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  • 7/29/2019 BS11 Final

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    bs n11Le journal de Btonsalon06/2011 - 07/2011Gratuit

    Le systme neuro-vestibulaire humain est srieusement altr par les sjoursprolongs en apesanteur. Les otolithes ces organes de l 'oreille interneservant percevoir les oscillations en sont particulirement aects.En l'absence de stimulation des otolithes dans les canaux semi-circulaires, lesaccule et l'utricule commencent alors prendre de l'expansion.

    Au cours des cinq missions menes la Station orbitale internationale entre2009 et 2070, la dormation des otolithes observe durant le dveloppementdes tus a empch les nouveau-ns de l'espace d'apprendre composer avecla gravit terrestre ordinaire.L'exposition prolonge une gravit nulle a provoqu l'apparition d'un nouvelembranchement chez les hominids.L'apesanteur a engendr une nouvelle espce humaine.

    Ainsi, nous sommes beaucoup mieux adapts la vie dans l'espace que leshumains dits gravitationnels ne l'ont jamais t. l'inverse, nous sommesincapables de supporter les conditions qui prvalent sur Terre.La Terre est dsormais hors d'atteinte pour nous. Elle n'est tout au plus qu'uneplante accessible par les mdias.Notes tires d'un rapport sur l'adaptation humaine l'habitation permanente enmilieu non gravitationnel, telles que prsentes l'Institut d'exoanthropologiede la Station orbitale.Docteur Usha Adebaran Sagar24-10-2103

    IntertitreSANS SOL

    Pour nous, il n'y a pas de mmoire sans image.Et pas d'image sans mmoire.L'image est la matire de la mmoire.Il existe un surplus que ni la mmoire ni l'image ne peuvent retrouver maisque toutes deux remplacent.Ce surplus est l'vnement.L'histoire.

    pause

    Je passe les mdias vieillissants au tamis pour ltrer le temps prsent du sicle dernier.Cherchant les moments critiques.

    Les seuils.Cherchant les phases du devenir qui pourront me dire comment ils sontdevenus nous.Prenant des notes dans ma recherche sur ce que nous mes autreois.Et ce que nous sommes aujourd'hui.

    Au-dessus de leur terre, asphalte.Au-dessus de leurs chausses, de leurs semelles, mues par les corps.Au-dessous des tranes des avions raction, de la crte des arbres, desantennes, des pylnes, des toits.Par-dessus comme par-dessous : ils appartiennent un monde vertical,assigns au sol par le champ gravitationnel.Il est leur base et leur sommet.Sans lui, ils perdent tout.Ils deviennent de nouvelles cratures.

    pause

    Lesquelles parmi eux comprennent que tout peut tre perdu ?Lui, marchant vers une destine qui lui chappera ?Ou elle, songeuse au milieu des possibles ?

    Elle sait trop bien que cette nergie verticale qu'ils appellent protestation serarduite nant.

    pause

    Et ce savoir la hante.Cela la coupe des oules et du pouvoir.Deux mois plus tard, elle partira pour Moscou pour entreprendre des recherchessur les conditions ncessaires la vie.Des recherches qui mneront un autre tat.

    une autre gravit.pause

    Elle crit au sujet de sa grand-mre :Son admiration pour le programme spatial russe ne s'est jamais teinte.

    Elle a suivi chaque mission avec l'enthousiasme que l'histoire rserve ses

    modernisateurs.

    v/o

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    Prsentation de lexpositionBtonsalon prsente la premire exposition personnelle en France dOtolith Group, le collecti dartistes londonien ond par KodwoEshun et Anjalika Sagar. Investis dans lexploration des hritages et potentialits du lm-essai, des modernismes cosmopolites, desuturs spculatis et des sciences-ctions, The Otolith Group a dvelopp une pratique multiples acettes intgrant la ralisation delms et de vidos, de projets curatoriaux, de publications et llaboration de plates-ormes publiques.

    Formant llment central de lexposition, la Trilogie Otolith est compose des lms-essais Otolith I(2003), Otolith II(2007) et Otolith III(2009) qui sattachent au potentiel de moments politiques et culturels spciques pour voquer des uturs alternatis. Projets selon unegrille horaire prdnie, ils alternent avec des assemblages qui revisitent leur conrence perorme Communists Like Us(2006), leuressai sonore The Secret King in the Empire o Thinking(2011) et les oeuvres de lillustrateur de comics Marvel Jack Kirby et de lartiste

    Vidya Sagar, toutes deux ayant infuenc les mthodologies de la Trilogie Otolith.Ces assemblages, produits spciquement pour Btonsalon, constituent une exposition quasi-subliminale qui apparat et disparat entrechaque sance. Le pliage dun dispositi temporaire lintrieur dune proposition scnographique ouvre alors de nouveaux passages travers la constellation dallusions et de rrences dOtolith Group. Exprimentant avec direntes manires de rendre des mthodes

    visibles et audibles,A Lure a Part Allure Apartpouse les proccupations du collecti autour des disjonctions de la temporalit et dessciences-ctions du prsent alternati.

    Otolith Ise droule au 22me sicle, lorsque les hommes ne sont plus mme de survivre sur terre et sont ainsi contraints de vivredans un tat de permanente microgravit bord de la Station spatiale internationale (SSI). Otolith Iest narr par lexo-anthropologueDr Usha Adebaran Sagar, uture descendante dAnjalika Sagar. travers sa recherche dans des archives de mdias teints, AdebaranSagar reconstruit la vie comme elle tait sur terre. Dans la mise en scne dOtolith I, langoisse et la dpression qui ont merg desmaniestations en 2003 contre la Coalition soutenant linvasion de lIraq sont mises en parallle avec la rencontre Moscou en 1973entre la cosmonaute russe Valentina Tereshkova premire emme orbiter autour de la terre et Anasuya Gyan-Chand Prsidentede la Fdration nationale des emmes indiennes ; voquant ainsi lapesanteur de lintimit trangre.

    Relat par Dr. Adebaran Sagar, Otolith IIquitte lagravitation de la SSI pour comparer la compression hypergravitationnelle de Dharavi,immense bidonville de Mumbai, au plan durbanisme du milieu du 20me sicle que constitue Chandigarh. Otolith IIexplore la pressionendure par les citoyens habitant dans ces versions contrastes et comptitives de la ville de demain. Des moments contemporainsde la vie vcue dans lombre du complexe hyperstructur du Corbusier sont juxtaposs avec des scnes de travail immatriel sur lesplateaux de tournage de Film City Mumbai et dans les usines de Dharavi. Le lm examine et ressuscite les ragments transtemporelsdes modernismes post-indpendants travers les alliances invocatrices du utur entre le minisme socialiste, les projets sculairesnehruviens et la solidarit transnationale ; ceci dans le but dassembler un zodiaque des possibles dans le temps prsent.

    Otolith IIIhabite les potentialits latentes du script de Satyajit Ray pour son lm jamais ralis, The Alien. crit en 1967, The Alien auraitt le premier lm de science-ction se drouler en Inde. Otolith IIIretourne en 1967 pour proposer une trajectoire alternative danslaquelle des protagonistes ctis de The Alien conrontent Ray et tentent de se saisir des moyens de production an de se dgager deleur tat inachev. Recongurant des squences visuelles et orales de quatorze lms de Ray ; sappuyant sur les visualisations de JackKirby pour linterprtation non ralise du roman de Roger ZelaznyLord o Light(1967) ; et sinspirant de la mthodologie de Notes

    pour un lm sur lInde(Pier Paolo Pasolini, 1968), Otolith IIIse propose comme un premake (une expression emprunte Chris Markerdsignant un remake realis avant loriginal) du lm de Ray.

    Programm pour apparatre aprs la projection dOtolith I, le premier assemblage dune srie de trois labore pourA Lure a Part AllureApartrevisite loeuvre dOtolith Group Communists Like Us(2006). Conue comme des notes vers llaboration dOtolith II, CommunistsLike Usmet en dialogue des photographies de dlgations sovitiques et maostes de linternationalisme socialiste ; la conversation sous-titre entre lactiviste et philosophe Francis Jeanson avec Vronique, son tudiante maoste joue par Anna Wiazemsky dans le lm LaChinoise(Jean-Luc Godard, 1967) ; et les compositions musicales de Cornelius Cardew et Ennio Moricone.

    Commenant aprs la conclusion dOtolith II, le second assemblage est lessai sonore The Secret King in the Empire o Thinking(2011).Cont par Anjalika Sagar, cet essai est une re-description, installe dans un utur indtermin, des visualisations de Jack Kirby de 1978.Cr deux ans aprs la sortie dOtolith III, dans lequel les illustrations science-ctionnelles de Kirby jouaient un rle essentiel, The SecretKing in the Empire o Thinkingest rvlateur de la propension dOtolith Group constamment revisiter ses constellations de rrencesan dinvoquer les temps et espaces antomatiques.

    The Secret King in the Empire o Thinkinganticipe le troisime assemblage et propose un dernier pli dans la spatio-temporalit de

    lexposition. Apparaissant aprs la conclusion dOtolith III, une projection annonce une commande de lInstitut Pour Les CulturesExtraterrestres en 2014 intitule Protocol Division, Biohazard Facility For Visitation Sector 7, Quadrant 6, Naxalbari, Bengal. Cettection institutionnelle sest dplace de son contexte initial, Otolith III, an de ournir un cadre aux oeuvres de Jack Kirby et VidyaSagar rendues visibles, le temps de cet assemblage, dans deux endroits de lespace de Btonsalon. Les sept pastels de Sagar et les diximpressions photographiques de Kirby sont connects par une srie de numros projets, de titres imaginaires et de dates prospectives,le tout oprant pour situer les oeuvres de Sagar et Kirby au sein des ctions de lexposition. En reliant des mmoires dires avecdes prsences anticipes et en rordonnant scripts et sons avec images et voix, la scnographie de A Lure a Part Allure Apartse rvlecomme le cycle inernal dun univers imbriqu.

    2

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    Saboter lavenirPar T.J. Demos

    Entre 2003 et 2009, Otolith Group un collecti ond en 2002 par les artistes, thoriciens et commissaires

    londoniens Kodwo Eshun et Anjalika Sagar a ralis la Trilogie Otolith, une remarquable srie de lms-essais

    consacre lexploration du champ ambigu qui spare lesthtique de lengagement politique. Le collecti compose

    ses lms partir de sources visuelles htroclites, telles que des archives cinmatographiques et photographiques

    de la amille Sagar en Inde, des enregistrements dvnements scripts, ainsi que des extraits documentaires (par

    exemple des images de maniestations Londres contre la guerre en Irak en 2003, ou bien des scnes tournes

    dans les mga-bidonvilles de Mumbai). cela sajoutent des sons judicieusement choisis an de mettre en place

    des ambiances singulires et, plus important encore, une narration en voix o qui se veut la ois potique et

    analytique, politique et subjective. partir de lassemblage lmique de ces matriaux varis cette htrognt

    constitutive dnit justement le lm-essai , Otolith Group interroge les dislocations de la temporalit et se lance

    dans une qute incertaine, nourrie par la conviction que lengagement le plus authentique au sein du rel firte

    ncessairement avec la ction1. travers des uvres o leort de dconstruction conond pass, prsent et

    avenir, le collecti se raie un chemin vers une remise en question de ltat actuel de la mondialisation, et surtoutde son issue annonce, donne comme rsultat inluctable dun processus historique2. Ressuscitant les aspirations

    du collectivisme socialiste, du Mouvement des pays non-aligns et des luttes ministes et post-coloniales des

    dcennies 1960 et 1970, le collecti dessine le sens de son engagement politique du dbut du 21 me sicle en

    dgageant autant de ls conducteurs que de dirences notables avec ces pisodes historiques inspirants, souvent

    oublis de nos jours. Otolith Group installe donc une temporalit cinmatographique dstabilisante, qui montre

    notre prsent sous un jour beaucoup moins rassurant quil ne voudrait bien le paratre.

    Otolith I(2003) tisse son intrigue partir de la perspective imaginaire du docteur Usha Adebaran Sagar, palo-

    anthropologue situe hors de notre monde et qui, en lan 2103, tente de concevoir notre prsent pour le moinsconfictuel, cette poque de peur ambiante , par le biais du journal de son anctre Anjalika Sagar. Usha concentre

    son attention sur des crits dats du printemps 2003 si lourd de tensions internationales. Sous la orme dun

    narrateur invisible dans le lm, elle mdite sur les marches de protestation contre linvasion amricaine de lIrak,

    mlant ses propres rfexions aux observations dAnjalika, comme lorsque celle-ci explique que la nature indite

    de lopposition mondiale avait pu, de par sa propre improbabilit mme, transormer linvitable en possibilit,

    assez longtemps pour changer notre destin . Mais que peut signier concrtement transormer linvitable en

    possibilit en simple possibilit et aller lencontre dun mouvement inexorable ? Plutt que dadmettre

    avec rsignation que les USA ont bel et bien envahi lIrak, avec des eets dsastreux, Otolith Ilance une charge

    subversive contre le pass.

    Dans sa conceptualisation de lclosion sans cesse renouvele de la nature de lvnement, la Trilogie Otolith

    donne vie ce que le collecti appelle sappropriant ici librement la notion de potentialits du philosophe

    italien Giorgio Agamben des uturs antrieurs ( past-potential utures ), une ormulation de la qute

    visant ranimer les rves rvolus dun avenir qui pourrait trs bien ne jamais se produire3. Ainsi, malgr un

    enchevtrement impressionnant de convergences intergnrationnelles et interculturelles, le centre de gravit du

    lm Otolith Idemeure la rencontre relle, en 1973 Moscou, entre la cosmonaute russe Valentina Tereshkova,

    premire emme aller dans lespace, et la grand-mre dAnjalika Sagar, Anasuya Gyan-Chand, alors prsidente

    de la Fdration nationale des emmes indiennes. Des extraits originaux tourns en 16 mm de emmes en train

    dapplaudir, ou bien montrant Tereshkova paradant ou participant des rceptions, sont ainsi projets direntes

    vitesses, hachant la perception dun temps en apparence continu et linaire. La rencontre entre la grand-mre

    1 Pour un bre survol de lhistoire du cinma dessai, voir le texte de Nora Alter dans Chris Marker, Chicago, University o IllinoisPress, 2006, pp. 17-20.2 On trouve ici certaines anits avec lhistoriographie politique de Walter Benjamin, qui croyait, au cur de la tourmente de laSeconde guerre mondiale, que pour aire advenir un rel sentiment durgence et amliorer notre position dans la lutte contre leascisme , il tait ncessaire de ormuler une nouvelle conception de lhistoire . Voir ses Theses on the Philosophy o History , inIlluminations, dit par Hannah Arendt, traduction Harry Zohn, New York, Shocken, 1968, p. 257. Dune aon similaire aujourdhui,Otolith Group conteste le caractre historique prtendument progressiste et linaire de la mondialisation.3 Voir Giorgio Agamben, Potentialities: Collected Essays in Philosophy, traduction Daniel Heller-Roazen, Stanord, StanordUniversity Press, 1999.

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    dAnjalika Sagar et Tereshkova a eu lieu une poque o leuphorie entourait les vols spatiaux, une euphorie

    parallle celle que suscitaient les espoirs dun essor du socialisme indien et dune nouvelle re pour les droits

    des emmes. Si Otolith Iait revivre ces moments et constate les checs vidents des grandes luttes collectives du

    pass, il en ravive aussi la capacit inspirer limaginaire politique contemporain. On le comprend, lhistoire est

    ici perue comme le champ dune ontologie ouverte, qui ne peut jamais tre crite dnitivement4. Les vnementsdu pass se rvlent imprgns de potentialit , terme qui dsigne davantage que le simple possible dans son

    irrductibilit lactuel, puisque le mot dnote galement chez Agamben laptitude ne pas ne pas tre. Ici,

    dans cet espace de la double ngation, si la potentialit touche la ralit actuelle, elle comporte touteois une

    dirence : son intervalle critique reprsente un espace de dcision et dimagination, par opposition aux gestes

    robotiques de lhabitude mcanique ou du rfexe automatique. Aussi, lambition dOtolith Iconsiste transormer

    la vitalit latente des anciens engagements politiques en ralisations actuelles, reusant de les laisser se dissoudre

    graduellement dans le non-tre5.

    En reprenant le genre du cinma dessai, la Trilogie Otolith rappelle les ralisations exprimentales de plusieursprcurseurs, tels que Black Audio Film Collective, Harun Farocki, Anand Patwardhan et Chris Marker. Rrence

    certainement dcisive, le lm Sans Soleil(1983) de Chris Marker, explore deux ples extrmes de la survie ,

    au Japon et en Guine-Bissau, en Arique, deux contextes gographiques antithtiques juxtaposs laide dune

    compilation dextraits documentaires portant sur la vie quotidienne, le tout accompagn de la narration subjective

    et politiquement saisissante dune emme qui lit les lettres dun ami et ralisateur globe-trotter cti, Sandor

    Krasna. De plus, les rquentes liberts prises par Chris Marker avec la temporalit et la gographie dans Sans

    Soleil, le narrateur identie au passage un paysage volcanique comme dcor possible dun utur lm de science-

    ction , de mme que ses allusions des lms jamais raliss, ont ortement infuenc lcriture des lms

    dOtolith Group. Tout aussi crucial pour la cration dOtolith Iut, du Black Audio Film Collective, The Last Angel

    o History(1995), un quasi-documentaire traitant de lintersection entre les potiques uturistes de la musiquelectronique issue de la diaspora aricaine et la science-ction, qui nat lintrieur de son propre conte de science-

    ction (et o un certain Eshun surgit, entre autres commentateurs). Outre lhritage de la Nouvelle vague ranaise

    et du Nouveau cinma allemand, Chris Marker et Black Audio Film Collective sont les inspirateurs principaux

    de la structure potique et pistolaire dOtolith I, en particulier du choix dun conteur cti et de linterprtation

    narrative subjective en matires politique et historique. La revendication de ces nouveaux uturs antrieurs

    ceux de Chris Marker en France dans la oule des vnements de Mai 1968 et ceux de Black Audio dans les annes

    qui ont suivi les meutes raciales dans le Royaume-Uni de Thatcher consolide lengagement dOtolith Group en

    inscrivant sa pratique dans la longue dure, celle de la liation des gnrations, bousculant au passage les prtentions

    du prsent la post-historicit et dotant ses propres prdcesseurs dune nouvelle charge critique. Ces prcdents

    clairent lthique historiographique du collecti et soulignent la rsonance des anits qui ondent ses stratgiesrhtoriques. Otolith Group sempare ainsi de la puissance vitale des rves que dautres ont aits et quon donnait

    pour morts depuis des dcennies6.

    4 Quune telle ormulation dire radicalement des notions antrieures de la reprsentation photographique est dmontr lorsquelon compare la notion dvnement photographique chez Otolith Group celle dAndr Bazin, qui consiste en une ontologieerme de limage photographique. Constatant un transert de la chose sa reproduction , le cinma est lobjectivit dans letemps , explique Bazin, et il embaume la vie.Voir Andr Bazin, The Ontology o the Photographic Image , Film Quarterly 13, no. 4, t 1960, pp. 4-9.Pour une contextualisation historique, voir Michael Renov, Introduction: The Truth about Non-Fiction , in TheorizingDocumentary, ditions M. Renov, New York, Routledge, 1993, 4, n. 9.5 Dans sa pertinente introduction de louvrage PotentialitiesdAgamben, Heller-Roazen explique quen dpit du ait que ce quiest potentiel peut aussi bien tre que ne pas tre , ce qui est potentiel est galement capable de ne pas ne pas tre et, ce aisant,

    de ournir une existence ce qui est l (p. 16 et p. 18). Ainsi, voil pourquoi Agamben crit, dans un passage important surlHomo Sacer, que la potentialit et la ralit du ait ne sont simplement que les deux aces dun mme enracinement souverainde ltre en lui-mme et que, la limite, la pure potentialit et la pure ralit sont indiscernables (p. 18).6 Lors de la Biennale 2007 dAthnes, lOtolith Group a collabor avec Chris Marker pour produire Inner Time o Television, unprojet prsentant LHritage de la chouette(1989), de Chris Marker, une srie tlvisuelle en 13 pisodes rarement diuse etportant sur la vie aprs la mort dans la Grce antique. Voir The Otolith Group, Inner Time o Television (Biennale dAthnes,2007). LOtolith Group a aussi organis la rtrospective du Black Audio Film Collective, qui sest ouverte en 2007 la Foundationor Art and Creative Technology (FACT) de Liverpool, et dit le catalogue The Ghosts o Songs: The Film Art o the Black AudioFilm Collective, 19821998, Liverpool University Press, 2007. Enn, le groupe a assum le co-commissariat de Against What,Against Whom?, une prsentation de lms de Harun Farocki Raven Row et la Tate Modern, Londres en 2009, accompagnedun catalogue substantiel.

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    Dans Otolith I(et Otolith II), les voyages spatiaux lent la mtaphore du dsquilibre temporel. Ici, nous sommes prs

    de La Jete(1962), lm post-apocalyptique de Marker compos surtout dimages xes. Dans Otolith I, la narration

    de 22 minutes passe dextraits des maniestations pacistes, tenues Londres en 2003, la documentation du

    voyage ultrieur dAnjalika lancien camp dentranement de Tereshkova de la Cit des toiles, dans les environs

    de Moscou, dsormais recycl en site touristique mercantile. bord du vol parabolique dun avion militaire russereconverti, comme ceux qui servaient lentranement des cosmonautes avant leurs missions dans lespace, on

    voit Anjalika dcouvrir lapesenteur. Les images troublantes et magiques de son corps endormi fottant dans les

    airs laissent entrevoir une ralit uture, celle dtres humains qui auront migr dans lespace. Avec le temps, leurs

    otolithes ces organes de loreille interne qui permettent au corps de sorienter en onction du champ gravitationnel

    de la Terre satrophieront, ce qui exilera de actolhomo sapiens de sa plante dorigine. Ce procd illustre bien

    lenjeu du lm reli la potentialit du temps non-linaire : lvolution des tres humains en une espce expatrie

    implique non seulement un abandon du poids de lhistoire en mme temps que labandon de lide qui veut que

    le temps progresse implacablement dans une direction unique , mais aussi un dtachement critique du prsent.

    Pour parvenir de semblables dplacements, Otolith Group superpose des extraits de documentaires des scnariosconus par les auteurs, une combinaison qui se rapproche de la structure ondamentale de luvre cinmatographique

    telle que comprise par le philosophe Jacques Rancire. En eet, celui-ci voyait dans le cinma un mdia complexe

    usionnant enregistrement mcanique et interprtation subjective7. Cest pourquoi camper la Trilogie Otolith

    dans cette hybridit irrductible donne voir la sparation prcise entre un impossible actuel et un impossible

    imaginaire ou, linverse, la manire dont la vrit se rinvente sur la base de la ction8. Pour Rancire, la

    ction, du latin ngere, signie orger plutt que eindre, et cest pour cette raison que ce que nous appelons ction

    documentaire recongure le rel en un eet produire, au lieu dun ait comprendre9. Daprs Rancire, la ction

    documentaire invente de nouvelles intrigues avec les documents historiques, et pour cette raison elle conne

    la able cinmatographique qui noue et dnoue travers les relations entre lhistoire et le personnage, le plan

    et la squence les pouvoirs de linvisible, du discours et du mouvement 10. Do le ait que nous ne pouvonspas penser le documentaire comme le ple oppos de la ction , explique le thoricien dans son chapitre

    portant sur Marker11. Loin de sopposer la ction, le documentaire en est plutt lun des modes, runissant

    la ois dans la continuit et dans le confit le rel (les lments numrs et contingents apparaissant sur la

    pellicule) au abul (le construit, ldit, la narration) par le cinma. Le rsultat on peut le constater dans la

    Trilogie Otolith avec ses combinaisons htrognes de documents darchives, dextraits montrant des scnes relles,

    dadaptations ctionnelles, de narrations en voix o, sans compter les bandes sonores inquitantes constitue une

    transormation radicale de la vieille opposition platonique entre le rel et la reprsentation, entre loriginal et la

    mauvaise copie. Ainsi, Rancire constate que les penses et les choses, lextrieur et lintrieur, sont capturs dans

    une mme texture, au sein de laquelle le sensible et lintelligible demeurent indiscernables 12.

    Que peut signier traiter le rel comme un eet produire, plutt que comme un ait comprendre ? Certes, il

    nest pas aux de dire que la Trilogie Otolith traite de la construction de la mmoire cre contre la surabondance

    de linormation et contre son absence , tel que lcrit Rancire. Mais cette rponse est incomplte. En dant

    le rgne du prsent inormationnel celui qui rejette dans une ralit extrieure tout ce qui ne peut tre

    assimil au processus homogne et indirent de sa propre reprsentation (songeons aux mdias de masse) ,

    de telles propositions esthtiques doivent rsister la reprsentation abrutissante dune ralit en tant que simple

    reproduction13. Le dbut dOtolith Ilarme : Il existe un surplus que ni limage ni la mmoire ne peuvent retrouver

    mais que toutes deux remplacent. Ce surplus est lvnement. Cet vnement nest dailleurs pas seulement

    ractiv dans le lm, mais il est aussi dclench dans sa rception. Ici, la reprsentation devient une orce gnratrice,

    7 Jacques Rancire, Film Fables, traduction Emiliano Battista, Oxord, UK, Berg, 2006, p. 161 : Le cinma est la combinaisondu regard de lartiste qui dcide et du regard mcanique qui enregistre, des images construites et des images de la chance. 8 Ceci voque ce que Gilles Deleuze appelle les pouvoirs du aux , qui ne dcrit pas tant labandon de la vrit que sa rinventioncomme nouveau paradigme post-Lumires de la contingence culturelle et historique. Voir Gilles Deleuze, The Powers o the False , inCinema 2: The Time Image, traduction Hugh Tomlinson et Robert Galeta, London, Athlone Press, 1989, pp.126-155. Rancire consacreun chapitre de La Fable cinmatographique aux ouvrages Cinma 1 et Cinma 2 de Gilles Deleuze.9 Rancire, Documentary Fiction: Marker and the Fiction o Memory, Film Fables, p. 158.10 Rancire, Prologue: A Thwarted Fable, Film Fables, p. 18.11 Rancire, loc. cit., p. 158.12 Rancire, Prologue: A Thwarted Fable, Film Fables, pp. 23.13 Rancire, Documentary Fiction: Marker and the Fiction o Memory, Film Fables, p. 158.

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    un assemblage htroclite dimages et de sons qui, en dsorientant les perceptions du spectateur, suscite lengagement

    dans laction et lagencement subjecti14. Cest l que survient leet de politisation de la ction documentaire ,

    lorsque la potentialit du lm rencontre le spectateur mancip cest--dire celui qui, selon Rancire, devient son

    propre narrateur15. Le philosophe crit : ormuler lhistoire dune nouvelle aventure dans un nouveau langage exige

    des spectateurs actis en tant quinterprtes, lesquels essaient dinventer leur propre traduction an de sapproprierlhistoire et den aire leur histoire eux 16. Cependant, devenir narrateur ne veut pas dire senvoler vers une

    antaisie subjective. Dans le cas de la Trilogie Otolith, cela signie un engagement envers des histoires contradictoires

    qui reusent daccepter les politiques post-historiques et consensuelles que nous imposent ceux qui croient que la orce

    militaire instaure la dmocratie, que la mondialisation corporative mne lgalit et quil nexiste aucune alternative

    (pour citer les propos inoubliables de Margaret Thatcher) aux vnements daujourdhui.

    Poursuivant sur les prmices imprgnes par la science-ction dOtolith I, Otolith II (2007) se ocalise sur les

    retombes de la modernit en Inde. Explorant lhritage laiss par les utopies du 20me sicle dans le pays, revisitant

    les plaies de lurbanisme contemporain et les confits entre lconomie manuacturire traditionnelle et lmergencedes conditions du travail immatriel, lenqute reprend travers les yeux de la descendante dAnjalika, le docteur

    Usha Adebaran Sagar, dont la narration parcourt les 49 minutes du lm. Si Otolith IIore des vues du Chandigarh

    actuel ville planie par Le Corbusier et symbole du rationnalisme lac de lre Nehru et de Dharavi, le

    mga-bidonville contemporain de Mumbai, le lm ne sombre pas pour autant dans la parabole prvisible de la

    panne progressive de la modernit. Au contraire, lInde daujourdhui prgure non seulement lappauvrissement

    plantaire venir, mais annonce un modle de survie crative au sein des architectures inormelles et de ladaptation

    la vie urbaine.

    Le lm commence par une observation dUsha, qui y voit lge du capital humain , tandis que dlent des

    images de vieilles usines textiles, dentrepts dlabrs tachets de lumire, et que les sites post-industriels

    labandon ctoient les projets de construction urbaine. Nous comprenons lintuition dUsha : La plupart desusines ont t rases pour aire place aux centres commerciaux. Quelques-unes urent transormes en dcors de

    cinma. Le processus a t brutal et non sans douleur. Le march immobilier a non seulement dvor lespace,

    mais galement les corps, car les droits des pauvres des villes sont devenus une nouvelle source de richesse ,

    dit Usha. Dans un avenir proche, la densit urbaine ne era que crotre : Entre 2050 et 2060, la population de

    la Terre a atteint un pic de 10 ou 10,5 milliards dhabitants , prvient-t-elle. Prs de 95% de cette croissance

    se droula dans les villes du Sud. Larchitecture du utur point donc dj dans cette architecture prcaire des

    bidonvilles, avec ses toits de tle ondule et ses murs de plastique ormant des amas concentrs de taudis o

    sentassent leurs habitants. Otolith IInhsite pas nous en orir de sinistres vues panoramiques17.

    Dans ces gographies accidentes, o les usines cdent la place des centres commerciaux post-modernes cerns

    par dimmenses bidonvilles, se prole un autre terrain de confit : celui des conomies en concurrence pour leproltariat de lInde des deux dernires dcennies, partag entre ateliers de abrication manuelle et secteurs des

    services et du divertissement. Le lm montre des images de travailleurs abriquant mticuleusement des produits

    la main, porteeuilles en cuir ou vaisselle de terre cuite. Puis apparaissent des scnes de couture et de travaux

    domestiques, entrecoupes de moments de tournages de publicits tlvises sophistiques. On y voit une mise

    en scne comportant des cabines tlphoniques rouges, typiques de Londres, bizarrement choues prs de la

    mtropole de la cte occidentale de lInde. Ces contrastes suggrent quil sagit l des derniers soubresauts des

    manuactures au milieu des techniques de marketing de produits immatriels, qui tournent, elles, autour de la

    production dmotions et de dsirs bien plus que de celle dobjets tangibles18. Perplexe, Usha se remmore le

    14 Une autre notion pertinente ici est celle que Deleuze et Flix Guattari ont de lvnement : Un vnement peut tre retourn,

    rprim, coopt ou trahi, mais il y a a toujours quelque chose qui ne peut tre dpass. Seuls les rengats diront : cest dpass.Mme si lvnement est ancien, il ne peut jamais tre dpass : cest une ouverture au possible. Cela vaut autant pour la vieintrieure des individus que pour les couches proondes de la socit. Gilles Deleuze et Flix Guattari, May 68 Did Not TakePlace , in Two Regimes o Madness: Texts and Interviews 19751995, ditions David Lapoujade, traduction Amy Hodges et MikeTaormina, New York, Semiotext(e), 2006, p. 233.15 Voir Jacques Rancire, The Emancipated Spectator, Artorum, Mars 2007: pp. 272-280.16 Rancire, ibid., p. 280.17 Sur la proliration des bidonvilles partout dans le monde, et proposant plusieurs passages sur le contexte urbain de Mumbai,voir Mike Davis, Planet o Slums, London, Verso, 2006. Usha y cueille ses statistiques.18 Rrence capitale ici : Maurizio Lazzarato, Immaterial Labor , in Radical Thought in Italy: A Potential Politics, ditionsPaolo Virno and Michael Hardt, Minneapolis, Presses de lUniversit du Minnesota, 1996.

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    lm Stalker(1979) de Tarkovski, dans lequel une zone post-industrielle est hante par une mystrieuse nergie,

    prsumment cause par latterrissage dun vaisseau spatial extraterrestre. Elle soutient que la Zone tait sa

    tentative de ralentir la mort lente du proltariat . Cette mort lente est palpable ici, o les usines dpouilles

    ont toutes les apparences de ruines industrielles, dun cimetire destin aux employs industriels de ces temps

    rvolus.Ces transormations urbaines sont ensuite accoles aux rves passs qui, conronts aux mga-bidonvilles et

    la mort lente du proltariat, semblent avoir avort leurs utopies promises. Le lm gravite autour dune srie

    de photographies dAnasuya, o lon voit des reprsentantes de la Fdration nationale des emmes indiennes

    rendant visite leurs homologues Moscou, aisant cho la slection darchives de la amille Sagar dans

    Otolith I. Y ajoutant des scnes optimistes de linternationalisme socialiste, le lm continue sur des images

    actuelles de btiments gouvernementaux des annes 1950, en piteux tat. De gigantesques suraces de bton

    dominent lenvironnement naturel, mais la vgtation rampante travaille sa revanche en senracinant partout

    o cela est possible. Un matin de 1955, des gens se sont rveills et se sont trouvs vivant dans lutopie de

    quelquun dautre , dit Usha, avant de scrier : Combien de personnes ont-elles dj souhait que Chandigarh

    ne soit jamais contruite ? Une chose rappe dans Otolith II: on ne trouve plus la moindre trace de mouvementssociaux contemporains comparables aux lans suscits au 21 me sicle par le Mouvement des pays non-aligns,

    la modernisation sous Nehru ou la lutte ministe et socialiste indienne. Non seulement les utopies modernistes

    semblent stre acheves, mais la orce de limagination qui les avait inspires sest elle-mme vanouie. Malgr

    tout, le lm se veut optimiste et propose une rsurrection des anciens rves de solidarit collective, darchitectures

    utopiques et de politiques mancipatrices ce qui, en dpit de toutes les indications du contraire, laisse planer sur

    le prsent une ombre de possibilits latentes.

    Dernier lm de la Trilogie, Otolith III(2009) sloigne des deux premiers en ceci que, au lieu dtre structur par

    une tude uturiste de notre histoire du point de vue du docteur Usha, il se dveloppe plutt autour dune enquteportant prcisment sur The Alien, un lm de science-ction jamais ralis par le clbre ralisateur bengali

    Satyajit Ray. Tout en abordant une nouvelle thmatique, le lm approondit les rrences lhistoire du cinma

    de la Trilogie. Le sujet tait dailleurs annonc dans Otolith II, quand Usha stonnait : Pourquoi les artistes

    indiens produisent-ils si peu de science-ction ? Ray a vraiment rdig le scnario pour The Alien en 1967, et

    Usha peut expliquer que lextraterrestre est une petite crature humanode dont le vaisseau spatial scrase dans

    un village du Bengale, loin des mtropoles . Lide dOtolith IIIest de crer une sorte de premake de ce lm

    jamais termin, reprenant ainsi un concept cinmatographique gar par lhistoire19. Daprs le scnario, quatre

    des principaux protagonistes de Ray le garon, lindustriel, la journaliste et lingnieur tentent de localiser

    leur ralisateur. Puis ils doivent choisir lacteur qui devra interprter leur propre personnage, pluchant plusieurs

    extraits visuels aux origines disparates, an de complter le lm pour de bon. Parvenus schapper du scnariooriginal, ils existent dans Otolith IIIen tant que possibilits errantes, entendues mais invisibles. Leurs rles sont

    narrs par direntes voix durant le lm, dont chacune des quatre parties se consacre lun des personnages. Le

    lm mne une enqute imaginaire sur la position de la science-ction en Inde lpoque des tensions de la guerre

    roide une science-ction marque par lintrospection et une grande complexit existentielle et psychanalytique.

    Cette qute est servie, encore une ois, par une habile mise en scne de lvnement lmique, en loccurrence

    construit sur un modle novateur quali de montage symbolique , qui poursuit les recherches dOtolith Group

    sur la temporalit asynchrone20.

    Alors que lindustriel hors du temps et de lui-mme voyage travers le Londres contemporain la recherche de

    non-acteurs pouvant jouer les rles de ses amis, un vaste rpertoire dimages se dploie et propose des plans en noir

    et blanc tirs de limportante uvre cinmatographique de Ray (quelque 14 lms sont cits la n), agrmentsdpreuves de tournage, en noir et blanc galement, dAlienation, un portrait cinmatographique de Londres tourn

    19 Sur lhistoire de cet inachvement, voir Satyajit Ray, Ordeals o The Alien, en ligne cet adresse :www.satyajitrayworld.com/ rayslmography/unmaderay.aspx (consult en septembre 2009).Kodwo Eshun ma expliqu que le concept de premake avait merg grce lide de Chris Marker dune srie daches delms de ction qui auraient annonc la sortie ultrieure de lms uturs (exemple : Hiroshima mon amour, annonc par uneache de 1922 montrant Greta Garbo et Sessue Hayaka).20 Autre prcurseur infuent dOtolith Group cet gard : J.G. Ballard, rcent crivain de science-ction britannique, qui a levle genre au rang dart littraire et la rendu capable de usionner le prsent, le pass et lavenir, ouvrant ainsi la voie des ralitscaches de la psyche humaine, de la technologie et de la culture.

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    en 1967 par lartiste Vidya Sagar, le pre dAnjalika, ainsi que de scnes captes en direct et en couleur Londres

    aujourdhui. Le rsultat est un tissu provisoire de lms non-raliss qui, la manire des lms-cahiers de Pasolini

    des annes 1960 dont notamment Notes pour un lm sur lInde(1968) , ournit un bel exemple de spontanit

    et dimprovisation, de potentialit et dternel inachvement. Cela contraste bien sr avec la nature pdagogique

    du documentaire traditionnel et le style unitaire et conventionnel des structures narratives des productions deHollywood ou de Bollywood. Sajoutent cette htrognit visuelle les dcors uturistes dune mtropole de lre

    spatiale conue par lartiste bdiste Jack Kirby, des images destines au dpart accompagner le scnario de Barry

    Geller en vue du lm Lord o Light lui aussi jamais ralis , bas sur un roman-feuve publi en 1967 par Roger

    Zelazny. Greant des lments prlevs chacune de ces sources, Otolith IIIrassemble toute une panoplie de points

    de repres visuels issus de la culture de 1967-68, panoplie qui ournira le matriel du premake .

    Les personnages dOtolith IIIvoluent dans un monde o les rgions ont des codes, lesquels sont souvent cits dans

    le dialogue (par exemple Rgion restreinte 2 ), ce qui suggre un environnement digitalis et organis selon les

    droits dauteur, comme sil tait structur daprs une hirarchie de classe et un systme de gestion des accs. Le

    paysage virtuel est une allgorie de nos gographies contemporaines quadrilles de rontires bien gardes contre

    les menaces trangres, tablissant le cadre des manuvres gopolitiques de la post-mondialisation une re deterrorisme, de nationalisme rsurgent et de postes de contrle militaires, ce qui contredit les belles clbrations du

    territoire ostensiblement fuide dun monde post-national. Cet environnement comporte de plus des rminiscences

    de la dystopie uturiste du lm de science-ction amricain Blade Runner (1982). En eet, les personnages

    dOtolith III, sous la orme de potentialit errantes, multiplient les eorts pour rencontrer leur crateur , le

    ralisateur, et cest l que le lm voque les cyborgs rplicants de Blade Runner(bas sur le roman de 1968 de

    Philip K. Dick, Do Androids Dream o Electric Sheep?), qui cherchaient de mme leur crateur pour acqurir plus

    de vie. Dans Otolith III, cependant, de subtiles dirences surgissent chaque rptition de la rencontre : ainsi,

    une ois, les personnages rient, doutant ouvertement de la capacit du ralisateur savoir ce quimplique rver de

    lumire, tandis que plus tard, ils laccusent de se servir deux comme de ses cobayes. Puisque le ralisateur Ray est

    dcd en 1992, ce scnario, son tour, bauche une trajectoire vers un pass imaginaire.En prenant pied sur le terrain de la science-ction, Otolith Group ne ait pas que critiquer la ralit actuelle un

    monde menac par la pression croissante dtrangers illgaux, exploite par des marchands de peur nationalistes ,

    mais il rinvente ce monde sur la base dune appartenance commune et de lamiti. Quant The Alien de Ray, ce lm

    jamais ralis se positionnait dj contre la logique de la guerre roide, une priode o la gopolitique se transposait

    dans la science-ction par un ennemi (habituellement lURSS) dpeint sous les traits dtrangers diaboliques (ici,

    la Zone de Stalker revient une ois de plus, sous la orme dune gographie hante par la peur). Lintervention

    salutaire de Ray redonna une place dami lextraterrestre, lanant un nouveau paradigme ctionnel dans lequel

    le soi souvre la dirence de manire empathique, permettant de recongurer le monde sensible en remplaant

    des antagonismes destructeurs par des anits mimtiques. Mme lorsque les personnages dOtolith IIIcritiquent

    vertement Ray, armant que son cinma de lamiti qui a connu son accomplissement avec le lm E.T.lextra-terrestre(1982) de Steven Spielberg, dont les conditions ont t rendues possibles par le scnario de

    Ray a chou renverser lpoque des ennemis qui dnit en grande partie les relations internationales,

    les spectateurs sont invits sidentier aux personnages qui emploient les pronoms de la premire personne,

    je , nous et moi , et auxquels le public sattache acilement , lesquels se voient eux-mmes rracts

    dans une srie de corps possibles, ormant des identits mouvantes situes dans les lms historiques de Ray

    et de Sagar, de mme que dans les extraits tourns dans les rues du Londres contemporain. De cela rsulte une

    rorientation sociale radicale, autant du point de vue de la n des annes 1960 vu le contexte antagoniste

    marqu par lescalade de la guerre du Vietnam et, en Asie du Sud, la pression de plus en plus vive du nationalisme

    dans le utur Bangladesh, qui allait mener sa scession violente du Pakistan que du point de vue actuel, une

    priode dnie par une xnophobie croissante et le retour du nationalisme.Le paradigme de Ray de lextraterrestre amical est, enn, remani par Otolith IIIgrce une reconceptualisation

    de la structure du montage. Plutt que dinciter au choc par le biais dun montage dialectique , ce qui mettrait

    alors laccent sur une rupture reprsentationnelle qui, selon les mots de Rancire, investit une puissance

    chaotique dans la cration de petites machineries de lhtrogne , le lm dOtolith Group prre miser sur ce

    que le philosophe dsigne par le terme de montage symbolique . Selon cette ormule, les lments qui sont

    trangers lun lautre [...] tablissent une amiliarit, une analogie occasionnelle qui tmoigne dune relation

    plus ondamentale dappartenance commune, un monde partag o les lments htrognes sont runis dans une

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    mme abrique essentielle, et sont pour cette raison mme toujours prts tre rassembls au gr de la raternit

    dune nouvelle mtaphore 21. Le lm qui conclut la Trilogie Otolith rarme donc le modle de lm-vnement en

    tant quontologie ouverte et se positionne contre lindustrie du cinma . Le personnage de lindustriel dira que le

    cinma prend la part de limage, au dtriment de lhonneur de lvnement . Ce aisant, il est pass un cheveu

    de nous dtruire. Et il me tuera si je le laisse aire. Cest prcisment contre cette ventualit quOtolith III et deait la Trilogieentire se dend, ce qui atteste de sa qute dune voie permettant de procder un sabotage crati

    de lavenir , comme il le dit22. Une telle intervention est devenue ncessaire, parce que si limage tait comprise

    comme une reprsentation totale autrement dit, comme une soumission au rgne du prsent inormationnel de

    loppresseur, la croyance que rien nexiste au-del de limage, ou encore que rien ne peut tre produit par elle ,

    quel espoir subsisterait-il pour lart et pour la politique ? Que audrait-il alors, pour saboter crativement et par la

    mme occasion rescaper lavenir ? Pour le sauver des gries de ceux qui totalisent limage ? La rponse surgit

    la n du lm, un moment o prvalent la ois une vulnrabilit sincre et un vritable esprit de collaboration.

    Elle est nonce par lun des personnages dOtolith III, qui semble sexprimer au nom de tous, alors mme que leur

    propre survie nest pas assure. Il prononce alors ces mots simples : Jaurai besoin de mes amis. Nous aurons

    besoin les uns des autres23.

    Cet essai a dabord t publi dans The Otolith Group (ed.),A Long Time Between Suns, New York/Berlin: Sternberg

    Press, 2009.

    21 Jacques Rancire, The Future o the Image, traduction Gregory Elliott, London, Verso, 2007, pp. 56-57.La conception de Rancire du montage symbolique rappelle le concept de Walter Benjamin, dsign par lexpression acultmimtique qui, labor la veille de la Seconde guerre mondiale, voque des similarits non-sensuelles entre les sujets et lesobjets. Gnrant des anits, ces similarits voquent un monde mystique et primordial au sein dune appartenance commune celle davant la Tour de Babel.Voir Walter Benjamin, On the Mimetic Faculty , in Refections, Peter Demetz, dition Edmund Jephcott, New York, SchockenBooks, 1986.22 La phrase est de la sociologue Melinda Cooper, qui crivait : Devant une politique qui prre travailler dans un tempsspculati, ce quil aut est quelque chose comme un sabotage crati de lavenir : une praxis de la rsistance prventive capable

    de crer un avenir hors des rontires polices du droit dauteur. Il sagit dune ormule de rsistance abstraite qui sapplique diverses questions, telles que la capitalisation de la sant et des pensions de retraite, les brevets biologiques de toutes sortes etmme la commercialisation des lments, cest--dire de leau privatise aux droits ngociables de pollution, en passant par lescrdits de catastrophes environnementales. Voir Melinda Cooper, Preempting Emergence: The Biological Turn in the War on Terror , in Lie as Surplus: Biotechnology andCapitalism in the Neoliberal Era, Seattle, Presses de lUniversit de Washington, 2008, p. 99. Merci Otolith Group pour cetterrence.23 Une autre solution semblable est prsente dans le lm dOtolith Group Nervus Rerum (2008), qui choisit la stratgie delopacit en relation avec limagerie du camp de rugis de Jenine. ce propos, voir mon essai The Right to Opacity: On TheOtolith Groups Nervus Rerum , October 129, t 2009, et sur le mme sujet, The Otolith Group et Irmgard Emmelhainz, ATrialogue on Nervus Rerum .

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    Notes sur la scriptologiePar Morad Montazami

    Hypothses de dpart :

    Malgr les apparences, Otolith Group ne ralise pas vraiment des lms. Ce sont plutt des programmesau double

    sens politique et inormatique de ce mot. Politique, non pas quils uvrent en aveur dune idologie ou

    cherchent convaincre, mais plutt, que les oprations lies et spares du direet du montrer, du lire

    et du monter, nous invitent les repenser comme telles. Cest--dire sous-tendues pas des politiques de la

    voix (qui parle ?), de la gure (qui voit-on ?), du cadre (quelles sont nos limites ?), du rythme (comment se

    dplace-t-on ?). Inormatique, non pas que ces oprations soient rgies par lautonomie dune pure et simple

    machine, mais plutt, quelles organisent le traitement dun savoir (in)connu et stock (voire mort) en vue de

    ses propres mises jouret dtournements. Ainsi aux oprations prcdentes, il convient dajouter celles du

    souvenir et de la promesse, ou le tic-tac de laiguille oscillante sur le tableau de bord de lhistoire. Il en

    ressort, sinon de purs lms, des lms-en-puissance ou des lms-diagrammes : o lon trace, transcrit, arpente et

    invente en mme temps. Comment interprter ce voyage sans n (Mumbai, Londres, Moscou, la Voie lacte) o

    chacune des escales nous inspire la ois de commencer lcriture dun livre et de rechercher tous les livres quiauraient bien pu scrire si leur auteur stait arrt l ? Peut-on concevoir une science qui prendrait en charge

    autant les manires de prdire, de projeter, dimaginer que celles darchiver, de relire et de relier, une science qui

    transorme les textes en images du utur et les images en textes du pass ? Se dnissant aux marges de tous les

    mediums cinma, littrature, thtre, dessin, posie dont elle gnre plutt les passages intermdiaux, elle

    prendrait alors le script comme systme complexe de ses questionnements et de ses exprimentations. Cette science

    sappellerait la scriptologie 1.

    Notes continues :

    Non seulement Otolith IIInest pas un lm mais il est au moins 99 lms la ois. Travers par un cyclone desources htrognes (images darchives, prises de vue, documents, actualits, etc.) dont il se ait le vortex, il nen

    rejette jamais les bribes rsiduelles dans les listes noires de lhistoire du cinma. Il cherche plutt se rgnrer

    dans ces listes mmes o il exhume des gures et des thmes en exil. Il y a les bruits de tambours et de cloches,

    dvalant sur les images, rracts en cho depuis ceux que donnait entendre Chris Marker dans les voyages de

    Sans Soleil(1983) au Cap-Vert et Tokyo. Des bruits exils dans Otolith IIIqui leur tour rractent lcho mais

    non en sens inverse. La scriptologie soccupe moins de citations et dintertextualit que dchos et dacoustique. Elle

    ne considre pas le bruit comme un excdant du contenu inormationnel (ou de la musique) mais comme lespace

    potentiel dune trajectoire pour ces gures rebondissant dexil en exil. Les tambours et les cloches prrent donc

    sexiler nouveau, ailleurs, en Inde. Le voyage continue : la scriptologie ne vise pas se replonger dans lhistoire

    du cinma pour recommencer les choses selon la mme ide, le cinma nest quune des destinations o elle chercheles ormes archo-motrices (une ligne traant sur papier ou rmissante dans une tasse de ca) qui donnent

    naissance aux ides avant leur matrialisation en objet (premake). Ce qui intresse les scriptologues en lmant

    un plateau de tournage (Otolith II), ce nest pas de saisir et montrer les trucs du cinma, par lesquels se rvle

    sa nature articielle de spectacle ou de compromis avec la ralit. Cest bien plus de montrer des objets prendre

    vie au contact des corps ascins par leur pouvoir dattraction et qui coexistent avec ces corps dans un espace-

    temps ncessairement uturisteo les rontires de lhumain et du non-humain, du spirituel et du rationnel, sont

    radicalement djoues.

    Call it a premake, prcise la voix-o en parlant de Otolith IIIqui ne se veut ni un lm sur, ni daprsle cinaste

    indien Satyajit Ray (comme le t Shyam Benegal en 1984 avec Satyajit Ray, the Filmmakerqui entre aussi dansle vortex). Les quatorze lms ralissde Satyajit Ray cits dans le gnrique de n et utiliss titre darchives

    durant ces 49 minutes servent une scriptologie qui arpente ici son lm non ralis(ou virtuel), The Alien. Film qui

    aurait d commencer avec latterrissage dun vaisseau spatial au Bengale et mettre en scne cinq personnages :

    le ralisateur, lingnieur, lindustriel, le journaliste et le garon. Voici alors que ces tres de papier ressuscitent

    dans Otolith III, comme des scnarii somnambuliques prtant direntes voix narratives qui enqutent sur leur

    1 NDR : Toute ressemblance avec une science existante qui aurait pour objet ltude orthographique et graphologique des languesanciennes ne saurait tre que ortuite.

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    rincarnation possible aujourdhuidans les rues de Londres. On repense Pasolini aux abords du Gange, braquant

    sa camra fneuse sur les visages possibles de sa propre immersion, pour ses carnets de notes sur un lm sur

    un lm sur lInde2 (un lm la ois existant et venir). Les ventriloques dOtolith IIIont un pouvoir momentan

    de voix ou de mort sur leurs spectres : le ralisateur demande au garon : Comment mas-tu retrouv ? Tu

    nexistes mme pas , et celui-ci de rpondre je voudrais plus de vie Pre 3. Les scriptologues ne sintressentpas aux rles des acteurs, ils arpentent les uvres dautres auteurs pour rveiller les spectres quils ont imagins

    et ainsi les amener danser sur dautres pistes. Mais surtout pour dissquer les spectres eux-mmes, loin de toute

    identit ou culture, toucher la multiplicit qui les hante un spectre est habit par dautres spectres lhybridit

    qui les ait vibrer et ce avec dautant plus de succs quils sont rests chez ces auteurs ltat de gestation :

    lms non raliss, document non archivs, voix non enregistres et si Eisenstein avait tourn son projet de lm

    prenant Le Capitalde Marx comme script dune mthode , non pas tant [pour] divulguer un corpus des ides

    de Marx quaider le spectateur devenir marxiste 4 ? Et si Sergue Paradjanov navait pas t censur et avait

    ralisla scne du script Les Fresques de Kiev, o la emme sassoit sous LInante Marguerite[de Velasquez] et

    cache son visage derrire sa main 5 ? Et si nous nous mettions raliser des uvresconsignes dans louvrage

    ponyme de lcrivain-photographe douard Lev6 ?

    Mais encore autant de scripts derrire des uvres non publies voire non lgendes. Ainsi des dessins de Jack

    Kirbyralissen 1978 pour ladaptation cinmatographique non ralisede Lord o Lightpubli par lauteur de

    science-ction Roger Zelazny en 1967. Notons galement que les dessins de Vidya Sagar ne comportaient pas de

    titre avant quOtolith Group ne les re-date et ne les renomme pour leur exposition en 2011. peine croirait-on

    la prsence dun auteur ou dun narrateur, lombre dun autre surgit par-dessous. Par ailleurs The Secret King in

    the Empire o Thinking(pice sonore de lexposition), qui dcrit ces dessins mconnus de Jack Kirby, montre que

    les scriptologues ne lisent pas lavenir dans les entrailles du pass mais relisent le pass au utur. La scriptologie ne

    sintresse donc pas aux uvres selon des critres de paternit et dautorit, elle est une science des constellations

    possibles entre pass et prsent, selon des critres de rexposition, de ralisation et de ractualisation historiques.Elle navigue entre les eaux dormantes de linachev et les sables mouvants de lindit. La science-ction nest pas

    pour elle un rpertoire de mondes oniriques et immmoriaux mais un rapport au temps de lordre de l invention,

    travers des objets-projets daire et reaire successivement : combien de Chandigarh rvs nauront jamais

    t construits ? , demande la narratrice par opposition au Chandigarh de Le Corbusier7. Ou comment trouver les

    passages entre larchitecture relle, larchitecture-maquette, larchitecture-plan et larchitecture-ction (Otolith II).

    La gravit spuisant peu peu et passant mme par la gravit zro du cosmos, on touche larchitecture du temps

    et des vnements eux-mmes : la rencontre Moscou en 1973 entre Valentina Terechkova, premire emme

    cosmonaute, membre du parti communiste, et Anasuya Gyan-Chand, prsidente de la Fdration nationale des

    emmes indiennes (Otolith I). Les scriptologues ne se contentent pas dexhumer les uvres non produites mais ils

    produisent eux-mmes dautres uvres non produites ( aire) ; quelles soient architecturales ou romanesqueselles sont donc toujours politiques. Ds lors le processus luvre ne se rsume pas au principe constructiviste de

    montage comme collage des htrognes, clbration de lcart et de la discontinuit.

    Si la scriptologie reste malgr tout une science des intervalles, ils accueillent dabord les phnomnes dcriture

    hiroglyphique ou chimrique : un masque dmoniaque tir du thtre N japonais et une sculpture dlphant

    hindoue, tous deux consubstantiels dans leur onction de repose-pieds (ceux du ralisateur-spectre de Otolith III)

    sont soumis transsubstantiation, lun dans lautre entre le masque et llphant sopre un calcul entre

    des chires contenant chacun leur promesse destine au mme utur. Au lieu dune calculatrice, cest le vortex

    2 Pier Paolo Pasolini,Appunti per un lm sullIndia, 1968, 34 min.

    3 How did you nd me, you dont even exist [] I want more lie Father , voir Otolith III. Voiceover script , in OtolithGroup, A Long Time Between Suns, Berlin-New York, Sternberg Press, 2010, p. 63. Prcisons ici que les trois lms dOtolithGroup apparaissent entirement ltat de script pour voix-o dans ledit ouvrage.4 Sergue Eisenstein, Un lm sur Le Capital, in Barthlmy Amengual, Que Viva Eisenstein, Lausanne, Lge dhomme, 1980,p. 585. En bon scriptologue Eisenstein remarque aussi Cest James Joyce qui a dvelopp en littrature la ligne descriptive(gurative) du hiroglyphe japonais , inra, p. 590.5 Sergue Paradjanov, Sept visions, Paris, Seuil, 1992, p. 45 [scenarii de six lms non raliss et scnario original de Sayat-Nova].6 Edouard Lev, uvres, Paris, POL, 2002 [numration et description de 533 uvres dont lauteur a eu lide mais quil napas ralises ].7 How many wish Chandigarh had never been built ? , voir Otolith II. Voiceover script , ., p. 32.

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    o Otolith Group inscrit ses concepts-chimres. Comme sur la peau de bison des indiens dAmrique du Nord,

    inspirant Eisenstein pour son principe dynamique de montage, lorsquil voit les rcits pictographiques qui sy

    inscrivent en spirale. Les scriptologues crivent donc en spirale pour ne pas crire de manire linaire, brisant

    lcriture alphabtique dont lOccident sest prvalu, pour laisser la porte ouverte toutes les philosophies

    possibles 8 et de sorte que la matire des dirents chapitres sore simultanment sous toutes ses incidences 9.Par consquent chaque clat de verre qui jaillit du vortex un visage actuel(de chair) se brise sur un visage virtuel

    (de cire), un lieu sans gure (bureau vide) sur une gure sans lieu (un masque) retrouve un autre clat qui lui ait

    cho, avant de sen daire et de sexiler pour chercher dautres harmonies avec dautres clats. Les scriptologues

    pourraient sentendre ainsi avec Mallarm pour qui lavenir [] nest jamais que lclatde ce qui et d se

    produire antrieurement ou prs de lorigine 10. Si nous revoyons prsent Sans Soleilque sest-il pass ? Quelle

    acoustique des ormes ait glisser dans le geste des chatons de porcelaine et la patte leve (lm par Chris Marker)

    celui des poupes divines indoues exhibant leur paume de main (lm par Otolith Group) ? Les scriptologues savent

    bien quil ne sagit pas den rrer une origine xe mais plutt de dborder largement le point de dpart comme

    le point darrive. En ce sens, Chris Marker et Otolith Group sont comme deux escales de ce long voyage sur les

    ruines du lm documentaire, en direction du lm danticipation, mais sans jamais sy arrter vraiment.

    Le script est la ois un texte de droit certains y questionnent lauthenticit des intentions de lauteur et un

    texte de joie dautres y questionnent le gai savoir des uvres tiches leur tat prnatal. Croire notre pouvoir

    de leacer ou le surpasser est un leurre, le script nous surprend de sa pr-imminence. Il est toujours deux

    doigts de se raliser, cest--dire quil est un roman/essai-en-puissance plus exactement un lm pensable sur

    un roman laiss ltat de notes et non plus un simple prtexte tournage. Mais cette imminence de la orme

    marche contretemps sur des lapses de temps spirals. En ce sens, rcrire le script na aucun sens, et lorsque nous

    nous y garons (dans ses spirales) cest pour mieux cacher la main du script elle-mme qui nous guide dans cette

    rcriture. Nous croyons en dplacer les zones, en dvier les routes, mais en ralit elles ne ont que se r-agencer

    delles-mmes, telles des orces occultes11. Le script est peut-tre crit mais il nest pas g. Cest le tissu palpabledune image -venirou dun micro-instant arrt dans londoiement de toutes ses gures-bres. Lorsque lon dit

    dun roman quil est adapt au cinma, on se tromperait de croire que lopration consiste transormer le dit

    roman en un script (puis en un lm). En ralit on devrait mieux dire quil a t atomis ds lors que ce lm

    nest que ltoilement de toutes les voies/voix scriptologiques contenues dans ce roman.

    Comme toute science impure la scriptologie a plusieurs visages. Les scriptologues sont la ois essayistes,

    astronomes, archivistes, griots, traducteurs, cartographes et joueurs dchec. Ils sont aussi comme ce passager du

    mtro qui, tomb dans les limbes du sommeil et son tunnel noir, se rveille une autre station que sa destination.

    Il (ou elle) voudrait bien que lautomatisme de la machine le ramne bon port mais il est dj trop tard pour viter

    le royaume du utur antrieur, temps de prdilection des scriptologues. Cest--dire entre le utur et lavant-utur.Mais avant quil ait pu se rpter, lorsque je serai arriv ma station je me rveillerai , le trajet qui se prsente

    maintenant lui est celui dune mission dj accomplie, un pays dj visit. Il invente alors les aons de revenir,

    bien quil ny ait dsormais, sous ses pas, plus que les terres de lavenir.

    8 Les possibilit du cinma tiennent sa capacit de rassembler des documents, de laisser la porte ouverte toutes lesphilosophies possibles, de donner des illustrations de la vie, tout au long de la sombre destine dun reprsentant jadis intressantdu antastique [], dun chanteur connu dont le jeu vous donne envie de lentendre chanter sur scne. Bertold Brecht, Moinsdassurance ! , in Sur le cinma, Paris, Larche, 1970 [ date probable : 1926]9 [] il est certain que si quelque procd permettait de prsenter les livres de telle sorte que la matire des dirents

    chapitres sore simultanment sous toutes ses incidences, les auteurs et leurs usagers y trouveraient un avantageconsidrable Jacques Derrida, De la grammatologie, Paris, Minuit, 1967, p. 130 [note 35]. Rfchissant encore ladirence entre criture phontique/alphabtique et criture idogrammatique, Derrida note que lcriture [] est laparole ce que la Chine est lEurope , inra, p. 41.10 Tir de la note mthodologique de 1895, voir Stphane Mallarm, uvres compltes, rubrique Proses diverses, Paris, Gallimard(coll. Pliade), 1989, p. 854-856. On ne manquera pas de remarquer le curieux usage de cette citation chez Julia Kristeva,Smiotik. Recherches pour une smanalyse, Paris, Seuil, 1969, p. 170, o Mallarm ny parle plus de l avenir mais de la littrature en gnral. Ou comment distinguer usage scriptologique et alsication.11 Et si lchec du lm navait rien voir avec les eorts du ralisateur ? Et si il y avait dautres orces qui empcheraient laralisation du lm ? / What i the ailure o the lm had nothing to do with the eorts o the director ? What i they wereother orces preventing the realization o the lm ? , demande la voix de lindustriel, voir Otolith III. Voiceover script , op.cit., p. 58.

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    Exhibitions presentationBtonsalon presents the rst solo exhibition in France by The Otolith Group, the London-based artist collective ounded byKodwo Eshun and Anjalika Sagar. Concerned with exploring the legacies and potentialities o the essay lm, cosmopolitanmodernisms, speculative utures and science-ctions, The Otolith Group has developed a multiaceted practice that integrates

    video and lm making, exhibition curation, publication and the elaboration o public platorms.

    At the core o the exhibition is The Otolith Trilogy, consisting oOtolith I(2003), Otolith II(2007) and Otolith III(2009), eacho which considers the potential o specic political and cultural moments to evoke alternative utures. Projected according toa set schedule, these essay-lms alternate with assemblages that revisit The Otolith Groups lecture perormance CommunistsLike Us(2006), their audio-essayThe Secret King in the Empire o Thinking(2011) and the work o Marvel comics artist JackKirby and artist Vidya Sagar, both o which inormed the methodologies oThe Otolith Trilogy.These assemblages, designed specially or Btonsalon, constitute a near-subliminal exhibition that appears and disappears withinthe scheduled screenings. The olding o a temporary display inside a scenographic proposition opens up new passagewaysthrough The Otolith Groups constellation o allusions and reerences. As an experiment with the conditions o making methods

    visible and audible, A Lure a Part Allure Apartembraces and extends The Groups preoccupation with the disjunctions otemporality and the sciencections o the alternative present.

    Otolith Iis set in the 22nd Century, when humans are no longer able to survive on earth and live in permanent microgravity

    onboard the International Space Station (ISS). Otolith Iis narrated by exoanthropologist Dr. Usha Adebaran Sagar, the uturedescendent o Anjalika Sagar; Adebaran Sagar reconstructs lie as it was on earth through her research into the archives odead media. Staging an encounter between the anger and depression o the 2003 protests against the Coalition o the Willingsinvasion o Iraq and the real-lie meeting in Moscow, 1973 between cosmonaut Valentina Tereshkova, the rst woman to orbitthe Earth in 1963 and Anasuya Gyan-Chand, President o the National Federation o Indian Women, Otolith Ievokes the non-metaphorical weightlessness o alien intimacy.

    Again narrated by Dr.Adebaran Sagar, Otolith IIdescends rom the agravic environment o the ISS to compare the hypergraviccompression o Dharavari, Mumbais megaslum with the mid-century planned urbanism o Chandigarh. Otolith IIexploresthe pressures endured by citizens inhabiting these contrasting and competing versions o the city o tomorrow. Contemporarymoments rom lives lived in the shadow o Le Corbusiers megastructural complex are juxtaposed with scenes o immateriallabour on the sets o Film City in Mumbai and in sweatshops in Dharavi. Otolith IIsurveys and resurrects the transtemporal

    ragments o post-Independence modernism via uture-invocative alliances between socialist eminism, Nehruvian secularprojects and transnational solidarity in order to assemble a present-day zodiac o the possible.

    Otolith IIIinhabits the unrealised potentialities o Satyajit Rays screenplay or The Alien, a lm that was never made. Writtenin 1967, The Alien would have been the rst science-ction lm to be set in contemporary India. Otolith IIIreturns to 1967 topropose an alternative trajectory in which the ctional protagonists oThe Alien conront Ray and attempt to seize the meanso production in order to redeem their unnished status. Reconguring visual and aural sequences rom ourteen Rays lms;drawing upon Jack Kirbys visualisations or the unrealised screenplay o Roger Zelaznys novel Lord o Light (1967); andinormed by the methodology o Pier Paolo PasolinisAppunti per un lm sull India(1968), Otolith IIIcoalesces into a premake(an expression borrowed rom Chris Marker designating a remake that is completed beore the original) o Rays lm.

    Scheduled to appear ater the projection oOtolith I, the rst in a series o three assemblages designed orA Lure a Part Allure

    Apartrevisits The Otolith Groups Communists Like Us (2006). Conceived as notes towards Otolith II, Communists Like Usarranges a dialogue between Soviet and Maoist delegation photographs o socialist internationalism, the subtitled conversation

    between activist and philosopher Francis Jeanson and Vronique, his Maoist student, played by Anna Wiazemsky in LaChinoise(Jean-Luc Godard, 1967) and compositions by Cornelius Cardew and Ennio Moricone.

    The second assemblage, which begins ater the conclusion oOtolith II, is the audio-essayThe Secret King in the Empireo Thinking(2011). Narrated by Anjalika Sagar, the essay is a redescription, set in an undated uture, o Jack Kirbys 1978

    visualisations. Made two years ater the release oOtolith IIIin which Kirbys science-ctional illustrations played a substantialrole, The Secret King in the Empire o Thinkingindicates The Groups propensity to revisit their constellation o reerences soas to invoke the times and spaces o the revenant.

    The Secret King in the Empire o Thinkinganticipates the third assemblage and proposes the nal old in the spatiotemporality

    o the exhibition. Appearing ater the conclusion oOtolith III, a projection announces a commission by The Institute For TheExtraterrestrial Cultures in 2014, entitled Protocol Division, Biohazard Facility For Visitation Sector 7, Quadrant 6, Naxalbari,Bengal. This institutional ction has travelled outside its initial appearance in Otolith IIIin order to provide a rame or theworks o Jack Kirby and Vidya Sagar, which emerge in two designated areas within the space o Btonsalon, or the time othis assemblage. Sagars seven pastels and Kirbys ten photographic prints are co-related with a series o projected numbers,imaginary titles and prospective dates, all o which operate to locate Sagar and Kirbys works within the ctions o theexhibition. By linking delayed memories with anticipated presences and reordering scripts and sounds with images and voices,the scenography oA Lure A Part Allure Apartreveals itsel to be the inernal cycle o an involuted universe.

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    Between 20039, the Otolith Group a collaboration ounded in 2002 by London-based artists, theorists, andcurators Kodwo Eshun and Anjalika Sagar created the Otolith Trilogy, a remarkable series o essay lms that

    engage the uncertain interval between aesthetic and political commitments. Building its lms rom disparate visual

    sources, including the lm and photo archives o Sagars amily in India, recordings o scripted events, and live-

    action documentary ootage (such as shots o 2003 anti-war protests in London, and o Mumbais megaslums),

    the group also adds ambient sounds or atmospheric expression and, most important, narrative voiceovers that are

    at once poetic and analytical, political and subjective. From this lmic assemblage o material diversity which

    denes the essay lms constitutive heterogeneity the Otolith Group inquires into the disjunctions o temporality,

    providing investigations ounded on the conviction that the deepest engagement with reality necessarily verges on

    the ctional1. Proposing something o a temporal deconstruction that olds together past, present and uture, the

    Group opens a route to challenge the current unolding o globalisation, particularly its outcome presumed to be the

    result o historical inevitability2. Resuscitating the aspirations o socialist collectivism, the Non-Aligned Movement

    and eminist and postcolonial struggles during the 1960s and 1970s, the group deepens the signicance o its

    early twenty-rst century political engagement by establishing lines o continuity with and, perhaps equally

    important, signicant dierences rom those inspiring but now oten orgotten historical episodes. On the basis

    o the Groups lmic destabilising notion o time, our present emerges as ar less certain as it might seem.

    Otolith I (2003), tells its story rom the imagined perspective o Dr. Usha Adebaran Sagar, o-world

    paleoanthropologist, who, in the year 2103, imagines our conficted present, a time o ambient ear, through the

    journal o her ancestor Anjalika Sagar, ocusing in particular on entries dating rom the raught spring o 2003.

    Appearing in the lm as its unseen narrator, Usha muses on the protests against the American invasion o Iraq,

    mixing her own speculation with Anjalikas observations as she explains: it is as i the unprecedented nature o

    the massive global demonstration could through its very unlikeliness turn the inevitable into the possible long

    enough to alter our ate. What would it mean to turn the inevitable into the possible that is, into the merely

    possible as opposed to the oreordained? Rather than resignedly concede that America did in act invade Iraq,

    with disastrous results, Otolith Iprojects a subversive charge back into the past.

    In its conceptualisation o the ever-unolding nature o the event, the Otolith Trilogyenergises what the group in

    a creative appropriation o Italian philosopher Giorgio Agambens notion o potentialities terms past-potential

    utures, a ormulation that describes their seeking to reanimate bygone dreams o the uture that may never yet

    have come to pass3. For instance, while ranging over several remarkable intergenerational and cross-cultural

    convergences, Otolith Is central point o crystallisation is a real-lie meeting in 1973 in Moscow between the

    Russian cosmonaut Valentina Tereshkova, the rst woman to travel into outer space, and Sagars grandmother,

    Anasuya Gyan-Chand, who was President o the National Federation o Indian Women. Vintage 16mm ootage

    o cheering women in assembly and o Tereshkova in parades and at ocial receptions is screened at dierent

    speeds, perceptually disrupting times seemingly irrevocable continuity. The meeting between Sagars grandmother

    and Tereshkova occurred in the midst o euphoric excitement over space travel, which mirrored burgeoning hopes

    or Indian socialism and its new era o womens rights. In bringing these moments back to lie, Otolith Iquestions

    the ostensible ailures o past collective struggles by resparking their potential to inspire our political imaginary

    today.

    1 For a brie overview o the history o the essay lm, see Nora Alters discussion in Chris Marker(Chicago: University o IllinoisPress, 2006), 1720.2 There is a certain anity here with the historiographic politics o Walter Benjamin, who believed, in the midst o World WarII, that to bring about a real state o emergency and improve our position in the struggle against Fascism it was necessary toobtain a new conception o history. See his Theses on the Philosophy o History, in Illuminations, ed. Hannah Arendt, trans.Harry Zohn (New York: Shocken, 1968), 257. The Otolith Group, in similar ashion, contests the progressivist and linear historicalbasis o globalisation today.3 See Giorgio Agamben, Potentialities: Collected Essays in Philosophy, trans. Daniel Heller-Roazen (Stanord: StanordUniversity Press, 1999).

    Sabotaging the utureBy T.J. Demos

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    Consequently, history is shown to be an open ontology, one that can never be ully written 4. Past events are

    revealed to be inused with potentiality, which names more than the merely possible, as in its irreducibility to

    the actual; it also designates, or Agamben, the capacity to not not be. Here, in the space o the double negative,

    potentiality touches actuality, but with a dierence: its critical interval represents a source o decisiveness and

    imagination, in distinction rom the robotic gestures o thoughtless habit or automatic refex. In similar ashion,the ambition oOtolith Iis to coax the sleeping vitality o ormer political engagements into present realisation,

    reusing to let them simply ade away, to not be5.

    In taking up the essay lm, the Otolith Trilogy reanimates the experimental lmmaking o such diverse

    predecessors as Black Audio Film Collective, Harun Farocki, Anand Patwardhan, and Chris Marker. A key reerence

    is Markers Sans Soleil(1983), which investigates two extreme poles o survival in Japan and Aricas Guinea

    Bissau, disparate geographical contexts juxtaposed by a collection o documentary shots o everyday lie, and is

    presented under a politically poignant and subjective narration delivered by a woman who reads the letters rom

    a riend and traveling lmmaker, the ctitious Sandor Krasna. In addition, Markers playulness with temporalityand geography at one point in Sans Soleil, the narrator identies a volcanic landscape as a possible setting or

    a science ction lm and allusions to lms never made have played an important role or the ormation o

    the Otolith Groups lms. Also signicant or Otolith Is development is Black Audio Film Collectives The Last

    Angel o History(1995), a quasi-documentary lm about the intersection o the uturistic poetics o Arodiasporic

    electronic music and science ction, situated within its own sci- tale (in which Eshun appears as one o several

    commentators). In addition to the legacies o French New Wave lm and New German cinema, both Markers and

    Black Audio Film Collectives lms are crucial orerunners to Otolith Is poetic, epistolary ramework, its use o a

    ctional storyteller, and the narratives subjective rendering o historical and political judgments.

    Acknowledging these practices as urther past-potential utures Markers in France ollowing the events o

    May 1968, and Black Audios in the years ater the race riots in Thatchers Britain deepens the Otolith Groupsengagement by casting their practice into the longue dureo transgenerational aliations (challenging the post-

    historical claims o the present), while endowing its own orbearers with new critical purchase. Such homages

    elucidate the groups historiographical ethics, revealing the reverberating anities o the Otolith Groups rhetorical

    strategies and recovering the living potentiality o still other dreams that would seem to have died decades ago6.

    Throughout Otolith I(and Otolith II), space travel serves as a metaphor or temporal disequilibrium (here Markers

    post-apocalyptic lm made mostly o still images,

    La Jete(1962), is not too ar away). The twenty-two-minute narrative o the rst lm segues enigmatically rom

    those early shots o anti-war marches in London in 2003 to documentation o Anjalikas subsequent journey

    to Tereshkovas old training camp in Star City, outside Moscow, now retted or commercial tourism. Taking a

    parabolic fight aboard a repurposed Russian military aircrat the kind once used to prepare cosmonauts orspace missions Anjalika is shown entering zero gravity. According to the lm, the disorienting, magical images

    o her sleeping body foating in mid-air oreshadow a coming reality in which human beings will migrate to outer

    space. Over time, their otoliths motion-sensing organs in the ears that orient the body to Earths gravitational

    eld will cease to unction, eectively exiling Homo sapiens rom their home planet. This ctional conceit reveals

    4 That such a ormulation diers radically rom earlier notions o photographic representation is made clear when Otolithsnotion o the photographic event is compared to Andr Bazins notion o the closed ontology o the photographic image. Enactinga transer rom the thing to its reproduction, cinema is objectivity in time, Bazin explains; it embalms lie. See Andr Bazin,The Ontology o the Photographic Image, Film Quarterly 13, no. 4 (Summer 1960): 49. For a historical contextualization, seeMichael Renov, Introduction: The Truth about Non-Fiction, in Theorizing Documentary, ed. M. Renov (New York: Routledge,1993), 4, n. 9.5 In his helpul introduction to Agambens Potentialities, Heller-Roazen explains that although what is potential can both be and not

    be, it is also capable o not not being and, in this way, o granting the existence o what is actual (16, 18). And more: This is whyAgamben writes, in an important passage in Homo Sacer, that potentiality and actuality are simply the two aces o the sovereignsel-grounding o Being, and that at the limit, pure potentiality and pure actuality are indistinguishable. (18).6 For the 2007 Athens Biennial, the Otolith Group collaborated with Chris Marker to produce Inner Time o Television, a projectthat screened Markers The Owls Legacy, (1989), a rarely seen 13-part television series on the aterlives o Ancient Greece. SeeThe Otolith Group, Inner Time o Television (Athens Biennial, 2007). The Otolith Group also organized the recent retrospectiveo Black Audio Film Collective, which opened in 2007 at Foundation or Art and Creative Technology (FACT) in Liverpool,and edited the catalogue The Ghosts o Songs: The Film Art o the Black Audio Film Collective, 19821998, ed. Kodwo Eshunand Anjalika Sagar (Liverpool: Liverpool University Press, 2007). In addition, the group is co-curating Against What, AgainstWhom?, a orthcoming exhibition o lms by Harun Farocki at Londons Raven Row and Tate Modern in 2009, which will includea substantial catalogue.

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    the lms stakes in the potentiality o non-linear time: the evolution o human beings into an expatriate species

    signies both a release rom the gravity o history that is, rom the notion that time progresses implacably in

    only one direction and a critical detachment rom the present.

    To achieve such displacements, the group couches documentary ootage in imaginary scenarios, a combination that

    approximates what or philosopher Jacques Rancire is lms undamental structure as a complex medium thatmerges mechanical recording and subjective rendering7. Situating the Otolith Trilogywithin that irreducible hybridity

    renders the precise division between the actual and the imaginary impossible or, alternately, shows how truth is

    reinvented on the basis o ction8. For Rancire, ction (as rom the Latin, ngere) means to orge, rather than to

    eign, and thereore what he appropriately calls documentary ction recongures the real as an eect to be produced,

    rather than a act to be understood9. Documentary ction, Rancire contends, invents new intrigues with historical

    documents, and thus it touches hands with the lm able that joins and disjoins in the relationship between story

    and character, shot and sequence the powers o the visible, o speech and o movement 10. As a result we cannot

    think o documentary lm as the polar opposite o ction lm, Rancire explains in his chapter dedicated to

    Marker11. Far rom being opposed to ction, documentary is actually one mode o it, joining both in continuity and

    confict the real (the indexical, contingent elements o recorded ootage) and the abulated (the constructed, theedited, the narrative) in cinema. The imagery that results as in the Trilogys heterogeneous combinations o archival

    documents, live-action ootage, ctional dramatisations, voiceover narration, and diverse sound tracks represents

    a radical transormation o the old Platonic opposition between real and representation, between original model and

    second-order copy. In this way, Rancire argues, thoughts and things, exterior and interior, are captured in the same

    texture, in which the sensible and the intelligible remain undistinguished 12.

    What would it mean to treat the real as an eect to be produced, rather than a act to be understood? It would not

    be wrong to say that the Otolith Trilogyconcerns the construction o memory created against the overabundance

    o inormation as well as against its absence, as Rancire writes; only the answer would be incomplete. In deying

    the reign o the inormational-present that which rejects as outside reality everything it cannot assimilate to thehomogeneous and indierent process o its sel-presentation (mass media comes to mind) such depictions also

    must resist the stultiying representation o that reality as merely reproduction13. The opening lines oOtolith Iclaim,

    There is an excess which neither image nor memory can recover, but or which both stand in. That excess is the

    event. That event is not only activated in the lm but also sparked in its reception. There, representation becomes

    a generative orce, a heterogeneous assemblage o images and sounds that in disorienting the viewers perceptions

    elicits active engagement and interpretive agency14. This is the politicising eect o documentary ction, which

    occurs when the potentiality o lm meets the emancipated spectator that is, the one, according to Rancire, who

    becomes his or her own storyteller15. To rame the story o a new adventure in a new idiom, he writes, calls or

    spectators who are active as interpreters, who try to invent their own translation in order to appropriate the story

    or themselves and make their own story out o it16

    . To become a storyteller, however, does not entail a fight intosubjective ancy. Rather, in the case o the Otolith Trilogyit represents an engagement with oppositional histories

    that reuses to accept the post-historical, consensus-based politics orced upon us by those who believe military

    orce brings democracy, that corporate globalization represents equality, and that there is no alternative (to invoke

    Margaret Thatchers unorgettable words) to the unolding o events today.

    7 Jacques Rancire, Film Fables, trans. Emiliano Battista (Oxord, UK: Berg, 2006), 161: Cinema is the combination o the gazeo the artist who decides and the mechanical gaze that records, o constructed images and chance images.8 This connects to what Gilles Deleuze calls the powers o the alse, which describes not so much the abandonment o truthbut its reinvention as a new post-Enlightenment paradigm o historical and cultural contingency. See Gilles Deleuze The Powerso the False, in Cinema 2: The Time Image, trans. Hugh Tomlinson and Robert Galeta (London: Athlone Press, 1989), 126155.Rancire dedicates a chapter o Film Fables to Deleuze s Cinema books.9 Rancire, Documentary Fiction: Marker and the Fiction o Memory, in Film Fables, 158.

    10 Rancire, Prologue: A Thwarted Fable, in Film Fables, 18.11 Rancire, Documentary Fiction..., Film Fables, 158.12 Rancire, Prologue..., Film Fables, 23.13 Rancire, Documentary Fiction..., Film Fables, 158.14 Also relevant here is Deleuze and Guattaris notion o the event: An event can be turned around, repressed, co-opted,betrayed, but there still is something there that cannot be outdated. Only renegades would say: its outdated. But even i theevent is ancient, it can never be outdated: it is an opening to the possible. It goes as much inside individuals as in the depthso society. Gilles Deleuze and Flix Guattari, May 68 Did Not Take Place, in Two Regimes o Madness: Texts and Interviews19751995, ed. David Lapoujade, trans. Amy Hodges and Mike Taormina (New York: Semiotext(e), 2006), 233.15 See Jacques Rancire, The Emancipated Spectator, Artorum, March 2007: 272-280.16 Rancire, The Emancipated Spectator, 280.

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    Continuing the sci- premise o Otolith I, its sequel, Otolith II (2007), hones in on modernitys atermath in

    India. Exploring the countrys legacy o twentieth-century utopian projects, situated in the ailures o present-

    day urbanism and in the conficts between the traditional manuacturing economy and the emerging conditions

    o immaterial labour, the investigation continues as viewed through the eyes o Anjalikas descendant Dr.

    Usha Adebaran Sagar, whose narration is set within this orty-nine minute essay lm. Juxtaposing scenes ocontemporary Chandigarh Corbusiers planned city and symbol o Nehrus secular rationalism and Mumbais

    Dharavi, the citys contemporary megaslum, Otolith IInonetheless avoids telling the expected tale o modernitys

    progressive breakdown. Rather, current-day India pregures both a coming planetary impoverishment as well as

    a model o creative survival within inormal architectures and adaptive urban living.

    The lm commences with Ushas observation that It is the age o human capital, as shots o old textile mills,

    decaying warehouses bathed in speckled light, and dilapidated postindustrial sites are joined with ootage o

    urban construction projects, as we learn the signicance o Ushas insight: most o the mills were bulldozed to

    make way or malls. A ew became lm sets. The process has by no means been smooth or painless. Real estate

    has not only consumed space, but also bodies, as the rights o the urban poor became a new source o wealth, as

    she observes. During the near-uture, the pressure o urban density will only intensiy: Between 2050 and 2060,Earths population reached its maximum growth o 10 to 10.5 billion