiscation, ni totale ni partielle, dela part du gouvernement de ces pays étrangers.

«2) II appartient à ces étrangers non résidents d'établirl'existence des droits réciproques mentionnés au paragraphe 1du présent article.

« 3) Lorsque l'existence de ces droits réciproques n'est pasconstatée et lorsqu'il n'y a aucun autre héritier, légataire à titreuniversel ou particulier que cet étranger qui soit susceptible derecevoir ces biens, ils seront traités comme des biens tombés endéshérence. »

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146 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

l'Etat d'Oregon. L'adhésion des Etats-Unis aux statutsdu FMI, avec lesquels le contrôle des changes yougoslaveétait compatible, interdit à un Etat de décider que pareilcontrôle pourrait justifier le refus du bénéfice des droitsconférés par le traité de 1881. La Cour a déclaré:

La portée très restrictive que la Cour suprême de l'Oregon adonnée au traité a essentiellement pour fondement soninterprétation du passage suivant :

« Pour tout ce qui concerne le droit d'acquérir, de posséder etde céder toute catégorie de biens [...] les ressortissants des Etats-Unis en Serbie et les sujets serbes aux Etats-Unis jouiront desdroits accordés respectivement par la législation [...] dans l'un etl'autre de ces Etats aux nationaux de la nation la plus favorisée. »

Selon la Cour suprême de l'Etat, cela signifie que le traité donne àtout citoyen des Etats-Unis le droit d'acquérir des biens ou d'enhériter en Serbie seulement dans le cas où il se trouve « en Serbie »,et que ce traité confère à tout ressortissant yougoslave le droitd'acquérir des biens aux Etats-Unis seulement s'il se trouve « auxEtats-Unis ». La conclusion à laquelle aboutit la Cour de l'Etat estdonc que les demandeurs yougoslaves, n'étant pas résidents desEtats-Unis, n'avaient pas, aux termes du traité, le droit d'hériter deleurs parents décédés dans l'Etat d'Oregon en y laissant des biens.Tel est en effet un sens plausible du passage cité; toutefois, ilpourrait, de façon tout aussi plausible, signifier que « en Serbie »tous les ressortissants des Etats-Unis jouiront du droit d'hériter etque « aux Etats-Unis » tous les ressortissants serbes jouiront dudroit d'hériter — et cette interprétation n'aurait pas desconséquences aussi totalement restrictives pour les ressortissantsaméricains et yougoslaves bénéficiaires des dispositions de cetteclause. Nous ne pouvons, lorsque nous envisageons le traité entenant compte de l'ensemble de son texte et de son historique,admettre l'interprétation plus restrictive donnée par la Cour del'Etat. La présente Cour a maintes fois eu l'occasion de s'élevercontre les interprétations de traités qui limitent indûment les droitsen vue de la protection desquels le traité a été conclu.

Le traité de 1881 indique clairement que son principal objectif estd'instaurer «à titre réciproque, la pleine et entière liberté ducommerce et de la navigation » entre les deux Etats signataires, demanière que leurs ressortissants « soient libres de s'établir sur leterritoire de l'autre Etat». Leurs ressortissants doivent égalementpouvoir librement recevoir, posséder et céder des biens par leursactivités commerciales, par donation, mariage, héritage ou de touteautre manière « dans les mêmes conditions que les ressortissants dela nation la plus favorisée». Ainsi, les deux paragraphes de l'ar-ticle II du traité dont il est ici question comportent une clause « dela nation la plus favorisée » en ce qui concerne « l'acquisition, lapossession ou la cession de toutes catégories de biens ». Cette clausesignifie que chacun des signataires accorde à l'autre les droits et lesprivilèges les plus étendus qu'il accorde à tout autre Etat en vertud'autres traités conclus ou à conclure. A cet égard, notre attention aété attirée sur un traité conclu par ce pays avec l'Argentineantérieurement au traité de 1881 avec la Serbie et sur des traitésconclus par la Yougoslavie avec la Pologne et la Tchécoslovaquie,qui prévoient tous sans ambiguïté de la façon la plus large, et à titrede réciprocité, le droit de recevoir une succession au profit desressortissants des Etats signataires, ce qui aurait précisément pourconséquence de protéger le droit de ces demandeurs yougoslaves àrecevoir la succession de leurs parents américains. [...]

Nous estimons que, en vertu du traité de 1881 et de sa clause « dela nation la plus favorisée », ces demandeurs yougoslaves ont lemême droit de recevoir des biens meubles en héritage de leursparents que s'ils étaient des ressortissants américains habitant l'Etatd'Oregon. Toutefois, en raison des motifs sur lesquels est fondél'arrêt de la Cour suprême de l'Oregon, nous examinerons briève-ment le point de savoir si ce droit, qui résulte d'un traité, a d'unefaçon quelconque été supprimé ou limité du fait de la réglemen-tation des changes yougoslaves.

D'après la Cour suprême de l'Oregon, le droit de cet Etat interdità un étranger établi en pays étranger d'hériter de biens de l'Etatd'Oregon, à moins que n'existe de façon manifeste, «sur le planjuridique, un droit absolu et susceptible d'application » au profitdes Américains de recevoir aux Etats-Unis le paiement du produitd'une succession ouverte dans ce pays étranger. La Cour suprêmede l'Etat a jugé que la réglementation yougoslave des changesen vigueur en 1953 laissait aux autorités yougoslaves une si grandemarge discrétionnaire qu'il leur était loisible d'élaborer une régle-mentation des changes suceptible de porter préjudice au paiementà l'étranger des legs ou héritages et que, pour cette raison, lesAméricains ne jouissaient pas de cette sorte de « droit absolu etsusceptible d'application » de recevoir aux Etats-Unis des fondsprovenant d'une succession ouverte en Yougoslavie qui seraitde nature à habiliter des Yougoslaves, tels que les demandeursdans la présente affaire, à recevoir en héritage des biens situés enOregon, en application du droit de cet Etat. Les demandeurs etles Etats-Unis soutiennent que la législation yougoslave ne susciteni doute ni incertitude de ce genre, mais, selon eux, même s'il enétait ainsi, cette politique de l'Etat d'Oregon doit s'effacer devantdes accords ultérieurs conclus entre les Etats-Unis et la Yougoslavie.Nous sommes d'accord avec cette dernière thèse avancée par lesdemandeurs.

Les statuts du FMT, adoptés à Bretton Woods [...], dont laYougoslavie et les Etats-Unis sont signataires, obligent, d'une façontrès générale, les Etats participants à n'instaurer que les contrôlesdes changes qui sont compatibles avec les termes de ces statuts.L'objectif très large qu'ils poursuivent (tel que l'énonce l'article IV,sect. 4) est

« De promouvoir la stabilité des changes, de maintenir desdispositions de change ordonnées avec les autres membres etd'éviter des modifications de change inspirées par un esprit derivalité 39. »Selon l'article VI, sect. 3, il est interdit à tout Etat participant

d'exercer des contrôles sur les mouvements internationaux decapitaux « d'une manière qui aurait pour effet de restreindre lespaiements pour transactions courantes ou de retarder indûment lestransferts de fonds en règlement d'engagements [...]40 ». L'article 8de la législation yougoslave relative à la réglementation despaiements avec d'autres pays reconnaît expressément la validité des« dispositions d'accords conclus avec d'autres pays en matière depaiements ». En outre, un accord conclu en 1948 entre les Etats-Uniset la Yougoslavie obligeait, selon les termes du rapport présenté auSénat au sujet de cet accord, la Yougoslavie

« A continuer d'accorder le traitement de la nation la plusfavorisée aux Américains pour ce qui concerne la propriété etl'acquisition de biens en Yougoslavie [...] [et] la Yougoslavie esttenue, en vertu de l'article 10, d'autoriser les personnes résidentesen Yougoslavie à payer leurs dettes aux ressortissants, sociétés ouorganismes des Etats-Unis et, dans toute la mesure où cela estfaisable, d'autoriser le transfert de dollars à cette fin. »Ces traités et ces accords montrent que les Etats-Unis ont adopté

les mesures jugées souhaitables pour réaliser, dans toute la mesureoù cela peut être fait, la stabilité et l'uniformité dans le difficiledomaine des contrôles monétaires et des changes à l'échelonmondial. Ces mesures ne prétendaient pas créer une méthoded'évaluation des monnaies suffisamment rigide pour garantir que lespaiements en devises étrangères seront, à tout moment, en tout lieuet en toute circonstance, fondés sur une évaluation « vérifiable defaçon précise » par rapport aux diverses monnaies du monde. Sansdoute, ces accords peuvent-ils ne pas atteindre ce but. Mais notregouvernement national a fait usage de ses pouvoirs à cette fin danstoute la mesure qui a paru souhaitable et réalisable, et le pouvoir deprendre des mesures relatives à ces questions se situe au plan

36 FMI, Statuts du Fonds monétaire international, Washington(D.C.), P. 7.

40 Ibid.,p. 18.

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Clause de la nation la plus favorisée 147

national, à la fois par la nécessité et en raison de notre Constitution.Lorsque les organismes compétents du gouvernement ont défini,pour le pays dans son ensemble, une politique en matière dechanges, l'Etat d'Oregon ne peut évidemment refuser d'accorder àdes ressortissants étrangers les droits que leur reconnaissent destraités, de crainte que des accords internationaux en vigueur aientdes conséquences que ces autorités de l'Etat ne jugent pasentièrement satisfaisantes. Que notre gouvernement national aitaccepté ces engagements internationaux et qu'il ait maintenu sonadhésion au traité de 1881, voilà qui interdit à tout Etat de déciderque des lois yougoslaves conformes à ces engagements puissententraîner le refus du bénéfice de droits conférés par le traité de 1881.

Semon c. RoncalloFrance: Cour d'appel de Paris, 6 juillet 1961Clunet, t. 89, 1962, p. 420

74. Il résulte de la Convention d'établissement franco-colombienne du 16 mars 1955 que les ressortissants desdeux Etats bénéficient du traitement de la nation la plusfavorisée pour l'exercice de leurs droits civils, et enparticulier du droit d'acquérir et de posséder des biensmeubles et immeubles. Il résulte également de cetteconvention qu'il y a assimilation aux nationaux pour cequi concerne la location de locaux d'habitation. La Courd'appel de Paris en a déduit qu'un Colombien pouvait seprévaloir du droit de reprise de l'article 19 de la loi du1er septembre 1948 sans qu'il puisse être opposé qu'il nerésidait pas en France. En effet, « aucune disposition dutexte susvisé n'impose aux ressortissants colombiensl'obligation d'habiter en France pour pouvoir exercerleurs droits ».

Doulgeris c. BambacusEtats-Unis d'Amérique: Cour d'appel suprême de Virginie,

31 août 1962International Law Reports, vol. 33, p. 408

15. Dans une procédure intentée par un exécuteurtestamentaire pour déterminer quels étaient les bénéfi-ciaires de la succession du défunt, la demanderesse,ressortissante grecque, a soutenu qu'elle était la sœuradoptive du de cujus, ayant été adoptée par le père de cedernier conformément aux lois en vigueur en Grèce. Letribunal de rang inférieur a jugé que la politique quiinspire les lois en matière d'adoption en Grèce estcontraire à l'ordre public de l'Etat de Virginie et que, enconséquence, la demanderesse ne pouvait prétendre austatut de sœur adoptive du de cujus ni au droit derecueillir en cette qualité une part de sa succession envertu des lois de l'Etat de Virginie. La demanderesse asoutenu, notamment, que la décision du tribunal inférieurn'a pas tenu compte du Traité d'amitié, de commerce etde navigation conclu avec la Grèce le 3 août 1951 et ne l'apas appliqué.

76. En appel, le jugement du tribunal inférieur a étéconfirmé. La Cour a déclaré que le refus de reconnaître àla demanderesse la qualité de sœur adoptive ne constituepas une violation de la clause de la nation la plusfavorisée contenue dans le traité.

La prétention de la demanderesse d'après laquelle le refus par letribunal inférieur de lui accorder la qualité de sœur adoptive au sens

de nos lois constituerait la violation de droits qui lui seraientgarantis en application du traité en vigueur entre les Etats-Unisd'Amérique et le Royaume de Grèce n'est pas fondée [...]. Ladécision dont appel ne refuse pas à la demanderesse le droit derecevoir une succession en application du droit de l'Etat de Virginie.Ce que cette décision lui refuse, c'est le droit d'hériter en qualité deprétendue parente adoptive du de cujus — qualité qui lui a étéconférée par une procédure dont le but et l'objet sont encontradiction avec l'ordre public de cet Etat. En refusant dereconnaître une qualité ainsi conférée, les tribunaux de l'Etat deVirginie réservent le même traitement aux procédures de tous lesautres Etats et pays étrangers. Nous refusons de reconnaître lavalidité de procédures de tout Etat ou pays étranger qui sontincompatibles avec notre ordre public. [...] Ce à quoi prétend ici lademanderesse, c'est à se voir accorder un traitement meilleur quecelui que nous réservons aux ressortissants d'autres Etats ounations, c'est-à-dire reconnaître la qualité de parente adoptive du decujus bien que cette qualité lui ait été conférée par une procéduredont le but et l'objet sont incompatibles avec notre droit. Le traitéqu'elle invoque ne garantit pas aux ressortissants de Grèce pareildroit préférentiel.

Affaires Sciama et SoussanFrance: Tribunal correctionnel de la Seine, 27 novembre

1962Clunet, t. 90, 1963, n° 1, p. 762 et 763

11. La Convention franco-italienne du 23 août 1951dispose que les ressortissants des deux pays bénéficierontdu traitement de la nation la plus favorisée pourl'exercice du commerce. Dans cette affaire, le Tribunalcorrectionnel de la Seine a déclaré:

Attendu que Sciama, étant de nationalité italienne, peutlégitimement invoquer le bénéfice de l'article 2 de la Conventiond'établissement du 23 août 1951 entre la France et l'Italie, lequeldispose: «Les ressortissants de chacune des Hautes Partiescontractantes jouissent sur le territoire de l'autre partie dutraitement de la nation la plus favorisée en ce qui concerne [...]l'exercice du commerce [...]»; que, par suite, il est en droit de seréclamer des dispositions de l'article 1er de la convention conclue le7 janvier 1862 entre la France et l'Espagne, lequel décide: «Lessujets des deux pays pourront voyager et résider sur les territoiresrespectifs comme les nationaux [...], faire le commerce tant en grosqu'en détail [...] ».

Christian Dior c. JacksonFrance: Tribunal de grande instance de la Seine, 17 janvier

1963Clunet, t. 90, 1963, n° 1, p. 1068

78. Il a été demandé à un mari de payer les vêtementsque sa femme avait commandés dans une maison decouture. Domicilié en Suisse et de nationalité britannique,il a soulevé l'incompétence lorsque le couturier français aintenté une action contre lui. Il a soutenu tout d'abordque le demandeur ne pouvait invoquer l'article 14 duCode civil, relatif à l'obligation contractée par unétranger en France à l'égard d'un ressortissant français,et ce au motif que le défendeur niait formellement avoirpersonnellement contracté des obligations à l'égard de lasociété demanderesse. En outre, le défendeur a invoqué laconvention franco-britannique du 28 février 1882 et, sansnégliger le fait que cette convention, qui concerne lesrelations commerciales et maritimes, « n'a pas de portée

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148 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

générale et ne permet pas aux ressortissants britanniquesd'invoquer la clause de la nation la plus favorisée », il asoutenu que l'échange de lettres interprétatives des 21 et25 mai 1929 a étendu la portée de cette convention àl'établissement, de telle façon que la clause de la nation laplus favorisée autorise les ressortissants britanniques à seréclamer de traités prévoyant l'assimilation des étrangersaux nationaux et, en conséquence, des conventionsrelatives à la procédure qui écartent l'application desarticles 14 et 15, obligeant ainsi le demandeur français àintenter une action contre un ressortissant étrangerdevant les tribunaux de son lieu de domicile. Le Tribunala fait observer que l'échange de lettres dont il est faitmention n'a accordé le bénéfice du traitement de lanation la plus favorisée aux ressortissants britanniquesque dans le domaine d'application de la loi sur les loyerset qu'il ne s'applique qu'aux ressortissants britanniquesétablis en France. Le Tribunal a déclaré:

Attendu que la clause de la nation la plus favorisée, toutenaturelle dans le domaine du régime économique, est beaucoupmoins à sa place dans le domaine de la procédure et ne doit êtreadmise à l'égard de celle-ci que lorsque les termes du traité ladéclarent applicable de façon suffisamment explicite;

Attendu que les accords de 1929 ont eu un objet spécial; qu'ilssont la conséquence du caractère limitatif reconnu à la conventionde base de 1882, en vertu duquel les Anglais avaient été considéréscomme toujours tenus de fournir la caution judicatum solvi, etcomme ne pouvant bénéficier des dispositions de la loi du 1er avril1926 sur les loyers;

Attendu que le but poursuivi par les accords de 1929 est ainsi misen lumière; qu'ils ont seulement pour but d'assurer aux sujetsbritanniques, et réciproquement aux étrangers français dans leRoyaume-Uni, le bénéfice de la loi sur les loyers;

Attendu, en effet, que, dans le corps de la lettre du 21 mai 1929,émanant de l'Ambassadeur de Grande-Bretagne à Paris et adresséeau Ministre français des affaires étrangères, il est indiqué que lesnégociations ont été poursuivies entre les Hautes Partiescontractantes au sujet de la législation des loyers, et non à l'occasionde celle-ci ;

Attendu que, d'autre part, il est spécifié, dans le décret du 16 juin1933, qu'il concerne les relations commerciales et maritimes dans ledomaine d'application de la loi sur les loyers;

Attendu, au surplus, qu'aux termes du rapport qui précède cedécret les lettres des 21 et 25 mai 1929 reconnaissent que la clause dela nation la plus favorisée inscrite dans la convention de 1882 assureaux ressortissants des deux pays le bénéfice des lois sur les loyers;

Attendu que la spécialité de cet objet s'oppose donc à l'extensiondes accords à une autre notion, le principe de l'interprétationrestrictive des conventions diplomatiques étant constant;

Attendu au demeurant que J., de nationalité britannique, qui sedomicilie en Suisse, ne peut invoquer une convention d'établisse-ment qui n'accorde le bénéfice de la clause de la nation la plusfavorisée qu'aux sujets anglais établis en France et ayant donc lapossibilité d'y exercer une activité rémunérée à titre permanent.

Société technique de limonaderie c. Elias IlyaFrance: Cour de cassation, 8 mars 1963Bulletin des arrêts 41, 1963, IV, n° 234, p. 190

79. Aux termes de la loi du 28 mai 1943, les lois de droitcommun ou d'exception relatives aux baux à loyer sont

41 Bulletin des arrêts de la Cour de cassation — Chambre civile,Paris. Ci-après dénommé « Bulletin des arrêts ».

applicables aux ressortissants étrangers des pays qui ontsigné avec la France des conventions diplomatiques quiadmettent directement ou indirectement l'assimilation del'étranger au national dans le domaine des droits civils.C'est par suite à bon droit que, faisant application de cesdispositions législatives et du traité franco-égyptien deMontreux du 8 mai 1937, rendu exécutoire par un décretdu 17 mars 1939, une cour d'appel a accordé le droit dereprise à un propriétaire de nationalité égyptienne. LaCour de cassation a dit :

Attendu que le pourvoi fait grief à l'arrêt attaqué de la Courd'appel de Dakar d'avoir admis un propriétaire de nationalitéégyptienne à exercer le droit de reprise prévu par l'article 21 dudécret du 30 juin 1952, bien que ce droit soit réservé auxpropriétaires de nationalité française, au motif que les conventionsdiplomatiques existant entre la France et l'Egypte accorderaient auxressortissants égyptiens les droits résultant de la législation desloyers, alors que ni l'accord passé entre la France et l'Egypte ni laclause de la nation la plus favorisée ne visaient la législation desloyers et ne pouvaient conférer à un ressortissant étranger les droitsd'exception que les auteurs des accords n'avaient pu prendre enconsidération;

Mais attendu que, aux termes de la loi du 28 mai 1943, les lois dedroit commun ou d'exception relatives aux baux à loyers sontapplicables aux ressortissants étrangers des pays qui ont signé avecla France des conventions diplomatiques qui admettent directementou indirectement l'assimilation de l'étranger au national dans ledomaine des droits civils;

Attendu que le traité franco-égyptien de Montreux, conclu le 8mai 1937, approuvé par le Parlement français le 4 janvier 1939, a étépromulgué par décret du 17 mars publié au Journal officiel du 29mars 1939, que le décret du 17 mars reproduit et rend exécutoires lesdispositions de deux lettres échangées le 8 mai 1937 entre lesprésidents des délégations française et égyptienne, aux termesdesquelles

«les ressortissants de chacun des deux pays exercent sur leterritoire et en se conformant aux lois et règlements du pays ledroit d'acquérir tous biens mobiliers et immobiliers, notammentpar voie d'achat, échange, donation, succession, testament ou detoute autre manière et d'en disposer librement [...] ils jouissent, enoutre, dans l'exercice des droits définis ci-dessus, du traitement dela nation la plus favorisée »;

qu'il s'ensuit que c'est à bon droit que la Cour d'appel de Dakar avalidé le congé délivré le 27 février 1956 et accordé le droit de repriseprévu par l'article 21 du décret du 30 juin 1952 à Elias Ilya,propriétaire de nationalité égyptienne, en application tant desdispositions législatives que des conventions diplomatiques ci-dessusprécisées; que le pourvoi n'est donc pas fondé;

Par ces motifs:Rejette le pourvoi formé contre l'arrêt rendu le 22 février 1957 par

la Cour d'appel de Dakar.

Consul général de Yougoslavie à Pittsburgh c. PennsylvanieEtats-Unis d'Amérique: Cour suprême, 6 janvier 1964U.S. Reports, vol. 375, p. 395International Law Reports, vol. 35, p. 205

80. Belemecich est décédé intestat en Pennsylvanie. Seshéritiers résidaient en Yougoslavie. L'Orphan's Court(Tribunal des orphelins) a ordonné que la succession soitconfiée au Département du Trésor de l'Etat dePennsylvanie. Le consul général de Yougoslavie s'estprésenté à l'audience du Tribunal. Il a soutenu que, unefois les biens répartis, les bénéficiaires en auraient lecontrôle absolu. Il a également soutenu que cette question

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Clause de la nation la plus favorisée 149

était régie par l'article II du Traité de commerce concluavec la Serbie le 2 octobre 1881. En conséquence, leTribunal ne pouvait invoquer le droit en vigueur dansl'Etat pour empêcher les héritiers de recevoir leurhéritage. En appel, la Cour suprême de Pennsylvanie,confirmant la décision de l'Orphan's Court, a déclaré:

[...] Le demandeur soutient également que la décision du Tribunalest en contradiction avec le Traité de 1887 entre les Etats-Unis et laSerbie (Etat souverain prédécesseur de la République deYougoslavie). Le problème n'est pas bien posé. Le Traité dispose,très brièvement, que des droits d'héritage seraient reconnus, à titreréciproque, aux ressortissants des deux Etats. D'après la décisionrendue dans la présente affaire, on ne saurait refuser auxressortissants yougoslaves le droit à un héritage provenant deparents américains. La loi sur laquelle le Tribunal a fondé sadécision a pour objet non pas de rompre les engagements contenusdans le traité susmentionné, mais de garantir le respect de sesdispositions, de façon que les bénéficiaires reçoivent les montantsqui leur sont dus effectivement et non pas seulement sur le plantechnique ou théorique [...]. L'affaire Kolovrat et autres c.Oregon [42], citée par le défendeur, ne vient nullement à l'appui de sathèse. La loi de l'Etat d'Oregon dont il était question dans cetteaffaire concernait des mesures de confiscation. La loi que nousexaminons ici n'a d'autre but que la protection [...].

81. La Cour suprême des Etats-Unis a jugé, per curiam,que la décision de la Cour suprême de Pennsylvaniedevait être infirmée.

Corbett c. StergiosEtats-Unis d'Amérique: Cour suprême de Vlowa, 11 février

1964International Law Reports, vol. 35, p. 208

82. Nicolas Stergios, émigrant grec résidant dans l'Etatd'Iowa, a laissé par testament la plus grande partie de sesbiens à sa femme et le reliquat à une nièce. Après avoirrédigé ce testament, il a adopté, par l'intermédiaire defonctionnaires grecs et selon des procédures grecques, unenfant grec, Constantin Neonakis, qui vivait en Grèce.Stergios est décédé en 1958, plusieurs mois aprèsl'adoption, laissant une succession consistant essentiel-lement en biens immobiliers. La validité de son testamenta été établie. La succession a été close et les biens ont étérépartis conformément au testament. En février 1961,Corbett a été nommé tuteur de Neonakis, chargé del'administration de ses biens. Il a introduit une procédureafin d'obtenir la réouverture de la succession et larestitution des deux tiers par la veuve, soutenant queNeonakis était l'héritier de Stergios et avait le droitd'hériter parce que le testament était antérieur àl'adoption. Corbett a soutenu que le droit de l'enfant àl'héritage était garanti par l'article IX, section 2, duTraité d'amitié, de commerce et de navigation concluentre les Etats-Unis et la Grèce le 3 août 1951. La veuve asoutenu que le traité ne conférait pas à Neonakis le droitd'hériter et que, en application du droit de l'Etat,Neonakis ne pouvait hériter parce qu'il n'avait pas étéétabli que la Grèce accordait aux ressortissants des Etats-Unis les droits réciproques exigés par le Code de l'Iowadans son paragraphe 567.8 (1962). La juridiction depremière instance a rejeté la demande du tuteur tendant à

la réouverture de la succession. En appel, la Coursuprême de l'Iowa a confirmé cette décision. Ledemandeur n'avait pas établi la réciprocité exigée par ledroit de l'Iowa et, par conséquent, Neonakis ne pouvaithériter. Les dispositions du traité ne se substituaient pas àla législation de l'Etat en matière successorale, que ce soitpar le biais de son traitement national ou de clauses de lanation la plus favorisée.

A propos de la clause de la nation la plus favorisée, laCour suprême de l'Iowa a déclaré:

A propos du point n° 3 du mémoire, le demandeur soutient queson pupille a droit à certains avantages en raison de la clause de lanation la plus favorisée contenue dans le traité. En ce qui concernele traitement de la nation la plus favorisée, une situation particulièrerésulte du traité.

Le traité conclu avec la Grèce ne prévoit le traitement de la nationla plus favorisée que pour ce qui a trait à certaines questionsenvisagées dans le traité. Parmi les vingt-six articles du traité, seulsles articles II, VI, VII, XII, XVII, XIX, XXI et XXIV prévoient untraitement de la nation la plus favorisée.

L'article IX du traité avec la Grèce ne contient pas de dispositionsprévoyant ainsi un traitement de la nation la plus favorisée. C'estl'article que le demandeur s'efforce de faire appliquer lorsqu'il saisitla Cour. Les autres articles précisent de façon très nette les cas où laclause de la nation la plus favorisée doit s'appliquer. Dès lors quel'article IX ne contient aucune disposition de ce genre, nous nepouvons que supposer que le Congrès n'avait pas l'intentiond'appliquer à cet article la clause de la nation la plus favorisée.

Le traité conclu avec l'Allemagne, dans son article XI, se réfère defaçon spécifique au traitement de la nation la plus favorisée à proposde la cession de biens. Il en va donc différemment du traité avec laGrèce, qui ne fait pas mention de ce traitement.

Puisque les traités ont été conclus à peu près au même moment,nous ne pouvons que supposer que le Congrès a entendu que, pource qui concernait le traité avec la Grèce, le traitement de la nation laplus favorisée ne s'appliquerait pas à l'article IX.

La situation, dans la présente espèce, est différente de celle del'affaire Santovicenzo c. Egan (284 U.S. 30) [43] [...] citée dans lemémoire du demandeur. Dans ce cas-là, le traité contenait uneclause expresse de la nation la plus favorisée applicable à la questionqui était examinée. Il n'en est pas de même dans le traité avec laGrèce en ce qui concerne l'article IX. Il serait inexact d'appliquer laclause de la nation la plus favorisée à l'article pertinent du traitéavec la Grèce, alors que ce texte ne contient aucune disposition de cegenre. Ce serait conférer à la clause une application plus généraleque prévue.

NOTE. — Saisie d'un pourvoi, la Cour suprême desEtats-Unis a infirmé la décision de la Cour suprême del'Iowa. La Cour a déclaré:

Compte tenu de notre interprétation du Traité d'amitié, decommerce et de navigation entre les Etats-Unis et le Royaume deGrèce, interprétation qui a été confirmée par les représentants dessignataires, dont les points de vue n'étaient pas connus de la Coursuprême de l'Iowa, la décision est infirmée {Corbett c. Stergios, 381U.S. 124).

Yacoub c. Consorts Jean FrancisFrance: Cour de cassation, 24 juin 1965Bulletin des arrêts, 1965, III, n° 398, p. 365

83. En vertu du principe de la spécialité législative, ledécret du 25 avril 1935 prévoyant en faveur des

42 Voir ci-dessus par. 72 et 73. 43 Voir ci-dessous par. 92.

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150 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

ressortissants syriens et libanais l'application de la clausede la nation la plus favorisée, n'ayant pas été renduapplicable à la Guadeloupe, ne peut être invoqué par uncommerçant libanais installé sur ce territoire pourréclamer le renouvellement de son bail commercial. LaCour a dit:

Attendu qu'il résulte de l'arrêt confirmatif attaqué (Basse-Terre,2 février 1959), que Yacoub, sujet libanais, ayant reçu congé le26 mars 1956 du local commercial sis à Pointe-à-Pitre (Guadeloupe)qui lui avait été loué par les consorts Jean Francis a été déclarécomme n'ayant pas droit au renouvellement de son bail en raisonde sa nationalité, par application de l'article 38 du décret du30 septembre 1953;

Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir refusé à un Libanais lerenouvellement de son bail commercial pour le motif que la clausede la nation la plus favorisée prévue par le décret du 25 avril 1935pris en faveur des ressortissants syriens et libanais a été strictementlimitée à certaines matières déterminées, notamment l'exerciceproprement dit du commerce, alors que, d'une part, en protégeantl'établissement, le séjour et l'exercice du commerce de cesressortissants, le gouvernement, d'après le pourvoi, aurait entendunécessairement protéger l'instrument même de l'activité commer-ciale, à savoir le fonds de commerce, d'autre part, en visant en outrela possession et l'occupation de tous biens meubles et immeubles, lesauteurs dudit décret ont voulu englober notamment les locauxcommerciaux et le droit au bail auquel ce droit se rapporte;

Mais attendu qu'en vertu du principe de la spécialité législative ledécret du 25 avril 1935, qui n'a pas été rendu applicable à laGuadeloupe, ne pouvait être invoqué par Yacoub pour réclamer lerenouvellement de son bail; que le moyen n'est donc pas fondé;

Par ces motifs:Rejette le pourvoi formé contre l'arrêt rendu le 2 février 1959 par

la Cour d'appel de Basse-Terre.

Application du Traité de commerce et de navigation entrela Finlande et le Danemark

Finlande: Cour suprême administrative, 19 octobre 196644

84. Le Traité de commerce et de navigation entre laFinlande et le Danemark dispose que ni l'une ni l'autredes deux parties ne doit imposer aux ressortissants del'autre partie des impôts autres ou plus élevés que ceuxqu'elle impose à ses propres ressortissants. Un droit detimbre ayant été appliqué à l'occasion de l'acteauthentique en vertu duquel un ressortissant danois avendu un bien immobilier situé en Finlande, la Cour aordonné que soit restitué au ressortissant danois, sur labase de la clause de la nation la plus favorisée contenuedans le Traité, le montant en excédent de ce qu'aurait euà acquitter un ressortissant finlandais en pareil cas.

Madelrieu c. LinicFrance: Cour de cassation, 15 juin 1967Bulletin des arrêts, 1967, IV, n° 480, p. 40

85. En vertu de la loi du 28 mai 1943, peuvent bénéficieren France des lois de droit commun et d'exceptionrelatives aux baux à ferme les ressortissants des paysétrangers offrant aux Français les avantages d'unelégislation analogue ou qui sont dispensés de cette

réciprocité législative par une convention diplomatiquepassée entre leurs pays d'origine et la France. Tel n'estpas le cas de la convention franco-yougoslave du 30 jan-vier 1929, qui n'accorde aux ressortissants de chacunedes parties contractantes la faculté de posséder ou louerdes biens mobiliers ou immobiliers sur le territoire del'autre que dans les mêmes conditions que celles qui sontprévues par les lois du pays pour les ressortissants d'untiers Etat quelconque et sans assimilation avec lesnationaux. La Cour a dit:

Attendu que, pour déclarer nul et de nul effet le congé donné le20 février 1962 pour le mois de septembre 1965 par Madelrieu,propriétaire, à Linic Stanko, preneur, de nationalité yougoslave, laCour d'appel a retenu que ce congé n'est pas conforme au statut dufermage, alors que ce statut est applicable en l'espèce, malgré lanationalité étrangère du fermier, l'article 4 de la conventionconsulaire du 30 janvier 1929 passée entre la France et laYougoslavie contenant, au profit des ressortissants yougoslaves, unestipulation équivalant à la clause de la nation la plus favorisée;

Attendu qu'en statuant ainsi alors que l'article 4 de la conventionfranco-yougoslave du 30 janvier 1929 n'accorde aux ressortissantsde chacune des Hautes Parties contractantes la faculté de posséderou louer des biens mobiliers ou immobiliers sur le territoire del'autre que dans les mêmes conditions que celles qui sont prévuespar les lois du pays pour les ressortissants d'un Etat tiers quelconqueet sans assimilation avec les nationaux, la Cour d'appel n'a pasdonné de base légale à sa décision ;

Par ces motifs:Casse et annule l'arrêt rendu entre les parties par la Cour d'appel

de Bastia le 2 juillet 1964.

Application du Traité de commerce et de navigation entrela Finlande et le Royaume-Uni

Finlande: Cour suprême administrative, 21 janvier 1969 4o

86. En vertu du Traité de commerce et de navigationentre la Finlande et le Royaume-Uni, chacune des deuxparties s'est engagée à ne pas imposer aux nationaux del'autre partie de droits ni d'impôts autres que ceux qu'ontà acquitter ses propres ressortissants. Un droit de timbreayant été appliqué à l'occasion d'un acte authentiquedestiné à la réalisation de la donation, à un ressortissantbritannique, d'un bien immobilier sis en Finlande, laCour a ordonné que soit restitué au ressortissantbritannique, sur la base de la clause de la nation la plusfavorisée contenue dans le Traité, le montant en excédentde ce qu'aurait eu à acquitter un ressortissant finlandaisen pareil cas.

Bureau des impôts c. Fulgor (Compagnie grecqued'électricité)

Grèce: Conseil d'Etat, 28 mai 196946

87. Cette décision concerne l'application à une sociétésuisse exerçant son activité en Grèce des dispositions de laconvention signée à Athènes le 25 juin 1953 entre leGouvernement du Royaume-Uni et le Gouvernement du

44 Renseignement reçu du Gouvernement finlandais. On nedispose d'aucune autre indication sur cette affaire.

45 Renseignement reçu du Gouvernement finlandais. On nedispose d'aucune autre indication sur cette affaire.

46 Le texte anglais de cette décision a été communiqué par leGouvernement grec.

Page 157: Annuaires de la Commission du droit international 1973 …...Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II Pages A. Fonds publics 36 1. Fonds publics d'Etat 36 2

Clause de la nation la plus favorisée 151

Royaume de Grèce, en vue d'éviter la double impositionet d'empêcher l'évasion fiscale en matière d'impôt sur lerevenu. La société suisse a demandé que cette conventionlui soit appliquée en vertu de la clause de la nation la plusfavorisée incluse dans l'accord entre la Grèce et la Suisserelatif à l'établissement et à la protection juridique ratifiépar la loi n° 3610/1928. Le Conseil d'Etat grec a déclaré:

Dès lors que, ainsi que l'a jugé cette juridiction [...],conformément aux dispositions des articles 9 et 11, par. 2, de cedernier traité, il devient évident que les privilèges fiscaux accordéspar l'une ou l'autre des parties contractantes aux ressortissants etaux sociétés du [...] pays tiers sont étendus aux ressortissants et auxsociétés de l'autre partie contractante, et ce de jure et sanscontrepartie de la part de l'Etat tiers [...]. Cette extension, conformeau droit, des privilèges fiscaux sans une contrepartie [...] [s'agissant]des ressortissants de Grèce et de Suisse, intervient en tout cas [...][sans qu'il importe de savoir] si ces privilèges sont accordés à l'Etattiers en application de la législation nationale de Grèce ou de Suisseou en application d'un traité international bilatéral ou multilatéralauquel l'Etat tiers est partie et [...] [sans tenir compte] du but en vueduquel ces privilèges ont été accordés. Il en est ainsi d'autant pluslorsqu'il y a un rapport avec la volonté d'éviter une doubleimposition, dès lors que les dispositions des clauses ci-dessusmentionnées du traité entre la Grèce et la Suisse ne font aucunedistinction à ce propos. En conséquence, il n'y avait pas lieud'écarter l'application des dispositions du traité susmentionné entrela Grèce et la Grande-Bretagne dans le cas des revenus obtenus enGrèce par la société suisse pour lesquels des privilèges fiscaux ont étéaccordés en raison de ce que ces privilèges étaient couverts par letraité de double imposition; et cela ne dépendait pas [...] de savoir[...] si des ressortissants ou des sociétés grecs bénéficient en Suisse deprivilèges fiscaux analogues à ceux qui ont cours en Grande-Bretagne. [...] En conséquence, les moyens avancés à l'appui de lathèse contraire dans la présente affaire doivent être rejetés commenon fondés.

Taillens c. GeinozFrance: Cour de cassation, 9 novembre 1970Bulletin des arrêts, 1970, III, n° 568, p. 413

88. Il résulte des clauses de la convention franco-suissedu 23 février 1882, que les lettres diplomatiques des 11 et26 juillet 1929 (approuvées par décret du 16 juin 1933)ont reconnu équivaloir à celles d'assimilation au nationalde la nation la plus favorisée, que les citoyens suissespeuvent invoquer en France le bénéfice des lois relativesaux baux à ferme. La Cour a dit:

Attendu que le pourvoi reproche à l'arrêt attaqué d'avoir accordéà Geinoz, de nationalité helvétique, le droit de préemption alorsqu'il est expressément réservé aux fermiers de nationalité françaiseet aux fermiers étrangers dont les enfants ont acquis ou réclamentcette nationalité, ce qui n'était pas le cas en l'espèce et alors que laconvention franco-suisse de 1882, fondée sur le principe de laréciprocité des droits, ne pourrait pas trouver son application enl'espèce, la législation helvétique n'ayant pas établi le droit depréemption ;

Mais attendu que l'article 869 du Code rural, refusant auxexploitants de biens ruraux de nationalité étrangère le bénéfice dustatut du fermage à moins qu'ils ne remplissent certaines conditions,réserve nécessairement le cas où ils peuvent invoquer les dispositionsde la loi du 28 mai 1943 relative à l'application aux étrangers deslois en matière de baux à loyer et de baux à ferme; que laConvention d'établissement franco-suisse du 23 février 1882 dispose,dans son article 1er, que les Français seront reçus et traitésrelativement à leurs propriétés sur le même pied et de la même

manière que le sont ou pourront l'être à l'avenir les ressortissantsdes cantons, dans son article 2 que les Suisses jouiront des mêmesdroits et avantages que l'article 1er offre aux Français en Suisse, etdans son article 6 que tout avantage que l'une des parties auraitconcédé ou pourrait encore concéder à l'avenir d'une manièrequelconque à une autre puissance en ce qui concerne l'établissementdes citoyens et l'exercice des professions industrielles sera applicablede la même manière et à la même époque à l'autre partie sans qu'ilsoit nécessaire de faire une convention spéciale à cet effet; que de cesdernières clauses, que les lettres diplomatiques des 11 et 26 juillet1929, approuvées par décret du 16 juin 1933, ont reconnu équivaloirà celles d'assimilation au national de la nation la plus favorisée, ilsuit que les citoyens suisses peuvent invoquer en France le bénéficedes lois relatives aux baux à ferme;

Que par ces motifs de droits, substitués, en tant que de besoin, àceux que le pourvoi critique, la décision se trouve justifiée; que lepremier moyen doit être rejeté;

Par ces motifs:Rejette le pourvoi formé contre l'arrêt rendu, le 4 décembre 1967,

par la Cour d'appel de Lyon.

III. — La clause de la nation la plus favoriséeen matière consulaire

Affaire de la succession de LogioratoEtats-Unis d'Amérique: Etat de New York, Surrogate^s

Court du comté de New York, février 1901New York Supplément, vol. 69, p. 507

89. Lors de son décès, le de cujus résidait dans l'Etat deNew York. Il est décédé intestat. 11 était ressortissant etsujet du Royaume d'Italie et tous ses parents résidaienten Italie. Il n'avait laissé aucun parent résidant dansl'Etat de New York et il a été affirmé, dans la demande,qu'il n'y avait pas de créanciers. Le demandeur était leConsul général du Royaume d'Italie. L'« administrateurpublic », bien qu'il ait été dûment assigné, a fait défaut.Le demandeur a prétendu se voir reconnaître le droitd'administrer la succession sans verser de caution, et cepar préférence à l'administrateur public; il a fondé saréclamation sur les dispositions du traité conclu enmatière consulaire entre les Etats-Unis et l'Italie en 1878.L'ordonnance d'administration a été accordée. La Cour adéclaré :

Tout en admettant que, en vertu de la clause de la nation la plusfavorisée contenue dans les dispositions du traité avec l'Italie enmatière de droits, prérogatives, immunités et privilèges des consulsgénéraux, la disposition contenue dans le traité conclu avec laRépublique Argentine le 27 juillet 1853 [47] devient partie intégrantedu traité avec l'Italie, je ne trouve rien dans cette disposition quijustifie la conclusion que l'on souhaite voir adopter. Un droitd'intervenir « conformément à la législation » de l'Etat de NewYork est quelque chose de très différent de celui qui permettrait

47 Article IX du Traité entre les Etats-Unis d'Amérique et l'Argen-tine:

« Dans l'hypothèse où tout ressortissant de l'une des deuxparties contractantes décédera intestat dans n'importe lequel desterritoires de l'autre Etat, le consul général ou le consul de l'Etatauquel le défunt appartenait, ou le représentant de ce consulgénéral ou de ce consul en son absence, auront le droit d'intervenirà propos de la possession, de l'administration et de la liquidationjudiciaire de la succession du défunt, conformément à la législationdu pays, à l'avantage des créanciers et des héritiers légaux. »

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152 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

d'écarter la législation de l'Etat et de priver le personnage auquel aété confiée l'administration des biens des personnes ici domiciliéesqui ne laissent aucun proche parent dans le territoire de l'Etat dudroit et du devoir d'administrer leurs avoirs. Et dès lors que, envertu des lois de l'Etat, un administrateur est tenu de fournir unecaution évaluée en fonction de la valeur de ces avoirs, aucunedisposition du traité ne confère au consul, à cet égard, d'immunitéqu'il pourrait obtenir en se contentant d'affirmer, en substance, qu'iln'a connaissance de l'existence d'aucune dette. [...] En conséquence,le demandeur pourra être nommé administrateur lorsqu'il aurafourni la garantie habituelle, et ce en application de notre droit localet parce que l'administrateur public a refusé d'agir.

Salvatore L. Rocca c. ThompsonEtats-Unis d'Amérique: Cour suprême, 19 février 1912U.S. Reports, vol. 223, p. 317

90. Giuseppe Ghio, sujet du Royaume d'Italie, estdécédé intestat le 27 avril 1908 en Californie, laissant unesuccession composée de biens mobiliers. Sa veuve et seshéritiers selon la loi, qui étaient des enfants mineurs,résidaient en Italie. L'appelant est Salvatore L. Rocca,consul général du Royaume d'Italie en Californie. Lorsdu décès de Ghio, M. Rocca a demandé au tribunalsupérieur de Californie de le nommer administrateur de lasuccession de Ghio. L'appelé, Thompson, en sa qualitéd'« administrateur public », a demandé que lui soitconfiée l'administration de la même succession, enapplication des lois de Californie. Le tribunal supérieur ajugé que l'« administrateur public » était qualifié pouradministrer la succession. La Cour suprême de Californiea adopté le même point de vue. Un « writ of error »(recours pour cause d'erreur) a été accordé contre cettedécision, ce qui a abouti à saisir la Cour suprême de cetteaffaire. Le consul général a fondé sa demande en vued'être chargé de l'administration de la succession surcertaines dispositions du traité du 8 mai 1878 entre l'Italieet les Etats-Unis48. Alors que l'article XVI exigeuniquement que le consul ou l'agent consulaire italiensoit averti du décès d'un ressortissant italien aux Etats-Unis, l'article XVII accorde aux consuls ou auxfonctionnaires assimilés de l'Etat italien les droits,prérogatives, immunités et privilèges qui sont ou quiauraient pu être par la suite accordés à un fonctionnairede même grade de la nation la plus favorisée. Ledemandeur dans la procédure d'erreur a soutenu quecette clause de la nation la plus favorisée du traité avecl'Italie lui donnait le droit d'administrer les successionsde ressortissants italiens décédés aux Etats-Unis, étantdonné le privilège accordé à cet égard aux consuls de laRépublique Argentine par le traité conclu entre ce pays et

48 Articles XVI et XVII, ainsi rédigés:« Art. XVI. — En cas de décès d'un ressortissant des Etats-Unis

en Italie ou d'un ressortissant italien aux Etats-Unis sans héritierconnu ou sans exécuteur testamentaire désigné par lui, les autoritéslocales compétentes avertiront de ce fait les consuls ou agentsconsulaires de l'Etat dont le défunt a la nationalité, afin queces informations puissent sans retard être transmises aux partiesintéressées.

« Art. XVII. — Les consuls généraux, consuls, vice-consuls etagents consulaires intéressés, de même que les chanceliers desconsulats, les secrétaires, employés ou attachés, jouiront dansl'un et l'autre Etat de tous les droits, prérogatives, immunités etprivilèges qui sont ou pourraient être accordés à l'avenir auxfonctionnaires du même grade de la nation la plus favorisée. »

les Etats-Unis le 27 juillet 1853 49. La Cour suprême, quia confirmé l'arrêt de la Cour suprême de Californie, adéclaré :

C'est surtout par le droit de chaque Etat qu'est régi, dans ce pays,le droit d'administrer les biens laissés par un étranger dans le ressortd'un Etat. Il semble qu'il en soit ainsi dans l'Etat de Californie,l'administration de tels biens y étant confiée à F« administrateurpublic ». Evidemment, il n'existe pas de loi fédérale en matièretestamentaire ou en matière d'administration des successions et, ensupposant à toutes fins utiles que le gouvernement national a lepouvoir de réglementer par traité l'administration des biens deressortissants étrangers décédés dans le ressort des Etats et de confiercette administration aux fonctionnaires consulaires des Etats dontdépendait le défunt, nous procéderons à l'examen des traités enquestion afin de déterminer si ce droit a été accordé dans la présenteespèce.

Cela dépend, en premier lieu, de l'interprétation qui est donnée àl'article 9 du traité conclu avec l'Argentine en 1853, qui donnait auxfonctionnaires consulaires des deux Etats le droit, en ce qui concerneleurs ressortissants décédés intestats, « d'intervenir à propos de lapossession, de l'administration et de la liquidation judiciaire de lasuccession du défunt, conformément à la législation du pays, àJ'avantage des créanciers et des héritiers légaux ». Il convient de faireobserver que, qu'il s'agisse de la possession, de l'administration oude la liquidation judiciaire de la succession, le seul droit qui estaccordé est celui d'intervenir, et cela en conformité avec lalégislation du pays. Cela comprend-il le droit d'administrer les biensde ce défunt et d'écarter l'application des dispositions du droit localrelatives à l'administration d'une telle succession? Le droitd'intervenir fait penser tout de suite à la possibilité de s'introduiredans une procédure qui a déjà commencé, plutôt que le droit derecevoir les biens et de les administrer.

L'accent a été mis sur le droit, accordé par le traité avecl'Argentine, d'intervenir dans la possession aussi bien que dansl'administration et la liquidation judiciaire; cependant, cetteexpression ne peut désigner que le droit, universellement reconnu àun consul, de prendre possession à titre temporaire de la successionde ses ressortissants afin de protéger et de préserver les droits desintéressés, jusqu'au moment où cette succession sera régie par ledroit du pays, aux fins de son administration. Le droit d'intervenirdans l'administration et la liquidation judiciaire a le même objectifgénéral, et présuppose qu'une administration ou une liquidationjudiciaire a été mise en œuvre indépendamment du consul, qui estautorisé à intervenir.

Ainsi, en examinant la lettre du traité, nous ne décelons aucuneintention de confier au consul général, au départ, l'administrationd'une succession, en écartant ainsi celui qui serait habilité par ledroit local à administrer cette succession.

Toutefois, il a été soutenu que les traités doivent être interprétésavec souplesse. Comme tous les contrats, ils doivent être envisagés àla lumière des circonstances existantes au moment où ils ont étéconclus, afin de permettre la réalisation des objectifs et des butspoursuivis par les Etats qui ont assumé ainsi des obligationscontractuelles.

Il convient, en outre, de faire observer que les traités font l'objetd'un examen très attentif avant d'être conclus et qu'ils sont élaboréspar des personnes capables d'exprimer avec compétence leur penséeet de choisir les mots les plus appropriés pour traduire les objectifsdes Hautes Parties contractantes. Si l'intention avait été de confierl'administration des successions de ressortissants de l'un des paysdécédés sur le territoire de l'autre exclusivement au consul de l'Etatétranger, il aurait été très facile de formuler cette intention en destermes dépourvus de toute équivoque. Par exemple, lorsque telle a

49 II s'agit de l'article IX du traité, dont le texte est reproduitci-dessus à la note 47.

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Clause de la nation la plus favorisée 153

été l'intention, comme c'est le cas dans le traité conclu avec le Pérouen 1887, elle a été expressément formulée dans l'article 33.

De même dans la convention conclue entre les Etats-Unis et laSuède le 20 mars 1911.

Le traité avec l'Argentine a été conclu en 1853, et le traité avecl'Italie en 1878. En 1894, il ressort d'une correspondance entre [...]l'Ambassadeur italien et [...] le Secrétaire d'Etat que l'Ambassadeuritalien proposait que les consuls d'Italie aux Etats-Unis soientautorisés, comme l'étaient les consuls américains en Italie, à régler lasuccession de leurs concitoyens défunts. L'opinion alors expriméepar le Département d'Etat des Etats-Unis était que l'administrationdes successions aux Etats-Unis dépendait des divers Etats et que, parconséquent, l'accord international qui était proposé ne devait pasêtre conclu. Le Secrétaire d'Etat par intérim a fait valoir lesdifficultés pratiques qu'il pourrait y avoir à confier cetteadministration à des fonctionnaires consulaires, qui se trouventsouvent très loin de l'endroit où est située la succession.

consuls d'un certain nombre d'Etats bénéficiaient enFrance d'immunités diplomatiques, sous réserve deréciprocité; il a cité à l'appui de son argumentation laclause de la nation la plus favorisée incluse dans le Traitéde Francfort. La Cour a jugé que l'appel devait être rejetéet a dit:

Qu'il est vrai qu'en vertu des conventions diplomatiques lesconsuls de diverses nations jouissent en France de certainesimmunités à charge de réciprocité; que Loewengard prétend que cesimmunités lui sont applicables, l'Empire d'Allemagne ayant obtenupar le Traité de Francfort, en 1871, le traitement de la nation la plusfavorisée pour ses nationaux; mais qu'il suffit de remarquer, sansentrer dans l'examen approfondi de cette question, que le Traité deFrancfort a disparu au jour de la déclaration de guerre; qu'il estactuellement remplacé par le Traité de Versailles, et qu'aucunedéclaration n'est intervenue de la part du Gouvernement françaispour régler les immunités à accorder aux consuls allemands enfaisant revivre le droit abrogé d'avant guerre.

Il a été soutenu que le droit accordé à un consul étranger denommer un exécuteur en application de cette loi de 1865 démontreque la République Argentine applique le traité dans le sens demandépar le demandeur dans la présente procédure d'erreur. Toutefois, ilest évident que cette loi ne confère en aucune manière au consuld'un Etat étranger un droit d'administration. Il est vrai qu'il peutnommer un exécuteur, nomination qui, d'après le texte, doit êtreimmédiatement communiquée au juge compétent en matière detestaments.

Nous concluons donc que, s'il fallait admettre aux fins de cetteespèce que la clause de la nation la plus favorisée du traité concluavec l'Italie entraîne l'application aux consuls du Gouvernementitalien des dispositions du traité avec l'Argentine pour ce qui est duproblème litigieux (question qui n'a pas à être tranchée dans laprésente espèce), il reste que le traité avec l'Argentine n'avaitnullement pour objet de priver les Etats du droit d'administrer, surle plan local et en application de leur droit, les successions deressortissants étrangers décédés et de confier l'administration de cessuccessions aux consuls de l'Etat étranger intéressé, à l'exclusion deceux qui y sont habilités en vertu du droit local de l'Etat oùl'étranger résidait au moment de son décès et où il a laissé des biens.

Loewengard c. Procureur de la République et Bouvier(séquestre)

France: Cour d'appel de Lyon (Première Chambre),13 octobre 1921

Clunet, vol. 49, 1922, p. 391Annual Digest, 1919-1922, affaire n° 273

91. Loewengard, ressortissant allemand, avait été consuld'Allemagne depuis 1907 à Lyon, où il exerçait une activitécommerciale et possédait des biens immobiliers d'unevaleur considérable. Il a quitté la France définitivement le2 août 1914. Ses biens ont alors été placés sous séquestre.En 1921, lorsque ses biens étaient sur le point d'êtrevendus, il a intenté une action contre le Procureur de laRépublique et le séquestre en demandant qu'il soit jugéque, compte tenu du fait qu'il était consul, ses bienspersonnels ne pouvaient être vendus et qu'en conséquenceil soit ordonné de mettre fin au séquestre. Le 8 juin 1921,le tribunal civil de Lyon s'est déclaré incompétent. Enappel, Loewengard a déclaré que, conformément auxdispositions de certains accords diplomatiques, les

Magno Santovicenzo c. James F. EganEtats-Unis d'Amérique: Cour suprême, 23 novembre 1931U.S. Reports, vol. 284, p. 30

92. Antonio Comincio, ressortissant italien, est décédé àNew York City, intestat, en 1925. L'administration de lasuccession a été confiée au défendeur en tant qu'« admi-nistrateur public » par le Surrogate's Court du comté deNew York. Lors de la liquidation judiciaire des comptesde l'administrateur, le demandeur, consul général d'Italieà New York, a fait valoir que le défunt était, au momentde son décès, sujet du Roi d'Italie et qu'il n'avait laisséaucun héritier ni proche parent et que, en vertu del'article XVII de la Convention consulaire du 8 mai 1878entre les Etats-Unis et l'Italie50, le demandeur avait ledroit de recevoir l'actif net de la succession en vue de sadévolution au Royaume d'Italie. Cette prétention a étécontestée par l'Attorney General de New York. Letribunal, constatant que le domicile du défunt était à NewYork City, a ordonné que le reliquat de sa succession (quise montait, après paiement des dettes et des montantsconstituant les commissions et dépenses d'administration,à 914,64 dollars) devait être versé au Trésor de la ville deNew York, au profit des parents inconnus du défunt. Ladécision a été confirmée par la Division d'appel de laCour suprême de l'Etat, et tant la Division d'appel que laCour d'appel de l'Etat ont refusé d'admettre un appeldevant cette juridiction. Le défunt n'a jamais été

50 L'article XVII est ainsi rédigé:« Les consuls généraux, consuls, vice-consuls et agents consu-

laires respectifs, de même que les chanceliers des consulats, lessecrétaires, les employés ou les attachés, jouiront, dans l'un etl'autre pays, de tous les droits, prérogatives, immunités et privi-lèges qui sont ou pourraient être ultérieurement accordés à desfonctionnaires de même grade de la nation la plus favorisée. »Sur la base de cet accord, le consul général d'Italie a tenté d'obte-

nir l'application de l'article VI du Traité de 1856 entre les Etats-uniset la Perse1 qui est ainsi rédigé:

« Au cas où un ressortissant ou sujet de l'une ou l'autre desparties contractantes décède sur le territoire de l'autre, ses biensseront remis intégralement à la famille ou aux associés du défunt;lorsqu'il n'aura ni famille ni associés, ses biens dans l'un oul'autre pays seront remis au consul ou à l'agent de l'Etat dont ledéfunt était sujet ou ressortissant, afin qu'il puisse en disposerconformément au droit de son pays. »

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154 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

naturalisé et, au moment de son décès, il étaitressortissant italien. La Cour suprême a déclaré:

Les dispositions de l'article VI du Traité avec la Perse necontiennent pas la formule restrictive « conformément à lalégislation du pays » (où le décès s'est produit), comme c'est le caspour le traité entre les Etats-Unis et la Confédération argentine [du27 juillet] 1853 (art. IX), ni la formule « dans la mesure où le droitde chacun des deux pays le permet », comme c'est le cas dans laConvention consulaire entre les Etats-Unis et la Suède du [1er juin]1910 (art. XIV). L'omission dans l'article VI du traité avec la Persed'une clause de ce genre, qui figure si souvent dans les traités decette catégorie, doit être considérée comme intentionnelle. Dans lescirconstances de l'espèce, il est évident que doit être satisfaitel'exigence que les biens du défunt soient « remis au consul ou àl'agent de l'Etat dont le défunt était sujet ou ressortissant, afin qu'ilpuisse en disposer conformément au droit de son pays », à moinsqu'une règle différente ne s'applique du seul fait que le défunt étaitdomicilié aux Etats-Unis.

Les termes de cette disposition ne suggèrent aucune distinction dece genre et, pour que l'on puisse la faire valoir, il faut qu'elle résulted'une interprétation fondée sur l'intention présumée des partiesd'établir une exception, qui n'est pas suggérée par les termes utilisés.Afin de déterminer si une telle interprétation peut être admise, il fauttenir compte de l'objectif poursuivi par le traité et du contexte de ladisposition en question. Le traité appartient à une catégorie detraités de commerce dont le principal objectif est de favoriser lesrelations commerciales, ce qui est facilité par la résidence. Lesressortissants ou sujets de l'une des parties qui, en vertu du traité,sont autorisés à résider sur le territoire de l'autre partie devrontbénéficier, tant qu'ils en seront résidents, de certains droits etprivilèges bien définis. Le critère de la jouissance de ces droits etprivilèges n'est pas l'intention d'être domicilié ni le domicileeffectivement acquis. Les mots « ressortissants » et « sujets » sontutilisés dans divers articles du traité avec la Perse, et en aucun casils ne sont assortis d'une distinction qui serait faite entre la résidenceet le domicile. [...]

Il serait tout à fait inadmissible de conclure que l'intention étaitde refuser aux ressortissants des Etats-Unis qui établiraient leurrésidence en Perse en application de ce traité le bénéfice de l'ar-ticle III au cas où ils acquerraient un domicile en Perse. Le texte tientcompte de la résidence; rien n'indique que le domicile ait été exclu,et il est clair que la conséquence de cette disposition est que, aussilongtemps qu'ils conservent leur qualité de ressortissants des Etats-Unis, ils ont droit aux garanties accordées par l'article III. Il enserait de même des Persans autorisés à résider ici en application dutraité.

De même, les dispositions de l'article V du traité avaient uneimportance toute particulière dès lors qu'elles établissaient unecompétence extra-territoriale des Etats-Unis en matière de règlementdes litiges. Ce serait aller à rencontre du principal objectif de cetraité que d'exclure de l'importante protection conférée par cesdispositions les ressortissants des Etats-Unis qui pourraient êtredomiciliés en Perse. Il apparaît clairement que le critère del'application de chacun des paragraphes de l'article V à la fois auxressortissants des Etats-Unis et aux sujets persans est celui de lanationalité, sans tenir compte de l'acquisition d'un domicile, paropposition à la résidence.

Rien ne nous semble justifier, à propos des termes « unressortissant ou sujet de l'une ou l'autre des parties contractantes »,contenus dans l'article VI, une interprétation plus restrictive quecelle qu'il convient de donner à la description analogue despersonnes visées par les autres articles du traité. Toute cettedisposition est inspirée de la même intention que celle qui a fait de lanationalité, sans aucune restriction concernant le domicile, le critèreapplicable aux autres dispositions. L'article VI a une portéeréciproque. Les biens d'un sujet persan décédé aux Etats-Unis sans

laisser de parents doivent être traités de la même manière que lesbiens d'un ressortissant des Etats-Unis décédé en Perse dans descirconstances analogues.

Notre conclusion est que, en raison de la clause de la nation laplus favorisée contenue dans l'article XVII de la Conventionconsulaire de 1878 entre les Etats-Unis et l'Italie, le Consul générald'Italie avait le droit, dans la présente espèce, dans laquelle unressortissant italien était décédé dans ce pays avant que prenne fin leTraité de 1856 entre les Etats-Unis et la Perse, au bénéfice del'article VI de ce traité et que, en conséquence, l'actif net du défuntdoit lui être délivré.

Par conséquent, la décision a été infirmée et l'affaire aété renvoyée.

Racca c. BourjacFrance: Cour de cassation (Chambre civile, Section

sociale), 12 octobre 1960Revue critique, vol. 47, 1961, p. 532International Law Reports, vol. 39, p. 467

93. Le 7 mars 1957, le sieur Bourjac a notifié au sieurRacca, son fermier, de nationalité italienne, son congépour le 8 septembre 1957. La validité de ce congé a étéconfirmée par le Tribunal paritaire des baux ruraux, etensuite en appel, au motif que Racca n'avait pas droit aubénéfice de la Convention d'établissement franco-italienne du 23 août 1951 du fait que, lorsque le tribunalde première instance a rendu son jugement, le décretn'avait pas encore été publié au Journal officiel. Raccas'est pourvu en cassation, soutenant que l'accord avaitune portée rétroactive, de sorte que la clause de la nationla plus favorisée jouait au bénéfice des Italiens dans lamesure où les ressortissants d'autres pays bénéficiaientdéjà du statut du fermage en application d'autresconventions diplomatiques.

94. La Cour a jugé que la convention franco-italiennene conférait aux Italiens le bénéfice de la clause de lanation la plus favorisée que pour l'avenir. En outre, cetteconvention ne devenait applicable en France qu'après sapublication au Journal officiel, le 18 décembre 1957, c'est-à-dire postérieurement au 8 septembre, date du congédonné à Racca. La Cour a déclaré:

Attendu que le jugement confirmatif attaqué valide le congédonné par Bourjac le 7 mars 1957 pour le 8 septembre 1957 à sonfermier Racca, de nationalité italienne; que le pourvoi reproche autribunal paritaire d'avoir refusé à Racca le bénéfice de l'accordfranco-italien promulgué par décret du 9 décembre 1957 au motifque ce décret n'avait pas encore été publié au Journal officiel lorsquele jugement de première instance avait été prononcé alors que,l'accord franco-italien accordant aux nationaux des deux partiescontractantes le bénéfice de la clause de la nation la plus favorisée,cet accord avait nécessairement une portée rétroactive dans lamesure même où, à la date de la promulgation du décret, lesnationaux d'autres pays bénéficiaient déjà, en vertu de conventionsdiplomatiques, du statut du fermage, les Italiens étant assimilés deplein droit aux nationaux des autres pays, et le décret du 18 dé-cembre 1957 s'appliquant dès lors à toutes les instances en cours;— Mais attendu que l'accord franco-italien n'accordait aux Italiensla clause de la nation la plus favorisée que pour l'avenir et qu'il n'estdevenu exécutoire en France que par la publication au Journalofficiel du 18 décembre 1957 du décret du 9 décembre 1957, c'est-à-dire postérieurement au 8 septembre 1957, date pour laquelle le

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Clause de la nation la plus favorisée 155

congé litigieux a été donné; qu'accordant aux preneurs italiens ledroit de se prévaloir du statut du fermage, il n'avait point d'effetrétroactif; qu'ainsi le jugement attaqué n'avait pas à en faireapplication.

Affaire de la succession CarizzoEtats-Unis d'Amérique: Surrogate's Court de New York,

23 janvier 1961New York Supplément, Second Séries, vol. 211, p. 475International Law Reports, vol. 32, p. 335

95. Le Consul général de la République italienne à NewYork a demandé que soit ordonné le versement direct àlui-même, en sa qualité de représentant, d'un fondsdéposé au profit de Carminé Castellano, un ressortissantitalien incapable résidant en Italie. Le fonds constituait lapart qui revenait à Castellano lors de la dévolution d'unesuccession. Le Consul a soutenu que la Conventionconsulaire du 28 mai 1878 entre les Etats-Unisd'Amérique et le Royaume d'Italie avait repris effet à lasuite d'une notification, en date du 6 février 1948, faitepar le Gouvernement des Etats-Unis à la suite du Traitéde paix conclu avec l'Italie le 10 février 1947, ce qui, selonlui, conférait au consul la qualité de mandataire de sonressortissant absent. L'article IX de la conventionconsulaire dispose, dans la partie qui est ici pertinente:

Les consuls généraux, consuls, vice-consuls et agents consulairespeuvent s'adresser aux autorités des Etats intéressés dans leurdistrict, qu'elles soient fédérales ou locales, judiciaires ou executives[...] afin de défendre les droits et intérêts de leurs concitoyens [...].

96. Le Consul a également soutenu que la clause « de lanation la plus favorisée » contenue dans l'article VII duTraité d'amitié, de commerce et de navigation concluavec l'Italie le 2 février 1948 et dans l'article XVII de laconvention consulaire lui ont conféré ces pouvoirs, étantdonné que les consuls des autres Etats ont le mêmepouvoir.

97. La Cour a jugé que la demande devait êtreaccueillie. Le Consul général est habilité à recevoir lesfonds provenant de la succession d'un défunt déposéssans aucun mandat particulier au nom d'un ressortissantitalien incapable. La Cour a déclaré:

Avant la seconde guerre mondiale, les tribunaux de ce pays onttoujours estimé que, en application du droit international ainsi quede la Convention consulaire du 28 mai 1878 conclue entre les Etats-Unis d'Amérique et ce qui était alors le Royaume d'Italie, un consulitalien était autorisé à introduire une procédure devant toutejuridiction compétente et de réclamer le paiement de la part revenantà un ressortissant non résident dans la dévolution d'une successionqui a été administrée par nos juridictions [...]

Après la fin de la seconde guerre mondiale, les Etats-Unisd'Amérique et d'autres Puissances alliées ont conclu avec l'Italie unTraité de paix qui a été signé le 10 février 1947 et est entré en vigueurle 15 septembre 1947. Ce traité prévoit que chacune des Puissancesdonnera notification à l'Italie, dans un délai de six mois à dater deson entrée en vigueur, de ceux des traités bilatéraux antérieurementconclus avec l'Italie que cette puissance souhaite remettre envigueur, qu'ils seront énumérés et enregistrés auprès du Secrétariatdes Nations Unies, et que tous les traités qui ne figureraient pas surcette liste seront considérés comme ayant été abrogés. Le 6 février1948, le Département d'Etat, conformément aux dispositions ci-dessus, a fait connaître au Gouvernement italien que les Etats-Unisdésiraient maintenir en vigueur certains traités bilatéraux et autresaccords internationaux conclus avec l'Italie, et parmi eux laconvention consulaire du 28 mai 1878. De ce fait, cette convention aété remise en vigueur et a continué à s'appliquer (voir aussi le Traitéd'amitié, de commerce et de navigation signé le 2 février 1948, envigueur à dater du 26 juillet 1949).

Les traités et conventions consulaires conclus entre les Etats-Uniset l'Italie contiennent une clause « de la nation la plus favorisée » envertu de laquelle le consul général italien a le droit d'exercer lesdroits et privilèges qui sont accordés aux autres Etats étrangers lesplus favorisés.

De l'examen des précédents applicables en la matière, il résulteque les droits reconnus au demandeur s'appliquent à la présenteprocédure concernant un ressortissant non résident et incapable, etqu'il en serait de même pour un ressortissant non résident capableou mineur, sans aucun mandat spécial de leur part [...].

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COOPÉRATION AVEC D'AUTRES ORGANISMES

[Point 8 de l'ordre du jour]

DOCUMENT A/CN.4/272

Rapport sur les travaux de la quatorzième session du Comité juridique consultatif africano-asiatique,par M. Abdul Hakim Tabibi, observateur de la Commission

[Texte original en anglais][29 juin 1973]

LISTE DES ABRÉVIATIONS

CDI Commission du droit international

CIJ Cour internationale de Justice

CNUDCI Commission des Nations Unies pour le droit commercial international

ONU Organisation des Nations Unies

UNIDROIT Institut international pour l'unification du droit privé

1. Conformément à la décision prise par la CDI à savingt-quatrième session 1, le Président de la Commission,M. Richard D. Kearney, m'a demandé d'assister, enqualité d'observateur, à la quatorzième session du Comitéjuridique consultatif africano-asiatique.

2. Le Comité a tenu sa quatorzième session ordinaire àNew Delhi (Inde), du 10 au 18 janvier 1973. Le droit de lamer a été la principale question dont les membres duComité et les observateurs aient débattu, en vue d'ailleursde la prochaine conférence des Nations Unies sur cethème. Les autres sujets examinés à la session ont été lessuivants: protection et inviolabilité des agents diploma-tiques et autres personnes ayant droit à une protectionspéciale en vertu du droit international, organisation deservices consultatifs dans les ministères des affairesétrangères, droit des fleuves internationaux, et venteinternationale des objets mobiliers corporels.

3. Ont participé à la session les Etats membres ci-après:Egypte, Ghana, Inde, Indonésie, Iran, Irak, Japon,Jordanie, Kenya, Koweït, Malaisie, Nigeria, Népal,Philippines, Sierra Leone, Sri Lanka et Thaïlande. Troispays n'étaient pas représentés: la Birmanie, le Pakistan etla Syrie. Deux Etats membres associés, Maurice et laRépublique de Corée, étaient représentés. Douze Etatsd'Afrique et d'Asie avaient envoyé des observateurs, etdix-neuf observateurs avaient été envoyés par des payssitués hors d'Asie et d'Afrique. Ont participé aussi à la

par. 88.Annuaire... 1972, vol. II, p. 354, doc. A/8710/Rev.l,

session, en tant qu'observateurs, les représentants desorganisations ci-après: CDI, Ligue des Etats arabes,CNUDCI et UNIDROIT.

4. Les débats se sont déroulés en anglais, qui est lalangue de travail du Comité, et une interprétationsimultanée a été assurée pour les représentants etobservateurs de langue française.

5. S. E. M. Nagendra Singh (Inde) et S. E. M. L.A.M.Brewah, attorney général et ministre de la justice de laSierra Leone, ont été élus respectivement président etvice-président du Comité pour la session. La session a étéouverte par S. E. Sardar Swaran Singh, ministre desaffaires étrangères de l'Inde.

6. La déclaration que j'ai faite au nom de la CDI, enaccord avec les vues de M. Kearney, est annexée auprésent rapport.

7. Le Comité a décidé de tenir sa quinzième session àTokyo (Japon) au mois de janvier 1974, et a prié la CDId'envoyer un observateur à cette session, comme elle estd'ailleurs invitée à le faire à titre permanent.

8. Pour conclure, je voudrais adresser mes plus vifsremerciements au secrétariat du Comité juridique consul-tatif africano-asiatique, et en particulier à M. B. Sen, sontrès compétent secrétaire général, pour l'accueil chaleu-reux qui m'a été réservé personnellement et exprimertoute ma gratitude pour les termes enthousiastes danslesquels les réalisations de la CDI ont été évoquées par lesmembres du Comité au cours de la session.

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158 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

ANNEXE

Déclaration faite par S.E. Abdul Hakim Tabibi, observateur de laCommission du droit international, à la quatorzième session duComité juridique consultatif africano-asiatique

1. C'est pour moi un très vif plaisir de représenter laCommission du droit international devant votre honorable comité,dans un grand pays auprès duquel j 'ai la fierté d'être ambassadeur etdans une ville à laquelle nous sommes liés par un profondattachement historique, sous la présidence d'un homme qui, il y aquelques semaines encore, était mon collègue à la CDI et qui estmaintenant juge élu à la Cour internationale de Justice.

2. Je suis heureux en outre de représenter la CDI au moment oùl'Inde célèbre le vingt-cinquième anniversaire de son indépendance— coïncidence remarquable, cette même année l'Assemblée généralecélébrera le vingt-cinquième anniversaire de la Commission.

3. Je crois de bonne tradition que la CDI et le Comité juridiqueconsultatif africano-asiatique, qui poursuivent la même noble tâchede développement du droit international en vue d'améliorer le sortde l'humanité, demeurent en contact étroit par cet échanged'observateurs à leurs sessions annuelles respectives.

4. Chaque année, le Président ou un membre de la CDI vientvous rendre compte de l'état d'avancement des travaux de celle-ci, etchaque année la CDI reçoit de même à Genève votre Président ouvotre Secrétaire général, qui lui expose les réalisations de ce comitési actif dont les membres viennent de deux grands continents et dontl'influence sur la codification et le développement du droitinternational est considérable dans toutes les conférencesinternationales.

5. Le nouvel aspect que le Comité a donné au développement dudroit international est reconnu par tous, et notamment par la CDI.L'étude des travaux du Comité dans le domaine du droit des traitésa contribué au succès de la Conférence des Nations Unies sur ledroit des traités, qui s'est tenue à Vienne, et je suis persuadé que lesdébats de la présente session et les travaux préparatoires accomplisjusqu'ici par le Comité dans les domaines du droit de la mer et de laprotection diplomatique permettront de faire un pas de plus vers lesuccès de la prochaine conférence sur le droit de la mer et de laprochaine session de l'Assemblée générale, qui doit conclure unaccord international concernant la protection diplomatique.

6. En ma qualité de juriste d'Asie préoccupé du progrès du droitinternational, j 'ai suivi de près les travaux de votre comité et leureffet sur le développement progressif du droit international et sacodification dans divers organes juridiques des Nations Unies. J'aitoutes raisons d'espérer que les contacts et la coopération si étroitsqui jouent harmonieusement entre le Comité et la CDI permettrontde faire progresser davantage le droit international, de manière àrégir de façon plus positive le comportement des nations et àinstaurer la paix et la fraternité entre elles.

7. Avant de présenter le rapport de la CDI sur les travaux de savingt-quatrième session, je voudrais, en cette année de vingt-cinquième anniversaire, dire quelques mots des réalisations de laCommission, comme je l'ai déjà fait en tant que représentant decelle-ci à la dixième session du Comité, à Karachi. Des diversestâches accomplies par la Commission, je ne citerai que celles qui ontrecueilli ou sont sur le point de recueillir l'approbation universelle,telles que les quatre conventions sur le droit de la mer, que vousévoquiez ces jours derniers en examinant le point de l'ordre du jourrelatif au droit de la mer, la Convention sur la réduction des casd'apatridie, le Modèle de règles sur la procédure arbitrale, lesconventions sur les relations diplomatiques et consulaires, laConvention sur le droit des traités, la Convention sur les missionsspéciales et le projet d'articles sur la représentation des Etats dansleurs relations avec les organisations internationales. Indépendam-ment de ces travaux et conformément aux décisions de l'Assembléegénérale, la Commission a étudié d'autres sujets importants: projetde déclaration des droits et des devoirs des Etats, moyens de rendreplus accessible la documentation relative au droit international

coutumier, principes de droit international reconnus par le Statut duTribunal de Nuremberg et par le jugement de ce tribunal, questiond'une juridiction criminelle internationale, réserves à la Conventionpour la prévention et la répression du crime de génocide, question dela définition de l'agression, enfin, projet de code des crimes contre lapaix et la sécurité de l'humanité. C'est là un bilan nettement positifpour la Commission, aux travaux de laquelle ont participé, durantces vingt-cinq dernières années, plus de soixante juristes élus venantde quarante-trois pays différents, et dont de nombreux membres, ycompris trois membres de la présente Commission (dont l'un estnotre président), ont été élus juges à la CIJ (actuellement, la moitiépeut-être des juges de la Cour sont d'anciens membres de laCommission).

8. Tel est le contexte dans lequel la CDI s'est réunie à Genève du2 mai au 7 juillet 1972 pour examiner diverses questions.

9. L'ordre du jour qui attendait la Commission à la premièreséance de sa vingt-quatrième session, le 2 mai 1972, était très chargé.A sa vingt-troisième session, en 1971, bien que la durée de la session,qui était de dix semaines habituellement, eût été portée à quatorzesemaines, la Commission n'avait pu mener à bien les travaux sur leprojet d'articles relatifs aux « Relations entre les Etats et lesorganisations internationales » qu'en se concentrant sur ce sujet etsans aborder le fond des autres questions.

10. En conséquence, la Commission n'a pas accompli de progrèsréel dans l'étude des autres questions dont elle était saisie, quicomprenaient la succession d'Etats en matière de traités et lasuccession d'Etats dans les matières autres que les traités, tellesqu'elles avaient été réparties entre deux rapporteurs spéciaux, laresponsabilité des Etats, la clause de la nation la plus favorisée et ledroit des traités et les organisations internationales. Une autrequestion restait en suspens: l'examen du programme de travail àlong terme de la Commission, à la lumière de l'« Examend'ensemble du droit international », document rédigé en 1971, à sademande, par le Secrétariat de l'ONU et qui donne une vuecomplète et pénétrante de la question.

11. Malgré cette masse considérable de travaux inachevés, laCommission avait informé l'Assemblée générale dans son rapport de1971 que, si elle le lui demandait, elle préparerait à sa session de1972 une série d'articles visant à mieux protéger les agentsdiplomatiques et autres personnes ayant droit à une protectionspéciale en vertu du droit international contre des crimes tels que lemeurtre, l'enlèvement et les voies de fait.

12. La question de la protection et de l'inviolabilité des agentsdiplomatiques et autres personnes ayant droit à une protectionspéciale en vertu du droit international a été ajoutée à la liste dessujets à l'examen en suspens. On y a également inscrit la priorité àdonner à la question du droit relatif aux utilisations des voies d'eauinternationales à des fins autres que la navigation, sujet renvoyé à laCDI par l'Assemblée générale en 1971 par sa résolution 2780(XXVI) et qui intéresse le Comité.

13. Les rapporteurs spéciaux sur les deux aspects de lasuccession d'Etats, sur la responsabilité des Etats et sur la clause dela nation la plus favorisée avaient rédigé des projets d'articles quiattendaient tous d'être examinés par la Commission; il en était demême d'un document préliminaire sur les traités et les organisationsinternationales. De plus, M. Kearney, président de la Commissioncette année-là, avait élaboré un projet d'articles sur la protection desagents diplomatiques et autres personnes spécialement protégées,dont il avait distribué le texte aux membres avant la session.

14. Deux circonstances particulières ont permis un accordpresque immédiat sur le programme de travail. Il est apparu toutd'abord que le Rapporteur spécial sur la succession d'Etats enmatière de traités ne ferait peut-être plus partie de la Commissionaux sessions suivantes. En d'autres termes, il fallait tout mettre enœuvre pour terminer la première lecture du projet d'articles sur cettequestion. Sinon, les longs travaux préparatoires et les discussionsapprofondies qui duraient depuis cinq ans risquaient fort d'êtrepeine perdue.

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Coopération avec d'autres organismes 159

15. En second lieu, quelques membres de la Commission avaientproposé de traiter de la protection des diplomates au cours de lasession de 1972. Il est vrai qu'en formulant cette proposition dansson rapport de 1971 la Commission avait anticipé sur la solution duproblème, et la création d'un groupe de travail restreint chargé derédiger la série d'articles a donné lieu à discussion.

16. Le débat général sur la protection des diplomates a révéléune divergence de vues plus profonde. On s'est d'abord élevé contrel'étroitesse du sujet, en proposant d'étudier les activités terroristesd'une façon générale. D'autres objections ont visé la méthode detravail proposée: la nécessité d'agir d'urgence ne suffisait pas àjustifier l'abandon par la Commission d'une pratique qui avait faitses preuves, à savoir la désignation d'un rapporteur spécial qui pûtprocéder à une étude approfondie du sujet. Ces objectionsémanaient principalement de membres préoccupés de maintenir lathéorie des « infractions politiques » et le principe de l'asileterritorial.

17. Quelques membres de la Commission ont émis des doutesquant à l'intérêt de rédiger un projet d'articles. Vu les multiplesobstacles auxquels se heurtait la répression des activités terroristes,ils estimaient improbable qu'un accord international pût réduiresensiblement le nombre des infractions commises en recourant à laviolence contre des agents diplomatiques en tant que tels.

18. La majorité des membres de la Commission ont estimé quela Commission devrait s'efforcer d'élaborer, au cours de sa vingt-quatrième session, un projet d'articles limité aux personnes pouvantprétendre à une protection spéciale en vertu du droit international etont admis que la création d'un groupe de travail était le seul moyend'y parvenir.

19. En conséquence, le Groupe de travail a rédigé une série dedouze articles sur la prévention et la répression des infractionscommises contre des agents diplomatiques et d'autres personnesayant droit à une protection internationale. Ces articles ont étéexaminés aux séances de la Commission tenues entre le 20 et le 27juin 1972. La discussion a porté essentiellement sur le fait qu'ils nerespectaient pas le principe de l'asile territorial pour les infractionsprévues dans le projet.

20. Un certain nombre de membres de la Commission ontexprimé leur ferme conviction qu'il convenait de maintenir le droitd'asile quand ces infractions constituaient des « infractionspolitiques ». La plupart des membres de la Commission onttoutefois été d'avis que la nature de ces infractions était telle qu'ellesne pouvaient et ne devaient pas être considérées comme des« infractions politiques ».

21. A la lumière de cette discussion, le Groupe de travail aapporté un certain nombre de corrections au projet d'articles. Aprèsune nouvelle discussion, les articles révisés ont été adoptés pour êtresoumis aux fins d'observations à l'Assemblée générale et auxgouvernementsa. En exposant les considérations qui ont abouti àl'adoption des articles, la Commission a souligné que:

« Les attaques violentes contre des agents diplomatiques etd'autres personnes jouissant d'une protection spéciale conformé-ment au droit international ont pour effet non seulement dedétériorer gravement le mécanisme même dont l'objet estd'assurer la coopération internationale pour la sauvegarde de lapaix, la consolidation de la sécurité internationale et la promotiondu bien-être général des nations, mais encore d'empêcherl'accomplissement et la réalisation des buts et principes de laCharte des Nations Unies. »

La Commission a poursuivi en ces termes :

« Le projet vise en particulier à obtenir qu'il ne soit plus offertd'asile à une personne à l'égard de laquelle il y a des raisons de

croire qu'elle a commis des infractions graves contre despersonnes jouissant d'une protection internationale15. »

L'article 1er du projet donne une définition large des personnesjouissant d'une protection internationale. En font partie tout chefd'Etat ou tout chef de gouvernement se trouvant dans un paysétranger, ainsi que les membres de sa famille qui l'accompagnent. LaCommission précise dans son commentaire qu'un chef d'Etat ou unchef de gouvernement a droit à une protection spéciale lorsqu'il setrouve dans un Etat étranger quelle que soit la nature de sa visite —« officielle, non officielle ou privée ». La Commission a estimé que ledroit coutumier international exigeait une protection de cetteampleur, mais que le droit n'exigeait pas encore, dans son étatactuel, une protection semblable pour toutes les personnalités ayantrang de ministre membre du cabinet, bien qu'il évolue dans cettedirection.

22. En définissant les « autres personnes ayant droit à uneprotection internationale », la Commission s'est demandé s'il fallaitmentionner expressément les catégories de personnes qui bénéficientde l'inviolabilité ou de la protection en vertu de divers instrumentsinternationaux, tels que l'article 29 ou l'article 37 de la Conventionde Vienne sur les relations diplomatiques et l'article 40 de laConvention de Vienne sur les relations consulaires, ou s'il fallaitadopter une formule générale. Elle s'est prononcée pour uneformule générale qui couvrirait le plus grand nombre de caspossible.

23. Les principaux actes mentionnés à l'article 2 sont aussidéfinis dans des termes larges et classés en deux grandes catégories:a) fait de commettre, en recourant à la violence, une attaque contrel'intégrité physique ou la liberté d'une personne jouissant d'uneprotection internationale et b) fait de commettre, en recourant à laviolence, contre les locaux officiels ou le domicile privé d'unepersonne jouissant d'une protection internationale une attaquesusceptible de porter atteinte à son intégrité physique ou à sa liberté.L'article 2 exige que tout Etat partie considère « le fait intentionnel,quel que soit le mobile, » de commettre ces attaques « commeconstituant une infraction au regard de sa législation interne, quel'infraction ait été commise à l'intérieur ou en dehors de sonterritoire ».

24. L'élément le plus important de l'article 2 pourrait bien êtrel'obligation de considérer les infractions en question comme desinfractions punissables au regard de la législation des Etats parties,quel que soit le lieu où elles ont été commises.

25. L'article 6 exige que l'Etat partie sur le territoire duquel setrouve l'auteur présumé de l'infraction, s'il décide de ne pas extraderce dernier, soumette l'affaire, sans aucune exception et sans retardinjustifié, à ses autorités compétentes aux fins de la poursuite, selonune procédure conforme à la législation de cet Etat.

26. L'article 7 renferme une série de dispositions visant àsimplifier les formalités d'extradition entre les Etats parties pour lesinfractions visées par le projet.

27. Les articles 6 et 7 sont assez semblables aux dispositionsadoptées dans les Conventions de La Haye et de Montréal en vue delutter contre la piraterie aérienne et d'autres atteintes à la sécurité del'aviation civile.

28. Le projet d'articles exige une série de notifications: d'abord,l'article 4 prévoit la notification de recherche d'un fugitif, qui doitêtre adressée à tous les autres Etats parties, par l'Etat sur leterritoire duquel a été commise l'une des infractions prévues àl'article 2, s'il pense que l'auteur présumé s'est enfui de sonterritoire; l'article 5 prévoit ensuite la notification de la découvertedu fugitif; enfin, l'article 11 prévoit que l'Etat partie sur le territoireduquel les poursuites judiciaires ont été exercées communiquera lesrésultats de ces procédures au Secrétaire général de l'ONU, qui doiten informer les autres Etats parties.

a Voir Annuaire... 1972, vol. II, p. 339 et suiv., doc. A/8710/Rev.l,chap. III, sect. B. b Ibid., p. 339, doc. A/8710/Rev.l, par. 67 et 68.

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160 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

29. Il existe aussi, çà et là dans les articles, une série dedispositions destinées à sauvegarder les droits de l'« auteur présuméde l'infraction ». La première de ces dispositions (art. 1er) définitl'expression, qui s'entend « de toute personne dont on a des raisonsde croire qu'elle a commis une ou plusieurs des infractions définies àl'article 2 ». En vertu de l'article 5, l'auteur présumé est en droit decommuniquer sans délai avec le représentant compétent le plusproche de l'Etat dont il a la nationalité et de recevoir la visite d'unreprésentant de cet Etat. L'article 8 concerne uniquement laquestion des droits de l'auteur présumé, et dispose que celui-ci«jouit de la garantie d'un traitement équitable à tous les stades de laprocédure ».

30. Le projet se termine par un article offrant le choix entre deuxmodes de règlement des différends nés de l'application ou del'interprétation des articles. Le projet d'articles a été examiné parl'Assemblée générale à sa vingt-septième session, et il a été décidéqu'une convention s'inspirant du projet de la CDI serait conclue aucours de la vingt-huitième session.

31. La vingt-quatrième session de la CDI a été consacrée enmajeure partie à l'étude des trente et un articles relatifs à lasuccession d'Etats en matière de traités0. Ainsi, la Commission a puexaminer et mettre au point au cours de cette session le texte final desir Humphrey Waldock, qui avait posé sa candidature à la CIJ.Nous pouvons dire qu'en présentant, après ses travaux sur le droitdes traités, sa dernière œuvre érudite de rapporteur, sir Humphrey abien servi la communauté des nations, en savant véritable et engrand juriste. Je puis l'affirmer et je lui rends hommage, bien quemon avis personnel de juriste d'Asie ne coïncide pas avec le sien surcertains articles du projet — mes vues sont consignées dans lescomptes rendus de la Commission comme dans ceux de l'Assembléegénérale.

32. L'article 1er, relatif à la portée des articles, dispose que ceux-ci « s'appliquent aux effets de la succession d'Etats en matière detraités entre Etats ». Ce libellé comporte une restriction qui s'ajouteà la clause de la Convention de Vienne sur le droit des traitésd selonlaquelle cette dernière « s'applique aux traités entre Etats », excluantainsi les sujets de droit international autres que les Etats. L'article1er du projet sur la succession d'Etats écarte non seulement lasuccession de sujets de droit international autres que les Etats, maisaussi la succession de gouvernements.

33. L'article 2 définit les expressions employées, dont certaines(comme « ratification », « acceptation » et « approbation », « ré-serve », « Etat contractant » et « partie ») ont reçu des définitionsidentiques dans la Convention de Vienne.

34. Selon l'article 7 — la première règle à traiter des problèmesqui se posent spécialement en matière de succession —, un accord dedévolution ne peut par lui-même transférer à l'Etat successeur lesdroits et obligations découlant d'un traité, et le projet d'articles régitles effets d'une succession d'Etats sur les droits et obligationsdécoulant d'un traité. On pourrait considérer cet article comme uneapplication particulière de l'article 34 de la Convention de Vienne.

35. L'article 8 concerne une situation similaire à celle de l'article7, c'est-à-dire le cas d'un Etat successeur qui fait une déclarationunilatérale prévoyant le maintien en vigueur des traités de l'Etatprédécesseur. Il énonce pour cette situation la même règle que cellede l'article 7.

36. L'article 10 (Transfert de territoire), qui constitue à lui seulla deuxième partie du projet, formule l'un des principesuniversellement acceptés en matière de succession. Quand unterritoire est transféré d'un Etat à un autre, les traités de l'Etatprédécesseur cessent d'être en vigueur et les traités de l'Etatsuccesseur entrent en vigueur à compter de la date de la succession,

cIbid., p. 248 et suiv., doc. A/8710/Rev.l, chap. II, sect. C.d Article 1er. Pour toutes les références à la Convention de Vienne

sur le droit des traités, voir Documents officiels de la Conférence desNations Unies sur le droit des traités, Documents de la Conférence(publication des Nations Unies, numéro de vente: F.70.V.5), p. 309.

principe généralement connu sous le nom de principe de la« variabilité des limites territoriales des traités ».

37. La série d'articles consacrée aux Etats nouvellementindépendants énonce tout d'abord à l'article 11 une règle qui, àpremière vue, paraît exprimer d'une façon générale la règle dite de la« table rase » : « Sous réserve des dispositions des présents articles,un Etat nouvellement indépendant n'est pas tenu de maintenir envigueur un traité ni d'y devenir partie du seul fait » que le traités'appliquait à son territoire avant l'indépendance. Toutefois, dansson introduction au projet d'articles, la Commission a précisé que« le principe dit de la table rase [...] est [...] très loin d'entraîner, enrègle générale, une rupture totale dans les relations conventionnellesdu territoire qui devient un Etat nouvellement indépendante ».

38. La série d'articles relatifs aux traités multilatéraux (articles12 à 18) précise diverses conséquences juridiques qui survivent aufait de la succession. L'article 12 formule le principe fondamentalselon lequel l'Etat nouvellement indépendant a le droit, par unenotification de succession, de devenir partie à une conventionmultilatérale qui s'appliquait sur son territoire avant la succession.

39. La règle générale relative à la succession aux traitésbilatéraux énoncée à l'article 19 diffère essentiellement de celle quiest formulée à propos des traités multilatéraux. Seule cette catégoriedes traités bilatéraux — qui remontent à l'époque coloniale et sontparfois contraires à l'autodétermination des peuples d'Afrique,d'Asie et d'Amérique latine — réclame un examen attentif duComité. Si le lien juridique conserve la même importance, ils'appplique ici, pour des raisons évidentes, seulement aux traités envigueur sur le territoire de l'Etat successeur à la date de lasuccession. Il n'y a pas d'option. Il est nécessaire que les deuxparties conviennent expressément de maintenir le traité en vigueur.Cependant, le texte prévoit la possibilité que, « à raison de leurconduite », les deux Etats « doivent être considérés comme en étantainsi convenus ».

40. Le nombre d'Etats nouvellement indépendants qui, enaccédant à l'indépendance, ont déclaré maintenir provisoirement envigueur tout ou partie des traités antérieurement applicables à leurterritoire, généralement sous réserve de réciprocité et jusqu'àl'expiration d'un délai fixé, et les situations compliquées quirésultent de ces déclarations ont incité la Commission à décider quel'application provisoire ferait l'objet d'articles distincts.

41. La dernière règle consacrée aux Etats nouvellementindépendants traite des complications qui surgissent quand un Etat,comme ce fut le cas du Nigeria ou de la Malaisie, est constitué dedeux ou de plusieurs territoires à l'égard desquels les traités envigueur avant l'indépendance n'étaient pas identiques. L'article 25stipule que tout traité maintenu en vigueur en vertu des articles 12 à21 est considéré comme s'appliquant à l'égard de l'ensemble duterritoire du nouvel Etat, à moins qu'il n'ait été limité à sa zoned'application initiale par la ou les parties dont le consentement estrequis, que son application élargie ne soit incompatible avec l'objetet le but du traité, ou que, vue sous l'angle inverse de la clauserébus sic stantibus, la réunion des territoires n'ait pour effet dechanger radicalement les conditions de l'application du traité.

42. L'article 26 se rapporte à l'unification d'Etats existants enun seul Etat, sujet nouveau, plus complexe que la réunion deterritoires. Dans son commentaire, la Commission étudie ladéfinition de l'acte d'unification et fait observer que cette unificationaboutit essentiellement à la naissance d'un nouvel Etat et que, parconséquent, des unions partielles ou « hybrides » comme laCommunauté économique européenne ou le Bénélux ne répondentpas à cette définition. Alors qu'elle prévoit un nombre importantd'unifications de ce genre à l'avenir, la Commission a trouvé dansl'unification de l'Egypte et de la Syrie (1958) et dans celle duTanganyika et de Zanzibar (1964) les principaux précédentsmodernes d'unification d'Etats.

e Annuaire... 1972, vol. II, p. 245, doc. A/8710/Rev.l, par. 37.

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Coopération avec d'autres organismes 161

43. L'article 27 (Dissolution d'un Etat) envisage l'autre côté dela situation. Les traités en vigueur dans l'Etat originaire restent envigueur à l'égard de chacun des Etats issus de la dissolution, à moinsque le traité n'ait été initialement appliqué à une certaine portionseulement du territoire de l'Etat prédécesseur. Si ce territoiredéterminé devient un Etat, le traité s'applique seulement dans cetEtat. Les réserves sont les mêmes que celles des articles 25 et 26.

44. L'article 28 traite de deux problèmes distincts qui auraientpu faire l'objet de dispositions séparées. Le premier problème estd'ordre général: quelle est à l'égard d'un traité la situation d'un Etatdont une partie du territoire est devenue un Etat distinct? Leparagraphe 1 de l'article stipule que les traités en vigueur avant laséparation continuent d'avoir force obligatoire sur le territoireamputé à moins que les parties n'en conviennent autrement, que letraité n'ait été destiné à s'appliquer uniquement au territoire perdu,ou que la séparation n'ait pour effet de transformer radicalement lesobligations et les droits prévus dans le traité. Cette formule nesoulève pas de question. Cependant, le paragraphe 2 de l'article, quiconcerne l'Etat successeur, dispose qu'il sera traité comme un Etatnouvellement indépendant, de sorte que les règles des articles 12 à 21s'appliqueront. Cette disposition soulève des problèmes dus enparticulier au fait que la pratique moderne en matière d'Etats selimite à la séparation de Singapour d'avec la Malaisie et de l'Etatlibre d'Irlande d'avec le Royaume-Uni.

45. La cinquième partie a trait aux régimes de frontière ouautres régimes territoriaux établis par un traité. L'article 29 stipulepurement et simplement que:

« Une succession d'Etats n'affecte pas en tant que telle:«a) une frontière établie par un traité; ni« b) les obligations et droits établis par un traité et se

rapportant au régime d'une frontière. »46. Dans son commentaire, la CDI discute longuement le point

de savoir si cette règle devrait être formulée du point de vue de lasuccession au traité ou au régime de frontière tel qu'il existe du faitde l'application des dispositions du traité. L'article 62 de laConvention de Vienne interdit le recours au principe rébus sicstantibus « comme motif pour mettre fin à un traité ou pour s'enretirer [...] s'il s'agit d'un traité établissant une frontière». LaCommission a estimé que cette formule n'interdisait pas unélargissement de la notion dans le cas de succession, car la questionn'est pas de savoir si le traité est maintenu ou non en vigueur,mais « quels sont les obligations et les droits qui échoient à un Etat

successeur ». Le libellé de l'article suppose donc que l'Etatsuccesseur a succédé à la frontière et au régime de cette frontière, cequi comprend «des dispositions accessoires [...] destinées à formerun élément permanent du régime de frontière ».

47. L'article 30 applique la règle fondamentale de l'article 29 àd'autres régimes territoriaux établis par un traité. Cependant, ils'agit d'un article infiniment plus complexe, étant donné que cesrégimes territoriaux peuvent engendrer des droits pour l'Etatsuccesseur et des obligations à la charge d'un autre Etat, ouinversement.

48. Les articles 29 et 30 se limitent rigoureusement aux effets dela succession d'Etats et n'influent pas sur le point de savoir si unrégime de frontière ou un autre régime territorial peut être contestépour d'autres raisons juridiques, en particulier le droit d'autodéter-mination ou la règle rébus sic stantibus. Mes vues sur ces deuxarticles diffèrent de celles du Rapporteur spécial et figurent dans lescomptes rendus de la Commission et de l'Assemblée générale.

49. La série d'articles se termine par une disposition selonlaquelle les articles ne préjugent aucune question qui pourrait seposer du fait d'une occupation militaire ou en raison de laresponsabilité internationale d'un Etat ou d'hostilités entre Etats.

50. Il convient de mentionner une autre activité de laCommission. A sa vingt-sixième session, l'Assemblée générale arenvoyé à la CDI la question des utilisations des voies d'eauinternationales. Vu la complexité et l'urgence des problèmes quepose la pollution de ces voies d'eau, la Commission a demandé auSecrétariat de s'atteler à la préparation d'études dans ce domaine.

51. La CDI a en outre organisé une conférence à la mémoire del'un de ses membres les plus anciens, Gilberto Amado, mort il y adeux ans, et elle a invité M. Eduardo Jiménez de Aréchaga, juge à laCIJ et ancien membre de la Commission, à faire un exposé, dont letexte sera imprimé et adressé très prochainement au secrétariat duComité.

52. Comme à l'accoutumée, le Séminaire de droit international,qui s'est tenu à Genève, a été l'occasion d'un échange de vues entreles membres de la CDI et de jeunes juristes venus de tous les coinsdu monde. D'autre part, les membres de la Commission ont été trèsheureux d'accueillir M. B. Sen, qui, en tant que représentant devotre Comité, leur a donné lecture de son savant rapport. La CDIespère qu'à sa prochaine session, à Genève, elle pourra une fois deplus recevoir le représentant du Comité et tirer profit de sesobservations et de son rapport.

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RAPPORT DE LA COMMISSION À L'ASSEMBLÉE GÉNÉRALE

DOCUMENT A/9010/REV.1

Rapport de la Commission du droit international sur les travaux de sa vingt-cinquième session

7 mai -13 juillet 1973

TABLE DES MATIÈRES Pages

Liste des abréviations 164

Chapitres Paragraphes

I. ORGANISATION DE LA SESSION 1-11 165

A. Composition de la Commission et participation à la session 2-5 165

B. Bureau 6 165

C. Comité de rédaction 7 165

D. Secrétariat 8 166

E. Ordre du jour 9-10 166

F. Lettre adressée par le Président de la Commission au Président du Conseil économique etsocial 11 166

II. RESPONSABILITÉ DES ETATS 12-58 167

A. Introduction 12-57 167

1. Aperçu historique des travaux de la Commission 12-35 167

2. Remarques d'ordre général relatives au projet d'articles 36-57 171

a) Forme du projet 36 171b) Portée du projet 37-42 171c) Economie du projet 43-51 172d) Méthode suivie dans la préparation du projet 52-57 174

B. Projet d'articles sur la responsabilité des Etats 58 175

Chapitre Ier. — Principes généraux (articles 1 à 4) 175

Chapitre II. — Le «fait de l'Etat» d'après le droit international (articles 5 et 6) 192

III. SUCCESSION D'ETATS DANS LES MATIÈRES AUTRES QUE LES TRAITÉS 59-92 202

A. Introduction 59-91 202

1. Aperçu historique des travaux de la Commission 60-79 202

à) Division de la question de la succession en trois sujets distincts 60-61 202b) Adoption par la Commission en 1972 d'un projet provisoire d'articles sur la succession

d'Etats en matière de traités 62 202c) Travaux préliminaires sur la succession d'Etats dans les matières autres que les traités 63-77 202d) Préparation d'un projet d'articles par la Commission à sa vingt-cinquième session . . 78-79 204

2. Remarques d'ordre général relatives au projet d'articles 80-91 205

a) Forme du projet 81 205b) L'expression « matières autres que les traités » 82-84 205c) Economie du projet et recherches à entreprendre 85-90 205d) Caractère provisoire des dispositions adoptées au cours de la vingt-cinquième session 91 206

B. Projet d'articles sur la succession d'Etats dans les matières autres que les traités 92 206

Introduction (articles 1 à 3) 206

Première partie. — Succession d'Etats en matière de biens d'Etat (section 1, articles 4 à 8) 208

163

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164 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

Chapitres Paragraphes Pages

IV. CLAUSE DE LA NATION LA PLUS FAVORISÉE 93-123 212

A. Introduction 93-122 2121. Résumé des débats de la Commission 93-111 2122. Portée du projet d'articles 112-115 2153. La clause de la nation la plus favorisée et le principe de la non-discrimination 116-119 2154. La clause de la nation la plus favorisée et les différents niveaux de développement

économique 120-122 216B. Projet d'articles sur la clause de la nation la plus favorisée (articles 1 à 7) 123 217

V. QUESTION DES TRAITÉS CONCLUS ENTRE ETATS ET ORGANISATIONS INTERNATIONALES OU ENTRE DEUXOU PLUSIEURS ORGANISATIONS INTERNATIONALES 124-133 227

VI. EXAMEN DU PROGRAMME DE TRAVAIL DE LA COMMISSION 134-176 229

A. Résumé des travaux de la Commission antérieurs à la présente session 136-150 2291. Examen du programme de travail à long terme de la Commission 136-143 2292. Priorité à donner à la question du droit relatif aux utilisations des voies d'eau internationales

à des fins autres que la navigation 144-150 230B. Travaux accomplis par la Commission au cours de ses vingt-cinq premières sessions . . . 151-169 231C. Examen de la question à la présente session de la Commission 170-176 235

VII. AUTRES DÉCISIONS ET CONCLUSIONS DE LA COMMISSION 177-217 235

A. Succession d'Etats en matière de traités 177 235B. Organisation des travaux futurs 178 235C. Coopération avec d'autres organismes 179-206 236

1. Comité juridique consultatif africano-asiatique 179-188 2362. Comité européen de coopération juridique 189-198 2363. Comité juridique interaméricain 199-206 237

D. Date et lieu de la vingt-sixième session 207 239E. Représentation à la vingt-huitième session de l'Assemblée générale 208 239F. Célébration du vingt-cinquième anniversaire de l'ouverture de la première session de la

Commission 209 239G. Conférence commémorative Gilberto Amado 210-211 239H. Séminaire de droit international 212-217 239

LISTE DES ABRÉVIATIONS

ALALE Association latino-américaine de libre-échangeBIT Bureau international du TravailCDI Commission du droit internationalCIJ Cour internationale de JusticeC.I.J. Mémoires CIJ, Mémoires, plaidoiries et documentsC.I.J. Recueil CIJ, Recueil des arrêts, avis consultatifs et ordonnancesCNUCED Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développementCNUDCI Commission des Nations Unies pour le droit commercial internationalCPJI Cour permanente de justice internationaleC.P.J.I., série A CPJI, Recueil des arrêtsC.P.J.I., série B CPJI, Recueil des avis consultatifsC.P.J.I., série A/B CPJI, Arrêts, ordonnances et avis consultatifsC.P.J.I., série C CPJI, Plaidoiries, exposés oraux et documentsGATT Accord général sur les tarifs douaniers et le commerceOEA Organisation des Etats américainsOIT Organisation internationale du TravailONU Organisation des Nations UniesSDN Société des NationsUNITAR Institut des Nations Unies pour la formation et la recherche

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Rapport de la Commission à l'Assemblée générale 165

Chapitre premier

ORGANISATION DE LA SESSION

1. La Commission du droit international, créée enapplication de la résolution 174 (II) de l'Assembléegénérale, en date du 21 novembre 1947, a, conformémentà son statut joint en annexe à ladite résolution et modifiéultérieurement, tenu sa vingt-cinquième session à l'Officedes Nations Unies, à Genève, du 7 mai au 13 juillet 1973.Les travaux effectués par la Commission au cours de cettesession sont exposés dans le présent rapport. Le chapitreII du rapport, qui traite de la responsabilité des Etats,contient un exposé des travaux de la Commission surcette question, ainsi qu'un projet de six articles et lescommentaires y relatifs, tels qu'ils ont été provisoirementadoptés par la Commission. Le chapitre III, qui traite dela succession d'Etats dans les matières autres que lestraités, contient un exposé des travaux de la Commissionsur la question, ainsi qu'un projet de huit articles et lescommentaires y relatifs, tels qu'ils ont été provisoirementadoptés par la Commission. Le chapitre IV, qui traite dela clause de la nation la plus favorisée, contient un exposédes travaux de la Commission sur la question, ainsi qu'unprojet de sept articles et les commentaires y relatifs, telsqu'ils ont été provisoirement adoptés par la Commission.Le chapitre V est consacré à la question des traitésconclus entre Etats et organisations internationales ouentre deux ou plusieurs organisations internationales. Lechapitre VI porte sur l'examen du programme de travail àlong terme de la Commission, y compris la question de lapriorité à donner à la question du droit relatif auxutilisations des voies d'eau internationales à des finsautres que la navigation. Le chapitre VII traite del'organisation des travaux futurs de la Commission etd'un certain nombre de questions, administratives etautres.

A. — Composition de la Commissionet participation à la session

2. La Commission est composée des membres suivants :M. Roberto AGO (Italie);M. Milan BARTOS (Yougoslavie);M. Mohammed BEDJAOUI (Algérie);M. Suât BILGE (Turquie);M. Juan José CALLE Y CALLE (Pérou);M. Jorge CASTANEDA (Mexique);M. Abdullah EL-ERIAN (Egypte);M. Taslim O. ELIAS (Nigeria) ;M. Edvard HAMBRO (Norvège);M. Richard D. KEARNEY (Etats-Unis d'Amérique);M. Alfredo MARTINEZ MORENO (El Salvador);M. N. A. OUCHAKOV (Union des Républiques

socialistes soviétiques) ;M. C.W. PINTO (Sri Lanka);M. R. Q. QUENTIN-BAXTER (Nouvelle-Zélande);M. Alfred RAMANGASOAVINA (Madagascar);M. Paul REUTER (France);

M. Zenon ROSSIDES (Chypre);M. José SETTE CÂMARA (Brésil);M. Abdul Hakim TABIBI (Afghanistan);M. Arnold J.P. TAMMES (Pays-Bas);M. Doudou THIAM (Sénégal);M. Senjin TSURUOKA (Japon);M. Endre USTOR (Hongrie);Sir Francis VALLAT (Royaume-Uni de Grande-

Bretagne et d'Irlande du Nord);M. Mustafa Kamil YASSEEN (Irak).

3. A sa 1200e séance, tenue le 7 mai 1973, la Commis-sion a rendu hommage à la mémoire de M. GonzaloAlcivar, qui était membre de la Commission depuis1970.

4. Le 15 mai 1973, la Commission a élu M. Juan JoséCalle y Calle (Pérou), M. Alfredo Martinez Moreno (ElSalvador), M. C. W. Pinto (Sri Lanka) et sir FrancisVallat (Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlandedu Nord) aux sièges devenus vacants par suite du décèsde M. Gonzalo Alcivar et de la démission de M.Nagendra Singh, M. José Maria Ruda et sir HumphreyWaldock après leur élection à la Cour internationale deJustice.

5. A l'exception de M. Rossides, tous les membres ontparticipé à la vingt-cinquième session de la Commission.

B. — Bureau

6. A sa 1200e séance, le 7 mai 1973, la Commission a élule bureau suivant :

Président: M. Jorge Castaneda;Premier Vice-Président: M. Mustafa Kamil Yasseen;Second Vice-Président: M. Milan Bartos;Rapporteur: M. Arnold J. P. Tammes.

Le Bureau a bénéficié des services de deux groupes detravail officieux: l'un s'est occupé des observationsrelatives au rapport du Groupe spécial d'experts de laCommission des droits de l'homme concernant laquestion de Y apartheid du point de vue du droit pénalinternational, transmis par le Conseil économique etsocial (voir ci-dessous section F), et l'autre de lacélébration du vingt-cinquième anniversaire de la Com-mission du droit international.

C. — Comité de rédaction

7. A ses 1207e et 1210e séances, tenues les 16 et 21 mai1973, la Commission a nommé un Comité de rédactioncomposé comme suit :

Président: M. Mustafa Kamil Yasseen;Membres: M. Roberto Ago, M. Taslim O. Elias,

M. Richard D. Kearney, M. Alfredo Martinez Moreno,

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166 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

M. Nikolaï Ouchakov, M. C. W. Pinto, M. Paul Reuter,M. Senjin Tsuruoka et sir Francis Vallat.

M. Mohammed Bedjaoui a pris part aux travaux duComité relatifs à la succession d'Etats dans les matièresautres que les traités en sa qualité de rapporteur spécialsur la question. M. Endre Ustor a pris part aux travauxdu Comité relatifs à la clause de la nation la plus favoriséeen sa qualité de rapporteur spécial sur la question.M. Arnold J. P. Tammes a aussi pris part aux travauxdu Comité en sa qualité de rapporteur de la Commission.

D. — Secrétariat

8. M. Constantin A. Stavropoulos, Conseiller juridique,a assisté à la 1244e séance de la Commission, tenue le9 juillet 1973, et y a représenté le Secrétaire général.M. Youri M. Rybakov, directeur de la Division de lacodification au Service juridique, a représenté leSecrétaire général aux autres séances de la session et arempli les fonctions de secrétaire de la Commission.MM. Nicolas Teslenko et Santiago Torres-Bernârdez ontexercé les fonctions de sous-secrétaires de la Commission,et MM. Eduardo Valencia-Ospina et Larry Johnson cellesde secrétaires adjoints.

E. — Ordre du jour

9. La Commission a adopté pour sa vingt-cinquièmesession l'ordre du jour ci-après:

1. Nomination à des sièges devenus vacants (article 11 du statut).2. Responsabilité des Etats.3. Succession d'Etats dans les matières autres que les traités.4. Question des traités conclus entre Etats et organisations

internationales ou entre deux ou plusieurs organisationsinternationales.

5. a) Examen du programme de travail à long terme de laCommission : Examen d'ensemble du droit international —document rédigé par le Secrétaire général (A/CN.4/245 *);

b) Priorité à donner à la question du droit relatif auxutilisations des voies d'eau internationales à des fins autresque la navigation (paragraphe 5 de la section I desrésolutions 2780 [XXVI] et 2926 [XXVII] de l'Assembléegénérale).

6. Clause de la nation la plus favorisée.7. Organisation des travaux futurs.8. Coopération avec d'autres organismes.9. Date et lieu de la vingt-sixième session.

10. Questions diverses.

10. Au cours de la session, la Commission a tenu50 séances publiques (de la 1200e à la 1249e séance) et1 séance privée (le 15 mai 1973). En outre, le Comité derédaction a tenu 10 séances. La Commission a examinétous les points inscrits à son ordre du jour.

F. — Lettre adressée par le Président de la Commissionau Président du Conseil économique et social

11. A sa 1818e séance, le 2 juin 1972, le Conseiléconomique et social, ayant examiné le rapport de la

1 Voir Annuaire... 1971, vol. II (2e partie), p. 1.

Commission des droits de l'homme, a fait sienne lademande de cette commission et a décidé notamment detransmettre à la Commission du droit international, pourqu'elle formule ses observations, le rapport du Groupespécial d'experts concernant la question de Y apartheid dupoint de vue du droit pénal international2. Le Présidentde la CDI a répondu à cette demande en adressant auPrésident du Conseil économique et social une lettredatée du 13 juillet 1973. Le texte de cette lettre, qui a étéapprouvé par la Commission, est le suivant:

A sa présente session, tenue à Genève du 7 mai au 13 juillet 1973,la Commission du droit international a été officiellement saisie de ladécision que le Conseil économique et social a prise à sa 1818e

séance, le 2 juin 1972, de lui communiquer, pour qu'elle formule sesobservations, le rapport du Groupe spécial d'experts de laCommission des droits de l'homme concernant la question deVapartheid du point de vue du droit pénal international, rapportprésenté en application de la résolution 8 (XXVI) de cette dernièrecommission.

La Commission du droit international partage les préoccupationsde l'Organisation des Nations Unies touchant les gravesconséquences de la politique d'apartheid. Bien que cette politique etson application relèvent essentiellement de la compétence d'autresorganes spécialisés des Nations Unies, la Commission a suivi avecun grand intérêt et une attention soutenue les divers effortsaccomplis dans ce domaine par lesdits organes.

En ce qui concerne particulièrement l'étude du Groupe spéciald'experts, la Commission se bornera, comme elle en a été priée etcomme il sied après un travail réalisé par un groupe d'experts aussihautement qualifiés, à formuler quelques observations de caractèregénéral. Par ailleurs, la Commission tient à faire observer qu'ellene disposerait pas du temps suffisant pour examiner d'une façonapprofondie un rapport aussi développé, et qu'en outre une telletâche ne s'accommoderait facilement ni des règles qui établissentsa compétence statutaire ni de celles qui régissent ses méthodes detravail.

A propos de la conclusion du Groupe spécial d'expertsconcernant les rapports entre le droit pénal international et le droitinternational public en général, la Commission estime utile derappeler que des sens divers ont été attribués à l'expression « droitpénal international », tant dans la pratique que dans la doctrine. LaCommission s'est déjà occupée à plusieurs reprises de questionstelles que la formulation des principes de droit internationalconsacrés par le statut du Tribunal de Nuremberg et le jugementrendu par ce tribunal, l'élaboration du projet de code des crimescontre la paix et la sécurité de l'humanité, et la présentation deconclusions relatives à l'opportunité et à la possibilité d'instituerune juridiction pénale internationale.

La Commission demeure consciente de l'utilité que les travaux duGroupe spécial d'experts dans le domaine de la politique d'apartheidpeuvent éventuellement présenter pour le développement des règlesde droit international dans le contexte de la responsabilité des Etats,question dont la Commission poursuit actuellement l'étude.

La Commission prend note avec un vif intérêt de larecommandation du Groupe spécial d'experts tendant à ce que lesactes inhumains résultant de Y apartheid soient passibles de sanctionsen vertu d'une convention internationale.

La Commission appuie chaleureusement tous les efforts desorganes des Nations Unies tendant à assurer une participation pluslarge aux conventions humanitaires et une observation plus strictede leurs dispositions ainsi que des règles du droit internationalcoutumier applicables en la matière.

Le Président de la Commissiondu droit international

(Signé) Jorge CASTANEDA

2 Voir Documents officiels du Conseil économique et social, cin-quante-deuxième session, Supplément n° 1 (E/5183 et Corr.l), p. 25.

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Rapport de la Commission à l'Assemblée générale 167

Chapitre II

RESPONSABILITÉ DES ÉTATS

A. — Introduction

1. APERÇU HISTORIQUE DES TRAVAUX DE LA COMMISSION

12. A sa première session, en 1949, la CDI avait faitfigurer la question de la « Responsabilité des Etats » dansla liste des quatorze sujets de droit international àcodifier. En 1955, à la suite de l'adoption par l'Assembléegénérale de sa résolution 799 (VIII), du 7 décembre 1953,la Commission a nommé M. F. V. Garcia Amadorrapporteur spécial pour la question. De 1956 à 1961,M. Garcia Amador a présenté successivement à la Commis-sion six rapports sur la responsabilité des Etats. Occupéepar la codification d'autres branches du droit interna-tional, telles que la procédure arbitrale et les relations etimmunités diplomatiques et consulaires, la Commissionn'a pas pu, entre 1956 et 1961, entreprendre lacodification du sujet de la responsabilité des Etats, maiselle a procédé de temps à autre (notamment en 1956,1957, 1959 et 1960) à certains échanges de vues decaractère général sur la question 3.

13. En 1960, la question de la codification de laresponsabilité des Etats a été soulevée, pour la premièrefois depuis 1953, à la Sixième Commission de l'Assembléegénérale. Elle a été examinée en 1961 et 1962 par laSixième Commission et par la CDI dans le cadre duprogramme des travaux futurs dans le domaine de lacodification et du développement progressif du droitinternational. Au cours de cet examen, des divergences devues se sont manifestées quant à la manière d'aborder lesujet et, en particulier, quant à la question de savoir si laCommission devait commencer par codifier les règles dela responsabilité des Etats en tant que sujet général etautonome, ou si elle devait aborder certains sujetsdéterminés du droit des gens, comme la condition desétrangers, en se proposant de codifier en même temps,dans ce cadre, les règles dont la violation entraîne uneresponsabilité internationale et les règles de la responsa-bilité proprement dite. Finalement, il a été reconnu, tantà l'Assemblée générale qu'à la CDI, qu'il s'agissait nonpas simplement de poursuivre les travaux déjà entrepris,mais de reprendre ex novo l'étude de la question, que laresponsabilité des Etats devait figurer parmi les sujetsprioritaires, et qu'il convenait de prendre des mesures envue d'accélérer les travaux relatifs à sa codification.M. Garcia Amador n'étant plus membre de la Commission,celle-ci a estimé, en 1962, qu'il fallait faire des travauxpréparatoires avant de nommer un nouveau rapporteurspécial, et elle a confié cette tâche à une sous-commissionsur la responsabilité des Etats, composée de dixmembres 4.

14. Au cours de sa session de janvier 1963, la Sous-Commission sur la responsabilité des Etats 5 a décidé àl'unanimité de recommander qu'aux fins de la codifica-tion du sujet la Commission accorde la priorité à ladéfinition des règles générales de la responsabilitéinternationale de l'Etat. En outre, elle est convenue,premièrement, qu'il n'était pas question de négligerl'expérience et la documentation réunies dans certainssecteurs particuliers, notamment dans celui de laresponsabilité pour dommages à la personne et aux biensdes étrangers, et, deuxièmement, qu'il fallait suivreattentivement les répercussions éventuelles que l'évolu-tion récente du droit international pouvait avoir eues surla responsabilité des Etats. Etant parvenue à cesconclusions générales, la Sous-Commission a examiné endétail une esquisse de programme de travail présentée parson président, M. Ago, et a décidé de donner à laCommission quelques indications sur les principauxpoints à prendre en considération à propos des aspectsgénéraux de la responsabilité internationale de l'Etat afind'orienter les travaux du rapporteur spécial quenommerait la Commission. Les indications ou recom-mandations de la Sous-Commission portaient notammentsur la définition, l'origine et les formes de la responsabi-lité internationale de l'Etat.

15. Le travail de la Sous-Commission sur la responsabi-lité des Etats a été examiné par la Commission lors de saquinzième session (1963), à la 686e séance, sur la base durapport présenté par M. Ago, président de la Sous-Commission 6. Tous les membres de la CDI qui ont prispart à la discussion se sont déclarés d'accord avec lesconclusions générales formulées par la Sous-Commission.Les membres de la Commission ont aussi approuvé leprogramme de travail proposé par la Sous-Commission,sans préjudice de leur position sur le fond des questionsénumérées dans le programme. A ce propos, il a étéindiqué que cette énumération avait seulement pour butde servir d'aide-mémoire au rapporteur spécial lorsqu'ilétudierait quant au fond les divers aspects de laformulation des règles générales régissant la responsabi-lité internationale des Etats.

16. Après avoir approuvé à l'unanimité le rapport de laSous-Commission, la Commission, à la même session, anommé M. Roberto Ago rapporteur spécial pour laquestion de la responsabilité des Etats. Il a aussi été

3 Pour l'hisorique détaillé de la question jusqu'en 1969, voirAnnuaire... 1969, vol. II, p. 238 et suiv., doc. A/7610/Rev.l, chap. IV.

4 MM. Ago (Président), Briggs, Gros, Jiménez de Aréchaga,Lachs, de Luna, Paredes, Tounkine, Tsuruoka et Yasseen.

5 La Sous-Commission était saisie des mémoires préparés parMM. Jiménez de Aréchaga [ILC(XIV)SC.l/WP.l], Paredes [ILC(XIV)SC.1/WP.2 et Add.l, A/CN.4/SC.1/WP.7], Gros [A/CN.4/SC.1/WP.3], Tsuruoka [A/CN.4/SC.1/WP.4], Yasseen [A/CN.4/SC.1/WP.5] et Ago [A/CN.4/SC.1/WP.6].

6 Le rapport est reproduit comme annexe au rapport de la Com-mission sur sa quinzième session {Annuaire... 1963, vol. II, p. 237,doc. A/5509, annexe I). Les comptes rendus analytiques des 2e à 5e

séances de la Sous-Commission ainsi que les mémoires présentés parses membres sont reproduits dans le même Annuaire, p. 238 et suiv.,comme appendices I et II de l'annexe I.

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168 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

entendu que le Secrétariat préparerait certains documentsde travail sur ce sujet7.

17. En 1964, le Secrétariat a préparé et distribué,conformément à la demande de la Commission, undocument de travail contenant un résumé des débats dedivers organes des Nations Unies et des décisions qui yont fait suite 8 et un résumé des décisions rendues par destribunaux internationaux en matière de responsabilité desEtats9. Chacun de ces deux documents comporte unsupplément destiné à le mettre à jour, publié par leSecrétariat en 196910.

18. Eu égard au fait que le mandat des membres de laCommission venait à expiration en 1966 et qu'il étaitsouhaitable de terminer pour cette date l'étude des sujetsdont l'examen était déjà avancé, la Commission a décidéde consacrer ses seizième, dix-septième et dix-huitièmesessions à l'achèvement des travaux sur le droit des traitéset sur les missions spéciales et de ne commencer l'examenquant au fond de la question de la responsabilité desÉtats qu'après avoir achevé l'étude de ces autres sujets u .

19. En 1967, à sa dix-neuvième session, la CDI a étésaisie d'une note sur la responsabilité des Etats présentéepar M. Roberto Ago, rapporteur spécial. La compositionde la Commission ayant été modifiée à la suite del'élection qui avait eu lieu à l'Assemblée générale en 1966,le Rapporteur spécial exprimait le souhait que laCommission, dans sa nouvelle composition, confirme lesdirectives qu'elle lui avait données en 1963. LaCommission a confirmé ces directives et a noté avecsatisfaction que M. Ago lui présenterait à sa vingt etunième session un rapport détaillé sur la question12.

20. En 1969, à la vingt et unième session de laCommission, M. Roberto Ago, rapporteur spécial, aprésenté son premier rapport sur la responsabilitéinternationale des Etats13. Le rapport contenait unhistorique de l'œuvre accomplie jusqu'alors en ce quiconcerne la codification de la matière et reproduisait dansses annexes les textes les plus importants préparés aucours des travaux antérieurs de codification, individuels etcollectifs, officiels et non officiels14.

7 Annuaire... 1963, vol. II, p. 234, doc. A/5509, chap. IV, sect. A.8 Annuaire... 1964, vol. II, p. 131, doc. A/CN.4/165.9 Ibid., p. 139, doc. A/CN.4/169.10 Annuaire... 1969, vol. II, p. 117, doc. A/CN.4/209, et ibid., p. 103,

doc. A/CN.4/208.11 Annuaire... 1964, vol. II, p. 239, doc. A/5809, par. 36.12 Annuaire... 1967, vol. II, p. 406, doc. A/6709/Rev. 1, par. 42.13 Annuaire... 1969, vol. H, p. 129, doc. A/CN.4/217 et Add.l.14 Ces textes étaient les suivants: 1) projet d'articles sur la « pro-

tection diplomatique », préparé par l'Institut américain de droit in-ternational en 1925 {Annuaire... 1956, vol. II, p. 227, doc. A/CN.4/96,annexe 7); 2) projet de code de droit international adopté par labranche japonaise de l'International Law Association et la Koku-saiho Gakkwai (Association de droit international du Japon) en 1926{Annuaire... 1969, vol. II, p. 146, doc. A/CN.4/217 et Add.l, an-nexe II) ; 3) projet relatif à la « responsabilité internationale des Etatsà raison des dommages causés sur leur territoire à la personne ou auxbiens des étrangers », préparé par l'Institut de droit international en1927 {Annuaire... 1956, vol. II, p. 228, doc. A/CN.4/96, annexe 8);4) résolution sur « la règle de l'épuisement des recours internes »,adoptée par l'Institut de droit international en 1956 {Annuaire...1969, vol. II, p. 146, doc. A/CN.4/217 et Add.l, annexe IV); 5) réso-

21. Comme il a été souligné par le Rapporteur spéciallors de la présentation de son rapport, à la 1011e séancede la Commission15, celui-ci était destiné à fournir à laCommission une synthèse de ses travaux antérieurs pourqu'elle puisse se pencher sur le passé et en tirer desindications utiles aux fins de ses travaux futurs, surtoutafin d'éviter dans l'avenir les obstacles qui, par le passé,avaient empêché la réalisation d'une codification de cechapitre essentiel du droit international.

22. Dans ce contexte, le Rapporteur spécial s'étaitparticulièrement attaché à illustrer certaines des difficultésles plus graves que l'on rencontre lorsqu'on aborde le

lution sur « le caractère national d'une réclamation internationaleprésentée par un Etat en raison d'un dommage subi par un individu »,adoptée par l'Institut de droit international en 1965 {ibid., p. 147,annexe V); 6) projet de convention relatif à la « responsabilité inter-nationale des Etats à raison des dommages causés sur leur territoire àla personne ou aux biens des étrangers », préparé par la Harvard LawSchool en 1929 {Annuaire... 1956, vol. II, p. 229, doc. A/CN.4/96,annexe 9) ; 7) projet de convention sur la responsabilité internationaledes Etats pour dommages aux étrangers préparé par la Harvard LawSchool en 1961 {Annuaire... 1969, vol. II, p. 147, doc. A/CN.4/217 etAdd.l, annexe VII); 8) projet de convention sur la responsabilité desEtats pour les dommages causés sur leur territoire à la personne ouaux biens des étrangers, préparé par la Deutsche Gesellschaft fiirVôlkerrecht (Association allemande de droit international) en 1930{ibid., p. 155, annexe VIII); 9) projet de traité sur la responsabilité del'Etat pour faits illicites internationaux, préparé par le professeurStrupp en 1927 {ibid., p. 157, annexe IX); 10) projet de conventionsur la responsabilité des Etats pour faits illicites internationaux,préparé par le professeur Roth en 1932 {ibid., p. 158, annexe X);11) recommandation sur «les réclamations et l'intervention diplo-matique », adoptée à la première Conférence internationale améri-caine (Washington, 1889-1890) {Annuaire... 1956, vol. II, p. 226,doc. A/CN.4/96, annexe 4); 12) Convention relative aux droits desétrangers, signée à la deuxième Conférence internationale américaine(Mexico, 1902) {ibid., annexe 5); 13) résolution relative à la « respon-sabilité internationale de l'Etat », adoptée à la septième Conférenceinternationale américaine (Montevideo, 1933) {ibid., p. 227, an-nexe 6) ; 14) Principes du droit international régissant, selon la concep-tion des pays latino-américains, la responsabilité de l'Etat: opinionpréparée par le Comité juridique interaméricain en 1962 {Annuaire...1969, vol. II, p. 159,doc.A/CN.4/217et Add.l, annexe XIV); 15) Prin-cipes du droit international régissant, selon la conception des Etats-Unis d'Amérique, la responsabilité de l'Etat: opinion préparée par leComité juridique interaméricain en 1965 {ibid., p. 160, annexe XV);16) conclusions du rapport du Sous-Comité sur la responsabilitédes Etats, annexé au questionnaire n° 4 adopté par le Comitéd'experts de la Société des Nations pour la codification progressivedu droit international (Genève, 1926) {Annuaire... 1956, vol. II,p. 222, doc. A/CN.4/96, annexe 1); 17) bases de discussion établiesen 1929 par le Comité préparatoire de la Conférence de codifi-cation du droit international (La Haye, 1940), classées dans l'ordreque ledit comité a jugé préférable pour les délibérations de laConférence {ibid., p. 223, annexe 2); 18) texte des articles adoptésen première lecture par la Troisième Commission de la Confé-rence de codification du droit international (La Haye, 1930) {ibid.,p. 226, annexe 3); 19) bases de discussion établies en 1956 parM. F. V. Garcia Amador, rapporteur spécial de la Commission dudroit international sur la responsabilité des Etats {ibid., p. 219,doc. A/CN.4/96, par. 241); 20) avant-projets sur la responsabilitéinternationale de l'Etat à raison des dommages causés sur son ter-ritoire à la personne ou aux biens des étrangers, établis en 1957{Annuaire... 1957, vol. II, p. 145, doc. A/CN.4/106, annexe), 1958{Annuaire... 1958, vol. II, p. 73, doc. A/CN.4/111, annexe), et 1961{Annuaire... 1961, vol. II, p. 48, doc. A/CN.4/134 et Add.l, additif)par M. Garcia Amador, rapporteur spécial de la Commissiondu droit international sur la responsabilité des Etats; 21) quatrièmepartie de la Restatement ofthe Law publiée en 1965 par FAmericanLaw Institute {Annuaire... 1971, vol. II [l re partie], p. 203, doc.A/CN.4/217/Add.2).

15 Annuaire... 1959, vol. I, p. 111 à 114, 1011e séance, par. 2 à 19.

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Rapport de la Commission à l'Assemblée générale 169

sujet de la responsabilité internationale et à mettre enévidence les causes de ces difficultés, telles qu'ellesressortent d'un examen des différentes tentatives decodification accomplies jusqu'ici sous les auspicesd'organismes officiels, notamment de la SDN ou del'ONU elle-même. A l'issue de cette analyse, leRapporteur spécial a rappelé les idées qui ont guidé laCommission du droit international à partir du momentoù, ayant dû constater que ses efforts précédents avaientabouti à une impasse, elle a décidé de reprendre dans unenouvelle optique l'étude de la question de la responsabi-lité. Il a résumé, en particulier, les conclusions de méthodeauxquelles ont abouti la Sous-Commission sur laresponsabilité des Etats créée en 1962 et ensuite laCommission elle-même, à ses quinzième (1963) et dix-neuvième (1967) sessions, conclusions sur la basedesquelles elle s'est proposé de donner une nouvelleimpulsion au travail de codification en la matière etd'essayer de le faire aboutir à des résultats positifs,conformément aux recommandations formulées parl'Assemblée générale dans ses résolutions 1765 (XVII),1902 (XVIII), 2045 (XX), 2167 (XXI), 2272 (XXII) et2400 (XXIII).

23. La Commission a procédé à une discussionapprofondie du premier rapport du Rapporteur spécialau cours de ses 1011e à 1013e et 1036e séances16. Le débata permis de constater l'existence d'une grande unité devues au sein de la Commission quant à la manière la plusappropriée de poursuivre le travail sur la responsabilitédes Etats et aux critères qui doivent présider àl'élaboration des différentes parties du projet d'articlesque la Commission se propose d'élaborer. Les conclu-sions de la Commission à ce sujet ont été énoncéesdans son rapport sur sa vingt et unième session17.

24. Les conclusions auxquelles était ainsi parvenue laCommission à sa vingt et unième session ont étéfavorablement accueillies à la vingt-quatrième session del'Assemblée générale18. Le plan d'ensemble pour l'étudedu sujet, les étapes successives prévues pour l'exécutionde ce plan et les critères à suivre pour les différentesparties du projet à établir, tels qu'ils avaient été arrêtéspar la CDI, ont recueilli l'approbation générale desmembres de la Sixième Commission. A la suite durapport de celle-ci, l'Assemblée générale, par sa résolu-tion 2501 (XXIV), du 12 novembre 1969, rappelant aussisa résolution 2400 (XXIII), a recommandé à laCommission de poursuivre ses travaux sur la responsabi-lité des Etats.

25. Sur la base des directives fixées par la CDI et desrecommandations de l'Assemblée générale, le Rapporteurspécial a entamé, dans l'ordre, l'examen des questionsnombreuses et diverses que pose l'ensemble du sujet. Il asoumis à la Commission, à sa vingt-deuxième session, en1970, un deuxième rapport sur la responsabilité des Etats,

intitulé « L'origine de la responsabilité internationale »19.Le rapport contenait dans son introduction un plan detravail détaillé pour la première phase de l'étude àaccomplir en la matière, la phase qui doit être centrée surl'examen des conditions subjectives et objectives d'exis-tence d'un fait internationalement illicite. L'introductionétait suivie d'un premier chapitre consacré à un certainnombre de principes généraux de base qui régissentl'ensemble du sujet. Le Rapporteur spécial a présenté sondeuxième rapport aux 1074e et 1075e séances de laCommission20. En même temps, il a soumis unquestionnaire énumérant certains points sur lesquels ildésirait connaître les vues des membres de la Commissionpour la suite de son travail21.

26. Comme la Commission disposait de peu de temps,elle n'a pu procéder, à sa vingt-deuxième session, qu'àune discussion générale du rapport présenté par leRapporteur spécial, aux fins d'un premier examend'ensemble, se réservant de revenir plus en détail sur lesdifférents points à une prochaine session. La discussion aeu lieu aux 1075e, 1076e, 1079e et 1080e séances. A la1081e séance, le Rapporteur spécial a répondu auxquestions soulevées au cours de la discussion et a résuméles conclusions essentielles ressortant de l'examend'ensemble effectué par la Commission22. Les conclusionsde la CDI, qui portaient tant sur des aspects de méthodeque sur des problèmes de fond et des problèmes de termi-nologie, sont résumées dans le rapport sur les travaux desa vingt-deuxième session23.

27. A la fin de la discussion du deuxième rapport, laCommission a invité le Rapporteur spécial à poursuivrel'étude du sujet et la préparation du projet d'articles. Il aété entendu que son troisième rapport traiterait avanttout de la partie provisoirement examinée à la vingt-deuxième session, révisée à la lumière de la discussion, etdes conclusions sommaires auxquelles elle avait abouti.Ce troisième rapport et ceux qui le suivraient seraientconsacrés à l'analyse détaillée des différentes conditionsqui doivent être réunies pour qu'un fait internationale-ment illicite puisse être considéré comme ayant étécommis par un Etat et engager sa responsabilitéinternationale.

28. A la vingt-cinquième session de l'Assemblée géné-rale, la Sixième Commission a estimé que les conclusionsauxquelles la CDI était parvenue à sa session de 1970étaient acceptables dans leur ensemble24. Par sarésolution 2634 (XXV), du 12 novembre 1970, l'Assem-blée générale a recommandé à la CDI de poursuivre sestravaux sur la responsabilité des Etats, compte tenu desvues et des considérations indiquées dans ses résolutions1765 (XVII), 1902 (XVIII) et 2400 (XXIII).29. A la vingt-troisième session de la Commission, en1971, le Rapporteur spécial a présenté son troisième

, p . 111 à 126 et 256 à 258.17 Voir Annuaire... 1969, vol. II, p. 242 et 243, doc. A/7610/Rev.l,

par. 80 à 84.18 Voir Documents officiels de VAssemblée générale, vingt-quatrième

session, Sixième Commission, 1103e à 1111e et 1119e séances; etibid., Annexes, points 86 et 94 6 de l'ordre du jour, doc. A/7746,par. 86 à 89.

19 Annuaire... 1970, vol. II, p. 189, doc. A/CN.4/233.20 Ibid., vol. I, p. 185 à 189 et 191 et 192.21 Ibid., p. 185 et 186.« Ibid., p. 192 à 203, 221 à 235, et 235 à 240.23 Ibid., vol. II, p. 328 à 330, doc. A/8010/Rev.l, par. 70 à 83.24 Vo i r Documents officiels de l'Assemblée générale, vingt-

cinquième session, Annexes, point 84 de l'ordre du jour, doc. A/8147,par. 98 à 107.

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rapport, intitulé « Le fait internationalement illicite del'Etat, source de responsabilité internationale»25. Cetroisième rapport comportait d'abord une introductionqui précisait les différentes conclusions auxquelles laCommission avait abouti à la suite de l'examen dudeuxième rapport. Suivait un premier chapitre (Principesgénéraux), divisé en quatre sections (articles 1 à 4). LeRapporteur spécial y reprenait la matière du chapitre Ier

de son deuxième rapport, remaniée et complétée à lalumière de la discussion qui avait eu lieu au sein de laCommission lors de sa vingt-deuxième session, à savoir leprincipe selon lequel tout fait internationalement illicitede l'Etat engage sa responsabilité internationale, lesconditions de l'existence d'un fait internationalementillicite, les sujets susceptibles de commettre des faitsinternationalement illicites, et la non-pertinence du droitinterne pour qualifier un fait d'internationalement illicite.Le rapport se terminait par les sections 1 à 6 (articles 5 à9) du chapitre II du projet (Le « fait de l'Etat » selon ledroit international), chapitre qui devra comporter en toutdix sections consacrées à l'examen des conditions del'attribution à l'Etat, sujet de droit international, d'unfait susceptible de constituer la source d'une responsa-bilité internationale. Les sections 1 à 6, comprises dans letroisième rapport, présentent des considérations sur lamatière qui fait l'objet du chapitre ainsi que sur les pointssuivants: attribution à l'Etat des faits de ses propresorganes; non-pertinence de la position de l'organe dans larépartition des pouvoirs et dans la hiérarchie interne del'Etat; attribution à l'Etat des faits d'organes d'institu-tions publiques distinctes; attribution à l'Etat des faits departiculiers exerçant en fait des fonctions publiques ouagissant en fait pour le compte de l'Etat; attribution àl'Etat des faits d'organes mis à sa disposition par unautre Etat ou par une organisation internationale.

30. L'examen des conditions de l'attribution à l'Etat,sujet de droit international, d'un fait pouvant constituerla source d'une responsabilité internationale a étépoursuivi et complété dans le quatrième rapport duRapporteur spécial, présenté lors de la vingt-quatrièmesession de la Commission26. Ce rapport comprend lessections 7 à 10 (articles 10 à 13) du chapitre II du projet(Le «fait de l'Etat» selon le droit international). Cessections traitent des problèmes relatifs à l'attribution àl'Etat des actions ou omissions d'organes ayant agi endehors de leur compétence ou en contradiction avec lesprescriptions concernant leur activité, et des problèmesqui se posent dans ce même contexte à propos ducomportement de simples particuliers ayant agi en tantque tels, du comportement d'organes d'un autre sujet dedroit international, et du comportement d'organes d'unmouvement insurrectionnel dont les structures sontensuite devenues, en tout ou en partie, les structures d'unEtat.

31. Occupée par la préparation des projets d'articles surla représentation des Etats dans leurs relations avec lesorganisations internationales, sur la succession d'Etats enmatière de traités et sur la prévention et la répression des

infractions commises contre des agents diplomatiques etd'autres personnes ayant droit à une protection inter-nationale, la CDI, faute de temps, n'a pu examiner lesujet de la responsabilité des Etats ni à sa vingt-troisièmesession (1971) ni à sa vingt-quatrième session (1972).Toutefois, la Commission a fait figurer dans ses rapportssur lesdites sessions un résumé sur l'état d'avancementdes travaux relatifs à la responsabilité des Etats, afind'informer l'Assemblée générale des progrès accomplisdans l'étude de la matière grâce aux troisième etquatrième rapports présentés par le Rapporteur spécial27.

32. A la vingt-sixième session de l'Assemblée générale(1971), on a estimé à la Sixième Commission que letroisième rapport présenté par le Rapporteur spécial à laCDI constituait une contribution importante propre àfaciliter les travaux de la Commission et à accélérerl'élaboration de projets d'articles en la matière28. Par sarésolution 2780 (XXVI), du 3 décembre 1971, l'Assem-blée générale a recommandé à la Commission depoursuivre ses travaux sur la responsabilité des Etats,compte tenu des vues et des considérations indiquées dansses résolutions 1765 (XVII), 1902 (XVIII) et 2400(XXIII), en vue de faire en 1972 des progrès substantielsdans la préparation du projet d'articles sur cette question.

33. A la vingt-septième session de l'Assemblée générale,en 1972, certains représentants à la Sixième Commissionont été d'avis que la CDI devrait accorder le rang depriorité le plus élevé à l'étude de la responsabilité desEtats29. Par sa résolution 2916 (XXVII), du 28 novembre1972, l'Assemblée générale a recommandé à la Commis-sion de poursuivre ses travaux sur la responsabilité desEtats, compte tenu des résolutions mentionnées dans sarésolution 2780 (XXVI), en vue de préparer un premierprojet d'articles sur cette question.

34. A la vingt-cinquième session, la Commission apoursuivi son étude de la responsabilité des Etats enentreprenant la préparation d'un projet d'articles,conformément aux recommandations de l'Assembléegénérale. Au cours de ses 1202e à 1213e et 1215e séances,elle a examiné le chapitre Ier ainsi que les sections 1 à 3du chapitre II du troisième rapport du Rapporteurspécial, et a renvoyé au Comité de rédaction les articlescontenus dans ces sections. A ses 1225e et 1226e séances,elle a examiné le rapport du Comité de rédaction et lesprojets d'articles proposés par celui-ci, et elle a adopté enpremière lecture les articles 1 à 6 du projet.

35. Le texte de ces articles et des commentaires yrelatifs, tels qu'ils ont été adoptés par la Commission, estreproduit ci-dessous 30 pour l'information de l'Assembléegénérale. La Commission désire attirer l'attention sur lefait que ces articles ne constituent que les premièresdispositions du projet sur la responsabilité des Etats

25 Annuaire... 1971, vol. II (l re partie), p. 209, doc. A/CN.4/246et Add.l à 3.

26 Annuaire... 1972, vol . I I , p . 77, doc . A / C N . 4 / 2 6 4 et A d d . l .

27 Annuaire... 1971, vol . I I ( l r e par t ie) , p . 364 à 366, d o c .A / 8 4 1 0 / R e v . l , c h a p . I I I , sect. C ; et Annuaire... 1972, vol . I I ,p . 352, doc . A/8710/Rev . l , chap . IV, sect. B .

28 Documents officiels de l'Assemblée générale, vingt-sixième ses-sion, Annexes, point 88 de l 'ordre du jour , doc. hj%52>l, par . 137et 138.

28 Ibid., vingt-septième session, Annexes, point 85 de l 'ordre dujour, doc. A/8892, par. 195.

30 Voir sect. B.

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qu'elle se propose d'élaborer et dont les grandes lignessont esquissées ci-dessous31. Avec l'adoption des articles1 à 4, la première lecture du chapitre Ier (Principesgénéraux) du projet a été achevée. Pour ce qui est duchapitre II (Le «fait de l'Etat» selon le droitinternational), les articles 5 et 6, inclus dans le présentrapport, seront suivis d'autres articles qui compléterontles dispositions relatives aux conditions de l'attribution àl'Etat, sujet de droit international, d'un fait susceptible deconstituer la source d'une responsabilité internationale.Le Rapporteur spécial ayant couvert dans ses troisième etquatrième rapports l'ensemble du chapitre II32, laCommission dispose déjà de tous les éléments pourachever l'étude de ce chapitre.

2. REMARQUES D'ORDRE GÉNÉRAL RELATIVES AU PROJETD'ARTICLES 3 3

a) Forme du projet

36. La question de la forme définitive que prendra lacodification de la responsabilité des Etats devra évidem-ment être tranchée à un stade ultérieur, lorsque la CDIaura achevé le projet. La Commission formulera alors,conformément aux dispositions de son statut, larecommandation qu'elle jugera appropriée. Sans préjugerde cette recommandation, la Commission a décidé dedonner à son étude sur la responsabilité des Etats laforme d'un projet d'articles, comme l'avait expressémentrecommandé l'Assemblée générale dans ses résolutions2780 (XXVI) et 2926 (XXVII). La Commission estimeelle aussi que la rédaction d'un projet d'articles constituela méthode la plus efficace pour dégager et développer lesrègles du droit international relatives à la responsabilitédes Etats. Le projet d'articles en préparation est rédigésous une forme qui permettra de l'utiliser comme basepour la conclusion d'une convention s'il en était ainsidécidé.

b) Portée du projet

37. De même que pour d'autres sujets dont elle aantérieurement entrepris la codification, la Commissionentend limiter pour le moment son étude en matière deresponsabilité internationale aux questions de la responsa-bilité des Etats. Elle ne sous-estime pas pour autantl'importance de l'étude des questions relatives à laresponsabilité de sujets de droit international autres queles Etats, mais la nécessité primordiale de clarté dansl'examen entrepris et le caractère organique de son projetl'amènent, de toute évidence, à différer l'étude de cesautres questions.

38. Le projet d'articles à l'étude ne porte que sur laresponsabilité des Etats pour faits internationalement

31 Voir par. 43 à 51.32 Voir ci-dessus par . 29 et 30.33 Les considérations d'ordre général qui suivent découlent

notamment des conclusions arrêtées et des décisions prises parla Commission en 1963, lors de l'examen du rapport de la Sous-Commission sur la responsabilité des Etats, et en 1969 et 1970lors de l'examen des premier et deuxième rapports de M. Ago,rapporteur spécial. Elles constituent le cadre des travaux en coursrelatifs à la préparation du projet d'articles sur la responsabilitédes Etats.

illicites. La Commission reconnaît entièrement l'impor-tance que revêtent, à côté des questions relatives à laresponsabilité pour faits internationalement illicites, cellesqui touchent à l'obligation de réparer les éventuellesconséquences préjudiciables découlant de l'accomplisse-ment de certaines activités licites (notamment de cellesqui, d'après leur nature, donnent lieu à certains risques).Mais la Commission est d'avis que cette deuxièmecatégorie de problèmes ne saurait être traitée conjointe-ment avec la première. En raison du fondemententièrement distinct de la responsabilité dite pour risque,de la nature différente des règles qui la prévoient, et enraison aussi de son contenu et des formes qu'elle peutprendre, un examen conjoint des deux sujets ne pourraitque rendre plus difficile la compréhension de l'un et del'autre. Le fait d'être tenu d'assumer les risques éventuelsde l'exercice d'une activité légitime en soi et le fait dedevoir faire face aux conséquences, non nécessairementlimitées à un dédommagement, qu'entraîne la violationd'une obligation juridique ne sont pas des situationscomparables. Ce n'est qu'en raison de la pauvreté relativedu langage juridique que l'on se sert habituellement dumême terme pour désigner l'une et l'autre. A la lumièrede ces considérations et afin d'éviter toute équivoque, laCommission tient à souligner que l'expression « responsa-bilité des Etats » qui figure dans le titre du projetd'articles doit s'entendre comme signifiant uniquement« responsabilité des Etats pour faits internationalementillicites ».39. Bien entendu, le fait de limiter le présent projetd'articles à la responsabilité des Etats pour faitsinternationalement illicites ne doit pas empêcher laCommission de mettre aussi à l'étude, au moment le plusapproprié, cette autre forme de responsabilité qui estprécisément la garantie pour les risques liés à certainesactivités non interdites par le droit international. Il s'agitde ne pas englober dans un seul et même projet deuxmatières qui, en dépit de certaines apparences et decertains caractères communs, restent nettement distinctes.Si cela est considéré opportun (et des avis dans ce sensont déjà été exprimés dans le passé aussi bien à laCommission du droit international qu'à la SixièmeCommission de l'Assemblée générale), la Commission dudroit international pourra entreprendre l'étude de laresponsabilité dite pour risque après la conclusion del'étude sur la responsabilité pour faits illicites, ouparallèlement, mais de façon séparée. C'est en raison deconsidérations de cet ordre que la Commission a jugéqu'il était particulièrement nécessaire d'adopter pour ladéfinition du principe énoncé à l'article 1er du présentprojet une formule qui, tout en indiquant que le faitinternationalement illicite est source de responsabilitéinternationale, ne peut donner lieu à une interprétationsusceptible d'exclure automatiquement l'existence d'uneautre source possible de « responsabilité ».

40. La responsabilité internationale revêt des aspectsfort différents des autres questions qui jusqu'ici ont faitl'objet de l'œuvre de codification de la Commission. Cettedernière s'est normalement consacrée, dans ses projetsprécédents, à la définition des règles de droit internationalqui, dans un secteur ou l'autre des relations interéta-tiques, imposent aux Etats des obligations déterminées et

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qui, dans un certain sens, peuvent se définir comme« primaires ». En abordant le sujet de la responsabilité,la Commission entreprend au contraire de définir d'autresrègles, qui, par opposition aux premières, peuvent sedéfinir comme « secondaires » dans la mesure où ellescherchent à déterminer les conséquences juridiques d'unmanquement aux obligations établies par les règles« primaires ». En préparant le présent projet d'articles, laCommission entend donc concentrer son étude sur ladétermination des règles qui régissent la responsabilité enmaintenant une distinction rigoureuse entre cette tâche etcelle qui consiste à définir les règles mettant à la chargedes Etats les obligations dont la violation peut être causede responsabilité. La Commission a estimé que cettedistinction rigoureuse était indispensable pour qu'il soitpossible de centrer le sujet de la responsabilitéinternationale et le voir dans son intégralité.

41. Si l'on veut disposer d'un élément d'appréciation dela gravité d'un fait internationalement illicite et d'uncritère de détermination des conséquences qui doivent luiêtre rattachées, il faut sans aucun doute prendre enconsidération les différentes catégories d'obligations desEtats en droit international, et notamment établir unedistinction entre ces obligations selon l'importance deleur contenu pour la communauté internationale (surtouten ce qui concerne le maintien de la paix). On nemanquera pas de le mettre en évidence au momentapproprié. Mais cela ne doit pas faire perdre de vue le faitessentiel que si définir une règle et le contenu del'obligation qu'elle impose est une chose, établir si cetteobligation a été violée et quelles doivent être les suites decette violation en est une autre. Seul ce deuxième aspectfait partie du domaine propre de la responsabilité.Favoriser une confusion à cet égard serait élever unobstacle capable de ruiner une fois de plus l'espoir deréussir une codification de ce sujet. L'expérience du passéle prouve.

42. Dans le présent projet d'articles, la Commission sepropose de codifier les règles qui régissent en général laresponsabilité des Etats pour faits internationalementillicites, et non pas seulement par rapport à certainssecteurs particuliers, tel celui de la responsabilité pour desfaits ayant causé des préjudices à la personne ou auxbiens des étrangers. La responsabilité internationale del'Etat est une situation qui résulte non pas seulement dela violation de certaines obligations internationalesdéterminées, mais d'une infraction à toute obligationinternationale, qu'elle soit établie par les règles qui visentune matière déterminée ou par celles qui en régissent uneautre. Le projet d'articles porte donc sur les règlesgénérales de la responsabilité internationale de l'Etatpour faits internationalement illicites, c'est-à-dire sur lesrègles qui régissent l'ensemble des relations juridiquesnouvelles auxquelles peut donner naissance un faitinternationalement illicite d'un Etat, quel que soit lesecteur particulier dont relève la règle violée par ce fait.

c) Economie du projet

43. Dans ses grandes lignes, et sous réserve des décisionsultérieures de la CDI en la matière, l'économie du projetd'articles envisagé correspond au plan d'étude de la

responsabilité internationale des Etats que la Commissiona adopté, lors de sessions précédentes, sur la base despropositions avancées par le Rapporteur spécial. L'élabo-ration du projet comprendra donc deux grandes phasesdistinctes. On peut dire, grosso modo, que la premièreconcerne l'origine de la responsabilité internationale et ladeuxième le contenu de cette responsabilité. Plusprécisément, il s'agit en premier lieu de déterminer sur labase de quelles données et dans quelles circonstances onpeut établir, à la charge d'un Etat, l'existence d'un faitinternationalement illicite, source, en tant que tel, d'uneresponsabilité internationale. En deuxième lieu, ondéterminera les conséquences que le droit internationalattache, dans les différentes hypothèses, à un faitinternationalement illicite, de manière à parvenir, surcette base, à une définition du contenu, des formes et desdegrés de la responsabilité internationale. Une foisaccomplie cette double tâche essentielle, la Commissionpourrait éventuellement décider de l'opportunité d'ajou-ter au projet une troisième partie, afin d'y examinercertains problèmes concernant la « mise en œuvre » de laresponsabilité internationale de l'Etat ainsi que lesquestions qui touchent au règlement des différends àpropos de l'application des règles relatives à laresponsabilité.

44. Dans ce cadre général, la première tâche à rempliren vue de l'élaboration du projet d'articles destiné àcouvrir la matière de la responsabilité de l'Etat pour faitsinternationalement illicites — tâche en apparence limitéedans son objet, mais singulièrement délicate à cause desnombreuses implications possibles — consiste à formulerles principes généraux de base. Une fois ces principesétablis, il s'agit de traiter de l'ensemble des questions quise posent en ce qui concerne l'élément subjectif du faitinternationalement illicite, c'est-à-dire en ce qui concernela possibilité d'attribuer un comportement déterminé(action ou omission) à l'Etat en tant que sujet de droitinternational, et donc de considérer ce comportementcomme un fait de l'Etat en droit international. Il s'agitensuite de résoudre les questions qui se posent à proposde l'élément objectif du fait internationalement illicite —en d'autres termes, il faut établir dans quelles circons-tances le comportement attribué à l'Etat doit êtreconsidéré comme constituant une infraction à uneobligation juridique internationale. Ainsi pourront êtreréunies les conditions pour qu'un fait de l'Etat puisse êtrequalifié de fait internationalement illicite, générateur entant que tel d'une responsabilité de l'Etat sur le planinterétatique. Viendra ensuite l'examen des questions quise posent à propos des différentes circonstances dont laprésence peut éventuellement faire exclure l'illicéité ducomportement attribué à l'Etat. Après quoi, on pourrapasser à la deuxième phase des travaux, celle qui concernele contenu, les formes et les degrés de la responsabilitéinternationale.

45. A la lumière des considérations qui précèdent, lechapitre IeT du projet d'articles est consacré à des«principes généraux». Tout d'abord, on y définit leprincipe fondamental rattachant une responsabilité à toutfait internationalement illicite de l'Etat (article leT).Ensuite, le chapitre énonce le principe, étroitement lié aupremier, qui veut que chaque Etat soit susceptible d'être

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considéré, d'après le droit international, comme ayantcommis un fait internationalement illicite engageant saresponsabilité internationale (article 2). Suit logiquementle principe qui énonce les deux éléments, subjectif etobjectif, de l'existence d'un fait illicite de l'Etat d'après ledroit international (article 3). Le chapitre se termine parla définition d'un quatrième principe général, à savoircelui de la non-pertinence du droit interne d'un Etat pourqualifier d'illicite, au regard du droit international, un faitdudit Etat (article 4). Le texte de ces dispositions a étéprovisoirement adopté au cours de la présente session. LaCommission a ainsi achevé, en première lecture, ladétermination des principes généraux de base du projet etleur formulation (pour le texte des articles et descommentaires y relatifs, voir ci-après section B).

46. Le chapitre II (Le «fait de l'Etat» selon le droitinternational) du projet est consacré à l'élément subjectifdu fait internationalement illicite, et donc à la détermina-tion des conditions dans lesquelles un comportementdéterminé doit être considéré, d'après le droit internatio-nal, comme un « fait de l'Etat ». Après un commentaireintroductif contenant des considérations liminaires desti-nées à tenir compte de certaines difficultés d'ordrethéorique et à affirmer en tout cas l'autonomie du droitinternational en la matière, le chapitre contiendra touteune série de règles en forme d'articles. Ces règles viseronten premier lieu à établir de qui peut émaner uncomportement susceptible d'entrer en considération entant que fait de l'Etat en droit international. Il y aurad'abord, comme catégorie principale, les organes del'Etat: ceux qui se qualifient ainsi selon le droit interne decet Etat. La Commission examinera ensuite si d'autrescomportements, dont les auteurs rentrent dans descatégories spécifiquement indiquées, mais ne font pas, àproprement parler, partie de l'organisation étatique, sontégalement considérés, en droit international, comme desfaits de l'Etat. En deuxième lieu, il faudra résoudre dansce contexte général la question de savoir si, parmi toutesces catégories de comportements, l'on attribue ou non àl'Etat, en vertu du droit international, ceux qui ont étéadoptés dans des conditions particulières. En troisièmelieu, enfin, on conclura l'examen par la négative, enposant les règles qui indiquent les catégories decomportements pour lesquels une attribution à l'Etatreste exclue, tout en examinant quelle peut être,internationalement, la situation de l'Etat par rapport à detels comportements.47. Au cours de la présente session, la Commission aprécisément examiné Vintroduction du chapitre II et sesdeux premiers articles, qui ne concernent donc qu'unepartie (faits des organes de l'Etat) du premier groupe dequestions mentionnées. Le premier article du chapitre(article 5) définit la règle qui constitue, dans ce domaine,le point de départ: celle en vertu de laquelle une action ouomission peut être prise en considération aux fins del'attribution à l'Etat en tant que fait internationalementillicite si elle a été commise par un organe de l'Etat, c'est-à-dire par un organe ayant ce statut dans le cadre del'ordre juridique interne de cet Etat et ayant agi enl'occurrence en cette qualité. En tant que corollaire decette règle, le deuxième article du chapitre (article 6)précise que l'organe en question peut appartenir à l'une

ou l'autre des grandes branches de l'appareil étatique,que ses fonctions peuvent avoir trait aux relationsinternationales ou s'exercer dans un cadre purementinterne, que lui-même peut occuper dans le cadre del'organisation de l'Etat une position supérieure ousubordonnée sans que cela ait des conséquences quant àl'attribution de son comportement à l'Etat (pour le textede ces deux articles et des commentaires y relatifs ainsique pour le commentaire introductif, voir section B).

48. La Commission poursuivra, sur la base des sectionspertinentes non encore examinées contenues dans lestroisième et quatrième rapports du Rapporteur spécial,l'étude des questions rentrant dans le cadre du chapitre IIdu projet, en les reprenant au point où elle s'est arrêtée àla présente session. Elle reprendra donc son étude duprojet en examinant d'abord la section 4 du chapitre II,qui figure dans le troisième rapport. Cette sectionconcerne la question de savoir si l'on peut ou non faireentrer en ligne de compte, aux fins de l'attribuer à l'Etat,sujet de droit international, le comportement d'organesnon pas de l'Etat lui-même mais d'institutions publiquesdistinctes: institutions publiques nationales autonomes oucollectivités publiques locales (Etats membres d'un Etatfédéral, cantons, régions, départements, municipalités,administrations autonomes de certains territoires ou deterritoires dépendants, etc.). La section 5 traite de lapossibilité de considérer comme attribuable à l'Etat(toujours afin d'établir une responsabilité internationale àsa charge) le comportement de personnes ou de groupesqui, tout en étant formellement dépourvus du statutd'organes, ont agi en fait en cette qualité (organes de fait,auxiliaires de l'Etat, particuliers exerçant occasionnelle-ment des fonctions publiques, etc.). Enfin, la section 6étudie la question de la possibilité d'attribuer à un Etatl'action ou l'omission d'un organe mis à la disposition decet Etat par un autre Etat ou par une organisationinternationale.

49. Avec la section 7 du chapitre II, contenue dans sonquatrième rapport, le Rapporteur spécial passe à l'étudedu deuxième groupe de questions qui se posent dans lecontexte du chapitre II du projet. On y examineessentiellement le point fort controversé de l'attribution àl'Etat de la conduite d'un organe ayant agi endépassement de sa compétence ou bien en contradictionavec les instructions spécifiquement reçues ou avec lesprescriptions générales concernant l'exercice de sonactivité. On s'y attache aussi à éclaircir la situation quipeut se produire quand une personne a continué d'agir enqualité d'organe tout en ayant perdu, en fait sinonformellement, cette qualité.

50. Le troisième groupe de questions que soulève lechapitre II du projet est également traité par leRapporteur spécial dans son quatrième rapport. Dans lasection 8, on exclut en principe, en matière deresponsabilité des Etats, la possibilité d'attribuer à l'Etat,en vertu du droit international, l'action de particuliersayant agi en tant que tels, et l'on en vient ensuite àexaminer dans quel sens et dans quelles conditions l'onpeut néanmoins envisager l'existence d'un fait internatio-nalement illicite de l'Etat à l'occasion de certainscomportements de particuliers. Dans la section 9, on

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examine s'il est possible d'attribuer à l'Etat des actionsou omissions d'organes d'un autre sujet de droitinternational (Etat, organisation internationale, mouve-ment insurrectionnel pourvu de la personnalité internatio-nale) agissant sur son territoire, ou si ces comportementsne doivent être rattachés qu'à l'autre sujet en question.Dans ce même contexte, le Rapporteur spécial traite,dans la section 10 (article 13), de la question spécifique del'attribution rétroactive à un Etat des faits des organesd'un mouvement insurrectionnel victorieux.

51. A ce stade, l'examen des conditions permettant deconsidérer un comportement déterminé comme un « faitde l'Etat » pourra être considéré comme achevé. Il s'agiraalors de passer, dans un autre chapitre du projet(consacré à « l'infraction » en droit international), àl'examen des différents aspects de ce que l'on a appelél'élément objectif du fait internationalement illicite: laviolation d'une obligation internationale. Ces questionsferont l'objet d'autres rapports du Rapporteur spécial.On s'y emploiera à examiner en premier lieu si la sourcede l'obligation juridique internationale enfreinte (coutu-mière, conventionnelle ou autre) est ou non sansincidence sur la détermination de l'infraction comme faitinternationalement illicite. On s'attachera ensuite àexaminer les problèmes se rattachant à la déterminationde catégories distinctes d'infractions internationales.C'est alors que se posera avant tout la question essentiellede savoir s'il faut aujourd'hui admettre l'existence d'unedistinction basée sur l'importance pour la communautéinternationale de l'obligation enfreinte — et s'il faut ainsimettre en évidence, dans le droit international actuel, unecatégorie distincte et plus grave de faits internationale-ment illicites, pouvant éventuellement être qualifiés decrimes internationaux. Une autre question qui se poseradans ce même contexte sera celle de la distinction à faireentre la violation d'une obligation exigeant de l'Etat uncomportement déterminé et la violation d'une obligationn'exigeant que de veiller à ce qu'un certain événement nese produise pas (faits illicites de conduite et faits illicitesd'événements). On en viendra ultérieurement à traiter descaractères différents de l'infraction suivant que l'obliga-tion enfreinte est de celles qui exigent spécifiquement unecertaine action ou omission, ou bien de celles qui exigent,d'une façon générale, qu'un certain résultat soit assurésans spécifier les moyens par lesquels ce résultat doit êtreobtenu. Dans ce cadre, on examinera la valeur del'exigence dite de l'épuisement des recours internes,notamment pour que soit réalisée la violation de certainesobligations relatives au traitement de particuliers étran-gers. Seront examinées ensuite les différentes questionsrelatives à la détermination du tempus commissi delicti,tant par rapport à l'exigence selon laquelle l'obligationdont on dénonce la violation doit avoir été en vigueur aumoment où s'est produit le comportement réalisant cetteviolation que par rapport aux hypothèses où le fait del'Etat se traduit par une situation ayant un caractère depermanence ou constituant la somme d'une série decomportements distincts et successifs. Ces points étantrésolus (et l'énumération qui précède n'est pas donnéecomme exhaustive ni comme indicative d'un ordre depriorité définitif), certains problèmes particuliers resterontencore à examiner: celui par exemple de la possibilité de

l'attribution parallèle d'un fait internationalement illiciteà plus d'un Etat à l'occasion d'une seule et mêmesituation concrète; et celui de la possibilité de rendre unEtat responsable, dans certaines circonstances, d'un faitcommis par un autre Etat. La prise en considérationdétaillée de diverses circonstances excluant l'illicéité(force majeure ou cas fortuit, consentement de l'Etat lésé,exercice légitime d'une sanction, légitime défense, état denécessité, etc.) ainsi que de circonstances atténuanteséventuelles de la gravité d'un fait illicite permettra ensuitede compléter la première phase de l'étude de laresponsabilité des Etats pour faits internationalementillicites. Il s'agira alors d'entrer dans la deuxième phase:celle qui concerne le contenu, les formes et les degrés dela responsabilité internationale.

d) Méthode suivie dans la préparation du projet

52. Les membres de la CDI ont manifesté leur accordau sujet des critères méthodologiques suivis par leRapporteur spécial dans la préparation de ses rapports,critères en faveur desquels se sont également prononcésexpressément certains représentants à la Sixième Commis-sion de l'Assemblée générale. Le Rapporteur spécialentend donc continuer à suivre les critères adoptésjusqu'ici dans son étude du sujet. Ces critères consistent àfaire précéder la présentation de chaque projet d'articlesoumis à la CDI d'un exposé complet du raisonnementayant amené à proposer telle ou telle formule, ainsi quedes données pratiques et théoriques sur lesquelless'appuie l'argumentation suivie. A propos de chacun despoints successivement mis à l'étude, le Rapporteur spécialcontinuera à indiquer les différentes questions qui seposent et rappellera les divergences de vues qui se sontmanifestées à leur égard ainsi que les solutions qu'ellesont reçues dans la réalité de la vie internationale.

53. La Commission et le Rapporteur spécial manifestentainsi leur préférence pour une méthode essentiellementinductive, plutôt que pour la déduction à partir deprémisses théoriques, du moins chaque fois que la priseen considération de la pratique des Etats et de lajurisprudence permet de suivre une telle méthode pourdéterminer le contenu des règles relatives à la responsabi-lité des Etats. A ce propos, il convient toutefois derappeler une fois de plus que les précédents fournis par lapratique et par la jurisprudence ne sont pas égalementrépartis en ce qui concerne les différentes questions quepose l'étude du sujet — pour certaines d'entre elles, ils secaractérisent par une grande richesse, tandis que pourd'autres ils sont plutôt rares. En outre, il faut tenirdûment compte d'un nombre considérable d'opinionsdoctrinales. Le sujet de la responsabilité internationale,surtout sous certains de ses aspects, est l'un de ceuxautour desquels l'élaboration doctrinale a été des plusintenses. Cette élaboration n'a pas manqué d'influer surla jurisprudence, et sa connaissance peut fournir une aideessentielle dans l'interprétation des solutions concrètesadoptées. De plus, il est parfois indispensable, si l'on veutêtre à même de poser les problèmes à résoudre en termessimples et clairs, de se dégager au préalable de certainescontroverses et aussi de certaines complications qui sesont artificiellement introduites et enracinées dans lapolémique théorique. En même temps, il importe de tenir

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Rapport de la Commission à l'Assemblée générale 175

largement compte des diverses tendances, et surtout desplus modernes, ce qui répond à la double nécessité dereconnaître et d'harmoniser les conceptions suivies dansles différents systèmes juridiques et de distinguer aussi,parmi ces tendances, celles qui sont appuyées par la majo-rité des auteurs de celles qui sont plutôt l'expression d'unpoint de vue isolé.54. Pour faciliter l'examen par l'Assemblée générale desarticles du projet et compte tenu des critères méthodolo-giques suivis par le Rapporteur spécial, la Commission sepropose de faire référence dans les commentaires desarticles tant à la pratique diplomatique et à la juris-prudence internationale qu'aux opinions des auteurs.Toutefois, pour ne pas trop alourdir ses rapports àl'Assemblée générale, elle entend limiter, autant quepossible, ces références aux affaires et aux prises deposition les plus importantes concernant plus particulière-ment les points en question.

55. La Commission s'est accordée à reconnaître que lesujet de la responsabilité internationale était l'un de ceuxoù le développement progressif du droit pouvait jouer unrôle particulièrement important, surtout, comme leRapporteur spécial l'a mis en évidence, pour ce qui est dela distinction entre différentes catégories d'infractionsinternationales et en ce qui concerne le contenu et lesdegrés de la responsabilité. La Commission tientcependant à souligner expressément qu'à son avis la placeà assigner respectivement au développement progressif età la codification de principes déjà admis ne peut pasrésulter d'un plan préétabli. Elle devra ressortir concrète-ment des solutions adoptées pragmatiquement parrapport aux divers points.

56. La Commission a estimé qu'il valait mieux renvoyerà plus tard la décision sur le point de savoir s'il convenaitde faire précéder le projet d'articles sur la responsabilitédes Etats d'un article donnant des définitions ou d'unarticle énumérant les questions qui seraient exclues duprojet. Lorsque les solutions relatives aux différentspoints auront atteint un stade plus avancé, on se rendramieux compte, en effet, si de telles clauses préliminairess'imposent ou non dans l'économie générale du projet. Ilconvient d'éviter des définitions ou des formules initialesqui puissent préjuger des solutions à adopter plus tard.Tant que l'on restera dans le cadre de la première partiedu projet à l'étude, on se basera sur une notion généralede la responsabilité, ce terme désignant l'ensemble desrelations juridiques nouvelles auxquelles peut donnernaissance, dans les différentes hypothèses, un faitinternationalement illicite d'un Etat. Il incombera plustard à la Commission de dire, par exemple, si de tellesrelations peuvent intervenir seulement entre ledit Etat etl'Etat lésé dans ses propres droits, ou aussi entre ce mêmeEtat et d'autres sujets du droit international, voire peut-être avec la communauté internationale dans sonensemble. En attendant, la Commission se bornera àexpliquer dans les commentaires des articles le sens desexpressions employées, lorsque cela sera nécessaire pourla compréhension de la disposition en question — commeil a été fait, par exemple, dans le commentaire de l'ar-ticle 1er à propos de l'expression « fait internationalementillicite » et dans le commentaire de l'article 3 pour ce quiest de l'emploi du verbe « attribuer ».

57. Enfin, la Commission tient à faire observer que, si ladétermination des règles de droit international dites« primaires » exige souvent la formulation d'articles trèslongs et fort nombreux, la responsabilité, par contre,comporte plutôt peu de règles, qui peuvent fréquemmentêtre exprimées par des formules très synthétiques. Mais laconclusion possible de la formule ne signifie nullementque la matière soit simple. Bien au contraire, chaquepoint soulève une foule de questions complexes quidemandent toutes à être examinées, car elles ont uneincidence sur la formule à employer. On ne doit donc pass'étonner de voir des commentaires très étendus suivre laprésentation d'articles relativement peu nombreux ettenant parfois en quelques lignes.

B. — Projet d'articles sur la responsabilité des Etats

58. Le texte des articles 1 à 6 et des commentaires yrelatifs, adoptés par la Commission à sa vingt-cinquièmesession sur la proposition du Rapporteur spécial, estreproduit ci-après pour l'information de l'Assembléegénérale.

CHAPITRE PREMIER

PRINCIPES GÉNÉRAUX

Commentaire

Le chapitre 1er du projet, qui comporte quatre articles(articles 1er à 4), est consacré à certains principes de droits'appliquant à l'ensemble du projet et sur la base desquelsl'on développera les chapitres suivants de celui-ci. Aprèsavoir pris en considération plusieurs suggestions, laCommission a décidé d'intituler le chapitre «Principesgénéraux ». L'expression « principes généraux » estutilisée dans le présent contexte pour désigner les règlesde caractère très général qui valent pour l'ensemble duprojet. D'autres expressions telles que « règles fondamen-tales » ou « principes de base », qui apparaissent dansd'autres chapitres du projet d'articles, désignent desrègles qui ont un caractère moins général mais qui sonttoutefois d'une importance fondamentale. La Commis-sion a jugé inutile d'ajouter les mots « de la responsabilitédes Etats» après l'expression «principes généraux»: letitre du projet, qui précède immédiatement celui duchapitre 1er, est là pour montrer qu'il ne peut s'agir quede la responsabilité des Etats.

Article premier. — Responsabilité de l'Etatpour ses faits internationalement illicites

Tout fait internationalement illicite d'un Etat engage saresponsabilité internationale.

Commentaire

l) Le principe selon lequel tout comportement étatiquequalifié par le droit international de fait juridiquementillicite engage, en droit international, la responsabilité decet Etat est l'un des mieux confirmés par la pratique desEtats et par la jurisprudence, et l'un des plus pro-fondément ancrés dans la littérature juridique.

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2) La CPJI a fait application de ce principe dans l'arrêtn° 1 du 17 août 1923, relatif à VAffaire du vapeur« Wimbledon » 34, et dans ses arrêts concernant Y Affairerelative à l'usine de Chorzôw35. En 1938, dans son arrêtrelatif à l'Affaire des phosphates du Maroc, la Cour aprécisé que lorsqu'un Etat se rendait coupable envers unautre Etat d'un fait internationalement illicite, laresponsabilité internationale s'établissait « directementdans le plan des relations entre ces Etats36 ». La CIJ a,elle aussi, appliqué le principe dans son arrêt concernantl'Affaire du détroit de Corfou37, dans son avis consultatifdu 11 avril 1949 sur la Réparation des dommages subis auservice des Nations Unies38, et dans son avis consultatifdu 18 juillet 1950 concernant VInterprétation des traités depaix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie(deuxième phase), où elle a déclaré qu'« il est clair que lerefus de s'acquitter d'une obligation conventionnelle estde nature à engager la responsabilité internationale39».Dans la jurisprudence arbitrale, le principe énoncé dans leprésent article a été maintes fois affirmé. Qu'il suffise derappeler, à ce propos, les sentences arbitrales rendues en1901 concernant les Réclamations des sujets italiensrésidant au Pérou 40; en 1931 par la Commission généraledes réclamations Etats-Unis d'Amérique/Mexique, cons-tituée en vertu du Traité du 8 septembre 1923, dansVAffaire de la Dickson Car Wheel Company 41 et dansY Affaire de V International Fisheries Company*2; en 1925par Max Huber dans Y Affaire des réclamations britan-niques dans la zone espagnole du Maroc 43; et en 1953 parla Commission de conciliation italo-américaine instituéeen exécution de l'article 83 du Traité de paix du 10 février1947 dans Y Affaire Armstrong Cork Company 44.

3) Pour ce qui est de la pratique des Etats, l'expressionla plus significative de l'opinion des Etats est constituéepar les positions qu'ont prises les gouvernements àl'occasion de la tentative de codification de la responsabi-

34 C.P.J.I., série A, n° 1, p . 15.35 Affaire relative à l 'usine de Chorzôw (compétence), arrêt n° 8

du 26 juillet 1927 {C.P.J.I., série A, n° 9, p . 21), et idem (fond),arrêt n° 13 du 13 septembre 1928 (ibid., n° 17, p . 29).

36 Affaire des phosphates du Maroc (exceptions préliminaires),14 juin 1938, C.P.J.I., série A/B, n° 74, p. 28.

37 Affaire du détroit de Corfou (fond), arrêt du 9 avril 1949,C.I.J. Recueil 1949, p. 22 et 23.

38 C.I.J. Recueil 1949, p . 184.39 C.I.J. Recueil 1950, p. 228.40 Dans sept de ces sentences, on réitère qu'« un principe de

droit international universellement reconnu veut que l'Etat soitresponsable des violations du droit des gens commises par sesagents » (Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales, vol. XV[publication des Nations Unies, numéro de vente: 66.V.3], p. 399,401, 404, 407, 408, 409 et 411).

41 Ibid., vol. IV [numéro de vente: 1951.V.1], p. 678.42 Ibid., p . 7 0 1 .43 Selon l'arbitre, c'est un principe indiscutable que celui d'après

lequel « la responsabilité est le corollaire nécessaire du droit. Tousdroits d'ordre international ont pour conséquence une responsa-bilité internationale [...] » {ibid., vol. II [numéro de vente: 1949.V.1],p. 641).

44 Pour la Commission de conciliation, aucun Etat « ne peutéchapper à la responsabilité qui naît de l'exercice d'une actionillicite du point de vue des principes généraux du droit interna-tional » {ibid., vol. XIV [numéro de vente: 65.V.4], p. 163). [Tr. duSecrétariat de l'ONU.]

lité des Etats — limitée à l'hypothèse de dommagescausés à la personne ou aux biens d'étrangers —entreprise de 1924 à 1930 par la SDN. La conviction del'existence de la règle générale rattachant une responsabi-lité à tout fait internationalement illicite d'un Etat étaitclairement exprimée au point II de la demanded'informations adressée aux gouvernements par leComité préparatoire de la Conférence pour la codificationdu droit international (La Haye, 1930)45. La mêmeconviction se dégage des réponses données par lesgouvernements46 ainsi que des prises de position desdélégués à la Conférence47. A l'issue du débat, laTroisième Commission de la Conférence a approuvé àl'unanimité l'article 1er, en vertu duquel

Tout manquement aux obligations internationales d'un Etat du faitde ses organes, qui cause un dommage à la personne ou aux biensd'un étranger sur le territoire de cet Etat, entraîne la responsabilitéinternationale de celui-ci48.

4) En dépit de la diversité des arguments qu'ils ont crudevoir invoquer pour justifier l'existence du principefondamental en question 49, tous les auteurs sont d'accordpour reconnaître que tout fait internationalement illicited'un Etat engage la responsabilité internationale de cetEtat, c'est-à-dire donne naissance, en ce qui le concerne, àdes rapports juridiques internationaux nouveaux, caracté-risés par des situations juridiques subjectives distinctes decelles qui existaient avant que les faits en question ne seproduisent. Le caractère de nouveauté des relationsjuridiques interétatiques qui s'établissent à la suite d'unfait illicite international a été mis en évidence aussi bienpar des juristes devenus désormais des classiques50 quepar les auteurs d'ouvrages récemment parus51.

45 S D N , Conférence pour la codification du droi t in ternat ional ,Bases de discussion établies par le Comité préparatoire à l'intentionde la Conférence, t. I I I : Responsabilité des Etats en ce qui concerneles dommages causés sur leur territoire à la personne ou aux biensdes étrangers (C.75.M.69.1929.V), p . 20.

46 Ibid., p . 24 ; et idem, Supplément au tome III [C.75(a). M.69(a).1929.V], p . 2 et 6.

47 S D N , Actes de la Conférence sur la codification du droit inter-national [La Haye , 13 mars-12 avril 1930], volume IV, Procès-verbaux de la Troisième Commission [C.351(c). M.145(c).1930.V],p . 18 et suiv.

48 Annuaire... 1956, vol. I I , p . 226, doc . A/CN.4 /96 , annexe 3 .49 Certains auteurs ont cru trouver cette justification dans l 'exis-

tence même d'un ordre juridique international et dans le caractèrejuridique des obligations qu'il impose à ses sujets (ainsi D. Anzilotti,Teoria générale délia responsabilità délie Stato nel diritto inter-nazionale, Florence, Lumachi, 1902, réimprimé dans Scritti di dirittointernazionale pubblico, Padoue, CEDAM, 1956, t. 1er, p. 25 et 62;P. Schoen, « Die vôlkerrechtliche Haftung der Staaten aus uner-laubten Handlungen », Zeitschrift fur Volkerrecht, Breslau, Supplé-ment 2 au tome X, 1917, p. 16; K. Strupp, « Das vôlkerrechtlicheDelikt », Handbuch des Vôlkerrechts, Stuttgart, Kohlhammer, 1920,t. IH, l re partie, p. 4 et suiv.). D'autres préfèrent penser que laresponsabilité des Etats procéderait, dans l'ordre international, dufait que les Etats se reconnaissent mutuellement comme souverains.La règle qui la prévoit serait donc le corollaire nécessaire de l'égalitédes Etats (voir p. ex. Ch. de Visscher, « La responsabilité des Etats »,Bibliotheca Visseriana, Leyde, Brill, 1924, t. II, p. 90; C. Eagleton,The Responsibility of States in International Law, New York, NewYork University Press, 1928, p. 5 et 6).

50 D. Anzilotti, Corso di Diritto internazionale, 4e éd., Padoue,CEDAM, 1955, vol. I, p. 385.

51 W. Wengler, Volkerrecht, Berlin, Springer, 1964, t. I, p. 499;G.I. Tunkin, Teoria mejdounarodnogo prava, Moscou, Mejdouna-

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Rapport de la Commission à l'Assemblée générale 177

5) La Commission est parfaitement consciente du faitque la reconnaissance unanime du principe généralreliant, sous le nom de responsabilité internationale, desrelations juridiques nouvelles à l'accomplissement par unEtat de tout fait internationalement illicite n'empêche pasque des divergences de vues sérieuses ne se manifestent àpropos de la définition des rapports juridiques quis'instaurent à la suite d'un fait internationalement illiciteet des situations juridiques qui interviennent dans cesrapports. Une conception que l'on peut considérercomme classique dans la littérature du droit international— on trouve parmi ses tenants les noms d'Anzilotti, deCh. de Visscher, d'Eagleton, de Strupp — décrit lesrelations juridiques qui naissent d'un fait illiciteinternational sous une seule et unique forme: celle d'unrapport bilatéral de nature obligatoire s'instaurant entrel'Etat auteur du fait en question et l'Etat lésé, rapport quioppose l'obligation du premier de réparer — au senslarge de ce terme, bien entendu — au droit subjectif dusecond d'exiger cette réparation. Dans le cadre de cettefaçon de voir, on n'admet pas la possibilité d'unesanction au sens propre du terme — c'est-à-dire ayantune finalité répressive — que l'Etat lésé lui-même (ou,éventuellement, un sujet tiers) aurait la faculté d'infliger àl'Etat auteur du délit. Une autre façon de voir, dontKelsen et Guggenheim sont les tenants les plus illustres,aboutit à une position presque diamétralement opposée àcelle que l'on vient de décrire. Elle soutient elle aussi,mais d'une manière entièrement différente, l'idée d'unrapport juridique unique qui découlerait du fait illicite etrentrerait ainsi dans la notion de responsabilité. Enpartant de l'idée que l'ordre juridique est un ordre decontrainte, cette conception voit précisément dansl'autorisation accordée à l'Etat lésé d'appliquer à l'Etatcoupable un acte de contrainte à titre de sanction la seuleconséquence juridique découlant directement du faitillicite. Le droit international général ne relierait donc aufait illicite nul rapport de nature obligatoire entre l'Etatauteur du fait illicite et l'Etat lésé. L'obligation de réparerne serait autre chose qu'un devoir subsidiaire que la loien droit interne et un accord éventuel en droitinternational inséreraient entre le fait illicite et l'applica-tion de l'acte de contrainte. Il est enfin une troisièmeconception, ayant parmi ses tenants Lauterpacht, Eusta-thiades, Verdross, Ago et les auteurs soviétiques du Koursmejdounarodnogo prava, selon laquelle on ne sauraitlimiter les conséquences du fait internationalement illiciteni à la seule « réparation » ni à la seule « sanction ». Endroit international — comme dans tout système de droit,d'ailleurs —, le fait illicite serait susceptible de donner lieunon pas à un type unique de rapports juridiques, mais àune double forme de rapports, caractérisés par dessituations juridiques différentes des sujets qui y inter-viennent. Ces conséquences juridiques reviennent, selonles cas, à conférer au sujet de droit international dont lesdroits ont été violés par le fait illicite le droit d'exiger de

rodnye otnotcheniya, 1970, p. 470; E. Jiménez de Aréchaga, Inter-national Responsibility — Manual of Public International Law, éd.par S0rensen, Londres, MacMillan, 1968, p. 533; voir aussi Institutd'Etat du droit de l'Académie des sciences de l'Union sovié-tique, Kours mejdounarodnogo prava, rédaction générale parF. I. Kojevnikov et al., Moscou, Naouka, 1969, t. V, p. 426.

l'auteur de ce fait une réparation — toujours au sensétendu de ce terme — ou à attribuer à ce même sujet (ou,éventuellement, à un sujet tiers) la faculté d'infliger unesanction au sujet qui a eu le comportement illicite. Parsanction, on entend ici une mesure qui, tout enn'impliquant pas nécessairement l'emploi de la force, estcaractérisée — en partie du moins — par le fait d'avoirpour finalité d'infliger un châtiment. Une telle finalité nes'identifie donc pas avec la poursuite coercitive del'exécution de l'obligation ou bien de la réintégration dulésé ou du dédommagement.

6) La Commission a également noté qu'une autredivergence se manifeste chez les auteurs à propos de ladéfinition des relations juridiques nouvelles qui naissentd'un fait internationalement illicite d'un Etat; cettedivergence a trait à la détermination des sujets quiinterviennent dans ces relations. Selon une conception,que l'on peut considérer comme classique, lorsqu'un Etatse rend coupable d'un fait internationalement illiciteenvers un autre Etat, ce fait provoque la naissance derelations juridiques nouvelles entre ces deux Etatsexclusivement. Autrement dit, seul l'Etat lésé pourraitfaire valoir la responsabilité de l'Etat auteur du faitillicite. Une partie des internationalistes soutiennent parcontre aujourd'hui qu'à côté de ces relations d'autrespeuvent s'instaurer dans certains cas, soit entre l'Etatcoupable et une organisation internationale, soit entrel'Etat coupable et d'autres Etats52.

7) Enfin, la Commission n'a pas manqué de relever quel'unanimité des vues qui se manifeste dans la pratique desEtats, dans la jurisprudence et dans la littératurejuridique internationale quant à l'existence du principed'après lequel tout fait internationalement illicite del'Etat engage, en droit international, une responsabilitédudit Etat ne concerne que la situation normale qui seproduit à la suite d'un fait illicite. Car, selon l'opinionconsacrée dans beaucoup d'ouvrages scientifiques — ainsid'ailleurs que dans certaines sentences internationales etdans certaines prises de position de gouvernements —, ilexiste des hypothèses exceptionnelles dans lesquelles cetteresponsabilité naît à la charge non pas de l'Etat qui a étél'auteur du fait illicite, mais d'un Etat différent. Ceshypothèses — dans lesquelles on parle généralement deresponsabilité indirecte ou pour fait d'autrui — seproduisent notamment lorsqu'un Etat est placé parrapport à un autre dans une position telle qu'il contrôlel'action de ce dernier et en limite la liberté.

8) Les divergences de vues évoquées aux paragraphes 5à 7 du commentaire du présent article et les questionsauxquelles elles se rapportent devront certes être

52 A propos de cette conception, il faut signaler la tendancegrandissante d'un groupe d'auteurs à différencier, à l'intérieur de lacatégorie générale des faits internationalement illicites, certains typesde faits si graves et si préjudiciables, non seulement pour un Etatmais pour tous, que l'Etat qui les aurait accomplis serait automati-quement tenu pour responsable envers la totalité des Etats. On seraittenté de rapprocher cette façon de voir de l'affirmation faite récem-ment par la CIJ dans son arrêt du 5 février 1970 dans l'Affaire dela Barcelona Traction, Light and Power Co., Ltd., selon laquelle ilexiste certaines obligations internationales des Etats qui sont oppo-sables erga omnes, c'est-à-dire à l'ensemble de la communautéinternationale (C.I.J. Recueil 1970, p. 32).

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examinées et tranchées en temps opportun. Mais, del'avis de la Commission, point n'est besoin de prendreposition à leur égard dans la définition de la règlegénérale de base du projet. Bien au contraire, laCommission pense que cette définition doit être aussisynthétique que possible; elle doit énoncer un principesusceptible d'obtenir l'accord unanime — et, surtout, quisoit vraiment un principe de base en la matière, c'est-à-dire susceptible d'englober dans son unité les différenteshypothèses possibles. En le formulant, on ne doit doncpas s'engager dans la voie consistant à distinguerdifférentes catégories de faits illicites et les conséquencesde leurs caractères différentiels sur les rapports nouveauxqui s'instaurent à la suite de ces faits; on ne doit pas nonplus s'attacher à énoncer d'éventuelles exceptions que leprincipe pourrait comporter dans des situations margi-nales. D'autres articles du projet se chargeront de cesquestions. Si on les a mentionnées dans le cadre de cecommentaire, c'est seulement pour souligner que laCommission les a bien eues présentes à l'esprit aumoment du choix de la formule à adopter pour le premierarticle du projet. En effet, ce que cette formule doitsoigneusement éviter, c'est précisément de préjuger d'unemanière ou d'une autre de la solution de problèmes qui seposeront par la suite.

9) En premier lieu, la Commission a donc été de l'avisqu'on ne saurait alourdir la règle de base en y énonçantune quelconque «justification» théorique de l'existencedu principe fondamental en question. Cette existence estpleinement prouvée par l'examen de la réalité de la vieinternationale; point n'est besoin d'en rechercher uneconfirmation par voie de déduction à partir d'autresprincipes, tels le caractère «juridique» de l'ordreinternational ou l'égalité souveraine des Etats.

10) En deuxième lieu, la Commission a écarté toute idéede mentionner, dans la formule de l'article 1er, lesdifférentes formes que peut prendre la responsabilitéinternationale de l'Etat, ainsi que les sujets qui peuventmettre en cause cette responsabilité. Mais il doit être clairque, par l'emploi de l'expression « responsabilité interna-tionale » à l'article 1er, la Commission entend désignerglobalement toutes les sortes de relations nouvelles quipeuvent naître, en droit international, du fait internatio-nalement illicite d'un Etat, que ces relations se limitent àun rapport entre l'Etat auteur du fait illicite et l'Etatdirectement lésé ou qu'elles s'étendent aussi à d'autressujets de droit international, et qu'elles soient centrées surl'obligation pour l'Etat coupable de rétablir l'Etat lésédans son droit et de réparer le préjudice causé ou portentaussi sur la faculté pour l'Etat lésé lui-même ou pourd'autres sujets d'infliger à l'Etat coupable une sanctionadmise par le droit international. Autrement dit, laformule globale utilisée doit être susceptible de permettretous les développements nécessaires dans le chapitre quisera consacré au contenu et aux formes de la responsa-bilité internationale.

11) En troisième lieu, il est évident que la Commissions'est référée dans l'article 1er à la situation normale, quiest celle de la naissance d'une responsabilité internatio-nale à la charge de l'Etat auteur du fait internationale-ment illicite. La majorité des membres de la Commission

ont reconnu qu'il peut y avoir des hypothèses particu-lières où la responsabilité internationale est mise à lacharge d'un Etat autre que celui auquel est attribué le faitque l'on qualifie d'internationalement illicite. Ceshypothèses aussi seront envisagées dans la suite du projet.Toutefois, vu leur caractère exceptionnel, la Commissionn'a pas cru qu'il fallait déjà en tenir compte dans laformulation de la règle générale sur la responsabilité pourfaits illicites et risquer par là d'amoindrir la valeur debase du principe général énoncé en premier lieu.

12) En quatrième lieu, la Commission a cru ne paspouvoir accepter l'idée de certains auteurs, qui vou-draient que la règle d'après laquelle tout fait internationa-lement illicite d'un Etat entraîne une responsabilitéinternationale de cet Etat subisse une exception dans lecas où le fait illicite aurait été commis dans l'une descirconstances suivantes: force majeure ou cas fortuit,consentement de l'Etat lésé, exercice légitime d'unesanction, légitime défense, état de nécessité. La présence,dans un cas concret, de l'une ou de l'autre de cescirconstances exclurait ainsi la naissance d'une responsa-bilité internationale à la charge de l'Etat auteur du faitillicite. Comme on l'a dit dans l'introduction au présentchapitre53, la Commission se propose de prendrespécifiquement en considération ces circonstances, etleur portée dans les différentes situations possibles, auchapitre du projet qui suivra celui qui a trait àl'infraction. Tout ce qu'il faut dire pour le moment, c'estque, de l'avis de la Commission, le véritable effet de laprésence de ces circonstances n'est pas, normalement dumoins, d'exclure la responsabilité qui autrement découle-rait d'un fait en lui-même illicite, mais plutôt d'exclureque le comportement de l'Etat dans l'une des conditionsmentionnées ne soit qualifié d'illicite. Il n'y a donc làaucune raison qui puisse justifier une exception à la règledéfinie dans l'article.

13) Enfin, la Commission s'est préoccupée d'adopterune formule qui ne préjuge pas de l'existence d'uneresponsabilité pour faits « licites ». Il est vrai que laCommission, ainsi qu'on l'a indiqué dans l'introductionau chapitre II5 4 , a décidé de consacrer le projet d'articlesà la seule responsabilité découlant de faits «illicites»;mais il n'est pas moins vrai que la Commission a reconnul'existence de cas dans lesquels les Etats peuvent encourirune « responsabilité internationale » — pour autant quece terme soit alors le plus approprié — pour lesconséquences préjudiciables de certaines activités que ledroit international n'interdit pas — pour le moment dumoins. Le nombre grandissant d'activités comportant desrisques met en évidence particulière l'importance de cetteforme de « responsabilité ». A cette fin, la Commission aété d'accord pour reconnaître qu'il fallait faire attention àne pas renverser l'ordre de la phrase adoptée dans le textede l'article. Des formules telles « une responsabilitéinternationale découle de tout fait internationalementillicite d'un Etat » ou « il y a responsabilité internationaletoutes les fois qu'il y a fait internationalement illicite del'Etat » pourraient en effet être interprétées dans le sens

53 Voir ci-dessus pa r . 5 1 .54 Voir ci-dessus pa r . 38.

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que la responsabilité internationale découle exclusivementd'un fait illicite.

14) Pour ce qui est de la terminologie employée àl'article 1er, l'expression « fait internationalement illicite »a été considérée par la Commission préférable à celle de« délit » ou à d'autres expressions analogues, qui peuventprendre parfois une coloration particulière au regard decertains systèmes de droit interne. Pour la même raison,on a écarté en anglais l'emploi de termes tels que« delict », « delinquency » ou « tort », et en espagnol leterme « delito ». En deuxième lieu, l'expression « faitinternationalement illicite » a paru en français pluscorrecte que celle « d'acte internationalement illicite »,avant tout pour la raison matérielle que l'illicéité semanifeste souvent à propos d'une inaction, ce qui est malindiqué par le terme « acte » — qui, de par sonétymologie, évoque précisément l'idée d'action. D'autrepart, et surtout du point de vue de la théorie du droit,cette préférence paraît devoir s'imposer, le terme « acte »devant être techniquement réservé en droit pour désignerune manifestation de volonté destinée à produire lesconséquences juridiques déterminées par cette volonté, cequi n'est certes pas le cas pour un comportement illicite.Pour les mêmes motifs, on a adopté pour le texteespagnol l'expression « hecho internacionalmente ili-cito ». En ce qui concerne le texte anglais, cependant, ona décidé de s'en tenir à l'expression « internationallywrongful act », le terme « fait » n'ayant pas un vraiéquivalent dans le langage juridique anglais, et le terme« act » n'ayant pas en anglais la même caractérisationqu'il prend dans le langage juridique des pays latins. Demême, l'adjectif « wrongful » a été considéré préférable àl'adjectif « illicit ». Finalement, l'expression «inter-nationally wrongful act » a été jugée meilleure du pointde vue de la forme que celle de « international wrongfulact », même si les deux expressions sont équivalentesquant au fond. Pour préserver l'uniformité des différentstextes, on a écarté pour les versions française etespagnole, respectivement, les formules « fait illiciteinternational » et « hecho ilicito international » et l'on aparlé de « fait internationalement illicite » et de « hechointernacionalmente ilicito ».

Article 2. — Possibilité que tout Etat soit considérécomme ayant commis un fait internationalement illicite

Tout Etat est susceptible d'être considéré comme ayantcommis un fait internationalement illicite engageant sa res-ponsabilité internationale.

Commentaire

1) L'article 1er du projet a pour objet d'établir que toutEtat, quel qu'il soit, qui a commis un fait qualifiéd'internationalement illicite voit naître à sa charge uneresponsabilité internationale. L'article 2 a pour objet decompléter la disposition de l'article précédent enprécisant en plus que tout Etat, quel qu'il soit, qui a euun comportement donné voit ce comportement qualifié de« fait internationalement illicite » si les conditions prévues

pour une telle qualification sont réunies. En d'autrestermes, cette disposition entend éviter qu'un Etat puissese soustraire à sa responsabilité internationale enprétendant que les règles d'après lesquelles un comporte-ment devrait être considéré comme internationalementillicite s'il est commis par un Etat ne lui sont pasapplicables.

2) La notion à laquelle on se réfère à l'article 2correspond en quelque sorte à celle que l'on désignesouvent en droit interne par les expressions « capacitédélictuelle » ou « capacité de commettre des faitsillicites ». D'après la conception propre à de nombreuxsystèmes de droit national, il existe des sujets qui n'ontpas cette « capacité » — les mineurs par exemple.Autrement dit, il existe des sujets que l'ordre juridique neconsidère pas comme ayant commis un fait « illicite », etdont par conséquent il ne fait pas valoir la responsabilité,même là où leur comportement revêt les caractèresnormalement requis pour être qualifié d'illicite — doncmême au cas où le même comportement, adopté par unautre sujet (une personne majeure par exemple), aurait étéconsidéré comme un fait engageant la responsabilité de cedernier. Le droit international, cependant, ne prévoit pasde situations pareilles. Il n'y a notamment pas deparallélisme possible entre la condition sur le plan dudroit international d'un Etat nouvellement constitué etcelle d'un mineur, ou en général d'une personne qui seraitdépourvue de la capacité délictuelle en droit interne. LesEtats s'affirment comme membres à part égale de lacommunauté internationale dès le moment où ilsatteignent une existence indépendante et souveraine. Sic'est l'apanage de la souveraineté que d'avoir lapossibilité de faire valoir ses droits, la contrepartie en estle devoir de s'acquitter de ses obligations. Le principe envertu duquel aucun Etat qui, par son comportement, aviolé une obligation internationale ne peut se soustraireau résultat qui en découle, à savoir être considéré commeayant commis un fait internationalement illicite enga-geant sa responsabilité, n'est que le corollaire du principede l'égalité souveraine des Etats.

3) La pratique des Etats et la jurisprudence internatio-nale ne laisse pas subsister de doute quant à l'existence duprincipe indiqué, même si celui-ci n'a généralement pasété énoncé expressément dans des sentences internatio-nales ou dans la correspondance diplomatique. On peutdire que les auteurs de droit international sont eux aussiexplicitement ou implicitement d'accord sur ce point55.

55 C'est surtout dans la doctrine allemande et dans la doctrineitalienne qu'on a approfondi la notion de « capacité de commettredes faits internationalement illicites » (voir, respectivement, I. vonMunch, Das vôlkerrechtliche Delikt in der modernen Entwicklungder Vôlkerrechtsgemeinschaft, Francfort-sur-le-Main, Keppler, 1963,p. 130 et 131 ; et R. Ago, « Le délit international », Recueil des coursde l'Académie de droit international de La Haye, 1939-III, Paris,Sirey, 1947, t. 68, p. 453 et suiv.). Parmi les juristes appartenant àd'autres systèmes juridiques, voir L. Oppenheim, International Law:A Treatise, 8e éd. [Lauterpacht], Londres, Longmans, Green, 1955,vol. I, p. 339 et 340; A. Ross, A Textbook of International Law,Londres, Longmans, Green, 1947, p. 259 et 260; B. Cheng, GeneralPrinciples of Law as Applied by International Courts and Tribunals,Londres, Stevens, 1953, p. 181 et 182. Ces auteurs sont d'accordpour affirmer expressément que tous les Etats ont la « capacitédélictuelle ».

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4) Le principe étant établi, la question s'est posée desavoir s'il devait ou non comporter des exceptions. Touten reconnaissant qu'aucun Etat ne saurait prétendre queles règles d'après lesquelles sa conduite pourrait êtrequalifiée d'internationalement illicite ne lui serontapplicables en aucun cas, on s'est demandé s'il n'existaitpas néanmoins des situations spéciales dans lesquelles unEtat pourrait effectivement se soustraire, à titre excep-tionnel, à l'application de ces règles.

5) La première situation prise en considération à cettefin est celle des Etats membres d'une union fédérale, pourautant que ces Etats aient gardé, dans certaines limites,une quelconque personnalité internationale56. C'est àpropos de tels cas qu'on s'est demandé si l'on ne devaitpas reconnaître l'existence possible d'une exception auprincipe formulé à l'article 2. On a fait valoir à ce proposque la pratique internationale semble indiquer que, mêmelà où c'est l'Etat membre qui, dans les limites de sapersonnalité internationale, a assumé une obligationenvers un autre Etat, ce serait toutefois l'Etat fédéral etnon pas l'Etat membre qui porterait la responsabilitéd'une violation par l'Etat membre de cette obligation.Sans vouloir prendre position à ce stade sur le bien-fondéd'une telle conclusion, la Commission a noté que, mêmesi ladite conclusion se révélait fondée, la violation del'obligation internationale commise par l'Etat membredoté de la personnalité internationale constituerait quandmême un fait internationalement illicite de ce dernier. Iln'y aurait donc pas d'exception au principe qui veut quetout Etat soit susceptible d'être considéré comme ayantcommis un fait internationalement illicite.

6) Une autre situation à laquelle on s'est référé a étécelle qui peut se produire lorsque, sur le territoire d'unEtat donné, un autre sujet ou d'autres sujets de droitinternational agissent en lieu et place de ce dernier.L'autre sujet ou les autres sujets en question en viennentparfois à confier, sur une plus ou moins grande échelle,certaines activités normalement exercées par des organesde l'Etat territorial à des éléments de leur propreorganisation. Les organes de l'Etat territorial quinormalement s'acquittent de certaines obligations inter-nationales de cet Etat sont absents, ou sont en tout casempêchés de remplir certaines de leurs fonctions57. En

88 Au cas où les Etats membres d'une union fédérale n'auraientaucune personnalité internationale, la question examinée ici ne peutévidemment pas se poser. N'étant pas des sujets du droit des gens,ces « Etats » ne peuvent manifestement pas être considérés commeles auteurs de faits internationalement illicites. Le seul problème àrésoudre, dans ce cas, est celui de l'attribution à l'Etat fédéral,comme fait de ce dernier, du comportement eu par des organes del'Etat membre; on traitera de ce problème dans le cadre du cha-pitre II du présent projet.

57 Cette situation peut se produire là où il subsiste un rapportjuridique de dépendance tel que le protectorat, mais elle peutsurtout se manifester dans d'autres cas, notamment celui d'uneoccupation militaire. La situation qui se réalise lorsque l'organisa-tion de l'Etat dit «suzerain» ou de l'Etat occupant remplacedans des secteurs déterminés l'organisation de l'Etat dépendantou occupé ne doit pas être confondue avec celle qui peut se pré-senter dans les cas où les organes de ce dernier Etat restent enplace et gardent leurs fonctions, mais n'agissent plus que sous lecontrôle du premier Etat. Dans ce cas, comme on l'a indiqué, cequi peut se produire, c'est une responsabilité d'un Etat pour faitsinternationalement illicites d'un autre Etat.

d'autres termes, l'Etat territorial se trouve amputé d'unepartie de son organisation — d'une partie en vertu delaquelle il avait précédemment la possibilité matérielle deremplir certaines obligations internationales comme de lestransgresser. A ce propos, la Commission a reconnu quesi, dans de telles conditions, les organes de l'Etat étrangerayant remplacé ceux de l'Etat territorial se rendaientcoupables d'une action ou d'une omission contrastantavec une obligation de l'Etat territorial, cette action ouomission pouvait à la rigueur constituer un faitinternationalement illicite de l'Etat étranger en question,mais ne pouvait pas constituer un fait illicite de l'Etatterritorial. La Commission souligne que, même dans cecas, il n'y a pas de vraie limitation au principe énoncé àl'article 2. En effet, s'il n'y a pas là de faitinternationalement illicite de l'Etat territorial, c'est parceque, en vertu des règles sur la détermination des faits del'Etat, les comportements dont on se plaint ne sauraientêtre attribués à l'Etat territorial.

7) La Commission a d'autre part reconnu que l'exis-tence (déjà évoquée dans le commentaire de l'article 1er)de circonstances qui pourraient exclure l'illicéité ne portepas atteinte au principe énoncé à l'article 2 et ne sauraitêtre présentée comme comportant une exception àl'applicabilité de ce principe. Lorsque le comportementd'un Etat a lieu dans des circonstances comme la légitimedéfense, la force majeure ou l'exercice légitime d'unesanction, ce comportement ne constitue pas un faitinternationalement illicite car, dans de telles circons-tances, l'Etat n'est pas tenu d'observer l'obligationinternationale qu'il devrait normalement respecter, et ilne saurait donc y avoir de violation de cette obligation.Par conséquent, l'une des conditions essentielles del'existence d'un fait internationalement illicite fait défaut.L'hypothèse envisagée n'est nullement celle d'uneprétendue exception à la règle qui veut qu'aucun Etat nepuisse se soustraire à la possibilité de voir soncomportement qualifié d'internationalement illicite si —précisément — toutes les conditions de cette qualificationse trouvent réunies. D'autre part, l'existence éventuelle decirconstances dont l'effet ne serait pas d'exclure l'illicéitédu fait de l'Etat, mais d'atténuer la responsabilité decelui-ci58, pourrait moins encore être présentée commeune exception à cette règle. Lorsque, dans un cas concret,de telles circonstances interviennent, l'existence d'un faitinternationalement illicite de l'Etat n'est nullement encause. C'est sur les conséquences qui s'attachent à ce faitque lesdites circonstances pourront éventuellement avoirune incidence — et c'est la raison pour laquelle ontraitera de cette question lorsqu'on étudiera l'étendue dela responsabilité.

8) Par conséquent, les membres de la Commission ontconclu que le principe consacré à l'article 2 est nonseulement incontesté, mais ne comporte en réalité pasd'exceptions. S'agissant d'un principe que l'on peutdécrire comme « tout à fait évident » et « allant de soi »,des doutes ont été exprimés quant à la nécessité d'insérer

58 De telles circonstances pourraient jouer, par exemple, dans lecas d'un Etat qui aurait accédé depuis peu de temps à l'indépen-dance, ou qui aurait été ravagé par une guerre ou une guerre civile,ou qui aurait subi de graves fléaux naturels, etc.

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Rapport de la Commission à l'Assemblée générale 181

dans la convention une règle énonçant un tel principe. Ons'est demandé s'il n'était pas suffisant que ce principe soitmis en évidence dans les ouvrages scientifiques desinternationalistes. Toutefois, l'opinion a prévalu que cene saurait être une bonne méthode de codification que derenoncer à énoncer expressément un principe parce qu'ilest « trop évident ». Il n'est pas rare qu'un Etat niel'existence d'une règle « tout à fait évidente » ou que, touten reconnaissant son existence, il affirme que cette règle« évidente » admet des exceptions en vertu desquelles ellene lui est pas applicable. La Commission a parconséquent estimé qu'il valait mieux insérer dans le textedu projet d'articles une règle, même si elle ne paraît pasabsolument indispensable, que de laisser planer un douteéventuel quant à l'applicabilité à tous les Etats, sansexception, des règles en vertu desquelles un fait d'un Etatest qualifié d'internationalement illicite et engendrecomme tel la responsabilité internationale de cet Etat.

9) En ce qui concerne le choix de la formule à adopterpour exprimer le principe dont il s'agit, certains membresde la Commission ont fait valoir que le but de l'articleétait essentiellement d'éviter qu'un Etat puisse, eninvoquant une condition subjective particulière, essayerde se soustraire à sa responsabilité internationale. Us ontdonc estimé souhaitable de faire ressortir que le droitinternational ne connaît pas de condition subjectivepouvant justifier cette prétention et que, pour le droitinternational, tous les Etats sont égaux quant à lapossibilité de voir leur responsabilité internationaleengagée. Ils ont proposé d'adopter une formule expri-mant l'idée que tout Etat est responsable de ses faitsinternationalement illicites. Toutefois, la majorité desmembres de la Commission a été d'avis qu'une formulesemblable n'offrirart pas de garantie efficace contre lapossibilité qu'un Etat essaie précisément de se soustraireà sa responsabilité internationale en invoquant unecondition subjective particulière. La voie serait en effettoujours ouverte qui permettrait à un Etat d'affirmer quel'existence d'une telle condition exclut la possibilité dequalifier sa conduite d'internationalement illicite et, parconséquent, de le tenir pour responsable en vertu desarticles 1er et 2. Au surplus, la formule suggérée ne feraiten réalité que répéter sous une autre forme le principedéjà énoncé à l'article 1er, à savoir celui d'après lequeltout comportement internationalement illicite d'un Étatquel qu'il soit engage sa responsabilité internationale. Or,ce que le principe à énoncer à l'article 2 doit indiquer,c'est que, quel que soit l'Etat qui a eu un comportementdonné, ce comportement sera qualifié de fait internationa-lement illicite dudit Etat si les conditions prévues auxprésents articles pour qu'un tel fait existe sont réunies. Cesera par l'effet combiné de ce principe et de celuiqu'énonce l'article 1er que se trouvera exclue pour toutEtat la possibilité de se soustraire à la responsabilitéinternationale en invoquant une prétendue conditionsubjective particulière. Cela étant, l'accord s'est fait à laCommission sur une formule qui souligne l'égalité desEtats à la fois quant à la possibilité d'être considérécomme ayant commis un fait internationalement illicite etquant à la possibilité d'en être tenu pour responsable.

10) Toujours à propos de la formule à adopter, laCommission a jugé préférable de ne pas employer

l'expression «capacité de commettre des faits illicites»,bien que ce soit là l'expression dont se serventgénéralement les auteurs pour exprimer la notion faisantl'objet de l'article 2. On pourrait en effet être tenté, enprésence du terme « capacité », d'opérer un rapproche-ment entre le principe que tout Etat a, en droitinternational, la capacité de commettre des faits illicites etla règle qui figure à l'article 6 de la Convention de Viennesur le droit des traités, aux termes de laquelle « tout Etata la capacité de conclure des traités59 ». Or, la capacité deconclure des traités et la capacité de commettre des faitsinternationalement illicites sont deux notions entièrementdistinctes. La capacité de conclure des traités, équivalentinternational de la capacité contractuelle, est l'aspect leplus marquant de cette situation juridique subjective qui,toujours pour emprunter une terminologie familière audroit interne, peut se définir comme la « capacité d'agir »de l'Etat en droit international: à savoir le pouvoirjuridique reconnu à l'Etat d'accomplir des « actesjuridiques », de produire un effet de droit par unemanifestation de volonté. Par contre, ce qu'on appelle« capacité de commettre des faits illicites » ou « capacitédélictuelle » ne désigne évidemment pas un pouvoirjuridique. Il serait absurde que l'ordre juridique attribueà ses sujets un pouvoir de se conduire de façon contraireà ses propres obligations. La « capacité de commettre desfaits illicites » ou « capacité délictuelle » n'est donc pasune sous-catégorie de la «capacité d'agir». Ce que l'onveut indiquer lorsqu'on emploie cette formule, c'estqu'un sujet est susceptible de se comporter de façoncontraire à une obligation juridique qui lui incombe et, cefaisant, de réunir les conditions nécessaires pour êtreconsidéré comme ayant commis un fait illicite. En outre,si l'on rédigeait l'article 2 en y disant que « tout Etat a lacapacité de commettre des faits internationalementillicites », on risquerait de faire croire que le droitinternational autorise ses sujets à contrevenir à l'ordrejuridique qu'il établit. Pour des raisons analogues, on aaussi préféré ne pas dire, en français, « tout Etat estsusceptible de commettre un fait internationalementillicite », pour éviter la coloration permissive queprendrait la traduction anglaise qui dirait: « Every Statemay commit internationally wrongful acts ». La formuleadoptée a paru à la Commission celle qui évitait le mieuxdes interprétations erronées.

11) En rédigeant l'article 2, la Commission a eu soind'adopter une formule qui ne préjuge pas la possibilitéque les sujets autres que les Etats soient considéréscomme ayant commis un fait internationalement illicite.Le présent projet d'articles ne concerne que laresponsabilité internationale des Etats. Dans ce contexte,on n'a pas à établir si un fait internationalement illicitepeut être commis uniquement par des Etats ou aussi pard'autres sujets. Afin d'éviter toute équivoque sur ce point,la Commission a préféré ne pas employer, pour l'article 2,un titre tel que « Sujets susceptibles d'être considéréscomme ayant commis un fait internationalement illicite » :ce libellé aurait pu engendrer l'idée erronée qu'on a voulu

59 Pour toutes les références à la Convention de Vienne, voirDocuments officiels de la Conférence des Nations Unies sur le droitdes traités, Documents de la Conférence (publication des NationsUnies, numéro de vente: F.7O.V.5), p. 309.

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affirmer à l'article 2 que seuls les Etats sont susceptiblesde commettre de tels faits.

Article 3. — Eléments du fait internationalement illicitede l'Etat

II y a fait internationalement illicite de l'Etat lorsquea) un comportement consistant en une action ou en une

omission est attribuable d'après le droit international àl'Etat; et

b) ce comportement constitue une violation d'uneobligation internationale de l'Etat.

Commentaire

1) A l'article 1er du projet, on énonce le principe généralde base que tout fait internationalement illicite d'un Etatengage sa responsabilité internationale, et à l'article 2 leprincipe que tout Etat est susceptible d'être considérécomme ayant commis un fait internationalement illiciteengageant sa responsabilité. L'article 3 vient compléterces deux principes en déterminant les conditions requisespour établir l'existence d'un fait internationalementillicite de l'Etat, c'est-à-dire les éléments constitutifs dufait internationalement illicite. A cette fin, on distinguetraditionnellement les deux éléments suivants, qui doiventse trouver réunis: à) un élément qualifié généralementd'élément subjectif et constitué par un comportement quidoit être susceptible d'être attribué non pas à l'êtrehumain ou à la collectivité d'êtres humains qui l'amatériellement eu, mais à l'Etat en sa qualité de sujet dudroit international; b) un élément qualifié généralementd'élément objectif et qui veut que l'Etat auquel lecomportement en question est attribué ait, par cecomportement, manqué à une obligation internationalequi était à sa charge.

2) Abstraction faite de questions de terminologie — et,plus généralement, de la précision plus ou moins pousséedes expressions que l'on trouve parfois employées —, il esthors de doute que les deux éléments que l'on vient dementionner sont nettement identifiables, par exemple,dans le passage de l'arrêt rendu par la CPJI dans VAffairedes phosphates du Maroc, où la Cour lie expressément lanaissance d'une responsabilité internationale à l'existence« d'un acte imputable à l'Etat et décrit comme contraireaux droits conventionnels d'un autre Etat60 ». On lesretrouve également dans la sentence relative à VAffaire dela Dickson Car Wheel Company, rendue en juillet 1931par la Commission générale des réclamations Etats-Unisd'Amérique/Mexique, instituée par le traité du 8 sep-tembre 1923, où l'on indique comme condition pourque l'Etat puisse encourir une responsabilité internatio-nale le fait « qu'un acte illicite international lui soitimputé, c'est-à-dire qu'il existe une violation d'uneobligation imposée par une norme juridique internatio-nale 61 ». Pour ce qui est de la pratique des Etats, on peut

rappeler les termes dans lesquels le Gouvernementautrichien répondait au point II de la demanded'informations adressée aux gouvernements par leComité préparatoire de la Conférence de 1930:

Pour que la responsabilité internationale soit engagée, la violationd'une des obligations internationales incombant aux Etats d'après ledroit des gens doit, en tout cas, pouvoir leur être imputée62.

3) Pour la doctrine du droit international, le double faitqu'un certain comportement soit attribuable à l'Etat sujetdu droit international et que ce comportement constituela violation d'une obligation internationale dudit Etat estgénéralement considéré comme étant l'élément indispen-sable pour qu'on puisse reconnaître l'existence d'un faitillicite donnant lieu à une responsabilité internationale.Parmi les formulations déjà anciennes, celle d'Anzilottireste classique63; parmi les plus récentes, celles deSereni64, de Levin 65, d'Amerasinghe66, de Jimenez deAréchaga 67 et celle qui figure dans la Restatemenl of theLaw de l'American Law Institute68 sont des plus nettes.On peut dire en général que, sur ce point, la plupart desauteurs se trouvent d'accord en substance, et cela sansdistinction de nationalité ni d'époque69. Les raresréserves qu'on trouve chez quelques auteurs à propos dela nécessité ou de l'utilité de ce qu'on a appelé l'élémentsubjectif du fait internationalement illicite sont duesparfois à l'idée — isolée et nettement infirmée par lajurisprudence et par la pratique — que l'Etat nerépondrait jamais de faits « siens », mais seulement defaits d'individus, qu'il s'agisse de faits d'individus ayantle statut d'organes ou de simples particuliers70. Dans

60 Affaire des phosphates du Maroc (exceptions préliminaires),14 juin 1938 {C.P.J.I., série A /B , n° 74, p . 28). [C'est la Commissionqui souligne.]

61 Na t ions Unies, Recueil des sentences arbitrales, vol. IV (publi-cation des Nat ions Unies, numéro de vente : 1951.V.1), p. 678 (tr.du Secrétariat de l 'original anglais). [C'est la Commission quisouligne.]

02 S D N , Bases de discussion... (op. cit.), p. 21 . [C'est la Commis-sion qui souligne.]

63 « La responsabili té naît de la violation illicite du droit d'autruiet engendre l'obligation de réparer pour autant qu'elle soit liée àun sujet agissant; qu'autrement dit elle lui soit imputable» (Teoriagénérale... [op. cit.], p . 83) [tr. du Secrétariat de l 'original italien].[C'est la Commission qui souligne].

64 Diritto intemazionale, Milan, Giuffrè, 1962, t. III , p . 1505.65 Otvetstvennost gossoudarstv v sovremennom mejdounarodnom

prave, M o s c o u , M e j d o u n a r o d n y e o tno tchen iya , 1966, p . 51 .66 State Responsibility for Injuries to Aliens, Oxford, C l a r e n d o n

Press, 1967, p . 37.67 Op. cit., p . 534.68 Amer ican Law Inst i tu te , Restatement of the Law, Second,

Foreign Relations Law of the United States, Saint Paul (Minn . ) ,Amer ican Law Ins t i tu te Publ ishers , 1965, p . 497.

69 Voir , p a r m i de n o m b r e u x au teurs , C h . de Visscher, op. cit.,p . 90 et 91 ; A . V. F reeman , The International Responsibility ofStates for Déniai of Justice, Lond re s , L o n g m a n s , Green , 1938,p. 22; R. Ago, «Le délit international », Recueil des cours... (op.cit.), p. 441 et suiv., et 450 et suiv.; J. Garde Castillo, «El actoilicito internacional », Revista espanola de derecho internacional,Madrid, Consejo Superior de Investigaciones Cientificas, vol. III,n° 1, 1950, p. 124; Ch. Rousseau, Droit international public, Paris,Sirey, 1953, p. 361; P. Guggenheim, Traité de droit internationalpublic, Genève, Georg, 1954, t. II, p. 1 et 2, 4 et 5; B. Cheng, op.cit., p. 170; P. Reuter, «La responsabilité internationale», Droitinternational public (cours), Paris, Les Nouvelles Institutes, 1955-1956, p. 52 et suiv., et 82 et suiv.; G. Schwarzenberger, A Manualof International Law, 4e éd., Londres, Stevens, 1960, vol. 1, p. 163;G. Ténékidès, « Responsabilité internationale », Répertoire de droitinternational, Paris, Dalloz, 1969, vol. II, p. 783 et suiv.

70 A. Soldati, La responsabilité des Etats dans le droit international,Paris, Librairie de jurisprudence ancienne et moderne, 1934, p. 75et suiv.

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d'autres cas, c'est pour des raisons de cohérence logiqueavec les prémisses adoptées que certains auteurs se croientobligés d'éliminer l'existence d'une opération normativede rattachement à l'entité collective de l'activité dont unêtre humain est l'auteur matériel. Ainsi, par exemple, il ya des auteurs qui soutiennent que, la seule « imputationjuridique » concevable étant celle qui consiste à attribuerà une entité donnée les effets juridiques d'un fait,l'attribution du fait comme tel à ladite entité ne sauraitêtre qu'un imputation matérielle ou psychologique 71. Il ya aussi d'autres auteurs qui croient que la nécessité deremplacer l'idée d'imputation juridique par celle dereconnaissance d'un lien de causalité matérielle découle-rait forcément du caractère « réel » des entités collectives,dont l'Etat en premier lieu 72. Plus couramment, enfin-, lesréserves qu'on exprime sont simplement le reflet despréoccupations causées par le recours habituel, en cettematière, à ces termes d'imputabilité et d'imputation danslesquels on voit une source de confusion et que laCommission, ainsi qu'on l'indique ci-dessous73, aprécisément décidé d'écarter et de remplacer par d'autres,moins susceptibles de prêter à équivoque 74.

4) En ce qui concerne Vêlement subjectif, et plusparticulièrement la détermination du comportementsusceptible d'être considéré comme un comportement del'Etat, ce qu'il y a à relever à titre général, c'est qu'il peutaussi bien être actif (action) que passif (omission). Onpeut même dire que les cas où l'on s'est fondé sur uneomission de la part d'un Etat pour invoquer saresponsabilité internationale sont peut-être plus nom-breux encore que ceux où l'on s'est fondé sur une actionde sa part, et lorsque la jurisprudence internationale a vudans une omission illicite une source de responsabilitéinternationale, elle l'a fait en des termes tout aussi netsqu'à propos d'un comportement actif75. De même, lesEtats qui ont répondu au point V de la demanded'informations qui leur avait été soumise par le Comitépréparatoire de la Conférence de 1930 ont acceptéexpressément ou implicitement le principe d'après lequella responsabilité de l'Etat peut être engagée aussi bienpar l'omission que par l'action de fonctionnaires 76, et ceprincipe a été sanctionné dans les articles adoptés enpremière lecture par la Conférence 77. Enfin, on peut direque le principe est admis sans discussion par les

71 G. Arangio-Ruiz, G H enti soggetti deli'ordinamento inter-nazionale, Milan, Giuffrè, 1951, vol. I, p . 128 et suiv., 357 et suiv.

72 R. Quadri , Diritto iniernazionale pubblico, 5e éd., Naples,Liguori, 1968, p. 587 et 588.

73 Voir ci-dessous par. 15.74 V. N . Elynytchev, « Problema vmenenia v mejdounarodnom

prave », Pravovedenie, Leningrad, 1970, n° 5, p. 83 et suiv.75 La responsabilité internationale de l 'Etat pour un fait inter-

nationalement illicite d'omission a été explicitement affirmée par laCIJ dans l 'arrêt du 9 avril 1949 relatif à l'Affaire du détroit deCorfou (fond) (C.I.J. Recueil 1949, p . 22 et 23). Voir aussi ladécision arbitrale du 10 juillet 1924 sur l'Affaire relative à l 'acqui-sition de la nationalité polonaise (Nations Unies, Recueil dessentences arbitrales, vol. I [publication des Nat ions Unies, numérode vente: 1948.V.2], p . 425).

76 SDN, Bases de discussion... (op. cit.), p. 70 et suiv.; et Supplé-ment au tome III (op. cit.), p. 2, 3, 12 et suiv.

77 Voir Annuaire... 1956, vol. II, p. 226, doc. A/CN.4/96, annexe 3,articles VI, VII et VIII.

auteurs78, et les divers projets de codification privéel'acceptent tous, explicitement ou implicitement.

5) En deuxième lieu, ce qu'il importe de mettre enévidence, c'est qu'en affirmant que, pour qu'un compor-tement déterminé puisse être qualifié de fait internationa-lement illicite, il doit avant tout être un comportementattribuable à l'Etat, on veut uniquement indiquer quel'action ou l'omission dont il s'agit doit pouvoir êtreconsidérée en droit international comme un « fait del'Etat ». L'Etat est une entité organisée réelle, maisreconnaître cette « réalité » ne veut pas dire nier la véritéélémentaire que l'Etat comme tel n'est pas capable d'agirphysiquement. En dernière analyse, donc, un comporte-ment considéré comme un « fait de l'Etat » ne peut êtrequ'une action ou une omission physiquement réaliséepar un être humain ou par une collectivité d'êtreshumains79. D'où la nécessité d'établir par quoi etcomment on peut reconnaître dans une action ouomission donnée un « fait de l'Etat ». En d'autres termes,il s'agit de déterminer par qui et dans quelles conditionsces actions ou omissions doivent avoir été commises pourêtre attribuables à l'Etat. C'est à cette détermination quesont consacrés les articles du chapitre II du projet.

6) 11 convient cependant de préciser, dès maintenant,que l'attribution d'un comportement à l'Etat ne peut êtrebasée sur la simple reconnaissance d'un lien de causaliténaturelle. On peut parler parfois — pas toujours,d'ailleurs — de causalité naturelle à propos du rapportentre un comportement donné et le résultat provoqué parce comportement, mais non à propos du rapport entre lapersonne de l'Etat et l'action ou l'omission qui lui estattribuée. Il n'y a pas d'activités de l'Etat qui puissentêtre dites « siennes » du point de vue de la causaliténaturelle — et cela sur le plan du droit interne tout autantque sur le plan du droit international. Par la naturepropre de l'Etat, l'attribution d'un comportement àl'Etat est nécessairement une opération normative80. Ilconvient aussi de souligner que l'Etat auquel on attribueun comportement donné est l'Etat vu en tant quepersonne — en tant que sujet de droit —, non pas l'Etat

78 Voir, pour des études concernant les aspects spécifiques dudélit d'omission en droit international, R. Ago, « Illecito commissivoe illecito omissivo nel diritto internazionale », Diritto internazionale,Milan, Istituto per gli studi di politica internazionale, 1938, p. 9 etsuiv.; P. A. Zannas, La responsabilité internationale des Etats pourles actes de négligence, Montreux, Ganguin et Laubscher, impr.,1952; G. Perrin, « L'agression contre la légation de Roumanie àBerne et le fondement de la responsabilité internationale dans lesdélits d'omission », Revue générale de droit international public,Paris, 3e série, t. XXVIII, n° 3 (juill.-sept. 1957), p. 410 et suiv.;D. Lévy, « La responsabilité pour omission et la responsabilitépour risque en droit international », ibid., t. XXXII, n° 4 (oct.-déc. 1961), p. 744 et suiv.

78 « Les Etats ne peuvent agir qu'au moyen et par l'entremise dela personne de leurs agents et représentants » (Avis consultatif n° 6de la CPJI au sujet de certaines questions touchant les colonsd'origine allemande dans les territoires cédés par l'Allemagne àla Pologne, C.P.J.I., série B, n° 6, p. 22).

80 Voir D. Anzilotti, Corso... (op. cit.), p. 222; J. G. Starke,« Imputability in international delinquencies », The British YearBook of International Law, 1938, Londres, vol. 19, p. 105;W. Wengler, op. cit., t. I, p. 39; C. Th. Eustathiades, « Les sujetsdu droit international et la responsabilité internationale — Nouvellestendances», Recueil des cours..., 1953-IH, Leyde, Sijthoff, 1955,t. 84, p. 422.

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au sens d'ordre juridique, de système de normes81.Ajoutons qu'il s'agit d'une attribution à l'Etat en saqualité de sujet de droit international, et non pas de sujetde droit interne 82. Enfin, il est nécessaire de mettre enévidence que l'attribution à l'Etat d'un comportementaux fins d'établir l'existence éventuelle d'un faitinternationalement illicite de cet Etat ne peut avoir lieuque d'après le droit international. L'opération quiconsiste à rattacher une action ou une omission à un sujetde droit international pour en tirer des conséquences dansle domaine des rapports juridiques internationaux ne peutse réaliser dans un cadre autre que le droit internationallui-même83. Elle est donc une opération entièrementdistincte de l'attribution du même comportement à l'Etatsujet de droit interne opérée sur la base de ce droit, celasans préjudice de la prise en considération éventuelle parle droit international, à ses propres fins, de la situationexistant en droit interne. Les difficultés concrètesauxquelles on se heurte parfois dans cette matière sont,très souvent, dues à une perception insuffisamment clairede ces différents aspects.

7) La deuxième condition indiquée comme indispen-sable pour qu'il y ait fait internationalement illicite del'Etat est que le comportement attribuable à l'Etatconstitue une violation par cet Etat d'une obligationinternationale existant à sa charge. C'est ce que l'onappelle l'élément objectif du fait internationalementillicite — l'élément spécifique qui marque son caractèredistinctif par rapport aux autres faits de l'Etat auxquels ledroit international attache des conséquences juridiques.Le contraste entre le comportement adopté en fait et celuique juridiquement on aurait dû avoir constitue, en effet,l'essence même de l'illicéité.

8) Que l'élément objectif qui caractérise un faitinternationalement illicite se trouve être la violation d'uneobligation internationale existant à la charge de l'Etat,

81 L'identification de la personne juridique avec un ordre juridiquea amené, à un certain moment, des auteurs comme H. Kelsen(« (Jber Staatsunrecht », Zeitschrift fiir das Privât- und ôffentlicheRecht der Gegenwart, Vienne, Holder, vol. 40, 1914, p. 114) etW. Burckhardt {Die vôlkerrechtliche Haftung der Staaten, Berne,Haupt, 1924, p. 10 et suiv.) à conclure à l'impossibilité d'attribuerà la personne juridique, expression de l'unité de l'ordre juridiquespécial qui la constitue, un fait illicite. Pour une critique de ladoctrine normative à propos de l'identification de l'Etat et de sonordre juridique, voir Elynytchev, op. cit., p. 85 et suiv.

82 Pou r une réaffirmation récente de cet aspect, voir Inst i tutd ' E t a t du droit de l 'Académie des sciences de l 'Un ion soviétique,op. cit., p . 426.

83 Voir J. G. Starke, op. cit., p . 106 et 107; T. Perassi, Lezioni didiritto internazionale, 4 e éd., R o m e , F o r o I ta l iano, 1939, p . 116;R. Ago, «Le délit international», Recueil des cours... (op. cit.),p. 461 et 462; K. Furgler, Grundprobleme der vôlkerrechtlichenVerantwortlichkeit der Staaten unter besonderer Berùcksichtigung derHaager Kodifikationskonferenz, sowie der Praxis der VereinigtenStaaten und der Schweiz, Zurich, Polygraphischer Verlag, 1948,p. 19 et 20; P. Reuter, «La responsabilité internationale», Droitinternational public (op. cit.), p. 87; J.-P. Quéneudec, La responsa-bilité internationale de VEtat pour les fautes personnelles de sesagents, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1966,p. 119. C'est toujours en vertu de sa conception particulière del'Etat, et de la personne juridique en général, que Kelsen a étéamené à soutenir que la question de savoir si un acte accomplipar un individu est ou non un acte étatique doit être tranchéesur la base du droit interne (H. Kelsen, Principles of InternationalLaw, New York, Rinehart, 1952, p. 117).

cela est très largement reconnu par la jurisprudence, lapratique et la doctrine la plus autorisée. Dans son arrêtdu 26 juillet 1927 concernant la compétence dans Y Affairerelative à l'usine de Chorzôw84, la CPJ1 s'est servie, à cepropos, de l'expression « violation d'un engagement ».Elle a repris la même expression dans son arrêt du 13septembre 1928 concernant le fond de la même affaire85.La CIJ s'est référée explicitement aux termes employéspar la CPJI dans son avis consultatif du 11 avril 1949concernant la Réparation des dommages subis au servicedes Nations Unies86. Dans son avis du 18 juillet 1950relatif à VInterprétation des traités de paix conclus avec laBulgarie, la Hongrie et la Roumanie (deuxièmephase), laCour a mentionné comme étant de nature à engager laresponsabilité internationale « le refus de s'acquitterd'une obligation conventionnelle87 ». Dans la jurispru-dence arbitrale, la définition restée classique est celle, àlaquelle on s'est déjà référé, qu'a donnée la Commissiongénérale des réclamations Etats-Unis d'Amérique/-Mexique dans sa décision sur l'Affaire de la Dickson CarWheel Company88. Dans la pratique des Etats, la « non-exécution d'obligations internationales », les « actesincompatibles avec des obligations internationales », la« violation d'une obligation internationale », la « viola-tion d'un engagement » sont couramment invoqués pourdésigner l'essence même d'un fait internationalementillicite, source de responsabilité. Ces expressions re-viennent fréquemment dans les réponses envoyées par lesdifférents gouvernements surtout au point III de lademande d'informations qui leur avait été adressée par leComité préparatoire de la Conférence de 193089. Etl'article 1er adopté à l'unanimité en première lecture parla Troisième Commission de la Conférence s'ouvreprécisément par ces mots : « Tout manquement auxobligations internationales d'un Etat9 0». On peutconstater la même concordance de vues chez les auteursd'ouvrages scientifiques ou de projets privés de codifica-tion de la responsabilité des Etats.

9) II convient de préciser qu'en droit international l'idéede violation d'une obligation peut être considérée commel'équivalent absolu de celle de lésion du droit subjectifd'autrui. La CPJI — qui, normalement, emploiel'expression «violation d'une obligation internationale»— a parlé d'un « acte [...] contraire aux droitsconventionnels d'un autre Etat » dans son arrêt du 14 juin1938 concernant VAffaire des phosphates du Maroc91.La corrélation entre obligation juridique d'un côté etdroit subjectif de l'autre ne souffre pas d'exception: il

S*C.P.J.I., série A , n° 9, p . 2 1 .85 C.P.J.I., série A, n° 17, p. 29.86 C.I.J. Recueil 1949, p . 184.87 C.I.J. Recueil 1950, p. 228.88 Voir ci-dessus par. 2. Voir aussi la décision rendue à propos

de l'Affaire relative à l'acquisition de la nationalité polonaise(10 juillet 1924) [Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales,vol. I (publication des Nations Unies, numéro de vente: 1948.V.2),p. 425].

89 SDN, Bases de discussion... (op. cit.), p. 25 et suiv., 30 etsuiv., 33 et suiv.; et Supplément au tome III (op. cit.), p. 2, 6 etsuiv.

90 Annuaire... 1956, vol. II, p. 226, doc. A/CN.4/96, annexe 3.91 C.P.J.I., série A/B, n° 74, p. 28.

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Rapport de la Commission à l'Assemblée générale 185

n'existe assurément pas — à la différence de ce que peutêtre la situation en droit interne — d'obligationsincombant à un sujet auxquelles ne correspondrait pas undroit subjectif international d'un autre sujet ou d'autressujets — voire même, pour ceux qui partagent un pointde vue déjà mentionné dans le commentaire de l'article1er, de l'ensemble des autres sujets du droit des gens.10) On s'est parfois demandé s'il ne devrait pas y avoirune exception au principe selon lequel la caractéristiquedu fait internationalement illicite est qu'il consiste en uneviolation par l'Etat d'une obligation internationaleexistant à sa charge. Ce point d'interrogation est dû àl'idée que, dans certaines hypothèses, l'exercice abusifd'un droit pourrait constituer un comportement interna-tionalement illicite, générateur, à ce titre, d'une responsa-bilité internationale. La Commission est d'avis que lasolution éventuelle de ce problème n'a pas d'incidencedirecte sur la détermination des éléments du faitinternationalement illicite. Il s'agit d'une question defond qui concerne l'existence ou la non-existence d'unerègle « primaire » du droit international : la règle quiaurait pour effet de limiter l'exercice par l'Etat de sesdroits ou, selon certains auteurs, de ses compétences, etd'en interdire l'exercice abusif. Partant, s'il devait êtreadmis qu'une limitation et une interdiction de ce genresont acceptées par le droit international en vigueur,l'exercice abusif d'un droit par un Etat constitueraitnécessairement une violation de l'obligation de ne pasdépasser certaines limites dans l'exercice de ce droit, dene pas l'exercer avec l'unique intention de nuire à autruiou de violer sa sphère de compétence. Si l'existence d'unfait internationalement illicite devait être reconnue dansune hypothèse semblable, l'élément constitutif seraittoujours représenté par la violation d'une obligation, etnon pas par l'exercice d'un droit. Par conséquent, en cequi concerne la définition de principe des conditionsd'existence d'un fait internationalement illicite, lamention de la violation d'une obligation internationale aété jugée suffisante pour comprendre aussi l'hypothèse oùl'obligation en question serait précisément celle de ne pasexercer d'une manière abusive et déraisonnable certainsde ses propres droits. Cela dit, on doit préciser que laCommission n'a pas pour autant exclu définitivement lapossibilité d'avoir à traiter de la question de l'abus dedroit à propos d'autres dispositions du présent projet —cela pour autant qu'elle n'estimera pas plus approprié demettre séparément à l'étude la codification de cettematière spécifique, qui concerne la définition de certainesrègles « primaires » plutôt que celle des règles de laresponsabilité.

11) Ayant ainsi conclu qu'il n'y avait pas d'exceptionau principe selon lequel deux conditions doivent êtreréunies pour qu'il y ait fait internationalement illicite —la présence d'un comportement attribuable à l'Etatd'après le droit international et la violation, par cecomportement, d'une obligation internationale à sacharge —, la Commission s'est demandé si ces deuxconditions indispensables étaient aussi suffisantes. A cetégard, le problème examiné en premier lieu a été de savoirsi, parfois, une troisième condition ne devait pas s'ajouteraux deux autres pour qu'il y ait fait internationalementillicite: la survenance, à la suite du comportement de

l'Etat, d'un certain événement extérieur*2. Dans certainscas (quand par exemple les organes législatifs d'un Etatomettent de voter une loi que, par un traité, l'Etat s'étaitspécifiquement engagé à adopter, ou qu'un pays côtierrefuse, en temps de paix, le passage innocent dans seseaux territoriales aux navires d'un pays étranger donné),le comportement en tant que tel suffit pour réaliser laviolation d'une obligation internationale de l'Etat. On estalors en présence de ce qu'on peut appeler un faitinternationalement illicite de comportement. Il y acependant d'autres cas où la situation se présentedifféremment. Pour que l'on puisse dire qu'un Etat amanqué à son devoir de protection du siège d'uneambassade étrangère contre des préjudices émanant detiers, il n'est pas suffisant de montrer que cet Etat a éténégligent en ne prévoyant pas une surveillance adéquatede la part de la police; il faut encore que, à la suite decette négligence, un événement préjudiciable se soitproduit, tel que, par exemple, des dommages perpétréspar des manifestants hostiles ou une attaque departiculiers au siège de l'ambassade. Dans un cas de cegenre — et en général dans le cas où l'obligationinternationale a précisément pour but d'éviter quecertains événements préjudiciables ne se produisent —, lecomportement éventuellement négligent des organes del'Etat ne devient une véritable violation de l'obligationinternationale que si au comportement en soi vients'ajouter un élément supplémentaire: un événementextérieur — un de ces événements que l'Etat devaitprécisément s'efforcer de prévenir. Cependant, la Com-mission ne pense pas que la distinction mentionnée aitune incidence directe sur la formulation de la règle quiénonce les conditions de l'existence d'un fait internatio-nalement illicite. Même si, dans certains cas, on doitconclure qu'il n'y a pas fait internationalement illicitetant qu'un événement extérieur donné ne s'est pasproduit, cela n'implique pas que les deux conditions del'existence d'un fait internationalement illicite (comporte-ment attribuable à l'Etat, d'une part, et violation par cecomportement d'une obligation internationale, d'autrepart) ne suffisent plus à elles seules. S'il n'y a pas de faitinternationalement illicite tant que l'événement ne s'estpas produit, c'est que jusque-là le comportement de l'Etatn'a pas encore réalisé la violation d'une obligationinternationale. C'est donc l'élément objectif du faitinternationalement illicite qui, en réalité, fait défaut. End'autres termes, la survenance d'un événement extérieurest une condition de la violation d'une obligationinternationale, et non pas un nouvel élément qui devraitvenir s'ajouter à cette violation pour qu'il y ait faitillicite. C'est donc lorsqu'on examinera les différentesquestions qui se posent à propos de l'infractioninternationale que la Commission pourra prendre enconsidération la distinction ci-dessus évoquée entre deuxtypes différents de faits internationalement illicites.

12) Le deuxième problème que la Commission aexaminé dans ce contexte est celui de savoir si, pourpouvoir conclure à l'existence d'un fait internationale-ment illicite, il ne faudrait pas établir aussi la présence,

92 Voir, sur cette question, R. Ago, « Le délit international »,Recueil des cours... (op. cit.), p. 447 et suiv., et p. 500.

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dans le cas concret considéré, d'un troisième élémentconstitutif: celui d'un dommage qui, à la suite ducomportement de l'Etat, se serait produit au détriment dusujet dont le droit subjectif a été lésé. Certains auteurssont en effet de cet avis93, même si l'emploi qu'ils fontcommunément du terme « dommage » n'indique pasnécessairement qu'ils entendent se référer au mêmephénomène ou au même aspect. Même en faisantabstraction des opinions de ceux qui, sous le nom dedommage, visent quelque chose d'autre — en tout casquelque chose de différent d'un préjudice causé sur leplan international par un Etat à un autre Etat94 —, ondoit noter que le terme « dommage » est parfois employépar les internationalistes pour désigner spécifiquementune atteinte à des intérêts économiques ou patrimoniaux.Là où une telle atteinte s'est produite, elle peut, certes,représenter un élément décisif pour la détermination desconséquences du fait illicite. Comme telle, on la prendraen considération dans la partie du projet qui seraconsacrée à l'examen des formes et de la mesure de laréparation. Mais il paraît évident que, dans ce sens, le«dommage» n'est pas une condition indispensable del'existence d'un fait internationalement illicite — unélément constitutif particulier de cette notion. Pluscouramment, cependant, on souligne que par « dom-mage » on doit comprendre une atteinte non seulement àdes intérêts économiques, mais aussi à des intérêtsmoraux. C'est même dans ce sens que le terme enquestion est généralement utilisé lorsqu'on affirme qu'ilconstitue un élément essentiel du fait internationalementillicite95. L'expression « dommage moral » n'est d'ail-leurs pas, elle non plus, exempte d'équivoque. Elle peutviser spécifiquement le préjudice constitué par l'atteinte à

93 Voir, par exemple, A. V. Freeman, op. cit., p. 22; A. Ross,op. cit., p. 242 et 255; K. Furgler, op. cit., p. 16; P. Guggenheim,op. cit., p. 1 ; E. Jiménez de Aréchaga, op. cit., p. 534.

94 Certains des auteurs qui soutiennent qu'il faut la présence d'undommage pour qu'il y ait fait internationalement illicite pensentplutôt en réalité à la survenance de cet événement extérieur qui,comme on vient de le rappeler, doit parfois accompagner le com-portement proprement dit de l'Etat pour que ce comportementréalise la violation d'une obligation internationale. La présenced'un tel événement n'est cependant caractéristique que d'une caté-gorie particulière de faits internationalement illicites, et, là où on larequiert, elle ne représente pas un « troisième » élément constitutifdu fait internationalement illicite: elle n'est qu'une condition del'existence de l'élément objectif de l'infraction. D'autres auteurs,quand ils parlent de « dommage », ont fréquemment à l'esprit nonpas un préjudice causé à l'Etat sur le plan international, mais plutôtun dommage infligé à un particulier sur le plan interne. Cela ressortclairement, par exemple, chez Amerasinghe (op. cit., p. 55). L'impor-tance accordée à l'élément « dommage » est alors une conséquencedu fait qu'on n'a pris en considération que les seuls cas de respon-sabilité de l'Etat pour dommages causés à des particuliers étrangers,et qu'on a réuni l'examen des règles relatives à la responsabilité àcelui des règles de fond relatives au traitement des étrangers. Ledommage infligé à un particulier, que la règle concernant le traite-ment des étrangers vise précisément à éviter, n'a rien à voir avec ledommage qui, sur le plan proprement international, devrait, del'avis de certains, s'ajouter à la violation de l'obligation pour qu'ily ait fait internationalement illicite. Ce dommage ne saurait êtrequ'un dommage subi par l'Etat.

95 Ainsi, par exemple, Jiménez de Aréchaga, après avoir vu dansle dommage une condition de l'existence de la responsabilité inter-nationale, ajoute que, « dans les relations interétatiques, la notionde dommage n'a toutefois pas un caractère essentiellement matérielou patrimonial » (op. cit., p. 534).

l'honneur ou à la dignité d'un Etat. Cependant, mêmel'association des dommages « moraux » ainsi compris etdes dommages proprement « économiques » ne suffit pas,de toute évidence, à apporter un élément dont la présenceserait indispensable pour qu'il y ait fait internationale-ment illicite, alors que, dans le cadre de l'article 3, laCommission cherche précisément à déterminer leséléments constitutifs sans lesquels il ne peut en aucun cas yavoir de fait internationalement illicite. Le droitinternational d'aujourd'hui prévoit de plus en plus à lacharge de l'Etat des obligations concernant Je traitementde ses propres sujets. On n'a qu'à se référer, pour desexemples, aux conventions sur les droits de l'homme ou àla plupart des conventions internationales du travail. Sil'une de ces obligations internationales est enfreinte, laviolation ainsi perpétrée ne cause normalement aucunpréjudice de nature économique aux autres pays parties àla convention, ni même une atteinte à leur honneur ou àleur dignité; pourtant, elle constitue manifestement unfait internationalement illicite. Ainsi, pour soutenir à toutprix que le « dommage » est un élément piésent dans toutfait internationalement illicite, on est forcé d'en venir àl'idée que toute violation d'une obligation internationaleenvers un autre Etat comporte en quelque sorte un« préjudice » pour cet autre Etat. Mais cela revientjustement à dire que le « dommage » qui est inhérent àtout fait internationalement illicite est celui qui est enmême temps inhérent à toute violation d'une obligationinternationale96. La mention de la violation d'uneobligation internationale a donc paru à la Commissiontout à fait suffisante pour couviir aussi cet aspect, sansqu'il y ait besoin d'y ajouter un élément de plus97. Elle aainsi pu conclure que les deux éléments que l'on arespectivement décrits comme l'élément «subjectif» etl'élément «objectif» sont les seules composantes néces-saires de tout fait internationalement illicite. D'autreséléments peuvent être présents dans tel ou tel cas, etmême dans la plupart des cas, mais ils n'ont pas decaractère de nécessité.

13) Pour ce qui est de la rédaction de la règle, laCommission a adopté une formule qui, tout en pouvantparaître quelque peu schématique, permet toutefoisd'établir clairement le rapport qui existe entre lesquestions dont on traite à l'article 3 et celles qui fontl'objet des chapitres suivants du projet. A Valinéa a — quiaffirme la nécessité, pour qu'il y ait fait internationale-ment illicite, d'un comportement attribuable à l'Etatd'après le droit international — correspond le chapitre IIdu projet (consacré au «fait de l'Etat»), où l'ondétermine quels sont, d'après le droit international, lescomportements attribuables à l'Etat. A Valinéa b — quiaffirme la nécessité que ce comportement constitue uneviolation d'une obligation internationale — doit corres-

96 D. Anzilotti (Corso... [op. cit.], p. 425) met en évidence quele dommage se confond souvent en droit international avec laviolation de l'obligation.

97 Faire mention du « dommage » comme d'un élément constitutifdu fait internationalement illicite distinct de l'infraction pourraitmême être dangereux, car cela pourrait donner à penser que, del'avis de la Commission, là où il y aurait violation d'une obligationinternationale sans « dommage » il n'y aurait ni fait illicite niresponsabilité.

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Rapport de la Commission à l'Assemblée générale 187

pondre le chapitre III (qui sera consacré à l'« infractioninternationale »), où l'on indiquera quelles doivent êtreles conditions remplies pour qu'un comportementconstitue une telle violation et quels différents casd'infraction sont à envisager. Quant à l'ordre d'énumé-ration des deux éléments, il a paru plus conforme à lalogique de mentionner l'élément subjectif avant l'élémentobjectif, parce qu'il faut rechercher s'il existe uncomportement de l'Etat avant d'être en mesure dedéterminer si ce comportement constitue ou ne constituepas une violation d'une obligation internationale. Dans lemembre de phrase introductif de l'article, les termes « del'Etat » après les termes « fait internationalement illicite »découlent de ce qui a été dit dans l'introduction auchapitre II du présent rapport98, à savoir que le projet nes'occupe pas de la responsabilité internationale de sujetsdu droit international autres que les Etats.

14) En ce qui concerne Valinéa a de l'article, laCommission a choisi le terme « attribution » pourdésigner l'opération du rattachement à l'Etat d'uneaction ou omission donnée. Ce terme lui est apparupréférable à d'autres fréquemment employés dans lapratique et la jurisprudence internationales, tels que celuid'« imputation » — bien que les auteurs aient depuislongtemps pris soin de mettre en relief que, lorsqu'onemploie les termes « imputabilité » ou « imputation » enmatière de responsabilité internationale des Etats, onn'entend nullement leur donner une signification corres-pondant à celle qu'on leur attribue, par exemple, en droitpénal interne (où par « imputabilité » on entend parfoisl'état d'esprit, la capacité d'entendre et de vouloir del'agent en tant que fondement de la responsabilité) oudans la procédure pénale (où par « imputation » on peutvouloir désigner l'inculpation d'un sujet faite par uneautorité judiciaire). Le terme « attribution » évite en toutcas plus sûrement des interprétations erronées. En outre— et toujours afin d'éviter tout faux rapprochement entrela notion à laquelle on veut se référer ici et celle d'uneopération ultérieure correspondant en quelque sorte àl'inculpation effectuée par un organe judiciaire en droitinterne —, on a préféré dire « un comportement [...] estattribuable d'après le droit international à l'Etat » plutôtque « un comportement [...] est attribué d'après le droitinternational à l'Etat ».

15) La Commission a considéré plus approprié de parlerà Y alinéa b de «violation d'une obligation internatio-nale » que de violation « d'une règle » ou « d'une norme »de droit international. L'expression « violation d'uneobligation » est non seulement la plus courammentemployée dans la jurisprudence et dans la pratique desEtats : elle est aussi la plus exacte. La règle est le droit ausens objectif; l'obligation est une situation juridiquesubjective, et c'est par rapport à cette situationqu'intervient le comportement du sujet, soit qu'il seconforme à l'obligation, soit qu'il la transgresse. De plus,l'obligation dont la violation représente un élémentconstitutif d'un fait internationalement illicite ne découlepas nécessairement et dans tous les cas d'une règle, ausens propre de ce terme. Elle peut très bien avoir été créée

98 Voir ci-dessus par. 37.

et mise à la charge d'un sujet par un acte juridiqueparticulier ou par la décision d'une juridiction judiciaireou arbitrale. Le terme « obligation » a été choisi par laCommission, de préférence à d'autres qui, en droitinternational, peuvent être considérés comme synonymes(par exemple « devoir » ou « engagement »), parce quec'est le terme le plus couramment employé dans lajurisprudence et dans la pratique internationales, ainsique dans la doctrine. Finalement, le terme « violation » aété préféré à d'autres expressions analogues, telles que« manquement », « transgression » ou « non-exécution »,notamment parce que ce terme est employé à l'alinéa c duparagraphe 2 de l'Article 36 du Statut de la CD. C'estpour la même raison qu'on s'est servi pour la versionanglaise du terme « breach », et pour la version espagnoledu terme « violacion ».

Article 4. — Qualification d'un fait de l'Etatcomme internationalement illicite

Le fait d'un Etat ne peut être qualifié d'internationale-ment illicite que d'après le droit international. Une tellequalification ne saurait être affectée par la qualification dumême fait comme licite d'après le droit interne.

Commentaire

1) Le présent article énonce d'une façon explicite unprincipe qui ressort déjà implicitement de l'article 3, àsavoir le principe de l'indépendance de la qualificationd'internationalement illicite d'un fait donné par rapport àtoute conclusion à laquelle on pourrait arriver quant à laconformité ou la non-conformité de ce fait avec lespiescriptions du droit interne de l'Etat l'ayant commis.La première phrase de l'article implique, d'une part, quele fait d'un Etat ne peut pas être qualifié d'internationa-lement illicite tant qu'il ne constitue pas la violationd'une obligation internationale, même s'il y a eu violationd'une prescription du droit interne de l'Etat. D'autrepart, il découle de la même phrase que le fait d'un Etatdoit être qualifié d'internationalement illicite dès qu'ilconstitue la violation d'une obligation internationale,même au cas où ledit fait ne contrevient à aucune desobligations établies par le droit interne de l'Etat et mêmeau cas extrême où, d'après ce droit, l'Etat se trouvait enréalité tenu à ce comportement. La deuxième phrase del'article met spécialement en évidence l'aspect le plusimportant du principe énoncé à la première phrase, àsavoir que l'Etat ne saurait se prévaloir de la conformitéde son comportement avec les prescriptions de son droitinterne pour se soustraire à ce que ce comportement soitqualifié d'illicite d'après le droit international s'ilconstitue la violation d'une obligation établie par cedroit. Par ailleurs, le jeu combiné de la règle établie àl'article 1er, d'après laquelle tout fait internationalementillicite d'un Etat engage sa responsabilité, et de celle quepose l'article 4 entraîne la conclusion que la responsabi-lité internationale de l'Etat à la suite d'un fait déterminés'établit indépendamment de la conformité ou de la non-conformité de ce fait avec les prescriptions du droitinterne de l'Etat en question.

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188 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

2) La première conclusion que l'on tire de l'article 4, àsavoir qu'il n'y a pas de fait internationalement illicitetant qu'il n'y a pas violation pai un Etat d'une obligationinternationale, mais seulement manquement de sa part àune obligation établie par son propre système de droit, nenécessite pas une longue démonstration. On la trouveexpressément affirmée dans la jurisprudence et la pratiqueinternationales ainsi que dans les ouvrages scientifiques " .

3) En ce qui concerne la jurisprudence, la prise deposition la plus nette se trouve dans l'avis consultatif dela CPJI du 4 février 1932 concernant le « Traitement desnationaux polonais et des autres personnes d'origine oude langue polonaise dans le territoire de Dantzig » 10°. LaCour dénia au Gouvernement polonais le droit desoumettre aux organes de la SDN des questionsconcernant l'application à des ressortissants polonais decertaines dispositions de la Constitution de la Ville librede Dantzig, car

[...] d'après les principes généralement admis, un Etat ne peut, vis-à-vis d'un autre Etat, se prévaloir des dispositions constitutionnellesde ce dernier, mais seulement du droit international [...].

L'application de la Constitution de la Ville libre peut cependantavoir pour résultat la violation d'une obligation internationale deDantzig envers la Pologne, découlant soit de stipulationsconventionnelles, soit du droit international commun. [...]Toutefois, dans une éventualité de ce genre, ce n'est pas laConstitution, en tant que telle, mais bien l'obligation internationalequi donne naissance à la responsabilité de la Ville libre.

4) Dans la pratique, les Etats qui s'estimaient accusés àtort de porter une responsabilité internationale pour cequi n'était en l'espèce que l'inobservance d'une prescrip-tion du droit interne ont valablement fait opposition surcette base aux prétentions indues dont ils étaient l'objet.La demande d'informations soumise aux Etats par leComité préparatoire de la Conférence de 1930 distinguaiten premier lieu la responsabilité internationale d'un Etat,découlant de la violation d'une obligation internationale,et la responsabilité purement interne causée par laviolation d'une obligation établie par la constitution oules lois de cet Etat. Les gouvernements ayant répondu à lademande d'informations se sont déclarés d'accord à cesujet101. A la Conférence, l'article 1er du projet deconvention sur la responsabilité des Etats, approuvé àl'unanimité en première lecture, confirma implicitementla même conclusion 102.

99 Une énonciation très claire du principe figure aussi dans laIVe partie (par. 167) de la Restatement of the Law de l'AmericanLaw Institute {Annuaire... 1971, vol. II [l re partie], p. 204,doc. A/CN.4/217/Add.2).

100 C.P.J.I., série A/B, n° 44, p. 24 et 25. A ce sujet, on peutrappeler aussi l'opinion exprimée par la CPJI dans son arrêt du7 septembre 1927 concernant l'Affaire du Lotus (C.P.J.I., série A,n° 10, p. 24).

101 SDN, Bases de discussion... (op. cit.), p. 16 et suiv.; et Supplé-ment au tome III (op. cit.), p. 2, 4 et suiv. Le principe dont il s'agitétait clairement énoncé dans la réponse du Gouvernement allemand:

« La responsabilité internationale, dont seule il s'agit ici, nepeut être engagée qu'en cas de violation d'une norme de droitinternational. [...] en cas de violation d'une loi au détriment d'unressortissant étranger il ne saurait jamais être question d'unedemande formulée en vertu du droit international par un Etaté t ranger [...]» ( S D N , Bases de discussion... [op. cit.], p . 16).102 SDN, Actes de la Conférence... (op. cit.), p. 31.

5) De l'avis de la Commission, l'importance essentielledu principe touchant cet aspect des rapports entre le droitinternational et le droit interne se révèle surtout dans laproposition inverse de celle qui a fait l'objet desparagraphes qui précèdent: il ne suffit nullement qu'uncomportement déterminé soit conforme aux dispositionsdu droit interne, ni même qu'il soit expressément prescritpar ces dispositions, pour qu'il devienne possible de nierson caractère internationalement illicite, lorsqu'il consti-tue une violation d'une obligation établie par le droitinternational. Comme on l'a nettement souligné,

Le principe selon lequel un Etat ne peut pas se réclamer desdispositions (ou des lacunes) de sa Constitution pour ne pasobserver ses obligations internationales [...] est vraiment l'un desgrands principes du droit international, dont s'inspire le systèmetout entier et qui s'applique à toutes les branches de celui-ci [...]103.

La jurisprudence, la pratique des Etats et les ouvragesscientifiques des internationalistes ne laissent pas subsisterle moindre doute à ce sujet.

6) On a dit que la CPJI « a affirmé cette règle et en a faitune des pierres angulaires de sa jurisprudence104 ». Ellel'a reconnue expressément dès son premier arrêt, du17 août 1923, relatif à Y Affaire du vapeur « Wimbledon »1 0 5

et l'a réaffirmée par la suite plusieurs fois. Parmi lesformulations les plus claires, on peut rappeler lessuivantes :

« [...] c'est un principe généralement reconnu du droit des gensque, dans les rapports entre puissances contractantes d'un traité, lesdispositions d'une loi interne ne sauraient prévaloir sur celles dutraité106»;

« [...] il est constant que la France ne saurait se prévaloir de salégislation pour restreindre la portée de ses obligations interna-tionales107 »;

« [...] un Etat ne saurait invoquer vis-à-vis d'un autre Etat sapropre Constitution pour se soustraire aux obligations que luiimposent le droit international ou les traités en vigueur108 ».

103 Sir Gerald Fitzmaurice, « The gênerai principles of inter-national law considered from the standpoint of the rule of law »,Recueil des cours..., 1957-11, Leyde, Sijthoff, 1958, t. 92, p. 85 (tr.de l'original anglais).

104 G. Schwarzenberger, International Law, 3e éd., Londres,Stevens, 1957, vol. I, p. 69.

105 La Cour rejeta l'argumentation du Gouvernement allemand,à savoir que le passage du navire par le canal de Kiel aurait repré-senté une infraction aux ordonnances allemandes en matière deneutralité, en observant que

« une ordonnance de neutralité, acte unilatéral d'un Etat, nesaurait prévaloir sur les dispositions du Traité de paix.

« [...] en vertu de l'article 380 du Traité de Versailles, elle[l'Allemagne] avait le devoir formel d'y consentir [au passage duWimbledon par le canal]. Elle ne pouvait opposer aux engagementsqu'elle avait pris en vertu de cet article ses ordonnances deneutralité » {C.P.J.I., série A, n° 1, p. 29 et 30).106 Question des « communautés » gréco-bulgares, Avis consul-

tatif du 31 juillet 1930 (C.P.J.I., série B, n° 17, p. 32).107 Affaire des zones franches de la Haute-Savoie et du pays de

Gex (deuxième phase), Ordonnance du 6 décembre 1930 (C.P.J.I.,série A, n° 24, p. 12), et idem, Arrêt du 7 juin 1932 (C.P.J.I., sérieA/B, n°46, p. 167).

108 Traitement des nationaux polonais et des autres personnesd'origine ou de langue polonaise dans le territoire de Dantzig,Avis consultatif du 4 février 1932 (C.P.J.I., série A/B, n° 44, p. 24).

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Rapport de la Commission à l'Assemblée générale 189

Le même principe, quoique vu sous un angle différent, seretrouve affirmé dans les avis consultatifs du 21 février1925 concernant Y Echange des populations grecques etturques109 et du 3 mars 1928 concernant la Compétencedes tribunaux de Dantzig110.

7) L'existence d'un principe de droit internationald'après lequel un Etat ne saurait se soustraire àl'observation de ses obligations internationales en seprévalant de son droit interne est confirmée par l'examende la jurisprudence de la CIJ. S'il est vrai que l'on netrouve pas dans la jurisprudence de cette cour desaffirmations de ce principe aussi nettes que celles quifigurent dans la jurisprudence de la CPJI, il n'en est pasmoins vrai que le principe en question a été reconnuexpressément dans l'avis concernant la Réparation desdommages subis au service des Nations Unies111, etimplicitement dans plusieurs arrêts. Il est intéressant deremarquer que de nombreux juges de la CIJ ont cruopportun d'énoncer explicitement, dans leurs opinionsindividuelles ou dissidentes relatives à ces mêmes arrêts,le principe que la majorité des membres de la Cour avaitsous-entendu112.

8) La jurisprudence arbitrale n'est pas moins catégo-rique à cet égard. Entre la première et la seconde guerremondiale, déjà, les décisions allant dans ce sens sontnombreuses. Parmi les plus importantes, il y eut lasentence arbitrale rendue en 1922 dans VAffaire desNorwegian Shipowners' Claims113, la décision prise parl'arbitre Taft en 1923 dans VAffaire Aguilar-Amory andRoyal Bank of Canada Claims (Tinoco Case), opposantle Costa Rica et la Grande-Bretagne114, et la décisionprise en 1930 dans Y Affaire Shufeldt par un tribunalarbitral établi par les Etats-Unis d'Amérique et leGuatemala. Dans cette dernière décision, on lit:

109 C.P.J.I., série B, n° 10, p. 20.110 C.P.J.I., série B, n° 15, p. 27. Toujours à ce propos, on peut

rappeler les observations de lord Finlay relatives à l'Avis consultatifdu 15 septembre 1923 sur la Question de l'acquisition de la natio-nalité polonaise {C.P.J.I., série B, n° 7, p. 26). Ces observationsrevêtent un intérêt particulier en ce qu'elles se réfèrent à un cas oùc'est l'absence même de dispositions de droit interne dont il estsouligné qu'elle n'est pas une excuse pour ne pas s'acquitter deses obligations internationales.

111 C.I.J. Recueil 1949, p. 180.112 On doit rappeler dans ce contexte l'arrêt du 18 décembre 1951

concernant l'Affaire des pêcheries {C.I.J. Recueil 1951, p. 132),avec l'opinion individuelle du juge Alvarez (ibid., p. 152) et l'opiniondissidente du juge McNair {ibid., p. 181); l'arrêt du 18 novembre1953 concernant l'Affaire Nottebohm (exception préliminaire)[C.I.J. Recueil 1953, p. 123], avec la déclaration du juge Klaestad\ibid., p. 125); et surtout l'arrêt du 28 novembre 1958 sur l'Affairerelative à l'application de la Convention de 1902 pour régler latutelle des mineurs {C.I.J. Recueil 1958, p. 67), avec les opinionsindividuelles des juges Badawi {ibid., p. 74), Lauterpacht {ibid.,p. 83), Spender {ibid., notamment p. 125 et 126, et 128 et 129), etles opinions dissidentes des juges Winiarski {ibid., p. 137 et 138) etCôrdova {ibid., p. 140).

113 Sentence rendue le 13 octobre 1922 par le Tribunal arbitralinstitué en vertu de l'accord du 30 juin 1921 entre la Norvège etles Etats-Unis d'Amérique (Nations Unies, Recueil des sentencesarbitrales, vol. I [publication des Nations Unies, numéro de vente:1948.V.2], p. 331).

114 Sentence rendue le 18 octobre 1923 par le Tribunal arbitralinstitué en vertu de l'accord du 12 janvier 1922 {ibid., p. 386).

c'est un principe établi du droit international qu'un souverain nesaurait être admis à opposer une de ses lois nationales comme fin denon-recevoir à la réclamation d'un autre souverain pour préjudicecausé à un ressortissant de ce dernier115.

En ce qui concerne des années plus récentes, il fautmentionner la jurisprudence de la Commission deconciliation italo-américaine établie en vertu de l'article83 du Traité de paix de 1947116, et notamment la décisionrelative à Y Affaire Wollemborg, rendue le 24 septembre1956. D'après la Commission,

Une chose est certaine: le Gouvernement italien ne peut pas seprévaloir, devant une instance internationale, de ses lois nationalespour se soustraire à l'exécution d'une obligation internationaleacceptée par lui. Les décisions judiciaires de la Cour permanente dejustice internationale sont toutes conformes sur ce point117.

9) Dans la pratique des Etats, les affirmations duprincipe d'après lequel un Etat ne saurait invoquer sondroit interne pour se défendre d'avoir violé uneobligation internationale ne sont pas moins fréquentesque dans la jurisprudence internationale. Il suffit de seréférer dans ce contexte à l'attitude adoptée par les Etatsà l'occasion de différends qui ont été discutés devant laSDN ou soumis à la CPJI ou à la CIJ, ainsi qu'àl'occasion des travaux de codification du droit interna-tional entrepris sous les auspices de la SDN et de F ONU.Au cours des différends auxquels on a fait allusion, lesEtats demandeurs ont soutenu d'une façon très ferme leprincipe que la conformité au droit interne n'exclut pas laresponsabilité internationale — et, il faut le souligner, lesEtats défendeurs ont généralement tenu à marquer euxaussi leur accord à ce sujet. Des exemples d'une tellesituation sont fournis par l'attitude adoptée par Dantziget par la Pologne à l'occasion du différend concernant laCompétence des tribunaux de Dantzig11*, par la Hongrieet la Roumanie à l'occasion du différend concernantY Expropriation par le Gouvernement roumain des biensimmobiliers des optants hongrois119, par la Suisse lors dudifférend concernant la Réparation des dommages subispar des citoyens suisses à la suite d'événements de

115 Sentence rendue le 24 juillet 1930 par le Tribunal institué parl'accord du 2 novembre 1929 {ibid., vol. II [numéro de vente:1949.V.1], p. 1098) [tr. du Secrétariat de l'original anglais].

116 Nations Unies, Recueil des Traités, vol. 49, p. 126.117 Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales, vol. XIV

[numéro de vente: 65.V.4], p. 289 [tr. du Secrétariat de l'originalanglais]. Voir aussi, dans le même sens, la décision sur l'AffaireFlegenheimer, du 20 septembre 1958, rendue par la même com-mission {ibid., notamment p. 360).

118 Au cours de la discussion devant la CPJI, M. Gidel, repré-sentant le Gouvernement de Dantzig, déclarait :

« C'est un principe universellement reconnu que les dispositionsdes lois internes ou leurs lacunes ne peuvent pas être invoquéespar un Etat pour se soustraire à l'accomplissement d'obligationsinternationales, ou pour se dérober à la responsabilité dérivantdu non-accomplissement de ses obligations » {C.P.J.I., série C,n° 14-1, p. 44).M. Limbourg, représentant le Gouvernement polonais, répondait:

« Mon adversaire, l'éminent professeur, a parfaitement raison:d'un point de vue général, vis-à-vis des instances internationales,un Etat ne pourrait jamais se prévaloir du fait que ses lois sontinsuffisantes » {ibid., p. 59).119 SDN, Journal officiel, 4e année, n° 7 (juillet 1923), p. 729;

ibid., n° 8 (août 1923), p. 886 et 887, et 895; ibid., 9e année, n° 4(avril 1928), p. 562 et 563, et 570.

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190 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

guerre120, et encore par la Suisse et la France lors del'Affaire des zones franches de la Haute-Savoie et du paysde Gex121, par la Yougoslavie lors de VAffaire Losinger etCie, S.A.122, par l'Italie et la France à l'occasion deVAffaire des phosphates du Maroc123, et, finalement, parle Liechtenstein à l'occasion de VAffaire Nottebohm124.

10) La même uniformité de vue s'est manifestée lors destravaux de codification entrepris sous les auspices de laSDN pour la codification du sujet de la responsabilité desEtats, ainsi que de ceux qui ont été entrepris plus tardsous les auspices de l'ONU pour la codification des sujetsdes droits et devoirs des Etats et du droit des traités. Aupoint I de la demande d'informations adressée aux Etatspar le Comité préparatoire de la Conférence de 1930, ondistinguait la responsabilité incombant à un Etat en vertudu droit international de celle qui pouvait lui incomber envertu de son droit interne, et on précisait:

En particulier un Etat ne peut échapper à sa responsabilité selonle droit international, si elle existe, en invoquant les dispositions desa loi interne.

Dans leurs réponses, les Etats se déclarèrent expressémentou implicitement d'accord avec ce principe125. Au coursdu débat lors de la Conférence, les Etats marquèrent leuradhésion générale à l'idée énoncée dans le point I, et ladiscussion n'eut pour objet que la double question del'opportunité d'insérer dans la convention une règleénonçant cette idée, et ensuite du choix de la formule laplus appropriée126. A l'issue du débat, la TroisièmeCommission de la Conférence adopta en première lectureun article (article V) conçu comme suit:

Un Etat ne peut décliner sa responsabilité internationale eninvoquant l'état de son droit interne127.

11) La Commission du droit international des NationsUnies adopta lors de sa première session (1949) un projetde Déclaration sur les droits et devoirs des Etats. L'article13 du projet, dont le contenu fut approuvé par tous lesmembres de la Commission, était ainsi libellé :

Tout Etat a le devoir d'exécuter de bonne foi ses obligations néesdes traités et autres sources du droit international, et il ne peutinvoquer pour manquer à ce devoir les dispositions de saconstitution ou de sa législation128.

120 Ibid., 15 e année , n° 11 (novembre 1934), p . 1438, 1486, et1494 et 1495. Les autres part ies au différend ne contestèrent pas ,sur ce point , le bien-fondé des prises de posi t ion suisses.

121 C.P.J.L, série C, n° 19, vol. I, p . 210 et 211 et 344; ibid.,vol. I I I , p . 1222; ibid., vol. IV, p . 1636 et 1637, et 1912 et 1913.

122 C.P.J.I., série C, n° 78, p . 181.123 C.P.J.L, série C, n° 84, p . 70, 455, 712, 826; et n° 85, p . 1172.124 Affaire N o t t e b o h m (Liechtenstein c. Gua tema la ) , C.J.J.

Mémoires, vol. I, p . 180 et 182, et vol. I I , p . 27 et 28.125 SDN, Bases de discussion... (op. cit.), p. 16 et suiv.126 S D N , Actes de la Conférence... (op. cit.), p . 120 et suiv.127 Annuaire... 1956, vol. I I , p . 226, doc. A/CN.4/96 , annexe 3.l î 8 Voir Documents officiels de l'Assemblée générale, quatrième

session, Supplément n° 10 (A/925), p . 10. Pour les débats à la Com-mission, voir Yearbook of the International Law Commission, 1949,p . 104 et 105 (14 e séance, par . 1 à 16), 147 (20e séance, par . 78 à 80),171 (24 e séance, par. 4 à 8) [en anglais seulement]. Le texte del'article adop té par la Commission reprodui t , sans modification desubstance, l 'article 12 du projet de Déclarat ion des droits et des

12) Lors de la première session de la Conférence desNations Unies sur le droit des traités (1968), tenue àVienne, la délégation du Pakistan proposa à laCommission plénière d'insérer dans le projet de conven-tion une clause précisant qu'aucune partie à un traité nepeut invoquer les dispositions de son droit interne commejustifiant la non-exécution d'un traité. Cette propositionfut adoptée en première lecture par 55 voix contre zéro,avec 30 abstentions, et renvoyée au Comité de rédactionde la Conférence129. En deuxième lecture, la Commissionplénière adopta le texte présenté par le Comité derédaction, sans vote formel130. En 1969, au cours de ladeuxième session, la Conférence adopta par 73 voixcontre 2, avec 24 abstentions, le texte proposé par laCommission plénière, qui est devenu par la suite l'article27 de la Convention de Vienne sur le droit des traités. Ilse lit comme suit :

Une partie ne peut invoquer les dispositions de son droit internecomme justifiant la non-exécution d'un traité. Cette règle est sanspréjudice de l'article 46131.

13) Le principe ainsi consacré par la jurisprudenceinternationale et par la pratique des Etats est, d'autrepart, expressément confirmé par des auteurs appartenantà des systèmes juridiques différents132. Il figure également

devoirs des Etats présenté à l'Assemblée générale par le Gouverne-ment du Panama et utilisé par la Commission en tant que base dediscussion (A/285). Le bien-fondé du principe énoncé dans cesarticles a été souligné par plusieurs gouvernements dans leurs com-mentaires sur le projet du Panama (Etude préparatoire relative à unprojet de déclaration des droits et des devoirs des Etats [mémorandumdu Secrétaire général de l'ONU] (publication des Nations Unies,numéro de vente: 1949.V.4), p. 80, 84 et 85), sur celui de la CDI(Documents officiels de i'Assemblée générale, sixième session,Annexes, point 48 de l'ordre du jour, doc. A/1338 et Add.l etA/1850), et à l'occasion des débats qui ont eu lieu à l'Assembléegénérale sur le rapport de la Commission (ibid., quatrième session,Sixième Commission, 168e à 173e et 175e à 183e séances; et ibid.,Séances plénières, 270 e séance).

129 Parmi les Eta ts qui prirent expressément posit ion en faveur duprincipe au cours de la discussion figuraient les Eta ts suivants :Chili, Eta ts-Unis d 'Amér ique , France , Israël, Italie, RSS de Biélo-russie, Royaume-Uni , Turquie , U R S S . Les Etats-Unis indiquèrentq u ' à leur avis le principe aurai t été mieux à sa place dans uneconvention sur la responsabili té des Etats (Documents officiels de laConférence des Nations Unies sur le droit des traités, première session,Comptes rendus analytiques des séances plénières et des séances de laCommission plénière [publication des Na t ions Unies , n u m é r o devente : F.68.V.7] , p . 163 et suiv., 28 e séance de la Commiss ionplénière, par . 49 à 70, et 29 e séance).

130 Le texte fut approuvé à la 72 e séance de la Commiss ion plé-nière (ibid., p . 464 et 465, 72 e séance, par . 29 à 48).

131 Ibid., deuxième session, Comptes rendus analytiques des séancesplénières et des séances de la Commission plénière (publicat ion desNat ions Unies , n u m é r o de ven te : F.70.V.6), p . 57 et 58, 13 e séance,par. 30 à 40.

Le délégué du Venezuela déclara que l'article 27 n'était qu'unerépétition de l'article 46, d'après lequel

« Le fait que le consentement d'un Etat à être lié par un traitéa été exprimé en violation d'une disposition de son droit interneconcernant la compétence pour conclure des traités ne peut êtreinvoqué par cet Etat comme viciant son consentement, à moinsque cette violation n'ait été manifeste et ne concerne une règle deson droit interne d'importance fondamentale. »Le délégué de l'Iran estima que l'article 27 était en contradiction

avec l'article 46.132 y o j r j e n p ] u s c j u c o u r s je sir Gerald Fitzmaurice déjà cité (ci-

dessus note 103): C. Eagleton, op. cit., p. 63 et suiv.; A. Verdross,Vôlkerrecht, 5e éd., Vienne, Springer, 1964, p. 114; H. W. Briggs,

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Rapport de la Commission à l'Assemblée générale 191

dans la plupart des projets de codification de laresponsabilité des Etats émanant de particuliers oud'institutions privées133.

14) Le principe d'après lequel ce n'est que par référenceà une obligation juridique internationale incombant àl'Etat qu'on peut déterminer si un fait de l'Etat peut êtrequalifié d'internationalement illicite n'admet pas d'excep-tion. On ne saurait présenter comme une exception à larègle qui dit que la qualification donnée par le droitinternational ne saurait être affectée par la qualificationdu même fait en droit interne le cas des règles du droitinternational qui exigent de l'Etat qu'il se conforme auxprescriptions du droit interne (par exemple qu'il appliqueaux étrangers le traitement fait aux nationaux). Il est vraique, dans un tel cas, une fois que l'Etat a appliqué lesprescriptions du droit interne, il ne peut y avoir de faitinternationalement illicite. Toutefois, même alors, ce n'estpas le fait de conformer le comportement au droit internequi exclut l'illicéité internationale, mais le fait que lecomportement ainsi conforme au droit interne constitue,précisément par cette conformité, l'exécution de l'obliga-tion internationale. A l'inverse, si l'Etat a, par son actionou omission, agi en contradiction avec les prescriptionsdu droit interne, il y aura fait internationalement illicite,pour la raison que la violation du droit interne constitueen même temps la violation de l'obligation juridiqueinternationale.

15) En ce qui concerne la formulation de la règle àétablir, le Rapporteur spécial avait proposé de dire que« le droit interne d'un Etat ne peut être invoqué pourempêcher qu'un fait de cet Etat soit qualifié d'illiciteselon le droit international ». Une telle formule — qui seretrouve à quelques termes près dans la plupart desprojets de codification sur la responsabilité des Etats,notamment à l'article 5 du projet adopté en premièrelecture à la Conférence de 1930, ainsi d'ailleurs qu'àl'article 27 de la Convention de Vienne sur le droit destraités — aurait le mérite de faire ressortir d'une manièreclaire et immédiate le vrai but de la règle: à savoirque le droit interne ne doit pas constituer pour les Etatsune échappatoire à la responsabilité internationale.Toutefois, de l'avis de la majorité de la Commission, unetelle formule évoquerait par trop une règle de procédure,

The Law of Nations, 2e éd., Londres, Stevens, 1953, p. 62 et 63;E. Vitta, La responsabilité internazionale dello Statoper atti législative,Milan, Giuffrè, 1953, p. 29 et suiv.; M. Sorensen, «Principes dedroit international public», Recueil des cours..., 1960-HI, Leyde,Sijthoff, 1961, t. 101, p. 110 et 111; I. Brownlie, Principles of PublicInternational Law, Oxford, Clarendon Press, 1966, p. 32 et 33;L. Cavaré, Le droit international public positif, 3e éd., mise à jourpar J.-P. Quéneudec, Paris, Pédone, 1967, t. I, p. 177 et suiv.;Institut d'Etat du droit de l'Académie des sciences de l'Unionsoviétique, op. cit., p. 428.

133 On peut rappeler à ce propos l'article 5 du projet de codepréparé par l'Association de droit international du Japon en 1926;la règle I, deuxième alinéa, du projet adopté par l'Institut de droitinternational à Lausanne en 1927; l'article II du projet élaboré parla Harvard Law School en 1929 et l'article 2, paragraphe 2, de celuique la même institution a préparé en 1961 ; l'article 7 du projetpréparé par la Deutsche Gesellschaft fur Vôlkerrecht en 1930;l'article 4, troisième alinéa, du projet élaboré par Strupp en 1927;et l'article 4 du projet établi par Roth en 1932. [V. ci-dessus note 14.]

et serait peu appropriée pour une déclaration de principedestinée à figurer au chapitre Ier du projet d'articles. Parailleurs, de l'avis de certains membres, la formuleproposée pourrait prêter à équivoque. On a évoqué, à cepropos, les cas où le contenu de l'obligation internatio-nale de l'Etat consiste à exiger de lui un comportementconforme à celui que requiert le droit interne. Dans cescas, a-t-on fait observer, il ne serait pas incorrect de direque le « droit interne peut être invoqué » pour montrerqu'il n'y a pas eu de fait internationalement illicite.D'autres membres ont fait valoir que, même dans de telscas, ce n'est pas le droit interne comme tel qui estinvoqué, mais le droit international qui se réfère au droitinterne. Le but de l'article est d'ailleurs de tenir comptedes cas où il y aurait contradiction entre ce qui est prévupar le droit interne et ce qui est requis par le droitinternational. En tout état de cause, soucieuse d'évitertout doute éventuel, la Commission a préféré se servird'une formule qui, d'une part, comme celles qui ont étéemployées aux trois articles précédents, écarte touteressemblance avec une règle de procédure et, d'autre part,évite de mentionner la possibilité ou l'impossibilitéd'« invoquer le droit interne ».

16) La Commission s'est demandé si, dans le texte duprésent article, il fallait se référer uniquement àl'hypothèse d'un fait qui doit être qualifié d'internationa-lement illicite parce qu'il apparaît tel d'après le droitinternational, tout en étant licite d'après le droit interne,ou aussi à l'hypothèse d'un fait qui reste licite d'après ledroit international, tout en ayant été commis en violationdu droit interne. La première phrase de l'article 4 tientcompte des deux aspects du principe. La deuxième metspécialement en évidence l'aspect qui, de l'avis de laCommission, est le plus important, à savoir la nécessitéd'éviter que l'Etat n'essaie de se servir de son droitinterne comme d'une échappatoire pour se soustraire à saresponsabilité internationale.

17) Pour ce qui est de la terminologie employée, laCommission a préféré l'expression « droit interne » àd'autres telles que « législation interne » ou « loi interne »— cela en premier lieu parce qu'elle constitue le pendantde l'expression « droit international » employée au mêmearticle; en deuxième lieu parce qu'elle englobe, sans qu'ily ait de doutes possibles, toutes les dispositions valablesdans l'ordre juridique interne, qu'il s'agisse de règlesécrites ou non écrites, constitutionnelles ou législatives,d'actes administratifs, de sentences judiciaires, etc.134. Enoutre, pour ce qui est de la version anglaise, l'expression« internai law » a été préférée à « municipal law »,premièrement parce que cette dernière expression estparfois utilisée dans un sens plus restreint, et deuxième-ment parce que la Convention de Vienne sur le droit destraités parle précisément de « internai law ».

134 La Troisième Commission de la Conférence de 1930 déjà avaitpréféré pour la version française l'expression « droit interne » à laformule « dispositions de sa loi interne », employée par le Comitépréparatoire dans les bases de discussion. De même, à la Conférencedes Nations Unies sur le droit des traités, le Comité de rédaction apréféré parler en général de « droit interne » (« internai law »,« derecho interno ») plutôt que de « constitution » (« constitution »,« constituciôn ») ou de « législation » (« laws », « leyes »).

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192 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

CHAPITRE II

LE « FAIT DE L'ÉTAT »D'APRÈS LE DROIT INTERNATIONAL

Commentaire

1) Dans l'article 3 du chapitre Ier du présent projet(chapitre consacré aux principes généraux), on s'estattaché à énoncer les deux conditions indispensables àl'existence d'un fait internationalement illicite: d'unepart, la présence d'un comportement, consistant en uneaction ou en une omission, attribuable à l'Etat d'après ledroit international et, d'autre part, la violation d'uneobligation internationale réalisée par le comportement enquestion. La possibilité d'attribuer un comportementdonné à l'Etat — autrement dit de considérer lecomportement comme un « fait de l'Etat » — a étéprésentée comme Vêlement subjectif du fait internationale-ment illicite. Il s'agit maintenant de déterminer quand,dans quelles circonstances et dans quelles conditions unetelle attribution peut intervenir; en d'autres termes, ils'agit de déterminer quels sont les « comportements » quele droit international considère comme « faits de l'Etat »aux fins d'établir l'existence éventuelle d'un faitinternationalement illicite.

2) L'opération qui consiste à « attribuer », aux finsindiquées, un fait à l'Etat en sa qualité de sujet de droitinternational est manifestement une opération fondée surdes critères déterminés par le droit international, et nonpas sur la simple reconnaissance d'un lien de causaliténaturelle. Elle-même opération normative, l'« attribu-tion » ne comporte cependant aucune qualificationjuridique du fait à attribuer, et doit se distinguernettement de l'opération ultérieure, consistant à recon-naître l'illicéité éventuelle de ce fait. Son unique objet estd'établir quand il y a fait de l'Etat — quand on doitconsidérer que c'est l'Etat qui a agi.

3) L'Etat ne pouvant physiquement agir que par actionou omission de la part d'êtres humains ou de collectivitéshumaines, les problèmes que pose cette notion essentielledu « fait de l'Etat » (et qu'il s'agit de résoudre dans leprésent chapitre) ont un dénominateur commun. Toutrevient à établir quand, d'après le droit international,c'est l'Etat qui doit être considéré comme agissant:quelles actions ou omissions peuvent en principe êtreprises en considération comme comportements de l'Etat,et dans quelles conditions ces comportements doiventavoir été adoptés pour pouvoir être effectivementattribués à l'Etat en tant que sujet de droit international.A ce propos, il convient avant tout de signaler que rien nes'opposerait, théoriquement, à ce que l'on rattache àl'Etat, en droit international, des comportements d'êtreshumains ou de collectivités ayant avec l'Etat un lienpouvant même être sans rapport avec l'organisationproprement dite de ce dernier — à ce que l'on considère,par exemple, comme faits de l'Etat toutes les actions ouomissions se produisant sur son territoire. Dans la réalité,cependant, on constate qu'en règle générale l'Etat se voitattribuer, sur le plan international, les faits des membresde son « organisation », autrement dit les faits de ses« organes » ou de ses « agents ». C'est là le principe

fondamental en la matière. Le présent chapitre du projetaura précisément pour but de définir et de compléter ceprincipe, de déterminer son étendue et ses limitationsainsi que les dérogations qu'il comporte.4) Dans cette perspective, une fois définie la règle debase prévoyant l'attribution à l'Etat des faits de sesorganes, on se posera la question de savoir s'il faut ounon exclure des « faits de l'Etat » les activités de certainescatégories d'organes. On se demandera également si, endehors du comportement des organes qui font partie del'appareil proprement dit de l'Etat, on doit ou nonattribuer à l'Etat, sur le plan international, le comporte-ment des organes d'institutions publiques autres quel'Etat lui-même, ou des personnes qui exercent en fait desactivités publiques sans être à proprement parler des« organes », ou encore des organes d'un autre sujet dedroit international qui auraient été mis à la disposition del'Etat en question. On examinera ensuite la question desavoir si l'on doit on non considérer comme « faits del'Etat » les comportements que des organes ou, plusgénéralement, des personnes dont l'activité est en principeattribuée à l'Etat adoptent dans des conditions de natureà jeter le doute sur la légitimité d'une telle attribution.C'est le cas, par exemple, quand un organe agit endépassement des limites de sa compétence ou encontradiction avec les prescriptions du droit interne quiconcernent son activité. On examinera ensuite quel sortest réservé au comportement de particuliers agissantuniquement en cette qualité, et sur quelle base l'on peutconsidérer comme source de responsabilité le comporte-ment adopté par des organes de l'Etat à l'occasion defaits de simples particuliers. On s'occupera en dernier lieudu cas où il s'agit du comportement d'organes d'autressujets de droit international agissant sur le territoire del'Etat et, enfin, des problèmes concernant l'attributionrétroactive à un Etat des faits d'un mouvementinsurrectionnel victorieux.5) Le premier point à souligner à propos des problèmesà traiter dans le présent chapitre est celui de la nécessitéde ne pas trop assimiler les situations auxquelles on seréfère ici à d'autres qui restent foncièrement différentes endépit de certains aspects généraux communs. Le droitinternational prend en considération l'appareil de l'Etat,son « organisation », à des fins qui dépassent largementcelles de l'attribution à l'Etat d'un fait internationale-ment illicite. Pour toutes les activités de l'Etat, y comprisles activités qui consistent à accomplir des « actes »proprement dits (c'est-à-dire à produire des manifesta-tions de volonté en vue d'atteindre des conséquences dedroit), se pose le problème de l'attribution à l'Etat decertains comportements. Or, l'attribution à l'Etat d'unemanifestation de volonté valable pour établir, parexemple, sa participation à un traité n'est nullementidentifiable à l'opération qui consiste à attribuer à l'Etatun comportement déterminé afin de mettre à sa charge unfait internationalement illicite générateur d'une responsa-bilité internationale. Il serait erroné d'adopter dans cesdeux hypothèses les mêmes critères et de proposer unesolution identique fondée sur une définition générale etcommune du « fait de l'Etat ». Dans le contexte de laresponsabilité des Etats pour faits internationalementillicites, le « fait de l'Etat » a sa propre spécificité et

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Rapport de la Commission à l'Assemblée générale 193

demande à être déterminé selon des critères particuliers.Le titre du présent chapitre doit donc s'entendre enfonction de l'objet et de la portée du projet d'articlesdans son ensemble.

6) Pour comprendre le fond du problème et être enmesure de formuler des règles appropriées, il convientégalement d'éviter une double confusion qui est àl'origine des difficultés auxquelles se sont heurtés lessavants. Tout d'abord, il faut distinguer nettement entrel'opération qui consiste à attribuer à l'Etat, à telles outelles fins, le comportement adopté dans certainesconditions par ses « organes » — par ceux qui relèvent deson « organisation » — et l'opération qui consisteprécisément à établir cette « organisation », c'est-à-dire àdéterminer quels sont les « organes » individuels oucollectifs qui, dans leur ensemble, forment l'appareil del'Etat. Ensuite, il faut faire la distinction qui s'imposeentre l'attribution d'un fait à l'Etat en tant que sujet dedroit international et à l'Etat en tant que sujet dedroit interne. Si certaines des tendances doctrinales lesplus connues ont abouti à une impasse, c'est qu'ellesn'ont pas suffisamment tenu compte de cette doubledistinction135.

7) L'« organisation » de l'Etat ne signifie et ne peutsignifier autre chose que celle que l'Etat se donne lui-même de façon autonome. Il en découle que les« organes » de l'Etat ne peuvent être que ceux que l'Etatprévoit comme tels dans son propre système juridique etdont il réglemente l'action à ses propres fins. Cetteréglementation — que l'Etat seul peut établir — estmanifestement un prius par rapport à l'opérationconsistant à attribuer à l'Etat le comportement d'unmembre de son « organisation ». Ce n'est pas enattribuant à l'Etat une action ou omission donnée quel'on confère aux auteurs de cette action ou omission lestatut d'organes de l'Etat. C'est parce qu'ils ont ce statut,parce qu'ils ont en droit qualité pour agir au nom del'Etat, que l'attribution en question peut se faire. End'autres termes, le statut d'organe que revêt l'auteur ducomportement auquel on se réfère est la prémisse, lacondition, et non pas l'effet, du traitement duditcomportement comme « fait de l'Etat ».

8) Cette constatation s'impose à bien plus forte raisonlorsqu'un comportement donné est attribué à l'Etatconsidéré en tant que sujet de droit international et nonpas en tant que sujet de droit interne. La formation et laréglementation de l'organisation de l'Etat ne relèvent pasde l'ordre international. L'organisation de l'Etat n'estpas créée, mais présupposée, par le droit international136.En d'autres termes, l'appartenance à l'organisation de

i3s p o u r u n e analyse détaillée des tendances doctrinales, des solu-tions qu'elles proposent et des difficultés qu'elles rencontrent, voirles considérations liminaires du chapitre II du troisième rapport duRapporteur spécial {Annuaire... 1971, vol. II [l re partie], p. 245 à 250,doc. A/CN.4/246 et Add.l à 3, par. 106 à 121).

136 y o j r p e x M . Marinoni, La responsabilità degli Stati per gliatti dei loro rappresentanti secondo il diritto internazionale, Rome,Athenaeum, 1913, p. 117 et 118; R. Ago, « Le délit international »,Recueil des cours... (op. cit.), p. 464 et 465; G. Sperduti, Lezioni didiritto internazionale, Milan, Giuffrè, 1958, p. 109; J.-P. Quéneudec,op. cit., p. 29 et 30.

l'Etat n'est considérée par le droit international quecomme une prémisse. Cette constatation ne veutnullement dire que, sur le plan du droit international, l'onne soit pas appelé parfois à interpréter ou à appliquer ledroit interne, mais cela n'empêche pas que le droitinternational se borne à présupposer l'organisation quel'Etat s'est donnée dans l'ordre juridique interne et à n'yvoir qu'une condition à laquelle il lie certaines de sesdéterminations137.

9) Trois conclusions principales découlent de cesconstatations. La première concerne la signification qu'ilfaut donner à l'assertion suivant laquelle, en droitinternational, on attribue avant tout à l'Etat sujet de cedroit, afin d'établir le cas échéant une responsabilité à sacharge, le comportement de ses propres « organes ». Cetteassertion signifie simplement que le droit internationalconsidère en principe comme « fait de l'Etat », attribué àl'Etat, le comportement de ceux qui ont le statutd'« organes » dans l'ordre juridique interne, et unique-ment dans cet ordre138. Elle ne veut nullement dire que cestatut devient un statut « international » en vertu de cetteattribution.

10) La deuxième conclusion est que le droit interna-tional reste libre pour ce qui est de prendre enconsidération la situation existant dans l'ordre juridiqueinterne. L'autonomie de l'attribution d'un fait à l'Etatsur le plan du droit international par rapport àl'attribution sur le plan du droit interne est absolue139.Le traitement de certains faits comme « faits de l'Etat »sur le plan international peut s'inspirer de critères à lafois plus larges et plus restreints que le traitementcorrespondant sur le plan interne. Dans la pratiqueinternationale, par exemple, on traite comme faits del'Etat, sujet du droit international, des comportementsémanant d'organes d'institutions publiques autres quel'Etat ou des comportements adoptés par des organes del'Etat en dehors de leur compétence. Mais l'autonomiedu droit international en matière d'attribution d'un fait àl'Etat ne signifie nullement que le droit international

137 II ne faut pas se laisser induire en erreur pa r l 'emploi du terme« renvoi », don t on se sert parfois pour décrire ce phénomène. Lesstructures de l 'Eta t ne sont pas « reçues » dans le cadre de l 'ordrejur idique international , n ' y acquièrent pas le caractère de structuresjuridiques, même si le droit international les prend en considérationà ses propres fins.

138 Sous cet aspect, la situation demeure la même dans les cas,exceptionnels d'ailleurs, où le droit international met des limites àla liberté de l 'Etat d 'établir son organisation. E n pareil cas, la règleinternationale limitative n'établit nullement elle-même l 'appareil del 'Etat ni une partie de cet appareil. Elle ne fait que mettre à la chargede l 'Etat une obligation que ce dernier, de son côté, respectera ense donnant telle organisation plutôt que telle autre. Les organesétablis en exécution d 'une telle obligation internationale ne sont pas,eux non plus, des organes de droit international.

139 La distinction entre les deux attributions et leur indépendancerespective a été soulignée par de nombreux auteurs. Voir, p . ex.J. G. Starke, op. cit., p . 110; A. Ross, op. cit., p. 251 ; T. Meron,« International responsibility of States for unauthorized acts oftheir officiais », The British Year Book of International Law, 1957,Londres, vol. 33, 1958, p. 88; P. Reuter, « La responsabilitéinternationale », Droit international public (op. cit.), p. 87;C. F. Amerasinghe, « Imputability in the law of State responsibilityfor injuries to aliens », Revue égyptienne de droit international,Le Caire, vol. 22, 1966, p. 96 et 104.

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194 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

entende introduire dans l'appareil étatique des « organes »que l'Etat lui-même n'a pas prévus comme tels dans sonpropre système juridique.

11) La troisième et dernière conclusion découle automa-tiquement de la liberté reconnue au droit internationalquant à la détermination des conditions dans lesquelles ilconsidère un comportement donné comme un « fait del'Etat » sur le plan international. Cette détermination doitêtre faite en se basant uniquement sur l'examen desréalités de la vie de la société internationale, indépendam-ment des situations adoptées sur le plan national commedes préoccupations théoriques qui ont retenu l'attentionde tant de juristes.

12) La Commission s'est donc donné pour tâche derechercher quels sont les comportements que le droitinternational attribue réellement à l'Etat, en se basantessentiellement sur les données qui ressortent de lapratique des Etats et de la jurisprudence internationale.C'est avant tout de cette méthode que la Commissions'inspirera pour formuler les dispositions du chapitre IIdu présent projet. Les solutions que la pratique et lajurisprudence offrent seront complétées, le cas échéant,par des éléments de développement progressif. Comme ila été indiqué dans l'introduction au présent chapitre140,la Commission n'a pu, au cours de sa vingt-cinquièmesession, considérer et adopter que les deux premiersarticles du chapitre II, à savoir les articles 5 et 6. Elleentend achever l'adoption des articles de ce chapitre aprèsexamen des propositions pertinentes faites par leRapporteur spécial dans ses troisième et quatrièmerapports.

Article 5. — Attribution à l'Etat du comportementde ses organes

Aux fins des présents articles, est considéré comme unfait de l'Etat d'après le droit international le comportementde tout organe de l'Etat ayant ce statut d'après le droitinterne de cet Etat, pour autant que, en l'occurrence, il aitagi en cette qualité.

Commentaire

1) L'observation de la réalité de la vie internationalepermet avant tout de constater que les comportementsdes « organes » de l'Etat, autrement dit de toutes lesentités individuelles ou collectives ayant le statut d'organesde l'Etat d'après son droit interne, sont considérés, enrègle générale du moins, comme « faits de l'Etat » —c'est-à-dire sont attribués à l'Etat par le droit internatio-nal, aux fins d'une qualification éventuelle de ces faitsd'internationalement illicites. L'article 5 énonce la règlequi découle de cette constatation.

2) II s'agit manifestement d'une règle de base, d'unpoint de départ, qui n'a rien d'absolu ni, surtout, riend'exclusif. Elle ne doit pas automatiquement amener àdes conclusions excessives. Il n'est pas dit a priori quetous les comportements des « organes » de l'Etat doiventêtre considérés sans autre comme «faits de l'Etat»

d'après le droit international. Il n'est pas dit, surtout,qu'en reconnaissant qu'on attribue à l'Etat sujet de droitinternational les comportements émanant de ses propres« organes » d'après l'ordre juridique interne on ait achevél'inventaire des comportements qui peuvent entrer enconsidération aux fins du rattachement à ces faits d'uneresponsabilité internationale. La même analyse de laréalité peut prouver ensuite que certains comportementsd'entités individuelles ou collectives ne possédant pas lestatut d'« organes » de l'Etat peuvent également êtreattribués à l'Etat par le droit international et être ainsi lasource d'une responsabilité à sa charge.

3) Le principe que l'Etat répond des infractionscommises par ses propres organes est reconnu de longuedate et de façon indiscutable par la jurisprudenceinternationale. Le plus souvent, ce principe est simple-ment présupposé et donné pour admis. Mais, à côté deces cas très nombreux où il a été réaffirmé implicitement,il y en a d'autres où le principe a été exprimé clairementet explicitement. Dans VAffaire Moses, par exemple,tranchée le 14 avril 1871 par la Commission mixte desréclamations Etats-Unis d'Amérique/Mexique établie parla convention du 4 juillet 1868, le surarbitre Lieberaffirmait :

Un fonctionnaire ou une personne investie d'une autoritéreprésente pro tanto son gouvernement qui, internationalementconsidéré, est l'ensemble de tous les fonctionnaires et de toutes lespersonnes investies d'une autorité141.

Plus nette encore est l'assertion que l'on retrouve danssept sentences arbitrales, toutes rendues dans l'Affaire desréclamations des sujets italiens résidant au Pérou (à proposdes dommages subis par eux lors de la guerre civilepéruvienne de 1894-1895), affaire jugée à Lima le 30septembre 1901. Chacune de ces sentences réitère que

un principe de droit international universellement reconnu veut quel'Etat soit responsable des violations du droit des gens commises parses agents142.

Le principe de l'attribution à l'Etat, aux fins d'uneresponsabilité internationale, des faits de ses « organes »,« dirigeants », « agents », se trouve confirmé ensuite dansplusieurs autres décisions arbitrales143.

no y o j r c i_d e s s u s par. 35.

141 J. B. M o o r e , History and Digest ofthe International Arbitrât ionsto which the United States has been a Party, Wash ing ton (D.C. ) ,U .S . G o v e r n m e n t Pr int ing Office, 1898, vol. I I I , p . 3129 (tr. duSecrétariat de l 'original anglais) .

142 Na t ions Unies , Recueil des sentences arbitrales, vol. X V (publi-cat ion des Na t ions Unies, n u m é r o de vente : 66.V.3), p . 399 (récla-mat ion Chiessa), p . 401 (réclamation Sessarego), p . 404 (réclamationSanguinet t i ) , p . 407 (réclamat ion Vercelli), p . 408 (réclamationQueirolo) , p . 409 (réclamation Roggero) , p . 411 (réclamation Miglia).

143 P. ex. dans la sentence rendue le 8 mai 1902 par le tribunalarbitral établi par le Protocole du 19 décembre 1901 entre lesEtats-Unis d'Amérique et El Salvador à propos de l'Affaire dela Salvador Commercial Company (ibid., p. 477); dans la décision(non datée) de la Commission arbitrale Italie/Venezuela établie envertu des Protocoles du 13 février et du 7 mai 1903 dans l'AffaireSambiaggio (ibid., vol. X [numéro de vente: 60.V.4], p. 512); dansla sentence (non datée) de la Commission arbitrale Pays-Bas/Vene-zuela créée par le Protocole du 28 février 1903 dans l'AffaireJ. N. Henriquez (ibid., p. 714 et 715); dans la décision rendue le9 mai 1934 par l'arbitre Algot Bagge dans l'Affaire des FinnishShipowners entre la Grande-Bretagne et la Finlande (ibid., vol. III[numéro de vente: 1949.V.2], p. 1501).

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Rapport de la Commission à l'Assemblée générale 195

4) Dans la pratique des Etats — en plus des prises deposition que l'on peut noter à l'occasion de différendsparticuliers —, il faut relever les réponses données par lesgouvernements aux points III, IV et V de la demanded'informations que le Comité préparatoire de laConférence de 1930 leur avait adressée144. D'une manièreexplicite ou implicite, la conviction juridique que lesactions ou omissions des organes de l'Etat par lesquellesse réalise un manquement à une obligation internationaledoivent être attribuées à l'Etat et être qualifiées de faitsinternationalement illicites de ce dernier ressort d'unemanière unanime de ces réponses. La TroisièmeCommission de la Conférence a approuvé en premièrelecture, à l'unanimité des pays représentés, l'article Ier,dont le texte prévoit la responsabilité internationale del'Etat comme conséquence de « tout manquement auxobligations internationales d'un Etat du fait de sesorganes145 ».

5) Tous les projets de codification de la responsabilitéinternationale préparés par des institutions publiques oupar des associations scientifiques énoncent à leur tour,dans des termes semblables, le principe du rattachement àl'Etat du comportement de ses organes aux fins de ladétermination de la responsabilité internationale146. Lesprojets de codification émanant de savants individuelscontiennent aussi des clauses rédigées dans des termesanalogues147.

6) Enfin, l'attribution à l'Etat du comportement de sesorganes aux fins de la détermination de sa responsabilitéinternationale est admise par une doctrine qui estpratiquement unanime148: elle l'est, bien entendu, en

144 SDN, Bases de discussion... (op. cit.), p. 25 et suiv., 41 et suiv.,52 et suiv.; Supplément au tome III (op. cit.), p. 2, 3, 6 et suiv. Lestrois points de la demande d'informations se référaient respecti-vement aux actes des organes des pouvoirs législatif, judiciaire etexécutif.

146 Annuaire... 1956, vol. II, p. 226, doc. A/CN.4/96, annexe 3.146 Voir p. ex. l'article 1 e r du projet préparé en 1926 par la

branche japonaise de l'International Law Association et laKokusaiho Gakkwai; la règle I du projet adopté en 1927 parl ' Inst i tut de droit internat ional ; l 'article VII, alinéas a et b, du projetpréparé en 1929 par la Harvard Law School; l 'article 15 du projetrédigé en 1961 par la même insti tution; l 'article 1 e r du projet établien 1930 par la Deutsche Gesellschaft fur Vôlkerrecht; l 'article Vdes « Principes du droit international régissant, selon la conceptiondes pays latino-américains, la responsabilité de l 'Eta t », préparésen 1962 par le Comité jur idique interaméricain; les articles I I , IIIet IV des « Principes du droit international régissant, selon laconception des Etats-Unis d 'Amérique , la responsabilité de l 'Eta t »,préparés en 1965 par le même comité ; le paragraphe 169 de laRestatement of the Law de l 'American Law Insti tute (v. ci-dessusnote 14).

147 On peut rappeler ici l 'article 1 e r du projet préparé en 1927 parStrupp et l 'article 1 e r du projet établi par R o t h en 1932. Voir aussile n° II des « Bases de discussion » établies en 1956 par M. GarciaAmador , rappor teur spécial de la C D I , ainsi que le chapitre II deson avant-projet de 1957 et l 'article 12 de son avant-projet réviséde 1961 (v. ci-dessus note 14).

148 P . ex. E. M. Borchard, The Diplomatie Protection of CitizensAbroad, or The Law of International Claims, New York , BanksLaw Publishing, 1928, p . 189; K. Strupp, « D a s vôlkerrecht-licheDelikt », Handbuch... (op. cit.), p . 35 et suiv.; A. Decencière-Ferrandière , La responsabilité internationale des Etats à raison desdommages subis par des étrangers, Paris, Rousseau, 1925, p . 64 etsuiv.; C. Eagleton, The Responsibility of States... (op. cit.), p . 44 ;H . Kelsen, « Unrecht und Unrechtsfolge im Vôlkerrecht », Zeit-

dépit des divergences qui séparent ensuite les auteurs surle point de savoir si toutes les actions ou omissions des« organes » de l'Etat, et elles seules, sont susceptibles ounon de lui être attribuées en tant que « faits de l'Etat ».

7) A ce propos, il faut cependant avoir toujoursprésente à l'esprit une distinction fondamentale. L'élé-ment de vérité qu'il y a dans l'identification de l'organeavec l'Etat ne doit pas faire perdre de vue qu'en dernièreanalyse les organes de l'Etat sont composés d'êtreshumains, qui gardent toujours la possibilité d'agir pourleur propre compte. A propos de chaque situationconcrète, il faut donc vérifier si, en l'occurrence, ils ontagi en tant qu'organes de l'Etat, sous le couvert de cettequalité, ou bien en tant que simples particuliers. Lesdifficultés d'ordre pratique que peut parfois présentercette vérification n'enlève rien à la netteté de ladistinction sur le plan des principes.

8) Cette conclusion, accompagnée du corollaire quiexclut en principe l'attribution à l'Etat, en tant que faitséventuellement générateurs d'une responsabilité, desactions ou omissions commises à titie purement privé parles êtres humains qui composent ses organes, est reconnuede façon unanime par la pratique et la jurisprudenceinternationales. Il suffit donc de rappeler ici quelques-unsdes cas dans lesquels cette reconnaissance s'est manifes-tée. Les gouvernements, par exemple, ont très nettementpris position à ce sujet à l'occasion de la Conférence de1930. Le point V, n°2, d, de la demande d'informationsprésentée par le Comité préparatoire de la Conférenceconcernait la question de savoir si oui ou non l'Etatdevait répondre d'« actes ou omissions de fonctionnaireslorsque ces actes ou omissions n'ont aucun rapport avecleurs fonctions officielles ». Les gouvernements ayanttraité de ce point dans leurs réponses ont tous exclu laresponsabilité de l'Etat dans une telle hypothèse149. Cecritère fut accepté ensuite par les représentants des Etats àla Conférence, et se trouva implicitement incorporé autexte de l'article VIII du projet adopté en première lecturepar la Troisième Commission de la Conférence150.

9) La même idée a été plus d'une fois expressémenténoncée dans des sentences arbitrales et des décisions decommissions internationales ou internes de réclamations.L'une des plus fréquemment citées est celle qui a trait àY Affaire Bensley, rendue le 20 février 1850 par lacommission établie par l'acte du Congrès des Etats-Unis

schriftfiir ôffentliches Recht, Vienne, vol. XII, fasc. 4, octobre 1932,p. 504 et suiv. (pour cet auteur, cependant, il faut réserver les aspectsparticuliers de sa conception); J. G. Starke, op. cit., p. 106; L. Oppen-heim, op. cit., p. 340 et suiv.; B. Cheng, op. cit., p. 192 et suiv.;H. Accioly, « Principes généraux de la responsabilité internationaled'après la doctrine et la jurisprudence », Recueil des cours... 1959-1,Leyde, Sijthoff, 1960, t.96, p. 371; A. Ulloa, Derecho internacionalpûblico, 4e éd., Madrid, Ediciones Iberoamericanas, 1957, t. II,p. 256; I. von Miinch, op. cit., p. 170; C. F. Amerasinghe, « Imput-ability... », Revue égyptienne... (op. cit.), p. 95; D. B. Levin, Otvetst-vennost gossoudarstv... (op. cit.), p. 69 et suiv.; E. Jiménez deAréchaga, op. cit., p. 544; Institut d'Etat du droit de l'Académie dessciences de l'Union soviétique, op. cit., p. 426; V. N. Elynytchev,op. cit., p . 87.

149 SDN, Bases de discussion... (op. cit.), p. 82 et suiv.; et Supplé-ment au tome III (op. cit.), p. 3 et 17.

150 Annuaire... 1956, vol. II, p. 226, doc. A/CN.4/96, annexe 3.

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196 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

d'Amérique du 3 mars 1849. Le rejet de la demande deréparation présentée pour la détention d'un jeuneAméricain dans la maison d'un gouverneur mexicain étaitainsi motivé:

La séquestration du jeune garçon paraît avoir été de la part dugouverneur un geste irresponsable ne présentant aucune apparencede démarche officielle et n'ayant aucun rapport avec ses respon-sabilités officielles1S1.

La Commission des réclamations France/Mexique (insti-tuée en vertu de la Convention du 25 septembre 1924),dans sa décision du 7 juin 1929 concernant VAffaireCaire, déclarait que l'Etat cesse d'être responsable

dans le seul cas où l'acte n'a eu aucun rapport avec la fonctionofficielle et n'a été, en réalité, qu'un acte d'un particulier152.

Si dans de nombreux autres cas on ne retrouve pasd'assertions aussi explicites, le critère auquel on se réfèreressort quand même implicitement. C'est ce qu'on peutdire, par exemple, pour les affaires Putnam153 etMorton15i, tranchées par la Commission générale desréclamations Etats-Unis d'Amérique/Mexique établie parla Convention du 8 septembre 1923. Les différents projetsde codification, d'origine publique ou privée, énoncent engénéral le principe de l'attribution à l'Etat, en tant quesujet de droit international, des faits de ses organes, enayant soin d'exclure l'attribution à l'Etat des comporte-ments adoptés à titre purement privé. Quelques-uns deces projets ont même fait de cette exclusion l'objet d'unedisposition à part155. Quant aux ouvrages de théorie, lanécessité d'une telle exclusion est mentionnée par presquetous les auteurs, et elle est même particulièrementsoulignée par certains d'entre eux156.

10) Les questions que posent les actions ou omissionscommises à titre privé par des personnes qui ont, enmême temps, le statut d'« organes » de l'Etat serontconsidérées sous tous leurs aspects dans le cadre plusgénéral de l'examen qui sera réservé, dans le présentchapitre du projet, aux comportements de particuliers. Ace moment-là, on aura à rechercher si oui ou non uncomportement purement privé peut, dans certainescirconstances, être l'objet d'une attribution à l'Etat auxfins du projet d'articles sur la responsabilité internatio-nale des Etats. A ce stade initial, la seule préoccupation

151 Voir J. B. Moore , History and Digest... (op. cit.), vol. I I I ,p . 3018 (tr. du Secrétariat de l 'original anglais). Voir aussi la décisionsur l'Affaire Castelain, rendue par la Commission mixte Etats-Unisd 'Amér ique /France en vertu de la Convent ion du 15 janvier 1880(ibid., p . 2999 et 3000).

152 Nat ions Unies, Recueil des sentences arbitrales, vol. V (publi-cat ion des Nat ions Unies, numéro de vente : 1952.V.3), p . 531.

153 Ibid., vol. IV (numéro de vente: 1951.V.1), p . 151 et suiv.154 Ibid., p . 428 et suiv.155 C'est ce que font le projet de la Kokusaiho Gakkwai au

deuxième alinéa de l'article 2 et celui de la Deutsche Gesellschaftfiir Vôlkerrecht à la deuxième phrase du paragraphe 4 de l'article 1er

(v. ci-dessus note 14).ise y o j r p e x Q Eagieton, The Responsibility of States... (op. cit.),

p. 58 et 59; B. Cheng, op. cit., p. 197 et suiv.; F. V. Garcia Amador,deuxième rapport à la CDI {Annuaire... 1957, vol. II, p. 125 et 126,doc. A/CN.4/106); G. Schwarzenberger, InternationalLaw (op. cit.),p. 615 et suiv. ; D. P. O'Connell, International Law, Londres, Stevens,1965, vol. II, p. 1045; J.-P. Quéneudec, op. cit., p. 82 et suiv.

qui s'impose est que la ligne de démarcation indiquéeressorte avec la clarté nécessaire. Il convient toutefois depréciser dès maintenant qu'il ne faut pas confondrel'hypothèse d'un comportement purement privé aveccelle, toute différente, d'un organe agissant en tant quetel, quoique en dépassement de sa compétence ou, plusgénéralement, en violation des prescriptions concernantson activité. Dans ce dernier cas, dont on aura aussi às'occuper dans le présent chapitre, c'est quand même aunom de l'Etat que l'organe agit. Dans la jurisprudencearbitrale internationale, la distinction en question a étéclairement mise en évidence dans la sentence relative àY Affaire Malien, rendue le 27 avril 1927 par laCommission générale des réclamations Etats-Unisd'Amérique/Mexique, par exemple. Deux événementsdistincts ont été successivement pris en considérationdans la décision relative à cette affaire: d'abord l'actiond'un fonctionnaire agissant à titre privé, et ensuite uneautre action du même fonctionnaire agissant en sa qualitéofficielle, bien que de façon abusive157. Dans d'autres cas,l'application de la distinction n'a pas été aussi aisée, etc'est seulement à la suite d'une analyse approfondie descirconstances de fait que les tribunaux ont pu seprononcer sur la nature de l'acte158. Mais ce qu'ilimporte de relever, c'est que le principe même de ladistinction n'a jamais été mis en discussion.

11) Compte tenu des considérations qui précèdent,l'article 5 dispose que

Aux fins des présents articles, est considéré comme un fait del'Etat d'après le droit international le comportement de tout organede l'Etat ayant ce statut d'après le droit interne de cet Etat, pourautant que, en l'occurrence, il ait agi en cette qualité.

En adoptant cette formule, la Commission entend laisserla porte ouverte à la définition ultérieure d'autres règles,résultant de constatations complémentaires, qui ferontl'objet d'autres articles du chapitre II du projet et quiserviront à étendre ou, éventuellement, à limiter la règleénoncée dans cet article. La restriction stipulée au débutde la disposition (« aux fins des présents articles ») vise àpréciser que l'article 5 concerne l'attribution à l'Etat ducomportement de ses organes non pas en général, maisuniquement dans le contexte de la responsabilité des Etatspoui faits internationalement illicites.

12) L'expression «le comportement de tout organe del'Etat ayant ce statut » a été préférée à d'autres (comme,

157 Na t ions Unies , Recueil des sentences arbitrales, vol. IV (publi-cat ion des Na t ions Unies , n u m é r o de vente : 1951.V.1), p . 173 etsuiv.

158 P . ex. dans l'Affaire Corr ie , t ranchée le 5 mars 1929 par laCommiss ion générale des réclamat ions Eta ts -Unis d 'Amér ique /Mexique , et dans l 'Affaire G o r d o n , t ranchée le 8 oc tobre 1930 parla même commission {ibid., p . 416 et 417, et p . 586 et suiv.). Undomaine dans lequel l'application de la distinction mentionnée aparfois donné lieu à des difficultés est celui des actions de pillage oude destruction commises par des soldats n'agissant pas sous lecommandement d'officiers. Dans l'Affaire D. Earnshaw and others(The Zafiro Case), tranchée le 30 novembre 1925 par un tribunalarbitral anglo-américain {ibid., vol. VI [numéro de vente: 1955.V.3.],p. 163 et suiv.), on a vu dans l'action de ces soldats un acte de natureprivée. Dans d'autres cas, la jurisprudence est moins sûre. Voir àce sujet A. V. Freeman, « Responsibility of States for unlawful actsof their armed forces », Recueil des cours..., 1955-11, Leyde, Sijthoff,1956, t. 88, p. 325 et suiv.

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Rapport de la Commission à l'Assemblée générale 197

par exemple, « le comportement d'une personne ou d'ungroupe de personnes qui [...] ont la qualité d'organes del'Etat ») afin d'éviter de s'engager dans la solution desproblèmes théoriques relatifs à la définition de la naturemême d'un organe. La Commission n'a pas jugénécessaire d'ajouter les mots « action ou omission » aprèsle terme « comportement », étant donné que celui-ci estdéjà défini comme une action ou une omission à l'alinéa ade l'article 3 du projet. Pour bien marquer l'idée que lestatut d'organe doit avoir existé au moment ducomportement dont il s'agit, le dernier membre de phrase(« il ait agi en cette qualité ») a été mis au passé.

13) Finalement, réserve faite des différentes significa-tions que le terme « organe » peut avoir, notamment dansle cadre du droit public interne des différents systèmesjuridiques, il a été convenu de n'employer dans le libelléde l'article que le terme « organe », et non pas le termedouble « organe et agent ». Le terme « agent » sembledésigner, en anglais surtout, une personne agissant pourle compte de l'Etat plutôt qu'une personne ayant unvéritable statut d'organe. On s'occupera dans un autrearticle du présent chapitre des actions ou omissions depersonnes de ce genre.

Article 6. — Non-pertinence de la position de l'organedans le cadre de l'organisation de l'Etat

Le comportement d'un organe de l'Etat est considérécomme un fait de cet Etat d'après le droit international, quecet organe appartienne au pouvoir constituant, législatif,exécutif, judiciaire ou autre, que ses fonctions aient uncaractère international ou interne, et que sa position dans lecadre de l'organisation de l'Etat soit supérieure ousubordonnée.

Commentaire

1) II a été indiqué que la règle énoncée à l'article 5 ausujet de l'attribution à l'Etat du comportement de sesorganes n'était qu'une règle initiale, qui demandait à êtrecomplétée par d'autres règles. Le présent article entendpréciser que la position d'un organe de l'Etat dans lecadie de l'organisation dudit Etat n'entre pas en ligne decompte pour ce qui est d'attribuer le comportement del'organe à l'Etat, c'est-à-dire pour considérer cecomportement comme un « fait de l'Etat » d'après ledroit international. En d'autres termes, l'article 6 doitmettre en évidence la portée de l'expression « tout organede l'Etat » employée à l'article 5.

2) De l'avis de la Commission, trois points distinctsdoivent être examinés en ce qui concerne la questionsoulevée par l'article 6. En premier lieu, il faut sedemander si seuls les comportements des organes del'Etat chargés des relations « extérieures » peuventconstituer des faits illicites de l'Etat d'après le droitinternational, ou si les comportements des organes quiexercent des fonctions dites « internes » peuvent toutaussi bien entrer en ligne de compte à cette fin. Endeuxième lieu, il s'agit de savoir si c'est seulement laconduite des organes « gouvernementaux » ou « exécu-tifs » de l'Etat qui peut donner lieu à un fait

internationalement illicite, ou si en réalité aucunedifférence n'est à faire, à cet égard, entre les actions ouomissions de ces organes et celles des organes consti-tuants, législatifs, judiciaires ou autres, quels qu'ilssoient. En troisième lieu, il faut examiner s'il y a ou nonune distinction à faire, aux fins indiquées, entre lecomportement des organes « supérieurs » et celui desorganes « subordonnés ».

3) Pour ce qui est du premier point, c'est une théoriedépassée que celle selon laquelle seules les actions ouomissions des organes chargés de la conduite des relationsextérieures de l'Etat peuvent constituer des faitsinternationalement illicites de ce dernier. En vertu decette conception, l'Etat ne serait appelé à répondre, sur leplan international, du comportement d'organes exerçantdes fonctions internes (par exemple les fonctionnairesadministratifs ou les juges) qu'à titre « indirect », commepour les agissements de particuliers; il n'en seraitresponsable que dans l'hypothèse où l'un de ses organeschargés des relations extérieures aurait endossé l'actionou l'omission de l'organe chargé de fonctions internes.Cette position était manifestement due à une confusionentre, d'un côté, la prise en considération d'uncomportement en tant que fait internationalement illiciteet, de l'autre, l'attribution à l'Etat d'une manifestation devolonté susceptible de constituer un acte juridiqueinternational valable ou d'établir la participation à un telacte. La jurisprudence et la pratique internationalesmontrent que cette position est dépourvue de fondement.Il y a longtemps que les auteurs ne la mentionnent plusque pour la rejeter159.

4) Le deuxième point peut, de prime abord, paraîtrequelque peu plus complexe. L'examen des cas possiblesde faits internationalement illicites émanant de tels ou telsorganes a souvent été abordé séparément à propos del'une ou de l'autre des grandes branches classiques del'organisation de l'Etat: pouvoir législatif (et pouvoirconstituant)160, pouvoir exécutif161 et pouvoir judi-

169 p e x çj , <je vischer, « La responsabilité des Etats », Biblio-theca Visseriana (op. cit.), p. 94; P. Reuter, «La responsabilité inter-nationale », Droit international public (op. cit.), p. 86 et 87;I. von Miinch, op. cit., p. 170; J.-P. Quéneudec, op. cit., p. 41 et suiv.

îeo Divers auteurs ont consacré des monographies ou des articles àla responsabilité internationale de l'Etat du fait de ses organes légis-latifs. P. ex. O. Hoijer, « La responsabilité internationale des Etatsen matière d'actes législatifs », Revue de droit international, Paris,3e année, t. IV, 2e semestre 1929, p. 577 et suiv.; M. Sibert, « Contri-bution à l'étude des réparations pour les dommages causés auxétrangers en conséquence d'une législation contraire au droit desgens », Revue générale de droit international public, Paris, 3e série,t. XV, vol. I (1941-1945), p. 5 et suiv.; A. S. Bilge, La responsabilitéinternationale des Etats et son application en matière d'actes législatifs,Istanbul, Tsitouris, impr., 1950; E. Vitta, « Responsabilità degliStati », Novissimo Digesto Italiano (op. cit.). De même, certainsouvrages généraux font une analyse distincte et détaillée des actionsou omissions des organes des différents « pouvoirs » et, en parti-culier, des organes législatifs.

161 Des questions relatives à la responsabilité de l'Etat du faitd'organes administratifs ont fait l'objet d'un examen détaillé de lapart d'auteurs tels que K. Strupp (« Das vôlkerrechtliche Delikt »,Handbuch... [op. cit.], p. 85 et suiv.); K. Furgler {op. cit., p. 28 etsuiv.); I. von Miinch {op. cit., p. 195 et suiv.). Pour la questionspécifique de la responsabilité pour faits des forces armées, voirA. V. Freeman, « Responsibility of States... », Recueil des cours...(op. cit.), p. 267 et suiv.

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198 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

ciaire162. Cette façon de procéder, qui a permisd'approfondir certaines questions, est certainement aussià l'origine de difficultés qui n'ont pas de rapport véritableavec le sujet examiné ici, car la plupart de ces questionsdépassent nettement les limites des problèmes qui seposent dans le cadre du chapitre II du présent projet.Elles reviennent souvent à poser la question de savoir si lecomportement d'un organe donné constitue ou neconstitue pas, objectivement, un manquement à uneobligation internationale plutôt que de savoir si cecomportement doit ou non être attribué à l'Etat en tant quesujet du droit international. Parfois, elles vont au-delà dudomaine même de l'illicéité internationale et de laresponsabilité. D'ailleurs, la Commission a relevé que ladivision des pouvoirs n'était nullement aussi nette dans lapratique qu'elle semblait l'être dans l'analyse théorique— et, surtout, qu'elle était conçue de façon fort différentedans les divers systèmes juridiques et politiques.

5) Depuis près d'un siècle, on ne connaît pas dedécisions judiciaires ou arbitrales internationales qui aienténoncé (ou même implicitement admis) le principe del'irresponsabilité de l'Etat pour faits de ses organeslégislatifs ou judiciaires. En revanche, le principe opposéa été expressément confirmé dans bien des décisions, etest admis implicitement dans toute une série d'autres.Ainsi, dans la sentence du 8 mai 1902 relative à l'Affairede la Salvador Commercial Company, le Tribunal arbitralEtats-Unis d'Amérique/El Salvador, institué en vertu duProtocole du 19 décembre 1901, faisait sienne l'opinionsuivant laquelle

[...] un Etat est responsable des actes de ses dirigeants, qu'ilsappartiennent à la branche législative, executive ou judiciaire del'Etat, pour autant qu'ils aient commis ces actes en leur qualitéofficielle163.

La CPJI, dans son arrêt n° 7, du 25 mai 1926, concernantY Affaire relative à certains intérêts allemands en Haute-Silésie polonaise (fond), énonçait le principe selon lequel,

Au regard du droit international et de la cour qui en est l'organe,les lois nationales sont [...] [des] manifestations de la volonté et del'activité des Etats, au même titre que les décisions judiciaires ou lesmesures administratives164.

162 Parmi les auteurs qui ont traitéde la responsabilité internationalede l'Etat pour les actions ou omissions de leurs organes judiciaires,on peut citer: O. Hoijer, «Responsabilité internationale des Etatsen matière d'actes judiciaires », Revue de droit international, Paris,4e année, t. V, 1er semestre, 1930, p. 115etsuiv.; C. Th. Eustathiades,La responsabilité internationale de VEtat pour les actes des organesjudiciaires et le problème du déni de justice en droit international,Paris, Pédone, 1936; G. Pau, « Responsabilità internazionale delloStato per atti di giurisdizione », dans Istituto di scienze giuridiche,economiche e politiche délia Université di Cagliari, Studi economico-giuridici, vol. XXXIII (1949-1950), Rome, Pinnarô, 1950, p. 197 etsuiv. Il existe également une abondante littérature juridique sur lanotion spécifique du déni de justice. Les noms de O. Rabasa (Respon-sabilidad internacional del Estado con referencia especial a la respon-sabilidadpor denegaciôn dejusticia, Mexico, Imprenta de la Secreteriade Relaciones Exteriores, 1933) et de A. V. Freeman (The Inter-national Responsibility of States... [op. cit.]) doivent être particuliè-rement retenus à ce sujet.

163 Nat ions Unies, Recueil des sentences arbitrales, vol. XV (publi-cation des Nat ions Unies, numéro de vente: 66.V.3), p . 477 (tr. duSecrétariat de l 'original anglais).

164 C.P.J.I., série A, n° 7, p. 19. Voir aussi la sentence du 23 juillet1927 relative à l'affaire Chatt in prononcée par la Commission

A une date plus récente, la Commission de conciliationfranco-italienne instituée en vertu de l'article 83 du Traitéde paix du 10 février 1947 s'exprimait ainsi dans sadécision du 7 décembre 1955 à propos du Différendconcernant l'interprétation de l'article 79 du Traité dePaix:

Si, dans certaines sentences arbitrales du xixe siècle, on trouveexprimée l'opinion que l'indépendance des tribunaux, conforme auprincipe de la division des pouvoirs généralement reconnu [...],exclut la responsabilité internationale de l'Etat du fait des actes dupouvoir judiciaire contraires au droit, cette théorie sembleaujourd'hui universellement et justement répudiée par la doctrine etla jurisprudence internationales165.

La possibilité d'attribuer à l'Etat des faits commis par sesorganes législatifs166 ou judiciaires167 est donnée commeadmise dans toute une série de sentences internationales.

6) Pour ce qui est de la pratique des Etats, laCommission a relevé que la thèse de l'impossibilitéd'invoquer une responsabilité internationale pour faitsdes organes législatifs ou judiciaires n'a pas été avancée,du moins au cours des dernières décennies. En revanche,elle a constaté que la reconnaissance, directe ou indirecte,d'une telle possibilité s'est souvent manifestée168. Lespays qui ont été parties à des différends, que ce soitcomme demandeurs ou comme défendeurs, ont toujoursadmis de façon explicite ou implicite la possibilitéd'attribuer à l'Etat un fait internationalement illicite dû

générale des réclamations Etats-Unis d 'Amérique/Mexique, crééepar la Convention du 8 septembre 1923 (Nations Unies, Recueil dessentences arbitrales, vol. IV [numéro de vente: 1951.V.1], p . 286).

les Nat ions Unies, Recueil des sentences arbitrales, vol. XII I(numéro de vente: 64.V.3), p . 438.

166 y o j r p e x j e s a r r ê t s ou avis consultatifs rendus par la CPJIdans les affaires relatives aux Colons d'origine allemande enPologne (1923) [C.P.J.I., série B, n° 6, 1923, no tamment p . 35 etsuiv.], au Traitement des nat ionaux polonais à Dantzig (1932) [id.,série A/B, n° 44, 1932, no tamment p . 24 et 25], aux Phosphates duMaroc (1938) [id., série A/B, n° 74, 1938, no tamment p . 25 et 26], etceux de la CIJ dans les affaires relatives aux Droi ts des ressortissantsdes Etats-Unis d 'Amérique au Maroc (C.I.J. Recueil 1952, p . 176 etsuiv.), à l 'Or monétaire pris à R o m e en 1943 (ibid., 1954, p . 19 etsuiv., et no tamment p . 32), à l 'Application de la Convention de 1902pour régler la tutelle des mineurs (ibid., 1958, p . 55 et suiv.).

167 Voir p. ex. les arrêts ou avis consultatifs de la CPJI relatifsà l'Affaire du Lotus (C.P.J.I., série A, n° 10, 1927, p. 24), à laCompétence des tribunaux de Dantzig (id., série B, n° 15, 1928,p. 24), à l'Affaire des phosphates du Maroc (id., série A/B, n° 74,1938, notamment p. 28); et l'arrêt de la CIJ dans l'Affaire Ambatielos(C.I.J. Recueil 1953, p. 10 et suiv., et notamment p. 21 et suiv.).On peut mentionner aussi les décisions du Tribunal arbitral Grande-Bretagne/Espagne (1925) dans l'Affaire des biens britanniques auMaroc espagnol (Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales,vol. II [numéro de vente: 1949.V.1], p. 615 et suiv., et notammentp. 646).

188 A titre d'exemple, on peut citer, à propos de faits des organeslégislatifs, les prises de position contenues dans une note en datedu 28 février 1913 adressée par l'Ambassadeur de Grande-Bretagneà Washington au Secrétaire d'Etat des Etats-Unis d'Amérique(A. D. McNair, The Law ofTreaties, Oxford, Clarendon Press, 1961,p. 548) et dans une note du Service juridique du Quai d'Orsay endate du 23 janvier 1937 (A.-Ch. Kiss, Répertoire de la pratiquefrançaise en matière de droit international public, Paris, C.N.R.S.,1965, vol. III, p. 526).

A propos des faits des organes judiciaires, on peut rappeler lerapport adressé le 26 février 1887 par le Secrétaire d'Etat Bayard auPrésident des Etats-Unis d'Amérique (J. B. Moore, A Digest ofInternational Law, Washington [D. C] , U.S. Government PrintingOffice, 1906, vol. VI, p. 667).

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Rapport de la Commission à l'Assemblée générale 199

au comportement d'organes législatifs ou judiciaires, toutautant qu'au comportement d'organes exécutifs ouadministratifs169. L'expression la plus concluante de laconviction des Etats en la matière se retrouve dans lesopinions manifestées par les Etats à l'occasion de laConférence de La Haye de 1930. Dans la demanded'informations soumise aux gouvernements par le Comitépréparatoire figuraient des questions concernant les«actes de l'organe législatif» (point III), les «actesrelatifs aux fonctions judiciaires » (point IV) et les « actesde l'organe exécutif» (point V). Dans leurs réponses, lesgouvernements répondirent par l'affirmative à chacunedes questions posées sur les trois points mentionnés170.Des opinions tout aussi concordantes furent expriméesensuite par les délégués qui prirent part aux débats de laTroisième Commission de la Conférence171. Trois des dixarticles adoptés en première lecture par la Commission àla fin des débats établissaient la responsabilité de l'Etat àla suite d'une action ou omission incompatible avec lesobligations internationales de ce dernier, émanantrespectivement de ses organes législatifs (art. VI), exécu-tifs (art. VII) et judiciaires (art. IX)172.

7) Dans la doctrine du droit international, indépendam-ment de la manière dont les différents auteurs choisissentde traiter la question et des complications qui endécoulent parfois, les vues s'accordent quant à lapossibilité de considérer comme « fait de l'Etat », aux finsde qualifier éventuellement ce fait d'internationalementillicite, le comportement de tous les organes de l'Etat,quelle que soit la branche du « pouvoir » étatique àlaquelle ils appartiennent173. Les projets de codification,officiels et non officiels, suivent les mêmes principes debase. Ils diffèrent seulement entre eux quant à larédaction des formules respectivement proposées.

8) D'après la Commission, point n'est donc besoin defaire appel à des idées de développement progressif dudroit international pour conclure à la possibilitéd'attribuer à l'Etat, en tant que faits internationalementillicites, des actions ou omissions de tous ses organes,qu'ils relèvent du pouvoir constituant, législatif, exécutifou judiciaire. Personne ne se fait aujourd'hui l'avocat desvieilles thèses qui voulaient établir une exception pour lesorganes législatifs, sur la base du caractère « souverain »du parlement, ou pour les organes juridictionnels, en

169 y o j r p e x j a p i a i d o i r i e de Ch . de Visscher pour la Polognelors de la demande d'avis consultatif adressée à la CPJI dansl'Affaire du traitement des nationaux polonais et des autrespersonnes d'origine ou de langue polonaise dans le territoire deDantzig [C.P.J.I., série C, n° 56, p. 246).

170 S D N , Bases de discussion... (op. cit.), p . 25 et suiv., 41 et suiv.,52 et suiv.; et Supplément au tome III (op. cit.), p . 2, 3, 6 et suiv.

171 S D N , Actes de la Conférence... (op. cit.), p . 32 et suiv., 59 etsuiv., 103 et suiv., 152 et suiv.

172 Voir Annuaire... 1956, vol. II , p . 226, doc. A/CN.4 /96 , annexe 3.173 Outre les auteurs déjà cités aux notes 160, 161 et 162, se sont

prononcés dans ce sens, par exemple, C. Eagleton, The Responsibilityof States... (op. cit.), p. 59 et suiv.; H. Accioly, «Principes géné-raux... », Recueil des cours... (op. cit.), p. 371 et suiv.; Colombo,« Responsabilidad del Estado por los actos de los poderes legislativo,ejecutivo y judicial », Revista de ciencias juridicas y sociales, SantaFe, 1954, p. 5 et suiv.; C. F. Amerasinghe, « Imputability... »,Revue égyptienne... (op. cit.), p. 63 et suiv.; E. Jiménez de Aréchaga,op. cit., p. 544 et suiv.; et Institut d'Etat du droit de l'Académie dessciences de l'Union soviétique, op. cit., p. 427 et 428.

vertu du principe de l'indépendance des juges ou de celuide l'autorité de la chose jugée. Les affaires dans lesquellescertains Etats eurent recours à une argumentation fondéesur de tels principes et trouvèrent des instances arbitralesdisposées à les suivre sur ce terrain remontent à desépoques fort lointaines174. Aujourd'hui, la conviction quela position respective des différents pouvoirs de l'Etat n'ade signification que pour le droit constitutionnel et n'en aaucune pour le droit international, au regard duquell'Etat n'apparaît que dans son unité, est solidementancrée dans la jurisprudence internationale comme dansla pratique des Etats et dans la doctrine du droitinternational.

9) Reste à examiner le dernier des trois points énoncésau début du commentaire au présent article. Il s'agit dedécider s'il y a lieu d'établir parmi les organes de l'Etatune autre distinction, fondée sur le rang supérieur ousubordonné occupé par l'organe dans la hiérarchieétatique, afin de déterminer ceux d'entre eux dont l'actionou l'omission peut être attribuée à l'Etat en tant que faitinternationalement illicite de ce dernier. L'opinion que lesactions et omissions des organes « subordonnés » (« su-balternes », « inférieurs ») peuvent être attribuées à l'Etat,comme source éventuelle d'une responsabilité interna-tionale, tout autant que les actions ou omissions desorganes supérieurs domine aujourd'hui largement. Mais iln'en a pas toujours été ainsi.

10) Selon un courant d'opinion175 qui eut la faveur à unmoment donné d'une certaine littérature juridiqueaméricaine et qui a trouvé récemment encore certainsadeptes176, seule la conduite des organes «supérieurs»serait attribuable à l'Etat en droit international. L'Etat nesaurait être appelé à répondre du fait d'un organe« subordonné » que dans le cas où il apparaîtrait que lecomportement de ce dernier a été endossé, de façonexplicite ou implicite, par des organes supérieurs. Il nerépondrait en réalité que du fait de ses organessupérieurs177.

11) Cependant, cette thèse rencontra des réserves etmême de solides oppositions dans la littérature juridiquede son temps déjà178. Avant tout, il semble avoir échappé

1 7 4 La thèse de l ' indépendance du pouvoir judiciaire fut avancéepar le Portugal pour se soustraire à la reconnaissance d 'une respon-sabilité internationale à sa charge dans les affaires Croft (1856) etYuille, Shortridge and Co. (1861) [v. A. de Lapradelle et N . Politis,Recueil des arbitrages internationaux, Paris, Pédone, 1923, t. I l ,p . 22 et suiv., 101 et suiv., et 103].

175 Le porte-parole principal de ce courant a été le professeurE. M. Borchard, The Diplomatie Protection... (op. cit.), p. 189 etsuiv.

176 Voir su r tou t C h . Fenwick, International Law, 3 e éd. rev. etaugm., New York, Appleton-Century-Crofts, 1948, p. 280 et suiv.Voir aussi G. Von Glahn, Law Among Nations: An Introduction toPublic International Law, 2 e éd. , Londres , Macmi l lan , 1970, p . 227.

177 Cette opinion est reflétée dans l'article 7, al. b, du projet deconvention préparé en 1929, sous la direction personnelle de Bor-chard, par la Harvard Law School à l'intention de la Conférence de1930 (v. Harvard Law School, Research in International Law,Cambridge [Mass.], 1929, p. 157 et suiv., et 165 et suiv.).

178 Voir, pour l 'opposi t ion la plus net te et la mieux documentée ,C. Eagleton, The Responsibility of States... (op. cit.), p . 45 et suiv.Voir aussi K. S t rupp , « D a s vôlkerrechtl iche Del ikt », Handbuch...(op. cit.), p . 37 et 38 (note 5) ; C. C. Hyde , International Law chiefly

as Interpreted and Applied by the United States, 2 e éd. rev., Boston,

(suite de la note page suivante.)

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200 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

à ses défenseurs que la circonstance retenue dans des casconcrets pour conclure à l'impossibilité d'attribuer àl'Etat le comportement d'un organe déterminé était nonpas le caractère « subordonné » ou « subalterne » de cetorgane, mais plutôt le fait que celui-ci avait agi au méprisle plus total du droit et des limites de sa compétence,même apparente179. Mais la thèse en question semblesurtout procéder d'une confusion avec l'exigence del'épuisement des recours internes et son incidence sur laresponsabilité. L'essence de la « local redress rule » estprécisément d'établir qu'on ne peut pas, en règle généraledu moins, considérer comme définitivement accomplie laviolation d'une obligation internationale tant qu'un seuldes organes ayant la possibilité de réaliser l'exécution decette obligation a omis de le faire. Or, évidemment, unetelle éventualité se présente plus souvent quand l'organequi a agi le premier est de rang inférieur. Néanmoins, lasituation de droit ne change pas du seul fait d'une simpleprobabilité accrue. Que ce soit en cas d'action ou en casd'omission d'un organe supérieur, si des voies de recourssont ouvertes contre le comportement préjudiciable quece dernier a pu avoir, la responsabilité de l'Etat ne serapas, normalement, mise en jeu avant que lesdits recoursn'aient été utilisés180.12) Cela dit, la Commission a reconnu que, sur ce point,la pratique diplomatique et la jurisprudence arbitrale desannées 1850 à 1914 étaient loin d'être claires et unanimes.Un élément de nature à justifier, en quelque sorte, la thèsede la non-attribution à l'Etat de la conduite de sesorganes inférieurs découle du fait que le système juridiquedes Etats-Unis d'Amérique (à la différence, par exemple,des systèmes continentaux européens) prévoit fréquem-ment, contre les agissements préjudiciables de fonction-naires de l'Etat — et surtout de fonctionnaires de rangpeu élevé —, la possibilité d'un recours personnel contrel'individu-organe, et non pas d'un recours contrel'administration de l'Etat en tant que telle. Parfois donc,des notes émanant du Gouvernement des Etats-Unisd'Amérique181, ou des décisions arbitrales portant sur

(suite de la note 178.)

Little, Brown, 1951, vol. 2, p. 935 et 936; F. S. Dunn, The Protectionof Nationals: A Study in the Application of International Law,Londres , Oxford Universi ty Press, 1932, p . 125 et suiv.

179 Par exemple, dans la lettre adressée le 14 août 1900 par M. Adee,secrétaire d'Etat américain, au baron de Fava, ambassadeur d'Italieà Washington (J. B. Moore, A Digest... [op. cit.], p. 743), on sou-lignait que les infractions de petits fonctionnaires et agents avaienteu lieu hors du cadre de leur compétence non seulement réelle maisaussi apparente.

180 II faut également observer qu'à l'origine de l'idée qui voudraitexclure du nombre des « faits de l'Etat » les comportements desorganes de rang inférieur, il y a certainement une confusion de basequi s'explique par l'habitude de poser le problème non pas commeil est correct de le faire, à savoir en termes d'attribution à l'Etat deces actions ou omissions, mais directement en termes de responsa-bilité. Le comportement d'un organe, quel qu'il soit, est à attribuerà l'Etat en tant que sujet de droit international même dans le casoù ce comportement ne suffit pas à lui seul à engendrer une respon-sabilité internationale et où il faut que le comportement d'autresorganes s'y ajoute pour que leur ensemble soit qualifié de faitinternationalement illicite et donne lieu à une responsabilité.

181 Voir, par exemple, la prise de position de l'Attorney-Generaldes Etats-Unis, Cushing, à l'occasion d'une réclamation adresséeau Gouvernement américain pour la perte d'un bateau causée parla négligence d'un pilote à San Francisco (J. B. Moore, A Digest...[op. cit.], p. 740 et 741).

des différends auxquels il était partie182, ont fait ressortirque le plaignant avait à sa disposition la possibilité de seprévaloir d'un tel recours personnel et n'avait pas às'adresser à l'Etat. Une prise de position de cette naturepouvait être interprétée comme l'indication d'un défautd'épuisement des recours internes, mais elle pouvait aussiêtre interprétée comme l'expression de la conviction quel'action des organes de rang inférieur n'aurait pas pu êtreconsidérée comme une action susceptible d'être attribuéeà l'Etat. Cela contribue à expliquer les divergences devues que l'on relève parfois à ce sujet dans lacorrespondance diplomatique échangée, avant la premièreguerre mondiale, entre le Gouvernement des Etats-Unisd'Amérique et des gouvernements de pays européens183.

13) En dépit de ces incertitudes et de leur raison d'être,il est hors de doute que la jurisprudence arbitrale et lapratique diplomatique antérieures à la première guerremondiale fournissent déjà beaucoup d'exemples de lareconnaissance du principe de l'attribution à l'Etat, entant que sujet de droit international, des actions ouomissions d'organes subordonnés — et cela vaut aussipour des décisions relatives à des différends dans lesquelsétaient impliqués des pays du continent américain184.L'incertitude qui peut avoir existé à une certaine époqueparaît de toute manière avoir disparu entre la fin de lapremière guerre mondiale et l'année 1930. La convictiondominante des gouvernements a eu l'occasion de semanifester au cours des travaux préparatoires, puis destravaux proprement dits, de la Conférence de 1930.Compte tenu des réponses reçues des gouvernements, leComité préparatoire, en élaborant les bases de discussionà l'intention de la Conférence, ne prévit aucune différencede traitement entre le comportement des organessupérieurs et celui des organes subordonnés. A laConférence elle-même, la question des organes de ranginférieur ne fut prise en considération qu'occasionnelle-ment au cours des débats185, et sans qu'il en restât detrace dans les conclusions.

182 y o j r p e x ] a p r i s e d e position du membre américain de laCommission mixte Etats-Unis d 'Amérique/Mexique instituée envertu de la Convention du 4 juillet 1868 dans l'Affaire Leichardt(J. B. Moore , History and Digest... [op. cit.], vol. III , p . 3134).

1 8 3 La position des gouvernements des pays européens revenait àconsidérer comme émanant de l 'Etat , aux fins d 'une responsabilitéinternationale de ce dernier, les actions ou omissions de ses organessubordonnés. On peut voir une expression de cette manière de voir,par exemple, dans les instructions adressées le 8 mars 1882 parMancini , alors ministre italien des affaires étrangères, au ministred'Italie au Pérou (S.I.O.I. [Società Italiana per l 'OrganizzazioneInternazionale] — C.N.R. [Consiglio Nazionale délie Ricerche],La prassi italiana di diritto internazionale, Dobbs Ferry [N. Y.] ,Oceana , 1970, l r e série [1861-1887], vol . I I , p . 862).

184 Voir p . ex. la décision rendue pa r la Commiss ion mixtePays-Bas/Venezuela, insti tuée en vertu du protocole du 28 février1903, dans l'Affaire Maa l (Na t ions Unies , Recueil des sentencesarbitrales, vol. X [publication des Na t i ons Unies , n u m é r o de vente :60.V.4], p . 732). Voir aussi l 'Affaire Moses , ment ionnée ci-dessus(art. 5, par. 3 du commentaire).

185 Le délégué mexicain déposa une proposition d'amendement àla base de discussion n° 12 (devenue ensuite l'article VIII), prévoyantqu'en cas d'action ou omission de fonctionnaires subalternes l'Etatn'assumerait pas de responsabilité internationale s'il désavouait etpunissait le fonctionnaire coupable. Aucun Etat n'appuya l'amende-ment du délégué du Mexique, et celui-ci le retira. (Voir SDN, Actesde la Conférence... [op. cit.], p. 82 et suiv.).

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Rapport de la Commission à l'Assemblée générale 201

14) La jurisprudence internationale des dernières décen-nies ne semble pas fournir d'exemples de décisionsdissidentes. L'attribution à l'Etat de la conduite de sesorganes subordonnés fut affirmée avec netteté, après lapremière guerre mondiale, par une série de commissionsde réclamations: par exemple, par la Commissiongénérale des réclamations Etats-Unis d'Amérique/-Mexique, instituée en vertu de la Convention du 8septembre 1923186, et par la Commission générale desréclamations Etats-Unis d'Amérique/Panama, créée parl'Accord du 28 juillet 1926187. Après la seconde guerremondiale, les Commissions de conciliation Italie/Etats-Unis d'Amérique, Italie/France et Italie/Royaume-Uni,instituées en exécution de l'article 83 du Traité de paix du10 février 1947, ont souvent eu à examiner lecomportement d'organes étatiques subalternes (parexemple administrateurs-séquestres, syndics, agents depolice), et ont toujours été d'accord pour traiter lesagissements de ces personnes comme des faits attribuablesà l'Etat188. En ce qui concerne la littérature juridique laplus récente, on peut dire que, sauf une ou deuxexceptions, les internationalistes formés aux systèmes lesplus différents appuient tous la thèse selon laquelle il estpossible de considérer comme faits de l'Etat lescomportements d'organes même subalternes189. Il est ànoter aussi qu'aucun des projets de codification, officielsou privés — à l'exception, déjà mentionnée, de celui deHarvard de 1929 —, ne fait de distinction entre organessupérieurs et organes subordonnés. Cela vaut aussi pourle nouveau projet de Harvard de 1961 et pour laRestatement ofthe Law de l'American Law Institute.

15) La Commission est donc à même de conclure, quantau troisième des points examinés, qu'aujourd'hui on nesaurait faire de place à l'idée, apparue à un momentdonné, d'introduire une distinction entre les organes de

186 y o j r j S U r tou t , les décisions rendues pa r la Commiss ion dansles affaires R o p e r (Nat ions Unies , Recueil des sentences arbitrales,vol. IV [numéro de ven te : 1951.V.l] , p . 145 et suiv.), Massey (ibid.,p . 155 e t suiv.) et Way (ibid., p . 400).

" ' A f f a i r e Baldwin (ibid., vol. VI [numéro de vente : 1955.V.3],p . 328 et suiv.).

188 Voir p . ex. entre autres , l'Affaire Curr ie (1954) [ibid., vol. XIV(numéro de vente : 65.V.4), p . 24], le Différend concernant l ' inter-pré ta t ion de l 'article 79 d u Tra i té de paix avec l 'Italie (1955)[ibid., vol. X I I I (numéro de ven te : 64.V.3), p . 431 et 432], et leDifférend D a m e Mossé (1953) [ibid., p . 492 et suiv.].

189 Ainsi , pa r exemple, A . V. F reeman , « Responsibili ty ofStates. . . », Recueil des cours... (op. cit.), p . 284 et suiv.; B . Cheng,op. cit., p . 195 et 196; P . Reuter , « La responsabil i té internat ionale »,Droit international public (op. cit.), p . 9 2 ; T. Meron , op. cit., p . 97et 9 8 ; H . Accioly, «Pr inc ipes généraux . . .» , Recueil des cours...(op. cit.), p . 392 et 393 ; I. von M u n c h , op. cit., p . 202 et 203 ;

J.-P. Quéneudec , op. cit., p . 55 et suiv.; C. F . Ameras inghe, « Impu-tability... », Revue égyptienne... (op. cit.), p . 106; Inst i tut d 'E t a t dudroi t de l 'Académie des sciences de l 'Un ion soviétique, op. cit.,p . 427.

l'Etat sur la base de leur rang. Il n'y a nulle raison deconsidérer comme un comportement de l'Etat à des finsde responsabilité internationale le seul comportement desfonctionnaires supérieurs. Une telle limitation, on l'a vu,est rejetée quasi unanimement. S'il en était autrement, ilfaudrait prendre position contre pareil critère du point devue du développement progressif du droit international.Admettre la distinction en question serait introduire ungrave élément d'incertitude dans les relations internatio-nales.

16) En conclusion, la Commission a été unanime àreconnaître qu'aux fins du présent projet aucunedistinction entre différentes catégories d'organes de l'Etatn'avait de raison d'être. L'unité de l'Etat exige que lesactions ou omissions de tous ses organes, individuels oucollectifs, soient considérées comme des actions ouomissions de l'Etat sur le plan international, c'est-à-diredes « faits de l'Etat » susceptibles d'engager, le caséchéant, sa responsabilité internationale. Il serait d'ail-leurs absurde de penser qu'il existe une catégoried'organes spécialement désignés pour commettre des faitsinternationalement illicites. Tout organe de l'Etat, s'il a lapossibilité matérielle d'adopter un comportement allant àl'encontre d'une obligation internationale dudit Etat,peut être à l'origine d'un fait internationalement illicitede ce dernier. Bien sûr, il y aura des organes qui, depar la nature de leur fonction, auront en fait plus depossibilités que d'autres à cet égard, mais la diversité desobligations internationales ne permet pas de distinguer apriori les organes qui peuvent commettre des faits illicitesinternationaux de ceux qui ne le peuvent pas.

17) On aurait pu penser que la non-pertinence de laposition d'un organe dans le cadre de l'organisation del'Etat pour l'attribution des comportements dudit organeà l'Etat ressortait déjà de la règle énoncée à l'article 5 duprojet. Toutefois, la Commission estime qu'il estnécessaire d'insérer dans le projet une dispositionexpresse à ce sujet. Il faut écarter avec netteté lapossibilité que certaines prises de position du passé, donton a fait état dans le présent commentaire, puissentéventuellement réapparaître dans l'avenir, sur la based'anciennes ou de nouvelles thèses. L'article 6 du projetoffre une garantie contre une telle éventualité, et ne faiten même temps que refléter l'état actuel du droitinternational en la matière. En ce qui concerne laformulation de la règle à établir, la Commission a estiméqu'une formule unique et synthétique exprimerait plusclairement le contenu de la règle. Elle a donc adopté pourl'article 6 un texte qui s'inspire de ce critère. LaCommission tient à souligner que l'énumération des« pouvoirs » qui figure dans le texte de l'article n'est pasexhaustive — ce qui ressort d'ailleurs des mots « ouautre », placés après les mots « pouvoir constituant,législatif, exécutif, judiciaire ».

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202 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

Chapitre III

SUCCESSION D'ÉTATS DANS LES MATIÈRES AUTRES QUE LES TRAITÉS

A. — Introduction

59. L'introduction du présent chapitre passe brièvementen revue l'historique des travaux sur la question de lasuccession d'Etats dans les matières autres que les traitéset examine quelques questions d'ordre général relativesau projet d'articles dont la Commission a commencé lapréparation à sa vingt-cinquième session.

1. APERÇU HISTORIQUE DES TRAVAUX DE LA COMMISSION

a) Division de la question de la succession en trois sujetsdistincts

60. Ainsi qu'il est indiqué dans le rapport de la CDI sursa vingt-quatrième session190, la Commission a pris, à sadix-neuvième session, en 1967, de nouvelles dispositionspour traiter de la « Succession d'Etats et de gouverne-ments»191, question qui figure sur la liste des matièresqu'elle avait choisies en 1949 en vue de leur codifica-tion 192. Elle a décidé notamment de partager la questionentre plusieurs rapporteurs spéciaux, en la divisant selonles trois grandes rubriques du plan général énoncé dans lerapport présenté en 1963 par sa sous-commission sur lasuccession d'Etats et de gouvernements193. Ces troisrubriques étaient libellées comme suit:

a) La succession en matière de traités ;b) La succession et les droits et obligations découlant

d'autres sources que les traités; etc) La succession et la qualité de membre des organisa-

tions internationales.

61. Egalement en 1967, la Commission a nommé sirHumphrey Waldock rapporteur spécial sur la successionen matière de traités et M. Mohammed Bedjaouirapporteur spécial sur la succession et les droits etobligations découlant d'autres sources que les traités. Ellea décidé de ne pas s'occuper pour le moment de latroisième rubrique, à savoir la succession et la qualité demembre des organisations internationales194.

b) Adoption par la Commission en 1972 d'un projetprovisoire d'articles sur la succession d'Etats en matièrede traités

62. De 1968 à 1972, sir Humphrey Waldock a présenté àla CDI cinq rapports sur la succession d'Etats en matière

190 Annuaire... 1972, vol. II, p. 241 et suiv., doc. A/8710/Rev.l,par. 14 et suiv.

191 Pour un aperçu historique détaillé de l'ensemble de la question,voir Annuaire... 1968, vol. II, p. 221 et suiv., doc. A/7209/Rev. 1,par. 29 à 42, et Annuaire... 1969, vol. II, p. 231 et suiv., doc. AP6\0lRev.l.par. 20 à 34.

192 Documents officiels de / 'Assemblée générale, quatrième session,Supplément n° 10 (A/925), p . 3, par. 16.

193 Annuaire... 1963, vol. II , p . 271, doc. A/5509, annexe II .11'* Annuaire... 1967, vol. II , p . 406, doc. A/6709/Rev. 1, par. 38

à 41 .

de traités195. En 1972, à sa vingt-quatrième session, laCommission adoptait à la lumière de ces rapports unprojet provisoire de trente et un articles sur le sujet196,qui fut transmis la même année aux gouvernements desEtats Membres pour observations, par application desarticles 16 et 21 du statut de la Commission197.

c) Travaux préliminaires sur la succession d'Etatsdans les matières autres que les traités

63. Pour faciliter l'étude de la question de la succession,le Secrétariat a préparé et distribué depuis 1962 plusieursdocuments et publications, conformément aux demandesde la Commission198. La plupart de ces documents etpublications ont trait exclusivement à la succession enmatière de traités, d'autres concernent la succession et laqualité de membre des organisations internationales.Certains, cependant, ont une portée plus générale etcontiennent, notamment, des renseignements sur lapratique relative à la succession d'Etats dans lesmatières autres que les traités. Il s'agit de: a) uneétude intitulée « Résumé des décisions des tribunauxinternationaux concernant la succession d'Etats199»et un supplément à cette étude200; b) une étude inti-tulée « Résumé des décisions des tribunaux nationauxconcernant la succession d'Etats et de gouverne-ments2 0 1»; c) un volume de la Série législative desNations Unies intitulé Documentation concernant lasuccession d'Etats202, contenant la documentation fourniepar des Etats Membres en réponse à une invitation quileur avait été adressée par le Secrétaire général. Unsupplément à ce volume a été distribué comme documentde la vingt-quatrième session de la Commission203.

64. A la suite de sa désignation comme rapporteurspécial204, M. Bedjaoui présentait à la Commission, en1968, un premier rapport sur la succession d'Etats et lesdroits et obligations découlant de sources autres que lestraités205. Il y examinait notamment la délimitation dusujet qui lui était confié et, partant, l'intitulé qu'ilconvenait de lui donner ainsi que les divers aspects quel'on pouvait y distinguer. A la suite de la discussion dece rapport, la Commission prenait la même année, à savingtième session, plusieurs décisions dont une concerne

195 Annuaire... 1972, vol. II , p . 241 et 242, doc. A/8710/Rev. l ,par . 17 à 2 1 .

196 Ibid., p . 248 et suiv., chap . II , C.197 Ibid., p . 242, par . 23.198 Ibid., p . 242 et 243, par . 24.199 Annuaire... 1962, vol. I I , p . 151, doc. A/CN.4 /151 .200 Annuaire... 1970, vol. II, p. 183, doc. A/CN.4/232.201 Annuaire... 1963, vol . I I , p . 101, doc . A /CN.4 /157 .202 Publicat ion des Na t ions Unies , n u m é r o de vente : E/F.68.V.5 .203 A /CN.4 /263 .204 Voir ci-dessus par . 61 .205 Annuaire... 1968, vol. I I , p . 96, doc . A/CN.4 /204 .

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Rapport de la Commission à l'Assemblée générale 203

la délimitation et l'intitulé du sujet et une autre la prioritéà accorder à un aspect particulier de la successiond'Etats.

i) Délimitation et intitulé du sujet

65. Faisant siennes les recommandations contenuesdans le premier rapport de M. Bedjaoui, rapporteurspécial, la Commission a estimé que le critère de ladélimitation entre le sujet qui était confié à M. Bedjaouiet celui de la succession d'Etats en matière de traitésdevrait être « la matière successorale ». Elle a décidé,comme l'avait suggéré le Rapporteur spécial, desupprimer de l'intitulé du sujet qui lui était confié toutemention des « sources », afin d'éviter toute ambiguïtéquant à la délimitation de ce sujet. En conséquence, laCommission en a modifié l'intitulé, en remplaçant lelibellé primitif, à savoir « La succession et les droits etobligations découlant de sources autres que les traités »,par le titre suivant: «La succession dans les matièresautres que les traités »206.

66. Cette décision a été entérinée par l'Assembléegénérale, notamment au paragraphe 4, alinéa b, de sarésolution 2634 (XXV), par lequel elle recommandait à laCommission de poursuivre ses travaux en vue « d'avancerl'examen de la succession d'Etats dans les matières autresque les traités207». L'omission par l'Assemblée danscette recommandation de toute référence à « la successiondes gouvernements » reflète la décision prise par laCommission à sa vingtième session d'accorder la prioritéà la succession d'Etats et de ne considérer pour lemoment la succession des gouvernements « que dans lamesure où cela sera nécessaire pour compléter l'étude surla succession d'Etats208 ».

ii) Priorité accordée à la succession d'Etats en matièreéconomique et financière

67. Ainsi qu'il a été indiqué plus haut, le premierrapport de M. Bedjaoui passait en revue les divers aspectsparticuliers que présente le sujet de la succession d'Etatsdans les matières autres que les traités. Le rapport de laCDI sur les travaux de sa vingtième session observe à cetégard que pendant le débat « quelques membres de laCommission ont évoqué certains aspects particuliers dusujet (biens publics, dettes publiques, régime juridique del'Etat prédécesseur, problèmes territoriaux, condition deshabitants, droits acquis) et ont présenté à ce propos desobservations de caractère préliminaire ». Il ajoute que,étant donné l'ampleur et la complexité du sujet,

les membres de la Commission ont été partisans d'accorder lapriorité, dans l'immédiat, à l'étude d'un ou deux aspectsparticuliers, étant entendu que cela ne signifiait en aucune manièreque l'on ne devrait pas examiner ultérieurement toutes les questionscomprises dans ce sujet209.

Le rapport note que l'opinion dominante des membres dela Commission a été qu'il convenait de commencer parexaminer les aspects économiques de la succession. Ilprécise :

On a d'abord suggéré de commencer par les problèmes des bienspublics et des dettes publiques. Mais comme cet aspect de laquestion paraissait trop limité, on a proposé de le combiner avec laquestion des ressources naturelles, de manière à réunir en un tout lesproblèmes de succession concernant les divers moyens (intérêts etdroits) économiques, y compris les questions liées aux droits deconcession et aux contrats administratifs (droits acquis). Enconséquence, la Commission a décidé d'intituler cet aspect du sujet« La succession d'Etats en matière économique et financière » et achargé le Rapporteur spécial de préparer un rapport sur cettequestion pour la prochaine [vingt et unième] session de laCommission 210.

68. Le deuxième rapport de M. Bedjaoui211, présenté àla vingt et unième session de la CDI, était intitulé « Lesdroits acquis économiques et financiers et la successiond'Etats ». Le rapport de la Commission sur les travaux decette session observe qu'au cours de la discussion de lamatière la plupart des membres ont estimé que laquestion des droits acquis était extrêmement controverséeet que son étude prématurée risquerait de retarder lestravaux sur l'ensemble du sujet. Us ont exprimé l'avis« qu'il y avait lieu d'adopter une méthode empiriquepour la codification de la succession en matièreéconomique et financière, en commençant de préférencepar une étude sur les biens et dettes publics212». Lerapport de la Commission note que celle-ci a « prié leRapporteur spécial de préparer un autre rapportcontenant un projet d'articles sur la succession d'Etats enmatière économique et financière ». Il constate, en outre,que « la Commission a pris acte de l'intention duRapporteur spécial de consacrer son prochain rapportaux biens et dettes publics213 ».

iii) Rapports du Rapporteur spécial sur la successiond'Etats aux biens publics

69. De 1970 à 1972, M. Bedjaoui a présenté troisrapports à la CDI, savoir, son troisième rapport214 en1970, son quatrième215 en 1971 et son cinquième216 en1972. Chacun de ces rapports était consacré à lasuccession d'Etats aux biens publics et contenait desprojets d'articles sur la matière. Absorbée par d'autrestâches, la Commission n'a pu en examiner aucun aucours de ses vingt-deuxième (1970), vingt-troisième (1971)et vingt-quatrième (1972) sessions. Elle a toutefois inclusun résumé des troisième et quatrième rapports dans sonrapport sur les travaux de sa vingt-troisième session217 et

206 lbid., p. 225, doc. A/7209/Rev.l, par. 46.207 Voir ci-dessous par. 70.208 Annuaire... 1963, vol . I I , p . 234, doc . A/5509 , pa r . 57.209 Annuaire... 1968, vol . I I , p . 228 et 229, doc . A / 7 2 0 9 / R e v . l ,

pa r . 73 et 78.

210 lbid., p . 229, p a r . 79.211 Annuaire... 1969, vol. II , p . 70, doc. A/CN.4 /216/Rev . l .212 lbid., p . 237 et 238, doc. A/7610/Rev. l , par. 61 .213 lbid., p . 238, par. 62.214 Annuaire... 1970, vol. I I , p . 143, doc. A/CN.4/226.215 Annuaire... 1971, vol. II ( l r e partie), p . 167, doc. A/CN.4/247

et A d d . l .216 Annuaire... 1972, vol. I I , p . 67, doc. A/CN.4/259.217 Annuaire... 1971, vol. II ( Impar t ie) , p . 361 et suiv., doc. A/8410/

Rev . l , par . 77 à 98.

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204 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

un aperçu du cinquième dans son rapport sur sa vingt-quatrième session218.

70. Aux vingt-cinquième (1970), vingt-sixième (1971) etvingt-septième (1972) sessions de l'Assemblée générale,pendant l'examen par la Sixième Commission des rapportsde la CDI, plusieurs représentants ont émis le vœu que desprogrès soient accomplis dans l'étude de la successiond'Etats dans les matières autres que les traités219. Quantà l'Assemblée générale, elle adoptait le 12 novembre 1970sa résolution 2634 (XXV), dont le paragraphe 4, alinéa b,recommandait à la Commissionde poursuivre ses travaux sur la succession d'Etats, compte tenu desvues et des considérations indiquées dans les résolutions 1765 (XVII)[220] et 1902 (XVIII) [221] de l'Assemblée générale, en date des 20novembre 1962 et 18 novembre 1963, en vue [...] d'avancer l'examende la succession d'Etats dans les matières autres que les traités.

Le 3 décembre 1971, au paragraphe 4, alinéa a, de lasection I de la résolution 2780 (XXVI), l'Assembléerecommandait à nouveau à la Commission « d'avancerl'examen de la succession d'Etats dans les matières autresque les traités». Enfin, le 28 novembre 1972, auparagraphe 3, alinéa c, de la section I de la résolution2926 (XXVII), l'Assemblée recommandait à la Commis-sion « de poursuivre ses travaux sur la succession d'Etatsdans les matières autres que les traités, compte tenu desvues et des considérations indiquées dans les résolutionspertinentes de l'Assemblée générale ».

71. En 1973, pour la présente session de la Commission,M. Bedjaoui a présenté un sixième rapport(A/CN.4/267222) consacré, comme ses trois rapportsprécédents, à la succession d'Etats aux biens publics. Lesixième rapport révise et complète les projets d'articlesantérieurement soumis, compte tenu, notamment, duprojet provisoire sur la succession d'Etats en matière detraités adopté par la Commission en 1972223. Lesrésultats de ce travail de refonte sont présentés par le

218 Annuaire... 1972, vol. I I , p . 351 et 352, doc . A/8710/Rev. l ,par . 71 .

219 Voir Documents officiels de VAssemblée générale, vingt-cinquième session, Annexes, point 84 de l'ordre du jour, doc. A/8147,par. 72; ibid., vingt-sixième session, Annexes, point 88 de l'ordre dujour, doc. A/8537, par 135; ibid., vingt-septième session, Annexes,point 85 de l'ordre du jour, doc. A/8892, par. 194.

220 L'Assemblée visait notamment le paragraphe 3, alinéa c, dela résolution 1765 (XVII), par lequel l'Assemblée recommande à laCommission :

« c) De poursuivre ses travaux sur la succession d'Etats et degouvernements, en tenant compte des vues exprimées lors de ladix-septième session de l'Assemblée générale et du rapport de laSous-Commission sur la succession d'Etats et de gouvernements[v. ci-dessus par. 60] et en prenant dûment en considérationles vues des Etats qui ont accédé à l'indépendance depuis la secondeguerre mondiale. »

221 L'Assemblée se référait, entre autres, au paragraphe 4, alinéa c,de la résolution 1902 (XVIII), où elle recommande à la Commission :

« c) De poursuivre ses travaux sur la succession d'Etats et degouvernements, en tenant compte des vues exprimées lors de ladix-huitième session de l'Assemblée générale, du rapport de laSous-Commission sur la succession d'Etats et de gouvernements[v. ci-dessus par. 60] et des observations qui pourraient êtrecommuniquées par les gouvernements, et en se référant, le caséchéant, aux vues des Etats qui ont accédé à l'indépendance depuisla seconde guerre mondiale. »

228 Voir ci-dessus p. 3.22s y o j r ci-dessus par. 62.

Rapporteur spécial en deux séries de projets d'articles, lesarticles de la deuxième série étant numérotés à la suite deceux de la première.

72. La première série de projets d'articles concerne desquestions affectant l'ensemble du sujet confié auRapporteur spécial, et est intitulée : « Dispositionspréliminaires relatives à la succession d'Etats dans lesmatières autres que les traités ». Elle comprend l'ar-ticle 1er et les articles 2 et 3. Ces articles précisent la portéedu projet d'articles, les cas de succession qui y sont viséset le sens de certaines expressions employées, notammentcelle de « succession d'Etats ».

73. La seconde série de projets d'articles a traitexclusivement à la succession d'Etats aux biens publics etest intitulée « Projet d'articles sur la succession aux bienspublics ». Elle comprend les articles 4 à 40, groupés ensept parties.

74. Les première et deuxième parties, constituées par lesarticles 4 à 8, traitent de questions générales affectantl'ensemble du sujet de la succession d'Etats aux bienspublics, telles que le domaine d'application des articles dela seconde série, la définition et la détermination des bienspublics, le transfert de ces biens tels quels, la date de cetransfert, et le sort général des biens publics selon leurappartenance.

75. La troisième partie (articles 9 à 11) énonce lesdispositions communes à tous les types de successiond'Etats. Il s'agit du principe général de transfert des biensd'Etat, des droits de puissance concédante et de lasuccession aux créances publiques.

76. La quatrième partie (articles 12 à 31) énonce lesdispositions particulières à chaque type de successiond'Etats. Ces dispositions règlent, pour chaque typeconsidéré, des questions concernant la monnaie et leprivilège d'émission, le trésor et les fonds publics, lesarchives et bibliothèques publiques, ainsi que les bienssitués hors du territoire transféré. Le Rapporteur spécials'est inspiré dans la quatrième partie de la typologieadoptée par la Commission dans son projet provisoired'articles sur la succession d'Etats en matière detraités224. Les spécificités de son sujet l'ont amenétoutefois à formuler de façon légèrement différente cettetypologie.

77. Les cinquième (articles 32 à 35), sixième (articles 36à 39) et septième parties (article 40) comprennent desdispositions spéciales relatives aux établissements publics,aux collectivités territoriales et aux biens des fondations.

d) Préparation d'un projet d'articles par la Commissionà sa vingt-cinquième session

78. A sa vingt-cinquième session, la CDI a poursuivil'examen de la succession d'Etats dans les matières autresque les traités en commençant, à la lumière du sixièmerapport de M. Bedjaoui, la préparation d'un projetd'articles sur le sujet. Au cours de ses 1219e à 1229e

séances, elle a examiné les projets d'articles 1er et 2 à 7

Ibid.

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Rapport de la Commission à l'Assemblée générale 205

contenus dans ce sixième rapport, ainsi que lescommentaires y relatifs. A ses 1231e et 1232e séances, ellea considéré un nouvel article 9 (A/CN.4/L.197)225,soumis par le Rapporteur spécial en remplacement desarticles 8 et 9 de son sixième rapport. Tous ces textesfurent renvoyés au Comité de rédaction et, à ses 1230e,1231e, 1239e et 1240e séances, la Commission a adopté,sur la base du rapport du Comité, en première lecture,l'article 1er et les articles 2 à 8 reproduits ci-après, pourl'information de l'Assemblée générale 226.

79. La Commission désire attirer l'attention sur le faitque les articles figurant dans le présent chapitre neconstituent que les premières dispositions du projetqu'elle se propose d'élaborer et dont les grandes lignessont esquissées plus loin227. Elle désire égalementsouligner le caractère provisoire du texte de ces articles,ainsi qu'il sera expliqué ci-après 228.

2. REMARQUES D'ORDRE GÉNÉRAL RELATIVES AU PROJETD'ARTICLES

80. A ce stade initial de la préparation du projetd'articles sur la succession d'Etats dans les matièresautres que les traités, la Commission se bornera àexaminer brièvement quatre questions d'ordre général,dont les trois premières concernent l'ensemble du projetet la dernière les dispositions adoptées au cours de laprésente session.

a) Forme du projet

81. De même que pour la codification d'autresquestions par la Commission229, la forme à donner à lacodification de la succession d'Etats dans les matièresautres que les traités ne pourra être déterminée quelorsque l'étude de ce sujet sera achevée. La Commissionformulera alors, conformément à son statut, les recom-mandations qu'elle jugera appropriées. Sans préjuger deces recommandations, elle a décidé de donner dèsmaintenant la forme d'un projet d'articles à son étude surle sujet en question, estimant que c'était là la meilleureméthode pour dégager ou développer les règles de droitinternational relatives à la matière. Le projet d'articles estrédigé sous une forme qui permettrait de l'utiliseréventuellement comme base pour la conclusion d'uneconvention, s'il en était ainsi décidé.

b) L'expression « matières autres que les traités »

82. L'expression « matières autres que les traités » nefigurait pas dans les intitulés des trois sujets entre lesquelsla question de la succession avait été divisée en 1967, àsavoir a) la succession en matière de traités; b) lasuccession et les droits et obligations découlant d'autressources que les traités; c) la succession et la qualité de

membre des organisations internationales230. En 1968,dans un rapport présenté à la vingtième session de laCommission, le Rapporteur spécial pour le deuxièmesujet faisait observer que si l'on comparait l'intitulé decelui-ci (la succession et les droits et obligations découlantd'autres sources que les traités) avec l'intitulé du premiersujet (la succession en matière de traités), on constataitque le mot « traité » était considéré dans les deux intitulésde deux points de vue différents. Le traité était considérédans le premier cas comme matière successorale, et dansle deuxième comme source de succession. Le Rapporteurspécial remarquait que, outre son manque d'homogé-néité, cette division de la question avait l'inconvénientd'exclure du deuxième sujet toutes les matières faisantl'objet de dispositions conventionnelles. Il signalait que,dans beaucoup de cas, une succession d'Etats étaitaccompagnée de la conclusion d'un traité réglant, entieautres, certains aspects de la succession qui, de ce fait,étaient exclus du deuxième sujet, tel qu'il avait été intituléen 1967. Comme ces aspects ne relevaient pas non plus dupremier sujet, la Commission aurait été amenée, si cetintitulé avait été maintenu, à écarter de son étude sur lasuccession d'Etats une partie importante de la matière 231.

83. En conséquence, le Rapporteur spécial proposait deprendre la matière successorale comme critère pour ledeuxième sujet en l'intitulant: «la succession dans lesmatières autres que les traités232 ». Cette proposition futadoptée par la Commission, qui a précisé dans sonrapport sur sa vingtième session que

Tous les membres de la Commission qui ont participé au débatont été d'accord pour admettre que le critère de la délimitation entrece sujet et celui qui a trait à la succession en matière de traités devaitêtre la « matière successorale », c'est-à-dire le contenu de lasuccession et non ses modalités. Afin d'éviter toute ambiguïté, il aété décidé, comme l'avait suggéré le Rapporteur spécial, desupprimer de l'intitulé du sujet toute mention des « sources », quipouvait faire croire que l'on cherchait à diviser le sujet, endistinguant entre succession conventionnelle et succession nonconventionnelle233.

84. Ce n'est qu'après avoir achevé l'étude en cours quela Commission pourra indiquer avec précision quellessont les « matières autres que les traités » qui entrent dansle cadre du sujet.

c) Economie du projet et recherches à entreprendre

85. A sa vingtième session, la Commission a estimé qu'ily avait lieu, eu égard à l'ampleur et à la complexité dusujet, d'en commencer l'étude par un ou deux aspectsparticuliers, et elle a accordé la priorité aux matièreséconomiques et financières. Elle a précisé cependant que« cela ne signifiait en aucune manière que l'on ne devraitpas examiner ultérieurement toutes les questions com-prises dans ce sujet234 ». Aussi, et sous réserve desdécisions qu'elle pourrait prendre par la suite, la

225 Voir Annuaire... 1973, vol. I, p . 164 et 165, 1231 e séance,par . 68.

226 Voir sect. B du présent chapi t re .227 Voir ci-dessous par . 85 à 89.228 Voir par . 9 1 .229 Voir p . ex. par . 36 ci-dessus.

i . d e s s u s par . 60.231 Annuaire... 1968, vol. I I , p . 99, doc . A/CN.4 /204 , par . 18 à 2 1 .232 Pour l 'addi t ion pa r l 'Assemblée générale des mots « d 'E ta t s »

après le mot « succession » dans l ' intitulé du sujet, voir ci-dessuspar . 66.

233 Annuaire... 1968, vol. II , p . 225, doc . A/7209/Rev. l , par . 46.234 Voir ci-dessus par . 67.

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206 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

Commission a-t-elle exprimé à sa vingt-cinquième sessionl'intention d'inclure dans le projet d'articles le plus grandnombre possible de « matières autres que les traités ».

86. Dans l'état actuel de ses travaux, la Commission al'intention de diviser le projet d'articles en uneintroduction et plusieurs parties. L'introduction com-prendra les dispositions qui s'appliquent à l'ensemble duprojet, et chaque partie celles qui s'appliquent exclusive-ment à une catégorie de matières déterminées.

87. Au cours de la présente session, la Commission aadopté, à titre provisoire, trois articles pour Vintroductionet cinq articles pour la première partie, intitulée« Succession d'Etats en matière de biens d'Etat » 235. Lesixième rapport de M. Bedjaoui, sur la base duquel cesdispositions ont été élaborées, contient une série deprojets d'articles ayant trait aux biens publics engénéral236. Il précise que ces biens peuvent être groupésdans les trois catégories suivantes: biens d'Etat, biens descollectivités territoriales autres qu'étatiques ou biens desentreprises publiques ou des organismes à caractèrepublic, et enfin biens propres au territoire auquel serapporte la succession d'Etats. Désirant sérier lesproblèmes, la Commission a décidé, après un débatapprofondi et sur la proposition du Rapporteur spécial,de commencer son étude par les biens d'Etat, auxquelselle a consacré la première partie du projet d'articles.

88. La Commission a l'intention d'inclure dans lasection 1 de cette première partie les dispositions qui sontcommunes à tous les biens d'Etat, quelle que soit leurnature et quel que soit le type de succession envisagé. Lesautres sections seront consacrées à des types de successiondéterminés ou à des biens d'Etat de nature particulière.

89. Après avoir achevé l'étude des biens d'Etat, laCommission compte examiner les deux autres catégoriesde biens publics envisagées par le Rapporteur spécial.Sous réserve des décisions qu'elle pourrait prendreultérieurement, la Commission a l'intention de passerensuite à l'étude des dettes publiques. Elle décidera enoutre dans quel ordre devront être examinées les autresmatières entrant dans le cadre du sujet.

90. Afin de faciliter l'exécution du programme de travailenvisagé ci-dessus, la Commission a prié le Secrétariat derassembler, en consultation avec le Rapporteur spécial,une documentation sur la pratique internationale concer-nant la succession d'Etats dans les matières autres que lestraités. Cette documentation serait constituée essentielle-ment par les dispositions pertinentes de traités et reflé-terait, en outre, l'état de la jurisprudence internationaleet nationale ainsi que, dans la mesure du possible, lapratique des gouvernements et des organisations interna-tionales. Elle porterait sur une sélection représentative descas de successions d'Etats survenus surtout depuis laseconde guerre mondiale, sans négliger entièrement lescas antérieurs, et serait rassemblée en vue de lapublication par le Secrétariat d'études dont la premièreserait consacrée à la succession d'Etats aux dettespubliques. La Commission a invité le Secrétariat à

demander aux gouvernements et aux organisationsinternationales tous renseignements utiles.

d) Caractère provisoire des dispositions adoptées au coursde la vingt-cinquième session

91. La Commission estime nécessaire, pour éclairerl'Assemblée générale, de placer au début de son projetd'articles des dispositions d'ordre général précisant,notamment, le sens des expressions « successiond'Etats 237 » et « biens d'Etat238 ». Cependant, le contenudéfinitif de dispositions de cette nature dépendra, dansune mesure non négligeable, des résultats auxquels laCommission arrivera dans la suite de ses travaux. Elle aen conséquence l'intention d'examiner à nouveau,toujours dans le cadre de la première lecture du projet, letexte des articles adoptés à la présente session afin d'yapporter éventuellement toutes les modifications quiseraient nécessaires.

B. — Projet d'articles sur la succession d'Etatsdans les matières autres que les traités

92. Le texte des articles 1 à 8 et des commentaires yrelatifs, adopté par la Commission à sa vingt-cinquièmesession sur proposition du Rapporteur spécial, estreproduit ci-après pour l'information de l'Assembléegénérale.

INTRODUCTION

Commentaire

Ainsi que la Commission l'a souligné plus haut239,l'introduction du projet d'articles contient les dispositionsqui ne sont pas propres à un aspect particulier de lasuccession d'Etats dans les matières autres que les traités,mais portent sur l'ensemble du sujet. Elle comprend pourl'instant l'article 1er et Jes articles 2 et 3.

Article premier. — Portée des présents articles

Les présents articles s'appliquent aux effets de lasuccession d'Etats dans les matières autres que les traités.

Commentaire

1) Cet article correspond à l'article 1er du projetd'articles sur la succession d'Etats en matière de traités,adopté par la Commission à sa vingt-quatrième ses-sion 240. Il a pour objet d'apporter deux limitesimportantes au champ d'application du présent projetd'articles.

2) Tout d'abord, l'article 1er reflète la décision prise parl'Assemblée générale d'intituler le sujet examiné: «Suc-cession d'Etats dans les matières autres que lestraités »241. En incorporant ce libellé dans l'article, la

235 Voir ci-dessous sect. B du présent chapi t re .236 Voir ci-dessus par . 73 à 77.

237 Voir ci-dessous sect. B, ar t . 3, al . a.238 Ibid., a r t . 5.239 y o j r cj-dessus par. 86.2i0 Ibid., par. 62.241 Ibid., par. 65 et 66.

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Rapport de la Commission à l'Assemblée générale 207

Commission a entendu exclure du champ d'applicationdu présent projet d'articles la succession de gouverne-ments et la succession de sujets de droit internationalautres que les Etats — exclusion qui, d'ailleurs, résulteégalement de l'alinéa a de l'article 3. Elle a aussi entendulimiter le champ d'application du projet d'articles aux« matières autres que les traités ». La Commission a déjàexaminé dans l'intioduction au présent chapitre242 le sensde cette expression. Elle estime qu'il serait prématuré, austade actuel de ses travaux, de donner une énumérationcomplète des matières qui seront couvertes par le projetlorsque celui-ci sera achevé.

3) En second lieu, l'article 1er limite le champd'application du projet d'articles aux effets de lasuccession d'Etats dans les matières autres que les traités.L'alinéa a de l'article 3 précise que « l'expressionsuccession d'Etats s'entend de la substitution d'un Etat àun autre dans la responsabilité des relations internatio-nales du territoire ». En employant le terme « effets » àl'article 1er, la Commission a entendu marquer qu'elle sepropose d'élaborer des dispositions concernant, non cettesubstitution elle-même, mais ses effets sur le planjuridique, c'est-à-dire les droits et obligations qui endécoulent.

Article 2. — Cas de succession d'Etats viséspar les présents articles

Les présents articles s'appliquent uniquement aux effetsd'une succession d'Etats se produisant conformément audroit international et, plus particulièrement, aux principesdu droit international incorporés dans la Charte des NationsUnies.

Commentaire

1) Cette disposition reproduit les termes de l'article 6 duprojet d'articles sur la succession d'Etats en matière detraités.

2) Ainsi qu'elle l'a rappelé dans le rapport sur sa vingt-quatrième session, la Commission, lorsqu'elle rédige desprojets d'articles en vue de la codification du droitinternational général, présume d'ordinaire que ces articless'appliqueront à des faits se produisant, ou à dessituations créées, conformément au droit international.En conséquence, elle ne précise pas, habituellement, queleur application est limitée dans le sens qui vient d'êtreindiqué. C'est ainsi que, lors de la préparation par laCommission à sa vingt-quatrième session du projetd'articles sur la succession d'Etats en matière de traités,plusieurs membres ont estimé qu'il était inutile despécifier dans le projet que ses dispositions ne s'applique-raient qu'aux effets d'une succession d'Etats se produi-sant conformément au droit international243.

3) D'autres membres, en revanche, ont rappelé que,lorsque des cas non conformes au droit internationalappelaient un traitement spécial, la Commission en avaitfait état expressément. Ils ont cité à titre d'exemple lesdispositions du projet d'articles sur le droit des traités

242 Ibid., par . 82 à 84.243 Annuaire... 1972, vol. II , p . 255, doc. A/8710/Rev. l , chap . II ,

C, ar t . 6, par . 1 et 2 du commentaire .

relatives aux traités obtenus par la contrainte, aux traitésen conflit avec des normes de jus cogens, et à diversessituations pouvant impliquer une infraction à uneobligation internationale. Ces membres ont donc étéd'avis de stipuler expressément, en ce qui concerne plusparticulièrement les transferts de territoires, que seuls lestransferts se produisant conformément au droit interna-tional relèveraient de la notion de « succession d'Etats »aux fins du projet d'articles en préparation. LaCommission a adopté ce point de vue. Toutefois, note lerapport de la Commission,

Comme le fait de mentionner expressément cet élément deconformité avec le droit international à propos d'une catégorie decas de succession d'Etats aurait risqué de donner lieu à desmalentendus quant à la position prise à l'égard dudit élément pourd'autres catégories de cas de succession d'Etats, la Commission adécidé de faire figurer parmi les articles généraux une dispositionsauvegardant la question de la licéité de la succession d'Etats viséedans le projet d'articles. En conséquence, l'article 6 dispose que lesarticles s'appliquent uniquement aux effets d'une succession d'Etatsse produisant conformément au droit international244.

4) A sa vingt-cinquième session, la Commission a décidéd'inclure dans l'introduction du projet d'articles sur lasuccession d'Etats dans les matières autres que les traitésune disposition identique à celle de l'article 6 du projetd'articles sur la succession d'Etats en matière de traités. Illui a paru qu'un argument important venait s'ajouter àceux qui avaient été avancés à la vingt-quatrième sessionen faveur de l'article 6. En effet, l'absence dans le projetd'articles sur la succession d'Etats dans les matièresautres que les traités de la disposition figurant à l'article 6du projet d'articles sur la succession d'Etats en matière detraités risquerait de mettre en doute l'applicabilité auprésent projet de la présomption générale que les textesétablis par la Commission concernent des faits seproduisant, ou des situations créées, conformément audroit international.

Article 3. — Expressions employées

Aux fins des présents articles:

a) L'expression «succession d'Etats» s'entend de lasubstitution d'un Etat à un autre dans la responsabilité desrelations internationales du territoire;

b) L'expression « Etat prédécesseur » s'entend de l'Etatauquel un autre Etat s'est substitué à l'occasion d'unesuccession d'Etats;

c) L'expression « Etat successeur » s'entend de l'Etatqui s'est substitué à un autre Etat à l'occasion d'unesuccession d'Etats;

d) L'expression « date de la succession d'Etats »s'entend de la date à laquelle l'Etat successeur s'estsubstitué à l'Etat prédécesseur dans la responsabilité desrelations internationales du territoire auquel se rapporte lasuccession d'Etats;

Commentaire

1) Cet article reproduit le membre de phrase introductifet les alinéas b, c, d et e du paragraphe 1 de l'article 2 du

244 Ibid., art. 6, par. 2 du commentaire.

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208 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

projet d'articles sur la succession d'Etats en matière detraités. Comme son titre et les premiers mots du textel'indiquent, l'article 3 a simplement pour objet de préciserle sens dans lequel les expressions qu'il vise sontemployées dans le présent projet d'articles. La Commis-sion n'y a fait figurer pour le moment que les expressionsapparaissant dans les dispositions adoptées à la vingt-cinquième session. Elle a l'intention de le compléter aufur et à mesure de l'adoption de nouvelles dispositions.Elle examinera en outre la possibilité d'inclure dansl'article 3 un second paragraphe inspiré des termes duparagraphe 2 de l'article 2 du projet d'articles sur lasuccession d'Etats en matière de traités.

2) L'alinéa a de l'article 3 reprend la définition del'expression «succession d'Etats» qui est donnée àl'alinéa b du paragraphe 1 de l'article 2 du projetd'articles sur la succession d'Etats en matière de traités.

3) Le rapport de la Commission sur sa vingt-quatrièmesession précisait dans le commentaire de l'article 2 que ladéfinition de la succession d'Etats qui y était donnéevisait uniquement le fait de la substitution d'un Etat à unautre « dans la responsabilité des relations internationalesdu territoire », abstraction faite de toute idée desuccession à des droits ou obligations à l'occasion de cetévénement. Le rapport ajoutait que les droits etobligations découlant d'une succession d'Etats étaientceux qui étaient expressément prévus dans le projetd'articles sur la succession d'Etats en matière de traités. Ilnotait, en outre, que la Commission avait jugél'expression « dans la responsabilité des relations interna-tionales du territoire » préférable à d'autres expressionstelles que « dans la souveraineté à l'égard du territoire »ou « dans la capacité de conclure des traités concernant leterritoire », parce que c'était une formule d'un usagecourant dans la pratique des Etats et qui convenait mieuxpour couvrir en termes neutres tous les cas concrets,indépendamment du statut particulier du territoire enquestion (territoire national, territoire sous tutelle, mandat,protectorat, territoire dépendant, etc.). Le rapport pré-cisait enfin que le mot « responsabilité » ne devait pasêtre séparé des mots « des relations internationales duterritoire » et n'impliquait aucune idée de « responsabilitédes Etats », sujet que la Commission étudiait parailleurs 245.

4) A sa vingt-cinquième session, la Commission a décidéd'inclure à titre provisoire dans le projet d'articles enpréparation la définition de l'expression « successiond'Etats » qui figure dans le projet d'articles sur lasuccession d'Etats en matière de traités. Elle a estimé eneffet que, dans toute la mesure possible, il étaitsouhaitable de donner, dans deux projets d'articlesdistincts, des définitions identiques d'un seul phénomène.D'autre part, l'article 1er complète la définition del'expression « succession d'Etats » en précisant que leprojet d'articles s'applique, non à la substitution d'unEtat à un autre dans la responsabilité des relationsinternationales du territoire, mais aux effets d'une tellesubstitution. La Commission tient, toutefois, à souligner

le caractère provisoire de sa décision246 et à faireconnaître son intention d'examiner à nouveau ladéfinition de l'expression «succession d'Etats» lors-qu'elle aura complété, en première lecture, le présentprojet d'articles.

5) Plusieurs membres ont exprimé des réserves à l'égardde la décision de la Commission de maintenir à titreprovisoire dans le projet d'articles la définition del'expression « succession d'Etats » adoptée à la vingt-quatrième session pour le projet sur la succession d'Etatsen matière de traités. Us ont estimé qu'il était déjà clairque cette définition était trop étroite pour couvrir tous lesaspects de la succession d'Etats dans les matières autresque les traités. On a également soutenu que l'expression« dans la responsabilité des relations internationales duterritoire » ne convenait pas au présent projet d'articles etrisquait de créer des malentendus.

6) Les alinéas b, c et d de Varticle 3 reproduisent lestermes des alinéas c, d et e du paragraphe 1 de l'article 2du projet d'articles sur la succession d'Etats en matière detraités. Le sens qu'ils attribuent aux expressions « Etatprédécesseur », « Etat successeur » et « date de lasuccession d'Etats » découle, dans chaque cas, du sensdonné à l'expression « succession d'Etats » à l'alinéa a, etne paraît nécessiter aucun commentaire.

PREMIÈRE PARTIE

SUCCESSION D'ÉTATSEN MATIÈRE DE BIENS D'ÉTAT

Commentaire

Ainsi qu'il a été dit plus haut247, la Commission adécidé d'examiner séparément les trois catégories de bienspublics envisagées par le Rapporteur spécial et decommencer son étude par ceux de la première catégorie, àsavoir les biens d'Etat. C'est donc aux biens d'Etat que lapremière partie du présent projet d'articles est consacrée.

SECTION 1. — DISPOSITIONS GÉNÉRALES

Article 4. — Portée des articles de la présente partie

Les articles de la présente partie s'appliquent aux effetsde la succession d'Etats en matière de biens d'Etat.

Commentaire

Cette disposition a simplement pour objet de préciserque les articles de la première partie ne portent que surune seule catégorie de biens publics: les biens d'Etat. Elledoit être lue à la lumière de l'article 1er, qui dispose « Lesprésents articles s'appliquent aux effets de la successiond'Etats dans les matières autres que les traités ». Lesbiens d'Etat constituent, en ce qui concerne l'article 4 etla première partie en général, une catégorie particulièredes « matières autres que les traités » visées à l'article 1er.

' Ibid., p. 249, art. 2, par. 3 et 4 du commentaire.

246 Voir ci-dessus par. 91.847 Ibid., par. 87.

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Rapport de la Commission à l'Assemblée générale 209

Article 5. — Biens d'Etat

Aux fins des articles de la présente partie, les biensd'Etat s'entendent des biens, droits et intérêts qui, à la datede la succession d'Etats et conformément au droit internede l'Etat prédécesseur, appartenaient à cet Etat.

Commentaire

1) L'article 5 n'a pas pour objet de régler le sort desbiens d'Etat de l'Etat prédécesseur, mais simplement deformuler un critère de détermination de ces biens.

2) La pratique connaît d'assez nombreux exemples dedispositions conventionnelles qui, à l'occasion d'unesuccession d'Etats, déterminent, parfois de façon détail-lée, les biens d'Etat de l'Etat prédécesseur. Tel est le casde l'article 10 du Traité d'Utrecht (11 avril 1713) 248; del'article II du traité de cession de la Louisiane entre lesEtats-Unis d'Amérique et la France, en date du 30 avril1803 249; de l'article 2 du traité du 9 janvier 1895, parlequel le roi Léopold cédait le Congo à l'Etat belge 250; del'article II du Traité de paix de Shimonoseki (17 avril1895) entre la Chine et le Japon251 et de l'article 1er dutraité de rétrocession du 8 novembre 1895 entre lesmêmes Etats 252; de l'article VIII du traité de paix du 10décembre 1898 entre l'Espagne et les Etats-Unisd'Amérique 253; et des annexes au traité du 16 août 1960relatif à la création de la République de Chypre 254.

3) Une désignation précise des biens que l'Etatprédécesseur devait transférer à l'Etat successeur dansdeux cas particuliers de succession d'Etats apparaîtégalement dans deux résolutions prises pa d'Assembléegénérale en application des dispositions du Traité de paixavec l'Italie du 10 février 1947 255. La première de cesrésolutions porte la cote 388 (V) et fut adoptée le 15décembre 1950 sous le titre « Dispositions économiques etfinancières relatives à la Libye ». La seconde, larésolution 530 (VI), fut adoptée le 29 janvier 1952 sous letitre « Dispositions économiques et financières relatives àl'Erythrée ».

4) Toutefois, on ne peut dégager des critères d'applica-tion générale des dispositions conventionnelles mention-nées ci-dessus, dont le contenu a varié suivant lescirconstances de fait, ni des deux résolutions del'Assemblée générale, adoptées en application d'un traitéet visant exclusivement des situations particulières.D'autre part, comme l'a constaté la Commission deconciliation franco-italienne dans une sentence rendue le

248 M . de Clercq, Recueil des traités de la France, Paris , D u r a n det Pédone-Laurie l , 1 8 8 0 , 1 . 1 " (1713-1802), p . 5 et 6.

249 G . F . de Mar tens , éd., Recueil des principaux traités, Got t ingue ,Dieter ich, 1831, t. VII , p . 708.

250 G . F . de Mar tens , éd., Nouveau Recueil général de traités,Got t ingue , Dieter ich, 1896, 2 e série, t. X X I , p . 693.

251 British and Foreign State Papers, vol. 86, Londres , H . M .Stat ionery Office, 1900, p . 800.

252 Ibid., p . 1195.253 G . F . de Mar tens , éd., Nouveau Recueil général de traités,

Leipzig, Dieterich, 1905, 2 e série, t. X X X I I , p . 76.254 Na t ions Unies , Recueil des Traités, vol. 382, p . 8.255 Ibid., vol. 49, p . 3.

26 septembre 1964: « le droit international coutumier n'apas établi de critère autonome permettant de déterminerquels sont les biens de l'Etat256 ».

5) Jusqu'au moment de la succession d'Etats, c'est ledroit interne de l'Etat prédécesseur qui régit les biens decelui-ci et détermine leur statut de biens d'Etat. L'Etatsuccesseur les reçoit tels quels dans son ordre juridique.En tant qu'Etat souverain, il est libre, dans les limites dudroit international général, d'en changer le statut, maistoute décision qu'il prend à cet égard est nécessairementpostérieure à la succession d'Etats et relève de sacompétence d'Etat et non de sa qualité d'Etat successeur.Elle ne relève pas de la succession d'Etats.

6) La Commission observe, cependant, que dansplusieurs cas de la pratique diplomatique l'Etat succes-seur n'a pas pris en considération le droit interne del'Etat prédécesseur pour la qualification des biens d'Etat.Certaines décisions de juridictions internationales en ontfait autant par rapport aux biens qui étaient l'objet dulitige.

7) C'est ainsi que, dans un arrêt rendu le 15 décembre1933 dans l'Affaire de V Université Peter Pâzmâny, la CPJIa jugé qu'elle n'avait « pas besoin de se fonder surl'interprétation du droit257» de l'Etat prédécesseur pourdécider si les biens objets du litige avaient le caractère debiens publics. Il est vrai que la matière était régie pardiverses propositions du Traité de Trianon258 quilimitaient le pouvoir d'appréciation de la Cour. Dans uneautre affaire, où l'Italie était l'Etat prédécesseur, leTribunal des Nations Unies en Libye a jugé le 27 juin1955 que « lorsqu'il s'agit de décider si un établissementest de caractère public ou privé, le Tribunal n'est pas liépar la législation et la jurisprudence italiennes 259 ». Iciencore, la matière était régie par des dispositionsparticulières — en l'espèce, celles de la résolution 388 (V)précitée 260 — qui limitaient le pouvoir d'appréciation duTribunal.

8) Eu égard à la jurisprudence citée au paragrapheprécédent et à la pratique déjà mentionnée261, laCommission entend examiner à nouveau, à la lumière desdispositions qu'elle adoptera pendant la première lecturedu présent projet d'articles, la règle énoncée à l'article 5afin de déterminer s'il y a lieu d'y apporter desexceptions.

9) Les premiers mots de l'article 5 soulignent que larègle qu'il énonce ne vaut que pour les dispositions de lapremière partie du présent projet d'articles et que, commeà l'ordinaire dans de pareils cas, la Commissionn'entendait nullement donner une définition d'applicationgénérale.

266 Sentence rendue dans le « Différend sur les biens immeublesappar tenant à l 'ordre de Saint-Maurice et Saint-Lazare » (Annuairefrançais de droit international, 1965, Paris , vol. XI , p . 323).

267 C.P.J.I., série A /B , n° 61 , p . 236.258 G . F . de Martens , éd., Nouveau Recueil général de traités,

Leipzig, Weicher, 1924, 3 e série, t. XI I , p . 423.25» Nat ions Unies, Recueil des sentences arbitrales, vol. X I I

(publication des Nat ions Unies, numéro de vente : 63.V.3), p . 390.260 y o j r cj-dessus par . 3.261 Ibid., par . 6.

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210 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

10) La Commission désire souligner que par l'expres-sion « biens, droits et intérêts », l'article 5 ne vise que lesdroits et les intérêts de caractère juridique. Cetteexpression figure dans des dispositions de nombreuxtraités telles que celles de l'article 297 du Traité deVersailles 262, de l'article 249 du Traité de Saint-Germain-en-Laye263, de l'article 177 du Traité de Neuilly-sur-Seine264, de l'article 232 du Traité de Trianon265 et del'article 79 du Traité de paix avec l'Italie266. Bien qu'ellesoit d'un usage fréquent, cette expression n'a pasd'équivalent dans certains systèmes juridiques. LaCommission se propose donc de rechercher au cours de lapremière lecture du présent projet d'articles s'il existe uneautre expression pour désigner l'ensemble des bienscorporels et incorporels de l'Etat qui serait pluslargement comprise.

11) L'expression « droit interne de l'Etat prédécesseur »se réfère dans l'article 5 à l'ensemble des règles de l'ordrejuridique de l'Etat prédécesseur qui sont applicables auxbiens d'Etat. Pour les Etats dont la législation n'est pasunifiée, ces règles comprennent notamment celles quidéterminent le droit particulier de l'Etat prédécesseur —national, fédéral, métropolitain ou territorial — qui régitchacun de ses biens d'Etat.

12) Tout en acceptant provisoirement le texte del'article 5, certains membres ont observé que l'expression« les biens d'Etat » figurait au début de ce texte sans autreprécision. Cela, comme d'ailleurs le titre de l'article,semblait indiquer que la Commission avait entenduformuler un critère général de détermination des biensd'Etat, s'appliquant aux biens de tous les Etats, quelsqu'ils soient. Or, le dernier membre de phrase de l'article5 montre que cet article ne concerne que les biens d'unEtat particulier, à savoir l'Etat prédécesseur. Cesmembres ont estimé qu'il aurait été préférable d'amenderce membre de phrase afin de conserver au critère soncaractère général, quitte à préciser, dans chaquedisposition du projet d'articles relative aux biens d'Etat,l'Etat particulier dont les biens y étaient visés.

Article 6. — Droits de l'Etat successeur sur les biens d'Etatqui lui passent

La succession d'Etats emporte l'extinction des droits del'Etat prédécesseur et la naissance de ceux de l'Etatsuccesseur sur les biens d'Etat qui passent à l'Etatsuccesseur conformément aux dispositions des présentsarticles.

Commentaire

1) L'article 6 précise qu'une succession d'Etats a undouble effet juridique sur les droits respectifs de l'Etatprédécesseur et de l'Etat successeur quant aux biensd'Etat qui passent du premier au second. Elle emporte,

d'une part, l'extinction des droits de l'Etat prédécesseursur les biens en question et, d'autre part et simultané-ment, la naissance de ceux de l'Etat successeur sur lesmêmes biens. Comme le souligne la clause « les biensd'Etat qui passent à l'Etat successeur conformément auxdispositions des présents articles », l'article 6 n'a pas pourobjet de déterminer quels sont les biens d'Etat qui passentà l'Etat successeur. La Commission, en effet, a estimé nepouvoir dégager au stade actuel de ses travaux un critèregénéral à cet égard et elle a l'intention de formuler, à unesession future, une série de critères particuliers pourchaque type de succession. C'est aux dispositions quiénonceront ces critères particuliers que l'article 6 renvoiedans la clause précitée.

2) L'article 6 exprime en une seule disposition unepratique constante qui, par l'emploi de formules diverses,a cherché à traduire la règle que la succession d'Etatsemporte l'extinction des droits de l'Etat prédécesseur et lanaissance de ceux de l'Etat successeur sur les biens d'Etatqui passent à l'Etat successeur. La terminologie employéeà cette fin a varié selon le temps et le lieu. Un despremiers concepts que l'on trouve dans les traités de paixest celui de la renonciation de l'Etat prédécesseur à tousles droits sur les territoires cédés, y compris ceux qui sontrelatifs aux biens d'Etat. Il figure déjà dans le Traité desPyrénées (1659)267, et a été repris en 1923 dans le Traitéde Lausanne268 et en 1951 dans le Traité de paix avec leJapon269. Le Traité de Versailles exprime une idéesimilaire en ce qui concerne les biens d'Etat par uneclause stipulant que « les Puissances cessionnaires deterritoires allemands acquerront tous biens et propriétésappartenant à l'Empire ou aux Etats allemands et situésdans ces territoires270». Une clause analogue se trouvedans les Traités de Saint-Germain-en-Laye271, de Neuilly-sur-Seine272 et de Trianon273. Le concept de cessionfigure également dans plusieurs traités274. Malgré lavariété des formules, il se dégage de la grande majoritédes traités relatifs à des transferts de territoires une règleconstante: celle de l'extinction et de la naissancesimultanées de droits sur les biens d'Etat.

3) La Commission a adopté pour l'article 6 la notion de« passage » des biens d'Etat et non celle de « transfert »des biens en question. Elle a estimé, en effet, que lanotion de transfert cadrait mal avec la nature juridique

262 G . F . de Mar tens , éd., Nouveau Recueil général de traités,Leipzig, Weicher, 1923, 3 e série, t. X I , p . 558.

263 Ibid., p . 788.284 Ibid., 1924, t. X I I , p . 380.265 Ibid., p . 515.266 Na t ions Unies , Recueil des Traités, vol. 49, p . 46.

267 Article X L I (J. D u M o n t , Corps universel diplomatique du droitdes gens, contenant un recueil des traitez d'alliance, de paix, detrêve..., Ams te rdam, Brunel , 1728, t. VI, par t . I I , p . 269).

268 Voir n o t a m m e n t les articles 15, 16 et 17 ( S D N , Recueil desTraités, vol. X X V I I I , p . 22).

269 Article 2 (Nat ions Unies , Recueil des Traités, vol. 136, p . 49et 51).

270 Ar t ic le 256 (G . F . de M a r t e n s , éd. , Nouveau Recueil général detraités, Leipzig, Weicher , 1923, 3 e série, t. X I , p . 521).

271 Ar t ic le 208 {ibid., p . 767).272 Article 142 (ibid., 1924, t. XII , p . 363).273 Article 191 (ibid., p . 494).274 Voir par exemple l'article 1 e r de la Convention du 4 août 1916

entre les Etats-Unis d 'Amérique et le Danemark au sujet de lacession des Antilles danoises (Revue générale de droit internationalpublic, Paris, 1917, t. XXIV, p . 454) et l 'article V du Traité du2 février 1951 relatif à la cession à l ' Inde de la ville de Chandernagor(Nations Unies, Recueil des Traités, vol. 203, p . 159).

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Rapport de la Commission à l'Assemblée générale 211

des effets d'une succession d'Etats sur les droits des deuxEtats en cause sur les biens d'Etat. D'une part, untransfert suppose souvent un acte de volonté de la part decelui qui l'effectue. Or, comme le souligne le mot« emporte » dans le texte de l'article, l'extinction desdroits de l'Etat prédécesseur et la naissance de ceux del'Etat successeur se produisent de plein droit. D'autrepart, un transfert sous-entend une certaine continuitéalors qu'une extinction et une naissance simultanéesimpliquent un élément de rupture. La Commission désirecependant présenter deux remarques sur ce dernier point.

4) En premier lieu, l'Etat successeur peut créer uncertain élément de continuité en maintenant en vigueur àtitre provisoire les règles de la législation de l'Etatprédécesseur relatives au régime des biens d'Etat. Cesrègles, assurément, ne sont plus appliquées pour lecompte de l'Etat prédécesseur, mais pour celui de l'Etatsuccesseur, qui les a reçues dans sa législation par unedécision prise en sa qualité d'Etat souverain. Toutefois,bien qu'il s'agisse, au moment de la succession, d'unautre ordre juridique, le contenu matériel des règles enquestion demeure le même. En conséquence, dansl'hypothèse envisagée, la succession d'Etats a essentielle-ment pour effet de changer le titulaire des droits sur lesbiens d'Etat.

5) En second lieu, le passage juridique des biens d'Etatde l'Etat prédécesseur à l'Etat successeur est souvent suividans la pratique d'un transfert matériel de ces biens entreles mêmes Etats, accompagné de l'établissement d'inven-taires, de procès-verbaux de remise et d'autres pièces.

6) En ce qui concerne le texte même de l'article 6,certains membres ont critiqué le mot « passent » dansl'expression « les biens d'Etat qui passent à l'Etatsuccesseur ». Ils ont soutenu que, puisque cet articleformulait le principe de l'extinction des droits de l'Etatprédécesseur sur les biens d'Etat, il ne pouvait s'agir depassage de ces biens, mais de leur acquisition par l'Etatsuccesseur. D'autres ont exprimé l'avis qu'il manquait unélément essentiel à l'article 6, car il ne spécifiait pas à quelmoment se produisait l'extinction des droits de l'Etatprédécesseur sur les biens d'Etat et la naissance de ceuxde l'Etat successeur. Comme pour les autres dispositionsadoptées au cours de la présente session, la Commissiona l'intention de prendre en considération toutes les obser-vations présentées par ses membres sur le texte de l'article 6lorsqu'elle l'examinera à nouveau au cours de la premièrelecture du projet d'articles275.

Article 7. — Date du passage des biens d'Etat

A moins qu'il n'en soit autrement convenu ou décidé, ladate du passage des biens d'Etat est celle de la successiond'Etats.

Commentaire

1) L'article 7 énonce une disposition supplétive auxtermes de laquelle la date du passage des biens d'Etat est

celle de la succession d'Etats. Il doit être lu à la lumièrede l'alinéa d de l'article 3, qui précise que « l'expressiondate de la succession d'Etats s'entend de la date à laquellel'Etat successeur s'est substitué à l'Etat prédécesseur dansla responsabilité des relations internationales du territoireauquel se rapporte la succession d'Etats ».

2) Le caractère supplétif de la disposition énoncée estsouligné par la clause subsidiaire du premier membre dephrase: « A moins qu'il n'en soit autrement convenu oudécidé ». Il résulte de cette clause que la date du passagedes biens d'Etat peut être fixée soit par voie d'accord soitpar voie de décision.

3) En effet, il arrive dans la pratique que les Etatsintéressés s'accordent pour choisir pour le passage desbiens d'Etat une date autre que celle de la successiond'Etats. C'est cette situation qui est visée par le terme« convenu » dans la clause précitée. Certains membres dela Commission ont suggéré d'y ajouter les mots « entrel'Etat prédécesseur et l'Etat successeur». D'autres,toutefois, se sont prononcés contre une telle addition,estimant que, lorsque les biens d'Etat situés sur leterritoire d'un Etat tiers étaient en cause, leur date depassage pouvait être arrêtée par un accord tripartiteconclu entre l'Etat prédécesseur, l'Etat successeur etl'Etat tiers. Au stade actuel de ses travaux, et avantd'avoir examiné la question d'une manière plus appro-fondie, la Commission a préféré ne pas limiter la portéedu premier membre de phrase de l'article 7.

4) II est arrivé également que des juridictions internatio-nales se soient prononcées sur la question de savoir quelleétait la date du passage de certains biens d'Etat de l'Etatprédécesseur à l'Etat successeur276. Aussi la Commissiona-t-elle ajouté au premier membre de phrase de l'articleles mots « ou décidé », après le mot « convenu ». LaCommission n'a toutefois pas entendu préciser de quipourrait émaner une décision en la matière.

5) Plusieurs membres ont exprimé l'avis que nonseulement l'article 7 mais aussi la plupart des autresarticles du projet auraient un caractère supplétif, et quecelui-ci devrait contenir une disposition générale à ceteffet. A leur avis, une telle disposition rendrait inutile lepremier membre de phrase de l'article.

6) Quant à la disposition principale de l'article,contenue dans le second membre de phrase, il a étésoutenu au cours des débats de la Commission que ladate de passage des biens d'Etat variait d'un type desuccession à un autre et ne pouvait faire l'objet d'un textede portée générale. Au demeurant, dans sa rédactionactuelle, l'article 7 n'énonçait qu'une simple définition dela date de passage des biens d'Etat et n'imposait aucuneobligation aux Etats intéressés. La place d'un tel texte, sila Commission estimait devoir le garder, était, a-t-on dit,à l'article 3 (Expressions employées).

275 Voir ci-dessus par. 91.

276 Voir p. ex. l'arrêt n° 7 rendu le 25 mai 1926 par la CPJIdans l'Affaire relative à certains intérêts allemands en Haute-Silésie polonaise (C.P.J.I., série A, n° 7) et l'Avis consultatif du10 septembre 1923 au sujet de certaines questions touchant lescolons d'origine allemande dans les territoires cédés par l'Allemagneà la Pologne (ibid., série B, n° 6, p. 6 à 43).

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212 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

Article 8. — Passage des biens d'Etat sans compensation

Sous réserve des droits des tiers, le passage des biensd'Etat de l'Etat prédécesseur à l'Etat successeur se faisantconformément aux dispositions des présents articles s'opèresans compensation à moins qu'il n'en soit autrementconvenu ou décidé.

Commentaire

1) L'article 8 comprend une disposition principale etdeux clauses subsidiaires. La disposition principaleénonce la règle que le passage des biens d'Etat de l'Etatprédécesseur à l'Etat successeur se faisant conformémentaux dispositions des présents articles s'opère sanscompensation. Elle apporte un complément nécessaire àl'article 6 mais, pas plus que cet article — et pour lesmêmes raisons277 —, elle n'a pour objet de déterminer lesbiens d'Etat qui passent à l'Etat successeur.

2) Avec quelques exceptions278, la pratique consacre larègle énoncée dans la disposition principale de l'article 8.Beaucoup de traités concernant le transfert de territoiresadmettent cette règle implicitement en n'imposant àl'Etat successeur aucune obligation de verser uneindemnité pour la cession par l'Etat prédécesseur de bienspublics, et notamment de biens d'Etat. D'autres

277 Voir ci-dessus a r t . 6, par . 1 du commenta i re .278 Ces exceptions se trouvent notamment dans quatre des traités

de paix conclus après la première guerre mondiale. Voir article 256du Traité de Versailles (G. F. de Martens, éd., Nouveau Recueilgénéral de traités, Leipzig, Weicher, 1923, 3e série, t. XI, p. 521);article 208 du Traité de Saint-Germain-en-Laye {ibid., p. 767);article 142 du Traité de Neuilly-sur-Seine {ibid., 1924, t. XII, p. 363);et article 191 du Traité de Trianon {ibid., p. 494). Aux termes de cestraités, la valeur des biens d'Etat cédés par les Etats prédécesseursaux Etats successeurs était déduite du montant des réparations duespar les premiers aux seconds. Il y a lieu de noter cependant que,pour certains biens d'Etat, les traités en question prévoyaient unecession sans aucune contrepartie. C'est ainsi que l'article 56 duTraité de Versailles {ibid., 1923, t. XI, p. 382) disposait que «laFrance entrera en possession de tous biens et propriétés de l'Empireou des Etats allemands situés dans les territoires visés à l'article 51[c'est-à-dire en Alsace-Lorraine], sans avoir à payer ni créditer dece chef aucun des Etats cédants ».

l'admettent expressément en stipulant que cette cession sefait sans compensation. On trouve dans ces traités desformules telles que « sans qu'il y ait lieu à indemnisa-tion279», «en plein droit280», «sans paiement281»,« gratuitement282 ».

3) Cependant, plusieurs membres se sont demandé si laCommission ne serait pas amenée à apporter dans la suitede ses travaux quelques exceptions à la règle que lepassage des biens d'Etat s'opère sans compensation, euégard aux circonstances particulières de chaque cas desuccession d'Etats et notamment au caractère du biend'Etat en cause ou au type de succession envisagé.D'autres membres ont même exprimé des doutes sur lapossibilité de formuler une règle générale en la matière.

4) La première clause subsidiaire de l'article 8 réserveles droits des tiers, question que la Commission sepropose d'étudier par la suite.

5) La deuxième clause subsidiaire de l'article 8 a lateneur suivante: « à moins qu'il n'en soit autrementconvenu ou décidé ». Elle a pour objet de prévoirexpressément la possibilité de déroger à la règle del'article. Elle est identique à celle qui figure à l'article 7 etqui a déjà fait l'objet des commentaires de laCommission 283.

278 Article III, alinéa 4, de l'Accord entre les Etats-Unis d'Amé-rique et le Japon relatif aux îles Amami, signé à Tokyo le 24 décembre1953 (Nations Unies, Recueil des Traités, vol. 222, p. 222).

280 Article 10 du Trai té d 'Ut rech t (11 avril 1713) pour la cessionde la baie et du détroit d 'Hudson pa r la France à la Grande-Bretagne( M . de Clercq, Recueil des traités de la France, Paris , D u r a n d etPédone-Lauriel , 1880, t. I e r , p . 5).

281 Paragraphe 1 de l 'annexe X et paragraphe 1 de l 'annexe XIVdu Trai té de paix avec l 'Italie (Nat ions Unies, Recueil des Traités,vol. 49, p . 97 et 114); et résolutions 388 (V) de l 'Assemblée généraledes Nat ions Unies , du 15 décembre 1950, intitulée «Dispos i t ionséconomiques et financières relatives à la L i b y e » (art. 1 e r , par . 1),et 530 (VI), du 29 janvier 1952, intitulée « Disposit ions économiqueset financières relatives à l 'Erythrée » (art. 1 e r , par . 1).

282 Article 60 du Trai té de Lausanne ( S D N , Recueil des Traités,vol. XXVIII, p. 52).

283 y o j r ci-dessus art. 7, par. 2 à 5 du commentaire.

Chapitre IV

CLAUSE DE LA NATION LA PLUS FAVORISÉE

A. — Introduction

1. RÉSUMÉ DES DÉBATS DE LA COMMISSION

93. A sa seizième session, en 1964, la CDI a examinéune proposition présentée par un de ses membres,M. Jiménez de Aréchaga, tendant à inclure dans son projetsur le droit des traités une disposition relative à la clausedite « de la nation la plus favorisée ». La dispositionsuggérée était destinée à soustraire formellement cetteclause à l'application des articles relatifs au problème del'effet des traités sur les Etats tiers284. On a fait valoir à

284 Annuaire... 1964, vol. I, p. 194 et 195, 752e séance, par. 2.

l'appui de cette proposition que, en raison des termes trèsgénéraux dans lesquels ces articles avaient été provisoire-ment adoptés par la Commission, la distinction à faireentre les dispositions en faveur d'Etats tiers et l'applica-tion de la clause de la nation la plus favorisée risquait dene pas apparaître avec suffisamment de netteté, ce quipourrait revêtir une importance particulière à propos del'article traitant de l'abrogation ou de la modification dedispositions relatives aux droits ou obligations d'Etatstiers. Mais, tout en reconnaissant qu'il importait de nepas préjuger l'application de la clause de la nation la plusfavorisée, la Commission a estimé que ces clausesn'étaient nullement mises en jeu par les articles enquestion et a donc jugé inutile de faire figurer dans son

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Rapport de la Commission à l'Assemblée générale 213

projet une clause de sauvegarde du type proposé. Quantaux clauses de la nation la plus favorisée en général, laCommission n'a pas jugé opportun d'en traiter dans lacodification du droit général des traités, tout en estimantqu'il pourrait être indiqué, ultérieurement, d'en fairel'objet d'une étude spéciale285. La Commission amaintenu cette position à sa dix-huitième session286.

94. A sa dix-neuvième session, en 1967, la Commissiona noté qu'à la vingt et unième session de l'Assembléegénérale plusieurs représentants à la Sixième Commissionavaient demandé que la CDI s'occupe de la clause de lanation la plus favorisée en tant qu'aspect du droit généraldes traités. En raison de l'intérêt exprimé pour cettequestion, et parce que l'élucidation de ses aspectsjuridiques pourrait être utile à la CNUDCI, laCommission a décidé d'inscrire à son programme laquestion de « la clause de la nation la plus favorisée dansle droit des traités », et elle a nommé M. Endre UstorRapporteur spécial sur cette question287.

95. A la vingtième session de la CDI, en 1968, leRapporteur spécial a soumis un document de travail danslequel il rendait compte du travail préparatoire qu'il avaitaccompli sur le sujet et indiquait brièvement le contenuéventuel d'un rapport qui serait présenté ultérieure-ment288. Le Rapporteur a également présenté unquestionnaire énumérant des points précis sur lesquels ildemandait aux membres de la Commission d'exprimerleur avis. Tout en reconnaissant l'importance fondamen-tale du rôle de la clause de la nation la plus favorisée dansle commerce international, la Commission a donné pourinstructions au Rapporteur spécial de ne pas borner sonétude à ce secteur, mais d'explorer les principauxdomaines d'application de la clause. La Commission aconsidéré qu'elle devait s'attacher surtout au caractèrejuridique de la clause et aux conditions juridiques quirégissent son application et qu'elle devait faire la lumièresur la portée et l'effet de la clause en tant qu'institutionjuridique dans le cadre des divers aspects de sonapplication pratique. Elle souhaitait fonder son étude surles bases les plus larges possible, sans toutefois empiétersur les domaines extérieurs à ses fonctions. Eu égard à cesconsidérations, la Commission a donné pour directives auRapporteur spécial de consulter, par l'intermédiaire duSecrétariat, toutes les organisations et institutionsintéressées qui pouvaient posséder une expérienceparticulière en matière d'application de la clause de lanation la plus favorisée.

96. La Commission a décidé, à la même session,d'abréger le titre de la question en l'intitulant simplement« La clause de la nation la plus favorisée »289.

97. Par sa résolution 2400 (XXIII), du 11 décembre1968, l'Assemblée générale a notamment recommandé àla Commission de poursuivre l'étude de la clause de la

nation la plus favorisée. Par la suite, l'Assemblée généralea formulé la même recommandation dans ses résolutions2501 (XXIV), du 12 novembre 1969, 2634 (XXV), du 12novembre 1970, 2780 (XXVI), du 3 décembre 1971, et2926 (XXVII), du 28 novembre 1972.

98. A la vingt et unième session de la Commission, en1969, le Rapporteur spécial a présenté son premierrapport290, qui retraçait l'historique de la clause de lanation la plus favorisée jusqu'à la seconde guerremondiale, et mettait plus particulièrement l'accent sur lestravaux relatifs à cette clause entrepris par la SDN ousous ses auspices. La Commission a examiné ce rapportet, acceptant la proposition du Rapporteur spécial, l'achargé d'entreprendre ensuite une étude s'inspirant dansune large mesure des réponses des organisations etinstitutions intéressées consultées par le Secrétaire généralet s'appuyant aussi sur trois affaires examinées par la CIJet intéressant cette clause291.

99. Suivant les instructions de la Commission, leRapporteur spécial a présenté son deuxième rapport292 àla vingt-deuxième session de la Commission, en 1970.Dans la première partie de ce rapport, il analysait lesopinions soutenues par les parties et les juges sur lanature et le rôle de la clause dans les trois affaires dont laCIJ avait eu à connaître: l'Affaire de VAnglo-Iranian OUCo. (compétenct) [1952]293,1Affaire relative aux droits desressortissants des Etats-Unis d'Amérique au Maroc(jugement) [1952]294, et Y Affaire Ambatielos (fond:obligation d'arbitrage) [1953]295. La première partietraitait aussi de la sentence rendue le 6 mars 1956 par laCommission d'arbitrage instituée aux termes de l'accordconclu le 24 février 1955 entre le Gouvernement grec et leGouvernement du Royaume-Uni pour arbitrer la récla-mation Ambatielos296.

100. La seconde partie du deuxième rapport avait pourobjet de présenter d'une manière systématique lesréponses des organisations internationales et des institu-tions intéressées à une lettre-circulaire que le Secrétairegénéral leur avait envoyée le 23 janvier 1969. Dans cettelettre, le Secrétaire général invitait les organisationsconsultées à présenter, aux fins de communication auRapporteur spécial, tous les renseignements tirés de leurexpérience et propres à aider le Rapporteur spécial et laCommission dans leurs travaux de codification et dedéveloppement progressif des règles de droit internationalconcernant la clause de la nation la plus favorisée. Il leurdemandait notamment de signaler tout traité bilatéral oumultilatéral, toute déclaration, toute pratique ou faitpertinents, et de faire connaître leur point de vue, quantaux règles existantes qui pouvaient se dégager quant àladite clause. Plusieurs organisations internationales ontrépondu de façon détaillée à la circulaire, et ces réponses

285 Ibid., vol. I I , p . 184, doc. A/5809, par. 21 .286 Annuaire... 1966, vol. I I , p . 192, doc. A/6309/Rev. l , deuxième

partie, par. 32.287 Annuaire... 1967, vol . I I , p .4 07, doc . A /6709 /Rev . l , par . 48 .288 Annuaire... 1968, vol . I I , p . 169, doc . A /CN.4 /L .127 .289 Ibid., vol. I, p . 258 et 259, 987 e séance, par . 7 à 12.

290 Annuaire... 1969, vol . IL, p . 163, d o c . A / C N . 4 / 2 1 3 .291 Ibid., p . 244, doc . A /7610 /Rev . l , par . 89.292 Annuaire... 1970, vol . I I , p . 213, doc . A /CN.4 /228 et A d d . 1.293 C.I.J. Recueil 1952, p . 93 .2 9 4 / t a / . , p . 176.295 C.I.J. Recueil 1953, p . 10.296 Na t ions Unies , Recueil des sentences arbitrales, vol. X I I (publi-

cation des Nations Unies, numéro de vente: 63.V.3), p. 91.

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214 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

ont servi de base à la deuxième partie du rapport duRapporteur spécial297.

101. Faute de temps, la Commission n'a pas puexaminer la question à ses vingt-deuxième (1970) et vingt-troisième (1971) sessions.

102. A sa vingt-troisième session, toutefois, sur lasuggestion du Rapporteur spécial, la Commission ademandé au Secrétariat d'établir, à partir des recueils dejurisprudence dont il disposait et des renseignements qu'ilobtiendrait en s'adressant aux gouvernements, un« Sommaire de la jurisprudence des tribunaux nationauxconcernant la clause de la nation la plus favorisée »298.

103. A la vingt-quatrième session de la Commission, en1972, le Rapporteur spécial a présenté son troisièmerapport299, qui proposait une série de cinq articles sur laclause de la nation la plus favorisée, accompagnés decommentaires. Les articles définissaient les expressionsemployées dans le projet, notamment les expressions« clause de la nation la plus favorisée » et « traitement dela nation la plus favorisée ». Dans le commentaire, leRapporteur spécial soulignait que le fait de s'engager àaccorder le traitement de la nation la plus favorisée étaitl'élément constitutif de toute clause de la nation la plusfavorisée. Le rapport rappelait que les Etats n'ont aucundroit général au traitement de la nation la plus favorisée,qu'ils ne peuvent revendiquer qu'en se fondant sur uneobligation juridique. Il soulignait que le droit de l'Etatbénéficiaire de prétendre aux avantages accordés parl'Etat concédant à un Etat tiers découle de la clause de lanation la plus favorisée. En d'autres termes, le lienjuridique entre l'Etat concédant et l'Etat bénéficiaire a sasource dans le traité qui contient une clause de ce genre,et non pas dans le traité collatéral conclu entre l'Etatconcédant et l'Etat tiers.

104. Occupée à achever le projet d'articles sur lasuccession d'Etats en matière de traités et le projetd'articles sur la prévention et la répression des infractionscommises contre des agents diplomatiques et d'autrespersonnes ayant droit à une protection internationale, laCommission n'a pu, faute de temps, examiner la questionà sa vingt-quatrième session (1972).

105. A cette session, toutefois, comme le Rapporteurspécial le lui avait suggéré, la Commission a prié leSecrétariat de préparer une étude sur les clauses de lanation la plus favorisée qui figurent dans les traitéspubliés dans le Recueil des Traités des Nations Unies.Cette étude devait porter sur le champ d'application desclauses en question, leur rapport avec les clauses detraitement national, les exceptions prévues dans lestraités, et la pratique concernant la succession d'Etats enmatière de clauses de la nation la plus favorisée300.

106. A la présente session, le Rapporteur spécial aprésenté son quatrième rapport (A/CN.4/266301), propo-

297 Annuaire... 1971, vol. II ( l r e part ie) , p . 367, doc . A/8410/Rev . l ,par . 111.

298 Ibid., par . 113.299 Annuaire... 1972, vol. II p . 175, doc. A/CN.4 /257 et A d d . l .300 Ibid., p . 352, doc . A /8710 /Rev . l , par . 74 et 75.301 Voir ci-dessus p . 95 .

sant trois autres articles, accompagnés de commentaires,relatifs à la présomption en faveur du caractèreinconditionnel de la clause, à la règle ejusdem generis etaux droits acquis de l'Etat bénéficiaire.

107. La Commission a examiné le troisième rapport duRapporteur spécial de sa 1214e à sa 1218e séance et arenvoyé au Comité de rédaction les articles 2, 3, 4 et 5 quiy étaient proposés. A sa 1238e séance, elle a examiné lesrapports du Comité de rédaction et a adopté les articles 1à 7 en première lecture.

108. Le texte des articles et des commentaires y relatifsadoptés par la Commission est reproduit ci-après302 pourl'information de l'Assemblée générale. Ce faisant, laCommission tient à appeler l'attention de l'Assembléegénérale sur le fait que l'adoption de ces sept articlesreprésente seulement la première phase de ses travauxd'élaboration d'un projet d'articles sur la question. Aussi,selon sa pratique habituelle, est-ce seulement à titreprovisoire que la Commission a adopté un article sur lesexpressions employées. La Commission estime qu'elle nepeut pas se prononcer définitivement sur cet article avantd'avoir examiné les articles de fond qui figureront dans leprojet d'ensemble.

109. Lorsqu'elle poursuivra ultérieurement l'examen dela question, la Commission étudiera en particulier lestrois articles proposés dans le quatrième rapport duRapporteur spécial, dont elle était saisie à la présentesession. Il est dit dans ce rapport que, sauf dans les cas oùle traitement de la nation la plus favorisée est appliquésous condition d'avantages réciproques, il existe uneprésomption selon laquelle l'Etat concédant est tenud'accorder, et l'Etat bénéficiaire a le droit de recevoir, letraitement de la nation la plus favorisée qu'il y ait ou noncontrepartie aux avantages reconnus par l'Etat concédantà tout Etat tiers. Le rapport énonce d'autre part la règleselon laquelle l'Etat bénéficiaire d'une clause de la nationla plus favorisée ne peut prétendre à des droits autres queceux qui se rapportent à la matière couverte par la clauseet qui entrent dans le champ d'application de celle-ci.Enfin, le rapport affirme que les droits de l'Etatbénéficiaire d'une clause de la nation la plus favorisée nesauraient être affectés par aucun accord passé entre l'Etatconcédant et un ou plusieurs Etats tiers et en vertu duquelles signataires se réservent mutuellement le bénéfice decertains avantages, sans le consentement écrit de l'Etatbénéficiaire.

110. Le Rapporteur de la Commission a suggéré, à laprésente session, que le Rapporteur spécial indique à laCommission les problèmes dont il se proposait de traiterdans les futurs articles de son projet303. En réponse, leRapporteur spécial a indiqué qu'il avait l'intention detraiter notamment, dans les articles à venir, du caractèrecontingent de la clause de la nation la plus favorisée et dumoment de l'entrée en vigueur et de l'extinction de laclause. Le Rapporteur spécial a également indiqué qu'ilétudierait la question de l'interaction entre les clauses dela nation la plus favorisée et les clauses de traitement

302 y o j r ci-dessous sect. B du présent chapitre.303 Voir Annuaire... 1973, vol. I , p . 88, 1217 e séance, par . 76.

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Rapport de la Commission à l'Assemblée générale 215

national, et notamment l'octroi par l'effet des clauses dela nation la plus favorisée d'avantages accordés par lesclauses de traitement national. En outre, il a indiqué queles futurs articles du projet traiteraient des exceptions àl'application de la clause. En dehors d'exceptions commeles unions douanières, les zones de libre-échange, lecommerce frontalier, etc., il a appelé en particulierl'attention de la Commission sur la possibilité d'excepterde l'application de la clause les préférences accordées auxpays en voie de développement par les pays développés.Le Rapporteur spécial a indiqué qu'il avait l'intentiond'étudier si, et dans quelle mesure, l'Etat bénéficiaire a ledroit d'être informé des avantages accordés par l'Etatconcédant à un Etat tiers qui ont un rapport avec laclause de la nation la plus favorisée en vigueur entrel'Etat concédant et l'Etat bénéficiaire. Le Rapporteurspécial a également indiqué que la question de lasuccession d'Etats en matière de clauses de la nation laplus favorisée pourrait être examinée plus tard.

111. A la présente session, le Secrétariat a distribué undocument intitulé « Sommaire de la jurisprudence destribunaux nationaux en ce qui concerne la clause de lanation la plus favorisée» (A/CN.4/269304), établi à lademande de la Commission305. Le Secrétariat a étéégalement prié de préparer une étude sur les clauses de lanation la plus favorisée figurant dans les traités publiésdans le Recueil des Traités des Nations Unies306.

2. PORTÉE DU PROJET D'ARTICLES

112. Comme on l'a déjà noté307, l'idée que la CDIpourrait entreprendre une étude sur la clause de la nationla plus favorisée s'est fait jour au cours de ses travaux surle droit des traités. La Commission a estimé en effet quemême si la clause, en tant que disposition conventionnelle,relève entièrement du droit général des traités, il seraitsouhaitable de lui consacrer une étude spéciale. Tout enestimant que l'étude en question revêtait un intérêtparticulier du fait du rôle joué par la clause en tant queprocédé fréquemment utilisé dans le domaine écono-mique, elle a conçu sa tâche comme une étude de laclause considérée en tant qu'aspect du droit des traités308.Lorsque la Commission a examiné la question pour lapremière fois en 1968 sur la base des travauxpréparatoires effectués par le Rapporteur spécial, elle adécidé de s'attacher essentiellement au caractère juridiquede la clause et aux conditions juridiques de sonapplication afin de préciser la portée et l'effet de la clauseen tant qu'institution juridique309.

113. La Commission maintient la position qu'elle aadoptée en 1968 et fait observer que, si le titre initial de laquestion a été modifié (« la clause de la nation la plusfavorisée dans le droit des traités » devenant « la clausede la nation la plus favorisée »), il ne faut y voir aucun

changement dans son intention de considérer la clausecomme une institution juridique et d'étudier les règles dedroit qui s'y rapportent. Le point de vue adopté par laCommission reste le même: tout en reconnaissantl'importance fondamentale du rôle de la clause de lanation la plus favorisée dans le domaine du commerceinternational, elle ne désire pas se borner à en étudierl'application dans ce seul domaine, mais voudrait étendreson étude à l'application de la clause dans tous lesdomaines possibles.

114. D'autre part, bien que la Commission n'ait pasl'intention de s'engager dans des domaines extérieurs àses fonctions, elle souhaite prendre en considéracion tousles faits récents qui peuvent avoir une incidence sur lacodification ou le développement progressif des règlestouchant à l'application de la clause. A cet égard, laCommission voudrait rechercher tout particulièrement dequelle manière la nécessité d'accorder des préférences auxpays en voie de développement — c'est-à-dire de faire desexceptions à la clause de la nation la plus favorisée dansle domaine du commerce international — peut se traduiredans des règles juridiques310.

115. La Commission a également limité la portée duprésent projet d'articles en faisant figurer dans le projetles dispositions des articles 1er et 3, pour les raisons quisont indiquées dans les commentaires de ces articles.

3. LA CLAUSE DE LA NATION LA PLUS FAVORISÉEET LE PRINCIPE DE LA NON-DISCRIMINATION

116. La Commission a examiné le rapport et l'interac-tion qui existent entre la clause de la nation la plusfavorisée et le principe de la non-discrimination. Elle s'estdemandé, en particulier, si le principe de la non-discrimination n'impliquerait pas la généralisation dutraitement de la nation la plus favorisée.

117. La Commission a reconnu, il y a plusieurs années,que la règle de la non-discrimination est « une règlegénérale qui découle de l'égalité entre les Etats311», etque la non-discrimination est « une règle générale quidécoule de l'égalité souveraine des Etats312». Par sarésolution 2625 (XXV), du 24 octobre 1970, l'Assembléegénérale a approuvé la Déclaration relative aux principesdu droit international touchant les relations amicales et lacoopération entre les Etats conformément à la Charte desNations Unies, où il est dit notamment:

Les Etats doivent conduire leurs relations internationales dans lesdomaines économique, social, culturel, technique et commercialconformément aux principes de l'égalité souveraine [...]

118. La clause de la nation la plus favorisée, de l'avis dela Commission, peut être considérée comme unetechnique ou un moyen de promouvoir l'égalité des Etatsou la non-discrimination. La CIJ a déclaré que la clause

304 Voir ci-dessus p . 116.305 y o j r ci-dessus par. 102.306 Ibid., pa r . 105.307 Ibid., pa r . 93 .308 Ibid., par . 94.309 Ibid., par . 95 .

310 Voir ci-dessous par . 120 et suiv.311 Annuaire... 1958, vol. I I , p . 108, doc. A/3859, chap. I I I , II ,

paragraphe 1 du commentaire de l'article 44 du projet d'articlesrelatifs aux relations et immunités diplomatiques.

312 Annuaire... 1961, vol. II , p . 133, doc. A/4843, chap. I I , IV,paragraphe 1 du commentai re de l 'article 70 du projet d'articlesrelatifs aux relations consulaires.

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avait pour objet « d'établir et de maintenir en tout tempsl'égalité fondamentale sans discrimination entre tous lespays intéressés313».

119. La Commission a observé, toutefois, que le rapportétroit qui unit la clause de la nation la plus favorisée auprincipe général de la non-discrimination ne doit pas faireoublier les différences qui existent entre les deux notions.Ces différences sont mises en lumière par les articlespertinents des Conventions de Vienne sur les relationsdiplomatiques314 et sur les relations consulaires315. Lesdeux conventions contiennent un article qui dit notam-ment:

1. En appliquant les dispositions de la présente Convention,l'Etat accréditaire [de résidence] ne fera pas de discrimination entreles Etats.

2. Toutefois, ne seront pas considérés comme discriminatoires :

b) Le fait pour des Etats de se faire mutuellement bénéficier, parcoutume ou par voie d'accord, d'un traitement plus favorable que nele requièrent les dispositions de la présente Convention31°.

Ces dispositions traduisent la règle évidente selonlaquelle, tout en étant liés par l'obligation qui découle duprincipe de la non-discrimination, les Etats sontnéanmoins libres d'accorder des avantages particuliers àd'autres Etats pour tenir compte de quelque rapportparticulier d'ordre géographique, économique, politiqueou autre. En d'autres termes, le principe de la non-discrimination doit être considéré comme une règlegénérale qui peut toujours être invoquée par n'importequel Etat. Mais un Etat ne peut pas, normalement,invoquer ce principe à l'encontre d'un autre Etat quiaccorde un traitement particulièrement favorable à unEtat tiers s'il bénéficie lui-même du traitement généralnon discriminatoire accordé aux autres Etats sur un piedd'égalité avec ceux-ci. Un Etat ne peut demander à êtreassimilé à un Etat favorisé qu'en se fondant sur unengagement explicite de l'Etat qui accorde le traitementde faveur en question sur une stipulation conventionnelle,c'est-à-dire sur une clause de la nation la plus favorisée.

4. LA CLAUSE DE LA NATION LA PLUS FAVORISÉE ET LESDIFFÉRENTS NIVEAUX DE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE

120. La Commission, à un stade encore peu avancé deses travaux, a pris conscience du problème quel'application de la clause de la nation la plus favoriséecrée dans le domaine du commerce international lorsquele développement des Etats intéressés présente uneinégalité frappante. Elle a rappelé le rapport intitulé« International Trade and the Most-Favoured-NationClause » (Le commerce international et la clause de lanation la plus favorisée) établi par le secrétariat de laCNUCED (« mémorandum de la CNUCED »), où il estdit notamment:

L'application de la clause de la nation la plus favorisée à tous lespays indépendamment de leur niveau de développement répondraitaux exigences d'une égalité formelle, mais comporterait, en fait, unediscrimination implicite à l'égard des membres les plus faibles de lacommunauté internationale. Cela ne signifie pas qu'il faille rejeterdéfinitivement la clause de la nation la plus favorisée. [...] Lareconnaissance des besoins des pays en voie de développement enmatière de commerce et de développement exige que, durant uncertain temps, la clause de la nation la plus favorisée ne s'appliquepas à certains types de relations commerciales internationales317.

121. La Commission a également rappelé le huitièmeprincipe général de la recommandation A.I.l de lapremière session de la Conférence des Nations Unies surle commerce et le développement, selon lequel

Les échanges internationaux devraient se faire dans l'intérêtréciproque des coéchangistes, sur la base du traitement de la nationla plus favorisée, et ne devraient pas comporter de mesurespréjudiciables aux intérêts commerciaux des autres pays. Toutefois,les pays développés devraient accorder des concessions à tous lespays en voie de développement, faire bénéficier ces pays de toutes lesconcessions qu'ils s'accordent entre eux, et, lorsqu'ils leur accordentces concessions ou d'autres, ne pas exiger de ces pays la réciprocité.De nouvelles préférences, tarifaires et non tarifaires, devraient êtreaccordées à l'ensemble des pays en voie de développement sans l'êtrepour autant aux pays développés. Les pays en voie dedéveloppement ne seront pas tenus d'étendre aux pays développés letraitement préférentiel qu'ils s'accordent entre eux [...]318.

122. En évoquant la question de l'application de laclause de la nation la plus favorisée dans les relationscommerciales entre des Etats qui ont des niveauxdifférents de développement économique, la Commissions'est rappelé qu'elle ne pouvait pas s'engager dans desdomaines sortant de sa compétence et qu'il ne luiappartenait pas de traiter de questions économiques et desuggérer des règles concernant l'organisation du com-merce international. Néanmoins, la Commission recon-naît que l'application de la clause dans le domaine ducommerce international, notamment en ce qui concerneles pays en voie de développement, soulève des questionsgraves, dont certaines ont trait aux travaux de laCommission en la matière. Comme l'a indiqué leRapporteur spécial319, la Commission examinera ulté-rieurement des articles traitant des exceptions à l'applica-tion de la clause. La Commission tient à indiquer dès àprésent qu'elle reconnaît l'importance de la question etqu'elle a l'intention d'y revenir plus tard au cours de sestravaux.

313 Affaire relative aux droits des ressortissants des Etats-Unisd'Amérique au Maroc (arrêt) [C.I.J. Recueil 1952, p . 192].

314 Nat ions Unies, Recueil des Traités, vol. 500, p . 95.316 Ibid, vol. 596, p . 261.316 Article 47 de la Convention de Vienne sur les relations diplo-

matiques et article 72 de la Convention de Vienne sur les relationsconsulaires.

317 Voir Annuaire... 1970, vol. II , p . 247, doc. A/CN.4/228 etA d d . l , par . 188.

U n des membres de la Commission a rappelé la définition aristo-télicienne de l 'égalité:

« II en sera de même de l'égalité, si l 'on examine les personneset les choses, Le rappor t qui existe entre les objets se retrouveraentre les personnes. Si les personnes ne sont pas égales, ellesn 'ob t iendront pas dans la façon don t elles seront traitées l'égalité.D e là viennent les disputes et les contestat ions, quand des per-sonnes sur le pied d'égalité n 'obt iennent pas des parts égales, ouquand des personnes sur le pied d'inégalité ont et obtiennent untrai tement é g a l 3 . »

« * Voir Aristote, Ethique à Nicomaque, V, iii, 6. »

(Annuaire... 1968, vol. I, p . 192, 976 e séance, par. 6.)318 Actes de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le

développement, vol. I, Acte final et rapport (publication des Nat ionsUnies, numéro de vente : 64.II.B.11), p . 22.

319 Voir ci-dessus par . 110.

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Rapport de la Commission à l'Assemblée générale 217

B. — Projet d'articles sur la clause de la nationla plus favorisée

123. Le texte des articles 1 à 7 et des commentairesrelatifs à ces articles, adopté par la Commission à savingt-cinquième session, sur proposition du Rapporteurspécial, est reproduit ci-après pour l'information del'Assemblée générale.

Article premier — Champ d'application des présentsarticles

Les présents articles s'appliquent aux clauses de la nationla plus favorisée contenues dans les traités entre Etats.

Commentaire

1) Cet article correspond à l'article 1er de la Conventionde Vienne sur le droit des traités, et il a pour objet dedélimiter le champ d'application des présents articles.2) L'article donne effet à la décision de la Commissionselon laquelle le champ d'application des présents articlesdevrait être limité aux clauses de la nation la plusfavorisée contenues dans des traités conclus entre Etats. Ilsouligne donc que les dispositions qui suivent sontdestinées à s'appliquer uniquement aux clauses de lanation la plus favorisée contenues dans les traités entreEtats. Cette restriction est également formulée dansl'article 2, alinéa a, qui attribue au mot « traité » la mêmesignification que dans la Convention sur le droit destraités, où le sens de ce terme est expressément limité à« un accord international conclu [...] entre Etats ».3) II résulte de l'emploi du mot « traité » et du sens quelui donne l'alinéa a de l'article 2 que l'article 1er restreintle champ d'application des articles aux clauses de lanation la plus favorisée contenues dans des accordsinternationaux conclus par écrit entre Etats.4) II s'ensuit que les présents articles n'ont pas étérédigés pour s'appliquer à des clauses contenues dans desaccords verbaux entre Etats ou dans des accordsinternationaux conclus entre Etats et autres sujets dedroit international. La Commission a reconnu, en mêmetemps, que les principes qu'ils contiennent peuvent dansune certaine mesure s'appliquer également à l'égard desaccords internationaux qui n'entrent pas dans le champd'application des présents articles. En conséquence, laCommission a inscrit à l'article 3 une réserve générale surce point, analogue à celle de l'article 3 de la Conventionsur le droit des traités.

5) La Commission a adopté l'article 1er de manièreprovisoire, en vue d'y revenir si au cours de l'élaborationdes articles il apparaît souhaitable d'étendre le champd'application du projet.

Article 2. — Expressions employées

Aux fins des présents articles:

a) L'expression « traité » s'entend d'un accord interna-tional conclu par écrit entre Etats et régi par le droitinternational, qu'il soit consigné dans un instrument unique

ou dans deux ou plusieurs instruments connexes, et quelleque soit sa dénomination particulière;

b) L'expression « Etat concédant » s'entend d'un Etatqui concède le traitement de la nation la plus favorisée;

c) L'expression « Etat bénéficiaire » s'entend d'un Etatauquel le traitement de la nation la plus favorisée estconcédé;

d) L'expression « Etat tiers » s'entend de tout Etat autreque l'Etat concédant ou l'Etat bénéficiaire.

Commentaire

1) Comme elle l'a fait dans nombre de projetsantérieurs, la Commission précise à l'article 2 le sens desexpressions les plus fréquemment employées dans leprojet.2) Comme l'indiquent les premiers mots de l'article, lesdéfinitions données dans cette disposition sont limitées auprojet d'articles. Elles ne font que préciser le sens danslequel les expressions énumérées dans l'article doivents'entendre aux fins du projet.

3) L'alinéa a reprend la définition du terme « traité »qui est donnée dans l'article 2, paragraphe 1, alinéa a, dela Convention de Vienne sur le droit des traités. Il est lerésultat des conclusions générales auxquelles la Commis-sion est parvenue au sujet du champ d'application duprésent projet d'articles et de sa relation avec laConvention de Vienne320. Comme dans cette convention,le mot « traité » est donc employé d'un bout à l'autre duprojet en tant que terme général s'appliquant à toutes lesformes d'accords internationaux conclus par écrit entreEtats et régis par le droit international, que l'accord soitconsigné dans un instrument unique ou dans deux ouplusieurs instruments connexes, et quelle que soit sadénomination particulière.4) Les alinéas b et c définissent les expressions « Etatconcédant » et « Etat bénéficiaire ». Ces expressionsdésignent les Etats parties à un traité qui contient uneclause de la « nation la plus favorisée » — l'obligé et lebénéficiaire, respectivement, d'un engagement d'accorderle traitement de la nation la plus favorisée. Le verbe« concéder » a été utilisé pour exprimer l'idée nonseulement d'un octroi effectif ou d'une jouissanceeffective du traitement, mais également de la création del'obligation juridique et du droit correspondant à cetraitement. Un Etat partie à un traité contenant uneclause de la nation la plus favorisée peut être en mêmetemps un Etat concédant et un Etat bénéficiaire s'ilconcède le traitement de la nation la plus favorisée à unautre Etat qui lui concède le même traitement par lamême clause.

5) La définition qui est donnée de l'expression « Etattiers » à l'alinéa d s'écarte de celle qui en est donnée àl'alinéa h du paragraphe 1 de l'article 2 de la Conventionde Vienne. Selon ce dernier alinéa, l'Etat tiers s'entendd'un Etat qui n'est pas partie au traité. Dans les cas oùune clause de la nation la plus favorisée est contenue dansun traité bilatéral, cette définition aurait été applicable.

320 Voir ci-dessus par. 112 à 115.

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218 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

Cependant, des clauses de la nation la plus favoriséepeuvent figurer (et figurent en fait) dans des traitésmultilatéraux. Dans ce genre de clauses, les partiess'engagent à s'accorder mutuellement le traitementqu'elles concèdent à un quelconque Etat tiers. Dans cecas, l'Etat tiers n'est pas nécessairement un Etat qui n'estpas lié par le traité: il peut également être l'une desparties au traité multilatéral en question. C'est pour cetteraison que l'article 2 définit l'expression « Etat tiers »comme s'entendant de «tout Etat autre que l'Etat concé-dant ou l'Etat bénéficiaire ».

6) L'article 2 a été adopté par la Commission demanière provisoire. La Commission pourra éventuelle-ment faire figurer dans cet article des définitions d'autresexpressions si, au cours de l'adoption des articlesultérieurs sur la clause de la nation la plus favorisée, ellejuge nécessaire de le faire. Le texte définitif de l'article 2sera établi après la formulation de tous les articles quiconstitueront le projet.

Article 3. — Clauses n'entrant pas dans le champd'application des présents articles

Le fait que les présents articles ne s'appliquent ni 1) àune clause sur le traitement de la nation la plus favoriséecontenue dans un accord international entre Etats qui n'apas été conclu par écrit, ni 2) à une clause contenue dans unaccord international par laquelle un Etat s'oblige àaccorder à un sujet de droit international autre qu'un Etatun traitement non moins favorable que celui qui est accordéà tout sujet de droit international, ni 3) à une clausecontenue dans un accord international par laquelle un sujetde droit international autre qu'un Etat s'oblige à accorderle traitement de la nation la plus favorisée à un Etat, neporte pas atteinte

a) à l'effet juridique d'une telle clause;b) à l'application à une telle clause de toutes règles

énoncées dans les présents articles auxquelles elle seraitsoumise en vertu du droit international indépendammentdesdits articles;

c) à l'application des dispositions des présents articlesaux relations entre Etats régies par des clauses aux termesdesquelles des Etats s'obligent à accorder le traitement dela nation la plus favorisée à d'autres Etats, lorsque cesclauses sont contenues dans des accords internationauxconclus par écrit auxquels sont également parties d'autressujets du droit international.

Commentaire

1) Cet article est rédigé sur le modèle de l'article 3 de laConvention de Vienne sur le droit des traités. Sonpremier objet est de prévenir tout malentendu quipourrait résulter de la limitation expresse du champd'application des projets d'articles aux clauses qui sontcontenues dans des traités conclus par écrit entre Etats.

2) L'article 3 reconnaît que les présents articles nes'appliquent pas aux clauses qui sont énumérées danscette disposition sous les points 1, 2 et 3. Il préservetoutefois l'effet juridique de ces clauses et la possibilité deleur appliquer l'une quelconque des règles énoncées dans

les présents articles à laquelle elles seraient soumises envertu du droit international indépendamment desditsarticles.

3) L'article 3 suit à cet égard le système établi par laConvention de Vienne, qui, dans son article 3, préserve lavaleur juridique de certains accords et la possibilité deleur appliquer certaines règles de la Convention. L'article3 ne vise pas exactement les mêmes types d'accordsinternationaux que la Convention de Vienne. Il vise 1° lesclauses sur le traitement de la nation la plus favoriséecontenues dans des accords internationaux entre Etats quin'ont pas été conclus par écrit, 2° les clauses contenuesdans des accords internationaux par lesquelles un Etats'oblige à accorder à un sujet de droit international autrequ'un Etat un traitement non moins favorable que celuiqui est accordé à tout sujet de droit international et 3° lesclauses contenues dans des accords internationaux parlesquelles un sujet de droit international autre qu'un Etats'oblige à accorder le traitement de la nation la plusfavorisée à un Etat. Il ne vise pas, cependant, les clausescontenues dans des accords internationaux par lesquellesdes sujets de droit international autres que des Etatss'obligent à s'accorder mutuellement un traitement nonmoins favorable que celui qu'ils accordent à d'autressujets de droit international. La raison pour laquelle cesclauses ne sont pas mentionnées est que la Commissionn'a pas connaissance de l'existence de clauses semblablesdans la pratique, bien que celles-ci ne soient pashypothétiquement impossibles.

4) La réserve énoncée à l'alinéa c est fondée sur ladisposition contenue à l'alinéa c de l'article 3 de laConvention de Vienne. Elle sauvegarde l'application desrègles énoncées dans le projet d'articles aux relationsentre Etats régies par des clauses aux termes desquellesdes Etats s'obligent à accorder le traitement de la nationla plus favorisée à d'autres Etats, lorsque ces clauses sontcontenues dans des accords internationaux conclus parécrit auxquels sont également parties d'autres sujets dudroit international. La réserve énoncée à l'alinéa c — paropposition à la disposition symétrique de la Conventionde Vienne, qui est l'alinéa c de l'article 3 — vise desclauses contenues dans des accords internationauxconclus par écrit. Les dispositions des présents articles neseront évidemment pas applicables à des clausescontenues dans des accords internationaux conclus pardes Etats et d'autres sujets de droit international qui nesont pas conclus par écrit. C'est là, toutefois, un castellement hypothétique que la Commission n'a pas jugénécessaire de le prévoir dans le projet d'articles.

Article 4. — Clause de la nation la plus favorisée

L'expression « clause de la nation la plus favorisée »s'entend d'une disposition conventionnelle par laquelle unEtat s'oblige à accorder le traitement de la nation la plusfavorisée à un autre Etat dans un domaine convenu derelations.

Commentaire

1) Les articles 4 et 5 énoncent des définitions quiauraient pu trouver leur place à l'article 2, relatif aux

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Rapport de la Commission à l'Assemblée générale 219

expressions employées. Cependant, à cause de l'impor-tance des expressions « clause de la nation la plusfavorisée » et « traitement de la nation la plus favorisée »,qui sont les pierres angulaires des présents articles, laCommission a décidé de maintenir ces articles séparés decelui qui définit les expressions employées.

2) On a fait observer au cours du débat de laCommission que, du point de vue juridique, lesexpressions « clause de la nation la plus favorisée » et« traitement de la nation la plus favorisée » manquent deprécision. Elles parlent de « nation » au lieu d'Etat, et dela nation « la plus favorisée » alors que l'Etat tiers « leplus favorisé » en question peut en fait l'être moins quel'Etat bénéficiaire321. La Commission a néanmoinsconservé ces expressions. Il en existe en effet en droitinternational d'autres (à commencer par la dénominationmême de « droit international ») dont la précision laisse àdésirer mais qui, parce qu'elles sont sanctionnées par lapratique, demeurent d'un usage constant.

3) L'emploi du terme « clause » a également été discuté.On a fait observer au cours du débat qu'il est des cas oùle traité tout entier ne consiste en rien d'autre que lastipulation plus ou moins détaillée de promesses detraitement de la nation la plus favorisée. La Commissiona donc entendu le terme « clause » comme visant aussibien des dispositions particulières de traités ou autresaccords que les stipulations de ce genre, parfoiscirconstanciées, qui constituent à elles seules tout untraité. Du point de vue des présents articles, il est sanspertinence qu'une clause de la nation la plus favoriséesoit brève et concise ou longue et détaillée, ou qu'ellereprésente ou non à elle seule tout le contenu du traité.

4) Les articles s'appliquent aux clauses de traités, ausens où ce terme de « traité » est défini à l'article 2 de laConvention de Vienne sur le droit des traités et à l'article2 du présent projet. Cette définition ne porte pas atteinteà la disposition de l'alinéa c de l'article 3, d'après laquelleles présents articles sont aussi applicables aux clausesdécrites dans ledit alinéa.

5) Selon l'article 4, la clause s'entend d'une dispositionconventionnelle par laquelle un Etat s'oblige à accorder letraitement de la nation la plus favorisée à un autre Etat.Dans la forme la plus simple de la clause, un Etat —l'Etat concédant — assume cette obligation, et l'autreEtat — l'Etat bénéficiaire — l'accepte. C'est là une clauseunilatérale, devenue assez exceptionnelle de nos jours. Lespromesses de traitement de la nation la plus favoriséefaites par les Etats parties à un traité sont généralementsynallagmatiques, c'est-à-dire réciproques.

6) Les clauses de la nation la plus favorisée de caractèreunilatéral ont été associées aux régimes de capitulation etont en grande partie disparu avec eux. Elles ont aussi étéprévues, pendant une période plus brève, en faveur despuissances victorieuses lors de la conclusion des traités depaix qui ont mis fin aux guerres mondiales. (Ces clausesétaient justifiées par le fait que la guerre avait renducaducs les traités commerciaux entre les parties belligé-rantes et que les puissances victorieuses voulaient recevoir

de la part des pays vaincus — avant même la conclusiond'un nouveau traité commercial — un traitement aumoins égal à celui que recevaient les alliés de cesderniers.) Aujourd'hui, l'usage est que les Etats parties àun traité s'accordent mutuellement le traitement de lanation la plus favorisée. Il existe cependant des situationsexceptionnelles dans lesquelles il est de la nature deschoses qu'une seule des parties contractantes soit enmesure d'offrir le traitement de la nation la plus favoriséedans un domaine de relations déterminé, moyennantéventuellement une compensation d'un autre ordre.Ainsi, on trouve des clauses unilatérales de ce genre dansles traités prévoyant que les navires d'un Etat sans littoralbénéficieront du traitement de la nation la plus favoriséedans les ports et rades de l'Etat maritime concédant.L'Etat sans littoral n'étant pas en mesure d'accorder enretour un traitement de même nature, la clause demeureunilatérale. Bien entendu, le même traité peut prévoir unecompensation d'un autre ordre contre l'octroi dutraitement de la nation la plus favorisée. Il existe d'autressituations exceptionnelles: les Etats associés à laCommunauté économique européenne ont — en échangede préférences spéciales — accordé unilatéralement à laCommunauté le traitement de la nation la plus favoriséepour ses importations et ses exportations, en vertu decertains accords d'association et de commerce322.

7) Habituellement, les deux Etats parties à un traité, oudans le cas d'un traité multilatéral tous les Etats parties,s'accordent mutuellement le traitement de la nation laplus favorisée, devenant ainsi à la fois Etats concédants etEtats bénéficiaires. Les expressions « concédant » et« bénéficiaire » deviennent dès lors quelque peu artifi-cielles. Cependant, on a jugé leur emploi utile pourl'examen des situations qui peuvent résulter des engage-ments réciproques pris.

8) Bien que les Etats parties à un traité s'accordentgénéralement le traitement de la nation la plus favorisée àtitre réciproque, cette réciprocité, dans la forme la plussimple et inconditionnelle de clause de la nation la plusfavorisée, est purement formelle. Rien ne garantit que lesEtats qui s'accordent ledit traitement bénéficieront en faitd'avantages égaux. (La Commission examinera plus tardles questions liées aux clauses conditionnelles, à proposde l'article correspondant présenté par le Rapporteurspécial dans son quatrième rapport [A/CN.4/266323].)L'octroi du traitement de la nation la plus favorisée neprocure pas nécessairement des avantages importants àl'Etat bénéficiaire. Il peut même ne lui en procurer aucunsi l'Etat concédant n'accorde aucune faveur à des Etatstiers dans le domaine visé par la clause. Tout ce quepromet la clause de la nation la plus favorisée, c'est quela partie contractante en cause traitera l'autre partie aussibien que n'importe quel pays tiers, c'est-à-dire parfoistrès mal. On a dit fort justement à ce propos qu'en

sai Voir ci-dessous art. 5, par. 4 du commentaire.

322 Convention de Yaoundé (art. 11), accords d 'Arusha (art. 8),de Raba t (art. 4, par. 1) et de Tunis (art. 4, par. 1). Cités dansD . Vignes, « La clause de la nation la plus favorisée et sa pratiquecon tempora ine» , Recueil des cours de VAcadémie de droit inter-national de La Haye, 1970-11, Sijthoff, Leyde, 1971, t. 130, p . 324.Voir aussi l 'engagement pris par Chypre, cité au paragraphe 14ci-dessous.

323 Voir ci-dessus p . 95.

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220 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

l'absence d'engagement envers des Etats tiers la clausen'est qu'une « coquille vide ».

9) La clause est généralement rédigée sous une formepositive, les parties se promettant l'une à l'autre letraitement le plus favorable. On trouve un exemple d'unetelle rédaction dans la clause de la nation la plus favoriséequi figure au paragraphe 1 de l'article Ier de l'Accord duGATT324. La clause peut être formulée de façon négativelorsque les parties s'engagent à s'accorder le traitement lemoins défavorable. On trouve un exemple de cettedernière formulation à l'article 4 du Traité de commerceet de navigation conclu le 25 novembre 1959 entre laRépublique tchécoslovaque et la République démocra-tique allemande :

[...] les produits du sol et de l'industrie d'une Partie contractante neseront pas soumis, lors de leur entrée sur le territoire de l'autrePartie, à des droits, taxes ou impositions autres ou plus élevés, ni àdes règlements autres ou à des formalités plus rigoureuses, que ceuxauxquels sont soumis les produits similaires du sol et de l'industriede n'importe quel Etat tiers325.

10) L'article 4 vise tant les clauses de la nation la plusfavorisée insérées dans des traités bilatéraux que celles quisont contenues dans des traités multilatéraux. Tradition-nellement, les clauses de la nation la plus favoriséefigurent dans des traités bilatéraux, mais, du fait dumultilatéralisme croissant des relations internationales,ces clauses ont fait leur apparition dans des traitésmultilatéraux. Les exemples les plus notables à cet égardsont les clauses de l'Accord du GATT, du 30 octobre1947, et du Traité instituant une zone de libre-échange etportant création de l'ALALE, signé à Montevideo, le 18février 1960. La clause de la nation la plus favorisée laplus importante de l'Accord du GATT (art. Ier, par. 1) selit comme suit:

Tous avantages, faveurs, privilèges ou immunités accordés parune partie contractante à un produit originaire ou à destination detout autre pays seront, immédiatement et sans condition, étendus àtout produit similaire originaire ou à destination du territoire detoutes les autres parties contractantes. Cette disposition concerne lesdroits de douane et les impositions de toute nature perçus àl'importation ou à l'exportation ou à l'occasion de l'importation oude l'exportation, ainsi que ceux qui frappent les transfertsinternationaux de fonds effectués en règlement des importations oudes exportations, le mode de perception de ces droits et impositions,l'ensemble de la réglementation et des formalités afférentes auximportations ou aux exportations ainsi que toutes les questions quifont l'objet des paragraphes 2 et 4 de l'article III [c'est-à-dire lesquestions de taxation et de réglementation quantitative ou autre surle marché intérieur]328.

La clause de la nation la plus favorisée contenue dansle Traité de Montevideo est ainsi conçue :

Article 18

Tous avantages, faveurs, franchises, immunités ou privilègesaccordés par une Partie contractante pour un produit originaire ou à

destination de tout autre pays sont, immédiatement et sanscondition, étendus à tout produit similaire originaire ou àdestination du territoire de toutes les autres Parties contractantes327.

Sauf stipulation contraire du traité multilatéral quicontient la clause de la nation la plus favorisée, lesrelations créées par de telles clauses sont essentiellementbilatérales, c'est-à-dire que toutes les parties au traitépeuvent exiger de n'importe quelle autre partie l'octroid'un traitement égal à celui qui est accordé à n'importequel Etat tiers, que cet Etat tiers soit ou non partie autraité. Selon le système du GATT (en vertu de l'article IIde l'Accord), chaque partie contractante est obligéed'appliquer à toutes les autres parties les réductions dedroits qu'elle accorde. A cet égard, l'Accord du GATT vaplus loin que le principe de la nation la plus favorisée.Tout membre accordant une concession a l'obligationdirecte d'accorder la même concession à tous les autresmembres, qui peuvent y prétendre de leur propre chef —ce qui n'est pas la même chose que de subordonner ledroit de ces derniers au maintien en vigueur de l'accordentre la partie qui a accordé la concession et la partie quil'a obtenue à la suite de négociations328. Ainsi, lefonctionnement de la clause du GATT diffère, à cetégard, de celui d'une clause bilatérale ordinaire de lanation la plus favorisée.

11) L'article 4 exprime l'idée que l'engagement d'ac-corder le traitement de la nation la plus favorisée est uneobligation internationale, c'est-à-dire conclue entre Etats.Le bénéficiaire de l'engagement est l'Etat bénéficiaire, etce n'est que par l'intermédiaire de celui-ci que lespersonnes qui se trouvent dans un rapport déterminé aveccet Etat — et qui sont habituellement ses nationaux —jouissent du traitement stipulé par l'Etat concédant329.

12) II découle de la définition de la clause de la nation laplus favorisée donnée à l'article 4 que le fait de s'engagerà accorder le traitement de la nation la plus favorisée estun élément constitutif de toute clause de la nation la plusfavorisée. Dès lors, les clauses qui ne contiennent pas cetélément ne rentrent pas dans le cadre des présents articles,même si elles visent à aboutir au même résultat qu'uneclause de la nation la plus favorisée. Tel est le cas duparagraphe 2 de l'article XVII de l'Accord du GATT, oùles parties contractantes sont priées de s'accorder « untraitement équitable » en ce qui concerne les importationsde produits destinés à être consommés par les pouvoirspublics330. Tel est le cas également du paragraphe 1 del'article XIII de l'Accord, aux termes duquel l'applicationdes restrictions quantitatives doit être « non discrimina-toire331 »; et il en va de même de l'article 23 du Traité de

324 Voir ci-dessous par . 10.325 Nat ions Unies , Recueil des Traités, vol. 374, p . 117.326 Ibid., vol. 55, p . 197 et 199; ibid., vol. 138, p . 337. Les articles

pertinents de l 'Accord du G A T T sont mentionnés dans Y Annuaire...1970, vol. II , p . 233 et suiv., doc. A/CN.4/228 et A d d . l , par . 131et suiv.

327 Documents officiels du Conseil économique et social, trentièmesession, Supplément n° 4 (E/3333), p . 35. (Cité dans Annuaire... 1970,vol. I I , p . 237, doc. A/CN.4/228 et A d d . l , par . 149.)

328 H . C. Hawkins , Commercial TreatiesandAgreements:PrinciplesandPractice, New York , Rinehar t , 1951, p . 226.

329 Voir ci-dessous ar t . 5, par . 2 du commentaire .330 Voir N a t i o n s Unies , Recueil des Traités, vol . 55, p . 253. (Cité

dans Annuaire... 1970, vol . I I , p . 240, doc . A /CN.4 /228 et A d d . l ,pa r . 162.)

331 Ibid., p . 235. (Cité dans Annuaire... 1970, vol. I I , p . 239, doc .A/CN.4/228 et Add.l, par. 160.)

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Rapport de la Commission à l'Assemblée générale 221

Montevideo332. Si une clause de la nation la plusfavorisée garantit le pays bénéficiaire contre la discrimi-nation, une clause contenant une promesse de non-discrimination ne procurera pas nécessairement lesmêmes avantages qu'une clause de la nation la plusfavorisée. On peut citer à cet égard l'article 47 de laConvention de Vienne sur les relations diplomatiques etl'article 72 de la Convention de Vienne sur les relationsconsulaires333. Ces clauses, bien qu'elles garantissent auxEtats parties à ces conventions un traitement nondiscriminatoire de la part des autres parties au traité, neleur donnent toutefois pas droit au traitement de lanation la plus favorisée.

13) La question de savoir si une disposition d'un traitérentre dans le cadre d'une clause de la nation la plusfavorisée est affaire d'interprétation. Les clauses de lanation la plus favorisée peuvent être rédigées de façonstrès diverses, et c'est pourquoi une autorité éminente adéclaré à ce sujet:

Bien qu'il soit d'usage de parler de la clause de la nation la plusfavorisée, il existe de nombreuses formes de cette clause, et ilconvient de formuler et d'accueillir avec prudence les généralisationsauxquelles on s'efforce de parvenir quant à la signification et auxconséquences desdites clauses334.

En d'autres termes: « à strictement parler, la clause dela nation la plus favorisée n'existe pas en tant que telle: ilfaut étudier séparément chaque traité335». Et, plus loin:« II existe d'innombrables clauses de la nation la plusfavorisée, mais il n'y a qu'une seule norme [detraitement] de la nation la plus favorisée336 ». Il a ététenu compte de ces considérations lorsqu'on a choisi cetteformule de définition de la clause. L'accent y porte sur letraitement de la nation la plus favorisée, la définitionsignifiant par essence que toute stipulation qui, dans untraité, accorde le traitement de la nation la plus favoriséeconstitue une clause de la nation la plus favorisée.

14) L'article 4 dispose que l'octroi du traitement de lanation la plus favorisée à un autre Etat s'effectue par uneclause de la nation la plus favorisée « dans un domaineconvenu de relations ». Les clauses de la nation la plusfavorisée sont habituellement classées en deux catégories :« clauses générales » et « clauses spéciales ». Une clause« générale » s'entend d'une clause qui promet letraitement de la nation la plus favorisée dans toutes lesrelations entre les parties intéressées, alors qu'une« clause spéciale » ne concerne que les relations dans unnombre limité de domaines. Bien que les Etats soientlibres de s'accorder mutuellement le traitement de lanation la plus favorisée dans tous les domaines pouvantfaire l'objet de tels accords, c'est là plutôt une exceptionde nos jours. On en trouve un cas récent dans une

338 Documents officiels du Conseil économique et social, trentièmesession, Supplément n° 4 (E/3333), p. 35. (Cité dans Annuaire... 1970,vol. II, p . 239, doc. A/CN.4/228 et A d d . l , par . 161.)

333 Voir ci-dessus par . 119.334 A. D . McNair , The Law ofTreaties, Oxford, Clarendon Press,

1961, p . 273.335 D . Anzilotti et A. D . McNair , cités dans Schwarzenberger,

International Law and Order, Londres, Stevens, 1971, p . 138.33*Ibid.,p. 159.

stipulation (annexe F, IIe partie) du Traité relatif à lacréation de la République de Chypre, signé à Nicosie le16 août 1960 (qui est plutôt un pactum de contrahendoconcernant de futurs accords sur l'octroi du traitement dela nation la plus favorisée), où il est dit:

La République de Chypre accordera, par un accord spécifiant lesconditions applicables, le traitement de la nation la plus favorisée auRoyaume-Uni, à la Grèce et à la Turquie en ce qui concerne tous lesaccords, quelle que soit leur nature337.

15) Toutefois, le type habituel de la « clause générale »n'englobe pas toutes les relations entre les pays respectifs,mais se réfère à toutes les relations dans certainsdomaines. C'est ainsi que l'on trouve la clause « pourtout ce qui concerne le commerce, la navigation maritimeet toutes autres formes de relations économiques[...]338». Les clauses de la nation la plus favoriséepeuvent être moins larges mais être encore générales: laclause «générale» de l'article Ier, paragraphe 1, del'Accord du GATT339 en est un exemple bien connu.

16) Les domaines dans lesquels on utilise les clauses dela nation la plus favorisée sont extrêmement variés. Sansprétendre être exhaustif, on peut essayer de classer cesdomaines de la manière suivante:

a) Réglementation internationale du commerce et despaiements (exportations, importations, tarifs douaniers);

b) Transport en général et traitement des moyens detransport étrangers (en particulier navires, aéronefs,trains, véhicules automobiles, etc.);

c) Etablissement des personnes physiques et juridiquesétrangères, leurs droits et obligations personnels;

d) Etablissement des missions diplomatiques, consu-laires et autres, leurs privilèges et immunités et leurtraitement en général ;

è) Propriété intellectuelle (droits de propriété indus-trielle, littéraire et artistique);

/ ) Administration de la justice, accès aux tribunaux del'ordre judiciaire et administratif à tous les degrés dejuridiction, reconnaissance et exécution des jugementsétrangers, caution judicatwn solvi, etc.

Dans l'étude qu'il doit entreprendre340, le Secrétariatpassera en revue les clauses de la nation la plus favoriséefigurant dans les traités publiés au Recueil des Traités desNations Unies et il examinera les domaines auxquels cesclauses sont applicables. Une clause de la nation la plusfavorisée peut s'appliquer à un ou plusieurs des domainesénumérés plus haut. Ce qui importe, c'est que la clauses'applique toujours à un domaine déterminé de relationsconvenu entre les parties au traité en cause.

17) La règle ejusdem generis (conformément à laquelleon ne saurait prétendre à d'autres droits que ceux qui se

337 Nat ions Unies, Recueil des Traités, vol. 382, p . 145. Cettedisposition a été incorporée dans la Consti tut ion de Chypre, don telle constitue l 'article 170 (v. A. Peaslee, Constitutions of Nations,La Haye, Nijhoff, 1968, vol. I I I , p . 201).

338 Article 2 du Trai té de commerce et de navigation entre laRépubl ique tchécoslovaque et la Républ ique démocrat ique alle-mande (Nat ions Unies, Recueil des Traités, vol. 374, p . 115).

339 Cité plus haut (par. 10).340 Voir ci-dessus pa r . 105.

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222 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

rapportent à la matière de la clause et qui rentrent dans lechamp d'application de celle-ci) sera traitée ultérieure-ment à propos de l'article 7, qui figure dans le quatrièmerapport du Rapporteur spécial.

Article 5. — Traitement de la nation la plus favorisée

L'expression « traitement de la nation la plus favorisée »s'entend d'un traitement accordé par l'Etat concédant àl'Etat bénéficiaire ou à des personnes ou à des choses setrouvant dans un rapport déterminé avec cet Etat, nonmoins favorable que le traitement accordé par l'Etatconcédant à un Etat tiers ou à des personnes ou à deschoses se trouvant dans le même rapport avec un Etat tiers.

Commentaire

1) Alors que l'article 4 définit la « clause de la nation laplus favorisée » par le « traitement de la nation la plusfavorisée », l'article 5 explique le sens de cette dernièreexpression. Au cours du débat, l'attention de laCommission a été appelée sur le fait que, dans certaineslangues, le traitement de la nation la plus favorisée sedit « traitement le plus favorable » — comme dansl'expression russe « rejim naibolchego blagopriatsvova-niya ». La Commission voudrait conserver, en anglais, enespagnol, en français et en russe, les expressionshabituelles : « most-favoured-nation treatment » ; « tratode la naciôn mas favorecida »; « traitement de la nationla plus favorisée»; et «rejim naibolec blagopriatzvenoïnatzii ».

2) Alors que l'engagement d'accorder le traitement de lanation la plus favorisée est pris par un Etat vis-à-vis d'unautre, le traitement ainsi promis est accordé, dans laplupart des cas, à des personnes et à des choses, etseulement dans une minorité de cas aux Etats eux-mêmes(par exemple dans les cas où le traitement de la nation laplus favorisée est promis à des ambassades ou à desconsulats341). Selon quelles méthodes et dans quellescirconstances les personnes (ou les choses) intéresséesbénéficieront-elles du traitement? Tout dépend del'intention des parties au traité en question et du droitinterne de l'Etat bénéficiaire. Dans sa décision du 8 avril1927 regardant la compétence des tribunaux de Dantzig àpropos d'actions intentées par des fonctionnaires ferro-viaires contre l'administration des chemins de fer, leHaut-Commissaire de Dantzig a expliqué comme suit lerapport qui existe entre un traité et l'application desdispositions de ce traité à des individus :

C'est une règle de droit généralement reconnue, dans la doctrinecomme dans la pratique, que les traités internationaux ne donnentpas des droits directs aux individus; seulement aux gouvernementsen question, l'un envers l'autre. Bien souvent un traité oblige ungouvernement à reconnaître certains avantages ou certains droits àdes individus, mais dans ce cas les individus n'obtiennent pasautomatiquement ces droits eux-mêmes. Il faut que pour cela le

gouvernement introduise dans sa législation interne des dispositionsen exécution de l'obligation qu'il a acceptée à l'égard de l'autregouvernement. S'il y a lieu de réclamer l'exécution ou l'applicationde cette obligation internationale, l'autre gouvernement, seule partieen cause, peut l'exiger en droit. Et ceci non pas devant les tribunauxcivils, mais par la voie diplomatique ou devant les instancesinternationales qui auront compétence dans la matière.

Le cas ne pourra pas être comparé à celui d'une stipulation auprofit d'un tiers [...] des codes civils, justement parce que les traitésinternationaux ne sont pas des contrats civils par lesquels lesgouvernements s'engageraient en droit privé au profit des intéressés.Pour donner un exemple: la clause « de la nation la plus favorisée »,dans un traité de commerce, ne donnera pas le droit à un intéresséde refuser le paiement des droits de douane qu'il croit en excès decette clause; il ne pourra que se baser sur la législation douanièreinterne qui, elle, doit être faite conformément aux clauses du traitéde commerce342.

Bien que la Cour ait annulé la décision du Haut-Commissaire de Dantzig dans l'affaire en question, en seréférant à l'intention des parties et aux circonstancesparticulières de l'affaire, la situation dans les pays oùl'application des traités n'est pas automatique estessentiellement celle qu'a décrite le Haut-Commissaire.C'est le cas, au Royaume-Uni et en Australie, pour lestraités en général et les clauses de la nation la plusfavorisée en particulier (voir les déclarations reproduitesdans le « Sommaire de la jurisprudence des tribunauxnationaux en ce qui concerne la clause de la nation la plusfavorisée », établi par le Secrétariat [A/CN.4/269343, note2]). La situation est analogue dans la République fédéraled'Allemagne, où les tribunaux ont expressément refusé,dans plusieurs cas, de reconnaître l'application directe del'article III de l'Accord du GATT (sur le traitementnational en matière d'impositions et de réglementationintérieures), en faisant valoir que cet engagement ne liaitque les Etats parties à l'accord et que les particuliers nepouvaient, par conséquent, se prévaloir d'aucun droit eninvoquant cette disposition344. Aux Etats-Unis d'Amé-rique, toutefois, l'application automatique est la règlepour les traités contenant des clauses de la nation la plusfavorisée, et cela pour les raisons suivantes:

[...] Les clauses de la nation la plus favorisée, lorsqu'elles sontinconditionnelles, [...] offrent aux intérêts privés des Etats-Unis lebénéfice, dans un pays donné, du traitement économique le plusfavorable accordé par ce pays à toute marchandise étrangère ou àtout capital étranger, que ce traitement soit accordé avant ou aprèsl'entrée en vigueur du traité avec les Etats-Unis. Mais les traités decommerce et d'établissement, y compris les clauses de la nation laplus favorisée qu'ils contiennent, doivent s'appliquer dans les deuxsens, car les Etats ne participeront pas à des accords de ce genre surune autre base. Cela signifie que les Etats-Unis doivent pouvoirindiquer, à n'importe quel moment, que les marchandises et lescapitaux de l'autre partie peuvent revendiquer le traitementinconditionnel de la nation la plus favorisée dans ce pays. Etantdonné que les clauses inconditionnelles de la nation la plus favoriséene sont pas limitées (c'est-à-dire qu'elles promettent le meilleurtraitement accordé en vertu de tout autre traité, que l'autre traitésoit antérieur ou postérieur), il serait difficile aux Etats-Unis

841 Voir le paragraphe 1 de l'article 3 de la Convention consulairede 1951 conclue entre le Royaume-Uni et la Norvège, qui stipuleque «chacune des Hautes Parties contractantes pourra établir etmaintenir des consulats dans les territoires de l'autre en tout lieuoù un Etat tiers possède un consulat [...]» (Nations Unies, Recueildes Traités, vol. 326, p. 270).

342 Compétence des tribunaux de Dantzig (C.P.J.I., série B, n° 15,p. 31).

343 Voir ci-dessus p . 116.344 Voir G . Bebr, « D i r e c t l y applicable provisions of communi ty

law: the development of a communi ty concept », International andComparative Law Quarterly, Londres , vol. 19, avril 1970, p . 257.

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Rapport de la Commission à l'Assemblée générale 223

d'accorder la réciprocité requise si, dans chaque cas, il leur fallaitobtenir du Congrès une loi d'application pour accorder le bénéficed'un traité avec un pays tiers au pays qui réclame les droits de lanation la plus favorisée. L'exécution automatique est la seulesolution possible à ce problème [...]345.

3) L'article 5 dit que les personnes ou les choses dont letraitement est en cause doivent se trouver dans « unrapport déterminé » avec l'Etat bénéficiaire, et que leurtraitement dépend du traitement accordé par l'Etatconcédant à des personnes ou à des choses se trouvantdans « le même rapport » avec un Etat tiers. Dans cecontexte, un « rapport déterminé » signifie que le rapportentre les Etats intéressés et les personnes et les chosesintéressées est déterminé par la clause, c'est-à-dire par letraité. La clause contenue dans le traité entre l'Etatconcédant et l'Etat bénéficiaire doit déterminer quellessont les personnes ou les choses auxquelles le traitementde la nation la plus favorisée est applicable, et doitévidemment, pour cela, tenir compte du rapport quiexiste entre l'Etat bénéficiaire et les personnes ou leschoses considérées. Le rapport de ce genre le plusfréquent est la nationalité ou la citoyenneté despersonnes, le lieu d'immatriculation des navires, l'Etatd'origine des produits, etc. En vertu de l'article 5, l'Etatbénéficiaire ne peut revendiquer le traitement de la nationla plus favorisée pour ses ressortissants, ses navires, sesproduits, etc., que dans la mesure où l'Etat concédantconfère les mêmes avantages aux ressortissants, auxnavires, aux produits, etc., d'un Etat tiers. L'Etatbénéficiaire n'a pas normalement le droit de réclamerpour ses résidents les avantages que l'Etat concédantaccorde aux ressortissants de l'Etat tiers. Bien que larésidence crée aussi un certain rapport entre une personneet un Etat, ce rapport n'est pas le même que celuiqu'établit le lien de nationalité. Ces deux rapports ne sontpas interchangeables. Cet exemple explique le sens del'expression « même rapport » utilisée à l'article 5.Toutefois, cette expression doit être employée avecprudence, car, pour poursuivre l'exemple, le rapport entreun Etat A et ses ressortissants n'est pas nécessairement le« même » que le rapport entre un Etat B et sesressortissants. Les lois des Etats sur la nationalité sont sidiverses que la somme totale des droits et obligationsdécoulant des lois d'un Etat sur la nationalité peut êtreentièrement différente de celle qui découle des lois d'unautre Etat sur la nationalité. Le sens du mot « même »dans ce contexte serait peut-être mieux rendu par lesexpressions « le même type de » ou « le même genre de ».La Commission en est arrivée, toutefois, à la conclusionque le libellé de l'article 5 était assez clair et qu'il n'étaitpas souhaitable d'alourdir le texte.

4) L'article 5 qualifie le traitement auquel l'Etatbénéficiaire a droit de « non moins favorable » que letraitement accordé par l'Etat concédant à un Etat tiers.La Commission s'est demandé si elle ne devait pasemployer l'adjectif « égal » pour qualifier le rapport quiexiste entre les conditions du traitement accordé à un Etat

345 American Law Institute, Restatement of the Law, Second,Foreign Relations Law of the United States, Saint Paul (Minn.),American Law Institute Publishers, 1965, par. 154, Reporter'sNote 3 (tr. du Secrétariat).

tiers et celles qu'a promises l'Etat concédant à l'Etatbénéficiaire. Les arguments avancés en faveur de l'emploidu mot « égal » reposaient sur le fait que la notiond'« égalité de traitement » est liée de manière particulière-ment étroite à l'application de la clause de la nation laplus favorisée. On a soutenu que la clause représentait leprincipe de l'égalité de traitement et en était l'instrumentet qu'elle était un moyen de parvenir à une fin:l'application de la règle de l'égalité de traitement dans lesrelations internationales. Ceux qui s'opposaient àl'utilisation de l'adjectif « égal » admettaient qu'« égal »n'était pas aussi rigide qu'« identique » ni aussi vaguequ'« analogue » et, par conséquent, convenait mieux queces autres adjectifs. Toutefois, bien qu'un engagement dela nation la plus favorisée n'obligeât pas l'Etat concédantà accorder à l'Etat bénéficiaire un traitement plusfavorable que celui qui était appliqué à un Etat tiers, iln'interdisait pas à l'Etat concédant d'accorder à l'Etatbénéficiaire des avantages supérieurs à ceux qui étaientconcédés à l'Etat tiers le plus favorisé. En d'autrestermes, si le traitement de la nation la plus favoriséeexcluait le traitement préférentiel d'Etats tiers par l'Etatconcédant, il était pleinement compatible avec letraitement préférentiel de l'Etat bénéficiaire par l'Etatconcédant. En conséquence, le traitement accordé à l'Etatbénéficiaire et celui qui est accordé à l'Etat tiers n'étaientpas nécessairement « égaux ». Cet argument étaitinfirmé par le fait évident que, si l'Etat concédantaccordait un traitement préférentiel à l'Etat bénéficiaire(c'est-à-dire un traitement plus favorable que celui qui estaccordé à l'Etat tiers) — ce qu'il n'était pas tenu de faireen vertu de la clause —, ce traitement serait accordéindépendamment de l'application de la clause. En fin decompte, la Commission a accepté l'expression « nonmoins favorable », car elle a estimé que c'était làl'expression communément utilisée dans les clauses de lanation la plus favorisée.

5) Les clauses de la nation la plus favorisée peuventdéfinir exactement les conditions de l'application de laclause, c'est-à-dire le genre de traitement accordé parl'Etat concédant à un Etat tiers qui donnera naissance audroit de l'Etat bénéficiaire de réclamer un traitementanalogue, le même traitement ou un traitement égal ouidentique. Si, comme c'est habituellement le cas, la clauseelle-même ne contient aucune stipulation contraire, laclause entre en vigueur, c'est-à-dire qu'une revendicationpeut être formulée en vertu de la clause si l'Etat tiers (oules personnes ou les choses se trouvant avec l'Etat tiersdans le même rapport que les personnes ou les chosesmentionnées dans la clause avec l'Etat bénéficiaire) aréellement bénéficié des avantages qui constituent letraitement. Il n'est pas nécessaire, pour que la clauseentre en vigueur, que le traitement effectivement accordéà l'Etat tiers, pour lui-même ou pour les personnes ou leschoses considérées, soit fondé sur un traité ou accordantérieur. Le simple fait d'un traitement favorable estsuffisant pour déclencher l'application de la clause.Toutefois, le fait du traitement favorable peut aussirésider dans la conclusion ou l'existence d'un accordentre l'Etat concédant et l'Etat tiers en vertu duquel cedernier a droit à certains avantages. En se fondant sur laclause, l'Etat bénéficiaire peut également exiger les mêmes

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224 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

avantages que ceux qu'accorde à l'Etat tiers l'accordmentionné. Le simple fait que l'Etat tiers ne se soit pasprévalu des avantages qui lui sont manifestement dus envertu de l'accord conclu avec l'Etat concédant ne peutpas libérer l'Etat concédant de son obligation en vertu dela clause. L'entrée en vigueur de la clause et sonextinction feront l'objet d'un autre article qui sera rédigéultérieurement par le Rapporteur spécial.

6) Selon l'article 5, le « traitement » est celui qui estaccordé par un Etat à d'autres Etats (par exemple en cequi concerne leurs ambassades ou leurs consulats) ou àdes personnes ou à des choses. La Commission s'estdemandé si elle ne devait pas aussi inclure les « activités »dans l'énumération. Certes, des activités comme l'exercicede certains métiers et professions, l'entrée de navires dansun port, etc., peuvent aussi faire l'objet du traitement dela nation la plus favorisée346. La Commission, après unebrève discussion, a décidé de ne pas mentionner lesactivités dans l'article, car celles-ci sont, en fin de compte,liées à des personnes et à des choses, et il n'a donc pas étéjugé indispensable d'en faire expressément mention.

7) L'article 5 introduit la notion d'Etat tiers. L'expres-sion « Etat tiers » apparaît également dans la Conventionde Vienne sur le droit des traités, et les raisons de ne pasemployer dans les présents articles l'expression « Etattiers » de la même manière que dans le contexte de laConvention de Vienne ont été exposées à propos del'alinéa d de l'article 2347. Il existait autrefois unepratique selon laquelle les Etats parties à la clausedésignaient explicitement l'Etat tiers jouissant du traite-ment auquel pouvait prétendre l'Etat bénéficiaire. Ainsi,le traité conclu le 17 août 1417 entre Henri Vd'Angleterre et le Duc de Bourgogne et Comte deFlandre stipulait que les maîtres des navires des partiescontractantes bénéficieraient dans leurs ports respectifsdes mêmes faveurs que les « François, Hollandois,Zellandois et Escohois348 ».

8) De même, dans le Traité de commerce anglo-espagnol de 1886, l'Espagne accordait à l'Angleterre letraitement de la nation la plus favorisée pour tout ce quiavait trait au commerce, à la navigation et aux droits etprivilèges consulaires dans les mêmes conditions et avecles mêmes avantages que ceux que comportait letraitement accordé à la France et à l'Allemagne en vertudes traités du 6 février 1882 et du 12 juillet 1883349. Uneclause ainsi libellée ne constitue pas nécessairement uneclause de la nation « la plus favorisée », parce que lesEtats mentionnés dans la clause comme tertium compa-raîionis ne sont pas nécessairement ceux qui sont les plus

348 En 1936, la Bolivie et l'Allemagne ont conclu une entente selonlaquelle la clause de la nation la plus favorisée figurant à l'article Vdu traité d'amitié entre les deux pays s'appliquait aussi aux mariagescélébrés par les consuls (voir Reichgesetzblatt, 1936, II, p. 216, citédans L. Raape, Internationales Privatrecht, Berlin, Vahlen, 1961,p. 20).

347 Voir ci-dessus a r t . 2, par . 5 du commenta i re .348 G. Schwarzenberger, « The most-favoured-nation standard in

British state practice », The British Year Book of International Law,1945, Londres , vol. 22, p . 97.

349 Cité dans B. Nolde , « Dro i t et technique des traités de com-merce », Recueil des cours de l'Académie de droit international de LaHaye, 1924-11, Paris , Hachet te , 1925, t. 3, p . 413.

favorisés par l'Etat concédant. En fait, dans les cas citéset dans la plupart des cas analogues, les Etats mentionnésétaient « les plus favorisés », et c'est précisément enraison de leur position favorisée qu'ils étaient choisis etexpressément mentionnés dans les clauses en question.Dans la pratique moderne de rédaction des clauses de lanation la plus favorisée, le tertium comparationis esthabituellement désigné sous les termes « tout Etat ».

9) Ce que l'on rencontre souvent, en revanche, c'est unemention ou une énumération d'Etats tiers déterminés qui,au regard de l'application de la clause de la nation la plusfavorisée, conserveront une position exceptionnelle, c'est-à-dire que le traitement qui leur est accordé ne subira pasl'attraction de l'application de la clause. Des membres dela Commission ont fait observer à cet égard qu'existaiententre des membres de divers groupes d'Etats appartenantà la communauté internationale des liens particuliers desolidarité qui pouvaient amener les Etats à exclureexpressément de leurs obligations de la nation la plusfavorisée le traitement accordé à un certain grouped'Etats avec lequel ils se sentaient plus étroitement liés.La création d'unions douanières, de zones de libre-échange et autres groupements pouvait égalementconduire à des exceptions conventionnelles aux engage-ments de la nation la plus favorisée. Plusieurs membresde la Commission ont appelé l'attention sur lespréférences en matière de commerce international quidevaient être accordées aux pays en voie de développe-ment, afin que le traitement que les pays développésappliquent à ces pays soit conforme aux exigences de lajustice et contribue à accélérer leur développement. On arappelé que l'application de la clause de la nation la plusfavorisée en matière de commerce international à tous lespays quel que fût leur niveau de développement satisferaitaux exigences de l'égalité formelle, mais impliquerait enfait un traitement manifestement discriminatoire contreles membres plus faibles de la communauté internatio-nale. La Commission a donné pour instructions auRapporteur spécial, lorsqu'il en arriverait à la questiondes exceptions à la clause de la nation la plus favorisée,de traiter cette question de manière suffisamment détailléeet de tenir compte des résolutions de la CNUCED [tellesque les résolutions 21 (II), du 26 mars 1968, et 62 (III), du19 mai 1972360] et des résolutions de l'Assembléegénérale [telles que la résolution 2626 (XXV), du 24octobre 1970, relative à la Stratégie internationale dudéveloppement pour la deuxième Décennie des NationsUnies pour le développement, et la résolution 3036(XXVII), du 19 décembre 1972, concernant des mesuresspéciales en faveur des pays en voie de développement lesmoins avancés], et également des arrangements concer-nant l'octroi d'un traitement préférentiel généralisé sansdiscrimination ni réciprocité en faveur des exportationsdes pays en voie de développement qui ont été établis parla CNUCED et ultérieurement dans le cadre du GATT,ainsi que de tout autre texte qui pourrait être considérécomme pertinent en la matière.

350 Actes de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et ledéveloppement, deuxième session, vol. I [et Corr.l et 5 et Add.l et 2],Rapport et annexes (publication des Nations Unies, numéro devente: F.68.II.D.14), p. 41 ; et ibid., troisième session, vol. I, Rapportet annexes (numéro de vente: F.73.II.D.4), p. 75.

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Rapport de la Commission à l'Assemblée générale 225

Article 6. — Fondement juridique du traitementde la nation la plus favorisée

Aucune disposition des présents articles n'implique qu'unEtat a le droit de se voir accorder par un autre Etat letraitement de la nation la plus favorisée si ce n'est en vertud'une obligation juridique.

Commentaire

1) L'article 6 énonce sous une forme négative la règleévidente selon laquelle un Etat a le droit de prétendre autraitement de la nation la plus favorisée de la part d'unautre Etat uniquement si ce dernier est juridiquementtenu de l'accorder. Cette règle découle du principe de lasouveraineté des Etats et de leur liberté d'action. Cetteliberté comporte le droit des Etats d'accorder des faveursspéciales à certains Etats et de ne pas être contraints parle droit coutumier d'octroyer les mêmes faveurs àd'autres Etats. Ce droit des Etats n'est pas diminué parl'obligation générale de non-discrimination. Traiter defaçon particulièrement avantageuse un autre Etat, sesressortissants, ses navires, ses produits, etc., n'est pasvioler l'obligation générale de non-discrimination entreles Etats. Les autres Etats n'ont pas le droit de s'yopposer et de réclamer pour eux-mêmes, pour leursressortissants, leurs navires, leurs produits, etc., le mêmetraitement que celui qui est accordé par l'Etat concerné àun Etat particulièrement favorisé. Une revendication dece genre ne peut être légitimement formulée que s'il estprouvé que l'Etat en question est juridiquement tenud'accorder à l'Etat demandeur le même traitement quecelui qui est octroyé à l'Etat particulièrement favorisé ouà ses ressortissants, ses navires, ses produits, etc.

2) Dans la pratique, en règle générale, cette obligationjuridique ne peut être prouvée que par une clause de lanation la plus favorisée, c'est-à-dire par un engagementconventionnel de l'Etat concédant en ce sens. En fait, ladoctrine est pour ainsi dire unanime à considérer que,tandis qu'il n'y a pas de clause de la nation la plusfavorisée sans promesse de traitement de la nation la plusfavorisée (cette promesse étant l'élément constitutif de laclause), les Etats ne sont pas fondés à réclamer l'octroi dutraitement de la nation la plus favorisée s'ils n'y ont pasdroit en vertu d'une clause de la nation la plusfavorisée351.

3) La question de savoir si un Etat peut réclamer à unautre Etat l'octroi du traitement de la nation la plusfavorisée comme un droit a été débattue au sein duComité économique de la SDN, mais uniquement àpropos des tarifs douaniers. Le Comité économique n'apas abouti à un accord en la matière, et s'est borné à

351 Voir notamment E. Usenko, « Formy regoulirovania sotsia-listitcheskogo mejdounarodnogo razdelenia trouda » [Modes derégulation de la division internationale socialiste du travail], Mejdou-narodnye otnochenia [Relations internationales], Moscou, 1965,p. 238 (éd. allemande: Sozialistische internationale Arbeitsteilungund ihre rechtliche Regelung, Berlin, Staatsverlag der DeutschenDemokratischen Republik, 1966, p. 200); D. Vignes, « La clause dela nation la plus favorisée... », Recueil des cours... (op. cit.), p. 224;E. Sauvignon, La clause de la nation la plus favorisée, Grenoble,Presses universitaires de Grenoble, 1972, p. 7; K. Hasan, EqualityofTreatment and Trade Discrimination in International Law, La Haye,Nijhoff, 1968, p. 33.

déclarer que « l'octroi du traitement de la nation la plusfavorisée doit être la norme [.,.]352». S'il est vrai quel'octroi du traitement de la nation la plus favorisée estfréquemment prévu dans les traités de commerce, rien nepermet d'affirmer que cette pratique soit devenue unerègle du droit international coutumier. Aussi considère-t-on généralement que les traités constituent l'uniquefondement de l'octroi du traitement de la nation la plusfavorisée353.

4) La Commission a brièvement discuté de la questionde savoir si elle ne devait pas adopter une règle simpleénonçant qu'on ne peut réclamer le traitement de lanation la plus favorisée qu'en se fondant sur une clausede la nation la plus favorisée, c'est-à-dire sur unedisposition d'un traité (au sens de l'alinéa a de l'article 2)promettant le traitement de la nation la plus favorisée. LaCommission a estimé qu'un libellé rigide en ce senspourrait dans une large mesure donner satisfaction sur leplan pratique, mais qu'il ne serait pas tout à faitconforme à la situation juridique existante et ne tiendraitpas compte des faits nouveaux ultérieurs éventuels. Bienque, dans la plupart des cas, la demande du traitement dela nation la plus favorisée se fonde sur une clause de lanation la plus favorisée (c'est-à-dire sur une dispositionconventionnelle), il n'est pas exclu, même actuellement,que les demandes de ce genre reposent sur des accordsverbaux. Des membres de la Commission ont cité, commeautres fondements possibles, les résolutions d'organisa-tions internationales et les actes unilatéraux ayant forceobligatoire. A été mentionnée, en outre, comme autresource possible du droit de réclamer le traitement de lanation la plus favorisée une évolution éventuelle du droitcoutumier régional dans ce sens. La Commission a doncdécidé d'adopter la règle dans des termes plus généraux,en ce sens qu'un Etat ne peut réclamer à un autre Etat letraitement de la nation la plus favorisée, à moins que cedernier ne soit juridiquement tenu de l'accorder.

5) La Commission est parvenue ensuite à la conclusionqu'une règle énonçant de façon absolue que le traitementde la nation la plus favorisée ne peut être revendiqué enl'absence d'une obligation juridique d'accorder cetraitement déborderait le cadre des articles relatifs à laclause de la nation la plus favorisée. Ces articles ont pourseul objet de formuler les règles de fonctionnement etd'application de cette clause quand elle existe, et nond'énoncer les conditions auxquelles un Etat peut réclamerà un autre le traitement de la nation la plus favorisée.C'est pourquoi, ne voulant pas supprimer cette règle enraison de son importance théorique et pratique, laCommission a décidé de l'énoncer sous une formenégative, en tant que clause générale de sauvegarde.

6) La Commission fixera la place à donner à cette clausede sauvegarde après avoir adopté tous les articlesconstituant le projet, et s'efforcera de trouver alors un

852 SDN, « Doctrine du Comité économique en ce qui concernele traitement de la nation la plus favorisée» (E.8O5.1933.II.B.1),cité dans Annuaire... 1969, vol. II, p. 182, doc. A/CN.4/213, annexe I.

353 Cf. G. Schwarzenberger, « The principles and standards ofinternational économie law », Recueil des cours de l'Académie dedroit international de La Hâve, 1966-1, Leyde, Sijthoff, 1967, t. 117,p. 74.

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226 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

titre plus approprié qui indiquerait que cet article est uneclause de sauvegarde.

7) La Commission a brièvement examiné la question desavoir si un Etat violerait ses obligations internationalesen accordant le traitement de la nation la plus favorisée àla plupart de ses partenaires dans un certain domainealors qu'il refuserait de conclure des accords similairesavec d'autres Etats. La Commission a été d'avis que, siles Etats qui ne bénéficient pas du traitement de la nationla plus favorisée peuvent considérer cette manière d'agircomme inamicale, les articles à l'examen ne sauraientfournir une base juridique à des prétentions de ce genre,qui pourraient peut-être reposer sur une règle générale denon-discrimination. La réponse à la question mentionnéeci-dessus dépasse donc manifestement le cadre desprésents articles.

Article 7. — Source et étendue du traitementde la nation la plus favorisée

Le droit de l'Etat bénéficiaire d'obtenir de l'Etatconcédant le traitement appliqué par celui-ci à un Etat tiersou à des personnes ou des choses se trouvant dans unrapport déterminé avec un Etat tiers naît de la clause de lanation la plus favorisée en vigueur entre l'Etat concédant etl'Etat bénéficiaire.

Le traitement auquel l'Etat bénéficiaire peut prétendreen vertu de cette clause est déterminé par le traitementappliqué par l'Etat concédant à l'Etat tiers ou à despersonnes ou des choses se trouvant dans ledit rapport avecce dernier Etat.

Commentaire

1) Cet article énonce les principes de base dufonctionnement de la clause de la nation la plus favorisée.Il précise que le droit qu'a l'Etat bénéficiaire de recevoirde l'Etat concédant le traitement de la nation la plusfavorisée est ancré dans la clause de la nation la plusfavorisée — autrement dit, c'est cette clause qui est lasource exclusive des droits de l'Etat bénéficiaire. Il préciseaussi que le traitement, c'est-à-dire l'étendue desavantages auxquels l'Etat bénéficiaire peut prétendrepour lui-même ou pour des personnes ou des choses setrouvant dans un rapport déterminé avec lui, dépend dutraitement appliqué par l'Etat concédant à un Etat tiersou à des personnes ou des choses se trouvant dans lemême rapport avec un Etat tiers. Cette règle importanteest valable que le traitement accordé par l'Etat concédantà un Etat tiers (ou à des personnes ou des choses setrouvant dans un rapport déterminé avec ce dernier) soitfondé sur un traité, un autre accord ou un acte unilatéral,législatif ou autre, ou encore consiste en une simplepratique.

2) Lorsqu'il existe deux traités, l'un entre l'Etatconcédant et l'Etat bénéficiaire contenant la clause de lanation la plus favorisée, et l'autre entre l'Etat concédantet un Etat tiers donnant à ce dernier le droit de prétendreà certains avantages, la question se pose de savoir lequelest le traité de base. Cette question a été examinée endétail dans VAffaire de VAnglo-Iranian Oil Co., dont a euà connaître la CD. Il a été soutenu devant la Cour que

[...] Une clause de la nation la plus favorisée est, par essence même,une clause qui n'a pas de substance; c'est une clause contingente. Sile pays qui accorde le traitement de la nation la plus favorisée n'aaucune relation conventionnelle avec un Etat tiers, la clause de lanation la plus favorisée reste dépourvue de substance. Ellen'acquiert sa substance que lorsque l'Etat concédant entre enrelations avec un Etat tiers, et celle-ci s'accroît chaque fois que denouveaux avantages sont accordés à des Etats tiers [...]354.

A cela, on a répliqué que la clause de la nation la plusfavoriséecomporte un engagement dont l'objet est réel. Sans doute n'est-ilpas déterminé et sera-t-il susceptible de changer de volume suivantles traités conclus ultérieurement, mais cela suffit à le rendredéterminable. Le rôle des traités ultérieurs n'est donc pas de donnernaissance à des obligations nouvelles à l'égard de l'Etat bénéficiairede la clause, mais de modifier l'étendue de l'obligation ancienne.Celle-ci n'en demeure pas moins la racine du droit, la source dudroit, l'origine du droit [...]355.

La majorité des membres de la Cour s'est prononcée dansle sens suivant:

Le traité contenant la clause de la nation la plus favorisée est letraité de base [...]. C'est là le traité qui établit le lien juridique entrele Royaume-Uni [l'Etat bénéficiaire] et un traité avec un Etat tiers,et qui confère au Royaume-Uni les droits dont jouit l'Etat tiers. Untraité avec un Etat tiers, indépendamment et isolément du traité debase, ne peut produire aucun effet juridique entre le Royaume-Uni[l'Etat bénéficiaire] et l'Iran [l'Etat concédant]: il est res inter aliosacta3™.

La décision de la Cour a contribué dans une grandemesure à la clarification de la théorie juridique. Avantl'adoption de cette décision, il ne manquait pas d'auteurspour présenter l'application de la clause de Ja nation laplus favorisée (ou plus précisément celle du traité avecl'Etat tiers) comme une exception à la règle pacta tertiisnec nocent, nec prosunt, c'est-à-dire la règle selon laquelleles traités ne produisent d'effets qu'entre les partiescontractantes357. La doctrine semble être désormaisunanime à souscrire aux conclusions de la majorité desmembres de la Cour358.

3) La solution donnée dans l'arrêt de la Cour estconforme aux règles du droit des traités concernant l'effetdes traités sur les Etats non parties à un traité donné. Lathèse selon laquelle le traité avec l'Etat tiers (le traité envertu duquel l'Etat concédant accorde des avantages à unEtat tiers) est à l'origine des droits du bénéficiaire de laclause (un Etat non partie au traité avec l'Etat tiers) esten contradiction avec la règle énoncée au paragraphe 1 del'article 36 de la Convention de Vienne sur le droit des

354 Affaire de l 'Anglo-I ranian Oil C o . (Royaume-Uni c. I ran) ,CM. Mémoires (1952), p. 533.

355 Ibid., p . 616.356 Affaire de l 'Anglo-I ranian Oil C o . (compétence) , Arrê t du

22 juillet 1952 (C.I.J. Recueil 1952, p . 109).357 Voir p . ex. P . Fauchil le , Traité de droit international, Par is ,

Rousseau , 1926, t. I, 3 e par t ie , p . 359, et L. Oppenhe im, Interna-tional Law: A Treatise, 8 e éd. [Lauterpacht ] , Londres , Longmans ,Green , 1955, vol. I, p . 928 et 929, par . 522. Voir cependant les thèsesen sens contra i re de H . Accioly {Traité de droit international public,Paris , Sirey, 1941, t. II , p . 479) et de M. Sibert (Traité de droit inter-national public, Par is , Dal loz , 1951, t. I I , p . 255).

358 G . Schwarzenberger , International Law as Applied by Inter-national Courts and Tribunals, 3 e éd., Londres , Stevens, 1957, p . 243 ;P. Guggenhe im, Traité de droit international public, Genève , Georg ,1967, t. I, p . 208 et 209; E . Sauvignon, op. cit., p . 78.

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Rapport de la Commission à l'Assemblée générale 227

traités. Ainsi que la CDI l'a expliqué dans soncommentaire du texte de 1966 qui est devenu l'article 36de cette convention (après quelques modifications deforme d'importance secondaire),

Le paragraphe 1 dispose qu'un droit peut découler pour un Etatd'une disposition d'un traité auquel il n'est pas partie, sous réservede deux conditions. Premièrement, il faut que les parties entendent,par cette disposition, accorder ce droit soit à cet Etat ou à un grouped'Etats auquel il appartient, soit à tous les Etats. L'intentiond'accorder le droit revêt une importance capitale, car ce n'est quelorsque les parties ont cette intention qu'il peut résulter de ladisposition un droit véritable et non pas un simple avantage359.

Il semble évident que les parties à un traité avec un Etattiers n'ont pas cette intention. Elles peuvent se rendrecompte que leur accord peut avoir un effet indirect par lejeu de la clause de la nation la plus favorisée (au profit del'Etat bénéficiaire de ladite clause), mais elles necherchent jamais intentionnellement à atteindre cet effetaccessoire. Il s'ensuit que le droit de l'Etat bénéficiaire àun certain traitement avantageux ne découle pas du traitéconclu entre l'Etat concédant et l'Etat tiers, et que ladisposition de l'article 36 de la Convention de Viennen'est pas applicable à ce traité.

4) La Conférence des Nations Unies sur le droit destraités a adopté le même point de vue. A la 14e séanceplénière, tenue le 7 mai 1969, le Président de laConférence a déclaré que le paragraphe 1 de l'article 32(du projet de 1966 de la CDI) « ne porte pas atteinte auxintérêts des Etats qui bénéficient du régime de la nation laplus favorisée360 ».

5) En adoptant l'article 7, la Commission maintient saposition antérieure. L'article 7 traduit l'opinion que l'actede base, ou « acte-règle », est l'accord entre l'Etatconcédant et l'Etat bénéficiaire. En vertu de cet accord(c'est-à-dire en vertu de la clause de la nation la plusfavorisée), l'Etat bénéficiaire bénéficie des avantagesaccordés par l'Etat concédant à l'Etat tiers, maisseulement parce que telle est la volonté commune del'Etat concédant et de l'Etat bénéficiaire. L'accord entre

3 5 9 Annuaire... 1966, vol . I I , p . 249, doc . A / 6 3 0 9 / R e v . l , deuxièmepartie, par. 7 du commentaire de l'article 32 du projet d'articles surle droit des traités. [L'italique ne figure pas dans l'original.]

3 6 0 Documents officiels de la Conférence des Nations Unies sur ledroit des traités, deuxième session, Comptes rendus analytiques desséances plénières et des séances de la Commission plénière (publica-tion des Nations Unies, numéro de vente : F.70.V.6), p. 66,14e séance,par. 36.

l'Etat concédant et un Etat tiers qui crée des obligationsdans les relations entre ces Etats n'en crée pas dans lesrelations entre l'Etat concédant et l'Etat bénéficiaire. Cetaccord n'est rien de plus qu'un « acte-condition ».

6) La relation entre le traité contenant la clause de lanation la plus favorisée et le traité postérieur avec l'Etattiers a été décrite comme suit par Fitzmaurice :

Si l'on compare le traité postérieur aux aiguilles d'une horloge quiindiquent l'heure, c'est le traité antérieur qui constitue le mécanismefaisant tourner les aiguilles361.

7) S'il n'y a pas de traité ou autre accord entre l'Etatconcédant et l'Etat tiers, la règle énoncée dans l'articledevient encore plus évidente. La racine du droit de l'Etatbénéficiaire est alors manifestement le traité contenant laclause de la nation la plus favorisée. L'étendue desavantages auxquels le bénéficiaire de cette clause pourraprétendre sera déterminée par les avantages effectifs quel'Etat concédant aura appliqués à l'Etat tiers.

8) Les parties qui stipulent la clause de la nation la plusfavorisée — c'est-à-dire l'Etat concédant et l'Etatbénéficiaire — peuvent toutefois restreindre dans le traitélui-même l'étendue des avantages auxquels peut prétendrel'Etat bénéficiaire. Cette restriction peut consister parexemple en l'imposition d'une condition — question dontla Commission s'occupera lorsqu'elle examinera lesclauses de la nation la plus favorisée dites conditionnellesà propos de l'article pertinent contenu dans le quatrièmerapport du Rapporteur spécial. Si la clause contient unerestriction, l'Etat bénéficiaire ne peut revendiquerd'avantages allant au-delà des limites fixées par la clause,même si les avantages qu'il obtient ainsi sont inférieurs àceux que l'Etat concédant accorde à l'Etat tiers. End'autres termes, le traitement accordé à l'Etat tiers parl'Etat concédant n'est applicable que dans le cadre fixépar la clause. C'est pourquoi il est dit expressément dansla deuxième phrase de l'article 7 que le traitement auquell'Etat bénéficiaire ou les personnes ou choses se trouvantdans un rapport déterminé avec lui peuvent prétendre envertu de la clause de la nation la plus favorisée estdéterminé par le traitement appliqué par l'Etat concédantà l'Etat tiers ou à des personnes ou choses se trouvantdans ledit rapport avec de ce dernier Etat.

361 Sir Gerald Fitzmaurice, « The law and procédure of the Inter-national Court of Justice, 1951-54: Points of substantive law—PartII », The British Year Book of International Law, 1955-56, Londres,vol. 32, 1957, p. 88.

Chapitre V

QUESTION DES TRAITÉS CONCLUS ENTRE ÉTATS ET ORGANISATIONS INTERNATIONALESOU ENTRE DEUX OU PLUSIEURS ORGANISATIONS INTERNATIONALES

124. A sa vingt-troisième session, en 1971 la CDI aconfirmé la demande qu'elle avait adressée au Secrétairegénéral à sa vingt-deuxième session tendant à l'établisse-ment d'une documentation en la matière à l'intention desmembres de la Commission362, étant entendu que leSecrétaire général échelonnerait et sélectionnerait, en

consultation avec le Rapporteur spécial (M. Paul Reuter),les études exigées par l'établissement de cette documen-tation. Celle-ci devrait comprendre, outre une biblio-graphie aussi complète que possible, un exposé de lapratique de l'ONU et des principales organisationsinternationales en la matière363.

362 Annuaire... 1970, vol. II, p. 331, doc. A/8010/Rev.l, par. 89.

363 Annuaire... 1971, vol. II (lre partie), p. 368, doc. A/8410/Rev.l,par. 118, al. b.

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228 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

125. Conformément à la décision mentionnée auparagraphe ci-dessus, le Rapporteur spécial a adressé, parl'intermédiaire du Secrétaire général, un questionnaireaux principales organisations internationales en vued'obtenir des renseignements sur leur pratique en lamatière. En attendant que les organisations intéressées luiaient fait parvenir leurs réponses, le Rapporteur spécial asoumis à la Commission à sa vingt-quatrième session unpremier rapport364, qui a également été communiqué àces organisations. Ce rapport contient un historique del'évolution du sujet, basé sur les débats qui se sontdéroulés à la Commission pendant son examen de laquestion du droit des traités, de 1950 à 1966, et sur ceuxde la Conférence des Nations Unies sur le droit destraités, qui s'est tenue à Vienne en 1968 et en 1969. A lalumière de cet historique, il est procédé dans le rapport àun examen préliminaire de plusieurs problèmes essentiels,comme celui de la forme dans laquelle les organisationsinternationales expriment leur consentement à être liéespar un traité, leur capacité de conclure des traités, laquestion de la représentation, les effets des traités concluspar des organisations internationales, et la signification dela réserve relative à « toute règle pertinente de l'organisa-tion », qui figure à l'article 5 de la Convention de Viennesur le droit des traités365.

126. A la présente session, le Rapporteur spécial aprésenté un deuxième rapport (A/CN.4/271366), qui apour objet de compléter le rapport précédent en tenantcompte d'éléments nouveaux, au premier rang desquels ilfaut ranger les substantielles informations recueilliesauprès des organisations internationales. Le rapport traitetout d'abord des questions de méthode sous les quatrerubriques suivantes: rédaction d'un projet d'articlescomme objectif final; respect du cadre de la Conventionde Vienne sur le droit des traités; portée du premierquestionnaire adressé aux organisations internationales;difficulté de principe (liée à la question de savoir dansquelle mesure la codification envisagée pourrait risquer,en introduisant dans le régime des accords desorganisations internationales deux traits nouveaux — lastabilité et la généralité — de modifier le processusd'élaboration spontanée, par ces organisations, d'uncorps de solutions adapté aux besoins et aux caractèrespropres de chacune d'elles). Le rapport passe ensuite àl'étude de quelques problèmes de fond relatifs au droitdes traités, qui sont présentés par référence aux diversesparties de la Convention de Vienne sous les rubriquessuivantes: partie I de la Convention de Vienne(Introduction) et notion de « partie » ; partie II de laConvention (Conclusion et entrée en vigueur des traités):forme des accords, capacité des organisations internatio-nales à conclure des traités, représentation — cettedernière question comprenant les trois points suivants:détermination et preuve de la qualité pour représenterune organisation internationale dans une quelconque desphases de la conclusion d'un traité, accords conclus parles organes subsidiaires, participation d'une organisationinternationale à un traité pour le compte d'un terri-

394 Annuaire... 1972, vol. II , p . 187, doc. A/CN.4/258.365 Ibid., p . 352 et 353, doc. A/8710/Rev. l , par. 76.366 y o j r c i .d e s s u s p. 73.

toire qu'elle représente; partie III de la Convention(Respect, application et interprétation des traités):accords conclus en vue de l'exécution d'un autre accord,« accords internes » par rapport à une organisationinternationale, effets des accords à l'égard des tiers —cette dernière question étant étudiée d'un double point devue: l'organisation internationale est-elle un tiers parrapport à certains traités entre Etats? les Etats membresd'une organisation internationale sont-ils des tiers parrapport aux accords conclus par cette organisation ?127. La Commission a examiné les premier et deuxièmerapports présentés par M. Paul Reuter, rapporteurspécial, à sa 1238e séance et de sa 1241e à sa 1243e séance.128. La Commission a approuvé dans ses lignesgénérales la méthode suivie jusqu'à présent par leRapporteur spécial, notamment pour recueillir desinformations auprès des organisations internationales, etil a été admis que l'enquête ainsi menée serait prolongéejusqu'à la prochaine session de la Commission. Lesouhait a été formulé par certains membres de laCommission que les informations obtenues soientdiffusées dès que possible et que les organisations soient,le moment venu, plus directement associées aux travauxde la Commission à ce sujet.129. La Commission a confirmé les indications précé-demment données au Rapporteur spécial en ce quiconcerne les caractères et les lignes générales d'un projetd'articles sur la matière.130. Si, d'une manière générale, il doit essentiellements'agir d'adapter et de transposer les dispositions de laConvention de Vienne, diverses nuances apparaissentdans les opinions exprimées à ce sujet. Certainssouhaitent que le Rapporteur spécial bénéficie d'unecertaine liberté par rapport aux dispositions de laConvention de Vienne; d'autres souhaitent que le cadrede cette convention soit assez strictement respecté.131. En ce qui concerne l'objet du rapport, il a étéadmis unanimement que le projet d'articles devra partird'une définition de l'organisation internationale identiqueà celle qui est posée par la Convention de Vienne. Il a étéreconnu d'une manière générale que l'objet du rapportdevait porter sur les accords des organisations internatio-nales, sans empiéter sur les questions qui relèvent du droitpropre de chaque organisation. Dans beaucoup de cas,certains problèmes ne comportent pas encore de solutionssuffisamment précises ni générales pour pouvoir êtrel'objet de règles communes à toutes les organisations;ainsi semble-t-il en être des questions relatives auxaccords conclus par des organes subsidiaires, à lareprésentation de certains territoires par les organisationsinternationales, à la plupart des aspects de la représenta-tion des organisations internationales dans la conclusiondes traités. Pour certaines questions, des sentiments assezdivergents ont été exprimés. Ainsi, sur la question de lacapacité des organisations internationales à conclure desaccords internationaux, certains membres de la Commis-sion considèrent qu'il s'agit d'une capacité inhérente àl'organisation internationale; d'autres que c'est unequestion qui ne rentre pas dans l'objet du rapport;d'autres encore, tout en souhaitant que le projet d'articlescontienne à ce sujet une ou même plusieurs dispositions,

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Rapport de la Commission à l'Assemblée générale 229

estiment que la matière relève essentiellement du droitpropre à chaque organisation. Le Rapporteur spécial aindiqué qu'il se propose d'élaborer un ou plusieursprojets d'articles sur la question de la capacité.

132. Un échange de vues assez substantiel a égalementeu lieu sur un problème fondamental et difficile quiconcerne les effets de certains traités entre Etats à l'égardd'une organisation qui n'y est pas partie, et, à l'inverse,sur les effets d'un accord auquel une organisation estpartie à l'égard des Etats membres de cette organisation.Cette question met en cause la question des effets destraités et accords à l'égard des tiers. Dans quelle mesureles principes posés par la Convention de Vienne suffisent-ils pour résoudre ce problème? Dans quelle mesure suffit-il d'assouplir certaines des règles que cette convention a

posées, notamment au point de vue des formes, dans sesarticles 35 et 37? Plusieurs suggestions ont été faites endes sens divers, mais la Commission dans son ensemble ademandé au Rapporteur spécial de procéder à un examenapprofondi de ce problème.

133. En conclusion, en approuvant dans leurs lignesgénérales les rappoits qui lui étaient soumis, laCommission a décidé de poursuivre, pour le momentsuivant les mêmes méthodes que l'an dernier, la collectedes informations fournies par les organisations internatio-nales, en insistant sur certains points particuliers. Elle ademandé au Rapporteur spécial de poursuivre son travailet de commencer la préparation d'un projet d'articles surla base des rapports et des observations auxquels leurexamen a donné lieu.

Chapitre VI

EXAMEN DU PROGRAMME DE TRAVAIL DE LA COMMISSION

134. Ainsi qu'il a déjà été indiqué367, la Commission ainscrit à l'ordre du jour de sa vingt-cinquième session laquestion suivante:

5. a) Examen du programme de travail à long terme de laCommission : Examen d'ensemble du droit international — documentrédigé par le Secrétaire général (A/CN.4/245);

b) Priorité à donner à la question du droit relatif aux utilisationsdes voies d'eau internationales à des fins autres que la navigation(paragraphe 5 de la section I des résolutions 2780 [XXVI] et 2926[XXVII] de l'Assemblée générale).

135. Le présent chapitre contient le résumé des travauxeffectués par la Commission avant la présente session surchacun des deux aspects de la question et donne lesrésultats de l'examen de ce point de l'ordre du jour à laprésente session, précédés d'un commentaire sur lestravaux accomplis par la Commission au cours de sesvingt-cinq premières sessions.

A. — Résumé des travaux de la Commissionantérieurs à la présente session

1. EXAMEN DU PROGRAMME DE TRAVAIL À LONG TERMEDE LA COMMISSION

136. A sa dix-neuvième session (1967), la CDI,considérant qu'elle tiendrait l'année suivante sa vingtièmesession, a jugé que cette session offrirait l'occasion deprocéder à un examen général des matières qui avaient étéproposées aux fins de codification et de développementprogressif, des rapports entre ses travaux et ceux desautres organes des Nations Unies s'occupant dudéveloppement du droit, et des procédures et méthodes detravail suivies par la Commission, conformément à sonstatut. Elle a donc décidé à l'unanimité d'inscrire àl'ordre du jour provisoire de sa vingtième session laquestion de l'examen de son programme et de sesméthodes de travail368.

137. A sa vingtième session, en 1968, la Commissionétait saisie de deux documents de travail préparés par leSecrétariat sur le programme et les méthodes de travail dela Commission, qu'elle a décidé de joindre en annexe àson rapport à l'Assemblée générale sur les travaux deladite session369. La Commission a examiné la questionau cours de séances publiques et privées, et elle estparvenue à certaines conclusions et décisions en lamatière370. La Commission a décidé, notamment, qu'elleexaminerait son programme de travail à long terme, et àcette fin elle a demandé au Secrétaire général de préparerune nouvelle étude sur l'ensemble du droit international,analogue au mémorandum intitulé Examen d'ensemble dudroit international en vue des travaux de codification de laCommission du droit international3''1 qui avait été soumisà la Commission à sa première session, en 1949. Sur labase de cette nouvelle étude, la Commission pourraitdresser la liste des sujets se prêtant à la codification,compte tenu des recommandations de l'Assembléegénérale et des besoins actuels de la communautéinternationale, et supprimer les sujets de la liste de 1949qu'il n'y avait plus lieu de traiter372.

367 y o j r c i . d e s s u s p a r < 9.368 Annuaire... 1967, vol. II , p . 407, doc. A/6709/Rev. l , par . 49.

369 Annuaire... 1968, vol. II , p . 235, doc. A/7209/Rev. l , annexe.370 Ibid., p . 232 et 233, doc. A/7209/Rev. l , par . 95 à 101.371 Publication des Nat ions Unies, numéro de vente: 1948.V.1(I).372 Annuaire... 1968, vol. II , p . 232, doc. A/7209/Rev. l , par. 99.Le rappor t de la C D I sur sa première session (Documents officiels

de l'Assemblée générale, quatrième session, Supplément n° 10 [A/925])contient en son paragraphe 16 la liste suivante des matières choisiespar la Commission en vue de leur codification :

1) Reconnaissance des Etats et des gouvernements;2) Succession d'Etats et de gouvernements;3) Immunités juridictionnelles des Etats et de leur propriété;4) Juridiction pénale en matière d'infraction commises en dehors

du territoire national;5) Régime de la haute mer;6) Régime des eaux territoriales ;7) Nationalité, y compris l'apatridie;8) Traitement des étrangers;9) Droit de refuge politique;

10) Traités;

(suite de la note page suivante.)

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230 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

138. A sa vingt et unième session, en 1969, laCommission a confirmé son intention de mettre à jourson programme de travail à long terme en examinant ànouveau les matières se prêtant à la codification dansl'ensemble du domaine du droit international, confor-mément à l'article 18 de son statut. Afin de faciliter cettetâche, la Commission a demandé au Secrétaire général delui soumettre un document de travail préparatoire373.

139. Déférant à cette demande, le Secrétariat a présenté,à la vingt-deuxième session de la Commission (1970), undocument de travail préparatoire relatif à l'examen duprogramme de travail de la Commission374. Confirmant ànouveau son intention de mettre à jour son programmede travail à long terme, la Commission a prié le Secrétairegénéral de présenter à sa vingt-troisième session unnouveau document de travail devant lui servir de basepour choisir une liste de sujets qu'elle pourrait inscrire àson programme de travail à long terme375.

140. A sa vingt-troisième session, en 1971, la Commis-sion était saisie d'un document de travail intitulé«Examen d'ensemble du droit international376» etpréparé par le Secrétaire général compte tenu de ladécision de la Commission mentionnée au paragrapheprécédent. L'Examen d'ensemble a été présenté à la Com-mission par M. Constantin A. Stavropoulos, conseillerjuridique de l'ONU, au nom du Secrétaire général.

141. La Commission a tenu un débat préliminaire surl'examen de son programme de travail à long terme, aucours duquel plusieurs membres de la Commission ontformulé des observations générales sur l'Examen d'en-semble et ont présenté des observations plus détaillées surcertains points ou sujets mentionnés dans ce document.Consciente de la nécessité de poursuivre l'étude d'unequestion qui pouvait influer sur la codification et ledéveloppement progressif du droit international dans lesannées à venir, et compte tenu du fait que les membres dela Commission étaient arrivés à la fin de leur mandat, laCommission a conclu que la tâche proprement dite del'examen du programme de travail à long terme devaitêtre laissée à la Commission telle qu'elle serait composéeaprès le renouvellement de ses membres. Cela étant, laCommission a décidé, entre autres, a) d'inscrire à l'ordredu jour provisoire de sa vingt-quatrième session une

(suite de la note 372.)

11) Relations et immunités diplomatiques;12) Relations et immunités consulaires13) Responsabilité des Eta t s ;14) Procédure arbitrale.373 Annuaire... 1969, vol. I I , p. 244, doc. A/7610/Rev.l , par. 91.374 Annuaire... 1970, vol. I I , p . 265, doc. A/CN.4/230.375 Ibid., p . 330, doc. A/8010/Rev. l , par. 87.376 L 'Examen d'ensemble se compose d 'une préface, d 'un intro-

duction et de dix-sept chapitres dont certains sont subdivisés ensections. Les titres des chapitres sont les suivants: I. Les Etats endroit international; I I . Droi t de la paix et de la sécurité internatio-nale; I II . Droi t du développement économique; IV. Responsabilitédes Eta t s ; V. Succession d 'Eta ts et de gouvernements; VI. Droi tdiplomatique et consulaire; VIL Droi t des traités; VIII. Actes uni-latéraux; IX. Droi t relatif aux voies d 'eau internationales; X. Droi tde la mer ; XI . Droit aérien; XII . Droi t de l 'espace extra-atmos-phérique; XIII . Droi t de l 'environnement; XIV. Droi t des organi-sations internationales ; XV. Droi t international relatif aux individus ;XVI. Droi t des conflits a rmés; XVII . Droi t criminel international.(Voir Annuaire... 1971, vol. II [2e partie], p . 1, doc. A/CN.4/245.)

question intitulée : « Examen du programme de travail àlong terme de la Commission: Examen d'ensemble dudroit international — document rédigé par le Secrétairegénéral (A/CN.4/245) », et b) d'inviter ses membres àprésenter sur l'examen du programme de travail à longterme de la Commission des observations écrites, quiseraient distribuées au début de sa vingt-quatrièmesession377.

142. A sa vingt-quatrième session (1972), la Commis-sion était saisie des observations soumises par certainsmembres sur son programme de travail à long terme.Toutefois, étant donné les grandes difficultés qu'avaitprésentées l'élaboration de deux projets d'articles enl'espace d'une session de dix semaines, la Commission n'apas abordé ce point de l'ordre du jour à ladite session.

143. Par ses résolutions 2272 (XXII), du 1er décembre1967, 2400 (XXIII), du 11 décembre 1968, 2501 (XXIV),du 12 novembre 1969, 2634 (XXV), du 12 novembre1970, 2780 (XXVI) — section I—,du 3 décembre 1971, et2926 (XXVII) — section I —, du 28 novembre 1972,l'Assemblée générale a approuvé les décisions de laCommission concernant l'examen de son programme detravail à long terme.

2. PRIORITÉ À DONNER À LA QUESTION DU DROIT RELATIFAUX UTILISATIONS DES VOIES D'EAU INTERNATIONALES ÀDES FINS AUTRES QUE LA NAVIGATION

144. Aux termes du paragraphe 1 de sa résolution 2669(XXV), du 8 décembre 1970, l'Assemblée générale arecommandé que la CDI entreprenne, en un premiertemps, l'étude du droit relatif aux utilisations des voiesd'eau internationales à des fins autres que la navigation,en vue du développement progressif et de la codificationde ce droit et, compte tenu du programme de travailqu'elle aurait arrêté, examine la possibilité, sur le planpratique, de prendre les mesures nécessaires aussitôtqu'elle le jugerait approprié.

145. Vu la recommandation de l'Assemblée généralecitée au paragraphe précédent, la Commission a décidé, àsa vingt-troisième session, en 1971, d'inscrire unequestion intitulée « Utilisations des voies d'eau interna-tionales à des fins autres que la navigation » dans sonprogramme général de travail, sans préjuger du degré depriorité à donner ultérieurement à l'étude de cettequestion. Il appartiendrait à la Commission, après lerenouvellement de ses membres, de fixer le degré depriorité qui devrait être attribué à ce sujet et dedéterminer les autres mesures concrètes à prendre,compte tenu du programme courant de travail de laCommission et de son programme révisé à long terme378.

146. La Commission a été d'avis que, pour entreprendrel'étude au fond des règles de droit international relativesaux utilisations des voies d'eau internationales à des finsautres que la navigation, en vue du développementprogressif et de la codification de ce droit sur le planmondial, il faudrait procéder de manière appropriée à

377 Ibid., vol . II ( l r e part ie) , p . 371, doc . A/8410/Rev . l , par . 127et 128.

378 Ibid., p . 370, par . 120.

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Rapport de la Commission à l'Assemblée générale 231

l'analyse et à la collecte de toute la documentationpertinente sur la pratique des Etats. La Commission aconstaté qu'une documentation considérable et substan-tielle en la matière avait déjà été publiée dans le rapportdu Secrétaire général sur les « Problèmes juridiques poséspar l'exploitation et l'utilisation des fleuves internatio-naux379», établi conformément à la résolution 1401(XIV) de l'Assemblée générale, en date du 21 novembre1959, ainsi que dans la Série législative des NationsUnies380. D'autre part, au paragraphe 2 de sa résolution2669 (XXV), l'Assemblée générale prie le Secrétairegénéral de poursuivre l'étude entreprise aux termes de larésolution 1401 (XIV) de l'Assemblée générale, en vue depréparer un « rapport supplémentaire » sur les problèmesjuridiques que pose cette question « en tenant compte del'application récente du droit relatif aux voies d'eauinternationales, tant dans la pratique des Etats que dansla jurisprudence internationale, ainsi que des études de laquestion effectuées par des organismes intergouvernemen-taux et non gouvernementaux381 ».

147. Aux termes du paragraphe 5 de la section I de sarésolution 2780 (XXVI), du 3 décembre 1971, l'Assem-blée générale recommande à la CDI « de décider, à lalumière du programme de travail prévu, de la priorité àdonner à la question du droit relatif aux utilisations desvoies d'eau internationales à des fins autres que lanavigation ».

148. A sa vingt-quatrième session, en 1972, la Commis-sion a indiqué son intention d'examiner l'ensemble de larecommandation précitée de l'Assemblée générale lors-qu'elle passerait en revue son programme de travail àlong terme. A ladite session, la Commission est arrivée àla conclusion que le problème de la pollution des voiesd'eau internationales était à la fois très urgent et trèscomplexe. En conséquence, elle a prié le Secrétariat decontinuer à réunir la documentation se rapportant à cesujet, particulièrement en ce qui concerne les problèmesde la pollution des voies d'eau internationales382.

149. Aux termes du paragraphe 5 de la section I de sarésolution 2926 (XXVII), du 28 novembre 1972,l'Assemblée générale a noté que la Commission avaitl'intention, en examinant son programme de travail àlong terme, de décider de la priorité à donner à ce sujet.Dans la même résolution (paragraphe 6), l'Assembléegénérale prie le Secrétaire général de soumettre dès quepossible l'étude sur les problèmes juridiques que posentles utilisations des voies d'eau internationales à des finsautres que la navigation qu'elle lui avait demandée par sarésolution 2669 (XXV), et de présenter à la CDI lors desa vingt-cinquième session un rapport sur l'état d'avance-ment de cette étude.

150. Conformément à la décision précitée de l'Assem-blée générale, le Secrétaire général a soumis à la

Commission, à sa présente session, un rapport(A/CN.4/270383) sur l'état d'avancement des travauxrelatifs à la préparation du rapport supplémentairedemandé par l'Assemblée.

B. — Travaux accomplis par la Commissionau cours de ses vingt-cinq premières sessions

151. A l'occasion de sa dixième session, en 1958, la CDIa inclus dans son rapport à l'Assemblée générale sur lestravaux de cette session un bref aperçu des travauxaccomplis au cours de ses dix premières sessions384. Cetterétrospective devait avoir une influence sur la planifica-tion des travaux de la Commission et sur leur accélérationéventuelle, question qui faisait alors l'objet de discus-sions. La question des méthodes de travail de laCommission mérite, certes, de retenir l'attention de façoncontinue; néanmoins, étant donné qu'après un quart desiècle on dispose, dans le domaine du droit international,d'une œuvre de codification beaucoup plus volumineusequ'à la fin de la première décennie, il y a lieu deconsidérer le passé et l'avenir en se plaçant dans uneperspective plus large. On peut le faire ici de manièresuccincte et générale, étant donné qu'au cours desdernières années trois documents au moins, donnant untableau assez complet des travaux de la Commission etdes résultats que celle-ci a obtenus, ont été portés à laconnaissance de l'Assemblée générale. Deux de cesdocuments ont déjà été mentionnés. Il s'agit, d'une part,des documents de travail établis par le Secrétariat sur leprogramme et les méthodes de travail de la Commis-sion385 et, de l'autre, de P« Examen d'ensemble du droitinternational » établi par le Secrétaire général386. Letroisième document est une édition révisée de la brochureintitulée La Commission du droit international et sonœuvre, publiée par le Service de l'information del'ONU387.

152. Quand la CDI a tenu sa première session, en 1949,elle était saisie du premier Examen d'ensemble du droitinternational™*, que le Secrétaire général lui avait soumispour la guider dans la tâche initiale qui lui incombait envertu de l'article 18 de son statut. En effet, conformémentà cet article, le Secrétariat examinait, dans sonmémorandum, « l'ensemble du droit international » poury rechercher « les sujets appropriés de codification ». Cedocument passait en revue l'ensemble du droit internatio-nal, tel qu'il existait alors, de manière si systématiquequ'aucun sujet de travail possible ne pouvait être oublié.En outre, l'Examen d'ensemble était inspiré par unoptimisme confiant qui reflétait, en matière de codifica-tion, les idéaux d'une époque antérieure, plutôt que lesdifficultés pratiques rencontrées par la SDN. On trouvaitainsi, dans l'Examen d'ensemble, l'affirmation suivante:

379 A/5409 (à para î t re d a n s VAnnuaire... 1974, vol. I I [2e part ie] . )380 N a t i o n s Unies , Textes législatifs et dispositions de traités concer-

nant l'utilisation des fleuves internationaux à des fins autres que lanavigation (publ icat ion des N a t i o n s Unies , n u m é r o de ven te :63.V.4).

381 Annuaire... 1971, vol. I I ( l r e par t ie) , p . 370, pa r . 121.382 Annuaire... 1972, vol. I I , p . 335, doc . A /8710 /Rev . l , par . 77.

383 y o j r ci-dessus p . 93.384 Annuaire... 1958, vol. I I , p . 113 et 114, doc . A/3859, par .

68 et 69.385 y o j r ci-dessus par . 137.386 Ibid., par . 140.387 Publicat ion des Na t ions Unies , n u m é r o de ven te : F.72.I .17.388 Examen d'ensemble du droit international en vue des travaux de

codification de la Commission du droit international (publicat ion desNat ions Unies , numéro de ven te : 1948.V.l [I]).

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232 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

Dès lors que l'on discerne bien [...] que la codification, endéfinitive, de la totalité du droit international doit à juste titre êtreconsidérée comme le but final de la Commission du droitinternational, la question du choix des sujets ne constitue plus unproblème insoluble ou embarrassant. Si on ne perd pas cela de vue,cette question n'est plus soumise au hasard et peut-être àl'arbitraire, mais consiste dès lors à assigner aux travaux de laCommission, à un moment donné, une place déterminée dans unplan d'ensemble389.

153. On peut faire observer à cet égard que, d'unecertaine manière, la Commission a hérité à sa naissancecertaines idées et certaines expériences en matière decodification du droit international qui remontent enpartie au XIXe siècle et même au-delà. Depuis laRévolution française jusqu'à la période précédant lapremière guerre mondiale, des philosophes et des juristesappartenant à différentes parties de l'ancien et dunouveau monde ont essayé de traduire la totalité du droitdes nations dans des codes de plus en plus complexes,depuis le projet très concis que l'abbé Grégoire a soumisà la Convention française et qui mérite encore d'être lu,jusqu'à des projets très détaillés comprenant des milliersd'articles.

154. En revanche, conformément à son statut, laCommission devait adopter une attitude plus pragma-tique et choisir des sujets précis, opération dont l'examend'ensemble du droit international était la préparation. Ence qui concerne l'établissement d'un plan général decodification, le rapport de la CDI sur les travaux de sapremière session contenait le passage suivant :

La Commission a examiné s'il convenait d'élaborer un plangénéral de codification portant sur l'ensemble du droit international.Ceux de ses membres qui étaient en faveur de cette méthodeenvisageaient que l'on préparât, dès le début, le plan d'un codecomplet de droit international public, dans le cadre duquelpourraient s'insérer les différents sujets au fur et à mesure de leurcodification. La Commission a reconnu que la codification del'ensemble du droit international était le but à atteindre finalement,mais qu'il convenait cependant, pour le moment, de commencer lestravaux de codification de quelques matières seulement plutôt quede discuter d'un plan systématique général qui pourrait être élaboréultérieurement390.

Cette déclaration initiale marque l'abandon des objectifsultimes pour ce qui devait être appelé plus tard « lesbesoins courants de la communauté internationale ».

155. C'est dans cet esprit que la Commission a examiné,à sa première session, vingt-cinq sujets qui représentaientla plupart des questions concrètes sur lesquelles ledéveloppement du droit international avait essentielle-ment porté jusqu'alors. La Commission a laissé de côtécertaines questions d'ordre générique comme les « sujetsdu droit international » et les « sources du droitinternational ». Elle a également renoncé à examiner laquestion des « lois de la guerre », qui ne devait luirevenir, du moins sous certains de ses aspects, que lorsquel'Assemblée générale lui eut confié (par sa résolution 177[II], du 21 novembre 1947) le soin de formuler lesprincipes de Nuremberg et d'examiner certaines questions

388 Ibid., par. 19.390 Documents officiels de l'Assemblée générale, quatrième session,

Supplément n° 10 (A/925), p. 3, par. 14.

connexes. Depuis, la Commission s'est toujours mainte-nue dans les limites du droit international de la paix et aélaboré des projets qui ne sont applicables que dans desconditions strictement pacifiques.

156. Si l'on considère, avec le recul du temps, la périodeécoulée entre la première et la vingt-cinquième session, cequi frappe, ce n'est pas tant que la Commission aitrenoncé à codifier la totalité du droit international, maisqu'elle soit arrivée si près de ce but ultime qu'elle s'étaitfixé dans son programme initial à long terme. La plupartdes quatorze sujets choisis à ce moment-là se sontmatérialisés (ou se matérialiseront en temps voulu) sousforme de projets définitifs, sans parler de tous les grandschapitres qui ont été hérités du droit internationaltraditionnel. Le droit des traités, le droit de la mer, lasuccession d'Etats, la nationalité, la responsabilité desEtats, les relations diplomatiques et consulaires, ont étéétudiés ou sont en cours d'étude. Le seul sujet figurantsur la liste de 1949 qui ait toujours été considéré commeun sujet important et dont la Commission ait seulementamorcé l'étude est peut-être le « traitement des étran-gers ». Ce sujet a été étudié à partir des premiers rapportsrelatifs à la responsabilité des Etats, mais la Commissiona décidé plus tard de ne pas poursuivre, dans ce contexte,l'élaboration de règles de fond dont l'infraction entraî-nerait la responsabilité de l'Etat.

157. Néanmoins, le fait qu'une partie considérable duprogramme initial ait pu être réalisée ou soit en cours deréalisation est quelque peu éclipsé par les événementsimportants qui se sont produits après que la Commissioneut commencé ses travaux et qui ont suscité une activitécroissante en matière d'élaboration du droit.

158. Une évolution très importante, dont l'effet sur lestravaux de la Commission ne s'est fait pleinement sentirqu'au cours des années suivantes, a été le processus dedécolonisation. Ce processus a multiplié, peu à peu, lenombre des Etats souverains, donnant ainsi à une partiede plus en plus grande de l'humanité la possibilitéd'apporter sa propre contribution à la codification et audéveloppement progressif du droit international. En cequi concerne la Commission, ce processus s'est faitparticulièrement sentir dans le domaine de la successiond'Etats, où le droit a dû être adapté aux besoins précisdes nouveaux Etats.

159. La décolonisation a eu aussi des conséquences trèsimportantes pour les activités en matière d'élaboration dudroit entreprises en dehors de la Commission. Lenouveau chapitre du droit international relatif audéveloppement économique et à l'assistance économiqueet technique tire tout son sens de ces inégalitéséconomiques et sociales qui ne se sont manifestéespleinement qu'au cours du processus de décolonisation.Le nouveau droit du développement économique faitappel à un concept très ancien, inhérent à toutelégislation — le concept de la justice, qui exigel'application d'un traitement égal à ceux qui sont égauxet, le cas échéant, d'un traitement inégal à ceux qui sontinégaux, afin que la justice triomphe en fin de compte.Comme le Secrétaire général de l'ONU l'a dit dans unenote récente en définissant l'« équité » comme étant leprincipal objectif de la sécurité économique collective,

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Rapport de la Commission à l'Assemblée générale 233

« l'égalité de traitement n'est équitable que si onl'envisage entre égaux391 ». Dans le domaine d'activité dela Commission, l'étude de la clause de la nation la plusfavorisée, récemment entreprise par la Commission, estpeut-être celle qui est le plus directement liée à ces idées— bien que d'un point de vue technique cette questionreprésente un domaine spécialisé du droit des traités.160. Un processus d'élaboration du droit qui est restédepuis le début en dehors, du ressort de la Commissions'est manifesté dans le domaine des droits de l'homme.Ce n'était pas tout à fait inattendu, car ce nouveau droitinternational était déjà en germe dans la Charte desNations Unies, et la Commission des droits de l'homme aété créée bien avant la CDI. Le jour même de sa création,la CDI a été invitée par l'Assemblée générale, comme onl'a déjà indiqué392, à formuler les principes du droitinternational reconnus dans le statut du Tribunal deNuremberg et dans le jugement de ce tribunal. Dans lemême domaine, la Commission a été également priée parl'Assemblée d'étudier la question d'une juridictioncriminelle internationale et de préparer un projet de codedes crimes contre la paix et la sécurité de l'humanité.Comme la plupart des autres études et projets dont laCommission a été chargée au début par l'Assembléegénérale — tels que le projet de déclaration sur les droitset devoirs des Etats et l'étude sur la question de ladéfinition de l'agression —, le projet de code, achevé en1951 et modifié à des sessions ultérieures393, a été plus oumoins relégué à l'arrière-plan des réalisations de laCommission. Mais, relu à la lumière de l'évolutionultérieure des relations internationales, il pourrait servirde cadre à un réexamen de la question des infractions decaractère international commises par des particuliers.

161. Un autre phénomène qui a pris une ampleurinconnue du droit international d'avant-guerre et quiconstitue une contribution importante à l'élaboration detextes internationaux de caractère juridique est l'institu-tionnalisation de la communauté internationale par unnombre croissant d'organisations internationales possé-dant chacune leur propre système et leurs propresméthodes juridiques. La Commission a été appelée àétudier ce phénomène en tant qu'aspect du droit destraités, conformément à une résolution de la Conférencedes Nations Unies sur le droit des traités quirecommandait l'étude des accords conclus par lesorganisations internationales394. Le travail actuellemententrepris dans ce domaine permettra d'examiner, outreles rapports très discutés entre le droit international et lessystèmes juridiques nationaux, l'interaction des systèmesjuridiques internationaux tels qu'ils sont représentés, d'unepart, par le droit international général et, de l'autre, parles systèmes des organisations. Les progrès rapides de

3 9 1 E / 5 2 6 3 , sect. 3, deuxième paragraphe.392 Voir ci-dessus par . 155.393 Documents officiels de l'Assemblée générale, sixième session,

Supplément n° 9 (A/1858), p . 14, par . 59. Voir aussi résolution 1186(XII) de l 'Assemblée générale, en date du 11 décembre 1957.

394 Documents officiels de la Conférence des Nations Unies sur ledroit des traités, Documents de la Conférence (publication des Nat ionsUnies, numéro de vente: F.70.V.5), p . 307, doc. A/CONF.39/26 ,annexe, résolution relative à l 'article 1 e r de la Convention de Viennesur le droit des traités.

l'institutionnalisation de la communauté internationaleavaient déjà amené la Commission à revoir les rapportsjuridiques entre Etats et organisations internationales, telsqu'ils étaient définis, à l'époque où la Commission a étécréée, dans les conventions sur les privilèges et immunitéset dans les accords de siège conclus dans le cadre dusystème des Nations Unies.162. La révolution technologique est le dernier événe-ment extérieur dont les conséquences juridiques interna-tionales n'étaient pas prévues dans le programme detravail à long terme de la Commission. Certaines activitésd'élaboration du droit résultant d'innovations technolo-giques — notamment en ce qui concerne le droit de lamer, l'espace extra-atmosphérique et l'environnement —ont eu lieu en dehors de la Commission, avec toutefoisune exception importante: le fait que l'exploitation duplateau continental soit devenue possible dans la pratiquea incité la Commission à ajouter un projet sur cettequestion aux autres projets qu'elle avait préparés dans ledomaine du droit de la mer. Il semble que d'anciennesnotions de droit, telles qu'elles sont actuellementformulées dans les domaines susmentionnés, devrontultérieurement être examinées dans une nouvelle perspec-tive, soit dans le contexte des travaux en cours de laCommission, soit séparément.

163. Par rapport aux vastes ambitions qui paraissaientréalisables à la fin des années 40, c'est dans des conditionsdifférentes que s'ouvre une nouvelle ère de l'existence dela Commission. Les tendances nouvelles du développe-ment du droit international qui n'ont pas tardé à sedessiner ont, depuis lors, donné naissance à une multituded'instruments juridiques. Rien ne donne à penser que ceprocessus se ralentira au cours des années à venir ou quela spécialisation qui caractérise actuellement l'élaborationdu droit marquera un recul. La formulation des buts etprincipes du développement économique est un domained'étude permanent; l'interdépendance des éléments quicomposent la communauté internationale se traduit par lacroissance continue des institutions internationales,chacune apportant par sa propre pratique une contribu-tion au droit international. La position de l'individu dansle système juridique international demeure une sourceinépuisable d'étude juridique. Les devoirs et les responsa-bilités de la personne d'après le droit international sontun aspect qui prendra de plus en plus d'importance au furet à mesure que l'on sera amené à tenir compte, sur leplan international, du fait que dans certaines parties dumonde les personnes de droit privé — personnesphysiques aussi bien que personnes morales — sontcapables de détenir une puissance physique et écono-mique de plus en plus considérable. Le développementrapide de la science et de la technique dans des domainescomme l'énergie nucléaire, la conquête de l'espace extra-atmosphérique et l'exploitation des fonds marins rend lesprédictions très difficiles. On peut cependant dire avec uncertain degré de certitude que, à la suite d'événements telsque la Conférence des Nations Unies sur l'environnement(Stockholm, 1972) et les futures conférences sur le droitde la mer, il faut s'attendre à l'apparition de nouvellesrègles et au développement des règles anciennes dans desdomaines tels que la responsabilité, la coopération et lapréservation.

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234 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

164. La Charte des Nations Unies a été un facteur destabilisation et de consolidation. Ses formulations étaientsuffisamment générales pour pouvoir être adaptées par lapratique et par les tribunaux à des besoins qui nepouvaient être prévus de façon précise au moment de leurrédaction. En fait, des organes spéciaux ont été créés pourdonner une interprétation qui fasse autorité de certainesparties de la Charte, tels que le Comité spécial pour laquestion de la définition de l'agression, qui a déchargé laCDI de l'une de ses tâches initiales. Il faut soulignerl'importance du comité spécial qui a rédigé la Déclarationrelative aux principes du droit international touchant lesrelations amicales et la coopération entre les Etats,adoptée par l'Assemblée générale (résolution 2625[XXV], du 24 octobre 1970), et qui est essentiellementune interprétation extensive des principes énoncés auChapitre Ier de la Charte. Au cours de ses débats, laCommission s'est souvent référée à cette déclaration, quia été adoptée solennellement et à l'unanimité. Plusl'organisation mondiale réalisera sa vocation à l'universa-lité et plus la Charte, enrichie par la pratique de sonapplication, constituera le cadre dans lequel devras'inscrire, compte tenu de l'Article 103, toute opérationde création du droit international.

165. Parmi les différents organismes qui travaillent ouont travaillé dans le cadre du système des Nations Uniesà la définition des principes du droit international, la CDIprésente des particularités distinctives. En tant qu'organepermanent, la Commission a acquis depuis sa créationune riche expérience. Pour toute nouvelle tâche qu'elleentreprend, la Commission dispose, grâce à la Division dela codification du Service juridique du Secrétariat del'ONU, d'une documentation scientifique complète. Ellebénéficie, au cours des phases successives de l'élaborationd'un projet, des échanges de vues que permettent l'envoid'observations par les gouvernements et les débatsannuels de la Sixième Commission de l'Assembléegénérale. Elle entretient des relations de consultation etde coopération avec les organisations apparentées auxNations Unies et avec les organismes régionaux qui seconsacrent à des travaux juridiques analogues aux siens.

166. L'un des avantages du mécanisme qu'offre laCommission est l'interaction continue, tout au long del'élaboration d'un projet de codification, entre l'expertisescientifique et la responsabilité gouvernementale, entre lapensée indépendante et les réalités de la vie internatio-nale. Cet élément, si souvent absent des premièrestentatives de codification, s'est révélé être l'une desconditions les plus importantes du succès de la conférencede codification à laquelle tout projet est finalementsoumis et de l'entrée en vigueur de la future convention.Un inconvénient manifeste est que cette méthode solide etsûre est aussi une méthode lente. En effet, l'établissementde rapports par des rapporteurs spéciaux, le délai impartiaux gouvernements pour présenter des observations,l'examen de ces observations au cours de la deuxièmelecture d'un projet et le fait que l'Assemblée générale, pasplus que la Commission elle-même, n'est un organe quisiège en permanence, tout cela implique un processus quis'étend souvent sur des années. Quelles que soient lesaméliorations susceptibles d'être apportées aux méthodesde travail de la Commission, il est évident qu'il y a là un

élément intrinsèque de périodicité qui impose certaineslimites à la capacité de la Commission de répondre sansdélai à des demandes urgentes.167. Abstraction faite de ces limitations intrinsèques, lestravaux futurs de la Commission ne font pas l'objet derestrictions statutaires, sous réserve bien entendu dupouvoir de décision qui appartient à l'Assembléegénérale. Déjà dans le premier Examen d'ensemble, il étaitdit: « La tâche de la Commission, lorsqu'elle se prononcesur son plan de travail, est simplifiée par la souplessevoulue de son statut395». Il est apparu dans la pratiqueque la distinction qu'opère le statut entre le développe-ment progressif et la codification du droit internationaln'exigeait pas l'emploi de méthodologies différentes.C'est plutôt entre les différents modes de développementprogressif qu'une distinction s'est établie. Il y a desdomaines entièrement nouveaux, insoupçonnés du droitinternational de l'avant-guerre, dont plusieurs exemplesont été donnés dans les paragraphes précédents. A côtédes sujets «relativement auxquels le droit n'est pasencore suffisamment développé dans la pratique desEtats396 » (pour reprendre les termes du statut), il y a lesdomaines où une pratique des Etats existe mais est encoreinsuffisamment connue, comme l'a clairement révélél'étude du droit de la succession. Enfin, il convient derappeler que, de temps à autre, la Commission a proposédes innovations, indépendamment du caractère plus oumoins progressif du contexte dans lequel ces innovationsapparaissaient.168. Pour ce qui est de la nature des tâches futures de laCommission, il est envisagé de mener jusqu'au bout lesprojets structuraux qui sont déjà inscrits à sonprogramme, c'est-à-dire la responsabilité des Etats et lasuccession d'Etats. Plus le champ d'application de cesprojets est large et plus les recouvrements et les rapportsd'interdépendance seront marqués, comme on l'a déjà vuà la limite entre le droit des traités et le droit de lasuccession, et entre le droit de la succession et le droit dela responsabilité. Il est parfois nécessaire, lorsqu'un sujetdevient trop vaste, d'en détacher une branche autonome,de sorte qu'un sujet de codification peut donner naissanceà de nouveaux sujets, le rapport original subsistantcependant pour maintenir la cohérence structurelle dudroit international. Il ne suffit pas de considérer l'unitésystématique du droit international comme une questionessentiellement théorique; tel n'était pas là en réalitél'objet du premier Examen d'ensemble. L'unité etl'interdépendance du droit international dans son en-semble peuvent parfaitement être considérées comme unecontribution pratique à la stabilité et à la crédibilité de cedroit. La Commission est bien placée pour veiller à cetaspect particulier de la codification.

169. Pour ce qui est des instruments de codification, ilest vraisemblable que, dans les années à venir, laconvention de codification continuera d'être considéréecomme le moyen le plus efficace de poursuivre l'œuvre decodification. Sa précision, son caractère obligatoire, le faitqu'elle est soumise aux négociations de la diplomatiecollective à une conférence internationale et qu'elle est

395 Examen d'ensemble du droit international... (op. cit.), par. 20."•Article 15.

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Rapport de la Commission à l'Assemblée générale 235

publiée et largement diffusée, sont autant d'avantagesauxquels on ne renoncera pas à la légère. Néanmoins,dans l'intérêt de l'efficacité du processus de codification,la Commission jugerait souhaitable que les conventionsadoptées aux conférences de codification reçoivent dèsque possible l'approbation formelle (par voie deratification ou d'adhésion) des Etats.

C. — Examen de la question à la présente sessionde la Commission

170. A sa présente session, la Commission a examiné laquestion de l'examen du programme de travail à longterme de la Commission de sa 1233e à sa 1237e séance.

171. On a relevé que, en application de décisionsantérieures de la CDI entérinées par l'Assembléegénérale, la Commission aurait amplement à faire,pendant un certain nombre d'années, pour acheverl'examen des cinq sujets dont elle s'occupe actuelle-ment397, à savoir:

1) Succession d'Etats en matière de traités;2) Responsabilité des Etats;3) Succession d'Etats dans les matières autres que les

traités ;4) Clause de la nation la plus favorisée;5) Question des traités conclus entre Etats et organisa-

tions internationales ou entre deux ou plusieursorganisations internationales.

172. On a aussi noté que, outre les sujets énumérés auparagraphe qui précède, d'autres sujets restent inscrits auprogramme de travail à long terme de la Commission, telqu'il est constitué par la liste initialement adoptée enI949398 e t ies s u j e t s ultérieurement ajoutés à cette listecomme suite à des recommandations de l'Assembléegénérale.

173. Au cours de l'examen du programme de travail àlong terme, outre la question du droit relatif auxutilisations des voies d'eau internationales à des finsautres que la navigation399, on a mentionné à plusieursreprises, notamment, les sujets suivants: immunitésjuridictionnelles des Etats étrangers et de leurs organes,leurs agents et leurs biens; actes unilatéraux; traitementdes étrangers; obligation de réparer pour d'éventuelles

397 Les chapitres I I à V du présent r appor t rendent compte destravaux accomplis pa r la Commission à sa vingt-cinquième sessionsur les qua t re derniers de ces sujets.

398 Voir ci-dessus note 372.*•* Voir ci-dessous par . 175.

conséquences préjudiciables découlant de l'accomplisse-ment de certaines activités licites. Il a aussi étéfréquemment question du droit de l'environnement et dudroit du développement économique. Parmi les autressujets dont un ou plusieurs membres ont estimé que laCommission pourrait envisager l'étude, on peut citer:extradition; droit des organisations internationales;succession de gouvernements; règlement pacifique desdifférends; reconnaissance des Etats et des gouverne-ments; droit d'asile.

174. La Commission a décidé qu'elle examinerait plusavant les propositions ou suggestions qui précèdent aucours de ses sessions ultérieures.

175. Conformément à la résolution 2780 (XXVI) del'Assemblée générale, du 3 décembre 1971, la Commis-sion a accordé une attention spéciale à la question de lapriorité à donner à l'examen du droit relatif auxutilisations des voies d'eau internationales à des finsautres que la navigation. Au cours des discussions qui onteu lieu à ce sujet, la plupart des membres ont exprimél'avis qu'il était souhaitable d'entreprendre cet examensans tarder. Un certain nombre de membres ont soulignéqu'il fallait se pencher d'urgence sur les aspects juridiquesdu problème de la pollution des voies d'eau internatio-nales et ont proposé de commencer par l'étude de ceproblème. La Commission a aussi tenu compte du faitque le Secrétariat doit présenter aux membres dans unproche avenir un rapport supplémentaire sur les voiesd'eau internationales400. En conséquence, elle a estiméqu'il fallait attendre, pour prendre une décision formellesur la date à laquelle commenceront les travaux relatifs àce sujet, que les membres aient eu la possibilitéd'examiner ce rapport.

176. A l'occasion du débat relatif au programme detravail futur de la Commission, plusieurs membres ontsouligné qu'il était nécessaire d'améliorer les conditionsde travail actuelles pour pouvoir faire face aux exigencesd'un tel programme. La Commission a aussi réitéré larecommandation qu'elle avait formulée à sa vingtièmesession, en 1968401, concernant la nécessité pressanted'augmenter les effectifs de la Division de la codificationdu Service juridique pour que celle-ci soit en mesure deprêter à la Commission et à ses rapporteurs spéciaux toutle concours qu'exigent des travaux de plus en plus lourds,surtout dans le cas des projets de recherche et des études.

400 Voir ci-dessus par. 149 et 150.401 Voi r Annuaire... 1968, vol . H, p .

par. 98, al. c.232, doc. A/7209/Rev.l,

Chapitre VII

AUTRES DÉCISIONS ET CONCLUSIONS DE LA COMMISSION

A. — Succession d'Etats en matière de traités

177. L'ancien Rapporteur spécial sur cette question, sirHumphrey Waldock, ayant démissionné de ses fonctionsde membre de la Commission lors de son élection à la CIJpendant la vingt-septième session de l'Assemblée géné-rale, la Commission a décidé de nommer sir Francis

Vallat comme nouveau rapporteur spécial sur la questionde la succession d'Etats en matière de traités.

B. — Organisation des travaux futurs

178. La Commission a l'intention de concentrer lestravaux de sa vingt-sixième session sur deux des sujets

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236 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

inscrits à son programme de travail actuel : la successiond'Etats en matière de traités et la responsabilité des Etats.Cela ne l'empêchera pas, si elle en a le temps, de sepencher aussi sur les autres sujets figurant à ceprogramme, à savoir: la succession d'Etats dans lesmatières autres que les traités, la clause de la nation laplus favorisée, et la question des traités conclus entreEtats et organisations internationales ou entre deux ouplusieurs organisations internationales. Conformément àsa pratique pour ce qui est des projets provisoires, laCommission se propose de terminer à la prochainesession l'examen en deuxième lecture de l'ensemble duprojet d'articles sur la succession d'Etats en matière detraités. Elle a aussi l'intention de progresser notablementdans l'étude de la responsabilité des Etats, pour établir unpremier projet d'articles sur cette question, comme le luia demandé à plusieurs reprises l'Assemblée générale.Pour mener à bien le programme ainsi prévu, et eu égardà la complexité des sujets à étudier, au grand nombred'articles à rédiger et à la nécessité d'avancer rapidementl'étude de la responsabilité des Etats, les membres de laCommission ont jugé indispensable de demander à teniren 1974 une session de quatorze semaines.

C. — Coopération avec d'autres organismes

1. COMITÉ JURIDIQUE CONSULTATIF AFRICANO-ASIATIQUE

179. M. Abdul Hakim Tabibi a présenté un rapport surla quatorzième session du Comité juridique consultatifafricano-asiatique (A/CN.4/272402), qui s'est tenue à NewDelhi (Inde) du 10 au 18 janvier 1973 et à laquelle il aassisté en qualité d'observateur de la CDI.

180. Le Comité juridique consultatif africano-asiatiqueétait représenté à la Commission par son secrétairegénéral, M. B. Sen, qui a pris la parole devant laCommission à la 1235e séance.

181. M. Sen a relevé les liens étroits qui unissent la CDIet le Comité qu'il représente. Il a exprimé à laCommission l'admiration que la communauté africano-asiatique éprouve pour ses travaux, et l'espoir que lesrecommandations de la Commission seraient encore pluslargement suivies à l'avenir.

182. Il a également fait remarquer qu'à sa quatorzièmesession le Comité avait eu la satisfaction d'accueillir 40délégations d'observateurs d'Etats d'Amérique et d'Eu-rope. Il a souligné que le Comité avait, au cours des troisdernières années, accordé son aide à des Etats africains etasiatiques non membres dont beaucoup participaient àses sessions et autres réunions par l'intermédiaired'observateurs et recevaient régulièrement les documentsdu Comité. Bien que la langue de travail du Comité fûtsurtout l'anglais, les documents d'une certaine impor-tance étaient désormais traduits en français et uneinterprétation simultanée était assurée, pour l'anglais et lefrançais, à toutes les réunions. Le secrétariat du Comitéavait pris des dispositions pour faire publier une brochureconsacrée aux constitutions des Etats africains etexposant brièvement l'évolution constitutionnelle de cespays. Le Comité espérait ainsi susciter un intérêt plus vif

Yoir ci-dessus p. 157.

pour les affaires africaines et appeler l'attention sur leprocessus du développement constitutionnel dans lecontinent africain.

183. A propos de la question du droit de la mer, àlaquelle le Comité avait consacré une bonne partie de sonattention à sa quatorzième session, M. Sen a indiquéqu'une documentation volumineuse avait été établie, quede nombreuses données avaient été rassemblées et que lespropositions dont était saisi le Comité des utilisationspacifiques du fond des mers et des océans au-delà deslimites de la juridiction nationale avaient été analyséesafin d'aider les gouvernements des Etats africains etasiatiques à préparer la conférence de 1974 sur le droit dela mer. Un intérêt particulier s'attachait, à cet égard, auxtravaux du groupe spécial d'étude qui, au sein du Comité,est chargé des Etats sans littoral et qui avait présenté desavant-projets de propositions sur certaines questionstouchant ces Etats.

184. Outre la question du droit de la mer, M. Sen ainformé la Commission que le Comité avait eu un utileéchange de vues sur l'organisation des services juridiquesconsultatifs des ministères des affaires étrangères, sujetqui présentait un très grand intérêt pour les pays en voiede développement de la région. Le Comité a décidéd'organiser, le moment venu, une réunion de conseillersjuridiques auprès des ministères des affaires étrangèrespour des échanges de vues et d'informations.

185. M. Sen a fait état de la contribution apportée parles sous-comités du Comité. Un sous-comité s'étaitoccupé de la question des utilisations des voies d'eauinternationales à des fins agricoles et un autre de laquestion de la prescription en matière de venteinternationale.

186. Parmi les autres questions inscrites à l'ordre dujour de la quatorzième session du Comité qui étaient liéesaux travaux de la Commission figuraient la successiond'Etats, la responsabilité des Etats, et la question de laprotection et de l'inviolabilité des agents diplomatiques etautres personnes ayant droit à une protection spéciale envertu du droit international. L'ordre du jour du Comitécomprenait en outre la question de la pollution des voiesd'eau internationales.

187. Pour terminer, M. Sen a dit qu'il avait suivi avecbeaucoup d'intérêt le débat de la Commission sur sonprogramme de travail à long terme, et il s'est déclarécertain que, quelle que soit la décision de la CDI à cetégard, ses travaux commanderaient toujours le mêmerespect que les projets d'articles qu'elle avait produits surdivers sujets.

188. La Commission a été informée que la quinzièmesession du Comité, auprès duquel elle est invitée à titrepermanent à envoyer un observateur, se tiendrait à Tokyo(Japon) en janvier 1974. La Commission a prié sonprésident, M. Jorge Castaneda, d'assister à la session duComité ou, s'il était empêché, de désigner un autremembre de la Commission pour le remplacer.

2. COMITÉ EUROPÉEN DE COOPÉRATION JURIDIQUE

189. M. Richard D. Kearney a assisté en qualitéd'observateur de la Commission à la dix-septième session

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Rapport de la Commission à l'Assemblée générale 237

du Comité européen de coopération juridique, qui s'esttenue à Strasbourg (France) en novembre 1972, et y a faitune déclaration.

190. Le Comité européen de coopération juridique étaitreprésenté à la vingt-cinquième session de la Commissionpar M. H. Golsong, directeur des affaires juridiques auConseil de l'Europe, qui a pris la parole à la 1236e séance.

191. M. Golsong a souligné l'intérêt que présentent,pour le développement synchronisé du droit internatio-nal, les relations entre la Commission, d'une part, et, del'autre, le Comité européen de coopération juridique, leComité juridique consultatif africano-asiatique et leComité juridique interaméricain, ainsi que les relations deces trois derniers organismes entre eux.

192. S'attachant surtout à certains aspects des activitésdu Comité ayant un rapport avec le programme de travailà long terme de la Commission tel qu'il pourrait découlerde l'« Examen d'ensemble du droit international » rédigépar le Secrétaire général de l'ONU403, M. Golsong aparlé d'abord de l'exécution de bonne foi des obligationsde droit international assumées par les Etats. A proposdes relations entre ces obligations et les obligations crééespar le droit interne, il a appelé l'attention de laCommission sur une décision récente de la Coureuropéenne des droits de l'homme, concernant l'applica-tion de l'article 50 de la Convention de sauvegarde desdroits de l'homme et des libertés fondamentales404. Auxtermes de cet article, la juridiction internationale qui aconstaté la violation d'une obligation internationaleenvers la personne d'un particulier peut, par la suite, luiaccorder une satisfaction équitable si le droit interne nepermet qu'imparfaitement à lui seul d'effacer lesconséquences de la violation de l'obligation internatio-nale. L'arrêt de la Cour européenne, a dit M. Golsong,contient nombre d'aspects intéressants concernant no-tamment le pouvoir implicite qu'a une juridictioninternationale d'interpréter ses propres décisions, ainsique la notion de bonne foi.

193. Au sujet de l'immunité de juridiction des Etats,M. Golsong a signalé que la convention européennerécemment conclue en la matière entrerait probablementen vigueur en 1974. Bien que de portée géographiquerestreinte, elle présentait notamment l'intérêt de jeter unpont entre les conceptions différentes qu'ont, en matièred'immunité de juridiction des Etats, les pays de« common law » et les pays du continent européen.

194. A propos des questions d'extraterritorialité quesoulève l'exercice de la juridiction des Etats, M. Golsonga signalé que le Comité qu'il représentait s'employait àaligner les législations nationales en matière pénale, dansle sens d'un élargissement de la compétence qu'ont lestribunaux de certains Etats membres du Conseil del'Europe pour connaître d'actes commis à l'étranger.

195. Parlant ensuite de la question de la responsabilitédes Etats, M. Golsong a dit que le Comité européen decoopération juridique s'intéressait tout particulièrement à

403 Annuaire... 1971, vol . I I (2 e par t ie) , p . 1, doc . A /CN.4 /245 .404 Na t ions Unies , Recueil des Traités, vol . 213, p . 221 .

cette question, car il avait eu à l'aborder à plusieursreprises sans pouvoir prendre position à son sujet.

196. M. Golsong a donné à la Commission des détailssur les activités du Conseil de l'Europe en matière deprotection des voies d'eau internationales contre lapollution. Il a déclaré qu'un projet de conventioneuropéenne sur cette question avait été établi, quitouchait à la fois au droit relatif aux voies d'eauinternationales et au droit de l'environnement. Il aexpliqué que ce texte était destiné à résoudre une série deproblèmes, dont le premier était celui de l'équilibre àréaliser entre des prescriptions uniformes pour l'ensembledes futures parties contractantes — les dix-sept Etatsmembres du Conseil de l'Europe — et les obligationsparticulières à fixer aux Etats riverains d'un cours d'eauparticulier. Le deuxième problème était celui durèglement des différends relatifs à l'interprétation ou àl'application de la future convention, des accords decoopération et des actes établis en exécution de telsaccords. Le troisième était celui de l'équilibre des chargesqui incomberaient aux parties contractantes. Enfin, ilfallait résoudre le problème des relations entre lapollution des eaux douces et la pollution tellurique deseaux côtières.

197. Abordant la question des traités conclus entreEtats et organisations internationales ou entre deux ouplusieurs organisations internationales, M. Golsong aindiqué que le Comité recherchait les moyens d'accélérerles procédures de ratification des conventions multilaté-rales et d'arriver à une diminution du nombre desréserves. En outre, un échange de vues sur les techniquesde la codification internationale devait avoir lieuprochainement en vue de généraliser l'application desnormes établies.

198. La Commission a été informée que la dix-huitièmesession du Comité, auprès duquel elle est invitée à titrepermanent à envoyer un observateur, se tiendrait à unedate et en un lieu qui seront notifiés ultérieurement. LaCommission a prié son président, M. Jorge Castaneda,d'assister à la session du Comité ou, s'il était empêché, dedésigner un autre membre de la Commission pour leremplacer.

3. COMITÉ JURIDIQUE INTERAMÉRICAIN

199. M. Richard D. Kearney a assisté en qualitéd'observateur de la Commission à la dernière session duComité juridique interaméricain, qui s'est tenue à Rio deJaneiro (Brésil) en janvier et février 1973, et y a fait unedéclaration.

200. Le Comité juridique interaméricain était représentéà la vingt-cinquième session de la Commission parM. E. Vargas Carreno, qui a pris la parole aux 1227e et1228e séances.

201. M. Vargas Carreno a d'abord félicité la Commis-sion pour son importante contribution à la codification etau développement progressif du droit international. Il asouligné l'intérêt que le Comité qu'il représentaitattachait à sa collaboration avec la Commission. Il a fait

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238 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

ressortir qu'il était impossible de formuler des normes etdes principes juridiques régionaux sans tenir compte desnormes et des principes d'application universelle. L'inter-dépendance des Etats qui résultait de la multiplication desrelations internationales facilitait l'universalisation dudroit international. Si le droit international général et lessystèmes juridiques régionaux ne devraient pas être endésaccord sur les mêmes sujets, a dit M. Vargas Carreno,ces systèmes peuvent néanmoins avoir leurs institutionsjuridiques propres, comme c'est le cas par exemple enAmérique latine en ce qui concerne le droit d'asilediplomatique ou d'autres questions qui ne sont pasrésolues par le droit international général. De son côté, laCommission devrait, lorsqu'elle s'acquitte de sa tâche decodification et de développement progressif du droitinternational, tenir compte des pratiques et des formula-tions théoriques des diverses régions ou des différentssystèmes juridiques du monde, notamment lorsque cespratiques et ces formulations émanent d'organismesjuridiques interétatiques.202. M. Vargas Carrefio a indiqué que, à la suite de larévision de la Charte de l'OEA, le Comité était devenul'un des organes centraux de cette organisation. Désor-mais, ses travaux consistaient pour l'essentiel en réso-lutions et projets de convention qu'il élaborait soit de sapropre initiative, soit à la demande des principaux organesde l'OEA, à savoir l'Assemblée générale et la Réunionde consultation des ministres des relations extérieures.203. Passant en revue les travaux de la précédentesession du Comité M. Vargas Carreno a informé laCommission que celui-ci avait adopté une résolutionconcernant le droit de la mer qui cherchait à concilier despositions contradictoires et à dégager les points d'accordentre les pays d'Amérique latine. Il a expliqué que lesdébats avaient porté essentiellement sur le caractèrejuridique qu'il convenait d'attribuer à la zone marines'étendant jusqu'à 200 milles à partir des côtes. Certainsmembres s'étaient prononcés en faveur de la pleinesouveraineté de l'Etat riverain sur une distance de 200milles marins, tandis que d'autres proposaient qu'à unemer territoriale d'une largeur maximale de 12 millesvienne s'ajouter une seconde zone, dénommée « merpatrimoniale » ou « zone économique », qui s'étendraitsur 200 milles. A propos de cette dernière zone, desquestions se posaient concernant la nécessité de respecterla liberté de navigation et de survol ainsi que la liberté deposer des câbles et des pipe-lines sous-marins. Larésolution du Comité reflétait les diverses opinionsexprimées au cours du débat. En outre, cette résolutionmentionnait l'existence de trois zones dans le fond desmers et des océans, ce qui impliquait une modification dudroit international de la mer. Dans la première zone,jusqu'à une distance de 200 milles, l'Etat riverain exerçaitsa souveraineté et sa juridiction sur le fond et le sous-solde la mer. La deuxième zone, au-delà de la limite des 200milles et jusqu'au bord du talus continental, étaitjuridiquement dénommée «plateau continental»; danscette zone, l'Etat riverain exerçait sa souveraineté aux finsd'exploration et d'exploitation des ressources naturelles.Enfin, au-delà de ces deux zones, qui étaient soumises à lajuridiction de l'Etat, le fond des mers et des océans ainsique leurs ressources étaient « le patrimoine commun de

l'humanité », ainsi que l'Assemblée générale l'avaitreconnu dans sa résolution 2749 (XXV), du 17 décembre1970.

204. A propos d'un autre sujet qui avait longuementretenu l'attention du Comité à sa dernière session,M. Vargas Carreno a déclaré que le Comité avait approuvéun projet de convention interaméricaine sur l'extradition.Il a indiqué que le projet de convention spécifiaitnotamment l'obligation pour tout Etat contractantd'extrader à un autre Etat contractant, sur sa demande,toute personne accusée, poursuivie ou condamnée par lesautorités judiciaires de l'Etat requérant. Il fallait quel'infraction alléguée ait été commise sur le territoire del'Etat requérant; si elle avait été commise ailleurs, ilfallait qu'à la date de l'infraction l'Etat requérant ait étécompétent, d'après sa propre législation, pour engagerdes poursuites contre l'auteur d'une telle infractioncommise à l'étranger. Pour leur permettre de déterminerquelles étaient les infractions pouvant donner lieu àextradition, le projet offrait aux Etats parties à la futureconvention le choix entre deux critères. Le premier de cescritères était fondé sur la peine légalement applicable àl'infraction alléguée, indépendamment de la désignationde cette infraction et de l'existence ou de la non-existencede circonstances atténuantes ou aggravantes. Seules lesinfractions pour lesquelles la loi prévoirait, au momentoù elles seraient commises, une peine privative de libertéd'un an au minimum, tant dans l'Etat requérant que dansl'Etat requis, pourraient donner lieu à extradition. Lesecond critère était fondé sur des listes d'infractions quechaque Etat contractant pourrait annexer à la futureconvention au moment de la signature ou de laratification. Selon le projet, il n'y aurait pas extraditiondans les cas suivants: 1° lorsque l'intéressé aurait déjàpurgé une peine correspondant à la peine applicable ouqu'il aurait été gracié, amnistié ou acquitté, ou aurait faitl'objet d'un non-lieu pour l'infraction alléguée; 2°lorsqu'il y aurait, avant l'extradition, prescription despoursuites ou de la peine en vertu des lois soit de l'Etatrequérant soit de l'Etat requis; 3° lorsque l'intéressédevrait être jugé par un tribunal spécial ou extraordinairedans l'Etat requérant; 4° lorsque, selon les lois de l'Etatrequis, l'infraction constituerait un délit politique ouserait liée à un délit de cette nature. M. Vargas Carreno afait observer que cette dernière exception était particuliè-rement importante parce qu'elle traduisait une pratiquelatino-américaine bien établie, selon laquelle un Etatappelé à décider s'il doit extrader une personne ou luiaccorder l'asile est seul compétent pour décider,unilatéralement, si l'infraction alléguée constitue un délitpolitique ou un délit de droit commun. Le projetprécisait, toutefois, qu'aucune de ses dispositions nes'opposait à l'extradition pour crime de génocide ou pourtoute autre infraction donnant lieu à extradition en vertud'un traité en vigueur entre l'Etat requérant et l'Etatrequis. Les clauses finales du projet précisaient que lafuture convention serait ouverte à la signature nonseulement des Etats membres de l'OEA mais aussi de toutautre Etat qui en ferait la demande. Il était probable qu'àsa session suivante l'Assemblée générale de l'OEAconvoquerait une conférence spécialisée de plénipoten-tiaires pour examiner le projet de convention.

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Rapport de la Commission à l'Assemblée générale 239

205. Enfin, M. Vargas Carreno a fait observer quel'ordre du jour des sessions à venir du Comité juridiqueinteraméricain comprenait un certain nombre de ques-tions étroitement liées aux sujets étudiés par laCommission ou inscrits à son programme de travail.C'était là une autre raison pour laquelle les autresmembres du Comité et lui-même suivaient avec un vifintérêt les travaux de la Commission. Le Comitéexaminerait dans un proche avenir la question del'immunité de juridiction de l'Etat et celle de lanationalisation des biens étrangers au regard du droitinternational.

206. La Commission a été informée que la prochainesession du Comité, auprès duquel elle est invitée à titrepermanent à envoyer un observateur, se tiendrait à unedate et en un lieu qui seront notifiés ultérieurement. LaCommission a prié son président, M. Jorge Castaneda,d'assister à la session du Comité ou, s'il en était empêché,de désigner un autre membre de la Commission pour leremplacer.

D. — Date et lieu de la vingt-sixième session

207. La Commission a décidé de tenir sa prochainesession à l'Office des Nations Unies, à Genève, à partirdu 6 mai 1974.

£. — Représentation à la vingt-huitième sessionde l'Assemblée générale

208. La Commission a décidé qu'elle serait représentéeà la vingt-huitième session de l'Assemblée générale parson président, M. Jorge Castaneda. Elle a décidé queM. Castaneda représenterait aussil a Commission auxcérémonies par lesquelles l'Assemblée générale, à savingt-huitième session, marquerait le vingt-cinquièmeanniversaire de la CDI, conformément à sa résolution2927 (XXVII), du 28 novembre 1972.

F. — Célébration du vingt-cinquième anniversairede l'ouverture de la première session de la Commission

209. La Commission a décidé de célébrer à sa prochainesession, en 1974, le vingt-cinquième anniversaire del'ouverture de sa première session.

G. — Conférence commémorative Gilberto Amado

210. Conformément à la décision prise par la Commis-sion à sa vingt-troisième session405, et grâce à un nouveaudon généreux du Gouvernement brésilien, la deuxièmeConférence commémorative Gilberto Amado été donnéeau Palais des Nations le 11 juillet 1973. Cette conférence,qui a été prononcée par M. le professeur ConstantinEustathiades, ancien membre de la Commission, avaitpour thème « Les conventions de codification nonratifiées ». Y ont assisté des membres de la Commission,

405 Annuaire... 1971, vol. II (l r e partie), p. 375, doc. A/8410/Rev.l,par. 164 à 169.

le Conseiller juridique de l'ONU, le Secrétaire et desmembres du secrétariat de la Commission, le directeur duSéminaire de droit international et d'éminents juristes. Laconférence a été suivie d'un dîner. La Commission aexprimé l'avis qu'il serait souhaitable de faire imprimer letexte de la conférence susmentionnée, tout au moins enanglais et en français, pour le porter à la connaissance duplus grand nombre possible de spécialistes du droitinternational.

211. La Commission a exprimé sa gratitude auGouvernement brésilien pour son nouveau geste, quiavait permis d'organiser la deuxième Conférence commé-morative Gilberto Amado, et elle a exprimé l'espoir quece gouvernement serait en mesure de renouveler sonassistance financière de manière que la série deconférences puisse se poursuivre, en hommage à lamémoire de cet illustre juriste brésilien qui avait étépendant tant d'années membre de la Commission dudroit international. La Commission a demandé à M. SetteCâmara de communiquer son point de vue au Gouverne-ment brésilien.

H. — Séminaire de droit international

212. En application de la résolution 2926 (XXVil) del'Assemblée générale, en date du 28 novembre 1972,l'Office des Nations Unies à Genève a organisé au coursde la vingt-cinquième session de la Commission uneneuvième session du Séminaire de droit internationaldestiné à des étudiants avancés de cette discipline et à dejeunes fonctionnaires d'administrations nationales, prin-cipalement des ministères des affaires étrangères, dont lestâches comprennent habituellement l'examen de ques-tions de droit international.

213. Le Séminaire a tenu, entre le 21 mai et le 8 juin1973, douze réunions, consacrées à des conférencessuivies de débats; la dernière séance a été réservée àl'évaluation de la session du Séminaire par les partici-pants.

214. Vingt-deux étudiants venus de vingt et un paysdifférents ont participé au Séminaire; ils ont égalementassisté pendant cette période à des séances de laCommission et ont eu la possibilité de bénéficier desfacilités offertes par la Bibliothèque du Palais des Nationset d'assister à une projection cinématographique orga-nisée par le Service de l'information de l'ONU.

215. Sept membres de la Commission ont généreuse-ment prêté leur concours en qualité de conférenciers. Lesconférences ont porté sur divers sujets, dont certains serattachent aux travaux passés, présents ou futurs de laCommission, à savoir les missions spéciales (M. Bartos),la clause de la nation la plus favorisée (M. Ustor) et lestravaux futurs de la Commission (M. Kearney). Deuxconférences ont porté sur la CIJ, l'une ayant pour thèmeles pouvoirs de révision judiciaire de la Cour (M. Elias) etl'autre le problème de l'intervention dans les procéduresde la Cour (M. Hambro). Une conférence a porté sur lestendances nouvelles du droit de la mer (M. Castaneda),une autre sur le point de l'ordre du jour de l'Assembléegénérale relatif à la nécessité d'examiner les propositions

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240 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

concernant la révision de la Charte des Nations Unies(M. Yasseen), et une autre encore sur le règlementpacifique des différends en Afrique (M. Bedjaoui).

216. En outre, le Conseiller juridique du BIT (M. Wolf)a parlé de l'OIT et des conventions internationales dutravail, et le Directeur du Département de la doctrine etdu droit du Comité international de la Croix-Rouge(M. Pilloud) du droit humanitaire international applicabledans les conflits armés. Cette dernière conférence était liéeà la résolution 3032 (XXVII) de l'Assemblée générale, du18 décembre 1972, en faveur de l'étude et del'enseignement des principes du respect des règleshumanitaires internationales applicables en période deconflit armé. M. l'Ambassadeur J. Humbert, haut-commissaire à la Conférence diplomatique sur laréaffirmation et le développement du droit humanitaireinternational applicable dans les conflits armés, qui doitse tenir à Genève au début de 1974, y a assisté. M. Raton,directeur du Séminaire, a fait un exposé introductif sur laCommission du droit international.

217. Le Séminaire n'a occasionné aucune dépense àl'ONU, qui n'a pas contribué aux frais de voyage et desubsistance des participants. Comme lors des précédentessessions, les Gouvernements du Danemark, de la

Finlande, d'Israël, de la Norvège, des Pays-Bas, de laRépublique fédérale d'Allemagne et de la Suède ont offertdes bourses à des participants de pays en voie dedéveloppement. Douze candidats ont été choisis commebénéficiaires de ces bourses; deux boursiers de l'UNI-TAR ont aussi été admis au Séminaire et, en outre, uncandidat a reçu une bourse commune du Séminaire et del'UNITAR. L'octroi de bourses permet d'améliorer defaçon notable la répartition géographique des participantset de faire venir de pays éloignés des candidats méritantsqui, pour des raisons uniquement pécuniaires, nepourraient sans cela participer à la session. Il est donc àsouhaiter que l'on puisse compter sur la générositérenouvelée des gouvernements précités et même, sipossible, sur l'octroi d'une ou deux bourses supplémen-taires, les modifications de parité apportées à certainesmonnaies depuis 1971 ayant réduit la valeur réelle desbourses. Il est particulièrement encourageant de constaterque plusieurs des gouvernements en question ont tenucompte de cette situation et ont augmenté ou promisd'augmenter en conséquence le montant des bourses. Ilest à noter que le nom des bénéficiaires est porté à laconnaissance des gouvernements donateurs et que, de leurcôté, les bénéficiaires sont informés de la provenance deleur bourse.

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RÉPERTOIRE DES DOCUMENTS MENTIONNÉS DANS LE PRÉSENT VOLUME

NOTE. — Le présent répertoire contient les documents de l'ONU mentionnésdans le texte par leur cote et dont la référence détaillée n'est pas donnée en note de basde page.

Cotes

A/285

A/5409

A/8058

A/AC. 131/20

A/AC. 131/24

A/AC. 131/25

A/AC. 131/26

A/AC. 131/29

A/CN. 4/263

Titres

Panama : projet de Déclaration des droits et des devoirs des Etats

Problèmes juridiques posés par l'exploitation et l'utilisation des fleuves inter-nationaux: rapport du Secrétaire général [résumé des textes législatifs et desdispositions de traités]

Souveraineté permanente sur les ressources naturelles. — Exercice de la sou-veraineté permanente sur les ressources naturelles et utilisation pour leurexploitation de capitaux et de techniques d'origine étrangère: rapport duSecrétaire général

Conseil des Nations Unies pour la Namibie. — Rapport de la mission duConseil en Afrique (1970)

Idem. — Question des documents de voyage: lettre, en date du 24 juillet 1970,adressée au Ministre des affaires étrangères de l'Ethiopie par le Commissairep.i. des Nations Unies pour la Namibie, et télégramme, en date du 29 mars1971, adressé au Commissaire par le Ministre d'Etat du Ministère des affairesétrangères de l'Ethiopie

Idem. — Lettre, en date du 20 mai 1971, adressée au Commissaire p.i. desNations Unies pour la Namibie par le Ministre des affaires étrangères duKenya

Idem. — Accord entre le Nigeria et le Conseil des Nations Unies pour laNamibie concernant le droit de retour au Nigeria de certains Namibiens

Idem. — Accord entre la République-Unie de Tanzanie et le Conseil desNations Unies pour la Namibie concernant les documents de voyage etd'identité délivrés aux Namibiens par le Conseil (termes de l'accord, signéà Dar es-Salaam le 5 décembre 1972; lettre, en date du 11 décembre 1972,adressée au Commissaire p.i. des Nations Unies pour la Namibie par lereprésentant de la République-Unie de Tanzanie; lettre, en date du 11 dé-cembre 1972, adressée au représentant de la République-Unie de Tanzaniepar le Commissaire p.i. des Nations Unies pour la Namibie)

Supplément, établi par le Secrétariat, à Documentation concernant la succes-sion d'Etats (publication des Nations Unies, numéro de vente: E/F.68.V.5)

A/CN.4/SC.1/WP.3 Responsabilité des Etats. — Document de travail soumis par M. André Gros

A/CN.4/SC.1/WP.4

A/CN.4/SC.1/WP.5

A/CN.4/SC.1/WP.6

Idem. — Document de travail soumis par M. Senjin Tsuruoka

Idem. — Document de travail soumis par M. Mustafa Kamil Yasseen

Idem. — Document de travail soumis par M. Roberto Ago

Observations et références

Multicopié.

Multicopié. Pour le texte inté-gral des textes législatifs etdispositions de traités, voirpublication des NationsUnies, numéro de vente:63.V.4.

Multicopié.

Multicopié. Chapitre H, relatifaux documents de voyage,repris dans Documents offi-ciels de l'Assemblée générale,vingt-cinquième session, Sup-plément n° 24 (A/8024), par.46 à 66.

Multicopié.

Idem.

Idem.

Idem.

Idem.

Annuaire... 1963, vol. II, p. 257,doc. A/5509, annexe I, app. II.

Ibid., p. 258.

Ibid., p. 261.

Ibid., p. 262.

241

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242 Annuaire de la Commission du droit international, 1973, vol. II

Cotes Titres Observations et références

A/CN.4/SC.1/WP.7 Idem. — Nature sociale de la responsabilité personnelle: document de travail Ibid., p. 267.soumis par M. Angel Modesto Paredes

E/5263 Sécurité économique collective. — Examen préliminaire du système, de sa Multicopié.portée et de ses conséquences pratiques possibles : note du Secrétaire général

ILC(XIV)/SC.l/WP.l Responsabilité des Etats. — L'obligation d'indemniser en cas de nationalisa- Annuaire... 1963, vol. II, p. 248,tion de biens étrangers: document de travail soumis par M. E. Jiménez doc. A/5509, annexe I, app. II.de Aréchaga

ILC(XIV)/SC.1/WP.2 Idem. — Le régime de la responsabilité des Etats: document de travail sou- Ibid., p. 254.et Add.l mis par M. Angel Modesto Paredes

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RÉPERTOIRE DES DOCUMENTS DE LA VINGT-CINQUIÈME SESSIONNON REPRODUITS DANS LE PRÉSENT VOLUME

Cotes

A/CN.4/265

A/CN.4/268/Add.let 2

Titres

Ordre du jour provisoire

Nomination à des sièges devenus vacants. — Additif à la note du Secrétariat :liste de candidats

Observations et références

Multicopié. Pour l'ordre dujour adopté, voir ci-dessusp. 166 (A/9010/Rev.l, par. 9).

Multicopié.

A/CN.4/L.193 Demande du Conseil économique et social tendant à ce que la CDI fassepart de ses observations au sujet du rapport du Groupe spécial d'expertsde la Commission des droits de l'homme concernant la question del1'apartheid du point de vue du droit pénal international: note du Secrétariat

Idem.

A/CN.4/L.194 Projet d'articles sur la responsabilité des Etats. — Textes adoptés par leComité de rédaction : titres du projet et des chapitres I et II et articles 1 à 6

Textes reproduits dans lescomptes rendus des 1225e et1226e séances (vol. I).

A/CN.4/L.195 et Projet de rapport de la CDI sur les travaux de sa vingt-cinquième sessionAdd.l à 3 (chap. III)

Multicopié. Pour le texte défi-nitif, voir A/9010/Rev.l (ci-dessus p. 163).

A/CN.4/L.196 et Add.l Projet d'articles sur la succession d'Etats dans les matières autres que lestraités. — Textes adoptés par le Comité de rédaction: titres du projet, del'introduction, de la première partie et de la section 1 et articles 1 à 8

Textes reproduits dans lescomptes rendus des 1230e,1231e, 1239e et 1240e séances(vol. I).

A/CN.4/L.197 Idem. — Nouvelle rédaction de l'article 9 présentée par le Rapporteur spécial Idem, 1231e séance (vol. I).

A/CN.4/L.198 etAdd.l à 7,

A/CN.4/L.199et Add.l,

A/CN.4/L.200et Add.l,

A/CN.4/L.201,A/CN.4/L.202

Projet de rapport de la CDI sur les travaux de sa vingt-cinquième session(chap. Ier, II, et IV à VI)

Multicopié. Pour le texte défi-nitif, voir A/9010/Rev.l (ci-dessus p. 163).

A/CN.4/L.203 Projet d'articles sur la clause de la nation la plus favorisée. — Textes adoptéspar le Comité de rédaction: titre du projet et articles 1 à 7

Textes reproduits dans lecompte rendu de la 1238e

séance (vol. I).

A/CN.4/L.204 Projet de rapport de la CDI sur les travaux de sa vingt-cinquième session(chap. VII)

Multicopié. Pour le texte défi-nitif, voir A/9010/Rev.l (ci-dessus p. 163).

A/CN.4/SR.1200à SR.1249

Comptes rendus analytiques provisoires des 1200e à 1249e séances de la CDI Multicopié. Pour le texte défi-nitif, voir vol. I.

243

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