collection en queuede poisson - poisson soluble · une jambe – et il y a gagné une jolie...

28
Des nouvelles drôles, humoristiques, loufoques, comiques, cocasses, burlesques... Collection en Queue - de - poisson

Upload: others

Post on 25-Mar-2020

1 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: Collection en Queuede poisson - poisson soluble · une jambe – et il y a gagné une jolie béquille qui fait “ toc-toc , toc-toc ” quand il marche. Le truc avec lui, je crois,

Des nouvelles drôles,

humoristiques, loufoques, comiques,cocasses,

burlesques...

Collection en Queue-de-poisson

Page 2: Collection en Queuede poisson - poisson soluble · une jambe – et il y a gagné une jolie béquille qui fait “ toc-toc , toc-toc ” quand il marche. Le truc avec lui, je crois,

TOC-TOC

La peur de ma vie, c’est la fois où Toc-Toc a voulu négo-cier avec le tigre à dents de sabre. D’habitude, c’est pas comme ça qu’on fait. D’habitude, quand on rencontre le tigre à dents de sabre, on commence par lui balancer un maxi-mum de sagaies et puis on s’enfuit en criant beaucoup et en faisant plein de gestes. Mais ça c’est quand Toc-Toc préfère ne pas venir à la chasse avec nous. Notez, le connaissant, on ne le force jamais. Mais, ce jour-là, il avait voulu venir, et il avait bien fallu s’y résigner…

On était assez vite tombés sur une belle car-casse de zèbre.

Nous autres, on n’a rien con-tre les carcasses, en général. C’est toujours ça de chassé. Le seul problème, avec les carcasses, c’est qu’il y a tou-jours des gêneurs pour pré-tendre qu’elles leur appar-tiennent. Des accapareurs, quoi, genre tigre à dents de sabre…

On allait pour lancer nos sagaies, selon la tradition de nos ancê-tres, quand voilà mon Toc-Toc qui s’avance et puis qui dit :

– Holà, messieurs ! Que diantre ! Ne nous fâchons pas ! Il existe sûrement une

solution raisonna-ble à notre petite dissension…

in Neandertal (et des poussières)

I L L U S T R A T E U R

MorvandiauNé à Rennes en 1974, Morvandiau persévère comme dessinateur sousl’infl uence de son grand frère Tanitoc. Depuis le début des années 1990,il participe à différentes aventures éditoriales alternatives, publiant des ouvrages en solo et collaborant à de nombreux collectifs (L’Œil électrique, Comix 2000, Ferraille, Ego comme X, Capsule Cosmique, Lapin, L’Éprouvette, Le Tigre...).

Il travaille parallèlement comme dessinateur pour la presse culturelle et politique (Les Inrockuptibles, Rock & Folk, Bakchich, Marianne).

En 2010, il est conseiller artistique du hors série Le Monde Diplomatique en bande dessinée (co-édité par Homecooking Books).

Depuis 2001, il préside Périscopages, rencontres annuelles de la bande dessinée d’auteur et de l’édition indépendante

2 3

120 pages 11 x 21 cm ISBN : 978-2-35871-018-314 d

Neandertal (et des poussières)C’était le temps des mammouths et des copains. Le vin de palme ne coûtait rien, on chassait la gazelle à grands coups de sagaies dans les fesses et on n’avait qu’à se baisser pour trouver de nouveaux mots.

En une vingtaine de petites histoires parfaitement absurdes, Yob, chroniqueur pelu-velu de ces âges farouches, nous en dresse le portrait tout craché mais parfaitement non autorisé.

Pour sourire avec de grosses canines.

A U T E U R

Yann FastierYann Fastier est né en 1965.

Après des études d’arts plastiques et de philosophie, il devient bibliothécaire jeunesse.Passionné depuis toujours par l’illustration et la bande dessinée, il trouve sa voie en découvrant la richesse et la profusion des albums pour enfants.

Auteur protéiforme et parfois grinçant, Yann Fastier trouve avant tout son inspiration dans le quotidien, que ce soit en témoignant de certaines réalités sociales ou bien en donnant une drôle de vie aux objets les plus familiers.

Page 3: Collection en Queuede poisson - poisson soluble · une jambe – et il y a gagné une jolie béquille qui fait “ toc-toc , toc-toc ” quand il marche. Le truc avec lui, je crois,

Il cause comme ça, Toc-Toc.

Faut quand même que je vous dise un petit mot sur lui, Toc-Toc. D’abord, c’est pas son vrai nom. Son vrai nom c’est Djouk l’Ahuri, mais on l’appelle Toc-Toc depuis la fois où il a absolument tenu à causer métaphysique à toute une famille d’ours. Il s’est très vite avéré qu’ils n’étaient d’accord sur rien. Toc-Toc n’y a pas tout perdu, remarquez – juste une jambe – et il y a gagné une jolie béquille qui fait “ toc-toc , toc-toc ” quand il marche.

Le truc avec lui, je crois, c’est qu’il n’arrive pas vraiment à s’y faire, qu’on est des hommes, maintenant. J’ai eu beau lui expliquer cent fois, en le prenant par l’épaule ou en lui faisant les gros yeux, j’ai eu beau lui répéter que ça y était, maintenant, qu’il y avait eux et puis nous et que ça faisait deux, que nous on était plutôt du genre sapiens sapiens et eux plutôt du style “ Kessta kessta, tu veux ma grosse patte griffue dans ta tronche, toi ? ”, y a rien à faire, Toc-Toc, il y croit dur comme fer, à la possibilité du dialogue interes-pèces. Moi je suis pas contre, notez bien… À l’occasion, je ne déteste pas discuter le coup avec le raton laveur ou la tortue, mais le tigre à dents de sabre… Il a ce petit je-ne-sais-quoi de susceptible qui fait qu’on finit toujours par se quitter fâchés.

Et là, Toc-Toc, il était bien parti pour la fâcherie…

Le tigre à dents de sabre a commencé à faire ce petit bruit, là, le même qu’on a entendu la dernière fois que mémé est partie faire pipi dans les buissons et qu’on ne l’a jamais revue. C’était mauvais signe. Signe que les discus-sions allaient être âpres et pour ainsi dire sans pitié.

J’ai commencé à tirer Toc-Toc par le pagne.

– Allez viens, Toc-Toc, on s’en va, Toc-Toc…

Mais il n’a rien voulu savoir.

Il s’est redressé sur son bâton et il a fait une offre.

– Cinquante-cinquante, on te laisse le croupion et le gésier, mais tu nous laisses la peau pour décorer la grotte du chef.

Le tigre, ça lui a coupé le petit bruit.

Il s’est approché à pas feutrés. Moi, j’ai senti un ruisseau se former entre mes omoplates…

Le tigre a pris son petit air ironique de gros matou matois et il a dit :

– Et sinon ?

– Sinon, c’est l’huissier, a rétorqué Toc-Toc.

Et là, il lui a sorti son dossier, au tigre. Je ne sais toujours pas où il se l’était procuré, mais je vous jure que, le tigre à dents de sabre, il est passé de fauve à saumon avarié en moins de temps qu’il n’en faut à notre Sœur la Foudre pour exprimer son amour au grand arbre solitaire dans la savane.

On est repartis avec notre part de la carcasse et la peau, en se disant que, décidément, c’était beau l’évolution…

Et puis, bon, on a quand même emporté le croupion, faut pas exagérer…

4 5

TOC-TOC

Page 4: Collection en Queuede poisson - poisson soluble · une jambe – et il y a gagné une jolie béquille qui fait “ toc-toc , toc-toc ” quand il marche. Le truc avec lui, je crois,

THÉO

– Tu as bien compris : tu attaches ta ceinture et, surtout, tu ne la détaches jamais.

– Même pour faire pipi ?

– Si, pour ça tu peux l’enlever bien sûr. Mais dès que tu reviens, clic, tu la boucles. C’est important, car si tu passes dans un trou d’air, tu sais ce qui se passe, je te l’ai déjà dit.

– Mon plateau s’envole ?

– Et toi aussi ! L’avion tombe et toi... hop, collé au plafond. D’accord ?

– Oui, maman.

– N’oublie pas non plus : si tu vois un truc pas normal par le hublot, tu préviens l’hôtesse.

– C’est quoi un truc pas normal ?

– Une aile qui se détache, un moteur qui prend feu, un autre avion qui vous fonce dessus. Tu peux même crier : “Au feu !” ou... Non ne crie pas, sinon les autres vont paniquer. Tu te lèves lentement comme si de rien n’était, tu vas trouver l’hô-tesse, et tu lui dis.

– Je peux donc enlever ma ceinture aussi quand il y a un truc pas normal.

– Voilà. Pour pipi et pour un truc pas normal.

– D’accord maman.

– Air France. C’est là. On va chercher une hôtesse. Ah, autre chose… Si tu vois un monsieur qui a l’air d’un terroriste, tu le dis aussi.

– Je le reconnais comment ?

– Eh bien... Tu en as déjà vu des photos à la télévision. Mais, surtout, tu attends qu’il ait sorti une arme. Parce que si tu fais une fausse alerte, tu vas te retrouver en prison.

– D’accord maman.

– Donc, si tu vois un monsieur, ou une dame d’ailleurs, avec une arme, tu te lèves doucement et tu vas prévenir l’hôtesse.

in Départs d'enfants

A U T E U R

Nicolas GerrierNé en 1964.

Après des études d’ingénieur et onze ans dans l’industrie, il s'est tourné vers l’écriture :des nouvelles, des histoires pour enfants et adolescents, des livres de français/langues étrangères.

Depuis 2003 il habite en Autriche. et Départs d’enfants est son premier texte publié en France.

I L L U S T R A T R I C E

Gaëlle CharlotNée en Auvergne il y a trente-six ans, elle a déroulé un long cursus, de la fac d’Arts plastiques de St-Étienne à l’Institut d’Arts visuels d’Orléans, s’est frottée au Web design à Grenoble, a fait ses bagages pour deux années à Tokyo, et s’est installée dernièrement à Montpellier, où elle travaille pour la presse magazine.

Elle adore dessiner au crayon de papier.

6 7

120 pages 11 x 21 cm ISBN : 978-2-35871-017-614 d

Départsd'enfants Théo prend l’avion, Julien entre à l’école, Aymeric déménage, François est pressé, Alissa fait sa valise, Julie et Sébastien ont des projets...

Des enfants. Petits ou plus grands, parfois déjà un peu adultes. Ils partent. Seuls, en famille, avec leurs copains. Pour toujours ou juste pour quelques instants. Dans un grand éclat de rire ou avec le ventre qui fait mal.

Toujours avec le cœur qui bat.

Des paroles, des sourires, des regards, des larmes, des espoirs, des peurs, des silences.

La vie.

Trente départs d’enfants, et à chaque fois, une aventure.

Page 5: Collection en Queuede poisson - poisson soluble · une jambe – et il y a gagné une jolie béquille qui fait “ toc-toc , toc-toc ” quand il marche. Le truc avec lui, je crois,

– Je peux enlever la cein-

ture aussi pour un terroriste.

– Voilà. Pipi, un truc pas normal et un terroriste. Tu vois, toi qui avais peur d’être

attaché tout le temps, ça fait quand même pas mal d’oc-casions. Viens, l’hôtesse est là. Tu te sens bien. Tu n’as plus

peur ?

– Non, ça va bien.

– J’allais oublier, si l’avion tombe…

– S’écrase ?

– Non, tu traverses l’océan, il y a plus de chances que ça se termine dans l’eau. Dans ce cas... Tu sais nager, hein ! Remontre-moi tes mouvements. Non, pas la brasse, essaye le crawl, tu iras plus vite, les poissons nagent vite dans l’Atlanti-que. Oui, voilà, n’oublie pas d’ouvrir la bouche pour... enfin, au début fais de la brasse, la bouche fermée quand même.

– Comme ça ?

– Super mon amour ! Ce doit être l’hôtesse. Bonjour madame. Voilà Théo Dutilleul, je vous le confie, voilà son billet et son passeport. Je l’ai déjà briefé sur un tas de choses et il sait qu’il faut garder sa ceinture...

– Sauf pour pipi, un truc pas normal, un terroriste et pour nager.

– Voilà, voilà, mon chéri. Vous comprenez, il s’angoisse tel-lement vite, j’ai voulu le rassurer. Je vous le laisse. Au revoir mon chéri.

– Au revoir maman. Sois prudente sur la route.

– C’est gentil mon grand, mais tout ira bien. Tu sais, la voi-ture, c’est quand même moins dangereux que l’avion.

Théo, 8 ans. Départ en avion.

8 9

THÉO

Page 6: Collection en Queuede poisson - poisson soluble · une jambe – et il y a gagné une jolie béquille qui fait “ toc-toc , toc-toc ” quand il marche. Le truc avec lui, je crois,

CHASSEURS

À cette époque vivait une poignée d’ogres dans la forêt du centre du monde. Ces ogres étaient des chasseurs. Ils étaient armés jusqu’aux dents, passaient leur temps à lustrer leurs fusils et attendaient impatiemment le dimanche pour aller chasser.

Au départ, les ogres tuaient uniquement pour se nourrir. Mais un jour, l’un d’entre eux eut l’idée de chasser aussi le mardi, histoire de s’amuser un peu. Il est vrai que, dans cette forêt, on s’ennuyait ferme le mardi. En vérité, on s’y ennuyait tout le temps. Finalement, la décision fut prise de chasser tous les jours, même le zardredi, qui est un jour qui n’existe plus.

Il se passa alors une drôle de chose dans la tête vide des ogres. Un sentiment nouveau apparut. Un sentiment qui se situait entre le plaisir de tuer, le besoin de dominer les choses et la soif de puissance. Tous les matins, à l’aube, ils s’enivraient avec de la mauvaise bière et partaient, crosses calées, canons

en visée, barillets chargés et balles en bandoulière, décimer tout ce qui bougeait devant eux. De simples chasseurs, ils étaient devenus assassins, sans même s’en rendre compte.

Les premiers temps, ils firent de grandes fêtes et de copieux festins avec le gibier abattu. Mais rapi-dement, ils furent rassasiés et laissèrent pourrir les cadavres sur place. Ils massacrèrent tout ce qui avait entre deux et huit pattes. Quand ils eurent fini, ils exterminèrent les myriapodes, c’est-à-dire ceux qui avaient entre dix et cent soixante-quinze paires de pattes. Ils supprimèrent les oiseaux, puis lancèrent des grenades dans les rivières et les lacs pour voir comment explosaient les poissons. Tout y passa dans la forêt. Si bien qu’un jour il n’y eut plus un seul animal à tuer. La panique envahit les ogres. Qu’allaient-ils bien pouvoir faire désormais ? Ils connurent une semaine de crises d’angoisse et de tremblements dus à leur état de manque, puis

décidèrent, un dimanche matin, d’anéantir les hommes.

in Ogrus, histoires à digérerA U T E U R

Grégoire KocjanNé en 1974 à Montbéliard.

Déjà auteur-illustrateur d’un album (Sam et l’Hippopotame, prix Litteratura Jeunesse 2004) et d’un roman jeunesse (Le vieillard qui jouait encore), il est également présent dans le milieu du spectacle jeune public en tant qu’auteur de chansons, chanteur et comédien, notamment dans la compagnie Badabulle.

Les histoires du recueil Ogrus ont été mises en scène et sont jouées par l’auteur lui-même sous les traits du célèbre chasseur d’ogres : Jorgen-Heinrich von Umstatzen.

Ogrus, histoires à digérerOdieuxGoinfresRepoussantsUltra-méchantsStupidesTu n’as pas encore compris ? Alors, lis ce livre !

Avec Ogrus, Grégoire Kocjan donne le meilleur de lui-même pour décrire le pire de nous-mêmes.

Ces ogres-là nous sont tellement familiers, sont tellement proches de nos propres travers, qu’ils en deviennent vraiment effrayants. Pourtant, derrière la noirceur, la dérision et le cynisme, il y a toujours cette petite lueur...

On ne le refera pas, Grégoire. Il a beau s’en défendre, il demeurera toujours une sorte d’optimiste.

I L L U S T R A T R I C E

Pauline ComisAprès des études à Paris, la voilà de retour à Montpellier où elle mélange pinceaux et crayons pour créer Letiko, la fi lle du soleil (Éditions Benjamins Media) et L’âne qui voulait chanter comme un rossignol (Éditions Tourbillon).

D’autres projets fl eurissent dans son atelier, mais qui aurait pu prédire sa rencontre avec une tribu d’ogres ?

Ils s'invitent sur la feuille, parfois elle ne les voit même pas arriver. Et quand elle quitte son atelier,il lui arrive d’en croiser dans la rue...

Gare à vous, les ogres sont partout !

10 11

120 pages 11 x 21 cm ISBN : 978-2-913741-64-514 d

Page 7: Collection en Queuede poisson - poisson soluble · une jambe – et il y a gagné une jolie béquille qui fait “ toc-toc , toc-toc ” quand il marche. Le truc avec lui, je crois,

La tâche s’avéra plus facile qu’ils ne l’imaginaient. Ils ne trouvèrent d’ailleurs pas ça très distrayant. À cette époque, nous l'avons dit, les hommes n’étaient que des enfants, et il est vraiment trop facile de tuer un enfant. À la fin du

carnage, un gros ogre, passablement affamé par son génocide, goûta un morceau d’en-

fant et trouva ça très bon. Alors les ogres dévorèrent les hommes et ce fut le début de toutes les légendes. Ils finirent par s’endormir sur le tas d’ossements, repus et bienheureux, sans penser une seule seconde qu’ils ne sauraient pas quoi faire le lendemain.

Effectivement, le jour suivant, les chasseurs en plein désœu-vrement errèrent toute la journée, au milieu de la forêt jonchée de cadavres. Par chance, l’ogre qui avait toujours des idées en eut une nouvelle :

– Hé, les gars ! On n’a qu’à couper les arbres !

– Ouaiiiis ! répondirent les autres.

Alors ils allèrent chercher des scies, des haches et des tronçonneuses et commencèrent à décapiter la forêt. Ils déra-cinèrent les buissons, écrasèrent les fleurs, certains même arra-chèrent les brins d’herbe à la pince à épiler. Ce fut très long, mais ils réussirent tout de même à scalper le monde. Tout ce qui ressemblait à un végétal y passa. De fait, tout ce qui était vivant trépassa.

Les ogres se retrouvèrent en plein soleil au milieu d’un désert gigantesque. Un désert qu’ils avaient fabriqué de leurs mains et de leur fureur imbécile. Ils s’enivrèrent avec un reste de bière tiède et attendirent. Ils attendirent tant que le manque d’alcool et d’action finit par les rendre nerveux et agressifs. Au bout du compte, ce que tout le monde attendait arriva. L’ogre qui avait des idées en eut une. Une der-nière.

– Hé, les gars ! Si on tuait Jean-Claude ?

– Ouaiiiis ! répondirent les autres, y compris Jean-Claude qui n’avait pas bien compris ce qu’on allait faire.

Il n’eut, d’ailleurs, pas le temps de comprendre. En moins de temps qu’il n'en faut pour le dire, il fut troué comme une passoire. Une salve de coups de feu retentit dans les airs, mêlée à des rires joyeux. Les ogres étaient contents car cela faisait longtemps qu’ils n’avaient pas abattu quelque chose d’intéres-sant. Toutefois, à la fin de la pétarade, un autre ogre s’écroula. Certainement qu’un fusil n’avait pas été levé assez haut. Une balle perdue, ça arrive. Alors les ogres devinrent méfiants. Ils se mirent en joue les uns les autres. Le silence se fit. Puis, un ogre qui ne savait pas trop quoi faire appuya sur la détente. Le coup partit, suivi de mille autres. Les ogres s’entretuèrent comme des abrutis, c’est ce qu’ils étaient d’ailleurs.

Lorsque le calme fut revenu, tout était inerte sur la Terre. Il ne restait que les cailloux pour la rendre sympathique. Pourtant, dans un tout petit trou, il y avait encore de la vie. Deux enfants, un garçon et une fille, s’étaient cachés là durant l’extermination des hommes. Ils ne se connaissaient pas. Ils étaient tout petits. Le garçon n’avait qu’une dent alors la fille l’appela « Adam ». La fille n’avait physiquement rien de particulier alors le garçon l’appela « Ève », parce que, Adam et Brigitte, ça sonnait moins bien. Ils marchèrent un peu dans le désert et derrière chacun de leurs pas apparaissaient de petits êtres vivants microscopiques et unicellulaires qu’ils appelèrent « procaryotes », pour rigoler.

– Tu vois Ève, la vie reprend toujours le dessus et finit par s'éveiller, dit Adam.

– C’est vrai, répondit Ève, mais c’est tout de même pas une raison pour tout bousiller.

Ils étaient contents car ils venaient de prononcer les deux premières phrases de l’humanité et en plus elles rimaient.

DÉBUT du TOUT DÉBUT du COMMENCEMENT

12 13

CHASSEURS

Page 8: Collection en Queuede poisson - poisson soluble · une jambe – et il y a gagné une jolie béquille qui fait “ toc-toc , toc-toc ” quand il marche. Le truc avec lui, je crois,

A U T E U R

Philippe BarbeauNé à Blois en 1952, il a été longtemps instituteur spécialisé. Bien qu’il n’aime pas les bavardages inutiles, il passe maintenant sa vie à faire des histoires.

Qu’il les écrive ou qu’il les conte, il en a plein la tête, s’empêtre parfois les pieds dedans, mais ne s’emmêle jamais les stylos avec les mots qu’il tisse souvent avec humour et tendresse.

Le Zutécrotte et autres monstres des cités hachélaimesIl était une fois une cité hachélaime, où les enfants vivaient au côté de monstres étonnants.

L’Ograsseur emportait les petites fi lles qui embêtaient leur grand frère.

Le Zutécrotte se nourrissait de gros mots. Doux, tendres et délicieux de préférence.

Le Mangebruit avalait les enfants trop bruyants.

Philippe Barbeau, qui les a bien connus, vous racontera aussil’histoire du Bouffauto, celle du Rangetou, du Voltitou et de quelques autres.

120 pages 11 x 21 cm ISBN : 978-2-913741-63-814 d

14

I L L U S T R A T R I C E

Émilie HarelAprès plusieurs années passées au pays de la choucroute pour suivre les études de l’École des arts décoratifs de Strasbourg, la voici cachée entre deux immeubles de la cité marseillaise dans un atelier bien à l’abri des monstres, dans lequel elle travaille pour la presse et l’édition avec d’autres illustratrices et des graphistes.

Elle a illustré des contes pour les éditions Syros et P’tit Glénat, des ouvrages collectifs chez Larousse, et des rubriques de documentaires, d’humour ou de jeux pour Bayard Presse Jeunesse.

15

LE CROKRÊVES

Il était une fois une cité hachélaime construite au bord d’un lac.Sur l’autre rive habitait un monstre : le Crokrêves. Chaque nuit,

pendant le repos des habitants, le Crokrêves traversait le lac, par-courait la cité où il arrachait les rêves des dormeurs, les croquait puis retournait chez lui en sifflotant. Les habitants souffraient beaucoup de ne plus avoir de rêves. Ils voulurent donc rêver de jour, mais le Crokrêves dévora aussi leurs rêves éveillés.

Les habitants, c’était tout le monde : les grandes personnes comme les enfants.

Voyant que même leurs rêves éveillés étaient dévorés, les grandes personnes décidèrent de ne plus rêver pour avoir la paix. Tous les enfants se rangèrent à cet avis, tous sauf une fille prénommée Jennifer qui n’était pas du genre à se laisser faire.

Un soir, comme elle venait de se coucher, Jennifer rêva d’une splendide poupée, une poupée si jolie que le soleil semblait pâle à côté d’elle. À peine venait-elle d’achever ce rêve que le Crokrê-ves se campa devant son immeuble, passa la patte par la fenêtre de sa chambre, arracha le rêve de ses pensées, le croqua puis retourna chez lui en sifflotant.

Jennifer n’était pas contente.Le lendemain, elle se coucha et rêva d’un énorme sac de poivre

mélangé à du piment.À peine venait-elle d’achever ce rêve que le Crokrêves se

campa devant son immeuble, passa la patte par la fenêtre de sa chambre, arracha le rêve de ses pensées, le croqua...

in Le Zutécrotte et autres monstres des cités hachélaimes

Page 9: Collection en Queuede poisson - poisson soluble · une jambe – et il y a gagné une jolie béquille qui fait “ toc-toc , toc-toc ” quand il marche. Le truc avec lui, je crois,

parents, à leurs amis et chacun se remit à rêver.La tranquillité de la cité fut hélas bientôt à nouveau troublée.En effet, si le Crokrêves ne bougeait pas davantage qu’une

montagne, il avait toujours besoin de manger et eut vite faim. Alors, il pleura, faisant plus de bruit qu’une monstrueuse sirène.

Ainsi, le matin, on entendait : Huuuuuuu...Ainsi, à midi, on entendait : Huuuuuuu...Ainsi, le soir, on entendait : Huuuuuuu...Il cassait les oreilles de tous. Personne ne trouvait le repos,

personne ne rêvait, pas même éveillé.On accusa Jennifer qui tenta de trouver une solution.Le premier soir, elle partit pour le lac, s’installa au pied de la

montagne mais, trop gênée par le bruit, elle n’eut pas la moindre idée. Il en fut ainsi le deuxième soir également.

Le troisième, elle se mit du coton dans les oreilles, partit pour le lac, s’installa au pied de la montagne. Là, elle fit un très beau rêve, un très gros rêve et l’offrit au Crokrêves qui le dégusta. Il cessa aussitôt de pleurer.

Depuis, chacun rêve autant qu’il veut chez lui et cela, en toute tranquillité.

Cependant, quelquefois, il se rend au bord du lac, au pied de la montagne où il fait un très beau rêve, un très gros rêve qu’il offre au Crokrêves.

17

mais il sentit soudain sa gorge s’enflammer, son estomac s’em-braser, son ventre s’incendier. Alors, il se précipita au bord du lac qu’il but presque en entier, avec une bonne partie des pois-sons nageant dedans et même un ou deux bateaux qui flottaient dessus.

Jennifer put faire de beaux rêves une semaine durant. Le Crok-rêves la laissa en paix.

Cependant, au cours de la septième nuit, elle rêva d’une petite voiture, si belle qu’elle faisait de l’ombre au soleil.

À peine venait-elle d’achever ce rêve que le Crokrêves se campa devant son immeuble, passa la patte par la fenêtre de sa chambre, arracha le rêve de ses pensées, le croqua puis retourna chez lui en sifflotant.

Jennifer n’était pas contente du tout.Le lendemain, elle se coucha et rêva d’un énorme gâteau fait

avec l’huile de vidange du moteur de la voiture de ses parents.À peine venait-elle d’achever ce rêve que le Crokrêves se

campa devant son immeuble, passa la patte par la fenêtre de sa chambre, arracha le rêve de ses pensées, le croqua... mais, sou-dain, sa gorge se savonna, son estomac se noua, son ventre se tortilla. Alors, il se précipita au bord du lac où il vomit tout son repas, y compris les poissons et les bateaux de la première fois qu’il n’avait pas encore digérés.

Jennifer put faire de beaux rêves un mois durant. Le Crokrêves la laissa en paix.

Cependant, au cours de la trentième nuit, elle rêva d’une maquette de train électrique, si étincelante que le soleil y allumait ses rayons.

À peine venait-elle d’achever ce rêve que le Crokrêves se campa devant son immeuble, passa la patte par la fenêtre de sa chambre, arracha le rêve de ses pensées, le croqua puis retourna chez lui en sifflotant.

Cette fois, Jennifer se mit en colère.Le lendemain, elle se coucha et rêva d’une gigantesque mon-

tagne avec un village et des neiges éternelles.À peine venait-elle d’achever ce rêve que le Crokrêves se

campa devant son immeuble, passa la patte par la fenêtre de sa chambre, arracha le rêve de ses pensées, le croqua... mais il sentit sa gorge s’alourdir, son estomac s’écraser, son ventre se pétrifier. Alors, il se précipita au bord du lac où, parfaitement immobile, il se transforma peu à peu en montagne, avec un vrai village et des neiges éternelles.

Jennifer put faire les rêves qu’elle voulait. Le Crokrêves la lais-serait dorénavant en paix.

Elle en parla à ses parents, à ses amis qui en parlèrent à leurs

16

LE CROKRÊVES

Page 10: Collection en Queuede poisson - poisson soluble · une jambe – et il y a gagné une jolie béquille qui fait “ toc-toc , toc-toc ” quand il marche. Le truc avec lui, je crois,

1918

Tous ceux qui ont lu son précédent ouvrage en sont convaincus : Pierre Cormon est le plus grand menteur de l’univers.

Les Mémoires de Satan en donnent de nouvelles preuves, plus accablan-tes encore. Ce monsieur essaie de nous faire croire que le monde a été créé dans des circonstances extrava-gantes, qui n’ont rien à voir avec ce que l’on enseigne au catéchisme.

Il prétend qu’une pauvre femme a vu sa vie tourneboulée parce qu’elle avait contracté une assurance anti-Père Noël et affi rme que le football gagnerait à être joué sans ballon.

Mais le pire, c’est que l’auteur trouve dans ces fariboles matière à méditer sur la relativité de la morale et la complexité de l’être humain. Bref, cet ouvrage est à la fois insolent, insolite et insensé.

Un bon conseil : remettez-le en place. Et si vous avez du temps à perdre, lisez plutôt Les Êtres de paroles : herméneutiques du langage fi guré de Mihaïl Nasta.

Un ami qui vous veut du bien.

A U T E U R

Pierre CormonNé le 3 septembre 1965 à Ambilly (Haute-Savoie). Il est Suisse et vit à Genève. Après avoir travaillé trois ans au Moyen-Orient et en Afrique comme délégué du Comitéinternational de la Croix-Rouge, il a repris une carrière de journa-liste de presse écrite et travaille maintenant pour un hebdomadaire genevois, Entreprise romande.Il a parallèlement étudié l'oud (luth oriental) pendant cinq ans en Égypte, à raison de onze semaines par année. Son blog – http://pier-recormon.romandie.com – est irrégulièrement alimenté.

I L L U S T R A T R I C E

Claire GourdinElle aurait voulu être docteur (bien que très tôt la fi bre artistique se soit révélée à travers ses dessins, de princesses et clowns notamment, puis ses caricatures de profs à l’adolescence).

Mais fi nalement (et en fi n de compte) elle a atterri dessinatrice.

144 pages 11 x 21 cm ISBN : 978-2-913741-33-115 d

Les Mémoiresde Satan nouveaux contes loufoques

LE DEVIND’après une blague anonyme

Il était une fois un père de famille sans histoire. Il vivait dans un quartier huppé de Genève, avec sa femme et les deux enfants, Philippe et Nathalie. Il menait une vie parfaitement rangée, entre son travail dans une banque, ses amis avec les-quels il faisait du vélo le week-end, et sa famille, à laquelle il consacrait le reste de son temps.

Son seul péché mignon était la bière. Il adorait boire une bonne canette, directement dans la boîte, ou la verser dans un verre et observer la mousse monter. Chaque soir, il en avalait deux ou trois en mangeant. Et toutes les nuits, il était obligé de se lever pour aller aux toilettes.

La nuit où débute notre histoire, il s’y rendait justement, lors-qu’il entendit une voix dans la chambre de son fils. Il s’arrêta, intrigué, et ouvrit doucement la porte. La lumière du couloir traçait un trapèze allongé sur le sol et éclairait légèrement le visage du garçon. Les yeux fermés, le visage immobile, Philippe semblait dormir. Mais ses lèvres remuaient.

– Demain… le match… de football… La Suisse… va battre l’Angleterre… 4 à 2… avec trois buts de Frei… balbutiait le garçon.

Le père sourit. Philippe était un grand supporter de l’équipe de Suisse, mais il n’y avait pas beaucoup de chances qu’elle s’impose 4 à 2 à Londres, même si Alexander Frei était en forme.

– Le pauvre enfant compense en rêve ses désillusions dans la réalité, pensa-t-il.

Et il referma la porte.

Le lendemain, il eut une journée très chargée. La banque tra-versait une mauvaise passe et tout le monde œuvrait d’arrache-pied pour essayer de rétablir la situation. Le secteur PME, dans lequel il travaillait, était particulièrement tendu : ses résultats ne cessaient de se détériorer. Il resta tard au bureau et rentra à la maison épuisé. Il mangea rapidement et alla se coucher, sans même allumer la télévision.

in Les Mémoires de Satan, nouveaux contes loufoques

Page 11: Collection en Queuede poisson - poisson soluble · une jambe – et il y a gagné une jolie béquille qui fait “ toc-toc , toc-toc ” quand il marche. Le truc avec lui, je crois,

20 21

Le lendemain matin, en arrivant au bureau, il fut convoqué à une réunion impromptue. Là, le directeur expliqua que les principaux ratios de la banque n’avaient cessé de se détério-rer depuis deux ans, que la remontée des cours de la Bourse n’avait rien pu y faire et qu’il fallait se résoudre à des mesures énergiques. Il avait été décidé de réduire le personnel de trente unités, dont cinq au secteur PME. Les employés licenciés seraient informés personnellement.

Le père fut très troublé. Non seulement parce que la situa-tion de l’établissement l’inquiétait, mais surtout parce qu’il repensait à ce qu’il avait entendu cette nuit-là de la bouche de Philippe. Il avait beau réfléchir, il ne trouvait pas d’explication rationnelle. Comment un gamin de treize ans qui passait son temps à faire du skate et lire des bandes dessinées aurait-il pu être informé avant tout le monde du plan de restructuration ? Et avec une telle précision ? Se pouvait-il que ce fût une coïn-cidence ? La probabilité d’un tel événement devait avoisiner les un pour un milliard.

Ce n’est que lorsque radio-couloir lui apprit le nom des personnes licenciées dans le service qu’il arrêta son opinion. Baraglia, Sanchez, Schmertlin, Desbiolles et Clerc perdaient leur poste.

Il respira profondément et murmura :

– Mon fils est un devin.

Depuis ce jour, il se posta toutes les nuits à la porte du garçon. Il ne tarda pas à découvrir ses habitudes : il dormait d’un sommeil paisible jusque vers 2 heures, et là, commençait à s’agiter. Il parlait alors d’une manière saccadée, pendant une dizaine de minutes, puis se rendormait. Ses prophéties se rapportaient aux domaines les plus divers : cours du blé à la Bourse de Chicago, lauréate de Miss Univers, meurtre d’un syndicaliste à Medellín, plat du jour au bistrot du coin, nombre d’entrées en première semaine du film de Francis Veber, cash-flow trimestriel de Vivendi Universal, classement du hit-parade de Radio-Séoul, résultat de l’enquête sur l’égalité salariale entre hommes et femmes, accident de voiture au carrefour voisin…

Le père prit soin de vérifier toutes ces informations. Ce qui lui demanda un certain travail : s’il lui fut facile de contrôler le cash-flow annoncé par Vivendi ou le cours du blé à la Bourse

LE DEVIND’après une blague anonyme

Ce n’est que le matin, en dépliant son journal entre la cafe-tière et les croissants, qu’il apprit l’incroyable nouvelle. L’équipe de Suisse était allée s’imposer à Londres, contre l’Angleterre, par le score sans précédent de 4 à 2. Et Frei avait marqué trois buts.

– Ça alors, s’exclama-t-il, tu l’avais deviné !

– Quoi ? demanda Philippe.

– Le match, le score, 4 à 2, tu avais dit juste !

– Comment ? répéta le garçon.

“C’est juste, il dormait, il ne s’en souvient pas”, réalisa le père.

– Eh bien tu as fait un rêve prémonitoire. L’autre nuit, je t’ai entendu parler pendant ton sommeil et tu prédisais que la Suisse allait battre l’Angleterre 4 à 2 !

Philippe fronça les sourcils.

– Qu’est-ce que c’est que ces conneries ?

Le père le reprit pour son vocabulaire relâché et lui raconta la scène à laquelle il avait assisté. Philippe haussa les épau-les.

“Tu me fais marcher”.

Le père insista, Philippe s’énerva.

– C’est archinul comme gag.

Trois jours plus tard, le père était de nouveau dans le cou-loir, au milieu de la nuit, lorsqu’il entendit la voix de Philippe. Il ouvrit la porte.

– Demain… au secteur PME… il y a trop de monde… ils vont licencier cinq personnes… dont Desbiolles et Clerc… murmurait le garçon.

Le père referma la porte, troublé.

“Enfin”, pensa-t-il. “J’ai toujours essayé de ne pas embêter ma famille avec les histoires de travail. Est-ce que j’aurais mal-gré tout laissé transparaître mes soucis, pour qu’il se tourmente au point d’en parler pendant son sommeil ?”

Il se soulagea pensivement. Puis se recoucha en pensant à sa banque et à ses résultats médiocres.

Page 12: Collection en Queuede poisson - poisson soluble · une jambe – et il y a gagné une jolie béquille qui fait “ toc-toc , toc-toc ” quand il marche. Le truc avec lui, je crois,

créer la surprise et remporter la mairie de Lyon avec 52,4-% des voix alors que tout le monde les donne perdants”, il mur-murait : “je me méfie des sondages, ils nous ont assez souvent fourvoyés. Je verrais bien les socialistes faire mieux que prévu, et remporter la mairie avec une légère majorité.”

Le seul problème, c’est qu’il n’avait aucun contrôle sur les sujets qu’abordait Philippe. Des collègues le mettaient au défi de deviner le gagnant du prochain Tour de France, et le garçon s’obstinait à lui parler du temps qu’il ferait dans trois semaines

à Bujumbura, ou du nombre de crottes de pigeon qui tomberaient sur la place Saint-Marc entre 3 et 4 heures.

Il avait bien essayé de l’interroger, mais Philippe semblait ne rien entendre.

Mais parmi ces prédic-tions parfaitement aléatoi-res, certaines se révélaient précieuses. Il remporta un pari contre le facteur qui, depuis le temps qu’il leur apportait le courrier, était devenu un ami de la

famille. Sa femme étant inter-venue en faveur du perdant,

il renonça à encaisser le gain. Mais il se rattrapa en gagnant 200 000 francs en jouant le yen à la baisse. Il rentra aussi sa voiture au garage un jour où Philippe avait annoncé de la grêle contre l’avis de la météo et conquit l’estime d’un sous-directeur en lui faisant part

des soupçons qu’il avait sur la solidité d’une banque concurrente,

dans laquelle des auditeurs trouvèrent deux milliards de créances irrécouvrables deux semaines plus tard.

Plus le temps passait, plus le père se félicitait des talents de Philippe. Il se couchait chaque soir tout excité,

et n’arrivait pas à fermer l’œil avant l’heure à laquelle le

de Chicago, il lui fut beaucoup plus difficile de s’assurer de l’identité exacte des syndicalistes assassinés à Medellín ou du classement au hit-parade de Radio-Séoul.

Mais une fois ce travail effectué, il avait acquis une certitude tout à fait réjouissante : Philippe n’était jamais pris en défaut. De sa bouche ne sortaient que des prédictions totalement fiables.

Il pensa d’abord en parler à sa femme. Puis il se ravisa. La brave dame ne savait pas tenir sa langue, et il ne voulait pas que Philippe devienne une bête curieuse dans le quartier. Le garçon lui-même était un peu jeune pour qu’on lui révèle son don, pensa-t-il. Il se souvenait de sa réaction indignée lorsqu’il l’avait félicité d’avoir deviné le score d’Angleterre-Suisse, et apprendre qu’il était devin pouvait lui causer un choc. Qui sait même s’il n’arrêterait pas de parler pendant la nuit ? Et cela, le père ne le voulait à aucun prix. Car cette délicieuse habitude pourrait s’avérer fort utile : il pourrait, peut-être, un jour, indi-quer les chiffres gagnants de la loterie ?

Le père prit ainsi l’habitude d’épater ses collègues en répé-tant ce qu’il entendait de la bouche de Philippe, sur les sujets les plus divers. Et toujours, l’avenir lui donnait raison. On le surnomma bientôt la Pythie. Il prenait soin de formuler ses prédictions de manière suffisamment vague pour qu’on ne

puisse pas deviner son secret. Au lieu de dire : “les socialistes vont

22 23

LE DEVIND’après une blague anonyme

Page 13: Collection en Queuede poisson - poisson soluble · une jambe – et il y a gagné une jolie béquille qui fait “ toc-toc , toc-toc ” quand il marche. Le truc avec lui, je crois,

Il regretta le bonheur qui était le sien, jusqu’à hier, lorsqu’il pouvait vivre insouciant, en ne pensant qu’aux plaisirs que lui apporteraient les jours à venir. Puis il se mit à se remémorer son enfance.

L’horloge sonna 8 heures.

Il pleura, en réalisant qu’il ne lui restait plus qu’une heure. Il pensa à la banque, qu’il ne reverrait plus, à tout ce qu’il aurait voulu faire et qu’il ne ferait jamais. Il déboucha une bou-teille de porto, s’en versa et le sirota lentement, en songeant qu’il s’agissait de son dernier verre. À mesure que l’horloge avançait sur le cadran, son cœur battait de plus en plus fort. À 8 heures 59, il alluma une dernière cigarette. Il regarda l’aiguille des secondes tourner autour du cadran, et chaque mouvement faisait monter en lui un sentiment de terreur. À 8 heures 59 et 57 secondes, sa vue se brouilla. À 8 heures 59 et 58 secondes, il sentit un sifflement dans ses oreilles et lâcha son verre. À 8 heures 59 et 59 secondes, il se sentit défaillir. 9 heures sonnèrent.

À ce moment, la sonnerie de l’entrée retentit. Quelqu’un gardait son doigt appuyé et le son se prolongeait, lui vrillant les oreilles. Il se leva en tremblant, et gagna le corridor. Il ouvrit la porte. Le facteur s’écroula sur lui. Mort.

devin s’exprimait. Il n’essayait d’ailleurs même pas vraiment de dormir. Il aurait eu trop peur de ne pas se réveiller à temps. Il se contentait de fermer les yeux, pour donner le change à sa femme, et se mettait à imaginer les révélations qu’il allait entendre.

Une nuit il était, comme toutes les nuits, pendu aux lèvres de Philippe lorsque celui-ci lâcha :

– Mon père… il va mourir… demain matin à 9 heures pile…

Le père eut le souffle coupé. “Ce n’est pas possible”, rugit-il en son for intérieur. “Je suis en parfaite santé ! J’ai encore eu un contrôle médical la semaine dernière et mon médecin m’a dit que j’étais du bois dans lequel on taille des centenaires !”

Puis il songea avec effroi que les prédictions de Philippe n’avaient jamais été prises en défaut. Il se mit à passer en revue tout ce qui pourrait lui arriver. “Un meurtre ? Je n’ai pas d’ennemi. Un accident ? C’est ça, je roule en scooter, et un camion pourrait très bien m’écraser ! Je resterai à la maison !”

Il se rendit au salon les jambes tremblantes et se versa un verre d’armagnac. “Mais ça ne suffira pas ! Il a dit que je devais mourir, pas que j’aurai un accident ! S’il l’a prédit, quoi que je fasse, je ne pourrai pas y échapper !”

Il se laissa tomber dans un fauteuil et se mit à trembler. “J’ai peur”, pensait-il, “j’ai peur, je ne veux pas mourir”. Il pensa à réveiller sa femme puis se ravisa : elle ne comprendrait pas, et s’il lui expliquait maintenant que Philippe était un devin, elle le prendrait pour un fou. Alors il se versa un autre verre d’armagnac, un autre, et puis encore un autre. Il se mit à pleu-rer, recroquevillé sur le fauteuil. Il pensa qu’il faudrait peut-être rédiger un testament puis y renonça, n’en sentant pas la force. Il but à la bouteille, pensa à sa mère, morte deux ans aupara-vant, et au réconfort qu’elle aurait pu lui apporter.

Le matin le trouva endormi et empestant l’alcool, affalé sur son fauteuil. Sa femme le réveilla, indignée. Il ne put que bredouiller des explications confuses. Heureusement, elle était pressée et n’insista pas. Il resta enfoncé sur son fauteuil, l’œil rivé sur l’horloge. Sept heures du matin ! Si Philippe ne se trompait pas, et il ne s’était jamais trompé, il ne lui restait exactement plus que deux heures à vivre.

24 25

LE DEVIND’après une blague anonyme

Page 14: Collection en Queuede poisson - poisson soluble · une jambe – et il y a gagné une jolie béquille qui fait “ toc-toc , toc-toc ” quand il marche. Le truc avec lui, je crois,

26 27

Même s’il m’était donné de vivre deux cents ans, comme le proposent maintenant les publicités de certains produits miracles, je n’oublierais pas le 25 août 2053. Ce jour-là a com-mencé un long et douloureux calvaire dont seule a pu me tirer la généreuse intervention de la maison Nestlu. Qu’elle en soit chaudement remerciée, et qu’il me soit aussi permis d’exprimer ma reconnaissance au directeur des programmes de la 7e chaîne de Télé-Nestlu, qui a bien voulu mettre ses ondes à ma disposition ce soir.

Mais revenons au 25 août 2053. Ce matin-là, pour la pre-mière fois depuis le début de l’été, un rayon de soleil avait réussi à percer le smog saisonnier. Mon mari et moi étions assis près de la fenêtre pour en profiter. La cuisine vibrait du son de la radio du voisin : comme tous les jours, il écoutait les informations de sept heures et le vacarme passait à travers la paroi de carton comme si elle n’avait pas existé. Et c’est à ce moment que la nouvelle est tombée. Après avoir annoncé la mort du dernier Indien d’Amazonie, le speaker a continué d’une voix enjouée :

« Que ceux qui n’ont jamais réussi à enrouler les spaghettis autour de leur fourchette se réjouissent. Les pâtes longilignes sont désormais démodées. Nestlu, qui contrôle 61 % du mar-ché mondial, vient d’annoncer le lancement de la nouvelle génération de spaghettis : désormais ils seront vendus sous la forme de petits blocs de 7 x 4 centimètres.

Les avantages de cette nouvelle formule sont multiples : rangement plus facile, dosage plus aisé, et, surtout, gain sur la fabrication : grâce à cette nouvelle formule, Nestlu annonce une baisse de prix de 15 % sur l’ensemble des pâtes alimen-taires. Alors, soyez dans le vent, mangez des spaghettis en cubes ! »

Cette nouvelle m’a un peu contrariée. On nous avait déjà imposé le vin en poudre, les pâtisseries prédigérées et les poulets synthétiques à coup de publicité tapageuse et je commençais à trouver que cela faisait beaucoup. Non que je tienne au vin en bouteille ou aux poulets en batterie, mais il nous fallait à chaque fois adapter nos habitudes alimentaires

Si vous ne pouvez pas vous empêcher d’ouvrir ce livre, ne croyez pas un seul mot de ce qui y est écrit.

Cet affabulateur de Pierre Cormon a inventé, sur mon compte, une histoire totalement abracadabrante. Trois fous évadés de l’hôpital psychiatrique de Jérusalem m’auraient entraîné dans une invraisemblable série de catastrophes, après avoir mis le feu à la chambre froide d’un supermarché. Balivernes !

C’est lui qui a sa place à l’asile. Il suffi t de parcourir le reste du recueil pour s’apercevoir que la lecture de Marcel Aymé et de Pierre Gripari lui a tourné la tête.

Figurez-vous qu’il prétend avoir recueilli la confession de la dernière mangeuse de spaghettis de l’histoire de l’humanité, un beau jour de 2054 !

Il essaie aussi de nous faire croire que l’un de ses amis aurait tenté de se marier avec une soupe au poisson, ou qu’il a causé la fi n du monde en voulant se déguiser en hachoir à frites !

Vous l’avez compris, tout ceci est parfaitement loufoque. Reposez ce livre, si vous ne voulez pas vous faire entraîner dans un ahurissant tourbillon de fantasmagories !

Docteur Abdel Rahman al-Zahar, joueur d’échecs et astronome.

144 pages 11 x 21 cm ISBN : 978-2-9504568-5-415 d

Le Génie de l'aubergine et autres contes loufoques

CONFESSION PUBLIQUE FAITE PAR LA DERNIÈRE

MANGEUSE DE SPAGHETTIin Le Génie de l'aubergine et autres contes loufoques (extrait)

A U T E U R

Pierre CormonNé le 3 septembre 1965 à Ambilly (Haute-Savoie). Il est Suisse et vit à Genève. Après avoir travaillé trois ans au Moyen-Orient et en Afrique comme délégué du Comitéinternational de la Croix-Rouge, il a repris une carrière de journa-liste de presse écrite et travaille maintenant pour un hebdomadaire genevois, Entreprise romande.Il a parallèlement étudié l'oud (luth oriental) pendant cinq ans en Égypte, à raison de onze semaines par année. Son blog – http://pier-recormon.romandie.com – est irrégulièrement alimenté.

I L L U S T R A T R I C E

Claire GourdinElle aurait voulu être docteur (bien que très tôt la fi bre artistique se soit révélée à travers ses dessins, de princesses et clowns notamment, puis ses caricatures de profs à l’adolescence).

Mais fi nalement (et en fi n de compte) elle a atterri dessinatrice.

Page 15: Collection en Queuede poisson - poisson soluble · une jambe – et il y a gagné une jolie béquille qui fait “ toc-toc , toc-toc ” quand il marche. Le truc avec lui, je crois,

– Pour se tacher la chemise, répondait un troisième. C’était un coup des fabricants de lessive. Comment vouliez-vous man-ger des trucs pareils proprement ?

Ces arguments ne me convainquaient pas mais j’ai gardé mes objections pour moi de peur d’être traitée de ringarde.

Ce soir-là, lorsque je suis sortie du bureau, les rues étaient le théâtre d’un spectacle étonnant. Une camionnette Nestlu roulait lentement au milieu de la chaussée en diffusant une chanson accrocheuse :

Mémé mangeait des spaghettis - Tout en longPendant qu’son chien faisait pipi - Dans l’salon

Nous on préfère les cubes Nestlu - C’est vite vuParce qu’on est des gens branchés - Et futés

Les gens surexcités lançaient leurs vieux paquets de spaghettis par la fenêtre. Un animateur per-ché sur la camionnette les encourageait dans son mégaphone : “Allez, virez-moi ces spaghettis rin-gards, honte à celui qui en garde dans sa cuisine, et

vivent les pâtes en cubes !” J’ai failli être assommée par un multipack Nest-lu de cinq kilos et plusieurs fois, j’ai glissé sur des paquets éventrés. Dans

une petite ruelle, profi-tant de ce que personne ne me voyait, j’ai rempli mon sac à ras bord de paquets intacts. Le soir, je suis retournée en ramasser avec mon mari. C’est ainsi que nous nous sommes retrouvés en possession d’un énorme stock de spaghettis longilignes.

Le lendemain, j’étais en train d’en faire cuire une casserole quand on a sonné. J’ai ouvert la porte et me suis trouvée face à un grand gaillard au teint parchemineux, qui me tendait la main.

28 29

CONFESSION PUBLIQUE FAITE PAR LA DERNIÈRE MANGEUSE DE SPAGHETTI

sous peine de passer pour des ringards et cela perturbait la digestion de mon fils. Ce matin-là, j’ai donc décidé de donner à ses entrailles la priorité sur la mode.

– Quoi qu’en pensent les voisins, ai-je tranché, nous conti-nuerons à manger des spaghettis longilignes.

Mon mari m’a approuvée et nous avons terminé notre café en devisant gaiement. Je m’étais à peine levée de table que le téléphone a sonné.

– Allô, a résonné une voix, ici l’institut de sondage Ifup. Nous réalisons actuellement une enquête sur la consommation de pâtes alimentaires. Pourriez-vous me dire si vous comptez adopter la nouvelle génération de spaghettis Nestlu ?

– Mmmm, ai-je répondu, eh bien justement, non.L’autre au bout du fil en est resté sans voix pendant quelques

secondes.– Mais enfin madame, vous ne devez pas avoir entendu par-

ler de ces nouveaux spaghettis révolutionnaires ?– Si si, justement, et j’ai décidé de m’en tenir aux anciens.– Mais... je... enfin... voyons...– Merci de votre appel et au revoir.Et je lui ai raccroché au nez.

Un peu plus tard, en sortant travailler, je suis tom-bée nez à nez avec les affiches. Nestlu avait recouvert la ville de gigantesques panneaux publicitaires. On y voyait côte à côte un vieux couple ridé mangeant des spaghettis à l’ancienne dans un appartement poussié-reux et une bande de jeunes mangeant les nouveaux cubes Nestlu au bord d’une piscine. “Les spaghettis longilignes, c’est ringard, clamait la légende, mangez des spaghettis en cubes !”

Au bureau, l’innovation de Nestlu était le sujet de toutes les conversations du personnel.

– Génial, disait l’un, les proportions sont calculées d’avance, deux cubes par personne font un repas. C’est quand même plus pratique que de compter en poi-gnées, on en faisait toujours trop, ou pas assez !

– Oui, et en plus, reprenait l’autre, ça n’était pas très rationnel, ces espèces de tiges, ça se cassait comme un rien, ça tombait toujours du paquet, et tout ça pour quoi ?

Page 16: Collection en Queuede poisson - poisson soluble · une jambe – et il y a gagné une jolie béquille qui fait “ toc-toc , toc-toc ” quand il marche. Le truc avec lui, je crois,

L’homme a serré le poing.

– Eh bien... Puisqu’il n’est pas moyen de vous raisonner... sachez, madame, que Nestlu a le bras long. Nous avons d’autres moyens de vous convaincre.

Je me suis levée.

– Si vous le prenez sur ce ton, monsieur Aeschlimann, vous savez où se trouve la porte.

Et je l’ai raccompagné sans ménagement.

Quelques jours ont passé. La campagne de Nestlu avait si bien porté que l’on ne trouvait plus que des spaghettis en cubes sur les étalages. Panzacru et Lustucuit avaient retiré leurs pâtes longilignes de la circulation de peur de ternir leur image auprès des consommateurs. Après bien des tractations qui faisaient la une des journaux télévisés, ils avaient été autorisés à adopter la norme des spaghettis cubiques contre paiement d’une licence de plusieurs milliards et une prise de participa-tion de 8,33 % de Nestlu dans leur capital.

Pour ma part, j’ai continué à cuisiner des pâtes longilignes. Jusqu’au soir où, alors que nous étions attablés devant un plat de spaghettis bolognaise, des cascades de rires ont éclaté au-dessus de nos têtes. Les voisins du dessus nous observaient par les trous du plafond.

– Des pâtes longilignes, quelle bande de ringards !

– Ha ha ha, regardez-moi ça, ils n’ont pas peur du ridicule !

Nous avons pris le parti de les ignorer et mon mari a enclen-ché la radio à plein volume pour couvrir leurs sarcasmes. Ils ont dû finir par se lasser : en débarrassant la table, j’ai jeté un coup d’œil au plafond et le lino avait été replacé sur les trous.

Le lendemain, mon fils Jean-Luc est rentré de l’école avec le visage tuméfié. Il saignait du nez et avait un œil au beurre noir.

– C’est le fils des voisins, m’a-t-il expliqué en sanglots, il a raconté aux autres que nous mangions des pâtes longilignes, ils ont commencé à se moquer de moi, alors on s’est battus...

Je l’ai consolé tant bien que mal en lui nettoyant sa frimous-se, mais la vérité était que je n’étais pas rassurée. Je commen-çais à mesurer mon imprudence. J’avais le droit de m’exposer à la risée générale en mangeant des spaghettis à l’ancienne si cela me chantait, pas celui d’en faire subir les conséquences à mon fils.

30 31

CONFESSION PUBLIQUE FAITE PAR LA DERNIÈRE MANGEUSE DE SPAGHETTI

– Walter Aeschlimann, de la maison Nestlu. Puis-je entrer ?

Je l’ai fait entrer dans la cuisine et lui ai offert une tasse de thé.

– Dites-moi, madame Desbiolles, des rumeurs inquiétantes circulent sur votre compte. On prétend que, lors d’un sondage, vous avez répondu ne pas vouloir adopter les nouveaux spa-ghettis en cubes. C’est certainement une erreur ?

– Non non, c’est bien le cas.

Son visage a marqué la plus profonde stupéfaction.– Mais enfin, madame Desbiolles, vous n’avez certainement

pas réalisé les avantages de la nouvelle formule ? Laissez-moi vous les expliquer. Premièrem...

– Inutile, je connais déjà tout cela.– Mais alors ?– Alors, je préfère les spaghettis à l’ancienne.

– Ça n’est pas sérieux, sur 16 864 sondés, vous êtes la seule à soutenir cette position rétrograde... Les pâtes longi-lignes appartiennent au passé ! Nos concurrents Panzacru et Lustucuit seront bientôt forcés de s’aligner sur le standard Nestlu ! Vous n’allez pas rester seule à vous entêter...

– Pourquoi pas ?– Comprenez-nous, madame, nous aimerions pouvoir annon-

cer que 100 % des consommateurs ont adopté les nouveaux spaghettis en cubes, mais à cause de vous, et de vous seule, c’est impossible !

– Maquillez les chiffres !

– Mais voyons, c’est impensable, Nestlu est une entreprise honnête et de toute façon, nos concurrents de Panzacru pos-sèdent 30 % des actions de l’institut de sondage, ils veillent au grain !

– Eh bien, je regrette, mais je ne peux rien faire pour vous.

– Allons, madame, réfléchissez, Nestlu vous serait reconnais-sant de faire un petit effort. Avez-vous déjà entendu parler de notre village de vacances au Caraïbes ? Nous y offrons réguliè-rement des séjours à nos clients fidèles...

– Je passe toutes mes vacances à la montagne.

– Et que pensez-vous de bons d’achats pour les produits Nestlu ?

– Je préfère les produits Panzacru...

Page 17: Collection en Queuede poisson - poisson soluble · une jambe – et il y a gagné une jolie béquille qui fait “ toc-toc , toc-toc ” quand il marche. Le truc avec lui, je crois,

ponts de la capitale. Pendant dix-huit mois, nous avons partagé leur vie, entre la crasse et les ordures.

Jusqu’au jour où, fouillant les poubelles de l’avenue où se trouve le siège social de Nestlu, je me suis retrouvée face à face avec Walter Aeschlimann. Il m’a dévisagé, s’est exclamé “ça par exemple” et m’a prise par le bras.

32 33

CONFESSION PUBLIQUE FAITE PAR LA DERNIÈRE MANGEUSE DE SPAGHETTI

Ce soir-là, j’ai discuté longuement avec mon mari. Nous sommes finalement tombés d’accord sur la conduite à tenir : dès le lendemain, nous jetterions nos vieilles pâtes à la pou-belle et irions faire provision de spaghettis en cubes.

Après une nuit agitée, je me suis réveillée de bon matin et suis sortie pour acheter des cubes Nestlu.

À peine avais-je mis le pied dehors que des grappes de gamins m’ont entourée en chantant :

Mémé mangeait des spaghettis

Tout en long

Pendant qu’son chien faisait pipi

Dans l’salon

C’est comme la mère Desbiolles

Cette vieille folle

Elle bouffe que des vieilles pâtes

Cette sale rate

Puis l’un d’eux a saisi une pierre et me l’a lancée au visage. Tous les gamins l’ont imité et j’ai dû me réfugier chez moi en courant, poursuivie par une horde furieuse.

Depuis lors, notre vie s’est trouvée emportée dans une chute sans fin. Nous sommes restés cloîtrés plusieurs semaines, de peur de tomber sur les bandes de gamins qui font la loi dans le quartier depuis que le commissariat de police a été déclaré en faillite. Nous entendions à travers les minces parois les voisins se moquer de nous, et les jours où celui du dessus était ivre, il nous insultait, nous crachait dessus et vidait sa poubelle par les trous du plafond. Au début de l’automne, un représentant de Nestlu est venu nous annoncer que sa firme avait racheté notre immeuble et qu’elle avait résilié notre bail à la suite des plaintes du voisinage sur notre vie dissolue. Nous avons trouvé refuge dans une société d’entraide pour maniaques sexuels, qui nous a laissés nous installer dans un coin de ses toilettes contre paiement d’une modique somme. Je suis retournée tra-vailler escortée de mon mari, mais un mois plus tard, Nestlu a réussi une OPA sur mon entreprise et j’ai été congédiée séance tenante dans le cadre d’un plan de restructuration. Mon mari, qui travaille dans une de nos filiales, a connu le même sort et bientôt, nous n’avons plus été en mesure de payer notre loyer aux maniaques sexuels. Nous avons quitté la ville et sommes venus rejoindre la horde de mendiants qui dorment sous les

Page 18: Collection en Queuede poisson - poisson soluble · une jambe – et il y a gagné une jolie béquille qui fait “ toc-toc , toc-toc ” quand il marche. Le truc avec lui, je crois,

3534

Les Celtesne mettent pas de chaussettes le dimancheDans les temps anciens, les Celtes étaient des personnes très sympathi-ques, malgré une tendance cavalière à assommer leurs interlocuteurs ou à leur mettre du poil à gratter dans le caleçon. Ils aimaient découvrir de nouvelles contrées, bâtir de belles maisons, pourchasser les lapins souffreteux et fredonner des chansons douces à des jolies fi lles ou à des sangliers.

Les Celtes n’avaient peur de rien, ils aimaient apprendre, ils aimaient cuisiner avec de l’échalote,ils aimaient éborgner les grands monstres et estropier les Romains. Bon d’accord, ils étaient un brin hypocrites et mufl es, mais ce n’était pas décourageant.

Leurs aventures les plus célèbres ont fait le tour du monde de bas en haut, en passant par le truc tout au fond qu’on ne distingue pas très bien. Mais avec le temps, ces aventures ont souvent été déformées.

C’est pourquoi Sébastien H. et Filou F. deux anthropologues connus, admirés pour leur sens vestimentaire et leurs actions déterminées en faveur de la sauvegarde des guerres picrocholines, ont décidé de tout remettre à plat à partir des récits originaux retrouvés dans un tiroir d’un grand chêne de la forêt de Brocéliande.

Vous allez pouvoir, enfi n, lire les véritables histoires des Celtes.

Accrochez-vous aux branches, quand même !

144 pages 11 x 21 cm ISBN : 978-2-913741-34-815 d

Il y a bien longtemps de cela, alors que les histoires de lutins n’étaient pas encore des légendes et encore moins des dessins animés, vivait un jeune homme du nom de Fenris. Il habitait un petit port de pêche situé dans le Nord de l’Irlande, en Ulster, dans le comté de Monaghan.

Il était connu des villageois comme étant très menteur. Les villageois s’en étaient assez facilement accommodés car les mensonges de Fenris ne prêtaient jamais à conséquence. Sauf la fois où il avait raconté que la nuit une protubérance lui poussait sur le crâne. Et pour prouver cela, il avait dû se taper dessus à l’aide d’une bûche. Il était resté dans un état comateux durant une bonne semaine.

*Fenris était également connu pour ses remarquables

connaissances médicinales. Et pour cela, en revanche, il était respecté et admiré.

– Dis-moi, Fenris, tu m’as bien fait rire avec ton histoire de Terre qui tourne autour du Soleil, mais soyons sérieux deux minutes. Tu étais là hier soir, pour mon mariage ?

– Oui. Une bien belle fête d’ailleurs. J’ai adoré le moment où tu as parié que tu pourrais porter ta belle-mère, Mama O’Reald ! Tu sais qu’on t’a perdu de vue pendant quelques minutes ? !… Ah ! Ah ! Ah !

– Moque-toi ! Ça n’est pas très charitable, je pouvais à peine respirer !

– Ah ! Ah ! Ah ! Et la pauvre vieille femme qui pensait que tu étais parti ! Elle te cherchait ! Ah ! Ah ! Ah !

– Je n’étais pourtant pas loin !

– Tu étais même un peu trop près ! Ah ! Ah ! Ah ! Ce qu’on a pu rire ! C’était vraiment une très belle fête !

– Oui. Seulement c’était une trop belle fête, et j’ai un peu trop bu. Et c’est aussi pour ça que je venais te voir…

– N’en dis pas plus mon cher Kuldrahn ! Tiens, prends ce chardon, fais-le bouillir dans 3 litres d’eau, et bois cette eau dans l’heure qui suit. Ton mal de tête disparaîtra aussi rapidement et sûrement qu’il est arrivé !

– Tu es un génie Fenris ! Mille mercis, mon garçon !

in Les ne mettent pas de chaussettes le dimanche

A U T E U R S

Philippe FOURNIERNé en 1958 à Paris, il est auteur de livres pour enfants, scénariste télé, concepteur-rédacteur publicitaire et auteur dramatique.

Sébastien Heurtel– Que dire de cet homme ? Qu’il est Celte... voilà une évidence. Qu’il aime jouer avec les mots ! Et boum, deuxième évidence. Qu’il n’y a pas assez d’étagères dans la grande bibliothèque de France pour ranger ses œuvres !... – Oui, alors là, si je puis me permettre, c’est tellement exagéré que je m’insurge.– … Et vous êtes ? (Murmures de connivence de l’auditoire…) – L’auteur ! (Silence réfl échipuis mouche qui pète et point fi nal.)

I L L U S T R A T E U R

Nicolas DuffautÉlevé aux bonbons, pizzas et hypnotisé par la TV des 80’s il se dirige vers le dessin... Après un bac littéraire et arts plastiques, il entre à l’école Émile Cohl à Lyon. En 2002, son diplôme en poche, il commence à travailler avec différents éditeurs en littérature jeunesse : Milan, Magnard, Nathan, Flammarion, etc.Sa technique varie selon les sujets traités, tantôt acrylique, tantôt numérique.

FENRIS ET LE GÉANT VACHEMENT GRAND

Page 19: Collection en Queuede poisson - poisson soluble · une jambe – et il y a gagné une jolie béquille qui fait “ toc-toc , toc-toc ” quand il marche. Le truc avec lui, je crois,

– Euh… c’est quoi déjà une simple ?

– C’est une plante médicinale, Drivon. Alors ? Tu la reconnais ?

– Une belle fleur bleue comme ça… c’est… c’est… c’est de la chicorée !

– Bravo, Drivon ! Et à quoi sert cette plante ?

–-Euuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuh…

Tous les matins, après avoir admiré l’explosion de couleurs engendrée par le lever du soleil sur l’océan, puis les montagnes, puis la plaine, Fenris partait dans la forêt de Guydroi afin d’y faire sa cueillette de simples. Il se faisait accompagner par Drivon, un garçon sympathique qui avait beaucoup de brumaille dans le cerveau ; il lui arrivait d’avoir une conversation suivie avec un lièvre ou un cerf. Drivon n’avait pas inventé la poudre d’escampette, ni la fin des haricots. Il passait la plupart de son temps à traînailler dans les bois, croyant dur comme le caillou que c’était à cet endroit que se trouvait le sens de la vie. Malheureusement pour lui, Drivon méconnaissait la signification du sens et de la vie ; ce qui ne l’empêchait pas de siffloter en marchant ; il marchait généralement comme un canard balourd ou une oie sans tête.

– TU SAIS, FENRIS, HIER EN ME PROMENANT DANS LES COLLINES, J’AI VU UN GÉANT ! hurla Drivon tout à coup, car il modulait assez mal les intonations de sa voix.

– Ah oui ? ! fit Fenris en se disant qu’il avait trouvé plus menteur que lui… Et il avait l’air plutôt gentil ou plutôt méchant ? ajouta-t-il cependant.

– Plutôt méchant, je dirais, Fenris… plutôt méchant... oui… plutôt méchant, je crois… il avait l’air, je dirais... oui, plutôt méchant… Oui, les méchants sont méchants, et… Tu sais, je pense qu’il est…

– Plutôt méchant ! Oui. J’ai bien compris, Drivon. Bon, commençons la leçon sans nous soucier de ce méchant... Est-ce que tu recon-na i s c e t t e simple ?

36 37

FENRIS ET LE GÉANT VACHEMENT GRAND

Page 20: Collection en Queuede poisson - poisson soluble · une jambe – et il y a gagné une jolie béquille qui fait “ toc-toc , toc-toc ” quand il marche. Le truc avec lui, je crois,

marquait l’heure du retour, car les oiseaux n’aiment pas les ronflements…

Cet après-midi-là, Fenris décida de s’approprier le mensonge de Drivon et d’annoncer au village l’existence du géant. Avant toute chose il voulut vérifier si l’histoire était plausible, et il prit le chemin des montagnes pour vérifier s’il pourrait s’y trouver une grande grotte à l’écart, un terrain accidenté, et d’autres détails utilisables pour sa fable…

*

Son escapade fut de courte durée car on le vit revenir en courant au village en début de soirée, alors que le soleil ne s’était pas encore couché.

– Je l’ai vu… Je l’ai vu…

– Mais qu’est-ce que tu as vu encore, Fenris ? dit le forgeron. Un loup de 15 toises ? Une sirène ? Un arbre qui parle ? Mama O’Reald en train de prendre un bain ? Ah ! Ah ! Ah !

– Ou bien quelque sorcière épouvantable ! renchérit le chef du village qui passait par là.

*Et tout à coup, un attroupement se fit : tout le village ou

presque riait d’avance de la blague de Fenris.

– Alors, qu’est-ce que tu as vu ? Nous le diras-tu, à la fin ? reprit le forgeron en se tenant la bedaine à deux mains.

– Un géant ! J’ai vu un GÉANT !

Et les éclats de rire reprirent de plus belle.

– Mais je vous le jure ! répétait Fenris en allant de l’un à l’autre.

– Mais oui… bien sûr… on te croit tu sais ! répondaient les villageois.

*

Alors, n’y tenant plus Fenris leur dit :

– Puisque vous ne me croyez pas et que vous n’avez pas peur, venez avec moi ! Je vous montrerai le chemin !

– J’ai fermé ma forge, alors… pourquoi pas ! Une petite promenade avant le dîner ne peut pas me faire de mal !

– À développer la capacité d’aimer sans rien demander en retour…

– Oooh ! T’es pas drôle ! J’allais le dire…

*Et toute la matinée ils cherchaient ainsi de quoi confec-

tionner des potions de guérison tout en discutant de choses et d’autres ; en fait, ils ne discutaient de rien car Drivon s’exprimait essentiellement par des points de suspension. Ils aimaient, l’un comme l’autre, regarder gambader l’écureuil gris qui faisait des provisions de faines, cônes ou noisettes pour l’hiver.

– Minou-minou-minou ! faisait invariablement, Drivon.

Et invariablement, Fenris, lui répondait, en soupirant :

– C’est un écureuil, Drivon ! Pas un chat !

– Je n’saurais pas dire ! J’ai jamais vu de chat !

Et devant une logique aussi imparable, Fenris souriait et se taisait…

Ils aimaient également caresser et soigner, le cas échéant, ces arbres majestueux aux bras légers, ces rois de la forêt portant couronne de feuilles. Il s’agissait, dans la plupart des cas, de chênes, aux habits déchirés, d’épicéas, aux fines aiguilles, de hêtres portant leurs splendides parures d’un vert si foncé, qu’on les aurait dites comme rajoutées par les dieux. Mais ils trouvaient également, en s’aventurant hors des sentiers balisés, des sycomores aux fleurs jaune verdâtre pendantes, des sureaux aux fruits rouges comme le sang, ou des saules pleureurs qui faisaient pleurer Drivon.

– Ça me fait peine de le voir pleurer…

– Tu veux qu’on essaye de le faire rire ? demandait alors Fenris, connaissant par cœur le rituel.

– Oh oui ! s’enthousiasmait Drivon.

Et pendant de longues, très longues, très, très, longues minutes – semblait-il à Fenris – ils chatouillaient les arbres !

*Mais ce qu’ils aimaient par-dessus tout, c’était les rencon-

tres fortuites avec les messagers des dieux : les oiseaux. Et ils pouvaient passer des heures, camouflés dans les sous-bois, à attendre l’arrivée d’un merle, d’une mésange ou d’une corneille. Souvent Drivon s’endormait, ce qui

38 39

FENRIS ET LE GÉANT VACHEMENT GRAND

Page 21: Collection en Queuede poisson - poisson soluble · une jambe – et il y a gagné une jolie béquille qui fait “ toc-toc , toc-toc ” quand il marche. Le truc avec lui, je crois,

Sangrifeld se réveilla et les massacra tous. Un autre voulut l’endormir avec des contes. Le géant écouta les histoires puis croqua le conteur…

*

Les villageois, excédés de voir leurs amis, leurs parents, leurs connaissances, dévorés un à un, demandèrent à Fenris de régler cette affaire au plus vite et de faire disparaître ce monstre.

– Mais, c’est absurde ! Je ne sais pas comment on fait disparaître un géant, moi ! Je ne suis pas magicien, je suis soigneur et menteur !

– L’un ne va pas sans l’autre, déclara le forgeron, en tête de la délégation.

– Comment ? ! s’étonna Fenris.

– Je veux dire, poursuivit le forgeron, que sans toi nous ne serions jamais allés voir ce géant, et qu’il ne nous aurait probablement jamais causé de problème. Voilà ce que je dis. Tout le village pense comme moi.

– Ouais ! fit tout le village comme un seul homme.

– Très bien, répondit Fenris, je trouverai le moyen de nous débarrasser de ce Sangrifeld.

*Fenris réfléchit toute la nuit. Puis tout le jour suivant. Et

encore toute la nuit d’après. Les villageois l’invitaient à se dépêcher, car leur nombre diminuait tragiquement.

*

Soudain, à l’aube, marchant comme à son habitude dans la forêt, Fenris se prit les pieds dans un terrier de garenne et eut une idée de génie ! Puisque Sangrifeld était géant, il fallait le combattre avec des moyens géants ! Puisqu’on ne pouvait le tuer, il fallait l’immobiliser ! Puisqu’on ne pouvait le ligoter, il fallait le faire tomber dans un trou ! Et pour que la surprise soit totale, il fallait qu’il tombe dans ce trou à son réveil, à un moment où il ne faisait pas encore très attention…

*

– Je viens aussi ! dit un pêcheur.

– Et moi aussi ! dit un chasseur.

Et de fil en aiguille, la moitié du village se retrouva derrière le jeune Fenris, sauf Drivon qui était idiot, mais pas fou…

*

Ils prirent le chemin que quelques heures plus tôt Fenris avait emprunté et ils arrivèrent auprès de la grotte. Ce qu’ils virent leur glaça les sangs.

*

Ainsi Fenris n’avait pas menti, il existait bel et bien un géant ! Et il était sur leurs terres !

*Alors ce ne fut que hurlements, bousculades et préci-

pitation. Certains des villageois tombèrent du haut de la falaise avec un bruit terrible, un peu comme quand Mama O’Reald croque des noix... Certains autres furent piétinés. Certains, enfin, furent mangés par le géant qui détestait être dérangé…

*

Ce fut le début d’un long cauchemar pour les habitants de Fineghan. On apprit de la bouche de Drivon, qui avait longtemps espionné le géant, qu’il se nommait Sangrifeld, qu’il habitait la grotte depuis seulement deux semaines, qu’il adorait les vaches, surtout en troupeau, et les barques pleines de poisson, et qu’à l’occasion, il ne détestait pas croquer un humain…

*

Dès lors Sangrifeld n’eut de cesse d’exterminer tous ces vilains villageois qui avaient osé le réveiller, lui, le plus géant des géants ! Il y avait beaucoup réfléchi et avait décrété à lui-même et après vote d’une voix à l’unanimité, qu’un tel affront était passible de la peine de mort et puis c’est tout.

– Mais pas plus d’un par jour, parce que c’est dur à digé-rer ! avait-il ajouté à voix haute.

*

Les villageois tentèrent de se défendre à coups d’épées ou de lances. Ceux qui essayèrent furent massacré avant même de pouvoir le toucher. D’autres voulurent le ligoter pendant sa sieste digestive, avec d’énormes cordes tressées.

40 41

FENRIS ET LE GÉANT VACHEMENT GRAND

[fin de l'extrait]

Page 22: Collection en Queuede poisson - poisson soluble · une jambe – et il y a gagné une jolie béquille qui fait “ toc-toc , toc-toc ” quand il marche. Le truc avec lui, je crois,

A U T E U R S

Philippe Fournier

Les moutons écossais ne cassent pas des briquesAvez-vous déjà été invité à un mariage de super-héros ? Et au bal annuel des monstres, la nuit d’Halloween ? Oui. Alors vous n’aurez aucun mal à croire ces histoires à dormir debout. Et vous comprendrez pourquoi il est si diffi cile de se marier lorsqu’on est un ogre des forêts, un poisson rouge ou une naine de jardin. Quant aux moutons écossais...

Philippe Fournier est un individu peu recommandable qui ne se coiffe jamais, chante faux et pense que sa maman est Superman. Il croit encore au Père Noël et lui écrit deux lettres par jour.

Owen Dowling, lui, pense sincèrement que le surf est la plus grande invention

de l’humanité, à égalité avec les corn-fl akes. Il dort prati-quement toute la journée, et quand il ne dort pas, il

se couche.

Autant dire que tout ce qu’ils vont vous raconter ici est parfai-

tement vrai... puis-qu’ils ont tout inventé

eux-mêmes.

À vous de juger.

Owen Dowling

120 pages 11 x 21 cm ISBN : 978-2-913741-10-212 d

I L L U S T R A T R I C E

Tatjana Mai-Wyss

43

Il était une fois un mouton écossais répondant au nom de Capitaine Achab. Capitaine Achab était un être hautain et orgueilleux qui commandait un troupeau de moutons aussi hautains et orgueilleux que lui. Ils vivaient sous des tentes en toile sur une colline qui dominait une vallée radieuse.

Une journée de mouton écossais se déroulait paisible-ment. Capitaine Achab, par exemple, après avoir pris un petit-déjeuner copieux lisait son journal quotidien, puis il demandait des nouvelles de ses congénères et faisait sa pro-menade en compagnie de Docteur Jeckyll, un autre mouton écossais hautain et orgueilleux. Tous deux développaient alors de grandes idées sur la vie, la mort et les chiens de berger.

Car Capitaine Achab avait un ennemi personnel et irré-ductible : Donald, le chien de berger. Si Capitaine Achab était effectivement le leader incontesté des moutons écos-sais, Donald, lui, se prenait pour le maître absolu de la colline. C’était une espèce de grosse barrique poilue aux dents acérées. Le seul et unique but de son existence était d’empêcher les moutons écossais de s’éloigner à plus de deux kilomètres du campement. Et il employait pour cela les moyens les plus répréhensibles : aboiements, morsures, pièges à loups, tuyau d’arrosage, extincteur, fi let de tennis, batte de base-ball, poing américain, neige carbonique, tar-tes à la crème, etc.

Un jour, Capitaine Achab en eut assez de devoir se plier au bon vouloir du chien. Il appela Docteur Jeckyll sous sa tente.

- Mon cher Jeckyll, lui dit-il, nous sommes particulière-ment idiots de nous laisser marcher sur les pieds par un chien ! Cela a trop duré ! Si nous n’agissons pas, nous ne pourrons jamais être indépendants !

- D’accord, mais que faire, Capitaine ?

- Nous débarrasser de Donald !

- Mais il est plus fort que nous ! Si nous l’attaquons, il déchiquettera nos gigots !

- Et si nous lui jetions un mauvais sort ?

in Les Moutons écossais ne cassent pas des briques

LE PLAN DU CAPITAINE ACHAB

42

Page 23: Collection en Queuede poisson - poisson soluble · une jambe – et il y a gagné une jolie béquille qui fait “ toc-toc , toc-toc ” quand il marche. Le truc avec lui, je crois,

44

- Quel genre, Capitaine ?

- Le genre qui fait tomber les dents !

- J’ai entendu dire qu’il y avait une sorcière dans la vallée. Si nous allions la voir pour lui demander conseil ?

- Bonne idée, Jeckyll ! Préparons-nous à partir...

À la nuit tombée, Capitaine Achab et Docteur Jeckyll rampèrent dans l’herbe pour quitter le campement sans se faire pincer. Donald, qui contemplait la lune, ne se rendit compte de rien. Les deux moutons écossais se hâtèrent de mettre de la distance entre eux et le chien. Au bas de la colline, ils volèrent deux vélos dans une ferme et pédalè-rent ferme jusqu’à la demeure de la sorcière.

- Que voulez-vous ? leur demanda celle-ci en les faisant entrer dans sa cuisine.

C’était une sorcière repoussante avec un gros nez et des verrues sur le menton. Même son balai avait des verrues. Un rat cuisait dans le four micro-ondes.

- Je suis Capitaine Achab et voici mon ami Docteur Jeckyll ! Nous sommes ici pour que vous nous donniez un coup de main pour nous défaire d’un personnage encom-brant.

- Je suis spécialisée dans les Princes, dit la sorcière. Je les endors pour mille ans, je les change en phoque ou je les enferme dans des murs en béton. Votre personnage encombrant est-il un Prince ?

- Non, c’est un chien de berger !

- Un chien ?! Je n’ai aucune affection pour les chiens mais je ne les ensorcelle pas non plus.

- Vous n’avez pas un philtre sympa pour l’endormir pen-dant mille ans ? demanda Jeckyll.

- Si... J’ai une sauce à la macédoine de foies de cor-beaux qui est très effi cace pour décourager un ennemi !

- Pouvons-nous en avoir ? dit Capitaine Achab.

- Oui... Mais je ne l’ai jamais testée, elle a peut-être des effets négatifs.

- On verra bien !

La sorcière emballa une bouteille de sauce à la macédoine

45

LE PLAN DU CAPITAINE ACHAB

Page 24: Collection en Queuede poisson - poisson soluble · une jambe – et il y a gagné une jolie béquille qui fait “ toc-toc , toc-toc ” quand il marche. Le truc avec lui, je crois,

- Le Prince Monteladessus !

- Notre seigneur ne vous a pas invité, monsieur !

- Je m’invite tout seul !

- Nous ne pouvons pas loger votre armée dans ce châ-teau, nous en avons déjà une !

- Mettez la baliste en position ! cria Donald aux mou-tons.

Ceux-ci obéirent. La baliste était une arbalète géante avec les deux bras retenus par des cordes. Docteur Jeckyll ban-da l’arc au moyen d’une manivelle et plaça une fl èche.

- Tirez ! dit Donald.

Un garde, touché en plein cœur, tomba de la tour. Une sonnerie de cor retentit. Le Prince Noir se préparait à résis-ter aux assaillants.

- Nous allons tous fi nir en méchoui ! dit Capitaine Achab.

- C’est la faute de ce maudit philtre ! répondit Docteur Jeckyll.

Le Prince Noir était sur la grande tour, son épée à la main. Il s’adressa à Donald.

- Oh, le chien, si tu essaies d’envahir mon château, je te coupe les oreilles en pointes !

- J’ai deux cents archers hyper motivés, dit Donald, si tu me touches un poil, ils te trouent la peau !

- Nous voilà contraints de défendre ce toutou, c’est fou ! dit Docteur Jeckyll.

- Et en cotte de mailles, je suis franchement ridicule ! ajouta Capitaine Achab.

Les hommes du Prince Noir s’agglutinaient sur le don-jon et derrière les crénelages des tours. Ils envoyèrent une volée de fl èches sur les envahisseurs et quatre moutons écossais furent transpercés.

- C’est du bowling, on va tous y passer ! dit Docteur Jec-kyll.

- J’aurais dû mettre plusieurs casques ! dit Capitaine Achab.

de foies de corbeaux dans du papier ménage et la donna aux moutons écossais. Ils repartirent tout de suite.

Le lendemain, Capitaine Achab versa discrètement le contenu de la bouteille dans l’assiette de Donald.

- Maintenant, patientons ! dit-il à Jeckyll.

Donald mangea ses œufs au bacon badigeonnés de sauce à la macédoine. Il nettoya son assiette avec de la mie de pain pour ne pas en laisser une goutte.

- Délicieux ! dit-il avant de s’étendre sous un chêne cen-tenaire.

Les moutons écossais attendirent deux heures que le philtre fasse son boulot. Et Capitaine Achab alla réveiller Donald.

- Pardon, Donald, avez-vous l’heure exacte, ma montre ne marche pas ?

Donald, surpris, se dressa sur ses quatre pattes.

- Hein ?... Pourquoi m’appelez-vous Donald ? Je suis le Prince Monteladessus !

Allez donc chercher vos arcs et vos fl èches, nous devons assiéger le château du Prince Noir qui s’est permis de me piquer mes terres et mon trésor ! Et que ça saute !

Capitaine Achab, décontenancé, ne discuta pas les ordres du chien. Lui et les moutons écossais se préparèrent au combat en mettant chacun une cotte de mailles et un cas-que. Ils dévalèrent la colline sous la conduite de Donald.

- Ce sont les effets négatifs ! dit Docteur Jeckyll à Capi-taine Achab.

- Oui... Cet imbécile heureux nous emmène guerroyer ! Votre sorcière ne vaut pas un clou, Jeckyll !

- Elle a pourtant de belles verrues !

Deux heures après, Donald et son armée de moutons étaient aux pieds du château du Prince Noir, une forteresse quasiment imprenable. Le pont-levis était levé et des sol-dats guettaient sur les mâchicoulis.

- Ouvrez la porte ou nous l’enfonçons ! leur lança Donald.

- Vous êtes qui ? questionna un des gardes.

46 47

LE PLAN DU CAPITAINE ACHAB

Page 25: Collection en Queuede poisson - poisson soluble · une jambe – et il y a gagné une jolie béquille qui fait “ toc-toc , toc-toc ” quand il marche. Le truc avec lui, je crois,

Donald et les moutons écossais s’engagèrent dans le châ-teau. La sorcière, entourée d’une multitude de phoques en armures, les attendait.

- Enfi n chez moi ! dit Donald.

- Je vous offre ce château, monseigneur ! dit la sorcière.

- Qui êtes-vous madame ?

- Je suis votre promise, monseigneur ! Epousez-moi, je vous rendrai heureux !

- J’accepte, madame. Vous me plaisez beaucoup, ouaf !

Et Donald et la sorcière s’embrassèrent.

- Je crois que nous nous sommes fait avoir comme des agneaux de lait ! dit Docteur

Jeckyll.

- Ouais, c’est celui qui dit qui y est ! dit Capitaine Achab.

Depuis cette époque, Capitaine Achab et Docteur Jeckyll montent la garde derrière les meurtrières du château

du Prince Donald Monteladessus et de la Princesse Philtre de macédoine de foies de corbeaux.

À ce moment-là, un balai, enfourché par la sorcière, atter-rit à côté de Capitaine Achab.

- Vous avez des ennuis ? dit la sorcière.

- Oui... Votre macédoine de machins a tourneboulé le chien ! Il se prend pour un pilleur de château !

- Je vais régler tout ça, ne vous en faites pas !

Et la sorcière se projeta sur la grande tour.

- C’est quoi, ce truc ? demanda Donald.

- C’est une copine ! répondit Capitaine Achab.

- Et son balai, c’est une fusée ! dit Docteur Jeckyll.

En deux tours trois mouvements, le Prince Noir fut trans-formé en phoque.

- Groooiink ! dit-il.

- Elle est plus douée pour les Princes, c’est sûr ! dit Docteur Jeckyll.

- Il paraît plus sympa en phoque ! dit Capitaine Achab.

Le pont-levis s’abaissa,

48 49

LE PLAN DU CAPITAINE ACHAB

Page 26: Collection en Queuede poisson - poisson soluble · une jambe – et il y a gagné une jolie béquille qui fait “ toc-toc , toc-toc ” quand il marche. Le truc avec lui, je crois,

A U T E U R

Roland NadausPrix international Antonio-Viccaro (« prix des 3 canettes ») décerné au Marché de la Poésie de Paris en liaison avec le Festival de Trois-Rivières (Québec).

http://monsite.orange.fr/rolandnadaushttp://monsite.orange.fr/roland.nadaus-poete

Dans l'oreilledu géantAu début, il y avait la femme, l’homme et le Plouglip.

Dans le temps de ce temps-là, les loups étaient petits comme des chats (ah-ah ?) et s’appelaient tous Bouboule (eh-eh !). Les enfants, eux, étaient grands comme des maisons d’aujourd’hui (oh-oh !), tous s’appelaient Dominique (tiens-tiens !).

Avec Roland Nadaus, tout devient possible. Les guernouilles veulent manger des cuisses d’escargottes. Les poules se mettent à pondre des œufs de toutes sortes.

Ce poète-conteur a imaginé pour nous une vingtaine de petites histoires gentiment loufoques, des contes comme on n’en trouve que dans l’oreille des géants.

50 51

LE PLOUGLIP

Aujourd’hui, il n’y a plus de Plouglip.

Ou plutôt, tout le monde est un peu plouglip, vous, moi, ma sœur, votre chien, les vaches, les oiseaux, et même les escar-gots !...

Que je vous raconte :

En ce temps-là, quand il était une fois, il y avait sur terre trois animaux.

Trois seulement : l’homme, la femme et le Plouglip.

Le Plouglip, c’était... comment dire ? C’était un animal. Avec une trompe d’éléphant et une queue de cochon. Et aussi, des oreilles de cheval, des ailes, une paire de cornes, une gueule de chien, et des pattes de grenouille.

Il avait tout cela et plein d’autres choses encore.

Il bavait comme un escargot, courait aussi vite qu’une gazelle, nageait mieux qu’un poisson, et volait plus haut et plus vite qu’un oiseau !

Il mangeait de l’herbe, des fruits, et des fleurs. Il miaulait, mais il lui arrivait également d’aboyer, ou de parler comme un homme ou une femme :

– Bonjour, Plouglip !

– Bonjour, monsieur l’homme, et miaou !

– Comment vas-tu, Plouglip ?

– Merci, ça va bien, madame la femme, et ouah ouah !

Et en plus il parlait comme un ver de terre, il sif-flait comme un merle, et il chantait aussi bien qu’une grenouille.

C’était le Plouglip. Et il était seul. Car en

ce temps-là, il n’y avait pas de merle, pas

de chien, pas de chat ; ni ver de terre, ni escargot, il n’y avait que l’homme, la femme

et le Plouglip.

Un jour, la femme et l’homme se firent un enfant.

in Dans l'oreille du géant

I L L U S T R A T R I C E

Clotilde PerrinNée en 1977, Clotilde Perrin vit à Strasbourg. Elle a eu une enfance agréable dans la campagne d’Épinal en compagnie de toute une ménagerie, prélude à un diplôme d’illustration aux Arts-Déco de Strasbourg.

Elle a publié chez Magnard, Nathan, Didier Jeunesse, Gallimard et Rue du Monde.

120 pages 11 x 21 cm ISBN : 978-2-913741-09-612 d

Page 27: Collection en Queuede poisson - poisson soluble · une jambe – et il y a gagné une jolie béquille qui fait “ toc-toc , toc-toc ” quand il marche. Le truc avec lui, je crois,

Un autre jour, le Plouglip se donne en abeille, parce que l’enfant aime le miel, et que ce sont les abeilles qui fabriquent le miel.

Une autre fois, il fabrique le ver de terre, parce que l’oiseau a faim et que c’est un oiseau qui raffole des vers de terre, comme le merle noir et la grive grise. Puis il fabrique la mouche, un escargot, une poule et un coq, des moustiques, un serpent, une coccinelle, un éléphant.

Et même une souris.

Et un chat, bien sûr !

Tous les animaux sont les enfants du Plouglip. Tous. Noirs, rouges, blancs, petits ou grands, le moustique et la baleine, le cheval et la puce, tous sont les enfants du Plouglip.

Bon. Mais alors, le Plouglip, lui, à la fin, qu’est-ce qu’il devient ?

Il a tout donné aux autres : sa queue, ses pattes, ses ailes, ses oreilles, sa trompe, ses cornes, ses plumes, tout, il a tout donné à ses enfants.

Il ne lui reste plus que des yeux.

Rien que des yeux. Des yeux sans front, sans bouche, sans nez, sans joues.

Des yeux suspendus dans l’air.

Et qui regardent.

Alors le Plouglip se dit :

– Au point où j’en suis, il vaut mieux que je donne mes yeux à quelqu’un !

Et c’est ce qu’il fait.

Mais à qui les a-t-il donnés, tous ses yeux qui regardent le monde ? Devine...

– Ce serait bien, dit la femme, si notre enfant pouvait boire du chocolat au lait, plus tard.

– Le chocolat, on en a, dit l’homme, mais le lait, ce sera plus difficile. La mère donne du lait à son bébé mais plus tard, quand le bébé sera grand, comment fera-t-on ?

– Il faudrait un animal, dit la femme. Un animal qui donnerait du lait. On l’appellerait vache, par exemple, vache, c’est un joli nom ?

– Oui, mais les vaches, ça n’existe pas ! Il n’y a que le Plou-glip !

– Eh bien ! Va le voir ! Explique-lui !

L’homme va voir le Plouglip, il lui explique que, plus tard, l’enfant d’homme voudra du lait au chocolat. Et le Plouglip répond :

– Ça tombe bien ! J’ai justement une belle paire de cornes et un gros sein, une grosse mamelle, et je ne savais pas quoi en faire !

Et il en fait une vache. Avec ses deux cornes, son gros pis (à lait !), et sa longue queue en pinceau.

Et l’enfant de l’homme et de la femme boit du lait de vache, et il grandit.

Et un autre jour, la femme dit :

– Notre enfant a bien grandi : il faut qu’il aille à l’école des enfants. Mais c’est très loin, c’est trop loin pour lui. Il faudrait que quelqu’un l’y emmène. Les voitures, les autos, ça n’existe pas. Comment faire ?

– Eh bien, dit l’homme, il faudrait un animal. Un animal qui aille vite, avec quatre pattes, par exemple, et qui soit gentil. On l’appellerait, je ne sais pas moi, on l’appellerait cheval ! C’est un joli nom, cheval ! Un nom qui galope !

– Tu as raison, allons trouver le Plouglip.

Alors ils vont trouver le Plouglip. Ils lui expliquent tout.

– Ça tombe très bien ! J’ai justement trop de pattes, et je ne savais plus quoi en faire, je vais vous en donner quatre, avec une tête, une queue et une crinière !

Aussitôt dit, aussitôt fait : le Plouglip s’enlève quatre pattes, une tête, une queue, une crinière, pour en faire un cheval qu’il donne aux parents de l’enfant. Et l’enfant de l’homme et de la femme va à l’école sur le dos du cheval.

Et il grandit encore. Et maintenant il doit aller dans une autre école encore plus loin.

Alors le Plouglip fait un oiseau en s’enlevant des ailes, et des plumes, et une tête, et un bec.

52 53

Page 28: Collection en Queuede poisson - poisson soluble · une jambe – et il y a gagné une jolie béquille qui fait “ toc-toc , toc-toc ” quand il marche. Le truc avec lui, je crois,

En direct auprès de l'éditeur pour la Franceet les autres pays, à l'exception de la Suisse, de la Belgique, du Canada et de l'Espagne.

L'atelier du poisson soluble35, boulevard Carnot43000 Le Puy-en-VelayFrance

Tél. 04 71 02 81 75Fax 04 71 02 81 60Courriel :[email protected]

Gencod Dilicom Poisson soluble3012410420016

Pour Paris et Ile-de-France :Générale Librest8-10, rue Robert-Schuman94220 Charenton-le-Pont

Tél./fax 01 41 79 11 02

Gencod Dilicom GL 3015594105410

Pour la Belgique : Farandole DiffusionBP. 35B-1050 Ixelles 1

Tél./fax 071 59 40 42Courriel : [email protected]

Pour la Suisse :Servidis SAChemin des ChaletsCH-1279 Chavannes-de-Bogis

Tél. 022 960 95 10 Fax 022 776 35 44

Pour le Canada : Agence du livre2205, rue ParthenaisMontréal, QuébecH2K 3T3

Tél. 514 525 4442Fax 514 525 4443

Courriel :[email protected] internet :www.adl.qc.ca

Pour l'Espagne :RodamónPascal HumbertCarrer Gravina n°9, 4t 2a08001 Barcelona

Tél. 655 732 202

Courriel :[email protected]

Diffusion distribution