balazs et sayad. la violence de l'institution. 1991

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  • 8/18/2019 Balazs Et Sayad. La Violence de l'Institution. 1991

    1/12

    Actes de la recherche ensciences sociales

    La violence de l'institution [Entretien avec le principal d'uncollège de Vaulx-en-Velin]

    Entretien avec le principal d'un collège de Vaulx-en-Velin

    Madame Gabrielle Balazs, Abdelmalek Sayad

    Citer ce document Cite this document :

    Balazs Gabrielle, Sayad Abdelmalek. La violence de l'institution [Entretien avec le principal d'un collège de Vaulx-en-Velin]. In: Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 90, décembre 1991. La souffrance. pp. 53-63.

    doi : 10.3406/arss.1991.2996

    http://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1991_num_90_1_2996

    Document généré le 15/10/2015

    http://www.persee.fr/collection/arsshttp://www.persee.fr/collection/arsshttp://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1991_num_90_1_2996http://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1991_num_90_1_2996http://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1991_num_90_1_2996http://www.persee.fr/author/auteur_arss_288http://www.persee.fr/author/auteur_arss_42http://dx.doi.org/10.3406/arss.1991.2996http://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1991_num_90_1_2996http://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1991_num_90_1_2996http://dx.doi.org/10.3406/arss.1991.2996http://www.persee.fr/author/auteur_arss_42http://www.persee.fr/author/auteur_arss_288http://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1991_num_90_1_2996http://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1991_num_90_1_2996http://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1991_num_90_1_2996http://www.persee.fr/collection/arsshttp://www.persee.fr/collection/arsshttp://www.persee.fr/

  • 8/18/2019 Balazs Et Sayad. La Violence de l'Institution. 1991

    2/12

    GABRIELLE

    BALAZS,

    ABDELMALEK SAYAD

    L

    VIOLENCE

    DE

    L INSTITUTION

    Entretien

    avec

    le principal'un

    collège

    de

    Vaulx-en-

    Velin

    Les difficultés que

    rencontrent et

    suscitent dans

    l 'enseignement

    secondaire les

    enfants de

    milieux socialement

    très

    éloignés

    de l'école, et qui

    se

    retraduisent

    dans les

    tensions

    apparues dans l'établissement depuis octobre

    1990, ont

    peu

    à

    peu

    transformé la fonction

    du

    principal

    du collège de Vaulx-en-Velin, l'obligeant à gérer, au jour

    le jour, les manifestations, majeures ou

    mineures,

    de la

    violence. Contraint

    à

    une vigilance permanente

    pour

    maintenir

    la

    propreté malgré

    le

    renouvellement rapide

    des

    graffiti

    et pour prévenir

    ce

    type

    de

    dégradations, il

    doit

    aussi se

    tenir

    à la porte

    de

    l'établissement à chaque

    entrée

    et

    sortie

    d'élèves afin d'éviter que professeurs

    et

    élèves ne soient

    agressés, et

    afin d'interdire

    les

    bagarres

    entre

    élèves

    dans l'enceinte

    du collège

    ; pour assurer

    l'efficacité de

    cette

    discipline permanente et tenter de

    créer

    des conditions propres à la rendre inutile, il lui faut

    entretenir

    des

    relations suivies avec

    l'ensemble des

    autorités

    de

    la ville, en mettant en place, par exemple, avec

    le centre d'information

    et

    d'orientation

    et

    la mairie, un

    observatoire local

    de

    la

    réussite

    scolaire ; il lui

    faut

    surtout s'adapter

    aux

    caractéristiques de son

    public

    et,

    grâce

    à

    la

    connaissance

    de

    ses

    élèves

    et

    de

    son personnel

    et

    à

    diverses astuces de discipline, assumer en

    quelque

    sorte

    la violence sans la

    dramatiser.

    Par ces

    temps

    de crise,

    l'entretien

    avec deux

    sociologues,

    présentés par

    un responsable des études

    de

    la

    ville de Vaulx,

    semblait

    aller de soi pour lui.

    A

    presque

    cinquante ans, cet

    ancien

    instituteur

    originaire de

    Vénissieux,

    devenu

    professeur pendant

    douze

    ans

    dans

    un quartier réputé

    difficile,

    aurait espéré des conditions

    moins

    difficiles. Pour la première fois dans une

    longue

    carrière,

    il a

    eu

    recours à des

    somnifères et

    des

    antidépresseurs.

    Tenu

    d'habiter le collège pour

    des raisons

    de

    sécurité, c'est seulement le week-end qu'il rejoint dans

    leur

    maison

    sa

    femme,

    professeur de

    physique

    dans

    un

    grand

    lycée

    de Lyon,

    et ses

    enfants.

    Le collège

    situé

    à Villeurbanne reçoit pour

    l essentiel

    des élèves de Vaulx-en-Velin. Le quartier où le

    collège est

    situé

    est

    coupé de

    Villeurbanne

    par le canal et le

    périphérique

    alors que seule une

    rue le

    sépare

    de la

    ville

    de Vaulx.

    Du

    point de vue

    scolaire,

    contrairement aux

    idées reçues,

    les

    résultats

    du collège ne sont pas

    plus

    mauvais qu'ailleurs ; ils correspondent

    à

    la

    moyenne

    du

    département, notamment

    pour la

    réussite au brevet des

    collèges (même

    si

    le

    nombre

    d'élèves

    en

    retard

    en

    sixième

    est de 65 %

    contre

    35 % dans le département).

    Du

    point de vue des caractéristiques

    sociales

    des élèves - en

    majorité d'origine populaire et, pour

    les

    trois

    quarts, issus

    de parents étrangers

    -

    il

    est

    de loin le

    collège

    le plus

    défavorisé du département.

    On

    n'y trouve

    par

    exemple

    aucun

    enfant

    d'enseignant. Une classe

    d'adaptation

    accueille

    les enfants qui viennent d'arriver d'Afrique,

    d'Asie ou

    d'Europe,

    mais,

    dans

    leur grande majorité,

    les

    élèves appartiennent à des familles

    algériennes

    qui sont

    installées en France depuis longtemps. La part des

    boursiers s'élève

    à

    75

    %

    alors qu'elle n'est que de 30

    % dans

    le département. Ni l'intérêt d'appartenir, dès 1982,

    à un

    collège expérimental

    pour

    la

    rénovation ,

    ni

    le

    fait

    de

    compter 36

    enseignants

    pour un effectif

    de

    400

    élèves

    seulement -

    contre

    plus

    de

    600 dans les années 80

    -,

    ni

    même la

    proximité de Lyon

    ne suffisent à retenir

    les

    professeurs

    qui sont

    toujours en attente

    de

    mutation.

    Un

    tutorat intensif

    et, plus

    généralement,

    un encadrement

    important n'empêchent pas que les élèves des

    quartiers

    pavillonnaires

    et

    de

    certains

    HLM fuient le collège. Leurs

    parents

    demandent

    des dérogations pour

    les

    autres

    établissements

    publics.

    Le

    bureau où s'est

    tenu l'entretien

    est

    situé

    au rez-

    de-chaussée du collège, de manière à permettre

    d intervenir rapidement,

    et

    orienté

    de

    façon à offrir le

    plus

    grand

    angle

    de

    vision

    sur la

    cour. A travers

    le

    ton

    dramatique

    et

    profondément désabusé de

    ses

    propos, l'ancien

    53

  • 8/18/2019 Balazs Et Sayad. La Violence de l'Institution. 1991

    3/12

    instituteur républicain d'origine

    populaire,

    qui dit avoir

    toujours

    été préoccupé

    par

    le souci

    de

    savoir comment

    faire pour sauver le maximum d'élèves , trahit toute

    l'amertume, parfois

    proche d'une

    sorte

    de

    haine

    rentrée,

    que

    lui

    inspire son expérience : 

    haine

    contre

    la

    violence

    des élèves, haine

    contre l'institution scolaire,

    haine

    contre lui-même surtout,

    de se

    trouver réduit à

    user

    de la

    violence contre son gré

    et

    surtout contre la

    représentation qu'il s'était faite de l'école et de son

    métier

    d éducateur. Comment

    pourrait-il

    supporter que l'école soit

    aujourd'hui traitée comme

    les

    institutions de maintien de

    l'ordre en

    d'autres temps ?

    Comment

    accepter

    que

    l'école

    soit assimilée

    à la police, qu'on

    se

    venge

    de l'école,

    qu'on la traite comme on le ferait

    d'un

    commissariat ?

    Comment

    se

    résigner à

    se

    penser comme un simple

    agent du maintien de l'ordre, obligé de faire le coup de

    poing ,

    et comment

    pardonner à l'institution d'exiger

    de

    ses serviteurs les plus dévoués cette sorte

    de

    reniement

    de tout

    ce qu'elle

    leur a enseigné, des croyances

    et

    des

    valeurs mêmes

    pour

    lesquelles,

    à vingt

    ans, ils avaient

    choisi d'épouser,

    comme

    on dit, la vocation

    d enseignant ?

    ON

    EN

    A BE UCOUP

    BAVE

    CETTE

    ANNÉE

    PR-Il

    y

    a

    des

    périodes

    de grandes

    tensions

    et puis

    des

    périodes

    c'est un

    peu plus calme.

    Alors

    cette année,

    à

    la rentrée,

    ça

    allait

    à

    peu

    près, il y a

    eu

    les

    événements de

    Va ulx-en-

    Velin.

    Et nos élèves, certains, tout au

    moins,

    ont

    participé

    activement

    ; d'autres

    ont

    participé

    à

    travers

    leur

    famille, leurs

    grands

    frères,

    les grandes soeurs.

    Il y

    a

    eu deux

    réactions

    de

    parents très

    différentes, mais

    les

    gamins

    vivaient dans

    un

    climat

    d'hystérie pendant quinze

    jours, trois semaines, un

    mois. Hystérie

    pro-manifestants ou

    hystérie

    anti-manifestants.

    Le

    collège a fonctionné

    régul ièrement

    tous

    les

    jours, il

    n'y

    a pas

    eu

    la moindre interruption. Certains

    professeurs discutaient avec les élèves,

    parce que certains professeurs au

    début

    de leurs cours trouvaient que

    la

    tension était

    telle que ça

    servait

    strictement à

    rien,

    donc il fallait en

    parler,

    il

    fallait... Mais il est arrivé que même

    dans la première

    semaine

    des

    émeutes,

    il

    est arrivé

    que

    des

    professeurs disent

    à des élèves

    :  Vous

    voulez qu'on

    en

    parle ? ,

    les

    élèves .-

     Non,

    faites

    cours .

    Donc

    si

    vous

    voulez

    c'était... c'était très

    variable

    d'une

    classe à

    l'autre,

    peut-être

    aussi d'une

    personnalité de professeur à l'autre.

    AS-I1 n'y

    a

    pas eu plus d'absences

    pendant

    les

    événements

    ?

    PR-Non, non,

    pas

    plus. Non, non les

    élèves venaient au collège

    et

    puis moi

    j'étais assez content

    parce

    que

    c'était

    à

    peu

    près

    le

    seul

    endroit

    ils

    échappaient

    à l'hystérie familiale. De

    quelque bord

    qu'elle

    soit. On

    avait des

    tas de coups de

    téléphone...

    GB-Des familles, des parents

    ?

    PR-Des familles qui nous disaient : 

    Mais enfin qu'est-ce qui se passe,

    on

    entend

    des

    bruits,

    le collège

    Jean-Vilar

    va être

    attaqué, est-ce que

    c'est

    dangereux

    ? ,tout

    ça

    ;

    on

    a

    eu

    des

    gamins,

    il

    y a

    une famille,

    le père

    est venu

    me

    trouver

    en me

    disant :  C'est

    pas

    possible,

    je fous le camp ,

    il

    est parti

    carrément

    une semaine dans la Drôme.

    Mais enfin ça reste quand même

    marginal. Il y a des parents qui sont venus

    me

    dire : 

    Ecoutez,

    on

    enlève les

    enfants,

    on

    peut pas les

    laisser, on

    peut

    pas courir

    le danger

    et

    tout ça ,

    j'ai dit : 

    Ecoutez,

    le danger, regardez,

    vous

    avez

    vu, vous êtes venus, c'est

    pas

    une catastrophe , donc on

    a

    eu un

    ou deux retraits

    à

    cette occasion,

    liés

    à

    cette

    occasion,

    mais

    pas

    plus.

    AS-Des retraits définitifs ?

    PR-Oui, oui, des

    élèves

    qui sont partis

    définitivement.

    L'agitation

    n'estpas retombée

    PR-Voilà. Alors ça,

    si

    vous voulez,

    c'était

    au mois d'octobre.

    Donc une

    effervescence

    quand

    même,

    au

    mois

    de novembre

    il y a

    eu

    le

    grand

    mou-

    54

  • 8/18/2019 Balazs Et Sayad. La Violence de l'Institution. 1991

    4/12

    La

    violence de l'institution

    vement des

    lycéens et donc on

    a

    un

    peu les retombées, donc ça

    a

    main tenu

    une certaine forme

    d'agitation.

    D'autant

    plus

    que

    si

    vous

    allez

    vous

    promener

    sur

    Vaulx-en-Velin, comme

    ça, vous verrez que l'agitation depuis

    le mois d'octobre n'est

    pas

    retombée

    complètement

    et que de manière

    endémique, il reste quand même pas

    mal de trucs. Des agressions à

    coups

    de pierre, les lapidations c'est devenu

    un

    moyen

    d'expression

    y

    compris

    dans la

    frange

    de 10-14 ans, c'est

    vraiment pas

    marrant. Mes collègues des

    collèges de Vaulx-en-Velin,

    il y a deux

    lignes d'autobus qui passent devant le

    collège. En

    février

    dès que c'était

    l'heure

    d'entrer

    au

    collège,

    les

    autobus

    ne passaient

    pas,

    il y a

    eu... je sais

    pas,

    ça doit être de l'ordre de 50 millions

    de centimes de dégâts commis

    sur

    les

    bus,

    des vitres cassées, des

    sièges

    lacérés ;  quand

    les bus

    s'arrêtent

    à

    l'arrêt

    du collège, les

    gamins rentrent

    dedans, ils cassent tout

    et

    puis ils

    s'en

    vont.

    Donc il

    y a eu des

    arrêts de

    fonctionnement des lignes

    à certaines

    heures. Donc

    c'était

    une période de

    tension.

    Après,

    c'est au mois de

    novembre,

    au mois

    de décembre

    il y a

    eu

    la

    neige

    ;

    alors

    ça

    a

    l'air

    de

    rien

    la

    neige,

    mais c'est un problème...

    GB-Une occasion de faire des boules

    de neige.

    PR-Oui, alors des boules de

    neige,

    moi je

    me souviens avoir

    joué avec

    des

    boules

    de neige, c'est

    amusant

    mais

    comme je ne suis

    pas

    extrêmement,

    extrêmement

    répressif

    et quand

    même, que

    j'ai

    des souvenirs

    d enfance

    avec

    la

    neige, moi j'ai

    pas

    pris de

    mesures d'interdiction de boules de

    neige

    ;

    alors que

    j'ai

    des collègues

    d'autres

    collèges

    qui les

    ont

    prises.

    Mais j'ai dû

    appeler les

    pompiers et

    envoyer

    les élèves

    à

    l'hôpital. C'est pas

    des boules

    de neige qu'ils balancent,

    c'est

    des blocs de glace.

    Le plus dur, le

    plus pétri

    possible,

    donc j'ai eu des

    blessures

    du cuir chevelu, des choses

    comme

    ça, quoi. Et puis surtout des

    agressions

    à la

    sortie sur

    les gens du

    quartier.

    GB-Sur

    les gens du

    quartier

    ?

    PR-Oui,

    il y

    a des gens qui passaient

    en

    voiture,

    les gamins,

    cinquante

    boules

    de

    neige

    dans le pare-brise, le

    conducteur, la

    conductrice qui

    tent,

    qui ouvrent

    la

    vitre et qui

    en

    ramassent

    plein la figure ; donc

    avec

    blessés,

    tout

    ça.

    Des

    plaintes

    déposées.

    Donc

    l'image

    du

    collège

    dans

    le

    quartier,

    ça a pas remonté.

    Ça

    c'était

    au mois de

    décembre,

    au mois de

    janvier-février on

    a

    la guerre du Golfe,

    alors

    je vous

    raconte

    pas. Donc on

    a

    eu... par exemple,

    ça se

    traduisait en

    cours

    d'EPS

    par

    des échauffements du

    type Saddam Hussein, Saddam

    Hussein et puis

    des inscriptions ; en

    février, enfin les vacances ici

    c'était

    le

    21 février,

    il y a

    eu une très très

    grande

    tension. Au

    collège c'était vraiment

    très très

    dur.

    Il y a

    eu

    des

    profs qui

    se

    sont mis en congé maladie ; il y a

    eu

    un moment

    j'avais cinq

    profs

    en

    congé

    maladie

    dont un seul remplacé,

    donc inutile de vous dire que les

    problèmes augmentaient

    et

    l'absentéisme

    des profs - justifié,

    il

    n'y

    a pas

    là le

    moindre mot de critique là-dessus -

    augmentait encore les problèmes ;

    donc on était

    très très

    fatigués, là.

    Les vacances de

    février

    sont arrivées

    au bon moment. A

    la

    rentrée

    des

    vacances de

    février,

    période

    calme

    grand

    calme,

    le

    Ramadan n'a

    pas

    donné lieu à de l'agitation. Mais par

    exemple, le

    Ramadan

    chez nous,

    le

    jour de l'Aïd, la fête, le 16

    avril

    dernier,

    il y

    avait l60 élèves présents sur

    410 ou

    420,

    avec

    des classes où il y

    avait 4 élèves

    sur

    25- Donc si

    vous

    voulez,

    c'est

    un quartier qui est

    très

    marqué. Je me souviens de

    bagarres

    dans

    mon

    enfance,

    quand

    dans

    la cour

    il y avait deux élèves qui se

    battaient,

    bon, ben

    il y a

    deux

    élèves

    qui se

    battaient,

    il y en a peut-être

    trois

    ou

    quatre qui étaient là, qui

    regardaient

    ici

    on est

    extrêmement

    féroce,

    on ne

    peut

    pas

    tolérer

    le

    moindre

    début de

    bataille

    et

    les

    élèves qui

    prennent...

    GB-Parce que ça

    s'enchaîne ou quoi ?

    C'est assez

    rugueux

    et

    violent

    comme

    ambiance

    PR-Oui

    parce

    que s'il

    y

    en

    a

    deux qui

    se

    battent,

    il y en a deux cents

    qui

    sont autour, c'est

    que

    les gamins

    qui

    se battent ne

    peuvent

    pas

    régler leur

    querelle

    autrement

    que très

    très

    lemment parce qu'ils sont

    poussés,

    excités... et

    donc ça,

    si vous

    voulez,

    on

    peut

    plus

    contrôler, quoi. Résultat,

    moi

    je

    peux vous

    garantir,

    je

    peux

    vous dire

    statistiquement

    j'ai supprimé

    99,5 % des

    bagarres

    au collège, ça se

    passe maintenant dans la rue, devant

    le collège,

    je

    suis pas persuadé

    que

    pour

    l'image

    de marque du collège ça

    soit

    nettement

    mieux.

    Donc

    si vous

    voulez, il m'arrive

    d'avoir

    des

    problèmes... disons que c'est assez

    rugueux

    et violent comme

    ambiance.

    (...)

    Alors

    on

    nous raconte des trucs, la

    drogue... Bon, le

    quartier

    ici, le

    quartier

    Saint-Jean,

    les gens

    des

    H.L.M.,

    sont absolument

    polarisés

    sur

    le

    problème de la drogue : 

    chaque fois

    que

    je parle

    à

    des réunions sur le quartier,

    on

    me parle

    de

    la drogue.

    La drogue,

    la drogue, la drogue. Je suis allé

    voir,

    j'ai participé

    à

    des stages parce que

    moi,

    ça y est,

    j'ai une

    information sur

    la

    drogue

    ;

    j'ai

    vu

    du haschich et de

    l'héroïne pour la

    première fois

    de

    ma

    vie,

    il y

    a à peu

    près

    un mois, quand

    j'ai participé

    à

    un stage et

    c'est des

    flics qui me

    l'ont

    montré

    dans

    leur

    valise.

    Je

    voulais

    en

    piquer

    mais

    j'ai

    pas

    pu

    parce

    que

    c'était

    sous scellés.

    Je n'ai jamais

    utilisé

    de drogue

    à

    titre

    personnel parce que

    à

    mon époque

    on n'en

    parlait

    pas,

    il

    n'y avait

    pas

    ce

    phénomène. Je suppose que si j'avais

    été jeune intellectuel dans

    les

    années

    80, je crois que

    j'aurais

    fumé mon

    pétard comme tout le monde. J'en fais

    donc

    pas

    un problème moral. Moi j'ai

    l'impression

    que je peux,

    à

    toutes les

    réunions, dire

    que,

    premièrement, je

    n'ai jamais eu connaissance de

    drogues

    dures au

    collège.

    Quand

    je

    suis

    arrivé,

    j'étais tellement

    abasourdi

    par tout ce qui se racontait que j'ai

    demandé, je me suis tourné

    vers

    le

    Rectorat

    et

    on

    a

    nommé, on m'a

    prêté,

    des médecins vacataires qui étaient

    engagés par le

    gouvernement

    et

    qui

    étaient payés

    à la vacation

    précisément

    pour faire des actions de recherche sur

    la

    drogue, des trucs comme ça.

    Donc

    pendant

    deux trimestres, un

    trimestre

    d'une année scolaire

    et

    un

    trimestre d'une

    autre

    année

    scolaire,

    deux

    médecins

    différents

    ont

    passé un

    trimestre

    entier

    au collège.

    Ils ont

    pu

    voir tous les

    élèves, donc

    ils

    ont

    vu

    systématiquement

    tous les élèves d'un

    55

  • 8/18/2019 Balazs Et Sayad. La Violence de l'Institution. 1991

    5/12

    niveau,

    le niveau de troisième. Et puis

    ils

    ont examiné tous les élèves

    pour

    lesquels on

    avait

    un

    début

    de

    commencement

    de suspicion... vous savez,

    ça

    me fait marrer, quand je vais

    à

    une

    réunion,

    les gens qui

    savent

    tout

    et qui

    disent :  II suffit

    de regarder

    les

    gamins qui

    sont

    un peu atterrés ou un

    peu endormis le matin ,

    j'en

    ai 80 %

    qui sont endormis le matin, parce

    qu'ils

    ont

    regardé la

    télévision

    jusqu'à

    deux

    heures du

    matin.

    Les

    médecins

    qui

    ont fait des

    observations sur

    le

    collège

    en 88

    et

    en 89, dans les deux

    rapports,

    aucune

    suspicion de

    drogue.

    Ils

    ont trouvé des problèmes de

    malnutrition, de machin comme ça, mais

    aucune

    suspicion

    de drogue, de

    drogues

    dures, je pense. Les

    drogues

    du type

    hasch

    et tout ça, je dis

    que,

    comme j'ai

    supprimé 99 % des

    bagarres

    dans le

    collège,

    j'ai supprimé

    aussi

    99

    % des

    fumettes dans le collège ;  j'ai fait

    installer des grillages parce

    qu'on

    pouvait

    pas

    surveiller les élèves partout. Alors

    j'ai

    fait

    installer, vous voyez le

    grillage

    qui

    limite

    la cour

    là-bas,

    ça empêche

    les gamins d'aller

    fumer

    là-bas derrière

    les

    bâtiments

    ;

    donc

    la

    première année

    que j'étais ici, il fallait sans arrêt courir

    autour...

    GB-Vous avez délimité l'espace,

    quoi...

    PR-Vous voyez les bancs,

    et

    derrière

    les

    bancs

    il y avait...

    j'ai

    fait

    mettre un

    grillage ici qui empêche

    les

    élèves

    d'aller...

    GB— Du

    coup

    tous les élèves restent

    sur une partie visible.

    PR-Voilà, c'est

    ça.

    Comme

    on

    fume

    pas

    dans les

    bâtiments,

    le seul endroit

    on

    fume

    éventuellement

    et

    encore

    pas

    beaucoup, c'est les cabinets ;  c'est

    le haut lieu de la tradition de la fumet-

    te, c'est les cabinets, bon,

    mais

    c'est

    quand même

    très très limité.

    Cela dit,

    il

    y a

    des élèves qui arrivent au collège

    le matin, ostensiblement et puis

    quand

    ils

    sont à 45 centimètres de moi, pas

    un de plus

    pas

    un de moins, pour me

    montrer qu'ils fument bien, ils écrasent

    leur clope, bon,

    est-ce qu'il y a que

    du

    tabac

    dans

    la clope,

    j'ai

    aucun

    moyen

    de le vérifier

    ;

    voilà c'est tout, c'est

    tout

    ce que

    je

    peux dire

    si vous voulez

    sur

    la drogue. Mais les

    bagarres,

    je

    crains, je crains. On a

    eu une

    bagarre

    qu'on

    n'a

    pas

    pu

    juguler

    dans les

    trente

    secondes, ça s'est terminé

    par un

    mois d'hôpital pour

    un

    gamin qui avait

    pris

    un

    coup

    de

    couteau

    dans

    le

    ventre. C'était

    il y a deux

    ans. Alors

    voilà,

    depuis

    je suis un peu...

    GB-Prudent

    ? Vous décrivez un peu le

    climat,

    les

    difficultés,

    l'agressivité

    ou

    la

    violence, mais c'est différent depuis les

    événements

    ? D'après

    ce

    que vous

    avez décrit mois par mois, il

    y a

    plein

    de choses qui

    se sont...

    PR-C'est-à-dire

    que

    si vous voulez, je

    suis

    pour

    la

    quatrième

    année. Mon

    adjoint est là pour la deuxième année.

    Et

    l'an dernier quand

    il

    est

    arrivé, bon,

    il

    est

    comme

    moi,

    il

    a

    entendu

    parler

    du collège, des

    problèmes

    du collège,

    tout ça. C'était son premier

    poste, il

    était

    prof

    de physique

    à Calluire, il

    est

    arrivé

    ici

    en ayant

    une

    certaine

    inquiétude d'ailleurs, il me dit... donc c'est

    l'année

    passée,

    l'année

    scolaire

    dernière :  Bon, ben je m'attendais

    à

    ce que

    ce

    soit plus dur

    que

    ça , et cette année

    il m'a dit :  Ecoute, premièrement pas

    de comparaison avec

    l'année

    dernière

    et

    deuxièmement, c'était encore

    pire

    que ce que je craignais quand je suis

    arrivé ici ,

    donc

    cette

    année

    a

    été

    beaucoup

    plus

    dure. Je

    sais

    pas...

    GB—

    Conjonction d'événements

    et...

    PR— Je pense

    que

    les événements, oui,

    d'autant

    plus

    que je vous dis,

    moi,

    les

    gars

    qui

    ont

    participé

    aux

    émeutes,

    tout

    ça, maintenant c'est pas eux

    spécialement qui sèment le plus la

    zizanie,

    c'est les

    10-16 ans qui font

    des

    agressions, qui rendent la vie pénible

    sur le

    quartier.

    Pendant

    les

    événements, la

    voiture du

    collège a été

    volée et brûlée

    ;

    je sais

    pas

    si vous

    avez

    regardé les

    émissions de

    télévision... Je ne

    sais pas

    si vous vous

    souvenez, une

    2CV-camionnette qui a fait

    plusieurs allers-retours

    entre

    les CRS

    et

    les manifestants, c'était...

    GB-C'était

    celle du collège ?

    PR— C'était feu la voiture du collège.

    Depuis il n'y

    a pas

    eu

    d'autres

    exactions, je sais pas,

    j'ai

    porté plainte

    deux fois cette année, donc une fois

    pour

    la voiture du collège

    et une

    autre

    fois pour un cambriolage dans le

    bureau

    de l'intendante. Mais

    c'est

    à

    peu

    près...

    On tolère des choses

    qui sont intolérables ailleurs

    AS-On

    peut

    avoir

    des

    élèves

    débutants

    relativement

    âgés

    ?

    PR-Ah oui En

    sixième,

    moi, par le

    biais de la classe d'adaptation où

    on

    essaie

    de reverser le plus rapidement

    possible

    dans une

    classe

    de cycle

    normal, les

    gamins qui

    viennent

    d'une

    classe

    d'adaptation,

    en

    sixième

    ça va

    de 11

    à

    15, 16

    ans.

    Je dois en avoir un

    ou

    deux en

    sixième qui

    ont

    16 ans.

    GB-Et

    vous

    les

    tolérez parce que

    d'habitude on

    les

    envoie

    en

    SES...

    PR-C'est

    sûr.

    C'est

    sûr.

    Mais

    on tolère

    des

    choses

    qui sont intolérables

    ailleurs, c'est sûr. (...) Il

    y a

    eu une

    période troublée

    et

    puis les gens sont

    fatigués

    et puis on est un peu amer,

    un peu déçu parce

    qu'on

    en

    a

    beaucoup bavé cette

    année

    et

    on est

    beaucoup

    fatigué. Confidence

    personnelle,

    j'ai

    la

    chance de disposer

    d'une

    ro uste

    santé

    et je

    pensais que des choses

    pareilles,

    ma

    brave

    dame, moi

    ça

    m'arriverait jamais d'aller voir un

    médecin pour lui dire :  J'en

    peux

    plus

    ;

    j'en peux

    plus ,

    et

    prendre

    des

    somnifères,

    j'aurais jamais

    pensé que

    ça puisse m'arriver

    à

    moi. J'avais

    décrété que ça ne

    m'arriverait jamais.

    Eh bien, j'ai dû

    prendre

    en février

    pour

    tenir les quinze derniers jours

    avant

    les

    vacances de février, des

    somnifères et

    des antidépresseurs.

    Et

    ça

    m'a beaucoup affecté. Précisément

    parce que

    j'étais

    très orgueilleux

    et

    que

    je

    pensais

    que

    ces

    choses-là

    ne

    pouvaient

    arriver

    qu'aux

    autres,

    mais

    certainement pas à moi. Et

    j'ai

    beaucoup

    impressionné

    mes enfants

    parce

    qu'ils

    avaient

    de

    moi

    l'image que

    inconsciemment je

    leur

    ai toujours

    donnée,

    c'est-à-dire quelqu'un d'une

    robuste santé

    et ils m'ont

    vu

    dans

    des

    accès de

    faiblesse

    qui

    les ont

    beaucoup impressionnés.

    Et donc

    — je

    suis

    pas le

    seul

    à être

    dans

    ce

    cas -

    à être

    des

    fois un peu perdu et

    à

    être très

    fatigué. (...) J'espère que je vais

    pouvoir retrouver le sommeil pendant les

    vacances

    de

    Pâques.

    Et je ne me

    plains pas, je vous dis

    simplement...

    Il

    y a

    eu

    des

    événements qui ont

    marqué

    les établissements,

    un

    regain

    d'agressivité contre les profs. J'ai

    mon

    56

  • 8/18/2019 Balazs Et Sayad. La Violence de l'Institution. 1991

    6/12

    La

    violence

    de l'institution

    collègue du collège

    à

    Vaulx-en-Velin

    qui a

    vu,

    juste après les

    événements

    de novembre, une tentative d'incendie

    très

    grave

    du

    collège.

    Il

    y

    a

    quinze

    jours sa voiture a été

    incendiée,

    il y a

    une semaine,

    il a

    fallu

    emmener à

    l'hôpital

    une

    pionne

    qui faisait

    l'entrée

    le matin parce

    qu'elle

    a

    ramassé une

    pierre

    dans

    la

    tête.

    Au collège

    B. et

    au

    collège de N., c'est aussi cette

    espèce

    de violence latente avec

    des

    agressions, tout ça. Monsieur P. qui est

    venu tout à l'heure, est

    venu pour

    essayer de régler un incident

    parce

    qu'il n'a pas apprécié quelques

    remarques

    que j'ai faites l'autre jour.

    Pendant

    la

    fête

    de

    l'Aïd,

    il y

    a

    trois

    élèves du collège J. V. qui sont allés

    balancer des

    pierres sur

    le collège de

    N.,

    sur

    la gardienne

    et sur

    son chien.

    Or il se trouve que

    les

    gens en

    ont

    marre maintenant,

    ils ferment

    plus

    forcément

    leur gueule,

    donc

    la gardienne

    est

    allée porter

    plainte et

    les

    flics

    en

    ont

    marre, ils

    ont

    enregistré la

    plainte

    et puis

    ça a suivi

    et

    les élèves

    ont été

    convoqués

    au

    commissariat

    de police.

    Ils étaient convoqués aussi par

    un

    magistrat

    et

    les éducateurs de quartier

    semblent

    avoir

    dit aux parents : 

    Ne

    vous

    laissez

    pas

    faire

    et

    j'ai

    eu

    deux

    mères de famille qui sont venues

    m'engueuler parce

    que leur gamin...

    Alors

    si

    vous voulez,

    c'est

    assez

    amusant, les élèves fréquentent le collège,

    ils sont à

    l'extérieur

    du collège

    pendant un jour de fête religieux où leur

    absence

    est

    acceptée ;

    ils

    vont

    foutre

    le bordel dans

    un

    collège

    à

    côté, les

    gens du

    collège

    à

    côté portent plainte

    et on

    vient m'engueuler, moi. Alors j'ai

    pas tellement

    apprécié. Surtout

    qu'ils

    sont venus

    sur

    conseil. Donc j'ai

    expliqué que

    c'était

    pas

    très intelligent de

    me

    les

    avoir

    envoyés

    pour

    m engueuler, moi,

    qu'à

    la limite s'ils voulaient

    engueuler

    quelqu'un, ils

    auraient pu

    s'adresser à ceux

    qui avaient

    porté

    plainte. C'est pas...

    mais dans

    le cadre

    d'une logique, quoi. C'est tout.

    Alors

    voilà.

    Donc les

    profs à

    la suite de l'incendie

    de

    la voiture du

    principal du

    collège

    V.,

    les profs des

    quatre

    collèges du

    secteur,

    plus du lycée professionnel,

    ont

    fait une réunion qui était mardi

    dernier

    à la

    suite d'une

    certaine

    effervescence,

    nous avons

    été

    trois

    principaux à y

    participer.

    Et

    ma

    foi, ça

    s'est

    terminé

    par

    une

    lettre

    qui était

    envoyée par les profs de

    tous ces

    établissements

    à

    l'inspecteur d'académie,

    au

    recteur,

    en disant :  On aimerait

    bien

    qu'on

    prenne

    enfin en

    compte

    nos conditions

    difficiles

    de travail

    et

    de vie parce que effectivement on

    supporte beaucoup plus de choses

    qu'on ne

    supporte ailleurs, on

    supporte

    beaucoup plus de la

    part

    des

    élèves.

    Et

    j'ai

    été amené à

    dire

    que

    par

    exemple

    un moyen

    de nous aider c'est

    que, dans un établissement dit

    normal,

    quand un élève fait une bêtise, on le

    vide, eh ben,

    nous,

    quand il a fait la

    même bêtise,

    on

    le vide

    pas.

    On lui

    donne un

    premier

    ou un

    cinquantième

    avertissement. Et quand on est amené

    à

    vouloir

    renvoyer un

    élève, quand

    moi

    je téléphone à mes collègues

    du

    centre de

    Villeurbanne et

    que

    je leur

    dis :  Ecoute, je

    vais

    envoyer un élève,

    il

    est

    sous

    obligation scolaire, je suis

    obligé,

    si

    je le renvoie du collège, de

    le caser quelque part

    et

    qu'ils me

    disent :  Ecoute t'es

    bien

    gentil,

    on

    aimerait bien

    te

    rendre

    service mais si

    un élève de J.V. vient,

    les

    profs

    vont

    pas

    l'accepter, ils vont se mettre en

    grève,

    tout

    ça

    ; donc résultat

    on

    est

    conduit

    à

    s'échanger des

    élèves

    entre

    nous

    mais

    ils quittent

    pas la zone,

    alors

    un

    des

    moyens

    c'est

    peut-être

    de

    demander

    à

    l'Inspection académique

    de nous

    aider.

    Quand vraiment, nous,

    on est

    amenés à se

    débarrasser

    d'un

    élève dans l'intérêt de

    l'élève

    en

    question

    et

    dans

    l'intérêt

    des autres, ça

    serait

    peut-être

    qu'on

    nous aide

    à

    trouver un point de

    chute, que ce

    soit

    pas

    nous qui devions mendier... que ça

    soit... que l'inspecteur

    d'académie

    à

    titre décisionnaire

    dise :  Tel élève, il

    sera

    mis dans tel

    établissement,

    point

    final .

    GB-De

    fait

    c'est comme

    si

    les

    événements

    avaient eu des effets

    à

    long

    terme,

    c'est-à-dire que

    ça continue

    maintenant...

    PR— Ça

    c'est

    sûr

    que

    ça continue...

    GB-Ce dont vous parlez là,

    c'est très

    récent la pionne qui...

    L'école

    n a

    pas été

    particulièrement

    épargnée

    PR-Tout

    à

    fait, c'est la semaine

    dernière.

    Et à la suite...

    si vous voulez,

    il se

    trouve

    que

    le recteur de

    Lyon,

    le

    nouveau

    recteur

    de

    Lyon

    a été nommé il y

    a

    un mois.

    Le recteur B. venait juste

    d'arriver

    lorsque,

    il

    devait venir

    dans

    un des collèges de la zone, dans le

    cadre d'une

    action

    pédagogique,

    l'action

    de

    la

    presse

    à

    l'école

    ; il

    devait

    venir le vendredi

    et

    c'est le jeudi

    souque la voiture de mon collègue a été

    incendiée. Donc on

    a demandé

    au

    recteur, bien poliment, si

    il ne pouvait

    pas nous

    voir

    à

    l'occasion

    de

    sa

    venue,

    donc il nous a

    reçus et on

    lui a

    dit que ça n'allait

    pas

    très

    bien,

    que ça

    allait vraiment

    même pas

    bien du tout

    dans le secteur sans faire de

    catastro-

    phisme parce

    que

    on en

    a vu

    d'autres,

    quoi.

    Et

    on

    lui

    a

    demandé,

    et

    il

    a

    dit

    Bon, il

    y

    a

    deux

    explications

    possibles,

    soit ça

    fait partie du

    mouvement sociologique

    et

    à ce moment-là

    c'est une

    situation

    générale et

    il faudra

    peut-être des solutions

    générales, soit

    ça

    fait

    partie

    d'une tentative de

    déstabilisation de l'Education nationale

    ;

    l'Education

    nationale

    serait

    la

    cible

    de... , donc

    il a

    dit :  Moi j'arrive

    juste

    ici , vous savez ce qui

    induit...

    parce

    que là

    je suis très

    schématique,

    c'est

    qu'il

    y a

    des observateurs

    de

    l'Education

    nationale

    qui

    ont constaté

    ou qui

    ont

    cru

    bon

    de

    constater

    que,

    pendant

    les

    événements,

    les

    centres

    scolaires,

    culturels n'ont

    pas

    été

    touchés

    par les événements, c'est-à-dire

    que

    les incendies, les exactions, ça

    portait sur les centres commerciaux,

    mais les équipements

    culturels

    et

    scolaires n'ont pas été

    touchés,

    bon,

    et

    à

    partir de ce truc-là ils

    ont

    beaucoup

    théorisé, bon.

    Or

    je suis

    pas

    convaincu. . . (...)

    Le jour même des

    événements, l'école

    primaire

    qui

    est

    juste en face

    du

    collège, là

    derrière sur Vaulx-en-Velin, c'est

    une école qui est (nous, on fait dans

    l'innovation,

    mais

    à

    côté d'eux, c'est

    vraiment de la

    rigolade ;

    c'est-à-dire

    les gars

    ils

    ont des

    profs qui

    sont

    formés en informatique, ils

    ont

    un centre

    informatique, ils

    ont

    je

    ne

    sais

    pas

    trop

    combien de dizaines de millions de

    centimes de matériel informatique

    là-

    dedans, c'est vraiment une

    école

    de

    pointe

    et tout) bon, ben il

    y a

    une

    classe qui a été complètement

    incendiée

    pendant les émeutes

    et

    les

    ordinateurs

    servaient de

    projectiles

    pour

    casser

    les

    vitres.

    Donc,

    on

    ne peut pas

    dire que

    ça a été

    particulièrement

    57

  • 8/18/2019 Balazs Et Sayad. La Violence de l'Institution. 1991

    7/12

    épargné.

    Je dis

    pas que c'est cette

    école qui

    spécialement était visée...

    Dans

    les jours

    qui

    ont

    suivi,

    il y

    a

    une

    école maternelle qui

    a brûlé, il a

    fallu

    la fermer pendant quinze jours, donc

    c'est

    quand même pas

    rien. Bon et je

    parle pas de la voiture

    du

    collège, je

    ne parle pas

    de début novembre, une

    classe et

    demie

    incendiée

    à

    P.

    et

    si

    l'alarme

    s'était pas déclenchée,

    ils ont

    trouvé 20 litres d'essence dans des

    bidons qui

    avaient

    pas été vidés

    quand

    ils

    sont arrivés ; or il

    y a

    peut-

    être

    cinq

    ou

    six

    litres qui avaient été

    vidés. Ça

    a brûlé

    une

    classe,

    si

    les 20

    litres

    avaient été

    vidés,

    c'était

    vraiment

    un

    incendie

    assez

    important.

    C'est

    comme

    ça, donc

    moi

    je pense pas...

    Mais

    si

    vous voulez, le recteur

    B.

    qui

    arrivait,

    qui lisait un rapport, les

    bât iments de l'Education nationale, et

    l'Education nationale

    a

    été

    épargnée

    pendant les événements, nous, on

    lui

    présente une situation où

    il

    apparaissait qu'on n'était pas très épargné,

    donc sa réaction c'est de dire :  Tiens

    il y

    aurait... pendant les événements

    l'Education

    nationale a

    bien

    résisté,

    est-ce qu'il

    y

    aurait maintenant une

    tentative

    de

    déstabilisation

    d'une

    institution qui

    avait bien résisté comme,

    nous a-t-il dit,

    il y a

    quelques années,

    il y a

    eu une

    tentative

    de

    déstabilisation

    de

    la

    police et

    autre .

    Donc le

    recteur

    B.

    a demandé

    une

    entrevue au

    préfet de police

    et

    les dirigeants de la

    police

    nous ont

    reçus

    il y a

    une

    semaine, donc les cinq principaux,

    plus

    le

    directeur du LEP, on

    était à

    la

    Direction

    départementale des polices

    urbaines, il

    y a

    une semaine pour

    essayer

    de voir

    avec les policiers

    qu'est-ce

    qu'on

    peut

    faire,

    c'est

    pas

    marrant.

    . . 

    Je ne peuxpas tolérer

    un graffiti

    GB—Et contrairement à d'autres

    zones,

    les

    gens ici n'ont

    pas

    l'air de

    baisser

    les bras, ça m'a frappée,

    parce que

    d'ordinaire

    dans des cas

    comme

    ça, les

    gens,

    le

    corps

    enseignant, les

    principaux...

    enfin

    toutes

    sortes de

    personnels sont assez déprimés

    ment, mais

    bon,

    c'est tout.

    Découragés

    et puis...

    ici, j'ai l'impression que... il

    y

    a des

    tas d'initiatives...

    PR-I1

    faut

    survivre...

    oui,

    il

    faut

    survivre bien

    sûr,

    on

    ne

    peut

    pas... Moi je

    peux vous emmener visiter le collège,

    par exemple, je

    ne

    peux

    pas

    tolérer un

    graffiti

    ;

    c'est-à-dire

    que

    les agents de

    service — on va aller faire

    un

    tour dans

    le collège, pour vous montrer - il

    y a

    un graffiti,

    leur

    truc c'est

    prioritaire

    vous voyez un graffiti, vous

    l'enlevez

    immédiatement,

    parce

    que

    si vous

    le

    laissez

    une heure, une

    heure

    après

    il y

    en a

    dix, deux heures après,

    il y en a

    150,

    c'est tout. Moi

    je me

    fous

    totalement

    de

    la

    législation

    sur

    le

    temps

    de

    service

    des

    agents de service

    ;

    moi, les

    agents de service, je négocie

    directement avec

    eux.

    Vous

    devez

    4lh 30,

    moi

    je

    m'en fous

    que vous fassiez

    4lh

    30 de potiche dans

    l'établissement

    vous m'aidez à faire la surveillance des

    couloirs, quand les élèves bougent.

    Résultat,

    si vous

    êtes là,

    ils

    feront

    moins

    de

    conneries.

    Si ils font

    moins

    de conneries, vous aurez moins de

    travail. Et en

    contrepartie

    du

    travail que

    je vous

    demande

    qui est un travail de

    surveillance qui n'est

    pas

    dans

    votre

    statut,

    si

    vous

    m'aidez

    à faire

    ça,

    bon

    moi, je

    vous donne

    des

    jours de

    vacances supplémentaires, je vous

    donne, vous

    partez... .

    GB-C'est

    des

    arrangements,

    quoi...

    PR-C'est ça,

    bon, alors

    effectivement si

    il y

    a

    un

    inspecteur de l'administration

    qui vient

    et

    qui dit :  Comment,

    à

    telle

    heure, je

    devrais avoir

    tant

    de

    personnel

    là-dessus , ils ne trouveront pas,

    mais le bahut

    est

    propre, c'est

    sûr.

    (...)

    Je

    vais

    vous emmener faire un tour du

    collège. On y

    tient,

    c'est

    sur

    le plan

    physique

    la

    condition

    numéro

    un

    de

    la

    survie, si c'est dégradé, c'est fini.

    AS-Pour ramener

    des choses à leur

    juste proportion :  avant, on prenait

    un

    couteau

    et on griffait

    des

    initiales

    sur

    les tables ; maintenant, il y a d'autres

    procédés, on

    bombe des

    trucs qu'on

    écrit

    sur

    les

    murs,

    à

    la

    fois,

    ce travail

    de

    discipline

    est nécessaire, c'est sûr,

    c'est vrai,

    mais, à la

    limite, sur

    les lieux

    publics, c'est vrai que ce sont des

    lieux

    publics, on

    n'est jamais

    parvenu

    à

    éliminer

    ces

    pratiques.

    PR—Dans les

    lieux

    publics ; 

    mais

    sauf

    le collège J.V. Non, je suis

    très

    formel,

    là-dessus, parce que c'est un des

    points où je ne peux

    pas

    transiger.

    AS-Egalement

    ne pas accorder de

    signification

    ...

    PR-Non je n'accorde

    pas

    de

    signification

    de

    délinquance

    mais je dis

    que

    si

    j'accepte le début de la

    dégradation,

    après...

    AS-Bien sûr,

    c'est une

    affaire

    de

    discipline (...) ;  ça n'a rien

    à

    voir... c'est la

    voie publique, mais j'ai eu

    l'occasion

    de

    faire une

    enquête à

    Marseille pour

    la mairie qui voulait nettoyer des

    quartiers.

    Je

    leur

    ai dit, ce n'est pas

    possible de faire de sorte que saleté dans

    la

    cité et

    propreté

    dans

    la

    rue...

    si

    vous faites un effort ostentatoire de

    propreté, si

    les

    autres rues, vous les

    nettoyez

    une fois par jour,

    là vous les

    nettoyez deux fois par

    jour,

    la

    population

    finira par

    se conduire proprement.

    PR-Tout

    à

    fait, c'est bien ce que je

    pense,

    c'est

    pour

    ça

    qu'à

    des

    moments

    ça me fait marrer quand je

    vois

    des

    gens

    qui viennent,

    des

    autorités qui

    viennent

    et

    puis qui disent aux

    collègues :  C'est

    pas

    mal, c'est

    propre

    de

    quoi

    vous vous

    plaignez ? ,

    je me

    plains

    pas,

    je me bats

    pour

    que

    ça

    soit

    propre.

    Cela dit,

    moi

    j'ai...

    je

    sais

    pas,

    peut-être

    par

    atavisme

    familial, un

    respect très important pour le personnel

    de service. Donc si vous voulez, ils me

    le

    rendent.

    J'attache plus de prix

    à

    ce

    qu'aucun agent

    de

    service ne

    soit

    insulté par un élève ou un

    truc

    comme

    ça, je

    me

    sens

    capable

    d'être

    beaucoup

    plus féroce

    si

    c'était le cas que

    vis-à-vis d'un

    prof. Et moi je peux

    vous garantir qu'en quatre ans,

    j'ai eu

    deux insultes

    sur

    les agents de service,

    ben les gamins,

    ils

    l'ont

    senti

    passer.

    Alors

    que

    bon,

    sur

    les

    profs

    c'est

    quand même

    plus

    fréquent. Mais

    c'est

    peut-être

    parce

    que ma mère

    a

    pris

    sa

    retraite comme plongeuse dans un

    restaurant, hein,

    c'est

    peut-être ça aussi.

    C'est

    peut-être

    elle

    que

    je

    respecte

    quand je respecte les agents de

    service.

    AS-

    Vous

    avez combien

    d'hommes et

    de femmes dans le personnel ?

    PR-Ah

    beaucoup plus de femmes que

    d'hommes, c'est

    caractéristique

    de

    l'enseignement,

    mais,

    là,

    je suis

    prudent parce

    que,

    si vous voulez, quand

    j'essaie de négocier avec le

    Rectorat,

    je

    58

  • 8/18/2019 Balazs Et Sayad. La Violence de l'Institution. 1991

    8/12

    La violence de l'institution

    dis que en milieu maghrébin,

    une

    jeune femme

    a

    statistiquement plus de

    difficultés... (...)

    Voilà,

    c'est pas

    un

    jugement

    que

    je porte sur

    les

    femmes

    et tout

    ça,

    c'est une

    constatation

    statistique. Quand ils font un

    effort

    pour

    me nommer des

    garçons,

    c'est pas

    toujours

    évident ;

    l'an

    dernier

    ils ont

    nommé

    un surveillant ici

    qui était...

    qui était bien gentil, quoi. Mais il

    a

    tenu le coup un

    mois.

    C'était un

    garçon,

    après

    on

    m'a nommé une

    fille,

    qui est restée jusqu'à la fin de l'année,

    alors vous

    voyez

    c'est

    pas...

    Donc

    il

    faut aussi être

    très

    prudent.

    Cette année, on m'a nommé un

    surve i l lant

    maghrébin,

    un

    garçon

    maghrébin, étudiant en

    mathématiques, futur

    prof de

    maths. Il a

    passé le CAPES. Je

    le connaissais

    pas.

    Quand j'ai vu sa

    fiche de nomination au mois d'août,

    ma

    première réaction, ça a

    été de

    dire :  Tiens, peut-être qu'au

    Rectorat,

    ils ont pensé

    que c'était

    bien,

    que

    ça

    allait

    bien

    se

    passer ,

    et

    j'attendais

    avec

    intérêt, c'est la première

    fois que

    j'avais

    un surveillant maghrébin. Eh

    ben, le pauvre,

    il

    en

    a

    bavé, pourtant

    c'est pas

    un

    manque d'autorité, c'est

    je

    crois que l'image du Maghrébin qui

    s'en

    sort,

    c'est

    le

    collaborateur

    et

    il

    a

    été

    insulté vraiment

    beaucoup plus

    que les autres

    j'ai

    dû intervenir

    beaucoup plus que les autres ; 

    alors, si

    vous voulez, on en apprend tous les

    jours.

    Ce

    qu'on

    disait — les chefs

    d établ i s s ement

    - à

    l'inspecteur d'académie,

    au

    recteur,

    à

    la police,

    ce

    qui est très

    pénible dans

    ces

    établissements, c'est

    que c'est imprévisible.

    C'est au

    moment

    où on les attend

    pas

    qu arrivent les

    catastrophes et

    puis

    on

    a

    toujours

    l'impression

    qu'on

    est

    sur

    le

    fil

    du rasoir, qu'il

    suffit d'un

    incident

    extrêmement minime pour

    dégénérer

    et puis après pour...

    C'est

    ça,

    il faut

    être vraiment (...) mon problème

    maintenant, si je fatigue c'est

    parce

    que... Bon, mais ça, c'est

    du

    domaine

    de ma vie privée, j'aimerais bien être

    principal de

    Jean-Vilar

    douze heures

    par jour

    et

    puis pendant douze

    heures

    par

    jour

    être... et ça, moi-même,

    j arrive

    plus

    à faire cet

    équilibre.

    Les parents entre

    humilité et agressivité

    devant

    l'institution

    GB—Et

    quelles sont

    vos relations avec

    les parents

    ?

    Vous avez mentionné

    tout

    à l'heure

    qu'il

    y

    avait des familles qui

    s'étaient adressées

    à vous

    durant

    la

    période spéciale,

    mais

    en temps

    normal si j'ose dire,

    c'est...

    PR-Nous, le problème c'est d'avoir le

    plus de

    contacts possibles

    avec les

    familles parce

    qu'on

    constate...

    GB-Vous les sollicitez ?

    PR-Voilà.

    Donc

    on

    les

    oblige

    à

    venir

    au

    collège.

    Et

    obliger à

    venir au

    collège des gens qui n'ont pas

    l'habitude et

    qui... Donc

    bien

    avant que

    j'arrive,

    des

    trucs

    ont été mis en

    place.

    Nous

    n'envoyons aucun

    bulletin

    trimestriel

    dans les familles,

    on

    n'en envoie

    aucun.

    Les familles

    viennent chercher

    les

    bulletins au collège. Donc on

    organise, et

    on arrive à un taux de 90

    %.

    Et

    trois fois par an

    -

    bon

    alors

    90

    % aux

    premier

    et deuxième

    trimestres, au

    troisième trimestre, un peu moins,

    on

    arrive

    à

    65

    %,

    70

    %,

    mais

    aux

    premier

    et

    deuxième

    trimestres 90

    %

    des

    familles viennent au collège chercher

    le bulletin, c'est-à-dire que le

    professeur principal de la classe, qui est

    professeur

    tuteur, qui

    a

    les élèves en tuto-

    rat...

    C'est lui

    qui

    les reçoit.

    Donc trois

    soirs dans l'année en

    commençant

    à

    quatre

    heures

    pour certains,

    à cinq

    heures

    pour d'autres, jusqu'à

    huit

    heures et

    demie, neuf heures, jusqu'à

    épuisement

    et puis,

    là,

    on en reçoit

    70 %,

    et

    les autres

    on

    les

    emmerde

    jusqu'à ce

    qu'ils

    viennent, c'est-à-dire

    on

    les

    force

    à

    prendre

    un rendez-vous,

    tout ça. Alors

    le nombre de réfractaires

    c'est dérisoire. Et malgré

    tout, ça

    suffit

    pas.

    J'ai participé très activement

    à la

    constitution

    d'un

    conseil de

    parents

    d'élèves

    parce

    que

    dans d'autres

    bahuts, dans

    un

    bahut normal, les

    parents d'élèves, pour les chefs

    d'établissement,

    c'est

    des emmerdeurs. Ici,

    moi j'ai besoin d'eux. Si les

    gamins

    ont

    des problèmes, c'est parce

    que

    les

    parents sont complètement

    largués et

    je

    constate

    que

    tant

    que

    des

    parents,

    même dans la misère,

    ont un

    contact

    avec leurs

    gamins,

    les

    gamins

    ils

    font

    moins

    de bêtises,

    ils

    bossent

    mieux,

    alors j'essaie,

    on est

    en

    train

    d'essayer

    de lancer,

    on

    veut monter une

    action

    de

    sensibilisation

    de

    parents

    d'élèves,

    l'année prochaine

    pour les

    parents

    d'élèves qui vont

    rentrer

    en sixième,

    les

    inviter

    des

    journées

    entières

    au

    collège où ils rencontreront

    les

    professeurs, manger avec eux, faire des

    repas avec eux... Il faut qu'ils viennent

    au collège sans avoir peur,

    sans...

    pour

    la plus

    grande

    partie des

    parents,

    le

    collège, l'école pour ceux qui

    y

    sont

    allés, ça

    représente

    l'échec

    scolaire et

    puis

    il y en

    a

    encore beaucoup,

    notamment chez les femmes

    maghrébines de

    la

    génération

    des femmes

    de

    40,

    45

    ans,

    qui

    sont

    jamais allées à

    l'école. Jamais. Donc elles

    sont

    analphabètes,

    elles

    ne

    savent ni lire ni

    écrire

    et

    à

    peine parler

    en

    français,

    mais elles parlent en arabe,

    mais

    elles

    savent ni lire ni écrire non plus, c'est

    comme ça.

    Il

    faut

    que

    l'école

    ça soit

    pas le

    lieu... moi, j'en

    ai ras le

    bol de

    voir des gens...

    AS-Elles

    viennent

    ?

    PR-Non,

    très

    peu, ça

    très

    peu, elles

    viennent chercher

    les

    bulletins,

    et

    moi

    j'en ai

    ras

    le

    bol

    et

    elles

    viennent

    quand je

    les

    convoque pour dire : 

    Votre fils ça va

    pas

    ou :  Votre fille

    ça va pas

    et j'aimerais bien

    les

    voir,

    j'aimerais bien qu'elles

    viennent,

    qu'elles

    passent

    dire : 

    Comment

    ça

    va ? sans savoir

    et

    peut-être que je

    puisse un jour dire .-

     Oui,

    ça va

    très

    bien ... j'aimerais bien.

    Parce

    que... je

    vous raconte une

    anecdote. Il y a

    une

    prof de gym qui

    a

    des rapports

    difficiles

    avec

    certaines

    de ses

    classes. Elle

    est là depuis douze ans, elle est

    fatiguée...

    Et puis

    les élèves

    considèrent

    la

    gym

    comme

    le

    défoulement

    alors

    qu'elle, elle considère que la gym,

    c'est un cours comme un autre et

    elle

    a

    un niveau

    d'exigence

    qui

    est

    très

    important. Elle emmène

    les élèves à la

    piscine

    un jour,

    elle ressort de la

    piscine, les

    vitres de

    sa voiture cassées.

    Elle

    pense,

    moi aussi,

    que

    ce

    sont des

    élèves

    de la classe qui

    ont

    cassé les

    vitres de

    la voiture ; ça

    se prouve pas.

    Donc elle est venue très en colère

    et

    elle m'a dit un certain nombre de

    trucs, et

    il y a

    six

    élèves

    dans

    la classe

    qui

    l'embêtaient profondément

    et

    elle

    me demandait des

    sanctions.

    J'ai

    dit

    Avant de prendre la

    sanction

    d'exclu-

    59

  • 8/18/2019 Balazs Et Sayad. La Violence de l'Institution. 1991

    9/12

    sion temporaire, on va

    convoquer

    les

    familles .

    J'ai

    convoqué les

    familles

    un jour, elle

    était

    là avec

    moi,

    avec mon

    adjoint,

    il

    y

    avait six familles

    devant

    nous. J'en

    prendrai

    deux

    sur

    les

    six. Il

    y a

    un

    père

    de

    famille

    que

    j'ai dû virer

    physiquement de mon bureau

    parce

    qu'il l'a

    insultée, il l'a

    traitée de menteuse, de

    salope

    et

    tout

    ça,

    donc

    j'ai

    dû, avec

    mon

    adjoint, le

    prendre...

    parce que je

    lui demandais

    de

    sortir

    et

    il

    voulait

    pas,

    donc

    on

    l'a expulsé du

    bureau. Et

    sa

    fille

    qui était

    derrière,

    elle se marrait

    jusque-là,

    ravie.

    Son

    père disait

    exactement ce

    qu'elle

    disait à la prof, donc

    c'était très bien, donc...

    là,

    qu'est-ce

    que vous voulez qu'on

    fasse

    pour

    des

    gamins comme

    ça.

    A l'autre

    bout,

    complètement, un père

    qui était

    là,

    il

    était

    assis là, son fils

    était

    derrière,

    il parlait en baissant la tête,

    je

    sais

    pas

    si il me parlait

    à

    moi

    ou à son

    fils,

    il

    disait :  Ça fait 28 ans

    que

    je suis

    en

    France,

    ça fait 27

    ans et demi

    que

    je

    suis

    dans

    la même boîte

    parce

    que

    moi

    je considère que le chef, il a

    toujours raison

    ;

    quand

    il

    dit, même si on

    n'est pas d'accord,

    on

    dit oui,

    on est

    humble, on accepte tout, on proteste

    pas, c'est

    comme

    ça.

    Et

    grâce

    à

    cette

    attitude, j'ai pu faire venir ma

    femme

    en

    France, j'ai pu

    élever

    mes

    enfants .

    J'ai cru que le fils qui était debout

    derrière son

    père

    allait lui taper

    dessus

    à

    son père

    ;

    j'ai jamais vu de haine telle

    parce que ce que disait le

    père,

    c'était

    inadmissible.

    AS—Et il

    avait

    quel

    âge ?

    PR-Seize

    ans.

    Et les deux cas extrêmes

    d'humilité totale devant

    l'institution et

    d'agressivité totale, finalement pour les

    gamins ça revient exactement au

    même

    résultat.

    Je

    vous

    donne

    un

    autre

    exemple

    de situations

    qu'on a à

    affronter. Il

    y a —

    c'est

    l'année passée -

    il y a

    une grève

    des

    bus,

    il y a

    beaucoup

    de

    jeunes

    qui étaient sur le

    quartier où il

    n'y avait plus

    de

    bus,

    donc

    ils

    avaient

    pris

    l'habitude, l'après-midi

    notamment,

    de

    se

    balader et

    alors,

    ils

    sautaient

    par-dessus le portail,

    là,

    un

    mètre

    soixante

    c'est

    pas

    mal, et puis ils

    venaient, ils

    montaient

    dans les

    classes,

    ils

    ouvraient la porte

    des

    classes, ils crachaient sur

    les élèves

    et

    sur

    les

    profs, ils

    les insultaient

    et

    dès

    qu'on

    me prévenait, que je partais

    à

    la

    recherche, ils se barraient en courant.

    Un jour

    il y

    en

    a

    trois qui sont entrés

    et

    quelqu'un les a vus rentrer au

    moment où

    ils

    entraient. J'ai été

    prévenu,

    j'ai

    mis

    en

    place

    un

    dispositif

    de

    cueillette et

    j'ai pu en attraper un.

    Il

    avait 19 ans.

    AS-Un

    ancien

    élève

    ?

    PR-Non, celui que j'ai attrapé n'était

    pas un

    ancien

    élève.

    J'ai dû

    me battre

    parce

    qu'il

    prétendait

    me faire lâcher.

    Je

    l'avais

    attrapé

    et

    il m'a dit :  Qu'est-

    ce

    que

    tu veux faire

    ? ,

    j'ai dit :  Je vais

    t'emmener dans mon

    bureau , il m'a

    dit non ,

    et

    j'ai dit si , j'ai dit : 

    Peut-

    être

    que

    je n'y arriverai

    pas

    si je reste

    sur

    le carreau,

    mais si

    tu ne me tues

    pas,

    si

    tu

    ne

    me

    blesses

    pas,

    je

    t'emmènerai dans mon bureau , et je

    l'ai emmené dans mon bureau. Dans

    mon bureau, il m'a

    dit

    Tu veux que

    je te dise

    ce que tu

    vas faire ? Tu vas

    appeler les

    flics.

    Les

    flics vont

    venir, ils

    vont

    me tabasser.

    Ils vont m'emmener

    au commissariat,

    ils vont

    me

    tabasser,

    ils

    vont

    appeler mon père. Mon père

    va venir, il va pleurer

    et

    les

    flics

    vont

    me donner

    à

    mon père

    et

    il

    va me

    ramener. Ça

    va durer

    une heure et

    demie.

    Dans

    deux

    heures

    on revient, il

    reste

    plus

    rien

    au

    collège.

    Tu

    fais

    comme

    tu

    veux .

    Pendant qu'il était dans mon bureau

    et

    qu'il me disait ça,

    ils

    étaient entrés

    à

    trois. Les deux autres

    se sont

    tirés, ils

    sont allés en rameuter 50. Et les

    50,

    ils

    étaient en arc de cercle dans la cour.

    Mon adjoint est allé

    chercher

    tout ce

    qu'il y

    avait de mâles chez les profs.

    Ce jour-là, il

    avait réussi

    à en amener

    six ou sept qui

    ont

    fait un

    arc

    de

    cercle devant mon

    bureau. C'était

    comme ça.

    Alors là-dessus, palabres.

    Je

    vais

    au milieu

    de

    la

    cour et

    il y

    a

    deux

    délégués

    qui

    entrent

    .-

     Qu'est-ce

    que tu vas

    faire,

    tu vas

    tout

    de même

    pas appeler

    les flics

    pour rien, tu

    narles, un petit machin

    comme

    ça.

    Qu'est-ce qu'il y a, il

    a

    craché, c'est

    tout

    de même pas grave,

    et puis

    tu vas

    pas

    nous emmerder

    et

    puis si tu nous

    emmerdes, notre

    copain tu

    le relâches,

    parce

    que

    si

    tu nous emmerdes, ça va

    mal se

    passer .

    Les

    profs

    moitié

    -moitié,

    une moitié qui disent :  Appelle les

    flics,

    on

    va quand

    même

    pas se laisser

    faire , et

    l'autre moitié qui disent : 

    Je

    t'avertis,

    si

    t'appelles

    les

    flics,

    on

    peut

    plus venir travailler en voiture , eh

    ben... c'est dur

    d'être

    humilié

    quand

    on n'est

    pas

    préparé, quand on n'est

    pas

    préparé psychologiquement

    à être

    humilié,

    quand on est quelqu'un

    d'orgueilleux

    qui

    a

    un

    certain sens

    de

    l'honneur, c'est

    dur.

    Je refuse d'exposer les surveillants aux

    insultes au portail,

    donc

    je

    fais

    moi-

    même avec mon

    adjoint,

    tous

    les

    matins et

    tous les après-midis, l'entrée

    des élèves ;

    et

    je ne suis

    pas

    physionomiste

    et

    il y a le gardien, là, l'ouvrier

    d'entretien qui, lui, est

    pied-noir

    d origine et qui est très

    physionomiste

    et

    qui me dit :  II

    y

    en

    a

    trois, là, ils sont

    pas du

    collège , donc

    quand

    ils

    arrivent au portail, je leur

    dis

    ;  Messieurs

    vous

    êtes pas

    du collège,

    vous avez

    quelque

    chose

    à

    faire

    ?

    Si

    vous

    avez

    quelque

    chose à

    faire, vous

    me

    dites

    ce que vous venez

    faire,

    sinon vous

    n'entrez pas.

    Non, vous

    n'entrez

    pas .

    Alors

    ils

    se reculent

    de trois mètres, ils

    se mettent au bord

    du

    grillage et ils

    commencent

    à

    parler

    entre eux.

    Et

    ils

    commencent

    à

    parler entre eux de

    manière à ce que j'entende que je

    suis

    un

    con

    :  Regarde

    la

    gueule qu'il a et

    tout, et

    tout en parlant

    ils

    se

    retournent, ils crachent. Ils crachent dans ma

    direction.

    Quand vous

    avez

    en dix

    minutes, sept

    ou

    huit

    crachats qui

    vous

    arrivent

    à

    15 centimètres des

    pieds

    et

    que vous êtes quelqu'un

    d'orgueilleux, qui

    a

    un

    sens

    de

    l'honneur

    et

    tout

    ça,

    eh

    bien,

    c'est dur.

    C'est

    très dur. Bon et puis

    voilà. Alors

    il

    y a

    des jours où

    j'aimerais bien

    être

    ailleurs (...).

    On est allé dialoguer

    jusqu

    à

    la

    nausée

    PR-Ils

    en veulent à

    mort

    à

    l'école,

    parce

    que

    l'école

    ne leur

    a pas

    permis

    de

    s'en

    sortir

    ;

    enfin bon,

    ça

    m'étonne

    pas tellement. Et

    puis l'école, c'est

    un

    milieu de contraintes.

    Pendant

    les

    événements, moi j'ai vécu...

    c'était

    ubuesque. Il y a

    eu

    à la rentrée

    scolaire dernière

    en

    septembre 90, dans

    les

    lycées

    professionnels

    du département

    du Rhône, 700 places vacantes, non

    occupées, il n'y

    avait

    pas de

    candidats.

    Il

    y

    avait

    700

    places

    vacantes

    tous les

    jours,

    pendant tout

    le

    mois de

    septembre et le début

    du mois

    d'octobre,

    60

  • 8/18/2019 Balazs Et Sayad. La Violence de l'Institution. 1991

    10/12

    La

    violence de l'institution

    on lit le

    minitel là,

    les messages

    minitel et

    il disait :  Tel établissement il y a

    tant de places

    ;

    tel établissement

    il y a

    tant

    de

    places

    et

    tel

    établissement

    il y

    a

    tant

    de places .

    Quand il y a

    eu

    les événements, la

    grande interprétation c'était, oui, on

    a

    construit, on

    a

    repeint leurs façades,

    tout

    ça,

    mais on

    n'a pas dialogué avec

    eux, c'est parce

    qu'on a

    manqué le

    dialogue

    qu'ils se sont

    révoltés,

    alors

    dialoguons

    ;

    on est allé

    dialoguer

    mais

    vraiment jusqu'à la nausée dans les

    réunions de quartier, les trucs comme

    ça

    et on entendait dans

    les réunions

    de quartier, des

    jeunes

    qui disaient : 

    Ouais,

    l'école

    n'a

    rien

    fait

    pour

    nous,

    on n'a

    rien, on

    n'a pas

    de formation ,

    en même temps il

    y

    avait

    700 places

    vacantes dans les lycées

    professionnels,

    seulement

    les places vacantes

    dans

    les lycées professionnels,

    c'est

    quoi ? C'est 32

    heures

    de

    travail

    par

    semaine, rémunération

    zéro.

    Bon, ben

    ils sont pas d'accord

    pour

    y aller non

    plus

    ; à

    la limite,

    les

    jeunes

    paumés

    des banlieues ils

    demandent

    quoi,

    finalement ? Ils

    demandent

    de quoi

    vivre.

    Bon, éventuellement

    ils

    demandent

    un travail intéressant

    mais

    le pays

    n'est

    pas capable

    de

    leur

    donner

    un

    travail intéressant dans la mesure où

    ils ont pas

    de formation et puis moi,

    j'ai une formation, c'est

    pas

    tous les

    jours que

    mon travail est

    intéressant,

    alors... Moi je vois

    pas, enfin

    il n'y a

    pas

    de

    miracle,

    hein Alors bon, ben

    ils en veulent, ils en

    veulent

    à

    l institution,

    ils sont prêts

    à

    casser tout

    ce qui

    est

    l'image,

    qui

    leur renvoie l'image

    d'un

    certain

    échec,

    mais

    moi

    je n'ai

    pas

    beaucoup de solutions.

    AS-Oui

    mais, ils ont

    des

    frères et

    soeurs qui

    vont encore

    à

    l'école...

    ?

    PR-Oui,

    ben les frères

    et

    soeurs qui

    sont à l'école, quand ils entendent des

    grands

    frères leur dire :  II faut

    bosser

    parce que, regarde,

    moi

    je suis en

    seconde, en

    première

    ou en terminale

    et puis je m'en

    sors . J'ai la nièce

    d'Azouz Begag [universitaire, auteur de

    Le gône du

    Chaaba,

    roman

    autobiographique

    sur

    sa scolarité

    d'enfant

    d'immigré dans

    un

    quartier

    de Lyon]

    ici, son oncle

    il

    lui dit

    déconne

    pas

    et

    elle

    déconne

    pas. Elle fait ce qu'elle

    peut,

    elle

    fera

    peut-être

    des

    études

    moins brillantes que celles de son

    tonton, mais je crois

    qu'elle va

    s'en

    sortir,

    elle est en seconde,

    bon

    après,

    ma

    foi... Il y a des

    familles,

    les grands

    frères, on

    a

    l'impression

    qu'ils se

    relayent

    pour qu'il

    y

    en

    ait

    toujours

    un

    dehors

    pendant

    que les autres sont en

    tôle, pour

    qu'ils

    soient pas

    en tôle

    tous

    en même

    temps.

    Il y a

    une

    famille, les

    trois

    frères

    aînés sont en

    tôle

    pour

    proxénétisme aggravé, c'est la mère

    qui fait

    tourner

    le bistrot

    qu'ils

    avaient

    parce

    que

    c'est

    la seule

    ressource de

    la

    famille ; 

    elle part

    à

    six

    heures

    du

    matin, elle

    rentre à

    minuit ou une

    heure

    du

    matin

    et

    les gamins,

    j'en

    ai

    une

    en

    quatrième et l'autre

    en

    cinquième,

    ils

    sont livrés à eux-mêmes,

    ils

    font ce qu'ils veulent. C'est des

    emmerdeurs

    finis,

    il y

    a

    des

    moments

    j'ai envie de les... j'ai envie de

    les

    esquinter, mais je vois vraiment

    pas

    pourquoi

    ils

    seraient calmes, doux,

    patients, polis, gentils dans ces

    circonstances-là. Ça serait

    vraiment

    un

    miracle

    si

    ils l'étaient.

    Je vous donne un autre

    exemple.

    Ça

    c'est

    un

    truc, c'est

    sûr

    que il

    y a

    des

    choses

    que

    je comprends

    pas

    et qui

    m'échappent. L'année passée, à

    huit

    heures et quart, j'entends gratter

    à la

    porte de mon bureau

    et puis personne

    ne bougeait,

    je

    vais

    voir

    et

    je

    vois une

    mère maghrébine complètement entur-

    bannée

    qui vient

    et

    puis qui me dit

    dans un

    français assez approximatif

    Ma fille qui

    est

    en troisième, elle

    est

    venue ce matin, moi je

    voulais

    pas

    qu'elle vienne,

    mais son père

    l'a

    en c ore battue toute la nuit, vous avez vu la

    tête qu'elle

    a ? ,

    j'avais

    pas

    vu, j'avais

    pas

    vu

    parce

    que la

    fille

    s'était

    bien

    planquée.

    Il lui prend

    la

    tête contre le

    lavabo

    et puis

    il lui tape la

    tête contre

    les coins de table ou contre les coins

    du lavabo . Alors elle me racontait de

    ces

    trucs...

    Je vais voir en

    classe

    la fille, je la

    regarde

    et effectivement,

    elle était

    toute tordue, pleine

    de... Je la

    descends, j'enferme la

    mère et

    la

    fille

    dans un bureau, j'appelle

    l'assistante

    sociale

    parce

    que ce sont des choses

    qui se règlent entre femmes, ça.

    L'assistante

    sociale, elle me dit :  II

    faut absolument faire

    un

    constat

    médical,

    sur la

    mère et

    sur la fille .

    Le

    médecin scolaire ça

    n'existe pas,

    ça

    n'existait

    pas l'année passée, enfin j'ai

    tellement

    gueulé

    que

    j'en

    ai

    un

    qui

    fait

    une permanence une

    demi-journée

    tous les quinze

    jours. L'année

    passée il

    n'y en avait point. J'appelle un

    médecin

    traitant,

    qui est

    venu,

    qui

    les a

    examinées, qui a fait les certificats

    médicaux

    et

    qui

    est

    venu

    me

    voir

    et

    qui

    m'a dit ça fait

    l60 balles , moi j'ai

    pas

    de ligne au budget

    pour

    payer l60

    balles

    ; j'ai

    payé l60 balles de ma

    poche, ça veut dire que pour que

    j'en

    sois

    pas

    de l60 balles de ma poche, le

    médecin

    a accepté de

    faire une fausse

    déclaration, c'est-à-dire qu'il a déclaré

    qu'il

    était venu

    me

    visiter,

    moi,

    et

    j'ai

    été remboursé 120 francs

    par la

    Sécurité

    sociale. Ça

    m'a coûté quand

    même 40 balles ;  je me plains

    pas.

    Et après

    avec

    les

    certificats médicaux,

    on

    a

    appelé

    le

    père, alors

    le

    père

    est

    venu,

    alors

    si

    vous voulez,

    moi

    j'étais

    derrière mon bureau directorial,

    bien

    protégé, le père était

    à

    votre place

    et

    l'assistante

    sociale

    était ici

    ;

    l'assistante

    sociale,

    c'est

    une

    minette qui a trente

    ans

    et

    qui

    a

    parlé au père

    et

    qui

    lui a

    dit : 

    Mais

    ça se fait pas des choses

    comme ça, vous vous rendez

    compte

    ?

    Et

    puis si

    vous continuez à le faire

    on

    va vous empêcher, on va

    porter

    plainte

    ;

    on

    a des certificats

    médicaux et

    tout

    ça . Le père s'est levé, je l'ai dit

    à

    la

    petite,

    j'ai

    dit

    Ecoute,

    le

    deuxième

    pain,

    il

    aurait

    pas

    pu

    te

    le

    mettre

    parce

    que

    je

    l'aurais

    assommé

    avant ;

    mais

    le

    premier je pouvais

    pas

    l'éviter parce

    que

    le temps

    que

    je saute

    par-dessus

    mon

    bureau... ,

    bon

    il s'est arrêté au

    millimètre, hein ; 

    et

    puis il s'est dirigé

    vers

    la porte en

    me lançant

    la

    malédiction d'Allah jusqu'à la... je ne sais pas

    quelle génération.

    Son truc

    c'était...

    et

    en

    plus

    vous me direz,

    quelle

    réponse

    vous

    lui

    auriez faite ?

    Il

    habite dans la partie la plus

    déshéritée,

    c'est-à-dire

    les allées

    du Mans.

    Hein, vraiment, c'est vraiment

    éshérit é

    complètement

    ;  il dit :  Mes voisins,

    là,

    dans l'allée du

    Mans...

    les

    gamins

    ils

    font

    de l'absentéisme, ils

    sont

    drogués,

    ils sont voleurs, ils sont

    délinquants, ils

    ont

    tout pour plaire,

    personne

    ne

    dira

    jamais rien.

    Moi,

    mes

    gamins,

    ils

    sont

    jamais

    absents , c'est

    vrai

    ils ont de bons

    résultats , c'est

    vrai,

    ils sont polis , c'est

    vrai,

    pas

    délinquants,

    gentils,

    propres, tout et

    vous m'emmerdez,

    moi ?

    Et vous

    voulez m'envoyer

    à

    la police, moi ? Vous

    faites rien

    contre

    les

    autres

    et...

    et

    moi

    ? ,

    il est parti, vraiment il

    comprenait pas.

    61

  • 8/18/2019 Balazs Et Sayad. La Violence de l'Institution. 1991

    11/12

    AS-Et

    le soir, je pense que

    la femme

    et

    la fille ont

    dû...

    PR-Pas

    le soir

    même,

    pas

    le soir

    même, il

    a

    attendu

    quelques

    jours.

    Voilà, c'est la

    triste...

    Je sais pas, moi,

    si

    vous

    voulez, j'avais

    pas

    beaucoup

    de

    certitudes en

    venant

    ici...

    J'en

    ai

    encore

    moins,

    parce que je sais pas,

    j'ai l'impression.

    .

    AS— Vous arrivez

    quand

    même

    à

    ce

    qu'il n'y

    ait

    pas de violence

    à

    l intérieur de

    l'établissement.

    PR-Pas de violence physique, de

    bagarres. Les violences verbales... Là-

    dessus,

    il y a

    le

    téléphone

    au collège

    et

    le

    téléphone

    quand

    il

    n'y

    a

    pas

    de

    standardiste,

    par exemple

    maintenant,

    le

    téléphone

    sonne

    pas

    ici parce

    que

    si

    quelqu'un appelle

    le

    collège,

    ça

    sonne dans mon

    appartement

    ; il

    n'y

    a

    pas de

    standardiste,

    donc

    ça

    sonne

    dans mon appartement ; eh bien,

    quand ma femme

    est là,

    l'autre jour

    elle est venue, j'étais dans

    l appartement

    de

    mon

    adjoint,

    on est allé

    prendre l'apéritif ensemble,

    ma

    femme

    est venue, de

    cinq

    heures à huit

    heures et demie on était

    en

    réunion

    au

    centre

    social

    avec

    mon adjoint

    ;

    et

    elle,

    elle était dans l'appartement de

    fonction.

    Et à

    huit heures et demie

    elle

    est

    montée boire

    l'apéritif

    avec nous. Mais

    elle m'a

    dit :  J'en

    ai

    marre, coupe le

    téléphone quand je suis là

    et

    que tu

    n'y es pas , toutes les

    dix

    minutes au

    téléphone des insultes.

    GB-Des insultes ?

    PR-Des insultes. Elle prend le

    téléphone :  Est-ce

    que

    Monsieur S. est là ? ,

    non il est pas

    là ,

    ah

    t'es

    sa femme,

    salope, putain, nique

    ta

    mère, nique

    ta

    mère... ,

    mais

    vingt

    fois, trente fois,

    elle me dit :  Si je décroche pas, ça

    sonne, ça sonne, ça sonne , bon elle

    a

    compté une fois 27 coups de sonnerie,

    elle

    a

    pas

    décroché avant que

    ça

    s'arrête.

    GB-Oui,

    c'est pour

    ça

    qu'on

    ne

    peut

    pas

    faire la séparation vie privée, vie

    publique...

    PR-Non, c'est ça, et je n'ai

    pas fait

    installer

    de ligne

    personnelle, bon, parce

    que je me dis

    que

    si je faisais installer

    une ligne

    personnelle,

    il

    suffit

    de

    repérer

    mon nom, je

    ne

    vais

    pas

    me mettre

    sur la

    liste

    rouge, je ne

    veux

    pas me

    mettre sur

    des choses

    comme

    ça...

    Donc, quand le mercredi je m'enferme

    dans l'appartement en fin d'après-midi

    parce

    que

    j'ai

    du

    travail

    à

    faire

    ou

    parce

    que

    j'ai

    envie de lire ou

    d écouter de la musique, un machin

    comme

    ça, ben

    si

    je

    débranche

    le téléphone

    ça veut

    dire

    que

    mes

    enfants, ma

    mère, ma

    femme ne

    peuvent

    pas

    m'appeler,

    c'est

    comme