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  • 8/9/2019 Article INED

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    Population, 57 (2), 2002, 261-292

    Les reprsentations du masculinet du fminin dans les albums illustrs

    ouComment la littrature enfantine contribue

    laborer le genre

    Carole BRUGEILLES*, Isabelle CROMERet Sylvie CROMER**

    La dmographie intgre de plus en plus la dimension genre , qui peut contribuer utilement lanalyse de thmes tels

    que la nuptialit et les relations de couple, ou les dcisions en ma-tire de fcondit et de contraception. Mais comment les rlessexus se construisent-ils? Carole BRUGEILLES, Isabelle CROMERetSylvie CROMER ont tudi un des instruments possibles de cetteconstruction : les albums illustrs pour enfants. Les personnagesqui les peuplent sont principalement des enfants garons etfilles et des parents pres et mres que lon voit dans leursactivits quotidiennes, avec des attributs et des qualits ventuel-lement bien diffrencis selon le sexe. Mme les animaux, rels ouimaginaires, humaniss ou non, ont souvent un sexe Enfin, lesauteurs des albums sont, eux aussi, des hommes et des femmes, cequi peut influencer le choix des personnages et de leurs caract-

    ristiques.Dans les annes 1970, les strotypes lis au sexe contenus dans les

    livres de jeunesse et les manuels scolaires avaient t mis en cause, essen-tiellement sous limpulsion des fministes, comme source de maintien etde renforcement des ingalits entre hommes et femmes. De nombreusesrecherches (1 ) ont t consacres entre 1965 et 1985 la dfinition et lidentification du sexisme (2), ainsi qu la prconisation dactions en

    (1) Notamment Breaud (1974), Chombart de Lauwe et Bellan (1977, 1978), Crabbe et al.(1985), Decroux-Masson (1979), INRP (1975), Michel (1986), Mollo (1969) et Rosenberg (1976).

    (2) Lempen-Ricci et Moreau (1987), Valabrgue (1985). Michel (1986, p. 53) identifiedeux catgories de sexisme : le sexisme explicite qui ne rend pas compte de la diversit dessituations des hommes et des femmes existant dans la ralit et le sexisme latent donnant voir des situations ingalitaires issues de la ralit, sans les remettre en question.

    * Institut de sociologie, universit de Lille I.

    ** Universit de Lille II.

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    vue de son limination : campagnes de sensibilisation, actions de forma-t i on , r e c om m a nda t i ons de s m a i s ons d d i t i on a ux c r a t e u r s e tcratr ices , e tc . Ci tons pour mmoire le vaste programme dtudesnationales lanc par lUnesco partir de 1981, suite la Confrence mon-diale des Nations unies pour la femme runie Copenhague en 1980,priant instamment les gouvernements de prendre toutes les mesuresncessaires pour liminer du matriel denseignement, tous les niveaux,les strotypes fonds sur le sexe (3) . Parmi les remdes proposs, on envint juger ncessaire ddicter des textes rglementaires pour promou-voir une galit entre les sexes, y compris travers la littrature et lematriel pdagogique(4) .

    Trente ans plus tard, pour clore le XX e sicle marqu, pour les

    femmes notamment, de plusieurs rvolutions dans les champs de la sexua-lit, du travail et de la politique et dingales avances en matire dga-lit (5), i l a sembl important de revisiter dans les livres, au-del desstrotypes, les reprsentations du masculin et du fminin. Lobjectif estmoins de vrifier les rsultats des efforts entrepris que de porter un nou-veau regard grce au concept de genderapparu, et ce nest pas par hasard, la mme poque que la dnonciation des strotypes voque plus haut,sous la plume de la sociologue Ann Oakley, pour distinguer le sexe socialdu sexe physiologique :

    Sexe est un mot qui fait rfrence aux diffrences biologiques entre

    mles et femelles [] Genre est un terme qui renvoie la culture : ilconcerne la classification sociale en masculin et fminin. (Oakley,1972, p. 16)(6)

    Le concept de genre apparat incontournable pour rendre compte des diff-rences observes et pour interroger les systmes de relations valorises,prescrites, hirarchises entre le masculin et le fminin dans leur dimen-sion sociale et culturelle. En outre, cette approche permet non seulementdenregistrer les choses telles quelles sont, mais aussi telles quellesdevraient tre dans une perspective dgalit (Condon, Bozon et Locoh,2000, p. 77).

    La littrature destine la jeunesse, qui ne cache pas ses ambitionsidologiques, se prte lanalyse, dautant que les enjeux conomiquesnont fait que crotre dans les dernires dcennies. En effet, la littraturede jeunesse fait la dmonstration anne aprs anne de sa place de choix eten expansion dans le monde de l di t ion

    ( 7 )

    , a insi que de son rle

    (3) Onu, A/CONF., 94/35, p. 109. Michel (1986) prsente une synthse des diffrentestudes nationales, les grilles didentification du sexisme et dimportantes rfrences biblio-graphiques.

    (4) Pour un tat dtaill des instruments lgaux de promotion de lgalit des sexes danslducation dune manire gnrale, voir Vouillot, 2000.

    (5) Cf. le rapport prsent par la France la 33

    e

    session de la Commission de la population

    et du dveloppement des Nations unies (27-30 mars 2000), (Bozon et Locoh, 2000).

    (6) Depuis, le concept de sexe est remis en question comme catgorie fixe : Le sexe ditbiologique noffre pas de base solide la catgorie culturelle du genre mais menace constammentde le subvertir (Laqueur, 1992, p. 142). Pour un tat prcis de la problmatique sur le genre, cf.Labourie-Racap et Locoh (1999) ; Condon, Bozon et Locoh (2000).

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    I. Ltude Attention album!

    Ce travail sinscrit dans les objectifs du programme europen Atten-tion Album!

    (11)

    lanc fin 1995 avec le soutien de la Commission euro-penne, et tudie pour la premire fois en France de manire exhaustive laproduction annuelle des nouveauts de fiction en matire dalbums illus-trs destins aux enfants de 0 9 ans, en loccurrence la productionde 1994 (voir encadr).

    La majorit des tudes antrieures, lexception notable de celle deDunnigan ralise au Qubec en 1975 et portant sur 225 manuels scolaireset 24 000 personnages, ne concernait quun corpus restreint. Pour largirle corpus tout en prservant son homognit, dans le vaste domaine de la

    littrature de jeunesse, la catgorie spcifique des albums illustrs pour lesmoins de 10 ans, la croise de la littrature et de la pdagogie, constitueun terrain de prdilection.

    En effet, les albums visent certes familiariser lenfant avec lcrit, le distraire, stimuler son imagination, mais surtout accompagner ladcouverte du monde, du corps et des motions, des relations familiales etavec autrui, encourager lapprentissage de valeurs, en un mot favoriserla socialisation et lintriorisation de normes. Si lon accepte lhypothseque le sexe est la premire catgorisation sociale

    (12)

    , la question centrale,quoique rarement explicite, est donc bien celle des identits sexues, dela diffrence des sexes, des rapports sociaux de sexe. Cela est toutparticulirement vrai pour les albums illustrs, omniprsents ds la nais-sance, supports privilgis du processus dacquisition des modles sexussocialement acceptables, et par l mme de la hirarchie sociale.

    Lalbum illustr est ensuite un terrain de prdilection pour saisir lesreprsentations par les caractristiques inhrentes sa forme hybride, ar-tistique et littraire, et aux pratiques de lecture qui en dcoulent ou y sontassocies du fait du jeune ge du lectorat. Cest un ouvrage court, danslequel limage a la prminence sur le texte :

    trange livre que lalbum, qui parvient se passer du texte et repose surla prsence de limage [] Forme ditoriale insolite qui sest impose enFrance entre 1820 et 1850 [] lalbum est aussi par excellence le livre delenfant. (Le Men, 1994, p. 145)

    Avec un texte succinct et une logique de rcit simplifie (Brmond, 1973),cest le livre vu , que Paul Valry oppose au livre lu . Ce livre vu,propos ceux qui ne lisent pas encore, sera maintes fois manipul,

    (11) Sans dtailler le programme labor par lassociation europenneDu ct des filles

    ,prcisons que, concernant lanalyse quantitative et qualitative des albums illustrs dont il est iciquestion, lquipe tait compose de Carole Brugeilles et Isabelle Cromer, dmographes, SylvieCromer et Arlne Khoury, sociologues, Adela Turin, crivaine de livres pour enfants. Pour la mise

    au point du corpus et la consultation des ouvrages, une aide prcieuse a t apporte par lesbibliothcaires de La Joie par les livres,

    de LHeure Joyeuse

    de Paris et de Livres au Trsor

    deBobigny.

    (12) Voir Hurtig et Pichevin, 1986; Hurtig et al.

    , 1991. Selon Hritier (1996), la valencediffrentielle des sexes est au fondement de la socit .

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    regard, ventuellement lu par un adulte, et peut-tre par lenfant lgede la lecture matrise (Danset-Lger, s.d.). Lalbum a ainsi un rle initia-tique de premier ordre : premier livre, il rpond la qute de sens de lac-t ion humaine. Des images, un texte bref, un rcit schmatique, unefonction dapprentissage, un lectorat trs jeune : dans ce genre littraire,le personnage prend une dimension remarquable, vritable support desconservations et des transformations du rcit que le lecteur peroit (LeManchec, 1999, p. 32) et incarnation par excellence des reprsentations dugenre.

    Partant du fonctionnement propre lalbum et tant assures de sonimpact, nous avons tent, en suivant le fil conducteur des personnages etde leurs interactions, une approche des reprsentations prenant en compte

    aussi bien limage que le texte de la mme faon que lenfant prlve etmmorise la fois des indices iconiques et des indices verbaux pourconstruire le personnage et leurs volutions en fonction de lge du lec-teur.

    Une tude sur plusieurs annes avait t envisage projet aban-donn pour des raisons de cot et de dlai qui aurait eu lavantage demieux contrler les effets de mode dans les thmatiques (le divorce, lamort, les dinosaures, les sorcires, etc.) et de confirmer la validit desrsultats. Nanmoins, ltude de la production dune seule anne (1994)ne perd en rien de sa pertinence. Les raisons en sont multiples. tant

    donn les cots de production et dachat, les albums ont une longue durede vie dans les coles et les bibliothques, et les maisons ddition lesrditent de nombreuses fois pour des raisons de rentabilit. Aussi unegrande partie des albums de 1994, objets de cette tude, est-elle encore encirculation. Par ailleurs, la production est tudie dune part sous langledes reprsentations, lesquelles se modifient lentement par dfinition, etdautre part dans sa globalit : les rsultats sont donc peu susceptibles dedevenir obsoltes rapidement.

    1. Les hypothses

    Notre hypothse de base est que les albums accordent aux person-nages fminins une place minoritaire et leur attribuent des traits phy-siques, de caractre ou de personnalit, des rles, un statut social, etc.spcifiques, peu varis, voire caricaturaux, en dcalage avec la ralit.Quant aux personnages masculins, leur place serait plus valorise, maistout autant strotype. Lhypothse corollaire de cette asymtrie entre lessexes est que les relations entre les sexes sont ingalitaires, hirarchiseset que les albums illustrs prsentent rarement un monde mixte paritaire

    o les filles et les garons, les hommes et les femmes seraient dans despostures de cohabitation, de relation, de communication ou dchange :lalbum illustr serait un monde de discrimination, de sgrgation et dehirarchie sexuelles.

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    La question centrale qui sous-tend ce travail dobservation est : com-ment se fabriquent strotypes et reprsentations dans les livres dimages ?Pour la traiter, nous analysons la combinaison de plusieurs facteurs : la ca-tgorie du personnage, son rle, son ge, son sexe, sa fonction parentaleou non, sa fonction sociale, ses interactions avec les autres personnages,sans ngliger le lectorat auquel est destin louvrage et le sexe des cri-vains et des illustrateurs.

    Dfinition du corpus et modalits de slection

    Lchantillon tudi comprend 537 albums illustrs. Il a t dfini en fonction decinq critres.

    1) Critre du genre : lalbum illustrLalbum illustr se dfinit par la prminence accorde limage sur le texte. Les al-

    bums de poche sont pris en compte tandis que les bandes dessines, qui reposent sur uneautre articulation entre texte et image, sont exclues.2) Critre de la thmatique : les albums illustrs de fictionLes albums illustrs se rpartissent en deux grandes catgories : la fiction (environ

    40 % de la production en 1994) et les documentaires. Sont exclus les ouvrages visedocumentaire ou de vulgarisation, comme les manuels scolaires et parascolaires, pourlesquels lanalyse des reprsentations relve de critres diffrents. La ligne de dmarca-tion nest cependant pas si nette, tant donn les diffrentes fonctions imparties auxlivres et la lecture.

    3) Critre de la date de ldition franaise : les albums illustrs de fiction dits enFrance en 1994

    1994 tait, lpoque, lanne la plus rcente accessible en dpt lgal.

    4) Critre de la nouveaut : les albums illustrs de fiction nouveaux dits enFrance en 1994La production des nouveauts, minoritaire par rapport aux rimpressions, est difficile

    apprhender pour deux raisons : dune part, dans les nouveauts, au motif de formatsdiffrents, figurent un nombre considrable de rditions dont le copyright ne fait sou-vent pas mention; dautre part, du point de vue de la cration, la notion est plus quam-bigu, comme le met en vidence Bouvaist (1990, p. 22) : Pour aller vite et produirebon march, il nest pas question dinvestir dans la recherche et de faire voluer sonpublic : on rdite sous des prsentations diffrentes des titres anciens on achte lesdroits de livres trangers quon adapte la va-vite .

    5) Critre de lge du lectorat : les albums illustrs de fiction nouveaux dits enFrance en 1994 destins aux enfants de moins de 10 ans

    Malgr la mode rcente des albums illustrs pour adolescents et adultes, le principallectorat des albums reste les enfants de moins de 10 ans; au-del, les petits romansprennent le relais.

    Grce au CD-Rom Bibliographie nationale franaise depuis 1970

    et sur la base destrois critres disponibles lanne (1994), le niveau de lecture (code a

    = jeunesse) et lalangue (le franais) , 2 620 notices de livres de jeunesse ont t recenses. Afin dobte-nir lchantillon rpondant exactement aux cinq critres dfinis ci-dessus, une secondeslection sest impose partir dun tri manuel des ouvrages en les consultant. Au total,651 ouvrages ont t retenus. Parmi ceux-ci, 114 livres, soit 17,5 %, nont pas t re-trouvs, faute darchives (Hemma, Piccolia, PML, Lito, Nathan et Rouge et Or) ou enraison de la disparit ion de lditeur (F.P. jeunesse, Berso, par exemple). Le corpus tudicomprend donc 82,5 % de la production de 1994, soit 537 albums.

    Les difficults rencontres pour constituer le corpus et le consulter dans sa totalitdnotent dune certaine opacit du monde de ldition quant sa production et sa dif-fusion. Elles laissent entrevoir les difficults mthodologiques quil y aurait vouloirmesurer limpact dun livre par rapport lensemble de la production : tous les livres nesont pas galement diffuss, les rditions doivent tre suivies la trace, la littraturenon lgitime est carte des bibliothques mais inonde les grandes surfaces, et aucunebibliothque municipale franaise ne chiffre quantitativement les emprunts dun livre

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    2. La grille dobservation de lchantillon

    Lalbum pour enfants est traditionnellement considr comme un ob- jet qualitatif. La mthode propose ici consiste laborder demble demanire quantitative : compter ce que chaque album renferme et mettre enlumire les diffrentes facettes de son contenu grce aux outils statistiques.Mais comment dcrypter la richesse de chaque album pour la rendre statis-tiquement analysable? Comment conserver la spcificit de chaque albumtout en proposant une grille danalyse ? Dans une perspective danalyse degenre, comment passer au crible et circonscrire tous les aspects lis auxpersonnages, au-del de lge et du sexe, jusquaux interrelations et auxfonctions? Ces questions ont t rsolues par le choix dun questionnairemodulable, recueillant les informations dans le texte et les images.

    Le questionnaire comprend tout dabord un tronc commun pour tousles albums : une carte didentit (diteur, auteur, dessinateur, nombrede pages, ge du lectorat, thmes abords) et un tableau de recensementexhaustif et prcis des personnages selon le sexe (masculin, fminin, ind-termin) et lge (adulte, enfant, indtermin). Ensuite, le questionnaireest modul en fonction du contenu. t i tre dexemple, des modules enfants , adultes , grands-parents , activits professionnelles , sorcires , scne de foule , etc., sajoutaient selon les albums.

    Articuls autour des personnages, les modules diffrencis per-

    mettent de relever des informations concernant leur sexe, leur fonction,leurs caractristiques et leur personnalit, leurs attributs, leur profession,leurs actions, indices des identits sexues. Afin de dcrire les rapportssociaux de sexe, il importait de prendre en compte les relations, familialesou sociales, quentretiennent les personnages entre eux et leur apparte-nance sociale. Cest au premier chef le rle tenu qui en fournit la cl. partir de cinq critres (le titre, la frquence dapparition, la place dans lalogique du rcit, le degr de transformation du personnage par les vne-ments de lhistoire, le degr de modification du cours de lhistoire par lepersonnage), quatre types de rles ont t dtermins, savoir :

    le personnage principal dominant : le hros ou lhrone uniquede lhistoire, au centre des vnements, qui en est affect ou qui a une in-fluence sur eux ;

    le personnage principal partag : celui ou celle qui est de faonquivalente avec un ou dautres personnages au centre de lhistoire ;

    le personnage secondaire est partie prenante de lhistoire, danslaquelle il intervient;

    le personnage darrire-plan fait une apparition ponctuelle danslhistoire.

    Les trois premires catgories correspondent des protagonistes quimodifient le cours de lhistoire et/ou sont affects par les vnements. Ilsfont lobjet dune analyse approfondie. Dans la quatrime catgorie seclassent les figurants, considrs du seul point de vue du sexe.

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    Enfin, et contrairement aux tudes antrieures qui sen tenaient lanalyse de la seule catgorie des humains, nous avons pris en compte lapopulation bigarre et htrogne des albums qui donne une impressionde diversit pour examiner les rapports entre les sexes dune catgorie lautre. Certains types de personnages ont pour fonction de donner uneimage de la socit humaine (personnages visage humain ou sous lemasque danimal ou dobjet), dautres proposent une image de la socitanimale, dautres enfin renvoient limaginaire collectif. Au dpart, unetypologie de sept catgories de personnages a t labore. Cependant,dans la production de 1994, certaines catgories se sont avres numri-quement marginales et par trop htroclites : les objets, robots ou jouetsanims ou humaniss, les personnages imaginaires, lgendaires ou tirs dufolklore comme le Pre Nol, le Diable, les lutins, les ogres et autres kor-rigans. En dfinitive, trois catgories essentielles sont tudies :

    les humains ;

    les animaux anthropomorphes, dits humaniss ou habills, ayantune apparence animale plus ou moins imaginaire. Ils sont dots duncomportement essentiellement humain, les critres (non cumulatifs) lesplus importants du comportement humain tant tre habill, tre debout,vivre dans une maison, avoir des activits spcifiquement humaines(exemple : un manchot va la crche, un rat travaille) ;

    les animaux rels, vivant dans un monde animal ou avec des hu-

    mains qui, malgr des projections anthropomorphiques (penses, senti-ments), sont reprsents essentiellement comme des animaux.

    II. Photographie de lchantillon

    Avant dtudier les reprsentations des personnages et des famillesdans une perspective de genre, nous analysons la structure de la produc-t ion des albums selon le sexe des crateurs et cratrices, l originegographique des albums et leur date ddition, puis nous ouvrirons leslivres afin de dcouvrir lintention du crateur, les sujets traits et lesrepres de lhistoire (historiques, gographiques, culturels et sociaux). Aufil de cette description, la rpartition de la production sera examine selonle sexe des crivains et des illustrateurs.

    1. Les crateurs et cratrices

    Lcriture des albums est une activit majoritairement fminine tan-

    dis que lillustration est une activit plutt masculine. Si lon combine cesdeux activits, la production apparat assez bien partage selon le sexe(tableau 1).

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    2. Les lectorats

    En fonction de lge du lectorat, les albums de lchantillon peuventse scinder en deux catgories. Aux plus jeunes enfants, de 0 3 ans, sontconsacrs de courts ouvrages avec peu de texte (aucun de plus de35 pages, les trois cinquimes en comptant moins de 15) pour voquer pre-miers apprentissages et premires dcouvertes de la vie quotidienne et delenvironnement (notamment les animaux). Ils reprsentent un bon tiers dela production. La peti te enfance est le domaine de prdilection desfemmes : 42,6 % des quipes de cration fminines (crivaine et illustra-trice) ont publi un album pour les plus jeunes. Au total, prs de la moiti

    des albums pour les 0-3 ans (46,5 %) sont crits et illustrs par des cratri-ces, 32,6 % par des crateurs et 15,5 % par des associations mixtes.

    Aux 4-9 ans sont destins des albums plus complexes et plus volumi-neux, comportant plus de 12 pages et dont prs dun quart excdent35 pages, pour drouler un rcit qui peut tre lu par un adulte ou directe-ment par lenfant. Avec 350 titres, ils constituent la majorit des albums.La mixit encourage les femmes sortir de la sphre de la petite enfance :78,2 % des collaborations mixtes sadressent aux ans.

    3. Lorigine gographique des albums

    Si plus de la moiti des albums sont des crations franaises (55,1 %,soit 296 titres), le poids de ldition anglo-saxonne (Grande-Bretagne ettats-Unis) nest pas ngligeable avec prs du quart de la production(24 %, soit 129 titres). Alors que la production franaise compte le plus decratrices (tableau 2), la production anglo-saxonne est la plus masculine etlaisse peu de place aux productions mixtes. La troisime composante estbelge avec 71 livres (13,2 %) et se dmarque par une importante mixit.Quant aux autres pays, i ls ne sont gure reprsents. LAllemagne

    (16 titres) et lItalie (8 titres) se distinguent du Canada, de lEspagne et dela Sude qui ne comptent que 3 titres chacun. Lchantillon comprend aussideux traductions hollandaises, une suisse, une danoise et une autrichienne.

    T

    ABLEAU

    1. R

    PARTITION

    DES

    ALBUMS

    SELON

    L

    ACTIVIT

    CRATRICEET

    LE

    SEXE

    DES

    CRATEURS

    (

    EN %)

    Femmes Hommesquipesmixtes

    Nonidentifiable* Total

    criture 53,1 41,9 2,8 2,2 100,0Illustration 45,1 51,4 0,0 3,5 100,0

    Ensemble 38,0 34,3 24,6 3,1 100,0

    * cause de la mixit du prnom, de prnoms inconnus dorigine trangre ou dabsence de signature,notamment pour lillustration.

    Source

    : tude de 537 albums illustrs destins aux 0-9 ans publis pour la premire fois en France en 1994.

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    , S. C

    ROMER

    La production dorigine trangre est trs rcente. Plus de la moitides t i t res traduits ont t publis dans leur pays dorigine en 1994(55,6 %) et moins de 20 % des ouvrages sont antrieurs 1992. Par nces-sit conomique de codition, les traductions paraissent en effet souventde manire simultane. Le corpus est donc homogne concernant les dates.

    4. Intentions didactiques ou ludiques et repres historiques,gographiques, culturels et sociaux

    Lalbum illustr vise distraire lenfant tout en le familiarisant aveclcrit. Au-del de ces deux objectifs unanimement affichs, certainsouvrages revendiquent une fonction didactique, parfois exprime dans lesobjectifs de la collection. Cest le cas de la majorit des albums (56 %),notamment de ceux destins aux 4-9 ans (61,1 %); dans les 44 % restants,on ne dcle aucune intention particulire, leur fonction tant purementludique. Pour les plus petits, les albums sont plus souvent ludiques(53,5 %). Les quipes masculines respectent ce lien entre finalit et lecto-rat, avec une production fortement ludique pour les plus jeunes et plusvolontiers didactique pour les plus gs (tableau 3). En revanche, quel que

    soit l ge du lectorat , les cratrices choisissent lcri ture finali tdidactique. Cest aussi le cas des quipes mixtes, mme si leur productionest plus quilibre entre les deux finalits.

    T

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    2. R

    PARTITION

    DES

    ALBUMS

    SELON

    L

    ORIGINE

    GOGRAPHIQUEET

    LE

    SEXE

    DES

    CRATEURS

    (

    EN %)

    Production franaiseProduction

    anglo-saxonne Production belge

    Hommes 32,1 46,5 29,6Femmes 41,5 32,5 32,4quipes mixtes 26,0 16,3 38,0Non identifiable* 0,4 4,7 0,0

    Total 100,0 100,0 100,0

    * cause de la mixit du prnom, de prnoms inconnus dorigine trangre ou dabsence de signature,notamment pour lillustration.

    Source

    : tude de 537 albums illustrs destins aux 0-9 ans publis pour la premire fois en France en 1994.

    T

    ABLEAU

    3. R

    PARTITION

    DES

    ALBUMS

    SELON

    L

    INTENTION

    DIDACTIQUE

    OU

    LUDIQUE

    ,L

    GE

    DU

    LECTORAT

    ET

    LE

    SEXE

    DES

    CRATEURS

    (

    EN %)

    Lectorat de 0 3 ans Lectorat de 4 9 ans

    Hommes Femmes quipesmixtes Hommes Femmesquipesmixtes

    Intention didactique 26,7 57,5 51,7 57,3 71,8 53,4

    Intention ludique 73,3 42,5 48,3 42,7 28,2 46,6Total 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0

    Source : tude de 537 albums illustrs destins aux 0-9 ans publis pour la premire fois en France en 1994.

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    Parmi les 301 ouvrages finalit didactique, cinq grandes thma-tiques classiques se dtachent :

    la dcouverte du monde au sens large, comprenant la vie quoti-dienne et son cortge de ftes, la nature, les mtiers (26,9 %);

    lexpos de valeurs telles que la libert, la justice, la solidarit(25,2 %) ;

    les problmes psychologiques et autres questions propres len-fance comme la peur, les interdits, le sommeil (24,2 %);

    les relat ions familiales et humaines les relat ions parents/ enfants, les relations dans la fratrie (10 livres), le sentiment amoureux(7 livres) occupent une place notable avec 14,9 % des albums;

    enfin, la veine traditionnelle des vices et des vertus est reconvertieen thmatique des dfauts (lgosme, le mensonge, le vol, etc.) et desqualits (le courage, lamiti, etc.) dans 8,6 % des albums.

    Si aucun ouvrage naborde la question de lgalit des sexes, un livretraite spcifiquement de la transmission du rle fminin traditionnel de lamre la fille.

    Les albums sont remarquables par la grande simplification desrepres historiques, gographiques, culturels et sociaux. Livres dappren-tissage, ils rendent paradoxalement assez peu compte de la diversit dumonde. Les histoires se dro ulent massivement lpoque actuelle

    (80,1 %), laissant fort peu de place au pass (3,4 %). Les poques imagi-naires sont rares (6,5 %) et sont plus souvent voques par les hommes(11,4 % des rcits). Enfin, une proportion non ngligeable dhistoires(10,1 %) sont frappes dintemporalit, ce qui est propice lnonciationde vrits gnrales.

    La forte contextualisation dans lpoque actuelle saccompagnecependant dune vocation frquente du milieu rural qui sert de cadre plus du tiers des rcits (36,6 %), devanant largement lespace urbain(13,4 %) (13) et la nature sauvage, apanage des histoires danimaux(10,2 %). Les contres trangres (1,9 % des albums) sont les grandesabsentes. Dcouvrir la socit actuelle dans sa varit gographique etculturelle nest pas lobjet de lalbum. Cette hypothse est confirme parle nombre de rcits qui se droulent dans des dcors sans marquagegographique (28,5 %), la plupart dentre eux se situant lintrieur dunemaison. La focalisation sur lespace intrieur sexplique par laccent missur lenfant et la famille et les intentions didactiques telles que lappren-tissage des valeurs, lvocation de problmes psychologiques ou de rela-tions familiales. Ainsi, assez logiquement, cest le plus souvent le cas desrcits fminins.

    (13) Chamboredon et Fabiani (1977) signalaient la raret des reprsentations ralistes de laville.

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    Dans cet espace-temps spcifique latemporalit de la nature et delintriorit , il nest pas tonnant que les caractristiques sociales soientabsentes de 84,2 % des ouvrages. Quant aux 15,8 % dalbums qui situentsocialement leurs personnages, ils mettent en scne une vaste classe inter-mdiaire que lon peut qualifier de classe moyenne (9,8 % des albums).Mme avec une implantation rurale prdominante, 13 albums seulementvoquent des paysans (2,4 %). Le monde rural nest pas celui des paysans,fait paradoxal mais en partie en adquation avec lvolution de la socitactuelle. Lindiffrenciation du milieu social se retrouve quel que soit lesexe des crateurs. Elle est cependant moins frquente si les quipes sontmixtes : 21,2 % de leur production est situe socialement.

    La premire explication cette neutralisation des repres et des

    codes est que, codit ion et mondialisat ion obligent, les rfrencessociales, culturelles, historiques et gographiques prcises doivent tresoigneusement vacues. Pour vendre partout, il faut prsenter une ralitexempte de tout particularisme. Plus fondamentalement, cette sorte demonde archaque protge des mouvances de la modernit. Nolens volens,on aboutit la reprsentation dun monde fixe, neutre, rassurant, supportpossible dune moralisation, et linculcation de rgles qui en deviennentatemporelles et universelles. Dans ce cadre o les repres sont estomps,voire brouills, le personnage prend toute son ampleur.

    Examinons donc dabord les caractristiques des personnages (selon

    le sexe, le rle, la catgorie et lge) avant dtudier leurs fonctions fami-liales et sociales et de nous interroger sur lincidence du sexe des cra-teurs et cratrices sur les reprsentations.

    III. Lidentit des personnages

    1. Une asymtrie entre les sexes ds la couverture et le titre

    Le premier contact du lecteur ou de ses parents avec un album illus-tr passe par la couverture, dont lattrait est essentiel dans le choix dulivre. Le titre comme lillustration de couverture font demble une largeplace aux personnages masculins.

    Dans la majorit des cas, le titre tablit un premier contact avec unseul personnage, de sexe masculin (tableau 4). La prpondrance des per-sonnages masculins est nette : plus du tiers des albums ont un titre quisuggre un seul personnage masculin. Ds lapparition du deuxime per-sonnage, la prdominance masculine perd de son ampleur et fait jeu gal

    avec la mixit, la prsence fminine seule tant marginale.La prsence dun personnage sur limage de couverture est quasi

    gnrale (seuls 8 albums drogent cette rgle). Lillustration de couver-

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    LES REPRSENTATIONS DU MASCULIN ET DU FMININ DANS LES ALBUMS ILLUSTRS 273

    ture, seul indice pour le plus jeune lectorat qui ne lit pas encore, renforcetrs fortement la prdominance masculine constate ds le titre : plus destrois quarts des illustrations (77,7 %) concernent un personnage masculin,alors que sur moins de la moiti des couvertures (48,9 %) figure au moinsun personnage fminin.

    2. La prdominance masculine saffirme au fil de lalbum

    En ouvrant lalbum, le lecteur et la lectrice feront, le plus souvent, laconnaissance de deux ou de trois personnages : 19 % des albums narrentles aventures de deux protagonistes et 20,5 % de trois. Dans 14,5 % descas, ils rencontreront un quatrime personnage et devront se contenterdans 13,4 % des cas de la compagnie dun seul hros.

    La prsence masculine saffirme lintrieur des albums. Alors quela plupart prsentent au moins un personnage de sexe masculin, moins destrois quarts mettent en scne un ou plusieurs personnages de sexe fminin(tableau 5). Ce dsquilibre est encore accru chez les enfants : les petitesfilles apparaissent dans moins de la moiti des albums.

    Les personnages au sexe non identifiable sont extrmement rares, en

    particulier chez les adultes (6 albums concerns seulement), le doute tantplus frquent chez les enfants (5,2 % des albums).

    TABLEAU 4. RPARTITIONDESALBUMSSELONLESEXEDESPERSONNAGESVOQUSDANSLETITRE (EN %)

    Masculin Fminin Mixte Sexeindtermin Total

    Un seul personnage 35,2 13,0 5,8 54,0

    Deux personnages 4,1 0,5 4,1 4,5 13,2

    Un groupe ou une famille 3,8 0,9 4,5 0,3 9,5Sans personnage 23,3

    100,0

    Lecture : 35,2 % des albums ont un titre voquant un seul personnage de sexe masculin.Source : tude de 537 albums illustrs destins aux 0-9 ans publis pour la premire fois en France en 1994.

    TABLEAU 5. PROPORTIONDALBUMSPRSENTANTDESPERSONNAGESFMININSETMASCULINSSELONLAGNRATION (EN %)

    Personnage Masculin Fminin

    Adulte 62,8 56,6Enfant 56,8 42,5

    Ensemble 90,1 72,8

    Lecture : 62,8 % des albums mettent en scne un adulte de sexe masculin.Source : tude de 537 albums illustrs destins aux 0-9 ans publis pour la premire fois en France en 1994.

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    3. Lincidence de la catgorie du personnageen termes de sexe et dge

    Nous lavons vu, trois catgories de personnages prdominent. Lamoiti des albums (50,5 %) privilgient la reprsentation humaine et42,3 % la reprsentation animale anthropomorphique (animaux humanissou habills), les animaux rels figurant dans 18,2 % des albums. La majo-rit des albums utilisent une seule catgorie de personnages, 7,6 % mlenthumains et animaux humaniss, 6,7 % humains et animaux rels, 3,5 %animaux humaniss et rels. De fait, la reprsentation humaine est forte-ment concurrence par la reprsentation animale.

    Si lanimal a toujours hant la littrature, que ce soit dans les

    mythes, les lgendes, les contes , les sa t i res ou les fabl iaux, i l es taujourdhui plus spcifiquement lapanage de la littrature enfantine. Plu-sieurs explications cette prsence de lanimal ont t avances : lapolysmie de la communication et la richesse de linterfrence animalit/humanit, la corrlation avec labsence de plus en plus marque dani-maux dans la vie de lenfant, la fonction symbolique, la vise scientifiqueet pdagogique des livres sur les animaux rels, ou encore la fonction desocialisation grce au dtour par lanimal-masque qui sert de modle decomportement (Nires, 1989; Douailler, 1979; Parmegiani, 1992). Cepen-dant, au-del du risque de dnaturation de lanimal, lutilisation de lani-

    mal rel, la croise des discours idologiques sur la nature et la culturenest pas sans ambigut ni risque, dautant que le glissement vers larepr sen ta t i on huma ine se f a i t pa r l e b i a i s d e l an ima l dgu i s ,anthropomorphe : les lois animales prennes ne sont pas quivalentes auxlois humaines, historiques et culturelles. Lanimal, sil permet la gn-ralisation et la distanciation, autorise aussi leffacement de lhistoire, de latechnique et de la culture, la simplification et la hirarchisation du monde,le maintien dun statu quo dans lordre social et notamment dans les rap-ports entre les sexes (Guillaumin, 1992).

    La frquence des reprsentations denfants varie selon les catgories

    de personnages. Ainsi, les enfants peuplent davantage lunivers humainque lunivers animal, humanis ou non : 91,9 % des albums reprsentantdes humains comptent un enfant parmi les personnages, et ce nest le casque dans 72,2 % des l ivres danimaux habi l ls e t dans 63,3 % desouvrages danimaux. Quant aux adultes, dont il faut souligner la forte pr-sence dans ce genre littraire destin aux enfants, quelle que soit la cat-gorie des personnages, ils figurent dans les trois quarts des albums.Toutefois, limportance de ladulte est attnue par un accs nettementmoindre au rle principal que pour les enfants (voir infra, tableau 7).

    Ensuite, le dsquilibre entre les sexes dpend des catgories de per-

    sonnages. Dans 91,9 % des albums dhumains apparat un reprsentant dusexe masculin et dans 84,5 % un personnage de sexe fminin. La probabi-lit de croiser un personnage masculin crot lgrement dans les albums

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    danimaux humaniss et celle de croiser un personnage fminin dcrot(tableau 6). Ces tendances saccentuent dans les albums danimaux rels,qui comportent par ailleurs une part importante de personnages dont lgecomme le sexe sont indtermins ce qui confirme lutilisation de lani-mal comme projection de lenfant en devenir : lanimal permet de gommerles marques sexuelles et gnrationnelles. La disparit entre les sexessamplifie dans les reprsentations denfants au dtriment des petites fillesdont la prsence se rarfie en passant du monde des humains celui desanimaux humaniss puis celui des animaux rels.

    Le monde humain apparat comme plus complexe et plus raliste,avec le plus grand quilibre entre les ges et entre les sexes. lautreextrmit, le monde des animaux rels se distingue par une reprsentationplus frquente du masculin et de ladulte. Ltude des situations de mixiten apporte la confirmation. Pour quil y ait mixit, un album doit compterau minimum deux protagonistes. Parmi les albums qui rpondent ce cri-tre, la mixit est plus frquente chez les humains : 85,1 % des albumsmettent en prsence des personnages, enfants ou adultes, de sexe oppos;cette proportion est de 78 % pour les animaux habills et de 76,2 % pour

    les animaux rels.Quelle que soit la catgorie des personnages, la prdominance mas-

    culine se vrifie. Elle est confirme par ltude de la sexuation des per-sonnages darrire-plan et des personnages de foule. En effet, dans lamajorit des albums (65,2 %), les personnages principaux et secondairessont entours de personnages darrire-plan, enfants ou adultes. Il est pos-sible dtudier leur sexuation dans 171 albums faisant place des enfants :le masculin domine dans 53,2 % des cas, le fminin dans seulement33,9 % des cas. Sur les 262 albums reprsentant des adultes sexuellementidentifiables, la domination numrique masculine est encore plus accen-

    tue (61,1 % contre 26 % de cas de surreprsentation fminine).Le mme poids du masculin a t remarqu dans les 97 scnes de fou-

    les tudies, dans des lieux aussi diffrents que la rue, lcole, le march, la

    TABLEAU 6. PROPORTIONDALBUMSPRSENTANTDESPERSONNAGESFMININSETMASCULINSSELONLAGNRATIONPARCATGORIE (EN %)

    Personnage HumainsAnimauxhumaniss Animaux rels

    Adulte masculin 64,2 66,5 70,4Adulte fminin 61,6 55,5 59,2

    Enfant masculin 66,1 57,3 39,8Enfant fminin 59,8 37,9 31,6

    Ensemble masculin 91,9 94,3 95,9Ensemble fminin 84,5 74,4 69,4

    Lecture : 64,2 % des albums qui mettent en scne des humains prsentent un adulte de sexe masculin et66,5 % des albums qui mettent en scne des animaux humaniss prsentent un adulte de sexe masculin.Source : tude de 537 albums illustrs destins aux 0-9 ans publis pour la premire fois en France en 1994.

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    foire ou le restaurant. Dans la majorit des foules, les hommes sont plusnombreux. La parit prdomine chez les enfants, mais dans presque untiers des foules, les garons sont plus nombreux que les filles.

    4. Une hirarchie tablie entre les sexespar les rles des personnages

    Le dsquilibre numrique observ au profit du masculin devient hi-rarchisation ds lors que lon considre les rles tenus (personnage princi-pa l un i que ou h r o s , pe r s onna ge p r i nc i pa l pa r t a g , pe r s onna gesecondaire).

    Le sexe fminin accde peu au rle principal, au rang de lhrone aucentre des vnements (tableau 7). La sous-reprsentation des femmesadultes est particulirement saisissante. Seul le partage du rle de hrospermet datteindre un certain quilibre entre les sexes, du moins chez lesenfants. Ainsi, lorsquun adulte est personnage principal, quil partage ounon ce rle, il sagit presque toujours dun homme. En outre, les albumso plusieurs adultes masculins sont personnages principaux sont plusnombreux que ceux o le groupe dadultes est mixte.

    Lingalit des rles en fonction de lge et du sexe doit cependanttre nuance selon que les albums relatent les aventures dhumains oudanimaux humaniss. Chez les humains, lenfant est plus souvent person-nage principal, unique ou partag (64,2 % des albums) que chez les ani-maux humaniss (53,3 % des albums). linverse, les adultes sont bienplus souvent personnages principaux chez les animaux habills (18,1 %

    contre 5,9 % chez les humains).La diffrence essentielle entre les deux populations dhumains etdanimaux humaniss concerne les filles. Alors que chez les humains,

    TABLEAU 7. RPARTITIONDESALBUMSSELONLESEXEETLAGNRATIONDESPERSONNAGESPRINCIPAUX (EN %)

    Personnages principaux Masculin Fminin Mixte Total

    Un enfant 20,5 14,1 34,6Un adulte 9,1 1,7 10,8Plusieurs enfants 4,6 2,4 9,9 16,9Au moins un enfant et un adulte 3,9 1,1 5,6 10,6Plusieurs adultes 5,0 1,5 2,1 8,6Total 43,1 20,8 17,6 81,5Autre (1) 18,4

    100,0(1) Il sagit des albums o coexistent diffrentes catgories de personnages et o le personnage principal estpar exemple un personnage lgendaire ou mythique, un jouet, un robot, catgories exclues de ltude.Lecture : dans 20,5 % des albums, le personnage principal est un enfant de sexe masculin.Source : tude de 537 albums illustrs destins aux 0-9 ans publis pour la premire fois en France en 1994.

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    filles comme garons campent un personnage principal unique dans envi-r o n 2 1 % d e s a l b u m s , c h e z l e s a n i m a u x h u m a n i s s l c a r t e s tconsidrable : 25,1 % des albums ont un hros, 10 ,6 % une hrone. Ladiffrence est encore plus nette au sein des albums ayant comme person-nage principal un seul enfant : 48,2 % de garons chez les humains,70,4 % chez les animaux humaniss. En outre, il y a surreprsentation deshommes adultes tenant le rle de hros chez les animaux humaniss(14,5 % des albums), lie celle des adultes dans cette catgorie de per-sonnages. Cette mme proportion nest que de 5,5 % chez les humains.

    5. Les fonctions familiales : la primaut de la mre

    Le personnage de lalbum illustr peut galement tre dfini par safonction familiale. Prs de la moiti des histoires dhumains (48,7 %) fontintervenir un parent et 14,4 % un grand-parent, soit davantage que chez lesanimaux humaniss (37 % et 12,2 % respectivement).

    Cependant, le point commun aux deux catgories humaine et animaleest de faire figurer plus de mres que de pres, plus de grands-mres quede grands-pres, bien que dans les deux cas, les albums prsentant des per-sonnages fminins soient moins nombreux. Ainsi, la fonction maternelleest omniprsente dans les albums (40,4 %) et apparat comme le modledominant de ladulte fminin, surtout pour les humains : seuls 20 % desalbums dhumains et 25 % des albums danimaux humaniss proposent unpersonnage fminin adulte qui nincarne pas de fonction maternelle(tableau 8). linverse, le modle adulte masculin est plus divers : plus dutiers des albums avec des humains et la moiti de ceux avec des animauxhumaniss proposent des adultes masculins qui nincarnent pas de fonc-tion paternelle.

    TABLEAU 8. PROPORTIONDALBUMSPRSENTANTAUMOINSUNADULTESELONSAFONCTIONFAMILIALEPARCATGORIE (EN %)

    Humains Animauxhumaniss Ensemble

    Pre 32,8 23,3 30,1Mre 42,4 33,0 40,4Grand-pre 5,9 0,9 4,0Grand-mre 10,7 1,8 6,8Autre adulte de sexe masculin 34,7 50,7 40,4Autre adulte de sexe fminin 19,9 25,1 22,0

    Lecture : dans 32,8 % des albums mettant en scne des humains, on rencontre un pre.Source : tude de 537 albums illustrs destins aux 0-9 ans publis pour la premire fois en France en 1994.

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    6. Lactivit professionnelle est majoritairement masculine

    Les adultes peuvent se voir attribuer une fonction sociale traversleur activit professionnelle (Brougenz et Tilliaud, 1992). Le travail appa-rat comme une activit essentiellement masculine : 32 % des albumsmontrent un homme au travail et 15 % une femme. cet cart sajoute uneingalit criante : les femmes, humaines ou animales habilles, restentcantonnes dans les mtiers de lenseignement, des soins aux enfants et ducommerce (tableau 9). De surcrot, une rparatrice de cycles, une horlo-gre et une cordonnire font leur mtier en dpit du bon sens, une vachepilote davion provoque un crash Le travail fminin est dvaloris. Enrevanche, les professions des hommes sont plus diversifies et valorisantessocialement. Lactivit professionnelle des paren ts, rare au demeurant,sera considre ultrieurement.

    7. Le sexe des crateurs a-t-il une incidence?

    Dans une tude sur les reprsentations dans une perspective degenre, il a sembl important de procder une relecture des rsultats enprenant en considration le sexe des crateurs. Sous cet angle, seront ainsiabords successivement : les titre et couverture, les catgories de person-nages, lge des personnages, limportance des rles et les fonctions fami-liales. Nous laissons de ct les fonctions professionnelles tant donn lapetite taille du sous-chantillon correspondant.

    Quel que soit le sexe des crateurs, lorsque le titre et la couverturevoquent un seul personnage, celui-ci est majoritairement masculin(tableau 10). Les crateurs (hommes) font la plus large place la prsencemasculine. Quant aux quipes fminines, si elles favorisent davantage lareprsentation graphique dlments fminins sur la couverture, elles nefont gure place aux lments fminins dans les titres. En revanche, les

    TABLEAU 9. NOMBREDALBUMSMETTANTENSCNEUNPERSONNAGEMASCULINOUFMININSELONLETYPEDACTIVITPROFESSIONNELLE

    Type dactivit professionnelleNombre dalbums mettant en scne

    un personnage

    Masculin Fminin

    Enseignement et soins aux enfants 6 27Commerce 44 16Mdecine 20 1Arts 25 6Aventure et nature 36 2Ordre et justice 38 1Sciences et mtiers intellectuels 10 1Politique 7 1

    Source : tude de 537 albums illustrs destins aux 0-9 ans publis pour la premire fois en France en 1994.

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    quipes mixtes rservent une place plus importante aux personnagesfminins, sans sacrifier la prsence masculine : dans 28,6 % des publica-tions mixtes, le premier personnage est fminin (contre 23,8 % dans lescrations masculines et seulement 14,7 % de la production fminine) ; desurcrot, quand un second personnage existe, il est plus volontiers de sexefminin que chez les crateurs et les cratrices.

    Le choix de la catgorie de personnages varie selon le sexe descrateurs : la reprsentation animale est choisie tant par les quipes mas-culines que par les quipes mixtes; la reprsentation humaine est prfrepar les quipes fminines. En consquence, ces dernires mettent plus

    TABLEAU 10. INCIDENCEDUSEXEDESCRATEURSSURLESPRINCIPAUXRSULTATS(EN %)

    Sexe des crateurs Hommes Femmes quipes mixtes

    Rpartition des albums dont le titre voque un personnage selon son sexe : masculin 72,6 61,9 58,2 fminin 23,2 22,0 32,8 indtermin 4,2 16,1 9,0

    Proportion dalbums dont le titre voque 2 personnages : dont au moins un masculin 90,5 68,3 85,7 dont au moins un fminin 42,8 35,3 64,3

    Proportion dalbums dont lillustration de la couverture reprsente : au moins un adulte masculin 77,2 74,5 81,8 au moins un adulte fminin 34,3 47,0 54,5

    Proportion dalbums narrant les aventures : dhumains 44,0 56,4 53,0 danimaux humaniss 44,6 38,7 43,9

    danimaux rels 20,1 13,2 25,0Proportion dalbums mettant en scne : des enfants 64,7 85,8 74,2 des enfants masculins 48,4 60,8 60,6 des enfants fminins 33,2 46,1 51,5

    Proportion dalbums mettant en scne : des adultes 76,1 70,6 84,9 des adultes masculins 65,7 52,4 76,5 des adultes fminins 50,5 57,8 65,2

    Proportion dalbums dont le personnage principal est :

    un enfant masculin 16,8 24,0 15,9 un enfant fminin 9,8 16,2 16,7 un adulte masculin 11,4 4,9 13,6 un adulte fminin 2,2 1,5 1,5

    Proportion dalbums mettant en scne : au moins un parent 41,3 45,9 51,7 au moins une mre 54,8 63,5 62,8 au moins un pre 30,6 46,7 46,5

    Source : tude de 537 albums illustrs destins aux 0-9 ans publis pour la premire fois en France en 1994.

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    volontiers en scne des enfants, par ailleurs majoritaires chez les humains.Dans les productions fminines, la prsence des filles stoffe, mais restetrs en-de de celle des garonnets qui trouvent l une place de prdilec-tion, non seulement en nombre, mais aussi en qualit de hros. Les cra-trices noffrent pas de chance supplmentaire aux filles. Comme pour lacouverture, force est de constater que cest la mixit des quipes quidonne un coup de pouce aux grandes oublies que sont les petitesfilles, en leur accordant un peu plus de place que chez les crateurs et lescratrices, et surtout en leur confrant lgrement plus quaux garons lestatut dhrone.

    La mixit des quipes favorise galement la reprsentation adulte etla reprsentation adulte fminine. Cependant, seules les cratrices vont

    jusqu privilgier les adultes fminins, mais cette prfrence ne stendjamais au rle principal. Quel que soit le sexe des auteurs, la proportion delivres dont le personnage principal est une femme nexcde pas 2 % et lesalbums ayant un adulte masculin pour hros sont toujours les plus fr-quents, mme si lcart est moindre chez les cratrices. En ralit, lameilleure visibilit des femmes adultes chez les quipes fminines etmixtes est lie une surreprsentation des mres. Les cratrices et lesquipes mixtes utilisent aussi plus souvent que les crateurs la fonctionpaternelle, fonction qui reste malgr tout minoritaire.

    Notre tude des personnages des albums illustrs confirme, aprs

    dautres travaux sur la littrature de jeunesse et les manuels scolaires, lasurreprsentation masculine(14) sur fond datemporalit. Cette prdomi-nance apparat dans toute son ampleur grce la prise en compte non seu-lement des hros et des hrones, mais aussi des personnages secondaires,darrire-plan et des foules, des adultes et des enfants, des titres et descouvertures, et enfin par lentre en jeu des trois catgories essentielles depersonnages, dont certaines taient jusqualors ngliges. Plus encore,cette prdominance savre domination par la hirarchisation qui est luvre, comme le dvoile larticulation de ces donnes avec les rles etles fonctions endosss, sexuellement diffrencis.

    Demble et tout au long du livre dimages, de lavant-scne larrire-plan, le masculin domine le fminin, prenant appui sur le poidsde la gnration adulte (mme si la gnration enfantine accde davantageau rle principal) et sur la concurrence entre populations animale et hu-maine.

    Privilgis pour le plus jeune lectorat quil sagit daider grandir,les animaux introduisent massivement et prioritairement comme hrosladulte masculin. Ladulte fminin existe bien, mais figure la secondeplace. Viennent ensuite les animaux anthropomorphes qui renforcent laconstruction dune identit masculine en laissant merger, ct deladulte masculin, lenfant masculin. La prsence fminine sestompe. La

    (14) Par exemple, Rosenberg, 1976; Rignault et Richert, 1997; Guillaume, 1999; Lelivreet Lelivre, 2001.

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    reprsentation humaine prend alors dans une troisime tape le relais. Elleoffre un meilleur quilibre entre les gnrations et les sexes, ce qui favo-rise lapparition de la petite fille (particulirement sous-reprsente chezles animaux) son tour hrone et galit avec le petit garon; enfin, lafamille prend de limportance. Nanmoins, les femmes adultes sont pri-ves de laccs au statut de personnage principal et sont tenues lcart dechamps entiers de lactivit professionnelle, cantonnes dans la fonctionmaternelle. Nud gordien de la domination masculine, le modle de lamre reste prdominant, alors que la fonction paternelle nest quune desfacettes de lidentit masculine, largement inscrite dans lchelle socialepar le mtier et limportance du rle. Avec les humains, il sagit, ensadressant aux plus gs, de construire des rapports sociaux de sexe et ilssont ingalitaires.

    Dans la contigut entre lanimal et lhumain, encourage par leffa-cement des repres espace/temps, les reprsentations, influences par lesexe des crateurs, sharmonisent et suniformisent dge en ge. Lamixit des quipes de cration fait plus souvent place, toutes les tapes,au fminin et notamment la petite fille, ainsi qu la mre et au pre.Quant aux quipes fminines, elles mettent en avant la fois les enfants,les femmes adultes et les fonctions parentales, ce qui pourrait amorcer uneremise en cause de la domination adulte masculine. Pour autant, cratriceset quipes mixtes ne sautorisent pas bouleverser lordre des sexes :

    dune part, le masculin nest jamais sacrifi ; dautre part, le fminin nac-cde pas au premier plan. Ainsi sinstalle, usage des enfants, la valencediffrentielle entre les sexes (Hritier, 1996).

    IV. Les reprsentations de la famille

    Dans cette mise en scne de rapports sociaux de sexe, la reprsenta-tion de la famille tient une place importante : 39,7 % des 537 albums de

    lchantillon traitent de la famille. Au total, ce sont 234 familles qui sontdonnes voir dans 213 albums, soit plus dune famille par album enmoyenne, incarnes essentiellement par des personnages humains : oncompte 139 familles dhumains et 86 familles danimaux habills. cestade de notre tude, une analyse par population plutt que par album asembl plus pertinente, afin de faire ressortir les caractristiques de cha-cune des deux populations prdominantes (humains et animaux humani-ss), les animaux rels tant exclus(15).

    Deux modles coexistent : les familles avec deux parents qui sontprdominantes (126 familles, soit 53,8 %) et les familles monoparentales

    qui sont reprsentes par 25 famil les (10,7 %), la composi t ion de

    (15) En effet, il nest pas lgitime de mettre sur le mme plan la socit animale.

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    83 familles (35,5 %) restant inconnue(16). Ce pourcentage notable de situ-ations inconnues rsulte de ce que nombre dhistoires se droulent dansune unit de temps restreinte (moins dune journe) avec linterventiondun seul parent. Il est noter quil existe autant de familles monoparen-tales avec la mre quavec le pre(17), soit 10 familles, 5 familles ayant leur tte un autre adulte. Les causes de la monoparentalit ne sont pasexplicites : aucune distinction nest possible entre le clibat, le veuvageou le divorce.

    Les familles danimaux habills ont une structure plus traditionnelleque les familles dhumains : 62,8 % comprennent un pre et une mre(contre 48,9 %) et 7 % sont monoparentales (contre 13,7 %).

    Les familles enfant unique sont prdominantes, et ce, quelle que

    soit la structure de la famille : 76 % des familles monoparentales ont unenfant, et 52,4 % des familles avec deux parents. Les familles ayant deuxenfants, quoiquassez frquentes (21,6 % chez les humains, 14 % chez lesanimaux habills), le sont moins que dans la ralit(18). En matire den-fants, les animaux humaniss sont l encore dtenteurs dun comportementplus classique (tableau 11). Concernant les familles de quatre enfants etplus, leur part varie du simple au double, des humains aux animaux ha-bills. Y contribuent les fameuses familles de lapins et de rats, dont la fer-tilit semble dans lordre des choses.

    La prise en compte du sexe de lenfant an met en vidence unenouvelle forme de hirarchisation entre les sexes. Dans 46,8 % desfamilles humaines, lan est un garon, dans 27,7 % une fille. La placedans la fratrie est moins perceptible chez les animaux habills, et dans51,5 % des cas, il nest pas possible de dterminer le sexe de lan.

    (16) Les familles monoparentales constituent 10,1 % des mnages en France en 1999(ministre de lEmploi et de la Solidarit, 1999).

    (17) Chalvon-Demersay, 1996 : Ce qui frappe dans lunivers des tlfilms est la frquencedes cas dans lesquels lenfant est lev par son pre, alors que cette situation est tout fait margi-

    nale dans la ralit cest toujours autour du pre que lattention se focalise cest que le lienpaternel est le plus fragilis par le dclin de linstitution matrimoniale. (18) La famille deux ou trois enfants est lidal trs largement dominant. Pour prs de la

    moiti des hommes et des femmes gs de 15 45 ans, le nombre idal denfants dans unefamille stablit deux, et, pour prs de 4 sur 10 trois. [] La taille moyenne des familles estproche du nombre idal. (Toulemon et Leridon, 1999).

    TABLEAU 11. RPARTITIONDESFAMILLESSELONLENOMBREDENFANTSENFONCTIONDELACATGORIEDEPERSONNAGES (EN %)

    Nombre denfants Humains Animaux humaniss

    1 66,3 61,62 21,6 14,03 5,0 7,04 ou plus 7,2 16,3Non identifiable 0,0 1,2

    Total 100,0 100,0

    Source : tude de 537 albums illustrs destins aux 0-9 ans publis pour la premire fois en France en 1994.

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    Lcart entre les filles et les garons reste cependant manifeste : dans36,4 % des familles danimaux habills lan est un garon, contre 9,1 %de filles.

    1. Les enfants : un devenir sexu encore prserv

    La population enfantine des 537 albums slve au total 688 en-fants humains ou animaux humaniss. Elle se rpartit entre 407 enfants desexe masculin (60 %) et 281 de sexe fminin (40 %). Cette rpartition estde 70 % contre 30 % dans la seule sous-population des animaux habills.Moins nombreux que les adultes, les enfants ont nanmoins plus souventle rle de personnage principal. Dans les albums o le personnage princi-

    pal est un enfant, celui-ci est dans 60 % des cas un garon et dans 40 %une fille. Les pourcentages sont rigoureusement identiques en ce quiconcerne les personnages pr inc ipaux par tags e t l es personnagessecondaires.

    Les enfants ont t observs du point de vue de leur personnalit, deleurs objets caractristiques et de leurs actions.

    Prs de la moiti des enfants, garons comme filles, ont un trait decaractre marqu. Au moment de la collecte, 75 traits de caractre ont trecenss et agrgs en 7 items (tableau 12).

    Les garons et les filles sont dcrits avec des profils globalementsimilaires, les qualits humaines ou intellectuelles primant sur les dfauts.Cependant, le profil fminin se dessine plus positivement, notamment parlattribution aux filles de davantage de qualits intellectuelles elles sont25,4 % avoir une qualit intellectuelle contre 18,7 % des garons etpar laffectation, certes trs marginale, aux garons de traits de caractremoins valoriss comme la turbulence et la timidit. Les caractres fmi-

    nins et masculins strotyps (notamment le garon bagarreur et taquin, lafille rveuse et peureuse) sont quasiment absents puisquon enregistreseulement 2,1 % de cas de turbulence et taquineries pour les garons et1,7 % de cas de rverie pour les filles. Les petites hrones donnent plus

    TABLEAU 12. PROPORTIONDEGARONSETDEFILLESPRSENTANTUNTRAITDECARACTREDONN (EN %)

    Trait de caractre Garons Filles

    Qualits intellectuelles 18,7 25,4Qualits humaines 22,2 23,6Dfauts intellectuels 1,6 1,0Dfauts humains 7,6 7,9Timidit et solitude 1,4 0,0Turbulence et taquineries 2,1 0,0Rverie et insouciance 0,7 1,7

    Source : tude de 537 albums illustrs destins aux 0-9 ans publis pour la premire fois en Fance en 1994.

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    souvent limpression dtre des porte-tendards, sinon de perfection, dequalits : serait-ce la condition pour avoir droit de cit dans les livres ? Il ya dans les livres peu de petites filles banales qui simplement samusent(19).

    Pour affiner lanalyse, nous avons tri parmi les 75 items chaqueca rac t re a t t r i bu au moins 5 % des ga rons ou 5 % des fi l l e s(tableau 13). Deux strotypes sexistes classiques resurgissent : la gour-mandise fminine et le clivage entre intelligence et imagination, renforcpar la plus grande sensibil i t fminine. En revanche, deux contre-strotypes sont noter : le garon est plus souvent gentil et serviable quela fille, elle est plus entreprenante et courageuse que lui. En fait, les por-traits psychologiques il faut le dire, trs lmentaires se rapprochent,les qualits sentremlant pour, dans un double mouvement, tourner la fille

    vers lextrieur et confrer au garon plus dintriorit.

    Concernant les attributs, possds en nombre significatif, les diff-rences saccentuent. Certes, garons comme filles sont dots en priorit depoupes, peluches ou autres objets transitionnels et danimaux, mais lesfilles en possdent plus souvent (46,6 % contre 37,9 % des garons).Quant aux jeux de plein air, ils sont lapanage des garons (8,6 % contre1,4 % des filles).

    Les actions, nombreuses, renforcent la diffrenciation sexuelle.18 champs dactions ont t identifis. Lactivit la plus rpandue chez lesfilles (prs dun quart la pratiquent) est davoir des fonctions mnagres etmaternelles, tandis que lactivit prfre des garons est de vivre desaventures (17,9 %). Les deux activits principales de lun et lautre sexesont bien de lordre de la reproduction des rles sexus, considrs tradi-tionnellement. Toutefois, avoir des activits mnagres ou de soins auxenfants arrive en deuxime position pour les garons (16,9 %). Cest doncpar lintensit de la pratique ou par les carts de pratique entre chaquesexe que sintroduit une diffrenciation. Plus insidieusement, pourrait-ondire, lingalit nest dcelable qu lanalyse, car, dune manire gn-

    (19) Cf. Montardre, 1996.

    TABLEAU 13. PRINCIPAUXTRAITSDECARACTREDESGARONSETDESFILLES (EN %)

    Les garons Les filles

    Qualit Pourcentage Qualit Pourcentage

    Gentil 9,5 Entreprenante 11,6Astucieux 5,8 Gentille 8,2Sensible 5,5 Sensible 7,9Serviable 5,5 Courageuse 7,2Entreprenant 5,5 Imaginative 6,5

    Courageux 5,5 Gourmande 5,8Intelligent 5,3

    Source : tude de 537 albums illustrs destins aux 0-9 ans publis pour la premire fois en France en 1994.

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    rale, ce qui sobserve lil nu, cest que garons et filles se livrent auxmmes activits.

    Ainsi, quatre activits sont dominante fminine : se pompon-ner, se dguiser (+ 7,4 points par rapport aux garons), avoir des activitsmnagres (+ 6,1 points), se mettre en colre (+ 5,1 points) et danser(+ 4,4 points). Deux activits sont dominante masculine : vivre des aven-tures (+ 3,7 points par rapport aux filles) et faire des btises (+ 3,2 points).

    Lexamen des carts en matire dactivits permet de dr esser unportrait-robot des enfants en fonction de leur sexe. Les garons sont duct du ludique et de lextrieur et ont droit aux btises : leur enfanceest prserve. Pour autant, ils ne sont pas exclus de la maison, du mater-nage, des tches mnagres. Quant aux filles, elles nchappent pas lap-

    prentissage du rle maternel et mnager, prdominant dans les albumscomme nous lavons vu, et ses pendants, censs plus ludiques, ledguisement et la danse. La colre, qui leur est spcifique, renvoie aucaprice fminin.

    2. Les rles sexus saffirment avec les parents

    358 parents et 49 grands-parents (humains et animaux habills) sontrecenss, les fonctions parentales et grand-parentales tant, rappelons-le,

    davantage endosses par les humains. Les deux caractristiques saillantessont que les mres et grands-mres sont plus nombreuses (202 et 31) queles pres et grands-pres (156 et 18), et que cette disparit est renforcepar le rle qui leur est attribu : les mres personnages principaux sontrares (tableau 14).

    Les parents ont t tudis selon les mmes critres que les enfants,mme si limage qui en est brosse est plus simplifie : seul un tiers des

    parents sont dots dun trait de caractre et dune activit. Cela sexpliqueen partie par le fait quils accdent moins au rle de personnages princi-paux notamment les mres. Disponibilit et affection sont les deux traits

    TABLEAU 14. RPARTITIONDESRLESSELONLACATGORIEDEPERSONNAGESETLAFONCTIONFAMILIALE (EN %)

    Chez les humains Chez les animaux humaniss

    Rle des mres Rle des pres Rle des mres Rle des pres

    Personnage principal 0,9 1,1 0,0 5,2Personnage principal partag 11,9 15,7 13,4 15,5Personnage secondaire 82,9 76,4 84,2 70,7Personnage darrire-plan 4,3 6,7 2,4 8,6

    Total 100,0 100,0 100,0 100,0

    Lecture : 82,9 % des mres humaines sont des personnages secondaires.Source : tude de 537 albums illustrs destins aux 0-9 ans publis pour la premire fois en Frane en 1994.

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    de caractre essentiels des parents, sans distinction significative entre lepre et la mre.

    Concernant les activits, elles rpondent fortement aux strotypesde sexe et exactement la ralit (20). Les mres sont essentiellementoccupes aux tches mnagres : par ordre dimportance, cuisiner (13,9 %des mres contre 6,4 % des pres), servir table et mettre la table (12,8 %des mres contre 2,6 % des pres), sadonner aux travaux mnagers detoutes sortes, la vaisselle, la couture, le linge, le rangement. Le symbolede cette assignation aux tches domestiques est le tablier, port par 20,8 %des mres (3,2 % des pres). Dans les albums, les pres se consacrent auxmmes activits dominante masculine que dans la ralit : ils jardinent(6,4 % des pres et 2,5 % des mres) ou bricolent (5,8 % des pres, 1 %

    des mres). Dans la maison, ils se reposent aussi davantage, en lisant lejournal (9,0 % des pres et 1,5 % des mres), en coutant la radio et la t-lvision (6,4 % des pres et 2,0 % des mres). Les lunettes sont leur attri-but ftiche : 12,2 % en portent (4 % des mres). Enfin, faire les courses estla principale activit mixte : elle occupe 8,4 % des mres et 7,1 % despres.

    Lactivit professionnelle des parents est peu suggre dans lesalbums illustrs : 50 parents, soit 13,9 %, exercent une profession, dont35 pres et 15 mres. La combinaison travail/famille est particulirementnie pour les femmes. Dune part, le dsquilibre numrique est important

    et, dautre part, la palette professionnelle masculine est plus large (13 m-tiers pour les hommes, 8 pour les femmes) et plus valorisante. Les pressont aventuriers, mdecins, pharmaciens; les mres sont caissires, insti-tutrices, mannequins.

    Quant aux grands-parents, pour lessentiel humains (on compte seu-lement 3 grands-pres et 3 grands-mres animaux habills), ils sont quasiinexistants dans les albums illustrs et, de surcrot, relgus le plus sou-vent aux seconds rles. Limage des grands-parents, faisant peu de distinc-tions entre les sexes, reste pauvre, de lordre de limage dpinal : desgrands-parents qui soccupent des petits-enfants, jouent avec eux et les

    clinent, sans gure de fonction sociale (Arfeux-Vaucher, 1994). Notonscependant que deux grands-mres permettent daborder la mort. Noussommes loin de la ralit actuelle o les enfants connaissent souvent leursarrire-grands-parents, o les grands-parents exercent encore une activitprofessionnelle et o la fonction est parfois dmultiplie du fait desrecompositions familiales (Segalen et Attias-Donfut, 1998).

    (20) La part de lhomme dans les activits dominante fminine est de [] 11,1% pour

    lentretien du linge, 17,3 % pour le mnage, 19,7 % pour les soins aux enfants, 20,0 % pour lacuisine, 24,2 % pour la vaisselle. Dans les activits mixtes, la part masculine reprsente 35,9 %pour les jeux et lducation des enfants, 42,7 % pour les courses [] Dans les activits domi-nante masculine, [] la part masculine slve 68,5 % pour le jardinage et 87,2 % pour lebricolage. (Brousse, 1999)

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    3. Des relations parents/enfants ingalitaires,renforant la hirarchie des sexes

    Les relations entre parents et enfants sont largement illustres dansles albums, avec 308 occurrences. Deux constats, et non des moindres,simposent : la mre est davantage implique que le pre dans les inter-ac t ions avec l e s enfan t s , e t l e s fi l s en son t ma jor i t a i r ement l e sbnficiaires. De fait, le couple le plus dcrit est celui de la mre avecson fils et la relat ion la moins voque, celle du pre et de sa fille(tableau 15).

    De surcrot, les interactions entre parents et enfants sont diffren-cies selon le sexe de lenfant et celui du parent, comme le met en vi-dence le tableau 16.

    Les principaux types de relations entretenues entre les parents etleurs enfants quels que soient les sexes sont par ordre dimportance lesactivits de jeux et les relations affectives. Contrairement nos hypo-thses de dpart, les relations affectives sont galitaires et, dune maniregnrale, il y a prdominance des activits de jeux lorsque le parent est le

    TABLEAU 15. RPARTITIONDUNOMBREDERELATIONSPARENTS/ENFANTSSELONLESEXE (EN %)

    Type de relation Rpartition

    Mre/Fils 35,4Pre/Fils 25,0Mre/Fille 21,8Pre/Fille 17,8

    Total 100,0

    Source : tude de 537 albums illustrs destins aux 0-9 ans publis pour la pre-mire fois en France en 1994.

    TABLEAU 16. TYPEDERELATIONSPARENTS/ENFANTSSELONLESEXE (EN %)

    Le pre La mre

    Pre/fille Pre/fils Mre/fille Mre/fils

    Actions de la vie courante 10,9 20,8 26,8 27,5Activits de jeux 63,6 54,5 50,8 45,9Relation affective 31,2 32,5 37,3 36,7

    Gronderie/Punition 12,7 19,5 11,9 11,9Interdiction 23,6 9,1 25,4 18,4Encouragement/soutien 14,6 18,2 16,4 22,0Gratification/rcompense 7,3 9,1 4,5 6,4

    Nombre de relations 55 77 67 109

    Lecture : 63,6 % des pres et des filles en relation ont des activits de jeux. Une relation peut prendreplusieurs modalits, ce qui explique que le total par type de relation soit suprieur 100 %.Source : tude de 537 albums illustrs destins aux 0-9 ans publis pour la premire fois en France en 1994.

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    pre et que lenfant est une fille. Notons cependant que, conformmentaux schmas traditionnels, les pres sont plus souvent impliqus dans desrelations de jeux et les mres dans les relations affectives. Les mres sontensuite davantage mises en scne que les pres dans les actions de la viecourante (nourrir, habiller, laver, coucher, promener). Dans ce domaine,limplication des pres est trs diffrente selon quil sagit dune fille(10,9 %) ou dun fils (20,8 %). Ce constat semble rejoindre une ide tradi-tionnellement admise selon laquelle lducation des filles est exclusive-ment confie la mre, tandis que celle des fils est partage en partie avecle pre, la transmission du rle sexu tant ainsi prserve.

    Par ailleurs, parmi les carts qui corroborent les hypothses desexisme, les fils se voient plus souvent tmoigner des encouragements et

    des rcompenses, sources destime de soi, tandis que les filles se voientplus souvent opposer des interdictions. En revanche, les garons sont plussouvent gronds par leur pre. Cette svrit paternelle lgard des fils compense en partie par le fait que le pre pose peu dinterdictions aufils exprime sans doute une exigence suprieure lie la transmission durle sexu. Dailleurs, dans ces domaines plus ducatifs, les rles desparents prsentent galement des carts intressants : la mre incarne plusque le pre la loi en soutenant et en interdisant davantage, tandis que lepre met excution les principes en distribuant davantage que lamre rcompenses et punitions.

    Le tableau de la famille est dans lensemble tel, conventionnel etsuccinct, que la complexit des relations familiales est annihile, au pointque mme les grands-parents en sont largement exclus. Un modle prdo-mine, celui de la famille avec deux parents et un enfant unique ou un filsan. Lalbum est le cadre dune reprsentation de la famille dont lex-trme schmatisation rvle que ce qui se construit, au sein de la famille,ce sont des rapports sociaux de sexe confis de prfrence la reprsenta-tion humaine. Cest pourquoi les mres, malgr le manque dadultesfminins, sont nombreuses mais confines aux rles secondaires ; cestpourquoi les petites filles, mme sous-reprsentes, sont figures chez les

    humains.Tout concourt par petites touches successives assurer subtilement

    la transmission et la reproduction de rles sexuellement diffrencis ethirarchiss. Pas de dmarcation tanche entre les sexes, pas de domainesrservs, de trs rares strotypes (des petites filles gourmandes oucoquettes, les btises des garons), mais des carts de reprsentation quisaccumulent et des rles masculins et fminins qui se prcisent et sefigent dans le passage de lenfance lge adulte. Lapprentissage desrles par identification ladulte du mme sexe lemporterait alors surlidentification un enfant du mme sexe ou serait du moins plus expli-

    cite. Lenfant, dans son devenir sexu, est encore prserv. cet gard, ilest significatif quau stade du caractre et des qualits, les palettes identi-

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    taires se soient largies jusqu tre si semblables (noyes dans la gen-tillesse), si ce nest la lgre tendance lemblmatisation pour les filles.

    partir des activits, sesquisse en pointill la ligne de partage clas-sique entre espace public et espace priv qui reste opratoire pour marquerla diffrence sexue mme si les unes et les autres voluent dans lesmmes lieux. Les filles restent plutt du ct de lintrieur de la maison etentretiennent davantage de liens familiaux (fratrie/cousin(e)s), comme lesmres places en tat de disponibilit par leur rle de personnage secon-daire pour effectuer les tches domestiques et familiales ; les garons et leshommes sont plutt du ct de lextrieur (dans les lieux publics et lanature), tout en sappropriant lespace intrieur. De surcrot, le fminin sevoit marqu du signe moins, sur le plan quantitatif et sur le plan qualitatif,

    dans ses relations familiales et sociales.

    Conclusion

    Au terme de la premire tude quantitative des albums illustrs, nouspouvons rsumer ainsi la situation : la construction didentits et de rap-ports sociaux de sexe est bien au cur de la problmatique des albumsavec llment central que sont les personnages. Ces reprsentations sla-borent, non sur la base de strotypes immdiatement reprables, mais demanire fine et complexe, partir dun ensemble de variables : le sexe,

    lge, le rle (personnage principal, secondaire, darrire-plan), la catgo-rie (personnage humain, animal habill, animal rel), les fonctions paren-tales et les activits professionnelles du personnage, sans ngliger lelectorat auquel est destin louvrage et le sexe des auteurs et illustrateurs.

    Bass sur la suprmatie du masculin et le poids de la gnrationadulte, induisant hirarchisation des sexes et diffrenciations subtiles derles, les albums illustrs vhiculent des rapports sociaux de sexe ingali-taires. La littrature de jeunesse nest pas anodine, comme le laissentcroire le chatoiement de graphismes recherchs et la varit du peuple despersonnages. Elle contribue la reproduction et lintriorisation de

    normes de genre.Certes, la mixit des quipes de cration permet sinon la promotion,

    du moins une meilleure visibilit des filles et des femmes. Mais pour lescrateurs, luniversel reste masculin. Quant aux cratrices, doit-on penserquelles sautocensurent, craignant de crer une littrature enfantinefminine, crite par des femmes, relatant des histoires de filles ou defemmes et donc lue par des filles?

    De rcentes tudes mettent en vidence les strotypes vhiculs parles manuels scolaires. Pour avoir une vision complte des reprsentations

    usage des enfants et des adolescents, il reste tudier les petits romansqui prennent, en abandonnant limage, le relais de lalbum. un lectoratplus g, offre-t-on laccs une ralit humaine mouvante ouverte surdautres possibles ?

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    BRUGEILLES Carole, CROMER Isabelle, CROMER Sylvie. Les reprsentations du masculin etdu fminin dans les albums illustrs ou Comment la littrature enfantine contri-bue laborer le genre

    Les ingalits entre hommes et femmes prennent appui sur des reprsentations du genre incorpores par les individus et qui, comme toute reprsentation sociale, se modifient lente-ment. Lobjectif de ce travail est danalyser llaboration des reprsentations usage des en-fants, au travers des albums illustrs destins aux 0-9 ans. Loriginalit de lapproche consiste appliquer une mthode quantitative des objets traditionnellement apprhends de manirequalitative. Les albums illustrs dont on prend en compte aussi bien le texte que limage sontalors considrs comme des individus rpondant un questionnaire denqute. Lanalyse dela production exhaustive des nouveauts de 1994, grce une grille dobservation modules detous les personnages, a permis de mettre en vidence, au-del des strotypes, lensemble desfacteurs dont la combinaison concourt llaboration de ces reprsentations : le sexe, lge, lerle (personnage principal, secondaire, darrire-plan), la catgorie (personnage humain, animalhabill, animal rel), les fonctions parentales et activits professionnelles du personnage, sansngliger le lectorat auquel est destin louvrage et le sexe des auteurs et illustrateurs.

    BRUGEILLES Carole, CROMER Isabelle, CROMER Sylvie. Las representaciones de lo masculi-no y lo femenino en los libros infantiles ilustrados, o de cmo la literatura infantilcontribuye a la construccin social de gnero

    Las desigualdades entre hombres y mujeres se apoyan en representaciones de gneroasumidas por los individuos y, como toda representacin social, se modifican lentamente. Elobjetivo de este estudio es analizar la elaboracin de representaciones sociales al alcance de losnios a travs de los libros infantiles ilustrados para nios de 0 a 9 aos. La novedad del anlisisconsiste en aplicar un mtodo cuantitativo a objetos que tradicionalmente se han examinado des-de una perspectiva cualitativa. Los libros, de los que estudiamos tanto el texto como las ilustra-ciones, se consideran individuos encuestados. Un anlisis de la produccin exhaustiva denovedades de 1994 permite mostrar, a travs de una matriz de observacin por mdulos de todoslos personajes, el conjunto de factores que contribuyen a la elaboracin de las representacionesde gnero: el sexo, la edad, el papel (personaje principal, de segundo plano), la categora (per-

    sonaje humano, animal vestido, animal real), las funciones familiares y actividades profesiona-les del personaje, sin olvidar los lectores a los que se destina el libro, as como el sexo de losautores e ilustradores.

    Sylvie CROMER, SFP, universit de Lille II, 1 rue du professeur Laguesse, 59000 Lille; courriel :[email protected]