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SERMO Les Fruits de la repentance, ou Sermon sur ces paroles de Salomon … — Les Fruits de la repentance, ou Sermon sur ces paroles de Salomon : Il y aura propitiation pour l'iniquité par gratuité & verité : Et par la crainte de l'Eternel, on se détourne du mal. Quand l'Eternel prend plaisir aux voyes de l'homme il appaise mesme enuers luy ses ennemis. Proverb. 16. v. 6. & 7. Prononcé à Charenton le 3. Avril 1676. jour de jeusne. Par IEAN CLAUDE. Se vendent A CHARENTON, Chez Olivier de VArennes, demeurant au Palais dans la Salle Royale, au Vase d'or. M. DC. LXXVI. Jean Claude Transcription électronique

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SERMOLes Fruits de la repentance, ou Sermon sur ces paroles de Salomon … — Les Fruitsde la repentance, ou Sermon sur ces paroles de Salomon : Il y aura propitiation pourl'iniquité par gratuité & verité : Et par la crainte de l'Eternel, on se détourne du mal.Quand l'Eternel prend plaisir aux voyes de l'homme il appaise mesme enuers luyses ennemis. Proverb. 16. v. 6. & 7. Prononcé à Charenton le 3. Avril 1676. jour dejeusne. Par IEAN CLAUDE. Se vendent A CHARENTON, Chez Olivier de VArennes,demeurant au Palais dans la Salle Royale, au Vase d'or. M. DC. LXXVI.Jean ClaudeTranscription électronique

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[ Page titre]LES FRUITSDE LAREPENTANCE,OUSERMONSUR CES PAROLESDE SALOMON :Il y aura propitiation pour l'iniquité par gratuité & verité : Et par la crainte de l'Eternel, on se détourne du mal. Quandl'Eternel prend plaisir aux voyes de l'homme il appaise mesme enuers luy ses ennemis. Proverb. 16. v. 6. & 7.Prononcé à Charenton le 3. Avril 1676.jour de jeusne.Par IEAN CLAUDE.Se vendentA CHARENTON,Chez OLIVIER DE VARENNES, demeurant au Palaisdans la Salle Royale, au Vase d'or.M. DC. LXXVI.

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1. LES FRUITSDE LAREPENTANCE.OUSERMONSUR CES PAROLESDE SALOMON :‘Il y aura propitiation pour l'iniquité, par gratuité &verité : Et par la crainte de l'Eternel, on se détournedu mal’. ‘Quand l'Eternel prend plaisir aux voyes del'homme, il appaise mesme envers luy ses ennemis’.Proverb. 16. v. 6. & 7.[ Page 1]MES FRERES,

Dieu devant qui nous sommes aujourd'huyhumiliez, est appellé dans l'Ecriture sainte,

[ Page 2]non seulement un Dieu juste, un Dieu vangeur& un feu consumant, mais aussi un Perede misericorde, & un Dieu d'esperance.Cela veut dire qu'encore que souvent il deployeses châtimens sur les hommes, & qu'ille fasse mesme quelquefois d'une maniereéclatante & terrible ; il est pourtant toûjoursun Dieu bon, tendre, pitoyable, de facile accez,prompt à s'appaiser envers ceux qui l'invoquent,un Dieu enfin qui ne manque jamaisde pardonner & de distribuer des graces,dés que l'on se convertit à luy.

Ie suis[Note: Ezech.33. 11.] vivant, dit-il luy-mesme, je ne prens point plaisir à la mort du pecheur, mais qu'il se convertiße[Note: Malac.3. 18.] & qu'il vive

. ‘Convertissez-vous, ditson Prophete Malachie, & vous verrez la difference qu'il y-a entre le juste & le méchant, entre celuy qui sert Dieu,& celuy qui ne le sert pas’. Toute l'Ecriture est pleine de ces declarations,& en effet la repentance est uneaction si sainte & si agreable à Dieu, qu'iln'est pas possible qu'elle demeure sans fruit.Dans cette veuë JESUS CHRIST disoit aucinquiéme chapitre de saint Mattieu, ‘Bienheureux sont ceux qui menent deüil, car ils seront consolez’. Vous voyezbien qu'il ne parlepas des afflictions des mondains. Ces gens-làne peuvent recevoir aucune solide consolationdans leurs maux. Il parle de ceux quis'affligent devant Dieu pour la grandeur &

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pour le nombre de leurs fautes, & qui estantvivement touchez en leur conscience des pechezqu'ils ont commis, sentent à peu présles mesmes agitations que David a senties, &qu'il a si naïvement exprimées dans les Pseaumesde sa Penitence.

O Dieu, dit ce Prophete,aye pitié de moy selon ta gratuité, & selon [Note: Ps. 51. 3.4. 5.]la grandeur de tes compassions efface mes offenses. Lave [moy] de mon iniquité, & me nettoye de mon peché. Car jeconnoy mes fautes, & mon peché est continuellement devant moy

.Il-n'y-a rien d'entier en ma chair à cause de ton indignation, [Note: Ps. 38 4.]je n'ay nul repos en mes os à cause de mon peché

. Certainement quand on est danscet état la consolation n'est pas loin. Dieune tarde pas à nous rendre la joye de son salut,il écoute la voix de nos larmes, il ne méprisepoint le cœur froissé, il rétablit les os quisont brisez. Mes freres, cet état d'affliction estceluy-là mesme où nous supposons que vousestes à present, & aprés le soin que vous avezpris de vous rendre dans ce Temple, aprésce qu'on vous-y-a déja dit, & que vous avezécouté avec beaucoup d'attention, & commeje l'espere, avec beaucoup de reflexion,nous ne croyons pas que cette suppositionsoit temeraire ou déraisonnable. Dieu veüilleque nous ne soyons pas trompez. Maisapres tout quelle apparence y-a-t-il que nousle soyions ? Vous n'estes ni assez insensibles

[ Page 4]pour contempler de sang froid l'idée de tantde malheurs qui nous accablent, & de tantd'autres qui nous menacent, ni assez aveuglespour ne pas voir que tous ces malheursprocedent de nos dereglemens. Vous ne craignezpoint si peu le Dieu que vous faites professionde servir, que de propos deliberé vousvoulussiez aujourd'huy attirer sur vous sa dernieremalediction par des soupirs affectez, &par des contenances d'hypocrites. Et enfinvous n'estes pas assez perdus pour vous fairede la parole de Dieu un fiel tres-amer, & unlien d'iniquité. Non sans doute, nous avonsde meilleurs sentimens de vous. Et pour cequi regarde Dieu nostre Createur & nostreMaistre, comme il est le Dieu de toute chair& de tout esprit, il ne vous aura pas refusé sagrace si vous la luy avez demandée. Il nousenvoye vers vous, & puisqu'il veut bien seservir aujourd'huy de nostre ministere pourvostre conversion, c'est un signe qu'il l'attend,& qu'il la desire. Je suis d'ailleurs persuadéqu'il n'a point dit au funeste Ministre[Note: Esa. 6.10.] de ses jugemens : ‘Va engraiße le cœur de ce peuple, afin qu'en voyant ils ne voyent point, & qu'en oyant ilsn'entendent point, de peur qu'ils ne se convertissent & que je les guerisse’. Nonmes freres, il ne nous a pas abandonnez jusqu'àce point. Quelques pecheurs que noussoyions, nous sommes encore son peuple, &

[ Page 5]quelque irrité qu'il soit contre nous, il est encore

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nostre Dieu. J'en suis assûré, & c'estdans cette assûrance que j'ay choisi le texteque je viens de lire, pour en faire le sujet decette derniere action, ‘Il y aura propitiation pour l'iniquité par gratuité & verité ; Et par la crainte de l'Eternel on sedétourne du mal. Quand l'Eternel prend plaisir aux voyes de l'homme, il appaise mesme envers luy ses ennemis’.C'est la parole de la grace que je vousannonce. Elle r'assemble les trois principauxeffets que nous devons esperer de nostre Jeusne ;Le premier à l'égard de Dieu, ‘Il y aura propitiation pour l'iniquité par gratuité & verité’;Le second à l'égard de nous-mesmes,‘Par la crainte de l'Eternel on se dètourne du mal’ ; Le troisiéme à l'égard de ceux qui nenous aiment pas, ‘Quand Dieu prend plaisir aux voyes de l'homme il appaise mesme envers luy ses ennemis’. Cesont là les trois Pointsdont j'auray à vous entretenir. Ils répondentaux trois principales causes de cette extraordinairedevotion, qui sont la colere de Dieu,nos pechez, & nos afflictions. Dieu nostreSauveur & nostre Pere veüille répandre surcette assemblée un nouveau rayon de sonsaint Esprit, & de sa lumiere celeste, afind'achever en nous l'œuvre de sa grace, à lagloire de son nom & à l'avancement de nostresalut. Amen.[ Page 6]

Le premier fruit que nous devons attendrede nostre repentance & de nostre humilité,c'est le pardon de nos pechez, ‘Il y aura propitiation pour l'iniquité’. Le sens de ces parolesest clair. Elles signifient que Dieu s'appaiseraenvers nous, qu'il se reconciliera ànous, & qu'en nous remettant les offensesque nous luy avons faites, il nous redonnerason amour & sa paix. Comme le plusgrand de nos malheurs est sa colere, le plusgrand aussi de nos biens est le retour de sa faveur,& non seulement c'est le plus grand denos biens, mais c'est le principe ou la sourcede tous les autres biens, ou pour mieux dire,c'est ce qui donne à tous les autres leur qualitéde biens. Car sans la paix de Dieu, la possessionde tout le monde n'est rien. C'est ellequi donne le prix & le poids à tout le reste,elle fait le repos & la joye de la vie, elle estnostre unique consolation dans la mort, & lefondement de l'esperance que nous avons d'unefelicité eternelle apres la mort.

Au reste bien que cette doctrine de la propitiationde Dieu soit de Salomon, elle estpourtant Chrétienne & Evangelique, nonMosaïque ou legale. La Loy considerée enelle-mesme n'admettoit point de repentance,ni ne promettoit de pardon. Agissant avecles hommes comme s'ils eussent esté dans l'integritéde leur nature, & les supposant au

[ Page 7]mesme état que Dieu les avoit crées au commencement,elle se renfermoit uniquementdans les moyens de conserver l'amour & lacommunion de Dieu, sans toucher en nullemaniere à nostre reconciliation avec luyquand nous l'avons offensé. Toutes les foisdonc que vous trouvez dans l'ancien Testamentdes expressions semblables à celle-cy,comme il-y-en a une infinité qui marquent

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le pardon des pechez, il faut toûjours se souvenirque c'est un Evangile anticipé, ou sivous voulez des semences de grace méléesparmy la Loy pour en temperer les rigueurs,& il les faut entendre par rapport au sang denostre Seigneur JESUS-CHRIST, en quielles sont toutes fondées, puis qu'il est ‘le mesme hier & aujourd'huy & eternellement’. Hors [Note: Hebr.13. 8.]de la communion de ce Redempteur, & dela participation de son Sacrifice il n'y-a quedesolation & mort eternelle pour les pecheurs.La decision formelle de l'Ecritureest,

qu'il n'y a point de salut en aucun autre; [Note: Act. 4.12.]nul autre nom sous le Ciel, par lequel on puisse estre sauvé

. Saint Paul declareque Dieu l'a [Note: Rom. 3.24.]ordonné de tout tems pour propitiatoire par la foy en son sang

, & luy-mesme assûrequ'il est [Note: Iean.14. 6.]la voye, la verité & la vie, & qu'on ne vient au Pere que par luy

.

Mais si JESUS CHRIST seul est nostrepropitiation, si la remission de nos pechez ne

[ Page 8]se trouve qu'en luy, il faut reconnoître aussiqu'elle se trouve en luy si pleinement & si parfaitementqu'on ne sauroit rien concevoir deplus parfait.

Il est puißant, dit l'Apostre, pour[Note: Hebr.7. 25.] sauver à plein tous ceux qui s'approchent de Dieu par luy

. Premierement donc il est nostrepropiciation pour toute sorte de pechez dequelque nature & de quelque qualité qu'ilssoient, & vous ne trouverez que le seul pechécontre le saint Esprit pour qui l'Ecrituredise qu'il n'y a point de pardon, & qui soitexcepté de l'étenduë du Sacrifice de JesusChrist. En second lieu il est nostre propiciationnon seulement pour les pechezcommis avant nostre premiere conversion,mais il l'est encore pour ceux que nous commettonsdans la suite, pour ceux qui suiventnostre premiere justification, de mesme quepour ceux qui la precedent. En effet puis quenous pechons tous les jours, & que tous lesjours nous avõs besoin d'obtenir de nouvellesgraces, que nous serviroit un premier pardon,s'il n'y en avoit un second, & apres le secondun troisiéme, & jusqu'à la fin de nos jours ? Laforme de l'alliance que Dieu a traitée avecnous par son Fils confirme cette verité,

Ie vous pardonneray, dit-il, comme un bon Pere[Note: Malac.3. 17.] pardonne à ses enfans qui le servent

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. Ces parolessupposent que nous sommes enfans deDieu, & que nous le servons en cette qualité,

[ Page 9]mais parce qu'elles supposent aussi qu'enle servant nous faisons beaucoup de fautescontre le devoir des enfans, elles declarenten mesme tems que Dieu use d'indulgenceenvers nous, & que son indulgence s'étendrajusqu'à la fin de nostre vie. Remarquez jevous prie ce qu'il dit luy-mesme touchantJESUS CHRIST son Fils au Pseaume quatre-vingt-neuviéme ,

Si ses enfans, dit-il,laissent ma Loy, & qu'ils ne marchent pas selon mes Ordonnances, s'ils violent mes Statuts & ne gardent pas mesCommandemens, je visiteray de verge, leur transgression & de playe leur iniquité. Mais je ne retireray point de luy magratuité, & ne luy faußeray point ma foy. Ie ne violeray point mon alliance, & ce qui est sorti de mes lévres, je ne lechangeray point

. Ily-aura donc propitiation en la communionde JESUS CHRIST non simplement pourles premieres iniquitez, ou pour les secondes,mais pour l'iniquité en general. En quelquetems que ce soit, fust-ce mesme au dernierde nos soûpirs, & de quelque nature quesoient nos pechez, si nous recourons à Dieupar une vraye repentance, il-y-aura propitiation.

Salomon ajoûte que ce sera ‘par gratuité & verité’{.} Quelques Interpretes entendent parcette gratuité & cette verité, la gratuité & laverité de Dieu mesme ; c'est-à-dire sa clemence

[ Page 10]& sa fidelité, sa misericorde & sa constanceou sa fermeté dans l'accomplissement deses promesses. Il est certain que ce sont-là lesprincipes ou les sources perpetuelles de nostrereconciliation avec luy. La creature pecheressene peut jamais ni satisfaire à Dieu pourses pechez, ni meriter le retour de sa faveur ;& la repentance elle-mesme, quoy qu'elleluy soit tres-agreable, ne sauroit produire desi grands effets. La repentance ne peut estreune satisfaction suffisante à la justice divine :car elle ne donne à Dieu que des soûpirs &des larmes, & sans effusion de sang il-n'y-apoint de remission de pechez. Outre cela nossoûpirs & nos larmes, & nostre sang mesme,quand nous le répandrions devant Dieu, sontd'un prix trop bas, pour estre une veritablesatisfaction. Mais d'ailleurs que donne à Dieula repentance qui ne luy fust dû avant mesmeque le peché eust esté commis. Une horreurextréme pour le crime, une condamnationexpresse contre celuy qui le commet,une amour ardente pour la sainteté, un desirentier de la suivre desormais, sans s'en éloigneren nulle maniere ; c'est-ce que la repentancedonne à Dieu, mais c'est aussi ceque tout homme luy doit naturellement,avant mesme qu'il ait peché. La repentancene peut donc pas satisfaire suffisamment à lajustice. Elle peut encore moins meriter : car

[ Page 11]outre qu'il-y-a toûjours entre Dieu & nous

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une distance infinie, qui ne laisse nul lieu ànostre merite, quel merite peut-il y-avoirdans le sentiment & dans la confession d'unemisere qui nous rend dignes de la mort eternelle ?Il faut donc avouër que Dieu nouspardonne nos pechez, & qu'il se reconcilieavec nous, par sa pure misericorde, sans satisfaction,& sans merite de nostre part. Maiscomme les actes de sa misericorde dépendentuniquement de son bon plaisir, & de cetteliberté souveraine qui luy fait dispenser sesgraces à qui il luy plaist, & quand il luyplaist, il faut reconnoître aussi que ce qu'ilnous pardonne ne vient que de ce qu'il s'y estluy-mesme volontairement engagé par lespromesses de son alliance, qui sont fermes &inviolables. D'où il s'ensuit que c'est nonseulement par sa gratuité, mais aussi par saverité, c'est-à-dire par sa fidelité qu'il se reconcilieavec nous. C'est l'explication quequelques Interpretes donnent aux paroles deSalomon.

Mais quoy qu'il-n'y-ait rien-là qui ne soitbon & Evangelique, je croy pourtant qu'ilest beaucoup mieux de rapporter cette gratuité& cette verité non à Dieu, mais à l'hommeà qui Dieu pardonne ses pechez. Cela mesemble plus conforme au stile de Salomon :car il est vray que dans ce livre des Proverbes,

[ Page 12]il s'attache beaucoup plus à marquerles vertus morales de l'homme, qu'à representerce que nous appellons les attributs divins.Il veut donc dire que Dieu ne pardonneles pechez qu'à ceux qui ont revestû un espritde gratuité & de verité ; c'est-à-dire decharité & de sincerité. Il faut estre bon, misericordieux& charitable envers nos freres,si nous voulons que Dieu le soit envers nous.[Note: Iacq. 2.13.] Dans ce sens saint Jaques a dit que ‘jugement sans misericorde, sera sur celuy qui n'aura point usé demisericorde’ ; & nostre Seigneur mesme[Note: Matth. 5.7.] avoit dit avant saint Jaques que ‘les misericordieux sont bien heureux, parce que misericorde leur sera faite’.Mais outre cela il faut quenostre conduite soit franche, sans feinte &sans fraude, si nous voulons obtenir de Dieula remission de nos offenses. ‘Il déploye, dit[Note: Ps. 36.11.] David, sa gratuité sur ceux qui le connoissent & sa justice sur ceux qui sont droits de cœur’ :[Note: Ps. 5. 7.] ‘L'Eternel, dit il ailleurs, a en abomination l'homme de sang & le trompeur’. N'avez-vousjamais fait reflexion sur ce que ce mesmeProphete a écrit au Pseaume dix-huitiéme,‘Eternel tu uses de gratuité envers celuy qui use de gratuité, tu es entier à celuy qui est entier, mais tu es severeenvers celuy qui est dur’. C'està peu prés ce que Salomon dit icy, ‘Il y-aura propitiation par gratuité & verité’. Dans lapremiere creation Dieu fit l'homme à son

[ Page 13]image, mais dans la dispensation de sa grace,il semble, si je l'ose ainsi dire, qu'il se faitluy mesme à l'image de l'homme, il est misericordieuxenvers les misericordieux, fidele& veritable envers les sinceres & les veritables.Voyla le sens de cette premiere partie

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de nostre texte.

La seconde n'est pas bien difficile à entendre,‘Et par la crainte de l'Eternel on se détourne du mal’. La crainte de l'Eternel est en generalcette vertu que nous appellons la religionou la pieté, cette premiere & principalepartie de nostre morale qui regarde immediatementle culte ou le service de la Divinité.Les Hebreux n'ayant point de terme proprepour exprimer ce bon & saint état de l'ameenvers son Dieu, que nous nommons d'unseul mot, religion ou pieté, ils l'appellentd'ordinaire la crainte de l'Eternel. En particulierce terme signifie aussi trois mouvemensde la conscience de l'homme ; sçavoir, lafrayeur des jugemens divins, le respect de sasouveraine Majesté, l'apprehension de l'offenser& d'encourir son indignation. C'estcraindre Dieu que de trembler à la veuë deses supplices & de ses châtimens. C'est lecraindre que de s'aneantir aux pieds du trônede sa gloire. Et c'est le craindre enfin que denous défier sans cesse de nostre propre fragilité,& d'estre épouvantez de l'idée de sa disgrace

[ Page 14]ou de sa colere. Il est donc bien aiséde penetrer dans le sens de Salomon. Il veutdire que ce sont là les seuls veritables principesqui détournent l'homme du peché, &si cette crainte de Dieu ne sanctifie le cœur il-n'y-a rien qui soit capable de le sanctifier. Labonté du temperament, les preceptes de laPhilosophie, une bonne naissance, une heureuseéducation, les bons exemples, la rigueurdes loix humaines, plusieurs années d'experience,tout cela ne sauroit produire l'effetdont il s'agit. Si vous en demandez les raisons,je puis vous en donner deux ; L'une estparce que tous ces principes ne peuvent jamaisestre assez forts pour vaincre la corruptionde nostre nature. Ils peuvent en quelquesorte la combattre & la reprimer, luyservir de frein, ou si vous voulez de digue pourarréter ses débordemens & ses excez. Maisce ne sont pas des principes capables de convertirl'homme, c'est-à-dire, de le transformer,de le regenerer, de le resusciter d'entreles morts, & en un mot d'en faire une nouvellecreature. De si grands effets ne sont dûsqu'à la crainte de Dieu. La seconde raisonest que quand ces principes produiroient ennous tout ce qui'ils prétendent, ils ne sauroientformer une veritable vertu, parcequ'ils ne l'inspirent pas. Ils inspirent tout auplus une certaine honnesteté morale & civile,

[ Page 15]pour ne rien faire qui soit indigne de l'excellencede nostre nature, ou qui choque lecommerce que nous avons les uns avec les autres.Mais ce n'est pas là la veritable vertu.Il-n'y-a point de veritable vertu que cellequi est l'image & le fruit des vertus divines.Otez à la creature la relation qu'elle a à sonCreateur, ne luy laissez que les relationsqu'elle a ou à elle-mesme, ou aux autres creatures,

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vous luy ôtez la veritable vertu, & neluy en laissez qu'une ombre, une matiere informe,un corps mort & inanimé. Qu'est-cedonc que la veritable vertu ? C'est l'impressionde Dieu dans toute l'ame de l'homme.Si Dieu n'est & la cause & le motif, & l'exemplaire& la fin, il-n'y-a point de veritablevertu. Salomon a voulu dire cela mesmepar ces paroles, ‘& par la crainte de l'Eternel on se détourne du mal’.

Mais il ne faut pas oublier de remarquerque ce qu'il en dit, il le dit apres avoir parléde la propitiation. ‘Il y aura propitiation pour l'iniquité, & par la crainte de l'Eternel on se détourne du mal’. QuandDieu nous pardonnenos pechez, il nous impose la condition den'y retomber plus, & il nous dit à peu pres ceque Jesus Christ disoit au Paralytique quandil luy eut rendu la santé,

Voicy tu as esté guery, [Note: Iean 5.14.]ne peche plus desormais

. L'acte de nostre repentancequi precede nostre reconciliation,

[ Page 16]nous dispose à cela-mesme. Car comme unhomme qui est échappé d'un embrasementconserve fortement l'idée du danger où il aesté, de sorte que quand il se presente unesemblable occasion de s'envelopper dans lesflammes, ses anciennes frayeurs ne manquentpas de se réveiller, & de le rendre plus circonspectqu'il ne seroit autrement. De mesmequand un homme rétably dans la paixde Dieu se souvient des douleurs & des agitationsde conscience qu'il a souffertes pour sortirde son peché, quand il se remet devantles yeux le peril où il a esté d'estre pour toûjoursrejetté de la communion de son Sauveur& plongé dans la damnation, il n'est paspossible que ces funestes idées ne luy fassentregarder avec horreur les occasions d'offenserDieu, & qu'elles ne le rendent beaucoupplus precautionné. Le pardon mesme que nousavons obtenu n'y contribuë pas peu : car ilnous rend le peché beaucoup plus odieux &plus des-honneste qu'auparavant. Le cœurd'un homme de bien ne peut pas facilementoublier la grace que Dieu luy a faite ; & lesentiment de l'amour paternelle de Dieu esttrop doux & trop heureux pour ne meriterpas d'estre conservé. C'est-ce qui fait queSalomon parle de se detourner du mal, ensuite de la propitiation. Et c'est pour la mesmeraison aussi qu'il y-ajoûte la crainte de l'Eternel, nel,

[ Page 17]au mesme sens que David disoit auPseaume cent trentiéme, ‘Il y a pardon par- devers toy, afin que tu sois craint’. Le pardonest non seulement un engagement à la craintede Dieu, mais il est aussi la cause presqu'infaillible,car il nous met d'un côté devantles yeux une image si parfaite de toutela gloire de la Divinité, & de l'autre une imagesi parfaite de toute la misere de l'homme,qu'il ne se peut que ces deux images ne produisentla crainte dont il s'agit. Là paroist la

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gloire de la Justice de Dieu qui condamne lescoupables & qui n'absout que les innocens.Là paroist la gloire de sa puissance ineffablequi a bâty les Enfers, pour l'execution des arrestsde la Justice, & qui y precipite ceux quela Justice a condamnez. Là paroist sa connoissanceinfinie qui découvre les choses lesplus cachées, qui penetre les secrets descœurs, & à qui rien n'échappe de tout ce quise fait sous le Soleil. Là paroist la profondeurdes mysteres de la Sagesse de nous avoir procuréun aussi admirable sacrifice de propitiation,que celuy de nostre Seigneur JESUSCHRIST. Là paroissent les richesses de sapatience & de sa longue attente, qui nous asoufferts si long-tems dans nostre peché, &qui par maniere de dire a negligé ses propresinteréts, pour nous amener à la repentance.Là paroist la gloire de sa misericorde qui nous

[ Page 18]pardonne, & qui en nous pardonnant nouséleve à de plus grandes faveurs, que nousn'en eussions obtenuës, si nous eussions conservénostre premiere innocence. Là paroistenfin son autorité supréme & sa Majesté, caren cela mesme qu'il nous pardonne & qu'ilnous adopte pour ses enfans, il témoignequ'il est au dessus des Loix, & qu'il peut deplein droit disposer de toutes choses. Il ne sepeut que cette image de la gloire de Dieu nenous inspire sa crainte. Mais c'est aussi ce quefait l'image de nostre misere, qui paroist dansce mesme acte du pardon de nos pechez.Nous nous y voyons esclaves de nostre corruptionnaturelle qui se déploye dans toutesnos actions. Nous nous y voyons cendre &poudre aux pieds du Trône de Dieu, soûmisaux peines de sa vengeance que nous avonsjustement meritées, & dans l'impuissanced'éviter ces peines, si le sang de JESUSCHRIST & la misericorde du Pere ne nousen délivrent. Nous nous y voyons environnezde tentations, sujets aux surprises de nôtrepropre fragilité, & à toute heure exposezà de nouveaux dangers. Quelle impressionpeuvent faire naturellement ces idéessur nos cœurs si ce n'est celle de la crainte deDieu ? C'est ce que veut dire Salomon danscette seconde Partie.

Pour ce qui regarde ces dernieres paroles,[ Page 19]

‘Quand l'Eternel prend plaisir aux voyes de l'homme il appaise mesme envers luy ses ennemis’.Le sens en est évident, & ce seroit abuserde vostre attention que de pretendre leséclaircir. Il suffira d'y faire quelques observations.Premierement les voyes de l'hommesont ses mouvemens, ses sentimens, sespensées, ses paroles, ses actions, en un mottoute sa conduite & les principes de sa conduite.L'Ecriture nous parle de deux sortesde voyes, celles de Dieu & celles de l'homme.Celles de Dieu sont les voyes de sa Providence,par laquelle il gouverne en generaltoutes les creatures, & en particulier son Eglise ;

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Celles de l'homme sont les œuvres & lesmanieres de sa vie. Ce sont en effet commedeux chemins, Dieu marche dans l'un, &l'homme dans l'autre. Il les faut soigneusementdistinguer, & en voicy les principalesdifferences. Les voyes de Dieu sont cachéesà nos yeux, elles ne nous paroissent que parles évenemens ; c'est-à-dire par les vestiges& les impressions que Dieu y laisse quand il-y-passe, mais d'elles-mesmes elles nous sontinconnuës.

Ses jugemens, dit l'Apôtre, sont [Note: Rom.11. 33.]incomprehensibles & ses voyes difficiles à trouver

.Celles de l'homme sont toûjours exposéesaux yeux de Dieu, il les voit avant quel'homme y entre, il les contemple quand il-y-est, & il s'en souvient quand il est passé.

[ Page 20][Note: Prov. 5.21.] ‘Les voyes de l'homme, dit Salomon, sont devant les yeux de l'Eternel, & il balance tous ses chemins’. Lesvoyes de Dieu sont par tout,tout l'Univers est son chemin, car toutes chosessont soûmises à l'ordre de sa Providence.Celles de l'homme sont étroites, bornées, &de fort petite étenduë. Les voyes de Dieusont devant les yeux de son Conseil de touteeternité, ou comme parle l[']Ecriture elles[Note: Act. 15.18.] luy sont ‘connuës de tout tems’. Celles de l'hommene luy sont presque connuës que quandil-y-est, l'avenir se dérobe à nostre veuë, &le passé mesme échape souvent de nostre memoire.Celles de Dieu sont toûjours justes &droites, & bien que les raisons nous en soientle plus souvent impenetrables, elles ne laissent[Note: Deuter.32. 4.] d'estre sages & bien reglées. ‘L'œuvre du rocher est parfaite, disoit Moïse, toutes ses voyes sont jugement.Le Dieu fort est verité sans iniquité, il est juste & droit’. Les voyesde l'homme sont quelquefois droites, maisquelquefois aussi ce ne sont que des égaremens,& c'est pourquoy David disoit de luy-[Note: Ps. 119.67.] mesme, ‘I'allois à travers champs’. Nos voyessont droites quand nous suivons nostre vocation,& que nous obeïssons à la Loy de Dieu.‘Ta parole sert de lampe à mes pieds, & de lumiere à mes sentiers’, dit le Prophete. Ce sontau contraire des égaremens quand nous nousécartons de nostre vocation, & que chacun

[ Page 21]de nous veut estre & son guide & son flambeau.

Il y-a des voyes, dit l'Ecriture, qui semblent [Note: Prover.14. 12.]droites à l'homme, mais leurs issues tendent à la mort

. Lors qu'elles sont vrayement droites,Dieu les approuve, quand elles sontégarées il les condamne. Au reste Salomonparle icy tant des voyes de l'homme que decelles de Dieu. Pour celles de l'homme il ditque quelquefois Dieu y prend plaisir, ce quisuppose que quelquefois aussi Dieu les rejette,selon la distinction que je viens d'en faire. Etpour celles de Dieu il les marque assez clairement

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quand il ajoûte que Dieu appaise lesennemis de l'homme. Car il ne fait cela quepar les voyes secretes & admirables de saProvidence.

A cette premiere remarque il en faut joindreune autre qui est qu'encore que nos voyessoient droites, & que Dieu y prenne plaisir,nous ne laissons pourtant pas d'avoir des ennemis.Que dis-je que nous ne laissons pasd'en avoir ? C'est la droiture de nos voyes quinous fait d'ordinaire nos ennemis, le bon cheminque nous suivons nous les attire, & sinous voulions nous écarter avec eux, ils seroientbien tôt nos amis. L'Eglise le savoitbien lors qu'elle disoit au Pseaume 44. ‘Pour l'amour de toy nous sommes tous les jours mis à mort, & sommesestimez comme les brebis de la boucherie’. JESUS-CHRIST l'a ainsi declaré à [Note: Marc.13. 13.]

[ Page 22]ses Disciples,

Vous serez haïs de tous à cause[Note: Iean. 15.19.] de mon nom. Si vous estiez du monde le monde aimeroit ce qui seroit sien, mais parce que vous n'estes pas dumonde, & que je vous ay élus du monde, le monde vous hait

. Un Ancien a ditsur ce sujet une assez belle chose que je nepuis m'empécher de vous rapporter icy. Cene sont que deux mots, mais ces deux motsrenferment beaucoup de sens. Il dit doncque l'Eglise est au monde précisement ce quel'ame est au corps. On ne peut rien penser deplus juste. Comme l'ame est dans le corps,& n'est pourtant pas une partie du corps,mais y habite comme dans une loge de terre,ou si vous voulez comme dans une prison ; demesme l'Eglise est dans le monde, répanduëparmy ses habitans, mais elle n'est pourtantpas une partie du monde. Bien que l'ame &le corps soient en societé, ils sont neanmoinsdifferens de nature, d'origine & de fin. L'unest chair & l'autre est esprit, l'un est de laterre, & l'autre est du Ciel ; l'un retourne enla poudre dont il a esté tiré, & l'autre retourneà Dieu qui l'a donnée. Il en est de mesmede l'Eglise, & du monde encore qu'ilssoient mélez ensemble, & si mélez qu'à peinedes yeux humains les peuvent-ils distinguer,ils n'ont pourtant rien de commun.L'un est le corps materiel & terrestre du vieuxAdam, l'autre est le corps spirituel & mystique

[ Page 23]du Fils de Dieu ; l'un est l'ouvrage du peché,sorty du sein des tenebres & de la corruption,l'autre est la production de l'électionéternelle, la fille de la Grace, née des lumieresdu saint Esprit ; l'un marche à grandspas vers l'abyme de la damnation, l'autres'avance incessamment vers le but de la vocationd'en haut, qui est la gloire du Paradis.Enfin l'ame soûtient & conserve le corps,pendant que le corps ingrat fait sans cesse laguerre à l'ame. Et de mesme c'est l'Eglise quisoûtient le monde, car sans elle il-y-a longtemsque Dieu auroit arrété le cours des generations.Mais le monde ne cesse de combattre

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contre l'Eglise, & de travailler à sa ruinecomme son plus mortel ennemy. Cependantcomme Dieu calme souvent l'impetuosité despassions de la chair qui font la guerre à l'ame,il calme & reprime aussi d'ordinaire celledu monde contre l'Eglise, & c'est-ce que Salomonveut dire icy, ‘Quand Dieu prend plaisir aux voyes de l'homme, il appaise envers luy ses ennemis’. Jacob éprouvacette verité lors queDieu adoucit envers luy le cœur de son frereEsaü. Les Israëlites l'éprouverent lors qu'ilssortirent d'Egypte, & que Dieu leur fit trouvergrace envers les Egyptiens, & en generall'Eglise n'a jamais manqué de l'éprouver danstoute la suite des siecles. Quelque étrangerequ'elle ait esté dans le monde, quelque aversion

[ Page 24]que le monde ait euë pour elle, Dieun'a pas laissé de la conserver en son entier jusqu'àpresent. Il a toûjours si bien temperé lafierté de ses ennemis qu'ils n'en sont jamais[Note: Ps. 129.2.] venus about. ‘Dés ma jeunesse, dit-elle, ils m'ont tourmentée, mais ils n'ont pas eu l'avantage sur moy’. Ellea esté perpetuellementcomme cette maison de la parabole quiestant bâtie & fondée sur le rocher, soûtientl'effort des torrens & des ravines d'eaux, sansen estre seulement ébranlée.

Faites-je vous prie encore icy une troisiémeremarque qui est, Que Dieu est le Maistre &le Seigneur absolu des cœurs & des esprits detous les hommes. Je dis de tous les hommes,car Dieu ne regne pas seulement sur les fideles,il regne aussi sur ses ennemis. S'il n'en estoitpas le Maistre absolu, comment pourroit-il les appaiser, moderer leur haine, reprimerleurs passions, & changer leurs conseils. Il lefait pourtant, & c'est une verité que Salomonnous enseigne icy. Il faut donc reconnoîtreque tout est soûmis au pouvoir de sa Providence,& qu'il-n'y-a ni malice ni dureté, nifierté, ni rebellion qui n'obeïsse à l'efficacede sa direction quand il luy plaît de la déployer.Ouy, Chrétiens, de la mesme manierequ'il preside sur les orages & sur les vens,sur les vagues impetueuses de la mer, il presideaussi sur les pensées des mondains. Il les

[ Page 25]arréte, il les tourne comme bon luy semble,il leur marque les bornes & les mesures de leuraction, & ce qu'il-y-a de plus consolant pournous est, que ce qu'il en fait, il le fait toûjourspour le bien & l'avantage de son Eglise.

Toutes [Note: Rom.8. 27.]choses aident ensemble en bien à ceux qui aiment Dieu

.Voilà, mes freres, à peu prés ce que j'avois

fait dessein de vous dire en general surles paroles de Salomon. Je n'ay pas crû vousdevoir soustraire ces reflexions qui d'elles-mesmes peuvent contribuer quelque chose àvostre instruction & à vostre édification.Mais si vostre attention n'est pas tout à faitépuisée, souffrez que je vous en demande encore

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un peu, car il me reste bien des choses àvous dire, qui par cela mesme qu'elles sontparticulieres vous seront peut-estre plus utilesque les generales. Premierement donc,encore que j'aye dés le commencement decette action supposé vostre repentance commeune chose que je ne pouvois pas révoqueren doute, je vous avouë pourtant que je n'aypas l'esprit tout-à fait en repos sur ce sujet,& qu'il me reste du scrupule. Je ne veux pasparler icy de plusieurs prophanes qui sont aumilieu de nous, gens qui font profession ouvertede débauche & de libertinage, qui n'ontnul sentiment de pieté, ni de vertu, ni deveritable honneur, gens enfin plongez dans

[ Page 26]le vice, fiers, insensibles aux exhortations dela parole de Dieu, & si occupez des idées dela vie présente qu'ils ne sont plus capables desonger à celle qui est à venir. Comme ce n'estpas pour eux que ce jeusne a esté indit, cen'est point aussi d'eux que l'on peut attendrequelque chose, & les paroles de mon textene leur appartiennent pas. Je ne parle pasnon plus, ni d'un tas d'hypocrites & d'imposteursque nous avons parmy nous, qui n'ontde la pieté que les couleurs & les apparences,& qui cachent ou leurs impuretez ou leurs injusticessous le beau masque de la devotion ;ni d'un nombre de froids & d'indifferens quiregardent la religion comme une chose étrangeredont ils ne s'embarassent pas. Que tellesgens ne s'imaginent pas que ce soit à euxà qui l'on dise, ‘Il y aura propiciation pour iniquité’.Pendant qu'ils ne seront parmy nous quepour deshonorer nostre communion, & pourattirer sur l'Israël de Dieu l'opprobre des nations,& la colere du Ciel, comment peut-on leur parler de paix & de benediction ?C'est avec douleur, mais pourtant avec justicequ'on est obligé s'ils ne se convertissent deleur appliquer ce que Josüé disoit à Acan,[Note: Ios. 7.25.] ‘Vous nous avez troublez, Dieu vous troublera’.L'esperance de la propiciation ne regardeque les gens de biens ; c'est de vous, mes freres,dont j'ay supposé la repentance, mais

[ Page 27]c'est de vous aussi dont il me reste du scrupule.Je veux croire que vous aurez esté touchezde quelque sentiment de douleur & quela parole de Dieu qui vous a esté préchéeaujourd'huy avec tant de force, ne sera pasdemeurée tout-à-fait sans fruit. Et que seroit-ce s'il n'y avoit encore au milieu de nousun residu selon l'élection de grace. Mais permettez-moy de vous le dire, je doute quevous ayiez porté vostre douleur & vostre repentance,je ne dis pas jusqu'au point oùvous la devez porter, car qui le peut ? maisjusqu'au point que la demande humainementparlant, l'état pitoyable où nous nous trouvons.La colere de Dieu ne parût jamais nisi grande ni si inexorable qu'elle a paru contre

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nous depuis un assez long-tems. Nos afflictionss'entassent les unes sur les autres commeles flots d'une mer irritée : Elles se suiventles unes les autres de si prés qu'à peine avons-nous le loisir de soûpirer pour chacune d'elles.Nostre ruine ne fut jamais si ardemmentdesirée ni si hautement demandée, ni attenduëavec plus d'esperance. Edom ne cria jamaisni plus vivement ni plus fortement sur lamiserable Jerusalem, ‘A sac, à sac, qu'elle soit embrasée, & jusqu'au pied des fondemens rasée’.Avec tout cela on ne vit jamais dans nos troupeaux& en particulier dans celuy-cy tant devices, & tant d'actions scandaleuses que nous

[ Page 28]en voyons aujourd'huy. Il-n'y-en eût jamaisun si grand nombre de tout ordre & de touteespece ; Nous n'entendons parler que d'injustices& de violences, de querelles & de ressentimens,d'usures & d'oppressions, de fourberies& d'infidelitez, d'adulteres & de salesintrigues, d'yvrogneries & de dissolutions.[Note: 1. Pierr.2. 9.] Nous ne sommes plus ‘cette generation èluë, cette nation sainte, & ce peuple acquis’ que nousestions autrefois nous ne pouvons plus nousappliquer ce que saint Paul a dit de l'Eglise[Note: Ephes.5. 25. 27.] ‘qu'elle est sans tache & sans ride, irreprehensible & sainte & que Iesus-Christ s'est donné soy- mesmepour elle, afin de la sanctifier’. Vit-on jamaisl'ignorance, l'indifference de religion,le mépris de la parole de Dieu, le blaspheme,l'impieté, regner avec plus d'audace qu'aujourd'huy ?Vit-on jamais plus d'orgueil &de vanité dans nos actions, plus de licence& de hardiesse dans nos discours, plus demédisances & de railleries ameres dans nosentretiens, plus de jeux, de ris & de divertissemensmondains dans nos assemblées defamille, plus de faste & de somptuosité dansnos habits, dans nos équipages, & dans nosameublemens. Nous sommes à deux doigtsde nostre ruïne, & nous vivons pourtant encoredans la derniere corruption & dans laderniere securité. Je ne le trouve pas étrangede ceux qui ne prennent nul interêt en la

[ Page 29]religion, de quelque côté que la chose tourneils trouveront leur conte par tout. Mais vous,gens de bien, car ce n'est qu'à vous que jeparle, serez-vous si endormis qu'on ne puisseencore vous reveiller ? Aurez-vous tellementperdu l'usage de vos yeux que vous ne voyiezpas l'état où nous sommes, & en le voyantdans toute son étenduë vous contenterez-vous d'une mediocre repentance ? Serez-voussatisfaits de quelques mouvemens de douleurpassagere, de quelques regrets ordinaires,de quelques soûpirs échapez ? Ah mes freres !il ne s'agit plus de cela, il s'agit de détournerle plus grand de tous les orages dont Dieunous ait jamais menacez, il s'agit non d'arrétersa benediction, & d'empécher qu'ellene nous quitte, mais de la rappeller de fortloin, car il-y-a déja long-tems qu'elle nousa quittez, & vous voyez bien que pour cela

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il faut des efforts extraordinaires. S'il-y-restedonc quelque chose à faire, comme jen'en doute pas, faites-le je vous prie danscette heure & dans ce moment mesme quiest destiné à la propitiation, faites-le à laveuë du sang de JESUS CHRIST, à la veuë desa croix, & des douleurs de son sacrifice dontnous celebrons aujourd'huy la memoire. Cesera luy qui criera pour vous vers la grace,afin de la faire revenir. Aydez, si je l'ose ainsidire, aux tendresses de la misericorde, par

[ Page 30]une profonde affliction. Elle commence déjaje m'assûre à s'ébranler en vostre faveur,achevez de l'émouvoir en répandant à sespieds un torrent de larmes. Dieu vous dit aujourd'huyce qu'il disoit autrefois à la maison[Note: Es. 1. 18.] d'Israël, ‘Venez maintenant & debattons nos droits’. Mais quels droits avons-nous à debattredevant toy, Seigneur, si ce n'est lesdroits de ta justice ? Tu es un Dieu trop bon,& nous un peuple trop ingrat ; tu nous ascomblez de benedictions, & nous avons couvertnostre vie d'iniquité ; tu as esté jusqu'icytrop indulgent à nos crimes, & nous avonspoussé ta patience à bout. Il est tems que tureveilles ta jalousie, & que nous soyions abymez.C'est ainsi qu'il faut debattre avecDieu, en soûtenant ses droits, & en abandonnantles nostres. Mais si nous en usonsde la sorte quelle sera la fin de cette querelle ?Quelle en sera la fin ? Dieu prendra en mainnos droits abandonnez, & laissant-là sa justice& nos pechez, il n'aura égard qu'à nostremisere & à nostre repentance. Ecoutez cequ'il ajoutoit luy-mesme dans son Prophete,[Note: Es. 1. 18.] ‘Quand vos pechez seroient rouges comme du cramoisy, je les blanchiray comme de la neige’; Et ceque Salomon dit maintenant, ‘Il-y-aura propitiation pour l'iniquité’.

Mais si nous voulons que Dieu nous fassemisericorde, souvenons-nous des deux conditions

[ Page 31]qu'il exige de nous, ‘Gratuité & verité’.Exercez la premiere par des aumônes &des largesses aux pauvres que JESUS CHRISTqui s'est fait luy-mesme pauvre pour vous,vous a si fort recommandez dans son Evangile.Si Dieu vous pardonne aujourd'huy vospechez, il vous redonne l'usage legitime devostre bien, & s'il vous en redonne l'usage,dispensez en une partie pour l'amour de luyà ses membres qui sont sur la terre. Vostrereconnoissance ne sauroit aller jusqu'à luy,‘Mon bien ne va point jusqu'à toy’. Quelle descende [Note: Ps. 16. 2.]donc sur ses images, sur les images deson Fils, puis qu'il vous a declaré qu'il tiendroitcomme receu par luy-mesme un simpleverre d'eau froide quand vous le leur donnerez.Contez les pechez que Dieu vous pardonne,seroit-ce trop que de faire une aumônepour chacun ? Non sans doute, & quelleproportion y-a-t-il d'une aumône à un peché ?Mais cela mesme se peut, car je suis assûréque vous avez plus de pechez que vous n'avezde bien. Faites donc au moins de bonne

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foy ce que vous pourrez chacun selon ses facultez.On ne vous prescrit rien sur cela ; vosoffrandes doivent suivre les mouvemens devostre conscience, & les instincts de vostrecharité. Pratiquez encore cette gratuité enn'exigeant pas trop durement ce qui vous estdû. Les droits mesmes de la justice quand ils

[ Page 32]sont poussez avec trop de severité deviennentune injustice. On les peut exiger mais il lefaut toûjours faire avec un temperament dedouceur & de charité chrestienne, car il-n'y-a rien de plus contraire à l'esprit de la Religionde JESUS-CHRIST que cette rigoureuseexactitude qui ne sait ce que c'est que de condescendance& de relâchement. Pratiquez engeneral cette gratuité dans toute la conduitede vostre vie en vous montrant benins & debonnairesles uns envers les autres, accessibles& faciles aux petits, prompts à rendreoffice à ceux qui ont besoin de vostre secours,compatissans aux afflictions de vos freres, supportansleurs infirmitez, & leur tendans favorablementla main pour les relever de leurschutes. Pratiquez enfin cette gratuité en pardonnantde bon cœur les offenses qu'on vousa faites. Reconciliez-vous avec vos prochains,& vous reünissez tous en Dieu ; hâtez-vouspour cela, & vous prevenez les uns les autres,car dans ces occasions celuy qui previent sonfrere témoigne qu'il est le plus aimé de Dieu,& le plus confirmé dans la communion de JESUSCHRIST son Fils. Nous n'avons tousqu'un mesme Pere & un mesme Dieu, un mesmeSauveur, une mesme esperance, une mesmefoy, un mesme Esprit, & un mesme heritage.D'où viennent donc nos dissentions ?Non seulement elles ne viennent pas de la Grace,

[ Page 33]Grace, mais elles sont mesmes incompatiblesavec la Grace, car la Grace unit, & partout où-il-n'y a point d'union il-n'y-a pointde Grace. Elles ne viennent pas non plus dela Nature, car la Nature unit de mesme quela Grace. Elles viennent donc de la chair &de la corruption du peché, d'où il s'ensuit queceluy qui paroist le plus éloigné de la reconciliation& de la paix, montre par cela mesmequ'il a plus de chair & de corruption, &au contraire celuy qui s'y porte avec plusde facilité marque plus de regeneration &plus de sainteté.

Pour ce qui regarde la verité, la secondecondition que Dieu exige de nous, gardez-là, mes freres, dans tous vos discours, & nepermettez jamais que vostre langue démenteles sentimens de vostre cœur. Les fourbes,les hypocrites & les imposteurs sont en abominationà Dieu & aux hommes. Ils le sontà Dieu, parce que de tous les vices il-n'y-ena point de plus opposé à la pieté que le mensonge,ni qui approche plus du caractereessentiel du Demon, lequel est menteur aussibien que meurtrier dés le commencement. Ils

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le sont aux hommes, parce que ce vice renversantla bonne foy, renverse en mesme-tems le fondement du commerce, & romptle lien de la societé mutuelle. Il-y-avoit autems que JESUS CHRIST estoit sur la terre un

[ Page 34]nombre presqu'infiny de crimes qui regnoientparmy les Juifs, car jamais nation ne fût pluscorrompuë que celle-là l'estoit. Cependantil semble qu'entre tous les vices dont ilsestoient entachez JESUS CHRIST n'ait choisique la seule hypocrisie pour en faire l'objetde son horreur. Il avertit soigneusement sesDisciples de s'en donner de garde commed'un levain pernicieux. Il appelle les hypocritesdes sepulcres blanchis. Il leur dénoncetres-souvent les jugemens de la justice divine :‘Malheur, dit-il, sur vous Pharisiens hypocrites’,pour nous faire comprendre combien ilavoit d'aversion pour eux. Gardez particulierementcette verité dans vos actions ; netrompez personne, mais allez toûjours d'unpas droit & sincere dans vos commerces. Labonne conscience rejette les artifices & lesobliquitez, elle ne sait ce que c'est que desurprendre, & de tendre des pieges à la simplicitédu prochain. Joignez ensemble cesdeux vertus ‘Gratuité & verité’, comme lesdeux caracteres des gens de bien qui les distinguentd'avec les mondains. Car les mondainsen ont deux opposez, la violence & lafourberie, la malice & le déguisement. Sousde contraires apparences, ils couvrent desdesseins d'oppression, semblables à ces nuéesmalignes qui dans une profonde obscuritécachent des gresles & des foudres. David represente

[ Page 35]admirablement bien ces sortes degens dans un de ses Pseaumes.

Ils se tiennent,dit-il, aux embûches des villages, ils tuent l'innocent dans des lieux secrets, ils épient de leurs [Note: Ps. 10.8. 9. 10.]yeux les troupeaux des desolez. Ils se mettent aux embûches dans des lieux cachez, comme des lions dans leur fort,pour attraper l'affligé. Ils l'attrapent en effet, & l'attirent dans leurs filets. Ils se tapissent & se baissent, & puis letroupeau des desolez tombe entre leurs mains

. Il-n'y-apoint de propitiation pour de telles gens,mais il-y-en a pour la gratuité & la verité.Je ne puis m'empécher de vous faire encoreune remarque sur ce que Salomon joint ensembleces deux vertus ; c'est qu'en effet ellessont inseparables, comme le sont aussi lesdeux vices opposez. Un homme qui a de méchantesintentions, & qui ne songe qu'à fairedu mal, ne sauroit s'empécher d'estre fourbe,c'est une suite naturelle & inévitable, ilfaut se cacher quand on a des desseins de nuire.Le Diable au commencement du mondene fut menteur que parce qu'il voulût estremeurtrier. Mais quand on n'a pour ses prochainsque des pensées de paix & de bienveillance,on n'a que faire de se cacher ; la verité,c'est-à dire la sincerité, accompagne toûjoursla gratuité. Un homme de bien est fort libre,

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il n'est pas obligé d'estre hypocrite.Au reste Salomon ne s'arréte pas-là, il[ Page 36]

veut qu'en pratiquant les vertus dont nousvenons de parler, on se détourne aussi du mal.‘Par la crainte de l'Eternel, dit-il, on se détourne du mal’. Dieu ne reçoit point ces vertusmélées de vice, ces sanctifications à quelqueégard, dont nous ne voyons tous les jours quetrop d'exemples. Combien y-a-t-il de personnesdont la vie n'est qu'un perpetuel assemblagede bien & de mal ? Ils prient Dieu,mais ils pillent leur prochain ; ils donnentl'aumône, & ils dérobent ; ils viennent icy lematin, & quand ils sont de retour, ils employentle reste du jour à leurs débauches. Ilssont d'un côté devots, zelez, pacifiques &bien-faisans, mais de l'autre ils sont vains,ambitieux, adonnez aux plaisirs des sens. Ilsont trouvé l'art de joindre ensemble Christ &Belial, la lumiere & les tenebres, bien quel'Ecriture ait dit que ces choses ne se peuventaccorder ensemble. La vraye Justice Evangeliquen'est pas broüillée de cette maniere ;elle a deux mains, de l'une elle établit lesvertus, & de l'autre elle chasse les vices.Elle fait ce que Dieu disoit à Jeremie de faire ;[Note: Ierem.1. 10.] ‘Elle plante, & elle arrache ; elle bâtit & elle démolit’. Il ne suffit pas d'exercer ‘gratuité & verité’, il fautencore se détourner de toutmal : car un peu de levain corrompt & en aigrittoute la paste. Souvenez-vous en, mesFreres, & tâchez de rendre autant qu'il vous

[ Page 37]sera possible vostre justice parfaite.

Mais pour bien s'abstenir du mal souvenez-vous aussi qu'il faut avoir la crainte de Dieu.Tout nous porte au peché, mille tentationsnous y sollicitent, le monde fait ses derniersefforts pour nous faire abandonner la droitevoye. Le crime a des appas séduisans, quiflattent, & qui raisonnent, qui corrompent lecœur, & qui font illusion à l'esprit, & naturellementle cœur & l'esprit ne sont que tropenclins à se laisser surprendre. Il-n'y-a rienqui nous puisse soûtenir contre tant d'assautsque la crainte de Dieu, mais il est certainaussi qu'elle nous soûtiendra si puissamment,si nous l'appelons à nostre secours, que tousles efforts contraires demeureront inutiles.C'est une verité que vous n'ignorez pas, &l'experience vous la confirme. Mais cela mesmevous fait voir combien cette crainte nousest necessaire, & combien il est important del'établir dans nos cœurs. Travaillez-y, mesFreres, de tout vostre pouvoir, & voicy pourvous y aider quelques regles que je vous conseillede suivre. Premierement, il est bon quevous vous mettiez souvent devant les yeux,les terribles exemples de la Justice & de lavengeance divine sur les pecheurs, & de quellemaniere Dieu fait tomber sur eux ses jugemensavec éclat. Pour cet effet meditez attentivementles histoires épouvantables que

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l'Escriture nous a données de la ruine du premiermonde par le deluge, de l'embrasementdes cinq villes qui perirent par le feu du Ciel,des playes dont il frapa l'Egypte pour punirson endurcissement, des châtimens rudes &sanglans qu'il a déployez sur l'ancien peuplequand il s'est écarté de son devoir. Et sices exemples vous paroissent trop éloignez,arrétez-vous sur ceux que nos jours mesmesvous fournissent. Combien avons-nous veude personnes fieres de leur peché, & qui aulieu de s'en repentir s'en faisoient au contraireune gloire, perir miserablement au milieumesme de leurs prosperitez lors qu'il ne sembloitpas que rien en pût arréter le cours ; perirdis-je par des coups impreveus de la Providence,& ne laisser dans leur fin qu'un monumentfuneste de la Justice & de la Coleredivine ? Combien en avons-nous veû, quiaprés avoir joüy paisiblement du fruit deleurs débauches durant quelque tems, sonttout à coup tombez dans la derniere desolation,où ils ont passé plusieurs années parmyles plaintes & les douleurs ameres ? Combienavons-nous veû de familles superbes, qui pouravoir pris de l'interdit se sont fonduës insensiblement& peu-à-peu, comme on voit fondreun corps par la force secrette d'un poisonlent ? Je say qu'il ne faut pas juger temerairementdes afflictions que la Providence divine

[ Page 39]dispense, car elle les dispense comme illuy plaist, & souvent par des motifs que nousne connoissons pas. Mais il est certain aussiqu'il y-a souvent des exemples où la main dela Justice Eternelle paroist si visiblement, qu'iln'est pas possible de la méconnoître, & alorsce n'est point temerité, c'est pieté que d'adorerses voyes & ses jugemens. C'est donc ceque je desire en premier lieu que vous fassiezpour vous former de plus en plus à la craintede la Divinité. Mais outre cela il faut soigneusementappliquer vostre esprit & vostrecœur à la meditation de tous les objets quinous representent la Majesté souveraine &ineffable de Dieu, & qui nous peuvent donnerune juste idée de sa gloire. Telles sont lesœuvres de la creation, le Ciel & les Elemens,le Soleil & ses étoiles, la mer & sa fecondité,la terre avec sa plenitude. Telles sont lesœuvres de la Providence, la conservation entierede l'Univers depuis tant de siecles, lecours si reglé & si bien étably des generations,la distribution des peuples, des Royaumes,des Provinces, des villes & des famillesavec leurs accidens & leurs revolutions. Maistelles sont principalement les merveilles dela Grace, & toutes les profondeurs des Mysteresde Dieu que l'Evangile nous a revelez,comme les voyes ineffables de sa Sagesse dansl'envoy de JESUS CHRIST au monde ; les tendresses

[ Page 40]de sa compassion pour le genre humaintombé dans le peché ; les secrets incomprehensibles

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de son Election ; l'efficacetoute-puissante de son Esprit pour la conversiondes fideles ; les biens inenarrables de l'heritagequ'il nous prepare. Tous ces grands &divins objets nous font connoître chacun àpart la grandeur de la Majesté divine d'unemaniere fort éclatante ; mais quand on les mettous ensemble devant ses yeux, ils en formentune image si glorieuse & si pleine qu'il n'estpas possible qu'on n'en soit ébloüy, qu'on nela respecte, & qu'on ne s'écrie en mesme-tems : ‘Qu'est ce que de l homme, que tu aye souvenance de luy, & du fils de l'homme, que tu le visites’ ? Enfinun des plus importans preceptesque je puis vous donner sur ce sujet, estde vous arréter souvent à la meditation devos pechez & de la bonté que Dieu a euë devous les pardonner. Considerez en general lanature du peché qui est l'œuvre du demon,le fruit de sa victoire, & son mal-heureux caracterequ'il imprime en l'homme. Voyez dequelle force est l'aversion que Dieu a contreluy, car il ne se peut pas concevoir d'oppositionplus grande ni plus immediate que cellequi est naturellement entre la Divinité & lepeché. Voyez la peine qui le suit dans l'ordrede la Justice, car il n'est pas plus vray queDieu est le Juge de l'Univers, & qu'il faut

[ Page 41]que tous les hommes comparoissent devantson trône, qu'il est vray que le peché ne sauroitdemeurer impuni. En particulier examinezun peu de prés ceux que vous avez commis,considerez en le nombre ; voyez-en l'énormité,pesez-en toutes les circonstances,faites reflexion sur la facilité avec laquellevous vous y estes portez ; & aprés avoir bienregardé cet abysme, jettez les yeux sur laGrace qui vous en a retirez, & sur les voyesdont elle s'est servie pour cela. N'a-t-il pasfalu une force infinie pour exciter en vous lessentimens de la repentance ? N'a-t-il pas faluune misericorde incõcevable pour vous pardonner ?N'a-t-il pas falu le sang d'une victimeéternelle pour vous cõsacrer ? Aprés cela pourrez-vous songer sans frayeur à commettre denouveaux crimes ? L'idée de ces faux plaisirsqui vous ont si mal-heureusement trompez nevous fera-t elle pas horreur ? L'ingratitudecontre un Dieu si grand & si bon ne vous paroîtra-t-elle pas la chose du monde la plus noire ?N'apprehenderez-vous pas de retomberencore dans le bourbier dont vous estes sortis ?Ne craindrez-vous pas d'irriter la misericorde,& de vous rendre ennemy le sang devostre propitiation ? N'aurez-vous point depeur de vostre propre fragilité, & ne vousprecautionnerez-vous pas contre ses chûtes ?

C'est ainsi, mes Freres, que je vous conseille[ Page 42]

de vous confirmer en la crainte de Dieu.Si vous en usez de la sorte vous serez heureux,car en le craignant vous n'aurez plus rien àcraindre. Comme la verge d'Aron engloutissoitcelle des Egyptiens, la crainte de Dieu

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fait disparoître toute autre crainte. Salomonnous l'enseigne en dernier lieu :

Quand l'Eternel,dit-il, prend plaisir aux voyes de l'homme il appaise mesme envers luy ses ennemis

.Qu'avons-nous à vous dire sur ces dernieresparoles ? Pour des ennemis vous en avez engrand nombre, il n'est pas necessaire de vousen avertir, vous le sçavez assez & vous ne lesentez que trop. Mais ce qu'il faut vous dire,& qui fait mesme une partie de la crainte deDieu à laquelle je vous exhorte, c'est qu'au lieud'avoir du ressentiment contre eux, au lieu deleur rendre animosité pour animosité, vousdevez au contraire prier Dieu pour eux, &leur rendre avec affection toute sorte d'officesquand les occasions s'en presenteront.La Loy de JESUS CHRIST vous y oblige :‘Aimez, dit-il, vos ennemis, benissez ceux qui vous maudissent, faites du bien à ceux qui vous haïssent, & priezpour ceux qui vous courent sus & qui vous persecutent’. Priez donc Dieu qu'illuy plaise par sa misericorde de leur pardonnerleurs pechez, & en particulier ceux queleur fait commettre cette excessive aigreurqu'ils ont conceuë contre nous sans raison.

[ Page 43]Priez-le qu'il les illumine, afin qu'en distinguantdesormais les objets, un peu mieuxqu'ils n'ont fait jusqu'à cette heure, ils reconnoissentle tort qu'ils nous font, & celuyqu'ils se font à eux-mesmes. Ils ne nous haïssentque parce qu'ils se sont formez de nousune idée fort étrange ; mais si Dieu daignoitexaucer nos vœux, & qu'en les desabusantde leurs faux prejugez, il leur fist voir l'innocence& la justice de nostre profession tellequ'elle est en effet, de quelle componctionde cœur ne seroient-ils pas touchez, & qu'elleseroit nostre joye ? J'avouë qu'un si grandbon-heur est assez éloigné de l'apparence, && neanmoins il ne faut pas laisser de le demander.Toutes choses sont possibles à Dieu,il est le Maistre des hommes aussi-bien quedes tems & des saisons. Cependant si nousprenons soin de disposer tellement nos voyesqu'elles luy puissent plaire, il faut espererqu'il appaisera nos ennemis envers nous. Iladoucira leur esprit & changera cette humeurfâcheuse qui les anime contre nostreReligion. Et quand il ne le feroit pas nousdevons toûjours estre assûrez qu'il nous accorderasa paix & sa benediction qui est leplus grand de nos biens.

Ce sera, mes Freres, sous cette benedictionque nous joüirons aussi de la protectionde nostre puissant Monarque, laquelle aprés

[ Page 44]celle de Dieu doit estre nostre unique refuge.Ce grand Prince n'ignore pas, l'ardeur, lezele & la fidelité que nous avons pour sonservice, mais nous ne devons pas ignorer ausside quelle necessité nous est sa bien-veillance.Tout seroit declaré contre nous s'il retiroitcet ombre, ou pour mieux dire cesrayons sacrez de son autorité qui nous couvrent

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& qui nous défendent. Nous ne pouvonsavoir sur la terre d'autre recours qu'à sajustice, elle seule est l'azile qui reste à nostreesperance. C'est ce qui nous doit d'autant plusobliger à prier le Roy des Roys que par saProvidence immortelle il veüille le garder& le conserver en toutes occasions, & particulierementaujourd'huy dans les perils de laguerre où sa Majesté và s'exposer pour le reposde ses peuples. Que Dieu donc soit sonSoleil & son Bouclier, comme il l'estoit autrefoisde David, qu'il l'accompagne dans sesexpeditions militaires, & qu'il preside luy-mesme dans ses Conseils. Prions-le de plus,qu'il luy plaise d'incliner son cœur vers nous& de nous le rendre favorable. C'est ce queDieu fera sans doute si de nostre part nousapprenons à bien regler nostre conduite &nostre vie, si nous sommes pieux & zelez,humbles & patiens, justes & charitables,simples & modestes, fideles & sinceres,doux à nos inferieurs, équitables à nos égaux,

[ Page 45]soûmis & obeïssans à nos Magistrats.De cette maniere nous devons esperer queDieu aura soin de nous, & quand nostre Royaura la bonté de vouloir s'informer par luy-mesme de ce que nous sommes, il luy arriverace qui arriva à un de ses illustres & glorieuxPredecesseurs, sur le sujet des habitans desVallées de Provence. Ces pauvres fideles, quiestoient alors les tristes restes des Vaudois,furent cruellement accusez & poursuivis devantce Prince, comme des heretiques & descriminels. On excitoit sa colere & sa Justicecontr'eux par de fausses & odieuses imputations,& on ne demandoit pas moins queleur sang & leur ruine entiere. Mais avantque de se déterminer ce Prince équitablevoulut envoyer des Commissaires sur leslieux, & quand les Commissaires luy en eurentfait leur rapport, ayant reconnu visiblementleur innocence, l'histoire remarquequ'il s'écria : ‘Ils sont plus gens de bien que tout le reste de mon Royaume’. Faisons en sorte quenostre grand Monarque dise la mesme chosede nous, & qu'un semblable temoignage desa bouche Royale soit nostre Apologie dansce siecle, & nostre gloire envers la posterité.

C'est icy, mes Freres, qu'il faut finir cetteAction, & avec cette Action la solemnité decette journée. Mais comment la pouvons-

[ Page 46]nous mieux finir que par les vœux ardens quenous presentons à Dieu pour vous. Recevezdonc la benediction que je vous donne, tanten mon nom qu'au nom des autres serviteursde Dieu mes compagnons d'œuvre au milieude vous. Comme nous n'avons tousqu'un mesme cœur & un mesme sentimentpour vous, nous n'avons aussi qu'une voix,& c'est icy la benediction de nostre communMinistere. Dieu veüille vous redonner aujourd'huysa paix & sa faveur, & en vous pardonnantvos pechez vous faire bien-tôt cueillir

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les fruits de sa reconciliation avec vous.Dieu veüille affermir pour toûjours son alliancedans ce troupeau, & vous conserver àvous & à vos enfans, jusques à la fin des siecles,le precieux avantage de sa parole & deson service. Dieu veüille accompagner deson efficace celeste la parole qui vous est préchée,& vous donner d'en haut l'accroissementpendant que Paul plantera & qu'Apollosarrosera, afin que vous puissiez luy rendreabondamment tous les jours de vostre vieles fruits que merite sa culture. Dieu veüilleconfirmer sa crainte & son amour dans voscœurs, & en moderant vos passions, éloignerde vous les occasions de mal faire &vous épargner les tentations. Dieu vous fassela grace d'élever vos chers enfans dans lessentimens de la pieté & de la justice, & luy-

[ Page 47]mesme veüille tourner par son saint Espritleurs jeunes cœurs à l'obeïssance de ses loix& à l'esperance de son Royaume, afin quefaisant leur devoir vous en ayiez de la joye& de la consolation. Dieu veüille au restevous benir chacun de vous dans le travail desa vocation, & vous départir des biens temporelsce qu'il jugera luy-mesme vous estrenecessaire pour le repos de vostre vie, & pourachever heureusement vostre course en lacommunion de JESUS CHRIST son Fils.Allez donc peuple fidele, retirez-vous dansvos maisons plus riches & plus contens quevous n'en estes partis ce matin ; puisque vousemportez avec vous la paix du Ciel, & l'esperancede la protection divine. Ne perdezpas le souvenir de cette reconciliation quevous avez faite avec vostre Createur, il vousa relâché les droits de sa Justice, mais il nevous a pas quitté les droits de sa Grace. Rendez-luy sans cesse les devoirs de vostre reconnoissance& de vostre fidelité. Que vostrelumiere luise devant les hommes, afin que leshommes voyant vos bonnes œuvres le glorifientsur la terre, & qu'il vous glorifie un jourvous-mesmes en vous recevant dans son Paradis.A luy Pere, Fils & saint Esprit soit honneur,force & Empire au siecle des sieclesAmen.