article_reco_0035-2764_1995_num_46_5_409732

23
Monsieur Philippe Steiner Vilfredo Pareto et le protectionnisme : l'économie politique appliquée, la sociologie générale et quelques paradoxes. In: Revue économique. Volume 46, n°5, 1995. pp. 1241-1262. Abstract Pareto's position on protectionism has many facets but this paper shows that his position contains insighfull analytical ideas. Alongside his papers on pure international econo-mics, Pareto was a polemist fighting against the « modern plague » (protectionism) by the spread of the liberal doctrine. In the early 90' he was dissatisfied with this and he tried to understand why protectionism was expanding. In doing so, he gave one of the first study of the paradox of collective action in the second volume of his Cours [1897]. In his Trattato di sociologia générale, he developped a new paradox first raised in his Manuale : because of the links between economic and social events, a sub-optimal deci-sion (protectionism) in a sub-optimal situation can, paradoxically, lead to a better situa-tion. Résumé La position de Pareto face au protectionnisme est complexe en raison des dif-férents points de vue qu'il adopte au cours de sa trajectoire intellectuelle ; mais l'article montre que ses réflexions sur ce sujet sont riches et analytiquement nova-trices. Au-delà de ses travaux d'économie pure, il se fait polémiste pour diffuser les saines doctrines libérales de façon à faire reculer la « peste » protectionniste. Mais cette attitude ne satisfait pas pleinement l'auteur qui, au début des années 1890, s'efforce de comprendre le maintien d'une telle politique économique. À cette occasion, il donne, dès le Cours (1897), une des premières formulations du paradoxe de l'action collective. Par la suite, avec le Traité de sociologie générale, // développe l'objection qu'il s'était faite à lui- même dans le Manuel : en raison des interactions socio-économiques, une mesure sous-optimale dans un état de société sous- optimal peut, paradoxalement, produire une amélioration de l'état de société. Citer ce document / Cite this document : Steiner Philippe. Vilfredo Pareto et le protectionnisme : l'économie politique appliquée, la sociologie générale et quelques paradoxes. In: Revue économique. Volume 46, n°5, 1995. pp. 1241-1262. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/reco_0035-2764_1995_num_46_5_409732

Upload: luiggi

Post on 05-Sep-2015

212 views

Category:

Documents


0 download

DESCRIPTION

article_reco_0035-2764_1995_num_46_5_409732.pdf

TRANSCRIPT

  • Monsieur Philippe Steiner

    Vilfredo Pareto et le protectionnisme : l'conomie politiqueapplique, la sociologie gnrale et quelques paradoxes.In: Revue conomique. Volume 46, n5, 1995. pp. 1241-1262.

    AbstractPareto's position on protectionism has many facets but this paper shows that his position contains insighfull analytical ideas.Alongside his papers on pure international econo-mics, Pareto was a polemist fighting against the modern plague (protectionism) by the spread of the liberal doctrine. In the early 90' he was dissatisfied with this and he tried to understand whyprotectionism was expanding. In doing so, he gave one of the first study of the paradox of collective action in the second volumeof his Cours [1897]. In his Trattato di sociologia gnrale, he developped a new paradox first raised in his Manuale : because ofthe links between economic and social events, a sub-optimal deci-sion (protectionism) in a sub-optimal situation can,paradoxically, lead to a better situa-tion.

    RsumLa position de Pareto face au protectionnisme est complexe en raison des dif-frents points de vue qu'il adopte au cours de satrajectoire intellectuelle ; mais l'article montre que ses rflexions sur ce sujet sont riches et analytiquement nova-trices. Au-delde ses travaux d'conomie pure, il se fait polmiste pour diffuser les saines doctrines librales de faon faire reculer la peste protectionniste. Mais cette attitude ne satisfait pas pleinement l'auteur qui, au dbut des annes 1890, s'efforce de comprendrele maintien d'une telle politique conomique. cette occasion, il donne, ds le Cours (1897), une des premires formulations duparadoxe de l'action collective. Par la suite, avec le Trait de sociologie gnrale, // dveloppe l'objection qu'il s'tait faite lui-mme dans le Manuel : en raison des interactions socio-conomiques, une mesure sous-optimale dans un tat de socit sous-optimal peut, paradoxalement, produire une amlioration de l'tat de socit.

    Citer ce document / Cite this document :

    Steiner Philippe. Vilfredo Pareto et le protectionnisme : l'conomie politique applique, la sociologie gnrale et quelquesparadoxes. In: Revue conomique. Volume 46, n5, 1995. pp. 1241-1262.

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/reco_0035-2764_1995_num_46_5_409732

  • Vilfredo Pareto

    et le protectionnisme

    L'conomie politique applique, la sociologie gnrale et quelques paradoxes

    Philippe Steiner

    La position de Pareto face au protectionnisme est complexe en raison des diffrents points de vue qu'il adopte au cours de sa trajectoire intellectuelle ; mais l'article montre que ses rflexions sur ce sujet sont riches et analytiquement novatrices. Au-del de ses travaux d'conomie pure, il se fait polmiste pour diffuser les saines doctrines librales de faon faire reculer la peste protectionniste. Mais cette attitude ne satisfait pas pleinement l'auteur qui, au dbut des annes 1890, s'efforce de comprendre le maintien d'une telle politique conomique. cette occasion, il donne, ds le Cours (1897), une des premires formulations du paradoxe de l'action collective. Par la suite, avec le Trait de sociologie gnrale, // dveloppe l'objection qu'il s'tait faite lui-mme dans le Manuel : en raison des interactions socio-conomiques, une mesure sous-optimale dans un tat de socit sous-optimal peut, paradoxalement, produire une amlioration de l'tat de socit.

    Classification JEL : B13, B31

    E non parlo solo dlia protezione doganale, ma dlia protezione sotto tutte le sue forme, dal socialismo al militariursmo! Eppure il pericolo li. L'uomo ehe sapr fare la storia naturale di quella rea peste, ehe ci mos- trer le condizioni favorevoli al suo sviluppo, come i popoli la subiscono, come vi sia chi in buona fede non ne scorge le magagne, quell' uomo avr recato un utile grandissimo al gnre umano [Pareto 1960, 1, lettre du 25 XII 1891 Maffeo Pantaleoni].

    Dans ses premiers crits conomiques, Vilfredo Pareto dfend avec pret la validit thorique et pratique du libralisme en matire de commerce international. On sait que ce point particulier de la science conomique a servi de mot d'ordre et de pierre de touche aux libraux europens du XIXe sicle, et la ligue de Cobden en Angleterre a t le point de rfrence en la matire. F. Bastiat s'en est directement inspir pour mettre ses qualits de polmiste au service d'un mouvement qu'il dsirait comparable celui de l'Anti Corn Law League.

    * ENS Fontenay-Saint-Cloud, 31, avenue Lombart, BP 81, 92260 Fontenay-aux- Roses Cedex.

    1241

    Revue conomique N 5, septembre 1995, p. 1241-1262.

  • Revue conomique

    Au dbut de sa carrire, Pareto a, sans aucun doute, t dsireux qu'un mouvement analogue se produise en Italie comme le montrent sa correspondance1 et nombre de ses premiers crits. Toutefois, ce point de dpart, en grande partie polmique, de l'uvre de Pareto ne nous intressera ici que comme entre en matire : il s'agira plutt de voir comment, face la monte du protectionnisme en Europe partir de la fin des annes 1880, Pareto va ragir pour contenir cette vritable peste . D'autres avant lui, et nous pensons tout particulirement J.-B. Say, avaient ds le dbut du sicle esquiss une prise en compte du dcalage entre la suprmatie thorique du libre change et la ralit pratique du protectionnisme. D'autres, au mme moment que l'auteur^, continuaient mettre leur plume au service de la noble cause bafoue ; d'autres encore dsespraient3. Sans vouloir trop accentuer l'antithse, l'originalit de Pareto tient au fait qu'il s'est efforc de penser les raisons d'un tel hiatus entre la thorie et la ralit conomique.

    Cet effort qui dbouche sur des dveloppements analytiques importants va nous occuper ici car, outre son intrt spcifique, cette question - au moins lorsqu'il s'agit de Pareto - a t peu aborde ou mal comprise. De par son volution et son ampleur, l'uvre de Pareto n'entre pas facilement dans nos catgories institutionnelles, aussi ses prises de position sont parfois mal interprtes et considres trop rapidement comme contradictoires (cf., par exemple, L. Gomes [1990], p. 63), ou bien leurs particularits sont renvoyes la psychologie de leur auteur (cf. par exemple T. Hutchison [1953], p. 216 ; B. Valade [1990], p. 37). Nous allons montrer, en nous centrant sur l'aspect analytique de l'effort partien - et donc en dlaissant le travail de comparaison d'avec ce que disaient les contemporains que sa position n'est pas idiosyncratique et que, non seulement, elle est dote d'une forte consistance, mais qu'elle est thoriquement intressante puisqu'elle dbouche sur une formulation prcise du paradoxe de l'action collective en matire du bien public que constitue le libre- change. Finalement, nous verrons que cela ne sera pas le dernier mot de la rflexion de Pareto qui sera amen dpasser ce point de vue conomique dans sa sociologie gnrale pour donner une formulation synthtique (au sens prcis que Pareto donne ce terme, c'est--dire de rflexion rassemblant les analyses dveloppes titre de premires approximations par les sciences spciales) et dynamique du problme. Il aboutit un nouveau paradoxe selon lequel une mesure sous-optimale, introduite dans un tat de socit sous-optimal, peut entraner une amlioration de l'tat de la socit.

    1. Si j'en avais les moyens, je voudrais publier par milliers des opuscules brefs, clairs et prcis comme ceux du Cobden Club pour faire savoir aux Italiens comment ils sont scandaleusement dpouills par leurs gouvernants (Pareto [1975], lettre Cola- janni du 31 XII 1891) ; voir aussi les lettres Pantaleoni du 25 IV et du 7 X 1891 ou, plus tardivement, la lettre Antonucci du 7 XII 1907 (Pareto [1975], p. 613) ; voir aussi la correspondance rassemble par G. Busino [1989].

    2. Comme, par exemple, Y. Guyot [1905] ; sur cette question et pour ce qui concerne la France, voir le travail de J. Ravix [1991].

    3. C'est le cas de H. Spencer - une des sources laquelle Pareto a puis dans sa jeunesse et qu'il reniera plus tard dans son ouvrage de 1884 et dans l'ouvrage conclusif des Principles of Sociology (Spencer [1896], 141, 187, 189-193, etc.) ; sur ce point, voir l'ouvrage de J.D.Y. Peel ([1971, p. 204 et suiv.]).

    1242

  • Philippe Steiner

    LA SUPRMATIE DU LIBRE-ECHANGE ET L'ORIGINE DE LA PROTECTION

    Aprs avoir critiqu, ds 1887, la mise en place du nouveau tarif douanier italien en montrant son caractre protecteur plutt que fiscal et les aberrations doctrinales (la balance du commerce) et pratiques sur lequel il repose, Pareto va s'employer en dnoncer les effets dltres dans les annes qui suivent. Le rappel lancinant des principes libraux, le dploiement d'une verve dialectique destine pourfendre ce qu'il considre comme les pseudo-arguments des protectionnistes, sont accompagns par des investigations statistiques destines prouver par les faits la validit du rejet des contraintes douanires. Premirement, il se saisit des statistiques du commerce extrieur italien pour faire voir qu' la suite de la mise en place du nouveau tarif douanier italien entre la France et l'Italie, ce dernier pays voit chuter ses exportations et se dgrader le solde de sa balance commerciale (Pareto [1890-1893], p. 42, 114 et suiv.). Il poursuit dans cette direction en faisant progressivement1 le lien entre la mise en place du tarif protecteur et la crise qui affecte l'conomie italienne au dbut des annes 1890 (Pareto [1891], p. 112). Deuximement, Pareto tablit le budget d'une famille florentine modeste de faon chiffrer le cot du protectionnisme pour une famille populaire italienne et montrer, par comparaison avec des budgets anglais, la lourdeur de ce prlvement en Italie et son effet nfaste sur le niveau de vie italien. Troisimement, il utilise les statistiques fiscales de la Saxe pour montrer que des mesures radicales visant plafonner autoritairement les revenus et redistribuer l'excdent ceux qui sont moins riches, ne procureraient ces derniers qu'une amlioration relativement mdiocre de leurs revenus et, surtout, que le cot de la protection est, pour le peuple, quasiment identique au gain que permettrait cette redistribution.

    En prenant ce rle de champion du libre-change, Pareto a nettement conscience de poursuivre une uvre commence bien avant lui par les J.-B. Say, F. Bastiat, G. de Molinari, etc., pour ne citer que quelques auteurs francophones dont le nom est fameux sur ce champ de batailler . H n'est donc pas tonnant de

    1. Dans un premier temps, Pareto ([1889], p. 20) se montre rserv sur cette liaison en raison de l'interdpendance des faits conomiques. Toutefois, il perd rapidement de vue ses propres rserves mthodologiques et, sur la base de comparaisons statistiques limites (quatre six annes seulement), il conclut ensuite l'existence d'un lien causal entre le tarif protectionniste et la crise conomique, en ngligeant un peu lgrement le fait que la crise ne touche pas seulement l'Italie.

    2. Sans doute s' inspire- t-il de la mthode de Le Play - la monographie de familles dans laquelle il voit un outil pour atteindre la vrit (Pareto [1896-1897], 388, [1900a], p. 182 ; [1916], 2234).

    3. Pareto donne alors de l'importance cet aspect des choses. Ainsi, il crit Pantaleoni (Pareto [1960], I, p. 131 ; lettre du 25 XII 1891) qu'en dpit de tout le respect qu'il a pour Walras il tient l'uvre de Molinari comme la meilleure lorsqu'il s'agit de combattre le protectionnisme. Et si, dans sa correspondance avec Walras (Pareto [1975], p. 162, 166 ; lettres des 6 et 21 IX 1891), il reste mesur, en se contentant de dclarer que son intrt porte surtout sur l'application de l'conomie pure, il crit alors plus nettement Pantaleoni : Avec tout le respect que j'ai pour Walras, il me semble que si, dans son enseignement Lausanne, il avait combattu le protectionnisme, il aurait fait uvre plus utile qu'en donnant une dmonstration plus ou moins rigoureuse de l'quilibre de march lorsque le prix s'lve avec la demande .

    1243

  • Revue conomique

    constater que Pareto, titre de polmiste, se met explicitement dans la ligne de F. Bastiat1 et ainsi qu'il considre le protectionnisme comme une forme de la spoliation - c'est--dire une acquisition de bien obtenue par la force ou la ruse et non par le travail - et qu' titre de spoliation mise en uvre grce la loi, Pareto l'associe au socialisme, comme Bastiat l'avait fait ds 1849. Il n'est pas non plus tonnant de constater que Pareto suit les libraux franais dans les propositions qu'il assortit sa condamnation des mesures protectionnistes. Ainsi, il conclut l'article de 1892 sur une note d'optimisme que Say, Bastiat ou les hommes des Lumires n'auraient pas renie :

    Les traits de commerce sont destins disparatre quand le progrs des connaissances conomiques, des murs et de la moralit, aura fait triompher la libert du commerce. Alors on regardera nos droits protecteurs actuels comme nous considrons les pages et les autres exactions que les seigneurs du moyen ge imposaient aux marchands qui par malheur passaient auprs des manoirs fodaux. Et nos traits de commerce seront regards comme une attnuation des injustices de notre sicle, ainsi que les sauf-conduits l'taient de celles qui se commettaient autrefois. Les unes et les autres doivent disparatre avec les pratiques spoliatrices qui les rendaient ncessaires. (Pareto [1892], p. 80-81.)

    Lorsqu'il s'engage dans cette voie, Pareto part avec un handicap considrable vis--vis des matres franais en la matire. Prcher pour une pdagogie base sur la connaissance de l'conomie politique ou pour une action appuye sur les intrts des consommateurs suppose une belle foi dans l'efficacit des Lumires et cette foi-l Pareto ne la partage pas avec les deux libraux franais de la premire moiti du sicle2. Mais, surtout, au-del des positions de principe sur l'impact de la science sur la socit, Pareto considre qu'il faut affronter sans dtour le problme pos par la permanence des manuvres protectionnistes-spoliatrices qu'une minorit exerce sur la majorit, alors mme que les libraux se sont employs diffuser le savoir conomique. C'est sur ce point qu'il convient de suivre Pareto pour saisir l'volution de sa pense.

    Sans revenir sur la dmonstration formelle de l'quilibre du commerce international (Pareto [1895a], [1896-1897], 294, 856), il faut rappeler comment est analys le commerce dans le cadre de la premire approximation qu'est l'conomie pure :

    Le commerce transforme les biens conomiques dans l'espace et dans le temps. L divise ces biens et les distribue aux diffrents consommateurs (commerce de dtail). Enfin, par le marchandage et la spculation, il contribue tablir l'quilibre conomique. Comme toute marchandise, pour tre consomme, doit tre mise notre porte, le commerce n'est

    1. Par exemple, Pareto ([1895b], p. 225) en concluant son article -dont le titre est celui-l mme qu'avait employ Bastiat [1849] - crit : Ce rsultat que nous fournit la statistique [fiscale de la Saxe PS] est important. Il complte utilement le pamphlet de Bastiat sur le socialisme et le communisme . Cela, outre la reprise du terme et du thme de la spoliation dvelopps par Bastiat [1848a, 1848b, 1850], n'est bien sr pas la seule rfrence au polmiste franais (par exemple, Pareto [1887], p. 15-16, 19 ; [1890-1893], p. 50-52 ; [1902-1903], IL p. 52-54, etc).

    2. Que cela soit imputable la complexion psychologique de M. Vilfredo Pareto ou (non exclusif) l'esprit fin de sicle ne nous importe pas ici ; on trouvera dans le Trait [cf. 2016] la faon dont Pareto explique cette situation.

    1244

  • Philippe Steiner

    qu'une des phases de la transformation des biens conomiques, non moins importante ni moins essentielle que celle dans laquelle les objets subissent des changements matriels, et laquelle on a rserv le nom de production. (Pareto [1896-1897], 844.)

    En consquence de cette identit entre commerce et production, Pareto indique que le commerant est un entrepreneur comme les autres, ce qui veut dire que, dans le cadre de la libre concurrence, cet entrepreneur ne fait, l'quilibre, ni bnfices ni pertes (ibid., 849).

    Le libre-change, toujours au point de vue de la thorie pure, est le moyen d'obtenir la situation la meilleure possible, c'est--dire le maximum d'ophlimit pour la socit (Pareto [1894b]). La concurrence entrane les entrepreneurs - agissant pour obtenir le gain le plus grand - rechercher les coefficients de fabrication procurant le maximum d'ophlimit la socit ce qui, du mme coup, amne ce que les gains des entrepreneurs soient, l'quilibre, nuls1. De l surgissent les problmes. Une telle situation est propice l'mergence d'une demande de rglementation qui va facilement trouver une offre. Voyons comment Pareto introduit ces deux points et comment il les rattache la cration de rentes et la destruction de richesses2.

    Lorsqu'il est question de l'intrt conomique, Pareto distingue entre l'individu, la classe et la socit : en effet, pour chacun de ces niveaux, il y a des valeurs diffrentes des coefficients de production qui maximisent l'ophlimit du groupe retenu (ibid., 726-727). En consquence, le processus suivant se met en place :

    Les entrepreneurs ressentent vivement la pression de la libre concurrence. Pour s'y soustraire, ils demandent au gouvernement toutes sortes de protections : protection contre la concurrence des pays trangers ; protection contre les ouvriers (grves, associations ouvrires, etc.) ; protection au moyen de l'altration des monnaies ; protection contre les possesseurs d'pargne, le gouvernement se chargeant de faire des prts un taux moindre que celui qui s'tablit librement sur le march ; protection pour les transports par terre et par eau ; subventions maritimes ; primes, etc., etc. (ibid., 725.)

    1. Pareto [1894a] insiste particulirement sur cet apport qu'il ajoute aux travaux de Walras. Il lui crit en ce sens : Vous avez parfaitement vu que la variation des coefficients de fabrication est essentielle pour la thorie du libre-change. C'est en effet en suivant cette voie que j'espre qu'on pourra tablir cette thorie sur des bases rationnelles (Pareto [1975], p. 251 ; lettre du 23 Vu 1894).

    2. Sous cet angle, Pareto apparat comme un thoricien de la rent seeking society et cela d'une manire qui n'est en rien allusive. Sa dfinition de la spoliation - reprise en grande partie de celle de Bastiat-en est une preuve parmi d'autres. conomiquement, dit-il, la spoliation peut tre divise suivant deux effets : 1 le transfert de richesses qui est l'effet vis ; 2 la destruction de richesses (effet indirect) qui l'accompagne toujours ([1896- 1897], 1043). Pareto ajoute que ce deuxime effet est souvent quantitativement plus important que le premier. Par ailleurs, il tablit sur la base de sa formulation de l'quilibre du commerce extrieur, quelle est la perte subie par une nation en raison du protectionnisme (ibid., 885) et il chiffre cette destruction de richesses dans le cas italien (ibid., 886). Toutefois, l'approche de Pareto ne peut pas tre entirement assimile celle de la rent seeking society car il manque chez lui l'hypothse, considre comme cruciale, de processus concurrentiel pour l'obtention des rentes (A.O. Krueger [1974], p. 291, 293) et il manque, encore plus compltement, l'ide de l'analyse conomique du politique.

    1245

  • Revue conomique

    Pour Pareto, il ne s'agit pas l d'un comportement conomiquement aberrant puisqu'il est sans doute le plus avantageux du point de vue du demandeur de rglementation. Lorsqu'il compare le sort de deux entrepreneurs dont le premier travaille amliorer la production sous l'aiguillon de la libre concurrence alors que le second fait la cour au politicien, Pareto indique quels sont les rsultats que l'on peut respectivement en attendre : Les rsultats sont bien diffrents. Le premier industriel obtiendra, grand peine, d'pargner 2 ou 3 % sur ses frais ; le second pourra obtenir un droit protecteur de 50 % et plus. (ibid., 1061.) Par ailleurs, Pareto indique l'effet pervers de l'existence de cette demande de protection : celui qui n'en demande pas n'a rien et il court le risque d'tre sacrifi ; il est donc rationnel de participer la formation de cette demande (Pareto [1902- 1903], I, p. 126). Le texte de Pareto est sans doute moins clair pour ce qui concerne la dfinition de l'offre de protection. On peut, d'une part, trouver des rfrences - classiques depuis Smith - sur le politicien comme malin compre qui aime pcher en eau trouble (Pareto [1890-1893], p. 90] et qui, ce titre, a intrt complexifier les relations conomiques pour en tirer parti. D'autre part, d'une manire plus intressante peut-tre que ces remarques dsabuses, Pareto pense que l'offre de protection faite par les politiciens se comprend par le fait que les droits de douanes (sous-entendu par leurs effets fiscaux) permettent d'accrotre le budget, ce qui permet l'homme politique d'accrotre ses dpenses (Pareto [1909], IX, 63). Mais, finalement, comme nous aurons l'occasion d'y revenir propos du paradoxe de l'action collective, puis de la dynamique de l'quilibre social li au protectionnisme, Pareto considre 1' offre de protection plutt d'un point de vue politique qu'conomique (Pareto [1896-1897], 1062 et suiv. ; 1960, p. 100-101 ; lettre du 6 XII 1891).

    La consquence thorique d'une telle demande de protection est claire : Tout gouvernement qui accorde ces protections empche les entrepreneurs de remplir leur fonction sociale (ibid., 725), c'est--dire les empche de dfinir les valeurs pour lesquelles les coefficients de production fournissent le maximum d'ophlimit pour la socit et les valeurs de ces coefficients se fixent maintenant au niveau du maximum d'ophlimit pour un individu (un entrepreneur particulier) ou pour une classe (particulire d'entrepreneur).

    De l provient le jugement de Pareto sur l'effet conomique de la protection : Les mesures protectrices ont pour but d'augmenter les quantits de services consomms [en dfinissant des valeurs des coefficients de production sous-optimales pour la socit PS]. [...] C'tait la conclusion laquelle arrivait l'conomie politique classique ; l'on voit qu'elle est entirement confirme par les nouvelles thories (ibid., 865). Aussi Pareto, dans sa classification des individus suivant leur rapport la production, range ceux qui vivent de la protection conomique dans la catgorie des spoliateurs, c'est--dire de ceux qui s'approprient, lgalement ou non, le travail d'autrui sans contrepartie (ibid., 1039).

    On peut revenir maintenant la question de la prnit de la spoliation et du protectionnisme en particulier. Pareto en donne la formulation suivante : L'appropriation illgale, par la violence, s'explique facilement par la raison du plus fort. On conoit de mme que la majorit qui fait les lois, puisse imposer en sa faveur tel tribut qu'il lui plat. On comprend moins bien comment, par des voies dtournes, un petit nombre d'individus peuvent se faire payer un tribut par la majorit. Pourquoi celle-ci se laisse-t-elle enlever ses biens ? (ibid., 1046). Comme cela a dj t not (J. Bhagwati [1988], p. 77), Pareto affronte ici le dcalage entre l'lgance des dmonstrations de la thorie conomique et la ra-

    1246

  • Philippe Steiner

    lit sordide du protectionnisme. Pour interprter correctement sa position et l'apport de sa rflexion scientifique en la matire, il faut replacer rapidement la perspective dans laquelle il prend place ; nous nous en tiendrons ici essentiellement la filiation entre Pareto et deux conomistes libraux franais : J.-B. Say et F. Bastiat.

    Le premier est un des promoteurs du libre-change en France ds la premire dition de son Trait [1803] o il explique quels sont les errements thoriques (la balance du commerce) et pratiques (les intrts personnels des commerants) la base du systme mercantile. En 1814, la deuxime dition de l'ouvrage aborde diffremment le problme en demandant pourquoi la dmonstration du caractre avantageux du libre-change ne se traduit pas dans les faits1. Say apporte plusieurs lments de rponse qui tournent autour de la perception par les agents de leur intrt vrai ou intrt bien entendu. Selon lui, les comportements errons bass sur l'intrt sinistre doivent tre modifis par la diffusion des connaissances, toutefois il avance un argument dont la porte va au-del de l'argument fond sur l'ignorance des agents :

    Qu'on mette un droit d'entre sur les toiles de coton : c'est pour un citoyen d'une fortune mdiocre, une augmentation de dpense de 12 15 francs par an tout au plus ; augmentation de dpense qui n'est mme pas, dans son esprit, bien claire et bien assure, et qui le frappe peu, quoiqu'elle soit rpte plus ou moins sur chacun des objets de sa consommation ; tandis que si ce particulier est fabricant de chapeaux, et qu'on mette un droit sur les chapeaux trangers, il saura fort bien que ce droit enchrira les chapeaux de sa manufacture, et augmentera annuellement ses profits peut-tre de plusieurs milliers de francs. (Say [1814], I, p. 206-207.)

    Cette perspective amne Say, comme l'ont dj expliqu P.J. Euzent et T.L. Martin [1984], dvelopper des arguments similaires ceux employs par les thoriciens de la rent seeking society pour expliquer l'origine de la demande de protection ; mais cela peut aussi bien expliquer V inertie des consommateurs. F. Bastiat, de son ct, s'empare de l'ide avance par Say selon laquelle le protectionnisme est le fruit de l'ignorance pour insister sur la diffusion des vrais principes mme d'y mettre fin progressivement (cf. Bastiat [1848a], passim) - ce que J. Bhagwati ([1988], p. 92) a joliment appel l'effet Dracula . L'apport du polmiste vient avec le thme de la spoliation par la loi et l'ide que le protectionnisme pave la voie du communisme (Bastiat [1849, 1850]).

    Aprs Say et Bastiat, Pareto, dans un premier temps, retient l'ignorance comme explication de la persistance du protectionnisme (Pareto [1890-1893], p. 48, 52, 59-60 ; [1892], p. 80-81). Il prcise une des raisons du maintien de cette ignorance : les phnomnes conomiques sont compliqus et bien peu de

    1. Pourquoi faut-il que des notions si claires, si conformes au simple bon sens, et des faits constats par tous ceux qui s'occupent de commerce, aient nanmoins t rejets par tous les gouvernants de l'Europe ? (Say [1814], I, p. 198).

    2. Exposer le mal la lumire du soleil amne sa destruction. L'ingniosit de la formule ne doit pas faire ngliger celle, tout aussi vigoureuse, d'un auteur que Pareto apprciait : Quand une erreur est accrdite auprs de tous les hommes ou de la majeure partie d'entre eux, je crois que c'est faire uvre utile que de la rfuter souvent. [Machiavel, Discours sur la premire dcade de Tite-Live, HI, 10 ; je souligne].

    1247

  • Revue conomique

    personnes en ont une connaissance ne serait-ce que superficielle (Pareto [1896- 1897], 1046) ce qui fait que les gens ne comprennent pas l'appropriation de richesses qui se cache derrire des primes l'exportation, ce qui fait aussi que la classe dirigeante ne comprend pas la similitude entre socialisme et protectionnisme. Mais l'essentiel est ailleurs car Pareto ne se satisfait pas longtemps de cette explication .

    LA PROTECTION ET LE PARADOXE DE L'ACTION COLLECTIVE

    Ds 1893, Pareto roriente sa rflexion en modifiant, d'une manire en apparence mineure, sa perspective : Le peuple souffre de la protection sans en bien discerner la cause. Ce ne serait que par une propagande des plus actives qu'on pourrait lui donner des ides saines sur ce sujet. Mais cette propagande sera inutile si elle ne se propose pas clairement pour but d'obtenir la vie bon march. ([1893], p. 88). Cette argumentation diffre en fait assez sensiblement de la prcdente puisque Pareto ne fait plus fond ici sur la diffusion des connaissances et des vrits obtenues par la thorie conomique, il fait appel ici la propagande et l'intrt immdiat des consommateurs. L'objectif est d'obtenir l'action de la part des spolis et non pas tant de les clairer : Les distinctions entre droits fiscaux et droits protecteurs sont fort bonnes pour les thories conomiques, mais il est absolument indiffrent au consommateur, qui paye plus cher son pain, que ce soit cause d'un droit fiscal ou d'un droit protecteur. {Ibid.). En consquence de ce dplacement, Pareto pense dsormais que les droits protecteurs s'lvent partout en raison de l'inaction des spolis : notre avis, la cause principale du succs de ces spoliations doit tre cherche simplement dans l'inertie des gens qui les souffrent. (Pareto [1894a], p. 202 ; je souligne). C'est en recherchant les causes de cette inertie que, par des approfondissements successifs, Pareto va dvelopper le thme du paradoxe de l'action collective1.

    N'acceptant plus les explications habituelles des libraux, Pareto dgage une perspective mthodologiquement fondamentale : L'conomie politique a parfaitement dmontr que la protection douanire entrane une destruction de richesses et seuls ceux qui ignorent l'conomie politique peuvent nier cette proposition, et pourtant, chaque jour, on entend rpter d'antiques sophismes pour dmontrer le contraire et Pareto de poursuivre :

    On ne peut dire que l'exprience apprend aux collectivits comme il arrive qu'elle le fasse, et encore pas toujours, aux individus. Par exemple, en Italie, le protectionnisme et la mgalomanie ruinent le pays et les plus dures leons ne servent mme pas assagir

    1. Ce paradoxe est maintenant associ au travail de M. Oison [1966]. Assez curieusement, l'exception d'une brve allusion contenue dans les confrences de J. Bhagwati ([1988], p. 77), personne ne semble avoir remarqu ou tudi la formulation du paradoxe donne par Pareto. Le problme est aussi voqu par ceux qui s'intressent l'apport de Pareto la thorie des finances publiques (E. Giardina [1992], p. 153), mais l'interprtation porte surtout sur une hypothse d'asymtrie dans les comportements des agents mme d'expliquer la croissance des dpenses publiques.

    1248

  • Philippe Steiner

    les classes gouvernantes. [...] De tels faits doivent tre expliqus par la thorie, ce qui n'est pas difficile si on abandonne l'ide errone assimilant une collectivit un individu et quand on cesse de parler de la volont de la nation et d'autres conceptions mtaphysiques de la mme farine [...] (Pareto [1899b], p. 176 ; je souligne.)

    Pareto, s'oriente ainsi vers ce que l'on appelle maintenant l'individualisme mthodologique1. En effet, dans les annes 1894-1897, Pareto va utiliser ce principe mthodologique pour donner une formulation prcise du paradoxe de l'action collective.

    Ds 1894, Pareto construit l'exemple hypothtique suivant :

    Supposons [...] une opration par laquelle une dizaine d'individus se diviseront le produit d'un impt de 1 franc par tte sur chaque Italien. Chaque personne qui paye cet impt n'est frappe que d'une perte minime, et il sera assez difficile de la dcider se donner quelque peine pour l'viter. Vous ne russirez peut-tre mme pas la persuader de renoncer une promenade la campagne pour aller voter en faveur d'un candidat qui est contraire l'impt ; plus forte raison elle se gardera bien de sacrifier pour ce malheureux franc par an des amitis prcieuses ou des appuis utiles. Mais les dix russ compres qui, se divisant le produit de l'impt, empocheront 3 millions par an chacun, seront bien autrement actifs. Ils payeront les journaux et les lgislateurs, mettront en mouvement le ban et l' arrire-ban de leurs amis et de leurs connaissances, et ne se donneront nul repos que le succs ne soit assur. ([1894a], p. 202.)

    Cette premire formulation paretienne du paradoxe de l'action collective fait apparatre nettement une opposition entre le petit nombre des bnficiaires et le grand nombre des spolis et les diffrences qui en dcoulent en termes de l'activit dploye par les uns et par les autres pour obtenir le bien (collectif) dsir. Toutefois, cette formulation est encore assez imprcise pour ce qui concerne l'inertie des individus appartenant au grand groupe. C'est avec la publication du deuxime volume du Cours d 'conomie politique (1897) que cette problmatique va tre affine et cela de faon dgager les divers arguments psycho-conomiques de l'argument organisational qui, du coup, apparatra dans toute sa puret.

    Pareto suppose toujours une nation compose de 30 millions d'individus o, sous un prtexte quelconque, on se propose de faire payer un franc chacune de ces personnes et de distribuer le total trente personnes. Chacun des spolis paiera donc 1 F et chaque spoliateur recevra 1 000 000 F (Pareto [1896-1897], 1047]. Les spoliateurs vont dpenser une grande nergie pour aboutir en payant les journaux de faon ce que cela leur gagne des partisans, en corrompant parlementaires et ministres. Que se passe-t-il du ct des spolis ? Pareto

    1. H reviendra sur ce point dans le Trait lorsqu'il tudie le comportement de la classe des spculateurs. cette occasion, Pareto explique qu'il ne faut jamais concevoir l'action des spculateurs comme l'action logique dlibre faite par une personne unique ; au contraire, chaque spculateur se proccupe de faire ses affaires et de gagner de l'argent sans qu'il y ait dlibration ou concertation entre eux : Mais l'accord se produit spontanment, parce que si, en des circonstances donnes, il y a une ligne de plus grand profit et de moindre rsistance, la plupart de ceux qui la cherchent la trouveront (...) La voie suivie est la rsultante d'une infinit de petites actions, dtermines chacune par l'intrt prsent. (Pareto [1916], 2254 ; cf. aussi 2328, 2542).

    1249

  • Revue conomique

    avance tout d'abord deux arguments d'ordre psychologique pour expliquer les diffrences entre les deux groupes. Le premier concerne la relation entre une quantit de monnaie et l'action qui en dcoule : II faut noter que l'intensit des actions des hommes n'est pas proportionnelle aux gains ou aux pertes qui provoquent ces actions. Cent hommes auxquels on enlve, chacun, un franc n'agiront pas pour dfendre leur bien avec autant de vigueur qu'un homme mu par le dsir de s'approprier ces cent francs. {Ibid., 1046.) Puis, plus loin, il invoque un deuxime argument qui n'est pas sans rappeler l'argument d'insensibilit utilis par Say : Un homme ne reoit pas la mme impression de la perte d'une somme ou de la perte d'un grand nombre de parties en lesquelles on peut diviser cette somme. {Ibid., 1048.) Toutefois, l'originalit tient l'arrive d'un nouvel argument qui n'a plus rien de psychologique et qui repose sur des considrations organisationnelles et conomiques dcoulant de la taille des groupes.

    la diffrence de ce qui se passe dans le petit groupe des spoliateurs, chez les spolis

    l'activit est bien moindre. Pour faire une campagne lectorale, il faut de l'argent, or il y a des difficults matrielles insurmontables qui s'opposent ce qu'on aille demander quelques centimes chaque citoyen ; il faut demander un petit nombre de personnes des contributions plus considrables. Mais alors celles-ci risquent de dpasser le montant de la perte laquelle est expos le donateur. Ce n'est que par philanthropie qu'un individu souscrira 10 F dans l'espoir d'empcher qu'on tablisse un impt qui ne le grverait que d'un franc. conomiquement, il fait une mauvaise opration {ibid., 1046)1.

    Donc, mme en supposant que l'argument d'insensibilit ne joue pas et, de surcrot, que chaque membre du groupe des spolis connat l'intrt du groupe, il y a des difficults ce que le groupe obtienne le bien public qui correspond son intrt. L'argument de Pareto est remarquable en cela qu'il fait ici trs explicitement intervenir la question de la taille du groupe et ses consquences organisationnelles2. Pour intervenir publiquement et agir contre le petit groupe des

    1. Ce qui ne veut pas dire que certains individus n'agiront pas de cette faon non conomique mme si Pareto constate que ceux qui, en Italie, se disent tre en faveur de la libert, ne veulent faire aucun sacrifice ni en argent, ni en temps, ni relations, ni en rien d'autre (Pareto [1989], p. 375 ; lettre Papafava du 13 II 1901). En effet, pour reprendre la terminologie du Trait, certains genres du rsidu de la 4e classe - rsidus en rapport avec la sociabilit -, peuvent amener les hommes agir ainsi et se trouver dans la situation de l'engagement {commitment) telle que dcrite par A.K. Sen [1976].

    2. Ce point ressort encore plus nettement dans deux autres textes (cf. Pareto [1894a, 1902-1903]). Pareto indique que, pour que la spoliation ait de bonnes chances de russite, il faut runir deux conditions : 1 une condition rhtorique obligeant trouver une argumentation permettant de contourner des scrupules du genre de celui qui indique que l'on ne doit pas voler son prochain. Cela n'est pas bien difficile estime-t-il puisque les hommes se font facilement des convictions de leurs intrts ; 2 une condition organisationnelle qui demande que les spoliateurs forment un groupe restreint facilement identifiable. En d'autres termes, il faut qu'ils forment un groupe rel et non pas seulement nominal. Pareto sous-entend donc une troisime condition, savoir que les spolis - les consommateurs par exemple - soient eux dans la situation de n'tre qu'un groupe nominal comme il l'indique explicitement ailleurs (Pareto [1899b], p. 176), d'o le paradoxe de l'action collective qui s'applique lui (Pareto [1902-1903], I, p. 121-122).

    1250

  • Philippe Steiner

    spoliateurs, le groupe doit s'organiser pour ne pas rester un groupe latent (au sens de M. Oison). Les agents ont intrt agir contre la minorit spoliatrice pour ne pas perdre 1 F chacun : en effet, si tous agissent ils obtiendront gain de cause -le maintien du libre-change par exemple -pour quelques centimes chacun. Le comportement rationnel doit donc dterminer les individus l'action. Mais l'organisation de cette action est impossible si elle doit prendre en compte tous les membres du groupe en raison des difficults que Pareto appelle matrielles et qui peuvent sans difficult correspondre aux cots d'organisation introduits par M. Oison ([1966], p. 71) : on ne peut aller demander, sauf un cot trs lev, chaque citoyen de verser les quelques centimes qui constituent sa participation l'action. Et Pareto ne croit pas que l'on puisse contourner ce problme organisationnel aisment. En effet, si l'on diminue la taille du groupe qui s'oppose activement aux spoliateurs, alors il peut se trouver que, pour chacun des membres de ce plus petit groupe, le cot d'obtention du bien public (10 F) soit suprieur aux bnfices que chaque membre agissant en retire (1 F), en consquence de quoi il est rationnel de ne rien faire.

    Certes, aucun moment, Pareto n'indique qu'un individu n'agit pas parce qu'il est avantageux pour lui de ne pas agir alors que les autres agiront1. Pareto ne dveloppe pas non plus une formalisation du type de celle de M. Oison et, notamment, il ne dveloppe pas l'argument selon lequel, dans le petit groupe, l'action a plus de chance d'aboutir parce qu'en raison de l'importance du gain individuel un spoliateur peut rationnellement assumer, lui seul, le cot du bien public. Mais il n'en reste pas moins que Pareto a donn ds 1897 une expression trs prcise et dj trs labore du problme.

    Toutefois, Pareto ne poursuivra pas dans cette voie au cours des travaux qu'il publie dans les annes ultrieures. Aprs le Cours, Pareto roriente sa rflexion en mettant dsormais l'accent sur la sociologie et en dveloppant progressivement sa thorie de l'action qui distingue entre les actions logiques et les actions non logiques. Du point du vue qui nous proccupe ici, cette rorientation peut tre associe son valuation pessimiste de la situation europenne. Dans sa correspondance avec Pantaleoni, il crit que tout espoir de victoire est vain pour les libraux et qu'il convient de dlaisser l'activit politique pour se cantonner la recherche de la vrit (Pareto [1960], II, lettre du 22 II 1898). Ce sentiment amne Pareto juger svrement l'conomie politique : face la monte du protectionnisme c'est une science inutile qui manque de base car on ne sait rien de la physiologie et de la pathologie sociale (ibid., lettre du 24 DC 1900)2.

    Avec la publication du Manuel d'conomie politique, Pareto dploie son analyse concernant la faiblesse des thories lorsqu'il s'agit de faire agir les gens : De mme pour la protection douanire. Toutes les thories pour ou contre n'ont pas eu le moindre effet pratique ; des tudes ou des discours sur ce sujet ont bien pu avoir un certain effet, non point raison de leur contenu scientifique, mais parce qu'ils veillaient certains sentiments et qu'ils poussaient s'unir les gens qui avaient certains intrts communs. ([1909], VII, 117.) Ou

    1. Pareto se rapproche une occasion de ce type de raisonnement lorsqu'il discute du sophisme de rpartition dans le Trait ( 1495-1496).

    2. Sa correspondance indique aussi combien il marque la distance entre la position qui tait la sienne sur ces questions jusque dans les annes 1891-1893 et celle qu'il occupera ensuite (Pareto [1975], lettre Antonucci 7 XH 1907 et lettre Sella du 11 VI 1913).

    1251

  • Revue conomique

    encore : Mme si on dmontrait d'une faon tout fait vidente que la protection entrane toujours une destruction de richesse, si on arrivait l'enseigner tous les citoyens, tout comme on leur apprend Y abc, la protection perdrait un si petit nombre de partisans, le libre-change en gagnerait si peu, que l'effet peut en tre peu prs nglig, ou compltement. Les raisons qui font agir les hommes sont tout autres. (Ibid., IX, 62.)

    Pareto ne modifie pas sensiblement son tude de l'inertie des spolis qui explique le maintien de la protection puisqu'il reprend rapidement les points de vue psychologiques et analytiques que nous avons rencontrs dans le Cours ; ce qui est nouveau tient dans l'largissement des perspectives sous lesquelles Pareto envisage la question de la protection. Pareto repart de l'ide qu'conomiquement la protection signifie cration de rentes. La protection agricole augmente les rentes des propritaires fonciers ; la protection industrielle favorise de faon permanente les propritaires de terrains industriels et d'une faon temporaire les entrepreneurs, puis elle favorise les ouvriers habiles des secteurs protgs (en obtenant des salaires plus levs) mais au dtriment des ouvriers des autres secteurs et des ouvriers agricoles. Finalement, la protection favorise la bourgeoisie appartenant aux carrires librales (ingnieurs, avocats, notaires, etc.) qui travaillent pour les industries protges (ibid., 56). Pareto en vient ensuite aux effets sociaux de la protection et selon lui : dans les pays agricoles, la protection agricole favorise l'aristocratie foncire et lui vient en aide pour empcher qu'elle ne soit dtruite par d'autres aristocraties alors que la protection industrielle dans les pays agricoles, ou le libre-change dans les pays industriels, favorisent l'industrie et constituent de puissants moyens de slection sociale pour la classe ouvrire et la bourgeoisie (ibid., 57).

    L'aspect sociologique va progressivement prendre plus de place. Le dpassement de la perspective conomique dans le cadre de la sociologie devient un leitmotiv de Pareto ; il l'explique ds 1891 Pantaleoni (Pareto [1960], I, p. 47) et, aprs le Cours, il revient sans cesse sur cette question et ainsi il considre que : Les conomistes libraux ont des concepts trop troits ; ils font prvaloir la partie conomique et ils ne tiennent pas assez compte de la partie sociologique. (Pareto [1989], p. 404 ; lettre Papafava du 12 VII 1902.) Cela ne va pas tre sans consquence sur les jugements que Pareto va porter sur le phnomne protectionniste. En effet, Pareto en dduit que le raisonnement suivant, qui tait le sien dans le Cours, est inexact : La protection entrane une destruction de richesse, donc toute poque et pour tout pays la protection est nuisible et le libre-change avantageux. (Ibid., 61). Il est inexact car, si la premire proposition issue de la thorie pure est vraie et ne saurait tre remise en cause, la deuxime proposition prsente comme consquence de la premire n'est pas toujours vraie. Pourquoi ce revirement de position ? Tout simplement parce qu'un tel raisonnement nglige des lments importants du problme, c'est--dire les lments sociologiques qui ont un effet en retour sur l'aspect conomique.

    Pareto range en quatre classes les gens dsireux de voir s'installer la protection : a) ceux qui esprent tirer un produit notable d'une telle protection par accroissement de leurs rentes (propritaires, entrepreneurs, bourgeois ; Pareto ne mentionne pas alors les ouvriers) ; b) les politiciens qui esprent ainsi accrotre le budget de l'tat, et tous ceux qui vivent des dpenses de l'tat et ont compris que pour accrotre les dpenses il faut lever les recettes ; c) ceux dont on russit veiller le sentiment nationaliste ; d) ceux qui sont assez intelligents pour voir que la dmocratie tend dpouiller les riches et qui, dfaut de

    1252

  • Philippe Steiner

    volont et de courage pour s'y opposer directement, choisissent ce moyen dtourn pour rattraper une partie de ce qui leur est enlev1. Ainsi, par exemple, le dveloppement du protectionnisme en Angleterre est le fait des (d) et des (c) - au nom d'une union plus troite avec les colonies -, les (a) et les (b) se dissimulant derrire les (c) (ibid., 65). Pareto poursuit en rappelant, suivant une tradition bien tablie, que le motif d'une action n'est pas un lment suffisant pour condamner les rsultats de l'action car il peut y avoir une grande diffrence entre la fin poursuivie et le rsultat obtenu. Il ne saurait donc tre question de condamner le protectionnisme au nom des motifs, aussi sordides soient-ils, des protectionnistes. Mais, surtout, il insiste sur le fait que les considrations conomiques sur le protectionnisme ne doivent pas faire oublier les effets conomiques de ses consquences sociologiques, en l'occurrence les effets conomiques obtenus par l'intermdiaire des effets sur la slection sociale2. Aussi Pareto conclut-il sur cette perspective originale et provocatrice :

    Si la politique protectionniste triomphe en Angleterre, elle entranera certainement une certaine destruction de richesse ; mais si, d'autre part, la nouvelle organisation sociale qui sera la consquence de cette politique permet de mettre un frein au socialisme municipal, au systme de contrainte humanitaire, ou mme simplement de diminuer la puissance des syndicats ouvriers, on sauvera une quantit considrable de richesse, qui pourra compenser, ou mme plus que compenser, la perte due la protection. Le rsultat final pourrait donc tre une augmentation de prosprit3. (Ibid., 72.)

    Le dveloppement de cette nouvelle proposition paradoxale va retenir l'attention de Pareto dans les annes o il rdige le Trait de sociologie gn-

    1. Pareto explique que les dmocraties ont tendance remplacer les impts indirects par des impts directs et notamment l'impt progressif sur le revenu - pour lequel le jugement de Pareto comporte de nombreuses facettes (Pareto [1899a, 1903]) - qui n'est plus pay par tous -ce qui a des consquences contradictoires (Pareto [1896-1897], 797 et [1909] IX, 59). Aussi la protection est-elle un moyen dtourn pour obtenir ce que l'on ne saurait atteindre par la fiscalit : faire payer tout le monde, d'o : Dans certains cas, la protection restitue une partie des personnes aises une fraction de ce qui leur a t enlev par l'impt progressif, ou mme par les autres impts [...] (Pareto [1909], IX, 59).

    2. Pour Pareto, la socit humaine est caractrise par l'ingalit, c'est--dire par l'existence d'une hirarchie sociale. H en rsulte que la socit est toujours gouverne par un petit nombre : l'lite. La hirarchie n'est pas parfaitement stable, ce qui signifie que l'lite au pouvoir doit tout la fois se dfendre contre d'autres lites et en tirer profit pour se renforcer en gagnant sa cause, en introduisant dans ses rangs les meilleurs lments de ces contre-lites. C'est le processus de slection sociale qui, lorsqu'il fonctionne bien, assure vigueur et courage l'lite au pouvoir (Pareto [1909], Vu, 97-115).

    3. C'est par ce type de proposition paradoxale que la dmarche de Pareto nous semble rejoindre celle de J. Bhagwati plutt que celle des thoriciens de la rent-seeking society (A.O. Krueger [1974], R.D. Tollison [1982]). Ils partent tous deux de l'ide qu'un comportement intress directement non productif (DUP activities, dit J. Bhagwati) dans le contexte d'une situation non optimale (existence pralable de distorsions) peut conduire une amlioration de la situation pour l'ensemble de la socit ; il y a toutefois une diffrence importante entre les deux raisonnements puisque Pareto laisse entendre que cela peut conduire un accroissement de la production des biens et services alors que J. Bhagwati raisonne en termes de bien-tre.

    1253

  • Revue conomique

    rale. Dans les chapitres XI et XII de cet ouvrage, il revient longuement sur cette question pour expliciter son argumentation et ainsi souligner la nouveaut de sa position1.

    L'QUILIBRE SOCIAL, LE PROTECTIONNISME ET LE CYCLE CONOMIQUE

    Selon l'analyse partienne du Trait de sociologie gnrale, quatre lments interviennent principalement dans la dtermination de l'quilibre social : les rsidus (r), les intrts (i), les drivations (d), l'htrognit et la circulation sociale (s). Le premier et le troisime lment dsignent bien videmment les catgories analytiques de la thorie partienne de l'action. Les rsidus sont les manifestations des instincts et des sentiments des hommes (Pareto [1916], 874). Les drivations, quant elles, sont les ides, les doctrines et les thories avec lesquelles les hommes recouvrent (vis--vis des autres et d'eux-mmes tout autant) leurs rsidus (ibid., 1400). Les rsidus sont les lments explicatifs principaux de l'action sociale, essentiellement non logique, puisque c'est en fonction de leurs rsidus que les hommes agissent de telle ou telle manire. Pareto retient six sortes de rsidus dont deux sont plus particulirement importantes pour la dtermination de l'quilibre social : L'instinct des combinaisons (rj) ou capacit saisir les opportunits dans un monde changeant et la persistance des agrgats (r2) qui est comme un principe d'inertie (ibid., 991). Les drivations sont un phnomne social important en cela qu'elles masquent les rsidus, mais il serait parfaitement erron de croire qu'elles soient vritablement l'origine de l'action ou qu'elles jouent un rle persuasif. Les intrts dont il est question ici constituent une catgorie plus large que l'intrt conomique objet de l'conomie politique pure, en intgrant les simples apptits, les gots, les dispositions (ibid., 851). Finalement, l'htrognit et la circulation sociale dsignent le fait, incontournable pour Pareto, de l'ingalit et de la hirarchie sociale d'une part et, d'autre part, de l'existence de processus de changement l'intrieur des etes gouvernementales.

    En raison du principe de mutuelle dpendance Pareto trouve quatre formes d'interelations entre ces quatre lments : soit les combinaisons (I), (H), (JE) et (IV).

    Tableau 1 . combinaison

    (D (H) (m) (IV)

    agit sur (r) (i) (d) (s)

    (r)

    + + +

    (i) +

    + +

    (d) (s) + + + +

    + +

    1. Il insiste d'ailleurs auprs de divers correspondants sur l'importance qu'il attache ce point (Pareto [1960], EU, lettre Pantaleoni du 17 VI 1913 ; Pareto [1975], lettre Pietri-Tonelli du 14 m 1913 ; lettre Vinci du 17 IV 1914).

    1254

  • Philippe Steiner

    Mais, bien sr, chaque lment n'agit avec la mme importance pour dterminer l'quilibre social et Pareto s'efforce de pondrer chaque moment des quatre combinaisons. Il aboutit au rsultat suivant :

    Tableau 2A. Mutuelle dpendance (courte priode) combinaison

    (I) (n) (m) (IV)

    agit sur

    (r) W (d) (s)

    (r)

    - - -

    (i) F

    - F

    (d) F F

    -

    (s) F F f

    (F, dsigne une relation forte ; f, une relation faible ; -, une absence de relation ou une relation ngligeable)

    Chaque combinaison a un impact diffrent parce que les lments (r, i, d, s) n'ont pas la mme importance dans la formation de l'quilibre social. Pareto considre que la combinaison (I) explique une partie trs importante du phnomne social parce que les rsidus sont la base de la plupart des actions (non logiques) sociales puisque les hommes se laissent surtout persuader - et donc agissent -par les sentiments (ibid., 1397). La combinaison (II) explique une partie assez importante du phnomne social car les intrts, outre leurs aspects plus gnraux, sont l'origine de nombre d'actions logiques dont la science conomique est la thorie (ibid., 2209). La combinaison (III) est la moins importante car les drivations n'influent pas ou trs peu sur les rsidus (qui ne changent gure), trs peu sur les intrts et assez faiblement sur la composition de l'lite sociale (ibid., 2211). La combinaison (IV) est importante, comme on le verra plus longuement par la suite, en ce qu'elle introduit les effets sociaux et conomiques des changements politiques.

    Comment Pareto applique-t-il ces principes sociologiques la question du protectionnisme ? Il semble supposer que par l'intermdiaire des rsidus les mesures protectionnistes ont t prises et donc que la combinaison (I) a jou son rle initiateur de l'action des hommes. La combinaison (II) va essentiellement faire intervenir la relation entre (i) et (s) (ibid., 2209) : les effets dynamiques de la protection c'est--dire les effets de courte priode dus la mise en place des mesures protectionnistes - vont favoriser les individus habiles, forts, en les enrichissant. En effet, comme on l'a vu lorsqu'il s'agissait d'expliquer la demande de protection, les individus dous pour les combinaisons, les manuvres, ont plus de chance de savoir courtiser les hommes politiques pour bnficier des droits protecteurs. En termes de composition de l'lite sociale, cela veut dire que l'lite aura tendance se composer plutt d'individus o les rsidus de la premire classe (r{) - les instincts de combinaisons - seront prdominants au dtriment des individus chez lesquels les rsidus de la deuxime classe (r^) la persistance des agrgats - seront puissants. Pour finir sur cette combinaison (II),

    1. En effet, il n'aborde pas explicitement le rle de la combinaison (I) dans l'exemple qu'il dveloppe. On peut se reporter ce qu'il en a dit dans le Manuel (IX, 65, passage que nous avons rapport plus haut) pour avoir une ide de ce quoi Pareto pouvait penser en la matire.

    1255

  • Revue conomique

    Pareto rappelle que la relation de (i) (r) est ngligeable car les rsidus ne changent que trs peu ; puis il indique que la relation de (i) (d) sera forte et qu'il va se produire une floraison de thories en faveur du protectionnisme (ibid., 2210). Cette dernire partie de la combinaison (II) n'a d'importance que pour autant que la combinaison (III) en ait elle-mme. Ce qui est loin d'tre le cas.

    La combinaison (III) concerne l'impact des drivations sur l'quilibre social, aussi n'explique-t-elle qu'une faible partie des phnomnes sociaux. La relation de (d) (r) est quasi nulle et celle de (d) (i) trs faible (ibid., 2211) ; seule apparat notable, bien que faible, la relation de (d) (s) qui n'est pas ngligeable par cela que les gens habiles louer les puissants peuvent accder la classe gouvernementale . Seul ce dernier effet est retenir de par son rle de renforcement de la combinaison (II).

    L'interprtation de la quatrime combinaison est complique. Il est difficile de distinguer ce qui appartient en propre cette combinaison et ce qui tient de la mutuelle dpendance des phnomnes. Cette combinaison joue un rle par l'intermdiaire de la relation de (s) sur (i) : Une fois que, grce cette protection, les intrts ont port dans la classe gouvernante des hommes largement pourvus de rsidus de la premire classe, ces hommes agissent leur tour sur les intrts, et poussent la nation entire vers les occupations conomiques, vers l'industrialisme (ibid., 2215). On remarquera le fait que l'impact sur (i) qui est ici avanc par Pareto concerne l'ensemble de la socit et non pas seulement l'lite gouvernementale ; nous verrons la signification de cette prcision dans l'tude en longue priode.

    Pour essayer de rsumer cette mutuelle dpendance des phnomnes, nous avons donc les actions et les ractions suivantes : avec la combinaison (I), les rsidus (r) agissent sur (s), (i) et (d) ; par la combinaison (IV), la transformation de la composition de l'lite (s) joue sur les intrts (i) et, finalement, il faut prendre en compte la raction de (i) sur (s) due la combinaison (II). Ce sont l les lments essentiels de la dtermination de l'quilibre social en courte priode dans le cas considr par Pareto. En appoint de cette squence se rajoute le fait que les combinaisons (I) et (II) jouent sur (d) qui influe son tour et dans le mme sens que la combinaison (I), par l'intermdiaire de la combinaison (III) sur (s).

    Graphique 1 .

    [I]

    [I] (r) (s) ^1^ (i)

    [II]

    [II]

    1. Pareto vise alors G. Schmoller dont il n'a jamais cach le mpris que son uvre lui inspirait.

    1256

  • Philippe Steiner

    Pareto dgage la squence centrale (s - i) de cette mutuelle dpendance et s'en sert pour expliciter le rsultat nonc par lui dans le Manuel, savoir :

    Les intrts ont agi sur l'htrognit ; celle-ci son tour agit sur les intrts. Ainsi par une suite d'actions et de ractions, il s'tablit un quilibre o deviennent plus intenses la production conomique et la circulation des lites. La composition de la classe gouvernante se trouve ainsi profondment modifie. L'augmentation de la production conomique peut tre telle qu'elle surpasse la destruction de richesses produite par la protection. D'o somme toute, la protection peut donner un profit et non une perte de richesses. (Ibid., 2216-2217.)

    L'effet bnfique de la protection provient de son impact sur la slection sociale (s) puis des interactions entre (s) et (i) et ces effets conomiques des changements sociaux sont la base de l'opinion synthtique de Pareto sur le protectionnisme. Toutefois, il adjoint deux remarques de faon prciser sa pense. Premirement, si on peut obtenir ces interactions entre (s) et (i) sans la cause particulire qu'est le protectionnisme, on n'en obtient pas moins l'effet conomique favorable. Deuximement, il distingue le protectionnisme industriel en ce qu'il peut accrotre la circulation des lites et en favoriser la recomposition dans le sens indiqu ci-dessus et le protectionnisme agricole qui lui, au contraire, tendance agir en sens inverse (ibid., 2218).

    Il faut maintenant introduire certaines considrations de longue priode que nous avons cartes jusqu' prsent de faon montrer comment l'quilibre social est susceptible d'voluer dans le temps.

    Dans l'examen de l'impact du protectionnisme sur l'quilibre social, Pareto fait intervenir deux reprises des considrations concernant la longue priode. Il s'agit premirement de la combinaison (II) selon laquelle les effets statiques de la protection - les effets de longue priode qui correspondent ce qui se passe lorsque les mesures protectionnistes ont t mises en place depuis longtemps sont analogues aux effets de courte priode c'est--dire que les intrts (i) agissent dans un sens favorable aux individus chez qui les instincts de combinaison prdominent. Deuximement, Pareto mentionne propos de la combinaison (II) ce fait important que la relation de (i) sur (r) peut devenir non ngligeable et peut mme devenir considrable si elle s'exerce durant de longue annes : Chez une nation proccupe exclusivement de ses intrts conomiques, les sentiments qui correspondent aux combinaisons sont exalts, ceux qui correspondent la persistance des agrgats sont mpriss. On observe donc des changements dans ces deux classes de rsidus. Les genres des rsidus, et spcialement les formes sous lesquelles ils s'expriment, se modifient, et les drivations changent. (Ibid., 2213 ; cf. aussi 2250.) Cette dernire considration, si on la rapproche de ce que nous avons vu plus haut propos de la combinaison (IV), est tout particulirement importante dans la mesure o elle procure un bouclage systmique, pourrait-on dire, au schma d'interdpendance. Dsormais, les transformations portent non seulement sur les caractristiques sociales (les rsidus) que l'on favorise l'intrieur de la socit, mais sur l'importance relative de ces rsidus dans la socit1.

    1. Cela ouvre la voie de nombreuses perspectives pour comparer les approches de Pareto avec celles d'autres sociologues conomistes (comme M. Weber par exemple) pour laborer le thme des mentalits conomiques dans le cadre de la sociologie conomique des annes 1890-1920.

    1257

  • Revue conomique

    En effet, si l'on prend en compte cette remarque pour tablir le tableau des interrelations (tableau 2B et graphique B) on obtient :

    Tableau 2B. Mutuelle dpendance (longue priode) combinaison

    (I) (H) (m) (IV)

    agit sur (r) (0 (d) (s)

    (r)

    f/F - -

    (i) F

    - F

    (d) F F

    -

    (s) F F f

    Graphique B

    [II]

    CI] [I] [IV]

    [III]

    > (it-

    [II]

    [il]

    L'analyse de courte priode a montr comment s'tablit une nouvelle slection sociale telle que la prminence des rsidus de combinaisons (r{) sur les rsidus de la persistance des agrgats (r2) peut entraner un effet bnfique sur la production des richesses de par l'action sur les intrts de l'lite et des classes non gouvernementales au point de compenser, et au-del mme, la destruction de richesses qu'entrane le protectionnisme. L'analyse de longue priode indique que le mcanisme explicatif bas sur les combinaisons (II) et (IV) se prolonge par un effet en retour sur l'expression des rsidus eux-mmes de faon perptuer les transformations de courte priode. Et il faut intgrer alors le fait que ces modifications peuvent toucher l'ensemble de la population et non pas seulement les lites. Dit d'une autre faon, cela veut dire que Pareto introduit ici l'effet d'une modification des mentalits conomiques pour employer un terme gnral -et ses consquences long terme sur l'activit conomique. Toutefois, cela ne va pas aller indfiniment dans le mme sens : les mcanismes de slection d'une telle lite et les modifications subsquentes des rsidus vont rencontrer des limites. Pareto en indique trois.

    Premirement, la protection industrielle va de pair avec la protection agricole. Or les deux ont des effets contraires sur la composition des lites puisque la protection agricole se fait l'avantage des propritaires terriens plutt porteurs des rsidus (r2). Deuximement, le mcanisme de slection des lites qui favorise les individus dots de rsidus (rj) et la modification de la classe gouvernementale qui lui fait suite peut affaiblir cette dernire par rapport aux classes gouvernes et aux contre-lites. En effet, pour Pareto, la premire classe de rsidu signifie une prdominance de la ruse alors que c'est la fiert et la force qui prvalent avec la deuxime classe de rsidu, et il ajoute que ces deux diff-

    7255

  • Philippe Steiner

    rents rsidus sont ncessaires pour pouvoir rester une classe gouvernementale (ibid., 2176). Troisimement, le gouvernement par les rsidus de la premire classe demande que l'on dpense beaucoup pour obtenir des partisans la dpense aide la ruse - dfaut de pouvoir obtenir les choses par la force, alors qu'en mme temps l'industrie des nations modernes exige un flux croissant de capitaux. La croissance du capital, combine celle des dpenses publiques, suppose son tour celle de l'pargne. Or, selon Pareto, la formation de l'pargne est plutt lie la persistance des agrgats (r2) qu' l'instinct des combinaisons (rj)1, ce qui signifie que la dynamique de longue priode rencontre l une limite conomique, limite dont la force se fera d'autant plus sentir que l'effet de longue priode favorisant les rsidus (r{) dans l'ensemble de la population sera lui-mme fort.

    CONCLUSION

    Cette tude transversale de l'uvre de Pareto sur le thme du protectionnisme a permis d'tablir quelques rsultats. Premirement, l'analyse des textes a montr que ce que l'on a pu considrer comme des inconsquences de Pareto ne sont pas telles lorsqu'on les rapporte l'volution de la problmatique par- tienne et aux divers niveaux d'analyse qu'il distingue. Deuximement, la problmatique de Pareto est tout la fois insre dans une tradition librale, y compris dans sa version polmique, et solidement construite du point de vue analytique avec sa formulation spcifique du paradoxe de l'action collective ; et il s'agit l sans doute d'une des toutes premires du genre. En s 'arrtant ces deux premiers points, il est alors possible de faire ntre, la conclusion de K. Wicksell ([1899], p. 158) - qui n'tait pas, on le sait (P. Hennipman [1982], p. 47-48), un inconditionnel de Pareto : Quels que soient les dfauts que l'on trouve chez Pareto, personne ne pourra jamais l'accuser du pire des dfauts que l'on puisse trouver chez un auteur : le manque d'ides.

    Un troisime rsultat vaut sans doute la peine d'tre dgag. L'accent mis, dans le Cours, sur la formulation du paradoxe de l'action ne doit pas conduire ngliger le fait que, si Pareto utilise encore cet argument dans le Manuel, tel n'est plus le cas du Trait. De toute vidence, avec le recul historique, on ne peut vouloir expliquer cette inflexion par le fait que Pareto s'tait avanc dans une impasse : tout au contraire, il y aurait plutt lui reprocher de n pas aller plus loin dans la voie dfriche dans le Cours. L'inflexion provient de ce que I' object de ses rflexions s'est transform. Pareto veut aboutir un point de vue synthtique sur le social ; cela veut dire qu'il recherche une explication de l'action sociale qui n'est pas rductible l'explication conomique. Il n'y a

    1. Ds le Manuel, Pareto dclare explicitement que la formation de l'pargne n'est dtermine ni exclusivement ni mme principalement par le taux d'intrt et qu'il n'y a pas de liaison dtermine entre les variations du taux d'intrt et les variations de l'pargne (Pareto [1909], VDI, 11). Dans le Trait, il associe l'pargne aux rsidus de la persistance des agrgats ([1916], 2228) et il dconnecte encore plus fortement qu'avant la formation de l'pargne du taux de l'intrt (ibid., 2232) pour insister sur sa dpendance vis--vis de caractristiques instinctives (les rsidus).

    1259

  • Revue conomique

    donc pas chez lui, la diffrence de ce qui se fera plus tard au cours de la deuxime moiti du XXe sicle, de tendance 1' imprialisme conomique . Sa dfinition large de l'action non logique (action qui n'a pas de sens subjectif pour l'acteur ou bien qui n'a pas de sens objectif pour l'observateur ou, finalement, dans laquelle le sens objectif et le sens subjectif ne concident pas) l'amne, d'une part, penser que les actions conomiques ne sont pas seulement des actions logiques (o les sens subjectifs et objectifs existent et concident)1 et, d'autre part, refuser d'appliquer le raisonnement conomique hors des frontires traces par lui alors que, de son vivant, certains comme P. Wicksteed2, levrent la voix en ce sens. ce titre, Pareto est bien, au-del de ses apports en conomie politique pure, un des fondateurs de la sociologie conomique.

    RFRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

    Bastiat F. [1848a], Physiologie de la spoliation , dans Bastiat [1863], t. 4, p. 127-148. [1848b], Proprit et spoliation , dans Bastiat [1863], t. 4, p. 395-434. [1849], Protectionnisme et communisme , dans Bastiat [1863], t. 4, p. 504-545. [1850] Spoliation et loi , dans Bastiat [1863], t. 5, p. 1-16. [1863], Sophismes conomiques, uvres compltes de Frdric Bastiat, t. 4 et 5,

    Guillaumin, 2e d. Bhagwati J. [1980], Lobbying and Welfare , Journal of Public Economies, p. 355-

    363. [1982], Directly Unproductive, Profit-Seeking (DUP) Activities , Journal of Poli

    tical Economy, p. 988-1002. [1983], DUP Activities and Rent-Seeking , Kyklos, p. 634-637. [1988], Protectionnisme, trad, franaise, Paris, Dunod [1990]. BUSINO G. [1974], Gli studi su Vfredo Pareto oggi, Bulzoni. [1989] (dir.), L'Italia di Vfredo Pareto : economia e societ in un carteggio del

    1873-1923, Banca commerciale italiana.

    1. Il ne faut pas oublier que l'entrepreneur en situation de concurrence pure et parfaite agit pour partie d'une manire non logique : le but subjectif est la maximisation de ses gains alors que le but objectif est l'quilibre conomique et l'annulation des gains pour les entrepreneurs (ibid., 159). Cette dissociation des deux buts introduit donc des actions non-logiques au cur mme du processus conomique.

    2. II est impossible d'lever le traitement des usages alternatifs des biens conomiques un quelconque degr d'abstraction (comme c'est le cas avec la mthode diagram- matique ou la mthode mathmatique) sans percevoir que l'on s'occupe en ralit de la psychologie des choix dont l'application s'tend bien au-del des problmes conomiques. (P. Wicksteed [1906], p. 816).

    1260

  • Philippe Steiner

    Euzent P.J. - Martin T.L. [1984], Classical Roots of the Emerging Theory of Rent Seeking : the Contribution of Jean-Baptiste Say , History of Political Economy, p. 255-262.

    Giardina E. [1992], The Italian Tradition in Public Finance and the Theory of Public Choice dans A. Peacock, Public Choice Analysis in Historical Perspectives, Cambridge, Cambridge University Press, p. 145-167.

    Gomes L. [1990], Neoclassical International Economic, an Historical Survey, Londres, Macmillan.

    GUYOT Y. [1905], La comdie protectionniste, Paris, E. Fasquelle. HENNIPMAN P. [1982], Wicksell and Pareto : their Relationship in the Theory of Public

    Finance , History of Political Economy, p. 37-64. Hutchison T.W. [1953], A Review of Economic Doctrines : 1870-1929, Greenwood

    Press [1975]. Kayaalp O. [1987], Early Italian Contributions to the Theory of Public Finance : Pan-

    taleoni, De Viti de Marco, and Mazzola , dans D.A. Walker (ed.), Perspectives on the History of Economic Thought, vol. 1, Edward Elgar, p. 155-166.

    Krueger A.O. [1974], Political Economy of the Rent-Seeking Society , American Economic Review, p. 291-303.

    Olson M. [1966], La logique de l'action collective, trad, franaise Paris, PUF [1978]. Pareto V. [1887], Le nouveau tarif douanier italien , dans Pareto [1965], p. 1-19. [1889], La crise conomique en Italie , dans Pareto [1965], p. 20-39. [1890-1893], Lettres d'Italie , dans Pareto [1965], p. 40-102, 114-123, 126-136,

    164-169. [1891], Le protectionnisme en Italie , dans Pareto [1965], p. 103-113. [1892], Traits de commerce , dans Pareto [1966], p. 73-81. [1893], Les effets de la protection douanire en Italie , dans Pareto [1966], p. 82-88. [1894a], Les finances italiennes , dans Pareto [1965], p. 200-222. [1894b], II massimo di utilit dato dalla libra concorrenza , dans Pareto [1982],

    p. 276-294. [1895a], Teoria matematica del commercio internazionale , dans Pareto [1982],

    p. 305-327. [1895b], Protectionnisme et communisme , dans Pareto [1965], p. 223-225. [1896-1897], Cours d'conomie politique, uvres compltes, t. 1, Droz [1964]. [1897], L'tatisme en Italie , dans Pareto [1965], p. 226-254. [1899a], L'impt progressif, dans Pareto [1966], p. 136-138. [1899b], I problemi dlia sociologia , dans crits sociologiques mineurs, uvres

    compltes, t. 22, p. 165-177, Droz [1980]. [1900a] c.r. P. du Maroussem "Les enqutes : thorie et pratique" , dans Pareto

    [1966], p. 182-183. [1900b], Le pril socialiste , dans Pareto [1965], p. 322-339. [1902-1903], Les systmes socialistes, uvres compltes, t. 5, Droz [1965]. [1903], Protection et impt , dans Pareto [1966], p. 226-228. [1909], Manuel d'conomie politique, uvres compltes, t. 7, Droz [1981]. [1916], Trait de sociologie gnrale, uvres compltes, t. 12, Droz [1968]. [1960], Lettere a Maffeo Pantaleoni, sous la direction de G. Di Rosa, Banca Nazio-

    nale del Lavoro. [1965], Libre changisme, protectionnisme et socialisme, uvres compltes, t. 4,

    Droz. [1966], Mythes et idologies de la politique, uvres compltes, t. 6, Droz. [1975], Correspondance, uvres compltes, t. 19, Droz.

    1261

  • Revue conomique

    [1982], crits d'conomie politique pure, uvres compltes, t. 26, Droz. [1989], Lettres et correspondances, uvres compltes, t. 30, Droz. PEEL J.D.Y. [1971], Herbert Spencer, the Evolution of a Sociologist, Heinemann. Ravk J. [1991], Le libre change et le protectionnisme en France , dans Y. Breton,

    M. Lutfalla (dir.), L'conomie politique en France au XIXe sicle, Paris, Econo- mica, p. 525-553.

    ReismanD. [1990], Theories of Collective Action, Downs, Olson and Hirsch, New York, St Martin's Press.

    Say J.-B. [1814], Trait d'conomie politique, 2e d., Paris, Renouard. Sen A.K. [1976], Rational Fools, a Critique of the Behavioral Foundations of Econo

    mic Theory , Philosophy and Public Affairs, p. 317-344. SPENCER H. [1884], L'individu contre l'tat, trad, franaise, Paris, Alcan [1892]. [1896], Les institutions professionnelles et industrielles, trad, franaise, Paris, Alcan

    [1898]. Tollison R.D. [1982], Rent Seeking : a Survey , Kyklos, p. 575-601. TORRISI G.P. [1981], La dmarche scientifique de Vfredo Pareto : pour une relecture du

    Trait de sociologie gnrale , Louvain-la-Neuve. Valade B. [1990], Pareto, la naissance d'une autre sociologie, Paris, PUF. WlCKSELL K. [1899], Vilfredo Pareto's "Cours d'conomie politique" , dans Selected

    Papers on Economie Theory, Kelley [1969], p. 141-158. Wicksteed P.H. [1906], Pareto's "Manuale di economia politica" , dans The Com

    mon Sense of Political Economy, Londres, Routledge and Kegan, 2e d. [1933], vol. 2, p. 814-818.

    InformationsAutres contributions de Monsieur Philippe Steiner

    Pagination1241124212431244124512461247124812491250125112521253125412551256125712581259126012611262

    PlanLa suprmatie du libre-change et l'origine de la protectionLa protection et le paradoxe de l'action collective L'quilibre social, le protectionnisme et le cycle conomiqueConclusion Rfrences bibliographiques

    IllustrationsTableau 1.Tableau 2A. Mutuelle dpendance (courte priode)Graphique 1.Tableau 2B.Mutuelle dpendance (longue periode)Graphique B