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Histoire Epistémologie Langage VII-l (1985) LA SCHOLIE DE STEPHANOS. QUELQUES REMARQUES SUR LA THEORIE DES TEMPS DU VERBE ATTRIBUEE AUX STOICIENS Françoise CAUJOLLE-ZASLAWSKY ABSTRACT : Although this testimony is isolated, the historians of ancient grammar, who are aware of the part played by the StoÏcs in the formation of an independent grammatical field,unreluctantly take for granted the indica- tions ofa scholium by Stephanos - the commentator on Dionysios Thrax - which imply the existence of stoÏc theory of verbal tenses; yet none of the reconstructions of this theory as the hasis of the scholium can he taken as conclusive, for want of complementary documents. This paper offers neither a new reconstruction nor a critical survey of former ones, hut tries to follow another path; it investigates whether elements which, in the scholium, are undouhtedly of stoic origin, did not stand up to the scholiast's skill in his attempt to integrate within a framework which may he foreign to them. RESUME : Les historiens de la grammaire antique, avertis du rôle des stoÏ- ciens dans la formation d'une discipline grammaticale indépendante, admettent sans réticence malgré le caractère isolé du témoignage - les indications d'une scholie de Stéphanos, commentateur de Denys le Thrace, impliquant l'existence d'une théorie stoïcienne des temps verbaux : mais aucune des reconstructions qui, à partir de la scholie, ont été tentées de cette théorie ne saurait être, en l'ahsence de documents complémentaires, réellement déci- sive. Je ne me suis donc proposé ici ni un nouvel essai de reconstruction, ni une critique des précédents, mais l'exploration d'une autre voie, en examinant si des éléments qui, dans la scholie, ont une origine incontestahlement stoï- cienne ne résistaient pas à l'hahileté du scholiaste travaillant à les intégrer à un certain cadre grammatical qui leur est peut-être étranger.

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  • Histoire Epistmologie Langage VII-l (1985)

    LA SCHOLIE DE STEPHANOS. QUELQUES REMARQUESSUR LA THEORIE DES TEMPS DU VERBE

    ATTRIBUEE AUX STOICIENS

    l~

    Franoise CAUJOLLE-ZASLAWSKY

    ABSTRACT : Although this testimony is isolated, the historians of ancientgrammar, who are aware of the part played by the Stocs in the formation ofan independent grammatical field, unreluctantly take for granted the indica-tions ofa scholium by Stephanos - the commentator on Dionysios Thrax -which imply the existence of stoc theory of verbal tenses; yet none of thereconstructions of this theory as the hasis of the scholium can he taken asconclusive, for want of complementary documents. This paper offers neithera new reconstruction nor a critical survey of former ones, hut tries to followanother path; it investigates whether elements which, in the scholium, areundouhtedly of stoic origin, did not stand up to the scholiast 's skill in hisattempt to integrate t~em within a framework which may he foreign to them.

    RESUME : Les historiens de la grammaire antique, avertis du rle des sto-ciens dans la formation d'une discipline grammaticale indpendante, admettentsans rticence ~ malgr le caractre isol du tmoignage - les indicationsd'une scholie de Stphanos, commentateur de Denys le Thrace, impliquantl'existence d'une thorie stocienne des temps verbaux : mais aucune desreconstructions qui, partir de la scholie, ont t tentes de cette thoriene saurait tre, en l'ahsence de documents complmentaires, rellement dci-sive. Je ne me suis donc propos ici ni un nouvel essai de reconstruction, niune critique des prcdents, mais l'exploration d'une autre voie, en examinantsi des lments qui, dans la scholie, ont une origine incontestahlement sto-cienne ne rsistaient pas l'hahilet du scholiaste travaillant les intgrer un certain cadre grammatical qui leur est peut-tre tranger.

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    o. INTRODUCTION

    Le scholiaste Stphanos attribue aux stociens, de la faon laplus explicite, un ensemble de dsignations des temps verbauxgrecs, ou plus exactement de dfinitions, laissant ainsi supposerque ces philosophes avaient dress une sorte de tableau raiso.nn destemps du verbe, selon des critres spcifiquement stociens. Or, ilsemble que l'existence d'une telle thorie - dont Stphanos setrouve tre jusqu'ici l'unique tmoin - soit couramment admisecomme une ralit effective par les historiens contemporains de lagrammaire antique, qui ne s'interrogent que sur la manire, incon-nue de nous faute de documents, dont elle a pu se raccorder auxconceptions philosophiques des stociens et, notamment, leursthses gnrales sur le temps et le mouvement. Diverses recons-tructions de cette hypothtique grammaire stocienne des tempsont t ainsi proposes ; mais leur vraisemblance ou leur ingnio-sit ne peut combler l'insuffisance de notre information historique ce sujet (1).

    C'est la raison pour laquelle, plutt que de tenter mon tourune reconstruction de plus ou de critiquer celles dont le dfautmajeur rside seulement dans l'absence de preuves, j'ai prfrtenter une sorte d'exprience infirmante destine mettre ventuel-lement en vidence - sans prjuger du rsultat - les lmentsqui ne corroboreraient pas la thse d'une thorie stocienne destemps du verbe.

    Cette tude n'est, proprement parler, ni philologique nilinguistique ; elle relve plutt de l'histoire de la philosophie,puisqu'elle va consister en une lecture de la scholie la lumire desfragments qui nous sont parvenus de la pense philosophiquestocienne ou, si l'on prfre, en une confrontation des opinionsattribues aux stociens par Stphanos et des thses doctrinalesque nous connaissons d'eux. Cette mise en parallle sera d'unstyle quelque peu insolite compte tenu du fait que, notre scholiemise part, nous ne possdons jusqu'ici aucun indice attestantque les stociens aient jamais construit, ou voulu construire, unethorie grammaticale des~ temps du verbe. Nous 'avons connaissance

    "_ de leur doctrine gnrale du teinps, au moins dans ses principalesarticulations et sous des divers aspects (logique, physique, thique),mais nous ne trouvons pas de vestiges d'un ventuel traitementgrammatical du problme. Toutefois, certaines remarques, bien que

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    relevant directement et spcifiquement de la discipline philosophi-que vu leur gnralit, peuvent trouver quelque application concrteen grammaire. Peut-fre en discernerons-nous la trace chez Stpha-nos. Ce qui est sr en tout cas, c'est que, dans la forme sous laquellenous en disposons ce jour, et quelle que soit leur cohrence entreelles, ces remarques ne se prsentent pas comme un systme unifi,mais de faon ponctuelle et disperses travers diffrentes analyses.

    Maintenant Stphanos, quant lui, a une faon d'exposer leschoses qui fait spontanment croire l'existence effective d'unmodle stocien du classem'ent des temps. Il mentionne en effetla conception stocienne de chaque temps verbal en la rapportantchaque fois ce qui lui correspond dans le tableau des temps ver-baux grecs tel que l'ont, leur tour, dress les grammairiens demtier. Cette prsentation de forme comparative donne penserque le systme des grammairiens aurait t obtenu par modificationd'un. systme stocien antrieur. Stphanos parat en effet vouloirsouligner une sorte de correspondance terme terme, qu'on nesaurait tablir qu'entre deux systmes comparables. Il va mme,dans cette direction, jusqu' oublier de percevoir, pour ainsi dire,la divergence profonde qui fait que l'EXTENSIF des grammairiens(notre imparfait), qui est incontestablement un pass, n'a pasgrand-chose voir avec l'extensif pass des stociens (attribuaux stociens) - qui comporte un futur et qui ne reprsente doncpas un pass, mais un temps curieux, chevauchant l'instant prsentet beaucoup plus conforme, apparemment, la premire partiede son nom qu' la seconde.

    C'est pourtant quelque chose d'autre qui frappe d'emblele lecteur quand il parcourt la scholie du point de vue de ladoctrine stocienne : l'analyse de je fais en je fis et je ferai lui sauteaux yeux, pour ainsi dire, car elle fait cho un passage de Plu-tarque, dans son commentaire critique de la notion de temps chezles stociens (2).

    1. La notion stocienne de prsent

    Plutarque, citant expressment le nom de Chrysippe (3),rapporte sa description trs paradoxale du prsent (non point dansl'acception grammaticale o ce mot dsigne un temps du verbe,mais au sens o l'on parle de l'instant prsent), rsume d'aprs

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    diffrents ouvrages de sa physique. Voici donc le-point qui intressedirectement notre tude : Chrysippe affirmerait (et les stociens sa suite (4)) qu'il n'y a pas d'instant prsent, pas de (~maintenantqui soit une partie actuelle, relle et indivisible du temps. Tout cequ'on s'imagine saisir et penser comme tant prsent est en ralit,pour une partie futur et pour l'autre partie pass : il ne reste pas lamoindre parcelle entre les deux, qu'on puisse dclarer en vritprsente. Tout ce qu'il y a de temps actuel est pass ou futur: leprsent, par contraste, n'a aucune ralit. Or, comme les actionsse divisent en correspondance avec le -temps, de mme que le pr-sent est pass pour une part et futur pour l'autre, toute actionen cours est action faite (parfait) pour une part, et action qu'onfera (futur) pour l'autre part (5). Plutarque illustre immdiatementce propos par des exemples concrets: celui qui djeune djeuna(aoriste) et djeunera (...) celui qui se promne se promena (aoriste)et se promnera (6). Voil donc premire vue confirm letmoignage de Stphanos sur ce point prcis.

    Toutefois, si on examine, derrire l'aspect extrieur de cesexemples, le sens qui leur est donn dans leurs contextes respectifs,on aboutit une conclusion quelque peu diffrente.

    Du discours de Plutarque, en effet, il ressort avec videnceque l'intention de Chrysippe, en traduisant l'action prsenteen action passe et en action future, n'tait nullement de dter-miner, de constituer, une notion de prsent: elle tait au contrairede dclarer l'inanit d'une telle notion. L'ide nouvelle que Chry-sippe cherchait faire comprendre, c'est qu'il n'y a pas de ralitphysique du prsent. Celui qui s'efforce de penser le prsent s'ima-gine saisir, sous ce vocable, quelque chose d'objectif, mais en faitil se forge une image ; et, -en la composant sur le modle du passet du futur, illaisse chapper une diffrence essentielle, savoirque les reprsentations de ces deux derniers correspondent quelque chose dans la nature, alors qu' la reprsentation du pr-sent correspond une exprience exclusivement humaine, sinonsubjective. Il n'y a pas de prsent, seulement un sentiment du pr-sent, ou plutt un sentiment de prsence. (On pourrait mmesuggrer que le stocisme tend substituer au concept de prsentcelui de- reprsentation, parce que la reprsentation est le seul moded'existence du prsent et que se reprsenter les choses consistepour chacun se les rendre prsentes qu'elles soient passes, futuresou imaginaires (7). Se'reprsenter, c'e'st faire comme si la ralit

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    tait prsente: mais il n'y a pas de ralit prsente).Ainsi, l'interprtation du prsent par le pass et le futur

    possde une signification trs diffrente, et mme contraire, dansla scholie de Stphanos et dans la physique de Chrysippe. On nousdira peut-tre qu'il ne s'agit pas du mme prsent dans l'un etl'autre cas, et que Stphanos traite exclusivement du temps verbal :la ralit ou l'irralit naturelles de l'instant dit prsent n'entrentpas en ligne de compte dans ses considrations.

    Malheureusement pour lui, il n'en allait pas de mme dans lestocisme - lequel propose, en effet, une conception largie dela pertinence. IIest capital, pour un stocien, de dterminer syst-matiquement si l'objet de son discours a ou n'a pas une ralithors du monde de l'expression et de la reprsentation. Cette atti-tude est lie son anti-conventionalisme en matire de langage :dans l'idal les mots devraient tre les signes naturels des choses,si bien que l'absence d'un objet dans la nature, ou plutt, le faitqu'il ait un mode d'existence autre que celui des ralits naturelles(par exemple, le mode de la reprsentation pure), devrait avoirson fidle reflet dans l'expression. Mais, sous l'effet d'une sortede dgradation (dont l'expliction stocienne prcise nous faiten majeure partie dfaut),notre usage des mots trahit les faits.C'est ainsi, par exemple, que nous dsignons comme une privation(en recourant au a-privatif) et par des tournures ngatives la capa-cit trs positive d'tre immortel (athanatos) et de ne pas mourir.Le cas du prsent traduit encore le mme phnomne, puisquenotre faon de parler lui attribue implicitement le type de ralit

    qu~il n'a pas.Il est permis .de douter, dans ces conditions, qu'un stocien

    ait repris sans autre forme de procs, pour ~xpliquerpositivementce qu'est l'extension d'un prsent verbal, le schma prcismentdestin dissoudre la ralit du prsent dans la nature et donc contester la validit du prsent verbal. Non que les stociens, seposant en rformateurs de la langue, aient jamais song interdirede parler au prsent, car ils prenaient le langage comme il est - aupoint mme de dfendre contre les analogistes, soucieux de rec-tifier les irrgularits de la langue grecque, les anomalies existantdans la dclinaison et la conjugaison -, mais ils n'auraient sansdoute pas prsent les choses comme Stphanos : et surtout, ilsn'auraient pas justifi l'appellation du prsent (

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    (autrement dit : non seulement dans l'instant prsent, mais encoredans le pass et le futur). De la part d'un stocien, 'et t accorderbeaucoup d'objectivit relle quelque chose qui n'existe pasrellement. -

    Un grammairien stocien, mon sens, se serait vertu plutt manifester que, dans le temps verbal dit prsent, le divorceentre la ralit et ce qu'on en disait tait particulirement frappant.S'il avait repris le schma de Chrysippe, il l'aurait repris dans lemme esprit que Chrysipp~ et pour montrer, que, si on l'employaitconformment son sens propre, le prsent ne servirait qu' non-cer la conscience ponctuelle, instantane, sans mmoire et sansprojet, que chacun peut prendre l'espace d'un cheveu (

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    futur : suivant qu'une action est plus ou moins loigne, plus oumoins rapproche de sa fin, la proportion entre la quantit depass et la quantit de futur qu'elle contient se modifie ; quandl'action dite prsente est presque acheve, il ne reste en elle quepeu de futur, et lorsque ce peu est termin en mme temps quel'action elle-mme, on nonce au pass complet que l'actionest accomplie (Il ).

    En d'autres termes, un grammairien stocien orthodoxeaurait avant tout cherch retirer de son poids au temps verbaldu prsent. Or, il existe dans la scholie au moins un indice d'un telmouvement : le point temporel sur lequel est focalise l'attentionet d'aprs lequel on juge de la quantit de temps, ce n'est pas,comme dans le systme ordinaire (12), l'instant prsent, le main-tenant (nun) , mais la fin de l'action engage : il est clair que laquantit d'action ou de temps n'est pas value d'aprs le pointo se situe l'agent entre le dbut et la fin de son action, car cepoint pourrait tre un nun (le point o l'agent se trouve main-tenant). Du dbut de l'action il n'est jamais fait mention, seule-ment de sa fin, comme pour orienter l'attention unilatralementet s'assurer ainsi qu'elle portera sur un point qui ne sera jamaisun nun, mme au moment o il sera en concidence avec l'agent(car achever une action, c'est dj faire quelque chose de diff-rent - gagner la course n'est plus courir - et tre d'emble au-del). Je crois que, d'un point de vue stocien, la notion d'accom-pli prsent est simplement contradictoire et que la notion vri-tablement stocienne est celle de pass complet.

    Pour ce qui est de marquer une distinction nette entre letemps verbal du prsent et celui de l'imparfait (soit : entre lePRESENT et l'EXTENSIF), malgr ce qu'en dit Stphanos, ce n'estgure conforme, non plus, ce que nous savons de la ligne stocien-ne. En effet, les critres sur lesquels se fonde la grammaire pourdistinguer ces deux temps du verbe, deviennent caducs ds qu'onse place dans le cadre de la pense stocienne. Si le grammairienavance que l'imparfait est un pass, le stocien exhibera tout lepass contenu dans une action dite prsente ; si le grammairienprcise que l'imparfait est un pass qui n'a pas de futur, le stocienlui fera remarquer que la notion mme d'EXTENSIF, du seul faitqu'elle indique une action non termine (im-parfaite), signifiencessairement l'inclusion d'un futur. Et si le grammairien proposede considrer l'imparfait comme dcrivant le cours d'une action

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    dans le pass, le stocien jugera que le prsent verbal peut aussibien remplir le mme rle. Bref, quand on situe le pass et le futurnon point de part et d'autre d'un maintenant, mais en se rfrantau terme d~une action particulire donne, les diffrences sparantle prsent de l'imparfait s'effacent (13). Les nouveaux critres sontle terme de l'action et, par rapport ce terme, la quantit d'actionqui reste effectuer.

    Dans ces conditions, un temps verbal quel qu'il soit exprimantune action en cours sera un extensif (ce mot pourrait, en effet,tre plus abstrait que Stphanos ne l'indique et dsigner une classede temps verbaux plutt qu'un temps verbal en particulier) ": il estpossible de nommer extensif du pass tout temps du verbe exprj-mant (14) (au pass, au prsent ou au futur) que l'action en coursdont on parle ne comporte presque plus de futur: on appelleraitau contraire extensif du futur (15) tout temps verbal exprimantque l'action en cours" comporte trs peu de pass. S'il en est bienall ainsi, l'erreur de Stphanos, ou de celui dont il s'inspire, a t,d'une part et surtout, de vouloir interprter ces donnes dans lecadre traditionnel o toutes les actions dcrites viennent s'inscriresur le mme axe du temps et s'ordonnent du pass au futur, de partet d'autre d'un certain maintenant ; mais elle a t galement defaire correspondre des temps individuels des classes de temps (16)."Rien d'tonnant si l'on obtient alors un imparfait qui transgresseles lois du bon usage, empite sur le prsent et s'tire jusque dans lefutur. A mon avis, l'interprtation grammaticale de la doctrinede Chrysippe (qui est tout fait possible et qui a peut-tre eu lieu)consiste ranger le prsent et l'imparfait dans la classe des exten-sifs, le parfait (et le plus-que-parfait) dans la classe 'des accomplis.S'il a exist un texte de grammaire stocienne la source de notrescholie, il a d tre peu prs le suivant U'essaie de rester aussiproche du commentaire de Stphanos qu'il est possible de le fairesans rompre avec le stocisme) :

    L'extensif (17), nous stociens le dfinissons extensif dufutur, parce qu'il s'tend plus vers le futur (18) ; en effet, celui quidit faisant (19) exprime la fois qu'il fit quelque chose et qu'ilfera. L'extensif est aussi dfini : extensif du pass, quand celuiqui dit je fais, je faisais (20) exprime qu'il fit la plus grande partie- mais qu'il n'a pas encore achev, etaussi qu'il fera - nlais en peude temps : si, en effet, le" pass "est en plus grande partie, ce quireste est peu (21). Et si l'on prend en plus ce peu (22), cela donnera

  • L\ ~(:tlOLIE DE ~TEPH:\NO:-\ ET LES STOICIEN~ 7..7

    un pass complet) (~3). {h:L je crois voir s'anl0rcer un tournantdans la scholie et je laisse donc pour l'instant de ct la suitedu texte) (24).

    Ce qu'il y a de plus clair jusqu' prsent~ c'est que le sto-cisme - pour des raisons qu'il faudra lucider - a rejet la tripar-tition du temps (pass/prsent/futur) qui, en conformit avecl'exprience vcue~ avait t adopte antrieurement par les philo-sophes (25). Cette tripartition a t rejete avec la plus grandedtermination. On peut en voir un signe dans l'argumentationrenforce (il faudrait presque dire : deux paisseurs) qui a tdirige contre elle. Nous venons d'tudier la premiere ligne d'atta-que, qui consiste confisquer toute ralit indpendante au pr-sent: il ne serait que le mode humain de la conscience, le sentimentd'tre au monde. Le temps lui-mme~ en tant que son existencen'est pas lie celle de l'homme~ ne comprendrait que du passet du futur.

    On dcouvre une seconde ligne d'attaque dans les trait~de morale. Elle est sans doute postrieure la prcdente qui a tmene par Znon et Chrysippe dans une perspective physique~et elle apparat plutt comme une sorte de corollaire de l'argumen-tation physique. En effet, d'un point de vue thique il n'y a aucunecontradiction dans le fait qu'une chose qui n'existe pas dans lanature ait une existence pour l'tre humain. Dans la nature, il n'ya que du pass et du futur : pour les hommes, il n'y a que du pr-sent. Il faut le comprendre en ce sens qu'ils vivent tout. qu'ilsse reprsentent tout, au prsent; c'est une contrainte de leur natureet ils ne peuvent faire autrement. Ainsi, par exemple. le souvenirest la conscience prsente du pass ~ l'espoir est une ten tative d'ap-prhender le futur ds maintenant. Il n'y a de conscience queprsente. Elle est prsentation, reprsentation au sens proprede ce qui rend les choses prsentes (ce qui ne signifie rien d'autre,justement, que conscientes, humainement cornprises) (26).De ce point de vue, le temps verbal du prsent, mensonger auregard de la ralit physique, apparat au contraire comme le seultemps capable d'noncer les vrits proprement humaines. Si nousnous exprimions de faon exacte, nous indiquerions dans tous nosnoncs le caractre de prsence actuelle de notre nonciation (27).

    Les considrations sur le prsent oscillent ainsi entre deuxextrmes suivant que la perspective choisie est existentielle ouobjective. Or, cela n'est pas fait pour faciliter la tche du granl-

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    malrlen. Laquelle des deux perspectives opposes privilgiera-t-ilen effet? Il est contraint, puisqu'elles ne peuvent concorder, dedonner la prfrence l'une ou l'autre: aucune des deux, cepen-dant, ne se prte rendre compte de faon satisfaisante de laralit linguistique - laquelle, en effet, impose de prendre encompte l'existence effective de passs, de futurs et de prsents, titre gal. Aucune thorie des temps verbaux grecs ne pourraits'accommoder ni d'une omniprsence, ni d'une complte absencedu prsent. Ce qui ressort donc le plus clairement, pour l'instant,de cette recherche, c'est q'en admettant qu'il y ait bien eu unethorie stocienne des temps verbaux, sa ~onstruction en tout casn'a pas d tre facile; car ce qui nous reste de la doctrine du tempsconvient, si l'on peut dire, aussi mal que possible la ralisationd'un tel projet.

    Essayons, maintenant, de comprendre les raisons de cetteinaptitude. Elle nous paratra sans doute moins tonnante quandnous aurons vu que les stociens ont t conduits par la rencontrede certaines difficults philosophiques dterminer leur concep-tion du temps, non point d'aprs les indications de la langue grec-que, mais contre certains traits de cette langue, qu'ils souponnaientde provoquer les difficults en question. 'En armant leur' pensedu temps' contre les ipcitations du grec ' saisir le" temps d'une c~rtaine faon, les stoiens n'ont gure prpar leur doctrine, appa-remment, rendre compte des temps verbaux dans une perspectivegrammaticale. -

    2. La controverse sur le temps et le mouvement

    La scholie de Stphanos est principalement destine 'com-menter un passage prcis du chapitre de Denys le Thrace sur leverbe : celui o il est question des sungeneiai. Denys y tablit desrapprochements entre les temps verbaux, les regroupant deux deux: le PRESENT avec son parent l'EXTENSIF, l'ADJACENTavec le SURACCOMPLI, l'INDEFINI avec le FUTUR. Si le passageparat Stphanos exiger des explications particulires, c'est quela distribution opre par Denys le Thrace est insolite et peutsembler curieuse au lecteur. Il faut, pour la rendre comprhensible,claircir un point d'histoire, et c'est prcisment ce que fait lescholiaste en se rfrant la doctrine stocienne, source des parents

  • LA SCHOLIE UESTEPHA~OS ET LE~ :-;TOICIE'~ 29

    nonces par Denys : la terminologie stocienne laisse clairementtransparatre une parent des temps (celle du prsent et de l'im-parfait comlne extensifs notamment) qui se trouve au contraireInasque par la terminologie grammaticale.

    Or, la nature mme de ces explications fait ressortir d'abordque la faon stocienne de grouper les temps allait contre leshabi-tudes. Traditionnellement, on opposait, en particulier, le prsentau pass .. c'est--dire qu'au lieu d'associer l'imparfait au prsent..on l'associait aux trois autres temps du pass, parfait,plus-que-parfait, aoriste; or, les stociens, non contents de rapprocher1'111parfait du prsent (en faisant de ces deux temps verbaux leslnlents d'une mme classe, celle de l'extensif), l'ont en outreoppos au parfait, qui est pourtant un pass comme lui. Ce sontles motifs de ce changement qu'il faut essayer de comprendre ~car la rfrence aux sungeneiai a vraisemblablement servi justifieraprs coup la. classification nouvelle des stociens, mais elle ne sem-ble pas avoir t l'origine des modifications apportes .. et dontil faut chercher la cause ailleurs.

    De mme que l'analyse du prsent verbal en aoriste et futur ..au dbut de la scholie, nous a fourni une piste dans la premirepartie de cette recherche, c'est encore une brve remarque deStphanos qui va nous permettre nouveau de nous orienter.Il s'agit de l'opposition entre les verbes marquant que l'action consi-dre est en cours ou inacheve ( savoir les extensifs) et ceux quiindiquent l'accomplissement acquis de cette action, le fait de sonachvement (les parfaits). En histoire de la philosophie, cetteopposition est bien connue. Elle voque notamment la clbrecontroverse des philosophes grecs sur l'existence du mouvementet, plus particulirement encore, la thse paradoxale des Elatesautour de laquelle s'est organis le dbat: rien ne se meut (prsent valeur imperfective : rien n'est en train de se mouvoir) .. mais il ya eu mouvement (parfait).

    Depuis les paradoxes de Znon d'Ele (destins montrerqu'il est impossible de prouver par voie logique l'existence d'unmouvement en cOUrs d'effectuation), cette controverse, qui englobeaussi les notions d'espace et de temps, insparables du mouvement,parat avoir anim l'ensemble de la philosophie grecque. CommeAristote et, aprs lui, Straton de Lampsaque, comme Epicure etson disciple Dmtrios de Laconie, les stociens se sont efforcsde relever le dfi latique et de trouver leur solution particulire

  • 30 LA SCHOLIE DE STEPHANOS ET LES STOICIENS

    l'aporie. Leur intrt pour cette question semble dater de lafondation mme de leu:rcole par Znon de Cittium; et ce n'estsans doute pas un hasard si ce dernier est aussi le principal artisande la thorie du temps dans la doctrine stocienne. -

    Une circonstance de sa vie pourrait expliquer cet intrt desa part :.il a t l'lve, avant de critiquer ses thses et de choisirune orientation diffrente, d'un Mgarique influenc lui-mmepar l'Elatisme et, en particulier, au chapitre du ~ouvement :Dio,dore Cronos. Celui-ci avait, en effet, repris le thme latiquequ'il n'est pas possible de prouver l'existence d'aucun mouvementen cours. Moins clbre que son i,nspirateur Znon d'Ele, il nousintresse pourtant davantage, dans le cadre de la prsente recherche"parce que c'est lui qui semble avoir introduit dans la discussion surle mouvement le type d'observations mi-philosophiques mi-gramma-ticales .. dont o,n retrouve les vestiges jusque chez Stphanos. Eneffet, la formule pas une seule chose n'est en mouvement, maisil y aeu mouvement (kineitai men oude hen, kekinetai de), quilui est explicitement attribue par Sextus Empiricus, tire son sehsphilosophique de l'opposition grammaticale entre le prsent duverbe (kineitai) et le parfait (kekintai). Et ce sens est le suivant:on ne peut parler du mouvement en train de se faire (

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    prsent est un mlnlmUm impartible, il est tout fait logique etnullement paradoxal de nier l'existence d'un mouvement prsent(c'est--dire qui s'accomplirait dans le prsent). Mais il n'est pasmoins logique, en observant qu'un objet a chang de place, deconclure qu'il a accompli un mouvement. De faon analogue,si subitement que l'on meure~on ne meurt pas instantanment,et par suite (toujours sous la condition que le prsent physiquesoit dfini comme l'instant prsent et le prsent verbal comme letemps du verbe qui dcrit cet instant) un discours rigoureux nedevrait pas contenir le verbe mourir au prsent ; mais rien n'em-pche l'emploi au parfait du mme verbe, car s'il est impossiblede dsigner un instant de la mort, on constate qu'elle a fait sonuvre. Bref, on ne peut noncer l'existence du mouvement quelorsqu'il a eu lieu et qu'il est termin, on ne peut parler que dumouvement qui n'est plus, ou que de la partie passe d'un mouve-ment qu'on voit se poursuivre. (Car ni Diodore ni les Elates n'ontni qu'on puisse percevoir un mouvement actuel en train de sedrouler : ce qu'ils ont ni, c'est que le langage puisse en rendrt:compte de faon cohrente -- comme ils n'ont pas ni, non plus~qu'Achille puisse rattraper la tortue, mais qu'on puisse expliquerce phnomne avec des concepts). Il n'y a pas de mouvementsignifie en l'occurrence : on ne peut parler du mouvement qu'il ya, on peut seulement parler du mouvement qu'il n'y a pas (qu'iln'y a plus).

    Cette thse est la consquence logique de conceptions prcises.D'abord, comme nous l'avons dj not, le prsent est conucomme' un point indivisible et le mouvement, au contraire, commeextension continue : il est impossible d'tablir entre eux une con-cidence. En effet, espace et temps tant constitus d'impartibles(amer) , on ne pourrait tablir une telle concidence entre un nli-nimum de temps et un minimum de mouvement qu'en aboutis-sant . confondre extension et tendue (espace), ce qui revient immobiliser le mouvement et, donc, le supprimer. Quant lasignification attribue dans cette perspective diodorenne auxtemps verbaux, elle est claire en tout cas pour le prsent: il traduitcorrectement ce qui peut avoir lieu dans l'instant (par exemple,le rebond d'une balle lance contre un mur : il y a instant prciso il est vrai de dire que la balle touche le mur). Pour ce qui est duparfait, c'est principalement sa valeur de pass qui semble utilisepar Diodore. On s'en rend compte en observant que le sens de son

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    propos ne semble pas affect par la substitution de l'aoriste auparfait. Sextus Empiricus commente indiffremment avec l'un oul'autre de ces deux temps les exemples diodorens, en suivantsimplement l'usage grec le plus courant, ce qui permet de constatersur pices que Je contenu de l'argumentation qu'il rapporte n'enest pas chang pour autant. En d'autres termes, la nU,ance introduitepar le parfait (celle d'un achvement de l'action considre) sembleavoir t interprte par Diodore comme traduisant, plutt que laralisation de l'action, sa terminaison, c'est--dire son appartenanceau pass. ' ,

    Ce dtour que nous venons de faire chez les philosophesd'Ele et de Mgare semblera peut-tre nous avoir par trop loignsde notre scholie. Si nous l'avons malgr tot jug' indispensable,c'est que le projet stocien concernant le temps ressort clair et netdu contexte ainsi prcis. Il apparat notamment ,que Znon' deCittium a d'abord constitu sa thorie en prenant enchaqueocca-sion et de la faon la plus systmatique le contrepiedde Diodore.Pour sortir de l'aporie latique et mettre en accord le discoursphilosophique avec la perception sensible (pour rendre ',compteconceptuellement, en' particulier, du mouvem'ent per), il' acom-menc par rejeter l'image d'n temps et d'un espace qui seraientcomposs d'instants ou" de points indivisibles : si les stociensrefusent l'existence d'un prsent,' c'est en fait la notion de main-tenant ou d'instant indivisible qu'ils visent travers ce prsent(et plus prcisment encore, c'est la conception diodorenne del'instant comme:point du temps" car ils voient dans cet indivisiblel'origine des difficults souleves' par les Elates) ; c'est aussi laraison pour laquelle ils ,ont choisi l'hypothse de la divisibilit l'infini de l'espace et du temps.

    Or, la thse qu'il n'y a, pas de prsent dans la ralit physique,qui est, une thse 'philosophique et. qui a, ,t. retenue "pour desraisons d'ordre logique (il s'agit avant tout de rsoudre une aporie),va devoir tre interprte pout entrer en harmonieavec'deuxtypes d'exprience qui ,pourraient lui faire chec' : l'existencevcue et l'usage linguistique habitueL Dans le premier cas, la notiond'akariaion semble avoir~ t cre pour satisfaire l'expriencedu prsent vcu (cf. ci-dessus, p. 24), sans renoncer la thsequ'il n'y a pas de prsent physique. Sur le plan du langage, main-tenant, le mme' travail d'ajustement semble avoir consist distin-guer deux niveaux dans l'expression : un niveau purement verbal

  • LA SCHOLIE DE STEPHANOSET LES STOICIENS 33

    constitu par les mots employs (on rencontre dj un sens ceniveau-l, mais superficiel ou littral), un niveau smantique plusprofond (qui pourrait correspondre ce que nous appelons l'es-prit, par opposition la lettre), et o les mots ne signifientpas ncessairement ce qu'ils disent. C'est ainsi, par exemple, que leprsent verbal dit ou note au prsent une signification ou un objetde rfrence sans prsent et ne comportant que du pass et dufutur. On pourrait Tapprocher cette situation (qui est celle de cha-cun de nous ds que nous utilisons le langage imprcis dont nousdisposons) de celle du gomtre qui raisonne juste sur des figuresfausses : tout discours reprsente, en effet, dans la perspectivestocienne, un effort pour signifier le vrai travers l'inexactitudeou l'ambigut du dire. Or, la vrit signifie par ce qui est dit auprsent, ce n'est pas comme l'a cru Diodore aprs les Elates,l'instant indivisible du maintenant, mais bien l'extension vers lefutur d'une action en cours et dont une partie appartient dj aupass. Ds lors, l'aporie latique semble pouvoir tre vite, car iln'est plus question de faire correspondre des points l'extensiondes mouvements, au droulement des actions : l'extension dumouvement correspond celles du pass et du futur, c'est--direcelle d'un temps sans prsent, c'est--dire encore d'un temps qui nese compose pas d'une suite de maintenant, mais qui est dfinicomme l'intervalle (diastema) du mouvement.

    Or, ce qui nous frappe dans l'opposition stocienne capitaleentre dire superficiel et sens profond, c'est que ce dernier n'estplus d'ordre linguistique. Il ne provient pas d'une structureprofonde, distincte de la syntaxe superficielle. Nous voulonsdire que ce n'est pas une analyse de la langue qui conduit le sto-cien dcouvrir sous le sens littral un sens plus vrai : dans lestoc-sme,. la smantique vient d'ailleurs. Elle est importe de ladoctrine philosophique. _Les stociens ~e semblent pas avoir eul'ide, en effet, que la grammaire pouvait laborer sa propre sman-tique, et quand ils n'taient pas satisfaits de ce que disait la langue,au lieu .de chercher approfondir le sens de ce dire en restant l'intrieur du domaine linguistique, ils allaient emprunter leurmtaphysique la signification profonde de l'usage linguistique.Bref, ce n'est pas en observant l'emploi du prsent dans la languegrecque que les stociens ont dcouvert que ce temps tait utilispour signifier l'extension vers le futur d'une action en cours. Ce quisemble s'tre rellement produit, c'est -que les stociens, pour des

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    raisons tout fait trangres la recherche grammaticale (nous enavons vu la source dans le dbat philosophique sur lemouvement),ont souhait vider le prsent du maximum de ralit possible.Un de leurs moyens d'y parvenir a consist creuser la distanceentre dire et sens, dans le vocabulaire ayant trait au prsent, aupoint par exemple de faire signifier au prsent verbal l'opposmme de ce qu'il dit : quand on nonce un verbe au prsent, ondit que l'action mentionne n'est ni passe, ni future. mais, juste-ment, prsente, de sorte qu'en attribuant au temps du prsentla signification conjointe d'un aoriste et d'un futur, on ne metpas jour le sens profond et vritable de ce temps verbal, on nefait en ralit que lui retirer la capacit d'avoir un sens ptopr~et distinct. ,

    Ainsi, le commentaire stocien du prsent nous semble mieuxconu pour torpiller ce temps (en le rduisant une pure fictionverbale ou, au mieux, l'expression de la subjectivit humaine)que pour asseoir et rglementer son usage. Or, c'est bien l ce quinous fait .douter que les philosophes stociens aient pu, en se livrant ce type de critique destructrice, avoir l'intention de construireune thorie grammaticale des temps du verbe. L'tat d~esprit quise rvle dans l'analyse du prsent est visiblement 'orient dans unedirection diffrente : l'intrt pour les questions linguistiques n'est.pas le moteur de la recherche, et les observations grammaticalesapparaissent subordonnes des thses extrieures au domainegrammatical.

    . Les remarques que nous venons de faire propos du prsentpeuvent tre reprises au sujet du parfait. L encore, Znon deCittium s'est vertu dire le contraire de ce que disait Diodore.Pour ce dernier, le temps est constitu d'indivisibles (amer) etil n'y a pas de transition continue d'un instant l'autre: on ne peutdonc conclure de l'existence du mouvement dans le pass l'exis-tence du mouvement dans le prsent. La vrit ncessaire quequelque chose s'est m n'entrane pas la moindre probabilitque quelque chose doive se mouvoir maintenant ou dans le futur.D'autre part, Diodore semble avoir mis l'accent sur l'aspect ter-min - -mais au sens de dpass, dfunt- de l'vnement pass:'il est fini' signifie avant tout qu'il est radicalement absent de l'hori-zon actuel. Znon, par contraste, a conu le temps comme divisibleindfinim'ent et a rejet la notion d'instant indivisible. Il rjetaitsimultanment celle d'action ponctuelle (la conscience elle-mme

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    n'est pas instantane : l'akariaion est une mtaphore). D'autrepart, il a interprt l'vnement ter~in, en utilisant le sens duparfait (30), comme un vnement qui a atteint son point finalet qui a donc eu lieu, comme une action acheve, c'est--direralise, accomplie : le terme ne signifie plus l'absence actuellecomme chez Diodore, il prsuppose l'existence antrieure d'undbut et d'un droulement (31).

    Pour conclure ce stade de la recherche, voici pour l'instantce qui nous semble ressortir des observations prcdentes.

    Il nous apparat en premier lieu que les donnes attribuesaux stociens manifestent un intrt qui n'est pas orient dans lamme direction que celui des grammairiens. Ces derniers, en effet,semblent proccups de dterminer de faon autant que possibleunivoque la valeur temporelle de chaque temps ; ils s'efforcent dedcanter, pour ainsi dire, son emploi principal, l'rigeant en emploicanonique : ses emplois moins frquents seront tenus pour secon-daires et peu reprsentatifs. Bref, les grammairiens semblent recher-cher une sorte de correspondance biunivoque entre un tempsverbal et un usage. Par exemple, l'imparfait aurait valeur d'uneextension dans le pass en ce double sens que ce temps indiqueraitque l'action dcrite est prsente comme situe dns le pass,o elle serait considre du point de vue de son droulement,et d'autre part que l'emploi de ce temps serait spcialement appro-pri exprimer cette signification de pass extensif. Mais les philo-sophes - et les stociens nous semblent sur ce point plus prochesd'eux que des grammairiens - paraissent beaucoup moins sensibles J'existence d'un usage canonique pour chaque temps verbal.On le voit au fait qu'ils utilisent au contraire pleinement une cer-taine polyvalence temporelle et qu'ils la cultivent mme - de lafaon la plus spontane, visiblement - en ne concentrant pas(contrairement ce que feront les grammairiens) toute la valeurtemporelle exclusivement dans les temps verbaux : les adverbesreoivent une bonne part - pour ne pas dire la part principale -de cette charge. Nous avons vu l'exemple (qui se retrouve frquem-ment de nun eleges (imparfait + l'adverbe maintenant) quisignifie un pass immdiat aussi bien qu'un parfait pourrait lefaire. De faon analogue, une formule telle que sig egenetoepi polun khronon (

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    extension dans le pass ne requiert pas l'usage de l'imparfait. Onpourrait multiplier les exemples. Le plus curieux, c'est que Stpha-nos lui-mme 'nous indique une manire systmatique d'obtenirune' signification quivalente tel 'ou tel temps verbal l'aided'un autre temps associ un adverbe. C'est ainsi, par exemple,que le parfait est traduisible en un aoriste' accompagn de arti(

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    nelle (pass, prsent, futur) qu'on retrouve dans les temps verbauxgrecs, semble les avoir conduits donner la prminence, de faonparticulirement nette, au sens exprim par rapport au dire mat-riel (lexis) : ils n'ont pas focalis leur attention sur les temps ver-baux, mais sur les valeurs plus abstraites d'extension et d'achve-ment - plus abstraites en ce que chacune d'elles peut tre renduepar plusieurs temps verbaux diffrents; c'est--dire qu'il est possibled'exprimer l'extension non seulement avec un prsent ou un impar-fait mais encore (comme dans l'exemple platonicien ci-dessus) avecun aoriste assorti d'une formule adverbiale. Le mme aoriste ad'ailleurs la capacit, si on lui adjoint l'adverbe adquat, d'exprimerl'accomplissement, tout comme le parfait (Stphanos est le premier nous en donner la preuve) (33). Or, ce n'est pas en suivant cettedirection, nous semble-t-il, qu'on sera conduit mettre en reliefl'originalit spcifique de chaque temps verbal considr .individuel-lement: on serait plutt conduit, en la circonstance, soulignerla capacit de substitution de ces temps, 'leur capacit de prendrela relve les uns des autres -sans qu'aucun d'eux soit irremplaa-ble. Bref, tout le travail de traduction effectu dans la scholie,qu'il s'agisse de l'analyse du prsent et de l'imparfait en aoristeet en futur, dans la premire partie du texte, ou des quivalencesentre parfait ou plus-que-parfait et aoriste avec adverbe, tabliesdans' la seconde partie, nous semble command par un intrtphilosophique qui, en l'occurrence, tend contrecarrer les inten-tions du grammairien.

    Nous n'avons pas voulu montrer par l que les stociensn'ont pas fait de grammaire ou qu'ils n'ont pas cherch instituercette dernire comme une discipline indpendante, mais seulementque leur mtaphysique les a entrans, au chapitre du temps, des considrations qui, d'une part, sont indniablement des consid-rations d'ordre grammatical ou linguistique, mais qui, d'autre part,ne vont pas dans le mme sens que la doctrine qui s'est impose,historiquement, en grammaire. Les stociens ont peut-tre fait unethorie des temps verbaux : le tmoignage de Stphanos Goint ce qui nous est-parvenu de Znon et Chrysippe) fait ressortir toutce qui devait ncessairement opposer cette thorie grammaticale ce qui est devenu la grammaire officielle d~s temps verbauxen grec.

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    (1)

    LA SCHOLIE DE STEPHANOS ET LES STOICIENS

    NOTES

    Parmi ces reconstructions, l'une des plus connues est sans doute cellede M. Pohlenz Die Begrndung der ahendIiindischen' Sprachlehre durchdie Stoa , parue dans Nachrichten der Gesellschaft der Wissenschaftenzu G6ttingen, 1939, pp. 151 sqq. (reproduite dans Kleine Schriften,pp. 39 sqq.). 'La thse dfendue par Pohlenz (et d'aprs laquelle l'originesmite des stociens les aurait entrans, dans leur interprtation destemps verhaux grecs, donner aux valeurs d'aspect l'importance qu 'ellesont dans les langues smitiques : la scholie de Stphanos, oriente dans lemme sens, serait hien le reflet des ides stociennes) a suscit diversesrflexions critiques et des lectures nouvelles, du texte en question. Citonsnotamment, de J. Lohmann, Gemeinitalish und Uritalish, dans Lexis,III (2), 1953, pp. 180-199 ; de K. Barwick, les observations contenuesdans Probleme derstoischen Sprachlehre und Rhetorik (Berlin, 1957,pp. 52-54) ; de J. Pinborg, les pages 92-94, notamment, d'une tude his-torique des origines, de la linguistique : Classical Antiquity : Greece ;1. The beginnings of Grammar, dans CU"ent Trends in Linguistics, 1975(XIII), pp. 69-126, o l'auteur rcapitule les princ!pales interprtationsde la ,scholie. Citons enfin, comme l'une des plus recentes, sinon la'plusrcente, l'analyse de K. Schopsdau : Zur Tempuslehre des ApolloniusDyskolos, parue dans Glotta (56), 1978, pp. 273-294. L'auteur traitela scholie comme la doctrine stocienne des temps verbaux l'tat pur -doctrine si hien tahlie, selon lui, au second siecle d~ notre re, qu'elleaurait empch Apollonius pyscole d'analyser correctement les tempsde l'indicatif: '. .

    (2) Plutarque. Moralia, Les notions communes, 1081 C 41 - 1082 A 42, no-tamment. Son tmoignage concorde avec celui que ~onnera aussi SextusEmpiricus dans son Contre les professeurs, X 119-120, par exemple, ouX 192 (= VI 63), ou encore dans Hypotyposes py"honiennes, II~ 145.

    (3) Pluparque, op. cit., 1081 F. Dan~ le mme paragraphe sont mentionns,comme ouvrages de Chrysippe o il est question du temps et du prsent,Du vide et d'autres traits, ainsi que les livres III, IV et V du Des parties.

    (4) La thse attrihue en particulier Chrysippe en '1081 F est prsenteplus gnralement comme celle des' stociens en 1081 C (ou encore dansL'E de Delphes, 392 F). Comme,l'indijue V..Goldschmidt dans Le syst-mestocien et l'ide de temps (Paris: . Vrin, 1969, p. 7, n. 3), il semhleque la doctrine du temps ait t. fixe dans ses lignes principales par Znonde Cittium, c'est--dire dsl,es premiers temps du stocisme, et qu'ellefi 'ait suhi ensuite que des ajustements ou des modifications de dtail.

    (5) 1082 B. hos gar 10u eneslolos khronou 10 men parokhst1uli 10 de melleinlegousin houtos 10u prattomenou to menpeplflkhthaitodeprtlkhthseslhai.

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    (6) Loc. cit.

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    difficile saisir" en le faisant chapper la perception sensible. Si lesstociens parlent de temps en termes d'espace, c'est qu'ils ne peuventaccder la ralit du temps que par l'intermdiaire des mouvements(observables dans l'espace) des choses corporelles:'

    (11)00 notera queStphanos dsigne de deux faons distinctes le parfaittel que le dsignent les stociens :' pass complet et accompli prsent.Cependant, c'est accompli prsent qu'il nous donne pour le nom offi-ciel . Or, pass complet serait beaucoup plus fidle la perspectivede Chrysippe, comme nous allons le voir dans la section suivante.

    (12)La tripartition du temps, adopte par les grammairiens, et qui est trsvisible dans la scholie de Stphanos, tait dj traditionne.lle en philoso-phie avant l'poque stocienn,e~:On la trouve aussi bien chez Platon qu:echez Aristote, quoique la dnomination des trois temps ne paraisse pascompltement fixe. Le verbe parer/chomai est gnralement utilis pourdsigner le pass (meta tou 'pareletuthotos ; en toi parelluthoti khrono; ;en toi parelthont{ bio;...), :;pare;m; est utilis p~ur le prsent, accompagnfrquemment de nun (tiju nun parontos kh,,"onou ...) ; mello est utilispour rendre le futur, accompagn de l'infinitif futur parfois (per; tonmellonta khronon ,. mellein esestha; ; u.), mais on trouve aussi, par ~xem-

    .. ple" : en toi nun par~nti kai en toi epe;ta ,. ho epeita /chronos, ou encore:ta gegonotako; ta 'paronta pros ta. mellonta. Cela pour" Platon. Aristoteemploie gnralenient :ho pare/luthos /chronos, toparellu"thos, Pilrel.thon/'hoparon khr~"o~; to paron / ~~ mellon khronos, to mellon.,

    (13)L'invention mme d'une notion comme celle d'extensif suffit mo'ntrerque d'un point de vue stocien la distinction de ces de~x temps est subsi-diaire ou fictive. En effet, cette notion se rapporte une action 'en cours,en train de se raliser, et sous cet aspect-l prsente (prsente en tout caspour celu qui s'emploie l'effectuer, et qui vise un but encore futur).Cela: rienous'semble paradoxal qu'en raison de notre habitude de r~enerau mme axe temporel toutes les actions envisages, alors que" le stocienles, considre chacune sparment et du point de vue de celui qui les

    " acc?mpli~. ~'est pourquoi l'imparfait, 9uand il dcrit une ~~tion en cours(meme SI c est en cours dans le passe selon les grammmnens), ou toutautre temps s'il s'en "trouve qui dcrirait u"ne action' en cours, dcrit uneaction' re-prsente (et nonahle au prsent). La description' d:un drou-lement est toujours,en un c"ertain sens, description d'uneatualit~L'extensif donc, quelque temps qu'on l'nonce, signifie: action ayant encoreun futur. En ce sens, cette action e~t vue en mme temps comme prsente,et comme imparfaite, puiqu'el'e n'est pas' finie .. 11 ne faut pas accuser lesstociens d'une faute qui a t~ ~ommise par les grammiriens .: ~i ces

    .derniers cherchaient un nom dsignant un temps pass, il n'tait peut-tre pas indiqu d'emprunter l'extensif stocien.' Les "grammairiens ii'ontpas vu que cet extensif impliquait une partie future,". et pour faire leur'EXTENSIF ils ont repris de l'extensif stocien deux lments (extension,

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    pass), alors qu'il y en a trois.On se reprsente mieux le sens du discours stocien si l'on se rend comptequ'il est possible (et quel point il est possible) de substituer l'un l'autre le prsent et l'imparfait (en grec ou en franais) sans rien changerau contenu significatif. (

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    entre ce qui est dit et ce qui est signifi ou exprim. Sur des notions tellesque sunemphos;s, pfUemphos;s, ou mme, simplement, emph;s, quiindi-guent cette distance entre le sens et la formule, voir par exemple SextusEmpiricus (Log. 1 239). Diogne Larce, propos de ce -thme stocien,cite l'exemple o les mots (lexis) n'expriment plus rien: cas de blitur;(VII 57). Par contraste, la faon de dire parfaite serait celle qui transmet-trait seulement et en totalit le sens exprimable (Sextus Empiricus, Log.II 80 = SVF II 167). Or, la dissociation du sens et du dire conduit lesstociens distinguer une sorte de structure superficielle et de struc-ture profonde : dans le cas du verhe, les temps appartiendraient lapremire, l'extension et l'achvement la seconde.

    (15) Plutt qu' extensif prsent , tautologique ou contradictoire suivantla conception du prsent.

    (16)Stphanos fait correspondre terme terme l'extensif prsent au PRE-SENT, et l'extensif pass l'EXTENSIF: en ralit, il faut prohable-ment considrer la fois le PRESENT et l'EXTENSIF comme des l-ments de la classe extensif-stocien. On a un indice que l'assimilation del'extensif prsent au PRESENT et de }'extensif pass l'EXTENSIFn'est pas correcte, dans la possibilit d'noncer indiffremment au pr-sent ou l'imparfait un extensif du' futur' (Je commenais peine), l'imparfait ou au prsent un extensif du pass (

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    la tournure la plus courante en la cironstance, ou hien il a repris le tourdj employ par Chrysippe (l'un n'excluant d'ailleurs pas l'autre).

    (20)11 convient de runir ce que le scholiaste prsentait sparment. Si l'exten-sif a un sens, encore une fois, c'est celui d'assujettir la localisation d'uneaction dans le temps l'affirmation de son extension.

    (21)Cette description quantitative semhle fortement influence par la thoriepythagoricienne. des proportions, l 'tendue de l'action reprsentant lemonocorde, l'agent le curseur interceptant la corde, et ses diffrentespositions les sections permettant de calculer les rapports de quantit.Les expressions de plus grande quantit, de ce qui reste, la compa-raison des quantits appartiennent ce contexte. Il se trouve que cephnomne est en accord avec le choix du terme intervalle (dlStma) ,qui a aussi la mme origine, par Znon de Cittium et Chrysippe, pour leurdfinition du temps. Cela tendrait confir~er que ces indications quanti-tatives proviennent hien des stociens.

    (22)Leverhe prendre en plus, proslamiHInein pourrait galement provenirdes stociens, mais parce qu'il appartient, cette fois, la terminologiedes logiciens, dsignant l'acte d'ajouter une mineure la majeure d'unsyllogisme pour olitenir une conclusion. Le parfait serait par excellencele temps indiquant le rsultat optenu, la conclusion acquise. Pour le sensde proslllmbanein, voir aussi J. Pinhorg (article cit n. 1), p. 120.

    (23)Cette notion nous est une occasion nouvelle de saisir la diffrence quispare le point de vue grammatical (qui localise l'action dans le pass,le ,prsent ou le futur) et le point de vue stocien, hrit d'Aristote, quivoit dans le parfait, non un pass rcent, mais une action acheve parcontraste avec celle qui ne le serait pas (ate/s) ; cf. Aristote, Mtaphysi-que, Theta 6,1048 b 25 sqq.

    (24)Jusqu' ce point de la scholie, il est relativement facile, en fonctionde ce qu'on sait de la doctrine de Znon et Chrysippe sur le temps, defaire un tri entre ce qui peut et ce qui ne peut pas avoir t empruntau stocisme. On a affaire une adaptation qui, tout en trahissantcompltement l'intention de l'extensif stocien, russit conserver uncertain style stocien. Le scholiaste semhle n'avoir donn que le minimumde coups de pouce dans le hon sens. Il parat plus difficile de dmlerdans la suite de la scholie ce qui relve de l'information et ce qui relvede l'interprtation tendancieuse. L'amalgame est plus compact. Nousrservons une autre tude son analyse.

    (25)q. n. 12. Denys le Thrace (que commente Stphanos) semhle, pour sapart, avoir t partag entre deux distrihutions possihles des temps ver-haux, qu'il s'est efforc de concilier (cf. Grammatici Graeci, 1 1, p. 53).L'une ohit la tripartition, et regroupe les temps du pass (imparfait,

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    aoriste, parfait, plus-que-parfait) et les oppose d'une part au _prsent,d'autre part aux futurs (futur indfini et futur proche)~Le second principede classement consiste distribuer les temps selon trois critres qui ne sontpas chronologiques (extension, accomplissement, indtermination). Letableau des temps donn le premier obit. la tripartition : mais l'analysede la parent des diffrents temps se conforme au second principe. Or,le commentaire de Stphanos, dans notre scholie, qui porte principalementsur ces parents (sungeneial) et -expliquant que les parents morphologi-ques proviennent de causes plus profondes' (l'extension, l'accomplisse-ment ou l'indtermination), indentifie comme tant d'origine stociennele second type de classement. Mais le modle de la tripartition s'est suffi-samment impos pour que le scholiaste s'attache gommer plutt qu'montrer tout ce qui rend les conceptions stociennes dviantes par rapport ce modle. .

    (26)On notera, de ce 'point de vue, l'importance du verbe paristanaidansla pense stocienne. Ce verbe, qui signifie prsenter et doit tre prisau sens fort de rendre prsent, trouve une application tous les niveauxde l'existence stocienne, c'est~-dire' aussi bien sur le' plan; moral; par'exemple (comme le -montra A. Voelke -dans La 'fonction thr4pe~tiquedu logos selon Chrysippe, Etudes de Lettres, Bulletin de la Fac~lt desLettres-de l'Universit de Lausanne, 1981 (2), pp.' 60-62),: puisque lavertu curative ?u logos tient sa. c~raci~ _?e, rendre'p~~s~!lte;, ,de fairetoucher du dOIgt -en quelque sorte, labsurdIte des' passIon's, .ou 'dans lathorie des signes, puisque ce n'est jamais que par l'indispensable inter-mdiaire d'un signe prsent et peru hic et nunc qu 'il~stpossible. l'hom-

    . me de se remmorer le pass ou hien de prvoir quelque h~se de l'avenir.Seutle signe prsentement observable permet d'noncer du vrai surle passou le futur, comme on le voit sr les exemples,stociens ;'si la fem~e quevoici a du -lait: (signe prsent), elle a enfant (ralit passe). Si l'hommeque voici a une blessure au cur (signe prsent), il mourra (futUrprvisi-ble). Cf Sextus Empiricu.s, Log. II 244 = SVF II 73.

    (27)Nous ne dirions' pas j'ai crit, par exemple,ni j'c'riri, ~as ~j me, rappelle 'que j'ai ecrit, hier ou j'ai prsentment l'intenti~nd'criredemain, ou' toute autre formule, l'important tant que soit mentionnel'nonciation prsente de l'nonc, ou, si l'on prefr, la prse#ce de

    l'nonciation~ans l'nonc, comme diraient 'aujourd'huicert.ain~ lin-guistes. On-pourrait' suggrer, dans cette perspective, que si H~s stociensont privilgi la notion d 'aspect par rapport celle de localisation tempo-relle, Hne faut pas tant chercher cet aspect (ou pas seulement le chercher)dans le couple extensif-a~compH, comme l'a fait Pohlenz, que dans l'indi-cation de prsence ncessairement contenue, dans la perspective _sto-cienne, .dans toute nonciation s~sceptible-de vrit. On peut interprteren ce sens ce que C. Imbert dsigne comme le critre d'actualit desstociens (

  • LA SCHOLIE DE STEPHANOS Et LES STOICIENS 45

    (28)Sextus Empiricus, Contre les logiciens, II 115-117 ; Contre les physi-ciens, II 96-102, 112-117.

    (29)Cette apprciation (atopon) se trouve mentionne chez Sextus Empiricus,et le mme jugement figure aussi chez les noplatoniciens, par exemplechez Thmistius (Paraphrase de la Physique d'Aristote, VI 237 a 1-17) - la manire d'un lieu commun en quelque sorte.

    (30) Sur le sens et l'volution du parfait grec, voir P. Chantraine : Histoiredu parfait grec. Paris : H. Champion, 1926 (p. 254, notamment). Il semblequ'au Ille sicle avant J .-C. aient cxist deux tats, en principe succes-sifs, de l'volution du parfait. On constate, en effet, que ce temps conservetantt son aspect rsultatif et tantt est employ, dj, comme un qui-valent de l'aoriste. Les stociens, ce que dit Stphanos (dont le tmoi-gnage sur ce point est corrobor par celui de Sextus Empiricus) ont privi-lgi le parfaitrsultatif valeur de prsent. Peut-tre s'agit-il l d'unvestige stylistique provenant de Znon de Cittium (principal auteur de lathorie du temps). Il nous parat en tout cas inutile d'interprter le phno-mne la manire de Pohlenz comme une influnce des langues smiti-ques (Znon tait originaire de Phnicie, Chrysippe de Cilicie) : Aristotes'tait dj servi de la valeur aspectuelle du parfait et du prsent (Mt.1048 b 25. sqq., notamment) pour distinguer les actions qui sont par-faites ds le premier instant o elles se produisent (ce sont les actionsqui, comme voir, ont leur fin en elles-mmes), et celles qui ont besoinde temps pour se raliser (comme les actions d'aller d'Athnes Thhes,ou de construire). Ces deux types d'action se diffrencient sur le plan del'expression en ce que les premires peuvent aussi bien s'~noncer auparfait qu'au prsent (celui qui dit je vois peut dire j'ai vu), ce quin'est pas le cas pour les secondes (

  • 46 LA SCHOLIE DE STEPHANOS ET LES STOICIENS

    pourvu que diffrents adverbes viennent successivement le dfinir. A notreavis, ce n'est pas du point de vue de sa localisation dans le temps quel'aoriste est indfini (car cette perspective rintroduit, comme point derepre, un maintenant dont les stociens ne seulent pas~mais du pointde vue de l'extension et de l'accomplissement: suivant les adverbes qu'onlui accolera, on le rendra apte exprimer soit l'extension, soit l'accomplis-sement.

    octobre 1984 Centre National de la Recheche SCientifiqueSection de Philosophie, Paris

    adresse de l'auteur:7, rue Lhomond

    75005 Paris