dieu en question- antoine giacometti

Upload: gigi

Post on 07-Apr-2018

224 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

  • 8/3/2019 Dieu en Question- Antoine Giacometti

    1/34

    Antoine giacomettidimanche 23 octobre 2011

    15:38

    ru na Pa e 1

  • 8/3/2019 Dieu en Question- Antoine Giacometti

    2/34

    Screen clipping taken: 23/10/2011 18:27

    Connaissance exprimentale et connaissance

    rationnelle. Ltre ne va pas de soi.

    Lchec des preuves mtaphysiques de Dieu

    napporte pas la preuve contraire.On ne voit quune incertitude qui ne tienne pas celle dun fait:

    cest lincertitude o nous sommes quant lexistence de Dieu. L rside

    la diffrence, que je qualifiais dessentielle. entre cette incertitude, dun

    type absolument unique, et les autres types de conjectures auxquels nous

    avons faire. Tout autre type concerne une ventualit dont nous pensons

    quelle est plus ou moins probable, ou, si nous ne pouvons apprcier son

    degr de probabilit, comme cest le cas dans des jeux de hasard, quelle

    a des chances de se produire, que sa ralisation est possible. Mais Dieu

    nest pas possible, ou ventuel ou probable, non plus que vraisemblableou plausible. Dieu est ou bien il nest pas, dit Pascal, et quil soit ou

    ne sait pas. cela ne dpend pas dune relation causale ou dune conjonc

    ure de hasard. Sil esi, il est de toute ternit, prexistant tout; et sil

    nest pas, il ne sera produit par rien, il ne sera jamais. Quand Pascal

    dclare quil faudrait parier pour Dieu alors quil y aurait une foule de

    hasards de perte et un de gain, il a en vue limmense intrt du joueur, il

    pense lexceptionnel enjeu du pari. Mais il ny a pas plus de hasards

    dun ct que de lautre et il ne peut y en avoir plus; il y a pareil hasard

    de gain et de perte, ajoute Pascal. Cest seulement notre esprit qui se

    partage sur la seule question dont la rponse doive tre donne sans que

    lon ait attendre du monde aucune lumire dcisive. On ne parie paspour ou contre lexistence de Dieu, comme le veut un commentateur du

    pari, en jugeant de sa possibilit relle daprs des conditions objec

    tives qui nous la feraient dabord admettre ou refuser de ladmettre.

    Lexistence de Dieu nest pas lie un principe dterministe. Elle nest

    ru na Pa e 2

  • 8/3/2019 Dieu en Question- Antoine Giacometti

    3/34

    pas tributaire dune incertitude. Lincertitude nest quen nous, et cest en

    nous uniquement que nous trouverons nous dcider pour lun ou lautre

    parti. En nous, mais non dans notre raisonnement.

    24 !RtIIt PARTIE

    De quel ct pencherez-vous? demande Pascal. Il est difficile de

    vaincre la rpugnance quon prouve reconnatre que la raison ne sau

    rait nous faire pencher dun ct ou de lautre. Pascal Liii plus que le

    reconnatre: il en convient. il y consent avec une humilite qui craselhomme. Le fini sanantit en prsence de linfini, et devient un pur

    nant. Ainsi notre esprit devant Dieu... Sil y a un Dieu, il est infiniment

    incomprhensible, il na nul rapport nous... Et. sans doute, Pascal ne

    sen tient pas l. Ce quil veut, avec tant dautres, cest nous mener a la

    rencontre dun mdiateur qui ouvre vers Dieu la seule voie possible.

    celle de la prire, de lamour. Ne considrons que son refus dentrer

    dans les raisons des philosophes, refus qui se fonde sur ce quelles

    demeureraient inutiles et striles niine si elles pouvaient atteindre

    leur but, qui est de prouver et dexpliquer. Quand un homme serait per.

    suad que les proportions des nombres sont des vrits ternelles, et

    dpendantes dune premire vrit en qui elles subsistent, et quonappelle Dieu, je ne le trouverais pas beaucoup avanc pour son salut.

    Mais ce nest pas seulement pour le salut que les raisons des philosophes

    sont inutiles; elles le sont aussi en ce quelles sadressent lintelli

    gence. car elles ne persuadent pas tout le monde, et ceux quelles per.

    .suadent ne sont gure assurs dans leur conviction. Les preuves de

    Dieu mtaphysiques, crit Pascal, sont si loignes du raisonnement des

    hommes, et si impliques, quelles frappent peu: et quand cela servirait

    quelques-uns, ce ne serait que pendant linstant o ils voient cette

    dmonstration, mais une heure aprs ils craignent de stre tromps.

    Inutiles et striles: en qualifiant ainsi les preuves de Dieu nita

    physiques, Pascal songeait moins aux preuves mmes qu la prtentionde leurs inventeurs, quand ils assurent quelles sont assez claires pour

    entraner la foi: carde l assurer que la foi ne peut natre si Dieu nest pas

    dabord dmontr, il ny a quun pas, qui est franchi par le plus grand des

    contemporains de Pascal, le philosophe du doute mthodique, et cela dans

    la ddicace quil fait de ses Mditations aux docteurs et thologiens de

    Sorbonne: Jai toujours estim, crit-il, que les deux questions de Dieu et

    de lme taient les principales de celles qui doivent plutt tre dmontres

    par les raisons de la philosophie que de la thologie: car bien quil nous

    suffise, nous autres qui sommes fidles, de croire par la foi quil y a un

    Dieu et que lme humaine ne meurt point avec Ie corps, certainement il ne

    semble pas possible de persuader aux infidles aucune religion... si premirement on ne leur prouve ces deux choses par raison naturelle2.

    Il y a videmment des relations entre la raison et la foi. Sil ny en

    avait pas. cc serait parce que la foi apparatrait comme draisonnable, et

    alors elle ne se soutiendrait plus, on naurait pas de question poser sur

    Dieu ni sur lme. Il y a entre elles des relations mme si le croyaru se

    refuse discuter sa foi, car il ne la considre pas pour autant comme

    draisonnable, il estime seulement que la raison nc peut en rendre

    compte: opinion encore errone si on la pousse trop bm, la raison tant

    du moins capable dtayer la foi l o elle existe. Lerreur est dc penser

    quil lui appartient de convaincre premirement et quelle y suffit,quelle vient donc avant la foi comme ce qui la dtermine, alors que la

    raison ne peut fournir quun certain appui intellectuel la foi quand

    celle-ci est dj ne de son popre mouvement, de sa libre initiative. En

    fait, des millions dhommes ont choisi dc croire un Dieu qui vivifie et

    ru na Pa e 3

  • 8/3/2019 Dieu en Question- Antoine Giacometti

    4/34

    qui sauve, mais je ne sache pas que personne se soit persuad de lexis

    tence de Dieu par les raisons de la philosophie. Dire que la foi est

    raisonnable. Cest dire que la raison peut saccorder avec elle: que lacte

    de foi, qui est tout irrationnel, tant accompli, on trouve aussi des rai

    sons de croire. Mais on ne peut dire plus. Un croyant retrouvera Dieu

    dans les preuves quon lui propose: tre ncessaire, parfait, etc. Celui

    qui ne croit pas dabord en lui, ny verra rien qui le persuade.

    . . *

    On ne sassure pas de lexistence de Dieu par les seuls moyens delintelligence, et cela ne devrait pas scandaliser ni tonner. Combien y

    a-t-il peu de choses dmontres! scrie Pascal. Pour lui, on ne connat

    bien une chose que si on en connat la nature, mais il ajoute quon peut

    bien connatre lexistence dune chose sans connatre sa nature. Quest

    ce donc que connatre la nature dune chose? Il ne me sert rien, par

    exemple, de me mettre en titmoire les raisonnements et les figures dun

    thorme si je ne les comprends pas. La nature dun thorme est dire

    une signification: la mmoire ne retient que des signes. el jaurais beau

    avoir appris ceux-ci trs exactement, je resterais hors de la ralit intel

    ligible quils signifient.

    Il nest pas dc la nature de Dieu dtre dmontrable, explicable oucomprhensible. Dieu na pas tre dmontr, expliqu ou compris

    parce quil est autre chose quune ralit intelligible, ou une ide. Sil

    est, je ne le connatrai que dans une participation personnelle et par

    union de mon tre au sien. Par la gloire nous connatrons sa nature,

    dit Pascal. Notre condition dhomme dans le monde nous en empche, et

    tant que nous y sommes soumis, nous ne saurions ni atteindre la pleine

    connaissance de Dieu, qui nest possde que par intuition dans une vi

    dence immdiate, ni parler de lui en termes qui puissent mme le sugg

    rer si une foi pralable ne leur donne du moins valeur dinterprtation.

    Cest une folle entreprise que de vouloir connatre Dieu selon les

    lumires naturelles applicables aux ralits physiques ou idales dunmonde accord nos perceptions et notre intelligence pour que nous

    puissions y vivre, mais qui par cela mme nous fixe dans une condition

    dont nous ne pouvons sortir. Il y a dautres connaissances, exprimen

    tales ou mme purement spculatives, auxquelles lhomme natteint

    quimparfaitement parce quil nest pas adapt au monde nouveau o il

    sengage: ainsi le physicien explorant lunivers subatomique ne dispose

    que dinstruments qui restent inclus dans lunivers nos dimensions et

    nos mesures; ainsi le philosophe phnomnologue qui cherche oprer

    ce quil nomme la conversion transcendantale ne dispose, comme il

    lavoue, que de modes de langage qui ne sont pas faits pour dcrire cette

    opration parce quils appartiennent la condition naturelle3. Seconfier, pour connatre Dieu, la seule intelligence, cest vouloir

    prendre vue sur lui avec des moyens qui demeurent infiniment en de.

    Avant de dire que par la gloire nous connatrons sa nature, Pas

    cal dclare que par Ja foi nous connaissons son existence. Jincline

    penser que ce nest point l simple lieu commun: Pascal voudrait dire

    non pas qutant incapable de connatre Dieu dune autre manire, nous

    en sommes rduits le connatre par la foi; mais que nous navons pas

    connatre Dieu autrement que par la foi, parce quil ne nous est

    connaissable que de cette manire. Dans ce cas, le penseur a tort daccu

    ser linfirmit de notre condition: telle quelle est, celle-ci est suffisante

    pour que puisse tre acquise toute connaissance propose lhomme.Mais toute connaissance correspondent ses voies et moyens. et la seule

    voie, le seul moyen appropri celle de Dieu consistent dans la foi,

    quand mme lhomme parviendrait la connaissance empirique ou

    rationnelle de tout lunivers.

    ru na Pa e 4

  • 8/3/2019 Dieu en Question- Antoine Giacometti

    5/34

    il y a, pour ce qui est du monde, deux moyens principaux de

    connaissance. Lun deux suppose (et ne peut pas ne pas supposer)

    lexistence dune ralit objective quoi la conscience sapplique: cest

    la science exprimentale. Lautre moyen fait de la conscience a ralit

    ultime et n&essaire par qui toute forme dtre est constitue4 et par

    dabord accepter de la reconnaitre, et nous pouvons nous y refuser aussi

    bien. Un doute persiste. quil appartient la foi de dpasser. On voudrait

    non pas dpasser, mais claircir ce doute, el navoir qu se soumettre

    une certitude objective au lieu de recommencer sans cesse un effort personnel dacquiescement. On demande donc la raison dc fournir cette

    certitude, et on en revient par l chercher dans luniversel thorique

    une rponse qui doit tre donne singulirement par chaque personne. La

    raison ne fournit dobjectif quune question et dindubitable que le doute

    qui sensuit: ce nest pas clic dc rpondre.

    Pascal parlait pour les philosophes qui cherchent prouver quil y

    a un Dieu. Il ne considrait dans lincertitude que ce qui nous fait hsi

    ter croire et que nous voudrions rsoudre de manire y tre obligs.

    alors quil ny a qu prendre sur soi et parier. Mais lincertitude peut

    aussi nous porter ne pas croire: cest lautre terme du pari, auquel on

    flC se dcide pas plus aisment. Comme le croyant cherche tablir saposition sur des preuves qui la fondent en principe, lincroyant tente de

    montrer que la sienne est assez assure dans ses motifs pour emporter

    ladhsion de tout homme raisonnable. Il allguera que lide de Dieu

    enferme en soi une contradiction, do il conclut non plus seulement que

    la raison ne saurait justifier la foi, liais que la foi est contraire la rai

    son et que Dieu est donc impossible. Il soutiendra que Dieu est inutile,

    le monde nayant dc sens que par lhommc, et cc sens exigeant quil ny

    ait ni prescience dc ce qui va tre, ni perfection dj ralise en de

    du monde6, pour que lhomme dans le monde sinvente lui-mme sans

    cesse au cours dune histoire.

    Le vice de toute pense incroyante est une partialit qui la metdentre en porte--faux. Non que le croyant soit impartial: au contraire,

    il nest croyant quen prenant parti, et il prend parti en dfinitive sans

    preuve dterminante, par prfrence. Mais la partialit avec laquelle il

    dcide nintervient quau niveau dc lindividu, quand celui-ci savise

    que du point de vue transcendantal ou par raison, comme dit plus

    simplement Pascal, au plan de la raison universelle on ne peut dfendre

    nul des deux, et quil doit dcider par un acte qui ne dpend que de lui.

    Pour lincroyant. cest toujours dans luniversalit quil se place pour

    dfendre une ngation explicite ou implicite, et il est forc de sy tenir.

    il ne peut nier que par raison, je veux dire du point dc vue dc lhomme

    en gnral. Cette partialit-l est toute diffrente de lautre, el cest leraisonnenicnt qui risque fort den tre fauss. Je nai jamais rencontr

    encore, dans les crits ou daiis les conversations, une dialectique de la

    non-existence de Dieu o le ngateur ne se ft octroy davance, par

    quelque manire spcieuse dnoncer le problme, les conditions qui lui

    permettaient de trancher sa guise.

    Il faut regarder cela de plus prs. Javais cru, en commenant, pou

    voir me borner une vue densemble touchant lgale impossibilit de

    prouver que Dieu existe ou quil nexiste pas. Il apparat quon ne peut

    se passer de rappeler quelques-unes des preuves mises pour ou

    contre, et nous aurons examiner aussi une opinion daprs laquelle le

    mieux est de ne rien affirmer et rien nier, non que lon estime devoirmaintenir le douic, mais parce quon nie quil y ait un problme, ce qui

    est la manire la plus radicale de nier, bien que la plus insidieuse.

    ru na Pa e 5

  • 8/3/2019 Dieu en Question- Antoine Giacometti

    6/34

    Confrontation entre la pense croyante et

    lincroyante. Lincroyance est autre chose

    que le contraire de la foi. Lathisme

    philosophique contemporain.

    II y a dans toute pense athe un parti pris, que le croyant ne sau

    rait critiquer comme tel: lui-mme, tant incapable de rendre compte

    de sa crance, doit prendre parti, choisir de croirc que Dieu existe et

    passer de lincertitude laffirmation sans autre pont que son choix et la

    foi qui srige sur ce choix. Cest l ce que Pascal nomme un pari, quirecommence tout moment. Pas plus quon arrive la foi comme au

    terme dun raisonnement bien men, on ne continue dans la foi aprs une

    premire option qui nous y installerait dune manire stable et dfinitive.

    La foi est une incertitude toujours surmonte, elle est volont de croire

    quand bien mme on ne serait plus sr que lon croit.

    Lincroyance se prsente dabord comme le choix et le parti pris

    oppos, et lon naurait rien y redire si lincroyant, aprs avoir lui aussi

    conclu, avec Pascal. que par raison on ne peut faire ni lun ni lautre

    se dcidait en sachant quil le prend sur lui et assume de son ct une

    position qui rsulte dun choix individuel, puisque la raison ne limpose

    pas plus gnralement quelle nimpose la croyance.Mais cette position, lincroyant ne pourrait la soutenir: elle consis

    terait affirmer que Dieu nexiste pas et reconnatre en mme temps

    quon nest pas certain de ce quon affirme. Celui qui croit lexistence

    de Dieu, bien que la preuve nen puisse tre donne, se rsout affirmer

    que Dieu est, alors quil considre comme possible que Dieu soit, et sil

    vient douter encore de son existence, il ne fait que retrouver une incer

    titude quil doit surmonter de nouveau. Etant incertain si Dieu est, et

    dans les moments o il est le plus incertain, il peut sefforcer de penser

    et aussi dagir et de vivre comme si Dieu tait. Le croyant peut

    douter sans contredire sa croyance, je dirai mme quil ne peut pas ne

    point douter. Entendons-nous: la foi ne consiste videmment pas douter, ce nest pas le doute qui la constitue. Mais elle ne se constituerait

    pas sans lui, en ce sens que sil ny avait point de doute, il ny aurait pas

    non plus une foi; il y aurait une certitude arrte, dtermine dans son

    objet comme pour le sujet. sans alternative alors que la foi est libert

    et perptuelle option. Et parce quelle est libert, parce quelle est option

    cest--dire aussi que lon sy choisit soi-mme tel quon veut tre

    parce quil nengage que lui dans lacte de foi, le croyant est l seule-

    nient o il se veut, et il peut se regarder comme ntant pas dans une

    ngation ou vellit de ngation laquelle il se refuserait. Quand vien

    nent la scheresse du coeur et la nuit dc lesprit, lhomme qui garde lavolont de croire est bien plus dans cette volont o il se recueille que

    dans la scheresse et la nuit quil lui faut subir; aussi ny a-t-il pas

    contradiction entre labsence de foi laquelle il pense tre rduit et la

    fidlit quil maintient cependarn. Il ny a pas non plus. et il y a encore

    moins contradiction si cest la raison qui choue. Le croyant peut affir

    mer sans certitude rationnelle. Si on lui montre (lue SCS raisons ne sont

    pas dcisives, il peut en convenir et passer outre, ds lors quon ne lui

    montre pas que les raisons contraires le sont davantage.

    Plus encore que par son objet, la pense incroyante se distiligue de

    la croyante par son attitude, par son comportement. On naffirme pas la

    non-existence dc Dieu de la mme manire quon affirme son existence,dans un acte qui, parce quil saccomplit dans lincertitude, nexclut

    jamais compltement un doute contre lequel il sexerce et qui laide

    sprouver lui-mme. Disons quil y a dans lacte (le foi un lment

    ngatif ncessaire son affirmation. Dans laffirmation de lincroyant, il

    ru na Pa e 6

  • 8/3/2019 Dieu en Question- Antoine Giacometti

    7/34

    ne peut y avoir rien dc semblable. Lincroyant ne peut pas douter, Il ne

    peut penser et agir et vivre comme si Dieu ntait pas, avec larrire-pen

    se que Dieu est peut-tre, car il naurait ds lors qu penser et vivre et

    agir comme si Dieu tait. JI ne peut dire quil est possible que Dieu soit:

    cest prcisment Ja position de Pascal, celle qui doit faire parier pour

    Dieu. Il ne peut dire quil est possible que Dieu ne soit pas: sil le disait,

    il verrait aussitt que cest l ce que dit le croyant dans les moments o

    il doute le plus, que l est llment ngatif auquel lacte de foi doit

    rpondre avec le plus de force. Lincroyant est tenu de dire quil estimpossible que Dieu soit, que lexistence dc Dieu est impossible. La

    volont de ne pas croire, alors quil ne serait pas sr dtre daits le vrai

    en ne croyant pas, ne peut lui suffire, car elle ne serait volont que

    daveuglement. Il lui faut des raisons dc ne pas croire, et non pas seule-

    nient acceptables (comme au croyant quand il cherche tayer sa foi sur

    des raisons), mais dienninantcs. des raisons de nier qui le persuadent

    pleinement par elles-nimes. Lincroyance est catgorique, compacte.

    totale, elle est affirmation ngatrice sans la moindre faille dincertitude,

    et cela sous peine de se contredire. Tandis quil y a dans ltre de la foi

    une pail indispensable de nant, et plus intimement est ressentie cettepart, plus intense est lacte par lequel la foi se parfait.

    Observons encore que lincroyance totale est presque aussi rare que

    la foi parfaite. Lincroyant, disais-je. nc peut penser et agir comme si

    Dieu nexistait pas. avec larrire-pense que Dieu existe peut-tre. Cest

    le croyant qui peut se comporter comme si Dieu nexistait pas, ou beau

    coup qui se disent croyants et se figurent quils le sont, quand ils ne sont

    que tideur et simagres. Quant aux incroyants, je nassurerai pas que

    beaucoup sont des croyants qui signorent, suivant une formule fort

    rpandue et aussi frivole que rassurante. Mais il ne faudrait pas attendre

    de la plupart quils aicnt pris parti lucidement, lis sont incroyants sans

    raison, comme dautres sont croyants sans amour.Jessaie de dgager les deux attitudes extrmes, ou plutt les deux

    manires dtre foncires en fait dc croyance et dincroyance. La com

    munaut de croyance nenlve rien au caractre rigoureusement person

    nel et singulier dc lacte de foi, qui nest command par aucun impratif

    logique. Ce nest pas la foi qui est indivise entre les croyants: ce sont les

    raisons sur lesquelles ils saccordent. Mais chacun ny acquiesce que si

    la foi les anime en lui, et la foi est un choix quil fait en particulier et

    librement: cest dire que ce choix ne rsulte pas dun conunun accord, et

    que les raisons sur lesquelles saccordent ceux qui lont fait laissent

    intacte la libert de chacun, qui est davoir le recommencer toujours

    sans tre li par les raisons communes.Lincroyant, au contraire, na pas le choix. Entre lexistence et la

    non-existence de Dieu, il ne peut dire, avec Pascal quail y a pareil

    hasard, et prendre personnellement parti. Loption individuelle nest

    pas possible dans son cas, ni pensable: quelle signification cohrente y

    aurait-il dans un acte qui consisterait nier Dieu sans tre sr quil

    nexiste pas? Lincroyant doit tenir la non-existence pour indubitable, dc

    sorte quaucune libert doption ne soit laisse lindividu. H nest point

    forc jouer.. tant tenu de penser comme il le fait, conduit par une

    certitude qui nest pas proprement la sienne, comme lest lacte de foi du

    croyant, mais qui est formule en gnral, qui se pose comme acquise

    lgard de tous. Quelle soit profre ouvertement ou sous-jacente au propos, quelle intervienne discrtement ou avec clat, la ngation de Dieu

    ne peut comporter la moindre hsitation, la moindre rserve particulire.

    Un homme qui parie pour Dieu affirmera quil existe si tout le monde le

    nie, lincertitude tant pareille pour lui et tous les autres et sa chance

    ru na Pa e 7

  • 8/3/2019 Dieu en Question- Antoine Giacometti

    8/34

    gale la leur. Celui qui pense quil ny a pas de Dieu, ft-il le seul, doit

    encore entendu dire que Dieu est mort! sexclame Zarathoustra. Mais

    non, il ne la pas entendu dire, sa solitude la gard dans lignorance

    de la grande nouvelle que Zarathoustra el plusieurs autres entreprennent

    de divulguer: Dieu est mort, lide de Dieu sefface de la conscience

    humaine o elle dominait depuis des dizaines de sicles. Lhomme se

    rend compte enfin quil tait dupe dun fantme cr par lui et au proFit

    duquel il stait lui-mme dpouill de ses plus hauts attributs, la ftwce,la sagesse, le libre vouloir, la hardiesse inventive. Le voil qui saffran

    chit de son illusion, qui ressaisil ce qui lui appartient.

    Tel est le commun point de dpart des doctrines de ngation.

    quelques divergences quelles offrent ensuite. Laffirmation que Dieu

    est mort doit restituer pleinement la libert des hommes suprieurs

    que la croyance un Dieu, avec son respect pour les dbiles et son culte

    des pettes vertus, assujettit au grand nombre, soumet aux valeurs du

    troupeau. Ou ce sont les masses populaires quempche de sman

    ciper une alination religieuse2 adapte aux rapports conomiques et

    politiques propres chaque poque. Dautres tiennent la soumission un

    absolu divin pour un stade psychique infantile, auquel doit succder lanotion scientifique dune relativit conforme lesprit humain et rgle

    par des lois positives bien contrles. Entre les divers aspects de

    lincroyance, lentente se fait sur cette ide que Dieu est la projection par

    lhomme dc sa propre essence dans un sujet fantastique quil exalte en se

    rabaissant lui-mme, ou grce qui il tente doublier sa condition mis

    rable au lieu de la changer. Il ne suffit pas la pense incroyante de dire

    quil ny a point de Dieu. Le Non-Credo, sil se bornait affirmer un

    nant, serait une parole stagnanw el une action avorte, qui nentraiile

    rait personne. qui retomberait aussitt. Cest lhomme quil faut croire

    dsormais, lhomme seul, quon lenvisage sous laspect aristocratique

    du surhumain, dans la ralisation proltarienne du socialisme, en tantque vou un progrs indfini dans tous les domaines. connaissance.

    action, conqute matrielle, domination et possession du monde, mai-

    trise de lhistoire, etc.

    Tout cela a souvent t expos et comment. Une remarque nou

    velle quoi aboutit la confrontation entre la foi et lincroyance, est que

    celle-ci tient pour illusoire non seulement le Dieu que celle-l choisit

    daffirmer, mais la libert quon a de sinterroger sur lexistence de Dieu

    pour rpondre mme ngativement. Reconnatre quon peut sinterroger,

    ft-ce pour rpondre quil ny a point de Dieu. serait admettre quon

    peut aussi rpondre quil y a un Dieu, et lincroyance ne ladmettrait passans se mettre avec elle-mme en opposition. Au fond, ceux qui pensent

    que Dieu nexiste pas estiment quon nest pas plus libre intellectuelle

    ment cet gard quon ne lest de (rancher des proprits du triangle ou

    de conclure que deux et deux font quatre. L se rvle cette attitude en

    porte--faux qui caractrise la pense incroyante: on ne peut prouver et

    on ne peut non plus conserver un doute. Il faut donc refuser la question.

    mais dans un tout autre esprit que lagnosticisme qui nc veut pas se pro

    noncer sur ce quil dclare inconnaissable. Lathisme nessaie pas de

    fournir lintelligence des lments raisonnables de conviction, il veut

    la dtromper comme la recherche scientifique par ltude du fait, du ph

    nomne. Plutt quune argumentation, il met un diagnostic: auto-mystification et ddoublement, alination, inauthenticit, etc. On na pas

    poursuivre de spculation mtaphysique sur ce qui est objet dexprience

    psychologique et sociologique. La mme assurance se retrouve chez les

    thoriciens du matrialisme dialectique et chez le prophte du surhu

    ru na Pa e 8

  • 8/3/2019 Dieu en Question- Antoine Giacometti

    9/34

    main. Quand celui-ci engage lhomme saffranchir de lide de Dieu

    par un acte de volont, par une libre dcision, il le fait en se payant de

    mots et dans une transe lyrique o le souci de discernement entre peu.

    La question dexistence nest pas supprime, ni le doute qui sensuit dis

    sous par un acte volontaire. On ny parvient quen proclamant quaucune

    question ne se pose rellement sur Dieu et lexistence de Dieu, que le

    doute lui-mme est irrecevable. On dcide dc ne plus raisonner dc ce que

    lon sait dsormais tre un faux problme. Ce nest pas une dcision

    libre que lon recommande chacun de prendre et de maintenir sil en ala courage; cest un enseignement que lon dispense la communaut en

    connaissance de cause et dont on invite chacun faire son profit.

    * * *

    Lathisme philosophique sest exprim dc nos jours en termes

    moins catgoriques, quelques esprits minents stant aviss quune

    ngation trop formelle tmoigne encore pour Dieu, puisquelle se pose

    relativement laffirmation, comme son contraire, comme lantithse

    par rapport la thse. Jai tent de montrer que ces deux actes affir

    mation et ngation napparaissent dans un tel rapport que si on se

    borne opposer ce quils attestent manifestement, sans voir la nature

    intrinsque et secrte de chacun deux; et il est clair quaucune synthse

    ne sort de leur opposition, moins quon ne veuille nommer ainsi

    lincertitude o lon retombe alors aussitt. Mais on ne fait quy retom

    ber. et lincertitude nest pas la synthse dune affirmation et dune

    ngation: cest delle que nat lune ou lautre, avec cette diffrence

    quaffirmer lexistence de Dieu cest surmonter tout moment lincerti

    tude que lon continue dprouver comme un nageur prend appui sur

    llment quil combat alors quon ne peut nier lexistence quen

    niant aussi lincertitude. Celle-ci est un tat psychologique qui rsulte dc

    limpossibilit o nous sommes de rpondre logiquement dans

    quelque sens que ce soit la question de lexistence de Dieu. Cest laquestion que lon niera donc, e la seule manire non quivoque de la

    nier consiste non pas dire quelle ne se pose pas en tchant de montrer

    pourquoi, mais nen rien dire du tout: car le seul fait dc lnoncer,

    mme pour montrer quelle ne se pose pas vraiment car il ny aurait de

    question vritable qunonce en terme de savoir, revient nier que

    Dieu existe et par consquent poser encore implicitement la question

    de son existence. Le refus de la question de Dieu doit demeurer tacite, il

    ne sera mme pas voqu. Dans une formule assez saisissante, le com

    mentateur dun des matres de la pense contemporaine dclare que ce

    philosophe veut tre celui dont le non ne portera pas tmoignage pour

    le oui, et quil se propose linstauration dune pense sans la moindrerfrence lide de Dieu4. La question sera donc omise plutt que

    refuse formellement, son omission tan obtenue, sans quil y ait besoin

    de sen expliquer, partir dune notion de lexistence en gnral incluant

    ncessairement la temporalit, donc la finitude notion obtenue elle-

    mme partir dune analyse descriptive de lexistence de lhomme dans

    Ic monde prise comme critre ontologique limitatif ou mode dtre ind

    passable, et excluant de ce fait toute autre notion. Eendue lexistence

    comme telle et quelque subjectivit que lon suppose, lanalyse ainsi

    gnralise ne sera probante que si elle constitue une description littrale

    et un compte rendu exhaustif, non une thse interprtative et un systme

    de propositions plus ou moins plausibles labores partir de.... Ilfaut pour cela que lexistence intra-mondaine du sujet humain apparaisse

    lvidence comme la seule manire pensable dexister subjectivement,

    de sorte que toute existence subjective soit rellement impossible en

    dehors dune temporalit qui laffecte radicalement de finitude.

    ru na Pa e 9

  • 8/3/2019 Dieu en Question- Antoine Giacometti

    10/34

    En tout cas, la tendance est nette. Plutt que dattaquer de front et

    ostensiblement lide dc Dieu, comme Font fait les grand ngateurs du

    XIXe, on cherche vider lesprit du doute quon ne peut claircir ni

    dun ct, ni de lautre: ne pas affirmer, cela va de soi, mais ne pas nier

    non plus parce que la ngation rappellerait que laffirmation est gale

    ment possible, et penser comme sil ny avait rien affirmer ou nier.

    Cest cette consigne dabstention que donne lun des reprsentants les

    plus remarquable de lathisme philosophique moderne, qui ne se dfenddignorer le problme que pour le mettre au-dessus des solutions qui

    ltouffent5: ce qui veut dire, non pas que le problme simpose au-des

    sus ou indpendamment des solutions quon voudrait lui trouver, mais

    quil nest traiter que du point de vue de la contingence de ltre

    humain et du monde, la recherche mme dune solution par quoi

    reparatrait lide dun Etre ncessaire tant carter comme dpourvue

    dintrt philosophique. De l, le phnomnologue est amen carter

    aussi lide dune progression inluctable de lhumanit vers son accom

    plissement: pas plus qu une Volont transcendante qui terait au

    monde toute nouveaut et la recherche toute invention, on ne doit

    recourir un Destin dans lhomme et les choses qui donnerait lhistoire une direction dtermine vers un tat dj connu o elle sachve

    rait. Comprendre les rapports de lhonune avec la nature, et ceux des

    hommes entre eux, comme organiss en vue dune fin humaine, cest

    encore penser en thologien, et substituer la croyance Dieu un

    anthropothisme qui nest pas philosophiquement plus recommandable.

    Je ny contredirai pas. Si on refuse lexplication de lhomme et du

    monde par un Etre ncessaire dont ils descendent et qui ils remonte

    raient, on peut bien refuser galement de reporter en lhomme lui-mme

    le principe explicatif et la ncessit souveraine.

    Quelques raisons quil se donne, le ngateur considre lide de

    Dieu comme une gne pour lhomme, sok quelle contrarie laccomplissement de son destin, soit quelle fasse obstacle sa libert. Quil voie

    dans lhistoire un dterminisme ou une perptuelle invention, il pense

    comme si lhomme avait dcider entre deux disciplines dont lune

    seraiL plus apte que lautre raliser un type dhumanit authentique:

    cela indpendamment de la question de savoir si Dieu existe, qui ne doit

    plus se poser dornavant. Mais cest encore une question que de savoir

    si lide de Dieu nest pas indispensable lhomme pour se maintenir,

    pour garder figure humaine. Que Dieu existe ou non, si lide que nous

    avons de lui exprime une part mtaphysique inhrente notre nature,

    que rsultera-t-il, mme du point de vue de la Terre. mme dans le

    monde, de lamputation de cette part? Lide de Dieu. rpliquez-vous (eL

    peut-tre aussi lhomme mtaphysique), est une construction superfta

    loire. une excroissance inutile, puisque beaucoup dhommes se passent

    fort bien de Dieu et de lide quon en a. Ils sen passent, mais dans un

    monde o beaucoup continuent den vivre, o la pense dans son his

    toire et ses thmes fondamentaux sest compose jusquici pour ou

    contre Dieu, o lincroyance ne reprsente encore que lautre parti

    auquel une incertitude commune peut conduire, le second terme dune

    alternative. Lexprience na pas l faite dun monde o lide de Dieu

    aurait t limine radicalement et totalement. Il est extrmement impro

    bable, mais non tout fait impossible quelle se fasse, et lon peut enimaginer leffet. Ce quapporterait cette exprience, ce ne serait pas seu

    lement lassurance universelle quil ny a point de Dieu, ce serait la fin

    de toute rflexion ce sujet; ce quelle aurait universellement supprim.

    ce serait non pas seulement la croyance lexistence de Dieu, mais

    ru na Pa e 10

  • 8/3/2019 Dieu en Question- Antoine Giacometti

    11/34

    laptitude dcider entre y croire et ne pas y croire. Et il ny aurail plus

    ni alternative ni option, ni mme incroyance caractrise, mais un tat

    indiffrenci de non croyance qui irait de soi sans avoir se fournir de

    raisons, et en quoi se serait perdue peu peu toute disposition, je ne dis

    pas religieuse, qui tend lacte de foi en Dieu par lindividu. mais mta

    physique, qui suscite pour la conscience gnrale une ide de Dieu et

    une interrogation propos dc cette ide. Oui, mais lide de Dieu nest

    pas de celles que la conscience localise; de celles dont lviction gn

    ralise laisserait a conscience telle quelle est. Que lout le monde dansle monde entier en vienne non pas penser quil ny a point (le Dieu.

    mais ne penser rien dsormais dune question abolie en tant que telle,

    les philosophes, sil en restait alors quelques-uns comme les survivants

    bizarres dun temps et dune mentalit si parfaitement rvolus quils en

    seraient devenus incomprhensibles, sapercevraient quil ny a rien

    dans cet accord qui ressemble une libert, quil ny a pas mme l de

    pense mais un automatisme, quil ny a de libert et de pense que sil

    est possible en effet de refuser comme fausse lide de Dieu, mais aussi

    de laccepter pour vraie; et quen dfinitive, soit quon laccepte. soil

    quon la refuse, I ide de Dieu lait lun des criteres et lun des supports

    de ce que nous appelons libert de conscience, libert de pense.

    qu telle autre: cest par son insertion dans une quantit humaine

    innombrable, dans un tre en commun dont la dure se poursuit et o

    lui-mme ne dure l o il est que comme un passage de cette dure, que

    comme un instant de cet tre. La condition & lhomme dans le monde.

    son malheur, le signe du pch originel dirons-nous si nous sommes

    croyants, est quil ne peut accder ni lentire autonomie existentielle

    ou pure individualit subjective, auquel cas il ne dpendrait en son tre

    de personne dautre selon le temps et ne serait pas soumis au destin qui

    nous veut mortels ni lintersubjectivit vraie ou unit parfaite avec

    les autres, auquel cas chacun communierait en son tre ltre dc touspar une continuelle victoire sur la temporalit et la mort. Si Dieu existe,

    la vie de lhomme en Dieu se ralise de telle sorte que tous existent et

    vivent unanimement comme un seul, et que chacun reoit de la prsence

    de tous un tel surcrot personnel dexistence et de vitalit quil est lui

    seul comme tous et autant que tous ensemble. Nous avons dcouvrir

    que lindividualit pure et lintersubjectivit vraie concident dans le

    mme tat. Mais, nous, hommes dans le monde, ne pouvons que rver

    cet tat, sachant quil ne viendra pas au monde, quil ne saccomplira

    jamais pour les hommes la manire dun vnement historique et

    lesprer nanmoins, et y tendre dun homme lautre et de lune

    lautre gnration humaine en perptuelle instance de mort, sachant quelhomme total que visent ce rve, cet espoir et cette tension, si relle

    ment il doit saccomplir, cest par la mort mme envisage en chacun

    des hommes et dans lhomme en gnral comme le seul moyen de faire

    chec linsigne absurdit de la finitude.

    * * *

    Ainsi, mtant propos de reconnatre ce qui en lhomme est certai

    nement prissable et ce qui ne lest pas certainement, jai distingu entre

    le on, qui nest ds aujourdhui que nant, et le nous dont il mest

    permis de croire que sa rsurrection est possible pour une existence o

    lunit avec les autres saccorderait une plnitude de vie personnelle.

    Jen reviens par l cette part de mon tre dont jai dit quelle demeureau moment o je mprouve comme spar dautrui pour un choix quil

    mc faut faire seul: do langoisse dune drliction absolue. et per

    sistant en moi-mme pour faire ce choix dans labsolu de ma libert:

    do lintuition que je puis exister dune certaine manire sans participa

    ru na Pa e 11

  • 8/3/2019 Dieu en Question- Antoine Giacometti

    12/34

    tion personne dautre, que joccupe en un point extrme de ltre une

    place quaucune autre prsence ne remplirait. Cette part dtre en moi

    nest pas prissable el elle na pas mourir pour ressusciter. Elle est ds

    aujourdhui immortelle, et cest par elle que vivra ce qui en moi Lient au

    monde, ce qui se situe avec autrui dans une continuit de temps. ce qui

    est vou mourir selon un destin commun et que mon corps nie repr

    sente. Je ne penx massurer dc lexistence dc cette pan imprissable: sil

    y a en moi, comme en tout homme, un principe dternit, ce principe

    nest pas plus susceptible de dfinition conceptuelle que de perceptionou dimagination, car il nest en aucune manire dpendant du monde et

    nexiste que par rapport Dieu. Je lai nomm te je autonome, lindi

    vidu ltat pur, la personne dans sa stricte identit. Cest ce que les

    croyants appellent lme. Ntant ni donne lexprience sensible ni

    saisie par linvestigation psychologique ou connue par la dmarche sp

    culative, qui napprhendent que des rapports intra-mondains, lme nc

    saurait apparatre la conscience gnrale comme une ralit objective

    ment indubitable, de sorte que nous en pouvons dire ce que Pascal disait

    de Dieu nime: elle est ou bien elle nest pas. elle existe ds prsent en

    chacun des hommes ou nexistera jamais en aucun det.,Cest dire que

    lexistence de lme, comme celte de Dieu, est prouve dans lincertitude, et que cette incertitude ne tient pas non plus un fait ou une

    ventualit mais se trouve seulement dans notre esprit. Le pari sur Dieu,

    le seul pleinement significatif. crivais-je, car cest Ic seul que nous

    ayons faire en labsence de tout donn rationnel ou empirique sur quoi

    fonder une supputation de chances et une prvision objective, concerne

    lme galement, qui nexiste que si Dieu existe. Lme est affirme ou

    ni& par le mme acte qui affinne Dieu ou le ilie, mais je laffirme en nie

    posant dj dans le monde comme sujet purement individuel, alors que

    je ne nierai Dieu et lme quau plan et du point dc vue dc lhomme

    considr en gnral.

    La ngation de lindividu, ngation implicite, bien sr sinoninconsciente habite toute pense athe. Nous lavons dit prcdem

    ment et il serait inutile de revenir sur ce point (comme ventuellement

    sur tout autre point que nous aurions dj examin). si la rptition

    napportait un complment ce qui a t dit ou ne k montrait sous un

    jour nouveau, Cest bien lhomme en gnral que lon considre

    lorsquon nie lexistence de Dieu en tablant sur lvolution historique de

    la conscience humaine, do ressortirait la justification de lathisme,

    fonde sur son intelligibilit historique. Je remarquais ce propos que

    lhistorien-philosophe non croyant. plutt que dargumenter pour lintel

    ligence spculative, sapplique lanalyse du fait ou du phnomne quil

    achve par un diagnostic: alination, ddoublement, etc. Mais cette

    remarque nest juste quen partie, des Lmems de certitude thorique et

    mtaphysique sont sous-jacents une analyse o lon suppose que Ia

    non-ralit de Dieu, bien quelle ne soit pas non plus dmontre la

    faon dun thorme, est du moins suffisamment tablie par linterprta

    tion rationnelle de donnes de conscience que lon tient pour sres. La

    position athiste se fonde dabord sur Le rejet, motiv notamment par la

    Critique de la Raison pure. des preuves ou voies enseignes tradition

    nellement pour obtenir la conviction Intellectuelle de lexistence de

    Dieu. Lathisme (ou le ct athiste) kantien nest cependant pas li

    la critique de ces voies ou de ces preuves, qui sont critiquables en effet;il apparat quand le philosophe, allant au del dune critique qui se serait

    limite largument empirique ou raisonnement objectif par lequel la

    doctrine traditionnelle cherche soutenir la foi, se fait juge de a notion

    mme de Dieu en dclarant quil est une ide transcendantale de la pure

    ru na Pa e 12

  • 8/3/2019 Dieu en Question- Antoine Giacometti

    13/34

    raison, issue de son exigence dune unit synthtique de tout le divers et

    convertie par elle fictivement en la reprsentation dun tre qui existerait

    en ralit. Cest dailleurs dc ce jugement que le philosophe, qui est au

    fond un thiste et nime un pitiste, se trouvera prisonnier quand il

    essaiera en raison pratique de restituer au concept de Dieu une valeur

    dtre, cest--dire une fome dexistence propre que lanalyse de la rai

    son spculative cartait comme illusoire. Je note que le rationalisme

    athe abolit toute possibilit individuelle doption, en quelque sens

    quon envisage celle-ci: lindividu na pas opter parce quil est lui-mme ni comme tel, tant tenu par une raison universelle ou transcen

    dantale qui fait dc lui quelquun didentique rigoureusement tous et

    interchangeable avec nimporte quel autre.

    Lathisme existentialiste, par des moyens diffrents, en arrive au

    mme rsultat. Entre le rationalisme et lexistentialisme, la diffrence de

    pense porte sur cc que doit tre la vrit ontologique et aussi sur les

    moyens dont dispose lhomme pour y accder. Le problme de la

    connaissance se pose donc en premier lieu au philosophe existentialiste

    comme au rationaliste. La vrit est conue par la philosophie rationaliste

    classique comme un accord entre la connaissance et son objet, accord qui

    est ralis ds lors que lobjet idal du concept est thoriquement explicit et dfini ou se retrouve concrtement dans lexprience. Les philoso

    phies de lexistence ont renonc cene notion du rel et du vrai pour

    sattacher la recherche de lessence originelle de lhomme, existant pri

    vilgi, par qui se dvoile tout ce qui est au inonde el qui nest lui-mme

    que dans un perptuel dvoilement de soi, au long dun projet qui jamais

    naboutit car lhomme est par essence celui qui a toujours tre et a iou-

    jours de ltre dvoiler, qui devient donc sans cesse ce quil est sans

    jamais ltre intgralement. La dcouverte maitresse de lexistentialisme

    phnomnologique est le temps, ou, pour parler le langage moderne, la

    temporalit, laquelle est accorde une exceptionnelle importance dansla conqute dune connaissance ontologiquenient valable. Limportance

    donne la temporalit par le philosophe existentialiste rsulte de sa

    prise de conscience nouvelle dc la vrit dc lhomme et du monde, et lon

    pourrait dire aussi bien que cette vrit est apparue ds lors que le philo

    sophe a pris conscience de ce quest b temporalit: elle nest pas seule

    ment lexpression de ce quil y a en lhomme de fini, le signe du nant

    dont se compose aussi son existence; elle signifie que lhomme nadvient

    ltre et au monde que par ce nant qui entre dans sa composition, que

    la vrit de son essence se trouve dans cette finitude sans laquelle il

    naurait rien rvler et ne se rvlerait pas lui-mme. Le sujet humain

    nest ce quil est, comme existence el comme conscience, que parce quilest un tre originellement fmi, qui a la comprhension de soi et du inonde

    non pas malgr ou contre une finitude qui lempche de saccomplir plei

    nement, mais cause mme de cette finitude grace quoi et en quoi il se

    constitue. Cest en vain que je veux me dfinir par cet appel inventif un

    futur, ce pouvoir de projection en avant dc moi qui anticipe sur la rali

    sation de ce qui va tre. Je nanticipe sur toute situation tout nioinent

    que dans un futur dj antrieur, non pour prouver maintenant que je

    serai, mais pour reconnatre ds maintenant que jaurai t.

    * * *

    Dire de la finitude quelle est lessence originelle de lhomme, ou le

    sens de son tre, cest dire que la mort ne doit pas apparatre lhommeseulement comme le terme fatal de son existence, et quil doit dabord la

    comprendre comme cette constante possibilit qui lui reprsente

    chaque instant le nant en fonction duquel il existe. Croire lexistence

    de Dieu, tre infini, tre ternel, linfinit et lternit de qui jaurais

    ru na Pa e 13

  • 8/3/2019 Dieu en Question- Antoine Giacometti

    14/34

    part serait donc une tentative pour ne point me voir dans nia vrit, pour

    ne point assumer une insuftsance moi-mme indispensable, une voca

    tion au nant qui fait prcisment que je puis tre, Et cette condition

    nest mienne que parce quelle est celte fondamentalement de tous:

    comme jtais renvoy par le rationalisme athe une raison gnrale

    qui me soumet une vrit intellectuelle commune, je suis renvoy par

    lexistentialisme athe une manire dtre commune o rside toute ma

    prvrit existentielle.

    De mme que le rationalisme, lexistentialisme athe comporte

    ngation implicite de lindividu. Ce quon nomme ltre-l, ou le

    pour-soi, ou lexistant dsigne la dimension temporelle humaine

    en tant quelle est ncessaire globablement la manifestation du monde

    et laccueil de ce qui apparat comme actuel et comme venir, comme

    loign et comme voisin, ni un ici ni un ailleurs particularis et

    dlimit mais un champ linfmi de suscitations et de rapports, le lieu

    aux milliards dhorizons dune poursuite qui se multiplie et reprend sans

    cesse, tout ce qui exprime la rencontre de lhomme avec ltre tout,

    except un tre individuel. Et certes, aucune ide nest moins nette ou

    plus quivoque que celle de ltre individuel. Je regarde le paysageouvert devant moi, les lointaines collines, laiguille dun clocher entre

    des toits, plus prs un tang gris-bleu bord de roseaux, puis la prairie

    qui ondule au soleil jusqu mes pieds, et au-dessus de ma tte cette

    longue branche recourbe dont les petites feuilles claires miroitent. Ces

    impressions ne sont qu moi, personne na les mmes au mme moment

    et personne ne les aura jamais de la mme manire, le monde sy montre

    sous certains aspects qui nmergent que de mon regard et seraient

    demeurs dans lombre si je ne mtais trouv l prsent cette minute.

    Dans la perception que jen ai, je mc saisis naturellement et immdiate

    ment comme un moi, comme un sujet distinct, comme un individu.

    Mais au mme instant, et sans que jaie besoin dy penser, je sais que maperception nest pas celle dune ralit totale et acheve, que la vision

    qui mest donne ainsi du monde et de quelque objet que ce soit dans le

    monde est toujours partielle et relative. La branche qui se balance au-

    dessus de moi soffre mon regard sous un certain angle, dans une cer

    taine perspective qui me fournit delle une image queje tiens pour vraie:

    mais une foule dimages diffrentes et tout aussi vraies de cette mme

    branche apparatraient. en mme temps que celle que jen reois,

    autant de regards qui lobserveraient sous dautres angles et dans des

    perspectives variables linfini. Contemplant les collines au loin, le clo

    cher et les toits et toute ltendue environnante, je me croirais au point

    exact autour duquel le monde se dploie, ou plutt me croirais-je moi-mme le point de rflexion vers qui un monde lentour encore obscur

    afflue de tous cts pour sy reconnatre et refluer aussitt vers lhorizon

    extrme; mais je sais, sans avoir le formuler, quune multitude

    daspects divers du mme d&or sont impliqus dans la vision que jen

    ai. ou que celle-ci ne fait que raliser pour moi lune des multiples pos

    sibilits de spectacle qui se raliseraient aussi naturellement pour autant

    de spectateurs distribus selon dautres axes ou sur dautres plans. Et l-

    ru na Pa e 14

  • 8/3/2019 Dieu en Question- Antoine Giacometti

    15/34

    PREMIERE PARTIE

    comme prformes, comme prexistantes (on dirait quelles attendent l

    constamment quune perception les suscite), et cest aussi vrai du brin

    dherbe sous mes yeux qui brille en ce moment pour moi seul que destoiles o des milliers dc regards se recontreront cette nuit. La distinc

    tion qutablit le philosophe entre notre connaissance, qui est une intui

    lion non cratrice, et ce que doit tre la connaissance de Dieu qui cre

    originellement dans lintuition lobjet de celle-ci, explique ce dj

    l des choses et du monde aux yeux de lhomme. Lintuition humaine

    nest pas capable de se fournir elle-mme son objet, aussi ne peut-

    elle tre que rceptive, doit-elle tre affecte par quelque chose qui

    sannonce elle du dehors comme un donn quoi elle est sensible. El

    il est juste de rapporter une existence infinie lintuition originclic et la

    connaissance totale que Dieu a des choses. Si quoi que ce ft pouvait

    tre quil net pas originellement dans son intuition et nc connt pasdemble totalement, Dieu serait comme lhomme un tre fini clans un

    monde et au milieu dobjets qui le prcderaient. Il ne serait pas Dieu. Il

    ne serait pas. Cest dire quil faut rapporter la finitude de ltre humain

    le fait que lobjet nous apparat toujours comme antrieur notre intui

    ru na Pa e 15

  • 8/3/2019 Dieu en Question- Antoine Giacometti

    16/34

    tion. Cest parce que notre existence est finie, jete dans un monde

    qui est dj l et auquel elle est abandonne que notre connaissance est

    ncessairement rceptive. dii encore le philosophe2. Et cest parce

    quelle est rceptive, la diffrence de celle de Dieu qui se donne dans

    lacte crateur toute chose en soi et comme telle2, cest--dire tout

    entire adquate son intention, que notre connaissance nest capable de

    saisir ni la totalit des choses, ni le tout de Ja chose quelle considre,

    quelle ne peut procder quempiriquement et transitivement dans un

    monde de phnomnes qui soffre et la fois soppose elles de toutesparts et en chaque objet.

    La distinction entre la connaissance divine et lhumaine distinc

    tion qui nintervient que pour rendre compte de celle-ci, car ce philo

    sophe ne croit nullement en Dieu montre que notre manire de

    connatre appartient une existence voue finir. Mais la question que

    je tiens pour la plus importante ne sen trouve pas claircie: la finitude

    de lhomme est-elle lorigine et au fondement de son existence? en

    est-elle llment constitutif essentiel, la condition ontologique nces

    saire et exclusive pour que ltre humain se ralise et dabord pour quil

    soit possible. dc sorte que nous devons renoncer croire et esprer que

    nous puissions tre autrement que selon une existence finie? Je nai pas

    besoin dexplication pour savoir que je ne suis pas Dieu, que je ne cre

    pas ce qui soffre ma perception, que le monde tait l avant que je

    fusse et que ma vie prendra fin. Une question demeure, qui est de savoir

    si la finitude est certainement ncessaire tout autre existence que celle

    qui appartiendrait Dieu ce qui revient faire de lexistence suppo

    se de Dieu un terme idal dopposition qui permette au philosophe de

    mieux comprendre le sens de notre tre ou bien si cette finitude

    nest ncessairement inhrente qu une condition humaine laisse

    elle-mme et au monde seul: dc sorte que. par laffirmation possible du

    Dieu vivant et dun rapport concret de moi lui, il nie soit permis depenser que le sens de mon tre est dans sa vocation une infinit de vie

    au del du monde, ou, plus exactement, dans le monde ramen Dieu et

    renouvel en lui selon une manire de durer qui ne comporte plus de fm

    pour moi ni aucun de nous.

    * * *

    Nous ne pouvons pas ne point constater que notre existence dans le

    monde est finie, et que ce caractre fini se marque dans la rceptivit de

    notre intuition et la forme empirique de notre connaissance. La finitude

    tant comprise comme le fondement ou le sens de ltre humain, il reste

    se demander sur quoi se fonde la finitude elle-mme ou quel en est le

    sens, et ainsi comprendre pourquoi et comment notre intuition, appartenant une existence finie, ne peut tre que rceptive, et notre connais

    sance quempirique. La rponse cette demande, je la trouverai, une fois

    de plus, dans la rfrence que je fais Dieu, non pas Dieu suppos par

    le penseur et pris comme terme de comparaison avec lhomme pour une

    intelligence plus prcise du mode dtre et de connatre de celui-ci; non

    pas Dieu pos et dfini par nous et en contraste avec nous comme

    intuition cratrice ou existence infinie: mais au Dieu vivant tel que lui-

    mme affirme quil est, et tel quil me faut, si je veux accder lui,

    laffirmer dans un acte qui imite le sien dabord par labsence de dfini

    tion et de qualification. Jobservais plus haut que Dieu, parlant de soi, ne

    dit point quil est la premire cause, ou ltre ncessaire, ou luniqueprincipe, qui sont des concepts humains. Remarquons prsent que Dieu

    ne dit pas non plus que son intuition est cratrice ou quil possde la

    connaissance originelle de toutes choses. Dieu ne sexplique pas sur ce

    quil est. Il ne snonce pas par opposition ce que nous sommes. II

    ru na Pa e 16

  • 8/3/2019 Dieu en Question- Antoine Giacometti

    17/34

    annonce dans une affirmation absolue, et nous avons vu quune telle

    affirmation, dont nous penserions quelle voque ce que Pascal appelle

    linfini chaos qui nous spare. a pour effet dabolir si nous la repre

    nons personnellement. cette sparation et ce chaos. Iaflirniation: Dieu

    est, parce que toute de volont individuelle, tant une initiative qui

    emporte le passage de notre tre propre labsolu, cest--dire au

    contact du Dieu qui nous nous configurons en laffirmant. La parole

    par quoi Dieu se rvle ne dcrit ni ne dfinit pour nous ce quest Dieu.elle nous communique tout ce que nous avons connatre de son nom

    entendu comme adquat ltre mme: nous comprenons que cette

    parole signifie et dnonce llndividllalit pure. la Personnalit intgrale.

    le Je sans altrit Subjective interfrente ni limitation objective

    aucune, Aussi le Je suis divin nest-il prcd daucun donc. ne

    dcoule-t-il pas dune pralable exprience de peiise qui assurerait Dieu

    de son tre. Si lexprience de sa propre pense rflexive tait ncessaire

    Dieu pour lui faire reconnatre quil est. il se nierait comme Je suf

    fisant soi et par consquent comme Dieu: car celui don; la certitude

    dtre se dduit du fait de penser est ncessairement un tre particip et

    contingent. incapable de se connatre indpendamment de quelque chosedautre que lui-mme qui est donn sa rflexion et quil a en commu

    nion avec autrui. Cest la condition dc lexistence humaine dans le

    monde, Etant lEgo absolu. Dieu nexiste fondamentalement pas tIans

    le monde et il ne coexiste fondamentalement avec personne. Cest pour

    quoi tout ce qui existe est fond en lui, Cest pourquoi aussi son exis

    tence a linfinit.

    Nous comprenons du mme coup pourquoi lexistence humaine est

    une existence finie: cest que lexistant humain nest pas purement un

    individu et un je. Il est, nous lavons dit (mais ne craignons pas de le

    rpter si la rptition apporte quelque chose dc plus). un moi inter-

    subjectif ou un nous qui se constitue comme je pour accder lexistence et ny accde au moyen de cette constitution quen se locali

    sant et en se temporalisant, cest--dire en sordonnant une limitation

    et une finitude au sein dun monde donn. Quest-ce que le moi inter-

    subjectif ou le nous? Dans laffirmation du Dieu vivant et dans la

    foi, il ressortit une activit ascendante et amplificatrice, il apparat au

    croyant comme lunit humaine retrouver intgralement en Dieu par le

    rejointement et remembrement du corps mystique auquel lexistant par

    ticulier, loin de sy perdre dans une passivit dissolvante. coopre pour

    grandir ternellement dans son tre propre. Du point de vue du inonde et

    dc lhomme dans le monde, le nous est prouv comme un mouve

    ment descendant et restrictif, il ne vient lexistence quen se particula

    risant tout moment et partout en chacun des existants qui reoivent de

    lui leur tre propre et leur moi individuel. Je ne cherche pas ici dis

    tinguer, suivant les philosophies rationalistes, entre lessence et lexis

    tence, ni contester lassertion des philosophies existentielles qui veut

    que lexistence prcde lessence. El est vrai quil faut que lhomme

    commence par exister pour quil puisse tre question dune essence de

    lhomme, quil ny aurait pas dessence humaine supposable sil ny

    avait pas dexistants humains qui la fassent supposer. Mais il est vrai

    galement quun homme dans le monde, de mme quil vient un

    monde dj l. surgit dune humanit dj prsente. Je nentends pasdsigner ainsi les hommes existant avec lui actuellement ni ceux des

    gnrations passes. qui sont ou qui taient comme lui des existants indi

    viduels, venus au monde chacun en un lieu et pour un temps. Plutt que

    dune humanit dj prsente, il faut parler dune prsence humaine

    ru na Pa e 17

  • 8/3/2019 Dieu en Question- Antoine Giacometti

    18/34

  • 8/3/2019 Dieu en Question- Antoine Giacometti

    19/34

    encore plus vident pour lespce ou le genre, dont la notion transpose

    dans le domaine biologique et exprimental lide dessence ou dc

    nature. Lessence ne prcde pas lexistence et nen est pas prcde,

    mais se confond avec elle indissolublement, comme lespce se confond

    avec les individus qui en font partie. Si donc il y a dans le monde une

    prsence humaine qui le recouvre et qui est antrieure toujours lexis

    ..

    loeuvre, comme chaos antrieurement au cosmos et comme possibilitde cosmos qui se ralise avec et par lavnement de la conscience

    humaine? Mais un chaos est aussi quelque chose de rvl la

    conscience humaine quand clic advient en effet: et quil se rvle alors

    pour elle comme quelque chose qui nest pas susceptible de dfinition

    ou de description, nayant ni contour ni sens ni aucune structure interne

    ou externe, cela montre seulement la contradiction quil y a pour nous

    poser quoi que ce soit qui existerait ou aurait exist sans cette

    conscience qui est ntre: le chaos nest rien, ou il nest quelque chose et

    ne se justifie pour nous que si Dieu est, comme passage dc ce rien au

    monde dans labsolue gratuit dune pense cratrice.

    Nous voyons que le monde, tel quil se manifeste pour lhomme, semanifeste comme lei bien que lhomme ne Soit pas encore, quil est et

    apparat ainsi, sous cette forme et avec cette structure, bien avant

    quapparaisse dans le monde lexistant humain. Jvite, pour le moment,

    dexprimer cela au pass, de placer cet avant et ce pas encore en

    un temps qui scoulerait de son propre flux alors que lhomme, sans qui

    il ny a de dure sensible ni mesurable, nexiste pas: ces termes consta

    tent dune part le rapport ncessaire du monde une conscience qui est

    celle de lhomme, dautre part lantriorit certaine du monde cette

    conscience. Sil y a l une contradiction, il faut bien quelle se rsolve

    en quelque manire, car lexistence du monde antrieurement lhomme

    nest pas moins sre et moins vidente que ne lest le rapport du monde la conscience humaine. Avant que lhomme soit, le monde existe, et

    non pas comme simplement virtuel, non pas comme chaos: il existe dans

    toute sa ralit perceptible et intelligible, physique et mathmatique.

    comme ide et comme fait, dans sa profusion, dans son ordre, avec sa

    configuration et son poids. Je ne dbats pas ici le point de savoir si le

    monde a une consistance vraie ou une forme illusoire, si Cest Ufl monde

    rel ou bien, comme on dit, un rve bien li. Lillusion, si le monde

    en est une, a tout juste autant de force persuasive quen aurait un monde

    qui existerait positivement, et je ne vois gure de diffrence pratique

    entre un rve bien li et une ralit cohrente. Ce qui importe nest pas

    quon puisse mettre en doute ltre rel du monde, cest quon ne peutpas ne point reconnatre que le monde, tel quil nous apparat, est ins

    parable de a conscience humaine qui lappelle se manifester par le

    mme acte o elle se constitue en lui. Mais alors, je le rpte. quen est-

    il du monde tant que b conscience humaine ny est pas prsente, cest-

    -dire en lui prsente elle-mme tant que lhomme nest pas venu?

    On dit volontiers quil ny a pas plus de pense vide que de perception

    sans objet, que b conscience nest pas si elle nest conscience de

    quelque chose, quelle nexiste comme conscience quen tant au monde

    peru et pens par elle. Mais comment y aurait-il quelque chose de seni

    blable ce que nous percevons et pensons qui ne soil pas peru etpens? Comment le monde peut-il prcder sa manifestation par lexis

    tant humain prsent et conscient, peut-il prexister Ioule intuition rv

    lante ou suscitatrice? Etre l, des milliards dannes avant lillumina

    tion dun regard? L dj sous celte apparence el ntre cependant pour

    ru na Pa e 19

  • 8/3/2019 Dieu en Question- Antoine Giacometti

    20/34

    personne? 11 faut supposer une modalit de ltre o ni le monde nest

    effectivement donn ni lhomme radicalement absent; admettre une

    existence occulte du monde coextensive une prsence humaine non

    explicite; concevoir, pralablement ltre l par qui a lieu le dvoi

    lement du monde et son actualisation selon une existence el une

    conscience advenues et prsentes, un tre-en de par qui ce dvoile

    ment se,-ait sans cesse possible ci en qui il saccomplirait avec un

    immense recul, dans une rtrospective illimite de la conscience en de

    de lexistence, indfiniment en de ou en arrire de lavnement delhomme au monde et de la prise de conscience du monde par lhomme

    au fur et mesure de son avnement

    La question dc savoir si Ic monde possde une ralit intrinsque.

    une existence positive hors de la conscience ou sans elle; sil constitue

    originairement un fait, un tat de choses indpendant de sa saisie ult

    rieure par les sens et par la pense; sil y a un dj l objectif du

    monde non seulement pour le sujet particulier, comme chacun lprouve,

    mais pour lexistence subjective considre en gnral cette question

    semble navoir pas de valeur significative, pas de porte intelligible. Et

    elle nen a pas en effet pour les philosophes idalistes, qui contestentquil y ait un monde objectif extrieur au sujet et intgrent tout le rel

    lesprit qui lui donne ses formes propres. Mais le ralisme instinctive

    ment ou dlibrment dualiste, celui du sens commun comme celui du

    savant, qui croit lun spontanment, lautre par ncessit scientifique

    lexistence dun monde matriel extra-mental, croit aussi quil y a com

    munication entre la conscience et le monde, accord de lesprit avec la

    matire: ce qui est faire de lobjet matriel lorigine des modifications

    de la conscience, mais aussi attribuer lobjet quelque essence spiri

    tuelle implicite qui permet la conscience davoir elle-mme prise sur

    lui, ce qui est admettre que nous recevons dune ralit extrieure nous

    les impressions sensorielles qui composent notre univers, mais aussiquil faut que nous soyons l pour les recevoir et pour que cet univers se

    compose prcisment sous laspect o nous le percevrons. Il semble

    dabord que les philosophies de lexistence et la phnomnologie aient

    peu prs mis au point, sinon tout fait clairci, cette question du rapport

    entre lhomme et le monde. Le ralisme que les thoriciens idalistes

    qualifiaient de naf na crdit que pour le sens commun. Les philo

    sophes nadmettent plus gure que le monde existe intrinsquement te!

    quil apparat la conscience, celle-ci se comportant alors comme le

    rflecteur purement passif dune ralit toute faite et qui persisterait

    extrinsquement. Lidalisme subjectif, qui pari de la mme opinion

    pour la rejeter et conclure de purs tats de conscience, est plus difficile surmonter. On ny parvient que dans lentre-deux, si je puis dire, qui

    nest pas une combinaison intellectuelle des deux thses raliste et ida

    liste, qui est cette intuition et cette exprience concrte que le monde et

    lhomme surgissent ensemble lun par lautre, quils sont, quils existent

    dans lacte par lequel un monde est suscit pour lhomme et non pas

    dispos objectivement autour et hors de lui tandis que lhomme est

    constitu en tant qulornme dans Ic inonde et non pas install dans

    un monde qui lui serait objectivement extrieur. Evoquer lhomme dans

    le monde, cest comprendre que ni le monde nest amen la lumire

    sans la conscience humaine qui le dvoile, ni la conscience rvle elle-mme sans le inonde qui la pourvoit. Ainsi parait se rsoudre

    lopposition classique entre la pense et la chose, entre un sujet et un

    objet dont on se demande comment, tant de nature diffrente et mme

    antinomique, ils entrent lun avec lautre en contact: demande toute

    ru na Pa e 20

  • 8/3/2019 Dieu en Question- Antoine Giacometti

    21/34

    rationnelle, quoi le ralisme ne peut rpondre et que lidalisme esca

    mote en niant la ralit de lobjet, en ramenant le monde un flux men

    tal, une suite de corrlats subjectifs, un systme dc reprsentations

    concordantes.

    La russite de ce quon nomme lexistentialisme, comme de ce

    quon appelle la phnomnologie, serait, si je ne mabuse, de restituer

    un monde de phnomnes, dont on peut penser quil nest quapparence,

    une ralit que lidalisme lui dnie, sans pourtant tomber dans lerreur

    propre au ralisme du sens commun qui suppose un monde objectif subsistant sous cette mme forme indpendamment de toute subjectivit. Le

    monde nest pas ce tout existant en soi, suivant lcNpression kan

    tienne. qui se prsenterait nous tous sous le mme aspect dj ralis.

    Mais il nest pas non plus cette trame de fictions, droules en chacun de

    nous et dont on ne sail quelle loi de correspondance ou harmonie pr

    tablie assurerait la connexion entre nous tous. Je puis douter quil y ait

    quelque chose de rel hors de moi; je ne puis douter que je sois, puisque

    je pense. Mais peine me suis-je ainsi convaincu que je suis, Ic doute

    que jprouvais quant la ralit des choses svanouit galement, je

    reconnais que la certitude dexister moi-mme ne fait quune avec celle

    de lexistence du monde. Ce qui mest donn comme certain, avec niapense et mon tre, cest dabord la non-autonomie essentielle de cette

    pense qui est mienne, cest lexistence non foncirement particulire de

    cet tre que je suis. Ma pense, cest en moi que je lprouve et cest

    mon existence que jprouve immdiatement par elle, mais une rflexion

    plus attentive me montre que ce nest pas de moi exclusivement que nat

    ma pense. je nen suis pas lorigine unique, la source absolue. Je pense

    et je ne pense pas seul, cc qui veut dire non pas que dautres pensent de

    leur ct et que ma pense communique avec la leur, que les penses

    individuelles correspondent pour constituer un ensemble et raliser des

    changes, mais que toute pense se forme dune commune nergie men

    tale dont elle est, dirai-je, lun des noeuds de vibration innombrables.

    Ainsi les myriades de lampes que je vois maintenant, de ma fentre,

    briller dans la nuit sur la ville... Mais non, je ne suis pas dupe dune

    fausse analogie. Ces milliers de lumires peuvent sajouter et cumuler

    pour produire une luminosit plus intense, elles ne correspondent pas

    entre elles, elles nont rien se communiquer lune lautre puisquelles

    sont objets et que lobjet est quelques chose de radicalement inapte une

    participation, un change, quelque chose qui na de ralit quexterne.

    Chacune des lampes produit sa lumire l o elle est, el rien que l,

    sparment, ponctuellement, sans recevoir rien des autres et rien donner

    aucune. Cest par autrui que je prends aussi conscience dexister. Cesten moi que je prends dabord conscience de lexistence dautrui. Mtant

    assur que je suis par la conscience que jai de penser. je vois que ma

    pense souvre sans cesse un apport en mme temps quelle vise se

    transmettre, que ma conscience est appel et rponse, le lieu dun

    &hange, cet change mme quelle respire, dont elle vit. Personne ne

    forme isolment sa propre pense individuelle: personne. donc, ne vit

    part sa seule existence. Je songe au mot de Pascal sur lle dserte et

    effroyable o se tient lhomnc abandonn lui-mme dans ce recoin

    de lunivers: mais Pascal parle de lhumanit en gnral, de la condi

    tion indiffrencie de ltre humain. Pour lexistant particulier, il ny a

    pas dauthentique le dserte, de solitude qui se suffise. Il ny a pas enmoi de part si retire que je ne my retrouve ml aux autres. Lpreuve

    que je fais, tous moments, dun mode dexpression collectif hors

    duquel je naurais pas le moyen de reconnatre que je pense et que je

    suis, est lpreuve aussi dune prsence humaine qui me prcde et

    ru na Pa e 21

  • 8/3/2019 Dieu en Question- Antoine Giacometti

    22/34

    laquelle je puise constamment. La conscience que chacun prend de soi

    au moyen de la pense et du langage est aussi conscience des hommes

    parmi lesquels il se situe el entre qui le mme tre circule.

    Avec lexistence dautrui, celle du monde est prouve comme cer

    taine dans lacte mme o un homme, qui na pas besoin pour cela dtre

    spcialiste (il lui suffit de rfl&hir un peu), constate quil pense, et donc

    quil est, ou quil ne pense que parce quil est: certitude obtenue

    constamment par une dmarche trs simple, ds lors quon renonce

    ratiociner pour suivre limmdiate exprience essentielle. Je pense, maisma pense nest pas un pur mouvement interne, elle est pense de

    quelque chose quelle vise et qui se distingue delle, pense dun tat de

    choses qui soffre elle comme dj l. Je suis, mais je ne suis pas

    enclos dans on ne sait quelle subjectivit insoutenable. Je suis au monde

    un monde sans qui la conscience resterait absente elle-mme, per

    due dans sa propre transparence, et qui sans la conscience ne sortirait pas

    .

    encore intrieures la transcendance, toutes lies ltre en soi. La

    fonction, la mission assigne par Dieu Adam est damener le monde

    lexistence phnomnale, de le faire natre lapparence ou ralitexterne, surgir cette immanence et sous cet aspect qui exigent linter

    venhion de lhomme. En se rvlant la conscicncc adamiquc, le monde

    cr sort de lintuition transcendante tandis que lui. Adam, vient au

    monde manifestement dans lintelligence quil a de ce qui saccomplit

    par son intervention et qui fait de lui lauxiliaire du Crateur. Nous com

    prenons sans peine quil ny a point dobjets en face de Dieu, quil ne

    peut y avoir pour lintuition divine un monde objectif quelle peroive

    comme lui tant oppos. Ces ce qua toujours voulu dire la mtaphy

    sique thiste traditionnelle en affirmant que la ralit objective intra

    mondaine ne coexiste pas fondamentalement avec Dieu cl ne lui est pas

    juxtaposable ou ne fait pas addition avec lui. II ny a dobjets que pourune intuition qui les choses se prsentent de lextrieur comme dj

    constitues dans leur tre et y persistant en dehors delle. Or, Dieu veut

    quil y ait un monde dobjets (cest ce que nous constatons du fait que le

    monde existe) et il cre lhomme pour que celui-ci rponde dabord

    cette premire volont, il le cre sa ressemblance pour que soit consti

    tue par la conscience humaine lobjectivit du monde, Et il cre la

    fois le monde pour que lhomme, lui aussi li ltre en soi, intrieur

    la transcendance, se rende immanent lui-mme et se reconnaisse, au

    sein dun non moi objectif quil rvle et qui le cerne; comme sub

    jectivit autonome.

    Gardons-nous de croire cependant quil y ait dans le rapport deDieu la cration un avant el un aprs selon nos rapports, une

    dure antrieure la cration et une dure postrieure elle, ou encore,

    dans la cration mme, une dure qui aurait prcd lhomme et une

    dure partir de lhomme et avec lhomme. La pense. ou le verbe, ou

    le geste qui cre nc ressortit pas notre chronologie. En tant que gense,

    la cration est intemporelle, et cest seulement en ce sells que nous

    disons aussi quelle continue, entendant par l que la puissance gnra

    trice ne cesse pas denvelopper actuellement tout son effet, de sorte quil

    ny a pour elle ni pass ni avenir, que rien ne saurait tre son gard

    comme ntant plus ou comme ntant pas encore, que tout lui est donn

    comme prsent au mme plan dexistence. Ce que jessaie dexprimer endisant que, jusqu lavnement de lhomme, le monde est encore dans

    lintuition divine, et quil sen dgage ds lors que lhomme advient,

    cest en dehors de tout rapport de temps lide que la cration nest

    paracheve et parfaite quen passant du mystre dc lintuition cratrice

    ru na Pa e 22

  • 8/3/2019 Dieu en Question- Antoine Giacometti

    23/34

    lvidence de ce qui est reu comme cr. quand le monde s&laire pour

    une conscience que Dieu met en lui afin que toutes choses montrent ce

    quelles sont et tmoignent concrtement de leur vrit. Cette conscience

    nest pas une conscience cosmique, lesprit du monde, si par l on veut

    dire quil y a une conscience ou possibilit de conscience dans la

    matire, une virtualit subjective inhrente lnergie physique univer

    selle. Lunivers ne se connat point, il se rvle en devenant un monde,

    chaque instant depuis un commencement immmorial jusqu une finimprvisible: et de ce commencement, de cette fin, nous pouvons croire

    que celui-l a lout concid, que celle-ci concidera toute ( moins que

    nexistent dans le cosmos dautres tres pensants et parlants) avec le

    commencement et la fin de lhomme. Car toute lnergie dc lunivers est

    incapable de susciter elle seule quelque figure que ce soit dans

    un espace ou quelque conduite que ce soit dans une dure. Il faut pour

    cela quune conscience la ntre opre, et dabord directement par

    un acte perceptif spontan dont nous disons justement quil nest pas

    rception passive de ralits dj construites. Que le rel, le fin fond du

    rel, radiations et matire, consiste en corpuscules dont la quantit de

    mouvement et de force est lie des trains dondes propages linfiniou stabilises suivant certains tats dquilibre cette structure, nulle

    structure simplement physique ne donnera jamais delle-mme ce cou

    cher dc soleil attendu dans le haut ramage de la mer, cette rose inopine

    dans la fracheur bleue dune alle laube. Il faut quelquun qui regarde

    et coute, et parle. qui dit je et nous, et connat quil existe comme

    je avec des milliards dautres je pareils lui et prsents comme lui

    transitivement un nous perptuellement prsent: avec des milliards

    dautres je qui ont pass avant lui ou viendront aprs que lui-mme

    aura pass, et de qui lexistence a un terme au sein dun nous qui ne

    cesse pas.

    * 4 4Quest-cc donc que lacte perceptif? Devons-nous y voir la mise en

    oeuvre dun donn fondamental avec quoi la conscience entrerait en

    socit et dont nous ne connatrons jamais la nature intime? Le recours

    au noumne, une ralit inconnaissable, une chose en soi trans

    cendante lintuition et lintelligence, quil faut supposer derrire les

    phnomnes comme leur support ontologique, constitue une tentative

    assez illusoire pour chapper lidalisme: nous ne sommes pas au

    contact dune ralit objective toute faite qui se rflchirait dans la

    conscience comme en un miroir, mais nous navons pa.s faire non plus

    une fiction, un pur contenu de conscience; nous avons faire quelque chose de rel qui est par nawre impossible connatre, car cene

    chose, cc rel, au contact de la conscience, se rfracte comme dans un

    prisme en phnomnes drivs au del desquels il nest mme pas

    concevable que nous allions jamais. puisque lexprience, si profond

    ment quelle puisse aller. nc nous livre jamais que des phnomnes.

    Mais lide dun en-soi ontologique ne rsiste pas lexamen, nous

    disons du noumne ce que nous disons du chaos, quil nest rien, ou

    nest quelque chose que comme passage de ce rien au monde dans la

    gratuit dune pense cratrice: il ny a den-soi que sil y a un Dieu, et

    cest le monde en tant quil se cre, en tant quil vient ltre non cx

    nihilo, dun nant en quelque sorte extrieur et prexistant, mais (lunepense hors de laquelle et avant laquelle il ny a pas plus de nant quil

    ny a dtre; quant au monde tel quil soffre la perception et lintel

    ligence humaine, je peux et je dois admettre que son exploration par

    lhomme ne sera jamais acheve, quil y aura toujours et tout moment

    ru na Pa e 23

  • 8/3/2019 Dieu en Question- Antoine Giacometti

    24/34

    pour lhomme des possibilits de perspective sur le inonde non encore

    effectivement accomplies, des ralits dans le domaine empirique et des

    vrits de lordre thorique dont lexprience restera faire ou qui reste

    ront trouver; et cest, justenient, cc qui les diffrencie du noumne

    ou en-soi incommunicable, Ces possibilits, nulle interdiction de prin

    cipe ne soppose leur accomplissement; ces ralits, ces vrits, aucun

    empchement constitutionnel ne rend vaine ds lorigine une recherche

    qui tendrait les connatre: aussi considrons-nous quelles existent,

    quelles sont, avant que lhomme les connaisse effectivement eL mmesil devait ne jamais connatre de certaines quelles elles sont, en quoi

    elles consistent ou ce quelles signifient. Tout cc qui est, quelque titre

    que ce soit, tout ce qui a quelque ralit que ce soit, est connu ou peut

    tre connu. Cela veut dire dabord que ce qui est susceptible de connais

    sance a ncessairement ltre ou la possibilit dtre. Comment ce qui

    nest pas pourrait-il tre connu? 2 demande le philosophe antique. Mais

    renversons les termes de la question: comment ce qui ne peut tre connu

    pourrait-il tre? Dire dune chose que la connaissance en est foncire

    ment impossible, que sa nature est dtre inconnaissable, revient la nier

    alors quon laffirme, dire quelle est tout en ntant pas, ou que son

    essence est de ne pas tre: ce nest une ralit aucun titre, ni physiqueni idale, ni concrte ni abstraite, ni actuelle ni potentielle, ce nest abso

    lumen rien, en le supposant derrire tout ce qui apparat, en le d&larant

    ncessaire pour fonder et relier entre eux les phnomnes ou donner un

    objet la conscience. Pour se rvler elle-mme, la conscience na

    besoin dautre objet que le monde tel quil lui est rvl, sans quil faille

    supposer par dessous on ne sait quel principe de sustentation ou de liai.

    son si indtermin et amorphe quon nen peut rien savoir. Quant aux

    phnomnes, que ce soient ceux qui tombent sous le sens commun ou

    ceux qui relvent de lobservation scientifique. leur support ncessaire et

    suffisant est le monde qui les contient tous et qui dborde chaque instant et linfini toute exprience particulire.

    Lexpdient intellectuel o en vient parfois le philosophe incite le

    chercheur scientifique penser quil est seul capable darriver une

    vrit sur le monde aussi proche que possible de ce que le philosophe

    nomme len-soi. Le concept du noumne, ralit qui chappe

    notre prise, rsulte non pas de ce quil y aurait dans la ralit un lment

    irrductible lesprit, mais de ce que la ralit objective, pour tre

    prouve et connue, passe par les formes que lesprit lui impose, de sorte

    que lexprience quen fait lesprit ne sexerce que sur des apparences

    fournies par lui-mme, el que la connaissance quil en a se confond avec

    celle de sa propre activit subjective. Tout objet. el le monde des objetstout enlier, est peru par nous au moyen et travers de si intimes modi

    fications que le fondement nous en reste jamais mystrieux3, telle

    est la conclusion laquelle nous sommes forcs daboutir tant que nous

    ne voyons pas ce quil en est au juste de la relation entre lobjet et la

    conscience: parce que rien en lui nest subjectif, lobjet na de ralit

    quexterne, il nexiste que pour tre manifest et sil peut ltre en

    quelque manire. Il ny a donc pas de sens supposer que quelque chose

    serait en lui sans aucune manifestation possible; et il ny a pas de sens

    non plus penser que la conscience, qui nest ce quelle elle quen tant

    conscience de quelque chose dautre quelle-mme et qui se manifeste

    par elle, namnerait se manifester quune apparence inluctablementdiffrente de ce que lobjet est rellement.

    Lhomme qui croit en Dieu croit ncessairement que Dieu sest

    rvl aux hommes. On dit que la rvlation est dc foi, cc qui vise lout

    ru na Pa e 24

  • 8/3/2019 Dieu en Question- Antoine Giacometti

    25/34

    ensemble la ralit dun vnement survenu un inonient de lhistoire

    humaine, et un contenu spirituel qui nest daucun temps diermin

    parce quil emplit et enveloppe tous les temps. Je ne me place pas du

    point de vue de la foi, dont lacte, disais-je avec Pascal, est un pari. Je

    naffirme pas dune manire certaine la ralit historique de lvne

    mciii. Je ne suis pas sr quune parole effectivement prononce soit la

    source de ce contenu spirituel. Au plan des notions o je me tiens, sans

    prendre ni lun ni lautre parti, sans prjuger de lexistence ou de la non

    existence de Dieu, je commence par reconnatre que le concept de Dieuimplique, de toute ncessit, lide de rvlation, que lide de rvlation

    est constitutive dune exacte notion de Dieu. Ici se manifestent simulta

    nment linsuffisance et la valeur de la preuve dite ontologique. Conce

    vant ltre parfait, ou Dieu, je suis tenu dc lui attribuer lexistence,

    condition premire de la perfection de ltre, et de ce que lide dexis

    tence est insparable de lide de Dieu je ne puis dduire, tout slabo

    rant dans mon esprit, que Dieu existe en ralit mais je dois conclure

    quun concept qui ne pose pas ltre parfait ou Dieu comme existant est

    incorrectement labor et fondamentalement faux. Cest ce qui apparat

    chez les anciens Grecs, qui, faute davoir li lide dexistence celle de

    Dieu conu comme lUn ou comme lEire parfaiteiucnt vrai, en tirentdes dductions tellement quivoques et douteuses quelles annihilent ce

    quil y a de juste dans la conception initiale. Le philosophe qui voit dans

    les choses du monde les reflets dune ralit vritable laquelle on

    accde par lintuition des Ides, qui considre les Ides comme partici

    pant lintelligibilit de lUn, et par qui lUn est pressenti OU

    retrouv dans une intuition dernire au terme dune dialectique ascen

    dante ce philosophe en arrive dire que lUn na pas ltre, que

    lUn nest pas. Et quant au Dieu aristotlicien qui se prsente au haut

    dont le comportement est dtemiin. sans ouverture possible, par les lois

    dc lespce. el qui na pas dexistence originale, qui nest, qui nexisteque selon et par lespce laquelle il appartient. La notion de personne

    ne sapplique qu lhomme et dsigne la possibilit ouverte lindividu

    dun dpassement de lespce qui llve la condition dexistant parti

    culier. Ajoutons, ce qui est vident, que lexistence particulire dsigne

    elle-mme la facult qua lindividu humain de se connatre comme

    moi el comme je. Mais voici une remarque nouvelle: une inter

    version de valeur se produit alors entre les deux notions. Une fois la per

    sonne pose et comprise comme impliquant une suprmrii par rapport

    lindividu, nous voyons lindividu se hausser, pour ainsi dire, au-dessus

    de la personne. Il faut oser tre un individu3, dclare lexgte

    dAbraham. Dire quil faut oser tre une personne ne signifierait rien.Lexistant humain est naturellement une personne, mais il nest un indi

    vidu que sil le veut, entendons par l quil lui faut sortir, grand effort,

    des lieux communs de lexistence collective et objective o il est perdu

    et se retrouver lui-mme dans loriginalit de son tre propre, de sa pure

    subjectivit individuelle. Sil en est capable, il ne passe videmment pas

    dun tat donn un tat diffrent, cest au contrai re ce qui existe de per

    sonnel en lui qui saffirme avec rigueur La notion dindividu confre

    celle de personne lout son sens.

    En disant de Dieu quil faut, pour avoir de lui une ide juste, poser

    dabord un Ego et un Je, nous navanons rien que ne puisse

    admettre le thologien aussi bien que le philosophe. Jai rappel lopinion du docteur de lEglise sur linanit dc toute dfinition ou qualifica

    tion humaine de Dieu. Mais je ne le dfinis et ne le qualifie pas en le

    nommant un Je et un Ego pas plus que je ne me dfinis ou ne me

    qualifie moi-mme en massurant que je suis par la conscience que jen

    ru na Pa e 25

  • 8/3/2019 Dieu en Question- Antoine Giacometti

    26/34

    ai. Je dis seulement que la conscience dtre, qui est lie lexistence de

    lhomme. ne lest pas moins lexistence de Dieu, et je nmets, ce

    disant, aucune proposition anthropomorphique, je constate sans plus

    cette vrit que la seule existence certaine, et la seule digne du nom

    dexistence, est celle qui sprouve