bras parts

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BRASPARTS Brasparts est situé aux portes du pays de la Mort où la puissance de Dieu ne s’exerce guère. Non loin de là, commencent les sortilèges du Yeun Ellez, le marais de l’Enfer, où se manifeste le pouvoir des anciens dieux. Au sommet du Menez Kronan, qu’on appelle en français le mont Saint-Michel de Brasparts, une chapelle est placée sous l’invocation de l’archange. Mais il faut croire que les enchantements des vieilles divinités sont plus puissants que sa protection, car l’inquiétude de la mort règne ici plus qu’ailleurs en Bretagne. Le long plateau couvert de landes qui prolonge la hauteur vers le nord-ouest se nomme Gwaremm Kronan, la garenne de Kronan. C’est bien là le dieu cour- be, issu de Kron, le cercle, proche parent de l’irlandais Cromm Cruach, qui se nourrissait du sang des hommes, et du Grand Courbe de la mythologie scandi- nave qu’Ibsen a immortalisé dans le drame de Peer Gynt. Mais c’est peut-être, tout aussi bien, le vieux dieu Cernunnos, qui règne sur le Monde d’en bas, que d’aucuns appellent les Enfers. De Cernunnos est venu, en breton moderne, Kronan. Ce haut lieu n’est encore qu’un maillon d’une chaîne superbe. Un impres- sionnant cirque de collines entoure les sources de l’Ellez, le marécage et le lac que forment les rivères. Sur les sommets de Trévézel et de Trédudon, dressés entre le pays de Léon et celui de Cornouaille, la roche, schisteuse, déchiquetée, apparaît à nu au milieu de la bruyère et des ajoncs. La Tuchenn Gador ou « colline du siège », souvent désignée sous le nom erroné de signal de Toussaines, s’élève au- dessus du hameau de Kroaz Torret, la « croix cassée » ; il dispute le titre de point culminant de la Bretagne au Menez Kronan, son voisin. Le panorama que l’on découvre de ces hauteurs désolées, couvertes de landes et de tourbe maigre, s’étend dans toutes les directions. Si l’on grimpe jusqu’à Roc’h Trevezel, dans l’ardoise ravinée par les eaux de ruissellement, on découvre vers le sud tout le bassin du Yeun Ellez, vers le nord tout le plateau de Léon, avec au premier plan les clochers de Commana à gauche et de Plounéour-Menez, tout devant. Le pays de Brasparts comprend, outre le bourg et la commune de ce nom, d’anciens terroirs détachés récemment, Botcador rattaché à Botmeur au cours du XIX e siècle, Saint-Rivoal constitué en unité indépendante en 1924, avec ses villages de Rokinarc’h, Bodingar, Kergombou, Stumenven et Bodenna.

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Braspart

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  • Brasparts

    Brasparts est situ aux portes du pays de la Mort o la puissance de Dieu ne sexerce gure. Non loin de l, commencent les sortilges du Yeun Ellez, le marais de lEnfer, o se manifeste le pouvoir des anciens dieux. Au sommet du Menez Kronan, quon appelle en franais le mont Saint-Michel de Brasparts, une chapelle est place sous linvocation de larchange. Mais il faut croire que les enchantements des vieilles divinits sont plus puissants que sa protection, car linquitude de la mort rgne ici plus quailleurs en Bretagne.

    Le long plateau couvert de landes qui prolonge la hauteur vers le nord-ouest se nomme Gwaremm Kronan, la garenne de Kronan. Cest bien l le dieu cour-be, issu de Kron, le cercle, proche parent de lirlandais Cromm Cruach, qui se nourrissait du sang des hommes, et du Grand Courbe de la mythologie scandi-nave quIbsen a immortalis dans le drame de Peer Gynt.

    Mais cest peut-tre, tout aussi bien, le vieux dieu Cernunnos, qui rgne sur le Monde den bas, que daucuns appellent les Enfers. De Cernunnos est venu, en breton moderne, Kronan.

    Ce haut lieu nest encore quun maillon dune chane superbe. Un impres-sionnant cirque de collines entoure les sources de lEllez, le marcage et le lac que forment les rivres. Sur les sommets de Trvzel et de Trdudon, dresss entre le pays de Lon et celui de Cornouaille, la roche, schisteuse, dchiquete, apparat nu au milieu de la bruyre et des ajoncs. La Tuchenn Gador ou colline du sige , souvent dsigne sous le nom erron de signal de Toussaines, slve au-dessus du hameau de Kroaz Torret, la croix casse ; il dispute le titre de point culminant de la Bretagne au Menez Kronan, son voisin.

    Le panorama que lon dcouvre de ces hauteurs dsoles, couvertes de landes et de tourbe maigre, stend dans toutes les directions. Si lon grimpe jusqu Roch Trevezel, dans lardoise ravine par les eaux de ruissellement, on dcouvre vers le sud tout le bassin du Yeun Ellez, vers le nord tout le plateau de Lon, avec au premier plan les clochers de Commana gauche et de Plounour-Menez, tout devant.

    Le pays de Brasparts comprend, outre le bourg et la commune de ce nom, danciens terroirs dtachs rcemment, Botcador rattach Botmeur au cours du XIXe sicle, Saint-Rivoal constitu en unit indpendante en 1924, avec ses villages de Rokinarch, Bodingar, Kergombou, Stumenven et Bodenna.

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    Cest au IXe sicle que Brasparts apparat dans lhistoire. Le nom de cette pa-roisse est en effet mentionn dans le cartulaire de Landvennec pour quelques terres que labbaye de Saint Gwenol possdait sur son territoire. Elle sy trouve inscrite sous la forme Bratberth et les lieux o sexerait lautorit des moines, sappelaient Carrent, Luphant et Rudheder. Sil nest pas possible didentifier les deux premiers encore que Carrent veuille dire le Carrefour , le troisime est certainement lactuel Runeder, lande au flanc de la montagne, dans la commune de Saint-Rivoal qui ne fut spare quen 1924.

    La tradition cependant fait remonter trois sicles plus tt la premire manifes-tation de ce peuple. Le pre Albert le Grand, religieux de lordre de Saint Domi-nique, originaire de Morlaix, qui rassembla en 1634 les principales donnes de lhagiographie bretonne et les donna dans une Vie des Saints, pleine de saveur, raconte les premiers pas du christianisme dans ce terroir de la montagne dArrez, o dj, len croire, les cnobites de Landvennec possdaient des droits.

    Saint Jaoua et saint Tujen, recteurs de Brasparts

    Un abb de ce couvent, un certain Judulus, aurait dsign selon notre conteur, le premier desservant de Brasparts, en la personne de saint Jaoua. La lgende, dailleurs fort vraisemblable cet gard, rapporte que, le pays tant encore peu prs paen, le nouveau pasteur dut se proccuper avant tout de convertir ses ouailles la religion du Christ. Il fit tant, nous dit-on, quil les rduisit au vray et droit chemin de Salut .

    Le rsultat obtenu ne dura cependant pas autant quon et pu lesprer. Les attaques des paens sintensifirent un point tel que Jaoua dut quitter la rgion et rsigner ses charges tant Brasparts quau monastre de Daoulas dont il tait devenu le premier abb, install l par son fondateur, le prince Arastagn, lui-mme chrtien de frache date. Il ne perdit rien ce changement, puisque deux ans plus tard, il devenait vque de Lon, en remplacement de son matre Paul.

    Le successeur quil stait choisi, tait le fils dArastagn, un nomm Tusveanus, dont nous connaissons peu de choses, mais dont le nom, devenu Tujen au cours des sicles, a gard quelque clbrit en Cornouaille. Surtout connu aujourdhui par la vnration dont il est lobjet dans une trs belle chapelle du Cap Sizun o il gurit de la rage et du mal de dents, ce personnage voit toujours sadresser lui le culte des habitants de Brasparts dont il est le saint patron.

    Si lon excepte cette lgende dont les grandes lignes mritent sans doute dtre admises par lhistoire, et les quelques mots du Cartulaire de Landvennec que nous avons cits, les apparitions de la paroisse de saint Jaoua et de saint Tujen