cataracte egyptienne
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^
4
EN DAHABIHDuCaire aux Cataractes
Imp.
PAIRAULT
&
do,
3,
passage \ollet, Paris.
Joseph
JOBERT
EN DAHABIHDuCaire aux CataractesLE CAIRE
LE NIL
THBES
LA NUBIE
L'EGYPTE PTOLMAQUE
Ouvrage Orn de Neuf Gravures sur Bois
PARISE.
DENTU, DITEUR3,
PLACE DE VALOIS, PALAIS-ROYAL
(Droiti
de traduction
et
de
reproduction rservs)
7960g
MASPEROLe dignepollionet
successeur de
Chamla
de
Mariette
dans
science si franaise de Vgyptologie,
l'ancien et
minent Directeur gFouilleset
nral
des
Antiquits
de r Egypte.
AVANT-PROPOSLa Question d'Egypte.Nous avons long-tempsde celivre, qui
hsit publier les notes rapides
rendentles impressions diverses que nous avons
ressenties au cours d'un voyag-e en dahabich sur le Nil,
du
Caire Ouady-Halfa,
il
y a quelques annes. Maiss.ur
la question.
d'Eg-ypte devient de plus en plus brlante; elle parat au-
jourd'hui au premier plan
la g-rande scne de la poli-
tique internationale, et l'Ang-leterre, malg-r les astuces oules
audaces do sa diplomatie, ne saurait prtendre la relg'uer dans l'ombre aussi l'heure nous semble-t-elle propice pour;
rappeler ce beau pays l'attention publique en France.
Lorsque le ministre Gladstone est arriv au pouvoir, on a pu se bercer de l'illusion que le chef du parti libral allait se faire un point d'honneur d'assig-ner une date l'vacuation de 'l'Egypte. Cependant le grand old man s'est retir del'arne politique sans avoir
tenu sa parole solennellement
donne, et les hluc boys montent toujours la garde Alexandrie
au Caire sous le reg'ard ironique du Sphinx. Lord Rosebery prend la succession de l'homme d'Etat octogrnaire, et le nouveau Premier, en s'adressant au Parlement, dclare qu' il sera ncessaire de maintenir l'Eg-ypte soiis une surveillance rigoureuse pendant un certain temps; c'est laisser entendre que la Grande-Bretag-ne est rsolue ne pas retirer ses troupes de la valle du Nil. L'Ang-leterre sait pourtant que sa domination jouit enet
Eg-ypte d'une impopularit manifeste. The Nineteenth Century1
AVA*NT-PROPOS
l'avouaitr
mme
dernirement
:
L'opinion publique, disait
cette revue de Londres, chez les indig-nes comme chez les trangers est contre les Anglais, qui chaque jour, quoi qu'ils fassent, perdent du terrain dans l'affection des masses.
Commentple,
d'ailleurs
en
serait-il autrenient,
lorsque ce peule
trs attach la dynastie de Mhmet-Ali, voit
repr-
sentant du gouvernement britannique manquer aux gards ds au vice-roi, comme si ce prince tait tomb au rang d'unradjah pensionn et obissant, alors surtout qu'Abbas-Pachamontre tant d'nergie et de dignit dans ses difficiles rapports avec ses protecteurs ou plutt ses geliers?
Et c'est un spectacle qui a bien sa grandeur que celui de ce jeune khdive, bouillant de patriotisme, anim de fiers instincts, mais incapable par moment de contenir son trop lgitime ressentiment, et qui, comme un lion du dsert en captivit, frmit d'un noble courroux et tente de courageux efforts pour briser les barreaux d^ fer de sa prison dore.
Quant
la France, si directement intresse la question
d'Egypte, elle ne peut assister impassible la violation d'en-
'
que toute autre puissance, elle -a le droit et le devoir d'lever la voix en faveur d'une nation, unie elle par de grands souvenirs historiques et reste reconnaissante notre pays des services signals qu'il lui a rendus. L'Angleterre, il est vrai, affecte en raillant de traiter nos intrts en Egypte de sentimentaux; mais ce n'est l qu'une mauvaise raison pour masquer ses vises ambitieuses. Il est possible qu'il y ait un peu de sentimentalit dans la prdilection de la France pour l'Egypte, pour cette terre arrose du sang des croiss, o saint Louis fut captif, o Bonaparte, lors de ^son tincelante expdition, fit rsonner avec tant d'clat la gloire de nos armes,, dont les Pyramides et les catarac-
gagements
sacrs. Plus
tes se renvoyaient les chos, les
o le gnral administrateur jeta, semences de la civilisation europenne, prvoyant de son regard d'aigle les rformes susceptibles de rgnrer l'antique royaumedesPharaons.Sousle gouvernement de JuilletlaFrance n'a-t-elle pas brav les coalitions pour soutenir la cause peut-
LA QUESTION D'EGYPTEtre
tmraire,, en
tout cas
g-nreuse de Mhmet-Ali, si
attach notre nation, qui aimait s'entourer de nos compatriotes et
les investir de hautes
dig-nits.
C'est
ainsi
que
cet aventurier
de g-nie charg-ea deux Franais^ Clo^-Bey et
Soliman-Pacha, l'un de reconstituer l'enseignement mdical,et l'autre
de rorg-aniser l'arme g-yptienne.la
La part derelles.
France et considrable dans
le
relvement
de ce pays et dans la mise en valeur d ses richesses natug'randsines
Le rseau de chemins de fer qui sillonne le Delta,. un nombre de travaux hydrauliques, la construction d'uet
beaucoup d'autres travaux
trs importants, 'sont
l'uvre de nos ing-nieurs. Rappellerons-nous que c'est g-rce
aux capitaux franais que Ton a pu oprercanal de Suez, g-igantesque
le
creusement dul'initiative et.
entreprise, dont
l'excution sont dues encore nos compatriotes ?
Je ne saurais dire quelle heureuse surprise j'prouvai en dbarquant Alexandrie. Je me serais cru volontiers dans une
de nos colonies
:
la presse tait franaise, franais les tribu;
naux, franaises les administrations
j'entendais notre langue
couramment parle dansFrance.
les milieux les plus divers. Notre
influence rgnait partout inconteste; partout. letait
nom
de la
entour de respect, de reconnaissance et d'amour.
Mais quel changement depuis quelques annes, et comme les rles sont intervertis Cependant les sentiments des indig!
nes restent les
mmes
notre gard.effet,
Les patriotes gyptiens, enson histoire monumentale
n'oublient pas que c'est
nos savants que leur pays est redevable de la rsurrectio de;
car,
avant les fouilles pratiques
par Mariette et ses dignes successeurs, plusieurs templesdes plus importants gisaient couverts de dcombres, outaient
mme
compltement ensevelis sous
le linceul
des
sables.
Bien plus, les annales des dynasties pharaoniques, sculptes
en signes indchiffrables, restaient un livre ferm. Il fallut que l'illustre Champollion ravt son nigme au sphinx deshiroglyphes, muet depuis tant de siclesD'ailleurs la voie avait t ouverte
pendant
la
campagne
AVANT-PROPOSd'Eg-ypte par la pliade d'arcliolog-ues, de g-omtres, d'as-
tronomes, d'architectes, de savants de toute sorte, que Bonaparte avait amens avec lui et qui formrent V Institut d'Egypte. Cet tat-major intellectuel, o brillaient Geoffroy Saint-Hilaire,
Monge,
Berthollet, Androssy, Desg-enettes, Larrey,
Denon,
Caffarelli et d'autres
encore,
tudia la contre sous toutes
ses faces, interrog-eant les ruines, reconstituant par la
plume
crayon ses antiques sanctuaires. de l'Egypte., qui rsuma, en une remarLa quable encyclopdie orne de cartes et de dessins, les vastes travaux de cette g-rande commission d'rudits, reprsente un
ou
le
Description
des plus superbes difices levs par la science, i Si la fortune, a crit M. Thiers, devait nous enlever un jour cette belle),
broche, appellation ou plutt sobriquet que donnrent parantithse ces aiguilles colossales les malicieux Alexandrins.
Ala
quelle ide symbolique correspondait ce bel
chantillon
d'architecture ? Polidore Virgile,
commentant au
XVP
sicle
pense de Pline, dclare qu'un oblisque a exactement la forme d'un rayon de soleil qui entre par la fentre. Il est plusnaturel de voir, avec Saint-Genis et Norden, dans ce spci-
mende monolithe, une pyramide quadrangulaire trsallonge,dont l'oblisque, dit Lamennais, drive videmment. Faut-ille considrer
comme un
signe,
jamais? C'est l'opinion d'Ampre
un mot exprimant Les deux:
la stabilit
oblisques,
'(
devant les temples taient deux normes hiroglyphes, deux lettres ou plutt deux syllabes de granit, deux mots placs l, non seulement pour tre contempls, mais pour tre lus. crit ce savant, plants
Si l'on peut discuter surn'est plus
l'emblme de ces monolithes,
il
permis d'hsiter sur leur destination matrielle.
C'taient des
monuments
historiques,
comme
l'indiquent clai-
rement les hiroglyphes qui les couvrent. Long'temps on s'est imagin que leurs inscriptions cachaient d'importantsmystres de la religiontions
gyptienne, de hautes spcula-
nomie
mtaphysiques ou les secrets de l'ancienne astromais ce ne sont en ralit que des ddicaces, louangeuses en gnral, des temples devant lesquels se dressent;
les oblisques qu'elles tapissent.
Ces inscriptions,
dit
Chamindi-
poUion-Figeac, donnent
les dtails des
constructions, le;
nom
et la filiation des princes qui les levrent
ils
LE CAIREquent les accroissements ouparles soins
147
les
embellissements excuts
de chacun d'eux, et par l l'poque relative de chaque partie de Tdifice. riger
Quelques-unes de ces aiguilles atteignaient une grandelvation. Ainsi Rarass IIfit
un oblisque de -quatre-
vingt-dix-neuf pieds de haut, extraitnres des carrires de Syne, etil
comme
tous ses cong-
employa
cet
ouvrage vingtla
mille ouvriers. Si l'on en croit le rcit de Pline, dans la crainte
que
l'architecte
ne prt pas assez de soin de proportionner
hauteivr de la
machine au poids
qu'elle avait soulever, le
pharaon donna l'ordre d'attacher son propre fils au sommet du monolithe. Rien de gracieux et d'imposant la fois comme ces masses sveltes de granit qui paraissent jaillir du sol mme, dardent dans les airs au-dessus des moissons ou des ruines leur ft lgrement colossal et, suivant la belle expression de M de Stal, semblent porter jusqu'au ciel une grande pense de l'homme. Mais, aprs cette longue digression sur les oblisques, revenons la ville du Soleil. Hliopolis tait renomme dans l'antiquit pour la venue priodique du Phnix, qui, parti de l'Inde ou de l'Arabie, s'abattait dans le temple de R des intervalles trs loigns, de cinq sicles au dire d'Hrodote, de 1461 ans selon Tacite. Suivant la lgende cet oiseau merveilleux^ qui ressemblait un aigle ou un pervier, le Bennou^ symbole de la lumire solaire et aussi de l'immortalit, apportait avec lui le cadavre de son pre embaum de myrrhe, le dposait Hliopolis sur l'autel de R et se consumait lui-mme au milieu d'un bcher de bois odorants, pour renatre de ses cendres et s'envoler de nouveau tire-d'aile vers l'Orient. A ce propos, les beaux vers de Claudien sur le Phnix'
me
reviennent la mmoirePar volucer Superis,
:
stellas qui vividus sequatterit
Durando, membrisque
redeuntibus
vum.allis,
Non
epulis sutnrare
famem, non fontibus
148
HLIOPOLISAssuetus prohibere sitm ; sed purior illumSolis fervoralit,
ventosaque pabula libat
Tethyos, innocui carpens alimenta vaporis...
Hic neque concepto ftu, nec semineSed pater
surgit,
est prolesque sui, nulloque crante
Emeritos artus fecunda morte reformat,
Et
petit alternam totidem per fanera vitam.
Cet oiseau, pareil aux dieux, voit son clat graler en dure
celui des toiles, et ses
membres
renaissants fatig-uer le
cours des sicles. Jamais de grossiers aliments n'ont rassasisa faim;
ce n'est point des sources vulg-aires qu'il tanchesoleil le
sail
soif.
La chaleur du
nourrit de ses purs rayons
;
savoure les vapeurs nourrissantes de Tthys et s'eng-raisse
t
du suc de ses lgers parfums t Ce n'est point un germe, une semence dveloppe dans le sein d'une mre qui lui donne naissance il est la fois et son pre et son fils, sans que rien le cre il rgnre dans une mort fconde ses membres affaiblis par l'ge, et chaque;
;
nouveau trpas
lui ouvre les portes d'une nouvelle vie.fait
pour enflammer l'imagination des potes, est souvent cit par les auteurs anciens. Mais laissons l le merveilleux, t En ralit, le Bennou, ditMaspero, tait une espce de vanneau dont la tte tait orne de deux longues plumes flottantes. Il passait pour l'incarnation d'Osiris, comme l'ibis pour l'incarnation de Thot et l'pervier pour l'incarnation d'Hor. Cet oiseau fabuleux, bienHliopolis a un titre particulier qui la rend chre la mmoire des Franais. N'a-t-elle pas donn, en effet, son nom l'un des plus glorieux faits d'armes de notre histoire ? On sait dans quelles conditions se livra la clbre bataille d'Hliopolis cdant un moment de dsesprance, se croyant abandonn de:
Bonaparte, Klber venait de signer la dplorable convention d'El-Arych, de remettre aux Turcs les principales places fortesetil
s'apprtait vacuer l'Egypte, lorsque la perfidie des An-
glais qui prtendaient^ au. mpris de la foi jure, refuser nos
LE CAIRE
149
vaillantes troupes les honneurs de la guerre, secoua soudainla torpeurlion.I
du gnral en!
chef.
Le
rveil
du hros
fut celui
du
I
avec un noble courroux, on ne rpond de telles insolences que par des victoires prparezvous combattre A l'arme considrable des Ottomans
Soldats
s'cria-t-il
:
!
porte
Klber ne peut opposer qu'une poigne de braves mais qu'imon se battra un contre sept ou huit et la valeur sup;!
plera
au nombre.
L'illustre capitaine a racont
lui-mme
les
pisodes de cette lutte pique dont M. Thiers devait faire plustard la brillante narration.
Le 20 mars 1800Caire la nuit,
(23 chaoual 1214 de l'hgire), sortant du un corps de dix mille Franais vint prendre
position en face d'Hliopolis, ayant le dsert sa droite et le
sa gauche. Lorsqu'au lever de l'aurore nos soldats, forms en quatre carrs, commands par les gnraux Reynier et Friant^ aperurent du haut des collines sablonneuses les masses profondes des Turcs dployes dans la plaine, un imNil
mense cri de joie s'chappa de toutes les poitrines de ces guerriers impatients de venger l'insulte faite leur chef.Amis, leur dit vous reculez d'une semelle vous tes perdus, i Dans un engagement prliminaire nos grenadiers, sous une grle de balles, dlogent l'arme blanche les janissaires:
Parcourant cheval
le front
des troupes
t
Klber,
si
retranchs dans le village de Matarih; l'avant-garde ennemie
une
fois
mise en
fuite, le
gnral rassemble ses divisions auxBientt,
alentours de l'oblisque.
au milieu de nuages de
poussire, se dcouvrent les lignes flottantes de l'innombrable
arme du grand
vizir
;
tout coup les escadrons ottomans
s'branlent, fondent avec tumulte sur nos fantassins, se prcipitent comme un torrent sur nos phalanges impassibles, hris-
ses de baonnettes et d'o part sans rpittrire. C'est
une
fusillade
meur-
en vain que cette fougueuse cavalerie caracole, tourbillonne,^ voltige en nues presses sur les carrs et enassige les faces qu'elle ne peut entamer. Les Turcs, foudroys bout portant, tombent par centaines et forment de lugubres monceaux de cadavres autour de ces citadelles vivantes, vol-
'
150
HLIOPOLIS
cans en ruption qui vomissent la mitraille et la mort. Reles pousses maintes reprises, dcimes, dcourag-ee,
troupes du sultan abandonnent ce
champ de
carnag-e, se d-
bandent
saisies d'une effroyable
panique
et se dispersent vers
tous les points de l'horizon, poursuivies Fpe dans les reins
jusqu'aux limites du dsert. Telletraits, cette
fut, esquisse en quelques fameuse victoire de Klber Hliopolis, compa-
rableIl
n'est
aux exploits tant vants de Thmistocle Marathon. pas inutile d'ajouter qu'aprs le combat l'heureux
g-nral se rendit VArbi-e de la Viei^ge et g"rava son
nom
sur
une branche avec la pointe triomphante de son pe. Pourquoi faut-il que, trois mois plus tard, l'Ezbkih, un assassin vulgaire d'Alep ait mis fin cette prcieuse existence, le jour mme o Desaix tait frapp mort sur le champ de bataille de Mareng-o? Qui sait? sans le coup de poignard de ce fanatique la France et peut-tre g-ard sa mag"nifique conqute. C'tait d'ailleurs l'avis de Napolon avec le vainqueur d'Hliopolis, rptait-il souvent Sainte-Hlne, il aurait conserv l'Egypte que l'incapable Menou ne sut pas;
dfendre.
Le voyageur franais sent son cur se serrer de tristesse toutes les fois que, sur cette terre d'Egypte, o a coul le sang de nos braves, un nom de bataille ou quelque glorieux souvenir lui rappelle cette brillante expdition, cheval sur deuxsicles, qui traversa,
comme un
rve sem d'or, la fulgurante
pope napolonienne, belliqueuse fantasia conduite et dlaisse par le caprice d'un foudre de guerre, inutile et ph-
mre conqute,polis,
claire l'aurore par l'tincelante
victoire
des Pyramides, puis illumine par le radieux soleil d'Hlio-
mais que ternit vers
le soir le
sombre dsastre d'Aboukir
et qui devait s'clipser
dans
la nuit d'une funeste capitula-
tion
!
LKs
T
M B i: A U X
DES
fA L
I
FKS
.
TombeauxJ'ai g-ard
des Califes.
pour la
fin les chefs-d'uvre,
de l'architecture
sarrasine, je
mamelouksJBey et
veux parler des mosques spulcrales des sultans improprement appeles Tourab-Katvulg-airement Tombeaux des Califes^ peut-tre la pluscircassiens,l'art
exquise production de
arabe l'poque de son panouis-
semeut. Ces mausoles sont situs en dehors du Caire, unecourte distance de la vieille enceinte del'est.
Enfourchant un
baudet, je pique des deux: travers le bruyant Mousky, gorg-
de monde, et je sors de la ville par le Bab-el-Nasr, la porte dela Victoire, flanque de
deux larges tours carres garnies demtres au-dessus des mul'arcade sont finement sculpts des;
crneauxrailles.
et qui se dressent sept
Sur
les
tympans de
cussons et des pes mles des boucliers
une riche
ins-
cription koufique serpente le long de la frise. J'admire,
en
me
retournant, les puissants blocs de pierre des assises, la puret
de
l'arc
en plein cintre qui couronne la plus belle des an-
ciennes portes du Caire, enet robuste de ce
un mot,
le style la fois
sduisant
monument
qui rappelle les difices moresques
de l'Espagne.Aussitt aprs avoir franchi le Bah-el-Nasr, j'entre dans une
rgion bossele, morne et dnude
;
ma monture
avance pni-
blement au milieu de collines de sable jonches de dtritus ou de dcombres divers et au sommet desquelles tournent de-ci de-l de grandes ailes de moulins. Ces coteaux sablonneux, d'une hauteur moyenne de trente mtres et formant une chane longue de prs de deux lieues, limitent le Caire au sud et Test. Certainement toute la ville, a crit le R. P. Jullien, avec ses quatre cents mosques et ses palais sans
153
I^E
CAIRE
nombre,
si elle tait
renverse, ne ferait pas, beaucoup
un amas comparable aux colTout coup une dchirure entre deux monticules dcouvre, comme une magique apparition, un tableau d'une beaut la fois ravissante, mlancolique etprs, de ses dbris amoncelslines dont"
nous parlons,
i
sauvag-e que rien ne saurait exprimer; c'est la ncropole des Califes. Quelques spectacles vraiment feriques de TEg-ypte
ont laiss en
mon
esprit
de vague
tristesse et de
une impression ineffaable, mlang-e suave rverie, dlicieux ressouvenirsvallehypostyle de
que me donne la triade artistique de la nomm les Tombeaux des Califes^ la Salleet les Colosses d'Ipsamhoul,
du Nil j'ai Karnak;
incomparables merveilles de pierre,
mutiles toutes trois dans leur radieuse magnificence par larie des
faux du temps, la force destructive de la nature ou la barbahommes. Si les deux derniers groupes respirent sur-
tout une majest gante, le premier est plus dlicatement
beau.C'est un coup d'il saisissant que prsente cet harmonieux ensemble d'difices arabes aux formes sveltes, si lgers qu'ils semblent effleurer le sol, d'un galbe charmant et fragile, mais qui paraissent tristes de leur ruine imminente et de leur abandon au milieu de cette aride solitude, o des enfants crasseux se roulent dans la poussire, o se tranent quelques mendiants famliques et loqueteux. Voil les htes de ces mosques funraires, belles comme des palais enchants Le dsert mme ajoute encore l'trange splendeur de cette ncropole unique au monde, o l'art s'est surpass; tout autra cadre ou coquet ou joyeux paratrait mesquin et affai!
blirait
le touriste
au contraire le sentiment d'imposante grandeur que prouve premire vue.agrmentesfine-
Que
dire de cette glorieuse range de coupoles
de minces nervures, lgrement trangles la base et
ment
la pointe, de ces profils de minarets rivalisant entre eux de grce altire et de suprme lgance, qui dardenteffiles
Boua l'azur blouissant leurs tages de plus en plus rtrcis,les
uns carres,
les autres
cylindriques ou octogones, tous
LES TOMBEAUX DES CALIFES
153
d'ailleurs ajours
ou dlicatement cercls de balcons, d'encor-
bellements, de colonnades ravissantes avec de mig-nonnesfenestrelles dcoupes en trfle ?l'art
On ne
se lasse pas d'admirer
exquis avec lequel
le
tambour
circulaire de la plupart
des coupoles se relie la base carre par une succession de pans coups du plus heureux effet. Le nombre de ces mausoles est assez g-rand, mais deux sont particulirement remarquables:
le
tombeau du sultan
Le premier reprsente l'difice deux minarets jumeaux triple g-alerie, firement camps aux coins de la faade, mais dont, malheureusement, l'extrme pointe est tronque, dominent le rectangle des murailles couronnes de crneaux et perces de g-entilles fentres. Aux ang-les opposs, deux coupoles, g-uilloches et surmontes d'un croissant vert, arrondissent leurs dmes au-dessus des tombes du sultan et de son harem.et celui de Kat-Bey.le
Barqouq
plus important de la ncropole
:
Une mg-re dcharne aux cheveux roux, cachant d'une main noirtre son hideux visage barbouill de bleu, et portant un vilain marmot sur l'paule, m'ouvrit la porte de la mosque et j'entrai dans l'intrieur. La dcoration des chapelles funraires est vraiment dlicieuse avec les croises treillisses etles rosaces multicolores,
avec les entrelacs, les bandes d'ins-
criptions coufiques, les fleurs rappelant le lotus, les arabes-
ques varies qui tapissent les parois. Mais une pnible sensation de tristesse m'envahit en pntrant dans la cour embarrasse de dbris, o vgtent quelques arbres malingres et poussireux; de la jolie fontaine
aux ablutions qui gayait
le
centre
il
ne reste plus qu'une
affreuse carcasse en bois. D'ailleurs cette mosque,
commeuntat
toutes les autres, une exception prs, se trouve dans
lamentable de dlabrement; en la parcourant on redoute presque de voir les murailles caduques et chancelantes s'effondrer sur vous; les arcades fatigues s'affaissent sous lepoids des ans ; les votes lzardes penchent sur le videpierres effrites se dtachent de toutes parts,i;
les
Admirables
154
LE CAIEE
*
dcorateurs, a dit avec raison M. Gabriel Charmes, les Arabesn'ont jamais t que de dtestables
maons , Je voulus monter par un branlant escalier en colimaon au sommet d'un des minarets pour jouir de la vue, mais la vieille g-ardienne se mit pousser de tels cris que je renonai la prilleuse ascension. On tremble qu'une violente rafale ne renverse ces
tours
si
fragiles et l'on peut dj prvoir l'heure, hlas! trop
rapproche, o cet adorable mais dbile dicule, chang- en
un
abominable monceau de dcombres, ira grossir les ruines de ces chefs-d'uvre, bijouterie architecturale, dont la splendeura charm tant de gnrationsd'artistes!
et
transport d'ivresse tant
Cette funeste ng'lig'ence qui
empche
les
Arabes de con-
server leurs
monuments
,
cette
dplorable incurie semble
inne chez les races orientales, ptries de nonchalance et defatalisme. Puisqu'Allah le veut ainsi, pensent-elles, pourquoilutter contre les ravages
du temps
et contre la destine?
Ah
!
au
lieu de gaspiller des millions btir de nouvelles
mos-
ques et 'de nouveaux palais, plus lourds et plus vulgaires
que des casernes, triomphes de
la dcadence et
du mauvais
got, que les descendants de Mhmet-Ali n'ont-ils appliquces striles dpenses l'entretien et la restauration des
poques au Caire et aux alentours! Mais voil, chaque khdive, grand amateur demerveilleux dificestruelle, est
des
belles
piqu de la tarentule d'avoir sa mosque et son
palais lui, dont le successeur se soucieet qu'en toute srnitil
comme
d'un ftus'offrir
laisse
tomber en ruine pour
grands frais d'autres constructions aussi grotesques, non
moins inutiles et voues un abandon invitable, si mme elles ne restent pas inacheves. Pendent opra interrupta ! Pour en revenir aux Tombeaux des Califes : comme si cen'tait
pas assez de ces chances naturelles de destruction,
le
gouvernement a imagin de placer des barils de poudre et des munitions de guerre dans une des plus jolies mosques, celle du sultan El-Achraf-Ynal, chaque angle de laquelle on voit un cactus et une cabane qui sert de corps de garde
LES TOMBEAUX DES CALIFES
155
quelques soldats. Il n'y a que les Arabes pour concevoir des ides aussi baroques Un seul de ces mausoles a t cependant l'objet d'une res!
tauration, d'ailleurs excute de
main de matre;,
c'est celui
de Kat-Bey lev au XV^
sicle.
M. Blanc a qualifi de
chef-
d'uvre de l'architecture arabe
cet difice d'une g-rce sans
pareille et d'une prodig-ieuse richesse de dtails, vrai bijou de
sculpture dont chaque partie a t cisele avecrable.
un
art incompa-
Tout y
est dig^ne d'admiration: et les ravissantes propor-
tions, et les dessins
compliqus des murs en
filets
blancs ou en
lisers noirs, et la diversit des entrelacs g-omtriques, et les,
g-randes baies avec arcades trfles que rehaussent des stalactites, et l'lgante
coupole eng-uirlande d'un charmantrelief, et le
rseau d'arabesques engaleries en
minaret lanc trois
encorbellements, ouvrs
comme
des bracelets,
peut-tre le type le plus parfait
du
g-enre fleuri.
A
l'intrieur
tout est marbre, mosaques, incrustations de nacre et d'ivoire.
Les vitraux du sanctuaire, merveilleusement dcoups enibsang-es multicolores, laissent pntrer dans le lieu saint
une
douce lumire tamise aux nuances aussi tendres que diapres.
Le plafond blouissant brille de dorures et de semis d'toiles; la salle du tombeau, enjolive de dlicates rosaces, se trouvent deux petits cubes de granit enlevs, dit-on, de ladans
Mecque parils
Le sultan
Kat-Bey; l'un est noir et l'autre rose;
portent, d'aprs la tradition
musulmane, l'empreinte sacre
des pieds du Prophte. Bref, la parure artistique de cette
mosque M. RhoniIais cette le est surtout
renomme par
le
en dix-sept coudes, elles-mmes divises en vingt-quatre au centre d'un bassin qu'entoure un difice hiratts, placebti cet effet et dont le fond.
communique par des canauxmesurerles crues
avec
le fleuve
;
cette chelle sert
du
Nil.
Chaque anne, lorsque (du 15 au 20 aot) les eaux atteig-nent une certaine altitude 15 coudes et 16 kiratts^ soit 17 mtres 106 millimtres, un cheik asserment, afl'ect la g-arde du nilomtre, proclame le Wafa, c'est--dire annonce au peuple assembl et tout anxieux que la crue du fleuve, arrive son kefd, permet l'irrig-ation des hautes terres. ,C'est alors qu'on clbre la fte du Khalig. Le canal de ce nom, qui part du Nil, traverse le Caire et va se rpandre au loin dans les campag-nes une dig-ue leve l'embouchure forme un barrag-e pour les eaux. Aprs le Wafa la rupture en a lieu en g-rande pompe et au milieu de rjouissances populaires. Le fleuve prsente alors un coup d'il des plus pittoresques sur ses rives se presse une foule bruyante, toute la joie, impatiente de voir prcipiter dans les flots un mannequin grossier, simulacre de VAroussh - el - Nil, t la Fiance du Nil , sans doute en souvenir du sacrifice annuel fait dans:
;
:
l'antiquit par les Eg-yptiens qui, suivant la tradition arabe,
immolaient une vierg-e la desse du Fleuve. C'est au lieutenant d'Omar, Amrou, en l'an 20 de l'hg-iro, que remonte l'honneur d'avoir supprim cet usag-e homicide qui faitpenser aux fabuleux exploits de Thse contrele
minotaure de
LE DPART DU CAIRE.Crte. Cette
LE KILOMTRE
175
anne
mme
de la conqute de Tgypte par les
Arabes, les Coptes, craig-nant une crue dfavorable, vinrent saluer le vainqueur et lui direntI
t f
Prince, il est pour notre Nil temps on doit s'y conformer pour que ses eaux parviennent au degr ncessaire rarrosag;e des:
une
loi,
tablie de tout
;
terres et leur fcondation - Quelle est cette
loi, fit
Ara rou?
Le treizime jour du mois copte Baounh t (7 juin) nous cherchons une jeune et belle vierge nous l'en levons de force ses parents, nous la parons richement des f atours d'une fiance, et nous la prcipitons dans le Nil au lieu consacr pour cette crmonie. - Ce sacrifice, leur dclara le g-nral indig-n, ne peut plus s'accomplir sous < rislamisme. Cependant les mois s'coulaient et les eaux du fleuve restaient stationnaires l'poque de la crue. Terrifi, se voyant dj menac de la famine, le peuple allaitIls
rpondirent
:
f
;
dans son inquivnements le calife de Omar, en reut un billet avec ordre de le jeter dans le Nil. Voici les termes de ce message, nave invocation au fleuve Au nom du Dieu clment et misricordieux, la part d'Omar, fils de Khattab.^ au Nil bni de l'Egypte. de Si ton cours n'a jusqu' prsent dpendu que de ta mais, s'il a dpendu des propre volont, suspends-le ordres du Dieu trs haut, nous supplions ce Dieu de lui i donner sa crue complte. Amrou laissa tomber la missive dans les flots la veille de la fte de la Croix, qui passe pour le dernier jour de la crue du Nil, et, d'aprs la lgende, la nuit mme, les eaux montrent . lamigreren masse,averti
lorsqu'Amrou qui,cesg-raves
tude,
avait
:
;
hauteur de seize coudes. Rassurs et joyeux, les habitants abolirent volontiers la barbare coutume que le christianisme mmeavait t impuissant draciner. Depuis lors on substitue
tous les ans la victimeallgorie en argile.
humaine une statue de femme, informe
Une
Mais revenons aprs cette digression la fte du Khaiy. flottille de barques pavoises, illumines le soir de lan^
ternes vnitiennes et d'o retentissent la
musique
et les
176
LE NIL
femmes des harems, richement pares, voguent dans des embarcations eng-uirlanchants, sillonnent le Nil en tous sens. Les
des au son des reheehs etet de
des tarahoucks^
sortes
de violes
tambours de basque,
et ce
ne sont pas
prendre leur part de l'allgresse
moins ardentes publique. Le gouverneurles
du
Caire, escort des autorits et des troupes, prside luila
mme
crmonie et jette des pices d'or au peuple. Enfind'artifice,
des feux
des dcharges de mousqueterie et des
fantasias de toute sorte terminent la fte, la nuit.
Ds la plus haute antiquit les Egyptiens rendaient des honneurs signals au fleuve qu'ils avaient divinis, et les prtres d'Ammon, vtus de peaux de lopard, portaient sa statue de bois dans une procession solennelle travers la contre. Lors de l'occupation de l'Egypte par nos armes, la fin du sicle dernier, Bonaparte en grand uniforme, entour de son brillant tat-major, donna un clat particulier la fte du Nil,cherchant ainsi se concilierles
sentiments d'un peuple de tout
temps siattach ses anciennes traditions. Ce jour-l, le 18 aot 1798, o par un heureux hasard la crue du Nil atteignit 25 pieds etfutlaplus haute du sicle, l'arme d'occupation vint se ranger sur les bords du canal. L'artillerie franaise se mit tonner pendant que l'on travaillait rompre la digue, et le gnral en chef, aux applaudissement de la foule indigne, couvrit lui-mmed'une pelisse blanchela distributionle
naJdb-redJah
^
fonctionnaire prpos
des eaux, et d'une pelisse noire le mollah^tait
charg de veiller l'entretien du Mhyas. Ali-Bonaparte
mieux inspir dans cette circonstance que peu de jours plus tard, lorsque, pour la fte de Mahomet, il alla, coiff d'un turban et chauss de babouches^ s'asseoir la mosque au milieu des cheiks, y rciter des versets du Coran et, se posant en protecteur de l'Islam, affecter pour la religion du Prophte un zle dont les musulmans ne furent jamais dupes. Mais revenons au nilomtre tous les souverains et les conqurants de l'Egypte y ont attach une grande importance, car sous les Pharaons et les Ptolmes, aussi bien que sous;
les
Arabes,
il
servait
fixer la rpartition de l'impt, la
LE DPART DU CAIRE.rcolte tant plus
LE KILOMETRE
177
ou moins abondante d'aprs la hauteur de la crue annuelle mesure au Mkyas. Inutile d'ajouter que les prtres de VAnoen Empire^ tout comme les mollahs modernes^ ne se g-naient pas pour obtenir chaque anne, grce quelque supercherie sur l'chelle, le maximum de l'impt.Les ingnieurs de l'expdition franaise relevrent, les premiers, la fraude au nilomtre de Rodah. Lefisc n'est- il
pas
invariablement le
mme
toutes les poques et dans tous lespalais
pays, c'est--dire pre, rapace et de mauvaise foi?
Sur la rive droite s'lvent
les
de Gezirch et de
Gizh, construits dans le style dcoratif de l'Alhambra, avecleurs kiosques, charmilles^ cascades et grottes, avec les belles
avenues d'acacias qui relient ces demeures princires,
et
leurs superbes jardins orns des arbustes les plus rares, de
plantes exotiques, de mag-nifiques tamarins et bananiers, de
bambous formidables.changeNil:
L'le
de Rodah passe,ciel et
le
paysag-e
gauche, la chane du Mokattam dtache sa lignele
blanchtre entre;
bleu du
les rives
verdoyantes du
bientt la
montagne
s'entr'ouvre pour donner accs dans
la valle
s'tend jusqu' la
de V Egarement, longue coupure entre les monts qui mer Rouge. A droite, une plaine fertile,
jusqu'aux sables libyques
parseme de nombreux bouquets de palmiers, se dploie de loin en loin les pyramides de Gizh, de Saqqarah, de Dachour, de Meydoum, etc., dcoupent;
de leurs blanches artes l'azur cleste, profilent leurs triangles rguliers, versant, suivant la belle expression de Soutzo,leur grande
ombre de quarante
sicles, et
semblent, avec
le
Sphinx, autant de monstres gigantesques qui gardent les
approches du dsert.le Nil, pendant des jours Pyramides qui grandissent ou diminuent l'horizon selon les accidents de la vision et les caprices de la fantaisie. Ces masses dlicates, d'une noble architecture, ne deviennent-elles pas, pour ainsi dire, les compagnes du voyageur, qui ne peut se lasser d'admirer lesSi
l'on
navigue lentement sur
entiers on aperoit les
a
jeux de
la
lumire sur leurs faces inclines, surtout lorsque12
178
LE NIL
les
et potiques la
mourantes lueurs du soleil leur prtent ces nuances suaves du rose ple ou du mauve, que donnent seules puret et la transparence de l'air si subtil dans les plaines
ariennes du ciel oriental ?
Du
Caire Syout.
Beni-Hassan,
Notre premire station est Beni-Souef, petite ville industrieuse assise sur la rive
caractre; mais le
gauche du Nil, sans architecture ni souq ou bazar est bien approvisionn, et
notre drog-man en profite pour
y faire la hte quelques achats
de vivres.C'est de Beni-Souef qu'on part, g-nralement cheval,
dromadaire ou
mme
baudet, pour se rendre auprovince qui,
(Ph-Ioum, la mer oules
le lac),
Fayoum comme le remarque;
Elise Reclus, ressemble sur la carte (I
une pice d'anatomie
eaux du canal (qui
la traverse)
se ramifiant en files et en
filioles,
bordes de saules et de tamaris, reprsentent, crit
rminent g-ographe, l'aspect d'un systme de veines et de veinules dans un organisme vivant, i J'aurais bien voulu visiter cette fertile contre, si attrayante,
d'un aspect tout spcial, la plus giboyeuse de l'Egypte etarrose par des canaux qui la sillonnent en tous sens. Cette
immenseles riches
oasis, appele jadis
le
pays des sycomoresles
,
dont
campagnes produisent en abondance
crales,
le coton, le sucre, etc, est couverte
d'un rseau de voies ferres
qui vont se relier la grande ligne du Caire Syout; on y voyait encore au XVIP sicle de beaux vignobles parpills
sur les territoires de sept villages. A.u temps de la domination
romaine, les crus de Coptos, de Mends, de Marotis taientle pays des Pharaons comme ceux de Massique ou de Falerne en Italie; d'ailleurs, parmi les sculptures funraires des hypoges, on voit souvent reprsents les tra-
renomms dans
180
LE NIL
vaux de la vendang-e ou du foulag-e du raisin, comme BeniHassan par exemple, et les offrandes de vin aux divinits sonttrs frquentesples, ce qui
dans les dcorations murales des anciens temprouve que la culture de la vig-ne existait ds une
haute antiquit dans la valle du Nil. Mais, si depuis longtemps pampres et ceps ont disparu, par contre des roses dlicieuses et qui donnent l'essence la plus estime de toutel'Eg-ypte, fleurissent par milliers dans de ravissants jardins comparables ceux de Pstum.
Des souvenirs varis se rattachent au Fayoum,
le Toshe
oule
pays de
la
mer
conquis, d'aprs le
mythe gyptien, par
bienfaisant Osiris sur le mauvais Typhon, personnifiant ledsert:
c'est ,
d'abord Pa-Sehak ou CrocodilopoUs
la ville des
crocodilesdiviniss,
o Strabon raconte avoir vu un de ces sauriensg-rill et
qui portait des boucles d'oreilles en or et qu'ond'hydro-
nourrissait de gteaux de miel, de poisson
mel
;
Ptolme Adelphe substitua au
nom
de Crocodilopolis
celui de sa
sur Arsinoo.
C'est encore le
surprenant lac Mris,
appel par les anciens Hount (l'inondation), nappe liquidelarge de sept kilomtres, gigantesque rservoir creus de
d'homme, au milieu duquel
se dressaient
main deux pyramides coulacustre, etla
ronnes l'une et l'autre de colosses assis reprsentant Ame-
nemhareine
III,
le
crateur
de cette merveillele
son pouse. C'est enfintravail
Labyrinthe, qu'Hro-
dote trouva plus grand encore que sa
renomme;
et suprieur
comme
au temple de Diane Ephse vaste massif
quadrangulaire, en granit et en calcaire blanc, qui comprenait
douze grandes salles hypostyles avec deux tages de 3,000 chambres chacun, dont moiti souterraines. Le ddale en tait tel, dit la lgende, que le visiteur se perdait dans un inextricable imbroglio de couloirs, de dtours et de faussessorties.
L'eniplacement du lac Mris a t reconnu par Linant-
Pacha, ingnieur en chef de Mhmet-Ali, auquelde refairedcrit les
il
proposa
l'uvre formidable des Pharaons, et le docteur
Lepsius, dans son grand ouvrage Benkmmlcr aus J^gyptcn^ a
fameuses ruines du Labyrinthe
qu'il
avait dcou-
LES GROTTES DE BENI-HASSAN
181^
vertes en outre le muse de Boulaq conserve prcieusement un papyrus qui donne une minutieuse description de cet;
difice si clbre'
dans l'antiquit.
A
peine a-t-on dpass Beni-Souef que, sur la rive oppose,
la cliane
les
du Gehel ILhnour Chihoul offre des aspects trang-es; montagnes qui se rapprochent du fleuve affectent la forme de remparts on dirait de loin une vaste place de guerre avec;
ses bastions, ses angles saillants, ses fortins dtachs
;
quel-
ques canons ou sentinelles sur la crte de cette forteressenaturelle, et Tillusion serait complte. Voici Ilagar-es-Salam^(la
Pierre duBonheur),'qui surgitvieille tradition,
une
nous
dit le
considrent un voyage sur leavoir dpass ce rocher.
au milieu des eaux; d'aprs drogman, les bateliers ne Nil comme heureux qu'aprs
Un peu plus loin s'lvent perpendiculairement au-dessus du fleuve les monts escarps du Gehel-el-Tayr (la Montagne de l'Oiseau) couronns au sommet par la blanche coupole d'un monastre copte, Deyr-el-Bcikarah (le Couvent de la Poulie).
Comme
notre dahabih passe prestement devant la noires'est laiss glisser
par un cble le gagne notre barque la nage il se cramponne la chaloupe et, dans un costume Ana christiani, ya d'une simplicit innarrable, s'criefalaise,
un des moines qui:
long du rocher se prcipite dans
le Nil et
:
rhmoaglia hadichichl
Je suis chrtien, monsieur, l'aumne.jeter quelques piastres cet imporle ciel
Nous nous empressons dede
tun vtu trop court, bnissant
de n'avoir pas bord
tre tmoin d'un spectacle aussi incongru. ne faut pas se montrer trop prude dans ce pays sous le rapport de l'habillement. Les fellahs, par exempie, qui travaillent aux chadoufs rduisent leur vtement une
dame expose
Il
est vrai qu'il
expression
si
primitive qu'il n'en reste rien; et cette diable dedtail.
lumire d'Orient qui ne laisse dans l'ombre aucun
Pauvres miss, doivent-elles souffrir
!
yes
!
very
much
indeed
!
AMinieh, (Mount-Khoufou, la nourrice de Chops), nous nela ville,
nous arrtons que le temps de prendre le courrier l'aspect de peuple de 20,000 habitants et devant laquelle station;
182
LE NIL
nent de nombreuses barques, est assez peu pittoresque aussi, une fois munis de ces chres lettres qui nous apportent des nouvelles de France, nous htons-nous de reg-ag-ner la daha;
bih pour profiter du vent favorable et visiter notre aise lesgrottes voisines de Beni-Hassan.
Ces hypoges d'un renom universel, creuss dans les flancs* rocheux de la chane arabique, trois kilomtres environ dufleuve, sont extrait avec ardeur
une mine des plus riches d'o les savants ont une foule de prcieux documents. C'estle
ChampoUionsire.Il
jeune
qui,
en 1828, dcouvrit ces trsors
d'ar-
chologie artistique cachs sous une paisse crote de pous-
passa l quinze jours menant,
comme
il
le dit,
une
vie de
tombeaux^ occup, du lever au coucher du
soleil,
laver
ces peintures souterraines, les dcrire avec soin et prendre
des copies colories des tableaux les plus intressants.srie de ces fresques,
La
que,
le
pre de l'gyptologie appelle
de
vritables gouaches d'une finesse et d'une beaut de dessintrs
remarquables
l'existence des anciens
forme un fidle miroir o se reflte Egyptiens dans ses manifestations lesindice de l'tonnante varit des
plus diverses.
Comme
ma-
tires traites sur les parois tumulaires,
citons la liste des
divisions dans lesquellesculture.
ChampoUion
les
a classes
:
Agri-
Caste militaire. Chant, musique et danse. Education des bestiaux. Jeux, exercices et divertissements. Justice domestique. Le Mnage. Monuments historiques. Monuments religieux. Navigation. Zoologie. Les incidents de la vie militaire alterArts et Mtiers.
nant avec les paisibles travaux des champs,belliqueux avec les occupations multiples
les exploits
des artisans et
d'ingnieux amusements.Ici
les serviteurs labourent
avec cinq sortes de charruesle grenier.
tranes par desle bl, le
bufsle
;
l ils sment, font la moisson, battent
mesurent,
dposent dans
Ne
dirait-on
pas une de nos exploitations agricoles dans les plaines de la Beauce? Puis c'est la rcolte du lotus, la culture des lgumes;plus loin les oprations successives qui concernent la vigne,
LES GROTTES DE BENI-HASSANtelles
183
que
la
soirs brascelliers,
vendange, le foulage du raisin dans des presou vis, la mise en jarre, le transport dans lessais-je encore ?
que
Nos vignerons du Mdoc ou dusi
Beaujolais n'apportent pas plus de soins leurs closcultivs.
bien
Les diffrents corps de mtiers figurent aussi, depuis lescharpentiers,bnistes, cordonniers, tisserands
ou potiers
jusqu'aux orfvres, peintres et sculpteurs qui travaillent les mtaux, la pierre ou le bois. C'est comme le dit M. Charles
Blanc
:
une
histoire des Egyptiens des divers tats et
une
encyclopdie des arts et mtiers sous les Pharaons, crite!
au ciseau et au pinceau dans des grottes tumulaires Les amusements et les jeux ne sont pas oublis, et les tableaux mouvements forment une des parties les plus curieuses de cet tonnant muse sous terre ainsi on voit repr:
sent
un concert avec chanteurs
et
musiciens jouant de la
harpe, de la flte, d'une sorte de conque^ pendant que les aimes ou bayadres de l'poque dansent et esquissent despas.
Comme
divertissements citons le jeu de la paille, la main
chaade,
le mail, le cricket (dont la
vue a d rjouir plus d'un
tudiant d'Oxford et de Cambridge), la mourre, laquelle selivrent encore de nos jours les Romains, et
comme
exercices
d'adresse la chasse la grosse bte, la pche la ligne,trident,
au
au
filet, etc.
Dans ces galeriesde la cuisine,
artistiques
on remarque aussi
les apprts
de table, des meubles perfectionns, modes de locomotion que l'on ne croyait pas si anciens desle service
(tels que le palanquin et le traneau), une collection d'oiseaux au ravissant plumage, des singes d'espces varies, et comme
bouquet paraissent des nains difformes, dont les bouffonneries
gayaient
les
seigneurs
gyptiens
quinze sicles avant
notre re et chassaient de leur esprit les soucis d'une exis-
tence peut-tre trop uniforme et monotone.L'observation que nous avons faite pour la dcoration de la tombe de Ti Saqqarah, peut donc s'appliquer galement aux peintures des grottes de Beni-Hassan les divinits et:
184
LE NIL
nulle trace enpore du Rituel funavec les lug-ubres crmonies qui accompag-nent le jugement de l'me et son transport dans TAmenti ou Tenfer.leur cortg-e sont absents;
raire
Ainsi l'artiste, au dbut du Nouvel Empire^ ne se confine pas,
comme il le fera plus tard pour les bypog-es de la Valle des Tombeaux Thbes, dans la funbre ide de la mort, mais ilse complat
au contraire dans
la
pense de la vie
;
il
aime
peindre des pisodes, des scnes terrestres pleines d'animationet
sculpter des biographies gaies, actives et d'un vif intrt.
On
dirait,
crit
About dans
le
Fellah^
que
les
vivants se
sont plu runir dans la demeure des morts tous lesplaisirs qu'ils avaient
gots sur la terre.
Tout, en
effet,
tend prouver que les Egyptiens n'taient
point aussi srieux, moroses et absorbs par la constante proccupation de l'autre monde qu'on l'a prtendu. Brugscbbey, qui connat les anciens habitants de la valle nilotique
comme
s'il
avait t leur:
contemporain, s'lve avec forc
contre ce prjugterre fertile,le ciel
possible, s'crie-t-il, que cette que ce fleuve majestueux qui la parcourt, que pur, que le beau soleil d'Egypte aient pu produire
Est-il
une nation de momies vivantes, un peuple de tristes philosophes qui ne regardait cette vie que comme un fardeau bientt rejeter. Parcourez l'Egypte, examinez les scnes sculptes ou peintes sur les murailles des chapelles funraires, consultez les
inscriptions graves sur la pierre ou
traces l'encre sur le papyrus, et vous serez obligs de
modifier la fausse opinion que vous avez conue de vos philosophes gyptiens. Rien de plus gai, de plus amusant et de plus naf que ce bon peuple qui aimait la vie et qui
en jouissait avec dlices. Loin de dsirer la mort, on adressait des prires aux dieux pour conserver la vie et pourobtenir une heureuse vieillesse,parfait de cent dix ans. si
possible jusqu' l'ge
de Beni-Hassan peuple opprim, malheureux, las de l'existence, hant, du berceau la tombe, du terrifiant cauchemar de la mort. Les personnages qui figurent l sont!
Non
les peintures
n'indiquent pas un
LES GROTTES DE BENI-HASSAN
185
trop occups se divertir et rcolter, pour les mettre enlieu sr, ces biens terrestres qu'ils trouvent fort leur got.
Parmi
les fresques ing-nues et
foncirement ralistes de cesqui,
tranges catacombes deux chambres spulcrales offrent unintrt particulier:
l'une
d'Amni-AmenemhI"'
au
dire de
l'pitaplie, fut g-nral d'infanterie, g-uerroya contre les Ethio-
piens avec le
fils
du pharaon Osortasen
et
administra en
qualit de gouverneur le
nome
de Sah.
On
voit dfiler sur les
parois une longue srie de soldats nus se livrant toutes sortesd'exercices
gymnastiques dans des poses de lutteurs oupuis ce sont les curieux pisodes de combats,
d'acrobates qui se provoquent, se dfendent, se saisissent ouse renversent;
de siges, l'attaque d'une place forte autoi^tue
moyen
de machines
de guerre, telles que le blier pour battre les murailles,' et la
pour couvrir les assigeants.
L'autre tombeau est celui deristes stupides ont
Noum-Hotep, dont des toumalheureusement dtrior les ravissantes
et, en parlant de ces actes barbares et ineptes de Vandales, je rpterai volontiers ces mots de M. d'Estournel
peintures
;
:
Mutiler les
monuments de
l'Egypte, ces
monuments qui
sont des livres, c'est recommencer la fois Erostrate et Omar. Le pre de Noum-Hotep avait exerc la charge de gouverneur des Tertres c?e rOrie>^ Mount-Khoufou (peut-tre1
dit Mariette), et lui-mme fut prfet de la province de dans FHeptanomide, sous le rgne d'Amenemha IL Remarquons en passant que, pour les premiers temps du Nouvel-Empire comme pour l'poque. lointaine des dix premires dynasties, les principaux documents, manuscrits
MiniehSah,
sculpts que la science a recueillis, proviennent surtout des
spultures prives qu'avaient ornes de leur vivant de hauts
ou sacerdotaux, de grands seigneurs ou des notables importants comme Phtah-Hotep et Ti Saqqarah,dignitaires, civils
comme Amni
et
Pour en revenir
Noum-Hotep Beni-Hassan. la tombe de ce dernier, le tableau le plusune scne de prisonniers.asiati-
original qu'elle renferme est
ques prsents au gouverneur par un scribe royal. Ces cap-
186
LE NIL
au nez busqu, la chevelure noire et la barbe pointue, arms d'arcs, de flclies et de piques, s'avancent avec leurs familles, suivis d'nes et de bouquetins, et viennent offrir au chef victorieux, en guise de soumission, le prcieux cosmtique base d'antimoine appel Nest'em. Ce dtail et le costume de ces trangers, compos de coiffures, tuniques et chaussutifs
res semblables celles qu'on retrouve sur des vases grecsstyle, firent supposer Champollion que ces individus taient des Grecs originaires de colonies ioniennes d'Asie
de vieux
Mineure.
A
propos de la Grce disons que les piliers prcdant l'entre
de l'hypoge ou ceux qui en dcorent l'intrieur sont de formepolygonale, lgrement cannels et qu'ils ressemblent beau-
coup aux colonnes d'ordre dorique. Aussi certains
ont-ils
voulupiliers
y
voir le prototype de ce style architectural si
grand dans sa
simplicit.
Mais quelle diffrence cependant entre ces
de Beni-Hassan, dpourvus de base et termins par un chapiteausi
maigre, et les superbes colonnades du Parthnon!
ou
les
majestueux supports du temple priptre Psestum
Les Crocodiles.
Quelques heures de navigation au del de Beni-Hassan nous amnent en face des ruines d'Antino, occupes aujourd'hui par le villag-e de Chcih-Ahhadeh. Le drog-man nous montre l'emplacement de la cit btie par l'empereur Adrien pour perptuer la mmoire de son favori Antinous, qui s'tait noy
dans
le Nil
croyant assurer ainsi
le
bonheur de Csar. Un
ora-
cle n'avait-il
pas dclar que
le
salut du matre de l'empire
cher au cur y a une vingtaine d'annes le voyageur pouvait encore admirer en cet endroit plusieurs temples romains suffisamment conservs mais Ibrahim Pacha fit dpouiller ces difices pour construire avec les pierres une afi'reuse raffinerie de sucre proximit dans la bourgade de Rodah. Aussi les vestiges dsols de la ville antique gisent-ils maintenant au milieu d'ignobles masures de limon et blottis l'ombre d'opuexig-eait le sacrifice de l'objet qui tait le plus
d'Adrien?
Il
;
lents palmiers
:
un autel votif croul,
les coupoles d'un ancien
bain qui s'effondrent, une colonnade dfigure^ les jambagesd'un arc de triomphe mutil et poudreux, voil tout ce quireste de la magnifique cit
monumentale
!
((
Demain, Dj Antino a fui au loin derrire la dahabih. dit le drogman, nous serons Manfalout. Avant d'arriver
cette petite ville on voit la chane arabique se rapprocher du fleuve pour former une srie de rochers qui dressent leurs masses perpendiculaires au-dessus des eaux pendant prs de cinq lieues. C'est le Gebel-Abou-Fdah, d'un aspect dsol. Le
paysage nilotique devient alors sauvagechadoufs rompent seuls de loin en loin la
et svre
:
d'un ct,
la rive noirtre et dserte dont de rares palmiers ettriste
quelques monotonie de;
188
LE NILduroclier abruptes et droites
l'autre, les parois
comme les murs
tres, les flots
d'uE temple, au pied desquelles bouillonnent, troubles et jaundu Nil contrari dans son cours. Des cormoranset des
vautours s'chappent avec de g-rands battements
d'ailes
des mille anfractuosits de la montag-ne, asiles inviolables
aig-lcs
que nul ne saurait atteindre. Au-dessus des cimes arides les planent majestueusement, et de ces hauteurs inaccessi-
sans doute avec un suprme ddain )asser moins en sret qu'eux et dont ils n'ont rien les voyag-eurs redouter. La navig-ation, en effet, est assez prilleuse dans ces parages; de temps autre, il s'y lve Fimproviste de violentes rafales qui jettent brutalement la barque contre lesbles regardentfalaises
tmoins de naufrages trop frquents.
En
arrire de ces rochers s'tendent les clbres grottes
encore inexplores de Maahdeh^ o foisonnent les momies decrocodiles ranges par milliers dans ces tranges catacombes
d'animaux. Autrefois ces grands sauriens pullulaient dansNil;
le
aux environs de Girgeh en 1828 ChampoUion en compta vingt et un groups sur un lot o ils semblaient tenir un conciliabule. Les cavernes au bord du fleuve, comme par exemple les fissures du Gebel-Abou-Fdah, servent eacore de refuge ces vilains et dangereux amphibies. Mais, effrays par les armes feu et le bruit des bateaux vapeur, la plupart d'entre eux se sont retirs dans les eaux nubiennes et surtout au Soudan. Aussi est-il rare d'en apercevoir aujourd'hui dans Les allila partie du Nil en aval de la premire cataracte. gators, crit Maury, dans la Terre et l'Homme^ abondent dans1
les rivires et les lacs
de l'Afrique centrale et fourmillaient
Le mme fait se produit pour les hipnagure dans le Nil. popotames ou cheveaux du Nil , en arabe faras-el-bahr jument de fleuve qui ont fui ces rgions trop civilises pour regagner les vastes marais quatoriaux bords de gras herbages. A la fin du XIP sicle Abdallatif, mdecin de Bagdad, vit encore un certain nombre de ces normes pachydermes dans la branche de Damiette, en plein Delta. Mais revenons au crocodile, en arabe timsah, mot qui a
'
LES CROCODILES
189
donn son nom au lac central que traverse le canal de Suez. Comme notre dahabih long-eait les grottes de Maabdeh, la conversation bord tomba naturellement sur ces grands lzards amphibies et le drog-man nous raconta en avoir tu deux quelques annes auparavant Tun prs des rochers de Gebel-Abou-Fdah, et Fautre Gebel Silsileh, au del d'Edfou. Ce dernier, devenu la terreur des bourgades riveraines, prlevait un infme tribut humain sur leurs habitants, comme le faisait le Minotaure, d'aprs la mythologie grecque, sur les:
vierges d'Athnes. Notredvorer, sous les yeux
homme
passait par
un de
ces vil-
lages lorsqu'il apprit que la bte cruelle venait encore de
mmes de
sa mre, une jeune fellah qui
puisait de l'eau sans mfiance la rivel'avait
du fleuve. Le crocodile
soudain renverse d'un violent coup de queue, puis,la
happant
malheureuse, tout tourdie, entre ses vastes mchoitransporte au loin, sur unlot,
res,il l'avait
pour
s'y repatre
de sa proie et savourer gloutonnement son horrible festin.
Le drogman, rsolu comme un autre Thse dlivrer le pays du monstre caill, alla reconnatre la partie de l'le frquente dans le jour par l'animal. Le lendemain, ai^m de sa carabine, il l'attendit l plusieurs heures, cach l'afft dans un trou creus cette intention. L'immonde saurien parut enfin ram;
pant sur
le sable, il
s'allongea au soleil et s'endormit batement,
la gueule
grande ouverte. Profitant de son sommeil, le chasseur lui logea une balle dans les chairs tendres de la mchoire infrieure, c'est--dire dans le point faible de son impntrable cuirasse. Il s'empara non sans peine du crocodile qui n'tait que bless l'norme bte mesurait plus de quatre;
mtres de longueur. On luihuit
lia
fortement les pattes et
il
fallut
hommes pourle crocodile,
la traner jusqu' la barque. Lorsqu'on
on dcouvrit l'intrieur des lambeaux membres broys de l'infortune fellah. L'amphibie empailh' dcore aujourd'hui le linteau de la porte d'un fut port en oTiel au Caire. Aprs cet exploit le drogmandpeade la tte et des
triomphe travers
les villages voisins tous
en
liesse.
Les ha-
bitants firent clater leur joie dans diverses fantasias^ o la
190
LE NILs'-
poudre retentit bruyamment en l'honneur du hros, quiloig-na
combl de prsents
et suivi
des bndictions de toute
la contre.
Les anciens Egyptiens avaient une faon orig-inale de on jetait dans le Nil un porc au dos fix un hameon, pendant que sur les bords les duquel taitchasser le crocodile:
chasseurs frappaient un petit cochon.bruit
Aux
cris
pousss parl'avalait avecle
l'animal, l'amphibie se dirigeait vers la rive d'o venait leet,
rencontrant l'appt sur son passage,
il
le crochet.
Les gens aux aguets attiraient alors
saurien
terre et lui couvraient les
yeux de limon pour
s'en rendre
matres plus facilement.
Les Tentyrites,;
dit Pline,
osent
I
mettent cheval sur son dos, et, lorsqu'il renverse la tte pour les mordre, ils lui passent dans la gueuleils le
seuls attaquer de front le crocodile
chassent
mme
la nage, se
une massue dontvent
ils
prennent les deux bouts
et
s'en ser
K
comme
d'un mors pour le conduire prisonnier terre.
De nos
jours les fellahs se servent rarement d'armes feucelle
pour tuer cet animal, car sa peau, surtoutglissent sur les cailles. Voici donc:
du
dos,
comme
incruste de petits boucliers, est tellement dure que les balles
comment
ils
font la chasse
au crocodile munis d'un fort bton, ils s'approchent avec prcaution du rus saurien, et lui assnent un coup des plus vigoureux sur l'extrmit des mchoires, dont les os offrent peu de rsistance. En Nubie et au Soudan les ngres ont recours une autre mthode la main droite arme d'un couteau bien aiguis, l'indigne se dirige vers le crocodile et lui prsente en travers son bras gauche recouvert d'une gaine en cuir pais le monstre saisit le fourreau avec avidit et fait de vains efforts pour le happer, sa langue tant trop petite et adhrente au palais. Le noir profite alors de l'embarras de son redoutable adversaire pour lui plonger la lame pointue dans les chairs de la mchoire infrieure, et l'eau qui se prcipite dans la gueule du saurien l'asphyxie en quelques minutes. Dans l'antiquit, les Tentyrites, dont nous avons parl, taient:
;
LES CROCODILES
191
leur habilet chasser le crocodile et mme charmer. Aprs la conqute romaine, quelques-uns de ces hardis cornacs vinrent dans la capitale do Fempire, et Plinele
renomms pour
parle des tours tonnants qu'ils firent en prsence du peuple
assembl.
Une
fois,
dans un spectacle, ces mansuetari^ raconte
Strabon, entrrent dans
unet,
g-rand rservoir plein d'eau o se
trouvaient des crocodiles,ils les
enlacrent dans
aux applaudissements de la foule, un large filet pour les amener au borddansle bassin.
et les replong-er ensuite
On
a discut sur Ttymolog-ie duet des
mot grec
xpoxdSetXo? (cro-
codile),
solutions fort diffrentes ont t proposes.
Au
rapport d'Hrodote, le vritableet l'appellation
nom
de cet amphibie tait
Chamsa
les Ioniens, cause
aurait t donne par de sa ressemblance avec les lzards qu'ilsxpoxoSeiXo; lui
de
voyaient courir sur les murs et qu'ils nommaient ainsi. D'aprsd'autres philologuessignifierait
xpoxoSetXo?
dans son acception primitive.
qui craint;
le
rivage
autre tymologie
le
mot en questionqui craintle,
Gessner indique une serait form de x&vodit-il,
safran
et de
SsiXo;
parce que,
on a cru
que ces sauriens avaientD'aprs Straboncine,il
safran en horreur.
existait
dans
la ville d'Arsino
une
pis-
sorte
d'difice
publicle
desservi par des hirophantes
chargs de
veiller,
avec
plus grand soin, sur un crocodileSouchis.
que
l'on
appelait Dou/t, Sucheus ou
Tout
me
fait croire, crit
Cuvier, que Sou ou Souchis qui, suivant
ChampoUion,
tait le
nom
gyptien de Saturne, tait aussi
nom commele
propre du crocodile que l'on entretenait Arsino, Apis tait le buf sacr de Memphis et Mnvis celui
du buf d'Hermopolis.
portait sur
Le dmiurge Souchis, en un corps d'homme une tte de crocodile.
effet,
Aristote et les naturalistes de l'antiquit ont crit sur cet amphibie, mais presque tous se sont plus ou moins inspirs de l'intressante description d'Hrodote, d'ailleurs exacte en
grande partie
:
Le
crocodile, dit cet historien,;
quoique qua-
drupde, vit galement terre et dans l'eautoujours ses ufs sur le sable oils
maisIls
il
pond
closent
ne sont
192
LE NIL
t
pas beaucoup plus gros que ceux d'une oie, et il en sort par consquent un animal proportionn; cependant cet animal,
t
en grandissant, atteint jusqu' 17 coudes de longueur et quelquefois davantage. Il a les yeux d'un cochon, les dentssaillantes en dehors et trs grandes dans la proportion de
prtend que le crocodile une erreur qu'ont dissipe les savantes tudes de Geoifroy Saint-Hilaire. Ce saurien, en effet, a une langue, mais excessivement petite et en partie soude la vote palatine. Le dveloppement de ces amphibies est trs rapide, car lors de leur naissance ils n'ont gure qu'un dcimtre ou deux; quelques-uns atteignent une trs grande
son corps
Le Pre de
l'Histoire
n'a point de langue;
or, c'est l
taille
;
ainsi Hasselquist parle d'une femelle qui mesurait dix
mtres de long.
tat plus petit
Aucun animal, crit Pline, ne parvient d'un un accroissement plus grand. Il est armIl
de griffes, ajoute le naturaliste latin, et pour repousser lesattaques sa queue est invincible.la nuit
passe
le
jour terre et
dans
l'eau,
parce qu'il recherche la chaleur.;
Cet
amphibie
est vorace et fort cruel
et,
quoi qu'en dise Rotrou, je
doute qu'il
tue en versant des pleurs.
Une;
particularit dec'est le servicele
l'histoire naturelle se rattache
au crocodile
que
lui
rend un petit pluvier,
le trochihis^
en SbT&be siksak,
cha7Yidrius gyptius d'Hasselquist. Lorsque le saurien repose
au soleil sur un banc de sable, la gueule entr'ouverte, une arme d'insectes minuscules assige son palais qu'ils tapissent et torturent, sans que sa langue, embarrasse dans des tguments, puisse le dlivrer de ses petits ennemis. Le roitelet se glise alors dans la gueule du monstre, son grand soulage-
ment
la nettoie
s'y repat(le
de la lgion d'importuns parasites.est ainsi
en sautillant, et cet original cure-dent ail " Tandis qu'il
crocodile)
plong dans un sommeil volup-
tueux, crit Pline, l'ichneumon, qui l'observe, s'lance
comme
"
trait, entre dans son corps et lui ronge les intestins. M. de Lacpde s'est lev des considrations loquentes sur ce cruel roi du Nil. La nature en donnant, dit-il, l'aigle les hautes rgions de l'atmosphre, en donnant au'I
un
LES GROCODILESlion,
Wc
pour son domaine,
les
vastes dserts des contres
ardentes, a abandonn au crocodile les rivages des mers et
des grands fleuves de la zone torride. Cet animal norme,
vivant sur les confins de la mer et des eaux, tend sa puissance sur les habitants des mers et sur ceux que la terrenourrit. L'emportant en
grandeur sur tousle tigre
les
animaux dele
son ordre, ne partageant sa subsistance ni avec
vautour
comme
l'aigle, ni
avec
comme
le lion, il
exerce uneil
domination plus absolue que celle du lion
et
de Faigle, et
'(
jouit d'un empire d'autant plus durable que, appartenant
aux deux lments, il peut plus aisment chapper aux piges, qu'ayant moins de chaleur dans le sang, il a moins besoin de forces qui s'puisent moins vite, et que, pouvant rsister plus longtemps la faim, il livre moins souvent des combats hasardeux. Dans l'antiquit les Egyptiens de certains nomes adoraient le crocodile, tandis qu'il tait excr dans d'autres. Suivant Hrodote, les gens d'EIphantine se nourrissaient de la chair de cet animal, et mme une loi obligeait les Apollinopolites en mang*er, parce que, d'aprs une tradition, la fille du roi Psammtichus aurait t dvore par un de ces monstres
amphibies. Les Tentyrites et les habitants d'Hracle, par
exemple, avaient la plus grande horreur du crocodile et vnraient par contre Vichneumon ou rat de Pharaon (la mangouste de Bufifon), trs friand de ses ufs et qui passait pour son
ennemiSbek;
jur.les
A
Thbes
le
saurien
tait
consacr au dieu
prtres de cette ville, d'Ombos et de Shed
ou
Crocodilopolis lui rendaient les honneurs divins ; ils dcoraientses oreilles
d'anneaux
d'or, voire
de pierres prcieuses, etlui
ses pattes de riches bracelets.
On
donnait
comme
ali-
du poisson grill, des gteaux une sorte d'hydromel. Son corps tait embaum avec luxe et on clbrait en grande pompe sesmentsetil
la chair des victimes,
buvait
funrailles.
L'entretien et le culte des
animaux
sacrs, tant
du chat, du buf Apis, du cynocphale, etc., que du crocodile, taient, comme on voit, fort dispendieux. Leur mort,13
19t
LE NIL
Maspero, tait un deuil public pour le nome, parpour TEg-ypte entire; leur meurtre un crime puni de Ainsi Diodore de Sicile raconte qu'au cours d'un mort. voyage qu'il fit en Eg-ypte, pendant le rg"ne d'Aug-uste, un trang-er fix Alexandrie ayant tu un chat par hasard, la plbe exaspre saisit le coupable et le massacra malg-r sa
crit
I
fois
qualit inviolable de citoyen
romain
et
cations du roi qui tremblait pour son trne. D'aprslatin, les
en dpit des suppliun auteur
habitants de l'Eg-ypte adoraient les crocodiles non
pas en raison de leur prtendue douceur, mais parce qu'ils arrtaient la course des voleurs nubiens et autres qui, sansces
animaux redouts, auraient continuellement passmultiples. iEg-yptii;
et
repass le Nil et ses canaux(I
nullamcroco-
dilus
belluam nisi ob aliquam utilitatem consecraverunt quod terrore arceat latrones.
Les anciens tiraient aussi de cruels prsag-es des crocodiles sacrs; ainsi, quiconque osait soutenir qu'un de ces amphibies avait attaqu
un
Eg-yptien, quoiqu'il ft sur le Nil et dans
une barque
de.
papyrus, devait tre lapid
commeles
coupableanciensvilles
d'une impit sans nom.
La
diffrence
du culte rendu
cet
animal par
Eg*yptiens
eng"endra des luttes acharnes entre
les
qui adoraient le monstre et celles qui le proscrivaient; c'est au
cours d'une de ces g-uerres, rapporte Pline, que fut dtruit le
fajneux labyrinthe. Des savants, tels que Jablonsky et Larcher, ont tent d'expliquer cette frappante contradiction, qui
ne manqua pas de provoquer les sarcasmes des Romains, railIl existe, a-t-on dit, deux espces de crocodiles en Egypte le crocodilus niloticus^ d'une grande frocitleurs par nature.:
et dont la taille
dilus
norme atteint jusqu' dix mtres, et le crocosucchus, moins nuisible et gnralement plus petit. Letait dtest
pour ses instincts voraces, tandis que les sujets des Pharaons vnraient le second, avant-coureur do la crue fcondante du Nil et messager de l'inondation attenduepremieravec tant d'impatience. Nous donnons cette explication, un
peu spcieuse, pour ce
qu'elle vaut.
Mais pourquoi, objecte-
LES CROCODILES
195
rons-nous, Hrodote, Aristote, Diodore, Pline et Elien, dansleurs crits sur le crocodile d'Egypte, n'ont-ils nulle part fait
mention de ces deux varits? Hlas quel chang-ement s'est produit dans ta destine, Crocodile, dchu du rang* des dieux Non seulement on ne te nourrit plus de friandises et de miel, on ne te pare plus de bijoux rutilants, on ne pleure plus ton divin trpas, on ne!
!
punit plus tes meurtriers sacrilges, mais ta dpouille, avi-
dement recherche,sais-je,
sert,
profanation
!
fabriquer des
porte-monnaie, des ncessaires de voyage, des albums, quecent objets futiles de maroquinerie, et pour combled'indignit, on
vend
vil prix,
dans les bazars, une affreuse
contrefaon de tes caille jadis sacres, de la simili--peBM decrocodile.
Horresco referons
!
Syout.
Nous parlions encore des grands lzards amphibies lorsque Lohengrin le passa devant Manfalout, ville dpourvuet
d'intrt et dont le fleuve rong*e sans cesse les berges.
De
ce
bendfr Syout le Nil sinueux se recourbe plusieurs fois sur
lui-mme bientt nous apercevons la capitale de la HauteEgypte, qui semble tout prs, quoique en ralit distante de plusieurs kilomtres, et d'o nous tiennent loigns pendant des heures les capricieux mandres du grand fleuve, et;
j'ajouterai
un vent des plus
contraires. Aussi, las de cette
attente, je
me
fais
descendre terre et
me
dirige pied, en
droite ligne, vers Syout.
Un
bois de palmiers couronne la rive en cet endroit, et, en
dbouchant de la fouille, je suis tout surpris de voir s'tendre devant moi une immense plaine d'une merveilleuse fertilit, maille de fleurs et qui forme un des plus riches cantons dela valle nilotique.
Aprsvoire
le
dfil
monotone des fastidieuxbouquetsdec'est
pigeonniers, des saJdhs grinantes^ des villages de boue, desvilaines
sucreries,
des
sempiternels
palmes qui garnissentplaisir de reposer les
les rives
limoneuses et noirtres,
yeux sur cette caressante verdure aux tons si doux, avec les champs de bls jaunissants, les ardehs de lin d'un bleu tendre, parsems de mimosas au feuillage lgrement dcoup. Des troupeaux de moutons gambadent avec un air joyeux, des buffles paissent tranquillement aumilieu des grasses glbes d'alluvion;
les
foltres papillons
aux
ailes soyeuses,
de moi et
poudres d'or et d'argent, voltigent autour croisent, dans leurs rapides volutions, les on-
SYOUT
197
doyantes demoiselle^ chantes avec tant de grce potique par Maurice RoUina:
,
Longs clous d'or et de pierreries, Ayant grosse tte, gros yeux Et fines ailes sous les deux Elles promnent leurs feries,;
'
-'
,
EUes vont flairer les roseaux, Et puis reprennent leur voyage Entre les frissons du feuillageEtles
'^'
miroitements des eaux ;vol, plein de crochets,
"
Et,
quand leur
De zigzags et de ricochets, Ayant lass les demoiselles,
'