balazs et sayad. la violence de l'institution. 1991
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8/18/2019 Balazs Et Sayad. La Violence de l'Institution. 1991
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Actes de la recherche ensciences sociales
La violence de l'institution [Entretien avec le principal d'uncollège de Vaulx-en-Velin]
Entretien avec le principal d'un collège de Vaulx-en-Velin
Madame Gabrielle Balazs, Abdelmalek Sayad
Citer ce document Cite this document :
Balazs Gabrielle, Sayad Abdelmalek. La violence de l'institution [Entretien avec le principal d'un collège de Vaulx-en-Velin]. In: Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 90, décembre 1991. La souffrance. pp. 53-63.
doi : 10.3406/arss.1991.2996
http://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1991_num_90_1_2996
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http://www.persee.fr/collection/arsshttp://www.persee.fr/collection/arsshttp://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1991_num_90_1_2996http://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1991_num_90_1_2996http://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1991_num_90_1_2996http://www.persee.fr/author/auteur_arss_288http://www.persee.fr/author/auteur_arss_42http://dx.doi.org/10.3406/arss.1991.2996http://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1991_num_90_1_2996http://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1991_num_90_1_2996http://dx.doi.org/10.3406/arss.1991.2996http://www.persee.fr/author/auteur_arss_42http://www.persee.fr/author/auteur_arss_288http://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1991_num_90_1_2996http://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1991_num_90_1_2996http://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1991_num_90_1_2996http://www.persee.fr/collection/arsshttp://www.persee.fr/collection/arsshttp://www.persee.fr/
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8/18/2019 Balazs Et Sayad. La Violence de l'Institution. 1991
2/12
GABRIELLE
BALAZS,
ABDELMALEK SAYAD
L
VIOLENCE
DE
L INSTITUTION
Entretien
avec
le principal'un
collège
de
Vaulx-en-
Velin
Les difficultés que
rencontrent et
suscitent dans
l 'enseignement
secondaire les
enfants de
milieux socialement
très
éloignés
de l'école, et qui
se
retraduisent
dans les
tensions
apparues dans l'établissement depuis octobre
1990, ont
peu
à
peu
transformé la fonction
du
principal
du collège de Vaulx-en-Velin, l'obligeant à gérer, au jour
le jour, les manifestations, majeures ou
mineures,
de la
violence. Contraint
à
une vigilance permanente
pour
maintenir
la
propreté malgré
le
renouvellement rapide
des
graffiti
et pour prévenir
ce
type
de
dégradations, il
doit
aussi se
tenir
à la porte
de
l'établissement à chaque
entrée
et
sortie
d'élèves afin d'éviter que professeurs
et
élèves ne soient
agressés, et
afin d'interdire
les
bagarres
entre
élèves
dans l'enceinte
du collège
; pour assurer
l'efficacité de
cette
discipline permanente et tenter de
créer
des conditions propres à la rendre inutile, il lui faut
entretenir
des
relations suivies avec
l'ensemble des
autorités
de
la ville, en mettant en place, par exemple, avec
le centre d'information
et
d'orientation
et
la mairie, un
observatoire local
de
la
réussite
scolaire ; il lui
faut
surtout s'adapter
aux
caractéristiques de son
public
et,
grâce
à
la
connaissance
de
ses
élèves
et
de
son personnel
et
à
diverses astuces de discipline, assumer en
quelque
sorte
la violence sans la
dramatiser.
Par ces
temps
de crise,
l'entretien
avec deux
sociologues,
présentés par
un responsable des études
de
la
ville de Vaulx,
semblait
aller de soi pour lui.
A
presque
cinquante ans, cet
ancien
instituteur
originaire de
Vénissieux,
devenu
professeur pendant
douze
ans
dans
un quartier réputé
difficile,
aurait espéré des conditions
moins
difficiles. Pour la première fois dans une
longue
carrière,
il a
eu
recours à des
somnifères et
des
antidépresseurs.
Tenu
d'habiter le collège pour
des raisons
de
sécurité, c'est seulement le week-end qu'il rejoint dans
leur
maison
sa
femme,
professeur de
physique
dans
un
grand
lycée
de Lyon,
et ses
enfants.
Le collège
situé
à Villeurbanne reçoit pour
l essentiel
des élèves de Vaulx-en-Velin. Le quartier où le
collège est
situé
est
coupé de
Villeurbanne
par le canal et le
périphérique
alors que seule une
rue le
sépare
de la
ville
de Vaulx.
Du
point de vue
scolaire,
contrairement aux
idées reçues,
les
résultats
du collège ne sont pas
plus
mauvais qu'ailleurs ; ils correspondent
à
la
moyenne
du
département, notamment
pour la
réussite au brevet des
collèges (même
si
le
nombre
d'élèves
en
retard
en
sixième
est de 65 %
contre
35 % dans le département).
Du
point de vue des caractéristiques
sociales
des élèves - en
majorité d'origine populaire et, pour
les
trois
quarts, issus
de parents étrangers
-
il
est
de loin le
collège
le plus
défavorisé du département.
On
n'y trouve
par
exemple
aucun
enfant
d'enseignant. Une classe
d'adaptation
accueille
les enfants qui viennent d'arriver d'Afrique,
d'Asie ou
d'Europe,
mais,
dans
leur grande majorité,
les
élèves appartiennent à des familles
algériennes
qui sont
installées en France depuis longtemps. La part des
boursiers s'élève
à
75
%
alors qu'elle n'est que de 30
% dans
le département. Ni l'intérêt d'appartenir, dès 1982,
à un
collège expérimental
pour
la
rénovation ,
ni
le
fait
de
compter 36
enseignants
pour un effectif
de
400
élèves
seulement -
contre
plus
de
600 dans les années 80
-,
ni
même la
proximité de Lyon
ne suffisent à retenir
les
professeurs
qui sont
toujours en attente
de
mutation.
Un
tutorat intensif
et, plus
généralement,
un encadrement
important n'empêchent pas que les élèves des
quartiers
pavillonnaires
et
de
certains
HLM fuient le collège. Leurs
parents
demandent
des dérogations pour
les
autres
établissements
publics.
Le
bureau où s'est
tenu l'entretien
est
situé
au rez-
de-chaussée du collège, de manière à permettre
d intervenir rapidement,
et
orienté
de
façon à offrir le
plus
grand
angle
de
vision
sur la
cour. A travers
le
ton
dramatique
et
profondément désabusé de
ses
propos, l'ancien
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instituteur républicain d'origine
populaire,
qui dit avoir
toujours
été préoccupé
par
le souci
de
savoir comment
faire pour sauver le maximum d'élèves , trahit toute
l'amertume, parfois
proche d'une
sorte
de
haine
rentrée,
que
lui
inspire son expérience :
haine
contre
la
violence
des élèves, haine
contre l'institution scolaire,
haine
contre lui-même surtout,
de se
trouver réduit à
user
de la
violence contre son gré
et
surtout contre la
représentation qu'il s'était faite de l'école et de son
métier
d éducateur. Comment
pourrait-il
supporter que l'école soit
aujourd'hui traitée comme
les
institutions de maintien de
l'ordre en
d'autres temps ?
Comment
accepter
que
l'école
soit assimilée
à la police, qu'on
se
venge
de l'école,
qu'on la traite comme on le ferait
d'un
commissariat ?
Comment
se
résigner à
se
penser comme un simple
agent du maintien de l'ordre, obligé de faire le coup de
poing ,
et comment
pardonner à l'institution d'exiger
de
ses serviteurs les plus dévoués cette sorte
de
reniement
de tout
ce qu'elle
leur a enseigné, des croyances
et
des
valeurs mêmes
pour
lesquelles,
à vingt
ans, ils avaient
choisi d'épouser,
comme
on dit, la vocation
d enseignant ?
ON
EN
A BE UCOUP
BAVE
CETTE
ANNÉE
PR-Il
y
a
des
périodes
de grandes
tensions
et puis
des
périodes
où
c'est un
peu plus calme.
Alors
cette année,
à
la rentrée,
ça
allait
à
peu
près, il y a
eu
les
événements de
Va ulx-en-
Velin.
Et nos élèves, certains, tout au
moins,
ont
participé
activement
; d'autres
ont
participé
à
travers
leur
famille, leurs
grands
frères,
les grandes soeurs.
Il y
a
eu deux
réactions
de
parents très
différentes, mais
les
gamins
vivaient dans
un
climat
d'hystérie pendant quinze
jours, trois semaines, un
mois. Hystérie
pro-manifestants ou
hystérie
anti-manifestants.
Le
collège a fonctionné
régul ièrement
tous
les
jours, il
n'y
a pas
eu
la moindre interruption. Certains
professeurs discutaient avec les élèves,
parce que certains professeurs au
début
de leurs cours trouvaient que
la
tension était
telle que ça
servait
strictement à
rien,
donc il fallait en
parler,
il
fallait... Mais il est arrivé que même
dans la première
semaine
des
émeutes,
il
est arrivé
que
des
professeurs disent
à des élèves
: Vous
voulez qu'on
en
parle ? ,
les
élèves .-
Non,
faites
cours .
Donc
si
vous
voulez
c'était... c'était très
variable
d'une
classe à
l'autre,
peut-être
aussi d'une
personnalité de professeur à l'autre.
AS-I1 n'y
a
pas eu plus d'absences
pendant
les
événements
?
PR-Non, non,
pas
plus. Non, non les
élèves venaient au collège
et
puis moi
j'étais assez content
parce
que
c'était
à
peu
près
le
seul
endroit
où
ils
échappaient
à l'hystérie familiale. De
quelque bord
qu'elle
soit. On
avait des
tas de coups de
téléphone...
GB-Des familles, des parents
?
PR-Des familles qui nous disaient :
Mais enfin qu'est-ce qui se passe,
on
entend
des
bruits,
le collège
Jean-Vilar
va être
attaqué, est-ce que
c'est
dangereux
? ,tout
ça
;
on
a
eu
des
gamins,
il
y a
une famille,
le père
est venu
me
trouver
en me
disant : C'est
pas
possible,
je fous le camp ,
il
est parti
carrément
une semaine dans la Drôme.
Mais enfin ça reste quand même
marginal. Il y a des parents qui sont venus
me
dire :
Ecoutez,
on
enlève les
enfants,
on
peut pas les
laisser, on
peut
pas courir
le danger
et
tout ça ,
j'ai dit :
Ecoutez,
le danger, regardez,
vous
avez
vu, vous êtes venus, c'est
pas
une catastrophe , donc on
a
eu un
ou deux retraits
à
cette occasion,
liés
à
cette
occasion,
mais
pas
plus.
AS-Des retraits définitifs ?
PR-Oui, oui, des
élèves
qui sont partis
définitivement.
L'agitation
n'estpas retombée
PR-Voilà. Alors ça,
si
vous voulez,
c'était
au mois d'octobre.
Donc une
effervescence
quand
même,
au
mois
de novembre
il y a
eu
le
grand
mou-
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La
violence de l'institution
vement des
lycéens et donc on
a
un
peu les retombées, donc ça
a
main tenu
une certaine forme
d'agitation.
D'autant
plus
que
si
vous
allez
vous
promener
sur
Vaulx-en-Velin, comme
ça, vous verrez que l'agitation depuis
le mois d'octobre n'est
pas
retombée
complètement
et que de manière
endémique, il reste quand même pas
mal de trucs. Des agressions à
coups
de pierre, les lapidations c'est devenu
un
moyen
d'expression
y
compris
dans la
frange
de 10-14 ans, c'est
vraiment pas
marrant. Mes collègues des
collèges de Vaulx-en-Velin,
il y a deux
lignes d'autobus qui passent devant le
collège. En
février
dès que c'était
l'heure
d'entrer
au
collège,
les
autobus
ne passaient
pas,
il y a
eu... je sais
pas,
ça doit être de l'ordre de 50 millions
de centimes de dégâts commis
sur
les
bus,
des vitres cassées, des
sièges
lacérés ; quand
les bus
s'arrêtent
à
l'arrêt
du collège, les
gamins rentrent
dedans, ils cassent tout
et
puis ils
s'en
vont.
Donc il
y a eu des
arrêts de
fonctionnement des lignes
à certaines
heures. Donc
c'était
une période de
tension.
Après,
c'est au mois de
novembre,
au mois
de décembre
il y a
eu
la
neige
;
alors
ça
a
l'air
de
rien
la
neige,
mais c'est un problème...
GB-Une occasion de faire des boules
de neige.
PR-Oui, alors des boules de
neige,
moi je
me souviens avoir
joué avec
des
boules
de neige, c'est
amusant
mais
comme je ne suis
pas
extrêmement,
extrêmement
répressif
et quand
même, que
j'ai
des souvenirs
d enfance
avec
la
neige, moi j'ai
pas
pris de
mesures d'interdiction de boules de
neige
;
alors que
j'ai
des collègues
d'autres
collèges
qui les
ont
prises.
Mais j'ai dû
appeler les
pompiers et
envoyer
les élèves
à
l'hôpital. C'est pas
des boules
de neige qu'ils balancent,
c'est
des blocs de glace.
Le plus dur, le
plus pétri
possible,
donc j'ai eu des
blessures
du cuir chevelu, des choses
comme
ça, quoi. Et puis surtout des
agressions
à la
sortie sur
les gens du
quartier.
GB-Sur
les gens du
quartier
?
PR-Oui,
il y
a des gens qui passaient
en
voiture,
les gamins,
cinquante
boules
de
neige
dans le pare-brise, le
conducteur, la
conductrice qui
tent,
qui ouvrent
la
vitre et qui
en
ramassent
plein la figure ; donc
avec
blessés,
tout
ça.
Des
plaintes
déposées.
Donc
l'image
du
collège
dans
le
quartier,
ça a pas remonté.
Ça
c'était
au mois de
décembre,
au mois de
janvier-février on
a
la guerre du Golfe,
alors
là
je vous
raconte
pas. Donc on
a
eu... par exemple,
ça se
traduisait en
cours
d'EPS
par
des échauffements du
type Saddam Hussein, Saddam
Hussein et puis
des inscriptions ; en
février, enfin les vacances ici
c'était
le
21 février,
il y a
eu une très très
grande
tension. Au
collège c'était vraiment
très très
dur.
Il y a
eu
des
profs qui
se
sont mis en congé maladie ; il y a
eu
un moment
où
j'avais cinq
profs
en
congé
maladie
dont un seul remplacé,
donc inutile de vous dire que les
problèmes augmentaient
et
l'absentéisme
des profs - justifié,
il
n'y
a pas
là le
moindre mot de critique là-dessus -
augmentait encore les problèmes ;
donc on était
très très
fatigués, là.
Les vacances de
février
sont arrivées
au bon moment. A
la
rentrée
des
vacances de
février,
période
calme
;
grand
calme,
le
Ramadan n'a
pas
donné lieu à de l'agitation. Mais par
exemple, le
Ramadan
chez nous,
le
jour de l'Aïd, la fête, le 16
avril
dernier,
il y
avait l60 élèves présents sur
410 ou
420,
avec
des classes où il y
avait 4 élèves
sur
25- Donc si
vous
voulez,
c'est
un quartier qui est
très
marqué. Je me souviens de
bagarres
dans
mon
enfance,
quand
dans
la cour
il y avait deux élèves qui se
battaient,
bon, ben
il y a
deux
élèves
qui se
battaient,
il y en a peut-être
trois
ou
quatre qui étaient là, qui
regardaient
;
ici
on est
extrêmement
féroce,
on ne
peut
pas
tolérer
le
moindre
début de
bataille
et
les
élèves qui
prennent...
GB-Parce que ça
s'enchaîne ou quoi ?
C'est assez
rugueux
et
violent
comme
ambiance
PR-Oui
parce
que s'il
y
en
a
deux qui
se
battent,
il y en a deux cents
qui
sont autour, c'est
que
les gamins
qui
se battent ne
peuvent
pas
régler leur
querelle
autrement
que très
très
lemment parce qu'ils sont
poussés,
excités... et
donc ça,
si vous
voulez,
on
peut
plus
contrôler, quoi. Résultat,
moi
je
peux vous
garantir,
je
peux
vous dire
statistiquement
j'ai supprimé
99,5 % des
bagarres
au collège, ça se
passe maintenant dans la rue, devant
le collège,
je
suis pas persuadé
que
pour
l'image
de marque du collège ça
soit
nettement
mieux.
Donc
si vous
voulez, il m'arrive
d'avoir
des
problèmes... disons que c'est assez
rugueux
et violent comme
ambiance.
(...)
Alors
on
nous raconte des trucs, la
drogue... Bon, le
quartier
ici, le
quartier
Saint-Jean,
les gens
des
H.L.M.,
sont absolument
polarisés
sur
le
problème de la drogue :
chaque fois
que
je parle
à
des réunions sur le quartier,
on
me parle
de
la drogue.
La drogue,
la drogue, la drogue. Je suis allé
voir,
j'ai participé
à
des stages parce que
moi,
ça y est,
j'ai une
information sur
la
drogue
;
j'ai
vu
du haschich et de
l'héroïne pour la
première fois
de
ma
vie,
il y
a à peu
près
un mois, quand
j'ai participé
à
un stage et
c'est des
flics qui me
l'ont
montré
dans
leur
valise.
Je
voulais
en
piquer
mais
j'ai
pas
pu
parce
que
c'était
sous scellés.
Je n'ai jamais
utilisé
de drogue
à
titre
personnel parce que
à
mon époque
on n'en
parlait
pas,
il
n'y avait
pas
ce
phénomène. Je suppose que si j'avais
été jeune intellectuel dans
les
années
80, je crois que
j'aurais
fumé mon
pétard comme tout le monde. J'en fais
donc
pas
un problème moral. Moi j'ai
l'impression
que je peux,
à
toutes les
réunions, dire
que,
premièrement, je
n'ai jamais eu connaissance de
drogues
dures au
collège.
Quand
je
suis
arrivé,
j'étais tellement
abasourdi
par tout ce qui se racontait que j'ai
demandé, je me suis tourné
vers
le
Rectorat
et
on
a
nommé, on m'a
prêté,
des médecins vacataires qui étaient
engagés par le
gouvernement
et
qui
étaient payés
à la vacation
précisément
pour faire des actions de recherche sur
la
drogue, des trucs comme ça.
Donc
pendant
deux trimestres, un
trimestre
d'une année scolaire
et
un
trimestre d'une
autre
année
scolaire,
deux
médecins
différents
ont
passé un
trimestre
entier
au collège.
Ils ont
pu
voir tous les
élèves, donc
ils
ont
vu
systématiquement
tous les élèves d'un
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niveau,
le niveau de troisième. Et puis
ils
ont examiné tous les élèves
pour
lesquels on
avait
un
début
de
commencement
de suspicion... vous savez,
ça
me fait marrer, quand je vais
à
une
réunion,
les gens qui
savent
tout
et qui
disent : II suffit
de regarder
les
gamins qui
sont
un peu atterrés ou un
peu endormis le matin ,
j'en
ai 80 %
qui sont endormis le matin, parce
qu'ils
ont
regardé la
télévision
jusqu'à
deux
heures du
matin.
Les
médecins
qui
ont fait des
observations sur
le
collège
en 88
et
en 89, dans les deux
rapports,
aucune
suspicion de
drogue.
Ils
ont trouvé des problèmes de
malnutrition, de machin comme ça, mais
aucune
suspicion
de drogue, de
drogues
dures, je pense. Les
drogues
du type
hasch
et tout ça, je dis
que,
comme j'ai
supprimé 99 % des
bagarres
dans le
collège,
j'ai supprimé
aussi
99
% des
fumettes dans le collège ; j'ai fait
installer des grillages parce
qu'on
pouvait
pas
surveiller les élèves partout. Alors
j'ai
fait
installer, vous voyez le
grillage
qui
limite
la cour
là-bas,
ça empêche
les gamins d'aller
fumer
là-bas derrière
les
bâtiments
;
donc
la
première année
que j'étais ici, il fallait sans arrêt courir
autour...
GB-Vous avez délimité l'espace,
quoi...
PR-Vous voyez les bancs,
et
derrière
les
bancs
il y avait...
j'ai
fait
mettre un
grillage ici qui empêche
les
élèves
d'aller...
GB— Du
coup
tous les élèves restent
sur une partie visible.
PR-Voilà, c'est
ça.
Comme
on
fume
pas
dans les
bâtiments,
le seul endroit
où
on
fume
éventuellement
et
encore
pas
beaucoup, c'est les cabinets ; c'est
le haut lieu de la tradition de la fumet-
te, c'est les cabinets, bon,
mais
c'est
quand même
très très limité.
Cela dit,
il
y a
des élèves qui arrivent au collège
le matin, ostensiblement et puis
quand
ils
sont à 45 centimètres de moi, pas
un de plus
pas
un de moins, pour me
montrer qu'ils fument bien, ils écrasent
leur clope, bon,
est-ce qu'il y a que
du
tabac
dans
la clope,
j'ai
aucun
moyen
de le vérifier
;
voilà c'est tout, c'est
tout
ce que
je
peux dire
si vous voulez
sur
la drogue. Mais les
bagarres,
je
crains, je crains. On a
eu une
bagarre
qu'on
n'a
pas
pu
juguler
dans les
trente
secondes, ça s'est terminé
par un
mois d'hôpital pour
un
gamin qui avait
pris
un
coup
de
couteau
dans
le
ventre. C'était
il y a deux
ans. Alors
voilà,
depuis
je suis un peu...
GB-Prudent
? Vous décrivez un peu le
climat,
les
difficultés,
l'agressivité
ou
la
violence, mais c'est différent depuis les
événements
? D'après
ce
que vous
avez décrit mois par mois, il
y a
plein
de choses qui
se sont...
PR-C'est-à-dire
que
si vous voulez, je
suis
là
pour
la
quatrième
année. Mon
adjoint est là pour la deuxième année.
Et
l'an dernier quand
il
est
arrivé, bon,
il
est
comme
moi,
il
a
entendu
parler
du collège, des
problèmes
du collège,
tout ça. C'était son premier
poste, il
était
prof
de physique
à Calluire, il
est
arrivé
ici
en ayant
une
certaine
inquiétude d'ailleurs, il me dit... donc c'est
l'année
passée,
l'année
scolaire
dernière : Bon, ben je m'attendais
à
ce que
ce
soit plus dur
que
ça , et cette année
il m'a dit : Ecoute, premièrement pas
de comparaison avec
l'année
dernière
et
deuxièmement, c'était encore
pire
que ce que je craignais quand je suis
arrivé ici ,
donc
cette
année
a
été
beaucoup
plus
dure. Je
sais
pas...
GB—
Conjonction d'événements
et...
PR— Je pense
que
les événements, oui,
d'autant
plus
que je vous dis,
moi,
les
gars
qui
ont
participé
aux
émeutes,
tout
ça, maintenant c'est pas eux
spécialement qui sèment le plus la
zizanie,
c'est les
10-16 ans qui font
des
agressions, qui rendent la vie pénible
sur le
quartier.
Pendant
les
événements, la
voiture du
collège a été
volée et brûlée
;
je sais
pas
si vous
avez
regardé les
émissions de
télévision... Je ne
sais pas
si vous vous
souvenez, une
2CV-camionnette qui a fait
plusieurs allers-retours
entre
les CRS
et
les manifestants, c'était...
GB-C'était
celle du collège ?
PR— C'était feu la voiture du collège.
Depuis il n'y
a pas
eu
d'autres
exactions, je sais pas,
j'ai
porté plainte
deux fois cette année, donc une fois
pour
la voiture du collège
et une
autre
fois pour un cambriolage dans le
bureau
de l'intendante. Mais
c'est
à
peu
près...
On tolère des choses
qui sont intolérables ailleurs
AS-On
peut
avoir
des
élèves
débutants
relativement
âgés
?
PR-Ah oui En
sixième,
moi, par le
biais de la classe d'adaptation où
on
essaie
de reverser le plus rapidement
possible
dans une
classe
de cycle
normal, les
gamins qui
viennent
d'une
classe
d'adaptation,
en
sixième
ça va
de 11
à
15, 16
ans.
Je dois en avoir un
ou
deux en
sixième qui
ont
16 ans.
GB-Et
vous
les
tolérez parce que
d'habitude on
les
envoie
en
SES...
PR-C'est
sûr.
C'est
sûr.
Mais
on tolère
des
choses
qui sont intolérables
ailleurs, c'est sûr. (...) Il
y a
eu une
période troublée
et
puis les gens sont
fatigués
et puis on est un peu amer,
un peu déçu parce
qu'on
en
a
beaucoup bavé cette
année
et
on est
beaucoup
fatigué. Confidence
personnelle,
j'ai
la
chance de disposer
d'une
ro uste
santé
et je
pensais que des choses
pareilles,
ma
brave
dame, moi
ça
m'arriverait jamais d'aller voir un
médecin pour lui dire : J'en
peux
plus
;
j'en peux
plus ,
et
prendre
des
somnifères,
j'aurais jamais
pensé que
ça puisse m'arriver
à
moi. J'avais
décrété que ça ne
m'arriverait jamais.
Eh bien, j'ai dû
prendre
en février
pour
tenir les quinze derniers jours
avant
les
vacances de février, des
somnifères et
des antidépresseurs.
Et
ça
m'a beaucoup affecté. Précisément
parce que
j'étais
très orgueilleux
et
que
je
pensais
que
ces
choses-là
ne
pouvaient
arriver
qu'aux
autres,
mais
certainement pas à moi. Et
j'ai
beaucoup
impressionné
mes enfants
parce
qu'ils
avaient
de
moi
l'image que
inconsciemment je
leur
ai toujours
donnée,
c'est-à-dire quelqu'un d'une
robuste santé
et ils m'ont
vu
dans
des
accès de
faiblesse
qui
les ont
beaucoup impressionnés.
Et donc
— je
suis
pas le
seul
à être
dans
ce
cas -
à être
des
fois un peu perdu et
à
être très
fatigué. (...) J'espère que je vais
pouvoir retrouver le sommeil pendant les
vacances
de
Pâques.
Et je ne me
plains pas, je vous dis
simplement...
Il
y a
eu
des
événements qui ont
marqué
les établissements,
un
regain
d'agressivité contre les profs. J'ai
mon
56
-
8/18/2019 Balazs Et Sayad. La Violence de l'Institution. 1991
6/12
La
violence
de l'institution
collègue du collège
à
Vaulx-en-Velin
qui a
vu,
juste après les
événements
de novembre, une tentative d'incendie
très
grave
du
collège.
Il
y
a
quinze
jours sa voiture a été
incendiée,
il y a
une semaine,
il a
fallu
emmener à
l'hôpital
une
pionne
qui faisait
l'entrée
le matin parce
qu'elle
a
ramassé une
pierre
dans
la
tête.
Au collège
B. et
au
collège de N., c'est aussi cette
espèce
de violence latente avec
des
agressions, tout ça. Monsieur P. qui est
venu tout à l'heure, est
venu pour
essayer de régler un incident
parce
qu'il n'a pas apprécié quelques
remarques
que j'ai faites l'autre jour.
Pendant
la
fête
de
l'Aïd,
il y
a
trois
élèves du collège J. V. qui sont allés
balancer des
pierres sur
le collège de
N.,
sur
la gardienne
et sur
son chien.
Or il se trouve que
les
gens en
ont
marre maintenant,
ils ferment
plus
forcément
leur gueule,
donc
la gardienne
est
allée porter
plainte et
les
flics
en
ont
marre, ils
ont
enregistré la
plainte
et puis
ça a suivi
et
les élèves
ont été
convoqués
au
commissariat
de police.
Ils étaient convoqués aussi par
un
magistrat
et
les éducateurs de quartier
semblent
avoir
dit aux parents :
Ne
vous
laissez
pas
faire
et
j'ai
eu
deux
mères de famille qui sont venues
m'engueuler parce
que leur gamin...
Alors
si
vous voulez,
c'est
assez
amusant, les élèves fréquentent le collège,
ils sont à
l'extérieur
du collège
pendant un jour de fête religieux où leur
absence
est
acceptée ;
ils
vont
foutre
le bordel dans
un
collège
à
côté, les
gens du
collège
à
côté portent plainte
et on
vient m'engueuler, moi. Alors j'ai
pas tellement
apprécié. Surtout
qu'ils
sont venus
sur
conseil. Donc j'ai
expliqué que
c'était
pas
très intelligent de
me
les
avoir
envoyés
pour
m engueuler, moi,
qu'à
la limite s'ils voulaient
engueuler
quelqu'un, ils
auraient pu
s'adresser à ceux
qui avaient
porté
plainte. C'est pas...
mais dans
le cadre
d'une logique, quoi. C'est tout.
Alors
voilà.
Donc les
profs à
la suite de l'incendie
de
la voiture du
principal du
collège
V.,
les profs des
quatre
collèges du
secteur,
plus du lycée professionnel,
ont
fait une réunion qui était mardi
dernier
à la
suite d'une
certaine
effervescence,
nous avons
été
trois
principaux à y
participer.
Et
ma
foi, ça
s'est
terminé
par
une
lettre
qui était
envoyée par les profs de
tous ces
établissements
à
l'inspecteur d'académie,
au
recteur,
en disant : On aimerait
bien
qu'on
prenne
enfin en
compte
nos conditions
difficiles
de travail
et
de vie parce que effectivement on
supporte beaucoup plus de choses
qu'on ne
supporte ailleurs, on
supporte
beaucoup plus de la
part
des
élèves.
Et
j'ai
été amené à
dire
que
par
exemple
un moyen
de nous aider c'est
que, dans un établissement dit
normal,
quand un élève fait une bêtise, on le
vide, eh ben,
nous,
quand il a fait la
même bêtise,
on
le vide
pas.
On lui
donne un
premier
ou un
cinquantième
avertissement. Et quand on est amené
à
vouloir
renvoyer un
élève, quand
moi
je téléphone à mes collègues
du
centre de
Villeurbanne et
que
je leur
dis : Ecoute, je
vais
envoyer un élève,
il
est
sous
obligation scolaire, je suis
obligé,
si
je le renvoie du collège, de
le caser quelque part
et
qu'ils me
disent : Ecoute t'es
bien
gentil,
on
aimerait bien
te
rendre
service mais si
un élève de J.V. vient,
les
profs
vont
pas
l'accepter, ils vont se mettre en
grève,
tout
ça
; donc résultat
on
est
conduit
à
s'échanger des
élèves
entre
nous
mais
ils quittent
pas la zone,
alors
un
des
moyens
c'est
peut-être
de
demander
à
l'Inspection académique
de nous
aider.
Quand vraiment, nous,
on est
amenés à se
débarrasser
d'un
élève dans l'intérêt de
l'élève
en
question
et
dans
l'intérêt
des autres, ça
serait
peut-être
qu'on
nous aide
à
trouver un point de
chute, que ce
soit
pas
nous qui devions mendier... que ça
soit... que l'inspecteur
d'académie
à
titre décisionnaire
dise : Tel élève, il
sera
mis dans tel
établissement,
point
final .
GB-De
fait
c'est comme
si
les
événements
avaient eu des effets
à
long
terme,
c'est-à-dire que
ça continue
maintenant...
PR— Ça
c'est
sûr
que
ça continue...
GB-Ce dont vous parlez là,
c'est très
récent la pionne qui...
L'école
n a
pas été
particulièrement
épargnée
PR-Tout
à
fait, c'est la semaine
dernière.
Et à la suite...
si vous voulez,
il se
trouve
que
le recteur de
Lyon,
le
nouveau
recteur
de
Lyon
a été nommé il y
a
un mois.
Le recteur B. venait juste
d'arriver
lorsque,
il
devait venir
dans
un des collèges de la zone, dans le
cadre d'une
action
pédagogique,
l'action
de
la
presse
à
l'école
; il
devait
venir le vendredi
et
c'est le jeudi
souque la voiture de mon collègue a été
incendiée. Donc on
a demandé
au
recteur, bien poliment, si
il ne pouvait
pas nous
voir
à
l'occasion
de
sa
venue,
donc il nous a
reçus et on
lui a
dit que ça n'allait
pas
très
bien,
que ça
allait vraiment
même pas
bien du tout
dans le secteur sans faire de
catastro-
phisme parce
que
on en
a vu
d'autres,
quoi.
Et
on
lui
a
demandé,
et
il
a
dit
:
Bon, il
y
a
deux
explications
possibles,
soit ça
fait partie du
mouvement sociologique
et
à ce moment-là
c'est une
situation
générale et
il faudra
peut-être des solutions
générales, soit
ça
fait
partie
d'une tentative de
déstabilisation de l'Education nationale
;
l'Education
nationale
serait
la
cible
de... , donc
il a
dit : Moi j'arrive
juste
ici , vous savez ce qui
induit...
parce
que là
je suis très
schématique,
c'est
qu'il
y a
des observateurs
de
l'Education
nationale
qui
ont constaté
ou qui
ont
cru
bon
de
constater
que,
pendant
les
événements,
les
centres
scolaires,
culturels n'ont
pas
été
touchés
par les événements, c'est-à-dire
que
les incendies, les exactions, ça
portait sur les centres commerciaux,
mais les équipements
culturels
et
scolaires n'ont pas été
touchés,
bon,
et
à
partir de ce truc-là ils
ont
beaucoup
théorisé, bon.
Or
je suis
pas
convaincu. . . (...)
Le jour même des
événements, l'école
primaire
qui
est
juste en face
du
collège, là
derrière sur Vaulx-en-Velin, c'est
une école qui est (nous, on fait dans
l'innovation,
mais
à
côté d'eux, c'est
vraiment de la
rigolade ;
c'est-à-dire
les gars
ils
ont des
profs qui
sont
formés en informatique, ils
ont
un centre
informatique, ils
ont
je
ne
sais
pas
trop
combien de dizaines de millions de
centimes de matériel informatique
là-
dedans, c'est vraiment une
école
de
pointe
et tout) bon, ben il
y a
une
classe qui a été complètement
incendiée
pendant les émeutes
et
les
ordinateurs
servaient de
projectiles
pour
casser
les
vitres.
Donc,
on
ne peut pas
dire que
ça a été
particulièrement
57
-
8/18/2019 Balazs Et Sayad. La Violence de l'Institution. 1991
7/12
épargné.
Je dis
pas que c'est cette
école qui
spécialement était visée...
Dans
les jours
qui
ont
suivi,
il y
a
une
école maternelle qui
a brûlé, il a
fallu
la fermer pendant quinze jours, donc
c'est
quand même pas
rien. Bon et je
parle pas de la voiture
du
collège, je
ne parle pas
de début novembre, une
classe et
demie
incendiée
à
P.
et
si
l'alarme
s'était pas déclenchée,
ils ont
trouvé 20 litres d'essence dans des
bidons qui
avaient
pas été vidés
quand
ils
sont arrivés ; or il
y a
peut-
être
cinq
ou
six
litres qui avaient été
vidés. Ça
a brûlé
une
classe,
si
les 20
litres
avaient été
vidés,
c'était
vraiment
un
incendie
assez
important.
C'est
comme
ça, donc
moi
je pense pas...
Mais
si
vous voulez, le recteur
B.
qui
arrivait,
qui lisait un rapport, les
bât iments de l'Education nationale, et
l'Education nationale
a
été
épargnée
pendant les événements, nous, on
lui
présente une situation où
il
apparaissait qu'on n'était pas très épargné,
donc sa réaction c'est de dire : Tiens
il y
aurait... pendant les événements
l'Education
nationale a
bien
résisté,
est-ce qu'il
y
aurait maintenant une
tentative
de
déstabilisation
d'une
institution qui
avait bien résisté comme,
nous a-t-il dit,
il y a
quelques années,
il y a
eu une
tentative
de
déstabilisation
de
la
police et
autre .
Donc le
recteur
B.
a demandé
une
entrevue au
préfet de police
et
les dirigeants de la
police
nous ont
reçus
il y a
une
semaine, donc les cinq principaux,
plus
le
directeur du LEP, on
était à
la
Direction
départementale des polices
urbaines, il
y a
une semaine pour
essayer
de voir
avec les policiers
qu'est-ce
qu'on
peut
faire,
c'est
pas
marrant.
. .
Je ne peuxpas tolérer
un graffiti
GB—Et contrairement à d'autres
zones,
les
gens ici n'ont
pas
l'air de
baisser
les bras, ça m'a frappée,
parce que
d'ordinaire
dans des cas
comme
ça, les
gens,
le
corps
enseignant, les
principaux...
enfin
toutes
sortes de
personnels sont assez déprimés
ment, mais
bon,
c'est tout.
Découragés
et puis...
ici, j'ai l'impression que... il
y
a des
tas d'initiatives...
PR-I1
faut
survivre...
oui,
il
faut
survivre bien
sûr,
on
ne
peut
pas... Moi je
peux vous emmener visiter le collège,
par exemple, je
ne
peux
pas
tolérer un
graffiti
;
c'est-à-dire
que
les agents de
service — on va aller faire
un
tour dans
le collège, pour vous montrer - il
y a
un graffiti,
leur
truc c'est
prioritaire
:
vous voyez un graffiti, vous
l'enlevez
immédiatement,
parce
que
si vous
le
laissez
une heure, une
heure
après
il y
en a
dix, deux heures après,
il y en a
150,
c'est tout. Moi
je me
fous
totalement
de
la
législation
sur
le
temps
de
service
des
agents de service
;
moi, les
agents de service, je négocie
directement avec
eux.
Vous
devez
4lh 30,
moi
je
m'en fous
que vous fassiez
4lh
30 de potiche dans
l'établissement
;
vous m'aidez à faire la surveillance des
couloirs, quand les élèves bougent.
Résultat,
si vous
êtes là,
ils
feront
moins
de
conneries.
Si ils font
moins
de conneries, vous aurez moins de
travail. Et en
contrepartie
du
travail que
je vous
demande
qui est un travail de
surveillance qui n'est
pas
dans
votre
statut,
si
vous
m'aidez
à faire
ça,
bon
moi, je
vous donne
des
jours de
vacances supplémentaires, je vous
donne, vous
partez... .
GB-C'est
des
arrangements,
quoi...
PR-C'est ça,
bon, alors
effectivement si
il y
a
un
inspecteur de l'administration
qui vient
et
qui dit : Comment,
à
telle
heure, je
devrais avoir
tant
de
personnel
là-dessus , ils ne trouveront pas,
mais le bahut
est
propre, c'est
sûr.
(...)
Je
vais
vous emmener faire un tour du
collège. On y
tient,
c'est
sur
le plan
physique
la
condition
numéro
un
de
la
survie, si c'est dégradé, c'est fini.
AS-Pour ramener
des choses à leur
juste proportion : avant, on prenait
un
couteau
et on griffait
des
initiales
sur
les tables ; maintenant, il y a d'autres
procédés, on
bombe des
trucs qu'on
écrit
sur
les
murs,
à
la
fois,
ce travail
de
discipline
est nécessaire, c'est sûr,
c'est vrai,
mais, à la
limite, sur
les lieux
publics, c'est vrai que ce sont des
lieux
publics, on
n'est jamais
parvenu
à
éliminer
ces
pratiques.
PR—Dans les
lieux
publics ;
mais
sauf
le collège J.V. Non, je suis
très
formel,
là-dessus, parce que c'est un des
points où je ne peux
pas
transiger.
AS-Egalement
ne pas accorder de
signification
...
PR-Non je n'accorde
pas
de
signification
de
délinquance
mais je dis
que
si
j'accepte le début de la
dégradation,
après...
AS-Bien sûr,
c'est une
affaire
de
discipline (...) ; ça n'a rien
à
voir... c'est la
voie publique, mais j'ai eu
l'occasion
de
faire une
enquête à
Marseille pour
la mairie qui voulait nettoyer des
quartiers.
Je
leur
ai dit, ce n'est pas
possible de faire de sorte que saleté dans
la
cité et
propreté
dans
la
rue...
;
si
vous faites un effort ostentatoire de
propreté, si
les
autres rues, vous les
nettoyez
une fois par jour,
là vous les
nettoyez deux fois par
jour,
la
population
finira par
se conduire proprement.
PR-Tout
à
fait, c'est bien ce que je
pense,
c'est
pour
ça
qu'à
des
moments
ça me fait marrer quand je
vois
des
gens
qui viennent,
des
autorités qui
viennent
et
puis qui disent aux
collègues : C'est
pas
mal, c'est
propre
;
de
quoi
vous vous
plaignez ? ,
je me
plains
pas,
je me bats
pour
que
ça
soit
propre.
Cela dit,
moi
j'ai...
je
sais
pas,
peut-être
par
atavisme
familial, un
respect très important pour le personnel
de service. Donc si vous voulez, ils me
le
rendent.
J'attache plus de prix
à
ce
qu'aucun agent
de
service ne
soit
insulté par un élève ou un
truc
comme
ça, je
me
sens
capable
d'être
beaucoup
plus féroce
si
c'était le cas que
vis-à-vis d'un
prof. Et moi je peux
vous garantir qu'en quatre ans,
j'ai eu
deux insultes
sur
les agents de service,
ben les gamins,
ils
l'ont
senti
passer.
Alors
que
bon,
sur
les
profs
c'est
quand même
plus
fréquent. Mais
c'est
peut-être
parce
que ma mère
a
pris
sa
retraite comme plongeuse dans un
restaurant, hein,
c'est
peut-être ça aussi.
C'est
peut-être
elle
que
je
respecte
quand je respecte les agents de
service.
AS-
Vous
avez combien
d'hommes et
de femmes dans le personnel ?
PR-Ah
beaucoup plus de femmes que
d'hommes, c'est
caractéristique
de
l'enseignement,
mais,
là,
je suis
prudent parce
que,
si vous voulez, quand
j'essaie de négocier avec le
Rectorat,
je
58
-
8/18/2019 Balazs Et Sayad. La Violence de l'Institution. 1991
8/12
La violence de l'institution
dis que en milieu maghrébin,
une
jeune femme
a
statistiquement plus de
difficultés... (...)
Voilà,
c'est pas
un
jugement
que
je porte sur
les
femmes
et tout
ça,
c'est une
constatation
statistique. Quand ils font un
effort
pour
me nommer des
garçons,
c'est pas
toujours
évident ;
l'an
dernier
ils ont
nommé
un surveillant ici
qui était...
qui était bien gentil, quoi. Mais il
a
tenu le coup un
mois.
C'était un
garçon,
après
on
m'a nommé une
fille,
qui est restée jusqu'à la fin de l'année,
alors vous
voyez
c'est
pas...
Donc
il
faut aussi être
très
prudent.
Cette année, on m'a nommé un
surve i l lant
maghrébin,
un
garçon
maghrébin, étudiant en
mathématiques, futur
prof de
maths. Il a
passé le CAPES. Je
le connaissais
pas.
Quand j'ai vu sa
fiche de nomination au mois d'août,
ma
première réaction, ça a
été de
dire : Tiens, peut-être qu'au
Rectorat,
ils ont pensé
que c'était
bien,
que
ça
allait
bien
se
passer ,
et
j'attendais
avec
intérêt, c'est la première
fois que
j'avais
un surveillant maghrébin. Eh
ben, le pauvre,
il
en
a
bavé, pourtant
c'est pas
un
manque d'autorité, c'est
je
crois que l'image du Maghrébin qui
s'en
sort,
c'est
le
collaborateur
et
il
a
été
insulté vraiment
beaucoup plus
que les autres
;
j'ai
dû intervenir
beaucoup plus que les autres ;
alors, si
vous voulez, on en apprend tous les
jours.
Ce
qu'on
disait — les chefs
d établ i s s ement
- à
l'inspecteur d'académie,
au
recteur,
à
la police,
ce
qui est très
pénible dans
ces
établissements, c'est
que c'est imprévisible.
C'est au
moment
où on les attend
pas
qu arrivent les
catastrophes et
puis
on
a
toujours
l'impression
qu'on
est
sur
le
fil
du rasoir, qu'il
suffit d'un
incident
extrêmement minime pour
dégénérer
et puis après pour...
C'est
ça,
il faut
être vraiment (...) mon problème
maintenant, si je fatigue c'est
parce
que... Bon, mais ça, c'est
du
domaine
de ma vie privée, j'aimerais bien être
principal de
Jean-Vilar
douze heures
par jour
et
puis pendant douze
heures
par
jour
être... et ça, moi-même,
j arrive
plus
à faire cet
équilibre.
Les parents entre
humilité et agressivité
devant
l'institution
GB—Et
quelles sont
vos relations avec
les parents
?
Vous avez mentionné
tout
à l'heure
qu'il
y
avait des familles qui
s'étaient adressées
à vous
durant
la
période spéciale,
mais
en temps
normal si j'ose dire,
c'est...
PR-Nous, le problème c'est d'avoir le
plus de
contacts possibles
avec les
familles parce
qu'on
constate...
GB-Vous les sollicitez ?
PR-Voilà.
Donc
on
les
oblige
à
venir
au
collège.
Et
obliger à
venir au
collège des gens qui n'ont pas
l'habitude et
qui... Donc
bien
avant que
j'arrive,
des
trucs
ont été mis en
place.
Nous
n'envoyons aucun
bulletin
trimestriel
dans les familles,
on
n'en envoie
aucun.
Les familles
viennent chercher
les
bulletins au collège. Donc on
organise, et
on arrive à un taux de 90
%.
Et
trois fois par an
-
bon
alors
90
% aux
premier
et deuxième
trimestres, au
troisième trimestre, un peu moins,
on
arrive
à
65
%,
70
%,
mais
aux
premier
et
deuxième
trimestres 90
%
des
familles viennent au collège chercher
le bulletin, c'est-à-dire que le
professeur principal de la classe, qui est
professeur
tuteur, qui
a
les élèves en tuto-
rat...
C'est lui
qui
les reçoit.
Donc trois
soirs dans l'année en
commençant
à
quatre
heures
pour certains,
à cinq
heures
pour d'autres, jusqu'à
huit
heures et
demie, neuf heures, jusqu'à
épuisement
et puis,
là,
on en reçoit
70 %,
et
les autres
on
les
emmerde
jusqu'à ce
qu'ils
viennent, c'est-à-dire
on
les
force
à
prendre
un rendez-vous,
tout ça. Alors
le nombre de réfractaires
c'est dérisoire. Et malgré
tout, ça
suffit
pas.
J'ai participé très activement
à la
constitution
d'un
conseil de
parents
d'élèves
parce
que
dans d'autres
bahuts, dans
un
bahut normal, les
parents d'élèves, pour les chefs
d'établissement,
c'est
des emmerdeurs. Ici,
moi j'ai besoin d'eux. Si les
gamins
ont
des problèmes, c'est parce
que
les
parents sont complètement
largués et
je
constate
que
tant
que
des
parents,
même dans la misère,
ont un
contact
avec leurs
gamins,
les
gamins
ils
font
moins
de bêtises,
ils
bossent
mieux,
alors j'essaie,
on est
en
train
d'essayer
de lancer,
on
veut monter une
action
de
sensibilisation
de
parents
d'élèves,
l'année prochaine
pour les
parents
d'élèves qui vont
rentrer
en sixième,
les
inviter
des
journées
entières
au
collège où ils rencontreront
les
professeurs, manger avec eux, faire des
repas avec eux... Il faut qu'ils viennent
au collège sans avoir peur,
sans...
pour
la plus
grande
partie des
parents,
le
collège, l'école pour ceux qui
y
sont
allés, ça
représente
l'échec
scolaire et
puis
il y en
a
encore beaucoup,
notamment chez les femmes
maghrébines de
la
génération
des femmes
de
40,
45
ans,
qui
sont
jamais allées à
l'école. Jamais. Donc elles
sont
analphabètes,
elles
ne
savent ni lire ni
écrire
et
à
peine parler
en
français,
mais elles parlent en arabe,
mais
elles
savent ni lire ni écrire non plus, c'est
comme ça.
Il
faut
que
l'école
ça soit
pas le
lieu... moi, j'en
ai ras le
bol de
voir des gens...
AS-Elles
viennent
?
PR-Non,
très
peu, ça
très
peu, elles
viennent chercher
les
bulletins,
et
moi
j'en ai
ras
le
bol
et
elles
viennent
quand je
les
convoque pour dire :
Votre fils ça va
pas
ou : Votre fille
ça va pas
et j'aimerais bien
les
voir,
j'aimerais bien qu'elles
viennent,
qu'elles
passent
dire :
Comment
ça
va ? sans savoir
et
peut-être que je
puisse un jour dire .-
Oui,
ça va
très
bien ... j'aimerais bien.
Parce
que... je
vous raconte une
anecdote. Il y a
une
prof de gym qui
a
des rapports
difficiles
avec
certaines
de ses
classes. Elle
est là depuis douze ans, elle est
fatiguée...
Et puis
les élèves
considèrent
la
gym
comme
le
défoulement
;
alors
qu'elle, elle considère que la gym,
c'est un cours comme un autre et
elle
a
un niveau
d'exigence
qui
est
très
important. Elle emmène
les élèves à la
piscine
un jour,
elle ressort de la
piscine, les
vitres de
sa voiture cassées.
Elle
pense,
moi aussi,
que
ce
sont des
élèves
de la classe qui
ont
cassé les
vitres de
la voiture ; ça
se prouve pas.
Donc elle est venue très en colère
et
elle m'a dit un certain nombre de
trucs, et
il y a
six
élèves
dans
la classe
qui
l'embêtaient profondément
et
elle
me demandait des
sanctions.
J'ai
dit
:
Avant de prendre la
sanction
d'exclu-
59
-
8/18/2019 Balazs Et Sayad. La Violence de l'Institution. 1991
9/12
sion temporaire, on va
convoquer
les
familles .
J'ai
convoqué les
familles
un jour, elle
était
là avec
moi,
avec mon
adjoint,
il
y
avait six familles
devant
nous. J'en
prendrai
deux
sur
les
six. Il
y a
un
père
de
famille
que
j'ai dû virer
physiquement de mon bureau
parce
qu'il l'a
insultée, il l'a
traitée de menteuse, de
salope
et
tout
ça,
donc
j'ai
dû, avec
mon
adjoint, le
prendre...
parce que je
lui demandais
de
sortir
et
il
voulait
pas,
donc
on
l'a expulsé du
bureau. Et
sa
fille
qui était
derrière,
elle se marrait
jusque-là,
ravie.
Son
père disait
exactement ce
qu'elle
disait à la prof, donc
c'était très bien, donc...
là,
qu'est-ce
que vous voulez qu'on
fasse
pour
des
gamins comme
ça.
A l'autre
bout,
complètement, un père
qui était
là,
il
était
assis là, son fils
était
derrière,
il parlait en baissant la tête,
je
sais
pas
si il me parlait
à
moi
ou à son
fils,
il
disait : Ça fait 28 ans
que
je suis
en
France,
ça fait 27
ans et demi
que
je
suis
dans
la même boîte
parce
que
moi
je considère que le chef, il a
toujours raison
;
quand
il
dit, même si on
n'est pas d'accord,
on
dit oui,
on est
humble, on accepte tout, on proteste
pas, c'est
comme
ça.
Et
grâce
à
cette
attitude, j'ai pu faire venir ma
femme
en
France, j'ai pu
élever
mes
enfants .
J'ai cru que le fils qui était debout
derrière son
père
allait lui taper
dessus
à
son père
;
j'ai jamais vu de haine telle
parce que ce que disait le
père,
c'était
inadmissible.
AS—Et il
avait
quel
âge ?
PR-Seize
ans.
Et les deux cas extrêmes
d'humilité totale devant
l'institution et
d'agressivité totale, finalement pour les
gamins ça revient exactement au
même
résultat.
Je
vous
donne
un
autre
exemple
de situations
qu'on a à
affronter. Il
y a —
c'est
l'année passée -
il y a
une grève
des
bus,
il y a
beaucoup
de
jeunes
qui étaient sur le
quartier où il
n'y avait plus
de
bus,
donc
ils
avaient
pris
l'habitude, l'après-midi
notamment,
de
se
balader et
alors,
ils
sautaient
par-dessus le portail,
là,
un
mètre
soixante
c'est
pas
mal, et puis ils
venaient, ils
montaient
dans les
classes,
ils
ouvraient la porte
des
classes, ils crachaient sur
les élèves
et
sur
les
profs, ils
les insultaient
et
dès
qu'on
me prévenait, que je partais
à
la
recherche, ils se barraient en courant.
Un jour
il y
en
a
trois qui sont entrés
et
quelqu'un les a vus rentrer au
moment où
ils
entraient. J'ai été
prévenu,
j'ai
mis
en
place
un
dispositif
de
cueillette et
j'ai pu en attraper un.
Il
avait 19 ans.
AS-Un
ancien
élève
?
PR-Non, celui que j'ai attrapé n'était
pas un
ancien
élève.
J'ai dû
me battre
parce
qu'il
prétendait
me faire lâcher.
Je
l'avais
attrapé
et
il m'a dit : Qu'est-
ce
que
tu veux faire
? ,
j'ai dit : Je vais
t'emmener dans mon
bureau , il m'a
dit non ,
et
j'ai dit si , j'ai dit :
Peut-
être
que
je n'y arriverai
pas
si je reste
sur
le carreau,
mais si
tu ne me tues
pas,
si
tu
ne
me
blesses
pas,
je
t'emmènerai dans mon bureau , et je
l'ai emmené dans mon bureau. Dans
mon bureau, il m'a
dit
:
Tu veux que
je te dise
ce que tu
vas faire ? Tu vas
appeler les
flics.
Les
flics vont
venir, ils
vont
me tabasser.
Ils vont m'emmener
au commissariat,
ils vont
me
tabasser,
ils
vont
appeler mon père. Mon père
va venir, il va pleurer
et
les
flics
vont
me donner
à
mon père
et
il
va me
ramener. Ça
va durer
une heure et
demie.
Dans
deux
heures
on revient, il
reste
plus
rien
au
collège.
Tu
fais
comme
tu
veux .
Pendant qu'il était dans mon bureau
et
qu'il me disait ça,
ils
étaient entrés
à
trois. Les deux autres
se sont
tirés, ils
sont allés en rameuter 50. Et les
50,
ils
étaient en arc de cercle dans la cour.
Mon adjoint est allé
chercher
tout ce
qu'il y
avait de mâles chez les profs.
Ce jour-là, il
avait réussi
à en amener
six ou sept qui
ont
fait un
arc
de
cercle devant mon
bureau. C'était
comme ça.
Alors là-dessus, palabres.
Je
vais
au milieu
de
la
cour et
il y
a
deux
délégués
qui
entrent
.-
Qu'est-ce
que tu vas
faire,
tu vas
tout
de même
pas appeler
les flics
pour rien, tu
narles, un petit machin
comme
ça.
Qu'est-ce qu'il y a, il
a
craché, c'est
tout
de même pas grave,
et puis
tu vas
pas
nous emmerder
et
puis si tu nous
emmerdes, notre
copain tu
le relâches,
parce
que
si
tu nous emmerdes, ça va
mal se
passer .
Les
profs
moitié
-moitié,
une moitié qui disent : Appelle les
flics,
on
va quand
même
pas se laisser
faire , et
l'autre moitié qui disent :
Je
t'avertis,
si
t'appelles
les
flics,
on
peut
plus venir travailler en voiture , eh
ben... c'est dur
d'être
humilié
quand
on n'est
pas
préparé, quand on n'est
pas
préparé psychologiquement
à être
humilié,
quand on est quelqu'un
d'orgueilleux
qui
a
un
certain sens
de
l'honneur, c'est
dur.
Je refuse d'exposer les surveillants aux
insultes au portail,
donc
je
fais
moi-
même avec mon
adjoint,
tous
les
matins et
tous les après-midis, l'entrée
des élèves ;
et
je ne suis
pas
physionomiste
et
il y a le gardien, là, l'ouvrier
d'entretien qui, lui, est
pied-noir
d origine et qui est très
physionomiste
et
qui me dit : II
y
en
a
trois, là, ils sont
pas du
collège , donc
quand
ils
arrivent au portail, je leur
dis
; Messieurs
vous
êtes pas
du collège,
vous avez
quelque
chose
à
faire
?
Si
vous
avez
quelque
chose à
faire, vous
me
dites
ce que vous venez
faire,
sinon vous
n'entrez pas.
Non, vous
n'entrez
pas .
Alors
ils
se reculent
de trois mètres, ils
se mettent au bord
du
grillage et ils
commencent
à
parler
entre eux.
Et
ils
commencent
à
parler entre eux de
manière à ce que j'entende que je
suis
un
con
: Regarde
la
gueule qu'il a et
tout, et
tout en parlant
ils
se
retournent, ils crachent. Ils crachent dans ma
direction.
Quand vous
avez
en dix
minutes, sept
ou
huit
crachats qui
vous
arrivent
à
15 centimètres des
pieds
et
que vous êtes quelqu'un
d'orgueilleux, qui
a
un
sens
de
l'honneur
et
tout
ça,
eh
bien,
c'est dur.
C'est
très dur. Bon et puis
voilà. Alors
il
y a
des jours où
j'aimerais bien
être
ailleurs (...).
On est allé dialoguer
jusqu
à
la
nausée
PR-Ils
en veulent à
mort
à
l'école,
parce
que
l'école
ne leur
a pas
permis
de
s'en
sortir
;
enfin bon,
ça
m'étonne
pas tellement. Et
puis l'école, c'est
un
milieu de contraintes.
Pendant
les
événements, moi j'ai vécu...
c'était
ubuesque. Il y a
eu
à la rentrée
scolaire dernière
en
septembre 90, dans
les
lycées
professionnels
du département
du Rhône, 700 places vacantes, non
occupées, il n'y
avait
pas de
candidats.
Il
y
avait
700
places
vacantes
tous les
jours,
pendant tout
le
mois de
septembre et le début
du mois
d'octobre,
60
-
8/18/2019 Balazs Et Sayad. La Violence de l'Institution. 1991
10/12
La
violence de l'institution
on lit le
minitel là,
les messages
minitel et
il disait : Tel établissement il y a
tant de places
;
tel établissement
il y a
tant
de
places
et
tel
établissement
il y
a
tant
de places .
Quand il y a
eu
les événements, la
grande interprétation c'était, oui, on
a
construit, on
a
repeint leurs façades,
tout
ça,
mais on
n'a pas dialogué avec
eux, c'est parce
qu'on a
manqué le
dialogue
qu'ils se sont
révoltés,
alors
dialoguons
;
on est allé
dialoguer
mais
vraiment jusqu'à la nausée dans les
réunions de quartier, les trucs comme
ça
et on entendait dans
les réunions
de quartier, des
jeunes
qui disaient :
Ouais,
l'école
n'a
rien
fait
pour
nous,
on n'a
rien, on
n'a pas
de formation ,
en même temps il
y
avait
700 places
vacantes dans les lycées
professionnels,
seulement
les places vacantes
dans
les lycées professionnels,
c'est
quoi ? C'est 32
heures
de
travail
par
semaine, rémunération
zéro.
Bon, ben
ils sont pas d'accord
pour
y aller non
plus
; à
la limite,
les
jeunes
paumés
des banlieues ils
demandent
quoi,
finalement ? Ils
demandent
de quoi
vivre.
Bon, éventuellement
ils
demandent
un travail intéressant
mais
le pays
n'est
pas capable
de
leur
donner
un
travail intéressant dans la mesure où
ils ont pas
de formation et puis moi,
j'ai une formation, c'est
pas
tous les
jours que
mon travail est
intéressant,
alors... Moi je vois
pas, enfin
il n'y a
pas
de
miracle,
hein Alors bon, ben
ils en veulent, ils en
veulent
à
l institution,
ils sont prêts
à
casser tout
ce qui
est
l'image,
qui
leur renvoie l'image
d'un
certain
échec,
mais
moi
je n'ai
pas
beaucoup de solutions.
AS-Oui
mais, ils ont
des
frères et
soeurs qui
vont encore
à
l'école...
?
PR-Oui,
ben les frères
et
soeurs qui
sont à l'école, quand ils entendent des
grands
frères leur dire : II faut
bosser
parce que, regarde,
moi
je suis en
seconde, en
première
ou en terminale
et puis je m'en
sors . J'ai la nièce
d'Azouz Begag [universitaire, auteur de
Le gône du
Chaaba,
roman
autobiographique
sur
sa scolarité
d'enfant
d'immigré dans
un
quartier
de Lyon]
ici, son oncle
il
lui dit
déconne
pas
et
elle
déconne
pas. Elle fait ce qu'elle
peut,
elle
fera
peut-être
des
études
moins brillantes que celles de son
tonton, mais je crois
qu'elle va
s'en
sortir,
elle est en seconde,
bon
après,
ma
foi... Il y a des
familles,
les grands
frères, on
a
l'impression
qu'ils se
relayent
pour qu'il
y
en
ait
toujours
un
dehors
pendant
que les autres sont en
tôle, pour
qu'ils
soient pas
en tôle
tous
en même
temps.
Il y a
une
famille, les
trois
frères
aînés sont en
tôle
pour
proxénétisme aggravé, c'est la mère
qui fait
tourner
le bistrot
qu'ils
avaient
parce
que
c'est
la seule
ressource de
la
famille ;
elle part
à
six
heures
du
matin, elle
rentre à
minuit ou une
heure
du
matin
et
les gamins,
j'en
ai
une
en
quatrième et l'autre
en
cinquième,
ils
sont livrés à eux-mêmes,
ils
font ce qu'ils veulent. C'est des
emmerdeurs
finis,
il y
a
des
moments
j'ai envie de les... j'ai envie de
les
esquinter, mais je vois vraiment
pas
pourquoi
ils
seraient calmes, doux,
patients, polis, gentils dans ces
circonstances-là. Ça serait
vraiment
un
miracle
si
ils l'étaient.
Je vous donne un autre
exemple.
Ça
c'est
un
truc, c'est
sûr
que il
y a
des
choses
que
je comprends
pas
et qui
m'échappent. L'année passée, à
huit
heures et quart, j'entends gratter
à la
porte de mon bureau
et puis personne
ne bougeait,
je
vais
voir
et
je
vois une
mère maghrébine complètement entur-
bannée
qui vient
et
puis qui me dit
dans un
français assez approximatif
:
Ma fille qui
est
en troisième, elle
est
venue ce matin, moi je
voulais
pas
qu'elle vienne,
mais son père
l'a
en c ore battue toute la nuit, vous avez vu la
tête qu'elle
a ? ,
j'avais
pas
vu, j'avais
pas
vu
parce
que la
fille
s'était
bien
planquée.
Il lui prend
la
tête contre le
lavabo
et puis
il lui tape la
tête contre
les coins de table ou contre les coins
du lavabo . Alors elle me racontait de
ces
trucs...
Je vais voir en
classe
la fille, je la
regarde
et effectivement,
elle était
toute tordue, pleine
de... Je la
descends, j'enferme la
mère et
la
fille
dans un bureau, j'appelle
l'assistante
sociale
parce
que ce sont des choses
qui se règlent entre femmes, ça.
L'assistante
sociale, elle me dit : II
faut absolument faire
un
constat
médical,
sur la
mère et
sur la fille .
Le
médecin scolaire ça
n'existe pas,
ça
n'existait
pas l'année passée, enfin j'ai
tellement
gueulé
que
j'en
ai
un
qui
fait
une permanence une
demi-journée
tous les quinze
jours. L'année
passée il
n'y en avait point. J'appelle un
médecin
traitant,
qui est
venu,
qui
les a
examinées, qui a fait les certificats
médicaux
et
qui
est
venu
me
voir
et
qui
m'a dit ça fait
l60 balles , moi j'ai
pas
de ligne au budget
pour
payer l60
balles
; j'ai
payé l60 balles de ma
poche, ça veut dire que pour que
j'en
sois
pas
de l60 balles de ma poche, le
médecin
a accepté de
faire une fausse
déclaration, c'est-à-dire qu'il a déclaré
qu'il
était venu
me
visiter,
moi,
et
j'ai
été remboursé 120 francs
par la
Sécurité
sociale. Ça
m'a coûté quand
même 40 balles ; je me plains
pas.
Et après
avec
les
certificats médicaux,
on
a
appelé
le
père, alors
le
père
est
venu,
alors
si
vous voulez,
moi
j'étais
derrière mon bureau directorial,
bien
protégé, le père était
à
votre place
et
l'assistante
sociale
était ici
;
l'assistante
sociale,
c'est
une
minette qui a trente
ans
et
qui
a
parlé au père
et
qui
lui a
dit :
Mais
ça se fait pas des choses
comme ça, vous vous rendez
compte
?
Et
puis si
vous continuez à le faire
on
va vous empêcher, on va
porter
plainte
;
on
a des certificats
médicaux et
tout
ça . Le père s'est levé, je l'ai dit
à
la
petite,
j'ai
dit
:
Ecoute,
le
deuxième
pain,
il
aurait
pas
pu
te
le
mettre
parce
que
je
l'aurais
assommé
avant ;
mais
le
premier je pouvais
pas
l'éviter parce
que
le temps
que
je saute
par-dessus
mon
bureau... ,
bon
il s'est arrêté au
millimètre, hein ;
et
puis il s'est dirigé
vers
la porte en
me lançant
la
malédiction d'Allah jusqu'à la... je ne sais pas
quelle génération.
Son truc
c'était...
et
en
plus
vous me direz,
quelle
réponse
vous
lui
auriez faite ?
Il
habite dans la partie la plus
déshéritée,
c'est-à-dire
les allées
du Mans.
Hein, vraiment, c'est vraiment
éshérit é
complètement
; il dit : Mes voisins,
là,
dans l'allée du
Mans...
les
gamins
ils
font
de l'absentéisme, ils
sont
drogués,
ils sont voleurs, ils sont
délinquants, ils
ont
tout pour plaire,
personne
ne
dira
jamais rien.
Moi,
mes
gamins,
ils
sont
jamais
absents , c'est
vrai
ils ont de bons
résultats , c'est
vrai,
ils sont polis , c'est
vrai,
pas
délinquants,
gentils,
propres, tout et
vous m'emmerdez,
moi ?
Et vous
voulez m'envoyer
à
la police, moi ? Vous
faites rien
contre
les
autres
et...
et
moi
? ,
il est parti, vraiment il
comprenait pas.
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8/18/2019 Balazs Et Sayad. La Violence de l'Institution. 1991
11/12
AS-Et
le soir, je pense que
la femme
et
la fille ont
dû...
PR-Pas
le soir
même,
pas
le soir
même, il
a
attendu
quelques
jours.
Voilà, c'est la
triste...
Je sais pas, moi,
si
vous
voulez, j'avais
pas
beaucoup
de
certitudes en
venant
ici...
J'en
ai
encore
moins,
parce que je sais pas,
j'ai l'impression.
.
AS— Vous arrivez
quand
même
à
ce
qu'il n'y
ait
pas de violence
à
l intérieur de
l'établissement.
PR-Pas de violence physique, de
bagarres. Les violences verbales... Là-
dessus,
il y a
le
téléphone
au collège
et
le
téléphone
quand
il
n'y
a
pas
de
standardiste,
par exemple
maintenant,
le
téléphone
sonne
pas
ici parce
que
si
quelqu'un appelle
le
collège,
ça
sonne dans mon
appartement
; il
n'y
a
pas de
standardiste,
donc
ça
sonne
dans mon appartement ; eh bien,
quand ma femme
est là,
l'autre jour
elle est venue, j'étais dans
l appartement
de
mon
adjoint,
on est allé
prendre l'apéritif ensemble,
ma
femme
est venue, de
cinq
heures à huit
heures et demie on était
en
réunion
au
centre
social
avec
mon adjoint
;
et
elle,
elle était dans l'appartement de
fonction.
Et à
huit heures et demie
elle
est
montée boire
l'apéritif
avec nous. Mais
elle m'a
dit : J'en
ai
marre, coupe le
téléphone quand je suis là
et
que tu
n'y es pas , toutes les
dix
minutes au
téléphone des insultes.
GB-Des insultes ?
PR-Des insultes. Elle prend le
téléphone : Est-ce
que
Monsieur S. est là ? ,
non il est pas
là ,
ah
t'es
sa femme,
salope, putain, nique
ta
mère, nique
ta
mère... ,
mais
vingt
fois, trente fois,
elle me dit : Si je décroche pas, ça
sonne, ça sonne, ça sonne , bon elle
a
compté une fois 27 coups de sonnerie,
elle
a
pas
décroché avant que
ça
s'arrête.
GB-Oui,
c'est pour
ça
qu'on
ne
peut
pas
faire la séparation vie privée, vie
publique...
PR-Non, c'est ça, et je n'ai
pas fait
installer
de ligne
personnelle, bon, parce
que je me dis
que
si je faisais installer
une ligne
personnelle,
il
suffit
de
repérer
mon nom, je
ne
vais
pas
me mettre
sur la
liste
rouge, je ne
veux
pas me
mettre sur
des choses
comme
ça...
Donc, quand le mercredi je m'enferme
dans l'appartement en fin d'après-midi
parce
que
j'ai
du
travail
à
faire
ou
parce
que
j'ai
envie de lire ou
d écouter de la musique, un machin
comme
ça, ben
si
je
débranche
le téléphone
ça veut
dire
que
mes
enfants, ma
mère, ma
femme ne
peuvent
pas
m'appeler,
c'est
comme