débat sur la question des êtres de là-bas de l'antiquité à

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HAL Id: dumas-02382877 https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-02382877 Submitted on 27 Nov 2019 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. Débat sur la question des êtres de là-bas de l’Antiquité à aujourd’hui Julien Vandeputte To cite this version: Julien Vandeputte. Débat sur la question des êtres de là-bas de l’Antiquité à aujourd’hui. Philosophie. 2019. dumas-02382877

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Page 1: Débat sur la question des êtres de là-bas de l'Antiquité à

HAL Id dumas-02382877httpsdumasccsdcnrsfrdumas-02382877

Submitted on 27 Nov 2019

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Deacutebat sur la question des ecirctres de lagrave-bas de lrsquoAntiquiteacute agraveaujourdrsquohui

Julien Vandeputte

To cite this versionJulien Vandeputte Deacutebat sur la question des ecirctres de lagrave-bas de lrsquoAntiquiteacute agrave aujourdrsquohui Philosophie2019 dumas-02382877

Deacutebat sur la question des ecirctres de lagrave-bas de lrsquoAntiquiteacute agrave aujourdrsquohui

Julien Vandeputte

Meacutemoire de Master 1

Mention Philosophie

Speacutecialiteacute Histoire de la philosophie et meacutetaphysique

Sous la direction de Mme Claire Louguet

Anneacutee universitaire 2018-2019

1

SOMMAIRE

INTRODUCTION4

Chapitre 1 Le De Caelo I 9 problegravemes lectures et analyses11

11 Aristote et le ciel12 111 Les trois sens du mot ciel12 112 Le corps du ciel lrsquoeacuteleacutement divin et le mouvement du corps ceacuteleste15

12 Platonisme et aristoteacutelisme sur lrsquouniciteacute du monde Du Timeacutee au De Caelo I 921 121 Lrsquouniciteacute du monde dans le Timeacutee de Platon21 122 Aristote en De Caelo I 9 analyse des arguments en faveur de la pluraliteacute des cieux pour deacutefendre la theacuteorie platonicienne de lrsquouniciteacute du monde25123 Aristote en De Caelo I 9 arguments aristoteacuteliciens en faveur de lrsquouniciteacute du ciel27

Chapitre 2 Deacutebat sur la question des ecirctres de laquo lagrave-bas raquo durant lrsquoAntiquiteacute Aristote agrave Simplicius31

21 Compreacutehension antique du laquo τἀκεῖ raquo du De Caelo au commentaire de Simplicius32

211 τἀκεῖ De Caelo I 9 279a15-b332 222 Le commentaire perdu drsquoAlexandre possibles reacuteponses au problegraveme du laquo τἀκεῖ raquo36213 Compreacutehension et hypothegravese de Simplicius sur les ecirctres de lagrave-bas38

Chapitre 3 Interpreacutetations modernes du De Caelo I 9 La question du τἀκεῖ premier moteur reacutealiteacutes hyper-cosmiques ou sphegravere des fixes reacutealiteacutes ceacutelestes 43

31 Le problegraveme de la continuiteacute argumentative du Livre I 944 311 La discontinuiteacute du sujet en faveur de la transcendance du τἀκεῖ44312 La continuiteacute du sujet en faveur des reacutealiteacutes ceacutelestes50

32 Le lieu des corps ceacutelestes lrsquoabsence de lieu du τἀκεῖ54 321 Lrsquoabsence de lieu en faveur de la reacutefeacuterence ceacuteleste54

322 Lrsquoabsence de lieu comme caracteacuteristique drsquoun ecirctre transcendant le ciel5933 Deacutepassement des deux alternatives traditionnelles de lrsquointerpreacutetation du takei64

331 Lrsquoeacutether hypercosmique de Peacutepin643 3 2 La theacuteorie des Moteurs Immobiles une variante originale de la reacutefeacuterence au Premier Moteur Immobile70

CONCLUSION76

BIBLIOGRAPHIE80

2

3

INTRODUCTION

DEacuteBAT SUR LA QUESTION DES EcircTRES DE LA-BAS DE LrsquoANTIQUITEacute A

AUJOURDrsquoHUI

Comprendre qui sont laquo les ecirctres de lagrave-bas raquo trancher entre lrsquohypothegravese de leurtranscendance et celle de leur identiteacute astrale ce serait un peu parvenir agrave deacuteterminer si lacosmologie du DC recouvre parfaitement lrsquoensemble du reacuteel ou bien si elle laisse ouvertela possibiliteacute qursquoil existe certaines reacutealiteacutes hypercosmiques1

Lrsquoarticle de Fabienne Baghdassarian intituleacute laquo Aristote De Caelo I 9 lrsquoidentiteacute des

laquo ecirctres de lagrave-bas raquo srsquointeacuteresse agrave la notion de takei dans un passage fort obscur du De Caelo I

9 (279a18)2 Cette expression grecque takei est la contraction de ta ekei qui signifie laquo les de

lagrave-bas raquo ou encore laquo les ecirctres les choses de lagrave-bas raquo Fabienne Baghdassarian affirme qursquoil

existe peu de textes dans le corpus aristoteacutelicien agrave propos de reacutealiteacutes qui se situeraient au-delagrave

du ciel La question qui lrsquointeacuteresse deacutes lors est la suivante ce passage du De Caelo I 9 est-il

lrsquoun de ceux qui attestent lrsquoexistence de reacutealiteacutes qui transcenderaient lrsquoordre ceacuteleste Les

takei renverraient-ils agrave ces reacutealiteacutes extra-mondaines Fabienne Baghdassarian srsquoemploie alors

agrave analyser le texte et agrave examiner les diffeacuterentes positions dans lrsquointeacuterecirct de faire lrsquoeacutetat des lieux

des interpreacutetations concernant la question des ecirctres de lagrave-bas De plus elle expose en quelques

lignes lrsquoimportance du problegraveme particulier qui nous inteacuteresse agrave savoir celui de la reacutefeacuterence

aux laquo ecirctres de lagrave-bas raquo et lrsquoimportance deacutecisive qursquoil a au regard de la cosmologie du De

Caelo En effet le ciel est deacutefini de trois maniegraveres par Aristote3 et lrsquoune de ces maniegraveres est la

suivante laquo nous avons coutume drsquoappeler laquo ciel raquo la totaliteacute ou le Tout raquo Srsquoil nrsquoy a rien en

dehors du ciel cela implique dans un premier temps que le τἀκεῖ ne fait pas reacutefeacuterence agrave

quelque chose en dehors du ciel et dans un second temps que la cosmologie aristoteacutelicienne

englobe la totaliteacute du reacuteel et de ce qui existe puisque le ciel est compris comme ce qui

enveloppe la totaliteacute et que la cosmologie est lrsquoeacutetude du ciel En drsquoautres termes si le takei ne

renvoie pas agrave quelque chose de transcendant au ciel alors rien nrsquoeacutechappe agrave celui-ci et la

cosmologie aristoteacutelicienne comme eacutetude du Tout couvre lrsquoensemble du reacuteel

1 Baghdassarian F laquo De Caelo I 9 Identiteacute des ecirctres de lagrave-bas raquo 20112 Aristote De Caelo traduction de Dalimier et Pellegrin p 147-149 Sauf indication contraire nous nous

reacutefeacutererons agrave cette traduction 3 Ibid p143-145

4

Fabienne Baghdassarian manifeste son inclinaison en faveur de la theacuteorie de la

transcendance du takei Il lui semble tout naturel agrave la lecture des indices textuelles selon

lesquels les takei se trouvent au-delagrave de la translation la plus exteacuterieure de le comprendre

comme eacutetant une reacutefeacuterence agrave des ecirctres transcendant lrsquoordre cosmique Neacuteanmoins cette

impression peut ecirctre atteacutenueacutee aux regards des arguments de certains auteurs que nous verrons

tel que ceux drsquoAlexandre drsquoAphrodise de Moraux ou encore de Mugnier dans le

deacuteveloppement de notre propos Lrsquoatteacutenuation de cette premiegravere impression ndash crsquoest-agrave-dire

naturelle drsquoune reacutefeacuterence agrave un ecirctre se trouvant au-delagrave du ciel ndash permet agrave Fabienne

Baghdassarian de rendre compte drsquoun problegraveme complexe qui oppose la lettre mecircme du texte

agrave la structure argumentative du texte Crsquoest en ce sens qursquoelle affirme que lrsquoeacutetude approfondie

de ce texte met dos agrave dos le contenu du texte avec sa structure geacuteneacuterale sans reacuteussir agrave les

accorder Elle affirme que si drsquoun cocircteacute agrave la lecture de ce passage il y a une inclinaison

premiegravere et naturelle en faveur de la theacuteorie de la transcendance du takei la structure geacuteneacuterale

du texte laisse agrave penser que cette theacuteorie nrsquoest pas si eacutevidente dans la mesure ougrave il est

finalement question apregraves llsquoeacutenonceacute de lrsquoexistence drsquoecirctres se situant au-delagrave du ciel du

mouvement circulaire du corps qui se meut en cercle Ces deux objets diffeacuterents du De Caelo

I 9 nous permet de prendre conscience des deux inclinaisons interpreacutetatives possibles dans

laquelle est emporteacutee lrsquointerpreacutetation de la notion de takei En effet il existe deux lignes

interpreacutetatives qui srsquoopposent sur la question de lrsquoidentiteacute des ecirctres de lagrave-bas Drsquoun cocircteacute en

faveur de la transcendance du takei nous trouvons de nombreux auteurs tels que Simplicius

Pellegrin Solmsen ceux-ci ont tendance agrave reconnaicirctre la theacuteorie du Premier Moteur

Immobile dans ce texte Drsquoun autre coteacute en faveur de la reacutefeacuterence ceacuteleste nous trouvons

Alexandre drsquoAphrodise Moraux Mugnier Nous avons choisi de traiter des deux auteurs

antiques qui sont agrave lrsquoorigine des deux grandes interpreacutetations qui srsquoaffrontent et de quatre

auteurs drsquoaujourdrsquohui pour les opposer de maniegravere theacutematique sur les questions suivantes la

discontinuiteacute du passage et lrsquoargument du lieu Mais nous ne nous arrecircterons pas agrave ces

oppositions theacutematiques et proposerons des alternatives agrave cette logique binaire notamment

avec lrsquointerpreacutetation originale de Peacutepin et sa theacuteorie de lrsquoeacutether hypercosmique

Nous y verrons plus clair si comme Fabienne Baghdassarian nous deacutecoupons le

passage qui est lrsquoobjet de notre propos en trois parties Pour la clarteacute de notre discours nous

5

deacutecouperons ce texte de la mecircme maniegravere qursquoelle et nommerons dans lrsquoordre des paragraphes

ces quatre parties 0 A B et C

Il est en mecircme temps clair qursquoil nrsquoy a ni lieu ni vide ni temps en dehors du ciel En toutlieu en effet il est possible qursquoil existe un corps et lrsquoon dit que le vide est ce en quoi ilnrsquoy a pas de corps mais ougrave il est possible qursquoil en vienne un quant au temps crsquoest lenombre drsquoun mouvement et il nrsquoexiste pas de mouvement sans corps naturel Or on amontreacute qursquoen dehors du ciel il nrsquoy a pas et il ne peut pas y avoir de corps Il est doncmanifeste qursquoen dehors de lui il nrsquoy a ni lieu ni vide ni temps

Crsquoest pourquoi les ecirctres de lagrave-bas par nature nrsquoont ni lieu ni temps qui les fasse vieillir etil nrsquoy a pas non plus aucun changement pour les ecirctres qui sont disposeacutes au-dessus de latranslation la plus exteacuterieure inalteacuterables et impassibles ils ont la meilleure et la plusautonome des vies qursquoils megravenent pour toute sa dureacutee

Les Anciens en effet ont divinement parleacute en choisissant ce nom car le terme quienveloppe le temps de la vie de chacun hors duquel on nrsquoest rien selon la nature a eacuteteacuteappeleacute laquo dureacutee de vie raquo de chacun Et pour la mecircme raison le terme du ciel tout entier luiaussi crsquoest-agrave-dire le terme qui enveloppe le temps tout entier et lrsquoinfiniteacute est une dureacuteequi tire son appellation du fait drsquoexister toujours immortelle et divine De lagrave deacutependentpour les autres ecirctres pour les uns de maniegravere plus exacte pour les autres de maniegravere plusindistincte lrsquoecirctre et la vie

Et par exemple dans les travaux de philosophie destineacutes au grand public portant sur lesecirctres divins on deacuteclare souvent en srsquoappuyant sur des raisonnements que tout ecirctre divineacutetant premier et au-dessus des autres est neacutecessairement immuable Qursquoil en aille ainsiteacutemoigne en faveur de ce que nous avons dit En effet il nrsquoy a rien drsquoautre de plus fort quipuisse mouvoir cet ecirctre divin car cela serait plus divin que lui il nrsquoest en riendeacutefectueux et il ne manque drsquoaucun des biens qui lui appartiennent en propre4

Cette coupure du texte montre bien le problegraveme auquel fait face Fabienne

Baghdassarian dans sa lecture si la partie A qui correspond au premier paragraphe semble

naturellement porteacutee sur des ecirctres qui nrsquoont ni lieu ni temps ni corps et qui se situent au-delagrave

de la derniegravere circonfeacuterence du ciel il nrsquoen est pas de mecircme pour la partie B qui correspond

au second paragraphe et la partie C qui correspond au troisiegraveme paragraphe La partie B

introduit lrsquoeacutetymologie du mot grec aion qui se traduit par la dureacutee dans le but de montrer que

lrsquoon peut justifier lrsquoemploi du terme drsquoaion pour deacutesigner le divin Finalement la partie C

apparaicirct comme eacutetant un eacuteloge de lrsquoeacuteterniteacute et de la perfection du corps qui se meut en cercle

puisqursquoAristote affirme que rien nrsquoest plus parfait et plus puissant que lui de sorte que rien ne

peut le mettre en mouvement En drsquoautres termes le corps qui se meut en cercle nrsquoest mucirc par

4 Ibid 279a18-b3

6

rien drsquoautre que lui-mecircme Aristote dans ce texte semble tantocirct prendre pour objet des ecirctres

qui se situent au-delagrave du ciel tantocirct prendre pour objet le corps qui se meut en cercle Le

problegraveme se pose au sujet de lrsquoargumentation geacuteneacuterale en effet la partie A porte sur les takei

qui semblent se situer en dehors du ciel nous lrsquoavons vu alors que la partie C porte sur le

corps ceacuteleste qui se meut en cercle Le contenu de la partie A nrsquoest pas contredit par le

contenu de la partie C toutefois les interpregravetes ignorent si le takei en partie A fait reacutefeacuterence

au divin deacutecrit dans la partie C

Lrsquoarticle de Fabienne Baghdassarian se donne alors comme projet une eacutetude des

interpregravetes sur la question du takei et de son identiteacute Un tel deacutecoupage de texte lui permet

drsquoorganiser son propos en diffeacuterents moments Elle srsquointeacuteresse dans un premier temps agrave la

partie A en confrontant les opinions et les diverses interpreacutetations Fabienne Baghdassarian

cartographie alors le premier type de problegraveme que pose cette partie la traduction et le sens

du geste aristoteacutelicien Certains traduisent huper5 par laquo au-dessus raquo drsquoautres comme Moraux

optent pour la traduction laquo sur raquo A cette question de traduction se mecircle une question de

lexique le terme huper deacutesigne-t-il veacuteritablement ce qui est sur quelque chose Lrsquoauteur de

cet article affirme qursquoAristote est plus enclin agrave utiliser en que uper pour deacutesigner ce qui se

trouve sur la sphegravere des fixes Pour ce qui est du geste drsquoAristote il est compliqueacute de

deacuteterminer quel est lrsquoobjet de ce passage dans la mesure ougrave il attribue positivement un lieu agrave

ce qui ne peut pas en avoir en les deacuteterminant comme se trouvant laquo lagrave-bas raquo crsquoest-agrave-dire

quelque part Fabienne Baghdassarian preacutefegravere voir dans lrsquoutilisation de ces termes qui

deacutesignent un lieu la deacutesignation de ce qui ne se trouve pas dans un lieu dans le but de

souligner sa transcendance au lieu qursquoest le ciel

Dans un second temps Fabienne Baghdassarian montre que la partie B atteacutenue

grandement lrsquoimpression premiegravere drsquoune reacutefeacuterence agrave un ecirctre transcendant le ciel En effet

lrsquoeacutetymologie de lrsquoaion agrave laquelle se reacutefegravere Aristote est aei on qui signifie laquo qui est toujours raquo

Aristote compare alors la vie humaine qui a une fin qui permet de quantifier la dureacutee agrave la vie

du ciel qui lui nrsquoen a pas Ainsi Fabienne Baghdassarian note que lrsquoeacutetymologie de la dureacutee

nrsquoest pas sans rappeler celle de lrsquoeacutether dans le De Caelo I 3 Lrsquoeacutether est lrsquoeacuteleacutement du monde

supralunaire qui compose les astres et le ciel il est de nature divine et a un mouvement eacuteternel

circulaire En ce sens lrsquoeacutether tient son appellation du fait qursquoil court toujours sans srsquoarrecircter

Ce rapprochement entre lrsquoeacutetymologie de lrsquoaion et celle de lrsquoeacutether pousse alors lrsquoauteur agrave

opeacuterer une atteacutenuation dans lrsquoimpression premiegravere de sa lecture il semblerait qursquoAristote a

deacutesormais pris le ciel et les astres composeacutes drsquoeacutether pour objet

5 Ibid 279a20

7

Finalement dans la partie C il est explicitement fait mention du corps qui se meut en

cercle le ciel Ainsi Fabienne Baghdassarian se pose la question de savoir srsquoil est

envisageable qursquoAristote sans crier gare change de sujet ou srsquoil ne parlait depuis le deacutebut

que du ciel et des astres Lrsquoauteur de cet article propose alors de joindre lrsquoensemble du texte

en affirmant qursquoil est possible qursquoAristote reacutecapitule dans la partie C lrsquoensemble de son

argumentation en mettant sur le plan du divin la totaliteacute de son discours dans le sens ougrave il

hieacuterarchise les divins En ce sens la partie A deacutesignerait des reacutealiteacutes transcendantes mais

divines au mecircme titre que lrsquoest le corps qui a un mouvement de translation Pour ce qui est de

lrsquoeacutetymologie de lrsquoaion elle aurait servi agrave montrer la neacutecessiteacute que le mouvement du ciel est

eacuteternel

Cet article de Fabienne Baghdassarian sera le point de deacutepart de notre propos mais le

geste sera quelque peu diffeacuterent du sien En effet Fabienne Baghdassarian par lrsquoanalyse

geacuteneacuterale du passage du De Caelo I 9 qui nous inteacuteresse parvient agrave faire sortir les problegravemes

drsquoordre lexical grammatical deacutefinitionnel et argumentatif pour nous transmettre un panorama

assez large de ce qui gecircne la compreacutehension de la notion de takei Si drsquoune part son travail

nous permet de prendre conscience des problegravemes que pose la notion de takei sans parvenir agrave

nous fournir une reacuteponse trancheacutee de la question de son identiteacute drsquoautre part il nous permet

de prendre conscience des innombrables thegraveses et interpreacutetations possibles des diffeacuterents

traducteurs et commentateurs drsquoAristote Ce que nous ferons sera alors dans la continuiteacute de

ce travail mais plutocirct que de nous contenter de restituer les thegraveses des commentateurs et

interpregravetes nous deacutetaillerons lrsquoargumentation que tiennent ces commentateurs et interpregravetes

Nous ne chercherons pas lrsquoexhaustiviteacute des interpreacutetations en effet nous nous inteacuteresserons

aux arguments de celles que nous traiterons Notre but sera donc de comprendre le contexte

des thegraveses des interpregravetes sur la question du takei et la raison pour laquelle ils en viennent agrave

telle ou telle conclusion Il srsquoagira alors pour nous de faire lrsquoeacutetat des lieux de ce deacutebat en

restituant les problegravemes que pose le texte mecircme ainsi que les problegravemes que posent les

commentateurs et la maniegravere dont ils les traitent pour deacutefendre leurs interpreacutetations

Nous proceacutederons de maniegravere analytique historique mais aussi theacutematique Crsquoest-agrave-

dire que nous proposons drsquoorganiser notre propos en trois grands moments 1) Le De Caelo I

9 problegravemes lectures et analyses 2) Deacutebat sur la question des ecirctres de lagrave-bas durant

8

lrsquoAntiquiteacute drsquoAristote agrave Simplicius 3) Interpreacutetations modernes du De Caelo I 9 La question

du τἀκεῖ premier moteur reacutealiteacutes hyper-cosmiques ou sphegravere des fixes reacutealiteacutes ceacutelestes

Le premier moment est un moment quelque peu introductif dans la mesure ougrave il est

essentiellement constitueacute dans son ensemble drsquoune lecture du De Caelo I et de la theacuteorie du

mouvement des corps selon le milieu Cette explication est une eacutetape importante selon nous

srsquoil est question du takei dans ce chapitre crsquoest dans un certain contexte argumentatif Il nous

faut alors preacutesenter ce contexte argumentatif dans lrsquointeacuterecirct de comprendre pourquoi cette

notion est si complexe et sujette aux deacutebats Ce moment que lrsquoon juge comme eacutetant

analytique nous permettra de nous familiariser avec le lexique aristoteacutelicien et la conception

aristoteacutelicienne de lrsquounivers cela dans le but de manifester les problegravemes que pose

lrsquoapparition de lrsquoexpression takei Nous verrons alors les trois sens qursquoAristote accorde au mot

laquo ciel raquo Nous nous inteacuteresserons ensuite agrave la composition eacuteleacutementaire de ce corps que lrsquoon

appelle le laquo ciel raquo et qui par lrsquoeacuteleacutement divin qui le compose a un mouvement circulaire et

eacuteternel Il srsquoagira ensuite drsquoexpliquer lrsquoargumentation geacuteneacuterale du texte dans lequel apparaicirct la

notion de takei et qui porte sur lrsquouniciteacute de lrsquounivers Pour lrsquoexpliquer nous nous tournerons

drsquoune part vers un argument proposeacute par Platon dans le Timeacutee puis sur lrsquoutilisation

qursquoAristote en fait pour prouver lrsquoexistence drsquoun seul et unique ciel

Le second moment consistera alors en une restitution des thegraveses respectives

drsquoAlexandre drsquoAphrodise et de Simplicius sur lrsquointerpreacutetation de ce passage fort obscur du De

Caelo I 9 dans lequel surgit la notion de takei Nous avons choisi drsquoeacutetudier ces deux

commentateurs dans la mesure ougrave ils sont tous deux agrave lrsquoorigine drsquoune logique binaire de

lrsquointerpreacutetation du texte qui nous inteacuteresse En effet Simplicius est devenu le chef de file de

ceux qui comprennent lrsquoexpression takei comme eacutetant une reacutefeacuterence agrave un ecirctre transcendant le

ciel et plus preacuteciseacutement au Premier Moteur Immobile alors qursquoAlexandre drsquoAphrodise est le

chef de file de ceux qui comprennent le takei comme eacutetant ceacuteleste et plus preacuteciseacutement

comme eacutetant une reacutefeacuterence agrave la sphegravere des fixes Nous commenterons donc lineacuteairement le

passage 279a15-b3 du De Caelo pour comprendre la complexiteacute de cet extrait Ensuite nous

nous inteacuteresserons aux fondements des interpreacutetations drsquoAlexandre drsquoAphrodise et Simplicius

au sujet du takei

Enfin dans le troisiegraveme et dernier moment de notre propos nous exposerons diverses

positions sur la question en explicitant le deacutebat qui les oppose Les positions deacutefendues seront

celles de commentateurs et interpregravetes modernes En effet nous avons choisi de proceacuteder de

maniegravere historique en deacutebutant par les interpreacutetations antique du texte pour ensuite en arriver

aux interpreacutetations modernes Nous proceacutederons de maniegravere theacutematique en choisissant deux

9

angles drsquoattaques diffeacuterents Drsquoabord nous nous preacutesenterons deux interpreacutetations qui

srsquointeacuteressent agrave la continuiteacute (ou discontinuiteacute) du texte en explicitant les arguments qui

favorisent lrsquoideacutee drsquoune reacutefeacuterence agrave un ecirctre transcendant ou agrave un ecirctre ceacuteleste Ensuite nous

exposerons des interpreacutetations qui mettent lrsquoaccent sur le lieu dans la philosophie

aristoteacutelicienne via les œuvres de Mugnier et de Solmsen Enfin nous sortirons de cette

logique binaire en nous tournant vers deux interpreacutetations qui nrsquoidentifient le takei ni avec la

sphegravere des fixes ni avec le Moteur immobile Il srsquoagira des thegraveses de Peacutepin selon laquelle le

takei renvoie agrave lrsquoeacutether hypercosmique et celle de Merlan selon laquelle il est question des

Moteurs Immobiles

10

Chapitre 1 Le De Caelo I 9 problegravemes lectures etanalyses

11

11 Aristote et le ciel

111 Les trois sens du mot ciel6

Le traiteacute Du Ciel drsquoAristote est une œuvre embleacutematique du corpus aristoteacutelicien et

occupe la seconde place apregraves la Physique dans lrsquoensemble des ouvrages aristoteacuteliciens de

science physique Ce traiteacute apregraves la mort drsquoAristote a veacutehiculeacute une image particuliegravere du

cosmos qui est la sienne jusqursquoagrave lrsquoarriveacutee des nouvelles theacuteories cosmologiques et

scientifiques de la Renaissance

Une reacuteflexion est possible agrave partir mecircme du titre de cette œuvre Il est premiegraverement

important de noter que les reacutefeacuterences au De Caelo sont tregraves peu nombreuses dans le corpus

drsquoAristote mais qursquoen plus de cela il ne srsquoy reacutefegravere jamais via cette appellation Nous sommes

alors en droit de nous demander ce que signifie ce titre probablement choisi par un autre

individu qursquoAristote Il apparaicirct comme eacutevident agrave premiegravere vue que le ciel est lrsquoobjet de ce

traiteacute de physique

Nous avons donc traiteacute plus haut du premier ciel et de ses parties ainsi que des astres quisont transporteacutes agrave lrsquointeacuterieur de lui de leurs composantes et de leurs qualiteacutes naturelleset en outre de leur caractegravere ingeacuteneacuterable et incorruptible

Il est important de noter que les deux premiers livres prennent pour objet le monde

supralunaire ou encore le monde au dessus de la Lune crsquoest-agrave-dire le monde ceacuteleste et divin

Quant aux deux derniers livres ils srsquointeacuteressent plutocirct au monde sublunaire ou monde en

dessous de la Lune crsquoest-agrave-dire le monde physique qui est le nocirctre et est explicable par les

quatre eacuteleacutements naturels que sont le feu lrsquoair lrsquoeau et la terre qui le constituent

Nous pouvons alors imaginer gracircce agrave ces informations que le traiteacute Du ciel tel que

nous lrsquoavons entre les mains aujourdrsquohui est une recomposition de deux traiteacutes distincts lrsquoun

portant sur le monde supralunaire lrsquoautre portant sur le monde sublunaire Ce paragraphe

drsquointroduction permet drsquoaffirmer que les deux premiers livres sont agrave distinguer des deux

derniers Mais ce problegraveme nrsquoest pas notre prioriteacute Aussi nous nous inteacuteresserons

principalement aux deux premiers livres qui prennent le ciel pour objet Ce qursquoon appellera

comme eacutetant la laquo premiegravere partie raquo du traiteacute du Ciel sera lrsquoensemble des livres I et II et seront

ceux qui feront en partie lrsquoobjet et le fondement de notre reacuteflexion et de ce meacutemoire

6 Ibid 278b10-25

12

Toutefois nous nous devons drsquoecirctre preacutecis dans notre lecture de ce deacutebut du troisiegraveme

livre En effet il est affirmeacute ici que la premiegravere partie de lrsquoœuvre portait sur laquo le premier ciel

et ses parties raquo7 Mais qursquoest-ce que laquo le premier ciel raquo Et srsquoil y a un premier ciel y en a-t-

il un deuxiegraveme Un troisiegraveme

Pour reacutepondre agrave cette question il nous faut drsquoabord souligner la meacutethode explicative

qursquoutilise Aristote En effet Aristote accorde une importance capitale agrave la deacutefinition des

termes le philosophe est pour Aristote celui qui sait de quoi il parle et sur quel plan il se

place quand il parle Lorsqursquoil utilise un terme ambigu il se doit de lever lrsquoambiguiumlteacute qui

regravegne en deacutefinissant les termes de son propos Crsquoest ainsi que lrsquoon trouve dans le chapitre 9

du livre I une explication des sens du mot laquo ciel raquo comme moment de clarification de ce dont

on parle drsquoune part et drsquoautre part comme moment de lrsquoexplicitation de la meacutethode

aristoteacutelicienne

Disons drsquoabord ce que nous entendons par laquo ciel raquo et combien de sens nous donnons agrave cemot pour que ce que nous cherchons nous devienne plus clair En un sens on appellelaquo ciel raquo la substance de la derniegravere circonfeacuterence du Tout crsquoest-agrave-dire le corps naturel quiest sur la derniegravere circonfeacuterence du Tout Car nous avons coutume de nommer laquo ciel raquolrsquoextreacutemiteacute ndash ce qui est le plus haut ndash dans laquelle reacuteside tout ce qui est divin8

Ce qui deacutefinit le ciel en ce premier sens est ce qui est le plus haut Le cosmos

aristoteacutelicien se repreacutesente sous forme de plusieurs cercles concentriques qui repreacutesentent

drsquoune part des translations sur lesquelles sont poseacutees des astres et drsquoautre part des lieux (le

lieu du mouvement circulaire le lieu du mouvement rectiligne) et le ciel est ce qui est le plus

haut crsquoest-agrave-dire ce qui se situe sur la circonfeacuterence la plus eacuteloigneacutee du centre Aristote

deacutefend une conception geacuteo-centriste du monde il considegravere que ce qui est au centre du

monde est la Terre Donc le ciel est le corps qui est par nature le plus haut En ce sens on le

nommera le laquo premier ciel raquo Mais qursquoest-ce que ce corps Aristote le preacutesente comme eacutetant

une substance une substance est ce qui ne se dit de rien et nrsquoest dans aucun sujet9 en drsquoautres

termes une substance est un ecirctre autonome qui ne deacutepend de rien drsquoautre que de lui-mecircme

pour ecirctre Cette substance est eacutegalement nommeacutee agrave plusieurs reprises dans les œuvres

drsquoAristote sphegravere des fixes Le corps qui se trouve sur la derniegravere circonfeacuterence du Tout est

ce qui est une substance au sens le plus noble et parfait Nous pouvons alors comprendre au

7 Le premier ciel eacutetant lrsquoappellation courante de la sphegravere des fixes crsquoest-agrave-dire lrsquoextreacutemiteacute du ciel 8 ARISTOTE opcit p143-1459 ARISTOTE Les cateacutegories II 2001 Traduction par Bodeuumls

13

travers de cette premiegravere deacutefinition du ciel que la substance dont on parle est constitueacutee de

matiegravere mais pas de nrsquoimporte quelle maniegravere de la plus noble et la plus divine celle-ci

eacutetant lrsquoeacutether nous y reviendrons plus tard Ainsi le ciel en ce sens est un ecirctre corporel la

circonfeacuterence la plus eacuteloigneacutee qui englobe quelque chose drsquoautre qui est nommeacute le laquo Tout raquo

Dans un second sens et agrave la suite de cette premiegravere deacutefinition le ciel est deacutefini comme suit

En un autre sens crsquoest le corps en continuiteacute avec la derniegravere circonfeacuterence du Tout ougrave setrouvent la Lune le Soleil et certains astres car nous disons drsquoeux aussi qursquoils sont dansle ciel10

Ce nouveau sens du mot ciel nous permet de saisir une nouvelle dimension de celui-

ci en effet le ciel nrsquoest pas seulement dit de ce qui englobe quelque chose qui est le laquo Tout raquo

il est aussi dit qursquoil est le corps11 qui est dans la continuiteacute de la sphegravere des fixes crsquoest-agrave-dire

qursquoil est dans la continuiteacute de la circonfeacuterence la plus eacuteloigneacutee qui englobe le laquo Tout raquo et

qursquoon appelle eacutegalement ciel

Cela est justifiable dans la mesure ougrave comme lrsquoaffirme Aristote nous disons des astres

que sont la Lune le Soleil qursquoils sont dans le ciel or ces astres ne se trouvent pas sur la

derniegravere circonfeacuterence du Tout Le ciel ne peut donc pas ecirctre seulement le corps qui est sur

lrsquoextreacutemiteacute de la circonfeacuterence la plus eacuteloigneacutee sinon on ne pourrait pas dire que la Lune et le

Soleil (ainsi que drsquoautres astres) sont dans le ciel Dans un troisiegraveme et dernier sens toujours agrave

la suite des deux premiegraveres deacutefinitions du ciel Aristote affirme que le ciel se dit du Tout

enveloppeacute par la derniegravere circonfeacuterence

De plus en un autre sens on appelle laquo ciel raquo le corps enveloppeacute par la derniegravere circonfeacuterence car nous avons coutume drsquoappeler laquo ciel raquo la totaliteacute ou le Tout12

Cette deacutefinition fait eacutecho aux quelques lignes introductives du livre III Puisque les

deux premiers livres du traiteacute Du ciel portaient sur laquo le premier ciel et ses parties raquo alors il

est possible drsquoaffirmer que le Tout est lrsquoensemble de ce qui est enveloppeacute par la sphegravere des

10 ARISTOTE opcit p143-14511 Le corps naturel du ciel est lrsquoeacutether 12 ARISTOTE opcit p143-145

14

fixes En drsquoautres termes le Tout qursquoest le ciel est la totaliteacute du corps et de ce qui le compose

qui est enveloppeacutee par le premier ciel

112 Le corps du ciel lrsquoeacuteleacutement divin et le mouvement du corps ceacuteleste

Maintenant que nous avons vu par le biais du De Caelo I 9 les trois sens qursquoAristote

accorde au mot laquo ciel raquo nous pouvons nous inteacuteresser agrave lrsquoessence mecircme du ciel et agrave celle des

parties qui le composent En plus de chercher agrave comprendre de quoi le ciel est constitueacute nous

reviendrons sur lrsquoeacuteleacutement qursquoest lrsquoeacutether invoqueacute plus haut et sur le mouvement naturel des

corps ceacutelestes

De Caelo I 2 est une tentative argumenteacutee de montrer que le corps qui se meut en

cercle est diffeacuterent drsquoun autre type de corps le corps dont le mouvement est rectiligne

Aristote dans ce chapitre du De Caelo affirme premiegraverement que tous les corps naturels

crsquoest-agrave-dire les corps qui sont faits drsquoeacuteleacutements naturels peuvent se mouvoir selon le lieu et

que ce mouvement selon le lieu srsquoappelle le laquo transport raquo Ce transport se fait soit de maniegravere

rectiligne soit de maniegravere circulaire ou alors de ces deux faccedilons agrave la fois

Tout mouvement selon le lieu (que nous appelons transport) est soit rectiligne soit circulaire soit un meacutelange des deux Car ce sont lagrave les deux formes simples [hellip] Le transport en cercle est celui qui a lieu autour du centre le transport rectiligne celui qui a lieu vers le haut ou vers le bas

Il nrsquoexiste ainsi que deux types de mouvement simple pour les corps simples Aristote appelle

les corps simples les eacuteleacutements naturels Leurs mouvements possibles sont rectilignes ou

circulaires Le corps qui se meut en ligne est le corps simple qui a un mouvement simple soit

vers le centre13 soit agrave partir du centre14 Le corps qui se meut en cercle est le corps simple qui

a un mouvement autour du centre Mais quels sont les arguments preacutecis qui deacutefendent que le

corps mucirc en cercle est simple Et quel est donc ce corps qui se meut en cercle Telles sont

les questions auxquelles nous allons reacutepondre ici dans le but de comprendre la nature du corps

simple mucirc en cercle puis de saisir sa composition

13 Vers le bas14 Vers le haut

15

Nous lrsquoavons dit le corps simple est celui qui a un mouvement selon sa nature Le feu aura

donc un mouvement qui va vers le haut alors que la terre aura un mouvement qui va vers le

centre Selon le cosmos aristoteacutelicien et la physique aristoteacutelicienne le corps qui est composeacute

de lrsquoeacuteleacutement naturel qui est la terre sera le plus pesant et aura un lieu naturel preacutecis Il est

important de preacuteciser que chaque eacuteleacutement possegravede un lieu naturel vers lequel il tend

naturellement agrave ecirctre et agrave rester et un lieu contre-naturel dans lequel il est de maniegravere contre-

naturelle La notion de lieu naturel ou de lieu contre-naturel est centrale dans lrsquoexplication du

mouvement chez Aristote le corps composeacute de terre sera le plus pesant et son lieu naturel

sera le bas ainsi il aura un mouvement rectiligne vers le centre Le corps composeacute de feu

quant agrave lui et parce que le feu est lrsquoeacuteleacutement qui nrsquoa aucune pesanteur a un mouvement

rectiligne qui part du centre et va vers le haut On comprend alors que ce qui deacutetermine le

mouvement du corps simple qui se meut de maniegravere rectiligne est ce qui le compose crsquoest-agrave-

dire sa nature Il en va de mecircme pour le corps simple qui se meut en cercle Mais avant drsquoy

venir nous nous devons premiegraverement de prouver que le corps qui se meut en cercle est un

corps simple et qursquoil ne saurait ecirctre autre chose Premiegraverement il srsquoagit pour Aristote de

montrer que le corps mucirc en cercle est simple puisque srsquoil existe un mouvement simple que le

mouvement en cercle soit simple ndash mouvement simple car les mouvements circulaire et

rectiligne sont les seuls types de mouvements qui soient simples les autres eacutetant mixtes

rectilignes et circulairessup2 ndash que le mouvement drsquoun corps simple soit simple et que le

mouvement simple soit celui drsquoun corps simple alors il est neacutecessaire que le corps qui est mucirc

en cercle selon la nature soit un corps simple Il ne srsquoagit pas ici de prouver drsquoores et deacutejagrave

qursquoil existe un corps simple qui se meut en cercle pour Aristote mais simplement de montrer

que theacuteoriquement si un corps qui se meut en cercle existe alors il sera neacutecessairement un

corps simple Cet argument en faveur de lrsquoexistence drsquoun corps qui se meut en cercle nrsquoest pas

le seul chaque corps simple a un lieu naturel vers lequel il est naturellement mis en

mouvement du fait mecircme de sa nature Mais srsquoil a un lieu naturel par nature cela signifie qursquoil

a aussi un lieu qui lui est contre-nature Aristote a montreacute que srsquoil existait un corps mucirc en

cercle celui-ci eacutetait neacutecessairement simple Si un corps simple a un mouvement en cercle et

qursquoon postule que ce mouvement circulaire est simple drsquoune part mais drsquoautre part contre-

nature agrave ce corps dans ce cas lagrave cela signifie qursquoil aura un mouvement autre qui lui sera

naturel Dans la conception aristoteacutelicienne de la physique les corps sont mus en fonction de

ce qui les compose nous lrsquoavons vu et ce qui compose les corps physiques sont les eacuteleacutements

le feu la terre lrsquoeau et lrsquoair Si un corps simple est un corps qui est mucirc par la nature de ce qui

16

le compose alors le corps sera mucirc selon qursquoil est composeacute de feu ou de terre Nous avons vu

que le feu avait un mouvement naturel rectiligne qui part du centre et la terre un mouvement

naturel rectiligne qui va vers le centre donc si le feu ou la terre est mucirc en cercle ce sera

contre nature Le problegraveme qui se pose est le suivant

Mais une chose unique a un contraire unique et les mouvements vers le haut et vers lebas sont contraires lrsquoun de lrsquoautre

Cela implique que le corps simple qui se meut naturellement de maniegravere rectiligne

vers le centre aura pour contraire le mouvement rectiligne qui part du centre et vice-versa

Ainsi il est impossible qursquoun corps simple dont le mouvement est naturellement rectiligne

soit mucirc en cercle

A partir de cet argument dans le chapitre 2 du livre I du De Caelo nous pouvons

affirmer une chose si un corps simple qui se meut en cercle existe alors il ne peut pas ecirctre

composeacute de feu ou de terre car aucun des corps qui sont composeacutes de ces eacuteleacutements et qui se

meuvent de maniegravere rectiligne naturellement vers le haut ou vers le bas ne peuvent ecirctre mus

contre-nature en cercle Il ne reste maintenant qursquoagrave prouver lrsquoexistence de ce corps simple qui

se meut en cercle Lrsquoargument drsquoAristote sur le sujet dans le chapitre 2 du livre I du De Caelo

est le suivant srsquoil existe un mouvement circulaire que ce mouvement circulaire soit simple

que le mouvement circulaire ndash et nrsquoimporte quel mouvement selon le lieu en reacutealiteacute ndash soit la

proprieacuteteacute drsquoun corps simple et qursquoil soit impossible que le mouvement circulaire soit le

mouvement contre-nature drsquoun corps qui se meut en ligne droite alors cela implique qursquoil

existe un corps simple qui se meut en cercle Comment pourrait-il y avoir un mouvement

circulaire mais pas de corps pour avoir ce mouvement dans la mesure ougrave nous lrsquoavons dit le

mouvement selon le lieu est une proprieacuteteacute des corps Cela est impossible Nous pouvons

alors conclure la chose suivante

Crsquoest pourquoi celui qui raisonne en partant de tout cela pourrait se convaincre qursquoen plusdes corps qui existent ici autour de nous il y en a un autre seacutepareacute qui a une naturedrsquoautant plus digne qursquoil est plus eacuteloigneacute de lrsquoici-bas

17

De lrsquoexistence drsquoun corps qui se meut en cercle on peut logiquement induire qursquoil

existe une nature propre au corps qui se meut en cercle une nature plus noble que celle des

corps qui se meuvent en ligne droite Quelle est la nature de ce corps simple dont le

mouvement est circulaire Crsquoest lagrave la seconde question qui nous inteacuteresse

Pour y reacutepondre Aristote se reacutefegravere agrave ce qui a eacuteteacute dit preacuteceacutedemment Puisque la

pesanteur ou la leacutegegravereteacute est une proprieacuteteacute du corps qui lui vient de sa composition et qui

implique qursquoil soit naturellement dirigeacute vers le bas ou vers le haut alors tous les corps ne

possegravedent pas de pesanteur ou de leacutegegravereteacute Quels sont les corps qui possegravedent la pesanteur

Ce sont ceux qui sont naturellement dirigeacutes vers le bas et qui se meuvent en ligne droite vers

le centre crsquoest-agrave-dire tout ce qui est composeacute de terre ou drsquoune espegravece de terre Quels sont les

corps qui possegravedent la leacutegegravereteacute Ce sont ceux qui sont naturellement dirigeacutes vers le haut et

qui se meuvent en ligne droite agrave partir du centre crsquoest-agrave-dire tout ce qui est composeacute de feu ou

drsquoune espegravece de feu A partir de lagrave il est possible drsquoaffirmer que le corps qui se meut en

cercle parce qursquoil nrsquoest mucirc ni vers le bas ni vers le haut est un corps qui nrsquoa ni pesanteur ni

leacutegegravereteacute car nrsquoest ni composeacute de terre ou drsquoune espegravece de terre ni de feu ou drsquoune espegravece de

feu Mais qursquoest-ce que le pesant et le leacuteger Le plus pesant est deacutefini comme ce qui est situeacute

en dessous de tous les corps transporteacutes vers le bas et le plus leacuteger est deacutefini comme ce qui est

agrave la surface de tous les corps porteacutes vers le haut dans le De Caelo I 3 269b18-26 Il est

important pour des raisons de justesse de preacuteciser que cette pesanteur et cette leacutegegravereteacute sont

toutefois relatives un corps leacuteger lrsquoest par rapport agrave un autre et il en va de mecircme pour le

corps pesant mais lagrave nrsquoest pas notre sujet Ces deacutefinitions nous permettent de comprendre que

ce qui nrsquoappartient pas au mouvement rectiligne ne peut pas appartenir aux eacuteleacutements pesants

ou leacutegers

De plus puisque les corps qui ont un mouvements rectilignes vers le haut sont

contraires aux corps ayant un mouvement vers le bas et que la corruption et la geacuteneacuteration se

font dans les contraires alors cela signifie que ces corps sont soumis agrave la geacuteneacuteration et

corruption Selon Aristote laquo crsquoest dans le domaine des contraires que se produisent la

geacuteneacuteration et la corruption raquo15 Du fait mecircme que les corps simples mus en ligne droite vers le

haut ou vers le bas possegravedent un mouvement contre-nature cela implique qursquoils appartiennent

au milieu de ce qui est geacuteneacutereacute et de ce qui ineacutevitablement se corrompt La corruption se fait

dans le changement des proprieacuteteacutes et par rapport agrave quelque chose il en va de mecircme pour

15 De Caelo I 3 270b20 p 89

18

lrsquoaugmentation Lrsquoaugmentation est une forme de geacuteneacuteration agrave partir drsquoun changement dans la

proprieacuteteacute le corps humain transforme et geacutenegravere des nutriments agrave partir de la nourriture qursquoil

ingegravere donc la nourriture a eacuteteacute corrompue et les nutriments ont eacuteteacute geacuteneacutereacutes crsquoest une

deacuteformation de la nourriture et un changement dans son espegravece Mais puisqursquoil nrsquoy a rien de

contraire au mouvement circulaire cela implique que le corps simple qui se meut en cercle

nrsquoest ni geacuteneacuterable ni corruptible puisqursquoil ne peut pas se transformer en son contraire Ce

corps simple nrsquoest pas non plus alteacuterable selon Aristote

En effet lrsquoalteacuteration est un mouvement selon la qualiteacute et les eacutetats et les dispositionsqualitatifs par exemple la santeacute et la maladie ne se produisent pas sans changementsdans les proprieacuteteacutes Mais nous voyons que tous ceux des corps naturels qui changentselon une proprieacuteteacute sont tous sujets agrave lrsquoaugmentation et agrave la diminution [hellip] il en est demecircme pour celui des eacuteleacutements16

Puisque le corps qui est mucirc en cercle nrsquoest ni sujet agrave lrsquoaugmentation (lrsquoaugmentation eacutetant une

forme de geacuteneacuteration) etou agrave la diminution (diminution eacutetant une forme de corruption) alors il

est inalteacuterable Ainsi en plus drsquoecirctre ingeacuteneacuterable et incorruptible le corps qui se meut en cercle

est inalteacuterable Cette proprieacuteteacute fait de lui un corps eacuteternel Le corps qui se meut en cercle doit

donc ecirctre composeacute de quelque chose qui nrsquoa pas de contraire qui nrsquoest pas un eacuteleacutement tel que

le feu lrsquoair lrsquoeau ou la terre et qui nrsquoest ni geacuteneacutereacute ni corruptible A ce stade nous ne savons

pas encore ce qui est signifieacute par laquo le corps simple qui se meut en cercle raquo Mais Aristote lui

donne une autre caracteacuteristique celle drsquoecirctre premier ce qui peut srsquoexpliquer par le fait qursquoil

nrsquoest pas geacuteneacuterable et donc nrsquoest pas venu agrave lrsquoecirctre agrave un instant T Il se tourne ainsi vers trois

instances qui lui permettent de justifier ses dires anteacuterieurs la religion lrsquoobservation et

lrsquoeacutetymologie sont autant drsquoarguments en faveur de la nature du corps qui se meut en cercle tel

que nous lrsquoavons conccedilu jusqursquoagrave preacutesent

Il se tourne premiegraverement vers la religion Aristote affirme en 270b5 du De Caelo que

dans le domaine de la religion on attribue le plus haut lieu agrave ce qui est le plus divin on place

ainsi le divin au-dessus de tout Ainsi le corps qui se meut en cercle puisqursquoil se situe au-

dessus de tout et regardeacute comme eacutetant divin Degraves lors dans la mesure ougrave lrsquoon attribue

lrsquoimmortaliteacute au divin le ciel est alors consideacutereacute comme eacutegalement divin Par conseacutequent le

corps qui se meut en cercle se situe dans le plus haut lieu Lrsquoeacuteterniteacute de ce corps est

16 Ibid p89

19

veacuterifiable par lrsquoobservation et lrsquoexpeacuterience comme lrsquoaffirme Aristote dans la suite du

raisonnement

En effet dans toute lrsquoeacutetendue du temps eacutecouleacute selon la tradition que les hommes se sonttransmise les uns aux autres aucun changement nrsquoa eacuteteacute constateacute ni dans la totaliteacute la plusexteacuterieure du ciel ni dans aucune des parties qui lui sont propres

On comprend agrave la suite de cette remarque que le corps mucirc en cercle qui eacutetait lrsquoobjet de

notre propos est eacutegalement appeleacute laquo ciel raquo Ce que nous avons vu plus haut crsquoest-agrave-dire toutes

les caracteacuteristiques propres au corps qui se meut en cercle srsquoappliquent alors au ciel Mais de

quel sens du laquo ciel raquo parle-t-on puisque nous avons vu que le ciel avait trois sens A en juger

par ce que nous venons de citer nous pouvons dire qursquoAristote parle du premier et second

ciel le premier eacutetant le corps qui se trouve sur la circonfeacuterence la plus exteacuterieure et la plus

eacuteloigneacutee crsquoest-agrave-dire la sphegravere des fixes et le second eacutetant le corps qui est dans la continuiteacute

de la sphegravere des fixes et dans lequel se trouvent certains astres comme le Soleil la Lune et

drsquoautres encore Via lrsquoobservation nous pouvons conclure que le corps est ingeacuteneacuterable

incorruptible et inalteacuterable Mais cet argument en faveur de lrsquoeacuteterniteacute du ciel a un troisiegraveme

temps lrsquoeacutetymologie

Nous eacutevoquions plus tocirct lrsquoideacutee selon laquelle le corps qui se meut en cercle ne pouvait

pas ecirctre constitueacute de feu ou de terre et que donc il avait un eacuteleacutement qui lui eacutetait propre Cet

eacuteleacutement est plus noble que le feu et la terre car il se situe dans le domaine du ciel qui nrsquoest ni

soumis agrave la geacuteneacuteration ni agrave la corruption car il nrsquoa pas de contraire Il est donc eacuteternel Cet

eacuteleacutement tient drsquoailleurs son nom du fait qursquoil est eacuteternel

Crsquoest pourquoi dans lrsquoideacutee que le premier corps eacutetait diffeacuterent de la terre du feu de lrsquoair et de lrsquoeau ils ont nommeacute laquo eacutether raquo le lieu le plus eacuteleveacute tirant pour lui cette appellation du fait qursquoil court toujours pendant un temps eacuteternel

Ainsi le corps qursquoest le ciel parce qursquoil faut rappeler qursquoil est un ecirctre corporel est constitueacute

drsquoune matiegravere que lrsquoon appelle lrsquoeacutether et qui dans le monde supralunaire drsquoAristote est le seul

eacuteleacutement

20

12 Platonisme et aristoteacutelisme sur lrsquouniciteacute du monde Du Timeacutee au De Caelo I 9

121 Lrsquouniciteacute du monde dans le Timeacutee17 de Platon

La question des eacuteleacutements constitutifs des corps est indispensable pour comprendre le

contexte dans lequel le problegraveme du takei se pose En effet le passage obscur du De Caelo I

9 qui est notre propos se situe dans un chapitre visant agrave montrer par les arguments que nous

allons maintenant aborder que le monde est unique et qursquoil nrsquoy a aucun corps en dehors de

lui

Disons maintenant pour quelle raison celui qui a constitueacute le devenir crsquoest-agrave-dire notreunivers lrsquoa constitueacute Il eacutetait bon or en ce qui est bon on ne trouve aucune jalousie agravelrsquoeacutegard de qui que ce soit Deacutepourvu de jalousie il souhaita que toutes choses devinssentle plus possible semblables agrave lui 29e

La question que se pose ici Timeacutee est celle du pourquoi de lrsquounivers Afin de reacutepondre agrave cette

question il srsquointeacuteresse agrave la nature de celui qui a creacuteeacute lrsquounivers En effet la nature mecircme de

celui qui a creacuteeacute lrsquounivers implique que notre univers soit de telle faccedilon et non drsquoune autre

Puisque celui-ci est bon et que la jalousie nrsquoest pas une proprieacuteteacute de ce qui est bon alors celui

qui a creacuteeacute lrsquounivers lrsquoa creacuteeacute de maniegravere agrave ce qursquoil soit agrave son image crsquoest-agrave-dire qursquoil possegravede

les mecircmes qualiteacutes que lui Ainsi en tant qursquoecirctre bon il a voulu que tout ce qui existe soit

bon autant que possible et aussi parfait que possible Mais le deacutemiurge nrsquoest pas parti de rien

cette conception platonicienne de la creacuteation de lrsquounivers deacutecoule de lrsquoideacutee que le rien et le

neacuteant nrsquoexistent pas Donc celui qui est agrave lrsquoorigine de lrsquounivers lrsquoa engendreacute agrave partir de

quelque chose qui eacutetait deacutesordonneacute et en mouvement le visible Il a alors fait de ce visible

deacutesordonneacute un visible ordonneacute Du fait mecircme que celui qui a engendreacute le monde est lrsquoecirctre le

meilleur cela implique que ce qursquoil produit est aussi parfait qursquoil peut lrsquoecirctre car le meilleur

ne pourrait pas faire quelque chose de mauvais

Ayant reacutefleacutechi il se rendit compte que de choses par nature visibles son travail nepourrait jamais faire sortir un tout deacutepourvu drsquointellect qui fucirct plus beau qursquoun tout

17 PLATON Timeacutee 1992 Traduction par L Brisson Nous nous reacutefeacutererons agrave cette traduction sauf indication contraire

21

pourvu drsquointellect et que par ailleurs il eacutetait impossible que lrsquointellect preacutesent en quelquechose soit deacutepourvu drsquoune acircme 30A-b

Mais la nature propre du creacuteateur ne suffit pas agrave faire de toutes ses œuvres des ecirctres

eacutegaux en effet le deacutemiurge srsquoest rendu compte que malgreacute son travail le tout qui eacutetait

constitueacute drsquoun intellect eacutetait neacutecessairement plus beau qursquoun tout sans intellect Mais qursquoest-ce

que lrsquointellect chez Platon qui implique une hieacuterarchie entre les creacuteations du deacutemiurge

Comme lrsquoindique lrsquoextrait citeacute plus haut et qui nous donne une premiegravere ideacutee de ce qursquoest

lrsquointellect chez Platon si lrsquointellect est preacutesent en une chose il est impossible que cette chose

qui possegravede un intellect nrsquoait pas drsquoacircme Cela se justifie par le fait que lrsquointellect νοῦς chez

Platon est la partie la plus noble ou divine de lrsquoacircme Il y a donc une distinction entre lrsquoacircme et

lrsquointellect lrsquoacircme est une chose dont une des partie est lrsquointellect elle est la plus noble A quoi

sert cette partie Elle est ce qui permet de connaicirctre lrsquointelligible et de srsquoen rapprocher

Puisque lrsquointellect a eacuteteacute mis dans lrsquoacircme du monde et que lrsquointellect est la partie la plus belle et

la plus noble de lrsquoacircme cela implique que le monde est par nature le plus beau et le meilleur

possible

Ainsi donc conformeacutement agrave une explication qui nrsquoest que vraisemblable il faut dire que notre monde qui est un vivant doueacute drsquoune acircme pourvue drsquoun intellect a en veacuteriteacute eacuteteacute engendreacute par suite de la deacutecision reacutefleacutechie drsquoun dieu 30bndashc

Puisque le deacutemiurge a la capaciteacute de reacutefleacutechir alors il est proche des intelligibles et du

plus noble et ainsi il est dans la mesure de savoir comment faire de sa creacuteation un ecirctre aussi

bon et beau que possible La proprieacuteteacute du deacutemiurge qui est mise en avant est son intelligence

mais la conception du deacutemiurge ne srsquoarrecircte pas lagrave En effet agrave la maniegravere drsquoun artisan le

deacutemiurge creacutee le monde Mais comme tout artisan il se doit de posseacuteder une connaissance de

la chose qursquoil produit afin de la produire de faccedilon agrave ce qursquoelle soit la plus parfaite possible

Crsquoest pourquoi comme le deacutemiurge est un artisan qui reacutefleacutechit qui possegravede un intellect dans

son acircme il peut avoir une connaissance des intelligibles et ainsi produire quelque chose qui

est le plus parfait possible

22

A la ressemblance de quel vivant en particulier celui qui a faccedilonneacute le monde lrsquoa-t-ilfaccedilonneacute A la ressemblance drsquoaucun de ces vivants qui tiennent le rang drsquoespegraveceparticuliegravere dans la nature estimons-nous car rien de ce qui ressemble agrave un ecirctreincomplet ne saurait jamais ecirctre beau 30c

Mais tel un artisan le deacutemiurge ne produit pas agrave partir de rien il possegravede une

connaissance de ce qursquoil produit nous lrsquoavons dit Mais quelle est cette connaissance Elle

est la connaissance drsquoune ideacutee intelligible en drsquoautres termes drsquoune Forme comprise comme

lrsquoecirctre intelligible et parfait que lrsquoon ne peut saisir que par le biais de lrsquointellect Cela signifie

que le monde ecirctre mateacuteriel et tangible a eacuteteacute creacuteeacute agrave limage dun modegravele qui est intelligible et

non agrave un modegravele sensible Le monde est le sensible le plus parfait alors il ne peut pas avoir

pour modegravele quelque chose de moins parfait que lui et qui soit une partie de quelque chose

drsquoautre

Mais lrsquoensemble auquel appartiennent tous les ecirctres vivants agrave titre de parties soitindividuellement soit en tant qursquoespegravece voilagrave entre tous les vivants supposons-nouscelui auquel ressemble le plus celui-ci Effectivement tous les vivants intelligibles cevivant les tient enveloppeacutes en lui-mecircme de la mecircme faccedilon que notre monde nous contientnous et toutes les autres creacuteatures visibles 32c-d

Mais de quoi ces parties sont-elles les parties Du monde selon Platon Lrsquoargument

repose sur une analogie crsquoest-agrave-dire que notre monde est agrave tous les ecirctres sensibles ce que son

modegravele est agrave tous les ecirctres intelligibles Le monde enveloppe la totaliteacute de tous les ecirctres

sensibles il est logique que son modegravele soit ce qui enveloppe la totaliteacute de tous les ecirctres

intelligibles En effet le deacutemiurge a souhaiteacute que le monde ressemble agrave lrsquoecirctre le plus parfait

entre tous crsquoest-agrave-dire agrave lrsquoecirctre le plus beau de tous dans le sens ougrave il ne manque drsquoaucun des

biens Il a fait le monde de telle sorte qursquoil ait agrave lrsquointeacuterieur de lui tous les vivants qui sont de

mecircme nature que lui tous les ecirctres de nature sensible Comme notre monde est fait sur le

modegravele de quelque chose de parfait qui enveloppe tous les ecirctres intelligibles alors srsquoil y avait

une autre chose qui enveloppait tout cette autre chose serait le modegravele sur lequel aurait eacuteteacute

creacuteeacute notre monde Srsquoil y avait un autre ecirctre qui enveloppe tous les vivants en plus de notre

monde il faudrait qursquoil y ait un ecirctre qui les enveloppe tous les deux et ce serait agrave ce monde lagrave

que ressemblerait le nocirctre Notre monde partage comme caracteacuteristique lrsquouniciteacute du monde

23

parfait unique et beau dont il est la copie Il ne pourrait alors y avoir aucun autre monde en

dehors du nocirctre

[hellip] le dieu ayant placeacute au milieu entre le feu et la terre lrsquoeau et lrsquoair et ayant introduitentre eux autant que crsquoeacutetait possible le mecircme rapport qui fasse que ce que le feu est agravelrsquoair lrsquoair le soit agrave lrsquoeau et que ce que lrsquoair est agrave lrsquoeau lrsquoeau le soit agrave la terre a constitueacute agravelrsquoaide de ces liens un monde visible et tangible 32b

Comment peut-on expliquer que le monde soit sensible Platon fait lrsquoexpeacuterience drsquoun

monde sensible crsquoest le point de deacutepart de sa deacutemarche qui consiste agrave essayer drsquoexpliquer

pourquoi le monde est sensible et ordonneacute Pourquoi y-a-t-il un monde sensible ordonneacute et

non deacutesordonneacute A lrsquoimage drsquoune recette Platon fait la genegravese de la conception du monde qui

repose sur la preacutesence de quatre eacuteleacutements en quantiteacute proportionnelle et selon un rapport de

proportionnaliteacute le feu la terre lrsquoeau et lrsquoair Le fait que le monde soit constitueacute de ces

eacuteleacutements qui entretiennent entre eux un tel rapport en fait un ecirctre mateacuteriel ordonneacute et

impossible agrave corrompre (sinon par celui qui lrsquoa fait tel qursquoil est)

Or de ces quatre eacuteleacutements pris un agrave un la constitution du monde a absorbeacute la totaliteacuteCrsquoest en effet tout le feu toute lrsquoeau tout lrsquoair et toute la terre qursquoutilisa celui quiconstitua le monde pour le constituer ne laissant hors du monde aucune parcelle aucuneproprieacuteteacute de quoi que ce soitVoici quel eacutetait son dessein Il souhaitait en premier lieu quele monde fucirct avant tout un vivant parfait constitueacute de parties parfaites que de plus il fucirctunique dans la mesure ougrave il ne restait rien agrave partir de quoi un autre vivant de mecircmenature puisse venir agrave lrsquoecirctre 32c-33a

On comprend alors lrsquoargument platonicien selon lequel le monde est neacutecessairement

unique Puisque le deacutemiurge a mis en ordre le monde en le constituant de quatre eacuteleacutements (le

feu lrsquoair lrsquoeau et la terre) selon un certain meacutelange et qursquoen plus de cela il a utiliseacute la totaliteacute

du feu la totaliteacute de lrsquoair la totaliteacute de lrsquoeau et la totaliteacute de la terre pour le creacuteer il ne peut

rien exister de mecircme nature que lui Lrsquoensemble de cet extrait du Timeacutee permet de souligner

lrsquouniciteacute du monde sur deux plans diffeacuterents sur le plan meacutetaphysique et sur le plan

physique Sur le plan meacutetaphysique dans la mesure ougrave il a eacuteteacute prouveacute logiquement que le

monde ne pouvait ecirctre qursquoun seul puisqursquoil enveloppait agrave lrsquoimage de lrsquoecirctre intelligible le plus

24

parfait lrsquoensemble des sensibles Sur le plan physique dans la mesure ougrave il a eacuteteacute affirmeacute par

Platon que le monde eacutetait composeacute de la totaliteacute des quatre eacuteleacutements

Lrsquoargument en faveur de lrsquouniciteacute du monde que nous venons de voir est lrsquoeacutecho de la

theacuteorie platonicienne des Formes eacutenonceacutees dans le livre VI de la Reacutepublique18 A la fin du

livre VI de la Reacutepublique Platon dessine rapidement les traits de ce que sera plus tard dans la

mecircme œuvre la theacuteorie des Formes En effet il affirme en cette fin de livre VI que les

geacuteomegravetres lorsqursquoils produisent des hypothegraveses sur les angles et autres figures geacuteomeacutetriques

ne les font pas sur ce triangle qursquoils ont construit ou ce cercle qursquoils ont traceacute ils les font sur

les figures geacuteomeacutetriques en soi A quoi servent alors ces traceacutes Ils servent drsquoimages qui

permettent aux geacuteomegravetres de contempler les choses en soi que lrsquoon ne peut contempler que

par la penseacutee Ces figures traceacutees sont les copies des choses en soi elles sont en ce sens leurs

images De la mecircme maniegravere le monde sensible dans lequel nous sommes et qui enveloppe

lrsquoensemble de tous les ecirctres sensibles est la copie de lrsquoecirctre intelligible le plus parfait qui

enveloppe tous les vivants intelligibles Cette ideacutee implique qursquoil existe dans la philosophie

platonicienne des formes transcendantes qui srsquoeacutelegravevent au dessus du monde sensible et qui ne

sont que copieacutees dans ce monde La veacuteriteacute concernant les choses se trouverait dans le monde

intelligible seulement accessible par la penseacutee La forme est alors comprise comme la chose

en soi intelligible et transcendante Ainsi on peut drsquoores et deacutejagrave en conclure qursquoil y a une

diffeacuterence chez Platon entre la forme hors de la matiegravere et la forme dans lrsquoobjet sensible

122 Aristote en De Caelo I 9 analyse des arguments en faveur de la pluraliteacute des cieux

pour deacutefendre la theacuteorie platonicienne de lrsquouniciteacute du monde

Toutefois il est possible de se meacuteprendre sur la theacuteorie platonicienne de lrsquounivers et de

lui attribuer des conseacutequences erroneacutees voire de lrsquoutiliser afin drsquoaffirmer que le monde nrsquoest

pas unique Aristote en De Caelo I 9 srsquoengage agrave faire lrsquoexamen des arguments en faveur de

la pluraliteacute des mondes que lrsquoon pourrait tirer de la theacuteorie platonicienne de la creacuteation du

monde Nous allons alors maintenant voir quels sont ces arguments

En effet il pourrait sembler impossible qursquoil nrsquoy ait qursquoun seul ciel agrave qui examine leschoses de cette maniegravere dans tout ce qui est constitueacute ou a eacuteteacute produit que ce soit par lanature ou par lrsquoart ce sont deux choses diffeacuterentes que la forme en soi et celle qui est

18 PLATON La Reacutepublique 2002 Traduction par G Leroux

25

meacutelangeacutee agrave la matiegravere par exemple dans le cas de la sphegravere ce sont deux chosesdiffeacuterentes que la forme de la sphegravere et la sphegravere drsquoor ou la sphegravere drsquoairain et encore lafigure du cercle est diffeacuterente du cercle drsquoairain ou du cercle de bois 277b-30

Nous lrsquoavons dit plus haut dans la philosophie platonicienne il y a une distinction

entre la forme hors de la matiegravere et la forme dans la matiegravere dans la mesure ougrave la forme

intelligible (hors de la matiegravere) est transcendante et seacutepareacutee de la matiegravere Et selon Aristote il

pourrait sembler impossible agrave celui qui accepte cette distinction platonicienne de penser qursquoil

nrsquoexiste qursquoun seul monde Il srsquoagit alors de se demander premiegraverement quel est lrsquoargument

qui nous laisse penser que le ciel nrsquoest pas unique Deuxiegravemement nous nous demanderons si

Aristote deacutefend cette compreacutehension de la theacuteorie platonicienne ou srsquoil cherche agrave critiquer

ceux qui la comprennent ainsi

La theacuteorie platonicienne selon laquelle il y a une diffeacuterence entre la forme dans la

matiegravere et la forme en dehors de la matiegravere nous permet drsquoacceacuteder agrave lrsquoexemple suivant dans

le cas drsquoune sphegravere il y a la forme en soi qui est la forme purement intelligible de la sphegravere

drsquoune part et drsquoautre part il y a la sphegravere sensible constitueacutee admettons drsquoor ou drsquoairain Ces

deux types de sphegraveres sont distincts nous lrsquoavons dit pour la raison qursquoil existe une

diffeacuterence entre la forme de la sphegravere hors de la matiegravere (une forme qui est seacutepareacutee et

transcendante) et la forme de la sphegravere dans la matiegravere (une forme qui est meacutelangeacutee agrave la

matiegravere)

Puisque donc le ciel est sensible il sera une chose particuliegravere Car selon nous toutsensible existe dans la matiegravere Mais srsquoil est une chose particuliegravere lrsquoecirctre de ce ciel-ci etlrsquoecirctre du ciel pris absolument seront des choses diffeacuterentes Donc ce ciel-ci sera diffeacuterentdu ciel pris absolument ce dernier est pris comme forme et figure le premier commequelque chose de meacutelangeacute agrave la matiegravere 278a-10

Ce raisonnement appliqueacute au ciel affirme la chose suivante puisque le ciel est un

ecirctre corporel il est une chose particuliegravere Mais srsquoil est une chose particuliegravere et mateacuterielle

alors on peut en conclure que lrsquoecirctre de ce ciel particulier ne sera pas le mecircme que celui du ciel

pris en soi Ainsi le ciel particulier du fait de sa matiegravere dont parle Aristote ne sera pas le

mecircme que le ciel pris en soi crsquoest-agrave-dire en tant que Forme

26

[] cela nrsquoest pas moins vrai si rien de telle nrsquoexiste de maniegravere seacutepareacutee Dans tous lescas en effet ougrave nous voyons cela agrave savoir que la substance formelle se trouve dans lamatiegravere les ecirctres de mecircme forme sont plusieurs et mecircme en nombre infini De sorte qursquoilexiste plusieurs cieux ou qursquoil peut en exister plusieurs 278a-15-20

Mais ces individus qui comprennent lrsquoargument de Platon comme un argument en

faveur de la pluraliteacute du ciel affirment que mecircme srsquoil nrsquoy avait pas de forme seacutepareacutee du

sensible il y aurait quand mecircme plusieurs cieux Mais pourquoi affirment-ils cela Parce

qursquoil peut y avoir plusieurs ecirctres composeacutes de mecircme forme La forme dans la matiegravere nrsquoest

pas neacutecessairement unique la forme de deux chaises diffeacuterentes est la mecircme ce qui fait sa

particulariteacute est la matiegravere Mais il nrsquoest pas contradictoire qursquoil y ait une infiniteacute de chaises

il ne peut y avoir qursquoune seule forme seacutepareacutee et transcendante de la chaise par contre il peut

y avoir un nombre immense de chaises mateacuterielles et potentiellement une infiniteacute dans la

mesure ougrave cela nrsquoest pas contradictoire avec la nature de la forme dans le composeacute

Du fait de la nature mateacuterielle du composeacute ceux qui interpregravetent Platon de cette

maniegravere concluent qursquoil peut tout agrave fait exister plusieurs cieux Il peut en effet y avoir une

infiniteacute de corps mateacuteriels pour une forme seacutepareacutee de la matiegravere unique Il srsquoagira alors pour

Aristote de reprendre ces arguments et drsquoen faire lrsquoexamen afin de savoir lesquels sont fondeacutes

et lesquels ne le sont pas Nous nous eacutetions alors demandeacute quels eacutetaient les arguments qui

laissaient penser que le ciel pouvait ne pas ecirctre unique drsquoune part et drsquoautre part si Aristote

deacutefendait les conclusions auxquelles aboutissait cette certaine compreacutehension de Platon ou srsquoil

les jugeait erroneacutees

123 Aristote en De Caelo I 9 arguments aristoteacuteliciens en faveur de lrsquouniciteacute du ciel

Mais quelle est donc la position drsquoAristote sur la question de lrsquouniciteacute du monde

Deacutefend t-il Platon Est-il en deacutesaccord avec Platon Leurs arguments diffeacuterent-ils Pour

reacutepondre agrave ces questions nous eacutetudierons de maniegravere lineacuteaire la suite du chapitre

Que donc la deacutefinition de la forme sans la matiegravere et celle de la forme dans la matiegraveresoient diffeacuterentes lrsquoune de lrsquoautre on le dit avec raison et tenons-le pour vrai Il nrsquoy aneacuteanmoins aucune neacutecessiteacute agrave conclure de cela qursquoil existe plusieurs mondes ni qursquoil peuten exister plusieurs srsquoil est vrai que ce monde-ci est composeacute de lrsquoensemble de lamatiegravere comme cela est le cas 278a25

27

Il est possible drsquoaffirmer avec veacuteriteacute selon Aristote que la forme dans la matiegravere et la

forme sans la matiegravere sont deux choses diffeacuterentes Mais nous lrsquoavons dit en 278a25 Aristote

affirme que de cela nous ne pouvons pas induire la neacutecessiteacute ou la possibiliteacute qursquoil en existe

plusieurs car il est vrai que le monde est composeacute de lrsquoensemble de la matiegravere Aristote

affirme alors qursquoil ne saurait y avoir un autre monde puisque le monde est constitueacute de

lrsquoensemble de la matiegravere

A ce moment de lrsquoexamen des arguments exposeacutes plus tocirct nous trouvons dans le De

Caelo une explication des trois sens du mots ciel Dans la mesure ougrave nous avons exposeacute plus

tocirct ce qursquoeacutetaient ces trois ciels nous ne ferons que rappeler ce passage en le restituant

briegravevement Puisque nous avons exposeacute plus haut le ciel de trois maniegraveres nous comprenons

bien qursquoil ne peut rien exister en dehors du ciel dans la mesure ougrave le ciel srsquoentend dans un

sens comme le Tout ou la totaliteacute de ce qui est enveloppeacute par la circonfeacuterence la plus

eacuteloigneacutee Rappelons-le le laquo ciel raquo se dit en plusieurs sens le ciel est le corps qui se trouve

sur la circonfeacuterence la plus eacuteloigneacutee Le ciel est donc lrsquoextreacutemiteacute en un sens En un second

sens le ciel est le corps qui est dans la continuiteacute de la circonfeacuterence la plus eacuteloigneacutee et dans

laquelle se trouvent certains astres tel que le Soleil la Lune et drsquoautres En un troisiegraveme sens

et crsquoest ce sens qui permet de montrer que le ciel possegravede lrsquoensemble de la matiegravere le ciel est

dit du Tout ou de la totaliteacute qui est enveloppeacutee par la circonfeacuterence la plus eacuteloigneacutee En

drsquoautres termes le ciel est la totaliteacute de ce qui est enveloppeacute par le corps situeacute agrave lrsquoextreacutemiteacute du

ciel De cela nous pouvons conclure la chose suivante selon Aristote

Le ciel eacutetant pris en ces trois sens la totaliteacute enveloppeacutee par la derniegravere circonfeacuterence estneacutecessairement constitueacutee de lrsquoensemble du corps naturel sensible du fait qursquoil nrsquoexisteaucun corps en dehors du ciel et qursquoil ne peut pas y en avoir Supposons en effet qursquoilexiste un corps naturel en-dehors de la derniegravere circonfeacuterence il serait neacutecessaire qursquoilfasse partie soit des corps simples soit des corps composeacutes et que son eacutetat soit naturelou contre-nature Or il ne pourrait ecirctre lrsquoun des corps simples 278b20-25

Postulons qursquoil existe un corps naturel qui soit au-delagrave de la derniegravere circonfeacuterence Si

ce corps naturel existe il est neacutecessaire puisque les corps se divisent seulement en deux

cateacutegories qursquoil soit simple ou composeacute Nous avons vu qursquoun corps simple eacutetait un corps

naturel dont le mouvement eacutetait deacutetermineacute par sa nature En effet un corps simple a un

28

mouvement rectiligne (vers le haut ou vers le centre) ou un mouvement circulaire Pour ce

qui est des mouvements rectilignes Aristote affirme que le corps simple ne pourrait pas se

trouver au-delagrave du ciel car les corps simples qui existent au nombre de quatre le feu lrsquoair

lrsquoeau et la terre sont en totaliteacute rassembleacutes dans le monde de sorte qursquoil nrsquoy en a aucune

quantiteacute agrave lrsquoexteacuterieur de celui-ci De plus puisque chaque corps simple a un mouvement

naturel qui le megravene agrave son milieu naturel (milieu naturel qui se trouve dans le monde) alors

cela signifie que lrsquoexteacuterieur du monde serait son milieu contre-nature Si tel est le cas alors le

milieu contre-nature qui est lrsquoexteacuterieur du ciel serait le milieu naturel drsquoun autre corps ce qui

nrsquoest pas possible en vertu du fait qursquoil nrsquoexiste aucune matiegravere en dehors du ciel Et pour ce

qui est du corps simple dont le mouvement est circulaire crsquoest-agrave-dire lrsquoeacutether nous avons vu

que son milieu naturel eacutetait le ciel et qursquoil nrsquoavait pas de milieu contre-nature Or srsquoil eacutetait en

dehors du ciel dans la mesure ougrave son milieu naturel est le ciel cela signifierait qursquoil serait

dans son milieu contre-naturel ce qui nrsquoest pas possible

Et si aucun des corps simples nrsquoy est aucun des corps mixtes nrsquoy est non plus car il estneacutecessaire que si un corps mixte srsquoy trouve les corps simples y soient aussi 279a1-2

Pour les corps composeacutes lrsquoargument est le mecircme Le corps composeacute est un corps qui

contient un meacutelange de plusieurs eacuteleacutements mais son mouvement se fait en fonction de

lrsquoeacuteleacutement qui domine en lui (il a donc un mouvement simple en fonction du corps simple qui

le constitue) Un corps admettons composeacute a 60 de terre et 40 de feu sera attireacute vers le

centre Ainsi il est neacutecessaire que ce corps simple ou composeacute ait un lieu naturel ou contre-

nature puisqursquoil est en mouvement vers son lieu naturel ou en mouvement vers un lieu contre-

nature De plus il y a deux types de mouvement lrsquoun circulaire et lrsquoautre rectiligne Pour le

corps qui se meut en cercle naturellement il nrsquoy a aucun lieu qui soit contre-nature dans la

mesure ougrave il nrsquoest ni geacuteneacuterable ni corruptible nous lrsquoavons vu Ce corps ne peut donc pas

changer de lieu naturel pour un autre lieu Aristote conclut par la force mecircme des arguments

contenus dans le De Caelo et de lrsquoorganisation du monde qui repose sur les notions de milieu

naturel et de mouvement naturel que le monde est formeacute de lrsquoensemble de la matiegravere et qursquoil

ne pourrait pas y avoir un autre ciel Le ciel est donc unique

Mais Aristote ne srsquoarrecircte pas agrave lrsquoaffirmation selon laquelle le ciel est unique Il ajoute

Il est en mecircme temps clair qursquoil nrsquoy a ni lieu ni vide ni temps en dehors du ciel En toutlieu en effet il est possible qursquoil existe un corps et lrsquoon dit que le vide est ce en quoi il

29

nrsquoy a pas de corps mais ougrave il est possible qursquoil en vienne un quant au temps crsquoest lenombre drsquoun mouvement et il nrsquoexiste pas de mouvement sans corps naturel 279a10

Il nrsquoy a pas de lieu pas de vide et pas de temps en dehors du ciel selon Aristote Mais

pourquoi Il ne peut y avoir de lieu car en tout lieu il est possible qursquoil y ait un corps Il nrsquoy a

pas non plus de vide dans la mesure ougrave le vide est deacutefini comme ce en quoi il nrsquoy a pas de

corps mais ougrave il pourrait y en avoir un Srsquoil existait un lieu qui nrsquoabrite aucun corps alors ce

lieu serait vide et srsquoil existe un lieu vide alors il pourrait y avoir un corps Mais puisque rien

ne peut venir agrave lrsquoecirctre en dehors du ciel pour les raisons invoqueacutees plus haut alors il ne peut ni

y avoir de vide ni de lieu en dehors du ciel De plus on se repreacutesente le vide comme un lieu

ougrave il nrsquoy a rien or il nrsquoy a pas de lieu en dehors du ciel Crsquoest lrsquoargument drsquoAristote pour

deacutefendre lrsquoideacutee qursquoil nrsquoy a ni lieu ni vide en dehors du ciel Mais pourquoi nrsquoy aurait-il pas de

temps Parce que le temps est deacutefini comme eacutetant le nombre drsquoun mouvement Le

mouvement eacutetant un changement selon le lieu drsquoune part et drsquoautre part la proprieacuteteacute drsquoun

corps dans la mesure ougrave il nrsquoy a pas de lieu et pas de corps en dehors du ciel il ne peut pas

non plus y avoir de mouvement

30

Chapitre 2 Deacutebat sur la question des ecirctres de laquo lagrave-bas raquo

durant lrsquoAntiquiteacute Aristote agrave Simplicius

31

21 Compreacutehension antique du laquo τἀκεῖ raquo du De Caelo au commentaire de Simplicius

211 τἀκεῖ De Caelo I 9 279a15-b3

Nous nous sommes donc dans le premier moment de notre propos familiariseacute avec

les concepts aristoteacuteliciens et avec la conception aristoteacutelicienne du ciel afin de pouvoir par la

suite ecirctre le plus clair possible De plus la lecture du De Caelo nous a permis de rendre

compte de son contenu drsquoune part et de ses problegravemes drsquoautres part Crsquoest alors dans un

contexte drsquoexamen des interpreacutetations platoniciennes de lrsquouniciteacute du monde et dans un

contexte drsquoexposition drsquoarguments en faveur de lrsquouniciteacute du monde qursquoapparaicirct la notion qui

dans notre propos est probleacutematique la notion de takei La seconde partie de notre propos

consistera alors agrave rendre compte drsquoun passage fort obscur du De Caelo I 9 en lrsquoanalysant A la

suite de cela nous restituerons les arguments de Simplicius et drsquoAlexandre drsquoAphrodise

respectivement en faveur du takei comme notion signifiant le Premier Moteur Immobile ou la

sphegravere des fixes Il srsquoagira alors de comprendre quelles eacutetaient les thegraveses dominantes durant

lrsquoAntiquiteacute concernant le passage du De Caelo qui nous inteacuteresse et surtout comment elles

eacutetaient deacutefendues

Tout ce qui plus haut a eacuteteacute dit nous a permis de justifier la question suivante nous

avons vu que le ciel eacutetait unique et que ni matiegravere ni lieu ni vide et ni temps ne pouvait se

trouver hors du ciel Nous avons de plus affirmeacute que rien ne pouvait venir agrave lrsquoecirctre en dehors

du ciel Alors pourquoi dans le chapitre 9 du premier livre du De Caelo Aristote en arrive agrave

la conclusion suivante

Crsquoest pourquoi les ecirctres de lagrave-bas par nature nrsquoont ni lieu ni temps qui les fasse vieillir etil nrsquoy a pas non plus aucun changement pour les ecirctres qui sont disposeacutes au-dessus de latranslation la plus exteacuterieure inalteacuterables et impassibles ils ont la meilleure et la plusautonome des vies qursquoils megravenent pour toute sa dureacutee

Ce passage tregraves obscur est lrsquoobjet preacutecis de notre meacutemoire Quel est le lien entre le

fait que le monde soit unique que rien ne puisse venir agrave lrsquoecirctre en dehors du ciel pour la raison

qursquoil nrsquoy a ni matiegravere ni lieu ni vide ni temps au-delagrave du ciel et la citation ci-dessus Il est

difficile de le dire Il semblerait agrave premiegravere vue que la conclusion agrave laquelle arrive Aristote

est la suivante srsquoil nrsquoy a pas de lieu de vide de temps et de matiegravere alors les ecirctres qui sont

32

au-delagrave du ciel nrsquoont ni lieu ni temps ni vide ni corps Pourtant il a affirmeacute auparavant que

rien ne pouvait venir agrave lrsquoecirctre ou ecirctre venu agrave lrsquoecirctre en dehors du ciel Ce qui est eacutetonnant est

contenu de la conclusion mais aussi principalement le fait que la forme de cette conclusion

preacutesuppose qursquoil existe des ecirctres au-delagrave du ciel ou du moins elle nrsquoexclut pas qursquoil y en ait

Mais si cela est vrai alors ces ecirctres nrsquoont par nature aucun lieu aucun temps aucun corps

sensible donc aucun mouvement Que pourrait-il exister qui ne soit ni dans un lieu ni

corporel et qui nrsquoait pas de temps Chose eacutetonnante il affirme qursquoil nrsquoy a pas de lieu en

dehors du ciel tout en affirmant que des ecirctres se trouvent laquo lagrave-bas raquo deacutesignant un lieu qui nrsquoest

pas censeacute exister Plus encore Aristote les situe preacuteciseacutement ils sont au dessus de la

translation la plus exteacuterieure Cette translation la plus exteacuterieure est la circonfeacuterence la plus

eacuteloigneacutee du centre crsquoest le ciel compris dans son premier sens la sphegravere des fixes Le

problegraveme est donc de savoir ce que sont ces ecirctres hors du ciel dans la mesure ougrave ils ne sont

dans aucun lieu mais sont situeacutes quelque part De plus comment maintenir la continuiteacute entre

le deacutebut de ce texte dont lrsquoobjet sont les ecirctres de lagrave-bas alors qursquoagrave la fin du texte il est

question du corps qui se meut en cercle Comment drsquoailleurs comprendre le rapport entre les

deux dans la mesure ougrave il est dit des ecirctres de lagrave-bas qursquoils sont sans mouvement parfaitement

immobile alors qursquoil est dit de lrsquoecirctre divin drsquoune part qursquoil est immobile ne pouvant pas ecirctre

mucirc par quelque chose drsquoexteacuterieur agrave lui mais que son mouvement est circulaire Comment

lrsquoecirctre le plus divin peut-il ecirctre immobile et se mouvoir en cercle De plus que peut-il y avoir

en dehors du Tout ou de la totaliteacute Et srsquoil y a quelque chose en dehors du Tout le Tout reste-

t-il la totaliteacute dans la mesure ou il nrsquoinclurait pas tout

Il est dit de ces ecirctres qursquoils nrsquoont pas de temps et qursquoils ne changent pas En effet le

changement est compris comme un mouvement et vice-versa Le mouvement est la proprieacuteteacute

drsquoun corps Il ne peut donc y avoir aucun mouvement en dehors du ciel et aucun changement

La geacuteneacuteration et la corruption sont eacutegalement des changements mais puisque rien ne peut

venir agrave lrsquoecirctre hors du ciel alors rien ne peut ecirctre geacuteneacutereacute et rien ne peut se corrompre Ce qui

implique que les ecirctres de lagrave-bas sont ingeacuteneacuterables et incorruptibles Aristote lrsquoaffirme ils sont

inalteacuterables et impassibles Mais qursquoest-ce que lrsquoalteacuteration chez Aristote Nous lrsquoavons

eacutegalement vu lrsquoalteacuteration est un changement dans la qualiteacute de la chose cela signifie que srsquoils

sont inalteacuterables leurs qualiteacutes ne peuvent pas changer Lrsquoimpassibiliteacute quant agrave elle implique

qursquoils ne peuvent ecirctre affecteacutes drsquoaucune maniegravere On note eacutegalement dans le texte drsquoorigine en

grec ancien lrsquoutilisation du pluriel pour deacutefinir ce qui se trouve au-dessus de la translation la

plus exteacuterieure τἀκεῖ On sait donc par conclusion qursquoil y a quelque chose en dehors du ciel

33

qui nrsquoa ni lieu ni temps qui est inalteacuterable impassible et qui nrsquoest pas seul en effet le

pluriel de ce terme grec qui signifie laquo les choses de lagrave-bas raquo nous rappelle qursquoil nrsquoexiste pas

qursquoun seul ecirctre lagrave-bas mais plusieurs Ces ecirctres inalteacuterables et impassibles sans temps et sans

lieu sont par conseacutequent eacuteternels De plus Aristote nous dit qursquoils ont la vie la meilleure et la

plus autonome qui soit Crsquoest-agrave-dire qursquoils ne deacutependent de rien drsquoautre que drsquoeux-mecircmes

pour ecirctre Preacuteciser que leur vie est la laquo meilleure raquo implique-t-il une comparaison avec un

autre style de vie autonome agrave un degreacute infeacuterieur Par exemple celle des corps qui ont un

mouvement eacuteternel et simple dans leur milieu naturel qui nrsquoa pas de contraire et qui implique

que les astres soient eacuteternels Cette vie autonome les takei la megravenent pour toute sa dureacutee Mais

pourquoi Aristote affirme une telle chose alors mecircme qursquoil nrsquoy a pas de temps Quel est le

rapport entre le temps et la dureacutee

[hellip] car le terme qui enveloppe le temps de la vie de chacun hors duquel on nrsquoestrien selon la nature a eacuteteacute appeleacute laquo dureacutee de vie raquo de chacun

La dureacutee de vie de chacun est donc ce qui enveloppe le temps de la vie de chacun

Mais srsquoil nrsquoy a pas de temps comment peut-il y avoir quelque chose enveloppeacute par la dureacutee

Si la dureacutee de vie de chacun est ce qui enveloppe le temps de la vie de chacun alors la dureacutee

de vie eacuteternelle des ecirctres de lagrave-bas est ce qui enveloppe le temps de la vie eacuteternelle de ces

ecirctres Sans temps il ne pourrait donc pas y avoir de dureacutee car la dureacutee nrsquoenvelopperait rien

Le temps est ce qui chez Aristote est relatif au combien de temps La question du laquo combien

de temps raquo suppose qursquoil y a du temps qui passe donc un mouvement qui se produit Mais

hors du ciel il nrsquoy a ni corps ni mouvement ni temps donc comment les ecirctres de lagrave-bas

peuvent-ils avoir la vie pour toute sa dureacutee

La dureacutee est la totaliteacute du temps de la vie de quelque chose et crsquoest aussi le terme qui

englobe la totaliteacute du temps du ciel Le ciel compris comme un Tout ou une totaliteacute crsquoest-agrave-

dire la troisiegraveme maniegravere de parler du ciel est une dureacutee On considegravere que comme le terme

de laquo dureacutee raquo a une origine commune avec le laquo fait drsquoexister toujours raquo alors le ciel qui est une

dureacutee est une dureacutee en vertu du fait qursquoil dure toujours Ainsi le ciel est immortel et divin car

il existe toujours sans srsquoarrecircter

Le problegraveme qui se pose est alors celui de comprendre le rapport entre les deux parties

de ce texte on y traite dans un premier temps en 279a15 des ecirctres qui seraient disposeacutes au-

delagrave du ciel en les caracteacuterisant comme eacutetant des ecirctres qui ne sont dans aucun lieu et soumis agrave

34

aucun changement A partir de la notion de dureacutee il argumente en faveur de lrsquoeacuteterniteacute du ciel

Pourquoi semble-t-il y avoir une discontinuiteacute dans lrsquoobjet de cet extrait

Aristote affirme que la dureacutee a un terme qui permet de mesurer le temps qui passe

alors que le ciel nrsquoen a pas Il en vient alors agrave parler de lrsquoecirctre divin duquel deacutepend la vie de

tout ce qui existe En effet la limite du ciel est la sphegravere des fixes en ce sens elle est ce qui

enveloppe le monde Toutefois il nous semble que la notion de dureacutee interrompe le discours

portant sur les ecirctres de lagrave-bas Srsquoil eacutetait au deacutepart question des takei il est deacutesormais question

de la sphegravere des fixes Sont-ils une seule et mecircme chose Telle est la question que les lecteurs

peuvent se poser et qui permettrait drsquounifier le texte

Et par exemple dans les travaux de philosophie destineacutes au grand public portant sur lesecirctres divins on deacuteclare souvent en srsquoappuyant sur des raisonnements que tout ecirctre divineacutetant premier et au-dessus des autres est neacutecessairement immuable 279A31-33

Nous arrivons alors au passage que nous avons eacutetabli comme eacutetant la partie C Aristote

se reacutefegravere agrave des travaux de philosophie portant sur les ecirctres divins La question que nous nous

posons ainsi que les interpregravetes est celle de savoir si les ecirctres divins dont il est question sont

les takei de la partie A Il existe alors un doute dans la compreacutehension de ce passage qui

reacutesulte drsquoune impression de discontinuiteacute entre la partie A et la partie C mais non pas drsquoune

opposition entre celles-ci Le problegraveme survient agrave cause drsquoun doute sur la coiumlncidence entre

lrsquoexpression takei et lrsquoexpression theion (ecirctres divins) Ces travaux de philosophie portant sur

les ecirctres divins affirme que les ecirctres divins sont immuables Pour Aristote cela teacutemoigne en

faveur de ce qursquoil a affirmeacute plus tocirct rien ne peut mouvoir le divin sinon cette chose serait

plus divine que le divin et ce nrsquoest pas possible

Il existe alors un deacutebat concernant ce passage Degraves lrsquoAntiquiteacute deux commentateurs

drsquoAristote srsquoaffrontent sur la question de lrsquoidentiteacute des takei Ces deux interpreacutetations sont

celle de Simplicius et celle drsquoAlexandre Le premier deacutefend lrsquoideacutee que lrsquoexpression takei

renvoie au Premier Moteur Immobile alors que le second deacutefend qursquoil srsquoagit de la sphegravere des

fixes Ces deux interpreacutetations se font alors concurrence et ont donneacute naissance agrave une longue

tradition interpreacutetative que nous eacutetudierons plus tard

On peut alors se demander quelle uniteacute il existe dans cet extrait du De Caelo de la fin

du chapitre 9 Livre I Il semblerait que les ecirctres dont nous parle Aristote et qui se situent au-

35

delagrave de la translation la plus exteacuterieure soient des corps qui se meuvent en cercle car ils ont en

commun certaines proprieacuteteacutes lrsquoeacuteterniteacute la dureacutee sans fin lrsquoautonomie Or il srsquoavegravere que les

ecirctres de lagrave-bas sont exteacuterieurs au ciel alors que les corps qui se meuvent en cercle sont dans le

ciel Ils sont de plus composeacutes de la matiegravere qursquoest lrsquoeacutether ce qui implique qursquoils ne puissent

pas ecirctre au-delagrave du ciel dans la mesure ougrave il nrsquoexiste aucune matiegravere en dehors du ciel ni

aucun mouvement

222 Le commentaire perdu drsquoAlexandre possibles reacuteponses au problegraveme du laquo τἀκεῖ raquo

Nous avons vu que De Caelo I 9 srsquoachevait sur un passage fort mysteacuterieux En effet

dans la partie A du texte que nous avons citeacute au deacutebut de notre propos Aristote affirme et

prouve par les arguments que nous avons vu plus tocirct qursquoil nrsquoexiste rien en dehors du ciel ni

lieu ni vide ni temps ni matiegravere Vient alors la conclusion que les ecirctres se trouvant en dehors

du ciel ne sont dans aucun lieu nrsquoont ni matiegravere ni temps qui les fassent vieillir Il srsquoagira

alors drsquoaborder les interpreacutetations antiques de ce passage dans le but de comprendre quelles

sont les hypothegraveses quant agrave lrsquoidentiteacute de ces ecirctres (τἀκεῖ en grec) et les arguments pour les

deacutefendre

Nous allons alors commencer par examiner lrsquointerpreacutetation drsquoAlexandre drsquoAphrodise

du De Caelo I 9 telle qursquoelle nous a eacuteteacute transmise par Simplicius dans son commentaire

Alexandre propose deux lectures hypotheacutetiques de cet extrait En effet il se demande

ce agrave quoi fait reacutefeacuterence Aristote lorsqursquoil emploie le terme de laquo τἀκεῖ raquo Soit ce qui est deacutecrit

comme eacutetant un ecirctre en dehors du ciel qui nrsquoest dans aucun lieu et qui nrsquoa pas de temps qui le

fasse vieillir renvoie agrave la doctrine du Premier Moteur Soit cela fait reacutefeacuterence agrave la sphegravere des

fixes Nous allons nous inteacuteresser agrave la premiegravere hypothegravese

Qursquoest-ce que le Premier Moteur En Meacutetaphysique Λ 1072b5 Aristote affirme que

le Premier Moteur est une substance et un acte Cela signifie que le Premier Moteur est une

substance eacuteternelle du fait qursquoelle nrsquoest pas mateacuterielle qui meut le Premier Ciel tout en eacutetant

immobile ce qui implique qursquoil soit tel qursquoil ne puisse jamais ecirctre autrement qursquoil nrsquoest En

effet la sphegravere des fixes eacutetant du domaine du divin et eacutetant mucirc de maniegravere continue et

eacuteternelle doit avoir un moteur qui soit parfaitement immobile car plus parfait qursquoelle De

plus cela permet drsquoexpliquer lrsquoeacuteterniteacute du mouvement ceacuteleste dans la mesure ougrave ce qui est la

cause drsquoun mouvement eacuteternel doit aussi ecirctre eacuteternel sans quoi elle se corromprait et le ciel

36

cesserait son mouvement ce qui nrsquoest pas possible Il y a donc une sorte de hieacuterarchie du

point de vue de la substance Crsquoest-agrave-dire que Aristote identifie trois substances deux

sensibles dont une corruptible une eacuteternelle La troisiegraveme substance quant agrave elle est dite

laquo motrice raquo puisqursquoelle est agrave lrsquoorigine du premier mouvement qui est celui du ciel Celle-ci

puisqursquoelle est agrave lrsquoorigine du mouvement du Premier Ciel est plus divine et plus parfaite

Qursquoest ce qursquoimplique lrsquohypothegravese selon laquelle le τἀκεῖ serait le premier moteur Le

premier moteur immobile est ce qui est agrave lrsquoorigine du premier mouvement crsquoest-agrave-dire le

mouvement en cercle du corps simple qursquoest le ciel Ce moteur est unique et eacuteternel Parce

que le lieu du plus divin est le plus haut on comprend le premier moteur comme eacutetant au

dessus du ciel puisqursquoil est plus divin que lui et est ce qui le met en mouvement Crsquoest

lrsquohypothegravese drsquoAlexandre sur la possibiliteacute que les laquo ecirctres de lagrave-bas raquo renvoient agrave la doctrine du

Premier Moteur Il nrsquoest dans aucun corps donc il est hors du ciel et il nrsquoest pas dans un lieu

puisqursquoil nrsquoest pas corporel et mateacuteriel Toutefois le pluriel utiliseacute par Aristote rend

compliqueacute cette hypothegravese dans la mesure ougrave le Premier Moteur immobile est unique affirme

Fabienne Baghdassarian19 Alexandre dit Simplicius affirme que cette theacuteorie nrsquoest pas

vraisemblable bien qursquoil propose cette lecture nrsquoest pas veacuteritablement en faveur de celle-ci Il

affirme la chose suivante dans le commentaire de Simplicius

If by lsquoabove the outermost movementrsquo he were speaking about the first cause (Alexandersays) he would be referring to [the region] above the orbit of the sphere of the fixed[starts] while if he were saying these things about the divine body the lsquooutermostmovementrsquo would mean the furthest of the rectilinear motions [hellip] So above thefurthest movement there is all of the revolving body which he says is neither in place norin time being eternal and ageless For while the divine body as a whole is not in placeparts of it are in place the spheres of the planets are in place20

En effet Alexandre pensait que si Aristote avait voulu parler du Premier Moteur il

aurait explicitement utiliseacute lrsquoexpression περɩ φορά et non pas φοράν Aristote utilise selon

Alexandre lrsquoexpression περɩ φορά pour deacutesigner le mouvement circulaire et non pas φοράν

qui deacutesigne le mouvement rectiligne Simplicius va critiquer cet argument en deacutefaveur de la

reacutefeacuterence au Premier Moteur drsquoAlexandre en affirmant qursquoAristote utilise aussi φοράν pour

deacutesigner le mouvement circulaire

19 Baghdassarian F opcit20 SIMPLICIUS 2881-9

37

Alexandre propose apregraves la premiegravere hypothegravese concernant la reacutefeacuterence au Premier

Moteur Immobile une seconde hypothegravese selon laquelle le τἀκεῖ renvoie agrave la sphegravere des fixes

Il fait donc reacutefeacuterence au livre 4 de la Physique Dans ce chapitre il deacutefinit le lieu comme laquo la

limite du corps englobant raquo La sphegravere des fixes nrsquoest dans aucun lieu dans la mesure ougrave elle

nrsquoest englobeacutee par aucun corps En effet le cosmos aristoteacutelicien srsquoorganise de la maniegravere

suivante il y a le centre de lrsquounivers qui est enveloppeacute par la limite du corps qui se trouve

dans la reacutegion sublunaire Autour de cette reacutegion sublunaire se trouve le corps ceacuteleste qui est

la sphegravere des fixes comme un corps englobant le ciel compris comme un Tout Entre la Lune

et la sphegravere des fixes se trouve le corps dans la continuiteacute de la sphegravere des fixes sur lequel se

trouvent certains astres comme le Soleil Jupiter et drsquoautres Mais rien nrsquoenveloppe la sphegravere

des fixes ce qui implique que la sphegravere des fixes nrsquoest dans aucun lieu Donc srsquoil se reacutefegravere

aux ecirctres divins au-delagrave de la translation la plus exteacuterieure cela signifie que la translation la

plus exteacuterieure est en fait le mouvement rectiligne le plus haut celui du feu Mais pourquoi le

mouvement rectiligne serait le mouvement le plus haut Nous avons affirmeacute que le lieu eacutetait

la limite du corps englobant or la sphegravere des fixes nrsquoest englobeacutee par rien ce qui implique

que la sphegravere des fixes (le premier ciel) nrsquoest dans aucun lieu Le lieu qui existe est ce qui se

trouve enveloppeacute par la sphegravere des fixes crsquoest-agrave-dire le corps qui est dans la continuiteacute de la

sphegravere des fixes (lrsquoeacutether) et sur lequel se trouvent certains astres puis seacutepareacute par la Lune le

monde sublunaire dont le mouvement du feu est le mouvement rectiligne le plus haut Cet

argument selon Alexandre permet de montrer que cet extrait porte sur la sphegravere des fixes et

non des reacutealiteacutes qui seraient en dehors du ciel Le ciel au sens premier nrsquoeacutetant ni dans un lieu

ni soumis au temps le τἀκεῖ qualifieacute comme nrsquoeacutetant ni dans un lieu ni soumis agrave aucun

changement du fait de son absence du temps se reacutefeacutererait alors agrave la sphegravere des fixes

On peut alors conclure que Alexandre preacutefegravere lire ce texte en supposant qursquoAristote se

reacutefegravere au corps simple qui se meut en cercle lorsqursquoil parle des laquo ecirctres de la-bas raquo crsquoest-agrave-dire

au ciel au sens de la sphegravere des fixes

213 Compreacutehension et hypothegravese de Simplicius sur les ecirctres de lagrave-bas

Simplicius propose une autre lecture possible de ce passage Simplicius est le chef de

file tout comme Alexandre qui considegravere que le τἀκεῖ est une reacutefeacuterence au premier ciel drsquoune

longue tradition interpreacutetative selon laquelle le Premier Moteur Immobile serait ce qui est viseacute

par Aristote dans lrsquoensemble du passage qui nous inteacuteresse Il laisse en 2888 de cocircteacute

38

lrsquointerpreacutetation drsquoAlexandre du problegraveme du τἀκεῖ et reprends son commentaire lineacuteaire du

De Caelo

After saying that things divine are lsquopossessed of the best and most self-sufficient of livesrsquoand that lsquothey persist throughout all the agesrsquo he wishes also to establish theirimmortality and eternality on the basis of the word lsquoagersquo [hellip] For we call the completeand all-embracing time of the life of something its age lsquobeyond which there is nonenaturalrsquo21 2888

Aristote cherche agrave fonder lrsquoimmortaliteacute du corps ceacuteleste qursquoest le ciel au sens de la

sphegravere des fixes sur lrsquoorigine du mot laquo dureacutee raquo En effet il existe un rapport eacutevident entre le

premier ciel qui englobe tout et la dureacutee crsquoest-agrave-dire le terme qui englobe la totaliteacute du temps

de la vie de chaque choses Le ciel comme la dureacutee sont englobants ainsi il nrsquoest pas eacutetonnant

drsquoaffirmer que dans la mesure ougrave le ciel (crsquoest-agrave-dire la sphegravere des fixes) nrsquoest pas englobeacute

par la dureacutee puisqursquoil nrsquoy a pas de temps en dehors du ciel et qursquoil nrsquoy a pas de dureacutee sans

temps qui passe le corps qui srsquoy trouve nrsquoest pas soumis agrave la corruption et agrave la mort il est

immortel

Simplicius se reacutefegravere alors agrave une œuvre perdue drsquoAristote De la philosophie22 dans le

but de donner lrsquoargument aristoteacutelicien en faveur de lrsquoeacuteterniteacute du divin afin de preacuteparer

lrsquoargument selon lequel les ecirctres de lagrave-bas seraient les intelligibles Lrsquoargument drsquoAristote est

le suivant partout ou il y a quelque chose de mieux il y a quelque chose de meilleur le

divin Aristote affirme qursquoune chose peut ecirctre mise en mouvement par deux causes possibles

par une chose qui lui est exteacuterieure ou par elle-mecircme Si ce qui meut un corps est une cause

exteacuterieure il est neacutecessaire qursquoelle soit meilleure que ce qursquoelle meut ou moins bonne Si

crsquoest par elle-mecircme alors il est neacutecessaire que ce soit vers quelque chose de meilleur ou vers

quelque chose de pire Aristote dans le DP affirme qursquoil nrsquoy a rien de meilleur que le divin

sinon cette chose serait plus divine que le divin Donc rien ne peut changer le divin puisque

qursquoil ne manque drsquoaucun des biens et est parfaitement bon Puisqursquoil nrsquoy a rien de mauvais

chez le divin cela implique qursquoil ne puisse pas ecirctre mucirc vers le pire ni par un autre ni par lui-

mecircme Le divin se changerait-il lui mecircme Simplicius se reacutefegravere pour reacutepondre agrave cette

21 Simplicius 2888 22 Traiteacute perdu drsquoAristote dont le passage du De Caelo laquo les ecirctres de lagrave-bas raquo semble issu ou srsquoy reacutefegravere tout du

moins

39

question au livre II de La Reacutepublique de Platon dans lequel Platon affirme que le meilleur et

le plus divin est ce qui subit le moins de changement ou aucun changement de lrsquoexteacuterieur A

partir de lagrave il se pose la question de savoir si le divin qui ne peut pas ecirctre alteacutereacute par ce qui lui

est exteacuterieur du fait qursquoil est le meilleur srsquoaltegravere lui-mecircme vers le meilleur ou vers le pire

Dans la mesure ougrave le divin possegravede tous les biens srsquoil srsquoaltegravere ce sera neacutecessairement vers le

pire car il ne peut pas ecirctre plus parfait qursquoil ne lrsquoest deacutejagrave Mais puisque personne ne se

changerait pour le pire et le moins beau volontairement alors cela implique que le divin ne se

change pas

Ces arguments tireacutes de La Reacutepublique II et du De Philosophia permettraient alors agrave

Simplicius de critiquer la theacuteorie drsquoAlexandre Aristote ne peut pas se reacutefeacuterer agrave la sphegravere des

fixes dans la mesure ougrave celle-ci est en mouvement Son mouvement est certes eacuteternel car il

ne connaicirct aucun changement son lieu de deacutepart est son lieu drsquoarriveacutee donc son mouvement

est eacuteternel Mais cela implique qursquoil soit mucirc par quelque chose qui neacutecessairement est plus

divin que lui et qui ne peut pas ecirctre en mouvement drsquoaucune maniegravere que ce soit

That not all of it can be interpreted as applying to the heavenly body is clear Ithink from what has just been said For having shown that there is no body either simpleor composite outside the heaven he argued lsquoat the same time it is clear that there can beneither place void nor time beyond the heavensrsquo And having shown this and concludedlsquotherefore it is obvious that there is neither place nor void nor time outside he theninfers as it were from what has been said some corollaries lsquofor this reason the thingswhich are of a nature to be there are not in place nor can time cause them to grow oldand so on by lsquothe things therersquo clearly meaning those outside the heaven So how couldthe heaven be said to be outside the heaven And how could he say that there is nochange of any kind for any of the heavenly bodies when he sees that their change ofplace is unceasing And neither does he say that the things which are positioned abovethe furthest movement are heavenly bodies23

On ne peut donc pas interpreacuteter tout le texte comme eacutetant au sujet des corps ceacutelestes

pour Simplicius en raison de ce qui a eacuteteacute dit par Aristote Puisqursquoil a montreacute qursquoil nrsquoy avait

pas de corps en dehors du ciel car celui-ci eacutetait constitueacute de lrsquoensemble de la matiegravere il

affirme qursquoil nrsquoy a pas de lieu ndash en raison du fait que le lieu est lagrave ougrave il y a un corps ndash pas de

vide ndash car le vide est lagrave ougrave il nrsquoy a pas de corps mais ougrave il pourrait y en avoir un ndash et pas de

temps car le temps est une proprieacuteteacute des corps et qursquoil nrsquoy a pas de corps en dehors du ciel

Crsquoest pourquoi laquo les ecirctres de lagrave-bas raquo ne peuvent pas faire reacutefeacuterence aux corps ceacutelestes

23 Simplicius 290 1-17

40

Puisque le τἀκεῖ est deacutesigneacute comme nrsquoeacutetant pas dans un lieu pas dans le temps et nrsquoayant pas

de matiegravere que lrsquoexteacuterieur du ciel nrsquoest ni du vide ni du temps et qursquoil ne peut y avoir aucun

corps Simplicius en conclut que laquo lagrave-bas raquo signifie laquo au-delagrave du ciel raquo Il oppose alors

drsquoautres critiques agrave la theacuteorie drsquoAlexandre par rapport agrave ce qui vient drsquoecirctre dit comment le

ciel pourrait-il ecirctre en dehors du ciel Comment Aristote pourrait-il affirmer srsquoil se reacutefeacuterait agrave

la sphegravere des fixes qursquoil nrsquoy a aucune sorte de changement pour le ciel tout en affirmant que

son mouvement est eacuteternel et incessant Il semble alors compliqueacute de soutenir que le τἀκεῖ

renvoie agrave la sphegravere des fixes ou aux corps ceacutelestes qui se meuvent en cercle

Simplicius comprend alors nos trois parties De Caelo I 9 agrave la lumiegravere du De

Philosophia et de Reacutepublique II Puisque ce qui est en mouvement lrsquoest neacutecessairement par

quelque chose de plus parfait que lui alors ce qui meut le ciel est plus parfait que le ciel Il

srsquoagit de srsquointeacuteresser au moteur immobile qui meut le premier ciel crsquoest-agrave-dire le Premier

Moteur Il souligne toutefois que ce passage est obscur et laisse possible lrsquointerpreacutetation

suivante lorsqursquoAristote fait reacutefeacuterence au mouvement eacuteternel du ciel crsquoest pour parler de ce

qui le meut En effet le Premier Moteur Immobile est plus divin que le ciel puisque ce qui

met une chose en mouvement est plus divin qursquoelle En ce sens il serait dit laquo au-delagrave du ciel raquo

car au-dessus de la nature des corps ceacutelestes Cela implique alors que laquo au-delagrave raquo ne

signifierait pas un lieu mais une nature hieacuterarchiquement supeacuterieure agrave celle du ciel

Il accepte cependant que le texte ne soit pas du deacutebut de la partie A agrave la fin de la partie

C au sujet du Premier Moteur Lorsque Aristote fait mention de la notion de dureacutee il fait

reacutefeacuterence agrave la sphegravere des fixes En effet la fin de la dureacutee est la limite qui permet la

quantification de la dureacutee mais le ciel nrsquoa pas de dureacutee il est compris comme ce qui englobe

la dureacutee de vie de tout ce qui est Mais apregraves avoir eacutetabli la premiegravere signification de la dureacutee

qui fait le lien avec le premier ciel Aristote bascule vers lrsquoideacutee que ce qui comprend

lrsquoensemble du temps et de lrsquoinfiniteacute est une dureacutee et crsquoest donc une reacutefeacuterence au Premier

Moteur car de lui deacutepend de maniegravere directe lrsquoecirctre et la vie eacuteternelle du corps ceacuteleste et de

maniegravere indirecte lrsquoecirctre et la vie des corps du monde sublunaire De maniegravere indirecte car les

corps du monde sublunaire ne sont pas directement mis en mouvement par lui mais leur vie

deacutepend de celle de la sphegravere des fixes qui elle est directement mise en mouvement par le

Premier Moteur Immobile

Simplicius deacutefend alors sur le fondement de ces arguments que le τἀκεῖ fait reacutefeacuterence

au Premier Moteur Immobile et non au corps ceacuteleste Simplicius va alors mecircme jusqursquoagrave

41

changer le texte original drsquoAristote en optant pour kinai plutocirct que kineitai ce qui permet

drsquoattribuer une fonction motrice au τἀκεῖ Ce changement lui permet alors de faire

correspondre le τἀκεῖ agrave la theacuteorie du Premier Moteur sans forcer lrsquointerpreacutetation De ce fait

le τἀκεῖ renverrait agrave quelque chose de transcendant agrave lrsquoordre ceacuteleste car le premier ciel est

mucirc en vertu de la perfection de son moteur celle-ci accordeacutee au τἀκεῖ dans la mesure ougrave il ne

connaicirct aucun changement et est parfaitement autonome Pour appuyer la theacuteorie de

Simplicius nous pouvons ajouter lrsquoargument de la coiumlncidence entre la description du τἀκεῖ

dans le DC et celle du Premier Moteur Immobile dans Meacutetaphysique Λ lrsquoun comme lrsquoautre

sont dits parfaitement immuables eacuteternels et autonomes

42

Chapitre 3 Interpreacutetations modernes du De Caelo I 9

La question du τἀκεῖ premier moteur reacutealiteacutes hyper-

cosmiques ou sphegravere des fixes reacutealiteacutes ceacutelestes

43

31 Le problegraveme de la continuiteacute argumentative du Livre I 9

311 La discontinuiteacute du sujet en faveur de la transcendance du τἀκεῖ

Le deuxiegraveme moment de notre propos nous a donc servi agrave comprendre quels eacutetaient les

arguments deacutefendus durant lrsquoAntiquiteacute par Simplicius et Alexandre drsquoAphrodise Ces deux

interpregravetes sont les chefs de file de deux interpreacutetations qui sopposent celle de Simplicius

selon laquelle le takei ferait reacutefeacuterence au Premier Moteur Immobile et celle drsquoAlexandre

selon laquelle il srsquoagirait drsquoune reacutefeacuterence agrave la sphegravere des fixes Ces deux thegraveses srsquoaffrontent

depuis lrsquoAntiquiteacute Elles ont influenceacute les interpreacutetations modernes et ont forgeacute une logique

binaire dans la maniegravere de comprendre lrsquoidentiteacute des ecirctres de lagrave-bas Ce deacutebat antique se

perpeacutetue dans un deacutebat entre les interpregravetes modernes Il srsquoagira alors de restituer les

arguments modernes heacuteritiegraveres des deux interpreacutetations antiques afin de rendre compte de la

logique binaire du deacutebat Toutefois nous ne nous limiterons pas agrave cette binariteacute et nous nous

inteacuteresserons agrave des theacuteories plus originales telles que celle de Peacutepin ou celle de Merlan

Si nous avons eacutevoqueacute plus haut le problegraveme de la continuiteacute des ideacutees aristoteacuteliciennes

au sein du corpus aristoteacutelicien et plus particuliegraverement au regard du De Caelo crsquoest dans le

but de poser les preacutemisses drsquoarguments qui reposent sur la continuiteacute ou la discontinuiteacute du

De Caelo I9 Nous nous fonderons pour le moment sur les deux alternatives les plus

populaires du problegraveme de lrsquoidentiteacute du τἀκεῖ avec drsquoune part les arguments en faveur drsquoune

reacutefeacuterence astrale et drsquoautre part les arguments en faveur drsquoune reacutefeacuterence agrave un ou des ecirctres

transcendant le ciel Mais nous verrons un certain type drsquoarguments en faveur de lrsquoune ou

lrsquoautre ideacutee en effet les arguments que nous expliciterons seront ceux qui reposent sur une

analyse de la continuiteacute ou de la discontinuiteacute du passage qui deacutebute en 279a18 et qui se

termine agrave la fin du chapitre 9 dans le but de comprendre comment sont justifieacutees lrsquoune ou

lrsquoautre ideacutee Nous allons alors nous inteacuteresser preacuteciseacutement agrave lrsquoobjet ou les objets de ce passage

via lrsquoarticle de Fabienne Baghdassarian24

Si le chapitre I 9 se refermait sur les remarques qui preacutecegravedent sans doute nrsquoaurait-iljamais paru eacutenigmatique Chacun srsquoaccorderait agrave reconnaicirctre derriegravere laquo les ecirctres de lagrave-basraquo des reacutealiteacutes hypercosmiques conformeacutement agrave ce qursquoindiquent clairement agrave la fois leurdescription topographique et le contexte argumentatif de lrsquoextrait Neacuteanmoins le textepoursuit une analyse dont on a du mal agrave comprendre comment elle peut ne pas remettreen question lrsquohypothegravese de la transcendance Il apparaicirct en effet que le texte agrave supposer

24 Baghdassarian F opcit2011 p192

44

qursquoil traite de reacutealiteacutes transcendantes en 279a18-22 change de sujet agrave une ou plusieursreprises pour deacutevelopper des consideacuterations qui font une reacutefeacuterence plus explicite au ciel

Fabienne Baghdassarian agrave la suite de cet extrait explicite les trois moments de

lrsquoargumentation du passage 279a18-b3 du De Caelo I 9 Il semble selon sa lecture y avoir

une discontinuiteacute dans lrsquoobjet du texte En effet dans un premier temps apregraves avoir conclu

qursquoil nrsquoexistait ni lieu ni vide ni temps et ni corps en dehors du ciel et que les ecirctres qui se

situaient laquo au dessus de la translation la plus exteacuterieure raquo nrsquoavaient laquo ni lieu ni temps qui les

fasse vieillir raquo et qursquoils nrsquoeacutetaient soumis agrave aucun type de changement Aristote fait intervenir

la notion de αἰών crsquoest-agrave-dire la notion de la dureacutee Vient ensuite la partie C qui concerne le

mouvement ceacuteleste

Mais le problegraveme majeur qui se pose au sujet de la continuiteacute argumentative de cette

fin de chapitre 9 de De Caelo I est majoritairement ducirc agrave une reacutefeacuterence mysteacuterieuse agrave des

laquo travaux de philosophie destineacutes au grand public portant sur les ecirctres divins raquo 279a31 qui

cassent lrsquoargumentation agrave tel point que ce passage est suspecteacute drsquoecirctre un ajout tireacute drsquoun traiteacute

perdu drsquoAristote le De Philosophia

La preacutesence de ce supposeacute passage du De Philosophia complexifie lrsquoensemble de la

fin du De Caelo I 9 En effet ce texte creacuteeacute ce qui semble ecirctre une discontinuiteacute dans

lrsquoargumentation geacuteneacuterale de chapitre 9 Certains auteurs voient le De Philosophia comme

eacutetant agrave propos pour eacuteclairer la question de lrsquoidentiteacute des takei crsquoest le cas de Dumoulin25 qui

retrace lrsquoargumentation du De Caelo au regard du De Philosophia Il coupe le texte original en

diffeacuterents paragraphes dans le but de faire ressortir lrsquoenchaicircnement des ideacutees Successivement

il voit agrave partir de 279a11-18 les conseacutequences de lrsquoabsence de corps en dehors du ciel De

279a19-22 lrsquoaffirmation selon laquelle tout ce qui est immateacuteriel est immobile De 279a22-

30 un deacutebut de paragraphe qui porte sur lrsquoeacuteterniteacute du ciel De 279a31-34 le principe geacuteneacuteral

de lrsquoimmutabiliteacute du divin fondeacute sur des travaux de philosophie qui traitent des ecirctres divins

Enfin de 279a34-b3 il est question de lrsquoimmutabiliteacute du mouvement ceacuteleste Il apparaicirct alors

que le texte dont il est question deacutebute par les conseacutequences de lrsquoabsence de temps de lieu et

de corps en dehors du ciel agrave savoir que les ecirctres qui se situent au-delagrave du ciel nrsquoont ni lieu ni

temps ni corps Puis Aristote finit par un eacuteloge de lrsquoeacuteterniteacute du mouvement ceacuteleste Le

mouvement est le propre des corps mais srsquoil nrsquoy a pas de corps en dehors du ciel il nrsquoy a pas

non plus de mouvement Donc pourquoi passe t-on du constat que les ecirctres en dehors du ciel

25 Dumoulin Recherches sur le premier Aristote Eudegraveme De la philosophie Protreptique1981 p 53-65

45

nrsquoont ni corps ni aucun mouvement pour ensuite louer lrsquoeacuteterniteacute du mouvement ceacuteleste Tel

est le problegraveme de lrsquouniteacute argumentative de ce passage26

Drsquoapregraves Alexandre citeacute par Simplicius deux interpreacutetations srsquoaffrontaient danslrsquoAntiquiteacute les ecirctres en question deacutesignent le premier moteur immobile pour les uns etle ciel des fixes pour les autres Cette alternative continue agrave gouverner lrsquointerpreacutetation dupassage pour le premier moteur immobile nommons agrave la suite de Simplicius ZellerTricot Untersteiner Berti agrave la suite drsquoAlexandre pour le ciel des fixes Werner GuthrieMoreau Festugiegravere Nous allons ecirctre conduit agrave contester le principe de cette alternative

Comme le rappelle Dumoulin il existe deux alteacuternatives agrave lrsquointerpreacutetation de ce

passage Il srsquoagit maintenant de comprendre lrsquoargument qui permet agrave Dumoulin drsquoaffirmer

que le τἀκεῖ fait reacutefeacuterence agrave des reacutealiteacutes qui se placeraient au-delagrave de la sphegravere des fixes et non

sur la sphegravere Il annonce alors explicitement qursquoil srsquoagira de contester la theacuteorie drsquoune

reacutefeacuterence ceacuteleste

Comment srsquoy prend Dumoulin pour justifier lrsquoideacutee que le τἀκεῖ renvoie agrave des ecirctres qui

se trouvent au-delagrave de la translation la plus exteacuterieure ou agrave la theacuteorie du Premier Moteur

Immobile Sa deacutemarche consiste agrave comprendre le texte par le texte lui-mecircme en srsquointeacuteressant

agrave lrsquoutilisation des mots et agrave leur sens le plus naturel Crsquoest pourquoi il commence son

explication en rappelant deux choses τἀκεῖ vient de ἐκεῖ qui dans Physique VIII 10 267b9

deacutesigne la localisation du Premier Moteur Immobile De plus τἀκεῖ manifeste un pluriel qui

bien qursquoil semble ne pas correspondre agrave lrsquoideacutee du Premier Moteur Immobile qui est censeacute ecirctre

unique correspond agrave lrsquoideacutee drsquoune pluraliteacute de principes qui peuvent exister agrave partir du

moment ougrave il existe une hieacuterarchie entre eux Cette ideacutee lisible dans Meacutetaphysique Λ 8

correspond eacutegalement agrave celle preacutesente dans le fragment 17 du De Philosophia Notons de

plus le fait que le Premier Moteur est dit laquo immobile raquo crsquoest-agrave-dire qursquoil ne connaicirct aucune

espegravece de changement ni dans la substance ni dans le lieu de la mecircme maniegravere qursquoil est dit

des τἀκεῖ qursquoils sont parfaitement immobiles Toutefois cela signifie-t-il que si le τἀκεῖ est

transcendant au ciel son identiteacute correspond agrave celle du Premier Moteur Immobile Pas

neacutecessairement Dumoulin envisage la possibiliteacute en fonctionnant de maniegravere reacutetrospective et

en se tournant vers le Timeacutee de Platon que le τἀκεῖ fasse reacutefeacuterence agrave un ecirctre divin immobile

mais pas forcement moteur La lecture organiseacutee de ce texte comme nous lrsquoavons vu plus

haut par le biais de Dumoulin permet de comprendre qursquoil existe une deacutemonstration logique

au texte En effet les conseacutequences du fait qursquoil nrsquoy ait ni corps ni temps ni lieu en dehors du

26 Ibid p54

46

ciel impliquent que ce qui est en dehors du ciel est immateacuteriel et dans la mesure ougrave le temps

est le nombre du mouvement alors les ecirctres qui se situent au-delagrave du ciel nrsquoont pas de

mouvement et sont parfaitement immobiles Leur immobiliteacute due agrave leur immateacuterialiteacute font

drsquoeux des ecirctres divins car eacuteternels mais cela implique-t-il que comme le Premier Moteur

Immobile ils aient une fonction motrice Crsquoest pourquoi Dumoulin se tourne vers le Timeacutee

Partir sur la piste de la transcendance du τἀκεῖ sans pour autant faire reacutefeacuterence au Premier

Moteur Immobile peut nous faire penser agrave la diviniteacute immateacuterielle du Timeacutee qui a ordonneacute le

monde Aristote ayant eacuteteacute durant un certain nombre drsquoanneacutees lrsquoeacutelegraveve de Platon nous sommes

en droit de nous demander srsquoil nrsquoavait pas au deacutepart postuleacute un ecirctre immateacuteriel et divin sans

penser agrave un ecirctre qui serait le moteur du mouvement Il nous faut alors eacutetablir la distinction

entre ce qursquoune chose est (par exemple divine eacuteternelle parfaitement immobile) et ce qursquoelle

fait la fonction qursquoelle remplit (par exemple mettre en mouvement le premier ciel) Il est

alors question ici de celui que lrsquoon appelle le laquo premier Aristote raquo celui qui eacutetant platonicien

reacutefleacutechissait agrave partir de cette conception du monde Cette theacuteorie servirait-elle alors de

preacutemisse agrave ce qui sera plus tard la theacuteorie du Premier Moteur Nous pouvons nous le

demander mais y reacutepondre aurait besoin drsquoun autre propos Neacuteanmoins cette ideacutee permet de

proposer une lecture particuliegravere du De Caelo I9 selon laquelle il y a une reacutefeacuterence agrave des ecirctres

hypercosmiques crsquoest-agrave-dire qui se trouvent au dessus du ciel sans toutefois se reacutefeacuterer au

Premier Moteur Immobile

Mais lrsquoargument en faveur de la transcendance du τἀκεῖ ne srsquoarrecircte pas lagrave Nous

lrsquoavons dit ce passage est obscur car il est fait mention drsquoun ouvrage qui porte sur les ecirctres

divins et qursquoil semble que ce texte du fait de ses diffeacuterents objets soit en partie issu drsquoun

traiteacute perdu drsquoAristote De Philosophia Nous lrsquoavons dit et le rappelons en 279a18 il est

question drsquoecirctres qui se situent au-dessus de la translation la plus exteacuterieure et apregraves une

eacutetrange analogie sur la notion de dureacutee se trouve un eacuteloge du mouvement eacuteternel des astres

Ce passage est celui qui brise la continuiteacute de lrsquoargumentation et nous pousse agrave douter de son

appartenance premiegravere au De Caelo A quoi se reacutefegravere donc le τἀκεῖ Et quelle est lrsquoidentiteacute

des ecirctres divins (theia) dont nous parle Aristote Le ciel Les ecirctres de lagrave-bas

Dumoulin compare un fragment du De Philosophia et le passage 279a34-b3 du De

Caelo et il en ressort de maniegravere quasiment eacutevidente que le traiteacute Du ciel se reacutefegravere tregraves

clairement au De Philosophia Nous pouvons le constater via la comparaison entre le

fragment du De Philosophia et le passage du De Caelo dont il est question dans lrsquoeacutetude de

47

Dumoulin27 Mais ce passage est-il une simple reacutefeacuterence Une paraphrase Une citation

Cette question est complexe et la conclusion nous permettra de comprendre lrsquoargumentation

geacuteneacuterale du texte et de soutenir lrsquoideacutee drsquoune veacuteritable ceacutesure dans lrsquoargumentation

Nous trouvons quelque chose de bien eacutetrange dans le texte drsquoAristote une chose fort

bien exprimeacutee par Simplicius dans son commentaire si nous savons que le premier moteur

immobile est dans la Physique la Meacutetaphysique agrave lrsquoorigine du premier mouvement crsquoest-agrave-

dire celui de la sphegravere des fixes Aristote affirme dans la partie C qursquoil nrsquoy a rien de plus fort

qui puisse mouvoir le ciel car sinon cette chose serait plus divine que le ciel Mais puisque le

ciel est parfait et qursquoil ne manque drsquoaucun des biens cela nrsquoest pas possible Comment

expliquer cela Srsquoagit-il drsquoun changement doctrinal Drsquoune citation Drsquoune paraphrase

Simplicius avait trois sources agrave sa disposition pour commenter le De Caelo La Reacutepublique

II de Platon des fragments du De Philosophia et le texte qursquoil commente Nous observons

premiegraverement qursquoil semble y avoir un emprunt agrave la Reacutepublique II de Platon

Nest-il pas neacutecessaire si toutefois un ecirctre peut sortir de sa propre forme soit quil semeacutetamorphose lui-mecircme de sa propre initiative soit quil soit transformeacute par un autre380D28

Or les choses les meilleures ne sont-elles pas celles qui sont le moins susceptibles decirctrealteacutereacutees et mises en mouvement par autre chose quelles-mecircmes 380E

Degraves lors tout ecirctre bien constitueacute que ce soit par nature en vertu de lart ou pour ces deuxraisons agrave la fois sera le moins susceptible de subir un changement causeacute par un autre[hellip] Et pourtant le dieu tout comme les choses qui concernent le dieu est absolumentparfait [hellip] Mais ne peut-il se changer et salteacuterer lui-mecircme [hellip] Se change-t-il alors enmieux et en plus beau ou en pire et en plus laid Si vraiment il srsquoaltegravere cestneacutecessairement dans le sens du pire 381b-381c

En mecircme temps Platon ne cherche pas agrave prouver lrsquoexistence drsquoun Dieu qursquoil soit

parfait ou non (mecircme srsquoil est neacutecessairement parfait pour Platon du fait de sa nature) En

effet Platon critique les poegravetes qui attribuent aux dieux des qualiteacutes qui ne sont pas les leurs

et qui sont mecircme contradictoires avec leur nature propre De quoi soutenir lrsquoideacutee que cet

extrait nrsquoest pas tireacute de la Reacutepublique II sans quoi cela signifierait qursquoAristote a attribueacute au

monde sensible crsquoest-agrave-dire au ciel un passage qui chez Platon ne traite pas drsquoun sensible

27 Ibid p58 28 PLATON La Reacutepublique 2002

48

mais bel et bien drsquoun dieu parfait et immateacuteriel La diffeacuterence drsquoobjet entre le DC et la

Reacutepublique II nous pousse agrave penser qursquoil serait eacutetrange de reprendre le mecircme argument agrave un

moment pareil

Si Simplicius nrsquoa pas trouveacute cet argument dans la Reacutepublique II et qursquoil ne vient pas

du DC lui-mecircme alors cela signifie qursquoil vient de la troisiegraveme source dont disposait

Simplicius le De Philosophia ou plutocirct du commentaire drsquoAlexandre qui lui le posseacutedait

Crsquoest pourquoi la comparaison qui a eacuteteacute effectueacutee plus haut nous permettait drsquoaffirmer qursquoil

ne srsquoagit pas drsquoune paraphrase du DP dans le DC mais plutocirct drsquoune citation Mais cela ne

prouve pas qursquoil existe une discontinuiteacute de lrsquoobjet et de lrsquoargumentation dans ce passage du

De Caelo Nous lrsquoavons dit le deacutebut du passage 279a18 affirme assez clairement que les

ecirctres qui se trouvent au-delagrave de la translation la plus exteacuterieure sont sans corps sans lieu et

sans temps En mecircme temps apregraves une analogie entre la dureacutee et le ciel nous en arrivons agrave

lire un texte qui porte sur la perfection du corps ceacuteleste ce qui a priori semble eacutetonnant dans

la mesure ougrave le τἀκεῖ se situe en dehors du ciel et que le corps ceacuteleste est le ciel lui-mecircme

Ces diffeacuterents passages nous plongent dans lrsquoincompreacutehension et savoir qursquoil srsquoagit drsquoune

citation du DP nrsquoaide pas agrave comprendre pourquoi ce changement de sujet Crsquoest pourquoi

Dumoulin formule une hypothegravese agrave ce sujet

Nrsquooublions pas que Simplicius est le chef de file de ceux qui entendent du PremierMoteur Immobile tout le texte de De Caelo I 9 279a11-b3 On peut donc soupccedilonner cequi srsquoest passeacute Simplicius trouvait dans sa source deux passages du De Philosophia Lepremier eacutetablissait lrsquoexistence de la diviniteacute suprecircme immateacuterielle et le second eacutetablissaitle caractegravere divin du monde stellaire il a soudeacute ces deux textes qui dans sa penseacutee

concernaient lrsquoun et lrsquoautre le Premier Moteur29

Simplicius en commentant Aristote avance une preuve de lrsquoexistence de Dieu en

affirmant que lagrave ougrave il y a un ecirctre meilleur il y a forcement un ecirctre excellent dans la mesure ougrave

il y a une hieacuterarchie entre les ecirctres30 Il voit en cet argument le moyen de justifier que le τἀκεῖ

fait reacutefeacuterence au premier moteur Mais cet argument ne vient absolument pas du De Caelo lui-

mecircme il est un ajout au texte du DC et est tireacute du DP par Simplicius Il aurait donc servi agrave

justifier lrsquoexistence drsquoun ecirctre immateacuteriel et absolument parfait La suite du texte portant sur le

ciel aurait alors eacuteteacute compris comme suivant cette thegravese drsquoun ecirctre parfait et immateacuteriel ce qui

29 Dumoulin opcit p 6030 Simplicius (2892)

49

aurait pousseacute Simplicius agrave croire en lrsquoideacutee drsquoune reacutefeacuterence au Premier Moteur Immobile tout

en refusant lrsquoideacutee drsquoune ceacutesure dans lrsquoargumentation puisqursquoil affirmait que la totaliteacute du texte

portait sur un seul et mecircme objet le premier moteur

Au vu de cet argument nous pouvons comprendre pourquoi Dumoulin deacutefend lrsquoideacutee

qursquoil srsquoagit drsquoune reacutefeacuterence agrave des ecirctres qui se trouvent au-delagrave du ciel En effet il admet une

discontinuiteacute drsquoobjet dans le passage du De Caelo ducirc agrave lrsquoajout drsquoarguments tireacutes du DP pour

forcer le lien Toutefois cette discontinuiteacute est plus complexe qursquoelle en a lrsquoair dans la mesure

ougrave Dumoulin nrsquoaffirme pas ouvertement ndash et en ces termes ndash qursquoil y en a une En fait il est

drsquoavis de dire qursquoil y a une discontinuiteacute dans le degreacute de diviniteacute dont il est question si

Aristote fait lrsquoeacuteloge du mouvement ceacuteleste apregraves avoir affirmeacute que les ecirctres au-delagrave du ciel

sont immateacuteriels et ne subissent aucun changement crsquoest dans le but de manifester la

perfection (encore plus haute que celle du ciel) des ecirctres de lagrave-bas

312 La continuiteacute du sujet en faveur des reacutealiteacutes ceacutelestes

Mais nous lrsquoavons dit il existe de maniegravere geacuteneacuterale deux eacutecoles pour lrsquointerpreacutetation

du τἀκεῖ La premiegravere deacutefend lrsquoideacutee qursquoil srsquoagit lagrave drsquoune reacutefeacuterence agrave des ecirctres transcendant le

ciel la seconde deacutefend lrsquoideacutee qursquoil est question des ecirctres ceacutelestes Nous avons alors vu que

Dumoulin deacutefend la theacuteorie selon laquelle il existe un changement de sujet dans

lrsquoargumentation du De Caelo I 9 Cela lui permet de deacutefendre lrsquoideacutee qursquoil srsquoagit drsquoune

reacutefeacuterence agrave un ou des ecirctres transcendants Il srsquoagit donc maintenant de montrer comment

certains auteurs et plus particuliegraverement Moraux deacutefendent lrsquoideacutee contraire Comment srsquoy

prend Moraux pour deacutefendre la theacuteorie drsquoune reacutefeacuterence astrale en critiquant lrsquoideacutee que la

position contraire a des conseacutequences tregraves dures sur lrsquoargumentation du texte

Avant de nous inteacuteresser agrave la critique que Moraux formule envers ceux qui deacutefendent

lrsquoideacutee drsquoune reacutefeacuterence agrave des ecirctres transcendants nous allons nous inteacuteresser agrave la faccedilon dont le

texte a eacuteteacute traduit par Moraux et qui rend compte de la maniegravere dont il lrsquointerpregravete31

Il nrsquoest point de changement pour aucun des ecirctres disposeacutes sur la translation la plusexteacuterieurehellip

31 Aristote Du ciel1965 p37 Il srsquoagit de la traduction de Moraux et nous nous inteacuteressons plus particuliegraverement agrave lrsquointroduction de cette œuvre par ce dernier

50

Nous pouvons la distinguer de la traduction de Dalimier et Pellegrin En effet si le grec ὑπέρ

est traduit par ces derniers par laquo au-dessus de raquo Moraux lui le traduit par laquo sur raquo Il affirme

alors ici que le texte fait reacutefeacuterence agrave quelque chose qui se situe sur la translation la plus

exteacuterieure et non au-delagrave ce qui change radicalement la vision que nous avons du texte Nous

affirmions plus haut par le biais de Dumoulin qursquoil existait un changement de sujet dans le

passage 279a18-b3 En effet au deacutebut ce dont il est question dans le texte est des ecirctres qui se

trouvent laquo au-dessus de la translation la plus exteacuterieure raquo et agrave la fin il porte sur lrsquoeacuteterniteacute du

mouvement circulaire Mais si nous traduisons la preacuteposition ὑπέρ par laquo sur raquo plutocirct que laquo au-

dessus raquo alors il nrsquoy a plus drsquoideacutee de discontinuiteacute et le passage du deacutebut agrave la fin porte sur

des ecirctres ceacutelestes Toutefois Fabienne Baghdassarian souligne qursquoil est le seul agrave traduire le

texte ainsi et que mecircme Alexandre qui deacutefendait lrsquoideacutee drsquoune reacutefeacuterence astrale comprend le

texte comme portant sur quelque chose qui est au-delagrave drsquoun mouvement La raison pour

laquelle Moraux traduit le texte de cette maniegravere est justifieacutee par lrsquoutilisation de ὑπέρ dans le

De Caelo en effet cette proposition ne sert pas agrave justifier ce qui se trouve au-delagrave de quelque

chose Pour manifester cette ideacutee Aristote utilise plutocirct ἔξω En mecircme temps Fabienne

Baghdassarian lui objecte la chose suivante

La preacuteposition ὑπέρ lorsqursquoelle est employeacutee avec lrsquoaccusatif deacutesigne ce qui est au-dessus de quelque chose et non pas ce qui est sur lui En outre chacune des occurrencesde cette preacuteposition dans le DC qursquoelle srsquoaccompagne de lrsquoaccusatif ou mecircme du geacutenitifsert constamment agrave deacutesigner ce qui est au-dessus drsquoun point de reacutefeacuterence Enfin crsquoesttoujours la preacuteposition ἐν et non pas ὑπέρ qui sert agrave deacutesigner les corps qui sont fixeacutes sur

lrsquoorbite 32

Nous observons alors diffeacuterents arguments ceux qui portent sur des questions de grammaire

et ceux qui portent sur des questions de terminologie Mecircme si ὑπέρ nrsquoest pas neacutecessairement

utiliseacutee pour parler de ce qui se trouve au-delagrave drsquoune chose son utilisation accompagneacutee de

lrsquoaccusatif ( φοράν) fait reacutefeacuterence agrave ce qui est au-dessus drsquoune chose et non pas agrave ce qui est

sur une chose Il srsquoagit alors drsquoun problegraveme de grammaire et de traduction Fabienne

Baghdassarian soutiendrait-elle lrsquoideacutee drsquoune erreur dans la traduction de Moraux Pour ce qui

est de la question terminologique Fabienne Baghdassarian affirme que pour deacutesigner ce qui

est sur les sphegraveres Aristote utilise la preacuteposition ἐν et non la preacuteposition ὑπέρ

32 Baghdassarian F opcit 2011 p188

51

Revenons agrave lrsquoideacutee que deacutefend Moraux Puisqursquoil traduit le passage en affirmant que le

τἀκεῖ se trouve sur la translation la plus exteacuterieure et non pas au-delagrave il affirme par

conseacutequent que le passage traite entiegraverement des ecirctres ceacutelestes et plus preacuteciseacutement de ceux

qui se trouvent sur la sphegravere des fixes Il ne rencontre donc pas le problegraveme de la discontinuiteacute

de lrsquoobjet de ce passage Il affirme cependant que De Caelo I 9 est remarquable du fait que

trois parties se distinguent

Le second panneau du diptyque relatif agrave lrsquouniciteacute du monde est tout agrave fait remarquable (chap9) Lrsquoexamen du style et du contenu philosophique permet drsquoy distinguer trois parties qui ont probablement eacuteteacute reacutedigeacutees agrave des eacutepoques diffeacuterentes Reacutefeacuterence

La premiegravere partie de cet exposeacute est assimileacutee agrave Meacutetaphysique Ζ du fait qursquoelle porte

sur la matiegravere et la forme en utilisant les mecircmes arguments et les mecircmes exemples Aristote

affiche un style tregraves rigoureux proche de celui de Meacutetaphysique Z Cela est eacutetonnant dans la

mesure ougrave la Meacutetaphysique est une œuvre qui serait relativement tardive Il suppose donc que

le passage du De Caelo I 9 qui srsquoeacutetend de 277b33 agrave 278a9 a eacuteteacute eacutecrit agrave la mecircme eacutepoque que

Meacutetaphysique Z

Quant agrave la deuxiegraveme partie qui srsquoeacutetendrait de 278b10 agrave 279a18 elle serait plus propre

au style qursquoarbore Aristote dans le De Caelo dans la mesure ougrave les arguments utiliseacutes seraient

ceux qui portent sur les milieux naturels et servirait agrave conclure lrsquoargumentation geacuteneacuterale du

chapitre

La suite de 279a18 agrave 279b3 qui est la partie dans laquelle apparaicirct le τἀκεῖ serait

alors pour Moraux une sorte drsquoenvoleacutee lyrique quasiment poeacutetique qui serait le propre des

dialogues aristoteacuteliciens Ce passage serait alors exclu de lrsquoargumentation et nrsquoapporterait

donc rien agrave celle-ci Toutefois comme le fait Dumoulin nous lrsquoavons vu Moraux semble

enteacuteriner lrsquoideacutee majoritairement valideacutee selon laquelle ce passage serait un extrait du De

Philosophia bien qursquoil nrsquoaffirme pas comme Dumoulin que le texte soit une reacutefeacuterence agrave des

ecirctres se situant au-delagrave du ciel Moraux affirme que cet extrait a eacuteteacute ajouteacute agrave ce passage pour

adoucir un exposeacute complexe sur la matiegravere et la forme Mais si tous les interpregravetes ou

presque admettent que ce passage soit issu du DP ils ne lrsquointerpregravetent pas tous de la mecircme

maniegravere

52

Les uns pensent qursquoAristote y ceacutelegravebre la sphegravere des fixes qursquoil tenait alors pour le dieusuprecircme Drsquoautres preacutetendent au contraire qursquoil parle drsquoentiteacutes divines transcendantes aumonde peut-ecirctre identiques aux fameuses laquo intelligences raquo des sphegraveres Pour deacutefendreleur exeacutegegravese ces derniers sont contraints drsquoadmettre la preacutesence drsquoune anacolutheextrecircmement dure et certains drsquoentre eux vont mecircme jusqursquoagrave modifier le textetraditionnel mais le souci drsquoeacuteleacutegance stylistique qui se manifeste dans tout le passagerend bien improbable lrsquohypothegravese drsquoune pareille neacutegligence 33

Moraux rappelle briegravevement les deux interpreacutetations qui srsquoopposent agrave la suite de quoi

il critique celle qui soutient que le passage fait reacutefeacuterence agrave des ecirctres transcendants Il fait

reposer sa critique sur deux arguments ceux qui soutiennent que ce passage porte sur des

ecirctres transcendants sont contraints de modifier le texte original dans lrsquointeacuterecirct de leur theacuteorie

Moraux fait ici reacutefeacuterence agrave Simplicius qui dans son commentaire remplace κινεῖται (en

279b1) par κινεῖ afin drsquoaccorder aux τἀκεῖ la puissance de mouvoir le ciel de maniegravere

circulaire en raison de lrsquoeacuteleacutement qui les compose lrsquoeacutether Mais le texte traditionnel ne fait pas

mention drsquoune quelconque fonction motrice du τἀκεῖ crsquoest pourquoi Moraux nrsquoaccepte pas

cette correction Son second argument repose sur le style de ce passage Celui-ci est fort

poeacutetique eacutevoquant les dialogues aristoteacuteliciens et tregraves travailleacute il semble donc improbable

qursquoAristote ait pu changer de sujet en plein milieu de son discours En effet pour ceux qui

affirment qursquoil y a lagrave une reacutefeacuterence agrave des ecirctres divins transcendant le ciel il faut admettre qursquoil

y a une veacuteritable discontinuiteacute de lrsquoobjet du texte voire une ceacutesure totale Mais le travail

fourni pour produire un texte styliseacute comme celui-ci nous permet de douter qursquoAristote ait eacuteteacute

si neacutegligeant sur lrsquoobjet de ce passage

Tels sont les arguments en faveur de la reacutefeacuterence ceacuteleste que Moraux deacutefend

eacutegalement et qui repose sur lrsquoideacutee qursquoil nrsquoexiste pas de changement de sujet dans ce passage

portant du deacutebut agrave la fin sur les ecirctres qui se trouvent sur la translation la plus exteacuterieure

Ces auteurs sont en deacutebat direct sur la question de lrsquointerpreacutetation de ce passage de

plus leurs arguments reposent sur le mecircme thegraveme qui est celui de la continuiteacute ou la

discontinuiteacute de lrsquoargumentation du De Caelo I 9 Il srsquoagira alors drsquoaborder un autre point

theacutematique en opposant les interpregravetes qui font reposer leurs argumentations sur la question

du lieu dans la philosophie aristoteacutelicienne

33 Moraux opcit 1965 pLXXV

53

32 Le lieu des corps ceacutelestes lrsquoabsence de lieu du τἀκεῖ

321 Lrsquoabsence de lieu en faveur de la reacutefeacuterence ceacuteleste

Le De Caelo I 9 porte tout entier sur la question de lrsquouniciteacute du ciel Nous lrsquoavons

expliqueacute plus haut lorsqursquoune substance formelle est meacutelangeacutee agrave la matiegravere il peut exister

une infiniteacute drsquoecirctres avec une mecircme forme speacutecifique dans la mesure ougrave ce qui est mateacuteriel

peut exister en nombre tregraves grand sinon infini Mais il nrsquoen est pas ainsi pour le ciel puisqursquoil

contient lrsquoensemble de toute la matiegravere et que rien ne peut venir agrave ecirctre en dehors de lui

Aristote aboutit agrave la conclusion selon laquelle il nrsquoy a pas de corps en dehors du ciel donc pas

de temps pas de lieu et pas de vide non plus Nous allons deacutesormais nous inteacuteresser agrave la

question du lieu puisque celui-ci pourrait nous donner une piste de reacuteflexion concernant

lrsquoidentiteacute des ecirctres de lagrave-bas et est un argument que lrsquoon retrouve souvent en faveur ndash ou en

deacutefaveur ndash de la reacutefeacuterence ceacuteleste Lrsquoargument qursquoil srsquoagira de restituer sera celui de Mugnier

au sein drsquoun deacutebat qui porte sur le lieu drsquoune part et drsquoautre part sur le rapport entre la

cosmologie platonicienne et la cosmologie aristoteacutelicienne dans lrsquointeacuterecirct de faire une sorte de

cartographie du problegraveme du De Caelo I 9

Lrsquoœuvre de Mugnier porte sur lrsquoeacutevolution de la penseacutee drsquoAristote Dans un passage

portant sur la jeunesse platonisante drsquoAristote apregraves avoir repeacutereacute des similitudes mais aussi

des diffeacuterentes entre les doctrines platoniciennes et les doctrines aristoteacuteliciennes Mugnier

affirme la chose suivante

Mais si Aristote semble mettre de cocircteacute le Deacutemiurge il ne renonce pas agravelrsquoIntelligence gouvernant le monde et nous lrsquoavons vu il prouve son existence agrave lrsquoaidedrsquoarguments emprunteacutes aux Lois Cette Intelligence ou Dieu qui deviendra plus tard lePremier Moteur immobile est-elle consideacutereacutee par Aristote comme lrsquoacircme du monde Ilest vraisemblable de le penser quoique nous soyons sur ce point reacuteduits aux conjecturesEt maintenant cette Intelligence est-elle devenue un Premier Moteur seacutepareacute du monde ettranscendant ou au contraire immanente agrave lrsquoUnivers En drsquoautres termes Aristote srsquoest-il prononceacute pour un theacuteisme ou pour un immanentisme Crsquoest agrave cette question que nousallons nous forcer de reacutepondre en examinant les principes et les thegraveses du Philosophe34

Nous comprenons immeacutediatement le rapport entre la cosmologie platonicienne que

nous avons deacutecouverte via le Timeacutee et la cosmologie aristoteacutelicienne En effet certains

fondements de la theacuteorie cosmologique aristoteacutelicienne viennent de celle de Platon bien que

34 Mugnier La Theacuteorie du premier moteur et lrsquoeacutevolution de la penseacutee aristoteacutelicienne 1930 p15

54

dans son platonisme Aristote se soit distingueacute de son maicirctre Aristote refusait lrsquoideacutee drsquoun

Deacutemiurge qui dans le Timeacutee est le creacuteateur du monde et drsquoIdeacutees seacutepareacutees qui servent

drsquoexemples agrave la conception du monde Mais il ne refuse pas lrsquoideacutee de lrsquoIntelligence dans les

Lois de Platon qui gouverne le monde et le dirige vers la feacuteliciteacute ou son contraire35 La

question qui se pose alors est celle de savoir si cette Intelligence est divine et transcendante au

ciel ou si elle est immanente au Premier Ciel Que signifie cet immanentisme Crsquoest lrsquoideacutee

selon laquelle le Premier Moteur immobile ou lrsquoIntelligence est lrsquoacircme du Premier Ciel et

celui-ci est son corps de sorte que le Premier Moteur ou lrsquoIntelligence serait de la mecircme

maniegravere que lrsquoacircme humaine est dans le corps humain dans quelque chose le premier ciel

crsquoest-agrave-dire la sphegravere des fixes Reacutepondre agrave la question de la transcendance ou de

lrsquoimmanence permettrait donc de comprendre ce qursquoentend Aristote par laquo takei raquo dans le De

Caelo I 9 et de comprendre les arguments de Mugnier en faveur de telle ideacutee ou telle autre

Pour reacutepondre agrave ce problegraveme Mugnier se reacutefegravere agrave Physique VIII 6 Si lrsquoimmanentisme

suggegravere lrsquoideacutee drsquoune analogie entre lrsquoacircme humainele corps humain et le Premier Moteurle

Premier ciel peut-on comparer lrsquoacircme humaine au Premier Moteur En drsquoautres termes le

Premier Moteur est-il mucirc par accident comme lrsquoest lrsquoacircme humaine Mais que signifie laquo ecirctre

mucirc par accident raquo Telles sont les questions que se pose Mugnier Dans le traiteacute De lrsquoAcircme36

Aristote affirme que lrsquoacircme humaine eacutetait immobile par essence mais en mouvement par

accident du fait de son lien avec le corps Puisque le corps se deacuteplace lrsquoacircme qui est dans le

corps est deacuteplaceacutee et est donc en mouvement par le corps et non par elle-mecircme crsquoest en ce

sens que lrsquoon dit qursquoelle est mue par accident Mugnier se demande alors ce qursquoil en est du

Premier moteur acircme du Premier ciel Srsquoil met en mouvement le Premier ciel est-il mucirc

eacutegalement par accident Comment ne pourrait-il pas ecirctre emporteacute par le mouvement de son

corps Mugnier tente de reacutepondre agrave ces questions dans le but de montrer que le Premier

Moteur ne peut pas ecirctre emporteacute par le mouvement de son corps le Premier Ciel dans la

mesure ougrave celui-ci nrsquoa pas de changement local eacutetant donneacute qursquoil nrsquoest pas dans un lieu

Le souci que pose la theacuteorie du mouvement par accident de lrsquoacircme du Premier Ciel est

que quelque chose de mucirc par accident ne saurait donner agrave une autre chose un mouvement

Pour comprendre cette ideacutee il faut comprendre quel est le mouvement de lrsquoacircme humaine pour

Mugnier si elle est transporteacutee quelque part par accident elle cherchera agrave rejoindre son

milieu naturel et imposera donc un mouvement au corps qursquoelle habite pour le faire se

mouvoir vers un milieu particulier qui est le sien Mais ce mouvement lagrave nrsquoest pas eacuteternel

35 PLATON Lois 2003 897a Traduction par A Diegraves36 ARISTOTE De lrsquoAcircme 2005 406b25 Traduction par P Thillet

55

puisqursquoil se termine une fois le lieu atteint Pour qursquoil y ait un mouvement eacuteternel il faut donc

une acircme motrice qui soit toujours elle-mecircme et dans son propre lieu sinon elle imposera un

mouvement agrave son corps qui ne durera que le temps de retourner dans le lieu qui lui est propre

Aristote affirme lui-mecircme lrsquoimmobiliteacute du Premier Moteur

Drsquoapregraves cela on pourra se convaincre que si quelque chose fait partie des moteursimmobiles mais eux-mecircmes mus par accident il est impossible qursquoil meuve drsquounmouvement continu De sorte que srsquoil est neacutecessaire que le mouvement existecontinucircment il faut qursquoil existe un premier moteur non mucirc mecircme par accident37

Le Premier Moteur est donc neacutecessairement immobile sinon il ne pourrait pas ecirctre la

cause drsquoun mouvement eacuteternel Il srsquoagit alors de se demander comment il est possible que le

Premier Moteur acircme du Premier Ciel ne soit pas ecirctre mucirc par accident La condition

neacutecessaire au mouvement accidentel du Premier Moteur est que le Premier Ciel soit mucirc Or il

nrsquoexiste rien en dehors du ciel pas mecircme un lieu comme nous lrsquoavons vu dans la partie 0

Mais tout ce qui est en mouvement lrsquoest neacutecessairement dans un lieu pour Aristote crsquoest

pourquoi il nrsquoest pas rationnel de parler de mouvement pour un corps qui nrsquoest pas dans un

lieu La question agrave laquelle nous arrivons est celle de savoir si nous pouvons parler de

deacuteplacement pour le Premier Ciel Se demander si le Premier Ciel se deacuteplace revient donc agrave se

demander si le Premier Ciel est dans un lieu (ἐν τόπῳ)

Nous avons vu dans le De Caelo I 9 que le lieu eacutetait lrsquoendroit ou il eacutetait possible qursquoil

existe quelque chose ce qui nrsquoest pas le cas pour lrsquoexteacuterieur du ciel De plus le lieu est la

limite du corps englobant38 mais il nrsquoy a rien en dehors du ciel donc rien pour lrsquoenglober

Mugnier arrive assez rapidement agrave la conclusion qursquoil nrsquoexiste pas de lieu en dehors du ciel et

surtout que la sphegravere des fixes nrsquoest dans aucun lieu La question du lieu est primordiale dans

lrsquoideacutee du mouvement puisque lrsquoon juge qursquoune chose est en mouvement par rapport agrave un lieu

selon Aristote nous jugeons qursquoune chose se deacuteplace en la regardant par rapport agrave un autre

point de repegravere qui se trouve agrave lrsquoexteacuterieur de ce qui est en deacuteplacement Une chose peut aussi

ecirctre dite dans un lieu lorsqursquoelle est entoureacutee drsquoautres corps En cela nous pouvons dire que le

Premier Ciel nrsquoest pas dans un lieu mais les astres qui srsquoy trouvent sont dans un lieu formeacute

par les autres astres qui les entourent Mugnier donne alors lrsquoexemple suivant

37 ARISTOTE Physique VIII 6 259b20-26 Traduction par Pellegrin 38 ARISTOTE Physique IV 4 211b13

56

Voici une boule qui roule sur la terre elle se deacuteplace crsquoest-agrave-dire qursquoelle occupesuccessivement diffeacuterents lieux Et si nous pouvons dire qursquoelle est animeacutee drsquounmouvement de transport crsquoest parce qursquoil nous est loisible de choisir en dehors drsquoelle uncorps un point de repegravere crsquoest-agrave-dire quelque chose par rapport agrave quoi elle se deacuteplace

Le lieu se dessine en quelque sorte par ce qui lrsquoentoure Si on imagine cette mecircme

boule mais eacutetant entoureacutee par rien on ne peut pas dire qursquoelle est dans un lieu par contre on

peut dire drsquoelle qursquoelle constitue tout lrsquoespace dans la mesure ougrave elle est la seule chose qui

soit Mais du fait qursquoelle nrsquoest pas dans un lieu puisque rien ne lrsquoentoure elle ne peut se

deacuteplacer par rapport agrave rien ni par rapport agrave elle-mecircme Parce que cette boule serait tout ce

qursquoil y a elle ne peut pas se deacuteplacer en masse dans rien crsquoest-agrave-dire dans ou vers aucun lieu

et par rapport agrave rien Donc un corps qui nrsquoest enveloppeacute par rien nrsquoest pas dans un lieu et un

corps qui nrsquoest pas dans un lieu ne peut pas se deacuteplacer Tout cela nous ramegravene alors agrave la

question de savoir srsquoil existe quelque chose en dehors du Premier Ciel

Dans le De Caelo I 9 Aristote affirme qursquoil nrsquoexiste aucun corps en dehors du ciel

car si un corps existait lagrave-bas il serait soit simple soit composeacute Mais en vertu de la theacuteorie

aristoteacutelicienne des lieux et du mouvement il ne pourrait pas y avoir de corps simple en

dehors du ciel puisque le milieu naturel des corps simples se trouve dans le ciel Et aucun des

corps simples ne pourrait srsquoy trouver de maniegravere contre nature dans la mesure ougrave cela

signifierait que ce serait le lieu naturel drsquoun autre corps mais cela est impossible Il nrsquoy a pas

non plus de corps composeacutes en dehors du ciel car la preacutesence drsquoun corps composeacute impose la

preacutesence drsquoun corps simple et il ne peut pas y avoir de corps simples en dehors du ciel Mais

puisqursquoil nrsquoy a pas de corps il nrsquoy a pas de lieu nous dit Aristote car le lieu est ce en quoi il

peut y avoir un corps Il nrsquoy a pas non plus de temps car le temps est le nombre du

mouvement or le mouvement est une proprieacuteteacute des corps et il nrsquoy a pas de corps en dehors du

ciel donc pas de mouvement En vertu de toutes ces choses que nous avions vues mais que

nous avons rappeleacutees briegravevement Mugnier conclut deux choses il nrsquoexiste ni corps ni

temps ni lieu en dehors du ciel drsquoune part et il est eacutetrange de parler du Premier Ciel comme

un corps qui se deacuteplace puisqursquoil nrsquoest dans aucun lieu La conseacutequence de cela est simple et

reacutepond clairement agrave la question de deacutepart qui eacutetait celle de savoir comment le Premier Moteur

ne pouvait pas ecirctre mucirc par accident par le mouvement du Premier Ciel Puisque le Premier

Ciel nrsquoest pas dans un lieu il est absurde de parler de mouvement Ainsi nous pouvons

affirmer que le Premier Ciel ne se deacuteplace pas et donc ne peut pas entraicircner son acircme crsquoest-agrave-

dire le Premier Moteur dans un mouvement accidentel

57

Mais selon Mugnier Aristote affirme qursquoil existe un mouvement propre au Premier

Ciel il nrsquoest pas parfaitement immobile En effet la circonfeacuterence derniegravere du ciel se meut de

maniegravere circulaire mais nous avons dit que le Premier Ciel ne se deacuteplaccedilait pas ce qui semble

agrave premiegravere vue contradictoire En fait le ciel tourne sur lui-mecircme mais ne se deacuteplace pas vers

un autre endroit Il ne change pas de laquo place raquo On notera la difficulteacute de deacutecrire un

mouvement sans faire reacutefeacuterence agrave un lieu dans la mesure ougrave il nrsquoy a aucun lieu dans lequel se

trouve le ciel

Et le seul fait que la derniegravere sphegravere nrsquoest enveloppeacutee par aucun corps et qursquoil nrsquoy a paspar suite drsquoespace en dehors drsquoelle explique pour le dire en passant un passage fortobscur du De Caelo ougrave Aristote parle de choses qui sont situeacutees au-dessus de lrsquoextrecircmereacutevolution des astres [hellip] Mais que sont-elles Ougrave se trouvent-elles Des reacuteponsesdiffeacuterentes ont eacuteteacute donneacutees39

Mugnier en vient agrave traiter de la question du τἀκεῖ au sein drsquoune reacuteflexion sur le

mouvement du Premier Ciel ou plutocirct sur la possibiliteacute du mouvement du Premier Ciel en

raison de la preacutesence ou non drsquoun lieu dans lequel il serait englobeacute Aristote a montreacute qursquoil nrsquoy

avait pas de corps pas de lieu et pas de temps en dehors du ciel Cependant Mugnier note

qursquoAristote emploie un vocabulaire spatial pour deacutecrire les ecirctres qui se situent au-dessus de la

translation la plus exteacuterieure en effet Aristote les deacutecrit comme les ecirctres de laquo lagrave-bas raquo

(τἀκεῖ) ce qui semble directement renvoyer agrave un lieu et nrsquoa de sens que si le τἀκεῖ se trouve

dans un lieu Mais dans la mesure ougrave il nrsquoexiste pas de lieu en dehors du ciel Mugnier en

conclut que le τἀκεῖ fait reacutefeacuterence agrave quelque chose qui se situe dans le ciel et non agrave lrsquoexteacuterieur

de celui-ci Car seul ce qui est dans un lieu peut ecirctre deacutesigneacute comme eacutetant laquo lagrave-bas raquo crsquoest-agrave-

dire dans un lieu Nous pouvons de maniegravere plus preacutecise conclure de lrsquoargumentation

geacuteneacuterale de Mugnier qursquoil ne pense pas que le τἀκεῖ puisse faire reacutefeacuterence agrave la sphegravere des

fixes dans sa totaliteacute dans la mesure ougrave le tout qursquoelle est nrsquoest pas dans un lieu En revanche

ses parties crsquoest-agrave-dire les astres qui srsquoy trouvent sont dans un lieu les unes par rapport aux

autres et sont englobeacutees par la sphegravere des fixes Le τἀκεῖ semblerait alors pouvoir ecirctre une

reacutefeacuterence aux astres divins qui sont sur la sphegravere la plus eacuteloigneacutee du centre et non agrave la sphegravere

des fixes dans sa totaliteacute et encore moins un ecirctre qui lui serait transcendant Il srsquoagit alors

drsquoune conception meacutetaphorique du lieu utiliseacutee par Aristote puisque le terme laquo lieu raquo ne

renvoie pas reacuteellement agrave un lieu dans le cas preacutesent Toutefois Mugnier ne rend pas compte

de lrsquoutilisation du terme huper puisqursquoil nrsquoaffirme pas que cette expression renvoie a un au-

39 Mugnier opcit 1930 p77

58

dessus meacutetaphorique eacutegalement crsquoest-agrave-dire un au-dessus qui ne serait pas veacuteritablement hors

du ciel

322 Lrsquoabsence de lieu comme caracteacuteristique drsquoun ecirctre transcendant le ciel

Solmsen40 affirme sur la question du lieu comme justification de la transcendance ou

de lrsquoimmanence du τἀκεῖ que le τἀκεῖ est une reacutefeacuterence agrave un ecirctre transcendant du fait que

lrsquoabsence de lieu devient une caracteacuteristique de ce qui nrsquoa pas de lieu Mais comment en

arrive t-il agrave deacutefendre cette thegravese sans tomber dans le problegraveme de la description drsquoun ecirctre sans

lieu qui serait pourtant lagrave-bas crsquoest-agrave-dire quelque part Pour comprendre ce problegraveme

Solmsen se tourne vers la cosmologie platonicienne dans la mesure ougrave il traite explicitement

dans le Phegravedre drsquoun au-delagrave du ciel Mais quel est le rapport entre Platon et Aristote sur cette

question Solmsen srsquoexprime sur le τἀκεῖ dans un contexte historique Il cherche en quelque

sorte le fondement philosophique de la conception de lrsquoau-delagrave du ciel Crsquoest pourquoi

Solmsen en vient agrave parler de Platon qui affirme la chose suivante

Chaque fois qursquoils se rendent agrave un festin crsquoest-agrave-dire agrave un banquet ils se mettent agrave montervers la voucircte qui constitue la limite inteacuterieure du ciel [hellip] Crsquoest lagrave sache-le bien quelrsquoeacutepreuve et le combat suprecircmes attendent lrsquoacircme En effet lorsqursquoelles ont atteint la voucirctedu ciel ces acircmes qursquoon dit immortelles passent agrave lrsquoexteacuterieur srsquoeacutetablissent sur le dos duciel se laissent emporter par leur reacutevolution circulaire et contemplent les reacutealiteacutes qui se

trouvent hors du ciel41

Platon dans le Phegravedre affirme donc qursquoil existe quelque chose en dehors du ciel les

reacutealiteacutes Ces choses reacuteelles sont une reacutefeacuterence directe aux Formes intelligibles et seacutepareacutees

Toutefois nous pouvons noter que ce passage revecirct lrsquoapparence du mythe poeacutetique et non pas

drsquoune argumentation philosophique ce qui nous amegravene agrave nous poser la question de la veacuteriteacute

du propos tenu par Platon Celui-ci dans la continuiteacute de cet extrait affirme prononcer la

veacuteriteacute au sujet de lrsquounique chose qui soit veacuteritablement les Formes Nous savons par la

lecture de la Reacutepublique par exemple que les concepts de veacuteriteacute et de mythe chez Platon

sont geacuteneacuteralement opposeacutes pourquoi utilise-t-il alors un mythe pour parler drsquoune chose qui

soit lrsquoune des veacuteriteacutes Il semblerait pour Solmsen que cette question se soit eacutegalement poseacutee

40 Solmsen laquo Beyond the Heavens raquo197641 Phegravedre 2004 247c3 Traduction par L Brisson

59

au sein de lrsquoAcadeacutemie durant cette eacutepoque et nombreux eacutelegraveves ont eacuteteacute drsquoavis que cette notion

drsquoau-delagrave du ciel nrsquoeacutetait pas agrave prendre au seacuterieux du fait que Platon utilisait un mythe pour

srsquoy reacutefeacuterer Toutefois Platon dans ce mecircme passage fait la promesse de dire la veacuteriteacute au sujet

de la veacuteriteacute Le mythe devient alors le moyen le plus approprieacute de parler de ce qui se trouve

hors du ciel

Ce lieu qui se trouve au-dessus du ciel aucun poegravete parmi ceux drsquoici-bas nrsquoa encore chanteacute drsquohymne en son honneur et aucun ne chantera en son honneur un hymne qui en soit digne Or voici ce qui en est car srsquoil se preacutesente une occasion ougrave lrsquoon doive dire la veacuteriteacute crsquoest bien lorsqursquoon parle de la veacuteriteacute42

On note cependant quAristote eacutelegraveve de Platon dans sa jeunesse et malgreacute le fait que

lrsquoau-delagrave du ciel nrsquoait pas eacuteteacute pris pour un veacuteritable sujet drsquoeacutetude agrave lrsquoAcadeacutemie en vient agrave

parler de lrsquoexteacuterieur du ciel Pouvons-nous donc voir agrave travers le Phegravedre lrsquoorigine de certains

passages obscurs drsquoAristote concernant ce mysteacuterieux lieu qui se trouve au-delagrave du ciel

Dans le Phegravedre Platon place les Formes dans un lieu qui serait agrave lrsquoexteacuterieur du ciel

Solmsen note que de nombreux interpregravetes tel que Hackforth affirment que ce nrsquoest pas la

premiegravere fois que Platon attribue un lieu aux Formes intelligibles en effet dans le Timeacutee43 il

en est question eacutegalement Mais Solmsen refuse cette interpreacutetation des textes de Platon en

affirmant qursquoil nrsquoest pas convainquant que Platon fasse reacutefeacuterence agrave un lieu lorsqursquoil parle des

Formes car le lieu est en rapport avec les corps mateacuteriels et les Formes en plus drsquoecirctre

intelligibles sont seacutepareacutees de la matiegravere Il y a certes une laquo ascension raquo de lrsquoacircme qui se dirige

vers une connaissance accessible seulement par lrsquointellect mais ce nrsquoest pas parce qursquoil y a

une ascension au-delagrave du ciel que cet au-delagrave du ciel est lieacute agrave un corps mateacuteriel En effet pour

les Formes il srsquoagit de ce que Platon nomme un νοητὸς τόπος et celui-ci nrsquoest absolument

pas lieacute agrave la matiegravere Crsquoest pourquoi parler de laquo lieu raquo nrsquoest pas veacuteritablement contradictoire

pour parler drsquoun lieu sans matiegravere si lrsquoon preacutecise de quel type de lieu on parle crsquoest-agrave-dire un

lieu intelligible De plus dans le Timeacutee Platon affirme que tous les corps sensibles sont dans

lrsquoespace et dans un lieu Mais de cela nous ne pouvons affirmer que ce qui est propre et

neacutecessaire au corps sensible le soit aussi pour les ecirctres intelligibles et seacutepareacutes de la matiegravere

Dire qursquoaucun corps sensible ne peut ecirctre en dehors drsquoun lieu nrsquoimplique pas que les Formes

platoniciennes doivent ecirctre dans un lieu dans la mesure ougrave elles nrsquoentrent pas dans le domaine

du mateacuteriel et donc dans ses lois Il rejette alors toutes ideacutees drsquoassociation de lieu physique agrave

42 Ibid 247c 43 Timeacutee opcit 30c

60

la forme car cela est incompatible avec sa nature Le problegraveme est que le langage est fait de

telle maniegravere que Platon est limiteacute et ne peut pas deacutesigner ce qui se trouve dans un lieu

intelligible et sans matiegravere autrement que par des mots qui deacutesignent des lieux physiques

Crsquoest pourquoi il se doit drsquoutiliser le mythe Gracircce agrave lrsquoutilisation drsquoun pareil outil nous

pouvons dire qursquoil srsquoagit drsquoun lieu au sens alleacutegorique voire meacutetaphorique Cet outil lui

permet donc deux choses faire les louanges agrave la hauteur (ou plutocirct au plus proche) de la

beauteacute des Formes de maniegravere la plus approprieacutee possible pour ce qui est le plus parfait et

deacutesigner des lieux avec ses outils langagiers qui ne font pas reacutefeacuterence agrave des lieux tels que

nous les connaissons

Mais quel est le rapport avec Aristote Nous lrsquoavons dit Solmsen cherche lrsquoorigine de

certaines theacuteories aristoteacuteliciennes et il srsquoavegravere que certaines theacuteories lui ont eacuteteacute transmises agrave

lrsquoAcadeacutemie via les textes de Platon Mais comment expliquer que lrsquoon retrouve certaines

occurrences dans la philosophie aristoteacutelicienne et platonicienne alors mecircme qursquoil y a

diffeacuterentes opinions parfois opposeacutees sur un mecircme sujet chez Platon En effet srsquoil est

question dans le Phegravedre drsquoun au-delagrave du ciel ou se trouveraient les Formes dans le Timeacutee

Platon affirme qursquoil existe rien qui ne soit pas dans un lieu dans le monde Il faut donc lire les

passages suivants de la Physique44 drsquoAristote en se souvenant de celui du Phegravedre que nous

avons citeacute plus haut dans lrsquointeacuterecirct de comprendre pourquoi Aristote affirmait certaines choses

de la philosophie platonicienne plutocirct que drsquoautres

Le premier passage porte sur le lieu Aristote expose deux points de vue du lieu Dans

un premier temps Aristote affirme que le lieu est la matiegravere puisqursquoil nrsquoest pas simplement la

peacuteripheacuterie de ce qui est enveloppeacute mais aussi lrsquointervalle entre la limite qursquoil est et lrsquoobjet

dont il est le lieu Dans un second temps le lieu est lui-mecircme englobeacute car sa surface deacutelimite

le lieu occupeacute en ce sens le lieu est compris comme une matiegravere Quant au second passage il

porte sur lrsquoinfini Il distingue deux conceptions de lrsquoinfini les pythagoriciens pensent que

lrsquoinfini est propre agrave ce qui se situe hors du ciel alors que Platon affirme dans le Timeacutee qursquoil

nrsquoy a rien en dehors du ciel pas mecircme les Formes puisque celles-ci ne sont pas quelque part

Pourquoi Aristote affirmait que le lieu eacutetait ce que nous venons de deacutecrire et affirmait que

Platon refusait drsquoassocier lrsquoau-delagrave du ciel aux Formes alors mecircme que dans le Phegravedre il les

situe dans cet au-delagrave Solmsen formule trois hypothegraveses pour reacutepondre agrave ce problegraveme

44 Physique IV 2 209b11-16 et Physique III 4 203a1

61

1) Aristotle may not have read the mythical section of the laquo Phaedrus raquo Despite thereference to this section in Rhetoric III 7 1408b20 where it serves as an example ofpoetic style45

Mais cette hypothegraveses proposeacutee par Solmsen est directement critiqueacutee par lui En effet

cette theacuteorie selon laquelle Aristote nrsquoavait pas lu ce passage du Phegravedre bien qursquoelle ne soit

pas impossible est peu probable dans la mesure ougrave drsquoune part il y a une reacutefeacuterence agrave cette

œuvre dans la Rheacutetorique drsquoAristote et drsquoautre part il y a un trop gros rapprochement entre le

systegraveme rheacutetorique qursquoemploie Aristote dans son œuvre et celui qursquoemploie Platon pour parler

de ce qui est au-delagrave du ciel De plus cette theacuteorie supposerait que lrsquoon accepte qursquoAristote

avait la meacutemoire courte et qursquoil avait totalement oublieacute un passage entier du mythe du Phegravedre

2) Aristotle may have known but discounted the ὑπερουράνιος τόπος because for him asfor modern interpreters of the lsquoPhaedrusrsquo its presence in a myth ndash and in a myth whichunlike the myth of the lsquoTimaeusrsquo did not embody a cosmology ndash deprived the idea ofphilosophical significance46

Cette hypothegravese formuleacutee par Solmsen serait qursquoAristote avait lu cette œuvre mais

reacuteduit lrsquoimportance de lrsquoau-delagrave du ciel dans la mesure ougrave ce lieu apparaissait dans un mythe

Solmsen affirme que si cette hypothegravese est la vraie cela signifie qursquoAristote a volontairement

occulteacute la promesse de Platon de dire la veacuteriteacute concernant les Formes Une autre raison plus

leacutegitime serait de penser que le Timeacutee a eacuteteacute eacutecrit apregraves le Phegravedre et qursquoAristote le sachant

aurait consideacutereacute le Timeacutee comme une correction de certaines theacuteories platoniciennes passeacutees

De cette maniegravere le discours sur la localisation des Formes platoniciennes serait nul et non

avenu

3) At the time when Aristotle put down the passages in Physics III and IV he could notknow the lsquoPhaedrusrsquo because it had not yet been written or if written not yet beenpublished47

Quant agrave cette troisiegraveme hypothegravese elle repose sur la question de la date et lrsquoordre de

publication des dialogues platoniciens Le problegraveme est que nous nrsquoavons pas de sources

45 Solmsen opcit 1976 p2846 Ibid p2847 Ibid p28

62

suffisantes pour asseoir cette theacuteorie De plus dans lrsquohistoire de lrsquoeacutetude des dialogues

platoniciens le Phegravedre est celui qui a le plus de fois changeacute de place sur la liste chronologique

des dialogues platoniciens crsquoest dire agrave quel point nous nrsquoavons pas de connaissances certaines

et veacuteritables agrave ce sujet

La seconde hypothegravese selon Solmsen a plus de chance de seacuteduire les interpregravetes

classiques Mais avant de srsquoexprimer sur la question Solmsen nous renvoie au texte

drsquoAristote tireacute du De Caelo I 9 279a18-23 Solmsen affirme que en vertu des positions

philosophiques drsquoAristote il ne peut pas faire reacutefeacuterence aux Formes platoniciennes qui pour

lui nrsquoexistent pas Crsquoest pourquoi la seule possibiliteacute quant agrave la reacutefeacuterence de ce qui se trouve

lagrave-bas est pour Solmsen les diviniteacutes Il semble alors qursquoil y ait une intersection entre la

theacuteorie platonicienne eacutenonceacutee dans le Phegravedre et la theacuteorie aristoteacutelicienne du De Caelo dans la

mesure ougrave Platon affirme que les diviniteacutes passent au-delagrave de la derniegravere extreacutemiteacute pour

contempler les Formes Cela signifie qursquoil nrsquoy a pas que des Formes au-delagrave du ciel mais

eacutegalement des diviniteacutes Beaucoup drsquointerpregravetes ont eacuteteacute tenteacutes de comprendre ce texte comme

eacutetant une reacutefeacuterence aux premiers moteurs immobiles Toutefois Solmsen soutient qursquoil ne

peut srsquoagir de diviniteacutes ayant une fonction motrice dans la mesure ougrave Aristote affirme agrave la fin

de ce chapitre qursquoil nrsquoy a rien de plus fort que le corps qui a un mouvement circulaire et que

rien ne peut le deacuteplacer Les diviniteacutes nrsquoont donc pas agrave avoir une fonction motrice car le

mouvement circulaire srsquoexplique par la nature mecircme du cinquiegraveme eacuteleacutement qursquoest lrsquoeacutether

Solmsen affirme que crsquoest un passage choquant car on a le sentiment qursquoAristote est sur le

point drsquoaboutir agrave lrsquoideacutee qursquoil nrsquoy a rien en dehors du ciel en raison du fait que tout est compris

dans le ciel Il souligne que pour Platon crsquoest une theacuteorie theacuteologique alors que pour Aristote

crsquoest une theacuteorie scientifique (due agrave sa theacuteorie des corps des milieux et des mouvements)

Mais les lois physiques ne srsquoeacutetendent pas agrave ce qui est incorporel Les dieux sont au-dessus des

lois physiques et aucun argument utiliseacute dans le DC ne refuserait aux dieux une place au-

dessus du ciel Tels sont les arguments de Solmsen en faveur de la nature transcendante du

takei Mais quel est le rapport avec les 3 hypothegraveses preacutesenteacutees plus haut Elle rend

impossible et peu probable la premiegravere selon laquelle Aristote nrsquoavait pas lu cette partie du

Phegravedre et la derniegravere selon laquelle le Phegravedre nrsquoavait pas eacuteteacute eacutecrit en vertu du fait qursquoil

semble y avoir une intersection entre Aristote et Platon qui srsquoexplique par une lecture du

Phegravedre par Aristote La deuxiegraveme explication semble donc plus pertinente Aristote pouvait

consideacuterer le Timeacutee comme une base pour les hypothegraveses suggeacuterant un laquo lieu raquo pour les

formes (car tout est dans un lieu pour Platon dans le Timeacutee) mais il est possible qursquoAristote

63

ait associeacute ses diviniteacutes agrave cet au-delagrave du ciel qui nrsquoest pas un lieu Bien sucircr Aristote a revisiteacute

cette conception de lrsquoau- delagrave du ciel en supprimant les formes platoniciennes qui sont

regardeacutees par les diviniteacutes Il y a une diffeacuterence entre le laquo lieu raquo meacutetaphorique au-delagrave du ciel

de Platon et celui drsquoAristote Nous avons vu qursquoen dehors du ciel il nrsquoy avait rien et que le

τἀκεῖ nrsquoeacutetait dans aucun lieu Donc philosophiquement on peut penser a une reacutealiteacute eacuteternelle

et immateacuterielle qui se trouve au-delagrave du ciel

Le geste de Platon et Aristote nrsquoest pas le mecircme affirme Solmsen Platon dans le

mythe du Phegravedre prend les formes impassibles et inalteacuterables au-dessus du ciel pour acquises

dans la mesure ougrave lrsquoexistence de ces formes a eacuteteacute eacutetablis dans drsquoautres dialogues Il attribue

simplement la veacuteriteacute agrave ce lieu en le deacutesignant comme la laquo plaine de la veacuteriteacute raquo alors

quAristote en deacutecouvrant gracircce agrave sa theacuteorie des milieux un laquo environnement raquo qui exclut le

lieu le vide la matiegravere et le temps utilise cet environnement pour deacutefinir la nature de ses

diviniteacutes parce qursquoelles nrsquoont pas de corps pas de temps et pas de lieu elles sont

inchangeables et eacuteternelles Nous avons alors une conception du divin qui coiumlncide avec celle

de la Meacutetaphysique et de la Physique bien qursquoil ne soit pas question drsquoune diviniteacute motrice

Nous pouvons alors faire un lien pertinent entre la philosophie platonicienne et la philosophie

aristoteacutelicienne tout en les faisant cohabiter sans se contredire Le geste de Solmsen permet

alors de faire pencher la balance et drsquoajouter un argument en plus agrave la position de la reacutefeacuterence

transcendante concernant le τἀκεῖ

33 Deacutepassement des deux alternatives traditionnelles de lrsquointerpreacutetation du takei

331 Lrsquoeacutether hypercosmique de Peacutepin

Mais les deux interpreacutetation du problegraveme du takei ne font pas totalement lrsquounanimiteacute

Parmi ceux qui pensent en dehors de ce cadre nous trouvons Peacutepin qui a deacuteveloppeacute une

theacuteorie fort originale selon laquelle le takei est une reacutefeacuterence agrave lrsquoeacutether hypercosmique Il

srsquoagira alors de voir quels sont les arguments par rapport agrave ceux que nous avons vu qui

permettent de deacutefendre cette thegravese

Lrsquoarticle de Fabienne Baghdassarian48 nous propose un exposeacute inteacuteressant des

diffeacuterentes thegraveses portant sur lrsquoidentiteacute des ecirctres de lagrave-bas Parmi ces nombreuses thegraveses il y

48 Baghdassarian 2011

64

en a une qui est volontairement mise de cocircteacute et briegravevement introduite dans une note de bas de

page celle de Peacutepin

Nous ne dirons rien de lrsquohypothegravese de Peacutepin 1964 p 161-170 qui soutient que la diviniteacuteen question est lrsquoeacutether hypercosmique Peu drsquoeacuteleacutements en effet sont en faveur de cettethegravese et ce tout particuliegraverement dans le DC J Peacutepin lui-mecircme ne reconnaicirct-il pas qursquoilnrsquoest qursquoun seul texte dans ce traiteacute en faveur de son hypothegravese 49

Ce qui est fort inteacuteressant dans la thegravese de Peacutepin est son originaliteacute En effet si nous

avons vu agrave travers lrsquoarticle de Fabienne Baghdassarian jusqursquoagrave preacutesent que lrsquointerpreacutetation

du τἀκεῖ eacutetait bien souvent binaire et penchait soit en faveur de la transcendance

geacuteneacuteralement associeacutee au Premier Moteur Immobile soit en faveur de la reacutefeacuterence ceacuteleste et

plus particuliegraverement agrave la sphegravere des fixes lrsquointerpreacutetation de Peacutepin est tout autre Il ne srsquoagit

pas pour lui de deacutefendre lrsquoune ou lrsquoautre de ces ideacutees bien au contraire il en expose une toute

nouvelle apregraves avoir argumenteacute en deacutefaveur des theacuteories issues de la tradition de Simplicius

et drsquoAlexandre Selon lui le τἀκεῖ serait une reacutefeacuterence agrave lrsquoeacutether hypercosmique La question

que nous devons nous poser est la suivante comment Peacutepin en arrive agrave cette thegravese nouvelle

Dans un premier temps Peacutepin rappelle une chose importante que Fabienne

Baghdassarian rappelle eacutegalement

Certains passages du De Caelo drsquoAristote donnent agrave entendre que la diviniteacute serait au-delagrave de lrsquounivers[hellip] Il srsquoagit essentiellement de I 9 279a11-b350

A la lecture de cette premiegravere phrase nous sommes en droit de nous poser la question

que Fabienne Baghdassarian posait dans son article il existe fort peu de textes drsquoAristote au

sujet de reacutealiteacutes transcendantes agrave lrsquoordre ceacuteleste et De Caelo I 9 serait-il lrsquoun de ceux-lagrave

Peacutepin en semble convaincu dans la mesure ougrave il dit qursquoAristote affirme lrsquoexistence drsquoecirctres qui

se situent au-delagrave du mouvement de translation le plus exteacuterieur A ce propos Peacutepin ne

manque pas de citer directement le texte drsquoAristote La situation de ces ecirctres de lagrave-bas est

donc telle qursquoils eacutechappent au temps et au lieu partie A Cette absence de lieu et de temps

implique que ces ecirctres soient inalteacuterables et impassibles selon Aristote De plus de ces ecirctres

deacutependent lrsquoecirctre et la vie crsquoest ce que nous avons vu dans la partie B Finalement rien nrsquoest

49 Baghdassarian 2011 p 20150 Peacutepin Theacuteologie cosmique et Theacuteologie chreacutetienne1964 p161

65

plus parfait que ces ecirctres donc rien ne peut les mouvoir Peacutepin affirme alors qursquoils ont un

mouvement de translation par eux-mecircmes et non par une chose exteacuterieure Peacutepin ne semble

pas faire grand cas du problegraveme de la continuiteacute de lrsquoobjet du texte dans la mesure ougrave il

applique ce qui semblait ecirctre un eacuteloge du corps qui se meut de maniegravere circulaire au τἀκεῖ

Pouvons-nous mettre en cause ce premier geste de lrsquointerpregravete dans la mesure ougrave Aristote

affirme qursquoil nrsquoy a laquo aucun changement pour les ecirctres qui sont disposeacutes au-dessus de la

translation la plus exteacuterieure raquo Quoiqursquoil en soit la perfection qursquoAristote accorde agrave ces

ecirctres semble sans preacuteceacutedent et autorise donc Peacutepin agrave voir en la figure du τἀκεῖ une diviniteacute Il

affirme que les proprieacuteteacutes ndash impassible autarcique immuable ndash qui servent agrave le deacutecrire sont

les mecircmes que celles utiliseacutees pour deacutecrire le divin dans la Meacutetaphysique Λ51 et qursquoen plus de

cela Aristote utilise souvent le terme theios52 pour deacutesigner le τἀκεῖ Montrer que le τἀκεῖ est

drsquoordre divin permettra agrave Peacutepin de deacutefendre sa theacuteorie de lrsquoeacutether hypercosmique mais nous y

reviendrons plus tard

Avant drsquoexposer sa theacuteorie Peacutepin srsquoattaque directement aux deux grandes

interpreacutetations qui dominent celle de Simplicius (suivie par les interpregravetes modernes que

nous avons vus) et celle drsquoAlexandre (qui est eacutegalement deacutefendue par drsquoautres interpregravetes vus

preacuteceacutedemment)

Il note un lien entre la description qursquoen fait Aristote dans le De Caelo I 9 lorsqursquoil

affirme qursquoils sont immuables impassibles et qursquoils jouissent de la plus autarcique des vies

pour toute sa dureacutee et la Meacutetaphysique Λ lorsqursquoil deacutecrit en ces termes le Premier Moteur

Immobile Simplicius voyait dans le τἀκεῖ une reacutefeacuterence au Premier Moteur Immobile agrave tel

point qursquoil a modifieacute le texte original comme le disait Moraux pour faire correspondre la

theacuteorie du Premier Moteur Immobile au τἀκεῖ En effet Simplicius remplace κινεῖται par κινεῖ

dans lrsquointeacuterecirct de donner une fonction motrice au τἀκεῖ comme le Premier Moteur Immobile a

une fonction motrice puisqursquoelle est ce qui met le Premier Ciel en mouvement Fabienne

Baghdassarian tout comme Moraux nrsquoacceptent pas cette modification Moraux affirme

qursquoelle nrsquoest pas envisageable dans la mesure ougrave le texte original ne fait pas mention drsquoune

fonction motrice du τἀκεῖ Quant agrave Fabienne Baghdassarian remarque en se tournant vers la

traduction que si lrsquoon accepte la correction de Simplicius le texte drsquoAristote signifierait que

le τἀκεῖ met en mouvement le Premier Ciel en vertu du fait que lrsquoeacutether se deacuteplace de maniegravere

circulaire ce qui nrsquoest pas coheacuterent avec lrsquoensemble du texte selon elle puisque lrsquoexplication

51 Meacutetaphysique Λ 652 Ibid

66

du mouvement circulaire ducirc agrave la nature de lrsquoeacutether nrsquoa rien agrave voir avec la puissance motrice du

Premier Moteur De nombreux arguments permettent donc de deacutecreacutedibiliser la correction de

Simplicius et ruinent lrsquoideacutee drsquoune reacutefeacuterence au Premier Moteur Immobile du fait de lrsquoabsence

explicite de fonction motrice du τἀκεῖ

Apregraves avoir critiqueacute la theacuteorie de Simplicius Peacutepin srsquoattaque agrave celle drsquoAlexandre

drsquoAphrodise Ce dernier deacutefendait lrsquoideacutee selon laquelle le τἀκεῖ eacutetait une reacutefeacuterence agrave la sphegravere

des fixes En effet il semblerait que la sphegravere des fixes respecte le fait de nrsquoecirctre dans aucun

lieu et aucun temps car rien ne lrsquoenveloppe En effet il nrsquoy a de temps et de lieu que pour ce

qui est enveloppeacute par un corps Alexandre se reacutefegravere alors agrave la Physique IV 553 dans lequel

Aristote affirme que la sphegravere des fixes puisqursquoelle nrsquoest dans aucun lieu est transcendante

au lieu et constitue le lieu du corps dans la continuiteacute de la sphegravere des fixes et dans lequel se

trouvent certaines planegravetes ainsi que le Soleil et la Lune (consideacutereacute comme des planegravetes car

ayant un mouvement irreacutegulier) Alexandre identifie donc le τἀκεῖ comme quelque chose se

trouvant au-dessus drsquoun mouvement crsquoest pourquoi il pense agrave la sphegravere des fixes elle nrsquoest

pas dans un lieu pas dans le temps et elle se trouve au dessus du mouvement rectiligne le plus

haut Cependant Peacutepin ne considegravere pas cette theacuteorie comme acceptable dans la mesure ougrave

Aristote affirme que le τἀκεῖ se situe au-dessus du mouvement de translation le plus exteacuterieur

Le mouvement de translation est le mouvement circulaire et le plus haut et exteacuterieur des

mouvements circulaires est celui de la sphegravere des fixes Le texte mecircme permet alors de

combattre la theacuteorie drsquoAlexandre car le τἀκεῖ se trouve au dessus de la sphegravere des fixes et si

la sphegravere des fixes eacutetait effectivement le τἀκεῖ comment pourrait-elle ecirctre au dessus drsquoelle-

mecircme Cette remarque de Simplicius est reprise par Peacutepin

Il srsquoavegravere que Peacutepin ne croit ni en lrsquohypothegravese de la reacutefeacuterence au Premier Moteur

Immobile ni en celle drsquoune reacutefeacuterence agrave la sphegravere des fixes Crsquoest pourquoi il se tourne vers les

teacutemoignages de doxographies de lrsquoAntiquiteacute et plus preacuteciseacutement celle de Arius Didyme dans

laquelle est attribueacutee agrave Aristote la theacuteorie drsquoun dieu supeacuterieur agrave lrsquoensemble des sphegraveres

ceacutelestes qursquoil enveloppe et tient ensemble un dieu immuable impassible bienheureux et qui

communique son mouvement circulaire agrave lrsquoensemble de lrsquounivers Cette description fait

directement eacutecho au De Caelo I 3 et agrave la conception de lrsquoeacutether Peacutepin pose alors la question

de savoir si la reacutefeacuterence agrave lrsquoeacutether est plus satisfaisante que la reacutefeacuterence agrave la sphegravere des fixes ou

au Premier Moteur Immobile De plus lrsquoeacutether est-il susceptible drsquoeacuteviter les objections

53 Physique IV 5 212b8-20

67

auxquelles se heurte la sphegravere des fixes A savoir que la sphegravere des fixes ne peut pas ecirctre en

dehors de la sphegravere des fixes puisque le τἀκεῖ est dit se situer au dessus du mouvement de

translation le plus exteacuterieur En drsquoautres termes lrsquoeacutether peut-il ecirctre au dessus du mouvement

circulaire de la sphegravere des fixes Peacutepin concegravede lrsquoideacutee que lrsquoeacutether bien qursquoil entre aussi en la

composition des astres concerne en prioriteacute la constitution de la sphegravere des fixes Toutefois

Peacutepin objecte agrave sa propre thegravese que bien que cela soit affirmeacute dans le De Caelo I 3 dans le

passage du De Caelo qui nous inteacuteresse Aristote ne donne aucune autre information agrave ce

sujet

Pour eacutetayer son hypothegravese Peacutepin srsquoappuie sur la Reacutefutation de toutes les heacutereacutesies dans

lequel Hippolyte affirme que lrsquounivers aristoteacutelicien peut se deacutecomposer en trois parties

Le monde selon Aristote est diviseacute en un grand nombre de parties diffeacuterentes Cettepartie-ci du monde qui srsquoeacutetend depuis la terre jusqursquoagrave la lune est sans providence sansdirection et nrsquoobeacuteit qursquoagrave sa propre nature Dans celle qui est apregraves la lune jusqursquoagrave lasurface du ciel regravegnent lrsquoordre la providence et une sage direction Quant agrave cette surface(du ciel) elle est une cinquiegraveme substance eacutetrangegravere agrave tous les eacuteleacutements physiques dontle monde est composeacute et cette cinquiegraveme substance drsquoapregraves Aristote est une sorte desubstance supeacuterieure au monde54

La premiegravere est la partie sublunaire la seconde la partie supralunaire et la troisiegraveme la partie

qui est la surface du ciel eacutetranger agrave tous les eacuteleacutements du monde car constitueacutee par le

cinquiegraveme eacuteleacutement lrsquoeacutether Peacutepin critique les arguments de la theacuteorie drsquoHippolyte en

affirmant qursquoAristote nrsquoa pas retireacute lrsquoeacutether mecircme srsquoil a dit que lrsquoeacutether concernait

principalement la sphegravere des fixes de la constitution du ciel et des astres Il retient toutefois

une notion introduite par Hippolyte pour expliquer la preacutesence du cinquiegraveme eacuteleacutement au-delagrave

de la sphegravere des fixes la notion de ἐπιφάνεɩɑ τοῦ οὐρɑνοῦ Cette notion est employeacutee dans la

philosophie stoiumlcienne pour deacutesigner la surface de la sphegravere unique qursquoenveloppe le ciel et sur

laquelle sont poseacutes les astres De cette maniegravere la surface dont il est question ici est la sphegravere

des fixes aristoteacutelicienne Mais Hippolyte ne se contente pas drsquoidentifier la sphegravere des fixes agrave

cette notion il lrsquointroduit dans le but de deacutecrire la sphegravere des fixes comme un corps eacutepais dont

la surface inteacuterieur est dans le ciel et la surface exteacuterieure constitueacutee drsquoeacutether se trouve hors

du ciel En ce sens nous comprenons comment lrsquoeacutether peut se trouver au-delagrave de la sphegravere des

fixes tout en la constituant Ce qui regravegle la question que Peacutepin posait ci-dessus agrave savoir est-

54 Hippolyte 1928 p102 Traduction par A Siouville

68

ce que le τἀκεῖ identifieacute comme eacutetant lrsquoeacutether eacutevite les objections formuleacutees agrave la sphegravere des

fixes

De plus la doxographie drsquoArius Didyme et celle drsquoHippolyte ne sont pas les seules agrave

preacutesenter un eacutether hypercosmique dans la philosophie aristoteacutelicienne En effet Sextus

Empiricus ainsi que le teacutemoignage anonyme de la Vita Aristotelis rendent compte de la mecircme

ideacutee mais par des arguments diffeacuterents Sextus Empiricus preacutesente Aristote comme ayant une

theacuteologie mateacuterialiste crsquoest-agrave-dire qursquoil comprend que la diviniteacute ne peut pas se trouver hors

du ciel puisqursquoil nrsquoy a rien hors du ciel par conseacutequent elle doit se trouver agrave lrsquointeacuterieur de

celui-ci ce qui nous permet de penser raisonnablement que le τἀκεῖ ne fait pas reacutefeacuterence au

Premier Moteur Immobile mais bien agrave lrsquoeacutether se situant sur la surface exteacuterieure de la sphegravere

des fixes ainsi deacutesigneacute comme hypercosmique

La situation est donc la suivante plusieurs doxographies srsquoaccordent agrave rapporter agraveAristote une theacuteorie de la diviniteacute de lrsquoeacutether hypercosmique mais le seul textearistoteacutelicien apte agrave fonder ces teacutemoignages (qui en retour contribuent agrave lrsquoeacuteclairer)apparaicirct dans le De Caelo crsquoest-agrave-dire dans un traiteacute qui passe a bon droit pour veacutehiculercertaines doctrines anteacuterieures issues des eacutecrits de jeunesse55

Par conseacutequent la deacutemarche de Peacutepin est la suivante il note qursquoil existe une

litteacuterature doxographique dans laquelle il est plusieurs fois fait mention de la theacuteorie drsquoun

eacutether hypercosmique En mecircme temps les textes dans lesquels Aristote en parlait ne sont pas

en notre possession et le seul document qui semble pouvoir manifester de la veacuteraciteacute de ces

reacutefeacuterences est le De Caelo I 9 crsquoest-agrave-dire un eacutecrit connu pour avoir eacuteteacute eacutecrit relativement tocirct

par Aristote Il comprend alors le passage du De Caelo qui nous inteacuteresse au regard de ces

doxographies mais eacutegalement au regard du fragment 26 du De Philosophia qui serait

lrsquoorigine de la formulation premiegravere de la theacuteorie de lrsquoeacutether hypercosmique ou du takei

En effet parfois il attribue tout le divin agrave lrsquoesprit parfois il dit que le monde lui-mecircme estun dieu parfois il soumet le monde et ses parties agrave un autre ltdieugt chargeacute de reacutegler et depreacuteserver le mouvement du monde par un mouvement reacutetrograde puis il dit que lrsquoardeurdu ciel est un dieu ne comprenant pas que le ciel est une partie du monde qursquoailleurs il adeacutesigneacute comme un dieu Mais comment la fameuse perception divine dont est doueacute le cielpourrait-elle se conserver dans un mouvement aussi rapide Et ougrave sont les dieux bienconnus si nous comptons aussi le ciel au nombre des dieux Et quand il veut qursquoun dieunrsquoait pas de corps il le prive de toute perception sensible et mecircme de prudence Et

55 Peacutepin opcit 1964 p169

69

comment le monde pourrait-il se mouvoir alors qursquoil est priveacute de corps et comment srsquoil semeut sans cesse peut-il ecirctre calme et heureux 56

En ce sens selon Peacutepin Jaeger57 avait raison drsquoaffirmer que ce passage du De Caelo

eacutetait une reprise du De Philosophia dans la mesure ougrave le De Caelo compris comme un des

traiteacutes les plus anciens qui soit conserveacute srsquoinspire des theacuteories drsquoeacutecrits non publieacutes ou perdus

tels que le De Philosophia En effet il est question de diviniteacutes qui comme les takei sont

immaterielles De plus il eacutenonce les preacutemisses du mouvement circulaire des ecirctres divins qui

par suite sera le mouvement causeacute par lrsquoeacuteleacutement qui constitue ces ecirctres divins lrsquoeacutether

Lrsquoeacutetude du propos de Peacutepin nous a alors permis de deacuteconstruire les traditionnelles

alternatives de lrsquointerpreacutetation du τἀκεῖ qui penche soit en faveur du Premier Moteur soit en

faveur de la sphegravere des fixes Peacutepin propose une alternative qui bien qursquoelle ne soit pas

souvent accepteacutee a le meacuterite drsquoaffronter les difficulteacutes que pose la lecture de ce texte tout en

respectant le contenu textuel de celui-ci

3 3 2 La theacuteorie des Moteurs Immobiles une variante originale de la reacutefeacuterence au Premier Moteur Immobile

Merlan propose une theacuteorie de lrsquointerpreacutetation du τἀκεῖ qui fait exception agrave la logique

de lrsquointerpreacutetation binaire du τἀκεῖ eacutegalement En effet Merlan ne pense pas qursquoil srsquoagit lagrave

drsquoune reacutefeacuterence agrave la sphegravere des fixes ou au Premier Moteur Sa thegravese est que le τἀκεῖ est une

reacutefeacuterence aux moteurs immobiles Dumoulin avait formuleacute lrsquohypothegravese selon laquelle le

τἀκεῖ du fait qursquoil nrsquoavait pas de fonction motrice aveacutereacutee ne renvoyait pas neacutecessairement au

Premier Moteur Immobile Neacuteanmoins bien que Merlan ne srsquointeacuteresse pas agrave la question de

savoir si le τἀκεῖ a une fonction motrice ou pas il lie les τἀκεῖ au Premier Moteur Immobile

en vertu des qualiteacutes qui leur sont attribueacutees Les τἀκεῖ sont dit dans le DC I 9 parfaitement

immobiles crsquoest-agrave-dire immuables inalteacuterables incorruptibles jouissant du plus grand des

biens parfaitement autonomes et divins Les caracteacuteristiques du τἀκεῖ sont celles que lrsquoon

retrouve pour qualifier le Premier Moteur Immobile dans la Meacutetaphysique Λ Fabienne

Baghdassarian souligne comme nous lrsquoavons vu que notre connaissance drsquoAristote nous

pousse agrave voir la theacuteorie du Premier Moteur un peu partout dans les textes drsquoAristote Il semble

56 Aristote Œuvres complegravetes 2014 p 2846-284757 Jaeger Aristote fondements pour une histoire de son eacutevolution1997 p311

70

alors que cette interpreacutetation de la part du Dumoulin soit quelque peu hacirctive en plongeant

dans lrsquoune des alternatives traditionnelles de lrsquointerpreacutetation du τἀκεῖ

Merlan quant agrave lui a bien conscience que le τἀκεῖ ne fait pas reacutefeacuterence agrave la sphegravere

des fixes ou agrave un corps ceacuteleste

It is true not all interpreters agree that with takei Aristotle designates divinities differentfrom the celestial bodies But (a) how could celestial bodies be ever described as ouk entopo (b) How could celestial bodies be described as above the uttermost locomotion (c)The parallels between the descriptions of the Unmoved Mover in Metaphysics Λ and thetakei in On the Heavens strongly suggest that the same entities are meant in bothpassages58

Il note que tous les interpregravetes ne sont pas drsquoaccord avec lrsquoideacutee que Aristote par

lrsquoutilisation de la notion de τἀκεῖ deacutesigne autre chose que les corps ceacutelestes Il pose alors

deux problegravemes agrave la theacuteorie drsquoune reacutefeacuterence ceacuteleste dans le but de la remettre en question

comment les corps ceacutelestes pourraient ecirctre deacutecrits comme eacutetant en dehors drsquoun lieu Et

comment les corps ceacutelestes peuvent ecirctre deacutecrits comme se trouvant au dessus du mouvement

le plus haut En effet lrsquoeacuteleacutement de lrsquoeacutether qui constitue le premier et second ciel crsquoest-agrave-dire

la sphegravere des fixes et le corps qui est dans la continuiteacute de la sphegravere des fixes forment un lieu

pour les corps ceacutelestes En drsquoautres termes les corps ceacutelestes se trouvent dans le ciel et la

derniegravere limite du ciel est la sphegravere des fixes donc aucun drsquoeux ne se trouve au-dessus de la

sphegravere des fixes Cet argument est eacutenonceacute par Cherniss59 et repris par Merlan Mais pourquoi

en est-on venu a penser malgreacute le contenu du De Caelo I 9 partie A que le τἀκεῖ eacutetait une

reacutefeacuterence agrave des ecirctres ceacutelestes Merlan signale comme nous lrsquoavons vu que de nombreux

interpregravetes comprennent cette notion comme eacutetant une reacutefeacuterence aux corps ceacutelestes en raison

de la maniegravere dont est deacutecrit le Moteur Immobile dans la Meacutetaphysique Λ et dans le ciel dans

De Caelo I 9 En effet le ciel est dit immuable inengendreacute inalteacuterable eacuteternel tout comme

est caracteacuteriseacute le Moteur Immobile

Mais Merlan note le pluriel de lrsquoexpression τἀκεῖ dans De Caelo I 9 et pour deacutesigner

les moteurs immobiles (ou ce qursquoil appelle les substances eacuteternelles sans matiegraveres) dans

Meacutetaphysique Λ 660 Crsquoest pourquoi plutocirct que de favoriser lrsquohypothegravese de la reacutefeacuterence

ceacuteleste du τἀκεῖ Merlan favorise celle drsquoune reacutefeacuterence aux moteurs immobiles En ce sens il

58 Merlan 1996 p1359 Cherniss 1944 p58760 Aristote Meacutetaphysique Λ 6 1071b20-23

71

se diffeacuterencie de la tradition habituelle qui voit dans le τἀκεῖ une reacutefeacuterence au Premier

Moteur Merlan nrsquoest donc ni en faveur de la position de drsquoAlexandre ni en faveur de celle de

Simplicius bien que celle-ci semble ecirctre plus proche de la sienne Il srsquoagit alors pour Merlan

dans le but de prouver que le τἀκεῖ correspond aux moteurs immobiles de prouver que la

theacuteologie drsquoAristote est polytheacuteiste et non monotheacuteiste Fabienne Baghdassarian dans son

article ne manque pas de noter que le Premier Moteur Immobile en tant qursquoil est une

substance unique en son genre ne coiumlncide pas vraiment avec le pluriel du τἀκεῖ du De Caelo

I 9 Merlan a bien conscience que le Premier Moteur Immobile en tant qursquoecirctre unique ne

peut pas rendre compte de lrsquoutilisation du pluriel pour deacutesigner ce qui se trouve au-delagrave de la

translation la plus exteacuterieure Crsquoest pourquoi il lui faut montrer que la theacuteologie

aristoteacutelicienne au grand dam des scolastiques est un polytheacuteisme et non un monotheacuteisme

Il se reacutefegravere agrave Meacutetaphysique Λ drsquoAristote et plus preacuteciseacutement au chapitre 6 dans lequel

Aristote affirme la chose suivante dans le but de montrer les raisons pour lesquelles les

scolastiques ont consideacutereacute la theacuteologie aristoteacutelicienne comme monotheacuteiste

In ch6 of Lambda Aristotle reminds us that there are three entities (or kinds of entities orrealities or substances or kinds of substance) Two of them are subject to change - therealm of perishable physical entities and the realm of imperishable physical entities iecelestial bodies But there must exist a realm of being (an entity a substance a reality)which is both imperishable and changeless How Aristotle proves this necessity doesntneed to detain us here - he in any case is satisfied that he did prove it However it isrelevant to stress that he quite particularly denies that the soul as conceived by Plato as aself-changer could be assumed to be the realm of being the existence of which he hasproved61

A la lecture du chapitre 6 ainsi que du chapitre 7 de Meacutetaphysique Λ Merlan nrsquoest pas

eacutetonneacute que les scolastiques voient Aristote comme un monotheacuteiste Il reacutesume alors briegravevement

le chapitre 7 il existe une substance eacuteternelle et immuable selon Aristote ce qui vient

appuyer lrsquoideacutee drsquoune theacuteologie monotheacuteiste Toutefois Merlan souligne que si agrave la lecture des

chapitre 6 et 7 cela semble eacutevident en reacutealiteacute crsquoest un veacuteritable problegraveme auquel les lecteurs

de la Meacutetaphysique ont affaire En effet le deacutebut du chapitre 8 de Λ pose une question de

clarteacute existe t-il une seule substance de ce type ou plusieurs Si plusieurs combien y en a-t-

il Aristote rappelle alors que le Premier Moteur Immobile qui est eacuteternel et sans

changement est le moteur drsquoun seul mouvement celui de la sphegravere des fixes ou du premier

61 Merlan opcit 1966 p3-4

72

ciel Le Premier Moteur Immobile nrsquoexplique donc pas le mouvement de tout ce qui est mucirc en

cercle drsquoun mouvement incessant notamment le mouvement circulaire des planegravetes dans la

mesure ougrave ce nrsquoest pas lui qui est agrave lrsquoorigine de leurs mouvements Aristote en conclut qursquoil

faut que chaque astre ait son moteur immobile Il se reacutefegravere alors aux theacuteories des astronomes

tel que Calippe et Eudoxe et arrive agrave la conclusion qursquoil existe cinquante-cinq sphegraveres qui

mettent en mouvement les astres Il reacutepond donc successivement aux questions suivantes y-

a-t-il une seule substance immuable et eacuteternelle ou plusieurs Et combien Merlan deacutefend la

thegravese qursquoil existe un moteur immobile pour chaque sphegravere il existerait alors cinquante-cinq

moteurs immobiles

Il semble alors qursquoAristote passe drsquoun monotheacuteisme agrave un polytheacuteisme En effet les

sphegraveres sont les moteurs du mouvement des astres elles sont donc parce qursquoelles mettent en

mouvement quelque chose de divin drsquoune nature divine agrave un plus haut degreacute Le problegraveme du

polytheacuteisme nrsquoest pas directement notre propos mais permet agrave Merlan de justifier la reacutefeacuterence

du τἀκεῖ au Moteur Immobile et non au Premier Moteur Immobile Toutefois la lecture de

Meacutetaphysique Λ 8 bien qursquoau deacutepart elle nous pousse dans la direction drsquoun polytheacuteisme

peut servir de contre-argument aux scolastiques pour prouver la supreacutematie du monotheacuteisme

En effet Aristote affirme apregraves avoir eacutevoqueacute lrsquoexistence de cinquante-cinq Moteurs

Immobiles qursquoil nrsquoy a qursquoun seul univers Supposons qursquoil y en ait plusieurs comme il y a

plusieurs individus Si tel eacutetait le cas alors chaque monde aurait un principe et chacun de ces

principes seraient de la mecircme espegravece bien que numeacuteriquement plusieurs Mais deux choses de

la mecircme espegravece ne peuvent se diffeacuterencier que par la matiegravere or le moteur immobile nrsquoa pas

de matiegravere il ne peut donc pas y en avoir plusieurs Aristote semble alors tour agrave tour changer

drsquoavis Il finit Meacutetaphysique Λ 8 par une reacutefeacuterence agrave la religion polytheacuteiste de son eacutepoque en

la critiquant sur sa dimension anthropomorphiste mais non pas sur sa theacuteorie de la pluraliteacute

des dieux

Meacutetaphysique Λ 8 semble constitueacute selon Merlan de trois sections La premiegravere et la

derniegravere deacutefendent une theacuteologie polytheacuteiste alors que la seconde deacutefend une theacuteologie

monotheacuteiste Il justifie ce changement de position par une mauvaise compreacutehension de la

seconde section En effet Aristote a montreacute qursquoil y avait cinquante-cinq moteurs immobiles

Il cherche donc a deacutefendre la theacuteorie des cinquante-cinq moteurs en prouvant qursquoil nrsquoy a

qursquoun seul monde il ne fait pas ccedila pour prouver qursquoil est impossible qursquoil y ait plus drsquoun

moteur A ce titre chaque moteur est diffeacuterent dans la mesure ougrave aucun nrsquoa de matiegravere ce qui

signifie qursquoil ne peut pas y avoir plusieurs moteurs drsquoune mecircme espegravece En outre il nrsquoexiste

73

effectivement qursquoun seul Premier Moteur Immobile mais cela nrsquoimplique pas qursquoil nrsquoexiste

pas un Second un Troisiegraveme un Quatriegravemehellip etc Moteur Immobile En drsquoautres termes il

nrsquoest pas impossible qursquoil y ait cinquante-cinq moteurs par contre il est impossible qursquoil y ait

cinquante-cinq premiers moteurs (ni mecircme deux) car ils nrsquoont pas de matiegravere donc ne

peuvent pas ecirctre un en espegravece et numeacuteriquement plusieurs Ce passage cherche donc agrave eacutetablir

lrsquouniciteacute du monde et non pas celle du dieu

Toutefois comme le dit Merlan cette justification de la continuiteacute de lrsquoopinion

drsquoAristote nrsquoest pas la seule Jaeger62 en formule une autre tregraves brillante Aristote apregraves la

mort de Platon aurait deacuteveloppeacute lrsquoideacutee drsquoun Moteur Immobile comme cause de tous les

mouvements de lrsquounivers et de cette ideacutee sont neacutes les chapitre 6 et 7 de la Meacutetaphysique Λ et

qui deacutefendent une theacuteologie monotheacuteiste Puis devenant familier avec les theacuteories drsquoEudoxe

et Calippe qui expliquent le mouvement des planegravetes par plusieurs moteurs diffeacuterents Aristote

deacutecide de modifier sa theacuteorie et ajoute agrave lrsquounique Moteur Immobile un nombre suffisant

drsquoautres Moteurs Immobiles Il reacutedige alors la section une et trois de Meacutetaphysique Λ 8 Mais

plus tard il apparaicirct des difficulteacutes au sujet de la theacuteorie de la pluraliteacute des moteurs comment

un ordre peut exister dans un monde ougrave il existe autant de moteurs immobiles Il eacutecrit alors la

section deux de Meacutetaphysique Λ 8 Apregraves la mort drsquoAristote les peacuteripateacuteticiens ont assembleacute

les eacutecrits drsquoAristote sous la forme de la Meacutetaphysique que nous connaissons Les eacutediteurs sont

alors responsables de la raison pour laquelle Aristote semble tantocirct ecirctre polytheacuteiste tantocirct

monotheacuteiste et ainsi de suite En inseacuterant le chapitre 8 entre le 7 et le 9 ils ont coupeacute

lrsquoargumentation car Jaeger propose de le retirer dans lrsquoideacutee que le chapitre 7 et 9 se suivent et

que le chapitre 8 est un tout coheacuterent avec lui-mecircme et non avec ce qui preacutecegravede et ce qui suit

Le passage du De Caelo I 9 est alors introduit dans ce deacutebat de la theacuteologie

aristoteacutelicienne polytheacuteiste ou monotheacuteiste dans le but de montrer lrsquoattitude qursquoAristote a

envers le polytheacuteisme Il suffit degraves lors de repenser la lecture du De Caelo I 9 au vu de ce que

Merlan affirmait plus haut lrsquoutilisation du pluriel montre qursquoAristote soutient lrsquoideacutee drsquoune

pluraliteacute de diviniteacutes puisque crsquoest au pluriel qursquoil fait reacutefeacuterence agrave des ecirctres se situant au-delagrave

du ciel

Puisqursquoil nrsquoeacutetait pas possible selon Merlan que le τἀκεῖ soit une reacutefeacuterence aux corps

ceacutelestes ou agrave la sphegravere des fixes et que le Premier Moteur Immobile du fait de son uniciteacute ne

respecte pas les indices textuels du De Caelo I 9 Merlan srsquoestime en droit de proposer une

interpreacutetation qui diverge des plus connues il est tout agrave fait envisageable qursquoAristote soit

polytheacuteiste et que par deacutefinition il deacutefende lrsquoideacutee drsquoune pluraliteacute de diviniteacutes De plus les

62 Jaeger 1924

74

τἀκεῖ sont qualifieacutes comme lrsquoest le Premier Moteur Immobile de sorte que lrsquoon peut eacutetablir

leur caractegravere divin sur la base de celui du Premier Moteur Outre cet argument si les corps

ceacutelestes sont deacutejagrave des ecirctres divins alors a fortiori ce qui les met en mouvement est encore

plus divin Nous pouvons alors identifier le τἀκεῖ comme eacutetant une reacutefeacuterence aux moteurs

immobiles divins et multiples

75

CONCLUSION

Nous avons tenteacute tout au long de ce meacutemoire de montrer qursquoil existait un problegraveme

drsquointerpreacutetation du De Caelo I 9 En effet ce passage tregraves obscur et tregraves riche fait appel agrave

une notion particuliegravere qui est celle du takei Cette notion semble faire reacutefeacuterence agrave une reacutealiteacute

qui se trouverait au-delagrave de la sphegravere des fixes la question que se pose Fabienne

Baghdassarian est donc de savoir si ce texte fait parti de ceux qui attestent de lrsquoexistence de

reacutealiteacutes de ce type Mais la lecture de lrsquoarticle de Fabienne Baghdassarian manifeste de

nombreux arguments qui sont soit en faveur de lrsquoideacutee que ce passage renvoie agrave des reacutealiteacutes

hypercosmiques soit en faveur de lrsquoideacutee drsquoune reacutefeacuterence ceacuteleste Ces arguments viennent

alors atteacutenuer lrsquoimpression premiegravere drsquoun texte portant sur des reacutealiteacutes qui se situeraient au-

dessus du ciel

Il srsquoagissait alors dans ce meacutemoire de montrer quels eacutetaient les arguments en faveur

de telle ou telle ideacutee et la maniegravere dont ils interagissaient entre eux afin de faire lrsquoeacutetat des

lieux drsquoun problegraveme existant depuis lrsquoAntiquiteacute et sur lequel malgreacute la preacutesence de theacuteorie

convaincante personne nrsquoarrive agrave srsquoentendre

Notre ligne directrice pour reacutepondre agrave ce problegraveme a eacuteteacute lrsquoeacutetude du De Caelo de

maniegravere geacuteneacuterale et du De Caelo I 9 de maniegravere plus preacutecise ainsi que la lecture de lrsquoarticle

de Fabienne Baghdassarian sur lrsquoidentiteacute des ecirctres de laquo lagrave-bas raquo A cela se sont ajouteacutes les

commentaires et interpreacutetations antiques puis modernes du problegraveme qui nous inteacuteressait

Comment en sommes-nous arriveacutes agrave nous poser la question de lrsquoidentiteacute du takei

Premiegraverement nous avons introduit les concepts aristoteacuteliciens ainsi que la conception du

cosmos aristoteacutelicienne Nous avons alors deacutefini quels eacutetaient les trois sens du mot ciel Selon

Aristote le ciel se dit de trois maniegraveres pour deacutesigner la substance qui se trouve sur la

circonfeacuterence la plus eacuteloigneacutee du centre Crsquoest eacutegalement le lieu du divin dans la mesure ougrave

son lieu est le plus haut Dans un second sens le ciel est la substance qui est dans la continuiteacute

de la limite la plus eacuteloigneacutee du ciel Enfin dans un troisiegraveme sens le ciel est compris comme

la totaliteacute ou le Tout enveloppeacute par la derniegravere circonfeacuterence De plus Aristote distingue deux

reacutegions dans sa conception du cosmos la reacutegion sublunaire qui se situe sous la Lune et qui

est soumis agrave la geacuteneacuteration et agrave la corruption et la reacutegion supralunaire qui se situe au-dessus

de la Lune et qui nrsquoest pas soumis agrave la geacuteneacuteration et agrave la corruption La distinction de ces deux

reacutegions du ciel permet lrsquoexplication des mouvements des corps dans chacune des reacutegions du

monde En effet dans le monde sublunaire les corps se meuvent de maniegravere rectiligne du

haut vers le bas ou du bas vers le haut en fonction de leur nature Les eacuteleacutements qui srsquoy

76

trouvent et qui composent les corps sont au nombre de quatre En revanche dans le monde

supralunaire il nrsquoexiste qursquoun seul eacuteleacutement qui constitue le ciel et ses parties Cet eacuteleacutement est

lrsquoeacutether et a un mouvement circulaire et eacuteternel du fait de sa nature Lrsquoeacutetude du mouvement

permet alors agrave Aristote de comprendre les raisons de la geacuteneacuteration et de la corruption la

corruption se produit dans les contraires ce qui signifie qursquoun corps se corrompt si et

seulement srsquoil possegravede un contraire Mais il nrsquoy a que les eacuteleacutements du monde sublunaire qui

ont un contraire selon Aristote crsquoest pourquoi lrsquoeacutether et les corps qursquoil constitue sont eacuteternels

et se meuvent drsquoun mouvement incessant

Le ciel en son troisiegraveme sens est compris comme ce qui enveloppe la totaliteacute Cela

signifie que tous les eacuteleacutements que nous avons eacutevoqueacute se trouvent dans le ciel Aristote tente

alors de prouver qursquoil nrsquoexiste qursquoun seul ciel en deacutefendant la position platonicienne du

Timeacutee En effet Platon dans le Timeacutee affirme que le monde est constitueacute de lrsquoensemble des

eacuteleacutements de sorte qursquoil ne puisse rien y avoir au-delagrave de celui-ci Aristote deacutefend la mecircme

theacuteorie en affirmant que le ciel est constitueacute de toute la matiegravere de telle sorte que rien drsquoautre

ne pourrait venir agrave ecirctre en dehors du ciel Il conclut alors il nrsquoexiste ni lieu ni vide ni temps

en dehors du ciel dans la mesure ougrave ce sont des proprieacuteteacutes des corps mateacuteriels

La question du takei srsquoest donc poseacutee dans le contexte de la preuve de lrsquouniciteacute du ciel

et de la non-existence drsquoun quelconque corps mateacuteriels en dehors de celui-ci Nous avons

alors analyseacute la fin du De Caelo I 9 Bien qursquoAristote affirme qursquoil nrsquoy a rien en dehors du

ciel il qualifie ce qui se trouve au-delagrave du ciel comme nrsquoeacutetant ni corporel ni dans un lieu et

eacutetant eacuteternel Finalement Aristote se reacutefegravere agrave des eacutecrits portant sur les ecirctres divins (theion) Le

problegraveme que nous avons donc rencontreacute eacutetait aussi celui de la correspondance entre la notion

de takei et celle de theion

Nous nous sommes alors inteacuteresseacutes aux positions de Simplicius et drsquoAlexandre

drsquoAphrodise Ces deux interpreacutetes antiques sont les ancecirctres des deux interpreacutetations que nous

avons suivre tout au long de notre propos Simplicius est le chef de file de ceux qui affirment

que le takei fait reacutefeacuterence au Premier Moteur Immobile crsquoest-agrave-dire agrave quelque chose qui se

trouve au-delagrave du ciel Quant agrave Alexandre il est le chef de file de ceux qui affirment que le

takei fait reacutefeacuterence agrave la sphegravere des fixes donc agrave quelque chose qui se trouve dans le ciel Ces

interpreacutetations sont les deux alternatives principales et traditionnelles du problegraveme du takei

Elles sont comme nous venons de le dire suivies par une longue tradition agrave laquelle les

interpregravetes modernes pour la plupart participent Donc apregraves avoir vu les interpreacutetations

possibles durant lrsquoAntiquiteacute nous nous sommes inteacuteresseacutes aux interpreacutetations modernes

77

Puisque lrsquoenjeu de notre propos eacutetait de faire lrsquoeacutetat des lieux du problegraveme du takei tout

en rendant compte des arguments en faveur de telles ou telles ideacutees nous avons proceacutedeacute de

maniegravere theacutematique en confrontant les interpregravetes Dans un premier temps nous avons

confronteacute Dumoulin et Moraux Dumoulin comprend le takei comme se reacutefeacuterant agrave quelque

chose se situant au dessus du ciel Il justifie sa thegravese en affirmant qursquoil existe une discontinuiteacute

au sein du texte drsquoAristote Aristote se reacutefeacutererait tantocirct agrave des reacutealiteacutes hypercosmiques tantocirct agrave

des reacutealiteacutes ceacutelestes en faisant lrsquoeacuteloge du mouvement circulaire des corps ceacutelestes dans le but

de montrer que ce qui est supeacuterieur au ciel est encore plus divin Moraux quant agrave lui refuse

lrsquoideacutee drsquoune discontinuiteacute dans lrsquoargumentation sous preacutetexte qursquoelle implique qursquoil faille

accepter lrsquoideacutee qursquoAristote change brusquement de sujet Il affirme alors que le texte est

continu et traite drsquoun bloc de reacutealiteacutes ceacutelestes se situant sur la sphegravere des fixes et non au-delagrave

Dans un second temps nous avons confronteacute Mugnier et Solmsen sur la question du lieu

Mugnier affirme que lrsquoabsence de lieu en dehors du ciel expliqueacutee par Aristote dans le DC

implique que les takei ne peuvent pas se trouver en dehors du ciel puisqursquoils ne seraient pas

dans un lieu alors mecircme qursquoils sont deacutesigneacutes comme eacutetant laquo lagrave-bas raquo crsquoest-agrave-dire dans un lieu

Pour Solmsen lrsquoabsence de lieu de temps et de corps sont les caracteacuteristiques essentielles de

ce que sont les takei Ces caracteacuteristiques semblent ecirctre les mecircmes que celles accordeacutees au

Premier Moteur Immobile dans la Meacutetaphysique

Finalement nous sommes sortis de cette tradition interpreacutetative en nous tournant vers

des thegraveories plus originales notamment celle de Peacutepin et de Merlan En effet Peacutepin affirme

que le takei fait reacutefeacuterence agrave lrsquoeacutether hypercosmique En effet il note qursquoil existe plusieurs

doxographies qui font lrsquoeacutetat drsquoun eacutether hypercosmique chez Aristote toutefois nous nrsquoavons

aucune trace de ces textes Il essaie alors de faire correspondre le De Caelo I 9 agrave ces

doxographies pour en faire une partie manifestant lrsquoexistence drsquoun divin existant au-delagrave du

ciel et qui serait un eacutether hypercosmique Pour Merlin le takei serait une reacutefeacuterence non pas au

Premier Moteur Immobile ou agrave la sphegravere des fixes mais aux Moteurs Immobiles En effet

Merlan soutient la theacuteorie qursquoAristote est un polytheacuteiste qui nrsquoa pas accordeacute la diviniteacute agrave un

seul ecirctre mais agrave une multitudes drsquoecirctres qui seraient agrave lrsquoorigine des mouvements des corps

ceacutelestes Il nous est alors permis par le biais de Merlan et de Peacutepin de sortir de la tradition

habituelle de lrsquointerpreacutetation du takei en proposant des lectures originales et nouvelles des

œuvres aristoteacuteliciennes

Les diverses interpreacutetations que nous avons pu rencontreacute mettent en perspective les

difficulteacutes de la compreacutehension des thegraveses aristoteacutelicienne leurs places chronologiques et

philosophiques dans la vie drsquoAristote dans la mesure ougrave elles posent la question de la

78

chronologie des œuvres aristoteacutelicienne du rapport que la philosophie aristoteacutelicienne peut

entretenir avec la philosophie platonicienne et introduisent finalement des œuvres

aristoteacuteliciennes perdues voire inconnues

79

BIBLIOGRAPHIE

Auteurs antiques

ARISTOTE Les cateacutegories traduction par R Bodeuumls Paris Belles Lettres 2001

ARISTOTE Physique traduction par P Pellegrin Paris GF Flammarion 2002

ARISTOTE Du ciel traduction par C Dalimier amp P Pellegrin Paris GF Flammarion 2004

ARISTOTE Du ciel traduction par P Moraux Les Belles Lettres Paris 1965

ARISTOTE Meacutetaphysique traduction par M-P Duminil amp A Jaulin Paris GF Flammarion

2008

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ARISTOTE Œuvres complegravetes publieacutees sous la direction de P Pellegrin Paris Flammarion

2014

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1928

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PLATON La Reacutepublique traduction par G Leroux Paris GF Flammarion 2002

PLATON Les lois traduction par A Diegraves Paris Les Belles Lettres 2003

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80

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BAGHDASSARIAN F laquo Aristote De Caelo 1 9 lrsquoidentiteacute des lsquolsquoecirctres de lagrave-basrsquorsquo dans

Philosophie Antique volume 11 2011 pp 177-203

CHERNISS H-F Aristotlersquos Criticism of Plato and the Academy New-York Russel amp

Russel Pub 1962

DUMOULIN B Recherches sur le premier Aristote Eudegraveme De la philosophie

Protreptique ParisVrin 1981

HAMELIN O Le systegraveme dAristote Paris Librairie J Vrin 1976

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Sedeyn Paris eacuteditions de lrsquoEacuteclat 1997

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9 raquo Apeiron 1 1966 p3-13

MUGNIER R La Theacuteorie du premier moteur et lrsquoeacutevolution de la penseacutee aristoteacutelicienne

ParisVrin 1930

PEPIN J Theacuteologie cosmique et theacuteologie chreacutetienne (Ambroise Exam I 1 1-4) Paris

1964

SOLMSEN F laquo Beyond the Heavens raquo Museum Helveticum 33 1976 p24-32

81

  • INTRODUCTION
  • Chapitre 1 Le De Caelo I 9 problegravemes lectures et analyses
    • 11 Aristote et le ciel
      • 111 Les trois sens du mot ciel
      • 112 Le corps du ciel lrsquoeacuteleacutement divin et le mouvement du corps ceacuteleste
        • 12 Platonisme et aristoteacutelisme sur lrsquouniciteacute du monde Du Timeacutee au De Caelo I 9
          • 121 Lrsquouniciteacute du monde dans le Timeacutee de Platon
            • 122 Aristote en De Caelo I 9 analyse des arguments en faveur de la pluraliteacute des cieux pour deacutefendre la theacuteorie platonicienne de lrsquouniciteacute du monde
              • 123 Aristote en De Caelo I 9 arguments aristoteacuteliciens en faveur de lrsquouniciteacute du ciel
                  • Chapitre 2 Deacutebat sur la question des ecirctres de laquo lagrave-bas raquo durant lrsquoAntiquiteacute Aristote agrave Simplicius
                    • 21 Compreacutehension antique du laquo τἀκεῖ raquo du De Caelo au commentaire de Simplicius
                    • 211 τἀκεῖ De Caelo I 9 279a15-b3
                    • 222 Le commentaire perdu drsquoAlexandre possibles reacuteponses au problegraveme du laquo τἀκεῖ raquo
                    • 213 Compreacutehension et hypothegravese de Simplicius sur les ecirctres de lagrave-bas
                      • Chapitre 3 Interpreacutetations modernes du De Caelo I 9 La question du τἀκεῖ premier moteur reacutealiteacutes hyper-cosmiques ou sphegravere des fixes reacutealiteacutes ceacutelestes
                        • 31 Le problegraveme de la continuiteacute argumentative du Livre I 9
                          • 311 La discontinuiteacute du sujet en faveur de la transcendance du τἀκεῖ
                          • 312 La continuiteacute du sujet en faveur des reacutealiteacutes ceacutelestes
                            • 32 Le lieu des corps ceacutelestes lrsquoabsence de lieu du τἀκεῖ
                              • 321 Lrsquoabsence de lieu en faveur de la reacutefeacuterence ceacuteleste
                              • 322 Lrsquoabsence de lieu comme caracteacuteristique drsquoun ecirctre transcendant le ciel
                                • 33 Deacutepassement des deux alternatives traditionnelles de lrsquointerpreacutetation du takei
                                  • 331 Lrsquoeacutether hypercosmique de Peacutepin
                                  • 3 3 2 La theacuteorie des Moteurs Immobiles une variante originale de la reacutefeacuterence au Premier Moteur Immobile
                                      • CONCLUSION
                                      • BIBLIOGRAPHIE
Page 2: Débat sur la question des êtres de là-bas de l'Antiquité à

Deacutebat sur la question des ecirctres de lagrave-bas de lrsquoAntiquiteacute agrave aujourdrsquohui

Julien Vandeputte

Meacutemoire de Master 1

Mention Philosophie

Speacutecialiteacute Histoire de la philosophie et meacutetaphysique

Sous la direction de Mme Claire Louguet

Anneacutee universitaire 2018-2019

1

SOMMAIRE

INTRODUCTION4

Chapitre 1 Le De Caelo I 9 problegravemes lectures et analyses11

11 Aristote et le ciel12 111 Les trois sens du mot ciel12 112 Le corps du ciel lrsquoeacuteleacutement divin et le mouvement du corps ceacuteleste15

12 Platonisme et aristoteacutelisme sur lrsquouniciteacute du monde Du Timeacutee au De Caelo I 921 121 Lrsquouniciteacute du monde dans le Timeacutee de Platon21 122 Aristote en De Caelo I 9 analyse des arguments en faveur de la pluraliteacute des cieux pour deacutefendre la theacuteorie platonicienne de lrsquouniciteacute du monde25123 Aristote en De Caelo I 9 arguments aristoteacuteliciens en faveur de lrsquouniciteacute du ciel27

Chapitre 2 Deacutebat sur la question des ecirctres de laquo lagrave-bas raquo durant lrsquoAntiquiteacute Aristote agrave Simplicius31

21 Compreacutehension antique du laquo τἀκεῖ raquo du De Caelo au commentaire de Simplicius32

211 τἀκεῖ De Caelo I 9 279a15-b332 222 Le commentaire perdu drsquoAlexandre possibles reacuteponses au problegraveme du laquo τἀκεῖ raquo36213 Compreacutehension et hypothegravese de Simplicius sur les ecirctres de lagrave-bas38

Chapitre 3 Interpreacutetations modernes du De Caelo I 9 La question du τἀκεῖ premier moteur reacutealiteacutes hyper-cosmiques ou sphegravere des fixes reacutealiteacutes ceacutelestes 43

31 Le problegraveme de la continuiteacute argumentative du Livre I 944 311 La discontinuiteacute du sujet en faveur de la transcendance du τἀκεῖ44312 La continuiteacute du sujet en faveur des reacutealiteacutes ceacutelestes50

32 Le lieu des corps ceacutelestes lrsquoabsence de lieu du τἀκεῖ54 321 Lrsquoabsence de lieu en faveur de la reacutefeacuterence ceacuteleste54

322 Lrsquoabsence de lieu comme caracteacuteristique drsquoun ecirctre transcendant le ciel5933 Deacutepassement des deux alternatives traditionnelles de lrsquointerpreacutetation du takei64

331 Lrsquoeacutether hypercosmique de Peacutepin643 3 2 La theacuteorie des Moteurs Immobiles une variante originale de la reacutefeacuterence au Premier Moteur Immobile70

CONCLUSION76

BIBLIOGRAPHIE80

2

3

INTRODUCTION

DEacuteBAT SUR LA QUESTION DES EcircTRES DE LA-BAS DE LrsquoANTIQUITEacute A

AUJOURDrsquoHUI

Comprendre qui sont laquo les ecirctres de lagrave-bas raquo trancher entre lrsquohypothegravese de leurtranscendance et celle de leur identiteacute astrale ce serait un peu parvenir agrave deacuteterminer si lacosmologie du DC recouvre parfaitement lrsquoensemble du reacuteel ou bien si elle laisse ouvertela possibiliteacute qursquoil existe certaines reacutealiteacutes hypercosmiques1

Lrsquoarticle de Fabienne Baghdassarian intituleacute laquo Aristote De Caelo I 9 lrsquoidentiteacute des

laquo ecirctres de lagrave-bas raquo srsquointeacuteresse agrave la notion de takei dans un passage fort obscur du De Caelo I

9 (279a18)2 Cette expression grecque takei est la contraction de ta ekei qui signifie laquo les de

lagrave-bas raquo ou encore laquo les ecirctres les choses de lagrave-bas raquo Fabienne Baghdassarian affirme qursquoil

existe peu de textes dans le corpus aristoteacutelicien agrave propos de reacutealiteacutes qui se situeraient au-delagrave

du ciel La question qui lrsquointeacuteresse deacutes lors est la suivante ce passage du De Caelo I 9 est-il

lrsquoun de ceux qui attestent lrsquoexistence de reacutealiteacutes qui transcenderaient lrsquoordre ceacuteleste Les

takei renverraient-ils agrave ces reacutealiteacutes extra-mondaines Fabienne Baghdassarian srsquoemploie alors

agrave analyser le texte et agrave examiner les diffeacuterentes positions dans lrsquointeacuterecirct de faire lrsquoeacutetat des lieux

des interpreacutetations concernant la question des ecirctres de lagrave-bas De plus elle expose en quelques

lignes lrsquoimportance du problegraveme particulier qui nous inteacuteresse agrave savoir celui de la reacutefeacuterence

aux laquo ecirctres de lagrave-bas raquo et lrsquoimportance deacutecisive qursquoil a au regard de la cosmologie du De

Caelo En effet le ciel est deacutefini de trois maniegraveres par Aristote3 et lrsquoune de ces maniegraveres est la

suivante laquo nous avons coutume drsquoappeler laquo ciel raquo la totaliteacute ou le Tout raquo Srsquoil nrsquoy a rien en

dehors du ciel cela implique dans un premier temps que le τἀκεῖ ne fait pas reacutefeacuterence agrave

quelque chose en dehors du ciel et dans un second temps que la cosmologie aristoteacutelicienne

englobe la totaliteacute du reacuteel et de ce qui existe puisque le ciel est compris comme ce qui

enveloppe la totaliteacute et que la cosmologie est lrsquoeacutetude du ciel En drsquoautres termes si le takei ne

renvoie pas agrave quelque chose de transcendant au ciel alors rien nrsquoeacutechappe agrave celui-ci et la

cosmologie aristoteacutelicienne comme eacutetude du Tout couvre lrsquoensemble du reacuteel

1 Baghdassarian F laquo De Caelo I 9 Identiteacute des ecirctres de lagrave-bas raquo 20112 Aristote De Caelo traduction de Dalimier et Pellegrin p 147-149 Sauf indication contraire nous nous

reacutefeacutererons agrave cette traduction 3 Ibid p143-145

4

Fabienne Baghdassarian manifeste son inclinaison en faveur de la theacuteorie de la

transcendance du takei Il lui semble tout naturel agrave la lecture des indices textuelles selon

lesquels les takei se trouvent au-delagrave de la translation la plus exteacuterieure de le comprendre

comme eacutetant une reacutefeacuterence agrave des ecirctres transcendant lrsquoordre cosmique Neacuteanmoins cette

impression peut ecirctre atteacutenueacutee aux regards des arguments de certains auteurs que nous verrons

tel que ceux drsquoAlexandre drsquoAphrodise de Moraux ou encore de Mugnier dans le

deacuteveloppement de notre propos Lrsquoatteacutenuation de cette premiegravere impression ndash crsquoest-agrave-dire

naturelle drsquoune reacutefeacuterence agrave un ecirctre se trouvant au-delagrave du ciel ndash permet agrave Fabienne

Baghdassarian de rendre compte drsquoun problegraveme complexe qui oppose la lettre mecircme du texte

agrave la structure argumentative du texte Crsquoest en ce sens qursquoelle affirme que lrsquoeacutetude approfondie

de ce texte met dos agrave dos le contenu du texte avec sa structure geacuteneacuterale sans reacuteussir agrave les

accorder Elle affirme que si drsquoun cocircteacute agrave la lecture de ce passage il y a une inclinaison

premiegravere et naturelle en faveur de la theacuteorie de la transcendance du takei la structure geacuteneacuterale

du texte laisse agrave penser que cette theacuteorie nrsquoest pas si eacutevidente dans la mesure ougrave il est

finalement question apregraves llsquoeacutenonceacute de lrsquoexistence drsquoecirctres se situant au-delagrave du ciel du

mouvement circulaire du corps qui se meut en cercle Ces deux objets diffeacuterents du De Caelo

I 9 nous permet de prendre conscience des deux inclinaisons interpreacutetatives possibles dans

laquelle est emporteacutee lrsquointerpreacutetation de la notion de takei En effet il existe deux lignes

interpreacutetatives qui srsquoopposent sur la question de lrsquoidentiteacute des ecirctres de lagrave-bas Drsquoun cocircteacute en

faveur de la transcendance du takei nous trouvons de nombreux auteurs tels que Simplicius

Pellegrin Solmsen ceux-ci ont tendance agrave reconnaicirctre la theacuteorie du Premier Moteur

Immobile dans ce texte Drsquoun autre coteacute en faveur de la reacutefeacuterence ceacuteleste nous trouvons

Alexandre drsquoAphrodise Moraux Mugnier Nous avons choisi de traiter des deux auteurs

antiques qui sont agrave lrsquoorigine des deux grandes interpreacutetations qui srsquoaffrontent et de quatre

auteurs drsquoaujourdrsquohui pour les opposer de maniegravere theacutematique sur les questions suivantes la

discontinuiteacute du passage et lrsquoargument du lieu Mais nous ne nous arrecircterons pas agrave ces

oppositions theacutematiques et proposerons des alternatives agrave cette logique binaire notamment

avec lrsquointerpreacutetation originale de Peacutepin et sa theacuteorie de lrsquoeacutether hypercosmique

Nous y verrons plus clair si comme Fabienne Baghdassarian nous deacutecoupons le

passage qui est lrsquoobjet de notre propos en trois parties Pour la clarteacute de notre discours nous

5

deacutecouperons ce texte de la mecircme maniegravere qursquoelle et nommerons dans lrsquoordre des paragraphes

ces quatre parties 0 A B et C

Il est en mecircme temps clair qursquoil nrsquoy a ni lieu ni vide ni temps en dehors du ciel En toutlieu en effet il est possible qursquoil existe un corps et lrsquoon dit que le vide est ce en quoi ilnrsquoy a pas de corps mais ougrave il est possible qursquoil en vienne un quant au temps crsquoest lenombre drsquoun mouvement et il nrsquoexiste pas de mouvement sans corps naturel Or on amontreacute qursquoen dehors du ciel il nrsquoy a pas et il ne peut pas y avoir de corps Il est doncmanifeste qursquoen dehors de lui il nrsquoy a ni lieu ni vide ni temps

Crsquoest pourquoi les ecirctres de lagrave-bas par nature nrsquoont ni lieu ni temps qui les fasse vieillir etil nrsquoy a pas non plus aucun changement pour les ecirctres qui sont disposeacutes au-dessus de latranslation la plus exteacuterieure inalteacuterables et impassibles ils ont la meilleure et la plusautonome des vies qursquoils megravenent pour toute sa dureacutee

Les Anciens en effet ont divinement parleacute en choisissant ce nom car le terme quienveloppe le temps de la vie de chacun hors duquel on nrsquoest rien selon la nature a eacuteteacuteappeleacute laquo dureacutee de vie raquo de chacun Et pour la mecircme raison le terme du ciel tout entier luiaussi crsquoest-agrave-dire le terme qui enveloppe le temps tout entier et lrsquoinfiniteacute est une dureacuteequi tire son appellation du fait drsquoexister toujours immortelle et divine De lagrave deacutependentpour les autres ecirctres pour les uns de maniegravere plus exacte pour les autres de maniegravere plusindistincte lrsquoecirctre et la vie

Et par exemple dans les travaux de philosophie destineacutes au grand public portant sur lesecirctres divins on deacuteclare souvent en srsquoappuyant sur des raisonnements que tout ecirctre divineacutetant premier et au-dessus des autres est neacutecessairement immuable Qursquoil en aille ainsiteacutemoigne en faveur de ce que nous avons dit En effet il nrsquoy a rien drsquoautre de plus fort quipuisse mouvoir cet ecirctre divin car cela serait plus divin que lui il nrsquoest en riendeacutefectueux et il ne manque drsquoaucun des biens qui lui appartiennent en propre4

Cette coupure du texte montre bien le problegraveme auquel fait face Fabienne

Baghdassarian dans sa lecture si la partie A qui correspond au premier paragraphe semble

naturellement porteacutee sur des ecirctres qui nrsquoont ni lieu ni temps ni corps et qui se situent au-delagrave

de la derniegravere circonfeacuterence du ciel il nrsquoen est pas de mecircme pour la partie B qui correspond

au second paragraphe et la partie C qui correspond au troisiegraveme paragraphe La partie B

introduit lrsquoeacutetymologie du mot grec aion qui se traduit par la dureacutee dans le but de montrer que

lrsquoon peut justifier lrsquoemploi du terme drsquoaion pour deacutesigner le divin Finalement la partie C

apparaicirct comme eacutetant un eacuteloge de lrsquoeacuteterniteacute et de la perfection du corps qui se meut en cercle

puisqursquoAristote affirme que rien nrsquoest plus parfait et plus puissant que lui de sorte que rien ne

peut le mettre en mouvement En drsquoautres termes le corps qui se meut en cercle nrsquoest mucirc par

4 Ibid 279a18-b3

6

rien drsquoautre que lui-mecircme Aristote dans ce texte semble tantocirct prendre pour objet des ecirctres

qui se situent au-delagrave du ciel tantocirct prendre pour objet le corps qui se meut en cercle Le

problegraveme se pose au sujet de lrsquoargumentation geacuteneacuterale en effet la partie A porte sur les takei

qui semblent se situer en dehors du ciel nous lrsquoavons vu alors que la partie C porte sur le

corps ceacuteleste qui se meut en cercle Le contenu de la partie A nrsquoest pas contredit par le

contenu de la partie C toutefois les interpregravetes ignorent si le takei en partie A fait reacutefeacuterence

au divin deacutecrit dans la partie C

Lrsquoarticle de Fabienne Baghdassarian se donne alors comme projet une eacutetude des

interpregravetes sur la question du takei et de son identiteacute Un tel deacutecoupage de texte lui permet

drsquoorganiser son propos en diffeacuterents moments Elle srsquointeacuteresse dans un premier temps agrave la

partie A en confrontant les opinions et les diverses interpreacutetations Fabienne Baghdassarian

cartographie alors le premier type de problegraveme que pose cette partie la traduction et le sens

du geste aristoteacutelicien Certains traduisent huper5 par laquo au-dessus raquo drsquoautres comme Moraux

optent pour la traduction laquo sur raquo A cette question de traduction se mecircle une question de

lexique le terme huper deacutesigne-t-il veacuteritablement ce qui est sur quelque chose Lrsquoauteur de

cet article affirme qursquoAristote est plus enclin agrave utiliser en que uper pour deacutesigner ce qui se

trouve sur la sphegravere des fixes Pour ce qui est du geste drsquoAristote il est compliqueacute de

deacuteterminer quel est lrsquoobjet de ce passage dans la mesure ougrave il attribue positivement un lieu agrave

ce qui ne peut pas en avoir en les deacuteterminant comme se trouvant laquo lagrave-bas raquo crsquoest-agrave-dire

quelque part Fabienne Baghdassarian preacutefegravere voir dans lrsquoutilisation de ces termes qui

deacutesignent un lieu la deacutesignation de ce qui ne se trouve pas dans un lieu dans le but de

souligner sa transcendance au lieu qursquoest le ciel

Dans un second temps Fabienne Baghdassarian montre que la partie B atteacutenue

grandement lrsquoimpression premiegravere drsquoune reacutefeacuterence agrave un ecirctre transcendant le ciel En effet

lrsquoeacutetymologie de lrsquoaion agrave laquelle se reacutefegravere Aristote est aei on qui signifie laquo qui est toujours raquo

Aristote compare alors la vie humaine qui a une fin qui permet de quantifier la dureacutee agrave la vie

du ciel qui lui nrsquoen a pas Ainsi Fabienne Baghdassarian note que lrsquoeacutetymologie de la dureacutee

nrsquoest pas sans rappeler celle de lrsquoeacutether dans le De Caelo I 3 Lrsquoeacutether est lrsquoeacuteleacutement du monde

supralunaire qui compose les astres et le ciel il est de nature divine et a un mouvement eacuteternel

circulaire En ce sens lrsquoeacutether tient son appellation du fait qursquoil court toujours sans srsquoarrecircter

Ce rapprochement entre lrsquoeacutetymologie de lrsquoaion et celle de lrsquoeacutether pousse alors lrsquoauteur agrave

opeacuterer une atteacutenuation dans lrsquoimpression premiegravere de sa lecture il semblerait qursquoAristote a

deacutesormais pris le ciel et les astres composeacutes drsquoeacutether pour objet

5 Ibid 279a20

7

Finalement dans la partie C il est explicitement fait mention du corps qui se meut en

cercle le ciel Ainsi Fabienne Baghdassarian se pose la question de savoir srsquoil est

envisageable qursquoAristote sans crier gare change de sujet ou srsquoil ne parlait depuis le deacutebut

que du ciel et des astres Lrsquoauteur de cet article propose alors de joindre lrsquoensemble du texte

en affirmant qursquoil est possible qursquoAristote reacutecapitule dans la partie C lrsquoensemble de son

argumentation en mettant sur le plan du divin la totaliteacute de son discours dans le sens ougrave il

hieacuterarchise les divins En ce sens la partie A deacutesignerait des reacutealiteacutes transcendantes mais

divines au mecircme titre que lrsquoest le corps qui a un mouvement de translation Pour ce qui est de

lrsquoeacutetymologie de lrsquoaion elle aurait servi agrave montrer la neacutecessiteacute que le mouvement du ciel est

eacuteternel

Cet article de Fabienne Baghdassarian sera le point de deacutepart de notre propos mais le

geste sera quelque peu diffeacuterent du sien En effet Fabienne Baghdassarian par lrsquoanalyse

geacuteneacuterale du passage du De Caelo I 9 qui nous inteacuteresse parvient agrave faire sortir les problegravemes

drsquoordre lexical grammatical deacutefinitionnel et argumentatif pour nous transmettre un panorama

assez large de ce qui gecircne la compreacutehension de la notion de takei Si drsquoune part son travail

nous permet de prendre conscience des problegravemes que pose la notion de takei sans parvenir agrave

nous fournir une reacuteponse trancheacutee de la question de son identiteacute drsquoautre part il nous permet

de prendre conscience des innombrables thegraveses et interpreacutetations possibles des diffeacuterents

traducteurs et commentateurs drsquoAristote Ce que nous ferons sera alors dans la continuiteacute de

ce travail mais plutocirct que de nous contenter de restituer les thegraveses des commentateurs et

interpregravetes nous deacutetaillerons lrsquoargumentation que tiennent ces commentateurs et interpregravetes

Nous ne chercherons pas lrsquoexhaustiviteacute des interpreacutetations en effet nous nous inteacuteresserons

aux arguments de celles que nous traiterons Notre but sera donc de comprendre le contexte

des thegraveses des interpregravetes sur la question du takei et la raison pour laquelle ils en viennent agrave

telle ou telle conclusion Il srsquoagira alors pour nous de faire lrsquoeacutetat des lieux de ce deacutebat en

restituant les problegravemes que pose le texte mecircme ainsi que les problegravemes que posent les

commentateurs et la maniegravere dont ils les traitent pour deacutefendre leurs interpreacutetations

Nous proceacutederons de maniegravere analytique historique mais aussi theacutematique Crsquoest-agrave-

dire que nous proposons drsquoorganiser notre propos en trois grands moments 1) Le De Caelo I

9 problegravemes lectures et analyses 2) Deacutebat sur la question des ecirctres de lagrave-bas durant

8

lrsquoAntiquiteacute drsquoAristote agrave Simplicius 3) Interpreacutetations modernes du De Caelo I 9 La question

du τἀκεῖ premier moteur reacutealiteacutes hyper-cosmiques ou sphegravere des fixes reacutealiteacutes ceacutelestes

Le premier moment est un moment quelque peu introductif dans la mesure ougrave il est

essentiellement constitueacute dans son ensemble drsquoune lecture du De Caelo I et de la theacuteorie du

mouvement des corps selon le milieu Cette explication est une eacutetape importante selon nous

srsquoil est question du takei dans ce chapitre crsquoest dans un certain contexte argumentatif Il nous

faut alors preacutesenter ce contexte argumentatif dans lrsquointeacuterecirct de comprendre pourquoi cette

notion est si complexe et sujette aux deacutebats Ce moment que lrsquoon juge comme eacutetant

analytique nous permettra de nous familiariser avec le lexique aristoteacutelicien et la conception

aristoteacutelicienne de lrsquounivers cela dans le but de manifester les problegravemes que pose

lrsquoapparition de lrsquoexpression takei Nous verrons alors les trois sens qursquoAristote accorde au mot

laquo ciel raquo Nous nous inteacuteresserons ensuite agrave la composition eacuteleacutementaire de ce corps que lrsquoon

appelle le laquo ciel raquo et qui par lrsquoeacuteleacutement divin qui le compose a un mouvement circulaire et

eacuteternel Il srsquoagira ensuite drsquoexpliquer lrsquoargumentation geacuteneacuterale du texte dans lequel apparaicirct la

notion de takei et qui porte sur lrsquouniciteacute de lrsquounivers Pour lrsquoexpliquer nous nous tournerons

drsquoune part vers un argument proposeacute par Platon dans le Timeacutee puis sur lrsquoutilisation

qursquoAristote en fait pour prouver lrsquoexistence drsquoun seul et unique ciel

Le second moment consistera alors en une restitution des thegraveses respectives

drsquoAlexandre drsquoAphrodise et de Simplicius sur lrsquointerpreacutetation de ce passage fort obscur du De

Caelo I 9 dans lequel surgit la notion de takei Nous avons choisi drsquoeacutetudier ces deux

commentateurs dans la mesure ougrave ils sont tous deux agrave lrsquoorigine drsquoune logique binaire de

lrsquointerpreacutetation du texte qui nous inteacuteresse En effet Simplicius est devenu le chef de file de

ceux qui comprennent lrsquoexpression takei comme eacutetant une reacutefeacuterence agrave un ecirctre transcendant le

ciel et plus preacuteciseacutement au Premier Moteur Immobile alors qursquoAlexandre drsquoAphrodise est le

chef de file de ceux qui comprennent le takei comme eacutetant ceacuteleste et plus preacuteciseacutement

comme eacutetant une reacutefeacuterence agrave la sphegravere des fixes Nous commenterons donc lineacuteairement le

passage 279a15-b3 du De Caelo pour comprendre la complexiteacute de cet extrait Ensuite nous

nous inteacuteresserons aux fondements des interpreacutetations drsquoAlexandre drsquoAphrodise et Simplicius

au sujet du takei

Enfin dans le troisiegraveme et dernier moment de notre propos nous exposerons diverses

positions sur la question en explicitant le deacutebat qui les oppose Les positions deacutefendues seront

celles de commentateurs et interpregravetes modernes En effet nous avons choisi de proceacuteder de

maniegravere historique en deacutebutant par les interpreacutetations antique du texte pour ensuite en arriver

aux interpreacutetations modernes Nous proceacutederons de maniegravere theacutematique en choisissant deux

9

angles drsquoattaques diffeacuterents Drsquoabord nous nous preacutesenterons deux interpreacutetations qui

srsquointeacuteressent agrave la continuiteacute (ou discontinuiteacute) du texte en explicitant les arguments qui

favorisent lrsquoideacutee drsquoune reacutefeacuterence agrave un ecirctre transcendant ou agrave un ecirctre ceacuteleste Ensuite nous

exposerons des interpreacutetations qui mettent lrsquoaccent sur le lieu dans la philosophie

aristoteacutelicienne via les œuvres de Mugnier et de Solmsen Enfin nous sortirons de cette

logique binaire en nous tournant vers deux interpreacutetations qui nrsquoidentifient le takei ni avec la

sphegravere des fixes ni avec le Moteur immobile Il srsquoagira des thegraveses de Peacutepin selon laquelle le

takei renvoie agrave lrsquoeacutether hypercosmique et celle de Merlan selon laquelle il est question des

Moteurs Immobiles

10

Chapitre 1 Le De Caelo I 9 problegravemes lectures etanalyses

11

11 Aristote et le ciel

111 Les trois sens du mot ciel6

Le traiteacute Du Ciel drsquoAristote est une œuvre embleacutematique du corpus aristoteacutelicien et

occupe la seconde place apregraves la Physique dans lrsquoensemble des ouvrages aristoteacuteliciens de

science physique Ce traiteacute apregraves la mort drsquoAristote a veacutehiculeacute une image particuliegravere du

cosmos qui est la sienne jusqursquoagrave lrsquoarriveacutee des nouvelles theacuteories cosmologiques et

scientifiques de la Renaissance

Une reacuteflexion est possible agrave partir mecircme du titre de cette œuvre Il est premiegraverement

important de noter que les reacutefeacuterences au De Caelo sont tregraves peu nombreuses dans le corpus

drsquoAristote mais qursquoen plus de cela il ne srsquoy reacutefegravere jamais via cette appellation Nous sommes

alors en droit de nous demander ce que signifie ce titre probablement choisi par un autre

individu qursquoAristote Il apparaicirct comme eacutevident agrave premiegravere vue que le ciel est lrsquoobjet de ce

traiteacute de physique

Nous avons donc traiteacute plus haut du premier ciel et de ses parties ainsi que des astres quisont transporteacutes agrave lrsquointeacuterieur de lui de leurs composantes et de leurs qualiteacutes naturelleset en outre de leur caractegravere ingeacuteneacuterable et incorruptible

Il est important de noter que les deux premiers livres prennent pour objet le monde

supralunaire ou encore le monde au dessus de la Lune crsquoest-agrave-dire le monde ceacuteleste et divin

Quant aux deux derniers livres ils srsquointeacuteressent plutocirct au monde sublunaire ou monde en

dessous de la Lune crsquoest-agrave-dire le monde physique qui est le nocirctre et est explicable par les

quatre eacuteleacutements naturels que sont le feu lrsquoair lrsquoeau et la terre qui le constituent

Nous pouvons alors imaginer gracircce agrave ces informations que le traiteacute Du ciel tel que

nous lrsquoavons entre les mains aujourdrsquohui est une recomposition de deux traiteacutes distincts lrsquoun

portant sur le monde supralunaire lrsquoautre portant sur le monde sublunaire Ce paragraphe

drsquointroduction permet drsquoaffirmer que les deux premiers livres sont agrave distinguer des deux

derniers Mais ce problegraveme nrsquoest pas notre prioriteacute Aussi nous nous inteacuteresserons

principalement aux deux premiers livres qui prennent le ciel pour objet Ce qursquoon appellera

comme eacutetant la laquo premiegravere partie raquo du traiteacute du Ciel sera lrsquoensemble des livres I et II et seront

ceux qui feront en partie lrsquoobjet et le fondement de notre reacuteflexion et de ce meacutemoire

6 Ibid 278b10-25

12

Toutefois nous nous devons drsquoecirctre preacutecis dans notre lecture de ce deacutebut du troisiegraveme

livre En effet il est affirmeacute ici que la premiegravere partie de lrsquoœuvre portait sur laquo le premier ciel

et ses parties raquo7 Mais qursquoest-ce que laquo le premier ciel raquo Et srsquoil y a un premier ciel y en a-t-

il un deuxiegraveme Un troisiegraveme

Pour reacutepondre agrave cette question il nous faut drsquoabord souligner la meacutethode explicative

qursquoutilise Aristote En effet Aristote accorde une importance capitale agrave la deacutefinition des

termes le philosophe est pour Aristote celui qui sait de quoi il parle et sur quel plan il se

place quand il parle Lorsqursquoil utilise un terme ambigu il se doit de lever lrsquoambiguiumlteacute qui

regravegne en deacutefinissant les termes de son propos Crsquoest ainsi que lrsquoon trouve dans le chapitre 9

du livre I une explication des sens du mot laquo ciel raquo comme moment de clarification de ce dont

on parle drsquoune part et drsquoautre part comme moment de lrsquoexplicitation de la meacutethode

aristoteacutelicienne

Disons drsquoabord ce que nous entendons par laquo ciel raquo et combien de sens nous donnons agrave cemot pour que ce que nous cherchons nous devienne plus clair En un sens on appellelaquo ciel raquo la substance de la derniegravere circonfeacuterence du Tout crsquoest-agrave-dire le corps naturel quiest sur la derniegravere circonfeacuterence du Tout Car nous avons coutume de nommer laquo ciel raquolrsquoextreacutemiteacute ndash ce qui est le plus haut ndash dans laquelle reacuteside tout ce qui est divin8

Ce qui deacutefinit le ciel en ce premier sens est ce qui est le plus haut Le cosmos

aristoteacutelicien se repreacutesente sous forme de plusieurs cercles concentriques qui repreacutesentent

drsquoune part des translations sur lesquelles sont poseacutees des astres et drsquoautre part des lieux (le

lieu du mouvement circulaire le lieu du mouvement rectiligne) et le ciel est ce qui est le plus

haut crsquoest-agrave-dire ce qui se situe sur la circonfeacuterence la plus eacuteloigneacutee du centre Aristote

deacutefend une conception geacuteo-centriste du monde il considegravere que ce qui est au centre du

monde est la Terre Donc le ciel est le corps qui est par nature le plus haut En ce sens on le

nommera le laquo premier ciel raquo Mais qursquoest-ce que ce corps Aristote le preacutesente comme eacutetant

une substance une substance est ce qui ne se dit de rien et nrsquoest dans aucun sujet9 en drsquoautres

termes une substance est un ecirctre autonome qui ne deacutepend de rien drsquoautre que de lui-mecircme

pour ecirctre Cette substance est eacutegalement nommeacutee agrave plusieurs reprises dans les œuvres

drsquoAristote sphegravere des fixes Le corps qui se trouve sur la derniegravere circonfeacuterence du Tout est

ce qui est une substance au sens le plus noble et parfait Nous pouvons alors comprendre au

7 Le premier ciel eacutetant lrsquoappellation courante de la sphegravere des fixes crsquoest-agrave-dire lrsquoextreacutemiteacute du ciel 8 ARISTOTE opcit p143-1459 ARISTOTE Les cateacutegories II 2001 Traduction par Bodeuumls

13

travers de cette premiegravere deacutefinition du ciel que la substance dont on parle est constitueacutee de

matiegravere mais pas de nrsquoimporte quelle maniegravere de la plus noble et la plus divine celle-ci

eacutetant lrsquoeacutether nous y reviendrons plus tard Ainsi le ciel en ce sens est un ecirctre corporel la

circonfeacuterence la plus eacuteloigneacutee qui englobe quelque chose drsquoautre qui est nommeacute le laquo Tout raquo

Dans un second sens et agrave la suite de cette premiegravere deacutefinition le ciel est deacutefini comme suit

En un autre sens crsquoest le corps en continuiteacute avec la derniegravere circonfeacuterence du Tout ougrave setrouvent la Lune le Soleil et certains astres car nous disons drsquoeux aussi qursquoils sont dansle ciel10

Ce nouveau sens du mot ciel nous permet de saisir une nouvelle dimension de celui-

ci en effet le ciel nrsquoest pas seulement dit de ce qui englobe quelque chose qui est le laquo Tout raquo

il est aussi dit qursquoil est le corps11 qui est dans la continuiteacute de la sphegravere des fixes crsquoest-agrave-dire

qursquoil est dans la continuiteacute de la circonfeacuterence la plus eacuteloigneacutee qui englobe le laquo Tout raquo et

qursquoon appelle eacutegalement ciel

Cela est justifiable dans la mesure ougrave comme lrsquoaffirme Aristote nous disons des astres

que sont la Lune le Soleil qursquoils sont dans le ciel or ces astres ne se trouvent pas sur la

derniegravere circonfeacuterence du Tout Le ciel ne peut donc pas ecirctre seulement le corps qui est sur

lrsquoextreacutemiteacute de la circonfeacuterence la plus eacuteloigneacutee sinon on ne pourrait pas dire que la Lune et le

Soleil (ainsi que drsquoautres astres) sont dans le ciel Dans un troisiegraveme et dernier sens toujours agrave

la suite des deux premiegraveres deacutefinitions du ciel Aristote affirme que le ciel se dit du Tout

enveloppeacute par la derniegravere circonfeacuterence

De plus en un autre sens on appelle laquo ciel raquo le corps enveloppeacute par la derniegravere circonfeacuterence car nous avons coutume drsquoappeler laquo ciel raquo la totaliteacute ou le Tout12

Cette deacutefinition fait eacutecho aux quelques lignes introductives du livre III Puisque les

deux premiers livres du traiteacute Du ciel portaient sur laquo le premier ciel et ses parties raquo alors il

est possible drsquoaffirmer que le Tout est lrsquoensemble de ce qui est enveloppeacute par la sphegravere des

10 ARISTOTE opcit p143-14511 Le corps naturel du ciel est lrsquoeacutether 12 ARISTOTE opcit p143-145

14

fixes En drsquoautres termes le Tout qursquoest le ciel est la totaliteacute du corps et de ce qui le compose

qui est enveloppeacutee par le premier ciel

112 Le corps du ciel lrsquoeacuteleacutement divin et le mouvement du corps ceacuteleste

Maintenant que nous avons vu par le biais du De Caelo I 9 les trois sens qursquoAristote

accorde au mot laquo ciel raquo nous pouvons nous inteacuteresser agrave lrsquoessence mecircme du ciel et agrave celle des

parties qui le composent En plus de chercher agrave comprendre de quoi le ciel est constitueacute nous

reviendrons sur lrsquoeacuteleacutement qursquoest lrsquoeacutether invoqueacute plus haut et sur le mouvement naturel des

corps ceacutelestes

De Caelo I 2 est une tentative argumenteacutee de montrer que le corps qui se meut en

cercle est diffeacuterent drsquoun autre type de corps le corps dont le mouvement est rectiligne

Aristote dans ce chapitre du De Caelo affirme premiegraverement que tous les corps naturels

crsquoest-agrave-dire les corps qui sont faits drsquoeacuteleacutements naturels peuvent se mouvoir selon le lieu et

que ce mouvement selon le lieu srsquoappelle le laquo transport raquo Ce transport se fait soit de maniegravere

rectiligne soit de maniegravere circulaire ou alors de ces deux faccedilons agrave la fois

Tout mouvement selon le lieu (que nous appelons transport) est soit rectiligne soit circulaire soit un meacutelange des deux Car ce sont lagrave les deux formes simples [hellip] Le transport en cercle est celui qui a lieu autour du centre le transport rectiligne celui qui a lieu vers le haut ou vers le bas

Il nrsquoexiste ainsi que deux types de mouvement simple pour les corps simples Aristote appelle

les corps simples les eacuteleacutements naturels Leurs mouvements possibles sont rectilignes ou

circulaires Le corps qui se meut en ligne est le corps simple qui a un mouvement simple soit

vers le centre13 soit agrave partir du centre14 Le corps qui se meut en cercle est le corps simple qui

a un mouvement autour du centre Mais quels sont les arguments preacutecis qui deacutefendent que le

corps mucirc en cercle est simple Et quel est donc ce corps qui se meut en cercle Telles sont

les questions auxquelles nous allons reacutepondre ici dans le but de comprendre la nature du corps

simple mucirc en cercle puis de saisir sa composition

13 Vers le bas14 Vers le haut

15

Nous lrsquoavons dit le corps simple est celui qui a un mouvement selon sa nature Le feu aura

donc un mouvement qui va vers le haut alors que la terre aura un mouvement qui va vers le

centre Selon le cosmos aristoteacutelicien et la physique aristoteacutelicienne le corps qui est composeacute

de lrsquoeacuteleacutement naturel qui est la terre sera le plus pesant et aura un lieu naturel preacutecis Il est

important de preacuteciser que chaque eacuteleacutement possegravede un lieu naturel vers lequel il tend

naturellement agrave ecirctre et agrave rester et un lieu contre-naturel dans lequel il est de maniegravere contre-

naturelle La notion de lieu naturel ou de lieu contre-naturel est centrale dans lrsquoexplication du

mouvement chez Aristote le corps composeacute de terre sera le plus pesant et son lieu naturel

sera le bas ainsi il aura un mouvement rectiligne vers le centre Le corps composeacute de feu

quant agrave lui et parce que le feu est lrsquoeacuteleacutement qui nrsquoa aucune pesanteur a un mouvement

rectiligne qui part du centre et va vers le haut On comprend alors que ce qui deacutetermine le

mouvement du corps simple qui se meut de maniegravere rectiligne est ce qui le compose crsquoest-agrave-

dire sa nature Il en va de mecircme pour le corps simple qui se meut en cercle Mais avant drsquoy

venir nous nous devons premiegraverement de prouver que le corps qui se meut en cercle est un

corps simple et qursquoil ne saurait ecirctre autre chose Premiegraverement il srsquoagit pour Aristote de

montrer que le corps mucirc en cercle est simple puisque srsquoil existe un mouvement simple que le

mouvement en cercle soit simple ndash mouvement simple car les mouvements circulaire et

rectiligne sont les seuls types de mouvements qui soient simples les autres eacutetant mixtes

rectilignes et circulairessup2 ndash que le mouvement drsquoun corps simple soit simple et que le

mouvement simple soit celui drsquoun corps simple alors il est neacutecessaire que le corps qui est mucirc

en cercle selon la nature soit un corps simple Il ne srsquoagit pas ici de prouver drsquoores et deacutejagrave

qursquoil existe un corps simple qui se meut en cercle pour Aristote mais simplement de montrer

que theacuteoriquement si un corps qui se meut en cercle existe alors il sera neacutecessairement un

corps simple Cet argument en faveur de lrsquoexistence drsquoun corps qui se meut en cercle nrsquoest pas

le seul chaque corps simple a un lieu naturel vers lequel il est naturellement mis en

mouvement du fait mecircme de sa nature Mais srsquoil a un lieu naturel par nature cela signifie qursquoil

a aussi un lieu qui lui est contre-nature Aristote a montreacute que srsquoil existait un corps mucirc en

cercle celui-ci eacutetait neacutecessairement simple Si un corps simple a un mouvement en cercle et

qursquoon postule que ce mouvement circulaire est simple drsquoune part mais drsquoautre part contre-

nature agrave ce corps dans ce cas lagrave cela signifie qursquoil aura un mouvement autre qui lui sera

naturel Dans la conception aristoteacutelicienne de la physique les corps sont mus en fonction de

ce qui les compose nous lrsquoavons vu et ce qui compose les corps physiques sont les eacuteleacutements

le feu la terre lrsquoeau et lrsquoair Si un corps simple est un corps qui est mucirc par la nature de ce qui

16

le compose alors le corps sera mucirc selon qursquoil est composeacute de feu ou de terre Nous avons vu

que le feu avait un mouvement naturel rectiligne qui part du centre et la terre un mouvement

naturel rectiligne qui va vers le centre donc si le feu ou la terre est mucirc en cercle ce sera

contre nature Le problegraveme qui se pose est le suivant

Mais une chose unique a un contraire unique et les mouvements vers le haut et vers lebas sont contraires lrsquoun de lrsquoautre

Cela implique que le corps simple qui se meut naturellement de maniegravere rectiligne

vers le centre aura pour contraire le mouvement rectiligne qui part du centre et vice-versa

Ainsi il est impossible qursquoun corps simple dont le mouvement est naturellement rectiligne

soit mucirc en cercle

A partir de cet argument dans le chapitre 2 du livre I du De Caelo nous pouvons

affirmer une chose si un corps simple qui se meut en cercle existe alors il ne peut pas ecirctre

composeacute de feu ou de terre car aucun des corps qui sont composeacutes de ces eacuteleacutements et qui se

meuvent de maniegravere rectiligne naturellement vers le haut ou vers le bas ne peuvent ecirctre mus

contre-nature en cercle Il ne reste maintenant qursquoagrave prouver lrsquoexistence de ce corps simple qui

se meut en cercle Lrsquoargument drsquoAristote sur le sujet dans le chapitre 2 du livre I du De Caelo

est le suivant srsquoil existe un mouvement circulaire que ce mouvement circulaire soit simple

que le mouvement circulaire ndash et nrsquoimporte quel mouvement selon le lieu en reacutealiteacute ndash soit la

proprieacuteteacute drsquoun corps simple et qursquoil soit impossible que le mouvement circulaire soit le

mouvement contre-nature drsquoun corps qui se meut en ligne droite alors cela implique qursquoil

existe un corps simple qui se meut en cercle Comment pourrait-il y avoir un mouvement

circulaire mais pas de corps pour avoir ce mouvement dans la mesure ougrave nous lrsquoavons dit le

mouvement selon le lieu est une proprieacuteteacute des corps Cela est impossible Nous pouvons

alors conclure la chose suivante

Crsquoest pourquoi celui qui raisonne en partant de tout cela pourrait se convaincre qursquoen plusdes corps qui existent ici autour de nous il y en a un autre seacutepareacute qui a une naturedrsquoautant plus digne qursquoil est plus eacuteloigneacute de lrsquoici-bas

17

De lrsquoexistence drsquoun corps qui se meut en cercle on peut logiquement induire qursquoil

existe une nature propre au corps qui se meut en cercle une nature plus noble que celle des

corps qui se meuvent en ligne droite Quelle est la nature de ce corps simple dont le

mouvement est circulaire Crsquoest lagrave la seconde question qui nous inteacuteresse

Pour y reacutepondre Aristote se reacutefegravere agrave ce qui a eacuteteacute dit preacuteceacutedemment Puisque la

pesanteur ou la leacutegegravereteacute est une proprieacuteteacute du corps qui lui vient de sa composition et qui

implique qursquoil soit naturellement dirigeacute vers le bas ou vers le haut alors tous les corps ne

possegravedent pas de pesanteur ou de leacutegegravereteacute Quels sont les corps qui possegravedent la pesanteur

Ce sont ceux qui sont naturellement dirigeacutes vers le bas et qui se meuvent en ligne droite vers

le centre crsquoest-agrave-dire tout ce qui est composeacute de terre ou drsquoune espegravece de terre Quels sont les

corps qui possegravedent la leacutegegravereteacute Ce sont ceux qui sont naturellement dirigeacutes vers le haut et

qui se meuvent en ligne droite agrave partir du centre crsquoest-agrave-dire tout ce qui est composeacute de feu ou

drsquoune espegravece de feu A partir de lagrave il est possible drsquoaffirmer que le corps qui se meut en

cercle parce qursquoil nrsquoest mucirc ni vers le bas ni vers le haut est un corps qui nrsquoa ni pesanteur ni

leacutegegravereteacute car nrsquoest ni composeacute de terre ou drsquoune espegravece de terre ni de feu ou drsquoune espegravece de

feu Mais qursquoest-ce que le pesant et le leacuteger Le plus pesant est deacutefini comme ce qui est situeacute

en dessous de tous les corps transporteacutes vers le bas et le plus leacuteger est deacutefini comme ce qui est

agrave la surface de tous les corps porteacutes vers le haut dans le De Caelo I 3 269b18-26 Il est

important pour des raisons de justesse de preacuteciser que cette pesanteur et cette leacutegegravereteacute sont

toutefois relatives un corps leacuteger lrsquoest par rapport agrave un autre et il en va de mecircme pour le

corps pesant mais lagrave nrsquoest pas notre sujet Ces deacutefinitions nous permettent de comprendre que

ce qui nrsquoappartient pas au mouvement rectiligne ne peut pas appartenir aux eacuteleacutements pesants

ou leacutegers

De plus puisque les corps qui ont un mouvements rectilignes vers le haut sont

contraires aux corps ayant un mouvement vers le bas et que la corruption et la geacuteneacuteration se

font dans les contraires alors cela signifie que ces corps sont soumis agrave la geacuteneacuteration et

corruption Selon Aristote laquo crsquoest dans le domaine des contraires que se produisent la

geacuteneacuteration et la corruption raquo15 Du fait mecircme que les corps simples mus en ligne droite vers le

haut ou vers le bas possegravedent un mouvement contre-nature cela implique qursquoils appartiennent

au milieu de ce qui est geacuteneacutereacute et de ce qui ineacutevitablement se corrompt La corruption se fait

dans le changement des proprieacuteteacutes et par rapport agrave quelque chose il en va de mecircme pour

15 De Caelo I 3 270b20 p 89

18

lrsquoaugmentation Lrsquoaugmentation est une forme de geacuteneacuteration agrave partir drsquoun changement dans la

proprieacuteteacute le corps humain transforme et geacutenegravere des nutriments agrave partir de la nourriture qursquoil

ingegravere donc la nourriture a eacuteteacute corrompue et les nutriments ont eacuteteacute geacuteneacutereacutes crsquoest une

deacuteformation de la nourriture et un changement dans son espegravece Mais puisqursquoil nrsquoy a rien de

contraire au mouvement circulaire cela implique que le corps simple qui se meut en cercle

nrsquoest ni geacuteneacuterable ni corruptible puisqursquoil ne peut pas se transformer en son contraire Ce

corps simple nrsquoest pas non plus alteacuterable selon Aristote

En effet lrsquoalteacuteration est un mouvement selon la qualiteacute et les eacutetats et les dispositionsqualitatifs par exemple la santeacute et la maladie ne se produisent pas sans changementsdans les proprieacuteteacutes Mais nous voyons que tous ceux des corps naturels qui changentselon une proprieacuteteacute sont tous sujets agrave lrsquoaugmentation et agrave la diminution [hellip] il en est demecircme pour celui des eacuteleacutements16

Puisque le corps qui est mucirc en cercle nrsquoest ni sujet agrave lrsquoaugmentation (lrsquoaugmentation eacutetant une

forme de geacuteneacuteration) etou agrave la diminution (diminution eacutetant une forme de corruption) alors il

est inalteacuterable Ainsi en plus drsquoecirctre ingeacuteneacuterable et incorruptible le corps qui se meut en cercle

est inalteacuterable Cette proprieacuteteacute fait de lui un corps eacuteternel Le corps qui se meut en cercle doit

donc ecirctre composeacute de quelque chose qui nrsquoa pas de contraire qui nrsquoest pas un eacuteleacutement tel que

le feu lrsquoair lrsquoeau ou la terre et qui nrsquoest ni geacuteneacutereacute ni corruptible A ce stade nous ne savons

pas encore ce qui est signifieacute par laquo le corps simple qui se meut en cercle raquo Mais Aristote lui

donne une autre caracteacuteristique celle drsquoecirctre premier ce qui peut srsquoexpliquer par le fait qursquoil

nrsquoest pas geacuteneacuterable et donc nrsquoest pas venu agrave lrsquoecirctre agrave un instant T Il se tourne ainsi vers trois

instances qui lui permettent de justifier ses dires anteacuterieurs la religion lrsquoobservation et

lrsquoeacutetymologie sont autant drsquoarguments en faveur de la nature du corps qui se meut en cercle tel

que nous lrsquoavons conccedilu jusqursquoagrave preacutesent

Il se tourne premiegraverement vers la religion Aristote affirme en 270b5 du De Caelo que

dans le domaine de la religion on attribue le plus haut lieu agrave ce qui est le plus divin on place

ainsi le divin au-dessus de tout Ainsi le corps qui se meut en cercle puisqursquoil se situe au-

dessus de tout et regardeacute comme eacutetant divin Degraves lors dans la mesure ougrave lrsquoon attribue

lrsquoimmortaliteacute au divin le ciel est alors consideacutereacute comme eacutegalement divin Par conseacutequent le

corps qui se meut en cercle se situe dans le plus haut lieu Lrsquoeacuteterniteacute de ce corps est

16 Ibid p89

19

veacuterifiable par lrsquoobservation et lrsquoexpeacuterience comme lrsquoaffirme Aristote dans la suite du

raisonnement

En effet dans toute lrsquoeacutetendue du temps eacutecouleacute selon la tradition que les hommes se sonttransmise les uns aux autres aucun changement nrsquoa eacuteteacute constateacute ni dans la totaliteacute la plusexteacuterieure du ciel ni dans aucune des parties qui lui sont propres

On comprend agrave la suite de cette remarque que le corps mucirc en cercle qui eacutetait lrsquoobjet de

notre propos est eacutegalement appeleacute laquo ciel raquo Ce que nous avons vu plus haut crsquoest-agrave-dire toutes

les caracteacuteristiques propres au corps qui se meut en cercle srsquoappliquent alors au ciel Mais de

quel sens du laquo ciel raquo parle-t-on puisque nous avons vu que le ciel avait trois sens A en juger

par ce que nous venons de citer nous pouvons dire qursquoAristote parle du premier et second

ciel le premier eacutetant le corps qui se trouve sur la circonfeacuterence la plus exteacuterieure et la plus

eacuteloigneacutee crsquoest-agrave-dire la sphegravere des fixes et le second eacutetant le corps qui est dans la continuiteacute

de la sphegravere des fixes et dans lequel se trouvent certains astres comme le Soleil la Lune et

drsquoautres encore Via lrsquoobservation nous pouvons conclure que le corps est ingeacuteneacuterable

incorruptible et inalteacuterable Mais cet argument en faveur de lrsquoeacuteterniteacute du ciel a un troisiegraveme

temps lrsquoeacutetymologie

Nous eacutevoquions plus tocirct lrsquoideacutee selon laquelle le corps qui se meut en cercle ne pouvait

pas ecirctre constitueacute de feu ou de terre et que donc il avait un eacuteleacutement qui lui eacutetait propre Cet

eacuteleacutement est plus noble que le feu et la terre car il se situe dans le domaine du ciel qui nrsquoest ni

soumis agrave la geacuteneacuteration ni agrave la corruption car il nrsquoa pas de contraire Il est donc eacuteternel Cet

eacuteleacutement tient drsquoailleurs son nom du fait qursquoil est eacuteternel

Crsquoest pourquoi dans lrsquoideacutee que le premier corps eacutetait diffeacuterent de la terre du feu de lrsquoair et de lrsquoeau ils ont nommeacute laquo eacutether raquo le lieu le plus eacuteleveacute tirant pour lui cette appellation du fait qursquoil court toujours pendant un temps eacuteternel

Ainsi le corps qursquoest le ciel parce qursquoil faut rappeler qursquoil est un ecirctre corporel est constitueacute

drsquoune matiegravere que lrsquoon appelle lrsquoeacutether et qui dans le monde supralunaire drsquoAristote est le seul

eacuteleacutement

20

12 Platonisme et aristoteacutelisme sur lrsquouniciteacute du monde Du Timeacutee au De Caelo I 9

121 Lrsquouniciteacute du monde dans le Timeacutee17 de Platon

La question des eacuteleacutements constitutifs des corps est indispensable pour comprendre le

contexte dans lequel le problegraveme du takei se pose En effet le passage obscur du De Caelo I

9 qui est notre propos se situe dans un chapitre visant agrave montrer par les arguments que nous

allons maintenant aborder que le monde est unique et qursquoil nrsquoy a aucun corps en dehors de

lui

Disons maintenant pour quelle raison celui qui a constitueacute le devenir crsquoest-agrave-dire notreunivers lrsquoa constitueacute Il eacutetait bon or en ce qui est bon on ne trouve aucune jalousie agravelrsquoeacutegard de qui que ce soit Deacutepourvu de jalousie il souhaita que toutes choses devinssentle plus possible semblables agrave lui 29e

La question que se pose ici Timeacutee est celle du pourquoi de lrsquounivers Afin de reacutepondre agrave cette

question il srsquointeacuteresse agrave la nature de celui qui a creacuteeacute lrsquounivers En effet la nature mecircme de

celui qui a creacuteeacute lrsquounivers implique que notre univers soit de telle faccedilon et non drsquoune autre

Puisque celui-ci est bon et que la jalousie nrsquoest pas une proprieacuteteacute de ce qui est bon alors celui

qui a creacuteeacute lrsquounivers lrsquoa creacuteeacute de maniegravere agrave ce qursquoil soit agrave son image crsquoest-agrave-dire qursquoil possegravede

les mecircmes qualiteacutes que lui Ainsi en tant qursquoecirctre bon il a voulu que tout ce qui existe soit

bon autant que possible et aussi parfait que possible Mais le deacutemiurge nrsquoest pas parti de rien

cette conception platonicienne de la creacuteation de lrsquounivers deacutecoule de lrsquoideacutee que le rien et le

neacuteant nrsquoexistent pas Donc celui qui est agrave lrsquoorigine de lrsquounivers lrsquoa engendreacute agrave partir de

quelque chose qui eacutetait deacutesordonneacute et en mouvement le visible Il a alors fait de ce visible

deacutesordonneacute un visible ordonneacute Du fait mecircme que celui qui a engendreacute le monde est lrsquoecirctre le

meilleur cela implique que ce qursquoil produit est aussi parfait qursquoil peut lrsquoecirctre car le meilleur

ne pourrait pas faire quelque chose de mauvais

Ayant reacutefleacutechi il se rendit compte que de choses par nature visibles son travail nepourrait jamais faire sortir un tout deacutepourvu drsquointellect qui fucirct plus beau qursquoun tout

17 PLATON Timeacutee 1992 Traduction par L Brisson Nous nous reacutefeacutererons agrave cette traduction sauf indication contraire

21

pourvu drsquointellect et que par ailleurs il eacutetait impossible que lrsquointellect preacutesent en quelquechose soit deacutepourvu drsquoune acircme 30A-b

Mais la nature propre du creacuteateur ne suffit pas agrave faire de toutes ses œuvres des ecirctres

eacutegaux en effet le deacutemiurge srsquoest rendu compte que malgreacute son travail le tout qui eacutetait

constitueacute drsquoun intellect eacutetait neacutecessairement plus beau qursquoun tout sans intellect Mais qursquoest-ce

que lrsquointellect chez Platon qui implique une hieacuterarchie entre les creacuteations du deacutemiurge

Comme lrsquoindique lrsquoextrait citeacute plus haut et qui nous donne une premiegravere ideacutee de ce qursquoest

lrsquointellect chez Platon si lrsquointellect est preacutesent en une chose il est impossible que cette chose

qui possegravede un intellect nrsquoait pas drsquoacircme Cela se justifie par le fait que lrsquointellect νοῦς chez

Platon est la partie la plus noble ou divine de lrsquoacircme Il y a donc une distinction entre lrsquoacircme et

lrsquointellect lrsquoacircme est une chose dont une des partie est lrsquointellect elle est la plus noble A quoi

sert cette partie Elle est ce qui permet de connaicirctre lrsquointelligible et de srsquoen rapprocher

Puisque lrsquointellect a eacuteteacute mis dans lrsquoacircme du monde et que lrsquointellect est la partie la plus belle et

la plus noble de lrsquoacircme cela implique que le monde est par nature le plus beau et le meilleur

possible

Ainsi donc conformeacutement agrave une explication qui nrsquoest que vraisemblable il faut dire que notre monde qui est un vivant doueacute drsquoune acircme pourvue drsquoun intellect a en veacuteriteacute eacuteteacute engendreacute par suite de la deacutecision reacutefleacutechie drsquoun dieu 30bndashc

Puisque le deacutemiurge a la capaciteacute de reacutefleacutechir alors il est proche des intelligibles et du

plus noble et ainsi il est dans la mesure de savoir comment faire de sa creacuteation un ecirctre aussi

bon et beau que possible La proprieacuteteacute du deacutemiurge qui est mise en avant est son intelligence

mais la conception du deacutemiurge ne srsquoarrecircte pas lagrave En effet agrave la maniegravere drsquoun artisan le

deacutemiurge creacutee le monde Mais comme tout artisan il se doit de posseacuteder une connaissance de

la chose qursquoil produit afin de la produire de faccedilon agrave ce qursquoelle soit la plus parfaite possible

Crsquoest pourquoi comme le deacutemiurge est un artisan qui reacutefleacutechit qui possegravede un intellect dans

son acircme il peut avoir une connaissance des intelligibles et ainsi produire quelque chose qui

est le plus parfait possible

22

A la ressemblance de quel vivant en particulier celui qui a faccedilonneacute le monde lrsquoa-t-ilfaccedilonneacute A la ressemblance drsquoaucun de ces vivants qui tiennent le rang drsquoespegraveceparticuliegravere dans la nature estimons-nous car rien de ce qui ressemble agrave un ecirctreincomplet ne saurait jamais ecirctre beau 30c

Mais tel un artisan le deacutemiurge ne produit pas agrave partir de rien il possegravede une

connaissance de ce qursquoil produit nous lrsquoavons dit Mais quelle est cette connaissance Elle

est la connaissance drsquoune ideacutee intelligible en drsquoautres termes drsquoune Forme comprise comme

lrsquoecirctre intelligible et parfait que lrsquoon ne peut saisir que par le biais de lrsquointellect Cela signifie

que le monde ecirctre mateacuteriel et tangible a eacuteteacute creacuteeacute agrave limage dun modegravele qui est intelligible et

non agrave un modegravele sensible Le monde est le sensible le plus parfait alors il ne peut pas avoir

pour modegravele quelque chose de moins parfait que lui et qui soit une partie de quelque chose

drsquoautre

Mais lrsquoensemble auquel appartiennent tous les ecirctres vivants agrave titre de parties soitindividuellement soit en tant qursquoespegravece voilagrave entre tous les vivants supposons-nouscelui auquel ressemble le plus celui-ci Effectivement tous les vivants intelligibles cevivant les tient enveloppeacutes en lui-mecircme de la mecircme faccedilon que notre monde nous contientnous et toutes les autres creacuteatures visibles 32c-d

Mais de quoi ces parties sont-elles les parties Du monde selon Platon Lrsquoargument

repose sur une analogie crsquoest-agrave-dire que notre monde est agrave tous les ecirctres sensibles ce que son

modegravele est agrave tous les ecirctres intelligibles Le monde enveloppe la totaliteacute de tous les ecirctres

sensibles il est logique que son modegravele soit ce qui enveloppe la totaliteacute de tous les ecirctres

intelligibles En effet le deacutemiurge a souhaiteacute que le monde ressemble agrave lrsquoecirctre le plus parfait

entre tous crsquoest-agrave-dire agrave lrsquoecirctre le plus beau de tous dans le sens ougrave il ne manque drsquoaucun des

biens Il a fait le monde de telle sorte qursquoil ait agrave lrsquointeacuterieur de lui tous les vivants qui sont de

mecircme nature que lui tous les ecirctres de nature sensible Comme notre monde est fait sur le

modegravele de quelque chose de parfait qui enveloppe tous les ecirctres intelligibles alors srsquoil y avait

une autre chose qui enveloppait tout cette autre chose serait le modegravele sur lequel aurait eacuteteacute

creacuteeacute notre monde Srsquoil y avait un autre ecirctre qui enveloppe tous les vivants en plus de notre

monde il faudrait qursquoil y ait un ecirctre qui les enveloppe tous les deux et ce serait agrave ce monde lagrave

que ressemblerait le nocirctre Notre monde partage comme caracteacuteristique lrsquouniciteacute du monde

23

parfait unique et beau dont il est la copie Il ne pourrait alors y avoir aucun autre monde en

dehors du nocirctre

[hellip] le dieu ayant placeacute au milieu entre le feu et la terre lrsquoeau et lrsquoair et ayant introduitentre eux autant que crsquoeacutetait possible le mecircme rapport qui fasse que ce que le feu est agravelrsquoair lrsquoair le soit agrave lrsquoeau et que ce que lrsquoair est agrave lrsquoeau lrsquoeau le soit agrave la terre a constitueacute agravelrsquoaide de ces liens un monde visible et tangible 32b

Comment peut-on expliquer que le monde soit sensible Platon fait lrsquoexpeacuterience drsquoun

monde sensible crsquoest le point de deacutepart de sa deacutemarche qui consiste agrave essayer drsquoexpliquer

pourquoi le monde est sensible et ordonneacute Pourquoi y-a-t-il un monde sensible ordonneacute et

non deacutesordonneacute A lrsquoimage drsquoune recette Platon fait la genegravese de la conception du monde qui

repose sur la preacutesence de quatre eacuteleacutements en quantiteacute proportionnelle et selon un rapport de

proportionnaliteacute le feu la terre lrsquoeau et lrsquoair Le fait que le monde soit constitueacute de ces

eacuteleacutements qui entretiennent entre eux un tel rapport en fait un ecirctre mateacuteriel ordonneacute et

impossible agrave corrompre (sinon par celui qui lrsquoa fait tel qursquoil est)

Or de ces quatre eacuteleacutements pris un agrave un la constitution du monde a absorbeacute la totaliteacuteCrsquoest en effet tout le feu toute lrsquoeau tout lrsquoair et toute la terre qursquoutilisa celui quiconstitua le monde pour le constituer ne laissant hors du monde aucune parcelle aucuneproprieacuteteacute de quoi que ce soitVoici quel eacutetait son dessein Il souhaitait en premier lieu quele monde fucirct avant tout un vivant parfait constitueacute de parties parfaites que de plus il fucirctunique dans la mesure ougrave il ne restait rien agrave partir de quoi un autre vivant de mecircmenature puisse venir agrave lrsquoecirctre 32c-33a

On comprend alors lrsquoargument platonicien selon lequel le monde est neacutecessairement

unique Puisque le deacutemiurge a mis en ordre le monde en le constituant de quatre eacuteleacutements (le

feu lrsquoair lrsquoeau et la terre) selon un certain meacutelange et qursquoen plus de cela il a utiliseacute la totaliteacute

du feu la totaliteacute de lrsquoair la totaliteacute de lrsquoeau et la totaliteacute de la terre pour le creacuteer il ne peut

rien exister de mecircme nature que lui Lrsquoensemble de cet extrait du Timeacutee permet de souligner

lrsquouniciteacute du monde sur deux plans diffeacuterents sur le plan meacutetaphysique et sur le plan

physique Sur le plan meacutetaphysique dans la mesure ougrave il a eacuteteacute prouveacute logiquement que le

monde ne pouvait ecirctre qursquoun seul puisqursquoil enveloppait agrave lrsquoimage de lrsquoecirctre intelligible le plus

24

parfait lrsquoensemble des sensibles Sur le plan physique dans la mesure ougrave il a eacuteteacute affirmeacute par

Platon que le monde eacutetait composeacute de la totaliteacute des quatre eacuteleacutements

Lrsquoargument en faveur de lrsquouniciteacute du monde que nous venons de voir est lrsquoeacutecho de la

theacuteorie platonicienne des Formes eacutenonceacutees dans le livre VI de la Reacutepublique18 A la fin du

livre VI de la Reacutepublique Platon dessine rapidement les traits de ce que sera plus tard dans la

mecircme œuvre la theacuteorie des Formes En effet il affirme en cette fin de livre VI que les

geacuteomegravetres lorsqursquoils produisent des hypothegraveses sur les angles et autres figures geacuteomeacutetriques

ne les font pas sur ce triangle qursquoils ont construit ou ce cercle qursquoils ont traceacute ils les font sur

les figures geacuteomeacutetriques en soi A quoi servent alors ces traceacutes Ils servent drsquoimages qui

permettent aux geacuteomegravetres de contempler les choses en soi que lrsquoon ne peut contempler que

par la penseacutee Ces figures traceacutees sont les copies des choses en soi elles sont en ce sens leurs

images De la mecircme maniegravere le monde sensible dans lequel nous sommes et qui enveloppe

lrsquoensemble de tous les ecirctres sensibles est la copie de lrsquoecirctre intelligible le plus parfait qui

enveloppe tous les vivants intelligibles Cette ideacutee implique qursquoil existe dans la philosophie

platonicienne des formes transcendantes qui srsquoeacutelegravevent au dessus du monde sensible et qui ne

sont que copieacutees dans ce monde La veacuteriteacute concernant les choses se trouverait dans le monde

intelligible seulement accessible par la penseacutee La forme est alors comprise comme la chose

en soi intelligible et transcendante Ainsi on peut drsquoores et deacutejagrave en conclure qursquoil y a une

diffeacuterence chez Platon entre la forme hors de la matiegravere et la forme dans lrsquoobjet sensible

122 Aristote en De Caelo I 9 analyse des arguments en faveur de la pluraliteacute des cieux

pour deacutefendre la theacuteorie platonicienne de lrsquouniciteacute du monde

Toutefois il est possible de se meacuteprendre sur la theacuteorie platonicienne de lrsquounivers et de

lui attribuer des conseacutequences erroneacutees voire de lrsquoutiliser afin drsquoaffirmer que le monde nrsquoest

pas unique Aristote en De Caelo I 9 srsquoengage agrave faire lrsquoexamen des arguments en faveur de

la pluraliteacute des mondes que lrsquoon pourrait tirer de la theacuteorie platonicienne de la creacuteation du

monde Nous allons alors maintenant voir quels sont ces arguments

En effet il pourrait sembler impossible qursquoil nrsquoy ait qursquoun seul ciel agrave qui examine leschoses de cette maniegravere dans tout ce qui est constitueacute ou a eacuteteacute produit que ce soit par lanature ou par lrsquoart ce sont deux choses diffeacuterentes que la forme en soi et celle qui est

18 PLATON La Reacutepublique 2002 Traduction par G Leroux

25

meacutelangeacutee agrave la matiegravere par exemple dans le cas de la sphegravere ce sont deux chosesdiffeacuterentes que la forme de la sphegravere et la sphegravere drsquoor ou la sphegravere drsquoairain et encore lafigure du cercle est diffeacuterente du cercle drsquoairain ou du cercle de bois 277b-30

Nous lrsquoavons dit plus haut dans la philosophie platonicienne il y a une distinction

entre la forme hors de la matiegravere et la forme dans la matiegravere dans la mesure ougrave la forme

intelligible (hors de la matiegravere) est transcendante et seacutepareacutee de la matiegravere Et selon Aristote il

pourrait sembler impossible agrave celui qui accepte cette distinction platonicienne de penser qursquoil

nrsquoexiste qursquoun seul monde Il srsquoagit alors de se demander premiegraverement quel est lrsquoargument

qui nous laisse penser que le ciel nrsquoest pas unique Deuxiegravemement nous nous demanderons si

Aristote deacutefend cette compreacutehension de la theacuteorie platonicienne ou srsquoil cherche agrave critiquer

ceux qui la comprennent ainsi

La theacuteorie platonicienne selon laquelle il y a une diffeacuterence entre la forme dans la

matiegravere et la forme en dehors de la matiegravere nous permet drsquoacceacuteder agrave lrsquoexemple suivant dans

le cas drsquoune sphegravere il y a la forme en soi qui est la forme purement intelligible de la sphegravere

drsquoune part et drsquoautre part il y a la sphegravere sensible constitueacutee admettons drsquoor ou drsquoairain Ces

deux types de sphegraveres sont distincts nous lrsquoavons dit pour la raison qursquoil existe une

diffeacuterence entre la forme de la sphegravere hors de la matiegravere (une forme qui est seacutepareacutee et

transcendante) et la forme de la sphegravere dans la matiegravere (une forme qui est meacutelangeacutee agrave la

matiegravere)

Puisque donc le ciel est sensible il sera une chose particuliegravere Car selon nous toutsensible existe dans la matiegravere Mais srsquoil est une chose particuliegravere lrsquoecirctre de ce ciel-ci etlrsquoecirctre du ciel pris absolument seront des choses diffeacuterentes Donc ce ciel-ci sera diffeacuterentdu ciel pris absolument ce dernier est pris comme forme et figure le premier commequelque chose de meacutelangeacute agrave la matiegravere 278a-10

Ce raisonnement appliqueacute au ciel affirme la chose suivante puisque le ciel est un

ecirctre corporel il est une chose particuliegravere Mais srsquoil est une chose particuliegravere et mateacuterielle

alors on peut en conclure que lrsquoecirctre de ce ciel particulier ne sera pas le mecircme que celui du ciel

pris en soi Ainsi le ciel particulier du fait de sa matiegravere dont parle Aristote ne sera pas le

mecircme que le ciel pris en soi crsquoest-agrave-dire en tant que Forme

26

[] cela nrsquoest pas moins vrai si rien de telle nrsquoexiste de maniegravere seacutepareacutee Dans tous lescas en effet ougrave nous voyons cela agrave savoir que la substance formelle se trouve dans lamatiegravere les ecirctres de mecircme forme sont plusieurs et mecircme en nombre infini De sorte qursquoilexiste plusieurs cieux ou qursquoil peut en exister plusieurs 278a-15-20

Mais ces individus qui comprennent lrsquoargument de Platon comme un argument en

faveur de la pluraliteacute du ciel affirment que mecircme srsquoil nrsquoy avait pas de forme seacutepareacutee du

sensible il y aurait quand mecircme plusieurs cieux Mais pourquoi affirment-ils cela Parce

qursquoil peut y avoir plusieurs ecirctres composeacutes de mecircme forme La forme dans la matiegravere nrsquoest

pas neacutecessairement unique la forme de deux chaises diffeacuterentes est la mecircme ce qui fait sa

particulariteacute est la matiegravere Mais il nrsquoest pas contradictoire qursquoil y ait une infiniteacute de chaises

il ne peut y avoir qursquoune seule forme seacutepareacutee et transcendante de la chaise par contre il peut

y avoir un nombre immense de chaises mateacuterielles et potentiellement une infiniteacute dans la

mesure ougrave cela nrsquoest pas contradictoire avec la nature de la forme dans le composeacute

Du fait de la nature mateacuterielle du composeacute ceux qui interpregravetent Platon de cette

maniegravere concluent qursquoil peut tout agrave fait exister plusieurs cieux Il peut en effet y avoir une

infiniteacute de corps mateacuteriels pour une forme seacutepareacutee de la matiegravere unique Il srsquoagira alors pour

Aristote de reprendre ces arguments et drsquoen faire lrsquoexamen afin de savoir lesquels sont fondeacutes

et lesquels ne le sont pas Nous nous eacutetions alors demandeacute quels eacutetaient les arguments qui

laissaient penser que le ciel pouvait ne pas ecirctre unique drsquoune part et drsquoautre part si Aristote

deacutefendait les conclusions auxquelles aboutissait cette certaine compreacutehension de Platon ou srsquoil

les jugeait erroneacutees

123 Aristote en De Caelo I 9 arguments aristoteacuteliciens en faveur de lrsquouniciteacute du ciel

Mais quelle est donc la position drsquoAristote sur la question de lrsquouniciteacute du monde

Deacutefend t-il Platon Est-il en deacutesaccord avec Platon Leurs arguments diffeacuterent-ils Pour

reacutepondre agrave ces questions nous eacutetudierons de maniegravere lineacuteaire la suite du chapitre

Que donc la deacutefinition de la forme sans la matiegravere et celle de la forme dans la matiegraveresoient diffeacuterentes lrsquoune de lrsquoautre on le dit avec raison et tenons-le pour vrai Il nrsquoy aneacuteanmoins aucune neacutecessiteacute agrave conclure de cela qursquoil existe plusieurs mondes ni qursquoil peuten exister plusieurs srsquoil est vrai que ce monde-ci est composeacute de lrsquoensemble de lamatiegravere comme cela est le cas 278a25

27

Il est possible drsquoaffirmer avec veacuteriteacute selon Aristote que la forme dans la matiegravere et la

forme sans la matiegravere sont deux choses diffeacuterentes Mais nous lrsquoavons dit en 278a25 Aristote

affirme que de cela nous ne pouvons pas induire la neacutecessiteacute ou la possibiliteacute qursquoil en existe

plusieurs car il est vrai que le monde est composeacute de lrsquoensemble de la matiegravere Aristote

affirme alors qursquoil ne saurait y avoir un autre monde puisque le monde est constitueacute de

lrsquoensemble de la matiegravere

A ce moment de lrsquoexamen des arguments exposeacutes plus tocirct nous trouvons dans le De

Caelo une explication des trois sens du mots ciel Dans la mesure ougrave nous avons exposeacute plus

tocirct ce qursquoeacutetaient ces trois ciels nous ne ferons que rappeler ce passage en le restituant

briegravevement Puisque nous avons exposeacute plus haut le ciel de trois maniegraveres nous comprenons

bien qursquoil ne peut rien exister en dehors du ciel dans la mesure ougrave le ciel srsquoentend dans un

sens comme le Tout ou la totaliteacute de ce qui est enveloppeacute par la circonfeacuterence la plus

eacuteloigneacutee Rappelons-le le laquo ciel raquo se dit en plusieurs sens le ciel est le corps qui se trouve

sur la circonfeacuterence la plus eacuteloigneacutee Le ciel est donc lrsquoextreacutemiteacute en un sens En un second

sens le ciel est le corps qui est dans la continuiteacute de la circonfeacuterence la plus eacuteloigneacutee et dans

laquelle se trouvent certains astres tel que le Soleil la Lune et drsquoautres En un troisiegraveme sens

et crsquoest ce sens qui permet de montrer que le ciel possegravede lrsquoensemble de la matiegravere le ciel est

dit du Tout ou de la totaliteacute qui est enveloppeacutee par la circonfeacuterence la plus eacuteloigneacutee En

drsquoautres termes le ciel est la totaliteacute de ce qui est enveloppeacute par le corps situeacute agrave lrsquoextreacutemiteacute du

ciel De cela nous pouvons conclure la chose suivante selon Aristote

Le ciel eacutetant pris en ces trois sens la totaliteacute enveloppeacutee par la derniegravere circonfeacuterence estneacutecessairement constitueacutee de lrsquoensemble du corps naturel sensible du fait qursquoil nrsquoexisteaucun corps en dehors du ciel et qursquoil ne peut pas y en avoir Supposons en effet qursquoilexiste un corps naturel en-dehors de la derniegravere circonfeacuterence il serait neacutecessaire qursquoilfasse partie soit des corps simples soit des corps composeacutes et que son eacutetat soit naturelou contre-nature Or il ne pourrait ecirctre lrsquoun des corps simples 278b20-25

Postulons qursquoil existe un corps naturel qui soit au-delagrave de la derniegravere circonfeacuterence Si

ce corps naturel existe il est neacutecessaire puisque les corps se divisent seulement en deux

cateacutegories qursquoil soit simple ou composeacute Nous avons vu qursquoun corps simple eacutetait un corps

naturel dont le mouvement eacutetait deacutetermineacute par sa nature En effet un corps simple a un

28

mouvement rectiligne (vers le haut ou vers le centre) ou un mouvement circulaire Pour ce

qui est des mouvements rectilignes Aristote affirme que le corps simple ne pourrait pas se

trouver au-delagrave du ciel car les corps simples qui existent au nombre de quatre le feu lrsquoair

lrsquoeau et la terre sont en totaliteacute rassembleacutes dans le monde de sorte qursquoil nrsquoy en a aucune

quantiteacute agrave lrsquoexteacuterieur de celui-ci De plus puisque chaque corps simple a un mouvement

naturel qui le megravene agrave son milieu naturel (milieu naturel qui se trouve dans le monde) alors

cela signifie que lrsquoexteacuterieur du monde serait son milieu contre-nature Si tel est le cas alors le

milieu contre-nature qui est lrsquoexteacuterieur du ciel serait le milieu naturel drsquoun autre corps ce qui

nrsquoest pas possible en vertu du fait qursquoil nrsquoexiste aucune matiegravere en dehors du ciel Et pour ce

qui est du corps simple dont le mouvement est circulaire crsquoest-agrave-dire lrsquoeacutether nous avons vu

que son milieu naturel eacutetait le ciel et qursquoil nrsquoavait pas de milieu contre-nature Or srsquoil eacutetait en

dehors du ciel dans la mesure ougrave son milieu naturel est le ciel cela signifierait qursquoil serait

dans son milieu contre-naturel ce qui nrsquoest pas possible

Et si aucun des corps simples nrsquoy est aucun des corps mixtes nrsquoy est non plus car il estneacutecessaire que si un corps mixte srsquoy trouve les corps simples y soient aussi 279a1-2

Pour les corps composeacutes lrsquoargument est le mecircme Le corps composeacute est un corps qui

contient un meacutelange de plusieurs eacuteleacutements mais son mouvement se fait en fonction de

lrsquoeacuteleacutement qui domine en lui (il a donc un mouvement simple en fonction du corps simple qui

le constitue) Un corps admettons composeacute a 60 de terre et 40 de feu sera attireacute vers le

centre Ainsi il est neacutecessaire que ce corps simple ou composeacute ait un lieu naturel ou contre-

nature puisqursquoil est en mouvement vers son lieu naturel ou en mouvement vers un lieu contre-

nature De plus il y a deux types de mouvement lrsquoun circulaire et lrsquoautre rectiligne Pour le

corps qui se meut en cercle naturellement il nrsquoy a aucun lieu qui soit contre-nature dans la

mesure ougrave il nrsquoest ni geacuteneacuterable ni corruptible nous lrsquoavons vu Ce corps ne peut donc pas

changer de lieu naturel pour un autre lieu Aristote conclut par la force mecircme des arguments

contenus dans le De Caelo et de lrsquoorganisation du monde qui repose sur les notions de milieu

naturel et de mouvement naturel que le monde est formeacute de lrsquoensemble de la matiegravere et qursquoil

ne pourrait pas y avoir un autre ciel Le ciel est donc unique

Mais Aristote ne srsquoarrecircte pas agrave lrsquoaffirmation selon laquelle le ciel est unique Il ajoute

Il est en mecircme temps clair qursquoil nrsquoy a ni lieu ni vide ni temps en dehors du ciel En toutlieu en effet il est possible qursquoil existe un corps et lrsquoon dit que le vide est ce en quoi il

29

nrsquoy a pas de corps mais ougrave il est possible qursquoil en vienne un quant au temps crsquoest lenombre drsquoun mouvement et il nrsquoexiste pas de mouvement sans corps naturel 279a10

Il nrsquoy a pas de lieu pas de vide et pas de temps en dehors du ciel selon Aristote Mais

pourquoi Il ne peut y avoir de lieu car en tout lieu il est possible qursquoil y ait un corps Il nrsquoy a

pas non plus de vide dans la mesure ougrave le vide est deacutefini comme ce en quoi il nrsquoy a pas de

corps mais ougrave il pourrait y en avoir un Srsquoil existait un lieu qui nrsquoabrite aucun corps alors ce

lieu serait vide et srsquoil existe un lieu vide alors il pourrait y avoir un corps Mais puisque rien

ne peut venir agrave lrsquoecirctre en dehors du ciel pour les raisons invoqueacutees plus haut alors il ne peut ni

y avoir de vide ni de lieu en dehors du ciel De plus on se repreacutesente le vide comme un lieu

ougrave il nrsquoy a rien or il nrsquoy a pas de lieu en dehors du ciel Crsquoest lrsquoargument drsquoAristote pour

deacutefendre lrsquoideacutee qursquoil nrsquoy a ni lieu ni vide en dehors du ciel Mais pourquoi nrsquoy aurait-il pas de

temps Parce que le temps est deacutefini comme eacutetant le nombre drsquoun mouvement Le

mouvement eacutetant un changement selon le lieu drsquoune part et drsquoautre part la proprieacuteteacute drsquoun

corps dans la mesure ougrave il nrsquoy a pas de lieu et pas de corps en dehors du ciel il ne peut pas

non plus y avoir de mouvement

30

Chapitre 2 Deacutebat sur la question des ecirctres de laquo lagrave-bas raquo

durant lrsquoAntiquiteacute Aristote agrave Simplicius

31

21 Compreacutehension antique du laquo τἀκεῖ raquo du De Caelo au commentaire de Simplicius

211 τἀκεῖ De Caelo I 9 279a15-b3

Nous nous sommes donc dans le premier moment de notre propos familiariseacute avec

les concepts aristoteacuteliciens et avec la conception aristoteacutelicienne du ciel afin de pouvoir par la

suite ecirctre le plus clair possible De plus la lecture du De Caelo nous a permis de rendre

compte de son contenu drsquoune part et de ses problegravemes drsquoautres part Crsquoest alors dans un

contexte drsquoexamen des interpreacutetations platoniciennes de lrsquouniciteacute du monde et dans un

contexte drsquoexposition drsquoarguments en faveur de lrsquouniciteacute du monde qursquoapparaicirct la notion qui

dans notre propos est probleacutematique la notion de takei La seconde partie de notre propos

consistera alors agrave rendre compte drsquoun passage fort obscur du De Caelo I 9 en lrsquoanalysant A la

suite de cela nous restituerons les arguments de Simplicius et drsquoAlexandre drsquoAphrodise

respectivement en faveur du takei comme notion signifiant le Premier Moteur Immobile ou la

sphegravere des fixes Il srsquoagira alors de comprendre quelles eacutetaient les thegraveses dominantes durant

lrsquoAntiquiteacute concernant le passage du De Caelo qui nous inteacuteresse et surtout comment elles

eacutetaient deacutefendues

Tout ce qui plus haut a eacuteteacute dit nous a permis de justifier la question suivante nous

avons vu que le ciel eacutetait unique et que ni matiegravere ni lieu ni vide et ni temps ne pouvait se

trouver hors du ciel Nous avons de plus affirmeacute que rien ne pouvait venir agrave lrsquoecirctre en dehors

du ciel Alors pourquoi dans le chapitre 9 du premier livre du De Caelo Aristote en arrive agrave

la conclusion suivante

Crsquoest pourquoi les ecirctres de lagrave-bas par nature nrsquoont ni lieu ni temps qui les fasse vieillir etil nrsquoy a pas non plus aucun changement pour les ecirctres qui sont disposeacutes au-dessus de latranslation la plus exteacuterieure inalteacuterables et impassibles ils ont la meilleure et la plusautonome des vies qursquoils megravenent pour toute sa dureacutee

Ce passage tregraves obscur est lrsquoobjet preacutecis de notre meacutemoire Quel est le lien entre le

fait que le monde soit unique que rien ne puisse venir agrave lrsquoecirctre en dehors du ciel pour la raison

qursquoil nrsquoy a ni matiegravere ni lieu ni vide ni temps au-delagrave du ciel et la citation ci-dessus Il est

difficile de le dire Il semblerait agrave premiegravere vue que la conclusion agrave laquelle arrive Aristote

est la suivante srsquoil nrsquoy a pas de lieu de vide de temps et de matiegravere alors les ecirctres qui sont

32

au-delagrave du ciel nrsquoont ni lieu ni temps ni vide ni corps Pourtant il a affirmeacute auparavant que

rien ne pouvait venir agrave lrsquoecirctre ou ecirctre venu agrave lrsquoecirctre en dehors du ciel Ce qui est eacutetonnant est

contenu de la conclusion mais aussi principalement le fait que la forme de cette conclusion

preacutesuppose qursquoil existe des ecirctres au-delagrave du ciel ou du moins elle nrsquoexclut pas qursquoil y en ait

Mais si cela est vrai alors ces ecirctres nrsquoont par nature aucun lieu aucun temps aucun corps

sensible donc aucun mouvement Que pourrait-il exister qui ne soit ni dans un lieu ni

corporel et qui nrsquoait pas de temps Chose eacutetonnante il affirme qursquoil nrsquoy a pas de lieu en

dehors du ciel tout en affirmant que des ecirctres se trouvent laquo lagrave-bas raquo deacutesignant un lieu qui nrsquoest

pas censeacute exister Plus encore Aristote les situe preacuteciseacutement ils sont au dessus de la

translation la plus exteacuterieure Cette translation la plus exteacuterieure est la circonfeacuterence la plus

eacuteloigneacutee du centre crsquoest le ciel compris dans son premier sens la sphegravere des fixes Le

problegraveme est donc de savoir ce que sont ces ecirctres hors du ciel dans la mesure ougrave ils ne sont

dans aucun lieu mais sont situeacutes quelque part De plus comment maintenir la continuiteacute entre

le deacutebut de ce texte dont lrsquoobjet sont les ecirctres de lagrave-bas alors qursquoagrave la fin du texte il est

question du corps qui se meut en cercle Comment drsquoailleurs comprendre le rapport entre les

deux dans la mesure ougrave il est dit des ecirctres de lagrave-bas qursquoils sont sans mouvement parfaitement

immobile alors qursquoil est dit de lrsquoecirctre divin drsquoune part qursquoil est immobile ne pouvant pas ecirctre

mucirc par quelque chose drsquoexteacuterieur agrave lui mais que son mouvement est circulaire Comment

lrsquoecirctre le plus divin peut-il ecirctre immobile et se mouvoir en cercle De plus que peut-il y avoir

en dehors du Tout ou de la totaliteacute Et srsquoil y a quelque chose en dehors du Tout le Tout reste-

t-il la totaliteacute dans la mesure ou il nrsquoinclurait pas tout

Il est dit de ces ecirctres qursquoils nrsquoont pas de temps et qursquoils ne changent pas En effet le

changement est compris comme un mouvement et vice-versa Le mouvement est la proprieacuteteacute

drsquoun corps Il ne peut donc y avoir aucun mouvement en dehors du ciel et aucun changement

La geacuteneacuteration et la corruption sont eacutegalement des changements mais puisque rien ne peut

venir agrave lrsquoecirctre hors du ciel alors rien ne peut ecirctre geacuteneacutereacute et rien ne peut se corrompre Ce qui

implique que les ecirctres de lagrave-bas sont ingeacuteneacuterables et incorruptibles Aristote lrsquoaffirme ils sont

inalteacuterables et impassibles Mais qursquoest-ce que lrsquoalteacuteration chez Aristote Nous lrsquoavons

eacutegalement vu lrsquoalteacuteration est un changement dans la qualiteacute de la chose cela signifie que srsquoils

sont inalteacuterables leurs qualiteacutes ne peuvent pas changer Lrsquoimpassibiliteacute quant agrave elle implique

qursquoils ne peuvent ecirctre affecteacutes drsquoaucune maniegravere On note eacutegalement dans le texte drsquoorigine en

grec ancien lrsquoutilisation du pluriel pour deacutefinir ce qui se trouve au-dessus de la translation la

plus exteacuterieure τἀκεῖ On sait donc par conclusion qursquoil y a quelque chose en dehors du ciel

33

qui nrsquoa ni lieu ni temps qui est inalteacuterable impassible et qui nrsquoest pas seul en effet le

pluriel de ce terme grec qui signifie laquo les choses de lagrave-bas raquo nous rappelle qursquoil nrsquoexiste pas

qursquoun seul ecirctre lagrave-bas mais plusieurs Ces ecirctres inalteacuterables et impassibles sans temps et sans

lieu sont par conseacutequent eacuteternels De plus Aristote nous dit qursquoils ont la vie la meilleure et la

plus autonome qui soit Crsquoest-agrave-dire qursquoils ne deacutependent de rien drsquoautre que drsquoeux-mecircmes

pour ecirctre Preacuteciser que leur vie est la laquo meilleure raquo implique-t-il une comparaison avec un

autre style de vie autonome agrave un degreacute infeacuterieur Par exemple celle des corps qui ont un

mouvement eacuteternel et simple dans leur milieu naturel qui nrsquoa pas de contraire et qui implique

que les astres soient eacuteternels Cette vie autonome les takei la megravenent pour toute sa dureacutee Mais

pourquoi Aristote affirme une telle chose alors mecircme qursquoil nrsquoy a pas de temps Quel est le

rapport entre le temps et la dureacutee

[hellip] car le terme qui enveloppe le temps de la vie de chacun hors duquel on nrsquoestrien selon la nature a eacuteteacute appeleacute laquo dureacutee de vie raquo de chacun

La dureacutee de vie de chacun est donc ce qui enveloppe le temps de la vie de chacun

Mais srsquoil nrsquoy a pas de temps comment peut-il y avoir quelque chose enveloppeacute par la dureacutee

Si la dureacutee de vie de chacun est ce qui enveloppe le temps de la vie de chacun alors la dureacutee

de vie eacuteternelle des ecirctres de lagrave-bas est ce qui enveloppe le temps de la vie eacuteternelle de ces

ecirctres Sans temps il ne pourrait donc pas y avoir de dureacutee car la dureacutee nrsquoenvelopperait rien

Le temps est ce qui chez Aristote est relatif au combien de temps La question du laquo combien

de temps raquo suppose qursquoil y a du temps qui passe donc un mouvement qui se produit Mais

hors du ciel il nrsquoy a ni corps ni mouvement ni temps donc comment les ecirctres de lagrave-bas

peuvent-ils avoir la vie pour toute sa dureacutee

La dureacutee est la totaliteacute du temps de la vie de quelque chose et crsquoest aussi le terme qui

englobe la totaliteacute du temps du ciel Le ciel compris comme un Tout ou une totaliteacute crsquoest-agrave-

dire la troisiegraveme maniegravere de parler du ciel est une dureacutee On considegravere que comme le terme

de laquo dureacutee raquo a une origine commune avec le laquo fait drsquoexister toujours raquo alors le ciel qui est une

dureacutee est une dureacutee en vertu du fait qursquoil dure toujours Ainsi le ciel est immortel et divin car

il existe toujours sans srsquoarrecircter

Le problegraveme qui se pose est alors celui de comprendre le rapport entre les deux parties

de ce texte on y traite dans un premier temps en 279a15 des ecirctres qui seraient disposeacutes au-

delagrave du ciel en les caracteacuterisant comme eacutetant des ecirctres qui ne sont dans aucun lieu et soumis agrave

34

aucun changement A partir de la notion de dureacutee il argumente en faveur de lrsquoeacuteterniteacute du ciel

Pourquoi semble-t-il y avoir une discontinuiteacute dans lrsquoobjet de cet extrait

Aristote affirme que la dureacutee a un terme qui permet de mesurer le temps qui passe

alors que le ciel nrsquoen a pas Il en vient alors agrave parler de lrsquoecirctre divin duquel deacutepend la vie de

tout ce qui existe En effet la limite du ciel est la sphegravere des fixes en ce sens elle est ce qui

enveloppe le monde Toutefois il nous semble que la notion de dureacutee interrompe le discours

portant sur les ecirctres de lagrave-bas Srsquoil eacutetait au deacutepart question des takei il est deacutesormais question

de la sphegravere des fixes Sont-ils une seule et mecircme chose Telle est la question que les lecteurs

peuvent se poser et qui permettrait drsquounifier le texte

Et par exemple dans les travaux de philosophie destineacutes au grand public portant sur lesecirctres divins on deacuteclare souvent en srsquoappuyant sur des raisonnements que tout ecirctre divineacutetant premier et au-dessus des autres est neacutecessairement immuable 279A31-33

Nous arrivons alors au passage que nous avons eacutetabli comme eacutetant la partie C Aristote

se reacutefegravere agrave des travaux de philosophie portant sur les ecirctres divins La question que nous nous

posons ainsi que les interpregravetes est celle de savoir si les ecirctres divins dont il est question sont

les takei de la partie A Il existe alors un doute dans la compreacutehension de ce passage qui

reacutesulte drsquoune impression de discontinuiteacute entre la partie A et la partie C mais non pas drsquoune

opposition entre celles-ci Le problegraveme survient agrave cause drsquoun doute sur la coiumlncidence entre

lrsquoexpression takei et lrsquoexpression theion (ecirctres divins) Ces travaux de philosophie portant sur

les ecirctres divins affirme que les ecirctres divins sont immuables Pour Aristote cela teacutemoigne en

faveur de ce qursquoil a affirmeacute plus tocirct rien ne peut mouvoir le divin sinon cette chose serait

plus divine que le divin et ce nrsquoest pas possible

Il existe alors un deacutebat concernant ce passage Degraves lrsquoAntiquiteacute deux commentateurs

drsquoAristote srsquoaffrontent sur la question de lrsquoidentiteacute des takei Ces deux interpreacutetations sont

celle de Simplicius et celle drsquoAlexandre Le premier deacutefend lrsquoideacutee que lrsquoexpression takei

renvoie au Premier Moteur Immobile alors que le second deacutefend qursquoil srsquoagit de la sphegravere des

fixes Ces deux interpreacutetations se font alors concurrence et ont donneacute naissance agrave une longue

tradition interpreacutetative que nous eacutetudierons plus tard

On peut alors se demander quelle uniteacute il existe dans cet extrait du De Caelo de la fin

du chapitre 9 Livre I Il semblerait que les ecirctres dont nous parle Aristote et qui se situent au-

35

delagrave de la translation la plus exteacuterieure soient des corps qui se meuvent en cercle car ils ont en

commun certaines proprieacuteteacutes lrsquoeacuteterniteacute la dureacutee sans fin lrsquoautonomie Or il srsquoavegravere que les

ecirctres de lagrave-bas sont exteacuterieurs au ciel alors que les corps qui se meuvent en cercle sont dans le

ciel Ils sont de plus composeacutes de la matiegravere qursquoest lrsquoeacutether ce qui implique qursquoils ne puissent

pas ecirctre au-delagrave du ciel dans la mesure ougrave il nrsquoexiste aucune matiegravere en dehors du ciel ni

aucun mouvement

222 Le commentaire perdu drsquoAlexandre possibles reacuteponses au problegraveme du laquo τἀκεῖ raquo

Nous avons vu que De Caelo I 9 srsquoachevait sur un passage fort mysteacuterieux En effet

dans la partie A du texte que nous avons citeacute au deacutebut de notre propos Aristote affirme et

prouve par les arguments que nous avons vu plus tocirct qursquoil nrsquoexiste rien en dehors du ciel ni

lieu ni vide ni temps ni matiegravere Vient alors la conclusion que les ecirctres se trouvant en dehors

du ciel ne sont dans aucun lieu nrsquoont ni matiegravere ni temps qui les fassent vieillir Il srsquoagira

alors drsquoaborder les interpreacutetations antiques de ce passage dans le but de comprendre quelles

sont les hypothegraveses quant agrave lrsquoidentiteacute de ces ecirctres (τἀκεῖ en grec) et les arguments pour les

deacutefendre

Nous allons alors commencer par examiner lrsquointerpreacutetation drsquoAlexandre drsquoAphrodise

du De Caelo I 9 telle qursquoelle nous a eacuteteacute transmise par Simplicius dans son commentaire

Alexandre propose deux lectures hypotheacutetiques de cet extrait En effet il se demande

ce agrave quoi fait reacutefeacuterence Aristote lorsqursquoil emploie le terme de laquo τἀκεῖ raquo Soit ce qui est deacutecrit

comme eacutetant un ecirctre en dehors du ciel qui nrsquoest dans aucun lieu et qui nrsquoa pas de temps qui le

fasse vieillir renvoie agrave la doctrine du Premier Moteur Soit cela fait reacutefeacuterence agrave la sphegravere des

fixes Nous allons nous inteacuteresser agrave la premiegravere hypothegravese

Qursquoest-ce que le Premier Moteur En Meacutetaphysique Λ 1072b5 Aristote affirme que

le Premier Moteur est une substance et un acte Cela signifie que le Premier Moteur est une

substance eacuteternelle du fait qursquoelle nrsquoest pas mateacuterielle qui meut le Premier Ciel tout en eacutetant

immobile ce qui implique qursquoil soit tel qursquoil ne puisse jamais ecirctre autrement qursquoil nrsquoest En

effet la sphegravere des fixes eacutetant du domaine du divin et eacutetant mucirc de maniegravere continue et

eacuteternelle doit avoir un moteur qui soit parfaitement immobile car plus parfait qursquoelle De

plus cela permet drsquoexpliquer lrsquoeacuteterniteacute du mouvement ceacuteleste dans la mesure ougrave ce qui est la

cause drsquoun mouvement eacuteternel doit aussi ecirctre eacuteternel sans quoi elle se corromprait et le ciel

36

cesserait son mouvement ce qui nrsquoest pas possible Il y a donc une sorte de hieacuterarchie du

point de vue de la substance Crsquoest-agrave-dire que Aristote identifie trois substances deux

sensibles dont une corruptible une eacuteternelle La troisiegraveme substance quant agrave elle est dite

laquo motrice raquo puisqursquoelle est agrave lrsquoorigine du premier mouvement qui est celui du ciel Celle-ci

puisqursquoelle est agrave lrsquoorigine du mouvement du Premier Ciel est plus divine et plus parfaite

Qursquoest ce qursquoimplique lrsquohypothegravese selon laquelle le τἀκεῖ serait le premier moteur Le

premier moteur immobile est ce qui est agrave lrsquoorigine du premier mouvement crsquoest-agrave-dire le

mouvement en cercle du corps simple qursquoest le ciel Ce moteur est unique et eacuteternel Parce

que le lieu du plus divin est le plus haut on comprend le premier moteur comme eacutetant au

dessus du ciel puisqursquoil est plus divin que lui et est ce qui le met en mouvement Crsquoest

lrsquohypothegravese drsquoAlexandre sur la possibiliteacute que les laquo ecirctres de lagrave-bas raquo renvoient agrave la doctrine du

Premier Moteur Il nrsquoest dans aucun corps donc il est hors du ciel et il nrsquoest pas dans un lieu

puisqursquoil nrsquoest pas corporel et mateacuteriel Toutefois le pluriel utiliseacute par Aristote rend

compliqueacute cette hypothegravese dans la mesure ougrave le Premier Moteur immobile est unique affirme

Fabienne Baghdassarian19 Alexandre dit Simplicius affirme que cette theacuteorie nrsquoest pas

vraisemblable bien qursquoil propose cette lecture nrsquoest pas veacuteritablement en faveur de celle-ci Il

affirme la chose suivante dans le commentaire de Simplicius

If by lsquoabove the outermost movementrsquo he were speaking about the first cause (Alexandersays) he would be referring to [the region] above the orbit of the sphere of the fixed[starts] while if he were saying these things about the divine body the lsquooutermostmovementrsquo would mean the furthest of the rectilinear motions [hellip] So above thefurthest movement there is all of the revolving body which he says is neither in place norin time being eternal and ageless For while the divine body as a whole is not in placeparts of it are in place the spheres of the planets are in place20

En effet Alexandre pensait que si Aristote avait voulu parler du Premier Moteur il

aurait explicitement utiliseacute lrsquoexpression περɩ φορά et non pas φοράν Aristote utilise selon

Alexandre lrsquoexpression περɩ φορά pour deacutesigner le mouvement circulaire et non pas φοράν

qui deacutesigne le mouvement rectiligne Simplicius va critiquer cet argument en deacutefaveur de la

reacutefeacuterence au Premier Moteur drsquoAlexandre en affirmant qursquoAristote utilise aussi φοράν pour

deacutesigner le mouvement circulaire

19 Baghdassarian F opcit20 SIMPLICIUS 2881-9

37

Alexandre propose apregraves la premiegravere hypothegravese concernant la reacutefeacuterence au Premier

Moteur Immobile une seconde hypothegravese selon laquelle le τἀκεῖ renvoie agrave la sphegravere des fixes

Il fait donc reacutefeacuterence au livre 4 de la Physique Dans ce chapitre il deacutefinit le lieu comme laquo la

limite du corps englobant raquo La sphegravere des fixes nrsquoest dans aucun lieu dans la mesure ougrave elle

nrsquoest englobeacutee par aucun corps En effet le cosmos aristoteacutelicien srsquoorganise de la maniegravere

suivante il y a le centre de lrsquounivers qui est enveloppeacute par la limite du corps qui se trouve

dans la reacutegion sublunaire Autour de cette reacutegion sublunaire se trouve le corps ceacuteleste qui est

la sphegravere des fixes comme un corps englobant le ciel compris comme un Tout Entre la Lune

et la sphegravere des fixes se trouve le corps dans la continuiteacute de la sphegravere des fixes sur lequel se

trouvent certains astres comme le Soleil Jupiter et drsquoautres Mais rien nrsquoenveloppe la sphegravere

des fixes ce qui implique que la sphegravere des fixes nrsquoest dans aucun lieu Donc srsquoil se reacutefegravere

aux ecirctres divins au-delagrave de la translation la plus exteacuterieure cela signifie que la translation la

plus exteacuterieure est en fait le mouvement rectiligne le plus haut celui du feu Mais pourquoi le

mouvement rectiligne serait le mouvement le plus haut Nous avons affirmeacute que le lieu eacutetait

la limite du corps englobant or la sphegravere des fixes nrsquoest englobeacutee par rien ce qui implique

que la sphegravere des fixes (le premier ciel) nrsquoest dans aucun lieu Le lieu qui existe est ce qui se

trouve enveloppeacute par la sphegravere des fixes crsquoest-agrave-dire le corps qui est dans la continuiteacute de la

sphegravere des fixes (lrsquoeacutether) et sur lequel se trouvent certains astres puis seacutepareacute par la Lune le

monde sublunaire dont le mouvement du feu est le mouvement rectiligne le plus haut Cet

argument selon Alexandre permet de montrer que cet extrait porte sur la sphegravere des fixes et

non des reacutealiteacutes qui seraient en dehors du ciel Le ciel au sens premier nrsquoeacutetant ni dans un lieu

ni soumis au temps le τἀκεῖ qualifieacute comme nrsquoeacutetant ni dans un lieu ni soumis agrave aucun

changement du fait de son absence du temps se reacutefeacutererait alors agrave la sphegravere des fixes

On peut alors conclure que Alexandre preacutefegravere lire ce texte en supposant qursquoAristote se

reacutefegravere au corps simple qui se meut en cercle lorsqursquoil parle des laquo ecirctres de la-bas raquo crsquoest-agrave-dire

au ciel au sens de la sphegravere des fixes

213 Compreacutehension et hypothegravese de Simplicius sur les ecirctres de lagrave-bas

Simplicius propose une autre lecture possible de ce passage Simplicius est le chef de

file tout comme Alexandre qui considegravere que le τἀκεῖ est une reacutefeacuterence au premier ciel drsquoune

longue tradition interpreacutetative selon laquelle le Premier Moteur Immobile serait ce qui est viseacute

par Aristote dans lrsquoensemble du passage qui nous inteacuteresse Il laisse en 2888 de cocircteacute

38

lrsquointerpreacutetation drsquoAlexandre du problegraveme du τἀκεῖ et reprends son commentaire lineacuteaire du

De Caelo

After saying that things divine are lsquopossessed of the best and most self-sufficient of livesrsquoand that lsquothey persist throughout all the agesrsquo he wishes also to establish theirimmortality and eternality on the basis of the word lsquoagersquo [hellip] For we call the completeand all-embracing time of the life of something its age lsquobeyond which there is nonenaturalrsquo21 2888

Aristote cherche agrave fonder lrsquoimmortaliteacute du corps ceacuteleste qursquoest le ciel au sens de la

sphegravere des fixes sur lrsquoorigine du mot laquo dureacutee raquo En effet il existe un rapport eacutevident entre le

premier ciel qui englobe tout et la dureacutee crsquoest-agrave-dire le terme qui englobe la totaliteacute du temps

de la vie de chaque choses Le ciel comme la dureacutee sont englobants ainsi il nrsquoest pas eacutetonnant

drsquoaffirmer que dans la mesure ougrave le ciel (crsquoest-agrave-dire la sphegravere des fixes) nrsquoest pas englobeacute

par la dureacutee puisqursquoil nrsquoy a pas de temps en dehors du ciel et qursquoil nrsquoy a pas de dureacutee sans

temps qui passe le corps qui srsquoy trouve nrsquoest pas soumis agrave la corruption et agrave la mort il est

immortel

Simplicius se reacutefegravere alors agrave une œuvre perdue drsquoAristote De la philosophie22 dans le

but de donner lrsquoargument aristoteacutelicien en faveur de lrsquoeacuteterniteacute du divin afin de preacuteparer

lrsquoargument selon lequel les ecirctres de lagrave-bas seraient les intelligibles Lrsquoargument drsquoAristote est

le suivant partout ou il y a quelque chose de mieux il y a quelque chose de meilleur le

divin Aristote affirme qursquoune chose peut ecirctre mise en mouvement par deux causes possibles

par une chose qui lui est exteacuterieure ou par elle-mecircme Si ce qui meut un corps est une cause

exteacuterieure il est neacutecessaire qursquoelle soit meilleure que ce qursquoelle meut ou moins bonne Si

crsquoest par elle-mecircme alors il est neacutecessaire que ce soit vers quelque chose de meilleur ou vers

quelque chose de pire Aristote dans le DP affirme qursquoil nrsquoy a rien de meilleur que le divin

sinon cette chose serait plus divine que le divin Donc rien ne peut changer le divin puisque

qursquoil ne manque drsquoaucun des biens et est parfaitement bon Puisqursquoil nrsquoy a rien de mauvais

chez le divin cela implique qursquoil ne puisse pas ecirctre mucirc vers le pire ni par un autre ni par lui-

mecircme Le divin se changerait-il lui mecircme Simplicius se reacutefegravere pour reacutepondre agrave cette

21 Simplicius 2888 22 Traiteacute perdu drsquoAristote dont le passage du De Caelo laquo les ecirctres de lagrave-bas raquo semble issu ou srsquoy reacutefegravere tout du

moins

39

question au livre II de La Reacutepublique de Platon dans lequel Platon affirme que le meilleur et

le plus divin est ce qui subit le moins de changement ou aucun changement de lrsquoexteacuterieur A

partir de lagrave il se pose la question de savoir si le divin qui ne peut pas ecirctre alteacutereacute par ce qui lui

est exteacuterieur du fait qursquoil est le meilleur srsquoaltegravere lui-mecircme vers le meilleur ou vers le pire

Dans la mesure ougrave le divin possegravede tous les biens srsquoil srsquoaltegravere ce sera neacutecessairement vers le

pire car il ne peut pas ecirctre plus parfait qursquoil ne lrsquoest deacutejagrave Mais puisque personne ne se

changerait pour le pire et le moins beau volontairement alors cela implique que le divin ne se

change pas

Ces arguments tireacutes de La Reacutepublique II et du De Philosophia permettraient alors agrave

Simplicius de critiquer la theacuteorie drsquoAlexandre Aristote ne peut pas se reacutefeacuterer agrave la sphegravere des

fixes dans la mesure ougrave celle-ci est en mouvement Son mouvement est certes eacuteternel car il

ne connaicirct aucun changement son lieu de deacutepart est son lieu drsquoarriveacutee donc son mouvement

est eacuteternel Mais cela implique qursquoil soit mucirc par quelque chose qui neacutecessairement est plus

divin que lui et qui ne peut pas ecirctre en mouvement drsquoaucune maniegravere que ce soit

That not all of it can be interpreted as applying to the heavenly body is clear Ithink from what has just been said For having shown that there is no body either simpleor composite outside the heaven he argued lsquoat the same time it is clear that there can beneither place void nor time beyond the heavensrsquo And having shown this and concludedlsquotherefore it is obvious that there is neither place nor void nor time outside he theninfers as it were from what has been said some corollaries lsquofor this reason the thingswhich are of a nature to be there are not in place nor can time cause them to grow oldand so on by lsquothe things therersquo clearly meaning those outside the heaven So how couldthe heaven be said to be outside the heaven And how could he say that there is nochange of any kind for any of the heavenly bodies when he sees that their change ofplace is unceasing And neither does he say that the things which are positioned abovethe furthest movement are heavenly bodies23

On ne peut donc pas interpreacuteter tout le texte comme eacutetant au sujet des corps ceacutelestes

pour Simplicius en raison de ce qui a eacuteteacute dit par Aristote Puisqursquoil a montreacute qursquoil nrsquoy avait

pas de corps en dehors du ciel car celui-ci eacutetait constitueacute de lrsquoensemble de la matiegravere il

affirme qursquoil nrsquoy a pas de lieu ndash en raison du fait que le lieu est lagrave ougrave il y a un corps ndash pas de

vide ndash car le vide est lagrave ougrave il nrsquoy a pas de corps mais ougrave il pourrait y en avoir un ndash et pas de

temps car le temps est une proprieacuteteacute des corps et qursquoil nrsquoy a pas de corps en dehors du ciel

Crsquoest pourquoi laquo les ecirctres de lagrave-bas raquo ne peuvent pas faire reacutefeacuterence aux corps ceacutelestes

23 Simplicius 290 1-17

40

Puisque le τἀκεῖ est deacutesigneacute comme nrsquoeacutetant pas dans un lieu pas dans le temps et nrsquoayant pas

de matiegravere que lrsquoexteacuterieur du ciel nrsquoest ni du vide ni du temps et qursquoil ne peut y avoir aucun

corps Simplicius en conclut que laquo lagrave-bas raquo signifie laquo au-delagrave du ciel raquo Il oppose alors

drsquoautres critiques agrave la theacuteorie drsquoAlexandre par rapport agrave ce qui vient drsquoecirctre dit comment le

ciel pourrait-il ecirctre en dehors du ciel Comment Aristote pourrait-il affirmer srsquoil se reacutefeacuterait agrave

la sphegravere des fixes qursquoil nrsquoy a aucune sorte de changement pour le ciel tout en affirmant que

son mouvement est eacuteternel et incessant Il semble alors compliqueacute de soutenir que le τἀκεῖ

renvoie agrave la sphegravere des fixes ou aux corps ceacutelestes qui se meuvent en cercle

Simplicius comprend alors nos trois parties De Caelo I 9 agrave la lumiegravere du De

Philosophia et de Reacutepublique II Puisque ce qui est en mouvement lrsquoest neacutecessairement par

quelque chose de plus parfait que lui alors ce qui meut le ciel est plus parfait que le ciel Il

srsquoagit de srsquointeacuteresser au moteur immobile qui meut le premier ciel crsquoest-agrave-dire le Premier

Moteur Il souligne toutefois que ce passage est obscur et laisse possible lrsquointerpreacutetation

suivante lorsqursquoAristote fait reacutefeacuterence au mouvement eacuteternel du ciel crsquoest pour parler de ce

qui le meut En effet le Premier Moteur Immobile est plus divin que le ciel puisque ce qui

met une chose en mouvement est plus divin qursquoelle En ce sens il serait dit laquo au-delagrave du ciel raquo

car au-dessus de la nature des corps ceacutelestes Cela implique alors que laquo au-delagrave raquo ne

signifierait pas un lieu mais une nature hieacuterarchiquement supeacuterieure agrave celle du ciel

Il accepte cependant que le texte ne soit pas du deacutebut de la partie A agrave la fin de la partie

C au sujet du Premier Moteur Lorsque Aristote fait mention de la notion de dureacutee il fait

reacutefeacuterence agrave la sphegravere des fixes En effet la fin de la dureacutee est la limite qui permet la

quantification de la dureacutee mais le ciel nrsquoa pas de dureacutee il est compris comme ce qui englobe

la dureacutee de vie de tout ce qui est Mais apregraves avoir eacutetabli la premiegravere signification de la dureacutee

qui fait le lien avec le premier ciel Aristote bascule vers lrsquoideacutee que ce qui comprend

lrsquoensemble du temps et de lrsquoinfiniteacute est une dureacutee et crsquoest donc une reacutefeacuterence au Premier

Moteur car de lui deacutepend de maniegravere directe lrsquoecirctre et la vie eacuteternelle du corps ceacuteleste et de

maniegravere indirecte lrsquoecirctre et la vie des corps du monde sublunaire De maniegravere indirecte car les

corps du monde sublunaire ne sont pas directement mis en mouvement par lui mais leur vie

deacutepend de celle de la sphegravere des fixes qui elle est directement mise en mouvement par le

Premier Moteur Immobile

Simplicius deacutefend alors sur le fondement de ces arguments que le τἀκεῖ fait reacutefeacuterence

au Premier Moteur Immobile et non au corps ceacuteleste Simplicius va alors mecircme jusqursquoagrave

41

changer le texte original drsquoAristote en optant pour kinai plutocirct que kineitai ce qui permet

drsquoattribuer une fonction motrice au τἀκεῖ Ce changement lui permet alors de faire

correspondre le τἀκεῖ agrave la theacuteorie du Premier Moteur sans forcer lrsquointerpreacutetation De ce fait

le τἀκεῖ renverrait agrave quelque chose de transcendant agrave lrsquoordre ceacuteleste car le premier ciel est

mucirc en vertu de la perfection de son moteur celle-ci accordeacutee au τἀκεῖ dans la mesure ougrave il ne

connaicirct aucun changement et est parfaitement autonome Pour appuyer la theacuteorie de

Simplicius nous pouvons ajouter lrsquoargument de la coiumlncidence entre la description du τἀκεῖ

dans le DC et celle du Premier Moteur Immobile dans Meacutetaphysique Λ lrsquoun comme lrsquoautre

sont dits parfaitement immuables eacuteternels et autonomes

42

Chapitre 3 Interpreacutetations modernes du De Caelo I 9

La question du τἀκεῖ premier moteur reacutealiteacutes hyper-

cosmiques ou sphegravere des fixes reacutealiteacutes ceacutelestes

43

31 Le problegraveme de la continuiteacute argumentative du Livre I 9

311 La discontinuiteacute du sujet en faveur de la transcendance du τἀκεῖ

Le deuxiegraveme moment de notre propos nous a donc servi agrave comprendre quels eacutetaient les

arguments deacutefendus durant lrsquoAntiquiteacute par Simplicius et Alexandre drsquoAphrodise Ces deux

interpregravetes sont les chefs de file de deux interpreacutetations qui sopposent celle de Simplicius

selon laquelle le takei ferait reacutefeacuterence au Premier Moteur Immobile et celle drsquoAlexandre

selon laquelle il srsquoagirait drsquoune reacutefeacuterence agrave la sphegravere des fixes Ces deux thegraveses srsquoaffrontent

depuis lrsquoAntiquiteacute Elles ont influenceacute les interpreacutetations modernes et ont forgeacute une logique

binaire dans la maniegravere de comprendre lrsquoidentiteacute des ecirctres de lagrave-bas Ce deacutebat antique se

perpeacutetue dans un deacutebat entre les interpregravetes modernes Il srsquoagira alors de restituer les

arguments modernes heacuteritiegraveres des deux interpreacutetations antiques afin de rendre compte de la

logique binaire du deacutebat Toutefois nous ne nous limiterons pas agrave cette binariteacute et nous nous

inteacuteresserons agrave des theacuteories plus originales telles que celle de Peacutepin ou celle de Merlan

Si nous avons eacutevoqueacute plus haut le problegraveme de la continuiteacute des ideacutees aristoteacuteliciennes

au sein du corpus aristoteacutelicien et plus particuliegraverement au regard du De Caelo crsquoest dans le

but de poser les preacutemisses drsquoarguments qui reposent sur la continuiteacute ou la discontinuiteacute du

De Caelo I9 Nous nous fonderons pour le moment sur les deux alternatives les plus

populaires du problegraveme de lrsquoidentiteacute du τἀκεῖ avec drsquoune part les arguments en faveur drsquoune

reacutefeacuterence astrale et drsquoautre part les arguments en faveur drsquoune reacutefeacuterence agrave un ou des ecirctres

transcendant le ciel Mais nous verrons un certain type drsquoarguments en faveur de lrsquoune ou

lrsquoautre ideacutee en effet les arguments que nous expliciterons seront ceux qui reposent sur une

analyse de la continuiteacute ou de la discontinuiteacute du passage qui deacutebute en 279a18 et qui se

termine agrave la fin du chapitre 9 dans le but de comprendre comment sont justifieacutees lrsquoune ou

lrsquoautre ideacutee Nous allons alors nous inteacuteresser preacuteciseacutement agrave lrsquoobjet ou les objets de ce passage

via lrsquoarticle de Fabienne Baghdassarian24

Si le chapitre I 9 se refermait sur les remarques qui preacutecegravedent sans doute nrsquoaurait-iljamais paru eacutenigmatique Chacun srsquoaccorderait agrave reconnaicirctre derriegravere laquo les ecirctres de lagrave-basraquo des reacutealiteacutes hypercosmiques conformeacutement agrave ce qursquoindiquent clairement agrave la fois leurdescription topographique et le contexte argumentatif de lrsquoextrait Neacuteanmoins le textepoursuit une analyse dont on a du mal agrave comprendre comment elle peut ne pas remettreen question lrsquohypothegravese de la transcendance Il apparaicirct en effet que le texte agrave supposer

24 Baghdassarian F opcit2011 p192

44

qursquoil traite de reacutealiteacutes transcendantes en 279a18-22 change de sujet agrave une ou plusieursreprises pour deacutevelopper des consideacuterations qui font une reacutefeacuterence plus explicite au ciel

Fabienne Baghdassarian agrave la suite de cet extrait explicite les trois moments de

lrsquoargumentation du passage 279a18-b3 du De Caelo I 9 Il semble selon sa lecture y avoir

une discontinuiteacute dans lrsquoobjet du texte En effet dans un premier temps apregraves avoir conclu

qursquoil nrsquoexistait ni lieu ni vide ni temps et ni corps en dehors du ciel et que les ecirctres qui se

situaient laquo au dessus de la translation la plus exteacuterieure raquo nrsquoavaient laquo ni lieu ni temps qui les

fasse vieillir raquo et qursquoils nrsquoeacutetaient soumis agrave aucun type de changement Aristote fait intervenir

la notion de αἰών crsquoest-agrave-dire la notion de la dureacutee Vient ensuite la partie C qui concerne le

mouvement ceacuteleste

Mais le problegraveme majeur qui se pose au sujet de la continuiteacute argumentative de cette

fin de chapitre 9 de De Caelo I est majoritairement ducirc agrave une reacutefeacuterence mysteacuterieuse agrave des

laquo travaux de philosophie destineacutes au grand public portant sur les ecirctres divins raquo 279a31 qui

cassent lrsquoargumentation agrave tel point que ce passage est suspecteacute drsquoecirctre un ajout tireacute drsquoun traiteacute

perdu drsquoAristote le De Philosophia

La preacutesence de ce supposeacute passage du De Philosophia complexifie lrsquoensemble de la

fin du De Caelo I 9 En effet ce texte creacuteeacute ce qui semble ecirctre une discontinuiteacute dans

lrsquoargumentation geacuteneacuterale de chapitre 9 Certains auteurs voient le De Philosophia comme

eacutetant agrave propos pour eacuteclairer la question de lrsquoidentiteacute des takei crsquoest le cas de Dumoulin25 qui

retrace lrsquoargumentation du De Caelo au regard du De Philosophia Il coupe le texte original en

diffeacuterents paragraphes dans le but de faire ressortir lrsquoenchaicircnement des ideacutees Successivement

il voit agrave partir de 279a11-18 les conseacutequences de lrsquoabsence de corps en dehors du ciel De

279a19-22 lrsquoaffirmation selon laquelle tout ce qui est immateacuteriel est immobile De 279a22-

30 un deacutebut de paragraphe qui porte sur lrsquoeacuteterniteacute du ciel De 279a31-34 le principe geacuteneacuteral

de lrsquoimmutabiliteacute du divin fondeacute sur des travaux de philosophie qui traitent des ecirctres divins

Enfin de 279a34-b3 il est question de lrsquoimmutabiliteacute du mouvement ceacuteleste Il apparaicirct alors

que le texte dont il est question deacutebute par les conseacutequences de lrsquoabsence de temps de lieu et

de corps en dehors du ciel agrave savoir que les ecirctres qui se situent au-delagrave du ciel nrsquoont ni lieu ni

temps ni corps Puis Aristote finit par un eacuteloge de lrsquoeacuteterniteacute du mouvement ceacuteleste Le

mouvement est le propre des corps mais srsquoil nrsquoy a pas de corps en dehors du ciel il nrsquoy a pas

non plus de mouvement Donc pourquoi passe t-on du constat que les ecirctres en dehors du ciel

25 Dumoulin Recherches sur le premier Aristote Eudegraveme De la philosophie Protreptique1981 p 53-65

45

nrsquoont ni corps ni aucun mouvement pour ensuite louer lrsquoeacuteterniteacute du mouvement ceacuteleste Tel

est le problegraveme de lrsquouniteacute argumentative de ce passage26

Drsquoapregraves Alexandre citeacute par Simplicius deux interpreacutetations srsquoaffrontaient danslrsquoAntiquiteacute les ecirctres en question deacutesignent le premier moteur immobile pour les uns etle ciel des fixes pour les autres Cette alternative continue agrave gouverner lrsquointerpreacutetation dupassage pour le premier moteur immobile nommons agrave la suite de Simplicius ZellerTricot Untersteiner Berti agrave la suite drsquoAlexandre pour le ciel des fixes Werner GuthrieMoreau Festugiegravere Nous allons ecirctre conduit agrave contester le principe de cette alternative

Comme le rappelle Dumoulin il existe deux alteacuternatives agrave lrsquointerpreacutetation de ce

passage Il srsquoagit maintenant de comprendre lrsquoargument qui permet agrave Dumoulin drsquoaffirmer

que le τἀκεῖ fait reacutefeacuterence agrave des reacutealiteacutes qui se placeraient au-delagrave de la sphegravere des fixes et non

sur la sphegravere Il annonce alors explicitement qursquoil srsquoagira de contester la theacuteorie drsquoune

reacutefeacuterence ceacuteleste

Comment srsquoy prend Dumoulin pour justifier lrsquoideacutee que le τἀκεῖ renvoie agrave des ecirctres qui

se trouvent au-delagrave de la translation la plus exteacuterieure ou agrave la theacuteorie du Premier Moteur

Immobile Sa deacutemarche consiste agrave comprendre le texte par le texte lui-mecircme en srsquointeacuteressant

agrave lrsquoutilisation des mots et agrave leur sens le plus naturel Crsquoest pourquoi il commence son

explication en rappelant deux choses τἀκεῖ vient de ἐκεῖ qui dans Physique VIII 10 267b9

deacutesigne la localisation du Premier Moteur Immobile De plus τἀκεῖ manifeste un pluriel qui

bien qursquoil semble ne pas correspondre agrave lrsquoideacutee du Premier Moteur Immobile qui est censeacute ecirctre

unique correspond agrave lrsquoideacutee drsquoune pluraliteacute de principes qui peuvent exister agrave partir du

moment ougrave il existe une hieacuterarchie entre eux Cette ideacutee lisible dans Meacutetaphysique Λ 8

correspond eacutegalement agrave celle preacutesente dans le fragment 17 du De Philosophia Notons de

plus le fait que le Premier Moteur est dit laquo immobile raquo crsquoest-agrave-dire qursquoil ne connaicirct aucune

espegravece de changement ni dans la substance ni dans le lieu de la mecircme maniegravere qursquoil est dit

des τἀκεῖ qursquoils sont parfaitement immobiles Toutefois cela signifie-t-il que si le τἀκεῖ est

transcendant au ciel son identiteacute correspond agrave celle du Premier Moteur Immobile Pas

neacutecessairement Dumoulin envisage la possibiliteacute en fonctionnant de maniegravere reacutetrospective et

en se tournant vers le Timeacutee de Platon que le τἀκεῖ fasse reacutefeacuterence agrave un ecirctre divin immobile

mais pas forcement moteur La lecture organiseacutee de ce texte comme nous lrsquoavons vu plus

haut par le biais de Dumoulin permet de comprendre qursquoil existe une deacutemonstration logique

au texte En effet les conseacutequences du fait qursquoil nrsquoy ait ni corps ni temps ni lieu en dehors du

26 Ibid p54

46

ciel impliquent que ce qui est en dehors du ciel est immateacuteriel et dans la mesure ougrave le temps

est le nombre du mouvement alors les ecirctres qui se situent au-delagrave du ciel nrsquoont pas de

mouvement et sont parfaitement immobiles Leur immobiliteacute due agrave leur immateacuterialiteacute font

drsquoeux des ecirctres divins car eacuteternels mais cela implique-t-il que comme le Premier Moteur

Immobile ils aient une fonction motrice Crsquoest pourquoi Dumoulin se tourne vers le Timeacutee

Partir sur la piste de la transcendance du τἀκεῖ sans pour autant faire reacutefeacuterence au Premier

Moteur Immobile peut nous faire penser agrave la diviniteacute immateacuterielle du Timeacutee qui a ordonneacute le

monde Aristote ayant eacuteteacute durant un certain nombre drsquoanneacutees lrsquoeacutelegraveve de Platon nous sommes

en droit de nous demander srsquoil nrsquoavait pas au deacutepart postuleacute un ecirctre immateacuteriel et divin sans

penser agrave un ecirctre qui serait le moteur du mouvement Il nous faut alors eacutetablir la distinction

entre ce qursquoune chose est (par exemple divine eacuteternelle parfaitement immobile) et ce qursquoelle

fait la fonction qursquoelle remplit (par exemple mettre en mouvement le premier ciel) Il est

alors question ici de celui que lrsquoon appelle le laquo premier Aristote raquo celui qui eacutetant platonicien

reacutefleacutechissait agrave partir de cette conception du monde Cette theacuteorie servirait-elle alors de

preacutemisse agrave ce qui sera plus tard la theacuteorie du Premier Moteur Nous pouvons nous le

demander mais y reacutepondre aurait besoin drsquoun autre propos Neacuteanmoins cette ideacutee permet de

proposer une lecture particuliegravere du De Caelo I9 selon laquelle il y a une reacutefeacuterence agrave des ecirctres

hypercosmiques crsquoest-agrave-dire qui se trouvent au dessus du ciel sans toutefois se reacutefeacuterer au

Premier Moteur Immobile

Mais lrsquoargument en faveur de la transcendance du τἀκεῖ ne srsquoarrecircte pas lagrave Nous

lrsquoavons dit ce passage est obscur car il est fait mention drsquoun ouvrage qui porte sur les ecirctres

divins et qursquoil semble que ce texte du fait de ses diffeacuterents objets soit en partie issu drsquoun

traiteacute perdu drsquoAristote De Philosophia Nous lrsquoavons dit et le rappelons en 279a18 il est

question drsquoecirctres qui se situent au-dessus de la translation la plus exteacuterieure et apregraves une

eacutetrange analogie sur la notion de dureacutee se trouve un eacuteloge du mouvement eacuteternel des astres

Ce passage est celui qui brise la continuiteacute de lrsquoargumentation et nous pousse agrave douter de son

appartenance premiegravere au De Caelo A quoi se reacutefegravere donc le τἀκεῖ Et quelle est lrsquoidentiteacute

des ecirctres divins (theia) dont nous parle Aristote Le ciel Les ecirctres de lagrave-bas

Dumoulin compare un fragment du De Philosophia et le passage 279a34-b3 du De

Caelo et il en ressort de maniegravere quasiment eacutevidente que le traiteacute Du ciel se reacutefegravere tregraves

clairement au De Philosophia Nous pouvons le constater via la comparaison entre le

fragment du De Philosophia et le passage du De Caelo dont il est question dans lrsquoeacutetude de

47

Dumoulin27 Mais ce passage est-il une simple reacutefeacuterence Une paraphrase Une citation

Cette question est complexe et la conclusion nous permettra de comprendre lrsquoargumentation

geacuteneacuterale du texte et de soutenir lrsquoideacutee drsquoune veacuteritable ceacutesure dans lrsquoargumentation

Nous trouvons quelque chose de bien eacutetrange dans le texte drsquoAristote une chose fort

bien exprimeacutee par Simplicius dans son commentaire si nous savons que le premier moteur

immobile est dans la Physique la Meacutetaphysique agrave lrsquoorigine du premier mouvement crsquoest-agrave-

dire celui de la sphegravere des fixes Aristote affirme dans la partie C qursquoil nrsquoy a rien de plus fort

qui puisse mouvoir le ciel car sinon cette chose serait plus divine que le ciel Mais puisque le

ciel est parfait et qursquoil ne manque drsquoaucun des biens cela nrsquoest pas possible Comment

expliquer cela Srsquoagit-il drsquoun changement doctrinal Drsquoune citation Drsquoune paraphrase

Simplicius avait trois sources agrave sa disposition pour commenter le De Caelo La Reacutepublique

II de Platon des fragments du De Philosophia et le texte qursquoil commente Nous observons

premiegraverement qursquoil semble y avoir un emprunt agrave la Reacutepublique II de Platon

Nest-il pas neacutecessaire si toutefois un ecirctre peut sortir de sa propre forme soit quil semeacutetamorphose lui-mecircme de sa propre initiative soit quil soit transformeacute par un autre380D28

Or les choses les meilleures ne sont-elles pas celles qui sont le moins susceptibles decirctrealteacutereacutees et mises en mouvement par autre chose quelles-mecircmes 380E

Degraves lors tout ecirctre bien constitueacute que ce soit par nature en vertu de lart ou pour ces deuxraisons agrave la fois sera le moins susceptible de subir un changement causeacute par un autre[hellip] Et pourtant le dieu tout comme les choses qui concernent le dieu est absolumentparfait [hellip] Mais ne peut-il se changer et salteacuterer lui-mecircme [hellip] Se change-t-il alors enmieux et en plus beau ou en pire et en plus laid Si vraiment il srsquoaltegravere cestneacutecessairement dans le sens du pire 381b-381c

En mecircme temps Platon ne cherche pas agrave prouver lrsquoexistence drsquoun Dieu qursquoil soit

parfait ou non (mecircme srsquoil est neacutecessairement parfait pour Platon du fait de sa nature) En

effet Platon critique les poegravetes qui attribuent aux dieux des qualiteacutes qui ne sont pas les leurs

et qui sont mecircme contradictoires avec leur nature propre De quoi soutenir lrsquoideacutee que cet

extrait nrsquoest pas tireacute de la Reacutepublique II sans quoi cela signifierait qursquoAristote a attribueacute au

monde sensible crsquoest-agrave-dire au ciel un passage qui chez Platon ne traite pas drsquoun sensible

27 Ibid p58 28 PLATON La Reacutepublique 2002

48

mais bel et bien drsquoun dieu parfait et immateacuteriel La diffeacuterence drsquoobjet entre le DC et la

Reacutepublique II nous pousse agrave penser qursquoil serait eacutetrange de reprendre le mecircme argument agrave un

moment pareil

Si Simplicius nrsquoa pas trouveacute cet argument dans la Reacutepublique II et qursquoil ne vient pas

du DC lui-mecircme alors cela signifie qursquoil vient de la troisiegraveme source dont disposait

Simplicius le De Philosophia ou plutocirct du commentaire drsquoAlexandre qui lui le posseacutedait

Crsquoest pourquoi la comparaison qui a eacuteteacute effectueacutee plus haut nous permettait drsquoaffirmer qursquoil

ne srsquoagit pas drsquoune paraphrase du DP dans le DC mais plutocirct drsquoune citation Mais cela ne

prouve pas qursquoil existe une discontinuiteacute de lrsquoobjet et de lrsquoargumentation dans ce passage du

De Caelo Nous lrsquoavons dit le deacutebut du passage 279a18 affirme assez clairement que les

ecirctres qui se trouvent au-delagrave de la translation la plus exteacuterieure sont sans corps sans lieu et

sans temps En mecircme temps apregraves une analogie entre la dureacutee et le ciel nous en arrivons agrave

lire un texte qui porte sur la perfection du corps ceacuteleste ce qui a priori semble eacutetonnant dans

la mesure ougrave le τἀκεῖ se situe en dehors du ciel et que le corps ceacuteleste est le ciel lui-mecircme

Ces diffeacuterents passages nous plongent dans lrsquoincompreacutehension et savoir qursquoil srsquoagit drsquoune

citation du DP nrsquoaide pas agrave comprendre pourquoi ce changement de sujet Crsquoest pourquoi

Dumoulin formule une hypothegravese agrave ce sujet

Nrsquooublions pas que Simplicius est le chef de file de ceux qui entendent du PremierMoteur Immobile tout le texte de De Caelo I 9 279a11-b3 On peut donc soupccedilonner cequi srsquoest passeacute Simplicius trouvait dans sa source deux passages du De Philosophia Lepremier eacutetablissait lrsquoexistence de la diviniteacute suprecircme immateacuterielle et le second eacutetablissaitle caractegravere divin du monde stellaire il a soudeacute ces deux textes qui dans sa penseacutee

concernaient lrsquoun et lrsquoautre le Premier Moteur29

Simplicius en commentant Aristote avance une preuve de lrsquoexistence de Dieu en

affirmant que lagrave ougrave il y a un ecirctre meilleur il y a forcement un ecirctre excellent dans la mesure ougrave

il y a une hieacuterarchie entre les ecirctres30 Il voit en cet argument le moyen de justifier que le τἀκεῖ

fait reacutefeacuterence au premier moteur Mais cet argument ne vient absolument pas du De Caelo lui-

mecircme il est un ajout au texte du DC et est tireacute du DP par Simplicius Il aurait donc servi agrave

justifier lrsquoexistence drsquoun ecirctre immateacuteriel et absolument parfait La suite du texte portant sur le

ciel aurait alors eacuteteacute compris comme suivant cette thegravese drsquoun ecirctre parfait et immateacuteriel ce qui

29 Dumoulin opcit p 6030 Simplicius (2892)

49

aurait pousseacute Simplicius agrave croire en lrsquoideacutee drsquoune reacutefeacuterence au Premier Moteur Immobile tout

en refusant lrsquoideacutee drsquoune ceacutesure dans lrsquoargumentation puisqursquoil affirmait que la totaliteacute du texte

portait sur un seul et mecircme objet le premier moteur

Au vu de cet argument nous pouvons comprendre pourquoi Dumoulin deacutefend lrsquoideacutee

qursquoil srsquoagit drsquoune reacutefeacuterence agrave des ecirctres qui se trouvent au-delagrave du ciel En effet il admet une

discontinuiteacute drsquoobjet dans le passage du De Caelo ducirc agrave lrsquoajout drsquoarguments tireacutes du DP pour

forcer le lien Toutefois cette discontinuiteacute est plus complexe qursquoelle en a lrsquoair dans la mesure

ougrave Dumoulin nrsquoaffirme pas ouvertement ndash et en ces termes ndash qursquoil y en a une En fait il est

drsquoavis de dire qursquoil y a une discontinuiteacute dans le degreacute de diviniteacute dont il est question si

Aristote fait lrsquoeacuteloge du mouvement ceacuteleste apregraves avoir affirmeacute que les ecirctres au-delagrave du ciel

sont immateacuteriels et ne subissent aucun changement crsquoest dans le but de manifester la

perfection (encore plus haute que celle du ciel) des ecirctres de lagrave-bas

312 La continuiteacute du sujet en faveur des reacutealiteacutes ceacutelestes

Mais nous lrsquoavons dit il existe de maniegravere geacuteneacuterale deux eacutecoles pour lrsquointerpreacutetation

du τἀκεῖ La premiegravere deacutefend lrsquoideacutee qursquoil srsquoagit lagrave drsquoune reacutefeacuterence agrave des ecirctres transcendant le

ciel la seconde deacutefend lrsquoideacutee qursquoil est question des ecirctres ceacutelestes Nous avons alors vu que

Dumoulin deacutefend la theacuteorie selon laquelle il existe un changement de sujet dans

lrsquoargumentation du De Caelo I 9 Cela lui permet de deacutefendre lrsquoideacutee qursquoil srsquoagit drsquoune

reacutefeacuterence agrave un ou des ecirctres transcendants Il srsquoagit donc maintenant de montrer comment

certains auteurs et plus particuliegraverement Moraux deacutefendent lrsquoideacutee contraire Comment srsquoy

prend Moraux pour deacutefendre la theacuteorie drsquoune reacutefeacuterence astrale en critiquant lrsquoideacutee que la

position contraire a des conseacutequences tregraves dures sur lrsquoargumentation du texte

Avant de nous inteacuteresser agrave la critique que Moraux formule envers ceux qui deacutefendent

lrsquoideacutee drsquoune reacutefeacuterence agrave des ecirctres transcendants nous allons nous inteacuteresser agrave la faccedilon dont le

texte a eacuteteacute traduit par Moraux et qui rend compte de la maniegravere dont il lrsquointerpregravete31

Il nrsquoest point de changement pour aucun des ecirctres disposeacutes sur la translation la plusexteacuterieurehellip

31 Aristote Du ciel1965 p37 Il srsquoagit de la traduction de Moraux et nous nous inteacuteressons plus particuliegraverement agrave lrsquointroduction de cette œuvre par ce dernier

50

Nous pouvons la distinguer de la traduction de Dalimier et Pellegrin En effet si le grec ὑπέρ

est traduit par ces derniers par laquo au-dessus de raquo Moraux lui le traduit par laquo sur raquo Il affirme

alors ici que le texte fait reacutefeacuterence agrave quelque chose qui se situe sur la translation la plus

exteacuterieure et non au-delagrave ce qui change radicalement la vision que nous avons du texte Nous

affirmions plus haut par le biais de Dumoulin qursquoil existait un changement de sujet dans le

passage 279a18-b3 En effet au deacutebut ce dont il est question dans le texte est des ecirctres qui se

trouvent laquo au-dessus de la translation la plus exteacuterieure raquo et agrave la fin il porte sur lrsquoeacuteterniteacute du

mouvement circulaire Mais si nous traduisons la preacuteposition ὑπέρ par laquo sur raquo plutocirct que laquo au-

dessus raquo alors il nrsquoy a plus drsquoideacutee de discontinuiteacute et le passage du deacutebut agrave la fin porte sur

des ecirctres ceacutelestes Toutefois Fabienne Baghdassarian souligne qursquoil est le seul agrave traduire le

texte ainsi et que mecircme Alexandre qui deacutefendait lrsquoideacutee drsquoune reacutefeacuterence astrale comprend le

texte comme portant sur quelque chose qui est au-delagrave drsquoun mouvement La raison pour

laquelle Moraux traduit le texte de cette maniegravere est justifieacutee par lrsquoutilisation de ὑπέρ dans le

De Caelo en effet cette proposition ne sert pas agrave justifier ce qui se trouve au-delagrave de quelque

chose Pour manifester cette ideacutee Aristote utilise plutocirct ἔξω En mecircme temps Fabienne

Baghdassarian lui objecte la chose suivante

La preacuteposition ὑπέρ lorsqursquoelle est employeacutee avec lrsquoaccusatif deacutesigne ce qui est au-dessus de quelque chose et non pas ce qui est sur lui En outre chacune des occurrencesde cette preacuteposition dans le DC qursquoelle srsquoaccompagne de lrsquoaccusatif ou mecircme du geacutenitifsert constamment agrave deacutesigner ce qui est au-dessus drsquoun point de reacutefeacuterence Enfin crsquoesttoujours la preacuteposition ἐν et non pas ὑπέρ qui sert agrave deacutesigner les corps qui sont fixeacutes sur

lrsquoorbite 32

Nous observons alors diffeacuterents arguments ceux qui portent sur des questions de grammaire

et ceux qui portent sur des questions de terminologie Mecircme si ὑπέρ nrsquoest pas neacutecessairement

utiliseacutee pour parler de ce qui se trouve au-delagrave drsquoune chose son utilisation accompagneacutee de

lrsquoaccusatif ( φοράν) fait reacutefeacuterence agrave ce qui est au-dessus drsquoune chose et non pas agrave ce qui est

sur une chose Il srsquoagit alors drsquoun problegraveme de grammaire et de traduction Fabienne

Baghdassarian soutiendrait-elle lrsquoideacutee drsquoune erreur dans la traduction de Moraux Pour ce qui

est de la question terminologique Fabienne Baghdassarian affirme que pour deacutesigner ce qui

est sur les sphegraveres Aristote utilise la preacuteposition ἐν et non la preacuteposition ὑπέρ

32 Baghdassarian F opcit 2011 p188

51

Revenons agrave lrsquoideacutee que deacutefend Moraux Puisqursquoil traduit le passage en affirmant que le

τἀκεῖ se trouve sur la translation la plus exteacuterieure et non pas au-delagrave il affirme par

conseacutequent que le passage traite entiegraverement des ecirctres ceacutelestes et plus preacuteciseacutement de ceux

qui se trouvent sur la sphegravere des fixes Il ne rencontre donc pas le problegraveme de la discontinuiteacute

de lrsquoobjet de ce passage Il affirme cependant que De Caelo I 9 est remarquable du fait que

trois parties se distinguent

Le second panneau du diptyque relatif agrave lrsquouniciteacute du monde est tout agrave fait remarquable (chap9) Lrsquoexamen du style et du contenu philosophique permet drsquoy distinguer trois parties qui ont probablement eacuteteacute reacutedigeacutees agrave des eacutepoques diffeacuterentes Reacutefeacuterence

La premiegravere partie de cet exposeacute est assimileacutee agrave Meacutetaphysique Ζ du fait qursquoelle porte

sur la matiegravere et la forme en utilisant les mecircmes arguments et les mecircmes exemples Aristote

affiche un style tregraves rigoureux proche de celui de Meacutetaphysique Z Cela est eacutetonnant dans la

mesure ougrave la Meacutetaphysique est une œuvre qui serait relativement tardive Il suppose donc que

le passage du De Caelo I 9 qui srsquoeacutetend de 277b33 agrave 278a9 a eacuteteacute eacutecrit agrave la mecircme eacutepoque que

Meacutetaphysique Z

Quant agrave la deuxiegraveme partie qui srsquoeacutetendrait de 278b10 agrave 279a18 elle serait plus propre

au style qursquoarbore Aristote dans le De Caelo dans la mesure ougrave les arguments utiliseacutes seraient

ceux qui portent sur les milieux naturels et servirait agrave conclure lrsquoargumentation geacuteneacuterale du

chapitre

La suite de 279a18 agrave 279b3 qui est la partie dans laquelle apparaicirct le τἀκεῖ serait

alors pour Moraux une sorte drsquoenvoleacutee lyrique quasiment poeacutetique qui serait le propre des

dialogues aristoteacuteliciens Ce passage serait alors exclu de lrsquoargumentation et nrsquoapporterait

donc rien agrave celle-ci Toutefois comme le fait Dumoulin nous lrsquoavons vu Moraux semble

enteacuteriner lrsquoideacutee majoritairement valideacutee selon laquelle ce passage serait un extrait du De

Philosophia bien qursquoil nrsquoaffirme pas comme Dumoulin que le texte soit une reacutefeacuterence agrave des

ecirctres se situant au-delagrave du ciel Moraux affirme que cet extrait a eacuteteacute ajouteacute agrave ce passage pour

adoucir un exposeacute complexe sur la matiegravere et la forme Mais si tous les interpregravetes ou

presque admettent que ce passage soit issu du DP ils ne lrsquointerpregravetent pas tous de la mecircme

maniegravere

52

Les uns pensent qursquoAristote y ceacutelegravebre la sphegravere des fixes qursquoil tenait alors pour le dieusuprecircme Drsquoautres preacutetendent au contraire qursquoil parle drsquoentiteacutes divines transcendantes aumonde peut-ecirctre identiques aux fameuses laquo intelligences raquo des sphegraveres Pour deacutefendreleur exeacutegegravese ces derniers sont contraints drsquoadmettre la preacutesence drsquoune anacolutheextrecircmement dure et certains drsquoentre eux vont mecircme jusqursquoagrave modifier le textetraditionnel mais le souci drsquoeacuteleacutegance stylistique qui se manifeste dans tout le passagerend bien improbable lrsquohypothegravese drsquoune pareille neacutegligence 33

Moraux rappelle briegravevement les deux interpreacutetations qui srsquoopposent agrave la suite de quoi

il critique celle qui soutient que le passage fait reacutefeacuterence agrave des ecirctres transcendants Il fait

reposer sa critique sur deux arguments ceux qui soutiennent que ce passage porte sur des

ecirctres transcendants sont contraints de modifier le texte original dans lrsquointeacuterecirct de leur theacuteorie

Moraux fait ici reacutefeacuterence agrave Simplicius qui dans son commentaire remplace κινεῖται (en

279b1) par κινεῖ afin drsquoaccorder aux τἀκεῖ la puissance de mouvoir le ciel de maniegravere

circulaire en raison de lrsquoeacuteleacutement qui les compose lrsquoeacutether Mais le texte traditionnel ne fait pas

mention drsquoune quelconque fonction motrice du τἀκεῖ crsquoest pourquoi Moraux nrsquoaccepte pas

cette correction Son second argument repose sur le style de ce passage Celui-ci est fort

poeacutetique eacutevoquant les dialogues aristoteacuteliciens et tregraves travailleacute il semble donc improbable

qursquoAristote ait pu changer de sujet en plein milieu de son discours En effet pour ceux qui

affirment qursquoil y a lagrave une reacutefeacuterence agrave des ecirctres divins transcendant le ciel il faut admettre qursquoil

y a une veacuteritable discontinuiteacute de lrsquoobjet du texte voire une ceacutesure totale Mais le travail

fourni pour produire un texte styliseacute comme celui-ci nous permet de douter qursquoAristote ait eacuteteacute

si neacutegligeant sur lrsquoobjet de ce passage

Tels sont les arguments en faveur de la reacutefeacuterence ceacuteleste que Moraux deacutefend

eacutegalement et qui repose sur lrsquoideacutee qursquoil nrsquoexiste pas de changement de sujet dans ce passage

portant du deacutebut agrave la fin sur les ecirctres qui se trouvent sur la translation la plus exteacuterieure

Ces auteurs sont en deacutebat direct sur la question de lrsquointerpreacutetation de ce passage de

plus leurs arguments reposent sur le mecircme thegraveme qui est celui de la continuiteacute ou la

discontinuiteacute de lrsquoargumentation du De Caelo I 9 Il srsquoagira alors drsquoaborder un autre point

theacutematique en opposant les interpregravetes qui font reposer leurs argumentations sur la question

du lieu dans la philosophie aristoteacutelicienne

33 Moraux opcit 1965 pLXXV

53

32 Le lieu des corps ceacutelestes lrsquoabsence de lieu du τἀκεῖ

321 Lrsquoabsence de lieu en faveur de la reacutefeacuterence ceacuteleste

Le De Caelo I 9 porte tout entier sur la question de lrsquouniciteacute du ciel Nous lrsquoavons

expliqueacute plus haut lorsqursquoune substance formelle est meacutelangeacutee agrave la matiegravere il peut exister

une infiniteacute drsquoecirctres avec une mecircme forme speacutecifique dans la mesure ougrave ce qui est mateacuteriel

peut exister en nombre tregraves grand sinon infini Mais il nrsquoen est pas ainsi pour le ciel puisqursquoil

contient lrsquoensemble de toute la matiegravere et que rien ne peut venir agrave ecirctre en dehors de lui

Aristote aboutit agrave la conclusion selon laquelle il nrsquoy a pas de corps en dehors du ciel donc pas

de temps pas de lieu et pas de vide non plus Nous allons deacutesormais nous inteacuteresser agrave la

question du lieu puisque celui-ci pourrait nous donner une piste de reacuteflexion concernant

lrsquoidentiteacute des ecirctres de lagrave-bas et est un argument que lrsquoon retrouve souvent en faveur ndash ou en

deacutefaveur ndash de la reacutefeacuterence ceacuteleste Lrsquoargument qursquoil srsquoagira de restituer sera celui de Mugnier

au sein drsquoun deacutebat qui porte sur le lieu drsquoune part et drsquoautre part sur le rapport entre la

cosmologie platonicienne et la cosmologie aristoteacutelicienne dans lrsquointeacuterecirct de faire une sorte de

cartographie du problegraveme du De Caelo I 9

Lrsquoœuvre de Mugnier porte sur lrsquoeacutevolution de la penseacutee drsquoAristote Dans un passage

portant sur la jeunesse platonisante drsquoAristote apregraves avoir repeacutereacute des similitudes mais aussi

des diffeacuterentes entre les doctrines platoniciennes et les doctrines aristoteacuteliciennes Mugnier

affirme la chose suivante

Mais si Aristote semble mettre de cocircteacute le Deacutemiurge il ne renonce pas agravelrsquoIntelligence gouvernant le monde et nous lrsquoavons vu il prouve son existence agrave lrsquoaidedrsquoarguments emprunteacutes aux Lois Cette Intelligence ou Dieu qui deviendra plus tard lePremier Moteur immobile est-elle consideacutereacutee par Aristote comme lrsquoacircme du monde Ilest vraisemblable de le penser quoique nous soyons sur ce point reacuteduits aux conjecturesEt maintenant cette Intelligence est-elle devenue un Premier Moteur seacutepareacute du monde ettranscendant ou au contraire immanente agrave lrsquoUnivers En drsquoautres termes Aristote srsquoest-il prononceacute pour un theacuteisme ou pour un immanentisme Crsquoest agrave cette question que nousallons nous forcer de reacutepondre en examinant les principes et les thegraveses du Philosophe34

Nous comprenons immeacutediatement le rapport entre la cosmologie platonicienne que

nous avons deacutecouverte via le Timeacutee et la cosmologie aristoteacutelicienne En effet certains

fondements de la theacuteorie cosmologique aristoteacutelicienne viennent de celle de Platon bien que

34 Mugnier La Theacuteorie du premier moteur et lrsquoeacutevolution de la penseacutee aristoteacutelicienne 1930 p15

54

dans son platonisme Aristote se soit distingueacute de son maicirctre Aristote refusait lrsquoideacutee drsquoun

Deacutemiurge qui dans le Timeacutee est le creacuteateur du monde et drsquoIdeacutees seacutepareacutees qui servent

drsquoexemples agrave la conception du monde Mais il ne refuse pas lrsquoideacutee de lrsquoIntelligence dans les

Lois de Platon qui gouverne le monde et le dirige vers la feacuteliciteacute ou son contraire35 La

question qui se pose alors est celle de savoir si cette Intelligence est divine et transcendante au

ciel ou si elle est immanente au Premier Ciel Que signifie cet immanentisme Crsquoest lrsquoideacutee

selon laquelle le Premier Moteur immobile ou lrsquoIntelligence est lrsquoacircme du Premier Ciel et

celui-ci est son corps de sorte que le Premier Moteur ou lrsquoIntelligence serait de la mecircme

maniegravere que lrsquoacircme humaine est dans le corps humain dans quelque chose le premier ciel

crsquoest-agrave-dire la sphegravere des fixes Reacutepondre agrave la question de la transcendance ou de

lrsquoimmanence permettrait donc de comprendre ce qursquoentend Aristote par laquo takei raquo dans le De

Caelo I 9 et de comprendre les arguments de Mugnier en faveur de telle ideacutee ou telle autre

Pour reacutepondre agrave ce problegraveme Mugnier se reacutefegravere agrave Physique VIII 6 Si lrsquoimmanentisme

suggegravere lrsquoideacutee drsquoune analogie entre lrsquoacircme humainele corps humain et le Premier Moteurle

Premier ciel peut-on comparer lrsquoacircme humaine au Premier Moteur En drsquoautres termes le

Premier Moteur est-il mucirc par accident comme lrsquoest lrsquoacircme humaine Mais que signifie laquo ecirctre

mucirc par accident raquo Telles sont les questions que se pose Mugnier Dans le traiteacute De lrsquoAcircme36

Aristote affirme que lrsquoacircme humaine eacutetait immobile par essence mais en mouvement par

accident du fait de son lien avec le corps Puisque le corps se deacuteplace lrsquoacircme qui est dans le

corps est deacuteplaceacutee et est donc en mouvement par le corps et non par elle-mecircme crsquoest en ce

sens que lrsquoon dit qursquoelle est mue par accident Mugnier se demande alors ce qursquoil en est du

Premier moteur acircme du Premier ciel Srsquoil met en mouvement le Premier ciel est-il mucirc

eacutegalement par accident Comment ne pourrait-il pas ecirctre emporteacute par le mouvement de son

corps Mugnier tente de reacutepondre agrave ces questions dans le but de montrer que le Premier

Moteur ne peut pas ecirctre emporteacute par le mouvement de son corps le Premier Ciel dans la

mesure ougrave celui-ci nrsquoa pas de changement local eacutetant donneacute qursquoil nrsquoest pas dans un lieu

Le souci que pose la theacuteorie du mouvement par accident de lrsquoacircme du Premier Ciel est

que quelque chose de mucirc par accident ne saurait donner agrave une autre chose un mouvement

Pour comprendre cette ideacutee il faut comprendre quel est le mouvement de lrsquoacircme humaine pour

Mugnier si elle est transporteacutee quelque part par accident elle cherchera agrave rejoindre son

milieu naturel et imposera donc un mouvement au corps qursquoelle habite pour le faire se

mouvoir vers un milieu particulier qui est le sien Mais ce mouvement lagrave nrsquoest pas eacuteternel

35 PLATON Lois 2003 897a Traduction par A Diegraves36 ARISTOTE De lrsquoAcircme 2005 406b25 Traduction par P Thillet

55

puisqursquoil se termine une fois le lieu atteint Pour qursquoil y ait un mouvement eacuteternel il faut donc

une acircme motrice qui soit toujours elle-mecircme et dans son propre lieu sinon elle imposera un

mouvement agrave son corps qui ne durera que le temps de retourner dans le lieu qui lui est propre

Aristote affirme lui-mecircme lrsquoimmobiliteacute du Premier Moteur

Drsquoapregraves cela on pourra se convaincre que si quelque chose fait partie des moteursimmobiles mais eux-mecircmes mus par accident il est impossible qursquoil meuve drsquounmouvement continu De sorte que srsquoil est neacutecessaire que le mouvement existecontinucircment il faut qursquoil existe un premier moteur non mucirc mecircme par accident37

Le Premier Moteur est donc neacutecessairement immobile sinon il ne pourrait pas ecirctre la

cause drsquoun mouvement eacuteternel Il srsquoagit alors de se demander comment il est possible que le

Premier Moteur acircme du Premier Ciel ne soit pas ecirctre mucirc par accident La condition

neacutecessaire au mouvement accidentel du Premier Moteur est que le Premier Ciel soit mucirc Or il

nrsquoexiste rien en dehors du ciel pas mecircme un lieu comme nous lrsquoavons vu dans la partie 0

Mais tout ce qui est en mouvement lrsquoest neacutecessairement dans un lieu pour Aristote crsquoest

pourquoi il nrsquoest pas rationnel de parler de mouvement pour un corps qui nrsquoest pas dans un

lieu La question agrave laquelle nous arrivons est celle de savoir si nous pouvons parler de

deacuteplacement pour le Premier Ciel Se demander si le Premier Ciel se deacuteplace revient donc agrave se

demander si le Premier Ciel est dans un lieu (ἐν τόπῳ)

Nous avons vu dans le De Caelo I 9 que le lieu eacutetait lrsquoendroit ou il eacutetait possible qursquoil

existe quelque chose ce qui nrsquoest pas le cas pour lrsquoexteacuterieur du ciel De plus le lieu est la

limite du corps englobant38 mais il nrsquoy a rien en dehors du ciel donc rien pour lrsquoenglober

Mugnier arrive assez rapidement agrave la conclusion qursquoil nrsquoexiste pas de lieu en dehors du ciel et

surtout que la sphegravere des fixes nrsquoest dans aucun lieu La question du lieu est primordiale dans

lrsquoideacutee du mouvement puisque lrsquoon juge qursquoune chose est en mouvement par rapport agrave un lieu

selon Aristote nous jugeons qursquoune chose se deacuteplace en la regardant par rapport agrave un autre

point de repegravere qui se trouve agrave lrsquoexteacuterieur de ce qui est en deacuteplacement Une chose peut aussi

ecirctre dite dans un lieu lorsqursquoelle est entoureacutee drsquoautres corps En cela nous pouvons dire que le

Premier Ciel nrsquoest pas dans un lieu mais les astres qui srsquoy trouvent sont dans un lieu formeacute

par les autres astres qui les entourent Mugnier donne alors lrsquoexemple suivant

37 ARISTOTE Physique VIII 6 259b20-26 Traduction par Pellegrin 38 ARISTOTE Physique IV 4 211b13

56

Voici une boule qui roule sur la terre elle se deacuteplace crsquoest-agrave-dire qursquoelle occupesuccessivement diffeacuterents lieux Et si nous pouvons dire qursquoelle est animeacutee drsquounmouvement de transport crsquoest parce qursquoil nous est loisible de choisir en dehors drsquoelle uncorps un point de repegravere crsquoest-agrave-dire quelque chose par rapport agrave quoi elle se deacuteplace

Le lieu se dessine en quelque sorte par ce qui lrsquoentoure Si on imagine cette mecircme

boule mais eacutetant entoureacutee par rien on ne peut pas dire qursquoelle est dans un lieu par contre on

peut dire drsquoelle qursquoelle constitue tout lrsquoespace dans la mesure ougrave elle est la seule chose qui

soit Mais du fait qursquoelle nrsquoest pas dans un lieu puisque rien ne lrsquoentoure elle ne peut se

deacuteplacer par rapport agrave rien ni par rapport agrave elle-mecircme Parce que cette boule serait tout ce

qursquoil y a elle ne peut pas se deacuteplacer en masse dans rien crsquoest-agrave-dire dans ou vers aucun lieu

et par rapport agrave rien Donc un corps qui nrsquoest enveloppeacute par rien nrsquoest pas dans un lieu et un

corps qui nrsquoest pas dans un lieu ne peut pas se deacuteplacer Tout cela nous ramegravene alors agrave la

question de savoir srsquoil existe quelque chose en dehors du Premier Ciel

Dans le De Caelo I 9 Aristote affirme qursquoil nrsquoexiste aucun corps en dehors du ciel

car si un corps existait lagrave-bas il serait soit simple soit composeacute Mais en vertu de la theacuteorie

aristoteacutelicienne des lieux et du mouvement il ne pourrait pas y avoir de corps simple en

dehors du ciel puisque le milieu naturel des corps simples se trouve dans le ciel Et aucun des

corps simples ne pourrait srsquoy trouver de maniegravere contre nature dans la mesure ougrave cela

signifierait que ce serait le lieu naturel drsquoun autre corps mais cela est impossible Il nrsquoy a pas

non plus de corps composeacutes en dehors du ciel car la preacutesence drsquoun corps composeacute impose la

preacutesence drsquoun corps simple et il ne peut pas y avoir de corps simples en dehors du ciel Mais

puisqursquoil nrsquoy a pas de corps il nrsquoy a pas de lieu nous dit Aristote car le lieu est ce en quoi il

peut y avoir un corps Il nrsquoy a pas non plus de temps car le temps est le nombre du

mouvement or le mouvement est une proprieacuteteacute des corps et il nrsquoy a pas de corps en dehors du

ciel donc pas de mouvement En vertu de toutes ces choses que nous avions vues mais que

nous avons rappeleacutees briegravevement Mugnier conclut deux choses il nrsquoexiste ni corps ni

temps ni lieu en dehors du ciel drsquoune part et il est eacutetrange de parler du Premier Ciel comme

un corps qui se deacuteplace puisqursquoil nrsquoest dans aucun lieu La conseacutequence de cela est simple et

reacutepond clairement agrave la question de deacutepart qui eacutetait celle de savoir comment le Premier Moteur

ne pouvait pas ecirctre mucirc par accident par le mouvement du Premier Ciel Puisque le Premier

Ciel nrsquoest pas dans un lieu il est absurde de parler de mouvement Ainsi nous pouvons

affirmer que le Premier Ciel ne se deacuteplace pas et donc ne peut pas entraicircner son acircme crsquoest-agrave-

dire le Premier Moteur dans un mouvement accidentel

57

Mais selon Mugnier Aristote affirme qursquoil existe un mouvement propre au Premier

Ciel il nrsquoest pas parfaitement immobile En effet la circonfeacuterence derniegravere du ciel se meut de

maniegravere circulaire mais nous avons dit que le Premier Ciel ne se deacuteplaccedilait pas ce qui semble

agrave premiegravere vue contradictoire En fait le ciel tourne sur lui-mecircme mais ne se deacuteplace pas vers

un autre endroit Il ne change pas de laquo place raquo On notera la difficulteacute de deacutecrire un

mouvement sans faire reacutefeacuterence agrave un lieu dans la mesure ougrave il nrsquoy a aucun lieu dans lequel se

trouve le ciel

Et le seul fait que la derniegravere sphegravere nrsquoest enveloppeacutee par aucun corps et qursquoil nrsquoy a paspar suite drsquoespace en dehors drsquoelle explique pour le dire en passant un passage fortobscur du De Caelo ougrave Aristote parle de choses qui sont situeacutees au-dessus de lrsquoextrecircmereacutevolution des astres [hellip] Mais que sont-elles Ougrave se trouvent-elles Des reacuteponsesdiffeacuterentes ont eacuteteacute donneacutees39

Mugnier en vient agrave traiter de la question du τἀκεῖ au sein drsquoune reacuteflexion sur le

mouvement du Premier Ciel ou plutocirct sur la possibiliteacute du mouvement du Premier Ciel en

raison de la preacutesence ou non drsquoun lieu dans lequel il serait englobeacute Aristote a montreacute qursquoil nrsquoy

avait pas de corps pas de lieu et pas de temps en dehors du ciel Cependant Mugnier note

qursquoAristote emploie un vocabulaire spatial pour deacutecrire les ecirctres qui se situent au-dessus de la

translation la plus exteacuterieure en effet Aristote les deacutecrit comme les ecirctres de laquo lagrave-bas raquo

(τἀκεῖ) ce qui semble directement renvoyer agrave un lieu et nrsquoa de sens que si le τἀκεῖ se trouve

dans un lieu Mais dans la mesure ougrave il nrsquoexiste pas de lieu en dehors du ciel Mugnier en

conclut que le τἀκεῖ fait reacutefeacuterence agrave quelque chose qui se situe dans le ciel et non agrave lrsquoexteacuterieur

de celui-ci Car seul ce qui est dans un lieu peut ecirctre deacutesigneacute comme eacutetant laquo lagrave-bas raquo crsquoest-agrave-

dire dans un lieu Nous pouvons de maniegravere plus preacutecise conclure de lrsquoargumentation

geacuteneacuterale de Mugnier qursquoil ne pense pas que le τἀκεῖ puisse faire reacutefeacuterence agrave la sphegravere des

fixes dans sa totaliteacute dans la mesure ougrave le tout qursquoelle est nrsquoest pas dans un lieu En revanche

ses parties crsquoest-agrave-dire les astres qui srsquoy trouvent sont dans un lieu les unes par rapport aux

autres et sont englobeacutees par la sphegravere des fixes Le τἀκεῖ semblerait alors pouvoir ecirctre une

reacutefeacuterence aux astres divins qui sont sur la sphegravere la plus eacuteloigneacutee du centre et non agrave la sphegravere

des fixes dans sa totaliteacute et encore moins un ecirctre qui lui serait transcendant Il srsquoagit alors

drsquoune conception meacutetaphorique du lieu utiliseacutee par Aristote puisque le terme laquo lieu raquo ne

renvoie pas reacuteellement agrave un lieu dans le cas preacutesent Toutefois Mugnier ne rend pas compte

de lrsquoutilisation du terme huper puisqursquoil nrsquoaffirme pas que cette expression renvoie a un au-

39 Mugnier opcit 1930 p77

58

dessus meacutetaphorique eacutegalement crsquoest-agrave-dire un au-dessus qui ne serait pas veacuteritablement hors

du ciel

322 Lrsquoabsence de lieu comme caracteacuteristique drsquoun ecirctre transcendant le ciel

Solmsen40 affirme sur la question du lieu comme justification de la transcendance ou

de lrsquoimmanence du τἀκεῖ que le τἀκεῖ est une reacutefeacuterence agrave un ecirctre transcendant du fait que

lrsquoabsence de lieu devient une caracteacuteristique de ce qui nrsquoa pas de lieu Mais comment en

arrive t-il agrave deacutefendre cette thegravese sans tomber dans le problegraveme de la description drsquoun ecirctre sans

lieu qui serait pourtant lagrave-bas crsquoest-agrave-dire quelque part Pour comprendre ce problegraveme

Solmsen se tourne vers la cosmologie platonicienne dans la mesure ougrave il traite explicitement

dans le Phegravedre drsquoun au-delagrave du ciel Mais quel est le rapport entre Platon et Aristote sur cette

question Solmsen srsquoexprime sur le τἀκεῖ dans un contexte historique Il cherche en quelque

sorte le fondement philosophique de la conception de lrsquoau-delagrave du ciel Crsquoest pourquoi

Solmsen en vient agrave parler de Platon qui affirme la chose suivante

Chaque fois qursquoils se rendent agrave un festin crsquoest-agrave-dire agrave un banquet ils se mettent agrave montervers la voucircte qui constitue la limite inteacuterieure du ciel [hellip] Crsquoest lagrave sache-le bien quelrsquoeacutepreuve et le combat suprecircmes attendent lrsquoacircme En effet lorsqursquoelles ont atteint la voucirctedu ciel ces acircmes qursquoon dit immortelles passent agrave lrsquoexteacuterieur srsquoeacutetablissent sur le dos duciel se laissent emporter par leur reacutevolution circulaire et contemplent les reacutealiteacutes qui se

trouvent hors du ciel41

Platon dans le Phegravedre affirme donc qursquoil existe quelque chose en dehors du ciel les

reacutealiteacutes Ces choses reacuteelles sont une reacutefeacuterence directe aux Formes intelligibles et seacutepareacutees

Toutefois nous pouvons noter que ce passage revecirct lrsquoapparence du mythe poeacutetique et non pas

drsquoune argumentation philosophique ce qui nous amegravene agrave nous poser la question de la veacuteriteacute

du propos tenu par Platon Celui-ci dans la continuiteacute de cet extrait affirme prononcer la

veacuteriteacute au sujet de lrsquounique chose qui soit veacuteritablement les Formes Nous savons par la

lecture de la Reacutepublique par exemple que les concepts de veacuteriteacute et de mythe chez Platon

sont geacuteneacuteralement opposeacutes pourquoi utilise-t-il alors un mythe pour parler drsquoune chose qui

soit lrsquoune des veacuteriteacutes Il semblerait pour Solmsen que cette question se soit eacutegalement poseacutee

40 Solmsen laquo Beyond the Heavens raquo197641 Phegravedre 2004 247c3 Traduction par L Brisson

59

au sein de lrsquoAcadeacutemie durant cette eacutepoque et nombreux eacutelegraveves ont eacuteteacute drsquoavis que cette notion

drsquoau-delagrave du ciel nrsquoeacutetait pas agrave prendre au seacuterieux du fait que Platon utilisait un mythe pour

srsquoy reacutefeacuterer Toutefois Platon dans ce mecircme passage fait la promesse de dire la veacuteriteacute au sujet

de la veacuteriteacute Le mythe devient alors le moyen le plus approprieacute de parler de ce qui se trouve

hors du ciel

Ce lieu qui se trouve au-dessus du ciel aucun poegravete parmi ceux drsquoici-bas nrsquoa encore chanteacute drsquohymne en son honneur et aucun ne chantera en son honneur un hymne qui en soit digne Or voici ce qui en est car srsquoil se preacutesente une occasion ougrave lrsquoon doive dire la veacuteriteacute crsquoest bien lorsqursquoon parle de la veacuteriteacute42

On note cependant quAristote eacutelegraveve de Platon dans sa jeunesse et malgreacute le fait que

lrsquoau-delagrave du ciel nrsquoait pas eacuteteacute pris pour un veacuteritable sujet drsquoeacutetude agrave lrsquoAcadeacutemie en vient agrave

parler de lrsquoexteacuterieur du ciel Pouvons-nous donc voir agrave travers le Phegravedre lrsquoorigine de certains

passages obscurs drsquoAristote concernant ce mysteacuterieux lieu qui se trouve au-delagrave du ciel

Dans le Phegravedre Platon place les Formes dans un lieu qui serait agrave lrsquoexteacuterieur du ciel

Solmsen note que de nombreux interpregravetes tel que Hackforth affirment que ce nrsquoest pas la

premiegravere fois que Platon attribue un lieu aux Formes intelligibles en effet dans le Timeacutee43 il

en est question eacutegalement Mais Solmsen refuse cette interpreacutetation des textes de Platon en

affirmant qursquoil nrsquoest pas convainquant que Platon fasse reacutefeacuterence agrave un lieu lorsqursquoil parle des

Formes car le lieu est en rapport avec les corps mateacuteriels et les Formes en plus drsquoecirctre

intelligibles sont seacutepareacutees de la matiegravere Il y a certes une laquo ascension raquo de lrsquoacircme qui se dirige

vers une connaissance accessible seulement par lrsquointellect mais ce nrsquoest pas parce qursquoil y a

une ascension au-delagrave du ciel que cet au-delagrave du ciel est lieacute agrave un corps mateacuteriel En effet pour

les Formes il srsquoagit de ce que Platon nomme un νοητὸς τόπος et celui-ci nrsquoest absolument

pas lieacute agrave la matiegravere Crsquoest pourquoi parler de laquo lieu raquo nrsquoest pas veacuteritablement contradictoire

pour parler drsquoun lieu sans matiegravere si lrsquoon preacutecise de quel type de lieu on parle crsquoest-agrave-dire un

lieu intelligible De plus dans le Timeacutee Platon affirme que tous les corps sensibles sont dans

lrsquoespace et dans un lieu Mais de cela nous ne pouvons affirmer que ce qui est propre et

neacutecessaire au corps sensible le soit aussi pour les ecirctres intelligibles et seacutepareacutes de la matiegravere

Dire qursquoaucun corps sensible ne peut ecirctre en dehors drsquoun lieu nrsquoimplique pas que les Formes

platoniciennes doivent ecirctre dans un lieu dans la mesure ougrave elles nrsquoentrent pas dans le domaine

du mateacuteriel et donc dans ses lois Il rejette alors toutes ideacutees drsquoassociation de lieu physique agrave

42 Ibid 247c 43 Timeacutee opcit 30c

60

la forme car cela est incompatible avec sa nature Le problegraveme est que le langage est fait de

telle maniegravere que Platon est limiteacute et ne peut pas deacutesigner ce qui se trouve dans un lieu

intelligible et sans matiegravere autrement que par des mots qui deacutesignent des lieux physiques

Crsquoest pourquoi il se doit drsquoutiliser le mythe Gracircce agrave lrsquoutilisation drsquoun pareil outil nous

pouvons dire qursquoil srsquoagit drsquoun lieu au sens alleacutegorique voire meacutetaphorique Cet outil lui

permet donc deux choses faire les louanges agrave la hauteur (ou plutocirct au plus proche) de la

beauteacute des Formes de maniegravere la plus approprieacutee possible pour ce qui est le plus parfait et

deacutesigner des lieux avec ses outils langagiers qui ne font pas reacutefeacuterence agrave des lieux tels que

nous les connaissons

Mais quel est le rapport avec Aristote Nous lrsquoavons dit Solmsen cherche lrsquoorigine de

certaines theacuteories aristoteacuteliciennes et il srsquoavegravere que certaines theacuteories lui ont eacuteteacute transmises agrave

lrsquoAcadeacutemie via les textes de Platon Mais comment expliquer que lrsquoon retrouve certaines

occurrences dans la philosophie aristoteacutelicienne et platonicienne alors mecircme qursquoil y a

diffeacuterentes opinions parfois opposeacutees sur un mecircme sujet chez Platon En effet srsquoil est

question dans le Phegravedre drsquoun au-delagrave du ciel ou se trouveraient les Formes dans le Timeacutee

Platon affirme qursquoil existe rien qui ne soit pas dans un lieu dans le monde Il faut donc lire les

passages suivants de la Physique44 drsquoAristote en se souvenant de celui du Phegravedre que nous

avons citeacute plus haut dans lrsquointeacuterecirct de comprendre pourquoi Aristote affirmait certaines choses

de la philosophie platonicienne plutocirct que drsquoautres

Le premier passage porte sur le lieu Aristote expose deux points de vue du lieu Dans

un premier temps Aristote affirme que le lieu est la matiegravere puisqursquoil nrsquoest pas simplement la

peacuteripheacuterie de ce qui est enveloppeacute mais aussi lrsquointervalle entre la limite qursquoil est et lrsquoobjet

dont il est le lieu Dans un second temps le lieu est lui-mecircme englobeacute car sa surface deacutelimite

le lieu occupeacute en ce sens le lieu est compris comme une matiegravere Quant au second passage il

porte sur lrsquoinfini Il distingue deux conceptions de lrsquoinfini les pythagoriciens pensent que

lrsquoinfini est propre agrave ce qui se situe hors du ciel alors que Platon affirme dans le Timeacutee qursquoil

nrsquoy a rien en dehors du ciel pas mecircme les Formes puisque celles-ci ne sont pas quelque part

Pourquoi Aristote affirmait que le lieu eacutetait ce que nous venons de deacutecrire et affirmait que

Platon refusait drsquoassocier lrsquoau-delagrave du ciel aux Formes alors mecircme que dans le Phegravedre il les

situe dans cet au-delagrave Solmsen formule trois hypothegraveses pour reacutepondre agrave ce problegraveme

44 Physique IV 2 209b11-16 et Physique III 4 203a1

61

1) Aristotle may not have read the mythical section of the laquo Phaedrus raquo Despite thereference to this section in Rhetoric III 7 1408b20 where it serves as an example ofpoetic style45

Mais cette hypothegraveses proposeacutee par Solmsen est directement critiqueacutee par lui En effet

cette theacuteorie selon laquelle Aristote nrsquoavait pas lu ce passage du Phegravedre bien qursquoelle ne soit

pas impossible est peu probable dans la mesure ougrave drsquoune part il y a une reacutefeacuterence agrave cette

œuvre dans la Rheacutetorique drsquoAristote et drsquoautre part il y a un trop gros rapprochement entre le

systegraveme rheacutetorique qursquoemploie Aristote dans son œuvre et celui qursquoemploie Platon pour parler

de ce qui est au-delagrave du ciel De plus cette theacuteorie supposerait que lrsquoon accepte qursquoAristote

avait la meacutemoire courte et qursquoil avait totalement oublieacute un passage entier du mythe du Phegravedre

2) Aristotle may have known but discounted the ὑπερουράνιος τόπος because for him asfor modern interpreters of the lsquoPhaedrusrsquo its presence in a myth ndash and in a myth whichunlike the myth of the lsquoTimaeusrsquo did not embody a cosmology ndash deprived the idea ofphilosophical significance46

Cette hypothegravese formuleacutee par Solmsen serait qursquoAristote avait lu cette œuvre mais

reacuteduit lrsquoimportance de lrsquoau-delagrave du ciel dans la mesure ougrave ce lieu apparaissait dans un mythe

Solmsen affirme que si cette hypothegravese est la vraie cela signifie qursquoAristote a volontairement

occulteacute la promesse de Platon de dire la veacuteriteacute concernant les Formes Une autre raison plus

leacutegitime serait de penser que le Timeacutee a eacuteteacute eacutecrit apregraves le Phegravedre et qursquoAristote le sachant

aurait consideacutereacute le Timeacutee comme une correction de certaines theacuteories platoniciennes passeacutees

De cette maniegravere le discours sur la localisation des Formes platoniciennes serait nul et non

avenu

3) At the time when Aristotle put down the passages in Physics III and IV he could notknow the lsquoPhaedrusrsquo because it had not yet been written or if written not yet beenpublished47

Quant agrave cette troisiegraveme hypothegravese elle repose sur la question de la date et lrsquoordre de

publication des dialogues platoniciens Le problegraveme est que nous nrsquoavons pas de sources

45 Solmsen opcit 1976 p2846 Ibid p2847 Ibid p28

62

suffisantes pour asseoir cette theacuteorie De plus dans lrsquohistoire de lrsquoeacutetude des dialogues

platoniciens le Phegravedre est celui qui a le plus de fois changeacute de place sur la liste chronologique

des dialogues platoniciens crsquoest dire agrave quel point nous nrsquoavons pas de connaissances certaines

et veacuteritables agrave ce sujet

La seconde hypothegravese selon Solmsen a plus de chance de seacuteduire les interpregravetes

classiques Mais avant de srsquoexprimer sur la question Solmsen nous renvoie au texte

drsquoAristote tireacute du De Caelo I 9 279a18-23 Solmsen affirme que en vertu des positions

philosophiques drsquoAristote il ne peut pas faire reacutefeacuterence aux Formes platoniciennes qui pour

lui nrsquoexistent pas Crsquoest pourquoi la seule possibiliteacute quant agrave la reacutefeacuterence de ce qui se trouve

lagrave-bas est pour Solmsen les diviniteacutes Il semble alors qursquoil y ait une intersection entre la

theacuteorie platonicienne eacutenonceacutee dans le Phegravedre et la theacuteorie aristoteacutelicienne du De Caelo dans la

mesure ougrave Platon affirme que les diviniteacutes passent au-delagrave de la derniegravere extreacutemiteacute pour

contempler les Formes Cela signifie qursquoil nrsquoy a pas que des Formes au-delagrave du ciel mais

eacutegalement des diviniteacutes Beaucoup drsquointerpregravetes ont eacuteteacute tenteacutes de comprendre ce texte comme

eacutetant une reacutefeacuterence aux premiers moteurs immobiles Toutefois Solmsen soutient qursquoil ne

peut srsquoagir de diviniteacutes ayant une fonction motrice dans la mesure ougrave Aristote affirme agrave la fin

de ce chapitre qursquoil nrsquoy a rien de plus fort que le corps qui a un mouvement circulaire et que

rien ne peut le deacuteplacer Les diviniteacutes nrsquoont donc pas agrave avoir une fonction motrice car le

mouvement circulaire srsquoexplique par la nature mecircme du cinquiegraveme eacuteleacutement qursquoest lrsquoeacutether

Solmsen affirme que crsquoest un passage choquant car on a le sentiment qursquoAristote est sur le

point drsquoaboutir agrave lrsquoideacutee qursquoil nrsquoy a rien en dehors du ciel en raison du fait que tout est compris

dans le ciel Il souligne que pour Platon crsquoest une theacuteorie theacuteologique alors que pour Aristote

crsquoest une theacuteorie scientifique (due agrave sa theacuteorie des corps des milieux et des mouvements)

Mais les lois physiques ne srsquoeacutetendent pas agrave ce qui est incorporel Les dieux sont au-dessus des

lois physiques et aucun argument utiliseacute dans le DC ne refuserait aux dieux une place au-

dessus du ciel Tels sont les arguments de Solmsen en faveur de la nature transcendante du

takei Mais quel est le rapport avec les 3 hypothegraveses preacutesenteacutees plus haut Elle rend

impossible et peu probable la premiegravere selon laquelle Aristote nrsquoavait pas lu cette partie du

Phegravedre et la derniegravere selon laquelle le Phegravedre nrsquoavait pas eacuteteacute eacutecrit en vertu du fait qursquoil

semble y avoir une intersection entre Aristote et Platon qui srsquoexplique par une lecture du

Phegravedre par Aristote La deuxiegraveme explication semble donc plus pertinente Aristote pouvait

consideacuterer le Timeacutee comme une base pour les hypothegraveses suggeacuterant un laquo lieu raquo pour les

formes (car tout est dans un lieu pour Platon dans le Timeacutee) mais il est possible qursquoAristote

63

ait associeacute ses diviniteacutes agrave cet au-delagrave du ciel qui nrsquoest pas un lieu Bien sucircr Aristote a revisiteacute

cette conception de lrsquoau- delagrave du ciel en supprimant les formes platoniciennes qui sont

regardeacutees par les diviniteacutes Il y a une diffeacuterence entre le laquo lieu raquo meacutetaphorique au-delagrave du ciel

de Platon et celui drsquoAristote Nous avons vu qursquoen dehors du ciel il nrsquoy avait rien et que le

τἀκεῖ nrsquoeacutetait dans aucun lieu Donc philosophiquement on peut penser a une reacutealiteacute eacuteternelle

et immateacuterielle qui se trouve au-delagrave du ciel

Le geste de Platon et Aristote nrsquoest pas le mecircme affirme Solmsen Platon dans le

mythe du Phegravedre prend les formes impassibles et inalteacuterables au-dessus du ciel pour acquises

dans la mesure ougrave lrsquoexistence de ces formes a eacuteteacute eacutetablis dans drsquoautres dialogues Il attribue

simplement la veacuteriteacute agrave ce lieu en le deacutesignant comme la laquo plaine de la veacuteriteacute raquo alors

quAristote en deacutecouvrant gracircce agrave sa theacuteorie des milieux un laquo environnement raquo qui exclut le

lieu le vide la matiegravere et le temps utilise cet environnement pour deacutefinir la nature de ses

diviniteacutes parce qursquoelles nrsquoont pas de corps pas de temps et pas de lieu elles sont

inchangeables et eacuteternelles Nous avons alors une conception du divin qui coiumlncide avec celle

de la Meacutetaphysique et de la Physique bien qursquoil ne soit pas question drsquoune diviniteacute motrice

Nous pouvons alors faire un lien pertinent entre la philosophie platonicienne et la philosophie

aristoteacutelicienne tout en les faisant cohabiter sans se contredire Le geste de Solmsen permet

alors de faire pencher la balance et drsquoajouter un argument en plus agrave la position de la reacutefeacuterence

transcendante concernant le τἀκεῖ

33 Deacutepassement des deux alternatives traditionnelles de lrsquointerpreacutetation du takei

331 Lrsquoeacutether hypercosmique de Peacutepin

Mais les deux interpreacutetation du problegraveme du takei ne font pas totalement lrsquounanimiteacute

Parmi ceux qui pensent en dehors de ce cadre nous trouvons Peacutepin qui a deacuteveloppeacute une

theacuteorie fort originale selon laquelle le takei est une reacutefeacuterence agrave lrsquoeacutether hypercosmique Il

srsquoagira alors de voir quels sont les arguments par rapport agrave ceux que nous avons vu qui

permettent de deacutefendre cette thegravese

Lrsquoarticle de Fabienne Baghdassarian48 nous propose un exposeacute inteacuteressant des

diffeacuterentes thegraveses portant sur lrsquoidentiteacute des ecirctres de lagrave-bas Parmi ces nombreuses thegraveses il y

48 Baghdassarian 2011

64

en a une qui est volontairement mise de cocircteacute et briegravevement introduite dans une note de bas de

page celle de Peacutepin

Nous ne dirons rien de lrsquohypothegravese de Peacutepin 1964 p 161-170 qui soutient que la diviniteacuteen question est lrsquoeacutether hypercosmique Peu drsquoeacuteleacutements en effet sont en faveur de cettethegravese et ce tout particuliegraverement dans le DC J Peacutepin lui-mecircme ne reconnaicirct-il pas qursquoilnrsquoest qursquoun seul texte dans ce traiteacute en faveur de son hypothegravese 49

Ce qui est fort inteacuteressant dans la thegravese de Peacutepin est son originaliteacute En effet si nous

avons vu agrave travers lrsquoarticle de Fabienne Baghdassarian jusqursquoagrave preacutesent que lrsquointerpreacutetation

du τἀκεῖ eacutetait bien souvent binaire et penchait soit en faveur de la transcendance

geacuteneacuteralement associeacutee au Premier Moteur Immobile soit en faveur de la reacutefeacuterence ceacuteleste et

plus particuliegraverement agrave la sphegravere des fixes lrsquointerpreacutetation de Peacutepin est tout autre Il ne srsquoagit

pas pour lui de deacutefendre lrsquoune ou lrsquoautre de ces ideacutees bien au contraire il en expose une toute

nouvelle apregraves avoir argumenteacute en deacutefaveur des theacuteories issues de la tradition de Simplicius

et drsquoAlexandre Selon lui le τἀκεῖ serait une reacutefeacuterence agrave lrsquoeacutether hypercosmique La question

que nous devons nous poser est la suivante comment Peacutepin en arrive agrave cette thegravese nouvelle

Dans un premier temps Peacutepin rappelle une chose importante que Fabienne

Baghdassarian rappelle eacutegalement

Certains passages du De Caelo drsquoAristote donnent agrave entendre que la diviniteacute serait au-delagrave de lrsquounivers[hellip] Il srsquoagit essentiellement de I 9 279a11-b350

A la lecture de cette premiegravere phrase nous sommes en droit de nous poser la question

que Fabienne Baghdassarian posait dans son article il existe fort peu de textes drsquoAristote au

sujet de reacutealiteacutes transcendantes agrave lrsquoordre ceacuteleste et De Caelo I 9 serait-il lrsquoun de ceux-lagrave

Peacutepin en semble convaincu dans la mesure ougrave il dit qursquoAristote affirme lrsquoexistence drsquoecirctres qui

se situent au-delagrave du mouvement de translation le plus exteacuterieur A ce propos Peacutepin ne

manque pas de citer directement le texte drsquoAristote La situation de ces ecirctres de lagrave-bas est

donc telle qursquoils eacutechappent au temps et au lieu partie A Cette absence de lieu et de temps

implique que ces ecirctres soient inalteacuterables et impassibles selon Aristote De plus de ces ecirctres

deacutependent lrsquoecirctre et la vie crsquoest ce que nous avons vu dans la partie B Finalement rien nrsquoest

49 Baghdassarian 2011 p 20150 Peacutepin Theacuteologie cosmique et Theacuteologie chreacutetienne1964 p161

65

plus parfait que ces ecirctres donc rien ne peut les mouvoir Peacutepin affirme alors qursquoils ont un

mouvement de translation par eux-mecircmes et non par une chose exteacuterieure Peacutepin ne semble

pas faire grand cas du problegraveme de la continuiteacute de lrsquoobjet du texte dans la mesure ougrave il

applique ce qui semblait ecirctre un eacuteloge du corps qui se meut de maniegravere circulaire au τἀκεῖ

Pouvons-nous mettre en cause ce premier geste de lrsquointerpregravete dans la mesure ougrave Aristote

affirme qursquoil nrsquoy a laquo aucun changement pour les ecirctres qui sont disposeacutes au-dessus de la

translation la plus exteacuterieure raquo Quoiqursquoil en soit la perfection qursquoAristote accorde agrave ces

ecirctres semble sans preacuteceacutedent et autorise donc Peacutepin agrave voir en la figure du τἀκεῖ une diviniteacute Il

affirme que les proprieacuteteacutes ndash impassible autarcique immuable ndash qui servent agrave le deacutecrire sont

les mecircmes que celles utiliseacutees pour deacutecrire le divin dans la Meacutetaphysique Λ51 et qursquoen plus de

cela Aristote utilise souvent le terme theios52 pour deacutesigner le τἀκεῖ Montrer que le τἀκεῖ est

drsquoordre divin permettra agrave Peacutepin de deacutefendre sa theacuteorie de lrsquoeacutether hypercosmique mais nous y

reviendrons plus tard

Avant drsquoexposer sa theacuteorie Peacutepin srsquoattaque directement aux deux grandes

interpreacutetations qui dominent celle de Simplicius (suivie par les interpregravetes modernes que

nous avons vus) et celle drsquoAlexandre (qui est eacutegalement deacutefendue par drsquoautres interpregravetes vus

preacuteceacutedemment)

Il note un lien entre la description qursquoen fait Aristote dans le De Caelo I 9 lorsqursquoil

affirme qursquoils sont immuables impassibles et qursquoils jouissent de la plus autarcique des vies

pour toute sa dureacutee et la Meacutetaphysique Λ lorsqursquoil deacutecrit en ces termes le Premier Moteur

Immobile Simplicius voyait dans le τἀκεῖ une reacutefeacuterence au Premier Moteur Immobile agrave tel

point qursquoil a modifieacute le texte original comme le disait Moraux pour faire correspondre la

theacuteorie du Premier Moteur Immobile au τἀκεῖ En effet Simplicius remplace κινεῖται par κινεῖ

dans lrsquointeacuterecirct de donner une fonction motrice au τἀκεῖ comme le Premier Moteur Immobile a

une fonction motrice puisqursquoelle est ce qui met le Premier Ciel en mouvement Fabienne

Baghdassarian tout comme Moraux nrsquoacceptent pas cette modification Moraux affirme

qursquoelle nrsquoest pas envisageable dans la mesure ougrave le texte original ne fait pas mention drsquoune

fonction motrice du τἀκεῖ Quant agrave Fabienne Baghdassarian remarque en se tournant vers la

traduction que si lrsquoon accepte la correction de Simplicius le texte drsquoAristote signifierait que

le τἀκεῖ met en mouvement le Premier Ciel en vertu du fait que lrsquoeacutether se deacuteplace de maniegravere

circulaire ce qui nrsquoest pas coheacuterent avec lrsquoensemble du texte selon elle puisque lrsquoexplication

51 Meacutetaphysique Λ 652 Ibid

66

du mouvement circulaire ducirc agrave la nature de lrsquoeacutether nrsquoa rien agrave voir avec la puissance motrice du

Premier Moteur De nombreux arguments permettent donc de deacutecreacutedibiliser la correction de

Simplicius et ruinent lrsquoideacutee drsquoune reacutefeacuterence au Premier Moteur Immobile du fait de lrsquoabsence

explicite de fonction motrice du τἀκεῖ

Apregraves avoir critiqueacute la theacuteorie de Simplicius Peacutepin srsquoattaque agrave celle drsquoAlexandre

drsquoAphrodise Ce dernier deacutefendait lrsquoideacutee selon laquelle le τἀκεῖ eacutetait une reacutefeacuterence agrave la sphegravere

des fixes En effet il semblerait que la sphegravere des fixes respecte le fait de nrsquoecirctre dans aucun

lieu et aucun temps car rien ne lrsquoenveloppe En effet il nrsquoy a de temps et de lieu que pour ce

qui est enveloppeacute par un corps Alexandre se reacutefegravere alors agrave la Physique IV 553 dans lequel

Aristote affirme que la sphegravere des fixes puisqursquoelle nrsquoest dans aucun lieu est transcendante

au lieu et constitue le lieu du corps dans la continuiteacute de la sphegravere des fixes et dans lequel se

trouvent certaines planegravetes ainsi que le Soleil et la Lune (consideacutereacute comme des planegravetes car

ayant un mouvement irreacutegulier) Alexandre identifie donc le τἀκεῖ comme quelque chose se

trouvant au-dessus drsquoun mouvement crsquoest pourquoi il pense agrave la sphegravere des fixes elle nrsquoest

pas dans un lieu pas dans le temps et elle se trouve au dessus du mouvement rectiligne le plus

haut Cependant Peacutepin ne considegravere pas cette theacuteorie comme acceptable dans la mesure ougrave

Aristote affirme que le τἀκεῖ se situe au-dessus du mouvement de translation le plus exteacuterieur

Le mouvement de translation est le mouvement circulaire et le plus haut et exteacuterieur des

mouvements circulaires est celui de la sphegravere des fixes Le texte mecircme permet alors de

combattre la theacuteorie drsquoAlexandre car le τἀκεῖ se trouve au dessus de la sphegravere des fixes et si

la sphegravere des fixes eacutetait effectivement le τἀκεῖ comment pourrait-elle ecirctre au dessus drsquoelle-

mecircme Cette remarque de Simplicius est reprise par Peacutepin

Il srsquoavegravere que Peacutepin ne croit ni en lrsquohypothegravese de la reacutefeacuterence au Premier Moteur

Immobile ni en celle drsquoune reacutefeacuterence agrave la sphegravere des fixes Crsquoest pourquoi il se tourne vers les

teacutemoignages de doxographies de lrsquoAntiquiteacute et plus preacuteciseacutement celle de Arius Didyme dans

laquelle est attribueacutee agrave Aristote la theacuteorie drsquoun dieu supeacuterieur agrave lrsquoensemble des sphegraveres

ceacutelestes qursquoil enveloppe et tient ensemble un dieu immuable impassible bienheureux et qui

communique son mouvement circulaire agrave lrsquoensemble de lrsquounivers Cette description fait

directement eacutecho au De Caelo I 3 et agrave la conception de lrsquoeacutether Peacutepin pose alors la question

de savoir si la reacutefeacuterence agrave lrsquoeacutether est plus satisfaisante que la reacutefeacuterence agrave la sphegravere des fixes ou

au Premier Moteur Immobile De plus lrsquoeacutether est-il susceptible drsquoeacuteviter les objections

53 Physique IV 5 212b8-20

67

auxquelles se heurte la sphegravere des fixes A savoir que la sphegravere des fixes ne peut pas ecirctre en

dehors de la sphegravere des fixes puisque le τἀκεῖ est dit se situer au dessus du mouvement de

translation le plus exteacuterieur En drsquoautres termes lrsquoeacutether peut-il ecirctre au dessus du mouvement

circulaire de la sphegravere des fixes Peacutepin concegravede lrsquoideacutee que lrsquoeacutether bien qursquoil entre aussi en la

composition des astres concerne en prioriteacute la constitution de la sphegravere des fixes Toutefois

Peacutepin objecte agrave sa propre thegravese que bien que cela soit affirmeacute dans le De Caelo I 3 dans le

passage du De Caelo qui nous inteacuteresse Aristote ne donne aucune autre information agrave ce

sujet

Pour eacutetayer son hypothegravese Peacutepin srsquoappuie sur la Reacutefutation de toutes les heacutereacutesies dans

lequel Hippolyte affirme que lrsquounivers aristoteacutelicien peut se deacutecomposer en trois parties

Le monde selon Aristote est diviseacute en un grand nombre de parties diffeacuterentes Cettepartie-ci du monde qui srsquoeacutetend depuis la terre jusqursquoagrave la lune est sans providence sansdirection et nrsquoobeacuteit qursquoagrave sa propre nature Dans celle qui est apregraves la lune jusqursquoagrave lasurface du ciel regravegnent lrsquoordre la providence et une sage direction Quant agrave cette surface(du ciel) elle est une cinquiegraveme substance eacutetrangegravere agrave tous les eacuteleacutements physiques dontle monde est composeacute et cette cinquiegraveme substance drsquoapregraves Aristote est une sorte desubstance supeacuterieure au monde54

La premiegravere est la partie sublunaire la seconde la partie supralunaire et la troisiegraveme la partie

qui est la surface du ciel eacutetranger agrave tous les eacuteleacutements du monde car constitueacutee par le

cinquiegraveme eacuteleacutement lrsquoeacutether Peacutepin critique les arguments de la theacuteorie drsquoHippolyte en

affirmant qursquoAristote nrsquoa pas retireacute lrsquoeacutether mecircme srsquoil a dit que lrsquoeacutether concernait

principalement la sphegravere des fixes de la constitution du ciel et des astres Il retient toutefois

une notion introduite par Hippolyte pour expliquer la preacutesence du cinquiegraveme eacuteleacutement au-delagrave

de la sphegravere des fixes la notion de ἐπιφάνεɩɑ τοῦ οὐρɑνοῦ Cette notion est employeacutee dans la

philosophie stoiumlcienne pour deacutesigner la surface de la sphegravere unique qursquoenveloppe le ciel et sur

laquelle sont poseacutes les astres De cette maniegravere la surface dont il est question ici est la sphegravere

des fixes aristoteacutelicienne Mais Hippolyte ne se contente pas drsquoidentifier la sphegravere des fixes agrave

cette notion il lrsquointroduit dans le but de deacutecrire la sphegravere des fixes comme un corps eacutepais dont

la surface inteacuterieur est dans le ciel et la surface exteacuterieure constitueacutee drsquoeacutether se trouve hors

du ciel En ce sens nous comprenons comment lrsquoeacutether peut se trouver au-delagrave de la sphegravere des

fixes tout en la constituant Ce qui regravegle la question que Peacutepin posait ci-dessus agrave savoir est-

54 Hippolyte 1928 p102 Traduction par A Siouville

68

ce que le τἀκεῖ identifieacute comme eacutetant lrsquoeacutether eacutevite les objections formuleacutees agrave la sphegravere des

fixes

De plus la doxographie drsquoArius Didyme et celle drsquoHippolyte ne sont pas les seules agrave

preacutesenter un eacutether hypercosmique dans la philosophie aristoteacutelicienne En effet Sextus

Empiricus ainsi que le teacutemoignage anonyme de la Vita Aristotelis rendent compte de la mecircme

ideacutee mais par des arguments diffeacuterents Sextus Empiricus preacutesente Aristote comme ayant une

theacuteologie mateacuterialiste crsquoest-agrave-dire qursquoil comprend que la diviniteacute ne peut pas se trouver hors

du ciel puisqursquoil nrsquoy a rien hors du ciel par conseacutequent elle doit se trouver agrave lrsquointeacuterieur de

celui-ci ce qui nous permet de penser raisonnablement que le τἀκεῖ ne fait pas reacutefeacuterence au

Premier Moteur Immobile mais bien agrave lrsquoeacutether se situant sur la surface exteacuterieure de la sphegravere

des fixes ainsi deacutesigneacute comme hypercosmique

La situation est donc la suivante plusieurs doxographies srsquoaccordent agrave rapporter agraveAristote une theacuteorie de la diviniteacute de lrsquoeacutether hypercosmique mais le seul textearistoteacutelicien apte agrave fonder ces teacutemoignages (qui en retour contribuent agrave lrsquoeacuteclairer)apparaicirct dans le De Caelo crsquoest-agrave-dire dans un traiteacute qui passe a bon droit pour veacutehiculercertaines doctrines anteacuterieures issues des eacutecrits de jeunesse55

Par conseacutequent la deacutemarche de Peacutepin est la suivante il note qursquoil existe une

litteacuterature doxographique dans laquelle il est plusieurs fois fait mention de la theacuteorie drsquoun

eacutether hypercosmique En mecircme temps les textes dans lesquels Aristote en parlait ne sont pas

en notre possession et le seul document qui semble pouvoir manifester de la veacuteraciteacute de ces

reacutefeacuterences est le De Caelo I 9 crsquoest-agrave-dire un eacutecrit connu pour avoir eacuteteacute eacutecrit relativement tocirct

par Aristote Il comprend alors le passage du De Caelo qui nous inteacuteresse au regard de ces

doxographies mais eacutegalement au regard du fragment 26 du De Philosophia qui serait

lrsquoorigine de la formulation premiegravere de la theacuteorie de lrsquoeacutether hypercosmique ou du takei

En effet parfois il attribue tout le divin agrave lrsquoesprit parfois il dit que le monde lui-mecircme estun dieu parfois il soumet le monde et ses parties agrave un autre ltdieugt chargeacute de reacutegler et depreacuteserver le mouvement du monde par un mouvement reacutetrograde puis il dit que lrsquoardeurdu ciel est un dieu ne comprenant pas que le ciel est une partie du monde qursquoailleurs il adeacutesigneacute comme un dieu Mais comment la fameuse perception divine dont est doueacute le cielpourrait-elle se conserver dans un mouvement aussi rapide Et ougrave sont les dieux bienconnus si nous comptons aussi le ciel au nombre des dieux Et quand il veut qursquoun dieunrsquoait pas de corps il le prive de toute perception sensible et mecircme de prudence Et

55 Peacutepin opcit 1964 p169

69

comment le monde pourrait-il se mouvoir alors qursquoil est priveacute de corps et comment srsquoil semeut sans cesse peut-il ecirctre calme et heureux 56

En ce sens selon Peacutepin Jaeger57 avait raison drsquoaffirmer que ce passage du De Caelo

eacutetait une reprise du De Philosophia dans la mesure ougrave le De Caelo compris comme un des

traiteacutes les plus anciens qui soit conserveacute srsquoinspire des theacuteories drsquoeacutecrits non publieacutes ou perdus

tels que le De Philosophia En effet il est question de diviniteacutes qui comme les takei sont

immaterielles De plus il eacutenonce les preacutemisses du mouvement circulaire des ecirctres divins qui

par suite sera le mouvement causeacute par lrsquoeacuteleacutement qui constitue ces ecirctres divins lrsquoeacutether

Lrsquoeacutetude du propos de Peacutepin nous a alors permis de deacuteconstruire les traditionnelles

alternatives de lrsquointerpreacutetation du τἀκεῖ qui penche soit en faveur du Premier Moteur soit en

faveur de la sphegravere des fixes Peacutepin propose une alternative qui bien qursquoelle ne soit pas

souvent accepteacutee a le meacuterite drsquoaffronter les difficulteacutes que pose la lecture de ce texte tout en

respectant le contenu textuel de celui-ci

3 3 2 La theacuteorie des Moteurs Immobiles une variante originale de la reacutefeacuterence au Premier Moteur Immobile

Merlan propose une theacuteorie de lrsquointerpreacutetation du τἀκεῖ qui fait exception agrave la logique

de lrsquointerpreacutetation binaire du τἀκεῖ eacutegalement En effet Merlan ne pense pas qursquoil srsquoagit lagrave

drsquoune reacutefeacuterence agrave la sphegravere des fixes ou au Premier Moteur Sa thegravese est que le τἀκεῖ est une

reacutefeacuterence aux moteurs immobiles Dumoulin avait formuleacute lrsquohypothegravese selon laquelle le

τἀκεῖ du fait qursquoil nrsquoavait pas de fonction motrice aveacutereacutee ne renvoyait pas neacutecessairement au

Premier Moteur Immobile Neacuteanmoins bien que Merlan ne srsquointeacuteresse pas agrave la question de

savoir si le τἀκεῖ a une fonction motrice ou pas il lie les τἀκεῖ au Premier Moteur Immobile

en vertu des qualiteacutes qui leur sont attribueacutees Les τἀκεῖ sont dit dans le DC I 9 parfaitement

immobiles crsquoest-agrave-dire immuables inalteacuterables incorruptibles jouissant du plus grand des

biens parfaitement autonomes et divins Les caracteacuteristiques du τἀκεῖ sont celles que lrsquoon

retrouve pour qualifier le Premier Moteur Immobile dans la Meacutetaphysique Λ Fabienne

Baghdassarian souligne comme nous lrsquoavons vu que notre connaissance drsquoAristote nous

pousse agrave voir la theacuteorie du Premier Moteur un peu partout dans les textes drsquoAristote Il semble

56 Aristote Œuvres complegravetes 2014 p 2846-284757 Jaeger Aristote fondements pour une histoire de son eacutevolution1997 p311

70

alors que cette interpreacutetation de la part du Dumoulin soit quelque peu hacirctive en plongeant

dans lrsquoune des alternatives traditionnelles de lrsquointerpreacutetation du τἀκεῖ

Merlan quant agrave lui a bien conscience que le τἀκεῖ ne fait pas reacutefeacuterence agrave la sphegravere

des fixes ou agrave un corps ceacuteleste

It is true not all interpreters agree that with takei Aristotle designates divinities differentfrom the celestial bodies But (a) how could celestial bodies be ever described as ouk entopo (b) How could celestial bodies be described as above the uttermost locomotion (c)The parallels between the descriptions of the Unmoved Mover in Metaphysics Λ and thetakei in On the Heavens strongly suggest that the same entities are meant in bothpassages58

Il note que tous les interpregravetes ne sont pas drsquoaccord avec lrsquoideacutee que Aristote par

lrsquoutilisation de la notion de τἀκεῖ deacutesigne autre chose que les corps ceacutelestes Il pose alors

deux problegravemes agrave la theacuteorie drsquoune reacutefeacuterence ceacuteleste dans le but de la remettre en question

comment les corps ceacutelestes pourraient ecirctre deacutecrits comme eacutetant en dehors drsquoun lieu Et

comment les corps ceacutelestes peuvent ecirctre deacutecrits comme se trouvant au dessus du mouvement

le plus haut En effet lrsquoeacuteleacutement de lrsquoeacutether qui constitue le premier et second ciel crsquoest-agrave-dire

la sphegravere des fixes et le corps qui est dans la continuiteacute de la sphegravere des fixes forment un lieu

pour les corps ceacutelestes En drsquoautres termes les corps ceacutelestes se trouvent dans le ciel et la

derniegravere limite du ciel est la sphegravere des fixes donc aucun drsquoeux ne se trouve au-dessus de la

sphegravere des fixes Cet argument est eacutenonceacute par Cherniss59 et repris par Merlan Mais pourquoi

en est-on venu a penser malgreacute le contenu du De Caelo I 9 partie A que le τἀκεῖ eacutetait une

reacutefeacuterence agrave des ecirctres ceacutelestes Merlan signale comme nous lrsquoavons vu que de nombreux

interpregravetes comprennent cette notion comme eacutetant une reacutefeacuterence aux corps ceacutelestes en raison

de la maniegravere dont est deacutecrit le Moteur Immobile dans la Meacutetaphysique Λ et dans le ciel dans

De Caelo I 9 En effet le ciel est dit immuable inengendreacute inalteacuterable eacuteternel tout comme

est caracteacuteriseacute le Moteur Immobile

Mais Merlan note le pluriel de lrsquoexpression τἀκεῖ dans De Caelo I 9 et pour deacutesigner

les moteurs immobiles (ou ce qursquoil appelle les substances eacuteternelles sans matiegraveres) dans

Meacutetaphysique Λ 660 Crsquoest pourquoi plutocirct que de favoriser lrsquohypothegravese de la reacutefeacuterence

ceacuteleste du τἀκεῖ Merlan favorise celle drsquoune reacutefeacuterence aux moteurs immobiles En ce sens il

58 Merlan 1996 p1359 Cherniss 1944 p58760 Aristote Meacutetaphysique Λ 6 1071b20-23

71

se diffeacuterencie de la tradition habituelle qui voit dans le τἀκεῖ une reacutefeacuterence au Premier

Moteur Merlan nrsquoest donc ni en faveur de la position de drsquoAlexandre ni en faveur de celle de

Simplicius bien que celle-ci semble ecirctre plus proche de la sienne Il srsquoagit alors pour Merlan

dans le but de prouver que le τἀκεῖ correspond aux moteurs immobiles de prouver que la

theacuteologie drsquoAristote est polytheacuteiste et non monotheacuteiste Fabienne Baghdassarian dans son

article ne manque pas de noter que le Premier Moteur Immobile en tant qursquoil est une

substance unique en son genre ne coiumlncide pas vraiment avec le pluriel du τἀκεῖ du De Caelo

I 9 Merlan a bien conscience que le Premier Moteur Immobile en tant qursquoecirctre unique ne

peut pas rendre compte de lrsquoutilisation du pluriel pour deacutesigner ce qui se trouve au-delagrave de la

translation la plus exteacuterieure Crsquoest pourquoi il lui faut montrer que la theacuteologie

aristoteacutelicienne au grand dam des scolastiques est un polytheacuteisme et non un monotheacuteisme

Il se reacutefegravere agrave Meacutetaphysique Λ drsquoAristote et plus preacuteciseacutement au chapitre 6 dans lequel

Aristote affirme la chose suivante dans le but de montrer les raisons pour lesquelles les

scolastiques ont consideacutereacute la theacuteologie aristoteacutelicienne comme monotheacuteiste

In ch6 of Lambda Aristotle reminds us that there are three entities (or kinds of entities orrealities or substances or kinds of substance) Two of them are subject to change - therealm of perishable physical entities and the realm of imperishable physical entities iecelestial bodies But there must exist a realm of being (an entity a substance a reality)which is both imperishable and changeless How Aristotle proves this necessity doesntneed to detain us here - he in any case is satisfied that he did prove it However it isrelevant to stress that he quite particularly denies that the soul as conceived by Plato as aself-changer could be assumed to be the realm of being the existence of which he hasproved61

A la lecture du chapitre 6 ainsi que du chapitre 7 de Meacutetaphysique Λ Merlan nrsquoest pas

eacutetonneacute que les scolastiques voient Aristote comme un monotheacuteiste Il reacutesume alors briegravevement

le chapitre 7 il existe une substance eacuteternelle et immuable selon Aristote ce qui vient

appuyer lrsquoideacutee drsquoune theacuteologie monotheacuteiste Toutefois Merlan souligne que si agrave la lecture des

chapitre 6 et 7 cela semble eacutevident en reacutealiteacute crsquoest un veacuteritable problegraveme auquel les lecteurs

de la Meacutetaphysique ont affaire En effet le deacutebut du chapitre 8 de Λ pose une question de

clarteacute existe t-il une seule substance de ce type ou plusieurs Si plusieurs combien y en a-t-

il Aristote rappelle alors que le Premier Moteur Immobile qui est eacuteternel et sans

changement est le moteur drsquoun seul mouvement celui de la sphegravere des fixes ou du premier

61 Merlan opcit 1966 p3-4

72

ciel Le Premier Moteur Immobile nrsquoexplique donc pas le mouvement de tout ce qui est mucirc en

cercle drsquoun mouvement incessant notamment le mouvement circulaire des planegravetes dans la

mesure ougrave ce nrsquoest pas lui qui est agrave lrsquoorigine de leurs mouvements Aristote en conclut qursquoil

faut que chaque astre ait son moteur immobile Il se reacutefegravere alors aux theacuteories des astronomes

tel que Calippe et Eudoxe et arrive agrave la conclusion qursquoil existe cinquante-cinq sphegraveres qui

mettent en mouvement les astres Il reacutepond donc successivement aux questions suivantes y-

a-t-il une seule substance immuable et eacuteternelle ou plusieurs Et combien Merlan deacutefend la

thegravese qursquoil existe un moteur immobile pour chaque sphegravere il existerait alors cinquante-cinq

moteurs immobiles

Il semble alors qursquoAristote passe drsquoun monotheacuteisme agrave un polytheacuteisme En effet les

sphegraveres sont les moteurs du mouvement des astres elles sont donc parce qursquoelles mettent en

mouvement quelque chose de divin drsquoune nature divine agrave un plus haut degreacute Le problegraveme du

polytheacuteisme nrsquoest pas directement notre propos mais permet agrave Merlan de justifier la reacutefeacuterence

du τἀκεῖ au Moteur Immobile et non au Premier Moteur Immobile Toutefois la lecture de

Meacutetaphysique Λ 8 bien qursquoau deacutepart elle nous pousse dans la direction drsquoun polytheacuteisme

peut servir de contre-argument aux scolastiques pour prouver la supreacutematie du monotheacuteisme

En effet Aristote affirme apregraves avoir eacutevoqueacute lrsquoexistence de cinquante-cinq Moteurs

Immobiles qursquoil nrsquoy a qursquoun seul univers Supposons qursquoil y en ait plusieurs comme il y a

plusieurs individus Si tel eacutetait le cas alors chaque monde aurait un principe et chacun de ces

principes seraient de la mecircme espegravece bien que numeacuteriquement plusieurs Mais deux choses de

la mecircme espegravece ne peuvent se diffeacuterencier que par la matiegravere or le moteur immobile nrsquoa pas

de matiegravere il ne peut donc pas y en avoir plusieurs Aristote semble alors tour agrave tour changer

drsquoavis Il finit Meacutetaphysique Λ 8 par une reacutefeacuterence agrave la religion polytheacuteiste de son eacutepoque en

la critiquant sur sa dimension anthropomorphiste mais non pas sur sa theacuteorie de la pluraliteacute

des dieux

Meacutetaphysique Λ 8 semble constitueacute selon Merlan de trois sections La premiegravere et la

derniegravere deacutefendent une theacuteologie polytheacuteiste alors que la seconde deacutefend une theacuteologie

monotheacuteiste Il justifie ce changement de position par une mauvaise compreacutehension de la

seconde section En effet Aristote a montreacute qursquoil y avait cinquante-cinq moteurs immobiles

Il cherche donc a deacutefendre la theacuteorie des cinquante-cinq moteurs en prouvant qursquoil nrsquoy a

qursquoun seul monde il ne fait pas ccedila pour prouver qursquoil est impossible qursquoil y ait plus drsquoun

moteur A ce titre chaque moteur est diffeacuterent dans la mesure ougrave aucun nrsquoa de matiegravere ce qui

signifie qursquoil ne peut pas y avoir plusieurs moteurs drsquoune mecircme espegravece En outre il nrsquoexiste

73

effectivement qursquoun seul Premier Moteur Immobile mais cela nrsquoimplique pas qursquoil nrsquoexiste

pas un Second un Troisiegraveme un Quatriegravemehellip etc Moteur Immobile En drsquoautres termes il

nrsquoest pas impossible qursquoil y ait cinquante-cinq moteurs par contre il est impossible qursquoil y ait

cinquante-cinq premiers moteurs (ni mecircme deux) car ils nrsquoont pas de matiegravere donc ne

peuvent pas ecirctre un en espegravece et numeacuteriquement plusieurs Ce passage cherche donc agrave eacutetablir

lrsquouniciteacute du monde et non pas celle du dieu

Toutefois comme le dit Merlan cette justification de la continuiteacute de lrsquoopinion

drsquoAristote nrsquoest pas la seule Jaeger62 en formule une autre tregraves brillante Aristote apregraves la

mort de Platon aurait deacuteveloppeacute lrsquoideacutee drsquoun Moteur Immobile comme cause de tous les

mouvements de lrsquounivers et de cette ideacutee sont neacutes les chapitre 6 et 7 de la Meacutetaphysique Λ et

qui deacutefendent une theacuteologie monotheacuteiste Puis devenant familier avec les theacuteories drsquoEudoxe

et Calippe qui expliquent le mouvement des planegravetes par plusieurs moteurs diffeacuterents Aristote

deacutecide de modifier sa theacuteorie et ajoute agrave lrsquounique Moteur Immobile un nombre suffisant

drsquoautres Moteurs Immobiles Il reacutedige alors la section une et trois de Meacutetaphysique Λ 8 Mais

plus tard il apparaicirct des difficulteacutes au sujet de la theacuteorie de la pluraliteacute des moteurs comment

un ordre peut exister dans un monde ougrave il existe autant de moteurs immobiles Il eacutecrit alors la

section deux de Meacutetaphysique Λ 8 Apregraves la mort drsquoAristote les peacuteripateacuteticiens ont assembleacute

les eacutecrits drsquoAristote sous la forme de la Meacutetaphysique que nous connaissons Les eacutediteurs sont

alors responsables de la raison pour laquelle Aristote semble tantocirct ecirctre polytheacuteiste tantocirct

monotheacuteiste et ainsi de suite En inseacuterant le chapitre 8 entre le 7 et le 9 ils ont coupeacute

lrsquoargumentation car Jaeger propose de le retirer dans lrsquoideacutee que le chapitre 7 et 9 se suivent et

que le chapitre 8 est un tout coheacuterent avec lui-mecircme et non avec ce qui preacutecegravede et ce qui suit

Le passage du De Caelo I 9 est alors introduit dans ce deacutebat de la theacuteologie

aristoteacutelicienne polytheacuteiste ou monotheacuteiste dans le but de montrer lrsquoattitude qursquoAristote a

envers le polytheacuteisme Il suffit degraves lors de repenser la lecture du De Caelo I 9 au vu de ce que

Merlan affirmait plus haut lrsquoutilisation du pluriel montre qursquoAristote soutient lrsquoideacutee drsquoune

pluraliteacute de diviniteacutes puisque crsquoest au pluriel qursquoil fait reacutefeacuterence agrave des ecirctres se situant au-delagrave

du ciel

Puisqursquoil nrsquoeacutetait pas possible selon Merlan que le τἀκεῖ soit une reacutefeacuterence aux corps

ceacutelestes ou agrave la sphegravere des fixes et que le Premier Moteur Immobile du fait de son uniciteacute ne

respecte pas les indices textuels du De Caelo I 9 Merlan srsquoestime en droit de proposer une

interpreacutetation qui diverge des plus connues il est tout agrave fait envisageable qursquoAristote soit

polytheacuteiste et que par deacutefinition il deacutefende lrsquoideacutee drsquoune pluraliteacute de diviniteacutes De plus les

62 Jaeger 1924

74

τἀκεῖ sont qualifieacutes comme lrsquoest le Premier Moteur Immobile de sorte que lrsquoon peut eacutetablir

leur caractegravere divin sur la base de celui du Premier Moteur Outre cet argument si les corps

ceacutelestes sont deacutejagrave des ecirctres divins alors a fortiori ce qui les met en mouvement est encore

plus divin Nous pouvons alors identifier le τἀκεῖ comme eacutetant une reacutefeacuterence aux moteurs

immobiles divins et multiples

75

CONCLUSION

Nous avons tenteacute tout au long de ce meacutemoire de montrer qursquoil existait un problegraveme

drsquointerpreacutetation du De Caelo I 9 En effet ce passage tregraves obscur et tregraves riche fait appel agrave

une notion particuliegravere qui est celle du takei Cette notion semble faire reacutefeacuterence agrave une reacutealiteacute

qui se trouverait au-delagrave de la sphegravere des fixes la question que se pose Fabienne

Baghdassarian est donc de savoir si ce texte fait parti de ceux qui attestent de lrsquoexistence de

reacutealiteacutes de ce type Mais la lecture de lrsquoarticle de Fabienne Baghdassarian manifeste de

nombreux arguments qui sont soit en faveur de lrsquoideacutee que ce passage renvoie agrave des reacutealiteacutes

hypercosmiques soit en faveur de lrsquoideacutee drsquoune reacutefeacuterence ceacuteleste Ces arguments viennent

alors atteacutenuer lrsquoimpression premiegravere drsquoun texte portant sur des reacutealiteacutes qui se situeraient au-

dessus du ciel

Il srsquoagissait alors dans ce meacutemoire de montrer quels eacutetaient les arguments en faveur

de telle ou telle ideacutee et la maniegravere dont ils interagissaient entre eux afin de faire lrsquoeacutetat des

lieux drsquoun problegraveme existant depuis lrsquoAntiquiteacute et sur lequel malgreacute la preacutesence de theacuteorie

convaincante personne nrsquoarrive agrave srsquoentendre

Notre ligne directrice pour reacutepondre agrave ce problegraveme a eacuteteacute lrsquoeacutetude du De Caelo de

maniegravere geacuteneacuterale et du De Caelo I 9 de maniegravere plus preacutecise ainsi que la lecture de lrsquoarticle

de Fabienne Baghdassarian sur lrsquoidentiteacute des ecirctres de laquo lagrave-bas raquo A cela se sont ajouteacutes les

commentaires et interpreacutetations antiques puis modernes du problegraveme qui nous inteacuteressait

Comment en sommes-nous arriveacutes agrave nous poser la question de lrsquoidentiteacute du takei

Premiegraverement nous avons introduit les concepts aristoteacuteliciens ainsi que la conception du

cosmos aristoteacutelicienne Nous avons alors deacutefini quels eacutetaient les trois sens du mot ciel Selon

Aristote le ciel se dit de trois maniegraveres pour deacutesigner la substance qui se trouve sur la

circonfeacuterence la plus eacuteloigneacutee du centre Crsquoest eacutegalement le lieu du divin dans la mesure ougrave

son lieu est le plus haut Dans un second sens le ciel est la substance qui est dans la continuiteacute

de la limite la plus eacuteloigneacutee du ciel Enfin dans un troisiegraveme sens le ciel est compris comme

la totaliteacute ou le Tout enveloppeacute par la derniegravere circonfeacuterence De plus Aristote distingue deux

reacutegions dans sa conception du cosmos la reacutegion sublunaire qui se situe sous la Lune et qui

est soumis agrave la geacuteneacuteration et agrave la corruption et la reacutegion supralunaire qui se situe au-dessus

de la Lune et qui nrsquoest pas soumis agrave la geacuteneacuteration et agrave la corruption La distinction de ces deux

reacutegions du ciel permet lrsquoexplication des mouvements des corps dans chacune des reacutegions du

monde En effet dans le monde sublunaire les corps se meuvent de maniegravere rectiligne du

haut vers le bas ou du bas vers le haut en fonction de leur nature Les eacuteleacutements qui srsquoy

76

trouvent et qui composent les corps sont au nombre de quatre En revanche dans le monde

supralunaire il nrsquoexiste qursquoun seul eacuteleacutement qui constitue le ciel et ses parties Cet eacuteleacutement est

lrsquoeacutether et a un mouvement circulaire et eacuteternel du fait de sa nature Lrsquoeacutetude du mouvement

permet alors agrave Aristote de comprendre les raisons de la geacuteneacuteration et de la corruption la

corruption se produit dans les contraires ce qui signifie qursquoun corps se corrompt si et

seulement srsquoil possegravede un contraire Mais il nrsquoy a que les eacuteleacutements du monde sublunaire qui

ont un contraire selon Aristote crsquoest pourquoi lrsquoeacutether et les corps qursquoil constitue sont eacuteternels

et se meuvent drsquoun mouvement incessant

Le ciel en son troisiegraveme sens est compris comme ce qui enveloppe la totaliteacute Cela

signifie que tous les eacuteleacutements que nous avons eacutevoqueacute se trouvent dans le ciel Aristote tente

alors de prouver qursquoil nrsquoexiste qursquoun seul ciel en deacutefendant la position platonicienne du

Timeacutee En effet Platon dans le Timeacutee affirme que le monde est constitueacute de lrsquoensemble des

eacuteleacutements de sorte qursquoil ne puisse rien y avoir au-delagrave de celui-ci Aristote deacutefend la mecircme

theacuteorie en affirmant que le ciel est constitueacute de toute la matiegravere de telle sorte que rien drsquoautre

ne pourrait venir agrave ecirctre en dehors du ciel Il conclut alors il nrsquoexiste ni lieu ni vide ni temps

en dehors du ciel dans la mesure ougrave ce sont des proprieacuteteacutes des corps mateacuteriels

La question du takei srsquoest donc poseacutee dans le contexte de la preuve de lrsquouniciteacute du ciel

et de la non-existence drsquoun quelconque corps mateacuteriels en dehors de celui-ci Nous avons

alors analyseacute la fin du De Caelo I 9 Bien qursquoAristote affirme qursquoil nrsquoy a rien en dehors du

ciel il qualifie ce qui se trouve au-delagrave du ciel comme nrsquoeacutetant ni corporel ni dans un lieu et

eacutetant eacuteternel Finalement Aristote se reacutefegravere agrave des eacutecrits portant sur les ecirctres divins (theion) Le

problegraveme que nous avons donc rencontreacute eacutetait aussi celui de la correspondance entre la notion

de takei et celle de theion

Nous nous sommes alors inteacuteresseacutes aux positions de Simplicius et drsquoAlexandre

drsquoAphrodise Ces deux interpreacutetes antiques sont les ancecirctres des deux interpreacutetations que nous

avons suivre tout au long de notre propos Simplicius est le chef de file de ceux qui affirment

que le takei fait reacutefeacuterence au Premier Moteur Immobile crsquoest-agrave-dire agrave quelque chose qui se

trouve au-delagrave du ciel Quant agrave Alexandre il est le chef de file de ceux qui affirment que le

takei fait reacutefeacuterence agrave la sphegravere des fixes donc agrave quelque chose qui se trouve dans le ciel Ces

interpreacutetations sont les deux alternatives principales et traditionnelles du problegraveme du takei

Elles sont comme nous venons de le dire suivies par une longue tradition agrave laquelle les

interpregravetes modernes pour la plupart participent Donc apregraves avoir vu les interpreacutetations

possibles durant lrsquoAntiquiteacute nous nous sommes inteacuteresseacutes aux interpreacutetations modernes

77

Puisque lrsquoenjeu de notre propos eacutetait de faire lrsquoeacutetat des lieux du problegraveme du takei tout

en rendant compte des arguments en faveur de telles ou telles ideacutees nous avons proceacutedeacute de

maniegravere theacutematique en confrontant les interpregravetes Dans un premier temps nous avons

confronteacute Dumoulin et Moraux Dumoulin comprend le takei comme se reacutefeacuterant agrave quelque

chose se situant au dessus du ciel Il justifie sa thegravese en affirmant qursquoil existe une discontinuiteacute

au sein du texte drsquoAristote Aristote se reacutefeacutererait tantocirct agrave des reacutealiteacutes hypercosmiques tantocirct agrave

des reacutealiteacutes ceacutelestes en faisant lrsquoeacuteloge du mouvement circulaire des corps ceacutelestes dans le but

de montrer que ce qui est supeacuterieur au ciel est encore plus divin Moraux quant agrave lui refuse

lrsquoideacutee drsquoune discontinuiteacute dans lrsquoargumentation sous preacutetexte qursquoelle implique qursquoil faille

accepter lrsquoideacutee qursquoAristote change brusquement de sujet Il affirme alors que le texte est

continu et traite drsquoun bloc de reacutealiteacutes ceacutelestes se situant sur la sphegravere des fixes et non au-delagrave

Dans un second temps nous avons confronteacute Mugnier et Solmsen sur la question du lieu

Mugnier affirme que lrsquoabsence de lieu en dehors du ciel expliqueacutee par Aristote dans le DC

implique que les takei ne peuvent pas se trouver en dehors du ciel puisqursquoils ne seraient pas

dans un lieu alors mecircme qursquoils sont deacutesigneacutes comme eacutetant laquo lagrave-bas raquo crsquoest-agrave-dire dans un lieu

Pour Solmsen lrsquoabsence de lieu de temps et de corps sont les caracteacuteristiques essentielles de

ce que sont les takei Ces caracteacuteristiques semblent ecirctre les mecircmes que celles accordeacutees au

Premier Moteur Immobile dans la Meacutetaphysique

Finalement nous sommes sortis de cette tradition interpreacutetative en nous tournant vers

des thegraveories plus originales notamment celle de Peacutepin et de Merlan En effet Peacutepin affirme

que le takei fait reacutefeacuterence agrave lrsquoeacutether hypercosmique En effet il note qursquoil existe plusieurs

doxographies qui font lrsquoeacutetat drsquoun eacutether hypercosmique chez Aristote toutefois nous nrsquoavons

aucune trace de ces textes Il essaie alors de faire correspondre le De Caelo I 9 agrave ces

doxographies pour en faire une partie manifestant lrsquoexistence drsquoun divin existant au-delagrave du

ciel et qui serait un eacutether hypercosmique Pour Merlin le takei serait une reacutefeacuterence non pas au

Premier Moteur Immobile ou agrave la sphegravere des fixes mais aux Moteurs Immobiles En effet

Merlan soutient la theacuteorie qursquoAristote est un polytheacuteiste qui nrsquoa pas accordeacute la diviniteacute agrave un

seul ecirctre mais agrave une multitudes drsquoecirctres qui seraient agrave lrsquoorigine des mouvements des corps

ceacutelestes Il nous est alors permis par le biais de Merlan et de Peacutepin de sortir de la tradition

habituelle de lrsquointerpreacutetation du takei en proposant des lectures originales et nouvelles des

œuvres aristoteacuteliciennes

Les diverses interpreacutetations que nous avons pu rencontreacute mettent en perspective les

difficulteacutes de la compreacutehension des thegraveses aristoteacutelicienne leurs places chronologiques et

philosophiques dans la vie drsquoAristote dans la mesure ougrave elles posent la question de la

78

chronologie des œuvres aristoteacutelicienne du rapport que la philosophie aristoteacutelicienne peut

entretenir avec la philosophie platonicienne et introduisent finalement des œuvres

aristoteacuteliciennes perdues voire inconnues

79

BIBLIOGRAPHIE

Auteurs antiques

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ARISTOTE Physique traduction par P Pellegrin Paris GF Flammarion 2002

ARISTOTE Du ciel traduction par C Dalimier amp P Pellegrin Paris GF Flammarion 2004

ARISTOTE Du ciel traduction par P Moraux Les Belles Lettres Paris 1965

ARISTOTE Meacutetaphysique traduction par M-P Duminil amp A Jaulin Paris GF Flammarion

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ARISTOTE De lacircme traduction par P Thillet Paris Gallimard 2005

ARISTOTE Œuvres complegravetes publieacutees sous la direction de P Pellegrin Paris Flammarion

2014

HIPPOLYTE Reacutefutations de toutes les heacutereacutesies traduction par A Siouville Paris Rieder

1928

PLATON Timeacutee traduction par L Brisson Paris GF Flammarion 1992

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PLATON Les lois traduction par A Diegraves Paris Les Belles Lettres 2003

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80

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2006

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BAGHDASSARIAN F laquo Aristote De Caelo 1 9 lrsquoidentiteacute des lsquolsquoecirctres de lagrave-basrsquorsquo dans

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CHERNISS H-F Aristotlersquos Criticism of Plato and the Academy New-York Russel amp

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DUMOULIN B Recherches sur le premier Aristote Eudegraveme De la philosophie

Protreptique ParisVrin 1981

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MUGNIER R La Theacuteorie du premier moteur et lrsquoeacutevolution de la penseacutee aristoteacutelicienne

ParisVrin 1930

PEPIN J Theacuteologie cosmique et theacuteologie chreacutetienne (Ambroise Exam I 1 1-4) Paris

1964

SOLMSEN F laquo Beyond the Heavens raquo Museum Helveticum 33 1976 p24-32

81

  • INTRODUCTION
  • Chapitre 1 Le De Caelo I 9 problegravemes lectures et analyses
    • 11 Aristote et le ciel
      • 111 Les trois sens du mot ciel
      • 112 Le corps du ciel lrsquoeacuteleacutement divin et le mouvement du corps ceacuteleste
        • 12 Platonisme et aristoteacutelisme sur lrsquouniciteacute du monde Du Timeacutee au De Caelo I 9
          • 121 Lrsquouniciteacute du monde dans le Timeacutee de Platon
            • 122 Aristote en De Caelo I 9 analyse des arguments en faveur de la pluraliteacute des cieux pour deacutefendre la theacuteorie platonicienne de lrsquouniciteacute du monde
              • 123 Aristote en De Caelo I 9 arguments aristoteacuteliciens en faveur de lrsquouniciteacute du ciel
                  • Chapitre 2 Deacutebat sur la question des ecirctres de laquo lagrave-bas raquo durant lrsquoAntiquiteacute Aristote agrave Simplicius
                    • 21 Compreacutehension antique du laquo τἀκεῖ raquo du De Caelo au commentaire de Simplicius
                    • 211 τἀκεῖ De Caelo I 9 279a15-b3
                    • 222 Le commentaire perdu drsquoAlexandre possibles reacuteponses au problegraveme du laquo τἀκεῖ raquo
                    • 213 Compreacutehension et hypothegravese de Simplicius sur les ecirctres de lagrave-bas
                      • Chapitre 3 Interpreacutetations modernes du De Caelo I 9 La question du τἀκεῖ premier moteur reacutealiteacutes hyper-cosmiques ou sphegravere des fixes reacutealiteacutes ceacutelestes
                        • 31 Le problegraveme de la continuiteacute argumentative du Livre I 9
                          • 311 La discontinuiteacute du sujet en faveur de la transcendance du τἀκεῖ
                          • 312 La continuiteacute du sujet en faveur des reacutealiteacutes ceacutelestes
                            • 32 Le lieu des corps ceacutelestes lrsquoabsence de lieu du τἀκεῖ
                              • 321 Lrsquoabsence de lieu en faveur de la reacutefeacuterence ceacuteleste
                              • 322 Lrsquoabsence de lieu comme caracteacuteristique drsquoun ecirctre transcendant le ciel
                                • 33 Deacutepassement des deux alternatives traditionnelles de lrsquointerpreacutetation du takei
                                  • 331 Lrsquoeacutether hypercosmique de Peacutepin
                                  • 3 3 2 La theacuteorie des Moteurs Immobiles une variante originale de la reacutefeacuterence au Premier Moteur Immobile
                                      • CONCLUSION
                                      • BIBLIOGRAPHIE
Page 3: Débat sur la question des êtres de là-bas de l'Antiquité à

SOMMAIRE

INTRODUCTION4

Chapitre 1 Le De Caelo I 9 problegravemes lectures et analyses11

11 Aristote et le ciel12 111 Les trois sens du mot ciel12 112 Le corps du ciel lrsquoeacuteleacutement divin et le mouvement du corps ceacuteleste15

12 Platonisme et aristoteacutelisme sur lrsquouniciteacute du monde Du Timeacutee au De Caelo I 921 121 Lrsquouniciteacute du monde dans le Timeacutee de Platon21 122 Aristote en De Caelo I 9 analyse des arguments en faveur de la pluraliteacute des cieux pour deacutefendre la theacuteorie platonicienne de lrsquouniciteacute du monde25123 Aristote en De Caelo I 9 arguments aristoteacuteliciens en faveur de lrsquouniciteacute du ciel27

Chapitre 2 Deacutebat sur la question des ecirctres de laquo lagrave-bas raquo durant lrsquoAntiquiteacute Aristote agrave Simplicius31

21 Compreacutehension antique du laquo τἀκεῖ raquo du De Caelo au commentaire de Simplicius32

211 τἀκεῖ De Caelo I 9 279a15-b332 222 Le commentaire perdu drsquoAlexandre possibles reacuteponses au problegraveme du laquo τἀκεῖ raquo36213 Compreacutehension et hypothegravese de Simplicius sur les ecirctres de lagrave-bas38

Chapitre 3 Interpreacutetations modernes du De Caelo I 9 La question du τἀκεῖ premier moteur reacutealiteacutes hyper-cosmiques ou sphegravere des fixes reacutealiteacutes ceacutelestes 43

31 Le problegraveme de la continuiteacute argumentative du Livre I 944 311 La discontinuiteacute du sujet en faveur de la transcendance du τἀκεῖ44312 La continuiteacute du sujet en faveur des reacutealiteacutes ceacutelestes50

32 Le lieu des corps ceacutelestes lrsquoabsence de lieu du τἀκεῖ54 321 Lrsquoabsence de lieu en faveur de la reacutefeacuterence ceacuteleste54

322 Lrsquoabsence de lieu comme caracteacuteristique drsquoun ecirctre transcendant le ciel5933 Deacutepassement des deux alternatives traditionnelles de lrsquointerpreacutetation du takei64

331 Lrsquoeacutether hypercosmique de Peacutepin643 3 2 La theacuteorie des Moteurs Immobiles une variante originale de la reacutefeacuterence au Premier Moteur Immobile70

CONCLUSION76

BIBLIOGRAPHIE80

2

3

INTRODUCTION

DEacuteBAT SUR LA QUESTION DES EcircTRES DE LA-BAS DE LrsquoANTIQUITEacute A

AUJOURDrsquoHUI

Comprendre qui sont laquo les ecirctres de lagrave-bas raquo trancher entre lrsquohypothegravese de leurtranscendance et celle de leur identiteacute astrale ce serait un peu parvenir agrave deacuteterminer si lacosmologie du DC recouvre parfaitement lrsquoensemble du reacuteel ou bien si elle laisse ouvertela possibiliteacute qursquoil existe certaines reacutealiteacutes hypercosmiques1

Lrsquoarticle de Fabienne Baghdassarian intituleacute laquo Aristote De Caelo I 9 lrsquoidentiteacute des

laquo ecirctres de lagrave-bas raquo srsquointeacuteresse agrave la notion de takei dans un passage fort obscur du De Caelo I

9 (279a18)2 Cette expression grecque takei est la contraction de ta ekei qui signifie laquo les de

lagrave-bas raquo ou encore laquo les ecirctres les choses de lagrave-bas raquo Fabienne Baghdassarian affirme qursquoil

existe peu de textes dans le corpus aristoteacutelicien agrave propos de reacutealiteacutes qui se situeraient au-delagrave

du ciel La question qui lrsquointeacuteresse deacutes lors est la suivante ce passage du De Caelo I 9 est-il

lrsquoun de ceux qui attestent lrsquoexistence de reacutealiteacutes qui transcenderaient lrsquoordre ceacuteleste Les

takei renverraient-ils agrave ces reacutealiteacutes extra-mondaines Fabienne Baghdassarian srsquoemploie alors

agrave analyser le texte et agrave examiner les diffeacuterentes positions dans lrsquointeacuterecirct de faire lrsquoeacutetat des lieux

des interpreacutetations concernant la question des ecirctres de lagrave-bas De plus elle expose en quelques

lignes lrsquoimportance du problegraveme particulier qui nous inteacuteresse agrave savoir celui de la reacutefeacuterence

aux laquo ecirctres de lagrave-bas raquo et lrsquoimportance deacutecisive qursquoil a au regard de la cosmologie du De

Caelo En effet le ciel est deacutefini de trois maniegraveres par Aristote3 et lrsquoune de ces maniegraveres est la

suivante laquo nous avons coutume drsquoappeler laquo ciel raquo la totaliteacute ou le Tout raquo Srsquoil nrsquoy a rien en

dehors du ciel cela implique dans un premier temps que le τἀκεῖ ne fait pas reacutefeacuterence agrave

quelque chose en dehors du ciel et dans un second temps que la cosmologie aristoteacutelicienne

englobe la totaliteacute du reacuteel et de ce qui existe puisque le ciel est compris comme ce qui

enveloppe la totaliteacute et que la cosmologie est lrsquoeacutetude du ciel En drsquoautres termes si le takei ne

renvoie pas agrave quelque chose de transcendant au ciel alors rien nrsquoeacutechappe agrave celui-ci et la

cosmologie aristoteacutelicienne comme eacutetude du Tout couvre lrsquoensemble du reacuteel

1 Baghdassarian F laquo De Caelo I 9 Identiteacute des ecirctres de lagrave-bas raquo 20112 Aristote De Caelo traduction de Dalimier et Pellegrin p 147-149 Sauf indication contraire nous nous

reacutefeacutererons agrave cette traduction 3 Ibid p143-145

4

Fabienne Baghdassarian manifeste son inclinaison en faveur de la theacuteorie de la

transcendance du takei Il lui semble tout naturel agrave la lecture des indices textuelles selon

lesquels les takei se trouvent au-delagrave de la translation la plus exteacuterieure de le comprendre

comme eacutetant une reacutefeacuterence agrave des ecirctres transcendant lrsquoordre cosmique Neacuteanmoins cette

impression peut ecirctre atteacutenueacutee aux regards des arguments de certains auteurs que nous verrons

tel que ceux drsquoAlexandre drsquoAphrodise de Moraux ou encore de Mugnier dans le

deacuteveloppement de notre propos Lrsquoatteacutenuation de cette premiegravere impression ndash crsquoest-agrave-dire

naturelle drsquoune reacutefeacuterence agrave un ecirctre se trouvant au-delagrave du ciel ndash permet agrave Fabienne

Baghdassarian de rendre compte drsquoun problegraveme complexe qui oppose la lettre mecircme du texte

agrave la structure argumentative du texte Crsquoest en ce sens qursquoelle affirme que lrsquoeacutetude approfondie

de ce texte met dos agrave dos le contenu du texte avec sa structure geacuteneacuterale sans reacuteussir agrave les

accorder Elle affirme que si drsquoun cocircteacute agrave la lecture de ce passage il y a une inclinaison

premiegravere et naturelle en faveur de la theacuteorie de la transcendance du takei la structure geacuteneacuterale

du texte laisse agrave penser que cette theacuteorie nrsquoest pas si eacutevidente dans la mesure ougrave il est

finalement question apregraves llsquoeacutenonceacute de lrsquoexistence drsquoecirctres se situant au-delagrave du ciel du

mouvement circulaire du corps qui se meut en cercle Ces deux objets diffeacuterents du De Caelo

I 9 nous permet de prendre conscience des deux inclinaisons interpreacutetatives possibles dans

laquelle est emporteacutee lrsquointerpreacutetation de la notion de takei En effet il existe deux lignes

interpreacutetatives qui srsquoopposent sur la question de lrsquoidentiteacute des ecirctres de lagrave-bas Drsquoun cocircteacute en

faveur de la transcendance du takei nous trouvons de nombreux auteurs tels que Simplicius

Pellegrin Solmsen ceux-ci ont tendance agrave reconnaicirctre la theacuteorie du Premier Moteur

Immobile dans ce texte Drsquoun autre coteacute en faveur de la reacutefeacuterence ceacuteleste nous trouvons

Alexandre drsquoAphrodise Moraux Mugnier Nous avons choisi de traiter des deux auteurs

antiques qui sont agrave lrsquoorigine des deux grandes interpreacutetations qui srsquoaffrontent et de quatre

auteurs drsquoaujourdrsquohui pour les opposer de maniegravere theacutematique sur les questions suivantes la

discontinuiteacute du passage et lrsquoargument du lieu Mais nous ne nous arrecircterons pas agrave ces

oppositions theacutematiques et proposerons des alternatives agrave cette logique binaire notamment

avec lrsquointerpreacutetation originale de Peacutepin et sa theacuteorie de lrsquoeacutether hypercosmique

Nous y verrons plus clair si comme Fabienne Baghdassarian nous deacutecoupons le

passage qui est lrsquoobjet de notre propos en trois parties Pour la clarteacute de notre discours nous

5

deacutecouperons ce texte de la mecircme maniegravere qursquoelle et nommerons dans lrsquoordre des paragraphes

ces quatre parties 0 A B et C

Il est en mecircme temps clair qursquoil nrsquoy a ni lieu ni vide ni temps en dehors du ciel En toutlieu en effet il est possible qursquoil existe un corps et lrsquoon dit que le vide est ce en quoi ilnrsquoy a pas de corps mais ougrave il est possible qursquoil en vienne un quant au temps crsquoest lenombre drsquoun mouvement et il nrsquoexiste pas de mouvement sans corps naturel Or on amontreacute qursquoen dehors du ciel il nrsquoy a pas et il ne peut pas y avoir de corps Il est doncmanifeste qursquoen dehors de lui il nrsquoy a ni lieu ni vide ni temps

Crsquoest pourquoi les ecirctres de lagrave-bas par nature nrsquoont ni lieu ni temps qui les fasse vieillir etil nrsquoy a pas non plus aucun changement pour les ecirctres qui sont disposeacutes au-dessus de latranslation la plus exteacuterieure inalteacuterables et impassibles ils ont la meilleure et la plusautonome des vies qursquoils megravenent pour toute sa dureacutee

Les Anciens en effet ont divinement parleacute en choisissant ce nom car le terme quienveloppe le temps de la vie de chacun hors duquel on nrsquoest rien selon la nature a eacuteteacuteappeleacute laquo dureacutee de vie raquo de chacun Et pour la mecircme raison le terme du ciel tout entier luiaussi crsquoest-agrave-dire le terme qui enveloppe le temps tout entier et lrsquoinfiniteacute est une dureacuteequi tire son appellation du fait drsquoexister toujours immortelle et divine De lagrave deacutependentpour les autres ecirctres pour les uns de maniegravere plus exacte pour les autres de maniegravere plusindistincte lrsquoecirctre et la vie

Et par exemple dans les travaux de philosophie destineacutes au grand public portant sur lesecirctres divins on deacuteclare souvent en srsquoappuyant sur des raisonnements que tout ecirctre divineacutetant premier et au-dessus des autres est neacutecessairement immuable Qursquoil en aille ainsiteacutemoigne en faveur de ce que nous avons dit En effet il nrsquoy a rien drsquoautre de plus fort quipuisse mouvoir cet ecirctre divin car cela serait plus divin que lui il nrsquoest en riendeacutefectueux et il ne manque drsquoaucun des biens qui lui appartiennent en propre4

Cette coupure du texte montre bien le problegraveme auquel fait face Fabienne

Baghdassarian dans sa lecture si la partie A qui correspond au premier paragraphe semble

naturellement porteacutee sur des ecirctres qui nrsquoont ni lieu ni temps ni corps et qui se situent au-delagrave

de la derniegravere circonfeacuterence du ciel il nrsquoen est pas de mecircme pour la partie B qui correspond

au second paragraphe et la partie C qui correspond au troisiegraveme paragraphe La partie B

introduit lrsquoeacutetymologie du mot grec aion qui se traduit par la dureacutee dans le but de montrer que

lrsquoon peut justifier lrsquoemploi du terme drsquoaion pour deacutesigner le divin Finalement la partie C

apparaicirct comme eacutetant un eacuteloge de lrsquoeacuteterniteacute et de la perfection du corps qui se meut en cercle

puisqursquoAristote affirme que rien nrsquoest plus parfait et plus puissant que lui de sorte que rien ne

peut le mettre en mouvement En drsquoautres termes le corps qui se meut en cercle nrsquoest mucirc par

4 Ibid 279a18-b3

6

rien drsquoautre que lui-mecircme Aristote dans ce texte semble tantocirct prendre pour objet des ecirctres

qui se situent au-delagrave du ciel tantocirct prendre pour objet le corps qui se meut en cercle Le

problegraveme se pose au sujet de lrsquoargumentation geacuteneacuterale en effet la partie A porte sur les takei

qui semblent se situer en dehors du ciel nous lrsquoavons vu alors que la partie C porte sur le

corps ceacuteleste qui se meut en cercle Le contenu de la partie A nrsquoest pas contredit par le

contenu de la partie C toutefois les interpregravetes ignorent si le takei en partie A fait reacutefeacuterence

au divin deacutecrit dans la partie C

Lrsquoarticle de Fabienne Baghdassarian se donne alors comme projet une eacutetude des

interpregravetes sur la question du takei et de son identiteacute Un tel deacutecoupage de texte lui permet

drsquoorganiser son propos en diffeacuterents moments Elle srsquointeacuteresse dans un premier temps agrave la

partie A en confrontant les opinions et les diverses interpreacutetations Fabienne Baghdassarian

cartographie alors le premier type de problegraveme que pose cette partie la traduction et le sens

du geste aristoteacutelicien Certains traduisent huper5 par laquo au-dessus raquo drsquoautres comme Moraux

optent pour la traduction laquo sur raquo A cette question de traduction se mecircle une question de

lexique le terme huper deacutesigne-t-il veacuteritablement ce qui est sur quelque chose Lrsquoauteur de

cet article affirme qursquoAristote est plus enclin agrave utiliser en que uper pour deacutesigner ce qui se

trouve sur la sphegravere des fixes Pour ce qui est du geste drsquoAristote il est compliqueacute de

deacuteterminer quel est lrsquoobjet de ce passage dans la mesure ougrave il attribue positivement un lieu agrave

ce qui ne peut pas en avoir en les deacuteterminant comme se trouvant laquo lagrave-bas raquo crsquoest-agrave-dire

quelque part Fabienne Baghdassarian preacutefegravere voir dans lrsquoutilisation de ces termes qui

deacutesignent un lieu la deacutesignation de ce qui ne se trouve pas dans un lieu dans le but de

souligner sa transcendance au lieu qursquoest le ciel

Dans un second temps Fabienne Baghdassarian montre que la partie B atteacutenue

grandement lrsquoimpression premiegravere drsquoune reacutefeacuterence agrave un ecirctre transcendant le ciel En effet

lrsquoeacutetymologie de lrsquoaion agrave laquelle se reacutefegravere Aristote est aei on qui signifie laquo qui est toujours raquo

Aristote compare alors la vie humaine qui a une fin qui permet de quantifier la dureacutee agrave la vie

du ciel qui lui nrsquoen a pas Ainsi Fabienne Baghdassarian note que lrsquoeacutetymologie de la dureacutee

nrsquoest pas sans rappeler celle de lrsquoeacutether dans le De Caelo I 3 Lrsquoeacutether est lrsquoeacuteleacutement du monde

supralunaire qui compose les astres et le ciel il est de nature divine et a un mouvement eacuteternel

circulaire En ce sens lrsquoeacutether tient son appellation du fait qursquoil court toujours sans srsquoarrecircter

Ce rapprochement entre lrsquoeacutetymologie de lrsquoaion et celle de lrsquoeacutether pousse alors lrsquoauteur agrave

opeacuterer une atteacutenuation dans lrsquoimpression premiegravere de sa lecture il semblerait qursquoAristote a

deacutesormais pris le ciel et les astres composeacutes drsquoeacutether pour objet

5 Ibid 279a20

7

Finalement dans la partie C il est explicitement fait mention du corps qui se meut en

cercle le ciel Ainsi Fabienne Baghdassarian se pose la question de savoir srsquoil est

envisageable qursquoAristote sans crier gare change de sujet ou srsquoil ne parlait depuis le deacutebut

que du ciel et des astres Lrsquoauteur de cet article propose alors de joindre lrsquoensemble du texte

en affirmant qursquoil est possible qursquoAristote reacutecapitule dans la partie C lrsquoensemble de son

argumentation en mettant sur le plan du divin la totaliteacute de son discours dans le sens ougrave il

hieacuterarchise les divins En ce sens la partie A deacutesignerait des reacutealiteacutes transcendantes mais

divines au mecircme titre que lrsquoest le corps qui a un mouvement de translation Pour ce qui est de

lrsquoeacutetymologie de lrsquoaion elle aurait servi agrave montrer la neacutecessiteacute que le mouvement du ciel est

eacuteternel

Cet article de Fabienne Baghdassarian sera le point de deacutepart de notre propos mais le

geste sera quelque peu diffeacuterent du sien En effet Fabienne Baghdassarian par lrsquoanalyse

geacuteneacuterale du passage du De Caelo I 9 qui nous inteacuteresse parvient agrave faire sortir les problegravemes

drsquoordre lexical grammatical deacutefinitionnel et argumentatif pour nous transmettre un panorama

assez large de ce qui gecircne la compreacutehension de la notion de takei Si drsquoune part son travail

nous permet de prendre conscience des problegravemes que pose la notion de takei sans parvenir agrave

nous fournir une reacuteponse trancheacutee de la question de son identiteacute drsquoautre part il nous permet

de prendre conscience des innombrables thegraveses et interpreacutetations possibles des diffeacuterents

traducteurs et commentateurs drsquoAristote Ce que nous ferons sera alors dans la continuiteacute de

ce travail mais plutocirct que de nous contenter de restituer les thegraveses des commentateurs et

interpregravetes nous deacutetaillerons lrsquoargumentation que tiennent ces commentateurs et interpregravetes

Nous ne chercherons pas lrsquoexhaustiviteacute des interpreacutetations en effet nous nous inteacuteresserons

aux arguments de celles que nous traiterons Notre but sera donc de comprendre le contexte

des thegraveses des interpregravetes sur la question du takei et la raison pour laquelle ils en viennent agrave

telle ou telle conclusion Il srsquoagira alors pour nous de faire lrsquoeacutetat des lieux de ce deacutebat en

restituant les problegravemes que pose le texte mecircme ainsi que les problegravemes que posent les

commentateurs et la maniegravere dont ils les traitent pour deacutefendre leurs interpreacutetations

Nous proceacutederons de maniegravere analytique historique mais aussi theacutematique Crsquoest-agrave-

dire que nous proposons drsquoorganiser notre propos en trois grands moments 1) Le De Caelo I

9 problegravemes lectures et analyses 2) Deacutebat sur la question des ecirctres de lagrave-bas durant

8

lrsquoAntiquiteacute drsquoAristote agrave Simplicius 3) Interpreacutetations modernes du De Caelo I 9 La question

du τἀκεῖ premier moteur reacutealiteacutes hyper-cosmiques ou sphegravere des fixes reacutealiteacutes ceacutelestes

Le premier moment est un moment quelque peu introductif dans la mesure ougrave il est

essentiellement constitueacute dans son ensemble drsquoune lecture du De Caelo I et de la theacuteorie du

mouvement des corps selon le milieu Cette explication est une eacutetape importante selon nous

srsquoil est question du takei dans ce chapitre crsquoest dans un certain contexte argumentatif Il nous

faut alors preacutesenter ce contexte argumentatif dans lrsquointeacuterecirct de comprendre pourquoi cette

notion est si complexe et sujette aux deacutebats Ce moment que lrsquoon juge comme eacutetant

analytique nous permettra de nous familiariser avec le lexique aristoteacutelicien et la conception

aristoteacutelicienne de lrsquounivers cela dans le but de manifester les problegravemes que pose

lrsquoapparition de lrsquoexpression takei Nous verrons alors les trois sens qursquoAristote accorde au mot

laquo ciel raquo Nous nous inteacuteresserons ensuite agrave la composition eacuteleacutementaire de ce corps que lrsquoon

appelle le laquo ciel raquo et qui par lrsquoeacuteleacutement divin qui le compose a un mouvement circulaire et

eacuteternel Il srsquoagira ensuite drsquoexpliquer lrsquoargumentation geacuteneacuterale du texte dans lequel apparaicirct la

notion de takei et qui porte sur lrsquouniciteacute de lrsquounivers Pour lrsquoexpliquer nous nous tournerons

drsquoune part vers un argument proposeacute par Platon dans le Timeacutee puis sur lrsquoutilisation

qursquoAristote en fait pour prouver lrsquoexistence drsquoun seul et unique ciel

Le second moment consistera alors en une restitution des thegraveses respectives

drsquoAlexandre drsquoAphrodise et de Simplicius sur lrsquointerpreacutetation de ce passage fort obscur du De

Caelo I 9 dans lequel surgit la notion de takei Nous avons choisi drsquoeacutetudier ces deux

commentateurs dans la mesure ougrave ils sont tous deux agrave lrsquoorigine drsquoune logique binaire de

lrsquointerpreacutetation du texte qui nous inteacuteresse En effet Simplicius est devenu le chef de file de

ceux qui comprennent lrsquoexpression takei comme eacutetant une reacutefeacuterence agrave un ecirctre transcendant le

ciel et plus preacuteciseacutement au Premier Moteur Immobile alors qursquoAlexandre drsquoAphrodise est le

chef de file de ceux qui comprennent le takei comme eacutetant ceacuteleste et plus preacuteciseacutement

comme eacutetant une reacutefeacuterence agrave la sphegravere des fixes Nous commenterons donc lineacuteairement le

passage 279a15-b3 du De Caelo pour comprendre la complexiteacute de cet extrait Ensuite nous

nous inteacuteresserons aux fondements des interpreacutetations drsquoAlexandre drsquoAphrodise et Simplicius

au sujet du takei

Enfin dans le troisiegraveme et dernier moment de notre propos nous exposerons diverses

positions sur la question en explicitant le deacutebat qui les oppose Les positions deacutefendues seront

celles de commentateurs et interpregravetes modernes En effet nous avons choisi de proceacuteder de

maniegravere historique en deacutebutant par les interpreacutetations antique du texte pour ensuite en arriver

aux interpreacutetations modernes Nous proceacutederons de maniegravere theacutematique en choisissant deux

9

angles drsquoattaques diffeacuterents Drsquoabord nous nous preacutesenterons deux interpreacutetations qui

srsquointeacuteressent agrave la continuiteacute (ou discontinuiteacute) du texte en explicitant les arguments qui

favorisent lrsquoideacutee drsquoune reacutefeacuterence agrave un ecirctre transcendant ou agrave un ecirctre ceacuteleste Ensuite nous

exposerons des interpreacutetations qui mettent lrsquoaccent sur le lieu dans la philosophie

aristoteacutelicienne via les œuvres de Mugnier et de Solmsen Enfin nous sortirons de cette

logique binaire en nous tournant vers deux interpreacutetations qui nrsquoidentifient le takei ni avec la

sphegravere des fixes ni avec le Moteur immobile Il srsquoagira des thegraveses de Peacutepin selon laquelle le

takei renvoie agrave lrsquoeacutether hypercosmique et celle de Merlan selon laquelle il est question des

Moteurs Immobiles

10

Chapitre 1 Le De Caelo I 9 problegravemes lectures etanalyses

11

11 Aristote et le ciel

111 Les trois sens du mot ciel6

Le traiteacute Du Ciel drsquoAristote est une œuvre embleacutematique du corpus aristoteacutelicien et

occupe la seconde place apregraves la Physique dans lrsquoensemble des ouvrages aristoteacuteliciens de

science physique Ce traiteacute apregraves la mort drsquoAristote a veacutehiculeacute une image particuliegravere du

cosmos qui est la sienne jusqursquoagrave lrsquoarriveacutee des nouvelles theacuteories cosmologiques et

scientifiques de la Renaissance

Une reacuteflexion est possible agrave partir mecircme du titre de cette œuvre Il est premiegraverement

important de noter que les reacutefeacuterences au De Caelo sont tregraves peu nombreuses dans le corpus

drsquoAristote mais qursquoen plus de cela il ne srsquoy reacutefegravere jamais via cette appellation Nous sommes

alors en droit de nous demander ce que signifie ce titre probablement choisi par un autre

individu qursquoAristote Il apparaicirct comme eacutevident agrave premiegravere vue que le ciel est lrsquoobjet de ce

traiteacute de physique

Nous avons donc traiteacute plus haut du premier ciel et de ses parties ainsi que des astres quisont transporteacutes agrave lrsquointeacuterieur de lui de leurs composantes et de leurs qualiteacutes naturelleset en outre de leur caractegravere ingeacuteneacuterable et incorruptible

Il est important de noter que les deux premiers livres prennent pour objet le monde

supralunaire ou encore le monde au dessus de la Lune crsquoest-agrave-dire le monde ceacuteleste et divin

Quant aux deux derniers livres ils srsquointeacuteressent plutocirct au monde sublunaire ou monde en

dessous de la Lune crsquoest-agrave-dire le monde physique qui est le nocirctre et est explicable par les

quatre eacuteleacutements naturels que sont le feu lrsquoair lrsquoeau et la terre qui le constituent

Nous pouvons alors imaginer gracircce agrave ces informations que le traiteacute Du ciel tel que

nous lrsquoavons entre les mains aujourdrsquohui est une recomposition de deux traiteacutes distincts lrsquoun

portant sur le monde supralunaire lrsquoautre portant sur le monde sublunaire Ce paragraphe

drsquointroduction permet drsquoaffirmer que les deux premiers livres sont agrave distinguer des deux

derniers Mais ce problegraveme nrsquoest pas notre prioriteacute Aussi nous nous inteacuteresserons

principalement aux deux premiers livres qui prennent le ciel pour objet Ce qursquoon appellera

comme eacutetant la laquo premiegravere partie raquo du traiteacute du Ciel sera lrsquoensemble des livres I et II et seront

ceux qui feront en partie lrsquoobjet et le fondement de notre reacuteflexion et de ce meacutemoire

6 Ibid 278b10-25

12

Toutefois nous nous devons drsquoecirctre preacutecis dans notre lecture de ce deacutebut du troisiegraveme

livre En effet il est affirmeacute ici que la premiegravere partie de lrsquoœuvre portait sur laquo le premier ciel

et ses parties raquo7 Mais qursquoest-ce que laquo le premier ciel raquo Et srsquoil y a un premier ciel y en a-t-

il un deuxiegraveme Un troisiegraveme

Pour reacutepondre agrave cette question il nous faut drsquoabord souligner la meacutethode explicative

qursquoutilise Aristote En effet Aristote accorde une importance capitale agrave la deacutefinition des

termes le philosophe est pour Aristote celui qui sait de quoi il parle et sur quel plan il se

place quand il parle Lorsqursquoil utilise un terme ambigu il se doit de lever lrsquoambiguiumlteacute qui

regravegne en deacutefinissant les termes de son propos Crsquoest ainsi que lrsquoon trouve dans le chapitre 9

du livre I une explication des sens du mot laquo ciel raquo comme moment de clarification de ce dont

on parle drsquoune part et drsquoautre part comme moment de lrsquoexplicitation de la meacutethode

aristoteacutelicienne

Disons drsquoabord ce que nous entendons par laquo ciel raquo et combien de sens nous donnons agrave cemot pour que ce que nous cherchons nous devienne plus clair En un sens on appellelaquo ciel raquo la substance de la derniegravere circonfeacuterence du Tout crsquoest-agrave-dire le corps naturel quiest sur la derniegravere circonfeacuterence du Tout Car nous avons coutume de nommer laquo ciel raquolrsquoextreacutemiteacute ndash ce qui est le plus haut ndash dans laquelle reacuteside tout ce qui est divin8

Ce qui deacutefinit le ciel en ce premier sens est ce qui est le plus haut Le cosmos

aristoteacutelicien se repreacutesente sous forme de plusieurs cercles concentriques qui repreacutesentent

drsquoune part des translations sur lesquelles sont poseacutees des astres et drsquoautre part des lieux (le

lieu du mouvement circulaire le lieu du mouvement rectiligne) et le ciel est ce qui est le plus

haut crsquoest-agrave-dire ce qui se situe sur la circonfeacuterence la plus eacuteloigneacutee du centre Aristote

deacutefend une conception geacuteo-centriste du monde il considegravere que ce qui est au centre du

monde est la Terre Donc le ciel est le corps qui est par nature le plus haut En ce sens on le

nommera le laquo premier ciel raquo Mais qursquoest-ce que ce corps Aristote le preacutesente comme eacutetant

une substance une substance est ce qui ne se dit de rien et nrsquoest dans aucun sujet9 en drsquoautres

termes une substance est un ecirctre autonome qui ne deacutepend de rien drsquoautre que de lui-mecircme

pour ecirctre Cette substance est eacutegalement nommeacutee agrave plusieurs reprises dans les œuvres

drsquoAristote sphegravere des fixes Le corps qui se trouve sur la derniegravere circonfeacuterence du Tout est

ce qui est une substance au sens le plus noble et parfait Nous pouvons alors comprendre au

7 Le premier ciel eacutetant lrsquoappellation courante de la sphegravere des fixes crsquoest-agrave-dire lrsquoextreacutemiteacute du ciel 8 ARISTOTE opcit p143-1459 ARISTOTE Les cateacutegories II 2001 Traduction par Bodeuumls

13

travers de cette premiegravere deacutefinition du ciel que la substance dont on parle est constitueacutee de

matiegravere mais pas de nrsquoimporte quelle maniegravere de la plus noble et la plus divine celle-ci

eacutetant lrsquoeacutether nous y reviendrons plus tard Ainsi le ciel en ce sens est un ecirctre corporel la

circonfeacuterence la plus eacuteloigneacutee qui englobe quelque chose drsquoautre qui est nommeacute le laquo Tout raquo

Dans un second sens et agrave la suite de cette premiegravere deacutefinition le ciel est deacutefini comme suit

En un autre sens crsquoest le corps en continuiteacute avec la derniegravere circonfeacuterence du Tout ougrave setrouvent la Lune le Soleil et certains astres car nous disons drsquoeux aussi qursquoils sont dansle ciel10

Ce nouveau sens du mot ciel nous permet de saisir une nouvelle dimension de celui-

ci en effet le ciel nrsquoest pas seulement dit de ce qui englobe quelque chose qui est le laquo Tout raquo

il est aussi dit qursquoil est le corps11 qui est dans la continuiteacute de la sphegravere des fixes crsquoest-agrave-dire

qursquoil est dans la continuiteacute de la circonfeacuterence la plus eacuteloigneacutee qui englobe le laquo Tout raquo et

qursquoon appelle eacutegalement ciel

Cela est justifiable dans la mesure ougrave comme lrsquoaffirme Aristote nous disons des astres

que sont la Lune le Soleil qursquoils sont dans le ciel or ces astres ne se trouvent pas sur la

derniegravere circonfeacuterence du Tout Le ciel ne peut donc pas ecirctre seulement le corps qui est sur

lrsquoextreacutemiteacute de la circonfeacuterence la plus eacuteloigneacutee sinon on ne pourrait pas dire que la Lune et le

Soleil (ainsi que drsquoautres astres) sont dans le ciel Dans un troisiegraveme et dernier sens toujours agrave

la suite des deux premiegraveres deacutefinitions du ciel Aristote affirme que le ciel se dit du Tout

enveloppeacute par la derniegravere circonfeacuterence

De plus en un autre sens on appelle laquo ciel raquo le corps enveloppeacute par la derniegravere circonfeacuterence car nous avons coutume drsquoappeler laquo ciel raquo la totaliteacute ou le Tout12

Cette deacutefinition fait eacutecho aux quelques lignes introductives du livre III Puisque les

deux premiers livres du traiteacute Du ciel portaient sur laquo le premier ciel et ses parties raquo alors il

est possible drsquoaffirmer que le Tout est lrsquoensemble de ce qui est enveloppeacute par la sphegravere des

10 ARISTOTE opcit p143-14511 Le corps naturel du ciel est lrsquoeacutether 12 ARISTOTE opcit p143-145

14

fixes En drsquoautres termes le Tout qursquoest le ciel est la totaliteacute du corps et de ce qui le compose

qui est enveloppeacutee par le premier ciel

112 Le corps du ciel lrsquoeacuteleacutement divin et le mouvement du corps ceacuteleste

Maintenant que nous avons vu par le biais du De Caelo I 9 les trois sens qursquoAristote

accorde au mot laquo ciel raquo nous pouvons nous inteacuteresser agrave lrsquoessence mecircme du ciel et agrave celle des

parties qui le composent En plus de chercher agrave comprendre de quoi le ciel est constitueacute nous

reviendrons sur lrsquoeacuteleacutement qursquoest lrsquoeacutether invoqueacute plus haut et sur le mouvement naturel des

corps ceacutelestes

De Caelo I 2 est une tentative argumenteacutee de montrer que le corps qui se meut en

cercle est diffeacuterent drsquoun autre type de corps le corps dont le mouvement est rectiligne

Aristote dans ce chapitre du De Caelo affirme premiegraverement que tous les corps naturels

crsquoest-agrave-dire les corps qui sont faits drsquoeacuteleacutements naturels peuvent se mouvoir selon le lieu et

que ce mouvement selon le lieu srsquoappelle le laquo transport raquo Ce transport se fait soit de maniegravere

rectiligne soit de maniegravere circulaire ou alors de ces deux faccedilons agrave la fois

Tout mouvement selon le lieu (que nous appelons transport) est soit rectiligne soit circulaire soit un meacutelange des deux Car ce sont lagrave les deux formes simples [hellip] Le transport en cercle est celui qui a lieu autour du centre le transport rectiligne celui qui a lieu vers le haut ou vers le bas

Il nrsquoexiste ainsi que deux types de mouvement simple pour les corps simples Aristote appelle

les corps simples les eacuteleacutements naturels Leurs mouvements possibles sont rectilignes ou

circulaires Le corps qui se meut en ligne est le corps simple qui a un mouvement simple soit

vers le centre13 soit agrave partir du centre14 Le corps qui se meut en cercle est le corps simple qui

a un mouvement autour du centre Mais quels sont les arguments preacutecis qui deacutefendent que le

corps mucirc en cercle est simple Et quel est donc ce corps qui se meut en cercle Telles sont

les questions auxquelles nous allons reacutepondre ici dans le but de comprendre la nature du corps

simple mucirc en cercle puis de saisir sa composition

13 Vers le bas14 Vers le haut

15

Nous lrsquoavons dit le corps simple est celui qui a un mouvement selon sa nature Le feu aura

donc un mouvement qui va vers le haut alors que la terre aura un mouvement qui va vers le

centre Selon le cosmos aristoteacutelicien et la physique aristoteacutelicienne le corps qui est composeacute

de lrsquoeacuteleacutement naturel qui est la terre sera le plus pesant et aura un lieu naturel preacutecis Il est

important de preacuteciser que chaque eacuteleacutement possegravede un lieu naturel vers lequel il tend

naturellement agrave ecirctre et agrave rester et un lieu contre-naturel dans lequel il est de maniegravere contre-

naturelle La notion de lieu naturel ou de lieu contre-naturel est centrale dans lrsquoexplication du

mouvement chez Aristote le corps composeacute de terre sera le plus pesant et son lieu naturel

sera le bas ainsi il aura un mouvement rectiligne vers le centre Le corps composeacute de feu

quant agrave lui et parce que le feu est lrsquoeacuteleacutement qui nrsquoa aucune pesanteur a un mouvement

rectiligne qui part du centre et va vers le haut On comprend alors que ce qui deacutetermine le

mouvement du corps simple qui se meut de maniegravere rectiligne est ce qui le compose crsquoest-agrave-

dire sa nature Il en va de mecircme pour le corps simple qui se meut en cercle Mais avant drsquoy

venir nous nous devons premiegraverement de prouver que le corps qui se meut en cercle est un

corps simple et qursquoil ne saurait ecirctre autre chose Premiegraverement il srsquoagit pour Aristote de

montrer que le corps mucirc en cercle est simple puisque srsquoil existe un mouvement simple que le

mouvement en cercle soit simple ndash mouvement simple car les mouvements circulaire et

rectiligne sont les seuls types de mouvements qui soient simples les autres eacutetant mixtes

rectilignes et circulairessup2 ndash que le mouvement drsquoun corps simple soit simple et que le

mouvement simple soit celui drsquoun corps simple alors il est neacutecessaire que le corps qui est mucirc

en cercle selon la nature soit un corps simple Il ne srsquoagit pas ici de prouver drsquoores et deacutejagrave

qursquoil existe un corps simple qui se meut en cercle pour Aristote mais simplement de montrer

que theacuteoriquement si un corps qui se meut en cercle existe alors il sera neacutecessairement un

corps simple Cet argument en faveur de lrsquoexistence drsquoun corps qui se meut en cercle nrsquoest pas

le seul chaque corps simple a un lieu naturel vers lequel il est naturellement mis en

mouvement du fait mecircme de sa nature Mais srsquoil a un lieu naturel par nature cela signifie qursquoil

a aussi un lieu qui lui est contre-nature Aristote a montreacute que srsquoil existait un corps mucirc en

cercle celui-ci eacutetait neacutecessairement simple Si un corps simple a un mouvement en cercle et

qursquoon postule que ce mouvement circulaire est simple drsquoune part mais drsquoautre part contre-

nature agrave ce corps dans ce cas lagrave cela signifie qursquoil aura un mouvement autre qui lui sera

naturel Dans la conception aristoteacutelicienne de la physique les corps sont mus en fonction de

ce qui les compose nous lrsquoavons vu et ce qui compose les corps physiques sont les eacuteleacutements

le feu la terre lrsquoeau et lrsquoair Si un corps simple est un corps qui est mucirc par la nature de ce qui

16

le compose alors le corps sera mucirc selon qursquoil est composeacute de feu ou de terre Nous avons vu

que le feu avait un mouvement naturel rectiligne qui part du centre et la terre un mouvement

naturel rectiligne qui va vers le centre donc si le feu ou la terre est mucirc en cercle ce sera

contre nature Le problegraveme qui se pose est le suivant

Mais une chose unique a un contraire unique et les mouvements vers le haut et vers lebas sont contraires lrsquoun de lrsquoautre

Cela implique que le corps simple qui se meut naturellement de maniegravere rectiligne

vers le centre aura pour contraire le mouvement rectiligne qui part du centre et vice-versa

Ainsi il est impossible qursquoun corps simple dont le mouvement est naturellement rectiligne

soit mucirc en cercle

A partir de cet argument dans le chapitre 2 du livre I du De Caelo nous pouvons

affirmer une chose si un corps simple qui se meut en cercle existe alors il ne peut pas ecirctre

composeacute de feu ou de terre car aucun des corps qui sont composeacutes de ces eacuteleacutements et qui se

meuvent de maniegravere rectiligne naturellement vers le haut ou vers le bas ne peuvent ecirctre mus

contre-nature en cercle Il ne reste maintenant qursquoagrave prouver lrsquoexistence de ce corps simple qui

se meut en cercle Lrsquoargument drsquoAristote sur le sujet dans le chapitre 2 du livre I du De Caelo

est le suivant srsquoil existe un mouvement circulaire que ce mouvement circulaire soit simple

que le mouvement circulaire ndash et nrsquoimporte quel mouvement selon le lieu en reacutealiteacute ndash soit la

proprieacuteteacute drsquoun corps simple et qursquoil soit impossible que le mouvement circulaire soit le

mouvement contre-nature drsquoun corps qui se meut en ligne droite alors cela implique qursquoil

existe un corps simple qui se meut en cercle Comment pourrait-il y avoir un mouvement

circulaire mais pas de corps pour avoir ce mouvement dans la mesure ougrave nous lrsquoavons dit le

mouvement selon le lieu est une proprieacuteteacute des corps Cela est impossible Nous pouvons

alors conclure la chose suivante

Crsquoest pourquoi celui qui raisonne en partant de tout cela pourrait se convaincre qursquoen plusdes corps qui existent ici autour de nous il y en a un autre seacutepareacute qui a une naturedrsquoautant plus digne qursquoil est plus eacuteloigneacute de lrsquoici-bas

17

De lrsquoexistence drsquoun corps qui se meut en cercle on peut logiquement induire qursquoil

existe une nature propre au corps qui se meut en cercle une nature plus noble que celle des

corps qui se meuvent en ligne droite Quelle est la nature de ce corps simple dont le

mouvement est circulaire Crsquoest lagrave la seconde question qui nous inteacuteresse

Pour y reacutepondre Aristote se reacutefegravere agrave ce qui a eacuteteacute dit preacuteceacutedemment Puisque la

pesanteur ou la leacutegegravereteacute est une proprieacuteteacute du corps qui lui vient de sa composition et qui

implique qursquoil soit naturellement dirigeacute vers le bas ou vers le haut alors tous les corps ne

possegravedent pas de pesanteur ou de leacutegegravereteacute Quels sont les corps qui possegravedent la pesanteur

Ce sont ceux qui sont naturellement dirigeacutes vers le bas et qui se meuvent en ligne droite vers

le centre crsquoest-agrave-dire tout ce qui est composeacute de terre ou drsquoune espegravece de terre Quels sont les

corps qui possegravedent la leacutegegravereteacute Ce sont ceux qui sont naturellement dirigeacutes vers le haut et

qui se meuvent en ligne droite agrave partir du centre crsquoest-agrave-dire tout ce qui est composeacute de feu ou

drsquoune espegravece de feu A partir de lagrave il est possible drsquoaffirmer que le corps qui se meut en

cercle parce qursquoil nrsquoest mucirc ni vers le bas ni vers le haut est un corps qui nrsquoa ni pesanteur ni

leacutegegravereteacute car nrsquoest ni composeacute de terre ou drsquoune espegravece de terre ni de feu ou drsquoune espegravece de

feu Mais qursquoest-ce que le pesant et le leacuteger Le plus pesant est deacutefini comme ce qui est situeacute

en dessous de tous les corps transporteacutes vers le bas et le plus leacuteger est deacutefini comme ce qui est

agrave la surface de tous les corps porteacutes vers le haut dans le De Caelo I 3 269b18-26 Il est

important pour des raisons de justesse de preacuteciser que cette pesanteur et cette leacutegegravereteacute sont

toutefois relatives un corps leacuteger lrsquoest par rapport agrave un autre et il en va de mecircme pour le

corps pesant mais lagrave nrsquoest pas notre sujet Ces deacutefinitions nous permettent de comprendre que

ce qui nrsquoappartient pas au mouvement rectiligne ne peut pas appartenir aux eacuteleacutements pesants

ou leacutegers

De plus puisque les corps qui ont un mouvements rectilignes vers le haut sont

contraires aux corps ayant un mouvement vers le bas et que la corruption et la geacuteneacuteration se

font dans les contraires alors cela signifie que ces corps sont soumis agrave la geacuteneacuteration et

corruption Selon Aristote laquo crsquoest dans le domaine des contraires que se produisent la

geacuteneacuteration et la corruption raquo15 Du fait mecircme que les corps simples mus en ligne droite vers le

haut ou vers le bas possegravedent un mouvement contre-nature cela implique qursquoils appartiennent

au milieu de ce qui est geacuteneacutereacute et de ce qui ineacutevitablement se corrompt La corruption se fait

dans le changement des proprieacuteteacutes et par rapport agrave quelque chose il en va de mecircme pour

15 De Caelo I 3 270b20 p 89

18

lrsquoaugmentation Lrsquoaugmentation est une forme de geacuteneacuteration agrave partir drsquoun changement dans la

proprieacuteteacute le corps humain transforme et geacutenegravere des nutriments agrave partir de la nourriture qursquoil

ingegravere donc la nourriture a eacuteteacute corrompue et les nutriments ont eacuteteacute geacuteneacutereacutes crsquoest une

deacuteformation de la nourriture et un changement dans son espegravece Mais puisqursquoil nrsquoy a rien de

contraire au mouvement circulaire cela implique que le corps simple qui se meut en cercle

nrsquoest ni geacuteneacuterable ni corruptible puisqursquoil ne peut pas se transformer en son contraire Ce

corps simple nrsquoest pas non plus alteacuterable selon Aristote

En effet lrsquoalteacuteration est un mouvement selon la qualiteacute et les eacutetats et les dispositionsqualitatifs par exemple la santeacute et la maladie ne se produisent pas sans changementsdans les proprieacuteteacutes Mais nous voyons que tous ceux des corps naturels qui changentselon une proprieacuteteacute sont tous sujets agrave lrsquoaugmentation et agrave la diminution [hellip] il en est demecircme pour celui des eacuteleacutements16

Puisque le corps qui est mucirc en cercle nrsquoest ni sujet agrave lrsquoaugmentation (lrsquoaugmentation eacutetant une

forme de geacuteneacuteration) etou agrave la diminution (diminution eacutetant une forme de corruption) alors il

est inalteacuterable Ainsi en plus drsquoecirctre ingeacuteneacuterable et incorruptible le corps qui se meut en cercle

est inalteacuterable Cette proprieacuteteacute fait de lui un corps eacuteternel Le corps qui se meut en cercle doit

donc ecirctre composeacute de quelque chose qui nrsquoa pas de contraire qui nrsquoest pas un eacuteleacutement tel que

le feu lrsquoair lrsquoeau ou la terre et qui nrsquoest ni geacuteneacutereacute ni corruptible A ce stade nous ne savons

pas encore ce qui est signifieacute par laquo le corps simple qui se meut en cercle raquo Mais Aristote lui

donne une autre caracteacuteristique celle drsquoecirctre premier ce qui peut srsquoexpliquer par le fait qursquoil

nrsquoest pas geacuteneacuterable et donc nrsquoest pas venu agrave lrsquoecirctre agrave un instant T Il se tourne ainsi vers trois

instances qui lui permettent de justifier ses dires anteacuterieurs la religion lrsquoobservation et

lrsquoeacutetymologie sont autant drsquoarguments en faveur de la nature du corps qui se meut en cercle tel

que nous lrsquoavons conccedilu jusqursquoagrave preacutesent

Il se tourne premiegraverement vers la religion Aristote affirme en 270b5 du De Caelo que

dans le domaine de la religion on attribue le plus haut lieu agrave ce qui est le plus divin on place

ainsi le divin au-dessus de tout Ainsi le corps qui se meut en cercle puisqursquoil se situe au-

dessus de tout et regardeacute comme eacutetant divin Degraves lors dans la mesure ougrave lrsquoon attribue

lrsquoimmortaliteacute au divin le ciel est alors consideacutereacute comme eacutegalement divin Par conseacutequent le

corps qui se meut en cercle se situe dans le plus haut lieu Lrsquoeacuteterniteacute de ce corps est

16 Ibid p89

19

veacuterifiable par lrsquoobservation et lrsquoexpeacuterience comme lrsquoaffirme Aristote dans la suite du

raisonnement

En effet dans toute lrsquoeacutetendue du temps eacutecouleacute selon la tradition que les hommes se sonttransmise les uns aux autres aucun changement nrsquoa eacuteteacute constateacute ni dans la totaliteacute la plusexteacuterieure du ciel ni dans aucune des parties qui lui sont propres

On comprend agrave la suite de cette remarque que le corps mucirc en cercle qui eacutetait lrsquoobjet de

notre propos est eacutegalement appeleacute laquo ciel raquo Ce que nous avons vu plus haut crsquoest-agrave-dire toutes

les caracteacuteristiques propres au corps qui se meut en cercle srsquoappliquent alors au ciel Mais de

quel sens du laquo ciel raquo parle-t-on puisque nous avons vu que le ciel avait trois sens A en juger

par ce que nous venons de citer nous pouvons dire qursquoAristote parle du premier et second

ciel le premier eacutetant le corps qui se trouve sur la circonfeacuterence la plus exteacuterieure et la plus

eacuteloigneacutee crsquoest-agrave-dire la sphegravere des fixes et le second eacutetant le corps qui est dans la continuiteacute

de la sphegravere des fixes et dans lequel se trouvent certains astres comme le Soleil la Lune et

drsquoautres encore Via lrsquoobservation nous pouvons conclure que le corps est ingeacuteneacuterable

incorruptible et inalteacuterable Mais cet argument en faveur de lrsquoeacuteterniteacute du ciel a un troisiegraveme

temps lrsquoeacutetymologie

Nous eacutevoquions plus tocirct lrsquoideacutee selon laquelle le corps qui se meut en cercle ne pouvait

pas ecirctre constitueacute de feu ou de terre et que donc il avait un eacuteleacutement qui lui eacutetait propre Cet

eacuteleacutement est plus noble que le feu et la terre car il se situe dans le domaine du ciel qui nrsquoest ni

soumis agrave la geacuteneacuteration ni agrave la corruption car il nrsquoa pas de contraire Il est donc eacuteternel Cet

eacuteleacutement tient drsquoailleurs son nom du fait qursquoil est eacuteternel

Crsquoest pourquoi dans lrsquoideacutee que le premier corps eacutetait diffeacuterent de la terre du feu de lrsquoair et de lrsquoeau ils ont nommeacute laquo eacutether raquo le lieu le plus eacuteleveacute tirant pour lui cette appellation du fait qursquoil court toujours pendant un temps eacuteternel

Ainsi le corps qursquoest le ciel parce qursquoil faut rappeler qursquoil est un ecirctre corporel est constitueacute

drsquoune matiegravere que lrsquoon appelle lrsquoeacutether et qui dans le monde supralunaire drsquoAristote est le seul

eacuteleacutement

20

12 Platonisme et aristoteacutelisme sur lrsquouniciteacute du monde Du Timeacutee au De Caelo I 9

121 Lrsquouniciteacute du monde dans le Timeacutee17 de Platon

La question des eacuteleacutements constitutifs des corps est indispensable pour comprendre le

contexte dans lequel le problegraveme du takei se pose En effet le passage obscur du De Caelo I

9 qui est notre propos se situe dans un chapitre visant agrave montrer par les arguments que nous

allons maintenant aborder que le monde est unique et qursquoil nrsquoy a aucun corps en dehors de

lui

Disons maintenant pour quelle raison celui qui a constitueacute le devenir crsquoest-agrave-dire notreunivers lrsquoa constitueacute Il eacutetait bon or en ce qui est bon on ne trouve aucune jalousie agravelrsquoeacutegard de qui que ce soit Deacutepourvu de jalousie il souhaita que toutes choses devinssentle plus possible semblables agrave lui 29e

La question que se pose ici Timeacutee est celle du pourquoi de lrsquounivers Afin de reacutepondre agrave cette

question il srsquointeacuteresse agrave la nature de celui qui a creacuteeacute lrsquounivers En effet la nature mecircme de

celui qui a creacuteeacute lrsquounivers implique que notre univers soit de telle faccedilon et non drsquoune autre

Puisque celui-ci est bon et que la jalousie nrsquoest pas une proprieacuteteacute de ce qui est bon alors celui

qui a creacuteeacute lrsquounivers lrsquoa creacuteeacute de maniegravere agrave ce qursquoil soit agrave son image crsquoest-agrave-dire qursquoil possegravede

les mecircmes qualiteacutes que lui Ainsi en tant qursquoecirctre bon il a voulu que tout ce qui existe soit

bon autant que possible et aussi parfait que possible Mais le deacutemiurge nrsquoest pas parti de rien

cette conception platonicienne de la creacuteation de lrsquounivers deacutecoule de lrsquoideacutee que le rien et le

neacuteant nrsquoexistent pas Donc celui qui est agrave lrsquoorigine de lrsquounivers lrsquoa engendreacute agrave partir de

quelque chose qui eacutetait deacutesordonneacute et en mouvement le visible Il a alors fait de ce visible

deacutesordonneacute un visible ordonneacute Du fait mecircme que celui qui a engendreacute le monde est lrsquoecirctre le

meilleur cela implique que ce qursquoil produit est aussi parfait qursquoil peut lrsquoecirctre car le meilleur

ne pourrait pas faire quelque chose de mauvais

Ayant reacutefleacutechi il se rendit compte que de choses par nature visibles son travail nepourrait jamais faire sortir un tout deacutepourvu drsquointellect qui fucirct plus beau qursquoun tout

17 PLATON Timeacutee 1992 Traduction par L Brisson Nous nous reacutefeacutererons agrave cette traduction sauf indication contraire

21

pourvu drsquointellect et que par ailleurs il eacutetait impossible que lrsquointellect preacutesent en quelquechose soit deacutepourvu drsquoune acircme 30A-b

Mais la nature propre du creacuteateur ne suffit pas agrave faire de toutes ses œuvres des ecirctres

eacutegaux en effet le deacutemiurge srsquoest rendu compte que malgreacute son travail le tout qui eacutetait

constitueacute drsquoun intellect eacutetait neacutecessairement plus beau qursquoun tout sans intellect Mais qursquoest-ce

que lrsquointellect chez Platon qui implique une hieacuterarchie entre les creacuteations du deacutemiurge

Comme lrsquoindique lrsquoextrait citeacute plus haut et qui nous donne une premiegravere ideacutee de ce qursquoest

lrsquointellect chez Platon si lrsquointellect est preacutesent en une chose il est impossible que cette chose

qui possegravede un intellect nrsquoait pas drsquoacircme Cela se justifie par le fait que lrsquointellect νοῦς chez

Platon est la partie la plus noble ou divine de lrsquoacircme Il y a donc une distinction entre lrsquoacircme et

lrsquointellect lrsquoacircme est une chose dont une des partie est lrsquointellect elle est la plus noble A quoi

sert cette partie Elle est ce qui permet de connaicirctre lrsquointelligible et de srsquoen rapprocher

Puisque lrsquointellect a eacuteteacute mis dans lrsquoacircme du monde et que lrsquointellect est la partie la plus belle et

la plus noble de lrsquoacircme cela implique que le monde est par nature le plus beau et le meilleur

possible

Ainsi donc conformeacutement agrave une explication qui nrsquoest que vraisemblable il faut dire que notre monde qui est un vivant doueacute drsquoune acircme pourvue drsquoun intellect a en veacuteriteacute eacuteteacute engendreacute par suite de la deacutecision reacutefleacutechie drsquoun dieu 30bndashc

Puisque le deacutemiurge a la capaciteacute de reacutefleacutechir alors il est proche des intelligibles et du

plus noble et ainsi il est dans la mesure de savoir comment faire de sa creacuteation un ecirctre aussi

bon et beau que possible La proprieacuteteacute du deacutemiurge qui est mise en avant est son intelligence

mais la conception du deacutemiurge ne srsquoarrecircte pas lagrave En effet agrave la maniegravere drsquoun artisan le

deacutemiurge creacutee le monde Mais comme tout artisan il se doit de posseacuteder une connaissance de

la chose qursquoil produit afin de la produire de faccedilon agrave ce qursquoelle soit la plus parfaite possible

Crsquoest pourquoi comme le deacutemiurge est un artisan qui reacutefleacutechit qui possegravede un intellect dans

son acircme il peut avoir une connaissance des intelligibles et ainsi produire quelque chose qui

est le plus parfait possible

22

A la ressemblance de quel vivant en particulier celui qui a faccedilonneacute le monde lrsquoa-t-ilfaccedilonneacute A la ressemblance drsquoaucun de ces vivants qui tiennent le rang drsquoespegraveceparticuliegravere dans la nature estimons-nous car rien de ce qui ressemble agrave un ecirctreincomplet ne saurait jamais ecirctre beau 30c

Mais tel un artisan le deacutemiurge ne produit pas agrave partir de rien il possegravede une

connaissance de ce qursquoil produit nous lrsquoavons dit Mais quelle est cette connaissance Elle

est la connaissance drsquoune ideacutee intelligible en drsquoautres termes drsquoune Forme comprise comme

lrsquoecirctre intelligible et parfait que lrsquoon ne peut saisir que par le biais de lrsquointellect Cela signifie

que le monde ecirctre mateacuteriel et tangible a eacuteteacute creacuteeacute agrave limage dun modegravele qui est intelligible et

non agrave un modegravele sensible Le monde est le sensible le plus parfait alors il ne peut pas avoir

pour modegravele quelque chose de moins parfait que lui et qui soit une partie de quelque chose

drsquoautre

Mais lrsquoensemble auquel appartiennent tous les ecirctres vivants agrave titre de parties soitindividuellement soit en tant qursquoespegravece voilagrave entre tous les vivants supposons-nouscelui auquel ressemble le plus celui-ci Effectivement tous les vivants intelligibles cevivant les tient enveloppeacutes en lui-mecircme de la mecircme faccedilon que notre monde nous contientnous et toutes les autres creacuteatures visibles 32c-d

Mais de quoi ces parties sont-elles les parties Du monde selon Platon Lrsquoargument

repose sur une analogie crsquoest-agrave-dire que notre monde est agrave tous les ecirctres sensibles ce que son

modegravele est agrave tous les ecirctres intelligibles Le monde enveloppe la totaliteacute de tous les ecirctres

sensibles il est logique que son modegravele soit ce qui enveloppe la totaliteacute de tous les ecirctres

intelligibles En effet le deacutemiurge a souhaiteacute que le monde ressemble agrave lrsquoecirctre le plus parfait

entre tous crsquoest-agrave-dire agrave lrsquoecirctre le plus beau de tous dans le sens ougrave il ne manque drsquoaucun des

biens Il a fait le monde de telle sorte qursquoil ait agrave lrsquointeacuterieur de lui tous les vivants qui sont de

mecircme nature que lui tous les ecirctres de nature sensible Comme notre monde est fait sur le

modegravele de quelque chose de parfait qui enveloppe tous les ecirctres intelligibles alors srsquoil y avait

une autre chose qui enveloppait tout cette autre chose serait le modegravele sur lequel aurait eacuteteacute

creacuteeacute notre monde Srsquoil y avait un autre ecirctre qui enveloppe tous les vivants en plus de notre

monde il faudrait qursquoil y ait un ecirctre qui les enveloppe tous les deux et ce serait agrave ce monde lagrave

que ressemblerait le nocirctre Notre monde partage comme caracteacuteristique lrsquouniciteacute du monde

23

parfait unique et beau dont il est la copie Il ne pourrait alors y avoir aucun autre monde en

dehors du nocirctre

[hellip] le dieu ayant placeacute au milieu entre le feu et la terre lrsquoeau et lrsquoair et ayant introduitentre eux autant que crsquoeacutetait possible le mecircme rapport qui fasse que ce que le feu est agravelrsquoair lrsquoair le soit agrave lrsquoeau et que ce que lrsquoair est agrave lrsquoeau lrsquoeau le soit agrave la terre a constitueacute agravelrsquoaide de ces liens un monde visible et tangible 32b

Comment peut-on expliquer que le monde soit sensible Platon fait lrsquoexpeacuterience drsquoun

monde sensible crsquoest le point de deacutepart de sa deacutemarche qui consiste agrave essayer drsquoexpliquer

pourquoi le monde est sensible et ordonneacute Pourquoi y-a-t-il un monde sensible ordonneacute et

non deacutesordonneacute A lrsquoimage drsquoune recette Platon fait la genegravese de la conception du monde qui

repose sur la preacutesence de quatre eacuteleacutements en quantiteacute proportionnelle et selon un rapport de

proportionnaliteacute le feu la terre lrsquoeau et lrsquoair Le fait que le monde soit constitueacute de ces

eacuteleacutements qui entretiennent entre eux un tel rapport en fait un ecirctre mateacuteriel ordonneacute et

impossible agrave corrompre (sinon par celui qui lrsquoa fait tel qursquoil est)

Or de ces quatre eacuteleacutements pris un agrave un la constitution du monde a absorbeacute la totaliteacuteCrsquoest en effet tout le feu toute lrsquoeau tout lrsquoair et toute la terre qursquoutilisa celui quiconstitua le monde pour le constituer ne laissant hors du monde aucune parcelle aucuneproprieacuteteacute de quoi que ce soitVoici quel eacutetait son dessein Il souhaitait en premier lieu quele monde fucirct avant tout un vivant parfait constitueacute de parties parfaites que de plus il fucirctunique dans la mesure ougrave il ne restait rien agrave partir de quoi un autre vivant de mecircmenature puisse venir agrave lrsquoecirctre 32c-33a

On comprend alors lrsquoargument platonicien selon lequel le monde est neacutecessairement

unique Puisque le deacutemiurge a mis en ordre le monde en le constituant de quatre eacuteleacutements (le

feu lrsquoair lrsquoeau et la terre) selon un certain meacutelange et qursquoen plus de cela il a utiliseacute la totaliteacute

du feu la totaliteacute de lrsquoair la totaliteacute de lrsquoeau et la totaliteacute de la terre pour le creacuteer il ne peut

rien exister de mecircme nature que lui Lrsquoensemble de cet extrait du Timeacutee permet de souligner

lrsquouniciteacute du monde sur deux plans diffeacuterents sur le plan meacutetaphysique et sur le plan

physique Sur le plan meacutetaphysique dans la mesure ougrave il a eacuteteacute prouveacute logiquement que le

monde ne pouvait ecirctre qursquoun seul puisqursquoil enveloppait agrave lrsquoimage de lrsquoecirctre intelligible le plus

24

parfait lrsquoensemble des sensibles Sur le plan physique dans la mesure ougrave il a eacuteteacute affirmeacute par

Platon que le monde eacutetait composeacute de la totaliteacute des quatre eacuteleacutements

Lrsquoargument en faveur de lrsquouniciteacute du monde que nous venons de voir est lrsquoeacutecho de la

theacuteorie platonicienne des Formes eacutenonceacutees dans le livre VI de la Reacutepublique18 A la fin du

livre VI de la Reacutepublique Platon dessine rapidement les traits de ce que sera plus tard dans la

mecircme œuvre la theacuteorie des Formes En effet il affirme en cette fin de livre VI que les

geacuteomegravetres lorsqursquoils produisent des hypothegraveses sur les angles et autres figures geacuteomeacutetriques

ne les font pas sur ce triangle qursquoils ont construit ou ce cercle qursquoils ont traceacute ils les font sur

les figures geacuteomeacutetriques en soi A quoi servent alors ces traceacutes Ils servent drsquoimages qui

permettent aux geacuteomegravetres de contempler les choses en soi que lrsquoon ne peut contempler que

par la penseacutee Ces figures traceacutees sont les copies des choses en soi elles sont en ce sens leurs

images De la mecircme maniegravere le monde sensible dans lequel nous sommes et qui enveloppe

lrsquoensemble de tous les ecirctres sensibles est la copie de lrsquoecirctre intelligible le plus parfait qui

enveloppe tous les vivants intelligibles Cette ideacutee implique qursquoil existe dans la philosophie

platonicienne des formes transcendantes qui srsquoeacutelegravevent au dessus du monde sensible et qui ne

sont que copieacutees dans ce monde La veacuteriteacute concernant les choses se trouverait dans le monde

intelligible seulement accessible par la penseacutee La forme est alors comprise comme la chose

en soi intelligible et transcendante Ainsi on peut drsquoores et deacutejagrave en conclure qursquoil y a une

diffeacuterence chez Platon entre la forme hors de la matiegravere et la forme dans lrsquoobjet sensible

122 Aristote en De Caelo I 9 analyse des arguments en faveur de la pluraliteacute des cieux

pour deacutefendre la theacuteorie platonicienne de lrsquouniciteacute du monde

Toutefois il est possible de se meacuteprendre sur la theacuteorie platonicienne de lrsquounivers et de

lui attribuer des conseacutequences erroneacutees voire de lrsquoutiliser afin drsquoaffirmer que le monde nrsquoest

pas unique Aristote en De Caelo I 9 srsquoengage agrave faire lrsquoexamen des arguments en faveur de

la pluraliteacute des mondes que lrsquoon pourrait tirer de la theacuteorie platonicienne de la creacuteation du

monde Nous allons alors maintenant voir quels sont ces arguments

En effet il pourrait sembler impossible qursquoil nrsquoy ait qursquoun seul ciel agrave qui examine leschoses de cette maniegravere dans tout ce qui est constitueacute ou a eacuteteacute produit que ce soit par lanature ou par lrsquoart ce sont deux choses diffeacuterentes que la forme en soi et celle qui est

18 PLATON La Reacutepublique 2002 Traduction par G Leroux

25

meacutelangeacutee agrave la matiegravere par exemple dans le cas de la sphegravere ce sont deux chosesdiffeacuterentes que la forme de la sphegravere et la sphegravere drsquoor ou la sphegravere drsquoairain et encore lafigure du cercle est diffeacuterente du cercle drsquoairain ou du cercle de bois 277b-30

Nous lrsquoavons dit plus haut dans la philosophie platonicienne il y a une distinction

entre la forme hors de la matiegravere et la forme dans la matiegravere dans la mesure ougrave la forme

intelligible (hors de la matiegravere) est transcendante et seacutepareacutee de la matiegravere Et selon Aristote il

pourrait sembler impossible agrave celui qui accepte cette distinction platonicienne de penser qursquoil

nrsquoexiste qursquoun seul monde Il srsquoagit alors de se demander premiegraverement quel est lrsquoargument

qui nous laisse penser que le ciel nrsquoest pas unique Deuxiegravemement nous nous demanderons si

Aristote deacutefend cette compreacutehension de la theacuteorie platonicienne ou srsquoil cherche agrave critiquer

ceux qui la comprennent ainsi

La theacuteorie platonicienne selon laquelle il y a une diffeacuterence entre la forme dans la

matiegravere et la forme en dehors de la matiegravere nous permet drsquoacceacuteder agrave lrsquoexemple suivant dans

le cas drsquoune sphegravere il y a la forme en soi qui est la forme purement intelligible de la sphegravere

drsquoune part et drsquoautre part il y a la sphegravere sensible constitueacutee admettons drsquoor ou drsquoairain Ces

deux types de sphegraveres sont distincts nous lrsquoavons dit pour la raison qursquoil existe une

diffeacuterence entre la forme de la sphegravere hors de la matiegravere (une forme qui est seacutepareacutee et

transcendante) et la forme de la sphegravere dans la matiegravere (une forme qui est meacutelangeacutee agrave la

matiegravere)

Puisque donc le ciel est sensible il sera une chose particuliegravere Car selon nous toutsensible existe dans la matiegravere Mais srsquoil est une chose particuliegravere lrsquoecirctre de ce ciel-ci etlrsquoecirctre du ciel pris absolument seront des choses diffeacuterentes Donc ce ciel-ci sera diffeacuterentdu ciel pris absolument ce dernier est pris comme forme et figure le premier commequelque chose de meacutelangeacute agrave la matiegravere 278a-10

Ce raisonnement appliqueacute au ciel affirme la chose suivante puisque le ciel est un

ecirctre corporel il est une chose particuliegravere Mais srsquoil est une chose particuliegravere et mateacuterielle

alors on peut en conclure que lrsquoecirctre de ce ciel particulier ne sera pas le mecircme que celui du ciel

pris en soi Ainsi le ciel particulier du fait de sa matiegravere dont parle Aristote ne sera pas le

mecircme que le ciel pris en soi crsquoest-agrave-dire en tant que Forme

26

[] cela nrsquoest pas moins vrai si rien de telle nrsquoexiste de maniegravere seacutepareacutee Dans tous lescas en effet ougrave nous voyons cela agrave savoir que la substance formelle se trouve dans lamatiegravere les ecirctres de mecircme forme sont plusieurs et mecircme en nombre infini De sorte qursquoilexiste plusieurs cieux ou qursquoil peut en exister plusieurs 278a-15-20

Mais ces individus qui comprennent lrsquoargument de Platon comme un argument en

faveur de la pluraliteacute du ciel affirment que mecircme srsquoil nrsquoy avait pas de forme seacutepareacutee du

sensible il y aurait quand mecircme plusieurs cieux Mais pourquoi affirment-ils cela Parce

qursquoil peut y avoir plusieurs ecirctres composeacutes de mecircme forme La forme dans la matiegravere nrsquoest

pas neacutecessairement unique la forme de deux chaises diffeacuterentes est la mecircme ce qui fait sa

particulariteacute est la matiegravere Mais il nrsquoest pas contradictoire qursquoil y ait une infiniteacute de chaises

il ne peut y avoir qursquoune seule forme seacutepareacutee et transcendante de la chaise par contre il peut

y avoir un nombre immense de chaises mateacuterielles et potentiellement une infiniteacute dans la

mesure ougrave cela nrsquoest pas contradictoire avec la nature de la forme dans le composeacute

Du fait de la nature mateacuterielle du composeacute ceux qui interpregravetent Platon de cette

maniegravere concluent qursquoil peut tout agrave fait exister plusieurs cieux Il peut en effet y avoir une

infiniteacute de corps mateacuteriels pour une forme seacutepareacutee de la matiegravere unique Il srsquoagira alors pour

Aristote de reprendre ces arguments et drsquoen faire lrsquoexamen afin de savoir lesquels sont fondeacutes

et lesquels ne le sont pas Nous nous eacutetions alors demandeacute quels eacutetaient les arguments qui

laissaient penser que le ciel pouvait ne pas ecirctre unique drsquoune part et drsquoautre part si Aristote

deacutefendait les conclusions auxquelles aboutissait cette certaine compreacutehension de Platon ou srsquoil

les jugeait erroneacutees

123 Aristote en De Caelo I 9 arguments aristoteacuteliciens en faveur de lrsquouniciteacute du ciel

Mais quelle est donc la position drsquoAristote sur la question de lrsquouniciteacute du monde

Deacutefend t-il Platon Est-il en deacutesaccord avec Platon Leurs arguments diffeacuterent-ils Pour

reacutepondre agrave ces questions nous eacutetudierons de maniegravere lineacuteaire la suite du chapitre

Que donc la deacutefinition de la forme sans la matiegravere et celle de la forme dans la matiegraveresoient diffeacuterentes lrsquoune de lrsquoautre on le dit avec raison et tenons-le pour vrai Il nrsquoy aneacuteanmoins aucune neacutecessiteacute agrave conclure de cela qursquoil existe plusieurs mondes ni qursquoil peuten exister plusieurs srsquoil est vrai que ce monde-ci est composeacute de lrsquoensemble de lamatiegravere comme cela est le cas 278a25

27

Il est possible drsquoaffirmer avec veacuteriteacute selon Aristote que la forme dans la matiegravere et la

forme sans la matiegravere sont deux choses diffeacuterentes Mais nous lrsquoavons dit en 278a25 Aristote

affirme que de cela nous ne pouvons pas induire la neacutecessiteacute ou la possibiliteacute qursquoil en existe

plusieurs car il est vrai que le monde est composeacute de lrsquoensemble de la matiegravere Aristote

affirme alors qursquoil ne saurait y avoir un autre monde puisque le monde est constitueacute de

lrsquoensemble de la matiegravere

A ce moment de lrsquoexamen des arguments exposeacutes plus tocirct nous trouvons dans le De

Caelo une explication des trois sens du mots ciel Dans la mesure ougrave nous avons exposeacute plus

tocirct ce qursquoeacutetaient ces trois ciels nous ne ferons que rappeler ce passage en le restituant

briegravevement Puisque nous avons exposeacute plus haut le ciel de trois maniegraveres nous comprenons

bien qursquoil ne peut rien exister en dehors du ciel dans la mesure ougrave le ciel srsquoentend dans un

sens comme le Tout ou la totaliteacute de ce qui est enveloppeacute par la circonfeacuterence la plus

eacuteloigneacutee Rappelons-le le laquo ciel raquo se dit en plusieurs sens le ciel est le corps qui se trouve

sur la circonfeacuterence la plus eacuteloigneacutee Le ciel est donc lrsquoextreacutemiteacute en un sens En un second

sens le ciel est le corps qui est dans la continuiteacute de la circonfeacuterence la plus eacuteloigneacutee et dans

laquelle se trouvent certains astres tel que le Soleil la Lune et drsquoautres En un troisiegraveme sens

et crsquoest ce sens qui permet de montrer que le ciel possegravede lrsquoensemble de la matiegravere le ciel est

dit du Tout ou de la totaliteacute qui est enveloppeacutee par la circonfeacuterence la plus eacuteloigneacutee En

drsquoautres termes le ciel est la totaliteacute de ce qui est enveloppeacute par le corps situeacute agrave lrsquoextreacutemiteacute du

ciel De cela nous pouvons conclure la chose suivante selon Aristote

Le ciel eacutetant pris en ces trois sens la totaliteacute enveloppeacutee par la derniegravere circonfeacuterence estneacutecessairement constitueacutee de lrsquoensemble du corps naturel sensible du fait qursquoil nrsquoexisteaucun corps en dehors du ciel et qursquoil ne peut pas y en avoir Supposons en effet qursquoilexiste un corps naturel en-dehors de la derniegravere circonfeacuterence il serait neacutecessaire qursquoilfasse partie soit des corps simples soit des corps composeacutes et que son eacutetat soit naturelou contre-nature Or il ne pourrait ecirctre lrsquoun des corps simples 278b20-25

Postulons qursquoil existe un corps naturel qui soit au-delagrave de la derniegravere circonfeacuterence Si

ce corps naturel existe il est neacutecessaire puisque les corps se divisent seulement en deux

cateacutegories qursquoil soit simple ou composeacute Nous avons vu qursquoun corps simple eacutetait un corps

naturel dont le mouvement eacutetait deacutetermineacute par sa nature En effet un corps simple a un

28

mouvement rectiligne (vers le haut ou vers le centre) ou un mouvement circulaire Pour ce

qui est des mouvements rectilignes Aristote affirme que le corps simple ne pourrait pas se

trouver au-delagrave du ciel car les corps simples qui existent au nombre de quatre le feu lrsquoair

lrsquoeau et la terre sont en totaliteacute rassembleacutes dans le monde de sorte qursquoil nrsquoy en a aucune

quantiteacute agrave lrsquoexteacuterieur de celui-ci De plus puisque chaque corps simple a un mouvement

naturel qui le megravene agrave son milieu naturel (milieu naturel qui se trouve dans le monde) alors

cela signifie que lrsquoexteacuterieur du monde serait son milieu contre-nature Si tel est le cas alors le

milieu contre-nature qui est lrsquoexteacuterieur du ciel serait le milieu naturel drsquoun autre corps ce qui

nrsquoest pas possible en vertu du fait qursquoil nrsquoexiste aucune matiegravere en dehors du ciel Et pour ce

qui est du corps simple dont le mouvement est circulaire crsquoest-agrave-dire lrsquoeacutether nous avons vu

que son milieu naturel eacutetait le ciel et qursquoil nrsquoavait pas de milieu contre-nature Or srsquoil eacutetait en

dehors du ciel dans la mesure ougrave son milieu naturel est le ciel cela signifierait qursquoil serait

dans son milieu contre-naturel ce qui nrsquoest pas possible

Et si aucun des corps simples nrsquoy est aucun des corps mixtes nrsquoy est non plus car il estneacutecessaire que si un corps mixte srsquoy trouve les corps simples y soient aussi 279a1-2

Pour les corps composeacutes lrsquoargument est le mecircme Le corps composeacute est un corps qui

contient un meacutelange de plusieurs eacuteleacutements mais son mouvement se fait en fonction de

lrsquoeacuteleacutement qui domine en lui (il a donc un mouvement simple en fonction du corps simple qui

le constitue) Un corps admettons composeacute a 60 de terre et 40 de feu sera attireacute vers le

centre Ainsi il est neacutecessaire que ce corps simple ou composeacute ait un lieu naturel ou contre-

nature puisqursquoil est en mouvement vers son lieu naturel ou en mouvement vers un lieu contre-

nature De plus il y a deux types de mouvement lrsquoun circulaire et lrsquoautre rectiligne Pour le

corps qui se meut en cercle naturellement il nrsquoy a aucun lieu qui soit contre-nature dans la

mesure ougrave il nrsquoest ni geacuteneacuterable ni corruptible nous lrsquoavons vu Ce corps ne peut donc pas

changer de lieu naturel pour un autre lieu Aristote conclut par la force mecircme des arguments

contenus dans le De Caelo et de lrsquoorganisation du monde qui repose sur les notions de milieu

naturel et de mouvement naturel que le monde est formeacute de lrsquoensemble de la matiegravere et qursquoil

ne pourrait pas y avoir un autre ciel Le ciel est donc unique

Mais Aristote ne srsquoarrecircte pas agrave lrsquoaffirmation selon laquelle le ciel est unique Il ajoute

Il est en mecircme temps clair qursquoil nrsquoy a ni lieu ni vide ni temps en dehors du ciel En toutlieu en effet il est possible qursquoil existe un corps et lrsquoon dit que le vide est ce en quoi il

29

nrsquoy a pas de corps mais ougrave il est possible qursquoil en vienne un quant au temps crsquoest lenombre drsquoun mouvement et il nrsquoexiste pas de mouvement sans corps naturel 279a10

Il nrsquoy a pas de lieu pas de vide et pas de temps en dehors du ciel selon Aristote Mais

pourquoi Il ne peut y avoir de lieu car en tout lieu il est possible qursquoil y ait un corps Il nrsquoy a

pas non plus de vide dans la mesure ougrave le vide est deacutefini comme ce en quoi il nrsquoy a pas de

corps mais ougrave il pourrait y en avoir un Srsquoil existait un lieu qui nrsquoabrite aucun corps alors ce

lieu serait vide et srsquoil existe un lieu vide alors il pourrait y avoir un corps Mais puisque rien

ne peut venir agrave lrsquoecirctre en dehors du ciel pour les raisons invoqueacutees plus haut alors il ne peut ni

y avoir de vide ni de lieu en dehors du ciel De plus on se repreacutesente le vide comme un lieu

ougrave il nrsquoy a rien or il nrsquoy a pas de lieu en dehors du ciel Crsquoest lrsquoargument drsquoAristote pour

deacutefendre lrsquoideacutee qursquoil nrsquoy a ni lieu ni vide en dehors du ciel Mais pourquoi nrsquoy aurait-il pas de

temps Parce que le temps est deacutefini comme eacutetant le nombre drsquoun mouvement Le

mouvement eacutetant un changement selon le lieu drsquoune part et drsquoautre part la proprieacuteteacute drsquoun

corps dans la mesure ougrave il nrsquoy a pas de lieu et pas de corps en dehors du ciel il ne peut pas

non plus y avoir de mouvement

30

Chapitre 2 Deacutebat sur la question des ecirctres de laquo lagrave-bas raquo

durant lrsquoAntiquiteacute Aristote agrave Simplicius

31

21 Compreacutehension antique du laquo τἀκεῖ raquo du De Caelo au commentaire de Simplicius

211 τἀκεῖ De Caelo I 9 279a15-b3

Nous nous sommes donc dans le premier moment de notre propos familiariseacute avec

les concepts aristoteacuteliciens et avec la conception aristoteacutelicienne du ciel afin de pouvoir par la

suite ecirctre le plus clair possible De plus la lecture du De Caelo nous a permis de rendre

compte de son contenu drsquoune part et de ses problegravemes drsquoautres part Crsquoest alors dans un

contexte drsquoexamen des interpreacutetations platoniciennes de lrsquouniciteacute du monde et dans un

contexte drsquoexposition drsquoarguments en faveur de lrsquouniciteacute du monde qursquoapparaicirct la notion qui

dans notre propos est probleacutematique la notion de takei La seconde partie de notre propos

consistera alors agrave rendre compte drsquoun passage fort obscur du De Caelo I 9 en lrsquoanalysant A la

suite de cela nous restituerons les arguments de Simplicius et drsquoAlexandre drsquoAphrodise

respectivement en faveur du takei comme notion signifiant le Premier Moteur Immobile ou la

sphegravere des fixes Il srsquoagira alors de comprendre quelles eacutetaient les thegraveses dominantes durant

lrsquoAntiquiteacute concernant le passage du De Caelo qui nous inteacuteresse et surtout comment elles

eacutetaient deacutefendues

Tout ce qui plus haut a eacuteteacute dit nous a permis de justifier la question suivante nous

avons vu que le ciel eacutetait unique et que ni matiegravere ni lieu ni vide et ni temps ne pouvait se

trouver hors du ciel Nous avons de plus affirmeacute que rien ne pouvait venir agrave lrsquoecirctre en dehors

du ciel Alors pourquoi dans le chapitre 9 du premier livre du De Caelo Aristote en arrive agrave

la conclusion suivante

Crsquoest pourquoi les ecirctres de lagrave-bas par nature nrsquoont ni lieu ni temps qui les fasse vieillir etil nrsquoy a pas non plus aucun changement pour les ecirctres qui sont disposeacutes au-dessus de latranslation la plus exteacuterieure inalteacuterables et impassibles ils ont la meilleure et la plusautonome des vies qursquoils megravenent pour toute sa dureacutee

Ce passage tregraves obscur est lrsquoobjet preacutecis de notre meacutemoire Quel est le lien entre le

fait que le monde soit unique que rien ne puisse venir agrave lrsquoecirctre en dehors du ciel pour la raison

qursquoil nrsquoy a ni matiegravere ni lieu ni vide ni temps au-delagrave du ciel et la citation ci-dessus Il est

difficile de le dire Il semblerait agrave premiegravere vue que la conclusion agrave laquelle arrive Aristote

est la suivante srsquoil nrsquoy a pas de lieu de vide de temps et de matiegravere alors les ecirctres qui sont

32

au-delagrave du ciel nrsquoont ni lieu ni temps ni vide ni corps Pourtant il a affirmeacute auparavant que

rien ne pouvait venir agrave lrsquoecirctre ou ecirctre venu agrave lrsquoecirctre en dehors du ciel Ce qui est eacutetonnant est

contenu de la conclusion mais aussi principalement le fait que la forme de cette conclusion

preacutesuppose qursquoil existe des ecirctres au-delagrave du ciel ou du moins elle nrsquoexclut pas qursquoil y en ait

Mais si cela est vrai alors ces ecirctres nrsquoont par nature aucun lieu aucun temps aucun corps

sensible donc aucun mouvement Que pourrait-il exister qui ne soit ni dans un lieu ni

corporel et qui nrsquoait pas de temps Chose eacutetonnante il affirme qursquoil nrsquoy a pas de lieu en

dehors du ciel tout en affirmant que des ecirctres se trouvent laquo lagrave-bas raquo deacutesignant un lieu qui nrsquoest

pas censeacute exister Plus encore Aristote les situe preacuteciseacutement ils sont au dessus de la

translation la plus exteacuterieure Cette translation la plus exteacuterieure est la circonfeacuterence la plus

eacuteloigneacutee du centre crsquoest le ciel compris dans son premier sens la sphegravere des fixes Le

problegraveme est donc de savoir ce que sont ces ecirctres hors du ciel dans la mesure ougrave ils ne sont

dans aucun lieu mais sont situeacutes quelque part De plus comment maintenir la continuiteacute entre

le deacutebut de ce texte dont lrsquoobjet sont les ecirctres de lagrave-bas alors qursquoagrave la fin du texte il est

question du corps qui se meut en cercle Comment drsquoailleurs comprendre le rapport entre les

deux dans la mesure ougrave il est dit des ecirctres de lagrave-bas qursquoils sont sans mouvement parfaitement

immobile alors qursquoil est dit de lrsquoecirctre divin drsquoune part qursquoil est immobile ne pouvant pas ecirctre

mucirc par quelque chose drsquoexteacuterieur agrave lui mais que son mouvement est circulaire Comment

lrsquoecirctre le plus divin peut-il ecirctre immobile et se mouvoir en cercle De plus que peut-il y avoir

en dehors du Tout ou de la totaliteacute Et srsquoil y a quelque chose en dehors du Tout le Tout reste-

t-il la totaliteacute dans la mesure ou il nrsquoinclurait pas tout

Il est dit de ces ecirctres qursquoils nrsquoont pas de temps et qursquoils ne changent pas En effet le

changement est compris comme un mouvement et vice-versa Le mouvement est la proprieacuteteacute

drsquoun corps Il ne peut donc y avoir aucun mouvement en dehors du ciel et aucun changement

La geacuteneacuteration et la corruption sont eacutegalement des changements mais puisque rien ne peut

venir agrave lrsquoecirctre hors du ciel alors rien ne peut ecirctre geacuteneacutereacute et rien ne peut se corrompre Ce qui

implique que les ecirctres de lagrave-bas sont ingeacuteneacuterables et incorruptibles Aristote lrsquoaffirme ils sont

inalteacuterables et impassibles Mais qursquoest-ce que lrsquoalteacuteration chez Aristote Nous lrsquoavons

eacutegalement vu lrsquoalteacuteration est un changement dans la qualiteacute de la chose cela signifie que srsquoils

sont inalteacuterables leurs qualiteacutes ne peuvent pas changer Lrsquoimpassibiliteacute quant agrave elle implique

qursquoils ne peuvent ecirctre affecteacutes drsquoaucune maniegravere On note eacutegalement dans le texte drsquoorigine en

grec ancien lrsquoutilisation du pluriel pour deacutefinir ce qui se trouve au-dessus de la translation la

plus exteacuterieure τἀκεῖ On sait donc par conclusion qursquoil y a quelque chose en dehors du ciel

33

qui nrsquoa ni lieu ni temps qui est inalteacuterable impassible et qui nrsquoest pas seul en effet le

pluriel de ce terme grec qui signifie laquo les choses de lagrave-bas raquo nous rappelle qursquoil nrsquoexiste pas

qursquoun seul ecirctre lagrave-bas mais plusieurs Ces ecirctres inalteacuterables et impassibles sans temps et sans

lieu sont par conseacutequent eacuteternels De plus Aristote nous dit qursquoils ont la vie la meilleure et la

plus autonome qui soit Crsquoest-agrave-dire qursquoils ne deacutependent de rien drsquoautre que drsquoeux-mecircmes

pour ecirctre Preacuteciser que leur vie est la laquo meilleure raquo implique-t-il une comparaison avec un

autre style de vie autonome agrave un degreacute infeacuterieur Par exemple celle des corps qui ont un

mouvement eacuteternel et simple dans leur milieu naturel qui nrsquoa pas de contraire et qui implique

que les astres soient eacuteternels Cette vie autonome les takei la megravenent pour toute sa dureacutee Mais

pourquoi Aristote affirme une telle chose alors mecircme qursquoil nrsquoy a pas de temps Quel est le

rapport entre le temps et la dureacutee

[hellip] car le terme qui enveloppe le temps de la vie de chacun hors duquel on nrsquoestrien selon la nature a eacuteteacute appeleacute laquo dureacutee de vie raquo de chacun

La dureacutee de vie de chacun est donc ce qui enveloppe le temps de la vie de chacun

Mais srsquoil nrsquoy a pas de temps comment peut-il y avoir quelque chose enveloppeacute par la dureacutee

Si la dureacutee de vie de chacun est ce qui enveloppe le temps de la vie de chacun alors la dureacutee

de vie eacuteternelle des ecirctres de lagrave-bas est ce qui enveloppe le temps de la vie eacuteternelle de ces

ecirctres Sans temps il ne pourrait donc pas y avoir de dureacutee car la dureacutee nrsquoenvelopperait rien

Le temps est ce qui chez Aristote est relatif au combien de temps La question du laquo combien

de temps raquo suppose qursquoil y a du temps qui passe donc un mouvement qui se produit Mais

hors du ciel il nrsquoy a ni corps ni mouvement ni temps donc comment les ecirctres de lagrave-bas

peuvent-ils avoir la vie pour toute sa dureacutee

La dureacutee est la totaliteacute du temps de la vie de quelque chose et crsquoest aussi le terme qui

englobe la totaliteacute du temps du ciel Le ciel compris comme un Tout ou une totaliteacute crsquoest-agrave-

dire la troisiegraveme maniegravere de parler du ciel est une dureacutee On considegravere que comme le terme

de laquo dureacutee raquo a une origine commune avec le laquo fait drsquoexister toujours raquo alors le ciel qui est une

dureacutee est une dureacutee en vertu du fait qursquoil dure toujours Ainsi le ciel est immortel et divin car

il existe toujours sans srsquoarrecircter

Le problegraveme qui se pose est alors celui de comprendre le rapport entre les deux parties

de ce texte on y traite dans un premier temps en 279a15 des ecirctres qui seraient disposeacutes au-

delagrave du ciel en les caracteacuterisant comme eacutetant des ecirctres qui ne sont dans aucun lieu et soumis agrave

34

aucun changement A partir de la notion de dureacutee il argumente en faveur de lrsquoeacuteterniteacute du ciel

Pourquoi semble-t-il y avoir une discontinuiteacute dans lrsquoobjet de cet extrait

Aristote affirme que la dureacutee a un terme qui permet de mesurer le temps qui passe

alors que le ciel nrsquoen a pas Il en vient alors agrave parler de lrsquoecirctre divin duquel deacutepend la vie de

tout ce qui existe En effet la limite du ciel est la sphegravere des fixes en ce sens elle est ce qui

enveloppe le monde Toutefois il nous semble que la notion de dureacutee interrompe le discours

portant sur les ecirctres de lagrave-bas Srsquoil eacutetait au deacutepart question des takei il est deacutesormais question

de la sphegravere des fixes Sont-ils une seule et mecircme chose Telle est la question que les lecteurs

peuvent se poser et qui permettrait drsquounifier le texte

Et par exemple dans les travaux de philosophie destineacutes au grand public portant sur lesecirctres divins on deacuteclare souvent en srsquoappuyant sur des raisonnements que tout ecirctre divineacutetant premier et au-dessus des autres est neacutecessairement immuable 279A31-33

Nous arrivons alors au passage que nous avons eacutetabli comme eacutetant la partie C Aristote

se reacutefegravere agrave des travaux de philosophie portant sur les ecirctres divins La question que nous nous

posons ainsi que les interpregravetes est celle de savoir si les ecirctres divins dont il est question sont

les takei de la partie A Il existe alors un doute dans la compreacutehension de ce passage qui

reacutesulte drsquoune impression de discontinuiteacute entre la partie A et la partie C mais non pas drsquoune

opposition entre celles-ci Le problegraveme survient agrave cause drsquoun doute sur la coiumlncidence entre

lrsquoexpression takei et lrsquoexpression theion (ecirctres divins) Ces travaux de philosophie portant sur

les ecirctres divins affirme que les ecirctres divins sont immuables Pour Aristote cela teacutemoigne en

faveur de ce qursquoil a affirmeacute plus tocirct rien ne peut mouvoir le divin sinon cette chose serait

plus divine que le divin et ce nrsquoest pas possible

Il existe alors un deacutebat concernant ce passage Degraves lrsquoAntiquiteacute deux commentateurs

drsquoAristote srsquoaffrontent sur la question de lrsquoidentiteacute des takei Ces deux interpreacutetations sont

celle de Simplicius et celle drsquoAlexandre Le premier deacutefend lrsquoideacutee que lrsquoexpression takei

renvoie au Premier Moteur Immobile alors que le second deacutefend qursquoil srsquoagit de la sphegravere des

fixes Ces deux interpreacutetations se font alors concurrence et ont donneacute naissance agrave une longue

tradition interpreacutetative que nous eacutetudierons plus tard

On peut alors se demander quelle uniteacute il existe dans cet extrait du De Caelo de la fin

du chapitre 9 Livre I Il semblerait que les ecirctres dont nous parle Aristote et qui se situent au-

35

delagrave de la translation la plus exteacuterieure soient des corps qui se meuvent en cercle car ils ont en

commun certaines proprieacuteteacutes lrsquoeacuteterniteacute la dureacutee sans fin lrsquoautonomie Or il srsquoavegravere que les

ecirctres de lagrave-bas sont exteacuterieurs au ciel alors que les corps qui se meuvent en cercle sont dans le

ciel Ils sont de plus composeacutes de la matiegravere qursquoest lrsquoeacutether ce qui implique qursquoils ne puissent

pas ecirctre au-delagrave du ciel dans la mesure ougrave il nrsquoexiste aucune matiegravere en dehors du ciel ni

aucun mouvement

222 Le commentaire perdu drsquoAlexandre possibles reacuteponses au problegraveme du laquo τἀκεῖ raquo

Nous avons vu que De Caelo I 9 srsquoachevait sur un passage fort mysteacuterieux En effet

dans la partie A du texte que nous avons citeacute au deacutebut de notre propos Aristote affirme et

prouve par les arguments que nous avons vu plus tocirct qursquoil nrsquoexiste rien en dehors du ciel ni

lieu ni vide ni temps ni matiegravere Vient alors la conclusion que les ecirctres se trouvant en dehors

du ciel ne sont dans aucun lieu nrsquoont ni matiegravere ni temps qui les fassent vieillir Il srsquoagira

alors drsquoaborder les interpreacutetations antiques de ce passage dans le but de comprendre quelles

sont les hypothegraveses quant agrave lrsquoidentiteacute de ces ecirctres (τἀκεῖ en grec) et les arguments pour les

deacutefendre

Nous allons alors commencer par examiner lrsquointerpreacutetation drsquoAlexandre drsquoAphrodise

du De Caelo I 9 telle qursquoelle nous a eacuteteacute transmise par Simplicius dans son commentaire

Alexandre propose deux lectures hypotheacutetiques de cet extrait En effet il se demande

ce agrave quoi fait reacutefeacuterence Aristote lorsqursquoil emploie le terme de laquo τἀκεῖ raquo Soit ce qui est deacutecrit

comme eacutetant un ecirctre en dehors du ciel qui nrsquoest dans aucun lieu et qui nrsquoa pas de temps qui le

fasse vieillir renvoie agrave la doctrine du Premier Moteur Soit cela fait reacutefeacuterence agrave la sphegravere des

fixes Nous allons nous inteacuteresser agrave la premiegravere hypothegravese

Qursquoest-ce que le Premier Moteur En Meacutetaphysique Λ 1072b5 Aristote affirme que

le Premier Moteur est une substance et un acte Cela signifie que le Premier Moteur est une

substance eacuteternelle du fait qursquoelle nrsquoest pas mateacuterielle qui meut le Premier Ciel tout en eacutetant

immobile ce qui implique qursquoil soit tel qursquoil ne puisse jamais ecirctre autrement qursquoil nrsquoest En

effet la sphegravere des fixes eacutetant du domaine du divin et eacutetant mucirc de maniegravere continue et

eacuteternelle doit avoir un moteur qui soit parfaitement immobile car plus parfait qursquoelle De

plus cela permet drsquoexpliquer lrsquoeacuteterniteacute du mouvement ceacuteleste dans la mesure ougrave ce qui est la

cause drsquoun mouvement eacuteternel doit aussi ecirctre eacuteternel sans quoi elle se corromprait et le ciel

36

cesserait son mouvement ce qui nrsquoest pas possible Il y a donc une sorte de hieacuterarchie du

point de vue de la substance Crsquoest-agrave-dire que Aristote identifie trois substances deux

sensibles dont une corruptible une eacuteternelle La troisiegraveme substance quant agrave elle est dite

laquo motrice raquo puisqursquoelle est agrave lrsquoorigine du premier mouvement qui est celui du ciel Celle-ci

puisqursquoelle est agrave lrsquoorigine du mouvement du Premier Ciel est plus divine et plus parfaite

Qursquoest ce qursquoimplique lrsquohypothegravese selon laquelle le τἀκεῖ serait le premier moteur Le

premier moteur immobile est ce qui est agrave lrsquoorigine du premier mouvement crsquoest-agrave-dire le

mouvement en cercle du corps simple qursquoest le ciel Ce moteur est unique et eacuteternel Parce

que le lieu du plus divin est le plus haut on comprend le premier moteur comme eacutetant au

dessus du ciel puisqursquoil est plus divin que lui et est ce qui le met en mouvement Crsquoest

lrsquohypothegravese drsquoAlexandre sur la possibiliteacute que les laquo ecirctres de lagrave-bas raquo renvoient agrave la doctrine du

Premier Moteur Il nrsquoest dans aucun corps donc il est hors du ciel et il nrsquoest pas dans un lieu

puisqursquoil nrsquoest pas corporel et mateacuteriel Toutefois le pluriel utiliseacute par Aristote rend

compliqueacute cette hypothegravese dans la mesure ougrave le Premier Moteur immobile est unique affirme

Fabienne Baghdassarian19 Alexandre dit Simplicius affirme que cette theacuteorie nrsquoest pas

vraisemblable bien qursquoil propose cette lecture nrsquoest pas veacuteritablement en faveur de celle-ci Il

affirme la chose suivante dans le commentaire de Simplicius

If by lsquoabove the outermost movementrsquo he were speaking about the first cause (Alexandersays) he would be referring to [the region] above the orbit of the sphere of the fixed[starts] while if he were saying these things about the divine body the lsquooutermostmovementrsquo would mean the furthest of the rectilinear motions [hellip] So above thefurthest movement there is all of the revolving body which he says is neither in place norin time being eternal and ageless For while the divine body as a whole is not in placeparts of it are in place the spheres of the planets are in place20

En effet Alexandre pensait que si Aristote avait voulu parler du Premier Moteur il

aurait explicitement utiliseacute lrsquoexpression περɩ φορά et non pas φοράν Aristote utilise selon

Alexandre lrsquoexpression περɩ φορά pour deacutesigner le mouvement circulaire et non pas φοράν

qui deacutesigne le mouvement rectiligne Simplicius va critiquer cet argument en deacutefaveur de la

reacutefeacuterence au Premier Moteur drsquoAlexandre en affirmant qursquoAristote utilise aussi φοράν pour

deacutesigner le mouvement circulaire

19 Baghdassarian F opcit20 SIMPLICIUS 2881-9

37

Alexandre propose apregraves la premiegravere hypothegravese concernant la reacutefeacuterence au Premier

Moteur Immobile une seconde hypothegravese selon laquelle le τἀκεῖ renvoie agrave la sphegravere des fixes

Il fait donc reacutefeacuterence au livre 4 de la Physique Dans ce chapitre il deacutefinit le lieu comme laquo la

limite du corps englobant raquo La sphegravere des fixes nrsquoest dans aucun lieu dans la mesure ougrave elle

nrsquoest englobeacutee par aucun corps En effet le cosmos aristoteacutelicien srsquoorganise de la maniegravere

suivante il y a le centre de lrsquounivers qui est enveloppeacute par la limite du corps qui se trouve

dans la reacutegion sublunaire Autour de cette reacutegion sublunaire se trouve le corps ceacuteleste qui est

la sphegravere des fixes comme un corps englobant le ciel compris comme un Tout Entre la Lune

et la sphegravere des fixes se trouve le corps dans la continuiteacute de la sphegravere des fixes sur lequel se

trouvent certains astres comme le Soleil Jupiter et drsquoautres Mais rien nrsquoenveloppe la sphegravere

des fixes ce qui implique que la sphegravere des fixes nrsquoest dans aucun lieu Donc srsquoil se reacutefegravere

aux ecirctres divins au-delagrave de la translation la plus exteacuterieure cela signifie que la translation la

plus exteacuterieure est en fait le mouvement rectiligne le plus haut celui du feu Mais pourquoi le

mouvement rectiligne serait le mouvement le plus haut Nous avons affirmeacute que le lieu eacutetait

la limite du corps englobant or la sphegravere des fixes nrsquoest englobeacutee par rien ce qui implique

que la sphegravere des fixes (le premier ciel) nrsquoest dans aucun lieu Le lieu qui existe est ce qui se

trouve enveloppeacute par la sphegravere des fixes crsquoest-agrave-dire le corps qui est dans la continuiteacute de la

sphegravere des fixes (lrsquoeacutether) et sur lequel se trouvent certains astres puis seacutepareacute par la Lune le

monde sublunaire dont le mouvement du feu est le mouvement rectiligne le plus haut Cet

argument selon Alexandre permet de montrer que cet extrait porte sur la sphegravere des fixes et

non des reacutealiteacutes qui seraient en dehors du ciel Le ciel au sens premier nrsquoeacutetant ni dans un lieu

ni soumis au temps le τἀκεῖ qualifieacute comme nrsquoeacutetant ni dans un lieu ni soumis agrave aucun

changement du fait de son absence du temps se reacutefeacutererait alors agrave la sphegravere des fixes

On peut alors conclure que Alexandre preacutefegravere lire ce texte en supposant qursquoAristote se

reacutefegravere au corps simple qui se meut en cercle lorsqursquoil parle des laquo ecirctres de la-bas raquo crsquoest-agrave-dire

au ciel au sens de la sphegravere des fixes

213 Compreacutehension et hypothegravese de Simplicius sur les ecirctres de lagrave-bas

Simplicius propose une autre lecture possible de ce passage Simplicius est le chef de

file tout comme Alexandre qui considegravere que le τἀκεῖ est une reacutefeacuterence au premier ciel drsquoune

longue tradition interpreacutetative selon laquelle le Premier Moteur Immobile serait ce qui est viseacute

par Aristote dans lrsquoensemble du passage qui nous inteacuteresse Il laisse en 2888 de cocircteacute

38

lrsquointerpreacutetation drsquoAlexandre du problegraveme du τἀκεῖ et reprends son commentaire lineacuteaire du

De Caelo

After saying that things divine are lsquopossessed of the best and most self-sufficient of livesrsquoand that lsquothey persist throughout all the agesrsquo he wishes also to establish theirimmortality and eternality on the basis of the word lsquoagersquo [hellip] For we call the completeand all-embracing time of the life of something its age lsquobeyond which there is nonenaturalrsquo21 2888

Aristote cherche agrave fonder lrsquoimmortaliteacute du corps ceacuteleste qursquoest le ciel au sens de la

sphegravere des fixes sur lrsquoorigine du mot laquo dureacutee raquo En effet il existe un rapport eacutevident entre le

premier ciel qui englobe tout et la dureacutee crsquoest-agrave-dire le terme qui englobe la totaliteacute du temps

de la vie de chaque choses Le ciel comme la dureacutee sont englobants ainsi il nrsquoest pas eacutetonnant

drsquoaffirmer que dans la mesure ougrave le ciel (crsquoest-agrave-dire la sphegravere des fixes) nrsquoest pas englobeacute

par la dureacutee puisqursquoil nrsquoy a pas de temps en dehors du ciel et qursquoil nrsquoy a pas de dureacutee sans

temps qui passe le corps qui srsquoy trouve nrsquoest pas soumis agrave la corruption et agrave la mort il est

immortel

Simplicius se reacutefegravere alors agrave une œuvre perdue drsquoAristote De la philosophie22 dans le

but de donner lrsquoargument aristoteacutelicien en faveur de lrsquoeacuteterniteacute du divin afin de preacuteparer

lrsquoargument selon lequel les ecirctres de lagrave-bas seraient les intelligibles Lrsquoargument drsquoAristote est

le suivant partout ou il y a quelque chose de mieux il y a quelque chose de meilleur le

divin Aristote affirme qursquoune chose peut ecirctre mise en mouvement par deux causes possibles

par une chose qui lui est exteacuterieure ou par elle-mecircme Si ce qui meut un corps est une cause

exteacuterieure il est neacutecessaire qursquoelle soit meilleure que ce qursquoelle meut ou moins bonne Si

crsquoest par elle-mecircme alors il est neacutecessaire que ce soit vers quelque chose de meilleur ou vers

quelque chose de pire Aristote dans le DP affirme qursquoil nrsquoy a rien de meilleur que le divin

sinon cette chose serait plus divine que le divin Donc rien ne peut changer le divin puisque

qursquoil ne manque drsquoaucun des biens et est parfaitement bon Puisqursquoil nrsquoy a rien de mauvais

chez le divin cela implique qursquoil ne puisse pas ecirctre mucirc vers le pire ni par un autre ni par lui-

mecircme Le divin se changerait-il lui mecircme Simplicius se reacutefegravere pour reacutepondre agrave cette

21 Simplicius 2888 22 Traiteacute perdu drsquoAristote dont le passage du De Caelo laquo les ecirctres de lagrave-bas raquo semble issu ou srsquoy reacutefegravere tout du

moins

39

question au livre II de La Reacutepublique de Platon dans lequel Platon affirme que le meilleur et

le plus divin est ce qui subit le moins de changement ou aucun changement de lrsquoexteacuterieur A

partir de lagrave il se pose la question de savoir si le divin qui ne peut pas ecirctre alteacutereacute par ce qui lui

est exteacuterieur du fait qursquoil est le meilleur srsquoaltegravere lui-mecircme vers le meilleur ou vers le pire

Dans la mesure ougrave le divin possegravede tous les biens srsquoil srsquoaltegravere ce sera neacutecessairement vers le

pire car il ne peut pas ecirctre plus parfait qursquoil ne lrsquoest deacutejagrave Mais puisque personne ne se

changerait pour le pire et le moins beau volontairement alors cela implique que le divin ne se

change pas

Ces arguments tireacutes de La Reacutepublique II et du De Philosophia permettraient alors agrave

Simplicius de critiquer la theacuteorie drsquoAlexandre Aristote ne peut pas se reacutefeacuterer agrave la sphegravere des

fixes dans la mesure ougrave celle-ci est en mouvement Son mouvement est certes eacuteternel car il

ne connaicirct aucun changement son lieu de deacutepart est son lieu drsquoarriveacutee donc son mouvement

est eacuteternel Mais cela implique qursquoil soit mucirc par quelque chose qui neacutecessairement est plus

divin que lui et qui ne peut pas ecirctre en mouvement drsquoaucune maniegravere que ce soit

That not all of it can be interpreted as applying to the heavenly body is clear Ithink from what has just been said For having shown that there is no body either simpleor composite outside the heaven he argued lsquoat the same time it is clear that there can beneither place void nor time beyond the heavensrsquo And having shown this and concludedlsquotherefore it is obvious that there is neither place nor void nor time outside he theninfers as it were from what has been said some corollaries lsquofor this reason the thingswhich are of a nature to be there are not in place nor can time cause them to grow oldand so on by lsquothe things therersquo clearly meaning those outside the heaven So how couldthe heaven be said to be outside the heaven And how could he say that there is nochange of any kind for any of the heavenly bodies when he sees that their change ofplace is unceasing And neither does he say that the things which are positioned abovethe furthest movement are heavenly bodies23

On ne peut donc pas interpreacuteter tout le texte comme eacutetant au sujet des corps ceacutelestes

pour Simplicius en raison de ce qui a eacuteteacute dit par Aristote Puisqursquoil a montreacute qursquoil nrsquoy avait

pas de corps en dehors du ciel car celui-ci eacutetait constitueacute de lrsquoensemble de la matiegravere il

affirme qursquoil nrsquoy a pas de lieu ndash en raison du fait que le lieu est lagrave ougrave il y a un corps ndash pas de

vide ndash car le vide est lagrave ougrave il nrsquoy a pas de corps mais ougrave il pourrait y en avoir un ndash et pas de

temps car le temps est une proprieacuteteacute des corps et qursquoil nrsquoy a pas de corps en dehors du ciel

Crsquoest pourquoi laquo les ecirctres de lagrave-bas raquo ne peuvent pas faire reacutefeacuterence aux corps ceacutelestes

23 Simplicius 290 1-17

40

Puisque le τἀκεῖ est deacutesigneacute comme nrsquoeacutetant pas dans un lieu pas dans le temps et nrsquoayant pas

de matiegravere que lrsquoexteacuterieur du ciel nrsquoest ni du vide ni du temps et qursquoil ne peut y avoir aucun

corps Simplicius en conclut que laquo lagrave-bas raquo signifie laquo au-delagrave du ciel raquo Il oppose alors

drsquoautres critiques agrave la theacuteorie drsquoAlexandre par rapport agrave ce qui vient drsquoecirctre dit comment le

ciel pourrait-il ecirctre en dehors du ciel Comment Aristote pourrait-il affirmer srsquoil se reacutefeacuterait agrave

la sphegravere des fixes qursquoil nrsquoy a aucune sorte de changement pour le ciel tout en affirmant que

son mouvement est eacuteternel et incessant Il semble alors compliqueacute de soutenir que le τἀκεῖ

renvoie agrave la sphegravere des fixes ou aux corps ceacutelestes qui se meuvent en cercle

Simplicius comprend alors nos trois parties De Caelo I 9 agrave la lumiegravere du De

Philosophia et de Reacutepublique II Puisque ce qui est en mouvement lrsquoest neacutecessairement par

quelque chose de plus parfait que lui alors ce qui meut le ciel est plus parfait que le ciel Il

srsquoagit de srsquointeacuteresser au moteur immobile qui meut le premier ciel crsquoest-agrave-dire le Premier

Moteur Il souligne toutefois que ce passage est obscur et laisse possible lrsquointerpreacutetation

suivante lorsqursquoAristote fait reacutefeacuterence au mouvement eacuteternel du ciel crsquoest pour parler de ce

qui le meut En effet le Premier Moteur Immobile est plus divin que le ciel puisque ce qui

met une chose en mouvement est plus divin qursquoelle En ce sens il serait dit laquo au-delagrave du ciel raquo

car au-dessus de la nature des corps ceacutelestes Cela implique alors que laquo au-delagrave raquo ne

signifierait pas un lieu mais une nature hieacuterarchiquement supeacuterieure agrave celle du ciel

Il accepte cependant que le texte ne soit pas du deacutebut de la partie A agrave la fin de la partie

C au sujet du Premier Moteur Lorsque Aristote fait mention de la notion de dureacutee il fait

reacutefeacuterence agrave la sphegravere des fixes En effet la fin de la dureacutee est la limite qui permet la

quantification de la dureacutee mais le ciel nrsquoa pas de dureacutee il est compris comme ce qui englobe

la dureacutee de vie de tout ce qui est Mais apregraves avoir eacutetabli la premiegravere signification de la dureacutee

qui fait le lien avec le premier ciel Aristote bascule vers lrsquoideacutee que ce qui comprend

lrsquoensemble du temps et de lrsquoinfiniteacute est une dureacutee et crsquoest donc une reacutefeacuterence au Premier

Moteur car de lui deacutepend de maniegravere directe lrsquoecirctre et la vie eacuteternelle du corps ceacuteleste et de

maniegravere indirecte lrsquoecirctre et la vie des corps du monde sublunaire De maniegravere indirecte car les

corps du monde sublunaire ne sont pas directement mis en mouvement par lui mais leur vie

deacutepend de celle de la sphegravere des fixes qui elle est directement mise en mouvement par le

Premier Moteur Immobile

Simplicius deacutefend alors sur le fondement de ces arguments que le τἀκεῖ fait reacutefeacuterence

au Premier Moteur Immobile et non au corps ceacuteleste Simplicius va alors mecircme jusqursquoagrave

41

changer le texte original drsquoAristote en optant pour kinai plutocirct que kineitai ce qui permet

drsquoattribuer une fonction motrice au τἀκεῖ Ce changement lui permet alors de faire

correspondre le τἀκεῖ agrave la theacuteorie du Premier Moteur sans forcer lrsquointerpreacutetation De ce fait

le τἀκεῖ renverrait agrave quelque chose de transcendant agrave lrsquoordre ceacuteleste car le premier ciel est

mucirc en vertu de la perfection de son moteur celle-ci accordeacutee au τἀκεῖ dans la mesure ougrave il ne

connaicirct aucun changement et est parfaitement autonome Pour appuyer la theacuteorie de

Simplicius nous pouvons ajouter lrsquoargument de la coiumlncidence entre la description du τἀκεῖ

dans le DC et celle du Premier Moteur Immobile dans Meacutetaphysique Λ lrsquoun comme lrsquoautre

sont dits parfaitement immuables eacuteternels et autonomes

42

Chapitre 3 Interpreacutetations modernes du De Caelo I 9

La question du τἀκεῖ premier moteur reacutealiteacutes hyper-

cosmiques ou sphegravere des fixes reacutealiteacutes ceacutelestes

43

31 Le problegraveme de la continuiteacute argumentative du Livre I 9

311 La discontinuiteacute du sujet en faveur de la transcendance du τἀκεῖ

Le deuxiegraveme moment de notre propos nous a donc servi agrave comprendre quels eacutetaient les

arguments deacutefendus durant lrsquoAntiquiteacute par Simplicius et Alexandre drsquoAphrodise Ces deux

interpregravetes sont les chefs de file de deux interpreacutetations qui sopposent celle de Simplicius

selon laquelle le takei ferait reacutefeacuterence au Premier Moteur Immobile et celle drsquoAlexandre

selon laquelle il srsquoagirait drsquoune reacutefeacuterence agrave la sphegravere des fixes Ces deux thegraveses srsquoaffrontent

depuis lrsquoAntiquiteacute Elles ont influenceacute les interpreacutetations modernes et ont forgeacute une logique

binaire dans la maniegravere de comprendre lrsquoidentiteacute des ecirctres de lagrave-bas Ce deacutebat antique se

perpeacutetue dans un deacutebat entre les interpregravetes modernes Il srsquoagira alors de restituer les

arguments modernes heacuteritiegraveres des deux interpreacutetations antiques afin de rendre compte de la

logique binaire du deacutebat Toutefois nous ne nous limiterons pas agrave cette binariteacute et nous nous

inteacuteresserons agrave des theacuteories plus originales telles que celle de Peacutepin ou celle de Merlan

Si nous avons eacutevoqueacute plus haut le problegraveme de la continuiteacute des ideacutees aristoteacuteliciennes

au sein du corpus aristoteacutelicien et plus particuliegraverement au regard du De Caelo crsquoest dans le

but de poser les preacutemisses drsquoarguments qui reposent sur la continuiteacute ou la discontinuiteacute du

De Caelo I9 Nous nous fonderons pour le moment sur les deux alternatives les plus

populaires du problegraveme de lrsquoidentiteacute du τἀκεῖ avec drsquoune part les arguments en faveur drsquoune

reacutefeacuterence astrale et drsquoautre part les arguments en faveur drsquoune reacutefeacuterence agrave un ou des ecirctres

transcendant le ciel Mais nous verrons un certain type drsquoarguments en faveur de lrsquoune ou

lrsquoautre ideacutee en effet les arguments que nous expliciterons seront ceux qui reposent sur une

analyse de la continuiteacute ou de la discontinuiteacute du passage qui deacutebute en 279a18 et qui se

termine agrave la fin du chapitre 9 dans le but de comprendre comment sont justifieacutees lrsquoune ou

lrsquoautre ideacutee Nous allons alors nous inteacuteresser preacuteciseacutement agrave lrsquoobjet ou les objets de ce passage

via lrsquoarticle de Fabienne Baghdassarian24

Si le chapitre I 9 se refermait sur les remarques qui preacutecegravedent sans doute nrsquoaurait-iljamais paru eacutenigmatique Chacun srsquoaccorderait agrave reconnaicirctre derriegravere laquo les ecirctres de lagrave-basraquo des reacutealiteacutes hypercosmiques conformeacutement agrave ce qursquoindiquent clairement agrave la fois leurdescription topographique et le contexte argumentatif de lrsquoextrait Neacuteanmoins le textepoursuit une analyse dont on a du mal agrave comprendre comment elle peut ne pas remettreen question lrsquohypothegravese de la transcendance Il apparaicirct en effet que le texte agrave supposer

24 Baghdassarian F opcit2011 p192

44

qursquoil traite de reacutealiteacutes transcendantes en 279a18-22 change de sujet agrave une ou plusieursreprises pour deacutevelopper des consideacuterations qui font une reacutefeacuterence plus explicite au ciel

Fabienne Baghdassarian agrave la suite de cet extrait explicite les trois moments de

lrsquoargumentation du passage 279a18-b3 du De Caelo I 9 Il semble selon sa lecture y avoir

une discontinuiteacute dans lrsquoobjet du texte En effet dans un premier temps apregraves avoir conclu

qursquoil nrsquoexistait ni lieu ni vide ni temps et ni corps en dehors du ciel et que les ecirctres qui se

situaient laquo au dessus de la translation la plus exteacuterieure raquo nrsquoavaient laquo ni lieu ni temps qui les

fasse vieillir raquo et qursquoils nrsquoeacutetaient soumis agrave aucun type de changement Aristote fait intervenir

la notion de αἰών crsquoest-agrave-dire la notion de la dureacutee Vient ensuite la partie C qui concerne le

mouvement ceacuteleste

Mais le problegraveme majeur qui se pose au sujet de la continuiteacute argumentative de cette

fin de chapitre 9 de De Caelo I est majoritairement ducirc agrave une reacutefeacuterence mysteacuterieuse agrave des

laquo travaux de philosophie destineacutes au grand public portant sur les ecirctres divins raquo 279a31 qui

cassent lrsquoargumentation agrave tel point que ce passage est suspecteacute drsquoecirctre un ajout tireacute drsquoun traiteacute

perdu drsquoAristote le De Philosophia

La preacutesence de ce supposeacute passage du De Philosophia complexifie lrsquoensemble de la

fin du De Caelo I 9 En effet ce texte creacuteeacute ce qui semble ecirctre une discontinuiteacute dans

lrsquoargumentation geacuteneacuterale de chapitre 9 Certains auteurs voient le De Philosophia comme

eacutetant agrave propos pour eacuteclairer la question de lrsquoidentiteacute des takei crsquoest le cas de Dumoulin25 qui

retrace lrsquoargumentation du De Caelo au regard du De Philosophia Il coupe le texte original en

diffeacuterents paragraphes dans le but de faire ressortir lrsquoenchaicircnement des ideacutees Successivement

il voit agrave partir de 279a11-18 les conseacutequences de lrsquoabsence de corps en dehors du ciel De

279a19-22 lrsquoaffirmation selon laquelle tout ce qui est immateacuteriel est immobile De 279a22-

30 un deacutebut de paragraphe qui porte sur lrsquoeacuteterniteacute du ciel De 279a31-34 le principe geacuteneacuteral

de lrsquoimmutabiliteacute du divin fondeacute sur des travaux de philosophie qui traitent des ecirctres divins

Enfin de 279a34-b3 il est question de lrsquoimmutabiliteacute du mouvement ceacuteleste Il apparaicirct alors

que le texte dont il est question deacutebute par les conseacutequences de lrsquoabsence de temps de lieu et

de corps en dehors du ciel agrave savoir que les ecirctres qui se situent au-delagrave du ciel nrsquoont ni lieu ni

temps ni corps Puis Aristote finit par un eacuteloge de lrsquoeacuteterniteacute du mouvement ceacuteleste Le

mouvement est le propre des corps mais srsquoil nrsquoy a pas de corps en dehors du ciel il nrsquoy a pas

non plus de mouvement Donc pourquoi passe t-on du constat que les ecirctres en dehors du ciel

25 Dumoulin Recherches sur le premier Aristote Eudegraveme De la philosophie Protreptique1981 p 53-65

45

nrsquoont ni corps ni aucun mouvement pour ensuite louer lrsquoeacuteterniteacute du mouvement ceacuteleste Tel

est le problegraveme de lrsquouniteacute argumentative de ce passage26

Drsquoapregraves Alexandre citeacute par Simplicius deux interpreacutetations srsquoaffrontaient danslrsquoAntiquiteacute les ecirctres en question deacutesignent le premier moteur immobile pour les uns etle ciel des fixes pour les autres Cette alternative continue agrave gouverner lrsquointerpreacutetation dupassage pour le premier moteur immobile nommons agrave la suite de Simplicius ZellerTricot Untersteiner Berti agrave la suite drsquoAlexandre pour le ciel des fixes Werner GuthrieMoreau Festugiegravere Nous allons ecirctre conduit agrave contester le principe de cette alternative

Comme le rappelle Dumoulin il existe deux alteacuternatives agrave lrsquointerpreacutetation de ce

passage Il srsquoagit maintenant de comprendre lrsquoargument qui permet agrave Dumoulin drsquoaffirmer

que le τἀκεῖ fait reacutefeacuterence agrave des reacutealiteacutes qui se placeraient au-delagrave de la sphegravere des fixes et non

sur la sphegravere Il annonce alors explicitement qursquoil srsquoagira de contester la theacuteorie drsquoune

reacutefeacuterence ceacuteleste

Comment srsquoy prend Dumoulin pour justifier lrsquoideacutee que le τἀκεῖ renvoie agrave des ecirctres qui

se trouvent au-delagrave de la translation la plus exteacuterieure ou agrave la theacuteorie du Premier Moteur

Immobile Sa deacutemarche consiste agrave comprendre le texte par le texte lui-mecircme en srsquointeacuteressant

agrave lrsquoutilisation des mots et agrave leur sens le plus naturel Crsquoest pourquoi il commence son

explication en rappelant deux choses τἀκεῖ vient de ἐκεῖ qui dans Physique VIII 10 267b9

deacutesigne la localisation du Premier Moteur Immobile De plus τἀκεῖ manifeste un pluriel qui

bien qursquoil semble ne pas correspondre agrave lrsquoideacutee du Premier Moteur Immobile qui est censeacute ecirctre

unique correspond agrave lrsquoideacutee drsquoune pluraliteacute de principes qui peuvent exister agrave partir du

moment ougrave il existe une hieacuterarchie entre eux Cette ideacutee lisible dans Meacutetaphysique Λ 8

correspond eacutegalement agrave celle preacutesente dans le fragment 17 du De Philosophia Notons de

plus le fait que le Premier Moteur est dit laquo immobile raquo crsquoest-agrave-dire qursquoil ne connaicirct aucune

espegravece de changement ni dans la substance ni dans le lieu de la mecircme maniegravere qursquoil est dit

des τἀκεῖ qursquoils sont parfaitement immobiles Toutefois cela signifie-t-il que si le τἀκεῖ est

transcendant au ciel son identiteacute correspond agrave celle du Premier Moteur Immobile Pas

neacutecessairement Dumoulin envisage la possibiliteacute en fonctionnant de maniegravere reacutetrospective et

en se tournant vers le Timeacutee de Platon que le τἀκεῖ fasse reacutefeacuterence agrave un ecirctre divin immobile

mais pas forcement moteur La lecture organiseacutee de ce texte comme nous lrsquoavons vu plus

haut par le biais de Dumoulin permet de comprendre qursquoil existe une deacutemonstration logique

au texte En effet les conseacutequences du fait qursquoil nrsquoy ait ni corps ni temps ni lieu en dehors du

26 Ibid p54

46

ciel impliquent que ce qui est en dehors du ciel est immateacuteriel et dans la mesure ougrave le temps

est le nombre du mouvement alors les ecirctres qui se situent au-delagrave du ciel nrsquoont pas de

mouvement et sont parfaitement immobiles Leur immobiliteacute due agrave leur immateacuterialiteacute font

drsquoeux des ecirctres divins car eacuteternels mais cela implique-t-il que comme le Premier Moteur

Immobile ils aient une fonction motrice Crsquoest pourquoi Dumoulin se tourne vers le Timeacutee

Partir sur la piste de la transcendance du τἀκεῖ sans pour autant faire reacutefeacuterence au Premier

Moteur Immobile peut nous faire penser agrave la diviniteacute immateacuterielle du Timeacutee qui a ordonneacute le

monde Aristote ayant eacuteteacute durant un certain nombre drsquoanneacutees lrsquoeacutelegraveve de Platon nous sommes

en droit de nous demander srsquoil nrsquoavait pas au deacutepart postuleacute un ecirctre immateacuteriel et divin sans

penser agrave un ecirctre qui serait le moteur du mouvement Il nous faut alors eacutetablir la distinction

entre ce qursquoune chose est (par exemple divine eacuteternelle parfaitement immobile) et ce qursquoelle

fait la fonction qursquoelle remplit (par exemple mettre en mouvement le premier ciel) Il est

alors question ici de celui que lrsquoon appelle le laquo premier Aristote raquo celui qui eacutetant platonicien

reacutefleacutechissait agrave partir de cette conception du monde Cette theacuteorie servirait-elle alors de

preacutemisse agrave ce qui sera plus tard la theacuteorie du Premier Moteur Nous pouvons nous le

demander mais y reacutepondre aurait besoin drsquoun autre propos Neacuteanmoins cette ideacutee permet de

proposer une lecture particuliegravere du De Caelo I9 selon laquelle il y a une reacutefeacuterence agrave des ecirctres

hypercosmiques crsquoest-agrave-dire qui se trouvent au dessus du ciel sans toutefois se reacutefeacuterer au

Premier Moteur Immobile

Mais lrsquoargument en faveur de la transcendance du τἀκεῖ ne srsquoarrecircte pas lagrave Nous

lrsquoavons dit ce passage est obscur car il est fait mention drsquoun ouvrage qui porte sur les ecirctres

divins et qursquoil semble que ce texte du fait de ses diffeacuterents objets soit en partie issu drsquoun

traiteacute perdu drsquoAristote De Philosophia Nous lrsquoavons dit et le rappelons en 279a18 il est

question drsquoecirctres qui se situent au-dessus de la translation la plus exteacuterieure et apregraves une

eacutetrange analogie sur la notion de dureacutee se trouve un eacuteloge du mouvement eacuteternel des astres

Ce passage est celui qui brise la continuiteacute de lrsquoargumentation et nous pousse agrave douter de son

appartenance premiegravere au De Caelo A quoi se reacutefegravere donc le τἀκεῖ Et quelle est lrsquoidentiteacute

des ecirctres divins (theia) dont nous parle Aristote Le ciel Les ecirctres de lagrave-bas

Dumoulin compare un fragment du De Philosophia et le passage 279a34-b3 du De

Caelo et il en ressort de maniegravere quasiment eacutevidente que le traiteacute Du ciel se reacutefegravere tregraves

clairement au De Philosophia Nous pouvons le constater via la comparaison entre le

fragment du De Philosophia et le passage du De Caelo dont il est question dans lrsquoeacutetude de

47

Dumoulin27 Mais ce passage est-il une simple reacutefeacuterence Une paraphrase Une citation

Cette question est complexe et la conclusion nous permettra de comprendre lrsquoargumentation

geacuteneacuterale du texte et de soutenir lrsquoideacutee drsquoune veacuteritable ceacutesure dans lrsquoargumentation

Nous trouvons quelque chose de bien eacutetrange dans le texte drsquoAristote une chose fort

bien exprimeacutee par Simplicius dans son commentaire si nous savons que le premier moteur

immobile est dans la Physique la Meacutetaphysique agrave lrsquoorigine du premier mouvement crsquoest-agrave-

dire celui de la sphegravere des fixes Aristote affirme dans la partie C qursquoil nrsquoy a rien de plus fort

qui puisse mouvoir le ciel car sinon cette chose serait plus divine que le ciel Mais puisque le

ciel est parfait et qursquoil ne manque drsquoaucun des biens cela nrsquoest pas possible Comment

expliquer cela Srsquoagit-il drsquoun changement doctrinal Drsquoune citation Drsquoune paraphrase

Simplicius avait trois sources agrave sa disposition pour commenter le De Caelo La Reacutepublique

II de Platon des fragments du De Philosophia et le texte qursquoil commente Nous observons

premiegraverement qursquoil semble y avoir un emprunt agrave la Reacutepublique II de Platon

Nest-il pas neacutecessaire si toutefois un ecirctre peut sortir de sa propre forme soit quil semeacutetamorphose lui-mecircme de sa propre initiative soit quil soit transformeacute par un autre380D28

Or les choses les meilleures ne sont-elles pas celles qui sont le moins susceptibles decirctrealteacutereacutees et mises en mouvement par autre chose quelles-mecircmes 380E

Degraves lors tout ecirctre bien constitueacute que ce soit par nature en vertu de lart ou pour ces deuxraisons agrave la fois sera le moins susceptible de subir un changement causeacute par un autre[hellip] Et pourtant le dieu tout comme les choses qui concernent le dieu est absolumentparfait [hellip] Mais ne peut-il se changer et salteacuterer lui-mecircme [hellip] Se change-t-il alors enmieux et en plus beau ou en pire et en plus laid Si vraiment il srsquoaltegravere cestneacutecessairement dans le sens du pire 381b-381c

En mecircme temps Platon ne cherche pas agrave prouver lrsquoexistence drsquoun Dieu qursquoil soit

parfait ou non (mecircme srsquoil est neacutecessairement parfait pour Platon du fait de sa nature) En

effet Platon critique les poegravetes qui attribuent aux dieux des qualiteacutes qui ne sont pas les leurs

et qui sont mecircme contradictoires avec leur nature propre De quoi soutenir lrsquoideacutee que cet

extrait nrsquoest pas tireacute de la Reacutepublique II sans quoi cela signifierait qursquoAristote a attribueacute au

monde sensible crsquoest-agrave-dire au ciel un passage qui chez Platon ne traite pas drsquoun sensible

27 Ibid p58 28 PLATON La Reacutepublique 2002

48

mais bel et bien drsquoun dieu parfait et immateacuteriel La diffeacuterence drsquoobjet entre le DC et la

Reacutepublique II nous pousse agrave penser qursquoil serait eacutetrange de reprendre le mecircme argument agrave un

moment pareil

Si Simplicius nrsquoa pas trouveacute cet argument dans la Reacutepublique II et qursquoil ne vient pas

du DC lui-mecircme alors cela signifie qursquoil vient de la troisiegraveme source dont disposait

Simplicius le De Philosophia ou plutocirct du commentaire drsquoAlexandre qui lui le posseacutedait

Crsquoest pourquoi la comparaison qui a eacuteteacute effectueacutee plus haut nous permettait drsquoaffirmer qursquoil

ne srsquoagit pas drsquoune paraphrase du DP dans le DC mais plutocirct drsquoune citation Mais cela ne

prouve pas qursquoil existe une discontinuiteacute de lrsquoobjet et de lrsquoargumentation dans ce passage du

De Caelo Nous lrsquoavons dit le deacutebut du passage 279a18 affirme assez clairement que les

ecirctres qui se trouvent au-delagrave de la translation la plus exteacuterieure sont sans corps sans lieu et

sans temps En mecircme temps apregraves une analogie entre la dureacutee et le ciel nous en arrivons agrave

lire un texte qui porte sur la perfection du corps ceacuteleste ce qui a priori semble eacutetonnant dans

la mesure ougrave le τἀκεῖ se situe en dehors du ciel et que le corps ceacuteleste est le ciel lui-mecircme

Ces diffeacuterents passages nous plongent dans lrsquoincompreacutehension et savoir qursquoil srsquoagit drsquoune

citation du DP nrsquoaide pas agrave comprendre pourquoi ce changement de sujet Crsquoest pourquoi

Dumoulin formule une hypothegravese agrave ce sujet

Nrsquooublions pas que Simplicius est le chef de file de ceux qui entendent du PremierMoteur Immobile tout le texte de De Caelo I 9 279a11-b3 On peut donc soupccedilonner cequi srsquoest passeacute Simplicius trouvait dans sa source deux passages du De Philosophia Lepremier eacutetablissait lrsquoexistence de la diviniteacute suprecircme immateacuterielle et le second eacutetablissaitle caractegravere divin du monde stellaire il a soudeacute ces deux textes qui dans sa penseacutee

concernaient lrsquoun et lrsquoautre le Premier Moteur29

Simplicius en commentant Aristote avance une preuve de lrsquoexistence de Dieu en

affirmant que lagrave ougrave il y a un ecirctre meilleur il y a forcement un ecirctre excellent dans la mesure ougrave

il y a une hieacuterarchie entre les ecirctres30 Il voit en cet argument le moyen de justifier que le τἀκεῖ

fait reacutefeacuterence au premier moteur Mais cet argument ne vient absolument pas du De Caelo lui-

mecircme il est un ajout au texte du DC et est tireacute du DP par Simplicius Il aurait donc servi agrave

justifier lrsquoexistence drsquoun ecirctre immateacuteriel et absolument parfait La suite du texte portant sur le

ciel aurait alors eacuteteacute compris comme suivant cette thegravese drsquoun ecirctre parfait et immateacuteriel ce qui

29 Dumoulin opcit p 6030 Simplicius (2892)

49

aurait pousseacute Simplicius agrave croire en lrsquoideacutee drsquoune reacutefeacuterence au Premier Moteur Immobile tout

en refusant lrsquoideacutee drsquoune ceacutesure dans lrsquoargumentation puisqursquoil affirmait que la totaliteacute du texte

portait sur un seul et mecircme objet le premier moteur

Au vu de cet argument nous pouvons comprendre pourquoi Dumoulin deacutefend lrsquoideacutee

qursquoil srsquoagit drsquoune reacutefeacuterence agrave des ecirctres qui se trouvent au-delagrave du ciel En effet il admet une

discontinuiteacute drsquoobjet dans le passage du De Caelo ducirc agrave lrsquoajout drsquoarguments tireacutes du DP pour

forcer le lien Toutefois cette discontinuiteacute est plus complexe qursquoelle en a lrsquoair dans la mesure

ougrave Dumoulin nrsquoaffirme pas ouvertement ndash et en ces termes ndash qursquoil y en a une En fait il est

drsquoavis de dire qursquoil y a une discontinuiteacute dans le degreacute de diviniteacute dont il est question si

Aristote fait lrsquoeacuteloge du mouvement ceacuteleste apregraves avoir affirmeacute que les ecirctres au-delagrave du ciel

sont immateacuteriels et ne subissent aucun changement crsquoest dans le but de manifester la

perfection (encore plus haute que celle du ciel) des ecirctres de lagrave-bas

312 La continuiteacute du sujet en faveur des reacutealiteacutes ceacutelestes

Mais nous lrsquoavons dit il existe de maniegravere geacuteneacuterale deux eacutecoles pour lrsquointerpreacutetation

du τἀκεῖ La premiegravere deacutefend lrsquoideacutee qursquoil srsquoagit lagrave drsquoune reacutefeacuterence agrave des ecirctres transcendant le

ciel la seconde deacutefend lrsquoideacutee qursquoil est question des ecirctres ceacutelestes Nous avons alors vu que

Dumoulin deacutefend la theacuteorie selon laquelle il existe un changement de sujet dans

lrsquoargumentation du De Caelo I 9 Cela lui permet de deacutefendre lrsquoideacutee qursquoil srsquoagit drsquoune

reacutefeacuterence agrave un ou des ecirctres transcendants Il srsquoagit donc maintenant de montrer comment

certains auteurs et plus particuliegraverement Moraux deacutefendent lrsquoideacutee contraire Comment srsquoy

prend Moraux pour deacutefendre la theacuteorie drsquoune reacutefeacuterence astrale en critiquant lrsquoideacutee que la

position contraire a des conseacutequences tregraves dures sur lrsquoargumentation du texte

Avant de nous inteacuteresser agrave la critique que Moraux formule envers ceux qui deacutefendent

lrsquoideacutee drsquoune reacutefeacuterence agrave des ecirctres transcendants nous allons nous inteacuteresser agrave la faccedilon dont le

texte a eacuteteacute traduit par Moraux et qui rend compte de la maniegravere dont il lrsquointerpregravete31

Il nrsquoest point de changement pour aucun des ecirctres disposeacutes sur la translation la plusexteacuterieurehellip

31 Aristote Du ciel1965 p37 Il srsquoagit de la traduction de Moraux et nous nous inteacuteressons plus particuliegraverement agrave lrsquointroduction de cette œuvre par ce dernier

50

Nous pouvons la distinguer de la traduction de Dalimier et Pellegrin En effet si le grec ὑπέρ

est traduit par ces derniers par laquo au-dessus de raquo Moraux lui le traduit par laquo sur raquo Il affirme

alors ici que le texte fait reacutefeacuterence agrave quelque chose qui se situe sur la translation la plus

exteacuterieure et non au-delagrave ce qui change radicalement la vision que nous avons du texte Nous

affirmions plus haut par le biais de Dumoulin qursquoil existait un changement de sujet dans le

passage 279a18-b3 En effet au deacutebut ce dont il est question dans le texte est des ecirctres qui se

trouvent laquo au-dessus de la translation la plus exteacuterieure raquo et agrave la fin il porte sur lrsquoeacuteterniteacute du

mouvement circulaire Mais si nous traduisons la preacuteposition ὑπέρ par laquo sur raquo plutocirct que laquo au-

dessus raquo alors il nrsquoy a plus drsquoideacutee de discontinuiteacute et le passage du deacutebut agrave la fin porte sur

des ecirctres ceacutelestes Toutefois Fabienne Baghdassarian souligne qursquoil est le seul agrave traduire le

texte ainsi et que mecircme Alexandre qui deacutefendait lrsquoideacutee drsquoune reacutefeacuterence astrale comprend le

texte comme portant sur quelque chose qui est au-delagrave drsquoun mouvement La raison pour

laquelle Moraux traduit le texte de cette maniegravere est justifieacutee par lrsquoutilisation de ὑπέρ dans le

De Caelo en effet cette proposition ne sert pas agrave justifier ce qui se trouve au-delagrave de quelque

chose Pour manifester cette ideacutee Aristote utilise plutocirct ἔξω En mecircme temps Fabienne

Baghdassarian lui objecte la chose suivante

La preacuteposition ὑπέρ lorsqursquoelle est employeacutee avec lrsquoaccusatif deacutesigne ce qui est au-dessus de quelque chose et non pas ce qui est sur lui En outre chacune des occurrencesde cette preacuteposition dans le DC qursquoelle srsquoaccompagne de lrsquoaccusatif ou mecircme du geacutenitifsert constamment agrave deacutesigner ce qui est au-dessus drsquoun point de reacutefeacuterence Enfin crsquoesttoujours la preacuteposition ἐν et non pas ὑπέρ qui sert agrave deacutesigner les corps qui sont fixeacutes sur

lrsquoorbite 32

Nous observons alors diffeacuterents arguments ceux qui portent sur des questions de grammaire

et ceux qui portent sur des questions de terminologie Mecircme si ὑπέρ nrsquoest pas neacutecessairement

utiliseacutee pour parler de ce qui se trouve au-delagrave drsquoune chose son utilisation accompagneacutee de

lrsquoaccusatif ( φοράν) fait reacutefeacuterence agrave ce qui est au-dessus drsquoune chose et non pas agrave ce qui est

sur une chose Il srsquoagit alors drsquoun problegraveme de grammaire et de traduction Fabienne

Baghdassarian soutiendrait-elle lrsquoideacutee drsquoune erreur dans la traduction de Moraux Pour ce qui

est de la question terminologique Fabienne Baghdassarian affirme que pour deacutesigner ce qui

est sur les sphegraveres Aristote utilise la preacuteposition ἐν et non la preacuteposition ὑπέρ

32 Baghdassarian F opcit 2011 p188

51

Revenons agrave lrsquoideacutee que deacutefend Moraux Puisqursquoil traduit le passage en affirmant que le

τἀκεῖ se trouve sur la translation la plus exteacuterieure et non pas au-delagrave il affirme par

conseacutequent que le passage traite entiegraverement des ecirctres ceacutelestes et plus preacuteciseacutement de ceux

qui se trouvent sur la sphegravere des fixes Il ne rencontre donc pas le problegraveme de la discontinuiteacute

de lrsquoobjet de ce passage Il affirme cependant que De Caelo I 9 est remarquable du fait que

trois parties se distinguent

Le second panneau du diptyque relatif agrave lrsquouniciteacute du monde est tout agrave fait remarquable (chap9) Lrsquoexamen du style et du contenu philosophique permet drsquoy distinguer trois parties qui ont probablement eacuteteacute reacutedigeacutees agrave des eacutepoques diffeacuterentes Reacutefeacuterence

La premiegravere partie de cet exposeacute est assimileacutee agrave Meacutetaphysique Ζ du fait qursquoelle porte

sur la matiegravere et la forme en utilisant les mecircmes arguments et les mecircmes exemples Aristote

affiche un style tregraves rigoureux proche de celui de Meacutetaphysique Z Cela est eacutetonnant dans la

mesure ougrave la Meacutetaphysique est une œuvre qui serait relativement tardive Il suppose donc que

le passage du De Caelo I 9 qui srsquoeacutetend de 277b33 agrave 278a9 a eacuteteacute eacutecrit agrave la mecircme eacutepoque que

Meacutetaphysique Z

Quant agrave la deuxiegraveme partie qui srsquoeacutetendrait de 278b10 agrave 279a18 elle serait plus propre

au style qursquoarbore Aristote dans le De Caelo dans la mesure ougrave les arguments utiliseacutes seraient

ceux qui portent sur les milieux naturels et servirait agrave conclure lrsquoargumentation geacuteneacuterale du

chapitre

La suite de 279a18 agrave 279b3 qui est la partie dans laquelle apparaicirct le τἀκεῖ serait

alors pour Moraux une sorte drsquoenvoleacutee lyrique quasiment poeacutetique qui serait le propre des

dialogues aristoteacuteliciens Ce passage serait alors exclu de lrsquoargumentation et nrsquoapporterait

donc rien agrave celle-ci Toutefois comme le fait Dumoulin nous lrsquoavons vu Moraux semble

enteacuteriner lrsquoideacutee majoritairement valideacutee selon laquelle ce passage serait un extrait du De

Philosophia bien qursquoil nrsquoaffirme pas comme Dumoulin que le texte soit une reacutefeacuterence agrave des

ecirctres se situant au-delagrave du ciel Moraux affirme que cet extrait a eacuteteacute ajouteacute agrave ce passage pour

adoucir un exposeacute complexe sur la matiegravere et la forme Mais si tous les interpregravetes ou

presque admettent que ce passage soit issu du DP ils ne lrsquointerpregravetent pas tous de la mecircme

maniegravere

52

Les uns pensent qursquoAristote y ceacutelegravebre la sphegravere des fixes qursquoil tenait alors pour le dieusuprecircme Drsquoautres preacutetendent au contraire qursquoil parle drsquoentiteacutes divines transcendantes aumonde peut-ecirctre identiques aux fameuses laquo intelligences raquo des sphegraveres Pour deacutefendreleur exeacutegegravese ces derniers sont contraints drsquoadmettre la preacutesence drsquoune anacolutheextrecircmement dure et certains drsquoentre eux vont mecircme jusqursquoagrave modifier le textetraditionnel mais le souci drsquoeacuteleacutegance stylistique qui se manifeste dans tout le passagerend bien improbable lrsquohypothegravese drsquoune pareille neacutegligence 33

Moraux rappelle briegravevement les deux interpreacutetations qui srsquoopposent agrave la suite de quoi

il critique celle qui soutient que le passage fait reacutefeacuterence agrave des ecirctres transcendants Il fait

reposer sa critique sur deux arguments ceux qui soutiennent que ce passage porte sur des

ecirctres transcendants sont contraints de modifier le texte original dans lrsquointeacuterecirct de leur theacuteorie

Moraux fait ici reacutefeacuterence agrave Simplicius qui dans son commentaire remplace κινεῖται (en

279b1) par κινεῖ afin drsquoaccorder aux τἀκεῖ la puissance de mouvoir le ciel de maniegravere

circulaire en raison de lrsquoeacuteleacutement qui les compose lrsquoeacutether Mais le texte traditionnel ne fait pas

mention drsquoune quelconque fonction motrice du τἀκεῖ crsquoest pourquoi Moraux nrsquoaccepte pas

cette correction Son second argument repose sur le style de ce passage Celui-ci est fort

poeacutetique eacutevoquant les dialogues aristoteacuteliciens et tregraves travailleacute il semble donc improbable

qursquoAristote ait pu changer de sujet en plein milieu de son discours En effet pour ceux qui

affirment qursquoil y a lagrave une reacutefeacuterence agrave des ecirctres divins transcendant le ciel il faut admettre qursquoil

y a une veacuteritable discontinuiteacute de lrsquoobjet du texte voire une ceacutesure totale Mais le travail

fourni pour produire un texte styliseacute comme celui-ci nous permet de douter qursquoAristote ait eacuteteacute

si neacutegligeant sur lrsquoobjet de ce passage

Tels sont les arguments en faveur de la reacutefeacuterence ceacuteleste que Moraux deacutefend

eacutegalement et qui repose sur lrsquoideacutee qursquoil nrsquoexiste pas de changement de sujet dans ce passage

portant du deacutebut agrave la fin sur les ecirctres qui se trouvent sur la translation la plus exteacuterieure

Ces auteurs sont en deacutebat direct sur la question de lrsquointerpreacutetation de ce passage de

plus leurs arguments reposent sur le mecircme thegraveme qui est celui de la continuiteacute ou la

discontinuiteacute de lrsquoargumentation du De Caelo I 9 Il srsquoagira alors drsquoaborder un autre point

theacutematique en opposant les interpregravetes qui font reposer leurs argumentations sur la question

du lieu dans la philosophie aristoteacutelicienne

33 Moraux opcit 1965 pLXXV

53

32 Le lieu des corps ceacutelestes lrsquoabsence de lieu du τἀκεῖ

321 Lrsquoabsence de lieu en faveur de la reacutefeacuterence ceacuteleste

Le De Caelo I 9 porte tout entier sur la question de lrsquouniciteacute du ciel Nous lrsquoavons

expliqueacute plus haut lorsqursquoune substance formelle est meacutelangeacutee agrave la matiegravere il peut exister

une infiniteacute drsquoecirctres avec une mecircme forme speacutecifique dans la mesure ougrave ce qui est mateacuteriel

peut exister en nombre tregraves grand sinon infini Mais il nrsquoen est pas ainsi pour le ciel puisqursquoil

contient lrsquoensemble de toute la matiegravere et que rien ne peut venir agrave ecirctre en dehors de lui

Aristote aboutit agrave la conclusion selon laquelle il nrsquoy a pas de corps en dehors du ciel donc pas

de temps pas de lieu et pas de vide non plus Nous allons deacutesormais nous inteacuteresser agrave la

question du lieu puisque celui-ci pourrait nous donner une piste de reacuteflexion concernant

lrsquoidentiteacute des ecirctres de lagrave-bas et est un argument que lrsquoon retrouve souvent en faveur ndash ou en

deacutefaveur ndash de la reacutefeacuterence ceacuteleste Lrsquoargument qursquoil srsquoagira de restituer sera celui de Mugnier

au sein drsquoun deacutebat qui porte sur le lieu drsquoune part et drsquoautre part sur le rapport entre la

cosmologie platonicienne et la cosmologie aristoteacutelicienne dans lrsquointeacuterecirct de faire une sorte de

cartographie du problegraveme du De Caelo I 9

Lrsquoœuvre de Mugnier porte sur lrsquoeacutevolution de la penseacutee drsquoAristote Dans un passage

portant sur la jeunesse platonisante drsquoAristote apregraves avoir repeacutereacute des similitudes mais aussi

des diffeacuterentes entre les doctrines platoniciennes et les doctrines aristoteacuteliciennes Mugnier

affirme la chose suivante

Mais si Aristote semble mettre de cocircteacute le Deacutemiurge il ne renonce pas agravelrsquoIntelligence gouvernant le monde et nous lrsquoavons vu il prouve son existence agrave lrsquoaidedrsquoarguments emprunteacutes aux Lois Cette Intelligence ou Dieu qui deviendra plus tard lePremier Moteur immobile est-elle consideacutereacutee par Aristote comme lrsquoacircme du monde Ilest vraisemblable de le penser quoique nous soyons sur ce point reacuteduits aux conjecturesEt maintenant cette Intelligence est-elle devenue un Premier Moteur seacutepareacute du monde ettranscendant ou au contraire immanente agrave lrsquoUnivers En drsquoautres termes Aristote srsquoest-il prononceacute pour un theacuteisme ou pour un immanentisme Crsquoest agrave cette question que nousallons nous forcer de reacutepondre en examinant les principes et les thegraveses du Philosophe34

Nous comprenons immeacutediatement le rapport entre la cosmologie platonicienne que

nous avons deacutecouverte via le Timeacutee et la cosmologie aristoteacutelicienne En effet certains

fondements de la theacuteorie cosmologique aristoteacutelicienne viennent de celle de Platon bien que

34 Mugnier La Theacuteorie du premier moteur et lrsquoeacutevolution de la penseacutee aristoteacutelicienne 1930 p15

54

dans son platonisme Aristote se soit distingueacute de son maicirctre Aristote refusait lrsquoideacutee drsquoun

Deacutemiurge qui dans le Timeacutee est le creacuteateur du monde et drsquoIdeacutees seacutepareacutees qui servent

drsquoexemples agrave la conception du monde Mais il ne refuse pas lrsquoideacutee de lrsquoIntelligence dans les

Lois de Platon qui gouverne le monde et le dirige vers la feacuteliciteacute ou son contraire35 La

question qui se pose alors est celle de savoir si cette Intelligence est divine et transcendante au

ciel ou si elle est immanente au Premier Ciel Que signifie cet immanentisme Crsquoest lrsquoideacutee

selon laquelle le Premier Moteur immobile ou lrsquoIntelligence est lrsquoacircme du Premier Ciel et

celui-ci est son corps de sorte que le Premier Moteur ou lrsquoIntelligence serait de la mecircme

maniegravere que lrsquoacircme humaine est dans le corps humain dans quelque chose le premier ciel

crsquoest-agrave-dire la sphegravere des fixes Reacutepondre agrave la question de la transcendance ou de

lrsquoimmanence permettrait donc de comprendre ce qursquoentend Aristote par laquo takei raquo dans le De

Caelo I 9 et de comprendre les arguments de Mugnier en faveur de telle ideacutee ou telle autre

Pour reacutepondre agrave ce problegraveme Mugnier se reacutefegravere agrave Physique VIII 6 Si lrsquoimmanentisme

suggegravere lrsquoideacutee drsquoune analogie entre lrsquoacircme humainele corps humain et le Premier Moteurle

Premier ciel peut-on comparer lrsquoacircme humaine au Premier Moteur En drsquoautres termes le

Premier Moteur est-il mucirc par accident comme lrsquoest lrsquoacircme humaine Mais que signifie laquo ecirctre

mucirc par accident raquo Telles sont les questions que se pose Mugnier Dans le traiteacute De lrsquoAcircme36

Aristote affirme que lrsquoacircme humaine eacutetait immobile par essence mais en mouvement par

accident du fait de son lien avec le corps Puisque le corps se deacuteplace lrsquoacircme qui est dans le

corps est deacuteplaceacutee et est donc en mouvement par le corps et non par elle-mecircme crsquoest en ce

sens que lrsquoon dit qursquoelle est mue par accident Mugnier se demande alors ce qursquoil en est du

Premier moteur acircme du Premier ciel Srsquoil met en mouvement le Premier ciel est-il mucirc

eacutegalement par accident Comment ne pourrait-il pas ecirctre emporteacute par le mouvement de son

corps Mugnier tente de reacutepondre agrave ces questions dans le but de montrer que le Premier

Moteur ne peut pas ecirctre emporteacute par le mouvement de son corps le Premier Ciel dans la

mesure ougrave celui-ci nrsquoa pas de changement local eacutetant donneacute qursquoil nrsquoest pas dans un lieu

Le souci que pose la theacuteorie du mouvement par accident de lrsquoacircme du Premier Ciel est

que quelque chose de mucirc par accident ne saurait donner agrave une autre chose un mouvement

Pour comprendre cette ideacutee il faut comprendre quel est le mouvement de lrsquoacircme humaine pour

Mugnier si elle est transporteacutee quelque part par accident elle cherchera agrave rejoindre son

milieu naturel et imposera donc un mouvement au corps qursquoelle habite pour le faire se

mouvoir vers un milieu particulier qui est le sien Mais ce mouvement lagrave nrsquoest pas eacuteternel

35 PLATON Lois 2003 897a Traduction par A Diegraves36 ARISTOTE De lrsquoAcircme 2005 406b25 Traduction par P Thillet

55

puisqursquoil se termine une fois le lieu atteint Pour qursquoil y ait un mouvement eacuteternel il faut donc

une acircme motrice qui soit toujours elle-mecircme et dans son propre lieu sinon elle imposera un

mouvement agrave son corps qui ne durera que le temps de retourner dans le lieu qui lui est propre

Aristote affirme lui-mecircme lrsquoimmobiliteacute du Premier Moteur

Drsquoapregraves cela on pourra se convaincre que si quelque chose fait partie des moteursimmobiles mais eux-mecircmes mus par accident il est impossible qursquoil meuve drsquounmouvement continu De sorte que srsquoil est neacutecessaire que le mouvement existecontinucircment il faut qursquoil existe un premier moteur non mucirc mecircme par accident37

Le Premier Moteur est donc neacutecessairement immobile sinon il ne pourrait pas ecirctre la

cause drsquoun mouvement eacuteternel Il srsquoagit alors de se demander comment il est possible que le

Premier Moteur acircme du Premier Ciel ne soit pas ecirctre mucirc par accident La condition

neacutecessaire au mouvement accidentel du Premier Moteur est que le Premier Ciel soit mucirc Or il

nrsquoexiste rien en dehors du ciel pas mecircme un lieu comme nous lrsquoavons vu dans la partie 0

Mais tout ce qui est en mouvement lrsquoest neacutecessairement dans un lieu pour Aristote crsquoest

pourquoi il nrsquoest pas rationnel de parler de mouvement pour un corps qui nrsquoest pas dans un

lieu La question agrave laquelle nous arrivons est celle de savoir si nous pouvons parler de

deacuteplacement pour le Premier Ciel Se demander si le Premier Ciel se deacuteplace revient donc agrave se

demander si le Premier Ciel est dans un lieu (ἐν τόπῳ)

Nous avons vu dans le De Caelo I 9 que le lieu eacutetait lrsquoendroit ou il eacutetait possible qursquoil

existe quelque chose ce qui nrsquoest pas le cas pour lrsquoexteacuterieur du ciel De plus le lieu est la

limite du corps englobant38 mais il nrsquoy a rien en dehors du ciel donc rien pour lrsquoenglober

Mugnier arrive assez rapidement agrave la conclusion qursquoil nrsquoexiste pas de lieu en dehors du ciel et

surtout que la sphegravere des fixes nrsquoest dans aucun lieu La question du lieu est primordiale dans

lrsquoideacutee du mouvement puisque lrsquoon juge qursquoune chose est en mouvement par rapport agrave un lieu

selon Aristote nous jugeons qursquoune chose se deacuteplace en la regardant par rapport agrave un autre

point de repegravere qui se trouve agrave lrsquoexteacuterieur de ce qui est en deacuteplacement Une chose peut aussi

ecirctre dite dans un lieu lorsqursquoelle est entoureacutee drsquoautres corps En cela nous pouvons dire que le

Premier Ciel nrsquoest pas dans un lieu mais les astres qui srsquoy trouvent sont dans un lieu formeacute

par les autres astres qui les entourent Mugnier donne alors lrsquoexemple suivant

37 ARISTOTE Physique VIII 6 259b20-26 Traduction par Pellegrin 38 ARISTOTE Physique IV 4 211b13

56

Voici une boule qui roule sur la terre elle se deacuteplace crsquoest-agrave-dire qursquoelle occupesuccessivement diffeacuterents lieux Et si nous pouvons dire qursquoelle est animeacutee drsquounmouvement de transport crsquoest parce qursquoil nous est loisible de choisir en dehors drsquoelle uncorps un point de repegravere crsquoest-agrave-dire quelque chose par rapport agrave quoi elle se deacuteplace

Le lieu se dessine en quelque sorte par ce qui lrsquoentoure Si on imagine cette mecircme

boule mais eacutetant entoureacutee par rien on ne peut pas dire qursquoelle est dans un lieu par contre on

peut dire drsquoelle qursquoelle constitue tout lrsquoespace dans la mesure ougrave elle est la seule chose qui

soit Mais du fait qursquoelle nrsquoest pas dans un lieu puisque rien ne lrsquoentoure elle ne peut se

deacuteplacer par rapport agrave rien ni par rapport agrave elle-mecircme Parce que cette boule serait tout ce

qursquoil y a elle ne peut pas se deacuteplacer en masse dans rien crsquoest-agrave-dire dans ou vers aucun lieu

et par rapport agrave rien Donc un corps qui nrsquoest enveloppeacute par rien nrsquoest pas dans un lieu et un

corps qui nrsquoest pas dans un lieu ne peut pas se deacuteplacer Tout cela nous ramegravene alors agrave la

question de savoir srsquoil existe quelque chose en dehors du Premier Ciel

Dans le De Caelo I 9 Aristote affirme qursquoil nrsquoexiste aucun corps en dehors du ciel

car si un corps existait lagrave-bas il serait soit simple soit composeacute Mais en vertu de la theacuteorie

aristoteacutelicienne des lieux et du mouvement il ne pourrait pas y avoir de corps simple en

dehors du ciel puisque le milieu naturel des corps simples se trouve dans le ciel Et aucun des

corps simples ne pourrait srsquoy trouver de maniegravere contre nature dans la mesure ougrave cela

signifierait que ce serait le lieu naturel drsquoun autre corps mais cela est impossible Il nrsquoy a pas

non plus de corps composeacutes en dehors du ciel car la preacutesence drsquoun corps composeacute impose la

preacutesence drsquoun corps simple et il ne peut pas y avoir de corps simples en dehors du ciel Mais

puisqursquoil nrsquoy a pas de corps il nrsquoy a pas de lieu nous dit Aristote car le lieu est ce en quoi il

peut y avoir un corps Il nrsquoy a pas non plus de temps car le temps est le nombre du

mouvement or le mouvement est une proprieacuteteacute des corps et il nrsquoy a pas de corps en dehors du

ciel donc pas de mouvement En vertu de toutes ces choses que nous avions vues mais que

nous avons rappeleacutees briegravevement Mugnier conclut deux choses il nrsquoexiste ni corps ni

temps ni lieu en dehors du ciel drsquoune part et il est eacutetrange de parler du Premier Ciel comme

un corps qui se deacuteplace puisqursquoil nrsquoest dans aucun lieu La conseacutequence de cela est simple et

reacutepond clairement agrave la question de deacutepart qui eacutetait celle de savoir comment le Premier Moteur

ne pouvait pas ecirctre mucirc par accident par le mouvement du Premier Ciel Puisque le Premier

Ciel nrsquoest pas dans un lieu il est absurde de parler de mouvement Ainsi nous pouvons

affirmer que le Premier Ciel ne se deacuteplace pas et donc ne peut pas entraicircner son acircme crsquoest-agrave-

dire le Premier Moteur dans un mouvement accidentel

57

Mais selon Mugnier Aristote affirme qursquoil existe un mouvement propre au Premier

Ciel il nrsquoest pas parfaitement immobile En effet la circonfeacuterence derniegravere du ciel se meut de

maniegravere circulaire mais nous avons dit que le Premier Ciel ne se deacuteplaccedilait pas ce qui semble

agrave premiegravere vue contradictoire En fait le ciel tourne sur lui-mecircme mais ne se deacuteplace pas vers

un autre endroit Il ne change pas de laquo place raquo On notera la difficulteacute de deacutecrire un

mouvement sans faire reacutefeacuterence agrave un lieu dans la mesure ougrave il nrsquoy a aucun lieu dans lequel se

trouve le ciel

Et le seul fait que la derniegravere sphegravere nrsquoest enveloppeacutee par aucun corps et qursquoil nrsquoy a paspar suite drsquoespace en dehors drsquoelle explique pour le dire en passant un passage fortobscur du De Caelo ougrave Aristote parle de choses qui sont situeacutees au-dessus de lrsquoextrecircmereacutevolution des astres [hellip] Mais que sont-elles Ougrave se trouvent-elles Des reacuteponsesdiffeacuterentes ont eacuteteacute donneacutees39

Mugnier en vient agrave traiter de la question du τἀκεῖ au sein drsquoune reacuteflexion sur le

mouvement du Premier Ciel ou plutocirct sur la possibiliteacute du mouvement du Premier Ciel en

raison de la preacutesence ou non drsquoun lieu dans lequel il serait englobeacute Aristote a montreacute qursquoil nrsquoy

avait pas de corps pas de lieu et pas de temps en dehors du ciel Cependant Mugnier note

qursquoAristote emploie un vocabulaire spatial pour deacutecrire les ecirctres qui se situent au-dessus de la

translation la plus exteacuterieure en effet Aristote les deacutecrit comme les ecirctres de laquo lagrave-bas raquo

(τἀκεῖ) ce qui semble directement renvoyer agrave un lieu et nrsquoa de sens que si le τἀκεῖ se trouve

dans un lieu Mais dans la mesure ougrave il nrsquoexiste pas de lieu en dehors du ciel Mugnier en

conclut que le τἀκεῖ fait reacutefeacuterence agrave quelque chose qui se situe dans le ciel et non agrave lrsquoexteacuterieur

de celui-ci Car seul ce qui est dans un lieu peut ecirctre deacutesigneacute comme eacutetant laquo lagrave-bas raquo crsquoest-agrave-

dire dans un lieu Nous pouvons de maniegravere plus preacutecise conclure de lrsquoargumentation

geacuteneacuterale de Mugnier qursquoil ne pense pas que le τἀκεῖ puisse faire reacutefeacuterence agrave la sphegravere des

fixes dans sa totaliteacute dans la mesure ougrave le tout qursquoelle est nrsquoest pas dans un lieu En revanche

ses parties crsquoest-agrave-dire les astres qui srsquoy trouvent sont dans un lieu les unes par rapport aux

autres et sont englobeacutees par la sphegravere des fixes Le τἀκεῖ semblerait alors pouvoir ecirctre une

reacutefeacuterence aux astres divins qui sont sur la sphegravere la plus eacuteloigneacutee du centre et non agrave la sphegravere

des fixes dans sa totaliteacute et encore moins un ecirctre qui lui serait transcendant Il srsquoagit alors

drsquoune conception meacutetaphorique du lieu utiliseacutee par Aristote puisque le terme laquo lieu raquo ne

renvoie pas reacuteellement agrave un lieu dans le cas preacutesent Toutefois Mugnier ne rend pas compte

de lrsquoutilisation du terme huper puisqursquoil nrsquoaffirme pas que cette expression renvoie a un au-

39 Mugnier opcit 1930 p77

58

dessus meacutetaphorique eacutegalement crsquoest-agrave-dire un au-dessus qui ne serait pas veacuteritablement hors

du ciel

322 Lrsquoabsence de lieu comme caracteacuteristique drsquoun ecirctre transcendant le ciel

Solmsen40 affirme sur la question du lieu comme justification de la transcendance ou

de lrsquoimmanence du τἀκεῖ que le τἀκεῖ est une reacutefeacuterence agrave un ecirctre transcendant du fait que

lrsquoabsence de lieu devient une caracteacuteristique de ce qui nrsquoa pas de lieu Mais comment en

arrive t-il agrave deacutefendre cette thegravese sans tomber dans le problegraveme de la description drsquoun ecirctre sans

lieu qui serait pourtant lagrave-bas crsquoest-agrave-dire quelque part Pour comprendre ce problegraveme

Solmsen se tourne vers la cosmologie platonicienne dans la mesure ougrave il traite explicitement

dans le Phegravedre drsquoun au-delagrave du ciel Mais quel est le rapport entre Platon et Aristote sur cette

question Solmsen srsquoexprime sur le τἀκεῖ dans un contexte historique Il cherche en quelque

sorte le fondement philosophique de la conception de lrsquoau-delagrave du ciel Crsquoest pourquoi

Solmsen en vient agrave parler de Platon qui affirme la chose suivante

Chaque fois qursquoils se rendent agrave un festin crsquoest-agrave-dire agrave un banquet ils se mettent agrave montervers la voucircte qui constitue la limite inteacuterieure du ciel [hellip] Crsquoest lagrave sache-le bien quelrsquoeacutepreuve et le combat suprecircmes attendent lrsquoacircme En effet lorsqursquoelles ont atteint la voucirctedu ciel ces acircmes qursquoon dit immortelles passent agrave lrsquoexteacuterieur srsquoeacutetablissent sur le dos duciel se laissent emporter par leur reacutevolution circulaire et contemplent les reacutealiteacutes qui se

trouvent hors du ciel41

Platon dans le Phegravedre affirme donc qursquoil existe quelque chose en dehors du ciel les

reacutealiteacutes Ces choses reacuteelles sont une reacutefeacuterence directe aux Formes intelligibles et seacutepareacutees

Toutefois nous pouvons noter que ce passage revecirct lrsquoapparence du mythe poeacutetique et non pas

drsquoune argumentation philosophique ce qui nous amegravene agrave nous poser la question de la veacuteriteacute

du propos tenu par Platon Celui-ci dans la continuiteacute de cet extrait affirme prononcer la

veacuteriteacute au sujet de lrsquounique chose qui soit veacuteritablement les Formes Nous savons par la

lecture de la Reacutepublique par exemple que les concepts de veacuteriteacute et de mythe chez Platon

sont geacuteneacuteralement opposeacutes pourquoi utilise-t-il alors un mythe pour parler drsquoune chose qui

soit lrsquoune des veacuteriteacutes Il semblerait pour Solmsen que cette question se soit eacutegalement poseacutee

40 Solmsen laquo Beyond the Heavens raquo197641 Phegravedre 2004 247c3 Traduction par L Brisson

59

au sein de lrsquoAcadeacutemie durant cette eacutepoque et nombreux eacutelegraveves ont eacuteteacute drsquoavis que cette notion

drsquoau-delagrave du ciel nrsquoeacutetait pas agrave prendre au seacuterieux du fait que Platon utilisait un mythe pour

srsquoy reacutefeacuterer Toutefois Platon dans ce mecircme passage fait la promesse de dire la veacuteriteacute au sujet

de la veacuteriteacute Le mythe devient alors le moyen le plus approprieacute de parler de ce qui se trouve

hors du ciel

Ce lieu qui se trouve au-dessus du ciel aucun poegravete parmi ceux drsquoici-bas nrsquoa encore chanteacute drsquohymne en son honneur et aucun ne chantera en son honneur un hymne qui en soit digne Or voici ce qui en est car srsquoil se preacutesente une occasion ougrave lrsquoon doive dire la veacuteriteacute crsquoest bien lorsqursquoon parle de la veacuteriteacute42

On note cependant quAristote eacutelegraveve de Platon dans sa jeunesse et malgreacute le fait que

lrsquoau-delagrave du ciel nrsquoait pas eacuteteacute pris pour un veacuteritable sujet drsquoeacutetude agrave lrsquoAcadeacutemie en vient agrave

parler de lrsquoexteacuterieur du ciel Pouvons-nous donc voir agrave travers le Phegravedre lrsquoorigine de certains

passages obscurs drsquoAristote concernant ce mysteacuterieux lieu qui se trouve au-delagrave du ciel

Dans le Phegravedre Platon place les Formes dans un lieu qui serait agrave lrsquoexteacuterieur du ciel

Solmsen note que de nombreux interpregravetes tel que Hackforth affirment que ce nrsquoest pas la

premiegravere fois que Platon attribue un lieu aux Formes intelligibles en effet dans le Timeacutee43 il

en est question eacutegalement Mais Solmsen refuse cette interpreacutetation des textes de Platon en

affirmant qursquoil nrsquoest pas convainquant que Platon fasse reacutefeacuterence agrave un lieu lorsqursquoil parle des

Formes car le lieu est en rapport avec les corps mateacuteriels et les Formes en plus drsquoecirctre

intelligibles sont seacutepareacutees de la matiegravere Il y a certes une laquo ascension raquo de lrsquoacircme qui se dirige

vers une connaissance accessible seulement par lrsquointellect mais ce nrsquoest pas parce qursquoil y a

une ascension au-delagrave du ciel que cet au-delagrave du ciel est lieacute agrave un corps mateacuteriel En effet pour

les Formes il srsquoagit de ce que Platon nomme un νοητὸς τόπος et celui-ci nrsquoest absolument

pas lieacute agrave la matiegravere Crsquoest pourquoi parler de laquo lieu raquo nrsquoest pas veacuteritablement contradictoire

pour parler drsquoun lieu sans matiegravere si lrsquoon preacutecise de quel type de lieu on parle crsquoest-agrave-dire un

lieu intelligible De plus dans le Timeacutee Platon affirme que tous les corps sensibles sont dans

lrsquoespace et dans un lieu Mais de cela nous ne pouvons affirmer que ce qui est propre et

neacutecessaire au corps sensible le soit aussi pour les ecirctres intelligibles et seacutepareacutes de la matiegravere

Dire qursquoaucun corps sensible ne peut ecirctre en dehors drsquoun lieu nrsquoimplique pas que les Formes

platoniciennes doivent ecirctre dans un lieu dans la mesure ougrave elles nrsquoentrent pas dans le domaine

du mateacuteriel et donc dans ses lois Il rejette alors toutes ideacutees drsquoassociation de lieu physique agrave

42 Ibid 247c 43 Timeacutee opcit 30c

60

la forme car cela est incompatible avec sa nature Le problegraveme est que le langage est fait de

telle maniegravere que Platon est limiteacute et ne peut pas deacutesigner ce qui se trouve dans un lieu

intelligible et sans matiegravere autrement que par des mots qui deacutesignent des lieux physiques

Crsquoest pourquoi il se doit drsquoutiliser le mythe Gracircce agrave lrsquoutilisation drsquoun pareil outil nous

pouvons dire qursquoil srsquoagit drsquoun lieu au sens alleacutegorique voire meacutetaphorique Cet outil lui

permet donc deux choses faire les louanges agrave la hauteur (ou plutocirct au plus proche) de la

beauteacute des Formes de maniegravere la plus approprieacutee possible pour ce qui est le plus parfait et

deacutesigner des lieux avec ses outils langagiers qui ne font pas reacutefeacuterence agrave des lieux tels que

nous les connaissons

Mais quel est le rapport avec Aristote Nous lrsquoavons dit Solmsen cherche lrsquoorigine de

certaines theacuteories aristoteacuteliciennes et il srsquoavegravere que certaines theacuteories lui ont eacuteteacute transmises agrave

lrsquoAcadeacutemie via les textes de Platon Mais comment expliquer que lrsquoon retrouve certaines

occurrences dans la philosophie aristoteacutelicienne et platonicienne alors mecircme qursquoil y a

diffeacuterentes opinions parfois opposeacutees sur un mecircme sujet chez Platon En effet srsquoil est

question dans le Phegravedre drsquoun au-delagrave du ciel ou se trouveraient les Formes dans le Timeacutee

Platon affirme qursquoil existe rien qui ne soit pas dans un lieu dans le monde Il faut donc lire les

passages suivants de la Physique44 drsquoAristote en se souvenant de celui du Phegravedre que nous

avons citeacute plus haut dans lrsquointeacuterecirct de comprendre pourquoi Aristote affirmait certaines choses

de la philosophie platonicienne plutocirct que drsquoautres

Le premier passage porte sur le lieu Aristote expose deux points de vue du lieu Dans

un premier temps Aristote affirme que le lieu est la matiegravere puisqursquoil nrsquoest pas simplement la

peacuteripheacuterie de ce qui est enveloppeacute mais aussi lrsquointervalle entre la limite qursquoil est et lrsquoobjet

dont il est le lieu Dans un second temps le lieu est lui-mecircme englobeacute car sa surface deacutelimite

le lieu occupeacute en ce sens le lieu est compris comme une matiegravere Quant au second passage il

porte sur lrsquoinfini Il distingue deux conceptions de lrsquoinfini les pythagoriciens pensent que

lrsquoinfini est propre agrave ce qui se situe hors du ciel alors que Platon affirme dans le Timeacutee qursquoil

nrsquoy a rien en dehors du ciel pas mecircme les Formes puisque celles-ci ne sont pas quelque part

Pourquoi Aristote affirmait que le lieu eacutetait ce que nous venons de deacutecrire et affirmait que

Platon refusait drsquoassocier lrsquoau-delagrave du ciel aux Formes alors mecircme que dans le Phegravedre il les

situe dans cet au-delagrave Solmsen formule trois hypothegraveses pour reacutepondre agrave ce problegraveme

44 Physique IV 2 209b11-16 et Physique III 4 203a1

61

1) Aristotle may not have read the mythical section of the laquo Phaedrus raquo Despite thereference to this section in Rhetoric III 7 1408b20 where it serves as an example ofpoetic style45

Mais cette hypothegraveses proposeacutee par Solmsen est directement critiqueacutee par lui En effet

cette theacuteorie selon laquelle Aristote nrsquoavait pas lu ce passage du Phegravedre bien qursquoelle ne soit

pas impossible est peu probable dans la mesure ougrave drsquoune part il y a une reacutefeacuterence agrave cette

œuvre dans la Rheacutetorique drsquoAristote et drsquoautre part il y a un trop gros rapprochement entre le

systegraveme rheacutetorique qursquoemploie Aristote dans son œuvre et celui qursquoemploie Platon pour parler

de ce qui est au-delagrave du ciel De plus cette theacuteorie supposerait que lrsquoon accepte qursquoAristote

avait la meacutemoire courte et qursquoil avait totalement oublieacute un passage entier du mythe du Phegravedre

2) Aristotle may have known but discounted the ὑπερουράνιος τόπος because for him asfor modern interpreters of the lsquoPhaedrusrsquo its presence in a myth ndash and in a myth whichunlike the myth of the lsquoTimaeusrsquo did not embody a cosmology ndash deprived the idea ofphilosophical significance46

Cette hypothegravese formuleacutee par Solmsen serait qursquoAristote avait lu cette œuvre mais

reacuteduit lrsquoimportance de lrsquoau-delagrave du ciel dans la mesure ougrave ce lieu apparaissait dans un mythe

Solmsen affirme que si cette hypothegravese est la vraie cela signifie qursquoAristote a volontairement

occulteacute la promesse de Platon de dire la veacuteriteacute concernant les Formes Une autre raison plus

leacutegitime serait de penser que le Timeacutee a eacuteteacute eacutecrit apregraves le Phegravedre et qursquoAristote le sachant

aurait consideacutereacute le Timeacutee comme une correction de certaines theacuteories platoniciennes passeacutees

De cette maniegravere le discours sur la localisation des Formes platoniciennes serait nul et non

avenu

3) At the time when Aristotle put down the passages in Physics III and IV he could notknow the lsquoPhaedrusrsquo because it had not yet been written or if written not yet beenpublished47

Quant agrave cette troisiegraveme hypothegravese elle repose sur la question de la date et lrsquoordre de

publication des dialogues platoniciens Le problegraveme est que nous nrsquoavons pas de sources

45 Solmsen opcit 1976 p2846 Ibid p2847 Ibid p28

62

suffisantes pour asseoir cette theacuteorie De plus dans lrsquohistoire de lrsquoeacutetude des dialogues

platoniciens le Phegravedre est celui qui a le plus de fois changeacute de place sur la liste chronologique

des dialogues platoniciens crsquoest dire agrave quel point nous nrsquoavons pas de connaissances certaines

et veacuteritables agrave ce sujet

La seconde hypothegravese selon Solmsen a plus de chance de seacuteduire les interpregravetes

classiques Mais avant de srsquoexprimer sur la question Solmsen nous renvoie au texte

drsquoAristote tireacute du De Caelo I 9 279a18-23 Solmsen affirme que en vertu des positions

philosophiques drsquoAristote il ne peut pas faire reacutefeacuterence aux Formes platoniciennes qui pour

lui nrsquoexistent pas Crsquoest pourquoi la seule possibiliteacute quant agrave la reacutefeacuterence de ce qui se trouve

lagrave-bas est pour Solmsen les diviniteacutes Il semble alors qursquoil y ait une intersection entre la

theacuteorie platonicienne eacutenonceacutee dans le Phegravedre et la theacuteorie aristoteacutelicienne du De Caelo dans la

mesure ougrave Platon affirme que les diviniteacutes passent au-delagrave de la derniegravere extreacutemiteacute pour

contempler les Formes Cela signifie qursquoil nrsquoy a pas que des Formes au-delagrave du ciel mais

eacutegalement des diviniteacutes Beaucoup drsquointerpregravetes ont eacuteteacute tenteacutes de comprendre ce texte comme

eacutetant une reacutefeacuterence aux premiers moteurs immobiles Toutefois Solmsen soutient qursquoil ne

peut srsquoagir de diviniteacutes ayant une fonction motrice dans la mesure ougrave Aristote affirme agrave la fin

de ce chapitre qursquoil nrsquoy a rien de plus fort que le corps qui a un mouvement circulaire et que

rien ne peut le deacuteplacer Les diviniteacutes nrsquoont donc pas agrave avoir une fonction motrice car le

mouvement circulaire srsquoexplique par la nature mecircme du cinquiegraveme eacuteleacutement qursquoest lrsquoeacutether

Solmsen affirme que crsquoest un passage choquant car on a le sentiment qursquoAristote est sur le

point drsquoaboutir agrave lrsquoideacutee qursquoil nrsquoy a rien en dehors du ciel en raison du fait que tout est compris

dans le ciel Il souligne que pour Platon crsquoest une theacuteorie theacuteologique alors que pour Aristote

crsquoest une theacuteorie scientifique (due agrave sa theacuteorie des corps des milieux et des mouvements)

Mais les lois physiques ne srsquoeacutetendent pas agrave ce qui est incorporel Les dieux sont au-dessus des

lois physiques et aucun argument utiliseacute dans le DC ne refuserait aux dieux une place au-

dessus du ciel Tels sont les arguments de Solmsen en faveur de la nature transcendante du

takei Mais quel est le rapport avec les 3 hypothegraveses preacutesenteacutees plus haut Elle rend

impossible et peu probable la premiegravere selon laquelle Aristote nrsquoavait pas lu cette partie du

Phegravedre et la derniegravere selon laquelle le Phegravedre nrsquoavait pas eacuteteacute eacutecrit en vertu du fait qursquoil

semble y avoir une intersection entre Aristote et Platon qui srsquoexplique par une lecture du

Phegravedre par Aristote La deuxiegraveme explication semble donc plus pertinente Aristote pouvait

consideacuterer le Timeacutee comme une base pour les hypothegraveses suggeacuterant un laquo lieu raquo pour les

formes (car tout est dans un lieu pour Platon dans le Timeacutee) mais il est possible qursquoAristote

63

ait associeacute ses diviniteacutes agrave cet au-delagrave du ciel qui nrsquoest pas un lieu Bien sucircr Aristote a revisiteacute

cette conception de lrsquoau- delagrave du ciel en supprimant les formes platoniciennes qui sont

regardeacutees par les diviniteacutes Il y a une diffeacuterence entre le laquo lieu raquo meacutetaphorique au-delagrave du ciel

de Platon et celui drsquoAristote Nous avons vu qursquoen dehors du ciel il nrsquoy avait rien et que le

τἀκεῖ nrsquoeacutetait dans aucun lieu Donc philosophiquement on peut penser a une reacutealiteacute eacuteternelle

et immateacuterielle qui se trouve au-delagrave du ciel

Le geste de Platon et Aristote nrsquoest pas le mecircme affirme Solmsen Platon dans le

mythe du Phegravedre prend les formes impassibles et inalteacuterables au-dessus du ciel pour acquises

dans la mesure ougrave lrsquoexistence de ces formes a eacuteteacute eacutetablis dans drsquoautres dialogues Il attribue

simplement la veacuteriteacute agrave ce lieu en le deacutesignant comme la laquo plaine de la veacuteriteacute raquo alors

quAristote en deacutecouvrant gracircce agrave sa theacuteorie des milieux un laquo environnement raquo qui exclut le

lieu le vide la matiegravere et le temps utilise cet environnement pour deacutefinir la nature de ses

diviniteacutes parce qursquoelles nrsquoont pas de corps pas de temps et pas de lieu elles sont

inchangeables et eacuteternelles Nous avons alors une conception du divin qui coiumlncide avec celle

de la Meacutetaphysique et de la Physique bien qursquoil ne soit pas question drsquoune diviniteacute motrice

Nous pouvons alors faire un lien pertinent entre la philosophie platonicienne et la philosophie

aristoteacutelicienne tout en les faisant cohabiter sans se contredire Le geste de Solmsen permet

alors de faire pencher la balance et drsquoajouter un argument en plus agrave la position de la reacutefeacuterence

transcendante concernant le τἀκεῖ

33 Deacutepassement des deux alternatives traditionnelles de lrsquointerpreacutetation du takei

331 Lrsquoeacutether hypercosmique de Peacutepin

Mais les deux interpreacutetation du problegraveme du takei ne font pas totalement lrsquounanimiteacute

Parmi ceux qui pensent en dehors de ce cadre nous trouvons Peacutepin qui a deacuteveloppeacute une

theacuteorie fort originale selon laquelle le takei est une reacutefeacuterence agrave lrsquoeacutether hypercosmique Il

srsquoagira alors de voir quels sont les arguments par rapport agrave ceux que nous avons vu qui

permettent de deacutefendre cette thegravese

Lrsquoarticle de Fabienne Baghdassarian48 nous propose un exposeacute inteacuteressant des

diffeacuterentes thegraveses portant sur lrsquoidentiteacute des ecirctres de lagrave-bas Parmi ces nombreuses thegraveses il y

48 Baghdassarian 2011

64

en a une qui est volontairement mise de cocircteacute et briegravevement introduite dans une note de bas de

page celle de Peacutepin

Nous ne dirons rien de lrsquohypothegravese de Peacutepin 1964 p 161-170 qui soutient que la diviniteacuteen question est lrsquoeacutether hypercosmique Peu drsquoeacuteleacutements en effet sont en faveur de cettethegravese et ce tout particuliegraverement dans le DC J Peacutepin lui-mecircme ne reconnaicirct-il pas qursquoilnrsquoest qursquoun seul texte dans ce traiteacute en faveur de son hypothegravese 49

Ce qui est fort inteacuteressant dans la thegravese de Peacutepin est son originaliteacute En effet si nous

avons vu agrave travers lrsquoarticle de Fabienne Baghdassarian jusqursquoagrave preacutesent que lrsquointerpreacutetation

du τἀκεῖ eacutetait bien souvent binaire et penchait soit en faveur de la transcendance

geacuteneacuteralement associeacutee au Premier Moteur Immobile soit en faveur de la reacutefeacuterence ceacuteleste et

plus particuliegraverement agrave la sphegravere des fixes lrsquointerpreacutetation de Peacutepin est tout autre Il ne srsquoagit

pas pour lui de deacutefendre lrsquoune ou lrsquoautre de ces ideacutees bien au contraire il en expose une toute

nouvelle apregraves avoir argumenteacute en deacutefaveur des theacuteories issues de la tradition de Simplicius

et drsquoAlexandre Selon lui le τἀκεῖ serait une reacutefeacuterence agrave lrsquoeacutether hypercosmique La question

que nous devons nous poser est la suivante comment Peacutepin en arrive agrave cette thegravese nouvelle

Dans un premier temps Peacutepin rappelle une chose importante que Fabienne

Baghdassarian rappelle eacutegalement

Certains passages du De Caelo drsquoAristote donnent agrave entendre que la diviniteacute serait au-delagrave de lrsquounivers[hellip] Il srsquoagit essentiellement de I 9 279a11-b350

A la lecture de cette premiegravere phrase nous sommes en droit de nous poser la question

que Fabienne Baghdassarian posait dans son article il existe fort peu de textes drsquoAristote au

sujet de reacutealiteacutes transcendantes agrave lrsquoordre ceacuteleste et De Caelo I 9 serait-il lrsquoun de ceux-lagrave

Peacutepin en semble convaincu dans la mesure ougrave il dit qursquoAristote affirme lrsquoexistence drsquoecirctres qui

se situent au-delagrave du mouvement de translation le plus exteacuterieur A ce propos Peacutepin ne

manque pas de citer directement le texte drsquoAristote La situation de ces ecirctres de lagrave-bas est

donc telle qursquoils eacutechappent au temps et au lieu partie A Cette absence de lieu et de temps

implique que ces ecirctres soient inalteacuterables et impassibles selon Aristote De plus de ces ecirctres

deacutependent lrsquoecirctre et la vie crsquoest ce que nous avons vu dans la partie B Finalement rien nrsquoest

49 Baghdassarian 2011 p 20150 Peacutepin Theacuteologie cosmique et Theacuteologie chreacutetienne1964 p161

65

plus parfait que ces ecirctres donc rien ne peut les mouvoir Peacutepin affirme alors qursquoils ont un

mouvement de translation par eux-mecircmes et non par une chose exteacuterieure Peacutepin ne semble

pas faire grand cas du problegraveme de la continuiteacute de lrsquoobjet du texte dans la mesure ougrave il

applique ce qui semblait ecirctre un eacuteloge du corps qui se meut de maniegravere circulaire au τἀκεῖ

Pouvons-nous mettre en cause ce premier geste de lrsquointerpregravete dans la mesure ougrave Aristote

affirme qursquoil nrsquoy a laquo aucun changement pour les ecirctres qui sont disposeacutes au-dessus de la

translation la plus exteacuterieure raquo Quoiqursquoil en soit la perfection qursquoAristote accorde agrave ces

ecirctres semble sans preacuteceacutedent et autorise donc Peacutepin agrave voir en la figure du τἀκεῖ une diviniteacute Il

affirme que les proprieacuteteacutes ndash impassible autarcique immuable ndash qui servent agrave le deacutecrire sont

les mecircmes que celles utiliseacutees pour deacutecrire le divin dans la Meacutetaphysique Λ51 et qursquoen plus de

cela Aristote utilise souvent le terme theios52 pour deacutesigner le τἀκεῖ Montrer que le τἀκεῖ est

drsquoordre divin permettra agrave Peacutepin de deacutefendre sa theacuteorie de lrsquoeacutether hypercosmique mais nous y

reviendrons plus tard

Avant drsquoexposer sa theacuteorie Peacutepin srsquoattaque directement aux deux grandes

interpreacutetations qui dominent celle de Simplicius (suivie par les interpregravetes modernes que

nous avons vus) et celle drsquoAlexandre (qui est eacutegalement deacutefendue par drsquoautres interpregravetes vus

preacuteceacutedemment)

Il note un lien entre la description qursquoen fait Aristote dans le De Caelo I 9 lorsqursquoil

affirme qursquoils sont immuables impassibles et qursquoils jouissent de la plus autarcique des vies

pour toute sa dureacutee et la Meacutetaphysique Λ lorsqursquoil deacutecrit en ces termes le Premier Moteur

Immobile Simplicius voyait dans le τἀκεῖ une reacutefeacuterence au Premier Moteur Immobile agrave tel

point qursquoil a modifieacute le texte original comme le disait Moraux pour faire correspondre la

theacuteorie du Premier Moteur Immobile au τἀκεῖ En effet Simplicius remplace κινεῖται par κινεῖ

dans lrsquointeacuterecirct de donner une fonction motrice au τἀκεῖ comme le Premier Moteur Immobile a

une fonction motrice puisqursquoelle est ce qui met le Premier Ciel en mouvement Fabienne

Baghdassarian tout comme Moraux nrsquoacceptent pas cette modification Moraux affirme

qursquoelle nrsquoest pas envisageable dans la mesure ougrave le texte original ne fait pas mention drsquoune

fonction motrice du τἀκεῖ Quant agrave Fabienne Baghdassarian remarque en se tournant vers la

traduction que si lrsquoon accepte la correction de Simplicius le texte drsquoAristote signifierait que

le τἀκεῖ met en mouvement le Premier Ciel en vertu du fait que lrsquoeacutether se deacuteplace de maniegravere

circulaire ce qui nrsquoest pas coheacuterent avec lrsquoensemble du texte selon elle puisque lrsquoexplication

51 Meacutetaphysique Λ 652 Ibid

66

du mouvement circulaire ducirc agrave la nature de lrsquoeacutether nrsquoa rien agrave voir avec la puissance motrice du

Premier Moteur De nombreux arguments permettent donc de deacutecreacutedibiliser la correction de

Simplicius et ruinent lrsquoideacutee drsquoune reacutefeacuterence au Premier Moteur Immobile du fait de lrsquoabsence

explicite de fonction motrice du τἀκεῖ

Apregraves avoir critiqueacute la theacuteorie de Simplicius Peacutepin srsquoattaque agrave celle drsquoAlexandre

drsquoAphrodise Ce dernier deacutefendait lrsquoideacutee selon laquelle le τἀκεῖ eacutetait une reacutefeacuterence agrave la sphegravere

des fixes En effet il semblerait que la sphegravere des fixes respecte le fait de nrsquoecirctre dans aucun

lieu et aucun temps car rien ne lrsquoenveloppe En effet il nrsquoy a de temps et de lieu que pour ce

qui est enveloppeacute par un corps Alexandre se reacutefegravere alors agrave la Physique IV 553 dans lequel

Aristote affirme que la sphegravere des fixes puisqursquoelle nrsquoest dans aucun lieu est transcendante

au lieu et constitue le lieu du corps dans la continuiteacute de la sphegravere des fixes et dans lequel se

trouvent certaines planegravetes ainsi que le Soleil et la Lune (consideacutereacute comme des planegravetes car

ayant un mouvement irreacutegulier) Alexandre identifie donc le τἀκεῖ comme quelque chose se

trouvant au-dessus drsquoun mouvement crsquoest pourquoi il pense agrave la sphegravere des fixes elle nrsquoest

pas dans un lieu pas dans le temps et elle se trouve au dessus du mouvement rectiligne le plus

haut Cependant Peacutepin ne considegravere pas cette theacuteorie comme acceptable dans la mesure ougrave

Aristote affirme que le τἀκεῖ se situe au-dessus du mouvement de translation le plus exteacuterieur

Le mouvement de translation est le mouvement circulaire et le plus haut et exteacuterieur des

mouvements circulaires est celui de la sphegravere des fixes Le texte mecircme permet alors de

combattre la theacuteorie drsquoAlexandre car le τἀκεῖ se trouve au dessus de la sphegravere des fixes et si

la sphegravere des fixes eacutetait effectivement le τἀκεῖ comment pourrait-elle ecirctre au dessus drsquoelle-

mecircme Cette remarque de Simplicius est reprise par Peacutepin

Il srsquoavegravere que Peacutepin ne croit ni en lrsquohypothegravese de la reacutefeacuterence au Premier Moteur

Immobile ni en celle drsquoune reacutefeacuterence agrave la sphegravere des fixes Crsquoest pourquoi il se tourne vers les

teacutemoignages de doxographies de lrsquoAntiquiteacute et plus preacuteciseacutement celle de Arius Didyme dans

laquelle est attribueacutee agrave Aristote la theacuteorie drsquoun dieu supeacuterieur agrave lrsquoensemble des sphegraveres

ceacutelestes qursquoil enveloppe et tient ensemble un dieu immuable impassible bienheureux et qui

communique son mouvement circulaire agrave lrsquoensemble de lrsquounivers Cette description fait

directement eacutecho au De Caelo I 3 et agrave la conception de lrsquoeacutether Peacutepin pose alors la question

de savoir si la reacutefeacuterence agrave lrsquoeacutether est plus satisfaisante que la reacutefeacuterence agrave la sphegravere des fixes ou

au Premier Moteur Immobile De plus lrsquoeacutether est-il susceptible drsquoeacuteviter les objections

53 Physique IV 5 212b8-20

67

auxquelles se heurte la sphegravere des fixes A savoir que la sphegravere des fixes ne peut pas ecirctre en

dehors de la sphegravere des fixes puisque le τἀκεῖ est dit se situer au dessus du mouvement de

translation le plus exteacuterieur En drsquoautres termes lrsquoeacutether peut-il ecirctre au dessus du mouvement

circulaire de la sphegravere des fixes Peacutepin concegravede lrsquoideacutee que lrsquoeacutether bien qursquoil entre aussi en la

composition des astres concerne en prioriteacute la constitution de la sphegravere des fixes Toutefois

Peacutepin objecte agrave sa propre thegravese que bien que cela soit affirmeacute dans le De Caelo I 3 dans le

passage du De Caelo qui nous inteacuteresse Aristote ne donne aucune autre information agrave ce

sujet

Pour eacutetayer son hypothegravese Peacutepin srsquoappuie sur la Reacutefutation de toutes les heacutereacutesies dans

lequel Hippolyte affirme que lrsquounivers aristoteacutelicien peut se deacutecomposer en trois parties

Le monde selon Aristote est diviseacute en un grand nombre de parties diffeacuterentes Cettepartie-ci du monde qui srsquoeacutetend depuis la terre jusqursquoagrave la lune est sans providence sansdirection et nrsquoobeacuteit qursquoagrave sa propre nature Dans celle qui est apregraves la lune jusqursquoagrave lasurface du ciel regravegnent lrsquoordre la providence et une sage direction Quant agrave cette surface(du ciel) elle est une cinquiegraveme substance eacutetrangegravere agrave tous les eacuteleacutements physiques dontle monde est composeacute et cette cinquiegraveme substance drsquoapregraves Aristote est une sorte desubstance supeacuterieure au monde54

La premiegravere est la partie sublunaire la seconde la partie supralunaire et la troisiegraveme la partie

qui est la surface du ciel eacutetranger agrave tous les eacuteleacutements du monde car constitueacutee par le

cinquiegraveme eacuteleacutement lrsquoeacutether Peacutepin critique les arguments de la theacuteorie drsquoHippolyte en

affirmant qursquoAristote nrsquoa pas retireacute lrsquoeacutether mecircme srsquoil a dit que lrsquoeacutether concernait

principalement la sphegravere des fixes de la constitution du ciel et des astres Il retient toutefois

une notion introduite par Hippolyte pour expliquer la preacutesence du cinquiegraveme eacuteleacutement au-delagrave

de la sphegravere des fixes la notion de ἐπιφάνεɩɑ τοῦ οὐρɑνοῦ Cette notion est employeacutee dans la

philosophie stoiumlcienne pour deacutesigner la surface de la sphegravere unique qursquoenveloppe le ciel et sur

laquelle sont poseacutes les astres De cette maniegravere la surface dont il est question ici est la sphegravere

des fixes aristoteacutelicienne Mais Hippolyte ne se contente pas drsquoidentifier la sphegravere des fixes agrave

cette notion il lrsquointroduit dans le but de deacutecrire la sphegravere des fixes comme un corps eacutepais dont

la surface inteacuterieur est dans le ciel et la surface exteacuterieure constitueacutee drsquoeacutether se trouve hors

du ciel En ce sens nous comprenons comment lrsquoeacutether peut se trouver au-delagrave de la sphegravere des

fixes tout en la constituant Ce qui regravegle la question que Peacutepin posait ci-dessus agrave savoir est-

54 Hippolyte 1928 p102 Traduction par A Siouville

68

ce que le τἀκεῖ identifieacute comme eacutetant lrsquoeacutether eacutevite les objections formuleacutees agrave la sphegravere des

fixes

De plus la doxographie drsquoArius Didyme et celle drsquoHippolyte ne sont pas les seules agrave

preacutesenter un eacutether hypercosmique dans la philosophie aristoteacutelicienne En effet Sextus

Empiricus ainsi que le teacutemoignage anonyme de la Vita Aristotelis rendent compte de la mecircme

ideacutee mais par des arguments diffeacuterents Sextus Empiricus preacutesente Aristote comme ayant une

theacuteologie mateacuterialiste crsquoest-agrave-dire qursquoil comprend que la diviniteacute ne peut pas se trouver hors

du ciel puisqursquoil nrsquoy a rien hors du ciel par conseacutequent elle doit se trouver agrave lrsquointeacuterieur de

celui-ci ce qui nous permet de penser raisonnablement que le τἀκεῖ ne fait pas reacutefeacuterence au

Premier Moteur Immobile mais bien agrave lrsquoeacutether se situant sur la surface exteacuterieure de la sphegravere

des fixes ainsi deacutesigneacute comme hypercosmique

La situation est donc la suivante plusieurs doxographies srsquoaccordent agrave rapporter agraveAristote une theacuteorie de la diviniteacute de lrsquoeacutether hypercosmique mais le seul textearistoteacutelicien apte agrave fonder ces teacutemoignages (qui en retour contribuent agrave lrsquoeacuteclairer)apparaicirct dans le De Caelo crsquoest-agrave-dire dans un traiteacute qui passe a bon droit pour veacutehiculercertaines doctrines anteacuterieures issues des eacutecrits de jeunesse55

Par conseacutequent la deacutemarche de Peacutepin est la suivante il note qursquoil existe une

litteacuterature doxographique dans laquelle il est plusieurs fois fait mention de la theacuteorie drsquoun

eacutether hypercosmique En mecircme temps les textes dans lesquels Aristote en parlait ne sont pas

en notre possession et le seul document qui semble pouvoir manifester de la veacuteraciteacute de ces

reacutefeacuterences est le De Caelo I 9 crsquoest-agrave-dire un eacutecrit connu pour avoir eacuteteacute eacutecrit relativement tocirct

par Aristote Il comprend alors le passage du De Caelo qui nous inteacuteresse au regard de ces

doxographies mais eacutegalement au regard du fragment 26 du De Philosophia qui serait

lrsquoorigine de la formulation premiegravere de la theacuteorie de lrsquoeacutether hypercosmique ou du takei

En effet parfois il attribue tout le divin agrave lrsquoesprit parfois il dit que le monde lui-mecircme estun dieu parfois il soumet le monde et ses parties agrave un autre ltdieugt chargeacute de reacutegler et depreacuteserver le mouvement du monde par un mouvement reacutetrograde puis il dit que lrsquoardeurdu ciel est un dieu ne comprenant pas que le ciel est une partie du monde qursquoailleurs il adeacutesigneacute comme un dieu Mais comment la fameuse perception divine dont est doueacute le cielpourrait-elle se conserver dans un mouvement aussi rapide Et ougrave sont les dieux bienconnus si nous comptons aussi le ciel au nombre des dieux Et quand il veut qursquoun dieunrsquoait pas de corps il le prive de toute perception sensible et mecircme de prudence Et

55 Peacutepin opcit 1964 p169

69

comment le monde pourrait-il se mouvoir alors qursquoil est priveacute de corps et comment srsquoil semeut sans cesse peut-il ecirctre calme et heureux 56

En ce sens selon Peacutepin Jaeger57 avait raison drsquoaffirmer que ce passage du De Caelo

eacutetait une reprise du De Philosophia dans la mesure ougrave le De Caelo compris comme un des

traiteacutes les plus anciens qui soit conserveacute srsquoinspire des theacuteories drsquoeacutecrits non publieacutes ou perdus

tels que le De Philosophia En effet il est question de diviniteacutes qui comme les takei sont

immaterielles De plus il eacutenonce les preacutemisses du mouvement circulaire des ecirctres divins qui

par suite sera le mouvement causeacute par lrsquoeacuteleacutement qui constitue ces ecirctres divins lrsquoeacutether

Lrsquoeacutetude du propos de Peacutepin nous a alors permis de deacuteconstruire les traditionnelles

alternatives de lrsquointerpreacutetation du τἀκεῖ qui penche soit en faveur du Premier Moteur soit en

faveur de la sphegravere des fixes Peacutepin propose une alternative qui bien qursquoelle ne soit pas

souvent accepteacutee a le meacuterite drsquoaffronter les difficulteacutes que pose la lecture de ce texte tout en

respectant le contenu textuel de celui-ci

3 3 2 La theacuteorie des Moteurs Immobiles une variante originale de la reacutefeacuterence au Premier Moteur Immobile

Merlan propose une theacuteorie de lrsquointerpreacutetation du τἀκεῖ qui fait exception agrave la logique

de lrsquointerpreacutetation binaire du τἀκεῖ eacutegalement En effet Merlan ne pense pas qursquoil srsquoagit lagrave

drsquoune reacutefeacuterence agrave la sphegravere des fixes ou au Premier Moteur Sa thegravese est que le τἀκεῖ est une

reacutefeacuterence aux moteurs immobiles Dumoulin avait formuleacute lrsquohypothegravese selon laquelle le

τἀκεῖ du fait qursquoil nrsquoavait pas de fonction motrice aveacutereacutee ne renvoyait pas neacutecessairement au

Premier Moteur Immobile Neacuteanmoins bien que Merlan ne srsquointeacuteresse pas agrave la question de

savoir si le τἀκεῖ a une fonction motrice ou pas il lie les τἀκεῖ au Premier Moteur Immobile

en vertu des qualiteacutes qui leur sont attribueacutees Les τἀκεῖ sont dit dans le DC I 9 parfaitement

immobiles crsquoest-agrave-dire immuables inalteacuterables incorruptibles jouissant du plus grand des

biens parfaitement autonomes et divins Les caracteacuteristiques du τἀκεῖ sont celles que lrsquoon

retrouve pour qualifier le Premier Moteur Immobile dans la Meacutetaphysique Λ Fabienne

Baghdassarian souligne comme nous lrsquoavons vu que notre connaissance drsquoAristote nous

pousse agrave voir la theacuteorie du Premier Moteur un peu partout dans les textes drsquoAristote Il semble

56 Aristote Œuvres complegravetes 2014 p 2846-284757 Jaeger Aristote fondements pour une histoire de son eacutevolution1997 p311

70

alors que cette interpreacutetation de la part du Dumoulin soit quelque peu hacirctive en plongeant

dans lrsquoune des alternatives traditionnelles de lrsquointerpreacutetation du τἀκεῖ

Merlan quant agrave lui a bien conscience que le τἀκεῖ ne fait pas reacutefeacuterence agrave la sphegravere

des fixes ou agrave un corps ceacuteleste

It is true not all interpreters agree that with takei Aristotle designates divinities differentfrom the celestial bodies But (a) how could celestial bodies be ever described as ouk entopo (b) How could celestial bodies be described as above the uttermost locomotion (c)The parallels between the descriptions of the Unmoved Mover in Metaphysics Λ and thetakei in On the Heavens strongly suggest that the same entities are meant in bothpassages58

Il note que tous les interpregravetes ne sont pas drsquoaccord avec lrsquoideacutee que Aristote par

lrsquoutilisation de la notion de τἀκεῖ deacutesigne autre chose que les corps ceacutelestes Il pose alors

deux problegravemes agrave la theacuteorie drsquoune reacutefeacuterence ceacuteleste dans le but de la remettre en question

comment les corps ceacutelestes pourraient ecirctre deacutecrits comme eacutetant en dehors drsquoun lieu Et

comment les corps ceacutelestes peuvent ecirctre deacutecrits comme se trouvant au dessus du mouvement

le plus haut En effet lrsquoeacuteleacutement de lrsquoeacutether qui constitue le premier et second ciel crsquoest-agrave-dire

la sphegravere des fixes et le corps qui est dans la continuiteacute de la sphegravere des fixes forment un lieu

pour les corps ceacutelestes En drsquoautres termes les corps ceacutelestes se trouvent dans le ciel et la

derniegravere limite du ciel est la sphegravere des fixes donc aucun drsquoeux ne se trouve au-dessus de la

sphegravere des fixes Cet argument est eacutenonceacute par Cherniss59 et repris par Merlan Mais pourquoi

en est-on venu a penser malgreacute le contenu du De Caelo I 9 partie A que le τἀκεῖ eacutetait une

reacutefeacuterence agrave des ecirctres ceacutelestes Merlan signale comme nous lrsquoavons vu que de nombreux

interpregravetes comprennent cette notion comme eacutetant une reacutefeacuterence aux corps ceacutelestes en raison

de la maniegravere dont est deacutecrit le Moteur Immobile dans la Meacutetaphysique Λ et dans le ciel dans

De Caelo I 9 En effet le ciel est dit immuable inengendreacute inalteacuterable eacuteternel tout comme

est caracteacuteriseacute le Moteur Immobile

Mais Merlan note le pluriel de lrsquoexpression τἀκεῖ dans De Caelo I 9 et pour deacutesigner

les moteurs immobiles (ou ce qursquoil appelle les substances eacuteternelles sans matiegraveres) dans

Meacutetaphysique Λ 660 Crsquoest pourquoi plutocirct que de favoriser lrsquohypothegravese de la reacutefeacuterence

ceacuteleste du τἀκεῖ Merlan favorise celle drsquoune reacutefeacuterence aux moteurs immobiles En ce sens il

58 Merlan 1996 p1359 Cherniss 1944 p58760 Aristote Meacutetaphysique Λ 6 1071b20-23

71

se diffeacuterencie de la tradition habituelle qui voit dans le τἀκεῖ une reacutefeacuterence au Premier

Moteur Merlan nrsquoest donc ni en faveur de la position de drsquoAlexandre ni en faveur de celle de

Simplicius bien que celle-ci semble ecirctre plus proche de la sienne Il srsquoagit alors pour Merlan

dans le but de prouver que le τἀκεῖ correspond aux moteurs immobiles de prouver que la

theacuteologie drsquoAristote est polytheacuteiste et non monotheacuteiste Fabienne Baghdassarian dans son

article ne manque pas de noter que le Premier Moteur Immobile en tant qursquoil est une

substance unique en son genre ne coiumlncide pas vraiment avec le pluriel du τἀκεῖ du De Caelo

I 9 Merlan a bien conscience que le Premier Moteur Immobile en tant qursquoecirctre unique ne

peut pas rendre compte de lrsquoutilisation du pluriel pour deacutesigner ce qui se trouve au-delagrave de la

translation la plus exteacuterieure Crsquoest pourquoi il lui faut montrer que la theacuteologie

aristoteacutelicienne au grand dam des scolastiques est un polytheacuteisme et non un monotheacuteisme

Il se reacutefegravere agrave Meacutetaphysique Λ drsquoAristote et plus preacuteciseacutement au chapitre 6 dans lequel

Aristote affirme la chose suivante dans le but de montrer les raisons pour lesquelles les

scolastiques ont consideacutereacute la theacuteologie aristoteacutelicienne comme monotheacuteiste

In ch6 of Lambda Aristotle reminds us that there are three entities (or kinds of entities orrealities or substances or kinds of substance) Two of them are subject to change - therealm of perishable physical entities and the realm of imperishable physical entities iecelestial bodies But there must exist a realm of being (an entity a substance a reality)which is both imperishable and changeless How Aristotle proves this necessity doesntneed to detain us here - he in any case is satisfied that he did prove it However it isrelevant to stress that he quite particularly denies that the soul as conceived by Plato as aself-changer could be assumed to be the realm of being the existence of which he hasproved61

A la lecture du chapitre 6 ainsi que du chapitre 7 de Meacutetaphysique Λ Merlan nrsquoest pas

eacutetonneacute que les scolastiques voient Aristote comme un monotheacuteiste Il reacutesume alors briegravevement

le chapitre 7 il existe une substance eacuteternelle et immuable selon Aristote ce qui vient

appuyer lrsquoideacutee drsquoune theacuteologie monotheacuteiste Toutefois Merlan souligne que si agrave la lecture des

chapitre 6 et 7 cela semble eacutevident en reacutealiteacute crsquoest un veacuteritable problegraveme auquel les lecteurs

de la Meacutetaphysique ont affaire En effet le deacutebut du chapitre 8 de Λ pose une question de

clarteacute existe t-il une seule substance de ce type ou plusieurs Si plusieurs combien y en a-t-

il Aristote rappelle alors que le Premier Moteur Immobile qui est eacuteternel et sans

changement est le moteur drsquoun seul mouvement celui de la sphegravere des fixes ou du premier

61 Merlan opcit 1966 p3-4

72

ciel Le Premier Moteur Immobile nrsquoexplique donc pas le mouvement de tout ce qui est mucirc en

cercle drsquoun mouvement incessant notamment le mouvement circulaire des planegravetes dans la

mesure ougrave ce nrsquoest pas lui qui est agrave lrsquoorigine de leurs mouvements Aristote en conclut qursquoil

faut que chaque astre ait son moteur immobile Il se reacutefegravere alors aux theacuteories des astronomes

tel que Calippe et Eudoxe et arrive agrave la conclusion qursquoil existe cinquante-cinq sphegraveres qui

mettent en mouvement les astres Il reacutepond donc successivement aux questions suivantes y-

a-t-il une seule substance immuable et eacuteternelle ou plusieurs Et combien Merlan deacutefend la

thegravese qursquoil existe un moteur immobile pour chaque sphegravere il existerait alors cinquante-cinq

moteurs immobiles

Il semble alors qursquoAristote passe drsquoun monotheacuteisme agrave un polytheacuteisme En effet les

sphegraveres sont les moteurs du mouvement des astres elles sont donc parce qursquoelles mettent en

mouvement quelque chose de divin drsquoune nature divine agrave un plus haut degreacute Le problegraveme du

polytheacuteisme nrsquoest pas directement notre propos mais permet agrave Merlan de justifier la reacutefeacuterence

du τἀκεῖ au Moteur Immobile et non au Premier Moteur Immobile Toutefois la lecture de

Meacutetaphysique Λ 8 bien qursquoau deacutepart elle nous pousse dans la direction drsquoun polytheacuteisme

peut servir de contre-argument aux scolastiques pour prouver la supreacutematie du monotheacuteisme

En effet Aristote affirme apregraves avoir eacutevoqueacute lrsquoexistence de cinquante-cinq Moteurs

Immobiles qursquoil nrsquoy a qursquoun seul univers Supposons qursquoil y en ait plusieurs comme il y a

plusieurs individus Si tel eacutetait le cas alors chaque monde aurait un principe et chacun de ces

principes seraient de la mecircme espegravece bien que numeacuteriquement plusieurs Mais deux choses de

la mecircme espegravece ne peuvent se diffeacuterencier que par la matiegravere or le moteur immobile nrsquoa pas

de matiegravere il ne peut donc pas y en avoir plusieurs Aristote semble alors tour agrave tour changer

drsquoavis Il finit Meacutetaphysique Λ 8 par une reacutefeacuterence agrave la religion polytheacuteiste de son eacutepoque en

la critiquant sur sa dimension anthropomorphiste mais non pas sur sa theacuteorie de la pluraliteacute

des dieux

Meacutetaphysique Λ 8 semble constitueacute selon Merlan de trois sections La premiegravere et la

derniegravere deacutefendent une theacuteologie polytheacuteiste alors que la seconde deacutefend une theacuteologie

monotheacuteiste Il justifie ce changement de position par une mauvaise compreacutehension de la

seconde section En effet Aristote a montreacute qursquoil y avait cinquante-cinq moteurs immobiles

Il cherche donc a deacutefendre la theacuteorie des cinquante-cinq moteurs en prouvant qursquoil nrsquoy a

qursquoun seul monde il ne fait pas ccedila pour prouver qursquoil est impossible qursquoil y ait plus drsquoun

moteur A ce titre chaque moteur est diffeacuterent dans la mesure ougrave aucun nrsquoa de matiegravere ce qui

signifie qursquoil ne peut pas y avoir plusieurs moteurs drsquoune mecircme espegravece En outre il nrsquoexiste

73

effectivement qursquoun seul Premier Moteur Immobile mais cela nrsquoimplique pas qursquoil nrsquoexiste

pas un Second un Troisiegraveme un Quatriegravemehellip etc Moteur Immobile En drsquoautres termes il

nrsquoest pas impossible qursquoil y ait cinquante-cinq moteurs par contre il est impossible qursquoil y ait

cinquante-cinq premiers moteurs (ni mecircme deux) car ils nrsquoont pas de matiegravere donc ne

peuvent pas ecirctre un en espegravece et numeacuteriquement plusieurs Ce passage cherche donc agrave eacutetablir

lrsquouniciteacute du monde et non pas celle du dieu

Toutefois comme le dit Merlan cette justification de la continuiteacute de lrsquoopinion

drsquoAristote nrsquoest pas la seule Jaeger62 en formule une autre tregraves brillante Aristote apregraves la

mort de Platon aurait deacuteveloppeacute lrsquoideacutee drsquoun Moteur Immobile comme cause de tous les

mouvements de lrsquounivers et de cette ideacutee sont neacutes les chapitre 6 et 7 de la Meacutetaphysique Λ et

qui deacutefendent une theacuteologie monotheacuteiste Puis devenant familier avec les theacuteories drsquoEudoxe

et Calippe qui expliquent le mouvement des planegravetes par plusieurs moteurs diffeacuterents Aristote

deacutecide de modifier sa theacuteorie et ajoute agrave lrsquounique Moteur Immobile un nombre suffisant

drsquoautres Moteurs Immobiles Il reacutedige alors la section une et trois de Meacutetaphysique Λ 8 Mais

plus tard il apparaicirct des difficulteacutes au sujet de la theacuteorie de la pluraliteacute des moteurs comment

un ordre peut exister dans un monde ougrave il existe autant de moteurs immobiles Il eacutecrit alors la

section deux de Meacutetaphysique Λ 8 Apregraves la mort drsquoAristote les peacuteripateacuteticiens ont assembleacute

les eacutecrits drsquoAristote sous la forme de la Meacutetaphysique que nous connaissons Les eacutediteurs sont

alors responsables de la raison pour laquelle Aristote semble tantocirct ecirctre polytheacuteiste tantocirct

monotheacuteiste et ainsi de suite En inseacuterant le chapitre 8 entre le 7 et le 9 ils ont coupeacute

lrsquoargumentation car Jaeger propose de le retirer dans lrsquoideacutee que le chapitre 7 et 9 se suivent et

que le chapitre 8 est un tout coheacuterent avec lui-mecircme et non avec ce qui preacutecegravede et ce qui suit

Le passage du De Caelo I 9 est alors introduit dans ce deacutebat de la theacuteologie

aristoteacutelicienne polytheacuteiste ou monotheacuteiste dans le but de montrer lrsquoattitude qursquoAristote a

envers le polytheacuteisme Il suffit degraves lors de repenser la lecture du De Caelo I 9 au vu de ce que

Merlan affirmait plus haut lrsquoutilisation du pluriel montre qursquoAristote soutient lrsquoideacutee drsquoune

pluraliteacute de diviniteacutes puisque crsquoest au pluriel qursquoil fait reacutefeacuterence agrave des ecirctres se situant au-delagrave

du ciel

Puisqursquoil nrsquoeacutetait pas possible selon Merlan que le τἀκεῖ soit une reacutefeacuterence aux corps

ceacutelestes ou agrave la sphegravere des fixes et que le Premier Moteur Immobile du fait de son uniciteacute ne

respecte pas les indices textuels du De Caelo I 9 Merlan srsquoestime en droit de proposer une

interpreacutetation qui diverge des plus connues il est tout agrave fait envisageable qursquoAristote soit

polytheacuteiste et que par deacutefinition il deacutefende lrsquoideacutee drsquoune pluraliteacute de diviniteacutes De plus les

62 Jaeger 1924

74

τἀκεῖ sont qualifieacutes comme lrsquoest le Premier Moteur Immobile de sorte que lrsquoon peut eacutetablir

leur caractegravere divin sur la base de celui du Premier Moteur Outre cet argument si les corps

ceacutelestes sont deacutejagrave des ecirctres divins alors a fortiori ce qui les met en mouvement est encore

plus divin Nous pouvons alors identifier le τἀκεῖ comme eacutetant une reacutefeacuterence aux moteurs

immobiles divins et multiples

75

CONCLUSION

Nous avons tenteacute tout au long de ce meacutemoire de montrer qursquoil existait un problegraveme

drsquointerpreacutetation du De Caelo I 9 En effet ce passage tregraves obscur et tregraves riche fait appel agrave

une notion particuliegravere qui est celle du takei Cette notion semble faire reacutefeacuterence agrave une reacutealiteacute

qui se trouverait au-delagrave de la sphegravere des fixes la question que se pose Fabienne

Baghdassarian est donc de savoir si ce texte fait parti de ceux qui attestent de lrsquoexistence de

reacutealiteacutes de ce type Mais la lecture de lrsquoarticle de Fabienne Baghdassarian manifeste de

nombreux arguments qui sont soit en faveur de lrsquoideacutee que ce passage renvoie agrave des reacutealiteacutes

hypercosmiques soit en faveur de lrsquoideacutee drsquoune reacutefeacuterence ceacuteleste Ces arguments viennent

alors atteacutenuer lrsquoimpression premiegravere drsquoun texte portant sur des reacutealiteacutes qui se situeraient au-

dessus du ciel

Il srsquoagissait alors dans ce meacutemoire de montrer quels eacutetaient les arguments en faveur

de telle ou telle ideacutee et la maniegravere dont ils interagissaient entre eux afin de faire lrsquoeacutetat des

lieux drsquoun problegraveme existant depuis lrsquoAntiquiteacute et sur lequel malgreacute la preacutesence de theacuteorie

convaincante personne nrsquoarrive agrave srsquoentendre

Notre ligne directrice pour reacutepondre agrave ce problegraveme a eacuteteacute lrsquoeacutetude du De Caelo de

maniegravere geacuteneacuterale et du De Caelo I 9 de maniegravere plus preacutecise ainsi que la lecture de lrsquoarticle

de Fabienne Baghdassarian sur lrsquoidentiteacute des ecirctres de laquo lagrave-bas raquo A cela se sont ajouteacutes les

commentaires et interpreacutetations antiques puis modernes du problegraveme qui nous inteacuteressait

Comment en sommes-nous arriveacutes agrave nous poser la question de lrsquoidentiteacute du takei

Premiegraverement nous avons introduit les concepts aristoteacuteliciens ainsi que la conception du

cosmos aristoteacutelicienne Nous avons alors deacutefini quels eacutetaient les trois sens du mot ciel Selon

Aristote le ciel se dit de trois maniegraveres pour deacutesigner la substance qui se trouve sur la

circonfeacuterence la plus eacuteloigneacutee du centre Crsquoest eacutegalement le lieu du divin dans la mesure ougrave

son lieu est le plus haut Dans un second sens le ciel est la substance qui est dans la continuiteacute

de la limite la plus eacuteloigneacutee du ciel Enfin dans un troisiegraveme sens le ciel est compris comme

la totaliteacute ou le Tout enveloppeacute par la derniegravere circonfeacuterence De plus Aristote distingue deux

reacutegions dans sa conception du cosmos la reacutegion sublunaire qui se situe sous la Lune et qui

est soumis agrave la geacuteneacuteration et agrave la corruption et la reacutegion supralunaire qui se situe au-dessus

de la Lune et qui nrsquoest pas soumis agrave la geacuteneacuteration et agrave la corruption La distinction de ces deux

reacutegions du ciel permet lrsquoexplication des mouvements des corps dans chacune des reacutegions du

monde En effet dans le monde sublunaire les corps se meuvent de maniegravere rectiligne du

haut vers le bas ou du bas vers le haut en fonction de leur nature Les eacuteleacutements qui srsquoy

76

trouvent et qui composent les corps sont au nombre de quatre En revanche dans le monde

supralunaire il nrsquoexiste qursquoun seul eacuteleacutement qui constitue le ciel et ses parties Cet eacuteleacutement est

lrsquoeacutether et a un mouvement circulaire et eacuteternel du fait de sa nature Lrsquoeacutetude du mouvement

permet alors agrave Aristote de comprendre les raisons de la geacuteneacuteration et de la corruption la

corruption se produit dans les contraires ce qui signifie qursquoun corps se corrompt si et

seulement srsquoil possegravede un contraire Mais il nrsquoy a que les eacuteleacutements du monde sublunaire qui

ont un contraire selon Aristote crsquoest pourquoi lrsquoeacutether et les corps qursquoil constitue sont eacuteternels

et se meuvent drsquoun mouvement incessant

Le ciel en son troisiegraveme sens est compris comme ce qui enveloppe la totaliteacute Cela

signifie que tous les eacuteleacutements que nous avons eacutevoqueacute se trouvent dans le ciel Aristote tente

alors de prouver qursquoil nrsquoexiste qursquoun seul ciel en deacutefendant la position platonicienne du

Timeacutee En effet Platon dans le Timeacutee affirme que le monde est constitueacute de lrsquoensemble des

eacuteleacutements de sorte qursquoil ne puisse rien y avoir au-delagrave de celui-ci Aristote deacutefend la mecircme

theacuteorie en affirmant que le ciel est constitueacute de toute la matiegravere de telle sorte que rien drsquoautre

ne pourrait venir agrave ecirctre en dehors du ciel Il conclut alors il nrsquoexiste ni lieu ni vide ni temps

en dehors du ciel dans la mesure ougrave ce sont des proprieacuteteacutes des corps mateacuteriels

La question du takei srsquoest donc poseacutee dans le contexte de la preuve de lrsquouniciteacute du ciel

et de la non-existence drsquoun quelconque corps mateacuteriels en dehors de celui-ci Nous avons

alors analyseacute la fin du De Caelo I 9 Bien qursquoAristote affirme qursquoil nrsquoy a rien en dehors du

ciel il qualifie ce qui se trouve au-delagrave du ciel comme nrsquoeacutetant ni corporel ni dans un lieu et

eacutetant eacuteternel Finalement Aristote se reacutefegravere agrave des eacutecrits portant sur les ecirctres divins (theion) Le

problegraveme que nous avons donc rencontreacute eacutetait aussi celui de la correspondance entre la notion

de takei et celle de theion

Nous nous sommes alors inteacuteresseacutes aux positions de Simplicius et drsquoAlexandre

drsquoAphrodise Ces deux interpreacutetes antiques sont les ancecirctres des deux interpreacutetations que nous

avons suivre tout au long de notre propos Simplicius est le chef de file de ceux qui affirment

que le takei fait reacutefeacuterence au Premier Moteur Immobile crsquoest-agrave-dire agrave quelque chose qui se

trouve au-delagrave du ciel Quant agrave Alexandre il est le chef de file de ceux qui affirment que le

takei fait reacutefeacuterence agrave la sphegravere des fixes donc agrave quelque chose qui se trouve dans le ciel Ces

interpreacutetations sont les deux alternatives principales et traditionnelles du problegraveme du takei

Elles sont comme nous venons de le dire suivies par une longue tradition agrave laquelle les

interpregravetes modernes pour la plupart participent Donc apregraves avoir vu les interpreacutetations

possibles durant lrsquoAntiquiteacute nous nous sommes inteacuteresseacutes aux interpreacutetations modernes

77

Puisque lrsquoenjeu de notre propos eacutetait de faire lrsquoeacutetat des lieux du problegraveme du takei tout

en rendant compte des arguments en faveur de telles ou telles ideacutees nous avons proceacutedeacute de

maniegravere theacutematique en confrontant les interpregravetes Dans un premier temps nous avons

confronteacute Dumoulin et Moraux Dumoulin comprend le takei comme se reacutefeacuterant agrave quelque

chose se situant au dessus du ciel Il justifie sa thegravese en affirmant qursquoil existe une discontinuiteacute

au sein du texte drsquoAristote Aristote se reacutefeacutererait tantocirct agrave des reacutealiteacutes hypercosmiques tantocirct agrave

des reacutealiteacutes ceacutelestes en faisant lrsquoeacuteloge du mouvement circulaire des corps ceacutelestes dans le but

de montrer que ce qui est supeacuterieur au ciel est encore plus divin Moraux quant agrave lui refuse

lrsquoideacutee drsquoune discontinuiteacute dans lrsquoargumentation sous preacutetexte qursquoelle implique qursquoil faille

accepter lrsquoideacutee qursquoAristote change brusquement de sujet Il affirme alors que le texte est

continu et traite drsquoun bloc de reacutealiteacutes ceacutelestes se situant sur la sphegravere des fixes et non au-delagrave

Dans un second temps nous avons confronteacute Mugnier et Solmsen sur la question du lieu

Mugnier affirme que lrsquoabsence de lieu en dehors du ciel expliqueacutee par Aristote dans le DC

implique que les takei ne peuvent pas se trouver en dehors du ciel puisqursquoils ne seraient pas

dans un lieu alors mecircme qursquoils sont deacutesigneacutes comme eacutetant laquo lagrave-bas raquo crsquoest-agrave-dire dans un lieu

Pour Solmsen lrsquoabsence de lieu de temps et de corps sont les caracteacuteristiques essentielles de

ce que sont les takei Ces caracteacuteristiques semblent ecirctre les mecircmes que celles accordeacutees au

Premier Moteur Immobile dans la Meacutetaphysique

Finalement nous sommes sortis de cette tradition interpreacutetative en nous tournant vers

des thegraveories plus originales notamment celle de Peacutepin et de Merlan En effet Peacutepin affirme

que le takei fait reacutefeacuterence agrave lrsquoeacutether hypercosmique En effet il note qursquoil existe plusieurs

doxographies qui font lrsquoeacutetat drsquoun eacutether hypercosmique chez Aristote toutefois nous nrsquoavons

aucune trace de ces textes Il essaie alors de faire correspondre le De Caelo I 9 agrave ces

doxographies pour en faire une partie manifestant lrsquoexistence drsquoun divin existant au-delagrave du

ciel et qui serait un eacutether hypercosmique Pour Merlin le takei serait une reacutefeacuterence non pas au

Premier Moteur Immobile ou agrave la sphegravere des fixes mais aux Moteurs Immobiles En effet

Merlan soutient la theacuteorie qursquoAristote est un polytheacuteiste qui nrsquoa pas accordeacute la diviniteacute agrave un

seul ecirctre mais agrave une multitudes drsquoecirctres qui seraient agrave lrsquoorigine des mouvements des corps

ceacutelestes Il nous est alors permis par le biais de Merlan et de Peacutepin de sortir de la tradition

habituelle de lrsquointerpreacutetation du takei en proposant des lectures originales et nouvelles des

œuvres aristoteacuteliciennes

Les diverses interpreacutetations que nous avons pu rencontreacute mettent en perspective les

difficulteacutes de la compreacutehension des thegraveses aristoteacutelicienne leurs places chronologiques et

philosophiques dans la vie drsquoAristote dans la mesure ougrave elles posent la question de la

78

chronologie des œuvres aristoteacutelicienne du rapport que la philosophie aristoteacutelicienne peut

entretenir avec la philosophie platonicienne et introduisent finalement des œuvres

aristoteacuteliciennes perdues voire inconnues

79

BIBLIOGRAPHIE

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80

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SOLMSEN F laquo Beyond the Heavens raquo Museum Helveticum 33 1976 p24-32

81

  • INTRODUCTION
  • Chapitre 1 Le De Caelo I 9 problegravemes lectures et analyses
    • 11 Aristote et le ciel
      • 111 Les trois sens du mot ciel
      • 112 Le corps du ciel lrsquoeacuteleacutement divin et le mouvement du corps ceacuteleste
        • 12 Platonisme et aristoteacutelisme sur lrsquouniciteacute du monde Du Timeacutee au De Caelo I 9
          • 121 Lrsquouniciteacute du monde dans le Timeacutee de Platon
            • 122 Aristote en De Caelo I 9 analyse des arguments en faveur de la pluraliteacute des cieux pour deacutefendre la theacuteorie platonicienne de lrsquouniciteacute du monde
              • 123 Aristote en De Caelo I 9 arguments aristoteacuteliciens en faveur de lrsquouniciteacute du ciel
                  • Chapitre 2 Deacutebat sur la question des ecirctres de laquo lagrave-bas raquo durant lrsquoAntiquiteacute Aristote agrave Simplicius
                    • 21 Compreacutehension antique du laquo τἀκεῖ raquo du De Caelo au commentaire de Simplicius
                    • 211 τἀκεῖ De Caelo I 9 279a15-b3
                    • 222 Le commentaire perdu drsquoAlexandre possibles reacuteponses au problegraveme du laquo τἀκεῖ raquo
                    • 213 Compreacutehension et hypothegravese de Simplicius sur les ecirctres de lagrave-bas
                      • Chapitre 3 Interpreacutetations modernes du De Caelo I 9 La question du τἀκεῖ premier moteur reacutealiteacutes hyper-cosmiques ou sphegravere des fixes reacutealiteacutes ceacutelestes
                        • 31 Le problegraveme de la continuiteacute argumentative du Livre I 9
                          • 311 La discontinuiteacute du sujet en faveur de la transcendance du τἀκεῖ
                          • 312 La continuiteacute du sujet en faveur des reacutealiteacutes ceacutelestes
                            • 32 Le lieu des corps ceacutelestes lrsquoabsence de lieu du τἀκεῖ
                              • 321 Lrsquoabsence de lieu en faveur de la reacutefeacuterence ceacuteleste
                              • 322 Lrsquoabsence de lieu comme caracteacuteristique drsquoun ecirctre transcendant le ciel
                                • 33 Deacutepassement des deux alternatives traditionnelles de lrsquointerpreacutetation du takei
                                  • 331 Lrsquoeacutether hypercosmique de Peacutepin
                                  • 3 3 2 La theacuteorie des Moteurs Immobiles une variante originale de la reacutefeacuterence au Premier Moteur Immobile
                                      • CONCLUSION
                                      • BIBLIOGRAPHIE
Page 4: Débat sur la question des êtres de là-bas de l'Antiquité à

3

INTRODUCTION

DEacuteBAT SUR LA QUESTION DES EcircTRES DE LA-BAS DE LrsquoANTIQUITEacute A

AUJOURDrsquoHUI

Comprendre qui sont laquo les ecirctres de lagrave-bas raquo trancher entre lrsquohypothegravese de leurtranscendance et celle de leur identiteacute astrale ce serait un peu parvenir agrave deacuteterminer si lacosmologie du DC recouvre parfaitement lrsquoensemble du reacuteel ou bien si elle laisse ouvertela possibiliteacute qursquoil existe certaines reacutealiteacutes hypercosmiques1

Lrsquoarticle de Fabienne Baghdassarian intituleacute laquo Aristote De Caelo I 9 lrsquoidentiteacute des

laquo ecirctres de lagrave-bas raquo srsquointeacuteresse agrave la notion de takei dans un passage fort obscur du De Caelo I

9 (279a18)2 Cette expression grecque takei est la contraction de ta ekei qui signifie laquo les de

lagrave-bas raquo ou encore laquo les ecirctres les choses de lagrave-bas raquo Fabienne Baghdassarian affirme qursquoil

existe peu de textes dans le corpus aristoteacutelicien agrave propos de reacutealiteacutes qui se situeraient au-delagrave

du ciel La question qui lrsquointeacuteresse deacutes lors est la suivante ce passage du De Caelo I 9 est-il

lrsquoun de ceux qui attestent lrsquoexistence de reacutealiteacutes qui transcenderaient lrsquoordre ceacuteleste Les

takei renverraient-ils agrave ces reacutealiteacutes extra-mondaines Fabienne Baghdassarian srsquoemploie alors

agrave analyser le texte et agrave examiner les diffeacuterentes positions dans lrsquointeacuterecirct de faire lrsquoeacutetat des lieux

des interpreacutetations concernant la question des ecirctres de lagrave-bas De plus elle expose en quelques

lignes lrsquoimportance du problegraveme particulier qui nous inteacuteresse agrave savoir celui de la reacutefeacuterence

aux laquo ecirctres de lagrave-bas raquo et lrsquoimportance deacutecisive qursquoil a au regard de la cosmologie du De

Caelo En effet le ciel est deacutefini de trois maniegraveres par Aristote3 et lrsquoune de ces maniegraveres est la

suivante laquo nous avons coutume drsquoappeler laquo ciel raquo la totaliteacute ou le Tout raquo Srsquoil nrsquoy a rien en

dehors du ciel cela implique dans un premier temps que le τἀκεῖ ne fait pas reacutefeacuterence agrave

quelque chose en dehors du ciel et dans un second temps que la cosmologie aristoteacutelicienne

englobe la totaliteacute du reacuteel et de ce qui existe puisque le ciel est compris comme ce qui

enveloppe la totaliteacute et que la cosmologie est lrsquoeacutetude du ciel En drsquoautres termes si le takei ne

renvoie pas agrave quelque chose de transcendant au ciel alors rien nrsquoeacutechappe agrave celui-ci et la

cosmologie aristoteacutelicienne comme eacutetude du Tout couvre lrsquoensemble du reacuteel

1 Baghdassarian F laquo De Caelo I 9 Identiteacute des ecirctres de lagrave-bas raquo 20112 Aristote De Caelo traduction de Dalimier et Pellegrin p 147-149 Sauf indication contraire nous nous

reacutefeacutererons agrave cette traduction 3 Ibid p143-145

4

Fabienne Baghdassarian manifeste son inclinaison en faveur de la theacuteorie de la

transcendance du takei Il lui semble tout naturel agrave la lecture des indices textuelles selon

lesquels les takei se trouvent au-delagrave de la translation la plus exteacuterieure de le comprendre

comme eacutetant une reacutefeacuterence agrave des ecirctres transcendant lrsquoordre cosmique Neacuteanmoins cette

impression peut ecirctre atteacutenueacutee aux regards des arguments de certains auteurs que nous verrons

tel que ceux drsquoAlexandre drsquoAphrodise de Moraux ou encore de Mugnier dans le

deacuteveloppement de notre propos Lrsquoatteacutenuation de cette premiegravere impression ndash crsquoest-agrave-dire

naturelle drsquoune reacutefeacuterence agrave un ecirctre se trouvant au-delagrave du ciel ndash permet agrave Fabienne

Baghdassarian de rendre compte drsquoun problegraveme complexe qui oppose la lettre mecircme du texte

agrave la structure argumentative du texte Crsquoest en ce sens qursquoelle affirme que lrsquoeacutetude approfondie

de ce texte met dos agrave dos le contenu du texte avec sa structure geacuteneacuterale sans reacuteussir agrave les

accorder Elle affirme que si drsquoun cocircteacute agrave la lecture de ce passage il y a une inclinaison

premiegravere et naturelle en faveur de la theacuteorie de la transcendance du takei la structure geacuteneacuterale

du texte laisse agrave penser que cette theacuteorie nrsquoest pas si eacutevidente dans la mesure ougrave il est

finalement question apregraves llsquoeacutenonceacute de lrsquoexistence drsquoecirctres se situant au-delagrave du ciel du

mouvement circulaire du corps qui se meut en cercle Ces deux objets diffeacuterents du De Caelo

I 9 nous permet de prendre conscience des deux inclinaisons interpreacutetatives possibles dans

laquelle est emporteacutee lrsquointerpreacutetation de la notion de takei En effet il existe deux lignes

interpreacutetatives qui srsquoopposent sur la question de lrsquoidentiteacute des ecirctres de lagrave-bas Drsquoun cocircteacute en

faveur de la transcendance du takei nous trouvons de nombreux auteurs tels que Simplicius

Pellegrin Solmsen ceux-ci ont tendance agrave reconnaicirctre la theacuteorie du Premier Moteur

Immobile dans ce texte Drsquoun autre coteacute en faveur de la reacutefeacuterence ceacuteleste nous trouvons

Alexandre drsquoAphrodise Moraux Mugnier Nous avons choisi de traiter des deux auteurs

antiques qui sont agrave lrsquoorigine des deux grandes interpreacutetations qui srsquoaffrontent et de quatre

auteurs drsquoaujourdrsquohui pour les opposer de maniegravere theacutematique sur les questions suivantes la

discontinuiteacute du passage et lrsquoargument du lieu Mais nous ne nous arrecircterons pas agrave ces

oppositions theacutematiques et proposerons des alternatives agrave cette logique binaire notamment

avec lrsquointerpreacutetation originale de Peacutepin et sa theacuteorie de lrsquoeacutether hypercosmique

Nous y verrons plus clair si comme Fabienne Baghdassarian nous deacutecoupons le

passage qui est lrsquoobjet de notre propos en trois parties Pour la clarteacute de notre discours nous

5

deacutecouperons ce texte de la mecircme maniegravere qursquoelle et nommerons dans lrsquoordre des paragraphes

ces quatre parties 0 A B et C

Il est en mecircme temps clair qursquoil nrsquoy a ni lieu ni vide ni temps en dehors du ciel En toutlieu en effet il est possible qursquoil existe un corps et lrsquoon dit que le vide est ce en quoi ilnrsquoy a pas de corps mais ougrave il est possible qursquoil en vienne un quant au temps crsquoest lenombre drsquoun mouvement et il nrsquoexiste pas de mouvement sans corps naturel Or on amontreacute qursquoen dehors du ciel il nrsquoy a pas et il ne peut pas y avoir de corps Il est doncmanifeste qursquoen dehors de lui il nrsquoy a ni lieu ni vide ni temps

Crsquoest pourquoi les ecirctres de lagrave-bas par nature nrsquoont ni lieu ni temps qui les fasse vieillir etil nrsquoy a pas non plus aucun changement pour les ecirctres qui sont disposeacutes au-dessus de latranslation la plus exteacuterieure inalteacuterables et impassibles ils ont la meilleure et la plusautonome des vies qursquoils megravenent pour toute sa dureacutee

Les Anciens en effet ont divinement parleacute en choisissant ce nom car le terme quienveloppe le temps de la vie de chacun hors duquel on nrsquoest rien selon la nature a eacuteteacuteappeleacute laquo dureacutee de vie raquo de chacun Et pour la mecircme raison le terme du ciel tout entier luiaussi crsquoest-agrave-dire le terme qui enveloppe le temps tout entier et lrsquoinfiniteacute est une dureacuteequi tire son appellation du fait drsquoexister toujours immortelle et divine De lagrave deacutependentpour les autres ecirctres pour les uns de maniegravere plus exacte pour les autres de maniegravere plusindistincte lrsquoecirctre et la vie

Et par exemple dans les travaux de philosophie destineacutes au grand public portant sur lesecirctres divins on deacuteclare souvent en srsquoappuyant sur des raisonnements que tout ecirctre divineacutetant premier et au-dessus des autres est neacutecessairement immuable Qursquoil en aille ainsiteacutemoigne en faveur de ce que nous avons dit En effet il nrsquoy a rien drsquoautre de plus fort quipuisse mouvoir cet ecirctre divin car cela serait plus divin que lui il nrsquoest en riendeacutefectueux et il ne manque drsquoaucun des biens qui lui appartiennent en propre4

Cette coupure du texte montre bien le problegraveme auquel fait face Fabienne

Baghdassarian dans sa lecture si la partie A qui correspond au premier paragraphe semble

naturellement porteacutee sur des ecirctres qui nrsquoont ni lieu ni temps ni corps et qui se situent au-delagrave

de la derniegravere circonfeacuterence du ciel il nrsquoen est pas de mecircme pour la partie B qui correspond

au second paragraphe et la partie C qui correspond au troisiegraveme paragraphe La partie B

introduit lrsquoeacutetymologie du mot grec aion qui se traduit par la dureacutee dans le but de montrer que

lrsquoon peut justifier lrsquoemploi du terme drsquoaion pour deacutesigner le divin Finalement la partie C

apparaicirct comme eacutetant un eacuteloge de lrsquoeacuteterniteacute et de la perfection du corps qui se meut en cercle

puisqursquoAristote affirme que rien nrsquoest plus parfait et plus puissant que lui de sorte que rien ne

peut le mettre en mouvement En drsquoautres termes le corps qui se meut en cercle nrsquoest mucirc par

4 Ibid 279a18-b3

6

rien drsquoautre que lui-mecircme Aristote dans ce texte semble tantocirct prendre pour objet des ecirctres

qui se situent au-delagrave du ciel tantocirct prendre pour objet le corps qui se meut en cercle Le

problegraveme se pose au sujet de lrsquoargumentation geacuteneacuterale en effet la partie A porte sur les takei

qui semblent se situer en dehors du ciel nous lrsquoavons vu alors que la partie C porte sur le

corps ceacuteleste qui se meut en cercle Le contenu de la partie A nrsquoest pas contredit par le

contenu de la partie C toutefois les interpregravetes ignorent si le takei en partie A fait reacutefeacuterence

au divin deacutecrit dans la partie C

Lrsquoarticle de Fabienne Baghdassarian se donne alors comme projet une eacutetude des

interpregravetes sur la question du takei et de son identiteacute Un tel deacutecoupage de texte lui permet

drsquoorganiser son propos en diffeacuterents moments Elle srsquointeacuteresse dans un premier temps agrave la

partie A en confrontant les opinions et les diverses interpreacutetations Fabienne Baghdassarian

cartographie alors le premier type de problegraveme que pose cette partie la traduction et le sens

du geste aristoteacutelicien Certains traduisent huper5 par laquo au-dessus raquo drsquoautres comme Moraux

optent pour la traduction laquo sur raquo A cette question de traduction se mecircle une question de

lexique le terme huper deacutesigne-t-il veacuteritablement ce qui est sur quelque chose Lrsquoauteur de

cet article affirme qursquoAristote est plus enclin agrave utiliser en que uper pour deacutesigner ce qui se

trouve sur la sphegravere des fixes Pour ce qui est du geste drsquoAristote il est compliqueacute de

deacuteterminer quel est lrsquoobjet de ce passage dans la mesure ougrave il attribue positivement un lieu agrave

ce qui ne peut pas en avoir en les deacuteterminant comme se trouvant laquo lagrave-bas raquo crsquoest-agrave-dire

quelque part Fabienne Baghdassarian preacutefegravere voir dans lrsquoutilisation de ces termes qui

deacutesignent un lieu la deacutesignation de ce qui ne se trouve pas dans un lieu dans le but de

souligner sa transcendance au lieu qursquoest le ciel

Dans un second temps Fabienne Baghdassarian montre que la partie B atteacutenue

grandement lrsquoimpression premiegravere drsquoune reacutefeacuterence agrave un ecirctre transcendant le ciel En effet

lrsquoeacutetymologie de lrsquoaion agrave laquelle se reacutefegravere Aristote est aei on qui signifie laquo qui est toujours raquo

Aristote compare alors la vie humaine qui a une fin qui permet de quantifier la dureacutee agrave la vie

du ciel qui lui nrsquoen a pas Ainsi Fabienne Baghdassarian note que lrsquoeacutetymologie de la dureacutee

nrsquoest pas sans rappeler celle de lrsquoeacutether dans le De Caelo I 3 Lrsquoeacutether est lrsquoeacuteleacutement du monde

supralunaire qui compose les astres et le ciel il est de nature divine et a un mouvement eacuteternel

circulaire En ce sens lrsquoeacutether tient son appellation du fait qursquoil court toujours sans srsquoarrecircter

Ce rapprochement entre lrsquoeacutetymologie de lrsquoaion et celle de lrsquoeacutether pousse alors lrsquoauteur agrave

opeacuterer une atteacutenuation dans lrsquoimpression premiegravere de sa lecture il semblerait qursquoAristote a

deacutesormais pris le ciel et les astres composeacutes drsquoeacutether pour objet

5 Ibid 279a20

7

Finalement dans la partie C il est explicitement fait mention du corps qui se meut en

cercle le ciel Ainsi Fabienne Baghdassarian se pose la question de savoir srsquoil est

envisageable qursquoAristote sans crier gare change de sujet ou srsquoil ne parlait depuis le deacutebut

que du ciel et des astres Lrsquoauteur de cet article propose alors de joindre lrsquoensemble du texte

en affirmant qursquoil est possible qursquoAristote reacutecapitule dans la partie C lrsquoensemble de son

argumentation en mettant sur le plan du divin la totaliteacute de son discours dans le sens ougrave il

hieacuterarchise les divins En ce sens la partie A deacutesignerait des reacutealiteacutes transcendantes mais

divines au mecircme titre que lrsquoest le corps qui a un mouvement de translation Pour ce qui est de

lrsquoeacutetymologie de lrsquoaion elle aurait servi agrave montrer la neacutecessiteacute que le mouvement du ciel est

eacuteternel

Cet article de Fabienne Baghdassarian sera le point de deacutepart de notre propos mais le

geste sera quelque peu diffeacuterent du sien En effet Fabienne Baghdassarian par lrsquoanalyse

geacuteneacuterale du passage du De Caelo I 9 qui nous inteacuteresse parvient agrave faire sortir les problegravemes

drsquoordre lexical grammatical deacutefinitionnel et argumentatif pour nous transmettre un panorama

assez large de ce qui gecircne la compreacutehension de la notion de takei Si drsquoune part son travail

nous permet de prendre conscience des problegravemes que pose la notion de takei sans parvenir agrave

nous fournir une reacuteponse trancheacutee de la question de son identiteacute drsquoautre part il nous permet

de prendre conscience des innombrables thegraveses et interpreacutetations possibles des diffeacuterents

traducteurs et commentateurs drsquoAristote Ce que nous ferons sera alors dans la continuiteacute de

ce travail mais plutocirct que de nous contenter de restituer les thegraveses des commentateurs et

interpregravetes nous deacutetaillerons lrsquoargumentation que tiennent ces commentateurs et interpregravetes

Nous ne chercherons pas lrsquoexhaustiviteacute des interpreacutetations en effet nous nous inteacuteresserons

aux arguments de celles que nous traiterons Notre but sera donc de comprendre le contexte

des thegraveses des interpregravetes sur la question du takei et la raison pour laquelle ils en viennent agrave

telle ou telle conclusion Il srsquoagira alors pour nous de faire lrsquoeacutetat des lieux de ce deacutebat en

restituant les problegravemes que pose le texte mecircme ainsi que les problegravemes que posent les

commentateurs et la maniegravere dont ils les traitent pour deacutefendre leurs interpreacutetations

Nous proceacutederons de maniegravere analytique historique mais aussi theacutematique Crsquoest-agrave-

dire que nous proposons drsquoorganiser notre propos en trois grands moments 1) Le De Caelo I

9 problegravemes lectures et analyses 2) Deacutebat sur la question des ecirctres de lagrave-bas durant

8

lrsquoAntiquiteacute drsquoAristote agrave Simplicius 3) Interpreacutetations modernes du De Caelo I 9 La question

du τἀκεῖ premier moteur reacutealiteacutes hyper-cosmiques ou sphegravere des fixes reacutealiteacutes ceacutelestes

Le premier moment est un moment quelque peu introductif dans la mesure ougrave il est

essentiellement constitueacute dans son ensemble drsquoune lecture du De Caelo I et de la theacuteorie du

mouvement des corps selon le milieu Cette explication est une eacutetape importante selon nous

srsquoil est question du takei dans ce chapitre crsquoest dans un certain contexte argumentatif Il nous

faut alors preacutesenter ce contexte argumentatif dans lrsquointeacuterecirct de comprendre pourquoi cette

notion est si complexe et sujette aux deacutebats Ce moment que lrsquoon juge comme eacutetant

analytique nous permettra de nous familiariser avec le lexique aristoteacutelicien et la conception

aristoteacutelicienne de lrsquounivers cela dans le but de manifester les problegravemes que pose

lrsquoapparition de lrsquoexpression takei Nous verrons alors les trois sens qursquoAristote accorde au mot

laquo ciel raquo Nous nous inteacuteresserons ensuite agrave la composition eacuteleacutementaire de ce corps que lrsquoon

appelle le laquo ciel raquo et qui par lrsquoeacuteleacutement divin qui le compose a un mouvement circulaire et

eacuteternel Il srsquoagira ensuite drsquoexpliquer lrsquoargumentation geacuteneacuterale du texte dans lequel apparaicirct la

notion de takei et qui porte sur lrsquouniciteacute de lrsquounivers Pour lrsquoexpliquer nous nous tournerons

drsquoune part vers un argument proposeacute par Platon dans le Timeacutee puis sur lrsquoutilisation

qursquoAristote en fait pour prouver lrsquoexistence drsquoun seul et unique ciel

Le second moment consistera alors en une restitution des thegraveses respectives

drsquoAlexandre drsquoAphrodise et de Simplicius sur lrsquointerpreacutetation de ce passage fort obscur du De

Caelo I 9 dans lequel surgit la notion de takei Nous avons choisi drsquoeacutetudier ces deux

commentateurs dans la mesure ougrave ils sont tous deux agrave lrsquoorigine drsquoune logique binaire de

lrsquointerpreacutetation du texte qui nous inteacuteresse En effet Simplicius est devenu le chef de file de

ceux qui comprennent lrsquoexpression takei comme eacutetant une reacutefeacuterence agrave un ecirctre transcendant le

ciel et plus preacuteciseacutement au Premier Moteur Immobile alors qursquoAlexandre drsquoAphrodise est le

chef de file de ceux qui comprennent le takei comme eacutetant ceacuteleste et plus preacuteciseacutement

comme eacutetant une reacutefeacuterence agrave la sphegravere des fixes Nous commenterons donc lineacuteairement le

passage 279a15-b3 du De Caelo pour comprendre la complexiteacute de cet extrait Ensuite nous

nous inteacuteresserons aux fondements des interpreacutetations drsquoAlexandre drsquoAphrodise et Simplicius

au sujet du takei

Enfin dans le troisiegraveme et dernier moment de notre propos nous exposerons diverses

positions sur la question en explicitant le deacutebat qui les oppose Les positions deacutefendues seront

celles de commentateurs et interpregravetes modernes En effet nous avons choisi de proceacuteder de

maniegravere historique en deacutebutant par les interpreacutetations antique du texte pour ensuite en arriver

aux interpreacutetations modernes Nous proceacutederons de maniegravere theacutematique en choisissant deux

9

angles drsquoattaques diffeacuterents Drsquoabord nous nous preacutesenterons deux interpreacutetations qui

srsquointeacuteressent agrave la continuiteacute (ou discontinuiteacute) du texte en explicitant les arguments qui

favorisent lrsquoideacutee drsquoune reacutefeacuterence agrave un ecirctre transcendant ou agrave un ecirctre ceacuteleste Ensuite nous

exposerons des interpreacutetations qui mettent lrsquoaccent sur le lieu dans la philosophie

aristoteacutelicienne via les œuvres de Mugnier et de Solmsen Enfin nous sortirons de cette

logique binaire en nous tournant vers deux interpreacutetations qui nrsquoidentifient le takei ni avec la

sphegravere des fixes ni avec le Moteur immobile Il srsquoagira des thegraveses de Peacutepin selon laquelle le

takei renvoie agrave lrsquoeacutether hypercosmique et celle de Merlan selon laquelle il est question des

Moteurs Immobiles

10

Chapitre 1 Le De Caelo I 9 problegravemes lectures etanalyses

11

11 Aristote et le ciel

111 Les trois sens du mot ciel6

Le traiteacute Du Ciel drsquoAristote est une œuvre embleacutematique du corpus aristoteacutelicien et

occupe la seconde place apregraves la Physique dans lrsquoensemble des ouvrages aristoteacuteliciens de

science physique Ce traiteacute apregraves la mort drsquoAristote a veacutehiculeacute une image particuliegravere du

cosmos qui est la sienne jusqursquoagrave lrsquoarriveacutee des nouvelles theacuteories cosmologiques et

scientifiques de la Renaissance

Une reacuteflexion est possible agrave partir mecircme du titre de cette œuvre Il est premiegraverement

important de noter que les reacutefeacuterences au De Caelo sont tregraves peu nombreuses dans le corpus

drsquoAristote mais qursquoen plus de cela il ne srsquoy reacutefegravere jamais via cette appellation Nous sommes

alors en droit de nous demander ce que signifie ce titre probablement choisi par un autre

individu qursquoAristote Il apparaicirct comme eacutevident agrave premiegravere vue que le ciel est lrsquoobjet de ce

traiteacute de physique

Nous avons donc traiteacute plus haut du premier ciel et de ses parties ainsi que des astres quisont transporteacutes agrave lrsquointeacuterieur de lui de leurs composantes et de leurs qualiteacutes naturelleset en outre de leur caractegravere ingeacuteneacuterable et incorruptible

Il est important de noter que les deux premiers livres prennent pour objet le monde

supralunaire ou encore le monde au dessus de la Lune crsquoest-agrave-dire le monde ceacuteleste et divin

Quant aux deux derniers livres ils srsquointeacuteressent plutocirct au monde sublunaire ou monde en

dessous de la Lune crsquoest-agrave-dire le monde physique qui est le nocirctre et est explicable par les

quatre eacuteleacutements naturels que sont le feu lrsquoair lrsquoeau et la terre qui le constituent

Nous pouvons alors imaginer gracircce agrave ces informations que le traiteacute Du ciel tel que

nous lrsquoavons entre les mains aujourdrsquohui est une recomposition de deux traiteacutes distincts lrsquoun

portant sur le monde supralunaire lrsquoautre portant sur le monde sublunaire Ce paragraphe

drsquointroduction permet drsquoaffirmer que les deux premiers livres sont agrave distinguer des deux

derniers Mais ce problegraveme nrsquoest pas notre prioriteacute Aussi nous nous inteacuteresserons

principalement aux deux premiers livres qui prennent le ciel pour objet Ce qursquoon appellera

comme eacutetant la laquo premiegravere partie raquo du traiteacute du Ciel sera lrsquoensemble des livres I et II et seront

ceux qui feront en partie lrsquoobjet et le fondement de notre reacuteflexion et de ce meacutemoire

6 Ibid 278b10-25

12

Toutefois nous nous devons drsquoecirctre preacutecis dans notre lecture de ce deacutebut du troisiegraveme

livre En effet il est affirmeacute ici que la premiegravere partie de lrsquoœuvre portait sur laquo le premier ciel

et ses parties raquo7 Mais qursquoest-ce que laquo le premier ciel raquo Et srsquoil y a un premier ciel y en a-t-

il un deuxiegraveme Un troisiegraveme

Pour reacutepondre agrave cette question il nous faut drsquoabord souligner la meacutethode explicative

qursquoutilise Aristote En effet Aristote accorde une importance capitale agrave la deacutefinition des

termes le philosophe est pour Aristote celui qui sait de quoi il parle et sur quel plan il se

place quand il parle Lorsqursquoil utilise un terme ambigu il se doit de lever lrsquoambiguiumlteacute qui

regravegne en deacutefinissant les termes de son propos Crsquoest ainsi que lrsquoon trouve dans le chapitre 9

du livre I une explication des sens du mot laquo ciel raquo comme moment de clarification de ce dont

on parle drsquoune part et drsquoautre part comme moment de lrsquoexplicitation de la meacutethode

aristoteacutelicienne

Disons drsquoabord ce que nous entendons par laquo ciel raquo et combien de sens nous donnons agrave cemot pour que ce que nous cherchons nous devienne plus clair En un sens on appellelaquo ciel raquo la substance de la derniegravere circonfeacuterence du Tout crsquoest-agrave-dire le corps naturel quiest sur la derniegravere circonfeacuterence du Tout Car nous avons coutume de nommer laquo ciel raquolrsquoextreacutemiteacute ndash ce qui est le plus haut ndash dans laquelle reacuteside tout ce qui est divin8

Ce qui deacutefinit le ciel en ce premier sens est ce qui est le plus haut Le cosmos

aristoteacutelicien se repreacutesente sous forme de plusieurs cercles concentriques qui repreacutesentent

drsquoune part des translations sur lesquelles sont poseacutees des astres et drsquoautre part des lieux (le

lieu du mouvement circulaire le lieu du mouvement rectiligne) et le ciel est ce qui est le plus

haut crsquoest-agrave-dire ce qui se situe sur la circonfeacuterence la plus eacuteloigneacutee du centre Aristote

deacutefend une conception geacuteo-centriste du monde il considegravere que ce qui est au centre du

monde est la Terre Donc le ciel est le corps qui est par nature le plus haut En ce sens on le

nommera le laquo premier ciel raquo Mais qursquoest-ce que ce corps Aristote le preacutesente comme eacutetant

une substance une substance est ce qui ne se dit de rien et nrsquoest dans aucun sujet9 en drsquoautres

termes une substance est un ecirctre autonome qui ne deacutepend de rien drsquoautre que de lui-mecircme

pour ecirctre Cette substance est eacutegalement nommeacutee agrave plusieurs reprises dans les œuvres

drsquoAristote sphegravere des fixes Le corps qui se trouve sur la derniegravere circonfeacuterence du Tout est

ce qui est une substance au sens le plus noble et parfait Nous pouvons alors comprendre au

7 Le premier ciel eacutetant lrsquoappellation courante de la sphegravere des fixes crsquoest-agrave-dire lrsquoextreacutemiteacute du ciel 8 ARISTOTE opcit p143-1459 ARISTOTE Les cateacutegories II 2001 Traduction par Bodeuumls

13

travers de cette premiegravere deacutefinition du ciel que la substance dont on parle est constitueacutee de

matiegravere mais pas de nrsquoimporte quelle maniegravere de la plus noble et la plus divine celle-ci

eacutetant lrsquoeacutether nous y reviendrons plus tard Ainsi le ciel en ce sens est un ecirctre corporel la

circonfeacuterence la plus eacuteloigneacutee qui englobe quelque chose drsquoautre qui est nommeacute le laquo Tout raquo

Dans un second sens et agrave la suite de cette premiegravere deacutefinition le ciel est deacutefini comme suit

En un autre sens crsquoest le corps en continuiteacute avec la derniegravere circonfeacuterence du Tout ougrave setrouvent la Lune le Soleil et certains astres car nous disons drsquoeux aussi qursquoils sont dansle ciel10

Ce nouveau sens du mot ciel nous permet de saisir une nouvelle dimension de celui-

ci en effet le ciel nrsquoest pas seulement dit de ce qui englobe quelque chose qui est le laquo Tout raquo

il est aussi dit qursquoil est le corps11 qui est dans la continuiteacute de la sphegravere des fixes crsquoest-agrave-dire

qursquoil est dans la continuiteacute de la circonfeacuterence la plus eacuteloigneacutee qui englobe le laquo Tout raquo et

qursquoon appelle eacutegalement ciel

Cela est justifiable dans la mesure ougrave comme lrsquoaffirme Aristote nous disons des astres

que sont la Lune le Soleil qursquoils sont dans le ciel or ces astres ne se trouvent pas sur la

derniegravere circonfeacuterence du Tout Le ciel ne peut donc pas ecirctre seulement le corps qui est sur

lrsquoextreacutemiteacute de la circonfeacuterence la plus eacuteloigneacutee sinon on ne pourrait pas dire que la Lune et le

Soleil (ainsi que drsquoautres astres) sont dans le ciel Dans un troisiegraveme et dernier sens toujours agrave

la suite des deux premiegraveres deacutefinitions du ciel Aristote affirme que le ciel se dit du Tout

enveloppeacute par la derniegravere circonfeacuterence

De plus en un autre sens on appelle laquo ciel raquo le corps enveloppeacute par la derniegravere circonfeacuterence car nous avons coutume drsquoappeler laquo ciel raquo la totaliteacute ou le Tout12

Cette deacutefinition fait eacutecho aux quelques lignes introductives du livre III Puisque les

deux premiers livres du traiteacute Du ciel portaient sur laquo le premier ciel et ses parties raquo alors il

est possible drsquoaffirmer que le Tout est lrsquoensemble de ce qui est enveloppeacute par la sphegravere des

10 ARISTOTE opcit p143-14511 Le corps naturel du ciel est lrsquoeacutether 12 ARISTOTE opcit p143-145

14

fixes En drsquoautres termes le Tout qursquoest le ciel est la totaliteacute du corps et de ce qui le compose

qui est enveloppeacutee par le premier ciel

112 Le corps du ciel lrsquoeacuteleacutement divin et le mouvement du corps ceacuteleste

Maintenant que nous avons vu par le biais du De Caelo I 9 les trois sens qursquoAristote

accorde au mot laquo ciel raquo nous pouvons nous inteacuteresser agrave lrsquoessence mecircme du ciel et agrave celle des

parties qui le composent En plus de chercher agrave comprendre de quoi le ciel est constitueacute nous

reviendrons sur lrsquoeacuteleacutement qursquoest lrsquoeacutether invoqueacute plus haut et sur le mouvement naturel des

corps ceacutelestes

De Caelo I 2 est une tentative argumenteacutee de montrer que le corps qui se meut en

cercle est diffeacuterent drsquoun autre type de corps le corps dont le mouvement est rectiligne

Aristote dans ce chapitre du De Caelo affirme premiegraverement que tous les corps naturels

crsquoest-agrave-dire les corps qui sont faits drsquoeacuteleacutements naturels peuvent se mouvoir selon le lieu et

que ce mouvement selon le lieu srsquoappelle le laquo transport raquo Ce transport se fait soit de maniegravere

rectiligne soit de maniegravere circulaire ou alors de ces deux faccedilons agrave la fois

Tout mouvement selon le lieu (que nous appelons transport) est soit rectiligne soit circulaire soit un meacutelange des deux Car ce sont lagrave les deux formes simples [hellip] Le transport en cercle est celui qui a lieu autour du centre le transport rectiligne celui qui a lieu vers le haut ou vers le bas

Il nrsquoexiste ainsi que deux types de mouvement simple pour les corps simples Aristote appelle

les corps simples les eacuteleacutements naturels Leurs mouvements possibles sont rectilignes ou

circulaires Le corps qui se meut en ligne est le corps simple qui a un mouvement simple soit

vers le centre13 soit agrave partir du centre14 Le corps qui se meut en cercle est le corps simple qui

a un mouvement autour du centre Mais quels sont les arguments preacutecis qui deacutefendent que le

corps mucirc en cercle est simple Et quel est donc ce corps qui se meut en cercle Telles sont

les questions auxquelles nous allons reacutepondre ici dans le but de comprendre la nature du corps

simple mucirc en cercle puis de saisir sa composition

13 Vers le bas14 Vers le haut

15

Nous lrsquoavons dit le corps simple est celui qui a un mouvement selon sa nature Le feu aura

donc un mouvement qui va vers le haut alors que la terre aura un mouvement qui va vers le

centre Selon le cosmos aristoteacutelicien et la physique aristoteacutelicienne le corps qui est composeacute

de lrsquoeacuteleacutement naturel qui est la terre sera le plus pesant et aura un lieu naturel preacutecis Il est

important de preacuteciser que chaque eacuteleacutement possegravede un lieu naturel vers lequel il tend

naturellement agrave ecirctre et agrave rester et un lieu contre-naturel dans lequel il est de maniegravere contre-

naturelle La notion de lieu naturel ou de lieu contre-naturel est centrale dans lrsquoexplication du

mouvement chez Aristote le corps composeacute de terre sera le plus pesant et son lieu naturel

sera le bas ainsi il aura un mouvement rectiligne vers le centre Le corps composeacute de feu

quant agrave lui et parce que le feu est lrsquoeacuteleacutement qui nrsquoa aucune pesanteur a un mouvement

rectiligne qui part du centre et va vers le haut On comprend alors que ce qui deacutetermine le

mouvement du corps simple qui se meut de maniegravere rectiligne est ce qui le compose crsquoest-agrave-

dire sa nature Il en va de mecircme pour le corps simple qui se meut en cercle Mais avant drsquoy

venir nous nous devons premiegraverement de prouver que le corps qui se meut en cercle est un

corps simple et qursquoil ne saurait ecirctre autre chose Premiegraverement il srsquoagit pour Aristote de

montrer que le corps mucirc en cercle est simple puisque srsquoil existe un mouvement simple que le

mouvement en cercle soit simple ndash mouvement simple car les mouvements circulaire et

rectiligne sont les seuls types de mouvements qui soient simples les autres eacutetant mixtes

rectilignes et circulairessup2 ndash que le mouvement drsquoun corps simple soit simple et que le

mouvement simple soit celui drsquoun corps simple alors il est neacutecessaire que le corps qui est mucirc

en cercle selon la nature soit un corps simple Il ne srsquoagit pas ici de prouver drsquoores et deacutejagrave

qursquoil existe un corps simple qui se meut en cercle pour Aristote mais simplement de montrer

que theacuteoriquement si un corps qui se meut en cercle existe alors il sera neacutecessairement un

corps simple Cet argument en faveur de lrsquoexistence drsquoun corps qui se meut en cercle nrsquoest pas

le seul chaque corps simple a un lieu naturel vers lequel il est naturellement mis en

mouvement du fait mecircme de sa nature Mais srsquoil a un lieu naturel par nature cela signifie qursquoil

a aussi un lieu qui lui est contre-nature Aristote a montreacute que srsquoil existait un corps mucirc en

cercle celui-ci eacutetait neacutecessairement simple Si un corps simple a un mouvement en cercle et

qursquoon postule que ce mouvement circulaire est simple drsquoune part mais drsquoautre part contre-

nature agrave ce corps dans ce cas lagrave cela signifie qursquoil aura un mouvement autre qui lui sera

naturel Dans la conception aristoteacutelicienne de la physique les corps sont mus en fonction de

ce qui les compose nous lrsquoavons vu et ce qui compose les corps physiques sont les eacuteleacutements

le feu la terre lrsquoeau et lrsquoair Si un corps simple est un corps qui est mucirc par la nature de ce qui

16

le compose alors le corps sera mucirc selon qursquoil est composeacute de feu ou de terre Nous avons vu

que le feu avait un mouvement naturel rectiligne qui part du centre et la terre un mouvement

naturel rectiligne qui va vers le centre donc si le feu ou la terre est mucirc en cercle ce sera

contre nature Le problegraveme qui se pose est le suivant

Mais une chose unique a un contraire unique et les mouvements vers le haut et vers lebas sont contraires lrsquoun de lrsquoautre

Cela implique que le corps simple qui se meut naturellement de maniegravere rectiligne

vers le centre aura pour contraire le mouvement rectiligne qui part du centre et vice-versa

Ainsi il est impossible qursquoun corps simple dont le mouvement est naturellement rectiligne

soit mucirc en cercle

A partir de cet argument dans le chapitre 2 du livre I du De Caelo nous pouvons

affirmer une chose si un corps simple qui se meut en cercle existe alors il ne peut pas ecirctre

composeacute de feu ou de terre car aucun des corps qui sont composeacutes de ces eacuteleacutements et qui se

meuvent de maniegravere rectiligne naturellement vers le haut ou vers le bas ne peuvent ecirctre mus

contre-nature en cercle Il ne reste maintenant qursquoagrave prouver lrsquoexistence de ce corps simple qui

se meut en cercle Lrsquoargument drsquoAristote sur le sujet dans le chapitre 2 du livre I du De Caelo

est le suivant srsquoil existe un mouvement circulaire que ce mouvement circulaire soit simple

que le mouvement circulaire ndash et nrsquoimporte quel mouvement selon le lieu en reacutealiteacute ndash soit la

proprieacuteteacute drsquoun corps simple et qursquoil soit impossible que le mouvement circulaire soit le

mouvement contre-nature drsquoun corps qui se meut en ligne droite alors cela implique qursquoil

existe un corps simple qui se meut en cercle Comment pourrait-il y avoir un mouvement

circulaire mais pas de corps pour avoir ce mouvement dans la mesure ougrave nous lrsquoavons dit le

mouvement selon le lieu est une proprieacuteteacute des corps Cela est impossible Nous pouvons

alors conclure la chose suivante

Crsquoest pourquoi celui qui raisonne en partant de tout cela pourrait se convaincre qursquoen plusdes corps qui existent ici autour de nous il y en a un autre seacutepareacute qui a une naturedrsquoautant plus digne qursquoil est plus eacuteloigneacute de lrsquoici-bas

17

De lrsquoexistence drsquoun corps qui se meut en cercle on peut logiquement induire qursquoil

existe une nature propre au corps qui se meut en cercle une nature plus noble que celle des

corps qui se meuvent en ligne droite Quelle est la nature de ce corps simple dont le

mouvement est circulaire Crsquoest lagrave la seconde question qui nous inteacuteresse

Pour y reacutepondre Aristote se reacutefegravere agrave ce qui a eacuteteacute dit preacuteceacutedemment Puisque la

pesanteur ou la leacutegegravereteacute est une proprieacuteteacute du corps qui lui vient de sa composition et qui

implique qursquoil soit naturellement dirigeacute vers le bas ou vers le haut alors tous les corps ne

possegravedent pas de pesanteur ou de leacutegegravereteacute Quels sont les corps qui possegravedent la pesanteur

Ce sont ceux qui sont naturellement dirigeacutes vers le bas et qui se meuvent en ligne droite vers

le centre crsquoest-agrave-dire tout ce qui est composeacute de terre ou drsquoune espegravece de terre Quels sont les

corps qui possegravedent la leacutegegravereteacute Ce sont ceux qui sont naturellement dirigeacutes vers le haut et

qui se meuvent en ligne droite agrave partir du centre crsquoest-agrave-dire tout ce qui est composeacute de feu ou

drsquoune espegravece de feu A partir de lagrave il est possible drsquoaffirmer que le corps qui se meut en

cercle parce qursquoil nrsquoest mucirc ni vers le bas ni vers le haut est un corps qui nrsquoa ni pesanteur ni

leacutegegravereteacute car nrsquoest ni composeacute de terre ou drsquoune espegravece de terre ni de feu ou drsquoune espegravece de

feu Mais qursquoest-ce que le pesant et le leacuteger Le plus pesant est deacutefini comme ce qui est situeacute

en dessous de tous les corps transporteacutes vers le bas et le plus leacuteger est deacutefini comme ce qui est

agrave la surface de tous les corps porteacutes vers le haut dans le De Caelo I 3 269b18-26 Il est

important pour des raisons de justesse de preacuteciser que cette pesanteur et cette leacutegegravereteacute sont

toutefois relatives un corps leacuteger lrsquoest par rapport agrave un autre et il en va de mecircme pour le

corps pesant mais lagrave nrsquoest pas notre sujet Ces deacutefinitions nous permettent de comprendre que

ce qui nrsquoappartient pas au mouvement rectiligne ne peut pas appartenir aux eacuteleacutements pesants

ou leacutegers

De plus puisque les corps qui ont un mouvements rectilignes vers le haut sont

contraires aux corps ayant un mouvement vers le bas et que la corruption et la geacuteneacuteration se

font dans les contraires alors cela signifie que ces corps sont soumis agrave la geacuteneacuteration et

corruption Selon Aristote laquo crsquoest dans le domaine des contraires que se produisent la

geacuteneacuteration et la corruption raquo15 Du fait mecircme que les corps simples mus en ligne droite vers le

haut ou vers le bas possegravedent un mouvement contre-nature cela implique qursquoils appartiennent

au milieu de ce qui est geacuteneacutereacute et de ce qui ineacutevitablement se corrompt La corruption se fait

dans le changement des proprieacuteteacutes et par rapport agrave quelque chose il en va de mecircme pour

15 De Caelo I 3 270b20 p 89

18

lrsquoaugmentation Lrsquoaugmentation est une forme de geacuteneacuteration agrave partir drsquoun changement dans la

proprieacuteteacute le corps humain transforme et geacutenegravere des nutriments agrave partir de la nourriture qursquoil

ingegravere donc la nourriture a eacuteteacute corrompue et les nutriments ont eacuteteacute geacuteneacutereacutes crsquoest une

deacuteformation de la nourriture et un changement dans son espegravece Mais puisqursquoil nrsquoy a rien de

contraire au mouvement circulaire cela implique que le corps simple qui se meut en cercle

nrsquoest ni geacuteneacuterable ni corruptible puisqursquoil ne peut pas se transformer en son contraire Ce

corps simple nrsquoest pas non plus alteacuterable selon Aristote

En effet lrsquoalteacuteration est un mouvement selon la qualiteacute et les eacutetats et les dispositionsqualitatifs par exemple la santeacute et la maladie ne se produisent pas sans changementsdans les proprieacuteteacutes Mais nous voyons que tous ceux des corps naturels qui changentselon une proprieacuteteacute sont tous sujets agrave lrsquoaugmentation et agrave la diminution [hellip] il en est demecircme pour celui des eacuteleacutements16

Puisque le corps qui est mucirc en cercle nrsquoest ni sujet agrave lrsquoaugmentation (lrsquoaugmentation eacutetant une

forme de geacuteneacuteration) etou agrave la diminution (diminution eacutetant une forme de corruption) alors il

est inalteacuterable Ainsi en plus drsquoecirctre ingeacuteneacuterable et incorruptible le corps qui se meut en cercle

est inalteacuterable Cette proprieacuteteacute fait de lui un corps eacuteternel Le corps qui se meut en cercle doit

donc ecirctre composeacute de quelque chose qui nrsquoa pas de contraire qui nrsquoest pas un eacuteleacutement tel que

le feu lrsquoair lrsquoeau ou la terre et qui nrsquoest ni geacuteneacutereacute ni corruptible A ce stade nous ne savons

pas encore ce qui est signifieacute par laquo le corps simple qui se meut en cercle raquo Mais Aristote lui

donne une autre caracteacuteristique celle drsquoecirctre premier ce qui peut srsquoexpliquer par le fait qursquoil

nrsquoest pas geacuteneacuterable et donc nrsquoest pas venu agrave lrsquoecirctre agrave un instant T Il se tourne ainsi vers trois

instances qui lui permettent de justifier ses dires anteacuterieurs la religion lrsquoobservation et

lrsquoeacutetymologie sont autant drsquoarguments en faveur de la nature du corps qui se meut en cercle tel

que nous lrsquoavons conccedilu jusqursquoagrave preacutesent

Il se tourne premiegraverement vers la religion Aristote affirme en 270b5 du De Caelo que

dans le domaine de la religion on attribue le plus haut lieu agrave ce qui est le plus divin on place

ainsi le divin au-dessus de tout Ainsi le corps qui se meut en cercle puisqursquoil se situe au-

dessus de tout et regardeacute comme eacutetant divin Degraves lors dans la mesure ougrave lrsquoon attribue

lrsquoimmortaliteacute au divin le ciel est alors consideacutereacute comme eacutegalement divin Par conseacutequent le

corps qui se meut en cercle se situe dans le plus haut lieu Lrsquoeacuteterniteacute de ce corps est

16 Ibid p89

19

veacuterifiable par lrsquoobservation et lrsquoexpeacuterience comme lrsquoaffirme Aristote dans la suite du

raisonnement

En effet dans toute lrsquoeacutetendue du temps eacutecouleacute selon la tradition que les hommes se sonttransmise les uns aux autres aucun changement nrsquoa eacuteteacute constateacute ni dans la totaliteacute la plusexteacuterieure du ciel ni dans aucune des parties qui lui sont propres

On comprend agrave la suite de cette remarque que le corps mucirc en cercle qui eacutetait lrsquoobjet de

notre propos est eacutegalement appeleacute laquo ciel raquo Ce que nous avons vu plus haut crsquoest-agrave-dire toutes

les caracteacuteristiques propres au corps qui se meut en cercle srsquoappliquent alors au ciel Mais de

quel sens du laquo ciel raquo parle-t-on puisque nous avons vu que le ciel avait trois sens A en juger

par ce que nous venons de citer nous pouvons dire qursquoAristote parle du premier et second

ciel le premier eacutetant le corps qui se trouve sur la circonfeacuterence la plus exteacuterieure et la plus

eacuteloigneacutee crsquoest-agrave-dire la sphegravere des fixes et le second eacutetant le corps qui est dans la continuiteacute

de la sphegravere des fixes et dans lequel se trouvent certains astres comme le Soleil la Lune et

drsquoautres encore Via lrsquoobservation nous pouvons conclure que le corps est ingeacuteneacuterable

incorruptible et inalteacuterable Mais cet argument en faveur de lrsquoeacuteterniteacute du ciel a un troisiegraveme

temps lrsquoeacutetymologie

Nous eacutevoquions plus tocirct lrsquoideacutee selon laquelle le corps qui se meut en cercle ne pouvait

pas ecirctre constitueacute de feu ou de terre et que donc il avait un eacuteleacutement qui lui eacutetait propre Cet

eacuteleacutement est plus noble que le feu et la terre car il se situe dans le domaine du ciel qui nrsquoest ni

soumis agrave la geacuteneacuteration ni agrave la corruption car il nrsquoa pas de contraire Il est donc eacuteternel Cet

eacuteleacutement tient drsquoailleurs son nom du fait qursquoil est eacuteternel

Crsquoest pourquoi dans lrsquoideacutee que le premier corps eacutetait diffeacuterent de la terre du feu de lrsquoair et de lrsquoeau ils ont nommeacute laquo eacutether raquo le lieu le plus eacuteleveacute tirant pour lui cette appellation du fait qursquoil court toujours pendant un temps eacuteternel

Ainsi le corps qursquoest le ciel parce qursquoil faut rappeler qursquoil est un ecirctre corporel est constitueacute

drsquoune matiegravere que lrsquoon appelle lrsquoeacutether et qui dans le monde supralunaire drsquoAristote est le seul

eacuteleacutement

20

12 Platonisme et aristoteacutelisme sur lrsquouniciteacute du monde Du Timeacutee au De Caelo I 9

121 Lrsquouniciteacute du monde dans le Timeacutee17 de Platon

La question des eacuteleacutements constitutifs des corps est indispensable pour comprendre le

contexte dans lequel le problegraveme du takei se pose En effet le passage obscur du De Caelo I

9 qui est notre propos se situe dans un chapitre visant agrave montrer par les arguments que nous

allons maintenant aborder que le monde est unique et qursquoil nrsquoy a aucun corps en dehors de

lui

Disons maintenant pour quelle raison celui qui a constitueacute le devenir crsquoest-agrave-dire notreunivers lrsquoa constitueacute Il eacutetait bon or en ce qui est bon on ne trouve aucune jalousie agravelrsquoeacutegard de qui que ce soit Deacutepourvu de jalousie il souhaita que toutes choses devinssentle plus possible semblables agrave lui 29e

La question que se pose ici Timeacutee est celle du pourquoi de lrsquounivers Afin de reacutepondre agrave cette

question il srsquointeacuteresse agrave la nature de celui qui a creacuteeacute lrsquounivers En effet la nature mecircme de

celui qui a creacuteeacute lrsquounivers implique que notre univers soit de telle faccedilon et non drsquoune autre

Puisque celui-ci est bon et que la jalousie nrsquoest pas une proprieacuteteacute de ce qui est bon alors celui

qui a creacuteeacute lrsquounivers lrsquoa creacuteeacute de maniegravere agrave ce qursquoil soit agrave son image crsquoest-agrave-dire qursquoil possegravede

les mecircmes qualiteacutes que lui Ainsi en tant qursquoecirctre bon il a voulu que tout ce qui existe soit

bon autant que possible et aussi parfait que possible Mais le deacutemiurge nrsquoest pas parti de rien

cette conception platonicienne de la creacuteation de lrsquounivers deacutecoule de lrsquoideacutee que le rien et le

neacuteant nrsquoexistent pas Donc celui qui est agrave lrsquoorigine de lrsquounivers lrsquoa engendreacute agrave partir de

quelque chose qui eacutetait deacutesordonneacute et en mouvement le visible Il a alors fait de ce visible

deacutesordonneacute un visible ordonneacute Du fait mecircme que celui qui a engendreacute le monde est lrsquoecirctre le

meilleur cela implique que ce qursquoil produit est aussi parfait qursquoil peut lrsquoecirctre car le meilleur

ne pourrait pas faire quelque chose de mauvais

Ayant reacutefleacutechi il se rendit compte que de choses par nature visibles son travail nepourrait jamais faire sortir un tout deacutepourvu drsquointellect qui fucirct plus beau qursquoun tout

17 PLATON Timeacutee 1992 Traduction par L Brisson Nous nous reacutefeacutererons agrave cette traduction sauf indication contraire

21

pourvu drsquointellect et que par ailleurs il eacutetait impossible que lrsquointellect preacutesent en quelquechose soit deacutepourvu drsquoune acircme 30A-b

Mais la nature propre du creacuteateur ne suffit pas agrave faire de toutes ses œuvres des ecirctres

eacutegaux en effet le deacutemiurge srsquoest rendu compte que malgreacute son travail le tout qui eacutetait

constitueacute drsquoun intellect eacutetait neacutecessairement plus beau qursquoun tout sans intellect Mais qursquoest-ce

que lrsquointellect chez Platon qui implique une hieacuterarchie entre les creacuteations du deacutemiurge

Comme lrsquoindique lrsquoextrait citeacute plus haut et qui nous donne une premiegravere ideacutee de ce qursquoest

lrsquointellect chez Platon si lrsquointellect est preacutesent en une chose il est impossible que cette chose

qui possegravede un intellect nrsquoait pas drsquoacircme Cela se justifie par le fait que lrsquointellect νοῦς chez

Platon est la partie la plus noble ou divine de lrsquoacircme Il y a donc une distinction entre lrsquoacircme et

lrsquointellect lrsquoacircme est une chose dont une des partie est lrsquointellect elle est la plus noble A quoi

sert cette partie Elle est ce qui permet de connaicirctre lrsquointelligible et de srsquoen rapprocher

Puisque lrsquointellect a eacuteteacute mis dans lrsquoacircme du monde et que lrsquointellect est la partie la plus belle et

la plus noble de lrsquoacircme cela implique que le monde est par nature le plus beau et le meilleur

possible

Ainsi donc conformeacutement agrave une explication qui nrsquoest que vraisemblable il faut dire que notre monde qui est un vivant doueacute drsquoune acircme pourvue drsquoun intellect a en veacuteriteacute eacuteteacute engendreacute par suite de la deacutecision reacutefleacutechie drsquoun dieu 30bndashc

Puisque le deacutemiurge a la capaciteacute de reacutefleacutechir alors il est proche des intelligibles et du

plus noble et ainsi il est dans la mesure de savoir comment faire de sa creacuteation un ecirctre aussi

bon et beau que possible La proprieacuteteacute du deacutemiurge qui est mise en avant est son intelligence

mais la conception du deacutemiurge ne srsquoarrecircte pas lagrave En effet agrave la maniegravere drsquoun artisan le

deacutemiurge creacutee le monde Mais comme tout artisan il se doit de posseacuteder une connaissance de

la chose qursquoil produit afin de la produire de faccedilon agrave ce qursquoelle soit la plus parfaite possible

Crsquoest pourquoi comme le deacutemiurge est un artisan qui reacutefleacutechit qui possegravede un intellect dans

son acircme il peut avoir une connaissance des intelligibles et ainsi produire quelque chose qui

est le plus parfait possible

22

A la ressemblance de quel vivant en particulier celui qui a faccedilonneacute le monde lrsquoa-t-ilfaccedilonneacute A la ressemblance drsquoaucun de ces vivants qui tiennent le rang drsquoespegraveceparticuliegravere dans la nature estimons-nous car rien de ce qui ressemble agrave un ecirctreincomplet ne saurait jamais ecirctre beau 30c

Mais tel un artisan le deacutemiurge ne produit pas agrave partir de rien il possegravede une

connaissance de ce qursquoil produit nous lrsquoavons dit Mais quelle est cette connaissance Elle

est la connaissance drsquoune ideacutee intelligible en drsquoautres termes drsquoune Forme comprise comme

lrsquoecirctre intelligible et parfait que lrsquoon ne peut saisir que par le biais de lrsquointellect Cela signifie

que le monde ecirctre mateacuteriel et tangible a eacuteteacute creacuteeacute agrave limage dun modegravele qui est intelligible et

non agrave un modegravele sensible Le monde est le sensible le plus parfait alors il ne peut pas avoir

pour modegravele quelque chose de moins parfait que lui et qui soit une partie de quelque chose

drsquoautre

Mais lrsquoensemble auquel appartiennent tous les ecirctres vivants agrave titre de parties soitindividuellement soit en tant qursquoespegravece voilagrave entre tous les vivants supposons-nouscelui auquel ressemble le plus celui-ci Effectivement tous les vivants intelligibles cevivant les tient enveloppeacutes en lui-mecircme de la mecircme faccedilon que notre monde nous contientnous et toutes les autres creacuteatures visibles 32c-d

Mais de quoi ces parties sont-elles les parties Du monde selon Platon Lrsquoargument

repose sur une analogie crsquoest-agrave-dire que notre monde est agrave tous les ecirctres sensibles ce que son

modegravele est agrave tous les ecirctres intelligibles Le monde enveloppe la totaliteacute de tous les ecirctres

sensibles il est logique que son modegravele soit ce qui enveloppe la totaliteacute de tous les ecirctres

intelligibles En effet le deacutemiurge a souhaiteacute que le monde ressemble agrave lrsquoecirctre le plus parfait

entre tous crsquoest-agrave-dire agrave lrsquoecirctre le plus beau de tous dans le sens ougrave il ne manque drsquoaucun des

biens Il a fait le monde de telle sorte qursquoil ait agrave lrsquointeacuterieur de lui tous les vivants qui sont de

mecircme nature que lui tous les ecirctres de nature sensible Comme notre monde est fait sur le

modegravele de quelque chose de parfait qui enveloppe tous les ecirctres intelligibles alors srsquoil y avait

une autre chose qui enveloppait tout cette autre chose serait le modegravele sur lequel aurait eacuteteacute

creacuteeacute notre monde Srsquoil y avait un autre ecirctre qui enveloppe tous les vivants en plus de notre

monde il faudrait qursquoil y ait un ecirctre qui les enveloppe tous les deux et ce serait agrave ce monde lagrave

que ressemblerait le nocirctre Notre monde partage comme caracteacuteristique lrsquouniciteacute du monde

23

parfait unique et beau dont il est la copie Il ne pourrait alors y avoir aucun autre monde en

dehors du nocirctre

[hellip] le dieu ayant placeacute au milieu entre le feu et la terre lrsquoeau et lrsquoair et ayant introduitentre eux autant que crsquoeacutetait possible le mecircme rapport qui fasse que ce que le feu est agravelrsquoair lrsquoair le soit agrave lrsquoeau et que ce que lrsquoair est agrave lrsquoeau lrsquoeau le soit agrave la terre a constitueacute agravelrsquoaide de ces liens un monde visible et tangible 32b

Comment peut-on expliquer que le monde soit sensible Platon fait lrsquoexpeacuterience drsquoun

monde sensible crsquoest le point de deacutepart de sa deacutemarche qui consiste agrave essayer drsquoexpliquer

pourquoi le monde est sensible et ordonneacute Pourquoi y-a-t-il un monde sensible ordonneacute et

non deacutesordonneacute A lrsquoimage drsquoune recette Platon fait la genegravese de la conception du monde qui

repose sur la preacutesence de quatre eacuteleacutements en quantiteacute proportionnelle et selon un rapport de

proportionnaliteacute le feu la terre lrsquoeau et lrsquoair Le fait que le monde soit constitueacute de ces

eacuteleacutements qui entretiennent entre eux un tel rapport en fait un ecirctre mateacuteriel ordonneacute et

impossible agrave corrompre (sinon par celui qui lrsquoa fait tel qursquoil est)

Or de ces quatre eacuteleacutements pris un agrave un la constitution du monde a absorbeacute la totaliteacuteCrsquoest en effet tout le feu toute lrsquoeau tout lrsquoair et toute la terre qursquoutilisa celui quiconstitua le monde pour le constituer ne laissant hors du monde aucune parcelle aucuneproprieacuteteacute de quoi que ce soitVoici quel eacutetait son dessein Il souhaitait en premier lieu quele monde fucirct avant tout un vivant parfait constitueacute de parties parfaites que de plus il fucirctunique dans la mesure ougrave il ne restait rien agrave partir de quoi un autre vivant de mecircmenature puisse venir agrave lrsquoecirctre 32c-33a

On comprend alors lrsquoargument platonicien selon lequel le monde est neacutecessairement

unique Puisque le deacutemiurge a mis en ordre le monde en le constituant de quatre eacuteleacutements (le

feu lrsquoair lrsquoeau et la terre) selon un certain meacutelange et qursquoen plus de cela il a utiliseacute la totaliteacute

du feu la totaliteacute de lrsquoair la totaliteacute de lrsquoeau et la totaliteacute de la terre pour le creacuteer il ne peut

rien exister de mecircme nature que lui Lrsquoensemble de cet extrait du Timeacutee permet de souligner

lrsquouniciteacute du monde sur deux plans diffeacuterents sur le plan meacutetaphysique et sur le plan

physique Sur le plan meacutetaphysique dans la mesure ougrave il a eacuteteacute prouveacute logiquement que le

monde ne pouvait ecirctre qursquoun seul puisqursquoil enveloppait agrave lrsquoimage de lrsquoecirctre intelligible le plus

24

parfait lrsquoensemble des sensibles Sur le plan physique dans la mesure ougrave il a eacuteteacute affirmeacute par

Platon que le monde eacutetait composeacute de la totaliteacute des quatre eacuteleacutements

Lrsquoargument en faveur de lrsquouniciteacute du monde que nous venons de voir est lrsquoeacutecho de la

theacuteorie platonicienne des Formes eacutenonceacutees dans le livre VI de la Reacutepublique18 A la fin du

livre VI de la Reacutepublique Platon dessine rapidement les traits de ce que sera plus tard dans la

mecircme œuvre la theacuteorie des Formes En effet il affirme en cette fin de livre VI que les

geacuteomegravetres lorsqursquoils produisent des hypothegraveses sur les angles et autres figures geacuteomeacutetriques

ne les font pas sur ce triangle qursquoils ont construit ou ce cercle qursquoils ont traceacute ils les font sur

les figures geacuteomeacutetriques en soi A quoi servent alors ces traceacutes Ils servent drsquoimages qui

permettent aux geacuteomegravetres de contempler les choses en soi que lrsquoon ne peut contempler que

par la penseacutee Ces figures traceacutees sont les copies des choses en soi elles sont en ce sens leurs

images De la mecircme maniegravere le monde sensible dans lequel nous sommes et qui enveloppe

lrsquoensemble de tous les ecirctres sensibles est la copie de lrsquoecirctre intelligible le plus parfait qui

enveloppe tous les vivants intelligibles Cette ideacutee implique qursquoil existe dans la philosophie

platonicienne des formes transcendantes qui srsquoeacutelegravevent au dessus du monde sensible et qui ne

sont que copieacutees dans ce monde La veacuteriteacute concernant les choses se trouverait dans le monde

intelligible seulement accessible par la penseacutee La forme est alors comprise comme la chose

en soi intelligible et transcendante Ainsi on peut drsquoores et deacutejagrave en conclure qursquoil y a une

diffeacuterence chez Platon entre la forme hors de la matiegravere et la forme dans lrsquoobjet sensible

122 Aristote en De Caelo I 9 analyse des arguments en faveur de la pluraliteacute des cieux

pour deacutefendre la theacuteorie platonicienne de lrsquouniciteacute du monde

Toutefois il est possible de se meacuteprendre sur la theacuteorie platonicienne de lrsquounivers et de

lui attribuer des conseacutequences erroneacutees voire de lrsquoutiliser afin drsquoaffirmer que le monde nrsquoest

pas unique Aristote en De Caelo I 9 srsquoengage agrave faire lrsquoexamen des arguments en faveur de

la pluraliteacute des mondes que lrsquoon pourrait tirer de la theacuteorie platonicienne de la creacuteation du

monde Nous allons alors maintenant voir quels sont ces arguments

En effet il pourrait sembler impossible qursquoil nrsquoy ait qursquoun seul ciel agrave qui examine leschoses de cette maniegravere dans tout ce qui est constitueacute ou a eacuteteacute produit que ce soit par lanature ou par lrsquoart ce sont deux choses diffeacuterentes que la forme en soi et celle qui est

18 PLATON La Reacutepublique 2002 Traduction par G Leroux

25

meacutelangeacutee agrave la matiegravere par exemple dans le cas de la sphegravere ce sont deux chosesdiffeacuterentes que la forme de la sphegravere et la sphegravere drsquoor ou la sphegravere drsquoairain et encore lafigure du cercle est diffeacuterente du cercle drsquoairain ou du cercle de bois 277b-30

Nous lrsquoavons dit plus haut dans la philosophie platonicienne il y a une distinction

entre la forme hors de la matiegravere et la forme dans la matiegravere dans la mesure ougrave la forme

intelligible (hors de la matiegravere) est transcendante et seacutepareacutee de la matiegravere Et selon Aristote il

pourrait sembler impossible agrave celui qui accepte cette distinction platonicienne de penser qursquoil

nrsquoexiste qursquoun seul monde Il srsquoagit alors de se demander premiegraverement quel est lrsquoargument

qui nous laisse penser que le ciel nrsquoest pas unique Deuxiegravemement nous nous demanderons si

Aristote deacutefend cette compreacutehension de la theacuteorie platonicienne ou srsquoil cherche agrave critiquer

ceux qui la comprennent ainsi

La theacuteorie platonicienne selon laquelle il y a une diffeacuterence entre la forme dans la

matiegravere et la forme en dehors de la matiegravere nous permet drsquoacceacuteder agrave lrsquoexemple suivant dans

le cas drsquoune sphegravere il y a la forme en soi qui est la forme purement intelligible de la sphegravere

drsquoune part et drsquoautre part il y a la sphegravere sensible constitueacutee admettons drsquoor ou drsquoairain Ces

deux types de sphegraveres sont distincts nous lrsquoavons dit pour la raison qursquoil existe une

diffeacuterence entre la forme de la sphegravere hors de la matiegravere (une forme qui est seacutepareacutee et

transcendante) et la forme de la sphegravere dans la matiegravere (une forme qui est meacutelangeacutee agrave la

matiegravere)

Puisque donc le ciel est sensible il sera une chose particuliegravere Car selon nous toutsensible existe dans la matiegravere Mais srsquoil est une chose particuliegravere lrsquoecirctre de ce ciel-ci etlrsquoecirctre du ciel pris absolument seront des choses diffeacuterentes Donc ce ciel-ci sera diffeacuterentdu ciel pris absolument ce dernier est pris comme forme et figure le premier commequelque chose de meacutelangeacute agrave la matiegravere 278a-10

Ce raisonnement appliqueacute au ciel affirme la chose suivante puisque le ciel est un

ecirctre corporel il est une chose particuliegravere Mais srsquoil est une chose particuliegravere et mateacuterielle

alors on peut en conclure que lrsquoecirctre de ce ciel particulier ne sera pas le mecircme que celui du ciel

pris en soi Ainsi le ciel particulier du fait de sa matiegravere dont parle Aristote ne sera pas le

mecircme que le ciel pris en soi crsquoest-agrave-dire en tant que Forme

26

[] cela nrsquoest pas moins vrai si rien de telle nrsquoexiste de maniegravere seacutepareacutee Dans tous lescas en effet ougrave nous voyons cela agrave savoir que la substance formelle se trouve dans lamatiegravere les ecirctres de mecircme forme sont plusieurs et mecircme en nombre infini De sorte qursquoilexiste plusieurs cieux ou qursquoil peut en exister plusieurs 278a-15-20

Mais ces individus qui comprennent lrsquoargument de Platon comme un argument en

faveur de la pluraliteacute du ciel affirment que mecircme srsquoil nrsquoy avait pas de forme seacutepareacutee du

sensible il y aurait quand mecircme plusieurs cieux Mais pourquoi affirment-ils cela Parce

qursquoil peut y avoir plusieurs ecirctres composeacutes de mecircme forme La forme dans la matiegravere nrsquoest

pas neacutecessairement unique la forme de deux chaises diffeacuterentes est la mecircme ce qui fait sa

particulariteacute est la matiegravere Mais il nrsquoest pas contradictoire qursquoil y ait une infiniteacute de chaises

il ne peut y avoir qursquoune seule forme seacutepareacutee et transcendante de la chaise par contre il peut

y avoir un nombre immense de chaises mateacuterielles et potentiellement une infiniteacute dans la

mesure ougrave cela nrsquoest pas contradictoire avec la nature de la forme dans le composeacute

Du fait de la nature mateacuterielle du composeacute ceux qui interpregravetent Platon de cette

maniegravere concluent qursquoil peut tout agrave fait exister plusieurs cieux Il peut en effet y avoir une

infiniteacute de corps mateacuteriels pour une forme seacutepareacutee de la matiegravere unique Il srsquoagira alors pour

Aristote de reprendre ces arguments et drsquoen faire lrsquoexamen afin de savoir lesquels sont fondeacutes

et lesquels ne le sont pas Nous nous eacutetions alors demandeacute quels eacutetaient les arguments qui

laissaient penser que le ciel pouvait ne pas ecirctre unique drsquoune part et drsquoautre part si Aristote

deacutefendait les conclusions auxquelles aboutissait cette certaine compreacutehension de Platon ou srsquoil

les jugeait erroneacutees

123 Aristote en De Caelo I 9 arguments aristoteacuteliciens en faveur de lrsquouniciteacute du ciel

Mais quelle est donc la position drsquoAristote sur la question de lrsquouniciteacute du monde

Deacutefend t-il Platon Est-il en deacutesaccord avec Platon Leurs arguments diffeacuterent-ils Pour

reacutepondre agrave ces questions nous eacutetudierons de maniegravere lineacuteaire la suite du chapitre

Que donc la deacutefinition de la forme sans la matiegravere et celle de la forme dans la matiegraveresoient diffeacuterentes lrsquoune de lrsquoautre on le dit avec raison et tenons-le pour vrai Il nrsquoy aneacuteanmoins aucune neacutecessiteacute agrave conclure de cela qursquoil existe plusieurs mondes ni qursquoil peuten exister plusieurs srsquoil est vrai que ce monde-ci est composeacute de lrsquoensemble de lamatiegravere comme cela est le cas 278a25

27

Il est possible drsquoaffirmer avec veacuteriteacute selon Aristote que la forme dans la matiegravere et la

forme sans la matiegravere sont deux choses diffeacuterentes Mais nous lrsquoavons dit en 278a25 Aristote

affirme que de cela nous ne pouvons pas induire la neacutecessiteacute ou la possibiliteacute qursquoil en existe

plusieurs car il est vrai que le monde est composeacute de lrsquoensemble de la matiegravere Aristote

affirme alors qursquoil ne saurait y avoir un autre monde puisque le monde est constitueacute de

lrsquoensemble de la matiegravere

A ce moment de lrsquoexamen des arguments exposeacutes plus tocirct nous trouvons dans le De

Caelo une explication des trois sens du mots ciel Dans la mesure ougrave nous avons exposeacute plus

tocirct ce qursquoeacutetaient ces trois ciels nous ne ferons que rappeler ce passage en le restituant

briegravevement Puisque nous avons exposeacute plus haut le ciel de trois maniegraveres nous comprenons

bien qursquoil ne peut rien exister en dehors du ciel dans la mesure ougrave le ciel srsquoentend dans un

sens comme le Tout ou la totaliteacute de ce qui est enveloppeacute par la circonfeacuterence la plus

eacuteloigneacutee Rappelons-le le laquo ciel raquo se dit en plusieurs sens le ciel est le corps qui se trouve

sur la circonfeacuterence la plus eacuteloigneacutee Le ciel est donc lrsquoextreacutemiteacute en un sens En un second

sens le ciel est le corps qui est dans la continuiteacute de la circonfeacuterence la plus eacuteloigneacutee et dans

laquelle se trouvent certains astres tel que le Soleil la Lune et drsquoautres En un troisiegraveme sens

et crsquoest ce sens qui permet de montrer que le ciel possegravede lrsquoensemble de la matiegravere le ciel est

dit du Tout ou de la totaliteacute qui est enveloppeacutee par la circonfeacuterence la plus eacuteloigneacutee En

drsquoautres termes le ciel est la totaliteacute de ce qui est enveloppeacute par le corps situeacute agrave lrsquoextreacutemiteacute du

ciel De cela nous pouvons conclure la chose suivante selon Aristote

Le ciel eacutetant pris en ces trois sens la totaliteacute enveloppeacutee par la derniegravere circonfeacuterence estneacutecessairement constitueacutee de lrsquoensemble du corps naturel sensible du fait qursquoil nrsquoexisteaucun corps en dehors du ciel et qursquoil ne peut pas y en avoir Supposons en effet qursquoilexiste un corps naturel en-dehors de la derniegravere circonfeacuterence il serait neacutecessaire qursquoilfasse partie soit des corps simples soit des corps composeacutes et que son eacutetat soit naturelou contre-nature Or il ne pourrait ecirctre lrsquoun des corps simples 278b20-25

Postulons qursquoil existe un corps naturel qui soit au-delagrave de la derniegravere circonfeacuterence Si

ce corps naturel existe il est neacutecessaire puisque les corps se divisent seulement en deux

cateacutegories qursquoil soit simple ou composeacute Nous avons vu qursquoun corps simple eacutetait un corps

naturel dont le mouvement eacutetait deacutetermineacute par sa nature En effet un corps simple a un

28

mouvement rectiligne (vers le haut ou vers le centre) ou un mouvement circulaire Pour ce

qui est des mouvements rectilignes Aristote affirme que le corps simple ne pourrait pas se

trouver au-delagrave du ciel car les corps simples qui existent au nombre de quatre le feu lrsquoair

lrsquoeau et la terre sont en totaliteacute rassembleacutes dans le monde de sorte qursquoil nrsquoy en a aucune

quantiteacute agrave lrsquoexteacuterieur de celui-ci De plus puisque chaque corps simple a un mouvement

naturel qui le megravene agrave son milieu naturel (milieu naturel qui se trouve dans le monde) alors

cela signifie que lrsquoexteacuterieur du monde serait son milieu contre-nature Si tel est le cas alors le

milieu contre-nature qui est lrsquoexteacuterieur du ciel serait le milieu naturel drsquoun autre corps ce qui

nrsquoest pas possible en vertu du fait qursquoil nrsquoexiste aucune matiegravere en dehors du ciel Et pour ce

qui est du corps simple dont le mouvement est circulaire crsquoest-agrave-dire lrsquoeacutether nous avons vu

que son milieu naturel eacutetait le ciel et qursquoil nrsquoavait pas de milieu contre-nature Or srsquoil eacutetait en

dehors du ciel dans la mesure ougrave son milieu naturel est le ciel cela signifierait qursquoil serait

dans son milieu contre-naturel ce qui nrsquoest pas possible

Et si aucun des corps simples nrsquoy est aucun des corps mixtes nrsquoy est non plus car il estneacutecessaire que si un corps mixte srsquoy trouve les corps simples y soient aussi 279a1-2

Pour les corps composeacutes lrsquoargument est le mecircme Le corps composeacute est un corps qui

contient un meacutelange de plusieurs eacuteleacutements mais son mouvement se fait en fonction de

lrsquoeacuteleacutement qui domine en lui (il a donc un mouvement simple en fonction du corps simple qui

le constitue) Un corps admettons composeacute a 60 de terre et 40 de feu sera attireacute vers le

centre Ainsi il est neacutecessaire que ce corps simple ou composeacute ait un lieu naturel ou contre-

nature puisqursquoil est en mouvement vers son lieu naturel ou en mouvement vers un lieu contre-

nature De plus il y a deux types de mouvement lrsquoun circulaire et lrsquoautre rectiligne Pour le

corps qui se meut en cercle naturellement il nrsquoy a aucun lieu qui soit contre-nature dans la

mesure ougrave il nrsquoest ni geacuteneacuterable ni corruptible nous lrsquoavons vu Ce corps ne peut donc pas

changer de lieu naturel pour un autre lieu Aristote conclut par la force mecircme des arguments

contenus dans le De Caelo et de lrsquoorganisation du monde qui repose sur les notions de milieu

naturel et de mouvement naturel que le monde est formeacute de lrsquoensemble de la matiegravere et qursquoil

ne pourrait pas y avoir un autre ciel Le ciel est donc unique

Mais Aristote ne srsquoarrecircte pas agrave lrsquoaffirmation selon laquelle le ciel est unique Il ajoute

Il est en mecircme temps clair qursquoil nrsquoy a ni lieu ni vide ni temps en dehors du ciel En toutlieu en effet il est possible qursquoil existe un corps et lrsquoon dit que le vide est ce en quoi il

29

nrsquoy a pas de corps mais ougrave il est possible qursquoil en vienne un quant au temps crsquoest lenombre drsquoun mouvement et il nrsquoexiste pas de mouvement sans corps naturel 279a10

Il nrsquoy a pas de lieu pas de vide et pas de temps en dehors du ciel selon Aristote Mais

pourquoi Il ne peut y avoir de lieu car en tout lieu il est possible qursquoil y ait un corps Il nrsquoy a

pas non plus de vide dans la mesure ougrave le vide est deacutefini comme ce en quoi il nrsquoy a pas de

corps mais ougrave il pourrait y en avoir un Srsquoil existait un lieu qui nrsquoabrite aucun corps alors ce

lieu serait vide et srsquoil existe un lieu vide alors il pourrait y avoir un corps Mais puisque rien

ne peut venir agrave lrsquoecirctre en dehors du ciel pour les raisons invoqueacutees plus haut alors il ne peut ni

y avoir de vide ni de lieu en dehors du ciel De plus on se repreacutesente le vide comme un lieu

ougrave il nrsquoy a rien or il nrsquoy a pas de lieu en dehors du ciel Crsquoest lrsquoargument drsquoAristote pour

deacutefendre lrsquoideacutee qursquoil nrsquoy a ni lieu ni vide en dehors du ciel Mais pourquoi nrsquoy aurait-il pas de

temps Parce que le temps est deacutefini comme eacutetant le nombre drsquoun mouvement Le

mouvement eacutetant un changement selon le lieu drsquoune part et drsquoautre part la proprieacuteteacute drsquoun

corps dans la mesure ougrave il nrsquoy a pas de lieu et pas de corps en dehors du ciel il ne peut pas

non plus y avoir de mouvement

30

Chapitre 2 Deacutebat sur la question des ecirctres de laquo lagrave-bas raquo

durant lrsquoAntiquiteacute Aristote agrave Simplicius

31

21 Compreacutehension antique du laquo τἀκεῖ raquo du De Caelo au commentaire de Simplicius

211 τἀκεῖ De Caelo I 9 279a15-b3

Nous nous sommes donc dans le premier moment de notre propos familiariseacute avec

les concepts aristoteacuteliciens et avec la conception aristoteacutelicienne du ciel afin de pouvoir par la

suite ecirctre le plus clair possible De plus la lecture du De Caelo nous a permis de rendre

compte de son contenu drsquoune part et de ses problegravemes drsquoautres part Crsquoest alors dans un

contexte drsquoexamen des interpreacutetations platoniciennes de lrsquouniciteacute du monde et dans un

contexte drsquoexposition drsquoarguments en faveur de lrsquouniciteacute du monde qursquoapparaicirct la notion qui

dans notre propos est probleacutematique la notion de takei La seconde partie de notre propos

consistera alors agrave rendre compte drsquoun passage fort obscur du De Caelo I 9 en lrsquoanalysant A la

suite de cela nous restituerons les arguments de Simplicius et drsquoAlexandre drsquoAphrodise

respectivement en faveur du takei comme notion signifiant le Premier Moteur Immobile ou la

sphegravere des fixes Il srsquoagira alors de comprendre quelles eacutetaient les thegraveses dominantes durant

lrsquoAntiquiteacute concernant le passage du De Caelo qui nous inteacuteresse et surtout comment elles

eacutetaient deacutefendues

Tout ce qui plus haut a eacuteteacute dit nous a permis de justifier la question suivante nous

avons vu que le ciel eacutetait unique et que ni matiegravere ni lieu ni vide et ni temps ne pouvait se

trouver hors du ciel Nous avons de plus affirmeacute que rien ne pouvait venir agrave lrsquoecirctre en dehors

du ciel Alors pourquoi dans le chapitre 9 du premier livre du De Caelo Aristote en arrive agrave

la conclusion suivante

Crsquoest pourquoi les ecirctres de lagrave-bas par nature nrsquoont ni lieu ni temps qui les fasse vieillir etil nrsquoy a pas non plus aucun changement pour les ecirctres qui sont disposeacutes au-dessus de latranslation la plus exteacuterieure inalteacuterables et impassibles ils ont la meilleure et la plusautonome des vies qursquoils megravenent pour toute sa dureacutee

Ce passage tregraves obscur est lrsquoobjet preacutecis de notre meacutemoire Quel est le lien entre le

fait que le monde soit unique que rien ne puisse venir agrave lrsquoecirctre en dehors du ciel pour la raison

qursquoil nrsquoy a ni matiegravere ni lieu ni vide ni temps au-delagrave du ciel et la citation ci-dessus Il est

difficile de le dire Il semblerait agrave premiegravere vue que la conclusion agrave laquelle arrive Aristote

est la suivante srsquoil nrsquoy a pas de lieu de vide de temps et de matiegravere alors les ecirctres qui sont

32

au-delagrave du ciel nrsquoont ni lieu ni temps ni vide ni corps Pourtant il a affirmeacute auparavant que

rien ne pouvait venir agrave lrsquoecirctre ou ecirctre venu agrave lrsquoecirctre en dehors du ciel Ce qui est eacutetonnant est

contenu de la conclusion mais aussi principalement le fait que la forme de cette conclusion

preacutesuppose qursquoil existe des ecirctres au-delagrave du ciel ou du moins elle nrsquoexclut pas qursquoil y en ait

Mais si cela est vrai alors ces ecirctres nrsquoont par nature aucun lieu aucun temps aucun corps

sensible donc aucun mouvement Que pourrait-il exister qui ne soit ni dans un lieu ni

corporel et qui nrsquoait pas de temps Chose eacutetonnante il affirme qursquoil nrsquoy a pas de lieu en

dehors du ciel tout en affirmant que des ecirctres se trouvent laquo lagrave-bas raquo deacutesignant un lieu qui nrsquoest

pas censeacute exister Plus encore Aristote les situe preacuteciseacutement ils sont au dessus de la

translation la plus exteacuterieure Cette translation la plus exteacuterieure est la circonfeacuterence la plus

eacuteloigneacutee du centre crsquoest le ciel compris dans son premier sens la sphegravere des fixes Le

problegraveme est donc de savoir ce que sont ces ecirctres hors du ciel dans la mesure ougrave ils ne sont

dans aucun lieu mais sont situeacutes quelque part De plus comment maintenir la continuiteacute entre

le deacutebut de ce texte dont lrsquoobjet sont les ecirctres de lagrave-bas alors qursquoagrave la fin du texte il est

question du corps qui se meut en cercle Comment drsquoailleurs comprendre le rapport entre les

deux dans la mesure ougrave il est dit des ecirctres de lagrave-bas qursquoils sont sans mouvement parfaitement

immobile alors qursquoil est dit de lrsquoecirctre divin drsquoune part qursquoil est immobile ne pouvant pas ecirctre

mucirc par quelque chose drsquoexteacuterieur agrave lui mais que son mouvement est circulaire Comment

lrsquoecirctre le plus divin peut-il ecirctre immobile et se mouvoir en cercle De plus que peut-il y avoir

en dehors du Tout ou de la totaliteacute Et srsquoil y a quelque chose en dehors du Tout le Tout reste-

t-il la totaliteacute dans la mesure ou il nrsquoinclurait pas tout

Il est dit de ces ecirctres qursquoils nrsquoont pas de temps et qursquoils ne changent pas En effet le

changement est compris comme un mouvement et vice-versa Le mouvement est la proprieacuteteacute

drsquoun corps Il ne peut donc y avoir aucun mouvement en dehors du ciel et aucun changement

La geacuteneacuteration et la corruption sont eacutegalement des changements mais puisque rien ne peut

venir agrave lrsquoecirctre hors du ciel alors rien ne peut ecirctre geacuteneacutereacute et rien ne peut se corrompre Ce qui

implique que les ecirctres de lagrave-bas sont ingeacuteneacuterables et incorruptibles Aristote lrsquoaffirme ils sont

inalteacuterables et impassibles Mais qursquoest-ce que lrsquoalteacuteration chez Aristote Nous lrsquoavons

eacutegalement vu lrsquoalteacuteration est un changement dans la qualiteacute de la chose cela signifie que srsquoils

sont inalteacuterables leurs qualiteacutes ne peuvent pas changer Lrsquoimpassibiliteacute quant agrave elle implique

qursquoils ne peuvent ecirctre affecteacutes drsquoaucune maniegravere On note eacutegalement dans le texte drsquoorigine en

grec ancien lrsquoutilisation du pluriel pour deacutefinir ce qui se trouve au-dessus de la translation la

plus exteacuterieure τἀκεῖ On sait donc par conclusion qursquoil y a quelque chose en dehors du ciel

33

qui nrsquoa ni lieu ni temps qui est inalteacuterable impassible et qui nrsquoest pas seul en effet le

pluriel de ce terme grec qui signifie laquo les choses de lagrave-bas raquo nous rappelle qursquoil nrsquoexiste pas

qursquoun seul ecirctre lagrave-bas mais plusieurs Ces ecirctres inalteacuterables et impassibles sans temps et sans

lieu sont par conseacutequent eacuteternels De plus Aristote nous dit qursquoils ont la vie la meilleure et la

plus autonome qui soit Crsquoest-agrave-dire qursquoils ne deacutependent de rien drsquoautre que drsquoeux-mecircmes

pour ecirctre Preacuteciser que leur vie est la laquo meilleure raquo implique-t-il une comparaison avec un

autre style de vie autonome agrave un degreacute infeacuterieur Par exemple celle des corps qui ont un

mouvement eacuteternel et simple dans leur milieu naturel qui nrsquoa pas de contraire et qui implique

que les astres soient eacuteternels Cette vie autonome les takei la megravenent pour toute sa dureacutee Mais

pourquoi Aristote affirme une telle chose alors mecircme qursquoil nrsquoy a pas de temps Quel est le

rapport entre le temps et la dureacutee

[hellip] car le terme qui enveloppe le temps de la vie de chacun hors duquel on nrsquoestrien selon la nature a eacuteteacute appeleacute laquo dureacutee de vie raquo de chacun

La dureacutee de vie de chacun est donc ce qui enveloppe le temps de la vie de chacun

Mais srsquoil nrsquoy a pas de temps comment peut-il y avoir quelque chose enveloppeacute par la dureacutee

Si la dureacutee de vie de chacun est ce qui enveloppe le temps de la vie de chacun alors la dureacutee

de vie eacuteternelle des ecirctres de lagrave-bas est ce qui enveloppe le temps de la vie eacuteternelle de ces

ecirctres Sans temps il ne pourrait donc pas y avoir de dureacutee car la dureacutee nrsquoenvelopperait rien

Le temps est ce qui chez Aristote est relatif au combien de temps La question du laquo combien

de temps raquo suppose qursquoil y a du temps qui passe donc un mouvement qui se produit Mais

hors du ciel il nrsquoy a ni corps ni mouvement ni temps donc comment les ecirctres de lagrave-bas

peuvent-ils avoir la vie pour toute sa dureacutee

La dureacutee est la totaliteacute du temps de la vie de quelque chose et crsquoest aussi le terme qui

englobe la totaliteacute du temps du ciel Le ciel compris comme un Tout ou une totaliteacute crsquoest-agrave-

dire la troisiegraveme maniegravere de parler du ciel est une dureacutee On considegravere que comme le terme

de laquo dureacutee raquo a une origine commune avec le laquo fait drsquoexister toujours raquo alors le ciel qui est une

dureacutee est une dureacutee en vertu du fait qursquoil dure toujours Ainsi le ciel est immortel et divin car

il existe toujours sans srsquoarrecircter

Le problegraveme qui se pose est alors celui de comprendre le rapport entre les deux parties

de ce texte on y traite dans un premier temps en 279a15 des ecirctres qui seraient disposeacutes au-

delagrave du ciel en les caracteacuterisant comme eacutetant des ecirctres qui ne sont dans aucun lieu et soumis agrave

34

aucun changement A partir de la notion de dureacutee il argumente en faveur de lrsquoeacuteterniteacute du ciel

Pourquoi semble-t-il y avoir une discontinuiteacute dans lrsquoobjet de cet extrait

Aristote affirme que la dureacutee a un terme qui permet de mesurer le temps qui passe

alors que le ciel nrsquoen a pas Il en vient alors agrave parler de lrsquoecirctre divin duquel deacutepend la vie de

tout ce qui existe En effet la limite du ciel est la sphegravere des fixes en ce sens elle est ce qui

enveloppe le monde Toutefois il nous semble que la notion de dureacutee interrompe le discours

portant sur les ecirctres de lagrave-bas Srsquoil eacutetait au deacutepart question des takei il est deacutesormais question

de la sphegravere des fixes Sont-ils une seule et mecircme chose Telle est la question que les lecteurs

peuvent se poser et qui permettrait drsquounifier le texte

Et par exemple dans les travaux de philosophie destineacutes au grand public portant sur lesecirctres divins on deacuteclare souvent en srsquoappuyant sur des raisonnements que tout ecirctre divineacutetant premier et au-dessus des autres est neacutecessairement immuable 279A31-33

Nous arrivons alors au passage que nous avons eacutetabli comme eacutetant la partie C Aristote

se reacutefegravere agrave des travaux de philosophie portant sur les ecirctres divins La question que nous nous

posons ainsi que les interpregravetes est celle de savoir si les ecirctres divins dont il est question sont

les takei de la partie A Il existe alors un doute dans la compreacutehension de ce passage qui

reacutesulte drsquoune impression de discontinuiteacute entre la partie A et la partie C mais non pas drsquoune

opposition entre celles-ci Le problegraveme survient agrave cause drsquoun doute sur la coiumlncidence entre

lrsquoexpression takei et lrsquoexpression theion (ecirctres divins) Ces travaux de philosophie portant sur

les ecirctres divins affirme que les ecirctres divins sont immuables Pour Aristote cela teacutemoigne en

faveur de ce qursquoil a affirmeacute plus tocirct rien ne peut mouvoir le divin sinon cette chose serait

plus divine que le divin et ce nrsquoest pas possible

Il existe alors un deacutebat concernant ce passage Degraves lrsquoAntiquiteacute deux commentateurs

drsquoAristote srsquoaffrontent sur la question de lrsquoidentiteacute des takei Ces deux interpreacutetations sont

celle de Simplicius et celle drsquoAlexandre Le premier deacutefend lrsquoideacutee que lrsquoexpression takei

renvoie au Premier Moteur Immobile alors que le second deacutefend qursquoil srsquoagit de la sphegravere des

fixes Ces deux interpreacutetations se font alors concurrence et ont donneacute naissance agrave une longue

tradition interpreacutetative que nous eacutetudierons plus tard

On peut alors se demander quelle uniteacute il existe dans cet extrait du De Caelo de la fin

du chapitre 9 Livre I Il semblerait que les ecirctres dont nous parle Aristote et qui se situent au-

35

delagrave de la translation la plus exteacuterieure soient des corps qui se meuvent en cercle car ils ont en

commun certaines proprieacuteteacutes lrsquoeacuteterniteacute la dureacutee sans fin lrsquoautonomie Or il srsquoavegravere que les

ecirctres de lagrave-bas sont exteacuterieurs au ciel alors que les corps qui se meuvent en cercle sont dans le

ciel Ils sont de plus composeacutes de la matiegravere qursquoest lrsquoeacutether ce qui implique qursquoils ne puissent

pas ecirctre au-delagrave du ciel dans la mesure ougrave il nrsquoexiste aucune matiegravere en dehors du ciel ni

aucun mouvement

222 Le commentaire perdu drsquoAlexandre possibles reacuteponses au problegraveme du laquo τἀκεῖ raquo

Nous avons vu que De Caelo I 9 srsquoachevait sur un passage fort mysteacuterieux En effet

dans la partie A du texte que nous avons citeacute au deacutebut de notre propos Aristote affirme et

prouve par les arguments que nous avons vu plus tocirct qursquoil nrsquoexiste rien en dehors du ciel ni

lieu ni vide ni temps ni matiegravere Vient alors la conclusion que les ecirctres se trouvant en dehors

du ciel ne sont dans aucun lieu nrsquoont ni matiegravere ni temps qui les fassent vieillir Il srsquoagira

alors drsquoaborder les interpreacutetations antiques de ce passage dans le but de comprendre quelles

sont les hypothegraveses quant agrave lrsquoidentiteacute de ces ecirctres (τἀκεῖ en grec) et les arguments pour les

deacutefendre

Nous allons alors commencer par examiner lrsquointerpreacutetation drsquoAlexandre drsquoAphrodise

du De Caelo I 9 telle qursquoelle nous a eacuteteacute transmise par Simplicius dans son commentaire

Alexandre propose deux lectures hypotheacutetiques de cet extrait En effet il se demande

ce agrave quoi fait reacutefeacuterence Aristote lorsqursquoil emploie le terme de laquo τἀκεῖ raquo Soit ce qui est deacutecrit

comme eacutetant un ecirctre en dehors du ciel qui nrsquoest dans aucun lieu et qui nrsquoa pas de temps qui le

fasse vieillir renvoie agrave la doctrine du Premier Moteur Soit cela fait reacutefeacuterence agrave la sphegravere des

fixes Nous allons nous inteacuteresser agrave la premiegravere hypothegravese

Qursquoest-ce que le Premier Moteur En Meacutetaphysique Λ 1072b5 Aristote affirme que

le Premier Moteur est une substance et un acte Cela signifie que le Premier Moteur est une

substance eacuteternelle du fait qursquoelle nrsquoest pas mateacuterielle qui meut le Premier Ciel tout en eacutetant

immobile ce qui implique qursquoil soit tel qursquoil ne puisse jamais ecirctre autrement qursquoil nrsquoest En

effet la sphegravere des fixes eacutetant du domaine du divin et eacutetant mucirc de maniegravere continue et

eacuteternelle doit avoir un moteur qui soit parfaitement immobile car plus parfait qursquoelle De

plus cela permet drsquoexpliquer lrsquoeacuteterniteacute du mouvement ceacuteleste dans la mesure ougrave ce qui est la

cause drsquoun mouvement eacuteternel doit aussi ecirctre eacuteternel sans quoi elle se corromprait et le ciel

36

cesserait son mouvement ce qui nrsquoest pas possible Il y a donc une sorte de hieacuterarchie du

point de vue de la substance Crsquoest-agrave-dire que Aristote identifie trois substances deux

sensibles dont une corruptible une eacuteternelle La troisiegraveme substance quant agrave elle est dite

laquo motrice raquo puisqursquoelle est agrave lrsquoorigine du premier mouvement qui est celui du ciel Celle-ci

puisqursquoelle est agrave lrsquoorigine du mouvement du Premier Ciel est plus divine et plus parfaite

Qursquoest ce qursquoimplique lrsquohypothegravese selon laquelle le τἀκεῖ serait le premier moteur Le

premier moteur immobile est ce qui est agrave lrsquoorigine du premier mouvement crsquoest-agrave-dire le

mouvement en cercle du corps simple qursquoest le ciel Ce moteur est unique et eacuteternel Parce

que le lieu du plus divin est le plus haut on comprend le premier moteur comme eacutetant au

dessus du ciel puisqursquoil est plus divin que lui et est ce qui le met en mouvement Crsquoest

lrsquohypothegravese drsquoAlexandre sur la possibiliteacute que les laquo ecirctres de lagrave-bas raquo renvoient agrave la doctrine du

Premier Moteur Il nrsquoest dans aucun corps donc il est hors du ciel et il nrsquoest pas dans un lieu

puisqursquoil nrsquoest pas corporel et mateacuteriel Toutefois le pluriel utiliseacute par Aristote rend

compliqueacute cette hypothegravese dans la mesure ougrave le Premier Moteur immobile est unique affirme

Fabienne Baghdassarian19 Alexandre dit Simplicius affirme que cette theacuteorie nrsquoest pas

vraisemblable bien qursquoil propose cette lecture nrsquoest pas veacuteritablement en faveur de celle-ci Il

affirme la chose suivante dans le commentaire de Simplicius

If by lsquoabove the outermost movementrsquo he were speaking about the first cause (Alexandersays) he would be referring to [the region] above the orbit of the sphere of the fixed[starts] while if he were saying these things about the divine body the lsquooutermostmovementrsquo would mean the furthest of the rectilinear motions [hellip] So above thefurthest movement there is all of the revolving body which he says is neither in place norin time being eternal and ageless For while the divine body as a whole is not in placeparts of it are in place the spheres of the planets are in place20

En effet Alexandre pensait que si Aristote avait voulu parler du Premier Moteur il

aurait explicitement utiliseacute lrsquoexpression περɩ φορά et non pas φοράν Aristote utilise selon

Alexandre lrsquoexpression περɩ φορά pour deacutesigner le mouvement circulaire et non pas φοράν

qui deacutesigne le mouvement rectiligne Simplicius va critiquer cet argument en deacutefaveur de la

reacutefeacuterence au Premier Moteur drsquoAlexandre en affirmant qursquoAristote utilise aussi φοράν pour

deacutesigner le mouvement circulaire

19 Baghdassarian F opcit20 SIMPLICIUS 2881-9

37

Alexandre propose apregraves la premiegravere hypothegravese concernant la reacutefeacuterence au Premier

Moteur Immobile une seconde hypothegravese selon laquelle le τἀκεῖ renvoie agrave la sphegravere des fixes

Il fait donc reacutefeacuterence au livre 4 de la Physique Dans ce chapitre il deacutefinit le lieu comme laquo la

limite du corps englobant raquo La sphegravere des fixes nrsquoest dans aucun lieu dans la mesure ougrave elle

nrsquoest englobeacutee par aucun corps En effet le cosmos aristoteacutelicien srsquoorganise de la maniegravere

suivante il y a le centre de lrsquounivers qui est enveloppeacute par la limite du corps qui se trouve

dans la reacutegion sublunaire Autour de cette reacutegion sublunaire se trouve le corps ceacuteleste qui est

la sphegravere des fixes comme un corps englobant le ciel compris comme un Tout Entre la Lune

et la sphegravere des fixes se trouve le corps dans la continuiteacute de la sphegravere des fixes sur lequel se

trouvent certains astres comme le Soleil Jupiter et drsquoautres Mais rien nrsquoenveloppe la sphegravere

des fixes ce qui implique que la sphegravere des fixes nrsquoest dans aucun lieu Donc srsquoil se reacutefegravere

aux ecirctres divins au-delagrave de la translation la plus exteacuterieure cela signifie que la translation la

plus exteacuterieure est en fait le mouvement rectiligne le plus haut celui du feu Mais pourquoi le

mouvement rectiligne serait le mouvement le plus haut Nous avons affirmeacute que le lieu eacutetait

la limite du corps englobant or la sphegravere des fixes nrsquoest englobeacutee par rien ce qui implique

que la sphegravere des fixes (le premier ciel) nrsquoest dans aucun lieu Le lieu qui existe est ce qui se

trouve enveloppeacute par la sphegravere des fixes crsquoest-agrave-dire le corps qui est dans la continuiteacute de la

sphegravere des fixes (lrsquoeacutether) et sur lequel se trouvent certains astres puis seacutepareacute par la Lune le

monde sublunaire dont le mouvement du feu est le mouvement rectiligne le plus haut Cet

argument selon Alexandre permet de montrer que cet extrait porte sur la sphegravere des fixes et

non des reacutealiteacutes qui seraient en dehors du ciel Le ciel au sens premier nrsquoeacutetant ni dans un lieu

ni soumis au temps le τἀκεῖ qualifieacute comme nrsquoeacutetant ni dans un lieu ni soumis agrave aucun

changement du fait de son absence du temps se reacutefeacutererait alors agrave la sphegravere des fixes

On peut alors conclure que Alexandre preacutefegravere lire ce texte en supposant qursquoAristote se

reacutefegravere au corps simple qui se meut en cercle lorsqursquoil parle des laquo ecirctres de la-bas raquo crsquoest-agrave-dire

au ciel au sens de la sphegravere des fixes

213 Compreacutehension et hypothegravese de Simplicius sur les ecirctres de lagrave-bas

Simplicius propose une autre lecture possible de ce passage Simplicius est le chef de

file tout comme Alexandre qui considegravere que le τἀκεῖ est une reacutefeacuterence au premier ciel drsquoune

longue tradition interpreacutetative selon laquelle le Premier Moteur Immobile serait ce qui est viseacute

par Aristote dans lrsquoensemble du passage qui nous inteacuteresse Il laisse en 2888 de cocircteacute

38

lrsquointerpreacutetation drsquoAlexandre du problegraveme du τἀκεῖ et reprends son commentaire lineacuteaire du

De Caelo

After saying that things divine are lsquopossessed of the best and most self-sufficient of livesrsquoand that lsquothey persist throughout all the agesrsquo he wishes also to establish theirimmortality and eternality on the basis of the word lsquoagersquo [hellip] For we call the completeand all-embracing time of the life of something its age lsquobeyond which there is nonenaturalrsquo21 2888

Aristote cherche agrave fonder lrsquoimmortaliteacute du corps ceacuteleste qursquoest le ciel au sens de la

sphegravere des fixes sur lrsquoorigine du mot laquo dureacutee raquo En effet il existe un rapport eacutevident entre le

premier ciel qui englobe tout et la dureacutee crsquoest-agrave-dire le terme qui englobe la totaliteacute du temps

de la vie de chaque choses Le ciel comme la dureacutee sont englobants ainsi il nrsquoest pas eacutetonnant

drsquoaffirmer que dans la mesure ougrave le ciel (crsquoest-agrave-dire la sphegravere des fixes) nrsquoest pas englobeacute

par la dureacutee puisqursquoil nrsquoy a pas de temps en dehors du ciel et qursquoil nrsquoy a pas de dureacutee sans

temps qui passe le corps qui srsquoy trouve nrsquoest pas soumis agrave la corruption et agrave la mort il est

immortel

Simplicius se reacutefegravere alors agrave une œuvre perdue drsquoAristote De la philosophie22 dans le

but de donner lrsquoargument aristoteacutelicien en faveur de lrsquoeacuteterniteacute du divin afin de preacuteparer

lrsquoargument selon lequel les ecirctres de lagrave-bas seraient les intelligibles Lrsquoargument drsquoAristote est

le suivant partout ou il y a quelque chose de mieux il y a quelque chose de meilleur le

divin Aristote affirme qursquoune chose peut ecirctre mise en mouvement par deux causes possibles

par une chose qui lui est exteacuterieure ou par elle-mecircme Si ce qui meut un corps est une cause

exteacuterieure il est neacutecessaire qursquoelle soit meilleure que ce qursquoelle meut ou moins bonne Si

crsquoest par elle-mecircme alors il est neacutecessaire que ce soit vers quelque chose de meilleur ou vers

quelque chose de pire Aristote dans le DP affirme qursquoil nrsquoy a rien de meilleur que le divin

sinon cette chose serait plus divine que le divin Donc rien ne peut changer le divin puisque

qursquoil ne manque drsquoaucun des biens et est parfaitement bon Puisqursquoil nrsquoy a rien de mauvais

chez le divin cela implique qursquoil ne puisse pas ecirctre mucirc vers le pire ni par un autre ni par lui-

mecircme Le divin se changerait-il lui mecircme Simplicius se reacutefegravere pour reacutepondre agrave cette

21 Simplicius 2888 22 Traiteacute perdu drsquoAristote dont le passage du De Caelo laquo les ecirctres de lagrave-bas raquo semble issu ou srsquoy reacutefegravere tout du

moins

39

question au livre II de La Reacutepublique de Platon dans lequel Platon affirme que le meilleur et

le plus divin est ce qui subit le moins de changement ou aucun changement de lrsquoexteacuterieur A

partir de lagrave il se pose la question de savoir si le divin qui ne peut pas ecirctre alteacutereacute par ce qui lui

est exteacuterieur du fait qursquoil est le meilleur srsquoaltegravere lui-mecircme vers le meilleur ou vers le pire

Dans la mesure ougrave le divin possegravede tous les biens srsquoil srsquoaltegravere ce sera neacutecessairement vers le

pire car il ne peut pas ecirctre plus parfait qursquoil ne lrsquoest deacutejagrave Mais puisque personne ne se

changerait pour le pire et le moins beau volontairement alors cela implique que le divin ne se

change pas

Ces arguments tireacutes de La Reacutepublique II et du De Philosophia permettraient alors agrave

Simplicius de critiquer la theacuteorie drsquoAlexandre Aristote ne peut pas se reacutefeacuterer agrave la sphegravere des

fixes dans la mesure ougrave celle-ci est en mouvement Son mouvement est certes eacuteternel car il

ne connaicirct aucun changement son lieu de deacutepart est son lieu drsquoarriveacutee donc son mouvement

est eacuteternel Mais cela implique qursquoil soit mucirc par quelque chose qui neacutecessairement est plus

divin que lui et qui ne peut pas ecirctre en mouvement drsquoaucune maniegravere que ce soit

That not all of it can be interpreted as applying to the heavenly body is clear Ithink from what has just been said For having shown that there is no body either simpleor composite outside the heaven he argued lsquoat the same time it is clear that there can beneither place void nor time beyond the heavensrsquo And having shown this and concludedlsquotherefore it is obvious that there is neither place nor void nor time outside he theninfers as it were from what has been said some corollaries lsquofor this reason the thingswhich are of a nature to be there are not in place nor can time cause them to grow oldand so on by lsquothe things therersquo clearly meaning those outside the heaven So how couldthe heaven be said to be outside the heaven And how could he say that there is nochange of any kind for any of the heavenly bodies when he sees that their change ofplace is unceasing And neither does he say that the things which are positioned abovethe furthest movement are heavenly bodies23

On ne peut donc pas interpreacuteter tout le texte comme eacutetant au sujet des corps ceacutelestes

pour Simplicius en raison de ce qui a eacuteteacute dit par Aristote Puisqursquoil a montreacute qursquoil nrsquoy avait

pas de corps en dehors du ciel car celui-ci eacutetait constitueacute de lrsquoensemble de la matiegravere il

affirme qursquoil nrsquoy a pas de lieu ndash en raison du fait que le lieu est lagrave ougrave il y a un corps ndash pas de

vide ndash car le vide est lagrave ougrave il nrsquoy a pas de corps mais ougrave il pourrait y en avoir un ndash et pas de

temps car le temps est une proprieacuteteacute des corps et qursquoil nrsquoy a pas de corps en dehors du ciel

Crsquoest pourquoi laquo les ecirctres de lagrave-bas raquo ne peuvent pas faire reacutefeacuterence aux corps ceacutelestes

23 Simplicius 290 1-17

40

Puisque le τἀκεῖ est deacutesigneacute comme nrsquoeacutetant pas dans un lieu pas dans le temps et nrsquoayant pas

de matiegravere que lrsquoexteacuterieur du ciel nrsquoest ni du vide ni du temps et qursquoil ne peut y avoir aucun

corps Simplicius en conclut que laquo lagrave-bas raquo signifie laquo au-delagrave du ciel raquo Il oppose alors

drsquoautres critiques agrave la theacuteorie drsquoAlexandre par rapport agrave ce qui vient drsquoecirctre dit comment le

ciel pourrait-il ecirctre en dehors du ciel Comment Aristote pourrait-il affirmer srsquoil se reacutefeacuterait agrave

la sphegravere des fixes qursquoil nrsquoy a aucune sorte de changement pour le ciel tout en affirmant que

son mouvement est eacuteternel et incessant Il semble alors compliqueacute de soutenir que le τἀκεῖ

renvoie agrave la sphegravere des fixes ou aux corps ceacutelestes qui se meuvent en cercle

Simplicius comprend alors nos trois parties De Caelo I 9 agrave la lumiegravere du De

Philosophia et de Reacutepublique II Puisque ce qui est en mouvement lrsquoest neacutecessairement par

quelque chose de plus parfait que lui alors ce qui meut le ciel est plus parfait que le ciel Il

srsquoagit de srsquointeacuteresser au moteur immobile qui meut le premier ciel crsquoest-agrave-dire le Premier

Moteur Il souligne toutefois que ce passage est obscur et laisse possible lrsquointerpreacutetation

suivante lorsqursquoAristote fait reacutefeacuterence au mouvement eacuteternel du ciel crsquoest pour parler de ce

qui le meut En effet le Premier Moteur Immobile est plus divin que le ciel puisque ce qui

met une chose en mouvement est plus divin qursquoelle En ce sens il serait dit laquo au-delagrave du ciel raquo

car au-dessus de la nature des corps ceacutelestes Cela implique alors que laquo au-delagrave raquo ne

signifierait pas un lieu mais une nature hieacuterarchiquement supeacuterieure agrave celle du ciel

Il accepte cependant que le texte ne soit pas du deacutebut de la partie A agrave la fin de la partie

C au sujet du Premier Moteur Lorsque Aristote fait mention de la notion de dureacutee il fait

reacutefeacuterence agrave la sphegravere des fixes En effet la fin de la dureacutee est la limite qui permet la

quantification de la dureacutee mais le ciel nrsquoa pas de dureacutee il est compris comme ce qui englobe

la dureacutee de vie de tout ce qui est Mais apregraves avoir eacutetabli la premiegravere signification de la dureacutee

qui fait le lien avec le premier ciel Aristote bascule vers lrsquoideacutee que ce qui comprend

lrsquoensemble du temps et de lrsquoinfiniteacute est une dureacutee et crsquoest donc une reacutefeacuterence au Premier

Moteur car de lui deacutepend de maniegravere directe lrsquoecirctre et la vie eacuteternelle du corps ceacuteleste et de

maniegravere indirecte lrsquoecirctre et la vie des corps du monde sublunaire De maniegravere indirecte car les

corps du monde sublunaire ne sont pas directement mis en mouvement par lui mais leur vie

deacutepend de celle de la sphegravere des fixes qui elle est directement mise en mouvement par le

Premier Moteur Immobile

Simplicius deacutefend alors sur le fondement de ces arguments que le τἀκεῖ fait reacutefeacuterence

au Premier Moteur Immobile et non au corps ceacuteleste Simplicius va alors mecircme jusqursquoagrave

41

changer le texte original drsquoAristote en optant pour kinai plutocirct que kineitai ce qui permet

drsquoattribuer une fonction motrice au τἀκεῖ Ce changement lui permet alors de faire

correspondre le τἀκεῖ agrave la theacuteorie du Premier Moteur sans forcer lrsquointerpreacutetation De ce fait

le τἀκεῖ renverrait agrave quelque chose de transcendant agrave lrsquoordre ceacuteleste car le premier ciel est

mucirc en vertu de la perfection de son moteur celle-ci accordeacutee au τἀκεῖ dans la mesure ougrave il ne

connaicirct aucun changement et est parfaitement autonome Pour appuyer la theacuteorie de

Simplicius nous pouvons ajouter lrsquoargument de la coiumlncidence entre la description du τἀκεῖ

dans le DC et celle du Premier Moteur Immobile dans Meacutetaphysique Λ lrsquoun comme lrsquoautre

sont dits parfaitement immuables eacuteternels et autonomes

42

Chapitre 3 Interpreacutetations modernes du De Caelo I 9

La question du τἀκεῖ premier moteur reacutealiteacutes hyper-

cosmiques ou sphegravere des fixes reacutealiteacutes ceacutelestes

43

31 Le problegraveme de la continuiteacute argumentative du Livre I 9

311 La discontinuiteacute du sujet en faveur de la transcendance du τἀκεῖ

Le deuxiegraveme moment de notre propos nous a donc servi agrave comprendre quels eacutetaient les

arguments deacutefendus durant lrsquoAntiquiteacute par Simplicius et Alexandre drsquoAphrodise Ces deux

interpregravetes sont les chefs de file de deux interpreacutetations qui sopposent celle de Simplicius

selon laquelle le takei ferait reacutefeacuterence au Premier Moteur Immobile et celle drsquoAlexandre

selon laquelle il srsquoagirait drsquoune reacutefeacuterence agrave la sphegravere des fixes Ces deux thegraveses srsquoaffrontent

depuis lrsquoAntiquiteacute Elles ont influenceacute les interpreacutetations modernes et ont forgeacute une logique

binaire dans la maniegravere de comprendre lrsquoidentiteacute des ecirctres de lagrave-bas Ce deacutebat antique se

perpeacutetue dans un deacutebat entre les interpregravetes modernes Il srsquoagira alors de restituer les

arguments modernes heacuteritiegraveres des deux interpreacutetations antiques afin de rendre compte de la

logique binaire du deacutebat Toutefois nous ne nous limiterons pas agrave cette binariteacute et nous nous

inteacuteresserons agrave des theacuteories plus originales telles que celle de Peacutepin ou celle de Merlan

Si nous avons eacutevoqueacute plus haut le problegraveme de la continuiteacute des ideacutees aristoteacuteliciennes

au sein du corpus aristoteacutelicien et plus particuliegraverement au regard du De Caelo crsquoest dans le

but de poser les preacutemisses drsquoarguments qui reposent sur la continuiteacute ou la discontinuiteacute du

De Caelo I9 Nous nous fonderons pour le moment sur les deux alternatives les plus

populaires du problegraveme de lrsquoidentiteacute du τἀκεῖ avec drsquoune part les arguments en faveur drsquoune

reacutefeacuterence astrale et drsquoautre part les arguments en faveur drsquoune reacutefeacuterence agrave un ou des ecirctres

transcendant le ciel Mais nous verrons un certain type drsquoarguments en faveur de lrsquoune ou

lrsquoautre ideacutee en effet les arguments que nous expliciterons seront ceux qui reposent sur une

analyse de la continuiteacute ou de la discontinuiteacute du passage qui deacutebute en 279a18 et qui se

termine agrave la fin du chapitre 9 dans le but de comprendre comment sont justifieacutees lrsquoune ou

lrsquoautre ideacutee Nous allons alors nous inteacuteresser preacuteciseacutement agrave lrsquoobjet ou les objets de ce passage

via lrsquoarticle de Fabienne Baghdassarian24

Si le chapitre I 9 se refermait sur les remarques qui preacutecegravedent sans doute nrsquoaurait-iljamais paru eacutenigmatique Chacun srsquoaccorderait agrave reconnaicirctre derriegravere laquo les ecirctres de lagrave-basraquo des reacutealiteacutes hypercosmiques conformeacutement agrave ce qursquoindiquent clairement agrave la fois leurdescription topographique et le contexte argumentatif de lrsquoextrait Neacuteanmoins le textepoursuit une analyse dont on a du mal agrave comprendre comment elle peut ne pas remettreen question lrsquohypothegravese de la transcendance Il apparaicirct en effet que le texte agrave supposer

24 Baghdassarian F opcit2011 p192

44

qursquoil traite de reacutealiteacutes transcendantes en 279a18-22 change de sujet agrave une ou plusieursreprises pour deacutevelopper des consideacuterations qui font une reacutefeacuterence plus explicite au ciel

Fabienne Baghdassarian agrave la suite de cet extrait explicite les trois moments de

lrsquoargumentation du passage 279a18-b3 du De Caelo I 9 Il semble selon sa lecture y avoir

une discontinuiteacute dans lrsquoobjet du texte En effet dans un premier temps apregraves avoir conclu

qursquoil nrsquoexistait ni lieu ni vide ni temps et ni corps en dehors du ciel et que les ecirctres qui se

situaient laquo au dessus de la translation la plus exteacuterieure raquo nrsquoavaient laquo ni lieu ni temps qui les

fasse vieillir raquo et qursquoils nrsquoeacutetaient soumis agrave aucun type de changement Aristote fait intervenir

la notion de αἰών crsquoest-agrave-dire la notion de la dureacutee Vient ensuite la partie C qui concerne le

mouvement ceacuteleste

Mais le problegraveme majeur qui se pose au sujet de la continuiteacute argumentative de cette

fin de chapitre 9 de De Caelo I est majoritairement ducirc agrave une reacutefeacuterence mysteacuterieuse agrave des

laquo travaux de philosophie destineacutes au grand public portant sur les ecirctres divins raquo 279a31 qui

cassent lrsquoargumentation agrave tel point que ce passage est suspecteacute drsquoecirctre un ajout tireacute drsquoun traiteacute

perdu drsquoAristote le De Philosophia

La preacutesence de ce supposeacute passage du De Philosophia complexifie lrsquoensemble de la

fin du De Caelo I 9 En effet ce texte creacuteeacute ce qui semble ecirctre une discontinuiteacute dans

lrsquoargumentation geacuteneacuterale de chapitre 9 Certains auteurs voient le De Philosophia comme

eacutetant agrave propos pour eacuteclairer la question de lrsquoidentiteacute des takei crsquoest le cas de Dumoulin25 qui

retrace lrsquoargumentation du De Caelo au regard du De Philosophia Il coupe le texte original en

diffeacuterents paragraphes dans le but de faire ressortir lrsquoenchaicircnement des ideacutees Successivement

il voit agrave partir de 279a11-18 les conseacutequences de lrsquoabsence de corps en dehors du ciel De

279a19-22 lrsquoaffirmation selon laquelle tout ce qui est immateacuteriel est immobile De 279a22-

30 un deacutebut de paragraphe qui porte sur lrsquoeacuteterniteacute du ciel De 279a31-34 le principe geacuteneacuteral

de lrsquoimmutabiliteacute du divin fondeacute sur des travaux de philosophie qui traitent des ecirctres divins

Enfin de 279a34-b3 il est question de lrsquoimmutabiliteacute du mouvement ceacuteleste Il apparaicirct alors

que le texte dont il est question deacutebute par les conseacutequences de lrsquoabsence de temps de lieu et

de corps en dehors du ciel agrave savoir que les ecirctres qui se situent au-delagrave du ciel nrsquoont ni lieu ni

temps ni corps Puis Aristote finit par un eacuteloge de lrsquoeacuteterniteacute du mouvement ceacuteleste Le

mouvement est le propre des corps mais srsquoil nrsquoy a pas de corps en dehors du ciel il nrsquoy a pas

non plus de mouvement Donc pourquoi passe t-on du constat que les ecirctres en dehors du ciel

25 Dumoulin Recherches sur le premier Aristote Eudegraveme De la philosophie Protreptique1981 p 53-65

45

nrsquoont ni corps ni aucun mouvement pour ensuite louer lrsquoeacuteterniteacute du mouvement ceacuteleste Tel

est le problegraveme de lrsquouniteacute argumentative de ce passage26

Drsquoapregraves Alexandre citeacute par Simplicius deux interpreacutetations srsquoaffrontaient danslrsquoAntiquiteacute les ecirctres en question deacutesignent le premier moteur immobile pour les uns etle ciel des fixes pour les autres Cette alternative continue agrave gouverner lrsquointerpreacutetation dupassage pour le premier moteur immobile nommons agrave la suite de Simplicius ZellerTricot Untersteiner Berti agrave la suite drsquoAlexandre pour le ciel des fixes Werner GuthrieMoreau Festugiegravere Nous allons ecirctre conduit agrave contester le principe de cette alternative

Comme le rappelle Dumoulin il existe deux alteacuternatives agrave lrsquointerpreacutetation de ce

passage Il srsquoagit maintenant de comprendre lrsquoargument qui permet agrave Dumoulin drsquoaffirmer

que le τἀκεῖ fait reacutefeacuterence agrave des reacutealiteacutes qui se placeraient au-delagrave de la sphegravere des fixes et non

sur la sphegravere Il annonce alors explicitement qursquoil srsquoagira de contester la theacuteorie drsquoune

reacutefeacuterence ceacuteleste

Comment srsquoy prend Dumoulin pour justifier lrsquoideacutee que le τἀκεῖ renvoie agrave des ecirctres qui

se trouvent au-delagrave de la translation la plus exteacuterieure ou agrave la theacuteorie du Premier Moteur

Immobile Sa deacutemarche consiste agrave comprendre le texte par le texte lui-mecircme en srsquointeacuteressant

agrave lrsquoutilisation des mots et agrave leur sens le plus naturel Crsquoest pourquoi il commence son

explication en rappelant deux choses τἀκεῖ vient de ἐκεῖ qui dans Physique VIII 10 267b9

deacutesigne la localisation du Premier Moteur Immobile De plus τἀκεῖ manifeste un pluriel qui

bien qursquoil semble ne pas correspondre agrave lrsquoideacutee du Premier Moteur Immobile qui est censeacute ecirctre

unique correspond agrave lrsquoideacutee drsquoune pluraliteacute de principes qui peuvent exister agrave partir du

moment ougrave il existe une hieacuterarchie entre eux Cette ideacutee lisible dans Meacutetaphysique Λ 8

correspond eacutegalement agrave celle preacutesente dans le fragment 17 du De Philosophia Notons de

plus le fait que le Premier Moteur est dit laquo immobile raquo crsquoest-agrave-dire qursquoil ne connaicirct aucune

espegravece de changement ni dans la substance ni dans le lieu de la mecircme maniegravere qursquoil est dit

des τἀκεῖ qursquoils sont parfaitement immobiles Toutefois cela signifie-t-il que si le τἀκεῖ est

transcendant au ciel son identiteacute correspond agrave celle du Premier Moteur Immobile Pas

neacutecessairement Dumoulin envisage la possibiliteacute en fonctionnant de maniegravere reacutetrospective et

en se tournant vers le Timeacutee de Platon que le τἀκεῖ fasse reacutefeacuterence agrave un ecirctre divin immobile

mais pas forcement moteur La lecture organiseacutee de ce texte comme nous lrsquoavons vu plus

haut par le biais de Dumoulin permet de comprendre qursquoil existe une deacutemonstration logique

au texte En effet les conseacutequences du fait qursquoil nrsquoy ait ni corps ni temps ni lieu en dehors du

26 Ibid p54

46

ciel impliquent que ce qui est en dehors du ciel est immateacuteriel et dans la mesure ougrave le temps

est le nombre du mouvement alors les ecirctres qui se situent au-delagrave du ciel nrsquoont pas de

mouvement et sont parfaitement immobiles Leur immobiliteacute due agrave leur immateacuterialiteacute font

drsquoeux des ecirctres divins car eacuteternels mais cela implique-t-il que comme le Premier Moteur

Immobile ils aient une fonction motrice Crsquoest pourquoi Dumoulin se tourne vers le Timeacutee

Partir sur la piste de la transcendance du τἀκεῖ sans pour autant faire reacutefeacuterence au Premier

Moteur Immobile peut nous faire penser agrave la diviniteacute immateacuterielle du Timeacutee qui a ordonneacute le

monde Aristote ayant eacuteteacute durant un certain nombre drsquoanneacutees lrsquoeacutelegraveve de Platon nous sommes

en droit de nous demander srsquoil nrsquoavait pas au deacutepart postuleacute un ecirctre immateacuteriel et divin sans

penser agrave un ecirctre qui serait le moteur du mouvement Il nous faut alors eacutetablir la distinction

entre ce qursquoune chose est (par exemple divine eacuteternelle parfaitement immobile) et ce qursquoelle

fait la fonction qursquoelle remplit (par exemple mettre en mouvement le premier ciel) Il est

alors question ici de celui que lrsquoon appelle le laquo premier Aristote raquo celui qui eacutetant platonicien

reacutefleacutechissait agrave partir de cette conception du monde Cette theacuteorie servirait-elle alors de

preacutemisse agrave ce qui sera plus tard la theacuteorie du Premier Moteur Nous pouvons nous le

demander mais y reacutepondre aurait besoin drsquoun autre propos Neacuteanmoins cette ideacutee permet de

proposer une lecture particuliegravere du De Caelo I9 selon laquelle il y a une reacutefeacuterence agrave des ecirctres

hypercosmiques crsquoest-agrave-dire qui se trouvent au dessus du ciel sans toutefois se reacutefeacuterer au

Premier Moteur Immobile

Mais lrsquoargument en faveur de la transcendance du τἀκεῖ ne srsquoarrecircte pas lagrave Nous

lrsquoavons dit ce passage est obscur car il est fait mention drsquoun ouvrage qui porte sur les ecirctres

divins et qursquoil semble que ce texte du fait de ses diffeacuterents objets soit en partie issu drsquoun

traiteacute perdu drsquoAristote De Philosophia Nous lrsquoavons dit et le rappelons en 279a18 il est

question drsquoecirctres qui se situent au-dessus de la translation la plus exteacuterieure et apregraves une

eacutetrange analogie sur la notion de dureacutee se trouve un eacuteloge du mouvement eacuteternel des astres

Ce passage est celui qui brise la continuiteacute de lrsquoargumentation et nous pousse agrave douter de son

appartenance premiegravere au De Caelo A quoi se reacutefegravere donc le τἀκεῖ Et quelle est lrsquoidentiteacute

des ecirctres divins (theia) dont nous parle Aristote Le ciel Les ecirctres de lagrave-bas

Dumoulin compare un fragment du De Philosophia et le passage 279a34-b3 du De

Caelo et il en ressort de maniegravere quasiment eacutevidente que le traiteacute Du ciel se reacutefegravere tregraves

clairement au De Philosophia Nous pouvons le constater via la comparaison entre le

fragment du De Philosophia et le passage du De Caelo dont il est question dans lrsquoeacutetude de

47

Dumoulin27 Mais ce passage est-il une simple reacutefeacuterence Une paraphrase Une citation

Cette question est complexe et la conclusion nous permettra de comprendre lrsquoargumentation

geacuteneacuterale du texte et de soutenir lrsquoideacutee drsquoune veacuteritable ceacutesure dans lrsquoargumentation

Nous trouvons quelque chose de bien eacutetrange dans le texte drsquoAristote une chose fort

bien exprimeacutee par Simplicius dans son commentaire si nous savons que le premier moteur

immobile est dans la Physique la Meacutetaphysique agrave lrsquoorigine du premier mouvement crsquoest-agrave-

dire celui de la sphegravere des fixes Aristote affirme dans la partie C qursquoil nrsquoy a rien de plus fort

qui puisse mouvoir le ciel car sinon cette chose serait plus divine que le ciel Mais puisque le

ciel est parfait et qursquoil ne manque drsquoaucun des biens cela nrsquoest pas possible Comment

expliquer cela Srsquoagit-il drsquoun changement doctrinal Drsquoune citation Drsquoune paraphrase

Simplicius avait trois sources agrave sa disposition pour commenter le De Caelo La Reacutepublique

II de Platon des fragments du De Philosophia et le texte qursquoil commente Nous observons

premiegraverement qursquoil semble y avoir un emprunt agrave la Reacutepublique II de Platon

Nest-il pas neacutecessaire si toutefois un ecirctre peut sortir de sa propre forme soit quil semeacutetamorphose lui-mecircme de sa propre initiative soit quil soit transformeacute par un autre380D28

Or les choses les meilleures ne sont-elles pas celles qui sont le moins susceptibles decirctrealteacutereacutees et mises en mouvement par autre chose quelles-mecircmes 380E

Degraves lors tout ecirctre bien constitueacute que ce soit par nature en vertu de lart ou pour ces deuxraisons agrave la fois sera le moins susceptible de subir un changement causeacute par un autre[hellip] Et pourtant le dieu tout comme les choses qui concernent le dieu est absolumentparfait [hellip] Mais ne peut-il se changer et salteacuterer lui-mecircme [hellip] Se change-t-il alors enmieux et en plus beau ou en pire et en plus laid Si vraiment il srsquoaltegravere cestneacutecessairement dans le sens du pire 381b-381c

En mecircme temps Platon ne cherche pas agrave prouver lrsquoexistence drsquoun Dieu qursquoil soit

parfait ou non (mecircme srsquoil est neacutecessairement parfait pour Platon du fait de sa nature) En

effet Platon critique les poegravetes qui attribuent aux dieux des qualiteacutes qui ne sont pas les leurs

et qui sont mecircme contradictoires avec leur nature propre De quoi soutenir lrsquoideacutee que cet

extrait nrsquoest pas tireacute de la Reacutepublique II sans quoi cela signifierait qursquoAristote a attribueacute au

monde sensible crsquoest-agrave-dire au ciel un passage qui chez Platon ne traite pas drsquoun sensible

27 Ibid p58 28 PLATON La Reacutepublique 2002

48

mais bel et bien drsquoun dieu parfait et immateacuteriel La diffeacuterence drsquoobjet entre le DC et la

Reacutepublique II nous pousse agrave penser qursquoil serait eacutetrange de reprendre le mecircme argument agrave un

moment pareil

Si Simplicius nrsquoa pas trouveacute cet argument dans la Reacutepublique II et qursquoil ne vient pas

du DC lui-mecircme alors cela signifie qursquoil vient de la troisiegraveme source dont disposait

Simplicius le De Philosophia ou plutocirct du commentaire drsquoAlexandre qui lui le posseacutedait

Crsquoest pourquoi la comparaison qui a eacuteteacute effectueacutee plus haut nous permettait drsquoaffirmer qursquoil

ne srsquoagit pas drsquoune paraphrase du DP dans le DC mais plutocirct drsquoune citation Mais cela ne

prouve pas qursquoil existe une discontinuiteacute de lrsquoobjet et de lrsquoargumentation dans ce passage du

De Caelo Nous lrsquoavons dit le deacutebut du passage 279a18 affirme assez clairement que les

ecirctres qui se trouvent au-delagrave de la translation la plus exteacuterieure sont sans corps sans lieu et

sans temps En mecircme temps apregraves une analogie entre la dureacutee et le ciel nous en arrivons agrave

lire un texte qui porte sur la perfection du corps ceacuteleste ce qui a priori semble eacutetonnant dans

la mesure ougrave le τἀκεῖ se situe en dehors du ciel et que le corps ceacuteleste est le ciel lui-mecircme

Ces diffeacuterents passages nous plongent dans lrsquoincompreacutehension et savoir qursquoil srsquoagit drsquoune

citation du DP nrsquoaide pas agrave comprendre pourquoi ce changement de sujet Crsquoest pourquoi

Dumoulin formule une hypothegravese agrave ce sujet

Nrsquooublions pas que Simplicius est le chef de file de ceux qui entendent du PremierMoteur Immobile tout le texte de De Caelo I 9 279a11-b3 On peut donc soupccedilonner cequi srsquoest passeacute Simplicius trouvait dans sa source deux passages du De Philosophia Lepremier eacutetablissait lrsquoexistence de la diviniteacute suprecircme immateacuterielle et le second eacutetablissaitle caractegravere divin du monde stellaire il a soudeacute ces deux textes qui dans sa penseacutee

concernaient lrsquoun et lrsquoautre le Premier Moteur29

Simplicius en commentant Aristote avance une preuve de lrsquoexistence de Dieu en

affirmant que lagrave ougrave il y a un ecirctre meilleur il y a forcement un ecirctre excellent dans la mesure ougrave

il y a une hieacuterarchie entre les ecirctres30 Il voit en cet argument le moyen de justifier que le τἀκεῖ

fait reacutefeacuterence au premier moteur Mais cet argument ne vient absolument pas du De Caelo lui-

mecircme il est un ajout au texte du DC et est tireacute du DP par Simplicius Il aurait donc servi agrave

justifier lrsquoexistence drsquoun ecirctre immateacuteriel et absolument parfait La suite du texte portant sur le

ciel aurait alors eacuteteacute compris comme suivant cette thegravese drsquoun ecirctre parfait et immateacuteriel ce qui

29 Dumoulin opcit p 6030 Simplicius (2892)

49

aurait pousseacute Simplicius agrave croire en lrsquoideacutee drsquoune reacutefeacuterence au Premier Moteur Immobile tout

en refusant lrsquoideacutee drsquoune ceacutesure dans lrsquoargumentation puisqursquoil affirmait que la totaliteacute du texte

portait sur un seul et mecircme objet le premier moteur

Au vu de cet argument nous pouvons comprendre pourquoi Dumoulin deacutefend lrsquoideacutee

qursquoil srsquoagit drsquoune reacutefeacuterence agrave des ecirctres qui se trouvent au-delagrave du ciel En effet il admet une

discontinuiteacute drsquoobjet dans le passage du De Caelo ducirc agrave lrsquoajout drsquoarguments tireacutes du DP pour

forcer le lien Toutefois cette discontinuiteacute est plus complexe qursquoelle en a lrsquoair dans la mesure

ougrave Dumoulin nrsquoaffirme pas ouvertement ndash et en ces termes ndash qursquoil y en a une En fait il est

drsquoavis de dire qursquoil y a une discontinuiteacute dans le degreacute de diviniteacute dont il est question si

Aristote fait lrsquoeacuteloge du mouvement ceacuteleste apregraves avoir affirmeacute que les ecirctres au-delagrave du ciel

sont immateacuteriels et ne subissent aucun changement crsquoest dans le but de manifester la

perfection (encore plus haute que celle du ciel) des ecirctres de lagrave-bas

312 La continuiteacute du sujet en faveur des reacutealiteacutes ceacutelestes

Mais nous lrsquoavons dit il existe de maniegravere geacuteneacuterale deux eacutecoles pour lrsquointerpreacutetation

du τἀκεῖ La premiegravere deacutefend lrsquoideacutee qursquoil srsquoagit lagrave drsquoune reacutefeacuterence agrave des ecirctres transcendant le

ciel la seconde deacutefend lrsquoideacutee qursquoil est question des ecirctres ceacutelestes Nous avons alors vu que

Dumoulin deacutefend la theacuteorie selon laquelle il existe un changement de sujet dans

lrsquoargumentation du De Caelo I 9 Cela lui permet de deacutefendre lrsquoideacutee qursquoil srsquoagit drsquoune

reacutefeacuterence agrave un ou des ecirctres transcendants Il srsquoagit donc maintenant de montrer comment

certains auteurs et plus particuliegraverement Moraux deacutefendent lrsquoideacutee contraire Comment srsquoy

prend Moraux pour deacutefendre la theacuteorie drsquoune reacutefeacuterence astrale en critiquant lrsquoideacutee que la

position contraire a des conseacutequences tregraves dures sur lrsquoargumentation du texte

Avant de nous inteacuteresser agrave la critique que Moraux formule envers ceux qui deacutefendent

lrsquoideacutee drsquoune reacutefeacuterence agrave des ecirctres transcendants nous allons nous inteacuteresser agrave la faccedilon dont le

texte a eacuteteacute traduit par Moraux et qui rend compte de la maniegravere dont il lrsquointerpregravete31

Il nrsquoest point de changement pour aucun des ecirctres disposeacutes sur la translation la plusexteacuterieurehellip

31 Aristote Du ciel1965 p37 Il srsquoagit de la traduction de Moraux et nous nous inteacuteressons plus particuliegraverement agrave lrsquointroduction de cette œuvre par ce dernier

50

Nous pouvons la distinguer de la traduction de Dalimier et Pellegrin En effet si le grec ὑπέρ

est traduit par ces derniers par laquo au-dessus de raquo Moraux lui le traduit par laquo sur raquo Il affirme

alors ici que le texte fait reacutefeacuterence agrave quelque chose qui se situe sur la translation la plus

exteacuterieure et non au-delagrave ce qui change radicalement la vision que nous avons du texte Nous

affirmions plus haut par le biais de Dumoulin qursquoil existait un changement de sujet dans le

passage 279a18-b3 En effet au deacutebut ce dont il est question dans le texte est des ecirctres qui se

trouvent laquo au-dessus de la translation la plus exteacuterieure raquo et agrave la fin il porte sur lrsquoeacuteterniteacute du

mouvement circulaire Mais si nous traduisons la preacuteposition ὑπέρ par laquo sur raquo plutocirct que laquo au-

dessus raquo alors il nrsquoy a plus drsquoideacutee de discontinuiteacute et le passage du deacutebut agrave la fin porte sur

des ecirctres ceacutelestes Toutefois Fabienne Baghdassarian souligne qursquoil est le seul agrave traduire le

texte ainsi et que mecircme Alexandre qui deacutefendait lrsquoideacutee drsquoune reacutefeacuterence astrale comprend le

texte comme portant sur quelque chose qui est au-delagrave drsquoun mouvement La raison pour

laquelle Moraux traduit le texte de cette maniegravere est justifieacutee par lrsquoutilisation de ὑπέρ dans le

De Caelo en effet cette proposition ne sert pas agrave justifier ce qui se trouve au-delagrave de quelque

chose Pour manifester cette ideacutee Aristote utilise plutocirct ἔξω En mecircme temps Fabienne

Baghdassarian lui objecte la chose suivante

La preacuteposition ὑπέρ lorsqursquoelle est employeacutee avec lrsquoaccusatif deacutesigne ce qui est au-dessus de quelque chose et non pas ce qui est sur lui En outre chacune des occurrencesde cette preacuteposition dans le DC qursquoelle srsquoaccompagne de lrsquoaccusatif ou mecircme du geacutenitifsert constamment agrave deacutesigner ce qui est au-dessus drsquoun point de reacutefeacuterence Enfin crsquoesttoujours la preacuteposition ἐν et non pas ὑπέρ qui sert agrave deacutesigner les corps qui sont fixeacutes sur

lrsquoorbite 32

Nous observons alors diffeacuterents arguments ceux qui portent sur des questions de grammaire

et ceux qui portent sur des questions de terminologie Mecircme si ὑπέρ nrsquoest pas neacutecessairement

utiliseacutee pour parler de ce qui se trouve au-delagrave drsquoune chose son utilisation accompagneacutee de

lrsquoaccusatif ( φοράν) fait reacutefeacuterence agrave ce qui est au-dessus drsquoune chose et non pas agrave ce qui est

sur une chose Il srsquoagit alors drsquoun problegraveme de grammaire et de traduction Fabienne

Baghdassarian soutiendrait-elle lrsquoideacutee drsquoune erreur dans la traduction de Moraux Pour ce qui

est de la question terminologique Fabienne Baghdassarian affirme que pour deacutesigner ce qui

est sur les sphegraveres Aristote utilise la preacuteposition ἐν et non la preacuteposition ὑπέρ

32 Baghdassarian F opcit 2011 p188

51

Revenons agrave lrsquoideacutee que deacutefend Moraux Puisqursquoil traduit le passage en affirmant que le

τἀκεῖ se trouve sur la translation la plus exteacuterieure et non pas au-delagrave il affirme par

conseacutequent que le passage traite entiegraverement des ecirctres ceacutelestes et plus preacuteciseacutement de ceux

qui se trouvent sur la sphegravere des fixes Il ne rencontre donc pas le problegraveme de la discontinuiteacute

de lrsquoobjet de ce passage Il affirme cependant que De Caelo I 9 est remarquable du fait que

trois parties se distinguent

Le second panneau du diptyque relatif agrave lrsquouniciteacute du monde est tout agrave fait remarquable (chap9) Lrsquoexamen du style et du contenu philosophique permet drsquoy distinguer trois parties qui ont probablement eacuteteacute reacutedigeacutees agrave des eacutepoques diffeacuterentes Reacutefeacuterence

La premiegravere partie de cet exposeacute est assimileacutee agrave Meacutetaphysique Ζ du fait qursquoelle porte

sur la matiegravere et la forme en utilisant les mecircmes arguments et les mecircmes exemples Aristote

affiche un style tregraves rigoureux proche de celui de Meacutetaphysique Z Cela est eacutetonnant dans la

mesure ougrave la Meacutetaphysique est une œuvre qui serait relativement tardive Il suppose donc que

le passage du De Caelo I 9 qui srsquoeacutetend de 277b33 agrave 278a9 a eacuteteacute eacutecrit agrave la mecircme eacutepoque que

Meacutetaphysique Z

Quant agrave la deuxiegraveme partie qui srsquoeacutetendrait de 278b10 agrave 279a18 elle serait plus propre

au style qursquoarbore Aristote dans le De Caelo dans la mesure ougrave les arguments utiliseacutes seraient

ceux qui portent sur les milieux naturels et servirait agrave conclure lrsquoargumentation geacuteneacuterale du

chapitre

La suite de 279a18 agrave 279b3 qui est la partie dans laquelle apparaicirct le τἀκεῖ serait

alors pour Moraux une sorte drsquoenvoleacutee lyrique quasiment poeacutetique qui serait le propre des

dialogues aristoteacuteliciens Ce passage serait alors exclu de lrsquoargumentation et nrsquoapporterait

donc rien agrave celle-ci Toutefois comme le fait Dumoulin nous lrsquoavons vu Moraux semble

enteacuteriner lrsquoideacutee majoritairement valideacutee selon laquelle ce passage serait un extrait du De

Philosophia bien qursquoil nrsquoaffirme pas comme Dumoulin que le texte soit une reacutefeacuterence agrave des

ecirctres se situant au-delagrave du ciel Moraux affirme que cet extrait a eacuteteacute ajouteacute agrave ce passage pour

adoucir un exposeacute complexe sur la matiegravere et la forme Mais si tous les interpregravetes ou

presque admettent que ce passage soit issu du DP ils ne lrsquointerpregravetent pas tous de la mecircme

maniegravere

52

Les uns pensent qursquoAristote y ceacutelegravebre la sphegravere des fixes qursquoil tenait alors pour le dieusuprecircme Drsquoautres preacutetendent au contraire qursquoil parle drsquoentiteacutes divines transcendantes aumonde peut-ecirctre identiques aux fameuses laquo intelligences raquo des sphegraveres Pour deacutefendreleur exeacutegegravese ces derniers sont contraints drsquoadmettre la preacutesence drsquoune anacolutheextrecircmement dure et certains drsquoentre eux vont mecircme jusqursquoagrave modifier le textetraditionnel mais le souci drsquoeacuteleacutegance stylistique qui se manifeste dans tout le passagerend bien improbable lrsquohypothegravese drsquoune pareille neacutegligence 33

Moraux rappelle briegravevement les deux interpreacutetations qui srsquoopposent agrave la suite de quoi

il critique celle qui soutient que le passage fait reacutefeacuterence agrave des ecirctres transcendants Il fait

reposer sa critique sur deux arguments ceux qui soutiennent que ce passage porte sur des

ecirctres transcendants sont contraints de modifier le texte original dans lrsquointeacuterecirct de leur theacuteorie

Moraux fait ici reacutefeacuterence agrave Simplicius qui dans son commentaire remplace κινεῖται (en

279b1) par κινεῖ afin drsquoaccorder aux τἀκεῖ la puissance de mouvoir le ciel de maniegravere

circulaire en raison de lrsquoeacuteleacutement qui les compose lrsquoeacutether Mais le texte traditionnel ne fait pas

mention drsquoune quelconque fonction motrice du τἀκεῖ crsquoest pourquoi Moraux nrsquoaccepte pas

cette correction Son second argument repose sur le style de ce passage Celui-ci est fort

poeacutetique eacutevoquant les dialogues aristoteacuteliciens et tregraves travailleacute il semble donc improbable

qursquoAristote ait pu changer de sujet en plein milieu de son discours En effet pour ceux qui

affirment qursquoil y a lagrave une reacutefeacuterence agrave des ecirctres divins transcendant le ciel il faut admettre qursquoil

y a une veacuteritable discontinuiteacute de lrsquoobjet du texte voire une ceacutesure totale Mais le travail

fourni pour produire un texte styliseacute comme celui-ci nous permet de douter qursquoAristote ait eacuteteacute

si neacutegligeant sur lrsquoobjet de ce passage

Tels sont les arguments en faveur de la reacutefeacuterence ceacuteleste que Moraux deacutefend

eacutegalement et qui repose sur lrsquoideacutee qursquoil nrsquoexiste pas de changement de sujet dans ce passage

portant du deacutebut agrave la fin sur les ecirctres qui se trouvent sur la translation la plus exteacuterieure

Ces auteurs sont en deacutebat direct sur la question de lrsquointerpreacutetation de ce passage de

plus leurs arguments reposent sur le mecircme thegraveme qui est celui de la continuiteacute ou la

discontinuiteacute de lrsquoargumentation du De Caelo I 9 Il srsquoagira alors drsquoaborder un autre point

theacutematique en opposant les interpregravetes qui font reposer leurs argumentations sur la question

du lieu dans la philosophie aristoteacutelicienne

33 Moraux opcit 1965 pLXXV

53

32 Le lieu des corps ceacutelestes lrsquoabsence de lieu du τἀκεῖ

321 Lrsquoabsence de lieu en faveur de la reacutefeacuterence ceacuteleste

Le De Caelo I 9 porte tout entier sur la question de lrsquouniciteacute du ciel Nous lrsquoavons

expliqueacute plus haut lorsqursquoune substance formelle est meacutelangeacutee agrave la matiegravere il peut exister

une infiniteacute drsquoecirctres avec une mecircme forme speacutecifique dans la mesure ougrave ce qui est mateacuteriel

peut exister en nombre tregraves grand sinon infini Mais il nrsquoen est pas ainsi pour le ciel puisqursquoil

contient lrsquoensemble de toute la matiegravere et que rien ne peut venir agrave ecirctre en dehors de lui

Aristote aboutit agrave la conclusion selon laquelle il nrsquoy a pas de corps en dehors du ciel donc pas

de temps pas de lieu et pas de vide non plus Nous allons deacutesormais nous inteacuteresser agrave la

question du lieu puisque celui-ci pourrait nous donner une piste de reacuteflexion concernant

lrsquoidentiteacute des ecirctres de lagrave-bas et est un argument que lrsquoon retrouve souvent en faveur ndash ou en

deacutefaveur ndash de la reacutefeacuterence ceacuteleste Lrsquoargument qursquoil srsquoagira de restituer sera celui de Mugnier

au sein drsquoun deacutebat qui porte sur le lieu drsquoune part et drsquoautre part sur le rapport entre la

cosmologie platonicienne et la cosmologie aristoteacutelicienne dans lrsquointeacuterecirct de faire une sorte de

cartographie du problegraveme du De Caelo I 9

Lrsquoœuvre de Mugnier porte sur lrsquoeacutevolution de la penseacutee drsquoAristote Dans un passage

portant sur la jeunesse platonisante drsquoAristote apregraves avoir repeacutereacute des similitudes mais aussi

des diffeacuterentes entre les doctrines platoniciennes et les doctrines aristoteacuteliciennes Mugnier

affirme la chose suivante

Mais si Aristote semble mettre de cocircteacute le Deacutemiurge il ne renonce pas agravelrsquoIntelligence gouvernant le monde et nous lrsquoavons vu il prouve son existence agrave lrsquoaidedrsquoarguments emprunteacutes aux Lois Cette Intelligence ou Dieu qui deviendra plus tard lePremier Moteur immobile est-elle consideacutereacutee par Aristote comme lrsquoacircme du monde Ilest vraisemblable de le penser quoique nous soyons sur ce point reacuteduits aux conjecturesEt maintenant cette Intelligence est-elle devenue un Premier Moteur seacutepareacute du monde ettranscendant ou au contraire immanente agrave lrsquoUnivers En drsquoautres termes Aristote srsquoest-il prononceacute pour un theacuteisme ou pour un immanentisme Crsquoest agrave cette question que nousallons nous forcer de reacutepondre en examinant les principes et les thegraveses du Philosophe34

Nous comprenons immeacutediatement le rapport entre la cosmologie platonicienne que

nous avons deacutecouverte via le Timeacutee et la cosmologie aristoteacutelicienne En effet certains

fondements de la theacuteorie cosmologique aristoteacutelicienne viennent de celle de Platon bien que

34 Mugnier La Theacuteorie du premier moteur et lrsquoeacutevolution de la penseacutee aristoteacutelicienne 1930 p15

54

dans son platonisme Aristote se soit distingueacute de son maicirctre Aristote refusait lrsquoideacutee drsquoun

Deacutemiurge qui dans le Timeacutee est le creacuteateur du monde et drsquoIdeacutees seacutepareacutees qui servent

drsquoexemples agrave la conception du monde Mais il ne refuse pas lrsquoideacutee de lrsquoIntelligence dans les

Lois de Platon qui gouverne le monde et le dirige vers la feacuteliciteacute ou son contraire35 La

question qui se pose alors est celle de savoir si cette Intelligence est divine et transcendante au

ciel ou si elle est immanente au Premier Ciel Que signifie cet immanentisme Crsquoest lrsquoideacutee

selon laquelle le Premier Moteur immobile ou lrsquoIntelligence est lrsquoacircme du Premier Ciel et

celui-ci est son corps de sorte que le Premier Moteur ou lrsquoIntelligence serait de la mecircme

maniegravere que lrsquoacircme humaine est dans le corps humain dans quelque chose le premier ciel

crsquoest-agrave-dire la sphegravere des fixes Reacutepondre agrave la question de la transcendance ou de

lrsquoimmanence permettrait donc de comprendre ce qursquoentend Aristote par laquo takei raquo dans le De

Caelo I 9 et de comprendre les arguments de Mugnier en faveur de telle ideacutee ou telle autre

Pour reacutepondre agrave ce problegraveme Mugnier se reacutefegravere agrave Physique VIII 6 Si lrsquoimmanentisme

suggegravere lrsquoideacutee drsquoune analogie entre lrsquoacircme humainele corps humain et le Premier Moteurle

Premier ciel peut-on comparer lrsquoacircme humaine au Premier Moteur En drsquoautres termes le

Premier Moteur est-il mucirc par accident comme lrsquoest lrsquoacircme humaine Mais que signifie laquo ecirctre

mucirc par accident raquo Telles sont les questions que se pose Mugnier Dans le traiteacute De lrsquoAcircme36

Aristote affirme que lrsquoacircme humaine eacutetait immobile par essence mais en mouvement par

accident du fait de son lien avec le corps Puisque le corps se deacuteplace lrsquoacircme qui est dans le

corps est deacuteplaceacutee et est donc en mouvement par le corps et non par elle-mecircme crsquoest en ce

sens que lrsquoon dit qursquoelle est mue par accident Mugnier se demande alors ce qursquoil en est du

Premier moteur acircme du Premier ciel Srsquoil met en mouvement le Premier ciel est-il mucirc

eacutegalement par accident Comment ne pourrait-il pas ecirctre emporteacute par le mouvement de son

corps Mugnier tente de reacutepondre agrave ces questions dans le but de montrer que le Premier

Moteur ne peut pas ecirctre emporteacute par le mouvement de son corps le Premier Ciel dans la

mesure ougrave celui-ci nrsquoa pas de changement local eacutetant donneacute qursquoil nrsquoest pas dans un lieu

Le souci que pose la theacuteorie du mouvement par accident de lrsquoacircme du Premier Ciel est

que quelque chose de mucirc par accident ne saurait donner agrave une autre chose un mouvement

Pour comprendre cette ideacutee il faut comprendre quel est le mouvement de lrsquoacircme humaine pour

Mugnier si elle est transporteacutee quelque part par accident elle cherchera agrave rejoindre son

milieu naturel et imposera donc un mouvement au corps qursquoelle habite pour le faire se

mouvoir vers un milieu particulier qui est le sien Mais ce mouvement lagrave nrsquoest pas eacuteternel

35 PLATON Lois 2003 897a Traduction par A Diegraves36 ARISTOTE De lrsquoAcircme 2005 406b25 Traduction par P Thillet

55

puisqursquoil se termine une fois le lieu atteint Pour qursquoil y ait un mouvement eacuteternel il faut donc

une acircme motrice qui soit toujours elle-mecircme et dans son propre lieu sinon elle imposera un

mouvement agrave son corps qui ne durera que le temps de retourner dans le lieu qui lui est propre

Aristote affirme lui-mecircme lrsquoimmobiliteacute du Premier Moteur

Drsquoapregraves cela on pourra se convaincre que si quelque chose fait partie des moteursimmobiles mais eux-mecircmes mus par accident il est impossible qursquoil meuve drsquounmouvement continu De sorte que srsquoil est neacutecessaire que le mouvement existecontinucircment il faut qursquoil existe un premier moteur non mucirc mecircme par accident37

Le Premier Moteur est donc neacutecessairement immobile sinon il ne pourrait pas ecirctre la

cause drsquoun mouvement eacuteternel Il srsquoagit alors de se demander comment il est possible que le

Premier Moteur acircme du Premier Ciel ne soit pas ecirctre mucirc par accident La condition

neacutecessaire au mouvement accidentel du Premier Moteur est que le Premier Ciel soit mucirc Or il

nrsquoexiste rien en dehors du ciel pas mecircme un lieu comme nous lrsquoavons vu dans la partie 0

Mais tout ce qui est en mouvement lrsquoest neacutecessairement dans un lieu pour Aristote crsquoest

pourquoi il nrsquoest pas rationnel de parler de mouvement pour un corps qui nrsquoest pas dans un

lieu La question agrave laquelle nous arrivons est celle de savoir si nous pouvons parler de

deacuteplacement pour le Premier Ciel Se demander si le Premier Ciel se deacuteplace revient donc agrave se

demander si le Premier Ciel est dans un lieu (ἐν τόπῳ)

Nous avons vu dans le De Caelo I 9 que le lieu eacutetait lrsquoendroit ou il eacutetait possible qursquoil

existe quelque chose ce qui nrsquoest pas le cas pour lrsquoexteacuterieur du ciel De plus le lieu est la

limite du corps englobant38 mais il nrsquoy a rien en dehors du ciel donc rien pour lrsquoenglober

Mugnier arrive assez rapidement agrave la conclusion qursquoil nrsquoexiste pas de lieu en dehors du ciel et

surtout que la sphegravere des fixes nrsquoest dans aucun lieu La question du lieu est primordiale dans

lrsquoideacutee du mouvement puisque lrsquoon juge qursquoune chose est en mouvement par rapport agrave un lieu

selon Aristote nous jugeons qursquoune chose se deacuteplace en la regardant par rapport agrave un autre

point de repegravere qui se trouve agrave lrsquoexteacuterieur de ce qui est en deacuteplacement Une chose peut aussi

ecirctre dite dans un lieu lorsqursquoelle est entoureacutee drsquoautres corps En cela nous pouvons dire que le

Premier Ciel nrsquoest pas dans un lieu mais les astres qui srsquoy trouvent sont dans un lieu formeacute

par les autres astres qui les entourent Mugnier donne alors lrsquoexemple suivant

37 ARISTOTE Physique VIII 6 259b20-26 Traduction par Pellegrin 38 ARISTOTE Physique IV 4 211b13

56

Voici une boule qui roule sur la terre elle se deacuteplace crsquoest-agrave-dire qursquoelle occupesuccessivement diffeacuterents lieux Et si nous pouvons dire qursquoelle est animeacutee drsquounmouvement de transport crsquoest parce qursquoil nous est loisible de choisir en dehors drsquoelle uncorps un point de repegravere crsquoest-agrave-dire quelque chose par rapport agrave quoi elle se deacuteplace

Le lieu se dessine en quelque sorte par ce qui lrsquoentoure Si on imagine cette mecircme

boule mais eacutetant entoureacutee par rien on ne peut pas dire qursquoelle est dans un lieu par contre on

peut dire drsquoelle qursquoelle constitue tout lrsquoespace dans la mesure ougrave elle est la seule chose qui

soit Mais du fait qursquoelle nrsquoest pas dans un lieu puisque rien ne lrsquoentoure elle ne peut se

deacuteplacer par rapport agrave rien ni par rapport agrave elle-mecircme Parce que cette boule serait tout ce

qursquoil y a elle ne peut pas se deacuteplacer en masse dans rien crsquoest-agrave-dire dans ou vers aucun lieu

et par rapport agrave rien Donc un corps qui nrsquoest enveloppeacute par rien nrsquoest pas dans un lieu et un

corps qui nrsquoest pas dans un lieu ne peut pas se deacuteplacer Tout cela nous ramegravene alors agrave la

question de savoir srsquoil existe quelque chose en dehors du Premier Ciel

Dans le De Caelo I 9 Aristote affirme qursquoil nrsquoexiste aucun corps en dehors du ciel

car si un corps existait lagrave-bas il serait soit simple soit composeacute Mais en vertu de la theacuteorie

aristoteacutelicienne des lieux et du mouvement il ne pourrait pas y avoir de corps simple en

dehors du ciel puisque le milieu naturel des corps simples se trouve dans le ciel Et aucun des

corps simples ne pourrait srsquoy trouver de maniegravere contre nature dans la mesure ougrave cela

signifierait que ce serait le lieu naturel drsquoun autre corps mais cela est impossible Il nrsquoy a pas

non plus de corps composeacutes en dehors du ciel car la preacutesence drsquoun corps composeacute impose la

preacutesence drsquoun corps simple et il ne peut pas y avoir de corps simples en dehors du ciel Mais

puisqursquoil nrsquoy a pas de corps il nrsquoy a pas de lieu nous dit Aristote car le lieu est ce en quoi il

peut y avoir un corps Il nrsquoy a pas non plus de temps car le temps est le nombre du

mouvement or le mouvement est une proprieacuteteacute des corps et il nrsquoy a pas de corps en dehors du

ciel donc pas de mouvement En vertu de toutes ces choses que nous avions vues mais que

nous avons rappeleacutees briegravevement Mugnier conclut deux choses il nrsquoexiste ni corps ni

temps ni lieu en dehors du ciel drsquoune part et il est eacutetrange de parler du Premier Ciel comme

un corps qui se deacuteplace puisqursquoil nrsquoest dans aucun lieu La conseacutequence de cela est simple et

reacutepond clairement agrave la question de deacutepart qui eacutetait celle de savoir comment le Premier Moteur

ne pouvait pas ecirctre mucirc par accident par le mouvement du Premier Ciel Puisque le Premier

Ciel nrsquoest pas dans un lieu il est absurde de parler de mouvement Ainsi nous pouvons

affirmer que le Premier Ciel ne se deacuteplace pas et donc ne peut pas entraicircner son acircme crsquoest-agrave-

dire le Premier Moteur dans un mouvement accidentel

57

Mais selon Mugnier Aristote affirme qursquoil existe un mouvement propre au Premier

Ciel il nrsquoest pas parfaitement immobile En effet la circonfeacuterence derniegravere du ciel se meut de

maniegravere circulaire mais nous avons dit que le Premier Ciel ne se deacuteplaccedilait pas ce qui semble

agrave premiegravere vue contradictoire En fait le ciel tourne sur lui-mecircme mais ne se deacuteplace pas vers

un autre endroit Il ne change pas de laquo place raquo On notera la difficulteacute de deacutecrire un

mouvement sans faire reacutefeacuterence agrave un lieu dans la mesure ougrave il nrsquoy a aucun lieu dans lequel se

trouve le ciel

Et le seul fait que la derniegravere sphegravere nrsquoest enveloppeacutee par aucun corps et qursquoil nrsquoy a paspar suite drsquoespace en dehors drsquoelle explique pour le dire en passant un passage fortobscur du De Caelo ougrave Aristote parle de choses qui sont situeacutees au-dessus de lrsquoextrecircmereacutevolution des astres [hellip] Mais que sont-elles Ougrave se trouvent-elles Des reacuteponsesdiffeacuterentes ont eacuteteacute donneacutees39

Mugnier en vient agrave traiter de la question du τἀκεῖ au sein drsquoune reacuteflexion sur le

mouvement du Premier Ciel ou plutocirct sur la possibiliteacute du mouvement du Premier Ciel en

raison de la preacutesence ou non drsquoun lieu dans lequel il serait englobeacute Aristote a montreacute qursquoil nrsquoy

avait pas de corps pas de lieu et pas de temps en dehors du ciel Cependant Mugnier note

qursquoAristote emploie un vocabulaire spatial pour deacutecrire les ecirctres qui se situent au-dessus de la

translation la plus exteacuterieure en effet Aristote les deacutecrit comme les ecirctres de laquo lagrave-bas raquo

(τἀκεῖ) ce qui semble directement renvoyer agrave un lieu et nrsquoa de sens que si le τἀκεῖ se trouve

dans un lieu Mais dans la mesure ougrave il nrsquoexiste pas de lieu en dehors du ciel Mugnier en

conclut que le τἀκεῖ fait reacutefeacuterence agrave quelque chose qui se situe dans le ciel et non agrave lrsquoexteacuterieur

de celui-ci Car seul ce qui est dans un lieu peut ecirctre deacutesigneacute comme eacutetant laquo lagrave-bas raquo crsquoest-agrave-

dire dans un lieu Nous pouvons de maniegravere plus preacutecise conclure de lrsquoargumentation

geacuteneacuterale de Mugnier qursquoil ne pense pas que le τἀκεῖ puisse faire reacutefeacuterence agrave la sphegravere des

fixes dans sa totaliteacute dans la mesure ougrave le tout qursquoelle est nrsquoest pas dans un lieu En revanche

ses parties crsquoest-agrave-dire les astres qui srsquoy trouvent sont dans un lieu les unes par rapport aux

autres et sont englobeacutees par la sphegravere des fixes Le τἀκεῖ semblerait alors pouvoir ecirctre une

reacutefeacuterence aux astres divins qui sont sur la sphegravere la plus eacuteloigneacutee du centre et non agrave la sphegravere

des fixes dans sa totaliteacute et encore moins un ecirctre qui lui serait transcendant Il srsquoagit alors

drsquoune conception meacutetaphorique du lieu utiliseacutee par Aristote puisque le terme laquo lieu raquo ne

renvoie pas reacuteellement agrave un lieu dans le cas preacutesent Toutefois Mugnier ne rend pas compte

de lrsquoutilisation du terme huper puisqursquoil nrsquoaffirme pas que cette expression renvoie a un au-

39 Mugnier opcit 1930 p77

58

dessus meacutetaphorique eacutegalement crsquoest-agrave-dire un au-dessus qui ne serait pas veacuteritablement hors

du ciel

322 Lrsquoabsence de lieu comme caracteacuteristique drsquoun ecirctre transcendant le ciel

Solmsen40 affirme sur la question du lieu comme justification de la transcendance ou

de lrsquoimmanence du τἀκεῖ que le τἀκεῖ est une reacutefeacuterence agrave un ecirctre transcendant du fait que

lrsquoabsence de lieu devient une caracteacuteristique de ce qui nrsquoa pas de lieu Mais comment en

arrive t-il agrave deacutefendre cette thegravese sans tomber dans le problegraveme de la description drsquoun ecirctre sans

lieu qui serait pourtant lagrave-bas crsquoest-agrave-dire quelque part Pour comprendre ce problegraveme

Solmsen se tourne vers la cosmologie platonicienne dans la mesure ougrave il traite explicitement

dans le Phegravedre drsquoun au-delagrave du ciel Mais quel est le rapport entre Platon et Aristote sur cette

question Solmsen srsquoexprime sur le τἀκεῖ dans un contexte historique Il cherche en quelque

sorte le fondement philosophique de la conception de lrsquoau-delagrave du ciel Crsquoest pourquoi

Solmsen en vient agrave parler de Platon qui affirme la chose suivante

Chaque fois qursquoils se rendent agrave un festin crsquoest-agrave-dire agrave un banquet ils se mettent agrave montervers la voucircte qui constitue la limite inteacuterieure du ciel [hellip] Crsquoest lagrave sache-le bien quelrsquoeacutepreuve et le combat suprecircmes attendent lrsquoacircme En effet lorsqursquoelles ont atteint la voucirctedu ciel ces acircmes qursquoon dit immortelles passent agrave lrsquoexteacuterieur srsquoeacutetablissent sur le dos duciel se laissent emporter par leur reacutevolution circulaire et contemplent les reacutealiteacutes qui se

trouvent hors du ciel41

Platon dans le Phegravedre affirme donc qursquoil existe quelque chose en dehors du ciel les

reacutealiteacutes Ces choses reacuteelles sont une reacutefeacuterence directe aux Formes intelligibles et seacutepareacutees

Toutefois nous pouvons noter que ce passage revecirct lrsquoapparence du mythe poeacutetique et non pas

drsquoune argumentation philosophique ce qui nous amegravene agrave nous poser la question de la veacuteriteacute

du propos tenu par Platon Celui-ci dans la continuiteacute de cet extrait affirme prononcer la

veacuteriteacute au sujet de lrsquounique chose qui soit veacuteritablement les Formes Nous savons par la

lecture de la Reacutepublique par exemple que les concepts de veacuteriteacute et de mythe chez Platon

sont geacuteneacuteralement opposeacutes pourquoi utilise-t-il alors un mythe pour parler drsquoune chose qui

soit lrsquoune des veacuteriteacutes Il semblerait pour Solmsen que cette question se soit eacutegalement poseacutee

40 Solmsen laquo Beyond the Heavens raquo197641 Phegravedre 2004 247c3 Traduction par L Brisson

59

au sein de lrsquoAcadeacutemie durant cette eacutepoque et nombreux eacutelegraveves ont eacuteteacute drsquoavis que cette notion

drsquoau-delagrave du ciel nrsquoeacutetait pas agrave prendre au seacuterieux du fait que Platon utilisait un mythe pour

srsquoy reacutefeacuterer Toutefois Platon dans ce mecircme passage fait la promesse de dire la veacuteriteacute au sujet

de la veacuteriteacute Le mythe devient alors le moyen le plus approprieacute de parler de ce qui se trouve

hors du ciel

Ce lieu qui se trouve au-dessus du ciel aucun poegravete parmi ceux drsquoici-bas nrsquoa encore chanteacute drsquohymne en son honneur et aucun ne chantera en son honneur un hymne qui en soit digne Or voici ce qui en est car srsquoil se preacutesente une occasion ougrave lrsquoon doive dire la veacuteriteacute crsquoest bien lorsqursquoon parle de la veacuteriteacute42

On note cependant quAristote eacutelegraveve de Platon dans sa jeunesse et malgreacute le fait que

lrsquoau-delagrave du ciel nrsquoait pas eacuteteacute pris pour un veacuteritable sujet drsquoeacutetude agrave lrsquoAcadeacutemie en vient agrave

parler de lrsquoexteacuterieur du ciel Pouvons-nous donc voir agrave travers le Phegravedre lrsquoorigine de certains

passages obscurs drsquoAristote concernant ce mysteacuterieux lieu qui se trouve au-delagrave du ciel

Dans le Phegravedre Platon place les Formes dans un lieu qui serait agrave lrsquoexteacuterieur du ciel

Solmsen note que de nombreux interpregravetes tel que Hackforth affirment que ce nrsquoest pas la

premiegravere fois que Platon attribue un lieu aux Formes intelligibles en effet dans le Timeacutee43 il

en est question eacutegalement Mais Solmsen refuse cette interpreacutetation des textes de Platon en

affirmant qursquoil nrsquoest pas convainquant que Platon fasse reacutefeacuterence agrave un lieu lorsqursquoil parle des

Formes car le lieu est en rapport avec les corps mateacuteriels et les Formes en plus drsquoecirctre

intelligibles sont seacutepareacutees de la matiegravere Il y a certes une laquo ascension raquo de lrsquoacircme qui se dirige

vers une connaissance accessible seulement par lrsquointellect mais ce nrsquoest pas parce qursquoil y a

une ascension au-delagrave du ciel que cet au-delagrave du ciel est lieacute agrave un corps mateacuteriel En effet pour

les Formes il srsquoagit de ce que Platon nomme un νοητὸς τόπος et celui-ci nrsquoest absolument

pas lieacute agrave la matiegravere Crsquoest pourquoi parler de laquo lieu raquo nrsquoest pas veacuteritablement contradictoire

pour parler drsquoun lieu sans matiegravere si lrsquoon preacutecise de quel type de lieu on parle crsquoest-agrave-dire un

lieu intelligible De plus dans le Timeacutee Platon affirme que tous les corps sensibles sont dans

lrsquoespace et dans un lieu Mais de cela nous ne pouvons affirmer que ce qui est propre et

neacutecessaire au corps sensible le soit aussi pour les ecirctres intelligibles et seacutepareacutes de la matiegravere

Dire qursquoaucun corps sensible ne peut ecirctre en dehors drsquoun lieu nrsquoimplique pas que les Formes

platoniciennes doivent ecirctre dans un lieu dans la mesure ougrave elles nrsquoentrent pas dans le domaine

du mateacuteriel et donc dans ses lois Il rejette alors toutes ideacutees drsquoassociation de lieu physique agrave

42 Ibid 247c 43 Timeacutee opcit 30c

60

la forme car cela est incompatible avec sa nature Le problegraveme est que le langage est fait de

telle maniegravere que Platon est limiteacute et ne peut pas deacutesigner ce qui se trouve dans un lieu

intelligible et sans matiegravere autrement que par des mots qui deacutesignent des lieux physiques

Crsquoest pourquoi il se doit drsquoutiliser le mythe Gracircce agrave lrsquoutilisation drsquoun pareil outil nous

pouvons dire qursquoil srsquoagit drsquoun lieu au sens alleacutegorique voire meacutetaphorique Cet outil lui

permet donc deux choses faire les louanges agrave la hauteur (ou plutocirct au plus proche) de la

beauteacute des Formes de maniegravere la plus approprieacutee possible pour ce qui est le plus parfait et

deacutesigner des lieux avec ses outils langagiers qui ne font pas reacutefeacuterence agrave des lieux tels que

nous les connaissons

Mais quel est le rapport avec Aristote Nous lrsquoavons dit Solmsen cherche lrsquoorigine de

certaines theacuteories aristoteacuteliciennes et il srsquoavegravere que certaines theacuteories lui ont eacuteteacute transmises agrave

lrsquoAcadeacutemie via les textes de Platon Mais comment expliquer que lrsquoon retrouve certaines

occurrences dans la philosophie aristoteacutelicienne et platonicienne alors mecircme qursquoil y a

diffeacuterentes opinions parfois opposeacutees sur un mecircme sujet chez Platon En effet srsquoil est

question dans le Phegravedre drsquoun au-delagrave du ciel ou se trouveraient les Formes dans le Timeacutee

Platon affirme qursquoil existe rien qui ne soit pas dans un lieu dans le monde Il faut donc lire les

passages suivants de la Physique44 drsquoAristote en se souvenant de celui du Phegravedre que nous

avons citeacute plus haut dans lrsquointeacuterecirct de comprendre pourquoi Aristote affirmait certaines choses

de la philosophie platonicienne plutocirct que drsquoautres

Le premier passage porte sur le lieu Aristote expose deux points de vue du lieu Dans

un premier temps Aristote affirme que le lieu est la matiegravere puisqursquoil nrsquoest pas simplement la

peacuteripheacuterie de ce qui est enveloppeacute mais aussi lrsquointervalle entre la limite qursquoil est et lrsquoobjet

dont il est le lieu Dans un second temps le lieu est lui-mecircme englobeacute car sa surface deacutelimite

le lieu occupeacute en ce sens le lieu est compris comme une matiegravere Quant au second passage il

porte sur lrsquoinfini Il distingue deux conceptions de lrsquoinfini les pythagoriciens pensent que

lrsquoinfini est propre agrave ce qui se situe hors du ciel alors que Platon affirme dans le Timeacutee qursquoil

nrsquoy a rien en dehors du ciel pas mecircme les Formes puisque celles-ci ne sont pas quelque part

Pourquoi Aristote affirmait que le lieu eacutetait ce que nous venons de deacutecrire et affirmait que

Platon refusait drsquoassocier lrsquoau-delagrave du ciel aux Formes alors mecircme que dans le Phegravedre il les

situe dans cet au-delagrave Solmsen formule trois hypothegraveses pour reacutepondre agrave ce problegraveme

44 Physique IV 2 209b11-16 et Physique III 4 203a1

61

1) Aristotle may not have read the mythical section of the laquo Phaedrus raquo Despite thereference to this section in Rhetoric III 7 1408b20 where it serves as an example ofpoetic style45

Mais cette hypothegraveses proposeacutee par Solmsen est directement critiqueacutee par lui En effet

cette theacuteorie selon laquelle Aristote nrsquoavait pas lu ce passage du Phegravedre bien qursquoelle ne soit

pas impossible est peu probable dans la mesure ougrave drsquoune part il y a une reacutefeacuterence agrave cette

œuvre dans la Rheacutetorique drsquoAristote et drsquoautre part il y a un trop gros rapprochement entre le

systegraveme rheacutetorique qursquoemploie Aristote dans son œuvre et celui qursquoemploie Platon pour parler

de ce qui est au-delagrave du ciel De plus cette theacuteorie supposerait que lrsquoon accepte qursquoAristote

avait la meacutemoire courte et qursquoil avait totalement oublieacute un passage entier du mythe du Phegravedre

2) Aristotle may have known but discounted the ὑπερουράνιος τόπος because for him asfor modern interpreters of the lsquoPhaedrusrsquo its presence in a myth ndash and in a myth whichunlike the myth of the lsquoTimaeusrsquo did not embody a cosmology ndash deprived the idea ofphilosophical significance46

Cette hypothegravese formuleacutee par Solmsen serait qursquoAristote avait lu cette œuvre mais

reacuteduit lrsquoimportance de lrsquoau-delagrave du ciel dans la mesure ougrave ce lieu apparaissait dans un mythe

Solmsen affirme que si cette hypothegravese est la vraie cela signifie qursquoAristote a volontairement

occulteacute la promesse de Platon de dire la veacuteriteacute concernant les Formes Une autre raison plus

leacutegitime serait de penser que le Timeacutee a eacuteteacute eacutecrit apregraves le Phegravedre et qursquoAristote le sachant

aurait consideacutereacute le Timeacutee comme une correction de certaines theacuteories platoniciennes passeacutees

De cette maniegravere le discours sur la localisation des Formes platoniciennes serait nul et non

avenu

3) At the time when Aristotle put down the passages in Physics III and IV he could notknow the lsquoPhaedrusrsquo because it had not yet been written or if written not yet beenpublished47

Quant agrave cette troisiegraveme hypothegravese elle repose sur la question de la date et lrsquoordre de

publication des dialogues platoniciens Le problegraveme est que nous nrsquoavons pas de sources

45 Solmsen opcit 1976 p2846 Ibid p2847 Ibid p28

62

suffisantes pour asseoir cette theacuteorie De plus dans lrsquohistoire de lrsquoeacutetude des dialogues

platoniciens le Phegravedre est celui qui a le plus de fois changeacute de place sur la liste chronologique

des dialogues platoniciens crsquoest dire agrave quel point nous nrsquoavons pas de connaissances certaines

et veacuteritables agrave ce sujet

La seconde hypothegravese selon Solmsen a plus de chance de seacuteduire les interpregravetes

classiques Mais avant de srsquoexprimer sur la question Solmsen nous renvoie au texte

drsquoAristote tireacute du De Caelo I 9 279a18-23 Solmsen affirme que en vertu des positions

philosophiques drsquoAristote il ne peut pas faire reacutefeacuterence aux Formes platoniciennes qui pour

lui nrsquoexistent pas Crsquoest pourquoi la seule possibiliteacute quant agrave la reacutefeacuterence de ce qui se trouve

lagrave-bas est pour Solmsen les diviniteacutes Il semble alors qursquoil y ait une intersection entre la

theacuteorie platonicienne eacutenonceacutee dans le Phegravedre et la theacuteorie aristoteacutelicienne du De Caelo dans la

mesure ougrave Platon affirme que les diviniteacutes passent au-delagrave de la derniegravere extreacutemiteacute pour

contempler les Formes Cela signifie qursquoil nrsquoy a pas que des Formes au-delagrave du ciel mais

eacutegalement des diviniteacutes Beaucoup drsquointerpregravetes ont eacuteteacute tenteacutes de comprendre ce texte comme

eacutetant une reacutefeacuterence aux premiers moteurs immobiles Toutefois Solmsen soutient qursquoil ne

peut srsquoagir de diviniteacutes ayant une fonction motrice dans la mesure ougrave Aristote affirme agrave la fin

de ce chapitre qursquoil nrsquoy a rien de plus fort que le corps qui a un mouvement circulaire et que

rien ne peut le deacuteplacer Les diviniteacutes nrsquoont donc pas agrave avoir une fonction motrice car le

mouvement circulaire srsquoexplique par la nature mecircme du cinquiegraveme eacuteleacutement qursquoest lrsquoeacutether

Solmsen affirme que crsquoest un passage choquant car on a le sentiment qursquoAristote est sur le

point drsquoaboutir agrave lrsquoideacutee qursquoil nrsquoy a rien en dehors du ciel en raison du fait que tout est compris

dans le ciel Il souligne que pour Platon crsquoest une theacuteorie theacuteologique alors que pour Aristote

crsquoest une theacuteorie scientifique (due agrave sa theacuteorie des corps des milieux et des mouvements)

Mais les lois physiques ne srsquoeacutetendent pas agrave ce qui est incorporel Les dieux sont au-dessus des

lois physiques et aucun argument utiliseacute dans le DC ne refuserait aux dieux une place au-

dessus du ciel Tels sont les arguments de Solmsen en faveur de la nature transcendante du

takei Mais quel est le rapport avec les 3 hypothegraveses preacutesenteacutees plus haut Elle rend

impossible et peu probable la premiegravere selon laquelle Aristote nrsquoavait pas lu cette partie du

Phegravedre et la derniegravere selon laquelle le Phegravedre nrsquoavait pas eacuteteacute eacutecrit en vertu du fait qursquoil

semble y avoir une intersection entre Aristote et Platon qui srsquoexplique par une lecture du

Phegravedre par Aristote La deuxiegraveme explication semble donc plus pertinente Aristote pouvait

consideacuterer le Timeacutee comme une base pour les hypothegraveses suggeacuterant un laquo lieu raquo pour les

formes (car tout est dans un lieu pour Platon dans le Timeacutee) mais il est possible qursquoAristote

63

ait associeacute ses diviniteacutes agrave cet au-delagrave du ciel qui nrsquoest pas un lieu Bien sucircr Aristote a revisiteacute

cette conception de lrsquoau- delagrave du ciel en supprimant les formes platoniciennes qui sont

regardeacutees par les diviniteacutes Il y a une diffeacuterence entre le laquo lieu raquo meacutetaphorique au-delagrave du ciel

de Platon et celui drsquoAristote Nous avons vu qursquoen dehors du ciel il nrsquoy avait rien et que le

τἀκεῖ nrsquoeacutetait dans aucun lieu Donc philosophiquement on peut penser a une reacutealiteacute eacuteternelle

et immateacuterielle qui se trouve au-delagrave du ciel

Le geste de Platon et Aristote nrsquoest pas le mecircme affirme Solmsen Platon dans le

mythe du Phegravedre prend les formes impassibles et inalteacuterables au-dessus du ciel pour acquises

dans la mesure ougrave lrsquoexistence de ces formes a eacuteteacute eacutetablis dans drsquoautres dialogues Il attribue

simplement la veacuteriteacute agrave ce lieu en le deacutesignant comme la laquo plaine de la veacuteriteacute raquo alors

quAristote en deacutecouvrant gracircce agrave sa theacuteorie des milieux un laquo environnement raquo qui exclut le

lieu le vide la matiegravere et le temps utilise cet environnement pour deacutefinir la nature de ses

diviniteacutes parce qursquoelles nrsquoont pas de corps pas de temps et pas de lieu elles sont

inchangeables et eacuteternelles Nous avons alors une conception du divin qui coiumlncide avec celle

de la Meacutetaphysique et de la Physique bien qursquoil ne soit pas question drsquoune diviniteacute motrice

Nous pouvons alors faire un lien pertinent entre la philosophie platonicienne et la philosophie

aristoteacutelicienne tout en les faisant cohabiter sans se contredire Le geste de Solmsen permet

alors de faire pencher la balance et drsquoajouter un argument en plus agrave la position de la reacutefeacuterence

transcendante concernant le τἀκεῖ

33 Deacutepassement des deux alternatives traditionnelles de lrsquointerpreacutetation du takei

331 Lrsquoeacutether hypercosmique de Peacutepin

Mais les deux interpreacutetation du problegraveme du takei ne font pas totalement lrsquounanimiteacute

Parmi ceux qui pensent en dehors de ce cadre nous trouvons Peacutepin qui a deacuteveloppeacute une

theacuteorie fort originale selon laquelle le takei est une reacutefeacuterence agrave lrsquoeacutether hypercosmique Il

srsquoagira alors de voir quels sont les arguments par rapport agrave ceux que nous avons vu qui

permettent de deacutefendre cette thegravese

Lrsquoarticle de Fabienne Baghdassarian48 nous propose un exposeacute inteacuteressant des

diffeacuterentes thegraveses portant sur lrsquoidentiteacute des ecirctres de lagrave-bas Parmi ces nombreuses thegraveses il y

48 Baghdassarian 2011

64

en a une qui est volontairement mise de cocircteacute et briegravevement introduite dans une note de bas de

page celle de Peacutepin

Nous ne dirons rien de lrsquohypothegravese de Peacutepin 1964 p 161-170 qui soutient que la diviniteacuteen question est lrsquoeacutether hypercosmique Peu drsquoeacuteleacutements en effet sont en faveur de cettethegravese et ce tout particuliegraverement dans le DC J Peacutepin lui-mecircme ne reconnaicirct-il pas qursquoilnrsquoest qursquoun seul texte dans ce traiteacute en faveur de son hypothegravese 49

Ce qui est fort inteacuteressant dans la thegravese de Peacutepin est son originaliteacute En effet si nous

avons vu agrave travers lrsquoarticle de Fabienne Baghdassarian jusqursquoagrave preacutesent que lrsquointerpreacutetation

du τἀκεῖ eacutetait bien souvent binaire et penchait soit en faveur de la transcendance

geacuteneacuteralement associeacutee au Premier Moteur Immobile soit en faveur de la reacutefeacuterence ceacuteleste et

plus particuliegraverement agrave la sphegravere des fixes lrsquointerpreacutetation de Peacutepin est tout autre Il ne srsquoagit

pas pour lui de deacutefendre lrsquoune ou lrsquoautre de ces ideacutees bien au contraire il en expose une toute

nouvelle apregraves avoir argumenteacute en deacutefaveur des theacuteories issues de la tradition de Simplicius

et drsquoAlexandre Selon lui le τἀκεῖ serait une reacutefeacuterence agrave lrsquoeacutether hypercosmique La question

que nous devons nous poser est la suivante comment Peacutepin en arrive agrave cette thegravese nouvelle

Dans un premier temps Peacutepin rappelle une chose importante que Fabienne

Baghdassarian rappelle eacutegalement

Certains passages du De Caelo drsquoAristote donnent agrave entendre que la diviniteacute serait au-delagrave de lrsquounivers[hellip] Il srsquoagit essentiellement de I 9 279a11-b350

A la lecture de cette premiegravere phrase nous sommes en droit de nous poser la question

que Fabienne Baghdassarian posait dans son article il existe fort peu de textes drsquoAristote au

sujet de reacutealiteacutes transcendantes agrave lrsquoordre ceacuteleste et De Caelo I 9 serait-il lrsquoun de ceux-lagrave

Peacutepin en semble convaincu dans la mesure ougrave il dit qursquoAristote affirme lrsquoexistence drsquoecirctres qui

se situent au-delagrave du mouvement de translation le plus exteacuterieur A ce propos Peacutepin ne

manque pas de citer directement le texte drsquoAristote La situation de ces ecirctres de lagrave-bas est

donc telle qursquoils eacutechappent au temps et au lieu partie A Cette absence de lieu et de temps

implique que ces ecirctres soient inalteacuterables et impassibles selon Aristote De plus de ces ecirctres

deacutependent lrsquoecirctre et la vie crsquoest ce que nous avons vu dans la partie B Finalement rien nrsquoest

49 Baghdassarian 2011 p 20150 Peacutepin Theacuteologie cosmique et Theacuteologie chreacutetienne1964 p161

65

plus parfait que ces ecirctres donc rien ne peut les mouvoir Peacutepin affirme alors qursquoils ont un

mouvement de translation par eux-mecircmes et non par une chose exteacuterieure Peacutepin ne semble

pas faire grand cas du problegraveme de la continuiteacute de lrsquoobjet du texte dans la mesure ougrave il

applique ce qui semblait ecirctre un eacuteloge du corps qui se meut de maniegravere circulaire au τἀκεῖ

Pouvons-nous mettre en cause ce premier geste de lrsquointerpregravete dans la mesure ougrave Aristote

affirme qursquoil nrsquoy a laquo aucun changement pour les ecirctres qui sont disposeacutes au-dessus de la

translation la plus exteacuterieure raquo Quoiqursquoil en soit la perfection qursquoAristote accorde agrave ces

ecirctres semble sans preacuteceacutedent et autorise donc Peacutepin agrave voir en la figure du τἀκεῖ une diviniteacute Il

affirme que les proprieacuteteacutes ndash impassible autarcique immuable ndash qui servent agrave le deacutecrire sont

les mecircmes que celles utiliseacutees pour deacutecrire le divin dans la Meacutetaphysique Λ51 et qursquoen plus de

cela Aristote utilise souvent le terme theios52 pour deacutesigner le τἀκεῖ Montrer que le τἀκεῖ est

drsquoordre divin permettra agrave Peacutepin de deacutefendre sa theacuteorie de lrsquoeacutether hypercosmique mais nous y

reviendrons plus tard

Avant drsquoexposer sa theacuteorie Peacutepin srsquoattaque directement aux deux grandes

interpreacutetations qui dominent celle de Simplicius (suivie par les interpregravetes modernes que

nous avons vus) et celle drsquoAlexandre (qui est eacutegalement deacutefendue par drsquoautres interpregravetes vus

preacuteceacutedemment)

Il note un lien entre la description qursquoen fait Aristote dans le De Caelo I 9 lorsqursquoil

affirme qursquoils sont immuables impassibles et qursquoils jouissent de la plus autarcique des vies

pour toute sa dureacutee et la Meacutetaphysique Λ lorsqursquoil deacutecrit en ces termes le Premier Moteur

Immobile Simplicius voyait dans le τἀκεῖ une reacutefeacuterence au Premier Moteur Immobile agrave tel

point qursquoil a modifieacute le texte original comme le disait Moraux pour faire correspondre la

theacuteorie du Premier Moteur Immobile au τἀκεῖ En effet Simplicius remplace κινεῖται par κινεῖ

dans lrsquointeacuterecirct de donner une fonction motrice au τἀκεῖ comme le Premier Moteur Immobile a

une fonction motrice puisqursquoelle est ce qui met le Premier Ciel en mouvement Fabienne

Baghdassarian tout comme Moraux nrsquoacceptent pas cette modification Moraux affirme

qursquoelle nrsquoest pas envisageable dans la mesure ougrave le texte original ne fait pas mention drsquoune

fonction motrice du τἀκεῖ Quant agrave Fabienne Baghdassarian remarque en se tournant vers la

traduction que si lrsquoon accepte la correction de Simplicius le texte drsquoAristote signifierait que

le τἀκεῖ met en mouvement le Premier Ciel en vertu du fait que lrsquoeacutether se deacuteplace de maniegravere

circulaire ce qui nrsquoest pas coheacuterent avec lrsquoensemble du texte selon elle puisque lrsquoexplication

51 Meacutetaphysique Λ 652 Ibid

66

du mouvement circulaire ducirc agrave la nature de lrsquoeacutether nrsquoa rien agrave voir avec la puissance motrice du

Premier Moteur De nombreux arguments permettent donc de deacutecreacutedibiliser la correction de

Simplicius et ruinent lrsquoideacutee drsquoune reacutefeacuterence au Premier Moteur Immobile du fait de lrsquoabsence

explicite de fonction motrice du τἀκεῖ

Apregraves avoir critiqueacute la theacuteorie de Simplicius Peacutepin srsquoattaque agrave celle drsquoAlexandre

drsquoAphrodise Ce dernier deacutefendait lrsquoideacutee selon laquelle le τἀκεῖ eacutetait une reacutefeacuterence agrave la sphegravere

des fixes En effet il semblerait que la sphegravere des fixes respecte le fait de nrsquoecirctre dans aucun

lieu et aucun temps car rien ne lrsquoenveloppe En effet il nrsquoy a de temps et de lieu que pour ce

qui est enveloppeacute par un corps Alexandre se reacutefegravere alors agrave la Physique IV 553 dans lequel

Aristote affirme que la sphegravere des fixes puisqursquoelle nrsquoest dans aucun lieu est transcendante

au lieu et constitue le lieu du corps dans la continuiteacute de la sphegravere des fixes et dans lequel se

trouvent certaines planegravetes ainsi que le Soleil et la Lune (consideacutereacute comme des planegravetes car

ayant un mouvement irreacutegulier) Alexandre identifie donc le τἀκεῖ comme quelque chose se

trouvant au-dessus drsquoun mouvement crsquoest pourquoi il pense agrave la sphegravere des fixes elle nrsquoest

pas dans un lieu pas dans le temps et elle se trouve au dessus du mouvement rectiligne le plus

haut Cependant Peacutepin ne considegravere pas cette theacuteorie comme acceptable dans la mesure ougrave

Aristote affirme que le τἀκεῖ se situe au-dessus du mouvement de translation le plus exteacuterieur

Le mouvement de translation est le mouvement circulaire et le plus haut et exteacuterieur des

mouvements circulaires est celui de la sphegravere des fixes Le texte mecircme permet alors de

combattre la theacuteorie drsquoAlexandre car le τἀκεῖ se trouve au dessus de la sphegravere des fixes et si

la sphegravere des fixes eacutetait effectivement le τἀκεῖ comment pourrait-elle ecirctre au dessus drsquoelle-

mecircme Cette remarque de Simplicius est reprise par Peacutepin

Il srsquoavegravere que Peacutepin ne croit ni en lrsquohypothegravese de la reacutefeacuterence au Premier Moteur

Immobile ni en celle drsquoune reacutefeacuterence agrave la sphegravere des fixes Crsquoest pourquoi il se tourne vers les

teacutemoignages de doxographies de lrsquoAntiquiteacute et plus preacuteciseacutement celle de Arius Didyme dans

laquelle est attribueacutee agrave Aristote la theacuteorie drsquoun dieu supeacuterieur agrave lrsquoensemble des sphegraveres

ceacutelestes qursquoil enveloppe et tient ensemble un dieu immuable impassible bienheureux et qui

communique son mouvement circulaire agrave lrsquoensemble de lrsquounivers Cette description fait

directement eacutecho au De Caelo I 3 et agrave la conception de lrsquoeacutether Peacutepin pose alors la question

de savoir si la reacutefeacuterence agrave lrsquoeacutether est plus satisfaisante que la reacutefeacuterence agrave la sphegravere des fixes ou

au Premier Moteur Immobile De plus lrsquoeacutether est-il susceptible drsquoeacuteviter les objections

53 Physique IV 5 212b8-20

67

auxquelles se heurte la sphegravere des fixes A savoir que la sphegravere des fixes ne peut pas ecirctre en

dehors de la sphegravere des fixes puisque le τἀκεῖ est dit se situer au dessus du mouvement de

translation le plus exteacuterieur En drsquoautres termes lrsquoeacutether peut-il ecirctre au dessus du mouvement

circulaire de la sphegravere des fixes Peacutepin concegravede lrsquoideacutee que lrsquoeacutether bien qursquoil entre aussi en la

composition des astres concerne en prioriteacute la constitution de la sphegravere des fixes Toutefois

Peacutepin objecte agrave sa propre thegravese que bien que cela soit affirmeacute dans le De Caelo I 3 dans le

passage du De Caelo qui nous inteacuteresse Aristote ne donne aucune autre information agrave ce

sujet

Pour eacutetayer son hypothegravese Peacutepin srsquoappuie sur la Reacutefutation de toutes les heacutereacutesies dans

lequel Hippolyte affirme que lrsquounivers aristoteacutelicien peut se deacutecomposer en trois parties

Le monde selon Aristote est diviseacute en un grand nombre de parties diffeacuterentes Cettepartie-ci du monde qui srsquoeacutetend depuis la terre jusqursquoagrave la lune est sans providence sansdirection et nrsquoobeacuteit qursquoagrave sa propre nature Dans celle qui est apregraves la lune jusqursquoagrave lasurface du ciel regravegnent lrsquoordre la providence et une sage direction Quant agrave cette surface(du ciel) elle est une cinquiegraveme substance eacutetrangegravere agrave tous les eacuteleacutements physiques dontle monde est composeacute et cette cinquiegraveme substance drsquoapregraves Aristote est une sorte desubstance supeacuterieure au monde54

La premiegravere est la partie sublunaire la seconde la partie supralunaire et la troisiegraveme la partie

qui est la surface du ciel eacutetranger agrave tous les eacuteleacutements du monde car constitueacutee par le

cinquiegraveme eacuteleacutement lrsquoeacutether Peacutepin critique les arguments de la theacuteorie drsquoHippolyte en

affirmant qursquoAristote nrsquoa pas retireacute lrsquoeacutether mecircme srsquoil a dit que lrsquoeacutether concernait

principalement la sphegravere des fixes de la constitution du ciel et des astres Il retient toutefois

une notion introduite par Hippolyte pour expliquer la preacutesence du cinquiegraveme eacuteleacutement au-delagrave

de la sphegravere des fixes la notion de ἐπιφάνεɩɑ τοῦ οὐρɑνοῦ Cette notion est employeacutee dans la

philosophie stoiumlcienne pour deacutesigner la surface de la sphegravere unique qursquoenveloppe le ciel et sur

laquelle sont poseacutes les astres De cette maniegravere la surface dont il est question ici est la sphegravere

des fixes aristoteacutelicienne Mais Hippolyte ne se contente pas drsquoidentifier la sphegravere des fixes agrave

cette notion il lrsquointroduit dans le but de deacutecrire la sphegravere des fixes comme un corps eacutepais dont

la surface inteacuterieur est dans le ciel et la surface exteacuterieure constitueacutee drsquoeacutether se trouve hors

du ciel En ce sens nous comprenons comment lrsquoeacutether peut se trouver au-delagrave de la sphegravere des

fixes tout en la constituant Ce qui regravegle la question que Peacutepin posait ci-dessus agrave savoir est-

54 Hippolyte 1928 p102 Traduction par A Siouville

68

ce que le τἀκεῖ identifieacute comme eacutetant lrsquoeacutether eacutevite les objections formuleacutees agrave la sphegravere des

fixes

De plus la doxographie drsquoArius Didyme et celle drsquoHippolyte ne sont pas les seules agrave

preacutesenter un eacutether hypercosmique dans la philosophie aristoteacutelicienne En effet Sextus

Empiricus ainsi que le teacutemoignage anonyme de la Vita Aristotelis rendent compte de la mecircme

ideacutee mais par des arguments diffeacuterents Sextus Empiricus preacutesente Aristote comme ayant une

theacuteologie mateacuterialiste crsquoest-agrave-dire qursquoil comprend que la diviniteacute ne peut pas se trouver hors

du ciel puisqursquoil nrsquoy a rien hors du ciel par conseacutequent elle doit se trouver agrave lrsquointeacuterieur de

celui-ci ce qui nous permet de penser raisonnablement que le τἀκεῖ ne fait pas reacutefeacuterence au

Premier Moteur Immobile mais bien agrave lrsquoeacutether se situant sur la surface exteacuterieure de la sphegravere

des fixes ainsi deacutesigneacute comme hypercosmique

La situation est donc la suivante plusieurs doxographies srsquoaccordent agrave rapporter agraveAristote une theacuteorie de la diviniteacute de lrsquoeacutether hypercosmique mais le seul textearistoteacutelicien apte agrave fonder ces teacutemoignages (qui en retour contribuent agrave lrsquoeacuteclairer)apparaicirct dans le De Caelo crsquoest-agrave-dire dans un traiteacute qui passe a bon droit pour veacutehiculercertaines doctrines anteacuterieures issues des eacutecrits de jeunesse55

Par conseacutequent la deacutemarche de Peacutepin est la suivante il note qursquoil existe une

litteacuterature doxographique dans laquelle il est plusieurs fois fait mention de la theacuteorie drsquoun

eacutether hypercosmique En mecircme temps les textes dans lesquels Aristote en parlait ne sont pas

en notre possession et le seul document qui semble pouvoir manifester de la veacuteraciteacute de ces

reacutefeacuterences est le De Caelo I 9 crsquoest-agrave-dire un eacutecrit connu pour avoir eacuteteacute eacutecrit relativement tocirct

par Aristote Il comprend alors le passage du De Caelo qui nous inteacuteresse au regard de ces

doxographies mais eacutegalement au regard du fragment 26 du De Philosophia qui serait

lrsquoorigine de la formulation premiegravere de la theacuteorie de lrsquoeacutether hypercosmique ou du takei

En effet parfois il attribue tout le divin agrave lrsquoesprit parfois il dit que le monde lui-mecircme estun dieu parfois il soumet le monde et ses parties agrave un autre ltdieugt chargeacute de reacutegler et depreacuteserver le mouvement du monde par un mouvement reacutetrograde puis il dit que lrsquoardeurdu ciel est un dieu ne comprenant pas que le ciel est une partie du monde qursquoailleurs il adeacutesigneacute comme un dieu Mais comment la fameuse perception divine dont est doueacute le cielpourrait-elle se conserver dans un mouvement aussi rapide Et ougrave sont les dieux bienconnus si nous comptons aussi le ciel au nombre des dieux Et quand il veut qursquoun dieunrsquoait pas de corps il le prive de toute perception sensible et mecircme de prudence Et

55 Peacutepin opcit 1964 p169

69

comment le monde pourrait-il se mouvoir alors qursquoil est priveacute de corps et comment srsquoil semeut sans cesse peut-il ecirctre calme et heureux 56

En ce sens selon Peacutepin Jaeger57 avait raison drsquoaffirmer que ce passage du De Caelo

eacutetait une reprise du De Philosophia dans la mesure ougrave le De Caelo compris comme un des

traiteacutes les plus anciens qui soit conserveacute srsquoinspire des theacuteories drsquoeacutecrits non publieacutes ou perdus

tels que le De Philosophia En effet il est question de diviniteacutes qui comme les takei sont

immaterielles De plus il eacutenonce les preacutemisses du mouvement circulaire des ecirctres divins qui

par suite sera le mouvement causeacute par lrsquoeacuteleacutement qui constitue ces ecirctres divins lrsquoeacutether

Lrsquoeacutetude du propos de Peacutepin nous a alors permis de deacuteconstruire les traditionnelles

alternatives de lrsquointerpreacutetation du τἀκεῖ qui penche soit en faveur du Premier Moteur soit en

faveur de la sphegravere des fixes Peacutepin propose une alternative qui bien qursquoelle ne soit pas

souvent accepteacutee a le meacuterite drsquoaffronter les difficulteacutes que pose la lecture de ce texte tout en

respectant le contenu textuel de celui-ci

3 3 2 La theacuteorie des Moteurs Immobiles une variante originale de la reacutefeacuterence au Premier Moteur Immobile

Merlan propose une theacuteorie de lrsquointerpreacutetation du τἀκεῖ qui fait exception agrave la logique

de lrsquointerpreacutetation binaire du τἀκεῖ eacutegalement En effet Merlan ne pense pas qursquoil srsquoagit lagrave

drsquoune reacutefeacuterence agrave la sphegravere des fixes ou au Premier Moteur Sa thegravese est que le τἀκεῖ est une

reacutefeacuterence aux moteurs immobiles Dumoulin avait formuleacute lrsquohypothegravese selon laquelle le

τἀκεῖ du fait qursquoil nrsquoavait pas de fonction motrice aveacutereacutee ne renvoyait pas neacutecessairement au

Premier Moteur Immobile Neacuteanmoins bien que Merlan ne srsquointeacuteresse pas agrave la question de

savoir si le τἀκεῖ a une fonction motrice ou pas il lie les τἀκεῖ au Premier Moteur Immobile

en vertu des qualiteacutes qui leur sont attribueacutees Les τἀκεῖ sont dit dans le DC I 9 parfaitement

immobiles crsquoest-agrave-dire immuables inalteacuterables incorruptibles jouissant du plus grand des

biens parfaitement autonomes et divins Les caracteacuteristiques du τἀκεῖ sont celles que lrsquoon

retrouve pour qualifier le Premier Moteur Immobile dans la Meacutetaphysique Λ Fabienne

Baghdassarian souligne comme nous lrsquoavons vu que notre connaissance drsquoAristote nous

pousse agrave voir la theacuteorie du Premier Moteur un peu partout dans les textes drsquoAristote Il semble

56 Aristote Œuvres complegravetes 2014 p 2846-284757 Jaeger Aristote fondements pour une histoire de son eacutevolution1997 p311

70

alors que cette interpreacutetation de la part du Dumoulin soit quelque peu hacirctive en plongeant

dans lrsquoune des alternatives traditionnelles de lrsquointerpreacutetation du τἀκεῖ

Merlan quant agrave lui a bien conscience que le τἀκεῖ ne fait pas reacutefeacuterence agrave la sphegravere

des fixes ou agrave un corps ceacuteleste

It is true not all interpreters agree that with takei Aristotle designates divinities differentfrom the celestial bodies But (a) how could celestial bodies be ever described as ouk entopo (b) How could celestial bodies be described as above the uttermost locomotion (c)The parallels between the descriptions of the Unmoved Mover in Metaphysics Λ and thetakei in On the Heavens strongly suggest that the same entities are meant in bothpassages58

Il note que tous les interpregravetes ne sont pas drsquoaccord avec lrsquoideacutee que Aristote par

lrsquoutilisation de la notion de τἀκεῖ deacutesigne autre chose que les corps ceacutelestes Il pose alors

deux problegravemes agrave la theacuteorie drsquoune reacutefeacuterence ceacuteleste dans le but de la remettre en question

comment les corps ceacutelestes pourraient ecirctre deacutecrits comme eacutetant en dehors drsquoun lieu Et

comment les corps ceacutelestes peuvent ecirctre deacutecrits comme se trouvant au dessus du mouvement

le plus haut En effet lrsquoeacuteleacutement de lrsquoeacutether qui constitue le premier et second ciel crsquoest-agrave-dire

la sphegravere des fixes et le corps qui est dans la continuiteacute de la sphegravere des fixes forment un lieu

pour les corps ceacutelestes En drsquoautres termes les corps ceacutelestes se trouvent dans le ciel et la

derniegravere limite du ciel est la sphegravere des fixes donc aucun drsquoeux ne se trouve au-dessus de la

sphegravere des fixes Cet argument est eacutenonceacute par Cherniss59 et repris par Merlan Mais pourquoi

en est-on venu a penser malgreacute le contenu du De Caelo I 9 partie A que le τἀκεῖ eacutetait une

reacutefeacuterence agrave des ecirctres ceacutelestes Merlan signale comme nous lrsquoavons vu que de nombreux

interpregravetes comprennent cette notion comme eacutetant une reacutefeacuterence aux corps ceacutelestes en raison

de la maniegravere dont est deacutecrit le Moteur Immobile dans la Meacutetaphysique Λ et dans le ciel dans

De Caelo I 9 En effet le ciel est dit immuable inengendreacute inalteacuterable eacuteternel tout comme

est caracteacuteriseacute le Moteur Immobile

Mais Merlan note le pluriel de lrsquoexpression τἀκεῖ dans De Caelo I 9 et pour deacutesigner

les moteurs immobiles (ou ce qursquoil appelle les substances eacuteternelles sans matiegraveres) dans

Meacutetaphysique Λ 660 Crsquoest pourquoi plutocirct que de favoriser lrsquohypothegravese de la reacutefeacuterence

ceacuteleste du τἀκεῖ Merlan favorise celle drsquoune reacutefeacuterence aux moteurs immobiles En ce sens il

58 Merlan 1996 p1359 Cherniss 1944 p58760 Aristote Meacutetaphysique Λ 6 1071b20-23

71

se diffeacuterencie de la tradition habituelle qui voit dans le τἀκεῖ une reacutefeacuterence au Premier

Moteur Merlan nrsquoest donc ni en faveur de la position de drsquoAlexandre ni en faveur de celle de

Simplicius bien que celle-ci semble ecirctre plus proche de la sienne Il srsquoagit alors pour Merlan

dans le but de prouver que le τἀκεῖ correspond aux moteurs immobiles de prouver que la

theacuteologie drsquoAristote est polytheacuteiste et non monotheacuteiste Fabienne Baghdassarian dans son

article ne manque pas de noter que le Premier Moteur Immobile en tant qursquoil est une

substance unique en son genre ne coiumlncide pas vraiment avec le pluriel du τἀκεῖ du De Caelo

I 9 Merlan a bien conscience que le Premier Moteur Immobile en tant qursquoecirctre unique ne

peut pas rendre compte de lrsquoutilisation du pluriel pour deacutesigner ce qui se trouve au-delagrave de la

translation la plus exteacuterieure Crsquoest pourquoi il lui faut montrer que la theacuteologie

aristoteacutelicienne au grand dam des scolastiques est un polytheacuteisme et non un monotheacuteisme

Il se reacutefegravere agrave Meacutetaphysique Λ drsquoAristote et plus preacuteciseacutement au chapitre 6 dans lequel

Aristote affirme la chose suivante dans le but de montrer les raisons pour lesquelles les

scolastiques ont consideacutereacute la theacuteologie aristoteacutelicienne comme monotheacuteiste

In ch6 of Lambda Aristotle reminds us that there are three entities (or kinds of entities orrealities or substances or kinds of substance) Two of them are subject to change - therealm of perishable physical entities and the realm of imperishable physical entities iecelestial bodies But there must exist a realm of being (an entity a substance a reality)which is both imperishable and changeless How Aristotle proves this necessity doesntneed to detain us here - he in any case is satisfied that he did prove it However it isrelevant to stress that he quite particularly denies that the soul as conceived by Plato as aself-changer could be assumed to be the realm of being the existence of which he hasproved61

A la lecture du chapitre 6 ainsi que du chapitre 7 de Meacutetaphysique Λ Merlan nrsquoest pas

eacutetonneacute que les scolastiques voient Aristote comme un monotheacuteiste Il reacutesume alors briegravevement

le chapitre 7 il existe une substance eacuteternelle et immuable selon Aristote ce qui vient

appuyer lrsquoideacutee drsquoune theacuteologie monotheacuteiste Toutefois Merlan souligne que si agrave la lecture des

chapitre 6 et 7 cela semble eacutevident en reacutealiteacute crsquoest un veacuteritable problegraveme auquel les lecteurs

de la Meacutetaphysique ont affaire En effet le deacutebut du chapitre 8 de Λ pose une question de

clarteacute existe t-il une seule substance de ce type ou plusieurs Si plusieurs combien y en a-t-

il Aristote rappelle alors que le Premier Moteur Immobile qui est eacuteternel et sans

changement est le moteur drsquoun seul mouvement celui de la sphegravere des fixes ou du premier

61 Merlan opcit 1966 p3-4

72

ciel Le Premier Moteur Immobile nrsquoexplique donc pas le mouvement de tout ce qui est mucirc en

cercle drsquoun mouvement incessant notamment le mouvement circulaire des planegravetes dans la

mesure ougrave ce nrsquoest pas lui qui est agrave lrsquoorigine de leurs mouvements Aristote en conclut qursquoil

faut que chaque astre ait son moteur immobile Il se reacutefegravere alors aux theacuteories des astronomes

tel que Calippe et Eudoxe et arrive agrave la conclusion qursquoil existe cinquante-cinq sphegraveres qui

mettent en mouvement les astres Il reacutepond donc successivement aux questions suivantes y-

a-t-il une seule substance immuable et eacuteternelle ou plusieurs Et combien Merlan deacutefend la

thegravese qursquoil existe un moteur immobile pour chaque sphegravere il existerait alors cinquante-cinq

moteurs immobiles

Il semble alors qursquoAristote passe drsquoun monotheacuteisme agrave un polytheacuteisme En effet les

sphegraveres sont les moteurs du mouvement des astres elles sont donc parce qursquoelles mettent en

mouvement quelque chose de divin drsquoune nature divine agrave un plus haut degreacute Le problegraveme du

polytheacuteisme nrsquoest pas directement notre propos mais permet agrave Merlan de justifier la reacutefeacuterence

du τἀκεῖ au Moteur Immobile et non au Premier Moteur Immobile Toutefois la lecture de

Meacutetaphysique Λ 8 bien qursquoau deacutepart elle nous pousse dans la direction drsquoun polytheacuteisme

peut servir de contre-argument aux scolastiques pour prouver la supreacutematie du monotheacuteisme

En effet Aristote affirme apregraves avoir eacutevoqueacute lrsquoexistence de cinquante-cinq Moteurs

Immobiles qursquoil nrsquoy a qursquoun seul univers Supposons qursquoil y en ait plusieurs comme il y a

plusieurs individus Si tel eacutetait le cas alors chaque monde aurait un principe et chacun de ces

principes seraient de la mecircme espegravece bien que numeacuteriquement plusieurs Mais deux choses de

la mecircme espegravece ne peuvent se diffeacuterencier que par la matiegravere or le moteur immobile nrsquoa pas

de matiegravere il ne peut donc pas y en avoir plusieurs Aristote semble alors tour agrave tour changer

drsquoavis Il finit Meacutetaphysique Λ 8 par une reacutefeacuterence agrave la religion polytheacuteiste de son eacutepoque en

la critiquant sur sa dimension anthropomorphiste mais non pas sur sa theacuteorie de la pluraliteacute

des dieux

Meacutetaphysique Λ 8 semble constitueacute selon Merlan de trois sections La premiegravere et la

derniegravere deacutefendent une theacuteologie polytheacuteiste alors que la seconde deacutefend une theacuteologie

monotheacuteiste Il justifie ce changement de position par une mauvaise compreacutehension de la

seconde section En effet Aristote a montreacute qursquoil y avait cinquante-cinq moteurs immobiles

Il cherche donc a deacutefendre la theacuteorie des cinquante-cinq moteurs en prouvant qursquoil nrsquoy a

qursquoun seul monde il ne fait pas ccedila pour prouver qursquoil est impossible qursquoil y ait plus drsquoun

moteur A ce titre chaque moteur est diffeacuterent dans la mesure ougrave aucun nrsquoa de matiegravere ce qui

signifie qursquoil ne peut pas y avoir plusieurs moteurs drsquoune mecircme espegravece En outre il nrsquoexiste

73

effectivement qursquoun seul Premier Moteur Immobile mais cela nrsquoimplique pas qursquoil nrsquoexiste

pas un Second un Troisiegraveme un Quatriegravemehellip etc Moteur Immobile En drsquoautres termes il

nrsquoest pas impossible qursquoil y ait cinquante-cinq moteurs par contre il est impossible qursquoil y ait

cinquante-cinq premiers moteurs (ni mecircme deux) car ils nrsquoont pas de matiegravere donc ne

peuvent pas ecirctre un en espegravece et numeacuteriquement plusieurs Ce passage cherche donc agrave eacutetablir

lrsquouniciteacute du monde et non pas celle du dieu

Toutefois comme le dit Merlan cette justification de la continuiteacute de lrsquoopinion

drsquoAristote nrsquoest pas la seule Jaeger62 en formule une autre tregraves brillante Aristote apregraves la

mort de Platon aurait deacuteveloppeacute lrsquoideacutee drsquoun Moteur Immobile comme cause de tous les

mouvements de lrsquounivers et de cette ideacutee sont neacutes les chapitre 6 et 7 de la Meacutetaphysique Λ et

qui deacutefendent une theacuteologie monotheacuteiste Puis devenant familier avec les theacuteories drsquoEudoxe

et Calippe qui expliquent le mouvement des planegravetes par plusieurs moteurs diffeacuterents Aristote

deacutecide de modifier sa theacuteorie et ajoute agrave lrsquounique Moteur Immobile un nombre suffisant

drsquoautres Moteurs Immobiles Il reacutedige alors la section une et trois de Meacutetaphysique Λ 8 Mais

plus tard il apparaicirct des difficulteacutes au sujet de la theacuteorie de la pluraliteacute des moteurs comment

un ordre peut exister dans un monde ougrave il existe autant de moteurs immobiles Il eacutecrit alors la

section deux de Meacutetaphysique Λ 8 Apregraves la mort drsquoAristote les peacuteripateacuteticiens ont assembleacute

les eacutecrits drsquoAristote sous la forme de la Meacutetaphysique que nous connaissons Les eacutediteurs sont

alors responsables de la raison pour laquelle Aristote semble tantocirct ecirctre polytheacuteiste tantocirct

monotheacuteiste et ainsi de suite En inseacuterant le chapitre 8 entre le 7 et le 9 ils ont coupeacute

lrsquoargumentation car Jaeger propose de le retirer dans lrsquoideacutee que le chapitre 7 et 9 se suivent et

que le chapitre 8 est un tout coheacuterent avec lui-mecircme et non avec ce qui preacutecegravede et ce qui suit

Le passage du De Caelo I 9 est alors introduit dans ce deacutebat de la theacuteologie

aristoteacutelicienne polytheacuteiste ou monotheacuteiste dans le but de montrer lrsquoattitude qursquoAristote a

envers le polytheacuteisme Il suffit degraves lors de repenser la lecture du De Caelo I 9 au vu de ce que

Merlan affirmait plus haut lrsquoutilisation du pluriel montre qursquoAristote soutient lrsquoideacutee drsquoune

pluraliteacute de diviniteacutes puisque crsquoest au pluriel qursquoil fait reacutefeacuterence agrave des ecirctres se situant au-delagrave

du ciel

Puisqursquoil nrsquoeacutetait pas possible selon Merlan que le τἀκεῖ soit une reacutefeacuterence aux corps

ceacutelestes ou agrave la sphegravere des fixes et que le Premier Moteur Immobile du fait de son uniciteacute ne

respecte pas les indices textuels du De Caelo I 9 Merlan srsquoestime en droit de proposer une

interpreacutetation qui diverge des plus connues il est tout agrave fait envisageable qursquoAristote soit

polytheacuteiste et que par deacutefinition il deacutefende lrsquoideacutee drsquoune pluraliteacute de diviniteacutes De plus les

62 Jaeger 1924

74

τἀκεῖ sont qualifieacutes comme lrsquoest le Premier Moteur Immobile de sorte que lrsquoon peut eacutetablir

leur caractegravere divin sur la base de celui du Premier Moteur Outre cet argument si les corps

ceacutelestes sont deacutejagrave des ecirctres divins alors a fortiori ce qui les met en mouvement est encore

plus divin Nous pouvons alors identifier le τἀκεῖ comme eacutetant une reacutefeacuterence aux moteurs

immobiles divins et multiples

75

CONCLUSION

Nous avons tenteacute tout au long de ce meacutemoire de montrer qursquoil existait un problegraveme

drsquointerpreacutetation du De Caelo I 9 En effet ce passage tregraves obscur et tregraves riche fait appel agrave

une notion particuliegravere qui est celle du takei Cette notion semble faire reacutefeacuterence agrave une reacutealiteacute

qui se trouverait au-delagrave de la sphegravere des fixes la question que se pose Fabienne

Baghdassarian est donc de savoir si ce texte fait parti de ceux qui attestent de lrsquoexistence de

reacutealiteacutes de ce type Mais la lecture de lrsquoarticle de Fabienne Baghdassarian manifeste de

nombreux arguments qui sont soit en faveur de lrsquoideacutee que ce passage renvoie agrave des reacutealiteacutes

hypercosmiques soit en faveur de lrsquoideacutee drsquoune reacutefeacuterence ceacuteleste Ces arguments viennent

alors atteacutenuer lrsquoimpression premiegravere drsquoun texte portant sur des reacutealiteacutes qui se situeraient au-

dessus du ciel

Il srsquoagissait alors dans ce meacutemoire de montrer quels eacutetaient les arguments en faveur

de telle ou telle ideacutee et la maniegravere dont ils interagissaient entre eux afin de faire lrsquoeacutetat des

lieux drsquoun problegraveme existant depuis lrsquoAntiquiteacute et sur lequel malgreacute la preacutesence de theacuteorie

convaincante personne nrsquoarrive agrave srsquoentendre

Notre ligne directrice pour reacutepondre agrave ce problegraveme a eacuteteacute lrsquoeacutetude du De Caelo de

maniegravere geacuteneacuterale et du De Caelo I 9 de maniegravere plus preacutecise ainsi que la lecture de lrsquoarticle

de Fabienne Baghdassarian sur lrsquoidentiteacute des ecirctres de laquo lagrave-bas raquo A cela se sont ajouteacutes les

commentaires et interpreacutetations antiques puis modernes du problegraveme qui nous inteacuteressait

Comment en sommes-nous arriveacutes agrave nous poser la question de lrsquoidentiteacute du takei

Premiegraverement nous avons introduit les concepts aristoteacuteliciens ainsi que la conception du

cosmos aristoteacutelicienne Nous avons alors deacutefini quels eacutetaient les trois sens du mot ciel Selon

Aristote le ciel se dit de trois maniegraveres pour deacutesigner la substance qui se trouve sur la

circonfeacuterence la plus eacuteloigneacutee du centre Crsquoest eacutegalement le lieu du divin dans la mesure ougrave

son lieu est le plus haut Dans un second sens le ciel est la substance qui est dans la continuiteacute

de la limite la plus eacuteloigneacutee du ciel Enfin dans un troisiegraveme sens le ciel est compris comme

la totaliteacute ou le Tout enveloppeacute par la derniegravere circonfeacuterence De plus Aristote distingue deux

reacutegions dans sa conception du cosmos la reacutegion sublunaire qui se situe sous la Lune et qui

est soumis agrave la geacuteneacuteration et agrave la corruption et la reacutegion supralunaire qui se situe au-dessus

de la Lune et qui nrsquoest pas soumis agrave la geacuteneacuteration et agrave la corruption La distinction de ces deux

reacutegions du ciel permet lrsquoexplication des mouvements des corps dans chacune des reacutegions du

monde En effet dans le monde sublunaire les corps se meuvent de maniegravere rectiligne du

haut vers le bas ou du bas vers le haut en fonction de leur nature Les eacuteleacutements qui srsquoy

76

trouvent et qui composent les corps sont au nombre de quatre En revanche dans le monde

supralunaire il nrsquoexiste qursquoun seul eacuteleacutement qui constitue le ciel et ses parties Cet eacuteleacutement est

lrsquoeacutether et a un mouvement circulaire et eacuteternel du fait de sa nature Lrsquoeacutetude du mouvement

permet alors agrave Aristote de comprendre les raisons de la geacuteneacuteration et de la corruption la

corruption se produit dans les contraires ce qui signifie qursquoun corps se corrompt si et

seulement srsquoil possegravede un contraire Mais il nrsquoy a que les eacuteleacutements du monde sublunaire qui

ont un contraire selon Aristote crsquoest pourquoi lrsquoeacutether et les corps qursquoil constitue sont eacuteternels

et se meuvent drsquoun mouvement incessant

Le ciel en son troisiegraveme sens est compris comme ce qui enveloppe la totaliteacute Cela

signifie que tous les eacuteleacutements que nous avons eacutevoqueacute se trouvent dans le ciel Aristote tente

alors de prouver qursquoil nrsquoexiste qursquoun seul ciel en deacutefendant la position platonicienne du

Timeacutee En effet Platon dans le Timeacutee affirme que le monde est constitueacute de lrsquoensemble des

eacuteleacutements de sorte qursquoil ne puisse rien y avoir au-delagrave de celui-ci Aristote deacutefend la mecircme

theacuteorie en affirmant que le ciel est constitueacute de toute la matiegravere de telle sorte que rien drsquoautre

ne pourrait venir agrave ecirctre en dehors du ciel Il conclut alors il nrsquoexiste ni lieu ni vide ni temps

en dehors du ciel dans la mesure ougrave ce sont des proprieacuteteacutes des corps mateacuteriels

La question du takei srsquoest donc poseacutee dans le contexte de la preuve de lrsquouniciteacute du ciel

et de la non-existence drsquoun quelconque corps mateacuteriels en dehors de celui-ci Nous avons

alors analyseacute la fin du De Caelo I 9 Bien qursquoAristote affirme qursquoil nrsquoy a rien en dehors du

ciel il qualifie ce qui se trouve au-delagrave du ciel comme nrsquoeacutetant ni corporel ni dans un lieu et

eacutetant eacuteternel Finalement Aristote se reacutefegravere agrave des eacutecrits portant sur les ecirctres divins (theion) Le

problegraveme que nous avons donc rencontreacute eacutetait aussi celui de la correspondance entre la notion

de takei et celle de theion

Nous nous sommes alors inteacuteresseacutes aux positions de Simplicius et drsquoAlexandre

drsquoAphrodise Ces deux interpreacutetes antiques sont les ancecirctres des deux interpreacutetations que nous

avons suivre tout au long de notre propos Simplicius est le chef de file de ceux qui affirment

que le takei fait reacutefeacuterence au Premier Moteur Immobile crsquoest-agrave-dire agrave quelque chose qui se

trouve au-delagrave du ciel Quant agrave Alexandre il est le chef de file de ceux qui affirment que le

takei fait reacutefeacuterence agrave la sphegravere des fixes donc agrave quelque chose qui se trouve dans le ciel Ces

interpreacutetations sont les deux alternatives principales et traditionnelles du problegraveme du takei

Elles sont comme nous venons de le dire suivies par une longue tradition agrave laquelle les

interpregravetes modernes pour la plupart participent Donc apregraves avoir vu les interpreacutetations

possibles durant lrsquoAntiquiteacute nous nous sommes inteacuteresseacutes aux interpreacutetations modernes

77

Puisque lrsquoenjeu de notre propos eacutetait de faire lrsquoeacutetat des lieux du problegraveme du takei tout

en rendant compte des arguments en faveur de telles ou telles ideacutees nous avons proceacutedeacute de

maniegravere theacutematique en confrontant les interpregravetes Dans un premier temps nous avons

confronteacute Dumoulin et Moraux Dumoulin comprend le takei comme se reacutefeacuterant agrave quelque

chose se situant au dessus du ciel Il justifie sa thegravese en affirmant qursquoil existe une discontinuiteacute

au sein du texte drsquoAristote Aristote se reacutefeacutererait tantocirct agrave des reacutealiteacutes hypercosmiques tantocirct agrave

des reacutealiteacutes ceacutelestes en faisant lrsquoeacuteloge du mouvement circulaire des corps ceacutelestes dans le but

de montrer que ce qui est supeacuterieur au ciel est encore plus divin Moraux quant agrave lui refuse

lrsquoideacutee drsquoune discontinuiteacute dans lrsquoargumentation sous preacutetexte qursquoelle implique qursquoil faille

accepter lrsquoideacutee qursquoAristote change brusquement de sujet Il affirme alors que le texte est

continu et traite drsquoun bloc de reacutealiteacutes ceacutelestes se situant sur la sphegravere des fixes et non au-delagrave

Dans un second temps nous avons confronteacute Mugnier et Solmsen sur la question du lieu

Mugnier affirme que lrsquoabsence de lieu en dehors du ciel expliqueacutee par Aristote dans le DC

implique que les takei ne peuvent pas se trouver en dehors du ciel puisqursquoils ne seraient pas

dans un lieu alors mecircme qursquoils sont deacutesigneacutes comme eacutetant laquo lagrave-bas raquo crsquoest-agrave-dire dans un lieu

Pour Solmsen lrsquoabsence de lieu de temps et de corps sont les caracteacuteristiques essentielles de

ce que sont les takei Ces caracteacuteristiques semblent ecirctre les mecircmes que celles accordeacutees au

Premier Moteur Immobile dans la Meacutetaphysique

Finalement nous sommes sortis de cette tradition interpreacutetative en nous tournant vers

des thegraveories plus originales notamment celle de Peacutepin et de Merlan En effet Peacutepin affirme

que le takei fait reacutefeacuterence agrave lrsquoeacutether hypercosmique En effet il note qursquoil existe plusieurs

doxographies qui font lrsquoeacutetat drsquoun eacutether hypercosmique chez Aristote toutefois nous nrsquoavons

aucune trace de ces textes Il essaie alors de faire correspondre le De Caelo I 9 agrave ces

doxographies pour en faire une partie manifestant lrsquoexistence drsquoun divin existant au-delagrave du

ciel et qui serait un eacutether hypercosmique Pour Merlin le takei serait une reacutefeacuterence non pas au

Premier Moteur Immobile ou agrave la sphegravere des fixes mais aux Moteurs Immobiles En effet

Merlan soutient la theacuteorie qursquoAristote est un polytheacuteiste qui nrsquoa pas accordeacute la diviniteacute agrave un

seul ecirctre mais agrave une multitudes drsquoecirctres qui seraient agrave lrsquoorigine des mouvements des corps

ceacutelestes Il nous est alors permis par le biais de Merlan et de Peacutepin de sortir de la tradition

habituelle de lrsquointerpreacutetation du takei en proposant des lectures originales et nouvelles des

œuvres aristoteacuteliciennes

Les diverses interpreacutetations que nous avons pu rencontreacute mettent en perspective les

difficulteacutes de la compreacutehension des thegraveses aristoteacutelicienne leurs places chronologiques et

philosophiques dans la vie drsquoAristote dans la mesure ougrave elles posent la question de la

78

chronologie des œuvres aristoteacutelicienne du rapport que la philosophie aristoteacutelicienne peut

entretenir avec la philosophie platonicienne et introduisent finalement des œuvres

aristoteacuteliciennes perdues voire inconnues

79

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SOLMSEN F laquo Beyond the Heavens raquo Museum Helveticum 33 1976 p24-32

81

  • INTRODUCTION
  • Chapitre 1 Le De Caelo I 9 problegravemes lectures et analyses
    • 11 Aristote et le ciel
      • 111 Les trois sens du mot ciel
      • 112 Le corps du ciel lrsquoeacuteleacutement divin et le mouvement du corps ceacuteleste
        • 12 Platonisme et aristoteacutelisme sur lrsquouniciteacute du monde Du Timeacutee au De Caelo I 9
          • 121 Lrsquouniciteacute du monde dans le Timeacutee de Platon
            • 122 Aristote en De Caelo I 9 analyse des arguments en faveur de la pluraliteacute des cieux pour deacutefendre la theacuteorie platonicienne de lrsquouniciteacute du monde
              • 123 Aristote en De Caelo I 9 arguments aristoteacuteliciens en faveur de lrsquouniciteacute du ciel
                  • Chapitre 2 Deacutebat sur la question des ecirctres de laquo lagrave-bas raquo durant lrsquoAntiquiteacute Aristote agrave Simplicius
                    • 21 Compreacutehension antique du laquo τἀκεῖ raquo du De Caelo au commentaire de Simplicius
                    • 211 τἀκεῖ De Caelo I 9 279a15-b3
                    • 222 Le commentaire perdu drsquoAlexandre possibles reacuteponses au problegraveme du laquo τἀκεῖ raquo
                    • 213 Compreacutehension et hypothegravese de Simplicius sur les ecirctres de lagrave-bas
                      • Chapitre 3 Interpreacutetations modernes du De Caelo I 9 La question du τἀκεῖ premier moteur reacutealiteacutes hyper-cosmiques ou sphegravere des fixes reacutealiteacutes ceacutelestes
                        • 31 Le problegraveme de la continuiteacute argumentative du Livre I 9
                          • 311 La discontinuiteacute du sujet en faveur de la transcendance du τἀκεῖ
                          • 312 La continuiteacute du sujet en faveur des reacutealiteacutes ceacutelestes
                            • 32 Le lieu des corps ceacutelestes lrsquoabsence de lieu du τἀκεῖ
                              • 321 Lrsquoabsence de lieu en faveur de la reacutefeacuterence ceacuteleste
                              • 322 Lrsquoabsence de lieu comme caracteacuteristique drsquoun ecirctre transcendant le ciel
                                • 33 Deacutepassement des deux alternatives traditionnelles de lrsquointerpreacutetation du takei
                                  • 331 Lrsquoeacutether hypercosmique de Peacutepin
                                  • 3 3 2 La theacuteorie des Moteurs Immobiles une variante originale de la reacutefeacuterence au Premier Moteur Immobile
                                      • CONCLUSION
                                      • BIBLIOGRAPHIE
Page 5: Débat sur la question des êtres de là-bas de l'Antiquité à

INTRODUCTION

DEacuteBAT SUR LA QUESTION DES EcircTRES DE LA-BAS DE LrsquoANTIQUITEacute A

AUJOURDrsquoHUI

Comprendre qui sont laquo les ecirctres de lagrave-bas raquo trancher entre lrsquohypothegravese de leurtranscendance et celle de leur identiteacute astrale ce serait un peu parvenir agrave deacuteterminer si lacosmologie du DC recouvre parfaitement lrsquoensemble du reacuteel ou bien si elle laisse ouvertela possibiliteacute qursquoil existe certaines reacutealiteacutes hypercosmiques1

Lrsquoarticle de Fabienne Baghdassarian intituleacute laquo Aristote De Caelo I 9 lrsquoidentiteacute des

laquo ecirctres de lagrave-bas raquo srsquointeacuteresse agrave la notion de takei dans un passage fort obscur du De Caelo I

9 (279a18)2 Cette expression grecque takei est la contraction de ta ekei qui signifie laquo les de

lagrave-bas raquo ou encore laquo les ecirctres les choses de lagrave-bas raquo Fabienne Baghdassarian affirme qursquoil

existe peu de textes dans le corpus aristoteacutelicien agrave propos de reacutealiteacutes qui se situeraient au-delagrave

du ciel La question qui lrsquointeacuteresse deacutes lors est la suivante ce passage du De Caelo I 9 est-il

lrsquoun de ceux qui attestent lrsquoexistence de reacutealiteacutes qui transcenderaient lrsquoordre ceacuteleste Les

takei renverraient-ils agrave ces reacutealiteacutes extra-mondaines Fabienne Baghdassarian srsquoemploie alors

agrave analyser le texte et agrave examiner les diffeacuterentes positions dans lrsquointeacuterecirct de faire lrsquoeacutetat des lieux

des interpreacutetations concernant la question des ecirctres de lagrave-bas De plus elle expose en quelques

lignes lrsquoimportance du problegraveme particulier qui nous inteacuteresse agrave savoir celui de la reacutefeacuterence

aux laquo ecirctres de lagrave-bas raquo et lrsquoimportance deacutecisive qursquoil a au regard de la cosmologie du De

Caelo En effet le ciel est deacutefini de trois maniegraveres par Aristote3 et lrsquoune de ces maniegraveres est la

suivante laquo nous avons coutume drsquoappeler laquo ciel raquo la totaliteacute ou le Tout raquo Srsquoil nrsquoy a rien en

dehors du ciel cela implique dans un premier temps que le τἀκεῖ ne fait pas reacutefeacuterence agrave

quelque chose en dehors du ciel et dans un second temps que la cosmologie aristoteacutelicienne

englobe la totaliteacute du reacuteel et de ce qui existe puisque le ciel est compris comme ce qui

enveloppe la totaliteacute et que la cosmologie est lrsquoeacutetude du ciel En drsquoautres termes si le takei ne

renvoie pas agrave quelque chose de transcendant au ciel alors rien nrsquoeacutechappe agrave celui-ci et la

cosmologie aristoteacutelicienne comme eacutetude du Tout couvre lrsquoensemble du reacuteel

1 Baghdassarian F laquo De Caelo I 9 Identiteacute des ecirctres de lagrave-bas raquo 20112 Aristote De Caelo traduction de Dalimier et Pellegrin p 147-149 Sauf indication contraire nous nous

reacutefeacutererons agrave cette traduction 3 Ibid p143-145

4

Fabienne Baghdassarian manifeste son inclinaison en faveur de la theacuteorie de la

transcendance du takei Il lui semble tout naturel agrave la lecture des indices textuelles selon

lesquels les takei se trouvent au-delagrave de la translation la plus exteacuterieure de le comprendre

comme eacutetant une reacutefeacuterence agrave des ecirctres transcendant lrsquoordre cosmique Neacuteanmoins cette

impression peut ecirctre atteacutenueacutee aux regards des arguments de certains auteurs que nous verrons

tel que ceux drsquoAlexandre drsquoAphrodise de Moraux ou encore de Mugnier dans le

deacuteveloppement de notre propos Lrsquoatteacutenuation de cette premiegravere impression ndash crsquoest-agrave-dire

naturelle drsquoune reacutefeacuterence agrave un ecirctre se trouvant au-delagrave du ciel ndash permet agrave Fabienne

Baghdassarian de rendre compte drsquoun problegraveme complexe qui oppose la lettre mecircme du texte

agrave la structure argumentative du texte Crsquoest en ce sens qursquoelle affirme que lrsquoeacutetude approfondie

de ce texte met dos agrave dos le contenu du texte avec sa structure geacuteneacuterale sans reacuteussir agrave les

accorder Elle affirme que si drsquoun cocircteacute agrave la lecture de ce passage il y a une inclinaison

premiegravere et naturelle en faveur de la theacuteorie de la transcendance du takei la structure geacuteneacuterale

du texte laisse agrave penser que cette theacuteorie nrsquoest pas si eacutevidente dans la mesure ougrave il est

finalement question apregraves llsquoeacutenonceacute de lrsquoexistence drsquoecirctres se situant au-delagrave du ciel du

mouvement circulaire du corps qui se meut en cercle Ces deux objets diffeacuterents du De Caelo

I 9 nous permet de prendre conscience des deux inclinaisons interpreacutetatives possibles dans

laquelle est emporteacutee lrsquointerpreacutetation de la notion de takei En effet il existe deux lignes

interpreacutetatives qui srsquoopposent sur la question de lrsquoidentiteacute des ecirctres de lagrave-bas Drsquoun cocircteacute en

faveur de la transcendance du takei nous trouvons de nombreux auteurs tels que Simplicius

Pellegrin Solmsen ceux-ci ont tendance agrave reconnaicirctre la theacuteorie du Premier Moteur

Immobile dans ce texte Drsquoun autre coteacute en faveur de la reacutefeacuterence ceacuteleste nous trouvons

Alexandre drsquoAphrodise Moraux Mugnier Nous avons choisi de traiter des deux auteurs

antiques qui sont agrave lrsquoorigine des deux grandes interpreacutetations qui srsquoaffrontent et de quatre

auteurs drsquoaujourdrsquohui pour les opposer de maniegravere theacutematique sur les questions suivantes la

discontinuiteacute du passage et lrsquoargument du lieu Mais nous ne nous arrecircterons pas agrave ces

oppositions theacutematiques et proposerons des alternatives agrave cette logique binaire notamment

avec lrsquointerpreacutetation originale de Peacutepin et sa theacuteorie de lrsquoeacutether hypercosmique

Nous y verrons plus clair si comme Fabienne Baghdassarian nous deacutecoupons le

passage qui est lrsquoobjet de notre propos en trois parties Pour la clarteacute de notre discours nous

5

deacutecouperons ce texte de la mecircme maniegravere qursquoelle et nommerons dans lrsquoordre des paragraphes

ces quatre parties 0 A B et C

Il est en mecircme temps clair qursquoil nrsquoy a ni lieu ni vide ni temps en dehors du ciel En toutlieu en effet il est possible qursquoil existe un corps et lrsquoon dit que le vide est ce en quoi ilnrsquoy a pas de corps mais ougrave il est possible qursquoil en vienne un quant au temps crsquoest lenombre drsquoun mouvement et il nrsquoexiste pas de mouvement sans corps naturel Or on amontreacute qursquoen dehors du ciel il nrsquoy a pas et il ne peut pas y avoir de corps Il est doncmanifeste qursquoen dehors de lui il nrsquoy a ni lieu ni vide ni temps

Crsquoest pourquoi les ecirctres de lagrave-bas par nature nrsquoont ni lieu ni temps qui les fasse vieillir etil nrsquoy a pas non plus aucun changement pour les ecirctres qui sont disposeacutes au-dessus de latranslation la plus exteacuterieure inalteacuterables et impassibles ils ont la meilleure et la plusautonome des vies qursquoils megravenent pour toute sa dureacutee

Les Anciens en effet ont divinement parleacute en choisissant ce nom car le terme quienveloppe le temps de la vie de chacun hors duquel on nrsquoest rien selon la nature a eacuteteacuteappeleacute laquo dureacutee de vie raquo de chacun Et pour la mecircme raison le terme du ciel tout entier luiaussi crsquoest-agrave-dire le terme qui enveloppe le temps tout entier et lrsquoinfiniteacute est une dureacuteequi tire son appellation du fait drsquoexister toujours immortelle et divine De lagrave deacutependentpour les autres ecirctres pour les uns de maniegravere plus exacte pour les autres de maniegravere plusindistincte lrsquoecirctre et la vie

Et par exemple dans les travaux de philosophie destineacutes au grand public portant sur lesecirctres divins on deacuteclare souvent en srsquoappuyant sur des raisonnements que tout ecirctre divineacutetant premier et au-dessus des autres est neacutecessairement immuable Qursquoil en aille ainsiteacutemoigne en faveur de ce que nous avons dit En effet il nrsquoy a rien drsquoautre de plus fort quipuisse mouvoir cet ecirctre divin car cela serait plus divin que lui il nrsquoest en riendeacutefectueux et il ne manque drsquoaucun des biens qui lui appartiennent en propre4

Cette coupure du texte montre bien le problegraveme auquel fait face Fabienne

Baghdassarian dans sa lecture si la partie A qui correspond au premier paragraphe semble

naturellement porteacutee sur des ecirctres qui nrsquoont ni lieu ni temps ni corps et qui se situent au-delagrave

de la derniegravere circonfeacuterence du ciel il nrsquoen est pas de mecircme pour la partie B qui correspond

au second paragraphe et la partie C qui correspond au troisiegraveme paragraphe La partie B

introduit lrsquoeacutetymologie du mot grec aion qui se traduit par la dureacutee dans le but de montrer que

lrsquoon peut justifier lrsquoemploi du terme drsquoaion pour deacutesigner le divin Finalement la partie C

apparaicirct comme eacutetant un eacuteloge de lrsquoeacuteterniteacute et de la perfection du corps qui se meut en cercle

puisqursquoAristote affirme que rien nrsquoest plus parfait et plus puissant que lui de sorte que rien ne

peut le mettre en mouvement En drsquoautres termes le corps qui se meut en cercle nrsquoest mucirc par

4 Ibid 279a18-b3

6

rien drsquoautre que lui-mecircme Aristote dans ce texte semble tantocirct prendre pour objet des ecirctres

qui se situent au-delagrave du ciel tantocirct prendre pour objet le corps qui se meut en cercle Le

problegraveme se pose au sujet de lrsquoargumentation geacuteneacuterale en effet la partie A porte sur les takei

qui semblent se situer en dehors du ciel nous lrsquoavons vu alors que la partie C porte sur le

corps ceacuteleste qui se meut en cercle Le contenu de la partie A nrsquoest pas contredit par le

contenu de la partie C toutefois les interpregravetes ignorent si le takei en partie A fait reacutefeacuterence

au divin deacutecrit dans la partie C

Lrsquoarticle de Fabienne Baghdassarian se donne alors comme projet une eacutetude des

interpregravetes sur la question du takei et de son identiteacute Un tel deacutecoupage de texte lui permet

drsquoorganiser son propos en diffeacuterents moments Elle srsquointeacuteresse dans un premier temps agrave la

partie A en confrontant les opinions et les diverses interpreacutetations Fabienne Baghdassarian

cartographie alors le premier type de problegraveme que pose cette partie la traduction et le sens

du geste aristoteacutelicien Certains traduisent huper5 par laquo au-dessus raquo drsquoautres comme Moraux

optent pour la traduction laquo sur raquo A cette question de traduction se mecircle une question de

lexique le terme huper deacutesigne-t-il veacuteritablement ce qui est sur quelque chose Lrsquoauteur de

cet article affirme qursquoAristote est plus enclin agrave utiliser en que uper pour deacutesigner ce qui se

trouve sur la sphegravere des fixes Pour ce qui est du geste drsquoAristote il est compliqueacute de

deacuteterminer quel est lrsquoobjet de ce passage dans la mesure ougrave il attribue positivement un lieu agrave

ce qui ne peut pas en avoir en les deacuteterminant comme se trouvant laquo lagrave-bas raquo crsquoest-agrave-dire

quelque part Fabienne Baghdassarian preacutefegravere voir dans lrsquoutilisation de ces termes qui

deacutesignent un lieu la deacutesignation de ce qui ne se trouve pas dans un lieu dans le but de

souligner sa transcendance au lieu qursquoest le ciel

Dans un second temps Fabienne Baghdassarian montre que la partie B atteacutenue

grandement lrsquoimpression premiegravere drsquoune reacutefeacuterence agrave un ecirctre transcendant le ciel En effet

lrsquoeacutetymologie de lrsquoaion agrave laquelle se reacutefegravere Aristote est aei on qui signifie laquo qui est toujours raquo

Aristote compare alors la vie humaine qui a une fin qui permet de quantifier la dureacutee agrave la vie

du ciel qui lui nrsquoen a pas Ainsi Fabienne Baghdassarian note que lrsquoeacutetymologie de la dureacutee

nrsquoest pas sans rappeler celle de lrsquoeacutether dans le De Caelo I 3 Lrsquoeacutether est lrsquoeacuteleacutement du monde

supralunaire qui compose les astres et le ciel il est de nature divine et a un mouvement eacuteternel

circulaire En ce sens lrsquoeacutether tient son appellation du fait qursquoil court toujours sans srsquoarrecircter

Ce rapprochement entre lrsquoeacutetymologie de lrsquoaion et celle de lrsquoeacutether pousse alors lrsquoauteur agrave

opeacuterer une atteacutenuation dans lrsquoimpression premiegravere de sa lecture il semblerait qursquoAristote a

deacutesormais pris le ciel et les astres composeacutes drsquoeacutether pour objet

5 Ibid 279a20

7

Finalement dans la partie C il est explicitement fait mention du corps qui se meut en

cercle le ciel Ainsi Fabienne Baghdassarian se pose la question de savoir srsquoil est

envisageable qursquoAristote sans crier gare change de sujet ou srsquoil ne parlait depuis le deacutebut

que du ciel et des astres Lrsquoauteur de cet article propose alors de joindre lrsquoensemble du texte

en affirmant qursquoil est possible qursquoAristote reacutecapitule dans la partie C lrsquoensemble de son

argumentation en mettant sur le plan du divin la totaliteacute de son discours dans le sens ougrave il

hieacuterarchise les divins En ce sens la partie A deacutesignerait des reacutealiteacutes transcendantes mais

divines au mecircme titre que lrsquoest le corps qui a un mouvement de translation Pour ce qui est de

lrsquoeacutetymologie de lrsquoaion elle aurait servi agrave montrer la neacutecessiteacute que le mouvement du ciel est

eacuteternel

Cet article de Fabienne Baghdassarian sera le point de deacutepart de notre propos mais le

geste sera quelque peu diffeacuterent du sien En effet Fabienne Baghdassarian par lrsquoanalyse

geacuteneacuterale du passage du De Caelo I 9 qui nous inteacuteresse parvient agrave faire sortir les problegravemes

drsquoordre lexical grammatical deacutefinitionnel et argumentatif pour nous transmettre un panorama

assez large de ce qui gecircne la compreacutehension de la notion de takei Si drsquoune part son travail

nous permet de prendre conscience des problegravemes que pose la notion de takei sans parvenir agrave

nous fournir une reacuteponse trancheacutee de la question de son identiteacute drsquoautre part il nous permet

de prendre conscience des innombrables thegraveses et interpreacutetations possibles des diffeacuterents

traducteurs et commentateurs drsquoAristote Ce que nous ferons sera alors dans la continuiteacute de

ce travail mais plutocirct que de nous contenter de restituer les thegraveses des commentateurs et

interpregravetes nous deacutetaillerons lrsquoargumentation que tiennent ces commentateurs et interpregravetes

Nous ne chercherons pas lrsquoexhaustiviteacute des interpreacutetations en effet nous nous inteacuteresserons

aux arguments de celles que nous traiterons Notre but sera donc de comprendre le contexte

des thegraveses des interpregravetes sur la question du takei et la raison pour laquelle ils en viennent agrave

telle ou telle conclusion Il srsquoagira alors pour nous de faire lrsquoeacutetat des lieux de ce deacutebat en

restituant les problegravemes que pose le texte mecircme ainsi que les problegravemes que posent les

commentateurs et la maniegravere dont ils les traitent pour deacutefendre leurs interpreacutetations

Nous proceacutederons de maniegravere analytique historique mais aussi theacutematique Crsquoest-agrave-

dire que nous proposons drsquoorganiser notre propos en trois grands moments 1) Le De Caelo I

9 problegravemes lectures et analyses 2) Deacutebat sur la question des ecirctres de lagrave-bas durant

8

lrsquoAntiquiteacute drsquoAristote agrave Simplicius 3) Interpreacutetations modernes du De Caelo I 9 La question

du τἀκεῖ premier moteur reacutealiteacutes hyper-cosmiques ou sphegravere des fixes reacutealiteacutes ceacutelestes

Le premier moment est un moment quelque peu introductif dans la mesure ougrave il est

essentiellement constitueacute dans son ensemble drsquoune lecture du De Caelo I et de la theacuteorie du

mouvement des corps selon le milieu Cette explication est une eacutetape importante selon nous

srsquoil est question du takei dans ce chapitre crsquoest dans un certain contexte argumentatif Il nous

faut alors preacutesenter ce contexte argumentatif dans lrsquointeacuterecirct de comprendre pourquoi cette

notion est si complexe et sujette aux deacutebats Ce moment que lrsquoon juge comme eacutetant

analytique nous permettra de nous familiariser avec le lexique aristoteacutelicien et la conception

aristoteacutelicienne de lrsquounivers cela dans le but de manifester les problegravemes que pose

lrsquoapparition de lrsquoexpression takei Nous verrons alors les trois sens qursquoAristote accorde au mot

laquo ciel raquo Nous nous inteacuteresserons ensuite agrave la composition eacuteleacutementaire de ce corps que lrsquoon

appelle le laquo ciel raquo et qui par lrsquoeacuteleacutement divin qui le compose a un mouvement circulaire et

eacuteternel Il srsquoagira ensuite drsquoexpliquer lrsquoargumentation geacuteneacuterale du texte dans lequel apparaicirct la

notion de takei et qui porte sur lrsquouniciteacute de lrsquounivers Pour lrsquoexpliquer nous nous tournerons

drsquoune part vers un argument proposeacute par Platon dans le Timeacutee puis sur lrsquoutilisation

qursquoAristote en fait pour prouver lrsquoexistence drsquoun seul et unique ciel

Le second moment consistera alors en une restitution des thegraveses respectives

drsquoAlexandre drsquoAphrodise et de Simplicius sur lrsquointerpreacutetation de ce passage fort obscur du De

Caelo I 9 dans lequel surgit la notion de takei Nous avons choisi drsquoeacutetudier ces deux

commentateurs dans la mesure ougrave ils sont tous deux agrave lrsquoorigine drsquoune logique binaire de

lrsquointerpreacutetation du texte qui nous inteacuteresse En effet Simplicius est devenu le chef de file de

ceux qui comprennent lrsquoexpression takei comme eacutetant une reacutefeacuterence agrave un ecirctre transcendant le

ciel et plus preacuteciseacutement au Premier Moteur Immobile alors qursquoAlexandre drsquoAphrodise est le

chef de file de ceux qui comprennent le takei comme eacutetant ceacuteleste et plus preacuteciseacutement

comme eacutetant une reacutefeacuterence agrave la sphegravere des fixes Nous commenterons donc lineacuteairement le

passage 279a15-b3 du De Caelo pour comprendre la complexiteacute de cet extrait Ensuite nous

nous inteacuteresserons aux fondements des interpreacutetations drsquoAlexandre drsquoAphrodise et Simplicius

au sujet du takei

Enfin dans le troisiegraveme et dernier moment de notre propos nous exposerons diverses

positions sur la question en explicitant le deacutebat qui les oppose Les positions deacutefendues seront

celles de commentateurs et interpregravetes modernes En effet nous avons choisi de proceacuteder de

maniegravere historique en deacutebutant par les interpreacutetations antique du texte pour ensuite en arriver

aux interpreacutetations modernes Nous proceacutederons de maniegravere theacutematique en choisissant deux

9

angles drsquoattaques diffeacuterents Drsquoabord nous nous preacutesenterons deux interpreacutetations qui

srsquointeacuteressent agrave la continuiteacute (ou discontinuiteacute) du texte en explicitant les arguments qui

favorisent lrsquoideacutee drsquoune reacutefeacuterence agrave un ecirctre transcendant ou agrave un ecirctre ceacuteleste Ensuite nous

exposerons des interpreacutetations qui mettent lrsquoaccent sur le lieu dans la philosophie

aristoteacutelicienne via les œuvres de Mugnier et de Solmsen Enfin nous sortirons de cette

logique binaire en nous tournant vers deux interpreacutetations qui nrsquoidentifient le takei ni avec la

sphegravere des fixes ni avec le Moteur immobile Il srsquoagira des thegraveses de Peacutepin selon laquelle le

takei renvoie agrave lrsquoeacutether hypercosmique et celle de Merlan selon laquelle il est question des

Moteurs Immobiles

10

Chapitre 1 Le De Caelo I 9 problegravemes lectures etanalyses

11

11 Aristote et le ciel

111 Les trois sens du mot ciel6

Le traiteacute Du Ciel drsquoAristote est une œuvre embleacutematique du corpus aristoteacutelicien et

occupe la seconde place apregraves la Physique dans lrsquoensemble des ouvrages aristoteacuteliciens de

science physique Ce traiteacute apregraves la mort drsquoAristote a veacutehiculeacute une image particuliegravere du

cosmos qui est la sienne jusqursquoagrave lrsquoarriveacutee des nouvelles theacuteories cosmologiques et

scientifiques de la Renaissance

Une reacuteflexion est possible agrave partir mecircme du titre de cette œuvre Il est premiegraverement

important de noter que les reacutefeacuterences au De Caelo sont tregraves peu nombreuses dans le corpus

drsquoAristote mais qursquoen plus de cela il ne srsquoy reacutefegravere jamais via cette appellation Nous sommes

alors en droit de nous demander ce que signifie ce titre probablement choisi par un autre

individu qursquoAristote Il apparaicirct comme eacutevident agrave premiegravere vue que le ciel est lrsquoobjet de ce

traiteacute de physique

Nous avons donc traiteacute plus haut du premier ciel et de ses parties ainsi que des astres quisont transporteacutes agrave lrsquointeacuterieur de lui de leurs composantes et de leurs qualiteacutes naturelleset en outre de leur caractegravere ingeacuteneacuterable et incorruptible

Il est important de noter que les deux premiers livres prennent pour objet le monde

supralunaire ou encore le monde au dessus de la Lune crsquoest-agrave-dire le monde ceacuteleste et divin

Quant aux deux derniers livres ils srsquointeacuteressent plutocirct au monde sublunaire ou monde en

dessous de la Lune crsquoest-agrave-dire le monde physique qui est le nocirctre et est explicable par les

quatre eacuteleacutements naturels que sont le feu lrsquoair lrsquoeau et la terre qui le constituent

Nous pouvons alors imaginer gracircce agrave ces informations que le traiteacute Du ciel tel que

nous lrsquoavons entre les mains aujourdrsquohui est une recomposition de deux traiteacutes distincts lrsquoun

portant sur le monde supralunaire lrsquoautre portant sur le monde sublunaire Ce paragraphe

drsquointroduction permet drsquoaffirmer que les deux premiers livres sont agrave distinguer des deux

derniers Mais ce problegraveme nrsquoest pas notre prioriteacute Aussi nous nous inteacuteresserons

principalement aux deux premiers livres qui prennent le ciel pour objet Ce qursquoon appellera

comme eacutetant la laquo premiegravere partie raquo du traiteacute du Ciel sera lrsquoensemble des livres I et II et seront

ceux qui feront en partie lrsquoobjet et le fondement de notre reacuteflexion et de ce meacutemoire

6 Ibid 278b10-25

12

Toutefois nous nous devons drsquoecirctre preacutecis dans notre lecture de ce deacutebut du troisiegraveme

livre En effet il est affirmeacute ici que la premiegravere partie de lrsquoœuvre portait sur laquo le premier ciel

et ses parties raquo7 Mais qursquoest-ce que laquo le premier ciel raquo Et srsquoil y a un premier ciel y en a-t-

il un deuxiegraveme Un troisiegraveme

Pour reacutepondre agrave cette question il nous faut drsquoabord souligner la meacutethode explicative

qursquoutilise Aristote En effet Aristote accorde une importance capitale agrave la deacutefinition des

termes le philosophe est pour Aristote celui qui sait de quoi il parle et sur quel plan il se

place quand il parle Lorsqursquoil utilise un terme ambigu il se doit de lever lrsquoambiguiumlteacute qui

regravegne en deacutefinissant les termes de son propos Crsquoest ainsi que lrsquoon trouve dans le chapitre 9

du livre I une explication des sens du mot laquo ciel raquo comme moment de clarification de ce dont

on parle drsquoune part et drsquoautre part comme moment de lrsquoexplicitation de la meacutethode

aristoteacutelicienne

Disons drsquoabord ce que nous entendons par laquo ciel raquo et combien de sens nous donnons agrave cemot pour que ce que nous cherchons nous devienne plus clair En un sens on appellelaquo ciel raquo la substance de la derniegravere circonfeacuterence du Tout crsquoest-agrave-dire le corps naturel quiest sur la derniegravere circonfeacuterence du Tout Car nous avons coutume de nommer laquo ciel raquolrsquoextreacutemiteacute ndash ce qui est le plus haut ndash dans laquelle reacuteside tout ce qui est divin8

Ce qui deacutefinit le ciel en ce premier sens est ce qui est le plus haut Le cosmos

aristoteacutelicien se repreacutesente sous forme de plusieurs cercles concentriques qui repreacutesentent

drsquoune part des translations sur lesquelles sont poseacutees des astres et drsquoautre part des lieux (le

lieu du mouvement circulaire le lieu du mouvement rectiligne) et le ciel est ce qui est le plus

haut crsquoest-agrave-dire ce qui se situe sur la circonfeacuterence la plus eacuteloigneacutee du centre Aristote

deacutefend une conception geacuteo-centriste du monde il considegravere que ce qui est au centre du

monde est la Terre Donc le ciel est le corps qui est par nature le plus haut En ce sens on le

nommera le laquo premier ciel raquo Mais qursquoest-ce que ce corps Aristote le preacutesente comme eacutetant

une substance une substance est ce qui ne se dit de rien et nrsquoest dans aucun sujet9 en drsquoautres

termes une substance est un ecirctre autonome qui ne deacutepend de rien drsquoautre que de lui-mecircme

pour ecirctre Cette substance est eacutegalement nommeacutee agrave plusieurs reprises dans les œuvres

drsquoAristote sphegravere des fixes Le corps qui se trouve sur la derniegravere circonfeacuterence du Tout est

ce qui est une substance au sens le plus noble et parfait Nous pouvons alors comprendre au

7 Le premier ciel eacutetant lrsquoappellation courante de la sphegravere des fixes crsquoest-agrave-dire lrsquoextreacutemiteacute du ciel 8 ARISTOTE opcit p143-1459 ARISTOTE Les cateacutegories II 2001 Traduction par Bodeuumls

13

travers de cette premiegravere deacutefinition du ciel que la substance dont on parle est constitueacutee de

matiegravere mais pas de nrsquoimporte quelle maniegravere de la plus noble et la plus divine celle-ci

eacutetant lrsquoeacutether nous y reviendrons plus tard Ainsi le ciel en ce sens est un ecirctre corporel la

circonfeacuterence la plus eacuteloigneacutee qui englobe quelque chose drsquoautre qui est nommeacute le laquo Tout raquo

Dans un second sens et agrave la suite de cette premiegravere deacutefinition le ciel est deacutefini comme suit

En un autre sens crsquoest le corps en continuiteacute avec la derniegravere circonfeacuterence du Tout ougrave setrouvent la Lune le Soleil et certains astres car nous disons drsquoeux aussi qursquoils sont dansle ciel10

Ce nouveau sens du mot ciel nous permet de saisir une nouvelle dimension de celui-

ci en effet le ciel nrsquoest pas seulement dit de ce qui englobe quelque chose qui est le laquo Tout raquo

il est aussi dit qursquoil est le corps11 qui est dans la continuiteacute de la sphegravere des fixes crsquoest-agrave-dire

qursquoil est dans la continuiteacute de la circonfeacuterence la plus eacuteloigneacutee qui englobe le laquo Tout raquo et

qursquoon appelle eacutegalement ciel

Cela est justifiable dans la mesure ougrave comme lrsquoaffirme Aristote nous disons des astres

que sont la Lune le Soleil qursquoils sont dans le ciel or ces astres ne se trouvent pas sur la

derniegravere circonfeacuterence du Tout Le ciel ne peut donc pas ecirctre seulement le corps qui est sur

lrsquoextreacutemiteacute de la circonfeacuterence la plus eacuteloigneacutee sinon on ne pourrait pas dire que la Lune et le

Soleil (ainsi que drsquoautres astres) sont dans le ciel Dans un troisiegraveme et dernier sens toujours agrave

la suite des deux premiegraveres deacutefinitions du ciel Aristote affirme que le ciel se dit du Tout

enveloppeacute par la derniegravere circonfeacuterence

De plus en un autre sens on appelle laquo ciel raquo le corps enveloppeacute par la derniegravere circonfeacuterence car nous avons coutume drsquoappeler laquo ciel raquo la totaliteacute ou le Tout12

Cette deacutefinition fait eacutecho aux quelques lignes introductives du livre III Puisque les

deux premiers livres du traiteacute Du ciel portaient sur laquo le premier ciel et ses parties raquo alors il

est possible drsquoaffirmer que le Tout est lrsquoensemble de ce qui est enveloppeacute par la sphegravere des

10 ARISTOTE opcit p143-14511 Le corps naturel du ciel est lrsquoeacutether 12 ARISTOTE opcit p143-145

14

fixes En drsquoautres termes le Tout qursquoest le ciel est la totaliteacute du corps et de ce qui le compose

qui est enveloppeacutee par le premier ciel

112 Le corps du ciel lrsquoeacuteleacutement divin et le mouvement du corps ceacuteleste

Maintenant que nous avons vu par le biais du De Caelo I 9 les trois sens qursquoAristote

accorde au mot laquo ciel raquo nous pouvons nous inteacuteresser agrave lrsquoessence mecircme du ciel et agrave celle des

parties qui le composent En plus de chercher agrave comprendre de quoi le ciel est constitueacute nous

reviendrons sur lrsquoeacuteleacutement qursquoest lrsquoeacutether invoqueacute plus haut et sur le mouvement naturel des

corps ceacutelestes

De Caelo I 2 est une tentative argumenteacutee de montrer que le corps qui se meut en

cercle est diffeacuterent drsquoun autre type de corps le corps dont le mouvement est rectiligne

Aristote dans ce chapitre du De Caelo affirme premiegraverement que tous les corps naturels

crsquoest-agrave-dire les corps qui sont faits drsquoeacuteleacutements naturels peuvent se mouvoir selon le lieu et

que ce mouvement selon le lieu srsquoappelle le laquo transport raquo Ce transport se fait soit de maniegravere

rectiligne soit de maniegravere circulaire ou alors de ces deux faccedilons agrave la fois

Tout mouvement selon le lieu (que nous appelons transport) est soit rectiligne soit circulaire soit un meacutelange des deux Car ce sont lagrave les deux formes simples [hellip] Le transport en cercle est celui qui a lieu autour du centre le transport rectiligne celui qui a lieu vers le haut ou vers le bas

Il nrsquoexiste ainsi que deux types de mouvement simple pour les corps simples Aristote appelle

les corps simples les eacuteleacutements naturels Leurs mouvements possibles sont rectilignes ou

circulaires Le corps qui se meut en ligne est le corps simple qui a un mouvement simple soit

vers le centre13 soit agrave partir du centre14 Le corps qui se meut en cercle est le corps simple qui

a un mouvement autour du centre Mais quels sont les arguments preacutecis qui deacutefendent que le

corps mucirc en cercle est simple Et quel est donc ce corps qui se meut en cercle Telles sont

les questions auxquelles nous allons reacutepondre ici dans le but de comprendre la nature du corps

simple mucirc en cercle puis de saisir sa composition

13 Vers le bas14 Vers le haut

15

Nous lrsquoavons dit le corps simple est celui qui a un mouvement selon sa nature Le feu aura

donc un mouvement qui va vers le haut alors que la terre aura un mouvement qui va vers le

centre Selon le cosmos aristoteacutelicien et la physique aristoteacutelicienne le corps qui est composeacute

de lrsquoeacuteleacutement naturel qui est la terre sera le plus pesant et aura un lieu naturel preacutecis Il est

important de preacuteciser que chaque eacuteleacutement possegravede un lieu naturel vers lequel il tend

naturellement agrave ecirctre et agrave rester et un lieu contre-naturel dans lequel il est de maniegravere contre-

naturelle La notion de lieu naturel ou de lieu contre-naturel est centrale dans lrsquoexplication du

mouvement chez Aristote le corps composeacute de terre sera le plus pesant et son lieu naturel

sera le bas ainsi il aura un mouvement rectiligne vers le centre Le corps composeacute de feu

quant agrave lui et parce que le feu est lrsquoeacuteleacutement qui nrsquoa aucune pesanteur a un mouvement

rectiligne qui part du centre et va vers le haut On comprend alors que ce qui deacutetermine le

mouvement du corps simple qui se meut de maniegravere rectiligne est ce qui le compose crsquoest-agrave-

dire sa nature Il en va de mecircme pour le corps simple qui se meut en cercle Mais avant drsquoy

venir nous nous devons premiegraverement de prouver que le corps qui se meut en cercle est un

corps simple et qursquoil ne saurait ecirctre autre chose Premiegraverement il srsquoagit pour Aristote de

montrer que le corps mucirc en cercle est simple puisque srsquoil existe un mouvement simple que le

mouvement en cercle soit simple ndash mouvement simple car les mouvements circulaire et

rectiligne sont les seuls types de mouvements qui soient simples les autres eacutetant mixtes

rectilignes et circulairessup2 ndash que le mouvement drsquoun corps simple soit simple et que le

mouvement simple soit celui drsquoun corps simple alors il est neacutecessaire que le corps qui est mucirc

en cercle selon la nature soit un corps simple Il ne srsquoagit pas ici de prouver drsquoores et deacutejagrave

qursquoil existe un corps simple qui se meut en cercle pour Aristote mais simplement de montrer

que theacuteoriquement si un corps qui se meut en cercle existe alors il sera neacutecessairement un

corps simple Cet argument en faveur de lrsquoexistence drsquoun corps qui se meut en cercle nrsquoest pas

le seul chaque corps simple a un lieu naturel vers lequel il est naturellement mis en

mouvement du fait mecircme de sa nature Mais srsquoil a un lieu naturel par nature cela signifie qursquoil

a aussi un lieu qui lui est contre-nature Aristote a montreacute que srsquoil existait un corps mucirc en

cercle celui-ci eacutetait neacutecessairement simple Si un corps simple a un mouvement en cercle et

qursquoon postule que ce mouvement circulaire est simple drsquoune part mais drsquoautre part contre-

nature agrave ce corps dans ce cas lagrave cela signifie qursquoil aura un mouvement autre qui lui sera

naturel Dans la conception aristoteacutelicienne de la physique les corps sont mus en fonction de

ce qui les compose nous lrsquoavons vu et ce qui compose les corps physiques sont les eacuteleacutements

le feu la terre lrsquoeau et lrsquoair Si un corps simple est un corps qui est mucirc par la nature de ce qui

16

le compose alors le corps sera mucirc selon qursquoil est composeacute de feu ou de terre Nous avons vu

que le feu avait un mouvement naturel rectiligne qui part du centre et la terre un mouvement

naturel rectiligne qui va vers le centre donc si le feu ou la terre est mucirc en cercle ce sera

contre nature Le problegraveme qui se pose est le suivant

Mais une chose unique a un contraire unique et les mouvements vers le haut et vers lebas sont contraires lrsquoun de lrsquoautre

Cela implique que le corps simple qui se meut naturellement de maniegravere rectiligne

vers le centre aura pour contraire le mouvement rectiligne qui part du centre et vice-versa

Ainsi il est impossible qursquoun corps simple dont le mouvement est naturellement rectiligne

soit mucirc en cercle

A partir de cet argument dans le chapitre 2 du livre I du De Caelo nous pouvons

affirmer une chose si un corps simple qui se meut en cercle existe alors il ne peut pas ecirctre

composeacute de feu ou de terre car aucun des corps qui sont composeacutes de ces eacuteleacutements et qui se

meuvent de maniegravere rectiligne naturellement vers le haut ou vers le bas ne peuvent ecirctre mus

contre-nature en cercle Il ne reste maintenant qursquoagrave prouver lrsquoexistence de ce corps simple qui

se meut en cercle Lrsquoargument drsquoAristote sur le sujet dans le chapitre 2 du livre I du De Caelo

est le suivant srsquoil existe un mouvement circulaire que ce mouvement circulaire soit simple

que le mouvement circulaire ndash et nrsquoimporte quel mouvement selon le lieu en reacutealiteacute ndash soit la

proprieacuteteacute drsquoun corps simple et qursquoil soit impossible que le mouvement circulaire soit le

mouvement contre-nature drsquoun corps qui se meut en ligne droite alors cela implique qursquoil

existe un corps simple qui se meut en cercle Comment pourrait-il y avoir un mouvement

circulaire mais pas de corps pour avoir ce mouvement dans la mesure ougrave nous lrsquoavons dit le

mouvement selon le lieu est une proprieacuteteacute des corps Cela est impossible Nous pouvons

alors conclure la chose suivante

Crsquoest pourquoi celui qui raisonne en partant de tout cela pourrait se convaincre qursquoen plusdes corps qui existent ici autour de nous il y en a un autre seacutepareacute qui a une naturedrsquoautant plus digne qursquoil est plus eacuteloigneacute de lrsquoici-bas

17

De lrsquoexistence drsquoun corps qui se meut en cercle on peut logiquement induire qursquoil

existe une nature propre au corps qui se meut en cercle une nature plus noble que celle des

corps qui se meuvent en ligne droite Quelle est la nature de ce corps simple dont le

mouvement est circulaire Crsquoest lagrave la seconde question qui nous inteacuteresse

Pour y reacutepondre Aristote se reacutefegravere agrave ce qui a eacuteteacute dit preacuteceacutedemment Puisque la

pesanteur ou la leacutegegravereteacute est une proprieacuteteacute du corps qui lui vient de sa composition et qui

implique qursquoil soit naturellement dirigeacute vers le bas ou vers le haut alors tous les corps ne

possegravedent pas de pesanteur ou de leacutegegravereteacute Quels sont les corps qui possegravedent la pesanteur

Ce sont ceux qui sont naturellement dirigeacutes vers le bas et qui se meuvent en ligne droite vers

le centre crsquoest-agrave-dire tout ce qui est composeacute de terre ou drsquoune espegravece de terre Quels sont les

corps qui possegravedent la leacutegegravereteacute Ce sont ceux qui sont naturellement dirigeacutes vers le haut et

qui se meuvent en ligne droite agrave partir du centre crsquoest-agrave-dire tout ce qui est composeacute de feu ou

drsquoune espegravece de feu A partir de lagrave il est possible drsquoaffirmer que le corps qui se meut en

cercle parce qursquoil nrsquoest mucirc ni vers le bas ni vers le haut est un corps qui nrsquoa ni pesanteur ni

leacutegegravereteacute car nrsquoest ni composeacute de terre ou drsquoune espegravece de terre ni de feu ou drsquoune espegravece de

feu Mais qursquoest-ce que le pesant et le leacuteger Le plus pesant est deacutefini comme ce qui est situeacute

en dessous de tous les corps transporteacutes vers le bas et le plus leacuteger est deacutefini comme ce qui est

agrave la surface de tous les corps porteacutes vers le haut dans le De Caelo I 3 269b18-26 Il est

important pour des raisons de justesse de preacuteciser que cette pesanteur et cette leacutegegravereteacute sont

toutefois relatives un corps leacuteger lrsquoest par rapport agrave un autre et il en va de mecircme pour le

corps pesant mais lagrave nrsquoest pas notre sujet Ces deacutefinitions nous permettent de comprendre que

ce qui nrsquoappartient pas au mouvement rectiligne ne peut pas appartenir aux eacuteleacutements pesants

ou leacutegers

De plus puisque les corps qui ont un mouvements rectilignes vers le haut sont

contraires aux corps ayant un mouvement vers le bas et que la corruption et la geacuteneacuteration se

font dans les contraires alors cela signifie que ces corps sont soumis agrave la geacuteneacuteration et

corruption Selon Aristote laquo crsquoest dans le domaine des contraires que se produisent la

geacuteneacuteration et la corruption raquo15 Du fait mecircme que les corps simples mus en ligne droite vers le

haut ou vers le bas possegravedent un mouvement contre-nature cela implique qursquoils appartiennent

au milieu de ce qui est geacuteneacutereacute et de ce qui ineacutevitablement se corrompt La corruption se fait

dans le changement des proprieacuteteacutes et par rapport agrave quelque chose il en va de mecircme pour

15 De Caelo I 3 270b20 p 89

18

lrsquoaugmentation Lrsquoaugmentation est une forme de geacuteneacuteration agrave partir drsquoun changement dans la

proprieacuteteacute le corps humain transforme et geacutenegravere des nutriments agrave partir de la nourriture qursquoil

ingegravere donc la nourriture a eacuteteacute corrompue et les nutriments ont eacuteteacute geacuteneacutereacutes crsquoest une

deacuteformation de la nourriture et un changement dans son espegravece Mais puisqursquoil nrsquoy a rien de

contraire au mouvement circulaire cela implique que le corps simple qui se meut en cercle

nrsquoest ni geacuteneacuterable ni corruptible puisqursquoil ne peut pas se transformer en son contraire Ce

corps simple nrsquoest pas non plus alteacuterable selon Aristote

En effet lrsquoalteacuteration est un mouvement selon la qualiteacute et les eacutetats et les dispositionsqualitatifs par exemple la santeacute et la maladie ne se produisent pas sans changementsdans les proprieacuteteacutes Mais nous voyons que tous ceux des corps naturels qui changentselon une proprieacuteteacute sont tous sujets agrave lrsquoaugmentation et agrave la diminution [hellip] il en est demecircme pour celui des eacuteleacutements16

Puisque le corps qui est mucirc en cercle nrsquoest ni sujet agrave lrsquoaugmentation (lrsquoaugmentation eacutetant une

forme de geacuteneacuteration) etou agrave la diminution (diminution eacutetant une forme de corruption) alors il

est inalteacuterable Ainsi en plus drsquoecirctre ingeacuteneacuterable et incorruptible le corps qui se meut en cercle

est inalteacuterable Cette proprieacuteteacute fait de lui un corps eacuteternel Le corps qui se meut en cercle doit

donc ecirctre composeacute de quelque chose qui nrsquoa pas de contraire qui nrsquoest pas un eacuteleacutement tel que

le feu lrsquoair lrsquoeau ou la terre et qui nrsquoest ni geacuteneacutereacute ni corruptible A ce stade nous ne savons

pas encore ce qui est signifieacute par laquo le corps simple qui se meut en cercle raquo Mais Aristote lui

donne une autre caracteacuteristique celle drsquoecirctre premier ce qui peut srsquoexpliquer par le fait qursquoil

nrsquoest pas geacuteneacuterable et donc nrsquoest pas venu agrave lrsquoecirctre agrave un instant T Il se tourne ainsi vers trois

instances qui lui permettent de justifier ses dires anteacuterieurs la religion lrsquoobservation et

lrsquoeacutetymologie sont autant drsquoarguments en faveur de la nature du corps qui se meut en cercle tel

que nous lrsquoavons conccedilu jusqursquoagrave preacutesent

Il se tourne premiegraverement vers la religion Aristote affirme en 270b5 du De Caelo que

dans le domaine de la religion on attribue le plus haut lieu agrave ce qui est le plus divin on place

ainsi le divin au-dessus de tout Ainsi le corps qui se meut en cercle puisqursquoil se situe au-

dessus de tout et regardeacute comme eacutetant divin Degraves lors dans la mesure ougrave lrsquoon attribue

lrsquoimmortaliteacute au divin le ciel est alors consideacutereacute comme eacutegalement divin Par conseacutequent le

corps qui se meut en cercle se situe dans le plus haut lieu Lrsquoeacuteterniteacute de ce corps est

16 Ibid p89

19

veacuterifiable par lrsquoobservation et lrsquoexpeacuterience comme lrsquoaffirme Aristote dans la suite du

raisonnement

En effet dans toute lrsquoeacutetendue du temps eacutecouleacute selon la tradition que les hommes se sonttransmise les uns aux autres aucun changement nrsquoa eacuteteacute constateacute ni dans la totaliteacute la plusexteacuterieure du ciel ni dans aucune des parties qui lui sont propres

On comprend agrave la suite de cette remarque que le corps mucirc en cercle qui eacutetait lrsquoobjet de

notre propos est eacutegalement appeleacute laquo ciel raquo Ce que nous avons vu plus haut crsquoest-agrave-dire toutes

les caracteacuteristiques propres au corps qui se meut en cercle srsquoappliquent alors au ciel Mais de

quel sens du laquo ciel raquo parle-t-on puisque nous avons vu que le ciel avait trois sens A en juger

par ce que nous venons de citer nous pouvons dire qursquoAristote parle du premier et second

ciel le premier eacutetant le corps qui se trouve sur la circonfeacuterence la plus exteacuterieure et la plus

eacuteloigneacutee crsquoest-agrave-dire la sphegravere des fixes et le second eacutetant le corps qui est dans la continuiteacute

de la sphegravere des fixes et dans lequel se trouvent certains astres comme le Soleil la Lune et

drsquoautres encore Via lrsquoobservation nous pouvons conclure que le corps est ingeacuteneacuterable

incorruptible et inalteacuterable Mais cet argument en faveur de lrsquoeacuteterniteacute du ciel a un troisiegraveme

temps lrsquoeacutetymologie

Nous eacutevoquions plus tocirct lrsquoideacutee selon laquelle le corps qui se meut en cercle ne pouvait

pas ecirctre constitueacute de feu ou de terre et que donc il avait un eacuteleacutement qui lui eacutetait propre Cet

eacuteleacutement est plus noble que le feu et la terre car il se situe dans le domaine du ciel qui nrsquoest ni

soumis agrave la geacuteneacuteration ni agrave la corruption car il nrsquoa pas de contraire Il est donc eacuteternel Cet

eacuteleacutement tient drsquoailleurs son nom du fait qursquoil est eacuteternel

Crsquoest pourquoi dans lrsquoideacutee que le premier corps eacutetait diffeacuterent de la terre du feu de lrsquoair et de lrsquoeau ils ont nommeacute laquo eacutether raquo le lieu le plus eacuteleveacute tirant pour lui cette appellation du fait qursquoil court toujours pendant un temps eacuteternel

Ainsi le corps qursquoest le ciel parce qursquoil faut rappeler qursquoil est un ecirctre corporel est constitueacute

drsquoune matiegravere que lrsquoon appelle lrsquoeacutether et qui dans le monde supralunaire drsquoAristote est le seul

eacuteleacutement

20

12 Platonisme et aristoteacutelisme sur lrsquouniciteacute du monde Du Timeacutee au De Caelo I 9

121 Lrsquouniciteacute du monde dans le Timeacutee17 de Platon

La question des eacuteleacutements constitutifs des corps est indispensable pour comprendre le

contexte dans lequel le problegraveme du takei se pose En effet le passage obscur du De Caelo I

9 qui est notre propos se situe dans un chapitre visant agrave montrer par les arguments que nous

allons maintenant aborder que le monde est unique et qursquoil nrsquoy a aucun corps en dehors de

lui

Disons maintenant pour quelle raison celui qui a constitueacute le devenir crsquoest-agrave-dire notreunivers lrsquoa constitueacute Il eacutetait bon or en ce qui est bon on ne trouve aucune jalousie agravelrsquoeacutegard de qui que ce soit Deacutepourvu de jalousie il souhaita que toutes choses devinssentle plus possible semblables agrave lui 29e

La question que se pose ici Timeacutee est celle du pourquoi de lrsquounivers Afin de reacutepondre agrave cette

question il srsquointeacuteresse agrave la nature de celui qui a creacuteeacute lrsquounivers En effet la nature mecircme de

celui qui a creacuteeacute lrsquounivers implique que notre univers soit de telle faccedilon et non drsquoune autre

Puisque celui-ci est bon et que la jalousie nrsquoest pas une proprieacuteteacute de ce qui est bon alors celui

qui a creacuteeacute lrsquounivers lrsquoa creacuteeacute de maniegravere agrave ce qursquoil soit agrave son image crsquoest-agrave-dire qursquoil possegravede

les mecircmes qualiteacutes que lui Ainsi en tant qursquoecirctre bon il a voulu que tout ce qui existe soit

bon autant que possible et aussi parfait que possible Mais le deacutemiurge nrsquoest pas parti de rien

cette conception platonicienne de la creacuteation de lrsquounivers deacutecoule de lrsquoideacutee que le rien et le

neacuteant nrsquoexistent pas Donc celui qui est agrave lrsquoorigine de lrsquounivers lrsquoa engendreacute agrave partir de

quelque chose qui eacutetait deacutesordonneacute et en mouvement le visible Il a alors fait de ce visible

deacutesordonneacute un visible ordonneacute Du fait mecircme que celui qui a engendreacute le monde est lrsquoecirctre le

meilleur cela implique que ce qursquoil produit est aussi parfait qursquoil peut lrsquoecirctre car le meilleur

ne pourrait pas faire quelque chose de mauvais

Ayant reacutefleacutechi il se rendit compte que de choses par nature visibles son travail nepourrait jamais faire sortir un tout deacutepourvu drsquointellect qui fucirct plus beau qursquoun tout

17 PLATON Timeacutee 1992 Traduction par L Brisson Nous nous reacutefeacutererons agrave cette traduction sauf indication contraire

21

pourvu drsquointellect et que par ailleurs il eacutetait impossible que lrsquointellect preacutesent en quelquechose soit deacutepourvu drsquoune acircme 30A-b

Mais la nature propre du creacuteateur ne suffit pas agrave faire de toutes ses œuvres des ecirctres

eacutegaux en effet le deacutemiurge srsquoest rendu compte que malgreacute son travail le tout qui eacutetait

constitueacute drsquoun intellect eacutetait neacutecessairement plus beau qursquoun tout sans intellect Mais qursquoest-ce

que lrsquointellect chez Platon qui implique une hieacuterarchie entre les creacuteations du deacutemiurge

Comme lrsquoindique lrsquoextrait citeacute plus haut et qui nous donne une premiegravere ideacutee de ce qursquoest

lrsquointellect chez Platon si lrsquointellect est preacutesent en une chose il est impossible que cette chose

qui possegravede un intellect nrsquoait pas drsquoacircme Cela se justifie par le fait que lrsquointellect νοῦς chez

Platon est la partie la plus noble ou divine de lrsquoacircme Il y a donc une distinction entre lrsquoacircme et

lrsquointellect lrsquoacircme est une chose dont une des partie est lrsquointellect elle est la plus noble A quoi

sert cette partie Elle est ce qui permet de connaicirctre lrsquointelligible et de srsquoen rapprocher

Puisque lrsquointellect a eacuteteacute mis dans lrsquoacircme du monde et que lrsquointellect est la partie la plus belle et

la plus noble de lrsquoacircme cela implique que le monde est par nature le plus beau et le meilleur

possible

Ainsi donc conformeacutement agrave une explication qui nrsquoest que vraisemblable il faut dire que notre monde qui est un vivant doueacute drsquoune acircme pourvue drsquoun intellect a en veacuteriteacute eacuteteacute engendreacute par suite de la deacutecision reacutefleacutechie drsquoun dieu 30bndashc

Puisque le deacutemiurge a la capaciteacute de reacutefleacutechir alors il est proche des intelligibles et du

plus noble et ainsi il est dans la mesure de savoir comment faire de sa creacuteation un ecirctre aussi

bon et beau que possible La proprieacuteteacute du deacutemiurge qui est mise en avant est son intelligence

mais la conception du deacutemiurge ne srsquoarrecircte pas lagrave En effet agrave la maniegravere drsquoun artisan le

deacutemiurge creacutee le monde Mais comme tout artisan il se doit de posseacuteder une connaissance de

la chose qursquoil produit afin de la produire de faccedilon agrave ce qursquoelle soit la plus parfaite possible

Crsquoest pourquoi comme le deacutemiurge est un artisan qui reacutefleacutechit qui possegravede un intellect dans

son acircme il peut avoir une connaissance des intelligibles et ainsi produire quelque chose qui

est le plus parfait possible

22

A la ressemblance de quel vivant en particulier celui qui a faccedilonneacute le monde lrsquoa-t-ilfaccedilonneacute A la ressemblance drsquoaucun de ces vivants qui tiennent le rang drsquoespegraveceparticuliegravere dans la nature estimons-nous car rien de ce qui ressemble agrave un ecirctreincomplet ne saurait jamais ecirctre beau 30c

Mais tel un artisan le deacutemiurge ne produit pas agrave partir de rien il possegravede une

connaissance de ce qursquoil produit nous lrsquoavons dit Mais quelle est cette connaissance Elle

est la connaissance drsquoune ideacutee intelligible en drsquoautres termes drsquoune Forme comprise comme

lrsquoecirctre intelligible et parfait que lrsquoon ne peut saisir que par le biais de lrsquointellect Cela signifie

que le monde ecirctre mateacuteriel et tangible a eacuteteacute creacuteeacute agrave limage dun modegravele qui est intelligible et

non agrave un modegravele sensible Le monde est le sensible le plus parfait alors il ne peut pas avoir

pour modegravele quelque chose de moins parfait que lui et qui soit une partie de quelque chose

drsquoautre

Mais lrsquoensemble auquel appartiennent tous les ecirctres vivants agrave titre de parties soitindividuellement soit en tant qursquoespegravece voilagrave entre tous les vivants supposons-nouscelui auquel ressemble le plus celui-ci Effectivement tous les vivants intelligibles cevivant les tient enveloppeacutes en lui-mecircme de la mecircme faccedilon que notre monde nous contientnous et toutes les autres creacuteatures visibles 32c-d

Mais de quoi ces parties sont-elles les parties Du monde selon Platon Lrsquoargument

repose sur une analogie crsquoest-agrave-dire que notre monde est agrave tous les ecirctres sensibles ce que son

modegravele est agrave tous les ecirctres intelligibles Le monde enveloppe la totaliteacute de tous les ecirctres

sensibles il est logique que son modegravele soit ce qui enveloppe la totaliteacute de tous les ecirctres

intelligibles En effet le deacutemiurge a souhaiteacute que le monde ressemble agrave lrsquoecirctre le plus parfait

entre tous crsquoest-agrave-dire agrave lrsquoecirctre le plus beau de tous dans le sens ougrave il ne manque drsquoaucun des

biens Il a fait le monde de telle sorte qursquoil ait agrave lrsquointeacuterieur de lui tous les vivants qui sont de

mecircme nature que lui tous les ecirctres de nature sensible Comme notre monde est fait sur le

modegravele de quelque chose de parfait qui enveloppe tous les ecirctres intelligibles alors srsquoil y avait

une autre chose qui enveloppait tout cette autre chose serait le modegravele sur lequel aurait eacuteteacute

creacuteeacute notre monde Srsquoil y avait un autre ecirctre qui enveloppe tous les vivants en plus de notre

monde il faudrait qursquoil y ait un ecirctre qui les enveloppe tous les deux et ce serait agrave ce monde lagrave

que ressemblerait le nocirctre Notre monde partage comme caracteacuteristique lrsquouniciteacute du monde

23

parfait unique et beau dont il est la copie Il ne pourrait alors y avoir aucun autre monde en

dehors du nocirctre

[hellip] le dieu ayant placeacute au milieu entre le feu et la terre lrsquoeau et lrsquoair et ayant introduitentre eux autant que crsquoeacutetait possible le mecircme rapport qui fasse que ce que le feu est agravelrsquoair lrsquoair le soit agrave lrsquoeau et que ce que lrsquoair est agrave lrsquoeau lrsquoeau le soit agrave la terre a constitueacute agravelrsquoaide de ces liens un monde visible et tangible 32b

Comment peut-on expliquer que le monde soit sensible Platon fait lrsquoexpeacuterience drsquoun

monde sensible crsquoest le point de deacutepart de sa deacutemarche qui consiste agrave essayer drsquoexpliquer

pourquoi le monde est sensible et ordonneacute Pourquoi y-a-t-il un monde sensible ordonneacute et

non deacutesordonneacute A lrsquoimage drsquoune recette Platon fait la genegravese de la conception du monde qui

repose sur la preacutesence de quatre eacuteleacutements en quantiteacute proportionnelle et selon un rapport de

proportionnaliteacute le feu la terre lrsquoeau et lrsquoair Le fait que le monde soit constitueacute de ces

eacuteleacutements qui entretiennent entre eux un tel rapport en fait un ecirctre mateacuteriel ordonneacute et

impossible agrave corrompre (sinon par celui qui lrsquoa fait tel qursquoil est)

Or de ces quatre eacuteleacutements pris un agrave un la constitution du monde a absorbeacute la totaliteacuteCrsquoest en effet tout le feu toute lrsquoeau tout lrsquoair et toute la terre qursquoutilisa celui quiconstitua le monde pour le constituer ne laissant hors du monde aucune parcelle aucuneproprieacuteteacute de quoi que ce soitVoici quel eacutetait son dessein Il souhaitait en premier lieu quele monde fucirct avant tout un vivant parfait constitueacute de parties parfaites que de plus il fucirctunique dans la mesure ougrave il ne restait rien agrave partir de quoi un autre vivant de mecircmenature puisse venir agrave lrsquoecirctre 32c-33a

On comprend alors lrsquoargument platonicien selon lequel le monde est neacutecessairement

unique Puisque le deacutemiurge a mis en ordre le monde en le constituant de quatre eacuteleacutements (le

feu lrsquoair lrsquoeau et la terre) selon un certain meacutelange et qursquoen plus de cela il a utiliseacute la totaliteacute

du feu la totaliteacute de lrsquoair la totaliteacute de lrsquoeau et la totaliteacute de la terre pour le creacuteer il ne peut

rien exister de mecircme nature que lui Lrsquoensemble de cet extrait du Timeacutee permet de souligner

lrsquouniciteacute du monde sur deux plans diffeacuterents sur le plan meacutetaphysique et sur le plan

physique Sur le plan meacutetaphysique dans la mesure ougrave il a eacuteteacute prouveacute logiquement que le

monde ne pouvait ecirctre qursquoun seul puisqursquoil enveloppait agrave lrsquoimage de lrsquoecirctre intelligible le plus

24

parfait lrsquoensemble des sensibles Sur le plan physique dans la mesure ougrave il a eacuteteacute affirmeacute par

Platon que le monde eacutetait composeacute de la totaliteacute des quatre eacuteleacutements

Lrsquoargument en faveur de lrsquouniciteacute du monde que nous venons de voir est lrsquoeacutecho de la

theacuteorie platonicienne des Formes eacutenonceacutees dans le livre VI de la Reacutepublique18 A la fin du

livre VI de la Reacutepublique Platon dessine rapidement les traits de ce que sera plus tard dans la

mecircme œuvre la theacuteorie des Formes En effet il affirme en cette fin de livre VI que les

geacuteomegravetres lorsqursquoils produisent des hypothegraveses sur les angles et autres figures geacuteomeacutetriques

ne les font pas sur ce triangle qursquoils ont construit ou ce cercle qursquoils ont traceacute ils les font sur

les figures geacuteomeacutetriques en soi A quoi servent alors ces traceacutes Ils servent drsquoimages qui

permettent aux geacuteomegravetres de contempler les choses en soi que lrsquoon ne peut contempler que

par la penseacutee Ces figures traceacutees sont les copies des choses en soi elles sont en ce sens leurs

images De la mecircme maniegravere le monde sensible dans lequel nous sommes et qui enveloppe

lrsquoensemble de tous les ecirctres sensibles est la copie de lrsquoecirctre intelligible le plus parfait qui

enveloppe tous les vivants intelligibles Cette ideacutee implique qursquoil existe dans la philosophie

platonicienne des formes transcendantes qui srsquoeacutelegravevent au dessus du monde sensible et qui ne

sont que copieacutees dans ce monde La veacuteriteacute concernant les choses se trouverait dans le monde

intelligible seulement accessible par la penseacutee La forme est alors comprise comme la chose

en soi intelligible et transcendante Ainsi on peut drsquoores et deacutejagrave en conclure qursquoil y a une

diffeacuterence chez Platon entre la forme hors de la matiegravere et la forme dans lrsquoobjet sensible

122 Aristote en De Caelo I 9 analyse des arguments en faveur de la pluraliteacute des cieux

pour deacutefendre la theacuteorie platonicienne de lrsquouniciteacute du monde

Toutefois il est possible de se meacuteprendre sur la theacuteorie platonicienne de lrsquounivers et de

lui attribuer des conseacutequences erroneacutees voire de lrsquoutiliser afin drsquoaffirmer que le monde nrsquoest

pas unique Aristote en De Caelo I 9 srsquoengage agrave faire lrsquoexamen des arguments en faveur de

la pluraliteacute des mondes que lrsquoon pourrait tirer de la theacuteorie platonicienne de la creacuteation du

monde Nous allons alors maintenant voir quels sont ces arguments

En effet il pourrait sembler impossible qursquoil nrsquoy ait qursquoun seul ciel agrave qui examine leschoses de cette maniegravere dans tout ce qui est constitueacute ou a eacuteteacute produit que ce soit par lanature ou par lrsquoart ce sont deux choses diffeacuterentes que la forme en soi et celle qui est

18 PLATON La Reacutepublique 2002 Traduction par G Leroux

25

meacutelangeacutee agrave la matiegravere par exemple dans le cas de la sphegravere ce sont deux chosesdiffeacuterentes que la forme de la sphegravere et la sphegravere drsquoor ou la sphegravere drsquoairain et encore lafigure du cercle est diffeacuterente du cercle drsquoairain ou du cercle de bois 277b-30

Nous lrsquoavons dit plus haut dans la philosophie platonicienne il y a une distinction

entre la forme hors de la matiegravere et la forme dans la matiegravere dans la mesure ougrave la forme

intelligible (hors de la matiegravere) est transcendante et seacutepareacutee de la matiegravere Et selon Aristote il

pourrait sembler impossible agrave celui qui accepte cette distinction platonicienne de penser qursquoil

nrsquoexiste qursquoun seul monde Il srsquoagit alors de se demander premiegraverement quel est lrsquoargument

qui nous laisse penser que le ciel nrsquoest pas unique Deuxiegravemement nous nous demanderons si

Aristote deacutefend cette compreacutehension de la theacuteorie platonicienne ou srsquoil cherche agrave critiquer

ceux qui la comprennent ainsi

La theacuteorie platonicienne selon laquelle il y a une diffeacuterence entre la forme dans la

matiegravere et la forme en dehors de la matiegravere nous permet drsquoacceacuteder agrave lrsquoexemple suivant dans

le cas drsquoune sphegravere il y a la forme en soi qui est la forme purement intelligible de la sphegravere

drsquoune part et drsquoautre part il y a la sphegravere sensible constitueacutee admettons drsquoor ou drsquoairain Ces

deux types de sphegraveres sont distincts nous lrsquoavons dit pour la raison qursquoil existe une

diffeacuterence entre la forme de la sphegravere hors de la matiegravere (une forme qui est seacutepareacutee et

transcendante) et la forme de la sphegravere dans la matiegravere (une forme qui est meacutelangeacutee agrave la

matiegravere)

Puisque donc le ciel est sensible il sera une chose particuliegravere Car selon nous toutsensible existe dans la matiegravere Mais srsquoil est une chose particuliegravere lrsquoecirctre de ce ciel-ci etlrsquoecirctre du ciel pris absolument seront des choses diffeacuterentes Donc ce ciel-ci sera diffeacuterentdu ciel pris absolument ce dernier est pris comme forme et figure le premier commequelque chose de meacutelangeacute agrave la matiegravere 278a-10

Ce raisonnement appliqueacute au ciel affirme la chose suivante puisque le ciel est un

ecirctre corporel il est une chose particuliegravere Mais srsquoil est une chose particuliegravere et mateacuterielle

alors on peut en conclure que lrsquoecirctre de ce ciel particulier ne sera pas le mecircme que celui du ciel

pris en soi Ainsi le ciel particulier du fait de sa matiegravere dont parle Aristote ne sera pas le

mecircme que le ciel pris en soi crsquoest-agrave-dire en tant que Forme

26

[] cela nrsquoest pas moins vrai si rien de telle nrsquoexiste de maniegravere seacutepareacutee Dans tous lescas en effet ougrave nous voyons cela agrave savoir que la substance formelle se trouve dans lamatiegravere les ecirctres de mecircme forme sont plusieurs et mecircme en nombre infini De sorte qursquoilexiste plusieurs cieux ou qursquoil peut en exister plusieurs 278a-15-20

Mais ces individus qui comprennent lrsquoargument de Platon comme un argument en

faveur de la pluraliteacute du ciel affirment que mecircme srsquoil nrsquoy avait pas de forme seacutepareacutee du

sensible il y aurait quand mecircme plusieurs cieux Mais pourquoi affirment-ils cela Parce

qursquoil peut y avoir plusieurs ecirctres composeacutes de mecircme forme La forme dans la matiegravere nrsquoest

pas neacutecessairement unique la forme de deux chaises diffeacuterentes est la mecircme ce qui fait sa

particulariteacute est la matiegravere Mais il nrsquoest pas contradictoire qursquoil y ait une infiniteacute de chaises

il ne peut y avoir qursquoune seule forme seacutepareacutee et transcendante de la chaise par contre il peut

y avoir un nombre immense de chaises mateacuterielles et potentiellement une infiniteacute dans la

mesure ougrave cela nrsquoest pas contradictoire avec la nature de la forme dans le composeacute

Du fait de la nature mateacuterielle du composeacute ceux qui interpregravetent Platon de cette

maniegravere concluent qursquoil peut tout agrave fait exister plusieurs cieux Il peut en effet y avoir une

infiniteacute de corps mateacuteriels pour une forme seacutepareacutee de la matiegravere unique Il srsquoagira alors pour

Aristote de reprendre ces arguments et drsquoen faire lrsquoexamen afin de savoir lesquels sont fondeacutes

et lesquels ne le sont pas Nous nous eacutetions alors demandeacute quels eacutetaient les arguments qui

laissaient penser que le ciel pouvait ne pas ecirctre unique drsquoune part et drsquoautre part si Aristote

deacutefendait les conclusions auxquelles aboutissait cette certaine compreacutehension de Platon ou srsquoil

les jugeait erroneacutees

123 Aristote en De Caelo I 9 arguments aristoteacuteliciens en faveur de lrsquouniciteacute du ciel

Mais quelle est donc la position drsquoAristote sur la question de lrsquouniciteacute du monde

Deacutefend t-il Platon Est-il en deacutesaccord avec Platon Leurs arguments diffeacuterent-ils Pour

reacutepondre agrave ces questions nous eacutetudierons de maniegravere lineacuteaire la suite du chapitre

Que donc la deacutefinition de la forme sans la matiegravere et celle de la forme dans la matiegraveresoient diffeacuterentes lrsquoune de lrsquoautre on le dit avec raison et tenons-le pour vrai Il nrsquoy aneacuteanmoins aucune neacutecessiteacute agrave conclure de cela qursquoil existe plusieurs mondes ni qursquoil peuten exister plusieurs srsquoil est vrai que ce monde-ci est composeacute de lrsquoensemble de lamatiegravere comme cela est le cas 278a25

27

Il est possible drsquoaffirmer avec veacuteriteacute selon Aristote que la forme dans la matiegravere et la

forme sans la matiegravere sont deux choses diffeacuterentes Mais nous lrsquoavons dit en 278a25 Aristote

affirme que de cela nous ne pouvons pas induire la neacutecessiteacute ou la possibiliteacute qursquoil en existe

plusieurs car il est vrai que le monde est composeacute de lrsquoensemble de la matiegravere Aristote

affirme alors qursquoil ne saurait y avoir un autre monde puisque le monde est constitueacute de

lrsquoensemble de la matiegravere

A ce moment de lrsquoexamen des arguments exposeacutes plus tocirct nous trouvons dans le De

Caelo une explication des trois sens du mots ciel Dans la mesure ougrave nous avons exposeacute plus

tocirct ce qursquoeacutetaient ces trois ciels nous ne ferons que rappeler ce passage en le restituant

briegravevement Puisque nous avons exposeacute plus haut le ciel de trois maniegraveres nous comprenons

bien qursquoil ne peut rien exister en dehors du ciel dans la mesure ougrave le ciel srsquoentend dans un

sens comme le Tout ou la totaliteacute de ce qui est enveloppeacute par la circonfeacuterence la plus

eacuteloigneacutee Rappelons-le le laquo ciel raquo se dit en plusieurs sens le ciel est le corps qui se trouve

sur la circonfeacuterence la plus eacuteloigneacutee Le ciel est donc lrsquoextreacutemiteacute en un sens En un second

sens le ciel est le corps qui est dans la continuiteacute de la circonfeacuterence la plus eacuteloigneacutee et dans

laquelle se trouvent certains astres tel que le Soleil la Lune et drsquoautres En un troisiegraveme sens

et crsquoest ce sens qui permet de montrer que le ciel possegravede lrsquoensemble de la matiegravere le ciel est

dit du Tout ou de la totaliteacute qui est enveloppeacutee par la circonfeacuterence la plus eacuteloigneacutee En

drsquoautres termes le ciel est la totaliteacute de ce qui est enveloppeacute par le corps situeacute agrave lrsquoextreacutemiteacute du

ciel De cela nous pouvons conclure la chose suivante selon Aristote

Le ciel eacutetant pris en ces trois sens la totaliteacute enveloppeacutee par la derniegravere circonfeacuterence estneacutecessairement constitueacutee de lrsquoensemble du corps naturel sensible du fait qursquoil nrsquoexisteaucun corps en dehors du ciel et qursquoil ne peut pas y en avoir Supposons en effet qursquoilexiste un corps naturel en-dehors de la derniegravere circonfeacuterence il serait neacutecessaire qursquoilfasse partie soit des corps simples soit des corps composeacutes et que son eacutetat soit naturelou contre-nature Or il ne pourrait ecirctre lrsquoun des corps simples 278b20-25

Postulons qursquoil existe un corps naturel qui soit au-delagrave de la derniegravere circonfeacuterence Si

ce corps naturel existe il est neacutecessaire puisque les corps se divisent seulement en deux

cateacutegories qursquoil soit simple ou composeacute Nous avons vu qursquoun corps simple eacutetait un corps

naturel dont le mouvement eacutetait deacutetermineacute par sa nature En effet un corps simple a un

28

mouvement rectiligne (vers le haut ou vers le centre) ou un mouvement circulaire Pour ce

qui est des mouvements rectilignes Aristote affirme que le corps simple ne pourrait pas se

trouver au-delagrave du ciel car les corps simples qui existent au nombre de quatre le feu lrsquoair

lrsquoeau et la terre sont en totaliteacute rassembleacutes dans le monde de sorte qursquoil nrsquoy en a aucune

quantiteacute agrave lrsquoexteacuterieur de celui-ci De plus puisque chaque corps simple a un mouvement

naturel qui le megravene agrave son milieu naturel (milieu naturel qui se trouve dans le monde) alors

cela signifie que lrsquoexteacuterieur du monde serait son milieu contre-nature Si tel est le cas alors le

milieu contre-nature qui est lrsquoexteacuterieur du ciel serait le milieu naturel drsquoun autre corps ce qui

nrsquoest pas possible en vertu du fait qursquoil nrsquoexiste aucune matiegravere en dehors du ciel Et pour ce

qui est du corps simple dont le mouvement est circulaire crsquoest-agrave-dire lrsquoeacutether nous avons vu

que son milieu naturel eacutetait le ciel et qursquoil nrsquoavait pas de milieu contre-nature Or srsquoil eacutetait en

dehors du ciel dans la mesure ougrave son milieu naturel est le ciel cela signifierait qursquoil serait

dans son milieu contre-naturel ce qui nrsquoest pas possible

Et si aucun des corps simples nrsquoy est aucun des corps mixtes nrsquoy est non plus car il estneacutecessaire que si un corps mixte srsquoy trouve les corps simples y soient aussi 279a1-2

Pour les corps composeacutes lrsquoargument est le mecircme Le corps composeacute est un corps qui

contient un meacutelange de plusieurs eacuteleacutements mais son mouvement se fait en fonction de

lrsquoeacuteleacutement qui domine en lui (il a donc un mouvement simple en fonction du corps simple qui

le constitue) Un corps admettons composeacute a 60 de terre et 40 de feu sera attireacute vers le

centre Ainsi il est neacutecessaire que ce corps simple ou composeacute ait un lieu naturel ou contre-

nature puisqursquoil est en mouvement vers son lieu naturel ou en mouvement vers un lieu contre-

nature De plus il y a deux types de mouvement lrsquoun circulaire et lrsquoautre rectiligne Pour le

corps qui se meut en cercle naturellement il nrsquoy a aucun lieu qui soit contre-nature dans la

mesure ougrave il nrsquoest ni geacuteneacuterable ni corruptible nous lrsquoavons vu Ce corps ne peut donc pas

changer de lieu naturel pour un autre lieu Aristote conclut par la force mecircme des arguments

contenus dans le De Caelo et de lrsquoorganisation du monde qui repose sur les notions de milieu

naturel et de mouvement naturel que le monde est formeacute de lrsquoensemble de la matiegravere et qursquoil

ne pourrait pas y avoir un autre ciel Le ciel est donc unique

Mais Aristote ne srsquoarrecircte pas agrave lrsquoaffirmation selon laquelle le ciel est unique Il ajoute

Il est en mecircme temps clair qursquoil nrsquoy a ni lieu ni vide ni temps en dehors du ciel En toutlieu en effet il est possible qursquoil existe un corps et lrsquoon dit que le vide est ce en quoi il

29

nrsquoy a pas de corps mais ougrave il est possible qursquoil en vienne un quant au temps crsquoest lenombre drsquoun mouvement et il nrsquoexiste pas de mouvement sans corps naturel 279a10

Il nrsquoy a pas de lieu pas de vide et pas de temps en dehors du ciel selon Aristote Mais

pourquoi Il ne peut y avoir de lieu car en tout lieu il est possible qursquoil y ait un corps Il nrsquoy a

pas non plus de vide dans la mesure ougrave le vide est deacutefini comme ce en quoi il nrsquoy a pas de

corps mais ougrave il pourrait y en avoir un Srsquoil existait un lieu qui nrsquoabrite aucun corps alors ce

lieu serait vide et srsquoil existe un lieu vide alors il pourrait y avoir un corps Mais puisque rien

ne peut venir agrave lrsquoecirctre en dehors du ciel pour les raisons invoqueacutees plus haut alors il ne peut ni

y avoir de vide ni de lieu en dehors du ciel De plus on se repreacutesente le vide comme un lieu

ougrave il nrsquoy a rien or il nrsquoy a pas de lieu en dehors du ciel Crsquoest lrsquoargument drsquoAristote pour

deacutefendre lrsquoideacutee qursquoil nrsquoy a ni lieu ni vide en dehors du ciel Mais pourquoi nrsquoy aurait-il pas de

temps Parce que le temps est deacutefini comme eacutetant le nombre drsquoun mouvement Le

mouvement eacutetant un changement selon le lieu drsquoune part et drsquoautre part la proprieacuteteacute drsquoun

corps dans la mesure ougrave il nrsquoy a pas de lieu et pas de corps en dehors du ciel il ne peut pas

non plus y avoir de mouvement

30

Chapitre 2 Deacutebat sur la question des ecirctres de laquo lagrave-bas raquo

durant lrsquoAntiquiteacute Aristote agrave Simplicius

31

21 Compreacutehension antique du laquo τἀκεῖ raquo du De Caelo au commentaire de Simplicius

211 τἀκεῖ De Caelo I 9 279a15-b3

Nous nous sommes donc dans le premier moment de notre propos familiariseacute avec

les concepts aristoteacuteliciens et avec la conception aristoteacutelicienne du ciel afin de pouvoir par la

suite ecirctre le plus clair possible De plus la lecture du De Caelo nous a permis de rendre

compte de son contenu drsquoune part et de ses problegravemes drsquoautres part Crsquoest alors dans un

contexte drsquoexamen des interpreacutetations platoniciennes de lrsquouniciteacute du monde et dans un

contexte drsquoexposition drsquoarguments en faveur de lrsquouniciteacute du monde qursquoapparaicirct la notion qui

dans notre propos est probleacutematique la notion de takei La seconde partie de notre propos

consistera alors agrave rendre compte drsquoun passage fort obscur du De Caelo I 9 en lrsquoanalysant A la

suite de cela nous restituerons les arguments de Simplicius et drsquoAlexandre drsquoAphrodise

respectivement en faveur du takei comme notion signifiant le Premier Moteur Immobile ou la

sphegravere des fixes Il srsquoagira alors de comprendre quelles eacutetaient les thegraveses dominantes durant

lrsquoAntiquiteacute concernant le passage du De Caelo qui nous inteacuteresse et surtout comment elles

eacutetaient deacutefendues

Tout ce qui plus haut a eacuteteacute dit nous a permis de justifier la question suivante nous

avons vu que le ciel eacutetait unique et que ni matiegravere ni lieu ni vide et ni temps ne pouvait se

trouver hors du ciel Nous avons de plus affirmeacute que rien ne pouvait venir agrave lrsquoecirctre en dehors

du ciel Alors pourquoi dans le chapitre 9 du premier livre du De Caelo Aristote en arrive agrave

la conclusion suivante

Crsquoest pourquoi les ecirctres de lagrave-bas par nature nrsquoont ni lieu ni temps qui les fasse vieillir etil nrsquoy a pas non plus aucun changement pour les ecirctres qui sont disposeacutes au-dessus de latranslation la plus exteacuterieure inalteacuterables et impassibles ils ont la meilleure et la plusautonome des vies qursquoils megravenent pour toute sa dureacutee

Ce passage tregraves obscur est lrsquoobjet preacutecis de notre meacutemoire Quel est le lien entre le

fait que le monde soit unique que rien ne puisse venir agrave lrsquoecirctre en dehors du ciel pour la raison

qursquoil nrsquoy a ni matiegravere ni lieu ni vide ni temps au-delagrave du ciel et la citation ci-dessus Il est

difficile de le dire Il semblerait agrave premiegravere vue que la conclusion agrave laquelle arrive Aristote

est la suivante srsquoil nrsquoy a pas de lieu de vide de temps et de matiegravere alors les ecirctres qui sont

32

au-delagrave du ciel nrsquoont ni lieu ni temps ni vide ni corps Pourtant il a affirmeacute auparavant que

rien ne pouvait venir agrave lrsquoecirctre ou ecirctre venu agrave lrsquoecirctre en dehors du ciel Ce qui est eacutetonnant est

contenu de la conclusion mais aussi principalement le fait que la forme de cette conclusion

preacutesuppose qursquoil existe des ecirctres au-delagrave du ciel ou du moins elle nrsquoexclut pas qursquoil y en ait

Mais si cela est vrai alors ces ecirctres nrsquoont par nature aucun lieu aucun temps aucun corps

sensible donc aucun mouvement Que pourrait-il exister qui ne soit ni dans un lieu ni

corporel et qui nrsquoait pas de temps Chose eacutetonnante il affirme qursquoil nrsquoy a pas de lieu en

dehors du ciel tout en affirmant que des ecirctres se trouvent laquo lagrave-bas raquo deacutesignant un lieu qui nrsquoest

pas censeacute exister Plus encore Aristote les situe preacuteciseacutement ils sont au dessus de la

translation la plus exteacuterieure Cette translation la plus exteacuterieure est la circonfeacuterence la plus

eacuteloigneacutee du centre crsquoest le ciel compris dans son premier sens la sphegravere des fixes Le

problegraveme est donc de savoir ce que sont ces ecirctres hors du ciel dans la mesure ougrave ils ne sont

dans aucun lieu mais sont situeacutes quelque part De plus comment maintenir la continuiteacute entre

le deacutebut de ce texte dont lrsquoobjet sont les ecirctres de lagrave-bas alors qursquoagrave la fin du texte il est

question du corps qui se meut en cercle Comment drsquoailleurs comprendre le rapport entre les

deux dans la mesure ougrave il est dit des ecirctres de lagrave-bas qursquoils sont sans mouvement parfaitement

immobile alors qursquoil est dit de lrsquoecirctre divin drsquoune part qursquoil est immobile ne pouvant pas ecirctre

mucirc par quelque chose drsquoexteacuterieur agrave lui mais que son mouvement est circulaire Comment

lrsquoecirctre le plus divin peut-il ecirctre immobile et se mouvoir en cercle De plus que peut-il y avoir

en dehors du Tout ou de la totaliteacute Et srsquoil y a quelque chose en dehors du Tout le Tout reste-

t-il la totaliteacute dans la mesure ou il nrsquoinclurait pas tout

Il est dit de ces ecirctres qursquoils nrsquoont pas de temps et qursquoils ne changent pas En effet le

changement est compris comme un mouvement et vice-versa Le mouvement est la proprieacuteteacute

drsquoun corps Il ne peut donc y avoir aucun mouvement en dehors du ciel et aucun changement

La geacuteneacuteration et la corruption sont eacutegalement des changements mais puisque rien ne peut

venir agrave lrsquoecirctre hors du ciel alors rien ne peut ecirctre geacuteneacutereacute et rien ne peut se corrompre Ce qui

implique que les ecirctres de lagrave-bas sont ingeacuteneacuterables et incorruptibles Aristote lrsquoaffirme ils sont

inalteacuterables et impassibles Mais qursquoest-ce que lrsquoalteacuteration chez Aristote Nous lrsquoavons

eacutegalement vu lrsquoalteacuteration est un changement dans la qualiteacute de la chose cela signifie que srsquoils

sont inalteacuterables leurs qualiteacutes ne peuvent pas changer Lrsquoimpassibiliteacute quant agrave elle implique

qursquoils ne peuvent ecirctre affecteacutes drsquoaucune maniegravere On note eacutegalement dans le texte drsquoorigine en

grec ancien lrsquoutilisation du pluriel pour deacutefinir ce qui se trouve au-dessus de la translation la

plus exteacuterieure τἀκεῖ On sait donc par conclusion qursquoil y a quelque chose en dehors du ciel

33

qui nrsquoa ni lieu ni temps qui est inalteacuterable impassible et qui nrsquoest pas seul en effet le

pluriel de ce terme grec qui signifie laquo les choses de lagrave-bas raquo nous rappelle qursquoil nrsquoexiste pas

qursquoun seul ecirctre lagrave-bas mais plusieurs Ces ecirctres inalteacuterables et impassibles sans temps et sans

lieu sont par conseacutequent eacuteternels De plus Aristote nous dit qursquoils ont la vie la meilleure et la

plus autonome qui soit Crsquoest-agrave-dire qursquoils ne deacutependent de rien drsquoautre que drsquoeux-mecircmes

pour ecirctre Preacuteciser que leur vie est la laquo meilleure raquo implique-t-il une comparaison avec un

autre style de vie autonome agrave un degreacute infeacuterieur Par exemple celle des corps qui ont un

mouvement eacuteternel et simple dans leur milieu naturel qui nrsquoa pas de contraire et qui implique

que les astres soient eacuteternels Cette vie autonome les takei la megravenent pour toute sa dureacutee Mais

pourquoi Aristote affirme une telle chose alors mecircme qursquoil nrsquoy a pas de temps Quel est le

rapport entre le temps et la dureacutee

[hellip] car le terme qui enveloppe le temps de la vie de chacun hors duquel on nrsquoestrien selon la nature a eacuteteacute appeleacute laquo dureacutee de vie raquo de chacun

La dureacutee de vie de chacun est donc ce qui enveloppe le temps de la vie de chacun

Mais srsquoil nrsquoy a pas de temps comment peut-il y avoir quelque chose enveloppeacute par la dureacutee

Si la dureacutee de vie de chacun est ce qui enveloppe le temps de la vie de chacun alors la dureacutee

de vie eacuteternelle des ecirctres de lagrave-bas est ce qui enveloppe le temps de la vie eacuteternelle de ces

ecirctres Sans temps il ne pourrait donc pas y avoir de dureacutee car la dureacutee nrsquoenvelopperait rien

Le temps est ce qui chez Aristote est relatif au combien de temps La question du laquo combien

de temps raquo suppose qursquoil y a du temps qui passe donc un mouvement qui se produit Mais

hors du ciel il nrsquoy a ni corps ni mouvement ni temps donc comment les ecirctres de lagrave-bas

peuvent-ils avoir la vie pour toute sa dureacutee

La dureacutee est la totaliteacute du temps de la vie de quelque chose et crsquoest aussi le terme qui

englobe la totaliteacute du temps du ciel Le ciel compris comme un Tout ou une totaliteacute crsquoest-agrave-

dire la troisiegraveme maniegravere de parler du ciel est une dureacutee On considegravere que comme le terme

de laquo dureacutee raquo a une origine commune avec le laquo fait drsquoexister toujours raquo alors le ciel qui est une

dureacutee est une dureacutee en vertu du fait qursquoil dure toujours Ainsi le ciel est immortel et divin car

il existe toujours sans srsquoarrecircter

Le problegraveme qui se pose est alors celui de comprendre le rapport entre les deux parties

de ce texte on y traite dans un premier temps en 279a15 des ecirctres qui seraient disposeacutes au-

delagrave du ciel en les caracteacuterisant comme eacutetant des ecirctres qui ne sont dans aucun lieu et soumis agrave

34

aucun changement A partir de la notion de dureacutee il argumente en faveur de lrsquoeacuteterniteacute du ciel

Pourquoi semble-t-il y avoir une discontinuiteacute dans lrsquoobjet de cet extrait

Aristote affirme que la dureacutee a un terme qui permet de mesurer le temps qui passe

alors que le ciel nrsquoen a pas Il en vient alors agrave parler de lrsquoecirctre divin duquel deacutepend la vie de

tout ce qui existe En effet la limite du ciel est la sphegravere des fixes en ce sens elle est ce qui

enveloppe le monde Toutefois il nous semble que la notion de dureacutee interrompe le discours

portant sur les ecirctres de lagrave-bas Srsquoil eacutetait au deacutepart question des takei il est deacutesormais question

de la sphegravere des fixes Sont-ils une seule et mecircme chose Telle est la question que les lecteurs

peuvent se poser et qui permettrait drsquounifier le texte

Et par exemple dans les travaux de philosophie destineacutes au grand public portant sur lesecirctres divins on deacuteclare souvent en srsquoappuyant sur des raisonnements que tout ecirctre divineacutetant premier et au-dessus des autres est neacutecessairement immuable 279A31-33

Nous arrivons alors au passage que nous avons eacutetabli comme eacutetant la partie C Aristote

se reacutefegravere agrave des travaux de philosophie portant sur les ecirctres divins La question que nous nous

posons ainsi que les interpregravetes est celle de savoir si les ecirctres divins dont il est question sont

les takei de la partie A Il existe alors un doute dans la compreacutehension de ce passage qui

reacutesulte drsquoune impression de discontinuiteacute entre la partie A et la partie C mais non pas drsquoune

opposition entre celles-ci Le problegraveme survient agrave cause drsquoun doute sur la coiumlncidence entre

lrsquoexpression takei et lrsquoexpression theion (ecirctres divins) Ces travaux de philosophie portant sur

les ecirctres divins affirme que les ecirctres divins sont immuables Pour Aristote cela teacutemoigne en

faveur de ce qursquoil a affirmeacute plus tocirct rien ne peut mouvoir le divin sinon cette chose serait

plus divine que le divin et ce nrsquoest pas possible

Il existe alors un deacutebat concernant ce passage Degraves lrsquoAntiquiteacute deux commentateurs

drsquoAristote srsquoaffrontent sur la question de lrsquoidentiteacute des takei Ces deux interpreacutetations sont

celle de Simplicius et celle drsquoAlexandre Le premier deacutefend lrsquoideacutee que lrsquoexpression takei

renvoie au Premier Moteur Immobile alors que le second deacutefend qursquoil srsquoagit de la sphegravere des

fixes Ces deux interpreacutetations se font alors concurrence et ont donneacute naissance agrave une longue

tradition interpreacutetative que nous eacutetudierons plus tard

On peut alors se demander quelle uniteacute il existe dans cet extrait du De Caelo de la fin

du chapitre 9 Livre I Il semblerait que les ecirctres dont nous parle Aristote et qui se situent au-

35

delagrave de la translation la plus exteacuterieure soient des corps qui se meuvent en cercle car ils ont en

commun certaines proprieacuteteacutes lrsquoeacuteterniteacute la dureacutee sans fin lrsquoautonomie Or il srsquoavegravere que les

ecirctres de lagrave-bas sont exteacuterieurs au ciel alors que les corps qui se meuvent en cercle sont dans le

ciel Ils sont de plus composeacutes de la matiegravere qursquoest lrsquoeacutether ce qui implique qursquoils ne puissent

pas ecirctre au-delagrave du ciel dans la mesure ougrave il nrsquoexiste aucune matiegravere en dehors du ciel ni

aucun mouvement

222 Le commentaire perdu drsquoAlexandre possibles reacuteponses au problegraveme du laquo τἀκεῖ raquo

Nous avons vu que De Caelo I 9 srsquoachevait sur un passage fort mysteacuterieux En effet

dans la partie A du texte que nous avons citeacute au deacutebut de notre propos Aristote affirme et

prouve par les arguments que nous avons vu plus tocirct qursquoil nrsquoexiste rien en dehors du ciel ni

lieu ni vide ni temps ni matiegravere Vient alors la conclusion que les ecirctres se trouvant en dehors

du ciel ne sont dans aucun lieu nrsquoont ni matiegravere ni temps qui les fassent vieillir Il srsquoagira

alors drsquoaborder les interpreacutetations antiques de ce passage dans le but de comprendre quelles

sont les hypothegraveses quant agrave lrsquoidentiteacute de ces ecirctres (τἀκεῖ en grec) et les arguments pour les

deacutefendre

Nous allons alors commencer par examiner lrsquointerpreacutetation drsquoAlexandre drsquoAphrodise

du De Caelo I 9 telle qursquoelle nous a eacuteteacute transmise par Simplicius dans son commentaire

Alexandre propose deux lectures hypotheacutetiques de cet extrait En effet il se demande

ce agrave quoi fait reacutefeacuterence Aristote lorsqursquoil emploie le terme de laquo τἀκεῖ raquo Soit ce qui est deacutecrit

comme eacutetant un ecirctre en dehors du ciel qui nrsquoest dans aucun lieu et qui nrsquoa pas de temps qui le

fasse vieillir renvoie agrave la doctrine du Premier Moteur Soit cela fait reacutefeacuterence agrave la sphegravere des

fixes Nous allons nous inteacuteresser agrave la premiegravere hypothegravese

Qursquoest-ce que le Premier Moteur En Meacutetaphysique Λ 1072b5 Aristote affirme que

le Premier Moteur est une substance et un acte Cela signifie que le Premier Moteur est une

substance eacuteternelle du fait qursquoelle nrsquoest pas mateacuterielle qui meut le Premier Ciel tout en eacutetant

immobile ce qui implique qursquoil soit tel qursquoil ne puisse jamais ecirctre autrement qursquoil nrsquoest En

effet la sphegravere des fixes eacutetant du domaine du divin et eacutetant mucirc de maniegravere continue et

eacuteternelle doit avoir un moteur qui soit parfaitement immobile car plus parfait qursquoelle De

plus cela permet drsquoexpliquer lrsquoeacuteterniteacute du mouvement ceacuteleste dans la mesure ougrave ce qui est la

cause drsquoun mouvement eacuteternel doit aussi ecirctre eacuteternel sans quoi elle se corromprait et le ciel

36

cesserait son mouvement ce qui nrsquoest pas possible Il y a donc une sorte de hieacuterarchie du

point de vue de la substance Crsquoest-agrave-dire que Aristote identifie trois substances deux

sensibles dont une corruptible une eacuteternelle La troisiegraveme substance quant agrave elle est dite

laquo motrice raquo puisqursquoelle est agrave lrsquoorigine du premier mouvement qui est celui du ciel Celle-ci

puisqursquoelle est agrave lrsquoorigine du mouvement du Premier Ciel est plus divine et plus parfaite

Qursquoest ce qursquoimplique lrsquohypothegravese selon laquelle le τἀκεῖ serait le premier moteur Le

premier moteur immobile est ce qui est agrave lrsquoorigine du premier mouvement crsquoest-agrave-dire le

mouvement en cercle du corps simple qursquoest le ciel Ce moteur est unique et eacuteternel Parce

que le lieu du plus divin est le plus haut on comprend le premier moteur comme eacutetant au

dessus du ciel puisqursquoil est plus divin que lui et est ce qui le met en mouvement Crsquoest

lrsquohypothegravese drsquoAlexandre sur la possibiliteacute que les laquo ecirctres de lagrave-bas raquo renvoient agrave la doctrine du

Premier Moteur Il nrsquoest dans aucun corps donc il est hors du ciel et il nrsquoest pas dans un lieu

puisqursquoil nrsquoest pas corporel et mateacuteriel Toutefois le pluriel utiliseacute par Aristote rend

compliqueacute cette hypothegravese dans la mesure ougrave le Premier Moteur immobile est unique affirme

Fabienne Baghdassarian19 Alexandre dit Simplicius affirme que cette theacuteorie nrsquoest pas

vraisemblable bien qursquoil propose cette lecture nrsquoest pas veacuteritablement en faveur de celle-ci Il

affirme la chose suivante dans le commentaire de Simplicius

If by lsquoabove the outermost movementrsquo he were speaking about the first cause (Alexandersays) he would be referring to [the region] above the orbit of the sphere of the fixed[starts] while if he were saying these things about the divine body the lsquooutermostmovementrsquo would mean the furthest of the rectilinear motions [hellip] So above thefurthest movement there is all of the revolving body which he says is neither in place norin time being eternal and ageless For while the divine body as a whole is not in placeparts of it are in place the spheres of the planets are in place20

En effet Alexandre pensait que si Aristote avait voulu parler du Premier Moteur il

aurait explicitement utiliseacute lrsquoexpression περɩ φορά et non pas φοράν Aristote utilise selon

Alexandre lrsquoexpression περɩ φορά pour deacutesigner le mouvement circulaire et non pas φοράν

qui deacutesigne le mouvement rectiligne Simplicius va critiquer cet argument en deacutefaveur de la

reacutefeacuterence au Premier Moteur drsquoAlexandre en affirmant qursquoAristote utilise aussi φοράν pour

deacutesigner le mouvement circulaire

19 Baghdassarian F opcit20 SIMPLICIUS 2881-9

37

Alexandre propose apregraves la premiegravere hypothegravese concernant la reacutefeacuterence au Premier

Moteur Immobile une seconde hypothegravese selon laquelle le τἀκεῖ renvoie agrave la sphegravere des fixes

Il fait donc reacutefeacuterence au livre 4 de la Physique Dans ce chapitre il deacutefinit le lieu comme laquo la

limite du corps englobant raquo La sphegravere des fixes nrsquoest dans aucun lieu dans la mesure ougrave elle

nrsquoest englobeacutee par aucun corps En effet le cosmos aristoteacutelicien srsquoorganise de la maniegravere

suivante il y a le centre de lrsquounivers qui est enveloppeacute par la limite du corps qui se trouve

dans la reacutegion sublunaire Autour de cette reacutegion sublunaire se trouve le corps ceacuteleste qui est

la sphegravere des fixes comme un corps englobant le ciel compris comme un Tout Entre la Lune

et la sphegravere des fixes se trouve le corps dans la continuiteacute de la sphegravere des fixes sur lequel se

trouvent certains astres comme le Soleil Jupiter et drsquoautres Mais rien nrsquoenveloppe la sphegravere

des fixes ce qui implique que la sphegravere des fixes nrsquoest dans aucun lieu Donc srsquoil se reacutefegravere

aux ecirctres divins au-delagrave de la translation la plus exteacuterieure cela signifie que la translation la

plus exteacuterieure est en fait le mouvement rectiligne le plus haut celui du feu Mais pourquoi le

mouvement rectiligne serait le mouvement le plus haut Nous avons affirmeacute que le lieu eacutetait

la limite du corps englobant or la sphegravere des fixes nrsquoest englobeacutee par rien ce qui implique

que la sphegravere des fixes (le premier ciel) nrsquoest dans aucun lieu Le lieu qui existe est ce qui se

trouve enveloppeacute par la sphegravere des fixes crsquoest-agrave-dire le corps qui est dans la continuiteacute de la

sphegravere des fixes (lrsquoeacutether) et sur lequel se trouvent certains astres puis seacutepareacute par la Lune le

monde sublunaire dont le mouvement du feu est le mouvement rectiligne le plus haut Cet

argument selon Alexandre permet de montrer que cet extrait porte sur la sphegravere des fixes et

non des reacutealiteacutes qui seraient en dehors du ciel Le ciel au sens premier nrsquoeacutetant ni dans un lieu

ni soumis au temps le τἀκεῖ qualifieacute comme nrsquoeacutetant ni dans un lieu ni soumis agrave aucun

changement du fait de son absence du temps se reacutefeacutererait alors agrave la sphegravere des fixes

On peut alors conclure que Alexandre preacutefegravere lire ce texte en supposant qursquoAristote se

reacutefegravere au corps simple qui se meut en cercle lorsqursquoil parle des laquo ecirctres de la-bas raquo crsquoest-agrave-dire

au ciel au sens de la sphegravere des fixes

213 Compreacutehension et hypothegravese de Simplicius sur les ecirctres de lagrave-bas

Simplicius propose une autre lecture possible de ce passage Simplicius est le chef de

file tout comme Alexandre qui considegravere que le τἀκεῖ est une reacutefeacuterence au premier ciel drsquoune

longue tradition interpreacutetative selon laquelle le Premier Moteur Immobile serait ce qui est viseacute

par Aristote dans lrsquoensemble du passage qui nous inteacuteresse Il laisse en 2888 de cocircteacute

38

lrsquointerpreacutetation drsquoAlexandre du problegraveme du τἀκεῖ et reprends son commentaire lineacuteaire du

De Caelo

After saying that things divine are lsquopossessed of the best and most self-sufficient of livesrsquoand that lsquothey persist throughout all the agesrsquo he wishes also to establish theirimmortality and eternality on the basis of the word lsquoagersquo [hellip] For we call the completeand all-embracing time of the life of something its age lsquobeyond which there is nonenaturalrsquo21 2888

Aristote cherche agrave fonder lrsquoimmortaliteacute du corps ceacuteleste qursquoest le ciel au sens de la

sphegravere des fixes sur lrsquoorigine du mot laquo dureacutee raquo En effet il existe un rapport eacutevident entre le

premier ciel qui englobe tout et la dureacutee crsquoest-agrave-dire le terme qui englobe la totaliteacute du temps

de la vie de chaque choses Le ciel comme la dureacutee sont englobants ainsi il nrsquoest pas eacutetonnant

drsquoaffirmer que dans la mesure ougrave le ciel (crsquoest-agrave-dire la sphegravere des fixes) nrsquoest pas englobeacute

par la dureacutee puisqursquoil nrsquoy a pas de temps en dehors du ciel et qursquoil nrsquoy a pas de dureacutee sans

temps qui passe le corps qui srsquoy trouve nrsquoest pas soumis agrave la corruption et agrave la mort il est

immortel

Simplicius se reacutefegravere alors agrave une œuvre perdue drsquoAristote De la philosophie22 dans le

but de donner lrsquoargument aristoteacutelicien en faveur de lrsquoeacuteterniteacute du divin afin de preacuteparer

lrsquoargument selon lequel les ecirctres de lagrave-bas seraient les intelligibles Lrsquoargument drsquoAristote est

le suivant partout ou il y a quelque chose de mieux il y a quelque chose de meilleur le

divin Aristote affirme qursquoune chose peut ecirctre mise en mouvement par deux causes possibles

par une chose qui lui est exteacuterieure ou par elle-mecircme Si ce qui meut un corps est une cause

exteacuterieure il est neacutecessaire qursquoelle soit meilleure que ce qursquoelle meut ou moins bonne Si

crsquoest par elle-mecircme alors il est neacutecessaire que ce soit vers quelque chose de meilleur ou vers

quelque chose de pire Aristote dans le DP affirme qursquoil nrsquoy a rien de meilleur que le divin

sinon cette chose serait plus divine que le divin Donc rien ne peut changer le divin puisque

qursquoil ne manque drsquoaucun des biens et est parfaitement bon Puisqursquoil nrsquoy a rien de mauvais

chez le divin cela implique qursquoil ne puisse pas ecirctre mucirc vers le pire ni par un autre ni par lui-

mecircme Le divin se changerait-il lui mecircme Simplicius se reacutefegravere pour reacutepondre agrave cette

21 Simplicius 2888 22 Traiteacute perdu drsquoAristote dont le passage du De Caelo laquo les ecirctres de lagrave-bas raquo semble issu ou srsquoy reacutefegravere tout du

moins

39

question au livre II de La Reacutepublique de Platon dans lequel Platon affirme que le meilleur et

le plus divin est ce qui subit le moins de changement ou aucun changement de lrsquoexteacuterieur A

partir de lagrave il se pose la question de savoir si le divin qui ne peut pas ecirctre alteacutereacute par ce qui lui

est exteacuterieur du fait qursquoil est le meilleur srsquoaltegravere lui-mecircme vers le meilleur ou vers le pire

Dans la mesure ougrave le divin possegravede tous les biens srsquoil srsquoaltegravere ce sera neacutecessairement vers le

pire car il ne peut pas ecirctre plus parfait qursquoil ne lrsquoest deacutejagrave Mais puisque personne ne se

changerait pour le pire et le moins beau volontairement alors cela implique que le divin ne se

change pas

Ces arguments tireacutes de La Reacutepublique II et du De Philosophia permettraient alors agrave

Simplicius de critiquer la theacuteorie drsquoAlexandre Aristote ne peut pas se reacutefeacuterer agrave la sphegravere des

fixes dans la mesure ougrave celle-ci est en mouvement Son mouvement est certes eacuteternel car il

ne connaicirct aucun changement son lieu de deacutepart est son lieu drsquoarriveacutee donc son mouvement

est eacuteternel Mais cela implique qursquoil soit mucirc par quelque chose qui neacutecessairement est plus

divin que lui et qui ne peut pas ecirctre en mouvement drsquoaucune maniegravere que ce soit

That not all of it can be interpreted as applying to the heavenly body is clear Ithink from what has just been said For having shown that there is no body either simpleor composite outside the heaven he argued lsquoat the same time it is clear that there can beneither place void nor time beyond the heavensrsquo And having shown this and concludedlsquotherefore it is obvious that there is neither place nor void nor time outside he theninfers as it were from what has been said some corollaries lsquofor this reason the thingswhich are of a nature to be there are not in place nor can time cause them to grow oldand so on by lsquothe things therersquo clearly meaning those outside the heaven So how couldthe heaven be said to be outside the heaven And how could he say that there is nochange of any kind for any of the heavenly bodies when he sees that their change ofplace is unceasing And neither does he say that the things which are positioned abovethe furthest movement are heavenly bodies23

On ne peut donc pas interpreacuteter tout le texte comme eacutetant au sujet des corps ceacutelestes

pour Simplicius en raison de ce qui a eacuteteacute dit par Aristote Puisqursquoil a montreacute qursquoil nrsquoy avait

pas de corps en dehors du ciel car celui-ci eacutetait constitueacute de lrsquoensemble de la matiegravere il

affirme qursquoil nrsquoy a pas de lieu ndash en raison du fait que le lieu est lagrave ougrave il y a un corps ndash pas de

vide ndash car le vide est lagrave ougrave il nrsquoy a pas de corps mais ougrave il pourrait y en avoir un ndash et pas de

temps car le temps est une proprieacuteteacute des corps et qursquoil nrsquoy a pas de corps en dehors du ciel

Crsquoest pourquoi laquo les ecirctres de lagrave-bas raquo ne peuvent pas faire reacutefeacuterence aux corps ceacutelestes

23 Simplicius 290 1-17

40

Puisque le τἀκεῖ est deacutesigneacute comme nrsquoeacutetant pas dans un lieu pas dans le temps et nrsquoayant pas

de matiegravere que lrsquoexteacuterieur du ciel nrsquoest ni du vide ni du temps et qursquoil ne peut y avoir aucun

corps Simplicius en conclut que laquo lagrave-bas raquo signifie laquo au-delagrave du ciel raquo Il oppose alors

drsquoautres critiques agrave la theacuteorie drsquoAlexandre par rapport agrave ce qui vient drsquoecirctre dit comment le

ciel pourrait-il ecirctre en dehors du ciel Comment Aristote pourrait-il affirmer srsquoil se reacutefeacuterait agrave

la sphegravere des fixes qursquoil nrsquoy a aucune sorte de changement pour le ciel tout en affirmant que

son mouvement est eacuteternel et incessant Il semble alors compliqueacute de soutenir que le τἀκεῖ

renvoie agrave la sphegravere des fixes ou aux corps ceacutelestes qui se meuvent en cercle

Simplicius comprend alors nos trois parties De Caelo I 9 agrave la lumiegravere du De

Philosophia et de Reacutepublique II Puisque ce qui est en mouvement lrsquoest neacutecessairement par

quelque chose de plus parfait que lui alors ce qui meut le ciel est plus parfait que le ciel Il

srsquoagit de srsquointeacuteresser au moteur immobile qui meut le premier ciel crsquoest-agrave-dire le Premier

Moteur Il souligne toutefois que ce passage est obscur et laisse possible lrsquointerpreacutetation

suivante lorsqursquoAristote fait reacutefeacuterence au mouvement eacuteternel du ciel crsquoest pour parler de ce

qui le meut En effet le Premier Moteur Immobile est plus divin que le ciel puisque ce qui

met une chose en mouvement est plus divin qursquoelle En ce sens il serait dit laquo au-delagrave du ciel raquo

car au-dessus de la nature des corps ceacutelestes Cela implique alors que laquo au-delagrave raquo ne

signifierait pas un lieu mais une nature hieacuterarchiquement supeacuterieure agrave celle du ciel

Il accepte cependant que le texte ne soit pas du deacutebut de la partie A agrave la fin de la partie

C au sujet du Premier Moteur Lorsque Aristote fait mention de la notion de dureacutee il fait

reacutefeacuterence agrave la sphegravere des fixes En effet la fin de la dureacutee est la limite qui permet la

quantification de la dureacutee mais le ciel nrsquoa pas de dureacutee il est compris comme ce qui englobe

la dureacutee de vie de tout ce qui est Mais apregraves avoir eacutetabli la premiegravere signification de la dureacutee

qui fait le lien avec le premier ciel Aristote bascule vers lrsquoideacutee que ce qui comprend

lrsquoensemble du temps et de lrsquoinfiniteacute est une dureacutee et crsquoest donc une reacutefeacuterence au Premier

Moteur car de lui deacutepend de maniegravere directe lrsquoecirctre et la vie eacuteternelle du corps ceacuteleste et de

maniegravere indirecte lrsquoecirctre et la vie des corps du monde sublunaire De maniegravere indirecte car les

corps du monde sublunaire ne sont pas directement mis en mouvement par lui mais leur vie

deacutepend de celle de la sphegravere des fixes qui elle est directement mise en mouvement par le

Premier Moteur Immobile

Simplicius deacutefend alors sur le fondement de ces arguments que le τἀκεῖ fait reacutefeacuterence

au Premier Moteur Immobile et non au corps ceacuteleste Simplicius va alors mecircme jusqursquoagrave

41

changer le texte original drsquoAristote en optant pour kinai plutocirct que kineitai ce qui permet

drsquoattribuer une fonction motrice au τἀκεῖ Ce changement lui permet alors de faire

correspondre le τἀκεῖ agrave la theacuteorie du Premier Moteur sans forcer lrsquointerpreacutetation De ce fait

le τἀκεῖ renverrait agrave quelque chose de transcendant agrave lrsquoordre ceacuteleste car le premier ciel est

mucirc en vertu de la perfection de son moteur celle-ci accordeacutee au τἀκεῖ dans la mesure ougrave il ne

connaicirct aucun changement et est parfaitement autonome Pour appuyer la theacuteorie de

Simplicius nous pouvons ajouter lrsquoargument de la coiumlncidence entre la description du τἀκεῖ

dans le DC et celle du Premier Moteur Immobile dans Meacutetaphysique Λ lrsquoun comme lrsquoautre

sont dits parfaitement immuables eacuteternels et autonomes

42

Chapitre 3 Interpreacutetations modernes du De Caelo I 9

La question du τἀκεῖ premier moteur reacutealiteacutes hyper-

cosmiques ou sphegravere des fixes reacutealiteacutes ceacutelestes

43

31 Le problegraveme de la continuiteacute argumentative du Livre I 9

311 La discontinuiteacute du sujet en faveur de la transcendance du τἀκεῖ

Le deuxiegraveme moment de notre propos nous a donc servi agrave comprendre quels eacutetaient les

arguments deacutefendus durant lrsquoAntiquiteacute par Simplicius et Alexandre drsquoAphrodise Ces deux

interpregravetes sont les chefs de file de deux interpreacutetations qui sopposent celle de Simplicius

selon laquelle le takei ferait reacutefeacuterence au Premier Moteur Immobile et celle drsquoAlexandre

selon laquelle il srsquoagirait drsquoune reacutefeacuterence agrave la sphegravere des fixes Ces deux thegraveses srsquoaffrontent

depuis lrsquoAntiquiteacute Elles ont influenceacute les interpreacutetations modernes et ont forgeacute une logique

binaire dans la maniegravere de comprendre lrsquoidentiteacute des ecirctres de lagrave-bas Ce deacutebat antique se

perpeacutetue dans un deacutebat entre les interpregravetes modernes Il srsquoagira alors de restituer les

arguments modernes heacuteritiegraveres des deux interpreacutetations antiques afin de rendre compte de la

logique binaire du deacutebat Toutefois nous ne nous limiterons pas agrave cette binariteacute et nous nous

inteacuteresserons agrave des theacuteories plus originales telles que celle de Peacutepin ou celle de Merlan

Si nous avons eacutevoqueacute plus haut le problegraveme de la continuiteacute des ideacutees aristoteacuteliciennes

au sein du corpus aristoteacutelicien et plus particuliegraverement au regard du De Caelo crsquoest dans le

but de poser les preacutemisses drsquoarguments qui reposent sur la continuiteacute ou la discontinuiteacute du

De Caelo I9 Nous nous fonderons pour le moment sur les deux alternatives les plus

populaires du problegraveme de lrsquoidentiteacute du τἀκεῖ avec drsquoune part les arguments en faveur drsquoune

reacutefeacuterence astrale et drsquoautre part les arguments en faveur drsquoune reacutefeacuterence agrave un ou des ecirctres

transcendant le ciel Mais nous verrons un certain type drsquoarguments en faveur de lrsquoune ou

lrsquoautre ideacutee en effet les arguments que nous expliciterons seront ceux qui reposent sur une

analyse de la continuiteacute ou de la discontinuiteacute du passage qui deacutebute en 279a18 et qui se

termine agrave la fin du chapitre 9 dans le but de comprendre comment sont justifieacutees lrsquoune ou

lrsquoautre ideacutee Nous allons alors nous inteacuteresser preacuteciseacutement agrave lrsquoobjet ou les objets de ce passage

via lrsquoarticle de Fabienne Baghdassarian24

Si le chapitre I 9 se refermait sur les remarques qui preacutecegravedent sans doute nrsquoaurait-iljamais paru eacutenigmatique Chacun srsquoaccorderait agrave reconnaicirctre derriegravere laquo les ecirctres de lagrave-basraquo des reacutealiteacutes hypercosmiques conformeacutement agrave ce qursquoindiquent clairement agrave la fois leurdescription topographique et le contexte argumentatif de lrsquoextrait Neacuteanmoins le textepoursuit une analyse dont on a du mal agrave comprendre comment elle peut ne pas remettreen question lrsquohypothegravese de la transcendance Il apparaicirct en effet que le texte agrave supposer

24 Baghdassarian F opcit2011 p192

44

qursquoil traite de reacutealiteacutes transcendantes en 279a18-22 change de sujet agrave une ou plusieursreprises pour deacutevelopper des consideacuterations qui font une reacutefeacuterence plus explicite au ciel

Fabienne Baghdassarian agrave la suite de cet extrait explicite les trois moments de

lrsquoargumentation du passage 279a18-b3 du De Caelo I 9 Il semble selon sa lecture y avoir

une discontinuiteacute dans lrsquoobjet du texte En effet dans un premier temps apregraves avoir conclu

qursquoil nrsquoexistait ni lieu ni vide ni temps et ni corps en dehors du ciel et que les ecirctres qui se

situaient laquo au dessus de la translation la plus exteacuterieure raquo nrsquoavaient laquo ni lieu ni temps qui les

fasse vieillir raquo et qursquoils nrsquoeacutetaient soumis agrave aucun type de changement Aristote fait intervenir

la notion de αἰών crsquoest-agrave-dire la notion de la dureacutee Vient ensuite la partie C qui concerne le

mouvement ceacuteleste

Mais le problegraveme majeur qui se pose au sujet de la continuiteacute argumentative de cette

fin de chapitre 9 de De Caelo I est majoritairement ducirc agrave une reacutefeacuterence mysteacuterieuse agrave des

laquo travaux de philosophie destineacutes au grand public portant sur les ecirctres divins raquo 279a31 qui

cassent lrsquoargumentation agrave tel point que ce passage est suspecteacute drsquoecirctre un ajout tireacute drsquoun traiteacute

perdu drsquoAristote le De Philosophia

La preacutesence de ce supposeacute passage du De Philosophia complexifie lrsquoensemble de la

fin du De Caelo I 9 En effet ce texte creacuteeacute ce qui semble ecirctre une discontinuiteacute dans

lrsquoargumentation geacuteneacuterale de chapitre 9 Certains auteurs voient le De Philosophia comme

eacutetant agrave propos pour eacuteclairer la question de lrsquoidentiteacute des takei crsquoest le cas de Dumoulin25 qui

retrace lrsquoargumentation du De Caelo au regard du De Philosophia Il coupe le texte original en

diffeacuterents paragraphes dans le but de faire ressortir lrsquoenchaicircnement des ideacutees Successivement

il voit agrave partir de 279a11-18 les conseacutequences de lrsquoabsence de corps en dehors du ciel De

279a19-22 lrsquoaffirmation selon laquelle tout ce qui est immateacuteriel est immobile De 279a22-

30 un deacutebut de paragraphe qui porte sur lrsquoeacuteterniteacute du ciel De 279a31-34 le principe geacuteneacuteral

de lrsquoimmutabiliteacute du divin fondeacute sur des travaux de philosophie qui traitent des ecirctres divins

Enfin de 279a34-b3 il est question de lrsquoimmutabiliteacute du mouvement ceacuteleste Il apparaicirct alors

que le texte dont il est question deacutebute par les conseacutequences de lrsquoabsence de temps de lieu et

de corps en dehors du ciel agrave savoir que les ecirctres qui se situent au-delagrave du ciel nrsquoont ni lieu ni

temps ni corps Puis Aristote finit par un eacuteloge de lrsquoeacuteterniteacute du mouvement ceacuteleste Le

mouvement est le propre des corps mais srsquoil nrsquoy a pas de corps en dehors du ciel il nrsquoy a pas

non plus de mouvement Donc pourquoi passe t-on du constat que les ecirctres en dehors du ciel

25 Dumoulin Recherches sur le premier Aristote Eudegraveme De la philosophie Protreptique1981 p 53-65

45

nrsquoont ni corps ni aucun mouvement pour ensuite louer lrsquoeacuteterniteacute du mouvement ceacuteleste Tel

est le problegraveme de lrsquouniteacute argumentative de ce passage26

Drsquoapregraves Alexandre citeacute par Simplicius deux interpreacutetations srsquoaffrontaient danslrsquoAntiquiteacute les ecirctres en question deacutesignent le premier moteur immobile pour les uns etle ciel des fixes pour les autres Cette alternative continue agrave gouverner lrsquointerpreacutetation dupassage pour le premier moteur immobile nommons agrave la suite de Simplicius ZellerTricot Untersteiner Berti agrave la suite drsquoAlexandre pour le ciel des fixes Werner GuthrieMoreau Festugiegravere Nous allons ecirctre conduit agrave contester le principe de cette alternative

Comme le rappelle Dumoulin il existe deux alteacuternatives agrave lrsquointerpreacutetation de ce

passage Il srsquoagit maintenant de comprendre lrsquoargument qui permet agrave Dumoulin drsquoaffirmer

que le τἀκεῖ fait reacutefeacuterence agrave des reacutealiteacutes qui se placeraient au-delagrave de la sphegravere des fixes et non

sur la sphegravere Il annonce alors explicitement qursquoil srsquoagira de contester la theacuteorie drsquoune

reacutefeacuterence ceacuteleste

Comment srsquoy prend Dumoulin pour justifier lrsquoideacutee que le τἀκεῖ renvoie agrave des ecirctres qui

se trouvent au-delagrave de la translation la plus exteacuterieure ou agrave la theacuteorie du Premier Moteur

Immobile Sa deacutemarche consiste agrave comprendre le texte par le texte lui-mecircme en srsquointeacuteressant

agrave lrsquoutilisation des mots et agrave leur sens le plus naturel Crsquoest pourquoi il commence son

explication en rappelant deux choses τἀκεῖ vient de ἐκεῖ qui dans Physique VIII 10 267b9

deacutesigne la localisation du Premier Moteur Immobile De plus τἀκεῖ manifeste un pluriel qui

bien qursquoil semble ne pas correspondre agrave lrsquoideacutee du Premier Moteur Immobile qui est censeacute ecirctre

unique correspond agrave lrsquoideacutee drsquoune pluraliteacute de principes qui peuvent exister agrave partir du

moment ougrave il existe une hieacuterarchie entre eux Cette ideacutee lisible dans Meacutetaphysique Λ 8

correspond eacutegalement agrave celle preacutesente dans le fragment 17 du De Philosophia Notons de

plus le fait que le Premier Moteur est dit laquo immobile raquo crsquoest-agrave-dire qursquoil ne connaicirct aucune

espegravece de changement ni dans la substance ni dans le lieu de la mecircme maniegravere qursquoil est dit

des τἀκεῖ qursquoils sont parfaitement immobiles Toutefois cela signifie-t-il que si le τἀκεῖ est

transcendant au ciel son identiteacute correspond agrave celle du Premier Moteur Immobile Pas

neacutecessairement Dumoulin envisage la possibiliteacute en fonctionnant de maniegravere reacutetrospective et

en se tournant vers le Timeacutee de Platon que le τἀκεῖ fasse reacutefeacuterence agrave un ecirctre divin immobile

mais pas forcement moteur La lecture organiseacutee de ce texte comme nous lrsquoavons vu plus

haut par le biais de Dumoulin permet de comprendre qursquoil existe une deacutemonstration logique

au texte En effet les conseacutequences du fait qursquoil nrsquoy ait ni corps ni temps ni lieu en dehors du

26 Ibid p54

46

ciel impliquent que ce qui est en dehors du ciel est immateacuteriel et dans la mesure ougrave le temps

est le nombre du mouvement alors les ecirctres qui se situent au-delagrave du ciel nrsquoont pas de

mouvement et sont parfaitement immobiles Leur immobiliteacute due agrave leur immateacuterialiteacute font

drsquoeux des ecirctres divins car eacuteternels mais cela implique-t-il que comme le Premier Moteur

Immobile ils aient une fonction motrice Crsquoest pourquoi Dumoulin se tourne vers le Timeacutee

Partir sur la piste de la transcendance du τἀκεῖ sans pour autant faire reacutefeacuterence au Premier

Moteur Immobile peut nous faire penser agrave la diviniteacute immateacuterielle du Timeacutee qui a ordonneacute le

monde Aristote ayant eacuteteacute durant un certain nombre drsquoanneacutees lrsquoeacutelegraveve de Platon nous sommes

en droit de nous demander srsquoil nrsquoavait pas au deacutepart postuleacute un ecirctre immateacuteriel et divin sans

penser agrave un ecirctre qui serait le moteur du mouvement Il nous faut alors eacutetablir la distinction

entre ce qursquoune chose est (par exemple divine eacuteternelle parfaitement immobile) et ce qursquoelle

fait la fonction qursquoelle remplit (par exemple mettre en mouvement le premier ciel) Il est

alors question ici de celui que lrsquoon appelle le laquo premier Aristote raquo celui qui eacutetant platonicien

reacutefleacutechissait agrave partir de cette conception du monde Cette theacuteorie servirait-elle alors de

preacutemisse agrave ce qui sera plus tard la theacuteorie du Premier Moteur Nous pouvons nous le

demander mais y reacutepondre aurait besoin drsquoun autre propos Neacuteanmoins cette ideacutee permet de

proposer une lecture particuliegravere du De Caelo I9 selon laquelle il y a une reacutefeacuterence agrave des ecirctres

hypercosmiques crsquoest-agrave-dire qui se trouvent au dessus du ciel sans toutefois se reacutefeacuterer au

Premier Moteur Immobile

Mais lrsquoargument en faveur de la transcendance du τἀκεῖ ne srsquoarrecircte pas lagrave Nous

lrsquoavons dit ce passage est obscur car il est fait mention drsquoun ouvrage qui porte sur les ecirctres

divins et qursquoil semble que ce texte du fait de ses diffeacuterents objets soit en partie issu drsquoun

traiteacute perdu drsquoAristote De Philosophia Nous lrsquoavons dit et le rappelons en 279a18 il est

question drsquoecirctres qui se situent au-dessus de la translation la plus exteacuterieure et apregraves une

eacutetrange analogie sur la notion de dureacutee se trouve un eacuteloge du mouvement eacuteternel des astres

Ce passage est celui qui brise la continuiteacute de lrsquoargumentation et nous pousse agrave douter de son

appartenance premiegravere au De Caelo A quoi se reacutefegravere donc le τἀκεῖ Et quelle est lrsquoidentiteacute

des ecirctres divins (theia) dont nous parle Aristote Le ciel Les ecirctres de lagrave-bas

Dumoulin compare un fragment du De Philosophia et le passage 279a34-b3 du De

Caelo et il en ressort de maniegravere quasiment eacutevidente que le traiteacute Du ciel se reacutefegravere tregraves

clairement au De Philosophia Nous pouvons le constater via la comparaison entre le

fragment du De Philosophia et le passage du De Caelo dont il est question dans lrsquoeacutetude de

47

Dumoulin27 Mais ce passage est-il une simple reacutefeacuterence Une paraphrase Une citation

Cette question est complexe et la conclusion nous permettra de comprendre lrsquoargumentation

geacuteneacuterale du texte et de soutenir lrsquoideacutee drsquoune veacuteritable ceacutesure dans lrsquoargumentation

Nous trouvons quelque chose de bien eacutetrange dans le texte drsquoAristote une chose fort

bien exprimeacutee par Simplicius dans son commentaire si nous savons que le premier moteur

immobile est dans la Physique la Meacutetaphysique agrave lrsquoorigine du premier mouvement crsquoest-agrave-

dire celui de la sphegravere des fixes Aristote affirme dans la partie C qursquoil nrsquoy a rien de plus fort

qui puisse mouvoir le ciel car sinon cette chose serait plus divine que le ciel Mais puisque le

ciel est parfait et qursquoil ne manque drsquoaucun des biens cela nrsquoest pas possible Comment

expliquer cela Srsquoagit-il drsquoun changement doctrinal Drsquoune citation Drsquoune paraphrase

Simplicius avait trois sources agrave sa disposition pour commenter le De Caelo La Reacutepublique

II de Platon des fragments du De Philosophia et le texte qursquoil commente Nous observons

premiegraverement qursquoil semble y avoir un emprunt agrave la Reacutepublique II de Platon

Nest-il pas neacutecessaire si toutefois un ecirctre peut sortir de sa propre forme soit quil semeacutetamorphose lui-mecircme de sa propre initiative soit quil soit transformeacute par un autre380D28

Or les choses les meilleures ne sont-elles pas celles qui sont le moins susceptibles decirctrealteacutereacutees et mises en mouvement par autre chose quelles-mecircmes 380E

Degraves lors tout ecirctre bien constitueacute que ce soit par nature en vertu de lart ou pour ces deuxraisons agrave la fois sera le moins susceptible de subir un changement causeacute par un autre[hellip] Et pourtant le dieu tout comme les choses qui concernent le dieu est absolumentparfait [hellip] Mais ne peut-il se changer et salteacuterer lui-mecircme [hellip] Se change-t-il alors enmieux et en plus beau ou en pire et en plus laid Si vraiment il srsquoaltegravere cestneacutecessairement dans le sens du pire 381b-381c

En mecircme temps Platon ne cherche pas agrave prouver lrsquoexistence drsquoun Dieu qursquoil soit

parfait ou non (mecircme srsquoil est neacutecessairement parfait pour Platon du fait de sa nature) En

effet Platon critique les poegravetes qui attribuent aux dieux des qualiteacutes qui ne sont pas les leurs

et qui sont mecircme contradictoires avec leur nature propre De quoi soutenir lrsquoideacutee que cet

extrait nrsquoest pas tireacute de la Reacutepublique II sans quoi cela signifierait qursquoAristote a attribueacute au

monde sensible crsquoest-agrave-dire au ciel un passage qui chez Platon ne traite pas drsquoun sensible

27 Ibid p58 28 PLATON La Reacutepublique 2002

48

mais bel et bien drsquoun dieu parfait et immateacuteriel La diffeacuterence drsquoobjet entre le DC et la

Reacutepublique II nous pousse agrave penser qursquoil serait eacutetrange de reprendre le mecircme argument agrave un

moment pareil

Si Simplicius nrsquoa pas trouveacute cet argument dans la Reacutepublique II et qursquoil ne vient pas

du DC lui-mecircme alors cela signifie qursquoil vient de la troisiegraveme source dont disposait

Simplicius le De Philosophia ou plutocirct du commentaire drsquoAlexandre qui lui le posseacutedait

Crsquoest pourquoi la comparaison qui a eacuteteacute effectueacutee plus haut nous permettait drsquoaffirmer qursquoil

ne srsquoagit pas drsquoune paraphrase du DP dans le DC mais plutocirct drsquoune citation Mais cela ne

prouve pas qursquoil existe une discontinuiteacute de lrsquoobjet et de lrsquoargumentation dans ce passage du

De Caelo Nous lrsquoavons dit le deacutebut du passage 279a18 affirme assez clairement que les

ecirctres qui se trouvent au-delagrave de la translation la plus exteacuterieure sont sans corps sans lieu et

sans temps En mecircme temps apregraves une analogie entre la dureacutee et le ciel nous en arrivons agrave

lire un texte qui porte sur la perfection du corps ceacuteleste ce qui a priori semble eacutetonnant dans

la mesure ougrave le τἀκεῖ se situe en dehors du ciel et que le corps ceacuteleste est le ciel lui-mecircme

Ces diffeacuterents passages nous plongent dans lrsquoincompreacutehension et savoir qursquoil srsquoagit drsquoune

citation du DP nrsquoaide pas agrave comprendre pourquoi ce changement de sujet Crsquoest pourquoi

Dumoulin formule une hypothegravese agrave ce sujet

Nrsquooublions pas que Simplicius est le chef de file de ceux qui entendent du PremierMoteur Immobile tout le texte de De Caelo I 9 279a11-b3 On peut donc soupccedilonner cequi srsquoest passeacute Simplicius trouvait dans sa source deux passages du De Philosophia Lepremier eacutetablissait lrsquoexistence de la diviniteacute suprecircme immateacuterielle et le second eacutetablissaitle caractegravere divin du monde stellaire il a soudeacute ces deux textes qui dans sa penseacutee

concernaient lrsquoun et lrsquoautre le Premier Moteur29

Simplicius en commentant Aristote avance une preuve de lrsquoexistence de Dieu en

affirmant que lagrave ougrave il y a un ecirctre meilleur il y a forcement un ecirctre excellent dans la mesure ougrave

il y a une hieacuterarchie entre les ecirctres30 Il voit en cet argument le moyen de justifier que le τἀκεῖ

fait reacutefeacuterence au premier moteur Mais cet argument ne vient absolument pas du De Caelo lui-

mecircme il est un ajout au texte du DC et est tireacute du DP par Simplicius Il aurait donc servi agrave

justifier lrsquoexistence drsquoun ecirctre immateacuteriel et absolument parfait La suite du texte portant sur le

ciel aurait alors eacuteteacute compris comme suivant cette thegravese drsquoun ecirctre parfait et immateacuteriel ce qui

29 Dumoulin opcit p 6030 Simplicius (2892)

49

aurait pousseacute Simplicius agrave croire en lrsquoideacutee drsquoune reacutefeacuterence au Premier Moteur Immobile tout

en refusant lrsquoideacutee drsquoune ceacutesure dans lrsquoargumentation puisqursquoil affirmait que la totaliteacute du texte

portait sur un seul et mecircme objet le premier moteur

Au vu de cet argument nous pouvons comprendre pourquoi Dumoulin deacutefend lrsquoideacutee

qursquoil srsquoagit drsquoune reacutefeacuterence agrave des ecirctres qui se trouvent au-delagrave du ciel En effet il admet une

discontinuiteacute drsquoobjet dans le passage du De Caelo ducirc agrave lrsquoajout drsquoarguments tireacutes du DP pour

forcer le lien Toutefois cette discontinuiteacute est plus complexe qursquoelle en a lrsquoair dans la mesure

ougrave Dumoulin nrsquoaffirme pas ouvertement ndash et en ces termes ndash qursquoil y en a une En fait il est

drsquoavis de dire qursquoil y a une discontinuiteacute dans le degreacute de diviniteacute dont il est question si

Aristote fait lrsquoeacuteloge du mouvement ceacuteleste apregraves avoir affirmeacute que les ecirctres au-delagrave du ciel

sont immateacuteriels et ne subissent aucun changement crsquoest dans le but de manifester la

perfection (encore plus haute que celle du ciel) des ecirctres de lagrave-bas

312 La continuiteacute du sujet en faveur des reacutealiteacutes ceacutelestes

Mais nous lrsquoavons dit il existe de maniegravere geacuteneacuterale deux eacutecoles pour lrsquointerpreacutetation

du τἀκεῖ La premiegravere deacutefend lrsquoideacutee qursquoil srsquoagit lagrave drsquoune reacutefeacuterence agrave des ecirctres transcendant le

ciel la seconde deacutefend lrsquoideacutee qursquoil est question des ecirctres ceacutelestes Nous avons alors vu que

Dumoulin deacutefend la theacuteorie selon laquelle il existe un changement de sujet dans

lrsquoargumentation du De Caelo I 9 Cela lui permet de deacutefendre lrsquoideacutee qursquoil srsquoagit drsquoune

reacutefeacuterence agrave un ou des ecirctres transcendants Il srsquoagit donc maintenant de montrer comment

certains auteurs et plus particuliegraverement Moraux deacutefendent lrsquoideacutee contraire Comment srsquoy

prend Moraux pour deacutefendre la theacuteorie drsquoune reacutefeacuterence astrale en critiquant lrsquoideacutee que la

position contraire a des conseacutequences tregraves dures sur lrsquoargumentation du texte

Avant de nous inteacuteresser agrave la critique que Moraux formule envers ceux qui deacutefendent

lrsquoideacutee drsquoune reacutefeacuterence agrave des ecirctres transcendants nous allons nous inteacuteresser agrave la faccedilon dont le

texte a eacuteteacute traduit par Moraux et qui rend compte de la maniegravere dont il lrsquointerpregravete31

Il nrsquoest point de changement pour aucun des ecirctres disposeacutes sur la translation la plusexteacuterieurehellip

31 Aristote Du ciel1965 p37 Il srsquoagit de la traduction de Moraux et nous nous inteacuteressons plus particuliegraverement agrave lrsquointroduction de cette œuvre par ce dernier

50

Nous pouvons la distinguer de la traduction de Dalimier et Pellegrin En effet si le grec ὑπέρ

est traduit par ces derniers par laquo au-dessus de raquo Moraux lui le traduit par laquo sur raquo Il affirme

alors ici que le texte fait reacutefeacuterence agrave quelque chose qui se situe sur la translation la plus

exteacuterieure et non au-delagrave ce qui change radicalement la vision que nous avons du texte Nous

affirmions plus haut par le biais de Dumoulin qursquoil existait un changement de sujet dans le

passage 279a18-b3 En effet au deacutebut ce dont il est question dans le texte est des ecirctres qui se

trouvent laquo au-dessus de la translation la plus exteacuterieure raquo et agrave la fin il porte sur lrsquoeacuteterniteacute du

mouvement circulaire Mais si nous traduisons la preacuteposition ὑπέρ par laquo sur raquo plutocirct que laquo au-

dessus raquo alors il nrsquoy a plus drsquoideacutee de discontinuiteacute et le passage du deacutebut agrave la fin porte sur

des ecirctres ceacutelestes Toutefois Fabienne Baghdassarian souligne qursquoil est le seul agrave traduire le

texte ainsi et que mecircme Alexandre qui deacutefendait lrsquoideacutee drsquoune reacutefeacuterence astrale comprend le

texte comme portant sur quelque chose qui est au-delagrave drsquoun mouvement La raison pour

laquelle Moraux traduit le texte de cette maniegravere est justifieacutee par lrsquoutilisation de ὑπέρ dans le

De Caelo en effet cette proposition ne sert pas agrave justifier ce qui se trouve au-delagrave de quelque

chose Pour manifester cette ideacutee Aristote utilise plutocirct ἔξω En mecircme temps Fabienne

Baghdassarian lui objecte la chose suivante

La preacuteposition ὑπέρ lorsqursquoelle est employeacutee avec lrsquoaccusatif deacutesigne ce qui est au-dessus de quelque chose et non pas ce qui est sur lui En outre chacune des occurrencesde cette preacuteposition dans le DC qursquoelle srsquoaccompagne de lrsquoaccusatif ou mecircme du geacutenitifsert constamment agrave deacutesigner ce qui est au-dessus drsquoun point de reacutefeacuterence Enfin crsquoesttoujours la preacuteposition ἐν et non pas ὑπέρ qui sert agrave deacutesigner les corps qui sont fixeacutes sur

lrsquoorbite 32

Nous observons alors diffeacuterents arguments ceux qui portent sur des questions de grammaire

et ceux qui portent sur des questions de terminologie Mecircme si ὑπέρ nrsquoest pas neacutecessairement

utiliseacutee pour parler de ce qui se trouve au-delagrave drsquoune chose son utilisation accompagneacutee de

lrsquoaccusatif ( φοράν) fait reacutefeacuterence agrave ce qui est au-dessus drsquoune chose et non pas agrave ce qui est

sur une chose Il srsquoagit alors drsquoun problegraveme de grammaire et de traduction Fabienne

Baghdassarian soutiendrait-elle lrsquoideacutee drsquoune erreur dans la traduction de Moraux Pour ce qui

est de la question terminologique Fabienne Baghdassarian affirme que pour deacutesigner ce qui

est sur les sphegraveres Aristote utilise la preacuteposition ἐν et non la preacuteposition ὑπέρ

32 Baghdassarian F opcit 2011 p188

51

Revenons agrave lrsquoideacutee que deacutefend Moraux Puisqursquoil traduit le passage en affirmant que le

τἀκεῖ se trouve sur la translation la plus exteacuterieure et non pas au-delagrave il affirme par

conseacutequent que le passage traite entiegraverement des ecirctres ceacutelestes et plus preacuteciseacutement de ceux

qui se trouvent sur la sphegravere des fixes Il ne rencontre donc pas le problegraveme de la discontinuiteacute

de lrsquoobjet de ce passage Il affirme cependant que De Caelo I 9 est remarquable du fait que

trois parties se distinguent

Le second panneau du diptyque relatif agrave lrsquouniciteacute du monde est tout agrave fait remarquable (chap9) Lrsquoexamen du style et du contenu philosophique permet drsquoy distinguer trois parties qui ont probablement eacuteteacute reacutedigeacutees agrave des eacutepoques diffeacuterentes Reacutefeacuterence

La premiegravere partie de cet exposeacute est assimileacutee agrave Meacutetaphysique Ζ du fait qursquoelle porte

sur la matiegravere et la forme en utilisant les mecircmes arguments et les mecircmes exemples Aristote

affiche un style tregraves rigoureux proche de celui de Meacutetaphysique Z Cela est eacutetonnant dans la

mesure ougrave la Meacutetaphysique est une œuvre qui serait relativement tardive Il suppose donc que

le passage du De Caelo I 9 qui srsquoeacutetend de 277b33 agrave 278a9 a eacuteteacute eacutecrit agrave la mecircme eacutepoque que

Meacutetaphysique Z

Quant agrave la deuxiegraveme partie qui srsquoeacutetendrait de 278b10 agrave 279a18 elle serait plus propre

au style qursquoarbore Aristote dans le De Caelo dans la mesure ougrave les arguments utiliseacutes seraient

ceux qui portent sur les milieux naturels et servirait agrave conclure lrsquoargumentation geacuteneacuterale du

chapitre

La suite de 279a18 agrave 279b3 qui est la partie dans laquelle apparaicirct le τἀκεῖ serait

alors pour Moraux une sorte drsquoenvoleacutee lyrique quasiment poeacutetique qui serait le propre des

dialogues aristoteacuteliciens Ce passage serait alors exclu de lrsquoargumentation et nrsquoapporterait

donc rien agrave celle-ci Toutefois comme le fait Dumoulin nous lrsquoavons vu Moraux semble

enteacuteriner lrsquoideacutee majoritairement valideacutee selon laquelle ce passage serait un extrait du De

Philosophia bien qursquoil nrsquoaffirme pas comme Dumoulin que le texte soit une reacutefeacuterence agrave des

ecirctres se situant au-delagrave du ciel Moraux affirme que cet extrait a eacuteteacute ajouteacute agrave ce passage pour

adoucir un exposeacute complexe sur la matiegravere et la forme Mais si tous les interpregravetes ou

presque admettent que ce passage soit issu du DP ils ne lrsquointerpregravetent pas tous de la mecircme

maniegravere

52

Les uns pensent qursquoAristote y ceacutelegravebre la sphegravere des fixes qursquoil tenait alors pour le dieusuprecircme Drsquoautres preacutetendent au contraire qursquoil parle drsquoentiteacutes divines transcendantes aumonde peut-ecirctre identiques aux fameuses laquo intelligences raquo des sphegraveres Pour deacutefendreleur exeacutegegravese ces derniers sont contraints drsquoadmettre la preacutesence drsquoune anacolutheextrecircmement dure et certains drsquoentre eux vont mecircme jusqursquoagrave modifier le textetraditionnel mais le souci drsquoeacuteleacutegance stylistique qui se manifeste dans tout le passagerend bien improbable lrsquohypothegravese drsquoune pareille neacutegligence 33

Moraux rappelle briegravevement les deux interpreacutetations qui srsquoopposent agrave la suite de quoi

il critique celle qui soutient que le passage fait reacutefeacuterence agrave des ecirctres transcendants Il fait

reposer sa critique sur deux arguments ceux qui soutiennent que ce passage porte sur des

ecirctres transcendants sont contraints de modifier le texte original dans lrsquointeacuterecirct de leur theacuteorie

Moraux fait ici reacutefeacuterence agrave Simplicius qui dans son commentaire remplace κινεῖται (en

279b1) par κινεῖ afin drsquoaccorder aux τἀκεῖ la puissance de mouvoir le ciel de maniegravere

circulaire en raison de lrsquoeacuteleacutement qui les compose lrsquoeacutether Mais le texte traditionnel ne fait pas

mention drsquoune quelconque fonction motrice du τἀκεῖ crsquoest pourquoi Moraux nrsquoaccepte pas

cette correction Son second argument repose sur le style de ce passage Celui-ci est fort

poeacutetique eacutevoquant les dialogues aristoteacuteliciens et tregraves travailleacute il semble donc improbable

qursquoAristote ait pu changer de sujet en plein milieu de son discours En effet pour ceux qui

affirment qursquoil y a lagrave une reacutefeacuterence agrave des ecirctres divins transcendant le ciel il faut admettre qursquoil

y a une veacuteritable discontinuiteacute de lrsquoobjet du texte voire une ceacutesure totale Mais le travail

fourni pour produire un texte styliseacute comme celui-ci nous permet de douter qursquoAristote ait eacuteteacute

si neacutegligeant sur lrsquoobjet de ce passage

Tels sont les arguments en faveur de la reacutefeacuterence ceacuteleste que Moraux deacutefend

eacutegalement et qui repose sur lrsquoideacutee qursquoil nrsquoexiste pas de changement de sujet dans ce passage

portant du deacutebut agrave la fin sur les ecirctres qui se trouvent sur la translation la plus exteacuterieure

Ces auteurs sont en deacutebat direct sur la question de lrsquointerpreacutetation de ce passage de

plus leurs arguments reposent sur le mecircme thegraveme qui est celui de la continuiteacute ou la

discontinuiteacute de lrsquoargumentation du De Caelo I 9 Il srsquoagira alors drsquoaborder un autre point

theacutematique en opposant les interpregravetes qui font reposer leurs argumentations sur la question

du lieu dans la philosophie aristoteacutelicienne

33 Moraux opcit 1965 pLXXV

53

32 Le lieu des corps ceacutelestes lrsquoabsence de lieu du τἀκεῖ

321 Lrsquoabsence de lieu en faveur de la reacutefeacuterence ceacuteleste

Le De Caelo I 9 porte tout entier sur la question de lrsquouniciteacute du ciel Nous lrsquoavons

expliqueacute plus haut lorsqursquoune substance formelle est meacutelangeacutee agrave la matiegravere il peut exister

une infiniteacute drsquoecirctres avec une mecircme forme speacutecifique dans la mesure ougrave ce qui est mateacuteriel

peut exister en nombre tregraves grand sinon infini Mais il nrsquoen est pas ainsi pour le ciel puisqursquoil

contient lrsquoensemble de toute la matiegravere et que rien ne peut venir agrave ecirctre en dehors de lui

Aristote aboutit agrave la conclusion selon laquelle il nrsquoy a pas de corps en dehors du ciel donc pas

de temps pas de lieu et pas de vide non plus Nous allons deacutesormais nous inteacuteresser agrave la

question du lieu puisque celui-ci pourrait nous donner une piste de reacuteflexion concernant

lrsquoidentiteacute des ecirctres de lagrave-bas et est un argument que lrsquoon retrouve souvent en faveur ndash ou en

deacutefaveur ndash de la reacutefeacuterence ceacuteleste Lrsquoargument qursquoil srsquoagira de restituer sera celui de Mugnier

au sein drsquoun deacutebat qui porte sur le lieu drsquoune part et drsquoautre part sur le rapport entre la

cosmologie platonicienne et la cosmologie aristoteacutelicienne dans lrsquointeacuterecirct de faire une sorte de

cartographie du problegraveme du De Caelo I 9

Lrsquoœuvre de Mugnier porte sur lrsquoeacutevolution de la penseacutee drsquoAristote Dans un passage

portant sur la jeunesse platonisante drsquoAristote apregraves avoir repeacutereacute des similitudes mais aussi

des diffeacuterentes entre les doctrines platoniciennes et les doctrines aristoteacuteliciennes Mugnier

affirme la chose suivante

Mais si Aristote semble mettre de cocircteacute le Deacutemiurge il ne renonce pas agravelrsquoIntelligence gouvernant le monde et nous lrsquoavons vu il prouve son existence agrave lrsquoaidedrsquoarguments emprunteacutes aux Lois Cette Intelligence ou Dieu qui deviendra plus tard lePremier Moteur immobile est-elle consideacutereacutee par Aristote comme lrsquoacircme du monde Ilest vraisemblable de le penser quoique nous soyons sur ce point reacuteduits aux conjecturesEt maintenant cette Intelligence est-elle devenue un Premier Moteur seacutepareacute du monde ettranscendant ou au contraire immanente agrave lrsquoUnivers En drsquoautres termes Aristote srsquoest-il prononceacute pour un theacuteisme ou pour un immanentisme Crsquoest agrave cette question que nousallons nous forcer de reacutepondre en examinant les principes et les thegraveses du Philosophe34

Nous comprenons immeacutediatement le rapport entre la cosmologie platonicienne que

nous avons deacutecouverte via le Timeacutee et la cosmologie aristoteacutelicienne En effet certains

fondements de la theacuteorie cosmologique aristoteacutelicienne viennent de celle de Platon bien que

34 Mugnier La Theacuteorie du premier moteur et lrsquoeacutevolution de la penseacutee aristoteacutelicienne 1930 p15

54

dans son platonisme Aristote se soit distingueacute de son maicirctre Aristote refusait lrsquoideacutee drsquoun

Deacutemiurge qui dans le Timeacutee est le creacuteateur du monde et drsquoIdeacutees seacutepareacutees qui servent

drsquoexemples agrave la conception du monde Mais il ne refuse pas lrsquoideacutee de lrsquoIntelligence dans les

Lois de Platon qui gouverne le monde et le dirige vers la feacuteliciteacute ou son contraire35 La

question qui se pose alors est celle de savoir si cette Intelligence est divine et transcendante au

ciel ou si elle est immanente au Premier Ciel Que signifie cet immanentisme Crsquoest lrsquoideacutee

selon laquelle le Premier Moteur immobile ou lrsquoIntelligence est lrsquoacircme du Premier Ciel et

celui-ci est son corps de sorte que le Premier Moteur ou lrsquoIntelligence serait de la mecircme

maniegravere que lrsquoacircme humaine est dans le corps humain dans quelque chose le premier ciel

crsquoest-agrave-dire la sphegravere des fixes Reacutepondre agrave la question de la transcendance ou de

lrsquoimmanence permettrait donc de comprendre ce qursquoentend Aristote par laquo takei raquo dans le De

Caelo I 9 et de comprendre les arguments de Mugnier en faveur de telle ideacutee ou telle autre

Pour reacutepondre agrave ce problegraveme Mugnier se reacutefegravere agrave Physique VIII 6 Si lrsquoimmanentisme

suggegravere lrsquoideacutee drsquoune analogie entre lrsquoacircme humainele corps humain et le Premier Moteurle

Premier ciel peut-on comparer lrsquoacircme humaine au Premier Moteur En drsquoautres termes le

Premier Moteur est-il mucirc par accident comme lrsquoest lrsquoacircme humaine Mais que signifie laquo ecirctre

mucirc par accident raquo Telles sont les questions que se pose Mugnier Dans le traiteacute De lrsquoAcircme36

Aristote affirme que lrsquoacircme humaine eacutetait immobile par essence mais en mouvement par

accident du fait de son lien avec le corps Puisque le corps se deacuteplace lrsquoacircme qui est dans le

corps est deacuteplaceacutee et est donc en mouvement par le corps et non par elle-mecircme crsquoest en ce

sens que lrsquoon dit qursquoelle est mue par accident Mugnier se demande alors ce qursquoil en est du

Premier moteur acircme du Premier ciel Srsquoil met en mouvement le Premier ciel est-il mucirc

eacutegalement par accident Comment ne pourrait-il pas ecirctre emporteacute par le mouvement de son

corps Mugnier tente de reacutepondre agrave ces questions dans le but de montrer que le Premier

Moteur ne peut pas ecirctre emporteacute par le mouvement de son corps le Premier Ciel dans la

mesure ougrave celui-ci nrsquoa pas de changement local eacutetant donneacute qursquoil nrsquoest pas dans un lieu

Le souci que pose la theacuteorie du mouvement par accident de lrsquoacircme du Premier Ciel est

que quelque chose de mucirc par accident ne saurait donner agrave une autre chose un mouvement

Pour comprendre cette ideacutee il faut comprendre quel est le mouvement de lrsquoacircme humaine pour

Mugnier si elle est transporteacutee quelque part par accident elle cherchera agrave rejoindre son

milieu naturel et imposera donc un mouvement au corps qursquoelle habite pour le faire se

mouvoir vers un milieu particulier qui est le sien Mais ce mouvement lagrave nrsquoest pas eacuteternel

35 PLATON Lois 2003 897a Traduction par A Diegraves36 ARISTOTE De lrsquoAcircme 2005 406b25 Traduction par P Thillet

55

puisqursquoil se termine une fois le lieu atteint Pour qursquoil y ait un mouvement eacuteternel il faut donc

une acircme motrice qui soit toujours elle-mecircme et dans son propre lieu sinon elle imposera un

mouvement agrave son corps qui ne durera que le temps de retourner dans le lieu qui lui est propre

Aristote affirme lui-mecircme lrsquoimmobiliteacute du Premier Moteur

Drsquoapregraves cela on pourra se convaincre que si quelque chose fait partie des moteursimmobiles mais eux-mecircmes mus par accident il est impossible qursquoil meuve drsquounmouvement continu De sorte que srsquoil est neacutecessaire que le mouvement existecontinucircment il faut qursquoil existe un premier moteur non mucirc mecircme par accident37

Le Premier Moteur est donc neacutecessairement immobile sinon il ne pourrait pas ecirctre la

cause drsquoun mouvement eacuteternel Il srsquoagit alors de se demander comment il est possible que le

Premier Moteur acircme du Premier Ciel ne soit pas ecirctre mucirc par accident La condition

neacutecessaire au mouvement accidentel du Premier Moteur est que le Premier Ciel soit mucirc Or il

nrsquoexiste rien en dehors du ciel pas mecircme un lieu comme nous lrsquoavons vu dans la partie 0

Mais tout ce qui est en mouvement lrsquoest neacutecessairement dans un lieu pour Aristote crsquoest

pourquoi il nrsquoest pas rationnel de parler de mouvement pour un corps qui nrsquoest pas dans un

lieu La question agrave laquelle nous arrivons est celle de savoir si nous pouvons parler de

deacuteplacement pour le Premier Ciel Se demander si le Premier Ciel se deacuteplace revient donc agrave se

demander si le Premier Ciel est dans un lieu (ἐν τόπῳ)

Nous avons vu dans le De Caelo I 9 que le lieu eacutetait lrsquoendroit ou il eacutetait possible qursquoil

existe quelque chose ce qui nrsquoest pas le cas pour lrsquoexteacuterieur du ciel De plus le lieu est la

limite du corps englobant38 mais il nrsquoy a rien en dehors du ciel donc rien pour lrsquoenglober

Mugnier arrive assez rapidement agrave la conclusion qursquoil nrsquoexiste pas de lieu en dehors du ciel et

surtout que la sphegravere des fixes nrsquoest dans aucun lieu La question du lieu est primordiale dans

lrsquoideacutee du mouvement puisque lrsquoon juge qursquoune chose est en mouvement par rapport agrave un lieu

selon Aristote nous jugeons qursquoune chose se deacuteplace en la regardant par rapport agrave un autre

point de repegravere qui se trouve agrave lrsquoexteacuterieur de ce qui est en deacuteplacement Une chose peut aussi

ecirctre dite dans un lieu lorsqursquoelle est entoureacutee drsquoautres corps En cela nous pouvons dire que le

Premier Ciel nrsquoest pas dans un lieu mais les astres qui srsquoy trouvent sont dans un lieu formeacute

par les autres astres qui les entourent Mugnier donne alors lrsquoexemple suivant

37 ARISTOTE Physique VIII 6 259b20-26 Traduction par Pellegrin 38 ARISTOTE Physique IV 4 211b13

56

Voici une boule qui roule sur la terre elle se deacuteplace crsquoest-agrave-dire qursquoelle occupesuccessivement diffeacuterents lieux Et si nous pouvons dire qursquoelle est animeacutee drsquounmouvement de transport crsquoest parce qursquoil nous est loisible de choisir en dehors drsquoelle uncorps un point de repegravere crsquoest-agrave-dire quelque chose par rapport agrave quoi elle se deacuteplace

Le lieu se dessine en quelque sorte par ce qui lrsquoentoure Si on imagine cette mecircme

boule mais eacutetant entoureacutee par rien on ne peut pas dire qursquoelle est dans un lieu par contre on

peut dire drsquoelle qursquoelle constitue tout lrsquoespace dans la mesure ougrave elle est la seule chose qui

soit Mais du fait qursquoelle nrsquoest pas dans un lieu puisque rien ne lrsquoentoure elle ne peut se

deacuteplacer par rapport agrave rien ni par rapport agrave elle-mecircme Parce que cette boule serait tout ce

qursquoil y a elle ne peut pas se deacuteplacer en masse dans rien crsquoest-agrave-dire dans ou vers aucun lieu

et par rapport agrave rien Donc un corps qui nrsquoest enveloppeacute par rien nrsquoest pas dans un lieu et un

corps qui nrsquoest pas dans un lieu ne peut pas se deacuteplacer Tout cela nous ramegravene alors agrave la

question de savoir srsquoil existe quelque chose en dehors du Premier Ciel

Dans le De Caelo I 9 Aristote affirme qursquoil nrsquoexiste aucun corps en dehors du ciel

car si un corps existait lagrave-bas il serait soit simple soit composeacute Mais en vertu de la theacuteorie

aristoteacutelicienne des lieux et du mouvement il ne pourrait pas y avoir de corps simple en

dehors du ciel puisque le milieu naturel des corps simples se trouve dans le ciel Et aucun des

corps simples ne pourrait srsquoy trouver de maniegravere contre nature dans la mesure ougrave cela

signifierait que ce serait le lieu naturel drsquoun autre corps mais cela est impossible Il nrsquoy a pas

non plus de corps composeacutes en dehors du ciel car la preacutesence drsquoun corps composeacute impose la

preacutesence drsquoun corps simple et il ne peut pas y avoir de corps simples en dehors du ciel Mais

puisqursquoil nrsquoy a pas de corps il nrsquoy a pas de lieu nous dit Aristote car le lieu est ce en quoi il

peut y avoir un corps Il nrsquoy a pas non plus de temps car le temps est le nombre du

mouvement or le mouvement est une proprieacuteteacute des corps et il nrsquoy a pas de corps en dehors du

ciel donc pas de mouvement En vertu de toutes ces choses que nous avions vues mais que

nous avons rappeleacutees briegravevement Mugnier conclut deux choses il nrsquoexiste ni corps ni

temps ni lieu en dehors du ciel drsquoune part et il est eacutetrange de parler du Premier Ciel comme

un corps qui se deacuteplace puisqursquoil nrsquoest dans aucun lieu La conseacutequence de cela est simple et

reacutepond clairement agrave la question de deacutepart qui eacutetait celle de savoir comment le Premier Moteur

ne pouvait pas ecirctre mucirc par accident par le mouvement du Premier Ciel Puisque le Premier

Ciel nrsquoest pas dans un lieu il est absurde de parler de mouvement Ainsi nous pouvons

affirmer que le Premier Ciel ne se deacuteplace pas et donc ne peut pas entraicircner son acircme crsquoest-agrave-

dire le Premier Moteur dans un mouvement accidentel

57

Mais selon Mugnier Aristote affirme qursquoil existe un mouvement propre au Premier

Ciel il nrsquoest pas parfaitement immobile En effet la circonfeacuterence derniegravere du ciel se meut de

maniegravere circulaire mais nous avons dit que le Premier Ciel ne se deacuteplaccedilait pas ce qui semble

agrave premiegravere vue contradictoire En fait le ciel tourne sur lui-mecircme mais ne se deacuteplace pas vers

un autre endroit Il ne change pas de laquo place raquo On notera la difficulteacute de deacutecrire un

mouvement sans faire reacutefeacuterence agrave un lieu dans la mesure ougrave il nrsquoy a aucun lieu dans lequel se

trouve le ciel

Et le seul fait que la derniegravere sphegravere nrsquoest enveloppeacutee par aucun corps et qursquoil nrsquoy a paspar suite drsquoespace en dehors drsquoelle explique pour le dire en passant un passage fortobscur du De Caelo ougrave Aristote parle de choses qui sont situeacutees au-dessus de lrsquoextrecircmereacutevolution des astres [hellip] Mais que sont-elles Ougrave se trouvent-elles Des reacuteponsesdiffeacuterentes ont eacuteteacute donneacutees39

Mugnier en vient agrave traiter de la question du τἀκεῖ au sein drsquoune reacuteflexion sur le

mouvement du Premier Ciel ou plutocirct sur la possibiliteacute du mouvement du Premier Ciel en

raison de la preacutesence ou non drsquoun lieu dans lequel il serait englobeacute Aristote a montreacute qursquoil nrsquoy

avait pas de corps pas de lieu et pas de temps en dehors du ciel Cependant Mugnier note

qursquoAristote emploie un vocabulaire spatial pour deacutecrire les ecirctres qui se situent au-dessus de la

translation la plus exteacuterieure en effet Aristote les deacutecrit comme les ecirctres de laquo lagrave-bas raquo

(τἀκεῖ) ce qui semble directement renvoyer agrave un lieu et nrsquoa de sens que si le τἀκεῖ se trouve

dans un lieu Mais dans la mesure ougrave il nrsquoexiste pas de lieu en dehors du ciel Mugnier en

conclut que le τἀκεῖ fait reacutefeacuterence agrave quelque chose qui se situe dans le ciel et non agrave lrsquoexteacuterieur

de celui-ci Car seul ce qui est dans un lieu peut ecirctre deacutesigneacute comme eacutetant laquo lagrave-bas raquo crsquoest-agrave-

dire dans un lieu Nous pouvons de maniegravere plus preacutecise conclure de lrsquoargumentation

geacuteneacuterale de Mugnier qursquoil ne pense pas que le τἀκεῖ puisse faire reacutefeacuterence agrave la sphegravere des

fixes dans sa totaliteacute dans la mesure ougrave le tout qursquoelle est nrsquoest pas dans un lieu En revanche

ses parties crsquoest-agrave-dire les astres qui srsquoy trouvent sont dans un lieu les unes par rapport aux

autres et sont englobeacutees par la sphegravere des fixes Le τἀκεῖ semblerait alors pouvoir ecirctre une

reacutefeacuterence aux astres divins qui sont sur la sphegravere la plus eacuteloigneacutee du centre et non agrave la sphegravere

des fixes dans sa totaliteacute et encore moins un ecirctre qui lui serait transcendant Il srsquoagit alors

drsquoune conception meacutetaphorique du lieu utiliseacutee par Aristote puisque le terme laquo lieu raquo ne

renvoie pas reacuteellement agrave un lieu dans le cas preacutesent Toutefois Mugnier ne rend pas compte

de lrsquoutilisation du terme huper puisqursquoil nrsquoaffirme pas que cette expression renvoie a un au-

39 Mugnier opcit 1930 p77

58

dessus meacutetaphorique eacutegalement crsquoest-agrave-dire un au-dessus qui ne serait pas veacuteritablement hors

du ciel

322 Lrsquoabsence de lieu comme caracteacuteristique drsquoun ecirctre transcendant le ciel

Solmsen40 affirme sur la question du lieu comme justification de la transcendance ou

de lrsquoimmanence du τἀκεῖ que le τἀκεῖ est une reacutefeacuterence agrave un ecirctre transcendant du fait que

lrsquoabsence de lieu devient une caracteacuteristique de ce qui nrsquoa pas de lieu Mais comment en

arrive t-il agrave deacutefendre cette thegravese sans tomber dans le problegraveme de la description drsquoun ecirctre sans

lieu qui serait pourtant lagrave-bas crsquoest-agrave-dire quelque part Pour comprendre ce problegraveme

Solmsen se tourne vers la cosmologie platonicienne dans la mesure ougrave il traite explicitement

dans le Phegravedre drsquoun au-delagrave du ciel Mais quel est le rapport entre Platon et Aristote sur cette

question Solmsen srsquoexprime sur le τἀκεῖ dans un contexte historique Il cherche en quelque

sorte le fondement philosophique de la conception de lrsquoau-delagrave du ciel Crsquoest pourquoi

Solmsen en vient agrave parler de Platon qui affirme la chose suivante

Chaque fois qursquoils se rendent agrave un festin crsquoest-agrave-dire agrave un banquet ils se mettent agrave montervers la voucircte qui constitue la limite inteacuterieure du ciel [hellip] Crsquoest lagrave sache-le bien quelrsquoeacutepreuve et le combat suprecircmes attendent lrsquoacircme En effet lorsqursquoelles ont atteint la voucirctedu ciel ces acircmes qursquoon dit immortelles passent agrave lrsquoexteacuterieur srsquoeacutetablissent sur le dos duciel se laissent emporter par leur reacutevolution circulaire et contemplent les reacutealiteacutes qui se

trouvent hors du ciel41

Platon dans le Phegravedre affirme donc qursquoil existe quelque chose en dehors du ciel les

reacutealiteacutes Ces choses reacuteelles sont une reacutefeacuterence directe aux Formes intelligibles et seacutepareacutees

Toutefois nous pouvons noter que ce passage revecirct lrsquoapparence du mythe poeacutetique et non pas

drsquoune argumentation philosophique ce qui nous amegravene agrave nous poser la question de la veacuteriteacute

du propos tenu par Platon Celui-ci dans la continuiteacute de cet extrait affirme prononcer la

veacuteriteacute au sujet de lrsquounique chose qui soit veacuteritablement les Formes Nous savons par la

lecture de la Reacutepublique par exemple que les concepts de veacuteriteacute et de mythe chez Platon

sont geacuteneacuteralement opposeacutes pourquoi utilise-t-il alors un mythe pour parler drsquoune chose qui

soit lrsquoune des veacuteriteacutes Il semblerait pour Solmsen que cette question se soit eacutegalement poseacutee

40 Solmsen laquo Beyond the Heavens raquo197641 Phegravedre 2004 247c3 Traduction par L Brisson

59

au sein de lrsquoAcadeacutemie durant cette eacutepoque et nombreux eacutelegraveves ont eacuteteacute drsquoavis que cette notion

drsquoau-delagrave du ciel nrsquoeacutetait pas agrave prendre au seacuterieux du fait que Platon utilisait un mythe pour

srsquoy reacutefeacuterer Toutefois Platon dans ce mecircme passage fait la promesse de dire la veacuteriteacute au sujet

de la veacuteriteacute Le mythe devient alors le moyen le plus approprieacute de parler de ce qui se trouve

hors du ciel

Ce lieu qui se trouve au-dessus du ciel aucun poegravete parmi ceux drsquoici-bas nrsquoa encore chanteacute drsquohymne en son honneur et aucun ne chantera en son honneur un hymne qui en soit digne Or voici ce qui en est car srsquoil se preacutesente une occasion ougrave lrsquoon doive dire la veacuteriteacute crsquoest bien lorsqursquoon parle de la veacuteriteacute42

On note cependant quAristote eacutelegraveve de Platon dans sa jeunesse et malgreacute le fait que

lrsquoau-delagrave du ciel nrsquoait pas eacuteteacute pris pour un veacuteritable sujet drsquoeacutetude agrave lrsquoAcadeacutemie en vient agrave

parler de lrsquoexteacuterieur du ciel Pouvons-nous donc voir agrave travers le Phegravedre lrsquoorigine de certains

passages obscurs drsquoAristote concernant ce mysteacuterieux lieu qui se trouve au-delagrave du ciel

Dans le Phegravedre Platon place les Formes dans un lieu qui serait agrave lrsquoexteacuterieur du ciel

Solmsen note que de nombreux interpregravetes tel que Hackforth affirment que ce nrsquoest pas la

premiegravere fois que Platon attribue un lieu aux Formes intelligibles en effet dans le Timeacutee43 il

en est question eacutegalement Mais Solmsen refuse cette interpreacutetation des textes de Platon en

affirmant qursquoil nrsquoest pas convainquant que Platon fasse reacutefeacuterence agrave un lieu lorsqursquoil parle des

Formes car le lieu est en rapport avec les corps mateacuteriels et les Formes en plus drsquoecirctre

intelligibles sont seacutepareacutees de la matiegravere Il y a certes une laquo ascension raquo de lrsquoacircme qui se dirige

vers une connaissance accessible seulement par lrsquointellect mais ce nrsquoest pas parce qursquoil y a

une ascension au-delagrave du ciel que cet au-delagrave du ciel est lieacute agrave un corps mateacuteriel En effet pour

les Formes il srsquoagit de ce que Platon nomme un νοητὸς τόπος et celui-ci nrsquoest absolument

pas lieacute agrave la matiegravere Crsquoest pourquoi parler de laquo lieu raquo nrsquoest pas veacuteritablement contradictoire

pour parler drsquoun lieu sans matiegravere si lrsquoon preacutecise de quel type de lieu on parle crsquoest-agrave-dire un

lieu intelligible De plus dans le Timeacutee Platon affirme que tous les corps sensibles sont dans

lrsquoespace et dans un lieu Mais de cela nous ne pouvons affirmer que ce qui est propre et

neacutecessaire au corps sensible le soit aussi pour les ecirctres intelligibles et seacutepareacutes de la matiegravere

Dire qursquoaucun corps sensible ne peut ecirctre en dehors drsquoun lieu nrsquoimplique pas que les Formes

platoniciennes doivent ecirctre dans un lieu dans la mesure ougrave elles nrsquoentrent pas dans le domaine

du mateacuteriel et donc dans ses lois Il rejette alors toutes ideacutees drsquoassociation de lieu physique agrave

42 Ibid 247c 43 Timeacutee opcit 30c

60

la forme car cela est incompatible avec sa nature Le problegraveme est que le langage est fait de

telle maniegravere que Platon est limiteacute et ne peut pas deacutesigner ce qui se trouve dans un lieu

intelligible et sans matiegravere autrement que par des mots qui deacutesignent des lieux physiques

Crsquoest pourquoi il se doit drsquoutiliser le mythe Gracircce agrave lrsquoutilisation drsquoun pareil outil nous

pouvons dire qursquoil srsquoagit drsquoun lieu au sens alleacutegorique voire meacutetaphorique Cet outil lui

permet donc deux choses faire les louanges agrave la hauteur (ou plutocirct au plus proche) de la

beauteacute des Formes de maniegravere la plus approprieacutee possible pour ce qui est le plus parfait et

deacutesigner des lieux avec ses outils langagiers qui ne font pas reacutefeacuterence agrave des lieux tels que

nous les connaissons

Mais quel est le rapport avec Aristote Nous lrsquoavons dit Solmsen cherche lrsquoorigine de

certaines theacuteories aristoteacuteliciennes et il srsquoavegravere que certaines theacuteories lui ont eacuteteacute transmises agrave

lrsquoAcadeacutemie via les textes de Platon Mais comment expliquer que lrsquoon retrouve certaines

occurrences dans la philosophie aristoteacutelicienne et platonicienne alors mecircme qursquoil y a

diffeacuterentes opinions parfois opposeacutees sur un mecircme sujet chez Platon En effet srsquoil est

question dans le Phegravedre drsquoun au-delagrave du ciel ou se trouveraient les Formes dans le Timeacutee

Platon affirme qursquoil existe rien qui ne soit pas dans un lieu dans le monde Il faut donc lire les

passages suivants de la Physique44 drsquoAristote en se souvenant de celui du Phegravedre que nous

avons citeacute plus haut dans lrsquointeacuterecirct de comprendre pourquoi Aristote affirmait certaines choses

de la philosophie platonicienne plutocirct que drsquoautres

Le premier passage porte sur le lieu Aristote expose deux points de vue du lieu Dans

un premier temps Aristote affirme que le lieu est la matiegravere puisqursquoil nrsquoest pas simplement la

peacuteripheacuterie de ce qui est enveloppeacute mais aussi lrsquointervalle entre la limite qursquoil est et lrsquoobjet

dont il est le lieu Dans un second temps le lieu est lui-mecircme englobeacute car sa surface deacutelimite

le lieu occupeacute en ce sens le lieu est compris comme une matiegravere Quant au second passage il

porte sur lrsquoinfini Il distingue deux conceptions de lrsquoinfini les pythagoriciens pensent que

lrsquoinfini est propre agrave ce qui se situe hors du ciel alors que Platon affirme dans le Timeacutee qursquoil

nrsquoy a rien en dehors du ciel pas mecircme les Formes puisque celles-ci ne sont pas quelque part

Pourquoi Aristote affirmait que le lieu eacutetait ce que nous venons de deacutecrire et affirmait que

Platon refusait drsquoassocier lrsquoau-delagrave du ciel aux Formes alors mecircme que dans le Phegravedre il les

situe dans cet au-delagrave Solmsen formule trois hypothegraveses pour reacutepondre agrave ce problegraveme

44 Physique IV 2 209b11-16 et Physique III 4 203a1

61

1) Aristotle may not have read the mythical section of the laquo Phaedrus raquo Despite thereference to this section in Rhetoric III 7 1408b20 where it serves as an example ofpoetic style45

Mais cette hypothegraveses proposeacutee par Solmsen est directement critiqueacutee par lui En effet

cette theacuteorie selon laquelle Aristote nrsquoavait pas lu ce passage du Phegravedre bien qursquoelle ne soit

pas impossible est peu probable dans la mesure ougrave drsquoune part il y a une reacutefeacuterence agrave cette

œuvre dans la Rheacutetorique drsquoAristote et drsquoautre part il y a un trop gros rapprochement entre le

systegraveme rheacutetorique qursquoemploie Aristote dans son œuvre et celui qursquoemploie Platon pour parler

de ce qui est au-delagrave du ciel De plus cette theacuteorie supposerait que lrsquoon accepte qursquoAristote

avait la meacutemoire courte et qursquoil avait totalement oublieacute un passage entier du mythe du Phegravedre

2) Aristotle may have known but discounted the ὑπερουράνιος τόπος because for him asfor modern interpreters of the lsquoPhaedrusrsquo its presence in a myth ndash and in a myth whichunlike the myth of the lsquoTimaeusrsquo did not embody a cosmology ndash deprived the idea ofphilosophical significance46

Cette hypothegravese formuleacutee par Solmsen serait qursquoAristote avait lu cette œuvre mais

reacuteduit lrsquoimportance de lrsquoau-delagrave du ciel dans la mesure ougrave ce lieu apparaissait dans un mythe

Solmsen affirme que si cette hypothegravese est la vraie cela signifie qursquoAristote a volontairement

occulteacute la promesse de Platon de dire la veacuteriteacute concernant les Formes Une autre raison plus

leacutegitime serait de penser que le Timeacutee a eacuteteacute eacutecrit apregraves le Phegravedre et qursquoAristote le sachant

aurait consideacutereacute le Timeacutee comme une correction de certaines theacuteories platoniciennes passeacutees

De cette maniegravere le discours sur la localisation des Formes platoniciennes serait nul et non

avenu

3) At the time when Aristotle put down the passages in Physics III and IV he could notknow the lsquoPhaedrusrsquo because it had not yet been written or if written not yet beenpublished47

Quant agrave cette troisiegraveme hypothegravese elle repose sur la question de la date et lrsquoordre de

publication des dialogues platoniciens Le problegraveme est que nous nrsquoavons pas de sources

45 Solmsen opcit 1976 p2846 Ibid p2847 Ibid p28

62

suffisantes pour asseoir cette theacuteorie De plus dans lrsquohistoire de lrsquoeacutetude des dialogues

platoniciens le Phegravedre est celui qui a le plus de fois changeacute de place sur la liste chronologique

des dialogues platoniciens crsquoest dire agrave quel point nous nrsquoavons pas de connaissances certaines

et veacuteritables agrave ce sujet

La seconde hypothegravese selon Solmsen a plus de chance de seacuteduire les interpregravetes

classiques Mais avant de srsquoexprimer sur la question Solmsen nous renvoie au texte

drsquoAristote tireacute du De Caelo I 9 279a18-23 Solmsen affirme que en vertu des positions

philosophiques drsquoAristote il ne peut pas faire reacutefeacuterence aux Formes platoniciennes qui pour

lui nrsquoexistent pas Crsquoest pourquoi la seule possibiliteacute quant agrave la reacutefeacuterence de ce qui se trouve

lagrave-bas est pour Solmsen les diviniteacutes Il semble alors qursquoil y ait une intersection entre la

theacuteorie platonicienne eacutenonceacutee dans le Phegravedre et la theacuteorie aristoteacutelicienne du De Caelo dans la

mesure ougrave Platon affirme que les diviniteacutes passent au-delagrave de la derniegravere extreacutemiteacute pour

contempler les Formes Cela signifie qursquoil nrsquoy a pas que des Formes au-delagrave du ciel mais

eacutegalement des diviniteacutes Beaucoup drsquointerpregravetes ont eacuteteacute tenteacutes de comprendre ce texte comme

eacutetant une reacutefeacuterence aux premiers moteurs immobiles Toutefois Solmsen soutient qursquoil ne

peut srsquoagir de diviniteacutes ayant une fonction motrice dans la mesure ougrave Aristote affirme agrave la fin

de ce chapitre qursquoil nrsquoy a rien de plus fort que le corps qui a un mouvement circulaire et que

rien ne peut le deacuteplacer Les diviniteacutes nrsquoont donc pas agrave avoir une fonction motrice car le

mouvement circulaire srsquoexplique par la nature mecircme du cinquiegraveme eacuteleacutement qursquoest lrsquoeacutether

Solmsen affirme que crsquoest un passage choquant car on a le sentiment qursquoAristote est sur le

point drsquoaboutir agrave lrsquoideacutee qursquoil nrsquoy a rien en dehors du ciel en raison du fait que tout est compris

dans le ciel Il souligne que pour Platon crsquoest une theacuteorie theacuteologique alors que pour Aristote

crsquoest une theacuteorie scientifique (due agrave sa theacuteorie des corps des milieux et des mouvements)

Mais les lois physiques ne srsquoeacutetendent pas agrave ce qui est incorporel Les dieux sont au-dessus des

lois physiques et aucun argument utiliseacute dans le DC ne refuserait aux dieux une place au-

dessus du ciel Tels sont les arguments de Solmsen en faveur de la nature transcendante du

takei Mais quel est le rapport avec les 3 hypothegraveses preacutesenteacutees plus haut Elle rend

impossible et peu probable la premiegravere selon laquelle Aristote nrsquoavait pas lu cette partie du

Phegravedre et la derniegravere selon laquelle le Phegravedre nrsquoavait pas eacuteteacute eacutecrit en vertu du fait qursquoil

semble y avoir une intersection entre Aristote et Platon qui srsquoexplique par une lecture du

Phegravedre par Aristote La deuxiegraveme explication semble donc plus pertinente Aristote pouvait

consideacuterer le Timeacutee comme une base pour les hypothegraveses suggeacuterant un laquo lieu raquo pour les

formes (car tout est dans un lieu pour Platon dans le Timeacutee) mais il est possible qursquoAristote

63

ait associeacute ses diviniteacutes agrave cet au-delagrave du ciel qui nrsquoest pas un lieu Bien sucircr Aristote a revisiteacute

cette conception de lrsquoau- delagrave du ciel en supprimant les formes platoniciennes qui sont

regardeacutees par les diviniteacutes Il y a une diffeacuterence entre le laquo lieu raquo meacutetaphorique au-delagrave du ciel

de Platon et celui drsquoAristote Nous avons vu qursquoen dehors du ciel il nrsquoy avait rien et que le

τἀκεῖ nrsquoeacutetait dans aucun lieu Donc philosophiquement on peut penser a une reacutealiteacute eacuteternelle

et immateacuterielle qui se trouve au-delagrave du ciel

Le geste de Platon et Aristote nrsquoest pas le mecircme affirme Solmsen Platon dans le

mythe du Phegravedre prend les formes impassibles et inalteacuterables au-dessus du ciel pour acquises

dans la mesure ougrave lrsquoexistence de ces formes a eacuteteacute eacutetablis dans drsquoautres dialogues Il attribue

simplement la veacuteriteacute agrave ce lieu en le deacutesignant comme la laquo plaine de la veacuteriteacute raquo alors

quAristote en deacutecouvrant gracircce agrave sa theacuteorie des milieux un laquo environnement raquo qui exclut le

lieu le vide la matiegravere et le temps utilise cet environnement pour deacutefinir la nature de ses

diviniteacutes parce qursquoelles nrsquoont pas de corps pas de temps et pas de lieu elles sont

inchangeables et eacuteternelles Nous avons alors une conception du divin qui coiumlncide avec celle

de la Meacutetaphysique et de la Physique bien qursquoil ne soit pas question drsquoune diviniteacute motrice

Nous pouvons alors faire un lien pertinent entre la philosophie platonicienne et la philosophie

aristoteacutelicienne tout en les faisant cohabiter sans se contredire Le geste de Solmsen permet

alors de faire pencher la balance et drsquoajouter un argument en plus agrave la position de la reacutefeacuterence

transcendante concernant le τἀκεῖ

33 Deacutepassement des deux alternatives traditionnelles de lrsquointerpreacutetation du takei

331 Lrsquoeacutether hypercosmique de Peacutepin

Mais les deux interpreacutetation du problegraveme du takei ne font pas totalement lrsquounanimiteacute

Parmi ceux qui pensent en dehors de ce cadre nous trouvons Peacutepin qui a deacuteveloppeacute une

theacuteorie fort originale selon laquelle le takei est une reacutefeacuterence agrave lrsquoeacutether hypercosmique Il

srsquoagira alors de voir quels sont les arguments par rapport agrave ceux que nous avons vu qui

permettent de deacutefendre cette thegravese

Lrsquoarticle de Fabienne Baghdassarian48 nous propose un exposeacute inteacuteressant des

diffeacuterentes thegraveses portant sur lrsquoidentiteacute des ecirctres de lagrave-bas Parmi ces nombreuses thegraveses il y

48 Baghdassarian 2011

64

en a une qui est volontairement mise de cocircteacute et briegravevement introduite dans une note de bas de

page celle de Peacutepin

Nous ne dirons rien de lrsquohypothegravese de Peacutepin 1964 p 161-170 qui soutient que la diviniteacuteen question est lrsquoeacutether hypercosmique Peu drsquoeacuteleacutements en effet sont en faveur de cettethegravese et ce tout particuliegraverement dans le DC J Peacutepin lui-mecircme ne reconnaicirct-il pas qursquoilnrsquoest qursquoun seul texte dans ce traiteacute en faveur de son hypothegravese 49

Ce qui est fort inteacuteressant dans la thegravese de Peacutepin est son originaliteacute En effet si nous

avons vu agrave travers lrsquoarticle de Fabienne Baghdassarian jusqursquoagrave preacutesent que lrsquointerpreacutetation

du τἀκεῖ eacutetait bien souvent binaire et penchait soit en faveur de la transcendance

geacuteneacuteralement associeacutee au Premier Moteur Immobile soit en faveur de la reacutefeacuterence ceacuteleste et

plus particuliegraverement agrave la sphegravere des fixes lrsquointerpreacutetation de Peacutepin est tout autre Il ne srsquoagit

pas pour lui de deacutefendre lrsquoune ou lrsquoautre de ces ideacutees bien au contraire il en expose une toute

nouvelle apregraves avoir argumenteacute en deacutefaveur des theacuteories issues de la tradition de Simplicius

et drsquoAlexandre Selon lui le τἀκεῖ serait une reacutefeacuterence agrave lrsquoeacutether hypercosmique La question

que nous devons nous poser est la suivante comment Peacutepin en arrive agrave cette thegravese nouvelle

Dans un premier temps Peacutepin rappelle une chose importante que Fabienne

Baghdassarian rappelle eacutegalement

Certains passages du De Caelo drsquoAristote donnent agrave entendre que la diviniteacute serait au-delagrave de lrsquounivers[hellip] Il srsquoagit essentiellement de I 9 279a11-b350

A la lecture de cette premiegravere phrase nous sommes en droit de nous poser la question

que Fabienne Baghdassarian posait dans son article il existe fort peu de textes drsquoAristote au

sujet de reacutealiteacutes transcendantes agrave lrsquoordre ceacuteleste et De Caelo I 9 serait-il lrsquoun de ceux-lagrave

Peacutepin en semble convaincu dans la mesure ougrave il dit qursquoAristote affirme lrsquoexistence drsquoecirctres qui

se situent au-delagrave du mouvement de translation le plus exteacuterieur A ce propos Peacutepin ne

manque pas de citer directement le texte drsquoAristote La situation de ces ecirctres de lagrave-bas est

donc telle qursquoils eacutechappent au temps et au lieu partie A Cette absence de lieu et de temps

implique que ces ecirctres soient inalteacuterables et impassibles selon Aristote De plus de ces ecirctres

deacutependent lrsquoecirctre et la vie crsquoest ce que nous avons vu dans la partie B Finalement rien nrsquoest

49 Baghdassarian 2011 p 20150 Peacutepin Theacuteologie cosmique et Theacuteologie chreacutetienne1964 p161

65

plus parfait que ces ecirctres donc rien ne peut les mouvoir Peacutepin affirme alors qursquoils ont un

mouvement de translation par eux-mecircmes et non par une chose exteacuterieure Peacutepin ne semble

pas faire grand cas du problegraveme de la continuiteacute de lrsquoobjet du texte dans la mesure ougrave il

applique ce qui semblait ecirctre un eacuteloge du corps qui se meut de maniegravere circulaire au τἀκεῖ

Pouvons-nous mettre en cause ce premier geste de lrsquointerpregravete dans la mesure ougrave Aristote

affirme qursquoil nrsquoy a laquo aucun changement pour les ecirctres qui sont disposeacutes au-dessus de la

translation la plus exteacuterieure raquo Quoiqursquoil en soit la perfection qursquoAristote accorde agrave ces

ecirctres semble sans preacuteceacutedent et autorise donc Peacutepin agrave voir en la figure du τἀκεῖ une diviniteacute Il

affirme que les proprieacuteteacutes ndash impassible autarcique immuable ndash qui servent agrave le deacutecrire sont

les mecircmes que celles utiliseacutees pour deacutecrire le divin dans la Meacutetaphysique Λ51 et qursquoen plus de

cela Aristote utilise souvent le terme theios52 pour deacutesigner le τἀκεῖ Montrer que le τἀκεῖ est

drsquoordre divin permettra agrave Peacutepin de deacutefendre sa theacuteorie de lrsquoeacutether hypercosmique mais nous y

reviendrons plus tard

Avant drsquoexposer sa theacuteorie Peacutepin srsquoattaque directement aux deux grandes

interpreacutetations qui dominent celle de Simplicius (suivie par les interpregravetes modernes que

nous avons vus) et celle drsquoAlexandre (qui est eacutegalement deacutefendue par drsquoautres interpregravetes vus

preacuteceacutedemment)

Il note un lien entre la description qursquoen fait Aristote dans le De Caelo I 9 lorsqursquoil

affirme qursquoils sont immuables impassibles et qursquoils jouissent de la plus autarcique des vies

pour toute sa dureacutee et la Meacutetaphysique Λ lorsqursquoil deacutecrit en ces termes le Premier Moteur

Immobile Simplicius voyait dans le τἀκεῖ une reacutefeacuterence au Premier Moteur Immobile agrave tel

point qursquoil a modifieacute le texte original comme le disait Moraux pour faire correspondre la

theacuteorie du Premier Moteur Immobile au τἀκεῖ En effet Simplicius remplace κινεῖται par κινεῖ

dans lrsquointeacuterecirct de donner une fonction motrice au τἀκεῖ comme le Premier Moteur Immobile a

une fonction motrice puisqursquoelle est ce qui met le Premier Ciel en mouvement Fabienne

Baghdassarian tout comme Moraux nrsquoacceptent pas cette modification Moraux affirme

qursquoelle nrsquoest pas envisageable dans la mesure ougrave le texte original ne fait pas mention drsquoune

fonction motrice du τἀκεῖ Quant agrave Fabienne Baghdassarian remarque en se tournant vers la

traduction que si lrsquoon accepte la correction de Simplicius le texte drsquoAristote signifierait que

le τἀκεῖ met en mouvement le Premier Ciel en vertu du fait que lrsquoeacutether se deacuteplace de maniegravere

circulaire ce qui nrsquoest pas coheacuterent avec lrsquoensemble du texte selon elle puisque lrsquoexplication

51 Meacutetaphysique Λ 652 Ibid

66

du mouvement circulaire ducirc agrave la nature de lrsquoeacutether nrsquoa rien agrave voir avec la puissance motrice du

Premier Moteur De nombreux arguments permettent donc de deacutecreacutedibiliser la correction de

Simplicius et ruinent lrsquoideacutee drsquoune reacutefeacuterence au Premier Moteur Immobile du fait de lrsquoabsence

explicite de fonction motrice du τἀκεῖ

Apregraves avoir critiqueacute la theacuteorie de Simplicius Peacutepin srsquoattaque agrave celle drsquoAlexandre

drsquoAphrodise Ce dernier deacutefendait lrsquoideacutee selon laquelle le τἀκεῖ eacutetait une reacutefeacuterence agrave la sphegravere

des fixes En effet il semblerait que la sphegravere des fixes respecte le fait de nrsquoecirctre dans aucun

lieu et aucun temps car rien ne lrsquoenveloppe En effet il nrsquoy a de temps et de lieu que pour ce

qui est enveloppeacute par un corps Alexandre se reacutefegravere alors agrave la Physique IV 553 dans lequel

Aristote affirme que la sphegravere des fixes puisqursquoelle nrsquoest dans aucun lieu est transcendante

au lieu et constitue le lieu du corps dans la continuiteacute de la sphegravere des fixes et dans lequel se

trouvent certaines planegravetes ainsi que le Soleil et la Lune (consideacutereacute comme des planegravetes car

ayant un mouvement irreacutegulier) Alexandre identifie donc le τἀκεῖ comme quelque chose se

trouvant au-dessus drsquoun mouvement crsquoest pourquoi il pense agrave la sphegravere des fixes elle nrsquoest

pas dans un lieu pas dans le temps et elle se trouve au dessus du mouvement rectiligne le plus

haut Cependant Peacutepin ne considegravere pas cette theacuteorie comme acceptable dans la mesure ougrave

Aristote affirme que le τἀκεῖ se situe au-dessus du mouvement de translation le plus exteacuterieur

Le mouvement de translation est le mouvement circulaire et le plus haut et exteacuterieur des

mouvements circulaires est celui de la sphegravere des fixes Le texte mecircme permet alors de

combattre la theacuteorie drsquoAlexandre car le τἀκεῖ se trouve au dessus de la sphegravere des fixes et si

la sphegravere des fixes eacutetait effectivement le τἀκεῖ comment pourrait-elle ecirctre au dessus drsquoelle-

mecircme Cette remarque de Simplicius est reprise par Peacutepin

Il srsquoavegravere que Peacutepin ne croit ni en lrsquohypothegravese de la reacutefeacuterence au Premier Moteur

Immobile ni en celle drsquoune reacutefeacuterence agrave la sphegravere des fixes Crsquoest pourquoi il se tourne vers les

teacutemoignages de doxographies de lrsquoAntiquiteacute et plus preacuteciseacutement celle de Arius Didyme dans

laquelle est attribueacutee agrave Aristote la theacuteorie drsquoun dieu supeacuterieur agrave lrsquoensemble des sphegraveres

ceacutelestes qursquoil enveloppe et tient ensemble un dieu immuable impassible bienheureux et qui

communique son mouvement circulaire agrave lrsquoensemble de lrsquounivers Cette description fait

directement eacutecho au De Caelo I 3 et agrave la conception de lrsquoeacutether Peacutepin pose alors la question

de savoir si la reacutefeacuterence agrave lrsquoeacutether est plus satisfaisante que la reacutefeacuterence agrave la sphegravere des fixes ou

au Premier Moteur Immobile De plus lrsquoeacutether est-il susceptible drsquoeacuteviter les objections

53 Physique IV 5 212b8-20

67

auxquelles se heurte la sphegravere des fixes A savoir que la sphegravere des fixes ne peut pas ecirctre en

dehors de la sphegravere des fixes puisque le τἀκεῖ est dit se situer au dessus du mouvement de

translation le plus exteacuterieur En drsquoautres termes lrsquoeacutether peut-il ecirctre au dessus du mouvement

circulaire de la sphegravere des fixes Peacutepin concegravede lrsquoideacutee que lrsquoeacutether bien qursquoil entre aussi en la

composition des astres concerne en prioriteacute la constitution de la sphegravere des fixes Toutefois

Peacutepin objecte agrave sa propre thegravese que bien que cela soit affirmeacute dans le De Caelo I 3 dans le

passage du De Caelo qui nous inteacuteresse Aristote ne donne aucune autre information agrave ce

sujet

Pour eacutetayer son hypothegravese Peacutepin srsquoappuie sur la Reacutefutation de toutes les heacutereacutesies dans

lequel Hippolyte affirme que lrsquounivers aristoteacutelicien peut se deacutecomposer en trois parties

Le monde selon Aristote est diviseacute en un grand nombre de parties diffeacuterentes Cettepartie-ci du monde qui srsquoeacutetend depuis la terre jusqursquoagrave la lune est sans providence sansdirection et nrsquoobeacuteit qursquoagrave sa propre nature Dans celle qui est apregraves la lune jusqursquoagrave lasurface du ciel regravegnent lrsquoordre la providence et une sage direction Quant agrave cette surface(du ciel) elle est une cinquiegraveme substance eacutetrangegravere agrave tous les eacuteleacutements physiques dontle monde est composeacute et cette cinquiegraveme substance drsquoapregraves Aristote est une sorte desubstance supeacuterieure au monde54

La premiegravere est la partie sublunaire la seconde la partie supralunaire et la troisiegraveme la partie

qui est la surface du ciel eacutetranger agrave tous les eacuteleacutements du monde car constitueacutee par le

cinquiegraveme eacuteleacutement lrsquoeacutether Peacutepin critique les arguments de la theacuteorie drsquoHippolyte en

affirmant qursquoAristote nrsquoa pas retireacute lrsquoeacutether mecircme srsquoil a dit que lrsquoeacutether concernait

principalement la sphegravere des fixes de la constitution du ciel et des astres Il retient toutefois

une notion introduite par Hippolyte pour expliquer la preacutesence du cinquiegraveme eacuteleacutement au-delagrave

de la sphegravere des fixes la notion de ἐπιφάνεɩɑ τοῦ οὐρɑνοῦ Cette notion est employeacutee dans la

philosophie stoiumlcienne pour deacutesigner la surface de la sphegravere unique qursquoenveloppe le ciel et sur

laquelle sont poseacutes les astres De cette maniegravere la surface dont il est question ici est la sphegravere

des fixes aristoteacutelicienne Mais Hippolyte ne se contente pas drsquoidentifier la sphegravere des fixes agrave

cette notion il lrsquointroduit dans le but de deacutecrire la sphegravere des fixes comme un corps eacutepais dont

la surface inteacuterieur est dans le ciel et la surface exteacuterieure constitueacutee drsquoeacutether se trouve hors

du ciel En ce sens nous comprenons comment lrsquoeacutether peut se trouver au-delagrave de la sphegravere des

fixes tout en la constituant Ce qui regravegle la question que Peacutepin posait ci-dessus agrave savoir est-

54 Hippolyte 1928 p102 Traduction par A Siouville

68

ce que le τἀκεῖ identifieacute comme eacutetant lrsquoeacutether eacutevite les objections formuleacutees agrave la sphegravere des

fixes

De plus la doxographie drsquoArius Didyme et celle drsquoHippolyte ne sont pas les seules agrave

preacutesenter un eacutether hypercosmique dans la philosophie aristoteacutelicienne En effet Sextus

Empiricus ainsi que le teacutemoignage anonyme de la Vita Aristotelis rendent compte de la mecircme

ideacutee mais par des arguments diffeacuterents Sextus Empiricus preacutesente Aristote comme ayant une

theacuteologie mateacuterialiste crsquoest-agrave-dire qursquoil comprend que la diviniteacute ne peut pas se trouver hors

du ciel puisqursquoil nrsquoy a rien hors du ciel par conseacutequent elle doit se trouver agrave lrsquointeacuterieur de

celui-ci ce qui nous permet de penser raisonnablement que le τἀκεῖ ne fait pas reacutefeacuterence au

Premier Moteur Immobile mais bien agrave lrsquoeacutether se situant sur la surface exteacuterieure de la sphegravere

des fixes ainsi deacutesigneacute comme hypercosmique

La situation est donc la suivante plusieurs doxographies srsquoaccordent agrave rapporter agraveAristote une theacuteorie de la diviniteacute de lrsquoeacutether hypercosmique mais le seul textearistoteacutelicien apte agrave fonder ces teacutemoignages (qui en retour contribuent agrave lrsquoeacuteclairer)apparaicirct dans le De Caelo crsquoest-agrave-dire dans un traiteacute qui passe a bon droit pour veacutehiculercertaines doctrines anteacuterieures issues des eacutecrits de jeunesse55

Par conseacutequent la deacutemarche de Peacutepin est la suivante il note qursquoil existe une

litteacuterature doxographique dans laquelle il est plusieurs fois fait mention de la theacuteorie drsquoun

eacutether hypercosmique En mecircme temps les textes dans lesquels Aristote en parlait ne sont pas

en notre possession et le seul document qui semble pouvoir manifester de la veacuteraciteacute de ces

reacutefeacuterences est le De Caelo I 9 crsquoest-agrave-dire un eacutecrit connu pour avoir eacuteteacute eacutecrit relativement tocirct

par Aristote Il comprend alors le passage du De Caelo qui nous inteacuteresse au regard de ces

doxographies mais eacutegalement au regard du fragment 26 du De Philosophia qui serait

lrsquoorigine de la formulation premiegravere de la theacuteorie de lrsquoeacutether hypercosmique ou du takei

En effet parfois il attribue tout le divin agrave lrsquoesprit parfois il dit que le monde lui-mecircme estun dieu parfois il soumet le monde et ses parties agrave un autre ltdieugt chargeacute de reacutegler et depreacuteserver le mouvement du monde par un mouvement reacutetrograde puis il dit que lrsquoardeurdu ciel est un dieu ne comprenant pas que le ciel est une partie du monde qursquoailleurs il adeacutesigneacute comme un dieu Mais comment la fameuse perception divine dont est doueacute le cielpourrait-elle se conserver dans un mouvement aussi rapide Et ougrave sont les dieux bienconnus si nous comptons aussi le ciel au nombre des dieux Et quand il veut qursquoun dieunrsquoait pas de corps il le prive de toute perception sensible et mecircme de prudence Et

55 Peacutepin opcit 1964 p169

69

comment le monde pourrait-il se mouvoir alors qursquoil est priveacute de corps et comment srsquoil semeut sans cesse peut-il ecirctre calme et heureux 56

En ce sens selon Peacutepin Jaeger57 avait raison drsquoaffirmer que ce passage du De Caelo

eacutetait une reprise du De Philosophia dans la mesure ougrave le De Caelo compris comme un des

traiteacutes les plus anciens qui soit conserveacute srsquoinspire des theacuteories drsquoeacutecrits non publieacutes ou perdus

tels que le De Philosophia En effet il est question de diviniteacutes qui comme les takei sont

immaterielles De plus il eacutenonce les preacutemisses du mouvement circulaire des ecirctres divins qui

par suite sera le mouvement causeacute par lrsquoeacuteleacutement qui constitue ces ecirctres divins lrsquoeacutether

Lrsquoeacutetude du propos de Peacutepin nous a alors permis de deacuteconstruire les traditionnelles

alternatives de lrsquointerpreacutetation du τἀκεῖ qui penche soit en faveur du Premier Moteur soit en

faveur de la sphegravere des fixes Peacutepin propose une alternative qui bien qursquoelle ne soit pas

souvent accepteacutee a le meacuterite drsquoaffronter les difficulteacutes que pose la lecture de ce texte tout en

respectant le contenu textuel de celui-ci

3 3 2 La theacuteorie des Moteurs Immobiles une variante originale de la reacutefeacuterence au Premier Moteur Immobile

Merlan propose une theacuteorie de lrsquointerpreacutetation du τἀκεῖ qui fait exception agrave la logique

de lrsquointerpreacutetation binaire du τἀκεῖ eacutegalement En effet Merlan ne pense pas qursquoil srsquoagit lagrave

drsquoune reacutefeacuterence agrave la sphegravere des fixes ou au Premier Moteur Sa thegravese est que le τἀκεῖ est une

reacutefeacuterence aux moteurs immobiles Dumoulin avait formuleacute lrsquohypothegravese selon laquelle le

τἀκεῖ du fait qursquoil nrsquoavait pas de fonction motrice aveacutereacutee ne renvoyait pas neacutecessairement au

Premier Moteur Immobile Neacuteanmoins bien que Merlan ne srsquointeacuteresse pas agrave la question de

savoir si le τἀκεῖ a une fonction motrice ou pas il lie les τἀκεῖ au Premier Moteur Immobile

en vertu des qualiteacutes qui leur sont attribueacutees Les τἀκεῖ sont dit dans le DC I 9 parfaitement

immobiles crsquoest-agrave-dire immuables inalteacuterables incorruptibles jouissant du plus grand des

biens parfaitement autonomes et divins Les caracteacuteristiques du τἀκεῖ sont celles que lrsquoon

retrouve pour qualifier le Premier Moteur Immobile dans la Meacutetaphysique Λ Fabienne

Baghdassarian souligne comme nous lrsquoavons vu que notre connaissance drsquoAristote nous

pousse agrave voir la theacuteorie du Premier Moteur un peu partout dans les textes drsquoAristote Il semble

56 Aristote Œuvres complegravetes 2014 p 2846-284757 Jaeger Aristote fondements pour une histoire de son eacutevolution1997 p311

70

alors que cette interpreacutetation de la part du Dumoulin soit quelque peu hacirctive en plongeant

dans lrsquoune des alternatives traditionnelles de lrsquointerpreacutetation du τἀκεῖ

Merlan quant agrave lui a bien conscience que le τἀκεῖ ne fait pas reacutefeacuterence agrave la sphegravere

des fixes ou agrave un corps ceacuteleste

It is true not all interpreters agree that with takei Aristotle designates divinities differentfrom the celestial bodies But (a) how could celestial bodies be ever described as ouk entopo (b) How could celestial bodies be described as above the uttermost locomotion (c)The parallels between the descriptions of the Unmoved Mover in Metaphysics Λ and thetakei in On the Heavens strongly suggest that the same entities are meant in bothpassages58

Il note que tous les interpregravetes ne sont pas drsquoaccord avec lrsquoideacutee que Aristote par

lrsquoutilisation de la notion de τἀκεῖ deacutesigne autre chose que les corps ceacutelestes Il pose alors

deux problegravemes agrave la theacuteorie drsquoune reacutefeacuterence ceacuteleste dans le but de la remettre en question

comment les corps ceacutelestes pourraient ecirctre deacutecrits comme eacutetant en dehors drsquoun lieu Et

comment les corps ceacutelestes peuvent ecirctre deacutecrits comme se trouvant au dessus du mouvement

le plus haut En effet lrsquoeacuteleacutement de lrsquoeacutether qui constitue le premier et second ciel crsquoest-agrave-dire

la sphegravere des fixes et le corps qui est dans la continuiteacute de la sphegravere des fixes forment un lieu

pour les corps ceacutelestes En drsquoautres termes les corps ceacutelestes se trouvent dans le ciel et la

derniegravere limite du ciel est la sphegravere des fixes donc aucun drsquoeux ne se trouve au-dessus de la

sphegravere des fixes Cet argument est eacutenonceacute par Cherniss59 et repris par Merlan Mais pourquoi

en est-on venu a penser malgreacute le contenu du De Caelo I 9 partie A que le τἀκεῖ eacutetait une

reacutefeacuterence agrave des ecirctres ceacutelestes Merlan signale comme nous lrsquoavons vu que de nombreux

interpregravetes comprennent cette notion comme eacutetant une reacutefeacuterence aux corps ceacutelestes en raison

de la maniegravere dont est deacutecrit le Moteur Immobile dans la Meacutetaphysique Λ et dans le ciel dans

De Caelo I 9 En effet le ciel est dit immuable inengendreacute inalteacuterable eacuteternel tout comme

est caracteacuteriseacute le Moteur Immobile

Mais Merlan note le pluriel de lrsquoexpression τἀκεῖ dans De Caelo I 9 et pour deacutesigner

les moteurs immobiles (ou ce qursquoil appelle les substances eacuteternelles sans matiegraveres) dans

Meacutetaphysique Λ 660 Crsquoest pourquoi plutocirct que de favoriser lrsquohypothegravese de la reacutefeacuterence

ceacuteleste du τἀκεῖ Merlan favorise celle drsquoune reacutefeacuterence aux moteurs immobiles En ce sens il

58 Merlan 1996 p1359 Cherniss 1944 p58760 Aristote Meacutetaphysique Λ 6 1071b20-23

71

se diffeacuterencie de la tradition habituelle qui voit dans le τἀκεῖ une reacutefeacuterence au Premier

Moteur Merlan nrsquoest donc ni en faveur de la position de drsquoAlexandre ni en faveur de celle de

Simplicius bien que celle-ci semble ecirctre plus proche de la sienne Il srsquoagit alors pour Merlan

dans le but de prouver que le τἀκεῖ correspond aux moteurs immobiles de prouver que la

theacuteologie drsquoAristote est polytheacuteiste et non monotheacuteiste Fabienne Baghdassarian dans son

article ne manque pas de noter que le Premier Moteur Immobile en tant qursquoil est une

substance unique en son genre ne coiumlncide pas vraiment avec le pluriel du τἀκεῖ du De Caelo

I 9 Merlan a bien conscience que le Premier Moteur Immobile en tant qursquoecirctre unique ne

peut pas rendre compte de lrsquoutilisation du pluriel pour deacutesigner ce qui se trouve au-delagrave de la

translation la plus exteacuterieure Crsquoest pourquoi il lui faut montrer que la theacuteologie

aristoteacutelicienne au grand dam des scolastiques est un polytheacuteisme et non un monotheacuteisme

Il se reacutefegravere agrave Meacutetaphysique Λ drsquoAristote et plus preacuteciseacutement au chapitre 6 dans lequel

Aristote affirme la chose suivante dans le but de montrer les raisons pour lesquelles les

scolastiques ont consideacutereacute la theacuteologie aristoteacutelicienne comme monotheacuteiste

In ch6 of Lambda Aristotle reminds us that there are three entities (or kinds of entities orrealities or substances or kinds of substance) Two of them are subject to change - therealm of perishable physical entities and the realm of imperishable physical entities iecelestial bodies But there must exist a realm of being (an entity a substance a reality)which is both imperishable and changeless How Aristotle proves this necessity doesntneed to detain us here - he in any case is satisfied that he did prove it However it isrelevant to stress that he quite particularly denies that the soul as conceived by Plato as aself-changer could be assumed to be the realm of being the existence of which he hasproved61

A la lecture du chapitre 6 ainsi que du chapitre 7 de Meacutetaphysique Λ Merlan nrsquoest pas

eacutetonneacute que les scolastiques voient Aristote comme un monotheacuteiste Il reacutesume alors briegravevement

le chapitre 7 il existe une substance eacuteternelle et immuable selon Aristote ce qui vient

appuyer lrsquoideacutee drsquoune theacuteologie monotheacuteiste Toutefois Merlan souligne que si agrave la lecture des

chapitre 6 et 7 cela semble eacutevident en reacutealiteacute crsquoest un veacuteritable problegraveme auquel les lecteurs

de la Meacutetaphysique ont affaire En effet le deacutebut du chapitre 8 de Λ pose une question de

clarteacute existe t-il une seule substance de ce type ou plusieurs Si plusieurs combien y en a-t-

il Aristote rappelle alors que le Premier Moteur Immobile qui est eacuteternel et sans

changement est le moteur drsquoun seul mouvement celui de la sphegravere des fixes ou du premier

61 Merlan opcit 1966 p3-4

72

ciel Le Premier Moteur Immobile nrsquoexplique donc pas le mouvement de tout ce qui est mucirc en

cercle drsquoun mouvement incessant notamment le mouvement circulaire des planegravetes dans la

mesure ougrave ce nrsquoest pas lui qui est agrave lrsquoorigine de leurs mouvements Aristote en conclut qursquoil

faut que chaque astre ait son moteur immobile Il se reacutefegravere alors aux theacuteories des astronomes

tel que Calippe et Eudoxe et arrive agrave la conclusion qursquoil existe cinquante-cinq sphegraveres qui

mettent en mouvement les astres Il reacutepond donc successivement aux questions suivantes y-

a-t-il une seule substance immuable et eacuteternelle ou plusieurs Et combien Merlan deacutefend la

thegravese qursquoil existe un moteur immobile pour chaque sphegravere il existerait alors cinquante-cinq

moteurs immobiles

Il semble alors qursquoAristote passe drsquoun monotheacuteisme agrave un polytheacuteisme En effet les

sphegraveres sont les moteurs du mouvement des astres elles sont donc parce qursquoelles mettent en

mouvement quelque chose de divin drsquoune nature divine agrave un plus haut degreacute Le problegraveme du

polytheacuteisme nrsquoest pas directement notre propos mais permet agrave Merlan de justifier la reacutefeacuterence

du τἀκεῖ au Moteur Immobile et non au Premier Moteur Immobile Toutefois la lecture de

Meacutetaphysique Λ 8 bien qursquoau deacutepart elle nous pousse dans la direction drsquoun polytheacuteisme

peut servir de contre-argument aux scolastiques pour prouver la supreacutematie du monotheacuteisme

En effet Aristote affirme apregraves avoir eacutevoqueacute lrsquoexistence de cinquante-cinq Moteurs

Immobiles qursquoil nrsquoy a qursquoun seul univers Supposons qursquoil y en ait plusieurs comme il y a

plusieurs individus Si tel eacutetait le cas alors chaque monde aurait un principe et chacun de ces

principes seraient de la mecircme espegravece bien que numeacuteriquement plusieurs Mais deux choses de

la mecircme espegravece ne peuvent se diffeacuterencier que par la matiegravere or le moteur immobile nrsquoa pas

de matiegravere il ne peut donc pas y en avoir plusieurs Aristote semble alors tour agrave tour changer

drsquoavis Il finit Meacutetaphysique Λ 8 par une reacutefeacuterence agrave la religion polytheacuteiste de son eacutepoque en

la critiquant sur sa dimension anthropomorphiste mais non pas sur sa theacuteorie de la pluraliteacute

des dieux

Meacutetaphysique Λ 8 semble constitueacute selon Merlan de trois sections La premiegravere et la

derniegravere deacutefendent une theacuteologie polytheacuteiste alors que la seconde deacutefend une theacuteologie

monotheacuteiste Il justifie ce changement de position par une mauvaise compreacutehension de la

seconde section En effet Aristote a montreacute qursquoil y avait cinquante-cinq moteurs immobiles

Il cherche donc a deacutefendre la theacuteorie des cinquante-cinq moteurs en prouvant qursquoil nrsquoy a

qursquoun seul monde il ne fait pas ccedila pour prouver qursquoil est impossible qursquoil y ait plus drsquoun

moteur A ce titre chaque moteur est diffeacuterent dans la mesure ougrave aucun nrsquoa de matiegravere ce qui

signifie qursquoil ne peut pas y avoir plusieurs moteurs drsquoune mecircme espegravece En outre il nrsquoexiste

73

effectivement qursquoun seul Premier Moteur Immobile mais cela nrsquoimplique pas qursquoil nrsquoexiste

pas un Second un Troisiegraveme un Quatriegravemehellip etc Moteur Immobile En drsquoautres termes il

nrsquoest pas impossible qursquoil y ait cinquante-cinq moteurs par contre il est impossible qursquoil y ait

cinquante-cinq premiers moteurs (ni mecircme deux) car ils nrsquoont pas de matiegravere donc ne

peuvent pas ecirctre un en espegravece et numeacuteriquement plusieurs Ce passage cherche donc agrave eacutetablir

lrsquouniciteacute du monde et non pas celle du dieu

Toutefois comme le dit Merlan cette justification de la continuiteacute de lrsquoopinion

drsquoAristote nrsquoest pas la seule Jaeger62 en formule une autre tregraves brillante Aristote apregraves la

mort de Platon aurait deacuteveloppeacute lrsquoideacutee drsquoun Moteur Immobile comme cause de tous les

mouvements de lrsquounivers et de cette ideacutee sont neacutes les chapitre 6 et 7 de la Meacutetaphysique Λ et

qui deacutefendent une theacuteologie monotheacuteiste Puis devenant familier avec les theacuteories drsquoEudoxe

et Calippe qui expliquent le mouvement des planegravetes par plusieurs moteurs diffeacuterents Aristote

deacutecide de modifier sa theacuteorie et ajoute agrave lrsquounique Moteur Immobile un nombre suffisant

drsquoautres Moteurs Immobiles Il reacutedige alors la section une et trois de Meacutetaphysique Λ 8 Mais

plus tard il apparaicirct des difficulteacutes au sujet de la theacuteorie de la pluraliteacute des moteurs comment

un ordre peut exister dans un monde ougrave il existe autant de moteurs immobiles Il eacutecrit alors la

section deux de Meacutetaphysique Λ 8 Apregraves la mort drsquoAristote les peacuteripateacuteticiens ont assembleacute

les eacutecrits drsquoAristote sous la forme de la Meacutetaphysique que nous connaissons Les eacutediteurs sont

alors responsables de la raison pour laquelle Aristote semble tantocirct ecirctre polytheacuteiste tantocirct

monotheacuteiste et ainsi de suite En inseacuterant le chapitre 8 entre le 7 et le 9 ils ont coupeacute

lrsquoargumentation car Jaeger propose de le retirer dans lrsquoideacutee que le chapitre 7 et 9 se suivent et

que le chapitre 8 est un tout coheacuterent avec lui-mecircme et non avec ce qui preacutecegravede et ce qui suit

Le passage du De Caelo I 9 est alors introduit dans ce deacutebat de la theacuteologie

aristoteacutelicienne polytheacuteiste ou monotheacuteiste dans le but de montrer lrsquoattitude qursquoAristote a

envers le polytheacuteisme Il suffit degraves lors de repenser la lecture du De Caelo I 9 au vu de ce que

Merlan affirmait plus haut lrsquoutilisation du pluriel montre qursquoAristote soutient lrsquoideacutee drsquoune

pluraliteacute de diviniteacutes puisque crsquoest au pluriel qursquoil fait reacutefeacuterence agrave des ecirctres se situant au-delagrave

du ciel

Puisqursquoil nrsquoeacutetait pas possible selon Merlan que le τἀκεῖ soit une reacutefeacuterence aux corps

ceacutelestes ou agrave la sphegravere des fixes et que le Premier Moteur Immobile du fait de son uniciteacute ne

respecte pas les indices textuels du De Caelo I 9 Merlan srsquoestime en droit de proposer une

interpreacutetation qui diverge des plus connues il est tout agrave fait envisageable qursquoAristote soit

polytheacuteiste et que par deacutefinition il deacutefende lrsquoideacutee drsquoune pluraliteacute de diviniteacutes De plus les

62 Jaeger 1924

74

τἀκεῖ sont qualifieacutes comme lrsquoest le Premier Moteur Immobile de sorte que lrsquoon peut eacutetablir

leur caractegravere divin sur la base de celui du Premier Moteur Outre cet argument si les corps

ceacutelestes sont deacutejagrave des ecirctres divins alors a fortiori ce qui les met en mouvement est encore

plus divin Nous pouvons alors identifier le τἀκεῖ comme eacutetant une reacutefeacuterence aux moteurs

immobiles divins et multiples

75

CONCLUSION

Nous avons tenteacute tout au long de ce meacutemoire de montrer qursquoil existait un problegraveme

drsquointerpreacutetation du De Caelo I 9 En effet ce passage tregraves obscur et tregraves riche fait appel agrave

une notion particuliegravere qui est celle du takei Cette notion semble faire reacutefeacuterence agrave une reacutealiteacute

qui se trouverait au-delagrave de la sphegravere des fixes la question que se pose Fabienne

Baghdassarian est donc de savoir si ce texte fait parti de ceux qui attestent de lrsquoexistence de

reacutealiteacutes de ce type Mais la lecture de lrsquoarticle de Fabienne Baghdassarian manifeste de

nombreux arguments qui sont soit en faveur de lrsquoideacutee que ce passage renvoie agrave des reacutealiteacutes

hypercosmiques soit en faveur de lrsquoideacutee drsquoune reacutefeacuterence ceacuteleste Ces arguments viennent

alors atteacutenuer lrsquoimpression premiegravere drsquoun texte portant sur des reacutealiteacutes qui se situeraient au-

dessus du ciel

Il srsquoagissait alors dans ce meacutemoire de montrer quels eacutetaient les arguments en faveur

de telle ou telle ideacutee et la maniegravere dont ils interagissaient entre eux afin de faire lrsquoeacutetat des

lieux drsquoun problegraveme existant depuis lrsquoAntiquiteacute et sur lequel malgreacute la preacutesence de theacuteorie

convaincante personne nrsquoarrive agrave srsquoentendre

Notre ligne directrice pour reacutepondre agrave ce problegraveme a eacuteteacute lrsquoeacutetude du De Caelo de

maniegravere geacuteneacuterale et du De Caelo I 9 de maniegravere plus preacutecise ainsi que la lecture de lrsquoarticle

de Fabienne Baghdassarian sur lrsquoidentiteacute des ecirctres de laquo lagrave-bas raquo A cela se sont ajouteacutes les

commentaires et interpreacutetations antiques puis modernes du problegraveme qui nous inteacuteressait

Comment en sommes-nous arriveacutes agrave nous poser la question de lrsquoidentiteacute du takei

Premiegraverement nous avons introduit les concepts aristoteacuteliciens ainsi que la conception du

cosmos aristoteacutelicienne Nous avons alors deacutefini quels eacutetaient les trois sens du mot ciel Selon

Aristote le ciel se dit de trois maniegraveres pour deacutesigner la substance qui se trouve sur la

circonfeacuterence la plus eacuteloigneacutee du centre Crsquoest eacutegalement le lieu du divin dans la mesure ougrave

son lieu est le plus haut Dans un second sens le ciel est la substance qui est dans la continuiteacute

de la limite la plus eacuteloigneacutee du ciel Enfin dans un troisiegraveme sens le ciel est compris comme

la totaliteacute ou le Tout enveloppeacute par la derniegravere circonfeacuterence De plus Aristote distingue deux

reacutegions dans sa conception du cosmos la reacutegion sublunaire qui se situe sous la Lune et qui

est soumis agrave la geacuteneacuteration et agrave la corruption et la reacutegion supralunaire qui se situe au-dessus

de la Lune et qui nrsquoest pas soumis agrave la geacuteneacuteration et agrave la corruption La distinction de ces deux

reacutegions du ciel permet lrsquoexplication des mouvements des corps dans chacune des reacutegions du

monde En effet dans le monde sublunaire les corps se meuvent de maniegravere rectiligne du

haut vers le bas ou du bas vers le haut en fonction de leur nature Les eacuteleacutements qui srsquoy

76

trouvent et qui composent les corps sont au nombre de quatre En revanche dans le monde

supralunaire il nrsquoexiste qursquoun seul eacuteleacutement qui constitue le ciel et ses parties Cet eacuteleacutement est

lrsquoeacutether et a un mouvement circulaire et eacuteternel du fait de sa nature Lrsquoeacutetude du mouvement

permet alors agrave Aristote de comprendre les raisons de la geacuteneacuteration et de la corruption la

corruption se produit dans les contraires ce qui signifie qursquoun corps se corrompt si et

seulement srsquoil possegravede un contraire Mais il nrsquoy a que les eacuteleacutements du monde sublunaire qui

ont un contraire selon Aristote crsquoest pourquoi lrsquoeacutether et les corps qursquoil constitue sont eacuteternels

et se meuvent drsquoun mouvement incessant

Le ciel en son troisiegraveme sens est compris comme ce qui enveloppe la totaliteacute Cela

signifie que tous les eacuteleacutements que nous avons eacutevoqueacute se trouvent dans le ciel Aristote tente

alors de prouver qursquoil nrsquoexiste qursquoun seul ciel en deacutefendant la position platonicienne du

Timeacutee En effet Platon dans le Timeacutee affirme que le monde est constitueacute de lrsquoensemble des

eacuteleacutements de sorte qursquoil ne puisse rien y avoir au-delagrave de celui-ci Aristote deacutefend la mecircme

theacuteorie en affirmant que le ciel est constitueacute de toute la matiegravere de telle sorte que rien drsquoautre

ne pourrait venir agrave ecirctre en dehors du ciel Il conclut alors il nrsquoexiste ni lieu ni vide ni temps

en dehors du ciel dans la mesure ougrave ce sont des proprieacuteteacutes des corps mateacuteriels

La question du takei srsquoest donc poseacutee dans le contexte de la preuve de lrsquouniciteacute du ciel

et de la non-existence drsquoun quelconque corps mateacuteriels en dehors de celui-ci Nous avons

alors analyseacute la fin du De Caelo I 9 Bien qursquoAristote affirme qursquoil nrsquoy a rien en dehors du

ciel il qualifie ce qui se trouve au-delagrave du ciel comme nrsquoeacutetant ni corporel ni dans un lieu et

eacutetant eacuteternel Finalement Aristote se reacutefegravere agrave des eacutecrits portant sur les ecirctres divins (theion) Le

problegraveme que nous avons donc rencontreacute eacutetait aussi celui de la correspondance entre la notion

de takei et celle de theion

Nous nous sommes alors inteacuteresseacutes aux positions de Simplicius et drsquoAlexandre

drsquoAphrodise Ces deux interpreacutetes antiques sont les ancecirctres des deux interpreacutetations que nous

avons suivre tout au long de notre propos Simplicius est le chef de file de ceux qui affirment

que le takei fait reacutefeacuterence au Premier Moteur Immobile crsquoest-agrave-dire agrave quelque chose qui se

trouve au-delagrave du ciel Quant agrave Alexandre il est le chef de file de ceux qui affirment que le

takei fait reacutefeacuterence agrave la sphegravere des fixes donc agrave quelque chose qui se trouve dans le ciel Ces

interpreacutetations sont les deux alternatives principales et traditionnelles du problegraveme du takei

Elles sont comme nous venons de le dire suivies par une longue tradition agrave laquelle les

interpregravetes modernes pour la plupart participent Donc apregraves avoir vu les interpreacutetations

possibles durant lrsquoAntiquiteacute nous nous sommes inteacuteresseacutes aux interpreacutetations modernes

77

Puisque lrsquoenjeu de notre propos eacutetait de faire lrsquoeacutetat des lieux du problegraveme du takei tout

en rendant compte des arguments en faveur de telles ou telles ideacutees nous avons proceacutedeacute de

maniegravere theacutematique en confrontant les interpregravetes Dans un premier temps nous avons

confronteacute Dumoulin et Moraux Dumoulin comprend le takei comme se reacutefeacuterant agrave quelque

chose se situant au dessus du ciel Il justifie sa thegravese en affirmant qursquoil existe une discontinuiteacute

au sein du texte drsquoAristote Aristote se reacutefeacutererait tantocirct agrave des reacutealiteacutes hypercosmiques tantocirct agrave

des reacutealiteacutes ceacutelestes en faisant lrsquoeacuteloge du mouvement circulaire des corps ceacutelestes dans le but

de montrer que ce qui est supeacuterieur au ciel est encore plus divin Moraux quant agrave lui refuse

lrsquoideacutee drsquoune discontinuiteacute dans lrsquoargumentation sous preacutetexte qursquoelle implique qursquoil faille

accepter lrsquoideacutee qursquoAristote change brusquement de sujet Il affirme alors que le texte est

continu et traite drsquoun bloc de reacutealiteacutes ceacutelestes se situant sur la sphegravere des fixes et non au-delagrave

Dans un second temps nous avons confronteacute Mugnier et Solmsen sur la question du lieu

Mugnier affirme que lrsquoabsence de lieu en dehors du ciel expliqueacutee par Aristote dans le DC

implique que les takei ne peuvent pas se trouver en dehors du ciel puisqursquoils ne seraient pas

dans un lieu alors mecircme qursquoils sont deacutesigneacutes comme eacutetant laquo lagrave-bas raquo crsquoest-agrave-dire dans un lieu

Pour Solmsen lrsquoabsence de lieu de temps et de corps sont les caracteacuteristiques essentielles de

ce que sont les takei Ces caracteacuteristiques semblent ecirctre les mecircmes que celles accordeacutees au

Premier Moteur Immobile dans la Meacutetaphysique

Finalement nous sommes sortis de cette tradition interpreacutetative en nous tournant vers

des thegraveories plus originales notamment celle de Peacutepin et de Merlan En effet Peacutepin affirme

que le takei fait reacutefeacuterence agrave lrsquoeacutether hypercosmique En effet il note qursquoil existe plusieurs

doxographies qui font lrsquoeacutetat drsquoun eacutether hypercosmique chez Aristote toutefois nous nrsquoavons

aucune trace de ces textes Il essaie alors de faire correspondre le De Caelo I 9 agrave ces

doxographies pour en faire une partie manifestant lrsquoexistence drsquoun divin existant au-delagrave du

ciel et qui serait un eacutether hypercosmique Pour Merlin le takei serait une reacutefeacuterence non pas au

Premier Moteur Immobile ou agrave la sphegravere des fixes mais aux Moteurs Immobiles En effet

Merlan soutient la theacuteorie qursquoAristote est un polytheacuteiste qui nrsquoa pas accordeacute la diviniteacute agrave un

seul ecirctre mais agrave une multitudes drsquoecirctres qui seraient agrave lrsquoorigine des mouvements des corps

ceacutelestes Il nous est alors permis par le biais de Merlan et de Peacutepin de sortir de la tradition

habituelle de lrsquointerpreacutetation du takei en proposant des lectures originales et nouvelles des

œuvres aristoteacuteliciennes

Les diverses interpreacutetations que nous avons pu rencontreacute mettent en perspective les

difficulteacutes de la compreacutehension des thegraveses aristoteacutelicienne leurs places chronologiques et

philosophiques dans la vie drsquoAristote dans la mesure ougrave elles posent la question de la

78

chronologie des œuvres aristoteacutelicienne du rapport que la philosophie aristoteacutelicienne peut

entretenir avec la philosophie platonicienne et introduisent finalement des œuvres

aristoteacuteliciennes perdues voire inconnues

79

BIBLIOGRAPHIE

Auteurs antiques

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ARISTOTE Physique traduction par P Pellegrin Paris GF Flammarion 2002

ARISTOTE Du ciel traduction par C Dalimier amp P Pellegrin Paris GF Flammarion 2004

ARISTOTE Du ciel traduction par P Moraux Les Belles Lettres Paris 1965

ARISTOTE Meacutetaphysique traduction par M-P Duminil amp A Jaulin Paris GF Flammarion

2008

ARISTOTE De lacircme traduction par P Thillet Paris Gallimard 2005

ARISTOTE Œuvres complegravetes publieacutees sous la direction de P Pellegrin Paris Flammarion

2014

HIPPOLYTE Reacutefutations de toutes les heacutereacutesies traduction par A Siouville Paris Rieder

1928

PLATON Timeacutee traduction par L Brisson Paris GF Flammarion 1992

PLATON La Reacutepublique traduction par G Leroux Paris GF Flammarion 2002

PLATON Les lois traduction par A Diegraves Paris Les Belles Lettres 2003

PLATON Phegravedre traduction par L Brisson Paris GF Flammarion 2004

80

SIMPLICIUS On Aristotle On the Heavens I 5-9 traduction par RJ Hankinson Londres

2006

Auteurs modernes

BAGHDASSARIAN F laquo Aristote De Caelo 1 9 lrsquoidentiteacute des lsquolsquoecirctres de lagrave-basrsquorsquo dans

Philosophie Antique volume 11 2011 pp 177-203

CHERNISS H-F Aristotlersquos Criticism of Plato and the Academy New-York Russel amp

Russel Pub 1962

DUMOULIN B Recherches sur le premier Aristote Eudegraveme De la philosophie

Protreptique ParisVrin 1981

HAMELIN O Le systegraveme dAristote Paris Librairie J Vrin 1976

JAEGER W Aristote fondements pour une histoire de son eacutevolution Traduction par O

Sedeyn Paris eacuteditions de lrsquoEacuteclat 1997

MERLAN Ph laquo Two Theological Problems in Aristotlersquos Met Lambda 6-9 and De caelo A

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MUGNIER R La Theacuteorie du premier moteur et lrsquoeacutevolution de la penseacutee aristoteacutelicienne

ParisVrin 1930

PEPIN J Theacuteologie cosmique et theacuteologie chreacutetienne (Ambroise Exam I 1 1-4) Paris

1964

SOLMSEN F laquo Beyond the Heavens raquo Museum Helveticum 33 1976 p24-32

81

  • INTRODUCTION
  • Chapitre 1 Le De Caelo I 9 problegravemes lectures et analyses
    • 11 Aristote et le ciel
      • 111 Les trois sens du mot ciel
      • 112 Le corps du ciel lrsquoeacuteleacutement divin et le mouvement du corps ceacuteleste
        • 12 Platonisme et aristoteacutelisme sur lrsquouniciteacute du monde Du Timeacutee au De Caelo I 9
          • 121 Lrsquouniciteacute du monde dans le Timeacutee de Platon
            • 122 Aristote en De Caelo I 9 analyse des arguments en faveur de la pluraliteacute des cieux pour deacutefendre la theacuteorie platonicienne de lrsquouniciteacute du monde
              • 123 Aristote en De Caelo I 9 arguments aristoteacuteliciens en faveur de lrsquouniciteacute du ciel
                  • Chapitre 2 Deacutebat sur la question des ecirctres de laquo lagrave-bas raquo durant lrsquoAntiquiteacute Aristote agrave Simplicius
                    • 21 Compreacutehension antique du laquo τἀκεῖ raquo du De Caelo au commentaire de Simplicius
                    • 211 τἀκεῖ De Caelo I 9 279a15-b3
                    • 222 Le commentaire perdu drsquoAlexandre possibles reacuteponses au problegraveme du laquo τἀκεῖ raquo
                    • 213 Compreacutehension et hypothegravese de Simplicius sur les ecirctres de lagrave-bas
                      • Chapitre 3 Interpreacutetations modernes du De Caelo I 9 La question du τἀκεῖ premier moteur reacutealiteacutes hyper-cosmiques ou sphegravere des fixes reacutealiteacutes ceacutelestes
                        • 31 Le problegraveme de la continuiteacute argumentative du Livre I 9
                          • 311 La discontinuiteacute du sujet en faveur de la transcendance du τἀκεῖ
                          • 312 La continuiteacute du sujet en faveur des reacutealiteacutes ceacutelestes
                            • 32 Le lieu des corps ceacutelestes lrsquoabsence de lieu du τἀκεῖ
                              • 321 Lrsquoabsence de lieu en faveur de la reacutefeacuterence ceacuteleste
                              • 322 Lrsquoabsence de lieu comme caracteacuteristique drsquoun ecirctre transcendant le ciel
                                • 33 Deacutepassement des deux alternatives traditionnelles de lrsquointerpreacutetation du takei
                                  • 331 Lrsquoeacutether hypercosmique de Peacutepin
                                  • 3 3 2 La theacuteorie des Moteurs Immobiles une variante originale de la reacutefeacuterence au Premier Moteur Immobile
                                      • CONCLUSION
                                      • BIBLIOGRAPHIE
Page 6: Débat sur la question des êtres de là-bas de l'Antiquité à

Fabienne Baghdassarian manifeste son inclinaison en faveur de la theacuteorie de la

transcendance du takei Il lui semble tout naturel agrave la lecture des indices textuelles selon

lesquels les takei se trouvent au-delagrave de la translation la plus exteacuterieure de le comprendre

comme eacutetant une reacutefeacuterence agrave des ecirctres transcendant lrsquoordre cosmique Neacuteanmoins cette

impression peut ecirctre atteacutenueacutee aux regards des arguments de certains auteurs que nous verrons

tel que ceux drsquoAlexandre drsquoAphrodise de Moraux ou encore de Mugnier dans le

deacuteveloppement de notre propos Lrsquoatteacutenuation de cette premiegravere impression ndash crsquoest-agrave-dire

naturelle drsquoune reacutefeacuterence agrave un ecirctre se trouvant au-delagrave du ciel ndash permet agrave Fabienne

Baghdassarian de rendre compte drsquoun problegraveme complexe qui oppose la lettre mecircme du texte

agrave la structure argumentative du texte Crsquoest en ce sens qursquoelle affirme que lrsquoeacutetude approfondie

de ce texte met dos agrave dos le contenu du texte avec sa structure geacuteneacuterale sans reacuteussir agrave les

accorder Elle affirme que si drsquoun cocircteacute agrave la lecture de ce passage il y a une inclinaison

premiegravere et naturelle en faveur de la theacuteorie de la transcendance du takei la structure geacuteneacuterale

du texte laisse agrave penser que cette theacuteorie nrsquoest pas si eacutevidente dans la mesure ougrave il est

finalement question apregraves llsquoeacutenonceacute de lrsquoexistence drsquoecirctres se situant au-delagrave du ciel du

mouvement circulaire du corps qui se meut en cercle Ces deux objets diffeacuterents du De Caelo

I 9 nous permet de prendre conscience des deux inclinaisons interpreacutetatives possibles dans

laquelle est emporteacutee lrsquointerpreacutetation de la notion de takei En effet il existe deux lignes

interpreacutetatives qui srsquoopposent sur la question de lrsquoidentiteacute des ecirctres de lagrave-bas Drsquoun cocircteacute en

faveur de la transcendance du takei nous trouvons de nombreux auteurs tels que Simplicius

Pellegrin Solmsen ceux-ci ont tendance agrave reconnaicirctre la theacuteorie du Premier Moteur

Immobile dans ce texte Drsquoun autre coteacute en faveur de la reacutefeacuterence ceacuteleste nous trouvons

Alexandre drsquoAphrodise Moraux Mugnier Nous avons choisi de traiter des deux auteurs

antiques qui sont agrave lrsquoorigine des deux grandes interpreacutetations qui srsquoaffrontent et de quatre

auteurs drsquoaujourdrsquohui pour les opposer de maniegravere theacutematique sur les questions suivantes la

discontinuiteacute du passage et lrsquoargument du lieu Mais nous ne nous arrecircterons pas agrave ces

oppositions theacutematiques et proposerons des alternatives agrave cette logique binaire notamment

avec lrsquointerpreacutetation originale de Peacutepin et sa theacuteorie de lrsquoeacutether hypercosmique

Nous y verrons plus clair si comme Fabienne Baghdassarian nous deacutecoupons le

passage qui est lrsquoobjet de notre propos en trois parties Pour la clarteacute de notre discours nous

5

deacutecouperons ce texte de la mecircme maniegravere qursquoelle et nommerons dans lrsquoordre des paragraphes

ces quatre parties 0 A B et C

Il est en mecircme temps clair qursquoil nrsquoy a ni lieu ni vide ni temps en dehors du ciel En toutlieu en effet il est possible qursquoil existe un corps et lrsquoon dit que le vide est ce en quoi ilnrsquoy a pas de corps mais ougrave il est possible qursquoil en vienne un quant au temps crsquoest lenombre drsquoun mouvement et il nrsquoexiste pas de mouvement sans corps naturel Or on amontreacute qursquoen dehors du ciel il nrsquoy a pas et il ne peut pas y avoir de corps Il est doncmanifeste qursquoen dehors de lui il nrsquoy a ni lieu ni vide ni temps

Crsquoest pourquoi les ecirctres de lagrave-bas par nature nrsquoont ni lieu ni temps qui les fasse vieillir etil nrsquoy a pas non plus aucun changement pour les ecirctres qui sont disposeacutes au-dessus de latranslation la plus exteacuterieure inalteacuterables et impassibles ils ont la meilleure et la plusautonome des vies qursquoils megravenent pour toute sa dureacutee

Les Anciens en effet ont divinement parleacute en choisissant ce nom car le terme quienveloppe le temps de la vie de chacun hors duquel on nrsquoest rien selon la nature a eacuteteacuteappeleacute laquo dureacutee de vie raquo de chacun Et pour la mecircme raison le terme du ciel tout entier luiaussi crsquoest-agrave-dire le terme qui enveloppe le temps tout entier et lrsquoinfiniteacute est une dureacuteequi tire son appellation du fait drsquoexister toujours immortelle et divine De lagrave deacutependentpour les autres ecirctres pour les uns de maniegravere plus exacte pour les autres de maniegravere plusindistincte lrsquoecirctre et la vie

Et par exemple dans les travaux de philosophie destineacutes au grand public portant sur lesecirctres divins on deacuteclare souvent en srsquoappuyant sur des raisonnements que tout ecirctre divineacutetant premier et au-dessus des autres est neacutecessairement immuable Qursquoil en aille ainsiteacutemoigne en faveur de ce que nous avons dit En effet il nrsquoy a rien drsquoautre de plus fort quipuisse mouvoir cet ecirctre divin car cela serait plus divin que lui il nrsquoest en riendeacutefectueux et il ne manque drsquoaucun des biens qui lui appartiennent en propre4

Cette coupure du texte montre bien le problegraveme auquel fait face Fabienne

Baghdassarian dans sa lecture si la partie A qui correspond au premier paragraphe semble

naturellement porteacutee sur des ecirctres qui nrsquoont ni lieu ni temps ni corps et qui se situent au-delagrave

de la derniegravere circonfeacuterence du ciel il nrsquoen est pas de mecircme pour la partie B qui correspond

au second paragraphe et la partie C qui correspond au troisiegraveme paragraphe La partie B

introduit lrsquoeacutetymologie du mot grec aion qui se traduit par la dureacutee dans le but de montrer que

lrsquoon peut justifier lrsquoemploi du terme drsquoaion pour deacutesigner le divin Finalement la partie C

apparaicirct comme eacutetant un eacuteloge de lrsquoeacuteterniteacute et de la perfection du corps qui se meut en cercle

puisqursquoAristote affirme que rien nrsquoest plus parfait et plus puissant que lui de sorte que rien ne

peut le mettre en mouvement En drsquoautres termes le corps qui se meut en cercle nrsquoest mucirc par

4 Ibid 279a18-b3

6

rien drsquoautre que lui-mecircme Aristote dans ce texte semble tantocirct prendre pour objet des ecirctres

qui se situent au-delagrave du ciel tantocirct prendre pour objet le corps qui se meut en cercle Le

problegraveme se pose au sujet de lrsquoargumentation geacuteneacuterale en effet la partie A porte sur les takei

qui semblent se situer en dehors du ciel nous lrsquoavons vu alors que la partie C porte sur le

corps ceacuteleste qui se meut en cercle Le contenu de la partie A nrsquoest pas contredit par le

contenu de la partie C toutefois les interpregravetes ignorent si le takei en partie A fait reacutefeacuterence

au divin deacutecrit dans la partie C

Lrsquoarticle de Fabienne Baghdassarian se donne alors comme projet une eacutetude des

interpregravetes sur la question du takei et de son identiteacute Un tel deacutecoupage de texte lui permet

drsquoorganiser son propos en diffeacuterents moments Elle srsquointeacuteresse dans un premier temps agrave la

partie A en confrontant les opinions et les diverses interpreacutetations Fabienne Baghdassarian

cartographie alors le premier type de problegraveme que pose cette partie la traduction et le sens

du geste aristoteacutelicien Certains traduisent huper5 par laquo au-dessus raquo drsquoautres comme Moraux

optent pour la traduction laquo sur raquo A cette question de traduction se mecircle une question de

lexique le terme huper deacutesigne-t-il veacuteritablement ce qui est sur quelque chose Lrsquoauteur de

cet article affirme qursquoAristote est plus enclin agrave utiliser en que uper pour deacutesigner ce qui se

trouve sur la sphegravere des fixes Pour ce qui est du geste drsquoAristote il est compliqueacute de

deacuteterminer quel est lrsquoobjet de ce passage dans la mesure ougrave il attribue positivement un lieu agrave

ce qui ne peut pas en avoir en les deacuteterminant comme se trouvant laquo lagrave-bas raquo crsquoest-agrave-dire

quelque part Fabienne Baghdassarian preacutefegravere voir dans lrsquoutilisation de ces termes qui

deacutesignent un lieu la deacutesignation de ce qui ne se trouve pas dans un lieu dans le but de

souligner sa transcendance au lieu qursquoest le ciel

Dans un second temps Fabienne Baghdassarian montre que la partie B atteacutenue

grandement lrsquoimpression premiegravere drsquoune reacutefeacuterence agrave un ecirctre transcendant le ciel En effet

lrsquoeacutetymologie de lrsquoaion agrave laquelle se reacutefegravere Aristote est aei on qui signifie laquo qui est toujours raquo

Aristote compare alors la vie humaine qui a une fin qui permet de quantifier la dureacutee agrave la vie

du ciel qui lui nrsquoen a pas Ainsi Fabienne Baghdassarian note que lrsquoeacutetymologie de la dureacutee

nrsquoest pas sans rappeler celle de lrsquoeacutether dans le De Caelo I 3 Lrsquoeacutether est lrsquoeacuteleacutement du monde

supralunaire qui compose les astres et le ciel il est de nature divine et a un mouvement eacuteternel

circulaire En ce sens lrsquoeacutether tient son appellation du fait qursquoil court toujours sans srsquoarrecircter

Ce rapprochement entre lrsquoeacutetymologie de lrsquoaion et celle de lrsquoeacutether pousse alors lrsquoauteur agrave

opeacuterer une atteacutenuation dans lrsquoimpression premiegravere de sa lecture il semblerait qursquoAristote a

deacutesormais pris le ciel et les astres composeacutes drsquoeacutether pour objet

5 Ibid 279a20

7

Finalement dans la partie C il est explicitement fait mention du corps qui se meut en

cercle le ciel Ainsi Fabienne Baghdassarian se pose la question de savoir srsquoil est

envisageable qursquoAristote sans crier gare change de sujet ou srsquoil ne parlait depuis le deacutebut

que du ciel et des astres Lrsquoauteur de cet article propose alors de joindre lrsquoensemble du texte

en affirmant qursquoil est possible qursquoAristote reacutecapitule dans la partie C lrsquoensemble de son

argumentation en mettant sur le plan du divin la totaliteacute de son discours dans le sens ougrave il

hieacuterarchise les divins En ce sens la partie A deacutesignerait des reacutealiteacutes transcendantes mais

divines au mecircme titre que lrsquoest le corps qui a un mouvement de translation Pour ce qui est de

lrsquoeacutetymologie de lrsquoaion elle aurait servi agrave montrer la neacutecessiteacute que le mouvement du ciel est

eacuteternel

Cet article de Fabienne Baghdassarian sera le point de deacutepart de notre propos mais le

geste sera quelque peu diffeacuterent du sien En effet Fabienne Baghdassarian par lrsquoanalyse

geacuteneacuterale du passage du De Caelo I 9 qui nous inteacuteresse parvient agrave faire sortir les problegravemes

drsquoordre lexical grammatical deacutefinitionnel et argumentatif pour nous transmettre un panorama

assez large de ce qui gecircne la compreacutehension de la notion de takei Si drsquoune part son travail

nous permet de prendre conscience des problegravemes que pose la notion de takei sans parvenir agrave

nous fournir une reacuteponse trancheacutee de la question de son identiteacute drsquoautre part il nous permet

de prendre conscience des innombrables thegraveses et interpreacutetations possibles des diffeacuterents

traducteurs et commentateurs drsquoAristote Ce que nous ferons sera alors dans la continuiteacute de

ce travail mais plutocirct que de nous contenter de restituer les thegraveses des commentateurs et

interpregravetes nous deacutetaillerons lrsquoargumentation que tiennent ces commentateurs et interpregravetes

Nous ne chercherons pas lrsquoexhaustiviteacute des interpreacutetations en effet nous nous inteacuteresserons

aux arguments de celles que nous traiterons Notre but sera donc de comprendre le contexte

des thegraveses des interpregravetes sur la question du takei et la raison pour laquelle ils en viennent agrave

telle ou telle conclusion Il srsquoagira alors pour nous de faire lrsquoeacutetat des lieux de ce deacutebat en

restituant les problegravemes que pose le texte mecircme ainsi que les problegravemes que posent les

commentateurs et la maniegravere dont ils les traitent pour deacutefendre leurs interpreacutetations

Nous proceacutederons de maniegravere analytique historique mais aussi theacutematique Crsquoest-agrave-

dire que nous proposons drsquoorganiser notre propos en trois grands moments 1) Le De Caelo I

9 problegravemes lectures et analyses 2) Deacutebat sur la question des ecirctres de lagrave-bas durant

8

lrsquoAntiquiteacute drsquoAristote agrave Simplicius 3) Interpreacutetations modernes du De Caelo I 9 La question

du τἀκεῖ premier moteur reacutealiteacutes hyper-cosmiques ou sphegravere des fixes reacutealiteacutes ceacutelestes

Le premier moment est un moment quelque peu introductif dans la mesure ougrave il est

essentiellement constitueacute dans son ensemble drsquoune lecture du De Caelo I et de la theacuteorie du

mouvement des corps selon le milieu Cette explication est une eacutetape importante selon nous

srsquoil est question du takei dans ce chapitre crsquoest dans un certain contexte argumentatif Il nous

faut alors preacutesenter ce contexte argumentatif dans lrsquointeacuterecirct de comprendre pourquoi cette

notion est si complexe et sujette aux deacutebats Ce moment que lrsquoon juge comme eacutetant

analytique nous permettra de nous familiariser avec le lexique aristoteacutelicien et la conception

aristoteacutelicienne de lrsquounivers cela dans le but de manifester les problegravemes que pose

lrsquoapparition de lrsquoexpression takei Nous verrons alors les trois sens qursquoAristote accorde au mot

laquo ciel raquo Nous nous inteacuteresserons ensuite agrave la composition eacuteleacutementaire de ce corps que lrsquoon

appelle le laquo ciel raquo et qui par lrsquoeacuteleacutement divin qui le compose a un mouvement circulaire et

eacuteternel Il srsquoagira ensuite drsquoexpliquer lrsquoargumentation geacuteneacuterale du texte dans lequel apparaicirct la

notion de takei et qui porte sur lrsquouniciteacute de lrsquounivers Pour lrsquoexpliquer nous nous tournerons

drsquoune part vers un argument proposeacute par Platon dans le Timeacutee puis sur lrsquoutilisation

qursquoAristote en fait pour prouver lrsquoexistence drsquoun seul et unique ciel

Le second moment consistera alors en une restitution des thegraveses respectives

drsquoAlexandre drsquoAphrodise et de Simplicius sur lrsquointerpreacutetation de ce passage fort obscur du De

Caelo I 9 dans lequel surgit la notion de takei Nous avons choisi drsquoeacutetudier ces deux

commentateurs dans la mesure ougrave ils sont tous deux agrave lrsquoorigine drsquoune logique binaire de

lrsquointerpreacutetation du texte qui nous inteacuteresse En effet Simplicius est devenu le chef de file de

ceux qui comprennent lrsquoexpression takei comme eacutetant une reacutefeacuterence agrave un ecirctre transcendant le

ciel et plus preacuteciseacutement au Premier Moteur Immobile alors qursquoAlexandre drsquoAphrodise est le

chef de file de ceux qui comprennent le takei comme eacutetant ceacuteleste et plus preacuteciseacutement

comme eacutetant une reacutefeacuterence agrave la sphegravere des fixes Nous commenterons donc lineacuteairement le

passage 279a15-b3 du De Caelo pour comprendre la complexiteacute de cet extrait Ensuite nous

nous inteacuteresserons aux fondements des interpreacutetations drsquoAlexandre drsquoAphrodise et Simplicius

au sujet du takei

Enfin dans le troisiegraveme et dernier moment de notre propos nous exposerons diverses

positions sur la question en explicitant le deacutebat qui les oppose Les positions deacutefendues seront

celles de commentateurs et interpregravetes modernes En effet nous avons choisi de proceacuteder de

maniegravere historique en deacutebutant par les interpreacutetations antique du texte pour ensuite en arriver

aux interpreacutetations modernes Nous proceacutederons de maniegravere theacutematique en choisissant deux

9

angles drsquoattaques diffeacuterents Drsquoabord nous nous preacutesenterons deux interpreacutetations qui

srsquointeacuteressent agrave la continuiteacute (ou discontinuiteacute) du texte en explicitant les arguments qui

favorisent lrsquoideacutee drsquoune reacutefeacuterence agrave un ecirctre transcendant ou agrave un ecirctre ceacuteleste Ensuite nous

exposerons des interpreacutetations qui mettent lrsquoaccent sur le lieu dans la philosophie

aristoteacutelicienne via les œuvres de Mugnier et de Solmsen Enfin nous sortirons de cette

logique binaire en nous tournant vers deux interpreacutetations qui nrsquoidentifient le takei ni avec la

sphegravere des fixes ni avec le Moteur immobile Il srsquoagira des thegraveses de Peacutepin selon laquelle le

takei renvoie agrave lrsquoeacutether hypercosmique et celle de Merlan selon laquelle il est question des

Moteurs Immobiles

10

Chapitre 1 Le De Caelo I 9 problegravemes lectures etanalyses

11

11 Aristote et le ciel

111 Les trois sens du mot ciel6

Le traiteacute Du Ciel drsquoAristote est une œuvre embleacutematique du corpus aristoteacutelicien et

occupe la seconde place apregraves la Physique dans lrsquoensemble des ouvrages aristoteacuteliciens de

science physique Ce traiteacute apregraves la mort drsquoAristote a veacutehiculeacute une image particuliegravere du

cosmos qui est la sienne jusqursquoagrave lrsquoarriveacutee des nouvelles theacuteories cosmologiques et

scientifiques de la Renaissance

Une reacuteflexion est possible agrave partir mecircme du titre de cette œuvre Il est premiegraverement

important de noter que les reacutefeacuterences au De Caelo sont tregraves peu nombreuses dans le corpus

drsquoAristote mais qursquoen plus de cela il ne srsquoy reacutefegravere jamais via cette appellation Nous sommes

alors en droit de nous demander ce que signifie ce titre probablement choisi par un autre

individu qursquoAristote Il apparaicirct comme eacutevident agrave premiegravere vue que le ciel est lrsquoobjet de ce

traiteacute de physique

Nous avons donc traiteacute plus haut du premier ciel et de ses parties ainsi que des astres quisont transporteacutes agrave lrsquointeacuterieur de lui de leurs composantes et de leurs qualiteacutes naturelleset en outre de leur caractegravere ingeacuteneacuterable et incorruptible

Il est important de noter que les deux premiers livres prennent pour objet le monde

supralunaire ou encore le monde au dessus de la Lune crsquoest-agrave-dire le monde ceacuteleste et divin

Quant aux deux derniers livres ils srsquointeacuteressent plutocirct au monde sublunaire ou monde en

dessous de la Lune crsquoest-agrave-dire le monde physique qui est le nocirctre et est explicable par les

quatre eacuteleacutements naturels que sont le feu lrsquoair lrsquoeau et la terre qui le constituent

Nous pouvons alors imaginer gracircce agrave ces informations que le traiteacute Du ciel tel que

nous lrsquoavons entre les mains aujourdrsquohui est une recomposition de deux traiteacutes distincts lrsquoun

portant sur le monde supralunaire lrsquoautre portant sur le monde sublunaire Ce paragraphe

drsquointroduction permet drsquoaffirmer que les deux premiers livres sont agrave distinguer des deux

derniers Mais ce problegraveme nrsquoest pas notre prioriteacute Aussi nous nous inteacuteresserons

principalement aux deux premiers livres qui prennent le ciel pour objet Ce qursquoon appellera

comme eacutetant la laquo premiegravere partie raquo du traiteacute du Ciel sera lrsquoensemble des livres I et II et seront

ceux qui feront en partie lrsquoobjet et le fondement de notre reacuteflexion et de ce meacutemoire

6 Ibid 278b10-25

12

Toutefois nous nous devons drsquoecirctre preacutecis dans notre lecture de ce deacutebut du troisiegraveme

livre En effet il est affirmeacute ici que la premiegravere partie de lrsquoœuvre portait sur laquo le premier ciel

et ses parties raquo7 Mais qursquoest-ce que laquo le premier ciel raquo Et srsquoil y a un premier ciel y en a-t-

il un deuxiegraveme Un troisiegraveme

Pour reacutepondre agrave cette question il nous faut drsquoabord souligner la meacutethode explicative

qursquoutilise Aristote En effet Aristote accorde une importance capitale agrave la deacutefinition des

termes le philosophe est pour Aristote celui qui sait de quoi il parle et sur quel plan il se

place quand il parle Lorsqursquoil utilise un terme ambigu il se doit de lever lrsquoambiguiumlteacute qui

regravegne en deacutefinissant les termes de son propos Crsquoest ainsi que lrsquoon trouve dans le chapitre 9

du livre I une explication des sens du mot laquo ciel raquo comme moment de clarification de ce dont

on parle drsquoune part et drsquoautre part comme moment de lrsquoexplicitation de la meacutethode

aristoteacutelicienne

Disons drsquoabord ce que nous entendons par laquo ciel raquo et combien de sens nous donnons agrave cemot pour que ce que nous cherchons nous devienne plus clair En un sens on appellelaquo ciel raquo la substance de la derniegravere circonfeacuterence du Tout crsquoest-agrave-dire le corps naturel quiest sur la derniegravere circonfeacuterence du Tout Car nous avons coutume de nommer laquo ciel raquolrsquoextreacutemiteacute ndash ce qui est le plus haut ndash dans laquelle reacuteside tout ce qui est divin8

Ce qui deacutefinit le ciel en ce premier sens est ce qui est le plus haut Le cosmos

aristoteacutelicien se repreacutesente sous forme de plusieurs cercles concentriques qui repreacutesentent

drsquoune part des translations sur lesquelles sont poseacutees des astres et drsquoautre part des lieux (le

lieu du mouvement circulaire le lieu du mouvement rectiligne) et le ciel est ce qui est le plus

haut crsquoest-agrave-dire ce qui se situe sur la circonfeacuterence la plus eacuteloigneacutee du centre Aristote

deacutefend une conception geacuteo-centriste du monde il considegravere que ce qui est au centre du

monde est la Terre Donc le ciel est le corps qui est par nature le plus haut En ce sens on le

nommera le laquo premier ciel raquo Mais qursquoest-ce que ce corps Aristote le preacutesente comme eacutetant

une substance une substance est ce qui ne se dit de rien et nrsquoest dans aucun sujet9 en drsquoautres

termes une substance est un ecirctre autonome qui ne deacutepend de rien drsquoautre que de lui-mecircme

pour ecirctre Cette substance est eacutegalement nommeacutee agrave plusieurs reprises dans les œuvres

drsquoAristote sphegravere des fixes Le corps qui se trouve sur la derniegravere circonfeacuterence du Tout est

ce qui est une substance au sens le plus noble et parfait Nous pouvons alors comprendre au

7 Le premier ciel eacutetant lrsquoappellation courante de la sphegravere des fixes crsquoest-agrave-dire lrsquoextreacutemiteacute du ciel 8 ARISTOTE opcit p143-1459 ARISTOTE Les cateacutegories II 2001 Traduction par Bodeuumls

13

travers de cette premiegravere deacutefinition du ciel que la substance dont on parle est constitueacutee de

matiegravere mais pas de nrsquoimporte quelle maniegravere de la plus noble et la plus divine celle-ci

eacutetant lrsquoeacutether nous y reviendrons plus tard Ainsi le ciel en ce sens est un ecirctre corporel la

circonfeacuterence la plus eacuteloigneacutee qui englobe quelque chose drsquoautre qui est nommeacute le laquo Tout raquo

Dans un second sens et agrave la suite de cette premiegravere deacutefinition le ciel est deacutefini comme suit

En un autre sens crsquoest le corps en continuiteacute avec la derniegravere circonfeacuterence du Tout ougrave setrouvent la Lune le Soleil et certains astres car nous disons drsquoeux aussi qursquoils sont dansle ciel10

Ce nouveau sens du mot ciel nous permet de saisir une nouvelle dimension de celui-

ci en effet le ciel nrsquoest pas seulement dit de ce qui englobe quelque chose qui est le laquo Tout raquo

il est aussi dit qursquoil est le corps11 qui est dans la continuiteacute de la sphegravere des fixes crsquoest-agrave-dire

qursquoil est dans la continuiteacute de la circonfeacuterence la plus eacuteloigneacutee qui englobe le laquo Tout raquo et

qursquoon appelle eacutegalement ciel

Cela est justifiable dans la mesure ougrave comme lrsquoaffirme Aristote nous disons des astres

que sont la Lune le Soleil qursquoils sont dans le ciel or ces astres ne se trouvent pas sur la

derniegravere circonfeacuterence du Tout Le ciel ne peut donc pas ecirctre seulement le corps qui est sur

lrsquoextreacutemiteacute de la circonfeacuterence la plus eacuteloigneacutee sinon on ne pourrait pas dire que la Lune et le

Soleil (ainsi que drsquoautres astres) sont dans le ciel Dans un troisiegraveme et dernier sens toujours agrave

la suite des deux premiegraveres deacutefinitions du ciel Aristote affirme que le ciel se dit du Tout

enveloppeacute par la derniegravere circonfeacuterence

De plus en un autre sens on appelle laquo ciel raquo le corps enveloppeacute par la derniegravere circonfeacuterence car nous avons coutume drsquoappeler laquo ciel raquo la totaliteacute ou le Tout12

Cette deacutefinition fait eacutecho aux quelques lignes introductives du livre III Puisque les

deux premiers livres du traiteacute Du ciel portaient sur laquo le premier ciel et ses parties raquo alors il

est possible drsquoaffirmer que le Tout est lrsquoensemble de ce qui est enveloppeacute par la sphegravere des

10 ARISTOTE opcit p143-14511 Le corps naturel du ciel est lrsquoeacutether 12 ARISTOTE opcit p143-145

14

fixes En drsquoautres termes le Tout qursquoest le ciel est la totaliteacute du corps et de ce qui le compose

qui est enveloppeacutee par le premier ciel

112 Le corps du ciel lrsquoeacuteleacutement divin et le mouvement du corps ceacuteleste

Maintenant que nous avons vu par le biais du De Caelo I 9 les trois sens qursquoAristote

accorde au mot laquo ciel raquo nous pouvons nous inteacuteresser agrave lrsquoessence mecircme du ciel et agrave celle des

parties qui le composent En plus de chercher agrave comprendre de quoi le ciel est constitueacute nous

reviendrons sur lrsquoeacuteleacutement qursquoest lrsquoeacutether invoqueacute plus haut et sur le mouvement naturel des

corps ceacutelestes

De Caelo I 2 est une tentative argumenteacutee de montrer que le corps qui se meut en

cercle est diffeacuterent drsquoun autre type de corps le corps dont le mouvement est rectiligne

Aristote dans ce chapitre du De Caelo affirme premiegraverement que tous les corps naturels

crsquoest-agrave-dire les corps qui sont faits drsquoeacuteleacutements naturels peuvent se mouvoir selon le lieu et

que ce mouvement selon le lieu srsquoappelle le laquo transport raquo Ce transport se fait soit de maniegravere

rectiligne soit de maniegravere circulaire ou alors de ces deux faccedilons agrave la fois

Tout mouvement selon le lieu (que nous appelons transport) est soit rectiligne soit circulaire soit un meacutelange des deux Car ce sont lagrave les deux formes simples [hellip] Le transport en cercle est celui qui a lieu autour du centre le transport rectiligne celui qui a lieu vers le haut ou vers le bas

Il nrsquoexiste ainsi que deux types de mouvement simple pour les corps simples Aristote appelle

les corps simples les eacuteleacutements naturels Leurs mouvements possibles sont rectilignes ou

circulaires Le corps qui se meut en ligne est le corps simple qui a un mouvement simple soit

vers le centre13 soit agrave partir du centre14 Le corps qui se meut en cercle est le corps simple qui

a un mouvement autour du centre Mais quels sont les arguments preacutecis qui deacutefendent que le

corps mucirc en cercle est simple Et quel est donc ce corps qui se meut en cercle Telles sont

les questions auxquelles nous allons reacutepondre ici dans le but de comprendre la nature du corps

simple mucirc en cercle puis de saisir sa composition

13 Vers le bas14 Vers le haut

15

Nous lrsquoavons dit le corps simple est celui qui a un mouvement selon sa nature Le feu aura

donc un mouvement qui va vers le haut alors que la terre aura un mouvement qui va vers le

centre Selon le cosmos aristoteacutelicien et la physique aristoteacutelicienne le corps qui est composeacute

de lrsquoeacuteleacutement naturel qui est la terre sera le plus pesant et aura un lieu naturel preacutecis Il est

important de preacuteciser que chaque eacuteleacutement possegravede un lieu naturel vers lequel il tend

naturellement agrave ecirctre et agrave rester et un lieu contre-naturel dans lequel il est de maniegravere contre-

naturelle La notion de lieu naturel ou de lieu contre-naturel est centrale dans lrsquoexplication du

mouvement chez Aristote le corps composeacute de terre sera le plus pesant et son lieu naturel

sera le bas ainsi il aura un mouvement rectiligne vers le centre Le corps composeacute de feu

quant agrave lui et parce que le feu est lrsquoeacuteleacutement qui nrsquoa aucune pesanteur a un mouvement

rectiligne qui part du centre et va vers le haut On comprend alors que ce qui deacutetermine le

mouvement du corps simple qui se meut de maniegravere rectiligne est ce qui le compose crsquoest-agrave-

dire sa nature Il en va de mecircme pour le corps simple qui se meut en cercle Mais avant drsquoy

venir nous nous devons premiegraverement de prouver que le corps qui se meut en cercle est un

corps simple et qursquoil ne saurait ecirctre autre chose Premiegraverement il srsquoagit pour Aristote de

montrer que le corps mucirc en cercle est simple puisque srsquoil existe un mouvement simple que le

mouvement en cercle soit simple ndash mouvement simple car les mouvements circulaire et

rectiligne sont les seuls types de mouvements qui soient simples les autres eacutetant mixtes

rectilignes et circulairessup2 ndash que le mouvement drsquoun corps simple soit simple et que le

mouvement simple soit celui drsquoun corps simple alors il est neacutecessaire que le corps qui est mucirc

en cercle selon la nature soit un corps simple Il ne srsquoagit pas ici de prouver drsquoores et deacutejagrave

qursquoil existe un corps simple qui se meut en cercle pour Aristote mais simplement de montrer

que theacuteoriquement si un corps qui se meut en cercle existe alors il sera neacutecessairement un

corps simple Cet argument en faveur de lrsquoexistence drsquoun corps qui se meut en cercle nrsquoest pas

le seul chaque corps simple a un lieu naturel vers lequel il est naturellement mis en

mouvement du fait mecircme de sa nature Mais srsquoil a un lieu naturel par nature cela signifie qursquoil

a aussi un lieu qui lui est contre-nature Aristote a montreacute que srsquoil existait un corps mucirc en

cercle celui-ci eacutetait neacutecessairement simple Si un corps simple a un mouvement en cercle et

qursquoon postule que ce mouvement circulaire est simple drsquoune part mais drsquoautre part contre-

nature agrave ce corps dans ce cas lagrave cela signifie qursquoil aura un mouvement autre qui lui sera

naturel Dans la conception aristoteacutelicienne de la physique les corps sont mus en fonction de

ce qui les compose nous lrsquoavons vu et ce qui compose les corps physiques sont les eacuteleacutements

le feu la terre lrsquoeau et lrsquoair Si un corps simple est un corps qui est mucirc par la nature de ce qui

16

le compose alors le corps sera mucirc selon qursquoil est composeacute de feu ou de terre Nous avons vu

que le feu avait un mouvement naturel rectiligne qui part du centre et la terre un mouvement

naturel rectiligne qui va vers le centre donc si le feu ou la terre est mucirc en cercle ce sera

contre nature Le problegraveme qui se pose est le suivant

Mais une chose unique a un contraire unique et les mouvements vers le haut et vers lebas sont contraires lrsquoun de lrsquoautre

Cela implique que le corps simple qui se meut naturellement de maniegravere rectiligne

vers le centre aura pour contraire le mouvement rectiligne qui part du centre et vice-versa

Ainsi il est impossible qursquoun corps simple dont le mouvement est naturellement rectiligne

soit mucirc en cercle

A partir de cet argument dans le chapitre 2 du livre I du De Caelo nous pouvons

affirmer une chose si un corps simple qui se meut en cercle existe alors il ne peut pas ecirctre

composeacute de feu ou de terre car aucun des corps qui sont composeacutes de ces eacuteleacutements et qui se

meuvent de maniegravere rectiligne naturellement vers le haut ou vers le bas ne peuvent ecirctre mus

contre-nature en cercle Il ne reste maintenant qursquoagrave prouver lrsquoexistence de ce corps simple qui

se meut en cercle Lrsquoargument drsquoAristote sur le sujet dans le chapitre 2 du livre I du De Caelo

est le suivant srsquoil existe un mouvement circulaire que ce mouvement circulaire soit simple

que le mouvement circulaire ndash et nrsquoimporte quel mouvement selon le lieu en reacutealiteacute ndash soit la

proprieacuteteacute drsquoun corps simple et qursquoil soit impossible que le mouvement circulaire soit le

mouvement contre-nature drsquoun corps qui se meut en ligne droite alors cela implique qursquoil

existe un corps simple qui se meut en cercle Comment pourrait-il y avoir un mouvement

circulaire mais pas de corps pour avoir ce mouvement dans la mesure ougrave nous lrsquoavons dit le

mouvement selon le lieu est une proprieacuteteacute des corps Cela est impossible Nous pouvons

alors conclure la chose suivante

Crsquoest pourquoi celui qui raisonne en partant de tout cela pourrait se convaincre qursquoen plusdes corps qui existent ici autour de nous il y en a un autre seacutepareacute qui a une naturedrsquoautant plus digne qursquoil est plus eacuteloigneacute de lrsquoici-bas

17

De lrsquoexistence drsquoun corps qui se meut en cercle on peut logiquement induire qursquoil

existe une nature propre au corps qui se meut en cercle une nature plus noble que celle des

corps qui se meuvent en ligne droite Quelle est la nature de ce corps simple dont le

mouvement est circulaire Crsquoest lagrave la seconde question qui nous inteacuteresse

Pour y reacutepondre Aristote se reacutefegravere agrave ce qui a eacuteteacute dit preacuteceacutedemment Puisque la

pesanteur ou la leacutegegravereteacute est une proprieacuteteacute du corps qui lui vient de sa composition et qui

implique qursquoil soit naturellement dirigeacute vers le bas ou vers le haut alors tous les corps ne

possegravedent pas de pesanteur ou de leacutegegravereteacute Quels sont les corps qui possegravedent la pesanteur

Ce sont ceux qui sont naturellement dirigeacutes vers le bas et qui se meuvent en ligne droite vers

le centre crsquoest-agrave-dire tout ce qui est composeacute de terre ou drsquoune espegravece de terre Quels sont les

corps qui possegravedent la leacutegegravereteacute Ce sont ceux qui sont naturellement dirigeacutes vers le haut et

qui se meuvent en ligne droite agrave partir du centre crsquoest-agrave-dire tout ce qui est composeacute de feu ou

drsquoune espegravece de feu A partir de lagrave il est possible drsquoaffirmer que le corps qui se meut en

cercle parce qursquoil nrsquoest mucirc ni vers le bas ni vers le haut est un corps qui nrsquoa ni pesanteur ni

leacutegegravereteacute car nrsquoest ni composeacute de terre ou drsquoune espegravece de terre ni de feu ou drsquoune espegravece de

feu Mais qursquoest-ce que le pesant et le leacuteger Le plus pesant est deacutefini comme ce qui est situeacute

en dessous de tous les corps transporteacutes vers le bas et le plus leacuteger est deacutefini comme ce qui est

agrave la surface de tous les corps porteacutes vers le haut dans le De Caelo I 3 269b18-26 Il est

important pour des raisons de justesse de preacuteciser que cette pesanteur et cette leacutegegravereteacute sont

toutefois relatives un corps leacuteger lrsquoest par rapport agrave un autre et il en va de mecircme pour le

corps pesant mais lagrave nrsquoest pas notre sujet Ces deacutefinitions nous permettent de comprendre que

ce qui nrsquoappartient pas au mouvement rectiligne ne peut pas appartenir aux eacuteleacutements pesants

ou leacutegers

De plus puisque les corps qui ont un mouvements rectilignes vers le haut sont

contraires aux corps ayant un mouvement vers le bas et que la corruption et la geacuteneacuteration se

font dans les contraires alors cela signifie que ces corps sont soumis agrave la geacuteneacuteration et

corruption Selon Aristote laquo crsquoest dans le domaine des contraires que se produisent la

geacuteneacuteration et la corruption raquo15 Du fait mecircme que les corps simples mus en ligne droite vers le

haut ou vers le bas possegravedent un mouvement contre-nature cela implique qursquoils appartiennent

au milieu de ce qui est geacuteneacutereacute et de ce qui ineacutevitablement se corrompt La corruption se fait

dans le changement des proprieacuteteacutes et par rapport agrave quelque chose il en va de mecircme pour

15 De Caelo I 3 270b20 p 89

18

lrsquoaugmentation Lrsquoaugmentation est une forme de geacuteneacuteration agrave partir drsquoun changement dans la

proprieacuteteacute le corps humain transforme et geacutenegravere des nutriments agrave partir de la nourriture qursquoil

ingegravere donc la nourriture a eacuteteacute corrompue et les nutriments ont eacuteteacute geacuteneacutereacutes crsquoest une

deacuteformation de la nourriture et un changement dans son espegravece Mais puisqursquoil nrsquoy a rien de

contraire au mouvement circulaire cela implique que le corps simple qui se meut en cercle

nrsquoest ni geacuteneacuterable ni corruptible puisqursquoil ne peut pas se transformer en son contraire Ce

corps simple nrsquoest pas non plus alteacuterable selon Aristote

En effet lrsquoalteacuteration est un mouvement selon la qualiteacute et les eacutetats et les dispositionsqualitatifs par exemple la santeacute et la maladie ne se produisent pas sans changementsdans les proprieacuteteacutes Mais nous voyons que tous ceux des corps naturels qui changentselon une proprieacuteteacute sont tous sujets agrave lrsquoaugmentation et agrave la diminution [hellip] il en est demecircme pour celui des eacuteleacutements16

Puisque le corps qui est mucirc en cercle nrsquoest ni sujet agrave lrsquoaugmentation (lrsquoaugmentation eacutetant une

forme de geacuteneacuteration) etou agrave la diminution (diminution eacutetant une forme de corruption) alors il

est inalteacuterable Ainsi en plus drsquoecirctre ingeacuteneacuterable et incorruptible le corps qui se meut en cercle

est inalteacuterable Cette proprieacuteteacute fait de lui un corps eacuteternel Le corps qui se meut en cercle doit

donc ecirctre composeacute de quelque chose qui nrsquoa pas de contraire qui nrsquoest pas un eacuteleacutement tel que

le feu lrsquoair lrsquoeau ou la terre et qui nrsquoest ni geacuteneacutereacute ni corruptible A ce stade nous ne savons

pas encore ce qui est signifieacute par laquo le corps simple qui se meut en cercle raquo Mais Aristote lui

donne une autre caracteacuteristique celle drsquoecirctre premier ce qui peut srsquoexpliquer par le fait qursquoil

nrsquoest pas geacuteneacuterable et donc nrsquoest pas venu agrave lrsquoecirctre agrave un instant T Il se tourne ainsi vers trois

instances qui lui permettent de justifier ses dires anteacuterieurs la religion lrsquoobservation et

lrsquoeacutetymologie sont autant drsquoarguments en faveur de la nature du corps qui se meut en cercle tel

que nous lrsquoavons conccedilu jusqursquoagrave preacutesent

Il se tourne premiegraverement vers la religion Aristote affirme en 270b5 du De Caelo que

dans le domaine de la religion on attribue le plus haut lieu agrave ce qui est le plus divin on place

ainsi le divin au-dessus de tout Ainsi le corps qui se meut en cercle puisqursquoil se situe au-

dessus de tout et regardeacute comme eacutetant divin Degraves lors dans la mesure ougrave lrsquoon attribue

lrsquoimmortaliteacute au divin le ciel est alors consideacutereacute comme eacutegalement divin Par conseacutequent le

corps qui se meut en cercle se situe dans le plus haut lieu Lrsquoeacuteterniteacute de ce corps est

16 Ibid p89

19

veacuterifiable par lrsquoobservation et lrsquoexpeacuterience comme lrsquoaffirme Aristote dans la suite du

raisonnement

En effet dans toute lrsquoeacutetendue du temps eacutecouleacute selon la tradition que les hommes se sonttransmise les uns aux autres aucun changement nrsquoa eacuteteacute constateacute ni dans la totaliteacute la plusexteacuterieure du ciel ni dans aucune des parties qui lui sont propres

On comprend agrave la suite de cette remarque que le corps mucirc en cercle qui eacutetait lrsquoobjet de

notre propos est eacutegalement appeleacute laquo ciel raquo Ce que nous avons vu plus haut crsquoest-agrave-dire toutes

les caracteacuteristiques propres au corps qui se meut en cercle srsquoappliquent alors au ciel Mais de

quel sens du laquo ciel raquo parle-t-on puisque nous avons vu que le ciel avait trois sens A en juger

par ce que nous venons de citer nous pouvons dire qursquoAristote parle du premier et second

ciel le premier eacutetant le corps qui se trouve sur la circonfeacuterence la plus exteacuterieure et la plus

eacuteloigneacutee crsquoest-agrave-dire la sphegravere des fixes et le second eacutetant le corps qui est dans la continuiteacute

de la sphegravere des fixes et dans lequel se trouvent certains astres comme le Soleil la Lune et

drsquoautres encore Via lrsquoobservation nous pouvons conclure que le corps est ingeacuteneacuterable

incorruptible et inalteacuterable Mais cet argument en faveur de lrsquoeacuteterniteacute du ciel a un troisiegraveme

temps lrsquoeacutetymologie

Nous eacutevoquions plus tocirct lrsquoideacutee selon laquelle le corps qui se meut en cercle ne pouvait

pas ecirctre constitueacute de feu ou de terre et que donc il avait un eacuteleacutement qui lui eacutetait propre Cet

eacuteleacutement est plus noble que le feu et la terre car il se situe dans le domaine du ciel qui nrsquoest ni

soumis agrave la geacuteneacuteration ni agrave la corruption car il nrsquoa pas de contraire Il est donc eacuteternel Cet

eacuteleacutement tient drsquoailleurs son nom du fait qursquoil est eacuteternel

Crsquoest pourquoi dans lrsquoideacutee que le premier corps eacutetait diffeacuterent de la terre du feu de lrsquoair et de lrsquoeau ils ont nommeacute laquo eacutether raquo le lieu le plus eacuteleveacute tirant pour lui cette appellation du fait qursquoil court toujours pendant un temps eacuteternel

Ainsi le corps qursquoest le ciel parce qursquoil faut rappeler qursquoil est un ecirctre corporel est constitueacute

drsquoune matiegravere que lrsquoon appelle lrsquoeacutether et qui dans le monde supralunaire drsquoAristote est le seul

eacuteleacutement

20

12 Platonisme et aristoteacutelisme sur lrsquouniciteacute du monde Du Timeacutee au De Caelo I 9

121 Lrsquouniciteacute du monde dans le Timeacutee17 de Platon

La question des eacuteleacutements constitutifs des corps est indispensable pour comprendre le

contexte dans lequel le problegraveme du takei se pose En effet le passage obscur du De Caelo I

9 qui est notre propos se situe dans un chapitre visant agrave montrer par les arguments que nous

allons maintenant aborder que le monde est unique et qursquoil nrsquoy a aucun corps en dehors de

lui

Disons maintenant pour quelle raison celui qui a constitueacute le devenir crsquoest-agrave-dire notreunivers lrsquoa constitueacute Il eacutetait bon or en ce qui est bon on ne trouve aucune jalousie agravelrsquoeacutegard de qui que ce soit Deacutepourvu de jalousie il souhaita que toutes choses devinssentle plus possible semblables agrave lui 29e

La question que se pose ici Timeacutee est celle du pourquoi de lrsquounivers Afin de reacutepondre agrave cette

question il srsquointeacuteresse agrave la nature de celui qui a creacuteeacute lrsquounivers En effet la nature mecircme de

celui qui a creacuteeacute lrsquounivers implique que notre univers soit de telle faccedilon et non drsquoune autre

Puisque celui-ci est bon et que la jalousie nrsquoest pas une proprieacuteteacute de ce qui est bon alors celui

qui a creacuteeacute lrsquounivers lrsquoa creacuteeacute de maniegravere agrave ce qursquoil soit agrave son image crsquoest-agrave-dire qursquoil possegravede

les mecircmes qualiteacutes que lui Ainsi en tant qursquoecirctre bon il a voulu que tout ce qui existe soit

bon autant que possible et aussi parfait que possible Mais le deacutemiurge nrsquoest pas parti de rien

cette conception platonicienne de la creacuteation de lrsquounivers deacutecoule de lrsquoideacutee que le rien et le

neacuteant nrsquoexistent pas Donc celui qui est agrave lrsquoorigine de lrsquounivers lrsquoa engendreacute agrave partir de

quelque chose qui eacutetait deacutesordonneacute et en mouvement le visible Il a alors fait de ce visible

deacutesordonneacute un visible ordonneacute Du fait mecircme que celui qui a engendreacute le monde est lrsquoecirctre le

meilleur cela implique que ce qursquoil produit est aussi parfait qursquoil peut lrsquoecirctre car le meilleur

ne pourrait pas faire quelque chose de mauvais

Ayant reacutefleacutechi il se rendit compte que de choses par nature visibles son travail nepourrait jamais faire sortir un tout deacutepourvu drsquointellect qui fucirct plus beau qursquoun tout

17 PLATON Timeacutee 1992 Traduction par L Brisson Nous nous reacutefeacutererons agrave cette traduction sauf indication contraire

21

pourvu drsquointellect et que par ailleurs il eacutetait impossible que lrsquointellect preacutesent en quelquechose soit deacutepourvu drsquoune acircme 30A-b

Mais la nature propre du creacuteateur ne suffit pas agrave faire de toutes ses œuvres des ecirctres

eacutegaux en effet le deacutemiurge srsquoest rendu compte que malgreacute son travail le tout qui eacutetait

constitueacute drsquoun intellect eacutetait neacutecessairement plus beau qursquoun tout sans intellect Mais qursquoest-ce

que lrsquointellect chez Platon qui implique une hieacuterarchie entre les creacuteations du deacutemiurge

Comme lrsquoindique lrsquoextrait citeacute plus haut et qui nous donne une premiegravere ideacutee de ce qursquoest

lrsquointellect chez Platon si lrsquointellect est preacutesent en une chose il est impossible que cette chose

qui possegravede un intellect nrsquoait pas drsquoacircme Cela se justifie par le fait que lrsquointellect νοῦς chez

Platon est la partie la plus noble ou divine de lrsquoacircme Il y a donc une distinction entre lrsquoacircme et

lrsquointellect lrsquoacircme est une chose dont une des partie est lrsquointellect elle est la plus noble A quoi

sert cette partie Elle est ce qui permet de connaicirctre lrsquointelligible et de srsquoen rapprocher

Puisque lrsquointellect a eacuteteacute mis dans lrsquoacircme du monde et que lrsquointellect est la partie la plus belle et

la plus noble de lrsquoacircme cela implique que le monde est par nature le plus beau et le meilleur

possible

Ainsi donc conformeacutement agrave une explication qui nrsquoest que vraisemblable il faut dire que notre monde qui est un vivant doueacute drsquoune acircme pourvue drsquoun intellect a en veacuteriteacute eacuteteacute engendreacute par suite de la deacutecision reacutefleacutechie drsquoun dieu 30bndashc

Puisque le deacutemiurge a la capaciteacute de reacutefleacutechir alors il est proche des intelligibles et du

plus noble et ainsi il est dans la mesure de savoir comment faire de sa creacuteation un ecirctre aussi

bon et beau que possible La proprieacuteteacute du deacutemiurge qui est mise en avant est son intelligence

mais la conception du deacutemiurge ne srsquoarrecircte pas lagrave En effet agrave la maniegravere drsquoun artisan le

deacutemiurge creacutee le monde Mais comme tout artisan il se doit de posseacuteder une connaissance de

la chose qursquoil produit afin de la produire de faccedilon agrave ce qursquoelle soit la plus parfaite possible

Crsquoest pourquoi comme le deacutemiurge est un artisan qui reacutefleacutechit qui possegravede un intellect dans

son acircme il peut avoir une connaissance des intelligibles et ainsi produire quelque chose qui

est le plus parfait possible

22

A la ressemblance de quel vivant en particulier celui qui a faccedilonneacute le monde lrsquoa-t-ilfaccedilonneacute A la ressemblance drsquoaucun de ces vivants qui tiennent le rang drsquoespegraveceparticuliegravere dans la nature estimons-nous car rien de ce qui ressemble agrave un ecirctreincomplet ne saurait jamais ecirctre beau 30c

Mais tel un artisan le deacutemiurge ne produit pas agrave partir de rien il possegravede une

connaissance de ce qursquoil produit nous lrsquoavons dit Mais quelle est cette connaissance Elle

est la connaissance drsquoune ideacutee intelligible en drsquoautres termes drsquoune Forme comprise comme

lrsquoecirctre intelligible et parfait que lrsquoon ne peut saisir que par le biais de lrsquointellect Cela signifie

que le monde ecirctre mateacuteriel et tangible a eacuteteacute creacuteeacute agrave limage dun modegravele qui est intelligible et

non agrave un modegravele sensible Le monde est le sensible le plus parfait alors il ne peut pas avoir

pour modegravele quelque chose de moins parfait que lui et qui soit une partie de quelque chose

drsquoautre

Mais lrsquoensemble auquel appartiennent tous les ecirctres vivants agrave titre de parties soitindividuellement soit en tant qursquoespegravece voilagrave entre tous les vivants supposons-nouscelui auquel ressemble le plus celui-ci Effectivement tous les vivants intelligibles cevivant les tient enveloppeacutes en lui-mecircme de la mecircme faccedilon que notre monde nous contientnous et toutes les autres creacuteatures visibles 32c-d

Mais de quoi ces parties sont-elles les parties Du monde selon Platon Lrsquoargument

repose sur une analogie crsquoest-agrave-dire que notre monde est agrave tous les ecirctres sensibles ce que son

modegravele est agrave tous les ecirctres intelligibles Le monde enveloppe la totaliteacute de tous les ecirctres

sensibles il est logique que son modegravele soit ce qui enveloppe la totaliteacute de tous les ecirctres

intelligibles En effet le deacutemiurge a souhaiteacute que le monde ressemble agrave lrsquoecirctre le plus parfait

entre tous crsquoest-agrave-dire agrave lrsquoecirctre le plus beau de tous dans le sens ougrave il ne manque drsquoaucun des

biens Il a fait le monde de telle sorte qursquoil ait agrave lrsquointeacuterieur de lui tous les vivants qui sont de

mecircme nature que lui tous les ecirctres de nature sensible Comme notre monde est fait sur le

modegravele de quelque chose de parfait qui enveloppe tous les ecirctres intelligibles alors srsquoil y avait

une autre chose qui enveloppait tout cette autre chose serait le modegravele sur lequel aurait eacuteteacute

creacuteeacute notre monde Srsquoil y avait un autre ecirctre qui enveloppe tous les vivants en plus de notre

monde il faudrait qursquoil y ait un ecirctre qui les enveloppe tous les deux et ce serait agrave ce monde lagrave

que ressemblerait le nocirctre Notre monde partage comme caracteacuteristique lrsquouniciteacute du monde

23

parfait unique et beau dont il est la copie Il ne pourrait alors y avoir aucun autre monde en

dehors du nocirctre

[hellip] le dieu ayant placeacute au milieu entre le feu et la terre lrsquoeau et lrsquoair et ayant introduitentre eux autant que crsquoeacutetait possible le mecircme rapport qui fasse que ce que le feu est agravelrsquoair lrsquoair le soit agrave lrsquoeau et que ce que lrsquoair est agrave lrsquoeau lrsquoeau le soit agrave la terre a constitueacute agravelrsquoaide de ces liens un monde visible et tangible 32b

Comment peut-on expliquer que le monde soit sensible Platon fait lrsquoexpeacuterience drsquoun

monde sensible crsquoest le point de deacutepart de sa deacutemarche qui consiste agrave essayer drsquoexpliquer

pourquoi le monde est sensible et ordonneacute Pourquoi y-a-t-il un monde sensible ordonneacute et

non deacutesordonneacute A lrsquoimage drsquoune recette Platon fait la genegravese de la conception du monde qui

repose sur la preacutesence de quatre eacuteleacutements en quantiteacute proportionnelle et selon un rapport de

proportionnaliteacute le feu la terre lrsquoeau et lrsquoair Le fait que le monde soit constitueacute de ces

eacuteleacutements qui entretiennent entre eux un tel rapport en fait un ecirctre mateacuteriel ordonneacute et

impossible agrave corrompre (sinon par celui qui lrsquoa fait tel qursquoil est)

Or de ces quatre eacuteleacutements pris un agrave un la constitution du monde a absorbeacute la totaliteacuteCrsquoest en effet tout le feu toute lrsquoeau tout lrsquoair et toute la terre qursquoutilisa celui quiconstitua le monde pour le constituer ne laissant hors du monde aucune parcelle aucuneproprieacuteteacute de quoi que ce soitVoici quel eacutetait son dessein Il souhaitait en premier lieu quele monde fucirct avant tout un vivant parfait constitueacute de parties parfaites que de plus il fucirctunique dans la mesure ougrave il ne restait rien agrave partir de quoi un autre vivant de mecircmenature puisse venir agrave lrsquoecirctre 32c-33a

On comprend alors lrsquoargument platonicien selon lequel le monde est neacutecessairement

unique Puisque le deacutemiurge a mis en ordre le monde en le constituant de quatre eacuteleacutements (le

feu lrsquoair lrsquoeau et la terre) selon un certain meacutelange et qursquoen plus de cela il a utiliseacute la totaliteacute

du feu la totaliteacute de lrsquoair la totaliteacute de lrsquoeau et la totaliteacute de la terre pour le creacuteer il ne peut

rien exister de mecircme nature que lui Lrsquoensemble de cet extrait du Timeacutee permet de souligner

lrsquouniciteacute du monde sur deux plans diffeacuterents sur le plan meacutetaphysique et sur le plan

physique Sur le plan meacutetaphysique dans la mesure ougrave il a eacuteteacute prouveacute logiquement que le

monde ne pouvait ecirctre qursquoun seul puisqursquoil enveloppait agrave lrsquoimage de lrsquoecirctre intelligible le plus

24

parfait lrsquoensemble des sensibles Sur le plan physique dans la mesure ougrave il a eacuteteacute affirmeacute par

Platon que le monde eacutetait composeacute de la totaliteacute des quatre eacuteleacutements

Lrsquoargument en faveur de lrsquouniciteacute du monde que nous venons de voir est lrsquoeacutecho de la

theacuteorie platonicienne des Formes eacutenonceacutees dans le livre VI de la Reacutepublique18 A la fin du

livre VI de la Reacutepublique Platon dessine rapidement les traits de ce que sera plus tard dans la

mecircme œuvre la theacuteorie des Formes En effet il affirme en cette fin de livre VI que les

geacuteomegravetres lorsqursquoils produisent des hypothegraveses sur les angles et autres figures geacuteomeacutetriques

ne les font pas sur ce triangle qursquoils ont construit ou ce cercle qursquoils ont traceacute ils les font sur

les figures geacuteomeacutetriques en soi A quoi servent alors ces traceacutes Ils servent drsquoimages qui

permettent aux geacuteomegravetres de contempler les choses en soi que lrsquoon ne peut contempler que

par la penseacutee Ces figures traceacutees sont les copies des choses en soi elles sont en ce sens leurs

images De la mecircme maniegravere le monde sensible dans lequel nous sommes et qui enveloppe

lrsquoensemble de tous les ecirctres sensibles est la copie de lrsquoecirctre intelligible le plus parfait qui

enveloppe tous les vivants intelligibles Cette ideacutee implique qursquoil existe dans la philosophie

platonicienne des formes transcendantes qui srsquoeacutelegravevent au dessus du monde sensible et qui ne

sont que copieacutees dans ce monde La veacuteriteacute concernant les choses se trouverait dans le monde

intelligible seulement accessible par la penseacutee La forme est alors comprise comme la chose

en soi intelligible et transcendante Ainsi on peut drsquoores et deacutejagrave en conclure qursquoil y a une

diffeacuterence chez Platon entre la forme hors de la matiegravere et la forme dans lrsquoobjet sensible

122 Aristote en De Caelo I 9 analyse des arguments en faveur de la pluraliteacute des cieux

pour deacutefendre la theacuteorie platonicienne de lrsquouniciteacute du monde

Toutefois il est possible de se meacuteprendre sur la theacuteorie platonicienne de lrsquounivers et de

lui attribuer des conseacutequences erroneacutees voire de lrsquoutiliser afin drsquoaffirmer que le monde nrsquoest

pas unique Aristote en De Caelo I 9 srsquoengage agrave faire lrsquoexamen des arguments en faveur de

la pluraliteacute des mondes que lrsquoon pourrait tirer de la theacuteorie platonicienne de la creacuteation du

monde Nous allons alors maintenant voir quels sont ces arguments

En effet il pourrait sembler impossible qursquoil nrsquoy ait qursquoun seul ciel agrave qui examine leschoses de cette maniegravere dans tout ce qui est constitueacute ou a eacuteteacute produit que ce soit par lanature ou par lrsquoart ce sont deux choses diffeacuterentes que la forme en soi et celle qui est

18 PLATON La Reacutepublique 2002 Traduction par G Leroux

25

meacutelangeacutee agrave la matiegravere par exemple dans le cas de la sphegravere ce sont deux chosesdiffeacuterentes que la forme de la sphegravere et la sphegravere drsquoor ou la sphegravere drsquoairain et encore lafigure du cercle est diffeacuterente du cercle drsquoairain ou du cercle de bois 277b-30

Nous lrsquoavons dit plus haut dans la philosophie platonicienne il y a une distinction

entre la forme hors de la matiegravere et la forme dans la matiegravere dans la mesure ougrave la forme

intelligible (hors de la matiegravere) est transcendante et seacutepareacutee de la matiegravere Et selon Aristote il

pourrait sembler impossible agrave celui qui accepte cette distinction platonicienne de penser qursquoil

nrsquoexiste qursquoun seul monde Il srsquoagit alors de se demander premiegraverement quel est lrsquoargument

qui nous laisse penser que le ciel nrsquoest pas unique Deuxiegravemement nous nous demanderons si

Aristote deacutefend cette compreacutehension de la theacuteorie platonicienne ou srsquoil cherche agrave critiquer

ceux qui la comprennent ainsi

La theacuteorie platonicienne selon laquelle il y a une diffeacuterence entre la forme dans la

matiegravere et la forme en dehors de la matiegravere nous permet drsquoacceacuteder agrave lrsquoexemple suivant dans

le cas drsquoune sphegravere il y a la forme en soi qui est la forme purement intelligible de la sphegravere

drsquoune part et drsquoautre part il y a la sphegravere sensible constitueacutee admettons drsquoor ou drsquoairain Ces

deux types de sphegraveres sont distincts nous lrsquoavons dit pour la raison qursquoil existe une

diffeacuterence entre la forme de la sphegravere hors de la matiegravere (une forme qui est seacutepareacutee et

transcendante) et la forme de la sphegravere dans la matiegravere (une forme qui est meacutelangeacutee agrave la

matiegravere)

Puisque donc le ciel est sensible il sera une chose particuliegravere Car selon nous toutsensible existe dans la matiegravere Mais srsquoil est une chose particuliegravere lrsquoecirctre de ce ciel-ci etlrsquoecirctre du ciel pris absolument seront des choses diffeacuterentes Donc ce ciel-ci sera diffeacuterentdu ciel pris absolument ce dernier est pris comme forme et figure le premier commequelque chose de meacutelangeacute agrave la matiegravere 278a-10

Ce raisonnement appliqueacute au ciel affirme la chose suivante puisque le ciel est un

ecirctre corporel il est une chose particuliegravere Mais srsquoil est une chose particuliegravere et mateacuterielle

alors on peut en conclure que lrsquoecirctre de ce ciel particulier ne sera pas le mecircme que celui du ciel

pris en soi Ainsi le ciel particulier du fait de sa matiegravere dont parle Aristote ne sera pas le

mecircme que le ciel pris en soi crsquoest-agrave-dire en tant que Forme

26

[] cela nrsquoest pas moins vrai si rien de telle nrsquoexiste de maniegravere seacutepareacutee Dans tous lescas en effet ougrave nous voyons cela agrave savoir que la substance formelle se trouve dans lamatiegravere les ecirctres de mecircme forme sont plusieurs et mecircme en nombre infini De sorte qursquoilexiste plusieurs cieux ou qursquoil peut en exister plusieurs 278a-15-20

Mais ces individus qui comprennent lrsquoargument de Platon comme un argument en

faveur de la pluraliteacute du ciel affirment que mecircme srsquoil nrsquoy avait pas de forme seacutepareacutee du

sensible il y aurait quand mecircme plusieurs cieux Mais pourquoi affirment-ils cela Parce

qursquoil peut y avoir plusieurs ecirctres composeacutes de mecircme forme La forme dans la matiegravere nrsquoest

pas neacutecessairement unique la forme de deux chaises diffeacuterentes est la mecircme ce qui fait sa

particulariteacute est la matiegravere Mais il nrsquoest pas contradictoire qursquoil y ait une infiniteacute de chaises

il ne peut y avoir qursquoune seule forme seacutepareacutee et transcendante de la chaise par contre il peut

y avoir un nombre immense de chaises mateacuterielles et potentiellement une infiniteacute dans la

mesure ougrave cela nrsquoest pas contradictoire avec la nature de la forme dans le composeacute

Du fait de la nature mateacuterielle du composeacute ceux qui interpregravetent Platon de cette

maniegravere concluent qursquoil peut tout agrave fait exister plusieurs cieux Il peut en effet y avoir une

infiniteacute de corps mateacuteriels pour une forme seacutepareacutee de la matiegravere unique Il srsquoagira alors pour

Aristote de reprendre ces arguments et drsquoen faire lrsquoexamen afin de savoir lesquels sont fondeacutes

et lesquels ne le sont pas Nous nous eacutetions alors demandeacute quels eacutetaient les arguments qui

laissaient penser que le ciel pouvait ne pas ecirctre unique drsquoune part et drsquoautre part si Aristote

deacutefendait les conclusions auxquelles aboutissait cette certaine compreacutehension de Platon ou srsquoil

les jugeait erroneacutees

123 Aristote en De Caelo I 9 arguments aristoteacuteliciens en faveur de lrsquouniciteacute du ciel

Mais quelle est donc la position drsquoAristote sur la question de lrsquouniciteacute du monde

Deacutefend t-il Platon Est-il en deacutesaccord avec Platon Leurs arguments diffeacuterent-ils Pour

reacutepondre agrave ces questions nous eacutetudierons de maniegravere lineacuteaire la suite du chapitre

Que donc la deacutefinition de la forme sans la matiegravere et celle de la forme dans la matiegraveresoient diffeacuterentes lrsquoune de lrsquoautre on le dit avec raison et tenons-le pour vrai Il nrsquoy aneacuteanmoins aucune neacutecessiteacute agrave conclure de cela qursquoil existe plusieurs mondes ni qursquoil peuten exister plusieurs srsquoil est vrai que ce monde-ci est composeacute de lrsquoensemble de lamatiegravere comme cela est le cas 278a25

27

Il est possible drsquoaffirmer avec veacuteriteacute selon Aristote que la forme dans la matiegravere et la

forme sans la matiegravere sont deux choses diffeacuterentes Mais nous lrsquoavons dit en 278a25 Aristote

affirme que de cela nous ne pouvons pas induire la neacutecessiteacute ou la possibiliteacute qursquoil en existe

plusieurs car il est vrai que le monde est composeacute de lrsquoensemble de la matiegravere Aristote

affirme alors qursquoil ne saurait y avoir un autre monde puisque le monde est constitueacute de

lrsquoensemble de la matiegravere

A ce moment de lrsquoexamen des arguments exposeacutes plus tocirct nous trouvons dans le De

Caelo une explication des trois sens du mots ciel Dans la mesure ougrave nous avons exposeacute plus

tocirct ce qursquoeacutetaient ces trois ciels nous ne ferons que rappeler ce passage en le restituant

briegravevement Puisque nous avons exposeacute plus haut le ciel de trois maniegraveres nous comprenons

bien qursquoil ne peut rien exister en dehors du ciel dans la mesure ougrave le ciel srsquoentend dans un

sens comme le Tout ou la totaliteacute de ce qui est enveloppeacute par la circonfeacuterence la plus

eacuteloigneacutee Rappelons-le le laquo ciel raquo se dit en plusieurs sens le ciel est le corps qui se trouve

sur la circonfeacuterence la plus eacuteloigneacutee Le ciel est donc lrsquoextreacutemiteacute en un sens En un second

sens le ciel est le corps qui est dans la continuiteacute de la circonfeacuterence la plus eacuteloigneacutee et dans

laquelle se trouvent certains astres tel que le Soleil la Lune et drsquoautres En un troisiegraveme sens

et crsquoest ce sens qui permet de montrer que le ciel possegravede lrsquoensemble de la matiegravere le ciel est

dit du Tout ou de la totaliteacute qui est enveloppeacutee par la circonfeacuterence la plus eacuteloigneacutee En

drsquoautres termes le ciel est la totaliteacute de ce qui est enveloppeacute par le corps situeacute agrave lrsquoextreacutemiteacute du

ciel De cela nous pouvons conclure la chose suivante selon Aristote

Le ciel eacutetant pris en ces trois sens la totaliteacute enveloppeacutee par la derniegravere circonfeacuterence estneacutecessairement constitueacutee de lrsquoensemble du corps naturel sensible du fait qursquoil nrsquoexisteaucun corps en dehors du ciel et qursquoil ne peut pas y en avoir Supposons en effet qursquoilexiste un corps naturel en-dehors de la derniegravere circonfeacuterence il serait neacutecessaire qursquoilfasse partie soit des corps simples soit des corps composeacutes et que son eacutetat soit naturelou contre-nature Or il ne pourrait ecirctre lrsquoun des corps simples 278b20-25

Postulons qursquoil existe un corps naturel qui soit au-delagrave de la derniegravere circonfeacuterence Si

ce corps naturel existe il est neacutecessaire puisque les corps se divisent seulement en deux

cateacutegories qursquoil soit simple ou composeacute Nous avons vu qursquoun corps simple eacutetait un corps

naturel dont le mouvement eacutetait deacutetermineacute par sa nature En effet un corps simple a un

28

mouvement rectiligne (vers le haut ou vers le centre) ou un mouvement circulaire Pour ce

qui est des mouvements rectilignes Aristote affirme que le corps simple ne pourrait pas se

trouver au-delagrave du ciel car les corps simples qui existent au nombre de quatre le feu lrsquoair

lrsquoeau et la terre sont en totaliteacute rassembleacutes dans le monde de sorte qursquoil nrsquoy en a aucune

quantiteacute agrave lrsquoexteacuterieur de celui-ci De plus puisque chaque corps simple a un mouvement

naturel qui le megravene agrave son milieu naturel (milieu naturel qui se trouve dans le monde) alors

cela signifie que lrsquoexteacuterieur du monde serait son milieu contre-nature Si tel est le cas alors le

milieu contre-nature qui est lrsquoexteacuterieur du ciel serait le milieu naturel drsquoun autre corps ce qui

nrsquoest pas possible en vertu du fait qursquoil nrsquoexiste aucune matiegravere en dehors du ciel Et pour ce

qui est du corps simple dont le mouvement est circulaire crsquoest-agrave-dire lrsquoeacutether nous avons vu

que son milieu naturel eacutetait le ciel et qursquoil nrsquoavait pas de milieu contre-nature Or srsquoil eacutetait en

dehors du ciel dans la mesure ougrave son milieu naturel est le ciel cela signifierait qursquoil serait

dans son milieu contre-naturel ce qui nrsquoest pas possible

Et si aucun des corps simples nrsquoy est aucun des corps mixtes nrsquoy est non plus car il estneacutecessaire que si un corps mixte srsquoy trouve les corps simples y soient aussi 279a1-2

Pour les corps composeacutes lrsquoargument est le mecircme Le corps composeacute est un corps qui

contient un meacutelange de plusieurs eacuteleacutements mais son mouvement se fait en fonction de

lrsquoeacuteleacutement qui domine en lui (il a donc un mouvement simple en fonction du corps simple qui

le constitue) Un corps admettons composeacute a 60 de terre et 40 de feu sera attireacute vers le

centre Ainsi il est neacutecessaire que ce corps simple ou composeacute ait un lieu naturel ou contre-

nature puisqursquoil est en mouvement vers son lieu naturel ou en mouvement vers un lieu contre-

nature De plus il y a deux types de mouvement lrsquoun circulaire et lrsquoautre rectiligne Pour le

corps qui se meut en cercle naturellement il nrsquoy a aucun lieu qui soit contre-nature dans la

mesure ougrave il nrsquoest ni geacuteneacuterable ni corruptible nous lrsquoavons vu Ce corps ne peut donc pas

changer de lieu naturel pour un autre lieu Aristote conclut par la force mecircme des arguments

contenus dans le De Caelo et de lrsquoorganisation du monde qui repose sur les notions de milieu

naturel et de mouvement naturel que le monde est formeacute de lrsquoensemble de la matiegravere et qursquoil

ne pourrait pas y avoir un autre ciel Le ciel est donc unique

Mais Aristote ne srsquoarrecircte pas agrave lrsquoaffirmation selon laquelle le ciel est unique Il ajoute

Il est en mecircme temps clair qursquoil nrsquoy a ni lieu ni vide ni temps en dehors du ciel En toutlieu en effet il est possible qursquoil existe un corps et lrsquoon dit que le vide est ce en quoi il

29

nrsquoy a pas de corps mais ougrave il est possible qursquoil en vienne un quant au temps crsquoest lenombre drsquoun mouvement et il nrsquoexiste pas de mouvement sans corps naturel 279a10

Il nrsquoy a pas de lieu pas de vide et pas de temps en dehors du ciel selon Aristote Mais

pourquoi Il ne peut y avoir de lieu car en tout lieu il est possible qursquoil y ait un corps Il nrsquoy a

pas non plus de vide dans la mesure ougrave le vide est deacutefini comme ce en quoi il nrsquoy a pas de

corps mais ougrave il pourrait y en avoir un Srsquoil existait un lieu qui nrsquoabrite aucun corps alors ce

lieu serait vide et srsquoil existe un lieu vide alors il pourrait y avoir un corps Mais puisque rien

ne peut venir agrave lrsquoecirctre en dehors du ciel pour les raisons invoqueacutees plus haut alors il ne peut ni

y avoir de vide ni de lieu en dehors du ciel De plus on se repreacutesente le vide comme un lieu

ougrave il nrsquoy a rien or il nrsquoy a pas de lieu en dehors du ciel Crsquoest lrsquoargument drsquoAristote pour

deacutefendre lrsquoideacutee qursquoil nrsquoy a ni lieu ni vide en dehors du ciel Mais pourquoi nrsquoy aurait-il pas de

temps Parce que le temps est deacutefini comme eacutetant le nombre drsquoun mouvement Le

mouvement eacutetant un changement selon le lieu drsquoune part et drsquoautre part la proprieacuteteacute drsquoun

corps dans la mesure ougrave il nrsquoy a pas de lieu et pas de corps en dehors du ciel il ne peut pas

non plus y avoir de mouvement

30

Chapitre 2 Deacutebat sur la question des ecirctres de laquo lagrave-bas raquo

durant lrsquoAntiquiteacute Aristote agrave Simplicius

31

21 Compreacutehension antique du laquo τἀκεῖ raquo du De Caelo au commentaire de Simplicius

211 τἀκεῖ De Caelo I 9 279a15-b3

Nous nous sommes donc dans le premier moment de notre propos familiariseacute avec

les concepts aristoteacuteliciens et avec la conception aristoteacutelicienne du ciel afin de pouvoir par la

suite ecirctre le plus clair possible De plus la lecture du De Caelo nous a permis de rendre

compte de son contenu drsquoune part et de ses problegravemes drsquoautres part Crsquoest alors dans un

contexte drsquoexamen des interpreacutetations platoniciennes de lrsquouniciteacute du monde et dans un

contexte drsquoexposition drsquoarguments en faveur de lrsquouniciteacute du monde qursquoapparaicirct la notion qui

dans notre propos est probleacutematique la notion de takei La seconde partie de notre propos

consistera alors agrave rendre compte drsquoun passage fort obscur du De Caelo I 9 en lrsquoanalysant A la

suite de cela nous restituerons les arguments de Simplicius et drsquoAlexandre drsquoAphrodise

respectivement en faveur du takei comme notion signifiant le Premier Moteur Immobile ou la

sphegravere des fixes Il srsquoagira alors de comprendre quelles eacutetaient les thegraveses dominantes durant

lrsquoAntiquiteacute concernant le passage du De Caelo qui nous inteacuteresse et surtout comment elles

eacutetaient deacutefendues

Tout ce qui plus haut a eacuteteacute dit nous a permis de justifier la question suivante nous

avons vu que le ciel eacutetait unique et que ni matiegravere ni lieu ni vide et ni temps ne pouvait se

trouver hors du ciel Nous avons de plus affirmeacute que rien ne pouvait venir agrave lrsquoecirctre en dehors

du ciel Alors pourquoi dans le chapitre 9 du premier livre du De Caelo Aristote en arrive agrave

la conclusion suivante

Crsquoest pourquoi les ecirctres de lagrave-bas par nature nrsquoont ni lieu ni temps qui les fasse vieillir etil nrsquoy a pas non plus aucun changement pour les ecirctres qui sont disposeacutes au-dessus de latranslation la plus exteacuterieure inalteacuterables et impassibles ils ont la meilleure et la plusautonome des vies qursquoils megravenent pour toute sa dureacutee

Ce passage tregraves obscur est lrsquoobjet preacutecis de notre meacutemoire Quel est le lien entre le

fait que le monde soit unique que rien ne puisse venir agrave lrsquoecirctre en dehors du ciel pour la raison

qursquoil nrsquoy a ni matiegravere ni lieu ni vide ni temps au-delagrave du ciel et la citation ci-dessus Il est

difficile de le dire Il semblerait agrave premiegravere vue que la conclusion agrave laquelle arrive Aristote

est la suivante srsquoil nrsquoy a pas de lieu de vide de temps et de matiegravere alors les ecirctres qui sont

32

au-delagrave du ciel nrsquoont ni lieu ni temps ni vide ni corps Pourtant il a affirmeacute auparavant que

rien ne pouvait venir agrave lrsquoecirctre ou ecirctre venu agrave lrsquoecirctre en dehors du ciel Ce qui est eacutetonnant est

contenu de la conclusion mais aussi principalement le fait que la forme de cette conclusion

preacutesuppose qursquoil existe des ecirctres au-delagrave du ciel ou du moins elle nrsquoexclut pas qursquoil y en ait

Mais si cela est vrai alors ces ecirctres nrsquoont par nature aucun lieu aucun temps aucun corps

sensible donc aucun mouvement Que pourrait-il exister qui ne soit ni dans un lieu ni

corporel et qui nrsquoait pas de temps Chose eacutetonnante il affirme qursquoil nrsquoy a pas de lieu en

dehors du ciel tout en affirmant que des ecirctres se trouvent laquo lagrave-bas raquo deacutesignant un lieu qui nrsquoest

pas censeacute exister Plus encore Aristote les situe preacuteciseacutement ils sont au dessus de la

translation la plus exteacuterieure Cette translation la plus exteacuterieure est la circonfeacuterence la plus

eacuteloigneacutee du centre crsquoest le ciel compris dans son premier sens la sphegravere des fixes Le

problegraveme est donc de savoir ce que sont ces ecirctres hors du ciel dans la mesure ougrave ils ne sont

dans aucun lieu mais sont situeacutes quelque part De plus comment maintenir la continuiteacute entre

le deacutebut de ce texte dont lrsquoobjet sont les ecirctres de lagrave-bas alors qursquoagrave la fin du texte il est

question du corps qui se meut en cercle Comment drsquoailleurs comprendre le rapport entre les

deux dans la mesure ougrave il est dit des ecirctres de lagrave-bas qursquoils sont sans mouvement parfaitement

immobile alors qursquoil est dit de lrsquoecirctre divin drsquoune part qursquoil est immobile ne pouvant pas ecirctre

mucirc par quelque chose drsquoexteacuterieur agrave lui mais que son mouvement est circulaire Comment

lrsquoecirctre le plus divin peut-il ecirctre immobile et se mouvoir en cercle De plus que peut-il y avoir

en dehors du Tout ou de la totaliteacute Et srsquoil y a quelque chose en dehors du Tout le Tout reste-

t-il la totaliteacute dans la mesure ou il nrsquoinclurait pas tout

Il est dit de ces ecirctres qursquoils nrsquoont pas de temps et qursquoils ne changent pas En effet le

changement est compris comme un mouvement et vice-versa Le mouvement est la proprieacuteteacute

drsquoun corps Il ne peut donc y avoir aucun mouvement en dehors du ciel et aucun changement

La geacuteneacuteration et la corruption sont eacutegalement des changements mais puisque rien ne peut

venir agrave lrsquoecirctre hors du ciel alors rien ne peut ecirctre geacuteneacutereacute et rien ne peut se corrompre Ce qui

implique que les ecirctres de lagrave-bas sont ingeacuteneacuterables et incorruptibles Aristote lrsquoaffirme ils sont

inalteacuterables et impassibles Mais qursquoest-ce que lrsquoalteacuteration chez Aristote Nous lrsquoavons

eacutegalement vu lrsquoalteacuteration est un changement dans la qualiteacute de la chose cela signifie que srsquoils

sont inalteacuterables leurs qualiteacutes ne peuvent pas changer Lrsquoimpassibiliteacute quant agrave elle implique

qursquoils ne peuvent ecirctre affecteacutes drsquoaucune maniegravere On note eacutegalement dans le texte drsquoorigine en

grec ancien lrsquoutilisation du pluriel pour deacutefinir ce qui se trouve au-dessus de la translation la

plus exteacuterieure τἀκεῖ On sait donc par conclusion qursquoil y a quelque chose en dehors du ciel

33

qui nrsquoa ni lieu ni temps qui est inalteacuterable impassible et qui nrsquoest pas seul en effet le

pluriel de ce terme grec qui signifie laquo les choses de lagrave-bas raquo nous rappelle qursquoil nrsquoexiste pas

qursquoun seul ecirctre lagrave-bas mais plusieurs Ces ecirctres inalteacuterables et impassibles sans temps et sans

lieu sont par conseacutequent eacuteternels De plus Aristote nous dit qursquoils ont la vie la meilleure et la

plus autonome qui soit Crsquoest-agrave-dire qursquoils ne deacutependent de rien drsquoautre que drsquoeux-mecircmes

pour ecirctre Preacuteciser que leur vie est la laquo meilleure raquo implique-t-il une comparaison avec un

autre style de vie autonome agrave un degreacute infeacuterieur Par exemple celle des corps qui ont un

mouvement eacuteternel et simple dans leur milieu naturel qui nrsquoa pas de contraire et qui implique

que les astres soient eacuteternels Cette vie autonome les takei la megravenent pour toute sa dureacutee Mais

pourquoi Aristote affirme une telle chose alors mecircme qursquoil nrsquoy a pas de temps Quel est le

rapport entre le temps et la dureacutee

[hellip] car le terme qui enveloppe le temps de la vie de chacun hors duquel on nrsquoestrien selon la nature a eacuteteacute appeleacute laquo dureacutee de vie raquo de chacun

La dureacutee de vie de chacun est donc ce qui enveloppe le temps de la vie de chacun

Mais srsquoil nrsquoy a pas de temps comment peut-il y avoir quelque chose enveloppeacute par la dureacutee

Si la dureacutee de vie de chacun est ce qui enveloppe le temps de la vie de chacun alors la dureacutee

de vie eacuteternelle des ecirctres de lagrave-bas est ce qui enveloppe le temps de la vie eacuteternelle de ces

ecirctres Sans temps il ne pourrait donc pas y avoir de dureacutee car la dureacutee nrsquoenvelopperait rien

Le temps est ce qui chez Aristote est relatif au combien de temps La question du laquo combien

de temps raquo suppose qursquoil y a du temps qui passe donc un mouvement qui se produit Mais

hors du ciel il nrsquoy a ni corps ni mouvement ni temps donc comment les ecirctres de lagrave-bas

peuvent-ils avoir la vie pour toute sa dureacutee

La dureacutee est la totaliteacute du temps de la vie de quelque chose et crsquoest aussi le terme qui

englobe la totaliteacute du temps du ciel Le ciel compris comme un Tout ou une totaliteacute crsquoest-agrave-

dire la troisiegraveme maniegravere de parler du ciel est une dureacutee On considegravere que comme le terme

de laquo dureacutee raquo a une origine commune avec le laquo fait drsquoexister toujours raquo alors le ciel qui est une

dureacutee est une dureacutee en vertu du fait qursquoil dure toujours Ainsi le ciel est immortel et divin car

il existe toujours sans srsquoarrecircter

Le problegraveme qui se pose est alors celui de comprendre le rapport entre les deux parties

de ce texte on y traite dans un premier temps en 279a15 des ecirctres qui seraient disposeacutes au-

delagrave du ciel en les caracteacuterisant comme eacutetant des ecirctres qui ne sont dans aucun lieu et soumis agrave

34

aucun changement A partir de la notion de dureacutee il argumente en faveur de lrsquoeacuteterniteacute du ciel

Pourquoi semble-t-il y avoir une discontinuiteacute dans lrsquoobjet de cet extrait

Aristote affirme que la dureacutee a un terme qui permet de mesurer le temps qui passe

alors que le ciel nrsquoen a pas Il en vient alors agrave parler de lrsquoecirctre divin duquel deacutepend la vie de

tout ce qui existe En effet la limite du ciel est la sphegravere des fixes en ce sens elle est ce qui

enveloppe le monde Toutefois il nous semble que la notion de dureacutee interrompe le discours

portant sur les ecirctres de lagrave-bas Srsquoil eacutetait au deacutepart question des takei il est deacutesormais question

de la sphegravere des fixes Sont-ils une seule et mecircme chose Telle est la question que les lecteurs

peuvent se poser et qui permettrait drsquounifier le texte

Et par exemple dans les travaux de philosophie destineacutes au grand public portant sur lesecirctres divins on deacuteclare souvent en srsquoappuyant sur des raisonnements que tout ecirctre divineacutetant premier et au-dessus des autres est neacutecessairement immuable 279A31-33

Nous arrivons alors au passage que nous avons eacutetabli comme eacutetant la partie C Aristote

se reacutefegravere agrave des travaux de philosophie portant sur les ecirctres divins La question que nous nous

posons ainsi que les interpregravetes est celle de savoir si les ecirctres divins dont il est question sont

les takei de la partie A Il existe alors un doute dans la compreacutehension de ce passage qui

reacutesulte drsquoune impression de discontinuiteacute entre la partie A et la partie C mais non pas drsquoune

opposition entre celles-ci Le problegraveme survient agrave cause drsquoun doute sur la coiumlncidence entre

lrsquoexpression takei et lrsquoexpression theion (ecirctres divins) Ces travaux de philosophie portant sur

les ecirctres divins affirme que les ecirctres divins sont immuables Pour Aristote cela teacutemoigne en

faveur de ce qursquoil a affirmeacute plus tocirct rien ne peut mouvoir le divin sinon cette chose serait

plus divine que le divin et ce nrsquoest pas possible

Il existe alors un deacutebat concernant ce passage Degraves lrsquoAntiquiteacute deux commentateurs

drsquoAristote srsquoaffrontent sur la question de lrsquoidentiteacute des takei Ces deux interpreacutetations sont

celle de Simplicius et celle drsquoAlexandre Le premier deacutefend lrsquoideacutee que lrsquoexpression takei

renvoie au Premier Moteur Immobile alors que le second deacutefend qursquoil srsquoagit de la sphegravere des

fixes Ces deux interpreacutetations se font alors concurrence et ont donneacute naissance agrave une longue

tradition interpreacutetative que nous eacutetudierons plus tard

On peut alors se demander quelle uniteacute il existe dans cet extrait du De Caelo de la fin

du chapitre 9 Livre I Il semblerait que les ecirctres dont nous parle Aristote et qui se situent au-

35

delagrave de la translation la plus exteacuterieure soient des corps qui se meuvent en cercle car ils ont en

commun certaines proprieacuteteacutes lrsquoeacuteterniteacute la dureacutee sans fin lrsquoautonomie Or il srsquoavegravere que les

ecirctres de lagrave-bas sont exteacuterieurs au ciel alors que les corps qui se meuvent en cercle sont dans le

ciel Ils sont de plus composeacutes de la matiegravere qursquoest lrsquoeacutether ce qui implique qursquoils ne puissent

pas ecirctre au-delagrave du ciel dans la mesure ougrave il nrsquoexiste aucune matiegravere en dehors du ciel ni

aucun mouvement

222 Le commentaire perdu drsquoAlexandre possibles reacuteponses au problegraveme du laquo τἀκεῖ raquo

Nous avons vu que De Caelo I 9 srsquoachevait sur un passage fort mysteacuterieux En effet

dans la partie A du texte que nous avons citeacute au deacutebut de notre propos Aristote affirme et

prouve par les arguments que nous avons vu plus tocirct qursquoil nrsquoexiste rien en dehors du ciel ni

lieu ni vide ni temps ni matiegravere Vient alors la conclusion que les ecirctres se trouvant en dehors

du ciel ne sont dans aucun lieu nrsquoont ni matiegravere ni temps qui les fassent vieillir Il srsquoagira

alors drsquoaborder les interpreacutetations antiques de ce passage dans le but de comprendre quelles

sont les hypothegraveses quant agrave lrsquoidentiteacute de ces ecirctres (τἀκεῖ en grec) et les arguments pour les

deacutefendre

Nous allons alors commencer par examiner lrsquointerpreacutetation drsquoAlexandre drsquoAphrodise

du De Caelo I 9 telle qursquoelle nous a eacuteteacute transmise par Simplicius dans son commentaire

Alexandre propose deux lectures hypotheacutetiques de cet extrait En effet il se demande

ce agrave quoi fait reacutefeacuterence Aristote lorsqursquoil emploie le terme de laquo τἀκεῖ raquo Soit ce qui est deacutecrit

comme eacutetant un ecirctre en dehors du ciel qui nrsquoest dans aucun lieu et qui nrsquoa pas de temps qui le

fasse vieillir renvoie agrave la doctrine du Premier Moteur Soit cela fait reacutefeacuterence agrave la sphegravere des

fixes Nous allons nous inteacuteresser agrave la premiegravere hypothegravese

Qursquoest-ce que le Premier Moteur En Meacutetaphysique Λ 1072b5 Aristote affirme que

le Premier Moteur est une substance et un acte Cela signifie que le Premier Moteur est une

substance eacuteternelle du fait qursquoelle nrsquoest pas mateacuterielle qui meut le Premier Ciel tout en eacutetant

immobile ce qui implique qursquoil soit tel qursquoil ne puisse jamais ecirctre autrement qursquoil nrsquoest En

effet la sphegravere des fixes eacutetant du domaine du divin et eacutetant mucirc de maniegravere continue et

eacuteternelle doit avoir un moteur qui soit parfaitement immobile car plus parfait qursquoelle De

plus cela permet drsquoexpliquer lrsquoeacuteterniteacute du mouvement ceacuteleste dans la mesure ougrave ce qui est la

cause drsquoun mouvement eacuteternel doit aussi ecirctre eacuteternel sans quoi elle se corromprait et le ciel

36

cesserait son mouvement ce qui nrsquoest pas possible Il y a donc une sorte de hieacuterarchie du

point de vue de la substance Crsquoest-agrave-dire que Aristote identifie trois substances deux

sensibles dont une corruptible une eacuteternelle La troisiegraveme substance quant agrave elle est dite

laquo motrice raquo puisqursquoelle est agrave lrsquoorigine du premier mouvement qui est celui du ciel Celle-ci

puisqursquoelle est agrave lrsquoorigine du mouvement du Premier Ciel est plus divine et plus parfaite

Qursquoest ce qursquoimplique lrsquohypothegravese selon laquelle le τἀκεῖ serait le premier moteur Le

premier moteur immobile est ce qui est agrave lrsquoorigine du premier mouvement crsquoest-agrave-dire le

mouvement en cercle du corps simple qursquoest le ciel Ce moteur est unique et eacuteternel Parce

que le lieu du plus divin est le plus haut on comprend le premier moteur comme eacutetant au

dessus du ciel puisqursquoil est plus divin que lui et est ce qui le met en mouvement Crsquoest

lrsquohypothegravese drsquoAlexandre sur la possibiliteacute que les laquo ecirctres de lagrave-bas raquo renvoient agrave la doctrine du

Premier Moteur Il nrsquoest dans aucun corps donc il est hors du ciel et il nrsquoest pas dans un lieu

puisqursquoil nrsquoest pas corporel et mateacuteriel Toutefois le pluriel utiliseacute par Aristote rend

compliqueacute cette hypothegravese dans la mesure ougrave le Premier Moteur immobile est unique affirme

Fabienne Baghdassarian19 Alexandre dit Simplicius affirme que cette theacuteorie nrsquoest pas

vraisemblable bien qursquoil propose cette lecture nrsquoest pas veacuteritablement en faveur de celle-ci Il

affirme la chose suivante dans le commentaire de Simplicius

If by lsquoabove the outermost movementrsquo he were speaking about the first cause (Alexandersays) he would be referring to [the region] above the orbit of the sphere of the fixed[starts] while if he were saying these things about the divine body the lsquooutermostmovementrsquo would mean the furthest of the rectilinear motions [hellip] So above thefurthest movement there is all of the revolving body which he says is neither in place norin time being eternal and ageless For while the divine body as a whole is not in placeparts of it are in place the spheres of the planets are in place20

En effet Alexandre pensait que si Aristote avait voulu parler du Premier Moteur il

aurait explicitement utiliseacute lrsquoexpression περɩ φορά et non pas φοράν Aristote utilise selon

Alexandre lrsquoexpression περɩ φορά pour deacutesigner le mouvement circulaire et non pas φοράν

qui deacutesigne le mouvement rectiligne Simplicius va critiquer cet argument en deacutefaveur de la

reacutefeacuterence au Premier Moteur drsquoAlexandre en affirmant qursquoAristote utilise aussi φοράν pour

deacutesigner le mouvement circulaire

19 Baghdassarian F opcit20 SIMPLICIUS 2881-9

37

Alexandre propose apregraves la premiegravere hypothegravese concernant la reacutefeacuterence au Premier

Moteur Immobile une seconde hypothegravese selon laquelle le τἀκεῖ renvoie agrave la sphegravere des fixes

Il fait donc reacutefeacuterence au livre 4 de la Physique Dans ce chapitre il deacutefinit le lieu comme laquo la

limite du corps englobant raquo La sphegravere des fixes nrsquoest dans aucun lieu dans la mesure ougrave elle

nrsquoest englobeacutee par aucun corps En effet le cosmos aristoteacutelicien srsquoorganise de la maniegravere

suivante il y a le centre de lrsquounivers qui est enveloppeacute par la limite du corps qui se trouve

dans la reacutegion sublunaire Autour de cette reacutegion sublunaire se trouve le corps ceacuteleste qui est

la sphegravere des fixes comme un corps englobant le ciel compris comme un Tout Entre la Lune

et la sphegravere des fixes se trouve le corps dans la continuiteacute de la sphegravere des fixes sur lequel se

trouvent certains astres comme le Soleil Jupiter et drsquoautres Mais rien nrsquoenveloppe la sphegravere

des fixes ce qui implique que la sphegravere des fixes nrsquoest dans aucun lieu Donc srsquoil se reacutefegravere

aux ecirctres divins au-delagrave de la translation la plus exteacuterieure cela signifie que la translation la

plus exteacuterieure est en fait le mouvement rectiligne le plus haut celui du feu Mais pourquoi le

mouvement rectiligne serait le mouvement le plus haut Nous avons affirmeacute que le lieu eacutetait

la limite du corps englobant or la sphegravere des fixes nrsquoest englobeacutee par rien ce qui implique

que la sphegravere des fixes (le premier ciel) nrsquoest dans aucun lieu Le lieu qui existe est ce qui se

trouve enveloppeacute par la sphegravere des fixes crsquoest-agrave-dire le corps qui est dans la continuiteacute de la

sphegravere des fixes (lrsquoeacutether) et sur lequel se trouvent certains astres puis seacutepareacute par la Lune le

monde sublunaire dont le mouvement du feu est le mouvement rectiligne le plus haut Cet

argument selon Alexandre permet de montrer que cet extrait porte sur la sphegravere des fixes et

non des reacutealiteacutes qui seraient en dehors du ciel Le ciel au sens premier nrsquoeacutetant ni dans un lieu

ni soumis au temps le τἀκεῖ qualifieacute comme nrsquoeacutetant ni dans un lieu ni soumis agrave aucun

changement du fait de son absence du temps se reacutefeacutererait alors agrave la sphegravere des fixes

On peut alors conclure que Alexandre preacutefegravere lire ce texte en supposant qursquoAristote se

reacutefegravere au corps simple qui se meut en cercle lorsqursquoil parle des laquo ecirctres de la-bas raquo crsquoest-agrave-dire

au ciel au sens de la sphegravere des fixes

213 Compreacutehension et hypothegravese de Simplicius sur les ecirctres de lagrave-bas

Simplicius propose une autre lecture possible de ce passage Simplicius est le chef de

file tout comme Alexandre qui considegravere que le τἀκεῖ est une reacutefeacuterence au premier ciel drsquoune

longue tradition interpreacutetative selon laquelle le Premier Moteur Immobile serait ce qui est viseacute

par Aristote dans lrsquoensemble du passage qui nous inteacuteresse Il laisse en 2888 de cocircteacute

38

lrsquointerpreacutetation drsquoAlexandre du problegraveme du τἀκεῖ et reprends son commentaire lineacuteaire du

De Caelo

After saying that things divine are lsquopossessed of the best and most self-sufficient of livesrsquoand that lsquothey persist throughout all the agesrsquo he wishes also to establish theirimmortality and eternality on the basis of the word lsquoagersquo [hellip] For we call the completeand all-embracing time of the life of something its age lsquobeyond which there is nonenaturalrsquo21 2888

Aristote cherche agrave fonder lrsquoimmortaliteacute du corps ceacuteleste qursquoest le ciel au sens de la

sphegravere des fixes sur lrsquoorigine du mot laquo dureacutee raquo En effet il existe un rapport eacutevident entre le

premier ciel qui englobe tout et la dureacutee crsquoest-agrave-dire le terme qui englobe la totaliteacute du temps

de la vie de chaque choses Le ciel comme la dureacutee sont englobants ainsi il nrsquoest pas eacutetonnant

drsquoaffirmer que dans la mesure ougrave le ciel (crsquoest-agrave-dire la sphegravere des fixes) nrsquoest pas englobeacute

par la dureacutee puisqursquoil nrsquoy a pas de temps en dehors du ciel et qursquoil nrsquoy a pas de dureacutee sans

temps qui passe le corps qui srsquoy trouve nrsquoest pas soumis agrave la corruption et agrave la mort il est

immortel

Simplicius se reacutefegravere alors agrave une œuvre perdue drsquoAristote De la philosophie22 dans le

but de donner lrsquoargument aristoteacutelicien en faveur de lrsquoeacuteterniteacute du divin afin de preacuteparer

lrsquoargument selon lequel les ecirctres de lagrave-bas seraient les intelligibles Lrsquoargument drsquoAristote est

le suivant partout ou il y a quelque chose de mieux il y a quelque chose de meilleur le

divin Aristote affirme qursquoune chose peut ecirctre mise en mouvement par deux causes possibles

par une chose qui lui est exteacuterieure ou par elle-mecircme Si ce qui meut un corps est une cause

exteacuterieure il est neacutecessaire qursquoelle soit meilleure que ce qursquoelle meut ou moins bonne Si

crsquoest par elle-mecircme alors il est neacutecessaire que ce soit vers quelque chose de meilleur ou vers

quelque chose de pire Aristote dans le DP affirme qursquoil nrsquoy a rien de meilleur que le divin

sinon cette chose serait plus divine que le divin Donc rien ne peut changer le divin puisque

qursquoil ne manque drsquoaucun des biens et est parfaitement bon Puisqursquoil nrsquoy a rien de mauvais

chez le divin cela implique qursquoil ne puisse pas ecirctre mucirc vers le pire ni par un autre ni par lui-

mecircme Le divin se changerait-il lui mecircme Simplicius se reacutefegravere pour reacutepondre agrave cette

21 Simplicius 2888 22 Traiteacute perdu drsquoAristote dont le passage du De Caelo laquo les ecirctres de lagrave-bas raquo semble issu ou srsquoy reacutefegravere tout du

moins

39

question au livre II de La Reacutepublique de Platon dans lequel Platon affirme que le meilleur et

le plus divin est ce qui subit le moins de changement ou aucun changement de lrsquoexteacuterieur A

partir de lagrave il se pose la question de savoir si le divin qui ne peut pas ecirctre alteacutereacute par ce qui lui

est exteacuterieur du fait qursquoil est le meilleur srsquoaltegravere lui-mecircme vers le meilleur ou vers le pire

Dans la mesure ougrave le divin possegravede tous les biens srsquoil srsquoaltegravere ce sera neacutecessairement vers le

pire car il ne peut pas ecirctre plus parfait qursquoil ne lrsquoest deacutejagrave Mais puisque personne ne se

changerait pour le pire et le moins beau volontairement alors cela implique que le divin ne se

change pas

Ces arguments tireacutes de La Reacutepublique II et du De Philosophia permettraient alors agrave

Simplicius de critiquer la theacuteorie drsquoAlexandre Aristote ne peut pas se reacutefeacuterer agrave la sphegravere des

fixes dans la mesure ougrave celle-ci est en mouvement Son mouvement est certes eacuteternel car il

ne connaicirct aucun changement son lieu de deacutepart est son lieu drsquoarriveacutee donc son mouvement

est eacuteternel Mais cela implique qursquoil soit mucirc par quelque chose qui neacutecessairement est plus

divin que lui et qui ne peut pas ecirctre en mouvement drsquoaucune maniegravere que ce soit

That not all of it can be interpreted as applying to the heavenly body is clear Ithink from what has just been said For having shown that there is no body either simpleor composite outside the heaven he argued lsquoat the same time it is clear that there can beneither place void nor time beyond the heavensrsquo And having shown this and concludedlsquotherefore it is obvious that there is neither place nor void nor time outside he theninfers as it were from what has been said some corollaries lsquofor this reason the thingswhich are of a nature to be there are not in place nor can time cause them to grow oldand so on by lsquothe things therersquo clearly meaning those outside the heaven So how couldthe heaven be said to be outside the heaven And how could he say that there is nochange of any kind for any of the heavenly bodies when he sees that their change ofplace is unceasing And neither does he say that the things which are positioned abovethe furthest movement are heavenly bodies23

On ne peut donc pas interpreacuteter tout le texte comme eacutetant au sujet des corps ceacutelestes

pour Simplicius en raison de ce qui a eacuteteacute dit par Aristote Puisqursquoil a montreacute qursquoil nrsquoy avait

pas de corps en dehors du ciel car celui-ci eacutetait constitueacute de lrsquoensemble de la matiegravere il

affirme qursquoil nrsquoy a pas de lieu ndash en raison du fait que le lieu est lagrave ougrave il y a un corps ndash pas de

vide ndash car le vide est lagrave ougrave il nrsquoy a pas de corps mais ougrave il pourrait y en avoir un ndash et pas de

temps car le temps est une proprieacuteteacute des corps et qursquoil nrsquoy a pas de corps en dehors du ciel

Crsquoest pourquoi laquo les ecirctres de lagrave-bas raquo ne peuvent pas faire reacutefeacuterence aux corps ceacutelestes

23 Simplicius 290 1-17

40

Puisque le τἀκεῖ est deacutesigneacute comme nrsquoeacutetant pas dans un lieu pas dans le temps et nrsquoayant pas

de matiegravere que lrsquoexteacuterieur du ciel nrsquoest ni du vide ni du temps et qursquoil ne peut y avoir aucun

corps Simplicius en conclut que laquo lagrave-bas raquo signifie laquo au-delagrave du ciel raquo Il oppose alors

drsquoautres critiques agrave la theacuteorie drsquoAlexandre par rapport agrave ce qui vient drsquoecirctre dit comment le

ciel pourrait-il ecirctre en dehors du ciel Comment Aristote pourrait-il affirmer srsquoil se reacutefeacuterait agrave

la sphegravere des fixes qursquoil nrsquoy a aucune sorte de changement pour le ciel tout en affirmant que

son mouvement est eacuteternel et incessant Il semble alors compliqueacute de soutenir que le τἀκεῖ

renvoie agrave la sphegravere des fixes ou aux corps ceacutelestes qui se meuvent en cercle

Simplicius comprend alors nos trois parties De Caelo I 9 agrave la lumiegravere du De

Philosophia et de Reacutepublique II Puisque ce qui est en mouvement lrsquoest neacutecessairement par

quelque chose de plus parfait que lui alors ce qui meut le ciel est plus parfait que le ciel Il

srsquoagit de srsquointeacuteresser au moteur immobile qui meut le premier ciel crsquoest-agrave-dire le Premier

Moteur Il souligne toutefois que ce passage est obscur et laisse possible lrsquointerpreacutetation

suivante lorsqursquoAristote fait reacutefeacuterence au mouvement eacuteternel du ciel crsquoest pour parler de ce

qui le meut En effet le Premier Moteur Immobile est plus divin que le ciel puisque ce qui

met une chose en mouvement est plus divin qursquoelle En ce sens il serait dit laquo au-delagrave du ciel raquo

car au-dessus de la nature des corps ceacutelestes Cela implique alors que laquo au-delagrave raquo ne

signifierait pas un lieu mais une nature hieacuterarchiquement supeacuterieure agrave celle du ciel

Il accepte cependant que le texte ne soit pas du deacutebut de la partie A agrave la fin de la partie

C au sujet du Premier Moteur Lorsque Aristote fait mention de la notion de dureacutee il fait

reacutefeacuterence agrave la sphegravere des fixes En effet la fin de la dureacutee est la limite qui permet la

quantification de la dureacutee mais le ciel nrsquoa pas de dureacutee il est compris comme ce qui englobe

la dureacutee de vie de tout ce qui est Mais apregraves avoir eacutetabli la premiegravere signification de la dureacutee

qui fait le lien avec le premier ciel Aristote bascule vers lrsquoideacutee que ce qui comprend

lrsquoensemble du temps et de lrsquoinfiniteacute est une dureacutee et crsquoest donc une reacutefeacuterence au Premier

Moteur car de lui deacutepend de maniegravere directe lrsquoecirctre et la vie eacuteternelle du corps ceacuteleste et de

maniegravere indirecte lrsquoecirctre et la vie des corps du monde sublunaire De maniegravere indirecte car les

corps du monde sublunaire ne sont pas directement mis en mouvement par lui mais leur vie

deacutepend de celle de la sphegravere des fixes qui elle est directement mise en mouvement par le

Premier Moteur Immobile

Simplicius deacutefend alors sur le fondement de ces arguments que le τἀκεῖ fait reacutefeacuterence

au Premier Moteur Immobile et non au corps ceacuteleste Simplicius va alors mecircme jusqursquoagrave

41

changer le texte original drsquoAristote en optant pour kinai plutocirct que kineitai ce qui permet

drsquoattribuer une fonction motrice au τἀκεῖ Ce changement lui permet alors de faire

correspondre le τἀκεῖ agrave la theacuteorie du Premier Moteur sans forcer lrsquointerpreacutetation De ce fait

le τἀκεῖ renverrait agrave quelque chose de transcendant agrave lrsquoordre ceacuteleste car le premier ciel est

mucirc en vertu de la perfection de son moteur celle-ci accordeacutee au τἀκεῖ dans la mesure ougrave il ne

connaicirct aucun changement et est parfaitement autonome Pour appuyer la theacuteorie de

Simplicius nous pouvons ajouter lrsquoargument de la coiumlncidence entre la description du τἀκεῖ

dans le DC et celle du Premier Moteur Immobile dans Meacutetaphysique Λ lrsquoun comme lrsquoautre

sont dits parfaitement immuables eacuteternels et autonomes

42

Chapitre 3 Interpreacutetations modernes du De Caelo I 9

La question du τἀκεῖ premier moteur reacutealiteacutes hyper-

cosmiques ou sphegravere des fixes reacutealiteacutes ceacutelestes

43

31 Le problegraveme de la continuiteacute argumentative du Livre I 9

311 La discontinuiteacute du sujet en faveur de la transcendance du τἀκεῖ

Le deuxiegraveme moment de notre propos nous a donc servi agrave comprendre quels eacutetaient les

arguments deacutefendus durant lrsquoAntiquiteacute par Simplicius et Alexandre drsquoAphrodise Ces deux

interpregravetes sont les chefs de file de deux interpreacutetations qui sopposent celle de Simplicius

selon laquelle le takei ferait reacutefeacuterence au Premier Moteur Immobile et celle drsquoAlexandre

selon laquelle il srsquoagirait drsquoune reacutefeacuterence agrave la sphegravere des fixes Ces deux thegraveses srsquoaffrontent

depuis lrsquoAntiquiteacute Elles ont influenceacute les interpreacutetations modernes et ont forgeacute une logique

binaire dans la maniegravere de comprendre lrsquoidentiteacute des ecirctres de lagrave-bas Ce deacutebat antique se

perpeacutetue dans un deacutebat entre les interpregravetes modernes Il srsquoagira alors de restituer les

arguments modernes heacuteritiegraveres des deux interpreacutetations antiques afin de rendre compte de la

logique binaire du deacutebat Toutefois nous ne nous limiterons pas agrave cette binariteacute et nous nous

inteacuteresserons agrave des theacuteories plus originales telles que celle de Peacutepin ou celle de Merlan

Si nous avons eacutevoqueacute plus haut le problegraveme de la continuiteacute des ideacutees aristoteacuteliciennes

au sein du corpus aristoteacutelicien et plus particuliegraverement au regard du De Caelo crsquoest dans le

but de poser les preacutemisses drsquoarguments qui reposent sur la continuiteacute ou la discontinuiteacute du

De Caelo I9 Nous nous fonderons pour le moment sur les deux alternatives les plus

populaires du problegraveme de lrsquoidentiteacute du τἀκεῖ avec drsquoune part les arguments en faveur drsquoune

reacutefeacuterence astrale et drsquoautre part les arguments en faveur drsquoune reacutefeacuterence agrave un ou des ecirctres

transcendant le ciel Mais nous verrons un certain type drsquoarguments en faveur de lrsquoune ou

lrsquoautre ideacutee en effet les arguments que nous expliciterons seront ceux qui reposent sur une

analyse de la continuiteacute ou de la discontinuiteacute du passage qui deacutebute en 279a18 et qui se

termine agrave la fin du chapitre 9 dans le but de comprendre comment sont justifieacutees lrsquoune ou

lrsquoautre ideacutee Nous allons alors nous inteacuteresser preacuteciseacutement agrave lrsquoobjet ou les objets de ce passage

via lrsquoarticle de Fabienne Baghdassarian24

Si le chapitre I 9 se refermait sur les remarques qui preacutecegravedent sans doute nrsquoaurait-iljamais paru eacutenigmatique Chacun srsquoaccorderait agrave reconnaicirctre derriegravere laquo les ecirctres de lagrave-basraquo des reacutealiteacutes hypercosmiques conformeacutement agrave ce qursquoindiquent clairement agrave la fois leurdescription topographique et le contexte argumentatif de lrsquoextrait Neacuteanmoins le textepoursuit une analyse dont on a du mal agrave comprendre comment elle peut ne pas remettreen question lrsquohypothegravese de la transcendance Il apparaicirct en effet que le texte agrave supposer

24 Baghdassarian F opcit2011 p192

44

qursquoil traite de reacutealiteacutes transcendantes en 279a18-22 change de sujet agrave une ou plusieursreprises pour deacutevelopper des consideacuterations qui font une reacutefeacuterence plus explicite au ciel

Fabienne Baghdassarian agrave la suite de cet extrait explicite les trois moments de

lrsquoargumentation du passage 279a18-b3 du De Caelo I 9 Il semble selon sa lecture y avoir

une discontinuiteacute dans lrsquoobjet du texte En effet dans un premier temps apregraves avoir conclu

qursquoil nrsquoexistait ni lieu ni vide ni temps et ni corps en dehors du ciel et que les ecirctres qui se

situaient laquo au dessus de la translation la plus exteacuterieure raquo nrsquoavaient laquo ni lieu ni temps qui les

fasse vieillir raquo et qursquoils nrsquoeacutetaient soumis agrave aucun type de changement Aristote fait intervenir

la notion de αἰών crsquoest-agrave-dire la notion de la dureacutee Vient ensuite la partie C qui concerne le

mouvement ceacuteleste

Mais le problegraveme majeur qui se pose au sujet de la continuiteacute argumentative de cette

fin de chapitre 9 de De Caelo I est majoritairement ducirc agrave une reacutefeacuterence mysteacuterieuse agrave des

laquo travaux de philosophie destineacutes au grand public portant sur les ecirctres divins raquo 279a31 qui

cassent lrsquoargumentation agrave tel point que ce passage est suspecteacute drsquoecirctre un ajout tireacute drsquoun traiteacute

perdu drsquoAristote le De Philosophia

La preacutesence de ce supposeacute passage du De Philosophia complexifie lrsquoensemble de la

fin du De Caelo I 9 En effet ce texte creacuteeacute ce qui semble ecirctre une discontinuiteacute dans

lrsquoargumentation geacuteneacuterale de chapitre 9 Certains auteurs voient le De Philosophia comme

eacutetant agrave propos pour eacuteclairer la question de lrsquoidentiteacute des takei crsquoest le cas de Dumoulin25 qui

retrace lrsquoargumentation du De Caelo au regard du De Philosophia Il coupe le texte original en

diffeacuterents paragraphes dans le but de faire ressortir lrsquoenchaicircnement des ideacutees Successivement

il voit agrave partir de 279a11-18 les conseacutequences de lrsquoabsence de corps en dehors du ciel De

279a19-22 lrsquoaffirmation selon laquelle tout ce qui est immateacuteriel est immobile De 279a22-

30 un deacutebut de paragraphe qui porte sur lrsquoeacuteterniteacute du ciel De 279a31-34 le principe geacuteneacuteral

de lrsquoimmutabiliteacute du divin fondeacute sur des travaux de philosophie qui traitent des ecirctres divins

Enfin de 279a34-b3 il est question de lrsquoimmutabiliteacute du mouvement ceacuteleste Il apparaicirct alors

que le texte dont il est question deacutebute par les conseacutequences de lrsquoabsence de temps de lieu et

de corps en dehors du ciel agrave savoir que les ecirctres qui se situent au-delagrave du ciel nrsquoont ni lieu ni

temps ni corps Puis Aristote finit par un eacuteloge de lrsquoeacuteterniteacute du mouvement ceacuteleste Le

mouvement est le propre des corps mais srsquoil nrsquoy a pas de corps en dehors du ciel il nrsquoy a pas

non plus de mouvement Donc pourquoi passe t-on du constat que les ecirctres en dehors du ciel

25 Dumoulin Recherches sur le premier Aristote Eudegraveme De la philosophie Protreptique1981 p 53-65

45

nrsquoont ni corps ni aucun mouvement pour ensuite louer lrsquoeacuteterniteacute du mouvement ceacuteleste Tel

est le problegraveme de lrsquouniteacute argumentative de ce passage26

Drsquoapregraves Alexandre citeacute par Simplicius deux interpreacutetations srsquoaffrontaient danslrsquoAntiquiteacute les ecirctres en question deacutesignent le premier moteur immobile pour les uns etle ciel des fixes pour les autres Cette alternative continue agrave gouverner lrsquointerpreacutetation dupassage pour le premier moteur immobile nommons agrave la suite de Simplicius ZellerTricot Untersteiner Berti agrave la suite drsquoAlexandre pour le ciel des fixes Werner GuthrieMoreau Festugiegravere Nous allons ecirctre conduit agrave contester le principe de cette alternative

Comme le rappelle Dumoulin il existe deux alteacuternatives agrave lrsquointerpreacutetation de ce

passage Il srsquoagit maintenant de comprendre lrsquoargument qui permet agrave Dumoulin drsquoaffirmer

que le τἀκεῖ fait reacutefeacuterence agrave des reacutealiteacutes qui se placeraient au-delagrave de la sphegravere des fixes et non

sur la sphegravere Il annonce alors explicitement qursquoil srsquoagira de contester la theacuteorie drsquoune

reacutefeacuterence ceacuteleste

Comment srsquoy prend Dumoulin pour justifier lrsquoideacutee que le τἀκεῖ renvoie agrave des ecirctres qui

se trouvent au-delagrave de la translation la plus exteacuterieure ou agrave la theacuteorie du Premier Moteur

Immobile Sa deacutemarche consiste agrave comprendre le texte par le texte lui-mecircme en srsquointeacuteressant

agrave lrsquoutilisation des mots et agrave leur sens le plus naturel Crsquoest pourquoi il commence son

explication en rappelant deux choses τἀκεῖ vient de ἐκεῖ qui dans Physique VIII 10 267b9

deacutesigne la localisation du Premier Moteur Immobile De plus τἀκεῖ manifeste un pluriel qui

bien qursquoil semble ne pas correspondre agrave lrsquoideacutee du Premier Moteur Immobile qui est censeacute ecirctre

unique correspond agrave lrsquoideacutee drsquoune pluraliteacute de principes qui peuvent exister agrave partir du

moment ougrave il existe une hieacuterarchie entre eux Cette ideacutee lisible dans Meacutetaphysique Λ 8

correspond eacutegalement agrave celle preacutesente dans le fragment 17 du De Philosophia Notons de

plus le fait que le Premier Moteur est dit laquo immobile raquo crsquoest-agrave-dire qursquoil ne connaicirct aucune

espegravece de changement ni dans la substance ni dans le lieu de la mecircme maniegravere qursquoil est dit

des τἀκεῖ qursquoils sont parfaitement immobiles Toutefois cela signifie-t-il que si le τἀκεῖ est

transcendant au ciel son identiteacute correspond agrave celle du Premier Moteur Immobile Pas

neacutecessairement Dumoulin envisage la possibiliteacute en fonctionnant de maniegravere reacutetrospective et

en se tournant vers le Timeacutee de Platon que le τἀκεῖ fasse reacutefeacuterence agrave un ecirctre divin immobile

mais pas forcement moteur La lecture organiseacutee de ce texte comme nous lrsquoavons vu plus

haut par le biais de Dumoulin permet de comprendre qursquoil existe une deacutemonstration logique

au texte En effet les conseacutequences du fait qursquoil nrsquoy ait ni corps ni temps ni lieu en dehors du

26 Ibid p54

46

ciel impliquent que ce qui est en dehors du ciel est immateacuteriel et dans la mesure ougrave le temps

est le nombre du mouvement alors les ecirctres qui se situent au-delagrave du ciel nrsquoont pas de

mouvement et sont parfaitement immobiles Leur immobiliteacute due agrave leur immateacuterialiteacute font

drsquoeux des ecirctres divins car eacuteternels mais cela implique-t-il que comme le Premier Moteur

Immobile ils aient une fonction motrice Crsquoest pourquoi Dumoulin se tourne vers le Timeacutee

Partir sur la piste de la transcendance du τἀκεῖ sans pour autant faire reacutefeacuterence au Premier

Moteur Immobile peut nous faire penser agrave la diviniteacute immateacuterielle du Timeacutee qui a ordonneacute le

monde Aristote ayant eacuteteacute durant un certain nombre drsquoanneacutees lrsquoeacutelegraveve de Platon nous sommes

en droit de nous demander srsquoil nrsquoavait pas au deacutepart postuleacute un ecirctre immateacuteriel et divin sans

penser agrave un ecirctre qui serait le moteur du mouvement Il nous faut alors eacutetablir la distinction

entre ce qursquoune chose est (par exemple divine eacuteternelle parfaitement immobile) et ce qursquoelle

fait la fonction qursquoelle remplit (par exemple mettre en mouvement le premier ciel) Il est

alors question ici de celui que lrsquoon appelle le laquo premier Aristote raquo celui qui eacutetant platonicien

reacutefleacutechissait agrave partir de cette conception du monde Cette theacuteorie servirait-elle alors de

preacutemisse agrave ce qui sera plus tard la theacuteorie du Premier Moteur Nous pouvons nous le

demander mais y reacutepondre aurait besoin drsquoun autre propos Neacuteanmoins cette ideacutee permet de

proposer une lecture particuliegravere du De Caelo I9 selon laquelle il y a une reacutefeacuterence agrave des ecirctres

hypercosmiques crsquoest-agrave-dire qui se trouvent au dessus du ciel sans toutefois se reacutefeacuterer au

Premier Moteur Immobile

Mais lrsquoargument en faveur de la transcendance du τἀκεῖ ne srsquoarrecircte pas lagrave Nous

lrsquoavons dit ce passage est obscur car il est fait mention drsquoun ouvrage qui porte sur les ecirctres

divins et qursquoil semble que ce texte du fait de ses diffeacuterents objets soit en partie issu drsquoun

traiteacute perdu drsquoAristote De Philosophia Nous lrsquoavons dit et le rappelons en 279a18 il est

question drsquoecirctres qui se situent au-dessus de la translation la plus exteacuterieure et apregraves une

eacutetrange analogie sur la notion de dureacutee se trouve un eacuteloge du mouvement eacuteternel des astres

Ce passage est celui qui brise la continuiteacute de lrsquoargumentation et nous pousse agrave douter de son

appartenance premiegravere au De Caelo A quoi se reacutefegravere donc le τἀκεῖ Et quelle est lrsquoidentiteacute

des ecirctres divins (theia) dont nous parle Aristote Le ciel Les ecirctres de lagrave-bas

Dumoulin compare un fragment du De Philosophia et le passage 279a34-b3 du De

Caelo et il en ressort de maniegravere quasiment eacutevidente que le traiteacute Du ciel se reacutefegravere tregraves

clairement au De Philosophia Nous pouvons le constater via la comparaison entre le

fragment du De Philosophia et le passage du De Caelo dont il est question dans lrsquoeacutetude de

47

Dumoulin27 Mais ce passage est-il une simple reacutefeacuterence Une paraphrase Une citation

Cette question est complexe et la conclusion nous permettra de comprendre lrsquoargumentation

geacuteneacuterale du texte et de soutenir lrsquoideacutee drsquoune veacuteritable ceacutesure dans lrsquoargumentation

Nous trouvons quelque chose de bien eacutetrange dans le texte drsquoAristote une chose fort

bien exprimeacutee par Simplicius dans son commentaire si nous savons que le premier moteur

immobile est dans la Physique la Meacutetaphysique agrave lrsquoorigine du premier mouvement crsquoest-agrave-

dire celui de la sphegravere des fixes Aristote affirme dans la partie C qursquoil nrsquoy a rien de plus fort

qui puisse mouvoir le ciel car sinon cette chose serait plus divine que le ciel Mais puisque le

ciel est parfait et qursquoil ne manque drsquoaucun des biens cela nrsquoest pas possible Comment

expliquer cela Srsquoagit-il drsquoun changement doctrinal Drsquoune citation Drsquoune paraphrase

Simplicius avait trois sources agrave sa disposition pour commenter le De Caelo La Reacutepublique

II de Platon des fragments du De Philosophia et le texte qursquoil commente Nous observons

premiegraverement qursquoil semble y avoir un emprunt agrave la Reacutepublique II de Platon

Nest-il pas neacutecessaire si toutefois un ecirctre peut sortir de sa propre forme soit quil semeacutetamorphose lui-mecircme de sa propre initiative soit quil soit transformeacute par un autre380D28

Or les choses les meilleures ne sont-elles pas celles qui sont le moins susceptibles decirctrealteacutereacutees et mises en mouvement par autre chose quelles-mecircmes 380E

Degraves lors tout ecirctre bien constitueacute que ce soit par nature en vertu de lart ou pour ces deuxraisons agrave la fois sera le moins susceptible de subir un changement causeacute par un autre[hellip] Et pourtant le dieu tout comme les choses qui concernent le dieu est absolumentparfait [hellip] Mais ne peut-il se changer et salteacuterer lui-mecircme [hellip] Se change-t-il alors enmieux et en plus beau ou en pire et en plus laid Si vraiment il srsquoaltegravere cestneacutecessairement dans le sens du pire 381b-381c

En mecircme temps Platon ne cherche pas agrave prouver lrsquoexistence drsquoun Dieu qursquoil soit

parfait ou non (mecircme srsquoil est neacutecessairement parfait pour Platon du fait de sa nature) En

effet Platon critique les poegravetes qui attribuent aux dieux des qualiteacutes qui ne sont pas les leurs

et qui sont mecircme contradictoires avec leur nature propre De quoi soutenir lrsquoideacutee que cet

extrait nrsquoest pas tireacute de la Reacutepublique II sans quoi cela signifierait qursquoAristote a attribueacute au

monde sensible crsquoest-agrave-dire au ciel un passage qui chez Platon ne traite pas drsquoun sensible

27 Ibid p58 28 PLATON La Reacutepublique 2002

48

mais bel et bien drsquoun dieu parfait et immateacuteriel La diffeacuterence drsquoobjet entre le DC et la

Reacutepublique II nous pousse agrave penser qursquoil serait eacutetrange de reprendre le mecircme argument agrave un

moment pareil

Si Simplicius nrsquoa pas trouveacute cet argument dans la Reacutepublique II et qursquoil ne vient pas

du DC lui-mecircme alors cela signifie qursquoil vient de la troisiegraveme source dont disposait

Simplicius le De Philosophia ou plutocirct du commentaire drsquoAlexandre qui lui le posseacutedait

Crsquoest pourquoi la comparaison qui a eacuteteacute effectueacutee plus haut nous permettait drsquoaffirmer qursquoil

ne srsquoagit pas drsquoune paraphrase du DP dans le DC mais plutocirct drsquoune citation Mais cela ne

prouve pas qursquoil existe une discontinuiteacute de lrsquoobjet et de lrsquoargumentation dans ce passage du

De Caelo Nous lrsquoavons dit le deacutebut du passage 279a18 affirme assez clairement que les

ecirctres qui se trouvent au-delagrave de la translation la plus exteacuterieure sont sans corps sans lieu et

sans temps En mecircme temps apregraves une analogie entre la dureacutee et le ciel nous en arrivons agrave

lire un texte qui porte sur la perfection du corps ceacuteleste ce qui a priori semble eacutetonnant dans

la mesure ougrave le τἀκεῖ se situe en dehors du ciel et que le corps ceacuteleste est le ciel lui-mecircme

Ces diffeacuterents passages nous plongent dans lrsquoincompreacutehension et savoir qursquoil srsquoagit drsquoune

citation du DP nrsquoaide pas agrave comprendre pourquoi ce changement de sujet Crsquoest pourquoi

Dumoulin formule une hypothegravese agrave ce sujet

Nrsquooublions pas que Simplicius est le chef de file de ceux qui entendent du PremierMoteur Immobile tout le texte de De Caelo I 9 279a11-b3 On peut donc soupccedilonner cequi srsquoest passeacute Simplicius trouvait dans sa source deux passages du De Philosophia Lepremier eacutetablissait lrsquoexistence de la diviniteacute suprecircme immateacuterielle et le second eacutetablissaitle caractegravere divin du monde stellaire il a soudeacute ces deux textes qui dans sa penseacutee

concernaient lrsquoun et lrsquoautre le Premier Moteur29

Simplicius en commentant Aristote avance une preuve de lrsquoexistence de Dieu en

affirmant que lagrave ougrave il y a un ecirctre meilleur il y a forcement un ecirctre excellent dans la mesure ougrave

il y a une hieacuterarchie entre les ecirctres30 Il voit en cet argument le moyen de justifier que le τἀκεῖ

fait reacutefeacuterence au premier moteur Mais cet argument ne vient absolument pas du De Caelo lui-

mecircme il est un ajout au texte du DC et est tireacute du DP par Simplicius Il aurait donc servi agrave

justifier lrsquoexistence drsquoun ecirctre immateacuteriel et absolument parfait La suite du texte portant sur le

ciel aurait alors eacuteteacute compris comme suivant cette thegravese drsquoun ecirctre parfait et immateacuteriel ce qui

29 Dumoulin opcit p 6030 Simplicius (2892)

49

aurait pousseacute Simplicius agrave croire en lrsquoideacutee drsquoune reacutefeacuterence au Premier Moteur Immobile tout

en refusant lrsquoideacutee drsquoune ceacutesure dans lrsquoargumentation puisqursquoil affirmait que la totaliteacute du texte

portait sur un seul et mecircme objet le premier moteur

Au vu de cet argument nous pouvons comprendre pourquoi Dumoulin deacutefend lrsquoideacutee

qursquoil srsquoagit drsquoune reacutefeacuterence agrave des ecirctres qui se trouvent au-delagrave du ciel En effet il admet une

discontinuiteacute drsquoobjet dans le passage du De Caelo ducirc agrave lrsquoajout drsquoarguments tireacutes du DP pour

forcer le lien Toutefois cette discontinuiteacute est plus complexe qursquoelle en a lrsquoair dans la mesure

ougrave Dumoulin nrsquoaffirme pas ouvertement ndash et en ces termes ndash qursquoil y en a une En fait il est

drsquoavis de dire qursquoil y a une discontinuiteacute dans le degreacute de diviniteacute dont il est question si

Aristote fait lrsquoeacuteloge du mouvement ceacuteleste apregraves avoir affirmeacute que les ecirctres au-delagrave du ciel

sont immateacuteriels et ne subissent aucun changement crsquoest dans le but de manifester la

perfection (encore plus haute que celle du ciel) des ecirctres de lagrave-bas

312 La continuiteacute du sujet en faveur des reacutealiteacutes ceacutelestes

Mais nous lrsquoavons dit il existe de maniegravere geacuteneacuterale deux eacutecoles pour lrsquointerpreacutetation

du τἀκεῖ La premiegravere deacutefend lrsquoideacutee qursquoil srsquoagit lagrave drsquoune reacutefeacuterence agrave des ecirctres transcendant le

ciel la seconde deacutefend lrsquoideacutee qursquoil est question des ecirctres ceacutelestes Nous avons alors vu que

Dumoulin deacutefend la theacuteorie selon laquelle il existe un changement de sujet dans

lrsquoargumentation du De Caelo I 9 Cela lui permet de deacutefendre lrsquoideacutee qursquoil srsquoagit drsquoune

reacutefeacuterence agrave un ou des ecirctres transcendants Il srsquoagit donc maintenant de montrer comment

certains auteurs et plus particuliegraverement Moraux deacutefendent lrsquoideacutee contraire Comment srsquoy

prend Moraux pour deacutefendre la theacuteorie drsquoune reacutefeacuterence astrale en critiquant lrsquoideacutee que la

position contraire a des conseacutequences tregraves dures sur lrsquoargumentation du texte

Avant de nous inteacuteresser agrave la critique que Moraux formule envers ceux qui deacutefendent

lrsquoideacutee drsquoune reacutefeacuterence agrave des ecirctres transcendants nous allons nous inteacuteresser agrave la faccedilon dont le

texte a eacuteteacute traduit par Moraux et qui rend compte de la maniegravere dont il lrsquointerpregravete31

Il nrsquoest point de changement pour aucun des ecirctres disposeacutes sur la translation la plusexteacuterieurehellip

31 Aristote Du ciel1965 p37 Il srsquoagit de la traduction de Moraux et nous nous inteacuteressons plus particuliegraverement agrave lrsquointroduction de cette œuvre par ce dernier

50

Nous pouvons la distinguer de la traduction de Dalimier et Pellegrin En effet si le grec ὑπέρ

est traduit par ces derniers par laquo au-dessus de raquo Moraux lui le traduit par laquo sur raquo Il affirme

alors ici que le texte fait reacutefeacuterence agrave quelque chose qui se situe sur la translation la plus

exteacuterieure et non au-delagrave ce qui change radicalement la vision que nous avons du texte Nous

affirmions plus haut par le biais de Dumoulin qursquoil existait un changement de sujet dans le

passage 279a18-b3 En effet au deacutebut ce dont il est question dans le texte est des ecirctres qui se

trouvent laquo au-dessus de la translation la plus exteacuterieure raquo et agrave la fin il porte sur lrsquoeacuteterniteacute du

mouvement circulaire Mais si nous traduisons la preacuteposition ὑπέρ par laquo sur raquo plutocirct que laquo au-

dessus raquo alors il nrsquoy a plus drsquoideacutee de discontinuiteacute et le passage du deacutebut agrave la fin porte sur

des ecirctres ceacutelestes Toutefois Fabienne Baghdassarian souligne qursquoil est le seul agrave traduire le

texte ainsi et que mecircme Alexandre qui deacutefendait lrsquoideacutee drsquoune reacutefeacuterence astrale comprend le

texte comme portant sur quelque chose qui est au-delagrave drsquoun mouvement La raison pour

laquelle Moraux traduit le texte de cette maniegravere est justifieacutee par lrsquoutilisation de ὑπέρ dans le

De Caelo en effet cette proposition ne sert pas agrave justifier ce qui se trouve au-delagrave de quelque

chose Pour manifester cette ideacutee Aristote utilise plutocirct ἔξω En mecircme temps Fabienne

Baghdassarian lui objecte la chose suivante

La preacuteposition ὑπέρ lorsqursquoelle est employeacutee avec lrsquoaccusatif deacutesigne ce qui est au-dessus de quelque chose et non pas ce qui est sur lui En outre chacune des occurrencesde cette preacuteposition dans le DC qursquoelle srsquoaccompagne de lrsquoaccusatif ou mecircme du geacutenitifsert constamment agrave deacutesigner ce qui est au-dessus drsquoun point de reacutefeacuterence Enfin crsquoesttoujours la preacuteposition ἐν et non pas ὑπέρ qui sert agrave deacutesigner les corps qui sont fixeacutes sur

lrsquoorbite 32

Nous observons alors diffeacuterents arguments ceux qui portent sur des questions de grammaire

et ceux qui portent sur des questions de terminologie Mecircme si ὑπέρ nrsquoest pas neacutecessairement

utiliseacutee pour parler de ce qui se trouve au-delagrave drsquoune chose son utilisation accompagneacutee de

lrsquoaccusatif ( φοράν) fait reacutefeacuterence agrave ce qui est au-dessus drsquoune chose et non pas agrave ce qui est

sur une chose Il srsquoagit alors drsquoun problegraveme de grammaire et de traduction Fabienne

Baghdassarian soutiendrait-elle lrsquoideacutee drsquoune erreur dans la traduction de Moraux Pour ce qui

est de la question terminologique Fabienne Baghdassarian affirme que pour deacutesigner ce qui

est sur les sphegraveres Aristote utilise la preacuteposition ἐν et non la preacuteposition ὑπέρ

32 Baghdassarian F opcit 2011 p188

51

Revenons agrave lrsquoideacutee que deacutefend Moraux Puisqursquoil traduit le passage en affirmant que le

τἀκεῖ se trouve sur la translation la plus exteacuterieure et non pas au-delagrave il affirme par

conseacutequent que le passage traite entiegraverement des ecirctres ceacutelestes et plus preacuteciseacutement de ceux

qui se trouvent sur la sphegravere des fixes Il ne rencontre donc pas le problegraveme de la discontinuiteacute

de lrsquoobjet de ce passage Il affirme cependant que De Caelo I 9 est remarquable du fait que

trois parties se distinguent

Le second panneau du diptyque relatif agrave lrsquouniciteacute du monde est tout agrave fait remarquable (chap9) Lrsquoexamen du style et du contenu philosophique permet drsquoy distinguer trois parties qui ont probablement eacuteteacute reacutedigeacutees agrave des eacutepoques diffeacuterentes Reacutefeacuterence

La premiegravere partie de cet exposeacute est assimileacutee agrave Meacutetaphysique Ζ du fait qursquoelle porte

sur la matiegravere et la forme en utilisant les mecircmes arguments et les mecircmes exemples Aristote

affiche un style tregraves rigoureux proche de celui de Meacutetaphysique Z Cela est eacutetonnant dans la

mesure ougrave la Meacutetaphysique est une œuvre qui serait relativement tardive Il suppose donc que

le passage du De Caelo I 9 qui srsquoeacutetend de 277b33 agrave 278a9 a eacuteteacute eacutecrit agrave la mecircme eacutepoque que

Meacutetaphysique Z

Quant agrave la deuxiegraveme partie qui srsquoeacutetendrait de 278b10 agrave 279a18 elle serait plus propre

au style qursquoarbore Aristote dans le De Caelo dans la mesure ougrave les arguments utiliseacutes seraient

ceux qui portent sur les milieux naturels et servirait agrave conclure lrsquoargumentation geacuteneacuterale du

chapitre

La suite de 279a18 agrave 279b3 qui est la partie dans laquelle apparaicirct le τἀκεῖ serait

alors pour Moraux une sorte drsquoenvoleacutee lyrique quasiment poeacutetique qui serait le propre des

dialogues aristoteacuteliciens Ce passage serait alors exclu de lrsquoargumentation et nrsquoapporterait

donc rien agrave celle-ci Toutefois comme le fait Dumoulin nous lrsquoavons vu Moraux semble

enteacuteriner lrsquoideacutee majoritairement valideacutee selon laquelle ce passage serait un extrait du De

Philosophia bien qursquoil nrsquoaffirme pas comme Dumoulin que le texte soit une reacutefeacuterence agrave des

ecirctres se situant au-delagrave du ciel Moraux affirme que cet extrait a eacuteteacute ajouteacute agrave ce passage pour

adoucir un exposeacute complexe sur la matiegravere et la forme Mais si tous les interpregravetes ou

presque admettent que ce passage soit issu du DP ils ne lrsquointerpregravetent pas tous de la mecircme

maniegravere

52

Les uns pensent qursquoAristote y ceacutelegravebre la sphegravere des fixes qursquoil tenait alors pour le dieusuprecircme Drsquoautres preacutetendent au contraire qursquoil parle drsquoentiteacutes divines transcendantes aumonde peut-ecirctre identiques aux fameuses laquo intelligences raquo des sphegraveres Pour deacutefendreleur exeacutegegravese ces derniers sont contraints drsquoadmettre la preacutesence drsquoune anacolutheextrecircmement dure et certains drsquoentre eux vont mecircme jusqursquoagrave modifier le textetraditionnel mais le souci drsquoeacuteleacutegance stylistique qui se manifeste dans tout le passagerend bien improbable lrsquohypothegravese drsquoune pareille neacutegligence 33

Moraux rappelle briegravevement les deux interpreacutetations qui srsquoopposent agrave la suite de quoi

il critique celle qui soutient que le passage fait reacutefeacuterence agrave des ecirctres transcendants Il fait

reposer sa critique sur deux arguments ceux qui soutiennent que ce passage porte sur des

ecirctres transcendants sont contraints de modifier le texte original dans lrsquointeacuterecirct de leur theacuteorie

Moraux fait ici reacutefeacuterence agrave Simplicius qui dans son commentaire remplace κινεῖται (en

279b1) par κινεῖ afin drsquoaccorder aux τἀκεῖ la puissance de mouvoir le ciel de maniegravere

circulaire en raison de lrsquoeacuteleacutement qui les compose lrsquoeacutether Mais le texte traditionnel ne fait pas

mention drsquoune quelconque fonction motrice du τἀκεῖ crsquoest pourquoi Moraux nrsquoaccepte pas

cette correction Son second argument repose sur le style de ce passage Celui-ci est fort

poeacutetique eacutevoquant les dialogues aristoteacuteliciens et tregraves travailleacute il semble donc improbable

qursquoAristote ait pu changer de sujet en plein milieu de son discours En effet pour ceux qui

affirment qursquoil y a lagrave une reacutefeacuterence agrave des ecirctres divins transcendant le ciel il faut admettre qursquoil

y a une veacuteritable discontinuiteacute de lrsquoobjet du texte voire une ceacutesure totale Mais le travail

fourni pour produire un texte styliseacute comme celui-ci nous permet de douter qursquoAristote ait eacuteteacute

si neacutegligeant sur lrsquoobjet de ce passage

Tels sont les arguments en faveur de la reacutefeacuterence ceacuteleste que Moraux deacutefend

eacutegalement et qui repose sur lrsquoideacutee qursquoil nrsquoexiste pas de changement de sujet dans ce passage

portant du deacutebut agrave la fin sur les ecirctres qui se trouvent sur la translation la plus exteacuterieure

Ces auteurs sont en deacutebat direct sur la question de lrsquointerpreacutetation de ce passage de

plus leurs arguments reposent sur le mecircme thegraveme qui est celui de la continuiteacute ou la

discontinuiteacute de lrsquoargumentation du De Caelo I 9 Il srsquoagira alors drsquoaborder un autre point

theacutematique en opposant les interpregravetes qui font reposer leurs argumentations sur la question

du lieu dans la philosophie aristoteacutelicienne

33 Moraux opcit 1965 pLXXV

53

32 Le lieu des corps ceacutelestes lrsquoabsence de lieu du τἀκεῖ

321 Lrsquoabsence de lieu en faveur de la reacutefeacuterence ceacuteleste

Le De Caelo I 9 porte tout entier sur la question de lrsquouniciteacute du ciel Nous lrsquoavons

expliqueacute plus haut lorsqursquoune substance formelle est meacutelangeacutee agrave la matiegravere il peut exister

une infiniteacute drsquoecirctres avec une mecircme forme speacutecifique dans la mesure ougrave ce qui est mateacuteriel

peut exister en nombre tregraves grand sinon infini Mais il nrsquoen est pas ainsi pour le ciel puisqursquoil

contient lrsquoensemble de toute la matiegravere et que rien ne peut venir agrave ecirctre en dehors de lui

Aristote aboutit agrave la conclusion selon laquelle il nrsquoy a pas de corps en dehors du ciel donc pas

de temps pas de lieu et pas de vide non plus Nous allons deacutesormais nous inteacuteresser agrave la

question du lieu puisque celui-ci pourrait nous donner une piste de reacuteflexion concernant

lrsquoidentiteacute des ecirctres de lagrave-bas et est un argument que lrsquoon retrouve souvent en faveur ndash ou en

deacutefaveur ndash de la reacutefeacuterence ceacuteleste Lrsquoargument qursquoil srsquoagira de restituer sera celui de Mugnier

au sein drsquoun deacutebat qui porte sur le lieu drsquoune part et drsquoautre part sur le rapport entre la

cosmologie platonicienne et la cosmologie aristoteacutelicienne dans lrsquointeacuterecirct de faire une sorte de

cartographie du problegraveme du De Caelo I 9

Lrsquoœuvre de Mugnier porte sur lrsquoeacutevolution de la penseacutee drsquoAristote Dans un passage

portant sur la jeunesse platonisante drsquoAristote apregraves avoir repeacutereacute des similitudes mais aussi

des diffeacuterentes entre les doctrines platoniciennes et les doctrines aristoteacuteliciennes Mugnier

affirme la chose suivante

Mais si Aristote semble mettre de cocircteacute le Deacutemiurge il ne renonce pas agravelrsquoIntelligence gouvernant le monde et nous lrsquoavons vu il prouve son existence agrave lrsquoaidedrsquoarguments emprunteacutes aux Lois Cette Intelligence ou Dieu qui deviendra plus tard lePremier Moteur immobile est-elle consideacutereacutee par Aristote comme lrsquoacircme du monde Ilest vraisemblable de le penser quoique nous soyons sur ce point reacuteduits aux conjecturesEt maintenant cette Intelligence est-elle devenue un Premier Moteur seacutepareacute du monde ettranscendant ou au contraire immanente agrave lrsquoUnivers En drsquoautres termes Aristote srsquoest-il prononceacute pour un theacuteisme ou pour un immanentisme Crsquoest agrave cette question que nousallons nous forcer de reacutepondre en examinant les principes et les thegraveses du Philosophe34

Nous comprenons immeacutediatement le rapport entre la cosmologie platonicienne que

nous avons deacutecouverte via le Timeacutee et la cosmologie aristoteacutelicienne En effet certains

fondements de la theacuteorie cosmologique aristoteacutelicienne viennent de celle de Platon bien que

34 Mugnier La Theacuteorie du premier moteur et lrsquoeacutevolution de la penseacutee aristoteacutelicienne 1930 p15

54

dans son platonisme Aristote se soit distingueacute de son maicirctre Aristote refusait lrsquoideacutee drsquoun

Deacutemiurge qui dans le Timeacutee est le creacuteateur du monde et drsquoIdeacutees seacutepareacutees qui servent

drsquoexemples agrave la conception du monde Mais il ne refuse pas lrsquoideacutee de lrsquoIntelligence dans les

Lois de Platon qui gouverne le monde et le dirige vers la feacuteliciteacute ou son contraire35 La

question qui se pose alors est celle de savoir si cette Intelligence est divine et transcendante au

ciel ou si elle est immanente au Premier Ciel Que signifie cet immanentisme Crsquoest lrsquoideacutee

selon laquelle le Premier Moteur immobile ou lrsquoIntelligence est lrsquoacircme du Premier Ciel et

celui-ci est son corps de sorte que le Premier Moteur ou lrsquoIntelligence serait de la mecircme

maniegravere que lrsquoacircme humaine est dans le corps humain dans quelque chose le premier ciel

crsquoest-agrave-dire la sphegravere des fixes Reacutepondre agrave la question de la transcendance ou de

lrsquoimmanence permettrait donc de comprendre ce qursquoentend Aristote par laquo takei raquo dans le De

Caelo I 9 et de comprendre les arguments de Mugnier en faveur de telle ideacutee ou telle autre

Pour reacutepondre agrave ce problegraveme Mugnier se reacutefegravere agrave Physique VIII 6 Si lrsquoimmanentisme

suggegravere lrsquoideacutee drsquoune analogie entre lrsquoacircme humainele corps humain et le Premier Moteurle

Premier ciel peut-on comparer lrsquoacircme humaine au Premier Moteur En drsquoautres termes le

Premier Moteur est-il mucirc par accident comme lrsquoest lrsquoacircme humaine Mais que signifie laquo ecirctre

mucirc par accident raquo Telles sont les questions que se pose Mugnier Dans le traiteacute De lrsquoAcircme36

Aristote affirme que lrsquoacircme humaine eacutetait immobile par essence mais en mouvement par

accident du fait de son lien avec le corps Puisque le corps se deacuteplace lrsquoacircme qui est dans le

corps est deacuteplaceacutee et est donc en mouvement par le corps et non par elle-mecircme crsquoest en ce

sens que lrsquoon dit qursquoelle est mue par accident Mugnier se demande alors ce qursquoil en est du

Premier moteur acircme du Premier ciel Srsquoil met en mouvement le Premier ciel est-il mucirc

eacutegalement par accident Comment ne pourrait-il pas ecirctre emporteacute par le mouvement de son

corps Mugnier tente de reacutepondre agrave ces questions dans le but de montrer que le Premier

Moteur ne peut pas ecirctre emporteacute par le mouvement de son corps le Premier Ciel dans la

mesure ougrave celui-ci nrsquoa pas de changement local eacutetant donneacute qursquoil nrsquoest pas dans un lieu

Le souci que pose la theacuteorie du mouvement par accident de lrsquoacircme du Premier Ciel est

que quelque chose de mucirc par accident ne saurait donner agrave une autre chose un mouvement

Pour comprendre cette ideacutee il faut comprendre quel est le mouvement de lrsquoacircme humaine pour

Mugnier si elle est transporteacutee quelque part par accident elle cherchera agrave rejoindre son

milieu naturel et imposera donc un mouvement au corps qursquoelle habite pour le faire se

mouvoir vers un milieu particulier qui est le sien Mais ce mouvement lagrave nrsquoest pas eacuteternel

35 PLATON Lois 2003 897a Traduction par A Diegraves36 ARISTOTE De lrsquoAcircme 2005 406b25 Traduction par P Thillet

55

puisqursquoil se termine une fois le lieu atteint Pour qursquoil y ait un mouvement eacuteternel il faut donc

une acircme motrice qui soit toujours elle-mecircme et dans son propre lieu sinon elle imposera un

mouvement agrave son corps qui ne durera que le temps de retourner dans le lieu qui lui est propre

Aristote affirme lui-mecircme lrsquoimmobiliteacute du Premier Moteur

Drsquoapregraves cela on pourra se convaincre que si quelque chose fait partie des moteursimmobiles mais eux-mecircmes mus par accident il est impossible qursquoil meuve drsquounmouvement continu De sorte que srsquoil est neacutecessaire que le mouvement existecontinucircment il faut qursquoil existe un premier moteur non mucirc mecircme par accident37

Le Premier Moteur est donc neacutecessairement immobile sinon il ne pourrait pas ecirctre la

cause drsquoun mouvement eacuteternel Il srsquoagit alors de se demander comment il est possible que le

Premier Moteur acircme du Premier Ciel ne soit pas ecirctre mucirc par accident La condition

neacutecessaire au mouvement accidentel du Premier Moteur est que le Premier Ciel soit mucirc Or il

nrsquoexiste rien en dehors du ciel pas mecircme un lieu comme nous lrsquoavons vu dans la partie 0

Mais tout ce qui est en mouvement lrsquoest neacutecessairement dans un lieu pour Aristote crsquoest

pourquoi il nrsquoest pas rationnel de parler de mouvement pour un corps qui nrsquoest pas dans un

lieu La question agrave laquelle nous arrivons est celle de savoir si nous pouvons parler de

deacuteplacement pour le Premier Ciel Se demander si le Premier Ciel se deacuteplace revient donc agrave se

demander si le Premier Ciel est dans un lieu (ἐν τόπῳ)

Nous avons vu dans le De Caelo I 9 que le lieu eacutetait lrsquoendroit ou il eacutetait possible qursquoil

existe quelque chose ce qui nrsquoest pas le cas pour lrsquoexteacuterieur du ciel De plus le lieu est la

limite du corps englobant38 mais il nrsquoy a rien en dehors du ciel donc rien pour lrsquoenglober

Mugnier arrive assez rapidement agrave la conclusion qursquoil nrsquoexiste pas de lieu en dehors du ciel et

surtout que la sphegravere des fixes nrsquoest dans aucun lieu La question du lieu est primordiale dans

lrsquoideacutee du mouvement puisque lrsquoon juge qursquoune chose est en mouvement par rapport agrave un lieu

selon Aristote nous jugeons qursquoune chose se deacuteplace en la regardant par rapport agrave un autre

point de repegravere qui se trouve agrave lrsquoexteacuterieur de ce qui est en deacuteplacement Une chose peut aussi

ecirctre dite dans un lieu lorsqursquoelle est entoureacutee drsquoautres corps En cela nous pouvons dire que le

Premier Ciel nrsquoest pas dans un lieu mais les astres qui srsquoy trouvent sont dans un lieu formeacute

par les autres astres qui les entourent Mugnier donne alors lrsquoexemple suivant

37 ARISTOTE Physique VIII 6 259b20-26 Traduction par Pellegrin 38 ARISTOTE Physique IV 4 211b13

56

Voici une boule qui roule sur la terre elle se deacuteplace crsquoest-agrave-dire qursquoelle occupesuccessivement diffeacuterents lieux Et si nous pouvons dire qursquoelle est animeacutee drsquounmouvement de transport crsquoest parce qursquoil nous est loisible de choisir en dehors drsquoelle uncorps un point de repegravere crsquoest-agrave-dire quelque chose par rapport agrave quoi elle se deacuteplace

Le lieu se dessine en quelque sorte par ce qui lrsquoentoure Si on imagine cette mecircme

boule mais eacutetant entoureacutee par rien on ne peut pas dire qursquoelle est dans un lieu par contre on

peut dire drsquoelle qursquoelle constitue tout lrsquoespace dans la mesure ougrave elle est la seule chose qui

soit Mais du fait qursquoelle nrsquoest pas dans un lieu puisque rien ne lrsquoentoure elle ne peut se

deacuteplacer par rapport agrave rien ni par rapport agrave elle-mecircme Parce que cette boule serait tout ce

qursquoil y a elle ne peut pas se deacuteplacer en masse dans rien crsquoest-agrave-dire dans ou vers aucun lieu

et par rapport agrave rien Donc un corps qui nrsquoest enveloppeacute par rien nrsquoest pas dans un lieu et un

corps qui nrsquoest pas dans un lieu ne peut pas se deacuteplacer Tout cela nous ramegravene alors agrave la

question de savoir srsquoil existe quelque chose en dehors du Premier Ciel

Dans le De Caelo I 9 Aristote affirme qursquoil nrsquoexiste aucun corps en dehors du ciel

car si un corps existait lagrave-bas il serait soit simple soit composeacute Mais en vertu de la theacuteorie

aristoteacutelicienne des lieux et du mouvement il ne pourrait pas y avoir de corps simple en

dehors du ciel puisque le milieu naturel des corps simples se trouve dans le ciel Et aucun des

corps simples ne pourrait srsquoy trouver de maniegravere contre nature dans la mesure ougrave cela

signifierait que ce serait le lieu naturel drsquoun autre corps mais cela est impossible Il nrsquoy a pas

non plus de corps composeacutes en dehors du ciel car la preacutesence drsquoun corps composeacute impose la

preacutesence drsquoun corps simple et il ne peut pas y avoir de corps simples en dehors du ciel Mais

puisqursquoil nrsquoy a pas de corps il nrsquoy a pas de lieu nous dit Aristote car le lieu est ce en quoi il

peut y avoir un corps Il nrsquoy a pas non plus de temps car le temps est le nombre du

mouvement or le mouvement est une proprieacuteteacute des corps et il nrsquoy a pas de corps en dehors du

ciel donc pas de mouvement En vertu de toutes ces choses que nous avions vues mais que

nous avons rappeleacutees briegravevement Mugnier conclut deux choses il nrsquoexiste ni corps ni

temps ni lieu en dehors du ciel drsquoune part et il est eacutetrange de parler du Premier Ciel comme

un corps qui se deacuteplace puisqursquoil nrsquoest dans aucun lieu La conseacutequence de cela est simple et

reacutepond clairement agrave la question de deacutepart qui eacutetait celle de savoir comment le Premier Moteur

ne pouvait pas ecirctre mucirc par accident par le mouvement du Premier Ciel Puisque le Premier

Ciel nrsquoest pas dans un lieu il est absurde de parler de mouvement Ainsi nous pouvons

affirmer que le Premier Ciel ne se deacuteplace pas et donc ne peut pas entraicircner son acircme crsquoest-agrave-

dire le Premier Moteur dans un mouvement accidentel

57

Mais selon Mugnier Aristote affirme qursquoil existe un mouvement propre au Premier

Ciel il nrsquoest pas parfaitement immobile En effet la circonfeacuterence derniegravere du ciel se meut de

maniegravere circulaire mais nous avons dit que le Premier Ciel ne se deacuteplaccedilait pas ce qui semble

agrave premiegravere vue contradictoire En fait le ciel tourne sur lui-mecircme mais ne se deacuteplace pas vers

un autre endroit Il ne change pas de laquo place raquo On notera la difficulteacute de deacutecrire un

mouvement sans faire reacutefeacuterence agrave un lieu dans la mesure ougrave il nrsquoy a aucun lieu dans lequel se

trouve le ciel

Et le seul fait que la derniegravere sphegravere nrsquoest enveloppeacutee par aucun corps et qursquoil nrsquoy a paspar suite drsquoespace en dehors drsquoelle explique pour le dire en passant un passage fortobscur du De Caelo ougrave Aristote parle de choses qui sont situeacutees au-dessus de lrsquoextrecircmereacutevolution des astres [hellip] Mais que sont-elles Ougrave se trouvent-elles Des reacuteponsesdiffeacuterentes ont eacuteteacute donneacutees39

Mugnier en vient agrave traiter de la question du τἀκεῖ au sein drsquoune reacuteflexion sur le

mouvement du Premier Ciel ou plutocirct sur la possibiliteacute du mouvement du Premier Ciel en

raison de la preacutesence ou non drsquoun lieu dans lequel il serait englobeacute Aristote a montreacute qursquoil nrsquoy

avait pas de corps pas de lieu et pas de temps en dehors du ciel Cependant Mugnier note

qursquoAristote emploie un vocabulaire spatial pour deacutecrire les ecirctres qui se situent au-dessus de la

translation la plus exteacuterieure en effet Aristote les deacutecrit comme les ecirctres de laquo lagrave-bas raquo

(τἀκεῖ) ce qui semble directement renvoyer agrave un lieu et nrsquoa de sens que si le τἀκεῖ se trouve

dans un lieu Mais dans la mesure ougrave il nrsquoexiste pas de lieu en dehors du ciel Mugnier en

conclut que le τἀκεῖ fait reacutefeacuterence agrave quelque chose qui se situe dans le ciel et non agrave lrsquoexteacuterieur

de celui-ci Car seul ce qui est dans un lieu peut ecirctre deacutesigneacute comme eacutetant laquo lagrave-bas raquo crsquoest-agrave-

dire dans un lieu Nous pouvons de maniegravere plus preacutecise conclure de lrsquoargumentation

geacuteneacuterale de Mugnier qursquoil ne pense pas que le τἀκεῖ puisse faire reacutefeacuterence agrave la sphegravere des

fixes dans sa totaliteacute dans la mesure ougrave le tout qursquoelle est nrsquoest pas dans un lieu En revanche

ses parties crsquoest-agrave-dire les astres qui srsquoy trouvent sont dans un lieu les unes par rapport aux

autres et sont englobeacutees par la sphegravere des fixes Le τἀκεῖ semblerait alors pouvoir ecirctre une

reacutefeacuterence aux astres divins qui sont sur la sphegravere la plus eacuteloigneacutee du centre et non agrave la sphegravere

des fixes dans sa totaliteacute et encore moins un ecirctre qui lui serait transcendant Il srsquoagit alors

drsquoune conception meacutetaphorique du lieu utiliseacutee par Aristote puisque le terme laquo lieu raquo ne

renvoie pas reacuteellement agrave un lieu dans le cas preacutesent Toutefois Mugnier ne rend pas compte

de lrsquoutilisation du terme huper puisqursquoil nrsquoaffirme pas que cette expression renvoie a un au-

39 Mugnier opcit 1930 p77

58

dessus meacutetaphorique eacutegalement crsquoest-agrave-dire un au-dessus qui ne serait pas veacuteritablement hors

du ciel

322 Lrsquoabsence de lieu comme caracteacuteristique drsquoun ecirctre transcendant le ciel

Solmsen40 affirme sur la question du lieu comme justification de la transcendance ou

de lrsquoimmanence du τἀκεῖ que le τἀκεῖ est une reacutefeacuterence agrave un ecirctre transcendant du fait que

lrsquoabsence de lieu devient une caracteacuteristique de ce qui nrsquoa pas de lieu Mais comment en

arrive t-il agrave deacutefendre cette thegravese sans tomber dans le problegraveme de la description drsquoun ecirctre sans

lieu qui serait pourtant lagrave-bas crsquoest-agrave-dire quelque part Pour comprendre ce problegraveme

Solmsen se tourne vers la cosmologie platonicienne dans la mesure ougrave il traite explicitement

dans le Phegravedre drsquoun au-delagrave du ciel Mais quel est le rapport entre Platon et Aristote sur cette

question Solmsen srsquoexprime sur le τἀκεῖ dans un contexte historique Il cherche en quelque

sorte le fondement philosophique de la conception de lrsquoau-delagrave du ciel Crsquoest pourquoi

Solmsen en vient agrave parler de Platon qui affirme la chose suivante

Chaque fois qursquoils se rendent agrave un festin crsquoest-agrave-dire agrave un banquet ils se mettent agrave montervers la voucircte qui constitue la limite inteacuterieure du ciel [hellip] Crsquoest lagrave sache-le bien quelrsquoeacutepreuve et le combat suprecircmes attendent lrsquoacircme En effet lorsqursquoelles ont atteint la voucirctedu ciel ces acircmes qursquoon dit immortelles passent agrave lrsquoexteacuterieur srsquoeacutetablissent sur le dos duciel se laissent emporter par leur reacutevolution circulaire et contemplent les reacutealiteacutes qui se

trouvent hors du ciel41

Platon dans le Phegravedre affirme donc qursquoil existe quelque chose en dehors du ciel les

reacutealiteacutes Ces choses reacuteelles sont une reacutefeacuterence directe aux Formes intelligibles et seacutepareacutees

Toutefois nous pouvons noter que ce passage revecirct lrsquoapparence du mythe poeacutetique et non pas

drsquoune argumentation philosophique ce qui nous amegravene agrave nous poser la question de la veacuteriteacute

du propos tenu par Platon Celui-ci dans la continuiteacute de cet extrait affirme prononcer la

veacuteriteacute au sujet de lrsquounique chose qui soit veacuteritablement les Formes Nous savons par la

lecture de la Reacutepublique par exemple que les concepts de veacuteriteacute et de mythe chez Platon

sont geacuteneacuteralement opposeacutes pourquoi utilise-t-il alors un mythe pour parler drsquoune chose qui

soit lrsquoune des veacuteriteacutes Il semblerait pour Solmsen que cette question se soit eacutegalement poseacutee

40 Solmsen laquo Beyond the Heavens raquo197641 Phegravedre 2004 247c3 Traduction par L Brisson

59

au sein de lrsquoAcadeacutemie durant cette eacutepoque et nombreux eacutelegraveves ont eacuteteacute drsquoavis que cette notion

drsquoau-delagrave du ciel nrsquoeacutetait pas agrave prendre au seacuterieux du fait que Platon utilisait un mythe pour

srsquoy reacutefeacuterer Toutefois Platon dans ce mecircme passage fait la promesse de dire la veacuteriteacute au sujet

de la veacuteriteacute Le mythe devient alors le moyen le plus approprieacute de parler de ce qui se trouve

hors du ciel

Ce lieu qui se trouve au-dessus du ciel aucun poegravete parmi ceux drsquoici-bas nrsquoa encore chanteacute drsquohymne en son honneur et aucun ne chantera en son honneur un hymne qui en soit digne Or voici ce qui en est car srsquoil se preacutesente une occasion ougrave lrsquoon doive dire la veacuteriteacute crsquoest bien lorsqursquoon parle de la veacuteriteacute42

On note cependant quAristote eacutelegraveve de Platon dans sa jeunesse et malgreacute le fait que

lrsquoau-delagrave du ciel nrsquoait pas eacuteteacute pris pour un veacuteritable sujet drsquoeacutetude agrave lrsquoAcadeacutemie en vient agrave

parler de lrsquoexteacuterieur du ciel Pouvons-nous donc voir agrave travers le Phegravedre lrsquoorigine de certains

passages obscurs drsquoAristote concernant ce mysteacuterieux lieu qui se trouve au-delagrave du ciel

Dans le Phegravedre Platon place les Formes dans un lieu qui serait agrave lrsquoexteacuterieur du ciel

Solmsen note que de nombreux interpregravetes tel que Hackforth affirment que ce nrsquoest pas la

premiegravere fois que Platon attribue un lieu aux Formes intelligibles en effet dans le Timeacutee43 il

en est question eacutegalement Mais Solmsen refuse cette interpreacutetation des textes de Platon en

affirmant qursquoil nrsquoest pas convainquant que Platon fasse reacutefeacuterence agrave un lieu lorsqursquoil parle des

Formes car le lieu est en rapport avec les corps mateacuteriels et les Formes en plus drsquoecirctre

intelligibles sont seacutepareacutees de la matiegravere Il y a certes une laquo ascension raquo de lrsquoacircme qui se dirige

vers une connaissance accessible seulement par lrsquointellect mais ce nrsquoest pas parce qursquoil y a

une ascension au-delagrave du ciel que cet au-delagrave du ciel est lieacute agrave un corps mateacuteriel En effet pour

les Formes il srsquoagit de ce que Platon nomme un νοητὸς τόπος et celui-ci nrsquoest absolument

pas lieacute agrave la matiegravere Crsquoest pourquoi parler de laquo lieu raquo nrsquoest pas veacuteritablement contradictoire

pour parler drsquoun lieu sans matiegravere si lrsquoon preacutecise de quel type de lieu on parle crsquoest-agrave-dire un

lieu intelligible De plus dans le Timeacutee Platon affirme que tous les corps sensibles sont dans

lrsquoespace et dans un lieu Mais de cela nous ne pouvons affirmer que ce qui est propre et

neacutecessaire au corps sensible le soit aussi pour les ecirctres intelligibles et seacutepareacutes de la matiegravere

Dire qursquoaucun corps sensible ne peut ecirctre en dehors drsquoun lieu nrsquoimplique pas que les Formes

platoniciennes doivent ecirctre dans un lieu dans la mesure ougrave elles nrsquoentrent pas dans le domaine

du mateacuteriel et donc dans ses lois Il rejette alors toutes ideacutees drsquoassociation de lieu physique agrave

42 Ibid 247c 43 Timeacutee opcit 30c

60

la forme car cela est incompatible avec sa nature Le problegraveme est que le langage est fait de

telle maniegravere que Platon est limiteacute et ne peut pas deacutesigner ce qui se trouve dans un lieu

intelligible et sans matiegravere autrement que par des mots qui deacutesignent des lieux physiques

Crsquoest pourquoi il se doit drsquoutiliser le mythe Gracircce agrave lrsquoutilisation drsquoun pareil outil nous

pouvons dire qursquoil srsquoagit drsquoun lieu au sens alleacutegorique voire meacutetaphorique Cet outil lui

permet donc deux choses faire les louanges agrave la hauteur (ou plutocirct au plus proche) de la

beauteacute des Formes de maniegravere la plus approprieacutee possible pour ce qui est le plus parfait et

deacutesigner des lieux avec ses outils langagiers qui ne font pas reacutefeacuterence agrave des lieux tels que

nous les connaissons

Mais quel est le rapport avec Aristote Nous lrsquoavons dit Solmsen cherche lrsquoorigine de

certaines theacuteories aristoteacuteliciennes et il srsquoavegravere que certaines theacuteories lui ont eacuteteacute transmises agrave

lrsquoAcadeacutemie via les textes de Platon Mais comment expliquer que lrsquoon retrouve certaines

occurrences dans la philosophie aristoteacutelicienne et platonicienne alors mecircme qursquoil y a

diffeacuterentes opinions parfois opposeacutees sur un mecircme sujet chez Platon En effet srsquoil est

question dans le Phegravedre drsquoun au-delagrave du ciel ou se trouveraient les Formes dans le Timeacutee

Platon affirme qursquoil existe rien qui ne soit pas dans un lieu dans le monde Il faut donc lire les

passages suivants de la Physique44 drsquoAristote en se souvenant de celui du Phegravedre que nous

avons citeacute plus haut dans lrsquointeacuterecirct de comprendre pourquoi Aristote affirmait certaines choses

de la philosophie platonicienne plutocirct que drsquoautres

Le premier passage porte sur le lieu Aristote expose deux points de vue du lieu Dans

un premier temps Aristote affirme que le lieu est la matiegravere puisqursquoil nrsquoest pas simplement la

peacuteripheacuterie de ce qui est enveloppeacute mais aussi lrsquointervalle entre la limite qursquoil est et lrsquoobjet

dont il est le lieu Dans un second temps le lieu est lui-mecircme englobeacute car sa surface deacutelimite

le lieu occupeacute en ce sens le lieu est compris comme une matiegravere Quant au second passage il

porte sur lrsquoinfini Il distingue deux conceptions de lrsquoinfini les pythagoriciens pensent que

lrsquoinfini est propre agrave ce qui se situe hors du ciel alors que Platon affirme dans le Timeacutee qursquoil

nrsquoy a rien en dehors du ciel pas mecircme les Formes puisque celles-ci ne sont pas quelque part

Pourquoi Aristote affirmait que le lieu eacutetait ce que nous venons de deacutecrire et affirmait que

Platon refusait drsquoassocier lrsquoau-delagrave du ciel aux Formes alors mecircme que dans le Phegravedre il les

situe dans cet au-delagrave Solmsen formule trois hypothegraveses pour reacutepondre agrave ce problegraveme

44 Physique IV 2 209b11-16 et Physique III 4 203a1

61

1) Aristotle may not have read the mythical section of the laquo Phaedrus raquo Despite thereference to this section in Rhetoric III 7 1408b20 where it serves as an example ofpoetic style45

Mais cette hypothegraveses proposeacutee par Solmsen est directement critiqueacutee par lui En effet

cette theacuteorie selon laquelle Aristote nrsquoavait pas lu ce passage du Phegravedre bien qursquoelle ne soit

pas impossible est peu probable dans la mesure ougrave drsquoune part il y a une reacutefeacuterence agrave cette

œuvre dans la Rheacutetorique drsquoAristote et drsquoautre part il y a un trop gros rapprochement entre le

systegraveme rheacutetorique qursquoemploie Aristote dans son œuvre et celui qursquoemploie Platon pour parler

de ce qui est au-delagrave du ciel De plus cette theacuteorie supposerait que lrsquoon accepte qursquoAristote

avait la meacutemoire courte et qursquoil avait totalement oublieacute un passage entier du mythe du Phegravedre

2) Aristotle may have known but discounted the ὑπερουράνιος τόπος because for him asfor modern interpreters of the lsquoPhaedrusrsquo its presence in a myth ndash and in a myth whichunlike the myth of the lsquoTimaeusrsquo did not embody a cosmology ndash deprived the idea ofphilosophical significance46

Cette hypothegravese formuleacutee par Solmsen serait qursquoAristote avait lu cette œuvre mais

reacuteduit lrsquoimportance de lrsquoau-delagrave du ciel dans la mesure ougrave ce lieu apparaissait dans un mythe

Solmsen affirme que si cette hypothegravese est la vraie cela signifie qursquoAristote a volontairement

occulteacute la promesse de Platon de dire la veacuteriteacute concernant les Formes Une autre raison plus

leacutegitime serait de penser que le Timeacutee a eacuteteacute eacutecrit apregraves le Phegravedre et qursquoAristote le sachant

aurait consideacutereacute le Timeacutee comme une correction de certaines theacuteories platoniciennes passeacutees

De cette maniegravere le discours sur la localisation des Formes platoniciennes serait nul et non

avenu

3) At the time when Aristotle put down the passages in Physics III and IV he could notknow the lsquoPhaedrusrsquo because it had not yet been written or if written not yet beenpublished47

Quant agrave cette troisiegraveme hypothegravese elle repose sur la question de la date et lrsquoordre de

publication des dialogues platoniciens Le problegraveme est que nous nrsquoavons pas de sources

45 Solmsen opcit 1976 p2846 Ibid p2847 Ibid p28

62

suffisantes pour asseoir cette theacuteorie De plus dans lrsquohistoire de lrsquoeacutetude des dialogues

platoniciens le Phegravedre est celui qui a le plus de fois changeacute de place sur la liste chronologique

des dialogues platoniciens crsquoest dire agrave quel point nous nrsquoavons pas de connaissances certaines

et veacuteritables agrave ce sujet

La seconde hypothegravese selon Solmsen a plus de chance de seacuteduire les interpregravetes

classiques Mais avant de srsquoexprimer sur la question Solmsen nous renvoie au texte

drsquoAristote tireacute du De Caelo I 9 279a18-23 Solmsen affirme que en vertu des positions

philosophiques drsquoAristote il ne peut pas faire reacutefeacuterence aux Formes platoniciennes qui pour

lui nrsquoexistent pas Crsquoest pourquoi la seule possibiliteacute quant agrave la reacutefeacuterence de ce qui se trouve

lagrave-bas est pour Solmsen les diviniteacutes Il semble alors qursquoil y ait une intersection entre la

theacuteorie platonicienne eacutenonceacutee dans le Phegravedre et la theacuteorie aristoteacutelicienne du De Caelo dans la

mesure ougrave Platon affirme que les diviniteacutes passent au-delagrave de la derniegravere extreacutemiteacute pour

contempler les Formes Cela signifie qursquoil nrsquoy a pas que des Formes au-delagrave du ciel mais

eacutegalement des diviniteacutes Beaucoup drsquointerpregravetes ont eacuteteacute tenteacutes de comprendre ce texte comme

eacutetant une reacutefeacuterence aux premiers moteurs immobiles Toutefois Solmsen soutient qursquoil ne

peut srsquoagir de diviniteacutes ayant une fonction motrice dans la mesure ougrave Aristote affirme agrave la fin

de ce chapitre qursquoil nrsquoy a rien de plus fort que le corps qui a un mouvement circulaire et que

rien ne peut le deacuteplacer Les diviniteacutes nrsquoont donc pas agrave avoir une fonction motrice car le

mouvement circulaire srsquoexplique par la nature mecircme du cinquiegraveme eacuteleacutement qursquoest lrsquoeacutether

Solmsen affirme que crsquoest un passage choquant car on a le sentiment qursquoAristote est sur le

point drsquoaboutir agrave lrsquoideacutee qursquoil nrsquoy a rien en dehors du ciel en raison du fait que tout est compris

dans le ciel Il souligne que pour Platon crsquoest une theacuteorie theacuteologique alors que pour Aristote

crsquoest une theacuteorie scientifique (due agrave sa theacuteorie des corps des milieux et des mouvements)

Mais les lois physiques ne srsquoeacutetendent pas agrave ce qui est incorporel Les dieux sont au-dessus des

lois physiques et aucun argument utiliseacute dans le DC ne refuserait aux dieux une place au-

dessus du ciel Tels sont les arguments de Solmsen en faveur de la nature transcendante du

takei Mais quel est le rapport avec les 3 hypothegraveses preacutesenteacutees plus haut Elle rend

impossible et peu probable la premiegravere selon laquelle Aristote nrsquoavait pas lu cette partie du

Phegravedre et la derniegravere selon laquelle le Phegravedre nrsquoavait pas eacuteteacute eacutecrit en vertu du fait qursquoil

semble y avoir une intersection entre Aristote et Platon qui srsquoexplique par une lecture du

Phegravedre par Aristote La deuxiegraveme explication semble donc plus pertinente Aristote pouvait

consideacuterer le Timeacutee comme une base pour les hypothegraveses suggeacuterant un laquo lieu raquo pour les

formes (car tout est dans un lieu pour Platon dans le Timeacutee) mais il est possible qursquoAristote

63

ait associeacute ses diviniteacutes agrave cet au-delagrave du ciel qui nrsquoest pas un lieu Bien sucircr Aristote a revisiteacute

cette conception de lrsquoau- delagrave du ciel en supprimant les formes platoniciennes qui sont

regardeacutees par les diviniteacutes Il y a une diffeacuterence entre le laquo lieu raquo meacutetaphorique au-delagrave du ciel

de Platon et celui drsquoAristote Nous avons vu qursquoen dehors du ciel il nrsquoy avait rien et que le

τἀκεῖ nrsquoeacutetait dans aucun lieu Donc philosophiquement on peut penser a une reacutealiteacute eacuteternelle

et immateacuterielle qui se trouve au-delagrave du ciel

Le geste de Platon et Aristote nrsquoest pas le mecircme affirme Solmsen Platon dans le

mythe du Phegravedre prend les formes impassibles et inalteacuterables au-dessus du ciel pour acquises

dans la mesure ougrave lrsquoexistence de ces formes a eacuteteacute eacutetablis dans drsquoautres dialogues Il attribue

simplement la veacuteriteacute agrave ce lieu en le deacutesignant comme la laquo plaine de la veacuteriteacute raquo alors

quAristote en deacutecouvrant gracircce agrave sa theacuteorie des milieux un laquo environnement raquo qui exclut le

lieu le vide la matiegravere et le temps utilise cet environnement pour deacutefinir la nature de ses

diviniteacutes parce qursquoelles nrsquoont pas de corps pas de temps et pas de lieu elles sont

inchangeables et eacuteternelles Nous avons alors une conception du divin qui coiumlncide avec celle

de la Meacutetaphysique et de la Physique bien qursquoil ne soit pas question drsquoune diviniteacute motrice

Nous pouvons alors faire un lien pertinent entre la philosophie platonicienne et la philosophie

aristoteacutelicienne tout en les faisant cohabiter sans se contredire Le geste de Solmsen permet

alors de faire pencher la balance et drsquoajouter un argument en plus agrave la position de la reacutefeacuterence

transcendante concernant le τἀκεῖ

33 Deacutepassement des deux alternatives traditionnelles de lrsquointerpreacutetation du takei

331 Lrsquoeacutether hypercosmique de Peacutepin

Mais les deux interpreacutetation du problegraveme du takei ne font pas totalement lrsquounanimiteacute

Parmi ceux qui pensent en dehors de ce cadre nous trouvons Peacutepin qui a deacuteveloppeacute une

theacuteorie fort originale selon laquelle le takei est une reacutefeacuterence agrave lrsquoeacutether hypercosmique Il

srsquoagira alors de voir quels sont les arguments par rapport agrave ceux que nous avons vu qui

permettent de deacutefendre cette thegravese

Lrsquoarticle de Fabienne Baghdassarian48 nous propose un exposeacute inteacuteressant des

diffeacuterentes thegraveses portant sur lrsquoidentiteacute des ecirctres de lagrave-bas Parmi ces nombreuses thegraveses il y

48 Baghdassarian 2011

64

en a une qui est volontairement mise de cocircteacute et briegravevement introduite dans une note de bas de

page celle de Peacutepin

Nous ne dirons rien de lrsquohypothegravese de Peacutepin 1964 p 161-170 qui soutient que la diviniteacuteen question est lrsquoeacutether hypercosmique Peu drsquoeacuteleacutements en effet sont en faveur de cettethegravese et ce tout particuliegraverement dans le DC J Peacutepin lui-mecircme ne reconnaicirct-il pas qursquoilnrsquoest qursquoun seul texte dans ce traiteacute en faveur de son hypothegravese 49

Ce qui est fort inteacuteressant dans la thegravese de Peacutepin est son originaliteacute En effet si nous

avons vu agrave travers lrsquoarticle de Fabienne Baghdassarian jusqursquoagrave preacutesent que lrsquointerpreacutetation

du τἀκεῖ eacutetait bien souvent binaire et penchait soit en faveur de la transcendance

geacuteneacuteralement associeacutee au Premier Moteur Immobile soit en faveur de la reacutefeacuterence ceacuteleste et

plus particuliegraverement agrave la sphegravere des fixes lrsquointerpreacutetation de Peacutepin est tout autre Il ne srsquoagit

pas pour lui de deacutefendre lrsquoune ou lrsquoautre de ces ideacutees bien au contraire il en expose une toute

nouvelle apregraves avoir argumenteacute en deacutefaveur des theacuteories issues de la tradition de Simplicius

et drsquoAlexandre Selon lui le τἀκεῖ serait une reacutefeacuterence agrave lrsquoeacutether hypercosmique La question

que nous devons nous poser est la suivante comment Peacutepin en arrive agrave cette thegravese nouvelle

Dans un premier temps Peacutepin rappelle une chose importante que Fabienne

Baghdassarian rappelle eacutegalement

Certains passages du De Caelo drsquoAristote donnent agrave entendre que la diviniteacute serait au-delagrave de lrsquounivers[hellip] Il srsquoagit essentiellement de I 9 279a11-b350

A la lecture de cette premiegravere phrase nous sommes en droit de nous poser la question

que Fabienne Baghdassarian posait dans son article il existe fort peu de textes drsquoAristote au

sujet de reacutealiteacutes transcendantes agrave lrsquoordre ceacuteleste et De Caelo I 9 serait-il lrsquoun de ceux-lagrave

Peacutepin en semble convaincu dans la mesure ougrave il dit qursquoAristote affirme lrsquoexistence drsquoecirctres qui

se situent au-delagrave du mouvement de translation le plus exteacuterieur A ce propos Peacutepin ne

manque pas de citer directement le texte drsquoAristote La situation de ces ecirctres de lagrave-bas est

donc telle qursquoils eacutechappent au temps et au lieu partie A Cette absence de lieu et de temps

implique que ces ecirctres soient inalteacuterables et impassibles selon Aristote De plus de ces ecirctres

deacutependent lrsquoecirctre et la vie crsquoest ce que nous avons vu dans la partie B Finalement rien nrsquoest

49 Baghdassarian 2011 p 20150 Peacutepin Theacuteologie cosmique et Theacuteologie chreacutetienne1964 p161

65

plus parfait que ces ecirctres donc rien ne peut les mouvoir Peacutepin affirme alors qursquoils ont un

mouvement de translation par eux-mecircmes et non par une chose exteacuterieure Peacutepin ne semble

pas faire grand cas du problegraveme de la continuiteacute de lrsquoobjet du texte dans la mesure ougrave il

applique ce qui semblait ecirctre un eacuteloge du corps qui se meut de maniegravere circulaire au τἀκεῖ

Pouvons-nous mettre en cause ce premier geste de lrsquointerpregravete dans la mesure ougrave Aristote

affirme qursquoil nrsquoy a laquo aucun changement pour les ecirctres qui sont disposeacutes au-dessus de la

translation la plus exteacuterieure raquo Quoiqursquoil en soit la perfection qursquoAristote accorde agrave ces

ecirctres semble sans preacuteceacutedent et autorise donc Peacutepin agrave voir en la figure du τἀκεῖ une diviniteacute Il

affirme que les proprieacuteteacutes ndash impassible autarcique immuable ndash qui servent agrave le deacutecrire sont

les mecircmes que celles utiliseacutees pour deacutecrire le divin dans la Meacutetaphysique Λ51 et qursquoen plus de

cela Aristote utilise souvent le terme theios52 pour deacutesigner le τἀκεῖ Montrer que le τἀκεῖ est

drsquoordre divin permettra agrave Peacutepin de deacutefendre sa theacuteorie de lrsquoeacutether hypercosmique mais nous y

reviendrons plus tard

Avant drsquoexposer sa theacuteorie Peacutepin srsquoattaque directement aux deux grandes

interpreacutetations qui dominent celle de Simplicius (suivie par les interpregravetes modernes que

nous avons vus) et celle drsquoAlexandre (qui est eacutegalement deacutefendue par drsquoautres interpregravetes vus

preacuteceacutedemment)

Il note un lien entre la description qursquoen fait Aristote dans le De Caelo I 9 lorsqursquoil

affirme qursquoils sont immuables impassibles et qursquoils jouissent de la plus autarcique des vies

pour toute sa dureacutee et la Meacutetaphysique Λ lorsqursquoil deacutecrit en ces termes le Premier Moteur

Immobile Simplicius voyait dans le τἀκεῖ une reacutefeacuterence au Premier Moteur Immobile agrave tel

point qursquoil a modifieacute le texte original comme le disait Moraux pour faire correspondre la

theacuteorie du Premier Moteur Immobile au τἀκεῖ En effet Simplicius remplace κινεῖται par κινεῖ

dans lrsquointeacuterecirct de donner une fonction motrice au τἀκεῖ comme le Premier Moteur Immobile a

une fonction motrice puisqursquoelle est ce qui met le Premier Ciel en mouvement Fabienne

Baghdassarian tout comme Moraux nrsquoacceptent pas cette modification Moraux affirme

qursquoelle nrsquoest pas envisageable dans la mesure ougrave le texte original ne fait pas mention drsquoune

fonction motrice du τἀκεῖ Quant agrave Fabienne Baghdassarian remarque en se tournant vers la

traduction que si lrsquoon accepte la correction de Simplicius le texte drsquoAristote signifierait que

le τἀκεῖ met en mouvement le Premier Ciel en vertu du fait que lrsquoeacutether se deacuteplace de maniegravere

circulaire ce qui nrsquoest pas coheacuterent avec lrsquoensemble du texte selon elle puisque lrsquoexplication

51 Meacutetaphysique Λ 652 Ibid

66

du mouvement circulaire ducirc agrave la nature de lrsquoeacutether nrsquoa rien agrave voir avec la puissance motrice du

Premier Moteur De nombreux arguments permettent donc de deacutecreacutedibiliser la correction de

Simplicius et ruinent lrsquoideacutee drsquoune reacutefeacuterence au Premier Moteur Immobile du fait de lrsquoabsence

explicite de fonction motrice du τἀκεῖ

Apregraves avoir critiqueacute la theacuteorie de Simplicius Peacutepin srsquoattaque agrave celle drsquoAlexandre

drsquoAphrodise Ce dernier deacutefendait lrsquoideacutee selon laquelle le τἀκεῖ eacutetait une reacutefeacuterence agrave la sphegravere

des fixes En effet il semblerait que la sphegravere des fixes respecte le fait de nrsquoecirctre dans aucun

lieu et aucun temps car rien ne lrsquoenveloppe En effet il nrsquoy a de temps et de lieu que pour ce

qui est enveloppeacute par un corps Alexandre se reacutefegravere alors agrave la Physique IV 553 dans lequel

Aristote affirme que la sphegravere des fixes puisqursquoelle nrsquoest dans aucun lieu est transcendante

au lieu et constitue le lieu du corps dans la continuiteacute de la sphegravere des fixes et dans lequel se

trouvent certaines planegravetes ainsi que le Soleil et la Lune (consideacutereacute comme des planegravetes car

ayant un mouvement irreacutegulier) Alexandre identifie donc le τἀκεῖ comme quelque chose se

trouvant au-dessus drsquoun mouvement crsquoest pourquoi il pense agrave la sphegravere des fixes elle nrsquoest

pas dans un lieu pas dans le temps et elle se trouve au dessus du mouvement rectiligne le plus

haut Cependant Peacutepin ne considegravere pas cette theacuteorie comme acceptable dans la mesure ougrave

Aristote affirme que le τἀκεῖ se situe au-dessus du mouvement de translation le plus exteacuterieur

Le mouvement de translation est le mouvement circulaire et le plus haut et exteacuterieur des

mouvements circulaires est celui de la sphegravere des fixes Le texte mecircme permet alors de

combattre la theacuteorie drsquoAlexandre car le τἀκεῖ se trouve au dessus de la sphegravere des fixes et si

la sphegravere des fixes eacutetait effectivement le τἀκεῖ comment pourrait-elle ecirctre au dessus drsquoelle-

mecircme Cette remarque de Simplicius est reprise par Peacutepin

Il srsquoavegravere que Peacutepin ne croit ni en lrsquohypothegravese de la reacutefeacuterence au Premier Moteur

Immobile ni en celle drsquoune reacutefeacuterence agrave la sphegravere des fixes Crsquoest pourquoi il se tourne vers les

teacutemoignages de doxographies de lrsquoAntiquiteacute et plus preacuteciseacutement celle de Arius Didyme dans

laquelle est attribueacutee agrave Aristote la theacuteorie drsquoun dieu supeacuterieur agrave lrsquoensemble des sphegraveres

ceacutelestes qursquoil enveloppe et tient ensemble un dieu immuable impassible bienheureux et qui

communique son mouvement circulaire agrave lrsquoensemble de lrsquounivers Cette description fait

directement eacutecho au De Caelo I 3 et agrave la conception de lrsquoeacutether Peacutepin pose alors la question

de savoir si la reacutefeacuterence agrave lrsquoeacutether est plus satisfaisante que la reacutefeacuterence agrave la sphegravere des fixes ou

au Premier Moteur Immobile De plus lrsquoeacutether est-il susceptible drsquoeacuteviter les objections

53 Physique IV 5 212b8-20

67

auxquelles se heurte la sphegravere des fixes A savoir que la sphegravere des fixes ne peut pas ecirctre en

dehors de la sphegravere des fixes puisque le τἀκεῖ est dit se situer au dessus du mouvement de

translation le plus exteacuterieur En drsquoautres termes lrsquoeacutether peut-il ecirctre au dessus du mouvement

circulaire de la sphegravere des fixes Peacutepin concegravede lrsquoideacutee que lrsquoeacutether bien qursquoil entre aussi en la

composition des astres concerne en prioriteacute la constitution de la sphegravere des fixes Toutefois

Peacutepin objecte agrave sa propre thegravese que bien que cela soit affirmeacute dans le De Caelo I 3 dans le

passage du De Caelo qui nous inteacuteresse Aristote ne donne aucune autre information agrave ce

sujet

Pour eacutetayer son hypothegravese Peacutepin srsquoappuie sur la Reacutefutation de toutes les heacutereacutesies dans

lequel Hippolyte affirme que lrsquounivers aristoteacutelicien peut se deacutecomposer en trois parties

Le monde selon Aristote est diviseacute en un grand nombre de parties diffeacuterentes Cettepartie-ci du monde qui srsquoeacutetend depuis la terre jusqursquoagrave la lune est sans providence sansdirection et nrsquoobeacuteit qursquoagrave sa propre nature Dans celle qui est apregraves la lune jusqursquoagrave lasurface du ciel regravegnent lrsquoordre la providence et une sage direction Quant agrave cette surface(du ciel) elle est une cinquiegraveme substance eacutetrangegravere agrave tous les eacuteleacutements physiques dontle monde est composeacute et cette cinquiegraveme substance drsquoapregraves Aristote est une sorte desubstance supeacuterieure au monde54

La premiegravere est la partie sublunaire la seconde la partie supralunaire et la troisiegraveme la partie

qui est la surface du ciel eacutetranger agrave tous les eacuteleacutements du monde car constitueacutee par le

cinquiegraveme eacuteleacutement lrsquoeacutether Peacutepin critique les arguments de la theacuteorie drsquoHippolyte en

affirmant qursquoAristote nrsquoa pas retireacute lrsquoeacutether mecircme srsquoil a dit que lrsquoeacutether concernait

principalement la sphegravere des fixes de la constitution du ciel et des astres Il retient toutefois

une notion introduite par Hippolyte pour expliquer la preacutesence du cinquiegraveme eacuteleacutement au-delagrave

de la sphegravere des fixes la notion de ἐπιφάνεɩɑ τοῦ οὐρɑνοῦ Cette notion est employeacutee dans la

philosophie stoiumlcienne pour deacutesigner la surface de la sphegravere unique qursquoenveloppe le ciel et sur

laquelle sont poseacutes les astres De cette maniegravere la surface dont il est question ici est la sphegravere

des fixes aristoteacutelicienne Mais Hippolyte ne se contente pas drsquoidentifier la sphegravere des fixes agrave

cette notion il lrsquointroduit dans le but de deacutecrire la sphegravere des fixes comme un corps eacutepais dont

la surface inteacuterieur est dans le ciel et la surface exteacuterieure constitueacutee drsquoeacutether se trouve hors

du ciel En ce sens nous comprenons comment lrsquoeacutether peut se trouver au-delagrave de la sphegravere des

fixes tout en la constituant Ce qui regravegle la question que Peacutepin posait ci-dessus agrave savoir est-

54 Hippolyte 1928 p102 Traduction par A Siouville

68

ce que le τἀκεῖ identifieacute comme eacutetant lrsquoeacutether eacutevite les objections formuleacutees agrave la sphegravere des

fixes

De plus la doxographie drsquoArius Didyme et celle drsquoHippolyte ne sont pas les seules agrave

preacutesenter un eacutether hypercosmique dans la philosophie aristoteacutelicienne En effet Sextus

Empiricus ainsi que le teacutemoignage anonyme de la Vita Aristotelis rendent compte de la mecircme

ideacutee mais par des arguments diffeacuterents Sextus Empiricus preacutesente Aristote comme ayant une

theacuteologie mateacuterialiste crsquoest-agrave-dire qursquoil comprend que la diviniteacute ne peut pas se trouver hors

du ciel puisqursquoil nrsquoy a rien hors du ciel par conseacutequent elle doit se trouver agrave lrsquointeacuterieur de

celui-ci ce qui nous permet de penser raisonnablement que le τἀκεῖ ne fait pas reacutefeacuterence au

Premier Moteur Immobile mais bien agrave lrsquoeacutether se situant sur la surface exteacuterieure de la sphegravere

des fixes ainsi deacutesigneacute comme hypercosmique

La situation est donc la suivante plusieurs doxographies srsquoaccordent agrave rapporter agraveAristote une theacuteorie de la diviniteacute de lrsquoeacutether hypercosmique mais le seul textearistoteacutelicien apte agrave fonder ces teacutemoignages (qui en retour contribuent agrave lrsquoeacuteclairer)apparaicirct dans le De Caelo crsquoest-agrave-dire dans un traiteacute qui passe a bon droit pour veacutehiculercertaines doctrines anteacuterieures issues des eacutecrits de jeunesse55

Par conseacutequent la deacutemarche de Peacutepin est la suivante il note qursquoil existe une

litteacuterature doxographique dans laquelle il est plusieurs fois fait mention de la theacuteorie drsquoun

eacutether hypercosmique En mecircme temps les textes dans lesquels Aristote en parlait ne sont pas

en notre possession et le seul document qui semble pouvoir manifester de la veacuteraciteacute de ces

reacutefeacuterences est le De Caelo I 9 crsquoest-agrave-dire un eacutecrit connu pour avoir eacuteteacute eacutecrit relativement tocirct

par Aristote Il comprend alors le passage du De Caelo qui nous inteacuteresse au regard de ces

doxographies mais eacutegalement au regard du fragment 26 du De Philosophia qui serait

lrsquoorigine de la formulation premiegravere de la theacuteorie de lrsquoeacutether hypercosmique ou du takei

En effet parfois il attribue tout le divin agrave lrsquoesprit parfois il dit que le monde lui-mecircme estun dieu parfois il soumet le monde et ses parties agrave un autre ltdieugt chargeacute de reacutegler et depreacuteserver le mouvement du monde par un mouvement reacutetrograde puis il dit que lrsquoardeurdu ciel est un dieu ne comprenant pas que le ciel est une partie du monde qursquoailleurs il adeacutesigneacute comme un dieu Mais comment la fameuse perception divine dont est doueacute le cielpourrait-elle se conserver dans un mouvement aussi rapide Et ougrave sont les dieux bienconnus si nous comptons aussi le ciel au nombre des dieux Et quand il veut qursquoun dieunrsquoait pas de corps il le prive de toute perception sensible et mecircme de prudence Et

55 Peacutepin opcit 1964 p169

69

comment le monde pourrait-il se mouvoir alors qursquoil est priveacute de corps et comment srsquoil semeut sans cesse peut-il ecirctre calme et heureux 56

En ce sens selon Peacutepin Jaeger57 avait raison drsquoaffirmer que ce passage du De Caelo

eacutetait une reprise du De Philosophia dans la mesure ougrave le De Caelo compris comme un des

traiteacutes les plus anciens qui soit conserveacute srsquoinspire des theacuteories drsquoeacutecrits non publieacutes ou perdus

tels que le De Philosophia En effet il est question de diviniteacutes qui comme les takei sont

immaterielles De plus il eacutenonce les preacutemisses du mouvement circulaire des ecirctres divins qui

par suite sera le mouvement causeacute par lrsquoeacuteleacutement qui constitue ces ecirctres divins lrsquoeacutether

Lrsquoeacutetude du propos de Peacutepin nous a alors permis de deacuteconstruire les traditionnelles

alternatives de lrsquointerpreacutetation du τἀκεῖ qui penche soit en faveur du Premier Moteur soit en

faveur de la sphegravere des fixes Peacutepin propose une alternative qui bien qursquoelle ne soit pas

souvent accepteacutee a le meacuterite drsquoaffronter les difficulteacutes que pose la lecture de ce texte tout en

respectant le contenu textuel de celui-ci

3 3 2 La theacuteorie des Moteurs Immobiles une variante originale de la reacutefeacuterence au Premier Moteur Immobile

Merlan propose une theacuteorie de lrsquointerpreacutetation du τἀκεῖ qui fait exception agrave la logique

de lrsquointerpreacutetation binaire du τἀκεῖ eacutegalement En effet Merlan ne pense pas qursquoil srsquoagit lagrave

drsquoune reacutefeacuterence agrave la sphegravere des fixes ou au Premier Moteur Sa thegravese est que le τἀκεῖ est une

reacutefeacuterence aux moteurs immobiles Dumoulin avait formuleacute lrsquohypothegravese selon laquelle le

τἀκεῖ du fait qursquoil nrsquoavait pas de fonction motrice aveacutereacutee ne renvoyait pas neacutecessairement au

Premier Moteur Immobile Neacuteanmoins bien que Merlan ne srsquointeacuteresse pas agrave la question de

savoir si le τἀκεῖ a une fonction motrice ou pas il lie les τἀκεῖ au Premier Moteur Immobile

en vertu des qualiteacutes qui leur sont attribueacutees Les τἀκεῖ sont dit dans le DC I 9 parfaitement

immobiles crsquoest-agrave-dire immuables inalteacuterables incorruptibles jouissant du plus grand des

biens parfaitement autonomes et divins Les caracteacuteristiques du τἀκεῖ sont celles que lrsquoon

retrouve pour qualifier le Premier Moteur Immobile dans la Meacutetaphysique Λ Fabienne

Baghdassarian souligne comme nous lrsquoavons vu que notre connaissance drsquoAristote nous

pousse agrave voir la theacuteorie du Premier Moteur un peu partout dans les textes drsquoAristote Il semble

56 Aristote Œuvres complegravetes 2014 p 2846-284757 Jaeger Aristote fondements pour une histoire de son eacutevolution1997 p311

70

alors que cette interpreacutetation de la part du Dumoulin soit quelque peu hacirctive en plongeant

dans lrsquoune des alternatives traditionnelles de lrsquointerpreacutetation du τἀκεῖ

Merlan quant agrave lui a bien conscience que le τἀκεῖ ne fait pas reacutefeacuterence agrave la sphegravere

des fixes ou agrave un corps ceacuteleste

It is true not all interpreters agree that with takei Aristotle designates divinities differentfrom the celestial bodies But (a) how could celestial bodies be ever described as ouk entopo (b) How could celestial bodies be described as above the uttermost locomotion (c)The parallels between the descriptions of the Unmoved Mover in Metaphysics Λ and thetakei in On the Heavens strongly suggest that the same entities are meant in bothpassages58

Il note que tous les interpregravetes ne sont pas drsquoaccord avec lrsquoideacutee que Aristote par

lrsquoutilisation de la notion de τἀκεῖ deacutesigne autre chose que les corps ceacutelestes Il pose alors

deux problegravemes agrave la theacuteorie drsquoune reacutefeacuterence ceacuteleste dans le but de la remettre en question

comment les corps ceacutelestes pourraient ecirctre deacutecrits comme eacutetant en dehors drsquoun lieu Et

comment les corps ceacutelestes peuvent ecirctre deacutecrits comme se trouvant au dessus du mouvement

le plus haut En effet lrsquoeacuteleacutement de lrsquoeacutether qui constitue le premier et second ciel crsquoest-agrave-dire

la sphegravere des fixes et le corps qui est dans la continuiteacute de la sphegravere des fixes forment un lieu

pour les corps ceacutelestes En drsquoautres termes les corps ceacutelestes se trouvent dans le ciel et la

derniegravere limite du ciel est la sphegravere des fixes donc aucun drsquoeux ne se trouve au-dessus de la

sphegravere des fixes Cet argument est eacutenonceacute par Cherniss59 et repris par Merlan Mais pourquoi

en est-on venu a penser malgreacute le contenu du De Caelo I 9 partie A que le τἀκεῖ eacutetait une

reacutefeacuterence agrave des ecirctres ceacutelestes Merlan signale comme nous lrsquoavons vu que de nombreux

interpregravetes comprennent cette notion comme eacutetant une reacutefeacuterence aux corps ceacutelestes en raison

de la maniegravere dont est deacutecrit le Moteur Immobile dans la Meacutetaphysique Λ et dans le ciel dans

De Caelo I 9 En effet le ciel est dit immuable inengendreacute inalteacuterable eacuteternel tout comme

est caracteacuteriseacute le Moteur Immobile

Mais Merlan note le pluriel de lrsquoexpression τἀκεῖ dans De Caelo I 9 et pour deacutesigner

les moteurs immobiles (ou ce qursquoil appelle les substances eacuteternelles sans matiegraveres) dans

Meacutetaphysique Λ 660 Crsquoest pourquoi plutocirct que de favoriser lrsquohypothegravese de la reacutefeacuterence

ceacuteleste du τἀκεῖ Merlan favorise celle drsquoune reacutefeacuterence aux moteurs immobiles En ce sens il

58 Merlan 1996 p1359 Cherniss 1944 p58760 Aristote Meacutetaphysique Λ 6 1071b20-23

71

se diffeacuterencie de la tradition habituelle qui voit dans le τἀκεῖ une reacutefeacuterence au Premier

Moteur Merlan nrsquoest donc ni en faveur de la position de drsquoAlexandre ni en faveur de celle de

Simplicius bien que celle-ci semble ecirctre plus proche de la sienne Il srsquoagit alors pour Merlan

dans le but de prouver que le τἀκεῖ correspond aux moteurs immobiles de prouver que la

theacuteologie drsquoAristote est polytheacuteiste et non monotheacuteiste Fabienne Baghdassarian dans son

article ne manque pas de noter que le Premier Moteur Immobile en tant qursquoil est une

substance unique en son genre ne coiumlncide pas vraiment avec le pluriel du τἀκεῖ du De Caelo

I 9 Merlan a bien conscience que le Premier Moteur Immobile en tant qursquoecirctre unique ne

peut pas rendre compte de lrsquoutilisation du pluriel pour deacutesigner ce qui se trouve au-delagrave de la

translation la plus exteacuterieure Crsquoest pourquoi il lui faut montrer que la theacuteologie

aristoteacutelicienne au grand dam des scolastiques est un polytheacuteisme et non un monotheacuteisme

Il se reacutefegravere agrave Meacutetaphysique Λ drsquoAristote et plus preacuteciseacutement au chapitre 6 dans lequel

Aristote affirme la chose suivante dans le but de montrer les raisons pour lesquelles les

scolastiques ont consideacutereacute la theacuteologie aristoteacutelicienne comme monotheacuteiste

In ch6 of Lambda Aristotle reminds us that there are three entities (or kinds of entities orrealities or substances or kinds of substance) Two of them are subject to change - therealm of perishable physical entities and the realm of imperishable physical entities iecelestial bodies But there must exist a realm of being (an entity a substance a reality)which is both imperishable and changeless How Aristotle proves this necessity doesntneed to detain us here - he in any case is satisfied that he did prove it However it isrelevant to stress that he quite particularly denies that the soul as conceived by Plato as aself-changer could be assumed to be the realm of being the existence of which he hasproved61

A la lecture du chapitre 6 ainsi que du chapitre 7 de Meacutetaphysique Λ Merlan nrsquoest pas

eacutetonneacute que les scolastiques voient Aristote comme un monotheacuteiste Il reacutesume alors briegravevement

le chapitre 7 il existe une substance eacuteternelle et immuable selon Aristote ce qui vient

appuyer lrsquoideacutee drsquoune theacuteologie monotheacuteiste Toutefois Merlan souligne que si agrave la lecture des

chapitre 6 et 7 cela semble eacutevident en reacutealiteacute crsquoest un veacuteritable problegraveme auquel les lecteurs

de la Meacutetaphysique ont affaire En effet le deacutebut du chapitre 8 de Λ pose une question de

clarteacute existe t-il une seule substance de ce type ou plusieurs Si plusieurs combien y en a-t-

il Aristote rappelle alors que le Premier Moteur Immobile qui est eacuteternel et sans

changement est le moteur drsquoun seul mouvement celui de la sphegravere des fixes ou du premier

61 Merlan opcit 1966 p3-4

72

ciel Le Premier Moteur Immobile nrsquoexplique donc pas le mouvement de tout ce qui est mucirc en

cercle drsquoun mouvement incessant notamment le mouvement circulaire des planegravetes dans la

mesure ougrave ce nrsquoest pas lui qui est agrave lrsquoorigine de leurs mouvements Aristote en conclut qursquoil

faut que chaque astre ait son moteur immobile Il se reacutefegravere alors aux theacuteories des astronomes

tel que Calippe et Eudoxe et arrive agrave la conclusion qursquoil existe cinquante-cinq sphegraveres qui

mettent en mouvement les astres Il reacutepond donc successivement aux questions suivantes y-

a-t-il une seule substance immuable et eacuteternelle ou plusieurs Et combien Merlan deacutefend la

thegravese qursquoil existe un moteur immobile pour chaque sphegravere il existerait alors cinquante-cinq

moteurs immobiles

Il semble alors qursquoAristote passe drsquoun monotheacuteisme agrave un polytheacuteisme En effet les

sphegraveres sont les moteurs du mouvement des astres elles sont donc parce qursquoelles mettent en

mouvement quelque chose de divin drsquoune nature divine agrave un plus haut degreacute Le problegraveme du

polytheacuteisme nrsquoest pas directement notre propos mais permet agrave Merlan de justifier la reacutefeacuterence

du τἀκεῖ au Moteur Immobile et non au Premier Moteur Immobile Toutefois la lecture de

Meacutetaphysique Λ 8 bien qursquoau deacutepart elle nous pousse dans la direction drsquoun polytheacuteisme

peut servir de contre-argument aux scolastiques pour prouver la supreacutematie du monotheacuteisme

En effet Aristote affirme apregraves avoir eacutevoqueacute lrsquoexistence de cinquante-cinq Moteurs

Immobiles qursquoil nrsquoy a qursquoun seul univers Supposons qursquoil y en ait plusieurs comme il y a

plusieurs individus Si tel eacutetait le cas alors chaque monde aurait un principe et chacun de ces

principes seraient de la mecircme espegravece bien que numeacuteriquement plusieurs Mais deux choses de

la mecircme espegravece ne peuvent se diffeacuterencier que par la matiegravere or le moteur immobile nrsquoa pas

de matiegravere il ne peut donc pas y en avoir plusieurs Aristote semble alors tour agrave tour changer

drsquoavis Il finit Meacutetaphysique Λ 8 par une reacutefeacuterence agrave la religion polytheacuteiste de son eacutepoque en

la critiquant sur sa dimension anthropomorphiste mais non pas sur sa theacuteorie de la pluraliteacute

des dieux

Meacutetaphysique Λ 8 semble constitueacute selon Merlan de trois sections La premiegravere et la

derniegravere deacutefendent une theacuteologie polytheacuteiste alors que la seconde deacutefend une theacuteologie

monotheacuteiste Il justifie ce changement de position par une mauvaise compreacutehension de la

seconde section En effet Aristote a montreacute qursquoil y avait cinquante-cinq moteurs immobiles

Il cherche donc a deacutefendre la theacuteorie des cinquante-cinq moteurs en prouvant qursquoil nrsquoy a

qursquoun seul monde il ne fait pas ccedila pour prouver qursquoil est impossible qursquoil y ait plus drsquoun

moteur A ce titre chaque moteur est diffeacuterent dans la mesure ougrave aucun nrsquoa de matiegravere ce qui

signifie qursquoil ne peut pas y avoir plusieurs moteurs drsquoune mecircme espegravece En outre il nrsquoexiste

73

effectivement qursquoun seul Premier Moteur Immobile mais cela nrsquoimplique pas qursquoil nrsquoexiste

pas un Second un Troisiegraveme un Quatriegravemehellip etc Moteur Immobile En drsquoautres termes il

nrsquoest pas impossible qursquoil y ait cinquante-cinq moteurs par contre il est impossible qursquoil y ait

cinquante-cinq premiers moteurs (ni mecircme deux) car ils nrsquoont pas de matiegravere donc ne

peuvent pas ecirctre un en espegravece et numeacuteriquement plusieurs Ce passage cherche donc agrave eacutetablir

lrsquouniciteacute du monde et non pas celle du dieu

Toutefois comme le dit Merlan cette justification de la continuiteacute de lrsquoopinion

drsquoAristote nrsquoest pas la seule Jaeger62 en formule une autre tregraves brillante Aristote apregraves la

mort de Platon aurait deacuteveloppeacute lrsquoideacutee drsquoun Moteur Immobile comme cause de tous les

mouvements de lrsquounivers et de cette ideacutee sont neacutes les chapitre 6 et 7 de la Meacutetaphysique Λ et

qui deacutefendent une theacuteologie monotheacuteiste Puis devenant familier avec les theacuteories drsquoEudoxe

et Calippe qui expliquent le mouvement des planegravetes par plusieurs moteurs diffeacuterents Aristote

deacutecide de modifier sa theacuteorie et ajoute agrave lrsquounique Moteur Immobile un nombre suffisant

drsquoautres Moteurs Immobiles Il reacutedige alors la section une et trois de Meacutetaphysique Λ 8 Mais

plus tard il apparaicirct des difficulteacutes au sujet de la theacuteorie de la pluraliteacute des moteurs comment

un ordre peut exister dans un monde ougrave il existe autant de moteurs immobiles Il eacutecrit alors la

section deux de Meacutetaphysique Λ 8 Apregraves la mort drsquoAristote les peacuteripateacuteticiens ont assembleacute

les eacutecrits drsquoAristote sous la forme de la Meacutetaphysique que nous connaissons Les eacutediteurs sont

alors responsables de la raison pour laquelle Aristote semble tantocirct ecirctre polytheacuteiste tantocirct

monotheacuteiste et ainsi de suite En inseacuterant le chapitre 8 entre le 7 et le 9 ils ont coupeacute

lrsquoargumentation car Jaeger propose de le retirer dans lrsquoideacutee que le chapitre 7 et 9 se suivent et

que le chapitre 8 est un tout coheacuterent avec lui-mecircme et non avec ce qui preacutecegravede et ce qui suit

Le passage du De Caelo I 9 est alors introduit dans ce deacutebat de la theacuteologie

aristoteacutelicienne polytheacuteiste ou monotheacuteiste dans le but de montrer lrsquoattitude qursquoAristote a

envers le polytheacuteisme Il suffit degraves lors de repenser la lecture du De Caelo I 9 au vu de ce que

Merlan affirmait plus haut lrsquoutilisation du pluriel montre qursquoAristote soutient lrsquoideacutee drsquoune

pluraliteacute de diviniteacutes puisque crsquoest au pluriel qursquoil fait reacutefeacuterence agrave des ecirctres se situant au-delagrave

du ciel

Puisqursquoil nrsquoeacutetait pas possible selon Merlan que le τἀκεῖ soit une reacutefeacuterence aux corps

ceacutelestes ou agrave la sphegravere des fixes et que le Premier Moteur Immobile du fait de son uniciteacute ne

respecte pas les indices textuels du De Caelo I 9 Merlan srsquoestime en droit de proposer une

interpreacutetation qui diverge des plus connues il est tout agrave fait envisageable qursquoAristote soit

polytheacuteiste et que par deacutefinition il deacutefende lrsquoideacutee drsquoune pluraliteacute de diviniteacutes De plus les

62 Jaeger 1924

74

τἀκεῖ sont qualifieacutes comme lrsquoest le Premier Moteur Immobile de sorte que lrsquoon peut eacutetablir

leur caractegravere divin sur la base de celui du Premier Moteur Outre cet argument si les corps

ceacutelestes sont deacutejagrave des ecirctres divins alors a fortiori ce qui les met en mouvement est encore

plus divin Nous pouvons alors identifier le τἀκεῖ comme eacutetant une reacutefeacuterence aux moteurs

immobiles divins et multiples

75

CONCLUSION

Nous avons tenteacute tout au long de ce meacutemoire de montrer qursquoil existait un problegraveme

drsquointerpreacutetation du De Caelo I 9 En effet ce passage tregraves obscur et tregraves riche fait appel agrave

une notion particuliegravere qui est celle du takei Cette notion semble faire reacutefeacuterence agrave une reacutealiteacute

qui se trouverait au-delagrave de la sphegravere des fixes la question que se pose Fabienne

Baghdassarian est donc de savoir si ce texte fait parti de ceux qui attestent de lrsquoexistence de

reacutealiteacutes de ce type Mais la lecture de lrsquoarticle de Fabienne Baghdassarian manifeste de

nombreux arguments qui sont soit en faveur de lrsquoideacutee que ce passage renvoie agrave des reacutealiteacutes

hypercosmiques soit en faveur de lrsquoideacutee drsquoune reacutefeacuterence ceacuteleste Ces arguments viennent

alors atteacutenuer lrsquoimpression premiegravere drsquoun texte portant sur des reacutealiteacutes qui se situeraient au-

dessus du ciel

Il srsquoagissait alors dans ce meacutemoire de montrer quels eacutetaient les arguments en faveur

de telle ou telle ideacutee et la maniegravere dont ils interagissaient entre eux afin de faire lrsquoeacutetat des

lieux drsquoun problegraveme existant depuis lrsquoAntiquiteacute et sur lequel malgreacute la preacutesence de theacuteorie

convaincante personne nrsquoarrive agrave srsquoentendre

Notre ligne directrice pour reacutepondre agrave ce problegraveme a eacuteteacute lrsquoeacutetude du De Caelo de

maniegravere geacuteneacuterale et du De Caelo I 9 de maniegravere plus preacutecise ainsi que la lecture de lrsquoarticle

de Fabienne Baghdassarian sur lrsquoidentiteacute des ecirctres de laquo lagrave-bas raquo A cela se sont ajouteacutes les

commentaires et interpreacutetations antiques puis modernes du problegraveme qui nous inteacuteressait

Comment en sommes-nous arriveacutes agrave nous poser la question de lrsquoidentiteacute du takei

Premiegraverement nous avons introduit les concepts aristoteacuteliciens ainsi que la conception du

cosmos aristoteacutelicienne Nous avons alors deacutefini quels eacutetaient les trois sens du mot ciel Selon

Aristote le ciel se dit de trois maniegraveres pour deacutesigner la substance qui se trouve sur la

circonfeacuterence la plus eacuteloigneacutee du centre Crsquoest eacutegalement le lieu du divin dans la mesure ougrave

son lieu est le plus haut Dans un second sens le ciel est la substance qui est dans la continuiteacute

de la limite la plus eacuteloigneacutee du ciel Enfin dans un troisiegraveme sens le ciel est compris comme

la totaliteacute ou le Tout enveloppeacute par la derniegravere circonfeacuterence De plus Aristote distingue deux

reacutegions dans sa conception du cosmos la reacutegion sublunaire qui se situe sous la Lune et qui

est soumis agrave la geacuteneacuteration et agrave la corruption et la reacutegion supralunaire qui se situe au-dessus

de la Lune et qui nrsquoest pas soumis agrave la geacuteneacuteration et agrave la corruption La distinction de ces deux

reacutegions du ciel permet lrsquoexplication des mouvements des corps dans chacune des reacutegions du

monde En effet dans le monde sublunaire les corps se meuvent de maniegravere rectiligne du

haut vers le bas ou du bas vers le haut en fonction de leur nature Les eacuteleacutements qui srsquoy

76

trouvent et qui composent les corps sont au nombre de quatre En revanche dans le monde

supralunaire il nrsquoexiste qursquoun seul eacuteleacutement qui constitue le ciel et ses parties Cet eacuteleacutement est

lrsquoeacutether et a un mouvement circulaire et eacuteternel du fait de sa nature Lrsquoeacutetude du mouvement

permet alors agrave Aristote de comprendre les raisons de la geacuteneacuteration et de la corruption la

corruption se produit dans les contraires ce qui signifie qursquoun corps se corrompt si et

seulement srsquoil possegravede un contraire Mais il nrsquoy a que les eacuteleacutements du monde sublunaire qui

ont un contraire selon Aristote crsquoest pourquoi lrsquoeacutether et les corps qursquoil constitue sont eacuteternels

et se meuvent drsquoun mouvement incessant

Le ciel en son troisiegraveme sens est compris comme ce qui enveloppe la totaliteacute Cela

signifie que tous les eacuteleacutements que nous avons eacutevoqueacute se trouvent dans le ciel Aristote tente

alors de prouver qursquoil nrsquoexiste qursquoun seul ciel en deacutefendant la position platonicienne du

Timeacutee En effet Platon dans le Timeacutee affirme que le monde est constitueacute de lrsquoensemble des

eacuteleacutements de sorte qursquoil ne puisse rien y avoir au-delagrave de celui-ci Aristote deacutefend la mecircme

theacuteorie en affirmant que le ciel est constitueacute de toute la matiegravere de telle sorte que rien drsquoautre

ne pourrait venir agrave ecirctre en dehors du ciel Il conclut alors il nrsquoexiste ni lieu ni vide ni temps

en dehors du ciel dans la mesure ougrave ce sont des proprieacuteteacutes des corps mateacuteriels

La question du takei srsquoest donc poseacutee dans le contexte de la preuve de lrsquouniciteacute du ciel

et de la non-existence drsquoun quelconque corps mateacuteriels en dehors de celui-ci Nous avons

alors analyseacute la fin du De Caelo I 9 Bien qursquoAristote affirme qursquoil nrsquoy a rien en dehors du

ciel il qualifie ce qui se trouve au-delagrave du ciel comme nrsquoeacutetant ni corporel ni dans un lieu et

eacutetant eacuteternel Finalement Aristote se reacutefegravere agrave des eacutecrits portant sur les ecirctres divins (theion) Le

problegraveme que nous avons donc rencontreacute eacutetait aussi celui de la correspondance entre la notion

de takei et celle de theion

Nous nous sommes alors inteacuteresseacutes aux positions de Simplicius et drsquoAlexandre

drsquoAphrodise Ces deux interpreacutetes antiques sont les ancecirctres des deux interpreacutetations que nous

avons suivre tout au long de notre propos Simplicius est le chef de file de ceux qui affirment

que le takei fait reacutefeacuterence au Premier Moteur Immobile crsquoest-agrave-dire agrave quelque chose qui se

trouve au-delagrave du ciel Quant agrave Alexandre il est le chef de file de ceux qui affirment que le

takei fait reacutefeacuterence agrave la sphegravere des fixes donc agrave quelque chose qui se trouve dans le ciel Ces

interpreacutetations sont les deux alternatives principales et traditionnelles du problegraveme du takei

Elles sont comme nous venons de le dire suivies par une longue tradition agrave laquelle les

interpregravetes modernes pour la plupart participent Donc apregraves avoir vu les interpreacutetations

possibles durant lrsquoAntiquiteacute nous nous sommes inteacuteresseacutes aux interpreacutetations modernes

77

Puisque lrsquoenjeu de notre propos eacutetait de faire lrsquoeacutetat des lieux du problegraveme du takei tout

en rendant compte des arguments en faveur de telles ou telles ideacutees nous avons proceacutedeacute de

maniegravere theacutematique en confrontant les interpregravetes Dans un premier temps nous avons

confronteacute Dumoulin et Moraux Dumoulin comprend le takei comme se reacutefeacuterant agrave quelque

chose se situant au dessus du ciel Il justifie sa thegravese en affirmant qursquoil existe une discontinuiteacute

au sein du texte drsquoAristote Aristote se reacutefeacutererait tantocirct agrave des reacutealiteacutes hypercosmiques tantocirct agrave

des reacutealiteacutes ceacutelestes en faisant lrsquoeacuteloge du mouvement circulaire des corps ceacutelestes dans le but

de montrer que ce qui est supeacuterieur au ciel est encore plus divin Moraux quant agrave lui refuse

lrsquoideacutee drsquoune discontinuiteacute dans lrsquoargumentation sous preacutetexte qursquoelle implique qursquoil faille

accepter lrsquoideacutee qursquoAristote change brusquement de sujet Il affirme alors que le texte est

continu et traite drsquoun bloc de reacutealiteacutes ceacutelestes se situant sur la sphegravere des fixes et non au-delagrave

Dans un second temps nous avons confronteacute Mugnier et Solmsen sur la question du lieu

Mugnier affirme que lrsquoabsence de lieu en dehors du ciel expliqueacutee par Aristote dans le DC

implique que les takei ne peuvent pas se trouver en dehors du ciel puisqursquoils ne seraient pas

dans un lieu alors mecircme qursquoils sont deacutesigneacutes comme eacutetant laquo lagrave-bas raquo crsquoest-agrave-dire dans un lieu

Pour Solmsen lrsquoabsence de lieu de temps et de corps sont les caracteacuteristiques essentielles de

ce que sont les takei Ces caracteacuteristiques semblent ecirctre les mecircmes que celles accordeacutees au

Premier Moteur Immobile dans la Meacutetaphysique

Finalement nous sommes sortis de cette tradition interpreacutetative en nous tournant vers

des thegraveories plus originales notamment celle de Peacutepin et de Merlan En effet Peacutepin affirme

que le takei fait reacutefeacuterence agrave lrsquoeacutether hypercosmique En effet il note qursquoil existe plusieurs

doxographies qui font lrsquoeacutetat drsquoun eacutether hypercosmique chez Aristote toutefois nous nrsquoavons

aucune trace de ces textes Il essaie alors de faire correspondre le De Caelo I 9 agrave ces

doxographies pour en faire une partie manifestant lrsquoexistence drsquoun divin existant au-delagrave du

ciel et qui serait un eacutether hypercosmique Pour Merlin le takei serait une reacutefeacuterence non pas au

Premier Moteur Immobile ou agrave la sphegravere des fixes mais aux Moteurs Immobiles En effet

Merlan soutient la theacuteorie qursquoAristote est un polytheacuteiste qui nrsquoa pas accordeacute la diviniteacute agrave un

seul ecirctre mais agrave une multitudes drsquoecirctres qui seraient agrave lrsquoorigine des mouvements des corps

ceacutelestes Il nous est alors permis par le biais de Merlan et de Peacutepin de sortir de la tradition

habituelle de lrsquointerpreacutetation du takei en proposant des lectures originales et nouvelles des

œuvres aristoteacuteliciennes

Les diverses interpreacutetations que nous avons pu rencontreacute mettent en perspective les

difficulteacutes de la compreacutehension des thegraveses aristoteacutelicienne leurs places chronologiques et

philosophiques dans la vie drsquoAristote dans la mesure ougrave elles posent la question de la

78

chronologie des œuvres aristoteacutelicienne du rapport que la philosophie aristoteacutelicienne peut

entretenir avec la philosophie platonicienne et introduisent finalement des œuvres

aristoteacuteliciennes perdues voire inconnues

79

BIBLIOGRAPHIE

Auteurs antiques

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80

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SOLMSEN F laquo Beyond the Heavens raquo Museum Helveticum 33 1976 p24-32

81

  • INTRODUCTION
  • Chapitre 1 Le De Caelo I 9 problegravemes lectures et analyses
    • 11 Aristote et le ciel
      • 111 Les trois sens du mot ciel
      • 112 Le corps du ciel lrsquoeacuteleacutement divin et le mouvement du corps ceacuteleste
        • 12 Platonisme et aristoteacutelisme sur lrsquouniciteacute du monde Du Timeacutee au De Caelo I 9
          • 121 Lrsquouniciteacute du monde dans le Timeacutee de Platon
            • 122 Aristote en De Caelo I 9 analyse des arguments en faveur de la pluraliteacute des cieux pour deacutefendre la theacuteorie platonicienne de lrsquouniciteacute du monde
              • 123 Aristote en De Caelo I 9 arguments aristoteacuteliciens en faveur de lrsquouniciteacute du ciel
                  • Chapitre 2 Deacutebat sur la question des ecirctres de laquo lagrave-bas raquo durant lrsquoAntiquiteacute Aristote agrave Simplicius
                    • 21 Compreacutehension antique du laquo τἀκεῖ raquo du De Caelo au commentaire de Simplicius
                    • 211 τἀκεῖ De Caelo I 9 279a15-b3
                    • 222 Le commentaire perdu drsquoAlexandre possibles reacuteponses au problegraveme du laquo τἀκεῖ raquo
                    • 213 Compreacutehension et hypothegravese de Simplicius sur les ecirctres de lagrave-bas
                      • Chapitre 3 Interpreacutetations modernes du De Caelo I 9 La question du τἀκεῖ premier moteur reacutealiteacutes hyper-cosmiques ou sphegravere des fixes reacutealiteacutes ceacutelestes
                        • 31 Le problegraveme de la continuiteacute argumentative du Livre I 9
                          • 311 La discontinuiteacute du sujet en faveur de la transcendance du τἀκεῖ
                          • 312 La continuiteacute du sujet en faveur des reacutealiteacutes ceacutelestes
                            • 32 Le lieu des corps ceacutelestes lrsquoabsence de lieu du τἀκεῖ
                              • 321 Lrsquoabsence de lieu en faveur de la reacutefeacuterence ceacuteleste
                              • 322 Lrsquoabsence de lieu comme caracteacuteristique drsquoun ecirctre transcendant le ciel
                                • 33 Deacutepassement des deux alternatives traditionnelles de lrsquointerpreacutetation du takei
                                  • 331 Lrsquoeacutether hypercosmique de Peacutepin
                                  • 3 3 2 La theacuteorie des Moteurs Immobiles une variante originale de la reacutefeacuterence au Premier Moteur Immobile
                                      • CONCLUSION
                                      • BIBLIOGRAPHIE
Page 7: Débat sur la question des êtres de là-bas de l'Antiquité à

deacutecouperons ce texte de la mecircme maniegravere qursquoelle et nommerons dans lrsquoordre des paragraphes

ces quatre parties 0 A B et C

Il est en mecircme temps clair qursquoil nrsquoy a ni lieu ni vide ni temps en dehors du ciel En toutlieu en effet il est possible qursquoil existe un corps et lrsquoon dit que le vide est ce en quoi ilnrsquoy a pas de corps mais ougrave il est possible qursquoil en vienne un quant au temps crsquoest lenombre drsquoun mouvement et il nrsquoexiste pas de mouvement sans corps naturel Or on amontreacute qursquoen dehors du ciel il nrsquoy a pas et il ne peut pas y avoir de corps Il est doncmanifeste qursquoen dehors de lui il nrsquoy a ni lieu ni vide ni temps

Crsquoest pourquoi les ecirctres de lagrave-bas par nature nrsquoont ni lieu ni temps qui les fasse vieillir etil nrsquoy a pas non plus aucun changement pour les ecirctres qui sont disposeacutes au-dessus de latranslation la plus exteacuterieure inalteacuterables et impassibles ils ont la meilleure et la plusautonome des vies qursquoils megravenent pour toute sa dureacutee

Les Anciens en effet ont divinement parleacute en choisissant ce nom car le terme quienveloppe le temps de la vie de chacun hors duquel on nrsquoest rien selon la nature a eacuteteacuteappeleacute laquo dureacutee de vie raquo de chacun Et pour la mecircme raison le terme du ciel tout entier luiaussi crsquoest-agrave-dire le terme qui enveloppe le temps tout entier et lrsquoinfiniteacute est une dureacuteequi tire son appellation du fait drsquoexister toujours immortelle et divine De lagrave deacutependentpour les autres ecirctres pour les uns de maniegravere plus exacte pour les autres de maniegravere plusindistincte lrsquoecirctre et la vie

Et par exemple dans les travaux de philosophie destineacutes au grand public portant sur lesecirctres divins on deacuteclare souvent en srsquoappuyant sur des raisonnements que tout ecirctre divineacutetant premier et au-dessus des autres est neacutecessairement immuable Qursquoil en aille ainsiteacutemoigne en faveur de ce que nous avons dit En effet il nrsquoy a rien drsquoautre de plus fort quipuisse mouvoir cet ecirctre divin car cela serait plus divin que lui il nrsquoest en riendeacutefectueux et il ne manque drsquoaucun des biens qui lui appartiennent en propre4

Cette coupure du texte montre bien le problegraveme auquel fait face Fabienne

Baghdassarian dans sa lecture si la partie A qui correspond au premier paragraphe semble

naturellement porteacutee sur des ecirctres qui nrsquoont ni lieu ni temps ni corps et qui se situent au-delagrave

de la derniegravere circonfeacuterence du ciel il nrsquoen est pas de mecircme pour la partie B qui correspond

au second paragraphe et la partie C qui correspond au troisiegraveme paragraphe La partie B

introduit lrsquoeacutetymologie du mot grec aion qui se traduit par la dureacutee dans le but de montrer que

lrsquoon peut justifier lrsquoemploi du terme drsquoaion pour deacutesigner le divin Finalement la partie C

apparaicirct comme eacutetant un eacuteloge de lrsquoeacuteterniteacute et de la perfection du corps qui se meut en cercle

puisqursquoAristote affirme que rien nrsquoest plus parfait et plus puissant que lui de sorte que rien ne

peut le mettre en mouvement En drsquoautres termes le corps qui se meut en cercle nrsquoest mucirc par

4 Ibid 279a18-b3

6

rien drsquoautre que lui-mecircme Aristote dans ce texte semble tantocirct prendre pour objet des ecirctres

qui se situent au-delagrave du ciel tantocirct prendre pour objet le corps qui se meut en cercle Le

problegraveme se pose au sujet de lrsquoargumentation geacuteneacuterale en effet la partie A porte sur les takei

qui semblent se situer en dehors du ciel nous lrsquoavons vu alors que la partie C porte sur le

corps ceacuteleste qui se meut en cercle Le contenu de la partie A nrsquoest pas contredit par le

contenu de la partie C toutefois les interpregravetes ignorent si le takei en partie A fait reacutefeacuterence

au divin deacutecrit dans la partie C

Lrsquoarticle de Fabienne Baghdassarian se donne alors comme projet une eacutetude des

interpregravetes sur la question du takei et de son identiteacute Un tel deacutecoupage de texte lui permet

drsquoorganiser son propos en diffeacuterents moments Elle srsquointeacuteresse dans un premier temps agrave la

partie A en confrontant les opinions et les diverses interpreacutetations Fabienne Baghdassarian

cartographie alors le premier type de problegraveme que pose cette partie la traduction et le sens

du geste aristoteacutelicien Certains traduisent huper5 par laquo au-dessus raquo drsquoautres comme Moraux

optent pour la traduction laquo sur raquo A cette question de traduction se mecircle une question de

lexique le terme huper deacutesigne-t-il veacuteritablement ce qui est sur quelque chose Lrsquoauteur de

cet article affirme qursquoAristote est plus enclin agrave utiliser en que uper pour deacutesigner ce qui se

trouve sur la sphegravere des fixes Pour ce qui est du geste drsquoAristote il est compliqueacute de

deacuteterminer quel est lrsquoobjet de ce passage dans la mesure ougrave il attribue positivement un lieu agrave

ce qui ne peut pas en avoir en les deacuteterminant comme se trouvant laquo lagrave-bas raquo crsquoest-agrave-dire

quelque part Fabienne Baghdassarian preacutefegravere voir dans lrsquoutilisation de ces termes qui

deacutesignent un lieu la deacutesignation de ce qui ne se trouve pas dans un lieu dans le but de

souligner sa transcendance au lieu qursquoest le ciel

Dans un second temps Fabienne Baghdassarian montre que la partie B atteacutenue

grandement lrsquoimpression premiegravere drsquoune reacutefeacuterence agrave un ecirctre transcendant le ciel En effet

lrsquoeacutetymologie de lrsquoaion agrave laquelle se reacutefegravere Aristote est aei on qui signifie laquo qui est toujours raquo

Aristote compare alors la vie humaine qui a une fin qui permet de quantifier la dureacutee agrave la vie

du ciel qui lui nrsquoen a pas Ainsi Fabienne Baghdassarian note que lrsquoeacutetymologie de la dureacutee

nrsquoest pas sans rappeler celle de lrsquoeacutether dans le De Caelo I 3 Lrsquoeacutether est lrsquoeacuteleacutement du monde

supralunaire qui compose les astres et le ciel il est de nature divine et a un mouvement eacuteternel

circulaire En ce sens lrsquoeacutether tient son appellation du fait qursquoil court toujours sans srsquoarrecircter

Ce rapprochement entre lrsquoeacutetymologie de lrsquoaion et celle de lrsquoeacutether pousse alors lrsquoauteur agrave

opeacuterer une atteacutenuation dans lrsquoimpression premiegravere de sa lecture il semblerait qursquoAristote a

deacutesormais pris le ciel et les astres composeacutes drsquoeacutether pour objet

5 Ibid 279a20

7

Finalement dans la partie C il est explicitement fait mention du corps qui se meut en

cercle le ciel Ainsi Fabienne Baghdassarian se pose la question de savoir srsquoil est

envisageable qursquoAristote sans crier gare change de sujet ou srsquoil ne parlait depuis le deacutebut

que du ciel et des astres Lrsquoauteur de cet article propose alors de joindre lrsquoensemble du texte

en affirmant qursquoil est possible qursquoAristote reacutecapitule dans la partie C lrsquoensemble de son

argumentation en mettant sur le plan du divin la totaliteacute de son discours dans le sens ougrave il

hieacuterarchise les divins En ce sens la partie A deacutesignerait des reacutealiteacutes transcendantes mais

divines au mecircme titre que lrsquoest le corps qui a un mouvement de translation Pour ce qui est de

lrsquoeacutetymologie de lrsquoaion elle aurait servi agrave montrer la neacutecessiteacute que le mouvement du ciel est

eacuteternel

Cet article de Fabienne Baghdassarian sera le point de deacutepart de notre propos mais le

geste sera quelque peu diffeacuterent du sien En effet Fabienne Baghdassarian par lrsquoanalyse

geacuteneacuterale du passage du De Caelo I 9 qui nous inteacuteresse parvient agrave faire sortir les problegravemes

drsquoordre lexical grammatical deacutefinitionnel et argumentatif pour nous transmettre un panorama

assez large de ce qui gecircne la compreacutehension de la notion de takei Si drsquoune part son travail

nous permet de prendre conscience des problegravemes que pose la notion de takei sans parvenir agrave

nous fournir une reacuteponse trancheacutee de la question de son identiteacute drsquoautre part il nous permet

de prendre conscience des innombrables thegraveses et interpreacutetations possibles des diffeacuterents

traducteurs et commentateurs drsquoAristote Ce que nous ferons sera alors dans la continuiteacute de

ce travail mais plutocirct que de nous contenter de restituer les thegraveses des commentateurs et

interpregravetes nous deacutetaillerons lrsquoargumentation que tiennent ces commentateurs et interpregravetes

Nous ne chercherons pas lrsquoexhaustiviteacute des interpreacutetations en effet nous nous inteacuteresserons

aux arguments de celles que nous traiterons Notre but sera donc de comprendre le contexte

des thegraveses des interpregravetes sur la question du takei et la raison pour laquelle ils en viennent agrave

telle ou telle conclusion Il srsquoagira alors pour nous de faire lrsquoeacutetat des lieux de ce deacutebat en

restituant les problegravemes que pose le texte mecircme ainsi que les problegravemes que posent les

commentateurs et la maniegravere dont ils les traitent pour deacutefendre leurs interpreacutetations

Nous proceacutederons de maniegravere analytique historique mais aussi theacutematique Crsquoest-agrave-

dire que nous proposons drsquoorganiser notre propos en trois grands moments 1) Le De Caelo I

9 problegravemes lectures et analyses 2) Deacutebat sur la question des ecirctres de lagrave-bas durant

8

lrsquoAntiquiteacute drsquoAristote agrave Simplicius 3) Interpreacutetations modernes du De Caelo I 9 La question

du τἀκεῖ premier moteur reacutealiteacutes hyper-cosmiques ou sphegravere des fixes reacutealiteacutes ceacutelestes

Le premier moment est un moment quelque peu introductif dans la mesure ougrave il est

essentiellement constitueacute dans son ensemble drsquoune lecture du De Caelo I et de la theacuteorie du

mouvement des corps selon le milieu Cette explication est une eacutetape importante selon nous

srsquoil est question du takei dans ce chapitre crsquoest dans un certain contexte argumentatif Il nous

faut alors preacutesenter ce contexte argumentatif dans lrsquointeacuterecirct de comprendre pourquoi cette

notion est si complexe et sujette aux deacutebats Ce moment que lrsquoon juge comme eacutetant

analytique nous permettra de nous familiariser avec le lexique aristoteacutelicien et la conception

aristoteacutelicienne de lrsquounivers cela dans le but de manifester les problegravemes que pose

lrsquoapparition de lrsquoexpression takei Nous verrons alors les trois sens qursquoAristote accorde au mot

laquo ciel raquo Nous nous inteacuteresserons ensuite agrave la composition eacuteleacutementaire de ce corps que lrsquoon

appelle le laquo ciel raquo et qui par lrsquoeacuteleacutement divin qui le compose a un mouvement circulaire et

eacuteternel Il srsquoagira ensuite drsquoexpliquer lrsquoargumentation geacuteneacuterale du texte dans lequel apparaicirct la

notion de takei et qui porte sur lrsquouniciteacute de lrsquounivers Pour lrsquoexpliquer nous nous tournerons

drsquoune part vers un argument proposeacute par Platon dans le Timeacutee puis sur lrsquoutilisation

qursquoAristote en fait pour prouver lrsquoexistence drsquoun seul et unique ciel

Le second moment consistera alors en une restitution des thegraveses respectives

drsquoAlexandre drsquoAphrodise et de Simplicius sur lrsquointerpreacutetation de ce passage fort obscur du De

Caelo I 9 dans lequel surgit la notion de takei Nous avons choisi drsquoeacutetudier ces deux

commentateurs dans la mesure ougrave ils sont tous deux agrave lrsquoorigine drsquoune logique binaire de

lrsquointerpreacutetation du texte qui nous inteacuteresse En effet Simplicius est devenu le chef de file de

ceux qui comprennent lrsquoexpression takei comme eacutetant une reacutefeacuterence agrave un ecirctre transcendant le

ciel et plus preacuteciseacutement au Premier Moteur Immobile alors qursquoAlexandre drsquoAphrodise est le

chef de file de ceux qui comprennent le takei comme eacutetant ceacuteleste et plus preacuteciseacutement

comme eacutetant une reacutefeacuterence agrave la sphegravere des fixes Nous commenterons donc lineacuteairement le

passage 279a15-b3 du De Caelo pour comprendre la complexiteacute de cet extrait Ensuite nous

nous inteacuteresserons aux fondements des interpreacutetations drsquoAlexandre drsquoAphrodise et Simplicius

au sujet du takei

Enfin dans le troisiegraveme et dernier moment de notre propos nous exposerons diverses

positions sur la question en explicitant le deacutebat qui les oppose Les positions deacutefendues seront

celles de commentateurs et interpregravetes modernes En effet nous avons choisi de proceacuteder de

maniegravere historique en deacutebutant par les interpreacutetations antique du texte pour ensuite en arriver

aux interpreacutetations modernes Nous proceacutederons de maniegravere theacutematique en choisissant deux

9

angles drsquoattaques diffeacuterents Drsquoabord nous nous preacutesenterons deux interpreacutetations qui

srsquointeacuteressent agrave la continuiteacute (ou discontinuiteacute) du texte en explicitant les arguments qui

favorisent lrsquoideacutee drsquoune reacutefeacuterence agrave un ecirctre transcendant ou agrave un ecirctre ceacuteleste Ensuite nous

exposerons des interpreacutetations qui mettent lrsquoaccent sur le lieu dans la philosophie

aristoteacutelicienne via les œuvres de Mugnier et de Solmsen Enfin nous sortirons de cette

logique binaire en nous tournant vers deux interpreacutetations qui nrsquoidentifient le takei ni avec la

sphegravere des fixes ni avec le Moteur immobile Il srsquoagira des thegraveses de Peacutepin selon laquelle le

takei renvoie agrave lrsquoeacutether hypercosmique et celle de Merlan selon laquelle il est question des

Moteurs Immobiles

10

Chapitre 1 Le De Caelo I 9 problegravemes lectures etanalyses

11

11 Aristote et le ciel

111 Les trois sens du mot ciel6

Le traiteacute Du Ciel drsquoAristote est une œuvre embleacutematique du corpus aristoteacutelicien et

occupe la seconde place apregraves la Physique dans lrsquoensemble des ouvrages aristoteacuteliciens de

science physique Ce traiteacute apregraves la mort drsquoAristote a veacutehiculeacute une image particuliegravere du

cosmos qui est la sienne jusqursquoagrave lrsquoarriveacutee des nouvelles theacuteories cosmologiques et

scientifiques de la Renaissance

Une reacuteflexion est possible agrave partir mecircme du titre de cette œuvre Il est premiegraverement

important de noter que les reacutefeacuterences au De Caelo sont tregraves peu nombreuses dans le corpus

drsquoAristote mais qursquoen plus de cela il ne srsquoy reacutefegravere jamais via cette appellation Nous sommes

alors en droit de nous demander ce que signifie ce titre probablement choisi par un autre

individu qursquoAristote Il apparaicirct comme eacutevident agrave premiegravere vue que le ciel est lrsquoobjet de ce

traiteacute de physique

Nous avons donc traiteacute plus haut du premier ciel et de ses parties ainsi que des astres quisont transporteacutes agrave lrsquointeacuterieur de lui de leurs composantes et de leurs qualiteacutes naturelleset en outre de leur caractegravere ingeacuteneacuterable et incorruptible

Il est important de noter que les deux premiers livres prennent pour objet le monde

supralunaire ou encore le monde au dessus de la Lune crsquoest-agrave-dire le monde ceacuteleste et divin

Quant aux deux derniers livres ils srsquointeacuteressent plutocirct au monde sublunaire ou monde en

dessous de la Lune crsquoest-agrave-dire le monde physique qui est le nocirctre et est explicable par les

quatre eacuteleacutements naturels que sont le feu lrsquoair lrsquoeau et la terre qui le constituent

Nous pouvons alors imaginer gracircce agrave ces informations que le traiteacute Du ciel tel que

nous lrsquoavons entre les mains aujourdrsquohui est une recomposition de deux traiteacutes distincts lrsquoun

portant sur le monde supralunaire lrsquoautre portant sur le monde sublunaire Ce paragraphe

drsquointroduction permet drsquoaffirmer que les deux premiers livres sont agrave distinguer des deux

derniers Mais ce problegraveme nrsquoest pas notre prioriteacute Aussi nous nous inteacuteresserons

principalement aux deux premiers livres qui prennent le ciel pour objet Ce qursquoon appellera

comme eacutetant la laquo premiegravere partie raquo du traiteacute du Ciel sera lrsquoensemble des livres I et II et seront

ceux qui feront en partie lrsquoobjet et le fondement de notre reacuteflexion et de ce meacutemoire

6 Ibid 278b10-25

12

Toutefois nous nous devons drsquoecirctre preacutecis dans notre lecture de ce deacutebut du troisiegraveme

livre En effet il est affirmeacute ici que la premiegravere partie de lrsquoœuvre portait sur laquo le premier ciel

et ses parties raquo7 Mais qursquoest-ce que laquo le premier ciel raquo Et srsquoil y a un premier ciel y en a-t-

il un deuxiegraveme Un troisiegraveme

Pour reacutepondre agrave cette question il nous faut drsquoabord souligner la meacutethode explicative

qursquoutilise Aristote En effet Aristote accorde une importance capitale agrave la deacutefinition des

termes le philosophe est pour Aristote celui qui sait de quoi il parle et sur quel plan il se

place quand il parle Lorsqursquoil utilise un terme ambigu il se doit de lever lrsquoambiguiumlteacute qui

regravegne en deacutefinissant les termes de son propos Crsquoest ainsi que lrsquoon trouve dans le chapitre 9

du livre I une explication des sens du mot laquo ciel raquo comme moment de clarification de ce dont

on parle drsquoune part et drsquoautre part comme moment de lrsquoexplicitation de la meacutethode

aristoteacutelicienne

Disons drsquoabord ce que nous entendons par laquo ciel raquo et combien de sens nous donnons agrave cemot pour que ce que nous cherchons nous devienne plus clair En un sens on appellelaquo ciel raquo la substance de la derniegravere circonfeacuterence du Tout crsquoest-agrave-dire le corps naturel quiest sur la derniegravere circonfeacuterence du Tout Car nous avons coutume de nommer laquo ciel raquolrsquoextreacutemiteacute ndash ce qui est le plus haut ndash dans laquelle reacuteside tout ce qui est divin8

Ce qui deacutefinit le ciel en ce premier sens est ce qui est le plus haut Le cosmos

aristoteacutelicien se repreacutesente sous forme de plusieurs cercles concentriques qui repreacutesentent

drsquoune part des translations sur lesquelles sont poseacutees des astres et drsquoautre part des lieux (le

lieu du mouvement circulaire le lieu du mouvement rectiligne) et le ciel est ce qui est le plus

haut crsquoest-agrave-dire ce qui se situe sur la circonfeacuterence la plus eacuteloigneacutee du centre Aristote

deacutefend une conception geacuteo-centriste du monde il considegravere que ce qui est au centre du

monde est la Terre Donc le ciel est le corps qui est par nature le plus haut En ce sens on le

nommera le laquo premier ciel raquo Mais qursquoest-ce que ce corps Aristote le preacutesente comme eacutetant

une substance une substance est ce qui ne se dit de rien et nrsquoest dans aucun sujet9 en drsquoautres

termes une substance est un ecirctre autonome qui ne deacutepend de rien drsquoautre que de lui-mecircme

pour ecirctre Cette substance est eacutegalement nommeacutee agrave plusieurs reprises dans les œuvres

drsquoAristote sphegravere des fixes Le corps qui se trouve sur la derniegravere circonfeacuterence du Tout est

ce qui est une substance au sens le plus noble et parfait Nous pouvons alors comprendre au

7 Le premier ciel eacutetant lrsquoappellation courante de la sphegravere des fixes crsquoest-agrave-dire lrsquoextreacutemiteacute du ciel 8 ARISTOTE opcit p143-1459 ARISTOTE Les cateacutegories II 2001 Traduction par Bodeuumls

13

travers de cette premiegravere deacutefinition du ciel que la substance dont on parle est constitueacutee de

matiegravere mais pas de nrsquoimporte quelle maniegravere de la plus noble et la plus divine celle-ci

eacutetant lrsquoeacutether nous y reviendrons plus tard Ainsi le ciel en ce sens est un ecirctre corporel la

circonfeacuterence la plus eacuteloigneacutee qui englobe quelque chose drsquoautre qui est nommeacute le laquo Tout raquo

Dans un second sens et agrave la suite de cette premiegravere deacutefinition le ciel est deacutefini comme suit

En un autre sens crsquoest le corps en continuiteacute avec la derniegravere circonfeacuterence du Tout ougrave setrouvent la Lune le Soleil et certains astres car nous disons drsquoeux aussi qursquoils sont dansle ciel10

Ce nouveau sens du mot ciel nous permet de saisir une nouvelle dimension de celui-

ci en effet le ciel nrsquoest pas seulement dit de ce qui englobe quelque chose qui est le laquo Tout raquo

il est aussi dit qursquoil est le corps11 qui est dans la continuiteacute de la sphegravere des fixes crsquoest-agrave-dire

qursquoil est dans la continuiteacute de la circonfeacuterence la plus eacuteloigneacutee qui englobe le laquo Tout raquo et

qursquoon appelle eacutegalement ciel

Cela est justifiable dans la mesure ougrave comme lrsquoaffirme Aristote nous disons des astres

que sont la Lune le Soleil qursquoils sont dans le ciel or ces astres ne se trouvent pas sur la

derniegravere circonfeacuterence du Tout Le ciel ne peut donc pas ecirctre seulement le corps qui est sur

lrsquoextreacutemiteacute de la circonfeacuterence la plus eacuteloigneacutee sinon on ne pourrait pas dire que la Lune et le

Soleil (ainsi que drsquoautres astres) sont dans le ciel Dans un troisiegraveme et dernier sens toujours agrave

la suite des deux premiegraveres deacutefinitions du ciel Aristote affirme que le ciel se dit du Tout

enveloppeacute par la derniegravere circonfeacuterence

De plus en un autre sens on appelle laquo ciel raquo le corps enveloppeacute par la derniegravere circonfeacuterence car nous avons coutume drsquoappeler laquo ciel raquo la totaliteacute ou le Tout12

Cette deacutefinition fait eacutecho aux quelques lignes introductives du livre III Puisque les

deux premiers livres du traiteacute Du ciel portaient sur laquo le premier ciel et ses parties raquo alors il

est possible drsquoaffirmer que le Tout est lrsquoensemble de ce qui est enveloppeacute par la sphegravere des

10 ARISTOTE opcit p143-14511 Le corps naturel du ciel est lrsquoeacutether 12 ARISTOTE opcit p143-145

14

fixes En drsquoautres termes le Tout qursquoest le ciel est la totaliteacute du corps et de ce qui le compose

qui est enveloppeacutee par le premier ciel

112 Le corps du ciel lrsquoeacuteleacutement divin et le mouvement du corps ceacuteleste

Maintenant que nous avons vu par le biais du De Caelo I 9 les trois sens qursquoAristote

accorde au mot laquo ciel raquo nous pouvons nous inteacuteresser agrave lrsquoessence mecircme du ciel et agrave celle des

parties qui le composent En plus de chercher agrave comprendre de quoi le ciel est constitueacute nous

reviendrons sur lrsquoeacuteleacutement qursquoest lrsquoeacutether invoqueacute plus haut et sur le mouvement naturel des

corps ceacutelestes

De Caelo I 2 est une tentative argumenteacutee de montrer que le corps qui se meut en

cercle est diffeacuterent drsquoun autre type de corps le corps dont le mouvement est rectiligne

Aristote dans ce chapitre du De Caelo affirme premiegraverement que tous les corps naturels

crsquoest-agrave-dire les corps qui sont faits drsquoeacuteleacutements naturels peuvent se mouvoir selon le lieu et

que ce mouvement selon le lieu srsquoappelle le laquo transport raquo Ce transport se fait soit de maniegravere

rectiligne soit de maniegravere circulaire ou alors de ces deux faccedilons agrave la fois

Tout mouvement selon le lieu (que nous appelons transport) est soit rectiligne soit circulaire soit un meacutelange des deux Car ce sont lagrave les deux formes simples [hellip] Le transport en cercle est celui qui a lieu autour du centre le transport rectiligne celui qui a lieu vers le haut ou vers le bas

Il nrsquoexiste ainsi que deux types de mouvement simple pour les corps simples Aristote appelle

les corps simples les eacuteleacutements naturels Leurs mouvements possibles sont rectilignes ou

circulaires Le corps qui se meut en ligne est le corps simple qui a un mouvement simple soit

vers le centre13 soit agrave partir du centre14 Le corps qui se meut en cercle est le corps simple qui

a un mouvement autour du centre Mais quels sont les arguments preacutecis qui deacutefendent que le

corps mucirc en cercle est simple Et quel est donc ce corps qui se meut en cercle Telles sont

les questions auxquelles nous allons reacutepondre ici dans le but de comprendre la nature du corps

simple mucirc en cercle puis de saisir sa composition

13 Vers le bas14 Vers le haut

15

Nous lrsquoavons dit le corps simple est celui qui a un mouvement selon sa nature Le feu aura

donc un mouvement qui va vers le haut alors que la terre aura un mouvement qui va vers le

centre Selon le cosmos aristoteacutelicien et la physique aristoteacutelicienne le corps qui est composeacute

de lrsquoeacuteleacutement naturel qui est la terre sera le plus pesant et aura un lieu naturel preacutecis Il est

important de preacuteciser que chaque eacuteleacutement possegravede un lieu naturel vers lequel il tend

naturellement agrave ecirctre et agrave rester et un lieu contre-naturel dans lequel il est de maniegravere contre-

naturelle La notion de lieu naturel ou de lieu contre-naturel est centrale dans lrsquoexplication du

mouvement chez Aristote le corps composeacute de terre sera le plus pesant et son lieu naturel

sera le bas ainsi il aura un mouvement rectiligne vers le centre Le corps composeacute de feu

quant agrave lui et parce que le feu est lrsquoeacuteleacutement qui nrsquoa aucune pesanteur a un mouvement

rectiligne qui part du centre et va vers le haut On comprend alors que ce qui deacutetermine le

mouvement du corps simple qui se meut de maniegravere rectiligne est ce qui le compose crsquoest-agrave-

dire sa nature Il en va de mecircme pour le corps simple qui se meut en cercle Mais avant drsquoy

venir nous nous devons premiegraverement de prouver que le corps qui se meut en cercle est un

corps simple et qursquoil ne saurait ecirctre autre chose Premiegraverement il srsquoagit pour Aristote de

montrer que le corps mucirc en cercle est simple puisque srsquoil existe un mouvement simple que le

mouvement en cercle soit simple ndash mouvement simple car les mouvements circulaire et

rectiligne sont les seuls types de mouvements qui soient simples les autres eacutetant mixtes

rectilignes et circulairessup2 ndash que le mouvement drsquoun corps simple soit simple et que le

mouvement simple soit celui drsquoun corps simple alors il est neacutecessaire que le corps qui est mucirc

en cercle selon la nature soit un corps simple Il ne srsquoagit pas ici de prouver drsquoores et deacutejagrave

qursquoil existe un corps simple qui se meut en cercle pour Aristote mais simplement de montrer

que theacuteoriquement si un corps qui se meut en cercle existe alors il sera neacutecessairement un

corps simple Cet argument en faveur de lrsquoexistence drsquoun corps qui se meut en cercle nrsquoest pas

le seul chaque corps simple a un lieu naturel vers lequel il est naturellement mis en

mouvement du fait mecircme de sa nature Mais srsquoil a un lieu naturel par nature cela signifie qursquoil

a aussi un lieu qui lui est contre-nature Aristote a montreacute que srsquoil existait un corps mucirc en

cercle celui-ci eacutetait neacutecessairement simple Si un corps simple a un mouvement en cercle et

qursquoon postule que ce mouvement circulaire est simple drsquoune part mais drsquoautre part contre-

nature agrave ce corps dans ce cas lagrave cela signifie qursquoil aura un mouvement autre qui lui sera

naturel Dans la conception aristoteacutelicienne de la physique les corps sont mus en fonction de

ce qui les compose nous lrsquoavons vu et ce qui compose les corps physiques sont les eacuteleacutements

le feu la terre lrsquoeau et lrsquoair Si un corps simple est un corps qui est mucirc par la nature de ce qui

16

le compose alors le corps sera mucirc selon qursquoil est composeacute de feu ou de terre Nous avons vu

que le feu avait un mouvement naturel rectiligne qui part du centre et la terre un mouvement

naturel rectiligne qui va vers le centre donc si le feu ou la terre est mucirc en cercle ce sera

contre nature Le problegraveme qui se pose est le suivant

Mais une chose unique a un contraire unique et les mouvements vers le haut et vers lebas sont contraires lrsquoun de lrsquoautre

Cela implique que le corps simple qui se meut naturellement de maniegravere rectiligne

vers le centre aura pour contraire le mouvement rectiligne qui part du centre et vice-versa

Ainsi il est impossible qursquoun corps simple dont le mouvement est naturellement rectiligne

soit mucirc en cercle

A partir de cet argument dans le chapitre 2 du livre I du De Caelo nous pouvons

affirmer une chose si un corps simple qui se meut en cercle existe alors il ne peut pas ecirctre

composeacute de feu ou de terre car aucun des corps qui sont composeacutes de ces eacuteleacutements et qui se

meuvent de maniegravere rectiligne naturellement vers le haut ou vers le bas ne peuvent ecirctre mus

contre-nature en cercle Il ne reste maintenant qursquoagrave prouver lrsquoexistence de ce corps simple qui

se meut en cercle Lrsquoargument drsquoAristote sur le sujet dans le chapitre 2 du livre I du De Caelo

est le suivant srsquoil existe un mouvement circulaire que ce mouvement circulaire soit simple

que le mouvement circulaire ndash et nrsquoimporte quel mouvement selon le lieu en reacutealiteacute ndash soit la

proprieacuteteacute drsquoun corps simple et qursquoil soit impossible que le mouvement circulaire soit le

mouvement contre-nature drsquoun corps qui se meut en ligne droite alors cela implique qursquoil

existe un corps simple qui se meut en cercle Comment pourrait-il y avoir un mouvement

circulaire mais pas de corps pour avoir ce mouvement dans la mesure ougrave nous lrsquoavons dit le

mouvement selon le lieu est une proprieacuteteacute des corps Cela est impossible Nous pouvons

alors conclure la chose suivante

Crsquoest pourquoi celui qui raisonne en partant de tout cela pourrait se convaincre qursquoen plusdes corps qui existent ici autour de nous il y en a un autre seacutepareacute qui a une naturedrsquoautant plus digne qursquoil est plus eacuteloigneacute de lrsquoici-bas

17

De lrsquoexistence drsquoun corps qui se meut en cercle on peut logiquement induire qursquoil

existe une nature propre au corps qui se meut en cercle une nature plus noble que celle des

corps qui se meuvent en ligne droite Quelle est la nature de ce corps simple dont le

mouvement est circulaire Crsquoest lagrave la seconde question qui nous inteacuteresse

Pour y reacutepondre Aristote se reacutefegravere agrave ce qui a eacuteteacute dit preacuteceacutedemment Puisque la

pesanteur ou la leacutegegravereteacute est une proprieacuteteacute du corps qui lui vient de sa composition et qui

implique qursquoil soit naturellement dirigeacute vers le bas ou vers le haut alors tous les corps ne

possegravedent pas de pesanteur ou de leacutegegravereteacute Quels sont les corps qui possegravedent la pesanteur

Ce sont ceux qui sont naturellement dirigeacutes vers le bas et qui se meuvent en ligne droite vers

le centre crsquoest-agrave-dire tout ce qui est composeacute de terre ou drsquoune espegravece de terre Quels sont les

corps qui possegravedent la leacutegegravereteacute Ce sont ceux qui sont naturellement dirigeacutes vers le haut et

qui se meuvent en ligne droite agrave partir du centre crsquoest-agrave-dire tout ce qui est composeacute de feu ou

drsquoune espegravece de feu A partir de lagrave il est possible drsquoaffirmer que le corps qui se meut en

cercle parce qursquoil nrsquoest mucirc ni vers le bas ni vers le haut est un corps qui nrsquoa ni pesanteur ni

leacutegegravereteacute car nrsquoest ni composeacute de terre ou drsquoune espegravece de terre ni de feu ou drsquoune espegravece de

feu Mais qursquoest-ce que le pesant et le leacuteger Le plus pesant est deacutefini comme ce qui est situeacute

en dessous de tous les corps transporteacutes vers le bas et le plus leacuteger est deacutefini comme ce qui est

agrave la surface de tous les corps porteacutes vers le haut dans le De Caelo I 3 269b18-26 Il est

important pour des raisons de justesse de preacuteciser que cette pesanteur et cette leacutegegravereteacute sont

toutefois relatives un corps leacuteger lrsquoest par rapport agrave un autre et il en va de mecircme pour le

corps pesant mais lagrave nrsquoest pas notre sujet Ces deacutefinitions nous permettent de comprendre que

ce qui nrsquoappartient pas au mouvement rectiligne ne peut pas appartenir aux eacuteleacutements pesants

ou leacutegers

De plus puisque les corps qui ont un mouvements rectilignes vers le haut sont

contraires aux corps ayant un mouvement vers le bas et que la corruption et la geacuteneacuteration se

font dans les contraires alors cela signifie que ces corps sont soumis agrave la geacuteneacuteration et

corruption Selon Aristote laquo crsquoest dans le domaine des contraires que se produisent la

geacuteneacuteration et la corruption raquo15 Du fait mecircme que les corps simples mus en ligne droite vers le

haut ou vers le bas possegravedent un mouvement contre-nature cela implique qursquoils appartiennent

au milieu de ce qui est geacuteneacutereacute et de ce qui ineacutevitablement se corrompt La corruption se fait

dans le changement des proprieacuteteacutes et par rapport agrave quelque chose il en va de mecircme pour

15 De Caelo I 3 270b20 p 89

18

lrsquoaugmentation Lrsquoaugmentation est une forme de geacuteneacuteration agrave partir drsquoun changement dans la

proprieacuteteacute le corps humain transforme et geacutenegravere des nutriments agrave partir de la nourriture qursquoil

ingegravere donc la nourriture a eacuteteacute corrompue et les nutriments ont eacuteteacute geacuteneacutereacutes crsquoest une

deacuteformation de la nourriture et un changement dans son espegravece Mais puisqursquoil nrsquoy a rien de

contraire au mouvement circulaire cela implique que le corps simple qui se meut en cercle

nrsquoest ni geacuteneacuterable ni corruptible puisqursquoil ne peut pas se transformer en son contraire Ce

corps simple nrsquoest pas non plus alteacuterable selon Aristote

En effet lrsquoalteacuteration est un mouvement selon la qualiteacute et les eacutetats et les dispositionsqualitatifs par exemple la santeacute et la maladie ne se produisent pas sans changementsdans les proprieacuteteacutes Mais nous voyons que tous ceux des corps naturels qui changentselon une proprieacuteteacute sont tous sujets agrave lrsquoaugmentation et agrave la diminution [hellip] il en est demecircme pour celui des eacuteleacutements16

Puisque le corps qui est mucirc en cercle nrsquoest ni sujet agrave lrsquoaugmentation (lrsquoaugmentation eacutetant une

forme de geacuteneacuteration) etou agrave la diminution (diminution eacutetant une forme de corruption) alors il

est inalteacuterable Ainsi en plus drsquoecirctre ingeacuteneacuterable et incorruptible le corps qui se meut en cercle

est inalteacuterable Cette proprieacuteteacute fait de lui un corps eacuteternel Le corps qui se meut en cercle doit

donc ecirctre composeacute de quelque chose qui nrsquoa pas de contraire qui nrsquoest pas un eacuteleacutement tel que

le feu lrsquoair lrsquoeau ou la terre et qui nrsquoest ni geacuteneacutereacute ni corruptible A ce stade nous ne savons

pas encore ce qui est signifieacute par laquo le corps simple qui se meut en cercle raquo Mais Aristote lui

donne une autre caracteacuteristique celle drsquoecirctre premier ce qui peut srsquoexpliquer par le fait qursquoil

nrsquoest pas geacuteneacuterable et donc nrsquoest pas venu agrave lrsquoecirctre agrave un instant T Il se tourne ainsi vers trois

instances qui lui permettent de justifier ses dires anteacuterieurs la religion lrsquoobservation et

lrsquoeacutetymologie sont autant drsquoarguments en faveur de la nature du corps qui se meut en cercle tel

que nous lrsquoavons conccedilu jusqursquoagrave preacutesent

Il se tourne premiegraverement vers la religion Aristote affirme en 270b5 du De Caelo que

dans le domaine de la religion on attribue le plus haut lieu agrave ce qui est le plus divin on place

ainsi le divin au-dessus de tout Ainsi le corps qui se meut en cercle puisqursquoil se situe au-

dessus de tout et regardeacute comme eacutetant divin Degraves lors dans la mesure ougrave lrsquoon attribue

lrsquoimmortaliteacute au divin le ciel est alors consideacutereacute comme eacutegalement divin Par conseacutequent le

corps qui se meut en cercle se situe dans le plus haut lieu Lrsquoeacuteterniteacute de ce corps est

16 Ibid p89

19

veacuterifiable par lrsquoobservation et lrsquoexpeacuterience comme lrsquoaffirme Aristote dans la suite du

raisonnement

En effet dans toute lrsquoeacutetendue du temps eacutecouleacute selon la tradition que les hommes se sonttransmise les uns aux autres aucun changement nrsquoa eacuteteacute constateacute ni dans la totaliteacute la plusexteacuterieure du ciel ni dans aucune des parties qui lui sont propres

On comprend agrave la suite de cette remarque que le corps mucirc en cercle qui eacutetait lrsquoobjet de

notre propos est eacutegalement appeleacute laquo ciel raquo Ce que nous avons vu plus haut crsquoest-agrave-dire toutes

les caracteacuteristiques propres au corps qui se meut en cercle srsquoappliquent alors au ciel Mais de

quel sens du laquo ciel raquo parle-t-on puisque nous avons vu que le ciel avait trois sens A en juger

par ce que nous venons de citer nous pouvons dire qursquoAristote parle du premier et second

ciel le premier eacutetant le corps qui se trouve sur la circonfeacuterence la plus exteacuterieure et la plus

eacuteloigneacutee crsquoest-agrave-dire la sphegravere des fixes et le second eacutetant le corps qui est dans la continuiteacute

de la sphegravere des fixes et dans lequel se trouvent certains astres comme le Soleil la Lune et

drsquoautres encore Via lrsquoobservation nous pouvons conclure que le corps est ingeacuteneacuterable

incorruptible et inalteacuterable Mais cet argument en faveur de lrsquoeacuteterniteacute du ciel a un troisiegraveme

temps lrsquoeacutetymologie

Nous eacutevoquions plus tocirct lrsquoideacutee selon laquelle le corps qui se meut en cercle ne pouvait

pas ecirctre constitueacute de feu ou de terre et que donc il avait un eacuteleacutement qui lui eacutetait propre Cet

eacuteleacutement est plus noble que le feu et la terre car il se situe dans le domaine du ciel qui nrsquoest ni

soumis agrave la geacuteneacuteration ni agrave la corruption car il nrsquoa pas de contraire Il est donc eacuteternel Cet

eacuteleacutement tient drsquoailleurs son nom du fait qursquoil est eacuteternel

Crsquoest pourquoi dans lrsquoideacutee que le premier corps eacutetait diffeacuterent de la terre du feu de lrsquoair et de lrsquoeau ils ont nommeacute laquo eacutether raquo le lieu le plus eacuteleveacute tirant pour lui cette appellation du fait qursquoil court toujours pendant un temps eacuteternel

Ainsi le corps qursquoest le ciel parce qursquoil faut rappeler qursquoil est un ecirctre corporel est constitueacute

drsquoune matiegravere que lrsquoon appelle lrsquoeacutether et qui dans le monde supralunaire drsquoAristote est le seul

eacuteleacutement

20

12 Platonisme et aristoteacutelisme sur lrsquouniciteacute du monde Du Timeacutee au De Caelo I 9

121 Lrsquouniciteacute du monde dans le Timeacutee17 de Platon

La question des eacuteleacutements constitutifs des corps est indispensable pour comprendre le

contexte dans lequel le problegraveme du takei se pose En effet le passage obscur du De Caelo I

9 qui est notre propos se situe dans un chapitre visant agrave montrer par les arguments que nous

allons maintenant aborder que le monde est unique et qursquoil nrsquoy a aucun corps en dehors de

lui

Disons maintenant pour quelle raison celui qui a constitueacute le devenir crsquoest-agrave-dire notreunivers lrsquoa constitueacute Il eacutetait bon or en ce qui est bon on ne trouve aucune jalousie agravelrsquoeacutegard de qui que ce soit Deacutepourvu de jalousie il souhaita que toutes choses devinssentle plus possible semblables agrave lui 29e

La question que se pose ici Timeacutee est celle du pourquoi de lrsquounivers Afin de reacutepondre agrave cette

question il srsquointeacuteresse agrave la nature de celui qui a creacuteeacute lrsquounivers En effet la nature mecircme de

celui qui a creacuteeacute lrsquounivers implique que notre univers soit de telle faccedilon et non drsquoune autre

Puisque celui-ci est bon et que la jalousie nrsquoest pas une proprieacuteteacute de ce qui est bon alors celui

qui a creacuteeacute lrsquounivers lrsquoa creacuteeacute de maniegravere agrave ce qursquoil soit agrave son image crsquoest-agrave-dire qursquoil possegravede

les mecircmes qualiteacutes que lui Ainsi en tant qursquoecirctre bon il a voulu que tout ce qui existe soit

bon autant que possible et aussi parfait que possible Mais le deacutemiurge nrsquoest pas parti de rien

cette conception platonicienne de la creacuteation de lrsquounivers deacutecoule de lrsquoideacutee que le rien et le

neacuteant nrsquoexistent pas Donc celui qui est agrave lrsquoorigine de lrsquounivers lrsquoa engendreacute agrave partir de

quelque chose qui eacutetait deacutesordonneacute et en mouvement le visible Il a alors fait de ce visible

deacutesordonneacute un visible ordonneacute Du fait mecircme que celui qui a engendreacute le monde est lrsquoecirctre le

meilleur cela implique que ce qursquoil produit est aussi parfait qursquoil peut lrsquoecirctre car le meilleur

ne pourrait pas faire quelque chose de mauvais

Ayant reacutefleacutechi il se rendit compte que de choses par nature visibles son travail nepourrait jamais faire sortir un tout deacutepourvu drsquointellect qui fucirct plus beau qursquoun tout

17 PLATON Timeacutee 1992 Traduction par L Brisson Nous nous reacutefeacutererons agrave cette traduction sauf indication contraire

21

pourvu drsquointellect et que par ailleurs il eacutetait impossible que lrsquointellect preacutesent en quelquechose soit deacutepourvu drsquoune acircme 30A-b

Mais la nature propre du creacuteateur ne suffit pas agrave faire de toutes ses œuvres des ecirctres

eacutegaux en effet le deacutemiurge srsquoest rendu compte que malgreacute son travail le tout qui eacutetait

constitueacute drsquoun intellect eacutetait neacutecessairement plus beau qursquoun tout sans intellect Mais qursquoest-ce

que lrsquointellect chez Platon qui implique une hieacuterarchie entre les creacuteations du deacutemiurge

Comme lrsquoindique lrsquoextrait citeacute plus haut et qui nous donne une premiegravere ideacutee de ce qursquoest

lrsquointellect chez Platon si lrsquointellect est preacutesent en une chose il est impossible que cette chose

qui possegravede un intellect nrsquoait pas drsquoacircme Cela se justifie par le fait que lrsquointellect νοῦς chez

Platon est la partie la plus noble ou divine de lrsquoacircme Il y a donc une distinction entre lrsquoacircme et

lrsquointellect lrsquoacircme est une chose dont une des partie est lrsquointellect elle est la plus noble A quoi

sert cette partie Elle est ce qui permet de connaicirctre lrsquointelligible et de srsquoen rapprocher

Puisque lrsquointellect a eacuteteacute mis dans lrsquoacircme du monde et que lrsquointellect est la partie la plus belle et

la plus noble de lrsquoacircme cela implique que le monde est par nature le plus beau et le meilleur

possible

Ainsi donc conformeacutement agrave une explication qui nrsquoest que vraisemblable il faut dire que notre monde qui est un vivant doueacute drsquoune acircme pourvue drsquoun intellect a en veacuteriteacute eacuteteacute engendreacute par suite de la deacutecision reacutefleacutechie drsquoun dieu 30bndashc

Puisque le deacutemiurge a la capaciteacute de reacutefleacutechir alors il est proche des intelligibles et du

plus noble et ainsi il est dans la mesure de savoir comment faire de sa creacuteation un ecirctre aussi

bon et beau que possible La proprieacuteteacute du deacutemiurge qui est mise en avant est son intelligence

mais la conception du deacutemiurge ne srsquoarrecircte pas lagrave En effet agrave la maniegravere drsquoun artisan le

deacutemiurge creacutee le monde Mais comme tout artisan il se doit de posseacuteder une connaissance de

la chose qursquoil produit afin de la produire de faccedilon agrave ce qursquoelle soit la plus parfaite possible

Crsquoest pourquoi comme le deacutemiurge est un artisan qui reacutefleacutechit qui possegravede un intellect dans

son acircme il peut avoir une connaissance des intelligibles et ainsi produire quelque chose qui

est le plus parfait possible

22

A la ressemblance de quel vivant en particulier celui qui a faccedilonneacute le monde lrsquoa-t-ilfaccedilonneacute A la ressemblance drsquoaucun de ces vivants qui tiennent le rang drsquoespegraveceparticuliegravere dans la nature estimons-nous car rien de ce qui ressemble agrave un ecirctreincomplet ne saurait jamais ecirctre beau 30c

Mais tel un artisan le deacutemiurge ne produit pas agrave partir de rien il possegravede une

connaissance de ce qursquoil produit nous lrsquoavons dit Mais quelle est cette connaissance Elle

est la connaissance drsquoune ideacutee intelligible en drsquoautres termes drsquoune Forme comprise comme

lrsquoecirctre intelligible et parfait que lrsquoon ne peut saisir que par le biais de lrsquointellect Cela signifie

que le monde ecirctre mateacuteriel et tangible a eacuteteacute creacuteeacute agrave limage dun modegravele qui est intelligible et

non agrave un modegravele sensible Le monde est le sensible le plus parfait alors il ne peut pas avoir

pour modegravele quelque chose de moins parfait que lui et qui soit une partie de quelque chose

drsquoautre

Mais lrsquoensemble auquel appartiennent tous les ecirctres vivants agrave titre de parties soitindividuellement soit en tant qursquoespegravece voilagrave entre tous les vivants supposons-nouscelui auquel ressemble le plus celui-ci Effectivement tous les vivants intelligibles cevivant les tient enveloppeacutes en lui-mecircme de la mecircme faccedilon que notre monde nous contientnous et toutes les autres creacuteatures visibles 32c-d

Mais de quoi ces parties sont-elles les parties Du monde selon Platon Lrsquoargument

repose sur une analogie crsquoest-agrave-dire que notre monde est agrave tous les ecirctres sensibles ce que son

modegravele est agrave tous les ecirctres intelligibles Le monde enveloppe la totaliteacute de tous les ecirctres

sensibles il est logique que son modegravele soit ce qui enveloppe la totaliteacute de tous les ecirctres

intelligibles En effet le deacutemiurge a souhaiteacute que le monde ressemble agrave lrsquoecirctre le plus parfait

entre tous crsquoest-agrave-dire agrave lrsquoecirctre le plus beau de tous dans le sens ougrave il ne manque drsquoaucun des

biens Il a fait le monde de telle sorte qursquoil ait agrave lrsquointeacuterieur de lui tous les vivants qui sont de

mecircme nature que lui tous les ecirctres de nature sensible Comme notre monde est fait sur le

modegravele de quelque chose de parfait qui enveloppe tous les ecirctres intelligibles alors srsquoil y avait

une autre chose qui enveloppait tout cette autre chose serait le modegravele sur lequel aurait eacuteteacute

creacuteeacute notre monde Srsquoil y avait un autre ecirctre qui enveloppe tous les vivants en plus de notre

monde il faudrait qursquoil y ait un ecirctre qui les enveloppe tous les deux et ce serait agrave ce monde lagrave

que ressemblerait le nocirctre Notre monde partage comme caracteacuteristique lrsquouniciteacute du monde

23

parfait unique et beau dont il est la copie Il ne pourrait alors y avoir aucun autre monde en

dehors du nocirctre

[hellip] le dieu ayant placeacute au milieu entre le feu et la terre lrsquoeau et lrsquoair et ayant introduitentre eux autant que crsquoeacutetait possible le mecircme rapport qui fasse que ce que le feu est agravelrsquoair lrsquoair le soit agrave lrsquoeau et que ce que lrsquoair est agrave lrsquoeau lrsquoeau le soit agrave la terre a constitueacute agravelrsquoaide de ces liens un monde visible et tangible 32b

Comment peut-on expliquer que le monde soit sensible Platon fait lrsquoexpeacuterience drsquoun

monde sensible crsquoest le point de deacutepart de sa deacutemarche qui consiste agrave essayer drsquoexpliquer

pourquoi le monde est sensible et ordonneacute Pourquoi y-a-t-il un monde sensible ordonneacute et

non deacutesordonneacute A lrsquoimage drsquoune recette Platon fait la genegravese de la conception du monde qui

repose sur la preacutesence de quatre eacuteleacutements en quantiteacute proportionnelle et selon un rapport de

proportionnaliteacute le feu la terre lrsquoeau et lrsquoair Le fait que le monde soit constitueacute de ces

eacuteleacutements qui entretiennent entre eux un tel rapport en fait un ecirctre mateacuteriel ordonneacute et

impossible agrave corrompre (sinon par celui qui lrsquoa fait tel qursquoil est)

Or de ces quatre eacuteleacutements pris un agrave un la constitution du monde a absorbeacute la totaliteacuteCrsquoest en effet tout le feu toute lrsquoeau tout lrsquoair et toute la terre qursquoutilisa celui quiconstitua le monde pour le constituer ne laissant hors du monde aucune parcelle aucuneproprieacuteteacute de quoi que ce soitVoici quel eacutetait son dessein Il souhaitait en premier lieu quele monde fucirct avant tout un vivant parfait constitueacute de parties parfaites que de plus il fucirctunique dans la mesure ougrave il ne restait rien agrave partir de quoi un autre vivant de mecircmenature puisse venir agrave lrsquoecirctre 32c-33a

On comprend alors lrsquoargument platonicien selon lequel le monde est neacutecessairement

unique Puisque le deacutemiurge a mis en ordre le monde en le constituant de quatre eacuteleacutements (le

feu lrsquoair lrsquoeau et la terre) selon un certain meacutelange et qursquoen plus de cela il a utiliseacute la totaliteacute

du feu la totaliteacute de lrsquoair la totaliteacute de lrsquoeau et la totaliteacute de la terre pour le creacuteer il ne peut

rien exister de mecircme nature que lui Lrsquoensemble de cet extrait du Timeacutee permet de souligner

lrsquouniciteacute du monde sur deux plans diffeacuterents sur le plan meacutetaphysique et sur le plan

physique Sur le plan meacutetaphysique dans la mesure ougrave il a eacuteteacute prouveacute logiquement que le

monde ne pouvait ecirctre qursquoun seul puisqursquoil enveloppait agrave lrsquoimage de lrsquoecirctre intelligible le plus

24

parfait lrsquoensemble des sensibles Sur le plan physique dans la mesure ougrave il a eacuteteacute affirmeacute par

Platon que le monde eacutetait composeacute de la totaliteacute des quatre eacuteleacutements

Lrsquoargument en faveur de lrsquouniciteacute du monde que nous venons de voir est lrsquoeacutecho de la

theacuteorie platonicienne des Formes eacutenonceacutees dans le livre VI de la Reacutepublique18 A la fin du

livre VI de la Reacutepublique Platon dessine rapidement les traits de ce que sera plus tard dans la

mecircme œuvre la theacuteorie des Formes En effet il affirme en cette fin de livre VI que les

geacuteomegravetres lorsqursquoils produisent des hypothegraveses sur les angles et autres figures geacuteomeacutetriques

ne les font pas sur ce triangle qursquoils ont construit ou ce cercle qursquoils ont traceacute ils les font sur

les figures geacuteomeacutetriques en soi A quoi servent alors ces traceacutes Ils servent drsquoimages qui

permettent aux geacuteomegravetres de contempler les choses en soi que lrsquoon ne peut contempler que

par la penseacutee Ces figures traceacutees sont les copies des choses en soi elles sont en ce sens leurs

images De la mecircme maniegravere le monde sensible dans lequel nous sommes et qui enveloppe

lrsquoensemble de tous les ecirctres sensibles est la copie de lrsquoecirctre intelligible le plus parfait qui

enveloppe tous les vivants intelligibles Cette ideacutee implique qursquoil existe dans la philosophie

platonicienne des formes transcendantes qui srsquoeacutelegravevent au dessus du monde sensible et qui ne

sont que copieacutees dans ce monde La veacuteriteacute concernant les choses se trouverait dans le monde

intelligible seulement accessible par la penseacutee La forme est alors comprise comme la chose

en soi intelligible et transcendante Ainsi on peut drsquoores et deacutejagrave en conclure qursquoil y a une

diffeacuterence chez Platon entre la forme hors de la matiegravere et la forme dans lrsquoobjet sensible

122 Aristote en De Caelo I 9 analyse des arguments en faveur de la pluraliteacute des cieux

pour deacutefendre la theacuteorie platonicienne de lrsquouniciteacute du monde

Toutefois il est possible de se meacuteprendre sur la theacuteorie platonicienne de lrsquounivers et de

lui attribuer des conseacutequences erroneacutees voire de lrsquoutiliser afin drsquoaffirmer que le monde nrsquoest

pas unique Aristote en De Caelo I 9 srsquoengage agrave faire lrsquoexamen des arguments en faveur de

la pluraliteacute des mondes que lrsquoon pourrait tirer de la theacuteorie platonicienne de la creacuteation du

monde Nous allons alors maintenant voir quels sont ces arguments

En effet il pourrait sembler impossible qursquoil nrsquoy ait qursquoun seul ciel agrave qui examine leschoses de cette maniegravere dans tout ce qui est constitueacute ou a eacuteteacute produit que ce soit par lanature ou par lrsquoart ce sont deux choses diffeacuterentes que la forme en soi et celle qui est

18 PLATON La Reacutepublique 2002 Traduction par G Leroux

25

meacutelangeacutee agrave la matiegravere par exemple dans le cas de la sphegravere ce sont deux chosesdiffeacuterentes que la forme de la sphegravere et la sphegravere drsquoor ou la sphegravere drsquoairain et encore lafigure du cercle est diffeacuterente du cercle drsquoairain ou du cercle de bois 277b-30

Nous lrsquoavons dit plus haut dans la philosophie platonicienne il y a une distinction

entre la forme hors de la matiegravere et la forme dans la matiegravere dans la mesure ougrave la forme

intelligible (hors de la matiegravere) est transcendante et seacutepareacutee de la matiegravere Et selon Aristote il

pourrait sembler impossible agrave celui qui accepte cette distinction platonicienne de penser qursquoil

nrsquoexiste qursquoun seul monde Il srsquoagit alors de se demander premiegraverement quel est lrsquoargument

qui nous laisse penser que le ciel nrsquoest pas unique Deuxiegravemement nous nous demanderons si

Aristote deacutefend cette compreacutehension de la theacuteorie platonicienne ou srsquoil cherche agrave critiquer

ceux qui la comprennent ainsi

La theacuteorie platonicienne selon laquelle il y a une diffeacuterence entre la forme dans la

matiegravere et la forme en dehors de la matiegravere nous permet drsquoacceacuteder agrave lrsquoexemple suivant dans

le cas drsquoune sphegravere il y a la forme en soi qui est la forme purement intelligible de la sphegravere

drsquoune part et drsquoautre part il y a la sphegravere sensible constitueacutee admettons drsquoor ou drsquoairain Ces

deux types de sphegraveres sont distincts nous lrsquoavons dit pour la raison qursquoil existe une

diffeacuterence entre la forme de la sphegravere hors de la matiegravere (une forme qui est seacutepareacutee et

transcendante) et la forme de la sphegravere dans la matiegravere (une forme qui est meacutelangeacutee agrave la

matiegravere)

Puisque donc le ciel est sensible il sera une chose particuliegravere Car selon nous toutsensible existe dans la matiegravere Mais srsquoil est une chose particuliegravere lrsquoecirctre de ce ciel-ci etlrsquoecirctre du ciel pris absolument seront des choses diffeacuterentes Donc ce ciel-ci sera diffeacuterentdu ciel pris absolument ce dernier est pris comme forme et figure le premier commequelque chose de meacutelangeacute agrave la matiegravere 278a-10

Ce raisonnement appliqueacute au ciel affirme la chose suivante puisque le ciel est un

ecirctre corporel il est une chose particuliegravere Mais srsquoil est une chose particuliegravere et mateacuterielle

alors on peut en conclure que lrsquoecirctre de ce ciel particulier ne sera pas le mecircme que celui du ciel

pris en soi Ainsi le ciel particulier du fait de sa matiegravere dont parle Aristote ne sera pas le

mecircme que le ciel pris en soi crsquoest-agrave-dire en tant que Forme

26

[] cela nrsquoest pas moins vrai si rien de telle nrsquoexiste de maniegravere seacutepareacutee Dans tous lescas en effet ougrave nous voyons cela agrave savoir que la substance formelle se trouve dans lamatiegravere les ecirctres de mecircme forme sont plusieurs et mecircme en nombre infini De sorte qursquoilexiste plusieurs cieux ou qursquoil peut en exister plusieurs 278a-15-20

Mais ces individus qui comprennent lrsquoargument de Platon comme un argument en

faveur de la pluraliteacute du ciel affirment que mecircme srsquoil nrsquoy avait pas de forme seacutepareacutee du

sensible il y aurait quand mecircme plusieurs cieux Mais pourquoi affirment-ils cela Parce

qursquoil peut y avoir plusieurs ecirctres composeacutes de mecircme forme La forme dans la matiegravere nrsquoest

pas neacutecessairement unique la forme de deux chaises diffeacuterentes est la mecircme ce qui fait sa

particulariteacute est la matiegravere Mais il nrsquoest pas contradictoire qursquoil y ait une infiniteacute de chaises

il ne peut y avoir qursquoune seule forme seacutepareacutee et transcendante de la chaise par contre il peut

y avoir un nombre immense de chaises mateacuterielles et potentiellement une infiniteacute dans la

mesure ougrave cela nrsquoest pas contradictoire avec la nature de la forme dans le composeacute

Du fait de la nature mateacuterielle du composeacute ceux qui interpregravetent Platon de cette

maniegravere concluent qursquoil peut tout agrave fait exister plusieurs cieux Il peut en effet y avoir une

infiniteacute de corps mateacuteriels pour une forme seacutepareacutee de la matiegravere unique Il srsquoagira alors pour

Aristote de reprendre ces arguments et drsquoen faire lrsquoexamen afin de savoir lesquels sont fondeacutes

et lesquels ne le sont pas Nous nous eacutetions alors demandeacute quels eacutetaient les arguments qui

laissaient penser que le ciel pouvait ne pas ecirctre unique drsquoune part et drsquoautre part si Aristote

deacutefendait les conclusions auxquelles aboutissait cette certaine compreacutehension de Platon ou srsquoil

les jugeait erroneacutees

123 Aristote en De Caelo I 9 arguments aristoteacuteliciens en faveur de lrsquouniciteacute du ciel

Mais quelle est donc la position drsquoAristote sur la question de lrsquouniciteacute du monde

Deacutefend t-il Platon Est-il en deacutesaccord avec Platon Leurs arguments diffeacuterent-ils Pour

reacutepondre agrave ces questions nous eacutetudierons de maniegravere lineacuteaire la suite du chapitre

Que donc la deacutefinition de la forme sans la matiegravere et celle de la forme dans la matiegraveresoient diffeacuterentes lrsquoune de lrsquoautre on le dit avec raison et tenons-le pour vrai Il nrsquoy aneacuteanmoins aucune neacutecessiteacute agrave conclure de cela qursquoil existe plusieurs mondes ni qursquoil peuten exister plusieurs srsquoil est vrai que ce monde-ci est composeacute de lrsquoensemble de lamatiegravere comme cela est le cas 278a25

27

Il est possible drsquoaffirmer avec veacuteriteacute selon Aristote que la forme dans la matiegravere et la

forme sans la matiegravere sont deux choses diffeacuterentes Mais nous lrsquoavons dit en 278a25 Aristote

affirme que de cela nous ne pouvons pas induire la neacutecessiteacute ou la possibiliteacute qursquoil en existe

plusieurs car il est vrai que le monde est composeacute de lrsquoensemble de la matiegravere Aristote

affirme alors qursquoil ne saurait y avoir un autre monde puisque le monde est constitueacute de

lrsquoensemble de la matiegravere

A ce moment de lrsquoexamen des arguments exposeacutes plus tocirct nous trouvons dans le De

Caelo une explication des trois sens du mots ciel Dans la mesure ougrave nous avons exposeacute plus

tocirct ce qursquoeacutetaient ces trois ciels nous ne ferons que rappeler ce passage en le restituant

briegravevement Puisque nous avons exposeacute plus haut le ciel de trois maniegraveres nous comprenons

bien qursquoil ne peut rien exister en dehors du ciel dans la mesure ougrave le ciel srsquoentend dans un

sens comme le Tout ou la totaliteacute de ce qui est enveloppeacute par la circonfeacuterence la plus

eacuteloigneacutee Rappelons-le le laquo ciel raquo se dit en plusieurs sens le ciel est le corps qui se trouve

sur la circonfeacuterence la plus eacuteloigneacutee Le ciel est donc lrsquoextreacutemiteacute en un sens En un second

sens le ciel est le corps qui est dans la continuiteacute de la circonfeacuterence la plus eacuteloigneacutee et dans

laquelle se trouvent certains astres tel que le Soleil la Lune et drsquoautres En un troisiegraveme sens

et crsquoest ce sens qui permet de montrer que le ciel possegravede lrsquoensemble de la matiegravere le ciel est

dit du Tout ou de la totaliteacute qui est enveloppeacutee par la circonfeacuterence la plus eacuteloigneacutee En

drsquoautres termes le ciel est la totaliteacute de ce qui est enveloppeacute par le corps situeacute agrave lrsquoextreacutemiteacute du

ciel De cela nous pouvons conclure la chose suivante selon Aristote

Le ciel eacutetant pris en ces trois sens la totaliteacute enveloppeacutee par la derniegravere circonfeacuterence estneacutecessairement constitueacutee de lrsquoensemble du corps naturel sensible du fait qursquoil nrsquoexisteaucun corps en dehors du ciel et qursquoil ne peut pas y en avoir Supposons en effet qursquoilexiste un corps naturel en-dehors de la derniegravere circonfeacuterence il serait neacutecessaire qursquoilfasse partie soit des corps simples soit des corps composeacutes et que son eacutetat soit naturelou contre-nature Or il ne pourrait ecirctre lrsquoun des corps simples 278b20-25

Postulons qursquoil existe un corps naturel qui soit au-delagrave de la derniegravere circonfeacuterence Si

ce corps naturel existe il est neacutecessaire puisque les corps se divisent seulement en deux

cateacutegories qursquoil soit simple ou composeacute Nous avons vu qursquoun corps simple eacutetait un corps

naturel dont le mouvement eacutetait deacutetermineacute par sa nature En effet un corps simple a un

28

mouvement rectiligne (vers le haut ou vers le centre) ou un mouvement circulaire Pour ce

qui est des mouvements rectilignes Aristote affirme que le corps simple ne pourrait pas se

trouver au-delagrave du ciel car les corps simples qui existent au nombre de quatre le feu lrsquoair

lrsquoeau et la terre sont en totaliteacute rassembleacutes dans le monde de sorte qursquoil nrsquoy en a aucune

quantiteacute agrave lrsquoexteacuterieur de celui-ci De plus puisque chaque corps simple a un mouvement

naturel qui le megravene agrave son milieu naturel (milieu naturel qui se trouve dans le monde) alors

cela signifie que lrsquoexteacuterieur du monde serait son milieu contre-nature Si tel est le cas alors le

milieu contre-nature qui est lrsquoexteacuterieur du ciel serait le milieu naturel drsquoun autre corps ce qui

nrsquoest pas possible en vertu du fait qursquoil nrsquoexiste aucune matiegravere en dehors du ciel Et pour ce

qui est du corps simple dont le mouvement est circulaire crsquoest-agrave-dire lrsquoeacutether nous avons vu

que son milieu naturel eacutetait le ciel et qursquoil nrsquoavait pas de milieu contre-nature Or srsquoil eacutetait en

dehors du ciel dans la mesure ougrave son milieu naturel est le ciel cela signifierait qursquoil serait

dans son milieu contre-naturel ce qui nrsquoest pas possible

Et si aucun des corps simples nrsquoy est aucun des corps mixtes nrsquoy est non plus car il estneacutecessaire que si un corps mixte srsquoy trouve les corps simples y soient aussi 279a1-2

Pour les corps composeacutes lrsquoargument est le mecircme Le corps composeacute est un corps qui

contient un meacutelange de plusieurs eacuteleacutements mais son mouvement se fait en fonction de

lrsquoeacuteleacutement qui domine en lui (il a donc un mouvement simple en fonction du corps simple qui

le constitue) Un corps admettons composeacute a 60 de terre et 40 de feu sera attireacute vers le

centre Ainsi il est neacutecessaire que ce corps simple ou composeacute ait un lieu naturel ou contre-

nature puisqursquoil est en mouvement vers son lieu naturel ou en mouvement vers un lieu contre-

nature De plus il y a deux types de mouvement lrsquoun circulaire et lrsquoautre rectiligne Pour le

corps qui se meut en cercle naturellement il nrsquoy a aucun lieu qui soit contre-nature dans la

mesure ougrave il nrsquoest ni geacuteneacuterable ni corruptible nous lrsquoavons vu Ce corps ne peut donc pas

changer de lieu naturel pour un autre lieu Aristote conclut par la force mecircme des arguments

contenus dans le De Caelo et de lrsquoorganisation du monde qui repose sur les notions de milieu

naturel et de mouvement naturel que le monde est formeacute de lrsquoensemble de la matiegravere et qursquoil

ne pourrait pas y avoir un autre ciel Le ciel est donc unique

Mais Aristote ne srsquoarrecircte pas agrave lrsquoaffirmation selon laquelle le ciel est unique Il ajoute

Il est en mecircme temps clair qursquoil nrsquoy a ni lieu ni vide ni temps en dehors du ciel En toutlieu en effet il est possible qursquoil existe un corps et lrsquoon dit que le vide est ce en quoi il

29

nrsquoy a pas de corps mais ougrave il est possible qursquoil en vienne un quant au temps crsquoest lenombre drsquoun mouvement et il nrsquoexiste pas de mouvement sans corps naturel 279a10

Il nrsquoy a pas de lieu pas de vide et pas de temps en dehors du ciel selon Aristote Mais

pourquoi Il ne peut y avoir de lieu car en tout lieu il est possible qursquoil y ait un corps Il nrsquoy a

pas non plus de vide dans la mesure ougrave le vide est deacutefini comme ce en quoi il nrsquoy a pas de

corps mais ougrave il pourrait y en avoir un Srsquoil existait un lieu qui nrsquoabrite aucun corps alors ce

lieu serait vide et srsquoil existe un lieu vide alors il pourrait y avoir un corps Mais puisque rien

ne peut venir agrave lrsquoecirctre en dehors du ciel pour les raisons invoqueacutees plus haut alors il ne peut ni

y avoir de vide ni de lieu en dehors du ciel De plus on se repreacutesente le vide comme un lieu

ougrave il nrsquoy a rien or il nrsquoy a pas de lieu en dehors du ciel Crsquoest lrsquoargument drsquoAristote pour

deacutefendre lrsquoideacutee qursquoil nrsquoy a ni lieu ni vide en dehors du ciel Mais pourquoi nrsquoy aurait-il pas de

temps Parce que le temps est deacutefini comme eacutetant le nombre drsquoun mouvement Le

mouvement eacutetant un changement selon le lieu drsquoune part et drsquoautre part la proprieacuteteacute drsquoun

corps dans la mesure ougrave il nrsquoy a pas de lieu et pas de corps en dehors du ciel il ne peut pas

non plus y avoir de mouvement

30

Chapitre 2 Deacutebat sur la question des ecirctres de laquo lagrave-bas raquo

durant lrsquoAntiquiteacute Aristote agrave Simplicius

31

21 Compreacutehension antique du laquo τἀκεῖ raquo du De Caelo au commentaire de Simplicius

211 τἀκεῖ De Caelo I 9 279a15-b3

Nous nous sommes donc dans le premier moment de notre propos familiariseacute avec

les concepts aristoteacuteliciens et avec la conception aristoteacutelicienne du ciel afin de pouvoir par la

suite ecirctre le plus clair possible De plus la lecture du De Caelo nous a permis de rendre

compte de son contenu drsquoune part et de ses problegravemes drsquoautres part Crsquoest alors dans un

contexte drsquoexamen des interpreacutetations platoniciennes de lrsquouniciteacute du monde et dans un

contexte drsquoexposition drsquoarguments en faveur de lrsquouniciteacute du monde qursquoapparaicirct la notion qui

dans notre propos est probleacutematique la notion de takei La seconde partie de notre propos

consistera alors agrave rendre compte drsquoun passage fort obscur du De Caelo I 9 en lrsquoanalysant A la

suite de cela nous restituerons les arguments de Simplicius et drsquoAlexandre drsquoAphrodise

respectivement en faveur du takei comme notion signifiant le Premier Moteur Immobile ou la

sphegravere des fixes Il srsquoagira alors de comprendre quelles eacutetaient les thegraveses dominantes durant

lrsquoAntiquiteacute concernant le passage du De Caelo qui nous inteacuteresse et surtout comment elles

eacutetaient deacutefendues

Tout ce qui plus haut a eacuteteacute dit nous a permis de justifier la question suivante nous

avons vu que le ciel eacutetait unique et que ni matiegravere ni lieu ni vide et ni temps ne pouvait se

trouver hors du ciel Nous avons de plus affirmeacute que rien ne pouvait venir agrave lrsquoecirctre en dehors

du ciel Alors pourquoi dans le chapitre 9 du premier livre du De Caelo Aristote en arrive agrave

la conclusion suivante

Crsquoest pourquoi les ecirctres de lagrave-bas par nature nrsquoont ni lieu ni temps qui les fasse vieillir etil nrsquoy a pas non plus aucun changement pour les ecirctres qui sont disposeacutes au-dessus de latranslation la plus exteacuterieure inalteacuterables et impassibles ils ont la meilleure et la plusautonome des vies qursquoils megravenent pour toute sa dureacutee

Ce passage tregraves obscur est lrsquoobjet preacutecis de notre meacutemoire Quel est le lien entre le

fait que le monde soit unique que rien ne puisse venir agrave lrsquoecirctre en dehors du ciel pour la raison

qursquoil nrsquoy a ni matiegravere ni lieu ni vide ni temps au-delagrave du ciel et la citation ci-dessus Il est

difficile de le dire Il semblerait agrave premiegravere vue que la conclusion agrave laquelle arrive Aristote

est la suivante srsquoil nrsquoy a pas de lieu de vide de temps et de matiegravere alors les ecirctres qui sont

32

au-delagrave du ciel nrsquoont ni lieu ni temps ni vide ni corps Pourtant il a affirmeacute auparavant que

rien ne pouvait venir agrave lrsquoecirctre ou ecirctre venu agrave lrsquoecirctre en dehors du ciel Ce qui est eacutetonnant est

contenu de la conclusion mais aussi principalement le fait que la forme de cette conclusion

preacutesuppose qursquoil existe des ecirctres au-delagrave du ciel ou du moins elle nrsquoexclut pas qursquoil y en ait

Mais si cela est vrai alors ces ecirctres nrsquoont par nature aucun lieu aucun temps aucun corps

sensible donc aucun mouvement Que pourrait-il exister qui ne soit ni dans un lieu ni

corporel et qui nrsquoait pas de temps Chose eacutetonnante il affirme qursquoil nrsquoy a pas de lieu en

dehors du ciel tout en affirmant que des ecirctres se trouvent laquo lagrave-bas raquo deacutesignant un lieu qui nrsquoest

pas censeacute exister Plus encore Aristote les situe preacuteciseacutement ils sont au dessus de la

translation la plus exteacuterieure Cette translation la plus exteacuterieure est la circonfeacuterence la plus

eacuteloigneacutee du centre crsquoest le ciel compris dans son premier sens la sphegravere des fixes Le

problegraveme est donc de savoir ce que sont ces ecirctres hors du ciel dans la mesure ougrave ils ne sont

dans aucun lieu mais sont situeacutes quelque part De plus comment maintenir la continuiteacute entre

le deacutebut de ce texte dont lrsquoobjet sont les ecirctres de lagrave-bas alors qursquoagrave la fin du texte il est

question du corps qui se meut en cercle Comment drsquoailleurs comprendre le rapport entre les

deux dans la mesure ougrave il est dit des ecirctres de lagrave-bas qursquoils sont sans mouvement parfaitement

immobile alors qursquoil est dit de lrsquoecirctre divin drsquoune part qursquoil est immobile ne pouvant pas ecirctre

mucirc par quelque chose drsquoexteacuterieur agrave lui mais que son mouvement est circulaire Comment

lrsquoecirctre le plus divin peut-il ecirctre immobile et se mouvoir en cercle De plus que peut-il y avoir

en dehors du Tout ou de la totaliteacute Et srsquoil y a quelque chose en dehors du Tout le Tout reste-

t-il la totaliteacute dans la mesure ou il nrsquoinclurait pas tout

Il est dit de ces ecirctres qursquoils nrsquoont pas de temps et qursquoils ne changent pas En effet le

changement est compris comme un mouvement et vice-versa Le mouvement est la proprieacuteteacute

drsquoun corps Il ne peut donc y avoir aucun mouvement en dehors du ciel et aucun changement

La geacuteneacuteration et la corruption sont eacutegalement des changements mais puisque rien ne peut

venir agrave lrsquoecirctre hors du ciel alors rien ne peut ecirctre geacuteneacutereacute et rien ne peut se corrompre Ce qui

implique que les ecirctres de lagrave-bas sont ingeacuteneacuterables et incorruptibles Aristote lrsquoaffirme ils sont

inalteacuterables et impassibles Mais qursquoest-ce que lrsquoalteacuteration chez Aristote Nous lrsquoavons

eacutegalement vu lrsquoalteacuteration est un changement dans la qualiteacute de la chose cela signifie que srsquoils

sont inalteacuterables leurs qualiteacutes ne peuvent pas changer Lrsquoimpassibiliteacute quant agrave elle implique

qursquoils ne peuvent ecirctre affecteacutes drsquoaucune maniegravere On note eacutegalement dans le texte drsquoorigine en

grec ancien lrsquoutilisation du pluriel pour deacutefinir ce qui se trouve au-dessus de la translation la

plus exteacuterieure τἀκεῖ On sait donc par conclusion qursquoil y a quelque chose en dehors du ciel

33

qui nrsquoa ni lieu ni temps qui est inalteacuterable impassible et qui nrsquoest pas seul en effet le

pluriel de ce terme grec qui signifie laquo les choses de lagrave-bas raquo nous rappelle qursquoil nrsquoexiste pas

qursquoun seul ecirctre lagrave-bas mais plusieurs Ces ecirctres inalteacuterables et impassibles sans temps et sans

lieu sont par conseacutequent eacuteternels De plus Aristote nous dit qursquoils ont la vie la meilleure et la

plus autonome qui soit Crsquoest-agrave-dire qursquoils ne deacutependent de rien drsquoautre que drsquoeux-mecircmes

pour ecirctre Preacuteciser que leur vie est la laquo meilleure raquo implique-t-il une comparaison avec un

autre style de vie autonome agrave un degreacute infeacuterieur Par exemple celle des corps qui ont un

mouvement eacuteternel et simple dans leur milieu naturel qui nrsquoa pas de contraire et qui implique

que les astres soient eacuteternels Cette vie autonome les takei la megravenent pour toute sa dureacutee Mais

pourquoi Aristote affirme une telle chose alors mecircme qursquoil nrsquoy a pas de temps Quel est le

rapport entre le temps et la dureacutee

[hellip] car le terme qui enveloppe le temps de la vie de chacun hors duquel on nrsquoestrien selon la nature a eacuteteacute appeleacute laquo dureacutee de vie raquo de chacun

La dureacutee de vie de chacun est donc ce qui enveloppe le temps de la vie de chacun

Mais srsquoil nrsquoy a pas de temps comment peut-il y avoir quelque chose enveloppeacute par la dureacutee

Si la dureacutee de vie de chacun est ce qui enveloppe le temps de la vie de chacun alors la dureacutee

de vie eacuteternelle des ecirctres de lagrave-bas est ce qui enveloppe le temps de la vie eacuteternelle de ces

ecirctres Sans temps il ne pourrait donc pas y avoir de dureacutee car la dureacutee nrsquoenvelopperait rien

Le temps est ce qui chez Aristote est relatif au combien de temps La question du laquo combien

de temps raquo suppose qursquoil y a du temps qui passe donc un mouvement qui se produit Mais

hors du ciel il nrsquoy a ni corps ni mouvement ni temps donc comment les ecirctres de lagrave-bas

peuvent-ils avoir la vie pour toute sa dureacutee

La dureacutee est la totaliteacute du temps de la vie de quelque chose et crsquoest aussi le terme qui

englobe la totaliteacute du temps du ciel Le ciel compris comme un Tout ou une totaliteacute crsquoest-agrave-

dire la troisiegraveme maniegravere de parler du ciel est une dureacutee On considegravere que comme le terme

de laquo dureacutee raquo a une origine commune avec le laquo fait drsquoexister toujours raquo alors le ciel qui est une

dureacutee est une dureacutee en vertu du fait qursquoil dure toujours Ainsi le ciel est immortel et divin car

il existe toujours sans srsquoarrecircter

Le problegraveme qui se pose est alors celui de comprendre le rapport entre les deux parties

de ce texte on y traite dans un premier temps en 279a15 des ecirctres qui seraient disposeacutes au-

delagrave du ciel en les caracteacuterisant comme eacutetant des ecirctres qui ne sont dans aucun lieu et soumis agrave

34

aucun changement A partir de la notion de dureacutee il argumente en faveur de lrsquoeacuteterniteacute du ciel

Pourquoi semble-t-il y avoir une discontinuiteacute dans lrsquoobjet de cet extrait

Aristote affirme que la dureacutee a un terme qui permet de mesurer le temps qui passe

alors que le ciel nrsquoen a pas Il en vient alors agrave parler de lrsquoecirctre divin duquel deacutepend la vie de

tout ce qui existe En effet la limite du ciel est la sphegravere des fixes en ce sens elle est ce qui

enveloppe le monde Toutefois il nous semble que la notion de dureacutee interrompe le discours

portant sur les ecirctres de lagrave-bas Srsquoil eacutetait au deacutepart question des takei il est deacutesormais question

de la sphegravere des fixes Sont-ils une seule et mecircme chose Telle est la question que les lecteurs

peuvent se poser et qui permettrait drsquounifier le texte

Et par exemple dans les travaux de philosophie destineacutes au grand public portant sur lesecirctres divins on deacuteclare souvent en srsquoappuyant sur des raisonnements que tout ecirctre divineacutetant premier et au-dessus des autres est neacutecessairement immuable 279A31-33

Nous arrivons alors au passage que nous avons eacutetabli comme eacutetant la partie C Aristote

se reacutefegravere agrave des travaux de philosophie portant sur les ecirctres divins La question que nous nous

posons ainsi que les interpregravetes est celle de savoir si les ecirctres divins dont il est question sont

les takei de la partie A Il existe alors un doute dans la compreacutehension de ce passage qui

reacutesulte drsquoune impression de discontinuiteacute entre la partie A et la partie C mais non pas drsquoune

opposition entre celles-ci Le problegraveme survient agrave cause drsquoun doute sur la coiumlncidence entre

lrsquoexpression takei et lrsquoexpression theion (ecirctres divins) Ces travaux de philosophie portant sur

les ecirctres divins affirme que les ecirctres divins sont immuables Pour Aristote cela teacutemoigne en

faveur de ce qursquoil a affirmeacute plus tocirct rien ne peut mouvoir le divin sinon cette chose serait

plus divine que le divin et ce nrsquoest pas possible

Il existe alors un deacutebat concernant ce passage Degraves lrsquoAntiquiteacute deux commentateurs

drsquoAristote srsquoaffrontent sur la question de lrsquoidentiteacute des takei Ces deux interpreacutetations sont

celle de Simplicius et celle drsquoAlexandre Le premier deacutefend lrsquoideacutee que lrsquoexpression takei

renvoie au Premier Moteur Immobile alors que le second deacutefend qursquoil srsquoagit de la sphegravere des

fixes Ces deux interpreacutetations se font alors concurrence et ont donneacute naissance agrave une longue

tradition interpreacutetative que nous eacutetudierons plus tard

On peut alors se demander quelle uniteacute il existe dans cet extrait du De Caelo de la fin

du chapitre 9 Livre I Il semblerait que les ecirctres dont nous parle Aristote et qui se situent au-

35

delagrave de la translation la plus exteacuterieure soient des corps qui se meuvent en cercle car ils ont en

commun certaines proprieacuteteacutes lrsquoeacuteterniteacute la dureacutee sans fin lrsquoautonomie Or il srsquoavegravere que les

ecirctres de lagrave-bas sont exteacuterieurs au ciel alors que les corps qui se meuvent en cercle sont dans le

ciel Ils sont de plus composeacutes de la matiegravere qursquoest lrsquoeacutether ce qui implique qursquoils ne puissent

pas ecirctre au-delagrave du ciel dans la mesure ougrave il nrsquoexiste aucune matiegravere en dehors du ciel ni

aucun mouvement

222 Le commentaire perdu drsquoAlexandre possibles reacuteponses au problegraveme du laquo τἀκεῖ raquo

Nous avons vu que De Caelo I 9 srsquoachevait sur un passage fort mysteacuterieux En effet

dans la partie A du texte que nous avons citeacute au deacutebut de notre propos Aristote affirme et

prouve par les arguments que nous avons vu plus tocirct qursquoil nrsquoexiste rien en dehors du ciel ni

lieu ni vide ni temps ni matiegravere Vient alors la conclusion que les ecirctres se trouvant en dehors

du ciel ne sont dans aucun lieu nrsquoont ni matiegravere ni temps qui les fassent vieillir Il srsquoagira

alors drsquoaborder les interpreacutetations antiques de ce passage dans le but de comprendre quelles

sont les hypothegraveses quant agrave lrsquoidentiteacute de ces ecirctres (τἀκεῖ en grec) et les arguments pour les

deacutefendre

Nous allons alors commencer par examiner lrsquointerpreacutetation drsquoAlexandre drsquoAphrodise

du De Caelo I 9 telle qursquoelle nous a eacuteteacute transmise par Simplicius dans son commentaire

Alexandre propose deux lectures hypotheacutetiques de cet extrait En effet il se demande

ce agrave quoi fait reacutefeacuterence Aristote lorsqursquoil emploie le terme de laquo τἀκεῖ raquo Soit ce qui est deacutecrit

comme eacutetant un ecirctre en dehors du ciel qui nrsquoest dans aucun lieu et qui nrsquoa pas de temps qui le

fasse vieillir renvoie agrave la doctrine du Premier Moteur Soit cela fait reacutefeacuterence agrave la sphegravere des

fixes Nous allons nous inteacuteresser agrave la premiegravere hypothegravese

Qursquoest-ce que le Premier Moteur En Meacutetaphysique Λ 1072b5 Aristote affirme que

le Premier Moteur est une substance et un acte Cela signifie que le Premier Moteur est une

substance eacuteternelle du fait qursquoelle nrsquoest pas mateacuterielle qui meut le Premier Ciel tout en eacutetant

immobile ce qui implique qursquoil soit tel qursquoil ne puisse jamais ecirctre autrement qursquoil nrsquoest En

effet la sphegravere des fixes eacutetant du domaine du divin et eacutetant mucirc de maniegravere continue et

eacuteternelle doit avoir un moteur qui soit parfaitement immobile car plus parfait qursquoelle De

plus cela permet drsquoexpliquer lrsquoeacuteterniteacute du mouvement ceacuteleste dans la mesure ougrave ce qui est la

cause drsquoun mouvement eacuteternel doit aussi ecirctre eacuteternel sans quoi elle se corromprait et le ciel

36

cesserait son mouvement ce qui nrsquoest pas possible Il y a donc une sorte de hieacuterarchie du

point de vue de la substance Crsquoest-agrave-dire que Aristote identifie trois substances deux

sensibles dont une corruptible une eacuteternelle La troisiegraveme substance quant agrave elle est dite

laquo motrice raquo puisqursquoelle est agrave lrsquoorigine du premier mouvement qui est celui du ciel Celle-ci

puisqursquoelle est agrave lrsquoorigine du mouvement du Premier Ciel est plus divine et plus parfaite

Qursquoest ce qursquoimplique lrsquohypothegravese selon laquelle le τἀκεῖ serait le premier moteur Le

premier moteur immobile est ce qui est agrave lrsquoorigine du premier mouvement crsquoest-agrave-dire le

mouvement en cercle du corps simple qursquoest le ciel Ce moteur est unique et eacuteternel Parce

que le lieu du plus divin est le plus haut on comprend le premier moteur comme eacutetant au

dessus du ciel puisqursquoil est plus divin que lui et est ce qui le met en mouvement Crsquoest

lrsquohypothegravese drsquoAlexandre sur la possibiliteacute que les laquo ecirctres de lagrave-bas raquo renvoient agrave la doctrine du

Premier Moteur Il nrsquoest dans aucun corps donc il est hors du ciel et il nrsquoest pas dans un lieu

puisqursquoil nrsquoest pas corporel et mateacuteriel Toutefois le pluriel utiliseacute par Aristote rend

compliqueacute cette hypothegravese dans la mesure ougrave le Premier Moteur immobile est unique affirme

Fabienne Baghdassarian19 Alexandre dit Simplicius affirme que cette theacuteorie nrsquoest pas

vraisemblable bien qursquoil propose cette lecture nrsquoest pas veacuteritablement en faveur de celle-ci Il

affirme la chose suivante dans le commentaire de Simplicius

If by lsquoabove the outermost movementrsquo he were speaking about the first cause (Alexandersays) he would be referring to [the region] above the orbit of the sphere of the fixed[starts] while if he were saying these things about the divine body the lsquooutermostmovementrsquo would mean the furthest of the rectilinear motions [hellip] So above thefurthest movement there is all of the revolving body which he says is neither in place norin time being eternal and ageless For while the divine body as a whole is not in placeparts of it are in place the spheres of the planets are in place20

En effet Alexandre pensait que si Aristote avait voulu parler du Premier Moteur il

aurait explicitement utiliseacute lrsquoexpression περɩ φορά et non pas φοράν Aristote utilise selon

Alexandre lrsquoexpression περɩ φορά pour deacutesigner le mouvement circulaire et non pas φοράν

qui deacutesigne le mouvement rectiligne Simplicius va critiquer cet argument en deacutefaveur de la

reacutefeacuterence au Premier Moteur drsquoAlexandre en affirmant qursquoAristote utilise aussi φοράν pour

deacutesigner le mouvement circulaire

19 Baghdassarian F opcit20 SIMPLICIUS 2881-9

37

Alexandre propose apregraves la premiegravere hypothegravese concernant la reacutefeacuterence au Premier

Moteur Immobile une seconde hypothegravese selon laquelle le τἀκεῖ renvoie agrave la sphegravere des fixes

Il fait donc reacutefeacuterence au livre 4 de la Physique Dans ce chapitre il deacutefinit le lieu comme laquo la

limite du corps englobant raquo La sphegravere des fixes nrsquoest dans aucun lieu dans la mesure ougrave elle

nrsquoest englobeacutee par aucun corps En effet le cosmos aristoteacutelicien srsquoorganise de la maniegravere

suivante il y a le centre de lrsquounivers qui est enveloppeacute par la limite du corps qui se trouve

dans la reacutegion sublunaire Autour de cette reacutegion sublunaire se trouve le corps ceacuteleste qui est

la sphegravere des fixes comme un corps englobant le ciel compris comme un Tout Entre la Lune

et la sphegravere des fixes se trouve le corps dans la continuiteacute de la sphegravere des fixes sur lequel se

trouvent certains astres comme le Soleil Jupiter et drsquoautres Mais rien nrsquoenveloppe la sphegravere

des fixes ce qui implique que la sphegravere des fixes nrsquoest dans aucun lieu Donc srsquoil se reacutefegravere

aux ecirctres divins au-delagrave de la translation la plus exteacuterieure cela signifie que la translation la

plus exteacuterieure est en fait le mouvement rectiligne le plus haut celui du feu Mais pourquoi le

mouvement rectiligne serait le mouvement le plus haut Nous avons affirmeacute que le lieu eacutetait

la limite du corps englobant or la sphegravere des fixes nrsquoest englobeacutee par rien ce qui implique

que la sphegravere des fixes (le premier ciel) nrsquoest dans aucun lieu Le lieu qui existe est ce qui se

trouve enveloppeacute par la sphegravere des fixes crsquoest-agrave-dire le corps qui est dans la continuiteacute de la

sphegravere des fixes (lrsquoeacutether) et sur lequel se trouvent certains astres puis seacutepareacute par la Lune le

monde sublunaire dont le mouvement du feu est le mouvement rectiligne le plus haut Cet

argument selon Alexandre permet de montrer que cet extrait porte sur la sphegravere des fixes et

non des reacutealiteacutes qui seraient en dehors du ciel Le ciel au sens premier nrsquoeacutetant ni dans un lieu

ni soumis au temps le τἀκεῖ qualifieacute comme nrsquoeacutetant ni dans un lieu ni soumis agrave aucun

changement du fait de son absence du temps se reacutefeacutererait alors agrave la sphegravere des fixes

On peut alors conclure que Alexandre preacutefegravere lire ce texte en supposant qursquoAristote se

reacutefegravere au corps simple qui se meut en cercle lorsqursquoil parle des laquo ecirctres de la-bas raquo crsquoest-agrave-dire

au ciel au sens de la sphegravere des fixes

213 Compreacutehension et hypothegravese de Simplicius sur les ecirctres de lagrave-bas

Simplicius propose une autre lecture possible de ce passage Simplicius est le chef de

file tout comme Alexandre qui considegravere que le τἀκεῖ est une reacutefeacuterence au premier ciel drsquoune

longue tradition interpreacutetative selon laquelle le Premier Moteur Immobile serait ce qui est viseacute

par Aristote dans lrsquoensemble du passage qui nous inteacuteresse Il laisse en 2888 de cocircteacute

38

lrsquointerpreacutetation drsquoAlexandre du problegraveme du τἀκεῖ et reprends son commentaire lineacuteaire du

De Caelo

After saying that things divine are lsquopossessed of the best and most self-sufficient of livesrsquoand that lsquothey persist throughout all the agesrsquo he wishes also to establish theirimmortality and eternality on the basis of the word lsquoagersquo [hellip] For we call the completeand all-embracing time of the life of something its age lsquobeyond which there is nonenaturalrsquo21 2888

Aristote cherche agrave fonder lrsquoimmortaliteacute du corps ceacuteleste qursquoest le ciel au sens de la

sphegravere des fixes sur lrsquoorigine du mot laquo dureacutee raquo En effet il existe un rapport eacutevident entre le

premier ciel qui englobe tout et la dureacutee crsquoest-agrave-dire le terme qui englobe la totaliteacute du temps

de la vie de chaque choses Le ciel comme la dureacutee sont englobants ainsi il nrsquoest pas eacutetonnant

drsquoaffirmer que dans la mesure ougrave le ciel (crsquoest-agrave-dire la sphegravere des fixes) nrsquoest pas englobeacute

par la dureacutee puisqursquoil nrsquoy a pas de temps en dehors du ciel et qursquoil nrsquoy a pas de dureacutee sans

temps qui passe le corps qui srsquoy trouve nrsquoest pas soumis agrave la corruption et agrave la mort il est

immortel

Simplicius se reacutefegravere alors agrave une œuvre perdue drsquoAristote De la philosophie22 dans le

but de donner lrsquoargument aristoteacutelicien en faveur de lrsquoeacuteterniteacute du divin afin de preacuteparer

lrsquoargument selon lequel les ecirctres de lagrave-bas seraient les intelligibles Lrsquoargument drsquoAristote est

le suivant partout ou il y a quelque chose de mieux il y a quelque chose de meilleur le

divin Aristote affirme qursquoune chose peut ecirctre mise en mouvement par deux causes possibles

par une chose qui lui est exteacuterieure ou par elle-mecircme Si ce qui meut un corps est une cause

exteacuterieure il est neacutecessaire qursquoelle soit meilleure que ce qursquoelle meut ou moins bonne Si

crsquoest par elle-mecircme alors il est neacutecessaire que ce soit vers quelque chose de meilleur ou vers

quelque chose de pire Aristote dans le DP affirme qursquoil nrsquoy a rien de meilleur que le divin

sinon cette chose serait plus divine que le divin Donc rien ne peut changer le divin puisque

qursquoil ne manque drsquoaucun des biens et est parfaitement bon Puisqursquoil nrsquoy a rien de mauvais

chez le divin cela implique qursquoil ne puisse pas ecirctre mucirc vers le pire ni par un autre ni par lui-

mecircme Le divin se changerait-il lui mecircme Simplicius se reacutefegravere pour reacutepondre agrave cette

21 Simplicius 2888 22 Traiteacute perdu drsquoAristote dont le passage du De Caelo laquo les ecirctres de lagrave-bas raquo semble issu ou srsquoy reacutefegravere tout du

moins

39

question au livre II de La Reacutepublique de Platon dans lequel Platon affirme que le meilleur et

le plus divin est ce qui subit le moins de changement ou aucun changement de lrsquoexteacuterieur A

partir de lagrave il se pose la question de savoir si le divin qui ne peut pas ecirctre alteacutereacute par ce qui lui

est exteacuterieur du fait qursquoil est le meilleur srsquoaltegravere lui-mecircme vers le meilleur ou vers le pire

Dans la mesure ougrave le divin possegravede tous les biens srsquoil srsquoaltegravere ce sera neacutecessairement vers le

pire car il ne peut pas ecirctre plus parfait qursquoil ne lrsquoest deacutejagrave Mais puisque personne ne se

changerait pour le pire et le moins beau volontairement alors cela implique que le divin ne se

change pas

Ces arguments tireacutes de La Reacutepublique II et du De Philosophia permettraient alors agrave

Simplicius de critiquer la theacuteorie drsquoAlexandre Aristote ne peut pas se reacutefeacuterer agrave la sphegravere des

fixes dans la mesure ougrave celle-ci est en mouvement Son mouvement est certes eacuteternel car il

ne connaicirct aucun changement son lieu de deacutepart est son lieu drsquoarriveacutee donc son mouvement

est eacuteternel Mais cela implique qursquoil soit mucirc par quelque chose qui neacutecessairement est plus

divin que lui et qui ne peut pas ecirctre en mouvement drsquoaucune maniegravere que ce soit

That not all of it can be interpreted as applying to the heavenly body is clear Ithink from what has just been said For having shown that there is no body either simpleor composite outside the heaven he argued lsquoat the same time it is clear that there can beneither place void nor time beyond the heavensrsquo And having shown this and concludedlsquotherefore it is obvious that there is neither place nor void nor time outside he theninfers as it were from what has been said some corollaries lsquofor this reason the thingswhich are of a nature to be there are not in place nor can time cause them to grow oldand so on by lsquothe things therersquo clearly meaning those outside the heaven So how couldthe heaven be said to be outside the heaven And how could he say that there is nochange of any kind for any of the heavenly bodies when he sees that their change ofplace is unceasing And neither does he say that the things which are positioned abovethe furthest movement are heavenly bodies23

On ne peut donc pas interpreacuteter tout le texte comme eacutetant au sujet des corps ceacutelestes

pour Simplicius en raison de ce qui a eacuteteacute dit par Aristote Puisqursquoil a montreacute qursquoil nrsquoy avait

pas de corps en dehors du ciel car celui-ci eacutetait constitueacute de lrsquoensemble de la matiegravere il

affirme qursquoil nrsquoy a pas de lieu ndash en raison du fait que le lieu est lagrave ougrave il y a un corps ndash pas de

vide ndash car le vide est lagrave ougrave il nrsquoy a pas de corps mais ougrave il pourrait y en avoir un ndash et pas de

temps car le temps est une proprieacuteteacute des corps et qursquoil nrsquoy a pas de corps en dehors du ciel

Crsquoest pourquoi laquo les ecirctres de lagrave-bas raquo ne peuvent pas faire reacutefeacuterence aux corps ceacutelestes

23 Simplicius 290 1-17

40

Puisque le τἀκεῖ est deacutesigneacute comme nrsquoeacutetant pas dans un lieu pas dans le temps et nrsquoayant pas

de matiegravere que lrsquoexteacuterieur du ciel nrsquoest ni du vide ni du temps et qursquoil ne peut y avoir aucun

corps Simplicius en conclut que laquo lagrave-bas raquo signifie laquo au-delagrave du ciel raquo Il oppose alors

drsquoautres critiques agrave la theacuteorie drsquoAlexandre par rapport agrave ce qui vient drsquoecirctre dit comment le

ciel pourrait-il ecirctre en dehors du ciel Comment Aristote pourrait-il affirmer srsquoil se reacutefeacuterait agrave

la sphegravere des fixes qursquoil nrsquoy a aucune sorte de changement pour le ciel tout en affirmant que

son mouvement est eacuteternel et incessant Il semble alors compliqueacute de soutenir que le τἀκεῖ

renvoie agrave la sphegravere des fixes ou aux corps ceacutelestes qui se meuvent en cercle

Simplicius comprend alors nos trois parties De Caelo I 9 agrave la lumiegravere du De

Philosophia et de Reacutepublique II Puisque ce qui est en mouvement lrsquoest neacutecessairement par

quelque chose de plus parfait que lui alors ce qui meut le ciel est plus parfait que le ciel Il

srsquoagit de srsquointeacuteresser au moteur immobile qui meut le premier ciel crsquoest-agrave-dire le Premier

Moteur Il souligne toutefois que ce passage est obscur et laisse possible lrsquointerpreacutetation

suivante lorsqursquoAristote fait reacutefeacuterence au mouvement eacuteternel du ciel crsquoest pour parler de ce

qui le meut En effet le Premier Moteur Immobile est plus divin que le ciel puisque ce qui

met une chose en mouvement est plus divin qursquoelle En ce sens il serait dit laquo au-delagrave du ciel raquo

car au-dessus de la nature des corps ceacutelestes Cela implique alors que laquo au-delagrave raquo ne

signifierait pas un lieu mais une nature hieacuterarchiquement supeacuterieure agrave celle du ciel

Il accepte cependant que le texte ne soit pas du deacutebut de la partie A agrave la fin de la partie

C au sujet du Premier Moteur Lorsque Aristote fait mention de la notion de dureacutee il fait

reacutefeacuterence agrave la sphegravere des fixes En effet la fin de la dureacutee est la limite qui permet la

quantification de la dureacutee mais le ciel nrsquoa pas de dureacutee il est compris comme ce qui englobe

la dureacutee de vie de tout ce qui est Mais apregraves avoir eacutetabli la premiegravere signification de la dureacutee

qui fait le lien avec le premier ciel Aristote bascule vers lrsquoideacutee que ce qui comprend

lrsquoensemble du temps et de lrsquoinfiniteacute est une dureacutee et crsquoest donc une reacutefeacuterence au Premier

Moteur car de lui deacutepend de maniegravere directe lrsquoecirctre et la vie eacuteternelle du corps ceacuteleste et de

maniegravere indirecte lrsquoecirctre et la vie des corps du monde sublunaire De maniegravere indirecte car les

corps du monde sublunaire ne sont pas directement mis en mouvement par lui mais leur vie

deacutepend de celle de la sphegravere des fixes qui elle est directement mise en mouvement par le

Premier Moteur Immobile

Simplicius deacutefend alors sur le fondement de ces arguments que le τἀκεῖ fait reacutefeacuterence

au Premier Moteur Immobile et non au corps ceacuteleste Simplicius va alors mecircme jusqursquoagrave

41

changer le texte original drsquoAristote en optant pour kinai plutocirct que kineitai ce qui permet

drsquoattribuer une fonction motrice au τἀκεῖ Ce changement lui permet alors de faire

correspondre le τἀκεῖ agrave la theacuteorie du Premier Moteur sans forcer lrsquointerpreacutetation De ce fait

le τἀκεῖ renverrait agrave quelque chose de transcendant agrave lrsquoordre ceacuteleste car le premier ciel est

mucirc en vertu de la perfection de son moteur celle-ci accordeacutee au τἀκεῖ dans la mesure ougrave il ne

connaicirct aucun changement et est parfaitement autonome Pour appuyer la theacuteorie de

Simplicius nous pouvons ajouter lrsquoargument de la coiumlncidence entre la description du τἀκεῖ

dans le DC et celle du Premier Moteur Immobile dans Meacutetaphysique Λ lrsquoun comme lrsquoautre

sont dits parfaitement immuables eacuteternels et autonomes

42

Chapitre 3 Interpreacutetations modernes du De Caelo I 9

La question du τἀκεῖ premier moteur reacutealiteacutes hyper-

cosmiques ou sphegravere des fixes reacutealiteacutes ceacutelestes

43

31 Le problegraveme de la continuiteacute argumentative du Livre I 9

311 La discontinuiteacute du sujet en faveur de la transcendance du τἀκεῖ

Le deuxiegraveme moment de notre propos nous a donc servi agrave comprendre quels eacutetaient les

arguments deacutefendus durant lrsquoAntiquiteacute par Simplicius et Alexandre drsquoAphrodise Ces deux

interpregravetes sont les chefs de file de deux interpreacutetations qui sopposent celle de Simplicius

selon laquelle le takei ferait reacutefeacuterence au Premier Moteur Immobile et celle drsquoAlexandre

selon laquelle il srsquoagirait drsquoune reacutefeacuterence agrave la sphegravere des fixes Ces deux thegraveses srsquoaffrontent

depuis lrsquoAntiquiteacute Elles ont influenceacute les interpreacutetations modernes et ont forgeacute une logique

binaire dans la maniegravere de comprendre lrsquoidentiteacute des ecirctres de lagrave-bas Ce deacutebat antique se

perpeacutetue dans un deacutebat entre les interpregravetes modernes Il srsquoagira alors de restituer les

arguments modernes heacuteritiegraveres des deux interpreacutetations antiques afin de rendre compte de la

logique binaire du deacutebat Toutefois nous ne nous limiterons pas agrave cette binariteacute et nous nous

inteacuteresserons agrave des theacuteories plus originales telles que celle de Peacutepin ou celle de Merlan

Si nous avons eacutevoqueacute plus haut le problegraveme de la continuiteacute des ideacutees aristoteacuteliciennes

au sein du corpus aristoteacutelicien et plus particuliegraverement au regard du De Caelo crsquoest dans le

but de poser les preacutemisses drsquoarguments qui reposent sur la continuiteacute ou la discontinuiteacute du

De Caelo I9 Nous nous fonderons pour le moment sur les deux alternatives les plus

populaires du problegraveme de lrsquoidentiteacute du τἀκεῖ avec drsquoune part les arguments en faveur drsquoune

reacutefeacuterence astrale et drsquoautre part les arguments en faveur drsquoune reacutefeacuterence agrave un ou des ecirctres

transcendant le ciel Mais nous verrons un certain type drsquoarguments en faveur de lrsquoune ou

lrsquoautre ideacutee en effet les arguments que nous expliciterons seront ceux qui reposent sur une

analyse de la continuiteacute ou de la discontinuiteacute du passage qui deacutebute en 279a18 et qui se

termine agrave la fin du chapitre 9 dans le but de comprendre comment sont justifieacutees lrsquoune ou

lrsquoautre ideacutee Nous allons alors nous inteacuteresser preacuteciseacutement agrave lrsquoobjet ou les objets de ce passage

via lrsquoarticle de Fabienne Baghdassarian24

Si le chapitre I 9 se refermait sur les remarques qui preacutecegravedent sans doute nrsquoaurait-iljamais paru eacutenigmatique Chacun srsquoaccorderait agrave reconnaicirctre derriegravere laquo les ecirctres de lagrave-basraquo des reacutealiteacutes hypercosmiques conformeacutement agrave ce qursquoindiquent clairement agrave la fois leurdescription topographique et le contexte argumentatif de lrsquoextrait Neacuteanmoins le textepoursuit une analyse dont on a du mal agrave comprendre comment elle peut ne pas remettreen question lrsquohypothegravese de la transcendance Il apparaicirct en effet que le texte agrave supposer

24 Baghdassarian F opcit2011 p192

44

qursquoil traite de reacutealiteacutes transcendantes en 279a18-22 change de sujet agrave une ou plusieursreprises pour deacutevelopper des consideacuterations qui font une reacutefeacuterence plus explicite au ciel

Fabienne Baghdassarian agrave la suite de cet extrait explicite les trois moments de

lrsquoargumentation du passage 279a18-b3 du De Caelo I 9 Il semble selon sa lecture y avoir

une discontinuiteacute dans lrsquoobjet du texte En effet dans un premier temps apregraves avoir conclu

qursquoil nrsquoexistait ni lieu ni vide ni temps et ni corps en dehors du ciel et que les ecirctres qui se

situaient laquo au dessus de la translation la plus exteacuterieure raquo nrsquoavaient laquo ni lieu ni temps qui les

fasse vieillir raquo et qursquoils nrsquoeacutetaient soumis agrave aucun type de changement Aristote fait intervenir

la notion de αἰών crsquoest-agrave-dire la notion de la dureacutee Vient ensuite la partie C qui concerne le

mouvement ceacuteleste

Mais le problegraveme majeur qui se pose au sujet de la continuiteacute argumentative de cette

fin de chapitre 9 de De Caelo I est majoritairement ducirc agrave une reacutefeacuterence mysteacuterieuse agrave des

laquo travaux de philosophie destineacutes au grand public portant sur les ecirctres divins raquo 279a31 qui

cassent lrsquoargumentation agrave tel point que ce passage est suspecteacute drsquoecirctre un ajout tireacute drsquoun traiteacute

perdu drsquoAristote le De Philosophia

La preacutesence de ce supposeacute passage du De Philosophia complexifie lrsquoensemble de la

fin du De Caelo I 9 En effet ce texte creacuteeacute ce qui semble ecirctre une discontinuiteacute dans

lrsquoargumentation geacuteneacuterale de chapitre 9 Certains auteurs voient le De Philosophia comme

eacutetant agrave propos pour eacuteclairer la question de lrsquoidentiteacute des takei crsquoest le cas de Dumoulin25 qui

retrace lrsquoargumentation du De Caelo au regard du De Philosophia Il coupe le texte original en

diffeacuterents paragraphes dans le but de faire ressortir lrsquoenchaicircnement des ideacutees Successivement

il voit agrave partir de 279a11-18 les conseacutequences de lrsquoabsence de corps en dehors du ciel De

279a19-22 lrsquoaffirmation selon laquelle tout ce qui est immateacuteriel est immobile De 279a22-

30 un deacutebut de paragraphe qui porte sur lrsquoeacuteterniteacute du ciel De 279a31-34 le principe geacuteneacuteral

de lrsquoimmutabiliteacute du divin fondeacute sur des travaux de philosophie qui traitent des ecirctres divins

Enfin de 279a34-b3 il est question de lrsquoimmutabiliteacute du mouvement ceacuteleste Il apparaicirct alors

que le texte dont il est question deacutebute par les conseacutequences de lrsquoabsence de temps de lieu et

de corps en dehors du ciel agrave savoir que les ecirctres qui se situent au-delagrave du ciel nrsquoont ni lieu ni

temps ni corps Puis Aristote finit par un eacuteloge de lrsquoeacuteterniteacute du mouvement ceacuteleste Le

mouvement est le propre des corps mais srsquoil nrsquoy a pas de corps en dehors du ciel il nrsquoy a pas

non plus de mouvement Donc pourquoi passe t-on du constat que les ecirctres en dehors du ciel

25 Dumoulin Recherches sur le premier Aristote Eudegraveme De la philosophie Protreptique1981 p 53-65

45

nrsquoont ni corps ni aucun mouvement pour ensuite louer lrsquoeacuteterniteacute du mouvement ceacuteleste Tel

est le problegraveme de lrsquouniteacute argumentative de ce passage26

Drsquoapregraves Alexandre citeacute par Simplicius deux interpreacutetations srsquoaffrontaient danslrsquoAntiquiteacute les ecirctres en question deacutesignent le premier moteur immobile pour les uns etle ciel des fixes pour les autres Cette alternative continue agrave gouverner lrsquointerpreacutetation dupassage pour le premier moteur immobile nommons agrave la suite de Simplicius ZellerTricot Untersteiner Berti agrave la suite drsquoAlexandre pour le ciel des fixes Werner GuthrieMoreau Festugiegravere Nous allons ecirctre conduit agrave contester le principe de cette alternative

Comme le rappelle Dumoulin il existe deux alteacuternatives agrave lrsquointerpreacutetation de ce

passage Il srsquoagit maintenant de comprendre lrsquoargument qui permet agrave Dumoulin drsquoaffirmer

que le τἀκεῖ fait reacutefeacuterence agrave des reacutealiteacutes qui se placeraient au-delagrave de la sphegravere des fixes et non

sur la sphegravere Il annonce alors explicitement qursquoil srsquoagira de contester la theacuteorie drsquoune

reacutefeacuterence ceacuteleste

Comment srsquoy prend Dumoulin pour justifier lrsquoideacutee que le τἀκεῖ renvoie agrave des ecirctres qui

se trouvent au-delagrave de la translation la plus exteacuterieure ou agrave la theacuteorie du Premier Moteur

Immobile Sa deacutemarche consiste agrave comprendre le texte par le texte lui-mecircme en srsquointeacuteressant

agrave lrsquoutilisation des mots et agrave leur sens le plus naturel Crsquoest pourquoi il commence son

explication en rappelant deux choses τἀκεῖ vient de ἐκεῖ qui dans Physique VIII 10 267b9

deacutesigne la localisation du Premier Moteur Immobile De plus τἀκεῖ manifeste un pluriel qui

bien qursquoil semble ne pas correspondre agrave lrsquoideacutee du Premier Moteur Immobile qui est censeacute ecirctre

unique correspond agrave lrsquoideacutee drsquoune pluraliteacute de principes qui peuvent exister agrave partir du

moment ougrave il existe une hieacuterarchie entre eux Cette ideacutee lisible dans Meacutetaphysique Λ 8

correspond eacutegalement agrave celle preacutesente dans le fragment 17 du De Philosophia Notons de

plus le fait que le Premier Moteur est dit laquo immobile raquo crsquoest-agrave-dire qursquoil ne connaicirct aucune

espegravece de changement ni dans la substance ni dans le lieu de la mecircme maniegravere qursquoil est dit

des τἀκεῖ qursquoils sont parfaitement immobiles Toutefois cela signifie-t-il que si le τἀκεῖ est

transcendant au ciel son identiteacute correspond agrave celle du Premier Moteur Immobile Pas

neacutecessairement Dumoulin envisage la possibiliteacute en fonctionnant de maniegravere reacutetrospective et

en se tournant vers le Timeacutee de Platon que le τἀκεῖ fasse reacutefeacuterence agrave un ecirctre divin immobile

mais pas forcement moteur La lecture organiseacutee de ce texte comme nous lrsquoavons vu plus

haut par le biais de Dumoulin permet de comprendre qursquoil existe une deacutemonstration logique

au texte En effet les conseacutequences du fait qursquoil nrsquoy ait ni corps ni temps ni lieu en dehors du

26 Ibid p54

46

ciel impliquent que ce qui est en dehors du ciel est immateacuteriel et dans la mesure ougrave le temps

est le nombre du mouvement alors les ecirctres qui se situent au-delagrave du ciel nrsquoont pas de

mouvement et sont parfaitement immobiles Leur immobiliteacute due agrave leur immateacuterialiteacute font

drsquoeux des ecirctres divins car eacuteternels mais cela implique-t-il que comme le Premier Moteur

Immobile ils aient une fonction motrice Crsquoest pourquoi Dumoulin se tourne vers le Timeacutee

Partir sur la piste de la transcendance du τἀκεῖ sans pour autant faire reacutefeacuterence au Premier

Moteur Immobile peut nous faire penser agrave la diviniteacute immateacuterielle du Timeacutee qui a ordonneacute le

monde Aristote ayant eacuteteacute durant un certain nombre drsquoanneacutees lrsquoeacutelegraveve de Platon nous sommes

en droit de nous demander srsquoil nrsquoavait pas au deacutepart postuleacute un ecirctre immateacuteriel et divin sans

penser agrave un ecirctre qui serait le moteur du mouvement Il nous faut alors eacutetablir la distinction

entre ce qursquoune chose est (par exemple divine eacuteternelle parfaitement immobile) et ce qursquoelle

fait la fonction qursquoelle remplit (par exemple mettre en mouvement le premier ciel) Il est

alors question ici de celui que lrsquoon appelle le laquo premier Aristote raquo celui qui eacutetant platonicien

reacutefleacutechissait agrave partir de cette conception du monde Cette theacuteorie servirait-elle alors de

preacutemisse agrave ce qui sera plus tard la theacuteorie du Premier Moteur Nous pouvons nous le

demander mais y reacutepondre aurait besoin drsquoun autre propos Neacuteanmoins cette ideacutee permet de

proposer une lecture particuliegravere du De Caelo I9 selon laquelle il y a une reacutefeacuterence agrave des ecirctres

hypercosmiques crsquoest-agrave-dire qui se trouvent au dessus du ciel sans toutefois se reacutefeacuterer au

Premier Moteur Immobile

Mais lrsquoargument en faveur de la transcendance du τἀκεῖ ne srsquoarrecircte pas lagrave Nous

lrsquoavons dit ce passage est obscur car il est fait mention drsquoun ouvrage qui porte sur les ecirctres

divins et qursquoil semble que ce texte du fait de ses diffeacuterents objets soit en partie issu drsquoun

traiteacute perdu drsquoAristote De Philosophia Nous lrsquoavons dit et le rappelons en 279a18 il est

question drsquoecirctres qui se situent au-dessus de la translation la plus exteacuterieure et apregraves une

eacutetrange analogie sur la notion de dureacutee se trouve un eacuteloge du mouvement eacuteternel des astres

Ce passage est celui qui brise la continuiteacute de lrsquoargumentation et nous pousse agrave douter de son

appartenance premiegravere au De Caelo A quoi se reacutefegravere donc le τἀκεῖ Et quelle est lrsquoidentiteacute

des ecirctres divins (theia) dont nous parle Aristote Le ciel Les ecirctres de lagrave-bas

Dumoulin compare un fragment du De Philosophia et le passage 279a34-b3 du De

Caelo et il en ressort de maniegravere quasiment eacutevidente que le traiteacute Du ciel se reacutefegravere tregraves

clairement au De Philosophia Nous pouvons le constater via la comparaison entre le

fragment du De Philosophia et le passage du De Caelo dont il est question dans lrsquoeacutetude de

47

Dumoulin27 Mais ce passage est-il une simple reacutefeacuterence Une paraphrase Une citation

Cette question est complexe et la conclusion nous permettra de comprendre lrsquoargumentation

geacuteneacuterale du texte et de soutenir lrsquoideacutee drsquoune veacuteritable ceacutesure dans lrsquoargumentation

Nous trouvons quelque chose de bien eacutetrange dans le texte drsquoAristote une chose fort

bien exprimeacutee par Simplicius dans son commentaire si nous savons que le premier moteur

immobile est dans la Physique la Meacutetaphysique agrave lrsquoorigine du premier mouvement crsquoest-agrave-

dire celui de la sphegravere des fixes Aristote affirme dans la partie C qursquoil nrsquoy a rien de plus fort

qui puisse mouvoir le ciel car sinon cette chose serait plus divine que le ciel Mais puisque le

ciel est parfait et qursquoil ne manque drsquoaucun des biens cela nrsquoest pas possible Comment

expliquer cela Srsquoagit-il drsquoun changement doctrinal Drsquoune citation Drsquoune paraphrase

Simplicius avait trois sources agrave sa disposition pour commenter le De Caelo La Reacutepublique

II de Platon des fragments du De Philosophia et le texte qursquoil commente Nous observons

premiegraverement qursquoil semble y avoir un emprunt agrave la Reacutepublique II de Platon

Nest-il pas neacutecessaire si toutefois un ecirctre peut sortir de sa propre forme soit quil semeacutetamorphose lui-mecircme de sa propre initiative soit quil soit transformeacute par un autre380D28

Or les choses les meilleures ne sont-elles pas celles qui sont le moins susceptibles decirctrealteacutereacutees et mises en mouvement par autre chose quelles-mecircmes 380E

Degraves lors tout ecirctre bien constitueacute que ce soit par nature en vertu de lart ou pour ces deuxraisons agrave la fois sera le moins susceptible de subir un changement causeacute par un autre[hellip] Et pourtant le dieu tout comme les choses qui concernent le dieu est absolumentparfait [hellip] Mais ne peut-il se changer et salteacuterer lui-mecircme [hellip] Se change-t-il alors enmieux et en plus beau ou en pire et en plus laid Si vraiment il srsquoaltegravere cestneacutecessairement dans le sens du pire 381b-381c

En mecircme temps Platon ne cherche pas agrave prouver lrsquoexistence drsquoun Dieu qursquoil soit

parfait ou non (mecircme srsquoil est neacutecessairement parfait pour Platon du fait de sa nature) En

effet Platon critique les poegravetes qui attribuent aux dieux des qualiteacutes qui ne sont pas les leurs

et qui sont mecircme contradictoires avec leur nature propre De quoi soutenir lrsquoideacutee que cet

extrait nrsquoest pas tireacute de la Reacutepublique II sans quoi cela signifierait qursquoAristote a attribueacute au

monde sensible crsquoest-agrave-dire au ciel un passage qui chez Platon ne traite pas drsquoun sensible

27 Ibid p58 28 PLATON La Reacutepublique 2002

48

mais bel et bien drsquoun dieu parfait et immateacuteriel La diffeacuterence drsquoobjet entre le DC et la

Reacutepublique II nous pousse agrave penser qursquoil serait eacutetrange de reprendre le mecircme argument agrave un

moment pareil

Si Simplicius nrsquoa pas trouveacute cet argument dans la Reacutepublique II et qursquoil ne vient pas

du DC lui-mecircme alors cela signifie qursquoil vient de la troisiegraveme source dont disposait

Simplicius le De Philosophia ou plutocirct du commentaire drsquoAlexandre qui lui le posseacutedait

Crsquoest pourquoi la comparaison qui a eacuteteacute effectueacutee plus haut nous permettait drsquoaffirmer qursquoil

ne srsquoagit pas drsquoune paraphrase du DP dans le DC mais plutocirct drsquoune citation Mais cela ne

prouve pas qursquoil existe une discontinuiteacute de lrsquoobjet et de lrsquoargumentation dans ce passage du

De Caelo Nous lrsquoavons dit le deacutebut du passage 279a18 affirme assez clairement que les

ecirctres qui se trouvent au-delagrave de la translation la plus exteacuterieure sont sans corps sans lieu et

sans temps En mecircme temps apregraves une analogie entre la dureacutee et le ciel nous en arrivons agrave

lire un texte qui porte sur la perfection du corps ceacuteleste ce qui a priori semble eacutetonnant dans

la mesure ougrave le τἀκεῖ se situe en dehors du ciel et que le corps ceacuteleste est le ciel lui-mecircme

Ces diffeacuterents passages nous plongent dans lrsquoincompreacutehension et savoir qursquoil srsquoagit drsquoune

citation du DP nrsquoaide pas agrave comprendre pourquoi ce changement de sujet Crsquoest pourquoi

Dumoulin formule une hypothegravese agrave ce sujet

Nrsquooublions pas que Simplicius est le chef de file de ceux qui entendent du PremierMoteur Immobile tout le texte de De Caelo I 9 279a11-b3 On peut donc soupccedilonner cequi srsquoest passeacute Simplicius trouvait dans sa source deux passages du De Philosophia Lepremier eacutetablissait lrsquoexistence de la diviniteacute suprecircme immateacuterielle et le second eacutetablissaitle caractegravere divin du monde stellaire il a soudeacute ces deux textes qui dans sa penseacutee

concernaient lrsquoun et lrsquoautre le Premier Moteur29

Simplicius en commentant Aristote avance une preuve de lrsquoexistence de Dieu en

affirmant que lagrave ougrave il y a un ecirctre meilleur il y a forcement un ecirctre excellent dans la mesure ougrave

il y a une hieacuterarchie entre les ecirctres30 Il voit en cet argument le moyen de justifier que le τἀκεῖ

fait reacutefeacuterence au premier moteur Mais cet argument ne vient absolument pas du De Caelo lui-

mecircme il est un ajout au texte du DC et est tireacute du DP par Simplicius Il aurait donc servi agrave

justifier lrsquoexistence drsquoun ecirctre immateacuteriel et absolument parfait La suite du texte portant sur le

ciel aurait alors eacuteteacute compris comme suivant cette thegravese drsquoun ecirctre parfait et immateacuteriel ce qui

29 Dumoulin opcit p 6030 Simplicius (2892)

49

aurait pousseacute Simplicius agrave croire en lrsquoideacutee drsquoune reacutefeacuterence au Premier Moteur Immobile tout

en refusant lrsquoideacutee drsquoune ceacutesure dans lrsquoargumentation puisqursquoil affirmait que la totaliteacute du texte

portait sur un seul et mecircme objet le premier moteur

Au vu de cet argument nous pouvons comprendre pourquoi Dumoulin deacutefend lrsquoideacutee

qursquoil srsquoagit drsquoune reacutefeacuterence agrave des ecirctres qui se trouvent au-delagrave du ciel En effet il admet une

discontinuiteacute drsquoobjet dans le passage du De Caelo ducirc agrave lrsquoajout drsquoarguments tireacutes du DP pour

forcer le lien Toutefois cette discontinuiteacute est plus complexe qursquoelle en a lrsquoair dans la mesure

ougrave Dumoulin nrsquoaffirme pas ouvertement ndash et en ces termes ndash qursquoil y en a une En fait il est

drsquoavis de dire qursquoil y a une discontinuiteacute dans le degreacute de diviniteacute dont il est question si

Aristote fait lrsquoeacuteloge du mouvement ceacuteleste apregraves avoir affirmeacute que les ecirctres au-delagrave du ciel

sont immateacuteriels et ne subissent aucun changement crsquoest dans le but de manifester la

perfection (encore plus haute que celle du ciel) des ecirctres de lagrave-bas

312 La continuiteacute du sujet en faveur des reacutealiteacutes ceacutelestes

Mais nous lrsquoavons dit il existe de maniegravere geacuteneacuterale deux eacutecoles pour lrsquointerpreacutetation

du τἀκεῖ La premiegravere deacutefend lrsquoideacutee qursquoil srsquoagit lagrave drsquoune reacutefeacuterence agrave des ecirctres transcendant le

ciel la seconde deacutefend lrsquoideacutee qursquoil est question des ecirctres ceacutelestes Nous avons alors vu que

Dumoulin deacutefend la theacuteorie selon laquelle il existe un changement de sujet dans

lrsquoargumentation du De Caelo I 9 Cela lui permet de deacutefendre lrsquoideacutee qursquoil srsquoagit drsquoune

reacutefeacuterence agrave un ou des ecirctres transcendants Il srsquoagit donc maintenant de montrer comment

certains auteurs et plus particuliegraverement Moraux deacutefendent lrsquoideacutee contraire Comment srsquoy

prend Moraux pour deacutefendre la theacuteorie drsquoune reacutefeacuterence astrale en critiquant lrsquoideacutee que la

position contraire a des conseacutequences tregraves dures sur lrsquoargumentation du texte

Avant de nous inteacuteresser agrave la critique que Moraux formule envers ceux qui deacutefendent

lrsquoideacutee drsquoune reacutefeacuterence agrave des ecirctres transcendants nous allons nous inteacuteresser agrave la faccedilon dont le

texte a eacuteteacute traduit par Moraux et qui rend compte de la maniegravere dont il lrsquointerpregravete31

Il nrsquoest point de changement pour aucun des ecirctres disposeacutes sur la translation la plusexteacuterieurehellip

31 Aristote Du ciel1965 p37 Il srsquoagit de la traduction de Moraux et nous nous inteacuteressons plus particuliegraverement agrave lrsquointroduction de cette œuvre par ce dernier

50

Nous pouvons la distinguer de la traduction de Dalimier et Pellegrin En effet si le grec ὑπέρ

est traduit par ces derniers par laquo au-dessus de raquo Moraux lui le traduit par laquo sur raquo Il affirme

alors ici que le texte fait reacutefeacuterence agrave quelque chose qui se situe sur la translation la plus

exteacuterieure et non au-delagrave ce qui change radicalement la vision que nous avons du texte Nous

affirmions plus haut par le biais de Dumoulin qursquoil existait un changement de sujet dans le

passage 279a18-b3 En effet au deacutebut ce dont il est question dans le texte est des ecirctres qui se

trouvent laquo au-dessus de la translation la plus exteacuterieure raquo et agrave la fin il porte sur lrsquoeacuteterniteacute du

mouvement circulaire Mais si nous traduisons la preacuteposition ὑπέρ par laquo sur raquo plutocirct que laquo au-

dessus raquo alors il nrsquoy a plus drsquoideacutee de discontinuiteacute et le passage du deacutebut agrave la fin porte sur

des ecirctres ceacutelestes Toutefois Fabienne Baghdassarian souligne qursquoil est le seul agrave traduire le

texte ainsi et que mecircme Alexandre qui deacutefendait lrsquoideacutee drsquoune reacutefeacuterence astrale comprend le

texte comme portant sur quelque chose qui est au-delagrave drsquoun mouvement La raison pour

laquelle Moraux traduit le texte de cette maniegravere est justifieacutee par lrsquoutilisation de ὑπέρ dans le

De Caelo en effet cette proposition ne sert pas agrave justifier ce qui se trouve au-delagrave de quelque

chose Pour manifester cette ideacutee Aristote utilise plutocirct ἔξω En mecircme temps Fabienne

Baghdassarian lui objecte la chose suivante

La preacuteposition ὑπέρ lorsqursquoelle est employeacutee avec lrsquoaccusatif deacutesigne ce qui est au-dessus de quelque chose et non pas ce qui est sur lui En outre chacune des occurrencesde cette preacuteposition dans le DC qursquoelle srsquoaccompagne de lrsquoaccusatif ou mecircme du geacutenitifsert constamment agrave deacutesigner ce qui est au-dessus drsquoun point de reacutefeacuterence Enfin crsquoesttoujours la preacuteposition ἐν et non pas ὑπέρ qui sert agrave deacutesigner les corps qui sont fixeacutes sur

lrsquoorbite 32

Nous observons alors diffeacuterents arguments ceux qui portent sur des questions de grammaire

et ceux qui portent sur des questions de terminologie Mecircme si ὑπέρ nrsquoest pas neacutecessairement

utiliseacutee pour parler de ce qui se trouve au-delagrave drsquoune chose son utilisation accompagneacutee de

lrsquoaccusatif ( φοράν) fait reacutefeacuterence agrave ce qui est au-dessus drsquoune chose et non pas agrave ce qui est

sur une chose Il srsquoagit alors drsquoun problegraveme de grammaire et de traduction Fabienne

Baghdassarian soutiendrait-elle lrsquoideacutee drsquoune erreur dans la traduction de Moraux Pour ce qui

est de la question terminologique Fabienne Baghdassarian affirme que pour deacutesigner ce qui

est sur les sphegraveres Aristote utilise la preacuteposition ἐν et non la preacuteposition ὑπέρ

32 Baghdassarian F opcit 2011 p188

51

Revenons agrave lrsquoideacutee que deacutefend Moraux Puisqursquoil traduit le passage en affirmant que le

τἀκεῖ se trouve sur la translation la plus exteacuterieure et non pas au-delagrave il affirme par

conseacutequent que le passage traite entiegraverement des ecirctres ceacutelestes et plus preacuteciseacutement de ceux

qui se trouvent sur la sphegravere des fixes Il ne rencontre donc pas le problegraveme de la discontinuiteacute

de lrsquoobjet de ce passage Il affirme cependant que De Caelo I 9 est remarquable du fait que

trois parties se distinguent

Le second panneau du diptyque relatif agrave lrsquouniciteacute du monde est tout agrave fait remarquable (chap9) Lrsquoexamen du style et du contenu philosophique permet drsquoy distinguer trois parties qui ont probablement eacuteteacute reacutedigeacutees agrave des eacutepoques diffeacuterentes Reacutefeacuterence

La premiegravere partie de cet exposeacute est assimileacutee agrave Meacutetaphysique Ζ du fait qursquoelle porte

sur la matiegravere et la forme en utilisant les mecircmes arguments et les mecircmes exemples Aristote

affiche un style tregraves rigoureux proche de celui de Meacutetaphysique Z Cela est eacutetonnant dans la

mesure ougrave la Meacutetaphysique est une œuvre qui serait relativement tardive Il suppose donc que

le passage du De Caelo I 9 qui srsquoeacutetend de 277b33 agrave 278a9 a eacuteteacute eacutecrit agrave la mecircme eacutepoque que

Meacutetaphysique Z

Quant agrave la deuxiegraveme partie qui srsquoeacutetendrait de 278b10 agrave 279a18 elle serait plus propre

au style qursquoarbore Aristote dans le De Caelo dans la mesure ougrave les arguments utiliseacutes seraient

ceux qui portent sur les milieux naturels et servirait agrave conclure lrsquoargumentation geacuteneacuterale du

chapitre

La suite de 279a18 agrave 279b3 qui est la partie dans laquelle apparaicirct le τἀκεῖ serait

alors pour Moraux une sorte drsquoenvoleacutee lyrique quasiment poeacutetique qui serait le propre des

dialogues aristoteacuteliciens Ce passage serait alors exclu de lrsquoargumentation et nrsquoapporterait

donc rien agrave celle-ci Toutefois comme le fait Dumoulin nous lrsquoavons vu Moraux semble

enteacuteriner lrsquoideacutee majoritairement valideacutee selon laquelle ce passage serait un extrait du De

Philosophia bien qursquoil nrsquoaffirme pas comme Dumoulin que le texte soit une reacutefeacuterence agrave des

ecirctres se situant au-delagrave du ciel Moraux affirme que cet extrait a eacuteteacute ajouteacute agrave ce passage pour

adoucir un exposeacute complexe sur la matiegravere et la forme Mais si tous les interpregravetes ou

presque admettent que ce passage soit issu du DP ils ne lrsquointerpregravetent pas tous de la mecircme

maniegravere

52

Les uns pensent qursquoAristote y ceacutelegravebre la sphegravere des fixes qursquoil tenait alors pour le dieusuprecircme Drsquoautres preacutetendent au contraire qursquoil parle drsquoentiteacutes divines transcendantes aumonde peut-ecirctre identiques aux fameuses laquo intelligences raquo des sphegraveres Pour deacutefendreleur exeacutegegravese ces derniers sont contraints drsquoadmettre la preacutesence drsquoune anacolutheextrecircmement dure et certains drsquoentre eux vont mecircme jusqursquoagrave modifier le textetraditionnel mais le souci drsquoeacuteleacutegance stylistique qui se manifeste dans tout le passagerend bien improbable lrsquohypothegravese drsquoune pareille neacutegligence 33

Moraux rappelle briegravevement les deux interpreacutetations qui srsquoopposent agrave la suite de quoi

il critique celle qui soutient que le passage fait reacutefeacuterence agrave des ecirctres transcendants Il fait

reposer sa critique sur deux arguments ceux qui soutiennent que ce passage porte sur des

ecirctres transcendants sont contraints de modifier le texte original dans lrsquointeacuterecirct de leur theacuteorie

Moraux fait ici reacutefeacuterence agrave Simplicius qui dans son commentaire remplace κινεῖται (en

279b1) par κινεῖ afin drsquoaccorder aux τἀκεῖ la puissance de mouvoir le ciel de maniegravere

circulaire en raison de lrsquoeacuteleacutement qui les compose lrsquoeacutether Mais le texte traditionnel ne fait pas

mention drsquoune quelconque fonction motrice du τἀκεῖ crsquoest pourquoi Moraux nrsquoaccepte pas

cette correction Son second argument repose sur le style de ce passage Celui-ci est fort

poeacutetique eacutevoquant les dialogues aristoteacuteliciens et tregraves travailleacute il semble donc improbable

qursquoAristote ait pu changer de sujet en plein milieu de son discours En effet pour ceux qui

affirment qursquoil y a lagrave une reacutefeacuterence agrave des ecirctres divins transcendant le ciel il faut admettre qursquoil

y a une veacuteritable discontinuiteacute de lrsquoobjet du texte voire une ceacutesure totale Mais le travail

fourni pour produire un texte styliseacute comme celui-ci nous permet de douter qursquoAristote ait eacuteteacute

si neacutegligeant sur lrsquoobjet de ce passage

Tels sont les arguments en faveur de la reacutefeacuterence ceacuteleste que Moraux deacutefend

eacutegalement et qui repose sur lrsquoideacutee qursquoil nrsquoexiste pas de changement de sujet dans ce passage

portant du deacutebut agrave la fin sur les ecirctres qui se trouvent sur la translation la plus exteacuterieure

Ces auteurs sont en deacutebat direct sur la question de lrsquointerpreacutetation de ce passage de

plus leurs arguments reposent sur le mecircme thegraveme qui est celui de la continuiteacute ou la

discontinuiteacute de lrsquoargumentation du De Caelo I 9 Il srsquoagira alors drsquoaborder un autre point

theacutematique en opposant les interpregravetes qui font reposer leurs argumentations sur la question

du lieu dans la philosophie aristoteacutelicienne

33 Moraux opcit 1965 pLXXV

53

32 Le lieu des corps ceacutelestes lrsquoabsence de lieu du τἀκεῖ

321 Lrsquoabsence de lieu en faveur de la reacutefeacuterence ceacuteleste

Le De Caelo I 9 porte tout entier sur la question de lrsquouniciteacute du ciel Nous lrsquoavons

expliqueacute plus haut lorsqursquoune substance formelle est meacutelangeacutee agrave la matiegravere il peut exister

une infiniteacute drsquoecirctres avec une mecircme forme speacutecifique dans la mesure ougrave ce qui est mateacuteriel

peut exister en nombre tregraves grand sinon infini Mais il nrsquoen est pas ainsi pour le ciel puisqursquoil

contient lrsquoensemble de toute la matiegravere et que rien ne peut venir agrave ecirctre en dehors de lui

Aristote aboutit agrave la conclusion selon laquelle il nrsquoy a pas de corps en dehors du ciel donc pas

de temps pas de lieu et pas de vide non plus Nous allons deacutesormais nous inteacuteresser agrave la

question du lieu puisque celui-ci pourrait nous donner une piste de reacuteflexion concernant

lrsquoidentiteacute des ecirctres de lagrave-bas et est un argument que lrsquoon retrouve souvent en faveur ndash ou en

deacutefaveur ndash de la reacutefeacuterence ceacuteleste Lrsquoargument qursquoil srsquoagira de restituer sera celui de Mugnier

au sein drsquoun deacutebat qui porte sur le lieu drsquoune part et drsquoautre part sur le rapport entre la

cosmologie platonicienne et la cosmologie aristoteacutelicienne dans lrsquointeacuterecirct de faire une sorte de

cartographie du problegraveme du De Caelo I 9

Lrsquoœuvre de Mugnier porte sur lrsquoeacutevolution de la penseacutee drsquoAristote Dans un passage

portant sur la jeunesse platonisante drsquoAristote apregraves avoir repeacutereacute des similitudes mais aussi

des diffeacuterentes entre les doctrines platoniciennes et les doctrines aristoteacuteliciennes Mugnier

affirme la chose suivante

Mais si Aristote semble mettre de cocircteacute le Deacutemiurge il ne renonce pas agravelrsquoIntelligence gouvernant le monde et nous lrsquoavons vu il prouve son existence agrave lrsquoaidedrsquoarguments emprunteacutes aux Lois Cette Intelligence ou Dieu qui deviendra plus tard lePremier Moteur immobile est-elle consideacutereacutee par Aristote comme lrsquoacircme du monde Ilest vraisemblable de le penser quoique nous soyons sur ce point reacuteduits aux conjecturesEt maintenant cette Intelligence est-elle devenue un Premier Moteur seacutepareacute du monde ettranscendant ou au contraire immanente agrave lrsquoUnivers En drsquoautres termes Aristote srsquoest-il prononceacute pour un theacuteisme ou pour un immanentisme Crsquoest agrave cette question que nousallons nous forcer de reacutepondre en examinant les principes et les thegraveses du Philosophe34

Nous comprenons immeacutediatement le rapport entre la cosmologie platonicienne que

nous avons deacutecouverte via le Timeacutee et la cosmologie aristoteacutelicienne En effet certains

fondements de la theacuteorie cosmologique aristoteacutelicienne viennent de celle de Platon bien que

34 Mugnier La Theacuteorie du premier moteur et lrsquoeacutevolution de la penseacutee aristoteacutelicienne 1930 p15

54

dans son platonisme Aristote se soit distingueacute de son maicirctre Aristote refusait lrsquoideacutee drsquoun

Deacutemiurge qui dans le Timeacutee est le creacuteateur du monde et drsquoIdeacutees seacutepareacutees qui servent

drsquoexemples agrave la conception du monde Mais il ne refuse pas lrsquoideacutee de lrsquoIntelligence dans les

Lois de Platon qui gouverne le monde et le dirige vers la feacuteliciteacute ou son contraire35 La

question qui se pose alors est celle de savoir si cette Intelligence est divine et transcendante au

ciel ou si elle est immanente au Premier Ciel Que signifie cet immanentisme Crsquoest lrsquoideacutee

selon laquelle le Premier Moteur immobile ou lrsquoIntelligence est lrsquoacircme du Premier Ciel et

celui-ci est son corps de sorte que le Premier Moteur ou lrsquoIntelligence serait de la mecircme

maniegravere que lrsquoacircme humaine est dans le corps humain dans quelque chose le premier ciel

crsquoest-agrave-dire la sphegravere des fixes Reacutepondre agrave la question de la transcendance ou de

lrsquoimmanence permettrait donc de comprendre ce qursquoentend Aristote par laquo takei raquo dans le De

Caelo I 9 et de comprendre les arguments de Mugnier en faveur de telle ideacutee ou telle autre

Pour reacutepondre agrave ce problegraveme Mugnier se reacutefegravere agrave Physique VIII 6 Si lrsquoimmanentisme

suggegravere lrsquoideacutee drsquoune analogie entre lrsquoacircme humainele corps humain et le Premier Moteurle

Premier ciel peut-on comparer lrsquoacircme humaine au Premier Moteur En drsquoautres termes le

Premier Moteur est-il mucirc par accident comme lrsquoest lrsquoacircme humaine Mais que signifie laquo ecirctre

mucirc par accident raquo Telles sont les questions que se pose Mugnier Dans le traiteacute De lrsquoAcircme36

Aristote affirme que lrsquoacircme humaine eacutetait immobile par essence mais en mouvement par

accident du fait de son lien avec le corps Puisque le corps se deacuteplace lrsquoacircme qui est dans le

corps est deacuteplaceacutee et est donc en mouvement par le corps et non par elle-mecircme crsquoest en ce

sens que lrsquoon dit qursquoelle est mue par accident Mugnier se demande alors ce qursquoil en est du

Premier moteur acircme du Premier ciel Srsquoil met en mouvement le Premier ciel est-il mucirc

eacutegalement par accident Comment ne pourrait-il pas ecirctre emporteacute par le mouvement de son

corps Mugnier tente de reacutepondre agrave ces questions dans le but de montrer que le Premier

Moteur ne peut pas ecirctre emporteacute par le mouvement de son corps le Premier Ciel dans la

mesure ougrave celui-ci nrsquoa pas de changement local eacutetant donneacute qursquoil nrsquoest pas dans un lieu

Le souci que pose la theacuteorie du mouvement par accident de lrsquoacircme du Premier Ciel est

que quelque chose de mucirc par accident ne saurait donner agrave une autre chose un mouvement

Pour comprendre cette ideacutee il faut comprendre quel est le mouvement de lrsquoacircme humaine pour

Mugnier si elle est transporteacutee quelque part par accident elle cherchera agrave rejoindre son

milieu naturel et imposera donc un mouvement au corps qursquoelle habite pour le faire se

mouvoir vers un milieu particulier qui est le sien Mais ce mouvement lagrave nrsquoest pas eacuteternel

35 PLATON Lois 2003 897a Traduction par A Diegraves36 ARISTOTE De lrsquoAcircme 2005 406b25 Traduction par P Thillet

55

puisqursquoil se termine une fois le lieu atteint Pour qursquoil y ait un mouvement eacuteternel il faut donc

une acircme motrice qui soit toujours elle-mecircme et dans son propre lieu sinon elle imposera un

mouvement agrave son corps qui ne durera que le temps de retourner dans le lieu qui lui est propre

Aristote affirme lui-mecircme lrsquoimmobiliteacute du Premier Moteur

Drsquoapregraves cela on pourra se convaincre que si quelque chose fait partie des moteursimmobiles mais eux-mecircmes mus par accident il est impossible qursquoil meuve drsquounmouvement continu De sorte que srsquoil est neacutecessaire que le mouvement existecontinucircment il faut qursquoil existe un premier moteur non mucirc mecircme par accident37

Le Premier Moteur est donc neacutecessairement immobile sinon il ne pourrait pas ecirctre la

cause drsquoun mouvement eacuteternel Il srsquoagit alors de se demander comment il est possible que le

Premier Moteur acircme du Premier Ciel ne soit pas ecirctre mucirc par accident La condition

neacutecessaire au mouvement accidentel du Premier Moteur est que le Premier Ciel soit mucirc Or il

nrsquoexiste rien en dehors du ciel pas mecircme un lieu comme nous lrsquoavons vu dans la partie 0

Mais tout ce qui est en mouvement lrsquoest neacutecessairement dans un lieu pour Aristote crsquoest

pourquoi il nrsquoest pas rationnel de parler de mouvement pour un corps qui nrsquoest pas dans un

lieu La question agrave laquelle nous arrivons est celle de savoir si nous pouvons parler de

deacuteplacement pour le Premier Ciel Se demander si le Premier Ciel se deacuteplace revient donc agrave se

demander si le Premier Ciel est dans un lieu (ἐν τόπῳ)

Nous avons vu dans le De Caelo I 9 que le lieu eacutetait lrsquoendroit ou il eacutetait possible qursquoil

existe quelque chose ce qui nrsquoest pas le cas pour lrsquoexteacuterieur du ciel De plus le lieu est la

limite du corps englobant38 mais il nrsquoy a rien en dehors du ciel donc rien pour lrsquoenglober

Mugnier arrive assez rapidement agrave la conclusion qursquoil nrsquoexiste pas de lieu en dehors du ciel et

surtout que la sphegravere des fixes nrsquoest dans aucun lieu La question du lieu est primordiale dans

lrsquoideacutee du mouvement puisque lrsquoon juge qursquoune chose est en mouvement par rapport agrave un lieu

selon Aristote nous jugeons qursquoune chose se deacuteplace en la regardant par rapport agrave un autre

point de repegravere qui se trouve agrave lrsquoexteacuterieur de ce qui est en deacuteplacement Une chose peut aussi

ecirctre dite dans un lieu lorsqursquoelle est entoureacutee drsquoautres corps En cela nous pouvons dire que le

Premier Ciel nrsquoest pas dans un lieu mais les astres qui srsquoy trouvent sont dans un lieu formeacute

par les autres astres qui les entourent Mugnier donne alors lrsquoexemple suivant

37 ARISTOTE Physique VIII 6 259b20-26 Traduction par Pellegrin 38 ARISTOTE Physique IV 4 211b13

56

Voici une boule qui roule sur la terre elle se deacuteplace crsquoest-agrave-dire qursquoelle occupesuccessivement diffeacuterents lieux Et si nous pouvons dire qursquoelle est animeacutee drsquounmouvement de transport crsquoest parce qursquoil nous est loisible de choisir en dehors drsquoelle uncorps un point de repegravere crsquoest-agrave-dire quelque chose par rapport agrave quoi elle se deacuteplace

Le lieu se dessine en quelque sorte par ce qui lrsquoentoure Si on imagine cette mecircme

boule mais eacutetant entoureacutee par rien on ne peut pas dire qursquoelle est dans un lieu par contre on

peut dire drsquoelle qursquoelle constitue tout lrsquoespace dans la mesure ougrave elle est la seule chose qui

soit Mais du fait qursquoelle nrsquoest pas dans un lieu puisque rien ne lrsquoentoure elle ne peut se

deacuteplacer par rapport agrave rien ni par rapport agrave elle-mecircme Parce que cette boule serait tout ce

qursquoil y a elle ne peut pas se deacuteplacer en masse dans rien crsquoest-agrave-dire dans ou vers aucun lieu

et par rapport agrave rien Donc un corps qui nrsquoest enveloppeacute par rien nrsquoest pas dans un lieu et un

corps qui nrsquoest pas dans un lieu ne peut pas se deacuteplacer Tout cela nous ramegravene alors agrave la

question de savoir srsquoil existe quelque chose en dehors du Premier Ciel

Dans le De Caelo I 9 Aristote affirme qursquoil nrsquoexiste aucun corps en dehors du ciel

car si un corps existait lagrave-bas il serait soit simple soit composeacute Mais en vertu de la theacuteorie

aristoteacutelicienne des lieux et du mouvement il ne pourrait pas y avoir de corps simple en

dehors du ciel puisque le milieu naturel des corps simples se trouve dans le ciel Et aucun des

corps simples ne pourrait srsquoy trouver de maniegravere contre nature dans la mesure ougrave cela

signifierait que ce serait le lieu naturel drsquoun autre corps mais cela est impossible Il nrsquoy a pas

non plus de corps composeacutes en dehors du ciel car la preacutesence drsquoun corps composeacute impose la

preacutesence drsquoun corps simple et il ne peut pas y avoir de corps simples en dehors du ciel Mais

puisqursquoil nrsquoy a pas de corps il nrsquoy a pas de lieu nous dit Aristote car le lieu est ce en quoi il

peut y avoir un corps Il nrsquoy a pas non plus de temps car le temps est le nombre du

mouvement or le mouvement est une proprieacuteteacute des corps et il nrsquoy a pas de corps en dehors du

ciel donc pas de mouvement En vertu de toutes ces choses que nous avions vues mais que

nous avons rappeleacutees briegravevement Mugnier conclut deux choses il nrsquoexiste ni corps ni

temps ni lieu en dehors du ciel drsquoune part et il est eacutetrange de parler du Premier Ciel comme

un corps qui se deacuteplace puisqursquoil nrsquoest dans aucun lieu La conseacutequence de cela est simple et

reacutepond clairement agrave la question de deacutepart qui eacutetait celle de savoir comment le Premier Moteur

ne pouvait pas ecirctre mucirc par accident par le mouvement du Premier Ciel Puisque le Premier

Ciel nrsquoest pas dans un lieu il est absurde de parler de mouvement Ainsi nous pouvons

affirmer que le Premier Ciel ne se deacuteplace pas et donc ne peut pas entraicircner son acircme crsquoest-agrave-

dire le Premier Moteur dans un mouvement accidentel

57

Mais selon Mugnier Aristote affirme qursquoil existe un mouvement propre au Premier

Ciel il nrsquoest pas parfaitement immobile En effet la circonfeacuterence derniegravere du ciel se meut de

maniegravere circulaire mais nous avons dit que le Premier Ciel ne se deacuteplaccedilait pas ce qui semble

agrave premiegravere vue contradictoire En fait le ciel tourne sur lui-mecircme mais ne se deacuteplace pas vers

un autre endroit Il ne change pas de laquo place raquo On notera la difficulteacute de deacutecrire un

mouvement sans faire reacutefeacuterence agrave un lieu dans la mesure ougrave il nrsquoy a aucun lieu dans lequel se

trouve le ciel

Et le seul fait que la derniegravere sphegravere nrsquoest enveloppeacutee par aucun corps et qursquoil nrsquoy a paspar suite drsquoespace en dehors drsquoelle explique pour le dire en passant un passage fortobscur du De Caelo ougrave Aristote parle de choses qui sont situeacutees au-dessus de lrsquoextrecircmereacutevolution des astres [hellip] Mais que sont-elles Ougrave se trouvent-elles Des reacuteponsesdiffeacuterentes ont eacuteteacute donneacutees39

Mugnier en vient agrave traiter de la question du τἀκεῖ au sein drsquoune reacuteflexion sur le

mouvement du Premier Ciel ou plutocirct sur la possibiliteacute du mouvement du Premier Ciel en

raison de la preacutesence ou non drsquoun lieu dans lequel il serait englobeacute Aristote a montreacute qursquoil nrsquoy

avait pas de corps pas de lieu et pas de temps en dehors du ciel Cependant Mugnier note

qursquoAristote emploie un vocabulaire spatial pour deacutecrire les ecirctres qui se situent au-dessus de la

translation la plus exteacuterieure en effet Aristote les deacutecrit comme les ecirctres de laquo lagrave-bas raquo

(τἀκεῖ) ce qui semble directement renvoyer agrave un lieu et nrsquoa de sens que si le τἀκεῖ se trouve

dans un lieu Mais dans la mesure ougrave il nrsquoexiste pas de lieu en dehors du ciel Mugnier en

conclut que le τἀκεῖ fait reacutefeacuterence agrave quelque chose qui se situe dans le ciel et non agrave lrsquoexteacuterieur

de celui-ci Car seul ce qui est dans un lieu peut ecirctre deacutesigneacute comme eacutetant laquo lagrave-bas raquo crsquoest-agrave-

dire dans un lieu Nous pouvons de maniegravere plus preacutecise conclure de lrsquoargumentation

geacuteneacuterale de Mugnier qursquoil ne pense pas que le τἀκεῖ puisse faire reacutefeacuterence agrave la sphegravere des

fixes dans sa totaliteacute dans la mesure ougrave le tout qursquoelle est nrsquoest pas dans un lieu En revanche

ses parties crsquoest-agrave-dire les astres qui srsquoy trouvent sont dans un lieu les unes par rapport aux

autres et sont englobeacutees par la sphegravere des fixes Le τἀκεῖ semblerait alors pouvoir ecirctre une

reacutefeacuterence aux astres divins qui sont sur la sphegravere la plus eacuteloigneacutee du centre et non agrave la sphegravere

des fixes dans sa totaliteacute et encore moins un ecirctre qui lui serait transcendant Il srsquoagit alors

drsquoune conception meacutetaphorique du lieu utiliseacutee par Aristote puisque le terme laquo lieu raquo ne

renvoie pas reacuteellement agrave un lieu dans le cas preacutesent Toutefois Mugnier ne rend pas compte

de lrsquoutilisation du terme huper puisqursquoil nrsquoaffirme pas que cette expression renvoie a un au-

39 Mugnier opcit 1930 p77

58

dessus meacutetaphorique eacutegalement crsquoest-agrave-dire un au-dessus qui ne serait pas veacuteritablement hors

du ciel

322 Lrsquoabsence de lieu comme caracteacuteristique drsquoun ecirctre transcendant le ciel

Solmsen40 affirme sur la question du lieu comme justification de la transcendance ou

de lrsquoimmanence du τἀκεῖ que le τἀκεῖ est une reacutefeacuterence agrave un ecirctre transcendant du fait que

lrsquoabsence de lieu devient une caracteacuteristique de ce qui nrsquoa pas de lieu Mais comment en

arrive t-il agrave deacutefendre cette thegravese sans tomber dans le problegraveme de la description drsquoun ecirctre sans

lieu qui serait pourtant lagrave-bas crsquoest-agrave-dire quelque part Pour comprendre ce problegraveme

Solmsen se tourne vers la cosmologie platonicienne dans la mesure ougrave il traite explicitement

dans le Phegravedre drsquoun au-delagrave du ciel Mais quel est le rapport entre Platon et Aristote sur cette

question Solmsen srsquoexprime sur le τἀκεῖ dans un contexte historique Il cherche en quelque

sorte le fondement philosophique de la conception de lrsquoau-delagrave du ciel Crsquoest pourquoi

Solmsen en vient agrave parler de Platon qui affirme la chose suivante

Chaque fois qursquoils se rendent agrave un festin crsquoest-agrave-dire agrave un banquet ils se mettent agrave montervers la voucircte qui constitue la limite inteacuterieure du ciel [hellip] Crsquoest lagrave sache-le bien quelrsquoeacutepreuve et le combat suprecircmes attendent lrsquoacircme En effet lorsqursquoelles ont atteint la voucirctedu ciel ces acircmes qursquoon dit immortelles passent agrave lrsquoexteacuterieur srsquoeacutetablissent sur le dos duciel se laissent emporter par leur reacutevolution circulaire et contemplent les reacutealiteacutes qui se

trouvent hors du ciel41

Platon dans le Phegravedre affirme donc qursquoil existe quelque chose en dehors du ciel les

reacutealiteacutes Ces choses reacuteelles sont une reacutefeacuterence directe aux Formes intelligibles et seacutepareacutees

Toutefois nous pouvons noter que ce passage revecirct lrsquoapparence du mythe poeacutetique et non pas

drsquoune argumentation philosophique ce qui nous amegravene agrave nous poser la question de la veacuteriteacute

du propos tenu par Platon Celui-ci dans la continuiteacute de cet extrait affirme prononcer la

veacuteriteacute au sujet de lrsquounique chose qui soit veacuteritablement les Formes Nous savons par la

lecture de la Reacutepublique par exemple que les concepts de veacuteriteacute et de mythe chez Platon

sont geacuteneacuteralement opposeacutes pourquoi utilise-t-il alors un mythe pour parler drsquoune chose qui

soit lrsquoune des veacuteriteacutes Il semblerait pour Solmsen que cette question se soit eacutegalement poseacutee

40 Solmsen laquo Beyond the Heavens raquo197641 Phegravedre 2004 247c3 Traduction par L Brisson

59

au sein de lrsquoAcadeacutemie durant cette eacutepoque et nombreux eacutelegraveves ont eacuteteacute drsquoavis que cette notion

drsquoau-delagrave du ciel nrsquoeacutetait pas agrave prendre au seacuterieux du fait que Platon utilisait un mythe pour

srsquoy reacutefeacuterer Toutefois Platon dans ce mecircme passage fait la promesse de dire la veacuteriteacute au sujet

de la veacuteriteacute Le mythe devient alors le moyen le plus approprieacute de parler de ce qui se trouve

hors du ciel

Ce lieu qui se trouve au-dessus du ciel aucun poegravete parmi ceux drsquoici-bas nrsquoa encore chanteacute drsquohymne en son honneur et aucun ne chantera en son honneur un hymne qui en soit digne Or voici ce qui en est car srsquoil se preacutesente une occasion ougrave lrsquoon doive dire la veacuteriteacute crsquoest bien lorsqursquoon parle de la veacuteriteacute42

On note cependant quAristote eacutelegraveve de Platon dans sa jeunesse et malgreacute le fait que

lrsquoau-delagrave du ciel nrsquoait pas eacuteteacute pris pour un veacuteritable sujet drsquoeacutetude agrave lrsquoAcadeacutemie en vient agrave

parler de lrsquoexteacuterieur du ciel Pouvons-nous donc voir agrave travers le Phegravedre lrsquoorigine de certains

passages obscurs drsquoAristote concernant ce mysteacuterieux lieu qui se trouve au-delagrave du ciel

Dans le Phegravedre Platon place les Formes dans un lieu qui serait agrave lrsquoexteacuterieur du ciel

Solmsen note que de nombreux interpregravetes tel que Hackforth affirment que ce nrsquoest pas la

premiegravere fois que Platon attribue un lieu aux Formes intelligibles en effet dans le Timeacutee43 il

en est question eacutegalement Mais Solmsen refuse cette interpreacutetation des textes de Platon en

affirmant qursquoil nrsquoest pas convainquant que Platon fasse reacutefeacuterence agrave un lieu lorsqursquoil parle des

Formes car le lieu est en rapport avec les corps mateacuteriels et les Formes en plus drsquoecirctre

intelligibles sont seacutepareacutees de la matiegravere Il y a certes une laquo ascension raquo de lrsquoacircme qui se dirige

vers une connaissance accessible seulement par lrsquointellect mais ce nrsquoest pas parce qursquoil y a

une ascension au-delagrave du ciel que cet au-delagrave du ciel est lieacute agrave un corps mateacuteriel En effet pour

les Formes il srsquoagit de ce que Platon nomme un νοητὸς τόπος et celui-ci nrsquoest absolument

pas lieacute agrave la matiegravere Crsquoest pourquoi parler de laquo lieu raquo nrsquoest pas veacuteritablement contradictoire

pour parler drsquoun lieu sans matiegravere si lrsquoon preacutecise de quel type de lieu on parle crsquoest-agrave-dire un

lieu intelligible De plus dans le Timeacutee Platon affirme que tous les corps sensibles sont dans

lrsquoespace et dans un lieu Mais de cela nous ne pouvons affirmer que ce qui est propre et

neacutecessaire au corps sensible le soit aussi pour les ecirctres intelligibles et seacutepareacutes de la matiegravere

Dire qursquoaucun corps sensible ne peut ecirctre en dehors drsquoun lieu nrsquoimplique pas que les Formes

platoniciennes doivent ecirctre dans un lieu dans la mesure ougrave elles nrsquoentrent pas dans le domaine

du mateacuteriel et donc dans ses lois Il rejette alors toutes ideacutees drsquoassociation de lieu physique agrave

42 Ibid 247c 43 Timeacutee opcit 30c

60

la forme car cela est incompatible avec sa nature Le problegraveme est que le langage est fait de

telle maniegravere que Platon est limiteacute et ne peut pas deacutesigner ce qui se trouve dans un lieu

intelligible et sans matiegravere autrement que par des mots qui deacutesignent des lieux physiques

Crsquoest pourquoi il se doit drsquoutiliser le mythe Gracircce agrave lrsquoutilisation drsquoun pareil outil nous

pouvons dire qursquoil srsquoagit drsquoun lieu au sens alleacutegorique voire meacutetaphorique Cet outil lui

permet donc deux choses faire les louanges agrave la hauteur (ou plutocirct au plus proche) de la

beauteacute des Formes de maniegravere la plus approprieacutee possible pour ce qui est le plus parfait et

deacutesigner des lieux avec ses outils langagiers qui ne font pas reacutefeacuterence agrave des lieux tels que

nous les connaissons

Mais quel est le rapport avec Aristote Nous lrsquoavons dit Solmsen cherche lrsquoorigine de

certaines theacuteories aristoteacuteliciennes et il srsquoavegravere que certaines theacuteories lui ont eacuteteacute transmises agrave

lrsquoAcadeacutemie via les textes de Platon Mais comment expliquer que lrsquoon retrouve certaines

occurrences dans la philosophie aristoteacutelicienne et platonicienne alors mecircme qursquoil y a

diffeacuterentes opinions parfois opposeacutees sur un mecircme sujet chez Platon En effet srsquoil est

question dans le Phegravedre drsquoun au-delagrave du ciel ou se trouveraient les Formes dans le Timeacutee

Platon affirme qursquoil existe rien qui ne soit pas dans un lieu dans le monde Il faut donc lire les

passages suivants de la Physique44 drsquoAristote en se souvenant de celui du Phegravedre que nous

avons citeacute plus haut dans lrsquointeacuterecirct de comprendre pourquoi Aristote affirmait certaines choses

de la philosophie platonicienne plutocirct que drsquoautres

Le premier passage porte sur le lieu Aristote expose deux points de vue du lieu Dans

un premier temps Aristote affirme que le lieu est la matiegravere puisqursquoil nrsquoest pas simplement la

peacuteripheacuterie de ce qui est enveloppeacute mais aussi lrsquointervalle entre la limite qursquoil est et lrsquoobjet

dont il est le lieu Dans un second temps le lieu est lui-mecircme englobeacute car sa surface deacutelimite

le lieu occupeacute en ce sens le lieu est compris comme une matiegravere Quant au second passage il

porte sur lrsquoinfini Il distingue deux conceptions de lrsquoinfini les pythagoriciens pensent que

lrsquoinfini est propre agrave ce qui se situe hors du ciel alors que Platon affirme dans le Timeacutee qursquoil

nrsquoy a rien en dehors du ciel pas mecircme les Formes puisque celles-ci ne sont pas quelque part

Pourquoi Aristote affirmait que le lieu eacutetait ce que nous venons de deacutecrire et affirmait que

Platon refusait drsquoassocier lrsquoau-delagrave du ciel aux Formes alors mecircme que dans le Phegravedre il les

situe dans cet au-delagrave Solmsen formule trois hypothegraveses pour reacutepondre agrave ce problegraveme

44 Physique IV 2 209b11-16 et Physique III 4 203a1

61

1) Aristotle may not have read the mythical section of the laquo Phaedrus raquo Despite thereference to this section in Rhetoric III 7 1408b20 where it serves as an example ofpoetic style45

Mais cette hypothegraveses proposeacutee par Solmsen est directement critiqueacutee par lui En effet

cette theacuteorie selon laquelle Aristote nrsquoavait pas lu ce passage du Phegravedre bien qursquoelle ne soit

pas impossible est peu probable dans la mesure ougrave drsquoune part il y a une reacutefeacuterence agrave cette

œuvre dans la Rheacutetorique drsquoAristote et drsquoautre part il y a un trop gros rapprochement entre le

systegraveme rheacutetorique qursquoemploie Aristote dans son œuvre et celui qursquoemploie Platon pour parler

de ce qui est au-delagrave du ciel De plus cette theacuteorie supposerait que lrsquoon accepte qursquoAristote

avait la meacutemoire courte et qursquoil avait totalement oublieacute un passage entier du mythe du Phegravedre

2) Aristotle may have known but discounted the ὑπερουράνιος τόπος because for him asfor modern interpreters of the lsquoPhaedrusrsquo its presence in a myth ndash and in a myth whichunlike the myth of the lsquoTimaeusrsquo did not embody a cosmology ndash deprived the idea ofphilosophical significance46

Cette hypothegravese formuleacutee par Solmsen serait qursquoAristote avait lu cette œuvre mais

reacuteduit lrsquoimportance de lrsquoau-delagrave du ciel dans la mesure ougrave ce lieu apparaissait dans un mythe

Solmsen affirme que si cette hypothegravese est la vraie cela signifie qursquoAristote a volontairement

occulteacute la promesse de Platon de dire la veacuteriteacute concernant les Formes Une autre raison plus

leacutegitime serait de penser que le Timeacutee a eacuteteacute eacutecrit apregraves le Phegravedre et qursquoAristote le sachant

aurait consideacutereacute le Timeacutee comme une correction de certaines theacuteories platoniciennes passeacutees

De cette maniegravere le discours sur la localisation des Formes platoniciennes serait nul et non

avenu

3) At the time when Aristotle put down the passages in Physics III and IV he could notknow the lsquoPhaedrusrsquo because it had not yet been written or if written not yet beenpublished47

Quant agrave cette troisiegraveme hypothegravese elle repose sur la question de la date et lrsquoordre de

publication des dialogues platoniciens Le problegraveme est que nous nrsquoavons pas de sources

45 Solmsen opcit 1976 p2846 Ibid p2847 Ibid p28

62

suffisantes pour asseoir cette theacuteorie De plus dans lrsquohistoire de lrsquoeacutetude des dialogues

platoniciens le Phegravedre est celui qui a le plus de fois changeacute de place sur la liste chronologique

des dialogues platoniciens crsquoest dire agrave quel point nous nrsquoavons pas de connaissances certaines

et veacuteritables agrave ce sujet

La seconde hypothegravese selon Solmsen a plus de chance de seacuteduire les interpregravetes

classiques Mais avant de srsquoexprimer sur la question Solmsen nous renvoie au texte

drsquoAristote tireacute du De Caelo I 9 279a18-23 Solmsen affirme que en vertu des positions

philosophiques drsquoAristote il ne peut pas faire reacutefeacuterence aux Formes platoniciennes qui pour

lui nrsquoexistent pas Crsquoest pourquoi la seule possibiliteacute quant agrave la reacutefeacuterence de ce qui se trouve

lagrave-bas est pour Solmsen les diviniteacutes Il semble alors qursquoil y ait une intersection entre la

theacuteorie platonicienne eacutenonceacutee dans le Phegravedre et la theacuteorie aristoteacutelicienne du De Caelo dans la

mesure ougrave Platon affirme que les diviniteacutes passent au-delagrave de la derniegravere extreacutemiteacute pour

contempler les Formes Cela signifie qursquoil nrsquoy a pas que des Formes au-delagrave du ciel mais

eacutegalement des diviniteacutes Beaucoup drsquointerpregravetes ont eacuteteacute tenteacutes de comprendre ce texte comme

eacutetant une reacutefeacuterence aux premiers moteurs immobiles Toutefois Solmsen soutient qursquoil ne

peut srsquoagir de diviniteacutes ayant une fonction motrice dans la mesure ougrave Aristote affirme agrave la fin

de ce chapitre qursquoil nrsquoy a rien de plus fort que le corps qui a un mouvement circulaire et que

rien ne peut le deacuteplacer Les diviniteacutes nrsquoont donc pas agrave avoir une fonction motrice car le

mouvement circulaire srsquoexplique par la nature mecircme du cinquiegraveme eacuteleacutement qursquoest lrsquoeacutether

Solmsen affirme que crsquoest un passage choquant car on a le sentiment qursquoAristote est sur le

point drsquoaboutir agrave lrsquoideacutee qursquoil nrsquoy a rien en dehors du ciel en raison du fait que tout est compris

dans le ciel Il souligne que pour Platon crsquoest une theacuteorie theacuteologique alors que pour Aristote

crsquoest une theacuteorie scientifique (due agrave sa theacuteorie des corps des milieux et des mouvements)

Mais les lois physiques ne srsquoeacutetendent pas agrave ce qui est incorporel Les dieux sont au-dessus des

lois physiques et aucun argument utiliseacute dans le DC ne refuserait aux dieux une place au-

dessus du ciel Tels sont les arguments de Solmsen en faveur de la nature transcendante du

takei Mais quel est le rapport avec les 3 hypothegraveses preacutesenteacutees plus haut Elle rend

impossible et peu probable la premiegravere selon laquelle Aristote nrsquoavait pas lu cette partie du

Phegravedre et la derniegravere selon laquelle le Phegravedre nrsquoavait pas eacuteteacute eacutecrit en vertu du fait qursquoil

semble y avoir une intersection entre Aristote et Platon qui srsquoexplique par une lecture du

Phegravedre par Aristote La deuxiegraveme explication semble donc plus pertinente Aristote pouvait

consideacuterer le Timeacutee comme une base pour les hypothegraveses suggeacuterant un laquo lieu raquo pour les

formes (car tout est dans un lieu pour Platon dans le Timeacutee) mais il est possible qursquoAristote

63

ait associeacute ses diviniteacutes agrave cet au-delagrave du ciel qui nrsquoest pas un lieu Bien sucircr Aristote a revisiteacute

cette conception de lrsquoau- delagrave du ciel en supprimant les formes platoniciennes qui sont

regardeacutees par les diviniteacutes Il y a une diffeacuterence entre le laquo lieu raquo meacutetaphorique au-delagrave du ciel

de Platon et celui drsquoAristote Nous avons vu qursquoen dehors du ciel il nrsquoy avait rien et que le

τἀκεῖ nrsquoeacutetait dans aucun lieu Donc philosophiquement on peut penser a une reacutealiteacute eacuteternelle

et immateacuterielle qui se trouve au-delagrave du ciel

Le geste de Platon et Aristote nrsquoest pas le mecircme affirme Solmsen Platon dans le

mythe du Phegravedre prend les formes impassibles et inalteacuterables au-dessus du ciel pour acquises

dans la mesure ougrave lrsquoexistence de ces formes a eacuteteacute eacutetablis dans drsquoautres dialogues Il attribue

simplement la veacuteriteacute agrave ce lieu en le deacutesignant comme la laquo plaine de la veacuteriteacute raquo alors

quAristote en deacutecouvrant gracircce agrave sa theacuteorie des milieux un laquo environnement raquo qui exclut le

lieu le vide la matiegravere et le temps utilise cet environnement pour deacutefinir la nature de ses

diviniteacutes parce qursquoelles nrsquoont pas de corps pas de temps et pas de lieu elles sont

inchangeables et eacuteternelles Nous avons alors une conception du divin qui coiumlncide avec celle

de la Meacutetaphysique et de la Physique bien qursquoil ne soit pas question drsquoune diviniteacute motrice

Nous pouvons alors faire un lien pertinent entre la philosophie platonicienne et la philosophie

aristoteacutelicienne tout en les faisant cohabiter sans se contredire Le geste de Solmsen permet

alors de faire pencher la balance et drsquoajouter un argument en plus agrave la position de la reacutefeacuterence

transcendante concernant le τἀκεῖ

33 Deacutepassement des deux alternatives traditionnelles de lrsquointerpreacutetation du takei

331 Lrsquoeacutether hypercosmique de Peacutepin

Mais les deux interpreacutetation du problegraveme du takei ne font pas totalement lrsquounanimiteacute

Parmi ceux qui pensent en dehors de ce cadre nous trouvons Peacutepin qui a deacuteveloppeacute une

theacuteorie fort originale selon laquelle le takei est une reacutefeacuterence agrave lrsquoeacutether hypercosmique Il

srsquoagira alors de voir quels sont les arguments par rapport agrave ceux que nous avons vu qui

permettent de deacutefendre cette thegravese

Lrsquoarticle de Fabienne Baghdassarian48 nous propose un exposeacute inteacuteressant des

diffeacuterentes thegraveses portant sur lrsquoidentiteacute des ecirctres de lagrave-bas Parmi ces nombreuses thegraveses il y

48 Baghdassarian 2011

64

en a une qui est volontairement mise de cocircteacute et briegravevement introduite dans une note de bas de

page celle de Peacutepin

Nous ne dirons rien de lrsquohypothegravese de Peacutepin 1964 p 161-170 qui soutient que la diviniteacuteen question est lrsquoeacutether hypercosmique Peu drsquoeacuteleacutements en effet sont en faveur de cettethegravese et ce tout particuliegraverement dans le DC J Peacutepin lui-mecircme ne reconnaicirct-il pas qursquoilnrsquoest qursquoun seul texte dans ce traiteacute en faveur de son hypothegravese 49

Ce qui est fort inteacuteressant dans la thegravese de Peacutepin est son originaliteacute En effet si nous

avons vu agrave travers lrsquoarticle de Fabienne Baghdassarian jusqursquoagrave preacutesent que lrsquointerpreacutetation

du τἀκεῖ eacutetait bien souvent binaire et penchait soit en faveur de la transcendance

geacuteneacuteralement associeacutee au Premier Moteur Immobile soit en faveur de la reacutefeacuterence ceacuteleste et

plus particuliegraverement agrave la sphegravere des fixes lrsquointerpreacutetation de Peacutepin est tout autre Il ne srsquoagit

pas pour lui de deacutefendre lrsquoune ou lrsquoautre de ces ideacutees bien au contraire il en expose une toute

nouvelle apregraves avoir argumenteacute en deacutefaveur des theacuteories issues de la tradition de Simplicius

et drsquoAlexandre Selon lui le τἀκεῖ serait une reacutefeacuterence agrave lrsquoeacutether hypercosmique La question

que nous devons nous poser est la suivante comment Peacutepin en arrive agrave cette thegravese nouvelle

Dans un premier temps Peacutepin rappelle une chose importante que Fabienne

Baghdassarian rappelle eacutegalement

Certains passages du De Caelo drsquoAristote donnent agrave entendre que la diviniteacute serait au-delagrave de lrsquounivers[hellip] Il srsquoagit essentiellement de I 9 279a11-b350

A la lecture de cette premiegravere phrase nous sommes en droit de nous poser la question

que Fabienne Baghdassarian posait dans son article il existe fort peu de textes drsquoAristote au

sujet de reacutealiteacutes transcendantes agrave lrsquoordre ceacuteleste et De Caelo I 9 serait-il lrsquoun de ceux-lagrave

Peacutepin en semble convaincu dans la mesure ougrave il dit qursquoAristote affirme lrsquoexistence drsquoecirctres qui

se situent au-delagrave du mouvement de translation le plus exteacuterieur A ce propos Peacutepin ne

manque pas de citer directement le texte drsquoAristote La situation de ces ecirctres de lagrave-bas est

donc telle qursquoils eacutechappent au temps et au lieu partie A Cette absence de lieu et de temps

implique que ces ecirctres soient inalteacuterables et impassibles selon Aristote De plus de ces ecirctres

deacutependent lrsquoecirctre et la vie crsquoest ce que nous avons vu dans la partie B Finalement rien nrsquoest

49 Baghdassarian 2011 p 20150 Peacutepin Theacuteologie cosmique et Theacuteologie chreacutetienne1964 p161

65

plus parfait que ces ecirctres donc rien ne peut les mouvoir Peacutepin affirme alors qursquoils ont un

mouvement de translation par eux-mecircmes et non par une chose exteacuterieure Peacutepin ne semble

pas faire grand cas du problegraveme de la continuiteacute de lrsquoobjet du texte dans la mesure ougrave il

applique ce qui semblait ecirctre un eacuteloge du corps qui se meut de maniegravere circulaire au τἀκεῖ

Pouvons-nous mettre en cause ce premier geste de lrsquointerpregravete dans la mesure ougrave Aristote

affirme qursquoil nrsquoy a laquo aucun changement pour les ecirctres qui sont disposeacutes au-dessus de la

translation la plus exteacuterieure raquo Quoiqursquoil en soit la perfection qursquoAristote accorde agrave ces

ecirctres semble sans preacuteceacutedent et autorise donc Peacutepin agrave voir en la figure du τἀκεῖ une diviniteacute Il

affirme que les proprieacuteteacutes ndash impassible autarcique immuable ndash qui servent agrave le deacutecrire sont

les mecircmes que celles utiliseacutees pour deacutecrire le divin dans la Meacutetaphysique Λ51 et qursquoen plus de

cela Aristote utilise souvent le terme theios52 pour deacutesigner le τἀκεῖ Montrer que le τἀκεῖ est

drsquoordre divin permettra agrave Peacutepin de deacutefendre sa theacuteorie de lrsquoeacutether hypercosmique mais nous y

reviendrons plus tard

Avant drsquoexposer sa theacuteorie Peacutepin srsquoattaque directement aux deux grandes

interpreacutetations qui dominent celle de Simplicius (suivie par les interpregravetes modernes que

nous avons vus) et celle drsquoAlexandre (qui est eacutegalement deacutefendue par drsquoautres interpregravetes vus

preacuteceacutedemment)

Il note un lien entre la description qursquoen fait Aristote dans le De Caelo I 9 lorsqursquoil

affirme qursquoils sont immuables impassibles et qursquoils jouissent de la plus autarcique des vies

pour toute sa dureacutee et la Meacutetaphysique Λ lorsqursquoil deacutecrit en ces termes le Premier Moteur

Immobile Simplicius voyait dans le τἀκεῖ une reacutefeacuterence au Premier Moteur Immobile agrave tel

point qursquoil a modifieacute le texte original comme le disait Moraux pour faire correspondre la

theacuteorie du Premier Moteur Immobile au τἀκεῖ En effet Simplicius remplace κινεῖται par κινεῖ

dans lrsquointeacuterecirct de donner une fonction motrice au τἀκεῖ comme le Premier Moteur Immobile a

une fonction motrice puisqursquoelle est ce qui met le Premier Ciel en mouvement Fabienne

Baghdassarian tout comme Moraux nrsquoacceptent pas cette modification Moraux affirme

qursquoelle nrsquoest pas envisageable dans la mesure ougrave le texte original ne fait pas mention drsquoune

fonction motrice du τἀκεῖ Quant agrave Fabienne Baghdassarian remarque en se tournant vers la

traduction que si lrsquoon accepte la correction de Simplicius le texte drsquoAristote signifierait que

le τἀκεῖ met en mouvement le Premier Ciel en vertu du fait que lrsquoeacutether se deacuteplace de maniegravere

circulaire ce qui nrsquoest pas coheacuterent avec lrsquoensemble du texte selon elle puisque lrsquoexplication

51 Meacutetaphysique Λ 652 Ibid

66

du mouvement circulaire ducirc agrave la nature de lrsquoeacutether nrsquoa rien agrave voir avec la puissance motrice du

Premier Moteur De nombreux arguments permettent donc de deacutecreacutedibiliser la correction de

Simplicius et ruinent lrsquoideacutee drsquoune reacutefeacuterence au Premier Moteur Immobile du fait de lrsquoabsence

explicite de fonction motrice du τἀκεῖ

Apregraves avoir critiqueacute la theacuteorie de Simplicius Peacutepin srsquoattaque agrave celle drsquoAlexandre

drsquoAphrodise Ce dernier deacutefendait lrsquoideacutee selon laquelle le τἀκεῖ eacutetait une reacutefeacuterence agrave la sphegravere

des fixes En effet il semblerait que la sphegravere des fixes respecte le fait de nrsquoecirctre dans aucun

lieu et aucun temps car rien ne lrsquoenveloppe En effet il nrsquoy a de temps et de lieu que pour ce

qui est enveloppeacute par un corps Alexandre se reacutefegravere alors agrave la Physique IV 553 dans lequel

Aristote affirme que la sphegravere des fixes puisqursquoelle nrsquoest dans aucun lieu est transcendante

au lieu et constitue le lieu du corps dans la continuiteacute de la sphegravere des fixes et dans lequel se

trouvent certaines planegravetes ainsi que le Soleil et la Lune (consideacutereacute comme des planegravetes car

ayant un mouvement irreacutegulier) Alexandre identifie donc le τἀκεῖ comme quelque chose se

trouvant au-dessus drsquoun mouvement crsquoest pourquoi il pense agrave la sphegravere des fixes elle nrsquoest

pas dans un lieu pas dans le temps et elle se trouve au dessus du mouvement rectiligne le plus

haut Cependant Peacutepin ne considegravere pas cette theacuteorie comme acceptable dans la mesure ougrave

Aristote affirme que le τἀκεῖ se situe au-dessus du mouvement de translation le plus exteacuterieur

Le mouvement de translation est le mouvement circulaire et le plus haut et exteacuterieur des

mouvements circulaires est celui de la sphegravere des fixes Le texte mecircme permet alors de

combattre la theacuteorie drsquoAlexandre car le τἀκεῖ se trouve au dessus de la sphegravere des fixes et si

la sphegravere des fixes eacutetait effectivement le τἀκεῖ comment pourrait-elle ecirctre au dessus drsquoelle-

mecircme Cette remarque de Simplicius est reprise par Peacutepin

Il srsquoavegravere que Peacutepin ne croit ni en lrsquohypothegravese de la reacutefeacuterence au Premier Moteur

Immobile ni en celle drsquoune reacutefeacuterence agrave la sphegravere des fixes Crsquoest pourquoi il se tourne vers les

teacutemoignages de doxographies de lrsquoAntiquiteacute et plus preacuteciseacutement celle de Arius Didyme dans

laquelle est attribueacutee agrave Aristote la theacuteorie drsquoun dieu supeacuterieur agrave lrsquoensemble des sphegraveres

ceacutelestes qursquoil enveloppe et tient ensemble un dieu immuable impassible bienheureux et qui

communique son mouvement circulaire agrave lrsquoensemble de lrsquounivers Cette description fait

directement eacutecho au De Caelo I 3 et agrave la conception de lrsquoeacutether Peacutepin pose alors la question

de savoir si la reacutefeacuterence agrave lrsquoeacutether est plus satisfaisante que la reacutefeacuterence agrave la sphegravere des fixes ou

au Premier Moteur Immobile De plus lrsquoeacutether est-il susceptible drsquoeacuteviter les objections

53 Physique IV 5 212b8-20

67

auxquelles se heurte la sphegravere des fixes A savoir que la sphegravere des fixes ne peut pas ecirctre en

dehors de la sphegravere des fixes puisque le τἀκεῖ est dit se situer au dessus du mouvement de

translation le plus exteacuterieur En drsquoautres termes lrsquoeacutether peut-il ecirctre au dessus du mouvement

circulaire de la sphegravere des fixes Peacutepin concegravede lrsquoideacutee que lrsquoeacutether bien qursquoil entre aussi en la

composition des astres concerne en prioriteacute la constitution de la sphegravere des fixes Toutefois

Peacutepin objecte agrave sa propre thegravese que bien que cela soit affirmeacute dans le De Caelo I 3 dans le

passage du De Caelo qui nous inteacuteresse Aristote ne donne aucune autre information agrave ce

sujet

Pour eacutetayer son hypothegravese Peacutepin srsquoappuie sur la Reacutefutation de toutes les heacutereacutesies dans

lequel Hippolyte affirme que lrsquounivers aristoteacutelicien peut se deacutecomposer en trois parties

Le monde selon Aristote est diviseacute en un grand nombre de parties diffeacuterentes Cettepartie-ci du monde qui srsquoeacutetend depuis la terre jusqursquoagrave la lune est sans providence sansdirection et nrsquoobeacuteit qursquoagrave sa propre nature Dans celle qui est apregraves la lune jusqursquoagrave lasurface du ciel regravegnent lrsquoordre la providence et une sage direction Quant agrave cette surface(du ciel) elle est une cinquiegraveme substance eacutetrangegravere agrave tous les eacuteleacutements physiques dontle monde est composeacute et cette cinquiegraveme substance drsquoapregraves Aristote est une sorte desubstance supeacuterieure au monde54

La premiegravere est la partie sublunaire la seconde la partie supralunaire et la troisiegraveme la partie

qui est la surface du ciel eacutetranger agrave tous les eacuteleacutements du monde car constitueacutee par le

cinquiegraveme eacuteleacutement lrsquoeacutether Peacutepin critique les arguments de la theacuteorie drsquoHippolyte en

affirmant qursquoAristote nrsquoa pas retireacute lrsquoeacutether mecircme srsquoil a dit que lrsquoeacutether concernait

principalement la sphegravere des fixes de la constitution du ciel et des astres Il retient toutefois

une notion introduite par Hippolyte pour expliquer la preacutesence du cinquiegraveme eacuteleacutement au-delagrave

de la sphegravere des fixes la notion de ἐπιφάνεɩɑ τοῦ οὐρɑνοῦ Cette notion est employeacutee dans la

philosophie stoiumlcienne pour deacutesigner la surface de la sphegravere unique qursquoenveloppe le ciel et sur

laquelle sont poseacutes les astres De cette maniegravere la surface dont il est question ici est la sphegravere

des fixes aristoteacutelicienne Mais Hippolyte ne se contente pas drsquoidentifier la sphegravere des fixes agrave

cette notion il lrsquointroduit dans le but de deacutecrire la sphegravere des fixes comme un corps eacutepais dont

la surface inteacuterieur est dans le ciel et la surface exteacuterieure constitueacutee drsquoeacutether se trouve hors

du ciel En ce sens nous comprenons comment lrsquoeacutether peut se trouver au-delagrave de la sphegravere des

fixes tout en la constituant Ce qui regravegle la question que Peacutepin posait ci-dessus agrave savoir est-

54 Hippolyte 1928 p102 Traduction par A Siouville

68

ce que le τἀκεῖ identifieacute comme eacutetant lrsquoeacutether eacutevite les objections formuleacutees agrave la sphegravere des

fixes

De plus la doxographie drsquoArius Didyme et celle drsquoHippolyte ne sont pas les seules agrave

preacutesenter un eacutether hypercosmique dans la philosophie aristoteacutelicienne En effet Sextus

Empiricus ainsi que le teacutemoignage anonyme de la Vita Aristotelis rendent compte de la mecircme

ideacutee mais par des arguments diffeacuterents Sextus Empiricus preacutesente Aristote comme ayant une

theacuteologie mateacuterialiste crsquoest-agrave-dire qursquoil comprend que la diviniteacute ne peut pas se trouver hors

du ciel puisqursquoil nrsquoy a rien hors du ciel par conseacutequent elle doit se trouver agrave lrsquointeacuterieur de

celui-ci ce qui nous permet de penser raisonnablement que le τἀκεῖ ne fait pas reacutefeacuterence au

Premier Moteur Immobile mais bien agrave lrsquoeacutether se situant sur la surface exteacuterieure de la sphegravere

des fixes ainsi deacutesigneacute comme hypercosmique

La situation est donc la suivante plusieurs doxographies srsquoaccordent agrave rapporter agraveAristote une theacuteorie de la diviniteacute de lrsquoeacutether hypercosmique mais le seul textearistoteacutelicien apte agrave fonder ces teacutemoignages (qui en retour contribuent agrave lrsquoeacuteclairer)apparaicirct dans le De Caelo crsquoest-agrave-dire dans un traiteacute qui passe a bon droit pour veacutehiculercertaines doctrines anteacuterieures issues des eacutecrits de jeunesse55

Par conseacutequent la deacutemarche de Peacutepin est la suivante il note qursquoil existe une

litteacuterature doxographique dans laquelle il est plusieurs fois fait mention de la theacuteorie drsquoun

eacutether hypercosmique En mecircme temps les textes dans lesquels Aristote en parlait ne sont pas

en notre possession et le seul document qui semble pouvoir manifester de la veacuteraciteacute de ces

reacutefeacuterences est le De Caelo I 9 crsquoest-agrave-dire un eacutecrit connu pour avoir eacuteteacute eacutecrit relativement tocirct

par Aristote Il comprend alors le passage du De Caelo qui nous inteacuteresse au regard de ces

doxographies mais eacutegalement au regard du fragment 26 du De Philosophia qui serait

lrsquoorigine de la formulation premiegravere de la theacuteorie de lrsquoeacutether hypercosmique ou du takei

En effet parfois il attribue tout le divin agrave lrsquoesprit parfois il dit que le monde lui-mecircme estun dieu parfois il soumet le monde et ses parties agrave un autre ltdieugt chargeacute de reacutegler et depreacuteserver le mouvement du monde par un mouvement reacutetrograde puis il dit que lrsquoardeurdu ciel est un dieu ne comprenant pas que le ciel est une partie du monde qursquoailleurs il adeacutesigneacute comme un dieu Mais comment la fameuse perception divine dont est doueacute le cielpourrait-elle se conserver dans un mouvement aussi rapide Et ougrave sont les dieux bienconnus si nous comptons aussi le ciel au nombre des dieux Et quand il veut qursquoun dieunrsquoait pas de corps il le prive de toute perception sensible et mecircme de prudence Et

55 Peacutepin opcit 1964 p169

69

comment le monde pourrait-il se mouvoir alors qursquoil est priveacute de corps et comment srsquoil semeut sans cesse peut-il ecirctre calme et heureux 56

En ce sens selon Peacutepin Jaeger57 avait raison drsquoaffirmer que ce passage du De Caelo

eacutetait une reprise du De Philosophia dans la mesure ougrave le De Caelo compris comme un des

traiteacutes les plus anciens qui soit conserveacute srsquoinspire des theacuteories drsquoeacutecrits non publieacutes ou perdus

tels que le De Philosophia En effet il est question de diviniteacutes qui comme les takei sont

immaterielles De plus il eacutenonce les preacutemisses du mouvement circulaire des ecirctres divins qui

par suite sera le mouvement causeacute par lrsquoeacuteleacutement qui constitue ces ecirctres divins lrsquoeacutether

Lrsquoeacutetude du propos de Peacutepin nous a alors permis de deacuteconstruire les traditionnelles

alternatives de lrsquointerpreacutetation du τἀκεῖ qui penche soit en faveur du Premier Moteur soit en

faveur de la sphegravere des fixes Peacutepin propose une alternative qui bien qursquoelle ne soit pas

souvent accepteacutee a le meacuterite drsquoaffronter les difficulteacutes que pose la lecture de ce texte tout en

respectant le contenu textuel de celui-ci

3 3 2 La theacuteorie des Moteurs Immobiles une variante originale de la reacutefeacuterence au Premier Moteur Immobile

Merlan propose une theacuteorie de lrsquointerpreacutetation du τἀκεῖ qui fait exception agrave la logique

de lrsquointerpreacutetation binaire du τἀκεῖ eacutegalement En effet Merlan ne pense pas qursquoil srsquoagit lagrave

drsquoune reacutefeacuterence agrave la sphegravere des fixes ou au Premier Moteur Sa thegravese est que le τἀκεῖ est une

reacutefeacuterence aux moteurs immobiles Dumoulin avait formuleacute lrsquohypothegravese selon laquelle le

τἀκεῖ du fait qursquoil nrsquoavait pas de fonction motrice aveacutereacutee ne renvoyait pas neacutecessairement au

Premier Moteur Immobile Neacuteanmoins bien que Merlan ne srsquointeacuteresse pas agrave la question de

savoir si le τἀκεῖ a une fonction motrice ou pas il lie les τἀκεῖ au Premier Moteur Immobile

en vertu des qualiteacutes qui leur sont attribueacutees Les τἀκεῖ sont dit dans le DC I 9 parfaitement

immobiles crsquoest-agrave-dire immuables inalteacuterables incorruptibles jouissant du plus grand des

biens parfaitement autonomes et divins Les caracteacuteristiques du τἀκεῖ sont celles que lrsquoon

retrouve pour qualifier le Premier Moteur Immobile dans la Meacutetaphysique Λ Fabienne

Baghdassarian souligne comme nous lrsquoavons vu que notre connaissance drsquoAristote nous

pousse agrave voir la theacuteorie du Premier Moteur un peu partout dans les textes drsquoAristote Il semble

56 Aristote Œuvres complegravetes 2014 p 2846-284757 Jaeger Aristote fondements pour une histoire de son eacutevolution1997 p311

70

alors que cette interpreacutetation de la part du Dumoulin soit quelque peu hacirctive en plongeant

dans lrsquoune des alternatives traditionnelles de lrsquointerpreacutetation du τἀκεῖ

Merlan quant agrave lui a bien conscience que le τἀκεῖ ne fait pas reacutefeacuterence agrave la sphegravere

des fixes ou agrave un corps ceacuteleste

It is true not all interpreters agree that with takei Aristotle designates divinities differentfrom the celestial bodies But (a) how could celestial bodies be ever described as ouk entopo (b) How could celestial bodies be described as above the uttermost locomotion (c)The parallels between the descriptions of the Unmoved Mover in Metaphysics Λ and thetakei in On the Heavens strongly suggest that the same entities are meant in bothpassages58

Il note que tous les interpregravetes ne sont pas drsquoaccord avec lrsquoideacutee que Aristote par

lrsquoutilisation de la notion de τἀκεῖ deacutesigne autre chose que les corps ceacutelestes Il pose alors

deux problegravemes agrave la theacuteorie drsquoune reacutefeacuterence ceacuteleste dans le but de la remettre en question

comment les corps ceacutelestes pourraient ecirctre deacutecrits comme eacutetant en dehors drsquoun lieu Et

comment les corps ceacutelestes peuvent ecirctre deacutecrits comme se trouvant au dessus du mouvement

le plus haut En effet lrsquoeacuteleacutement de lrsquoeacutether qui constitue le premier et second ciel crsquoest-agrave-dire

la sphegravere des fixes et le corps qui est dans la continuiteacute de la sphegravere des fixes forment un lieu

pour les corps ceacutelestes En drsquoautres termes les corps ceacutelestes se trouvent dans le ciel et la

derniegravere limite du ciel est la sphegravere des fixes donc aucun drsquoeux ne se trouve au-dessus de la

sphegravere des fixes Cet argument est eacutenonceacute par Cherniss59 et repris par Merlan Mais pourquoi

en est-on venu a penser malgreacute le contenu du De Caelo I 9 partie A que le τἀκεῖ eacutetait une

reacutefeacuterence agrave des ecirctres ceacutelestes Merlan signale comme nous lrsquoavons vu que de nombreux

interpregravetes comprennent cette notion comme eacutetant une reacutefeacuterence aux corps ceacutelestes en raison

de la maniegravere dont est deacutecrit le Moteur Immobile dans la Meacutetaphysique Λ et dans le ciel dans

De Caelo I 9 En effet le ciel est dit immuable inengendreacute inalteacuterable eacuteternel tout comme

est caracteacuteriseacute le Moteur Immobile

Mais Merlan note le pluriel de lrsquoexpression τἀκεῖ dans De Caelo I 9 et pour deacutesigner

les moteurs immobiles (ou ce qursquoil appelle les substances eacuteternelles sans matiegraveres) dans

Meacutetaphysique Λ 660 Crsquoest pourquoi plutocirct que de favoriser lrsquohypothegravese de la reacutefeacuterence

ceacuteleste du τἀκεῖ Merlan favorise celle drsquoune reacutefeacuterence aux moteurs immobiles En ce sens il

58 Merlan 1996 p1359 Cherniss 1944 p58760 Aristote Meacutetaphysique Λ 6 1071b20-23

71

se diffeacuterencie de la tradition habituelle qui voit dans le τἀκεῖ une reacutefeacuterence au Premier

Moteur Merlan nrsquoest donc ni en faveur de la position de drsquoAlexandre ni en faveur de celle de

Simplicius bien que celle-ci semble ecirctre plus proche de la sienne Il srsquoagit alors pour Merlan

dans le but de prouver que le τἀκεῖ correspond aux moteurs immobiles de prouver que la

theacuteologie drsquoAristote est polytheacuteiste et non monotheacuteiste Fabienne Baghdassarian dans son

article ne manque pas de noter que le Premier Moteur Immobile en tant qursquoil est une

substance unique en son genre ne coiumlncide pas vraiment avec le pluriel du τἀκεῖ du De Caelo

I 9 Merlan a bien conscience que le Premier Moteur Immobile en tant qursquoecirctre unique ne

peut pas rendre compte de lrsquoutilisation du pluriel pour deacutesigner ce qui se trouve au-delagrave de la

translation la plus exteacuterieure Crsquoest pourquoi il lui faut montrer que la theacuteologie

aristoteacutelicienne au grand dam des scolastiques est un polytheacuteisme et non un monotheacuteisme

Il se reacutefegravere agrave Meacutetaphysique Λ drsquoAristote et plus preacuteciseacutement au chapitre 6 dans lequel

Aristote affirme la chose suivante dans le but de montrer les raisons pour lesquelles les

scolastiques ont consideacutereacute la theacuteologie aristoteacutelicienne comme monotheacuteiste

In ch6 of Lambda Aristotle reminds us that there are three entities (or kinds of entities orrealities or substances or kinds of substance) Two of them are subject to change - therealm of perishable physical entities and the realm of imperishable physical entities iecelestial bodies But there must exist a realm of being (an entity a substance a reality)which is both imperishable and changeless How Aristotle proves this necessity doesntneed to detain us here - he in any case is satisfied that he did prove it However it isrelevant to stress that he quite particularly denies that the soul as conceived by Plato as aself-changer could be assumed to be the realm of being the existence of which he hasproved61

A la lecture du chapitre 6 ainsi que du chapitre 7 de Meacutetaphysique Λ Merlan nrsquoest pas

eacutetonneacute que les scolastiques voient Aristote comme un monotheacuteiste Il reacutesume alors briegravevement

le chapitre 7 il existe une substance eacuteternelle et immuable selon Aristote ce qui vient

appuyer lrsquoideacutee drsquoune theacuteologie monotheacuteiste Toutefois Merlan souligne que si agrave la lecture des

chapitre 6 et 7 cela semble eacutevident en reacutealiteacute crsquoest un veacuteritable problegraveme auquel les lecteurs

de la Meacutetaphysique ont affaire En effet le deacutebut du chapitre 8 de Λ pose une question de

clarteacute existe t-il une seule substance de ce type ou plusieurs Si plusieurs combien y en a-t-

il Aristote rappelle alors que le Premier Moteur Immobile qui est eacuteternel et sans

changement est le moteur drsquoun seul mouvement celui de la sphegravere des fixes ou du premier

61 Merlan opcit 1966 p3-4

72

ciel Le Premier Moteur Immobile nrsquoexplique donc pas le mouvement de tout ce qui est mucirc en

cercle drsquoun mouvement incessant notamment le mouvement circulaire des planegravetes dans la

mesure ougrave ce nrsquoest pas lui qui est agrave lrsquoorigine de leurs mouvements Aristote en conclut qursquoil

faut que chaque astre ait son moteur immobile Il se reacutefegravere alors aux theacuteories des astronomes

tel que Calippe et Eudoxe et arrive agrave la conclusion qursquoil existe cinquante-cinq sphegraveres qui

mettent en mouvement les astres Il reacutepond donc successivement aux questions suivantes y-

a-t-il une seule substance immuable et eacuteternelle ou plusieurs Et combien Merlan deacutefend la

thegravese qursquoil existe un moteur immobile pour chaque sphegravere il existerait alors cinquante-cinq

moteurs immobiles

Il semble alors qursquoAristote passe drsquoun monotheacuteisme agrave un polytheacuteisme En effet les

sphegraveres sont les moteurs du mouvement des astres elles sont donc parce qursquoelles mettent en

mouvement quelque chose de divin drsquoune nature divine agrave un plus haut degreacute Le problegraveme du

polytheacuteisme nrsquoest pas directement notre propos mais permet agrave Merlan de justifier la reacutefeacuterence

du τἀκεῖ au Moteur Immobile et non au Premier Moteur Immobile Toutefois la lecture de

Meacutetaphysique Λ 8 bien qursquoau deacutepart elle nous pousse dans la direction drsquoun polytheacuteisme

peut servir de contre-argument aux scolastiques pour prouver la supreacutematie du monotheacuteisme

En effet Aristote affirme apregraves avoir eacutevoqueacute lrsquoexistence de cinquante-cinq Moteurs

Immobiles qursquoil nrsquoy a qursquoun seul univers Supposons qursquoil y en ait plusieurs comme il y a

plusieurs individus Si tel eacutetait le cas alors chaque monde aurait un principe et chacun de ces

principes seraient de la mecircme espegravece bien que numeacuteriquement plusieurs Mais deux choses de

la mecircme espegravece ne peuvent se diffeacuterencier que par la matiegravere or le moteur immobile nrsquoa pas

de matiegravere il ne peut donc pas y en avoir plusieurs Aristote semble alors tour agrave tour changer

drsquoavis Il finit Meacutetaphysique Λ 8 par une reacutefeacuterence agrave la religion polytheacuteiste de son eacutepoque en

la critiquant sur sa dimension anthropomorphiste mais non pas sur sa theacuteorie de la pluraliteacute

des dieux

Meacutetaphysique Λ 8 semble constitueacute selon Merlan de trois sections La premiegravere et la

derniegravere deacutefendent une theacuteologie polytheacuteiste alors que la seconde deacutefend une theacuteologie

monotheacuteiste Il justifie ce changement de position par une mauvaise compreacutehension de la

seconde section En effet Aristote a montreacute qursquoil y avait cinquante-cinq moteurs immobiles

Il cherche donc a deacutefendre la theacuteorie des cinquante-cinq moteurs en prouvant qursquoil nrsquoy a

qursquoun seul monde il ne fait pas ccedila pour prouver qursquoil est impossible qursquoil y ait plus drsquoun

moteur A ce titre chaque moteur est diffeacuterent dans la mesure ougrave aucun nrsquoa de matiegravere ce qui

signifie qursquoil ne peut pas y avoir plusieurs moteurs drsquoune mecircme espegravece En outre il nrsquoexiste

73

effectivement qursquoun seul Premier Moteur Immobile mais cela nrsquoimplique pas qursquoil nrsquoexiste

pas un Second un Troisiegraveme un Quatriegravemehellip etc Moteur Immobile En drsquoautres termes il

nrsquoest pas impossible qursquoil y ait cinquante-cinq moteurs par contre il est impossible qursquoil y ait

cinquante-cinq premiers moteurs (ni mecircme deux) car ils nrsquoont pas de matiegravere donc ne

peuvent pas ecirctre un en espegravece et numeacuteriquement plusieurs Ce passage cherche donc agrave eacutetablir

lrsquouniciteacute du monde et non pas celle du dieu

Toutefois comme le dit Merlan cette justification de la continuiteacute de lrsquoopinion

drsquoAristote nrsquoest pas la seule Jaeger62 en formule une autre tregraves brillante Aristote apregraves la

mort de Platon aurait deacuteveloppeacute lrsquoideacutee drsquoun Moteur Immobile comme cause de tous les

mouvements de lrsquounivers et de cette ideacutee sont neacutes les chapitre 6 et 7 de la Meacutetaphysique Λ et

qui deacutefendent une theacuteologie monotheacuteiste Puis devenant familier avec les theacuteories drsquoEudoxe

et Calippe qui expliquent le mouvement des planegravetes par plusieurs moteurs diffeacuterents Aristote

deacutecide de modifier sa theacuteorie et ajoute agrave lrsquounique Moteur Immobile un nombre suffisant

drsquoautres Moteurs Immobiles Il reacutedige alors la section une et trois de Meacutetaphysique Λ 8 Mais

plus tard il apparaicirct des difficulteacutes au sujet de la theacuteorie de la pluraliteacute des moteurs comment

un ordre peut exister dans un monde ougrave il existe autant de moteurs immobiles Il eacutecrit alors la

section deux de Meacutetaphysique Λ 8 Apregraves la mort drsquoAristote les peacuteripateacuteticiens ont assembleacute

les eacutecrits drsquoAristote sous la forme de la Meacutetaphysique que nous connaissons Les eacutediteurs sont

alors responsables de la raison pour laquelle Aristote semble tantocirct ecirctre polytheacuteiste tantocirct

monotheacuteiste et ainsi de suite En inseacuterant le chapitre 8 entre le 7 et le 9 ils ont coupeacute

lrsquoargumentation car Jaeger propose de le retirer dans lrsquoideacutee que le chapitre 7 et 9 se suivent et

que le chapitre 8 est un tout coheacuterent avec lui-mecircme et non avec ce qui preacutecegravede et ce qui suit

Le passage du De Caelo I 9 est alors introduit dans ce deacutebat de la theacuteologie

aristoteacutelicienne polytheacuteiste ou monotheacuteiste dans le but de montrer lrsquoattitude qursquoAristote a

envers le polytheacuteisme Il suffit degraves lors de repenser la lecture du De Caelo I 9 au vu de ce que

Merlan affirmait plus haut lrsquoutilisation du pluriel montre qursquoAristote soutient lrsquoideacutee drsquoune

pluraliteacute de diviniteacutes puisque crsquoest au pluriel qursquoil fait reacutefeacuterence agrave des ecirctres se situant au-delagrave

du ciel

Puisqursquoil nrsquoeacutetait pas possible selon Merlan que le τἀκεῖ soit une reacutefeacuterence aux corps

ceacutelestes ou agrave la sphegravere des fixes et que le Premier Moteur Immobile du fait de son uniciteacute ne

respecte pas les indices textuels du De Caelo I 9 Merlan srsquoestime en droit de proposer une

interpreacutetation qui diverge des plus connues il est tout agrave fait envisageable qursquoAristote soit

polytheacuteiste et que par deacutefinition il deacutefende lrsquoideacutee drsquoune pluraliteacute de diviniteacutes De plus les

62 Jaeger 1924

74

τἀκεῖ sont qualifieacutes comme lrsquoest le Premier Moteur Immobile de sorte que lrsquoon peut eacutetablir

leur caractegravere divin sur la base de celui du Premier Moteur Outre cet argument si les corps

ceacutelestes sont deacutejagrave des ecirctres divins alors a fortiori ce qui les met en mouvement est encore

plus divin Nous pouvons alors identifier le τἀκεῖ comme eacutetant une reacutefeacuterence aux moteurs

immobiles divins et multiples

75

CONCLUSION

Nous avons tenteacute tout au long de ce meacutemoire de montrer qursquoil existait un problegraveme

drsquointerpreacutetation du De Caelo I 9 En effet ce passage tregraves obscur et tregraves riche fait appel agrave

une notion particuliegravere qui est celle du takei Cette notion semble faire reacutefeacuterence agrave une reacutealiteacute

qui se trouverait au-delagrave de la sphegravere des fixes la question que se pose Fabienne

Baghdassarian est donc de savoir si ce texte fait parti de ceux qui attestent de lrsquoexistence de

reacutealiteacutes de ce type Mais la lecture de lrsquoarticle de Fabienne Baghdassarian manifeste de

nombreux arguments qui sont soit en faveur de lrsquoideacutee que ce passage renvoie agrave des reacutealiteacutes

hypercosmiques soit en faveur de lrsquoideacutee drsquoune reacutefeacuterence ceacuteleste Ces arguments viennent

alors atteacutenuer lrsquoimpression premiegravere drsquoun texte portant sur des reacutealiteacutes qui se situeraient au-

dessus du ciel

Il srsquoagissait alors dans ce meacutemoire de montrer quels eacutetaient les arguments en faveur

de telle ou telle ideacutee et la maniegravere dont ils interagissaient entre eux afin de faire lrsquoeacutetat des

lieux drsquoun problegraveme existant depuis lrsquoAntiquiteacute et sur lequel malgreacute la preacutesence de theacuteorie

convaincante personne nrsquoarrive agrave srsquoentendre

Notre ligne directrice pour reacutepondre agrave ce problegraveme a eacuteteacute lrsquoeacutetude du De Caelo de

maniegravere geacuteneacuterale et du De Caelo I 9 de maniegravere plus preacutecise ainsi que la lecture de lrsquoarticle

de Fabienne Baghdassarian sur lrsquoidentiteacute des ecirctres de laquo lagrave-bas raquo A cela se sont ajouteacutes les

commentaires et interpreacutetations antiques puis modernes du problegraveme qui nous inteacuteressait

Comment en sommes-nous arriveacutes agrave nous poser la question de lrsquoidentiteacute du takei

Premiegraverement nous avons introduit les concepts aristoteacuteliciens ainsi que la conception du

cosmos aristoteacutelicienne Nous avons alors deacutefini quels eacutetaient les trois sens du mot ciel Selon

Aristote le ciel se dit de trois maniegraveres pour deacutesigner la substance qui se trouve sur la

circonfeacuterence la plus eacuteloigneacutee du centre Crsquoest eacutegalement le lieu du divin dans la mesure ougrave

son lieu est le plus haut Dans un second sens le ciel est la substance qui est dans la continuiteacute

de la limite la plus eacuteloigneacutee du ciel Enfin dans un troisiegraveme sens le ciel est compris comme

la totaliteacute ou le Tout enveloppeacute par la derniegravere circonfeacuterence De plus Aristote distingue deux

reacutegions dans sa conception du cosmos la reacutegion sublunaire qui se situe sous la Lune et qui

est soumis agrave la geacuteneacuteration et agrave la corruption et la reacutegion supralunaire qui se situe au-dessus

de la Lune et qui nrsquoest pas soumis agrave la geacuteneacuteration et agrave la corruption La distinction de ces deux

reacutegions du ciel permet lrsquoexplication des mouvements des corps dans chacune des reacutegions du

monde En effet dans le monde sublunaire les corps se meuvent de maniegravere rectiligne du

haut vers le bas ou du bas vers le haut en fonction de leur nature Les eacuteleacutements qui srsquoy

76

trouvent et qui composent les corps sont au nombre de quatre En revanche dans le monde

supralunaire il nrsquoexiste qursquoun seul eacuteleacutement qui constitue le ciel et ses parties Cet eacuteleacutement est

lrsquoeacutether et a un mouvement circulaire et eacuteternel du fait de sa nature Lrsquoeacutetude du mouvement

permet alors agrave Aristote de comprendre les raisons de la geacuteneacuteration et de la corruption la

corruption se produit dans les contraires ce qui signifie qursquoun corps se corrompt si et

seulement srsquoil possegravede un contraire Mais il nrsquoy a que les eacuteleacutements du monde sublunaire qui

ont un contraire selon Aristote crsquoest pourquoi lrsquoeacutether et les corps qursquoil constitue sont eacuteternels

et se meuvent drsquoun mouvement incessant

Le ciel en son troisiegraveme sens est compris comme ce qui enveloppe la totaliteacute Cela

signifie que tous les eacuteleacutements que nous avons eacutevoqueacute se trouvent dans le ciel Aristote tente

alors de prouver qursquoil nrsquoexiste qursquoun seul ciel en deacutefendant la position platonicienne du

Timeacutee En effet Platon dans le Timeacutee affirme que le monde est constitueacute de lrsquoensemble des

eacuteleacutements de sorte qursquoil ne puisse rien y avoir au-delagrave de celui-ci Aristote deacutefend la mecircme

theacuteorie en affirmant que le ciel est constitueacute de toute la matiegravere de telle sorte que rien drsquoautre

ne pourrait venir agrave ecirctre en dehors du ciel Il conclut alors il nrsquoexiste ni lieu ni vide ni temps

en dehors du ciel dans la mesure ougrave ce sont des proprieacuteteacutes des corps mateacuteriels

La question du takei srsquoest donc poseacutee dans le contexte de la preuve de lrsquouniciteacute du ciel

et de la non-existence drsquoun quelconque corps mateacuteriels en dehors de celui-ci Nous avons

alors analyseacute la fin du De Caelo I 9 Bien qursquoAristote affirme qursquoil nrsquoy a rien en dehors du

ciel il qualifie ce qui se trouve au-delagrave du ciel comme nrsquoeacutetant ni corporel ni dans un lieu et

eacutetant eacuteternel Finalement Aristote se reacutefegravere agrave des eacutecrits portant sur les ecirctres divins (theion) Le

problegraveme que nous avons donc rencontreacute eacutetait aussi celui de la correspondance entre la notion

de takei et celle de theion

Nous nous sommes alors inteacuteresseacutes aux positions de Simplicius et drsquoAlexandre

drsquoAphrodise Ces deux interpreacutetes antiques sont les ancecirctres des deux interpreacutetations que nous

avons suivre tout au long de notre propos Simplicius est le chef de file de ceux qui affirment

que le takei fait reacutefeacuterence au Premier Moteur Immobile crsquoest-agrave-dire agrave quelque chose qui se

trouve au-delagrave du ciel Quant agrave Alexandre il est le chef de file de ceux qui affirment que le

takei fait reacutefeacuterence agrave la sphegravere des fixes donc agrave quelque chose qui se trouve dans le ciel Ces

interpreacutetations sont les deux alternatives principales et traditionnelles du problegraveme du takei

Elles sont comme nous venons de le dire suivies par une longue tradition agrave laquelle les

interpregravetes modernes pour la plupart participent Donc apregraves avoir vu les interpreacutetations

possibles durant lrsquoAntiquiteacute nous nous sommes inteacuteresseacutes aux interpreacutetations modernes

77

Puisque lrsquoenjeu de notre propos eacutetait de faire lrsquoeacutetat des lieux du problegraveme du takei tout

en rendant compte des arguments en faveur de telles ou telles ideacutees nous avons proceacutedeacute de

maniegravere theacutematique en confrontant les interpregravetes Dans un premier temps nous avons

confronteacute Dumoulin et Moraux Dumoulin comprend le takei comme se reacutefeacuterant agrave quelque

chose se situant au dessus du ciel Il justifie sa thegravese en affirmant qursquoil existe une discontinuiteacute

au sein du texte drsquoAristote Aristote se reacutefeacutererait tantocirct agrave des reacutealiteacutes hypercosmiques tantocirct agrave

des reacutealiteacutes ceacutelestes en faisant lrsquoeacuteloge du mouvement circulaire des corps ceacutelestes dans le but

de montrer que ce qui est supeacuterieur au ciel est encore plus divin Moraux quant agrave lui refuse

lrsquoideacutee drsquoune discontinuiteacute dans lrsquoargumentation sous preacutetexte qursquoelle implique qursquoil faille

accepter lrsquoideacutee qursquoAristote change brusquement de sujet Il affirme alors que le texte est

continu et traite drsquoun bloc de reacutealiteacutes ceacutelestes se situant sur la sphegravere des fixes et non au-delagrave

Dans un second temps nous avons confronteacute Mugnier et Solmsen sur la question du lieu

Mugnier affirme que lrsquoabsence de lieu en dehors du ciel expliqueacutee par Aristote dans le DC

implique que les takei ne peuvent pas se trouver en dehors du ciel puisqursquoils ne seraient pas

dans un lieu alors mecircme qursquoils sont deacutesigneacutes comme eacutetant laquo lagrave-bas raquo crsquoest-agrave-dire dans un lieu

Pour Solmsen lrsquoabsence de lieu de temps et de corps sont les caracteacuteristiques essentielles de

ce que sont les takei Ces caracteacuteristiques semblent ecirctre les mecircmes que celles accordeacutees au

Premier Moteur Immobile dans la Meacutetaphysique

Finalement nous sommes sortis de cette tradition interpreacutetative en nous tournant vers

des thegraveories plus originales notamment celle de Peacutepin et de Merlan En effet Peacutepin affirme

que le takei fait reacutefeacuterence agrave lrsquoeacutether hypercosmique En effet il note qursquoil existe plusieurs

doxographies qui font lrsquoeacutetat drsquoun eacutether hypercosmique chez Aristote toutefois nous nrsquoavons

aucune trace de ces textes Il essaie alors de faire correspondre le De Caelo I 9 agrave ces

doxographies pour en faire une partie manifestant lrsquoexistence drsquoun divin existant au-delagrave du

ciel et qui serait un eacutether hypercosmique Pour Merlin le takei serait une reacutefeacuterence non pas au

Premier Moteur Immobile ou agrave la sphegravere des fixes mais aux Moteurs Immobiles En effet

Merlan soutient la theacuteorie qursquoAristote est un polytheacuteiste qui nrsquoa pas accordeacute la diviniteacute agrave un

seul ecirctre mais agrave une multitudes drsquoecirctres qui seraient agrave lrsquoorigine des mouvements des corps

ceacutelestes Il nous est alors permis par le biais de Merlan et de Peacutepin de sortir de la tradition

habituelle de lrsquointerpreacutetation du takei en proposant des lectures originales et nouvelles des

œuvres aristoteacuteliciennes

Les diverses interpreacutetations que nous avons pu rencontreacute mettent en perspective les

difficulteacutes de la compreacutehension des thegraveses aristoteacutelicienne leurs places chronologiques et

philosophiques dans la vie drsquoAristote dans la mesure ougrave elles posent la question de la

78

chronologie des œuvres aristoteacutelicienne du rapport que la philosophie aristoteacutelicienne peut

entretenir avec la philosophie platonicienne et introduisent finalement des œuvres

aristoteacuteliciennes perdues voire inconnues

79

BIBLIOGRAPHIE

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80

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1964

SOLMSEN F laquo Beyond the Heavens raquo Museum Helveticum 33 1976 p24-32

81

  • INTRODUCTION
  • Chapitre 1 Le De Caelo I 9 problegravemes lectures et analyses
    • 11 Aristote et le ciel
      • 111 Les trois sens du mot ciel
      • 112 Le corps du ciel lrsquoeacuteleacutement divin et le mouvement du corps ceacuteleste
        • 12 Platonisme et aristoteacutelisme sur lrsquouniciteacute du monde Du Timeacutee au De Caelo I 9
          • 121 Lrsquouniciteacute du monde dans le Timeacutee de Platon
            • 122 Aristote en De Caelo I 9 analyse des arguments en faveur de la pluraliteacute des cieux pour deacutefendre la theacuteorie platonicienne de lrsquouniciteacute du monde
              • 123 Aristote en De Caelo I 9 arguments aristoteacuteliciens en faveur de lrsquouniciteacute du ciel
                  • Chapitre 2 Deacutebat sur la question des ecirctres de laquo lagrave-bas raquo durant lrsquoAntiquiteacute Aristote agrave Simplicius
                    • 21 Compreacutehension antique du laquo τἀκεῖ raquo du De Caelo au commentaire de Simplicius
                    • 211 τἀκεῖ De Caelo I 9 279a15-b3
                    • 222 Le commentaire perdu drsquoAlexandre possibles reacuteponses au problegraveme du laquo τἀκεῖ raquo
                    • 213 Compreacutehension et hypothegravese de Simplicius sur les ecirctres de lagrave-bas
                      • Chapitre 3 Interpreacutetations modernes du De Caelo I 9 La question du τἀκεῖ premier moteur reacutealiteacutes hyper-cosmiques ou sphegravere des fixes reacutealiteacutes ceacutelestes
                        • 31 Le problegraveme de la continuiteacute argumentative du Livre I 9
                          • 311 La discontinuiteacute du sujet en faveur de la transcendance du τἀκεῖ
                          • 312 La continuiteacute du sujet en faveur des reacutealiteacutes ceacutelestes
                            • 32 Le lieu des corps ceacutelestes lrsquoabsence de lieu du τἀκεῖ
                              • 321 Lrsquoabsence de lieu en faveur de la reacutefeacuterence ceacuteleste
                              • 322 Lrsquoabsence de lieu comme caracteacuteristique drsquoun ecirctre transcendant le ciel
                                • 33 Deacutepassement des deux alternatives traditionnelles de lrsquointerpreacutetation du takei
                                  • 331 Lrsquoeacutether hypercosmique de Peacutepin
                                  • 3 3 2 La theacuteorie des Moteurs Immobiles une variante originale de la reacutefeacuterence au Premier Moteur Immobile
                                      • CONCLUSION
                                      • BIBLIOGRAPHIE
Page 8: Débat sur la question des êtres de là-bas de l'Antiquité à

rien drsquoautre que lui-mecircme Aristote dans ce texte semble tantocirct prendre pour objet des ecirctres

qui se situent au-delagrave du ciel tantocirct prendre pour objet le corps qui se meut en cercle Le

problegraveme se pose au sujet de lrsquoargumentation geacuteneacuterale en effet la partie A porte sur les takei

qui semblent se situer en dehors du ciel nous lrsquoavons vu alors que la partie C porte sur le

corps ceacuteleste qui se meut en cercle Le contenu de la partie A nrsquoest pas contredit par le

contenu de la partie C toutefois les interpregravetes ignorent si le takei en partie A fait reacutefeacuterence

au divin deacutecrit dans la partie C

Lrsquoarticle de Fabienne Baghdassarian se donne alors comme projet une eacutetude des

interpregravetes sur la question du takei et de son identiteacute Un tel deacutecoupage de texte lui permet

drsquoorganiser son propos en diffeacuterents moments Elle srsquointeacuteresse dans un premier temps agrave la

partie A en confrontant les opinions et les diverses interpreacutetations Fabienne Baghdassarian

cartographie alors le premier type de problegraveme que pose cette partie la traduction et le sens

du geste aristoteacutelicien Certains traduisent huper5 par laquo au-dessus raquo drsquoautres comme Moraux

optent pour la traduction laquo sur raquo A cette question de traduction se mecircle une question de

lexique le terme huper deacutesigne-t-il veacuteritablement ce qui est sur quelque chose Lrsquoauteur de

cet article affirme qursquoAristote est plus enclin agrave utiliser en que uper pour deacutesigner ce qui se

trouve sur la sphegravere des fixes Pour ce qui est du geste drsquoAristote il est compliqueacute de

deacuteterminer quel est lrsquoobjet de ce passage dans la mesure ougrave il attribue positivement un lieu agrave

ce qui ne peut pas en avoir en les deacuteterminant comme se trouvant laquo lagrave-bas raquo crsquoest-agrave-dire

quelque part Fabienne Baghdassarian preacutefegravere voir dans lrsquoutilisation de ces termes qui

deacutesignent un lieu la deacutesignation de ce qui ne se trouve pas dans un lieu dans le but de

souligner sa transcendance au lieu qursquoest le ciel

Dans un second temps Fabienne Baghdassarian montre que la partie B atteacutenue

grandement lrsquoimpression premiegravere drsquoune reacutefeacuterence agrave un ecirctre transcendant le ciel En effet

lrsquoeacutetymologie de lrsquoaion agrave laquelle se reacutefegravere Aristote est aei on qui signifie laquo qui est toujours raquo

Aristote compare alors la vie humaine qui a une fin qui permet de quantifier la dureacutee agrave la vie

du ciel qui lui nrsquoen a pas Ainsi Fabienne Baghdassarian note que lrsquoeacutetymologie de la dureacutee

nrsquoest pas sans rappeler celle de lrsquoeacutether dans le De Caelo I 3 Lrsquoeacutether est lrsquoeacuteleacutement du monde

supralunaire qui compose les astres et le ciel il est de nature divine et a un mouvement eacuteternel

circulaire En ce sens lrsquoeacutether tient son appellation du fait qursquoil court toujours sans srsquoarrecircter

Ce rapprochement entre lrsquoeacutetymologie de lrsquoaion et celle de lrsquoeacutether pousse alors lrsquoauteur agrave

opeacuterer une atteacutenuation dans lrsquoimpression premiegravere de sa lecture il semblerait qursquoAristote a

deacutesormais pris le ciel et les astres composeacutes drsquoeacutether pour objet

5 Ibid 279a20

7

Finalement dans la partie C il est explicitement fait mention du corps qui se meut en

cercle le ciel Ainsi Fabienne Baghdassarian se pose la question de savoir srsquoil est

envisageable qursquoAristote sans crier gare change de sujet ou srsquoil ne parlait depuis le deacutebut

que du ciel et des astres Lrsquoauteur de cet article propose alors de joindre lrsquoensemble du texte

en affirmant qursquoil est possible qursquoAristote reacutecapitule dans la partie C lrsquoensemble de son

argumentation en mettant sur le plan du divin la totaliteacute de son discours dans le sens ougrave il

hieacuterarchise les divins En ce sens la partie A deacutesignerait des reacutealiteacutes transcendantes mais

divines au mecircme titre que lrsquoest le corps qui a un mouvement de translation Pour ce qui est de

lrsquoeacutetymologie de lrsquoaion elle aurait servi agrave montrer la neacutecessiteacute que le mouvement du ciel est

eacuteternel

Cet article de Fabienne Baghdassarian sera le point de deacutepart de notre propos mais le

geste sera quelque peu diffeacuterent du sien En effet Fabienne Baghdassarian par lrsquoanalyse

geacuteneacuterale du passage du De Caelo I 9 qui nous inteacuteresse parvient agrave faire sortir les problegravemes

drsquoordre lexical grammatical deacutefinitionnel et argumentatif pour nous transmettre un panorama

assez large de ce qui gecircne la compreacutehension de la notion de takei Si drsquoune part son travail

nous permet de prendre conscience des problegravemes que pose la notion de takei sans parvenir agrave

nous fournir une reacuteponse trancheacutee de la question de son identiteacute drsquoautre part il nous permet

de prendre conscience des innombrables thegraveses et interpreacutetations possibles des diffeacuterents

traducteurs et commentateurs drsquoAristote Ce que nous ferons sera alors dans la continuiteacute de

ce travail mais plutocirct que de nous contenter de restituer les thegraveses des commentateurs et

interpregravetes nous deacutetaillerons lrsquoargumentation que tiennent ces commentateurs et interpregravetes

Nous ne chercherons pas lrsquoexhaustiviteacute des interpreacutetations en effet nous nous inteacuteresserons

aux arguments de celles que nous traiterons Notre but sera donc de comprendre le contexte

des thegraveses des interpregravetes sur la question du takei et la raison pour laquelle ils en viennent agrave

telle ou telle conclusion Il srsquoagira alors pour nous de faire lrsquoeacutetat des lieux de ce deacutebat en

restituant les problegravemes que pose le texte mecircme ainsi que les problegravemes que posent les

commentateurs et la maniegravere dont ils les traitent pour deacutefendre leurs interpreacutetations

Nous proceacutederons de maniegravere analytique historique mais aussi theacutematique Crsquoest-agrave-

dire que nous proposons drsquoorganiser notre propos en trois grands moments 1) Le De Caelo I

9 problegravemes lectures et analyses 2) Deacutebat sur la question des ecirctres de lagrave-bas durant

8

lrsquoAntiquiteacute drsquoAristote agrave Simplicius 3) Interpreacutetations modernes du De Caelo I 9 La question

du τἀκεῖ premier moteur reacutealiteacutes hyper-cosmiques ou sphegravere des fixes reacutealiteacutes ceacutelestes

Le premier moment est un moment quelque peu introductif dans la mesure ougrave il est

essentiellement constitueacute dans son ensemble drsquoune lecture du De Caelo I et de la theacuteorie du

mouvement des corps selon le milieu Cette explication est une eacutetape importante selon nous

srsquoil est question du takei dans ce chapitre crsquoest dans un certain contexte argumentatif Il nous

faut alors preacutesenter ce contexte argumentatif dans lrsquointeacuterecirct de comprendre pourquoi cette

notion est si complexe et sujette aux deacutebats Ce moment que lrsquoon juge comme eacutetant

analytique nous permettra de nous familiariser avec le lexique aristoteacutelicien et la conception

aristoteacutelicienne de lrsquounivers cela dans le but de manifester les problegravemes que pose

lrsquoapparition de lrsquoexpression takei Nous verrons alors les trois sens qursquoAristote accorde au mot

laquo ciel raquo Nous nous inteacuteresserons ensuite agrave la composition eacuteleacutementaire de ce corps que lrsquoon

appelle le laquo ciel raquo et qui par lrsquoeacuteleacutement divin qui le compose a un mouvement circulaire et

eacuteternel Il srsquoagira ensuite drsquoexpliquer lrsquoargumentation geacuteneacuterale du texte dans lequel apparaicirct la

notion de takei et qui porte sur lrsquouniciteacute de lrsquounivers Pour lrsquoexpliquer nous nous tournerons

drsquoune part vers un argument proposeacute par Platon dans le Timeacutee puis sur lrsquoutilisation

qursquoAristote en fait pour prouver lrsquoexistence drsquoun seul et unique ciel

Le second moment consistera alors en une restitution des thegraveses respectives

drsquoAlexandre drsquoAphrodise et de Simplicius sur lrsquointerpreacutetation de ce passage fort obscur du De

Caelo I 9 dans lequel surgit la notion de takei Nous avons choisi drsquoeacutetudier ces deux

commentateurs dans la mesure ougrave ils sont tous deux agrave lrsquoorigine drsquoune logique binaire de

lrsquointerpreacutetation du texte qui nous inteacuteresse En effet Simplicius est devenu le chef de file de

ceux qui comprennent lrsquoexpression takei comme eacutetant une reacutefeacuterence agrave un ecirctre transcendant le

ciel et plus preacuteciseacutement au Premier Moteur Immobile alors qursquoAlexandre drsquoAphrodise est le

chef de file de ceux qui comprennent le takei comme eacutetant ceacuteleste et plus preacuteciseacutement

comme eacutetant une reacutefeacuterence agrave la sphegravere des fixes Nous commenterons donc lineacuteairement le

passage 279a15-b3 du De Caelo pour comprendre la complexiteacute de cet extrait Ensuite nous

nous inteacuteresserons aux fondements des interpreacutetations drsquoAlexandre drsquoAphrodise et Simplicius

au sujet du takei

Enfin dans le troisiegraveme et dernier moment de notre propos nous exposerons diverses

positions sur la question en explicitant le deacutebat qui les oppose Les positions deacutefendues seront

celles de commentateurs et interpregravetes modernes En effet nous avons choisi de proceacuteder de

maniegravere historique en deacutebutant par les interpreacutetations antique du texte pour ensuite en arriver

aux interpreacutetations modernes Nous proceacutederons de maniegravere theacutematique en choisissant deux

9

angles drsquoattaques diffeacuterents Drsquoabord nous nous preacutesenterons deux interpreacutetations qui

srsquointeacuteressent agrave la continuiteacute (ou discontinuiteacute) du texte en explicitant les arguments qui

favorisent lrsquoideacutee drsquoune reacutefeacuterence agrave un ecirctre transcendant ou agrave un ecirctre ceacuteleste Ensuite nous

exposerons des interpreacutetations qui mettent lrsquoaccent sur le lieu dans la philosophie

aristoteacutelicienne via les œuvres de Mugnier et de Solmsen Enfin nous sortirons de cette

logique binaire en nous tournant vers deux interpreacutetations qui nrsquoidentifient le takei ni avec la

sphegravere des fixes ni avec le Moteur immobile Il srsquoagira des thegraveses de Peacutepin selon laquelle le

takei renvoie agrave lrsquoeacutether hypercosmique et celle de Merlan selon laquelle il est question des

Moteurs Immobiles

10

Chapitre 1 Le De Caelo I 9 problegravemes lectures etanalyses

11

11 Aristote et le ciel

111 Les trois sens du mot ciel6

Le traiteacute Du Ciel drsquoAristote est une œuvre embleacutematique du corpus aristoteacutelicien et

occupe la seconde place apregraves la Physique dans lrsquoensemble des ouvrages aristoteacuteliciens de

science physique Ce traiteacute apregraves la mort drsquoAristote a veacutehiculeacute une image particuliegravere du

cosmos qui est la sienne jusqursquoagrave lrsquoarriveacutee des nouvelles theacuteories cosmologiques et

scientifiques de la Renaissance

Une reacuteflexion est possible agrave partir mecircme du titre de cette œuvre Il est premiegraverement

important de noter que les reacutefeacuterences au De Caelo sont tregraves peu nombreuses dans le corpus

drsquoAristote mais qursquoen plus de cela il ne srsquoy reacutefegravere jamais via cette appellation Nous sommes

alors en droit de nous demander ce que signifie ce titre probablement choisi par un autre

individu qursquoAristote Il apparaicirct comme eacutevident agrave premiegravere vue que le ciel est lrsquoobjet de ce

traiteacute de physique

Nous avons donc traiteacute plus haut du premier ciel et de ses parties ainsi que des astres quisont transporteacutes agrave lrsquointeacuterieur de lui de leurs composantes et de leurs qualiteacutes naturelleset en outre de leur caractegravere ingeacuteneacuterable et incorruptible

Il est important de noter que les deux premiers livres prennent pour objet le monde

supralunaire ou encore le monde au dessus de la Lune crsquoest-agrave-dire le monde ceacuteleste et divin

Quant aux deux derniers livres ils srsquointeacuteressent plutocirct au monde sublunaire ou monde en

dessous de la Lune crsquoest-agrave-dire le monde physique qui est le nocirctre et est explicable par les

quatre eacuteleacutements naturels que sont le feu lrsquoair lrsquoeau et la terre qui le constituent

Nous pouvons alors imaginer gracircce agrave ces informations que le traiteacute Du ciel tel que

nous lrsquoavons entre les mains aujourdrsquohui est une recomposition de deux traiteacutes distincts lrsquoun

portant sur le monde supralunaire lrsquoautre portant sur le monde sublunaire Ce paragraphe

drsquointroduction permet drsquoaffirmer que les deux premiers livres sont agrave distinguer des deux

derniers Mais ce problegraveme nrsquoest pas notre prioriteacute Aussi nous nous inteacuteresserons

principalement aux deux premiers livres qui prennent le ciel pour objet Ce qursquoon appellera

comme eacutetant la laquo premiegravere partie raquo du traiteacute du Ciel sera lrsquoensemble des livres I et II et seront

ceux qui feront en partie lrsquoobjet et le fondement de notre reacuteflexion et de ce meacutemoire

6 Ibid 278b10-25

12

Toutefois nous nous devons drsquoecirctre preacutecis dans notre lecture de ce deacutebut du troisiegraveme

livre En effet il est affirmeacute ici que la premiegravere partie de lrsquoœuvre portait sur laquo le premier ciel

et ses parties raquo7 Mais qursquoest-ce que laquo le premier ciel raquo Et srsquoil y a un premier ciel y en a-t-

il un deuxiegraveme Un troisiegraveme

Pour reacutepondre agrave cette question il nous faut drsquoabord souligner la meacutethode explicative

qursquoutilise Aristote En effet Aristote accorde une importance capitale agrave la deacutefinition des

termes le philosophe est pour Aristote celui qui sait de quoi il parle et sur quel plan il se

place quand il parle Lorsqursquoil utilise un terme ambigu il se doit de lever lrsquoambiguiumlteacute qui

regravegne en deacutefinissant les termes de son propos Crsquoest ainsi que lrsquoon trouve dans le chapitre 9

du livre I une explication des sens du mot laquo ciel raquo comme moment de clarification de ce dont

on parle drsquoune part et drsquoautre part comme moment de lrsquoexplicitation de la meacutethode

aristoteacutelicienne

Disons drsquoabord ce que nous entendons par laquo ciel raquo et combien de sens nous donnons agrave cemot pour que ce que nous cherchons nous devienne plus clair En un sens on appellelaquo ciel raquo la substance de la derniegravere circonfeacuterence du Tout crsquoest-agrave-dire le corps naturel quiest sur la derniegravere circonfeacuterence du Tout Car nous avons coutume de nommer laquo ciel raquolrsquoextreacutemiteacute ndash ce qui est le plus haut ndash dans laquelle reacuteside tout ce qui est divin8

Ce qui deacutefinit le ciel en ce premier sens est ce qui est le plus haut Le cosmos

aristoteacutelicien se repreacutesente sous forme de plusieurs cercles concentriques qui repreacutesentent

drsquoune part des translations sur lesquelles sont poseacutees des astres et drsquoautre part des lieux (le

lieu du mouvement circulaire le lieu du mouvement rectiligne) et le ciel est ce qui est le plus

haut crsquoest-agrave-dire ce qui se situe sur la circonfeacuterence la plus eacuteloigneacutee du centre Aristote

deacutefend une conception geacuteo-centriste du monde il considegravere que ce qui est au centre du

monde est la Terre Donc le ciel est le corps qui est par nature le plus haut En ce sens on le

nommera le laquo premier ciel raquo Mais qursquoest-ce que ce corps Aristote le preacutesente comme eacutetant

une substance une substance est ce qui ne se dit de rien et nrsquoest dans aucun sujet9 en drsquoautres

termes une substance est un ecirctre autonome qui ne deacutepend de rien drsquoautre que de lui-mecircme

pour ecirctre Cette substance est eacutegalement nommeacutee agrave plusieurs reprises dans les œuvres

drsquoAristote sphegravere des fixes Le corps qui se trouve sur la derniegravere circonfeacuterence du Tout est

ce qui est une substance au sens le plus noble et parfait Nous pouvons alors comprendre au

7 Le premier ciel eacutetant lrsquoappellation courante de la sphegravere des fixes crsquoest-agrave-dire lrsquoextreacutemiteacute du ciel 8 ARISTOTE opcit p143-1459 ARISTOTE Les cateacutegories II 2001 Traduction par Bodeuumls

13

travers de cette premiegravere deacutefinition du ciel que la substance dont on parle est constitueacutee de

matiegravere mais pas de nrsquoimporte quelle maniegravere de la plus noble et la plus divine celle-ci

eacutetant lrsquoeacutether nous y reviendrons plus tard Ainsi le ciel en ce sens est un ecirctre corporel la

circonfeacuterence la plus eacuteloigneacutee qui englobe quelque chose drsquoautre qui est nommeacute le laquo Tout raquo

Dans un second sens et agrave la suite de cette premiegravere deacutefinition le ciel est deacutefini comme suit

En un autre sens crsquoest le corps en continuiteacute avec la derniegravere circonfeacuterence du Tout ougrave setrouvent la Lune le Soleil et certains astres car nous disons drsquoeux aussi qursquoils sont dansle ciel10

Ce nouveau sens du mot ciel nous permet de saisir une nouvelle dimension de celui-

ci en effet le ciel nrsquoest pas seulement dit de ce qui englobe quelque chose qui est le laquo Tout raquo

il est aussi dit qursquoil est le corps11 qui est dans la continuiteacute de la sphegravere des fixes crsquoest-agrave-dire

qursquoil est dans la continuiteacute de la circonfeacuterence la plus eacuteloigneacutee qui englobe le laquo Tout raquo et

qursquoon appelle eacutegalement ciel

Cela est justifiable dans la mesure ougrave comme lrsquoaffirme Aristote nous disons des astres

que sont la Lune le Soleil qursquoils sont dans le ciel or ces astres ne se trouvent pas sur la

derniegravere circonfeacuterence du Tout Le ciel ne peut donc pas ecirctre seulement le corps qui est sur

lrsquoextreacutemiteacute de la circonfeacuterence la plus eacuteloigneacutee sinon on ne pourrait pas dire que la Lune et le

Soleil (ainsi que drsquoautres astres) sont dans le ciel Dans un troisiegraveme et dernier sens toujours agrave

la suite des deux premiegraveres deacutefinitions du ciel Aristote affirme que le ciel se dit du Tout

enveloppeacute par la derniegravere circonfeacuterence

De plus en un autre sens on appelle laquo ciel raquo le corps enveloppeacute par la derniegravere circonfeacuterence car nous avons coutume drsquoappeler laquo ciel raquo la totaliteacute ou le Tout12

Cette deacutefinition fait eacutecho aux quelques lignes introductives du livre III Puisque les

deux premiers livres du traiteacute Du ciel portaient sur laquo le premier ciel et ses parties raquo alors il

est possible drsquoaffirmer que le Tout est lrsquoensemble de ce qui est enveloppeacute par la sphegravere des

10 ARISTOTE opcit p143-14511 Le corps naturel du ciel est lrsquoeacutether 12 ARISTOTE opcit p143-145

14

fixes En drsquoautres termes le Tout qursquoest le ciel est la totaliteacute du corps et de ce qui le compose

qui est enveloppeacutee par le premier ciel

112 Le corps du ciel lrsquoeacuteleacutement divin et le mouvement du corps ceacuteleste

Maintenant que nous avons vu par le biais du De Caelo I 9 les trois sens qursquoAristote

accorde au mot laquo ciel raquo nous pouvons nous inteacuteresser agrave lrsquoessence mecircme du ciel et agrave celle des

parties qui le composent En plus de chercher agrave comprendre de quoi le ciel est constitueacute nous

reviendrons sur lrsquoeacuteleacutement qursquoest lrsquoeacutether invoqueacute plus haut et sur le mouvement naturel des

corps ceacutelestes

De Caelo I 2 est une tentative argumenteacutee de montrer que le corps qui se meut en

cercle est diffeacuterent drsquoun autre type de corps le corps dont le mouvement est rectiligne

Aristote dans ce chapitre du De Caelo affirme premiegraverement que tous les corps naturels

crsquoest-agrave-dire les corps qui sont faits drsquoeacuteleacutements naturels peuvent se mouvoir selon le lieu et

que ce mouvement selon le lieu srsquoappelle le laquo transport raquo Ce transport se fait soit de maniegravere

rectiligne soit de maniegravere circulaire ou alors de ces deux faccedilons agrave la fois

Tout mouvement selon le lieu (que nous appelons transport) est soit rectiligne soit circulaire soit un meacutelange des deux Car ce sont lagrave les deux formes simples [hellip] Le transport en cercle est celui qui a lieu autour du centre le transport rectiligne celui qui a lieu vers le haut ou vers le bas

Il nrsquoexiste ainsi que deux types de mouvement simple pour les corps simples Aristote appelle

les corps simples les eacuteleacutements naturels Leurs mouvements possibles sont rectilignes ou

circulaires Le corps qui se meut en ligne est le corps simple qui a un mouvement simple soit

vers le centre13 soit agrave partir du centre14 Le corps qui se meut en cercle est le corps simple qui

a un mouvement autour du centre Mais quels sont les arguments preacutecis qui deacutefendent que le

corps mucirc en cercle est simple Et quel est donc ce corps qui se meut en cercle Telles sont

les questions auxquelles nous allons reacutepondre ici dans le but de comprendre la nature du corps

simple mucirc en cercle puis de saisir sa composition

13 Vers le bas14 Vers le haut

15

Nous lrsquoavons dit le corps simple est celui qui a un mouvement selon sa nature Le feu aura

donc un mouvement qui va vers le haut alors que la terre aura un mouvement qui va vers le

centre Selon le cosmos aristoteacutelicien et la physique aristoteacutelicienne le corps qui est composeacute

de lrsquoeacuteleacutement naturel qui est la terre sera le plus pesant et aura un lieu naturel preacutecis Il est

important de preacuteciser que chaque eacuteleacutement possegravede un lieu naturel vers lequel il tend

naturellement agrave ecirctre et agrave rester et un lieu contre-naturel dans lequel il est de maniegravere contre-

naturelle La notion de lieu naturel ou de lieu contre-naturel est centrale dans lrsquoexplication du

mouvement chez Aristote le corps composeacute de terre sera le plus pesant et son lieu naturel

sera le bas ainsi il aura un mouvement rectiligne vers le centre Le corps composeacute de feu

quant agrave lui et parce que le feu est lrsquoeacuteleacutement qui nrsquoa aucune pesanteur a un mouvement

rectiligne qui part du centre et va vers le haut On comprend alors que ce qui deacutetermine le

mouvement du corps simple qui se meut de maniegravere rectiligne est ce qui le compose crsquoest-agrave-

dire sa nature Il en va de mecircme pour le corps simple qui se meut en cercle Mais avant drsquoy

venir nous nous devons premiegraverement de prouver que le corps qui se meut en cercle est un

corps simple et qursquoil ne saurait ecirctre autre chose Premiegraverement il srsquoagit pour Aristote de

montrer que le corps mucirc en cercle est simple puisque srsquoil existe un mouvement simple que le

mouvement en cercle soit simple ndash mouvement simple car les mouvements circulaire et

rectiligne sont les seuls types de mouvements qui soient simples les autres eacutetant mixtes

rectilignes et circulairessup2 ndash que le mouvement drsquoun corps simple soit simple et que le

mouvement simple soit celui drsquoun corps simple alors il est neacutecessaire que le corps qui est mucirc

en cercle selon la nature soit un corps simple Il ne srsquoagit pas ici de prouver drsquoores et deacutejagrave

qursquoil existe un corps simple qui se meut en cercle pour Aristote mais simplement de montrer

que theacuteoriquement si un corps qui se meut en cercle existe alors il sera neacutecessairement un

corps simple Cet argument en faveur de lrsquoexistence drsquoun corps qui se meut en cercle nrsquoest pas

le seul chaque corps simple a un lieu naturel vers lequel il est naturellement mis en

mouvement du fait mecircme de sa nature Mais srsquoil a un lieu naturel par nature cela signifie qursquoil

a aussi un lieu qui lui est contre-nature Aristote a montreacute que srsquoil existait un corps mucirc en

cercle celui-ci eacutetait neacutecessairement simple Si un corps simple a un mouvement en cercle et

qursquoon postule que ce mouvement circulaire est simple drsquoune part mais drsquoautre part contre-

nature agrave ce corps dans ce cas lagrave cela signifie qursquoil aura un mouvement autre qui lui sera

naturel Dans la conception aristoteacutelicienne de la physique les corps sont mus en fonction de

ce qui les compose nous lrsquoavons vu et ce qui compose les corps physiques sont les eacuteleacutements

le feu la terre lrsquoeau et lrsquoair Si un corps simple est un corps qui est mucirc par la nature de ce qui

16

le compose alors le corps sera mucirc selon qursquoil est composeacute de feu ou de terre Nous avons vu

que le feu avait un mouvement naturel rectiligne qui part du centre et la terre un mouvement

naturel rectiligne qui va vers le centre donc si le feu ou la terre est mucirc en cercle ce sera

contre nature Le problegraveme qui se pose est le suivant

Mais une chose unique a un contraire unique et les mouvements vers le haut et vers lebas sont contraires lrsquoun de lrsquoautre

Cela implique que le corps simple qui se meut naturellement de maniegravere rectiligne

vers le centre aura pour contraire le mouvement rectiligne qui part du centre et vice-versa

Ainsi il est impossible qursquoun corps simple dont le mouvement est naturellement rectiligne

soit mucirc en cercle

A partir de cet argument dans le chapitre 2 du livre I du De Caelo nous pouvons

affirmer une chose si un corps simple qui se meut en cercle existe alors il ne peut pas ecirctre

composeacute de feu ou de terre car aucun des corps qui sont composeacutes de ces eacuteleacutements et qui se

meuvent de maniegravere rectiligne naturellement vers le haut ou vers le bas ne peuvent ecirctre mus

contre-nature en cercle Il ne reste maintenant qursquoagrave prouver lrsquoexistence de ce corps simple qui

se meut en cercle Lrsquoargument drsquoAristote sur le sujet dans le chapitre 2 du livre I du De Caelo

est le suivant srsquoil existe un mouvement circulaire que ce mouvement circulaire soit simple

que le mouvement circulaire ndash et nrsquoimporte quel mouvement selon le lieu en reacutealiteacute ndash soit la

proprieacuteteacute drsquoun corps simple et qursquoil soit impossible que le mouvement circulaire soit le

mouvement contre-nature drsquoun corps qui se meut en ligne droite alors cela implique qursquoil

existe un corps simple qui se meut en cercle Comment pourrait-il y avoir un mouvement

circulaire mais pas de corps pour avoir ce mouvement dans la mesure ougrave nous lrsquoavons dit le

mouvement selon le lieu est une proprieacuteteacute des corps Cela est impossible Nous pouvons

alors conclure la chose suivante

Crsquoest pourquoi celui qui raisonne en partant de tout cela pourrait se convaincre qursquoen plusdes corps qui existent ici autour de nous il y en a un autre seacutepareacute qui a une naturedrsquoautant plus digne qursquoil est plus eacuteloigneacute de lrsquoici-bas

17

De lrsquoexistence drsquoun corps qui se meut en cercle on peut logiquement induire qursquoil

existe une nature propre au corps qui se meut en cercle une nature plus noble que celle des

corps qui se meuvent en ligne droite Quelle est la nature de ce corps simple dont le

mouvement est circulaire Crsquoest lagrave la seconde question qui nous inteacuteresse

Pour y reacutepondre Aristote se reacutefegravere agrave ce qui a eacuteteacute dit preacuteceacutedemment Puisque la

pesanteur ou la leacutegegravereteacute est une proprieacuteteacute du corps qui lui vient de sa composition et qui

implique qursquoil soit naturellement dirigeacute vers le bas ou vers le haut alors tous les corps ne

possegravedent pas de pesanteur ou de leacutegegravereteacute Quels sont les corps qui possegravedent la pesanteur

Ce sont ceux qui sont naturellement dirigeacutes vers le bas et qui se meuvent en ligne droite vers

le centre crsquoest-agrave-dire tout ce qui est composeacute de terre ou drsquoune espegravece de terre Quels sont les

corps qui possegravedent la leacutegegravereteacute Ce sont ceux qui sont naturellement dirigeacutes vers le haut et

qui se meuvent en ligne droite agrave partir du centre crsquoest-agrave-dire tout ce qui est composeacute de feu ou

drsquoune espegravece de feu A partir de lagrave il est possible drsquoaffirmer que le corps qui se meut en

cercle parce qursquoil nrsquoest mucirc ni vers le bas ni vers le haut est un corps qui nrsquoa ni pesanteur ni

leacutegegravereteacute car nrsquoest ni composeacute de terre ou drsquoune espegravece de terre ni de feu ou drsquoune espegravece de

feu Mais qursquoest-ce que le pesant et le leacuteger Le plus pesant est deacutefini comme ce qui est situeacute

en dessous de tous les corps transporteacutes vers le bas et le plus leacuteger est deacutefini comme ce qui est

agrave la surface de tous les corps porteacutes vers le haut dans le De Caelo I 3 269b18-26 Il est

important pour des raisons de justesse de preacuteciser que cette pesanteur et cette leacutegegravereteacute sont

toutefois relatives un corps leacuteger lrsquoest par rapport agrave un autre et il en va de mecircme pour le

corps pesant mais lagrave nrsquoest pas notre sujet Ces deacutefinitions nous permettent de comprendre que

ce qui nrsquoappartient pas au mouvement rectiligne ne peut pas appartenir aux eacuteleacutements pesants

ou leacutegers

De plus puisque les corps qui ont un mouvements rectilignes vers le haut sont

contraires aux corps ayant un mouvement vers le bas et que la corruption et la geacuteneacuteration se

font dans les contraires alors cela signifie que ces corps sont soumis agrave la geacuteneacuteration et

corruption Selon Aristote laquo crsquoest dans le domaine des contraires que se produisent la

geacuteneacuteration et la corruption raquo15 Du fait mecircme que les corps simples mus en ligne droite vers le

haut ou vers le bas possegravedent un mouvement contre-nature cela implique qursquoils appartiennent

au milieu de ce qui est geacuteneacutereacute et de ce qui ineacutevitablement se corrompt La corruption se fait

dans le changement des proprieacuteteacutes et par rapport agrave quelque chose il en va de mecircme pour

15 De Caelo I 3 270b20 p 89

18

lrsquoaugmentation Lrsquoaugmentation est une forme de geacuteneacuteration agrave partir drsquoun changement dans la

proprieacuteteacute le corps humain transforme et geacutenegravere des nutriments agrave partir de la nourriture qursquoil

ingegravere donc la nourriture a eacuteteacute corrompue et les nutriments ont eacuteteacute geacuteneacutereacutes crsquoest une

deacuteformation de la nourriture et un changement dans son espegravece Mais puisqursquoil nrsquoy a rien de

contraire au mouvement circulaire cela implique que le corps simple qui se meut en cercle

nrsquoest ni geacuteneacuterable ni corruptible puisqursquoil ne peut pas se transformer en son contraire Ce

corps simple nrsquoest pas non plus alteacuterable selon Aristote

En effet lrsquoalteacuteration est un mouvement selon la qualiteacute et les eacutetats et les dispositionsqualitatifs par exemple la santeacute et la maladie ne se produisent pas sans changementsdans les proprieacuteteacutes Mais nous voyons que tous ceux des corps naturels qui changentselon une proprieacuteteacute sont tous sujets agrave lrsquoaugmentation et agrave la diminution [hellip] il en est demecircme pour celui des eacuteleacutements16

Puisque le corps qui est mucirc en cercle nrsquoest ni sujet agrave lrsquoaugmentation (lrsquoaugmentation eacutetant une

forme de geacuteneacuteration) etou agrave la diminution (diminution eacutetant une forme de corruption) alors il

est inalteacuterable Ainsi en plus drsquoecirctre ingeacuteneacuterable et incorruptible le corps qui se meut en cercle

est inalteacuterable Cette proprieacuteteacute fait de lui un corps eacuteternel Le corps qui se meut en cercle doit

donc ecirctre composeacute de quelque chose qui nrsquoa pas de contraire qui nrsquoest pas un eacuteleacutement tel que

le feu lrsquoair lrsquoeau ou la terre et qui nrsquoest ni geacuteneacutereacute ni corruptible A ce stade nous ne savons

pas encore ce qui est signifieacute par laquo le corps simple qui se meut en cercle raquo Mais Aristote lui

donne une autre caracteacuteristique celle drsquoecirctre premier ce qui peut srsquoexpliquer par le fait qursquoil

nrsquoest pas geacuteneacuterable et donc nrsquoest pas venu agrave lrsquoecirctre agrave un instant T Il se tourne ainsi vers trois

instances qui lui permettent de justifier ses dires anteacuterieurs la religion lrsquoobservation et

lrsquoeacutetymologie sont autant drsquoarguments en faveur de la nature du corps qui se meut en cercle tel

que nous lrsquoavons conccedilu jusqursquoagrave preacutesent

Il se tourne premiegraverement vers la religion Aristote affirme en 270b5 du De Caelo que

dans le domaine de la religion on attribue le plus haut lieu agrave ce qui est le plus divin on place

ainsi le divin au-dessus de tout Ainsi le corps qui se meut en cercle puisqursquoil se situe au-

dessus de tout et regardeacute comme eacutetant divin Degraves lors dans la mesure ougrave lrsquoon attribue

lrsquoimmortaliteacute au divin le ciel est alors consideacutereacute comme eacutegalement divin Par conseacutequent le

corps qui se meut en cercle se situe dans le plus haut lieu Lrsquoeacuteterniteacute de ce corps est

16 Ibid p89

19

veacuterifiable par lrsquoobservation et lrsquoexpeacuterience comme lrsquoaffirme Aristote dans la suite du

raisonnement

En effet dans toute lrsquoeacutetendue du temps eacutecouleacute selon la tradition que les hommes se sonttransmise les uns aux autres aucun changement nrsquoa eacuteteacute constateacute ni dans la totaliteacute la plusexteacuterieure du ciel ni dans aucune des parties qui lui sont propres

On comprend agrave la suite de cette remarque que le corps mucirc en cercle qui eacutetait lrsquoobjet de

notre propos est eacutegalement appeleacute laquo ciel raquo Ce que nous avons vu plus haut crsquoest-agrave-dire toutes

les caracteacuteristiques propres au corps qui se meut en cercle srsquoappliquent alors au ciel Mais de

quel sens du laquo ciel raquo parle-t-on puisque nous avons vu que le ciel avait trois sens A en juger

par ce que nous venons de citer nous pouvons dire qursquoAristote parle du premier et second

ciel le premier eacutetant le corps qui se trouve sur la circonfeacuterence la plus exteacuterieure et la plus

eacuteloigneacutee crsquoest-agrave-dire la sphegravere des fixes et le second eacutetant le corps qui est dans la continuiteacute

de la sphegravere des fixes et dans lequel se trouvent certains astres comme le Soleil la Lune et

drsquoautres encore Via lrsquoobservation nous pouvons conclure que le corps est ingeacuteneacuterable

incorruptible et inalteacuterable Mais cet argument en faveur de lrsquoeacuteterniteacute du ciel a un troisiegraveme

temps lrsquoeacutetymologie

Nous eacutevoquions plus tocirct lrsquoideacutee selon laquelle le corps qui se meut en cercle ne pouvait

pas ecirctre constitueacute de feu ou de terre et que donc il avait un eacuteleacutement qui lui eacutetait propre Cet

eacuteleacutement est plus noble que le feu et la terre car il se situe dans le domaine du ciel qui nrsquoest ni

soumis agrave la geacuteneacuteration ni agrave la corruption car il nrsquoa pas de contraire Il est donc eacuteternel Cet

eacuteleacutement tient drsquoailleurs son nom du fait qursquoil est eacuteternel

Crsquoest pourquoi dans lrsquoideacutee que le premier corps eacutetait diffeacuterent de la terre du feu de lrsquoair et de lrsquoeau ils ont nommeacute laquo eacutether raquo le lieu le plus eacuteleveacute tirant pour lui cette appellation du fait qursquoil court toujours pendant un temps eacuteternel

Ainsi le corps qursquoest le ciel parce qursquoil faut rappeler qursquoil est un ecirctre corporel est constitueacute

drsquoune matiegravere que lrsquoon appelle lrsquoeacutether et qui dans le monde supralunaire drsquoAristote est le seul

eacuteleacutement

20

12 Platonisme et aristoteacutelisme sur lrsquouniciteacute du monde Du Timeacutee au De Caelo I 9

121 Lrsquouniciteacute du monde dans le Timeacutee17 de Platon

La question des eacuteleacutements constitutifs des corps est indispensable pour comprendre le

contexte dans lequel le problegraveme du takei se pose En effet le passage obscur du De Caelo I

9 qui est notre propos se situe dans un chapitre visant agrave montrer par les arguments que nous

allons maintenant aborder que le monde est unique et qursquoil nrsquoy a aucun corps en dehors de

lui

Disons maintenant pour quelle raison celui qui a constitueacute le devenir crsquoest-agrave-dire notreunivers lrsquoa constitueacute Il eacutetait bon or en ce qui est bon on ne trouve aucune jalousie agravelrsquoeacutegard de qui que ce soit Deacutepourvu de jalousie il souhaita que toutes choses devinssentle plus possible semblables agrave lui 29e

La question que se pose ici Timeacutee est celle du pourquoi de lrsquounivers Afin de reacutepondre agrave cette

question il srsquointeacuteresse agrave la nature de celui qui a creacuteeacute lrsquounivers En effet la nature mecircme de

celui qui a creacuteeacute lrsquounivers implique que notre univers soit de telle faccedilon et non drsquoune autre

Puisque celui-ci est bon et que la jalousie nrsquoest pas une proprieacuteteacute de ce qui est bon alors celui

qui a creacuteeacute lrsquounivers lrsquoa creacuteeacute de maniegravere agrave ce qursquoil soit agrave son image crsquoest-agrave-dire qursquoil possegravede

les mecircmes qualiteacutes que lui Ainsi en tant qursquoecirctre bon il a voulu que tout ce qui existe soit

bon autant que possible et aussi parfait que possible Mais le deacutemiurge nrsquoest pas parti de rien

cette conception platonicienne de la creacuteation de lrsquounivers deacutecoule de lrsquoideacutee que le rien et le

neacuteant nrsquoexistent pas Donc celui qui est agrave lrsquoorigine de lrsquounivers lrsquoa engendreacute agrave partir de

quelque chose qui eacutetait deacutesordonneacute et en mouvement le visible Il a alors fait de ce visible

deacutesordonneacute un visible ordonneacute Du fait mecircme que celui qui a engendreacute le monde est lrsquoecirctre le

meilleur cela implique que ce qursquoil produit est aussi parfait qursquoil peut lrsquoecirctre car le meilleur

ne pourrait pas faire quelque chose de mauvais

Ayant reacutefleacutechi il se rendit compte que de choses par nature visibles son travail nepourrait jamais faire sortir un tout deacutepourvu drsquointellect qui fucirct plus beau qursquoun tout

17 PLATON Timeacutee 1992 Traduction par L Brisson Nous nous reacutefeacutererons agrave cette traduction sauf indication contraire

21

pourvu drsquointellect et que par ailleurs il eacutetait impossible que lrsquointellect preacutesent en quelquechose soit deacutepourvu drsquoune acircme 30A-b

Mais la nature propre du creacuteateur ne suffit pas agrave faire de toutes ses œuvres des ecirctres

eacutegaux en effet le deacutemiurge srsquoest rendu compte que malgreacute son travail le tout qui eacutetait

constitueacute drsquoun intellect eacutetait neacutecessairement plus beau qursquoun tout sans intellect Mais qursquoest-ce

que lrsquointellect chez Platon qui implique une hieacuterarchie entre les creacuteations du deacutemiurge

Comme lrsquoindique lrsquoextrait citeacute plus haut et qui nous donne une premiegravere ideacutee de ce qursquoest

lrsquointellect chez Platon si lrsquointellect est preacutesent en une chose il est impossible que cette chose

qui possegravede un intellect nrsquoait pas drsquoacircme Cela se justifie par le fait que lrsquointellect νοῦς chez

Platon est la partie la plus noble ou divine de lrsquoacircme Il y a donc une distinction entre lrsquoacircme et

lrsquointellect lrsquoacircme est une chose dont une des partie est lrsquointellect elle est la plus noble A quoi

sert cette partie Elle est ce qui permet de connaicirctre lrsquointelligible et de srsquoen rapprocher

Puisque lrsquointellect a eacuteteacute mis dans lrsquoacircme du monde et que lrsquointellect est la partie la plus belle et

la plus noble de lrsquoacircme cela implique que le monde est par nature le plus beau et le meilleur

possible

Ainsi donc conformeacutement agrave une explication qui nrsquoest que vraisemblable il faut dire que notre monde qui est un vivant doueacute drsquoune acircme pourvue drsquoun intellect a en veacuteriteacute eacuteteacute engendreacute par suite de la deacutecision reacutefleacutechie drsquoun dieu 30bndashc

Puisque le deacutemiurge a la capaciteacute de reacutefleacutechir alors il est proche des intelligibles et du

plus noble et ainsi il est dans la mesure de savoir comment faire de sa creacuteation un ecirctre aussi

bon et beau que possible La proprieacuteteacute du deacutemiurge qui est mise en avant est son intelligence

mais la conception du deacutemiurge ne srsquoarrecircte pas lagrave En effet agrave la maniegravere drsquoun artisan le

deacutemiurge creacutee le monde Mais comme tout artisan il se doit de posseacuteder une connaissance de

la chose qursquoil produit afin de la produire de faccedilon agrave ce qursquoelle soit la plus parfaite possible

Crsquoest pourquoi comme le deacutemiurge est un artisan qui reacutefleacutechit qui possegravede un intellect dans

son acircme il peut avoir une connaissance des intelligibles et ainsi produire quelque chose qui

est le plus parfait possible

22

A la ressemblance de quel vivant en particulier celui qui a faccedilonneacute le monde lrsquoa-t-ilfaccedilonneacute A la ressemblance drsquoaucun de ces vivants qui tiennent le rang drsquoespegraveceparticuliegravere dans la nature estimons-nous car rien de ce qui ressemble agrave un ecirctreincomplet ne saurait jamais ecirctre beau 30c

Mais tel un artisan le deacutemiurge ne produit pas agrave partir de rien il possegravede une

connaissance de ce qursquoil produit nous lrsquoavons dit Mais quelle est cette connaissance Elle

est la connaissance drsquoune ideacutee intelligible en drsquoautres termes drsquoune Forme comprise comme

lrsquoecirctre intelligible et parfait que lrsquoon ne peut saisir que par le biais de lrsquointellect Cela signifie

que le monde ecirctre mateacuteriel et tangible a eacuteteacute creacuteeacute agrave limage dun modegravele qui est intelligible et

non agrave un modegravele sensible Le monde est le sensible le plus parfait alors il ne peut pas avoir

pour modegravele quelque chose de moins parfait que lui et qui soit une partie de quelque chose

drsquoautre

Mais lrsquoensemble auquel appartiennent tous les ecirctres vivants agrave titre de parties soitindividuellement soit en tant qursquoespegravece voilagrave entre tous les vivants supposons-nouscelui auquel ressemble le plus celui-ci Effectivement tous les vivants intelligibles cevivant les tient enveloppeacutes en lui-mecircme de la mecircme faccedilon que notre monde nous contientnous et toutes les autres creacuteatures visibles 32c-d

Mais de quoi ces parties sont-elles les parties Du monde selon Platon Lrsquoargument

repose sur une analogie crsquoest-agrave-dire que notre monde est agrave tous les ecirctres sensibles ce que son

modegravele est agrave tous les ecirctres intelligibles Le monde enveloppe la totaliteacute de tous les ecirctres

sensibles il est logique que son modegravele soit ce qui enveloppe la totaliteacute de tous les ecirctres

intelligibles En effet le deacutemiurge a souhaiteacute que le monde ressemble agrave lrsquoecirctre le plus parfait

entre tous crsquoest-agrave-dire agrave lrsquoecirctre le plus beau de tous dans le sens ougrave il ne manque drsquoaucun des

biens Il a fait le monde de telle sorte qursquoil ait agrave lrsquointeacuterieur de lui tous les vivants qui sont de

mecircme nature que lui tous les ecirctres de nature sensible Comme notre monde est fait sur le

modegravele de quelque chose de parfait qui enveloppe tous les ecirctres intelligibles alors srsquoil y avait

une autre chose qui enveloppait tout cette autre chose serait le modegravele sur lequel aurait eacuteteacute

creacuteeacute notre monde Srsquoil y avait un autre ecirctre qui enveloppe tous les vivants en plus de notre

monde il faudrait qursquoil y ait un ecirctre qui les enveloppe tous les deux et ce serait agrave ce monde lagrave

que ressemblerait le nocirctre Notre monde partage comme caracteacuteristique lrsquouniciteacute du monde

23

parfait unique et beau dont il est la copie Il ne pourrait alors y avoir aucun autre monde en

dehors du nocirctre

[hellip] le dieu ayant placeacute au milieu entre le feu et la terre lrsquoeau et lrsquoair et ayant introduitentre eux autant que crsquoeacutetait possible le mecircme rapport qui fasse que ce que le feu est agravelrsquoair lrsquoair le soit agrave lrsquoeau et que ce que lrsquoair est agrave lrsquoeau lrsquoeau le soit agrave la terre a constitueacute agravelrsquoaide de ces liens un monde visible et tangible 32b

Comment peut-on expliquer que le monde soit sensible Platon fait lrsquoexpeacuterience drsquoun

monde sensible crsquoest le point de deacutepart de sa deacutemarche qui consiste agrave essayer drsquoexpliquer

pourquoi le monde est sensible et ordonneacute Pourquoi y-a-t-il un monde sensible ordonneacute et

non deacutesordonneacute A lrsquoimage drsquoune recette Platon fait la genegravese de la conception du monde qui

repose sur la preacutesence de quatre eacuteleacutements en quantiteacute proportionnelle et selon un rapport de

proportionnaliteacute le feu la terre lrsquoeau et lrsquoair Le fait que le monde soit constitueacute de ces

eacuteleacutements qui entretiennent entre eux un tel rapport en fait un ecirctre mateacuteriel ordonneacute et

impossible agrave corrompre (sinon par celui qui lrsquoa fait tel qursquoil est)

Or de ces quatre eacuteleacutements pris un agrave un la constitution du monde a absorbeacute la totaliteacuteCrsquoest en effet tout le feu toute lrsquoeau tout lrsquoair et toute la terre qursquoutilisa celui quiconstitua le monde pour le constituer ne laissant hors du monde aucune parcelle aucuneproprieacuteteacute de quoi que ce soitVoici quel eacutetait son dessein Il souhaitait en premier lieu quele monde fucirct avant tout un vivant parfait constitueacute de parties parfaites que de plus il fucirctunique dans la mesure ougrave il ne restait rien agrave partir de quoi un autre vivant de mecircmenature puisse venir agrave lrsquoecirctre 32c-33a

On comprend alors lrsquoargument platonicien selon lequel le monde est neacutecessairement

unique Puisque le deacutemiurge a mis en ordre le monde en le constituant de quatre eacuteleacutements (le

feu lrsquoair lrsquoeau et la terre) selon un certain meacutelange et qursquoen plus de cela il a utiliseacute la totaliteacute

du feu la totaliteacute de lrsquoair la totaliteacute de lrsquoeau et la totaliteacute de la terre pour le creacuteer il ne peut

rien exister de mecircme nature que lui Lrsquoensemble de cet extrait du Timeacutee permet de souligner

lrsquouniciteacute du monde sur deux plans diffeacuterents sur le plan meacutetaphysique et sur le plan

physique Sur le plan meacutetaphysique dans la mesure ougrave il a eacuteteacute prouveacute logiquement que le

monde ne pouvait ecirctre qursquoun seul puisqursquoil enveloppait agrave lrsquoimage de lrsquoecirctre intelligible le plus

24

parfait lrsquoensemble des sensibles Sur le plan physique dans la mesure ougrave il a eacuteteacute affirmeacute par

Platon que le monde eacutetait composeacute de la totaliteacute des quatre eacuteleacutements

Lrsquoargument en faveur de lrsquouniciteacute du monde que nous venons de voir est lrsquoeacutecho de la

theacuteorie platonicienne des Formes eacutenonceacutees dans le livre VI de la Reacutepublique18 A la fin du

livre VI de la Reacutepublique Platon dessine rapidement les traits de ce que sera plus tard dans la

mecircme œuvre la theacuteorie des Formes En effet il affirme en cette fin de livre VI que les

geacuteomegravetres lorsqursquoils produisent des hypothegraveses sur les angles et autres figures geacuteomeacutetriques

ne les font pas sur ce triangle qursquoils ont construit ou ce cercle qursquoils ont traceacute ils les font sur

les figures geacuteomeacutetriques en soi A quoi servent alors ces traceacutes Ils servent drsquoimages qui

permettent aux geacuteomegravetres de contempler les choses en soi que lrsquoon ne peut contempler que

par la penseacutee Ces figures traceacutees sont les copies des choses en soi elles sont en ce sens leurs

images De la mecircme maniegravere le monde sensible dans lequel nous sommes et qui enveloppe

lrsquoensemble de tous les ecirctres sensibles est la copie de lrsquoecirctre intelligible le plus parfait qui

enveloppe tous les vivants intelligibles Cette ideacutee implique qursquoil existe dans la philosophie

platonicienne des formes transcendantes qui srsquoeacutelegravevent au dessus du monde sensible et qui ne

sont que copieacutees dans ce monde La veacuteriteacute concernant les choses se trouverait dans le monde

intelligible seulement accessible par la penseacutee La forme est alors comprise comme la chose

en soi intelligible et transcendante Ainsi on peut drsquoores et deacutejagrave en conclure qursquoil y a une

diffeacuterence chez Platon entre la forme hors de la matiegravere et la forme dans lrsquoobjet sensible

122 Aristote en De Caelo I 9 analyse des arguments en faveur de la pluraliteacute des cieux

pour deacutefendre la theacuteorie platonicienne de lrsquouniciteacute du monde

Toutefois il est possible de se meacuteprendre sur la theacuteorie platonicienne de lrsquounivers et de

lui attribuer des conseacutequences erroneacutees voire de lrsquoutiliser afin drsquoaffirmer que le monde nrsquoest

pas unique Aristote en De Caelo I 9 srsquoengage agrave faire lrsquoexamen des arguments en faveur de

la pluraliteacute des mondes que lrsquoon pourrait tirer de la theacuteorie platonicienne de la creacuteation du

monde Nous allons alors maintenant voir quels sont ces arguments

En effet il pourrait sembler impossible qursquoil nrsquoy ait qursquoun seul ciel agrave qui examine leschoses de cette maniegravere dans tout ce qui est constitueacute ou a eacuteteacute produit que ce soit par lanature ou par lrsquoart ce sont deux choses diffeacuterentes que la forme en soi et celle qui est

18 PLATON La Reacutepublique 2002 Traduction par G Leroux

25

meacutelangeacutee agrave la matiegravere par exemple dans le cas de la sphegravere ce sont deux chosesdiffeacuterentes que la forme de la sphegravere et la sphegravere drsquoor ou la sphegravere drsquoairain et encore lafigure du cercle est diffeacuterente du cercle drsquoairain ou du cercle de bois 277b-30

Nous lrsquoavons dit plus haut dans la philosophie platonicienne il y a une distinction

entre la forme hors de la matiegravere et la forme dans la matiegravere dans la mesure ougrave la forme

intelligible (hors de la matiegravere) est transcendante et seacutepareacutee de la matiegravere Et selon Aristote il

pourrait sembler impossible agrave celui qui accepte cette distinction platonicienne de penser qursquoil

nrsquoexiste qursquoun seul monde Il srsquoagit alors de se demander premiegraverement quel est lrsquoargument

qui nous laisse penser que le ciel nrsquoest pas unique Deuxiegravemement nous nous demanderons si

Aristote deacutefend cette compreacutehension de la theacuteorie platonicienne ou srsquoil cherche agrave critiquer

ceux qui la comprennent ainsi

La theacuteorie platonicienne selon laquelle il y a une diffeacuterence entre la forme dans la

matiegravere et la forme en dehors de la matiegravere nous permet drsquoacceacuteder agrave lrsquoexemple suivant dans

le cas drsquoune sphegravere il y a la forme en soi qui est la forme purement intelligible de la sphegravere

drsquoune part et drsquoautre part il y a la sphegravere sensible constitueacutee admettons drsquoor ou drsquoairain Ces

deux types de sphegraveres sont distincts nous lrsquoavons dit pour la raison qursquoil existe une

diffeacuterence entre la forme de la sphegravere hors de la matiegravere (une forme qui est seacutepareacutee et

transcendante) et la forme de la sphegravere dans la matiegravere (une forme qui est meacutelangeacutee agrave la

matiegravere)

Puisque donc le ciel est sensible il sera une chose particuliegravere Car selon nous toutsensible existe dans la matiegravere Mais srsquoil est une chose particuliegravere lrsquoecirctre de ce ciel-ci etlrsquoecirctre du ciel pris absolument seront des choses diffeacuterentes Donc ce ciel-ci sera diffeacuterentdu ciel pris absolument ce dernier est pris comme forme et figure le premier commequelque chose de meacutelangeacute agrave la matiegravere 278a-10

Ce raisonnement appliqueacute au ciel affirme la chose suivante puisque le ciel est un

ecirctre corporel il est une chose particuliegravere Mais srsquoil est une chose particuliegravere et mateacuterielle

alors on peut en conclure que lrsquoecirctre de ce ciel particulier ne sera pas le mecircme que celui du ciel

pris en soi Ainsi le ciel particulier du fait de sa matiegravere dont parle Aristote ne sera pas le

mecircme que le ciel pris en soi crsquoest-agrave-dire en tant que Forme

26

[] cela nrsquoest pas moins vrai si rien de telle nrsquoexiste de maniegravere seacutepareacutee Dans tous lescas en effet ougrave nous voyons cela agrave savoir que la substance formelle se trouve dans lamatiegravere les ecirctres de mecircme forme sont plusieurs et mecircme en nombre infini De sorte qursquoilexiste plusieurs cieux ou qursquoil peut en exister plusieurs 278a-15-20

Mais ces individus qui comprennent lrsquoargument de Platon comme un argument en

faveur de la pluraliteacute du ciel affirment que mecircme srsquoil nrsquoy avait pas de forme seacutepareacutee du

sensible il y aurait quand mecircme plusieurs cieux Mais pourquoi affirment-ils cela Parce

qursquoil peut y avoir plusieurs ecirctres composeacutes de mecircme forme La forme dans la matiegravere nrsquoest

pas neacutecessairement unique la forme de deux chaises diffeacuterentes est la mecircme ce qui fait sa

particulariteacute est la matiegravere Mais il nrsquoest pas contradictoire qursquoil y ait une infiniteacute de chaises

il ne peut y avoir qursquoune seule forme seacutepareacutee et transcendante de la chaise par contre il peut

y avoir un nombre immense de chaises mateacuterielles et potentiellement une infiniteacute dans la

mesure ougrave cela nrsquoest pas contradictoire avec la nature de la forme dans le composeacute

Du fait de la nature mateacuterielle du composeacute ceux qui interpregravetent Platon de cette

maniegravere concluent qursquoil peut tout agrave fait exister plusieurs cieux Il peut en effet y avoir une

infiniteacute de corps mateacuteriels pour une forme seacutepareacutee de la matiegravere unique Il srsquoagira alors pour

Aristote de reprendre ces arguments et drsquoen faire lrsquoexamen afin de savoir lesquels sont fondeacutes

et lesquels ne le sont pas Nous nous eacutetions alors demandeacute quels eacutetaient les arguments qui

laissaient penser que le ciel pouvait ne pas ecirctre unique drsquoune part et drsquoautre part si Aristote

deacutefendait les conclusions auxquelles aboutissait cette certaine compreacutehension de Platon ou srsquoil

les jugeait erroneacutees

123 Aristote en De Caelo I 9 arguments aristoteacuteliciens en faveur de lrsquouniciteacute du ciel

Mais quelle est donc la position drsquoAristote sur la question de lrsquouniciteacute du monde

Deacutefend t-il Platon Est-il en deacutesaccord avec Platon Leurs arguments diffeacuterent-ils Pour

reacutepondre agrave ces questions nous eacutetudierons de maniegravere lineacuteaire la suite du chapitre

Que donc la deacutefinition de la forme sans la matiegravere et celle de la forme dans la matiegraveresoient diffeacuterentes lrsquoune de lrsquoautre on le dit avec raison et tenons-le pour vrai Il nrsquoy aneacuteanmoins aucune neacutecessiteacute agrave conclure de cela qursquoil existe plusieurs mondes ni qursquoil peuten exister plusieurs srsquoil est vrai que ce monde-ci est composeacute de lrsquoensemble de lamatiegravere comme cela est le cas 278a25

27

Il est possible drsquoaffirmer avec veacuteriteacute selon Aristote que la forme dans la matiegravere et la

forme sans la matiegravere sont deux choses diffeacuterentes Mais nous lrsquoavons dit en 278a25 Aristote

affirme que de cela nous ne pouvons pas induire la neacutecessiteacute ou la possibiliteacute qursquoil en existe

plusieurs car il est vrai que le monde est composeacute de lrsquoensemble de la matiegravere Aristote

affirme alors qursquoil ne saurait y avoir un autre monde puisque le monde est constitueacute de

lrsquoensemble de la matiegravere

A ce moment de lrsquoexamen des arguments exposeacutes plus tocirct nous trouvons dans le De

Caelo une explication des trois sens du mots ciel Dans la mesure ougrave nous avons exposeacute plus

tocirct ce qursquoeacutetaient ces trois ciels nous ne ferons que rappeler ce passage en le restituant

briegravevement Puisque nous avons exposeacute plus haut le ciel de trois maniegraveres nous comprenons

bien qursquoil ne peut rien exister en dehors du ciel dans la mesure ougrave le ciel srsquoentend dans un

sens comme le Tout ou la totaliteacute de ce qui est enveloppeacute par la circonfeacuterence la plus

eacuteloigneacutee Rappelons-le le laquo ciel raquo se dit en plusieurs sens le ciel est le corps qui se trouve

sur la circonfeacuterence la plus eacuteloigneacutee Le ciel est donc lrsquoextreacutemiteacute en un sens En un second

sens le ciel est le corps qui est dans la continuiteacute de la circonfeacuterence la plus eacuteloigneacutee et dans

laquelle se trouvent certains astres tel que le Soleil la Lune et drsquoautres En un troisiegraveme sens

et crsquoest ce sens qui permet de montrer que le ciel possegravede lrsquoensemble de la matiegravere le ciel est

dit du Tout ou de la totaliteacute qui est enveloppeacutee par la circonfeacuterence la plus eacuteloigneacutee En

drsquoautres termes le ciel est la totaliteacute de ce qui est enveloppeacute par le corps situeacute agrave lrsquoextreacutemiteacute du

ciel De cela nous pouvons conclure la chose suivante selon Aristote

Le ciel eacutetant pris en ces trois sens la totaliteacute enveloppeacutee par la derniegravere circonfeacuterence estneacutecessairement constitueacutee de lrsquoensemble du corps naturel sensible du fait qursquoil nrsquoexisteaucun corps en dehors du ciel et qursquoil ne peut pas y en avoir Supposons en effet qursquoilexiste un corps naturel en-dehors de la derniegravere circonfeacuterence il serait neacutecessaire qursquoilfasse partie soit des corps simples soit des corps composeacutes et que son eacutetat soit naturelou contre-nature Or il ne pourrait ecirctre lrsquoun des corps simples 278b20-25

Postulons qursquoil existe un corps naturel qui soit au-delagrave de la derniegravere circonfeacuterence Si

ce corps naturel existe il est neacutecessaire puisque les corps se divisent seulement en deux

cateacutegories qursquoil soit simple ou composeacute Nous avons vu qursquoun corps simple eacutetait un corps

naturel dont le mouvement eacutetait deacutetermineacute par sa nature En effet un corps simple a un

28

mouvement rectiligne (vers le haut ou vers le centre) ou un mouvement circulaire Pour ce

qui est des mouvements rectilignes Aristote affirme que le corps simple ne pourrait pas se

trouver au-delagrave du ciel car les corps simples qui existent au nombre de quatre le feu lrsquoair

lrsquoeau et la terre sont en totaliteacute rassembleacutes dans le monde de sorte qursquoil nrsquoy en a aucune

quantiteacute agrave lrsquoexteacuterieur de celui-ci De plus puisque chaque corps simple a un mouvement

naturel qui le megravene agrave son milieu naturel (milieu naturel qui se trouve dans le monde) alors

cela signifie que lrsquoexteacuterieur du monde serait son milieu contre-nature Si tel est le cas alors le

milieu contre-nature qui est lrsquoexteacuterieur du ciel serait le milieu naturel drsquoun autre corps ce qui

nrsquoest pas possible en vertu du fait qursquoil nrsquoexiste aucune matiegravere en dehors du ciel Et pour ce

qui est du corps simple dont le mouvement est circulaire crsquoest-agrave-dire lrsquoeacutether nous avons vu

que son milieu naturel eacutetait le ciel et qursquoil nrsquoavait pas de milieu contre-nature Or srsquoil eacutetait en

dehors du ciel dans la mesure ougrave son milieu naturel est le ciel cela signifierait qursquoil serait

dans son milieu contre-naturel ce qui nrsquoest pas possible

Et si aucun des corps simples nrsquoy est aucun des corps mixtes nrsquoy est non plus car il estneacutecessaire que si un corps mixte srsquoy trouve les corps simples y soient aussi 279a1-2

Pour les corps composeacutes lrsquoargument est le mecircme Le corps composeacute est un corps qui

contient un meacutelange de plusieurs eacuteleacutements mais son mouvement se fait en fonction de

lrsquoeacuteleacutement qui domine en lui (il a donc un mouvement simple en fonction du corps simple qui

le constitue) Un corps admettons composeacute a 60 de terre et 40 de feu sera attireacute vers le

centre Ainsi il est neacutecessaire que ce corps simple ou composeacute ait un lieu naturel ou contre-

nature puisqursquoil est en mouvement vers son lieu naturel ou en mouvement vers un lieu contre-

nature De plus il y a deux types de mouvement lrsquoun circulaire et lrsquoautre rectiligne Pour le

corps qui se meut en cercle naturellement il nrsquoy a aucun lieu qui soit contre-nature dans la

mesure ougrave il nrsquoest ni geacuteneacuterable ni corruptible nous lrsquoavons vu Ce corps ne peut donc pas

changer de lieu naturel pour un autre lieu Aristote conclut par la force mecircme des arguments

contenus dans le De Caelo et de lrsquoorganisation du monde qui repose sur les notions de milieu

naturel et de mouvement naturel que le monde est formeacute de lrsquoensemble de la matiegravere et qursquoil

ne pourrait pas y avoir un autre ciel Le ciel est donc unique

Mais Aristote ne srsquoarrecircte pas agrave lrsquoaffirmation selon laquelle le ciel est unique Il ajoute

Il est en mecircme temps clair qursquoil nrsquoy a ni lieu ni vide ni temps en dehors du ciel En toutlieu en effet il est possible qursquoil existe un corps et lrsquoon dit que le vide est ce en quoi il

29

nrsquoy a pas de corps mais ougrave il est possible qursquoil en vienne un quant au temps crsquoest lenombre drsquoun mouvement et il nrsquoexiste pas de mouvement sans corps naturel 279a10

Il nrsquoy a pas de lieu pas de vide et pas de temps en dehors du ciel selon Aristote Mais

pourquoi Il ne peut y avoir de lieu car en tout lieu il est possible qursquoil y ait un corps Il nrsquoy a

pas non plus de vide dans la mesure ougrave le vide est deacutefini comme ce en quoi il nrsquoy a pas de

corps mais ougrave il pourrait y en avoir un Srsquoil existait un lieu qui nrsquoabrite aucun corps alors ce

lieu serait vide et srsquoil existe un lieu vide alors il pourrait y avoir un corps Mais puisque rien

ne peut venir agrave lrsquoecirctre en dehors du ciel pour les raisons invoqueacutees plus haut alors il ne peut ni

y avoir de vide ni de lieu en dehors du ciel De plus on se repreacutesente le vide comme un lieu

ougrave il nrsquoy a rien or il nrsquoy a pas de lieu en dehors du ciel Crsquoest lrsquoargument drsquoAristote pour

deacutefendre lrsquoideacutee qursquoil nrsquoy a ni lieu ni vide en dehors du ciel Mais pourquoi nrsquoy aurait-il pas de

temps Parce que le temps est deacutefini comme eacutetant le nombre drsquoun mouvement Le

mouvement eacutetant un changement selon le lieu drsquoune part et drsquoautre part la proprieacuteteacute drsquoun

corps dans la mesure ougrave il nrsquoy a pas de lieu et pas de corps en dehors du ciel il ne peut pas

non plus y avoir de mouvement

30

Chapitre 2 Deacutebat sur la question des ecirctres de laquo lagrave-bas raquo

durant lrsquoAntiquiteacute Aristote agrave Simplicius

31

21 Compreacutehension antique du laquo τἀκεῖ raquo du De Caelo au commentaire de Simplicius

211 τἀκεῖ De Caelo I 9 279a15-b3

Nous nous sommes donc dans le premier moment de notre propos familiariseacute avec

les concepts aristoteacuteliciens et avec la conception aristoteacutelicienne du ciel afin de pouvoir par la

suite ecirctre le plus clair possible De plus la lecture du De Caelo nous a permis de rendre

compte de son contenu drsquoune part et de ses problegravemes drsquoautres part Crsquoest alors dans un

contexte drsquoexamen des interpreacutetations platoniciennes de lrsquouniciteacute du monde et dans un

contexte drsquoexposition drsquoarguments en faveur de lrsquouniciteacute du monde qursquoapparaicirct la notion qui

dans notre propos est probleacutematique la notion de takei La seconde partie de notre propos

consistera alors agrave rendre compte drsquoun passage fort obscur du De Caelo I 9 en lrsquoanalysant A la

suite de cela nous restituerons les arguments de Simplicius et drsquoAlexandre drsquoAphrodise

respectivement en faveur du takei comme notion signifiant le Premier Moteur Immobile ou la

sphegravere des fixes Il srsquoagira alors de comprendre quelles eacutetaient les thegraveses dominantes durant

lrsquoAntiquiteacute concernant le passage du De Caelo qui nous inteacuteresse et surtout comment elles

eacutetaient deacutefendues

Tout ce qui plus haut a eacuteteacute dit nous a permis de justifier la question suivante nous

avons vu que le ciel eacutetait unique et que ni matiegravere ni lieu ni vide et ni temps ne pouvait se

trouver hors du ciel Nous avons de plus affirmeacute que rien ne pouvait venir agrave lrsquoecirctre en dehors

du ciel Alors pourquoi dans le chapitre 9 du premier livre du De Caelo Aristote en arrive agrave

la conclusion suivante

Crsquoest pourquoi les ecirctres de lagrave-bas par nature nrsquoont ni lieu ni temps qui les fasse vieillir etil nrsquoy a pas non plus aucun changement pour les ecirctres qui sont disposeacutes au-dessus de latranslation la plus exteacuterieure inalteacuterables et impassibles ils ont la meilleure et la plusautonome des vies qursquoils megravenent pour toute sa dureacutee

Ce passage tregraves obscur est lrsquoobjet preacutecis de notre meacutemoire Quel est le lien entre le

fait que le monde soit unique que rien ne puisse venir agrave lrsquoecirctre en dehors du ciel pour la raison

qursquoil nrsquoy a ni matiegravere ni lieu ni vide ni temps au-delagrave du ciel et la citation ci-dessus Il est

difficile de le dire Il semblerait agrave premiegravere vue que la conclusion agrave laquelle arrive Aristote

est la suivante srsquoil nrsquoy a pas de lieu de vide de temps et de matiegravere alors les ecirctres qui sont

32

au-delagrave du ciel nrsquoont ni lieu ni temps ni vide ni corps Pourtant il a affirmeacute auparavant que

rien ne pouvait venir agrave lrsquoecirctre ou ecirctre venu agrave lrsquoecirctre en dehors du ciel Ce qui est eacutetonnant est

contenu de la conclusion mais aussi principalement le fait que la forme de cette conclusion

preacutesuppose qursquoil existe des ecirctres au-delagrave du ciel ou du moins elle nrsquoexclut pas qursquoil y en ait

Mais si cela est vrai alors ces ecirctres nrsquoont par nature aucun lieu aucun temps aucun corps

sensible donc aucun mouvement Que pourrait-il exister qui ne soit ni dans un lieu ni

corporel et qui nrsquoait pas de temps Chose eacutetonnante il affirme qursquoil nrsquoy a pas de lieu en

dehors du ciel tout en affirmant que des ecirctres se trouvent laquo lagrave-bas raquo deacutesignant un lieu qui nrsquoest

pas censeacute exister Plus encore Aristote les situe preacuteciseacutement ils sont au dessus de la

translation la plus exteacuterieure Cette translation la plus exteacuterieure est la circonfeacuterence la plus

eacuteloigneacutee du centre crsquoest le ciel compris dans son premier sens la sphegravere des fixes Le

problegraveme est donc de savoir ce que sont ces ecirctres hors du ciel dans la mesure ougrave ils ne sont

dans aucun lieu mais sont situeacutes quelque part De plus comment maintenir la continuiteacute entre

le deacutebut de ce texte dont lrsquoobjet sont les ecirctres de lagrave-bas alors qursquoagrave la fin du texte il est

question du corps qui se meut en cercle Comment drsquoailleurs comprendre le rapport entre les

deux dans la mesure ougrave il est dit des ecirctres de lagrave-bas qursquoils sont sans mouvement parfaitement

immobile alors qursquoil est dit de lrsquoecirctre divin drsquoune part qursquoil est immobile ne pouvant pas ecirctre

mucirc par quelque chose drsquoexteacuterieur agrave lui mais que son mouvement est circulaire Comment

lrsquoecirctre le plus divin peut-il ecirctre immobile et se mouvoir en cercle De plus que peut-il y avoir

en dehors du Tout ou de la totaliteacute Et srsquoil y a quelque chose en dehors du Tout le Tout reste-

t-il la totaliteacute dans la mesure ou il nrsquoinclurait pas tout

Il est dit de ces ecirctres qursquoils nrsquoont pas de temps et qursquoils ne changent pas En effet le

changement est compris comme un mouvement et vice-versa Le mouvement est la proprieacuteteacute

drsquoun corps Il ne peut donc y avoir aucun mouvement en dehors du ciel et aucun changement

La geacuteneacuteration et la corruption sont eacutegalement des changements mais puisque rien ne peut

venir agrave lrsquoecirctre hors du ciel alors rien ne peut ecirctre geacuteneacutereacute et rien ne peut se corrompre Ce qui

implique que les ecirctres de lagrave-bas sont ingeacuteneacuterables et incorruptibles Aristote lrsquoaffirme ils sont

inalteacuterables et impassibles Mais qursquoest-ce que lrsquoalteacuteration chez Aristote Nous lrsquoavons

eacutegalement vu lrsquoalteacuteration est un changement dans la qualiteacute de la chose cela signifie que srsquoils

sont inalteacuterables leurs qualiteacutes ne peuvent pas changer Lrsquoimpassibiliteacute quant agrave elle implique

qursquoils ne peuvent ecirctre affecteacutes drsquoaucune maniegravere On note eacutegalement dans le texte drsquoorigine en

grec ancien lrsquoutilisation du pluriel pour deacutefinir ce qui se trouve au-dessus de la translation la

plus exteacuterieure τἀκεῖ On sait donc par conclusion qursquoil y a quelque chose en dehors du ciel

33

qui nrsquoa ni lieu ni temps qui est inalteacuterable impassible et qui nrsquoest pas seul en effet le

pluriel de ce terme grec qui signifie laquo les choses de lagrave-bas raquo nous rappelle qursquoil nrsquoexiste pas

qursquoun seul ecirctre lagrave-bas mais plusieurs Ces ecirctres inalteacuterables et impassibles sans temps et sans

lieu sont par conseacutequent eacuteternels De plus Aristote nous dit qursquoils ont la vie la meilleure et la

plus autonome qui soit Crsquoest-agrave-dire qursquoils ne deacutependent de rien drsquoautre que drsquoeux-mecircmes

pour ecirctre Preacuteciser que leur vie est la laquo meilleure raquo implique-t-il une comparaison avec un

autre style de vie autonome agrave un degreacute infeacuterieur Par exemple celle des corps qui ont un

mouvement eacuteternel et simple dans leur milieu naturel qui nrsquoa pas de contraire et qui implique

que les astres soient eacuteternels Cette vie autonome les takei la megravenent pour toute sa dureacutee Mais

pourquoi Aristote affirme une telle chose alors mecircme qursquoil nrsquoy a pas de temps Quel est le

rapport entre le temps et la dureacutee

[hellip] car le terme qui enveloppe le temps de la vie de chacun hors duquel on nrsquoestrien selon la nature a eacuteteacute appeleacute laquo dureacutee de vie raquo de chacun

La dureacutee de vie de chacun est donc ce qui enveloppe le temps de la vie de chacun

Mais srsquoil nrsquoy a pas de temps comment peut-il y avoir quelque chose enveloppeacute par la dureacutee

Si la dureacutee de vie de chacun est ce qui enveloppe le temps de la vie de chacun alors la dureacutee

de vie eacuteternelle des ecirctres de lagrave-bas est ce qui enveloppe le temps de la vie eacuteternelle de ces

ecirctres Sans temps il ne pourrait donc pas y avoir de dureacutee car la dureacutee nrsquoenvelopperait rien

Le temps est ce qui chez Aristote est relatif au combien de temps La question du laquo combien

de temps raquo suppose qursquoil y a du temps qui passe donc un mouvement qui se produit Mais

hors du ciel il nrsquoy a ni corps ni mouvement ni temps donc comment les ecirctres de lagrave-bas

peuvent-ils avoir la vie pour toute sa dureacutee

La dureacutee est la totaliteacute du temps de la vie de quelque chose et crsquoest aussi le terme qui

englobe la totaliteacute du temps du ciel Le ciel compris comme un Tout ou une totaliteacute crsquoest-agrave-

dire la troisiegraveme maniegravere de parler du ciel est une dureacutee On considegravere que comme le terme

de laquo dureacutee raquo a une origine commune avec le laquo fait drsquoexister toujours raquo alors le ciel qui est une

dureacutee est une dureacutee en vertu du fait qursquoil dure toujours Ainsi le ciel est immortel et divin car

il existe toujours sans srsquoarrecircter

Le problegraveme qui se pose est alors celui de comprendre le rapport entre les deux parties

de ce texte on y traite dans un premier temps en 279a15 des ecirctres qui seraient disposeacutes au-

delagrave du ciel en les caracteacuterisant comme eacutetant des ecirctres qui ne sont dans aucun lieu et soumis agrave

34

aucun changement A partir de la notion de dureacutee il argumente en faveur de lrsquoeacuteterniteacute du ciel

Pourquoi semble-t-il y avoir une discontinuiteacute dans lrsquoobjet de cet extrait

Aristote affirme que la dureacutee a un terme qui permet de mesurer le temps qui passe

alors que le ciel nrsquoen a pas Il en vient alors agrave parler de lrsquoecirctre divin duquel deacutepend la vie de

tout ce qui existe En effet la limite du ciel est la sphegravere des fixes en ce sens elle est ce qui

enveloppe le monde Toutefois il nous semble que la notion de dureacutee interrompe le discours

portant sur les ecirctres de lagrave-bas Srsquoil eacutetait au deacutepart question des takei il est deacutesormais question

de la sphegravere des fixes Sont-ils une seule et mecircme chose Telle est la question que les lecteurs

peuvent se poser et qui permettrait drsquounifier le texte

Et par exemple dans les travaux de philosophie destineacutes au grand public portant sur lesecirctres divins on deacuteclare souvent en srsquoappuyant sur des raisonnements que tout ecirctre divineacutetant premier et au-dessus des autres est neacutecessairement immuable 279A31-33

Nous arrivons alors au passage que nous avons eacutetabli comme eacutetant la partie C Aristote

se reacutefegravere agrave des travaux de philosophie portant sur les ecirctres divins La question que nous nous

posons ainsi que les interpregravetes est celle de savoir si les ecirctres divins dont il est question sont

les takei de la partie A Il existe alors un doute dans la compreacutehension de ce passage qui

reacutesulte drsquoune impression de discontinuiteacute entre la partie A et la partie C mais non pas drsquoune

opposition entre celles-ci Le problegraveme survient agrave cause drsquoun doute sur la coiumlncidence entre

lrsquoexpression takei et lrsquoexpression theion (ecirctres divins) Ces travaux de philosophie portant sur

les ecirctres divins affirme que les ecirctres divins sont immuables Pour Aristote cela teacutemoigne en

faveur de ce qursquoil a affirmeacute plus tocirct rien ne peut mouvoir le divin sinon cette chose serait

plus divine que le divin et ce nrsquoest pas possible

Il existe alors un deacutebat concernant ce passage Degraves lrsquoAntiquiteacute deux commentateurs

drsquoAristote srsquoaffrontent sur la question de lrsquoidentiteacute des takei Ces deux interpreacutetations sont

celle de Simplicius et celle drsquoAlexandre Le premier deacutefend lrsquoideacutee que lrsquoexpression takei

renvoie au Premier Moteur Immobile alors que le second deacutefend qursquoil srsquoagit de la sphegravere des

fixes Ces deux interpreacutetations se font alors concurrence et ont donneacute naissance agrave une longue

tradition interpreacutetative que nous eacutetudierons plus tard

On peut alors se demander quelle uniteacute il existe dans cet extrait du De Caelo de la fin

du chapitre 9 Livre I Il semblerait que les ecirctres dont nous parle Aristote et qui se situent au-

35

delagrave de la translation la plus exteacuterieure soient des corps qui se meuvent en cercle car ils ont en

commun certaines proprieacuteteacutes lrsquoeacuteterniteacute la dureacutee sans fin lrsquoautonomie Or il srsquoavegravere que les

ecirctres de lagrave-bas sont exteacuterieurs au ciel alors que les corps qui se meuvent en cercle sont dans le

ciel Ils sont de plus composeacutes de la matiegravere qursquoest lrsquoeacutether ce qui implique qursquoils ne puissent

pas ecirctre au-delagrave du ciel dans la mesure ougrave il nrsquoexiste aucune matiegravere en dehors du ciel ni

aucun mouvement

222 Le commentaire perdu drsquoAlexandre possibles reacuteponses au problegraveme du laquo τἀκεῖ raquo

Nous avons vu que De Caelo I 9 srsquoachevait sur un passage fort mysteacuterieux En effet

dans la partie A du texte que nous avons citeacute au deacutebut de notre propos Aristote affirme et

prouve par les arguments que nous avons vu plus tocirct qursquoil nrsquoexiste rien en dehors du ciel ni

lieu ni vide ni temps ni matiegravere Vient alors la conclusion que les ecirctres se trouvant en dehors

du ciel ne sont dans aucun lieu nrsquoont ni matiegravere ni temps qui les fassent vieillir Il srsquoagira

alors drsquoaborder les interpreacutetations antiques de ce passage dans le but de comprendre quelles

sont les hypothegraveses quant agrave lrsquoidentiteacute de ces ecirctres (τἀκεῖ en grec) et les arguments pour les

deacutefendre

Nous allons alors commencer par examiner lrsquointerpreacutetation drsquoAlexandre drsquoAphrodise

du De Caelo I 9 telle qursquoelle nous a eacuteteacute transmise par Simplicius dans son commentaire

Alexandre propose deux lectures hypotheacutetiques de cet extrait En effet il se demande

ce agrave quoi fait reacutefeacuterence Aristote lorsqursquoil emploie le terme de laquo τἀκεῖ raquo Soit ce qui est deacutecrit

comme eacutetant un ecirctre en dehors du ciel qui nrsquoest dans aucun lieu et qui nrsquoa pas de temps qui le

fasse vieillir renvoie agrave la doctrine du Premier Moteur Soit cela fait reacutefeacuterence agrave la sphegravere des

fixes Nous allons nous inteacuteresser agrave la premiegravere hypothegravese

Qursquoest-ce que le Premier Moteur En Meacutetaphysique Λ 1072b5 Aristote affirme que

le Premier Moteur est une substance et un acte Cela signifie que le Premier Moteur est une

substance eacuteternelle du fait qursquoelle nrsquoest pas mateacuterielle qui meut le Premier Ciel tout en eacutetant

immobile ce qui implique qursquoil soit tel qursquoil ne puisse jamais ecirctre autrement qursquoil nrsquoest En

effet la sphegravere des fixes eacutetant du domaine du divin et eacutetant mucirc de maniegravere continue et

eacuteternelle doit avoir un moteur qui soit parfaitement immobile car plus parfait qursquoelle De

plus cela permet drsquoexpliquer lrsquoeacuteterniteacute du mouvement ceacuteleste dans la mesure ougrave ce qui est la

cause drsquoun mouvement eacuteternel doit aussi ecirctre eacuteternel sans quoi elle se corromprait et le ciel

36

cesserait son mouvement ce qui nrsquoest pas possible Il y a donc une sorte de hieacuterarchie du

point de vue de la substance Crsquoest-agrave-dire que Aristote identifie trois substances deux

sensibles dont une corruptible une eacuteternelle La troisiegraveme substance quant agrave elle est dite

laquo motrice raquo puisqursquoelle est agrave lrsquoorigine du premier mouvement qui est celui du ciel Celle-ci

puisqursquoelle est agrave lrsquoorigine du mouvement du Premier Ciel est plus divine et plus parfaite

Qursquoest ce qursquoimplique lrsquohypothegravese selon laquelle le τἀκεῖ serait le premier moteur Le

premier moteur immobile est ce qui est agrave lrsquoorigine du premier mouvement crsquoest-agrave-dire le

mouvement en cercle du corps simple qursquoest le ciel Ce moteur est unique et eacuteternel Parce

que le lieu du plus divin est le plus haut on comprend le premier moteur comme eacutetant au

dessus du ciel puisqursquoil est plus divin que lui et est ce qui le met en mouvement Crsquoest

lrsquohypothegravese drsquoAlexandre sur la possibiliteacute que les laquo ecirctres de lagrave-bas raquo renvoient agrave la doctrine du

Premier Moteur Il nrsquoest dans aucun corps donc il est hors du ciel et il nrsquoest pas dans un lieu

puisqursquoil nrsquoest pas corporel et mateacuteriel Toutefois le pluriel utiliseacute par Aristote rend

compliqueacute cette hypothegravese dans la mesure ougrave le Premier Moteur immobile est unique affirme

Fabienne Baghdassarian19 Alexandre dit Simplicius affirme que cette theacuteorie nrsquoest pas

vraisemblable bien qursquoil propose cette lecture nrsquoest pas veacuteritablement en faveur de celle-ci Il

affirme la chose suivante dans le commentaire de Simplicius

If by lsquoabove the outermost movementrsquo he were speaking about the first cause (Alexandersays) he would be referring to [the region] above the orbit of the sphere of the fixed[starts] while if he were saying these things about the divine body the lsquooutermostmovementrsquo would mean the furthest of the rectilinear motions [hellip] So above thefurthest movement there is all of the revolving body which he says is neither in place norin time being eternal and ageless For while the divine body as a whole is not in placeparts of it are in place the spheres of the planets are in place20

En effet Alexandre pensait que si Aristote avait voulu parler du Premier Moteur il

aurait explicitement utiliseacute lrsquoexpression περɩ φορά et non pas φοράν Aristote utilise selon

Alexandre lrsquoexpression περɩ φορά pour deacutesigner le mouvement circulaire et non pas φοράν

qui deacutesigne le mouvement rectiligne Simplicius va critiquer cet argument en deacutefaveur de la

reacutefeacuterence au Premier Moteur drsquoAlexandre en affirmant qursquoAristote utilise aussi φοράν pour

deacutesigner le mouvement circulaire

19 Baghdassarian F opcit20 SIMPLICIUS 2881-9

37

Alexandre propose apregraves la premiegravere hypothegravese concernant la reacutefeacuterence au Premier

Moteur Immobile une seconde hypothegravese selon laquelle le τἀκεῖ renvoie agrave la sphegravere des fixes

Il fait donc reacutefeacuterence au livre 4 de la Physique Dans ce chapitre il deacutefinit le lieu comme laquo la

limite du corps englobant raquo La sphegravere des fixes nrsquoest dans aucun lieu dans la mesure ougrave elle

nrsquoest englobeacutee par aucun corps En effet le cosmos aristoteacutelicien srsquoorganise de la maniegravere

suivante il y a le centre de lrsquounivers qui est enveloppeacute par la limite du corps qui se trouve

dans la reacutegion sublunaire Autour de cette reacutegion sublunaire se trouve le corps ceacuteleste qui est

la sphegravere des fixes comme un corps englobant le ciel compris comme un Tout Entre la Lune

et la sphegravere des fixes se trouve le corps dans la continuiteacute de la sphegravere des fixes sur lequel se

trouvent certains astres comme le Soleil Jupiter et drsquoautres Mais rien nrsquoenveloppe la sphegravere

des fixes ce qui implique que la sphegravere des fixes nrsquoest dans aucun lieu Donc srsquoil se reacutefegravere

aux ecirctres divins au-delagrave de la translation la plus exteacuterieure cela signifie que la translation la

plus exteacuterieure est en fait le mouvement rectiligne le plus haut celui du feu Mais pourquoi le

mouvement rectiligne serait le mouvement le plus haut Nous avons affirmeacute que le lieu eacutetait

la limite du corps englobant or la sphegravere des fixes nrsquoest englobeacutee par rien ce qui implique

que la sphegravere des fixes (le premier ciel) nrsquoest dans aucun lieu Le lieu qui existe est ce qui se

trouve enveloppeacute par la sphegravere des fixes crsquoest-agrave-dire le corps qui est dans la continuiteacute de la

sphegravere des fixes (lrsquoeacutether) et sur lequel se trouvent certains astres puis seacutepareacute par la Lune le

monde sublunaire dont le mouvement du feu est le mouvement rectiligne le plus haut Cet

argument selon Alexandre permet de montrer que cet extrait porte sur la sphegravere des fixes et

non des reacutealiteacutes qui seraient en dehors du ciel Le ciel au sens premier nrsquoeacutetant ni dans un lieu

ni soumis au temps le τἀκεῖ qualifieacute comme nrsquoeacutetant ni dans un lieu ni soumis agrave aucun

changement du fait de son absence du temps se reacutefeacutererait alors agrave la sphegravere des fixes

On peut alors conclure que Alexandre preacutefegravere lire ce texte en supposant qursquoAristote se

reacutefegravere au corps simple qui se meut en cercle lorsqursquoil parle des laquo ecirctres de la-bas raquo crsquoest-agrave-dire

au ciel au sens de la sphegravere des fixes

213 Compreacutehension et hypothegravese de Simplicius sur les ecirctres de lagrave-bas

Simplicius propose une autre lecture possible de ce passage Simplicius est le chef de

file tout comme Alexandre qui considegravere que le τἀκεῖ est une reacutefeacuterence au premier ciel drsquoune

longue tradition interpreacutetative selon laquelle le Premier Moteur Immobile serait ce qui est viseacute

par Aristote dans lrsquoensemble du passage qui nous inteacuteresse Il laisse en 2888 de cocircteacute

38

lrsquointerpreacutetation drsquoAlexandre du problegraveme du τἀκεῖ et reprends son commentaire lineacuteaire du

De Caelo

After saying that things divine are lsquopossessed of the best and most self-sufficient of livesrsquoand that lsquothey persist throughout all the agesrsquo he wishes also to establish theirimmortality and eternality on the basis of the word lsquoagersquo [hellip] For we call the completeand all-embracing time of the life of something its age lsquobeyond which there is nonenaturalrsquo21 2888

Aristote cherche agrave fonder lrsquoimmortaliteacute du corps ceacuteleste qursquoest le ciel au sens de la

sphegravere des fixes sur lrsquoorigine du mot laquo dureacutee raquo En effet il existe un rapport eacutevident entre le

premier ciel qui englobe tout et la dureacutee crsquoest-agrave-dire le terme qui englobe la totaliteacute du temps

de la vie de chaque choses Le ciel comme la dureacutee sont englobants ainsi il nrsquoest pas eacutetonnant

drsquoaffirmer que dans la mesure ougrave le ciel (crsquoest-agrave-dire la sphegravere des fixes) nrsquoest pas englobeacute

par la dureacutee puisqursquoil nrsquoy a pas de temps en dehors du ciel et qursquoil nrsquoy a pas de dureacutee sans

temps qui passe le corps qui srsquoy trouve nrsquoest pas soumis agrave la corruption et agrave la mort il est

immortel

Simplicius se reacutefegravere alors agrave une œuvre perdue drsquoAristote De la philosophie22 dans le

but de donner lrsquoargument aristoteacutelicien en faveur de lrsquoeacuteterniteacute du divin afin de preacuteparer

lrsquoargument selon lequel les ecirctres de lagrave-bas seraient les intelligibles Lrsquoargument drsquoAristote est

le suivant partout ou il y a quelque chose de mieux il y a quelque chose de meilleur le

divin Aristote affirme qursquoune chose peut ecirctre mise en mouvement par deux causes possibles

par une chose qui lui est exteacuterieure ou par elle-mecircme Si ce qui meut un corps est une cause

exteacuterieure il est neacutecessaire qursquoelle soit meilleure que ce qursquoelle meut ou moins bonne Si

crsquoest par elle-mecircme alors il est neacutecessaire que ce soit vers quelque chose de meilleur ou vers

quelque chose de pire Aristote dans le DP affirme qursquoil nrsquoy a rien de meilleur que le divin

sinon cette chose serait plus divine que le divin Donc rien ne peut changer le divin puisque

qursquoil ne manque drsquoaucun des biens et est parfaitement bon Puisqursquoil nrsquoy a rien de mauvais

chez le divin cela implique qursquoil ne puisse pas ecirctre mucirc vers le pire ni par un autre ni par lui-

mecircme Le divin se changerait-il lui mecircme Simplicius se reacutefegravere pour reacutepondre agrave cette

21 Simplicius 2888 22 Traiteacute perdu drsquoAristote dont le passage du De Caelo laquo les ecirctres de lagrave-bas raquo semble issu ou srsquoy reacutefegravere tout du

moins

39

question au livre II de La Reacutepublique de Platon dans lequel Platon affirme que le meilleur et

le plus divin est ce qui subit le moins de changement ou aucun changement de lrsquoexteacuterieur A

partir de lagrave il se pose la question de savoir si le divin qui ne peut pas ecirctre alteacutereacute par ce qui lui

est exteacuterieur du fait qursquoil est le meilleur srsquoaltegravere lui-mecircme vers le meilleur ou vers le pire

Dans la mesure ougrave le divin possegravede tous les biens srsquoil srsquoaltegravere ce sera neacutecessairement vers le

pire car il ne peut pas ecirctre plus parfait qursquoil ne lrsquoest deacutejagrave Mais puisque personne ne se

changerait pour le pire et le moins beau volontairement alors cela implique que le divin ne se

change pas

Ces arguments tireacutes de La Reacutepublique II et du De Philosophia permettraient alors agrave

Simplicius de critiquer la theacuteorie drsquoAlexandre Aristote ne peut pas se reacutefeacuterer agrave la sphegravere des

fixes dans la mesure ougrave celle-ci est en mouvement Son mouvement est certes eacuteternel car il

ne connaicirct aucun changement son lieu de deacutepart est son lieu drsquoarriveacutee donc son mouvement

est eacuteternel Mais cela implique qursquoil soit mucirc par quelque chose qui neacutecessairement est plus

divin que lui et qui ne peut pas ecirctre en mouvement drsquoaucune maniegravere que ce soit

That not all of it can be interpreted as applying to the heavenly body is clear Ithink from what has just been said For having shown that there is no body either simpleor composite outside the heaven he argued lsquoat the same time it is clear that there can beneither place void nor time beyond the heavensrsquo And having shown this and concludedlsquotherefore it is obvious that there is neither place nor void nor time outside he theninfers as it were from what has been said some corollaries lsquofor this reason the thingswhich are of a nature to be there are not in place nor can time cause them to grow oldand so on by lsquothe things therersquo clearly meaning those outside the heaven So how couldthe heaven be said to be outside the heaven And how could he say that there is nochange of any kind for any of the heavenly bodies when he sees that their change ofplace is unceasing And neither does he say that the things which are positioned abovethe furthest movement are heavenly bodies23

On ne peut donc pas interpreacuteter tout le texte comme eacutetant au sujet des corps ceacutelestes

pour Simplicius en raison de ce qui a eacuteteacute dit par Aristote Puisqursquoil a montreacute qursquoil nrsquoy avait

pas de corps en dehors du ciel car celui-ci eacutetait constitueacute de lrsquoensemble de la matiegravere il

affirme qursquoil nrsquoy a pas de lieu ndash en raison du fait que le lieu est lagrave ougrave il y a un corps ndash pas de

vide ndash car le vide est lagrave ougrave il nrsquoy a pas de corps mais ougrave il pourrait y en avoir un ndash et pas de

temps car le temps est une proprieacuteteacute des corps et qursquoil nrsquoy a pas de corps en dehors du ciel

Crsquoest pourquoi laquo les ecirctres de lagrave-bas raquo ne peuvent pas faire reacutefeacuterence aux corps ceacutelestes

23 Simplicius 290 1-17

40

Puisque le τἀκεῖ est deacutesigneacute comme nrsquoeacutetant pas dans un lieu pas dans le temps et nrsquoayant pas

de matiegravere que lrsquoexteacuterieur du ciel nrsquoest ni du vide ni du temps et qursquoil ne peut y avoir aucun

corps Simplicius en conclut que laquo lagrave-bas raquo signifie laquo au-delagrave du ciel raquo Il oppose alors

drsquoautres critiques agrave la theacuteorie drsquoAlexandre par rapport agrave ce qui vient drsquoecirctre dit comment le

ciel pourrait-il ecirctre en dehors du ciel Comment Aristote pourrait-il affirmer srsquoil se reacutefeacuterait agrave

la sphegravere des fixes qursquoil nrsquoy a aucune sorte de changement pour le ciel tout en affirmant que

son mouvement est eacuteternel et incessant Il semble alors compliqueacute de soutenir que le τἀκεῖ

renvoie agrave la sphegravere des fixes ou aux corps ceacutelestes qui se meuvent en cercle

Simplicius comprend alors nos trois parties De Caelo I 9 agrave la lumiegravere du De

Philosophia et de Reacutepublique II Puisque ce qui est en mouvement lrsquoest neacutecessairement par

quelque chose de plus parfait que lui alors ce qui meut le ciel est plus parfait que le ciel Il

srsquoagit de srsquointeacuteresser au moteur immobile qui meut le premier ciel crsquoest-agrave-dire le Premier

Moteur Il souligne toutefois que ce passage est obscur et laisse possible lrsquointerpreacutetation

suivante lorsqursquoAristote fait reacutefeacuterence au mouvement eacuteternel du ciel crsquoest pour parler de ce

qui le meut En effet le Premier Moteur Immobile est plus divin que le ciel puisque ce qui

met une chose en mouvement est plus divin qursquoelle En ce sens il serait dit laquo au-delagrave du ciel raquo

car au-dessus de la nature des corps ceacutelestes Cela implique alors que laquo au-delagrave raquo ne

signifierait pas un lieu mais une nature hieacuterarchiquement supeacuterieure agrave celle du ciel

Il accepte cependant que le texte ne soit pas du deacutebut de la partie A agrave la fin de la partie

C au sujet du Premier Moteur Lorsque Aristote fait mention de la notion de dureacutee il fait

reacutefeacuterence agrave la sphegravere des fixes En effet la fin de la dureacutee est la limite qui permet la

quantification de la dureacutee mais le ciel nrsquoa pas de dureacutee il est compris comme ce qui englobe

la dureacutee de vie de tout ce qui est Mais apregraves avoir eacutetabli la premiegravere signification de la dureacutee

qui fait le lien avec le premier ciel Aristote bascule vers lrsquoideacutee que ce qui comprend

lrsquoensemble du temps et de lrsquoinfiniteacute est une dureacutee et crsquoest donc une reacutefeacuterence au Premier

Moteur car de lui deacutepend de maniegravere directe lrsquoecirctre et la vie eacuteternelle du corps ceacuteleste et de

maniegravere indirecte lrsquoecirctre et la vie des corps du monde sublunaire De maniegravere indirecte car les

corps du monde sublunaire ne sont pas directement mis en mouvement par lui mais leur vie

deacutepend de celle de la sphegravere des fixes qui elle est directement mise en mouvement par le

Premier Moteur Immobile

Simplicius deacutefend alors sur le fondement de ces arguments que le τἀκεῖ fait reacutefeacuterence

au Premier Moteur Immobile et non au corps ceacuteleste Simplicius va alors mecircme jusqursquoagrave

41

changer le texte original drsquoAristote en optant pour kinai plutocirct que kineitai ce qui permet

drsquoattribuer une fonction motrice au τἀκεῖ Ce changement lui permet alors de faire

correspondre le τἀκεῖ agrave la theacuteorie du Premier Moteur sans forcer lrsquointerpreacutetation De ce fait

le τἀκεῖ renverrait agrave quelque chose de transcendant agrave lrsquoordre ceacuteleste car le premier ciel est

mucirc en vertu de la perfection de son moteur celle-ci accordeacutee au τἀκεῖ dans la mesure ougrave il ne

connaicirct aucun changement et est parfaitement autonome Pour appuyer la theacuteorie de

Simplicius nous pouvons ajouter lrsquoargument de la coiumlncidence entre la description du τἀκεῖ

dans le DC et celle du Premier Moteur Immobile dans Meacutetaphysique Λ lrsquoun comme lrsquoautre

sont dits parfaitement immuables eacuteternels et autonomes

42

Chapitre 3 Interpreacutetations modernes du De Caelo I 9

La question du τἀκεῖ premier moteur reacutealiteacutes hyper-

cosmiques ou sphegravere des fixes reacutealiteacutes ceacutelestes

43

31 Le problegraveme de la continuiteacute argumentative du Livre I 9

311 La discontinuiteacute du sujet en faveur de la transcendance du τἀκεῖ

Le deuxiegraveme moment de notre propos nous a donc servi agrave comprendre quels eacutetaient les

arguments deacutefendus durant lrsquoAntiquiteacute par Simplicius et Alexandre drsquoAphrodise Ces deux

interpregravetes sont les chefs de file de deux interpreacutetations qui sopposent celle de Simplicius

selon laquelle le takei ferait reacutefeacuterence au Premier Moteur Immobile et celle drsquoAlexandre

selon laquelle il srsquoagirait drsquoune reacutefeacuterence agrave la sphegravere des fixes Ces deux thegraveses srsquoaffrontent

depuis lrsquoAntiquiteacute Elles ont influenceacute les interpreacutetations modernes et ont forgeacute une logique

binaire dans la maniegravere de comprendre lrsquoidentiteacute des ecirctres de lagrave-bas Ce deacutebat antique se

perpeacutetue dans un deacutebat entre les interpregravetes modernes Il srsquoagira alors de restituer les

arguments modernes heacuteritiegraveres des deux interpreacutetations antiques afin de rendre compte de la

logique binaire du deacutebat Toutefois nous ne nous limiterons pas agrave cette binariteacute et nous nous

inteacuteresserons agrave des theacuteories plus originales telles que celle de Peacutepin ou celle de Merlan

Si nous avons eacutevoqueacute plus haut le problegraveme de la continuiteacute des ideacutees aristoteacuteliciennes

au sein du corpus aristoteacutelicien et plus particuliegraverement au regard du De Caelo crsquoest dans le

but de poser les preacutemisses drsquoarguments qui reposent sur la continuiteacute ou la discontinuiteacute du

De Caelo I9 Nous nous fonderons pour le moment sur les deux alternatives les plus

populaires du problegraveme de lrsquoidentiteacute du τἀκεῖ avec drsquoune part les arguments en faveur drsquoune

reacutefeacuterence astrale et drsquoautre part les arguments en faveur drsquoune reacutefeacuterence agrave un ou des ecirctres

transcendant le ciel Mais nous verrons un certain type drsquoarguments en faveur de lrsquoune ou

lrsquoautre ideacutee en effet les arguments que nous expliciterons seront ceux qui reposent sur une

analyse de la continuiteacute ou de la discontinuiteacute du passage qui deacutebute en 279a18 et qui se

termine agrave la fin du chapitre 9 dans le but de comprendre comment sont justifieacutees lrsquoune ou

lrsquoautre ideacutee Nous allons alors nous inteacuteresser preacuteciseacutement agrave lrsquoobjet ou les objets de ce passage

via lrsquoarticle de Fabienne Baghdassarian24

Si le chapitre I 9 se refermait sur les remarques qui preacutecegravedent sans doute nrsquoaurait-iljamais paru eacutenigmatique Chacun srsquoaccorderait agrave reconnaicirctre derriegravere laquo les ecirctres de lagrave-basraquo des reacutealiteacutes hypercosmiques conformeacutement agrave ce qursquoindiquent clairement agrave la fois leurdescription topographique et le contexte argumentatif de lrsquoextrait Neacuteanmoins le textepoursuit une analyse dont on a du mal agrave comprendre comment elle peut ne pas remettreen question lrsquohypothegravese de la transcendance Il apparaicirct en effet que le texte agrave supposer

24 Baghdassarian F opcit2011 p192

44

qursquoil traite de reacutealiteacutes transcendantes en 279a18-22 change de sujet agrave une ou plusieursreprises pour deacutevelopper des consideacuterations qui font une reacutefeacuterence plus explicite au ciel

Fabienne Baghdassarian agrave la suite de cet extrait explicite les trois moments de

lrsquoargumentation du passage 279a18-b3 du De Caelo I 9 Il semble selon sa lecture y avoir

une discontinuiteacute dans lrsquoobjet du texte En effet dans un premier temps apregraves avoir conclu

qursquoil nrsquoexistait ni lieu ni vide ni temps et ni corps en dehors du ciel et que les ecirctres qui se

situaient laquo au dessus de la translation la plus exteacuterieure raquo nrsquoavaient laquo ni lieu ni temps qui les

fasse vieillir raquo et qursquoils nrsquoeacutetaient soumis agrave aucun type de changement Aristote fait intervenir

la notion de αἰών crsquoest-agrave-dire la notion de la dureacutee Vient ensuite la partie C qui concerne le

mouvement ceacuteleste

Mais le problegraveme majeur qui se pose au sujet de la continuiteacute argumentative de cette

fin de chapitre 9 de De Caelo I est majoritairement ducirc agrave une reacutefeacuterence mysteacuterieuse agrave des

laquo travaux de philosophie destineacutes au grand public portant sur les ecirctres divins raquo 279a31 qui

cassent lrsquoargumentation agrave tel point que ce passage est suspecteacute drsquoecirctre un ajout tireacute drsquoun traiteacute

perdu drsquoAristote le De Philosophia

La preacutesence de ce supposeacute passage du De Philosophia complexifie lrsquoensemble de la

fin du De Caelo I 9 En effet ce texte creacuteeacute ce qui semble ecirctre une discontinuiteacute dans

lrsquoargumentation geacuteneacuterale de chapitre 9 Certains auteurs voient le De Philosophia comme

eacutetant agrave propos pour eacuteclairer la question de lrsquoidentiteacute des takei crsquoest le cas de Dumoulin25 qui

retrace lrsquoargumentation du De Caelo au regard du De Philosophia Il coupe le texte original en

diffeacuterents paragraphes dans le but de faire ressortir lrsquoenchaicircnement des ideacutees Successivement

il voit agrave partir de 279a11-18 les conseacutequences de lrsquoabsence de corps en dehors du ciel De

279a19-22 lrsquoaffirmation selon laquelle tout ce qui est immateacuteriel est immobile De 279a22-

30 un deacutebut de paragraphe qui porte sur lrsquoeacuteterniteacute du ciel De 279a31-34 le principe geacuteneacuteral

de lrsquoimmutabiliteacute du divin fondeacute sur des travaux de philosophie qui traitent des ecirctres divins

Enfin de 279a34-b3 il est question de lrsquoimmutabiliteacute du mouvement ceacuteleste Il apparaicirct alors

que le texte dont il est question deacutebute par les conseacutequences de lrsquoabsence de temps de lieu et

de corps en dehors du ciel agrave savoir que les ecirctres qui se situent au-delagrave du ciel nrsquoont ni lieu ni

temps ni corps Puis Aristote finit par un eacuteloge de lrsquoeacuteterniteacute du mouvement ceacuteleste Le

mouvement est le propre des corps mais srsquoil nrsquoy a pas de corps en dehors du ciel il nrsquoy a pas

non plus de mouvement Donc pourquoi passe t-on du constat que les ecirctres en dehors du ciel

25 Dumoulin Recherches sur le premier Aristote Eudegraveme De la philosophie Protreptique1981 p 53-65

45

nrsquoont ni corps ni aucun mouvement pour ensuite louer lrsquoeacuteterniteacute du mouvement ceacuteleste Tel

est le problegraveme de lrsquouniteacute argumentative de ce passage26

Drsquoapregraves Alexandre citeacute par Simplicius deux interpreacutetations srsquoaffrontaient danslrsquoAntiquiteacute les ecirctres en question deacutesignent le premier moteur immobile pour les uns etle ciel des fixes pour les autres Cette alternative continue agrave gouverner lrsquointerpreacutetation dupassage pour le premier moteur immobile nommons agrave la suite de Simplicius ZellerTricot Untersteiner Berti agrave la suite drsquoAlexandre pour le ciel des fixes Werner GuthrieMoreau Festugiegravere Nous allons ecirctre conduit agrave contester le principe de cette alternative

Comme le rappelle Dumoulin il existe deux alteacuternatives agrave lrsquointerpreacutetation de ce

passage Il srsquoagit maintenant de comprendre lrsquoargument qui permet agrave Dumoulin drsquoaffirmer

que le τἀκεῖ fait reacutefeacuterence agrave des reacutealiteacutes qui se placeraient au-delagrave de la sphegravere des fixes et non

sur la sphegravere Il annonce alors explicitement qursquoil srsquoagira de contester la theacuteorie drsquoune

reacutefeacuterence ceacuteleste

Comment srsquoy prend Dumoulin pour justifier lrsquoideacutee que le τἀκεῖ renvoie agrave des ecirctres qui

se trouvent au-delagrave de la translation la plus exteacuterieure ou agrave la theacuteorie du Premier Moteur

Immobile Sa deacutemarche consiste agrave comprendre le texte par le texte lui-mecircme en srsquointeacuteressant

agrave lrsquoutilisation des mots et agrave leur sens le plus naturel Crsquoest pourquoi il commence son

explication en rappelant deux choses τἀκεῖ vient de ἐκεῖ qui dans Physique VIII 10 267b9

deacutesigne la localisation du Premier Moteur Immobile De plus τἀκεῖ manifeste un pluriel qui

bien qursquoil semble ne pas correspondre agrave lrsquoideacutee du Premier Moteur Immobile qui est censeacute ecirctre

unique correspond agrave lrsquoideacutee drsquoune pluraliteacute de principes qui peuvent exister agrave partir du

moment ougrave il existe une hieacuterarchie entre eux Cette ideacutee lisible dans Meacutetaphysique Λ 8

correspond eacutegalement agrave celle preacutesente dans le fragment 17 du De Philosophia Notons de

plus le fait que le Premier Moteur est dit laquo immobile raquo crsquoest-agrave-dire qursquoil ne connaicirct aucune

espegravece de changement ni dans la substance ni dans le lieu de la mecircme maniegravere qursquoil est dit

des τἀκεῖ qursquoils sont parfaitement immobiles Toutefois cela signifie-t-il que si le τἀκεῖ est

transcendant au ciel son identiteacute correspond agrave celle du Premier Moteur Immobile Pas

neacutecessairement Dumoulin envisage la possibiliteacute en fonctionnant de maniegravere reacutetrospective et

en se tournant vers le Timeacutee de Platon que le τἀκεῖ fasse reacutefeacuterence agrave un ecirctre divin immobile

mais pas forcement moteur La lecture organiseacutee de ce texte comme nous lrsquoavons vu plus

haut par le biais de Dumoulin permet de comprendre qursquoil existe une deacutemonstration logique

au texte En effet les conseacutequences du fait qursquoil nrsquoy ait ni corps ni temps ni lieu en dehors du

26 Ibid p54

46

ciel impliquent que ce qui est en dehors du ciel est immateacuteriel et dans la mesure ougrave le temps

est le nombre du mouvement alors les ecirctres qui se situent au-delagrave du ciel nrsquoont pas de

mouvement et sont parfaitement immobiles Leur immobiliteacute due agrave leur immateacuterialiteacute font

drsquoeux des ecirctres divins car eacuteternels mais cela implique-t-il que comme le Premier Moteur

Immobile ils aient une fonction motrice Crsquoest pourquoi Dumoulin se tourne vers le Timeacutee

Partir sur la piste de la transcendance du τἀκεῖ sans pour autant faire reacutefeacuterence au Premier

Moteur Immobile peut nous faire penser agrave la diviniteacute immateacuterielle du Timeacutee qui a ordonneacute le

monde Aristote ayant eacuteteacute durant un certain nombre drsquoanneacutees lrsquoeacutelegraveve de Platon nous sommes

en droit de nous demander srsquoil nrsquoavait pas au deacutepart postuleacute un ecirctre immateacuteriel et divin sans

penser agrave un ecirctre qui serait le moteur du mouvement Il nous faut alors eacutetablir la distinction

entre ce qursquoune chose est (par exemple divine eacuteternelle parfaitement immobile) et ce qursquoelle

fait la fonction qursquoelle remplit (par exemple mettre en mouvement le premier ciel) Il est

alors question ici de celui que lrsquoon appelle le laquo premier Aristote raquo celui qui eacutetant platonicien

reacutefleacutechissait agrave partir de cette conception du monde Cette theacuteorie servirait-elle alors de

preacutemisse agrave ce qui sera plus tard la theacuteorie du Premier Moteur Nous pouvons nous le

demander mais y reacutepondre aurait besoin drsquoun autre propos Neacuteanmoins cette ideacutee permet de

proposer une lecture particuliegravere du De Caelo I9 selon laquelle il y a une reacutefeacuterence agrave des ecirctres

hypercosmiques crsquoest-agrave-dire qui se trouvent au dessus du ciel sans toutefois se reacutefeacuterer au

Premier Moteur Immobile

Mais lrsquoargument en faveur de la transcendance du τἀκεῖ ne srsquoarrecircte pas lagrave Nous

lrsquoavons dit ce passage est obscur car il est fait mention drsquoun ouvrage qui porte sur les ecirctres

divins et qursquoil semble que ce texte du fait de ses diffeacuterents objets soit en partie issu drsquoun

traiteacute perdu drsquoAristote De Philosophia Nous lrsquoavons dit et le rappelons en 279a18 il est

question drsquoecirctres qui se situent au-dessus de la translation la plus exteacuterieure et apregraves une

eacutetrange analogie sur la notion de dureacutee se trouve un eacuteloge du mouvement eacuteternel des astres

Ce passage est celui qui brise la continuiteacute de lrsquoargumentation et nous pousse agrave douter de son

appartenance premiegravere au De Caelo A quoi se reacutefegravere donc le τἀκεῖ Et quelle est lrsquoidentiteacute

des ecirctres divins (theia) dont nous parle Aristote Le ciel Les ecirctres de lagrave-bas

Dumoulin compare un fragment du De Philosophia et le passage 279a34-b3 du De

Caelo et il en ressort de maniegravere quasiment eacutevidente que le traiteacute Du ciel se reacutefegravere tregraves

clairement au De Philosophia Nous pouvons le constater via la comparaison entre le

fragment du De Philosophia et le passage du De Caelo dont il est question dans lrsquoeacutetude de

47

Dumoulin27 Mais ce passage est-il une simple reacutefeacuterence Une paraphrase Une citation

Cette question est complexe et la conclusion nous permettra de comprendre lrsquoargumentation

geacuteneacuterale du texte et de soutenir lrsquoideacutee drsquoune veacuteritable ceacutesure dans lrsquoargumentation

Nous trouvons quelque chose de bien eacutetrange dans le texte drsquoAristote une chose fort

bien exprimeacutee par Simplicius dans son commentaire si nous savons que le premier moteur

immobile est dans la Physique la Meacutetaphysique agrave lrsquoorigine du premier mouvement crsquoest-agrave-

dire celui de la sphegravere des fixes Aristote affirme dans la partie C qursquoil nrsquoy a rien de plus fort

qui puisse mouvoir le ciel car sinon cette chose serait plus divine que le ciel Mais puisque le

ciel est parfait et qursquoil ne manque drsquoaucun des biens cela nrsquoest pas possible Comment

expliquer cela Srsquoagit-il drsquoun changement doctrinal Drsquoune citation Drsquoune paraphrase

Simplicius avait trois sources agrave sa disposition pour commenter le De Caelo La Reacutepublique

II de Platon des fragments du De Philosophia et le texte qursquoil commente Nous observons

premiegraverement qursquoil semble y avoir un emprunt agrave la Reacutepublique II de Platon

Nest-il pas neacutecessaire si toutefois un ecirctre peut sortir de sa propre forme soit quil semeacutetamorphose lui-mecircme de sa propre initiative soit quil soit transformeacute par un autre380D28

Or les choses les meilleures ne sont-elles pas celles qui sont le moins susceptibles decirctrealteacutereacutees et mises en mouvement par autre chose quelles-mecircmes 380E

Degraves lors tout ecirctre bien constitueacute que ce soit par nature en vertu de lart ou pour ces deuxraisons agrave la fois sera le moins susceptible de subir un changement causeacute par un autre[hellip] Et pourtant le dieu tout comme les choses qui concernent le dieu est absolumentparfait [hellip] Mais ne peut-il se changer et salteacuterer lui-mecircme [hellip] Se change-t-il alors enmieux et en plus beau ou en pire et en plus laid Si vraiment il srsquoaltegravere cestneacutecessairement dans le sens du pire 381b-381c

En mecircme temps Platon ne cherche pas agrave prouver lrsquoexistence drsquoun Dieu qursquoil soit

parfait ou non (mecircme srsquoil est neacutecessairement parfait pour Platon du fait de sa nature) En

effet Platon critique les poegravetes qui attribuent aux dieux des qualiteacutes qui ne sont pas les leurs

et qui sont mecircme contradictoires avec leur nature propre De quoi soutenir lrsquoideacutee que cet

extrait nrsquoest pas tireacute de la Reacutepublique II sans quoi cela signifierait qursquoAristote a attribueacute au

monde sensible crsquoest-agrave-dire au ciel un passage qui chez Platon ne traite pas drsquoun sensible

27 Ibid p58 28 PLATON La Reacutepublique 2002

48

mais bel et bien drsquoun dieu parfait et immateacuteriel La diffeacuterence drsquoobjet entre le DC et la

Reacutepublique II nous pousse agrave penser qursquoil serait eacutetrange de reprendre le mecircme argument agrave un

moment pareil

Si Simplicius nrsquoa pas trouveacute cet argument dans la Reacutepublique II et qursquoil ne vient pas

du DC lui-mecircme alors cela signifie qursquoil vient de la troisiegraveme source dont disposait

Simplicius le De Philosophia ou plutocirct du commentaire drsquoAlexandre qui lui le posseacutedait

Crsquoest pourquoi la comparaison qui a eacuteteacute effectueacutee plus haut nous permettait drsquoaffirmer qursquoil

ne srsquoagit pas drsquoune paraphrase du DP dans le DC mais plutocirct drsquoune citation Mais cela ne

prouve pas qursquoil existe une discontinuiteacute de lrsquoobjet et de lrsquoargumentation dans ce passage du

De Caelo Nous lrsquoavons dit le deacutebut du passage 279a18 affirme assez clairement que les

ecirctres qui se trouvent au-delagrave de la translation la plus exteacuterieure sont sans corps sans lieu et

sans temps En mecircme temps apregraves une analogie entre la dureacutee et le ciel nous en arrivons agrave

lire un texte qui porte sur la perfection du corps ceacuteleste ce qui a priori semble eacutetonnant dans

la mesure ougrave le τἀκεῖ se situe en dehors du ciel et que le corps ceacuteleste est le ciel lui-mecircme

Ces diffeacuterents passages nous plongent dans lrsquoincompreacutehension et savoir qursquoil srsquoagit drsquoune

citation du DP nrsquoaide pas agrave comprendre pourquoi ce changement de sujet Crsquoest pourquoi

Dumoulin formule une hypothegravese agrave ce sujet

Nrsquooublions pas que Simplicius est le chef de file de ceux qui entendent du PremierMoteur Immobile tout le texte de De Caelo I 9 279a11-b3 On peut donc soupccedilonner cequi srsquoest passeacute Simplicius trouvait dans sa source deux passages du De Philosophia Lepremier eacutetablissait lrsquoexistence de la diviniteacute suprecircme immateacuterielle et le second eacutetablissaitle caractegravere divin du monde stellaire il a soudeacute ces deux textes qui dans sa penseacutee

concernaient lrsquoun et lrsquoautre le Premier Moteur29

Simplicius en commentant Aristote avance une preuve de lrsquoexistence de Dieu en

affirmant que lagrave ougrave il y a un ecirctre meilleur il y a forcement un ecirctre excellent dans la mesure ougrave

il y a une hieacuterarchie entre les ecirctres30 Il voit en cet argument le moyen de justifier que le τἀκεῖ

fait reacutefeacuterence au premier moteur Mais cet argument ne vient absolument pas du De Caelo lui-

mecircme il est un ajout au texte du DC et est tireacute du DP par Simplicius Il aurait donc servi agrave

justifier lrsquoexistence drsquoun ecirctre immateacuteriel et absolument parfait La suite du texte portant sur le

ciel aurait alors eacuteteacute compris comme suivant cette thegravese drsquoun ecirctre parfait et immateacuteriel ce qui

29 Dumoulin opcit p 6030 Simplicius (2892)

49

aurait pousseacute Simplicius agrave croire en lrsquoideacutee drsquoune reacutefeacuterence au Premier Moteur Immobile tout

en refusant lrsquoideacutee drsquoune ceacutesure dans lrsquoargumentation puisqursquoil affirmait que la totaliteacute du texte

portait sur un seul et mecircme objet le premier moteur

Au vu de cet argument nous pouvons comprendre pourquoi Dumoulin deacutefend lrsquoideacutee

qursquoil srsquoagit drsquoune reacutefeacuterence agrave des ecirctres qui se trouvent au-delagrave du ciel En effet il admet une

discontinuiteacute drsquoobjet dans le passage du De Caelo ducirc agrave lrsquoajout drsquoarguments tireacutes du DP pour

forcer le lien Toutefois cette discontinuiteacute est plus complexe qursquoelle en a lrsquoair dans la mesure

ougrave Dumoulin nrsquoaffirme pas ouvertement ndash et en ces termes ndash qursquoil y en a une En fait il est

drsquoavis de dire qursquoil y a une discontinuiteacute dans le degreacute de diviniteacute dont il est question si

Aristote fait lrsquoeacuteloge du mouvement ceacuteleste apregraves avoir affirmeacute que les ecirctres au-delagrave du ciel

sont immateacuteriels et ne subissent aucun changement crsquoest dans le but de manifester la

perfection (encore plus haute que celle du ciel) des ecirctres de lagrave-bas

312 La continuiteacute du sujet en faveur des reacutealiteacutes ceacutelestes

Mais nous lrsquoavons dit il existe de maniegravere geacuteneacuterale deux eacutecoles pour lrsquointerpreacutetation

du τἀκεῖ La premiegravere deacutefend lrsquoideacutee qursquoil srsquoagit lagrave drsquoune reacutefeacuterence agrave des ecirctres transcendant le

ciel la seconde deacutefend lrsquoideacutee qursquoil est question des ecirctres ceacutelestes Nous avons alors vu que

Dumoulin deacutefend la theacuteorie selon laquelle il existe un changement de sujet dans

lrsquoargumentation du De Caelo I 9 Cela lui permet de deacutefendre lrsquoideacutee qursquoil srsquoagit drsquoune

reacutefeacuterence agrave un ou des ecirctres transcendants Il srsquoagit donc maintenant de montrer comment

certains auteurs et plus particuliegraverement Moraux deacutefendent lrsquoideacutee contraire Comment srsquoy

prend Moraux pour deacutefendre la theacuteorie drsquoune reacutefeacuterence astrale en critiquant lrsquoideacutee que la

position contraire a des conseacutequences tregraves dures sur lrsquoargumentation du texte

Avant de nous inteacuteresser agrave la critique que Moraux formule envers ceux qui deacutefendent

lrsquoideacutee drsquoune reacutefeacuterence agrave des ecirctres transcendants nous allons nous inteacuteresser agrave la faccedilon dont le

texte a eacuteteacute traduit par Moraux et qui rend compte de la maniegravere dont il lrsquointerpregravete31

Il nrsquoest point de changement pour aucun des ecirctres disposeacutes sur la translation la plusexteacuterieurehellip

31 Aristote Du ciel1965 p37 Il srsquoagit de la traduction de Moraux et nous nous inteacuteressons plus particuliegraverement agrave lrsquointroduction de cette œuvre par ce dernier

50

Nous pouvons la distinguer de la traduction de Dalimier et Pellegrin En effet si le grec ὑπέρ

est traduit par ces derniers par laquo au-dessus de raquo Moraux lui le traduit par laquo sur raquo Il affirme

alors ici que le texte fait reacutefeacuterence agrave quelque chose qui se situe sur la translation la plus

exteacuterieure et non au-delagrave ce qui change radicalement la vision que nous avons du texte Nous

affirmions plus haut par le biais de Dumoulin qursquoil existait un changement de sujet dans le

passage 279a18-b3 En effet au deacutebut ce dont il est question dans le texte est des ecirctres qui se

trouvent laquo au-dessus de la translation la plus exteacuterieure raquo et agrave la fin il porte sur lrsquoeacuteterniteacute du

mouvement circulaire Mais si nous traduisons la preacuteposition ὑπέρ par laquo sur raquo plutocirct que laquo au-

dessus raquo alors il nrsquoy a plus drsquoideacutee de discontinuiteacute et le passage du deacutebut agrave la fin porte sur

des ecirctres ceacutelestes Toutefois Fabienne Baghdassarian souligne qursquoil est le seul agrave traduire le

texte ainsi et que mecircme Alexandre qui deacutefendait lrsquoideacutee drsquoune reacutefeacuterence astrale comprend le

texte comme portant sur quelque chose qui est au-delagrave drsquoun mouvement La raison pour

laquelle Moraux traduit le texte de cette maniegravere est justifieacutee par lrsquoutilisation de ὑπέρ dans le

De Caelo en effet cette proposition ne sert pas agrave justifier ce qui se trouve au-delagrave de quelque

chose Pour manifester cette ideacutee Aristote utilise plutocirct ἔξω En mecircme temps Fabienne

Baghdassarian lui objecte la chose suivante

La preacuteposition ὑπέρ lorsqursquoelle est employeacutee avec lrsquoaccusatif deacutesigne ce qui est au-dessus de quelque chose et non pas ce qui est sur lui En outre chacune des occurrencesde cette preacuteposition dans le DC qursquoelle srsquoaccompagne de lrsquoaccusatif ou mecircme du geacutenitifsert constamment agrave deacutesigner ce qui est au-dessus drsquoun point de reacutefeacuterence Enfin crsquoesttoujours la preacuteposition ἐν et non pas ὑπέρ qui sert agrave deacutesigner les corps qui sont fixeacutes sur

lrsquoorbite 32

Nous observons alors diffeacuterents arguments ceux qui portent sur des questions de grammaire

et ceux qui portent sur des questions de terminologie Mecircme si ὑπέρ nrsquoest pas neacutecessairement

utiliseacutee pour parler de ce qui se trouve au-delagrave drsquoune chose son utilisation accompagneacutee de

lrsquoaccusatif ( φοράν) fait reacutefeacuterence agrave ce qui est au-dessus drsquoune chose et non pas agrave ce qui est

sur une chose Il srsquoagit alors drsquoun problegraveme de grammaire et de traduction Fabienne

Baghdassarian soutiendrait-elle lrsquoideacutee drsquoune erreur dans la traduction de Moraux Pour ce qui

est de la question terminologique Fabienne Baghdassarian affirme que pour deacutesigner ce qui

est sur les sphegraveres Aristote utilise la preacuteposition ἐν et non la preacuteposition ὑπέρ

32 Baghdassarian F opcit 2011 p188

51

Revenons agrave lrsquoideacutee que deacutefend Moraux Puisqursquoil traduit le passage en affirmant que le

τἀκεῖ se trouve sur la translation la plus exteacuterieure et non pas au-delagrave il affirme par

conseacutequent que le passage traite entiegraverement des ecirctres ceacutelestes et plus preacuteciseacutement de ceux

qui se trouvent sur la sphegravere des fixes Il ne rencontre donc pas le problegraveme de la discontinuiteacute

de lrsquoobjet de ce passage Il affirme cependant que De Caelo I 9 est remarquable du fait que

trois parties se distinguent

Le second panneau du diptyque relatif agrave lrsquouniciteacute du monde est tout agrave fait remarquable (chap9) Lrsquoexamen du style et du contenu philosophique permet drsquoy distinguer trois parties qui ont probablement eacuteteacute reacutedigeacutees agrave des eacutepoques diffeacuterentes Reacutefeacuterence

La premiegravere partie de cet exposeacute est assimileacutee agrave Meacutetaphysique Ζ du fait qursquoelle porte

sur la matiegravere et la forme en utilisant les mecircmes arguments et les mecircmes exemples Aristote

affiche un style tregraves rigoureux proche de celui de Meacutetaphysique Z Cela est eacutetonnant dans la

mesure ougrave la Meacutetaphysique est une œuvre qui serait relativement tardive Il suppose donc que

le passage du De Caelo I 9 qui srsquoeacutetend de 277b33 agrave 278a9 a eacuteteacute eacutecrit agrave la mecircme eacutepoque que

Meacutetaphysique Z

Quant agrave la deuxiegraveme partie qui srsquoeacutetendrait de 278b10 agrave 279a18 elle serait plus propre

au style qursquoarbore Aristote dans le De Caelo dans la mesure ougrave les arguments utiliseacutes seraient

ceux qui portent sur les milieux naturels et servirait agrave conclure lrsquoargumentation geacuteneacuterale du

chapitre

La suite de 279a18 agrave 279b3 qui est la partie dans laquelle apparaicirct le τἀκεῖ serait

alors pour Moraux une sorte drsquoenvoleacutee lyrique quasiment poeacutetique qui serait le propre des

dialogues aristoteacuteliciens Ce passage serait alors exclu de lrsquoargumentation et nrsquoapporterait

donc rien agrave celle-ci Toutefois comme le fait Dumoulin nous lrsquoavons vu Moraux semble

enteacuteriner lrsquoideacutee majoritairement valideacutee selon laquelle ce passage serait un extrait du De

Philosophia bien qursquoil nrsquoaffirme pas comme Dumoulin que le texte soit une reacutefeacuterence agrave des

ecirctres se situant au-delagrave du ciel Moraux affirme que cet extrait a eacuteteacute ajouteacute agrave ce passage pour

adoucir un exposeacute complexe sur la matiegravere et la forme Mais si tous les interpregravetes ou

presque admettent que ce passage soit issu du DP ils ne lrsquointerpregravetent pas tous de la mecircme

maniegravere

52

Les uns pensent qursquoAristote y ceacutelegravebre la sphegravere des fixes qursquoil tenait alors pour le dieusuprecircme Drsquoautres preacutetendent au contraire qursquoil parle drsquoentiteacutes divines transcendantes aumonde peut-ecirctre identiques aux fameuses laquo intelligences raquo des sphegraveres Pour deacutefendreleur exeacutegegravese ces derniers sont contraints drsquoadmettre la preacutesence drsquoune anacolutheextrecircmement dure et certains drsquoentre eux vont mecircme jusqursquoagrave modifier le textetraditionnel mais le souci drsquoeacuteleacutegance stylistique qui se manifeste dans tout le passagerend bien improbable lrsquohypothegravese drsquoune pareille neacutegligence 33

Moraux rappelle briegravevement les deux interpreacutetations qui srsquoopposent agrave la suite de quoi

il critique celle qui soutient que le passage fait reacutefeacuterence agrave des ecirctres transcendants Il fait

reposer sa critique sur deux arguments ceux qui soutiennent que ce passage porte sur des

ecirctres transcendants sont contraints de modifier le texte original dans lrsquointeacuterecirct de leur theacuteorie

Moraux fait ici reacutefeacuterence agrave Simplicius qui dans son commentaire remplace κινεῖται (en

279b1) par κινεῖ afin drsquoaccorder aux τἀκεῖ la puissance de mouvoir le ciel de maniegravere

circulaire en raison de lrsquoeacuteleacutement qui les compose lrsquoeacutether Mais le texte traditionnel ne fait pas

mention drsquoune quelconque fonction motrice du τἀκεῖ crsquoest pourquoi Moraux nrsquoaccepte pas

cette correction Son second argument repose sur le style de ce passage Celui-ci est fort

poeacutetique eacutevoquant les dialogues aristoteacuteliciens et tregraves travailleacute il semble donc improbable

qursquoAristote ait pu changer de sujet en plein milieu de son discours En effet pour ceux qui

affirment qursquoil y a lagrave une reacutefeacuterence agrave des ecirctres divins transcendant le ciel il faut admettre qursquoil

y a une veacuteritable discontinuiteacute de lrsquoobjet du texte voire une ceacutesure totale Mais le travail

fourni pour produire un texte styliseacute comme celui-ci nous permet de douter qursquoAristote ait eacuteteacute

si neacutegligeant sur lrsquoobjet de ce passage

Tels sont les arguments en faveur de la reacutefeacuterence ceacuteleste que Moraux deacutefend

eacutegalement et qui repose sur lrsquoideacutee qursquoil nrsquoexiste pas de changement de sujet dans ce passage

portant du deacutebut agrave la fin sur les ecirctres qui se trouvent sur la translation la plus exteacuterieure

Ces auteurs sont en deacutebat direct sur la question de lrsquointerpreacutetation de ce passage de

plus leurs arguments reposent sur le mecircme thegraveme qui est celui de la continuiteacute ou la

discontinuiteacute de lrsquoargumentation du De Caelo I 9 Il srsquoagira alors drsquoaborder un autre point

theacutematique en opposant les interpregravetes qui font reposer leurs argumentations sur la question

du lieu dans la philosophie aristoteacutelicienne

33 Moraux opcit 1965 pLXXV

53

32 Le lieu des corps ceacutelestes lrsquoabsence de lieu du τἀκεῖ

321 Lrsquoabsence de lieu en faveur de la reacutefeacuterence ceacuteleste

Le De Caelo I 9 porte tout entier sur la question de lrsquouniciteacute du ciel Nous lrsquoavons

expliqueacute plus haut lorsqursquoune substance formelle est meacutelangeacutee agrave la matiegravere il peut exister

une infiniteacute drsquoecirctres avec une mecircme forme speacutecifique dans la mesure ougrave ce qui est mateacuteriel

peut exister en nombre tregraves grand sinon infini Mais il nrsquoen est pas ainsi pour le ciel puisqursquoil

contient lrsquoensemble de toute la matiegravere et que rien ne peut venir agrave ecirctre en dehors de lui

Aristote aboutit agrave la conclusion selon laquelle il nrsquoy a pas de corps en dehors du ciel donc pas

de temps pas de lieu et pas de vide non plus Nous allons deacutesormais nous inteacuteresser agrave la

question du lieu puisque celui-ci pourrait nous donner une piste de reacuteflexion concernant

lrsquoidentiteacute des ecirctres de lagrave-bas et est un argument que lrsquoon retrouve souvent en faveur ndash ou en

deacutefaveur ndash de la reacutefeacuterence ceacuteleste Lrsquoargument qursquoil srsquoagira de restituer sera celui de Mugnier

au sein drsquoun deacutebat qui porte sur le lieu drsquoune part et drsquoautre part sur le rapport entre la

cosmologie platonicienne et la cosmologie aristoteacutelicienne dans lrsquointeacuterecirct de faire une sorte de

cartographie du problegraveme du De Caelo I 9

Lrsquoœuvre de Mugnier porte sur lrsquoeacutevolution de la penseacutee drsquoAristote Dans un passage

portant sur la jeunesse platonisante drsquoAristote apregraves avoir repeacutereacute des similitudes mais aussi

des diffeacuterentes entre les doctrines platoniciennes et les doctrines aristoteacuteliciennes Mugnier

affirme la chose suivante

Mais si Aristote semble mettre de cocircteacute le Deacutemiurge il ne renonce pas agravelrsquoIntelligence gouvernant le monde et nous lrsquoavons vu il prouve son existence agrave lrsquoaidedrsquoarguments emprunteacutes aux Lois Cette Intelligence ou Dieu qui deviendra plus tard lePremier Moteur immobile est-elle consideacutereacutee par Aristote comme lrsquoacircme du monde Ilest vraisemblable de le penser quoique nous soyons sur ce point reacuteduits aux conjecturesEt maintenant cette Intelligence est-elle devenue un Premier Moteur seacutepareacute du monde ettranscendant ou au contraire immanente agrave lrsquoUnivers En drsquoautres termes Aristote srsquoest-il prononceacute pour un theacuteisme ou pour un immanentisme Crsquoest agrave cette question que nousallons nous forcer de reacutepondre en examinant les principes et les thegraveses du Philosophe34

Nous comprenons immeacutediatement le rapport entre la cosmologie platonicienne que

nous avons deacutecouverte via le Timeacutee et la cosmologie aristoteacutelicienne En effet certains

fondements de la theacuteorie cosmologique aristoteacutelicienne viennent de celle de Platon bien que

34 Mugnier La Theacuteorie du premier moteur et lrsquoeacutevolution de la penseacutee aristoteacutelicienne 1930 p15

54

dans son platonisme Aristote se soit distingueacute de son maicirctre Aristote refusait lrsquoideacutee drsquoun

Deacutemiurge qui dans le Timeacutee est le creacuteateur du monde et drsquoIdeacutees seacutepareacutees qui servent

drsquoexemples agrave la conception du monde Mais il ne refuse pas lrsquoideacutee de lrsquoIntelligence dans les

Lois de Platon qui gouverne le monde et le dirige vers la feacuteliciteacute ou son contraire35 La

question qui se pose alors est celle de savoir si cette Intelligence est divine et transcendante au

ciel ou si elle est immanente au Premier Ciel Que signifie cet immanentisme Crsquoest lrsquoideacutee

selon laquelle le Premier Moteur immobile ou lrsquoIntelligence est lrsquoacircme du Premier Ciel et

celui-ci est son corps de sorte que le Premier Moteur ou lrsquoIntelligence serait de la mecircme

maniegravere que lrsquoacircme humaine est dans le corps humain dans quelque chose le premier ciel

crsquoest-agrave-dire la sphegravere des fixes Reacutepondre agrave la question de la transcendance ou de

lrsquoimmanence permettrait donc de comprendre ce qursquoentend Aristote par laquo takei raquo dans le De

Caelo I 9 et de comprendre les arguments de Mugnier en faveur de telle ideacutee ou telle autre

Pour reacutepondre agrave ce problegraveme Mugnier se reacutefegravere agrave Physique VIII 6 Si lrsquoimmanentisme

suggegravere lrsquoideacutee drsquoune analogie entre lrsquoacircme humainele corps humain et le Premier Moteurle

Premier ciel peut-on comparer lrsquoacircme humaine au Premier Moteur En drsquoautres termes le

Premier Moteur est-il mucirc par accident comme lrsquoest lrsquoacircme humaine Mais que signifie laquo ecirctre

mucirc par accident raquo Telles sont les questions que se pose Mugnier Dans le traiteacute De lrsquoAcircme36

Aristote affirme que lrsquoacircme humaine eacutetait immobile par essence mais en mouvement par

accident du fait de son lien avec le corps Puisque le corps se deacuteplace lrsquoacircme qui est dans le

corps est deacuteplaceacutee et est donc en mouvement par le corps et non par elle-mecircme crsquoest en ce

sens que lrsquoon dit qursquoelle est mue par accident Mugnier se demande alors ce qursquoil en est du

Premier moteur acircme du Premier ciel Srsquoil met en mouvement le Premier ciel est-il mucirc

eacutegalement par accident Comment ne pourrait-il pas ecirctre emporteacute par le mouvement de son

corps Mugnier tente de reacutepondre agrave ces questions dans le but de montrer que le Premier

Moteur ne peut pas ecirctre emporteacute par le mouvement de son corps le Premier Ciel dans la

mesure ougrave celui-ci nrsquoa pas de changement local eacutetant donneacute qursquoil nrsquoest pas dans un lieu

Le souci que pose la theacuteorie du mouvement par accident de lrsquoacircme du Premier Ciel est

que quelque chose de mucirc par accident ne saurait donner agrave une autre chose un mouvement

Pour comprendre cette ideacutee il faut comprendre quel est le mouvement de lrsquoacircme humaine pour

Mugnier si elle est transporteacutee quelque part par accident elle cherchera agrave rejoindre son

milieu naturel et imposera donc un mouvement au corps qursquoelle habite pour le faire se

mouvoir vers un milieu particulier qui est le sien Mais ce mouvement lagrave nrsquoest pas eacuteternel

35 PLATON Lois 2003 897a Traduction par A Diegraves36 ARISTOTE De lrsquoAcircme 2005 406b25 Traduction par P Thillet

55

puisqursquoil se termine une fois le lieu atteint Pour qursquoil y ait un mouvement eacuteternel il faut donc

une acircme motrice qui soit toujours elle-mecircme et dans son propre lieu sinon elle imposera un

mouvement agrave son corps qui ne durera que le temps de retourner dans le lieu qui lui est propre

Aristote affirme lui-mecircme lrsquoimmobiliteacute du Premier Moteur

Drsquoapregraves cela on pourra se convaincre que si quelque chose fait partie des moteursimmobiles mais eux-mecircmes mus par accident il est impossible qursquoil meuve drsquounmouvement continu De sorte que srsquoil est neacutecessaire que le mouvement existecontinucircment il faut qursquoil existe un premier moteur non mucirc mecircme par accident37

Le Premier Moteur est donc neacutecessairement immobile sinon il ne pourrait pas ecirctre la

cause drsquoun mouvement eacuteternel Il srsquoagit alors de se demander comment il est possible que le

Premier Moteur acircme du Premier Ciel ne soit pas ecirctre mucirc par accident La condition

neacutecessaire au mouvement accidentel du Premier Moteur est que le Premier Ciel soit mucirc Or il

nrsquoexiste rien en dehors du ciel pas mecircme un lieu comme nous lrsquoavons vu dans la partie 0

Mais tout ce qui est en mouvement lrsquoest neacutecessairement dans un lieu pour Aristote crsquoest

pourquoi il nrsquoest pas rationnel de parler de mouvement pour un corps qui nrsquoest pas dans un

lieu La question agrave laquelle nous arrivons est celle de savoir si nous pouvons parler de

deacuteplacement pour le Premier Ciel Se demander si le Premier Ciel se deacuteplace revient donc agrave se

demander si le Premier Ciel est dans un lieu (ἐν τόπῳ)

Nous avons vu dans le De Caelo I 9 que le lieu eacutetait lrsquoendroit ou il eacutetait possible qursquoil

existe quelque chose ce qui nrsquoest pas le cas pour lrsquoexteacuterieur du ciel De plus le lieu est la

limite du corps englobant38 mais il nrsquoy a rien en dehors du ciel donc rien pour lrsquoenglober

Mugnier arrive assez rapidement agrave la conclusion qursquoil nrsquoexiste pas de lieu en dehors du ciel et

surtout que la sphegravere des fixes nrsquoest dans aucun lieu La question du lieu est primordiale dans

lrsquoideacutee du mouvement puisque lrsquoon juge qursquoune chose est en mouvement par rapport agrave un lieu

selon Aristote nous jugeons qursquoune chose se deacuteplace en la regardant par rapport agrave un autre

point de repegravere qui se trouve agrave lrsquoexteacuterieur de ce qui est en deacuteplacement Une chose peut aussi

ecirctre dite dans un lieu lorsqursquoelle est entoureacutee drsquoautres corps En cela nous pouvons dire que le

Premier Ciel nrsquoest pas dans un lieu mais les astres qui srsquoy trouvent sont dans un lieu formeacute

par les autres astres qui les entourent Mugnier donne alors lrsquoexemple suivant

37 ARISTOTE Physique VIII 6 259b20-26 Traduction par Pellegrin 38 ARISTOTE Physique IV 4 211b13

56

Voici une boule qui roule sur la terre elle se deacuteplace crsquoest-agrave-dire qursquoelle occupesuccessivement diffeacuterents lieux Et si nous pouvons dire qursquoelle est animeacutee drsquounmouvement de transport crsquoest parce qursquoil nous est loisible de choisir en dehors drsquoelle uncorps un point de repegravere crsquoest-agrave-dire quelque chose par rapport agrave quoi elle se deacuteplace

Le lieu se dessine en quelque sorte par ce qui lrsquoentoure Si on imagine cette mecircme

boule mais eacutetant entoureacutee par rien on ne peut pas dire qursquoelle est dans un lieu par contre on

peut dire drsquoelle qursquoelle constitue tout lrsquoespace dans la mesure ougrave elle est la seule chose qui

soit Mais du fait qursquoelle nrsquoest pas dans un lieu puisque rien ne lrsquoentoure elle ne peut se

deacuteplacer par rapport agrave rien ni par rapport agrave elle-mecircme Parce que cette boule serait tout ce

qursquoil y a elle ne peut pas se deacuteplacer en masse dans rien crsquoest-agrave-dire dans ou vers aucun lieu

et par rapport agrave rien Donc un corps qui nrsquoest enveloppeacute par rien nrsquoest pas dans un lieu et un

corps qui nrsquoest pas dans un lieu ne peut pas se deacuteplacer Tout cela nous ramegravene alors agrave la

question de savoir srsquoil existe quelque chose en dehors du Premier Ciel

Dans le De Caelo I 9 Aristote affirme qursquoil nrsquoexiste aucun corps en dehors du ciel

car si un corps existait lagrave-bas il serait soit simple soit composeacute Mais en vertu de la theacuteorie

aristoteacutelicienne des lieux et du mouvement il ne pourrait pas y avoir de corps simple en

dehors du ciel puisque le milieu naturel des corps simples se trouve dans le ciel Et aucun des

corps simples ne pourrait srsquoy trouver de maniegravere contre nature dans la mesure ougrave cela

signifierait que ce serait le lieu naturel drsquoun autre corps mais cela est impossible Il nrsquoy a pas

non plus de corps composeacutes en dehors du ciel car la preacutesence drsquoun corps composeacute impose la

preacutesence drsquoun corps simple et il ne peut pas y avoir de corps simples en dehors du ciel Mais

puisqursquoil nrsquoy a pas de corps il nrsquoy a pas de lieu nous dit Aristote car le lieu est ce en quoi il

peut y avoir un corps Il nrsquoy a pas non plus de temps car le temps est le nombre du

mouvement or le mouvement est une proprieacuteteacute des corps et il nrsquoy a pas de corps en dehors du

ciel donc pas de mouvement En vertu de toutes ces choses que nous avions vues mais que

nous avons rappeleacutees briegravevement Mugnier conclut deux choses il nrsquoexiste ni corps ni

temps ni lieu en dehors du ciel drsquoune part et il est eacutetrange de parler du Premier Ciel comme

un corps qui se deacuteplace puisqursquoil nrsquoest dans aucun lieu La conseacutequence de cela est simple et

reacutepond clairement agrave la question de deacutepart qui eacutetait celle de savoir comment le Premier Moteur

ne pouvait pas ecirctre mucirc par accident par le mouvement du Premier Ciel Puisque le Premier

Ciel nrsquoest pas dans un lieu il est absurde de parler de mouvement Ainsi nous pouvons

affirmer que le Premier Ciel ne se deacuteplace pas et donc ne peut pas entraicircner son acircme crsquoest-agrave-

dire le Premier Moteur dans un mouvement accidentel

57

Mais selon Mugnier Aristote affirme qursquoil existe un mouvement propre au Premier

Ciel il nrsquoest pas parfaitement immobile En effet la circonfeacuterence derniegravere du ciel se meut de

maniegravere circulaire mais nous avons dit que le Premier Ciel ne se deacuteplaccedilait pas ce qui semble

agrave premiegravere vue contradictoire En fait le ciel tourne sur lui-mecircme mais ne se deacuteplace pas vers

un autre endroit Il ne change pas de laquo place raquo On notera la difficulteacute de deacutecrire un

mouvement sans faire reacutefeacuterence agrave un lieu dans la mesure ougrave il nrsquoy a aucun lieu dans lequel se

trouve le ciel

Et le seul fait que la derniegravere sphegravere nrsquoest enveloppeacutee par aucun corps et qursquoil nrsquoy a paspar suite drsquoespace en dehors drsquoelle explique pour le dire en passant un passage fortobscur du De Caelo ougrave Aristote parle de choses qui sont situeacutees au-dessus de lrsquoextrecircmereacutevolution des astres [hellip] Mais que sont-elles Ougrave se trouvent-elles Des reacuteponsesdiffeacuterentes ont eacuteteacute donneacutees39

Mugnier en vient agrave traiter de la question du τἀκεῖ au sein drsquoune reacuteflexion sur le

mouvement du Premier Ciel ou plutocirct sur la possibiliteacute du mouvement du Premier Ciel en

raison de la preacutesence ou non drsquoun lieu dans lequel il serait englobeacute Aristote a montreacute qursquoil nrsquoy

avait pas de corps pas de lieu et pas de temps en dehors du ciel Cependant Mugnier note

qursquoAristote emploie un vocabulaire spatial pour deacutecrire les ecirctres qui se situent au-dessus de la

translation la plus exteacuterieure en effet Aristote les deacutecrit comme les ecirctres de laquo lagrave-bas raquo

(τἀκεῖ) ce qui semble directement renvoyer agrave un lieu et nrsquoa de sens que si le τἀκεῖ se trouve

dans un lieu Mais dans la mesure ougrave il nrsquoexiste pas de lieu en dehors du ciel Mugnier en

conclut que le τἀκεῖ fait reacutefeacuterence agrave quelque chose qui se situe dans le ciel et non agrave lrsquoexteacuterieur

de celui-ci Car seul ce qui est dans un lieu peut ecirctre deacutesigneacute comme eacutetant laquo lagrave-bas raquo crsquoest-agrave-

dire dans un lieu Nous pouvons de maniegravere plus preacutecise conclure de lrsquoargumentation

geacuteneacuterale de Mugnier qursquoil ne pense pas que le τἀκεῖ puisse faire reacutefeacuterence agrave la sphegravere des

fixes dans sa totaliteacute dans la mesure ougrave le tout qursquoelle est nrsquoest pas dans un lieu En revanche

ses parties crsquoest-agrave-dire les astres qui srsquoy trouvent sont dans un lieu les unes par rapport aux

autres et sont englobeacutees par la sphegravere des fixes Le τἀκεῖ semblerait alors pouvoir ecirctre une

reacutefeacuterence aux astres divins qui sont sur la sphegravere la plus eacuteloigneacutee du centre et non agrave la sphegravere

des fixes dans sa totaliteacute et encore moins un ecirctre qui lui serait transcendant Il srsquoagit alors

drsquoune conception meacutetaphorique du lieu utiliseacutee par Aristote puisque le terme laquo lieu raquo ne

renvoie pas reacuteellement agrave un lieu dans le cas preacutesent Toutefois Mugnier ne rend pas compte

de lrsquoutilisation du terme huper puisqursquoil nrsquoaffirme pas que cette expression renvoie a un au-

39 Mugnier opcit 1930 p77

58

dessus meacutetaphorique eacutegalement crsquoest-agrave-dire un au-dessus qui ne serait pas veacuteritablement hors

du ciel

322 Lrsquoabsence de lieu comme caracteacuteristique drsquoun ecirctre transcendant le ciel

Solmsen40 affirme sur la question du lieu comme justification de la transcendance ou

de lrsquoimmanence du τἀκεῖ que le τἀκεῖ est une reacutefeacuterence agrave un ecirctre transcendant du fait que

lrsquoabsence de lieu devient une caracteacuteristique de ce qui nrsquoa pas de lieu Mais comment en

arrive t-il agrave deacutefendre cette thegravese sans tomber dans le problegraveme de la description drsquoun ecirctre sans

lieu qui serait pourtant lagrave-bas crsquoest-agrave-dire quelque part Pour comprendre ce problegraveme

Solmsen se tourne vers la cosmologie platonicienne dans la mesure ougrave il traite explicitement

dans le Phegravedre drsquoun au-delagrave du ciel Mais quel est le rapport entre Platon et Aristote sur cette

question Solmsen srsquoexprime sur le τἀκεῖ dans un contexte historique Il cherche en quelque

sorte le fondement philosophique de la conception de lrsquoau-delagrave du ciel Crsquoest pourquoi

Solmsen en vient agrave parler de Platon qui affirme la chose suivante

Chaque fois qursquoils se rendent agrave un festin crsquoest-agrave-dire agrave un banquet ils se mettent agrave montervers la voucircte qui constitue la limite inteacuterieure du ciel [hellip] Crsquoest lagrave sache-le bien quelrsquoeacutepreuve et le combat suprecircmes attendent lrsquoacircme En effet lorsqursquoelles ont atteint la voucirctedu ciel ces acircmes qursquoon dit immortelles passent agrave lrsquoexteacuterieur srsquoeacutetablissent sur le dos duciel se laissent emporter par leur reacutevolution circulaire et contemplent les reacutealiteacutes qui se

trouvent hors du ciel41

Platon dans le Phegravedre affirme donc qursquoil existe quelque chose en dehors du ciel les

reacutealiteacutes Ces choses reacuteelles sont une reacutefeacuterence directe aux Formes intelligibles et seacutepareacutees

Toutefois nous pouvons noter que ce passage revecirct lrsquoapparence du mythe poeacutetique et non pas

drsquoune argumentation philosophique ce qui nous amegravene agrave nous poser la question de la veacuteriteacute

du propos tenu par Platon Celui-ci dans la continuiteacute de cet extrait affirme prononcer la

veacuteriteacute au sujet de lrsquounique chose qui soit veacuteritablement les Formes Nous savons par la

lecture de la Reacutepublique par exemple que les concepts de veacuteriteacute et de mythe chez Platon

sont geacuteneacuteralement opposeacutes pourquoi utilise-t-il alors un mythe pour parler drsquoune chose qui

soit lrsquoune des veacuteriteacutes Il semblerait pour Solmsen que cette question se soit eacutegalement poseacutee

40 Solmsen laquo Beyond the Heavens raquo197641 Phegravedre 2004 247c3 Traduction par L Brisson

59

au sein de lrsquoAcadeacutemie durant cette eacutepoque et nombreux eacutelegraveves ont eacuteteacute drsquoavis que cette notion

drsquoau-delagrave du ciel nrsquoeacutetait pas agrave prendre au seacuterieux du fait que Platon utilisait un mythe pour

srsquoy reacutefeacuterer Toutefois Platon dans ce mecircme passage fait la promesse de dire la veacuteriteacute au sujet

de la veacuteriteacute Le mythe devient alors le moyen le plus approprieacute de parler de ce qui se trouve

hors du ciel

Ce lieu qui se trouve au-dessus du ciel aucun poegravete parmi ceux drsquoici-bas nrsquoa encore chanteacute drsquohymne en son honneur et aucun ne chantera en son honneur un hymne qui en soit digne Or voici ce qui en est car srsquoil se preacutesente une occasion ougrave lrsquoon doive dire la veacuteriteacute crsquoest bien lorsqursquoon parle de la veacuteriteacute42

On note cependant quAristote eacutelegraveve de Platon dans sa jeunesse et malgreacute le fait que

lrsquoau-delagrave du ciel nrsquoait pas eacuteteacute pris pour un veacuteritable sujet drsquoeacutetude agrave lrsquoAcadeacutemie en vient agrave

parler de lrsquoexteacuterieur du ciel Pouvons-nous donc voir agrave travers le Phegravedre lrsquoorigine de certains

passages obscurs drsquoAristote concernant ce mysteacuterieux lieu qui se trouve au-delagrave du ciel

Dans le Phegravedre Platon place les Formes dans un lieu qui serait agrave lrsquoexteacuterieur du ciel

Solmsen note que de nombreux interpregravetes tel que Hackforth affirment que ce nrsquoest pas la

premiegravere fois que Platon attribue un lieu aux Formes intelligibles en effet dans le Timeacutee43 il

en est question eacutegalement Mais Solmsen refuse cette interpreacutetation des textes de Platon en

affirmant qursquoil nrsquoest pas convainquant que Platon fasse reacutefeacuterence agrave un lieu lorsqursquoil parle des

Formes car le lieu est en rapport avec les corps mateacuteriels et les Formes en plus drsquoecirctre

intelligibles sont seacutepareacutees de la matiegravere Il y a certes une laquo ascension raquo de lrsquoacircme qui se dirige

vers une connaissance accessible seulement par lrsquointellect mais ce nrsquoest pas parce qursquoil y a

une ascension au-delagrave du ciel que cet au-delagrave du ciel est lieacute agrave un corps mateacuteriel En effet pour

les Formes il srsquoagit de ce que Platon nomme un νοητὸς τόπος et celui-ci nrsquoest absolument

pas lieacute agrave la matiegravere Crsquoest pourquoi parler de laquo lieu raquo nrsquoest pas veacuteritablement contradictoire

pour parler drsquoun lieu sans matiegravere si lrsquoon preacutecise de quel type de lieu on parle crsquoest-agrave-dire un

lieu intelligible De plus dans le Timeacutee Platon affirme que tous les corps sensibles sont dans

lrsquoespace et dans un lieu Mais de cela nous ne pouvons affirmer que ce qui est propre et

neacutecessaire au corps sensible le soit aussi pour les ecirctres intelligibles et seacutepareacutes de la matiegravere

Dire qursquoaucun corps sensible ne peut ecirctre en dehors drsquoun lieu nrsquoimplique pas que les Formes

platoniciennes doivent ecirctre dans un lieu dans la mesure ougrave elles nrsquoentrent pas dans le domaine

du mateacuteriel et donc dans ses lois Il rejette alors toutes ideacutees drsquoassociation de lieu physique agrave

42 Ibid 247c 43 Timeacutee opcit 30c

60

la forme car cela est incompatible avec sa nature Le problegraveme est que le langage est fait de

telle maniegravere que Platon est limiteacute et ne peut pas deacutesigner ce qui se trouve dans un lieu

intelligible et sans matiegravere autrement que par des mots qui deacutesignent des lieux physiques

Crsquoest pourquoi il se doit drsquoutiliser le mythe Gracircce agrave lrsquoutilisation drsquoun pareil outil nous

pouvons dire qursquoil srsquoagit drsquoun lieu au sens alleacutegorique voire meacutetaphorique Cet outil lui

permet donc deux choses faire les louanges agrave la hauteur (ou plutocirct au plus proche) de la

beauteacute des Formes de maniegravere la plus approprieacutee possible pour ce qui est le plus parfait et

deacutesigner des lieux avec ses outils langagiers qui ne font pas reacutefeacuterence agrave des lieux tels que

nous les connaissons

Mais quel est le rapport avec Aristote Nous lrsquoavons dit Solmsen cherche lrsquoorigine de

certaines theacuteories aristoteacuteliciennes et il srsquoavegravere que certaines theacuteories lui ont eacuteteacute transmises agrave

lrsquoAcadeacutemie via les textes de Platon Mais comment expliquer que lrsquoon retrouve certaines

occurrences dans la philosophie aristoteacutelicienne et platonicienne alors mecircme qursquoil y a

diffeacuterentes opinions parfois opposeacutees sur un mecircme sujet chez Platon En effet srsquoil est

question dans le Phegravedre drsquoun au-delagrave du ciel ou se trouveraient les Formes dans le Timeacutee

Platon affirme qursquoil existe rien qui ne soit pas dans un lieu dans le monde Il faut donc lire les

passages suivants de la Physique44 drsquoAristote en se souvenant de celui du Phegravedre que nous

avons citeacute plus haut dans lrsquointeacuterecirct de comprendre pourquoi Aristote affirmait certaines choses

de la philosophie platonicienne plutocirct que drsquoautres

Le premier passage porte sur le lieu Aristote expose deux points de vue du lieu Dans

un premier temps Aristote affirme que le lieu est la matiegravere puisqursquoil nrsquoest pas simplement la

peacuteripheacuterie de ce qui est enveloppeacute mais aussi lrsquointervalle entre la limite qursquoil est et lrsquoobjet

dont il est le lieu Dans un second temps le lieu est lui-mecircme englobeacute car sa surface deacutelimite

le lieu occupeacute en ce sens le lieu est compris comme une matiegravere Quant au second passage il

porte sur lrsquoinfini Il distingue deux conceptions de lrsquoinfini les pythagoriciens pensent que

lrsquoinfini est propre agrave ce qui se situe hors du ciel alors que Platon affirme dans le Timeacutee qursquoil

nrsquoy a rien en dehors du ciel pas mecircme les Formes puisque celles-ci ne sont pas quelque part

Pourquoi Aristote affirmait que le lieu eacutetait ce que nous venons de deacutecrire et affirmait que

Platon refusait drsquoassocier lrsquoau-delagrave du ciel aux Formes alors mecircme que dans le Phegravedre il les

situe dans cet au-delagrave Solmsen formule trois hypothegraveses pour reacutepondre agrave ce problegraveme

44 Physique IV 2 209b11-16 et Physique III 4 203a1

61

1) Aristotle may not have read the mythical section of the laquo Phaedrus raquo Despite thereference to this section in Rhetoric III 7 1408b20 where it serves as an example ofpoetic style45

Mais cette hypothegraveses proposeacutee par Solmsen est directement critiqueacutee par lui En effet

cette theacuteorie selon laquelle Aristote nrsquoavait pas lu ce passage du Phegravedre bien qursquoelle ne soit

pas impossible est peu probable dans la mesure ougrave drsquoune part il y a une reacutefeacuterence agrave cette

œuvre dans la Rheacutetorique drsquoAristote et drsquoautre part il y a un trop gros rapprochement entre le

systegraveme rheacutetorique qursquoemploie Aristote dans son œuvre et celui qursquoemploie Platon pour parler

de ce qui est au-delagrave du ciel De plus cette theacuteorie supposerait que lrsquoon accepte qursquoAristote

avait la meacutemoire courte et qursquoil avait totalement oublieacute un passage entier du mythe du Phegravedre

2) Aristotle may have known but discounted the ὑπερουράνιος τόπος because for him asfor modern interpreters of the lsquoPhaedrusrsquo its presence in a myth ndash and in a myth whichunlike the myth of the lsquoTimaeusrsquo did not embody a cosmology ndash deprived the idea ofphilosophical significance46

Cette hypothegravese formuleacutee par Solmsen serait qursquoAristote avait lu cette œuvre mais

reacuteduit lrsquoimportance de lrsquoau-delagrave du ciel dans la mesure ougrave ce lieu apparaissait dans un mythe

Solmsen affirme que si cette hypothegravese est la vraie cela signifie qursquoAristote a volontairement

occulteacute la promesse de Platon de dire la veacuteriteacute concernant les Formes Une autre raison plus

leacutegitime serait de penser que le Timeacutee a eacuteteacute eacutecrit apregraves le Phegravedre et qursquoAristote le sachant

aurait consideacutereacute le Timeacutee comme une correction de certaines theacuteories platoniciennes passeacutees

De cette maniegravere le discours sur la localisation des Formes platoniciennes serait nul et non

avenu

3) At the time when Aristotle put down the passages in Physics III and IV he could notknow the lsquoPhaedrusrsquo because it had not yet been written or if written not yet beenpublished47

Quant agrave cette troisiegraveme hypothegravese elle repose sur la question de la date et lrsquoordre de

publication des dialogues platoniciens Le problegraveme est que nous nrsquoavons pas de sources

45 Solmsen opcit 1976 p2846 Ibid p2847 Ibid p28

62

suffisantes pour asseoir cette theacuteorie De plus dans lrsquohistoire de lrsquoeacutetude des dialogues

platoniciens le Phegravedre est celui qui a le plus de fois changeacute de place sur la liste chronologique

des dialogues platoniciens crsquoest dire agrave quel point nous nrsquoavons pas de connaissances certaines

et veacuteritables agrave ce sujet

La seconde hypothegravese selon Solmsen a plus de chance de seacuteduire les interpregravetes

classiques Mais avant de srsquoexprimer sur la question Solmsen nous renvoie au texte

drsquoAristote tireacute du De Caelo I 9 279a18-23 Solmsen affirme que en vertu des positions

philosophiques drsquoAristote il ne peut pas faire reacutefeacuterence aux Formes platoniciennes qui pour

lui nrsquoexistent pas Crsquoest pourquoi la seule possibiliteacute quant agrave la reacutefeacuterence de ce qui se trouve

lagrave-bas est pour Solmsen les diviniteacutes Il semble alors qursquoil y ait une intersection entre la

theacuteorie platonicienne eacutenonceacutee dans le Phegravedre et la theacuteorie aristoteacutelicienne du De Caelo dans la

mesure ougrave Platon affirme que les diviniteacutes passent au-delagrave de la derniegravere extreacutemiteacute pour

contempler les Formes Cela signifie qursquoil nrsquoy a pas que des Formes au-delagrave du ciel mais

eacutegalement des diviniteacutes Beaucoup drsquointerpregravetes ont eacuteteacute tenteacutes de comprendre ce texte comme

eacutetant une reacutefeacuterence aux premiers moteurs immobiles Toutefois Solmsen soutient qursquoil ne

peut srsquoagir de diviniteacutes ayant une fonction motrice dans la mesure ougrave Aristote affirme agrave la fin

de ce chapitre qursquoil nrsquoy a rien de plus fort que le corps qui a un mouvement circulaire et que

rien ne peut le deacuteplacer Les diviniteacutes nrsquoont donc pas agrave avoir une fonction motrice car le

mouvement circulaire srsquoexplique par la nature mecircme du cinquiegraveme eacuteleacutement qursquoest lrsquoeacutether

Solmsen affirme que crsquoest un passage choquant car on a le sentiment qursquoAristote est sur le

point drsquoaboutir agrave lrsquoideacutee qursquoil nrsquoy a rien en dehors du ciel en raison du fait que tout est compris

dans le ciel Il souligne que pour Platon crsquoest une theacuteorie theacuteologique alors que pour Aristote

crsquoest une theacuteorie scientifique (due agrave sa theacuteorie des corps des milieux et des mouvements)

Mais les lois physiques ne srsquoeacutetendent pas agrave ce qui est incorporel Les dieux sont au-dessus des

lois physiques et aucun argument utiliseacute dans le DC ne refuserait aux dieux une place au-

dessus du ciel Tels sont les arguments de Solmsen en faveur de la nature transcendante du

takei Mais quel est le rapport avec les 3 hypothegraveses preacutesenteacutees plus haut Elle rend

impossible et peu probable la premiegravere selon laquelle Aristote nrsquoavait pas lu cette partie du

Phegravedre et la derniegravere selon laquelle le Phegravedre nrsquoavait pas eacuteteacute eacutecrit en vertu du fait qursquoil

semble y avoir une intersection entre Aristote et Platon qui srsquoexplique par une lecture du

Phegravedre par Aristote La deuxiegraveme explication semble donc plus pertinente Aristote pouvait

consideacuterer le Timeacutee comme une base pour les hypothegraveses suggeacuterant un laquo lieu raquo pour les

formes (car tout est dans un lieu pour Platon dans le Timeacutee) mais il est possible qursquoAristote

63

ait associeacute ses diviniteacutes agrave cet au-delagrave du ciel qui nrsquoest pas un lieu Bien sucircr Aristote a revisiteacute

cette conception de lrsquoau- delagrave du ciel en supprimant les formes platoniciennes qui sont

regardeacutees par les diviniteacutes Il y a une diffeacuterence entre le laquo lieu raquo meacutetaphorique au-delagrave du ciel

de Platon et celui drsquoAristote Nous avons vu qursquoen dehors du ciel il nrsquoy avait rien et que le

τἀκεῖ nrsquoeacutetait dans aucun lieu Donc philosophiquement on peut penser a une reacutealiteacute eacuteternelle

et immateacuterielle qui se trouve au-delagrave du ciel

Le geste de Platon et Aristote nrsquoest pas le mecircme affirme Solmsen Platon dans le

mythe du Phegravedre prend les formes impassibles et inalteacuterables au-dessus du ciel pour acquises

dans la mesure ougrave lrsquoexistence de ces formes a eacuteteacute eacutetablis dans drsquoautres dialogues Il attribue

simplement la veacuteriteacute agrave ce lieu en le deacutesignant comme la laquo plaine de la veacuteriteacute raquo alors

quAristote en deacutecouvrant gracircce agrave sa theacuteorie des milieux un laquo environnement raquo qui exclut le

lieu le vide la matiegravere et le temps utilise cet environnement pour deacutefinir la nature de ses

diviniteacutes parce qursquoelles nrsquoont pas de corps pas de temps et pas de lieu elles sont

inchangeables et eacuteternelles Nous avons alors une conception du divin qui coiumlncide avec celle

de la Meacutetaphysique et de la Physique bien qursquoil ne soit pas question drsquoune diviniteacute motrice

Nous pouvons alors faire un lien pertinent entre la philosophie platonicienne et la philosophie

aristoteacutelicienne tout en les faisant cohabiter sans se contredire Le geste de Solmsen permet

alors de faire pencher la balance et drsquoajouter un argument en plus agrave la position de la reacutefeacuterence

transcendante concernant le τἀκεῖ

33 Deacutepassement des deux alternatives traditionnelles de lrsquointerpreacutetation du takei

331 Lrsquoeacutether hypercosmique de Peacutepin

Mais les deux interpreacutetation du problegraveme du takei ne font pas totalement lrsquounanimiteacute

Parmi ceux qui pensent en dehors de ce cadre nous trouvons Peacutepin qui a deacuteveloppeacute une

theacuteorie fort originale selon laquelle le takei est une reacutefeacuterence agrave lrsquoeacutether hypercosmique Il

srsquoagira alors de voir quels sont les arguments par rapport agrave ceux que nous avons vu qui

permettent de deacutefendre cette thegravese

Lrsquoarticle de Fabienne Baghdassarian48 nous propose un exposeacute inteacuteressant des

diffeacuterentes thegraveses portant sur lrsquoidentiteacute des ecirctres de lagrave-bas Parmi ces nombreuses thegraveses il y

48 Baghdassarian 2011

64

en a une qui est volontairement mise de cocircteacute et briegravevement introduite dans une note de bas de

page celle de Peacutepin

Nous ne dirons rien de lrsquohypothegravese de Peacutepin 1964 p 161-170 qui soutient que la diviniteacuteen question est lrsquoeacutether hypercosmique Peu drsquoeacuteleacutements en effet sont en faveur de cettethegravese et ce tout particuliegraverement dans le DC J Peacutepin lui-mecircme ne reconnaicirct-il pas qursquoilnrsquoest qursquoun seul texte dans ce traiteacute en faveur de son hypothegravese 49

Ce qui est fort inteacuteressant dans la thegravese de Peacutepin est son originaliteacute En effet si nous

avons vu agrave travers lrsquoarticle de Fabienne Baghdassarian jusqursquoagrave preacutesent que lrsquointerpreacutetation

du τἀκεῖ eacutetait bien souvent binaire et penchait soit en faveur de la transcendance

geacuteneacuteralement associeacutee au Premier Moteur Immobile soit en faveur de la reacutefeacuterence ceacuteleste et

plus particuliegraverement agrave la sphegravere des fixes lrsquointerpreacutetation de Peacutepin est tout autre Il ne srsquoagit

pas pour lui de deacutefendre lrsquoune ou lrsquoautre de ces ideacutees bien au contraire il en expose une toute

nouvelle apregraves avoir argumenteacute en deacutefaveur des theacuteories issues de la tradition de Simplicius

et drsquoAlexandre Selon lui le τἀκεῖ serait une reacutefeacuterence agrave lrsquoeacutether hypercosmique La question

que nous devons nous poser est la suivante comment Peacutepin en arrive agrave cette thegravese nouvelle

Dans un premier temps Peacutepin rappelle une chose importante que Fabienne

Baghdassarian rappelle eacutegalement

Certains passages du De Caelo drsquoAristote donnent agrave entendre que la diviniteacute serait au-delagrave de lrsquounivers[hellip] Il srsquoagit essentiellement de I 9 279a11-b350

A la lecture de cette premiegravere phrase nous sommes en droit de nous poser la question

que Fabienne Baghdassarian posait dans son article il existe fort peu de textes drsquoAristote au

sujet de reacutealiteacutes transcendantes agrave lrsquoordre ceacuteleste et De Caelo I 9 serait-il lrsquoun de ceux-lagrave

Peacutepin en semble convaincu dans la mesure ougrave il dit qursquoAristote affirme lrsquoexistence drsquoecirctres qui

se situent au-delagrave du mouvement de translation le plus exteacuterieur A ce propos Peacutepin ne

manque pas de citer directement le texte drsquoAristote La situation de ces ecirctres de lagrave-bas est

donc telle qursquoils eacutechappent au temps et au lieu partie A Cette absence de lieu et de temps

implique que ces ecirctres soient inalteacuterables et impassibles selon Aristote De plus de ces ecirctres

deacutependent lrsquoecirctre et la vie crsquoest ce que nous avons vu dans la partie B Finalement rien nrsquoest

49 Baghdassarian 2011 p 20150 Peacutepin Theacuteologie cosmique et Theacuteologie chreacutetienne1964 p161

65

plus parfait que ces ecirctres donc rien ne peut les mouvoir Peacutepin affirme alors qursquoils ont un

mouvement de translation par eux-mecircmes et non par une chose exteacuterieure Peacutepin ne semble

pas faire grand cas du problegraveme de la continuiteacute de lrsquoobjet du texte dans la mesure ougrave il

applique ce qui semblait ecirctre un eacuteloge du corps qui se meut de maniegravere circulaire au τἀκεῖ

Pouvons-nous mettre en cause ce premier geste de lrsquointerpregravete dans la mesure ougrave Aristote

affirme qursquoil nrsquoy a laquo aucun changement pour les ecirctres qui sont disposeacutes au-dessus de la

translation la plus exteacuterieure raquo Quoiqursquoil en soit la perfection qursquoAristote accorde agrave ces

ecirctres semble sans preacuteceacutedent et autorise donc Peacutepin agrave voir en la figure du τἀκεῖ une diviniteacute Il

affirme que les proprieacuteteacutes ndash impassible autarcique immuable ndash qui servent agrave le deacutecrire sont

les mecircmes que celles utiliseacutees pour deacutecrire le divin dans la Meacutetaphysique Λ51 et qursquoen plus de

cela Aristote utilise souvent le terme theios52 pour deacutesigner le τἀκεῖ Montrer que le τἀκεῖ est

drsquoordre divin permettra agrave Peacutepin de deacutefendre sa theacuteorie de lrsquoeacutether hypercosmique mais nous y

reviendrons plus tard

Avant drsquoexposer sa theacuteorie Peacutepin srsquoattaque directement aux deux grandes

interpreacutetations qui dominent celle de Simplicius (suivie par les interpregravetes modernes que

nous avons vus) et celle drsquoAlexandre (qui est eacutegalement deacutefendue par drsquoautres interpregravetes vus

preacuteceacutedemment)

Il note un lien entre la description qursquoen fait Aristote dans le De Caelo I 9 lorsqursquoil

affirme qursquoils sont immuables impassibles et qursquoils jouissent de la plus autarcique des vies

pour toute sa dureacutee et la Meacutetaphysique Λ lorsqursquoil deacutecrit en ces termes le Premier Moteur

Immobile Simplicius voyait dans le τἀκεῖ une reacutefeacuterence au Premier Moteur Immobile agrave tel

point qursquoil a modifieacute le texte original comme le disait Moraux pour faire correspondre la

theacuteorie du Premier Moteur Immobile au τἀκεῖ En effet Simplicius remplace κινεῖται par κινεῖ

dans lrsquointeacuterecirct de donner une fonction motrice au τἀκεῖ comme le Premier Moteur Immobile a

une fonction motrice puisqursquoelle est ce qui met le Premier Ciel en mouvement Fabienne

Baghdassarian tout comme Moraux nrsquoacceptent pas cette modification Moraux affirme

qursquoelle nrsquoest pas envisageable dans la mesure ougrave le texte original ne fait pas mention drsquoune

fonction motrice du τἀκεῖ Quant agrave Fabienne Baghdassarian remarque en se tournant vers la

traduction que si lrsquoon accepte la correction de Simplicius le texte drsquoAristote signifierait que

le τἀκεῖ met en mouvement le Premier Ciel en vertu du fait que lrsquoeacutether se deacuteplace de maniegravere

circulaire ce qui nrsquoest pas coheacuterent avec lrsquoensemble du texte selon elle puisque lrsquoexplication

51 Meacutetaphysique Λ 652 Ibid

66

du mouvement circulaire ducirc agrave la nature de lrsquoeacutether nrsquoa rien agrave voir avec la puissance motrice du

Premier Moteur De nombreux arguments permettent donc de deacutecreacutedibiliser la correction de

Simplicius et ruinent lrsquoideacutee drsquoune reacutefeacuterence au Premier Moteur Immobile du fait de lrsquoabsence

explicite de fonction motrice du τἀκεῖ

Apregraves avoir critiqueacute la theacuteorie de Simplicius Peacutepin srsquoattaque agrave celle drsquoAlexandre

drsquoAphrodise Ce dernier deacutefendait lrsquoideacutee selon laquelle le τἀκεῖ eacutetait une reacutefeacuterence agrave la sphegravere

des fixes En effet il semblerait que la sphegravere des fixes respecte le fait de nrsquoecirctre dans aucun

lieu et aucun temps car rien ne lrsquoenveloppe En effet il nrsquoy a de temps et de lieu que pour ce

qui est enveloppeacute par un corps Alexandre se reacutefegravere alors agrave la Physique IV 553 dans lequel

Aristote affirme que la sphegravere des fixes puisqursquoelle nrsquoest dans aucun lieu est transcendante

au lieu et constitue le lieu du corps dans la continuiteacute de la sphegravere des fixes et dans lequel se

trouvent certaines planegravetes ainsi que le Soleil et la Lune (consideacutereacute comme des planegravetes car

ayant un mouvement irreacutegulier) Alexandre identifie donc le τἀκεῖ comme quelque chose se

trouvant au-dessus drsquoun mouvement crsquoest pourquoi il pense agrave la sphegravere des fixes elle nrsquoest

pas dans un lieu pas dans le temps et elle se trouve au dessus du mouvement rectiligne le plus

haut Cependant Peacutepin ne considegravere pas cette theacuteorie comme acceptable dans la mesure ougrave

Aristote affirme que le τἀκεῖ se situe au-dessus du mouvement de translation le plus exteacuterieur

Le mouvement de translation est le mouvement circulaire et le plus haut et exteacuterieur des

mouvements circulaires est celui de la sphegravere des fixes Le texte mecircme permet alors de

combattre la theacuteorie drsquoAlexandre car le τἀκεῖ se trouve au dessus de la sphegravere des fixes et si

la sphegravere des fixes eacutetait effectivement le τἀκεῖ comment pourrait-elle ecirctre au dessus drsquoelle-

mecircme Cette remarque de Simplicius est reprise par Peacutepin

Il srsquoavegravere que Peacutepin ne croit ni en lrsquohypothegravese de la reacutefeacuterence au Premier Moteur

Immobile ni en celle drsquoune reacutefeacuterence agrave la sphegravere des fixes Crsquoest pourquoi il se tourne vers les

teacutemoignages de doxographies de lrsquoAntiquiteacute et plus preacuteciseacutement celle de Arius Didyme dans

laquelle est attribueacutee agrave Aristote la theacuteorie drsquoun dieu supeacuterieur agrave lrsquoensemble des sphegraveres

ceacutelestes qursquoil enveloppe et tient ensemble un dieu immuable impassible bienheureux et qui

communique son mouvement circulaire agrave lrsquoensemble de lrsquounivers Cette description fait

directement eacutecho au De Caelo I 3 et agrave la conception de lrsquoeacutether Peacutepin pose alors la question

de savoir si la reacutefeacuterence agrave lrsquoeacutether est plus satisfaisante que la reacutefeacuterence agrave la sphegravere des fixes ou

au Premier Moteur Immobile De plus lrsquoeacutether est-il susceptible drsquoeacuteviter les objections

53 Physique IV 5 212b8-20

67

auxquelles se heurte la sphegravere des fixes A savoir que la sphegravere des fixes ne peut pas ecirctre en

dehors de la sphegravere des fixes puisque le τἀκεῖ est dit se situer au dessus du mouvement de

translation le plus exteacuterieur En drsquoautres termes lrsquoeacutether peut-il ecirctre au dessus du mouvement

circulaire de la sphegravere des fixes Peacutepin concegravede lrsquoideacutee que lrsquoeacutether bien qursquoil entre aussi en la

composition des astres concerne en prioriteacute la constitution de la sphegravere des fixes Toutefois

Peacutepin objecte agrave sa propre thegravese que bien que cela soit affirmeacute dans le De Caelo I 3 dans le

passage du De Caelo qui nous inteacuteresse Aristote ne donne aucune autre information agrave ce

sujet

Pour eacutetayer son hypothegravese Peacutepin srsquoappuie sur la Reacutefutation de toutes les heacutereacutesies dans

lequel Hippolyte affirme que lrsquounivers aristoteacutelicien peut se deacutecomposer en trois parties

Le monde selon Aristote est diviseacute en un grand nombre de parties diffeacuterentes Cettepartie-ci du monde qui srsquoeacutetend depuis la terre jusqursquoagrave la lune est sans providence sansdirection et nrsquoobeacuteit qursquoagrave sa propre nature Dans celle qui est apregraves la lune jusqursquoagrave lasurface du ciel regravegnent lrsquoordre la providence et une sage direction Quant agrave cette surface(du ciel) elle est une cinquiegraveme substance eacutetrangegravere agrave tous les eacuteleacutements physiques dontle monde est composeacute et cette cinquiegraveme substance drsquoapregraves Aristote est une sorte desubstance supeacuterieure au monde54

La premiegravere est la partie sublunaire la seconde la partie supralunaire et la troisiegraveme la partie

qui est la surface du ciel eacutetranger agrave tous les eacuteleacutements du monde car constitueacutee par le

cinquiegraveme eacuteleacutement lrsquoeacutether Peacutepin critique les arguments de la theacuteorie drsquoHippolyte en

affirmant qursquoAristote nrsquoa pas retireacute lrsquoeacutether mecircme srsquoil a dit que lrsquoeacutether concernait

principalement la sphegravere des fixes de la constitution du ciel et des astres Il retient toutefois

une notion introduite par Hippolyte pour expliquer la preacutesence du cinquiegraveme eacuteleacutement au-delagrave

de la sphegravere des fixes la notion de ἐπιφάνεɩɑ τοῦ οὐρɑνοῦ Cette notion est employeacutee dans la

philosophie stoiumlcienne pour deacutesigner la surface de la sphegravere unique qursquoenveloppe le ciel et sur

laquelle sont poseacutes les astres De cette maniegravere la surface dont il est question ici est la sphegravere

des fixes aristoteacutelicienne Mais Hippolyte ne se contente pas drsquoidentifier la sphegravere des fixes agrave

cette notion il lrsquointroduit dans le but de deacutecrire la sphegravere des fixes comme un corps eacutepais dont

la surface inteacuterieur est dans le ciel et la surface exteacuterieure constitueacutee drsquoeacutether se trouve hors

du ciel En ce sens nous comprenons comment lrsquoeacutether peut se trouver au-delagrave de la sphegravere des

fixes tout en la constituant Ce qui regravegle la question que Peacutepin posait ci-dessus agrave savoir est-

54 Hippolyte 1928 p102 Traduction par A Siouville

68

ce que le τἀκεῖ identifieacute comme eacutetant lrsquoeacutether eacutevite les objections formuleacutees agrave la sphegravere des

fixes

De plus la doxographie drsquoArius Didyme et celle drsquoHippolyte ne sont pas les seules agrave

preacutesenter un eacutether hypercosmique dans la philosophie aristoteacutelicienne En effet Sextus

Empiricus ainsi que le teacutemoignage anonyme de la Vita Aristotelis rendent compte de la mecircme

ideacutee mais par des arguments diffeacuterents Sextus Empiricus preacutesente Aristote comme ayant une

theacuteologie mateacuterialiste crsquoest-agrave-dire qursquoil comprend que la diviniteacute ne peut pas se trouver hors

du ciel puisqursquoil nrsquoy a rien hors du ciel par conseacutequent elle doit se trouver agrave lrsquointeacuterieur de

celui-ci ce qui nous permet de penser raisonnablement que le τἀκεῖ ne fait pas reacutefeacuterence au

Premier Moteur Immobile mais bien agrave lrsquoeacutether se situant sur la surface exteacuterieure de la sphegravere

des fixes ainsi deacutesigneacute comme hypercosmique

La situation est donc la suivante plusieurs doxographies srsquoaccordent agrave rapporter agraveAristote une theacuteorie de la diviniteacute de lrsquoeacutether hypercosmique mais le seul textearistoteacutelicien apte agrave fonder ces teacutemoignages (qui en retour contribuent agrave lrsquoeacuteclairer)apparaicirct dans le De Caelo crsquoest-agrave-dire dans un traiteacute qui passe a bon droit pour veacutehiculercertaines doctrines anteacuterieures issues des eacutecrits de jeunesse55

Par conseacutequent la deacutemarche de Peacutepin est la suivante il note qursquoil existe une

litteacuterature doxographique dans laquelle il est plusieurs fois fait mention de la theacuteorie drsquoun

eacutether hypercosmique En mecircme temps les textes dans lesquels Aristote en parlait ne sont pas

en notre possession et le seul document qui semble pouvoir manifester de la veacuteraciteacute de ces

reacutefeacuterences est le De Caelo I 9 crsquoest-agrave-dire un eacutecrit connu pour avoir eacuteteacute eacutecrit relativement tocirct

par Aristote Il comprend alors le passage du De Caelo qui nous inteacuteresse au regard de ces

doxographies mais eacutegalement au regard du fragment 26 du De Philosophia qui serait

lrsquoorigine de la formulation premiegravere de la theacuteorie de lrsquoeacutether hypercosmique ou du takei

En effet parfois il attribue tout le divin agrave lrsquoesprit parfois il dit que le monde lui-mecircme estun dieu parfois il soumet le monde et ses parties agrave un autre ltdieugt chargeacute de reacutegler et depreacuteserver le mouvement du monde par un mouvement reacutetrograde puis il dit que lrsquoardeurdu ciel est un dieu ne comprenant pas que le ciel est une partie du monde qursquoailleurs il adeacutesigneacute comme un dieu Mais comment la fameuse perception divine dont est doueacute le cielpourrait-elle se conserver dans un mouvement aussi rapide Et ougrave sont les dieux bienconnus si nous comptons aussi le ciel au nombre des dieux Et quand il veut qursquoun dieunrsquoait pas de corps il le prive de toute perception sensible et mecircme de prudence Et

55 Peacutepin opcit 1964 p169

69

comment le monde pourrait-il se mouvoir alors qursquoil est priveacute de corps et comment srsquoil semeut sans cesse peut-il ecirctre calme et heureux 56

En ce sens selon Peacutepin Jaeger57 avait raison drsquoaffirmer que ce passage du De Caelo

eacutetait une reprise du De Philosophia dans la mesure ougrave le De Caelo compris comme un des

traiteacutes les plus anciens qui soit conserveacute srsquoinspire des theacuteories drsquoeacutecrits non publieacutes ou perdus

tels que le De Philosophia En effet il est question de diviniteacutes qui comme les takei sont

immaterielles De plus il eacutenonce les preacutemisses du mouvement circulaire des ecirctres divins qui

par suite sera le mouvement causeacute par lrsquoeacuteleacutement qui constitue ces ecirctres divins lrsquoeacutether

Lrsquoeacutetude du propos de Peacutepin nous a alors permis de deacuteconstruire les traditionnelles

alternatives de lrsquointerpreacutetation du τἀκεῖ qui penche soit en faveur du Premier Moteur soit en

faveur de la sphegravere des fixes Peacutepin propose une alternative qui bien qursquoelle ne soit pas

souvent accepteacutee a le meacuterite drsquoaffronter les difficulteacutes que pose la lecture de ce texte tout en

respectant le contenu textuel de celui-ci

3 3 2 La theacuteorie des Moteurs Immobiles une variante originale de la reacutefeacuterence au Premier Moteur Immobile

Merlan propose une theacuteorie de lrsquointerpreacutetation du τἀκεῖ qui fait exception agrave la logique

de lrsquointerpreacutetation binaire du τἀκεῖ eacutegalement En effet Merlan ne pense pas qursquoil srsquoagit lagrave

drsquoune reacutefeacuterence agrave la sphegravere des fixes ou au Premier Moteur Sa thegravese est que le τἀκεῖ est une

reacutefeacuterence aux moteurs immobiles Dumoulin avait formuleacute lrsquohypothegravese selon laquelle le

τἀκεῖ du fait qursquoil nrsquoavait pas de fonction motrice aveacutereacutee ne renvoyait pas neacutecessairement au

Premier Moteur Immobile Neacuteanmoins bien que Merlan ne srsquointeacuteresse pas agrave la question de

savoir si le τἀκεῖ a une fonction motrice ou pas il lie les τἀκεῖ au Premier Moteur Immobile

en vertu des qualiteacutes qui leur sont attribueacutees Les τἀκεῖ sont dit dans le DC I 9 parfaitement

immobiles crsquoest-agrave-dire immuables inalteacuterables incorruptibles jouissant du plus grand des

biens parfaitement autonomes et divins Les caracteacuteristiques du τἀκεῖ sont celles que lrsquoon

retrouve pour qualifier le Premier Moteur Immobile dans la Meacutetaphysique Λ Fabienne

Baghdassarian souligne comme nous lrsquoavons vu que notre connaissance drsquoAristote nous

pousse agrave voir la theacuteorie du Premier Moteur un peu partout dans les textes drsquoAristote Il semble

56 Aristote Œuvres complegravetes 2014 p 2846-284757 Jaeger Aristote fondements pour une histoire de son eacutevolution1997 p311

70

alors que cette interpreacutetation de la part du Dumoulin soit quelque peu hacirctive en plongeant

dans lrsquoune des alternatives traditionnelles de lrsquointerpreacutetation du τἀκεῖ

Merlan quant agrave lui a bien conscience que le τἀκεῖ ne fait pas reacutefeacuterence agrave la sphegravere

des fixes ou agrave un corps ceacuteleste

It is true not all interpreters agree that with takei Aristotle designates divinities differentfrom the celestial bodies But (a) how could celestial bodies be ever described as ouk entopo (b) How could celestial bodies be described as above the uttermost locomotion (c)The parallels between the descriptions of the Unmoved Mover in Metaphysics Λ and thetakei in On the Heavens strongly suggest that the same entities are meant in bothpassages58

Il note que tous les interpregravetes ne sont pas drsquoaccord avec lrsquoideacutee que Aristote par

lrsquoutilisation de la notion de τἀκεῖ deacutesigne autre chose que les corps ceacutelestes Il pose alors

deux problegravemes agrave la theacuteorie drsquoune reacutefeacuterence ceacuteleste dans le but de la remettre en question

comment les corps ceacutelestes pourraient ecirctre deacutecrits comme eacutetant en dehors drsquoun lieu Et

comment les corps ceacutelestes peuvent ecirctre deacutecrits comme se trouvant au dessus du mouvement

le plus haut En effet lrsquoeacuteleacutement de lrsquoeacutether qui constitue le premier et second ciel crsquoest-agrave-dire

la sphegravere des fixes et le corps qui est dans la continuiteacute de la sphegravere des fixes forment un lieu

pour les corps ceacutelestes En drsquoautres termes les corps ceacutelestes se trouvent dans le ciel et la

derniegravere limite du ciel est la sphegravere des fixes donc aucun drsquoeux ne se trouve au-dessus de la

sphegravere des fixes Cet argument est eacutenonceacute par Cherniss59 et repris par Merlan Mais pourquoi

en est-on venu a penser malgreacute le contenu du De Caelo I 9 partie A que le τἀκεῖ eacutetait une

reacutefeacuterence agrave des ecirctres ceacutelestes Merlan signale comme nous lrsquoavons vu que de nombreux

interpregravetes comprennent cette notion comme eacutetant une reacutefeacuterence aux corps ceacutelestes en raison

de la maniegravere dont est deacutecrit le Moteur Immobile dans la Meacutetaphysique Λ et dans le ciel dans

De Caelo I 9 En effet le ciel est dit immuable inengendreacute inalteacuterable eacuteternel tout comme

est caracteacuteriseacute le Moteur Immobile

Mais Merlan note le pluriel de lrsquoexpression τἀκεῖ dans De Caelo I 9 et pour deacutesigner

les moteurs immobiles (ou ce qursquoil appelle les substances eacuteternelles sans matiegraveres) dans

Meacutetaphysique Λ 660 Crsquoest pourquoi plutocirct que de favoriser lrsquohypothegravese de la reacutefeacuterence

ceacuteleste du τἀκεῖ Merlan favorise celle drsquoune reacutefeacuterence aux moteurs immobiles En ce sens il

58 Merlan 1996 p1359 Cherniss 1944 p58760 Aristote Meacutetaphysique Λ 6 1071b20-23

71

se diffeacuterencie de la tradition habituelle qui voit dans le τἀκεῖ une reacutefeacuterence au Premier

Moteur Merlan nrsquoest donc ni en faveur de la position de drsquoAlexandre ni en faveur de celle de

Simplicius bien que celle-ci semble ecirctre plus proche de la sienne Il srsquoagit alors pour Merlan

dans le but de prouver que le τἀκεῖ correspond aux moteurs immobiles de prouver que la

theacuteologie drsquoAristote est polytheacuteiste et non monotheacuteiste Fabienne Baghdassarian dans son

article ne manque pas de noter que le Premier Moteur Immobile en tant qursquoil est une

substance unique en son genre ne coiumlncide pas vraiment avec le pluriel du τἀκεῖ du De Caelo

I 9 Merlan a bien conscience que le Premier Moteur Immobile en tant qursquoecirctre unique ne

peut pas rendre compte de lrsquoutilisation du pluriel pour deacutesigner ce qui se trouve au-delagrave de la

translation la plus exteacuterieure Crsquoest pourquoi il lui faut montrer que la theacuteologie

aristoteacutelicienne au grand dam des scolastiques est un polytheacuteisme et non un monotheacuteisme

Il se reacutefegravere agrave Meacutetaphysique Λ drsquoAristote et plus preacuteciseacutement au chapitre 6 dans lequel

Aristote affirme la chose suivante dans le but de montrer les raisons pour lesquelles les

scolastiques ont consideacutereacute la theacuteologie aristoteacutelicienne comme monotheacuteiste

In ch6 of Lambda Aristotle reminds us that there are three entities (or kinds of entities orrealities or substances or kinds of substance) Two of them are subject to change - therealm of perishable physical entities and the realm of imperishable physical entities iecelestial bodies But there must exist a realm of being (an entity a substance a reality)which is both imperishable and changeless How Aristotle proves this necessity doesntneed to detain us here - he in any case is satisfied that he did prove it However it isrelevant to stress that he quite particularly denies that the soul as conceived by Plato as aself-changer could be assumed to be the realm of being the existence of which he hasproved61

A la lecture du chapitre 6 ainsi que du chapitre 7 de Meacutetaphysique Λ Merlan nrsquoest pas

eacutetonneacute que les scolastiques voient Aristote comme un monotheacuteiste Il reacutesume alors briegravevement

le chapitre 7 il existe une substance eacuteternelle et immuable selon Aristote ce qui vient

appuyer lrsquoideacutee drsquoune theacuteologie monotheacuteiste Toutefois Merlan souligne que si agrave la lecture des

chapitre 6 et 7 cela semble eacutevident en reacutealiteacute crsquoest un veacuteritable problegraveme auquel les lecteurs

de la Meacutetaphysique ont affaire En effet le deacutebut du chapitre 8 de Λ pose une question de

clarteacute existe t-il une seule substance de ce type ou plusieurs Si plusieurs combien y en a-t-

il Aristote rappelle alors que le Premier Moteur Immobile qui est eacuteternel et sans

changement est le moteur drsquoun seul mouvement celui de la sphegravere des fixes ou du premier

61 Merlan opcit 1966 p3-4

72

ciel Le Premier Moteur Immobile nrsquoexplique donc pas le mouvement de tout ce qui est mucirc en

cercle drsquoun mouvement incessant notamment le mouvement circulaire des planegravetes dans la

mesure ougrave ce nrsquoest pas lui qui est agrave lrsquoorigine de leurs mouvements Aristote en conclut qursquoil

faut que chaque astre ait son moteur immobile Il se reacutefegravere alors aux theacuteories des astronomes

tel que Calippe et Eudoxe et arrive agrave la conclusion qursquoil existe cinquante-cinq sphegraveres qui

mettent en mouvement les astres Il reacutepond donc successivement aux questions suivantes y-

a-t-il une seule substance immuable et eacuteternelle ou plusieurs Et combien Merlan deacutefend la

thegravese qursquoil existe un moteur immobile pour chaque sphegravere il existerait alors cinquante-cinq

moteurs immobiles

Il semble alors qursquoAristote passe drsquoun monotheacuteisme agrave un polytheacuteisme En effet les

sphegraveres sont les moteurs du mouvement des astres elles sont donc parce qursquoelles mettent en

mouvement quelque chose de divin drsquoune nature divine agrave un plus haut degreacute Le problegraveme du

polytheacuteisme nrsquoest pas directement notre propos mais permet agrave Merlan de justifier la reacutefeacuterence

du τἀκεῖ au Moteur Immobile et non au Premier Moteur Immobile Toutefois la lecture de

Meacutetaphysique Λ 8 bien qursquoau deacutepart elle nous pousse dans la direction drsquoun polytheacuteisme

peut servir de contre-argument aux scolastiques pour prouver la supreacutematie du monotheacuteisme

En effet Aristote affirme apregraves avoir eacutevoqueacute lrsquoexistence de cinquante-cinq Moteurs

Immobiles qursquoil nrsquoy a qursquoun seul univers Supposons qursquoil y en ait plusieurs comme il y a

plusieurs individus Si tel eacutetait le cas alors chaque monde aurait un principe et chacun de ces

principes seraient de la mecircme espegravece bien que numeacuteriquement plusieurs Mais deux choses de

la mecircme espegravece ne peuvent se diffeacuterencier que par la matiegravere or le moteur immobile nrsquoa pas

de matiegravere il ne peut donc pas y en avoir plusieurs Aristote semble alors tour agrave tour changer

drsquoavis Il finit Meacutetaphysique Λ 8 par une reacutefeacuterence agrave la religion polytheacuteiste de son eacutepoque en

la critiquant sur sa dimension anthropomorphiste mais non pas sur sa theacuteorie de la pluraliteacute

des dieux

Meacutetaphysique Λ 8 semble constitueacute selon Merlan de trois sections La premiegravere et la

derniegravere deacutefendent une theacuteologie polytheacuteiste alors que la seconde deacutefend une theacuteologie

monotheacuteiste Il justifie ce changement de position par une mauvaise compreacutehension de la

seconde section En effet Aristote a montreacute qursquoil y avait cinquante-cinq moteurs immobiles

Il cherche donc a deacutefendre la theacuteorie des cinquante-cinq moteurs en prouvant qursquoil nrsquoy a

qursquoun seul monde il ne fait pas ccedila pour prouver qursquoil est impossible qursquoil y ait plus drsquoun

moteur A ce titre chaque moteur est diffeacuterent dans la mesure ougrave aucun nrsquoa de matiegravere ce qui

signifie qursquoil ne peut pas y avoir plusieurs moteurs drsquoune mecircme espegravece En outre il nrsquoexiste

73

effectivement qursquoun seul Premier Moteur Immobile mais cela nrsquoimplique pas qursquoil nrsquoexiste

pas un Second un Troisiegraveme un Quatriegravemehellip etc Moteur Immobile En drsquoautres termes il

nrsquoest pas impossible qursquoil y ait cinquante-cinq moteurs par contre il est impossible qursquoil y ait

cinquante-cinq premiers moteurs (ni mecircme deux) car ils nrsquoont pas de matiegravere donc ne

peuvent pas ecirctre un en espegravece et numeacuteriquement plusieurs Ce passage cherche donc agrave eacutetablir

lrsquouniciteacute du monde et non pas celle du dieu

Toutefois comme le dit Merlan cette justification de la continuiteacute de lrsquoopinion

drsquoAristote nrsquoest pas la seule Jaeger62 en formule une autre tregraves brillante Aristote apregraves la

mort de Platon aurait deacuteveloppeacute lrsquoideacutee drsquoun Moteur Immobile comme cause de tous les

mouvements de lrsquounivers et de cette ideacutee sont neacutes les chapitre 6 et 7 de la Meacutetaphysique Λ et

qui deacutefendent une theacuteologie monotheacuteiste Puis devenant familier avec les theacuteories drsquoEudoxe

et Calippe qui expliquent le mouvement des planegravetes par plusieurs moteurs diffeacuterents Aristote

deacutecide de modifier sa theacuteorie et ajoute agrave lrsquounique Moteur Immobile un nombre suffisant

drsquoautres Moteurs Immobiles Il reacutedige alors la section une et trois de Meacutetaphysique Λ 8 Mais

plus tard il apparaicirct des difficulteacutes au sujet de la theacuteorie de la pluraliteacute des moteurs comment

un ordre peut exister dans un monde ougrave il existe autant de moteurs immobiles Il eacutecrit alors la

section deux de Meacutetaphysique Λ 8 Apregraves la mort drsquoAristote les peacuteripateacuteticiens ont assembleacute

les eacutecrits drsquoAristote sous la forme de la Meacutetaphysique que nous connaissons Les eacutediteurs sont

alors responsables de la raison pour laquelle Aristote semble tantocirct ecirctre polytheacuteiste tantocirct

monotheacuteiste et ainsi de suite En inseacuterant le chapitre 8 entre le 7 et le 9 ils ont coupeacute

lrsquoargumentation car Jaeger propose de le retirer dans lrsquoideacutee que le chapitre 7 et 9 se suivent et

que le chapitre 8 est un tout coheacuterent avec lui-mecircme et non avec ce qui preacutecegravede et ce qui suit

Le passage du De Caelo I 9 est alors introduit dans ce deacutebat de la theacuteologie

aristoteacutelicienne polytheacuteiste ou monotheacuteiste dans le but de montrer lrsquoattitude qursquoAristote a

envers le polytheacuteisme Il suffit degraves lors de repenser la lecture du De Caelo I 9 au vu de ce que

Merlan affirmait plus haut lrsquoutilisation du pluriel montre qursquoAristote soutient lrsquoideacutee drsquoune

pluraliteacute de diviniteacutes puisque crsquoest au pluriel qursquoil fait reacutefeacuterence agrave des ecirctres se situant au-delagrave

du ciel

Puisqursquoil nrsquoeacutetait pas possible selon Merlan que le τἀκεῖ soit une reacutefeacuterence aux corps

ceacutelestes ou agrave la sphegravere des fixes et que le Premier Moteur Immobile du fait de son uniciteacute ne

respecte pas les indices textuels du De Caelo I 9 Merlan srsquoestime en droit de proposer une

interpreacutetation qui diverge des plus connues il est tout agrave fait envisageable qursquoAristote soit

polytheacuteiste et que par deacutefinition il deacutefende lrsquoideacutee drsquoune pluraliteacute de diviniteacutes De plus les

62 Jaeger 1924

74

τἀκεῖ sont qualifieacutes comme lrsquoest le Premier Moteur Immobile de sorte que lrsquoon peut eacutetablir

leur caractegravere divin sur la base de celui du Premier Moteur Outre cet argument si les corps

ceacutelestes sont deacutejagrave des ecirctres divins alors a fortiori ce qui les met en mouvement est encore

plus divin Nous pouvons alors identifier le τἀκεῖ comme eacutetant une reacutefeacuterence aux moteurs

immobiles divins et multiples

75

CONCLUSION

Nous avons tenteacute tout au long de ce meacutemoire de montrer qursquoil existait un problegraveme

drsquointerpreacutetation du De Caelo I 9 En effet ce passage tregraves obscur et tregraves riche fait appel agrave

une notion particuliegravere qui est celle du takei Cette notion semble faire reacutefeacuterence agrave une reacutealiteacute

qui se trouverait au-delagrave de la sphegravere des fixes la question que se pose Fabienne

Baghdassarian est donc de savoir si ce texte fait parti de ceux qui attestent de lrsquoexistence de

reacutealiteacutes de ce type Mais la lecture de lrsquoarticle de Fabienne Baghdassarian manifeste de

nombreux arguments qui sont soit en faveur de lrsquoideacutee que ce passage renvoie agrave des reacutealiteacutes

hypercosmiques soit en faveur de lrsquoideacutee drsquoune reacutefeacuterence ceacuteleste Ces arguments viennent

alors atteacutenuer lrsquoimpression premiegravere drsquoun texte portant sur des reacutealiteacutes qui se situeraient au-

dessus du ciel

Il srsquoagissait alors dans ce meacutemoire de montrer quels eacutetaient les arguments en faveur

de telle ou telle ideacutee et la maniegravere dont ils interagissaient entre eux afin de faire lrsquoeacutetat des

lieux drsquoun problegraveme existant depuis lrsquoAntiquiteacute et sur lequel malgreacute la preacutesence de theacuteorie

convaincante personne nrsquoarrive agrave srsquoentendre

Notre ligne directrice pour reacutepondre agrave ce problegraveme a eacuteteacute lrsquoeacutetude du De Caelo de

maniegravere geacuteneacuterale et du De Caelo I 9 de maniegravere plus preacutecise ainsi que la lecture de lrsquoarticle

de Fabienne Baghdassarian sur lrsquoidentiteacute des ecirctres de laquo lagrave-bas raquo A cela se sont ajouteacutes les

commentaires et interpreacutetations antiques puis modernes du problegraveme qui nous inteacuteressait

Comment en sommes-nous arriveacutes agrave nous poser la question de lrsquoidentiteacute du takei

Premiegraverement nous avons introduit les concepts aristoteacuteliciens ainsi que la conception du

cosmos aristoteacutelicienne Nous avons alors deacutefini quels eacutetaient les trois sens du mot ciel Selon

Aristote le ciel se dit de trois maniegraveres pour deacutesigner la substance qui se trouve sur la

circonfeacuterence la plus eacuteloigneacutee du centre Crsquoest eacutegalement le lieu du divin dans la mesure ougrave

son lieu est le plus haut Dans un second sens le ciel est la substance qui est dans la continuiteacute

de la limite la plus eacuteloigneacutee du ciel Enfin dans un troisiegraveme sens le ciel est compris comme

la totaliteacute ou le Tout enveloppeacute par la derniegravere circonfeacuterence De plus Aristote distingue deux

reacutegions dans sa conception du cosmos la reacutegion sublunaire qui se situe sous la Lune et qui

est soumis agrave la geacuteneacuteration et agrave la corruption et la reacutegion supralunaire qui se situe au-dessus

de la Lune et qui nrsquoest pas soumis agrave la geacuteneacuteration et agrave la corruption La distinction de ces deux

reacutegions du ciel permet lrsquoexplication des mouvements des corps dans chacune des reacutegions du

monde En effet dans le monde sublunaire les corps se meuvent de maniegravere rectiligne du

haut vers le bas ou du bas vers le haut en fonction de leur nature Les eacuteleacutements qui srsquoy

76

trouvent et qui composent les corps sont au nombre de quatre En revanche dans le monde

supralunaire il nrsquoexiste qursquoun seul eacuteleacutement qui constitue le ciel et ses parties Cet eacuteleacutement est

lrsquoeacutether et a un mouvement circulaire et eacuteternel du fait de sa nature Lrsquoeacutetude du mouvement

permet alors agrave Aristote de comprendre les raisons de la geacuteneacuteration et de la corruption la

corruption se produit dans les contraires ce qui signifie qursquoun corps se corrompt si et

seulement srsquoil possegravede un contraire Mais il nrsquoy a que les eacuteleacutements du monde sublunaire qui

ont un contraire selon Aristote crsquoest pourquoi lrsquoeacutether et les corps qursquoil constitue sont eacuteternels

et se meuvent drsquoun mouvement incessant

Le ciel en son troisiegraveme sens est compris comme ce qui enveloppe la totaliteacute Cela

signifie que tous les eacuteleacutements que nous avons eacutevoqueacute se trouvent dans le ciel Aristote tente

alors de prouver qursquoil nrsquoexiste qursquoun seul ciel en deacutefendant la position platonicienne du

Timeacutee En effet Platon dans le Timeacutee affirme que le monde est constitueacute de lrsquoensemble des

eacuteleacutements de sorte qursquoil ne puisse rien y avoir au-delagrave de celui-ci Aristote deacutefend la mecircme

theacuteorie en affirmant que le ciel est constitueacute de toute la matiegravere de telle sorte que rien drsquoautre

ne pourrait venir agrave ecirctre en dehors du ciel Il conclut alors il nrsquoexiste ni lieu ni vide ni temps

en dehors du ciel dans la mesure ougrave ce sont des proprieacuteteacutes des corps mateacuteriels

La question du takei srsquoest donc poseacutee dans le contexte de la preuve de lrsquouniciteacute du ciel

et de la non-existence drsquoun quelconque corps mateacuteriels en dehors de celui-ci Nous avons

alors analyseacute la fin du De Caelo I 9 Bien qursquoAristote affirme qursquoil nrsquoy a rien en dehors du

ciel il qualifie ce qui se trouve au-delagrave du ciel comme nrsquoeacutetant ni corporel ni dans un lieu et

eacutetant eacuteternel Finalement Aristote se reacutefegravere agrave des eacutecrits portant sur les ecirctres divins (theion) Le

problegraveme que nous avons donc rencontreacute eacutetait aussi celui de la correspondance entre la notion

de takei et celle de theion

Nous nous sommes alors inteacuteresseacutes aux positions de Simplicius et drsquoAlexandre

drsquoAphrodise Ces deux interpreacutetes antiques sont les ancecirctres des deux interpreacutetations que nous

avons suivre tout au long de notre propos Simplicius est le chef de file de ceux qui affirment

que le takei fait reacutefeacuterence au Premier Moteur Immobile crsquoest-agrave-dire agrave quelque chose qui se

trouve au-delagrave du ciel Quant agrave Alexandre il est le chef de file de ceux qui affirment que le

takei fait reacutefeacuterence agrave la sphegravere des fixes donc agrave quelque chose qui se trouve dans le ciel Ces

interpreacutetations sont les deux alternatives principales et traditionnelles du problegraveme du takei

Elles sont comme nous venons de le dire suivies par une longue tradition agrave laquelle les

interpregravetes modernes pour la plupart participent Donc apregraves avoir vu les interpreacutetations

possibles durant lrsquoAntiquiteacute nous nous sommes inteacuteresseacutes aux interpreacutetations modernes

77

Puisque lrsquoenjeu de notre propos eacutetait de faire lrsquoeacutetat des lieux du problegraveme du takei tout

en rendant compte des arguments en faveur de telles ou telles ideacutees nous avons proceacutedeacute de

maniegravere theacutematique en confrontant les interpregravetes Dans un premier temps nous avons

confronteacute Dumoulin et Moraux Dumoulin comprend le takei comme se reacutefeacuterant agrave quelque

chose se situant au dessus du ciel Il justifie sa thegravese en affirmant qursquoil existe une discontinuiteacute

au sein du texte drsquoAristote Aristote se reacutefeacutererait tantocirct agrave des reacutealiteacutes hypercosmiques tantocirct agrave

des reacutealiteacutes ceacutelestes en faisant lrsquoeacuteloge du mouvement circulaire des corps ceacutelestes dans le but

de montrer que ce qui est supeacuterieur au ciel est encore plus divin Moraux quant agrave lui refuse

lrsquoideacutee drsquoune discontinuiteacute dans lrsquoargumentation sous preacutetexte qursquoelle implique qursquoil faille

accepter lrsquoideacutee qursquoAristote change brusquement de sujet Il affirme alors que le texte est

continu et traite drsquoun bloc de reacutealiteacutes ceacutelestes se situant sur la sphegravere des fixes et non au-delagrave

Dans un second temps nous avons confronteacute Mugnier et Solmsen sur la question du lieu

Mugnier affirme que lrsquoabsence de lieu en dehors du ciel expliqueacutee par Aristote dans le DC

implique que les takei ne peuvent pas se trouver en dehors du ciel puisqursquoils ne seraient pas

dans un lieu alors mecircme qursquoils sont deacutesigneacutes comme eacutetant laquo lagrave-bas raquo crsquoest-agrave-dire dans un lieu

Pour Solmsen lrsquoabsence de lieu de temps et de corps sont les caracteacuteristiques essentielles de

ce que sont les takei Ces caracteacuteristiques semblent ecirctre les mecircmes que celles accordeacutees au

Premier Moteur Immobile dans la Meacutetaphysique

Finalement nous sommes sortis de cette tradition interpreacutetative en nous tournant vers

des thegraveories plus originales notamment celle de Peacutepin et de Merlan En effet Peacutepin affirme

que le takei fait reacutefeacuterence agrave lrsquoeacutether hypercosmique En effet il note qursquoil existe plusieurs

doxographies qui font lrsquoeacutetat drsquoun eacutether hypercosmique chez Aristote toutefois nous nrsquoavons

aucune trace de ces textes Il essaie alors de faire correspondre le De Caelo I 9 agrave ces

doxographies pour en faire une partie manifestant lrsquoexistence drsquoun divin existant au-delagrave du

ciel et qui serait un eacutether hypercosmique Pour Merlin le takei serait une reacutefeacuterence non pas au

Premier Moteur Immobile ou agrave la sphegravere des fixes mais aux Moteurs Immobiles En effet

Merlan soutient la theacuteorie qursquoAristote est un polytheacuteiste qui nrsquoa pas accordeacute la diviniteacute agrave un

seul ecirctre mais agrave une multitudes drsquoecirctres qui seraient agrave lrsquoorigine des mouvements des corps

ceacutelestes Il nous est alors permis par le biais de Merlan et de Peacutepin de sortir de la tradition

habituelle de lrsquointerpreacutetation du takei en proposant des lectures originales et nouvelles des

œuvres aristoteacuteliciennes

Les diverses interpreacutetations que nous avons pu rencontreacute mettent en perspective les

difficulteacutes de la compreacutehension des thegraveses aristoteacutelicienne leurs places chronologiques et

philosophiques dans la vie drsquoAristote dans la mesure ougrave elles posent la question de la

78

chronologie des œuvres aristoteacutelicienne du rapport que la philosophie aristoteacutelicienne peut

entretenir avec la philosophie platonicienne et introduisent finalement des œuvres

aristoteacuteliciennes perdues voire inconnues

79

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81

  • INTRODUCTION
  • Chapitre 1 Le De Caelo I 9 problegravemes lectures et analyses
    • 11 Aristote et le ciel
      • 111 Les trois sens du mot ciel
      • 112 Le corps du ciel lrsquoeacuteleacutement divin et le mouvement du corps ceacuteleste
        • 12 Platonisme et aristoteacutelisme sur lrsquouniciteacute du monde Du Timeacutee au De Caelo I 9
          • 121 Lrsquouniciteacute du monde dans le Timeacutee de Platon
            • 122 Aristote en De Caelo I 9 analyse des arguments en faveur de la pluraliteacute des cieux pour deacutefendre la theacuteorie platonicienne de lrsquouniciteacute du monde
              • 123 Aristote en De Caelo I 9 arguments aristoteacuteliciens en faveur de lrsquouniciteacute du ciel
                  • Chapitre 2 Deacutebat sur la question des ecirctres de laquo lagrave-bas raquo durant lrsquoAntiquiteacute Aristote agrave Simplicius
                    • 21 Compreacutehension antique du laquo τἀκεῖ raquo du De Caelo au commentaire de Simplicius
                    • 211 τἀκεῖ De Caelo I 9 279a15-b3
                    • 222 Le commentaire perdu drsquoAlexandre possibles reacuteponses au problegraveme du laquo τἀκεῖ raquo
                    • 213 Compreacutehension et hypothegravese de Simplicius sur les ecirctres de lagrave-bas
                      • Chapitre 3 Interpreacutetations modernes du De Caelo I 9 La question du τἀκεῖ premier moteur reacutealiteacutes hyper-cosmiques ou sphegravere des fixes reacutealiteacutes ceacutelestes
                        • 31 Le problegraveme de la continuiteacute argumentative du Livre I 9
                          • 311 La discontinuiteacute du sujet en faveur de la transcendance du τἀκεῖ
                          • 312 La continuiteacute du sujet en faveur des reacutealiteacutes ceacutelestes
                            • 32 Le lieu des corps ceacutelestes lrsquoabsence de lieu du τἀκεῖ
                              • 321 Lrsquoabsence de lieu en faveur de la reacutefeacuterence ceacuteleste
                              • 322 Lrsquoabsence de lieu comme caracteacuteristique drsquoun ecirctre transcendant le ciel
                                • 33 Deacutepassement des deux alternatives traditionnelles de lrsquointerpreacutetation du takei
                                  • 331 Lrsquoeacutether hypercosmique de Peacutepin
                                  • 3 3 2 La theacuteorie des Moteurs Immobiles une variante originale de la reacutefeacuterence au Premier Moteur Immobile
                                      • CONCLUSION
                                      • BIBLIOGRAPHIE
Page 9: Débat sur la question des êtres de là-bas de l'Antiquité à

Finalement dans la partie C il est explicitement fait mention du corps qui se meut en

cercle le ciel Ainsi Fabienne Baghdassarian se pose la question de savoir srsquoil est

envisageable qursquoAristote sans crier gare change de sujet ou srsquoil ne parlait depuis le deacutebut

que du ciel et des astres Lrsquoauteur de cet article propose alors de joindre lrsquoensemble du texte

en affirmant qursquoil est possible qursquoAristote reacutecapitule dans la partie C lrsquoensemble de son

argumentation en mettant sur le plan du divin la totaliteacute de son discours dans le sens ougrave il

hieacuterarchise les divins En ce sens la partie A deacutesignerait des reacutealiteacutes transcendantes mais

divines au mecircme titre que lrsquoest le corps qui a un mouvement de translation Pour ce qui est de

lrsquoeacutetymologie de lrsquoaion elle aurait servi agrave montrer la neacutecessiteacute que le mouvement du ciel est

eacuteternel

Cet article de Fabienne Baghdassarian sera le point de deacutepart de notre propos mais le

geste sera quelque peu diffeacuterent du sien En effet Fabienne Baghdassarian par lrsquoanalyse

geacuteneacuterale du passage du De Caelo I 9 qui nous inteacuteresse parvient agrave faire sortir les problegravemes

drsquoordre lexical grammatical deacutefinitionnel et argumentatif pour nous transmettre un panorama

assez large de ce qui gecircne la compreacutehension de la notion de takei Si drsquoune part son travail

nous permet de prendre conscience des problegravemes que pose la notion de takei sans parvenir agrave

nous fournir une reacuteponse trancheacutee de la question de son identiteacute drsquoautre part il nous permet

de prendre conscience des innombrables thegraveses et interpreacutetations possibles des diffeacuterents

traducteurs et commentateurs drsquoAristote Ce que nous ferons sera alors dans la continuiteacute de

ce travail mais plutocirct que de nous contenter de restituer les thegraveses des commentateurs et

interpregravetes nous deacutetaillerons lrsquoargumentation que tiennent ces commentateurs et interpregravetes

Nous ne chercherons pas lrsquoexhaustiviteacute des interpreacutetations en effet nous nous inteacuteresserons

aux arguments de celles que nous traiterons Notre but sera donc de comprendre le contexte

des thegraveses des interpregravetes sur la question du takei et la raison pour laquelle ils en viennent agrave

telle ou telle conclusion Il srsquoagira alors pour nous de faire lrsquoeacutetat des lieux de ce deacutebat en

restituant les problegravemes que pose le texte mecircme ainsi que les problegravemes que posent les

commentateurs et la maniegravere dont ils les traitent pour deacutefendre leurs interpreacutetations

Nous proceacutederons de maniegravere analytique historique mais aussi theacutematique Crsquoest-agrave-

dire que nous proposons drsquoorganiser notre propos en trois grands moments 1) Le De Caelo I

9 problegravemes lectures et analyses 2) Deacutebat sur la question des ecirctres de lagrave-bas durant

8

lrsquoAntiquiteacute drsquoAristote agrave Simplicius 3) Interpreacutetations modernes du De Caelo I 9 La question

du τἀκεῖ premier moteur reacutealiteacutes hyper-cosmiques ou sphegravere des fixes reacutealiteacutes ceacutelestes

Le premier moment est un moment quelque peu introductif dans la mesure ougrave il est

essentiellement constitueacute dans son ensemble drsquoune lecture du De Caelo I et de la theacuteorie du

mouvement des corps selon le milieu Cette explication est une eacutetape importante selon nous

srsquoil est question du takei dans ce chapitre crsquoest dans un certain contexte argumentatif Il nous

faut alors preacutesenter ce contexte argumentatif dans lrsquointeacuterecirct de comprendre pourquoi cette

notion est si complexe et sujette aux deacutebats Ce moment que lrsquoon juge comme eacutetant

analytique nous permettra de nous familiariser avec le lexique aristoteacutelicien et la conception

aristoteacutelicienne de lrsquounivers cela dans le but de manifester les problegravemes que pose

lrsquoapparition de lrsquoexpression takei Nous verrons alors les trois sens qursquoAristote accorde au mot

laquo ciel raquo Nous nous inteacuteresserons ensuite agrave la composition eacuteleacutementaire de ce corps que lrsquoon

appelle le laquo ciel raquo et qui par lrsquoeacuteleacutement divin qui le compose a un mouvement circulaire et

eacuteternel Il srsquoagira ensuite drsquoexpliquer lrsquoargumentation geacuteneacuterale du texte dans lequel apparaicirct la

notion de takei et qui porte sur lrsquouniciteacute de lrsquounivers Pour lrsquoexpliquer nous nous tournerons

drsquoune part vers un argument proposeacute par Platon dans le Timeacutee puis sur lrsquoutilisation

qursquoAristote en fait pour prouver lrsquoexistence drsquoun seul et unique ciel

Le second moment consistera alors en une restitution des thegraveses respectives

drsquoAlexandre drsquoAphrodise et de Simplicius sur lrsquointerpreacutetation de ce passage fort obscur du De

Caelo I 9 dans lequel surgit la notion de takei Nous avons choisi drsquoeacutetudier ces deux

commentateurs dans la mesure ougrave ils sont tous deux agrave lrsquoorigine drsquoune logique binaire de

lrsquointerpreacutetation du texte qui nous inteacuteresse En effet Simplicius est devenu le chef de file de

ceux qui comprennent lrsquoexpression takei comme eacutetant une reacutefeacuterence agrave un ecirctre transcendant le

ciel et plus preacuteciseacutement au Premier Moteur Immobile alors qursquoAlexandre drsquoAphrodise est le

chef de file de ceux qui comprennent le takei comme eacutetant ceacuteleste et plus preacuteciseacutement

comme eacutetant une reacutefeacuterence agrave la sphegravere des fixes Nous commenterons donc lineacuteairement le

passage 279a15-b3 du De Caelo pour comprendre la complexiteacute de cet extrait Ensuite nous

nous inteacuteresserons aux fondements des interpreacutetations drsquoAlexandre drsquoAphrodise et Simplicius

au sujet du takei

Enfin dans le troisiegraveme et dernier moment de notre propos nous exposerons diverses

positions sur la question en explicitant le deacutebat qui les oppose Les positions deacutefendues seront

celles de commentateurs et interpregravetes modernes En effet nous avons choisi de proceacuteder de

maniegravere historique en deacutebutant par les interpreacutetations antique du texte pour ensuite en arriver

aux interpreacutetations modernes Nous proceacutederons de maniegravere theacutematique en choisissant deux

9

angles drsquoattaques diffeacuterents Drsquoabord nous nous preacutesenterons deux interpreacutetations qui

srsquointeacuteressent agrave la continuiteacute (ou discontinuiteacute) du texte en explicitant les arguments qui

favorisent lrsquoideacutee drsquoune reacutefeacuterence agrave un ecirctre transcendant ou agrave un ecirctre ceacuteleste Ensuite nous

exposerons des interpreacutetations qui mettent lrsquoaccent sur le lieu dans la philosophie

aristoteacutelicienne via les œuvres de Mugnier et de Solmsen Enfin nous sortirons de cette

logique binaire en nous tournant vers deux interpreacutetations qui nrsquoidentifient le takei ni avec la

sphegravere des fixes ni avec le Moteur immobile Il srsquoagira des thegraveses de Peacutepin selon laquelle le

takei renvoie agrave lrsquoeacutether hypercosmique et celle de Merlan selon laquelle il est question des

Moteurs Immobiles

10

Chapitre 1 Le De Caelo I 9 problegravemes lectures etanalyses

11

11 Aristote et le ciel

111 Les trois sens du mot ciel6

Le traiteacute Du Ciel drsquoAristote est une œuvre embleacutematique du corpus aristoteacutelicien et

occupe la seconde place apregraves la Physique dans lrsquoensemble des ouvrages aristoteacuteliciens de

science physique Ce traiteacute apregraves la mort drsquoAristote a veacutehiculeacute une image particuliegravere du

cosmos qui est la sienne jusqursquoagrave lrsquoarriveacutee des nouvelles theacuteories cosmologiques et

scientifiques de la Renaissance

Une reacuteflexion est possible agrave partir mecircme du titre de cette œuvre Il est premiegraverement

important de noter que les reacutefeacuterences au De Caelo sont tregraves peu nombreuses dans le corpus

drsquoAristote mais qursquoen plus de cela il ne srsquoy reacutefegravere jamais via cette appellation Nous sommes

alors en droit de nous demander ce que signifie ce titre probablement choisi par un autre

individu qursquoAristote Il apparaicirct comme eacutevident agrave premiegravere vue que le ciel est lrsquoobjet de ce

traiteacute de physique

Nous avons donc traiteacute plus haut du premier ciel et de ses parties ainsi que des astres quisont transporteacutes agrave lrsquointeacuterieur de lui de leurs composantes et de leurs qualiteacutes naturelleset en outre de leur caractegravere ingeacuteneacuterable et incorruptible

Il est important de noter que les deux premiers livres prennent pour objet le monde

supralunaire ou encore le monde au dessus de la Lune crsquoest-agrave-dire le monde ceacuteleste et divin

Quant aux deux derniers livres ils srsquointeacuteressent plutocirct au monde sublunaire ou monde en

dessous de la Lune crsquoest-agrave-dire le monde physique qui est le nocirctre et est explicable par les

quatre eacuteleacutements naturels que sont le feu lrsquoair lrsquoeau et la terre qui le constituent

Nous pouvons alors imaginer gracircce agrave ces informations que le traiteacute Du ciel tel que

nous lrsquoavons entre les mains aujourdrsquohui est une recomposition de deux traiteacutes distincts lrsquoun

portant sur le monde supralunaire lrsquoautre portant sur le monde sublunaire Ce paragraphe

drsquointroduction permet drsquoaffirmer que les deux premiers livres sont agrave distinguer des deux

derniers Mais ce problegraveme nrsquoest pas notre prioriteacute Aussi nous nous inteacuteresserons

principalement aux deux premiers livres qui prennent le ciel pour objet Ce qursquoon appellera

comme eacutetant la laquo premiegravere partie raquo du traiteacute du Ciel sera lrsquoensemble des livres I et II et seront

ceux qui feront en partie lrsquoobjet et le fondement de notre reacuteflexion et de ce meacutemoire

6 Ibid 278b10-25

12

Toutefois nous nous devons drsquoecirctre preacutecis dans notre lecture de ce deacutebut du troisiegraveme

livre En effet il est affirmeacute ici que la premiegravere partie de lrsquoœuvre portait sur laquo le premier ciel

et ses parties raquo7 Mais qursquoest-ce que laquo le premier ciel raquo Et srsquoil y a un premier ciel y en a-t-

il un deuxiegraveme Un troisiegraveme

Pour reacutepondre agrave cette question il nous faut drsquoabord souligner la meacutethode explicative

qursquoutilise Aristote En effet Aristote accorde une importance capitale agrave la deacutefinition des

termes le philosophe est pour Aristote celui qui sait de quoi il parle et sur quel plan il se

place quand il parle Lorsqursquoil utilise un terme ambigu il se doit de lever lrsquoambiguiumlteacute qui

regravegne en deacutefinissant les termes de son propos Crsquoest ainsi que lrsquoon trouve dans le chapitre 9

du livre I une explication des sens du mot laquo ciel raquo comme moment de clarification de ce dont

on parle drsquoune part et drsquoautre part comme moment de lrsquoexplicitation de la meacutethode

aristoteacutelicienne

Disons drsquoabord ce que nous entendons par laquo ciel raquo et combien de sens nous donnons agrave cemot pour que ce que nous cherchons nous devienne plus clair En un sens on appellelaquo ciel raquo la substance de la derniegravere circonfeacuterence du Tout crsquoest-agrave-dire le corps naturel quiest sur la derniegravere circonfeacuterence du Tout Car nous avons coutume de nommer laquo ciel raquolrsquoextreacutemiteacute ndash ce qui est le plus haut ndash dans laquelle reacuteside tout ce qui est divin8

Ce qui deacutefinit le ciel en ce premier sens est ce qui est le plus haut Le cosmos

aristoteacutelicien se repreacutesente sous forme de plusieurs cercles concentriques qui repreacutesentent

drsquoune part des translations sur lesquelles sont poseacutees des astres et drsquoautre part des lieux (le

lieu du mouvement circulaire le lieu du mouvement rectiligne) et le ciel est ce qui est le plus

haut crsquoest-agrave-dire ce qui se situe sur la circonfeacuterence la plus eacuteloigneacutee du centre Aristote

deacutefend une conception geacuteo-centriste du monde il considegravere que ce qui est au centre du

monde est la Terre Donc le ciel est le corps qui est par nature le plus haut En ce sens on le

nommera le laquo premier ciel raquo Mais qursquoest-ce que ce corps Aristote le preacutesente comme eacutetant

une substance une substance est ce qui ne se dit de rien et nrsquoest dans aucun sujet9 en drsquoautres

termes une substance est un ecirctre autonome qui ne deacutepend de rien drsquoautre que de lui-mecircme

pour ecirctre Cette substance est eacutegalement nommeacutee agrave plusieurs reprises dans les œuvres

drsquoAristote sphegravere des fixes Le corps qui se trouve sur la derniegravere circonfeacuterence du Tout est

ce qui est une substance au sens le plus noble et parfait Nous pouvons alors comprendre au

7 Le premier ciel eacutetant lrsquoappellation courante de la sphegravere des fixes crsquoest-agrave-dire lrsquoextreacutemiteacute du ciel 8 ARISTOTE opcit p143-1459 ARISTOTE Les cateacutegories II 2001 Traduction par Bodeuumls

13

travers de cette premiegravere deacutefinition du ciel que la substance dont on parle est constitueacutee de

matiegravere mais pas de nrsquoimporte quelle maniegravere de la plus noble et la plus divine celle-ci

eacutetant lrsquoeacutether nous y reviendrons plus tard Ainsi le ciel en ce sens est un ecirctre corporel la

circonfeacuterence la plus eacuteloigneacutee qui englobe quelque chose drsquoautre qui est nommeacute le laquo Tout raquo

Dans un second sens et agrave la suite de cette premiegravere deacutefinition le ciel est deacutefini comme suit

En un autre sens crsquoest le corps en continuiteacute avec la derniegravere circonfeacuterence du Tout ougrave setrouvent la Lune le Soleil et certains astres car nous disons drsquoeux aussi qursquoils sont dansle ciel10

Ce nouveau sens du mot ciel nous permet de saisir une nouvelle dimension de celui-

ci en effet le ciel nrsquoest pas seulement dit de ce qui englobe quelque chose qui est le laquo Tout raquo

il est aussi dit qursquoil est le corps11 qui est dans la continuiteacute de la sphegravere des fixes crsquoest-agrave-dire

qursquoil est dans la continuiteacute de la circonfeacuterence la plus eacuteloigneacutee qui englobe le laquo Tout raquo et

qursquoon appelle eacutegalement ciel

Cela est justifiable dans la mesure ougrave comme lrsquoaffirme Aristote nous disons des astres

que sont la Lune le Soleil qursquoils sont dans le ciel or ces astres ne se trouvent pas sur la

derniegravere circonfeacuterence du Tout Le ciel ne peut donc pas ecirctre seulement le corps qui est sur

lrsquoextreacutemiteacute de la circonfeacuterence la plus eacuteloigneacutee sinon on ne pourrait pas dire que la Lune et le

Soleil (ainsi que drsquoautres astres) sont dans le ciel Dans un troisiegraveme et dernier sens toujours agrave

la suite des deux premiegraveres deacutefinitions du ciel Aristote affirme que le ciel se dit du Tout

enveloppeacute par la derniegravere circonfeacuterence

De plus en un autre sens on appelle laquo ciel raquo le corps enveloppeacute par la derniegravere circonfeacuterence car nous avons coutume drsquoappeler laquo ciel raquo la totaliteacute ou le Tout12

Cette deacutefinition fait eacutecho aux quelques lignes introductives du livre III Puisque les

deux premiers livres du traiteacute Du ciel portaient sur laquo le premier ciel et ses parties raquo alors il

est possible drsquoaffirmer que le Tout est lrsquoensemble de ce qui est enveloppeacute par la sphegravere des

10 ARISTOTE opcit p143-14511 Le corps naturel du ciel est lrsquoeacutether 12 ARISTOTE opcit p143-145

14

fixes En drsquoautres termes le Tout qursquoest le ciel est la totaliteacute du corps et de ce qui le compose

qui est enveloppeacutee par le premier ciel

112 Le corps du ciel lrsquoeacuteleacutement divin et le mouvement du corps ceacuteleste

Maintenant que nous avons vu par le biais du De Caelo I 9 les trois sens qursquoAristote

accorde au mot laquo ciel raquo nous pouvons nous inteacuteresser agrave lrsquoessence mecircme du ciel et agrave celle des

parties qui le composent En plus de chercher agrave comprendre de quoi le ciel est constitueacute nous

reviendrons sur lrsquoeacuteleacutement qursquoest lrsquoeacutether invoqueacute plus haut et sur le mouvement naturel des

corps ceacutelestes

De Caelo I 2 est une tentative argumenteacutee de montrer que le corps qui se meut en

cercle est diffeacuterent drsquoun autre type de corps le corps dont le mouvement est rectiligne

Aristote dans ce chapitre du De Caelo affirme premiegraverement que tous les corps naturels

crsquoest-agrave-dire les corps qui sont faits drsquoeacuteleacutements naturels peuvent se mouvoir selon le lieu et

que ce mouvement selon le lieu srsquoappelle le laquo transport raquo Ce transport se fait soit de maniegravere

rectiligne soit de maniegravere circulaire ou alors de ces deux faccedilons agrave la fois

Tout mouvement selon le lieu (que nous appelons transport) est soit rectiligne soit circulaire soit un meacutelange des deux Car ce sont lagrave les deux formes simples [hellip] Le transport en cercle est celui qui a lieu autour du centre le transport rectiligne celui qui a lieu vers le haut ou vers le bas

Il nrsquoexiste ainsi que deux types de mouvement simple pour les corps simples Aristote appelle

les corps simples les eacuteleacutements naturels Leurs mouvements possibles sont rectilignes ou

circulaires Le corps qui se meut en ligne est le corps simple qui a un mouvement simple soit

vers le centre13 soit agrave partir du centre14 Le corps qui se meut en cercle est le corps simple qui

a un mouvement autour du centre Mais quels sont les arguments preacutecis qui deacutefendent que le

corps mucirc en cercle est simple Et quel est donc ce corps qui se meut en cercle Telles sont

les questions auxquelles nous allons reacutepondre ici dans le but de comprendre la nature du corps

simple mucirc en cercle puis de saisir sa composition

13 Vers le bas14 Vers le haut

15

Nous lrsquoavons dit le corps simple est celui qui a un mouvement selon sa nature Le feu aura

donc un mouvement qui va vers le haut alors que la terre aura un mouvement qui va vers le

centre Selon le cosmos aristoteacutelicien et la physique aristoteacutelicienne le corps qui est composeacute

de lrsquoeacuteleacutement naturel qui est la terre sera le plus pesant et aura un lieu naturel preacutecis Il est

important de preacuteciser que chaque eacuteleacutement possegravede un lieu naturel vers lequel il tend

naturellement agrave ecirctre et agrave rester et un lieu contre-naturel dans lequel il est de maniegravere contre-

naturelle La notion de lieu naturel ou de lieu contre-naturel est centrale dans lrsquoexplication du

mouvement chez Aristote le corps composeacute de terre sera le plus pesant et son lieu naturel

sera le bas ainsi il aura un mouvement rectiligne vers le centre Le corps composeacute de feu

quant agrave lui et parce que le feu est lrsquoeacuteleacutement qui nrsquoa aucune pesanteur a un mouvement

rectiligne qui part du centre et va vers le haut On comprend alors que ce qui deacutetermine le

mouvement du corps simple qui se meut de maniegravere rectiligne est ce qui le compose crsquoest-agrave-

dire sa nature Il en va de mecircme pour le corps simple qui se meut en cercle Mais avant drsquoy

venir nous nous devons premiegraverement de prouver que le corps qui se meut en cercle est un

corps simple et qursquoil ne saurait ecirctre autre chose Premiegraverement il srsquoagit pour Aristote de

montrer que le corps mucirc en cercle est simple puisque srsquoil existe un mouvement simple que le

mouvement en cercle soit simple ndash mouvement simple car les mouvements circulaire et

rectiligne sont les seuls types de mouvements qui soient simples les autres eacutetant mixtes

rectilignes et circulairessup2 ndash que le mouvement drsquoun corps simple soit simple et que le

mouvement simple soit celui drsquoun corps simple alors il est neacutecessaire que le corps qui est mucirc

en cercle selon la nature soit un corps simple Il ne srsquoagit pas ici de prouver drsquoores et deacutejagrave

qursquoil existe un corps simple qui se meut en cercle pour Aristote mais simplement de montrer

que theacuteoriquement si un corps qui se meut en cercle existe alors il sera neacutecessairement un

corps simple Cet argument en faveur de lrsquoexistence drsquoun corps qui se meut en cercle nrsquoest pas

le seul chaque corps simple a un lieu naturel vers lequel il est naturellement mis en

mouvement du fait mecircme de sa nature Mais srsquoil a un lieu naturel par nature cela signifie qursquoil

a aussi un lieu qui lui est contre-nature Aristote a montreacute que srsquoil existait un corps mucirc en

cercle celui-ci eacutetait neacutecessairement simple Si un corps simple a un mouvement en cercle et

qursquoon postule que ce mouvement circulaire est simple drsquoune part mais drsquoautre part contre-

nature agrave ce corps dans ce cas lagrave cela signifie qursquoil aura un mouvement autre qui lui sera

naturel Dans la conception aristoteacutelicienne de la physique les corps sont mus en fonction de

ce qui les compose nous lrsquoavons vu et ce qui compose les corps physiques sont les eacuteleacutements

le feu la terre lrsquoeau et lrsquoair Si un corps simple est un corps qui est mucirc par la nature de ce qui

16

le compose alors le corps sera mucirc selon qursquoil est composeacute de feu ou de terre Nous avons vu

que le feu avait un mouvement naturel rectiligne qui part du centre et la terre un mouvement

naturel rectiligne qui va vers le centre donc si le feu ou la terre est mucirc en cercle ce sera

contre nature Le problegraveme qui se pose est le suivant

Mais une chose unique a un contraire unique et les mouvements vers le haut et vers lebas sont contraires lrsquoun de lrsquoautre

Cela implique que le corps simple qui se meut naturellement de maniegravere rectiligne

vers le centre aura pour contraire le mouvement rectiligne qui part du centre et vice-versa

Ainsi il est impossible qursquoun corps simple dont le mouvement est naturellement rectiligne

soit mucirc en cercle

A partir de cet argument dans le chapitre 2 du livre I du De Caelo nous pouvons

affirmer une chose si un corps simple qui se meut en cercle existe alors il ne peut pas ecirctre

composeacute de feu ou de terre car aucun des corps qui sont composeacutes de ces eacuteleacutements et qui se

meuvent de maniegravere rectiligne naturellement vers le haut ou vers le bas ne peuvent ecirctre mus

contre-nature en cercle Il ne reste maintenant qursquoagrave prouver lrsquoexistence de ce corps simple qui

se meut en cercle Lrsquoargument drsquoAristote sur le sujet dans le chapitre 2 du livre I du De Caelo

est le suivant srsquoil existe un mouvement circulaire que ce mouvement circulaire soit simple

que le mouvement circulaire ndash et nrsquoimporte quel mouvement selon le lieu en reacutealiteacute ndash soit la

proprieacuteteacute drsquoun corps simple et qursquoil soit impossible que le mouvement circulaire soit le

mouvement contre-nature drsquoun corps qui se meut en ligne droite alors cela implique qursquoil

existe un corps simple qui se meut en cercle Comment pourrait-il y avoir un mouvement

circulaire mais pas de corps pour avoir ce mouvement dans la mesure ougrave nous lrsquoavons dit le

mouvement selon le lieu est une proprieacuteteacute des corps Cela est impossible Nous pouvons

alors conclure la chose suivante

Crsquoest pourquoi celui qui raisonne en partant de tout cela pourrait se convaincre qursquoen plusdes corps qui existent ici autour de nous il y en a un autre seacutepareacute qui a une naturedrsquoautant plus digne qursquoil est plus eacuteloigneacute de lrsquoici-bas

17

De lrsquoexistence drsquoun corps qui se meut en cercle on peut logiquement induire qursquoil

existe une nature propre au corps qui se meut en cercle une nature plus noble que celle des

corps qui se meuvent en ligne droite Quelle est la nature de ce corps simple dont le

mouvement est circulaire Crsquoest lagrave la seconde question qui nous inteacuteresse

Pour y reacutepondre Aristote se reacutefegravere agrave ce qui a eacuteteacute dit preacuteceacutedemment Puisque la

pesanteur ou la leacutegegravereteacute est une proprieacuteteacute du corps qui lui vient de sa composition et qui

implique qursquoil soit naturellement dirigeacute vers le bas ou vers le haut alors tous les corps ne

possegravedent pas de pesanteur ou de leacutegegravereteacute Quels sont les corps qui possegravedent la pesanteur

Ce sont ceux qui sont naturellement dirigeacutes vers le bas et qui se meuvent en ligne droite vers

le centre crsquoest-agrave-dire tout ce qui est composeacute de terre ou drsquoune espegravece de terre Quels sont les

corps qui possegravedent la leacutegegravereteacute Ce sont ceux qui sont naturellement dirigeacutes vers le haut et

qui se meuvent en ligne droite agrave partir du centre crsquoest-agrave-dire tout ce qui est composeacute de feu ou

drsquoune espegravece de feu A partir de lagrave il est possible drsquoaffirmer que le corps qui se meut en

cercle parce qursquoil nrsquoest mucirc ni vers le bas ni vers le haut est un corps qui nrsquoa ni pesanteur ni

leacutegegravereteacute car nrsquoest ni composeacute de terre ou drsquoune espegravece de terre ni de feu ou drsquoune espegravece de

feu Mais qursquoest-ce que le pesant et le leacuteger Le plus pesant est deacutefini comme ce qui est situeacute

en dessous de tous les corps transporteacutes vers le bas et le plus leacuteger est deacutefini comme ce qui est

agrave la surface de tous les corps porteacutes vers le haut dans le De Caelo I 3 269b18-26 Il est

important pour des raisons de justesse de preacuteciser que cette pesanteur et cette leacutegegravereteacute sont

toutefois relatives un corps leacuteger lrsquoest par rapport agrave un autre et il en va de mecircme pour le

corps pesant mais lagrave nrsquoest pas notre sujet Ces deacutefinitions nous permettent de comprendre que

ce qui nrsquoappartient pas au mouvement rectiligne ne peut pas appartenir aux eacuteleacutements pesants

ou leacutegers

De plus puisque les corps qui ont un mouvements rectilignes vers le haut sont

contraires aux corps ayant un mouvement vers le bas et que la corruption et la geacuteneacuteration se

font dans les contraires alors cela signifie que ces corps sont soumis agrave la geacuteneacuteration et

corruption Selon Aristote laquo crsquoest dans le domaine des contraires que se produisent la

geacuteneacuteration et la corruption raquo15 Du fait mecircme que les corps simples mus en ligne droite vers le

haut ou vers le bas possegravedent un mouvement contre-nature cela implique qursquoils appartiennent

au milieu de ce qui est geacuteneacutereacute et de ce qui ineacutevitablement se corrompt La corruption se fait

dans le changement des proprieacuteteacutes et par rapport agrave quelque chose il en va de mecircme pour

15 De Caelo I 3 270b20 p 89

18

lrsquoaugmentation Lrsquoaugmentation est une forme de geacuteneacuteration agrave partir drsquoun changement dans la

proprieacuteteacute le corps humain transforme et geacutenegravere des nutriments agrave partir de la nourriture qursquoil

ingegravere donc la nourriture a eacuteteacute corrompue et les nutriments ont eacuteteacute geacuteneacutereacutes crsquoest une

deacuteformation de la nourriture et un changement dans son espegravece Mais puisqursquoil nrsquoy a rien de

contraire au mouvement circulaire cela implique que le corps simple qui se meut en cercle

nrsquoest ni geacuteneacuterable ni corruptible puisqursquoil ne peut pas se transformer en son contraire Ce

corps simple nrsquoest pas non plus alteacuterable selon Aristote

En effet lrsquoalteacuteration est un mouvement selon la qualiteacute et les eacutetats et les dispositionsqualitatifs par exemple la santeacute et la maladie ne se produisent pas sans changementsdans les proprieacuteteacutes Mais nous voyons que tous ceux des corps naturels qui changentselon une proprieacuteteacute sont tous sujets agrave lrsquoaugmentation et agrave la diminution [hellip] il en est demecircme pour celui des eacuteleacutements16

Puisque le corps qui est mucirc en cercle nrsquoest ni sujet agrave lrsquoaugmentation (lrsquoaugmentation eacutetant une

forme de geacuteneacuteration) etou agrave la diminution (diminution eacutetant une forme de corruption) alors il

est inalteacuterable Ainsi en plus drsquoecirctre ingeacuteneacuterable et incorruptible le corps qui se meut en cercle

est inalteacuterable Cette proprieacuteteacute fait de lui un corps eacuteternel Le corps qui se meut en cercle doit

donc ecirctre composeacute de quelque chose qui nrsquoa pas de contraire qui nrsquoest pas un eacuteleacutement tel que

le feu lrsquoair lrsquoeau ou la terre et qui nrsquoest ni geacuteneacutereacute ni corruptible A ce stade nous ne savons

pas encore ce qui est signifieacute par laquo le corps simple qui se meut en cercle raquo Mais Aristote lui

donne une autre caracteacuteristique celle drsquoecirctre premier ce qui peut srsquoexpliquer par le fait qursquoil

nrsquoest pas geacuteneacuterable et donc nrsquoest pas venu agrave lrsquoecirctre agrave un instant T Il se tourne ainsi vers trois

instances qui lui permettent de justifier ses dires anteacuterieurs la religion lrsquoobservation et

lrsquoeacutetymologie sont autant drsquoarguments en faveur de la nature du corps qui se meut en cercle tel

que nous lrsquoavons conccedilu jusqursquoagrave preacutesent

Il se tourne premiegraverement vers la religion Aristote affirme en 270b5 du De Caelo que

dans le domaine de la religion on attribue le plus haut lieu agrave ce qui est le plus divin on place

ainsi le divin au-dessus de tout Ainsi le corps qui se meut en cercle puisqursquoil se situe au-

dessus de tout et regardeacute comme eacutetant divin Degraves lors dans la mesure ougrave lrsquoon attribue

lrsquoimmortaliteacute au divin le ciel est alors consideacutereacute comme eacutegalement divin Par conseacutequent le

corps qui se meut en cercle se situe dans le plus haut lieu Lrsquoeacuteterniteacute de ce corps est

16 Ibid p89

19

veacuterifiable par lrsquoobservation et lrsquoexpeacuterience comme lrsquoaffirme Aristote dans la suite du

raisonnement

En effet dans toute lrsquoeacutetendue du temps eacutecouleacute selon la tradition que les hommes se sonttransmise les uns aux autres aucun changement nrsquoa eacuteteacute constateacute ni dans la totaliteacute la plusexteacuterieure du ciel ni dans aucune des parties qui lui sont propres

On comprend agrave la suite de cette remarque que le corps mucirc en cercle qui eacutetait lrsquoobjet de

notre propos est eacutegalement appeleacute laquo ciel raquo Ce que nous avons vu plus haut crsquoest-agrave-dire toutes

les caracteacuteristiques propres au corps qui se meut en cercle srsquoappliquent alors au ciel Mais de

quel sens du laquo ciel raquo parle-t-on puisque nous avons vu que le ciel avait trois sens A en juger

par ce que nous venons de citer nous pouvons dire qursquoAristote parle du premier et second

ciel le premier eacutetant le corps qui se trouve sur la circonfeacuterence la plus exteacuterieure et la plus

eacuteloigneacutee crsquoest-agrave-dire la sphegravere des fixes et le second eacutetant le corps qui est dans la continuiteacute

de la sphegravere des fixes et dans lequel se trouvent certains astres comme le Soleil la Lune et

drsquoautres encore Via lrsquoobservation nous pouvons conclure que le corps est ingeacuteneacuterable

incorruptible et inalteacuterable Mais cet argument en faveur de lrsquoeacuteterniteacute du ciel a un troisiegraveme

temps lrsquoeacutetymologie

Nous eacutevoquions plus tocirct lrsquoideacutee selon laquelle le corps qui se meut en cercle ne pouvait

pas ecirctre constitueacute de feu ou de terre et que donc il avait un eacuteleacutement qui lui eacutetait propre Cet

eacuteleacutement est plus noble que le feu et la terre car il se situe dans le domaine du ciel qui nrsquoest ni

soumis agrave la geacuteneacuteration ni agrave la corruption car il nrsquoa pas de contraire Il est donc eacuteternel Cet

eacuteleacutement tient drsquoailleurs son nom du fait qursquoil est eacuteternel

Crsquoest pourquoi dans lrsquoideacutee que le premier corps eacutetait diffeacuterent de la terre du feu de lrsquoair et de lrsquoeau ils ont nommeacute laquo eacutether raquo le lieu le plus eacuteleveacute tirant pour lui cette appellation du fait qursquoil court toujours pendant un temps eacuteternel

Ainsi le corps qursquoest le ciel parce qursquoil faut rappeler qursquoil est un ecirctre corporel est constitueacute

drsquoune matiegravere que lrsquoon appelle lrsquoeacutether et qui dans le monde supralunaire drsquoAristote est le seul

eacuteleacutement

20

12 Platonisme et aristoteacutelisme sur lrsquouniciteacute du monde Du Timeacutee au De Caelo I 9

121 Lrsquouniciteacute du monde dans le Timeacutee17 de Platon

La question des eacuteleacutements constitutifs des corps est indispensable pour comprendre le

contexte dans lequel le problegraveme du takei se pose En effet le passage obscur du De Caelo I

9 qui est notre propos se situe dans un chapitre visant agrave montrer par les arguments que nous

allons maintenant aborder que le monde est unique et qursquoil nrsquoy a aucun corps en dehors de

lui

Disons maintenant pour quelle raison celui qui a constitueacute le devenir crsquoest-agrave-dire notreunivers lrsquoa constitueacute Il eacutetait bon or en ce qui est bon on ne trouve aucune jalousie agravelrsquoeacutegard de qui que ce soit Deacutepourvu de jalousie il souhaita que toutes choses devinssentle plus possible semblables agrave lui 29e

La question que se pose ici Timeacutee est celle du pourquoi de lrsquounivers Afin de reacutepondre agrave cette

question il srsquointeacuteresse agrave la nature de celui qui a creacuteeacute lrsquounivers En effet la nature mecircme de

celui qui a creacuteeacute lrsquounivers implique que notre univers soit de telle faccedilon et non drsquoune autre

Puisque celui-ci est bon et que la jalousie nrsquoest pas une proprieacuteteacute de ce qui est bon alors celui

qui a creacuteeacute lrsquounivers lrsquoa creacuteeacute de maniegravere agrave ce qursquoil soit agrave son image crsquoest-agrave-dire qursquoil possegravede

les mecircmes qualiteacutes que lui Ainsi en tant qursquoecirctre bon il a voulu que tout ce qui existe soit

bon autant que possible et aussi parfait que possible Mais le deacutemiurge nrsquoest pas parti de rien

cette conception platonicienne de la creacuteation de lrsquounivers deacutecoule de lrsquoideacutee que le rien et le

neacuteant nrsquoexistent pas Donc celui qui est agrave lrsquoorigine de lrsquounivers lrsquoa engendreacute agrave partir de

quelque chose qui eacutetait deacutesordonneacute et en mouvement le visible Il a alors fait de ce visible

deacutesordonneacute un visible ordonneacute Du fait mecircme que celui qui a engendreacute le monde est lrsquoecirctre le

meilleur cela implique que ce qursquoil produit est aussi parfait qursquoil peut lrsquoecirctre car le meilleur

ne pourrait pas faire quelque chose de mauvais

Ayant reacutefleacutechi il se rendit compte que de choses par nature visibles son travail nepourrait jamais faire sortir un tout deacutepourvu drsquointellect qui fucirct plus beau qursquoun tout

17 PLATON Timeacutee 1992 Traduction par L Brisson Nous nous reacutefeacutererons agrave cette traduction sauf indication contraire

21

pourvu drsquointellect et que par ailleurs il eacutetait impossible que lrsquointellect preacutesent en quelquechose soit deacutepourvu drsquoune acircme 30A-b

Mais la nature propre du creacuteateur ne suffit pas agrave faire de toutes ses œuvres des ecirctres

eacutegaux en effet le deacutemiurge srsquoest rendu compte que malgreacute son travail le tout qui eacutetait

constitueacute drsquoun intellect eacutetait neacutecessairement plus beau qursquoun tout sans intellect Mais qursquoest-ce

que lrsquointellect chez Platon qui implique une hieacuterarchie entre les creacuteations du deacutemiurge

Comme lrsquoindique lrsquoextrait citeacute plus haut et qui nous donne une premiegravere ideacutee de ce qursquoest

lrsquointellect chez Platon si lrsquointellect est preacutesent en une chose il est impossible que cette chose

qui possegravede un intellect nrsquoait pas drsquoacircme Cela se justifie par le fait que lrsquointellect νοῦς chez

Platon est la partie la plus noble ou divine de lrsquoacircme Il y a donc une distinction entre lrsquoacircme et

lrsquointellect lrsquoacircme est une chose dont une des partie est lrsquointellect elle est la plus noble A quoi

sert cette partie Elle est ce qui permet de connaicirctre lrsquointelligible et de srsquoen rapprocher

Puisque lrsquointellect a eacuteteacute mis dans lrsquoacircme du monde et que lrsquointellect est la partie la plus belle et

la plus noble de lrsquoacircme cela implique que le monde est par nature le plus beau et le meilleur

possible

Ainsi donc conformeacutement agrave une explication qui nrsquoest que vraisemblable il faut dire que notre monde qui est un vivant doueacute drsquoune acircme pourvue drsquoun intellect a en veacuteriteacute eacuteteacute engendreacute par suite de la deacutecision reacutefleacutechie drsquoun dieu 30bndashc

Puisque le deacutemiurge a la capaciteacute de reacutefleacutechir alors il est proche des intelligibles et du

plus noble et ainsi il est dans la mesure de savoir comment faire de sa creacuteation un ecirctre aussi

bon et beau que possible La proprieacuteteacute du deacutemiurge qui est mise en avant est son intelligence

mais la conception du deacutemiurge ne srsquoarrecircte pas lagrave En effet agrave la maniegravere drsquoun artisan le

deacutemiurge creacutee le monde Mais comme tout artisan il se doit de posseacuteder une connaissance de

la chose qursquoil produit afin de la produire de faccedilon agrave ce qursquoelle soit la plus parfaite possible

Crsquoest pourquoi comme le deacutemiurge est un artisan qui reacutefleacutechit qui possegravede un intellect dans

son acircme il peut avoir une connaissance des intelligibles et ainsi produire quelque chose qui

est le plus parfait possible

22

A la ressemblance de quel vivant en particulier celui qui a faccedilonneacute le monde lrsquoa-t-ilfaccedilonneacute A la ressemblance drsquoaucun de ces vivants qui tiennent le rang drsquoespegraveceparticuliegravere dans la nature estimons-nous car rien de ce qui ressemble agrave un ecirctreincomplet ne saurait jamais ecirctre beau 30c

Mais tel un artisan le deacutemiurge ne produit pas agrave partir de rien il possegravede une

connaissance de ce qursquoil produit nous lrsquoavons dit Mais quelle est cette connaissance Elle

est la connaissance drsquoune ideacutee intelligible en drsquoautres termes drsquoune Forme comprise comme

lrsquoecirctre intelligible et parfait que lrsquoon ne peut saisir que par le biais de lrsquointellect Cela signifie

que le monde ecirctre mateacuteriel et tangible a eacuteteacute creacuteeacute agrave limage dun modegravele qui est intelligible et

non agrave un modegravele sensible Le monde est le sensible le plus parfait alors il ne peut pas avoir

pour modegravele quelque chose de moins parfait que lui et qui soit une partie de quelque chose

drsquoautre

Mais lrsquoensemble auquel appartiennent tous les ecirctres vivants agrave titre de parties soitindividuellement soit en tant qursquoespegravece voilagrave entre tous les vivants supposons-nouscelui auquel ressemble le plus celui-ci Effectivement tous les vivants intelligibles cevivant les tient enveloppeacutes en lui-mecircme de la mecircme faccedilon que notre monde nous contientnous et toutes les autres creacuteatures visibles 32c-d

Mais de quoi ces parties sont-elles les parties Du monde selon Platon Lrsquoargument

repose sur une analogie crsquoest-agrave-dire que notre monde est agrave tous les ecirctres sensibles ce que son

modegravele est agrave tous les ecirctres intelligibles Le monde enveloppe la totaliteacute de tous les ecirctres

sensibles il est logique que son modegravele soit ce qui enveloppe la totaliteacute de tous les ecirctres

intelligibles En effet le deacutemiurge a souhaiteacute que le monde ressemble agrave lrsquoecirctre le plus parfait

entre tous crsquoest-agrave-dire agrave lrsquoecirctre le plus beau de tous dans le sens ougrave il ne manque drsquoaucun des

biens Il a fait le monde de telle sorte qursquoil ait agrave lrsquointeacuterieur de lui tous les vivants qui sont de

mecircme nature que lui tous les ecirctres de nature sensible Comme notre monde est fait sur le

modegravele de quelque chose de parfait qui enveloppe tous les ecirctres intelligibles alors srsquoil y avait

une autre chose qui enveloppait tout cette autre chose serait le modegravele sur lequel aurait eacuteteacute

creacuteeacute notre monde Srsquoil y avait un autre ecirctre qui enveloppe tous les vivants en plus de notre

monde il faudrait qursquoil y ait un ecirctre qui les enveloppe tous les deux et ce serait agrave ce monde lagrave

que ressemblerait le nocirctre Notre monde partage comme caracteacuteristique lrsquouniciteacute du monde

23

parfait unique et beau dont il est la copie Il ne pourrait alors y avoir aucun autre monde en

dehors du nocirctre

[hellip] le dieu ayant placeacute au milieu entre le feu et la terre lrsquoeau et lrsquoair et ayant introduitentre eux autant que crsquoeacutetait possible le mecircme rapport qui fasse que ce que le feu est agravelrsquoair lrsquoair le soit agrave lrsquoeau et que ce que lrsquoair est agrave lrsquoeau lrsquoeau le soit agrave la terre a constitueacute agravelrsquoaide de ces liens un monde visible et tangible 32b

Comment peut-on expliquer que le monde soit sensible Platon fait lrsquoexpeacuterience drsquoun

monde sensible crsquoest le point de deacutepart de sa deacutemarche qui consiste agrave essayer drsquoexpliquer

pourquoi le monde est sensible et ordonneacute Pourquoi y-a-t-il un monde sensible ordonneacute et

non deacutesordonneacute A lrsquoimage drsquoune recette Platon fait la genegravese de la conception du monde qui

repose sur la preacutesence de quatre eacuteleacutements en quantiteacute proportionnelle et selon un rapport de

proportionnaliteacute le feu la terre lrsquoeau et lrsquoair Le fait que le monde soit constitueacute de ces

eacuteleacutements qui entretiennent entre eux un tel rapport en fait un ecirctre mateacuteriel ordonneacute et

impossible agrave corrompre (sinon par celui qui lrsquoa fait tel qursquoil est)

Or de ces quatre eacuteleacutements pris un agrave un la constitution du monde a absorbeacute la totaliteacuteCrsquoest en effet tout le feu toute lrsquoeau tout lrsquoair et toute la terre qursquoutilisa celui quiconstitua le monde pour le constituer ne laissant hors du monde aucune parcelle aucuneproprieacuteteacute de quoi que ce soitVoici quel eacutetait son dessein Il souhaitait en premier lieu quele monde fucirct avant tout un vivant parfait constitueacute de parties parfaites que de plus il fucirctunique dans la mesure ougrave il ne restait rien agrave partir de quoi un autre vivant de mecircmenature puisse venir agrave lrsquoecirctre 32c-33a

On comprend alors lrsquoargument platonicien selon lequel le monde est neacutecessairement

unique Puisque le deacutemiurge a mis en ordre le monde en le constituant de quatre eacuteleacutements (le

feu lrsquoair lrsquoeau et la terre) selon un certain meacutelange et qursquoen plus de cela il a utiliseacute la totaliteacute

du feu la totaliteacute de lrsquoair la totaliteacute de lrsquoeau et la totaliteacute de la terre pour le creacuteer il ne peut

rien exister de mecircme nature que lui Lrsquoensemble de cet extrait du Timeacutee permet de souligner

lrsquouniciteacute du monde sur deux plans diffeacuterents sur le plan meacutetaphysique et sur le plan

physique Sur le plan meacutetaphysique dans la mesure ougrave il a eacuteteacute prouveacute logiquement que le

monde ne pouvait ecirctre qursquoun seul puisqursquoil enveloppait agrave lrsquoimage de lrsquoecirctre intelligible le plus

24

parfait lrsquoensemble des sensibles Sur le plan physique dans la mesure ougrave il a eacuteteacute affirmeacute par

Platon que le monde eacutetait composeacute de la totaliteacute des quatre eacuteleacutements

Lrsquoargument en faveur de lrsquouniciteacute du monde que nous venons de voir est lrsquoeacutecho de la

theacuteorie platonicienne des Formes eacutenonceacutees dans le livre VI de la Reacutepublique18 A la fin du

livre VI de la Reacutepublique Platon dessine rapidement les traits de ce que sera plus tard dans la

mecircme œuvre la theacuteorie des Formes En effet il affirme en cette fin de livre VI que les

geacuteomegravetres lorsqursquoils produisent des hypothegraveses sur les angles et autres figures geacuteomeacutetriques

ne les font pas sur ce triangle qursquoils ont construit ou ce cercle qursquoils ont traceacute ils les font sur

les figures geacuteomeacutetriques en soi A quoi servent alors ces traceacutes Ils servent drsquoimages qui

permettent aux geacuteomegravetres de contempler les choses en soi que lrsquoon ne peut contempler que

par la penseacutee Ces figures traceacutees sont les copies des choses en soi elles sont en ce sens leurs

images De la mecircme maniegravere le monde sensible dans lequel nous sommes et qui enveloppe

lrsquoensemble de tous les ecirctres sensibles est la copie de lrsquoecirctre intelligible le plus parfait qui

enveloppe tous les vivants intelligibles Cette ideacutee implique qursquoil existe dans la philosophie

platonicienne des formes transcendantes qui srsquoeacutelegravevent au dessus du monde sensible et qui ne

sont que copieacutees dans ce monde La veacuteriteacute concernant les choses se trouverait dans le monde

intelligible seulement accessible par la penseacutee La forme est alors comprise comme la chose

en soi intelligible et transcendante Ainsi on peut drsquoores et deacutejagrave en conclure qursquoil y a une

diffeacuterence chez Platon entre la forme hors de la matiegravere et la forme dans lrsquoobjet sensible

122 Aristote en De Caelo I 9 analyse des arguments en faveur de la pluraliteacute des cieux

pour deacutefendre la theacuteorie platonicienne de lrsquouniciteacute du monde

Toutefois il est possible de se meacuteprendre sur la theacuteorie platonicienne de lrsquounivers et de

lui attribuer des conseacutequences erroneacutees voire de lrsquoutiliser afin drsquoaffirmer que le monde nrsquoest

pas unique Aristote en De Caelo I 9 srsquoengage agrave faire lrsquoexamen des arguments en faveur de

la pluraliteacute des mondes que lrsquoon pourrait tirer de la theacuteorie platonicienne de la creacuteation du

monde Nous allons alors maintenant voir quels sont ces arguments

En effet il pourrait sembler impossible qursquoil nrsquoy ait qursquoun seul ciel agrave qui examine leschoses de cette maniegravere dans tout ce qui est constitueacute ou a eacuteteacute produit que ce soit par lanature ou par lrsquoart ce sont deux choses diffeacuterentes que la forme en soi et celle qui est

18 PLATON La Reacutepublique 2002 Traduction par G Leroux

25

meacutelangeacutee agrave la matiegravere par exemple dans le cas de la sphegravere ce sont deux chosesdiffeacuterentes que la forme de la sphegravere et la sphegravere drsquoor ou la sphegravere drsquoairain et encore lafigure du cercle est diffeacuterente du cercle drsquoairain ou du cercle de bois 277b-30

Nous lrsquoavons dit plus haut dans la philosophie platonicienne il y a une distinction

entre la forme hors de la matiegravere et la forme dans la matiegravere dans la mesure ougrave la forme

intelligible (hors de la matiegravere) est transcendante et seacutepareacutee de la matiegravere Et selon Aristote il

pourrait sembler impossible agrave celui qui accepte cette distinction platonicienne de penser qursquoil

nrsquoexiste qursquoun seul monde Il srsquoagit alors de se demander premiegraverement quel est lrsquoargument

qui nous laisse penser que le ciel nrsquoest pas unique Deuxiegravemement nous nous demanderons si

Aristote deacutefend cette compreacutehension de la theacuteorie platonicienne ou srsquoil cherche agrave critiquer

ceux qui la comprennent ainsi

La theacuteorie platonicienne selon laquelle il y a une diffeacuterence entre la forme dans la

matiegravere et la forme en dehors de la matiegravere nous permet drsquoacceacuteder agrave lrsquoexemple suivant dans

le cas drsquoune sphegravere il y a la forme en soi qui est la forme purement intelligible de la sphegravere

drsquoune part et drsquoautre part il y a la sphegravere sensible constitueacutee admettons drsquoor ou drsquoairain Ces

deux types de sphegraveres sont distincts nous lrsquoavons dit pour la raison qursquoil existe une

diffeacuterence entre la forme de la sphegravere hors de la matiegravere (une forme qui est seacutepareacutee et

transcendante) et la forme de la sphegravere dans la matiegravere (une forme qui est meacutelangeacutee agrave la

matiegravere)

Puisque donc le ciel est sensible il sera une chose particuliegravere Car selon nous toutsensible existe dans la matiegravere Mais srsquoil est une chose particuliegravere lrsquoecirctre de ce ciel-ci etlrsquoecirctre du ciel pris absolument seront des choses diffeacuterentes Donc ce ciel-ci sera diffeacuterentdu ciel pris absolument ce dernier est pris comme forme et figure le premier commequelque chose de meacutelangeacute agrave la matiegravere 278a-10

Ce raisonnement appliqueacute au ciel affirme la chose suivante puisque le ciel est un

ecirctre corporel il est une chose particuliegravere Mais srsquoil est une chose particuliegravere et mateacuterielle

alors on peut en conclure que lrsquoecirctre de ce ciel particulier ne sera pas le mecircme que celui du ciel

pris en soi Ainsi le ciel particulier du fait de sa matiegravere dont parle Aristote ne sera pas le

mecircme que le ciel pris en soi crsquoest-agrave-dire en tant que Forme

26

[] cela nrsquoest pas moins vrai si rien de telle nrsquoexiste de maniegravere seacutepareacutee Dans tous lescas en effet ougrave nous voyons cela agrave savoir que la substance formelle se trouve dans lamatiegravere les ecirctres de mecircme forme sont plusieurs et mecircme en nombre infini De sorte qursquoilexiste plusieurs cieux ou qursquoil peut en exister plusieurs 278a-15-20

Mais ces individus qui comprennent lrsquoargument de Platon comme un argument en

faveur de la pluraliteacute du ciel affirment que mecircme srsquoil nrsquoy avait pas de forme seacutepareacutee du

sensible il y aurait quand mecircme plusieurs cieux Mais pourquoi affirment-ils cela Parce

qursquoil peut y avoir plusieurs ecirctres composeacutes de mecircme forme La forme dans la matiegravere nrsquoest

pas neacutecessairement unique la forme de deux chaises diffeacuterentes est la mecircme ce qui fait sa

particulariteacute est la matiegravere Mais il nrsquoest pas contradictoire qursquoil y ait une infiniteacute de chaises

il ne peut y avoir qursquoune seule forme seacutepareacutee et transcendante de la chaise par contre il peut

y avoir un nombre immense de chaises mateacuterielles et potentiellement une infiniteacute dans la

mesure ougrave cela nrsquoest pas contradictoire avec la nature de la forme dans le composeacute

Du fait de la nature mateacuterielle du composeacute ceux qui interpregravetent Platon de cette

maniegravere concluent qursquoil peut tout agrave fait exister plusieurs cieux Il peut en effet y avoir une

infiniteacute de corps mateacuteriels pour une forme seacutepareacutee de la matiegravere unique Il srsquoagira alors pour

Aristote de reprendre ces arguments et drsquoen faire lrsquoexamen afin de savoir lesquels sont fondeacutes

et lesquels ne le sont pas Nous nous eacutetions alors demandeacute quels eacutetaient les arguments qui

laissaient penser que le ciel pouvait ne pas ecirctre unique drsquoune part et drsquoautre part si Aristote

deacutefendait les conclusions auxquelles aboutissait cette certaine compreacutehension de Platon ou srsquoil

les jugeait erroneacutees

123 Aristote en De Caelo I 9 arguments aristoteacuteliciens en faveur de lrsquouniciteacute du ciel

Mais quelle est donc la position drsquoAristote sur la question de lrsquouniciteacute du monde

Deacutefend t-il Platon Est-il en deacutesaccord avec Platon Leurs arguments diffeacuterent-ils Pour

reacutepondre agrave ces questions nous eacutetudierons de maniegravere lineacuteaire la suite du chapitre

Que donc la deacutefinition de la forme sans la matiegravere et celle de la forme dans la matiegraveresoient diffeacuterentes lrsquoune de lrsquoautre on le dit avec raison et tenons-le pour vrai Il nrsquoy aneacuteanmoins aucune neacutecessiteacute agrave conclure de cela qursquoil existe plusieurs mondes ni qursquoil peuten exister plusieurs srsquoil est vrai que ce monde-ci est composeacute de lrsquoensemble de lamatiegravere comme cela est le cas 278a25

27

Il est possible drsquoaffirmer avec veacuteriteacute selon Aristote que la forme dans la matiegravere et la

forme sans la matiegravere sont deux choses diffeacuterentes Mais nous lrsquoavons dit en 278a25 Aristote

affirme que de cela nous ne pouvons pas induire la neacutecessiteacute ou la possibiliteacute qursquoil en existe

plusieurs car il est vrai que le monde est composeacute de lrsquoensemble de la matiegravere Aristote

affirme alors qursquoil ne saurait y avoir un autre monde puisque le monde est constitueacute de

lrsquoensemble de la matiegravere

A ce moment de lrsquoexamen des arguments exposeacutes plus tocirct nous trouvons dans le De

Caelo une explication des trois sens du mots ciel Dans la mesure ougrave nous avons exposeacute plus

tocirct ce qursquoeacutetaient ces trois ciels nous ne ferons que rappeler ce passage en le restituant

briegravevement Puisque nous avons exposeacute plus haut le ciel de trois maniegraveres nous comprenons

bien qursquoil ne peut rien exister en dehors du ciel dans la mesure ougrave le ciel srsquoentend dans un

sens comme le Tout ou la totaliteacute de ce qui est enveloppeacute par la circonfeacuterence la plus

eacuteloigneacutee Rappelons-le le laquo ciel raquo se dit en plusieurs sens le ciel est le corps qui se trouve

sur la circonfeacuterence la plus eacuteloigneacutee Le ciel est donc lrsquoextreacutemiteacute en un sens En un second

sens le ciel est le corps qui est dans la continuiteacute de la circonfeacuterence la plus eacuteloigneacutee et dans

laquelle se trouvent certains astres tel que le Soleil la Lune et drsquoautres En un troisiegraveme sens

et crsquoest ce sens qui permet de montrer que le ciel possegravede lrsquoensemble de la matiegravere le ciel est

dit du Tout ou de la totaliteacute qui est enveloppeacutee par la circonfeacuterence la plus eacuteloigneacutee En

drsquoautres termes le ciel est la totaliteacute de ce qui est enveloppeacute par le corps situeacute agrave lrsquoextreacutemiteacute du

ciel De cela nous pouvons conclure la chose suivante selon Aristote

Le ciel eacutetant pris en ces trois sens la totaliteacute enveloppeacutee par la derniegravere circonfeacuterence estneacutecessairement constitueacutee de lrsquoensemble du corps naturel sensible du fait qursquoil nrsquoexisteaucun corps en dehors du ciel et qursquoil ne peut pas y en avoir Supposons en effet qursquoilexiste un corps naturel en-dehors de la derniegravere circonfeacuterence il serait neacutecessaire qursquoilfasse partie soit des corps simples soit des corps composeacutes et que son eacutetat soit naturelou contre-nature Or il ne pourrait ecirctre lrsquoun des corps simples 278b20-25

Postulons qursquoil existe un corps naturel qui soit au-delagrave de la derniegravere circonfeacuterence Si

ce corps naturel existe il est neacutecessaire puisque les corps se divisent seulement en deux

cateacutegories qursquoil soit simple ou composeacute Nous avons vu qursquoun corps simple eacutetait un corps

naturel dont le mouvement eacutetait deacutetermineacute par sa nature En effet un corps simple a un

28

mouvement rectiligne (vers le haut ou vers le centre) ou un mouvement circulaire Pour ce

qui est des mouvements rectilignes Aristote affirme que le corps simple ne pourrait pas se

trouver au-delagrave du ciel car les corps simples qui existent au nombre de quatre le feu lrsquoair

lrsquoeau et la terre sont en totaliteacute rassembleacutes dans le monde de sorte qursquoil nrsquoy en a aucune

quantiteacute agrave lrsquoexteacuterieur de celui-ci De plus puisque chaque corps simple a un mouvement

naturel qui le megravene agrave son milieu naturel (milieu naturel qui se trouve dans le monde) alors

cela signifie que lrsquoexteacuterieur du monde serait son milieu contre-nature Si tel est le cas alors le

milieu contre-nature qui est lrsquoexteacuterieur du ciel serait le milieu naturel drsquoun autre corps ce qui

nrsquoest pas possible en vertu du fait qursquoil nrsquoexiste aucune matiegravere en dehors du ciel Et pour ce

qui est du corps simple dont le mouvement est circulaire crsquoest-agrave-dire lrsquoeacutether nous avons vu

que son milieu naturel eacutetait le ciel et qursquoil nrsquoavait pas de milieu contre-nature Or srsquoil eacutetait en

dehors du ciel dans la mesure ougrave son milieu naturel est le ciel cela signifierait qursquoil serait

dans son milieu contre-naturel ce qui nrsquoest pas possible

Et si aucun des corps simples nrsquoy est aucun des corps mixtes nrsquoy est non plus car il estneacutecessaire que si un corps mixte srsquoy trouve les corps simples y soient aussi 279a1-2

Pour les corps composeacutes lrsquoargument est le mecircme Le corps composeacute est un corps qui

contient un meacutelange de plusieurs eacuteleacutements mais son mouvement se fait en fonction de

lrsquoeacuteleacutement qui domine en lui (il a donc un mouvement simple en fonction du corps simple qui

le constitue) Un corps admettons composeacute a 60 de terre et 40 de feu sera attireacute vers le

centre Ainsi il est neacutecessaire que ce corps simple ou composeacute ait un lieu naturel ou contre-

nature puisqursquoil est en mouvement vers son lieu naturel ou en mouvement vers un lieu contre-

nature De plus il y a deux types de mouvement lrsquoun circulaire et lrsquoautre rectiligne Pour le

corps qui se meut en cercle naturellement il nrsquoy a aucun lieu qui soit contre-nature dans la

mesure ougrave il nrsquoest ni geacuteneacuterable ni corruptible nous lrsquoavons vu Ce corps ne peut donc pas

changer de lieu naturel pour un autre lieu Aristote conclut par la force mecircme des arguments

contenus dans le De Caelo et de lrsquoorganisation du monde qui repose sur les notions de milieu

naturel et de mouvement naturel que le monde est formeacute de lrsquoensemble de la matiegravere et qursquoil

ne pourrait pas y avoir un autre ciel Le ciel est donc unique

Mais Aristote ne srsquoarrecircte pas agrave lrsquoaffirmation selon laquelle le ciel est unique Il ajoute

Il est en mecircme temps clair qursquoil nrsquoy a ni lieu ni vide ni temps en dehors du ciel En toutlieu en effet il est possible qursquoil existe un corps et lrsquoon dit que le vide est ce en quoi il

29

nrsquoy a pas de corps mais ougrave il est possible qursquoil en vienne un quant au temps crsquoest lenombre drsquoun mouvement et il nrsquoexiste pas de mouvement sans corps naturel 279a10

Il nrsquoy a pas de lieu pas de vide et pas de temps en dehors du ciel selon Aristote Mais

pourquoi Il ne peut y avoir de lieu car en tout lieu il est possible qursquoil y ait un corps Il nrsquoy a

pas non plus de vide dans la mesure ougrave le vide est deacutefini comme ce en quoi il nrsquoy a pas de

corps mais ougrave il pourrait y en avoir un Srsquoil existait un lieu qui nrsquoabrite aucun corps alors ce

lieu serait vide et srsquoil existe un lieu vide alors il pourrait y avoir un corps Mais puisque rien

ne peut venir agrave lrsquoecirctre en dehors du ciel pour les raisons invoqueacutees plus haut alors il ne peut ni

y avoir de vide ni de lieu en dehors du ciel De plus on se repreacutesente le vide comme un lieu

ougrave il nrsquoy a rien or il nrsquoy a pas de lieu en dehors du ciel Crsquoest lrsquoargument drsquoAristote pour

deacutefendre lrsquoideacutee qursquoil nrsquoy a ni lieu ni vide en dehors du ciel Mais pourquoi nrsquoy aurait-il pas de

temps Parce que le temps est deacutefini comme eacutetant le nombre drsquoun mouvement Le

mouvement eacutetant un changement selon le lieu drsquoune part et drsquoautre part la proprieacuteteacute drsquoun

corps dans la mesure ougrave il nrsquoy a pas de lieu et pas de corps en dehors du ciel il ne peut pas

non plus y avoir de mouvement

30

Chapitre 2 Deacutebat sur la question des ecirctres de laquo lagrave-bas raquo

durant lrsquoAntiquiteacute Aristote agrave Simplicius

31

21 Compreacutehension antique du laquo τἀκεῖ raquo du De Caelo au commentaire de Simplicius

211 τἀκεῖ De Caelo I 9 279a15-b3

Nous nous sommes donc dans le premier moment de notre propos familiariseacute avec

les concepts aristoteacuteliciens et avec la conception aristoteacutelicienne du ciel afin de pouvoir par la

suite ecirctre le plus clair possible De plus la lecture du De Caelo nous a permis de rendre

compte de son contenu drsquoune part et de ses problegravemes drsquoautres part Crsquoest alors dans un

contexte drsquoexamen des interpreacutetations platoniciennes de lrsquouniciteacute du monde et dans un

contexte drsquoexposition drsquoarguments en faveur de lrsquouniciteacute du monde qursquoapparaicirct la notion qui

dans notre propos est probleacutematique la notion de takei La seconde partie de notre propos

consistera alors agrave rendre compte drsquoun passage fort obscur du De Caelo I 9 en lrsquoanalysant A la

suite de cela nous restituerons les arguments de Simplicius et drsquoAlexandre drsquoAphrodise

respectivement en faveur du takei comme notion signifiant le Premier Moteur Immobile ou la

sphegravere des fixes Il srsquoagira alors de comprendre quelles eacutetaient les thegraveses dominantes durant

lrsquoAntiquiteacute concernant le passage du De Caelo qui nous inteacuteresse et surtout comment elles

eacutetaient deacutefendues

Tout ce qui plus haut a eacuteteacute dit nous a permis de justifier la question suivante nous

avons vu que le ciel eacutetait unique et que ni matiegravere ni lieu ni vide et ni temps ne pouvait se

trouver hors du ciel Nous avons de plus affirmeacute que rien ne pouvait venir agrave lrsquoecirctre en dehors

du ciel Alors pourquoi dans le chapitre 9 du premier livre du De Caelo Aristote en arrive agrave

la conclusion suivante

Crsquoest pourquoi les ecirctres de lagrave-bas par nature nrsquoont ni lieu ni temps qui les fasse vieillir etil nrsquoy a pas non plus aucun changement pour les ecirctres qui sont disposeacutes au-dessus de latranslation la plus exteacuterieure inalteacuterables et impassibles ils ont la meilleure et la plusautonome des vies qursquoils megravenent pour toute sa dureacutee

Ce passage tregraves obscur est lrsquoobjet preacutecis de notre meacutemoire Quel est le lien entre le

fait que le monde soit unique que rien ne puisse venir agrave lrsquoecirctre en dehors du ciel pour la raison

qursquoil nrsquoy a ni matiegravere ni lieu ni vide ni temps au-delagrave du ciel et la citation ci-dessus Il est

difficile de le dire Il semblerait agrave premiegravere vue que la conclusion agrave laquelle arrive Aristote

est la suivante srsquoil nrsquoy a pas de lieu de vide de temps et de matiegravere alors les ecirctres qui sont

32

au-delagrave du ciel nrsquoont ni lieu ni temps ni vide ni corps Pourtant il a affirmeacute auparavant que

rien ne pouvait venir agrave lrsquoecirctre ou ecirctre venu agrave lrsquoecirctre en dehors du ciel Ce qui est eacutetonnant est

contenu de la conclusion mais aussi principalement le fait que la forme de cette conclusion

preacutesuppose qursquoil existe des ecirctres au-delagrave du ciel ou du moins elle nrsquoexclut pas qursquoil y en ait

Mais si cela est vrai alors ces ecirctres nrsquoont par nature aucun lieu aucun temps aucun corps

sensible donc aucun mouvement Que pourrait-il exister qui ne soit ni dans un lieu ni

corporel et qui nrsquoait pas de temps Chose eacutetonnante il affirme qursquoil nrsquoy a pas de lieu en

dehors du ciel tout en affirmant que des ecirctres se trouvent laquo lagrave-bas raquo deacutesignant un lieu qui nrsquoest

pas censeacute exister Plus encore Aristote les situe preacuteciseacutement ils sont au dessus de la

translation la plus exteacuterieure Cette translation la plus exteacuterieure est la circonfeacuterence la plus

eacuteloigneacutee du centre crsquoest le ciel compris dans son premier sens la sphegravere des fixes Le

problegraveme est donc de savoir ce que sont ces ecirctres hors du ciel dans la mesure ougrave ils ne sont

dans aucun lieu mais sont situeacutes quelque part De plus comment maintenir la continuiteacute entre

le deacutebut de ce texte dont lrsquoobjet sont les ecirctres de lagrave-bas alors qursquoagrave la fin du texte il est

question du corps qui se meut en cercle Comment drsquoailleurs comprendre le rapport entre les

deux dans la mesure ougrave il est dit des ecirctres de lagrave-bas qursquoils sont sans mouvement parfaitement

immobile alors qursquoil est dit de lrsquoecirctre divin drsquoune part qursquoil est immobile ne pouvant pas ecirctre

mucirc par quelque chose drsquoexteacuterieur agrave lui mais que son mouvement est circulaire Comment

lrsquoecirctre le plus divin peut-il ecirctre immobile et se mouvoir en cercle De plus que peut-il y avoir

en dehors du Tout ou de la totaliteacute Et srsquoil y a quelque chose en dehors du Tout le Tout reste-

t-il la totaliteacute dans la mesure ou il nrsquoinclurait pas tout

Il est dit de ces ecirctres qursquoils nrsquoont pas de temps et qursquoils ne changent pas En effet le

changement est compris comme un mouvement et vice-versa Le mouvement est la proprieacuteteacute

drsquoun corps Il ne peut donc y avoir aucun mouvement en dehors du ciel et aucun changement

La geacuteneacuteration et la corruption sont eacutegalement des changements mais puisque rien ne peut

venir agrave lrsquoecirctre hors du ciel alors rien ne peut ecirctre geacuteneacutereacute et rien ne peut se corrompre Ce qui

implique que les ecirctres de lagrave-bas sont ingeacuteneacuterables et incorruptibles Aristote lrsquoaffirme ils sont

inalteacuterables et impassibles Mais qursquoest-ce que lrsquoalteacuteration chez Aristote Nous lrsquoavons

eacutegalement vu lrsquoalteacuteration est un changement dans la qualiteacute de la chose cela signifie que srsquoils

sont inalteacuterables leurs qualiteacutes ne peuvent pas changer Lrsquoimpassibiliteacute quant agrave elle implique

qursquoils ne peuvent ecirctre affecteacutes drsquoaucune maniegravere On note eacutegalement dans le texte drsquoorigine en

grec ancien lrsquoutilisation du pluriel pour deacutefinir ce qui se trouve au-dessus de la translation la

plus exteacuterieure τἀκεῖ On sait donc par conclusion qursquoil y a quelque chose en dehors du ciel

33

qui nrsquoa ni lieu ni temps qui est inalteacuterable impassible et qui nrsquoest pas seul en effet le

pluriel de ce terme grec qui signifie laquo les choses de lagrave-bas raquo nous rappelle qursquoil nrsquoexiste pas

qursquoun seul ecirctre lagrave-bas mais plusieurs Ces ecirctres inalteacuterables et impassibles sans temps et sans

lieu sont par conseacutequent eacuteternels De plus Aristote nous dit qursquoils ont la vie la meilleure et la

plus autonome qui soit Crsquoest-agrave-dire qursquoils ne deacutependent de rien drsquoautre que drsquoeux-mecircmes

pour ecirctre Preacuteciser que leur vie est la laquo meilleure raquo implique-t-il une comparaison avec un

autre style de vie autonome agrave un degreacute infeacuterieur Par exemple celle des corps qui ont un

mouvement eacuteternel et simple dans leur milieu naturel qui nrsquoa pas de contraire et qui implique

que les astres soient eacuteternels Cette vie autonome les takei la megravenent pour toute sa dureacutee Mais

pourquoi Aristote affirme une telle chose alors mecircme qursquoil nrsquoy a pas de temps Quel est le

rapport entre le temps et la dureacutee

[hellip] car le terme qui enveloppe le temps de la vie de chacun hors duquel on nrsquoestrien selon la nature a eacuteteacute appeleacute laquo dureacutee de vie raquo de chacun

La dureacutee de vie de chacun est donc ce qui enveloppe le temps de la vie de chacun

Mais srsquoil nrsquoy a pas de temps comment peut-il y avoir quelque chose enveloppeacute par la dureacutee

Si la dureacutee de vie de chacun est ce qui enveloppe le temps de la vie de chacun alors la dureacutee

de vie eacuteternelle des ecirctres de lagrave-bas est ce qui enveloppe le temps de la vie eacuteternelle de ces

ecirctres Sans temps il ne pourrait donc pas y avoir de dureacutee car la dureacutee nrsquoenvelopperait rien

Le temps est ce qui chez Aristote est relatif au combien de temps La question du laquo combien

de temps raquo suppose qursquoil y a du temps qui passe donc un mouvement qui se produit Mais

hors du ciel il nrsquoy a ni corps ni mouvement ni temps donc comment les ecirctres de lagrave-bas

peuvent-ils avoir la vie pour toute sa dureacutee

La dureacutee est la totaliteacute du temps de la vie de quelque chose et crsquoest aussi le terme qui

englobe la totaliteacute du temps du ciel Le ciel compris comme un Tout ou une totaliteacute crsquoest-agrave-

dire la troisiegraveme maniegravere de parler du ciel est une dureacutee On considegravere que comme le terme

de laquo dureacutee raquo a une origine commune avec le laquo fait drsquoexister toujours raquo alors le ciel qui est une

dureacutee est une dureacutee en vertu du fait qursquoil dure toujours Ainsi le ciel est immortel et divin car

il existe toujours sans srsquoarrecircter

Le problegraveme qui se pose est alors celui de comprendre le rapport entre les deux parties

de ce texte on y traite dans un premier temps en 279a15 des ecirctres qui seraient disposeacutes au-

delagrave du ciel en les caracteacuterisant comme eacutetant des ecirctres qui ne sont dans aucun lieu et soumis agrave

34

aucun changement A partir de la notion de dureacutee il argumente en faveur de lrsquoeacuteterniteacute du ciel

Pourquoi semble-t-il y avoir une discontinuiteacute dans lrsquoobjet de cet extrait

Aristote affirme que la dureacutee a un terme qui permet de mesurer le temps qui passe

alors que le ciel nrsquoen a pas Il en vient alors agrave parler de lrsquoecirctre divin duquel deacutepend la vie de

tout ce qui existe En effet la limite du ciel est la sphegravere des fixes en ce sens elle est ce qui

enveloppe le monde Toutefois il nous semble que la notion de dureacutee interrompe le discours

portant sur les ecirctres de lagrave-bas Srsquoil eacutetait au deacutepart question des takei il est deacutesormais question

de la sphegravere des fixes Sont-ils une seule et mecircme chose Telle est la question que les lecteurs

peuvent se poser et qui permettrait drsquounifier le texte

Et par exemple dans les travaux de philosophie destineacutes au grand public portant sur lesecirctres divins on deacuteclare souvent en srsquoappuyant sur des raisonnements que tout ecirctre divineacutetant premier et au-dessus des autres est neacutecessairement immuable 279A31-33

Nous arrivons alors au passage que nous avons eacutetabli comme eacutetant la partie C Aristote

se reacutefegravere agrave des travaux de philosophie portant sur les ecirctres divins La question que nous nous

posons ainsi que les interpregravetes est celle de savoir si les ecirctres divins dont il est question sont

les takei de la partie A Il existe alors un doute dans la compreacutehension de ce passage qui

reacutesulte drsquoune impression de discontinuiteacute entre la partie A et la partie C mais non pas drsquoune

opposition entre celles-ci Le problegraveme survient agrave cause drsquoun doute sur la coiumlncidence entre

lrsquoexpression takei et lrsquoexpression theion (ecirctres divins) Ces travaux de philosophie portant sur

les ecirctres divins affirme que les ecirctres divins sont immuables Pour Aristote cela teacutemoigne en

faveur de ce qursquoil a affirmeacute plus tocirct rien ne peut mouvoir le divin sinon cette chose serait

plus divine que le divin et ce nrsquoest pas possible

Il existe alors un deacutebat concernant ce passage Degraves lrsquoAntiquiteacute deux commentateurs

drsquoAristote srsquoaffrontent sur la question de lrsquoidentiteacute des takei Ces deux interpreacutetations sont

celle de Simplicius et celle drsquoAlexandre Le premier deacutefend lrsquoideacutee que lrsquoexpression takei

renvoie au Premier Moteur Immobile alors que le second deacutefend qursquoil srsquoagit de la sphegravere des

fixes Ces deux interpreacutetations se font alors concurrence et ont donneacute naissance agrave une longue

tradition interpreacutetative que nous eacutetudierons plus tard

On peut alors se demander quelle uniteacute il existe dans cet extrait du De Caelo de la fin

du chapitre 9 Livre I Il semblerait que les ecirctres dont nous parle Aristote et qui se situent au-

35

delagrave de la translation la plus exteacuterieure soient des corps qui se meuvent en cercle car ils ont en

commun certaines proprieacuteteacutes lrsquoeacuteterniteacute la dureacutee sans fin lrsquoautonomie Or il srsquoavegravere que les

ecirctres de lagrave-bas sont exteacuterieurs au ciel alors que les corps qui se meuvent en cercle sont dans le

ciel Ils sont de plus composeacutes de la matiegravere qursquoest lrsquoeacutether ce qui implique qursquoils ne puissent

pas ecirctre au-delagrave du ciel dans la mesure ougrave il nrsquoexiste aucune matiegravere en dehors du ciel ni

aucun mouvement

222 Le commentaire perdu drsquoAlexandre possibles reacuteponses au problegraveme du laquo τἀκεῖ raquo

Nous avons vu que De Caelo I 9 srsquoachevait sur un passage fort mysteacuterieux En effet

dans la partie A du texte que nous avons citeacute au deacutebut de notre propos Aristote affirme et

prouve par les arguments que nous avons vu plus tocirct qursquoil nrsquoexiste rien en dehors du ciel ni

lieu ni vide ni temps ni matiegravere Vient alors la conclusion que les ecirctres se trouvant en dehors

du ciel ne sont dans aucun lieu nrsquoont ni matiegravere ni temps qui les fassent vieillir Il srsquoagira

alors drsquoaborder les interpreacutetations antiques de ce passage dans le but de comprendre quelles

sont les hypothegraveses quant agrave lrsquoidentiteacute de ces ecirctres (τἀκεῖ en grec) et les arguments pour les

deacutefendre

Nous allons alors commencer par examiner lrsquointerpreacutetation drsquoAlexandre drsquoAphrodise

du De Caelo I 9 telle qursquoelle nous a eacuteteacute transmise par Simplicius dans son commentaire

Alexandre propose deux lectures hypotheacutetiques de cet extrait En effet il se demande

ce agrave quoi fait reacutefeacuterence Aristote lorsqursquoil emploie le terme de laquo τἀκεῖ raquo Soit ce qui est deacutecrit

comme eacutetant un ecirctre en dehors du ciel qui nrsquoest dans aucun lieu et qui nrsquoa pas de temps qui le

fasse vieillir renvoie agrave la doctrine du Premier Moteur Soit cela fait reacutefeacuterence agrave la sphegravere des

fixes Nous allons nous inteacuteresser agrave la premiegravere hypothegravese

Qursquoest-ce que le Premier Moteur En Meacutetaphysique Λ 1072b5 Aristote affirme que

le Premier Moteur est une substance et un acte Cela signifie que le Premier Moteur est une

substance eacuteternelle du fait qursquoelle nrsquoest pas mateacuterielle qui meut le Premier Ciel tout en eacutetant

immobile ce qui implique qursquoil soit tel qursquoil ne puisse jamais ecirctre autrement qursquoil nrsquoest En

effet la sphegravere des fixes eacutetant du domaine du divin et eacutetant mucirc de maniegravere continue et

eacuteternelle doit avoir un moteur qui soit parfaitement immobile car plus parfait qursquoelle De

plus cela permet drsquoexpliquer lrsquoeacuteterniteacute du mouvement ceacuteleste dans la mesure ougrave ce qui est la

cause drsquoun mouvement eacuteternel doit aussi ecirctre eacuteternel sans quoi elle se corromprait et le ciel

36

cesserait son mouvement ce qui nrsquoest pas possible Il y a donc une sorte de hieacuterarchie du

point de vue de la substance Crsquoest-agrave-dire que Aristote identifie trois substances deux

sensibles dont une corruptible une eacuteternelle La troisiegraveme substance quant agrave elle est dite

laquo motrice raquo puisqursquoelle est agrave lrsquoorigine du premier mouvement qui est celui du ciel Celle-ci

puisqursquoelle est agrave lrsquoorigine du mouvement du Premier Ciel est plus divine et plus parfaite

Qursquoest ce qursquoimplique lrsquohypothegravese selon laquelle le τἀκεῖ serait le premier moteur Le

premier moteur immobile est ce qui est agrave lrsquoorigine du premier mouvement crsquoest-agrave-dire le

mouvement en cercle du corps simple qursquoest le ciel Ce moteur est unique et eacuteternel Parce

que le lieu du plus divin est le plus haut on comprend le premier moteur comme eacutetant au

dessus du ciel puisqursquoil est plus divin que lui et est ce qui le met en mouvement Crsquoest

lrsquohypothegravese drsquoAlexandre sur la possibiliteacute que les laquo ecirctres de lagrave-bas raquo renvoient agrave la doctrine du

Premier Moteur Il nrsquoest dans aucun corps donc il est hors du ciel et il nrsquoest pas dans un lieu

puisqursquoil nrsquoest pas corporel et mateacuteriel Toutefois le pluriel utiliseacute par Aristote rend

compliqueacute cette hypothegravese dans la mesure ougrave le Premier Moteur immobile est unique affirme

Fabienne Baghdassarian19 Alexandre dit Simplicius affirme que cette theacuteorie nrsquoest pas

vraisemblable bien qursquoil propose cette lecture nrsquoest pas veacuteritablement en faveur de celle-ci Il

affirme la chose suivante dans le commentaire de Simplicius

If by lsquoabove the outermost movementrsquo he were speaking about the first cause (Alexandersays) he would be referring to [the region] above the orbit of the sphere of the fixed[starts] while if he were saying these things about the divine body the lsquooutermostmovementrsquo would mean the furthest of the rectilinear motions [hellip] So above thefurthest movement there is all of the revolving body which he says is neither in place norin time being eternal and ageless For while the divine body as a whole is not in placeparts of it are in place the spheres of the planets are in place20

En effet Alexandre pensait que si Aristote avait voulu parler du Premier Moteur il

aurait explicitement utiliseacute lrsquoexpression περɩ φορά et non pas φοράν Aristote utilise selon

Alexandre lrsquoexpression περɩ φορά pour deacutesigner le mouvement circulaire et non pas φοράν

qui deacutesigne le mouvement rectiligne Simplicius va critiquer cet argument en deacutefaveur de la

reacutefeacuterence au Premier Moteur drsquoAlexandre en affirmant qursquoAristote utilise aussi φοράν pour

deacutesigner le mouvement circulaire

19 Baghdassarian F opcit20 SIMPLICIUS 2881-9

37

Alexandre propose apregraves la premiegravere hypothegravese concernant la reacutefeacuterence au Premier

Moteur Immobile une seconde hypothegravese selon laquelle le τἀκεῖ renvoie agrave la sphegravere des fixes

Il fait donc reacutefeacuterence au livre 4 de la Physique Dans ce chapitre il deacutefinit le lieu comme laquo la

limite du corps englobant raquo La sphegravere des fixes nrsquoest dans aucun lieu dans la mesure ougrave elle

nrsquoest englobeacutee par aucun corps En effet le cosmos aristoteacutelicien srsquoorganise de la maniegravere

suivante il y a le centre de lrsquounivers qui est enveloppeacute par la limite du corps qui se trouve

dans la reacutegion sublunaire Autour de cette reacutegion sublunaire se trouve le corps ceacuteleste qui est

la sphegravere des fixes comme un corps englobant le ciel compris comme un Tout Entre la Lune

et la sphegravere des fixes se trouve le corps dans la continuiteacute de la sphegravere des fixes sur lequel se

trouvent certains astres comme le Soleil Jupiter et drsquoautres Mais rien nrsquoenveloppe la sphegravere

des fixes ce qui implique que la sphegravere des fixes nrsquoest dans aucun lieu Donc srsquoil se reacutefegravere

aux ecirctres divins au-delagrave de la translation la plus exteacuterieure cela signifie que la translation la

plus exteacuterieure est en fait le mouvement rectiligne le plus haut celui du feu Mais pourquoi le

mouvement rectiligne serait le mouvement le plus haut Nous avons affirmeacute que le lieu eacutetait

la limite du corps englobant or la sphegravere des fixes nrsquoest englobeacutee par rien ce qui implique

que la sphegravere des fixes (le premier ciel) nrsquoest dans aucun lieu Le lieu qui existe est ce qui se

trouve enveloppeacute par la sphegravere des fixes crsquoest-agrave-dire le corps qui est dans la continuiteacute de la

sphegravere des fixes (lrsquoeacutether) et sur lequel se trouvent certains astres puis seacutepareacute par la Lune le

monde sublunaire dont le mouvement du feu est le mouvement rectiligne le plus haut Cet

argument selon Alexandre permet de montrer que cet extrait porte sur la sphegravere des fixes et

non des reacutealiteacutes qui seraient en dehors du ciel Le ciel au sens premier nrsquoeacutetant ni dans un lieu

ni soumis au temps le τἀκεῖ qualifieacute comme nrsquoeacutetant ni dans un lieu ni soumis agrave aucun

changement du fait de son absence du temps se reacutefeacutererait alors agrave la sphegravere des fixes

On peut alors conclure que Alexandre preacutefegravere lire ce texte en supposant qursquoAristote se

reacutefegravere au corps simple qui se meut en cercle lorsqursquoil parle des laquo ecirctres de la-bas raquo crsquoest-agrave-dire

au ciel au sens de la sphegravere des fixes

213 Compreacutehension et hypothegravese de Simplicius sur les ecirctres de lagrave-bas

Simplicius propose une autre lecture possible de ce passage Simplicius est le chef de

file tout comme Alexandre qui considegravere que le τἀκεῖ est une reacutefeacuterence au premier ciel drsquoune

longue tradition interpreacutetative selon laquelle le Premier Moteur Immobile serait ce qui est viseacute

par Aristote dans lrsquoensemble du passage qui nous inteacuteresse Il laisse en 2888 de cocircteacute

38

lrsquointerpreacutetation drsquoAlexandre du problegraveme du τἀκεῖ et reprends son commentaire lineacuteaire du

De Caelo

After saying that things divine are lsquopossessed of the best and most self-sufficient of livesrsquoand that lsquothey persist throughout all the agesrsquo he wishes also to establish theirimmortality and eternality on the basis of the word lsquoagersquo [hellip] For we call the completeand all-embracing time of the life of something its age lsquobeyond which there is nonenaturalrsquo21 2888

Aristote cherche agrave fonder lrsquoimmortaliteacute du corps ceacuteleste qursquoest le ciel au sens de la

sphegravere des fixes sur lrsquoorigine du mot laquo dureacutee raquo En effet il existe un rapport eacutevident entre le

premier ciel qui englobe tout et la dureacutee crsquoest-agrave-dire le terme qui englobe la totaliteacute du temps

de la vie de chaque choses Le ciel comme la dureacutee sont englobants ainsi il nrsquoest pas eacutetonnant

drsquoaffirmer que dans la mesure ougrave le ciel (crsquoest-agrave-dire la sphegravere des fixes) nrsquoest pas englobeacute

par la dureacutee puisqursquoil nrsquoy a pas de temps en dehors du ciel et qursquoil nrsquoy a pas de dureacutee sans

temps qui passe le corps qui srsquoy trouve nrsquoest pas soumis agrave la corruption et agrave la mort il est

immortel

Simplicius se reacutefegravere alors agrave une œuvre perdue drsquoAristote De la philosophie22 dans le

but de donner lrsquoargument aristoteacutelicien en faveur de lrsquoeacuteterniteacute du divin afin de preacuteparer

lrsquoargument selon lequel les ecirctres de lagrave-bas seraient les intelligibles Lrsquoargument drsquoAristote est

le suivant partout ou il y a quelque chose de mieux il y a quelque chose de meilleur le

divin Aristote affirme qursquoune chose peut ecirctre mise en mouvement par deux causes possibles

par une chose qui lui est exteacuterieure ou par elle-mecircme Si ce qui meut un corps est une cause

exteacuterieure il est neacutecessaire qursquoelle soit meilleure que ce qursquoelle meut ou moins bonne Si

crsquoest par elle-mecircme alors il est neacutecessaire que ce soit vers quelque chose de meilleur ou vers

quelque chose de pire Aristote dans le DP affirme qursquoil nrsquoy a rien de meilleur que le divin

sinon cette chose serait plus divine que le divin Donc rien ne peut changer le divin puisque

qursquoil ne manque drsquoaucun des biens et est parfaitement bon Puisqursquoil nrsquoy a rien de mauvais

chez le divin cela implique qursquoil ne puisse pas ecirctre mucirc vers le pire ni par un autre ni par lui-

mecircme Le divin se changerait-il lui mecircme Simplicius se reacutefegravere pour reacutepondre agrave cette

21 Simplicius 2888 22 Traiteacute perdu drsquoAristote dont le passage du De Caelo laquo les ecirctres de lagrave-bas raquo semble issu ou srsquoy reacutefegravere tout du

moins

39

question au livre II de La Reacutepublique de Platon dans lequel Platon affirme que le meilleur et

le plus divin est ce qui subit le moins de changement ou aucun changement de lrsquoexteacuterieur A

partir de lagrave il se pose la question de savoir si le divin qui ne peut pas ecirctre alteacutereacute par ce qui lui

est exteacuterieur du fait qursquoil est le meilleur srsquoaltegravere lui-mecircme vers le meilleur ou vers le pire

Dans la mesure ougrave le divin possegravede tous les biens srsquoil srsquoaltegravere ce sera neacutecessairement vers le

pire car il ne peut pas ecirctre plus parfait qursquoil ne lrsquoest deacutejagrave Mais puisque personne ne se

changerait pour le pire et le moins beau volontairement alors cela implique que le divin ne se

change pas

Ces arguments tireacutes de La Reacutepublique II et du De Philosophia permettraient alors agrave

Simplicius de critiquer la theacuteorie drsquoAlexandre Aristote ne peut pas se reacutefeacuterer agrave la sphegravere des

fixes dans la mesure ougrave celle-ci est en mouvement Son mouvement est certes eacuteternel car il

ne connaicirct aucun changement son lieu de deacutepart est son lieu drsquoarriveacutee donc son mouvement

est eacuteternel Mais cela implique qursquoil soit mucirc par quelque chose qui neacutecessairement est plus

divin que lui et qui ne peut pas ecirctre en mouvement drsquoaucune maniegravere que ce soit

That not all of it can be interpreted as applying to the heavenly body is clear Ithink from what has just been said For having shown that there is no body either simpleor composite outside the heaven he argued lsquoat the same time it is clear that there can beneither place void nor time beyond the heavensrsquo And having shown this and concludedlsquotherefore it is obvious that there is neither place nor void nor time outside he theninfers as it were from what has been said some corollaries lsquofor this reason the thingswhich are of a nature to be there are not in place nor can time cause them to grow oldand so on by lsquothe things therersquo clearly meaning those outside the heaven So how couldthe heaven be said to be outside the heaven And how could he say that there is nochange of any kind for any of the heavenly bodies when he sees that their change ofplace is unceasing And neither does he say that the things which are positioned abovethe furthest movement are heavenly bodies23

On ne peut donc pas interpreacuteter tout le texte comme eacutetant au sujet des corps ceacutelestes

pour Simplicius en raison de ce qui a eacuteteacute dit par Aristote Puisqursquoil a montreacute qursquoil nrsquoy avait

pas de corps en dehors du ciel car celui-ci eacutetait constitueacute de lrsquoensemble de la matiegravere il

affirme qursquoil nrsquoy a pas de lieu ndash en raison du fait que le lieu est lagrave ougrave il y a un corps ndash pas de

vide ndash car le vide est lagrave ougrave il nrsquoy a pas de corps mais ougrave il pourrait y en avoir un ndash et pas de

temps car le temps est une proprieacuteteacute des corps et qursquoil nrsquoy a pas de corps en dehors du ciel

Crsquoest pourquoi laquo les ecirctres de lagrave-bas raquo ne peuvent pas faire reacutefeacuterence aux corps ceacutelestes

23 Simplicius 290 1-17

40

Puisque le τἀκεῖ est deacutesigneacute comme nrsquoeacutetant pas dans un lieu pas dans le temps et nrsquoayant pas

de matiegravere que lrsquoexteacuterieur du ciel nrsquoest ni du vide ni du temps et qursquoil ne peut y avoir aucun

corps Simplicius en conclut que laquo lagrave-bas raquo signifie laquo au-delagrave du ciel raquo Il oppose alors

drsquoautres critiques agrave la theacuteorie drsquoAlexandre par rapport agrave ce qui vient drsquoecirctre dit comment le

ciel pourrait-il ecirctre en dehors du ciel Comment Aristote pourrait-il affirmer srsquoil se reacutefeacuterait agrave

la sphegravere des fixes qursquoil nrsquoy a aucune sorte de changement pour le ciel tout en affirmant que

son mouvement est eacuteternel et incessant Il semble alors compliqueacute de soutenir que le τἀκεῖ

renvoie agrave la sphegravere des fixes ou aux corps ceacutelestes qui se meuvent en cercle

Simplicius comprend alors nos trois parties De Caelo I 9 agrave la lumiegravere du De

Philosophia et de Reacutepublique II Puisque ce qui est en mouvement lrsquoest neacutecessairement par

quelque chose de plus parfait que lui alors ce qui meut le ciel est plus parfait que le ciel Il

srsquoagit de srsquointeacuteresser au moteur immobile qui meut le premier ciel crsquoest-agrave-dire le Premier

Moteur Il souligne toutefois que ce passage est obscur et laisse possible lrsquointerpreacutetation

suivante lorsqursquoAristote fait reacutefeacuterence au mouvement eacuteternel du ciel crsquoest pour parler de ce

qui le meut En effet le Premier Moteur Immobile est plus divin que le ciel puisque ce qui

met une chose en mouvement est plus divin qursquoelle En ce sens il serait dit laquo au-delagrave du ciel raquo

car au-dessus de la nature des corps ceacutelestes Cela implique alors que laquo au-delagrave raquo ne

signifierait pas un lieu mais une nature hieacuterarchiquement supeacuterieure agrave celle du ciel

Il accepte cependant que le texte ne soit pas du deacutebut de la partie A agrave la fin de la partie

C au sujet du Premier Moteur Lorsque Aristote fait mention de la notion de dureacutee il fait

reacutefeacuterence agrave la sphegravere des fixes En effet la fin de la dureacutee est la limite qui permet la

quantification de la dureacutee mais le ciel nrsquoa pas de dureacutee il est compris comme ce qui englobe

la dureacutee de vie de tout ce qui est Mais apregraves avoir eacutetabli la premiegravere signification de la dureacutee

qui fait le lien avec le premier ciel Aristote bascule vers lrsquoideacutee que ce qui comprend

lrsquoensemble du temps et de lrsquoinfiniteacute est une dureacutee et crsquoest donc une reacutefeacuterence au Premier

Moteur car de lui deacutepend de maniegravere directe lrsquoecirctre et la vie eacuteternelle du corps ceacuteleste et de

maniegravere indirecte lrsquoecirctre et la vie des corps du monde sublunaire De maniegravere indirecte car les

corps du monde sublunaire ne sont pas directement mis en mouvement par lui mais leur vie

deacutepend de celle de la sphegravere des fixes qui elle est directement mise en mouvement par le

Premier Moteur Immobile

Simplicius deacutefend alors sur le fondement de ces arguments que le τἀκεῖ fait reacutefeacuterence

au Premier Moteur Immobile et non au corps ceacuteleste Simplicius va alors mecircme jusqursquoagrave

41

changer le texte original drsquoAristote en optant pour kinai plutocirct que kineitai ce qui permet

drsquoattribuer une fonction motrice au τἀκεῖ Ce changement lui permet alors de faire

correspondre le τἀκεῖ agrave la theacuteorie du Premier Moteur sans forcer lrsquointerpreacutetation De ce fait

le τἀκεῖ renverrait agrave quelque chose de transcendant agrave lrsquoordre ceacuteleste car le premier ciel est

mucirc en vertu de la perfection de son moteur celle-ci accordeacutee au τἀκεῖ dans la mesure ougrave il ne

connaicirct aucun changement et est parfaitement autonome Pour appuyer la theacuteorie de

Simplicius nous pouvons ajouter lrsquoargument de la coiumlncidence entre la description du τἀκεῖ

dans le DC et celle du Premier Moteur Immobile dans Meacutetaphysique Λ lrsquoun comme lrsquoautre

sont dits parfaitement immuables eacuteternels et autonomes

42

Chapitre 3 Interpreacutetations modernes du De Caelo I 9

La question du τἀκεῖ premier moteur reacutealiteacutes hyper-

cosmiques ou sphegravere des fixes reacutealiteacutes ceacutelestes

43

31 Le problegraveme de la continuiteacute argumentative du Livre I 9

311 La discontinuiteacute du sujet en faveur de la transcendance du τἀκεῖ

Le deuxiegraveme moment de notre propos nous a donc servi agrave comprendre quels eacutetaient les

arguments deacutefendus durant lrsquoAntiquiteacute par Simplicius et Alexandre drsquoAphrodise Ces deux

interpregravetes sont les chefs de file de deux interpreacutetations qui sopposent celle de Simplicius

selon laquelle le takei ferait reacutefeacuterence au Premier Moteur Immobile et celle drsquoAlexandre

selon laquelle il srsquoagirait drsquoune reacutefeacuterence agrave la sphegravere des fixes Ces deux thegraveses srsquoaffrontent

depuis lrsquoAntiquiteacute Elles ont influenceacute les interpreacutetations modernes et ont forgeacute une logique

binaire dans la maniegravere de comprendre lrsquoidentiteacute des ecirctres de lagrave-bas Ce deacutebat antique se

perpeacutetue dans un deacutebat entre les interpregravetes modernes Il srsquoagira alors de restituer les

arguments modernes heacuteritiegraveres des deux interpreacutetations antiques afin de rendre compte de la

logique binaire du deacutebat Toutefois nous ne nous limiterons pas agrave cette binariteacute et nous nous

inteacuteresserons agrave des theacuteories plus originales telles que celle de Peacutepin ou celle de Merlan

Si nous avons eacutevoqueacute plus haut le problegraveme de la continuiteacute des ideacutees aristoteacuteliciennes

au sein du corpus aristoteacutelicien et plus particuliegraverement au regard du De Caelo crsquoest dans le

but de poser les preacutemisses drsquoarguments qui reposent sur la continuiteacute ou la discontinuiteacute du

De Caelo I9 Nous nous fonderons pour le moment sur les deux alternatives les plus

populaires du problegraveme de lrsquoidentiteacute du τἀκεῖ avec drsquoune part les arguments en faveur drsquoune

reacutefeacuterence astrale et drsquoautre part les arguments en faveur drsquoune reacutefeacuterence agrave un ou des ecirctres

transcendant le ciel Mais nous verrons un certain type drsquoarguments en faveur de lrsquoune ou

lrsquoautre ideacutee en effet les arguments que nous expliciterons seront ceux qui reposent sur une

analyse de la continuiteacute ou de la discontinuiteacute du passage qui deacutebute en 279a18 et qui se

termine agrave la fin du chapitre 9 dans le but de comprendre comment sont justifieacutees lrsquoune ou

lrsquoautre ideacutee Nous allons alors nous inteacuteresser preacuteciseacutement agrave lrsquoobjet ou les objets de ce passage

via lrsquoarticle de Fabienne Baghdassarian24

Si le chapitre I 9 se refermait sur les remarques qui preacutecegravedent sans doute nrsquoaurait-iljamais paru eacutenigmatique Chacun srsquoaccorderait agrave reconnaicirctre derriegravere laquo les ecirctres de lagrave-basraquo des reacutealiteacutes hypercosmiques conformeacutement agrave ce qursquoindiquent clairement agrave la fois leurdescription topographique et le contexte argumentatif de lrsquoextrait Neacuteanmoins le textepoursuit une analyse dont on a du mal agrave comprendre comment elle peut ne pas remettreen question lrsquohypothegravese de la transcendance Il apparaicirct en effet que le texte agrave supposer

24 Baghdassarian F opcit2011 p192

44

qursquoil traite de reacutealiteacutes transcendantes en 279a18-22 change de sujet agrave une ou plusieursreprises pour deacutevelopper des consideacuterations qui font une reacutefeacuterence plus explicite au ciel

Fabienne Baghdassarian agrave la suite de cet extrait explicite les trois moments de

lrsquoargumentation du passage 279a18-b3 du De Caelo I 9 Il semble selon sa lecture y avoir

une discontinuiteacute dans lrsquoobjet du texte En effet dans un premier temps apregraves avoir conclu

qursquoil nrsquoexistait ni lieu ni vide ni temps et ni corps en dehors du ciel et que les ecirctres qui se

situaient laquo au dessus de la translation la plus exteacuterieure raquo nrsquoavaient laquo ni lieu ni temps qui les

fasse vieillir raquo et qursquoils nrsquoeacutetaient soumis agrave aucun type de changement Aristote fait intervenir

la notion de αἰών crsquoest-agrave-dire la notion de la dureacutee Vient ensuite la partie C qui concerne le

mouvement ceacuteleste

Mais le problegraveme majeur qui se pose au sujet de la continuiteacute argumentative de cette

fin de chapitre 9 de De Caelo I est majoritairement ducirc agrave une reacutefeacuterence mysteacuterieuse agrave des

laquo travaux de philosophie destineacutes au grand public portant sur les ecirctres divins raquo 279a31 qui

cassent lrsquoargumentation agrave tel point que ce passage est suspecteacute drsquoecirctre un ajout tireacute drsquoun traiteacute

perdu drsquoAristote le De Philosophia

La preacutesence de ce supposeacute passage du De Philosophia complexifie lrsquoensemble de la

fin du De Caelo I 9 En effet ce texte creacuteeacute ce qui semble ecirctre une discontinuiteacute dans

lrsquoargumentation geacuteneacuterale de chapitre 9 Certains auteurs voient le De Philosophia comme

eacutetant agrave propos pour eacuteclairer la question de lrsquoidentiteacute des takei crsquoest le cas de Dumoulin25 qui

retrace lrsquoargumentation du De Caelo au regard du De Philosophia Il coupe le texte original en

diffeacuterents paragraphes dans le but de faire ressortir lrsquoenchaicircnement des ideacutees Successivement

il voit agrave partir de 279a11-18 les conseacutequences de lrsquoabsence de corps en dehors du ciel De

279a19-22 lrsquoaffirmation selon laquelle tout ce qui est immateacuteriel est immobile De 279a22-

30 un deacutebut de paragraphe qui porte sur lrsquoeacuteterniteacute du ciel De 279a31-34 le principe geacuteneacuteral

de lrsquoimmutabiliteacute du divin fondeacute sur des travaux de philosophie qui traitent des ecirctres divins

Enfin de 279a34-b3 il est question de lrsquoimmutabiliteacute du mouvement ceacuteleste Il apparaicirct alors

que le texte dont il est question deacutebute par les conseacutequences de lrsquoabsence de temps de lieu et

de corps en dehors du ciel agrave savoir que les ecirctres qui se situent au-delagrave du ciel nrsquoont ni lieu ni

temps ni corps Puis Aristote finit par un eacuteloge de lrsquoeacuteterniteacute du mouvement ceacuteleste Le

mouvement est le propre des corps mais srsquoil nrsquoy a pas de corps en dehors du ciel il nrsquoy a pas

non plus de mouvement Donc pourquoi passe t-on du constat que les ecirctres en dehors du ciel

25 Dumoulin Recherches sur le premier Aristote Eudegraveme De la philosophie Protreptique1981 p 53-65

45

nrsquoont ni corps ni aucun mouvement pour ensuite louer lrsquoeacuteterniteacute du mouvement ceacuteleste Tel

est le problegraveme de lrsquouniteacute argumentative de ce passage26

Drsquoapregraves Alexandre citeacute par Simplicius deux interpreacutetations srsquoaffrontaient danslrsquoAntiquiteacute les ecirctres en question deacutesignent le premier moteur immobile pour les uns etle ciel des fixes pour les autres Cette alternative continue agrave gouverner lrsquointerpreacutetation dupassage pour le premier moteur immobile nommons agrave la suite de Simplicius ZellerTricot Untersteiner Berti agrave la suite drsquoAlexandre pour le ciel des fixes Werner GuthrieMoreau Festugiegravere Nous allons ecirctre conduit agrave contester le principe de cette alternative

Comme le rappelle Dumoulin il existe deux alteacuternatives agrave lrsquointerpreacutetation de ce

passage Il srsquoagit maintenant de comprendre lrsquoargument qui permet agrave Dumoulin drsquoaffirmer

que le τἀκεῖ fait reacutefeacuterence agrave des reacutealiteacutes qui se placeraient au-delagrave de la sphegravere des fixes et non

sur la sphegravere Il annonce alors explicitement qursquoil srsquoagira de contester la theacuteorie drsquoune

reacutefeacuterence ceacuteleste

Comment srsquoy prend Dumoulin pour justifier lrsquoideacutee que le τἀκεῖ renvoie agrave des ecirctres qui

se trouvent au-delagrave de la translation la plus exteacuterieure ou agrave la theacuteorie du Premier Moteur

Immobile Sa deacutemarche consiste agrave comprendre le texte par le texte lui-mecircme en srsquointeacuteressant

agrave lrsquoutilisation des mots et agrave leur sens le plus naturel Crsquoest pourquoi il commence son

explication en rappelant deux choses τἀκεῖ vient de ἐκεῖ qui dans Physique VIII 10 267b9

deacutesigne la localisation du Premier Moteur Immobile De plus τἀκεῖ manifeste un pluriel qui

bien qursquoil semble ne pas correspondre agrave lrsquoideacutee du Premier Moteur Immobile qui est censeacute ecirctre

unique correspond agrave lrsquoideacutee drsquoune pluraliteacute de principes qui peuvent exister agrave partir du

moment ougrave il existe une hieacuterarchie entre eux Cette ideacutee lisible dans Meacutetaphysique Λ 8

correspond eacutegalement agrave celle preacutesente dans le fragment 17 du De Philosophia Notons de

plus le fait que le Premier Moteur est dit laquo immobile raquo crsquoest-agrave-dire qursquoil ne connaicirct aucune

espegravece de changement ni dans la substance ni dans le lieu de la mecircme maniegravere qursquoil est dit

des τἀκεῖ qursquoils sont parfaitement immobiles Toutefois cela signifie-t-il que si le τἀκεῖ est

transcendant au ciel son identiteacute correspond agrave celle du Premier Moteur Immobile Pas

neacutecessairement Dumoulin envisage la possibiliteacute en fonctionnant de maniegravere reacutetrospective et

en se tournant vers le Timeacutee de Platon que le τἀκεῖ fasse reacutefeacuterence agrave un ecirctre divin immobile

mais pas forcement moteur La lecture organiseacutee de ce texte comme nous lrsquoavons vu plus

haut par le biais de Dumoulin permet de comprendre qursquoil existe une deacutemonstration logique

au texte En effet les conseacutequences du fait qursquoil nrsquoy ait ni corps ni temps ni lieu en dehors du

26 Ibid p54

46

ciel impliquent que ce qui est en dehors du ciel est immateacuteriel et dans la mesure ougrave le temps

est le nombre du mouvement alors les ecirctres qui se situent au-delagrave du ciel nrsquoont pas de

mouvement et sont parfaitement immobiles Leur immobiliteacute due agrave leur immateacuterialiteacute font

drsquoeux des ecirctres divins car eacuteternels mais cela implique-t-il que comme le Premier Moteur

Immobile ils aient une fonction motrice Crsquoest pourquoi Dumoulin se tourne vers le Timeacutee

Partir sur la piste de la transcendance du τἀκεῖ sans pour autant faire reacutefeacuterence au Premier

Moteur Immobile peut nous faire penser agrave la diviniteacute immateacuterielle du Timeacutee qui a ordonneacute le

monde Aristote ayant eacuteteacute durant un certain nombre drsquoanneacutees lrsquoeacutelegraveve de Platon nous sommes

en droit de nous demander srsquoil nrsquoavait pas au deacutepart postuleacute un ecirctre immateacuteriel et divin sans

penser agrave un ecirctre qui serait le moteur du mouvement Il nous faut alors eacutetablir la distinction

entre ce qursquoune chose est (par exemple divine eacuteternelle parfaitement immobile) et ce qursquoelle

fait la fonction qursquoelle remplit (par exemple mettre en mouvement le premier ciel) Il est

alors question ici de celui que lrsquoon appelle le laquo premier Aristote raquo celui qui eacutetant platonicien

reacutefleacutechissait agrave partir de cette conception du monde Cette theacuteorie servirait-elle alors de

preacutemisse agrave ce qui sera plus tard la theacuteorie du Premier Moteur Nous pouvons nous le

demander mais y reacutepondre aurait besoin drsquoun autre propos Neacuteanmoins cette ideacutee permet de

proposer une lecture particuliegravere du De Caelo I9 selon laquelle il y a une reacutefeacuterence agrave des ecirctres

hypercosmiques crsquoest-agrave-dire qui se trouvent au dessus du ciel sans toutefois se reacutefeacuterer au

Premier Moteur Immobile

Mais lrsquoargument en faveur de la transcendance du τἀκεῖ ne srsquoarrecircte pas lagrave Nous

lrsquoavons dit ce passage est obscur car il est fait mention drsquoun ouvrage qui porte sur les ecirctres

divins et qursquoil semble que ce texte du fait de ses diffeacuterents objets soit en partie issu drsquoun

traiteacute perdu drsquoAristote De Philosophia Nous lrsquoavons dit et le rappelons en 279a18 il est

question drsquoecirctres qui se situent au-dessus de la translation la plus exteacuterieure et apregraves une

eacutetrange analogie sur la notion de dureacutee se trouve un eacuteloge du mouvement eacuteternel des astres

Ce passage est celui qui brise la continuiteacute de lrsquoargumentation et nous pousse agrave douter de son

appartenance premiegravere au De Caelo A quoi se reacutefegravere donc le τἀκεῖ Et quelle est lrsquoidentiteacute

des ecirctres divins (theia) dont nous parle Aristote Le ciel Les ecirctres de lagrave-bas

Dumoulin compare un fragment du De Philosophia et le passage 279a34-b3 du De

Caelo et il en ressort de maniegravere quasiment eacutevidente que le traiteacute Du ciel se reacutefegravere tregraves

clairement au De Philosophia Nous pouvons le constater via la comparaison entre le

fragment du De Philosophia et le passage du De Caelo dont il est question dans lrsquoeacutetude de

47

Dumoulin27 Mais ce passage est-il une simple reacutefeacuterence Une paraphrase Une citation

Cette question est complexe et la conclusion nous permettra de comprendre lrsquoargumentation

geacuteneacuterale du texte et de soutenir lrsquoideacutee drsquoune veacuteritable ceacutesure dans lrsquoargumentation

Nous trouvons quelque chose de bien eacutetrange dans le texte drsquoAristote une chose fort

bien exprimeacutee par Simplicius dans son commentaire si nous savons que le premier moteur

immobile est dans la Physique la Meacutetaphysique agrave lrsquoorigine du premier mouvement crsquoest-agrave-

dire celui de la sphegravere des fixes Aristote affirme dans la partie C qursquoil nrsquoy a rien de plus fort

qui puisse mouvoir le ciel car sinon cette chose serait plus divine que le ciel Mais puisque le

ciel est parfait et qursquoil ne manque drsquoaucun des biens cela nrsquoest pas possible Comment

expliquer cela Srsquoagit-il drsquoun changement doctrinal Drsquoune citation Drsquoune paraphrase

Simplicius avait trois sources agrave sa disposition pour commenter le De Caelo La Reacutepublique

II de Platon des fragments du De Philosophia et le texte qursquoil commente Nous observons

premiegraverement qursquoil semble y avoir un emprunt agrave la Reacutepublique II de Platon

Nest-il pas neacutecessaire si toutefois un ecirctre peut sortir de sa propre forme soit quil semeacutetamorphose lui-mecircme de sa propre initiative soit quil soit transformeacute par un autre380D28

Or les choses les meilleures ne sont-elles pas celles qui sont le moins susceptibles decirctrealteacutereacutees et mises en mouvement par autre chose quelles-mecircmes 380E

Degraves lors tout ecirctre bien constitueacute que ce soit par nature en vertu de lart ou pour ces deuxraisons agrave la fois sera le moins susceptible de subir un changement causeacute par un autre[hellip] Et pourtant le dieu tout comme les choses qui concernent le dieu est absolumentparfait [hellip] Mais ne peut-il se changer et salteacuterer lui-mecircme [hellip] Se change-t-il alors enmieux et en plus beau ou en pire et en plus laid Si vraiment il srsquoaltegravere cestneacutecessairement dans le sens du pire 381b-381c

En mecircme temps Platon ne cherche pas agrave prouver lrsquoexistence drsquoun Dieu qursquoil soit

parfait ou non (mecircme srsquoil est neacutecessairement parfait pour Platon du fait de sa nature) En

effet Platon critique les poegravetes qui attribuent aux dieux des qualiteacutes qui ne sont pas les leurs

et qui sont mecircme contradictoires avec leur nature propre De quoi soutenir lrsquoideacutee que cet

extrait nrsquoest pas tireacute de la Reacutepublique II sans quoi cela signifierait qursquoAristote a attribueacute au

monde sensible crsquoest-agrave-dire au ciel un passage qui chez Platon ne traite pas drsquoun sensible

27 Ibid p58 28 PLATON La Reacutepublique 2002

48

mais bel et bien drsquoun dieu parfait et immateacuteriel La diffeacuterence drsquoobjet entre le DC et la

Reacutepublique II nous pousse agrave penser qursquoil serait eacutetrange de reprendre le mecircme argument agrave un

moment pareil

Si Simplicius nrsquoa pas trouveacute cet argument dans la Reacutepublique II et qursquoil ne vient pas

du DC lui-mecircme alors cela signifie qursquoil vient de la troisiegraveme source dont disposait

Simplicius le De Philosophia ou plutocirct du commentaire drsquoAlexandre qui lui le posseacutedait

Crsquoest pourquoi la comparaison qui a eacuteteacute effectueacutee plus haut nous permettait drsquoaffirmer qursquoil

ne srsquoagit pas drsquoune paraphrase du DP dans le DC mais plutocirct drsquoune citation Mais cela ne

prouve pas qursquoil existe une discontinuiteacute de lrsquoobjet et de lrsquoargumentation dans ce passage du

De Caelo Nous lrsquoavons dit le deacutebut du passage 279a18 affirme assez clairement que les

ecirctres qui se trouvent au-delagrave de la translation la plus exteacuterieure sont sans corps sans lieu et

sans temps En mecircme temps apregraves une analogie entre la dureacutee et le ciel nous en arrivons agrave

lire un texte qui porte sur la perfection du corps ceacuteleste ce qui a priori semble eacutetonnant dans

la mesure ougrave le τἀκεῖ se situe en dehors du ciel et que le corps ceacuteleste est le ciel lui-mecircme

Ces diffeacuterents passages nous plongent dans lrsquoincompreacutehension et savoir qursquoil srsquoagit drsquoune

citation du DP nrsquoaide pas agrave comprendre pourquoi ce changement de sujet Crsquoest pourquoi

Dumoulin formule une hypothegravese agrave ce sujet

Nrsquooublions pas que Simplicius est le chef de file de ceux qui entendent du PremierMoteur Immobile tout le texte de De Caelo I 9 279a11-b3 On peut donc soupccedilonner cequi srsquoest passeacute Simplicius trouvait dans sa source deux passages du De Philosophia Lepremier eacutetablissait lrsquoexistence de la diviniteacute suprecircme immateacuterielle et le second eacutetablissaitle caractegravere divin du monde stellaire il a soudeacute ces deux textes qui dans sa penseacutee

concernaient lrsquoun et lrsquoautre le Premier Moteur29

Simplicius en commentant Aristote avance une preuve de lrsquoexistence de Dieu en

affirmant que lagrave ougrave il y a un ecirctre meilleur il y a forcement un ecirctre excellent dans la mesure ougrave

il y a une hieacuterarchie entre les ecirctres30 Il voit en cet argument le moyen de justifier que le τἀκεῖ

fait reacutefeacuterence au premier moteur Mais cet argument ne vient absolument pas du De Caelo lui-

mecircme il est un ajout au texte du DC et est tireacute du DP par Simplicius Il aurait donc servi agrave

justifier lrsquoexistence drsquoun ecirctre immateacuteriel et absolument parfait La suite du texte portant sur le

ciel aurait alors eacuteteacute compris comme suivant cette thegravese drsquoun ecirctre parfait et immateacuteriel ce qui

29 Dumoulin opcit p 6030 Simplicius (2892)

49

aurait pousseacute Simplicius agrave croire en lrsquoideacutee drsquoune reacutefeacuterence au Premier Moteur Immobile tout

en refusant lrsquoideacutee drsquoune ceacutesure dans lrsquoargumentation puisqursquoil affirmait que la totaliteacute du texte

portait sur un seul et mecircme objet le premier moteur

Au vu de cet argument nous pouvons comprendre pourquoi Dumoulin deacutefend lrsquoideacutee

qursquoil srsquoagit drsquoune reacutefeacuterence agrave des ecirctres qui se trouvent au-delagrave du ciel En effet il admet une

discontinuiteacute drsquoobjet dans le passage du De Caelo ducirc agrave lrsquoajout drsquoarguments tireacutes du DP pour

forcer le lien Toutefois cette discontinuiteacute est plus complexe qursquoelle en a lrsquoair dans la mesure

ougrave Dumoulin nrsquoaffirme pas ouvertement ndash et en ces termes ndash qursquoil y en a une En fait il est

drsquoavis de dire qursquoil y a une discontinuiteacute dans le degreacute de diviniteacute dont il est question si

Aristote fait lrsquoeacuteloge du mouvement ceacuteleste apregraves avoir affirmeacute que les ecirctres au-delagrave du ciel

sont immateacuteriels et ne subissent aucun changement crsquoest dans le but de manifester la

perfection (encore plus haute que celle du ciel) des ecirctres de lagrave-bas

312 La continuiteacute du sujet en faveur des reacutealiteacutes ceacutelestes

Mais nous lrsquoavons dit il existe de maniegravere geacuteneacuterale deux eacutecoles pour lrsquointerpreacutetation

du τἀκεῖ La premiegravere deacutefend lrsquoideacutee qursquoil srsquoagit lagrave drsquoune reacutefeacuterence agrave des ecirctres transcendant le

ciel la seconde deacutefend lrsquoideacutee qursquoil est question des ecirctres ceacutelestes Nous avons alors vu que

Dumoulin deacutefend la theacuteorie selon laquelle il existe un changement de sujet dans

lrsquoargumentation du De Caelo I 9 Cela lui permet de deacutefendre lrsquoideacutee qursquoil srsquoagit drsquoune

reacutefeacuterence agrave un ou des ecirctres transcendants Il srsquoagit donc maintenant de montrer comment

certains auteurs et plus particuliegraverement Moraux deacutefendent lrsquoideacutee contraire Comment srsquoy

prend Moraux pour deacutefendre la theacuteorie drsquoune reacutefeacuterence astrale en critiquant lrsquoideacutee que la

position contraire a des conseacutequences tregraves dures sur lrsquoargumentation du texte

Avant de nous inteacuteresser agrave la critique que Moraux formule envers ceux qui deacutefendent

lrsquoideacutee drsquoune reacutefeacuterence agrave des ecirctres transcendants nous allons nous inteacuteresser agrave la faccedilon dont le

texte a eacuteteacute traduit par Moraux et qui rend compte de la maniegravere dont il lrsquointerpregravete31

Il nrsquoest point de changement pour aucun des ecirctres disposeacutes sur la translation la plusexteacuterieurehellip

31 Aristote Du ciel1965 p37 Il srsquoagit de la traduction de Moraux et nous nous inteacuteressons plus particuliegraverement agrave lrsquointroduction de cette œuvre par ce dernier

50

Nous pouvons la distinguer de la traduction de Dalimier et Pellegrin En effet si le grec ὑπέρ

est traduit par ces derniers par laquo au-dessus de raquo Moraux lui le traduit par laquo sur raquo Il affirme

alors ici que le texte fait reacutefeacuterence agrave quelque chose qui se situe sur la translation la plus

exteacuterieure et non au-delagrave ce qui change radicalement la vision que nous avons du texte Nous

affirmions plus haut par le biais de Dumoulin qursquoil existait un changement de sujet dans le

passage 279a18-b3 En effet au deacutebut ce dont il est question dans le texte est des ecirctres qui se

trouvent laquo au-dessus de la translation la plus exteacuterieure raquo et agrave la fin il porte sur lrsquoeacuteterniteacute du

mouvement circulaire Mais si nous traduisons la preacuteposition ὑπέρ par laquo sur raquo plutocirct que laquo au-

dessus raquo alors il nrsquoy a plus drsquoideacutee de discontinuiteacute et le passage du deacutebut agrave la fin porte sur

des ecirctres ceacutelestes Toutefois Fabienne Baghdassarian souligne qursquoil est le seul agrave traduire le

texte ainsi et que mecircme Alexandre qui deacutefendait lrsquoideacutee drsquoune reacutefeacuterence astrale comprend le

texte comme portant sur quelque chose qui est au-delagrave drsquoun mouvement La raison pour

laquelle Moraux traduit le texte de cette maniegravere est justifieacutee par lrsquoutilisation de ὑπέρ dans le

De Caelo en effet cette proposition ne sert pas agrave justifier ce qui se trouve au-delagrave de quelque

chose Pour manifester cette ideacutee Aristote utilise plutocirct ἔξω En mecircme temps Fabienne

Baghdassarian lui objecte la chose suivante

La preacuteposition ὑπέρ lorsqursquoelle est employeacutee avec lrsquoaccusatif deacutesigne ce qui est au-dessus de quelque chose et non pas ce qui est sur lui En outre chacune des occurrencesde cette preacuteposition dans le DC qursquoelle srsquoaccompagne de lrsquoaccusatif ou mecircme du geacutenitifsert constamment agrave deacutesigner ce qui est au-dessus drsquoun point de reacutefeacuterence Enfin crsquoesttoujours la preacuteposition ἐν et non pas ὑπέρ qui sert agrave deacutesigner les corps qui sont fixeacutes sur

lrsquoorbite 32

Nous observons alors diffeacuterents arguments ceux qui portent sur des questions de grammaire

et ceux qui portent sur des questions de terminologie Mecircme si ὑπέρ nrsquoest pas neacutecessairement

utiliseacutee pour parler de ce qui se trouve au-delagrave drsquoune chose son utilisation accompagneacutee de

lrsquoaccusatif ( φοράν) fait reacutefeacuterence agrave ce qui est au-dessus drsquoune chose et non pas agrave ce qui est

sur une chose Il srsquoagit alors drsquoun problegraveme de grammaire et de traduction Fabienne

Baghdassarian soutiendrait-elle lrsquoideacutee drsquoune erreur dans la traduction de Moraux Pour ce qui

est de la question terminologique Fabienne Baghdassarian affirme que pour deacutesigner ce qui

est sur les sphegraveres Aristote utilise la preacuteposition ἐν et non la preacuteposition ὑπέρ

32 Baghdassarian F opcit 2011 p188

51

Revenons agrave lrsquoideacutee que deacutefend Moraux Puisqursquoil traduit le passage en affirmant que le

τἀκεῖ se trouve sur la translation la plus exteacuterieure et non pas au-delagrave il affirme par

conseacutequent que le passage traite entiegraverement des ecirctres ceacutelestes et plus preacuteciseacutement de ceux

qui se trouvent sur la sphegravere des fixes Il ne rencontre donc pas le problegraveme de la discontinuiteacute

de lrsquoobjet de ce passage Il affirme cependant que De Caelo I 9 est remarquable du fait que

trois parties se distinguent

Le second panneau du diptyque relatif agrave lrsquouniciteacute du monde est tout agrave fait remarquable (chap9) Lrsquoexamen du style et du contenu philosophique permet drsquoy distinguer trois parties qui ont probablement eacuteteacute reacutedigeacutees agrave des eacutepoques diffeacuterentes Reacutefeacuterence

La premiegravere partie de cet exposeacute est assimileacutee agrave Meacutetaphysique Ζ du fait qursquoelle porte

sur la matiegravere et la forme en utilisant les mecircmes arguments et les mecircmes exemples Aristote

affiche un style tregraves rigoureux proche de celui de Meacutetaphysique Z Cela est eacutetonnant dans la

mesure ougrave la Meacutetaphysique est une œuvre qui serait relativement tardive Il suppose donc que

le passage du De Caelo I 9 qui srsquoeacutetend de 277b33 agrave 278a9 a eacuteteacute eacutecrit agrave la mecircme eacutepoque que

Meacutetaphysique Z

Quant agrave la deuxiegraveme partie qui srsquoeacutetendrait de 278b10 agrave 279a18 elle serait plus propre

au style qursquoarbore Aristote dans le De Caelo dans la mesure ougrave les arguments utiliseacutes seraient

ceux qui portent sur les milieux naturels et servirait agrave conclure lrsquoargumentation geacuteneacuterale du

chapitre

La suite de 279a18 agrave 279b3 qui est la partie dans laquelle apparaicirct le τἀκεῖ serait

alors pour Moraux une sorte drsquoenvoleacutee lyrique quasiment poeacutetique qui serait le propre des

dialogues aristoteacuteliciens Ce passage serait alors exclu de lrsquoargumentation et nrsquoapporterait

donc rien agrave celle-ci Toutefois comme le fait Dumoulin nous lrsquoavons vu Moraux semble

enteacuteriner lrsquoideacutee majoritairement valideacutee selon laquelle ce passage serait un extrait du De

Philosophia bien qursquoil nrsquoaffirme pas comme Dumoulin que le texte soit une reacutefeacuterence agrave des

ecirctres se situant au-delagrave du ciel Moraux affirme que cet extrait a eacuteteacute ajouteacute agrave ce passage pour

adoucir un exposeacute complexe sur la matiegravere et la forme Mais si tous les interpregravetes ou

presque admettent que ce passage soit issu du DP ils ne lrsquointerpregravetent pas tous de la mecircme

maniegravere

52

Les uns pensent qursquoAristote y ceacutelegravebre la sphegravere des fixes qursquoil tenait alors pour le dieusuprecircme Drsquoautres preacutetendent au contraire qursquoil parle drsquoentiteacutes divines transcendantes aumonde peut-ecirctre identiques aux fameuses laquo intelligences raquo des sphegraveres Pour deacutefendreleur exeacutegegravese ces derniers sont contraints drsquoadmettre la preacutesence drsquoune anacolutheextrecircmement dure et certains drsquoentre eux vont mecircme jusqursquoagrave modifier le textetraditionnel mais le souci drsquoeacuteleacutegance stylistique qui se manifeste dans tout le passagerend bien improbable lrsquohypothegravese drsquoune pareille neacutegligence 33

Moraux rappelle briegravevement les deux interpreacutetations qui srsquoopposent agrave la suite de quoi

il critique celle qui soutient que le passage fait reacutefeacuterence agrave des ecirctres transcendants Il fait

reposer sa critique sur deux arguments ceux qui soutiennent que ce passage porte sur des

ecirctres transcendants sont contraints de modifier le texte original dans lrsquointeacuterecirct de leur theacuteorie

Moraux fait ici reacutefeacuterence agrave Simplicius qui dans son commentaire remplace κινεῖται (en

279b1) par κινεῖ afin drsquoaccorder aux τἀκεῖ la puissance de mouvoir le ciel de maniegravere

circulaire en raison de lrsquoeacuteleacutement qui les compose lrsquoeacutether Mais le texte traditionnel ne fait pas

mention drsquoune quelconque fonction motrice du τἀκεῖ crsquoest pourquoi Moraux nrsquoaccepte pas

cette correction Son second argument repose sur le style de ce passage Celui-ci est fort

poeacutetique eacutevoquant les dialogues aristoteacuteliciens et tregraves travailleacute il semble donc improbable

qursquoAristote ait pu changer de sujet en plein milieu de son discours En effet pour ceux qui

affirment qursquoil y a lagrave une reacutefeacuterence agrave des ecirctres divins transcendant le ciel il faut admettre qursquoil

y a une veacuteritable discontinuiteacute de lrsquoobjet du texte voire une ceacutesure totale Mais le travail

fourni pour produire un texte styliseacute comme celui-ci nous permet de douter qursquoAristote ait eacuteteacute

si neacutegligeant sur lrsquoobjet de ce passage

Tels sont les arguments en faveur de la reacutefeacuterence ceacuteleste que Moraux deacutefend

eacutegalement et qui repose sur lrsquoideacutee qursquoil nrsquoexiste pas de changement de sujet dans ce passage

portant du deacutebut agrave la fin sur les ecirctres qui se trouvent sur la translation la plus exteacuterieure

Ces auteurs sont en deacutebat direct sur la question de lrsquointerpreacutetation de ce passage de

plus leurs arguments reposent sur le mecircme thegraveme qui est celui de la continuiteacute ou la

discontinuiteacute de lrsquoargumentation du De Caelo I 9 Il srsquoagira alors drsquoaborder un autre point

theacutematique en opposant les interpregravetes qui font reposer leurs argumentations sur la question

du lieu dans la philosophie aristoteacutelicienne

33 Moraux opcit 1965 pLXXV

53

32 Le lieu des corps ceacutelestes lrsquoabsence de lieu du τἀκεῖ

321 Lrsquoabsence de lieu en faveur de la reacutefeacuterence ceacuteleste

Le De Caelo I 9 porte tout entier sur la question de lrsquouniciteacute du ciel Nous lrsquoavons

expliqueacute plus haut lorsqursquoune substance formelle est meacutelangeacutee agrave la matiegravere il peut exister

une infiniteacute drsquoecirctres avec une mecircme forme speacutecifique dans la mesure ougrave ce qui est mateacuteriel

peut exister en nombre tregraves grand sinon infini Mais il nrsquoen est pas ainsi pour le ciel puisqursquoil

contient lrsquoensemble de toute la matiegravere et que rien ne peut venir agrave ecirctre en dehors de lui

Aristote aboutit agrave la conclusion selon laquelle il nrsquoy a pas de corps en dehors du ciel donc pas

de temps pas de lieu et pas de vide non plus Nous allons deacutesormais nous inteacuteresser agrave la

question du lieu puisque celui-ci pourrait nous donner une piste de reacuteflexion concernant

lrsquoidentiteacute des ecirctres de lagrave-bas et est un argument que lrsquoon retrouve souvent en faveur ndash ou en

deacutefaveur ndash de la reacutefeacuterence ceacuteleste Lrsquoargument qursquoil srsquoagira de restituer sera celui de Mugnier

au sein drsquoun deacutebat qui porte sur le lieu drsquoune part et drsquoautre part sur le rapport entre la

cosmologie platonicienne et la cosmologie aristoteacutelicienne dans lrsquointeacuterecirct de faire une sorte de

cartographie du problegraveme du De Caelo I 9

Lrsquoœuvre de Mugnier porte sur lrsquoeacutevolution de la penseacutee drsquoAristote Dans un passage

portant sur la jeunesse platonisante drsquoAristote apregraves avoir repeacutereacute des similitudes mais aussi

des diffeacuterentes entre les doctrines platoniciennes et les doctrines aristoteacuteliciennes Mugnier

affirme la chose suivante

Mais si Aristote semble mettre de cocircteacute le Deacutemiurge il ne renonce pas agravelrsquoIntelligence gouvernant le monde et nous lrsquoavons vu il prouve son existence agrave lrsquoaidedrsquoarguments emprunteacutes aux Lois Cette Intelligence ou Dieu qui deviendra plus tard lePremier Moteur immobile est-elle consideacutereacutee par Aristote comme lrsquoacircme du monde Ilest vraisemblable de le penser quoique nous soyons sur ce point reacuteduits aux conjecturesEt maintenant cette Intelligence est-elle devenue un Premier Moteur seacutepareacute du monde ettranscendant ou au contraire immanente agrave lrsquoUnivers En drsquoautres termes Aristote srsquoest-il prononceacute pour un theacuteisme ou pour un immanentisme Crsquoest agrave cette question que nousallons nous forcer de reacutepondre en examinant les principes et les thegraveses du Philosophe34

Nous comprenons immeacutediatement le rapport entre la cosmologie platonicienne que

nous avons deacutecouverte via le Timeacutee et la cosmologie aristoteacutelicienne En effet certains

fondements de la theacuteorie cosmologique aristoteacutelicienne viennent de celle de Platon bien que

34 Mugnier La Theacuteorie du premier moteur et lrsquoeacutevolution de la penseacutee aristoteacutelicienne 1930 p15

54

dans son platonisme Aristote se soit distingueacute de son maicirctre Aristote refusait lrsquoideacutee drsquoun

Deacutemiurge qui dans le Timeacutee est le creacuteateur du monde et drsquoIdeacutees seacutepareacutees qui servent

drsquoexemples agrave la conception du monde Mais il ne refuse pas lrsquoideacutee de lrsquoIntelligence dans les

Lois de Platon qui gouverne le monde et le dirige vers la feacuteliciteacute ou son contraire35 La

question qui se pose alors est celle de savoir si cette Intelligence est divine et transcendante au

ciel ou si elle est immanente au Premier Ciel Que signifie cet immanentisme Crsquoest lrsquoideacutee

selon laquelle le Premier Moteur immobile ou lrsquoIntelligence est lrsquoacircme du Premier Ciel et

celui-ci est son corps de sorte que le Premier Moteur ou lrsquoIntelligence serait de la mecircme

maniegravere que lrsquoacircme humaine est dans le corps humain dans quelque chose le premier ciel

crsquoest-agrave-dire la sphegravere des fixes Reacutepondre agrave la question de la transcendance ou de

lrsquoimmanence permettrait donc de comprendre ce qursquoentend Aristote par laquo takei raquo dans le De

Caelo I 9 et de comprendre les arguments de Mugnier en faveur de telle ideacutee ou telle autre

Pour reacutepondre agrave ce problegraveme Mugnier se reacutefegravere agrave Physique VIII 6 Si lrsquoimmanentisme

suggegravere lrsquoideacutee drsquoune analogie entre lrsquoacircme humainele corps humain et le Premier Moteurle

Premier ciel peut-on comparer lrsquoacircme humaine au Premier Moteur En drsquoautres termes le

Premier Moteur est-il mucirc par accident comme lrsquoest lrsquoacircme humaine Mais que signifie laquo ecirctre

mucirc par accident raquo Telles sont les questions que se pose Mugnier Dans le traiteacute De lrsquoAcircme36

Aristote affirme que lrsquoacircme humaine eacutetait immobile par essence mais en mouvement par

accident du fait de son lien avec le corps Puisque le corps se deacuteplace lrsquoacircme qui est dans le

corps est deacuteplaceacutee et est donc en mouvement par le corps et non par elle-mecircme crsquoest en ce

sens que lrsquoon dit qursquoelle est mue par accident Mugnier se demande alors ce qursquoil en est du

Premier moteur acircme du Premier ciel Srsquoil met en mouvement le Premier ciel est-il mucirc

eacutegalement par accident Comment ne pourrait-il pas ecirctre emporteacute par le mouvement de son

corps Mugnier tente de reacutepondre agrave ces questions dans le but de montrer que le Premier

Moteur ne peut pas ecirctre emporteacute par le mouvement de son corps le Premier Ciel dans la

mesure ougrave celui-ci nrsquoa pas de changement local eacutetant donneacute qursquoil nrsquoest pas dans un lieu

Le souci que pose la theacuteorie du mouvement par accident de lrsquoacircme du Premier Ciel est

que quelque chose de mucirc par accident ne saurait donner agrave une autre chose un mouvement

Pour comprendre cette ideacutee il faut comprendre quel est le mouvement de lrsquoacircme humaine pour

Mugnier si elle est transporteacutee quelque part par accident elle cherchera agrave rejoindre son

milieu naturel et imposera donc un mouvement au corps qursquoelle habite pour le faire se

mouvoir vers un milieu particulier qui est le sien Mais ce mouvement lagrave nrsquoest pas eacuteternel

35 PLATON Lois 2003 897a Traduction par A Diegraves36 ARISTOTE De lrsquoAcircme 2005 406b25 Traduction par P Thillet

55

puisqursquoil se termine une fois le lieu atteint Pour qursquoil y ait un mouvement eacuteternel il faut donc

une acircme motrice qui soit toujours elle-mecircme et dans son propre lieu sinon elle imposera un

mouvement agrave son corps qui ne durera que le temps de retourner dans le lieu qui lui est propre

Aristote affirme lui-mecircme lrsquoimmobiliteacute du Premier Moteur

Drsquoapregraves cela on pourra se convaincre que si quelque chose fait partie des moteursimmobiles mais eux-mecircmes mus par accident il est impossible qursquoil meuve drsquounmouvement continu De sorte que srsquoil est neacutecessaire que le mouvement existecontinucircment il faut qursquoil existe un premier moteur non mucirc mecircme par accident37

Le Premier Moteur est donc neacutecessairement immobile sinon il ne pourrait pas ecirctre la

cause drsquoun mouvement eacuteternel Il srsquoagit alors de se demander comment il est possible que le

Premier Moteur acircme du Premier Ciel ne soit pas ecirctre mucirc par accident La condition

neacutecessaire au mouvement accidentel du Premier Moteur est que le Premier Ciel soit mucirc Or il

nrsquoexiste rien en dehors du ciel pas mecircme un lieu comme nous lrsquoavons vu dans la partie 0

Mais tout ce qui est en mouvement lrsquoest neacutecessairement dans un lieu pour Aristote crsquoest

pourquoi il nrsquoest pas rationnel de parler de mouvement pour un corps qui nrsquoest pas dans un

lieu La question agrave laquelle nous arrivons est celle de savoir si nous pouvons parler de

deacuteplacement pour le Premier Ciel Se demander si le Premier Ciel se deacuteplace revient donc agrave se

demander si le Premier Ciel est dans un lieu (ἐν τόπῳ)

Nous avons vu dans le De Caelo I 9 que le lieu eacutetait lrsquoendroit ou il eacutetait possible qursquoil

existe quelque chose ce qui nrsquoest pas le cas pour lrsquoexteacuterieur du ciel De plus le lieu est la

limite du corps englobant38 mais il nrsquoy a rien en dehors du ciel donc rien pour lrsquoenglober

Mugnier arrive assez rapidement agrave la conclusion qursquoil nrsquoexiste pas de lieu en dehors du ciel et

surtout que la sphegravere des fixes nrsquoest dans aucun lieu La question du lieu est primordiale dans

lrsquoideacutee du mouvement puisque lrsquoon juge qursquoune chose est en mouvement par rapport agrave un lieu

selon Aristote nous jugeons qursquoune chose se deacuteplace en la regardant par rapport agrave un autre

point de repegravere qui se trouve agrave lrsquoexteacuterieur de ce qui est en deacuteplacement Une chose peut aussi

ecirctre dite dans un lieu lorsqursquoelle est entoureacutee drsquoautres corps En cela nous pouvons dire que le

Premier Ciel nrsquoest pas dans un lieu mais les astres qui srsquoy trouvent sont dans un lieu formeacute

par les autres astres qui les entourent Mugnier donne alors lrsquoexemple suivant

37 ARISTOTE Physique VIII 6 259b20-26 Traduction par Pellegrin 38 ARISTOTE Physique IV 4 211b13

56

Voici une boule qui roule sur la terre elle se deacuteplace crsquoest-agrave-dire qursquoelle occupesuccessivement diffeacuterents lieux Et si nous pouvons dire qursquoelle est animeacutee drsquounmouvement de transport crsquoest parce qursquoil nous est loisible de choisir en dehors drsquoelle uncorps un point de repegravere crsquoest-agrave-dire quelque chose par rapport agrave quoi elle se deacuteplace

Le lieu se dessine en quelque sorte par ce qui lrsquoentoure Si on imagine cette mecircme

boule mais eacutetant entoureacutee par rien on ne peut pas dire qursquoelle est dans un lieu par contre on

peut dire drsquoelle qursquoelle constitue tout lrsquoespace dans la mesure ougrave elle est la seule chose qui

soit Mais du fait qursquoelle nrsquoest pas dans un lieu puisque rien ne lrsquoentoure elle ne peut se

deacuteplacer par rapport agrave rien ni par rapport agrave elle-mecircme Parce que cette boule serait tout ce

qursquoil y a elle ne peut pas se deacuteplacer en masse dans rien crsquoest-agrave-dire dans ou vers aucun lieu

et par rapport agrave rien Donc un corps qui nrsquoest enveloppeacute par rien nrsquoest pas dans un lieu et un

corps qui nrsquoest pas dans un lieu ne peut pas se deacuteplacer Tout cela nous ramegravene alors agrave la

question de savoir srsquoil existe quelque chose en dehors du Premier Ciel

Dans le De Caelo I 9 Aristote affirme qursquoil nrsquoexiste aucun corps en dehors du ciel

car si un corps existait lagrave-bas il serait soit simple soit composeacute Mais en vertu de la theacuteorie

aristoteacutelicienne des lieux et du mouvement il ne pourrait pas y avoir de corps simple en

dehors du ciel puisque le milieu naturel des corps simples se trouve dans le ciel Et aucun des

corps simples ne pourrait srsquoy trouver de maniegravere contre nature dans la mesure ougrave cela

signifierait que ce serait le lieu naturel drsquoun autre corps mais cela est impossible Il nrsquoy a pas

non plus de corps composeacutes en dehors du ciel car la preacutesence drsquoun corps composeacute impose la

preacutesence drsquoun corps simple et il ne peut pas y avoir de corps simples en dehors du ciel Mais

puisqursquoil nrsquoy a pas de corps il nrsquoy a pas de lieu nous dit Aristote car le lieu est ce en quoi il

peut y avoir un corps Il nrsquoy a pas non plus de temps car le temps est le nombre du

mouvement or le mouvement est une proprieacuteteacute des corps et il nrsquoy a pas de corps en dehors du

ciel donc pas de mouvement En vertu de toutes ces choses que nous avions vues mais que

nous avons rappeleacutees briegravevement Mugnier conclut deux choses il nrsquoexiste ni corps ni

temps ni lieu en dehors du ciel drsquoune part et il est eacutetrange de parler du Premier Ciel comme

un corps qui se deacuteplace puisqursquoil nrsquoest dans aucun lieu La conseacutequence de cela est simple et

reacutepond clairement agrave la question de deacutepart qui eacutetait celle de savoir comment le Premier Moteur

ne pouvait pas ecirctre mucirc par accident par le mouvement du Premier Ciel Puisque le Premier

Ciel nrsquoest pas dans un lieu il est absurde de parler de mouvement Ainsi nous pouvons

affirmer que le Premier Ciel ne se deacuteplace pas et donc ne peut pas entraicircner son acircme crsquoest-agrave-

dire le Premier Moteur dans un mouvement accidentel

57

Mais selon Mugnier Aristote affirme qursquoil existe un mouvement propre au Premier

Ciel il nrsquoest pas parfaitement immobile En effet la circonfeacuterence derniegravere du ciel se meut de

maniegravere circulaire mais nous avons dit que le Premier Ciel ne se deacuteplaccedilait pas ce qui semble

agrave premiegravere vue contradictoire En fait le ciel tourne sur lui-mecircme mais ne se deacuteplace pas vers

un autre endroit Il ne change pas de laquo place raquo On notera la difficulteacute de deacutecrire un

mouvement sans faire reacutefeacuterence agrave un lieu dans la mesure ougrave il nrsquoy a aucun lieu dans lequel se

trouve le ciel

Et le seul fait que la derniegravere sphegravere nrsquoest enveloppeacutee par aucun corps et qursquoil nrsquoy a paspar suite drsquoespace en dehors drsquoelle explique pour le dire en passant un passage fortobscur du De Caelo ougrave Aristote parle de choses qui sont situeacutees au-dessus de lrsquoextrecircmereacutevolution des astres [hellip] Mais que sont-elles Ougrave se trouvent-elles Des reacuteponsesdiffeacuterentes ont eacuteteacute donneacutees39

Mugnier en vient agrave traiter de la question du τἀκεῖ au sein drsquoune reacuteflexion sur le

mouvement du Premier Ciel ou plutocirct sur la possibiliteacute du mouvement du Premier Ciel en

raison de la preacutesence ou non drsquoun lieu dans lequel il serait englobeacute Aristote a montreacute qursquoil nrsquoy

avait pas de corps pas de lieu et pas de temps en dehors du ciel Cependant Mugnier note

qursquoAristote emploie un vocabulaire spatial pour deacutecrire les ecirctres qui se situent au-dessus de la

translation la plus exteacuterieure en effet Aristote les deacutecrit comme les ecirctres de laquo lagrave-bas raquo

(τἀκεῖ) ce qui semble directement renvoyer agrave un lieu et nrsquoa de sens que si le τἀκεῖ se trouve

dans un lieu Mais dans la mesure ougrave il nrsquoexiste pas de lieu en dehors du ciel Mugnier en

conclut que le τἀκεῖ fait reacutefeacuterence agrave quelque chose qui se situe dans le ciel et non agrave lrsquoexteacuterieur

de celui-ci Car seul ce qui est dans un lieu peut ecirctre deacutesigneacute comme eacutetant laquo lagrave-bas raquo crsquoest-agrave-

dire dans un lieu Nous pouvons de maniegravere plus preacutecise conclure de lrsquoargumentation

geacuteneacuterale de Mugnier qursquoil ne pense pas que le τἀκεῖ puisse faire reacutefeacuterence agrave la sphegravere des

fixes dans sa totaliteacute dans la mesure ougrave le tout qursquoelle est nrsquoest pas dans un lieu En revanche

ses parties crsquoest-agrave-dire les astres qui srsquoy trouvent sont dans un lieu les unes par rapport aux

autres et sont englobeacutees par la sphegravere des fixes Le τἀκεῖ semblerait alors pouvoir ecirctre une

reacutefeacuterence aux astres divins qui sont sur la sphegravere la plus eacuteloigneacutee du centre et non agrave la sphegravere

des fixes dans sa totaliteacute et encore moins un ecirctre qui lui serait transcendant Il srsquoagit alors

drsquoune conception meacutetaphorique du lieu utiliseacutee par Aristote puisque le terme laquo lieu raquo ne

renvoie pas reacuteellement agrave un lieu dans le cas preacutesent Toutefois Mugnier ne rend pas compte

de lrsquoutilisation du terme huper puisqursquoil nrsquoaffirme pas que cette expression renvoie a un au-

39 Mugnier opcit 1930 p77

58

dessus meacutetaphorique eacutegalement crsquoest-agrave-dire un au-dessus qui ne serait pas veacuteritablement hors

du ciel

322 Lrsquoabsence de lieu comme caracteacuteristique drsquoun ecirctre transcendant le ciel

Solmsen40 affirme sur la question du lieu comme justification de la transcendance ou

de lrsquoimmanence du τἀκεῖ que le τἀκεῖ est une reacutefeacuterence agrave un ecirctre transcendant du fait que

lrsquoabsence de lieu devient une caracteacuteristique de ce qui nrsquoa pas de lieu Mais comment en

arrive t-il agrave deacutefendre cette thegravese sans tomber dans le problegraveme de la description drsquoun ecirctre sans

lieu qui serait pourtant lagrave-bas crsquoest-agrave-dire quelque part Pour comprendre ce problegraveme

Solmsen se tourne vers la cosmologie platonicienne dans la mesure ougrave il traite explicitement

dans le Phegravedre drsquoun au-delagrave du ciel Mais quel est le rapport entre Platon et Aristote sur cette

question Solmsen srsquoexprime sur le τἀκεῖ dans un contexte historique Il cherche en quelque

sorte le fondement philosophique de la conception de lrsquoau-delagrave du ciel Crsquoest pourquoi

Solmsen en vient agrave parler de Platon qui affirme la chose suivante

Chaque fois qursquoils se rendent agrave un festin crsquoest-agrave-dire agrave un banquet ils se mettent agrave montervers la voucircte qui constitue la limite inteacuterieure du ciel [hellip] Crsquoest lagrave sache-le bien quelrsquoeacutepreuve et le combat suprecircmes attendent lrsquoacircme En effet lorsqursquoelles ont atteint la voucirctedu ciel ces acircmes qursquoon dit immortelles passent agrave lrsquoexteacuterieur srsquoeacutetablissent sur le dos duciel se laissent emporter par leur reacutevolution circulaire et contemplent les reacutealiteacutes qui se

trouvent hors du ciel41

Platon dans le Phegravedre affirme donc qursquoil existe quelque chose en dehors du ciel les

reacutealiteacutes Ces choses reacuteelles sont une reacutefeacuterence directe aux Formes intelligibles et seacutepareacutees

Toutefois nous pouvons noter que ce passage revecirct lrsquoapparence du mythe poeacutetique et non pas

drsquoune argumentation philosophique ce qui nous amegravene agrave nous poser la question de la veacuteriteacute

du propos tenu par Platon Celui-ci dans la continuiteacute de cet extrait affirme prononcer la

veacuteriteacute au sujet de lrsquounique chose qui soit veacuteritablement les Formes Nous savons par la

lecture de la Reacutepublique par exemple que les concepts de veacuteriteacute et de mythe chez Platon

sont geacuteneacuteralement opposeacutes pourquoi utilise-t-il alors un mythe pour parler drsquoune chose qui

soit lrsquoune des veacuteriteacutes Il semblerait pour Solmsen que cette question se soit eacutegalement poseacutee

40 Solmsen laquo Beyond the Heavens raquo197641 Phegravedre 2004 247c3 Traduction par L Brisson

59

au sein de lrsquoAcadeacutemie durant cette eacutepoque et nombreux eacutelegraveves ont eacuteteacute drsquoavis que cette notion

drsquoau-delagrave du ciel nrsquoeacutetait pas agrave prendre au seacuterieux du fait que Platon utilisait un mythe pour

srsquoy reacutefeacuterer Toutefois Platon dans ce mecircme passage fait la promesse de dire la veacuteriteacute au sujet

de la veacuteriteacute Le mythe devient alors le moyen le plus approprieacute de parler de ce qui se trouve

hors du ciel

Ce lieu qui se trouve au-dessus du ciel aucun poegravete parmi ceux drsquoici-bas nrsquoa encore chanteacute drsquohymne en son honneur et aucun ne chantera en son honneur un hymne qui en soit digne Or voici ce qui en est car srsquoil se preacutesente une occasion ougrave lrsquoon doive dire la veacuteriteacute crsquoest bien lorsqursquoon parle de la veacuteriteacute42

On note cependant quAristote eacutelegraveve de Platon dans sa jeunesse et malgreacute le fait que

lrsquoau-delagrave du ciel nrsquoait pas eacuteteacute pris pour un veacuteritable sujet drsquoeacutetude agrave lrsquoAcadeacutemie en vient agrave

parler de lrsquoexteacuterieur du ciel Pouvons-nous donc voir agrave travers le Phegravedre lrsquoorigine de certains

passages obscurs drsquoAristote concernant ce mysteacuterieux lieu qui se trouve au-delagrave du ciel

Dans le Phegravedre Platon place les Formes dans un lieu qui serait agrave lrsquoexteacuterieur du ciel

Solmsen note que de nombreux interpregravetes tel que Hackforth affirment que ce nrsquoest pas la

premiegravere fois que Platon attribue un lieu aux Formes intelligibles en effet dans le Timeacutee43 il

en est question eacutegalement Mais Solmsen refuse cette interpreacutetation des textes de Platon en

affirmant qursquoil nrsquoest pas convainquant que Platon fasse reacutefeacuterence agrave un lieu lorsqursquoil parle des

Formes car le lieu est en rapport avec les corps mateacuteriels et les Formes en plus drsquoecirctre

intelligibles sont seacutepareacutees de la matiegravere Il y a certes une laquo ascension raquo de lrsquoacircme qui se dirige

vers une connaissance accessible seulement par lrsquointellect mais ce nrsquoest pas parce qursquoil y a

une ascension au-delagrave du ciel que cet au-delagrave du ciel est lieacute agrave un corps mateacuteriel En effet pour

les Formes il srsquoagit de ce que Platon nomme un νοητὸς τόπος et celui-ci nrsquoest absolument

pas lieacute agrave la matiegravere Crsquoest pourquoi parler de laquo lieu raquo nrsquoest pas veacuteritablement contradictoire

pour parler drsquoun lieu sans matiegravere si lrsquoon preacutecise de quel type de lieu on parle crsquoest-agrave-dire un

lieu intelligible De plus dans le Timeacutee Platon affirme que tous les corps sensibles sont dans

lrsquoespace et dans un lieu Mais de cela nous ne pouvons affirmer que ce qui est propre et

neacutecessaire au corps sensible le soit aussi pour les ecirctres intelligibles et seacutepareacutes de la matiegravere

Dire qursquoaucun corps sensible ne peut ecirctre en dehors drsquoun lieu nrsquoimplique pas que les Formes

platoniciennes doivent ecirctre dans un lieu dans la mesure ougrave elles nrsquoentrent pas dans le domaine

du mateacuteriel et donc dans ses lois Il rejette alors toutes ideacutees drsquoassociation de lieu physique agrave

42 Ibid 247c 43 Timeacutee opcit 30c

60

la forme car cela est incompatible avec sa nature Le problegraveme est que le langage est fait de

telle maniegravere que Platon est limiteacute et ne peut pas deacutesigner ce qui se trouve dans un lieu

intelligible et sans matiegravere autrement que par des mots qui deacutesignent des lieux physiques

Crsquoest pourquoi il se doit drsquoutiliser le mythe Gracircce agrave lrsquoutilisation drsquoun pareil outil nous

pouvons dire qursquoil srsquoagit drsquoun lieu au sens alleacutegorique voire meacutetaphorique Cet outil lui

permet donc deux choses faire les louanges agrave la hauteur (ou plutocirct au plus proche) de la

beauteacute des Formes de maniegravere la plus approprieacutee possible pour ce qui est le plus parfait et

deacutesigner des lieux avec ses outils langagiers qui ne font pas reacutefeacuterence agrave des lieux tels que

nous les connaissons

Mais quel est le rapport avec Aristote Nous lrsquoavons dit Solmsen cherche lrsquoorigine de

certaines theacuteories aristoteacuteliciennes et il srsquoavegravere que certaines theacuteories lui ont eacuteteacute transmises agrave

lrsquoAcadeacutemie via les textes de Platon Mais comment expliquer que lrsquoon retrouve certaines

occurrences dans la philosophie aristoteacutelicienne et platonicienne alors mecircme qursquoil y a

diffeacuterentes opinions parfois opposeacutees sur un mecircme sujet chez Platon En effet srsquoil est

question dans le Phegravedre drsquoun au-delagrave du ciel ou se trouveraient les Formes dans le Timeacutee

Platon affirme qursquoil existe rien qui ne soit pas dans un lieu dans le monde Il faut donc lire les

passages suivants de la Physique44 drsquoAristote en se souvenant de celui du Phegravedre que nous

avons citeacute plus haut dans lrsquointeacuterecirct de comprendre pourquoi Aristote affirmait certaines choses

de la philosophie platonicienne plutocirct que drsquoautres

Le premier passage porte sur le lieu Aristote expose deux points de vue du lieu Dans

un premier temps Aristote affirme que le lieu est la matiegravere puisqursquoil nrsquoest pas simplement la

peacuteripheacuterie de ce qui est enveloppeacute mais aussi lrsquointervalle entre la limite qursquoil est et lrsquoobjet

dont il est le lieu Dans un second temps le lieu est lui-mecircme englobeacute car sa surface deacutelimite

le lieu occupeacute en ce sens le lieu est compris comme une matiegravere Quant au second passage il

porte sur lrsquoinfini Il distingue deux conceptions de lrsquoinfini les pythagoriciens pensent que

lrsquoinfini est propre agrave ce qui se situe hors du ciel alors que Platon affirme dans le Timeacutee qursquoil

nrsquoy a rien en dehors du ciel pas mecircme les Formes puisque celles-ci ne sont pas quelque part

Pourquoi Aristote affirmait que le lieu eacutetait ce que nous venons de deacutecrire et affirmait que

Platon refusait drsquoassocier lrsquoau-delagrave du ciel aux Formes alors mecircme que dans le Phegravedre il les

situe dans cet au-delagrave Solmsen formule trois hypothegraveses pour reacutepondre agrave ce problegraveme

44 Physique IV 2 209b11-16 et Physique III 4 203a1

61

1) Aristotle may not have read the mythical section of the laquo Phaedrus raquo Despite thereference to this section in Rhetoric III 7 1408b20 where it serves as an example ofpoetic style45

Mais cette hypothegraveses proposeacutee par Solmsen est directement critiqueacutee par lui En effet

cette theacuteorie selon laquelle Aristote nrsquoavait pas lu ce passage du Phegravedre bien qursquoelle ne soit

pas impossible est peu probable dans la mesure ougrave drsquoune part il y a une reacutefeacuterence agrave cette

œuvre dans la Rheacutetorique drsquoAristote et drsquoautre part il y a un trop gros rapprochement entre le

systegraveme rheacutetorique qursquoemploie Aristote dans son œuvre et celui qursquoemploie Platon pour parler

de ce qui est au-delagrave du ciel De plus cette theacuteorie supposerait que lrsquoon accepte qursquoAristote

avait la meacutemoire courte et qursquoil avait totalement oublieacute un passage entier du mythe du Phegravedre

2) Aristotle may have known but discounted the ὑπερουράνιος τόπος because for him asfor modern interpreters of the lsquoPhaedrusrsquo its presence in a myth ndash and in a myth whichunlike the myth of the lsquoTimaeusrsquo did not embody a cosmology ndash deprived the idea ofphilosophical significance46

Cette hypothegravese formuleacutee par Solmsen serait qursquoAristote avait lu cette œuvre mais

reacuteduit lrsquoimportance de lrsquoau-delagrave du ciel dans la mesure ougrave ce lieu apparaissait dans un mythe

Solmsen affirme que si cette hypothegravese est la vraie cela signifie qursquoAristote a volontairement

occulteacute la promesse de Platon de dire la veacuteriteacute concernant les Formes Une autre raison plus

leacutegitime serait de penser que le Timeacutee a eacuteteacute eacutecrit apregraves le Phegravedre et qursquoAristote le sachant

aurait consideacutereacute le Timeacutee comme une correction de certaines theacuteories platoniciennes passeacutees

De cette maniegravere le discours sur la localisation des Formes platoniciennes serait nul et non

avenu

3) At the time when Aristotle put down the passages in Physics III and IV he could notknow the lsquoPhaedrusrsquo because it had not yet been written or if written not yet beenpublished47

Quant agrave cette troisiegraveme hypothegravese elle repose sur la question de la date et lrsquoordre de

publication des dialogues platoniciens Le problegraveme est que nous nrsquoavons pas de sources

45 Solmsen opcit 1976 p2846 Ibid p2847 Ibid p28

62

suffisantes pour asseoir cette theacuteorie De plus dans lrsquohistoire de lrsquoeacutetude des dialogues

platoniciens le Phegravedre est celui qui a le plus de fois changeacute de place sur la liste chronologique

des dialogues platoniciens crsquoest dire agrave quel point nous nrsquoavons pas de connaissances certaines

et veacuteritables agrave ce sujet

La seconde hypothegravese selon Solmsen a plus de chance de seacuteduire les interpregravetes

classiques Mais avant de srsquoexprimer sur la question Solmsen nous renvoie au texte

drsquoAristote tireacute du De Caelo I 9 279a18-23 Solmsen affirme que en vertu des positions

philosophiques drsquoAristote il ne peut pas faire reacutefeacuterence aux Formes platoniciennes qui pour

lui nrsquoexistent pas Crsquoest pourquoi la seule possibiliteacute quant agrave la reacutefeacuterence de ce qui se trouve

lagrave-bas est pour Solmsen les diviniteacutes Il semble alors qursquoil y ait une intersection entre la

theacuteorie platonicienne eacutenonceacutee dans le Phegravedre et la theacuteorie aristoteacutelicienne du De Caelo dans la

mesure ougrave Platon affirme que les diviniteacutes passent au-delagrave de la derniegravere extreacutemiteacute pour

contempler les Formes Cela signifie qursquoil nrsquoy a pas que des Formes au-delagrave du ciel mais

eacutegalement des diviniteacutes Beaucoup drsquointerpregravetes ont eacuteteacute tenteacutes de comprendre ce texte comme

eacutetant une reacutefeacuterence aux premiers moteurs immobiles Toutefois Solmsen soutient qursquoil ne

peut srsquoagir de diviniteacutes ayant une fonction motrice dans la mesure ougrave Aristote affirme agrave la fin

de ce chapitre qursquoil nrsquoy a rien de plus fort que le corps qui a un mouvement circulaire et que

rien ne peut le deacuteplacer Les diviniteacutes nrsquoont donc pas agrave avoir une fonction motrice car le

mouvement circulaire srsquoexplique par la nature mecircme du cinquiegraveme eacuteleacutement qursquoest lrsquoeacutether

Solmsen affirme que crsquoest un passage choquant car on a le sentiment qursquoAristote est sur le

point drsquoaboutir agrave lrsquoideacutee qursquoil nrsquoy a rien en dehors du ciel en raison du fait que tout est compris

dans le ciel Il souligne que pour Platon crsquoest une theacuteorie theacuteologique alors que pour Aristote

crsquoest une theacuteorie scientifique (due agrave sa theacuteorie des corps des milieux et des mouvements)

Mais les lois physiques ne srsquoeacutetendent pas agrave ce qui est incorporel Les dieux sont au-dessus des

lois physiques et aucun argument utiliseacute dans le DC ne refuserait aux dieux une place au-

dessus du ciel Tels sont les arguments de Solmsen en faveur de la nature transcendante du

takei Mais quel est le rapport avec les 3 hypothegraveses preacutesenteacutees plus haut Elle rend

impossible et peu probable la premiegravere selon laquelle Aristote nrsquoavait pas lu cette partie du

Phegravedre et la derniegravere selon laquelle le Phegravedre nrsquoavait pas eacuteteacute eacutecrit en vertu du fait qursquoil

semble y avoir une intersection entre Aristote et Platon qui srsquoexplique par une lecture du

Phegravedre par Aristote La deuxiegraveme explication semble donc plus pertinente Aristote pouvait

consideacuterer le Timeacutee comme une base pour les hypothegraveses suggeacuterant un laquo lieu raquo pour les

formes (car tout est dans un lieu pour Platon dans le Timeacutee) mais il est possible qursquoAristote

63

ait associeacute ses diviniteacutes agrave cet au-delagrave du ciel qui nrsquoest pas un lieu Bien sucircr Aristote a revisiteacute

cette conception de lrsquoau- delagrave du ciel en supprimant les formes platoniciennes qui sont

regardeacutees par les diviniteacutes Il y a une diffeacuterence entre le laquo lieu raquo meacutetaphorique au-delagrave du ciel

de Platon et celui drsquoAristote Nous avons vu qursquoen dehors du ciel il nrsquoy avait rien et que le

τἀκεῖ nrsquoeacutetait dans aucun lieu Donc philosophiquement on peut penser a une reacutealiteacute eacuteternelle

et immateacuterielle qui se trouve au-delagrave du ciel

Le geste de Platon et Aristote nrsquoest pas le mecircme affirme Solmsen Platon dans le

mythe du Phegravedre prend les formes impassibles et inalteacuterables au-dessus du ciel pour acquises

dans la mesure ougrave lrsquoexistence de ces formes a eacuteteacute eacutetablis dans drsquoautres dialogues Il attribue

simplement la veacuteriteacute agrave ce lieu en le deacutesignant comme la laquo plaine de la veacuteriteacute raquo alors

quAristote en deacutecouvrant gracircce agrave sa theacuteorie des milieux un laquo environnement raquo qui exclut le

lieu le vide la matiegravere et le temps utilise cet environnement pour deacutefinir la nature de ses

diviniteacutes parce qursquoelles nrsquoont pas de corps pas de temps et pas de lieu elles sont

inchangeables et eacuteternelles Nous avons alors une conception du divin qui coiumlncide avec celle

de la Meacutetaphysique et de la Physique bien qursquoil ne soit pas question drsquoune diviniteacute motrice

Nous pouvons alors faire un lien pertinent entre la philosophie platonicienne et la philosophie

aristoteacutelicienne tout en les faisant cohabiter sans se contredire Le geste de Solmsen permet

alors de faire pencher la balance et drsquoajouter un argument en plus agrave la position de la reacutefeacuterence

transcendante concernant le τἀκεῖ

33 Deacutepassement des deux alternatives traditionnelles de lrsquointerpreacutetation du takei

331 Lrsquoeacutether hypercosmique de Peacutepin

Mais les deux interpreacutetation du problegraveme du takei ne font pas totalement lrsquounanimiteacute

Parmi ceux qui pensent en dehors de ce cadre nous trouvons Peacutepin qui a deacuteveloppeacute une

theacuteorie fort originale selon laquelle le takei est une reacutefeacuterence agrave lrsquoeacutether hypercosmique Il

srsquoagira alors de voir quels sont les arguments par rapport agrave ceux que nous avons vu qui

permettent de deacutefendre cette thegravese

Lrsquoarticle de Fabienne Baghdassarian48 nous propose un exposeacute inteacuteressant des

diffeacuterentes thegraveses portant sur lrsquoidentiteacute des ecirctres de lagrave-bas Parmi ces nombreuses thegraveses il y

48 Baghdassarian 2011

64

en a une qui est volontairement mise de cocircteacute et briegravevement introduite dans une note de bas de

page celle de Peacutepin

Nous ne dirons rien de lrsquohypothegravese de Peacutepin 1964 p 161-170 qui soutient que la diviniteacuteen question est lrsquoeacutether hypercosmique Peu drsquoeacuteleacutements en effet sont en faveur de cettethegravese et ce tout particuliegraverement dans le DC J Peacutepin lui-mecircme ne reconnaicirct-il pas qursquoilnrsquoest qursquoun seul texte dans ce traiteacute en faveur de son hypothegravese 49

Ce qui est fort inteacuteressant dans la thegravese de Peacutepin est son originaliteacute En effet si nous

avons vu agrave travers lrsquoarticle de Fabienne Baghdassarian jusqursquoagrave preacutesent que lrsquointerpreacutetation

du τἀκεῖ eacutetait bien souvent binaire et penchait soit en faveur de la transcendance

geacuteneacuteralement associeacutee au Premier Moteur Immobile soit en faveur de la reacutefeacuterence ceacuteleste et

plus particuliegraverement agrave la sphegravere des fixes lrsquointerpreacutetation de Peacutepin est tout autre Il ne srsquoagit

pas pour lui de deacutefendre lrsquoune ou lrsquoautre de ces ideacutees bien au contraire il en expose une toute

nouvelle apregraves avoir argumenteacute en deacutefaveur des theacuteories issues de la tradition de Simplicius

et drsquoAlexandre Selon lui le τἀκεῖ serait une reacutefeacuterence agrave lrsquoeacutether hypercosmique La question

que nous devons nous poser est la suivante comment Peacutepin en arrive agrave cette thegravese nouvelle

Dans un premier temps Peacutepin rappelle une chose importante que Fabienne

Baghdassarian rappelle eacutegalement

Certains passages du De Caelo drsquoAristote donnent agrave entendre que la diviniteacute serait au-delagrave de lrsquounivers[hellip] Il srsquoagit essentiellement de I 9 279a11-b350

A la lecture de cette premiegravere phrase nous sommes en droit de nous poser la question

que Fabienne Baghdassarian posait dans son article il existe fort peu de textes drsquoAristote au

sujet de reacutealiteacutes transcendantes agrave lrsquoordre ceacuteleste et De Caelo I 9 serait-il lrsquoun de ceux-lagrave

Peacutepin en semble convaincu dans la mesure ougrave il dit qursquoAristote affirme lrsquoexistence drsquoecirctres qui

se situent au-delagrave du mouvement de translation le plus exteacuterieur A ce propos Peacutepin ne

manque pas de citer directement le texte drsquoAristote La situation de ces ecirctres de lagrave-bas est

donc telle qursquoils eacutechappent au temps et au lieu partie A Cette absence de lieu et de temps

implique que ces ecirctres soient inalteacuterables et impassibles selon Aristote De plus de ces ecirctres

deacutependent lrsquoecirctre et la vie crsquoest ce que nous avons vu dans la partie B Finalement rien nrsquoest

49 Baghdassarian 2011 p 20150 Peacutepin Theacuteologie cosmique et Theacuteologie chreacutetienne1964 p161

65

plus parfait que ces ecirctres donc rien ne peut les mouvoir Peacutepin affirme alors qursquoils ont un

mouvement de translation par eux-mecircmes et non par une chose exteacuterieure Peacutepin ne semble

pas faire grand cas du problegraveme de la continuiteacute de lrsquoobjet du texte dans la mesure ougrave il

applique ce qui semblait ecirctre un eacuteloge du corps qui se meut de maniegravere circulaire au τἀκεῖ

Pouvons-nous mettre en cause ce premier geste de lrsquointerpregravete dans la mesure ougrave Aristote

affirme qursquoil nrsquoy a laquo aucun changement pour les ecirctres qui sont disposeacutes au-dessus de la

translation la plus exteacuterieure raquo Quoiqursquoil en soit la perfection qursquoAristote accorde agrave ces

ecirctres semble sans preacuteceacutedent et autorise donc Peacutepin agrave voir en la figure du τἀκεῖ une diviniteacute Il

affirme que les proprieacuteteacutes ndash impassible autarcique immuable ndash qui servent agrave le deacutecrire sont

les mecircmes que celles utiliseacutees pour deacutecrire le divin dans la Meacutetaphysique Λ51 et qursquoen plus de

cela Aristote utilise souvent le terme theios52 pour deacutesigner le τἀκεῖ Montrer que le τἀκεῖ est

drsquoordre divin permettra agrave Peacutepin de deacutefendre sa theacuteorie de lrsquoeacutether hypercosmique mais nous y

reviendrons plus tard

Avant drsquoexposer sa theacuteorie Peacutepin srsquoattaque directement aux deux grandes

interpreacutetations qui dominent celle de Simplicius (suivie par les interpregravetes modernes que

nous avons vus) et celle drsquoAlexandre (qui est eacutegalement deacutefendue par drsquoautres interpregravetes vus

preacuteceacutedemment)

Il note un lien entre la description qursquoen fait Aristote dans le De Caelo I 9 lorsqursquoil

affirme qursquoils sont immuables impassibles et qursquoils jouissent de la plus autarcique des vies

pour toute sa dureacutee et la Meacutetaphysique Λ lorsqursquoil deacutecrit en ces termes le Premier Moteur

Immobile Simplicius voyait dans le τἀκεῖ une reacutefeacuterence au Premier Moteur Immobile agrave tel

point qursquoil a modifieacute le texte original comme le disait Moraux pour faire correspondre la

theacuteorie du Premier Moteur Immobile au τἀκεῖ En effet Simplicius remplace κινεῖται par κινεῖ

dans lrsquointeacuterecirct de donner une fonction motrice au τἀκεῖ comme le Premier Moteur Immobile a

une fonction motrice puisqursquoelle est ce qui met le Premier Ciel en mouvement Fabienne

Baghdassarian tout comme Moraux nrsquoacceptent pas cette modification Moraux affirme

qursquoelle nrsquoest pas envisageable dans la mesure ougrave le texte original ne fait pas mention drsquoune

fonction motrice du τἀκεῖ Quant agrave Fabienne Baghdassarian remarque en se tournant vers la

traduction que si lrsquoon accepte la correction de Simplicius le texte drsquoAristote signifierait que

le τἀκεῖ met en mouvement le Premier Ciel en vertu du fait que lrsquoeacutether se deacuteplace de maniegravere

circulaire ce qui nrsquoest pas coheacuterent avec lrsquoensemble du texte selon elle puisque lrsquoexplication

51 Meacutetaphysique Λ 652 Ibid

66

du mouvement circulaire ducirc agrave la nature de lrsquoeacutether nrsquoa rien agrave voir avec la puissance motrice du

Premier Moteur De nombreux arguments permettent donc de deacutecreacutedibiliser la correction de

Simplicius et ruinent lrsquoideacutee drsquoune reacutefeacuterence au Premier Moteur Immobile du fait de lrsquoabsence

explicite de fonction motrice du τἀκεῖ

Apregraves avoir critiqueacute la theacuteorie de Simplicius Peacutepin srsquoattaque agrave celle drsquoAlexandre

drsquoAphrodise Ce dernier deacutefendait lrsquoideacutee selon laquelle le τἀκεῖ eacutetait une reacutefeacuterence agrave la sphegravere

des fixes En effet il semblerait que la sphegravere des fixes respecte le fait de nrsquoecirctre dans aucun

lieu et aucun temps car rien ne lrsquoenveloppe En effet il nrsquoy a de temps et de lieu que pour ce

qui est enveloppeacute par un corps Alexandre se reacutefegravere alors agrave la Physique IV 553 dans lequel

Aristote affirme que la sphegravere des fixes puisqursquoelle nrsquoest dans aucun lieu est transcendante

au lieu et constitue le lieu du corps dans la continuiteacute de la sphegravere des fixes et dans lequel se

trouvent certaines planegravetes ainsi que le Soleil et la Lune (consideacutereacute comme des planegravetes car

ayant un mouvement irreacutegulier) Alexandre identifie donc le τἀκεῖ comme quelque chose se

trouvant au-dessus drsquoun mouvement crsquoest pourquoi il pense agrave la sphegravere des fixes elle nrsquoest

pas dans un lieu pas dans le temps et elle se trouve au dessus du mouvement rectiligne le plus

haut Cependant Peacutepin ne considegravere pas cette theacuteorie comme acceptable dans la mesure ougrave

Aristote affirme que le τἀκεῖ se situe au-dessus du mouvement de translation le plus exteacuterieur

Le mouvement de translation est le mouvement circulaire et le plus haut et exteacuterieur des

mouvements circulaires est celui de la sphegravere des fixes Le texte mecircme permet alors de

combattre la theacuteorie drsquoAlexandre car le τἀκεῖ se trouve au dessus de la sphegravere des fixes et si

la sphegravere des fixes eacutetait effectivement le τἀκεῖ comment pourrait-elle ecirctre au dessus drsquoelle-

mecircme Cette remarque de Simplicius est reprise par Peacutepin

Il srsquoavegravere que Peacutepin ne croit ni en lrsquohypothegravese de la reacutefeacuterence au Premier Moteur

Immobile ni en celle drsquoune reacutefeacuterence agrave la sphegravere des fixes Crsquoest pourquoi il se tourne vers les

teacutemoignages de doxographies de lrsquoAntiquiteacute et plus preacuteciseacutement celle de Arius Didyme dans

laquelle est attribueacutee agrave Aristote la theacuteorie drsquoun dieu supeacuterieur agrave lrsquoensemble des sphegraveres

ceacutelestes qursquoil enveloppe et tient ensemble un dieu immuable impassible bienheureux et qui

communique son mouvement circulaire agrave lrsquoensemble de lrsquounivers Cette description fait

directement eacutecho au De Caelo I 3 et agrave la conception de lrsquoeacutether Peacutepin pose alors la question

de savoir si la reacutefeacuterence agrave lrsquoeacutether est plus satisfaisante que la reacutefeacuterence agrave la sphegravere des fixes ou

au Premier Moteur Immobile De plus lrsquoeacutether est-il susceptible drsquoeacuteviter les objections

53 Physique IV 5 212b8-20

67

auxquelles se heurte la sphegravere des fixes A savoir que la sphegravere des fixes ne peut pas ecirctre en

dehors de la sphegravere des fixes puisque le τἀκεῖ est dit se situer au dessus du mouvement de

translation le plus exteacuterieur En drsquoautres termes lrsquoeacutether peut-il ecirctre au dessus du mouvement

circulaire de la sphegravere des fixes Peacutepin concegravede lrsquoideacutee que lrsquoeacutether bien qursquoil entre aussi en la

composition des astres concerne en prioriteacute la constitution de la sphegravere des fixes Toutefois

Peacutepin objecte agrave sa propre thegravese que bien que cela soit affirmeacute dans le De Caelo I 3 dans le

passage du De Caelo qui nous inteacuteresse Aristote ne donne aucune autre information agrave ce

sujet

Pour eacutetayer son hypothegravese Peacutepin srsquoappuie sur la Reacutefutation de toutes les heacutereacutesies dans

lequel Hippolyte affirme que lrsquounivers aristoteacutelicien peut se deacutecomposer en trois parties

Le monde selon Aristote est diviseacute en un grand nombre de parties diffeacuterentes Cettepartie-ci du monde qui srsquoeacutetend depuis la terre jusqursquoagrave la lune est sans providence sansdirection et nrsquoobeacuteit qursquoagrave sa propre nature Dans celle qui est apregraves la lune jusqursquoagrave lasurface du ciel regravegnent lrsquoordre la providence et une sage direction Quant agrave cette surface(du ciel) elle est une cinquiegraveme substance eacutetrangegravere agrave tous les eacuteleacutements physiques dontle monde est composeacute et cette cinquiegraveme substance drsquoapregraves Aristote est une sorte desubstance supeacuterieure au monde54

La premiegravere est la partie sublunaire la seconde la partie supralunaire et la troisiegraveme la partie

qui est la surface du ciel eacutetranger agrave tous les eacuteleacutements du monde car constitueacutee par le

cinquiegraveme eacuteleacutement lrsquoeacutether Peacutepin critique les arguments de la theacuteorie drsquoHippolyte en

affirmant qursquoAristote nrsquoa pas retireacute lrsquoeacutether mecircme srsquoil a dit que lrsquoeacutether concernait

principalement la sphegravere des fixes de la constitution du ciel et des astres Il retient toutefois

une notion introduite par Hippolyte pour expliquer la preacutesence du cinquiegraveme eacuteleacutement au-delagrave

de la sphegravere des fixes la notion de ἐπιφάνεɩɑ τοῦ οὐρɑνοῦ Cette notion est employeacutee dans la

philosophie stoiumlcienne pour deacutesigner la surface de la sphegravere unique qursquoenveloppe le ciel et sur

laquelle sont poseacutes les astres De cette maniegravere la surface dont il est question ici est la sphegravere

des fixes aristoteacutelicienne Mais Hippolyte ne se contente pas drsquoidentifier la sphegravere des fixes agrave

cette notion il lrsquointroduit dans le but de deacutecrire la sphegravere des fixes comme un corps eacutepais dont

la surface inteacuterieur est dans le ciel et la surface exteacuterieure constitueacutee drsquoeacutether se trouve hors

du ciel En ce sens nous comprenons comment lrsquoeacutether peut se trouver au-delagrave de la sphegravere des

fixes tout en la constituant Ce qui regravegle la question que Peacutepin posait ci-dessus agrave savoir est-

54 Hippolyte 1928 p102 Traduction par A Siouville

68

ce que le τἀκεῖ identifieacute comme eacutetant lrsquoeacutether eacutevite les objections formuleacutees agrave la sphegravere des

fixes

De plus la doxographie drsquoArius Didyme et celle drsquoHippolyte ne sont pas les seules agrave

preacutesenter un eacutether hypercosmique dans la philosophie aristoteacutelicienne En effet Sextus

Empiricus ainsi que le teacutemoignage anonyme de la Vita Aristotelis rendent compte de la mecircme

ideacutee mais par des arguments diffeacuterents Sextus Empiricus preacutesente Aristote comme ayant une

theacuteologie mateacuterialiste crsquoest-agrave-dire qursquoil comprend que la diviniteacute ne peut pas se trouver hors

du ciel puisqursquoil nrsquoy a rien hors du ciel par conseacutequent elle doit se trouver agrave lrsquointeacuterieur de

celui-ci ce qui nous permet de penser raisonnablement que le τἀκεῖ ne fait pas reacutefeacuterence au

Premier Moteur Immobile mais bien agrave lrsquoeacutether se situant sur la surface exteacuterieure de la sphegravere

des fixes ainsi deacutesigneacute comme hypercosmique

La situation est donc la suivante plusieurs doxographies srsquoaccordent agrave rapporter agraveAristote une theacuteorie de la diviniteacute de lrsquoeacutether hypercosmique mais le seul textearistoteacutelicien apte agrave fonder ces teacutemoignages (qui en retour contribuent agrave lrsquoeacuteclairer)apparaicirct dans le De Caelo crsquoest-agrave-dire dans un traiteacute qui passe a bon droit pour veacutehiculercertaines doctrines anteacuterieures issues des eacutecrits de jeunesse55

Par conseacutequent la deacutemarche de Peacutepin est la suivante il note qursquoil existe une

litteacuterature doxographique dans laquelle il est plusieurs fois fait mention de la theacuteorie drsquoun

eacutether hypercosmique En mecircme temps les textes dans lesquels Aristote en parlait ne sont pas

en notre possession et le seul document qui semble pouvoir manifester de la veacuteraciteacute de ces

reacutefeacuterences est le De Caelo I 9 crsquoest-agrave-dire un eacutecrit connu pour avoir eacuteteacute eacutecrit relativement tocirct

par Aristote Il comprend alors le passage du De Caelo qui nous inteacuteresse au regard de ces

doxographies mais eacutegalement au regard du fragment 26 du De Philosophia qui serait

lrsquoorigine de la formulation premiegravere de la theacuteorie de lrsquoeacutether hypercosmique ou du takei

En effet parfois il attribue tout le divin agrave lrsquoesprit parfois il dit que le monde lui-mecircme estun dieu parfois il soumet le monde et ses parties agrave un autre ltdieugt chargeacute de reacutegler et depreacuteserver le mouvement du monde par un mouvement reacutetrograde puis il dit que lrsquoardeurdu ciel est un dieu ne comprenant pas que le ciel est une partie du monde qursquoailleurs il adeacutesigneacute comme un dieu Mais comment la fameuse perception divine dont est doueacute le cielpourrait-elle se conserver dans un mouvement aussi rapide Et ougrave sont les dieux bienconnus si nous comptons aussi le ciel au nombre des dieux Et quand il veut qursquoun dieunrsquoait pas de corps il le prive de toute perception sensible et mecircme de prudence Et

55 Peacutepin opcit 1964 p169

69

comment le monde pourrait-il se mouvoir alors qursquoil est priveacute de corps et comment srsquoil semeut sans cesse peut-il ecirctre calme et heureux 56

En ce sens selon Peacutepin Jaeger57 avait raison drsquoaffirmer que ce passage du De Caelo

eacutetait une reprise du De Philosophia dans la mesure ougrave le De Caelo compris comme un des

traiteacutes les plus anciens qui soit conserveacute srsquoinspire des theacuteories drsquoeacutecrits non publieacutes ou perdus

tels que le De Philosophia En effet il est question de diviniteacutes qui comme les takei sont

immaterielles De plus il eacutenonce les preacutemisses du mouvement circulaire des ecirctres divins qui

par suite sera le mouvement causeacute par lrsquoeacuteleacutement qui constitue ces ecirctres divins lrsquoeacutether

Lrsquoeacutetude du propos de Peacutepin nous a alors permis de deacuteconstruire les traditionnelles

alternatives de lrsquointerpreacutetation du τἀκεῖ qui penche soit en faveur du Premier Moteur soit en

faveur de la sphegravere des fixes Peacutepin propose une alternative qui bien qursquoelle ne soit pas

souvent accepteacutee a le meacuterite drsquoaffronter les difficulteacutes que pose la lecture de ce texte tout en

respectant le contenu textuel de celui-ci

3 3 2 La theacuteorie des Moteurs Immobiles une variante originale de la reacutefeacuterence au Premier Moteur Immobile

Merlan propose une theacuteorie de lrsquointerpreacutetation du τἀκεῖ qui fait exception agrave la logique

de lrsquointerpreacutetation binaire du τἀκεῖ eacutegalement En effet Merlan ne pense pas qursquoil srsquoagit lagrave

drsquoune reacutefeacuterence agrave la sphegravere des fixes ou au Premier Moteur Sa thegravese est que le τἀκεῖ est une

reacutefeacuterence aux moteurs immobiles Dumoulin avait formuleacute lrsquohypothegravese selon laquelle le

τἀκεῖ du fait qursquoil nrsquoavait pas de fonction motrice aveacutereacutee ne renvoyait pas neacutecessairement au

Premier Moteur Immobile Neacuteanmoins bien que Merlan ne srsquointeacuteresse pas agrave la question de

savoir si le τἀκεῖ a une fonction motrice ou pas il lie les τἀκεῖ au Premier Moteur Immobile

en vertu des qualiteacutes qui leur sont attribueacutees Les τἀκεῖ sont dit dans le DC I 9 parfaitement

immobiles crsquoest-agrave-dire immuables inalteacuterables incorruptibles jouissant du plus grand des

biens parfaitement autonomes et divins Les caracteacuteristiques du τἀκεῖ sont celles que lrsquoon

retrouve pour qualifier le Premier Moteur Immobile dans la Meacutetaphysique Λ Fabienne

Baghdassarian souligne comme nous lrsquoavons vu que notre connaissance drsquoAristote nous

pousse agrave voir la theacuteorie du Premier Moteur un peu partout dans les textes drsquoAristote Il semble

56 Aristote Œuvres complegravetes 2014 p 2846-284757 Jaeger Aristote fondements pour une histoire de son eacutevolution1997 p311

70

alors que cette interpreacutetation de la part du Dumoulin soit quelque peu hacirctive en plongeant

dans lrsquoune des alternatives traditionnelles de lrsquointerpreacutetation du τἀκεῖ

Merlan quant agrave lui a bien conscience que le τἀκεῖ ne fait pas reacutefeacuterence agrave la sphegravere

des fixes ou agrave un corps ceacuteleste

It is true not all interpreters agree that with takei Aristotle designates divinities differentfrom the celestial bodies But (a) how could celestial bodies be ever described as ouk entopo (b) How could celestial bodies be described as above the uttermost locomotion (c)The parallels between the descriptions of the Unmoved Mover in Metaphysics Λ and thetakei in On the Heavens strongly suggest that the same entities are meant in bothpassages58

Il note que tous les interpregravetes ne sont pas drsquoaccord avec lrsquoideacutee que Aristote par

lrsquoutilisation de la notion de τἀκεῖ deacutesigne autre chose que les corps ceacutelestes Il pose alors

deux problegravemes agrave la theacuteorie drsquoune reacutefeacuterence ceacuteleste dans le but de la remettre en question

comment les corps ceacutelestes pourraient ecirctre deacutecrits comme eacutetant en dehors drsquoun lieu Et

comment les corps ceacutelestes peuvent ecirctre deacutecrits comme se trouvant au dessus du mouvement

le plus haut En effet lrsquoeacuteleacutement de lrsquoeacutether qui constitue le premier et second ciel crsquoest-agrave-dire

la sphegravere des fixes et le corps qui est dans la continuiteacute de la sphegravere des fixes forment un lieu

pour les corps ceacutelestes En drsquoautres termes les corps ceacutelestes se trouvent dans le ciel et la

derniegravere limite du ciel est la sphegravere des fixes donc aucun drsquoeux ne se trouve au-dessus de la

sphegravere des fixes Cet argument est eacutenonceacute par Cherniss59 et repris par Merlan Mais pourquoi

en est-on venu a penser malgreacute le contenu du De Caelo I 9 partie A que le τἀκεῖ eacutetait une

reacutefeacuterence agrave des ecirctres ceacutelestes Merlan signale comme nous lrsquoavons vu que de nombreux

interpregravetes comprennent cette notion comme eacutetant une reacutefeacuterence aux corps ceacutelestes en raison

de la maniegravere dont est deacutecrit le Moteur Immobile dans la Meacutetaphysique Λ et dans le ciel dans

De Caelo I 9 En effet le ciel est dit immuable inengendreacute inalteacuterable eacuteternel tout comme

est caracteacuteriseacute le Moteur Immobile

Mais Merlan note le pluriel de lrsquoexpression τἀκεῖ dans De Caelo I 9 et pour deacutesigner

les moteurs immobiles (ou ce qursquoil appelle les substances eacuteternelles sans matiegraveres) dans

Meacutetaphysique Λ 660 Crsquoest pourquoi plutocirct que de favoriser lrsquohypothegravese de la reacutefeacuterence

ceacuteleste du τἀκεῖ Merlan favorise celle drsquoune reacutefeacuterence aux moteurs immobiles En ce sens il

58 Merlan 1996 p1359 Cherniss 1944 p58760 Aristote Meacutetaphysique Λ 6 1071b20-23

71

se diffeacuterencie de la tradition habituelle qui voit dans le τἀκεῖ une reacutefeacuterence au Premier

Moteur Merlan nrsquoest donc ni en faveur de la position de drsquoAlexandre ni en faveur de celle de

Simplicius bien que celle-ci semble ecirctre plus proche de la sienne Il srsquoagit alors pour Merlan

dans le but de prouver que le τἀκεῖ correspond aux moteurs immobiles de prouver que la

theacuteologie drsquoAristote est polytheacuteiste et non monotheacuteiste Fabienne Baghdassarian dans son

article ne manque pas de noter que le Premier Moteur Immobile en tant qursquoil est une

substance unique en son genre ne coiumlncide pas vraiment avec le pluriel du τἀκεῖ du De Caelo

I 9 Merlan a bien conscience que le Premier Moteur Immobile en tant qursquoecirctre unique ne

peut pas rendre compte de lrsquoutilisation du pluriel pour deacutesigner ce qui se trouve au-delagrave de la

translation la plus exteacuterieure Crsquoest pourquoi il lui faut montrer que la theacuteologie

aristoteacutelicienne au grand dam des scolastiques est un polytheacuteisme et non un monotheacuteisme

Il se reacutefegravere agrave Meacutetaphysique Λ drsquoAristote et plus preacuteciseacutement au chapitre 6 dans lequel

Aristote affirme la chose suivante dans le but de montrer les raisons pour lesquelles les

scolastiques ont consideacutereacute la theacuteologie aristoteacutelicienne comme monotheacuteiste

In ch6 of Lambda Aristotle reminds us that there are three entities (or kinds of entities orrealities or substances or kinds of substance) Two of them are subject to change - therealm of perishable physical entities and the realm of imperishable physical entities iecelestial bodies But there must exist a realm of being (an entity a substance a reality)which is both imperishable and changeless How Aristotle proves this necessity doesntneed to detain us here - he in any case is satisfied that he did prove it However it isrelevant to stress that he quite particularly denies that the soul as conceived by Plato as aself-changer could be assumed to be the realm of being the existence of which he hasproved61

A la lecture du chapitre 6 ainsi que du chapitre 7 de Meacutetaphysique Λ Merlan nrsquoest pas

eacutetonneacute que les scolastiques voient Aristote comme un monotheacuteiste Il reacutesume alors briegravevement

le chapitre 7 il existe une substance eacuteternelle et immuable selon Aristote ce qui vient

appuyer lrsquoideacutee drsquoune theacuteologie monotheacuteiste Toutefois Merlan souligne que si agrave la lecture des

chapitre 6 et 7 cela semble eacutevident en reacutealiteacute crsquoest un veacuteritable problegraveme auquel les lecteurs

de la Meacutetaphysique ont affaire En effet le deacutebut du chapitre 8 de Λ pose une question de

clarteacute existe t-il une seule substance de ce type ou plusieurs Si plusieurs combien y en a-t-

il Aristote rappelle alors que le Premier Moteur Immobile qui est eacuteternel et sans

changement est le moteur drsquoun seul mouvement celui de la sphegravere des fixes ou du premier

61 Merlan opcit 1966 p3-4

72

ciel Le Premier Moteur Immobile nrsquoexplique donc pas le mouvement de tout ce qui est mucirc en

cercle drsquoun mouvement incessant notamment le mouvement circulaire des planegravetes dans la

mesure ougrave ce nrsquoest pas lui qui est agrave lrsquoorigine de leurs mouvements Aristote en conclut qursquoil

faut que chaque astre ait son moteur immobile Il se reacutefegravere alors aux theacuteories des astronomes

tel que Calippe et Eudoxe et arrive agrave la conclusion qursquoil existe cinquante-cinq sphegraveres qui

mettent en mouvement les astres Il reacutepond donc successivement aux questions suivantes y-

a-t-il une seule substance immuable et eacuteternelle ou plusieurs Et combien Merlan deacutefend la

thegravese qursquoil existe un moteur immobile pour chaque sphegravere il existerait alors cinquante-cinq

moteurs immobiles

Il semble alors qursquoAristote passe drsquoun monotheacuteisme agrave un polytheacuteisme En effet les

sphegraveres sont les moteurs du mouvement des astres elles sont donc parce qursquoelles mettent en

mouvement quelque chose de divin drsquoune nature divine agrave un plus haut degreacute Le problegraveme du

polytheacuteisme nrsquoest pas directement notre propos mais permet agrave Merlan de justifier la reacutefeacuterence

du τἀκεῖ au Moteur Immobile et non au Premier Moteur Immobile Toutefois la lecture de

Meacutetaphysique Λ 8 bien qursquoau deacutepart elle nous pousse dans la direction drsquoun polytheacuteisme

peut servir de contre-argument aux scolastiques pour prouver la supreacutematie du monotheacuteisme

En effet Aristote affirme apregraves avoir eacutevoqueacute lrsquoexistence de cinquante-cinq Moteurs

Immobiles qursquoil nrsquoy a qursquoun seul univers Supposons qursquoil y en ait plusieurs comme il y a

plusieurs individus Si tel eacutetait le cas alors chaque monde aurait un principe et chacun de ces

principes seraient de la mecircme espegravece bien que numeacuteriquement plusieurs Mais deux choses de

la mecircme espegravece ne peuvent se diffeacuterencier que par la matiegravere or le moteur immobile nrsquoa pas

de matiegravere il ne peut donc pas y en avoir plusieurs Aristote semble alors tour agrave tour changer

drsquoavis Il finit Meacutetaphysique Λ 8 par une reacutefeacuterence agrave la religion polytheacuteiste de son eacutepoque en

la critiquant sur sa dimension anthropomorphiste mais non pas sur sa theacuteorie de la pluraliteacute

des dieux

Meacutetaphysique Λ 8 semble constitueacute selon Merlan de trois sections La premiegravere et la

derniegravere deacutefendent une theacuteologie polytheacuteiste alors que la seconde deacutefend une theacuteologie

monotheacuteiste Il justifie ce changement de position par une mauvaise compreacutehension de la

seconde section En effet Aristote a montreacute qursquoil y avait cinquante-cinq moteurs immobiles

Il cherche donc a deacutefendre la theacuteorie des cinquante-cinq moteurs en prouvant qursquoil nrsquoy a

qursquoun seul monde il ne fait pas ccedila pour prouver qursquoil est impossible qursquoil y ait plus drsquoun

moteur A ce titre chaque moteur est diffeacuterent dans la mesure ougrave aucun nrsquoa de matiegravere ce qui

signifie qursquoil ne peut pas y avoir plusieurs moteurs drsquoune mecircme espegravece En outre il nrsquoexiste

73

effectivement qursquoun seul Premier Moteur Immobile mais cela nrsquoimplique pas qursquoil nrsquoexiste

pas un Second un Troisiegraveme un Quatriegravemehellip etc Moteur Immobile En drsquoautres termes il

nrsquoest pas impossible qursquoil y ait cinquante-cinq moteurs par contre il est impossible qursquoil y ait

cinquante-cinq premiers moteurs (ni mecircme deux) car ils nrsquoont pas de matiegravere donc ne

peuvent pas ecirctre un en espegravece et numeacuteriquement plusieurs Ce passage cherche donc agrave eacutetablir

lrsquouniciteacute du monde et non pas celle du dieu

Toutefois comme le dit Merlan cette justification de la continuiteacute de lrsquoopinion

drsquoAristote nrsquoest pas la seule Jaeger62 en formule une autre tregraves brillante Aristote apregraves la

mort de Platon aurait deacuteveloppeacute lrsquoideacutee drsquoun Moteur Immobile comme cause de tous les

mouvements de lrsquounivers et de cette ideacutee sont neacutes les chapitre 6 et 7 de la Meacutetaphysique Λ et

qui deacutefendent une theacuteologie monotheacuteiste Puis devenant familier avec les theacuteories drsquoEudoxe

et Calippe qui expliquent le mouvement des planegravetes par plusieurs moteurs diffeacuterents Aristote

deacutecide de modifier sa theacuteorie et ajoute agrave lrsquounique Moteur Immobile un nombre suffisant

drsquoautres Moteurs Immobiles Il reacutedige alors la section une et trois de Meacutetaphysique Λ 8 Mais

plus tard il apparaicirct des difficulteacutes au sujet de la theacuteorie de la pluraliteacute des moteurs comment

un ordre peut exister dans un monde ougrave il existe autant de moteurs immobiles Il eacutecrit alors la

section deux de Meacutetaphysique Λ 8 Apregraves la mort drsquoAristote les peacuteripateacuteticiens ont assembleacute

les eacutecrits drsquoAristote sous la forme de la Meacutetaphysique que nous connaissons Les eacutediteurs sont

alors responsables de la raison pour laquelle Aristote semble tantocirct ecirctre polytheacuteiste tantocirct

monotheacuteiste et ainsi de suite En inseacuterant le chapitre 8 entre le 7 et le 9 ils ont coupeacute

lrsquoargumentation car Jaeger propose de le retirer dans lrsquoideacutee que le chapitre 7 et 9 se suivent et

que le chapitre 8 est un tout coheacuterent avec lui-mecircme et non avec ce qui preacutecegravede et ce qui suit

Le passage du De Caelo I 9 est alors introduit dans ce deacutebat de la theacuteologie

aristoteacutelicienne polytheacuteiste ou monotheacuteiste dans le but de montrer lrsquoattitude qursquoAristote a

envers le polytheacuteisme Il suffit degraves lors de repenser la lecture du De Caelo I 9 au vu de ce que

Merlan affirmait plus haut lrsquoutilisation du pluriel montre qursquoAristote soutient lrsquoideacutee drsquoune

pluraliteacute de diviniteacutes puisque crsquoest au pluriel qursquoil fait reacutefeacuterence agrave des ecirctres se situant au-delagrave

du ciel

Puisqursquoil nrsquoeacutetait pas possible selon Merlan que le τἀκεῖ soit une reacutefeacuterence aux corps

ceacutelestes ou agrave la sphegravere des fixes et que le Premier Moteur Immobile du fait de son uniciteacute ne

respecte pas les indices textuels du De Caelo I 9 Merlan srsquoestime en droit de proposer une

interpreacutetation qui diverge des plus connues il est tout agrave fait envisageable qursquoAristote soit

polytheacuteiste et que par deacutefinition il deacutefende lrsquoideacutee drsquoune pluraliteacute de diviniteacutes De plus les

62 Jaeger 1924

74

τἀκεῖ sont qualifieacutes comme lrsquoest le Premier Moteur Immobile de sorte que lrsquoon peut eacutetablir

leur caractegravere divin sur la base de celui du Premier Moteur Outre cet argument si les corps

ceacutelestes sont deacutejagrave des ecirctres divins alors a fortiori ce qui les met en mouvement est encore

plus divin Nous pouvons alors identifier le τἀκεῖ comme eacutetant une reacutefeacuterence aux moteurs

immobiles divins et multiples

75

CONCLUSION

Nous avons tenteacute tout au long de ce meacutemoire de montrer qursquoil existait un problegraveme

drsquointerpreacutetation du De Caelo I 9 En effet ce passage tregraves obscur et tregraves riche fait appel agrave

une notion particuliegravere qui est celle du takei Cette notion semble faire reacutefeacuterence agrave une reacutealiteacute

qui se trouverait au-delagrave de la sphegravere des fixes la question que se pose Fabienne

Baghdassarian est donc de savoir si ce texte fait parti de ceux qui attestent de lrsquoexistence de

reacutealiteacutes de ce type Mais la lecture de lrsquoarticle de Fabienne Baghdassarian manifeste de

nombreux arguments qui sont soit en faveur de lrsquoideacutee que ce passage renvoie agrave des reacutealiteacutes

hypercosmiques soit en faveur de lrsquoideacutee drsquoune reacutefeacuterence ceacuteleste Ces arguments viennent

alors atteacutenuer lrsquoimpression premiegravere drsquoun texte portant sur des reacutealiteacutes qui se situeraient au-

dessus du ciel

Il srsquoagissait alors dans ce meacutemoire de montrer quels eacutetaient les arguments en faveur

de telle ou telle ideacutee et la maniegravere dont ils interagissaient entre eux afin de faire lrsquoeacutetat des

lieux drsquoun problegraveme existant depuis lrsquoAntiquiteacute et sur lequel malgreacute la preacutesence de theacuteorie

convaincante personne nrsquoarrive agrave srsquoentendre

Notre ligne directrice pour reacutepondre agrave ce problegraveme a eacuteteacute lrsquoeacutetude du De Caelo de

maniegravere geacuteneacuterale et du De Caelo I 9 de maniegravere plus preacutecise ainsi que la lecture de lrsquoarticle

de Fabienne Baghdassarian sur lrsquoidentiteacute des ecirctres de laquo lagrave-bas raquo A cela se sont ajouteacutes les

commentaires et interpreacutetations antiques puis modernes du problegraveme qui nous inteacuteressait

Comment en sommes-nous arriveacutes agrave nous poser la question de lrsquoidentiteacute du takei

Premiegraverement nous avons introduit les concepts aristoteacuteliciens ainsi que la conception du

cosmos aristoteacutelicienne Nous avons alors deacutefini quels eacutetaient les trois sens du mot ciel Selon

Aristote le ciel se dit de trois maniegraveres pour deacutesigner la substance qui se trouve sur la

circonfeacuterence la plus eacuteloigneacutee du centre Crsquoest eacutegalement le lieu du divin dans la mesure ougrave

son lieu est le plus haut Dans un second sens le ciel est la substance qui est dans la continuiteacute

de la limite la plus eacuteloigneacutee du ciel Enfin dans un troisiegraveme sens le ciel est compris comme

la totaliteacute ou le Tout enveloppeacute par la derniegravere circonfeacuterence De plus Aristote distingue deux

reacutegions dans sa conception du cosmos la reacutegion sublunaire qui se situe sous la Lune et qui

est soumis agrave la geacuteneacuteration et agrave la corruption et la reacutegion supralunaire qui se situe au-dessus

de la Lune et qui nrsquoest pas soumis agrave la geacuteneacuteration et agrave la corruption La distinction de ces deux

reacutegions du ciel permet lrsquoexplication des mouvements des corps dans chacune des reacutegions du

monde En effet dans le monde sublunaire les corps se meuvent de maniegravere rectiligne du

haut vers le bas ou du bas vers le haut en fonction de leur nature Les eacuteleacutements qui srsquoy

76

trouvent et qui composent les corps sont au nombre de quatre En revanche dans le monde

supralunaire il nrsquoexiste qursquoun seul eacuteleacutement qui constitue le ciel et ses parties Cet eacuteleacutement est

lrsquoeacutether et a un mouvement circulaire et eacuteternel du fait de sa nature Lrsquoeacutetude du mouvement

permet alors agrave Aristote de comprendre les raisons de la geacuteneacuteration et de la corruption la

corruption se produit dans les contraires ce qui signifie qursquoun corps se corrompt si et

seulement srsquoil possegravede un contraire Mais il nrsquoy a que les eacuteleacutements du monde sublunaire qui

ont un contraire selon Aristote crsquoest pourquoi lrsquoeacutether et les corps qursquoil constitue sont eacuteternels

et se meuvent drsquoun mouvement incessant

Le ciel en son troisiegraveme sens est compris comme ce qui enveloppe la totaliteacute Cela

signifie que tous les eacuteleacutements que nous avons eacutevoqueacute se trouvent dans le ciel Aristote tente

alors de prouver qursquoil nrsquoexiste qursquoun seul ciel en deacutefendant la position platonicienne du

Timeacutee En effet Platon dans le Timeacutee affirme que le monde est constitueacute de lrsquoensemble des

eacuteleacutements de sorte qursquoil ne puisse rien y avoir au-delagrave de celui-ci Aristote deacutefend la mecircme

theacuteorie en affirmant que le ciel est constitueacute de toute la matiegravere de telle sorte que rien drsquoautre

ne pourrait venir agrave ecirctre en dehors du ciel Il conclut alors il nrsquoexiste ni lieu ni vide ni temps

en dehors du ciel dans la mesure ougrave ce sont des proprieacuteteacutes des corps mateacuteriels

La question du takei srsquoest donc poseacutee dans le contexte de la preuve de lrsquouniciteacute du ciel

et de la non-existence drsquoun quelconque corps mateacuteriels en dehors de celui-ci Nous avons

alors analyseacute la fin du De Caelo I 9 Bien qursquoAristote affirme qursquoil nrsquoy a rien en dehors du

ciel il qualifie ce qui se trouve au-delagrave du ciel comme nrsquoeacutetant ni corporel ni dans un lieu et

eacutetant eacuteternel Finalement Aristote se reacutefegravere agrave des eacutecrits portant sur les ecirctres divins (theion) Le

problegraveme que nous avons donc rencontreacute eacutetait aussi celui de la correspondance entre la notion

de takei et celle de theion

Nous nous sommes alors inteacuteresseacutes aux positions de Simplicius et drsquoAlexandre

drsquoAphrodise Ces deux interpreacutetes antiques sont les ancecirctres des deux interpreacutetations que nous

avons suivre tout au long de notre propos Simplicius est le chef de file de ceux qui affirment

que le takei fait reacutefeacuterence au Premier Moteur Immobile crsquoest-agrave-dire agrave quelque chose qui se

trouve au-delagrave du ciel Quant agrave Alexandre il est le chef de file de ceux qui affirment que le

takei fait reacutefeacuterence agrave la sphegravere des fixes donc agrave quelque chose qui se trouve dans le ciel Ces

interpreacutetations sont les deux alternatives principales et traditionnelles du problegraveme du takei

Elles sont comme nous venons de le dire suivies par une longue tradition agrave laquelle les

interpregravetes modernes pour la plupart participent Donc apregraves avoir vu les interpreacutetations

possibles durant lrsquoAntiquiteacute nous nous sommes inteacuteresseacutes aux interpreacutetations modernes

77

Puisque lrsquoenjeu de notre propos eacutetait de faire lrsquoeacutetat des lieux du problegraveme du takei tout

en rendant compte des arguments en faveur de telles ou telles ideacutees nous avons proceacutedeacute de

maniegravere theacutematique en confrontant les interpregravetes Dans un premier temps nous avons

confronteacute Dumoulin et Moraux Dumoulin comprend le takei comme se reacutefeacuterant agrave quelque

chose se situant au dessus du ciel Il justifie sa thegravese en affirmant qursquoil existe une discontinuiteacute

au sein du texte drsquoAristote Aristote se reacutefeacutererait tantocirct agrave des reacutealiteacutes hypercosmiques tantocirct agrave

des reacutealiteacutes ceacutelestes en faisant lrsquoeacuteloge du mouvement circulaire des corps ceacutelestes dans le but

de montrer que ce qui est supeacuterieur au ciel est encore plus divin Moraux quant agrave lui refuse

lrsquoideacutee drsquoune discontinuiteacute dans lrsquoargumentation sous preacutetexte qursquoelle implique qursquoil faille

accepter lrsquoideacutee qursquoAristote change brusquement de sujet Il affirme alors que le texte est

continu et traite drsquoun bloc de reacutealiteacutes ceacutelestes se situant sur la sphegravere des fixes et non au-delagrave

Dans un second temps nous avons confronteacute Mugnier et Solmsen sur la question du lieu

Mugnier affirme que lrsquoabsence de lieu en dehors du ciel expliqueacutee par Aristote dans le DC

implique que les takei ne peuvent pas se trouver en dehors du ciel puisqursquoils ne seraient pas

dans un lieu alors mecircme qursquoils sont deacutesigneacutes comme eacutetant laquo lagrave-bas raquo crsquoest-agrave-dire dans un lieu

Pour Solmsen lrsquoabsence de lieu de temps et de corps sont les caracteacuteristiques essentielles de

ce que sont les takei Ces caracteacuteristiques semblent ecirctre les mecircmes que celles accordeacutees au

Premier Moteur Immobile dans la Meacutetaphysique

Finalement nous sommes sortis de cette tradition interpreacutetative en nous tournant vers

des thegraveories plus originales notamment celle de Peacutepin et de Merlan En effet Peacutepin affirme

que le takei fait reacutefeacuterence agrave lrsquoeacutether hypercosmique En effet il note qursquoil existe plusieurs

doxographies qui font lrsquoeacutetat drsquoun eacutether hypercosmique chez Aristote toutefois nous nrsquoavons

aucune trace de ces textes Il essaie alors de faire correspondre le De Caelo I 9 agrave ces

doxographies pour en faire une partie manifestant lrsquoexistence drsquoun divin existant au-delagrave du

ciel et qui serait un eacutether hypercosmique Pour Merlin le takei serait une reacutefeacuterence non pas au

Premier Moteur Immobile ou agrave la sphegravere des fixes mais aux Moteurs Immobiles En effet

Merlan soutient la theacuteorie qursquoAristote est un polytheacuteiste qui nrsquoa pas accordeacute la diviniteacute agrave un

seul ecirctre mais agrave une multitudes drsquoecirctres qui seraient agrave lrsquoorigine des mouvements des corps

ceacutelestes Il nous est alors permis par le biais de Merlan et de Peacutepin de sortir de la tradition

habituelle de lrsquointerpreacutetation du takei en proposant des lectures originales et nouvelles des

œuvres aristoteacuteliciennes

Les diverses interpreacutetations que nous avons pu rencontreacute mettent en perspective les

difficulteacutes de la compreacutehension des thegraveses aristoteacutelicienne leurs places chronologiques et

philosophiques dans la vie drsquoAristote dans la mesure ougrave elles posent la question de la

78

chronologie des œuvres aristoteacutelicienne du rapport que la philosophie aristoteacutelicienne peut

entretenir avec la philosophie platonicienne et introduisent finalement des œuvres

aristoteacuteliciennes perdues voire inconnues

79

BIBLIOGRAPHIE

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80

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SOLMSEN F laquo Beyond the Heavens raquo Museum Helveticum 33 1976 p24-32

81

  • INTRODUCTION
  • Chapitre 1 Le De Caelo I 9 problegravemes lectures et analyses
    • 11 Aristote et le ciel
      • 111 Les trois sens du mot ciel
      • 112 Le corps du ciel lrsquoeacuteleacutement divin et le mouvement du corps ceacuteleste
        • 12 Platonisme et aristoteacutelisme sur lrsquouniciteacute du monde Du Timeacutee au De Caelo I 9
          • 121 Lrsquouniciteacute du monde dans le Timeacutee de Platon
            • 122 Aristote en De Caelo I 9 analyse des arguments en faveur de la pluraliteacute des cieux pour deacutefendre la theacuteorie platonicienne de lrsquouniciteacute du monde
              • 123 Aristote en De Caelo I 9 arguments aristoteacuteliciens en faveur de lrsquouniciteacute du ciel
                  • Chapitre 2 Deacutebat sur la question des ecirctres de laquo lagrave-bas raquo durant lrsquoAntiquiteacute Aristote agrave Simplicius
                    • 21 Compreacutehension antique du laquo τἀκεῖ raquo du De Caelo au commentaire de Simplicius
                    • 211 τἀκεῖ De Caelo I 9 279a15-b3
                    • 222 Le commentaire perdu drsquoAlexandre possibles reacuteponses au problegraveme du laquo τἀκεῖ raquo
                    • 213 Compreacutehension et hypothegravese de Simplicius sur les ecirctres de lagrave-bas
                      • Chapitre 3 Interpreacutetations modernes du De Caelo I 9 La question du τἀκεῖ premier moteur reacutealiteacutes hyper-cosmiques ou sphegravere des fixes reacutealiteacutes ceacutelestes
                        • 31 Le problegraveme de la continuiteacute argumentative du Livre I 9
                          • 311 La discontinuiteacute du sujet en faveur de la transcendance du τἀκεῖ
                          • 312 La continuiteacute du sujet en faveur des reacutealiteacutes ceacutelestes
                            • 32 Le lieu des corps ceacutelestes lrsquoabsence de lieu du τἀκεῖ
                              • 321 Lrsquoabsence de lieu en faveur de la reacutefeacuterence ceacuteleste
                              • 322 Lrsquoabsence de lieu comme caracteacuteristique drsquoun ecirctre transcendant le ciel
                                • 33 Deacutepassement des deux alternatives traditionnelles de lrsquointerpreacutetation du takei
                                  • 331 Lrsquoeacutether hypercosmique de Peacutepin
                                  • 3 3 2 La theacuteorie des Moteurs Immobiles une variante originale de la reacutefeacuterence au Premier Moteur Immobile
                                      • CONCLUSION
                                      • BIBLIOGRAPHIE
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