cadres de discours & chaÎnes de...
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DEUX MODES DE SEGMENTATION TEXTUELLE :UNIVERS DE DISCOURS ET CHAÎNES DE RÉFÉRENCE
LydiaMai HODAC CNRS/UMR 5610 et Université ToulouseLe Mirail
hodac@univtlse2.fr
1 . ABSTRACT
Discourse universes and referential chains are among the discourse phenomena that contribute to textual organization, and more specifically to textual segmentation. This textual segmentation consists in two mechanisms: bringing together several linguistics unities around a discourse object : circumstance(s) for the former, entity/ies for the latter; and dividing the text into segments which may or may not delimited by formal discourse markers. This paper presents a corpusbased study of the interactions between chains and discourse universes, by applying quantitative analysis concerning the distribution of several discourse markers through different corpora and different textual positions.
2 . RÉSUMÉ
Les univers de discours tout comme les chaînes de référence sont des phénomènes discursifs qui participent à l'organisation du texte, et plus particulièrement, à sa segmentation. Cette segmentation textuelle consiste en deux processus conjoints : regrouper plusieurs unités linguistiques autour d'un même objet de discours : circonstance(s) pour les premiers, participant(s) pour les dernières ; et découper la matière textuelle en segments plus ou moins délimités par des marques formelles : des marqueurs discursifs. Ce travail propose une étude en corpus des interactions entre chaînes et univers de discours qui se base sur des analyses quantitatives de la répartition de certains marqueurs discursifs selon différents corpus et différentes positions textuelles.
3 . INTRODUCTION
Cette étude procède à plusieurs analyses quantitatives de la répartition, dans des textes français, de certaines formes linguistiques impliquées dans la construction des univers de discours et des chaînes de référence. Nous travaillons sur des textes écrits. Le texte écrit est considéré comme un objet résultant d’un acte de discours et constitué de signes lexicosyntaxiques et de signes typodispositionnels disposés sur un certain support. Parmi ces signes, ceux qui nous intéressent ici sont porteurs d'un sens instructionnel, c’estàdire qu’une partie de leur sens sert à guider l’interprétation de l’allocutaire plutôt qu’à exprimer un contenu représentationnel.
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Pour définir ce sens instructionnel, nous faisons appel au modèle de la systémique fonctionnelle (Halliday, 1985) qui distingue trois composantes impliquées dans la construction des textes : la composante interpersonnelle qui se rapporte à la manifestation des intentions discursives ; la composante idéationnelle qui concerne l’expression du contenu, le fait qu’un texte est “au sujet” de quelque chose et de ce fait communique une représentation mentale ; et enfin, la composante textuelle qui intègre tous les moyens linguistiques (moyens lexicosyntaxiques et typodispositionnels pour l’écrit) permettant d’organiser le texte et de guider l’interprétation de son contenu.
La principale distinction entre les univers de discours et les chaînes de référence est de nature textuelle et concerne leur mode de construction. Les cadres se construisent vers l’avant, par une expression initiale, un introducteur de cadre, qui a pour fonction de fixer un repère sémantique (temporel, spatial ou notionnel dans le cas des univers). Ce repère sert alors de critère d’interprétation pour les propositions suivantes. Ainsi, tant que ce critère reste valide, le cadre reste ouvert. A l’inverse, les chaînes de référence se construisent rétroactivement, par connections successives de la phrase en cours au discours précédent. Ainsi, tant qu’il y a des expressions en relation d’identité référentielle, la chaîne continue de se construire.
Par ailleurs, les univers de discours et les chaînes de référence constituent des segments de texte, puisqu’ils délimitent des portions de textes qui ont une cohérence interne. Cette cohérence se situe au niveau idéationnel : autour d’un repère circonstanciel pour les univers et autour d’un même référent pour les chaînes.
4 . LA SEGMENTATION TEXTUELLE
La segmentation textuelle existe à travers le texte par la présence de marqueurs de segmentation. Ces marqueurs signalent plus ou moins la segmentation conceptuelle qui existe, elle, en dehors du texte, au niveau du discours et des représentations mentales qu’il implique. La segmentation conceptuelle consiste par exemple à subdiviser la représentation mentale de tout le discours en plusieurs sousreprésentations, une entité en différentes parties à décrire, une procédure en différentes étapes à expliquer, ou encore une histoire en différents épisodes à narrer. Ces subdivisions sont plus ou moins marquées à la surface du texte par la mise en forme matérielle et/ou par l’utilisation d’expressions particulières et/ou par d’autres facteurs linguistiques comme l'ordonnancement des différents éléments constituant le texte. C’est cette segmentation marquée à la surface du texte que nous
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qualifions de segmentation textuelle. Typiquement, le découpage du texte en unités typodispositionnelles telles que le découpage en sections et en paragraphes est de l’ordre de la segmentation textuelle.
4.1. segmenter = regrouper * découper
Que ce soit d’un point de vue conceptuel ou textuel, il y a dans la définition des segments les notions de regroupement et de découpage, ce que Heurley qualifie de propriétés fonctionnelles et structurelles des blocs informationnels (nos segments conceptuels) :
“Each text was composed of several subparts, each being organized around a single topic, called information blocks. Indeed, an informationally based segmentation procedure revealed that, overall, texts were composed of information blocks (i.e. frame, goal, instruction and results) that were characterized both by functional and structural properties.” (Heurley, 1997, 190)
Heurley mentionne deux propriétés fonctionnelles relatives au critère de regroupement, selon que l’on se place d’un point de vue sémantique (un topique commun) ou d’un point de vue plus rhétorique (une même étape dans le déroulement de la procédure : présentation du cadre théorique, du but, etc.)1. Nous ramènerons cette distinction à celle faite entre le plan idéationnel et le plan interpersonnel. Sur le plan idéationnel, les unités sont liées par le fait qu'elles concernent un même objet de discours, c’estàdire un même (ensemble de) référent(s) ou un même ensemble de circonstances (une même localisation spatiale ou temporelle par exemple). Le segment composé est alors indexé comme étant à propos du référent ou comme s'interprétant dans les circonstances exprimées. Dans les deux cas, on peut considérer que la thématique (au sens large) du segment concerne tant la circonstance exprimée que le référent. Sur le plan interpersonnel, les unités coopèrent à un même acte de langage, à une même intention (voir note 1).
Pour les propriétés structurelles, les blocs informationnels sont généralement délimités par de longues pauses durant le processus d’écriture. La mise en correspondance entre segmentation conceptuelle et segmentation textuelle peut consister à repérer dans les textes les différents marqueurs de segmentation, c’estàdire les traces et signaux (s’il y en a) de ces pauses. Cette correspondance se réalise par exemple par le découpage en
1 Nous retrouvons ici l’idée des structures intentionnelle et attentionnelle de Grosz & Sidner (1986) : aux segments constitués d’éléments regroupés autour d’un topique commun se superposent des segments régis par des intentions discursives particulières, chacune contribuant à la visée discursive générale du texte.
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paragraphes. Mais la délimitation des blocs informationnels correspond aussi à d’autres marqueurs tels que les introducteurs de cadres, certaines expressions référentielles particulières ou certaines constructions spéciales. De plus, il ne faut pas omettre des expressions qui ne marquent pas les bornes d’un segment, mais la continuité d’un segment. Ces expressions, à l'exemple des anaphoriques, renforcent la cohésion d'un segment en tissant des liens entre les éléments présents à l'intérieur du segment.
4.2. Des stratégies de continuité et de discontinuité
L'utilisation d'un texte pour communiquer contraint le locuteur à placer les informations en séquence, les unes à la suite des autres. Or, la représentation communiquée est généralement plus complexe qu’une simple séquence d’informations qui s’ajoutent les unes aux autres. Le locuteur doit alors signaler au mieux comment les informations sont à organiser, ce qui consiste à indiquer à l’allocutaire comment les informations sont à intégrer les unes par rapport aux autres, si elles sont en relation de continuité ou de discontinuité.
“An important task for the writer is to indicate discontinuity within the larger presupposed continuity of the text. In other words, the writer is faced with the tasks to manage the interaction through discourse in sequential terms and to segment discourse into chunks and indicate their boundaries, i.e. the discontinuity between one and another” (Goutsos, 1996, 504)
Ainsi, un segment textuel est composé d’un ensemble d’éléments en relation de continuité (processus de regroupement), ensemble délimité par des marqueurs de discontinuité (processus de découpage). Cette organisation n’est pas une simple succession de segments : des segments de natures différentes peuvent cohabiter dans le texte et donner lieu à une structure complexe faite de hiérarchies entre segments et parfois, d’alternances ou de chevauchements. C’est spécifiquement le cas des univers de discours et des chaînes de référence, comme l’illustre l’exemple (1) où nous voyons une chaîne autour de la référence faite au débat, à la discussion qui évolue à travers trois univers de discours.
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(1)(1) Depuis la fin de la guerre froide, le débat entre spécialistes des relations transatlantiques® s'est trop souvent contenté d'osciller entre les bons sentiments et la simplification. Il® ne s’est pas suffisamment porté sur l’ampleur des changements […]. La première tendance, […]♦Plus récemment, la discussion® s'était portée sur un éloignement supposé des valeurs sociales entre les deux rives de l'Atlantique, auquel les événements du 11 septembre 2001 ont au moins provisoirement mis fin.♦ Ce débat® se poursuit, mais il® est maintenant limité à la sphère de l'analyse sociale. En termes de politique étrangère, cette discussion sur la dérive des continents® a pris la forme d'une opposition entre l'unilatéralisme de la politique américaine et le multilatéralisme de leurs partenaires européens.♦
Dans cet exemple2, nous avons trois marqueurs de discontinuité circonstancielle sous la forme de trois adverbiaux cadratifs initiant chacun un univers de discours, et cinq marqueurs de continuité référentielle sous plusieurs formes : deux pronoms personnels, une description définie incomplète et deux descriptions démonstratives. Notre distinction entre (dis)continuité circonstancielle et (dis)continuité référentielle rejoint la distinction faite entre les circonstances et les entités en jeu dans un discours. Alors que les premières constituent des repères associées aux procès exprimés dans le discours (actions, états, événement, etc.), les secondes constituent les sujets de ces procès.
5 . UNIVERS DE DISCOURS ET CHAÎNES DE RÉFÉRENCE
5.1. Univers de discours
La notion des univers de discours est largement inspirée de la notion d’espaces mentaux développée par Fauconnier (1984). Cependant, alors que le modèle de Fauconnier concerne uniquement la segmentation conceptuelle, l’idée de l’encadrement du discours a trait à la segmentation textuelle. Comme le souligne Charolles (1997, 5), le recours à une notion “plus neutre” permet d’avoir un regard peutêtre plus grammatical sur un phénomène clairement cognitif. L’encadrement du discours consiste en une
2 Dans nos exemples : les expressions introductrices d'univers sont en gras et les fins d’univers sont marquées d’un ♦; les expressions constructrices d'une chaîne sont en gras et suivies d’un ®. En (2), nous avons également encadré la continuité textostratégique temporelle par les balises [TSCtps] [TSC].
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organisation textuelle bornée et construite par des expressions linguistiques : les introducteurs de cadres ou adverbiaux cadratifs. Ces expressions sont caractérisées par la portée de sens qu’elles étendent sur la ou les proposition(s) qui la suivent.
Selon le critère de regroupement spécifié, différents types de cadre sont à distinguer et parmi eux, les univers de discours qui constituent des unités dont l’interprétation est indexée comme devant s’effectuer dans certaines circonstances : une situation spatiale et/ou temporelle (En 2010, Sur la planète Mars,), une situation notionnelle (En linguistique textuelle, A propos de Clinton,), une source d'énonciation (Selon Charolles), etc.
Dans cette étude, nous retiendrons particulièrement les cadres spatiaux et temporels. Ces types de cadre sont particulièrement aptes à fonctionner en séquences, créant ainsi de plus grandes portions de texte définies par le fait d’être organisées en cadres. Les introducteurs de ces cadres correspondent à des circonstants fréquemment thématisés, c’estàdire “en première position et ayant une portée extraprédicative sur l’énoncé” (Le Querler, 1993, 177). L’exemple suivant montre une portion de texte (sur fond grisé) entièrement organisée par des cadres temporels.
(2)(2) L'année 2002 a été marquée par une série de scandales financiersL'année 2002 a été marquée par une série de scandales financiers […]. L'enchaînement des faits, tout d'abord. La faillite d'Enron[…]. L'enchaînement des faits, tout d'abord. La faillite d'Enron était déclarée en décembre 2001, celle de Global Crossing enétait déclarée en décembre 2001, celle de Global Crossing en janvier 2002. Pour son rôle dans l'affaire Enron, le cabinetjanvier 2002. Pour son rôle dans l'affaire Enron, le cabinet d'audit Arthur Andersen était mis en examen en mars. d'audit Arthur Andersen était mis en examen en mars. [[TSCTSCtps]tps] EnEn juin,juin, Enron reconnaissait avoir versé un total de 310 millions deEnron reconnaissait avoir versé un total de 310 millions de dollars en espèces à ses dirigeants au cours de l'année 2001 etdollars en espèces à ses dirigeants au cours de l'année 2001 et worldcom corrigeait ses comptes de 3,8 milliards de dollarsworldcom corrigeait ses comptes de 3,8 milliards de dollars..♦ LeLe 21 juillet,21 juillet, la faillite de worldcom était déclarée.la faillite de worldcom était déclarée.♦ Le 24,Le 24, lala Securities and Exchange Commission (SEC) portait plainte contreSecurities and Exchange Commission (SEC) portait plainte contre les dirigeants d'Adelphia, accusés d'avoir dissimulé 2,3 milliardsles dirigeants d'Adelphia, accusés d'avoir dissimulé 2,3 milliards de dollars de dettes dans des sociétés non consolidées.de dollars de dettes dans des sociétés non consolidées.♦ En août,En août, l'ancien Chief Executive Officer (CEO) de imclone était mis enl'ancien Chief Executive Officer (CEO) de imclone était mis en examen pour délit d'initié.examen pour délit d'initié.♦ En septembre,En septembre, c'était au tour du CEO c'était au tour du CEO et du Chief Financial Officer (CFO) de Tyco d'être mis en examenet du Chief Financial Officer (CFO) de Tyco d'être mis en examen pour corruption : il leur était reproché d'avoir détourné 600pour corruption : il leur était reproché d'avoir détourné 600 millions de dollars, dont 170 millions de prêts personnelsmillions de dollars, dont 170 millions de prêts personnels accordés par la société.accordés par la société.♦ Enfin le 5 novembre 2002,Enfin le 5 novembre 2002, Harvey L.Harvey L. Pitt, président de la SEC et champion du laisserfairePitt, président de la SEC et champion du laisserfaire réglementaire, était contraint de démissionnerréglementaire, était contraint de démissionner..♦[[TSCTSC]]
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Tous ces scandales se sont produits dans un contexte économiqueTous ces scandales se sont produits dans un contexte économique morose, très différent de l'euphorie des années 1990 : […]morose, très différent de l'euphorie des années 1990 : […]
La récurrence des introducteurs d’univers temporels crée dans cet extrait une continuité à un niveau purement textuel, puisque le point commun n’est plus idéationnel (une circonstance ou un référent), mais textuel (un mode organisationnel). Nous retrouvons ici la notion des TextStrategic Continuities telle que l’a définit Virtanen (1992) :
“[A TextStrategic continuity refers] to the effect on the text of a continuous chain of markers belonging to the same line or notion of orientation. These may or may not refer to the same point on that line or to the same aspect of that notion.” (Virtanen, 1992, 91) “it is the text that is continuous, not necessarily the referential frame. Time, place or a member of a group of participants may change but the chain of references to a common temporal, spatial or participantoriented frame still has the effect of forming continuity in the text and discourse” (Virtanen, 1992, 89)
La constitution de continuités textostratégiques est une façon de dépasser le niveau de modélisation que propose l’encadrement du discours3. De plus, la constitution de ces continuités peut permettre une caractérisation de certains textes selon qu'ils sont plus ou moins organisés temporellement (par exemple pour une chronologie) ou spatialement (comme dans un guide de voyage). L'idée des continuités textostratégiques peut également s'appliquer aux chaînes de référence en délimitant des portions de texte organisées par des chaînes de référence. Nous pouvons alors distinguer des textes présentant une homogénéité référentielle (et donc des chaînes) de ceux présentant une hétérogénéité référentielle (et donc peu de chaînes).
5.2. Chaînes de référence
La phrase étant construite autour d’un ou plusieurs procès mettant en jeu une ou plusieurs entité(s), il est nécessaire (et obligatoire dans le cas des langues à sujet obligatoire comme le français) de préciser à chaque fois la ou les entité(s) concernée(s) par ce(s) procès. Si l’entité en jeu dans une phrase est identique à une entité déjà mise en jeu précédemment, une continuité référentielle se met en place sous la forme de ce que l’on appelle communément une chaîne de référence :
“On appelle chaîne de référence une suite d’expressions d’un texte entre lesquelles l’interprétation établit une identité de référence.” (Corblin, 1985, 27)
3 A ce sujet, il faut remarquer que les univers apparaissent fréquemment en séquence (en continuités textostratégiques), ce qui peut supposer un fonctionnement différent selon que l’on ait à faire à un cadre isolé ou en séquence.
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Les relations de coréférence peuvent être réalisées grammaticalement par diverses formes. Nous retiendrons particulièrement les pronominaux, les démonstratifs, les articles définis et les comparatifs. Ces quatre types d’expressions sont généralement définies comme étant des expressions anaphoriques, c’estàdire des expressions “dont l’interprétation référentielle dépend d’éléments déjà saillants ou manifestes” (Kleiber, 1994, 27).
Cette définition fait apparaître deux traits caractéristiques de l’anaphore : d’une part, l’expression anaphorique est incomplète, puisqu’il lui manque de l’information pour pouvoir référer à une entité spécifique de son propre chef ; d’autre part, l’occurrence d’une expression anaphorique implique l’existence d’éléments d’information donnée (dans le contexte textuel ou mémoriel de l’anaphorique). Ces deux traits soulignent la fonction de connexion que jouent les expressions anaphoriques en obligeant un raccord au discours précédent de fait de leur incomplétude sémanticopragmatique. Remarquons que la notion de coréférence n’intervient pas explicitement dans cette définition. En effet, la relation anaphorique n’implique pas nécessairement de relation coréférentielle, comme dans les cas d’anaphore associative du type “Nous entrâmes dans un village. L'église était située sur une hauteur”. Nous n’entrerons pas dans le détail de ces cas d’anaphores puisque ce qui nous intéresse ici, ce n’est pas la détermination du référent et la recherche de l’antécédent, mais la détection de relations de continuité. Ce qui nous importe pour cette étude, c’est que les expressions anaphoriques sont un gage certain de continuité référentielle.
Notons enfin que les chaînes de référence (comme résultat textuel de la présence de continuités référentielles) peuvent être rapprochées des progressions thématiques (Daneš, 1974) ; la différence étant que dans le modèle de Daneš, seules les reprises effectuées en position Thème sont prises en compte. Ce modèle propose différents schémas de progression thématique. Chaque schéma représente une façon dont peut se continuer la référence de proposition en proposition. Dans ce modèle, la proposition est envisagée en tant que message, constituée d’un thème (point de départ de ce qui est dit) et d’un rhème (ce qui est dit à propos du thème). Comme nous le présentons dans la partie suivante, notre étude se focalise sur les éléments présents en position initiale, envisagée comme un marqueur discursif. Ainsi, les chaînes considérées dans cette étude sont également des progressions thématiques puisqu’elles ne sont prises en compte que si leur coréférent se réalise en position Thème.
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6 . DES MARQUEURS POUR L’ETUDE DE LA SEGMENTATION
Dans cette partie, nous précisons notre définition des marqueurs discursifs, et présentons différentes formes retenues et repérées pour nos analyses quantitatives. Cette présentation pourra paraître succincte et pour certains très généralisante. Nous précisons que cette partie ne propose aucunement une théorisation du fonctionnement discursif des formes étudiées, mais cherche plutôt à délimiter un certain nombre de formes repérables de façon automatique et pertinentes pour marquer ou accompagner une (dis)continuité dans le discours.
6.1. La problématique des marqueurs discursifs
La diversité (voir le désaccord) définitoire existant autour de la notion de marqueurs discursifs4 est en grande partie due à l’absence de corrélations entre une ou un ensemble de fonction(s) et une ou un ensemble de forme(s).
“the definition of DMs [discourse markers] is not independent from a particular set of form chosen to be studied; therefore it is unlike that it can be applicable to a different set of forms. (Romera, 2004, 21)
Un marqueur discursif n’est pas un élément appartenant à une catégorie grammaticale définie. Ce qui fait d’un élément un marqueur discursif, c’est sa fonction dans le discours (en contexte et en texte) et non une quelconque nature “absolue”. De ce fait, il est vraisemblablement difficile de trouver un terrain d’entente et de délimiter ce sur quoi il faut travailler, ce qu’il faut étudier. Certains traits formels semblent cependant pouvoir être utilisés en tant qu’indices pertinents à l’accès à une fonction discursive, mais comme le précise Romera, ce ne sont que des indices dont l’usage est étroitement liés à l’objectif de l’étude et non des traits caractéristiques à une fonction de niveau discursif :
“Formal features do not constitute reliable criteria to support an independent definition of DMs or a characterization of their status as a discourse category. All the properties used to defined the category of DMs come from analysis of partial sets of expressions which vary greatly depending on the researcher’s perspective.” (Romera, 2004, 7)
Le problème définitoire des marqueurs discursifs est qu'ils ne correspondent pas à des formes précises et stables, mais à des configurations
4 Romera (2004, 6) établit une longue liste de toutes les principales acceptions recensées autour de cette notion : discourse markers, discourse operators, discourse particles, cue phrases, connectives phrases, pragmatic markers, pragmatics particles, punctors, discourse connectives, etc.
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d’occurrences dans certaines positions textuelles, dans certains contextes. Au final, le seul trait caractéristique des marqueurs discursifs est leur sens instructionnel (textuel) vs. leur sens représentationnel (idéationnel). D’ailleurs, les marqueurs discursifs sont traditionnellement définis par leur faible contenu représentationnel c’estàdire qu’ils ne contribuent quasiment pas à la composante idéationnelle. Nous retrouvons ici la définition des cuephrases (Grosz & Sidner 1986) qui sont des expressions signalant de façon explicite la structure intentionnelle ou attentionnelle du discours.
Dans cet article, nous défendons l’idée que des éléments à contenu plutôt représentationnel peuvent jouer le rôle de marqueurs discursifs dans certaines configurations, et notamment lorsqu’ils sont alliés à deux marqueurs particuliers : la position initiale et le changement de paragraphe.
6.2. La position initiale comme marqueur discursif
Ce premier marqueur peut paraître marginal de prime abord. Cependant, d’après notre définition, la position initiale semble constituer un marqueur exemplaire. Au niveau de la construction du texte : la position initiale est un pivot puisqu’elle permet conjointement de commencer un texte, un paragraphe, une phrase et de relier ce qui va se dire au discours précédent. Elle est de ce fait une position privilégiée pour les marques de cohésion et d'organisation. D’un point de vue fonctionnel, cette position est définie par la fonction sémanticopragmatique de Thème5 :
“The Theme is a function in a clause as message. It is what the message is concerned with : the point of departure for what the speaker is going to say” (Halliday, 1985, 38)
et
“the peg on which the message is hung” (Halliday, 1970, 161).
La zone qui correspond à la position thème est égale pour nous à toute la position préverbale : du premier mot de la phrase au dernier mot précédant le verbe principal6. Dans cette zone différents éléments peuvent apparaître selon la composante au niveau de laquelle ils jouent. Ainsi, nous avons des thèmes interpersonnels (des adverbiaux énonciatifs en majorité), des thèmes textuels (les marqueurs d'intégration linéaire par exemple) et des thèmes idéationnels parmi lesquels on distingue les thèmes marqués (les adverbiaux
5 Pour un état de l’art complet, se reporter à GómezGonzáles (2001).6 GómezGonzáles (2001, 5257) constitue un panorama des diverses
délimitations de la zone thème.
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circonstanciels, les constructions détachées) des thèmes non marqués qui peuvent être soit des thèmes topicaux (les sujets grammaticaux hors constructions spéciales), soit des thèmes spéciaux (les sujets grammaticaux des constructions spéciales7).
(3)(3) Bien évidemment, [Th interperso.] dans les pays voisins, pauvres en ressources,[Th marqué] l'énergie consommée [Th topical] est bien mieux utilisée.En troisième lieu, [Th textuel] on [Th spécial] remarquera que l'excellente lecture [...] est en vérité l'amorce [...] .
Ce qui caractérise principalement la notion de thème envisagée en tant que position initiale, c'est la notion de point de départ. Cette notion est particulièrement importante dans les processus de construction des représentations mentales. En effet, tout ensemble est abordé par un point (de départ) qui doit comporter les instructions nécessaires au développement et au raccord de cet ensemble à ce qui l’entoure. Dans cette approche, les éléments en position initiale sont conçus comme des éléments de base pour la construction des représentations mentales (Fauconnier, 1984, Gernsbacher, 1990). Ainsi ce qui compose le point de départ de toute unité textuelle ancre cette unité dans le discours précédemment interprété tout en indexant, en orientant, en guidant l’interprétation de la suite du discours. Nous retrouvons ici la fonction d'orientation que définissent Chafe (1976) et Dik (1997) pour expliquer la fonction des éléments en position initiale8 et que reprend Fries pour expliquer la fonction de thème.
“[elements in initial position] limit the domain of applicability of the main predication to a certain restricted domain […] set[ting] the spatial, temporal or individual framework within which the predication holds” (Chafe, 1976, 53). “Theme functions as an orienter to the message. It orients the listener/reader to the message that is about to be perceived and provides a framework for the interpretation of that message” (Fries, 1995, 318)
Par sa fonction discursive d'orientation, la position initiale peut donc être considérée comme un marqueur discursif. De ce fait, nous supposons
7 Les constructions spéciales sont des constructions qui présentent ce que l'on peut appeler un thème spécial, i.e. un sujet grammatical n'ayant pas de fonction idéationelle première, t.q. dans les constructions clivées, présentationnelles, impersonelles, etc ou encore dans des commentaires où le sujet réalise le locuteur (voir l'exemple (3)).
8 Les ”Chinesestyle topics” pour Chafe et les conditions de véridiction, les settings et les thèmes (au sens de constructions détachées) pour Dik.
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que c'est justement là que se situent préférentiellement les expressions dont le sens instructionnel est de signaler la continuité ou la discontinuité de ce qui suit par rapport au discours précédent. En appuyant davantage cette supposition, nous posons l'hypothèse que la position initiale est d'autant plus forte qu'elle s'allie à un autre marqueur discursif : le changement de paragraphe.
6.3. Le changement de paragraphe
Les intentions qui poussent un locuteur à poser un changement de paragraphe sont relativement floues. Les différents auteurs qui se sont intéressés aux paragraphes s’accordent d’ailleurs à dire qu’il n’y a pas de véritable règle à ce mode de découpage (Virbel, 1986, Stark, 1988, Heurley, 1994, 1997). D’ailleurs, plusieurs expérimentations psycholinguistiques ont montré la variabilité de ce découpage de locuteur en locuteur et d’allocutaire en allocutaire9. Du point de vue de la production comme de l’interprétation, le découpage en paragraphes reste encore un mystère. Le changement de paragraphe peut être l’indice d’une variété d’instructions : changement de point de vue, de référent, de thème, de style... Mais cela ne signifie pas qu'il est le fruit du hasard. Comme le remarque Stark (1988), les phrases initiales de paragraphe, lorsque le découpage en paragraphe n'a pas été modifié, sont jugées plus importantes que les autres par les lecteurs. Lors de nos analyses, nous mesurons si une forme apparaît préférentiellement en position initiale de première phrase de paragraphe ou non. Nous pensons trouver là un indice quant à sa fonction dans le marquage des discontinuités. Cette idée correspond à l’extrapolation de notre notion de point de départ, ce qui rejoint l’idée des continuités textostratégiques de Virtanen :
“A paragraph boundary may produce a highlighting effect on the paragraph initial sentence: this is where something starts. Signals of the temporal or locative TSCs may therefore be assumed to have the effect of separating what is to follow from what has gone before.” (Virtanen, 1992, 226)
Ainsi, nous posons l’hypothèse qu’une forme ayant pour fonction la réorientation du discours apparaît préférentiellement en position initiale de première phrase de paragraphe, cette position paragraphique devenant ainsi le point de départ non pas seulement de la phrase, mais aussi du paragraphe.
9 Ces expérimentations consistent à comparer les processus de lecture face à des textes dont le découpage en paragraphes est correct, erroné ou supprimé.
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6.4. Éléments repérés en position initiale
Quatre éléments distincts peuvent apparaître en position initiale de phrase : un connecteur, un premier élément détaché en initiale, un ou plusieurs autres éléments détachés, un thème topical ou une construction à thème spécial. Les éléments détachés en initiale correspondent à tout ce qui est compris entre le début de la phrase (hors connecteur) et le sujet grammatical de la phrase. Le thème topical équivaut au sujet de la phrase, sauf si celuici appartient à une construction à thème spécial10.
6.4.1 Les circonstants détachés en position initiale
Différents éléments occupent la position initiale détachée : des adverbiaux circonstanciels, énonciatifs, textuels11 ou encore des appositions et des constructions détachées. Pour cet article, seuls les adverbiaux circonstanciels détachés en initiale [CIRC] nous intéressent ; en distinguant particulièrement les circonstants temporels [CIRC_tps] et spatiaux [CIRC_spa]12 des autres circonstants. Ces circonstants, en position extraprédicative, peuvent prétendre au statut d’introducteur d’univers :
“La position 1 (avant le sujet) est une position fondamentalement ponctuée et extraprédicative. On y trouve des adverbes énonciatifs (cependant, pourtant, […]) ainsi que des compléments circonstanciels qui permettent de construire des repérages ponctuels de localisation spatiotemporelle et notionnelle (à un moment donné, à tel endroit, dans telle situation) thématisant le point d’ancrage par rapport auquel l’énoncé subséquent13 décrira un phénomène.” (Fournier 1993 : 54)
6.4.2 Les expressions anaphoriques en position de thème topical
Une des formes principales des expressions anaphoriques est la forme pronominale. Les pronoms constituent des expressions remarquables par leur
10 Par manque évident de place, nous ne pouvons présenter les différents types et patrons de constructions à thème spécial retenues. Cependant, nous informons que ce repérage et cette caractérisation se fait de façon automatique par un programme développé par nous même au cours de notre travail de thèse. Nous nous tenons disponibles pour toutes questions relatives à ce programme.
11 Biber et al. (1999) présente une étude en corpus de la répartition en anglais des différents types d’adverbiaux cités.
12 La catégorisation des différents circonstants se fait de façon automatique par un programme basé sur le repérage d’expressions régulières (voir note 10).
13 Et pour nous les énoncés subséquents appartenant au même univers.
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absence de contenu représentationnel, absence qui leur confère un rôle essentiellement instructionnel : signaler que le référent exprimé est toujours le même. Nous étudierons principalement le pronom de 3e personne (PRO3), marque privilégiée de la continuité du topique, de ce à propos de quoi on parle.
“Il n'est pas utilisé uniquement pour indiquer qu'il s'agit toujours de Fred [dans Fred enleva son manteau. Il avait trop chaud], mais avant tout pour marquer un fait crucial de cohérence : que l'on va (continuer de) parler d'un référent déjà saillant luimême ou présent dans une situation saillante et que l'on va parler en continuité avec ce qui l'a rendu saillant.” (Kleiber, 1994, 100)
Ce qui caractérise le pronom il, c'est précisément qu'il constitue une marque pour la continuité topicale et une marque pour la continuité des circonstances définitoires de la situation saillante en cours (les circonstances d'évaluation dans la terminologie kleiberienne, cf. Kleiber, 1990).
Cette idée de continuité des circonstances d'évaluation se retrouve également pour distinguer les reprises par syntagmes nominaux définis [SNdef] et celles par syntagmes démonstratifs [SNDEM]. Ainsi, les premières semblent signaler qu'il y a reprise d'un référent et de ses circonstances d'évaluation, tandis que “le contenu nominal du SN démonstratif (re)classifie le référent qu'il désigne comme un individu particulier de la classe des N” (Corblin, 1995, 66), sans maintien des circonstances d'évaluation. De ce fait, une reprise par [SNDEM] s'associe souvent à un effet de rupture, ce qui n'est pas le cas des reprises par [SNDEF].
Pour notre étude, nous sommes loin de pouvoir identifier avec des méthodes automatiques si nous sommes face à un syntagme faisant reprise ou non. Ce problème est moins important avec les démonstratifs qui sont majoritairement utilisés en reprise14. Notre solution a été de distinguer des syntagmes présentant une tête nominale reprenant un élément déjà présent dans la section en cours de ceux dont la tête n'avait pas encore été mentionnée. Nous sommes tout à fait consciente que cette distinction ne couvre pas la distinction entre reprise ou non, elle nous permet néanmoins d'observer des variations de comportement significatives entre les SNDEF_R (avec reprise) et les SNDEF (sans reprise).
Nous avons effectué la même distinction pour les noms propres, ce qui nous a permis de distinguer, cette fois–ci de façon plus certaine, les premières mentions (NP) des reprises (NP_R). Dans le cas de reprise des noms
14 L'analyse en corpus de Manuelian (2004) montre que 78 % des SNDEF sont des premières mentions, contre 17,5 % des SNDEM ; et que seuls 18 % sont des reprises contre 82 % pour les SNDEM.
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propres, nous nous trouvons face à des redénominations, ce qui correspond à “réinstancier le référent sous une forme nominale identique à celle qui a été initialement employée” (Schnedecker, 1997, 32). La redénomination semble alors intervenir pour maintenir une continuité en danger ou pour marquer l’ouverture d’une nouvelle chaîne de référence.
7 . MÉTHODOLOGIE ET CORPUS
Nous avons présenté la position initiale comme un marqueur important au niveau de l’organisation du discours ; elle sera pour nous le point de départ de nos analyses. Plutôt que de repérer les différentes expressions qui nous intéressent, nous sommes partis de la description de ce qui compose la position initiale de chaque phrase de nos corpus d’étude et avons observé les variations de cette composition selon trois paramètres : la position paragraphique de la phrase, le corpus, et la présence d'un circonstant en Init1. Pour mesurer si ces variations sont significatives ou non, nous avons calculé leur écart réduit et avons considéré comme significatives toutes les variations présentant un écart réduit supérieur ou égal à 2.515.
Trois positions paragraphiques ont été retenues : [PH1] qui correspond à la première phrase de paragraphe, [DERPH] qui situe la dernière phrase et la [PH2] qui localise toutes les phrases comprises entre [PH1] et [DERPH].
Trois corpus ont été constitués pour l’étude. La distinction entre ces corpus relève de nos intuitions quant à leur organisation en univers spatiaux/temporels et en chaînes de référence. Le corpus ATLAS (204505 mots) est composé de trois textes descriptifs de géographie sociale. Leur contenu tourne autour de la répartition d’une ou plusieurs thématiques dans une zone géographique déterminée et dans une période temporelle plus ou moins déterminée16. Le corpus PEOPL (219705 mots) est constitué de trente portraits de personnalités célèbres issus de l’Encyclopædia Universalis 4e
édition© (1995). Le corpus GEOPO (247217 mots) rassemble des textes publiés par l’IFRI17 concernant des problèmes de géopolitique actuelle et dont les entités principales sont des personnages contemporains et des
15 L’écart réduit correspond au rapport entre l’écart observé dans une configuration donnée (ici, un sous ensemble de phrases) et l’écart type (écart attendu eu égard à la moyenne générale). Tout écart réduit supérieur à 2,5 est hautement significatif, puisque à un écart réduit de 2,58 correspond la probabilité 0.01, i.e. 1 chance sur 100 pour attribuer cet écart au simple hasard.
16 Textes issus du projet GEOSEM (http://infodoc.unicaen.fr/geosem/)17 IFRI : Institut Français des Relations Internationales ( www.ifri.org )
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phénomènes de société. Ces textes sont plutôt argumentatifs, à l’inverse des deux autres corpus qui présentent des textes principalement descriptifs.
8 . RÉSULTATS ET DISCUSSION
Dans nos trois corpus, 83 % des 23233 phrases présentent un thème topical et 30 % un élément détaché en initiale. En thème topical, nous avons 11,6 % de PRO3, 8 % de SNDEM, 52,5 % de SNDEF et 8,2 % de NP. Concernant les reprises, 31,3 % des têtes de SNDEF et 50 % des NP montrent une reprise. Les circonstants [CIRC] représentent 68,9 % des éléments détachés en initiale : 30,3 % sont temporels et 11,1 % spatiaux.
Le tableau(1) présente les variations observées selon la position paragraphique et le type de corpus. Les écarts significatifs sont en gras.
Tableau (1) : écarts selon les positions paragraphiques et selon les corpusForme PH1 PH2 DERPH ATLAS GEOPO PEOPL
PRO3 -15 +7.5 +3.4 -6.6 -8 +14.6SNDEM -1 -1.2 +3.2 +2.3 +1 -3.3SNDEM_R +0.3 -1.5 +2.2 +4.8 +1.4 -6.2SNDEF +12 -5.3 -3.8 +6.2 +9.8 -16SNDEF_R +6.5 -5 +1.7 +11.7 +5.2 -16.8NP +3.4 -0.6 -2.6 -5.1 -3.2 +8.3NP_R +0.4 +1.9 -3.7 -8.6 -10.4 +19CIRC +1.8 +0.4 -2.7 +2.3 -0.9 -0.8CIRC_tps +2.9 -1 -1.6 +0.2 -2.4 +2.6CIRC_spa +1.6 -2.6 +0.7 +14.4 -7.2 -7.2
Ces premiers résultats étaient plus ou moins attendus concernant la distinction entre PEOPL et les deux autres corpus. Les textes de PEOPL relatent l’histoire d’un personnage, référencé par son nom propre (NP(_R)), alors que GEOPO et surtout ATLAS relatent plutôt de phénomènes référencés préférentiellement par une description définie complète. La forte proportion de PRO3 est significative du fait qu’un portrait parle d’un seul et même personnage qui constitue le topique général du texte (topique discursif).
Les écarts observés dans PEOPL sont inversés pour ATLAS et GEOPO, qui montrent des variations relativement similaires : tous deux présentent des textes dans lesquels la segmentation en chaînes de référence ne semblent pas dominer. La faible proportion de PRO3 en constitue un indice fort, ainsi que, l’utilisation relativement plus forte des SNdef par rapport au grand écart négatif que présente PEOPL pour cette forme de thème topical.
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Au niveau circonstanciel, nous retrouvons également certaines attentes : ATLAS montre naturellement une forte présence de localisations spatiales (écart positif de CIRC_spa) et PEOPL montre un écart positif de CIRC_tps significatif, ce qui paraît usuel pour raconter l’histoire d’un personnage.
Concernant les positions paragraphiques, le fort écart négatif de PRO3 en PH1 renseigne sur la fonction de marqueur de discontinuité du changement de paragraphe. Le tableau(2) montre que cet écart se retrouve dans tous les corpus. Ce qui signifie que même lorsque la continuité référentielle est forte comme dans PEOPL, le changement de paragraphe entraîne une discontinuité référentielle (plus de SNDEF et NP en PH1). En contrepartie de cet écart négatif, on remarque une forte association entre PH2 et PRO3, ce qui soutient la fonction de marqueur de continuité des PRO3.
Au vu de nos résultats, des procédés tels que la redénomination ou, pour les SNDEF, la reprise de la tête nominale, ne sont pas spécialement plus présents en PH1 ; sauf pour ATLAS où il y a une association évidente entre PH1 et SNDEF_R et, en réaction, une dissociation entre PH2 et SNDEF_R. L'absence d'écarts significatifs pour les répartitions des SNDEM nous signale que l'effet de rupture qui peut être associé à cette forme ne se réalise pas spécialement par un changement de paragraphe.
Tableau (2) : écarts selon les positions paragraphiques par corpus
FormeATLAS GEOPO PEOPL
PH1 PH2 DERPH PH1 PH2 DERPH PH1 PH2 DERPH
PRO3 -9.5 +5 +3.8 -8.2 +3.1 +3 -7 +3.1 +1SNDEM 1.8 0.6 +2.9 1.9 +0.5 +1 +2 1.4 +0.8SNDEM_R +0.7 1.1 +0.7 1.3 0.5 +2.2 0.5 +0.4 0.3SNDEF +6.8 3 -3.5 +7.9 2.4 -3.9 +3.6 1.7 0.3SNDEF_R +4.7 -3.9 +0.2 +1.3 0.6 0.3 +0.9 1.1 +1.2NP 0.9 +1.8 1.4 0.5 +0.2 0 +8.1 3.2 2NP_R +1.5 0 1.8 0.1 +1 1.7 +1.9 0.2 1.6CIRC +1.8 +0.4 -2.7 +2.3 -0.9 -0.8 0 +0.9 -1.9CIRC_tps +0.9 0 -1.3 +2.2 -0.9 -0.9 +2 -1 -0.3CIRC_spa -0.6 +1.1 -0.3 -0.5 +0.8 -0.2 +0.5 -0.7 -0.1
Enfin, concernant l'organisation spatiale et temporelle, nous remarquons que de façon générale, le temps est plus enclin à être exprimé en PH1 (tableau(1)), et donc à pouvoir constituer des continuités textostratégiques. Cet écart ne présente pas de variation significative si l'on prend
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les corpus séparément. Ainsi, quelque soit le corpus, PH1 semblent être la position préférée des CIRC_tps.
Les résultats du tableau(2) ne nous renseignent pas davantage sur la possible organisation de nos corpus selon les circonstances spatiales ou temporelles. En effet, aucun corpus n'affiche d'association préférentielle entre un type de circonstant et la PH1.
Tableau (3) : écarts selon les corpus par positions paragraphiques
FormePH1 PH2 DERPH
ATLAS GEOPO PEOPL ATLAS GEOPO PEOPL ATLAS GEOPO PEOPL
CIRC_spa +6.5 -5 -3.5 -0.5 +0.8 -0.2 +5.5 -4.1 -2.8
Par contre, si l'on compare les corpus par positions paragraphiques, des écarts significatifs apparaissent, notamment pour les CIRC_spa, comme l'illustre le tableau(3). Nous retrouvons alors l'idée d'une forte organisation spatiale pour ATLAS. Cependant, on remarque que DERPH affiche également une surprésence de CIRC_spa. Il semble alors que l'on ait affaire à une organisation spatiale à l'intérieur des paragraphes plutôt que de paragraphe en paragraphe. Ainsi, à l'intérieur d'un paragraphe se trouvent plusieurs cadres en séquences, comme le montrait l'exemple (2), le dernier cadre ouvert correspondant finalement à la dernière phrase.
Nos dernières observations portent sur les variations repérées au niveau des thèmes topicaux lorsqu'il y a présence d'un CIRC.
Tableau (4) : écarts selon la présence d’un circonstant en Init1
FormeATLAS GEOPO PEOPL
CIRC tps spa CIRC tps spa CIRC tps spaPRO3 -2 +0.1 -2.2 -0.4 -2.4 -2.6 +8.5 +3.5 +0.7SNDEM -5.1 -1.7 -1.1 -5 -1.4 +1.3 -4 -0.9 0SNDEM_R -5.8 0 0 1.9 0.6 +0.8 -2.7 1.9 0.8SNDEF +2.3 +0.6 -1.4 0 +1.8 +0.8 -2.5 1.3 +2SNDEF_R +4.2 0 +3.1 +5 -0.2 -0.4 -1 -0.3 -1.4NP 0 -0.8 +2.2 +0.7 +3.5 -0.8 +2.5 +1.3 +0.9NP_R +0.6 +0.6 +1.6 +2.6 +1.6 +1.1 +5.4 +2.6 +1.6
Si l'on s'intéresse d'abord aux PRO3, il apparaît que pour GEOPO, un CIRC_spa soit lié à un effet de rupture et donc rejette la présence de PRO3. Nous constatons le phénomène inverse pour PEOPL et les CIRC_tps : dans ce corpus, la présence d'un CIRC ou d'un CIRC_tps favorise la présence d'un PRO3. L'organisation en chaînes de référence semble ainsi dominer l'organisation circonstancielle, puisque en changeant les circonstances du procès,
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l'utilisation d'un PRO3 est fortement remarquée pour continuer la chaîne. Nous constatons le même phénomène pour les redénomination NP_R mais dans des proportions moindres. Dans ce cas, c'est l'idée contraire qui est avancée : l'organisation circonstancielle pourrait domine l'organisation en chaîne, puisque à l'arrivée d'un circonstant, notamment temporel, il est nécessaire de redénommer le personnage.
Les SNDEM, qui peuvent s'associer à un effet de rupture notamment au niveau des circonstances d'évaluation, montrent un écart négatif quasi général lorsqu'il y a présence d'un CIRC. On notera que cet écart ne varie pas selon que l'on soit face à un CIRC_spa ou un CIRC_tps. Il semble donc que le phénomène de rupture des circonstants détachés en initiale ne trouve pas écho dans la présence d'un SNDEM en thème topical. Par contre, il semble y avoir corrélation entre SNDEF_R et CIRC. Cette corrélation se retrouve avec les CIRC_spa pour ATLAS, ce qui rejoint les résultats précédents relatifs à une organisation des paragraphes par les cadres spatiaux. Ainsi, l'organisation spatiale y dominerait l'organisation en chaînes, puisque à l'arrivée d'un nouveau repère spatial, une reprise définie serait nécessaire. Il faut constater que cela ne va pas dans le sens de la distinction de sens instructionnel entre les reprises démonstratives et les reprises définies. Une analyse qualitative semble alors nécessaire pour définir l'impact de telles reprises sur une organisation en univers de discours.
9 . CONCLUSION
Différentes descriptions se dégagent de nos résultats quant à l'organisation en cadres et en chaînes des différents corpus d'étude. Ainsi, il apparaît que le corpus de portraits se distingue fortement des autres par une organisation faite principalement par les chaînes de références et plus minoritairement par des cadres temporels, mais généralement dominés, englobés dans les chaînes. Le corpus ATLAS montre une tout autre organisation, principalement spatiale ; même si cette organisation ne semble pas dépasser le cadre du paragraphe. Cette dominance du découpage en paragraphe est d'ailleurs générale à tous les corpus, puisque les PH1 sont généralement associées à des marques de rupture référentielle ou temporelle et dissociées des marques de continuité.
Dans ce travail, nous avons voulu montrer que des méthodes d’analyse quantitative sont possibles pour étudier l'organisation du discours. Il est évident que, en utilisant de telles méthodes, des informations se perdent dans la masse. Il est également certain que ces premiers résultats sont encore insuffisants pour réellement décrire le fonctionnement discursif
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de ces deux modes de segmentation. Cependant, ces analyses apportent de nouvelles données sur des phénomènes discursifs généralement analysés qualitativement et sur de faibles données. De ce fait, elles permettent un regard nouveau sur des phénomènes qui, parce qu’ils sont discursifs, sont particulièrement délicats à analyser.
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