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Centre d’Études des Modes d’Industrialisation (CEMI-‐EHESS)
Renaud Bouchard
The Issues of Sino-‐Russian Financial and Economic Cooperation Les enjeux de la coopération financière et économique Sino-‐Russe
Doctorant CEMI-‐EHESS
Центр исследований моделей экономического развития -‐ Высшей школы исследований по социальным наукам
Le véritable enjeu pour les trente années qui viennent, c’est l’alliance entre la Chine et la Russie, et la question de savoir si les pays que l’on nomme les BRICS arriveront à constituer un front cohérent face à la politique américaine. Tout le reste n’est que (mauvaise) littérature.
The real challenge for the next thirty years is the alliance between China and Russia, and the question of whether the countries called BRICS will come to constitute a coherent front against US policy. Everything else is just (bad) literature.
J. Sapir. Koalas, diplomatie et misère de l’anti-‐poutinisme, 17 novembre 2014, http://russeurope.hypotheses.org/3030
Abstract / Résumé / Резюме
Does the Russian-‐Chinese partnership constitute a political whim or a concrete expression of an alliance between compatible economic powers?
On forecasting the relations between the Russian Federation and the People’s Republic of China, we discuss the issues of financial and economic cooperation between Russia and China and future prospects.The paper is based on the following parameters : the new partnership between the two powers and their interaction in economic and financial fields with the use of specific instruments ranging from Sovereign Investment Funds to a new international finance organization.
Regarding financial problems and mechanisms of economic growth in Russia and Europe, Russia did not wait and already significantly started a different orientation to Asia and China.We examine the main issues of Sino-‐Russian economic and financial cooperation in light of the new geopolitical, geo-‐economic and financial guidelines recently adopted by the two countries.
S’agissant des problèmes et mécanismes financiers de la croissance économique en Russie et en Europe, la Russie n’a pas attendu et a déjà largement entamé une toute autre orientation vers l’Asie et la Chine.On examine ici quels sont les enjeux de la coopération économique et financière sino-‐russe au regard des nouvelles orientations géopolitiques, géoéconomiques et financières récemment adoptées par les deux pays. Entrées d’index Ключевые слова/ Mots clés/Keywords : Геополитика, Cуверенные инвестиционные фонды, Российско-‐китайский инвестиционный фонд (РКИФ), Шанхайская Организация Сотрудничества (ШОС), Энергия и сырье, сотрудничество, многосторонние проекты, механизм согласования, экономическое и финансовое сотрудничество, Новый Шелковый путь, интеграция.Азиатский банк инфраструктурных инвестиций (АБИИ). Géopolitique, Fonds souverains d’investissement, Fonds d’investissement Russo-‐Chinois (RCIF), Organisation de Coopération de Shanghai (OCS), énergie et matières premières, projets
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multilatéraux, mécanisme de coordination, coopération économique et financière, Nouvelle Route de la Soie, intégration.Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures (AIIB). Geopolitics, SWIF, RCIF/RKIF, SCO, cooperation, energy and raw materials, multilateral projects, mechanism of coordination, economic and financial cooperation, New Silk Road, integration. Asian Infrastucture Investment Bank (AIIB).
Plan Points-‐clés d’une coopération internationale/ Ключевые сферы международного сотрудничества
I – Enjeu énergétique : Russie et Chine, gaz et pétrole ou l’adéquation commune des besoins et ressources stratégiques
1.1 Un marché parfaitement intégré
1.2 Une nouvelle donne énergétique en complète symbiose
II – Enjeu commercial : Russie et Chine, pôles économiques et infrastructures
2.1 Intégration croisée transfrontière, intégration régionale : les Zones économiques spéciales (ZES)
2.2 Intégration croisée transfrontière, intégration régionale : le réseau ferré Chine-‐Russie-‐Europe
2.3 Intégration croisée transfrontière, intégration régionale : le réseau de pipe-‐lines Chine-‐Russie
III-‐ Enjeu financier : l’irruption de la Chine et de la Russie dans le système bancaire et financier international 3.1 Rééquilibrage et réaménagement sino-‐russe du système financier international 3.2 Stratégies d’investissements et Fonds souverains SWF/ Инвестиционные стратегии институциональных инвесторов: суверенные инвестиционные фонды Conclusions et perspectives géopolitiques/ Геополитические перспективы
Introduction
Renforçant l’allocution de M.V. Poutine devant le Club de Valdaï à Sotchi, le 24 octobre 2014, celle prononcée à Moscou le 22 novembre suivant par le ministre des Affaires étrangères M. S. Lavrov devant la XXII ème assemblée du Conseil sur la politique étrangère et la défense a réaffirmé l’objectif que représente pour la Russie le développement de ses régions orientales comme gage de statut de
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grande puissance du XXIè siècle, d’une part, et son partenariat avec la Chine constitutif d’une double alliance économique et financière, d’autre part.1
La volonté de rehausser le niveau des relations de la Russie avec les pays de la zone Asie-‐Pacifique est en effet désormais considérée comme une priorité absolue. Elle s’inscrit parfaitement dans les orientations telles que définies lors de la XXII ème Conférence des dirigeants du forum économique intergouvernemental Asie Pacifique de l’APEC tenue à Pékin du 10 au 12 novembre 2014, et celles préludant au lancement de l’Union économique eurasiatique (UEEA/Евразийский экономический союз) devenue effective depuis le 1er janvier 2015. 2
La feuille de route détaillée par M. Xi Jinping, Secrétaire général du comité central du Parti communiste chinois, lors de sa Conférence centrale sur la mission spécifique du ministère des Affaires étrangères tenue à Pékin le 29 novembre 2014, est directement complémentaire de cette approche russe.3
Ces conférences présentent la caractéristique de suivre une ligne directrice commune.Véritables balises dans l’élaboration d’un nouvel ordre politique et économique mondial, elles traduisent en effet l’émergence d’un « monde sans l’Occident » (Barma, Chiozza et al., 2009)4, ou à tout le moins d’un monde nouveau dans lequel -‐ avec la Russie et la Chine -‐, la redistribution des hégémons sur le continent euro-‐asiatique prend la forme d’une souveraineté politique et économique de première grandeur. Bien que du point de vue de leurs structures économiques et institutionnelles les deux puissances précitées présentent des spécificités qui leur sont propres, la mise en place, le fonctionnement et le développement du partenariat économique et financier qui les anime désormais génèrent en effet une convergence dont les enjeux géopolitiques et géoéconomiques sont révélateurs de leurs forces comme de leurs faiblesses respectives, de leurs rivalités comme de leurs intérêts communs. Tout en donnant l’impression d’avoir quitté un système dirigiste pour s’orienter vers un système libéral sui generis, les dynamiques chinoises et russes n’en concrétisent pas moins la volonté politique de s’adapter au propre rythme de continentalisation économique que chacun des deux pays imprime à l’autre en lui offrant toute latitude de tirer avantage de ces atouts communs que représentent leurs gigantismes, leurs richesses et leurs propres expériences économiques et industrielles en complète transition. Alliés de circonstance, mais aussi alliés de convergence et de congruence, Russie et Chine sont désormais unies dans une nouvelle manière de concevoir le monde et de l’inscrire dans une architecture géofinancière innovante avec l’affirmation concomitante de
1 Remarks by Foreign Minister Sergey Lavrov at the XXII Assembly of the Council on Foreign and Defense Policy, Moscow, 22 November 2014, http://www.mid.ru/brp_4.nsf/0/24454A08D48F695EC3257D9A004BA32E http://www.mid.ru/bdomp/sitemap.nsf
2 Signé le 29 mai 2014 à Astana (Kazakhstan), le Traité instituant l'Union économique eurasiatique est un document de base fixant les ententes intervenues entre la Russie, la Biélorussie et le Kazakhstan et portant sur le passage à une forme plus avancée d'intégration de ces trois pays qui possèdent déjà un territoire douanier commun (Union douanière). Le Traité achève la création d'un grand marché commun de 170 millions d'habitants dans l'espace de la Communauté des Etats Indépendants (CEI/СНГ). http://fr.ria.ru/world/20141231/203349294.html 3 Address of M. Xi Jinping, General Secretary of the Central Committee of the Communist Party of China (CPC), The Central Conference on Work Relating to Foreign Affairs, Beijing, 29 November 2014, http://www.fmprc.gov.cn/mfa_eng/zxxx_662805/t1215680.shtml 4 Barma Naazneen., Chiozza Giacomo., Ratner Ely and Weber Steven (2009), “A World Without the West? Empirical Patterns and Theoretical Implications”, Chinese Journal of International Politics 2 (4): 525-‐544 doi:10.1093/cjip/pop013 http://cjip.oxfordjournals.org/content/2/4/525.full
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nouvelles puissances (les BRICS5) bien décidées elles aussi à faire pièce à l’ancien ordre économique et financier mondial. Puissances aujourd’hui alliées dans l’ordonnancement et la maîtrise du bloc continental euro-‐asiatique, la Russie et la Chine n’en continuent pas moins de préserver et de pousser chacune parallèlement leurs avantages dans les zones d’influence de leurs périphéries respectives (Japon, Corée, Asie du Sud-‐Est, Inde et Asie Centrale).
La réorientation des termes de la politique économique et financière de la Russie avec son partenaire Chinois ne saurait pour autant faire l’impasse sur le triple impact qui est résulté tant des sanctions financières initiées par « l’Occident » à l’encontre de la Russie en réaction à son soutien aux séparatistes ukrainiens que de la chute des cours du pétrole et de la dévaluation du Rouble survenues à la fin de l’année 2014. Sans minimiser l’effet négatif des composantes financières et industrielles du « régime de ces sanctions », on observera toutefois que le calcul de leurs effets potentiels a cependant été brouillé dans la mesure où un courant d’opinion hostile s’est attaché à introduire un paramètre fondamental mais fallacieux qui supposerait que la Russie serait difficilement capable de trouver pour ses secteurs industriels concernés (principalement celui de l’énergie avec les hydrocarbures) des «solutions alternatives » à la coopération avec les partenaires occidentaux, européens ou américains, « en se tournant en particulier vers des fournisseurs asiatiques » (voir en ce sens le compte rendu des travaux de la XLVIII ème session du séminaire Franco-‐Russe FMSH / INP-‐RAN de Sotchi en janvier 2015)6.
Or, contrairement aux Cassandre qui n’ont de cesse de vouer la Russie à une désagrégation économique latente quitte à fausser délibérément les paramètres d’évaluation de sa solvabilité7, c’est précisément le contraire qui est advenu, invalidant l’hypothèse précitée, avec ce qui est en train de se révéler sous les aspects d’une politique de compensation conjointe de ces sanctions grâce à la mise en oeuvre du partenariat Russo-‐Chinois. Dès lors, si l’on ne saurait sérieusement considérer l’existence de difficultés réelles rencontrées par l’économie russe, force est d’observer que celle-‐ci n’en a pas moins initié une réorientation d’une ampleur et d’une profondeur exceptionnelles, gage probable d’un succès sur le long terme. Usant pour ce faire de nouveaux outils financiers et industriels qui lui sont propres avec des mesures d’urgence (recapitalisation du système bancaire, allocation de fonds au profit de la banque d’Etat Vnesheconombank (VEB) portant remise en ordre de sa politique monétaire (D. Tulin, A.Ulyukayev)8, la Russie a surtout et principalement entrepris -‐ et ce bien avant la crise ukrainienne -‐, de faire pivoter son économie sur la base d’une nouvelle logique de croissance intercontinentale dont on devine qu’elle aura pour conséquence de la retrancher de l’hostilité d’un « vieux monde » pour l’agréger à un « nouveau monde ». Ainsi assiste-‐t-‐on en quelque
5 Sur l’origine de l’acronyme, cf. Jim O’Neill, Building Better Global Economics BRICs. Goldman Sachs, 30th November 2001. Global Economics. Paper No : 66 6 Sapir J., Chirov Alexandre A., Potapenko Vadim V., Yantovskiy A.A (2015), « Les effets potentiels des sanctions sur le développement de la Russie et de l’Union Européenne », XLVIII ème session du Séminaire Franco-‐Russe FMSH / INP-‐RAN, Sotchi, 18-‐21 janvier 2015. http://russeurope.hypotheses.org/3325 7 “It is a bit of a mystery to us why Russian CDS spreads are so much lower than Greek ones, while Russian bond yields are significantly higher ” cf. Pater Tenebrarum, Markets: Russia Is Not a Default Risk. Ukraine and Greece the Real Risks, 9/1/2015, http://www.acting-‐man.com/?p=35146 et http://russia-‐insider.com/en/2015/01/13/2377, cité par J. Sapir in « Instrumentalisation des agences de notation », 27 janvier 2015. http://russeurope.hypotheses.org/3367 8 “We are losing something with the oil prices, but we are winning with the devaluation, in terms of the budget,” Ulyukayev said. “We think we have possibilities in 2016 and 2017 to have a positive real GDP performance” cf. http://www.bloomberg.com/news/articles/2015-‐01-‐14/bank-‐of-‐russia-‐picks-‐new-‐monetary-‐policy-‐chief-‐as-‐ruble-‐plunges. Vers un contrôle des capitaux : http://www.bloomberg.com/news/articles/2015-‐01-‐16/russia-‐seen-‐keeping-‐option-‐of-‐capital-‐controls-‐if-‐outflows-‐mount
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sorte à l’élaboration -‐ du moins tous les signes oeuvrent-‐ils en ce sens -‐, d’une nouvelle « sphère de co-‐prospérité » eurasiatique dont les deux BRICS du partenariat Russo-‐Chinois représentent les nouvelles locomotives.
Plusieurs questions se posent: de quelles nature et importance, par exemple, seront les efforts de compensation industrielle et financiers postérieurs à ceux que la Russie a mis en place aussi bien avec la politique de développement déjà entamée avant la survenance des sanctions occidentales précitées et ceux spécifiquement exigés ou attendus de la montée en puissance de sa coopération économique et financière avec la Chine ? Les deux pays se dirigent-‐ils vers une intégration économique et financière et, si tel est le cas, la conjonction géographique de leurs zones industrielles de développement communes concernées (celles déjà existantes ou en cours de création) sera-‐t-‐elle de nature à créer les bénéfices attendus d’une sorte « d’effet Rose »9 ou de « Border effect »? Quels sont les moyens sinon les outils financiers spécifiquement dédiés à ce partenariat et peut-‐on mesurer leur efficacité respective ? Autant d’interrogations qui permettent de cerner les enjeux de la coopération économique et financière sino-‐russe avec l’examen des points-‐clés d’une coopération internationale intra-‐continentale (note liminaire), les enjeux énergétiques, (Section I), ceux représentés par les infrastructures et le commerce intracontinental (Section II), les enjeux financiers (Section III) les perspectives géopolitiques ouvertes (Conclusion).
Note liminaire
Les points-‐clés d’une coopération internationale intracontinentale/ Ключевые сферы международного сотрудничества On dispose avec la Chine et la Russie de deux acteurs animés d’une véritable dynamique géostratégique commune, conscients de leurs capacités propres et désireux de remodeler profondément la distribution internationale du pouvoir à partir de l’Eurasie. Pareil objectif qui traduit une doule dimension intra et intercontinentale ne saurait être atteint sans se doter préalablement d’un instrument de puissance construit sur la mutualisation des avantages respectifs qui caractérisent les deux pays par-‐delà leurs faiblesses et leurs atouts et qui trouve son aboutissement dans l’exercice d’une entière souveraineté, avec principalement la maîtrise d’une indépendance énergétique et financière, gage d’une liberté de manœuvre à la hauteur des ambitions et politiques nationales et internationales affichées. 1.1 Un contexte particulier La coopération financière et économique sino-‐russe s’inscrit dans ce contexte que représente la régionalisation de l’économie mondiale avec le commerce bilatéral, les flux commerciaux et plus précisément l’équilibre délicat entre les fragmentations économiques internes et un processus d’intégration économique et financière international propre à la Russie et à la Chine, ainsi qu’à leurs zones d’influence particulières et communes. Il s’agit en l’espèce des zones d’intégration naturelles, des zones d’intégration régionales et des zones économiques spéciales (ZES).La littérature disponible fournit des éléments d’appréciation très précis sur des questions topiques qui peuvent être utilement rapportées au nouveau partenariat sino-‐russe pour en fixer les enjeux, telles que : « L’appartenance à une zone de libre-‐échange implique-‐t-‐elle, par exemple, une convergence structurelle des économies ou un redéploiement de celles-‐ci ? »
9 Rose, A. K., One money, one market: the effect of currency unions on trade, Economic Policy 30, p. 7-‐46, 2000. De l’accroissement des échanges commerciaux au-‐delà des effets positifs résultant de l’élimination de la volatilité des taux de change grâce aux unions monétaires.
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« La trajectoire économique d’un pays dépend-‐elle (et si oui dans quelle proportion) des activités économiques ou des décisions communautaires dans ses espaces d’appartenance? » (Hakanni-‐Honvo, 2003)10 . Explorées pour les relations économiques ayant existé entre neuf régions et quatorze républiques de l’ex-‐URSS (Djankov et Freund, 2000)11, mais aussi pour la Chine (Poncet, 2000)12, ces questions relatives aux « effets frontières » et à la question majeure des IDE -‐ principalement chinois, quils soient formels ou informels-‐, (Novopashina, 2013)13, demeurent donc d’actualité dans la nouvelle configuration des relations sino-‐russes motivées par la nécessité de surmonter les difficultés14 comme les pesanteurs et obstacles protectionnistes régionaux tout en favorisant l’intégration et la complémentarité économique transnationale.
Les six régions frontalières avec la Chine. Source : Novopashina, A. (2013)
1.2 Une approche spécifique
Le deuxième élément de réflexion procède de l’approche des économies russe et chinoise dont les objectifs tant géopolitques que que géoconomiques visent à affaiblir sinon à mettre hors-‐jeu la domination des États-‐Unis d’Amérique. Or, avec la Russie et la Chine, le rapprochement de ces deux BRICs sur la base d’une coopération qui traduit une unité de vue commune pour repenser et redessiner conjointement l’ordre économique et financier actuel pourrait bien donner corps à une construction particulièrement réussie.
10 Hakanni-‐Honvo, A., “ Intégration régionale, effets frontières et convergence ou divergence des économies en développement”, Revue Région et Développement n° 17-‐2003, p. 115 11 Djankov, S., Freund, C., (2000), “Disintegration and Trade Flows : Evidence from the former Soviet Union”, World Bank working paper, 2378 http://elibrary.worldbank.org/doi/book/10.1596/1813-‐9450-‐2378 12 Poncet S., (2003), “Intégration ou Fragmentation interne de l’économie chinoise”, Thèse de Doctorat en Sciences Economiques, CERDI. Voir aussi Sandra Poncet, « La fragmentation du marché intérieur chinois », Perspectives chinoises [En ligne], 84 juillet-‐août 2004, mis en ligne le 09 octobre 2006. http://perspectiveschinoises.revues.org/671 13 Novopashina, Alma., “The Effect of the Border on Chinese Direct Investments: Evidence from Russian Border Regions ”, Eurasia Border Review Vol 4, No 2 (Fall 2013), pp. 37 – 55. 2013 Slavic Research Center (SRC) http://src-‐h.slav.hokudai.ac.jp/publictn/eurasia_border_review/Vol42/V4N203Novopashina.pdf 14 Tochkov, Kiril I., (2014), “Cross-‐Border Trade and Integration between Russia and China : An Interdisciplinary Perspective (Review of the Book by N. Ryzhova «The Economic Integration of Border Regions») ”, Рецензии, Пространственная Экономика 2014. 4. С. 170—178 SE.2014.4.170-‐178.Tochkov.pdf http://personal.tcu.edu/ktochkov/Book_Review_Tochkov_2014.pdf
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« L’émergence du RMB implique-‐t-‐il un monde de devises internationales concurrentes ou un système de chevauchement des blocs de devises régionaux?», s’interroge B. Eichengreen15 à propos de l’internationalisation de la devise chinoise et de sa spécificité comme unité de compte internationale, moyen de paiement ou monnaie de réserve. La multipolarité du nouvel ordre financier tel que le conçoivent les BRICs dans le cadre d’une « dédollarisation » tendrait à privilégier l’instauration d’un système hybride dans lequel Russie et Chine pourraient chacune trouver un avantage à utiliser un mécanisme de transaction commun en Rouble et Yuan dans leur zone intracontinentale16 et en Yuan/ RMB à l’international. Outre la mise en place d’un mécanisme financier d’aide mutuelle dans lequel la Chine est ainsi venue à la rescousse de la Russie lors de l’effondrement du cours du rouble à la fin de l’année 2014, les deux pays travaillent activement à la constitution d’une devise suffisamment solide, confortée par d’importants achats d’or physique17, pour s’imposer aux côtés du dollar des Etats-‐Unis d’une part et diversifier leurs réserves de change d’autre part.18 L’urgence commande d’autant plus qu’il s’agit parallèlement de répondre aux trois enjeux d’ordre énergétique, commercial et financier qui gouvernent désormais les relations sino-‐russes.
Avec un PIB (exprimé en parité de pouvoir d’achat) de 17632 milliards de dollars (contre 17 416 milliards de dollars pour celui des États-‐Unis), les données de base sont très simples : la Chine est devenue la première puissance économique du monde en 2014. L’intensification du commerce bilatéral que la Russie et la Chine n’ont eu de cesse de mettre en place depuis le début du XXIe siècle après avoir décidé de régler définitivement leurs différends frontaliers et la remarquable croissance économique qu’elle a connue ont proprement contraint la Chine à devenir le premier partenaire commercial de la Russie sur la base de produits manufacturés échangés contre des ressources en gaz et pétrole.
I – Enjeu énergétique : Russie et Chine, gaz et pétrole ou l’adéquation commune des besoins et ressources stratégiques
1.1 Un marché parfaitement intégré
A la différence des incertitudes qui caractérisent la continuité de l’offre nord-‐américaine en ressources fossiles à cause notamment du retournement du marché du gaz de schiste, la continuité de l’offre russe est installée dans le long terme, à ceci près quelle concerne, à la différence des Etats-‐Unis, deux entités économiques majeures voisines : l’Europe (malgré un refroidissement temporaire des relations existant entre la Russie et l’U.E) et la Chine. Ne disposant d’aucune autre offre domestique alternative et bénéficiant de l’incomparable avantage de la sécurité
15 Eichengreen, Barry & Kawai, Masahiro, 2014. "Issues for Renminbi Internationalization: An Overview," ADBI Working Papers 454, Asian Development Bank Institute, p.4. Cf.http://www.adbi.org/files/2014.01.20.wp454.issues.renminbi.internationalization.overview.pdf
16 Vladimir Putin’s Asia-‐Pacific Economic Cooperation (APEC) Summit Speech: Trade in Rubles and Yuan Will Weaken Dollar’s Influence, Global Research, November 11, 2014, http://www.globalresearch.ca/putins-‐asia-‐pacific-‐economic-‐cooperation-‐apec-‐summit-‐speech-‐trade-‐in-‐rubles-‐yuan-‐will-‐weaken-‐dollars-‐influence/5413432 17 A propos des achats d’or effectués par la BCR, Kalinichenko, Dmitry., (2014), “Grandmaster Putin’s Golden Trap ”, Gold-‐Eagle November 23, 2014, http://www.gold-‐eagle.com/article/grandmaster-‐putins-‐golden-‐trap, article original Дмитрий Калиниченко, Западный капкан гроссмейстера Путина http://investcafe.ru/blogs/mbcy/posts/46245# 18 Koos Jansen., (2015), “When Will China Disclose Its True Official Gold Reserve And How Much Is It ? ”, Bullionstars Blogs, 27 Mar 2015, https://www.bullionstar.com/blogs/koos-‐jansen/when-‐will-‐china-‐disclose-‐its-‐true-‐official-‐gold-‐reserves-‐and-‐how-‐much-‐is-‐it/
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d’approvisionnement que leur procurent des routes continentales auxquelles elles ne sauraient sérieusement renoncer sans conséquences financières et géopolitiques mutuellement désatreuses, la Russie et la Chine -‐ pour leurs obligations mutuelles d’exporter et d’importer gaz et pétrole dans le cadre d’un plan de production sur plusieurs décennies -‐, ont de fait scellé leur partenariat sur une base financière « hors sol » car probablement exemptée, en ce qui les concerne, des contraintes usuelles de « posted price » régissant le marché international des hydrocarbures.19
De cette situation exceptionnelle s’infèrent plusieurs questions communes à la coopération sino-‐russe en matière d’énergie. A partir de quel seuil, par exemple, le gigantisme d’un marché intérieur le fait-‐il échapper aux contraintes mortifères d’un marché autarcique ? Assiste-‐t-‐on à la naissance d’un marché bilatéral qui prendrait la forme d’un outside market, d’un binôme qui, de par sa masse, lui permettrait d’assurer de facto les fonctions d’une OPEP eurasiatique en donnant aux deux puissances la possibilité de jouer un rôle prépondérant au sein des compagnies pétrolières nationales eurasiatiques (ANOCS)20? L’hypothèse est d’autant plus séduisante qu’elle repose, d’une part, sur l’existence de réserves considérables et d’autre part, sur un marché plus parfait que la théorie pourrait le concevoir avec une complète adéquation entre les capacités offertes et les demandes exprimées par les deux géants économiques. Outre le fait que par cette intégration-‐mutualisation de leurs ressources en énergie la Russie et la Chine ont atteint une taille critique et disposent de l’expérience conjointe d’une véritable industrie gazière et pétrolière, elles peuvent désormais pleinement jouer un rôle de Gate-‐keepers sur le marché pétrogazier dès lors qu’elles maîtrisent l’entier processus qui s’y attache : de l’extraction à la production industrielle jusqu’au stade ultime des marchés financiers avec cet autre enjeu cardinal que représente la capacité de mobiliser la puissance financière de leurs fonds souverains. Zone d’influence commune particulière, l’Asie centrale21 offre un exemple précis des enjeux comme des difficultés de la coopération économique et financière sino-‐russe en matière d’hydrocarbures.22
1.2 Une nouvelle donne énergétique en complète symbiose
Que les sanctions qui lui ont été imposées par l’UE et les Etats-‐Unis aient pu pousser la Russie à renforcer ses liens économiques avec la Chine en faisant preuve pour ce faire d’une détermination sans faille pour assurer le développement de la coopération russo-‐chinoise se révèle dans les résultats immédiatement obtenus en retour de son partenaire, principalement dans le domaine de l’énergie. Avec un accroissement de 36% en 2014, le montant des importations de pétrole par la Chine auprès de la Russie se serait traduit par une baisse d’environ 8% de ses autres importations auprès de ses autres fournisseurs (APEC et Arabie Saoudite).L’importance du partenariat énergétique ainsi renforcé se manifeste dans les demandes et fournitures de gaz avec l’accord conclu au mois de Mai 2014 portant engagement de la Russie à fournir annuellement à la Chine un volume de 38 Mds de m3 à partir de l’année 2018, susceptible d’être porté à 60 Mds de m3 par an.Les données disponibles quant au conditions exactes du prix de la transaction -‐ un prix variant entre 9 et 10 $ par
19 Voir Mabro, Robert., (1984), « On Oil Price Concepts », Oxford Institute for Energy Studies, WPM 3 1984 http://www.oxfordenergy.org/wpcms/wp-‐content/uploads/2010/11/WPM3-‐OnOilPriceConcepts-‐RMabro-‐1984.pdf. Bien qu’ancienne, l’analyse effectuée par cette étude demeure d’actualité. 20 Goldstein, Andrea., (2009), New Multinationals from Emerging Asia: The Case of National Oil Companies. Asian Development Review, Vol. 26(2), pp. 26-‐56. © Asian Development Bank. https://openaccess.adb.org/handle/11540/1678 License: CC BY 3.0 IGO 21 Bergsager, Henrik.,(2012), « China, Russia and Central Asia: The Energy Dilemma », Fridjtof Nansen Institute, 2012, Volumes 16 à 2012 de FNI report, ISSN 1504-‐9744 , http://www.fni.no/doc&pdf/FNI-‐R1612.pdf 22 Ziegler, Charles E.,(2010), “Russia and China in Central Asia”. Chapter 8, The Future of China-‐Russia Relations. Kentucky: The University Press of Kentucky, 2010.
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million de Btu (MMBtu)-‐, permettraient semble-‐t-‐il de considérer que la Chine aurait par ailleurs obtenu des conditions de pricing plus favorables que celles consenties par la Russie à ses clients européens.Cette clause de la nation la plus favorisée en quelque sorte consentie par la Russie à la Chine se retrouve dans une meilleure configuration, s’agissant des fournitures en gaz naturel liquéfié dont la Chine est demanderesse. La Russie semble en effet avoir mieux préservé ses intérêts23 en s’assurant contre la volatilté des cours du GNL grâce à un prix de vente fixe auquel son partenaire a consenti sans difficulté. Il n’en demeure pas moins que la nature des échanges traduit une marge de manœuvre qui fait défaut à la Russie24 et dont son partenaire chinois use très à-‐propos en consentant des avances de paiement sur exportations futures de pétrole (Rosneft), voire même en consentant des prêts à des entreprises russes privées d’accès au financement sur les marchés internationaux du fait des sanctions occidentales. S’agit-‐il pour autant d’un inconvénient dès lors que la Russie sait pouvoir compter de manière effective sur l’aide de son partenaire ? Probablement pas. L’enjeu majeur en matière de coopération économique financière sur le plan énergétique se situe en effet dans la nature même du secteur industriel que représente le processus d’exploration, d’exploitation, d’extraction et de vente des hydrocarbures, toutes opérations particulièrement dévoreuses de capitaux.Nul doute dès lors que le recours aux « poches profondes » du partenaire chinois désireux de faire montre de capacités de financement réellement illimitées s’accompagne d’un processus d’intégration économique et financière de nature à susciter quelques craintes de la part du partenaire russe qui se voit ainsi obligé d’ouvrir le capital de ses entreprises à des prises de participation majeures. On observera toutefois la relativité de ces craintes dans la mesure où son entrée dans les programmes d’exploration-‐production russo-‐chinois en matière d’hydrocarbures comporte une prise de risque réelle25 pour la Chine par rapport à un horizon dans lequel les retours sur investissements -‐ indéniables sur le long terme -‐ pourraient bien justifier pleinement pour les deux parties la réalité de cet enjeu de la coopération sino-‐russe. L’enjeu économique et financier prend ainsi la forme de participations26 notables avec, par exemple :
-‐ en 2013, l’entrée de la compagnie CNPC dans le projet d’exploitation du champ gazier de Yamal et le développement joint des champs gazier et pétrolier de Sibérie avec la compagnie Rosneft,
-‐ en 2014, toujours avec CNPC, la prise de participation à hauteur de 10% du capital de ZAO Vankorneft en vue d’une production journalière de 1 million de barils.
23 Energy Security, Geopolitics and the China-‐Russia Gas Deals, Publication: China Brief Volume: 15 Issue: 2 January 23, 2015 11:12, The Jamestown Foundation http://www.jamestown.org/programs/chinabrief/single/?tx_ttnews%5Btt_news%5D=43434&cHash=9fae664f80b25777b6ade2922ffc6df0#.VSLzifmsXk2 24 Gordon G. Chang., Around Asia. « Will Russia Buckle, Sell China Control of Its Oil Fields? », World Affairs, 5 March 2015 http://www.worldaffairsjournal.org/blog/gordon-‐g-‐chang/will-‐russia-‐buckle-‐sell-‐china-‐control-‐its-‐oil-‐fields
25 Li Lifan and Wang Chengzhi., « Energy Cooperation Between China and Russia: Uncertainty and Prospect of Development », Russian Analitycal Digest No. 163, 24 February 2015, p.11 http://www.css.ethz.ch/publications/pdfs/RAD-‐163.pdf
26 Elena Mazneva, Andy Hoffmann., « Rosneft Sanctions Boost Reliance on China Loans for Oil », Bloomberg, 17 July 2014 http://www.bloomberg.com/news/articles/2014-‐07-‐17/rosneft-‐sanctions-‐will-‐increase-‐reliance-‐on-‐china-‐loans-‐for-‐oil . Voir aussi : Stephen Biermann, Ilya Arkhipov., « CNPC Buys Stake in Novatek’s Yamal LNG Project in Russian Arctic », Bloomberg, 5 September 2013 http://www.bloomberg.com/news/articles/2013-‐09-‐05/cnpc-‐buys-‐stake-‐in-‐novatek-‐s-‐yamal-‐lng-‐project-‐in-‐russian-‐arctic
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II – Enjeu commercial : Russie et Chine, pôles économiques et infrastructures
On distinguera au titre des enjeux de la coopération économique et financière sino-‐russe le besoin vital d’infrastructures adaptées à l’urgence pour les deux pays de relier entre eux les archipels économiques qui se répartissent dans l’immensité de la Russie et qui constituent tant pour la Chine que pour la Russie les voies de passage obligé pour les marchés régionaux intra et intercontinentaux, qu’il s’agisse :
-‐ de la mise en valeur des zones économiques russes, -‐ de la construction d’un réseau ferré tant vers l’Extrême-‐Orient russe que vers l’Asie Centrale
et les marchés européens, -‐ de la construction et de l’extension du réseau d’oléoducs et de gazoducs.
2.1 Intégration croisée transfrontière, intégration régionale : les Zones économiques spéciales (ZES)
On distingue quatre types de zones :
1-‐Les zones industrielles, spécialisées dans la construction automobile, chimie, pétrochimie et matériaux de construction :
Llipetsk Industrial Zone, Lipetsk Region . Alabuga Industrial Zone Republic Of Tatarstan . Togliatti Industrial Zone, Samara Region
2-‐Les zones d’innovation, situées dans des régions à forte tradition scientifique, spécialisées en nano et biotechnologies, technologie médicale, électronique et équipements de télécommunication, technologies de l’information, instrumentation de précision et physique nucléaire :
Zelenograd Innovation Zone Moscow/Moscou, Dubna Innovation Zone Moscow Region, Saint Petersburg Innovation Zone Saint Petersburg, Tomsk Innovation Zone Tomsk
3-‐Les zones touristiques, localisées en Asie Centrale :
The Altai Valley Tourism And Recreation Zone Altai Republic, The Baikal Haven Tourism And Recreation Zone Republic Of Buryatia, The Turquoise Katun Tourism And Recreation Zone Altai Territory, The Gate Of aikal Tourism And Recreation Zone Irkutsk Region, Yutsa Grand Spa Tourism And Recreation Zone Stavropol Territory, Russky Island Tourism And Recreation Zone Primorye Territory
4-‐ Les zones portuaires et logistiques dont le nombre est en passe d’augmenter lors de la construction et de la mise en service des nouvelles voies ferrées de transport de fret :
Ulyanovsk Vostochny Port Zone Ulyanovsk Region, Sovetskaya Gavan Port Zone Khabarovsk Territory
(Note : cyberliens fonctionnels)
2.2 Intégration croisée transfrontière, intégration régionale : le réseau ferré Chine-‐Russie-‐Europe
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Source : http://www.energypost.eu/new-‐china-‐europe-‐connection-‐chinas-‐new-‐silk-‐road-‐strategy-‐will-‐change-‐face-‐world/
Liaison ferrée continentale eurasienne
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2.3 Intégration croisée transfrontière, intégration régionale : le réseau de pipe-‐lines Chine-‐Russie
Source : Gazprom
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Approvisionnement de gaz naturel russe à la Chine : le système Power of Siberia. Voir aussi http://www.gazprom.com/about/production/projects/pipelines/ykv/
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-‐
I-‐ Zones Economiques Spéciales (ZES) Source : www.russez.ru
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II -‐ Zones Economiques Spéciales (ZES) Source : www.russez.ru
« Toutefois, comme l’écrit Ariel Noyola Rodríguez, au-‐delà des questions du manque de représentativité, les projets d’infrastructures représentent un support essentiel sans lequel de hauts taux de croissance ne seraient pas possibles sur le long terme. L’accumulation capitaliste à l’échelle mondiale s’oriente chaque fois plus vers l’Est, et le continent asiatique, explique l’auteur de cette citation, a un besoin urgent de mobiliser des ressources pour relier les réseaux régionaux de valeur, à travers par exemple la « Route de la soie du 21ème siècle », une ceinture économique qui inclut un ample réseau de chemins de fer au niveau continental, qui reliera la Chine à l’Asie centrale, la Russie, l’Europe et peut être même le Levant. Selon les estimations de la Banque asiatique de Développement, 8 milliards de dollars seront nécessaires entre 2010 et 2020 pour des projets nationaux, et 290 milliards de dollars pour des projets régionaux, en matière d’infrastructure. Toutefois les prêts faits par la Banque asiatique de Développement pour un montant de 10 milliards de dollars, sont clairement insuffisants pour répondre au niveau de demande de crédit. Face au ralentissement de la croissance de l’économie chinoise à des taux inférieurs à 8 % et à la faiblesse croissante de la demande externe, le financement de projets d’infrastructure à travers la BAII donnerait à l’intégration asiatique une poussée sans précédent, et la Chine jouirait d’un accès privilégié à des ressources naturelles stratégiques et a des marchés de consommateurs potentiels. La Chine est aujourd’hui le premier associé commercial de la plus grande partie des pays de la zone ; l’Inde, le Pakistan et le Bangladesh, et le second du Sri Lanka et du Népal. En 2012, le commerce entre la Chine et les 10 membres de l’Association des Nations de l’Asie du Sud-‐Est (ASEAN en anglais) a atteint un record de 400 milliards de dollars. Il est clair, qu’avant que Beijing aspire à conquérir l’hégémonie économique mondiale, il lui faudra consolider son leadership au plan régional. Et pas seulement en matière économique mais aussi par un grand équilibre géopolitique parmi les pays asiatiques afin de laisser de côté « la doctrine du pivot » impulsée par le Pentagone et le département d’État. »27
27 Source, citation extraite de : « Beijing, le crépuscule asiatique post-‐Bretton Woods », par Ariel Noyola Rodríguez, Réseau Voltaire, 11 novembre 2014,www.voltairenet.org/article185904.html
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III-‐ L’enjeu financier : l’irruption de la Chine et de la Russie dans le système bancaire et financier international 3.1 Rééquilibrage et réaménagement sino-‐russe du système financier international L’enjeu que constitue principalement pour la Russie et la Chine l’affirmation de leur indépendance dans l’usage des instruments de la finance et du commerce international se manifeste par des dispositions effectives qui marquent avec succès leur retranchement commun du système actuel fondé sur la survivance de la prépondérance du dollar américain. Les deux pays entreprennent en effet de procéder à la substitution pure et simple d’un autre système économique et financier intégré qu’elles entendent bien utiliser pour renforcer leurs positions respectives dans leur sphère multipolaire d’influence continentale (Asie du Sud-‐Est, Inde, mais aussi Europe), bousculant l’idée d’un ordre économique qui se concevait comme unipolaire après l’éclipse de la Russie. S’agissant en effet de se doter des moyens de surmonter la guerre économique qui oppose désormais le bloc euro-‐asiatique sino russe au bloc américano atlantique -‐ même si cette triangulation Russie – Chine – États-‐Unis mérite d’être nuancée –, quelques éléments remarquables mettent en exergue l’enjeu principal que représente dans la coopération financière et économique sino-‐russe le grand mouvement de « dédollarisation » qui sert de ligne de conduite à la montée en puissance des Brics et qui joue aussi le rôle d’un puissant attracteur financier. On relèvera de manière liminaire que les mesures adoptées par l’alliance russo-‐chinoise paraissent marquées par un caractère de surprise alors qu’il n’en est rien. Il s’agit là simplement d’un effet d’annonce auquel curieusement personne ne semble prêter attention malgré la précision des informations ouvertes et donc disponibles 28 à leur sujet, comme s’il n’existait pas d’alternative et que la règle jusqu’à ce jour communément admise voudrait qu’il n’y ait point de salut hors les structures « mainstream » que représentent, par exemple, le modèle d’accords d’intégration d’économie intercontinentale que les Etats-‐Unis s’attachent à promouvoir dans leur sphère d’influen ce et auxquels s’oppose précisément la coopération économique et financière sino-‐russe. Ainsi ne trouve-‐t-‐on à titre d’illustration du propos dans les compte-‐rendus du dernier Forum de Davos qu’une vague allusion à la Chine et à la Russie -‐ pays qualifiés d’« exclus » dans le nouvel ordre international des accords régionaux -‐, et qui semblent représenter un angle mort ou un point aveugle dans l’économie internationale telle que la conçoit le forum précité29 : « This report’s focus is on mega-‐regionals, and on the TransPacific Partnership (TPP) and the Trans-‐Atlantic Trade and Investment Partnership (TTIP) in particular». L’erreur d’analyse et de prospective en devient manifeste comparée aux conclusions de la Conférence annuelle du Forum de Bo’ao pour l’Asie 2015
28 Voir à ce propos S. Yu. Glazyev, V. V. Ivanter, V. L. Makarov, A. D. Nekipelov, A. I. Tatarkin, R. S. Grinberg, G. G. Fetisov, V. A. Tsvetkov, S. A. Batchikov, M. V. Ershov, D. A. Mityayev, Yu. A. Petrov, “ About The Strategy of Russian Economy Growth ”, “Economics of contemporary Russia”, September, 2011 http://en.ershovm.ru/files/publications_document_106.pdf
29 Voir à ce propos Mega-‐regional Trade Agreements: Game-‐Changers or Costly Distractions for the World Trading System?World Economic Forum, 07 July 2014 http://www3.weforum.org/docs/GAC/2014/WEF_GAC_TradeFDI_MegaRegionalTradeAgreements_Report_2014.pdf, et plus particulièrement Uri-‐Dadush, « Potential/Possibles Responses to Mega-‐regionals by Excluded Countries » Section 5, 5.1 p.8 et Wan Meng, -‐ 5.2.2.C. « TPP and China’s Response », p.8
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(le « Davos chinois ») dont les travaux clôturés le 29 mars 2015 ont, entre autres, abordé la question de la coopération régionale en Asie.30
L’irruption du réel qui vient fracasser cette cécité idéologique et conceptuelle n’en est donc que plus brutale dès lors que dans le cadre des enjeux de la coopération économique et financière sino-‐russe un système particulièrement simple, robuste et manifestement efficace vient brusquement d’anéantir et renouveler les anciens schémas du commerce et de la finance internationale. Trois événements majeurs expliquent ce brusque changement qui vient clore de manière particulièrement subtile 70 ans d’histoire économique sous domination unipolaire des Etas-‐Unis:
-‐En premier lieu, la mise en activité par la Chine de son propre système international de paiement bancaire CIPS (China International Payment System), analogue à l’actuel système SWIFT (The Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication). L’alternative que représente désormais pour la Chine la possibilité à la fin de l’année 2015 de procéder elle-‐même à ses règlements internationaux libellés en Yuan est d’autant plus intéressante pour la Russie qu’elle constitue pour elle un nouveau moyen de pression sur le système SWIFT qui, malgré la décision prise en ce sens le 18 septembre 2014 par l’Union européenne d’envisager de procéder à la déconnexion de la Russie de son réseau , ne saurait pour autant malgré les menaces et pressions américaines devenir effective sans désagrément majeur.
-‐En deuxième lieu, et principalement, la mise en place par la Chine de l’AIIB31 (Asian Infrastructure Investment Bank/ Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures), nouvelle venue dans le paysage des institutions multilatérales actuelles entre la Banque Mondiale et le FMI.Entre sa création annoncée dans un memorandum d’entente en octobre 2014 et la date ultime fixée au 31 mars 2015 pour la présentation de candidatures en qualité de membres fondateurs, cette nouvelle géante financière aura réussi l’exploit d’agréger, avec la Russie, outre les membres fondateurs de la région Asie-‐Pacifique -‐ sans compter l’accueil favorable témoigné à la candidature de Taïwan pourvu qu’au préalable l’impétrant réponde à l’exigence formulée par la Chine de « changer de nom » -‐, 14 autres membres non régionaux occidentaux (européens, avec notamment le Royaume-‐Uni, la France, l’Italie et la Suisse, non-‐européen avec l’Égypte).Surmontant ses préventions initiales32, la Russie accède avec cette Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures (capitalisée à hauteur de 50 Mds de dollars effectifs et 100 Mds de dollars statutaire) à une synergie particulièrement prometteuse qui lui ouvrira, du moins dans une dimension différente de celle de la Chine -‐, l’immense marché des grands projets asiatiques d’infrastructure et leur financement. Il demeure toutefois à ce propos une inconnue quant à la concurrence que l’AIIB pourrait créer, de par sa masse et son existence effective, à l’union eurasiatique comme à la future banque de développement des BRICS.
30 A propos du BFA http://presidentday.net/tag/boao-‐forum-‐for-‐asia-‐2015-‐debates-‐hot-‐issues 31 Азиатский банк инфраструктурных инвестиций: 4 факта, 31.03.2015 http://www.vestifinance.ru/articles/55297 32 Déclaration du premier vice-‐Premier ministre russe I. Shuvalov à l’issue du Forum annuel pour l’Asie de Bo’ao (Haïnan) : Russia Joins China's Asian Infrastructure Bank, But Doubts Its Power Against IMF http://www.forbes.com/sites/kenrapoza/2015/03/29/russia-‐joins-‐chinas-‐asian-‐infrastructure-‐bank-‐but-‐doubts-‐its-‐power-‐against-‐imf/
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-‐ En troisième lieu, les conséquences immédiates de la percée diplomatique effectuée par la Chine avec la mise en échec de l’hégémon économique et financier américain issu des accords de Bretton-‐Woods dès lors que l’on aura même vu le secrétaire américain du Trésor, M. Jack Lew, venir à Canossa et déclarer très officiellement que les États-‐Unis seraient prêts à coopérer avec l’AIIB.On assiste en effet avec l’AIIB à la montée en puissance d’un nouveau système multipolaire qui modifie désormais de fond en comble l’architecture financière mondiale en introduisant un nouveau type d’acteur : les banques régionales de développement. Celles-‐ci, dont les objectifs comme les fonctions et les opérations sont pour l’heure décrites et voulues comme complémentaires des acteurs de l’ancien système unipolaire (FMI, Banque mondiale, Banque asiatique de développement), sont en réalité en train de déplacer l’actuel cadre financier connu jusqu’alors tout en sortant de ce même cadre. Il n’importe plus désormais en effet que les États-‐Unis, les Européens et le Japon conservent la présidence d’institutions dont les objectifs et les champs d’activité sont non seulement concurrencés mais encore remis en cause par l’ampleur des orientations géoéconomiques et géofinancières du tandem sino-‐russe.Quel intérêt peut bien encore représenter en effet -‐ au regard du bouleversement majeur qui vient de se produire -‐, le refus du Congrès américain de procéder à la réforme des droits de vote au sein du FMI afin de donner plus de pouvoir aux pays dits émergents dès lors que ce type de mesure émane d’une institution désormais entrée en phase d’obsolescence et que ses membres vont probablement finir de déserter? Aucun.
3.2 L’enjeu financier : stratégies d’investissements et Fonds souverains SWF/ Инвестиционные стратегии институциональных инвесторов: суверенные инвестиционные фонды Le troisième enjeu de la coopération sino-‐russe concerne précisément le cadre financier dans lequel s’intègre le nouveau partenariat des deux pays. Les différences de taille et de nature que présentent les deux économies, leurs structures et leurs modalités de fonctionnement se retrouvent dans les capacités, les moyens financiers mobilisés et les stratégies adoptées pour leurs projets communs.
La coopération financière sino-‐russe se caractérise par la mise en place de structures bancaires dédiées destinées à servir de cadre aux nouvelles politiques adoptées, mais aussi par l’usage de véhicules financiers ad hoc dont la fonction est précisément de financer et piloter les opérations d’investissement dont ils ont la charge.
Du sommet de Douchambé tenu le 11 septembre 2014 au sommet conjoint des BRICS et de l’OCS33 fixé aux 9 et 10 juillet 2015 à Ufa (Russie-‐Baschkortostan), outre l’intégration de l’Inde et du Pakistan en tant que membres à part entière de l’OCS et celle d’autres états avec le statut d’observateurs (Azerbaïdjan, Arménie, Bangladesh et Népal), la réunion aura surtout pour intérêt majeur d’inscrire à son ordre du jour les discussions relatives à la mise en place d’une banque spécifique à l’OCS, à l’image de la banque de développement eurasiatique. D’autres mesures relevant du recours à des opérations de financement plus courantes viennent soit pallier les difficultés rencontrées par la Russie lorsque la Chine vient lui offrir un swap34 de devises d’un montant de 20 Mds de dollars ou
33 Organisation asiatique intergouvernementale régionale de coopération militaire, économique, politique et culturelle fondée à Shanghai le 15 juin 2001 par la Chine, la Russie, le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan et l’Ouzbekistan, l’Organisation de coopération de Shanghai (shànghǎi hézuò zǔzhī -‐ Шанхайская Организация Сотрудничества, ШОС – Shanghai Cooperation Organization) qui réunit d’autres états avec le statut d’observateurs (Afghanistan, Inde, Iran, Mongolie et Pakistan) ou de partenaires de dialogue (Biélorussie, Turquie et Sri Lanka) représente les trois-‐cinquièmes de l’Eurasie avec 30 millions de km² et une population d’environ 1.455 milliards d’habitants. 34A propos du SWAP de devises : https://www.agenceinfolibre.fr/defier-‐dollar-‐russie-‐chine-‐conviennent-‐dun-‐swap-‐devises-‐20-‐milliards-‐dollars/
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qu’en échange de bons procédés la Russie prend l’initiative (2010) de lancer un marché de futures Rouble/ Renminbi pour faciliter les échanges commerciaux avec son partenaire35.
Des véhicules financiers dédiés Le programme de construction et de développement des infrastructures de transport reliant la Chine à la Russie mais aussi à l’Europe répond à l’idée de retrouver l’antique Route commerciale dite de la Soie avec un projet dénommé One Belt, One Road Initiative. Il s’agit en réalité de deux routes commerciales. La première -‐ continentale -‐, réalisation exceptionnelle, relie en effet les zones industrielles de Chine à l’Europe, via l’Asie Centrale, tandis que la seconde, dénommée 21 st Century Maritime Silk Road, désigne une route maritime reliant le port de Quanzhou (province du Fujian) à l’Afrique et à l’Europe. Avec le nouveau fond d’investissement en capital risque à long terme que représente le Silk Road Fund, la Chine s’apprête à mobiliser une puissance financière dotée d’un capital de 40 milliards de dollars. Il s’agit là d’un investisseur institutionnel dont l’activité est entièrement dédiée au renforcement des liens économiques et financiers existant entre la Chine et les états d’Asie centrale. Dirigé par un administrateur du SAFE (The State Administration of Foreign Exchange), le fonds chargé de gérer les réserves de change de la RPC, le Silk Road Fund est détenu par le SAFE précité à hauteur de 65%, le CIC (China Investment Corporation) à hauteur de 15%, l’Eximbank (The Export and Import Bank of China) à hauteur de 15% et le CDB (China Development Bank) à hauteur de 5%, ce qui en fait un outil un peu particulier qui résulte de la conjonction assez exceptionnelle de quatre fonds souverains. S’il est encore trop tôt pour discerner de quelle manière le pouvoir et les capacités d’investissements seront effectivement mobilisés dans un futur proche entre les deux acteurs du Silk Road Fund (le SAFE dépendant de la Banque Centrale tandis que le CIC relève du ministère des Finances), il est encore plus délicat d’apprécier le futur des relations existant entre ce fonds souverain purement chinois et cette autre structure que représente le RCIF/ РКИФ (Russia-‐China Investment Fund /Российско-‐китайский инвестиционный фонд ). D’une moindre importance financière que le Silk Road Fund, le RCIF (РКИФ)36 illustre le glissement d’une fonctionnalité économique et financière qui caractérise désormais le passage du fond souverain (FS/ SWF) au fond souverain de développement (FSD/ SDF). Le recyclage et la mobilisation des considérables réserves de change dont dispose la Chine dans les projets de construction de réseau de transports, d’énergie, de télécommunications qui composent le partenariat économique sino-‐russe serait impossible sans l’existence de véhicules financiers particulièrement adaptés capables de mettre en œuvre des techniques originales spécifiques aux deux Etats. Le RCIF est un fond de capital-‐investissement (private-‐equity fund) dédié aux projets de coopération bilatéral entre la Russie et la Chine.Constitué en juin 2012, ce véhicule financier est adossé à deux autres fonds souverains, le Russian Direct Investment Fund (RDIF) et le China Investment Corporation (CIC) qui l’ont capitalisé à parts égales à hauteur de 2 Mds de dollars.Ses prévisions initiales d’investissements se chiffrent à un pourcentage de 70% de son capital mobilisé en Russie et 30% en Chine.
35 MICEX et CNY-‐RUB : http://www.forex.fr/analyse-‐technique-‐forex/3090-‐les-‐debuts-‐en-‐fanfare-‐de-‐la-‐paire-‐cnyrub-‐a-‐la-‐bourse-‐de-‐moscou
36 РОССИЙСКО-‐КИТАЙСКИЙ ИНВЕСТИЦИОННЫЙ ФОНД, http://www.rdif.ru/fullNews/463/ et http://www.rdif.ru/Partnership/
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Conclusions et perspectives/Выводы и перспективы
Go West, young Han ! Vers le Grand Océan !(К большому океану), et après ? « La primauté américaine en Eurasie sera-‐t-‐elle durable et quelles fins peut-‐elle servir ? » s’interrogeait Z. Brzezinski en préface à son ouvrage en avril 1997. Une réponse vient de lui être donnée le 30 mars 2015 avec une magistrale leçon de géopolitique et de géoéconomie confondues. Le Grand Echiquier a changé de configuration.37
« The important thing now is to form a philosophy and a strategy for Russia’s turn towards new Asia through the development of Siberia and the Russian Far East, and move towards the Great Ocean – not out of military-‐political or geopolitical but economic interests, using the opportunities opened by international cooperation and channeling the energy of the nation into this project. “Towards the Great Ocean” was the slogan of the builders of the Trans-‐Siberian Railroad, one of the great projects – along with the construction of St. Petersburg – in old great Russia. This slogan is even more relevant today. »38 Go West, young Han ! Vers le Grand Océan ! Par-‐delà ces slogans qui pourraient traduire une nouvelle distribution des rôles d’une coopération Sino-‐russe ou Russo-‐chinoise, de multiples questions avec des référents venus d’un passé récent soudainement devenu post-‐moderne surgissent avec une victoire diplomatique principalement chinoise sur la prééminence des Etats-‐Unis dans la réorganisation d’un nouvel ordre géopolitique, géoéconomique et géofinancier international. Le mécanisme d'un nouveau Grand Jeu dont ni la Russie, ni les Etats-‐Unis, ni l’Europe, ni les BRICs et encore moins la Chine n’ont une idée précise du fonctionnement et encore moins de ses conséquences vient de se mettre en marche.Vers quel type d’intégration régionale se dirige-‐t-‐on sur les cinq continents ?Quel type d’unité de compte internationale est-‐elle susceptible de prévaloir à court et moyen-‐terme sachant qu’il est désormais probablement acquis que le RMB jouera le rôle d’une monnaie commune dans la redistribution des zones aussi bien intercontinentales qu’intra-‐continentales ?39
37 Brzezinski, Zbigniev.(1997), Le grand échiquier. L’Amérique et le reste du monde. The Grand Chessboard American Primacy And Its Geostrategic Imperatives (1997) Zbigniew Brzezinski https://archive.org/details/TheGrandChessboardAmericanPrimacyAndItsGeostrategicImperatives1997ZbigniewBrzezinski
38 Karaganov, Sergey., « Turning East ? » Russia in Global Affairs, 18 February 2014 http://eng.globalaffairs.ru/pubcol/Turning-‐East-‐16383 39 China’s New Investment Bank Challenges US Influence on Global Economics, The Conversation, 9 april 2015, http://theconversation.com/chinas-‐new-‐investment-‐bank-‐challenges-‐us-‐influence-‐on-‐global-‐economics-‐39978
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