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1 CENTRE INTERNATIONAL DE FORMATION DES AVOCATS FRANCOPHONES CIFAF Session du 19 Août au 13 Septembre 2019 FORMATION EN DROIT PROCESSUEL Thème : Pratique du contentieux administratif 1 M. Césaire KPENONHOUN Enseignant à lUniversité « La Forme est la sœur jumelle du fond. » HYERRING INTRODUCTION Pour paraphraser un auteur, il est miracle que l’on soit parvenu à soumettre la puissance publique à la règle de droit. Dit autrement, l’Etat de droit constitue en principe, un dénominateur commun à tous les Etats qui se réclament du libéralisme politique, de la démocratie pluraliste. La soumission de l’administration à la loi doit être un acquis dans un Etat démocratique. On pourrait avancer que la légalité est la sœur jumelle de la légitimité, ce que traduit la notion de ‘’libéralisme administratif’’ 2 qui ne se confond pas au libéralisme économique. Toutefois, la conception du libéralisme administratif peut varier d’un espace politico-juridique à l’autre. Très exactement, il ne se conçoit pas de la même manière selon que l’on a affaire au Commun Law qu’au Civil Law. Dans le premier système, ‘’tous doit être soumis à la loi’’ signifie que « nul n’est au dessus de la loi », et que « la même loi doit être appliquée à tous ». Au vu d’un tel système, l’Etat de droit prône la soumission des administrés ou des citoyens et de la puissance publique aux mêmes règles juridiques ainsi qu’à une même juridiction. Il en découle une unité de juridiction coiffée par une Cour suprême. Dans le second système, il pourra y avoir un Etat de droit sans que les administrés et la puissance publique soient d’une part, régis par les mêmes règles de droit, et d’autre part, appelés à comparaître devant une même juridiction. Les règles de droit commun ou ‘’de tout le monde’’ s’appliqueront aux citoyens qui auront à s’adresser aux juridictions de droit privé pour connaître de leurs litiges. En revanche, il y aura un droit spécial et une juridiction spécifique pour statuer sur les litiges auxquels l’administration est partie. C’est ce qu’il faut entendre par le privilège de juridiction. On parlera de l’’’Administration et de son droit’’, ou encore de 1 Par césaire F.S. KPENONHOUN, Maître assistant / CAMES en Droit public, Enseignant –chercheur à l’Université d’Abomey-Calavi (UAC-Bénin), Conseiller à la Cour suprême du Bénin 2 Voir Yves GAUDEMET, Droit administratif, pp.9 et s.

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CENTRE INTERNATIONAL DE FORMATION DES AVOCATS

FRANCOPHONES

CIFAF

Session du 19 Août au 13 Septembre 2019

FORMATION EN DROIT PROCESSUEL

Thème : Pratique du contentieux administratif1

M. Césaire KPENONHOUN

Enseignant à l’Université

« La Forme est la sœur jumelle du fond. »

HYERRING

INTRODUCTION

Pour paraphraser un auteur, il est miracle que l’on soit parvenu à soumettre la puissance

publique à la règle de droit. Dit autrement, l’Etat de droit constitue en principe, un dénominateur

commun à tous les Etats qui se réclament du libéralisme politique, de la démocratie pluraliste.

La soumission de l’administration à la loi doit être un acquis dans un Etat démocratique. On

pourrait avancer que la légalité est la sœur jumelle de la légitimité, ce que traduit la notion de

‘’libéralisme administratif’’2 qui ne se confond pas au libéralisme économique.

Toutefois, la conception du libéralisme administratif peut varier d’un espace politico-juridique

à l’autre. Très exactement, il ne se conçoit pas de la même manière selon que l’on a affaire au

Commun Law qu’au Civil Law.

Dans le premier système, ‘’tous doit être soumis à la loi’’ signifie que « nul n’est au dessus

de la loi », et que « la même loi doit être appliquée à tous ». Au vu d’un tel système, l’Etat de

droit prône la soumission des administrés ou des citoyens et de la puissance publique aux

mêmes règles juridiques ainsi qu’à une même juridiction. Il en découle une unité de juridiction

coiffée par une Cour suprême.

Dans le second système, il pourra y avoir un Etat de droit sans que les administrés et la puissance

publique soient d’une part, régis par les mêmes règles de droit, et d’autre part, appelés à

comparaître devant une même juridiction. Les règles de droit commun ou ‘’de tout le monde’’

s’appliqueront aux citoyens qui auront à s’adresser aux juridictions de droit privé pour connaître

de leurs litiges. En revanche, il y aura un droit spécial et une juridiction spécifique pour statuer

sur les litiges auxquels l’administration est partie. C’est ce qu’il faut entendre par le privilège

de juridiction. On parlera de l’’’Administration et de son droit’’, ou encore de

1 Par césaire F.S. KPENONHOUN, Maître assistant / CAMES en Droit public, Enseignant –chercheur à l’Université d’Abomey-Calavi (UAC-Bénin), Conseiller à la Cour suprême du Bénin 2 Voir Yves GAUDEMET, Droit administratif, pp.9 et s.

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l’’’administration et de son juge’’. Un tel système opte pour la suma divisio : droit public-droit

privé, avec pour corollaire, la dualité de juridictions. Il existe d’un côté une Cour de cassation

avec ses démembrements- tribunaux et cours d’appel-, et de l’autre côté, un Conseil d’Etat avec

sa suite. Les conflits de compétence ou de décisions sont tranchés par un tribunal des conflits.

Le double degré de juridiction est instauré au sein des deux ordres de juridictions (judiciaire et

administratif) au même titre que cela se conçoit au regard d’une unité de juridiction ou de la

Cour suprême qui tranche de juge, les contrariétés de décisions dudit système.

Mais quelles explications donne-t-on aux règles spécifiques et au privilège de juridiction dont

bénéficie l’Administration ? En effet, sous l’Ancien Régime en France, le Parlement exerçait

aussi la fonction juridictionnelle, ce qui l’amenait à empiéter sur le domaine de compétence du

Roi. Avec l’avènement de la Révolution de 1789, ce mauvais souvenir, des rapports entre les

pouvoirs publics demeurait vivace dans l’esprit des acteurs politiques. Il fallait le combattre.

Certes il était évident qu’avec la séparation des pouvoirs, le législatif ne pouvait plus être

également érigé en un juge au lendemain de 1789. Un troisième pouvoir a plutôt été consacré,

à savoir le pouvoir ou l’autorité judiciaire. La logique des Révolutionnaires français était de

faire en sorte que les interférences de l’autorité juridictionnelle ou judiciaire dans les

attributions du pouvoir exécutif soient prohibées. Car, au nom du principe de la séparation des

pouvoirs, était déduit cet autre principe : « juger l’administration, c’est encore administrer ».

Une pareille approche de la séparation des pouvoirs était à l’origine de l’interdiction… Les

différents textes juridiques qu’on vient de citer ont été matérialisé par l’arrêt Blanco en février

1872 : « La responsabilité qui peut incomber à l’Etat du fait …. Ne peut être régie par les

principes qui sont établis dans le Code civil pour régir les rapports de particulier à particulier ;

qu’elle a ses règles spécifiques qui varient en fonction des besoins du service et de la nécessité

de concilier les droits de l’Etat avec les droits des particuliers ». On n’a pu en déduire que la

forme suit le fond, à savoir que les règles de compétence et de forme ressortissent autant que

celles de fond, du droit administratif et de la juridiction administrative.

Dit autrement, et de nos jours, c’est de façon technique et pratique, grâce aux finalités ou

aux missions de l’Administration que sont l’intérêt général ou le maintien de l’ordre

public qu’un droit spécifique lui est appliqué par un juge spécial. A cette fin, la puissance

publique utilise des méthodes et des procédures exorbitantes de droit commun et des

moyens de plus en plus performants ou sophistiqués auxquels sont affectés d’énormes

deniers publics tendant à devenir eux aussi exorbitants de droit commun, ce qui nécessite

la présence d’un juge approprié pour en contrôler les résultats.

Aussi convient-il de préciser que ‘’la pratique du contentieux administratif’’ qui est l’objet

des présents échanges s’article autour des règles de forme, des règles de procédure qui

retiendront presque exclusivement notre attention3.

NB : Le libéralisme administratif, tel qu’il vient d’être décrit ci-dessus, fait état d’un principe

qui admet une exception de part et d’autre. En effet, il arrive que dans le système du Commun

Law, une règle spéciale s’applique à l’administration et que dans celui du Civil Law, des règles

3 Voir René CHAPUS, Droit du contentieux administratif, 2008.

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qui ressortissent du droit privé régissent celle-ci qui est également attraite par moments devant

les juridictions de droit privé.

Quid de l’option africaine, francophone, du ‘’libéralisme administratif’’ ?

En effet, à l’accession à l’indépendance des Etats africains d’influence et d’expression

françaises, le choix à faire entre la dualité de juridictions et l’unité de juridiction s’est posé en

raison du nombre limité des juristes qu’il y avait à l’époque. Le motif qui est ainsi avancé a

évolué, mais l’option qui a été faite demeure en vigueur sur le fondement des arguments d’ordre

pratique et technique. Elle consistera à s’inspirer des deux systèmes : la Commun Law et le

Civil Law. La première variante de l’unité de juridiction est calquée sur le système français. Il

existe une Cour suprême avec des tribunaux et cours d’appel comportant une Section ou

Chambre spécialisée en contentieux administratif. Le double degré de juridictions est préservé

comme en France. Mais les magistrats qui sont chargés d’animer les Sections ou Chambres sont

les magistrats de l’ordre judiciaire. On peut citer les exemples du Mali ou du Tchad. La

deuxième catégorie de Cour suprême se confond en réalité à la première. La justice

administrative était concentrée au sein d’une Chambre administrative de la Cour suprême. La

Chambre statue en premier et dernier ressort. C’était le cas du Bénin jusqu’à la déconcentration

dans les faits, de la justice administrative, à partir de janvier 2017. La concentration continue

de prévaloir en Guinée Conakry. La troisième tendance est celle de la Côte d’Ivoire ou du

Sénégal. L’article 1er de l’ordonnance n° 60-56 du 14 novembre 1960 dispose :

« L’organisation judiciaire au Sénégal comprend outre la Cour suprême siégeant à Dakar, des

Cours d’Appel, des Cours d’assises, des Tribunaux de première instance, des justices de paix

et des Tribunaux du travail. Ces juridictions connaissent quel que soit le statut du justiciable

de toutes affaires civiles, commerciales ou pénales et de l’ensemble du contentieux

administratif.» Il n’existait pas de Section ou Chambre. Les juridictions reçoivent

indistinctement les requêtes en quelle que matière que cela puisse être. La quatrième option

s’est traduite par le Conseil d’Etat qui a été créé en 1995 au Sénégal. Elle fait état d’une unité

de juridiction à la base, et une dualité de juridictions au sommet. Mais l’expérience n’a pas

survécue à la révision constitutionnelle de 2008. Elle est présentement reprise par le Burkina

Faso. La Cour de cassation ayant disparu au Sénégal, la Cour suprême a été ressuscitée. Elle

dispose d’une Chambre qui statue en premier et dernier ressort en matière de recours

pour excès de pouvoir. En outre, elle est juridiction de cassation dans le domaine du plein

contentieux.

Tout compte fait, le principe ou le système qui domine, est que les quatre variantes ont en

commun un juge judiciaire qui statue sur le contentieux administratif. C’est ce qu’il faut

entendre par ‘’une unité de juridiction avec séparation des contentieux’’.

Les exceptions sont de deux ordres. Certains Etats ont fini par instaurer la dualité de

juridictions. On peut citer les exemples de la République centrafricaine, du Maroc ou de

la Tunisie. D’autres Etats, le Bénin en l’occurrence, pratique une expérience hybride. Les

Chambres administratives des juridictions de fond sont animées par des magistrats de

l’ordre judiciaire, donc non spécialisées. En revanche, statuent à la Chambre

administrative de la Cour suprême, des magistrats de l’ordre judiciaire. On enregistre

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une forte tendance à la spécialisation de ceux-ci. A ces derniers sont adjoints des juristes

de droit public, universitaires ou administrateurs, pour connaître du contentieux

administratif.

La notion, de contentieux, désigne un litige. Il est administratif lorsqu’il se rapporte aux

procès auxquels sont parties en général, les personnes morales de droit public, ou en

particulier, les litiges qui naissent des activités de nature administrative (quelles que soient

les parties au procès), et qui sont soumis à une juridiction administrative, par application

en principe, des règles de forme et de fond relevant du droit administratif.

La définition présente cinq centres d’intérêt.

Premièrement, les litiges sont classés d’une manière classique en deux grandes catégories : le

contentieux des poursuites et celui des recours. Dans le contentieux des poursuites, c’est

l’administration elle-même qui est la plaignante. C’est le cas en matière de contraventions de

voirie (atteinte à l’intégrité d’une voie publique, etc.). Mais ce contentieux n’étant pas

développé dans les Etats francophones, il ne sera pas abordé ici. Seul le contentieux des recours

sera approfondi.

Il comprend deux subdivisions : le contentieux de l’excès de pouvoir et le contentieux de

pleine juridiction ou plein contentieux.

Le contentieux de l’excès de pouvoir comprend quatre recours : le recours pour excès de

pouvoir, le déféré préfectoral, le recours en appréciation de légalité et le recours en déclaration

d’inexistence juridique.

Le contentieux de pleine juridiction est plus diversifié que le recours pour excès de pouvoir. Il

comprend deux sous-branches. D’un côté le contentieux objectif de pleine juridiction et de

l’autre le contentieux subjectif de pleine juridiction.

Il y a recours objectif de pleine juridiction lorsque la procédure a trait à une décision

administrative que le requérant demande à la juridiction administrative d’annuler, de réformer

ou modifier ou de rapporter en y substituant une autre décision au besoin. Le contentieux

électoral, fiscal ou des édifices menaçant ruine en sont des exemples non limitatifs.

Le contentieux est dit subjectif de pleine juridiction quand ce qui est demandé au juge est de

condamner l’administration au versement d’une somme déterminée en réparation du préjudice

que le requérant estime avoir subi. Il se rapporte dans l’ensemble à la responsabilité

contractuelle et extracontractuelle de l’administration. A juste titre le contentieux subjectif est

désigné par l’expression : responsabilité administrative.

Deuxièmement, les autorités administratives sont prioritairement concernées. Mais en dehors

d’elles, les particuliers qui se voient confier la gestion d’un service public mènent des activités

qui peuvent être à l’origine d’un contentieux administratif. En outre, toutes autres institutions

politiques nationales (Assemblée nationale ou Cour constitutionnelle…) peuvent provoquer un

contentieux administratif au regard des activités de portée administrative qu’elles mènent (par

exemple dans leurs relations avec les agents qu’elles emploient). En cas de recours incident de

la part du juge judiciaire, l’on est également en présence d’un contentieux administratif.

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Troisièmement, l’administration pouvant mener des activités en se plaçant dans les mêmes

conditions qu’un particulier, la répartition de la compétence contentieuse entre les deux ordres

de juridictions intervient fondamentalement, sauf prescriptions législatives contraires, sur la

base du critère d’une gestion publique par opposition à la gestion privée.

Quatrièmement, le juge judiciaire concurrence, âprement, la juridiction administrative

dans le règlement de litiges qui relevaient à l’origine, de la compétence presque exclusive

de celle-ci. La concurrence est fort perceptible en droit administratif économique (droit

de la concurrence, de la consommation, contractuel etc.).

En contrepartie, le juge administratif érode un pan non négligeable du domaine de

compétence qui, de façon classique, revenait à la juridiction judiciaire : la protection des

droits fondamentaux et des libertés publiques. Mis à part le juge constitutionnel, les juges

judiciaire et administratif deviennent simultanément, des gardiens des libertés publiques

et de l’intérêt général. Il devient de plus en plus laborieux de faire une distinction entre le

contentieux administratif et le contentieux de l’administration. Celui-ci rassemblait le

contentieux administratif et le contentieux de droit privé de l’administration.

Cinquièmement, l’on se permettra de marquer une pause relativement au Bénin. En effet,

l’article 36 de la loi n°2001-37 du 27 août 2002 portant organisation judiciaire prévoit des

tribunaux de première instance. Les trois communes à statut particulier que sont Cotonou,

Porto-Novo et Parakou comprennent chacune un tribunal de première instance de première

classe. Les 74 communes ordinaires comptent, avec un regroupement par zones, 25 tribunaux

de première instance de 2e classe, ce qui porte le total à 28 tribunaux de première instance. Les

sièges des tribunaux de première instance de 2e classe sont fixés à Ouidah, Abomey-Calavi,

Allada, Adjohoun, Avrankou, Pobè, Sakété, Comé, Aplahoué, Lokossa, Dogbo, Abomey,

Bohicon, Covè, Savalou, Dassa-Zoumé, Savè, Niki, Bembérèkè, Kandi, Malanville, Djougou,

Natitingou, Kouandé et Tanguiéta. Avec l’avènement du Code de procédure civile,

commerciale, sociale administrative et des comptes du 28 février 2011, chacun des 28 tribunaux

sera doté d’une Chambre administrative. A cela se rajoutent trois cours d’appel. Chaque cour

comprend une Chambre administrative conformément à l’article 61. Il s’agit de celle

d’Abomey, Parakou et de Cotonou. Elles sont toutes fonctionnelles.

Néanmoins, exceptés 10 tribunaux, à savoir ceux de Cotonou, Porto-Novo, Parakou, Ouidah,

Abomey-Calavi, Lokossa, Abomey, Savalou, Kandi, Djougou et Natitingou, les 17 autres

restants ne sont pas encore fonctionnels.

Les textes juridiques qui sont applicables au contentieux administratif sont au nombre de cinq :

-l’ordonnance n° 21/PR du 26 avril 1966 portant composition, organisation, attributions

et fonctionnement de la Cour suprême ;

- la loi n° 2001-37 du 17 août 2002 portant organisation judiciaire en République du

Bénin ;

- la loi n° 2004-20 du 17 août 2007 portant règles de procédures applicables devant les

formations juridictionnelles de la Cour suprême ;

- la loi n° 2004-07 du 23 octobre 2007 portant organisation, attributions et

fonctionnement de la Cour suprême ;

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- la loi n°2008-07 du 28 février 2011 portant Code de procédure civile, commerciale,

administrative, sociale et des comptes.

Le Bénin ne dispose pas encore d’un Code des obligations de l’Administration (COA) comme

au Sénégal ou au Gabon.

Il en ressort que la démarche adoptée sera inductive. L’argumentation prendra sa source dans

les systèmes des Etats francophones pour être éclairée au besoin, à la lumière du droit comparé.

Elle sera enrichie par les cas d’études réels ou supposés qui sont attendus de nos partenaires,

les Avocats que vous êtes. L’approche sera également linéaire ou classique. De ce fait, elle

comprendra, en raison du temps qui nous est impartie, deux mouvements : l’examen des règles

de recevabilité et l’instruction des affaires.

PREMIERE PARTIE : LA RECEVABILITE DES RECOURS

Première partie : La Procédure administrative contentieuse

La première partie sera consacrée à la saisine du juge. Seront étudiées, les conditions de

recevabilité relatives aux recours pour excès de pouvoir et au plein contentieux. L’accent sera

mis ensuite sur les conditions de recevabilité qui sont propre à chaque type de recours (chapitre

II).

Chapitre I : Les conditions de recevabilité relatives aux deux types de recours

Il y a un certain nombre de conditions de recevabilité dont la violation est irrémédiable. Le

recours doit être déclaré irrecevable. Ce sont les conditions non susceptibles de régularisation

(section I). En revanche, il y a des conditions de recevabilité que le juge invite un requérant peu

attentif à régulariser. Il s’agit des conditions susceptibles de régularisation (chapitre II).

Section I : Les conditions non susceptibles de régularisation

Les conditions en cause ici se rapportent au requérant lui-même. Ils sont de deux ordres : la

capacité et la représentation (paragraphe I) d’une part, et l’intérêt à agir et à la qualité pour

agir (paragraphe II) d’autre part.

Paragraphe I : La capacité, l’assistance et la représentation

Dans le silence des différents textes juridiques sur le contentieux administratif au Bénin, il faut

entendre, par capacité, soit l’aptitude physique et mentale à pouvoir ester en justice en nom

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propre, soit la jouissance d’une existence juridique qui permet au représentant d’une personne

morale d’agir au nom et pour le compte de celle-ci. Il faut donc pour être capable, qu’une

personne physique soit majeure et jouissent de ses facultés mentales, et qu’une personne morale

existe juridiquement.

L’article 457 de la loi n° 2002-07 du 24 août 2004 portant Code des personnes et de la famille

au Bénin situe la capacité, en l’occurrence la majorité à 18 ans. Un mineur ne peut donc ester

en justice (arrêt Blanco, 1872). L’article 459 du même Code dénie également la capacité aux

majeurs dont la faculté mentale est altérée ainsi que ceux qui ne jouissent pas de leurs droits

civils.4 Ces dispositions sont comparables à l’article 1123 du Code civil français en vertu duquel

la capacité est « une aptitude à plaider en justice (en nom) devant les tribunaux (capacité de

jouissance) soit comme demandeur (capacité active), soit comme défendeur (capacité passive) ;

aptitude à faire valoir soi-même ses droits en justice, à y être partie agissante comme

demandeur ou défendeur sans être représenté par un tiers. »5 Ceux qui ne jouissent pas de la

pleine faculté mentale ne peuvent que faire l’objet d’une assistance, sauf en cas d’une

altération passagère des facultés mentales (N° 040/CA du 20 septembre 2001, Lucien

NAGNONHOU). C’est une originalité de la jurisprudence administrative béninoise. On a

pu penser à une capacité virtuelle.

Il en ressort que les personnes morales qui ne peuvent agir par elles-mêmes, se font représentées

en justice. C’est ce qu’il convient d’abord de comprendre par l’article 23-1 du Code béninois

de procédure civile, commerciale, sociale, administrative et des comptes lorsqu’il énonce que

les « personnes publiques peuvent se faire représenter par un de leur préposé ». La formule

caricaturée de Gaston JEZE garde toute son importance : « Je n’ai jamais délayé avec l’Etat ».

L’Etat peut être représenté par un de ses ministres, l’Agent judiciaire du Trésor (AJT) ou le

préfet. Par exemple, l’article 160 de la loi n°97-029 du 15 janvier 1999 habilite le conseil

municipal à délibérer sur les actions que la commune peut intenter ou soutenir en justice.

L’article 67-8 autorise le maire à représenter la commune en justice. Les établissements publics

sont représentés par leur premier responsable statutaire.

En vertu du même article, 23-1 du Code béninois de procédure, les sociétés de personnes

peuvent se faire représentées par l’un des associés et les autres personnes morales privées par

un de leurs préposés fondé de pouvoir. En d’autres termes, si l’un des sociétaires peut agir au

nom de la structure à laquelle il appartient dans les sociétés de personne, dans celles qui sont

anonymes ou dans les écoles privées d’enseignement par exemple, seuls peuvent agir, le PDG

(président directeur général) ou le fondé de pouvoir par référence aux statuts de l’institution

concernée. Les Sociétés en faillites sont représentées par le Syndic (Voir les articles 53

alinéa 2, 147 et 170 alinéa 3 de l’Acte uniforme du 10 avril 1998 portant procédures

collectives d’apurement du passif ; Michel SAWADOGO, Traité et Actes uniformes de

l’OHADA commentés et annotés, Paris, Juriscope, 2002, p. 899 ; ou a contrario, l’arrêt de

la Chambre administrative de la Cour suprême du Bénin, N° 07/CA du 07 février 2002,

Etat béninois représenté par l'AJT ; en droit administratif français, « en cas de dissolution,

les personnes morales survivent pour les besoins de leur liquidation. » (CE 6 mai 1970,

SCI Résidence Reine Mathilde).

Un requérant peut se faire représenter par un mandataire de son choix. Le cas échéant,

ce dernier doit être doté d’un mandat ou d’une procuration dûment délivrée par le

4 Toutefois, l’incapacité qui frappe un repris de justice n’exclut pas qu’il répond de ses actes devant la justice ou attrait un adversaire devant la loi en cas de besoin. 5 Rapporté par Gérard CORNU, Vocabulaire juridique, op.cit., pp. 131-132.

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mandant. Il existe une jurisprudence abondante en la matière au Bénin (N ° 22/CA du 07

juin 2001 Hervé VINOU ; N° 146 / CA du 28 juillet 2005, J. Pascal GANDOLANHOU ; N°

167 / CA du 15 Septembre 2005, SOKENOU G. SOFFO Rep. / SOKENOU S. et Bertine

TCHIBOZO).

Par conséquent, il ne semble pas qu’il soit possible pour une mineure émancipée d’intenter

une action devant le juge administratif. Elle devrait se faire représenter.

Les mandats illégaux sont naturellement rejetés et le recours est déclaré irrecevable (N°

58/CA du 1er mars 2005, Ayabavi AMOUSSOUVI et autres ; N°17/CA du 1er mars 2007,

Gafarou ATANDA). D’un autre point de vue, puisque chacun des époux a en principe

capacité pour agir en justice, le juge n’admet pas que le mari agisse au nom de sa femme

pas plus que celle-ci ne peut ester en justice à la place de son conjoint (voir au Bénin,

N°37/CA du 8 avril 2004, Julien AHIHOU ; voir du côté de la France, CE Sect. 27 juillet

1990, Ministre de l’Agriculture).

Aussi, l’article 23-1 n’exclut pas que devant les tribunaux de première instance, les personnes

morales qui le désirent soient représentées par un avocat. La représentation par un avocat se fait

en quelque sorte par ricochet. Il se substitue au représentant de la personne morale pour l’action

à mener, mais il n’est pas le représentant de ladite personne morale comme le sont par exemple

les préposés ou fondés. De ce fiait, en matière de recours pour excès de pouvoir où le

ministère d’avocat n’est pas exigé (article 824 alinéa 2-2), celui-ci doit disposer, en

principe, d’un titre justificatif de sa qualité comme tout autre représentant (N°102/CA du

19 mai 2005, Isaac Festus DOSSA). Toutefois, dans la pratique, sauf objection de la part

du représenté, ou du changement d’un avocat par un autre, le port de la Robe emporte

devant le juge administratif de la Cour suprême au Bénin, le ministère d’avocat d’une

manière générale, à savoir dans le domaine du plein contentieux et aussi en matière de

recours pour excès de pouvoir.

Lorsqu’une société est en faillite, il est possible qu’une juridiction dénie sa qualité de

représentant à l’avocat au motif que ce dernier ne détenait plus un titre régulier. Mais, ce

sera sous réserve. Cela voudra dire que le syndic peut reconduire à l’avocat le mandat de

celui-ci. Il y aura une simple régularisation expresse ou tacite. Un esprit de continuité du

procès le recommande, à moins que le syndic ait des raisons de craindre l’ambiguïté des

relations entre l’avocat et les dirigeants défaillants.

Paragraphe II : L’intérêt à agir et la qualité pour agir

Conformément à l’article 33 du Code béninois de procédure de 2011, « l’action en justice n’est

recevable que si le demandeur :

-justifie d’un intérêt légitime, direct… ;

- a la qualité pour agir en justice… ».

En contentieux administratif, l’intérêt à agir en justice représente le tort, le méfait (recours pour

excès de pouvoir) ou le préjudice, le dommage (plein contentieux) que le requérant a subi du

fait de l’acte juridique, matériel ou de l’inertie de l’administration, et qui le décide à attraire

celle-ci devant le juge. Contrairement aux autres textes juridiques qui l’ont devancé, le

Code béninois de procédure de 2011 a apporté des précisions à ce qu’il convient

d’entendre par un intérêt individuel. Celui-ci doit être légitime, direct et personnel.

En effet, par intérêt légitime, il faudrait comprendre un intérêt qui est défendable au regard de

la loi ou de la jurisprudence, qui n’est pas illicite ou prohibé. Lorsque par hypothèse, un

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justiciable occupe illégalement un domaine public qu’il refuse de libérer suite à une mise en

demeure que l’administration lui aurait adressée, il ne se plaindrait qu’à lui-même du préjudice

qu’il aura subi à l’occasion de son déguerpissement des lieux par les forces de l’ordre. Un intérêt

est direct quand il est actuel ; le juge peut le constater au moment de sa saisine. Le requérant

ne sera pas admis à se prévaloir d’un intérêt éventuel ou futur, qui n’est pas palpable ou évident.

L’intérêt personnel signifie que le tort doit être causé au requérant lui-même, mais non pas à

quelqu’un d’autre. D’où la formule, « pas d’intérêt pas d’action », ou encore, « nul ne plaide

par procureur » gardent toute leur portée en contentieux administratif (mais pas en contentieux

constitutionnel). Quand un justiciable arrive à prouver une telle inconséquence de la part de

l’administration, il n’est plus un simple justiciable, mais l’intérêt lui confère la qualité de

requérant, plaignant, plaideur, demandeur etc. On dit que l’intérêt à agir donne qualité pour

agir. Mis à part la représentation du requérant qui donne lieu à un premier emploi de la notion

de qualité, un second usage est ainsi rattaché à l’intérêt à agir. Mais le Code béninois de

procédure est resté muet sur l’intérêt des personnes morales ou l’intérêt collectif.

Toutefois, par référence au droit comparé, et vu sous un troisième angle, la qualité pour agir en

justice signifie qu’en dehors de l’intérêt personnel, il peut arriver qu’un requérant agisse pour

le compte d’une communauté, d’une association dont il est membre. L’intérêt n’est plus le sien

à ce moment, mais celui du groupe auquel il appartient. On dit que l’intérêt est collectif. Le

juge effectue deux vérifications en une pareille circonstance. Premièrement, il s’avise que le

justiciable appartient effectivement au regroupement dont il se réclame. Il vérifie sa qualité de

membre d’une association donnée. Alors, la qualité (de membre d’une institution) donne

« intérêt pour agir en justice ». Secundo, la qualité de membre étant requise, le juge

administratif se penchera sur le tort qui aurait été causé à la communauté d’intérêt qui serait en

jeu. Ce n’est qu’à cet instant, et à cet instant seulement, que le membre serait considéré comme

un véritable requérant. Par enchaînement, on pourrait dire que la qualité donne intérêt pour agir,

et par la suite, l’intérêt donne qualité à agir (CE 28 décembre 1906, SYNDICAT des PATRONS-

COIFFEURS de LIMOGES).

La Chambre administrative de la Cour suprême du Bénin a fait un exploit en matière de

qualité donnant intérêt à agir. Elle a admis que la qualité de citoyen local donne intérêt

pour se plaindre au juge des opérations de recasement qui se sont déroulées dans un

département.6 A fortiori, le cas des communes n’est plus à rappeler. Ce n’est plus la qualité

de contribuable seule qui peut être brandie (articles 161 à 164 de la loi n° 97-029 du 15

janvier 1999 portant organisation des communes en République du Bénin), mais aussi la

qualité de citoyen communal. On retient en France, ‘’ la qualité d’habitant pour les actes

régissant un secteur géographique’’ (Voir Marceau LONG, Conclusions sur CE 14 février

1958, ABISSET).

Il reste qu’en France, l’autorisation accordée au contribuable est donnée en fonction de

l’action à entreprendre, mais non pas au regard de la personne qui l’a sollicitée. En

d’autres termes, le recours contentieux peut être exercé par un autre contribuable que

celui qui a demandé l’autorisation de le formuler7. Le recours s’exerce donc erga omnes.

La loi portant organisation des communes au Bénin, pas plus que L’arrêt SEVO,

n’intègrent cette dimension (erga omnes) de l’autorisation de plaider. Un plaidoyer ou de

préférence une plaidoirie, peut être effectuée dans ce sens à la moindre occasion. Le cas

échéant, l’intérêt collectif garderait tout son sens. L’initiative de plaider deviendrait une

6 Voir N° 106/CA du 19 mai 2005, Hontongnon Pierre SEVO c/ Préfet Atlantique, www.juricaf.org (consulté le 18 juillet 2008). 7 Voir CE Sect. 22 juillet 1992, CERAPIN, Rec, p. 302.

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initiative collective (n’importe quel contribuable pourrait la prendre, et sa mise en œuvre

émanerait aussi de tout membre de la communauté d’intérêt concernée).

Une autre originalité de la jurisprudence béninoise réside dans l’évolution ou le

changement de la qualité pour agir en cours d’instance. La qualité initiale est remplacée

par une autre qualité, qui lui est substitué. Le requérant s’est prévalu à l’origine, de sa

qualité d’époux pour exercer un recours en lieu et place de sa conjointe. L’administration

a conclu à l’irrecevabilité du recours. Mais puisque les règles de recevabilité sont des

moyens d’ordre public, le juge a fait prévaloir d’office, la qualité de fermier du plaideur

pour relever le recours de l’irrecevabilité auquel il est exposé (N°37/CA du 8 avril 2004,

Julien AHIHOU). On enregistre une double originalité : la présomption d’intérêt à agir,

et son extension.

D’une part, la jurisprudence française prévoit par exemple, le changement d’intérêt en

cours d’instance (voir CE 3 mai 1993, Soc. industrielle de construction). Par la suite, il a

décidé qu’une association pour la protection de l’environnement qui ne jouit pas en raison

de son objet d’un intérêt à demander l’annulation d’un permis de construire, peut se

prévaloir de son agrément par le préfet, en application du Code de l’environnement,

postérieurement à l’introduction de l’instance, pour justifier la recevabilité de son

recours (voir CE 25 juin 2003, Commune de Saillagouse, Rec., p.950). Dans la Commune

de Saillagouse, s’il n’est pas exclu que la permutation d’intérêts est intervenue dans une

même instance, il n’en demeure pas moins vrai que l’intérêt dont le requérant français

s’est prévalu en deuxième position dans la même instance est postérieur à l’introduction

de l’instance alors que dans la jurisprudence béninoise, l’intérêt qui a été brandi

ultérieurement existait avant la saisine de la Chambre administrative.

D’autre part, le législateur français a fait échec à la jurisprudence Saillagouse dans

l’article 13 d’une loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le

logement. Cet article qui a modifié le 2e alinéa de l’article L142-1 du Code de

l’environnement interdit que les actes administratifs qui sont intervenus postérieurement

à l’introduction d’une instance soient exploités dans le sens de la présomption d’intérêt à

agir. Cela ne fait que renforcer l’originalité de la jurisprudence AHIHOU. A partir du

moment où le législateur français entrevoit la réforme dans le sens d’un acte administratif,

le juge béninois pourrait s’en inspirer pour étendre la présomption d’intérêt aussi bien à

la qualité que l’intérêt à agir ou dans le sens de leur combinaison.

Au surplus, le changement d’intérêt à agir peut intervenir pour une première fois en

appel. Il est arrivé qu’en France, une requérante soit admise à invoquer sa qualité de

promoteur en première instance, puis en appel, celle de propriétaire voisin d’une

construction donnée (CE 3 mai 1993, Soc. industrielle de construction précité) ; CAA

Bordeaux, 3 mars 2009, CAPDEBOSCQ, AJDA, 2009, p.1006.

D’un autre point de vue, une personne morale non encore déclarée peut-elle toutefois

ester en justice contre des actes qui contredisent l’intérêt collectif dont elle est appelée à

se réclamer ? Le Conseil d’Etat français l’admet (CE. Ass. 31 octobre 1969, Syndicat de

défense des eaux de la Durance). Il semble que la Chambre administrative de la Cour

suprême du Bénin n’est pas encore saisie d’un tel recours.

Au demeurant, contrairement à la France où la qualité donnant intérêt pour agir s’érige

en un principe, c’est plutôt le contraire qui s’observe au Bénin ; l’intérêt à agir demeure

la règle générale. Le principe de l’un est alors l’exception de l’autre. Mais pour des motifs

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de pertinence, de célérité et d’efficacité, les requérants auront tout intérêt à agir

collectivement.

Mais il n’est pas possible en retour, à la communauté d’intérêt d’ester en juste pour le

compte personnel, pour l’intérêt individuel de ses membres. Il n’y a donc pas de

réciprocité en la matière : exemple, défalcation de salaire pour un motif de grève (N°70/CA

du 16 novembre 2000, SNESTP8 ; voir du côté français, CE 28 décembre 1906, SYNDICAT

des PATRONS-COIFFEURS de LIMOGES ; CE, 22 janvier 2007, Union fédérale

équipement-CFDT).

Section II : Les conditions pouvant être régularisées

Les conditions pouvant être régularisées sont la caution et le droit de timbre

(paragraphe I) et le mémoire ampliatif (paragraphe II).

Paragraphe I : La caution ou consignation et le droit de timbre

La caution est de 15.000 frcs CFA (article 6 de la loi n° 2004-20 du 17 octobre 2007 portant

règles de procédures applicables devant les formations juridictionnelles de la Cour suprême. Ce

taux a été réitéré par le Code de procédure de 2011 en son article 931). Mais au moment du

dépôt du recours, il y 1000 frs de frais de justice qui sont payés au service du greffe de la Cour

suprême.

Contrairement en ce qu’il en est au Bénin, l’apposition d’un timbre sur chaque page du mémoire

n’est plus en vigueur en France. Le timbrage revient à 800 frs par page de la requête introductive

d’instance ou du mémoire sommaire. Les mémoires ampliatif ou complémentaire, en réplique,

et en duplique ne sont pas timbrés.

Paragraphe II : La production du mémoire ampliatif

Par mémoire ampliatif, il faut entendre le mémoire qui vient renouveler le mémoire sommaire

d’introduction de l’instance. Il s’agit plus exactement d’un mémoire complémentaire. Pour

éviter par exemple d’être forclos, un requérant peut, au lieu de produire un mémoire introductif

d’instance valant mémoire ampliatif, se contenter de retracer les grandes lignes du recours

contentieux dans un mémoire sommaire, avec la promesse, fait au juge, qu’il établira un

mémoire en bonne et due forme par la suite. Au cas où il ne le ferait pas, la juridiction le

rappellera à l’ordre en lui enjoignant de produire un mémoire complémentaire. S’il ne

s’exécutait pas, le recours sera frappé de déchéance.

Au mémoire introductif d’instance valant mémoire ampliatif ou à celui-ci, succède le mémoire

en défense. Il peut appeler un mémoire en réplique de la part du demandeur. Il pourrait y avoir

un second mémoire en défense auquel répondra encore un mémoire en duplique etc.

NB : Eviter d’avoir à produire des conclusions nouvelles ou à invoquer de nouveaux

moyens dans le mémoire ampliatif lorsqu’il est produit hors délai, c’est-à-dire après

l’expiration du délai de recours contentieux. En cas de non production du mémoire

ampliatif, le requérant est réputé s’être désisté et l’affaire est classée.

Le mémoire du requérant comporte trois parties (l’exposé des faits, les moyens et les

prétentions). Celui de la défense comprend deux parties (réponse aux moyens du

8 Voir en sens contraire, N°07/CA du 1er février 2007, SYNATRADER c/ MDR, www.juricaf.org (consulté le 18 juillet 2008). La jurisprudence ne paraît donc pas encore stabilisée.

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requérant, et la conclusion). Il est précédé d’une brève introduction qui rappelle les

énonciations faites par le demandeur.

Chapitre II : Les conditions de recevabilité propres à chaque type de recours

Il s’agit d’abord, des conditions propres au recours pour excès de pouvoir (section I) et

ensuite, de celles qui interpellent le plein contentieux (II).

Section I : Les conditions propres au recours pour excès de pouvoir

La même méthode d’analyse sera reprise. Les conditions qui ne peuvent pas être régularisées

(paragraphe I) interviendront avant celles qui en sont susceptibles (paragraphe II).

Paragraphe I : Les conditions ne pouvant pas être régularisées

Les conditions ne pouvant pas être régularisées sont d’un certain nombre, pas moins de cinq

en tout cas : l’acte faisant grief (A), le délai de recours contentieux et le recours administratif

préalable (B), les recours contentieux sans moyens ou conclusion (C).

A/ L’acte faisant grief

NB : La matière administrative doit être métrisée pour écrire le mémoire en toute

connaissance de cause, faute de quoi le juge se déclarera incompétent pour connaître de

l’affaire dont il aura été saisi. « La juridiction statuant en matière administrative est

compétente pour du contentieux de tous les actes émanant de toutes les autorités

administrative de son ressort. Relèvent du contentieux administratif :

1°-les recours en annulation des actes ;

2°- les recours en interprétation des actes des mêmes autorités sur renvoi des autorités

judiciaires… »

L’explication de l’acte faisant grief sera dérivée de la compétence du juge. En effet, il avait été

avancé que la Chambre administrative contrôle toute sorte de décision, mais elle ne sanctionne

que les actes faisant grief. Les décisions posent un problème de compétence. L’acte faisant grief

soulève une question de recevabilité. Exemple : le ministère béninois de l’Enseignement

supérieur et de la Recherche scientifique avait donné une autorisation provisoire d’ouverture à

des établissements privés d’enseignement dont les « Ecoles INFOGES et LOYOLA ». Elles

sont spécialisées dans la formation des apprenants dans les domaines médicaux et para

médicaux. Au moment de programmer les écoles privées accréditées qui vont présenter des

candidats aux différents examens nationaux de 1999, le ministère n’avait pas écrit sur la liste

qu’il a établie, le nom des « Ecoles INFOGES et LOYOLA ». Il leur avait reproché de n’avoir

pas respecté les normes et standards qui sont en vigueur dans le domaine concerné. La question

se pose de savoir le nombre de décisions que comprend la liste ministérielle qui a été ainsi

affichée. En effet, il y a trois actes administratifs.

Le premier acte renseigne sur le nom des établissements qui ont été autorisés à présenter

des candidats. En tant que tel, c’est une mesure administrative qui crée un

ordonnancement juridique relativement à l’organisation des examens de fin d’année

scolaire. Le juge l’aura contrôlé. Mais comme elle ne cause pas de tort à ses destinataires,

il ne la sanctionnera pas. En cela consiste la question de compétence.

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La deuxième mesure administrative n’est pas apparente. Mais elle existe et fait grief. Elle

signifie que les requérants ne sont pas en réalité pris en compte par le ministère de

l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique. Un tel acte administratif est

qualifié d’une information indirecte.

La troisième décision est pareille à la deuxième. Il suffit d’interpréter la décision qui est

affichée pour s’en rendre compte. A quoi bon une école peut-elle exister qui ne produit

pas des diplômés ? En réalité, la liste éditée est synonyme de ce que l’autorisation

provisoire des établissements « INFOGES et LOYOLA » leur est retirée. En clair, ils ont

été fermés. L’acte émis en une pareille circonstance est qualifié d’acte exigeant un effort

d’analyse. Et dans la mesure où elle porte fermeture des écoles d’une manière illégale, en

l’occurrence il retire l’autorisation, mais ne s’est pas contenté de l’abroger, il porte grief.

Lorsqu’on examine l’arrêt « INFOGES et LOYOLA », ce sont les trois actes administratifs

que l’on peut décrypter.

NB : Faire attention à la reconnaissance des actes à procédure et à leur régime juridique.

B/ Le délai de recours contentieux et le recours administratif préalable

Le délai est l’intervalle de temps dont dispose le justiciable pour saisir le juge du litige qui

l’oppose à l’administration. Sa mise en œuvre paraît complexe. Il s’agira d’étudier le

déclenchement, la computation, la prorogation et la prolongation du délai. L’on prendra appui

sur un exemple concret pour l’élucider.

En effet, des articles concordants (68 alinéas 1 à 5 de l’ordonnance n°21/PR du 26 avril 1966,

32 alinéas 1 à 6 de la loi n°2004-20 du 17 aout 2007 portant règles de procédures applicables

devant les formations juridictionnelles de la Cour suprême et 827 alinéas 1 à 7 du Code de

procédure de 2011) qui l’organisent, il en ressort que le délai est déclenché par la notification

d’un acte individuel et la publication d’un acte réglementaire. La publicité de l’acte joue donc

un rôle important en matière contentieuse. Faute de publicité, le délai de recours contentieux

est déclenché par la connaissance acquise de fait. Il y aura connaissance acquise de fait lorsque,

faute pour l’administration d’avoir publié un acte administratif, le destinataire ne sera censé en

avoir été informé qu’à la date où celui-ci se serait pris d’une manière qui révèlera qu’il a

nécessairement connaissance de l’existence dudit acte.

A supposer qu’un acte administratif, qu’il soit réglementaire ou individuel ait été signé le 10

avril 2012. Ses effets courent à partir de cette date. Mais quel est l’intervalle de temps qui est

imparti au demandeur qui s’apprête à intenter un procès contre de tels actes administratifs ?

Pour ce qui est de l’acte réglementaire dont la publication remonte au 25 mai 2012 par exemple,

cette date est le dies ad quo, c’est-à-dire le jour déclencheur du délai. Celui-ci est donc

déclenché le même jour qu’a eu lieu la publication. Mais la computation commence à partir du

26 mai 2012 à minuit. Le délai est compté de quantième à quantième. Dit autrement, il court du

26 mai 2012 au 26 juillet 2012. Cette dernière date est le dies ad quem. On dit qu’il s’agit d’un

délai franc ou délai de procédure. Au cas où le 26 juillet serait un jour non ouvrable, il sera

encore possible d’exercer le recours contentieux le jour ouvrable qui suivra immédiatement. On

dit qu’il y a une prolongation du délai de recours contentieux.

En revanche, quant à l’acte individuel qui a été également notifié le 25 mai 2012, c’est sans

doute, à partir de cette même date que la question du délai contentieux va se poser. Le 25 mai

est le jour déclencheur du délai. On parle aussi de dies a quo. Une fois le délai déclenché, sa

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computation a de même lieu à partir du lendemain du dies a quo, à savoir le 26 mai 2012 à zéro

heure.

Néanmoins, il ne faut pas perdre de vue que le législateur préconise l’exercice d’un recours

administratif préalable avant de passer à la phase du recours contentieux proprement dit. Le

recours peut être gracieux, hiérarchique ou mixte. Dans le premier cas, il est adressé à l’auteur

de l’acte. Dans le second cas, c’est le supérieur de l’autorité administrative qui a édicté l’acte

qui est le destinataire du recours préalable. Le troisième type de recours administratif préalable

est une spécificité béninoise. Il est qualifié d’un recours administratif préalable mixte ou dérivé

et existe depuis 1998. En effet, quelle est la nature du recours administratif préalable adressé à

un ministre au sujet d’une décision qui a été prise par le Gouvernement ? Pour répondre à cette

question qui, a priori, devrait conduire à l’irrecevabilité du recours contentieux, la Chambre

administrative a estimé que lorsque la décision a été prise sur proposition d’un ministre, qui l’a

contresignée, et est chargé de sa mise en application, que le ministre doit être considéré comme

« l’autorité la mieux informée ». Partant, il peut être le destinataire du recours préalable qui en

résulte. Ne pouvant être pris pour un recours gracieux, moins encore pour un recours

hiérarchique, la doctrine l’a considéré au Bénin comme étant un recours administratif préalable

mixte ou dérivé.

Sur cette base, concevons à présent que le recours administratif préalable a été exercé le 26 mai

2012. La puissance publique dispose de deux mois pour répondre à la demande du requérant.

Le délai de deux mois étant déclenché le 26 mai 2012, les deux mois qui sont impartis à

l’administration courent de la période allant du 27 mai 2012 à zéro heure au 26 juillet 2012 à

minuit, mais non pas au 27 juillet 2012. Il en est ainsi d’autant plus que le délai n’est pas un

délai de procédure. C’est un délai administratif. Il n’est pas compté de quantième à quantième

comme un délai franc. S’il devrait prendre fin un jour non ouvrable, le requérant doit mettre

tout en œuvre pour exercer le recours administratif préalable le jour ouvrable qui précède, et

qui constitue de ce fait le dernier jour d’exercice du recours administratif préalable. Mais il ne

doit pas le former le jour ouvrable qui succède au jour non ouvrable où le délai devrait

normalement expirer. Le délai administratif ne fait pas l’objet d’une prolongation.

Au cas où la puissance publique ne répondra pas au recours administratif préalable à l’issue des

deux mois de sa saisine par le requérant, l’on dit qu’il y a un rejet implicite de la part de

l’administration. Une décision implicite de rejet est ainsi formée. Pour reprendre notre exemple,

la décision implicite datera du 26 juillet 2012. Et, c’est de cette décision implicite de rejet que

la juridiction administrative est saisie. De ce fait, la conclusion du recours administratif

préalable doit être identique à celle du recours administratif contentieux. Le contentieux atteint

alors sa maturité, il entre dans sa phase décisive, il devient en quelque sorte mûre pour être

connu de la juridiction administrative. Très exactement, on dit qu’il y a une cristallisation ou

une liaison du contentieux administratif.

Le requérant disposera alors des deux mois du recours contentieux proprement dit du 27 juillet

2012 au 27 septembre 2012. Ainsi, alors que le recours contentieux serait déjà exercé contre

l’acte réglementaire au plus tard le 26 juillet 2012, le recours contentieux contre l’acte

individuel ne serait formé que le 27 septembre 2012. On dit qu’il y a une prorogation du délai

de recours contentieux par l’exercice d’un recours administratif préalable. Le délai est aussi

assorti de prolongation comme dans le cas du recours contentieux contre un acte réglementaire.

Mais, en cas d’une réponse explicite de la part de l’administration à la suite de la demande en

recours administratif préalable, qu’en serait-il de l’exercice du recours administratif

contentieux ? Deux hypothèses peuvent se présenter. Dans le premier cas de figure, la réponse

explicite de l’administration peut être une décision positive, auquel cas il y aura un règlement

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amiable. Le procès prendra alors fin et, comme le mentionne une formule assez connue, un

mauvais arrangement vaudrait mieux qu’un bon procès. En revanche, quand la décision

implicite serait négative, le délai de recours contentieux sera compté à partir de la date de la

décision explicite. En reprenant l’exemple ci-dessus, l’on suppose que le recours administratif

préalable étant formé le 26 mai 2012, l’administration ait donné une suite défavorable le 30

juillet 2012. Par conséquent, le requérant doit avoir exercé le recours contentieux du 31 juillet

2012 au 30 septembre 2012, faute de quoi il sera frappé de forclusion. On dira qu’il est forclos.

La prorogation du délai devrait donc faire l’objet d’une étude au cas par cas.

NB : le délai de recours contentieux est également prorogé par la formation d’une demande en

assistance judiciaire. La prorogation joue ici à la fois pour le délai du recours contentieux exercé

contre un acte individuel que réglementaire.

C/ Les recours sans aucun moyen et sans une conclusion

Par recours sans aucun moyen et une conclusion, il faut comprendre une requête à l’occasion

de laquelle le plaideur n’a adressé aucune prétention au juge. Il n’a non plus fourni aucune

argumentation. On n’aurait pas tort d’avancer que c’est de la fantaisie. Le juge est tenu de le

rejeter comme irrecevable.

Paragraphe II : La production de la décision attaquée, une condition régularisable

Conformément aux articles 66 alinéa 1er de l’ordonnance n° 21/PR, et 30 alinéa 1er de la loi n°

2004-20 du 17 août 2007, la requête introductive d’instance « doit être accompagnée d’une

expédition de la décision attaquée ». Procès fait à un acte, lorsqu’un requérant ne produit pas

la décision dont il se plaint, le juge aura du mal à contrôler le grief qui a été brandi. Le Code

béninois de procédure de 2011, allège la tâche au requérant. « La requête peut, dans la mesure

du possible, être accompagnée ‘une expédition de la décision attaquée. » (Article 821 alinéa

1).

Il peut s’agir d’un recours collectif personnel, ou réel.

La conclusion du recours contentieux et celle du recours administratif préalable, même

facultatif, doivent être identiques (arrêt DJGLA de la Chambre administrative de la Cour

suprême du Bénin).

Les recours précoces sont rejetés. Mais lorsque l’administration ne produit pas ses

observations, le requérant peut être relevé de la précocité au cas où le recours sera

susceptible de prospérer (N°48/ CA du 17 juin 1999, Séverin HOUEDANOU).

NB : Faire attention à la fraude à la procédure (vaine promesse faite par l’administration

de donner satisfaction au requérant après l’exercice du recours administratif préalable.)

Le juge se fonde sur le recours exercé pour valider le recours juridictionnel.

Section II : Les conditions propres au recours de pleine juridiction

Pour s’en tenir à la méthode d’analyse qui est adoptée jusque-là dans le domaine des questions

de recevabilité, les conditions dont le juge ordonne au besoin la régularisation (paragraphe II)

feront suite à celle qui ne peut pas l’être (paragraphe I).

Paragraphe I : Les conditions non régularisables

« Relève de la matière administrative, …2° les recours en interprétation des actes des

autorités administratives ; 3°-tous litiges de plein contentieux mettant en cause une personne

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morale de droit public sauf exceptions prévues par la loi ; 4°- -les réclamations des

particuliers contre les dommages causés par le fait personnel des entrepreneurs

concessionnaires et régisseurs de l’administration ; 5°)-le contentieux fiscal. »

Les conditions non régularisables sont au non de trois : la décision administrative

préalable, le défaut de chiffrage des dommages-intérêts et le délai de recours contentieux.

A/ Le délai de recours contentieux et la décision administrative préalable

En matière de plein contentieux, la décision préalable est le répondant du recours administratif

préalable. On parle de demande en décision préalable parce que contrairement au recours en

annulation qui est accompagné d’une expédition de la décision attaquée, il n’existe pas à

l’origine de la prétention du plaideur, une décision administrative en contentieux de pleine

juridiction. Cela ne veut pas dire qu’un acte administratif ne peut pas causer de préjudice dont

la réparation sera sollicitée auprès du juge. Loin s’en faut ! Mais le problème qui se pose est

que tant qu’il n’y aura pas une demande en décision préalable, l’administration ne saura pas le

coût des indemnités qui lui sont réclamées. C’est pourquoi il conviendrait de la saisir de la

conclusion du requérant et, à défaut d’un règlement à l’amiable, le contentieux sera cristallisé.

La formalité de la décision préalable joue donc deux rôles : l’information de la puissance

publique du préjudice éprouvé par le demandeur et une tentative de règlement à l’amiable.

Le délai pour exercer le recours de plein contentieux est de 30 ans. Mais, si le recours en

décision administrative préalable venait à être exercé, et que l’administration réagissait par une

décision explicite de rejet, le plaideur doit agir dans les deux mois francs qui suivent, faute de

quoi il sera frappé de forclusion. Mais s’il y a un rejet implicite, le recours contentieux sera

exercé sans condition de délai. Le rejet implicite sera acquis après les deux mois qui suivront

la formation de la demande en décision administrative préalable.

B/ Le défaut de chiffrage des dommages-intérêts

Le défaut de chiffrage des dommages-intérêts expose le recours contentieux à l’irrecevabilité.

Dans la pratique, il n’y a pas assez de rejet dans ce domaine. Toutefois, il convient d’implorer

la clémence du juge pour admettre que les recours soient régularisés.

NB : Le contenu de la demande en décision administrative préalable doit être pareil à la

prétention dont le juge de plein contentieux est saisi, sous peine d’irrecevabilité.

Paragraphe II : Le ministère d’avocat, une condition susceptible de régularisation

Lorsque le requérant ne commet pas un avocat pour le représenter, le juge l’invite à régulariser.

Néanmoins, un nombre non moins important de recours contentieux sont frappés de déchéance.

Pour y remédier, il importe de faciliter la mise en œuvre de l’assistance judiciaire. Elle est

prévue aux articles 47 à 50 de l’ordonnance n° 21/PR et 8 à 10 de la loi n°2004-20 du 17 août

2007.

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Seconde partie : L’instruction des affaires

Préalablement à l’instruction proprement dite des affaires qui fait appel aux mesures

d’instruction (chapitre II), il sera procédé d’une manière globale à l’étude de la délimitation que

le juge fait de l’instance au sens large du terme. On l’abordera en traitant des caractéristiques

du procès administratif (chapitre I).

Chapitre I : Les caractéristiques du procès administratif

Les caractéristiques seront consacrées aux principes directeurs du contentieux administratif.

Ils sont au nombre de quatre : le caractère écrit et inquisitoire du contentieux administratif, le

principe du contradictoire et le délai raisonnable de règlement des litiges.

Section I : Le caractère écrit et inquisitorial de la procédure

L’article 823 alinéa 1er du Code de procédure de 2011 énonce que « devant les juridictions

statuant en matière administrative, la procédure est écrite ». Cette disposition emporte un

certain nombre de conséquences. Elle signifie que l’instruction des dossiers est effectuée sur la

base des mémoires introductifs d’instance et en défense qui, naturellement, sont écrits. Partant,

le juge n’est pas tenu de convoquer les parties à l’audience. Ce n’est que quand il l’aurait jugé

nécessaire qu’il y procédera. Et quand elles vont se présenter, ce ne serait que pour développer

en principe, le résumé des faits, les moyens et conclusions qui ont déjà été présentés dans les

différents mémoires (article 837 du Code de procédure). Il ne se concevrait pas alors qu’un

requérant accuse son avocat ou son représentant de n’avoir pas été présent à l’audience. Il ne

saurait non plus y avoir un jugement par défaut. Autrement dit, le fait pour l’une des parties, en

l’occurrence celle qui aurait tort, de n’avoir pas comparu au prétoire de la Chambre

administrative, à savoir le jour de l’audience n’a aucune influence, n’est pas synonyme de ce

que la partie concernée serait traitée comme étant absente.

C’est ce qui explique que « toutes les communications de pièces ont lieu par la voie

administrative à la diligence du greffier de la juridiction saisie » en vertu de l’article 827 du

Code de procédure de 2011. Il va sans dire que le juge dirige l’instruction9 et la dirige seul.10

9 Voir CE 1er juillet 1955, Caisse rég. de séc. Soc. de Normandie, Rec., p. 418 ; CE 30 juillet 2003, R…, AJDA 2003, p. 210. L’arrêt parle de l’exercice par le juge de ses « pouvoirs généraux de direction de l’instruction ». 10 Voir CE 27 novembre 1985, Soc.paris. de matériaux enrobés, DA 1986, n°52.

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Pour cause, l’article 830 du Code de procédure de 2011 prévoit en ses alinéas 1 et 2 ce qui

suit : « Le juge rapporteur dirige la procédure.

Il procède à toutes mesures d’instruction qu’il estime nécessaires ». En cela réside le

caractère inquisitorial de la procédure. C’est pourquoi à l’étape de la saisine, le demandeur ne

procède pas par assignation. Il n’invite pas l’administration à se présenter devant « son juge ».

Il n’est pas interdit aux parties de prendre des initiatives, de solliciter par exemple des mesures

d’instruction. Mais la conduite de l’instruction ressort des pouvoirs du juge. Le caractère

accusatoire d’un procès civil qui amène le juge à suivre ou à assister les parties en litige à qui

il revient la prérogative de conduire l’instruction ne vaut pas dans un procès administratif.

Section II : Le principe du contradictoire

Les dispositions identiques des articles 52 et 65 alinéa 2 de l’ordonnance n° 21/PR, 13 et 29

alinéa 3 de la loi n°2004-20 du 17 août 2007 et 833 du Code de procédure prévoient que « les

dossiers des affaires sont déposés au greffe et peuvent être communiqués aux parties sans

dessaisissement. Si des pièces y figurent accompagnées de copies certifiées conformes, celles-

ci sont communiquées aux autres parties par le greffier de la juridiction par voie administrative

ou par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ».

Il ressort de ces dispositions que le principe du contradictoire se déroule en quatre étapes :

D’abord, la communication du dossier et des pièces y afférentes. Ce sont les originaux ou les

copies certifiées conformes qui doivent être produits (voir article 222 alinéa 1er du Code de

procédure de 2011). La communication prend en compte les moyens d’ordre public qui sont

soulevés d’office par le juge dès qu’ils sont de nature à influencer le procès.11 Le principe exige

du juge de communiquer les moyens aux parties en cas de substitution ou de neutralisation de

motifs. Les pièces qui sont couvertes de secret professionnel ou administratif sont

communicables au juge,12 à défaut d’être mises à la disposition des parties. La communication

doit être suffisante pour remplir sa fonction d’information pour une discussion judicieuse. Il est

donc nécessaire d’éviter à tout prix de mettre les parties devant le fait accompli. Ensuite, les

parties doivent naturellement disposer d’un délai pour apprêter leurs observations. Ce délai est

de deux mois en vertu de l’article 830 du Code de procédure de 2011. Il est prolongé d’un mois

assorti de mise en demeure au besoin. En outre, les parties peuvent se faire assister (conseil,

avocat, témoin). Enfin elles présentent une défense prioritairement écrite en contentieux

administratif, ce qui n’est pas synonyme d’une exclusion de toute possibilité d’audition à

l’audience. C’est pourquoi, comme il avait été avancé, 15 jours avant l’audience, elles en sont

informées pour « développer oralement devant le juge saisi, un résumé des faits, moyens et

conclusions exposés dans les mémoires » (voir articles 836 alinéa 2 et 837 du Code de

procédure de 2011).

NB : Il existe une innovation béninoise : une troisième étape de l’ultime mise en demeure.

Section III : Le principe d’un délai raisonnable

11 Voir CE Sect. 5 avril 1996, Synd. Des avocats de France, Rec., p.118, JCP 1987, n°22817. 12 Voir arrêt INFOGES et « LOYOLA » précité.

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Il n’est pas nécessaire de revenir sur l’allure comparable à celle d’une tortue ou d’un caméléon

qui caractérise la procédure administrative contentieuse au Bénin. La durée moyenne d’un

procès est de neuf ans. Certains procès durent près de 26 ans.13

Chapitre II : Le déroulement de l’instruction

Le déroulement interfèrent les mesures ordinaires (section I) et les mesures d’urgence (section

II) de l’instruction.

Section I : Les mesures ordinaires

« De toute façon, chaque partie doit être mise en mesure de discuter tant les faits que les moyens

de droit allégués par l’autre partie. Le régime de la communication des mémoires, ainsi que

des pièces par lesquelles ils peuvent être appuyés, est destiné à assurer la discussion nécessaire.

Dans certains cas, cette discussion ne suffisant pas à permettre au juge d’établir sa

sanction, les mesures adéquates propres à mieux l’éclairer seront ordonnées par lui. »14

Il en découle que les mesures ordinaires rappellent l’échange des mémoires (paragraphe I) et

l’administration de la preuve (paragraphe II). S’y ajoutent les mesures que le juge peut

prescrire au-delà du prétoire, c’est-à-dire dont l’exécution s’effectuera ailleurs que sur les

lieux de l’audience (paragraphe III).

Paragraphe I : L’échange des mémoires

Il n’est plus opportun de revenir avec détail sur l’échange des moires. La procédure de

communication rejoint ce qui a été noté à leur sujet dans le cadre du principe du contradictoire ;

elle intervient par voie administrative ou par lettre recommandée avec avis de réception.

En matière d’échange des mémoires, on peut lire dans l’arrêt Michel GBAGUIDI : « Vu la

requête en date du 1er juillet 1987…Vu le mémoire ampliatif du Conseil du requérant du 22

décembre 1987…Vu la lettre du 26 février 1988 par laquelle la requête et le mémoire ampliatif

ont été communiqués pour ses observations au président de la République…Vu les observations

du 15 mars 1988 du Directeur du Contentieux et Agent judiciaire du Trésor…Vu la

communication faite au Conseil du requérant pour sa réplique éventuelle…Vu le mémoire en

réplique du Conseil du requérant du 18 juillet 1988 etc. »15

Au demeurant, lorsque les mémoires complémentaires ne sont pas produits, suite à une mise en

demeure infructueuse, le juge décide que le requérant est frappé de déchéance.16 Quand le

défendeur ne fait pas parvenir ses observations au juge avant la clôture de l’instruction, on dit

13 En dehors de notre Thèse précitée, voir aussi Ibrahim D. SALAMI, « Le recours pour excès de pouvoir : contribution à l’efficacité du procès administratif au Bénin (199à-2010) », RBSJA année 2011, n° 25, pp. 130-131. 14 Voir Re CHAPUS, DAC, p. 831. 15 Voir -N°2/CA du 16 janvier 1998, Michel GBAUIDI c/ Etat béninois, Rec. CS- Bénin, pp.110-111 ; N°52/CA du 13 juillet 2006, Christophe GBEGNIHENOU LOKO c/ MFE, www.juricaf.org; N° 17/CA du 1er mars 2007, ATANDA Gafarou C/ Préfet de l’Atlantique, www. Juricaf.org. Les deux derniers arrêts ont été consultés le 18 juillet 2008. 16 Voir N° 166/CA du 15 septembre 2005, Albert ZANDO et 02 autres c/ Préfet Atlantique, www.juricaf.org (consulté le 18 juillet 2008).

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qu’il y a un acquiescement aux faits. Mais le juge n’en est pas lié. Il vérifie tout de même si les

pièces qui sont fournies au dossier par le demandeur ne contredisent pas les allégations de celui-

ci.

Paragraphe II : L’administration de la preuve

En vertu de l’article 223 du Code de procédure, « en aucun cas, les pièces ou leurs copies ne

doivent être retirées du dossier ». L’article met ainsi l’accent sur l’importance qu’elles revêtent

dans la conduite de l’instruction. C’est pourquoi « la communication des pièces doit être

spontanée. Elle est faite préalablement à l’audience » (article 209 alinéa 2 du Code de

procédure). Le régime juridique de la communication des pièces suit donc celui de l’échange

des mémoires.

Pour le reste, lorsque les mémoires renvoient à des pièces qui ne sont pas de nature à asseoir la

conviction du juge, celles-ci sont naturellement invitées à prouver le bien-fondé de leurs

allégations. Dans le cas contraire, les affirmations faites seront qualifiées de gratuites. C’est à

ce moment que la question de la preuve se pose. Elle incombe au demandeur dans un procès

civil. En contentieux administratif, la charge de la preuve revient à qui de droit. Selon les

circonstances, la Chambre administrative demandera à l’administration de lui fournir des pièces

qu’elle déteint et dont le requérant ne serait pas en mesure de produire. Le dossier « INFOGES

LOYOLA »17 est assez édifiant à cet effet. Le ministre de l’Education nationale et de la

Recherche scientifique n’a pas retenu les établissements concernés parmi ceux qui présenteront

des candidats aux différents examens de fin d’année parce qu’ils ne respecteraient pas les

normes et standards qui sont en vigueur. Seule l’administration détenant par devers elle lesdits

standards et normes, c’est au ministre qu’est revenu la charge de les faire connaître à la Chambre

administrative, mais pas aux demandeurs bien qu’ils en aient fait état dans leur mémoire. Au

cas où les mémoires et pièces connexes ne parviendront pas à éclairer le juge, ou à ne pas le

renseigner suffisamment, ce dernier étendra le déroulement de la procédure au-delà du prétoire.

Paragraphe III : Les mesures d’instruction susceptibles d’être prescrites

Le cadre général des mesures d’instruction sera retracé ainsi que les différentes formes

qu’elle revêt. L’accent sera mis sur son régime juridique avant de démontrer qu’elles sont

rarement prescrites en contentieux administratif.

Les mesures d’instruction occupent une place importante dans le Code de procédure de

2011. Contrairement aux autres textes juridiques qui les ont à peine abordées, il y

consacre 109 articles, soit les articles allant de 224 à 352. C’est la preuve qu’elles ont une

portée notoire dans le domaine du contentieux en général, et dans celui du contentieux

administratif en particulier. L’article 224 qui en plante le décor dispose : « Les faits dont

dépend la solution du litige peuvent, à la demande des parties ou d’office, être l’objet de toute

mesure d’instruction légalement admissible. »

Il découle de cette disposition que les mesures d’instruction qui sont prescrites ne sont pas

destinées à combler les carences d’une partie dans l’administration de la preuve. Mais il doit

17 Voir N° 68/CA du 7 octobre 1999, Institut de formation en organisation et gestion sociale (INFOGES) et Ecole « LOYOLA » c/ ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique (MESRS), Rec. Cour sup. Bénin, p. 482.

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s’agir de faits non compris dans les dossiers ou des faits sur lesquels les productions ou

mémoires ne sont pas en mesure d’apporter tout ou partie de l’éclairage nécessaire au juge dans

leur compréhension et appréciation. La précision prend sa source dans l’article 227 du Code de

procédure.

Si la possibilité s’offre au juge de produire des mesures d’instruction, il doit se limiter aux

mesures qui paraissent simples et sont moins onéreuses (article 228 du Code de procédure).

Plusieurs mesures peuvent être prescrites à la fois. Pendant que certaines sont en cours

d’exécution, le juge peut prescrire de nouvelles mesures d’instruction en fonction de l’article

229. C’est dire qu’il peut accroître le champ des mesures à tout moment, comme il peut le

restreindre au regard de l’article 230. L’initiative peut émaner du juge ou des parties sur le

fondement de l’article 235. Mais en contentieux administratif plus que dans toutes autres

matières, les mesures prescrites sont exécutées par le juge ou sous son contrôle (article 236

alinéa 1er). Les parties et les tiers qui y apporteront leurs soutiens en seront informés par lettre

recommandée avec avis de réception. La convocation peut également être effectuée par la

remise d’un simple avis au conseil des parties. Une convocation verbale est requise lorsque les

parties et les tiers sont présents au moment de la fixation de la date de la mesure qui a été

ordonnée.

Le juge peut procéder à des vérifications personnelles, en se transposant si besoin est, sur les

lieux (article 256 du Code). Une illustration peut être tirée de la jurisprudence de la Chambre

administrative. Dans le dossier GANDOLANHOU, le requérant a formulé une demande de

sursis à exécution. Mais, face à la menace de déguerpissement et les travaux entrepris sur la

parcelle litigieuse, la « procédure enrôlée pour l’audience du jeudi 8 juillet 2004 a été renvoyée

à l’audience suivante de la Chambre administrative pour cause de mesures d’instruction

complémentaires et pour être mise en délibéré. »18 Donc, c’est à dessein que le Professeur

Bernard PACTEAU énonce que « par-delà ses investigations, il revient en réalité au juge de

« conclure » l’administration de la preuve par sa « conviction. » »19 L’arrêt GANDOLANHOU

ne renseigne pas sur la nature de la mesure d’instruction prescrite d’office par le juge. On

s’imagine, au regard de la décision, qu’il est assez probable que ce soit une visite des lieux.

L’intervention forcée qui permet au juge de requérir si nécessaire la comparution personnelle

de justiciables qui ne sont pas parties à un procès constitue également une forme de prescription

de mesure d’instruction (voir article 260 et suivants du Code de procédure).

Le Code prévoit plusieurs modalités de mesures d’instruction. Il peut s’agir d’une enquête (voir

les articles 275 et suivants du Code de procédure). Dans l’arrêt MAGNONFINON,

l’administration estime avoir notifié au requérant la lettre le radiant définitivement des Forces

Armées béninoises. Aussi, l’autorité administrative ajoute-t-elle que non seulement le Sieur

MAGNONFINON a reçu notification de ladite décision, mais que ce dernier a de surcroît

« perçu ses droits (cotisations, caisse de secours) à la Direction des Services de

l’Intendance »20. Toutes ces allégations de la défense étant catégoriquement rejetées par le 18 Voir N° 146 / CA du 28 juillet 2005, J. Pascal GANDOLANHOU c/ Préfet Atlantique, www.juricaf.org

(consulté le 18 juillet 2008).

19 Voir Bernard PACTEAU, « L’arbitrage juridictionnel de la preuve »,in, AJ 1997, p. 210 20 Voir N° 67/CA du 7 octobre 1999, Djim Grégoire MAGNONFINON c/ MDN, Rec. CS. Bénin, p.321

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plaignant, le juge a décidé que « l’administration ne rapporte pas la preuve de ses allégations

et qu’il échet avant dire droit, d’ordonner une mesure d’instruction à l’effet de demander à

l’administration de produire les pièces justifiant que les droits ont été versés au requérant. »21

Cet arrêt est une illustration appropriée de l’apport des mesures d’instruction à la conduite de

l’instance. C’est donc, à bon droit que le juge a refusé de statuer en l’état, faute de quoi la

décision juridictionnelle aura été entachée d’erreur. Pour cause, le Professeur BEMBA déclare

que, « ne pouvant statuer qu’en connaissance de cause, le prononcé d’une mesure d’instruction

assurera l’information du juge et l’établissement de sa conviction, si les mémoires et les pièces

du dossier ne suffisent pas à l’éclairer. »22

De plus, « lorsqu’une question purement technique ne requiert pas d’investigations

complexes », le juge peut commettre toute personne « de lui fournir une simple consultation »

(article 325 du Code de procédure).

En termes de mesures d’instruction, le juge peut de même ordonner l’expertise lorsqu’une

consultation donnée ne peut être confiée qu’à un technicien (article 331 et suivants du Code de

procédure). Les décisions GNIMAGNON et MOUNIER23 sont illustratives en matière

d’expertise médicale. Elles font état d’incapacité permanente provisoire (IPP). L’expertise peut

appeler une contre expertise (article 231 alinéa 2).

Il importe également de faire droit à la constatation des faits.

Par rapport au régime juridique d’une mesure d’instruction, il peut consister en l’élaboration

d’un avis, d’un procès-verbal ou d’un rapport. Le document qui en est issu est remis en copie à

chacune des parties. Un enregistrement sonore peut être également établi. Chaque partie peut

en avoir copie à ses frais (article 254 et 255 du Code de procédure). La mesure d’inscription

n’ayant pas un effet de dessaisissement du juge, la procédure suit son court à la fin de son

exécution. Le juge connaissant le droit, les mesures d’instruction ne peuvent que porter sur les

faits. En outre, le juge n’est pas lié par les résultats des mesures en cause.24

Enfin, un élément d’analyse doit être mentionné. Il tient lieu d’une précision

complémentaire. Il a trait au rapport entre le juge de l’administration et le juge répressif

en matière d’établissement des faits. Il n’est pas en effet possible pour la Chambre

administrative, moins encore à l’administration active de contredire des faits qui ont été

expressément confirmés ou infirmés par le juge pénal. Il n’y a donc plus de mesure

d’instruction à prescrire. Le juge en tire les conséquences. C’est le cas quand le juge

répressif a statué au fond. Il est ici question des décisions qui sont revêtues de l’autorité

absolue de la chose jugée. Ne sont donc pas concernés les jugements ou arrêts de non-lieu

ou les décisions non juridictionnelles du ministère public prononçant le classement sans

21 Ibidem 22 Voir Joseph BEMBA, « Le juge administratif et le temps dans le contentieux de l’excès de pouvoir », op.cit., p. 516 23 Voir 12/CA du 4 juillet 1997, S. Pierre GNIMAGNON c/ MF, Rec. CS Bénin, pp. 132-136 ; N°58/CA du 13 décembre 2001, Jean MOUNIER c/ Etat béninois et Samuel ZODEHOUGAN, www.juricaf.org (consulté le 18 juillet 2008). 24 Voir René CHAPUS, DCA, p. 861.

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suite d’une affaire25. C’est pourquoi, lorsque la légalité d’une décision administrative est

subordonnée à la constatation des faits réalisée par le juge pénal, dès lors que celui-ci

arrête la commission des faits, la décision est régulière. Dans le cas contraire, elle est

illégale.26 Les arrêts Joseph COMLAN ou BALLE27 en sont des exemples. Les faits qui

sont reprochés aux requérants ont été infirmés par le juge pénal. De ce fait, la Chambre

administrative a déclaré juridiquement inexistants les sanctions qui ont été prononcées à

leur encontre. La juridiction administrative ne se préoccupe pas de la qualification des

faits effectuée par le juge pénal. Elle ne cherche non plus à savoir si les faits sont

constitutifs d’une infraction. Seule leur matérialité l’intéresse.

Un fait peut ne pas être constitutif d’une infraction d’après le juge pénal. Mais sa seule

réalisation aura suffi pour fonder la Chambre administrative dans la décision qu’elle a en vue

de prendre. Ce qui peut avoir aussi une répercussion sur les mesures d’instruction qui ne sont

pas ordinaires.

NB : Se rappelez la procédure d’une riposte offensive en cause. Elle prospère dans le

domaine du plein contentieux, mais pas en recours pour excès de pouvoir (N°21 /CA du

07 juin 2001, D. Rahimy MOHAMED CHERIF)

Section II : Les mesures d’urgence : le sursis à exécution

Des dispositions identiques des articles 73 de l’ordonnance du 26 avril 1966, 36 de la loi n°

2004-20 du 17 août 2007 et 838 du Code de procédure, « sur demande expresse de la partie

requérante, la Chambre administrative peut, à titre exceptionnel, ordonner le sursis à exécution

des décisions des autorités administratives contre lesquelles a été introduit le recours en

annulation.

Le sursis à exécution ne peut être accordé que si les moyens invoqués paraissent sérieux et si

le préjudice encouru par le requérant est irréparable ».

En effet, l’octroi du sursis à exécution est subordonné à trois conditions cumulatives : l’urgence,

les caractères sérieux des moyens invoqués et irréparable du préjudice encouru par le requérant.

Le principe est donc qu’il ne devrait pas y avoir de sursis à exécution dans le domaine du

contentieux de pleine juridiction. Il ne s’agit toutefois pas d’un principe absolu. Le domaine

économique, celui des libertés publiques et dans une certaine mesure, les référés précontractuel

et contractuel en constituent un terrain de prédilection.

CONCLUSION

25 Voir CE 7 juillet 1971, THIERRY, Rec., p. 514 ; CE Ass. 5 mai 1976, LERQUEMAIN, Rec., p.228, concl. G. GUILLAUME. 26 Voir CE 14 décembre 1984, TRAISSAC, Rec., p.690, RFDA 1986, p. 435, concl. Bernard STIRN, obs. J. MORANGE. 27 Voir N° 004/CA du 17 février 2000, Janvier BALLE c/ Etat béninois, Rec. CS Bénin, p. 346 ; N° 45/CA du 22 avril 2004, Joseph COMLAN c/ Etat béninois, www.juricaf.org (consulté le 18 juillet 2008). Dans ces deux arrêts, les faits ont été infirmés par le juge répressif. En revanche, ils ont été confirmés dans cet autre arrêt : N° 50/CA du 28 décembre 1998, Barnabé BIDOUZO c/MF, MFPTRA, Rec. CS Bénin, pp. 154-159.

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L’étude de la pratique du contentieux administratif, pour être complète, devrait pouvoir

être étendue aux référés et aux voies de recours ainsi qu’à l’exécution de la chose jugée.

En raison du temps qui nous est impartie, elle a été limitée aux règles de recevabilité et à

celles relatives à l’instruction des affaires. Celles-ci peuvent être résumées par un exercice

d’au revoir et de maintien de nos relations au-delà des frontières physique ou

géographique qui nous séparent, ou qui, si vous le voulez, nous unissent.

En effet, une requérante, une étudiante de 16 ans qui vient d’avoir un bébé entend

contester un acte administratif, notamment un acte individuel. Elle voudra en solliciter

l’annulation en même temps que la réparation du préjudice que l’acte lui a causé.

Elle vous informe pour les besoins de la cause qu’elle appartient à une association des

‘’demoiselles émancipées’’, une association qui est en voie d’être formée et dont les

moyens matériels et financiers sont négligeables. Elle vous prend pour conseil et vous

demande de l’éclairer sur toutes les hypothèses possibles d’exercice avec succès, de son

recours contentieux.

Faites-lui une synthèse pratique (appuyée par des textes juridiques et par la

jurisprudence), des règles de recevabilité et d’instruction des affaires en contentieux

administratif. Effectuez l’exercice individuellement et collectivement.