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Comptes rendus BOURIS Dimitris The European Union and Occupied Palestinian Territories State-Building without a State Mélanie Cambrezy 95 CORNUT Jérémie Les excuses dans la diplomatie amé- ricaine. Pour une approche pluraliste des relations internationales Issaka K. Souaré 97 SMITH Charles Anthony (dir.) Globalizing Human Rights. Emerging Issues and Approaches Alain-Guy Tachou Sipowo 99 ECONOMY Elizabeth C. et Michael LEVI By All Means Necessary. How China’s Resource Quest is Changing the World Jano Bourgesois 101 ZAHARNA Rhonda S. , Amelia ARSENAULT et Ali FISHER (dir .) Relational, Networked and Collaborative Approaches to Public Diplomacy The Connective Mindshift Louis Clerc 103 AUTESSERRE Séverine Peaceland. Conflict Resolution and the Everyday Politics of International Intervention Alix Boucher 105 MARRIN Stephen (dir.) Revisiting Intelligence and Policy. Problems with Politicization and Receptivity Thomas Juneau 107 DURSUNZKANCA Oyan (dir.) The European Union as an Actor in Security Sector Reform. Current Practices and Challenges of Imple- mentation Damien Larramendy 109 Harrer Gudrun Dismantling the Iraqi Nuclear Pro- gramme The Inspections of the International Atomic Energy Agency, 1991-1998 Coralie Pison Hindawi 111 TYLER Imogen et Katarzyna MARCINIAK Protesting Citizenship. Migrant Activisms Chedly Belkhodja 113 VANDAL Gilles et Serge GRANGER Chine–États-Unis. Quels défis ? Jérôme Montes 115 BENTLEY Michelle et Jack HOLLAND (dir.) Obama’s Foreign Policy. Ending the War on Terror Chloé Daelman 117

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Comptes rendus Bouris Dimitris The European Union and Occupied

Palestinian Territories State-Building without a State

Mélanie Cambrezy 95

Cornut Jérémie Les excuses dans la diplomatie amé-ricaine. Pour une approche pluraliste des relations internationales

Issaka K. Souaré 97

smith Charles Anthony (dir.)

Globalizing Human Rights. Emerging Issues and Approaches

Alain-Guy Tachou Sipowo

99

EConomy Elizabeth C. et Michael LEVI

By All Means Necessary. How China’s Resource Quest is Changing the World

Jano Bourgesois 101

Zaharna Rhonda s. , Amelia arsEnault et Ali FishEr (dir.)

Relational, Networked and Collaborative Approaches to Public Diplomacy The Connective Mindshift

Louis Clerc 103

autEssErrE Séverine Peaceland. Conflict Resolution and the Everyday Politics of International Intervention

Alix Boucher 105

marrin Stephen (dir.) Revisiting Intelligence and Policy.Problems with Politicization and Receptivity

Thomas Juneau 107

Dursun-ÖZkanCa Oyan (dir.)

The European Union as an Actor in Security Sector Reform. Current Practices and Challenges of Imple-mentation

Damien Larramendy 109

Harrer Gudrun Dismantling the Iraqi Nuclear Pro-gramme The Inspections of the International Atomic Energy Agency, 1991-1998

Coralie Pison Hindawi

111

Tyler Imogen et Katarzyna Marciniak

Protesting Citizenship. Migrant Activisms

Chedly Belkhodja 113

Vandal Gilles et Serge GranGer

Chine–États-Unis. Quels défis ? Jérôme Montes 115

BEntlEy Michelle et Jack hollanD (dir.)

Obama’s Foreign Policy. Ending the War on Terror

Chloé Daelman 117

pacur
Texte tapé à la machine
Comptes rendus - volume 46, no 1 mars 2015
pacur
Texte tapé à la machine
pacur
Texte tapé à la machine
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Brighi Elisabetta Foreign Policy, Domestic Politics and International Relations. The Case of Italy

Mamadou Lamine Sarr

119

mEnalDo Mark A. Leadership and Transformative Ambition in International Relations

Cyprien Bassamagne Mougnok

121

VanDal Gilles et Sami aoun

VainCrE Al-Qaïda. Le défi d’Obama

Raúl Bernal-Meza 123

taVarEs Rodrigo sECurity in South America. The Role of States and Regional Organizations

Nicolas Falomir Lockhart

125

ayDin Umut et Kenneth P. thomas

Globalization and EU Competition Policy

Jean-François Fortin 126

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Revue Études internationales, volume xlvi, no 1, mars 2015

Comptes rendusComptes rendus

Théorie, méThode eT idées

The European Union and Occupied Palestinian Territories.

State-Building without a State

dimitris Bouris, 2014, Londres et New York, routledge, 214 p.

Dans ce livre, Dimitris Bouris apporte une contribution aux études euro-péennes ainsi qu’aux travaux sur la construction de l’État palestinien. Plus particulièrement, l’auteur analyse l’ef-ficacité de l’Union européenne (UE) comme agent de construction de l’État (state-builder) en s’appuyant sur les activités de peace- et state-building mises en place dans les territoires palestiniens occupés.

Avant de dévoiler les critères sur lesquels il mesurera l’efficacité de l’UE, l’auteur prend soin de contex-tualiser son étude. Il effectue d’abord un survol bref mais suffisant de la lit-térature relative au state-building et à la construction de la paix libérale (chap. 1). Il offre ensuite un aperçu du rôle distinctif de l’UE dans le peacebuilding en rappelant à la fois les normes sur lesquelles reposent ses principes d’intervention et les outils à sa disposition (chap. 2). C’est à la fin de ce deuxième chapitre que l’au-teur propose un cadre théorique visant à tester l’efficacité de l’UE comme « state-builder ».

Bouris insiste dans un premier temps sur l’importance de distinguer entre le produit final – c’est-à-dire l’État

construit à travers les programmes européens – et le processus par lequel l’État est construit. Puisque le dernier a un impact direct sur le premier, il convient de s’intéresser aux deux. L’auteur propose dans un second temps trois critères sur lesquels tester l’effica-cité de l’UE qui englobent aussi bien le processus que le produit final : la légitimité ; la cohérence ; la régula-tion de la violence ou, autrement dit, la capacité de faire appliquer ses déci-sions. Le critère de légitimité concerne, d’une part, ce que fait l’UE (le proces-sus) pour être vue comme un acteur légitime par la population locale, mais aussi à l’interne et à l’international. Ce critère vise, d’autre part, l’impact (le résultat) des politiques européennes de state-building sur la légitimité de l’État en construction. Le deuxième critère concerne la cohérence interne (entre différentes agences européennes) et externe (entre différents bailleurs) ainsi que la cohérence des relations entre l’UE et les élites locales. On notera qu’ici la distinction entre processus et résultat disparaît. Finalement, la régu-lation de la violence relève à la fois de la capacité de l’UE à mettre en place ses politiques (processus) et du rôle de l’UE dans le renforcement des capaci-tés de l’État construit à faire de même (résultat).

Dans les chapitres 3 à 5, l’au-teur revient sur les interventions euro-péennes de peace- et state-building sous trois aspects : la politique de haut niveau, dont la diplomatie, les outils économiques et l’aide au

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96 Études internationales, volume XLVI, no 1, mars 2015

développement ; la réforme du secteur de la sécurité (RSS) ; la réforme du secteur judiciaire. Pour chacun de ces secteurs, les politiques et programmes de l’UE en Palestine sont d’abord précisément décrits. Ils sont ensuite évalués, regrettablement de manière rapide, à travers le cadre d’analyse proposé au chapitre 2.

De manière générale, l’auteur offre grâce à son cadre d’analyse une évaluation nuancée de l’effica-cité de l’UE comme « state-builder » en Palestine. Si l’évaluation sur le critère de légitimité et de régulation de la violence est plutôt bonne, elle l’est moins sur celui de la cohérence. L’auteur rend compte de la complexité de ce qui fait ou non un « state-builder » efficace et permet d’avoir un jugement moins sévère quant au rôle de ces derniers. Plus encore, ce livre propose une excellente synthèse des programmes européens à l’égard des TPo. En ce sens, il consti-tue une monographie importante sur le rôle distinctif de l’UE en Palestine.

Cela étant, on regrettera un certain manque de rigueur et de profon-deur dans l’analyse. En premier lieu, si le cadre théorique entend capturer l’ef-ficacité de l’UE en termes de proces-sus et de résultat, la distinction entre les deux n’est pas toujours claire. Elle disparaît dès l’exposé du cadre théo-rique au chapitre 2 dans l’analyse de la cohérence (voir ci-dessus). Elle n’est ensuite pas effectuée de manière sys-tématique dans les parties analytiques des chapitres 3 à 5. En second lieu, l’analyse n’est pas toujours menée à terme. Si l’argument demeure valable, la démonstration est insuffisante. On retiendra un exemple illustratif de cette

faiblesse que l’on retrouve de manière récurrente dans l’ouvrage.

À la fin du chapitre relatif aux missions européennes de RSS (chap. 4), l’auteur argumente que celles-ci ont globalement permis de générer de la légitimité. Quatre critères sont constitutifs de cette légitimité : la cohésion et le consensus européen sur le contenu des missions ; la capa-cité à mobiliser d’autres acteurs ; la légitimité générale sur le terrain et l’appropriation locale (ownership). Je m’attacherai en particulier aux deux derniers. L’auteur avance que la mission de police EUPoL CoPPS est généralement décrite comme une « histoire à succès » recevant le plein soutien de « toutes les parties concer-nées » (traduction libre, p. 121). Bien que l’auteur s’appuie sur des entretiens originaux pour soutenir ce point, on regrettera qu’il s’agisse uniquement des témoignages d’officiels euro-péens et israéliens. Or, cette mission de police qui appuie un gouvernement jugé illégitime est contestée tant par la population palestinienne que par les membres du Hamas. Bien sûr, Dimitris Bouris soulève lui-même ce problème et souligne que, ce faisant, la mission n’a pas envoyé le bon message en termes d’État de droit et n’a pas pris la mesure des retombées politiques. Malheureusement, l’au-teur n’explique pas les retombées en question et ne prend lui-même pas la mesure de leur impact sur la légitimité de la mission – critère de l’efficacité qu’il évalue. Plus loin, alors qu’il s’at-tache à la question de l’appropriation, Bouris rapporte le témoignage d’un officiel de l’oLP. Ici, la perception palestinienne est bien recueillie, mais c’est uniquement celle d’une frange de

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Comptes rendus 97

la société. L’auteur donne à voir une partie palestinienne homogène, alors que celle-ci est divisée, en particulier sur la question des forces de sécurité qui constitue non seulement un des facteurs de la division, mais aussi la pierre d’achoppement des négocia-tions de réconciliation entre le Hamas et le Fatah. En conclusion, le livre est empiriquement riche sur les politiques et les programmes européens dans les territoires palestiniens, mais analyti-quement plus faible.

Mélanie CambREzydépartement de science politique

Centre d’études sur la paix et la sécurité internationale (CEPsi)

Université de montréal

Les excuses dans la diplomatie américaine.

Pour une approche pluraliste des relations internationales

Jérémie Cornut, 2014, montréal, Les Presses de l’Université

de montréal, 179 p.

L’auteur de cet ouvrage annonce bien son intérêt et l’objectif de son œuvre : démontrer que différentes théories de Relations internationales peuvent être employées, de façon complémentaire et cohérente, pour expliquer des événe-ments ou phénomènes internationaux, y compris plusieurs aspects du même événement. Pour aller au-delà des considérations théoriques et épistémo-logiques, il s’intéresse particulièrement à la question des excuses publiques et formelles comme moyen de règlement de contentieux entre États souverains, notamment les États-Unis comme partie à ce contentieux, et ce, depuis le 19e siècle.

L’ouvrage est divisé en deux parties : une première partie théorique comprend trois chapitres portant sur l’approche pragmatique dite d’éclec-tisme analytique, ou érotétique, sur la compatibilité et la cohérence de cette approche et sur la complémentarité de différentes explications théoriques pour un même sujet d’étude. La seconde partie comprend, elle aussi, trois cha-pitres : un premier chapitre porte sur la compréhension des excuses dans la diplomatie américaine ; un deuxième examine les excuses diplomatiques américaines selon trois spécialistes de Relations internationales ; et un troi-sième chapitre présente une étude de cas spécifique – l’incident de Hainan d’avril 2001 entre les États-Unis et la Chine. L’ouvrage est complété par une annexe très instructive d’une liste chro-nologique des excuses dans la diplo-matie américaine depuis le 19e

siècle (p. 157-166).

Le livre commence par le constat qu’il y a une « guerre de paradigmes » et de théories au sein de la discipline de Relations internationales. De nom-breux internationalistes souhaiteraient dépasser cette guerre, mais, selon l’auteur, la discipline manque d’ou-tils à cette fin. C’est là que réside la plus-value de l’approche du pragma-tisme basé sur ou conduit par des pro-blèmes spécifiques (problem-driven pragmatism) que prône l’auteur. Au lieu de chercher la meilleure expli-cation d’un problème donné exclusi-vement au sein d’une théorie ou d’un paradigme, d’élaborer une nouvelle théorie ou de juxtaposer des théories jugées pertinentes pour la compréhen-sion du phénomène à l’examen, cette approche implique une démarche qui part des théories existantes et qui s’en

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sert, de façon intégrative et complé-mentaire, pour analyser et expliquer l’un ou l’autre aspect du phénomène, tout en montrant les liens de complé-mentarité entre eux (p. 24).

Un gros avantage de cette approche est certainement le fait qu’elle permet au chercheur et aux étudiants des questions internatio-nales de voir comment le phénomène qui les intéresse peut être analysé à travers plusieurs lentilles théoriques, car la complexité de la plupart des questions mondiales empêche les explications unicausales d’être plau-sibles (p. 37). En effet, le dogmatisme théorique à rebours duquel se trouve cette approche fausse souvent l’ana-lyse, car il a tendance à forcer les pro-blèmes examinés à se conformer à la théorie, laissant de côté les données d’autres théories qui la contredisent, ou à déclarer des problèmes « impossibles d’explication » parce que la théorie se montre défaillante.

Avec ces fondements théoriques, l’auteur se penche sur les excuses diplomatiques. Mais qu’entend-on par cela ? Selon Cornut, une excuse diplo-matique est une excuse ou une expres-sion publique de regrets faite par le représentant d’un État envers un autre qui s’était estimé lésé et avait réclamé des excuses à cause d’un incident non apprécié qu’il reproche à l’État qui s’excuse (p. 80).

Pour ce qui est des excuses diplo-matiques demandées aux États-Unis ou formulées par ce pays, l’auteur en cite plusieurs cas. L’exemple phare qu’il utilise pour illustrer la problématique traitée dans le livre est l’incident dit de Hainan entre la Chine et les États-Unis. Cet incident intervient le 1er avril 2001

quand un avion-espion américain atter-rit d’urgence sur l’île de Hainan, dans la mer de Chine méridionale, après avoir heurté en vol un avion de chasse chinois, dont le pilote disparaît. Beijing soupçonne l’avion et son équipage d’espionnage, détient ses membres d’équipage et réclame des excuses publiques que Washington refuse de formuler. La tension monte entre les deux pays durant les dix jours que dure le contentieux.

Mais, au-delà de simples mots d’excuse, la Chine vise à établir deux faits : d’une part, elle veut obtenir la reconnaissance que l’avion-espion américain a violé la Convention des Nations Unies sur les droits de la mer par l’atterrissage d’urgence de l’avion américain sur le territoire chinois sans autorisation préalable ; d’autre part, elle veut obtenir l’en-gagement des Américains de ne plus répéter les exercices militaires de ce genre. Pour leur part, les Américains refusent de s’excuser justement pour ne pas donner raison aux Chinois sur ces points. L’incident se dénoue cepen-dant lorsque les Américains expriment des regrets, notamment pour la dispari-tion du pilote chinois et sur l’ensemble de l’incident de façon ambiguë, ce qui permet aux deux camps de ne pas s’estimer humiliés ou vaincus dans la bataille diplomatique. Évidemment, le plus grand intérêt de cet incident réside dans les efforts de l’auteur à expliquer ces différents aspects en faisant appel à plusieurs cadres théoriques.

Cet ouvrage est intéressant pour les étudiants et les praticiens de Relations internationales. L’approche holistique prônée par l’auteur s’avé-rera très utile dans l’analyse des phé-nomènes internationaux de nos jours.

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Comptes rendus 99

Mon seul reproche est son apparent anglicisme excessif, notamment avec les noms des approches théoriques. Cela est vrai en particulier pour le concept clé du livre, le pragmatisme conduit par les problèmes, et pour les approches parallèles, dont Cornut ne se contente pas de fournir les termes anglais une fois pour continuer avec l’équivalent français, persistant plutôt, tout au long de l’ouvrage, avec les termes anglais, comme s’ils ne pou-vaient pas être traduits en français.

Issaka K. SoUaRémission de l’Union africaine pour le mali

et le sahel (MisAHEL) Bamako, mali

droiT iNTerNaTioNaL

Globalizing Human Rights Emerging Issues and Approaches

Charles anthony sMitH (dir.), 2014, Londres et New York, routledge,

155 p.

Globalizing human rights de Charles Anthony Smith est un ouvrage col-lectif que signent des chercheurs en sciences politiques et en relations internationales. Les éditeurs ont repris ici des contributions déjà publiées dans un numéro spécial du Journal of human rights. Le choix de ce nouveau format témoigne sans doute de l’intérêt public pour le sujet abordé. En effet, bien que l’utopie cosmopolite ait certes ses pourfendeurs inlassables, elle n’a cessé de mobiliser une littéra-ture florissante au cours des dernières décennies, notamment lorsqu’elle s’est intéressée à des problématiques aussi concrètes que la jouissance et la protection des droits humains de tout

un chacun. Sur ce dernier enjeu, les auteurs de Globalizing human rights nous engagent à explorer une préoc-cupation qui meuble inlassablement l’actualité, à savoir l’effectivité des droits humains à travers le monde. L’originalité de leur approche mérite d’être soulignée, puisque, rompant avec la fixation de l’abondante litté-rature contemporaine sur l’interven-tionnisme international, les auteurs postulent que, la globalisation du droit étant acquise, il convient de s’attarder sur son effectivité relative-ment au respect des droits humains. Leur méthodologie combine habile-ment, mais avec une délicate rigueur, analyses qualitative et quantitative.

D’entrée de jeu, Alison Brysk et Arturo Jimenez, cherchant les impli-cations de la mondialisation du droit pour la jouissance des droits de la per-sonne, remettent en selle la figure de l’État comme unité ultime du pouvoir à tous les échelons de la gouvernance mondiale. Aux niveaux interne, régio-nal, transnational et international, l’État demeure the ultimate enfor-cer of rights. Les auteurs suggèrent ainsi qu’il y a lieu de tester davan-tage l’importance de l’indépendance judiciaire pour expliquer l’adhésion aux droits humains dans une relation État-société.

Le thème de l’indépendance judiciaire au sein des États domine en effet les différentes contributions. Wayne Sandholtz, dans le deuxième chapi t re , défend l ’ idée que la jouissance des droits repose en bonne partie sur la relation que les systèmes juridiques nationaux entretiennent avec le droit international. Au terme de l’étude de données sur les

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100 Études internationales, volume XLVI, no 1, mars 2015

constitutions de pays qui formalisent les rapports entre ces deux ordres juridiques, il en vient à la conclusion que l’indépendance judiciaire est bénéfique à la fois pour les droits humains et pour la mise en œuvre du droit international. Les auteurs Mary Volcansek et Charles Lockhart partent de cette conclusion pour s’interroger sur la nature des institutions judi-ciaires que les États devraient mettre en place pour parvenir à la réalisation des droits fondamentaux. L’étude pointe du doigt le contrôle judiciaire des actions gouvernementales qui se sont répandues dans le monde comme modalité de garantie la plus perfor-mante. Se fondant sur l’analyse des données sur 27 pays de l’Union euro-péenne, les auteurs parviennent à la conclusion que l’indépendance judi-ciaire nécessaire aux droits humains repose moins sur la technique du contrôle judiciaire que sur la disper-sion du pouvoir à travers les compé-titions démocratiques. La dispersion empêche l’emprise d’une branche du gouvernement sur l’autre. Plus inté-ressant encore, l’étude conclut que le niveau de développement économique n’est pas une variable déterminante dans la réalisation des droits. Il n’agi-rait selon les auteurs que comme une variable de facilitation.

Les contributions qui suivent analysent le rôle spécifique de cer-tains acteurs dans la globalisation des droits humains. Heather Smith-Cannoy et Charles Anthony Smith critiquent ainsi les Pays-Bas, reconnus pour leur fermeté au niveau mondial dans la lutte contre le trafic des êtres humains, mais qui peinent à apporter une réponse adéquate à ce phénomène

à l’intérieur des territoires dont ils ont le contrôle, notamment leurs îles de l’océan Indien. Cette contribution souligne de fort belle manière que le respect des droits humains ne devrait pas se limiter à une question de rhé-torique politicienne. Il n’y aurait mondialisation effective que s’il y a concrètement internalisation des prin-cipes appliqués au niveau internatio-nal. Cette conclusion est partagée par Michael C. Tolley qui s’intéresse au rôle de la Cour européenne des droits de l’homme dans le contrôle politique en Europe. Son étude révèle que les tribunaux des États européens soumis au contrôle de ce tribunal importent non seulement ses principes dans leurs décisions, mais y prennent appui pour développer de nouveaux droits. Cette tendance qui traduit un rejet du souverainisme judiciaire démontre par ailleurs un recul de l’idéologie dans la mise en œuvre du droit inter-national relatif aux droits humains. La contribution de Royce Carroll et Lynda Tiede, qui s’intéressent au vote idéologique au sein du tribunal consti-tutionnel chilien, est digne d’intérêt à cet effet. Bien que l’idéologie soit pré-sente dans le vote en fonction de l’ap-partenance politique, l’étude conclut qu’il n’y a pas pour autant politisation ou polarisation en raison de la diver-sité des blocs représentés sur le banc du tribunal.

En outre, la mondialisation des droits humains doit pouvoir compter non seulement sur les acteurs éta-tiques, mais très certainement sur les mouvements de la société civile. Shawn Schulenberg souligne ainsi la contribution du mouvement LGBT à la légalisation du mariage homosexuel en Argentine, une percée majeure

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Comptes rendus 101

dans un continent traditionnellement conservateur sur le sujet en particulier et l’égalité en général. De fait, le rôle des organisations de la société civile est indiscutablement mis en évidence dans l’étude de Heidi Nichols Haddad qui examine les multiples facettes de leur implication dans le renforcement des institutions judiciaires en rapport avec les droits humains devant les cours constitutionnelles, les tribunaux internationaux ou dans la littérature juridique. Ce tiers acteur participe de cette façon à l’expansion des droits de la personne dans le monde.

En somme, Globalizing human rights interpelle les chercheurs sur la justice globale, mais aussi tout acteur qui œuvre dans le domaine, sur la manière de théoriser le respect des droits humains à travers le monde. On a trop souvent insisté sur les lacunes de la gouvernance globale. Pour autant, il semble que celle-ci ne soit rien d’autre que le reflet des manque-ments des sociétés États à l’intérieur de leur propre sphère d’influence. La globalisation des droits mérite en effet d’être pensée plus sérieusement selon une approche bottom-to-top qui s’ins-crirait dans la responsabilisation des États, à travers leurs structures politi-co-judiciaires, et la mobilisation tous azimuts des acteurs non étatiques et transétatiques. Par une recherche fort bien documentée, les auteurs de cet ouvrage nous en donnent une convain-cante illustration.

Alain-Guy TaChoU SiPowoFaculté de droit de l’Université Laval,

Québec

éCoNomie

By All Means Necessary. How China’s Resource Quest

Is Changing the World

elizabeth C. eConoMy et michael LEvi, 2014, New York, oxford University Press, 279 p.

Dans leur ouvrage , El izabe th Economy et Michael Levi, tous deux senior fellows au Council on Foreign Relations (CFR), nuancent le débat sur la montée de la Chine comme puissance à la recherche de ressources naturelles, explorant la portée et les conséquences de cette expansion.

Prenant leurs distances des dérapages enthousiastes ou alar-mistes, fréquents dans les médias, les auteurs offrent un portrait enrichi par une analyse détaillée et spécifique de plusieurs marchés globaux. Ces der-niers seraient, dit-on, transformés par la montée de la Chine. La question de base consiste à rechercher comment la Chine transforme le monde dans cette quête de ressources, mais le livre ne se limite pas à ce seul sujet. On trouve une interrogation complémentaire, fort judicieuse : la Chine elle-même connaît-elle des transformations à travers ce processus ?

D’emblée, les auteurs affichent leurs couleurs : l’idée d’une Chine qui transforme radicalement les marchés des ressources naturelles et qui, à court terme, menace les équilibres géopoli-tiques relève plus du mythe que de la réalité. L’interaction chinoise avec les marchés mondiaux transforme la Chine elle-même tout autant, sinon davantage.

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102 Études internationales, volume XLVI, no 1, mars 2015

Ils constatent par exemple que, si la demande chinoise exerce une pression à la hausse sur les prix du pétrole et du cuivre, il en va autre-ment dans le cas du gaz naturel et de la bauxite. Cette différence reposerait sur la structure différente des deux marchés, ce qu’on ne peut comprendre si l’on veut simplifier et analyser « les marchés » comme un tout. Dans la perception populaire, la Chine agit sur les marchés mondiaux de manière unitaire, car ses entreprises sont par-tiellement contrôlées par l’État. Cette thèse est contredite par l’existence de la compétition entre les entreprises chinoises et par le manque de coor-dination entre les acteurs politiques et économiques.

L’ouvrage remet en cause d’autres mythes, dont ceux relatifs au pétrole. Par exemple, le pétrole extrait à l’étranger par des entreprises chinoises n’est pas envoyé directement en Chine. Elles le vendent plutôt sur les marchés mondiaux.

En ce qui a trait aux normes de responsabilité sociale et environ-nementale des entreprises chinoises, les auteurs avancent que l’interaction avec des firmes occidentales, avec pour objectif principal le transfert de technologie et d’expertise, expose les gestionnaires chinois à des stan-dards plus élevés qui pourraient les influencer. Par contre, les conduites des entreprises chinoises outre-mer seraient déterminées avant tout par l’évolution des normes à ce sujet en Chine ainsi que du cadre légal, souvent laxiste, mis en place par les pays où a lieu l’exploitation. Selon les auteurs, les entreprises chinoises, iro-niquement, paient un prix plus élevé

que les autres, en matière de réputa-tion, parce que tout le monde se méfie d’elles. De ce fait, le gouvernement chinois – du moins officiellement – pousse ses entreprises à bonifier leurs pratiques dans ce domaine.

Concernant les impacts géopo-litiques de cette quête de ressources, les auteurs distinguent les effets selon la distance des régions par rapport à la Chine. Les impacts dans les régions lointaines seraient minces, surtout à cause des limites à la projection de la puissance militaire chinoise. Les auteurs font le constat selon lequel la Chine, comme toutes les nations du monde, dépend encore des États-Unis pour la sécurisation des voies mari-times qui alimentent son commerce extérieur. Cependant, les impacts sont plus marqués sur les régions rappro-chées, soit en Asie centrale, en Asie du Sud-Est continentale ou en mer de Chine méridionale et orientale. Cet état de fait pourrait mener à des conflits dans un horizon relativement rapproché.

Dans l’ensemble, les auteurs apportent une réponse bien documen-tée et nuancée à leurs deux questions principales, en particulier dans leur dimension économique. Ce faisant, ils soulèvent toutefois d’importantes questions contiguës auxquelles ils n’apportent pas de réponse. L’une porte sur la nature néocoloniale de la présence chinoise dans les pays en développement et sur l’impact potentiel sur leur vie politique et économique.

En effet, l’approche chinoise ne pose pas de conditions sur les « affaires internes » (par exemple la

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Comptes rendus 103

gouvernance ou les droits humains) des pays où elle investit. De ce fait, cette approche pourrait-elle exercer un impact négatif sur leur croissance éco-nomique, à travers le mécanisme de la malédiction des ressources ? Question d’autant plus importante que la Chine tend à investir à l’étranger pour y extraire des ressources naturelles, puis vendre des biens manufacturés à ces pays. Elle imite ainsi le néocolonia-lisme économique « occidental » qui mène à des termes d’échanges peu avantageux pour les pays exportateurs de matières premières.

Le silence sur cette question montre que ce livre, écrit sous l’égide du Council on Foreign Relations, adopte une perspective très améri-caine sur le sujet. Ainsi, les auteurs explorent peu le point de vue des pays en développement.

Par ailleurs, si le portrait de la situation actuelle convainc, le lecteur s’interroge sur de potentielles muta-tions sociopolitiques en Chine. Par exemple, le déploiement de nou-veaux armements ou une orientation plus agressive en politique étrangère pourraient transformer rapidement les équilibres géopolitiques mondiaux. En effet, rien ne dit que l’approche pro-gressive et modérée du gouvernement chinois actuel se poursuivra si l’on assiste à la décroissance des asymé-tries de pouvoir entre la Chine et les États-Unis.

Jano BoURgEoiSCollège Jean-de-Brébeuf

montréal

hisToire eT diPLomaTie

Relational, Networked and Collaborative Approaches

to Public Diplomacy. The Connective Mindshift

rhonda s. ZAHArnA, amelia ArsEnAuLt et ali FisHEr (dir.),

2013, New York, routledge, 240 p.

Publié dans le cadre de la série routledge studies in Global information, Politics and society, l’ouvrage présenté ici s’inscrit dans un courant continu d’études récentes sur la diplomatie publique et plus généralement sur la communication dans les relations internationales. Le livre vient très clairement s’inscrire dans le sillage de la « nouvelle diplomatie publique » (New Public diplomacy) traitée en particulier par Jan Melissen dans ses travaux. L’idée centrale, celle d’une diplomatie publique faite de réseaux et de connexions, semble tout autant une incitation faite aux praticiens qu’une analyse scientifique des phéno-mènes observables dans la diplomatie publique actuelle. Les praticiens sont invités à considérer l’importance des réseaux, de la collaboration, de l’ou-verture et à passer d’une diplomatie publique instrumentale, unidirec-tionnelle, hiérarchique à une diplo-matie publique dont le cœur serait la relation pacifiée avec l’autre, l’in-vestissement dans les relations inter-nationales d’acteurs non étatiques et l’adaptation à un système international plus éclaté, moins hiérarchisé. La valeur scientifique de cette approche relationnelle est analysée, mais elle est aussi érigée en impératif normatif pour les praticiens.

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104 Études internationales, volume XLVI, no 1, mars 2015

Le livre se divise en trois parties : la première revient de façon assez théorique sur différentes approches de la « connectivité » en relations interna-tionales ; le deuxième groupe d’études traite des cas précis de mise en œuvre de cette diplomatie publique rela-tionnelle ; enfin, le troisième groupe utilise les chapitres précédents pour s’interroger sur le futur de la diploma-tie publique. Cette dernière partie est par ailleurs celle où les directeurs de l’ouvrage, auteurs des trois chapitres qui la composent, écrivent le manifeste de leur « approche relationnelle » de la diplomatie publique.

Peter van Ham entame cette liste de contributions par un chapitre replaçant la réflexion sur la diplo-matie publique relationnelle dans le cadre d’un paradigme de relations internationales « fluides », mettant en avant le jeu circonstancié des relations, la communication, la capa-cité à se présenter avantageusement et à diffuser des normes plus que la puissance statique et les ressources. Kathy Fitzpatrick revient ensuite sur les questions d’éthique et de respon-sabilité pesant sur les praticiens de la diplomatie publique. Robin Brown met pour sa part l’accent sur le rôle des contextes dans les pratiques de diplomatie publique, rappelant les dif-férentes façons dont les relations poli-tiques peuvent contraindre différentes pratiques de diplomatie publique.

Daryl Copeland, par la suite, met en avant la nature nécessairement col-laborative des solutions à trouver à des questions cruciales, internationales par nature (pandémies, catastrophes envi-ronnementales, etc.). Kishan Rana, quant à elle, s’intéresse aux diaspo-ras, en observant la façon dont elles se

trouvent au centre des relations entre États, dans une position très particu-lière aidant à la création de relations. Yiwei Wang, enfin, reprenant à son compte la narration non conflictuelle d’elle-même que cherche à projeter la diplomatie publique chinoise, rap-pelle l’insistance de cette dernière sur la « puissance douce » et les aspects culturels.

Dans le premier texte de la deuxième partie du livre, Maureen Taylor et Michael Kent montrent les efforts de diplomatie relationnelle déployés en Croatie par les États-Unis et l’Europe, soulignant le rôle impor-tant joué par le réinvestissement du capital social des diplomates dans la création de relations. Tadashi Ogawa, longtemps au service de la Japan Foundation, réfléchit à son tour sur le rôle de la culture à la fois comme ferment de division et comme élément de reconstruction. Dans une contribu-tion légèrement en retrait du ton « rela-tionnel » du livre, l’ex-ambassadeur américain Harold Saunders met en avant les difficultés liées aux espoirs de transformation de l’autre par la rela-tion ; souvent, il faut se contenter de maintenir le dialogue. Les deux der-niers textes de cette partie reviennent sur les aspects digitaux de la diplo-matie publique : Charles Causey et Philip Howard soulignent les difficul-tés et le potentiel des médias digitaux et sociaux, alors que Hyunjun Seo, explorant le cas de « Café USa », une structure créée par l’ambassade des États-Unis à Séoul, fait la part de ce qui peut être gagné par l’utilisation intelligente et culturellement sensible des médias sociaux.

Dans la dernière partie, Rhonda Zaharna réfléchit tout d’abord sur les

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conditions dans lesquelles un réseau de relations se développe ou disparaît. Utilisant le cas des Instituts Confucius et celui de la campagne internationale contre les mines terrestres, elle réflé-chit en termes d’adéquation entre le but de ces campagnes et la structure mise en place. Amelia Arsenault s’attaque pour sa part aux multiples probléma-tiques concernant Internet. Elle met en garde contre une vision techniciste de ce réseau des réseaux, rappelant les enjeux de puissance projetés sur cette technologie, et les difficultés à faire fonctionner ensemble les différents acteurs. Ali Fisher s’interroge enfin sur les meilleures manières de susci-ter les collaborations et les approches relationnelles dont le livre a donné nombre d’exemples. Il propose quatre éléments autour desquels construire une théorie relationnelle de la diplo-matie publique : les routes au travers desquelles ces collaborations s’éla-borent, les nœuds autour desquels elles s’agrègent, le rôle des réseaux dans l’innovation et, enfin, les actions susceptibles de développer ces réseaux.

Si le livre forme un ensemble très roboratif de réflexions sur l’approche relationnelle en diplomatie publique, il montre aussi les études de diplomatie publique comme une science appliquée, marquée par la porosité entre acteurs et chercheurs. Alors que les acteurs demandent aux chercheurs de réfléchir sur leurs pratiques, les chercheurs leur tendent le miroir d’une « nouvelle diplomatie publique », relationnelle et détachée de la vieille diplomatie publique, fonctionnant dans un système international postmoderne, dérégulé et déhiérarchisé. Les acteurs, quant à eux, voient dans ce miroir une image flatteuse de leurs pratiques

permettant de se laver de l’accusation de propagande. Le livre gagnerait donc à être lu en parallèle de la thèse de James Pamment New Public diplomacy in the 21st Century : a Comparative study of Policy and Practice (2013), où l’auteur prévient contre les aspects les plus normatifs de la « nouvelle diplomatie publique ».

Louis CLERCUniversité de Turku, Finlande

déveLoPPemeNT eT CooPéraTioN iNTerNaTioNaLe

Peaceland. Conflict Resolution and the Everyday Politics

of International Intervention

séverine AutEssErrE, 2014, New York, Cambridge University Press,

329 p.

Dans ce nouveau livre, dont le titre en français est « Terre de paix. La réso-lution des conflits et la politique de tous les jours dans les interventions internationales », Séverine Autesserre, professeure en relations internationales au Barnard College de l’Université Columbia à New York, introduit un nouveau modèle pour analyser ces interventions et, notamment, leurs modes de fonctionnement aux effets si disputés parmi les professionnels du sujet. Se basant sur son travail antérieur, en particulier son premier livre, The Trouble with the Congo, publié en 2010, ainsi que sur de nou-velles recherches conduites dans plu-sieurs pays, S. Autesserre démontre qu’une dynamique essentielle de la prévention et de la réponse aux conflits aujourd’hui découle de la

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manière dont les intervenants, en majorité des étrangers, qu’ils soient civils ou militaires, interagissent avec la population locale.

En effet, quel que soit le pays où ils sont engagés, ces étrangers ana-lysent le conflit de la même façon, utilisent les mêmes modèles pour résoudre les problèmes (sans prendre le temps de les adapter au contexte en question), valorisent l’expertise tech-nique plutôt que la connaissance des populations locales et régionales ainsi que des langues qu’elles parlent, vivent séparés de la population afin d’éviter les risques sécuritaires, ne restent sur le terrain que pour de courtes périodes et considèrent que les populations locales ne sont pas capables de concevoir ni de mettre en place les programmes nécessaires au rétablissement de la paix. Autesserre démontre que ces pratiques sont maintenues en dépit de leurs effets négatifs sur le succès de ces opérations. Elle note, néanmoins, que certaines organisations ne tombent pas dans ce piège (ou même dans ce cercle vicieux, expliquant que ce mode opé-ratoire se soutient de lui-même et que toute critique donne lieu au renvoi de la personne qui ose le critiquer) et que ces organisations arrivent à travailler beaucoup plus efficacement avec les populations locales.

Le livre comprend trois parties. La première partie contient l’intro-duction, de même que l’élaboration de l’hypothèse et du modèle d’ana-lyse. Dans cette partie, l’auteure pré-sente la manière dont les intervenants construisent leurs connaissances du pays en question, les réactions de la population locale aux pratiques qui en découlent et une analyse de leurs effets. Elle décrit dans la deuxième

partie la façon dont les intervenants créent et maintiennent une distance avec la population. La création d’un cercle d’intervenants, fermé à la popu-lation locale, donne lieu à une structure par définition inégale, où les interve-nants sont supérieurs à ceux qu’ils sont censés aider, où leurs pratiques quotidiennes les empêchent d’être efficaces et où ces routines deviennent leur propre raison d’être, à défaut de l’efficacité des programmes mis en place. La troisième partie contient la conclusion, un résumé de l’analyse et des recommandations pour remédier aux problèmes abordés par l’auteure.

L’une des principales critiques d’Autesserre est que tous les inter-venants voient comme seule solution la création d’un État à l’image de celui qui existe dans leur pays d’ori-gine, c’est-à-dire un État où les pou-voirs législatif, exécutif et judiciaire sont distincts et où ce modèle permet d’arrêter la violence et l’exploitation illégale des ressources naturelles et d’assurer la sécurité de la population. Dès lors, un État compétent peut être développé grâce à l’augmentation des compétences techniques de ses fonc-tionnaires. Ces solutions qui viennent du haut sont les seules à être perçues comme viables. L’idée que les com-munautés locales pourraient trouver, par elles-mêmes, une solution à leurs conflits est considérée comme fantai-siste et de toute évidence impossible. Pour finir, ces pratiques, où les inter-venants campent sur leurs positions, se refusent à consulter la population et insistent pour imposer des modèles dont ils n’osent pas remettre en ques-tion l’efficacité, créent par défaut une structure d’inégalité entre eux et la population. Cette structure ne fait que

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renforcer ces lignes de démarcation, envenimer leurs relations avec ceux qu’ils disent être là pour aider, mais dont les opinions sur l’utilité de leur assistance ne les intéressent pas. Les intervenants se renforcent sur leurs positions en insistant sur l’obtention des résultats au court terme, qui leur permettent de continuer à recevoir le soutien financier des donateurs. Les intervenants, dit Autesserre, ont de bonnes intentions, mais qui sont dif-ficiles à réaliser à cause de leurs pra-tiques quotidiennes, philosophies et modèles de travail.

Le livre énumère en détail tous ces défauts et donne de nombreux exemples très intéressants. Cependant, à force d’exemples, l’argumentation finit souvent par se faire répétitive. Une grande partie de l’ouvrage pour-rait être beaucoup plus courte. La conclusion, qui suggère des solutions aux problèmes décrits et analysés en détail dans le livre, est en revanche plutôt brève. Pour résumer, Autesserre suggère que les intervenants accordent plus d’importance aux connaissances locales et linguistiques (et que ces compétences soient évaluées dans le recrutement du personnel) qu’à l’ex-pertise technique, que les intervenants emploient davantage de main-d’œuvre locale, que la population soit plus sys-tématiquement consultée et que les lignes de fracture entre les intervenants et la population soient brisées pour éli-miner l’inégalité qui existe aujourd’hui entre ces deux groupes.

Autesserre reconnaît qu’il est difficile de savoir si les solutions qu’elle suggère rendraient les interve-nants plus efficaces. Comme très peu d’entre eux fonctionnent de la manière qu’elle propose, il faudrait que d’autres

donateurs y aient recours. Les pro-grammes alors mis en place permet-traient d’évaluer ses conclusions.

Alix boUChERFuture of Peace operations Program

The henry L. stimson Center Washington, DC

éTUdes sTraTéGiQUes eT séCUriTé

Revisiting Intelligence and Policy. Problems with Politicization

and Receptivity

stephen MArrin (dir.), 2014, Londres, routledge, 113 p.

La dynamique entre la sphère du ren-seignement et celle de l’élaboration et de l’implantation des politiques est souvent empreinte de tension et d’in-compréhension mutuelle. Cet ouvrage collectif dirigé par Stephen Marrin, un chef de file des études du renseigne-ment, s’attaque à deux dimensions par-ticulières de cette relation : la politisa-tion, par les agences de renseignement elles-mêmes ou par les décideurs, et la réceptivité des décideurs face à ce que leurs agences de renseignement leur fournissent.

Les questions d’analyse du ren-seignement ne sont pas toutes égales ; certaines sont appelées à venir en soutien à un processus de prise de déci-sion hautement visible publiquement, et donc potentiellement controversé. Cela soulève la question de la politisa-tion du renseignement. Pour les tenants d’une approche traditionaliste, les res-ponsables du renseignement doivent maintenir une frontière étanche entre celui-ci et l’univers politique. Éviter toute politisation de leur analyse est un

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objectif fondamental, au nom duquel d’autres qualités – la précision, la per-tinence, la responsivité – peuvent être sacrifiées au besoin. Pour d’autres, plus activistes, la politisation est inévitable et pas intrinsèquement mauvaise ; il s’agit d’éviter les abus et même de tenter de profiter des renseignements obtenus afin, par exemple, de maxi-miser l’influence du renseignement sur les décisions. Comme on peut le noter dans plusieurs chapitres de cet ouvrage, il n’existe pas de consensus sur la définition de la politisation. Le premier objectif du livre est donc de remédier à cette faiblesse, avec tou-tefois un succès limité, puisque les auteurs proposent des définitions qui, tout en étant intéressantes, se contre-disent. Marrin, dans son chapitre, dis-tingue entre le concept vague de poli-tisation et celui plus précis et pertinent de « politisation analytique », un phé-nomène selon lui négatif qui survient lorsqu’un produit est corrompu sciem-ment à la suite de la prise en considé-ration par l’unité analytique de facteurs politiques. Glenn Hastedt, quant à lui, propose une définition moins pointue, selon laquelle la politisation est une stratégie utilisée par des participants au processus de développement et d’im-plantation des politiques qui, en mani-pulant des produits analytiques, visent à avancer leurs objectifs politiques et à contrer ceux de leurs adversaires.

La politisation est un phénomène inévitable et complexe dont la teneur et les conséquences varient selon les circonstances. Hastedt suggère donc ensuite un cadre analytique afin de mieux comprendre la dimension poli-tique de la relation entre le renseigne-ment et la prise de décision. Pour ce faire, il distingue entre politisations

hard (la coercition d’analystes pour leur imposer des prémisses ou des conclusions) et soft (des tentatives délibérées d’altérer le contexte analy-tique ou institutionnel). Hastedt oppose ces deux catégories aux cas où il y a consensus entre les sphères du rensei-gnement et des politiques. Il propose ensuite que l’interaction entre rensei-gnement et politiques puisse se tenir au sein de systèmes fermés, élitistes et publics. Il en dérive ainsi une matrice de trois par trois, et donc une typologie de neuf cas possibles de politisation.

La politisation du renseignement est généralement perçue comme étant négative, mais peut-elle, dans certaines circonstances, être tolérable, voire souhaitable ? Pour Joshua Rovner, la réponse est un non catégorique. Si, dans certains cas, la politisation soft de leurs analyses permet aux agences de renseignement d’obtenir certains gains à court terme – davantage d’in-fluence sur le processus décisionnel, par exemple, ou une meilleure relation avec les preneurs de décision –, à long terme, selon Rovner, la politisation ne peut que nuire à la qualité du produit. Nathan Woodard, quant à lui, adopte la position opposée : il recommande un profond changement de culture qui verrait les agences de renseignement participer de manière active au pro-cessus de développement et d’implan-tation des politiques en proposant des analyses prescriptives basées sur des données rigoureusement analysées.

Dans un chapitre intéressant, mais qui peine à justifier sa présence dans cet ouvrage axé sur la politisation, Erik Dahl aborde la question distincte de la réceptivité des preneurs de déci-sion face aux analyses que leur pro-posent leurs agences de renseignement.

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En comparant le cas de Pearl Harbor (où le leadership américain n’a pas pris en compte les avertissements portant sur la possibilité d’une attaque japonaise) avec celui de la bataille de Midway (au cours de laquelle les Américains ont pu surprendre les forces japonaises grâce à la précision de leurs renseignements), Dahl tente de comprendre dans quelles circonstances les décideurs seront plus susceptibles de prendre en compte les analyses de renseignement. Il en conclut que deux variables déterminent cette réceptivité : la perception qu’ont les décideurs du sérieux de la menace et leur confiance en l’utilité générale du renseignement.

Cet ouvrage collectif atteint un objectif important, quoiqu’étroit : il réussit à faire avancer le débat sur deux aspects essentiels mais sous-étudiés de l’interaction entre renseignements et politiques, la politisation et la récep-tivité. Le livre est donc pertinent pour les chercheurs et les praticiens qui cherchent à mieux comprendre la dynamique de cette relation complexe.

Le débat sur la politisation du renseignement, en particulier, est per-tinent. Les différentes perspectives proposées dans cet ouvrage montrent qu’une tension est inévitable : Marrin et Rovner insistent sur les coûts de la politisation analytique, mais ils recon-naissent également qu’il est fondamen-tal pour les agences de renseignement d’établir une relation de confiance avec leurs clients. Ces deux objectifs sont souvent en compétition. Et il n’existe pas de réponse facile à ce dilemme : les traditionalistes risquent de nuire à leurs relations en insistant sur la pureté de leurs analyses, alors que les activistes risquent d’échouer dans leur mission visant à fournir des analyses de qualité,

franches et non partisanes. La quête de l’équilibre idéal représente ainsi un défi constant.

Thomas JUnEaUUniversité d’ottawa

The European Union as an Actor in Security Sector Reform.

Current Practices and Challenges of Implementation

oyan Dursun-ÖZkAnCA (dir.), 2014, Londres, routledge, 177 p.

Avec des activités de réforme du secteur de la sécurité (RSS) entre-prises dans plus de 70 pays depuis 2006, l’Union européenne (UE) est actuellement l’un des principaux acteurs dans le domaine de la réso-lution des conflits et de la consolida-tion de la paix. Toutefois, force est de constater que, près de huit ans après la signature du traité de Lisbonne, les résultats de l’organisation sont pour le moins inégaux dans ses efforts visant à améliorer et à démocratiser la gou-vernance des institutions de sécurité des pays en transition. Pourquoi cer-taines initiatives ont-elles conduit à une amélioration durable de la sécurité comme à Aceh, alors que d’autres ont échoué lamentablement comme en République démocratique du Congo ? C’est à cette question que tente de répondre The european Union as an actor in security sector reform.

Dirigé par Oya Dursun-Özkanca, professeure de sciences politiques au Elizabethtown College, cet ouvrage est en fait la publication sous forme de livre de l’édition de mai 2012 de la revue european security. Il consti-tue une compilation d’études de cas

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portant sur pas moins de sept théâtres d’opérations dans lesquels l’UE s’est engagée dans la RSS.

L’ouvrage est composé de neuf chapitres organisés selon trois thèmes. Le premier thème porte sur les normes et les idées. Il privilégie l’analyse de la RSS en tant que produit d’idées et d’in-térêts parfois contradictoires et en tant qu’outil de propagation de normes. Le deuxième thème se concentre sur les acteurs et les pratiques de la RSS, avec un accent plus marqué sur les straté-gies et les préférences des acteurs. Le troisième thème se penche sur les structures et les institutions de l’UE œuvrant dans le domaine, notamment les logiques de coordination et de com-pétition avec lesquelles elles doivent composer. Chaque chapitre utilise des outils théoriques et analytiques diffé-rents afin d’aider le lecteur à voir le sens de l’action de l’UE dans la RSS.

Ce livre met en lumière l’im-pressionnante diversification des acti-vités de l’UE dans le domaine, tant en termes d’approches qu’en termes de contextes de déploiement, et souligne les avantages de cette action multini-veau. Paradoxalement, il insiste aussi sur l’ampleur du travail qui reste à faire pour que l’organisation puisse se vanter d’être un acteur cohérent de la RSS tant son action dans le domaine est à géométrie variable.

Outre l’analyse des obstacles et défis « traditionnels » auxquels l’UE doit faire face dans ses opérations de RSS, tels que le manque de moyens particuliers, l’absence de leadership ou encore les problèmes causés par la faible appropriation nationale, l’ou-vrage laisse la place à des hypothèses plus novatrices qui pourraient attirer

l’attention des spécialistes en bonnes pratiques (lessons learned) de l’UE et de la RSS. Trois chapitres attirent ici plus particulièrement notre attention.

Ainsi, dans le chapitre 5, Arnout Justaert démontre en quoi le niveau de ressources d’un acteur de la RSS a un impact direct sur l’importance qu’il va accorder à la coopération : plus il aura de ressources, moins il aura besoin des autres et plus il agira de manière uni-latérale, rendant ainsi difficile la mise en place d’une approche cohérente, concertée et coordonnée entre tous les acteurs.

De son côté, Dimitris Boutis met en relief dans le chapitre 7 les limites politiques à l’approche holis-tique de la RSS préconisée en théorie par l’UE. S’appuyant sur l’exemple de l’initiative européenne de réforme du secteur de la sécurité dans les terri-toires palestiniens, Boutis souligne les insuffisances du contrôle démocratique des forces de sécurité palestiniennes. Il argue que ces insuffisances seraient dues au fait que la RSS vise à mettre en place des forces de sécurité capables de lutter contre le Hamas, considéré comme une menace terroriste, au risque de perpétrer des violations des droits humains auprès de la population.

Enfin, dans un chapitre 9 particu-lièrement intéressant, Simone Tholens étudie l’impact de la RSS sur les liens de légitimité entre les autorités indo-nésiennes et les populations locales à Aceh. Elle analyse l’utilisation par l’UE des communautés coutumières locales (adat) en vue de démocrati-ser les secteurs de la justice et de la sécurité. En introduisant un modèle exogène – le contrôle démocratique des systèmes de sécurité – avec des

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Comptes rendus 111

outils endogènes (les adat), l’UE a aidé à reconstruire le lien de confiance et de légitimité entre la population d’Aceh et les autorités indonésiennes. Tholens avance l’idée que l’UE est capable de promouvoir et de mettre en œuvre des efforts de consolidation de la paix pensés et mis en œuvre localement, qu’elle qualifie « de 3e génération ».

Cet ouvrage a le mérite d’offrir une comparaison des initiatives de RSS de l’UE, de présenter un panorama de leurs succès, de leurs défis et de leurs échecs et de tracer l’évolution de ces initiatives au fil du temps. Il participe également aux efforts de conceptua-lisation et d’opérationnalisation poli-tique de la RSS au niveau de l’UE (par opposition à celui de ses États membres).

Néanmoins, la pertinence de publier en 2014 sous forme de livre et à un coût prohibitif un numéro de revue spécialisée datant de 2012 peut paraître toute relative. Cela est d’autant plus vrai qu’aucun travail d’édition ou de mise à jour ne semble avoir été fait, ce qui donne pour résultat, outre la redondance des notes biographiques de certains auteurs que l’on retrouve en trois exemplaires, la présence de coquilles et d’erreurs de syntaxe ainsi que de références bibliographiques à paraître en… 2012.

Cela étant, l’ouvrage pourra intéresser chercheurs et praticiens travaillant sur la RSS et la Politique commune de sécurité et de défense de l’UE, surtout ceux qu’intéresse une approche comparativiste.

Damien LaRRamEndyréseau francophone de recherche sur les opérations de paix (roP)

Université de montréal

Dismantling the Iraqi Nuclear Programme. The Inspections of the

International Atomic Energy Agency, 1991-1998

Gudrun HArrEr, 2014, Londres, routledge, 279 p.

L’ouvrage de Gudrun Harrer nous immerge dans le monde kafkaïen du processus de désarmement de l’Irak qui eut lieu au cours des années 1990. Son objectif est le démantèlement du programme nucléaire irakien, sous l’égide de l’Agence internationale à l’énergie atomique (AIEA), dirigée à l’époque par Hans Blix, puis par Mohamed El-Baradei, à partir de 1997. Publiée dans la collection routledge New diplomacy studies, cette étude richement documentée repose sur de nombreux entretiens avec des per-sonnes engagées dans le processus, entretiens conduits pour la plupart en 2004-2005. L’étude se base également sur les archives de l’Action Team – l’équipe de l’AIEA chargée du dossier irakien. L’analyse approfondie des documents, couplée aux témoignages d’acteurs clés – recueillis longtemps après les faits, et donc avec un certain recul –, fait de cet ouvrage la plus solide étude du démantèlement des capacités nucléaires de l’Irak publiée à ce jour.

En dépit de sa concentration sur l’un des aspects du désarmement irakien, le livre de Harrer constitue une contribution précieuse à la com-préhension de ces années qui menèrent finalement à l’invasion de l’Irak en 2003. Car, au fond, il est impossible d’isoler le dossier nucléaire du traite-ment général de l’Irak au cours de la

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décennie 1990. Le cadre juridique et les activités de l’AIEA dans ce pays étaient en effet étroitement asso-ciés aux activités de l’Unscom, la Commission (très) spéciale des Nations Unies en charge du désarmement dans les autres secteurs (armes biologiques, chimiques et missiles). De plus, ce processus de désarmement était inti-mement lié à l’isolement économique de l’Irak : les sanctions du Conseil de sécurité de l’ONU étant maintenues jusqu’à ce que le Conseil considère que les autorités irakiennes avaient honoré leurs obligations en matière de désarmement. Enfin, le dossier du désarmement et la non-coopération de l’Irak servaient régulièrement de justi-fication à un petit groupe d’États pour attaquer militairement ce pays en dépit de l’absence d’autorisation du recours à la force par le Conseil de sécurité.

Dans ce contexte, l’ouvrage de Harrer revient tout d’abord sur les négociations qui ont permis la mise en place du régime de désarmement dans un cadre juridique sans précé-dent, basé sur une remise en question radicale de la souveraineté irakienne. Le livre, organisé essentiellement de manière chronologique, rappelle un certain nombre de faits importants qui sont bien volontiers oubliés lorsque l’on parle du programme nucléaire irakien : le fait, notamment, que le programme militaire n’a démarré qu’après le bombardement du réac-teur irakien Osirak par les Israéliens en 1981 ; le soutien essentiellement occidental au programme (l’Irak ne semble pas avoir bénéficié du réseau pakistanais du scientifique A. Q. Khan, et les autorités irakiennes ont d’ailleurs longtemps protégé bec et ongles les

soutiens étrangers à leur programme nucléaire, en dépit des problèmes que cela leur causait auprès des inspecteurs internationaux) ; ou encore le fait que 1990 était l’année durant laquelle le programme militaire nucléaire a fait le plus de progrès. Ainsi que le rap-pelle l’auteure, ce n’est pas l’invasion de 2003 mais bien la guerre du Golfe de 1991 qui a été menée pour contrer les armes irakiennes de destruction massive…

L’étude extrêmement fouillée de Harrer apporte également un éclai-rage nouveau sur la relation complexe et assez conflictuelle entre les deux organes chargés du désarmement irakien, l’Action Team de l’AIEA et l’UNSCOM, un sujet jusqu’à présent peu documenté. L’auteure montre notamment de profondes différences en matière de culture, d’approche, de pratiques… Tout au long de l’ouvrage, elle met aussi en avant la perspective irakienne, s’efforçant d’expliquer les relations – ici aussi complexes – entre les Irakiens et les organes interna-tionaux en charge du désarmement. L’étude de Harrer montre notamment comment des divergences profondes de perception ont contribué à entretenir un conflit pendant si longtemps, alors même que les Irakiens, après avoir résisté un temps, s’étaient finalement résignés relativement tôt – au début des années 1990 – à mettre un terme à leurs programmes et à leurs ambitions en matière d’armes non convention-nelles. En lisant son livre, on est mieux équipé pour comprendre le paradoxe d’un processus de désarmement qui, censé durer quelques mois, se prolon-gera pendant plus de 16 ans, en dépit d’un régime extrêmement coercitif et d’une coopération irakienne accrue.

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Évidemment, l’auteure revient aussi d’une manière discrète sur l’instrumen-talisation des organes de désarmement par les États-Unis, bien déterminés à ne lever le régime d’exception de l’Irak qu’après la chute de Saddam Hussein, et pour qui le processus de désarme-ment a été un moyen idéal de mainte-nir la pression sur l’Irak, indépendam-ment de la menace réelle posée par cet État. Dans son ouvrage, Harrer dresse un portrait très fin d’un processus continu dans lequel les Irakiens, selon des témoignages qu’elle a recueil-lis, iront même à certains moments, en désespoir de cause, jusqu’à forger des documents qui leur permettraient de satisfaire enfin les demandes des inspecteurs…

Finalement, le cœur de l’étude de Harrer touche au fonctionnement d’une organisation internationale responsable d’un dossier technique et qui lutte pour conserver une certaine neutralité dans un contexte de pressions politiques extrêmes. Pour qui garde un œil sur les interminables négociations autour du programme nucléaire iranien ou sur le processus de démantèlement du pro-gramme d’armes chimiques en Syrie, aujourd’hui prolongé par les alléga-tions d’utilisation de chlore à des fins guerrières, il ne fait aucun doute que les leçons du cas irakien continuent d’être d’une grande pertinence et de mériter des analyses poussées du type de celle que nous propose Gudrun Harrer.

Coralie PiSon hindawiamerican University of Beirut

Liban et arab Center for security studies amman, Jordanie

moNdiaLisaTioN eT TraNsNaTioNaLisme

Protesting Citizenship. Migrant Activisms

imogen tyLEr et Katarzyna MArCiniAk, 2014, Londres,

routledge, 158 p.

L’ouvrage Protesting Citizenship réunit des contributions publiées en 2013 dans un numéro thématique de la revue Citizenship studies. Le grand mérite de cette publication est d’intro-duire une analyse rigoureuse, à la fois théorique et appliquée, de la mobilisa-tion migrante et citoyenne par rapport à des enjeux de société préoccupants. Il s’agit de dévoiler une dimension plus sociale et militante de l’immigration, celle qui tend à être marginalisée au profit d’un paradigme économique de l’immigration, faisant de l’immigrant une commodité désirée et formatée selon les critères de la société d’ac-cueil. Ce livre propose par ailleurs d’exposer les lignes de fractures et de rendre visibles les luttes pour la protection des plus vulnérables, les sans-papiers, les illégaux, les réfugiés, les femmes et les mineurs.

Dans l’introduction, Tyler et Marciniak soulignent que l’activisme des migrants eux-mêmes et des asso-ciations se focalise sur une critique de la citoyenneté, mais paradoxalement passe toujours par un désir d’y avoir accès, car celle-ci représente l’abou-tissement d’un processus tumultueux. Cette conception demeure assez sta-tique et l’intérêt de cet ouvrage est de déplacer les définitions et les pratiques de la citoyenneté vers une réflexion critique de ce que peut être l’au-delà

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de la citoyenneté. Les études de cas présentées dans cet ouvrage apportent un éclairage nouveau aux probléma-tiques de l’immigration des popula-tions les plus vulnérables, celles que nous retrouvons retranchées dans des camps ou dans des zones dangereuses. La plupart des auteurs situent leur travail autour de deux grandes transfor-mations globales. À l’âge du néolibé-ralisme, la migration se caractérise par des régimes de mobilité inégaux qui mettent le plus à risque les migrants illégaux. La sécurisation du monde vient accentuer cette réalité sociale qui place le migrant dans une position de délinquant face à l’action de l’acteur étatique. Les migrants indésirables sont de plus en plus criminalisés et terrori-sés par les États.

Trois perspectives théoriques permettent de suivre un fil conducteur entre les dix contributions.

Premièrement, le lien de solida-rité qui se développe entre les migrants et les militants d’associations qui se portent à la défense des immigrants permet d’envisager la constitution d’espaces différents de celui de la citoyenneté. Plusieurs études de cas font ressortir l’importance de certains lieux communs dans la mobilisation citoyenne. Elles montrent aussi la réalité du terrain, comme dans la ville portuaire de Calais dans le nord-ouest de la France, où des migrants s’en-tassent dans des zones périphériques et espèrent traverser vers la Grande-Bretagne. NoBorders est par exemple un groupe militant qui cherche à redon-ner un sens à la réalité que vivent de nombreux immigrants clandestins et qui critique également un discours offi-ciel stigmatisant le migrant. Pour de nombreux activistes, venir en aide au

migrant en détresse est un acte risqué, car il s’inscrit aussi dans une logique d’illégalité.

Deuxièmement, par le thème de la protestation, des citoyens s’engagent à développer une citoyenneté plus par-ticipative. Des actes politiques et des engagements permettent de faire des migrants des sujets politiques. On note ici l’adoption de nouveaux langages facilitant la sortie du prisme de l’État et de la souveraineté. Plusieurs auteurs évoquent des gestes de défiance et de résistance à l’ordre, comme celui de brûler ses papiers et, ainsi, de s’af-franchir d’une condition définie par l’autorité publique. D’autres contri-butions s’intéressent à des stratégies de convivialité et d’entraide entre les individus souvent éprouvés par le sen-timent d’être de nulle part.

Enfin, la condition du migrant, entre la visibilité et l’invisibilité, nous amène à penser le rapport à une esthé-tique de la représentation du migrant, de son type d’inscription dans la société. Les auteurs se réfèrent au travail de Jacques Rancière, penseur de la sensibilité du sujet et de sa condi-tion par rapport à une frontière. Est-il dedans ou dehors ? Cette réflexion est fort intéressante, car elle permet de cerner comment se constitue la straté-gie militante qui aspire à faire connaître la réalité des migrants. Plusieurs études s’appuient sur des supports méthodo-logiques novateurs, comme le recours au visuel et à la narration.

Cette lecture a le mérite de pousser assez loin la réflexion théo-rique autour de la citoyenneté. Elle nous fait réfléchir à ce que le migrant désire le plus dans son projet de vie. Elle nous aide à comprendre sa

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stratégie de survie, présentée tel un acte d’invisibilité voulue, mais aussi à saisir que le migrant aspire à normaliser sa condition, c’est-à-dire à lui donner un sens et un lieu d’ancrage. Cette pers-pective me semble nécessaire, car elle répond à de nombreux travaux qui ne font que célébrer la mobilité des indi-vidus dans un monde fluide et libéré des frontières.

Chedly bELkhodJaécole des affaires publiques

et communautaires Université Concordia, montréal

Chine–États-Unis. Quels défis ?

Gilles vAnDAL et serge GrAnGEr, 2014, outremont, athéna, 333 p.

La relation sino-américaine amorce un virage historique. Conformément à la prévision de Bonaparte, la Chine s’est bel et bien éveillée et étonne le monde, créant un nouveau paradigme dans la redistribution du pouvoir sur l’échiquier international. L’ouvrage renouvelle et enrichit les études inter-nationales en évaluant les défis posés par l’essor du dragon chinois comme puissance concurrente des États-Unis. Pour concrétiser le rêve chinois et res-taurer la grandeur passée, Beijing s’est engagée dans un marathon pour égaler les États-Unis sur trois plans : le PIB, la puissance militaire et culturelle et, enfin, le Pib par habitant.

Pour reprendre les analyses de John Mearsheimer, l’empire du Milieu – le centre du monde – pourrait trans-former sa puissance économique en puissance militaire à mesure qu’elle deviendra plus prospère. Mais l’émer-gence de la Chine n’a pas obligatoi-rement pour corollaire le déclin de

la puissance américaine. Elle traduit une nouvelle donne qui ne contredit pas nécessairement les intérêts améri-cains. Dans un monde plus global, ni la Chine ni les États-Unis ne sont en mesure de faire front seuls à l’ampleur des défis qui s’annoncent. Pour éviter les tensions, les deux géants doivent composer avec leur rivalité et éviter qu’elle n’évolue en antagonisme. En 2011, l’administration Obama décla-rait que l’Asie allait devenir le pivot de la politique étrangère américaine. L’aigle américain a recentré ses priori-tés sur l’Asie. Ce revirement repose sur des objectifs stratégiques ancrés dans l’ouverture économique et la résolution pacifique des conflits.

La première partie de l’ouvrage aborde la croissance économique de la Chine, notamment le déficit des comptes courants des États-Unis avec la Chine et sa volonté de remplacer le dollar. En 2014, la Chine est devenue la première économie mondiale par l’im-portance de la richesse réelle qu’elle produit annuellement, et l’écart va continuer à se creuser. Beijing a accu-mulé plus de trois trillions de dollars de devises internationales. Avec de tels avoirs, elle exerce nécessairement une grande influence.

Le miracle économique chinois résulte pour une large part de l’ouver-ture du marché intérieur américain. Après être remonté aux racines histo-riques des relations sino-américaines, l’ouvrage analyse l’influence que les politiques américaines, telles que l’oc-troi de la clause de la nation favorite et l’entrée à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), ont eue sur l’émer-gence de la Chine comme puissance économique.

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116 Études internationales, volume XLVI, no 1, mars 2015

Les auteurs décortiquent notam-ment le processus de libéralisation de l’économie chinoise, les relations commerciales sino-américaines, l’im-portance des investissements amé-ricains en Chine, l’influence écono-mique grandissante de la Chine dans l’économie mondiale, les rivalités commerciales entre les États-Unis et la Chine... Les effets pervers de cet essor sont montrés : bulle immobi-lière, croissance inefficace, tensions sociales, sous-évaluation du yuan, pratiques commerciales illégales, vio-lation de la propriété intellectuelle, cor-ruption, révolte agraire... La croissance chinoise repose sur les multinationales, donc sur la délocalisation industrielle et la sous-traitance, mais aussi sur l’économie du savoir.

La deuxième partie traite des aspects géopolitiques posés par l’émergence chinoise. Après l’épi-neuse question des droits humains (protestations populaires, effondre-ment démographique, discrimination envers les minorités ethniques...), l’ouvrage pointe les problèmes envi-ronnementaux (pollution de l’air et de l’eau, sécurité alimentaire) et la néces-sité d’amorcer un « virage vert ». Les défis militaires et géostratégiques ne sont pas omis. Les points de conflit et les enjeux régionaux en Asie de l’Est, de même que les implications pour les États-Unis, sont importants : probléma-tique coréenne, rivalité sino-japonaise, question de Taïwan, conflit en mer de Chine du Sud, relations sino-birmanes et sino-indiennes. Enfin, les auteurs scrutent le rôle grandissant de la Chine sur la scène internationale (ONU, Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud (BRICS), G-20), la compétition pour s’implanter en Afrique et la riva-lité en Amérique latine.

L’hégémonie est difficile à atteindre et, plus encore, à maintenir. Ainsi, on peut s’interroger sur la capa-cité des dirigeants chinois à exercer le leadership dont leur pays a besoin et à répondre aux aspirations de la classe moyenne. La Chine ne se vante pas de sa suprématie économique, elle que le Fonds monétaire international (FMI) classe dans la catégorie « pays émer-gents et en développement » pour le niveau de vie individuel de ses habi-tants, ce qui lui donne des droits spé-cifiques dans les négociations inter-nationales. Quant à Washington, sa rétrogradation au deuxième rang n’en-lève rien à sa puissance militaire ou monétaire ni à sa capacité d’influence idéologique. Les États-Unis demeurent le principal moteur de l’économie mondiale, en raison notamment de leur capacité innovatrice.

Le centre du monde s’est déplacé de l’Atlantique vers le Pacifique. Pour autant, le 19e siècle sera-t-il chinois ? Les États-Unis occupaient la posi-tion de leader incontesté depuis 1872, lorsqu’ils ont eux-mêmes détrôné la Grande-Bretagne. Nous avons vécu dans un monde dominé par les États-Unis depuis le 19e siècle. Et nous avons vécu pendant 200 ans, depuis Waterloo, dans un monde dominé par deux démocraties qui ont été à l’avant-garde dans le monde entier en termes de libertés civiques et de processus démocratiques. Le monde est-il prêt à troquer un ordre international basé sur la promotion de la démocratie pour un nouvel ordre autoritaire d’inspiration chinoise ? Difficile à croire tant l’al-liance tacite unissant les États-Unis au Vieux Continent est forte. Pour asseoir leur suprématie, les États-Unis ont bénéficié du soutien des puis-sances européennes. Le leadership des

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relations internationales peut être une responsabilité partagée. Il est donc envisageable qu’Américains et Chinois puissent nouer une relation durable sur la base de la coopération et du respect mutuel.

Jérôme monTESUniversité des métiers

Bayonne, France

aNaLYse de PoLiTiQUe éTraNGère

Obama’s Foreign Policy. Ending the War on Terror

michelle Bentley et Jack holland (dir.), 2014, Londres, routledge,

208 p.

L’arrivée de Barack Obama à la prési-dence des États-Unis en janvier 2009 a fait émerger une vague d’optimisme et d’espoir de changement chez beaucoup de citoyens américains. Si, au cours de son premier mandat, Obama s’est finalement caractérisé par une certaine continuité avec son prédécesseur, les auteurs le démontrent en analysant simultanément la structure du système international, le relatif déclin matériel de la puissance américaine et la nature institutionnalisée de la guerre contre la terreur (War on Terror). Cet ouvrage collectif apporte une plus-value à la littérature déjà existante en rela-tions internationales par l’utilisation d’une approche multidisciplinaire. En effet, ces thèmes sont abordés tant sous l’angle des sciences sociales que selon un aspect plus psychologique, en passant par les théories liées au discours et à la rhétorique de l’émo-tion. L’ouvrage permet également de montrer qu’en devenant président

l’homme est contraint par les pressions systémiques, mais aussi par l’héritage de son prédécesseur. Engager des chan-gements majeurs dans ces conditions n’est pas chose aisée, même si telle est la volonté profonde du président nou-vellement élu.

Comme l’énoncent Bentley et Holland, pour expliquer une certaine continuité les auteurs se placent sur un spectre dont un extrême constitue les propres désirs d’Obama dans ses actions en politique étrangère, tandis que l’autre extrême est l’héritage de Bush dont Obama ne peut se défaire. Les premiers chapitres s’intéressent à la vision qu’a Obama de la guerre contre le terrorisme. Durant sa cam-pagne électorale, il se présente comme l’antidote aux excès de l’administra-tion Bush (p. 4), mais McCrisken nous démontre qu’il n’existe pas de preuve qu’Obama ait réellement promis un changement important en politique extérieure. En effet, dans ses discours on note surtout la volonté d’une pré-sidence plus réfléchie et plus à même d’identifier les menaces dans le but de pouvoir y répondre plus efficacement. Cependant, on constate qu’Obama n’a pas su mettre fin à la War on Terror, malgré une tentative de changement rhétorique, mais qu’il a su la diriger de façon qu’elle convienne davantage à sa propre vision. Selon Obama, c’est l’Afghanistan et le Pakistan, et non l’Irak, qui sont les principales menaces en matière de terrorisme. Le président souhaite donc recentrer sa politique de lutte contre le terrorisme vers ces deux États. Un changement notable par rapport à son prédécesseur se situe dans l’utilisation accrue des drones ainsi que dans les négociations avec les talibans

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en Afghanistan. Par cette stratégie, Obama a su détourner l’engagement américain de l’Irak, ce dernier s’étant clôturé par le retrait des troupes en 2011. L’ouvrage montre également que les États-Unis n’ont pas pris la mesure des changements et des nouveaux défis apparus après la fin de la guerre froide, notamment en ce qui concerne les aspects économiques et l’apparition de puissances régionales émergentes. Les auteurs constatent néanmoins l’in-tention d’Obama de se focaliser sur le renouveau du leadership américain, en temps de relatif déclin, et de se réen-gager dans l’économie internationale. Obama a en outre dû composer avec le changement de vision apparu après le 9/11, car l’administration Bush s’était centrée sur les questions de sécurité, en augmentant le budget alloué à la défense. L’un des objectifs d’Obama sera de réduire ce budget.

Les derniers chapitres de l’ou-vrage s’intéressent à la rhétorique même de la War on Terror, étudiant son impact émotionnel et sa pénétra-tion dans toutes les strates de la société américaine. Il ne sera plus fait mention dans les discours d’Obama des termes War on Terror, mais le président conti-nuera à placer les États-Unis en état de « guerre » contre le terrorisme. S’il est aussi difficile de se défaire de la rhétorique de la War on Terror et de ses implications, c’est notamment à cause de son institutionnalisation et de son intégration dans les différents domaines de la vie des Américains. Bentley ajoute qu’Obama ne pouvait abandonner l’idée de « guerre » sans passer pour un président faible. De plus, justifier les actions américaines en Irak, en Afghanistan et au Pakistan

ne pouvait se faire qu’en ayant une menace réelle et crédible à combattre. Poussant l’analyse plus loin, l’auteur étudie l’idée même de War on Terror sous l’angle conceptuel et psycho-logique. Indépendamment des déci-sions d’Obama, le discours lié à ce concept s’est fortement ancré dans l’in-conscient collectif. On peut attribuer cela à la puissance du choc émotionnel du 11-Septembre. Solomon s’appuie sur la théorie lacanienne de l’affect et de l’identité pour expliquer cet ancrage général, donnant une existence propre à la War on Terror. Celle-ci va dès lors persister dans le temps et caractériser la politique américaine à moins qu’un nouveau choc n’atteigne l’affect col-lectif américain.

L’analyse menée par les auteurs de cet ouvrage permet de mieux com-prendre les raisons complexes de la continuité en politique étrangère d’Obama. En plus de compter un grand nombre d’exemples précis et de réfé-rences, l’ouvrage donne une vision globale des précédentes administra-tions. Il est intéressant que la question de la continuité y ait été également abordée sous l’angle de l’affect et du discours, car cela ouvre la voie à une analyse plus approfondie du concept de War on Terror. Cet ouvrage repré-sente donc une analyse aboutie qui ne demande qu’à être poursuivie, étant donné la réélection d’Obama, afin d’étudier si l’assertion de Gaddis selon laquelle « second terms in the White house open the way for second thoughts » (p. 199) peut être confirmée.

Chloé DaelmanUniversité catholique de Louvain

Belgique

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Foreign Policy, Domestic Politics and International Relations.

The Case of Italy

elisabetta BriGHi, 2013, Londres, routledge, 193 p.

Le débat portant sur le niveau d’ana-lyse en matière de politique étran-gère constitue encore de nos jours l’objet de nombreuses recherches. Ce nouveau livre d’Elisabetta Brighi, maître de conférences à l’Université de Westminster, est une contribution assez originale à cet égard. En s’in-téressant aux relations entre la poli-tique étrangère, la politique nationale et la politique internationale, Brighi apporte une contribution à la fois théorique et empirique dans l’analyse de la politique étrangère qu’elle définit comme l’ensemble des relations d’un acteur indépendant (souvent l’État) par rapport à son environnement exté-rieur (p. 2). En effet, à travers les cinq chapitres de ce livre, Brighi expose d’abord la manière dont les différentes théories en Relations internationales présentent l’interaction entre la poli-tique étrangère, la politique nationale et internationale, pour ensuite mieux illustrer comment l’approche straté-gique relationnelle permet de com-prendre la manière dont la politique nationale et les relations internatio-nales ont influencé la politique étran-gère de l’Italie depuis plus d’un siècle.

Concernant le débat théorique présenté dans le premier chapitre, l’au-teure distingue trois grands ensembles de modèles théoriques généralement utilisés dans l’analyse de politique étrangère. Il y a d’abord les approches monocausales qui réduisent les déter-minants de la politique étrangère à la politique internationale (le néoréalisme

par exemple) ou à la politique natio-nale (la théorie de la paix démocra-tique, par exemple) (p. 27). Il y a ensuite les approches dualistes (le jeu à deux niveaux, par exemple) qui s’op-posent aux approches monocausales et qui considèrent que les actions en matière de politique étrangère résultent de la combinaison de facteurs à la fois nationaux et internationaux (p. 28). Il y a enfin les approches dialectiques qui abordent l’interaction entre la politique nationale et la politique internationale comme un phénomène assez complexe avec des actions et rétroactions entre les différents niveaux que sont l’agent et la structure (p. 33).

Ces approches dialectiques sont l’approche morphogénétique et l’ap-proche stratégique relationnelle. Pour l’approche morphogénétique dévelop-pée par Margaret Archer, la relation entre l’agent et la structure ne serait pas co-constitutive comme le présente notamment le constructivisme ; elle serait plutôt séquentielle. Ainsi, la structure qui précède l’agent se trouve dans un domaine temporel différent de celui-ci et constitue l’environnement dans lequel les agents sont en interac-tion. Cette interaction peut aboutir à une reproduction de la structure (mor-phostasis) ou à une transformation de celle-ci (morphogenesis) (p. 34).

Quant à l’approche stratégique relationnelle sur laquelle se base l’au-teure et qui a été développée par Bob Jessop, Colin Hay et David Marsh, elle postule que l’interaction entre la struc-ture et l’agent est non seulement rela-tionnelle, c’est-à-dire co-constitutive, mais elle est également dialectique, c’est-à-dire qu’on ne peut pas la réduire à la somme des facteurs struc-turels et agentiels analysés séparément.

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Cette dynamique s’opère à travers un processus de « double internalisation » (p. 36) de l’agent par la structure et de la structure par l’agent. Ainsi, l’agent qui est un acteur stratégique ayant des intérêts et des préférences opère dans un contexte de sélectivité stra-tégique qui favorise certaines straté-gies par rapport à d’autres. Selon cette approche, le discours constitue le facteur intermédiaire entre les acteurs et leur environnement. Par conséquent, c’est en interprétant le contexte dans lequel ils évoluent que les acteurs vont adopter la stratégie parmi celles qui sont disponibles pour réaliser leurs préférences. L’élaboration de la poli-tique étrangère d’un État repose donc sur l’interaction dialectique entre les stratégies des acteurs au niveau natio-nal, le contexte international et le dis-cours. Pour Brighi, la pertinence de l’approche stratégique rationnelle pour analyser l’interaction entre la politique étrangère, les relations internationales et la politique nationale réside dans le fait qu’elle est à la fois systémique et relationnelle. De plus, contrairement aux approches monocausales et dua-listes, elle permet de comprendre le changement de politique étrangère.

Dans les quatre chapitres sui-vants, l’auteure étudie la politique étrangère de l’Italie durant quatre périodes : l’âge libéral (1901-1922), la double décennie fasciste ou ven-tennio fascista (1922-1943), la pre-mière République (1943-1992) et la seconde République (1992-2011). Pour chacune de ces périodes, Brighi expose la manière dont la politique étrangère italienne a été la résultante de l’inte-raction dialectique entre les relations internationales et la politique nationale

italienne par le discours. Il en ressort pour l’auteure que l’approche stra-tégique relationnelle est la meilleure approche pour saisir toute la com-plexité de l’élaboration et de l’applica-tion de la politique étrangère de l’Italie durant un siècle à travers l’interaction entre les relations internationales et la politique nationale.

S’il y a un mot qui pourrait quali-fier l’ouvrage d’Elisabetta Brighi, c’est le mot originalité. Originalité dans le cas simple étudié, mais aussi dans la présentation et l’application de l’ap-proche stratégique relationnelle. Il faut également rappeler que, pour chaque période, l’auteure présente la manière dont chacune des trois approches (monocausale, dualiste et dialectique) aborde la politique étrangère italienne, ce qui permet au lecteur de comprendre davantage les différences entre ces approches. Toutefois, on peut regretter l’absence de tableaux récapitulatifs des déterminants de la politique étrangère italienne à chaque période, ainsi que celle d’une partie précisant et justifiant davantage la méthodologie.

En définitive, au-delà de la mul-ticausalité et de la complexité de la politique étrangère qu’il présente, cet ouvrage lance le débat sur la contri-bution épistémologique de l’approche stratégique relationnelle qui souligne l’influence de facteurs matériels et idéationnels dans la définition de la politique étrangère. Dans ce sens, ce livre peut être considéré comme une contribution au débat entre positivisme et postpositivisme.

Mamadou Lamine SaRRUniversité Laval, Québec

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Leadership and Transformative Ambition

in International Relations

mark a. MEnALDo, 2013, Northampton, MA, edward elgar,

192 p.

Certains travaux de recherche en rela-tions internationales (Ri) présentent un coefficient d’originalité tellement élevé qu’ils suscitent beaucoup de curiosité et de réflexion. C’est le cas de l’ouvrage publié par Menaldo sous le titre Leadership and Transformative ambition in international relations. Cet ouvrage multidisciplinaire s’inscrit dans le sillage des travaux traitant du leadership en politique intérieure des États, en politique étrangère (PE) et en Ri. Plus précisément, l’auteur s’at-taque à un projet ambitieux dont l’un des objectifs consiste à comprendre et à expliquer comment les changements survenant en PE, et dans une large mesure en RI, sont en grande partie le résultat des ambitions politiques des leaders nationaux ainsi que de leur habileté politique, notamment lorsque vient le temps de convaincre leurs peuples ou leurs homologues étran-gers au sujet du sort à réserver à cer-tains enjeux de société. Alors que les théories rationalistes et psychologiques des Ri ou de PE ont longtemps limité l’explication du comportement inter-national des États soit aux contraintes structurelles du système internatio-nal, soit aux contraintes stratégiques internes ou à la psychologie des déci-deurs, cet ouvrage vient rompre avec la tradition établie en proposant une approche alternative, qui repose sur ce que l’auteur appelle la théorie de l’am-bition transformationnelle (theory of transformative ambition).

Selon cette théorie, la politique étrangère des États ayant à leur tête des leaders magnanimes dotés de grandes ambitions politiques (ambitions trans-formationnelles) ne serait pas influen-cée par quelque contrainte que ce soit. Non seulement ces leaders réussiraient à transcender les contraintes associées à l’ordre interne et international – en se servant de leur habileté politique ainsi que des capacités institutionnelles de leurs États –, mais ils parviendraient également à modifier les règles du jeu politique, et ce, exclusivement en fonction de leurs désirs personnels ou des perceptions qu’ils se font de ce que devrait être la réalité nationale et internationale. Sur le plan national, de tels leaders seraient mus par plusieurs ambitions, dont la mise en place d’un nouveau régime politique, la promo-tion des valeurs libérales ou la volonté d’élever leur pays au rang de (super)puissance. Sur le plan international, leurs ambitions se manifesteraient à travers la guerre, la diplomatie, la conquête de nouveaux empires ou l’instauration d’un nouveau régime international. C’est au nom de ces diverses ambitions qu’ils chercheraient constamment à réorganiser les institu-tions nationales malgré les contraintes internes et externes, à proposer de nouvelles politiques ou doctrines de manière à insuffler une nouvelle dyna-mique au sein de leurs sociétés res-pectives et, par voie de conséquence, à transformer le système international.

Afin de souligner la pertinence heuristique de son étude, Menaldo procède d’abord à une revue critique de la littérature sur la question de l’am-bition politique telle qu’elle est envi-sagée entre autres par les théories des Ri et de PE. C’est notamment dans ce

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cadre qu’il réévalue minutieusement les contributions de la théorie néo-réaliste, de la théorie de l’interaction stratégique et des théories centrées sur la personnalité des leaders. Il ressort de son analyse que toutes ces théories pèchent respectivement, à des degrés divers, par réductionnisme. En consi-dérant par exemple l’ambition politique comme étant une donnée immuable et prédéterminée, notamment en raison de la nature anarchique du système international qui contraindrait tous les leaders à réfléchir en termes de sécurité, le néoréalisme pécherait par son incapacité à analyser les diffé-rents types et degrés d’ambitions qui façonnent pourtant différemment les chemins menant vers l’équilibre des puissances. Il en est de même pour la théorie de l’interaction stratégique développée par Bueno de Mesquita et ses collègues (2003). En postulant que les ambitions politiques des leaders nationaux ne sont dictées que par la configuration des intérêts des groupes dominants qui les aident à se mainte-nir au pouvoir, elle ne permettrait pas d’envisager une autre forme d’ambition politique, celle-là même qui va au-delà de la seule nécessité de se maintenir au pouvoir. Quant à l’approche centrée sur la personnalité, Menaldo estime qu’elle ne permet pas d’avancer l’hypothèse qu’un leader puisse agir librement lors-qu’elle prétend que les ambitions des leaders sont toujours dictées par leur idiosyncrasie.

Toutes ces lacunes servent ainsi de prétexte à Menaldo pour s’intéresser particulièrement aux théories du lea-dership moral et politique, tant elles semblent plus proches théoriquement et empiriquement des réalités qu’il décrit tout au long de l’ouvrage. Finalement,

plusieurs études de cas portant sur des leaders tels qu’Otto von Bismarck, Woodrow Wilson, Charles de Gaulle et Périclès sont mises à profit pour véri-fier l’opérationnalité de la théorie de l’ambition transformationnelle.

Au total, cet ouvrage représente une contribution remarquable à l’étude du comportement des hommes d’État tant à l’échelle nationale qu’interna-tionale. En essayant de démontrer que les leaders faisant preuve de magnani-mité et de grandes ambitions dépassent généralement les contraintes asso-ciées à l’ordre interne et international, puis modifient à leur gré les règles du jeu politique, Menaldo introduit une approche originale qui devrait stimuler la réflexion en Ri et en PE. Toutefois, il aurait été plus intéressant que l’auteur élabore un cadre concep-tuel et analytique beaucoup plus clair et précis, de manière à en faciliter l’évaluation. Par exemple, l’auteur ne nous dit pas clairement quelles sont les conditions à observer pour qu’un leader soit considéré comme ayant des ambitions politiques transforma-tionnelles. Si, au regard des multiples références faites tout au long de l’ou-vrage aux « grandes ambitions » et à la « magnanimité » des leaders, on peut soupçonner que ces deux critères font partie des conditions à prendre en compte, il reste que l’auteur ne précise à aucun moment si elles sont toutes deux des conditions nécessaires et suffisantes pour conclure à la présence d’un leader doté d’ambition transfor-mationnelle. De même, qu’en est-il du leader qui ne remplit que de temps en temps l’une de ces conditions ? Est-il pour autant doté d’ambitions trans-formationnelles ? Comment, finale-ment, mesurer de telles ambitions ?

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En l’absence de telles clarifications, la proposition théorique de Menaldo peut soulever quelques interrogations, mais cela n’altère en rien l’originalité de son étude.

Cyprien baSSamagnE moUgnokUniversité Laval, Québec

Vaincre Al-Qaïda. Le défi d’Obama

Gilles vAnDAL et sami Aoun, 2014, outremont, athéna, 363 p.

Le livre de Vandal et Aoun a pour objectif d’analyser l’évolution d’Al-Qaïda et du réseau terroriste établi par ce groupe extrémiste né de la branche sunnite de l’islam. Les auteurs remettent également en question les stratégies et les tactiques appliquées par le gouvernement américain pour combattre ce réseau. En particulier, il s’agit pour eux d’examiner la politique et les décisions de l’administration Obama pour faire face à ce qu’on peut appeler le plus grand danger du monde d’aujourd’hui.

Rédigé en dix chapitres, une introduction et des conclusions, l’ou-vrage offre une vue très claire et un état de situation complet sur ce type de terrorisme. Chaque chapitre porte sur une des branches de ce réseau presque mondial, puisqu’il est présent en Asie, au Moyen-Orient, en Afrique. Désormais, il menace aussi la Méditerranée, les pays d’Europe occi-dentale, les États-Unis et le Canada.

La politique d’Obama est analy-sée dans l’introduction, où sont souli-gnées à la fois les sources idéologiques et politiques de la pensée de l’actuel président sur la politique étrangère

et la façon dont celle-ci se distingue de la pensée du précédent chef de la Maison-Blanche.

Trois facteurs expliquent la nou-velle politique d’Obama : le réalisme chrétien, d’après Reinhold Niebuhr, la notion de « guerre juste » et le remplacement de la guerre contre le terrorisme menée par son prédéces-seur. Parmi les moyens mis en œuvre, notons la prédominance de l’emploi de drones. De nombreux juristes s’interrogent sur la légalité de l’uti-lisation de ces instruments de guerre qui touchent non seulement les terro-ristes, mais aussi des civils innocents. D’autant plus qu’à partir de 2009 Obama a décidé la mise à mort même des citoyens américains prétendument impliqués dans des actes terroristes ou soupçonnés d’appartenir aux branches du mouvement terroriste.

Le point de départ du terrorisme d’Al-Qaïda fut la guerre de l’Afgha-nistan contre l’invasion soviétique. Cette lutte, financièrement et maté-riellement soutenue par les États-Unis, notamment par la création d’une armée à composante musulmane multinationale, était principalement sunnite. Cette « création » a conduit progressivement à la naissance d’un réseau de groupes nationaux d’extré-mistes islamiques. Lorsque ces com-battants sont retournés dans leurs pays d’origine – la Somalie, le Pakistan, le Yémen, l’Arabie saoudite, la Libye, l’Irak, la Syrie, l’Algérie, le Maroc, le Qatar, la Tunisie, le Mali, le Kenya, l’Afghanistan, etc. –, leur objectif a été de créer, dans chacun de leurs pays, un État islamique sunnite fondé sur l’ap-plication de la charia.

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Par la suite, ces combattants se sont directement engagés dans une guerre visant à transformer leur cause en un différend de dimensions inter-nationales, dont l’instrument militaire principal est le terrorisme.

Depuis plus de vingt ans, les groupes extrémistes islamistes ont su adapter leur discours pour lui donner une résonance locale afin de pouvoir convaincre des sympathisants dans la population d’adhérer à leur cause, ce qu’ils ont réussi.

En lisant les divers chapitres du livre on peut voir les trois erreurs majeures de la politique étrangère américaine à l’égard d’Al-Qaïda et même par rapport à la pensée tra-ditionnelle des autres pays musul-mans. La première est la guerre en Afghanistan, qui a attisé l’antago-nisme d’une grande partie du monde contre les États-Unis et, en particu-lier, chez les peuples sunnites. Cette guerre a permis la formation de mil-liers de combattants maintenant dotés d’une grande expérience militaire. La deuxième erreur est l’invasion de l’Irak, parce qu’elle a affaibli la lutte contre l’extrémisme musulman en Afghanistan et parce qu’Al-Qaïda n’a alors plus été une priorité pour l’admi-nistration Bush. La troisième erreur, ce sont les actions envers la Somalie : le soutien à l’invasion éthiopienne a été un facteur très important dans la radi-calisation du groupe d’Al-Shabaab, une organisation locale qui s’est trans-formée en une armée internationale au centre de laquelle se retrouvent les combattants d’Al-Qaïda.

En s’alignant sur Al-Qaïda à partir de 2008, Al-Shabaab a poursuivi un nouvel objectif : passer d’une lutte

régionale à une guerre globale contre l’Occident. D’autant plus qu’au-jourd’hui le Sahel est décrit comme le prochain Afghanistan, s’ajoutant aux deux autres théâtres régionaux du conflit : l’Afghanistan et l’Irak-Syrie.

Le livre est bien plus que son titre : il nous semble une excellente recherche sur l’extrémisme musul-man, dont une des faces est Al-Qaïda. Les analyses qu’il contient montrent les nouveaux défis mondiaux nés des stratégies d’Al-Qaïda ainsi que des erreurs des États-Unis et de leurs alliés. L’ouvrage de Vandal et Aoun décrit ainsi ce qui est maintenant l’une des plus terribles tragédies de l’humanité. Et aucune perspective de solution à l’extrémisme musul-man d’origine sunnite ne s’annonce, puisque l’Occident ainsi que les chiites (et même d’autres gouvernements sunnites) sont considérés comme des hérétiques par ces groupes extrémistes.

Cependant, ainsi que le signalent Vandal et Aoun, l’opposition idéolo-gique et théologico-politique entre chiites et sunnites ne représente pas un obstacle insurmontable, comme le montre la coopération périodique entre la République islamiste d’Iran et Al-Qaïda.

En somme, voici un livre fonda-mental pour bien connaître le monde d’aujourd’hui et celui à venir.

Raúl bERnaL-mEzaUniversidad Nacional del Centro

de la Provincia de Buenos aires argentine

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réGioNaLisme eT réGioNs amériques

Security in South America. The Role of States

and Regional Organizations

rodrigo tAvArEs, 2014, Boulder, Co, Lynne rienner, 292 p.

Depuis le début des années 2000, les dirigeants de l’Amérique du Sud pro-fitent de chaque occasion pour procla-mer que la région est une « zone de paix ». La réitération de cette proposi-tion est même devenue un postulat dans l’analyse de certains chercheurs. Dans security in south america. The role of states and regional organizations, Tavares remet en question cette propo-sition et conclut qu’une telle affirma-tion n’est valide que si l’on utilise une acception traditionnelle et limitée de la sécurité. L’argument principal de l’ou-vrage est que la fin de la guerre froide a bouleversé les paramètres de la sécu-rité et que l’on ne peut pas avoir une vision complète de la situation dans la région sans considérer les nouvelles menaces.

La conception traditionnelle de la sécurité concerne la survie de l’État. Celle-ci est garantie lorsqu’on ne reconnaît pas d’autre autorité suprême dans le territoire que celle de l’État et de son armée, au besoin. Ainsi, le cas classique de menace prend la forme de violation de la souveraineté d’un État par d’autres États. Dans la région, la dernière guerre entre États remonte à 1995, entre le Pérou et l’Équateur ; pourtant, cette vision traditionnelle de la sécurité est encore dominante. Or, la région n’est pas aussi pacifique qu’on le proclame, même lorsqu’on utilise les termes traditionnels de la sécurité.

En effet, l’auteur signale l’existence de neuf conflits armés « mineurs » – c’est-à-dire des luttes faisant plus de 25 morts mais de moins de 1000 par année. On peut penser, par exemple, aux cas des Forces armées révolu-tionnaires de Colombie (FARC) ou du sendero Luminoso au Pérou. De plus, la région souffre de quelques conflits non armés : différends entre États ou à l’intérieur d’un même État et qui ont entraîné moins de 25 morts au cours d’une année. C’est le cas des 11disputes territoriales et des 19 crises politiques domestiques qui ont eu lieu depuis la fin de la guerre froide et qui ont provoqué de l’instabilité insti-tutionnelle ou une rupture de l’ordre démocratique. Bref, l’auteur insiste sur la nécessité de nuancer l’approche qui fait rimer l’absence de l’exercice ouvert de la violence entre États avec l’absence de conflits et, en consé-quence, avec la paix. En fait, certaines relations bilatérales sont particulière-ment tendues, notamment en raison des disputes frontalières non résolues.

Dès lors, après la fin de la guerre froide, la conception traditionnelle de la sécurité est devenue insuffisante pour bien saisir les problèmes réels de sécurité. C’est pour cette raison qu’une analyse complète de la sécurité doit désormais inclure la notion de la sécurité humaine. Celle-ci concentre son attention sur les personnes plutôt que sur les États et se penche sur les menaces dites non traditionnelles, dont le trafic de drogue, le crime organisé, le terrorisme, les risques environnemen-taux ou la sécurité alimentaire. Ces types de menaces ne connaissent pas de frontières ni d’origine étatiques, et la capacité militaire se révèle moins effi-cace, voire inutile, pour les affronter.

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Lorsqu’on adopte cette perspective, l’Amérique du Sud est donc loin d’être une zone libre de toute menace. Par exemple, alors que le taux d’homicide intentionnel a baissé ou s’est stabilisé dans le reste du monde, il a augmenté de 11 % dans la région et se situe ainsi bien au-delà de la moyenne mondiale ; 36 % des homicides commis sur la planète se produisent en Amérique du Sud. Cela montre que le plus grave problème de sécurité des citoyens sud-américains est associé à ce type de menaces. Malgré tout, la sécurité humaine n’obtient qu’une attention secondaire de la part des dirigeants de la région.

Dans ce contexte, l’auteur analyse comment les acteurs four-nisseurs de sécurité – les États et les organisations régionales – identifient les problèmes de sécurité, proposent des politiques pour les affronter et coordonnent leurs actions. L’analyse se limite à certains États – ceux qui façonnent le complexe de sécurité régional, à savoir l’Argentine, le Brésil, le Chili, la Colombie et le Venezuela – et aux organisations possédant la capa-cité légale pour entreprendre des activi-tés liées à la sécurité. L’auteur conclut que les organisations régionales révèlent une faible capacité à gérer les conflits traditionnels et que leurs réactions dépassent rarement les décla-rations de soutien ou de répudiation. En ce qui concerne les menaces non traditionnelles, ces entités montrent une forte divergence entre leur capa-cité légale d’identifier les problèmes et leur capacité opérationnelle de les résoudre. Ainsi, les États sont les four-nisseurs quasi exclusifs de sécurité, tra-ditionnelle et humaine. Toutefois, les États de la région n’ont généralement

pas les capacités nécessaires pour garantir l’ordre civil et la protection, tant en ce qui concerne la sécurité de l’État que celle des citoyens. Par ail-leurs, les menaces les plus graves sont de nature transnationale, ce qui rend indispensable la coopération entre ces mêmes États.

L’ouvrage réussit à montrer l’Amérique du Sud comme un espace défini par un ensemble de relations bilatérales, que les diverses traditions et orientations politiques peuvent ren-forcer ou affaiblir. L’auteur parvient également à illustrer la superposition des organisations régionales ainsi que leur capacité restreinte d’action. Dans ce dernier cas, l’analyse est toutefois moins poussée et elle reste superficielle par endroits. En outre, certains cas de conflits non armés correspondent mal à une telle caractérisation. Malgré tout cela – et quelques omissions dans la bibliographie –, l’ouvrage est convain-cant en ce qui a trait à la nécessité de se méfier de la proclamation de l’Amérique du Sud comme étant une « zone de paix ».

Nicolas FaLomiR LoCkhaRTUniversité Laval, Québec

réGioNaLisme eT réGioNs europes

Globalization and EU Competition Policy

Umut AyDin et Kenneth P. tHoMAs, 2014, Londres et New York,

routledge, 156 p.

Les auteurs de Globalization and eU Competition Policy cherchent à expli-quer le fonctionnement de la politique

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de concurrence de l’Union européenne. Ils décrivent comment les instruments de cette politique ont évolué dans la dernière décennie. Trois facteurs, selon eux, ont influencé les questions de concurrence en Europe. Il s’agit de l’interdépendance économique accrue, de la prolifération des régimes natio-naux de concurrence et de la crise financière et économique qui a débuté en 2008.

Les auteurs du chapitre d’intro-duction, Umut Aydin de la Pontificia Universidad Catolica du Chili et Kenneth P. Thomas de l’University of Missouri à St. Louis, se penchent sur les défis auxquels doit faire face la politique de concurrence de l’Union européenne. Il faut savoir que cette politique consiste à garantir que les entreprises se livrent une concurrence loyale sans qu’interviennent des béné-fices ou des avantages injustifiés. La compétition doit être basée essentiel-lement sur les produits et les prix. Cette politique a pour prémisse que la concurrence entre les entreprises profite aux consommateurs, car des produits de meilleure qualité voient le jour et les prix baissent.

Les auteurs appuient leur réflexion sur les travaux de Robert Keohane et de Joseph Nye et sur la théorie de l’interdépendance écono-mique complexe. L’interdépendance aurait accru la compétition entre les gouvernements pour attirer les inves-tissements au sein de l’Union euro-péenne. L’interdépendance aurait aussi stimulé l’usage plus fréquent, par les pays tiers, de pratiques telles que le recours à des cartels internationaux et les fusions d’entreprises. Il serait éga-lement devenu plus difficile de com-battre les pratiques déloyales.

Les onze auteurs des huit cha-pitres de ce livre sont des politologues. Ils abordent les questions de concur-rence du point de vue de la science poli-tique et se penchent sur les institutions qui interviennent dans les questions de concurrence en Europe. Chacun des auteurs de ce livre décrit habile-ment de quelle façon la Commission européenne, qui est l’organe chargé de faire respecter la politique de concur-rence, a composé avec ses défis. Il faut savoir que de nombreux dossiers de concurrence sont traités par la Commission européenne. Ils touchent divers secteurs économiques, des pro-duits de consommation courante et également des matériaux. Soulignons que les textes offrent une perspective historique et situent l’évolution des politiques européennes depuis le traité de Rome de 1957. Les auteurs, forts de leur analyse, réfléchissent aux ten-dances se dessinant dans les politiques de la Commission européenne.

Lee McGowan et Eleanor J. Morgan, de l’Université Queen’s à Belfast, signent un chapitre consacré à la lutte aux cartels. L’analyse est bien documentée. Chad Damro de l’Université d’Édimbourg et Terrence Gay de l’Université Pennsylvania State ont pour leur part produit un texte qui se penche sur les fusions d’entreprises et les acquisitions transfrontalières. Leur chapitre souligne l’absence de poli-tique de contrôle des fusions dans les premières décennies de l’effort d’inté-gration européen. Ce chapitre, comme les autres, offre une analyse concrète et bien ancrée dans les travaux théoriques sur l’institutionnalisme et l’intégration. Le livre s’achève par une analyse de Umut Aydin sur la promotion de la concurrence et la place de l’Europe

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dans l’ordre économique mondial. Aydin soutient que la Commission européenne poursuit trois objectifs principaux en matière de politique de concurrence en relation avec l’étranger. D’abord, la prévention de pratiques déloyales se produisant à l’extérieur de l’Europe qui pourraient influencer le marché européen. Ensuite, l’ouverture des marchés étrangers pour les com-pagnies européennes. La Commission, enfin, veille à ce que les compagnies reçoivent un traitement équitable en matière de règles antitrust destinées à prévenir ou à réduire la prépondérance monopolistique. Plusieurs moyens ont été employés par la Commission euro-péenne, dont le multilatéralisme sous l’égide de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Cette approche a été particulièrement utilisée de 1993 à 2010. L’échec apparent du cycle de Doha a engendré une seconde démarche, soit l’unilatéralisme, qui se manifeste par l’application extraterri-toriale des règles européennes. Cette façon de faire n’est toutefois efficace qu’avec les partenaires commerciaux sensibles aux incitatifs que peut offrir l’accès au marché européen. Enfin, Umut Aydin traite de l’approche bila-térale visant la négociation d’ententes en matière de concurrence avec des partenaires économiques de l’Europe.

Le livre montre que l’UE a mis en oeuvre diverses stratégies de façon à stimuler la compétition et à endi-guer les comportements déloyaux. Les outils mis en place par l’Europe sont complexes et varient en fonction des acteurs avec lesquels elle doit composer. Il nous semble que cette publication aurait bénéficié d’une plus grande attention à la politique commer-ciale. Cela aurait placé les politiques

de concurrence dans un contexte plus large. Précisons que cet ouvrage a été publié d’abord comme numéro spécial du Journal of european integration en septembre 2012. Aucun change-ment n’a été apporté aux textes depuis cette publication dans la revue. La monographie demeure tout aussi perti-nente, mais il aurait été utile de mettre certains éléments à jour ou de pro-poser une révision de l’introduction. L’analyse est néanmoins bien menée et chacun des chapitres contribue de façon significative à ce champ d’études complexe. Le livre s’adresse aux lec-teurs spécialisés dans les questions d’économie politique internationale, aux chercheurs en relations internatio-nales et aux analystes des politiques économiques de la Communauté européenne.

Jean-François FoRTinConseil de recherches en sciences humaines

du Canada (CrsH) ottawa