Correction:IngridPelletierMiseenpages:PascaleDarrigrand
Titreoriginal:TheTestingPublishedbyspecialarrangementwithHoughton
MifflinHarcourtPublishingCompany(Boston,USA).Allrightsreserved.
Copyright©2013byJoelleCharbonneauTranslationcopyright©2014,byéditionsMilan
Pourl’éditionfrançaise:©2014,ÉditionsMilan
300,rueLéon-Joulin,31101ToulouseCedex9,FranceLoi49-956du16juillet1949
surlespublicationsdestinéesàlajeunesse
www.editionsmilan.com
©2014,ÉditionsMilan,pourlaversionnumérique
ISBN:978-2-7459-7372-6
PourStaciaDecker,pourtantderaisons.
CHAPITRE1
Jourderemisedesdiplômes.Jemetrémoussependantquemamèrem’ajustematunique.Apparemmentsatisfaite,ellemeglisse
unemèchedecheveuxderrière l’oreille, puisme tournevers le réflecteurdenotre airede séjour.Rouge.Jeportemaintenantdurouge.Finilerose.Jesuisuneadulte.Enavoirlapreuvesouslesyeuxmenouel’estomac.–Tuesprête,Cia?medemandemamère.Elle aussi est vêtue de rouge. Sa robe arachnéenne ondoie élégamment jusqu’au sol. En
comparaison,marobesansmanchesetmesbottesdecuirparaissentunpeuenfantinesmaisçanemegênepastrop.J’aitoutletempsdem’appropriermonnouveaustatutd’adulte.Jesuisencorejeune.À16ans,jesuisd’ailleurslaplusjeunedemaclasse.Je jetteunderniercoupd’œilauréflecteurensouhaitantde toutesmesforcesqu’aujourd’huine
soitpasledernierjourdemascolarité.Maisçanedépendpasdemoi.J’aibeaucouptravaillé,j’aifaitdemonmieux,jenepeuxqu’espérerêtrechoisie.Unebouled’angoissedanslagorge,jeparviensàarticuler:–Allons-y.Lacérémoniesedérouledansleparc,aumilieudesstandsdepâtisseriesetdelaitfrais.Lacolonie
augrandcompletseraprésente.C’estlogiquecartouslescolonsontunliendeparentéavecaumoinsundesétudiants.Noussommesquatorzeàpasserdel’enfanceàl’âgeadulte,huitgarçons,sixfilles,plusnombreuxquetouteslesannéesprécédentes.C’est lesignequenotrecolonieestdynamiqueetflorissante.Mon père et mes quatre frères, vêtus de l’habit de cérémonie violet, nous attendent devant la
maison.Monfrèreaîné,Zeen,m’ébouriffelescheveuxensouriant.–Alorsgamine,prêteàdireadieuàl’écoleetàrejoindrelesratéscommenousdanslavraievie?Mamèrefroncelessourcils.Jeris.Zeen etmes autres frères sont loin d’être des ratés. D’ailleurs les filles ne s’y trompent pas et
passentleurtempsàsejeteràleurtête.Maiss’ilsnerefusentjamaisunesoiréeenbonnecompagnie,ilss’intéressentplusàlacréationd’unplantdetomatehybridequ’àl’idéedes’installerpourfonderunefamille.Danscedomaine,Zeenestcertainementlepiredesquatre.Grand,blond,beaugarçon,ilestsurtouttrèsintelligent.Pourtant,iln’apasétéchoisipourleTestetcetteidéemedonnelecafard.Peut-être que c’est la première règle que l’on doit intégrer en devenant adulte : on n’obtient pastoujourscequel’onveut.Zeenauraitsûrementpréférécontinuersesétudesetentrerà l’université.Marcherdanslespasdenotrepère.Ildoitsavoircequejeressens.J’aimeraispouvoirenparleraveclui,luidemandercommentilavéculadéceptionquejem’apprêtetrèscertainementàexpérimenter.NotrecolonieauradelachancesiundessiensestchoisipourleTest.Cen’estpasarrivédepuiscinq
ans.Jesuiscertesuneexcellenteélève,maisd’autressontmeilleursquemoi.Bienmeilleurs.Jen’aipratiquementaucunespoir.Jemeforcenéanmoinsàsourire.–Biensûrquejesuisprête.Jen’aipaslechoixsijeveuxdirigerlacolonieavantquevoussoyez
mariés.HartetWinrougissentjusqu’àlaracinedescheveux.Ilsontdeuxansdeplusquemoietlasimple
idéedumariageleurdonneenviedeprendreleursjambesàleurcou.Cequ’ilsaiment,c’esttravaillerensembleà lapépinière,s’occuperdesplantesquenotrepèreaconçuespourqu’elles résistentauxsolscorrompusquientourentlacolonie.–Personnenedirigerariendutoutsionneseremuepas!Letondemamèreestsec.Déjà,elleremontelechemind’unbonpasetmesfrèresetmonpèrela
suiventsansdiscuter.ElleaimeraittellementvoirZeenetAminmariésetinstallésquelesujetlamettoujoursunpeuencolère.Àpeineavons-nousquittélejardinquemesfrèresetmonpèreontcrééautourdelamaisonque
nousnousretrouvonsentourésd’uneterrecraqueléeetaride.Seulesquelquestouffesd’herbeetunarbustemalingre parviennent à y survivre.D’aprèsmonpère, c’est encore pire à l’ouest et si nosdirigeants ont choisi la région des Cinq Lacs pour monter notre colonie, c’est qu’elle avait unpotentiel.Noushabitonsàpresquehuitkilomètresducentre-villeethabituellement, je lesparcoursàvélo.
Aujourd’hui, ma famille et moi les feront à pied. Quelques citoyens possèdent des voitures maisl’essenceetlescellulessolairessonttropraresetprécieusespouruneutilisationquotidienne.Avec son centreovale et ses extensions sur les côtés, le parc communautaire a unpeu la forme
d’unetortue.Aumilieu,unemagnifiquefontaineprojetteuneeauincroyablementcristalline.C’estunluxe car l’eau propre n’est pas facile à obtenir.Ce gaspillage au nomde la beauté est autorisé enl’honneurdel’hommequiadécouvertlemoyendedécontaminerleslacsetlesnappesphréatiquesaprèsl’ÉpoqueSept.Pourlesocéans,oucequ’ilenreste,lasolutionresteàtrouver.À mesure que nous approchons, le paysage devient plus vert et on entend les oiseaux chanter.
Mamanestsilencieuse.Zeenla taquineenaffirmantqu’elleneveutpasquejegrandissemais jenecroispasquecesoitleproblème.Oupeut-êtrequesi.Jem’entendsbienavecmamèremaiscesdeuxdernièresannées,elleestdevenueplusdistante.Plus
réticenteàm’aiderpourmesdevoirs.Plusintéresséeàmariersesfilsetàparlerdel’apprentissagequejechoisiraiaprèsl’école.CommesilesdiscussionssurleTestétaientdevenuestaboues.Alorsjeme suis éloignée d’elle et rapprochée demon père.Aumoins, s’il nem’encourage pas, il nemedécouragepasnonplus.Engénéral,quandjeluiparledemesenviesd’université, ilm’écoutesansriendire.Jesupposequ’ilapeurquejesoisdéçue.Le soleil est chaud et alors quenousgravissons la dernière colline, je sens la sueur dégouliner
dansmondos.Deséchosdemusiqueetderiresnousparviennentetmefontaccélérer lepas.Justeavantlesommet,papapassesonbrasautourdemonépauleetmemurmurederalentiretd’attendrequelerestedelafamilleaitprisunpeud’avance.L’excitationmepousseenavantmaisj’obéisenluidemandant:–Ilyaunproblème?Sonsourireresteéclatantmaissonregards’assombrit.–Non,pasdeproblème,m’assure-t-il.Jevoulaisjusteunmomententêteàtêteavecmapetitefille
avantlegrandchambardement.Dèsquenouscommenceronsàdescendreleversantdecettecolline,plusrienneseracommeavant.–Jesais.
–Tuesnerveuse?–Jecrois.Lapeursemêleàunefouled’autresémotionsquejeneparvienspasàidentifier.–C’estbizarredenepassavoircequejevaisfaireenmelevantdemainmatin.La plupart de mes camarades de classe ont déjà décidé de leur avenir. Ils savent s’ils seront
apprentisous’ilsdéménagerontdansuneautrecoloniepour trouverdu travail.Certainsontmêmedéjàprévuladatede leurmariage.Cen’estpasmoncas.Monpèrem’abienproposéde travailleravecluietmesfrères,maisjen’aipascommeeuxlamainverte.Ladernièrefoisquej’aiaidémonpère,j’aifaillidétruirelesgrainesdetournesolqu’ilavaitmisdesmoisàcréer.Mondomaineàmoi,c’estplutôtlamécanique.–Tuvasdevoir affronter la réalité, reprendmonpèred’unevoixdouce.Et n’oublie pasque je
seraifierdetoi,quoiqu’ilarrive.–MêmesijenesuispassélectionnéepourleTest?– Surtout si tu n’es pas sélectionnée pour le Test, sourit-il en me donnant un petit coup dans
l’estomac.Quandj’étaispetite,çamefaisaithurlerderire.Aujourd’huiencore,çamefaitsourire.Certaines
chosesnechangentpas.C’estrassurant.Pourtant,lesparolesdemonpèrenemeconvainquentpas.Ilestalléàl’université.C’estlàqu’ilaapprisàmodifiergénétiquementlesplantespourqu’elles
surviventet sedéveloppentdansune terreprofondémentpolluée. Il neparlepasbeaucoupde cettepériodedesavie.Pasplusd’ailleursquedelacolonieoùilapassésonenfance.Probablementparcequ’ilestmodesteetneveutsurtoutpasnousécraserparsonsuccès.–Tupensesquejeneseraipasacceptée,c’estça?Monpèrefroncelessourcils.–Jepensequetutesous-estimes.Tuestrèsintelligente,Cia.Onnesaitjamaisquilecomitéchoisit
etonneconnaîtpaslescritèresdesélection.DansmaclassenousavonsétécinqàpasserleTest.Lesquatre autres avaient de meilleurs résultats scolaires que moi mais je suis le seul à être entré àl’université.LeTestn’estpastoujoursjusteetcen’estpasunefinensoi.–Mais tuescontentd’êtreallé à l’université, ai-jeprotesté.Si tun’avaispas faitd’études, tune
seraispascapablederéalisertouscesmiracles!Àdeuxpasdenous,unpommierexplosede fleurs,autantdepromessesde fruitsdélicieuxdans
quelquesmois.Nonloin,desbuissonsdemyrtillespoussentàcôtédemargueritesetd’autresfleursdont j’ignore lenom.Sansmonpère, riende toutçan’existerait.Quand j’étaispetite, cette collinen’hébergeaitquedesplantesrabougriesauxfruitsraresouinexistants.Àcetteépoque,nousavionssouvent l’estomacvide.Quand il a pris enmain les cultures, tout a changé.Bien sûr, nousdevonstoujoursfaireattentionànepasgaspiller,maislafaimn’estplusunproblème.–Jenepeuxnimeréjouirnimedésolerd’êtrealléàl’université,asoupirémonpère.Jen’aipas
eulechoix.Sonregardseperddanslevaguependantunmoment,puisilsouritdenouveau.Maislesnuages
n’ontpasquittésesyeux.–Sijen’étaispasalléàl’université,jeneseraisjamaisvenuvivreicietjen’auraispasrencontréta
mère.Qu’est-cequejeseraisdevenusanselleetsansvous?–Probablementunvieuxgarçonquivivraitchezsesparentsetdontlamèresedemanderaitchaque
jourquandilvasemarier.Ilm’ébouriffelescheveux,lesyeuxpétillantsdemalice.–Undestinpirequelamort,rit-il.C’estaussicequejepenseàchaquefoisquemamèrerépèteàZeenqu’ilpasseàcôtédelavie.–Allons-y, lance-t-il, tamèrevafairesonner le tocsinsiontraîneplus longtemps.Jeveuxjuste
quetun’oubliesjamaisunechose:jecroisentoi,quoiqu’ilarrive.Sonbrassurmonépaule,lemienautourdesataille,nousfranchissonslesdernierspasquinous
séparentdusommetdelacolline.Jesourismaistoutaufond,jemedemande,leventrenoué,sipapan’apas toujourspenséque jen’aurai jamais lacapacitéd’atteindre sonniveau.Que je ledécevrai,quoiqu’ilarrive.
Lacolonieesttrèsétendueetlacérémoniederemisedesdiplômesestlaseulevéritableoccasionqui permette à tous les habitants des Cinq Lacs de se retrouver. Bien sûr, il y a les réunionsobligatoires durant lesquelles nos dirigeants nous délivrent lesmessages officiels,mais elles sontsommetoutetrèsrares.Avecàpeineplusdeneufcentscitoyens,notrecolonieestunedespluspetiteset aussi unedesplus éloignéesdeTosu, la capitaleoùvivent lesmembresdugouvernementde laCommunautéUnifiée.Nousnelesintéressonspasbeaucoup,cequiconvientàlaplupartd’entrenous.Nousnousdébrouillonstrèsbiensanseux.Ici,nousnerejetonspersonne,maischacundoitfairesespreuvesparlui-même.Leparcestassezgrandmaisaujourd’hui,ainsibondé,ilparaîttoutpetit.Toutlemondearevêtu
soncostumed’apparat.Desstandsdebougies,degâteaux,dechaussuresetdetoutessortesd’objetspourlamaisons’alignentsansfin.Ilsfermerontquandlacérémoniedébuteramaispourl’instant,ilsbourdonnentcommedesruches.Lescitoyensquineviennentpassouventenvilleenprofitentpourachetercedontilsontbesoin.LamonnaiedelaCommunautéUnifiéeestraredansnotrecoloniemaislesemployésdugouvernement,commemonpère,l’utilisent.–Cia!Unemains’agiteau-dessusdelafoule.MameilleureamieDaileensefraieunpassagejusqu’àmoi.
Sesbouclesblondesetsaroberoseflottentdanssonsillageetuneglaceencornetfonddanssamain.Ellemeserrecontreelleavecferveur.– Je n’arrive pas à y croire ! s’exclame-t-elle. Tu vas recevoir ton diplôme ! C’est dingue ! Et
regarde,ilsdistribuentdesglaces!Gratuitement!Jesuistellementexcitée!Jeluirendssonétreinteenessayantd’éviterd’êtretachée.Mamèremetuerasijeruinematenue
avantlacérémonie.–Tuasraison,Daileen,c’estexcitant,maisçafichelatrouilleaussi!Daileen est la seule à qui j’ai confié mes craintes concernant l’avenir. Ma peur de ne pas être
choisiepourleTest.Ellejetteunbrefcoupd’œilautourdenouspours’assurerquepersonnenenousécoute.–Monpèrem’aditqu’uninvitéspécialétaitprévu.Lejourdelaremisedesdiplômesestaussilejourdesdiscoursetilyabeaucoupd’intervenants.
Nosprofesseursvontprendrelaparole,ainsiquelemagistratetdenombreuxresponsablesdesCinqLacs.Quandtoutelacolonieestrassemblée,onn’estjamaisàcourtdesujetsàaborder.C’estpourçaquecetinvitéspécialnemesemblepassispécial.Dumoins,jusqu’àcequeDaileenajoute:–IlvientdeTosu.–Ahbon?LadernièrefoisquedesofficielssesontdéplacésdeTosu,c’étaitilyatroisanspourledécèsde
notrevieuxmagistrat.Deuxhommesetunefemmesontvenusdésignerlenouveau.Tosusecontenteengénérald’envoyerlesproclamationsànotremagistratparradio.Cederniersechargedenousenfairepart.–Entoutcas,c’estcequemonpèreaentendu,reprendDaileenenléchantsaglace.Ellecommenceàenavoirpleinlesmains.
–Ilpensequ’ilestvenuescorterlecandidatchoisipourleTest.Ceserapeut-êtretoi.Pendantuninstant,sonsourires’évanouit.–Tuvasmemanquer.Daileenetmoin’avonsquedeuxsemainesd’écartetnoussommesamiesdepuisquenousavons3
ans.Sesparentsl’ontenvoyéeàl’écoleà6ansalorsquej’yétaisdéjàdepuisunan.C’estpourçaquenousnesommespasdanslamêmeclasse.Denousdeux,c’estlaplustimide,laplusdouceetlaplusintelligente.C’est aussi cellequi aura leplusdemal à se fairedenouveaux amis si nous sommesséparées. Si je ne la poussais pas à parler aux autres élèves de sa classe, elle serait probablementtoujoursseule.Samèreestmorteilyadeuxansdansunaccidentetsonpèreestsouventabsent.LeurmaisonrespirelatristesseetDaileendoitsedébrouillersansaideavectouteslescorvées.Cen’estpastoujoursfacile.Quandnoussommesensemble,j’essaiedelafaireriremaisparfois,lesténèbreslarattrapentetj’aipeurquesansmoi,cesténèbresl’engloutissententièrement.Jelaserreunenouvellefoiscontremoietjehausselesépaules.–Ilyatouslesansdesrumeurssurlavenued’unofficieldeTosu.Mais au fond, je souhaite que cette fois, la rumeur soit fondée. Pour nous changer les idées,
j’ajoute:–Jeveuxuneglacemoiaussi!Tum’emmènes?Sur le trajet, nous croisons d’autres amis de la classe deDaileen et, ensemble, nous partons en
quête de sorbet à la framboise. J’espère secrètement que ce petit groupe s’occupera demon amiequand les cours reprendront dans quelques semaines. Si ce n’est pas le cas, je devrai trouver unmoyenderendrelaviedeDaileenplusgaie.Mamèremefaitsigne.Ellesemblepréoccupée.J’abandonneDaileenetlesautrespourlarejoindre
près de la fontaine. Presque tous les gens que je croiseme saluent. Si nous connaissons autant demonde,c’estparcequenousdéménageonspresquetouslesans.Papaserendlàoùlemagistratpensequ’onaleplusbesoindelui.Ducoup,jenemesuisjamaisattachéeàunemaison.Desenfantstropjeunespouralleràl’écoleetvêtusdejauneetvertdansentautourdelafontaine.
Ilsjouentàs’éclaboussermaisévitentsoigneusementl’endroitoùsetientmamère.Sonexpressionsévèrelesintimidesansdoute.Elles’apprêteprobablementàmefairedesreproches.Ellemeregardedespiedsàlatêteavantdelâcher:–Tuestoutedécoiffée!Qu’est-cequetuasfabriqué?Enréalité,mescheveuxfrisésnesontjamaisbiencoiffés.J’aiproposéàmamèredemelescouper
maiselleaffirmequecettecascadequimetombejusqu’aumilieududosestunatout indispensablepourunejeunefillecélibataire.Simescheveuxressemblaientvraimentàunecascade,jeseraispeut-êtred’accordavecelle.Alorsquedestamboursetdestrompettesrésonnent,mamèrecessedes’enprendreàmoi.Monestomacserétrécitàlatailled’unpetitpois.Jedoisallerrejoindremescamarades.Lacérémonievacommencer.Mon père etmon frère apparaissent etme serrent dans leurs bras chacun leur tour. Puis jeme
dirigeversl’estradedresséepourl’occasion.Onditsouventquedeuxheurespasséessurcetteestradeparaissentpluslonguesquelesonzeannéesd’école.J’espèrequec’estseulementuneblague.Nousnousalignonsdanslefond.Lesgarçonsderrière,lesfillesdevant.Heureusementpourmoi,
parcequesinon,jeneverraisrien.Mesfrèresonthéritédelatailledemonpèreetdemamèremaismoij’airécoltélesgènesd’uneautregénération.Jefaisàpeineunmètresoixanteetjesuislapluspetitedemaclasse.Dix fois,M Jorghens, notre professeur, nous changede place.Cent fois elle nous rappelle de
nous tenir droits, de sourire et d’être attentifs.C’est sa première cérémonie de diplômes auxCinqLacs et elle est très nerveuse.Alors qu’elle va se poster au centre de la scène, les tambours et les
lle
trompettesretentissentànouveau.LamagistrateOwensapparaîtsurleseuildesaporte–ellevitdanslaseulemaisonàtroisétages
delaville–ettraverselafouled’unpasraide.C’estunefemmerobusteauxcheveuxgrisetauxridesmarquées.Sarobeestuntonplusfoncéquecelledesautres.Presquerouille.Ellemontesurl’estradeetsepencheverslemicro:–Jevoussouhaiteàtousuneexcellentecérémoniederemisedesdiplômes.Le public répond en chœur : « Bonne cérémonie des diplômes. » Nous nous joignons à eux.
Certainsapplaudissent.–Cettejournéereprésentebeaucouppourchacund’entrenous,reprendlamagistrate,maissurtout
pour les étudiants alignés derrière moi. Dès demain, ils feront partie des forces vives de notrecolonie. Ilyavingt-cinqans, legouvernementde laCommunautéUnifiéeaenvoyécentcinquantehommesetfemmespourvivresurceterritoire.Ensemble,ilsontfondélacoloniedesCinqLacsdansl’espoirqueleurtravailpourraitaidernotreterreabîméeàrevivre.Autrefois,cetterégionétaitcelledes Grands Lacs. Elle était couverte de forêt et de champs cultivés. De toute notre force, nousespérons lui redonner sa beauté d’antan, et chaque membre de cette communauté participe à cecombatquotidien.Nousavonsbesoindetous.Lajournéederemisedesdiplômescélèbrel’ajoutdequatorzecitoyensdévouésànotrecauseetnousnousenfélicitons.Chaqueprogrèsnécessitedesbrassupplémentairesafinquenouscontinuionsàavancer.Nousavonstoujoursbesoinderenfort.Jesaisque nombre d’entre vous n’ont pas encore décidé quelle carrière ils allaient embrassermais nousvoussommesreconnaissantsdecequevousaccomplirezdanslesannéesàvenir.Les applaudissements crépitent. Quand la magistrate Owens lance enfin : « que la parade
commence»,moncorpsentierbouillonned’excitation.Jememords la lèvrepour l’empêcherde trembler.La fanfareentameunemarche.Mavisionse
brouilleetjedistingueàpeinelecortègedemesbientôtex-camarades.Chaqueannée, toutel’écoledéfile dans le parc. Les classes portent des bannières qui annoncent ce qu’elles ont appris dansl’année.Lesbannièressontensuiteexposéesdansleparcetunvoteestorganisépourrécompenserlameilleure.Souvent,lesadultesparientamicalementsurlaclassegagnante.Pourlapremièrefois,jenefaispaspartieducortègeetjeréalisequejen’enferaiplusjamaispartie.Lesplusjeunessontentêteetlesautressuiventparordred’âge.Ilsfontletourdelafontaineau
rythmede lamusique et s’arrêtent à la gauche de notre estrade. La parade terminée, lamagistrateOwens reprend la parole pour nous parler du nouveau train qui relie Tosu à dix colonies de lacommunauté. Il est prévuque les travaux se poursuivent afin qu’à terme toutes les colonies soientreliées à la capitale. C’est une grande nouvelle. La magistrate invite ensuite les responsables dessecteurs eau, énergie, agriculture ainsi que ceuxde tous les projets en lien avec la revitalisation àpasserleursannonces.Entrelesrappelssurl’usageraisonnédel’eau,lesappelsàvolontairespourlaconstructiond’habitationsdejeunesmariésetlereste,çaprendunebonneheure.Lediscoursdemonpèreportesurlanouvellevariétédepommedeterredéveloppéeparsonéquipe.Jesuissurprise.J’étais bien sûr au courant de son succès. À cause de certaines modifications génétiques
nécessaires,lespommesdeterrequ’ilavaitobtenuesjusqu’àprésentavaientunepeautrèsépaissequinoircissaitàl’air.Çan’étaitpasréellementgênant:unefoislapeauôtée,lachairdutuberculeétaitparfaitementcomestible.MaisZeenatentéunenouvelleversionetabrillammentréussi.Cequimesurprend,c’estquemonpèrenelecitepasuneseulefois,alorsquelasemainedernière,
ilnousalui-mêmeannoncéquemonfrèreauraitdroitàdesfélicitationspubliquespoursontravail.Pourquoia-t-ilchangéd’avis?Je tends lecoupouressayerd’apercevoir laminedeZeen.Est-ildéçu?Vexé?Cemomentétait
censéêtresonheuredegloire.Est-ilaussisurprisquemoi?
Jeledécouvre,lesbrascroisés,unpeuenretrait,appuyécontreunarbre.Quelquespersonnesluidonnentdesclaquesdansledosparcequ’ilfaitpartiedel’équipedenotrepèremais jenesuispasdupedesonsourire.Samâchoirecrispéeetsesyeuxplisséstrahissentsacontrariété.Papadescendde l’estradesous lesapplaudissementsetnotreprofesseurprendsaplacedevant le
micro. Mon estomac se contracte et les battements de mon cœur s’accélèrent déraisonnablement.Voilà.C’estmaintenant.M Jorghensnoussouritavantd’énoncerlentement:–Jesuisfièredetousnosélèvesquideviennentdesadultesaujourd’hui.Puis vient l’énumération des noms. Un par un, mes camarades avancent au centre de l’estrade,
serrent lamaindelamagistrateet reviennentà leurplace.La listeestdans l’ordrealphabétique.Jesuisappeléeladernière.–MalenciaVale.Mesjambestremblentetmenacentdesedérober.Jetraverselepodiumetcommemescamarades
avantmoi,jeserrelamaindeM Jorghens,puiscelledelamagistrateOwens.Lepublicapplaudit.Daileenpoussedescrisdejoieetd’encouragement.Jesouris.Moncœurestsurlepointd’exploser.Jesuisofficiellementuneadulte.Sanscesserdesourire,jeretourneàmaplace.Lamagistraterevientdevantlemicro.Lafoulese
tait. Je suis si nerveuseque je nepeux empêchermespoingsde s’ouvrir et de se refermer.Si desétudiantsontétésélectionnéspour leTest,nousallons lesavoirmaintenant.J’essayederepérerunvisageinconnuparmilesspectateurs–l’officielenvoyéparTosu.Maisiln’yapersonne.Cen’étaitqu’unerumeur.LamagistrateOwenssouritetnousféliciteune
dernièrefois.–Bravoàtousetparticulièrementànosétudiants.J’aihâtedevoircequel’avenirvousréserve.La foule applaudit encore. Je n’ai pas cessé de souriremais le cœur n’y est plus. La déception
forme une énorme boule dans ma gorge. Pendant des années, je me suis préparée à ce jour etmaintenant,c’estterminé.Mesrêvesd’avenirviennentdes’envolerenfumée.J’aitravaillédur,maispasassezpourêtrechoisie.Alorsque jedescendsde l’estradeà lasuitedemescamarades,uneseulequestionmehante :Et
maintenant?
lle
lle
CHAPITRE2
–Tutecaches?La voix de Zeen me fait sursauter. Son sourire entendu me fait ravaler le mensonge que je
m’apprêtaisàluiservir.Jemecontentedehausserlesépaules.–Lajournéeaétédifficile.J’avaisjustebesoindemeretrouverseuledeuxminutes.Tambours,guitaresetcornesjouentdevant laboulangerieetplusieurspersonnessesontmisesà
danserouàtaperdansleursmains.Del’autrecôtéduparc,nousparvientuneodeurdevianderôtie.Des torches enflammées et des lampes électriques illuminent les allées. Les gens rient, chantent,s’amusent.J’aiprissoindemeréfugierdansl’ombre.Cesdernièresheures,jemesuismêléeauxautresuniquementparcequec’estcequel’onattendait
demoi.Jerefused’affichermadéceptionetderévélerenmêmetempsmonarrogance.Jemesuiscrueassezintelligentepourêtrechoisie.Quelleidiote!–Tiens.Zeenmetendungobelet.–Çateferadubien.Jelaisselebreuvagesucrémecoulerdanslagorge.Unarrière-goûtplusfortmebrûlelespapilles.
Del’alcool.Lacolonieabesoindetouteslescéréalesetdetouslesfruitspoursenourrir;l’alcoolestdonctrèsrare.Néanmoins,unepetitequantitéestfabriquéepourlesgrandesoccasions–commelasoiréedelaremisedesdiplômes.Seulslesadultessontautorisésàenconsommermaismesfrèresm’ontdéjàpermisdetremperleslèvresdansleurverrelesannéespassées.Enréalité,jen’aimepasvraimentça.J’avaleuneminusculegorgéeavantderendresonverreàZeen.–Tutesensmieux,gamine?Jebaisselesyeux.–Pasvraiment.–Mouais.Ils’adosseautroncd’ungroschêneetvidesonverred’untrait.–Toutnesepassepastoujourscommeonlevoudrait,soupire-t-il.C’estcommeça.Danscescas-
là,ilfautrebondirettrouverdenouveauxobjectifs.Sonamertumeàpeinedéguiséemefaitdresserl’oreille.–C’estcequetuvasfaire?Trouverdenouveauxobjectifs?Cesdernièresannées,Zeenapassépasmaldetempsàréfléchiràdesopportunitésendehorsdes
CinqLacs.Jedétesteraisqu’ilsedécidemaintenant.Qu’ilquittelacolonieseraittriste.Qu’illaquitteencolèremebriseraitlecœur.Sesdoigtssecrispentautourdesonverre,maisilrépondd’unevoixétrangementdouce.
–Jen’aipasenvoyédedemanded’emploiàTosu,sic’estcequetuveuxsavoir.Sipapaachangésa déclaration cet après-midi, c’est à la demande de lamagistrate. Tume connais, je vais être demauvaisehumeurpendantquelquesjoursetpuisçavamepasser.Sonregardbalaieleparc.Ilesttardetsicertainsdansentetchantentencore,beaucoupcommencent
àpartir.Lagrandejournéetoucheàsafin.Aprèsquelquesminutesdesilence,Zeenlâche:–Tupourraislefaire,tusais?–Quoi?–Parleràlamagistrate.Envoyerunedemanded’emploiàTosu.L’idée est à la fois tentante et terrifiante. Avec l’accord du magistrat, tout colon désireux de
travailleràTosuoudansuneautrecoloniepeutenvoyerunformulaired’application.Siunemploicorrespondantestdisponible,ilreçoituneoffreenbonneetdueformedelaCommunautéUnifiée.Enseize ans, je n’ai connu que deux personnes qui ont obtenu un poste après avoir effectué cettedémarche.Après la déception d’aujourd’hui, je ne suis pas sûre d’être capable d’en affronter uneautre.Mes doutes doivent se lire sur mon visage car Zeen me prend par les épaules et me serre
brièvementcontrelui.–T’enfaispas,gamine.Tuastoutletempspourdéciderdecequetuferasdurestedetavie.Dommagequenotremèrenesoitpasdumêmeavis.
Lelendemainmatin,nousnouslevonstousasseztard,maisjeviensàpeinedem’habillerqu’ellelancelapremièreoffensive:–Situneveuxtoujourspastravailleravectonpère,KipDrystenauneplacedanssonéquipe.Tu
devraislerencontreravantqu’ilembaucheunautrediplômé.KipDrysten est le chef de l’équipe qui s’occupe de l’entretien et des réparations desmachines-
outils agricoles de la colonie.C’est vrai que j’adore lamécaniquemais l’idée de passerma vie àréparerdestracteursmedésespère.Jemarmonne:–Jevaisypenser.Cetteréponseévasiveneconvientpasàmamère.Illuisuffitd’unfroncementdesourcilspourque
jemeretrouveperchéesurmonvélo,directionlecentre-ville.LesDrystenhabitentdansunejoliepetitemaisondel’autrecôtédelacolonie.Jefrappeàlaporte,
le cœur lourd. Je ne peuxm’empêcher de pousser un soupir de soulagement quandM Drystenm’apprend que sonmari est parti tôt cematin à la ferme Endress. Il ne sera pas de retour avantplusieursjours.Jeviensdegagnerunsursis.Lelendemaindelaremisedesdiplômesesttraditionnellementunjourderepos.Lesgensrestent
chezeuxetreçoiventdesamisoudelafamille.Mamèreaprévuunrepasetjedevraiprobablementrentrerpourl’aideràlepréparer.Maisjen’enaiaucuneenvie.Arrivéeauparc, j’appuiemonvélocontreunarbreet jem’assoisaubordde la fontaine.Unou
deuxcitoyensmefontsignemaisaucunnes’arrêtepourdiscuter.Çam’arrange.Lementondanslesmains,jeregardel’eaucoulerenessayantd’oublierlevidequigranditenmoidepuishier.Jesuisuneadulte.Depuisquejesuistoutepetite,j’observemesparentsenattendantle jouroùjeseraicommeeux.Pleined’assurance.Forte.Jenemesuisjamaissentieaussidésemparée.L’horlogesurlafaçadedelamaisondelamagistratesonne3heures.Ilestgrandtempsderentrer
sijeneveuxpasquemamères’inquiète.
me
Jesuisàmi-cheminquandj’aperçoismonfrèreHart.Ilcourtversmoienm’adressantdegrandssignes.Zut.Simamèrel’aenvoyémechercher,c’estquejesuisdanslepétrin.Sûrquejevaisavoirdroitàunsermon.Maisils’agitdetoutautrechose.–LamagistrateOwenaenvoyéunmessageradioàpapajusteaprèstondépart.Tudoisêtrechez
elleà4heurespourdiscuterdetonavenir.Quandmamanavuquetunerevenaispas,ellenousatouslancésàtarecherche,m’expliquemonfrère.Ett’asplutôtintérêtàtedépêchersituveuxyarriveràtemps,ajoute-t-ilsuruntonnarquois.Il a raison. Quand j’arrive au parc, je suis en nage, échevelée et surtout tendue. La magistrate
convoqueparfoismonpèreoumesfrèrespourévoquer l’avancéede leurs travaux,maisc’estunepremièrepourmoi.Elleveutdiscuterdemonavenir?Jemedemandesimamèrel’acontactéepourluifairepartdesoninquiétudeàmonégard.Àmoinsquemonindécisionnesoitsiévidente…l’idéequequiconqueaitremarquémadéceptionmeremplitdehonte.Aprèsavoirtirésurmontee-shirtetm’êtremaladroitementlissélescheveuxduplatdelamain,je
frappeàlaportedelamagistrate.–Tueslà!s’exclame-t-elleenguised’accueil.Parfait!Ellem’adresseunsourirequimesembleunpeuforcé.–Entre,Cia.Toutlemondeestdéjàlà.Toutlemonde?Lamagistratemeguidejusqu’àunsalonmoquettéoùquatrevisagessetournentversmoi.Lestrois
personnesassisesmesontfamilières:TomasEndress,yeuxgris,mignon;MalachiRourke,timidemaistrèsgentil;etZandriHicks,trèsbelle,genreartiste.Commemoi,ilsonttousreçuleurdiplômehier.Jelesconnaisdepuistoujours.Jen’aijamaisvulaquatrièmepersonnedemavie.Tomasmefaitsignedem’asseoiràcôtéde lui.Sesfossettes interdisentdenepas luisourireen
retour.LamagistrateOwensvaseplacerprèsdel’inconnuetselance:–Merciàtousd’êtrevenusaussivite.Jesuisdésoléedevousarracherauxfêtesdefamillemaisje
n’avaispaslechoix.Ellenousscruteunparunavantdepoursuivre:–JevousprésenteMichalGallen,officieldelavilledeTosu.Ildevaitarriverhiermaisdessoucis
mécaniquesontretardésavenue.Tosu.Monestomacsecontractedésagréablement.Michal Galen fait un pas en avant et sort une feuille de papier pliée de sa poche. Il n’est pas
beaucoupplusvieuxquenous.Ildoitavoirl’âgedeZeen.Malgrésescheveuxbrunsenbatailleetsonalluredégingandée,ilsedégagedeluiunecertaineautorité,sansdoutepropreauxcitoyensdeTosu.Sonregardsombreestsérieux,voiregrave.Ilcommenceàlire:–ChaqueannéelaCommunautéUnifiéeexamineattentivementledossierdesdiplômésdesdix-huit
colonies.LesmeilleursétudiantssontsélectionnéspourserendreàTosuafindepasserleTest.Êtrechoisiestunhonneur.Lesdiplômésdel’universitésontl’aveniretleplusgrandespoirdetous.Nouscomptonssureuxpourrégénérerlaterreetaméliorernotrequalitédevie.Ilsserontlesmédecins,lesingénieurs, les professeurs et les membres du gouvernement de demain. L’élite dont notrecommunautéabesoin.Jecommenceàavoirdespicotementsdanslesdoigts.Jeregardelesautrespourm’assurerquej’ai
bien entendu. Tomas sourit jusqu’aux oreilles. C’était le meilleur élève de la classe, ce n’est pasétonnantqu’ilaitétéchoisi.Etsijecomprendsbien,jel’aiétémoiaussi.Cen’estpasunrêve.NousallonstouslesquatrepasserleTest.Mavieneconsisterapasàréparerdestracteurs.Jevaispasserle
Test.JevaispasserleTest!–Ledépartestprévupourdemain.Cesquelquesmotsmefontbrusquementreveniràlaréalité.Demain.–Pourquoisitôt?demandelamagistrateOwens.Lesélèvesavaientplusdetempsautrefoisentre
laremisedesdiplômesetleTest.– Votre colonie n’avait pas eu de candidats depuis longtemps et les choses ont changé, répond
l’officiel d’une voix où perce un léger agacement. Le processus débute cette semaine et vousm’accorderezqu’ilsontplusdechancesderéussirs’ilsarriventàtemps.–EtsionneveutpaspasserleTest?TouslesvisagessetournentversZandri.Sesjouessontpresqueaussirougesquesatunique.Mais
ellen’estpasgênéecommejel’aid’abordcru.Àlamanièredontelledresselementon,ilestévidentqu’elleestencolère.Sesyeuxbleuslancentdeséclairs.Jesuisétonnéequ’elleaitétéchoisie.Elleestintelligentesansaucundoute,maispourelle,l’artatoujoursétéplusimportantqueletravailscolaire.Elleneréussitquedanslesmatièresquiluidonnentdel’inspirationpourdenouvellesœuvres.Pourtant,mêmesiàmaconnaissanceellen’ajamaisexpriméledésirdepoursuivresesétudes,je
necomprendspassonattituderebelle.Pourquoirefuserl’honneurdepasserleTest?Lesourireglacialdel’officielmefaitfrissonner.–Vousn’avezpaslechoix,lâche-t-il.LaloiobligetoutcitoyendelaCommunautéUnifiéechoisi
pourpasserleTestàseprésenteràl’examenfauted’encourirunchâtiment.–Quelgenredechâtiment?rétorqueZandrienfixantlamagistratedontleregardcroiseaussitôt
celuidel’officiel.Ilsepasseunesecondeentièreavantquelamagistratesedécideàrépondre,nonsansprendreune
profondeinspiration.–Lanon-présentationauTestestconsidéréecommeunetrahison.Etchacunsaitquelatrahisonestpuniedemort.Quelqu’un – Malachi peut-être – laisse échapper un soupir de protestation. J’ai soudain
l’impression quemapoitrine s’est rétrécie demoitié.Ma joie etmon excitation se sont évanouiespourlaisserplaceàlapeur.Unepeurquejen’aipourtantaucuneraisonderessentir.Jen’aijamaiseul’intentionderefuserleTest,bienaucontraire.Etsic’étaitlecasdeZandri,leterme«trahison»luiavisiblementfaitchangerd’avis.Pouratténuernotrechoc, lamagistrateOwens s’empressed’expliquerquecette loi remonteaux
premierstempsdelaCommunautéUnifiéealorsquedesfactionshorslaloitentaientdedéstabiliserl’uniténouvelledugouvernementenconvainquantlescandidatsdenepasparticiperauTest.Onparleaujourd’huidechangercetteloi,maiscegenredechoseprenddutemps.D’apprendrequel’onn’apaseurecoursàcetteloidepuisplusieursdizainesd’annéesm’apaiseun
peuetmonexcitationrefaitsurface.Lamagistrateénumèrelalistedecequenoussommesautorisésàemporter avec nous à Tosu : deux tenues de rechange complètes, un pyjama, deux paires dechaussures,deuxobjetspersonnels.Pasdelivre,pasdepapier.Rienquipuissedonnerl’avantageàuncandidat sur un autre.Tout doit tenir dans les sacs qui nous sont fournis.Nous avons rendez-vousdemainà l’aubedevant leparc.L’officielMichalGallennousattendrapournousescorter jusqu’aucentred’examen.Ellenousféliciteetnousrépèteàquelpointelleest fièredenous.Elleaffirmeêtrecertaineque
nous réussirons tous leTest.Mais je sais qu’ellement.Mamère a lemême ton forcé, faussementjoyeuxquandelleestprofondémentperturbée.LamagistrateOwensnecroitpasquenousréussironstous.Craint-ellequenotreéchecdonnemauvaiseréputationauxCinqLacs?Jen’aipaslaréponseàcettequestionalorsqu’ellenousraccompagneàlaporte.
Unsoleiléclatantnousattenddehors.JesuisladernièredesquatreàprendrelesacmarronornédulogorougeetvioletdelaCommunautéUnifiée.Jelepasseenbandoulièreenmedisantqueledînerquemamèreavaitprévuvadevoirêtreécourté.Sinon,jen’auraipasletempsdemepréparerpourledépart.JerejoinsMalachietTomas.Zandriestdéjàpartie.Pendantunmoment,nousnousregardonssans
savoirquoinousdire.Tomasestlepremieràretrouverlavoix.–Jecroisquenousdevrionsrentrercheznous,lâche-t-il,plussouriantquejamais.Demainestune
grandejournée.Ilaraison.Ilesttempspourmoiderentreretd’annonceràmafamillequejequittelamaisonpour
neplusjamaisrevenir.
CHAPITRE3
Ce sont des rires qui m’accueillent quand je franchis la porte de chez moi. Une banderole defélicitationsaétéaccrochéeaumuretlatabledelacuisineestcouvertedenourriture.Nousdevionsfêtermondiplôme.Nousallonségalementfêtermondépart.–Lavoilà!s’exclameZeen.Jevousavaisditqu’elleneseraitpasenretardpoursafête.Elleaime
troplesroulésàlacannelle!Monpèresouritmaisàlasecondeoùilremarquelesacàmonépaule,sonvisagedevientgrave.–TuasétéchoisiepourleTest,souffle-t-il.Plus de rire, nimêmede sourire.Tous attendentma confirmation.Malgréma joie etma fierté,
j’acquiesce lagorgeserrée.Après l’université, lesétudiants sontenvoyésdansunecoloniechoisieparlaCommunauté.Làoùlesbesoinssontlesplusprégnants.Jen’aipratiquementaucunechancederevenirauxCinqLacs.Les jumeaux sont les premiers à se remettre du choc. Avant d’avoir le temps de réagir, je me
retrouve écrasée en sandwich entre les deux qui me serrent dans leurs bras en criant. Hamin mefélicitepluscalmementmaisavecplusdechaleur.Puisc’estautourdemamère.Sesmainstremblentmaisc’estavecunsourirefierqu’ellemedemandequandjedoispartiretcequejepeuxemporter.J’aiàpeineletempsderépondreetd’apercevoirZeens’éclipserquemesamiesfrappentàlaporte.Je suis si heureuse de les voir. SurtoutDaileen.Si heureuse de pouvoir la serrer dansmesbras
avantmondépart.Ilyaencoredescrisdejoieetdeslarmesquandj’annoncelanouvelle.Daileenestla plus heureuse et la plus triste de tous.Elle essaie de dissimuler son chagrin derrière de grandssouriresmaisaufuretàmesuredelasoirée, je lavoiss’éloignerdemoietdenosamisqu’elleatoujoursplus considérés comme lesmiensquecomme les siens. J’aipeurpour elle. Jemanqueraibiensûràmafamille,maisilssesoutiendrontlesunslesautres.Daileenseraseule.Alorsquemamèreannonce la finde la fête, jem’arrangepourmeretrouveren têteà têteavec
LyaneMaddows.Contrairementauxautres,ellenesautepas,necriepaspourattirermonattention,maisse tient tranquillementprèsde laporte.Lyanen’estpasmameilleureamie.Onseditbonjourmaisons’assoitrarementcôteàcôteàlacantineetonneseretrouvepresquejamaisaprèslescours.Pourtant,jetenaisàcequ’ellesoitprésentecesoircarnoussommesliéesparunsouvenir.Etparce
quej’espèrepouvoircomptersurelle.Pendant que les filles continuent de bavarder et de rire, je l’enlace et la serre contremoi. Elle
sursaute,surprise,maisnes’écartepas.Jeluimurmureàl’oreille:–Daileenaurabesoind’uneamiequand jeseraispartie.Tuveuxbienveillersurelleet faireen
sortequ’ellenesoitpastropseule?S’ilteplaît.Lyanemerendmonétreinte.Jelasenspresquepesermarequête.Cequ’ellechuchoteàmonoreille
m’ôteunpoids.Jenem’étaispastrompée.
Ellesortdelamaisonsansunregardderrièreelleetjemeretournepourdireaurevoirauxautres.Daileen attend pour être la dernière. Elle retient ses larmes et me promet de me retrouver l’anprochainàTosu.–Jevaistravaillerplusdurquejamais,ilsserontobligésdemechoisir.SeulelavoixdeLyanequil’appelleempêchemoncœurdesebriser.–Daileen?Onrentreensemble?Quelques instants plus tard, les deux silhouettes disparaissent dans la nuit. Lyane connaît les
ténèbres de la solitude. Il y a quatre ans, alors que je faisais un tour à vélo de l’autre côté de lacolonie,jesuistombéesurelle.Debout,aubordd’unravin,prêteàsauter.Jel’enaiempêchéeetjel’aiobligéeàmeconfiercequil’avaitpousséeàunetelleextrémité.Sonpère,officielàTosu,n’étaitpresquejamaislà.SamèredétestaitlesCinqLacsetreportaittoutesafrustrationetsacolèresursafilleenlabattant.Àmaconnaissance,jesuislaseuleàquiLyaneaitjamaismontrélesmarquesdecoups.Avecl’aidedemonpèreetdelamagistrateOwens,lamèredeLyaneapurejoindresonmariàTosuetLyaneest restéevivreavecuneautre famillede lacolonie.Ellea retrouvé le sourire.EllesauraaiderDaileen.Mesfrèressontpartisraccompagnermesamiesetlamaisonmesemblesoudainimmense.Elleest
d’ailleursassezgrandeenréalité.Enplusdelapiècecommune,nousavonsdeuxchambres.Unepourmesparents, l’autreque je suiscenséepartageravecmes frères.Saufqu’ils ronflent tellement fortquej’aiprisl’habitudedevenirdormirsurunepiledecouverturesdevantlacheminéedanslesalon.ÀTosu,jevaisdormirdansunlitpourlapremièrefoisdepuislongtemps.J’aide mes parents à débarrasser et à ranger. Ma mère ne tarit pas de conseils et de
recommandationssurcequejedevraisemporteravecmoipourlevoyageetcommentjedevraismecomporterdanscettegrandeville.Àplusieurs reprises,elles’arrêteet fonden larmes. Je suis sonpremierenfantàquitterlamaison.Monpèrerestesilencieux,pourtant,jesensqu’ilmeurtd’enviedeparler.Unefoislavaissellefinie,ilmeproposeunepromenade.Mamèreouvrelabouchepourprotester
maismonpèredéclared’unevoixgrave:–JesaisqueCiaabesoindefairesonsacmais j’aimeraispasserunpeude tempsseulavecma
petitefille.Mamèrerenifleetmonpèreetmoisortonsdanslanuit.Ilmeprend lamaincommequand j’étaisunepetite filleetnousnousdirigeonsvers le jardinà
l’arrièredelamaison.Laluneetlesétoilessontvoilées,commetoujours.Ilparaîtqu’àunecertaineépoque,quandlecielétaitencoreclair,laluneetlesétoilesscintillaientcommedesdiamants.C’estpeut-êtrevraimaisc’estdifficileàimaginer.Monpèreappuiesuruninterrupteuretdansunbourdonnement,unspotéclairelesmarguerites,les
rosesetlepotager.Leslégumesetlesfleurssontl’œuvredemonpèreetdemesfrères,lalumièreestlamienne. Les lois de la colonie sur l’usage de l’électricité sont très strictes. La production et lestockage sont extrêmement limités dans notre zone. La plupart des familles sont dépourvues decourantsaufcellesquiparviennentàengénérerelles-mêmes.Peus’endonnentlapeine;aprèstout,lesbougiesetleslanternesfonctionnenttrèsbien.Ilyaquelquesannées,j’aidécidédereleverledéfiet papa a accepté de me donner des tuyaux d’irrigation dont il ne se servait pas. J’ai égalementrécupéréàdroiteàgauchedufiletdesmorceauxdecuivre.Leplusdifficileaétédepersuadermamèredemecéderdesbocauxenverre,unpeudenotreprécieuxseletquelquesautresobjetsdontj’avaisbesoin. J’ai ainsi réussi à créerun réseaudequinze lampes toutes alimentéespar l’énergiesolairequemespanneauxemmagasinentdanslajournée.Jepourraisfabriquerunsystèmebeaucoupplussophistiquéaujourd’hui,maispapaveutgardercelui-ci.Nous ledémontonset le remontonsàchacundenosdéménagements.Pendantuninstant,jemedemandequandnousauronsàledéplacerà
nouveaupuis,jemerappellequecettequestionnemeconcerneplus.Monpèrem’entraînejusqu’aubancdechênequ’Haminafabriquépourl’anniversairedemaman.
Nousnousasseyons.Les criquets stridulent et le vent fait bruisser les feuilles de l’arbre au-dessus de nous. Dans le
lointain,entendantl’oreille,ondistinguelehurlementdesloups.Aprèsuneéternité,papaserremamainplusfort.Quandenfinilsedécideàprendrelaparole, il
parlesibasquejedoismerapprocherdeluipourl’entendre.–Ilyadeschosesquejenet’aijamaisdites,Cia.Quej’espéraisnejamaisavoiràtedire.Même
maintenant,jenesuispassûrquejedevrais.Mondosseraidit.–C’estàproposduTest?J’aibeaul’avoirharcelédequestions,papanenousajamaisparlédesjoursqu’ilapassésaucentre
deTestdeTosu,pasplusquedesesannéesd’université.Pendantuninstant,jemesensplusprochedeluiquejamais:jem’apprêteàvivrecequ’ilavécu.Maisenquelquesmots,ilfaitvolercetinstantenéclats.–Tun’auraisjamaisdûêtrechoisie.C’estcommes’ilmegiflait. J’essaiede récupérermamain,mais il s’yaccroche.Son regardse
perddanslanuitetc’estlapeurquejelisdanssesyeux.L’angoissemeserresoudainlapoitrine.– Quand j’avais ton âge, reprend mon père, j’avais le même rêve que toi. Mes parents me
soutenaient.Nousvivionsdanslacolonied’Omaha,unedesplusgrandesdelaCommunautéUnifiée.Et nous avions à peine de quoi manger. Nous étions trop nombreux. Il n’y avait pas assez deressourcespournourrirtouslescitoyens.Toutlemondeconnaissaitaumoinsunepersonnemortedefamine.Mesparentscroyaientquej’avaislescapacitésdechangerlemonde,derestaurerl’équilibrede laTerre.Moi, je voulais qu’ils reçoivent l’argent que le gouvernement alloue aux familles descandidatspourcompenser laperted’une forcede travail. Je reconnais aussique j’étais flattéde laconfiance qu’ils m’accordaient. J’avais envie de croire que je possédais ces qualités qu’ils meprêtaient.Jevoulaisessayer.J’ignoraisque les familles recevaientde l’argent et j’ai enviede luidemander si euxaussivont
recevoircetteallocation,maisjeneveuxpasl’interrompre.–À l’époque, iln’existaitquequatorzecolonies.Nousétions soixanteetonzeaucentredeTest.
L’examen a duréquatre semaines. Je neme rappelle pas une seule journée.Seized’entre nousontréussi.Ledoyendel’universiténousaexpliquéquelamémoiredescandidatsétaiteffacéeaprèsleTest,afind’assurerlaconfidentialitédesépreuves.–Tunepeuxpasdutoutmedirecommentçavasepasser?Je suis déçue. J’espérais que l’expérience de mon père serait un atout. Mais évidemment, le
gouvernementneprendaucunrisque.– Je me rappelle mon arrivée au centre, poursuit mon père. Je me rappelle mon camarade de
chambre,GeoffBillings.Jemerappellequenousavonstrinquéànotrebrillantaveniravecdulaitetdesbiscuits.Ilyavaitbeaucoupàmanger,nousétionstouslesdeuxtrèsexcités.Nousavonsàpeinefermél’œilcettepremièrenuitcarnoussavionsquenotrerêvepouvaits’arrêterdèslelendemainsinousn’étionspasassezbons.Ensuite,plusrien.Puisjemeretrouvedansunegrandepiècefaceàdesexaminateurs et onm’annonce que j’ai réussi.À la rentrée universitaire, trois semaines plus tard,Geoffn’étaitpaslà.Pasplusquelesdeuxfillesdemacoloniequiavaientvoyagéavecmoi.Unechouettepousseuncriperçant,maismonpèrenesemblepasl’entendre.–Lescoursàl’universitéétaientstimulants,jetravaillaisbeaucoupetj’aimaisça.J’aimaissavoir
quejeparticipaisàquelquechosed’important.Mesparentsontréussiàmefairesavoirqu’ilsallaientbienetqu’ilsétaientfiersdemoi.J’étaisheureux.Jen’aiplusjamaisaccordéunepenséeàGeoffet
auxautrescandidatsquiavaientéchoué.Ilfermelespaupièresetmoi,jemedemandecequeçafaitdeperdreunepartiedesessouvenirs.
Queressentirais-jesijenemerappelaisriend’autredeDaileenquelejourdenotrerencontre?Sij’oubliaisnosaventuresetnosfousrires?Cetteseuleidéemedonneenviedepleureretj’entrecroisemesdoigts avecceuxdemonpèrepour lui faire sentirque je suis là.Pour nous rassurer tous lesdeux.–Aprèsl’université,j’aiétéenvoyéàlacolonieLennox.Unbotanisteétaitsurlepointdefaireune
importante découverte et le gouvernement a estimé que je pourrais l’aider. J’ai travaillé là-baspendant un an et puis, un jour, j’ai croisé un garçon quim’a rappeléGeoff. La nuit suivante, j’aicommencéàfairedescauchemars.Jemeréveillaisennageaumilieudelanuit,lesoufflecourt.Montravailsouffraitdemonmanquedesommeiletlesmédecinsofficielsm’ontprescritdespilules.Çan’apasarrêtélesrêves,aucontraire.Jemesuismisàavoirdesvisionsenpleinjour.Audébut,cen’étaitquedesimagessanslienentreelles.Geoffdansunepièceblancheavecdespupitresnoirsquim’adressait un sourire et un geste d’encouragement, une grande horloge rouge dont la trotteusecliquetaitpendantquejemanipulaistroisfilsélectriquesbleus,unefilleentraindehurler.Monpèremelâchebrusquementetselève.Ilsepasselamaindanslescheveuxetsemetàfaireles
centpasdevantlebanc.–Cesvisionssesontarrêtéesbrusquement.Ellesontétéremplacéesparunrêverécurrent.Geoff,
unefilledunomdeMinaetmoi-mêmemarchonsdansuneruebordéedebâtimentsenruines.Deséclats de verre jonchent l’asphalte. Nous cherchons à boire et un endroit où passer la nuit. Lesbâtimentsenruinesmenacentdes’effondrermaisnousytrouvonstoutdemêmerefugepourlanuitàcausedesprédateursquirôdent.Minaboite.Jevaiscouperunebrancheàunarbreetluiproposedeluienfaireunecanne.Pendantquejememetsautravail,Geoffpartexplorerlesenvirons.Minaluirecommandedenepass’éloigner.Ilacquiesce.Quelquesminutesplustard,ilnousappelle.Ilatrouvéquelquechose.Etàcemoment,lemondeexplose.Papasetait.Moncœurbatàtoutromprecontremacagethoracique.–C’estMinaquejeretrouveenpremier,soufflemonpèred’unevoixsibassequejel’entendsà
peine.Àmoitiébrûléesousunmorceaudebéton.Elleadusangpleinlevisage.Ilouvreetrefermelespoingscommepourseforceràcontinuer.Maismoi,jeveuxqu’ilsetaise.
Sonhistoireesttropréelle.Jevoislesang.Jesenssapeur.– J’aperçois la botte de Geoff non loin du corps de Mina. Il me faut quelques secondes pour
réaliserquesonpiedesttoujoursdedansetjememetsàhurler.Etlà,jemeréveille.Noussommesenvironnésparlanuitetlesilence.Lesanimauxsesonttus.Monpèren’estplusmon
pèremaisungarçonàpeineplusâgéquemoi,seuldansunerueinconnueencompagnieducadavredesesamis.–Cen’étaitqu’unrêve.C’estcequepapamechuchotaitquandj’étaispetiteetqu’uncauchemarmeréveillaitenpleinenuit.–Peut-être.Sesyeuxreflètentundésespoirinsondable.– C’est ce que je me suis répété pendant des années. Je me consolais en me disant que je ne
connaissaispersonnedunomdeMina.Aulaboratoire,nousfaisionsdesdécouvertesextraordinaires.Desvariétésdeplantesquej’avaiscontribuéàcréerpoussaientmerveilleusement.Jen’aijamaisparléà personne de ces rêves. Être muté aux Cinq Lacs m’a mis en colère. C’était une humiliation. Jen’avaismêmepasdemaisonàmoietjedevaisdormirdanslesalondeFlintCarro.Jeconnaiscettepartiedel’histoire.Habituellement,illaraconteensouriant.Ilestdevenuamiavec
Flint,lemédecindelacolonie,ilarencontrémamère,lafilledutailleuretesttombéamoureuxdesagrâceetdesagentillesse.
Maisaujourd’huitoutestdifférent.–LamaisondeFlintétaitminusculeetiln’apastardéàserendrecomptequemonsommeilétait
agité.Ilm’aposédesquestions,je l’airembarré.C’estalorsqu’ilm’aparlédesesrêvesà lui.Pasaussi effrayants, mais également perturbants. Des visages de gens qu’il ne se rappelait pas avoirrencontrés.Desamisquiavaientpassé leTestenmêmetempsqueluietdont iln’avaitplus jamaisentendu parler. L’année qui a suivi, Flint etmoi avons essayé de discuter de tout ça avec d’autresanciensétudiants.Nousétionsseptentout.NousdevionsnousmontrerprudentscartouslesemployésdelaCommunautéUnifiéesontencontactrégulieravecdesofficielsdeTosu.Nousnevoulionspasrisquerdeperdrenospostes.Jesuiscertainquequatredesautresdormaientcommedesbébésmaisladoyenne de l’école avait un regard hanté que je reconnaissais. Elle a toujours nié avoir descauchemars,maisjenel’aijamaiscrue.Jemelève,lesbrascroiséssurlapoitrine.–Tunepeuxpasêtresûr!Jevoudraisqu’ilhochelatête,qu’ilreconnaissequetoutçan’estquepurehypothèse.J’aibesoin
qu’illefasse.Maisilsecontentedemeregarderdroitdanslesyeux.–Pendant tout le tempsoùelleadirigé l’école,aucunélèvedesCinq lacsn’aétéchoisipour le
Test.Cen’étaitpasunhasard.Unfrissonmeparcourt.Jenesaisplusquoicroire.Quelesrêvesdemonpèresoientplusquedes
rêvesestinimaginable.Demain,jeparspourTosu.Àlafindelasemaine,jecommenceraileTest.Jenepeuxrefusersouspeined’êtreaccuséedetrahison.J’aienviedehurlermaisjesaisqu’aucunsonnesortiraitdemabouche.Monpèrepassesonbrasautourdemesépaulesetmeramèneverslebanc.Jemelaisseallercontre
luicommequandj’étaispetite.Pendantuninstant,jemesensensécurité.Maisçanedurepas.– D’après Flint, ces rêves sont peut-être provoqués par le procédé utilisé pour effacer notre
mémoire.Notrecerveaucréeraitdefauxsouvenirspourremplacerceuxauxquelsiln’apasaccès.–Maistun’ycroispasuneseconde…Monpèresecouelatête.–J’aiétéheureuxquetesfrèresnesoientpaschoisis.Sihierj’aidécidédenepasciterZeendans
mondiscours,c’estparcequejevenaisd’apprendrequ’unofficieldeTosuétaitenroutepournotrecolonie. Je ne voulais surtout pas que quiconque se demande pourquoi aucun élève n’avait étésélectionnédepuissilongtemps.J’avaispeurqu’uneréévaluationsoitdemandée.Ilposesonmentonsurlehautdemoncrâne.Unelarmecoulesurmajouemaisellenevientpasde
mesyeux.Monpère,quiatoujoursétésifortetsiintelligent,estentraindepleurer.–Etalors?Etmaintenant?Jeme tortille pourme dégager de son étreinte. Jeme lève, prise d’une soudaine colère. Ilm’a
laisséetravailler,étudier,espérersansjamaismeparlerdesesdoutesetdesespeurs.–Jeparsdemainmatin!Pourquoimeracontertoutçamaintenant?Àquoiçasert?Monpèrenehaussepaslavoixpourmerépondre.–Peut-êtreàrien.Peut-êtrequeFlintaraisonetquenosrêvesnesontquedeshallucinations.Mais
peut-êtrequ’ilsetrompeetdanscecas,jepréfèrequetusaches.QuetuaillesàTosulesyeuxgrandsouverts et préparée à ne rien laisser au hasard. Ça pourrait faire la différence entre l’échec et laréussite.Il se lève à son tour et pose sesmains surmes épaules. J’ai envie dem’écarter de luimais les
larmesbrillentencoredanssesyeux.Jechuchote:–Est-cequemamanestaucourant?–Tamèresaitquemamémoireaétéeffacéeetellesaitaussiquejefaisdescauchemars,maisjene
lesluiaijamaisracontés.Jeréfléchisuninstant.Certaineschosesdeviennentplusclaires.–C’estpourçaqu’ellenevoulaitpasquejesoischoisie?Monpèremecaresselajoueaveclepouce.–Cia,jen’aijamaisrevumesparentsdepuisquej’aiparticipéauTest.C’estunhonneurd’avoirun
enfantchoisi,maisc’estaussiunegrandeperte.Ettamèreneveutpasteperdre.
Jenesaispascombiendetempsnousrestonsdebout,faceàface,ensilence.Nousentendonsmesfrèresrentreretmamèrequileurreprochedefinirlesassiettes.Toutsemblesinormal.Quand mes larmes se sont enfin taries, mon père me ramène à l’intérieur. Hamin taquine les
jumeauxenaffirmantquemesamiesflirtaientaveceux.Mamanprépareunthéetposeuneassiettedebiscuits sur la table. Les garçons sortent un paquet de cartes et nous jouons, tous ensemble, unedernièrefois.SaufqueZeenn’estpasencorerentréetqu’ilmemanque.Jenecessedeleverlesyeuxvers laporte,espérant levoirenfinapparaître.J’aimetousmesfrèresmaisc’estàZeenque jemeconfiequandj’aiunproblème.Ilsemontreinvariablementpatientetdebonconseil.Discuteravecluimefaittoujoursdubien.Maiscesoir,iln’estpaslà.Lapartieterminée,mamèremerappellegentimentquejedoispréparermesaffaires.Jeprendsle
sacdelaCommunautéUnifiéeetjevaisdanslachambrequejepartageavecmesfrères.C’estsansdoute parce que je ne la reverrai sûrement plus jamais,mais ce soir, elleme paraît étonnammentaccueillanteetchaleureuse.Unfeucrépitedanslacheminée;untapisélimécouvreunepartiedusol;contre lesmurs, les litssuperposés ; lemien,unpeuà l’écart,est leseuldont lescouverturessonttirées.Quandlesgarçonsontobtenuleurdiplôme,mamèreadéclaréqu’ilsétaientassezgrandspourfaireleurlittoutseuls.Etilsontdécidéqu’ilsétaientassezgrandspournepaslefairedutout.Nousavonschacununecommodepour rangernosvêtementsde tous les jours.Les tenuesde fêteoudecérémoniesontpenduesdansunearmoire.Selon ma mère, la première impression est capitale. Je me mordille la lèvre inférieure en me
demandantquelshabitschoisir.Jemesenstoujoursplussûredemoiquandjesuissurmontrenteetun,maislesimagesquemonpèrem’adécritestoutàl’heuresontprésentesàmonespritetlesdeuxrobesquejepossèdenemeserontd’aucuneutilitédanslesruesd’unevilleenruines.Etmêmesisesrêvesnesontquedesrêves,jesaisaufonddemoiquedejolishabitsnemeservirontàrienpourleTest.Je me décide finalement pour deux pantalons en grosse toile, deux chemises robustes et mes
bottineslesplusconfortables.Toutmevientdemesfrèresetjesuiscontented’emporterunpeud’euxavecmoi.Ilmerestemaintenantàchoisirdeuxobjetspersonnels.Je serais tentée de prendrema flûte ou le collier en argent quemamèrem’a offert pourmon
seizième anniversaire, mais là encore, j’ai intérêt à penser pratique. Après plusieurs minutes deréflexionetd’hésitation, j’optepourmonpetitcouteaupliant.Papaenaoffertunàchacund’entrenous.Ilestaussimunid’untournevisetdequelquesautresoutils.Pourledeuxièmeobjet, j’aibienuneidéemaisilfaudraitquejedemandelapermissionàZeenetiln’estpaslà.L’andernier,papaaautoriséZeenàmettreenplacesespropresprojets.Certainsl’ontamenéloin
au-delàdesfrontièresdelacolonie.Cesfrontièresmatérialiséesparuneclôturen’ontpastantpourbutd’empêcherhumainsouanimauxvenantdel’extérieurdelesfranchirqued’informerlescitoyensdelacoloniequ’ilspénètrentdansunezonenonsécurisée.Lesplantesvénéneusesetlesprédateursnereprésentent qu’une infime partie du danger. Durant les trois époques de la guerre, de violents
tremblementsdeterreontformédeprofondescrevasses.Siunvoyageursolitairetombedansundecesravins, ilpeutsebriser lecou,mourird’hypothermieoudefaim.C’est laraisonpour laquellepapa a donné àZeenun transcommunicateur.C’est unminuscule appareil alloué aux employés dugouvernementparlaCommunautéUnifiée.Ilestéquipéd’uneboussole,d’unemachineàcalculeretd’un système de communication qui permet à Zeen d’entrer en contact avec mon père en cas deproblème. Je ne l’ai jamais utilisé mais si j’en ai besoin je trouverai bien comment le fairefonctionner.Quand Zeen ne travaille pas en dehors de la colonie, il garde son appareil sur une étagère au-
dessusdesonlit.J’aimeraisvraimentqu’ilsoitlàetqu’ilmeledonnelui-même.Jevoudraisqu’ilmepardonned’avoirétéchoisiealorsqu’ilnel’apasété.J’aimeraisaussiluidirequenotrepèreessayaitseulementdeleprotégerennecitantpassonnomlorsdelacérémonie.Qu’iln’étaitpasmotivéparl’egomaisparl’amour.J’enveloppe le transcommunicateur dans une paire de chaussettes et je le glisse dans mon sac.
J’espèrequeZeenrentreraàtempspourquejeluidisequej’aiprissonappareil,maisjesaisqueceneserapaslecas.Zeenestleplusintelligentdemesfrèresetc’estaussileplussensible.Win,HartetHamin sont gentils et aimantsmais ils cultivent une désinvolture qui agace terriblementmamère.Zeen, lui, est un passionné. Il s’emporte facilement mais son empathie est infinie. La perte d’unprocheluiestpratiquementinsupportable.Iln’apasouvertlabouchependantunmoisaprèslamortdenotregrand-père.Assisesursonlit, je luiécrisunpetitmot.Jeveuxleprévenirpour le transcommunicateurmais
surtoutluidirequejel’aimeetquejenel’oublieraipas.Maintenantquemonsacestprêt,jesenslapaniques’emparerdemoi.Demain,jevaisquittertout
cequejeconnaispourunendroitpotentiellementpleindedangers.Là, toutdesuite, jen’aiqu’uneenvie :mecoucheretmecachersousmescouvertures.Maisbiensûr, jene le faispas. Je refermemonsacetjeretournedanslesalonenespérantpasseraumieuxlesquelquesheuresquimerestentavecmafamille.
CHAPITRE4
Mesfrèresdormentencorequandmonpèrevientmeréveilleraprèsunenuitagitée.J’enfileunepairedeleggings,unetuniqueetmesbottinesavantd’attrapermonsac.Mamèremetendunboldelaitchaud.Ellealesyeuxrougesetgonflésmaisellenepleureplus.Ellemerépètequ’elleestfièredemoi.Aumomentdenousdireaurevoir,j’aibeaucoupdemalànepasm’accrocheràellecommeunepetitefillelejourdelarentrée.Jeregrettesoudaintoutletempsquej’aipasséàêtreencolèrecontreelleparcequ’ellenem’encourageaitpasassez.Jecomprendsmaintenant.Elleavaitpeurquejeréussisse.Luttantcontreleslarmes,j’avalemonlaitetjeprendslapommequ’elleaposéepourmoisurle
comptoirdelacuisine.Jeluiprometsd’écrire.Monpèreattenddevantlaporteetjeserremamèredansmesbrasunedernièrefois.Lejourestàpeinelevé.Nousparcouronsunbonkilomètreavantquepapanebriselesilence.–Tuasréussiàdormir?–Unpeu.D’unsommeilentrecoupéderêvesbizarresetinquiétants.–Flintasansdouteraison,tusais.Cescauchemarsnereposentprobablementsurrien.–J’espère.–Moiaussi,soupiremonpèreenmeprenantlamain.Tuesintelligente,Cia.Tuesforteaussi.Je
suis sûr que tu réussiras le Test. Ne te laisse surtout pas impressionner par les autres candidats.Certainsparticipantsdemacolonieétaientvicieux.Ilsétaientprêtsàtoutpourêtrelesmeilleurs.–Prêtsàtout?Passerlanuitàréviserétaitmonnaiecourantedansmaclasse.Moi-même,jel’avaisfaitplusieurs
fois.–Lepoisonétaitunedesméthodespréféréesd’uneoudeuxfillesdel’université,précisemonpère.Jem’immobilise.–Quoi?– Pas suffisamment pour tuer quelqu’un, juste assez pour le rendre malade et l’empêcher de
participer à une épreuve. Lors dema dernière année, je nemangeais que ce que j’apportaismoi-même.–Est-cequ’ilsn’étaientpaspunis?–Ceuxquifaisaientçaétaienttropmalinspoursefaireprendre,merépondpapaavecunsourire
triste,maismêmesiçan’avaitpasété lecas, jenepensepasqu’ilsauraient récoltébeaucoupplusqu’uneréprimande.Cen’estpasévidentdepunirdes jeunesgensquifont leurpossiblepoursortirleurfamilledelapauvreté.Nousgravissonslacollinesanséchangerunmot.Jeréfléchisàcequemonpèrevientdemedire.
Jepeuxtoujoursmerassurercommejepeuxausujetdesrêves,maisça…PasunélèvedesCinqLacsneseraitprêtàs’enprendreàunautredans leseulbutd’êtremieuxclassé.Dansnotrecolonie, sipersonnen’estriche,personnenemeurtnonplusdefaim.Plusmaintenantdumoins.Maisde toutefaçon,quandunefamilleestendifficulté,lasolidaritésemetenplace.Unmondedanslequellesgensiraientjusqu’àutiliserdupoisonpours’ensortirestinconcevableàmesyeux.Alorsquenousapprochonsde laville, leciel secolorepeuàpeude roseetd’orangé.Papame
prendparlesépaules.–Tudoisbienmangeretbiendormir.Çat’aideraàresterenformeetàgarderunepenséeclaire.J’acquiesce.Ilm’adonnécemêmeconseilduranttoutemascolarité.–Faisattentionàquituaccordestaconfiance,Cia,ajoute-t-il.Situt’entiensàça,toutsepassera
bien.C’esttoujoursmaindanslamainquenousentronsdansleparc.Unaérojetnoirornédusceaudela
CommunautéUnifiéenousattenddevant lamaisonde lamagistrateOwens.Tomas,Malachi et desmembres de leurs familles attendent à côté. Malachi a fait des efforts vestimentaires : pantalonamidonné, chemise dont le blanc éclatant contraste avec sa peau sombre, veste, chaussures noirescirées.Àsafaçondesetenir,iln’estpasdifficilededevinerqu’ilseretientdepleurer.LatenuedeTomasestplusprochedelamienne:pantalongrisdélavéettee-shirtcolVcommes’ilsepréparaitàaller travaillerà la fermedesonpèreetnonpasàvoyager jusqu’àunegrandeville.Alorsquesamèreessaievainementdemettreunpeud’ordredanssatignasse,sonexpressionestimpénétrable.Unpeuenretrait,lamagistrateetl’officieldeTosunousfontsigne.MichalGallenestvêtud’une
combinaisonajustéequi,commel’aérojet,portelelogodelaCommunauté.Ilaramenésescheveuxenqueue-de-cheval,cequimetenvaleursonvisageanguleux.LamagistrateOwensentraînemonpèreà l’écart.MichalGallenmesourit et je suis surprisede
découvrirdelachaleurdanssesyeuxverts.–Cevoyageneterendpastropnerveuse,Malencia?medemande-t-il.Jenem’attendaispasàcequ’ilaitretenumonprénom.Jereconnaisquej’ensuisflattée.– L’idée de décevoir ma famille et ma colonie en ratant le Test me rend plus nerveuse que le
voyage,monsieurGallen.Ilrit.–Appelle-moiMichal.Etnet’enfaispas.Çatepassera.Dequoiparle-t-il?Demanervositéoudemoninquiétudepourlacolonie?Jen’aipasletempsde
leluidemander.Ilouvrelehayonarrièredel’aérojetetmetendlamain.–Donne-moitonsac,tun’enauraspasbesoinpendantletrajet.Puisilsortdesapocheunsachettransparentcontenantdeuxbandeauxargentés.–Lepluslargeesttonbraceletd’identification,précise-t-il.Ilportelesymbolequit’estassigné.Tu
nedoisjamaisl’enlever.Leplusfinestpourtonsac,pouréviterqu’ilsoitconfonduavecceluid’unautrecandidat.Avantquej’aieletempsderéagir,ilfaitclaquerlefermoirdubraceletmétalliquesurmonpoignet
et fixe l’autre à la lanière dema besace. Je lève le bras pour regarder de plus près. L’attache estindétectable.Surlemédaillonestgravéeuneétoileàhuitbranchesavecunéclairàl’intérieur.–L’étoileestl’emblèmedetongroupe.J’étaisperduedansmacontemplationetlavoixdeMichalmefaitsursauter.–D’autresontlemêmemaistueslaseuleàavoirl’éclair.–Etcessymbolessignifientquelquechoseoupas?Laquestionm’aéchappé.Peut-êtrequelesdiplôméschoisispourleTestsontcensésconnaîtrela
réponse.Maiss’iltrouvemoninterrogationstupide,Michaln’enmontrerien.–L’étoileàhuitbranchesreprésentelerajeunissement,lerenouveau.Çaveutdirequetongroupe
possèdedesaptitudesdansdifférentsdomaines.C’estplutôtbiend’enfairepartie.Sonsourireestencourageant.Jemedemandedansquelgroupeilétaitquandilalui-mêmepasséle
Test. Sa montre émet un petitbip et son sourire s’évanouit. Zandri n’est toujours pas arrivée. Jecommenceàmedemandersielleestjusteenretard–laponctualitén’ajamaisétésonfort–ousielleafinalementdécidédenepasvenir.Croit-ellequelegouvernementneferapasappliquerlaloi?Michalm’adresseunsignedetêteavantderejoindremonpèreetlamagistrate.Illeurdésignesa
montreetparleavecanimation.Monpèreluidemanded’attendreencoreunpeu.Jemeretourne,unénormepoidssurlapoitrine.C’estàcemomentquejel’aperçoisenfin.Jecrie:–Lavoilà!–Dieumerci,murmureunevoixderrièremoi.Toutenavançantnonchalammentversnous,Zandriretientsajupequelevents’amuseàsoulever
légèrement. Les rayons du soleil font briller ses longs cheveux blonds. Elle sourit. Et ne présenteaucuneexcuse.Elleapréparésonentrée.Elleveutmontrerquesionpeutl’obligeràparticiperauTest,onnepeut
pas la contrôler entièrement. Je l’admiremalgrémoi,mais le regard agacé deMichalm’inquiètepourelle.Monpèrerevientàmescôtés.MichaldonnesonbraceletàZandrietplacesonsacaveclesnôtres.
Sontonn’aplusriendechaleureuxquandilnousordonnedemonteràbord.Quandmonpèremeserrecontre lui, lavagued’émotionsque j’aiessayéde teniràdistanceme
submerge.Jeluidisquejel’aimed’unevoixquelessanglotsmenacentd’étouffer.J’essaiedenepaspenseràZeenquejen’aipasrevu.Monpèrememurmurequ’ilm’aimeaussietmerappelledansunsouffle:–Cia,nefaisconfianceàpersonne.Je suis la dernière àmonter dans l’aérojet.Laporte se fermederrièremoi.Lemoteur vrombit.
Monpèreposesamainsurlavitreetjeposelamiennedel’autrecôté.Nosregardssecroisentetunelarmeéchappeàmadétermination.L’aérojetdécolle.Monpèrereculeetdéjà,leparcettoutcequim’étaitfamiliers’éloignent.Moncœurestdéchiré:je
suisprofondémenttristeetenmêmetempstrèsexcitée.Lesmêmessentimentspartagéssontinscritssurlevisagedemescompagnons.Lacérémoniederemisedediplômesafaitdenousdesadultessurlepapiermaisc’estcedépartquinousfaitréellementgrandir.Noussommesseuls.Lefrontappuyécontrelavitre,j’emmagasinelessouvenirsdeschamps,desfermes,descollines.
Puisunnouveaupaysage,inconnu,apparaît.Jesuisdéjàmontéedansundesaérojetsquemonpèreutilisepourson travail,mais ilétait loin
d’êtreaussisophistiquéetrapide.Ilnepouvaitaccueillirquequatrepersonnesetencore,ilfallaitseserrer.Danscelui-ci,onpourraitfacilementteniràdouze.Lessiègessontconfortablesetàl’arrière,ilyamêmeunepetitecuisine.Sionselève,onnesecognepasauplafond.Jenevoispasnossacsetj’hésiteunmomentàdemanderàMichaloùillesamis,maislaplacedu
conducteurestséparéedesnôtresparunevitre.Deplus,ilal’airconcentréetc’esttantmieux.Silesaérojets sont prévus pour s’élever à quatre mètres, leur système de propulsion exige d’être enpermanence en contact avec le sol. Pour peu que le véhicule passe au-dessus d’un trou ou d’unecrevasse, lemoteur s’arrête. Il est également difficile de les diriger au-dessus des étendues d’eau,c’estpourquoilaplupartsontéquipésdebouéesleurpermettantdeflotter.–C’estlapremièrefoisquejemontedansundecesengins,lanceMalachi.Sesyeuxreflètentunecertaineinquiétude.Sonpèreestunouvrierd’irrigationetsamèrecouddes
couverturesenpatchwork.Cen’estpasétonnantqu’iln’aitjamaiseul’occasiondemontersurquoique ce soit d’autre que son vélo. Jusqu’à aujourd’hui. Je penche la tête pour essayer de voir le
symbole gravé sur son bracelet. Un triangle avec une flèche.Nous ne sommes pas dans lemêmegroupe.– Je crois qu’aucun d’entre nous n’est jamaismonté dans un engin comme celui-ci, commente
Tomas.Àcettevitesse,onseraàTosuavantlanuit.–Tucrois?Tupensesqu’ilsnouslaisserontvisiterlaville?L’angoissedansleregarddeMalachiestremplacéepardelacuriosité.–SansdoutepasavantquenousayonspasséleTest,répondTomas.J’ail’impressionqu’ilsvont
noustenirenlaisse.IldonneunetapesurledosdeMalachiensouriantetajoute:–Maisdèsqu’onseraàl’université,onferacequ’onvoudra,non?Ànouslavilleetlesfilles!Malachiluirendsonsourire.–C’estsûr.–Toutes les filles ne tombent pas dans les bras des étudiants, le rembarreZandri en rejetant sa
crinièredoréeenarrière.Malachi se recroqueville dans son siègemaisTomas se contente de rire.Après unmoment, les
deuxgarçonssemettentàparlerdeTosuetàdécrirelesphotosqu’ilsontvuesdelavilleoùcertainsimmeublespeuventatteindredixétages.Zandricessedebouderetsejointàeuxpourénumérerlesœuvresd’artqu’elleaimeraitvoir.Je ne suis pas étonnée que Tomas ait réussi à mettre tout le monde à l’aise. Pour ma part, je
n’arrivepasàoublierquejesuis laplus jeune.Enclasse,c’étaitpareil. Jene levais lamainquesij’étaissûreàcentpourcentdemaréponse.Alors, jemecontentede lesécouter.Grande,blondeetmagnifique,Zandridégageuneassuranceombrageuse,maisquandelleparled’artavecMalachi,ellesemblemoins sur la défensive. Sa connaissance d’artistesmorts depuis longtemps est surprenante.Tomass’estmisunpeuenretraitetsecontentedeglisserunoudeuxcommentairesçàetlà.Commemoi,ilobserve,jaugelesriresetlessilences.Iltournelatêteversmoietremarquequejeleregarde.Mesjouesdeviennentécarlatesetjebaisselesyeux.Tomasesthabituéàêtreregardé,admirémême.Laplupartdesfillesdemonécolepasseraientlajournéeàlereluqueraulieudeseconcentrersurletableau.Jen’enaijamaisvraimenteul’occasionparcequ’ilétaitassisderrièremoi,maisjenesuispas aveugle.Comme les autres, je suis sensible à ses fossettes, et plus d’une fois j’ai eu envie derepoussercettemèchequiluitombeaumilieudufront.Jen’enaiévidemmentjamaiseulecourage.Ce qui ne me pose pas de problème. Les garçons et les sorties n’ont jamais été sur ma liste depriorités.Etlà,cen’estvraimentpaslemoment.Le trio éclate de rire et bien que j’aie l’impression d’être mise à l’écart, j’essaie d’avoir l’air
intéresséeparleursbavardages.Zandri etMalachi avouent ne pas avoir passé une très bonne nuit et après s’être étirés et avoir
copieusement bâillé, ils se mettent en position pour dormir dans leur siège. Ils tombent presqueaussitôtdanslesbrasdeMorphée.–Allonsderrièrepournepaslesdéranger,memurmureTomas.Lesbattementsdemoncœurs’accélèrentunpeualorsquejeluiemboîtelepas.Nousexploronsla
cabineetjetombesurunsachetcontenantdesfruitssecs,dufromageetdesbiscottes.Puisjepousselapetiteportequidonnesurlestoilettes.Nousnousinstallonssurlessièges.– C’est dingue de se dire qu’on a été choisis, lance Tomas en tournant une tranche de pomme
séchéeentresesdoigts.Le symbole sur sonbracelet est lemêmeque lemien.Nous sommesdans lemêmegroupe.Ma
surpriseetmon inquiétudedoiventêtrevisiblesparcequ’ilmedemandesi j’aiunproblème.Je luirépète les explications deMichal. Et commeMalachi et Zandri ronflent toujours, je décide d’être
complètementhonnête.Jesoupire:–Çavaêtredifficiled’êtremeilleurquetoi.–Turigoles,là?Ilseredresseetsepencheenavantpourmeregarderdeplusprès.Finalement,iléclatederire.–Non,tunerigolespas!Jehausselesépaules.–M Jorghensteconsidèrecommelemeilleurdelaclasse–Ça,c’est justeparceque laprofn’étaitpas là l’andernier.Ellene saitpasquec’est toiquias
fabriquélesgénérateurséoliensetsolairesquel’écoleutilise.–Monpèrem’aaidée.Cen’estpasdelafaussemodestie.Jen’auraisjamaisréussisanslui.Jereprends:–D’aprèslui,lesystèmed’irrigationquetuasconçuvapermettrederevitaliserdeszonesau-delà
deslimitesdelacolonie.C’estgénial.C’estàsontourdehausserlesépaules.–Monpèreatoutdessiné.J’aijusteajoutéuneoudeuxidéesicietlà.Jenedispasquecen’était
pas important,mais je suis loind’être legéniequeM Jorghens s’est entêtée àvoir enmoi toutel’année.J’ail’impressionqu’ellecroyaitquetouslesélèvesdesCinqLacsétaientdesdemeurés.Sansdouteparcequeçafaisaitdesannéesqu’aucunn’avaitétéchoisipourleTest.Jesuisd’accordaveclui.IlestévidentqueM JorghensestarrivéeauxCinqLacsavecdesidées
préconçues. Les premiers temps, elle prenait soin de parler lentement en n’utilisant que des motssimples. On aurait dit qu’elle s’adressait à des gamins de quatre ans. Comme premier sujet derédaction,ellenousademandéderacontercequenousavionsfaitpendantnosvacances.Aprèsça,tout a changé et les cours sont devenus plus complexes. Je me demande maintenant si mon pèren’avaitpasraisonhiersoir.Peut-êtrequenotreancienneprofesseurfaisaitensortequelesofficielsdeTosunenouscroientpasassezintelligentspourparticiperauTest.Maispourquoi?Parcequ’ellenevoulaitpasséparerlesfamilles?Ouparcequ’ellepensaitqueleTestétaitdangereux?–Àquoitupenses?medemandeTomas.Jesursauteetjeprendsunairinnocent.–Quoi?Ilhausseunsourcil.Iln’estpasdupe.Jememordslalèvreetjemelance:– Pourquoi crois-tu qu’aucun élève des Cinq Lacs n’a été sélectionné pour le Test pendant si
longtemps?Ilplisselenezetprendletempsderéfléchir.–Peut-êtreque legouvernementde laCommunautéUnifiée trouvaitquenotrecolonieétait trop
petitepourlapriverdecitoyens.Les Cinq Lacs ont beaucoup grandi ces dix dernières années. À peu près trois cent cinquante
nouveauxcitoyenssontvenuss’yinstaller.Malgrétout,çarestepeusil’onconsidèrequelesautrescoloniescomptentjusqu’àdixmillehabitants.Tomasmedévisage.–Tucroisqu’ilyauneautreraison?medemande-t-il.J’aimerais pouvoir partager avec lui les soupçons de mon père. Ce serait rassurant de savoir
qu’uneautrepaired’yeuxestattentiveàunéventueldanger.Maismonpèreaétéclair : jenedoisfaire confiance à personne. Si Tomas et moi étions seuls, je choisirais peut-être d’ignorerl’avertissementmaisjesuisobligéedepenserauxautres.Jemecontentedoncd’un:–Jediraisquec’estunepossibilité.–Ehbien,situapprendsquelquechoseàcesujet,tiens-moiaucourant.Çaferaplaisiràmonfrère.
Iln’apasencaisséquej’aieétéchoisialorsqu’ilavaitéchoué.Jehochelatête.
lle
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–MonfrèreZeenaeulamêmeréaction.Tomasmesourittoutesfossettesdehorsetpendantl’heurequisuitnousdiscutonsdenosamis,de
notre famille, de tout ce qui nous manquera des Cinq Lacs, de nos ambitions et de nos espoirs.J’apprendsavecsurprisequ’ilveuttravaillerdanslagénétiquevégétalecommemonpère.Jepensaisqu’ilopteraitpourunsecteurplusprestigieux.Pourtant,aprèsréflexion,c’estassezlogique.Tomasestmignonetiladucharismemaisiln’enajamaisabusé.Ilesttoujoursprêtàaiderunvoisinet iln’attendjamaisderemerciementsouderécompenseenretour.Jepensequemonpèreseraitfierdel’avoirdanssonéquipe.Nousavonsterminélesachetdefruitssecsmaisnousavonsencorefaim.Tomasprendunpaquet
debiscuitsets’apprêteàl’ouvrirquandMichalnousprévient:–Onvas’arrêterpourdéjeunerdansquelquesminutes.Vousdevriezréveillervosamis.Nous n’y sommespas obligés.La voix deMichal a suffi à tirerZandri etMalachi du sommeil.
Pendant qu’ils bâillent et s’étirent, jeme demande commentMichal a su que Tomas avait pris lesbiscuits.Letimingétaittropparfaitpourquecesoitunecoïncidence.Pourtant,Tomas,nisurprisniinquiet,rangelepaquetdansunplacard.IldoitsupposerqueMichalatournélatêteetnousavusparlavitre.Maismoi,jesaisquecen’estpaslecas.Alors?Là,dansuncoinde lacabine, je repèreunminuscule ronddeverre.Unobjectifdecaméra?Je
scrutediscrètementlerestedelacabine.Jen’envoispasd’autres.Jesuispresquesûred’avoirraison.Nous sommes observés. Par Michal ou d’autres ? Le Test aurait-il déjà commencé ? L’idée
d’apparaîtresurunécranquelquepartmedonnelachairdepoule.PeudegensenpossèdentunauxCinqLacs.Monpère,lamagistrateettroisouquatreautrespersonnesdanstoutelacolonie.Ilssontéteintslaplupartdutemps.Ondiraitquecen’estpaslecaspartout.Je me lève pour m’approcher du poste de pilotage. J’ai l’impression que la caméra suit mes
moindresmouvements.Est-ellemunied’unmicro?Si jepouvais, jeregarderaisdeplusprèsmaisc’est troprisqué.De toute façon, ilvautmieuxpartirduprincipequesiquelqu’unnousregarde, ilnousécouteprobablement aussi. J’appuiemon front contre lavitre et j’essaiedegarderun visageimpassible.L’étendue brune et craquelée que nous avons survolée estmaintenant remplacée par un paysage
plus vert. La terre est aussi plus foncée, plus riche ; c’est le signe de la revitalisation. Le fruit dutravaild’uneautrecolonie.Auloin,jedistinguedesédifices.Certainssonttrèsélevés.Plusélevésqueceux des Cinq Lacs. Je me demande de quelle colonie il s’agit et je réalise que j’ai dû poser laquestionàvoixhautequandMichalmerépond:–C’estlacolonied’Ames.Nousallonsnousposerenpériphériepourdéjeuner.LecomitédeTesta
prévudenouslivreràmangeràcepointderendez-vous.Jem’étonne:–Nousneverronspaslacolonie?–Unautrejour.Pourlemoment, lecomitépréfèreévitertoutcontactavecd’éventuellessources
d’informationextérieures.Etmaintenantassieds-toisituneveuxpastomberpendantl’atterrissage.J’obéisetjerépèteauxautreslesinformationsquevientdemedélivrerMichal.Lacaméraetlefait
quenosdéplacementssoient restreintsmecrispeunpeu.L’aérojet ralentitpuisdescendavantdeseposerdansunsoubresautquiprojetteMalachiparterre.–Désolé,s’excuseMichalensortantdelacabinedepilotagepourvenirdenotrecôté.J’aitoujours
dumalàmeposeretpuis,lesfreinssontneufsetjenelessenspastrèsbien.Il tendlamainàMalachipour l’aideràseredresseretappuieensuitesurunbouton.Laportière
s’ouvredansun soupir.L’air chaud et uneodeurd’arbre et d’herbenous sautent à la figure.NoussuivonsMichaljusqu’àunepetitecabane,nichéeaumilieud’arbustes,debuissonsetdeplates-bandesfleuries.C’estdifficiledecroirequ’àseulementquelquesmètres, la terreestasséchéeetmourante.
Celuiquis’estoccupédesplantationsabientravaillé.Lacuisineestéquipéed’unetableetdecinqchaises.Danslefond,uneportedonneprobablement
surdestoilettes.Letoutnefaitpasplusdequatreoucinqmètrescarrésetembaumelerôtigrillé,leslégumeset l’ail.Sur lecomptoir,uneclocheenverreprotègeunemichedepainetunmorceaudefromage.Ilfaitfrais,presquefroidetMichalneveutpasquenousouvrionslesfenêtrespournepasdéréglerleclimatiseur.Lesunsaprèslesautres,nousallonsnouslaverlesmainsetnouspasserdel’eausur levisage. Jepasse ladernièreetenattendantmon tour, je fais semblantdemepromenerdanslapetitepièce.Lapremièrecaméraquejerepèreestplacéedanslelustreau-dessusdelatable.Ladeuxièmedanslecoingaucheduplafond.S’ilyenad’autres,ellessont tropbiencachéespourmoi.Detoutefaçon,cesdeux-làsuffisentàmegâcherleplaisirdurepas.Malgrétout,jem’efforcedemangernormalement.Jesourisetjeris.Ducoindel’œil,jeremarquequeMichalm’observeaveccuriosité.Ilregardelacamérapuismeregardedenouveau.Ilsaitquejesais.Ilsemblesatisfait.Presquefierdemoi.J’enfourneungrosmorceaudepain.Çam’évitedeparleretçamedonneunpeude tempspour
réfléchir.Ilsemblequejeviennederéussiruneépreuve.Ilafaitexprèsdenousinterpellertoutàl’heuredansl’aérojet.Biensûr,Michalestleplusjeune
desOfficielsquej’aiejamaisrencontrésmaisiln’apasétéchoisipournousescorterparhasard.Iln’aurait pas commis ce genre d’erreur. Maintenant, une question se pose : était-ce une épreuveordonnéeparsessupérieursouuneaidedesapart?Ilposeuneassiettedebiscuitssur la table.Ondiraitceuxquemamèreavaitpréparéspourfêter
mondiplômeetaulieudemefaireenvie,ilsmeserrentlecœur.Lesautresseservent,ravisdecettefriandiseinattendue;moi,jerepoussemachaiseetdemandesijepeuxallermarcherunpeu.– Je reste dans les environs, promis. Je veux juste me dégourdir un peu les jambes avant de
remonterdansl’aérojet.–Pasdesouci,accepteMichalenjetantuncoupd’œilàsamontre.Tuastrenteminutesdevanttoi.
Quelqu’unveutl’accompagner?Personnenebouge.Jemedécidequandmêmeàprendreuncookieetjesors.Lesoleilesthautdans
leciel.Lachaleurestmerveilleusementagréable.Cequi l’estplusencore,c’est la sensationd’êtrelibre.Sanscaméranipersonnepourm’espionneretmejuger,jen’aipluspeurdemetromperoudedireunebêtise.Sachantcequim’attend,jem’appliqueàprofiteraumieuxdecesderniersmomentsd’insouciance.Dans lessemainesquiviennent, jepuiserai lecalmeet laséréniténécessairedans lesouvenirdecettejournée.Jemedirigeversunbosquet.L’herbehautem’arrivepresqueauxhanches.Jegrignotemonbiscuitquandunevoixm’interpelle:–Cia!Attends-moi!Jemeretourne, lamainenvisièresur lefront.Jesuisdéjààprèsdecentmètresde lacabaneet
Tomascourtpourmerejoindre.Àl’idéedepartagermesderniersinstantsdetranquillité,j’aienviedeluihurlerdes’enaller.Maiss’ilretourneprèsdesautres,ilserasousl’œildescaméras,alorsjemeretiens.–Onvaoù?medemande-t-ilenhaletant.–Jusqu’auxarbreslà-bas.Nousmarchonsensilenceavantdenousasseoiràl’ombre,surlesolfrais.–TudevraisfaireattentionouZandrivaêtrejalouse!Je le taquinemais une certaine vérité se cache derrièremaplaisanterie.Chaque fois queZandri
rejettesacrinièreblondeenarrière,ouqu’ellebatdescils,c’estàl’intentiondeTomas.Ilnesemblepasyprêtergrandeattentionetjenesuispassûredecequejeressentiraissijemerendaiscomptequ’ilestintéressé.
–Jenem’inquiètepaspourelle,rétorque-t-il,maispourtoi.Samaineffleuremonbrasetjenepeuxretenirunfrisson.–Pourquoi?–Jeteconnais,Cia,jesaisquequelquechosetetracasse.Jehausselesépaules.–Onvientdequitternosfamillesetnosamis.Onnelesreverrapeut-êtreplusjamais.–Jesaiscommenttuesquandtutefaisdusoucipourtafamille,jesaisaussireconnaîtrequandtu
stressespourunexamen.Maislà,c’estdifférent.Ilposesamainsurlamienne.–Jesaisquenousnenousfréquentionspasbeaucoupàl’école,maistupeuxmefaireconfiance,
murmure-t-il.Mais c’est justement de ça que je ne suis pas sûre. J’évite son regard en tournant la tête vers
l’aérojet et la cabane. Je connais Tomas depuis toujours. Nous avons travaillé sur des projetsensemble, nous avons partagé des jeux et nous avons même dansé dans les bras l’un de l’autrependantuneheuremémorablelorsdelafêtedesdiplômesdel’andernier.Enrevanchecetteannée,nousnenoussommespresquepasadressélaparole.Parmafauteuniquement.Tomasm’aplusd’unefoisproposédemeraccompagnermaisj’aitoujourstrouvéuneraisonderefuser.Lesmoqueriesdemesfrèresaprèslafameusesoirée,lesregardsnoirsdesautresfilles,mesdoutessurlasignificationdecemoment,toutcelam’afaitpeur.Aujourd’hui,j’ailechoixentrereculerencoreoufaireunpasverslui.Techniquement,TomasestmonadversaireauTestetpourcetteraison,jeferaismieuxdelerepousser.Lesautressortentàleurtourdelacabane.Bientôt,nousseronsdenouveausousl’œildelacaméra.
Je sais que c’est ma dernière chance de parler sans risquer d’être entendue. Mon père m’arecommandédenefaireconfianceàpersonnemaisl’airgravedeTomasfinitdemeconvaincre.Sijecommetsuneerreur,j’ensupporterailesconséquences.–Ilyaunecaméradansl’aérojetetj’enaivudeuxlàoùnousavonsdéjeuné.–Tuessûre?J’acquiesce.Unemèchedecheveuxluitombesurlefront.–Jenecomprendspas.Pourquoiprendraient-ilslapeinedenoussurveiller?Jehochelatête.–ParcequeleTestadéjàcommencé.
CHAPITRE5
Jeme retrouve à tout raconter àTomas.Les souvenirs effacés demonpère, ses cauchemars, laquasi-certitudequenotreancienneprofesseurfaisaitlesmêmescauchemarsetausédesoninfluencepourempêcherlesélèvesdesCinqlacsd’êtresélectionnéspourleTest.Quandj’aiterminé,jeretiensmonsouffle.Tomasvasansdoutesemoquerdemoioumetraiterdefolle.Àmoinsqu’ilnetentedeme rassurer en me promettant que cet examen n’est pas différent de ceux que nous avons passéspendantnotrescolarité.Maisaulieudeça,ilsemordlalèvreavantdelâcher:–Jesuiscontentqu’onsoitdanslemêmegroupe.Onpourras’entraider.–Tucroisquelescraintesdemonpèresontfondées?–Jecroisqu’ilvautmieuxseprépareràtout.Sitonpèresetrompe,restersurnosgardesnepeut
pasnousfairedemal,s’ilaraison…Sesdoigtss’entrecroisentaveclesmiensetlesmotsqu’iln’apasprononcésflottententrenousun
moment.Unsifflementnousfaitsursauter.Michalnousfaitsigne.Ilesttempsdepartir.Tomas se redresse en gardant mamain dans la sienne. Il ne la lâche qu’après que nous avons
traversé l’herbehaute. Il sort de sa pocheunmouchoir en cotonblancdans lequel il a placé deuxbiscuits.Ilenprendunetm’offrel’autre.–Tiens,partenaire.Lemotmefaitsourire.Partenaire.Nousl’avonsétéàplusieursreprises.Àchaquefoisquenous
avonstravailléensemble,nousavonsobtenulesmeilleuresnotesdelaclasse.J’espèrequecettefoisceserapareil.J’aijusteletempsdeluifaireprofiterd’unautreavertissementdemonpère.–N’acceptesurtoutrienàmangerd’unautreélèvequandonseralà-bas.Onnesaitjamais.Commejem’yattendais,Zandrinesemblepastrèscontentedemevoirarriverencompagniede
Tomas.Ilsepourraitquejen’aiepasseulementgagnéunpartenaire,maiségalementunadversaire.Jenepensepasqu’ellesoitcapabledem’empoisonnermaislalongueurdesesonglesestloindemerassurer.Tomassedirigeversl’arrièredel’aérojetoùils’assoitaveclesautres.Alorsquejem’apprêteàle
rejoindre,unemainseposesurmonbras.–Toutvabien,Malencia?Michal semble inquiet. Je n’arrête pas de penser à la caméra qui observe la moindre de mes
réactions.J’afficheunsourireétonné.–Oui,biensûr,toutvabien.C’étaittrèsintéressantdevoirdeprèstoutcetravailderevitalisation.
Monpèreseraitimpressionné.Michaljetteuncoupd’œilversl’objectifavantdemeretournermonsourire.Jen’aiplusdedoute
àprésent.Mêmesij’enignorelaraison,ilestévidentqueMichaladécidédem’aider.Etilal’airdetrouverquejem’ensorstrèsbien.Ilreprendsaplaceaupostedepilotageetjemonteàmontour.Zandriesttrèsoccupéeàdiscuter
avecTomasd’unesoiréeà laquelle ilsétaient tous lesdeuxprésents.Elle tripotesonbraceletornéd’unefleuretsepencheenavantpourmettreenévidencesondécolleté.Jenesaispassiceuxquinoussurveillent sont agacés par sonmanègemais en tout cas,moi je le suis.Àmon avis, son sujet deconversationest loinderendrecomptedesonintelligence.Sionajouteàçasaréticenceàveniretsonretard…Jeprofited’unblancdansleurdiscussionpourluiposerdesquestionssurlemoulinqu’elleaaidé
àconcevoir.Lesarchitectesdelacoloniefontparfoisappelàellepoursonsensdelasymétrieetdel’harmonie.Jesuissûrequ’elledessinesesbijouxelle-même.Ellemejetteunregardétonné.Sansdouteparcequej’aimoiaussitravaillésurleprojet,maiselle
nerésistepasàl’occasiondeparlerd’elle.TomassemontreintéresséetpousseégalementMalachiàmettresescompétencesenavant.Duranttoutel’heurequisuit,nousinterrogeonsnoscamaradesafinqu’ilsdonnentunebonneimaged’eux-mêmesàceuxquinousépient.Noussommesconcurrentsmaisnousvenonsdelamêmecolonie.Çacompteàmesyeux.Peuàpeu,jecommenceàsentirlafatigue.ÇadoitsevoircarTomasmesouffle:–Pourquoiest-cequetun’essayespasdedormirunpeu?Ilmefaitdelaplaceetajoute:–Jeteréveillerais’ilsepassequelquechose.Jesuissonconseiletjem’étendssurlabanquette.Jenesuispassûrederéussiràdormirenpensant
quejerisquedebaverdansmonsommeiletqueTomaspourraits’enrendrecompte.Malgrétout,jefermelesyeux.Ladernièrechosequej’entendsavantdem’assoupir,c’estTomasquidemandeauxautresdeparlerplusbas.Jerêvedemonpère.Iln’estpascommecederniersoirquenousavonspasséensemble.Ilestle
père que j’ai toujours connu, celui qui m’a patiemment enseigné comment séparer les gènes desplantes à fleurs. Ilme tient lamain alors que j’essaie d’imiter ses gestes. Souvent on commet deserreursgrossièresaprèsavoirfaituneimportantedécouverte,m’explique-t-il,maisjenedoisjamaismedécourager,caronapprendbeaucoupdeseserreurs.–Cia,réveille-toi.Monpèremesecoue,maiscen’estpasmonpère,c’estTomas.Jenesuisplusàlamaison.–Réveille-toi,Michalditquetunedoispasraterça.Michalaraison.Uneincroyableétendued’eaumiroitesousnosyeux.C’estmagnifique.LesCinq
lacsquiontdonnéleurnomànotrecolonieontéténettoyésmaisilssontloind’êtreaussibeaux.J’enailesoufflecoupé.Desimmeublesargentéss’élèventàl’horizon.Leslumièresquilesilluminentsontassezpuissantes
pourêtrevuesàdeslieuesàlaronde.Tosu.Noussommesarrivés.Àl’école,nousavonsapprisqueTosuaquatre-vingt-dix-neufans.Lorsdesafondation,elleétait
lesymboledelasurviedenotreespèce.Lelieun’avaitpasétéchoisiparhasard:durantlesquatrepremièresépoquesdelaguerre,quandleshumainsessayaientdesedétruirelesunslesautres,lavillequisedressaitàcetendroitavaittoujoursétéconsidéréecommeuneciblenégligeable.Biensûr,lorsdes trois époques suivantes, celles où la Terre s’était rebellée, elle n’avait pas échappé auxtremblementsdeterre,auxtornadesouauxinondations.Maisquandlescataclysmesavaientprisfin,deshommesetdesfemmes,rescapés,avaientcommencéàreconstruire.Àmesurequenousapprochons,lesimmeublesmeparaissentdeplusenplusgrands.Cedoitêtre
enmêmetempsexcitanteteffrayantderegarderlemondedusommetdecestours.D’ailleurs,mêmelesmoinshautessont impressionnantes,avec leur silhouettecylindriquedemétaletdeverre. Il est
impossiblededistinguer cellesquidatentd’avant laguerrede cellesquiont été édifiées plus tard.L’aérojetentamesadescenteetnousapercevons lesgensdans les rues.Descentaines,desmilliers.Quimarchent, courent, rient.Desvéhiculesvolantsde toutes les taillespartagent l’espaceavecdesbicyclettes et des vieilles voitures. La plupart des rues sont larges et parfaitement propres. C’estexactementcommeçaquej’imaginaisnotrecapitale,notreespoirpourlefutur.C’estainsiqu’unjourseront toutes les colonies.Mais à mesure que nous avançons, je découvre aussi des zonesmoinsreluisantes. Ici, les gens semblent fatigués etmal nourris.Certains donnent l’impressionde ne pass’êtrelavésdepuisdessemaines.Jemedemandepourquoi.Laplusgrandepartiedenotrepopulationseconcentreici,àTosu.Plusdecentmillepersonnesviventdanslacapitaleetavantaujourd’hui,jen’avaispasprislamesuredecechiffre.Tomasglissesamaindanslamienne.Danssonvisagepâle,sesyeuxsontécarquillés.Jenesuispaslaseuleàmesentirtoutepetiteetperdue.Michal nous annonce qu’il nous emmène directement au centre de Test. Pas de promenade
touristique pour nous. Pourtant, il prend soin de passer devant le Capitole et le département de laJustice, les deux endroits que Malachi souhaitait voir. L’aérojet passe sous une grande archesurmontéed’uneenseigneenferforgé:UniversitédelaCommunautéUnifiée.Voilà,nousysommes.Lesbâtimentsdebriquerougesontvieux.Ilyaunetouravecunehorloge,
d’autres édifices sont en verre, certains en pierre. Tout respire l’ancienneté et la sagesse. Uneimmense sculpture représente deuxmains jointes – en prière ? En attente ? Zandri le saurait sansdoutemaisjen’aipasenviedeparler,jeveuxjusteregarder.Nouspassonsdevantunstadeavantderalentir.L’aérojetseposeaupiedd’unebâtissetoutenverre
et fer noirs. Les fleurs, les buissons et les arbres plantés autour ne parviennent pas à atténuer sasévérité.Uneplaquedebronzeannonce:CentredeTest.Jedescendsdel’aérojet,unpoidsaucreuxdel’estomac.Unemainseposesurmonépaule.Tomas.
Soncontactm’aideàrepousserlapaniquequimenacedemesubmerger.–Tiens!Michalmetendmonsac.–Neleperdspasdevue,meconseille-t-ilàvoixbasse.Nosregardssecroisent.Lesienestgrave.Jedoisfaireattention.Puis,commes’ilnem’avaitriendit,Michallanced’unevoixforte:– Dès que votre arrivée sera enregistrée, vos chambres vous seront assignées. La plupart des
candidatssontdéjàarrivés.Lesautresserontlàdanslasoirée.Ilajouteavecungrandsourire:–Vousêtesprêts?Nousacquiesçons.Sinousne l’étionspas,çanechangerait rien.Michalcompose lecodesur le
clavierdelaported’entréeetnouslesuivonsàl’intérieur.Tomasestledernieràfranchirleseuil.Laporteserefermederrièreluidansunclaquementdeverrous.Nousdébouchonsdansuncouloirmaléclairé, à la peinture écaillée, au sol d’un gris terne.Deux chaises disposées dans un coin laissentimaginer que l’on peut s’asseoir pour discuter mais je doute que qui que ce soit le fasse. Nousarrivonsdevantunerangéed’ascenseurs.Jen’enaijamaisutilisémaisj’aiétudiéleurfonctionnementen cours. Une des portesmétalliques s’ouvre et nous nous engouffrons à l’intérieur. En quelquesinstants, nous arrivons au cinquième étage.Nous sortons et découvrons cette fois unvaste couloiravecdesampoulesélectriques,desmurspeintsenbleuetunsolcarrelédeblanc.Enface,derrièreuneparoideverre,desjeunesgensdenotreâgesontassisàdestables.Desdizainesetdesdizainesd’autrescandidats.Derrièreunimposantbureau,unetrèsgrossefemmes’éclaircitlagorge.Elleadelongscheveux
blancsetbouclésetdeslunettesrondes.Ellenoussouritetselèvepournousaccueillir.D’unevoixchaleureuse,ellenousfélicited’avoirétéchoisis.
–Vousarrivezjustepourl’heuredurepas.Vouspouvezpasservousrafraîchirdansvoschambresouallerdirectementauréfectoire.Elledésignelagrandesallederrièrelaparoideverre.Jemedéciderapidement.–Jepréfèreallermangertoutdesuite.Si je vais dansma chambre, je n’aurai peut-être pas le courage de redescendre. Zandri semble
vouloir protester mais Tomas est d’accord avec moi, ce qui clôt le débat. Michal m’adresse unhochementdetêtediscret.Quandnousentrons,lesilencesefait.Noussommesobservés,jaugésetpuislesdiscussionsetles
bruits de couverts reprennent. Trois serveurs se tiennent derrière un buffet couvert de nourriture.Plusieurssortesdepain,despommes,desoranges,duraisin;unragoûtdebœufetdelégumes,descarottes et des oignons en saumure, d’épaisses tranches d’un poisson inconnu.Michal me soufflequ’ils’agitdesaumon.Suruneautretablesontdisposéslesdesserts.–Prendsuneassietteetsers-toidetoutcequitefaitenvie,merecommandeMichalensuivantson
propreconseil.Jechoisisunpetitmorceaudesaumon,descarottes,unepommeetunpainauxraisinsetauxnoix.
Justecequejepeuxmanger.Touslescandidatsn’ontpassuivicetterègle.Nombreuxsontceuxavecplusieursassiettesdevanteux.Ilsgoûtentunpeudetoutetlaissentcequineleurplaîtpas.Monpèrem’aapprisàrespecterlanourritureetàlapartageravecnosvoisins.Cegâchismecouperaitpresquel’appétit.Les tables les plus proches du buffet sont complètes. Nous traversons la salle sous les regards
curieux.Aprèsavoirposémonassiette,jemeretournejusteaumomentoùungarçonauxcheveuxenbatailleetau regardsournois tend la jambepour faireuncroche-piedàMalachiqui trébuche.Sonassiette s’écraseau soldansunbruit fracassant.SiTomasne l’avaitpas rattrapé,Malachi se seraitétalélenezdansleragoût.Gêné,ilmarmonnedesexcusesetcommenceànettoyermaisMichall’enempêche.–Cen’étaitpastafaute.Iljetteuncoupd’œilverslegarçonmalcoiffé,occupéàsegoinfrerd’uneénormepartdegâteau.–Prendsmonassiette,lance-t-ilàl’intentiondeMalachi.Jevaischercherquelqu’unpournettoyer.Lesyeuxbaissés,Malachiobéit.Sahonteestpresquepalpable.Jem’aperçoisque j’ai lespoings
serrés.Laragecourtdansmesveines.Dansmafamille,nousavonsapprisàdiscuterpourrésoudrenosdifférends,maisj’aiquatregrandsfrèresetjesaismebattre.–Cia,tonrepasrefroidit.Lesmots deTomas sonnent comme un avertissement.Nous sommes observés.Chacune demes
réactionsestjugée.Cen’estpaslemomentdemefaireremarquer.Maislevisagedececandidatestgravédansmamémoire.J’inspireprofondémentavantdeprendremafourchette.TomasdonneuncoupdecoudeàMalachi
et lui murmure quelque chose à l’oreille. Je ne sais pas ce qu’il lui dit mais il obtient l’effetescompté :Malachise reprendetcommenceàmanger.Michal revientavecunenouvelleassietteetnousnousmettonsàdiscuterdetoutetderien.Desbribesdeconversationsmeparviennentdestablesvoisines.Lesautressedemandentd’oùonvient.Certainsontd’ailleursdevinémais lamentiondesCinqLacsnerécoltequedesriresétouffés.Ilsnousconsidèrentmanifestementcommedesimbécilesdontilestinutiled’avoirpeur.Monangoissenecessedecroître.Jeparviensquandmêmeàmangertoutmonrepassaufmapomme.Lesaumonétaitprobablement
trèsbon,mais jen’étaispasdans lemeilleur étatd’espritpour apprécierdenouvelles saveurs.Unnouveaugroupeentredansleréfectoire.Ilssontsixets’installentjustederrièrenous.Ilssehâtentdemangeralorsquedesfemmesencombinaisoncommencentàdébarrasser.Unevoixretentitdans lasalle.
–BienvenueàTosuetfélicitationàtous!Ilmefautquelquessecondespourrepérerleshaut-parleurs.Del’autrecôtédelavitre,lafemme
quinousaaccueillisparledansunmicro.–Vousêtesaujourd’huicenthuitmaisvingtd’entrevousaumaximumentrerontàl’université.Moinsd’unechancesurcinq.Unerumeurs’élèvedansleréfectoire.Certainssemblentconfiants,
voiretropconfiants,d’autress’étonnentavecinquiétudeduchiffrequivientd’êtreannoncé.–Puisque tout lemonde est enfin arrivé, reprend la femme, leTest commencera demainmatin.
Dansdixminutes,vousrejoindrezvoschambresquevouspartagerezavecunautrecandidat.Sil’onnevousenapasencoredésignéune,demandezàl’officielchargédevousescorter.Jevousconseilledevousreposercarvousaurezbesoindetoutevotreconcentrationdanslesjoursetlessemainesàvenir.Enmedonnantlafeuillesurlaquelleestnotélenumérodemachambre,Michalmefixequelques
secondes.C’estsafaçondemesouhaiterbonnechance.Àl’extérieurduréfectoire,lesgarçonssontdirigésversladroite,lesfillesverslagauche.Zandri
etmoi regardonsMalachietTomaspartirde leurcôtéavantdenouséloigner. J’ai lachambre34,Zandrila28.Prised’uneimpulsion,jelaserredansmesbras.Aucunedenousdeuxnesaitdequoidemainserafait.J’espèredetoutmoncœurqu’ellevaréussir.Ellemesurprendenmerendantmonétreinte.Quandelles’écarte,ellemesourit:–Onvaleurmontrerdequoionestcapables!–C’estsûr!Une fois seule, je remonte le couloir.Devant la porte 34, je retiensma respiration et je pose la
mainsurlapoignée.Puisjemedécideàouvrir.–Bonjour,m’accueilleunevoixclaire.Lachambreestgrandeetlumineuse.Ellecontientdeuxlits,deuxbureauxetdeuxchaises.Unefille
trèsjolie,svelteetauxlongscheveuxblondssetientprèsdelafenêtre.Ellemesourit.–JesuisRymedelacolonieDixon,seprésente-t-elle.–Bonjour,jesuisCia,desCinqLacs.Ellehausselessourcils.–DesCinqlacs!s’exclame-t-elle.Toutlemondeneparlaitquedevouspendantledîner.Ilparaît
quec’estlapremièrefoisdepuisdesannéesquedescandidatsdecettecoloniesontsélectionnéspourleTest.Certainsaffirmaientquec’estparcequ’elleétaitsurlepointdefermer.–Non,CinqLacsesttoujoursdebout.C’estjustequenoussommestoutpetits.–Dixonn’estpasgrandnonplus!Rymes’assoitsurundeslitsetramènesesjambessouselle.–Nousne sommesquequinzemille, poursuit-elle, c’était d’autant plus excitant quehuit d’entre
noussoientchoisiscetteannée.Sontonestgaietsincère.Jeluiretournesonsourire.Jeposemonsacetm’assoisfaceàellesur
l’autrelit.–Quinzemille colons, çame paraît énorme.AuxCinq Lacs, nous sommes un peumoins d’un
millier.–EtcombiendediplômésvontpasserleTest?–Quatre.Lamoitiédenotreclasse.Ellemeposedesquestionssurmacolonie,sasituationgéographique,legenredeplantesquel’on
yfaitpousseretlesanimauxquifréquententlazone.D’aprèssesindications,jesitueDixonàenvironcinq cents kilomètres au sud-ouest de chez moi. Apparemment, bien qu’elle soit plus grande, lacoloniedeRymedisposedemoinsderessourcesquelesCinqLacs.Peut-êtreest-ilplusdifficilede
nourrir tout le monde quand la population est plus importante. Sans compter que la majorité descitoyenstravaillentàlafabricationdepilesetdematérielélectriqueaulieudecultiverlaterre.Rymevientd’unefamilled’agriculteursetneconnaîtdoncpaslafaimmaisellem’expliquequecen’estpasle cas de ceux qui vivent dans le centre-ville. Ses parents comptent utiliser l’argent que legouvernement verse aux familles des élèves sélectionnés pour créer des équipements de stockagealimentaire dont pourront bénéficier tous leurs voisins. Elle est fière de participer à cette action.Mêmesij’avaisprévudegardermesdistancesaveclesautrescandidats,jemerendscomptequejel’appréciedéjà.Nousdiscutonspendantplusd’uneheure.Sonbraceletestgravéd’untriangleavecunAmajuscule
àl’intérieur.Ellen’estpasdansmongroupe.Elleproposedem’aideràrangermesaffairesmaisjerefuse.–Jen’aipasl’intentiondedéfairemonsac.OnnesaitpascombiendetempsleTestdurerapour
chacund’entrenous,n’est-cepas?Elleacquiesce,pensive.Dans son placard, elle a déjà accroché deux robes. Ma mère aimerait les vêtements qu’elle a
choisis. Parfaits pour faire bonne impression. Nous passons à la salle de bains et enfilons nospyjamas avant de nous coucher.Rymemedemande si nous pouvons garder les lumières alluméesencoreunmoment.Assiseentailleursursonlit,ellefeuilletteunalbumphoto.Jesensqu’elleestsurlepointdepleureretj’aimeraislaconsoler.Mafamillememanqueàmoiaussi.Àcetteheure-là,mamère,assisedevant lacheminée,meposedesquestionssurma journée.Monpère,penchésurunetable,unpeuàl’écart,réfléchitàdenouveauxprojets.Mesfrèresetmoi,leplussouvent,jouonsauxcartes.Jemeglissesouslescouverturesetjefermelesyeux.Soudain,ellemelance:–Situasfaim,j’aiapportédesbiscuitsaumaïsdechezmoi.Jelesaifaitsmoi-même.Jem’endorsavecmonsacserrécontrelapoitrine.
Jesuisréveilléeparleshaut-parleursquiannoncentquenousavonsuneheurepournoushabilleretdéjeuneravantlapremièreépreuve.Monsommeilaété troublépardesrêvesquej’aidéjàoubliés.J’enfileunpantalon foncé,une tuniquecrèmeetmesbottinesavantde fourrermonpyjamaetmesvêtements de la veille dansmon sac.Rymem’observe en fronçant les sourcilsmais ne fait aucuncommentaire.Elleporteunerobeàfleursjaunesetdessandalesvernies.Elles’estmêmelégèrementmaquillée.J’entendssonestomacgargouillermaisjeremarquequ’ellesegardebiendemangerlesgâteauxqu’ellem’aproposéslaveille.S’ilenrestetoujoursneufcesoir,jesauraiquejenepeuxpasluifaireconfiance.Jevérifiemonsacunedernièrefoisetnoussortonstouteslesdeuxdanslecouloir.Elleignoreles
invitationslancéesdeplusieurstables.J’ignorepourquoielleresteavecmoimaisjesupposequ’elleestcurieusederencontrerd’autreshabitantsdesCinqLacs.D’aprèscequej’aientenduhiersoir, ilsemblequelesautrescoloniesontlemoyendecommuniquerentreelles.CelledesCinqLacs,isolée,estunvraimystèreàleursyeux.Jeme sers de framboises, de tranches demelon, de roulés à la cannelle et de deux tranches de
bacon. Ryme me taquine et affirme que le stress me coupe l’appétit. Elle empile une dizaine depancakes, puis prend des gaufres, desœufs, des saucisses et des frites. Nous ajoutons chacune unverredelaitsurnotreplateau.Jecherchedesyeuxmescamarades.Ilssesontassisàlatablequenousoccupionshieretilsnesontpasseuls.Ondiraitqu’euxaussiontgagnédespassagers.MalachietZandrinousprésententBoydetNicoletteavecquiilspartagentleurchambre.Ilsonttous
lesdeuxlesyeuxbrunsetlapeaumate.Jenesuispasétonnéed’apprendrequ’ilsviennentdelamêmecolonie,PineBluff.BoydestdanslemêmegroupequeZandri,maisjen’arrivepasdéterminerceluideNicoletteàcausedelamanchedesarobequirecouvrepartiellementsonbracelet. Ilmesemblenéanmoinsdistinguerlaformed’uncœur.Commemoi,Tomasagardésonsacaveclui.Unbontiersdescandidatsafaitdemême.Jepicoremesfruitsenessayantdenepaspenseràcequinousattend.Sijenesuispasprêtemaintenant, jeneleserai jamais.Pourmedistraire, j’écoute lesautresdiscuter.Nicolette et Boyd sont cousins. Leurs deux familles gèrent une rizière et ont récemment eu desdifficultés avec leur système de distribution d’eau. Je n’ai jamais goûté de riz dema vie et je neconnaisrienàsaculture.Enrevanche,jesuistrèsintéresséeparlessystèmesd’irrigationetjefinisparmemêleràlaconversation.Notre échange est passionnant. Je sursaute quand les haut-parleurs annoncent que les candidats
doiventrejoindrelesascenseurs.Monpetit déjeuner tourbillonnedansmonestomac.Tomasmeprend lamain et la serredans la
sienne.Est-ilaussinerveuxquemoi?Jen’ensaisrienmaislachaleurdesapeaumecalmeunpeu.Presque toutes les autres filles portent des robes. Sans Tomas à mes côtés, je me sentirais
horriblement seule avec mon vieux pantalon et mes grosses chaussures. Il est habillé à peu prèscommemoiet jesaisqu’aumoins,quelquesoit legenred’examenquinousattend,nousseronsànotreaisedanslesheuresquiviennent.Desofficiels,vêtusdecombinaisonsvioletetrougefoncé,nousguidentjusqu’autroisièmeétage.
Tomas me tient toujours la main et quelques autres candidats nous jettent des regards entendus.Lorsquej’essaiedelelâcher,ilmeserreplusfort.Jenesaispaspourquoiilprendsoindemoimaisj’ensuisheureuse.Ilm’aappeléesonpartenaire.Soncontactnemelaissepasindifférente.Autroisièmeétage,d’autresOfficielsnousaccueillentetnousemmènentdansunamphithéâtreoù
destablesetdeschaisessontalignéesfaceàuneestradeéclairée.Unhommebarbunousyattend,unmicroàlamain.Tomasetmoiprenonsplacedanslefond.Ilnem’apaslâchée.JechercheZandrietMalachides
yeux,envain.Desofficielssepostentdechaquecôtédelasalle.L’hommeprendlaparole.–BienvenueàTosu.JesuisledocteurJedidiahBarnes.Mescollèguesetmoi-mêmesommestrès
honorésdevousrecevoir.Sivousêtesici,c’estquevousêteslesmeilleursetlesplusbrillantsélèvesdevos colonies respectives.L’avenir de laCommunautéUnifiée repose survos épaules.Vous êtesnotrefutureéliteetc’estlaraisonpourlaquellevousdevezêtretestés.Quelquescandidatss’agitentsur leursiège.Nervosité?Excitation?Jeressenspourmapartune
combinaisondesdeux.–LeTestestcomposédequatreparties,reprendl’homme.Lesdeuxprochainsjourssontconsacrés
aux examens écrits et nous permettront d’évaluer vos connaissances en histoire, en sciences, enmathématiques et en littérature. Vous devrez également faire preuve de logique et résoudre dessituationshypothétiques.Àpartirdecesrésultats,nousferonsunepremièresélection.Latensiondanslasallemonted’uncran.–Ladeuxièmepartieconsisteendestravauxpratiquesaucoursdesquelsvousdevrezappliquervos
connaissances.Lesmeilleurspourront alors passer à l’étape trois.Cette fois, vousdevrezmontrervotrecapacitéàtravaillerenéquipe,etenfin,l’épreuvefinalemesureravostalentsdemeneuretvotrerapiditédedécision.Ceuxquiaurontobtenulesmeilleuresnotesàcesquatreexamensserontévaluéspsychologiquement et sur la base de tous ces renseignements, nous choisirons les futurs étudiants.CesderniersnousaiderontàrestaurerlaplanèteetàrendreànotreTerresagloirepassée.L’objectifestambitieux,maisj’aientenduleplusgrandbiendevoustous,enparticulierd’unecertainecoloniequenousn’avionspaseuleplaisirderecevoirdepuisdetropnombreusesannées.QuelquesétudiantssetournentbrièvementversTomasetmoi.D’aprèsmacamaradedechambre,
nousexcitionslacuriositécartoutlemondesupposaitquelesCinqLacsn’existaitplus.Sid’autrescolonies s’étaient faites aussi rares ces dernières années, elle les aurait mentionnées. En nousdistinguant ainsi des autres, le docteurBarnes vient de nous peindre une cible dans le dos.Veut-ilencouragernosconcurrentsànouspiégerouseulementànousisoler?Une femme mince en combinaison orange l’a rejoint sur l’estrade. Elle se présente comme le
professeurVéronaHolt.–Jevaisàprésentvousameneràvossallesd’examen,annonce-t-elle.Quandlesymboledevotre
groupe apparaîtra sur l’écran derrière moi, vous êtes priés de rejoindre les ascenseurs. Je voussouhaitebonnechanceetj’aihâtedetravailleravecvousdanslessemainesàvenir.Unécransedéroulecontrelemuretuncœurnoirapparaîtdessus.Dansuncrissementdechaises,
desétudiantsselèvent.JerepèreNicolettequi,avecunevingtained’autres,sedirigeverslecouloir.Plusieursminutess’écoulent.Pendantquecertainsmurmurententreeux,jeretiensmarespiration.Un triangle.C’estau tourdeRymeetMalachi.Cederniera les lèvrespincées. Je lui adresseun
signed’encouragementmaisilnemevoitpas.De nouveaux murmures s’élèvent. Mon cœur bat au rythme des secondes qui passent. L’écran
clignote.Unsymboleapparaît.Lemien.Tomasprendunecourteinspirationetjemerappellequenoussommesdanslemêmegroupe.Je
suissûrequesesrésultatsnousferonttouspasserpourdesidiots,maisjesuiscontentequ’ilsoitlà.Notregroupeestbeaucouppluspetitquelesautres.Nousnesommesquedix.Est-ceunbonouun
mauvais signe ? Les officiels qui nous accompagnent ne me laissent pas l’opportunité de m’eninquiéterpluslongtemps.Lafemmeblondenousdemandedelasuivre,l’hommefermelamarche.Nousentronsdansunesalleblancheauxpupitresnoirs.Commedanslescauchemarsdemonpère.
CHAPITRE6
J’essaie de respirer calmement et jeme force à avancer. Si les cauchemars demon père ont lamoindreréalité,queva-t-ilm’arriver?Maisjemereprends.L’angoissenem’aiderapasàréussirl’examen.Jedoismeconcentreretme
détendre. Du coin de l’œil, je vois Tomas qui m’observe avec inquiétude. Je lui souris pour lerassurer.Jevaisbien.Toutvabien.Mon groupe ne comprend qu’une autre fille. Elle a de longs cheveux noirs et sa robe blanche
tranchesursapeaufoncée.Ellesetienttrèsdroiteetregardedevantelle.Lesgarçonssonttoutaussitendus.Ilssontplutôtfrêles,àpartunrouquindont lesmusclesrévèlentunevieenpleinair.Alorsquejemedemandedequellecolonieilvient,unhommechargéd’unepilededossiersentredanslasalle.Lepapierestunedenréeprécieusecarbeaucoupd’arbresontétédétruitsdurantlesSeptÉpoques
delaguerre.Àl’école,nousutilisionslemoindreespaceblancdenosfeuilles.Lepapierusagéestsystématiquementenvoyéàl’usinederecyclage.L’officielsedéplacesilencieusemententrelestablesetydéposelessujetssansjamaisregarderles
candidatsdanslesyeux.Lemot«Histoire»estinscritsurlacouverturenoiredelachemise.Danslecoinàgauche,lemêmesymbolequesurmonbracelet:l’étoileàhuitbranchesetl’éclair.J’aihâtededécouvrircequ’onnousaconcocté,maisj’attendssagement.L’officielaterminéladistribution.Surl’estrade,sansprendrelapeinedeseprésenter,ilénonceles
règles:–Vous devez compléter ce questionnaire dumieux que vous pouvez. Si vous avez besoin d’un
verred’eau,levezlamainetilvousseraapporté.Sivousavezbesoind’allerauxtoilettes, levezlamainetunofficielvousescortera.Vousavezquatreheures.Il appuie surunboutonetunehorlogedescendduplafond.Elledécompte le tempsquinousest
impartienchiffresdigitaux.Lesdoigtstremblants,j’ouvreledossieràlapremièrepage.Question:ExpliquezlaPremièreÉpoquedelaguerre.Réponse:Après l’assassinatduPremierministreChaeet l’effondrementdel’AllianceAsiatique,
lesreprésentantsdesautresnationssesontlivrésàuneluttedepouvoiracharnée.UneguerrecivileenadécouléetlesÉtatscoréensontétélacibledebombardementsquiontdétruitunemajeurepartiedelapopulationetprovoquél’explosiondedeuxréacteursnucléaires.Question:Nommezlesdeuxpremièresgrandesvillesnord-américainesdétruitesparlacoalition
duMoyen-Orient.Réponse:WashingtonDCetBoston.Question:Quelgroupeaétélepremieràdéclarerlaguerreàl’AllianceNord-Américaine?
Réponse:Lacoalitionsud-américaine.J’écrissansm’arrêter.Enespérantnepasmetromper.Enespérantquelesdétailsquejementionne
sontceuxqu’attendlecomitédeTest.J’inventorielesguerres,lesvillesdétruites,lestremblementsdeterre, les inondations, les ouragans radioactifs. Tous les événements qui ont réduit la populationmondialeàuneinfimefractiondecequ’elleétaitauparavant.Commeàchaquefoisquej’ypense,jesuis ébahie et émerveillée que des gens aient survécu après ces cataclysmes. Et plus encore quecertainsd’entreeuxaienteulaconvictionqu’ilspouvaientredonnervieàlaplanète.Jecitelenomdecet ingénieur des Cinq Lacs qui a créé une herbe génétiquementmodifiée capable de pousser surnotreterrepolluéeetmourante.Jeparledetousceuxquisesontbattuspouréchapperauchaosetàl’anéantissement.Jejetteuncoupd’œilàl’horloge.Troisheuressesontécoulées.Jetournedoucementlatêtepour
medétendrelecou.J’agitemesdoigtsraidesd’êtrerestéscrispéssurlecrayon.J’hésiteàdemanderunverred’eaumaisjenelefaispas.Jeneveuxsurtoutpasperdredeprécieusesminutesenallantauxtoilettes.Pastantquejen’aipasréponduàtouteslesquestions.Noms.Dates.Nouveauxaliments.Technologiesperdues.Échecs,morts.Toutcequim’afinalement
permis d’être assise sur cette chaise. Je fatigue, ma vision se brouille, mais je me force à resterconcentréepourrépondreàunmaximumdequestions.J’arriveàladernièrepagequandunesonneriesourderetentit.– L’épreuve est terminée, refermez les dossiers et posez vos crayons. Des officiels vont vous
escorterauxétagessupérieurs.Mesmembressontengourdis.Jeplieetdéplie lesgenouxunedizainedefoisavantdemelever.
Quandnousarrivonsau réfectoire, jemesensdéjàunpeumieuxmais l’idéedeme rasseoirpourmangernemefaitpasdutoutenvie.Malgrétout,jesaisquemoncerveauabesoindecarburant.Jeremplisdoncmonassietted’unetranchederôtidebœuf,d’unecuilleréede légumesvertsetd’unedemi-tomategrilléeavantderejoindrelesautresàlatablequenousoccupionshiersoiretcematin.Latensionquirègnedanslasalleestpalpable.Toutlemondediscutedel’examen,serepasseles
questions et doute de ses réponses. C’est bien le président Dalton qui a ordonné les premiersbombardementssurLondres?C’estlepremiertremblementdeterredel’ÉpoqueCinqdelaguerrequiaprovoquélagrandeinondationdel’ÉtatdeCalifornieouledeuxième?Unefillesemetsoudainà pleurer. Deux autres se tapent dans les mains en signe de triomphe. J’essaie d’ignorer cesmanifestationsd’émotionsetjefaismonpossiblepourdétournerlaconversation.Zandrisautesurl’occasion.Ellenousparledescroquisqu’elleafaitsdenotrebrefaperçudeTosu
la veille. Bientôt, nous nous mettons tous à énumérer ce que nous avons découvert depuis notredépart.ToussaufTomas.Ilsouritetfaitsemblantd’écoutermaissesyeuxsontfixéssurlegâteauaucitronqui trôneaumilieudesonplateau.Lestress l’aurait-il faitéchouer?J’essaiedecroisersonregard,envain.Nous sommes autorisés à retourner dans nos chambres pour nous rafraîchir. Je recompte les
gâteauxaumaïsdeRyme.Ilyenatoujoursneuf.C’estàprésentl’heuredudeuxièmeexamen.Descrayonsbientaillésnousattendentsurnostables.
Les sujets sont distribués.Mathématiques. Un officiel nous récite le même discours que le matin.L’horlogeréapparaîtetnouscommençons.Je travailleaccompagnéepar lescrissementsdesminessurlesfeuillesetlesbruitsdegommagesfrénétiques.Si je termineunesection troprapidement, je revérifie trois foismescalculs.Si,aucontraire,un
problèmemeprendtropdetemps,j’ail’impressionquelessecondesdéfilentdeplusenplusvite.Jen’osepas lever lesyeuxdepeurdevoirunautrecandidat lesbrascroisésdevant luiparcequ’il aterminé.Quandlasonnerievrombit,ilmeresteencoretroispages.Jesuisdésespérée.J’aiéchoué.J’aidumalàrésisteràl’enviedemendierquelquesminutessupplémentaires.M Jorghensmelesme
auraitaccordées.Elleaimaitquenousfassionspreuvedepersévéranceetdedétermination.Maisici,seullerésultatcompte.Nousavonsdroitàtrenteminutesdansnoschambresavantl’heuredudîner.Jen’aiqu’uneenvie:
m’enfouirsouslescouverturesetneplusjamaisvoirpersonne.MaisRymeestlà.Etalorsquejesuisuneépave,elleestaussifraîchequecematin.–Commentças’estpassépourtoi?medemande-t-elle.J’aitrouvélapartiesurl’histoireunpeu
simpliste,pastoi?Jerepenseàladernièrepagequejen’aipaseuletempsderempliretjehausselesépaules.–J’espèreavoirréussiàdirel’essentiel.– Les exercices de maths étaient un peu longs, mais franchement celui qui ne connaît pas les
différenciationsn’arienàfairelà!Cettepartiesetrouvaitaumilieu.Aumoins,jel’aifaite.C’estdéjàça.Ryme me tend l’assiette de gâteaux au maïs, mais je refuse. Elle repose son offrande sur son
bureau.– Je pensais que ce serait plus difficile. Comment comptent-ils réellement se débarrasser des
incapables?Son souriredepitiémedonneenviedevomir. Il est évidentqu’ellepenseque je faispartiedes
«incapables».Jesuisfinalementsoulagéequandleshaut-parleursnousannoncentqueledînerestservi.Jefaisà
peineattentionàcequejemetsdansmonassiette.Tomasestseulàlatable.Jem’assoisàcôtédelui.–Commentças’estpassé?medemande-t-il.Dans le cliquetis des couverts, tout lemondeparle assez fort. Il y a ceuxqui se vantent d’avoir
survolél’examenetceuxquiselamententd’avoirraté.Personnenefaitattentionànous,jepeuxmepermettreuneréponsehonnête.–Jen’aipaseuletempsdeterminer.Ilmesouritetsepasselamaindanslescheveuxavecunsoupirdesoulagement.–Jepensaisêtreleseul,m’avoue-t-il.Jenesaispascommentilsimaginentqu’onpeutrépondreà
autantdequestionsenaussipeudetemps.Aprèslesmaths,j’aicruquemoncerveauallaitfondre.Jerisetjesenslatensionquittermoncorps.SiunélèveaussibrillantqueTomasn’apaseuassez
detemps,jedoutequebeaucoupaientréponduàtouteslesquestions.Malachi,Zandrietleurscamaradesdechambrenousrejoignent.Leursyeuxreflètentl’inquiétude
etlafatigue.J’hésiteunedemi-secondeetjerepenseausoulagementdeTomasetaumien.C’estcequimedécide.–Jenesaispaspourvous,maisjen’aiterminéaucunedesdeuxépreuves.Ilsmedévisagent,lessourcilsenarcdecercle.Nicoletteestlapremièreàadmettre:–Moinonplus.–Moinonplus,intervientMalachiavantdesetournerversBoyd.Ettoi?Soncamaradedechambresecouelatête.–Ilmerestaitcinqpagespourlesmaths,reconnaît-il.–Moicinqetdemie,lanceZandri.Deux candidats à la table derrière nous se retournent. Ils sont jumeaux,minces, blonds, la peau
claire et deux paires d’yeux verts identiques. Seule la longueur de leurs cheveux permet de lesdifférencier.Celuiàlaqueue-de-chevalplisselenez.–Vousn’avezpasterminél’examen?Jememords l’intérieur de la joue. J’espérais que personne ne nous entendrait. Je prendsmon
courageàdeuxmainsetjelèvelementon.–Ilyavaittropdequestions.J’aipresqueréussienhistoiremaisj’aiperdubeaucoupdetempsà
revérifiermesréponsesenmaths.Lesjumeauxseregardent.Sansunmot,ilsprennentleurassietteetviennents’asseoirànotretable.
Celuiquiavaitdéjàprislaparolesourit.–C’estvraimenttropcoold’entendreenfinquelqu’unquioseledireàhautevoix.Çafaitdubien!Ilmetendlamain.–Moi,c’estWill,monfrère,c’estGill.OnestdelacoloniedeMadison.MadisonestàseulementquelquesheuresdesCinqlacs.Monpèreyestdéjàalléplusieursfoisces
troisdernièresannées.Jesaisqueleursrécoltesmeurentàcaused’unepollutionspécifiquedanslaterre.Àlamanièredontlesjumeauxontempilélanourritureetvuleurmaigreurmaladive,jedevinequ’ilsn’ontpastoujoursmangéàleurfaim.Ilssontdrôlesquandilsracontentenriantqu’onauraitdûlesautoriseràpasserleTestensemble.Chezeux,toutlemondeaffirmequ’ilsontunseulcerveaupour deux.Gill est excellent enmaths et en sciences,Will est lemeilleur en littérature, histoire etlanguesétrangères.Pendantquenouscomparonsnosréponsesauxexamens,WilletGillnecessentdemanger.Puisils
nousdécriventleurcolonieetnousparlentde leur famille.Leurpère travailleà l’usineàpapieretleurmèredansunefermelaitière.Commecelledenombreuxhabitantsdeleurcolonie,leurvien’estpas facile, mais ils sont optimistes et pleins d’entrain. Ils nous régalent d’anecdotes, comme lapremière fois où ils ont essayé de traire une vache, ou les difficultés de leur propre famille à lesdifférencier jusqu’àcequeGilldécidedesecouper lescheveux.Nouspartageonsànotre tourdeshistoires denotre enfance et, à chaque nouvel éclat de rire, de plus en plus de visages envieux setournentversnous.Mais c’est si bon. Nous nous sentons mieux, moins fatigués. À la fin du dîner, la plupart des
candidatsdisparaissentdans leurchambremaisnousdemandonsà resterunpeuplus longtempsauréfectoire.Aucund’entrenousn’aenvied’abrégertropviteleréconfortd’unmomententreamis.Tomasetmoichantonsensembleunechansonquenousavonsappriseàl’école.Lesparolesparlent
d’espoiretderenouveau.Nosvoixsemêlentetemplissentlagrandesalle.Lesofficielschargésdenettoyers’arrêtentpournousécouter.Nousregagnonsnoschambresd’unpasplusléger.Jeparviens à resterdebonnehumeurmêmequandRymeexprime son soulagementdevoir une
partiedescandidatsréexpédiéschezeuxlelendemain.Jepasseunenuitcalmeetsansrêve.Au petit déjeuner, nous avons tous l’air reposésmais tendus. Prêts pour un nouveau round. Ce
matin,c’estsciences.Tablespériodiques,formuleschimiques.Lespremièresquestionssontfacilescomparéesàcelles
qui exigent des explications scientifiques sur le processus de mutation des insectes et des autresanimauxmodifiésquipeuplentmaintenantlaplanète.Enrevanche,monexpériencepersonnellem’estd’unegrandeaidepourlapartiesurlesplantes.Jen’aipasvraimentlamainvertemaisjecomprendsparfaitement les concepts qui permettent de créer des hybrides et les facteurs concourant à leursuccès.Malgrétout,letempss’écouletropvite.Jelaissedeuxpagesviergesderéponse.Aprèsledéjeuner,
nous attaquons « littérature et langues ». Mes yeux sont douloureux, mon corps perclus decourbatures,maiscettefois,jetermineentièrementletest,dixminutesavantlafin.Au lieu d’en éprouver du soulagement, je suis submergée par un sentiment de panique. J’ai
forcémentrépondutropvite,jemesuistrompéeoubienjen’aipassuffisammentdéveloppé.Jesuisprêteàrouvrirlefasciculepourtoutrevoirdepuisledébutmaisjemerappellecequemesparentsme disaient quand ils m’aidaient à préparer une interrogation. « Prends ton temps et fais-toiconfiance.Tuconnaistoncours,cequitevientàl’espritestlabonneréponse.»Je reposemoncrayonet jecroise lesbrassurmonpupitre.Àcôtédemoi,Tomasfait lamême
chose.Ilmesourit.J’adoresesfossettes.Encore cinq minutes. Quatre, trois, deux… les crayons s’agitent, des visages se lèvent vers
l’horloge.Lasonnerieretentit.LapremièrepartieduTestestofficiellementterminée.Onnousescortejusqu’auxascenseurs.Quelquesélèvessetapentdanslesmains.Jesuisfatiguéeet
soulagée.J’aifaitdemonmieux.Avantdesortirdelacabine,Tomasserrebrièvementmamaindanslasienne.Puisils’éloigneaveclesautresgarçons.JesuisdéçuedevoirqueRymeestcettefoisencorearrivéeàlachambreavantmoi.Elleestassise
àsonbureau,penchéesurunobjetqu’elleaprobablementapportédechezelle.Ilyatoujoursneufbiscuitsdansl’assiette.Ellesetourneversmoi,unsourireéclatantmaisunpeucrispéauxlèvres.–Alors,commentças’estpassé?melance-t-elle.Aprèsavoirposémonsacsurmonlit,jedécidederépondrehonnêtement.–Jen’aipasréussiàterminerlessciences.Rymeplisselesyeux.Ellesemordlalèvreetm’observesansriendirependantunebonneminute.
Elleessaieprobablementdedevinersijeluiaiditlavérité.Elledoitsupposerunemanœuvredemapartpourluifaireavouerseséventuelséchecs.C’esttrèscertainementcequ’elleferaitàmaplace.Ellefinitparhausserlessourcils,cequiluidonneunairsournois.– Je suppose que les écoles desCinqLacs ne sont pas aussi performantes que celles deDixon.
Dommagepourtoi.Ondiraitquel’uned’entrenousneserapluslàdemain.Jeserrelepoingsifortquemesonglesmeblessentlapaume.Lacolèrem’envahitetjenepeuxpas
m’empêcherdelarembarrersèchement:– Nos professeurs étaient excellents ! Tomas et moi avons fini la littérature et les langues dix
minutesavantl’heure!Ettoi?Sonexpressionmerévèlequecen’estpassoncasetjelatoisesanspitié.–Tuassansdouteraison,l’uned’entrenousneserapluslàdemain!Dommage!Etn’oubliepas
tesbiscuitsenpartant!Montonestméprisantcommequandmesfrèresseliguentcontremoietquemonseulmoyende
défenseestd’essayerdelesrabaisser.Maissoudain,macolèreestremplacéeparlahonte.J’attendsqueRymem’envoiebaladermaisriennevient.Ellealatêtebaissée.–Jesuisdésolée,jemurmure.Quandelleseredresse,ellesourit.–De quoi ? Tu essayais juste de te rassurer après avoir reconnu que tu ne t’étais pas très bien
débrouilléecematin.C’est toujourscequefaisaient lesélèves lesmoinsbonsàmonécole.Jesuishabituée.Argh.Cette fillecherche lesgifles.Pourm’empêcherde faireungesteque je regretterais, jeme
laissetombersurmonlitetjefermelesyeuxjusqu’àl’annoncedudîner.Àpeineleshaut-parleurscommencent-ilsàgrésillerquejesorsentrombedelachambre.
Au réfectoire, l’ambiance est festive. Tout le monde est fatigué mais manifestement heureuxd’avoirterminélapremièreétape.Lemenun’estsansdoutepasétrangeràcettegaieté.Pizza.Chaudeetmoelleuse,c’estlameilleurequej’aiejamaismangée.J’endévoresixparts.Monestomacestsurlepointd’exploser.Lesjumeauxnousracontentdesblaguesetnoussommestousécroulésderirequandlehaut-parleurcrépite.–MalenciaValeestdemandéedanslehall.Merci.Leréfectoiredevientimmédiatementsilencieux.Moncœurbatàtoutrompredansmapoitrine.Les
officiels ont-ils déjà décidé que j’avais échoué ? Je suis immédiatement le centre de l’attentiongénérale.Jedoisavoirl’airterrifiécarTomasmeprendlamainetmurmure:–Tuvasvoir,ilsvonttedemanderdedevenirprofd’universitéaulieud’étudiante.Netefaispas
avoiretdemandeungrossalaire.J’esquisseunsourireforcéetjemelève.Alorsquejetraverselasalleavecraideur,touslesyeux
sontfixéssurmoi.Dans le couloir, mon sac serré contre ma poitrine, je me demande avec appréhension ce qui
m’attend.–MalenciaVale?La voix m’est familière. Je me retourne pour découvrir le docteur Jedidiah Barnes. Il est
accompagnédedeuxofficielsvêtusdeviolet.Jeparviensàarticuler:–Toutlemondem’appelleCia.–Lesdeuxsontjolis,sourit-il.J’aimerais répondre quelque chose mais c’est comme si ma voix était coincée au fond de ma
gorge.Heureusement,ilreprend:–Pardonne-moidetedérangeraumilieudetondînermaisdesamisdeRymeReynaldontexprimé
desinquiétudesàsonégard.Quandl’as-tuvuepourladernièrefois?Ils’agitdeRyme.Çan’arienàvoiravecmoi.OuavecunéventueléchecauTest.Lesoulagement
m’envahitetjeretrouvemavoix.–Elleétaitàsonbureauquandjesuispartiedîner.–Commentétait-elle?Arrogante.Exaspérante.Irrationnellementagressive.–Unpeustressée,jedirais.LedocteurBarneshochelatête.–Seizeheuresd’examensendeuxjoursstresseraientn’importequi.Touslesans,nousdébattons
poursavoirs’ilneseraitpasmieuxd’étalerlapremièrepartieduTestsurunesemaine.Maisavoirtropdetempspourréfléchirestégalementsourcedestress.Ilsoupire.–Accepterais-tuquenousjetionsuncoupd’œildanstachambre?M Reynaldasansdoutetout
simplementdécidédesauterunrepas,maisnousaimerionsnousassurerquetoutvabien.–Biensûr.Vouspouvezyaller.Cen’estpasvraimentmachambre,detoutefaçon.–Enfait,reprend-il,nousavonsbesoindetoi,laloiinterditauxofficielsd’entrerdanslachambre
d’uncandidatensonabsence,saufencasd’urgencebiensûr.Jesuiscontentequelesexamensn’aientpasportésurlesloisparcequejen’avaisjamaisentendu
parlerdecelle-là.AgacéequeRymem’obligeàvivrecettedésagréableexpérience,jemedirigeversnotrechambreaupasdecharge,ledocteurBarnesetlesdeuxofficielssurlestalons.Je tourne lapoignée, jepousse laporte et j’entre.L’odeur, unmélanged’urine et debiscuits au
maïs,m’assaillelesnarines.Etpuis,jelavois.Sespiedssebalancentdoucement.Elleestpendueauplafond,unecordecoloréeautourducou.Sonvisageestécarlateetgonflé,sesyeuxexorbités.Dusang coule au niveau de sa gorge. Elle a dû se débattre. Instinct de survie ou regrets de dernièreminute.Jehurle.Rymeestmorte.
lle
CHAPITRE7
Desbrasmesoutiennent.Onmeramènedanslehall.Onmedemanded’attendreetdesofficielsencombinaisoncourentdanstouslessens.Jeserremonsaccontremoi.UnbrancardpasseaveclecorpsdeRyme.Elleatoujourslacordeautourducou.C’estenfaitlarobequ’elleportaitlaveillenouéeavecundrap.Jevomis.Meslarmesruissellentsurmesjoues.Jepleuresurelleetsurmoiquin’aipassudéceler
sondésespoirsoussafaçadehautaine.Est-cequemadernièreréflexionaétélagoutted’eauquil’apousséeàpasseràl’acte?Aurais-jepulasauveravecunmotd’encouragement?–Cia?LedocteurBarnesmetientparlesépaulesetmeregardedanslesyeux.Jeremuelatêtepourlui
montrerquejel’aientendu.–Onvatedonnerunenouvellechambre.Est-cequetuasenviedeparler?Non,maisjevaislefaire.Illefaut.Jeluiracontetoutcequis’estpasséentreRymeetmoiunpeu
plustôt,jeluiparleaussidesbiscuitsetdemessoupçons.Ilm’écouteattentivement,sansmejugernim’interrompre.D’unsignedetête,ilm’encouragesansjamaisselaisserdistraireparlesofficielsquinettoientlesoletdiscutentàvoixbasse.Quandj’aifini,jemesensvide,cequiestmieuxqued’êtretorturéeparlaculpabilité.Ledocteur
Barnes m’assure que je n’ai aucune responsabilité dans la mort de Ryme. Certains candidats ontparfois dumal à gérer leur stress. Il arrivequ’ils ne parviennent plus àmanger, d’autres font desinsomnies. Ryme, elle, s’est ôté la vie. C’est une tragédie mais finalement, c’est mieux pour laCommunauté. Elle n’aurait pas été capable de supporter la pression inhérente aux hautesresponsabilitésquiattendentceuxquipassentleTestavecsuccès.C’estunévénementregrettable,biensûr,maisquiaunsens.IlespèrequelechoixdeRymedenepaspoursuivreleTestneremetpasenquestionmapropremotivation.SonchoixdenepaspoursuivreleTest?LesmotsdudocteurBarnesmeglacent.Unofficielvient
m’informerquemachambreestprête.Jemeforceàsourireetj’assureaudocteurBarnesquejevaisbienetqueluiparlerm’abeaucoupaidée.Maisc’estunmensonge.Malgréladouceurdesonton,j’aiperçusonindifférence.Pourlui,toutçafaitpartieduTest.Rymeaéchouéetsijenefaispasattention,j’échoueraiaussi.Manouvellechambresetrouvetoutauboutducouloir.Lesmursjaunesmerappellentlarobeque
Rymeportaitquandjel’aivuepourlapremièrefois.L’officielmedemandesiçam’ennuiedenepaspartager ma chambre. Si je n’ai pas envie d’être seule, une femme du personnel sera heureused’occuperledeuxièmelit.Non,jen’aipasenvied’êtreseule.Jen’arrivepasàmedébarrasserdel’imagedeRymependueau
plafond,lesjambessebalançantdanslevide.Sijefermelesyeuxouquejem’endors,ceserapire.
L’idée de rester seule me donne envie de me recroqueviller sur moi-même et de ne plus jamaisbouger.Mais les mots du docteur Barnes résonnent encore à mes oreilles. Ici, on ne teste pas que nos
connaissances.Si jedemandedel’aide,ceseraunaveudefaiblesse.L’élitenepeutfairepreuvedefaiblesse.EtlebutduTestestdesélectionnerl’élite.Jeremercie l’officielenaffirmantquejen’aibesoindepersonne.Ilmerépondquesi jechange
d’avis,jen’auraiqu’àprévenirl’officielaubureaud’accueil.Etsijeledésire,onpeutmefournirdessomnifèresoudescalmants.Jerefuseetils’enva.Hormislacouleurdesmurs,manouvellechambreestl’exacterépliquedecellequejepartageais
avecRyme.Dans le couloir, j’entends des pas et desmurmures. Le dîner est terminé et les autrescandidatsvontsecoucher.Pendantuninstant,j’hésiteàallerretrouvermesamismaisjenelefaispasparcequeçapourraitaussiêtreconsidérécommedelafaiblesse.Jeprendsunedouche,enfilemonpyjama,lavemesvêtementsetlesmetsàsécher.Allongéesurmonlit,jefixeleplafondenessayantdemeconcentrersurdessouvenirsheureux.Je
n’yarrivepas.JemedemandesimonpèreavécuuneexpériencesimilairequandilapasséleTest.Peut-êtrequesoncerveauadécidédecréerdessouvenirsencorepirespour l’aideràdécompenseruneexpériencequ’iln’apasréussiàdigérer.Àcetinstantprécis,jepensequec’esttrèscertainementlecas.Le couloir estmaintenant silencieux. Les autres dorment sans aucun doute. J’ai laissé toutes les
lumièresalluméesetjeluttecontrelalourdeurdemespaupières.Jesuisentraindeperdrelecombatquandunéclatauplafondattiremonattention.Uncercleminusculecommedansl’aérojet.Unecaméra.Sachantquejesuisobservée,jefaisdemonmieuxpourdissimulermasurprise.Cettechambreest-
elle laseuleàêtresurveillée? Ilsveulentpeut-êtregarderunœil surmoiaprèscequis’estpassé.Mais non, au fond de moi, je sais que ce n’est pas le cas. Ce qui veut dire que… quelqu’un aforcémentvuRymepréparer lacordepoursependre,réfléchiraumeilleurendroitoùl’accrocher,montersurunechaiseetlabalancerd’uncoupdepied,sedébattre.Elleauraitpuêtresauvée.Ilsl’ontlaisséemourir.J’essaied’avoirl’aircalme.Jemelèveetj’éteinslalumière.Lachambreestplongéedanslenoir.
Jeneveuxpasquequique ce soit assiste àmonmalaise. Jemeglisse sous les couvertures et parhabitude,jeserremonsaccontremoi.JemedemandesilapersonnequiaététémoinduderniergestedeRymeesthantéeparlascène.J’espèrequeoui.Jefinisparm’endormiretlevisageboursouflédeRymemepoursuitdansmonsommeil.Elleme
parle,semoquedemeséchecs,m’offreunbiscuitetcettefois,j’accepte.Chaquefois,jemeréveilleensursaut.Etpuis,latêtesousl’oreiller,jemeforceàmecalmer.Lacaméraestpeut-êtrepourvued’unevisioninfrarouge.L’annoncedupetitdéjeunerestunsoulagement.Danslasalledebains,j’étudiemonvisagedansle
réflecteur. J’ai l’air fatigué mais pas plus qu’hier matin. Je m’habille et, tout en me brossant lescheveux, je scrute la salledebains à la recherched’une caméra. Je n’envois pas.Lesofficiels nes’intéressentapparemmentpasànotrehygiène.Jenem’attachepas lescheveuxenespérantque lesmarquesdefatigueserontmoinsvisiblessurmonvisageainsiencadré.Àmonarrivée,Tomasetlesjumeauxsontdéjàattablés.Tomasselèveetmeserredanssesbras,
manifestementsoulagédemevoir.Quandjem’assois,iljetteunregardétonnéàmonassiette.Dansmoneffortpouravoirl’airnormal,jel’airempliedebacon,d’œufs,depommesdeterresautées,defruitsetderoulésàlacannelle.J’enfourneunetranchedebaconpourledécouragerdemeposerlamoindrequestion.Mastratégietombeàl’eauquandZandri,Malachietleurscamaradesdechambre
nousrejoignent.Tomasattendquetoussoientassispourmedemander:–Toutvabien?Onsedemandaitoùtuétaispasséehiersoir.Ilstournenttouslatêteversmoi.JemerepasselesmotsdudocteurBarnes.M’a-t-ilsuggérédene
pasparlerdelamortdeRymeàmescamarades?Jenecroispas.Jerépondsàvoixbasse.–Rymeestmorte.Elles’estsuicidée.Tomas,ZandrietMalachisontabasourdisparlanouvelle.Lesjumeauxsejettentunregardentendu
etWillsoupire:–Onsedoutaitd’untruccommeça.Notreprofesseurnousamisengardecontrelapression.Ila
faitpartidujuryduTestpendantquelquesannéesetilnousaprévenusqu’ilyavaitaumoinsdeuxoutroissuicidesparsession.Ryme est la première. Malgré moi, je me demande qui seront les autres. Après avoir échangé
quelques impressions,nousnousconcentrons surnos assiettes. Jepropose àMalachidem’aider àterminer.Ilaccepteensouriant.Entroisjours,ilabienprisunoudeuxkilos.J’enveloppeunrouléàla cannelle dansune serviette et je le glisse dansmon sac. Je ne sais pas si c’est autorisé,mais jesupposequesiçanel’estpas,l’officieldel’autrecôtédelacamérameleferasavoir.Une annonce nous demande de nous regrouper dans l’amphithéâtre.C’est le docteurBarnes qui
nousaccueille.Ilnousfélicited’êtrearrivésautermedecettepremièrepartieduTest.–Voscopiessontencemomentmêmeévaluéespar lesOfficielschargésde lacorrection.Étant
conscientsdevosdifférences,nousjugeonschaquegroupeenfonctiondecritèresparticuliers.Aprèsle repas, nousvous rencontreronsunpar un et vous informerons de vos résultats. Jusque-là, vouspouvez vaquer aux occupations de votre choix.Dans vos chambres, au réfectoire ou à l’extérieur,dansleszonesautorisées.ÀL’extérieur.J’aienvie,besoind’airfrais.LedocteurBarnesajoutequeleszonesautoriséessont
clairementdélimitéesetquesinouslesfranchissons,nousseronsaussitôtexclusduTest.Lescandidatss’agitentdans leurssièges,déjàprêtsàbondirvers laportequand l’expressiondu
docteurBarnes se fait plus grave. J’ai beaum’être préparée, je ne peux empêchermes yeuxde seremplirdelarmes.–JesuisdésolédevousapprendrequelacandidateRymeReynalds’estôtélavie,hiersoir.Ilyadescrisdansl’assemblée,maisaussilessouriresdeceuxquiseréjouissent.Unedemoins.
J’essaiedegraverlesvisagesdecesderniersdansmamémoire.Aucasoù.–NoussavonsqueceTestestdifficilemaisj’espèrequeceuxd’entrevousquisesentirontvaciller
viendrontmeparler.Noussommeslàpourvousaider.Profitezbiendevotredemi-journéededétente.Jevoussouhaitebonnechancepourcetaprès-midi.Tomas,Malachi,Zandrietmoiavonstousoptépourpassercesquelquesheuresdehors.Lesoleil
brilleet l’herbeestcaresséeparunebrise tiède.Deuxofficielssontpostésdevant laported’entréemais les alentours cernés d’une barrièremétallique sont assez vastes.De dehors, l’impressionnantbâtiment,symboledelaConnaissance,merappellepourquoijesuislà.Moinsd’une trentainedecandidatsont fait lemêmechoixquenous.Laplupart s’assoient sur la
pelouseàl’avantetnousdécidonsdoncdefaireletourafind’êtreunpeuseuls.Nousprenonsplacesurdesbancssousdesarbresenfleursprèsd’unbassin.Jeretiremesbottesetmeschaussettesetjetrempemespiedsdedans.C’estfurieusementagréable.Unpetitmorceaudetuyaudépassedumilieu.Unefontaine?Oui,leboîtierélectriqueestdissimulésousdespierres.Alorspourquoinemarche-t-elle pas ? Est-ce que c’est un autre Test ? Je prends mon couteau dans mon sac et je déplie letournevis. J’ouvre le boîtier. Aucune des connexions neme semble endommagée.Aucunemarquenoiren’indiqueunéventuelcourt-circuit.L’interrupteurestcorrectementrelié.Leproblèmedoitsesituerauniveaudelapompe.Maislànonplus,jenevoispasdesouci.Ilfaudraitsansdoutequejeladémonte.SaufqueTomasestcertainementbienplusqualifiéquemoipourça.Aprèstout,c’estluiqui
ainstallétoutlesystèmed’irrigationàlafermedesesparents.Quandjeluidemandesonaide,ilacceptevolontiers.ZandrietMalachisemoquentdenousmais
finissentparreprendreleurdiscussion.PourTomas, leproblèmevientde lapale rotative ;moi, jepenchepour lemoteur.Nousdécidonsdevérifier lequel denousdeux a raison.Quelquesminutesplus tard, je pousse un cri de victoire. La pale est intacte, lemoteur a un faux contact facilementréparable.Uneminuteaprès,l’eaujaillitetnoustrempetouslesdeuxdelatêteauxpieds.Problèmerésolu.Nousnousétendonsdansl’herbepournoussécherausoleilet jem’accrocheàcettejoiequime
remplitquandjeréussisàfairefonctionnerquelquechose.Toutentripotantmonbracelet,jemejoinsàlaconversation.NousparlonsdenosfamillesetdecequipeutbiensepasserauxCinqLacsàcetinstantprécis.LeregarddeZandriseperddanslevague.Sonfoyerluimanque.Lemienaussi.Jenepeuxm’empêcherdemedemandersinousseronsencoretouslàdemain.Sansm’enrendrecompte,j’aitrouvél’attachedemonbracelet.Ilmefautnéanmoinsmoncouteau
pour l’ouvrir. Je devrais peut-être partager l’information avec mes amis, mais le haut-parleur adiffusél’annoncedurepasetilssedirigentdéjàverslebâtiment.Jerefermemonbraceletetj’éteinslafontainepournepasgaspillerd’énergie.Cen’estpeut-êtrepasunproblèmeicimaisjenepeuxpasfaireautrement.J’aiétéélevéecommeça.Tomasm’attendetjepresselepaspourlerattraper.Lerepassedérouledansunrelatifsilence.Personnenesaitexactementàquelleheurecommencent
lesentretiensaveclesexaminateursmaisceneserasansdoutepaslongtempsaprèslafindudéjeuner.Beaucoupdecandidatsnefinissentpasleurassiette.Jeglisseunepommedansmonsacpendantquelesjumeauxessaientd’allégerl’atmosphèreenracontantdesblagues.Nousnousforçonsà rire.Lecœurn’yestpas.Leshaut-parleurscrépitent.–Vousêtespriésderetournerdansvoschambres.Quandvousentendrezvotrenom,vousdevrez
vousprésenterdanslehallavecvosaffaires.Unofficielvousescorteraàlasalledesrésultats.Les chaises crissent sur le sol.Notre table est la dernière à se lever. Je regarde chacun demes
camarades. Tomas, Malachi, Zandri, Nicolette, Boyd, Will et Gill. Les chances que nous nousretrouvionstouscesoirsontminimes.Personnen’yfaitallusion.Nousnenoussouhaitonsmêmepasbonne chance. Rien maintenant ne peut plus changer nos performances aux épreuves. Nous noussaluonsd’un«àplustard»ensachantpertinemmentquenousnenousreverronspastous.J’attendsdansmachambreenessayantdenepaspenseràcequemonpèrem’aracontéavantmon
départ. Je ne peux pasm’empêcher deme demander pourquoi personne nem’a jamais dit ce quedevenaientlescandidatsquiéchouentàl’examen.Des noms sont appelés.Celui deMalachi est rapidement suivi de celui deTomas. Les secondes
durentdesheures.Enfin,c’estmontour.Jemerendsdanslehalletunefemmeenrougemonteavecmoidansunascenseur.Elleappuiesurleboutondudeuxièmeétage.Quandlesportesserouvrent,unofficielmedemandedelesuivredansunlongcouloirblancoùs’alignentdesportessombres.Ilenouvreuneets’efface.Jerentreseule.Lapièceestassezpetite.Unefemmeblondem’attendderrièreunbureaunoir.Ellemefaitsignede
m’asseoiretj’obtempèreenessuyantmespaumesmoitessurmonpantalon.Moncœurcognecontremacagethoracique.Quelquessecondess’écoulentpuisellesourit.–Félicitations,vousavezréussilapremièrepartieduTest.Jepousseunsoupirdesoulagement.Lafemmemerecommandedebienmereposercardemain,
lesépreuvesrecommencent.Unofficielmeramènedanslehall.Desbrasm’enlacent.CeuxdeTomasquim’attendait.–Félicitations,partenaire,mesouffle-t-il.Jesavaisquetuyarriverais!
Malachimeserreàsontourcontrelui,plustimidement.Noussommeslestroispremiersdenotrepetitgroupe.BoydarriveensuiteetfrappedanslapaumedeMalachi.Lehallseremplitpetitàpetit.Nicolettefaitsonapparition,rougedefierté.Nousnousplaçonsdefaçonàvoirquipasselaporte.Willapparaîtavecunsouriresatisfait.Nousluifaisonssigneetsonsourires’élargit.Maisalorsqu’ils’approchesonvisagesedécompose.Ilreprendcontenanceassezvitemaisjevoisbienquequelquechosenevapas.Il se passe encore cinqminutes avant que les deux derniers candidats fassent leur apparition en
compagniedudocteurBarnes.ZandrisedirigeimmédiatementversMalachi.NouslafélicitonstousmaisWill nepeut s’empêcherde fixer la porte. Il neparvient pas à réaliser que son jumeau ne lerejoindrapas.LedocteurBarnesnousdemandedenousasseoiretnousfélicite.JedoissoutenirWilletl’aiderà
trouverunechaise.Tomasetmoiprenonsplacedechaquecôtédelui.Willtremble.C’estlapremièrefoisqu’ilestséparédesonfrèreplusd’uneheureoudeux.Chacunestcapabledeterminerlaphrasedel’autre.Jemedemandecommentilvasupportercettenouvellevie.Enest-ilseulementcapable?Wills’accrocheàmoicommeàunebouéedesauvetage.LedocteurBarnesnousannoncequela
deuxièmepartieduTestdébuteradèsdemainmatin,parlestravauxpratiques.Ilinsistesurunpoint:–Sivousêtesconfrontésàunproblèmequevousnesavezpasrésoudre,netentezrienauhasard.
Levez lamainetprévenez l’officielde servicequevousnepouvezpas terminer l’exercice. Ilvautmieuxnepasdonnerderéponsedutoutqu’uneréponseincorrecte.Ilnouslaissenousimprégnerdesesderniersmotsavantdenouslibérer.Willsembles’êtrerepris.
Pendantledîner,illanceenplaisantantquesonfrèreadûfaireexprèsd’échouerpourallerretrouversapetiteamieàDixon.Ilcontinuedeblaguerduranttoutlerepas,maisdetempsentemps,iljetteunpetitcoupd’œilsursadroitecommes’ils’attendaitàlevoir.Nous allons nous coucher tôt. Je rêve que Ryme, sa corde artisanale autour du cou, offre des
biscuitsaumaïsàGill.Puisellemesouritets’effondresurlesol.Le lendemainmatin, jeme lave à l’eau froide avant d’aller au réfectoire. Je suis la dernière à
arriverànotretable.Toutlemondesembleenforme,particulièrementWillquiflirteavecNicoletteetparvientàlafairerougir.J’espèrequecen’estpasseulementsamanièredesurmonterl’absencedesonfrère.Puisonnousdemandedenousprésenteràl’amphithéâtre.Noussommesmaintenantquatre-vingt-
sept.LedocteurBarnessouritderrièresabarbegriseetnousrépètequelorsdesexamensquivontavoirlieumaintenant,lesmauvaisesréponsesserontpénalisées.Noussommesappeléspargroupesdesix.Àmagrandesurprise,MalachietWillsontavecmoi.
Dans cette nouvelle salle d’examen, les tables sont plus hautes et portent nos symboles respectifs.Nousprenonsplacesurdestabouretspivotants.Jesuisàladeuxièmerangéeaumilieu,MalachiestdevantmoiàdroiteetWilljustesurmagauche.Ilm’adresseunclind’œil.Devantnoussetrouveunegrandeboîteenbois.Unefemmeauxcheveuxgrisnousdemandedeleverlamainquandnousauronsterminé.Laboîte
nous sera alors enlevée et une autre nous sera apportée. Le but est de faire le plus d’exercicespossible. Il n’y aura pas de pause à l’heure du déjeuner. Puis elle répète les recommandations dudocteurBarnesconcernantlesréponseserronées.Nous devons avant tout réussir à ouvrir la boîte et ensuite suivre les instructions que nous
trouveronsàl’intérieur.Çamesemblefacile,cequimerendnerveuse.J’étudiemaboîtesoustouteslescouturespendant
que d’autres candidats tapotent la leur ou la secouent.Magnifiquement décorée, elle est d’un boissombreetlisse.Maisjenesuispaslàpourl’admirer.Mamèreauneboîtesimilaireàlamaisonquesonpèreavaitfabriquéepourelle.C’estungenredecasse-têteetpourl’ouvrir,ilfautfaireglisserles
morceauxdeboisdansuncertainordre.Làaussi,ildoityavoiruntruc.J’examinelaboîtedeprèsetdécouvre,surunedesfaces,unminusculeboutondissimulédansun
desentrelacsdudécorpeint.J’appuiedessuset j’entendsuncliquetis.Lecouvercleestdébloqué.Jesorslafeuillequisetrouveàl’intérieur.Déterminezquellesplantesdelaboîtesontcomestiblesounon.L’avertissementestrépété:Sivousn’êtespassûrdelaréponse,mettezlaplantedecôté.Jesouris.Cetteépreuveaétéfaitepourmoi.Laboîtecontienthuitplantesdontsixquejereconnaisimmédiatement.Lesombrellesblanchessont
delaciguë.D’aprèsmonpère,ellesétaientdéjàmortellesavantlagrandepollution.Larhubarbe,auxfeuillesvertesveinéesderouge,estégalementdangereuse.Labrancheauxfeuillesovalesetbrunesdoitêtreduhêtre.Jereconnaisaussidusassafras,del’oignonsauvageetdel’ortie.Jereniflel’avant-dernieréchantillon,unefeuilleauxcontoursdentelésquidégageunlégerparfum
floral.Jepassemondoigtdessus,elleestlisseetmefaitpenseràuneplantesauvagequemonpèrem’a montrée quelques années plus tôt. C’était du poison mais il en adorait l’odeur. Serait-ce lamême?Jesuispresquesûrequ’ellessontaumoinsdelamêmefamille.Jelaposedanslapiledesvénéneuses.Ladernièreplanteestuneracinebulbeuseornéedefeuillesquiressemblentàdesfleurs.J’engrattelasurfaceetjelaporteàmonnez.L’odeurestsucréemaispascommeunecarotteouunebetterave. Ça me rappelle quelque chose. Mon père m’a un jour parlé de variétés de racines quipoussaient dans le Sud. L’une d’entre elles s’appelait la chicorée et Zeen voulait en étudier unexemplaire. Ilpensaitqueçapourrait l’aideràaméliorersapommede terre. Jedécidede laposerdansletasdescomestibles.Lesautrescandidatsm’observentàladérobéependantquel’officiellevérifiemontravail.Elleveut
savoir si je suis sûredemoi. Je regardeunenouvelle fois les plantes et j’acquiesce.Elle sourit etgriffonnequelquechosesuruncarnet.Puiselleprendmesplantesnoncomestiblesetm’enjointdem’asseoirenattendantquelesautresaientfini.Dixminutesplus tard, le travaildechacunaétécontrôlé.Lafemmenousdemandeunenouvelle
foissil’und’entrenousdésiremodifiersesréponses.Toutlemonderefuse.–Parfait,lance-t-ellegaiement,danscecas,ingérerunmorceaudechacunedesplantesquevous
avezestiméêtrecomestiblesnevousposerapasdeproblème.Unechapedeplombs’abatsurlasalle.Jecomprendsmieuxmaintenantpourquoiilsonttellement
insisté.Oui,uneréponseerronéeserapénalisée.Étourdissements,vomissements,hallucinations.Peut-êtremêmelamort.Je regarde autour de moi. Nous avons tous des plantes différentes. Je n’ai aucun moyen de
comparermeschoixavecceuxdesautres.Ai-jecommisuneerreur?Legarçondevantmoisemblesûrdelui. Ilcoupetranquillementunmorceaudechacundeseséchantillons.Will faitdemême.Jeprendsunegrandeinspirationavantdecroquerdanslabranchedehêtre,laracinedecequej’espèreêtre de la chicorée et les trois autres plantes. Aucune de celles que j’ai sélectionnées commevénéneusesn’ad’effetrapide.Sil’undenouss’esttrompé,nousnelesauronsprobablementpastoutdesuite.Maisjen’aipasvraimentletempsdem’eninquiéter.Unenouvelleboîteestdéposéedevantnous.
Celle-cis’ouvreenenfaisantglisserlespanneaux.Àl’intérieursetrouveuneradiomagnétiquequenousdevonsremettreenétat.Nousavonsapprisqu’avant lesSeptÉpoquesde laguerre,onpouvaitcommuniquergrâceàdes
satellitesenvoyésdansl’espace.Jenesaispasoùsontcessatellitesàprésent.Peut-êtretoujourslà-haut, àmoins qu’ils se soient écrasés quelque part. Les tremblements de terre ont détruit tous lesréseauxfilaires.Aprèslaguerre,desscientifiquesonteul’idéed’utiliserl’augmentationconsidérable
des radiationsélectromagnétiquesdans l’atmosphèrepour restaurer lesmoyensdecommunication.Laradiomagnétiqueétaitnée.Ellepeutdiffuserdesvoixmaisaussidesimages,àconditionqueceluiàquionlesenvoiesoitéquipédubonrécepteur.EllepermetauxresponsablesdesecteurdescoloniesdecommuniquerentreeuxetsurtoutavecTosu.Monpèreenpossèdeunepoursontravailetilm’alaissée jeter unœil à l’intérieur. Je n’ai donc aucunmal à identifier les mauvais branchements, àréparer le moteur solaire et à faire quelques ajustements sur le transmetteur. Régulièrement, jem’arrêtepourmeprendrelepoulsetessayerdedéterminersilesplantesquej’aiingéréesmerendentmalades.Aupremiermauvaissigne, jen’hésiteraipasàmefairevomirpourmepurgerl’estomac.Çan’empêcherapaslepoisondéjàdansmesveinesd’agirmais il faudrabienquej’essaiequelquechose.Danslaradio,jedécouvredesfilsquin’ontpasleurplaceainsiqu’unepetiteboîteàcharnière.Si
j’étaisàlamaison,jefarfouilleraisunpeuplus,maisici,jeneveuxprendreaucunrisque.Je revisse le capot arrière de la radio et je m’apprête à lever la main quand je remarque que
Malachititube.Lafatigueoul’effetd’unpoisonquelconque?Ilestennage.Sesmainstremblentetildirigeson tournevisvers lapetiteboîtemétalliqueque j’aisoigneusementévitée.Nousnesommespascensésaider lesautrescandidats,mais j’ai l’impressionqu’ilne réfléchitplus rationnellement.J’ouvre la bouche pour le retenir ; c’est trop tard. L’extrémité du tournevis a touché la boîte quis’ouvredansunbruitderessort.Uncloujaillitetseplantedansl’œildeMalachi.Ils’effondresurlesolcommeunepierre.
CHAPITRE8
Enfant,jemesuisunjourcoupéledoigtjusqu’àl’os.Mamèrem’ademandédenepascrieretdenepas pleurer. Jeme suis pétrifiée comme simon immobilité pouvait suffire à arrêter le sangdecouler.LesangdeMalachiquis’étaleenflaquesurlesolaaujourd’huiexactementlemêmeeffetsurmoi.Mespoumonssegonflentd’uncriquinefranchitpasmagorge.Quelqu’und’autrehurle,peut-être Will. C’est comme si je recevais une décharge électrique. Je me précipite sur Malachi.L’officiellem’obligeàreculer.Jemedébatsetj’entendsàpeinecequ’ellemedit.Unautreofficielapparaît etmedemande si j’ai finimon exercice. Sinon, je doisme remettre au travail sous peined’êtreaccuséedetricherie.J’aienviederépondrequecefichuTestn’apasd’importance,quemonamiestentraindesevider
desonsang,mais,lavoixétranglée,jeparviensàrépondrequej’aiterminé.L’officielmelâcheetjem’agenouilleprèsdeMalachi.À leurposture, jedevinequ’aucundesdeuxneproposera sonaide.Poureux,Malachiaseulementétépénalisépouruneréponseerronée.Ilaméritécequiluiestarrivé.Monamitrembledeplusenplus.Sonœilencorevalideestgrandouvertmaisjenesuispassûre
qu’ilpuissemevoir.Néanmoins,aucasoù,jemeplacefaceàlui.Ainsi,ilauradanssonchampdevision quelqu’un qui lui rappellera l’endroit où il a passé toute sa vie. Une fille qui a chanté deschansonsavecluietluiademandésonaidequandellenecomprenaitpassesdevoirs.Uneamie.Quelqu’unquin’arrivepasàimaginercequisepasseraquandilneserapluslà.Etpuis,lestremblementscessent.Soncorpssedétend,satêtetombesurlecarrelage.Ilestmort.Il fautcroireque jepleurecarquand lesofficielsmedemandentde retourneràmonbureau,un
goûtdeselemplitmabouche.Combiende tempsm’ont-ils laisséeassiseprèsducorpssansviedeMalachi?Suffisammentpourquedeuxautrescandidatsterminentleurexercice.Àmoinsqu’ilsaientdécidéd’arrêterenvoyantcequiétaitarrivéàleurcamarade.Avantdemelever,jerepousseunemèchedecheveuxsurlefrontdeMalachietjeposemeslèvres
sursajoue.Quandjemeredresse,lapiècetangueautourdemoi.Jeparviensquandmêmeàretourneràmontabouret.LesofficielsnefontpasunmouvementpourdéplacerMalachi.Jem’attendsàdesprotestationsdelapartdesautrescandidatsmaisilsneprononcentpasunmotet
jesaispourquoi.C’estpourlamêmeraisonquejen’aipashurlé.Parcequenousvoulonstousvivre.Quelquesminutesplustard,Willlèvelamainpourprévenirqu’ilaterminéetfermelesyeuxpour
nepasvoircequirestedugarçonavecquiilapartagétoussesderniersrepas.C’estautourdelafillesurmadroitedeleverlamain.Lafemmeauxcheveuxgrisvérifienotre travailpuisfaitsigneauxautresofficielsqu’ilspeuventemmenerlecorps.Lescandidatss’appliquentàregarderdroitdevanteux ou à fixer le plafond. Pas moi. Malachi mérite que quelqu’un l’accompagne. Je me force à
observerchaquemouvementdesofficielsquileportentparlesbrasetlesjambesetluifontfranchirlaporte.Àpeinea-t-ildisparuquelesnouveauxsujetsarrivent.Mesmainstremblentetl’odeurdusangqui
tachelesolm’emplitlesnarines.J’aienviedehurler,dequittercetendroit,derentrerchezmoi,maisjesaisquec’estimpossible.J’essuiemesmainssurmonpantalon,jeravalemeslarmesetj’examinelaboîtedevantmoi.Ilmefautplusieursessaispourcomprendrecommentelles’ouvre.Ellecontientdeséchantillonsdeterre.Nousdevonsutiliserlecontenudedifférentesfiolespourtrouver lesquelssontradioactifs.Je n’utilise que les liquides que je peux identifier à la couleur ou à l’odeur. Je parviens à
déterminerquequatre fragmentsdesol surdixsontcontaminésde façoncertaine.Troisne lesontpas. Je nem’aventurerai pas àme prononcer pour les trois derniers. Pas après ce qui vient de sepasser.J’airéduitd’uncranmonniveaudecertitude.LamortdeMalachiseraitencoreplusinutilesijen’apprenaispasdeseserreurs.Onnousapportequatreboîtesen tout.Nousdevonsd’abordchoisirentredifférentessolutionsà
des équationsmathématiques complexes grâce à un clavier. Je ne fais l’exercice qu’àmoitié sansprendreaucunrisque.Legarçondevantmoin’amanifestementpasétéaussiprudent.Soncorpsestsoudainagitédesoubresauts.Électrocution.Ilnemeurtpasmaisabeaucoupdemalàrestersursontabouretjusqu’àlafindel’examen.Jeparviensàidentifierlestroisquartsdesorganismesquel’onnousdemanded’observeràtravers
unmicroscopesansdoutepiégé.Parbonheur,aucundenousn’al’occasiondedécouvrirlasanctionprévueencasd’erreur.Ilfautensuiteremonterunebatteriesolaire.Pasdedifficultépourmoimaisunefilleyperdunmorceaudechairdanslegrasdudoigt.Vientlapurificationdesixéchantillonsd’eau grâce à des produits chimiques.Ça ne nous prend pasmoins de deux heures et quand nousavons terminé, nousdevonsboire ceuxquenouspensons avoir correctement assainis. Je negoûtequ’àdeux.Legarçonquis’estfaitélectrocuteretlafillequis’estcoupéenetrempentleslèvresquedansun.Etpuis,c’estterminéetnouspouvonsquitterlasalle.Willadumalàmettreunpieddevantl’autre.Lestressouunempoisonnement?Impossibleàdire.
Jepassemonbrasautourdesatailleetjel’aideàmarcher.Avantdefranchirleseuil,jemeretourneversl’endroitoùMalachiestmort.Laflaquedesangaséché.Unelarmem’échappeetjemurmureundernieradieuàmonami.Will et moi rejoignons le réfectoire et je ne peux m’empêcher de demander qui d’autre sera
manquant.Boyd.Le teint cendreux, Nicolette nous raconte qu’il s’est écroulé pendant l’exercice sur la terre
radioactive.Ilaétéemmenépardesofficielsetn’estpasrevenu.Tous lesregardsse tournentversmoi.Will est assis mais n’arrive pas vraiment à se tenir droit.Mes yeux s’emplissent de larmes.Tomasprendmamaindans lasienne.Jesuisheureusequ’ilsoit là.Qu’ilait survécu.Je retraceenquelquesmots ce qui est arrivé àMalachi. Je parle vite.Quandon enlèveunpansement, il ne fautsurtoutpasprendreson temps.Mais ladouleurest tropprofonde.Ellenes’arrêtepasquand jemetais.Tomascrispelamâchoire.Zandriestsouslechoc.Alorsquelesdernierscandidatsentrentdansleréfectoire,uneannoncerésonne:–Lesélèvesquipensentavoirbesoindesoinsmédicauxsontpriésdeseprésenterdanslehall.Aumoinsunpartabléeselève.NicoletteencourageWillàyaller.Ilestsurlepointdeselaisser
convaincremaisjel’empêchedebouger.J’essaied’évaluersonétat.Sespupillessontdilatéesmaisilrespiredéjàmieux.Sonfrontestmoitemaissesjouesontretrouvédescouleurs.Jesuispresquesûrequequelquesoitlepoisonquil’amisdanscetétat,seseffetsarriventàleurterme.Biensûr,dessoins
l’aideraientàseremettreplusvitemaisjen’aipasoubliélesproposdudocteurBarnesaprèslamortdeRyme.Ilyaceuxquisupportentlapressionetlesautres.Ceuxquisontalléssefairesoignernereviendrontprobablementpas.Nicolette insistemais je refusedecéder. JedemandeàTomasd’apporterde l’eauetàmangerà
Will.J’espèrequejenemetrompepas.Aprèsavoirbudeuxverresdejusd’orangeetgrignotédupainetunfruit,Willvaunpeumieux.Il
n’aplusbesoind’aidepourtenirassis.Jevaismeserviràmontour.Jen’aipasfaim,maisjedoismeforcer.Unpeudelégumes,quelquesbouchéesdepoulet,dujusdefruit.Jeglissedansmonsacdeuxpommes,uneorange,unsacderaisinssecsetunrouléàlacannelle.J’attendsquemesamisaientfinidemangeretjestocketoutcequ’ilslaissent.Jenesaispasvraimentpourquoi.Detoutefaçon,jenesuisplussûrederien.Toutcequejesais,c’estquejedoismepréparer.Àtout.La plupart des candidats restent dans le réfectoire jusqu’à ce qu’on leur demande de partir. La
célébrationdelaveilleestloin.Cesoir,noussommesseulementcontentsd’êtretoujoursenvie.Nousretournonsdansnoschambres.Jem’endors la lumièrealluméeenespérantqueMalachiet
BoydnevontpasvenirrejoindreRymeetGilldansmesrêves,maisbiensûr,dèsquejefermelespaupières,ilssonttouslà.Ilsontpeurpourmoi,merépètentd’êtreprudente,denefaireconfianceàpersonne.Malachimechanteunechansondecheznous.Aumatin,jesuisaucombledel’angoisse.Jemerassuredemonmieux.Sansbeaucoupdesuccès.Willm’accueilleensouriant.Ilal’airtristemaisiln’estapparemmentplusmalade.Ilmeremercie.
LegarçonquipartagelachambredeTomasestalléàl’infirmerieetn’estjamaisrevenu.Jemeforceàmanger.Jeremarquequ’unautrecandidatglissedelanourrituredanssonsac.LavoixdudocteurBarnesnousparvientparlehaut-parleur.–Félicitations,vousavezfranchiunenouvelleétape.Aujourd’hui,voustravaillerezpargroupesde
cinq.Comptetenudevotrenombre,lederniergroupenecomprendraquequatrepersonnes.Vousêtespriésdevousprésenterdanslehalldèsquevousentendezvotrenom.Bonnechanceàtous.Jen’aipasletempsd’espérerquenousrestionsensemblecarTomasestappeléavecquatreautres
personnes. Il m’effleure l’épaule en se levant et s’éloigne son sac sur le dos. Plusieurs minutess’écoulentavantqueledeuxièmegroupesoitconvoqué.C’estautourdeWilletZandridepartir.IlnerestequeNicoletteetmoiàlatable.Leréfectoiresevidepeuàpeu.PuisNicolettes’envaaussi.Jesuismaintenantseuleavec legarçonauxcheveuxébouriffésquia faituncroche-piedàMalachi lejourdenotrearrivée,unefilleroussequej’avaisremarquéependantlapartieécritedel’examenetungrandblondmusclé.–Jepensequ’onpeutyaller,yaplusquenous,lancelafille.Jesouris.–C’estvraiquesionn’apasencoredevinéavecquionest,onn’arienàfaireici.Lesdeuxgarçonsrestentassispendantquenousallonsdanslehall.–AnnaliseWalker,seprésentemanouvellepartenaire.DelacoloniedeGrandForks.Lesymbolesursonbraceletestlemêmequelemien,uneétoile.–CiaVale,desCinqLacs.Ellehochelatête.–Jesais.TousceuxdemacolonieneparlentquedevousdepuisledébutduTest.Jegrimace.–Ilsdisentquoi?–Lamajoritépensequevousêtesdesconcurrentsfacilesàbattre.Poureux,petitecolonieégale
attardésmentaux.–Ettonavisàtoi?Elleréfléchituneseconde.
–Undesgarçonsdemacolonieavaitlemêmesymbolequetoietmoisursonbracelet.Àl’école,ilavaittoujourslesmeilleuresnotes.J’aipassédessemainesetdesmoisàétudierpouressayerdelebattre,jen’aijamaisréussi.Jesupposequesitroisd’entrevoussontarrivésjusqu’ici,c’estquevousn’êtesprobablementpassinuls.–MalenciaVale,BrickBarron,RomanFryetAnnaliseWalkersontpriésdeserendredanslehall.BricketRomannousrejoignentd’unpastraînant.Avantquej’aieletempsdeleurdemanderlequel
est Brick et lequel est Roman, une officielle nous fait monter dans un ascenseur qui s’arrête auquatrième.Ellenousguideensuite jusqu’àunepièce touteblancheavecune table etquatre chaises.Dans le
fond,au-dessusd’unegrandeporteenbois,unelumièreverteclignote.Nossujetsetquatrecrayonssontposéssurlatable.Jemedétendsunpeu.Jenesaispascequinousattendmaisuneépreuveécriteneconstituepasdemenaceimmédiate.Aucundemesamisnemourraaujourd’hui.Pendantquenousnousasseyons,l’officielnousdonnedesprécisions.–L’épreuveapourbutd’évaluervotrecapacitéà travaillerenéquipe.Lesproblèmesàrésoudre
requièrentdesconnaissancesetdescompétencesparticulières.Lorsquevousaurezchoisileplusapteàrépondreàlaquestionposée,ilseraappelépouruntestindividueldansl’autresalle.Elledésignelaporteéclairée.–Quandvousêtesde l’autrecôté,poursuit-elle, la lumièredevientrouge.Dans lecouloir, ilya
cinqautresportes.Ellesportent lesnuméroscorrespondantauproblèmepour lequelvousavezétédésignéparlesmembresdevotreéquipe.Vousdevezentrer,fairel’exercicedemandédevotremieuxetretournerdanslecouloir.Toutaubout,voustrouverezlasortie.Lalumièreredeviendraverte.Ceseraalorsletourducandidatsuivant.Lanotedechaquemembreestattribuéeàtoutlegroupe.L’idéed’êtreévaluéesurletravaildequelqu’und’autrenemeplaîtpasbeaucoup,maislesourire
confiantd’Annalisemerassureunpeu.–Vousn’êtesquequatre, reprendl’officielle,cequisignifiequ’und’entrevousdevras’occuper
d’aumoinsdeuxproblèmes.Vousn’avezqu’unechanceparexercice.Sivousessayezd’entrerdansune salle qui a été attribuée à unde vos camardes, vous serez pénalisé.Vous avez une heure pourdéterminervotrestratégie,conclut-elleenappuyantsuruninterrupteur.Aussitôtlalumièrevireaurouge.–Quandceseradenouveauvert,précise-t-elleencore,celuiquevousavezdésignépourrayaller.
Vousn’avezaucunelimitedetemps.Bonnechance.L’officielleverrouillelaportederrièreelle.Nousnepouvonsplusreculer.Nousnousobservonspendantunmomentavantquejemedécideàprendreunsujetmarquédemon
symbole.LegrandblondprendceluisurlequelestgravéeuneancredansuncœuretlegarçonauxcheveuxenbatailleceluiavecleX.Mon intuition me souffle que l’officielle ne nous a pas tout dit et que je dois rester en alerte.
Annaliseprendlaparoleavecautorité:–Sinousprenions lesproblèmeslesunsaprès lesautres?suggère-t-elle.Ons’ymetchacunde
notrecôtéetoncomparenosnotes.Comme personne n’a de meilleure idée, nous nous mettons au travail. Il s’agit d’abord de
mathématiques.Nousdevonsrésoudreuneéquationsimplepourdéterminer le flux thermiqued’unsegment électrique dont seules les extrémités ne sont pas isolées. C’est un principe dethermodynamiquequejeconnaisparcœur.Àmagrandesurprise,legarçondécoiffé,quienfaits’appelleRoman,finitavantmoi.Nousavons
touslesdeuxtrouvélemêmerésultat.Annalise terminerapidementetarriveàunchiffre identique.SeulelaréponsedeBrickestdifférente.L’exercice d’histoire consiste essentiellement en l’énumération de noms, de dates, de tailles de
population.Enbiologie,nousdevons compléter le schémade l’ADNd’ungloutondesmontagnes.CetanimalressembleàunloupmaisestenfaitunemutationduchatdeNebelung.Lalumièrepasseau vert pendant que je suis sur un calcul d’énergie solaire. Nous enchaînons sur les principes defonctionnement des armes nucléaires. Je suis sans doute distraite ou déconcentrée parce que maréponseestlaseulequinecorrespondpasàcelledesautres.Aufinal,ilsemblequej’obtienne,commeAnnalise,quatrebonnesréponsessurcinq.Brickdeux,
Romann’aeujustequ’àlapremière.–Jesupposequec’estàmoid’yaller,non?lance-t-il.Jesuislaplusjeunemembredenotregroupe.Entempsnormal,jeprendraisletempsd’écouterles
avisdechacunavantd’énoncerlemienmaissonenthousiasmemechiffonne.Jememordsl’intérieurdelajoueavantdedéclarer:–L’officiellen’apasditqu’ondevaitrépondredansl’ordre.Romancroiselesbrassursapoitrine.–C’estcequej’aicompris,moi!JeconsulteAnnalisedu regard.Elleplisse lenezet ferme lesyeuxcommepour se rappeler les
termesexactsdel’officielle.Quandellelesrouvre,elles’excusepresque:–JecroisqueRomanpourraitavoirraison.Jeneveuxpasprendrelerisque.Roman a un sourire triomphant. Brick hausse les épaules. Trois contre un, la discussion est
terminée.Annalisemènelasuitedesdébats.Romanseradonclepremier,ellerépondraauxquestionsdeuxet
trois, j’iraipourlaquatreetBrickpour lacinq.J’exprimemapréférencepour laquestion troisenargumentant que le travail demon pèrem’a donné une excellente compréhension de la génétique.Mais Roman et Annalise ne sont pas d’accord. Brick refuse de donner son avis. Je me demandepourquoi.Romanouvrelaporteens’exclamant:«Àtoutàl’heure!»Lalumièreredevientrouge.Nousdiscutonspourtromperl’attente.Àlademanded’Annalise,Bricknousexpliquequ’ilvientde
la coloniedeRoswell et que ses parents sont tous les deuxdiplômésde l’université. Ils travaillentdansuneanciennezonemilitaireoùilsdéveloppentdesarmesetdessystèmesdesécuritécontrelesattaquesd’animauxsauvages.Jecomprendsmieuxsescompétencesdansledomainedunucléaire.Àmesurequeletempspasse,notreconversations’éteint.Lessilencessontdeplusenpluslongs.
Lesréponsespluscourtes.Jusqu’àcequenousneprononcionsplusunmot.Nousnouscontentonsd’attendrequelalumièrechangedecouleur.Nousn’avonspasd’horloge,pasdefenêtredoncpasdesoleil.Aucunmoyendemesurerletemps.
Lesmusclesdemesépaulesseraidissent.Annalisefaitdesexercicespoursedétendrelecou.Brickestimmobileetimpassible.Ilfermelesyeux.Annaliseserongel’ongledupouce.Jem’étire.Chaqueminuteenduredix.Jegardelesyeuxfixéssurlalumière.Enfin,ellechange.Annaliseselèveensouriant.–C’estmontour.Jesuissûrequejevaisprendremoinsdetempspourmesdeuxproblèmesque
Romanavecunseul.–Onn’estpaspressés,jeluirappelle.Jerougisunpeu,gênéedevouloirluidonnerunconseil.J’ajouted’unevoixplusdouce:–Onpeutattendre.
Lesourired’Annalises’évanouit.Jeperçoissanervositéetsapeurderrièresonairbravache.Elleacquiesce.–Jenemetromperaipas.Vouspouvezcomptersurmoi.Leresteestentrevosmains.Laporteserefermesurelleetlalumièrepassedenouveauaurouge.Bricknebougetoujourspas.Aulieudedéteindresurmoi,soncalmejoueavecmesnerfs.Jeme
lèvepourfairelescentpas.Monventregargouille.L’heuredurepasestprobablementpasséedepuislongtemps. Il est évident qu’on ne nous apportera rien àmanger avant la fin de l’épreuve.Ça faitmêmesansdoutepartieduTest:lacapacitédescandidatsàresterconcentrésmalgrélafaim.Ma mère exige toujours que je prenne un bon petit déjeuner avant un examen important. Elle
affirmequelecerveauetlecorpsontbesoindecarburantpourfonctionnercorrectement.Jeprendsdansmonsacundesroulésàlacannellequej’aigardés.Enouvrantlesachet,jeréalisequ’ildatedenotrepremierrepasaucentredeTest.C’étaitilyamoinsd’unesemaineettantdechosesontchangé.Malachiestmortetjetravailleengroupeaveclegarçonquil’afaittomber.PourquoiRomana-t-ilfaitça?Poursemoquerde lui?Parcequ’il trouvaitçadrôle?Essayait-ild’intimidermonami?Sansdouteunpeutoutça.Romann’aeuqu’uneseulebonneréponsesurcinq,toutàl’heure.Ilnedoitpasêtreaussiintelligentqu’ilessaiedelefairecroire.C’estmêmeétonnantqu’ilsoitarrivéjusque-là.Saufque…Jeprendssonsujet.CeluiavecunXsurlacouverture.Sonallurenégligéenem’avaitpaspréparée
àuneécritureaussilisible.Mamèrem’apourtantsouventrépétédenejamaismefierauxapparences.Sontravailestimpressionnant.Jemerendscomptequ’ilapresquetoutcalculédetête.Normalqu’ilait fini avantmoi. Jecomprendspourquoi il aété sélectionné. Il est très intelligentet sescapacitésmathématiquessontnettementau-dessusdelamoyenne.Qu’ilsesoitàcepointtrompéauxquestionssuivantesn’apasdesens.Entournantlespages,jeme
rendscomptequ’iln’atoutsimplementpasvraimentessayé.Pourquoi?–Cia?Je sursaute et je suis le regard de Brick. La lumière est de nouveau verte. J’ai l’impression
qu’Annaliseestpartieilyamoinsd’uneheure.A-t-ellepuêtreaussirapide?Lesmainstremblantes,jeprendssonsujetetjelefeuillette.Sesdémonstrationssontclairesetconcises.Ellesaittrèsexactementcequ’ellefait.Salogiqueest
sansfaille.Elleapuréussir.Maisjen’aiaucunmoyend’enêtresûre.–Alors,tuyvas?mepresseBrick.–Uneminute.Jen’aipaslechoix.Jedoisfranchircetteporte.Jemeremémorelesinstructionsdel’officielle.Et
l’insistance de Roman pour passer le premier. Une réponse par exercice. Les scores de chacuncomptentpourtoutel’équipe.Toutetentativederetenterunproblèmeserapénalisée.Lecarnetd’Annalisemetombedesmainsalorsquelespiècesdupuzzlesemettentenplacedans
matête.Romanestrestélongtempsdel’autrecôté.LedocteurBarnesnousavaitprévenusqueceTestneservaitpasseulementàévaluernosproprescompétencesmaisnotrecapacitéàévaluerlesforcesetlesfaiblessesdenoscoéquipiers.Simonraisonnementestbon,Romannousaparfaitementévaluésetnousatenduunpiège.UnpiègedanslequelAnnaliseesttombée.Je m’assois sur ma chaise et je prends de longues inspirations pour empêcher la panique de
m’envahir. Si je neme trompe pas, je ne dois pas essayer de répondre à la question quim’attendderrièrelaporten 4.Maiscommentêtresûre?Lemauvaischoixmemèneraàmaperte.Jedoismedécider.
o
Mon cœur cogne dans ma poitrine. J’observe Brick. Son calme malgré ses mauvais résultatssembleconfirmermesdoutes.Ets’ilétaitaucourantduplandeRoman?S’ilsl’avaientmisaupointensemble?Pourenavoirlecœurnet,ilmefaudraitsoncarnet,maisilalecoudeposédessus.Jenel’obtiendraiqu’en lui faisantpartdemon inquiétude.Saufque s’iln’estpasdéjà au courant, je luipermettraideréussircetteépreuvealorsqu’ilneleméritepas.J’aihontedepensercommeça.Jerefused’essayerdefaireéchouerlesautrespouravoirplusde
chances. D’ailleurs même si les méthodes des examinateurs m’horrifient, je ne pense pas qu’ilsapprécientqu’onchercheàsepiégermutuellement.Quelgenred’élitesélectionneraient-ilsdecettefaçon?J’expose donc doucement à Brick mes doutes concernant Roman et sur ce qui a pu arriver à
Annalise.Cequinousarriveraànousaussisinousessayonsd’ouvrir lesportes4et5.Ilm’écoutesansm’interromprepuismecontemplependantunlongmomentavantdelâcher:–Onvafaireexactementcequ’onaprévu.Est-cequ’ilnemecroitpas?Maissonexpressionestsurtoutrésignée.J’insiste.–JecroisqueRomann’ajamaiseul’intentiondetravaillerenéquipe!Rappelle-toilesproposde
l’officielle:sinoustentonsderevenirsurunexercice,nousseronspénalisés.Pénalisés:cemotapourmoilaformeduclouquis’estplantédansl’œildeMalachi.J’aienviede
secouer Brick quand ilme répète qu’il fera comme ça a été décidé. Qu’il a donné sa parole. Sesparentsluiontapprisàtenirsespromesses,pointfinal.Le désespoir m’envahit mais en même temps, il a peut-être raison. En suivant mon instinct, je
risquedecommettreuneénormeerreur.Monsacsurl’épaule,jetraverselapièce.J’aifaittoutcequejepouvaispourBrick.S’ilne…Non,jenepeuxpas.–S’ilteplaît…Jemeretourneversluietjelesupplie.–Tunemeconnaispas, tun’as aucune raisondeme faire confiance,mais regarde le carnetde
Romanetdemande-toilequeldenousdeuxaleplusàgagneràtrahirlesautres.Jenesaispasquellessontlespénalitésprévues…Encorececlou.Etlesang.–…mais si j’ai raison, trois d’entre nous pourraient être éliminés pour avoir fait confiance à
notrecoéquipier.L’impassibilitédeBrickestmaintenantremplacéeparlaconfusion.–Onn’estpasdelamêmecolonie.Qu’est-cequeçapeuttefairesijesuiséliminé?–Jeneveuxplusvoirpersonnemourir.LesyeuxdeBrickseposentsurlaportederrièremoi.Ilesttemps.Jefaisvolte-faceetjeposela
mainsurlapoignéeenespérantl’avoirconvaincu.Quoiqu’ilensoit,j’aiprismadécision.Le couloir est mal éclairé et la pénombre est inquiétante. J’arrive aux portes décrites par
l’officielle. Àma droite, la numéro 4 ; à ma gauche, les numéros 1, 2 et 3. Je les inspecte sansvraimentsavoircequejecherche.Dusang?Descheveux?Lespoignéesneportentpasdetracesdedoigts.Commesiellesavaientétéessuyées.Je ne sais pas combien de temps je reste là sans bouger. Et puis, je continue plus loin dans le
couloiretjesorsenespérantdetoutmoncœurquejenevienspasdeprendreladernièredécisiondemavie.
CHAPITRE9
Uneofficiellem’attenddel’autrecôté.Elletientàlamainuneespècedeboîtierdecontrôlequiluisertsansdouteàcommanderlalumière.Ellemeguidegentimentjusqu’auxascenseurs.Jedescendsaucinquièmeétageenmedemandantquandjeseraifixéesurmonsort.Jenevais peut-être pas avoir besoind’attendre longtemps.Desbruits devoixm’attirent dans le
réfectoire.Moncœur segonflede joiequand j’aperçoisZandri,Will etTomasassis ànotre table.Maisj’aiquelquechoseàfaireavantdelesrejoindre.Romanestlàetilnem’apasencorevue.Ilritavecsesamis.Peut-êtreleurraconte-t-ilcommentilaréussiàtousnouséliminer.Tomasm’appellemaisjerestedansl’encadrementdelaporte.LafilleàcôtédeRomanluidonne
un coupde coude. Il se retourne et quand son regard croise lemien, je sais. Son incrédulité et sacolèremeconfirmentque j’aieuraisondenepas lui faireconfiance. Je regrettedenepas l’avoircomprisplustôt.Annaliseseraitavecnous.Unepetitepartdemoiespèrequ’ellese reposedanssachambremaissic’estlecas,jesuispresquecertained’êtreéliminée.Romanmesuitdesyeuxpendantquejeprendsunpaquetdebiscuitsavantderetrouvermesamis.
Ilsmeracontentleursdernièresheures.Apparemment,nousavionstouslemêmegenredequestionsmais chaque groupe y a répondu dans un ordre différent. Tomas a été choisi pour ses talents enmaths ; Zandri est passée la première pour l’histoire ; Will était deuxième et il se chargeait duproblèmedegénétique.TousceuxdugroupedeTomassontdéjàrevenus.AucundeceluideWilletZandri. Quand je leur explique que je pense qu’un demes partenaires a trahi l’équipe et que j’aidécidédenepasrépondreàlaquestion,ilsmedévisagent,lesyeuxécarquillés.Willestlepremieràse reprendre et affirmequ’il est certainque j’ai bien fait de suivremon instinct. Il ajoutequ’il estheureuxdenepasavoireucetteangoissepuisquec’estZandriquiétaitpasséeavantlui.Tomashochelatêteetm’assurequej’aibienfaitdeprévenirmoncoéquipier.Willessaiedemeréconforteravecuneblague,maisçan’estpastrèsefficace.L’expressioninquiètedeZandrimerappellequejenesaistoujourspassij’aieuraisonoutort.D’ailleurs,quandBrickapparaîtdansleréfectoire,jesuissûrequej’aiéchoué.Iltenaittellementà
respectersaparole.Ilnem’accordepasunregard.Jemedemandeàprésentsij’aigâchéleschancesdetoutel’équipe.Nicolettearriveavecdestasd’histoiressursescoéquipiers.Certainsétaientplutôtsympasmaisily
enavaituntrèsarrogantetdésagréable.Legroupeadécidédelefairepasserendernierpourqu’iln’aitpaslamauvaiseidéed’allerrépondreàdesquestionsquineluiétaientpasdestinées.J’écoutelesdiscussionsentripotantunbiscuit.Tomasneditplusunmot.Ilobservenosamis.Etmoiaussi.Est-cequ’ilpensequejesuisparano?Peut-êtrelesuis-je.Le réfectoire se remplit.Ledînerest servi. Jemange sansappétit.Àchaquebouchée, je jetteun
coupd’œilàBrickenespérantaccrochersonregard.Alorsquenousterminons,lehaut-parleurannonce:–LatroisièmephaseduTestestmaintenantterminée.Lescandidatsayantéchouéserontprévenus
dansleurchambred’iciàuneheure.Jesouhaiteunebonnenuitàceuxquiontréussi.Toutlemondeselève.Jefaissemblantd’ajusterlalanièredemonsacetj’attendsqueBrickpasse
devantmoi.Pasunefois,ilnesetournedansmadirection.Dansmachambre,jeregardelesminutespasser.J’entendsdespleurs.Despass’approchentdema
portemaispersonnenes’arrête.L’heureestmaintenantécoulée, lecouloirest redevenusilencieux.J’ai réussi. Je devrais être soulagée, heureuse, mais je suis seulement épuisée. J’espère être à lahauteurpourcequim’attenddemain.Noussommesréveillésàl’aube.Nousdevonsapportertoutesnosaffairesavecnouspourlepetit
déjeuner. Jem’habille rapidement. L’appréhensionme tenaille l’estomac. Je retrouve les autres auréfectoire.LesyeuxbattusdeZandri racontent à eux seuls les épreuves que nous avons traverséescettedernièresemaine.Nousnesommespluslesmêmes.Cettefois,Brickn’éviteplusmonregard.Ilm’adresseunsignedetête.C’estsafaçondemeremercier.Une heure plus tard, une nouvelle annonce nous invite à nous regrouper dans l’amphithéâtre.
Certains d’entre nous inspirent profondément, ou comme Zandri, laissent échapper desgémissements ; d’autres – Tomas est de ceux-là – ont l’air inquiet mais résigné. Même Roman,toujourssisûrdelui,montredessignesdefaiblesse.Nousn’avonspasfinidepayerleprixdeceTest.LedocteurBarnesnousaccueille.Ilnesouritpas.–Félicitationsà tous.Vousétiezcenthuit,vousn’êtesplusquecinquante-neuf.Demaindébute la
plus longue phase duTest. Et la plus importante. La pratique. Les étudiants de l’université sont lafuture élite de la Communauté Unifiée et en tant que tels, ils doivent comprendre les défis qu’ilsdevrontrelever.Danscebut,nousallonsvousamenerdansunezonenonrevitaliséedenotrepays.Vous devrez retrouver votre chemin jusqu’à Tosu. Ceux qui y parviendront seront qualifiés pourl’examenfinal.Uneterreurglacées’emparedemoi.Nousallonsnousretrouverseulsdansunterritoireinconnu.
Maisnousneseronspasvraimentseuls.Desanimauxmutantsrôdentdansceszones.Ainsiquedeserrants,ceshommesetfemmesquiontrefuséd’intégrerlaCommunautéUnifiée.–Vouscommencerezl’épreuvechacundevotrecôté,maisvouspourrezparlasuitefonctionneren
équipe. Vous pouvez également empêcher les autres candidats de réussir afin de mettre plus dechancesdevotrecôté.Quelquesoitvotrechoix,ilseraprisencomptelorsdel’évaluation.Tomasmeprendlamain.Lapressiondesesdoigtsm’assuredesonsoutien,cequimepermetde
mereconcentrer.C’estessentielsijeneveuxpaséchouer.Unécrandescendderrière ledocteurBarnesets’allumesurunecarte.Dans lecoinàgauche, la
ville deTosu est représentée par une étoile argentée.Dans le coin à droite, une étoile noire a étédessinéeprèsd’unegrandeétendued’eau.Lemot«Départ»estnotéengras.Deuxlignes,unerougeetunebleue,délimitentunezoneentrelesdeuxétoiles.–Vousdevrezvousdéplacerentrecesdeuxclôtures.Sivous les franchissez,vousserezaussitôt
éliminés de la compétition. Alors s’il vous plaît, ne nous obligez pas à prendre des décisionsdrastiquesetrespectezcetterègle.Le corps sans vie deMalachi m’apparaît, puis celui de Ryme. Et la chaise vide d’Annalise. Je
comprendsparfaitementlestermes«décisiondrastique».–Un officiel vous donnera des instructions plus précises avant votre départ, conclut le docteur
Barnesennousregardantunparun.–S’ilvousplaît,soupire-t-il,agissezdefaçonintelligente.Monvœulepluscherestdevousvoir
tousreveniràTosu.Il se retourne vers la carte et nous demande de nous rendre dans le hall quand notre symbole
apparaît.Puisilnoussouhaitebonnechanceetsortsansnousaccorderunregard.Lepremiersymboleclignoteetungarçonaupremierrangselève.Tomas,quinem’apaslâchéla
main,sepencheversmoi.–Lepointdedépart,c’estlavilledeChicago.Jejetteuncoupd’œilàlacarteetj’acquiesce.J’étaistropstresséepourm’enrendrecomptemais
même sans les repères habituels, je suis certaine que Tomas a raison. Alors que je me demandecommentnousallonspouvoirutiliser cette informationànotre avantage,Tomasadeux longueursd’avancesurmoi.Àvoixbasse,ilmedonnerendez-vousaupiedduplushautbâtimentencoredebout.S’iln’yestpasdanslesvingt-quatreheures,jedoisavancerversl’ouestjusqu’àatteindrelaclôturequidéterminelafrontièrenorddelazone.Ilprometquenousallonsréussirensemble.Commedeuxpartenaires.Cesdeuxplanssontautantd’espoirdenepasêtreseule.J’acquiesce.Jeferaidemonmieuxpourle
retrouver.Notre symbole apparaît. J’ai soudain la bouche sèche. Je ne veux pas lâcher lamain deTomasmaisjen’aipaslechoix.Jevaisdevoirmecontenterdelaforcequ’ilm’adonnée.Jemelève.Monsacsurl’épaule,j’effleurelajouedechacundemesamis–Tomas,Zandri,WilletNicolette–enrejoignantlaporte.Danslehall,j’éprouveunsoulagementenreconnaissantMichal.Sonexpressionestgravemaisje
croisdistingueruneétincelledefiertéquandilvoitquejesuistoujourslà.Pourtant,c’estsuruntonextrêmementformelqu’ilmedemandelesuivre.Commesinousnenousétionsjamaisrencontrés.Nous descendons au premier étage et traversons un long couloir sombre avant de nous arrêter
devantuneportegrise.– C’est la réserve, m’explique-t-il. Chaque candidat est autorisé à y passer dix minutes pour
sélectionnertroisobjetssusceptiblesdel’aideràréussirleTest.Jeterecommandedebienréfléchiravantdefairetonchoix.Ilpeutêtredéterminant.Maisjesupposequesituesarrivéejusque-là,tul’asdéjàcompris.Cettefois,jesuissûrequ’ilestcontentpourmoi.Ilmeprécisequelesdixminutescommencerontà
êtredécomptéesaumomentoùj’ouvrirailaporte.Jeprendsuneprofondeinspirationavantdeposerlamainsurlapoignée.À l’intérieur, jedécouvredesvêtementschauds,deschaussuresdemarche,de lanourriture,des
boussoles, des trousses de premier secours, des toiles de tente, de quoi faire du feu, des cannes àpêche, des couteaux, des armes à feu et beaucoup d’autres choses encore. Tout le nécessaire pourresterenvieenmilieuhostile.Maisjen’aidroitqu’àtroisobjets.Michalme suit pendant que je déambule entre les tables et les étagères. Je suis contente d’avoir
apportémesbottesau lieude chaussuresplus élégantes.Laplupartdes fillesvont êtreobligéesdeprendredeschaussuresdemarche.Meslarcinsauréfectoireserévèlentaussijudicieux.Sixpommes,quelques roulés à la cannelle et des sacs de fruits secs neme permettront pas de survivre jusqu’àTosu,maisj’aiassezpourvoirvenir.Toutleresteenrevanchemesemblenécessaire.Maisletempsquim’aétéimpartis’écouleetilfautquejemedécide.J’ouvreunsacestampilléH O.Ilcontientdeuxgourdespleinesetunkitsemblableàceluiquenous
avonsutilisépendantl’examenpratique.Jemereprésentelacarte.Lazonedanslaquellenousévolueronsestgrande.Mêmes’ilsn’étaient
pas visibles, je suis certaine que nous croiserons des lacs et des rivières, mais l’eau en seracertainement contaminée.La pollution n’est pas toujoursmortellemais elle cause auminimumdegravestroubles,particulièrementsurunorganismefatiguéetdénutri.J’aifaitmonpremierchoix.
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Jepoursuis.Latenteimperméableesttentantemaisj’yrenonceaprèsl’avoirsoulevée.Ellenemesemblepas
lourdemaintenantmaisjedoisparcourirplusdemillekilomètres.Grâceau transcommunicateurque j’aiempruntéàmonfrère,uneboussolenemeserad’aucune
utilité.Jenem’arrêtepasnonplussur lesbriquetset lesallumettes.Mêmes’ilmefaudradutempspourfairedufeuavecdeuxmorceauxdebois,jesaisquejepeuxyarriver.C’estunedespremièreschosesqu’onapprendàl’écoledesCinqLacs.Jemedemandeducoupsic’estlecasdanstouteslescolonies.Encequiconcernelescouteaux, j’aiceluiquej’aiapportédechezmoi.Enrevanche, lesarcs, les fusils et lesexplosifs retiennentmonattention. Jeveuxpouvoirmedéfendre siunanimalm’attaque.Jerayel’arcdemalistecarjen’enaijamaisutilisé.Jefaisdemêmeaveclesexplosifsquim’onttoujoursfaitpeur.J’aifaitmondeuxièmechoix.Un revolver et deux boîtes de munitions disparaissent dans mon sac au moment où Michal
m’annonce que je n’ai plus que deux minutes. Je sens la panique monter. Que dois-je prendred’autre?DesfuséesdesignalisationpourfairesavoiràTomasoùjesuis?Unsacdecouchage?Unvêtementdepluie?Unenoticeexpliquantcommentdémarrerunevoitured’avant-guerre?Jenesaismêmepass’ilyauradesvoitures.Jefermelesyeuxetjedressementalementlalistedecequej’aidéjà:delanourriture,del’eau,un
couteauavecdesoutils,untranscommunicateur,unrevolver.Etsijesuisblessée?Jerouvrelespaupièresetmesaisisdelatroussedepremiersecours.Ellecontientdespansements,
des bandages, une aiguille et du fil, une pommade antibactérienne, des pilules d’iode contre uneéventuelle irradiation, de l’ibuprofène contre lesdouleurs et la fièvre et quelques autres bouteillesquejen’aipasletempsd’examinerdeplusprès.–Tontempsestécoulé!meprévientMichal.Pendantqu’ilrefermelaportedelaréserve,j’essaiederepoussercetteimpressiond’avoircommis
uneerreur.Detoutefaçon,ilestmaintenanttroptardpourchangerd’avis.Michal vérifie samontre etme guide jusqu’à une autre portemarquée du symbole quim’a été
attribué.Derrièresetrouveunechambreetuneminusculesalledebains.–Tuasuneheurepourréorganisertonsacetchangerdevêtementssibesoin,lance-t-il.Il sourit brièvement en regardant comment je suishabillée.Mais je supposequ’il doit suivreun
scriptprécis.Sansdouteest-ilsurveillé.–Situasbesoindequoiquecesoitd’autre,préviens-moi,jeseraijusteàcôté.Ilmelaisseetjem’assoissurlelit.Toutdanslapièce,descouverturesàlapeinturedesmurs,est
gris.Onnepeutpasdirequecesoitunlieutrèsgai,maisçapourraitêtrepire.D’ailleurs,çavatrèsbientôtêtrepire.Jeprendsunedoucheetmelavelescheveuxavantdelesattacherserré.Siàunmomentouàun
autre,jedoislescouper,jen’hésiteraipas.Jerelacemesbottinesetjevidemonsacpourleréorganiserdefaçonpluspratique.Je garde une gourde à portée demain et glisse les autres sousmes vêtements. Vient ensuite la
trousse de secours, puismanourriture que j’enveloppe dans une serviette trouvée dans la salle debains (personne ne m’a expressément interdit de la prendre). Au-dessus, j’empile letranscommunicateuretlerevolver.Lecouteauestàl’abridansmapoche.Jesoulèvemonsac.Ilestunpeupluslourdquequandj’aiquittélacoloniemaisilestbienéquilibré.Ilnem’empêcherapasdecourirsibesoinest.Trois coups légers frappés à la portem’annoncent que l’heure est passée.Michalm’adresse un
signedetêteapprobateurenremarquantmescheveuxetmedemandede lesuivre.Nous traversonsplusieurscouloirsavantd’arriverdevantunascenseur.IlappuiesurunboutonmarquéSS,sansdoute
pour«sous-sol».Michalm’expliquequ’untapisroulantnousamènerajusqu’auxlimitesdelavilleoùnousprendronsunaérojetpourfinirlevoyage.Quandnousarrivonsautapisroulant,jenepeuxpasm’empêcherdeposeràMichaldesdizainesde
questions sur son fonctionnement énergétique et la taille du réseau. Il sourit etme promet de toutm’expliquerpendantletrajet.JemanquedetomberenposantlepiedsurlabandedecaoutchoucmaisMichalmerattrapedejustesse.Nousnousdéplaçonsainsipendantprèsd’uneheuresousdestunnelsmaléclairés.Laprésenceetla
voixdeMichalm’empêchentdetroppenseràcequim’attend.Un ascenseur nous amène à la surface où, d’aprèsMichal, nous pourrons nous restaurer. Nous
arrivonsdansunegrandepiècebondéed’officiels.L’und’entreeuxseprécipiteversnous,uncalepinà la main. Il note mon identité et mon symbole avant de demander à Michal de me conduire aunuméro14.C’estenfaitunezonededécollaged’aérojet.Dansunabri,petitmaisbienéclairé,unetableaété
dressée.Michalm’inviteàmangerpendantque lesofficiels terminent lespréparatifs.Lafenêtredel’abridonnesurunepelouseaumilieudelaquelletrôneunefontaine.Jeviensdepasserdelonguesjournées enfermée et je ne sais pas quand je reverrai de l’herbe ; je demande à Michal si nouspouvonsallermangerdehors.Ilcommenceparrefusermaisjedoisavoirl’airdésespéréecarilmeditd’attendrependantqu’ilsoumetmarequêteàsessupérieurs.Ilrevientunsourireauxlèvresetjelanceuncridejoie.Michalmetlanourrituredansunpanieretm’informequenousavonsexactementuneheuredevantnous.Ilappuiesuruninterrupteurquisoulèveunrideaudeferetnoussortons.Je m’assois sous un arbre en avouant que je suis étonnée qu’on nous autorise cette entorse au
règlement.–Tant que je suis avec toi, nous sommes sûrs que tu ne peuxpas communiquer avec les autres
candidats.Iln’yavaitdoncpasderaisondet’obligeràmangeràl’intérieur.Ilmetendunepommeavantd’ajouter:– Pour te dire la vérité, la majorité des candidats préfère suivre les instructions à la lettre. Le
comitéesttoujoursintéresséparceuxquifontpreuved’initiative.Ainsi,mêmemaintenant,alorsquenoussommessur lepointd’être lâchésaubeaumilieud’une
contréedévastéeetdangereuse,noussommesévalués.Çanedevraitpasm’étonner,pourtantc’estlecas.Jechercheunmicroouunecaméradesyeuxmaisjen’entrouvepas.–Net’enfaispas,merassureMichalensouriant.Ilsn’ontaucunmoyendenousentendreici.Et
puis,ilssonttropoccupésàréglerlesderniersdétails.Jesuiscenséfaireunrapportsurnoséchangesmaisjen’enaipasl’intention.C’est l’occasion ou jamais de parler de tout ce quime tracasse. J’hésite car je ne suis pas sûre
d’avoirsuffisammentconfianceenMichal.Monpèrem’arecommandéd’êtreprudentemaisdepuismon arrivée, j’ai prouvé maintes et maintes fois que j’avais beaucoup de mal à suivre cetterecommandationparticulière.Michalmetendunsandwichaufromageetmedemande:–Commenttutesensaprèstoutça?Tutienslecoup?Jen’aipastrèsfaimmaisjemeforceàmordredanslepainquiestsansdoutedélicieux.J’avale
unebouchéeetjeparviensàarticuler:–Malachiestmort.Sousmesyeux.–Jesuisaucourant.Jesuisdésolé.Jelecrois.L’empathiequ’ildégagemedonneenviedepleurer.Jememordslalèvreetjesecouela
tête.–Pourquoiest-ilmort?Uneplanteempoisonnée,uncloudansl’œil,cesontlescauses,maislaraison…
Michaljetteuncoupd’œilpar-dessussonépauleetmedemandedemangeretdefairesemblantderire de façon à ce qu’un éventuel observateur ne se demande pas de quoi nous parlons. J’obéis.Pendantque je croquedansmon sandwich, ilm’expliqueque le processusduTest a été pensédesannéesplustôtparlepèredudocteurBarnes.Ilestimaitquelaguerreétaitlaconséquencedumanqued’intelligence et de compétence des dirigeants de l’époque. D’après lui, ils étaient incapables deprendredesdécisionssouslapressionetc’estlaraisonpourlaquelleilsn’ontpassunoussortirduconflit.LeTestestleseulmoyendes’assurerquelaCommunautéUnifiéenerépéterapaslesmêmeserreurs. L’idée n’est pas seulement de revitaliser le paysmais de garder le peuple en sécurité.Aucoursdesannées,denombreuxofficielsontremisenquestionlasévéritédespénalitésencouruesparlescandidats.Certainssontmêmeallésjusqu’àaffirmerquelesépreuvesavaienttendanceàéliminerlesmeilleurs,ceuxquipourraientdansl’avenirquestionnerleschoixetlesloisdelaCommunauté.Tous ceux qui osent élever la voix dans ce sens sontmutés dans des colonies éloignées, ou pire,disparaissentcorpsetbiens.Michaléclatederirecommesicequ’ilvenaitdedireétaithilarant.Jel’imitemêmesiriennem’a
jamaissemblémoinsamusant.Éliminerlesmeilleurs?Veulent-ilsdirelesmoinsconformes?Est-cequelefaitd’avoirdemandéàmangerdehorsfaitdemoiungenrederebelleàleursyeux?Toutescesquestionsmefonttournerlatêtemaisjecontinuedesourirecommesimavieendépendait.Cequiestpeut-êtrelecas.Jeterminemonsandwichetj’enprendsundeuxième.Inutiledelemettredansmonsac; ilnese
garderapas.Et jesaisque j’ai intérêtàcommencercettedernièreépreuve leventreplein.Allongédans l’herbe,Michalmeregarde,puis il jetteuncoupd’œilà samontre.Plusquedixminutes,meprévient-ilavantdemedemander:–Tuaspeur?Il me tend une bouteille d’eau. Je bois une gorgée et j’acquiesce en silence. En vérité, je suis
terrifiée. J’essaie néanmoins de ne pas perdre contenance. Je glisse les pommes et les orangesrestantes dansmon sac. J’ai dumal à le refermer carmesmains tremblent.Michalm’aide etmemurmure:– N’essaye pas à tout prix d’arriver la première. Tous les ans, des candidats pensent que c’est
important,c’est faux.Utilise ton intelligence, faisensortedeprendreunminimumde risques, faisconfianceàtesamisdesCinqLacssitupeuxmaisàpersonned’autre.Certainsconcurrentsessaierontdet’éliminerdelacompétition.C’estunestratégiequipeutmarcher.Netelaissesurtoutpaspiéger.Jemesensétourdieetmavisions’obscurcit.Michalmepasseunbrasautourdesépaules.–Tuesforte,Cia,et intelligente,continue-t-il.Jenesuispasleseulàcroireentoi.Prouve-leur,
prouve-moiquenousavonsraison.Etpuis,plusrien.Quandjerouvrelesyeux,j’entendsdel’eauquigoutte.Jesuisallongéesurunmatelas,danscequi
ressemblefortàuncontainermétallique,lequelnedoitpasmesurerplusdedeuxmètressurdeux.Jemesensaussitôtoppresséemaisjeprendssurmoi.Aumoins,j’aidelalumière.Etunpetitpanierdenourritureàmespieds. Ilyaaussides toilettesetunminuscule lavabodansuncoin.Ainsiqu’unehorlogequim’apprendqueleTestcommencedanstrenteminutes.Non,vingt-neuf.J’utilise les toilettes etme passe de l’eau sur le visage.Au goût écœurant qui persiste dansma
bouche,jedevinequej’aiétédroguée.SansdouteparMichal.Jemesensd’abordtrahiemaisçanedurepascarjemerappellesesderniersmots.Ladroguefaisaitpartieduprotocoleobligatoire.Passesencouragements.Michalcroitenmoi.IlpensequejesuiscapablederéussirleTest.Jenevaispasledécevoir.Lesaiguillestournent.J’ôtelesdrapsetlacouverturedulitetjelestassedansmonsac.Lepanier
contientdes sandwichs,unebouteilled’eau,uneboîtedebiscuits et trois framboises. Jemange les
sandwichsetreniflel’eauavantdelaboire.Lesbiscuitsvontrejoindremesautresprovisions.J’aiàmangerpourunesemaine,peut-êtreplussi jemerationnecorrectement.Jedéguste les framboisessansquitterl’horlogedesyeux.Jemelavelesmainsetsorsletranscommunicateur.L’aiguillede laboussoles’agitesanssefixer.J’espèrequec’estseulementparcequejesuisenfermée.Plusquedeuxminutes.Jeboisunedernièregorgéeetjerangelabouteille.Uneminute.Jenesaisabsolumentpascequim’attenddehors.Jesorsmonrevolver.Uneparoidelaboîteglisseetunevoixenregistréem’annonce:–LaquatrièmepartieduTestamaintenantcommencé.
CHAPITRE10
Jeremarquequ’onnenoussouhaitepasbonnechance.Une fois dehors, le pied sur un dallage de béton fissuré et envahi par l’herbe, le souffle me
manque. Le paysage est dévasté. Débris d’acier, de béton, de verre et de bois, les bâtiments sonteffondrés.Lesquelquesvoitures,rouillées.Toutestrecouvertd’unecouchedesuiepoisseuse.Icietlà, des arbres à l’aspectmaladif luttent pour émerger et trouver le soleil. Des plantes grimpantesrecouvrentlescarrosseriescorrodéesetcequirestedesédifices.Jeposelesyeuxsurunearchedebrique partiellement détruite. Des mots sont gravés sur le fronton brisé. Je m’approche pour lesdéchiffrer:Chica.oStocExch.eBAumoins,jesuismaintenantsûrequeTomasnes’étaitpastrompé.JesuisàChicago,latroisième
villeàavoirétéanéantiedurantlaQuatrièmeÉpoquedelaguerre.Lesdeuxpremièresavaienteuletemps d’évacuer, pas celle-ci.Des centaines demilliers de gens sontmorts.Nous avons appris enhistoirequel’attaqueaétérapideetinattendue.Lanationalitédesassaillantsn’ad’ailleursjamaisétéconfirmée.Néanmoins,lesdirigeantsdupaysontcruqu’ilssavaientetilsontriposté.Signantainsilafindeleurmonde.Leventsiffledanslesruesabandonnées,maisjesaisquecontrairementauxapparences,jenesuis
passeule.Jepartagele terrainaveccinquante-huitautrescandidats.Etsi j’encroisMichal,certainsn’hésiterontpasàs’enprendreàmoi.Jenesuisforcémentpaslaseuleàêtrearmée.CommentretrouverTomassansrisquerdetombersurdepotentielsennemis?D’oùjesuis,ilestdifficilededéterminerquelédificeestleplushaut.J’escaladelecontaineretdu
toit, j’essaie d’avoir une meilleure vue mais je ne découvre que des amas de béton. Dessous, setrouventlescorpsdeceuxquivivaientlà.Avant.Moncœurseserreàcettepensée.Maisjedoisresterconcentréesurmonobjectif:retrouverTomas.J’aperçoisalorsunéclatdelumière.Lerefletd’unrayondesoleil.Passûrequecesoitunbâtiment,
mais c’est le point le plus haut qui se détache.Difficile d’estimer à quelle distance il se trouve etj’ignoresiTomasseralà-bas,maisjedoistentermachance.Laboussoledutranscommunicateurremarche.L’outilquipermetdedéterminerlalongitudeetla
latitudefonctionneégalement.Aumoins,jeconnaismescoordonnées.Aubesoin,jepourrairevenirici.Je saute au bas du container et je me dirige vers le nord. Je gravis les ruines et j’évite les
excavations. Je m’arrête régulièrement pour tendre l’oreille, mais je n’entends que le vent et lesfeuillesd’unarbrequibruissent.Lesoleilesthautdanslecielquandj’arriveaupieddelastructuremétalliquequej’avaisrepérée.
C’est en fait le squelette d’un ancien gratte-ciel. Comment a-t-il survécu à la destruction, c’est un
mystère.Jem’assoissurunblocdebétonetjeboisquelquesgorgéesd’eau.Ilfaitchaud,jedoisfaireattentionàresterhydratée.Monestomacgargouilleetjegrignoteunpeudepainauraisin.Combiendetempspuis-jeattendreTomas?Jen’aiaucuneassurancequ’ilmeretrouveici.Ilaaussibienpudécider que son plan du plus haut bâtiment était un échec et partir directement vers l’ouest endirectiondelaclôture.Àlapositiondusoleil,ildoitêtremidipassé.Plusieursheuressesontdéjàécouléesdepuisledébut
delacourse.Jevaisdevoirtrouverunabripourlanuit.L’idéededormiràlabelleétoileexposéeauxautrescandidatsetauxanimauxquipeuventrôderdans lazonemeterrifie.Uneheure.JenedonnepasplusàTomaspourmerejoindre.Ensuite,jebougerai.Je termine ma maigre collation et je décide d’explorer les environs. Ce n’est pas facile de se
déplacerdanslesruinesetjemanquedetrébuchersuruneracine.Del’autrecôtédelastructure,jetombesuruncontainermétallique,exactementcommelemien.Jem’enapprocheprudemmentsansfairelemoindrebruit.Ceseraittropbeauquecesoitceluide
Tomas,maisjevaisvérifierquandmême.L’horloge à l’intérieur est éteinte. Le panier de nourriture ne contient plus qu’un trognon de
pommeetuneboîtedebiscuitsvide.Cen’estpasTomasquiétaitlà.Ilneseseraitpasjetésurdelanourriturequ’ilpouvaitconserver.Etilauraitcommemoiprislesdrapsetlacouverture.J’hésiteàlesajouterauxmiensquandj’entendsunbruit.Ilyaquelqu’undehors.Je m’immobilise et je retiens ma respiration. Il s’agissait assurément de bruits de pas. Les
battementsdemoncœurégrènent les secondes.Plus rien. Je serre la crossedemon revolver et jecomptejusqu’àcent.Toujoursrien.Enferméedanscetteboîtesansfenêtremedonneunsérieuxdésavantage.Nonseulementjenevois
rien,maisjen’aiaucuneissuedesecours.Ilfautquejesorte.Maintenant.Jejetteunœilprudentàl’extérieur.Enfacedemoi,desmurstiennentencorepartiellementdebout.
Laplupartnemesurentpasplusd’unmètredehautmaisunoudeuxmeprocureraientunecachetteparfaite.Dumoinsjusqu’àcequejedéterminedefaçoncertainesilapersonnequirôdemeveutdumal ou pas. Je rajustemon sac surmon épaule. Si quelqu’unme guette,mameilleure chance estd’utiliserl’effetdesurprise.Jeprendsuneprofondeinspirationetjem’élance.Les semelles demesbottes résonnent sur le béton. Ilme semble entendre quelqu’un jurer.C’est
peut-êtreunamisurprisdemevoir ici.Danscecas, ilvam’appeler.Riennevient.Jenesuisplusqu’àquelquesmètresdumurquandjeperçoisunsonaigu,presquemusical.Unecordequivibre.Uncarreaud’arbalèteseplantedansuntroncd’arbreàquelquescentimètresdematête.Quand le son se reproduit, jeme jette au sol.Cette fois, le carreau s’abatpar terre.Encoreplus
près.Unnouveaujuron.Ilvientdemadroite.Ilestévidentqueletireursaitseservirdesonarme.Jedoismemettreàl’abrileplusvitepossible.Jemeredresseetjemeprécipitederrièrelemurjusteaumomentoùuntroisièmecarreaurebonditdessus.Quiessaiedemetuer?Unautrecandidat?Oui,sansdoute.Ilyavaitunearbalètedanslaréserve.
Quellequesoitlapersonnequi l’aprise,elleavait l’intentiondel’utiliserpoursefairedelaplacedans la compétition.CommeRomanquand il a tenté de saboter le travail d’équipede la troisièmeépreuve.La colère et l’indignation m’envahissent.Manifestement, mon assaillant ne compte pas sur son
intelligence pour réussir le Test.Michal m’a prévenue que le règlement autorisait les candidats às’entretuer,maispourmoi,c’estuneformedetriche.Etjen’aipasl’intentiondelaisseruntricheurgagner.J’aiunearmemoiaussi.Accroupie,jemedéplaceprudemmentsurmadroite.Arrivéeauboutdu
mur,j’essaiedecalculerlapositiondutireurenfonctiondel’emplacementdescarreauxquiontfailli
m’embrocher.Jevise.Etjefaisfeu.Lereculdurevolverirradiemonbrasetmonépaule.Ladétonationseréverbèredanslesruines.
Monadversairejureencoreunefois.C’estungarçon.Jemedemandesijel’aitouché.Jen’enavaispasl’intention.Jenecomptepassurvivreentuantmesconcurrentsmaisjen’aipasnonplusenviedeleurservirdeciblesansriposter.Jetireencoretroisfoisetjetendsl’oreille.Ils’estmisàcourir.Descaillouxcrissentsoussespieds.Ilyaunbruitmétallique.Silence.Etdenouveau,despasquis’éloignententoutehâte.J’airéussiàlefairefuir.Pourlemoment.Je tremblede toutmoncorps.Lacolèrea laisséplaceà lapeur. Jeviensde tirer surquelqu’un.
J’auraispuletuer.Biensûr,jenefaisaisquemedéfendremaislahontem’envahit.Auboutdequelquesinstants,jemerendscomptequejesuisrecroquevilléecontrelemuretqueje
neprêteplusaucuneattentionauxbruitsdelaville.Jedoismereprendre.Jeréfléchiraiplustardàceque je viens d’apprendre sur moi-même. Je dois avant tout partir d’ici. Les coups de feu aurontforcémentattirél’attentiond’autrescandidatsdanslesenvirons.Jepasselatêtepar-dessuslemuretscrutelesalentours.Personne.Apriori,jesuisseule.Etjevais
devoirleresterjusqu’àcequejeretrouveTomas.Jevérifiemaboussoleetjeprendsladirectiondel’ouest.Jem’arrêtetouslesdixpaspourtendre
l’oreille.L’arbalétriernepeutpasêtrebienloin.Lesruinesm’empêchentdemedéplacervite.Heureusement,jefinispartombersurunerueunpeu
plusdégagée.Après une bonne heure de marche, j’arrive devant une large rivière aux eaux noires et
tumultueuses.Pasbesoindemonkitdetestpoursavoirquejen’aipasintérêtàm’ydésaltérer.Unpontpermetdetraversermaisseslargesfissuresneluidonnentpasunaspecttrèssûr.Ilvaut
peut-êtremieuxquejecontinueetquejetrouveunautrepassage.Jerangemonrevolveretjegrimpeàunarbresur labergepouressayerdeprendreunedécisionéclairée.Unpeuplus loin, la rivièreformeuncoudeverslenord-estetjenepeuxpasvoirplusloin.Del’autrecôté,jedistingueunpontmaisilnesemblepasenmeilleurétatqueceluiquej’aisouslesyeux.Sanscompterquejerisquedefairedemauvaisesrencontressurlechemin.Jedoismettreleplusdedistancepossibleentremoietlesautrescandidats.Jevaistentermachancesurcepont.Apparemment,d’autressontpassésavantmoietontessayédeleréparer.Sansdoutedescandidats
des sessions précédentes. Des planches et de gros morceaux de béton ont été placés de façon àboucherlestrouslesplusimportants.Maisàmesurequej’avance,desfragmentss’effritentsousmespieds.Arrivée aumilieu, jeme rends compte que l’autre partie est encore en plusmauvais état. Ilmanque de grands pans d’asphalte et mes prédécesseurs ont dû juger impossible d’améliorer lasituation.Quellessontmesoptions?Fairedemi-touretessayerl’autrepontoucontinuerenespérantquetout
sepassebien?Cequiestsûrc’estquerestersansbougertroplongtempsmemetendanger.Jesuisbeaucouptropexposée.Lapeurdel’arbalétriermepousseàavancer.Laportionsurlaquellejem’engageestàpeineplus
largequemonpied.Lesflots sombres rugissent endessousdemoicommes’ils attendaientque jetombeafindem’engloutir.Jesuisàmoinsdecinqcentsmètresdemonbutquandlebruittantcraintd’unecordequivibrenemelaissepasd’autrechoixquedememettreàcourir.Lecarreausiffleàmesoreillesavantdetomberàl’eau.Plusquetroiscentsmètres,maislepontestdevenuquasimentinexistant.Peuimporte,jesaute.Monpiedglisseetjemerattrapedejustesse.Jemeretrouvependue
au-dessusducourant.Lepoidsdemonsacm’empêchedemehisser.Mesdoigtss’accrochentàunefissuredanslemacadam.Je rassemble mes forces mais je sens que ma chute est inéluctable. Je me prépare en espérant
réussirànagerjusqu’àlaberge.Enespérantnepasavalerd’eau.C’estalorsquejesensqu’onmeprendlamainetqu’onl’obligeàlâcherprise.Jehurle.
CHAPITRE11
–Cia,c’estmoi.Toutvabien.Il faut quelques secondes à mon cerveau pour reconnaître la voix. On me tire et je me débats
jusqu’àcequejemeretrouvesurlaterreferme.Ensécurité.Jeparviensàpeineàrespirer.J’articulenéanmoinsun«merci»haletant.Tomasmeregardeavecinquiétudemaisillanced’untonquiseveutléger:–QuandonreviendraàTosu,ilvavraimentfalloirquetut’entraînesausautenlongueur.Ilarriveàmefairesourire.Pendantuninstant,uneseconde,j’oublieoùjesuisetpourquoijesuis
là.Etpuis,jemelèveetjemetourneverslepont,àlarecherchedel’arbalétrier.–Onnedoitpasresterici.Unautrecandidataessayédemetuer.Tomasfroncelessourcilsetsuitmonregard.Jenesuispassûrequ’ilmecroie.Àvraidire,sans
lescauchemarsdemonpère,latrahisondeRomanetlesmisesengardedeMichal,j’auraisdumalàycroiremoi-même.–Ildoitessayerdetrouverunendroitmoinsdangereuxpourfranchirlarivière,estimeTomas.Je
n’arrivepasàcroirequetuaiesréussiàtraversercetteruine.Quandjet’aivuesauter,jemesuisditquetuétaisfolle.Ilme tend lamainetc’est seulementàcemomentque jemerendscompteque lamienneesten
sang.Tomasexaminelacoupure.–Ondevraitnettoyerça,déclare-t-il.Onnepeutpasprendrelerisquequetaplaies’infecte.Mais
allonsd’abordnousmettreàl’abridusoleil.Nousparcouronsunkilomètreavantquej’acceptedefaireunepauseprèsd’untasdebétonetde
poutresmétalliquesderrièrelesquellesnouspouvonsnousdissimuler.Jemerendscomptequejesuisaffamée.Tomass’assoitprèsdemoi.–Jepeuxdéchirermondrapetenfairedesbandagessituasbesoin,mepropose-t-il.–Cen’estpaslapeine,j’aiunetroussedesecours.Jesuiscontentedenepasm’êtretrompée.Commemoi,Tomasaprislesdrapsdulitdanslequel
nous nous sommes réveillés. Pour ne pasmettre du sang partout surmon sac, je lui demande dem’aideràtoutsortir.Jenettoiesoigneusementmesplaiesavecunecompressehumide.Iln’yariendegrave.Seulementdeségratignuressuperficielles.J’appliqueundésinfectantetjeprotègelablessurepourl’empêcherdesesaliravantdeprendreunepomme.J’enoffreuneàTomas.C’estlemoinsquejepuissefaire;ilvientquandmêmedemesauverlavie.Ilsourit.–Bienvulatroussedesecours,mefélicite-t-il.J’aifaillienprendreunemaisjemedoutaisquetu
leferais.
Ilaprisunrisque.Ilnepouvaitpasêtresûrquenousréussirionsànoustrouver.Maisdesavoirqu’ilnousconsidèredepuisledébutcommeuneéquipemerendincroyablementheureuse.Enmangeant nos pommes et deux roulés à la cannelle offerts parTomas, nous comparons nos
équipements. Il avait également tablé que je prendrais l’eau et le kit de purification mais il nes’attendaitpasàmondernierchoix.Ilétaitcertainquejeprendraisuneboussole.C’estcertainementce dont tous les candidats auront besoin durant leur périple. Il est encore plus étonné quand je luiracontequej’aidéjàeul’occasiond’utilisermonrevolver.–C’étaittoi?Lahontequej’airessentieplustôtrefaitsurface.Jebaisselesyeuxmaisilmeredresselementon
pourm’obligerà le regarder.Et sur sonvisage, je lis de l’attention, de la compréhension et de lafierté.–Tuasbienfait,m’assure-t-il.Ilfautducouragepoursedéfendre.Jesuiscontentquetul’aiesfait.
Jenesaispascequejeseraisdevenus’ilt’étaitarrivéquelquechose.Sanstransition,ilajoute:–Jetemontrecequej’ai?Il expose fièrement une petite boîte à outils dans laquelle se trouvent des allumettes, un vieux
recueil de cartes détaillées des cinquante États des anciens États-Unis datant du XXI siècle et unénormecouteauqu’ilportedansunétuiàsaceinture.Jenemerappellepasl’avoirvudanslaréservemaisildevaitforcémentyêtre.Ilestsigrosqu’onpeutfacilementprendrelemancheàdeuxmains.La lame, quimesure bien soixante-dix centimètres, est crantée à la basemais parfaitement lisse etaiguiséesurplusdelamoitiédesalongueur.–Jemesuisditqueçapourraitêtreutilepours’ouvrirunchemindanslavégétation,m’explique-t-
il.C’estunexcellentchoix.Avant de remballermes affaires, jemontre à Tomas le transcommunicateur demon frère et le
couteauquej’aiapportédechezmoi.Jepensequ’ànousdeux,nousavonsungrosavantagesurlesautres candidats et lorsque nous reprenons la route,mon pas est plus léger.D’après Tomas, nousdevonscontinuerunmomentversl’ouestpuisbifurquerverslesud.Jesuissurprise.–Tunevoulaispasqu’onsuivelaclôture?–Pourquoi?–Pourretrouverlesautres.Tuasbiendonnérendez-vousàZandrietWill?–Non,seulementàtoi.–Mais…Jerefermelabouche.Biensûr.Nefaireconfianceàpersonne.JeconnaisTomasdepuisl’enfance
maislesautres…jenepeuxnéanmoinsm’empêcherdeluidemander:–Etsionlescroise?Les laisserons-nous sedébrouiller seuls ?Abandonnerons-nousceuxquenousavonsconsidérés
commedesamiscesdernièressemaines?Tomasréfléchitunlongmomentavantderépondre:–Jenesaispasencore.Nouspoursuivonsnotreroutesanséchangerplusdequelquesmots.Lepaysagedevientdeplusen
plusnu.Enhistoire,nousavonsapprisque lesgrandesvillesseprolongeaientpardesbanlieuesetdes villes plus petites. Que des centaines, des milliers de gens vivaient et travaillaient dans lesalentours.Iln’enresteplusrienquequelquesruinessuruneterreasséchée.Lesoleilacommencéàdescendreàl’horizonquandnousrepéronsunepetitestructurenichéeau
milieud’herbeshautes.Ellesemble intacte.A-t-elle survécuà laguerreoua-t-elleétébâtieparunrescapé?Tomasetmoinousconsultonsduregardetnousenapprochons.Nouspourrionsmarcher
e
encoreunpeumaisnousignoronsquandnousretrouveronsunabripotentiel.Laconstructionestpetiteetcarrée–àpeinetroismètressurtrois.Lesolestenbéton.Silesmurs
sontencoredebout,laplusgrandepartiedutoits’estenvolée.Heureusement,ilnepleutpasetlecielest dégagé.Une tache noire dans un coin suggère que quelqu’un, probablement un candidat d’uneannéeprécédente,aalluméunfeuàcetendroit.J’aimeraisenfaireautantmaisniTomasnimoinevoulonsprendrelerisque.Nouspartageonsdes
fruitssecsetdupainetquandnousterminonsnotrerepas,l’obscuritéesttotale.Leclairdelunemepermetàpeinededistinguerl’encadrementdelaporte.Jen’aipaspeurdunoirchezmoimais ici,c’est différent. La nuit renferme desmenaces pires que lesmonstres que j’imaginais sousmon litquandj’étaispetite.Aumoinsundescandidatsenveutànotrepeau.LamaindeTomastrouvelamienneetsoncontactmefaitdubien.–Tudevraisdormir,Cia,murmure-t-il.Jevaisprendrelepremiertourdegarde.Je suis épuiséemais je sais quemes cauchemars attendentpatiemmentque je ferme lesyeux. Je
préfèrediscuter.–TucroisquenousallonsmettrecombiendetempsàrejoindreTosu?J’aicomparélescoordonnéesdenotreabridefortuneàcellesdemonpointdedépart.Nousavons
marché toute la journée sans parcourir plus d’une trentaine de kilomètres. Notre but me paraîtinaccessible.–Jediraisdeuxou troissemaines,estimeTomas.Plusnousnouséloigneronsde laville,moins
nousauronsdedifficultésànousdéplacer.Etnous trouveronspeut-êtreunmoyende transport.Cequetudoisgarderentête,Cia,c’estquesitonpèrearéussi,nouslepouvonsaussi.Je m’accroche à cette idée et je parviens à repousser mes inquiétudes concernant l’eau, la
nourriture,lesbêtessauvagesetlesautrescandidats.JecloslespaupièresenpensantàmonpèreetàlamaindeTomastoujoursdanslamienne.Jesombredanslesommeilsansm’enapercevoir.Je me réveille en sursaut. Au-dessus de ma tête, le ciel est mauve et rose. Il me faut quelques
instantspourmerappeleroùjesuis.Tomasestallongéprèsdemoi,latêtesursonsac.Sarespirationestrégulière.Iln’apasdûserendrecomptequ’ils’endormait.Un craquement de brindillesm’alerte.C’est sans doute ce quim’a réveillée. Le cœur battant, je
secouedoucementTomasetdèsqu’ilouvrelesyeux,jeposeundoigtsursabouche.Ilécarquillelesyeuxetjeluimontrelaporteenarticulantsilencieusement:–J’aientenduquelquechose.Un nouveau craquement et un bruissement de feuilles. Je prends mon revolver dans mon sac.
Tomas a déjà dégainé son couteau.Nous attendons. Si c’est un candidat, il remarquera forcémentnotreabri.Peut-êtrevoudra-t-ilvérifier s’ilpeuty trouverquoiquece soit d’utile.C’est ceque jeferaisàsaplace.Jeresserremonétreintesurlacrossedemonarme.Maispersonnen’apparaîtdansl’encadrementdelaporte.Nous attendons encore. C’est presque comme la veille quand j’étais prise au piège dans le
container,saufquecettefois,jenesuispasseule.Jene saispas combiende tempsnous restons ainsi sansbouger.Quinzeminutespeut-être,mais
aussi longues que l’éternité. Nous n’entendons aucun autre bruit. Tomas se lève et se déplacelentementverslaporte.Jel’imite.Siquelqu’unaprévudenoustendreunpiège,iln’aaucunmoyendesavoirquenoussommesdeux.Lemanchede son couteau serré dans sonpoing,Tomaspenche la tête à l’extérieur.Rien.Nous
faisonsletourdenotreminusculerepaire.Nousnetrouvonsquenosproprestracesetcelleslaisséespardespetitsanimaux.J’étudielesempreintes.Jediraisqu’ils’agissaitd’unrenardetpeut-êtred’unlapin.C’estunebonnenouvelle : àunmomentouàunautre, nous allons avoirbesoindemanger
autre chose que nos provisions. Je notementalement de chercher du fil de fer pour fabriquer descollets.Tomasetmoirécupéronsnosaffaires.Ilestlargementl’heuredereprendrelaroute.Notre petit déjeuner consiste en roulés à la cannelle, raisins secs et une gorgée dema gourde.
Maintenant que nous sommes deux sur ma réserve, l’eau risque de ne pas durer très longtemps.Surtoutparcettechaleur.Hier, j’étaisobsédéepar l’idéedem’éloigner le pluspossiblede lavillemaisaujourd’hui, jenepensequ’àtrouvercedontnousavonsbesoinpourcontinuernotrepériple.Unpointd’eau,c’estévident.Pastroppolluéepourquemonkitsuffiseàladécontamination.NousétudionslescartesdeTomas.Mêmesilaguerreetletempsonteffacéleshabitations,nousespéronsquecertainslacsetcoursd’eauexistenttoujours.Nouscherchonslescoordonnéesd’unerivièrepastrop éloignée.D’après le transcommunicateur, nous devonsmarcher vingt-cinq kilomètres vers lesud-ouest.Sousnospieds,laterreestpulvérulente.Laconséquencedel’utilisationd’armeschimiques.Nous
buvonsrégulièrementpournepasnousdéshydratercarnoustranspironsbeaucoup.Nousdiscutonsdetoutetderien,denosjeuxd’enfantspréférés,deschansonsapprisesàl’école,denosplatsfavoris.J’apprends que Tomas raffole des carottes glacées au miel. Moi, je me damnerais pour desframboisesfraîches.NousnouspromettonsdemangerdesdeuxpourfêternotreretouràTosu.Aprèsplusieursheuresdemarche,noustrouvonsunbosquetsouslequelnousreposer.Alorsque
Tomasposesonsac, jepousseuncride joie.Prèsdes racinesdesarbrespoussentdesdizainesdepetitesfleursblanches.Dutrèfle.Monpèrem’atoujoursracontéquecetteplanteparvientàvivredansn’importequelsol.Quandnousmanquionsdenourriture,mamèreenfaisaitdessalades.Tomasetmoiencueillonsenprenantgardedelaisserlesracinesetnouslesdégustonsavecnotre
pain.Lesfeuillessontfraîchesetlespétalessucrés.Lesrayonsdusoleildégagentunechaleurpresqueinsupportable.Lapoussièreadhèreànotrepeau
collante de sueur.Nous avons terminé la première gourde, nous entamons la seconde. D’après letranscommunicateur,nousnesommesplusqu’àtroiskilomètresdelarivière.Nousatteignonsnotredestinationenfind’après-midi.Maislelitesttotalementsec.Nousrevérifionsdeuxfoissurlacartepournousassurerquenousnenoussommespastrompés.Il
n’yapasdedoute.Quelquechose,un tremblementde terrepeut-être,a totalementmodifié lazone.Même si ce n’est pas très surprenant, je suis amèrement déçue. Et j’ai peur aussi. Mais le plusimportantestdetrouverunesolution.N’est-cepaslebutduTest?Déterminerlescandidatscapablesde prendre des décisions sous la pression ?Nous allons trouver de l’eau. Il nous suffit seulementd’êtrepatientsetdenousservirdenoscerveaux.Jeremarqueunepetitedénivellation.JelamontreàTomas.–L’eaudecetterivièreabiendûallerquelquepart.Onverramieuxdelà-haut.–D’accord.Lacollineestplusloinetplushautequejenelecroyais.Quandnousarrivonsausommet,lesoleil
commencedéjààdécroître.Lepaysagequenousdécouvronsmedonneenviedepleurer.Delaterrebruneetcraqueléeàpertedevue.Desarbres tordusetmaladifs.Pas lamoindrepetite…sauf… jeplisselespaupières.Oui,là,jedistingueuncarrédeverdure.Ets’ilyadesplantes,ilyaforcémentdel’eau.Tomasmeprendlamainetnousdévalonslacolline.Nouscouronspresque.Pourtant,jenepeux
m’empêcherdepenserquenousvenonsdenousmettreendanger.Nousétionsbeaucouptropvisibleslà-haut. Je partagemon inquiétude avecTomasmais de toute façon, nous ne pouvons plus y fairegrand-chose.Iln’yanullepartoùsecacherdanscedésert.J’essaiederesterconcentréesurl’idéedel’eau.Nousallonsbientôtpouvoirnousdésaltéreretremplirlesgourdes.Pourtant,àmesurequenousapprochons,jemesensdeplusenplusmalàl’aise.C’estunpeutrop
facile.Cettezonen’apeut-êtrepasétérevitaliséemaisçaneveutpasdirequelecomitédeTestn’estpasvenuyfairequelquesaménagements.Çanemesurprendraitpasqu’ilsaientsemédesembûchessurnotrechemin.D’ailleurs, l’aspectdel’oasisconfirmemessoupçons.L’ovaledelapelouseest tropparfait.Une
petitemarelimpidescintilleaumilieu.Lesdeuxarbresquil’entourentsemblentenparfaitesanté.Tomasaallongélepasmaiss’arrêteens’apercevantquejenesuisplusàsescôtés.–Unproblème?medemande-t-ilenseretournant.Jeluifaispartdemessoupçons.Ilfroncelessourcilsetobservelamare.–Ilssaventquenousavonsbesoind’eau,finit-ilparlâcher.Çameparaîtlogiquequ’ilsaientajouté
dessourcesafinquenousayonsunechancederesterenvie.Sinon,aucund’entrenousneréussiraitcefichuTest!Oui,c’estpossible. Ilapeut-être raison.Maiscontrairementàmoi, iln’apasentendu ledocteur
BarnesluiexpliquerquelamortdeRymeavaitunsens.Iln’apasnonplusvuMalachimourir.Aprèstoutça,jen’arrivepasàcroirequelesofficielssoientprêtsànousaider.Jepropose:–Faisonsletouretouvronsl’œil.Justepourêtresûrs.Tomas crispe les mâchoires, prêt à insister. Il faisait la même tête quand un autre élève ou le
professeursetrompaitenclasse.Maisjeneluilaissepasletempsd’ouvrirlabouche.Jem’accroupisprès de l’herbe et j’observe les fleurs qui poussent au bord de la mare et dégagent une odeurextraordinaire. Les arbres aux larges ramures et au feuillage fourni les protègent des attaques dusoleil.C’estunendroitparfaitaumilieud’unezoneravagée.Est-ilsiétrangequejem’enméfie?Tomass’estpostéfaceàmoi,del’autrecôtédupetitparadis.–Jenevoisriendebizarre,grogne-t-il.–Encoreuneseconde,s’ilteplaît.Mestripesmecrientdepartird’iciauplusvitemaisjedoisconvaincreTomas.C’est lepremier
pointd’eaupotablequenouscroisonsdepuishieretjecomprendsqu’ilsoittenté.Siseulementj’entrouvaisunautre.Jemeredresseetjeretourneverslacollineencriantpardessusmonépaule:–Jerevienstoutdesuite.Malgrélafatigue,jegrimpevite.J’arriveessouffléemaisilnemefautpasplusd’uneminutepour
repérerunruisseauàseulementquelquesmètres. Iln’estentouréd’aucuneplanteet l’eauserasansdoutecontaminée,maisgrâceàmonkit,çanedevraitpasêtreunproblème.Soulagée,jem’apprêteàappelerTomasquandjesuissouffléeparuneexplosion.
CHAPITRE12
Jetombeviolemmentsurlesoletjeroulesanspouvoirm’accrocheràquoiquecesoit.Arrivéeaubas de la colline, jeme redresse, étourdie, un sifflement aigu dans les oreilles. L’oasis n’est plusqu’untroubéant.Àquelquespas,Tomasestétendu,totalementimmobile.Jeravaleunsanglotetjemeprécipiteverslui.Jeneveuxpas.Jeneveuxpasencoreunefoistenir
lamaind’undemesamisentraindemourir.Maissapoitrinesesoulève,ilestenvie.Parbonheur,Tomasn’étaitpasprèsdelamareaumomentdel’explosion.Sinon,commelesarbresetlesfleurs,ilseraitàprésentréduitenmiettes.Jetombeàgenoux.Ilestinconscientetcen’estpasbonsigne.Jel’examine,àlarecherched’uneplaieàlatête.Rien.
Enrevanche,jedécouvrequ’unebrancheluiaperforél’abdomen,au-dessusdelahanche.Ilsaigne.Meslarmescoulent,jelesessuie.Pleurerneluiserad’aucuneutilité.Jedoisarrêterl’hémorragie.Jele tourne avec précaution. Puis, je prends une profonde inspiration et d’un coup sec, je tire sur lemorceaudebois.Maislesaspéritésdel’écorces’accrochentàsachair.Ilgémitetgrimacequand jeremuelabranchedanslaplaiepourl’enlever.Lesaignementaugmentemaisaumoins,jeparviensàlelibérer.Jedéchiremondrapet,d’unemain,jepresselepandetissusurlablessurependantquedel’autre jecherche la troussedesecours. J’aibesoindudésinfectantainsiquedu fil etde l’aiguille.Mêmesijenesuispassûred’avoirlecouragedelesutiliser.Tomaspousseunnouveaugémissementquandjelemetssurledos.Ilouvrelesyeux.–Qu’est-ce…qu’est-cequis’estpassé?Entendresavoixm’arracheenmêmetempsunsourireetunsanglot.–L’oasisaexploséettuasétéempaléparunebranche.J’airéussiàl’enlevermaislaplaien’estpas
belle.Net’inquiètepas.Jefaisdemonmieuxpourêtrerassurante.Cen’estsansdoutepasbrillant.–Jevaisterecoudreenunriendetemps.Ilfautjusteque…–Justequequoi?Jerougis.–Ilfautjustequetuenlèvestonpantalon.Lesourireégrillardqu’ilmelancenetardepasàsetransformerengrimacequandilcommenceà
sedéshabiller.Jevérifiesousmacompressedefortune.Ilsaignetoujoursmaismoinsabondamment.Sablessure faitbien troiscentimètresdediamètreet cinqou sixdeprofondeur.Lesbordsen sontaffreusementdéchirés.Ildoitbeaucoupsouffrir.J’aivuledocteurFlintrecoudremesfrèresàplusieursreprisesaucoursdesdernièresannéesmais
ils’agissaitdeplaiespluspropresetplusfines.Là,c’estuntrouetjenesaispasdutoutcommentm’y
prendre.Jedoisquandmêmeessayer.JefaisavaleràTomasplusieurscachetsantidouleur,puisjenettoiesablessuredemonmieuxavec
de l’eau propre. Débarrassée du sang et de la boue, elle a un aspect encore plus terrifiant. C’estdécidément impossibleàrecoudre. Ilnemerestequ’unesolutionetellemedonneenviedehurler,mais je n’ai pas le choix. Tomas saigne encore et si ça ne s’arrête pas très vite, il ne pourra pascontinuer.Etmoinonplus,parcequejamaisjenelelaisserailà,ensachantqu’ilatoutesleschancesdemourir.Jeramassequelquesbrinsd’herbeetdesmorceauxdeboisquej’empile.J’ymetslefeuavecles
allumettesdeTomasetjesorsmoncouteau.Parmilesoutilsdontilestmuni,ilyauntournevis,unelime à ongles, une petite scie, un crochet et deux ou trois autres gadgets dont je n’avais jamaiscomprisl’utilitéjusqu’àprésent.Celuiquejesélectionnedoitfairequatrecentimètresdelongetundelarge.L’extrémitéestplate
avecuntrouaumilieu.Monpèrem’aexpliquéquequandilétaitpetit,ils’enservaitpourouvrirdesbouteilles.Maisnousn’avonspascegenredebouteillesàCinqLacsetjenel’aijamaisvul’utiliser.De toute façon, tout ce qui m’intéresse est la partie plate. Il faut juste que je trouve le couraged’exécutermonplan.Comme j’ai déjà vu le docteur Flint faire quand il est sur le point d’appliquer un traitement
particulièrementdouloureuxàunpatient, jedonneàTomasunmorceaudedrappourqu’ilmordededans.Puis,jepassemonustensileàlaflammejusqu’àcequelemétaldeviennerouge.JedemandeensuiteàTomasdetournerlatête.Jememordslalèvreetj’appliquelemétalbrûlantsursaplaie.Il hurle dans le drap et se tord de douleur.Mes yeux se remplissent de larmes,mais je ne dois
surtout pasm’arrêter.D’unemain, je remets l’ouvre-bouteille dans le feu et de l’autre, j’essuie lesangquicoule.Jerecommencel’opération.L’odeurdeviandegrilléemedonneenviedevomir.Je n’essaie même plus de m’empêcher de pleurer. Je suis si oppressée que j’arrive à peine à
respirer.LescrisétouffésdeTomasmedéchirentlecœur.Maisjecontinue,encoreetencore.Jusqu’àcequelesaignementstoppe.Mamaintremblealorsque
jenettoiedenouveaulaplaieavecnotreeausiprécieuse.J’appliquedudésinfectantet jecouvrelablessure d’un bandage propre avant d’aider Tomas à remettre son pantalon. J’espère de toutmoncœurqu’ilneressaigneraplus,carjenecroispasêtrecapablederecommencer.Tomasaleregardvitreuxetsonfrontestemperlédesueur,maisilparvientàm’adresserunfaible
sourire.–Jen’aipresqueriensenti,ment-il.Jemepenchepourl’embrassersurlajouemaisiltournelatêteetmeslèvreseffleurentlecoinde
sabouche.Nousnousregardons.Puis,trèslentement,Tomasposesamainsurmanuqueetm’attireàluipourm’embrasser.C’estunbaiserpluslégerqu’uneplumemaisjelesensjusqu’aucreuxdemonventre.Sicen’estpasmonpremierbaiser,aucunnem’avaitjamaisfaitceteffet.Lapeuretl’adrénaliney
sontpeut-êtrepourquelquechose.ÀmoinsquecenesoitparcequejenesaispaspourquoiTomasm’embrasse.Pargratitude?Ouparcequelelienquenousavonsconstruitpetitàpetitcesdernièressemainesdevientdeplusenplussolide?Ouencoreparcequ’ilenavaitenviedepuisquenousavionsdanséensembleàlacérémoniedesdiplômesl’andernier?Perturbéepardesémotionsquejerefused’analyser,jeluitourneledospourrangerlatroussede
secours.Jemarmonne:–Ilvabientôtfairenuit.Duhautdelacolline,j’airepéréunruisseau.Iln’estpastrèsloin.Tucrois
quetupeuxmarcherjusque-làoutupréfèresquenouscampionsici?Danscecas,j’irairemplirnos
gourdesleplusvitepossible.Tomassecouelatêteets’agenouillepéniblement.–Sitoncopainàl’arbalèteaentendul’explosion,ilyadeschancesqu’ilrappliqueparici.Onne
devraitpasrester.Avectoutcequivientdesepasser,j’avaispresqueoubliélesautrescandidats.Tomasaraison.On
doitdégagerauplusvite.Jel’aideàseleveretilpassesonbrassurmonépaule.Ilfaitplusd’unetêtedeplusquemoi,mais
nousarrivonsàmarcher.Nousgravissonsleflancdelacollineàpaslentsetarrivésausommet,noussommesàboutdesouffle.Heureusement, lescachetsantidouleurcommencentàfaireeffetetTomaspeutallongerlepasen
descendant.Au bord du ruisseau, je repère un gros buisson aux feuilles grisâtres. J’emprunte soncoupe-coupeàTomas,jemeglissesouslesbranchagesetjetaillededanspournousfaireuneespècedenidaucentreduquelj’étendsunecouverture.Jel’aideàsecoucheretils’endortavantmêmequej’aieeuletempsdeleprévenirquej’allaisremplirnosgourdes.Testerdel’eaun’estpastrèscompliqué,maisçanécessiteunpeudetempsetdelumière.Saufqu’il
faitdéjà trèssombre.Jedoisnéanmoinsessayer.Si lablessuredeTomas s’infectependant lanuit,j’auraibesoindenettoyerlaplaie.Jeremplisunpetitrécipientetj’ajouteundesrévélateurschimiquesquej’aiàmadisposition.Je
mélangeunpeu.Sil’eaudevientrouge,c’estqu’ellecontientducyanuredepotassium.CepoisonaététrèsutilisélorsdesbombardementsdelaQuatrièmeÉpoque.Aprèsquelques instants, le liquiden’a pas bougé et je passe au révélateur suivant. Les trois premiers tests ne donnent rien, mais lequatrièmeestpositif.Lateintevioletteindiquelaprésenced’unetoxinecrééeparl’AllianceAsiatique.Elleapoureffetdebloquer lesystèmecardio-vasculaire. Je jettemonéchantillonet je remplis lesgourdes eny ajoutant l’antidoteprévu. Il lui faudra aumoinsuneheure avantd’agir efficacement.Demainmatin, je referai un test. Je rejoins Tomas sous le buisson et je me restaure de quelquesmorceauxdepommeséchéeavantdemeblottircontrelui.Jenetardepasàsombrerdanslesommeil.Je suis réveillée par le chant d’un oiseau. Enveloppée dans la couverture, je me crois pendant
quelquessecondesà lamaison.Quand j’ouvre lespaupières, jedécouvreTomasquim’observeensouriant.–Bonjour,mesalue-t-ilàvoixbasse.–Jen’étaispascenséem’endormir,jemaugrée.Jeme rends comptequ’il aurait punous arrivern’importequoi.Nouspourrions aussi bien être
morts.J’aiétéstupideetjem’enveux.SiçanesemblepastropperturberTomas,ilprendquandmêmesoindenepaséleverlavoix.–On est plutôt bien cachés. Jeme suis levé tout à l’heure et je suis allé faire un tour dans les
environs.Iln’yapasdetracesd’autrescandidats.Jefroncelessourcils.–Tunetrouvespasçabizarrequ’onn’enaitcroiséaucun,enfin,sionexceptelefouàl’arbalète?– Je ne sais pas, répond Tomas en haussant les épaules. La zone du Test est plutôt étendue.Du
moinsaudébut.Ilprendsonlivredecartesdanssonsacetl’ouvreauxpagesduKansas.–Sijenemetrompepas,poursuit-il,elleserétrécitverslafin.Àpartirdelà.IlposeledoigtsurunevillenomméeWichita.–Jepensequelesofficielsontprévuderéunirtousceuxquiresterontprécisémentlà.–EncoreuntestdansleTest,jecommente,commehier.–Oui,acquiesceTomas.Etregardecommentças’estterminé.Sesyeuxgrisétincellentdecolère.C’estuneémotionquejenel’avaisjamaisvuéprouver.Ilest
toujourssicalmeetrationnel.– J’ai bien failli y rester, gronde-t-il, lamâchoire crispée. Tout ça parce que je ne t’ai pas fait
confiance.Cetendroitm’adonnédel’espoir,pourlapremièrefoisdepuisledébutdecefichuTest,etsonbutétaitdemeréduireenmiettes!Jenevoulaispasquetuaiesraison!JerefusaisdecroirequelesOfficielspouvaientvouloirnoustuer!Jenecomprendstoujourspaspourquoi!C’estinsensé!Ilserrelespoingsetjevoudraisapporteruneréponseàsesquestions.Maisjen’enaipas.Alorsje
luiprendslamainparcequejemesensaussiperduequelui.NousrestonsainsiplusieursminutesavantqueTomasmesourie.–Entoutcas,tut’estrompéeaumoinssurunechose,Cia.Jenesuismanifestementpasl’élèvele
plus intelligentde laclasse.Même si c’était trèsmalin demapart de faire équipe avec toi.Quelleautrefilleauraitétécapabledemesoigneraprèsquej’airéussiàmefaireexploser?Jemetournepourprendrelepaquetdefruitsséchésafinqu’ilneremarquepasmesjouesécarlates.–Tu plaisantes, toutes les filles àmarier deCinqLacs se seraient battues pour être àmaplace.
Surtoutsituleuravaispromisdelesembrasserpourlesremercier.–Cia…Jeleregarde.Ilneritplus.–Siuneautrefillem’avaitsoigné,murmure-t-il,jenel’auraispasembrassée.Sesmotsprovoquentenmoiunesensationdedouceuret…d’évidence.Auboutd’unmoment,ilselèveetmetendlamain.–Allezviens,Tosun’estpaslaporteàcôté.Avantdepartirjeretestel’eau,contented’avoirquelquechoseàfairepournepastroppenseràce
quevientdemedireTomas.Suis-jevraimentspécialeàsesyeuxouvoulait-ilseulementmeflatter?Compte tenudunombrede fillesqui se jetaientà sespiedsàCinqLacs, j’aidumalàcroirequ’ilpenseréellementàmoidecettemanière.Pourtant,quandjemerappellenotredanseettoutescesfoisl’annéepasséeoùjel’aisurprisàmeregarderàladérobée…L’eauestpotable.Nousenprofitonspourenboirenotrecontentetmêmepournousdébarbouiller.
Nousmangeonsquelquesbiscuits,despommesetunpeudetrèflerougequenoustrouvonsprèsdenotrebuisson.Aprèsque j’aivérifié laplaiedeTomasetque j’y ai appliquédudésinfectant, noussommesprêtsàleverlecamp.Il fait moins chaud qu’hier. Je pense qu’une tempête ne va pas tarder. Ce n’est pas une bonne
nouvellemais ça rend lamarchemoins épuisante.Autour denous, le paysagedevient unpeuplusvallonné.Etsilaterreesttoujoursaussicraquelée,lavégétationyestplusfréquente.Lesfeuillesdesarbres sont moins noires et leur tronc moins tordu. Je trouve des carottes sauvages, des rosestrémièresetdes laiteronsquenouspourronsfairebouillirsinousavons le temps.Nosréservesnedurerontpasplusdetroisouquatrejoursetnousnesavonspascequinousattend.Nous apercevons aussi plusd’oiseaux.Tomas repèredes empreintesde renard, de chevreuil, de
lapinetd’autresanimauxquenousnereconnaissonspas.Nousallonsdevoirchasser;laviandenousseraindispensablesinousvoulonsavoirassezd’énergiepourfinirleTest.Maispourlemoment,leplusimportantestd’avancer.Noustraversonsdenouveauunezoneanciennementhabitéeet, lanuitvenant,nouscommençonsàchercherunabri.Nousnousdécidonspourunemaisondontlepremierétageestencoredebout.Peut-êtrepourrons-nousytrouverdufildeferpourdescolletsetunoudeuxobjetsintéressants.L’idéalseraitévidemmentunmoyendelocomotionpourallerplusvite.Une famille d’animaux amanifestement élu résidence à cet endroit. Les traces de griffes et les
déjectionsfraîchesnousdissuadentd’entrer.Lamaisond’àcôtésemblesur lepointdes’effondrermaisjustederrière,uneespècederéservetientencoredebout.Lesderniersrayonsdusoleilpénètrentparlafenêtredontlesvitresontdisparudepuislongtemps.Lapoussièreetl’odeurd’humiditémefontéternuer.Unbancestentraindepourrircontreunmur.Del’autrecôté,gîtlacarcasserouilléedece
qui devait être un tracteur. Il y manque le moteur et les roues. En déplaçant un tas de bûchesvermoulues,jedécouvreunecarrioleenbois.Elleestinutilisabletellequelle,maislesrouesenmétalparaissent récupérables. Tomas sort sa boîte à outils et entreprend de les démonter. Lourdes,couvertesdegraisseetdetoilesd’araignées,ellespourraientnéanmoinsnousserviràconstruireunmoyendetransportplusrapide.En explorant les autres maisons, nous récupérons une petite casserole et une poêle ainsi que
quelquesvisetécroussurunevieilleportedeplacard.Cen’estpasgrand-chosemaisc’esttoujoursmieux que ce que nous avions au départ. Nous installons notre campement pour la nuit et nousrestauronsdedeuxpommesetdelafindenotrepain.Nousnouscouchonsenespérantdégotterdenouveauxtrésorslelendemain.Effectivement, le jour suivant, à seulement quelques kilomètres, nous tombons sur un
regroupement d’une dizaine d’habitations en brique qui, étonnamment, ont résisté au temps. Noussupposonsquenousnoustrouvonsdansunanciencentre-ville,unpeucommeleparcdesCinqLacs.Nous nous apprêtons à entrer dans un des bâtiments quandTomasmemontre une empreinte de
bottedanslapoussière.Sansdouteunautrecandidat.Jen’aiqu’uneenvie:fuirleplusloinpossible.MaisTomas estime qu’il serait plus prudent d’essayer d’en savoir plus sur les intentions de notreconcurrent.Jereconnaisquec’estassezlogique.Jesorsmonrevolveretjelesuisàl’intérieurdelamaison.
Nouseffrayonsunefamilledeboulesdepoilsquifilentàtouteallureversuntroudanslemur.Parréflexe,jetendslebrasetjetire.Bang.Bang.Deuxdespetitesbêtess’écroulent,lesautresdisparaissentàtoutespattes.Puis je réaliseque jeviensdecommettreunebêtise. J’ai tout simplement alerté les alentoursde
notreprésence.JebafouilledesexcusesmaisTomassecouelatêteenriant.–Net’enfaispas.S’ilyavaitvraimentquelqu’un,iladûprendresesjambesàsoncouenentendant
lescoupsdefeu.Ets’ilavaitvutaperformance,ilcourraitcertainementdeuxfoisplusvite.Ilmedemandede surveiller la ported’entréependantqu’il vérifie les autrespièces.Auboutde
quelques minutes, je l’entends pousser un cri. Je pense d’abord qu’il est tombé nez à nez avecquelqu’unmaisquandilmedemandedelerejoindre,jeperçoisnettementdelagaietédanssavoix.Jeleretrouvetoutsourires.Ilaunesurprise.Etquellesurprise!Danscequidevaitêtreunlocaloù
lesgensrangeaientleursvéhicules,iladécouvertdeuxbicyclettessousunebâcheplastique.Lapièceestsombreetc’estdifficiled’estimerleurétat.L’uned’entreellesaunerouemanquante,l’autren’anichaînenipédale.Maispeuimporte.C’estlaplusbellechosequej’aiejamaisvue.Nous les sortons à la lumière et je vais chercher les deux animauxque j’ai abattus.Ce sont des
opossums.Jesaisd’expériencequeleurchairestcomestible.Tomas propose de s’occuper du dîner et s’éloigne à la recherche d’une source pendant que
j’examinelesbicyclettes.Jelesnettoieavecunmorceaudedrap.Jeréparesansdifficultélachaînedecellequienatoujoursune,puisj’utiliselestroisheuressuivantesàréalignerlesvitesses,décollerlesfreins,enleverleschambresàaircrevées,replacerlachaînesurlespignonsetrembourrerd’herbeles sellesgrignotéespardes rongeurs.Quand le soleil commence àdescendre à l’horizon, je suiscouverte de graisse et de poussière,mais un des deux vélos est utilisable. Peut-être pas pour trèslongtemps,maisceseratoujoursçadepris.Jesuisconvaincuequelesroues,mêmesanschambresàair,peuventencoreparcourirquelqueskilomètres.Tout en travaillant, j’ai réfléchi à unmoyen d’utiliser le deuxièmevélo dont une seule roue est
encorepotable.Parfois,DaileenetmoinousamusionsàroulersuruneseuleàCinqLacs,maisc’estimpossible sur une grande distance. Aumoment où Tomasm’appelle pour manger, j’ai peut-êtretrouvéunesolution.Jem’essuielesmainsdemonmieux.Uneautresurprisem’attend.Tomasafaitunfeu,rôtilesdeuxopossumsetmisàcuiredescarottessauvagesavecdel’écorcedepin.Lemieux
estsûrementledessert:desframboisessauvagesqu’ilatrouvéesderrièreunedesmaisons.L’espoiretlajoiequej’aiéprouvéstoutelajournéen’ensontquerenforcés.Pendantquenousmangeons,jediscuteavecTomasdemonidéederéparerladeuxièmebicyclette
aveclesrouesdelacarriole.Nousdécidonsdepasser le joursuivantànousenoccuperensemble.Nousperdronsunejournéedemarche,maisnousespéronsquenotrepariserapayant.Aprèsnotrepetitdéjeunercomposéd’opossumfroidetdeframboises,nouspartonstravaillersur
levélo.Le soir, nous avons réussi et, le sourire jusqu’aux oreilles, je fais le tour de la petite place en
pédalant.Satisfaitsdenotre journée,nousnousallongeonset regardons lesétoilesapparaîtredans leciel.
On se croirait presque dans le parc de Cinq Lacs. Je me tourne vers Tomas pour partager cetteimpressionavecluiquandilposedoucementseslèvressurlesmiennes.Lesbattementsdemoncœurs’accélèrent.Dansl’obscurité,jenedistinguepaslestraitsdesonvisagemaisjesaisqu’ilmelaissel’opportunitédereculersij’enaienvie.Jenelefaispas.C’estàmontourdel’embrasser.Jepassemon bras autour de son cou et je le sens sourire contre ma bouche. Je frissonne. Malgré notresituationplusqueprécaire,riennem’ajamaisparuaussiparfait.Jusqu’àcequ’uncriretentissedanslanuit.Unevoixféminine.Nousnousséparonsbrusquementet
nous levons.Tomas sort son couteau, je saisismon revolver.Côte à côte, nous attendonsun autrehurlement.Maisriennevient.Nousnefermonspasl’œildelanuit.
CHAPITRE13
Nousnouslevonsàl’aubeetchargeonsnossacssurnosbicyclettes.Nousnousdirigeonsverslesud-ouest.Nousavonspassélanuitdanslesbrasl’undel’autre,sansjamaislâchernosarmes.Avantdepartir, j’aivérifié lablessuredeTomas.Elle cicatrise correctementmais il adumal à
trouver uneposition confortable sur le vélo.Le terrain est plein de cahots et nous n’avons pas dechambres à air pour absorber les chocs. À mesure que nous nous éloignons de Chicago, nouscroisonsdeplusenplusd’arbresetdeplantesdetoutessortes.Plusdemaisonsencoredeboutaussi.LacartedeTomasindiqueuneautorouteunpeuplusloinverslesud.Nousdécidonsdetenternotre
chance.Peut-être est-elle encoreenpartie enétat.Nousn’évoquonspas lavéritable raisondecettedécision.C’estde làquevenait lecricettenuit.Sinous trouvonscellequi l’apoussé,nous seronspeut-êtreenmesuredel’aider.Jenepourraispasmeregarderdansunmiroirsinousl’abandonnionssansmêmeessayer.Aubout de plusieurs kilomètres, nous apercevonsunenuéede corbeaux en train de décrire des
cerclesdansleciel.Magorgeseserre.Sansunmot,nouspédalonsàtraversl’herbebrunepourallervoircequilesaattirés.Enarrivant,nousnepouvonsqueconstaterqu’iln’yaplusrienàfaire.Lecorps de la jeune fille étendu sur le sol est déjà à moitié mangé par les oiseaux. Il me semblereconnaître la candidate qui marchait devant Malachi juste avant la première épreuve. Ses longscheveuxblondssontengluésdesangetdeterre.Elleauncarreaud’arbalèteplantédansl’estomac.Sonsacadisparu.Ilsepeutqu’ellel’aitperdumaisilestplusprobablequel’arbalétrierleluiait
volé.Ilestpeut-êtreencoredanslesparages.–Onnedevraitpasresterici,souffleTomas.Nousnedevonsplusêtretrèsloindelaroute.J’acquiesce.Pourtant,nousnebougeonspas.Jen’arrivepasàlaissercettefillesefairepicorerpetitsmorceaux
parpetitsmorceaux.Elle avait sansdouteune famille, des amis ; desgensqui l’aimaient et qui lacroient en sécurité au centre de Test de Tosu en train de démontrer ses capacités enmaths ou ensciences.Ilsnesaurontjamaisriendecequiluiestarrivémaisl’amourqu’ilsluiportaientexigedurespect.C’estcequemesparentsm’ontenseigné.C’estcequepenseraitn’importequelhabitantdeCinqLacs.Tomastrouveunefissuredansunerocheetnousyglissonslecorpsdelajeunefille.Jeparviensà
luidétachersonbraceletd’identification.Son symboleétaitun triangleavecune roueà l’intérieur.Nouslarecouvronsdepierrespourempêcherlesoiseauxdecontinueràladéchiqueter.Jeplaceuncaillou de teinte rouge au-dessus pourmarquer l’emplacement de la tombe. En serrant le braceletcontremapoitrine,jefaislapromessesilencieusequemalgrélapression,jen’abandonneraijamais
lesvaleursquifontdemoiunêtrehumain.Mêmesiçadoitmefaireéchouer.Jen’oublieraipasnonpluscettejeunefilleauxcheveuxblondsdontjeneconnaispaslenom.Nousavonsperduunebonneheure.Nous remontons sur nos bicyclettes.Nous n’échangeons pas une parole et ne nous arrêtons que
pour purifier de l’eau et ramasser des pissenlits et des carottes sauvages. Mes jambes tremblentd’épuisement,maisl’imagedelajeunefillemorteetdesesorbitesvidesmepousseenavant.Nousn’arrivonsàlaroutequelelendemainmatin.C’estunelonguebanded’asphaltequisedérouleaussiloinqueportenotreregard.Jedevraism’en
réjouirmais le fait qu’il n’y ait aucun nid-de-poule ni aucune fissureme remplit au contraire deterreur.JedemandeàTomas:–Tupensesquec’estencoreunpiège?Ilhochelatête.–Depuislasource,jepensequetoutestpossible…Regarde.Jetournelatêtedansladirectionqu’ilm’indique.Auloin,jedistinguelalignebleuedelaclôture.
Lalimitesudquenousnesommescensésfranchirsousaucunprétexte.– Ilsontdû réparer la routepourpouvoirposer la clôture, reprendTomasen sortant son livre.
D’aprèslacarte,ellevajusqu’àlafrontièresud-ouestdel’ancienÉtatetencroiseuneautrequivadirectementàTosu.Jepariequelesofficielsl’empruntentquandilspréparentleTest.LeraisonnementdeTomasmeparaîtjuste,maisilyaunautreproblème.Sursacarte,ilestévident
quelaroutetraverseplusieursgrandesvilles.Monpèreparlaitdegratte-cieldanssoncauchemar.Silesofficielsnousonttendudespièges,ilsseronttrèsprobablementlà.Jeprendsuneprofondeinspirationavantdeproposer:–Onpeutjeterdescaillouxsurlaroute.Onverrasielleexplose.Tomasritetramassedesmunitions.Nouslançonsunedizainedecaillouxsurlemacadamavantde
nousdécideràyposerlepied.Aprèscequenousvenonsdetraverser,roulersurunrevêtementaussilisseressembleauparadis.Leventsurmonvisageestplutôtagréable.Nousavançonsviteetjesuisheureused’êtretoujours
envie.Maisauboutd’unmoment, jeréalisequesi larouteaaccrunotrevitessededéplacement,ellea
également augmenté notre exposition. Nous sommes visibles pour n’importe quel autre candidatembusquédansunbuisson.J’espèrequel’arbalétriern’apasencoretrouvédemoyendesedéplacerplusvite.Noustraversonsunpontquienjambeunelargerivièreàl’eauopaque.Je suggère à Tomas que nous nous arrêtions pour la nuit. C’est tôt pour camper mais je suis
épuisée et en sueur. Les crampes menacent mes mollets. L’abondance d’eau signifie que je vaispouvoirmelaverpourlapremièrefoisdepuisplusieursjours.C’estaussiunexcellentendroitpourposerdescollets.Tomas accepte. Il est également fatigué. Le transcommunicateur nous apprend que nous avons
parcouru plus de soixante-quinze kilomètres dans la journée. C’est-à-dire, depuis notre départ, unseptièmedenotretrajetjusqu’àTosu.Larivièreestévidemmentcontaminée,maisnousyapercevonsmalgrétoutdespoissonsquiontdû
s’adapteràlapollution.Nousnepouvonspaslesmangercrusmaiss’ilssontcuits,nousnerisquonsrien. Tomas attache un crochet trouvé dans sa boîte à outils à une lanière de drap. Il utilise nosderniersmorceauxd’opossumcommeappât.Quandjereviensdemarécolted’oignonssauvagesetdepontédériebleue,iladéjàpêché,préparéetcuittroispoissons.Ilsressemblentauxpetitsbarsquenousattraponsavecmonpère.Nousfaisonsunvéritablefestin.
J’aiencoreuneheureoudeuxavantlecoucherdusoleil.J’enprofitepourmelaver.Lekitdetestadéterminéquelacontaminationétaitlégère;ellen’auradoncaucuneffetsurmapeau.Enculotteetsoutien-gorge, je m’immerge dans l’onde glacée. Le courant étant étonnamment fort, je nem’aventurepasloindubord.Aprèsm’êtrefrottée,jeremonteetjerestequelquesinstantsàsécheravantdepassermesvêtements
derechange.En revenant près du campement, j’aperçois Tomas raide comme un piquet, les yeux fixés droit
devantlui,soncouteauàlamain.Jesaisismonrevolveretjelerejoinsenprenantsoind’éviterlescaillouxetlesbrindillespournepasfairedebruit.Tomassursautequandjeluitouchel’épaule,puisiltendlesdoigtsverslaroute.Trois silhouettes sedécoupent.Àcettedistance, impossibledesavoir sicesontdes fillesoudes
garçons,maisàleurpastraînant,ilestévidentqu’ilssontfatigués,affamésetpeut-êtredéshydratés.Mêmeàleurallure,ilsserontlàavantlatombéedelanuit.–Tuveuxqu’ons’enailleavantqu’ilsnousaientvus?medemandeTomas.–Qu’est-cequetuenpenses?Ilfroncelessourcils.–Ilsn’ontpasl’airenétatdenousfairedumal.Nouspourrionspeut-êtrelesaider.Justepource
soir.Detoutefaçon,ilsnes’attendrontpasàvoyageravecnouspuisqu’ilssontàpiedetnousàvélo.Jesuisd’accordaveclui.Certainscandidatssontprêtsàentuerd’autrespourréussirleTest.Jene
veuxpasêtrecommeeux.C’estpourquoijeluipropose:–Pourquoin’irais-tupaspêcherunoudeuxautrespoissons?Tomaslesobserveencoreunmomentavantdes’éloignerverslarivière.Quandletrioarrive,ungrandgarçonrouxauvisageconstellédetachesderousseur,etdeuxfilles
dontunegrande,auteintmatetauxcheveuxcourts,nouslesattendonscachésdansunbuisson.Ilsmesontvaguementfamiliers.Ilstiennentàpeinedeboutetjen’hésitepasàmedécouvrir.–Vousavezfaim?Tomas est toujours dissimulé, son couteau à lamain.Nous avons pensé qu’en voyant que nous
étions deux, ils auraient plus de raisons d’avoir peur et donc de nous agresser. J’espère qu’ilsn’estimerontpasnécessairedes’enprendreàunefillemaigrichonneetseule.Aucundestroisnesemblesurprisparmonapparition.Ilsontdûsentirl’odeurdupoissongrillé.
Mais la terreur s’allumedans leurs yeuxquand ils remarquentmon arme. Jeme sensmal à l’aisemaisjenelaposepas.Jenesuispassinaïve.Jereprends:–Jepeuxpartagermonrepasavecvousetj’aidel’eaudécontaminée.Vouspouvezpasserlanuit
ici,sivousvoulez.Legarçonprendlaparolelepremier.–Pourquoitunousaiderais?Jehausselesépaules.–C’estcommeçaquej’aiétééduquée.Jenesaispass’ilsmecroientousileurfaimesttropgrande,maisilsacceptentdemesuivre.Jeles
informequejenesuispasseule.ÀlavuedeTomasetdesoncouteau,unedesfillesesteffrayéeetlesautresdeviennentplusméfiants.Lepoissonetl’eaufinissentdelesrassurer.Ilss’assoientautourdufeusanslâcherleurssacs.Unedesfillessemetàpleurerquandjeluiproposedeseservir.Entredeuxbouchées,elleparvientàseprésenter.Elles’appelleTracelynetsescompagnonsStacia
etVic.IlsviennenttouslestroisdelacoloniedeTulsa.IlsétaientassiscôteàcôtequandledocteurBarnesamontrélacarteetcommeTomasetmoi,ilssesontmisd’accordsurunpointderencontre:laclôtureausuddupointdedépart.Illeurafalludeuxjourspourseretrouveretdepuis,ilssuiventlaroute.Ilsnes’enéloignentquepourchercheràboireetàmanger.Ilsn’ontpaseubeaucoupdechance
dececôté-là.Dèsqu’ilsaperçoiventunautrecandidat,ilssecachent.– Nous étions dans une maison abandonnée quand vous êtes passés ce matin, précise Vic en
reprenantdupoisson.Nouspensionsquevousétiezarrivésbeaucoupplusloinetjen’aipaspenséàchercher des traces de roue. J’aurais dû être plus prudentmais l’odeur de nourriturem’a distrait.Vousavezl’airdebienvousensortir,maiscen’estpaslecaspourtoutlemonde.–Onsait,lâcheTomasenregardantVicdroitdanslesyeux.Lesdeuxgarçonssemblentse jauger.Viccontemple lecouteaudeTomaset le revolversurmes
genoux.–J’aientendudescoupsdefeu,ilyadeuxjours,lance-t-il.Jenerépondspas.Àlaplace,jedemande:–Vousn’avezpasétéprispourcibleparunarbalétrier?Tracelynécarquillelesyeux.–Quoi?Undescandidatstiresurlesautresàl’arbalète?Jenecomprendspas.Lesofficielsnous
ontditquetousnoschoixseraientévalués.Ilsrefuserontforcémentceuxquifontcegenredechose!Quelgenrederesponsablesseraient-ils?–Unresponsableaucaractèrefort,intervientStaciasansleverlesyeux.LaQuatrièmeÉpoquedela
guerreauraitétéévitéesileprésidentdesÉtats-Unisavaitattaquél’AllianceAsiatique.Maisaulieudeça,etcontrel’avisdesesconseillers,ilavouluréunirunecommissioninternationale.Ilétaitpacifistealorsquelepaysavaitbesoind’unhommecapabledemontrersadéterminationparlesarmes.Tomassecouelatête.–S’ilavaitattaqué lepremier, l’AllianceAsiatiqueaurait ripostéde toute façon.L’ÉpoqueTrois
avaitdéjàcausédeterriblesdommages.Ilvoulaitévitercequ’ilconsidéraitêtrelepremierpasversladestructiondumonde.–Onpeutpasdirequeçaaitmarché,ricaneStacia.Moi,jecroisqu’ennousabandonnantaumilieu
de ces villes détruites, les officiels essaient de déterminer lesquels d’entre nous ont un instinct detueur!Elleapeut-êtreraison,maisjenepeuxpaslalaisserdireça:–MonpèrearéussileTestetilestpacifiste.Ilcroitàlacréation,pasàladestruction.Staciahausselesépaules.–Peut-êtrequ’ilatoutsimplementmentiàsonretouretprétenduqu’ilavaiteulapeaudecertains
desescamarades.Detoutefaçon,ilsn’ontaucunmoyendesavoircequ’onfaitpendantqu’onestici,pasvrai?Jen’aipasoublié lescamérasdans l’aérojet, lacabane, leschambres,maisTomasacalculéque
l’écartentrelesdeuxclôturesestàpeuprèsdecinquantekilomètres.Ilestimpossiblequelesofficielsaientréussiàeninstallersuffisammentpourcouvrirtoutelasurfacequenousdevonsparcourir.Maisilsontputrouverautrechose.La conversation dévie et nos invités nous parlent de leur colonie. Tulsa comprend 70 000
personnes et le père de Vic travaille dans une ancienne raffinerie toujours active. Les parents deTracelyn sont employés à la centrale électrique – c’est la plus grande de toute la CommunautéUnifiée.Stacia,elle,neditrien.Allongéesurledos,elleregardelesétoiles.Jemedemandeàquoiellepense.Lesgarçonscomparentleursarmes.LesfillesontdescouteauxetVicunrevolvercommelemien.Çame rassure qu’ils se soientmontrés honnêtesmais jeme demande si je vais réussir àdormiràcôtéd’autrescandidatssibienarmés.Nouslaissonslefeualluméetnousnousrépartissonslestoursdegardepardeux.D’abordVicet
Tomas,puisTracelynetmoi.Stacianeseproposepas.Elleserecroquevilledansuncoinets’endortaussitôt.Avantdemecoucher,jeconfiemonrevolveràTomas.Jefermelesyeuxenmedemandantsinousavonseuraisond’accordernotreconfianceàtroisinconnus.
Sinousnoussommestrompés,nousnenousréveilleronssansdoutepasdemainmatin.Mais la nuit se déroule sans incident. Après avoir dormi plutôt profondément, Tracelyn etmoi
prenonsnotretourdegardeetnousassistonsauleverdusoleil.Nousdiscutonsàvoixbasse.Siellepeutalleràl’université,elleaimeraitdevenirprofesseur.Ellemeparleaussidugarçondontelleestamoureuseetqu’elleauraitaiméépouser.Maisiln’apasétéchoisipourleTestetellenelereverraprobablementjamais.–Tonpetitamiettoiavezdelachanced’avoirétéchoisistouslesdeux,ajoute-t-elle.Jerougis.–Tomasn’estpasmonpetitami.–Ahbon?Pourtant,onpourraitlecroire,lance-t-elleavecunsourireencoin.Jesuissûrequ’ilest
amoureuxdetoi.–Ilmeprotège,c’esttout.Maissoncommentairemeremplitd’unejoieintense.Aufonddemoi,j’espèredetoutcœurqu’elle
araisoncaraufildesjours,jesuisdeplusenplussûrequemoijesuisamoureusedeTomas.Nousparlonsdenosfamilles,desépreuvesetdeladistancequinousresteàparcourir.Tracelyn
sembleauthentiquementgentilleetmêmemoi,jelatrouveunpeutropconfiante,cequiesttoutdire.Jeluiracontecequinousestarrivéàlasource.Jenesaispassiellemecroitmaisjedoisluifaireprendreconsciencedesdangersqu’elleencourt.Nos compagnons se réveillent l’un après l’autre. Pendant le petit déjeuner, Stacia garde ses
distances. Tomas et moi ne nous éternisons pas. Nous rangeons rapidement nos affaires et nousrécupéronsnosvélosdanslebuissonoùnouslesavionscachés.Pendantquenouspédalons,jemedemandesilepetitgroupeaveclequelnousvenonsdepasserla
nuit franchira la ligne d’arrivée. Je n’ai pas vraiment de doute concernant Stacia. Sa froidedéterminationdevraitluipermettred’affrontercequil’attend,maisàmonavis,elleconstitueaussiundangerpourlesdeuxautres.Sesproposmereviennentetcontrairementàelle,jen’arrivepasàcroirequeledocteurBarnesetlesautresofficielssecontenterontdenotreparole.Noussommesforcémentsurveillés.Peut-êtrepastoutletemps,maisrégulièrement.Àlafindelajournée,jepenseavoircompriscommentilss’yprennentetj’aibienl’intentionde
vérifiermathéorie.Nous installons notre campement près d’une ferme abandonnée. Des nuages s’amoncellent à
l’ouestetnousnousréfugionsdansunegrangepouréviterd’êtretrempésparl’aversequis’annonce.Le bâtiment semble en assez bon état pour ne pas s’écrouler pendant la nuit. En y entrant, nouseffrayons quelques poulets sauvages.Quatre coups de feu plus tard, il ne nous reste plus qu’à lesplumeret les rôtir.Dans leurnid,nous trouvonsenpluscinqœufsmagnifiquesquenousgardonspourlepetitdéjeuner.J’essaie de me comporter comme d’habitude, mais je ne dois pas être très convaincante car à
plusieursreprises,Tomasmejettedescoupsd’œilinterrogateurs.Aprèslerepas,jerangemonsacetj’enprofitepourexaminerlebraceletd’identificationdelajeunefillequenousavonsenterrée.Chaquecandidatenaun.Etmêmedeuxencomptantceluiquisetrouvesurnotresac.Onnousa
expressémentdemandédenejamaisl’enlever.Lefermoirn’étaitpasévidentàrepérer,jesupposequelesautress’ensonttenusàcetterègle.J’examine la partiemétallique du bracelet et là, juste au-dessous du symbole, je découvre trois
trousgroscommedespointesd’aiguille.Cettefoisj’ensuiscertaine:depuisledébut,nousportonsdesmicros.
CHAPITRE14
Une vague de satisfactionme traverse comme quand j’ai réussi un examen.Mais elle disparaîtrapidementpourlaisserplaceàlapeur.Lesofficielsont-ilsenregistrétoutcequenousdisionsdepuisquenousavonscesbraceletsouse
sont-ilsd’abordcontentésdescaméras?J’espèrequeladeuxièmehypothèseestlabonnecarsinon,ils savent pour mon père et ses cauchemars. J’aurais dû me montrer plus prudente. J’ai étécomplètementstupideetj’aipeut-êtremislaviedemonpèreendanger.Parcequ’ilestévidentquedes gouvernants prêts à laisser des jeunes gens ingérer du poison ou se suicider sous leurs yeuxn’hésiterontpasàéliminerunhommequ’ilsconsidèrentcommeunemenace.J’aiégalementimpliquélamagistrateOwens,ledocteurFlintetmonancienneprofesseur.Tousceuxquiontessayéd’éviterl’épreuveduTestauxélèvesdeCinqLacs…–Cia?Çava?Jefaisvolte-face.Tomasm’observeavecinquiétude.Jedoisavoirl’airtotalementbouleversée.Je
meforceàsourireetjelance:–Oui,oui,çava,jem’inquièteseulementpourTracelynetlesautres.J’espèrequ’ilsauronttrouvé
unabripourlanuiteuxaussi.J’ail’impressionquelatempêtevaêtreviolente.Puis, je pose mon index sur mes lèvres et je montre le bracelet au creux de ma main. Très
doucement,jedétachelemienetjeleposesurmonsac.JeprendsensuitelamaindeTomasetjeledébarrassedusien.Jeluifaissignedemesuivreàl’extérieur.Unefoisdehors,Tomasestabasourdi.–Ilsnousespionnent!Jenedevraispasêtresurprismaisjen’yavaismêmepaspensé.Angoissée,jeluidemande:– Depuis combien de temps crois-tu qu’ils nous écoutent ? Le début de cette épreuve ou notre
premierjour?Ilréfléchitunmomentetserappellesoudainnotreconversationsouslesarbres.– Je ne pense pas qu’ils aient commencé si tôt. C’était matériellement compliqué. Nous étions
quandmêmecent quatre-vingt-un.Àmon avis, ils se contentaient de nous observer tous enmêmetempsgrâceauxcaméras.Jenepeuxqu’espérerqu’ilaraison.–Cia,reprend-il,jesaisquec’estdifficilemaistunepeuxpast’inquiéterdecequisepassechez
toi.Ilmecaresselajoue.Jem’accrocheàsamaincommeàunelignedesurvie.–Notremeilleurefaçond’aidernosfamilles,poursuit-il,estdesurvivreauTest.J’ailagorgeserréemaisjeparviensàarticuler:
–Maismême si nous réussissons, ils vont effacer notremémoire. Nous ne nous souviendronsmêmepasdecetteconversation!–Nouspouvonsessayerdedécouvrircomment ilscomptentnousdébarrasserdenossouvenirs,
suggèreTomas. J’y ai beaucoup réfléchi et j’ai quelques idées.Maintenant que tu as découvert lesmicros,nouspouvonsnousassurerqu’ilsnesaurontpasquenouspréparonsquelquechose.Çanousdonneunsacréavantage.Mais les doutes me submergent. Est-ce qu’on sera assez malins pour déjouer un système qui
contrôlenosviesdepuisdesdizainesd’années?QuicontrôlelaviedescitoyenslesplusbrillantsdelaCommunautédepuislareconstructiondumonde?Pourtant,jemeredresseetjelèvelementon.–Oui,tuasraison,Tomas.Ilsuffitquenousnousservionsintelligemmentdecetavantage.–Exactement!mesourit-il.Nousformonsuneéquipedutonnerre,çanepeutquemarcher!Tune
croispas?Etpuis…Ilhésiteunmomentavantdepoursuivre:–Ilyauneautreraisonpourlaquellejesuiscontentquetuaiesdécouvertcesmicros.–Laquelle?–Parcequejepréfèrequetusoislaseuleàentendrelapremièrefoisoùjetedis«jet’aime».Sesmots,savoix,seslèvressurlesmiennesmefontchavirerlecœur.Jesaisquecen’estvraiment
paslemomentpouruneromance.Noussommestropstressés,tropéprouvéspourfaireconfianceànosémotions,maislaforcequeTomasmedonneestréelle.Jemurmure:–Moiaussi,jecroisquejet’aime.–Tucrois?Tomasritetmeserrecontrelui.–Alorsjevaisdevoirutiliserlestroiscentskilomètresqu’ilnousresteàparcourirpourfinirdete
convaincre!Ilm’embrassesurlehautdelatêteetsoupire:– Nous devrions rentrer avant que notre public se demande si nous sommes morts d’une
indigestiondepoulet.Nousretournonsverslagrange,maindanslamain.–Tucomprendras,sourit-il,quejevaisdevoirterefairemadéclaration.Sinon,lesofficielsvont
sedemanderpourquoijepassemontempsàterépéterquetuesbelle.Jesourisaussietc’estlecœurpluslégerquejeremetsmonbracelet.Maismaintenantquejesais
quenoussommesécoutés, j’aidumalàavoiruncomportementnaturel.Heureusement,Tomasn’apaslemêmeproblème.–Jecroyaisavoirentenduunbruitdehors,annonce-t-il,maisj’aidûmetromper.Iln’yapersonne.
Çadevaitêtredesdébrissoulevésparlevent.Pendant une seconde, je suis confuse,mais je finis par comprendre qu’il donne une explication
pourlesilenceprolongé.Jemeforceàrépondre:–Tantmieux.Jesuisfatiguée.Jeneregrettepasd’avoirinvitélesautreslanuitdernière,maisce
n’étaitpasévidentdesereposerenlessachantàcôté.–C’estvrai,acquiesceTomasens’asseyant.Jen’aipasbeaucoupdormi.–Çanet’apourtantpasempêchéderonfler,entoutcas!Tomasneronflepasmaisnotrepublictrouverapeut-êtreamusantquejeletaquine.Nousparlons
des autres candidats pendant un moment et nous essayons d’imaginer comment nos amis sedébrouillent.Sesont-ilsretrouvésouvoyagent-ilsseuls?Leventsouffledeplusenplusfortetdesgouttesdepluietombentparuneouverturedansletoit.Nousnousenroulonsdansnoscouverturesetnousécoutonsl’aversetomber.Tomaspassesonbras
autourdemoi.–Tusais,c’estvraiquejen’aipasbeaucoupdormicettenuitetjevoulaistedirequeTracelyna
raison.Jesuisamoureuxdetoi.Même si je sais que cette fois, c’est à l’intention du docteurBarnes, je ne peuxm’empêcher de
frissonner de plaisir. Tomas m’embrasse longuement et je me colle contre lui. Je souris enrépondant:–Jecroisquejet’aimeaussi.Sonéclatderireestunvéritablebonheuretjem’endorssansplusmeposerdequestions.
Nousnesommespasseuls.Jesuis toujoursdans lesbrasdeTomas.Sarespirationestrégulière.Unelumièrepâleéclaire la
grange.Lapluieacessé.J’écoute un moment, puis je referme les yeux dans l’espoir de gagner quelques minutes de
sommeil.Etlà,jel’entendsdenouveau.Deshalètements.Jeme dresse et je scrute la grange. Rien. Je referme les yeux pour isoler le bruit. Ça vient de
derrièremoi.Le cœur battant, je repousse doucement le bras de Tomas et je tourne la tête vers le mur. Les
premiers rayons du soleil passent à travers une longue fissure. Je me penche pour regarder etj’étouffeuncri.C’estunanimal.Immense.Debout, ilestaussigrandquemoi.Unpelagenoiretgrislerecouvre
presque entièrement, laissant par endroits apparaître des morceaux de peau rose. Mais le pluseffrayantcesontsesgriffesetsesdents.Ungenred’oursoudeloup?Entoutcas,ilneressembleàaucuneespècequejeconnaisse.Mon
pèrem’amontrédesphotosprisesdans leszonescontaminées.Onyvoyaitdesanimauxdéformésparlesproduitschimiquesquiontdévastélaterre.Certainsavaientunmembresupplémentaireoulaqueue en moins, d’autres avaient perdu leurs poils ou se voyaient munis d’une peau si épaissequ’aucunearmenepouvaitlapercer.Tous lesanimauxmutants sontdangereux,quellequesoit leur taille.Lespluspetits rongeursau
corpsnun’hésitentpasàattaquerdeshumains.Pournerienarranger,labêteàl’extérieurn’estpasseule.Alorsqu’elletournelatête,j’enaperçois
uneautrejustederrièreelle.Lemuseaudressé,ellerenifle.Nousa-t-ellesentis?Sic’estlecas,nousdevonspartiretvite.Nous gardons toujours nos sacs prêts. Je m’agenouille et le plus silencieusement possible, je
réveilleTomas. Il souritenmevoyantmais il remarque rapidementmon inquiétude. Jemepencheverssonoreilleetjemurmure:–Animauxmutants.Ilfautpartir.Ilacquiesceetselève.Moinsd’unesecondeplustard,noussommesdehors,àenvironcinquante
mètresdelaroute.Nousallonsdevoirfranchirunezonecouvertedecaillouxetdevégétationsanssefairerepérer.Jeprendsuneinspirationetjeserrelacrossedemonrevolver:–OK.allons-y.Jecourslesmainscrispéessurleguidondemonvélo.Jenemeretournepas.Çaneferaitqueme
ralentir.MaisTomas,lui,tournelatête.Jelesaisàsafaçonderespireretaussiparcequ’ilsemetàcrier:
–Cours,Cia,cours!C’estcequejefais.Leplusvitepossible.Tomasmedouble.Ilmecriedenepasm’arrêter.Jeles
entends.Ilssontsurmestalons.Etilsserapprochent.Lapeurdécuplemesforces.Jemanquedelâchermonvéloquirebonditsurlesnids-de-poule.Les
halètementsdesbêtes se sont transformésengrognements. Ilsme rattrapentet je suisencoreàdixmètresdelaroute.Unedemespédalesseprenddansunetouffed’herbe.Jetombe.Tomasestarrivé.Ilaenfourchésabicycletteetestprêtàpartir.–Dépêche-toi,Cia!Jemeredresse.Jen’aipasd’autrechoixquedemeremettreàcourir.Quandmespiedsseposent
sur l’asphalte, je voudraism’effondrer en sanglots.Mais les bêtes sont toujours là. Il y en a six.Énormes.Lamâchoireouverte,prêtesàmesauterdessus.L’uned’entreellesbonditdevantlesautres.Ses yeux jaunes sont fixés sur moi. Je lève le bras. Je vise. Je tire. L’animal laisse échapper unglapissementmaisnes’arrêtepas.Laballeluiapourtanttouchélapoitrine.–Viensvite!mecrieTomas.Tunelesauraspascommeça!Jemontesurmonvéloetj’appuiesurlespédales.Lesgrognementsdelameuteàmapoursuiteme
donnentl’énergienécessaire.Mabicyclettegrincesousl’effort.J’espèrequemesréparationsnevontpaslâchermaintenant.Tomasaraison.Onnesedébarrasserapasdecescréaturesavecunrevolverouuncouteau.Notreseulechanceestdelesdistancer.Tomasmecriedesencouragements.Laroutesemetàdescendrelégèrementetnousprenonsdela
vitesse. Je continue de pédaler. Si seulement ces bestioles pouvaient se choisir un autre petitdéjeuner…Enfin,lesgrognementsfaiblissent.Jerisqueuncoupd’œilpar-dessusmonépaule.Lesfauvesont
abandonné. Ils ont dû renifler une autre proie car ils s’éloignent vers le nord, dans la directionopposéeàlanôtre.Nousnenousarrêtonspaspourautantaucasoùilsauraientdécidédenousprendreàrevers,mais
ce genre de raisonnement demande une logique et une capacité d’anticipation dont la plupart desanimaux ne sont pas capables. Cependant, on raconte des histoires lors des veillées. Des humainsayantsurvécuauxradiationsauraientsubidetellesmodificationsqu’onpourraitlesprendrepourdesbêtes. Je n’y ai jamais crumais je ne croyais pas non plus le comité de Test capable de tuer descandidats.Nous parcourons encore une bonne vingtaine de kilomètres avant de poser le pied à terre pour
reprendrenotresouffle.Jeposemonvélosur lebas-côtéetmejettedans lesbrasouvertsdeTomas.J’entendssoncœur
battreàtoutrompredanssapoitrineet jesaisquelemienbat toutaussivite.Noussommesenvie.Concentrée sur le danger que représentent l’arbalétrier et les autres candidats, j’en avais presqueoubliélesbêtessauvages.Jenepeuxm’empêcherdemedemandersiellesn’ontpasétéenvoyéeslàexprès. Après tout, les officiels ont dressé des clôtures. Comment ces animaux ont-ils pu lesfranchir?Je m’écarte de Tomas et je bois une gorgée d’eau. Je me sens écœurée et épuisée. Je tends la
gourdeàTomasavantdesortirlesœufsquenousavionsprévuspourlepetitdéjeuner.Parmiracle,ilsnesontpascassés.Nousnousinstallonspourunepausebienméritée.Tomas a l’air épuisé lui aussi, dumoins, c’est ce que je pensais avant de remarquer le sang à
l’arrièredesonpantalon.Àgenouxpourallumerlefeu,ilestextrêmementpâle.L’allumettetrembledanssamain.Je prends la trousse de secours et je lui ordonne de s’allonger. Il m’adresse un sourire qui
ressembleplusàunegrimace.
–Ilnefautjamaisavoueràunefillequevousl’aimez,aprèsellepensequ’ellepeutvousfairefairetoutcequ’elleveut!Enfin,jevaisobéir,maisc’estjusteparcequetumedemandesdem’allonger!Je ris mais après l’avoir examiné, je n’ai plus le cœur à m’amuser. La cicatrice s’est un peu
rouverte et les bords sont rouges, ce qui indique une infection. Pas encore très sévère, mais ellepourraitledevenir.Jedécidedechangerdeméthode.JefaisavalerplusieurscachetsantidouleuràTomasavantdestériliserl’aiguille.Etjememetsau
travail.Tomasserrelesdentsquandlapointemétalliqueluitraverselachair.Moiaussi.Ladéchirurefaitàpeinetroiscentimètres,maislespointssontsipetitsqu’ilenfautaumoinsdouze.LedocteurFlint m’a dit un jour que c’était plus difficile pour un médecin de soigner ceux qu’il aime. Jecomprendsmieuxaujourd’hui.Quandjetermineenfin,mesdoigtssontpoisseuxdesang.J’applique du désinfectant avant de refaire le pansement. Je neme sens pas très bien et Tomas
semblesurlepointdes’évanouir.Ilesthorsdequestionderepartirmaintenant.Jemelavelesmainset je luiordonnededormirpendantque jeprépare lesœufs.Avantque j’aie le tempsd’attraper lapoêle,iladéjàfermélesyeux.Toutcesangm’acoupé l’appétitet jedécidede remettre lacuisineàplus tard.Le revolverà la
main,jem’éloigneunpeupourvoirsijepeuxtrouverquelquechoseàcuireaveclesœufs.Jetrouvedesoignonssauvageset,pourledessert,unepoignéedeframboisessauvages.JelaisseTomassereposerpendantdeuxheures.Quandjeleréveille,ilabienmeilleuremine.Etil
râled’avoirdormisi longtemps.Pourtant,quandnousavonsfinidemanger, ilestévidentqu’ilnepeutpasremontersursonvélo.Nouscontinuonsdoncàpiedenpoussantnosbicyclettes.Nousnousarrêtonsrégulièrementpournepastroplefatiguer.Àlafindelajournée,desgratte-cielsedécoupentàl’horizon.
CHAPITRE15
À la vue des édifices, je ne peuxm’empêcher de frissonner. Les rues de cette ville qui sembleimmensepeuventregorgerdetoutessortesdedanger.Peut-êtrepiresquedesanimauxsauvagesoudescandidatsarmés.D’autrepart,jedoutequenoustrouvionsdel’eaudanscecimetièredebétonetd’acier.Aprèsavoirpréparélefeu,jepartagemescraintesavecTomas.– Je suis sûreque lecomitédeTest aprévudesépreuvesdans laville.Laplupartdescandidats
déciderontdelatraverserparcequec’estapparemmentlecheminleplusdirect.Enréalité,jepenseauxcauchemarsdemonpère.Quoiqu’ilsoitarrivéàsesamis,c’étaitdansune
villecommecelle-ci.Tomasacquiesce. Ilm’acomprise àdemi-mot et sait que jenepeuxendireplus. Il réfléchitun
momentavantdedonnersonopinion.–Ilsepeutaussiqu’ilsaienttruffédepiègeslesroutesquicontournentlavillepournousobligerà
emprunter ce chemin. Je pense qu’ils veulent connaître nos réactions lorsque nous sommesconfrontésauxautres.Regarde…Jesuisduregardladirectionqu’indiquesondoigttendu.–Laclôturesudtoucheleslimitesdelaville,jenevoispaslalimitenordmaisjesuisàpeuprès
sûrqu’elleestplusprochequenousnelepensons.Nousnetardonspasànouscoucher,lesarmesàlamain.Lelendemain,nousnouslevonsàl’aube.
Aprèsvérificationdenosréserves,nouspartonsà la recherched’eau.Nous tombonssurunemareboueuse à une centaine de mètres de la route. Il nous faut pas moins de trois produits pour ladécontamineretmêmeaprèsça,jenesuistoujourspastrèssûrequ’ellesoitpotable.J’espèretrouverunautrepointd’eauavantquenousentrionsdanslaville.Sicen’estpaslecas,nousferonsavec.Jen’ai pas envie dem’empoisonner, mais nous ne pouvons pas non plus prendre le risque de nousdéshydrater.Nousnousmettonsenrouteetnetardonspasàarriveràunefourche.Unedesroutescontournela
ville.Elleestensimauvaisétatquenosvélosnetiendraientpasplusdequelquesminutesavantdesedisloquer.L’autrerouteestparfaitementlisse.LecomitédeTestnenouslaissepasvraimentlechoix.Lemalaisemetordl’estomac.Ilnevapasfalloirtraîner.Larouteserétrécitalorsquenousdépassonslespremiersimmeubles.Ilsnefontpasplusdedeux
outroisétagesetsontentrèsmauvaisétat.Pourcertains,ilestmêmeétonnantqu’ilstiennentencoredebout.Nousprenonsgardeàresteraumilieudelarouteaucasoùlesofficielsauraientprévud’enfaireécroulerunsurnotrepassage.D’ailleurs,àmesurequenousavançons,deplusenplussontenruines.Àchaquefois,lesdébrisbloquentlesruesadjacentes.Audébut,jenesuispascertainequecesoit intentionnelmais au bout d’unmoment, ça devient évident : les officiels nous obligent à tous
emprunterlemêmechemin.J’endiscuteavecTomasetjeluifaispartdemoninquiétudeconcernantcequinousattendaubout
delaroute.–Tuveuxqu’onfassedemi-tourpourcontournerlaville?Àsonvisagecrispé,jesaisqu’iln’enapasenvie.Pourêtrefranche,jenesuispascertainedele
vouloir moi non plus. Cette solution pourrait se révéler encore plus dangereuse. De plus, nousperdrionsbeaucoupdetemps.Jesecouelatête.–Non.Pasvraiment.Jeveuxjustequ’onsoitprudents.Ilm’embrasseetsourit.–Jeprometsdenepasjeterdecaillouxdanslesmaressanstedemanderlapermission,çateva?Malgrémonangoisse,jeluirendssonsourire.–Tuasintérêtàtenircettepromesse.Nouscontinuonsd’avancermaisunpeuplus lentement.Nous scrutons lesalentours, à l’affûtdu
moindredanger.Lesbuildingssontdeplusenplushauts.Nousarrivonsàuneintersection.Aucuntasdegravatsnenousbarrelepassage.Cettefois,lechoixnousappartient.–Àtonavis?medemandeTomas.–Jecroisqu’ilesttempsdejeterdescailloux.Tomasritetramasseunegrossepierrequ’ilenvoieaumilieudelaroutequinousfaitface.Elle
ricochesurlemacadam.Ilrecommencedanslesdeuxautresdirections.Toujoursrien.–Etmaintenant?Jene saispas.Nous examinons lespossibilités.Toutdroit et àgauche, les rues sontbordéesde
bâtiments.Surladroite,unimmeubleretientnotreattention.Ilestplushautquelesautresetsurmontéd’undôme.Lacuriositénouspousseàalleryfaireuntour.Mais c’est impossibled’y entrer.L’intérieur est totalement effondré et toutes lesouvertures sont
bouchées.Est-cequenoussommescenséstrouverunmoyen?Tomasramasseunenouvellepierreetlabalancesurunevoléedemarches.Rien.Jeluidemanded’enjeteruneautre,justepourêtresûre.Ilobtempèreetcettefois,lapierreatterrit
sur un mur en partie écroulé. Silence puis… un cliquetis. Et une explosion. Message reçu. Toutetentativedesedétournerduchemintracéserapénalisée.Nouspoursuivons toutdroit.Saufquenous tombons là aussi surune impasse.Nousneprenons
mêmepas lapeinede jeterdespierres.Demi-tour.Nousprenons àgauche.Comme l’indiquent lesenseignesenpiteuxétat,cetteruedevaitêtrecelled’unquartiercommerçant.Nouspourrionspeut-êtretrouverdestrésorsderrièrecesdevantures,maisnousnenousarrêtonspas.Jusqu’àcequenousnousretrouvionsunenouvellefoisdevanttroispossibilités.Nousallonstoutdroitetsommesstoppéspar les décombres d’une récente explosion. Encore demi-tour. Et soudain, je comprends. Noussommesdansunlabyrinthe.Quandj’étaispetite,monpèrenousdessinaitdeslabyrinthescompliquésetnousdemandaitdeles
résoudre.C’étaitunpeucommeunecourse.Mesfrèresetmoienavionschacununetpapadonnaitledépart.Unefoisquenousavionsprislecrayon,nousn’avionspasledroitdelereposer.Sinousnousretrouvionsbloqués,nousavionsperdu.Ilvoulaitnousapprendreàréfléchiraulieudefoncerdroitdevantnous.Peut-être cela lui venait-il de fragments de souvenirs du Test ?Àmoins que ce n’ait été qu’un
moyendepasserletempsdurantleslonguessoiréesd’hiver.Maispeuimporte.Jepeuxaujourd’huiutilisercequ’ilm’aenseigné.Sinousnesommespasplusprudents,nouspourrionsnousretrouvercoincésdanscelabyrinthejusqu’àcequenosprovisionssoientépuisées.
Je propose à Tomas de nous arrêter pourmanger. Il n’est pas tard,mais il accepte.Nous nousasseyonsaumilieude la rueet sortons lepoulet froid.C’estcequi risquedes’avarier leplusviteaveccettechaleur.Toutenmangeant,j’examinelacarte.Laroutequisortdelavillesetrouveausud-ouest. C’est la direction que nous devons prendre. Ce n’est pas grand-chosemais ça suffira pourcommencer. Nous remontons sur nos vélos. Encore une intersection. Nous prenons à gauche.Impasse.Demi-touretcette fois,enface.Noussommes trempésdesueuretmêmeavec lecompas,nousavonsdumalànousyretrouver.Lanuittombeetnousobligeàinstallernotrecampement.Nousrestonsaumilieudelaroute,prèsd’uneimpasse.Decettefaçon,nousverronsledangerarriver.Nous finissons le poulet et gardons les légumes et le dernier sachet de fruits secs pour demain
matin.Nousavonssoifetn’avonspasd’autrechoixquedeboirel’eaudelamarepolluée.Ellen’estpasbonnemaisniTomasnimoinedétectonsungoût caractéristiquedepolluantmortel. Il y a aumoinsunpointpositif:lablessuredeTomasnes’estpasrouverte.J’yréappliquedudésinfectant.–Monmédecinestlemeilleurdelarégion,déclareTomasenm’embrassant.Nousnetardonspasànousendormir.Lelendemain,nousnousretrouvonsfaceauxmêmesdifficultésquelaveille.Impasses,demi-tours,
encoreetencore.Plusinquiétantencore,nousdistinguonsdesvoixdanslesruesadjacentes.Nousnesommespasseulsdanslelabyrinthe.Une explosion retentit. Suivie d’unhurlement.Puis d’un autre.Et le silence.Nouspédalonsplus
vite.Impasse,demi-tour.Audébut,quandnousnousretrouvonsbloqués,nousessayonsdeblaguermaisaufuretàmesure
queletempspasse,nousn’enavonspluslecourage.Noussommescouvertsdesueuretdepoussière.Nousmangeonsnosderniersfruitssecs.Tomastrouveunvieuxrouléàlacannelledanslefonddesonsacetlepartageendeux.Heureusement,l’eaunenousapasrendusmalade.C’estdéjàça.Maisleproblème est que nous n’en avons plus beaucoup.Et dans le ciel, pas lemoindre nuage promessed’averse.Lesmusclesdemescuissesprotestentalorsquenousgravissonsunecôteendanseuse.D’enhaut,
nous avons une chance d’avoir une vue d’ensemble de la ville. Lamain en visière, il me sembledistinguerledômedubâtimentquenousavonsvuenarrivant.Ilesttrès,trèsloin.Tomassourit.–Çaveutdirequ’onestbientôtaubout,non?Cette idée nous redonne un peu d’espoir.Quand nous arrivons de nouveau devant une impasse,
Tomasdéclare:–C’estladernièreavantlasortie.Etnousrepartons.Soudainunbruitdebottessurlemacadamnouspétrifie.Quelqu’uncourt.Toutprès.Tomasmefait
signedemeremettreàpédaler.Jelesuis.Impasse,demi-tour.Les pas se rapprochent. Tomas et moi échangeons un regard. Nous descendons de nos vélos,
prenonsnosarmesetnousallongeonsausol.J’aperçois d’abord l’ombre. L’ombre d’une arme dans une main. Mon index se crispe sur la
détente.L’ombrevientversnous.Jedoismetenirprête.Sil’ombrenousveutdumal,jedoistirerlapremière.Sansattendredeconnaîtresesintentions.L’ombredevientunesilhouette.Jedoislefaire.Maisjenepeuxpas.SiTomasmeurt,ceseramafaute.Saufqu’aulieud’uncoupdefeu,j’entends:–Cia,Tomas,c’estvous?Avantd’avoircomprisquejenevaispasmourir,jesuissoulevéeetécraséecontrelapoitrinede
Willquinepeutpass’arrêterderire.Jem’accrocheàluienriantmoiaussi.Ilsentmauvais,lasueur,
lapoussière, le sang.Maisçam’estégal. Jenedoispas sentir la rosenonplus. Jemedemande siNicoletteetZandrisontaussienvie.–C’estgénialqueTomasettoisoyezensemble.Jenepensaispasvousretrouver!Commentvous
avezfait?Jeréponds:–Tomasesttombésurmoialorsquej’étaisentrèsmauvaiseposture.Ilm’asauvéed’unebaignade
forcéeetpeut-êtremêmedelanoyade.Inutiledeluipréciserquenousavionsprévudefairelarouteensemble.Çamettraitenévidenceque
nousne les avionspas inclusdansnotreplan. Je remarquequeWill a unbandage imbibéde sangséchéàl’épaule.–Qu’est-cequ’ilt’estarrivé?Tuvasbien?Willsecouelatête.–Riendegrave.Unepetitedisputeavecunebranche.J’insiste.–Tuessûrquecen’estpasinfecté?Tuneveuxpasquejeregarde?– Non, je t’assure. Tout va bien. On devrait plutôt essayer de sortir de ce foutu labyrinthe. Je
commenceàarriverauboutdemesréservesd’eauetdenourriture.J’aimeraisconvaincreWilldemelaisserexaminersaplaiemaisTomasprendlaparole.–Willaraison.Ilfautqu’onsorted’ici.Nousrécupéronsnosvélos.Willnousdemandeoùonlesaeus.Tomasn’apasl’aird’avoir très
envie de parler et je raconte donc toute l’histoire àWill. En échange, il nous décrit la trottinetterouilléequ’iladécouvertedansungarage.Aprèsl’avoirretapée, ilestvenujusqu’iciparlamêmeroutequenous.–Maisdepuisquejesuislà,jepassemontempsàmeretrouverbloqué.Çam’atellementénervé
que j’ai moins fait attention. J’ai glissé dans une descente et je me suis cassé la gueule. J’ai dûbalancerma trottinette. Je crois qu’il va falloir que jeme trouve un autremoyen de déplacement,surtoutsijeveuxfairelarouteavecvous.Pendantquenouscontinuonsàcherchernotrechemin,Willnousracontesonpériplequimeparaît
beaucouppluspaisiblequelenôtre.L’eauqu’ilabueledeuxièmejourl’arenduunpeumalademaisjusqu’àprésent,ilaréussiàtrouverlesressourcesnécessaires.Quandilsortdesonsacunrouleaudefildefer,jesuisprêteàl’embrasser.Sinousarrivonsàsortird’ici,nousn’auronsplusdeproblèmepourattraperdespetitsanimauxbonsàmanger.JesuistellementcontenteaveccefildeferqueWillmeproposedelegarder.J’enmeursd’enviemaisjerefuse.–C’esttoiquil’astrouvé.Ilestàtoi.–Prendsçacommeuncadeauderemerciement.Situnem’avaispasempêchéd’alleràl’infirmerie
aprèsladeuxièmeépreuve,jeneseraispluslà.Aucundescandidatsn’enestrevenu.Ilbaisselavoixpourajouter:–Etpuis, jene suispas sûrdevenir avecvous. J’ai l’impressionqueTomasabien enviede te
garderpourluitoutseul.J’aimerais pouvoir le contrediremais il est vrai queTomas n’a pas beaucoup ouvert la bouche
depuisquenousavonsretrouvéWill.Etquandilprendlaparole,sontonn’estpasdesplusaimables.Pourlemoment,ilmarchedevantnous.Assezprèspournousentendremaispasassezpourparticiperàlaconversation.Jesuissûrquecen’estpasunetrivialequestiondejalousie.Tomassaitmieuxquepersonnequecen’estnilelieu,nilemoment.LefaitqueWillsoitàpieddoitletracasser.Sinousfaisons équipe avec lui, nous serons obligés de ralentir notre allure. Cela dit, Tomas ne doit pasoublierqu’ilestblessé. Ilboitedeplusenplus.Nousdevons trouverde l’eau leplusvitepossiblepourquejepuissedenouveaunettoyersablessure.
Detoutefaçon,c’estinutiledes’inquiéterdetoutçamaintenant.Noussommesdenouveaudevantuneimpasse.Nousretournonssurnospas.Aucarrefoursuivant,nousn’avonsquedeuxpossibilités:droiteougauche.Laboussoleindiquequelasortieestàdroite.Tomas remarque que les buildings sont de moins en moins hauts. C’est sûrement bon signe.
J’aimerais sauter sur mon vélo et foncer voir si nous sommes encore loin. Nous parcourons unkilomètresansintersection.Puisdeux.Nossouriress’élargissent.Lesédificessefontdeplusenplusraresetenfin,ilnerestequelaterrecraquelée,quelquestouffesdeplantesçàetlàetlaroutequisedérouledevantnous.Auboutdequelqueskilomètres,Willnousdemande:–Çavousennuiequejepasselanuitavecvous?Jeneveuxpasêtreunpoidsmaisceseraitcool
d’avoirdelacompagnieunpeupluslongtemps.–Biensûrqueoui,s’empressed’accepterTomas.Onpeutcamperensemble.Jenotequ’ilalimitésaréponseaucampement.Etjesaisqueçanevapasluiplairemaisj’ajoute:–On doit chercher à boire et àmanger demain. Peut-être qu’on te trouvera aussi unmoyen de
locomotion.Commeça,onpourrarestertouslestrois.Willhochelatête.– Ce serait chouette. Mais seulement si je peux aller aussi vite que vous. Je ne veux pas vous
ralentir.Plustôtvousarriverez,mieuxcesera.Tomas semble se détendre un peu. Nous marchons jusqu’à ce que le soleil effleure la ligne
d’horizon. La clôture sud est visible et derrière j’aperçois le scintillement d’un point d’eau. Ellesemblesiclaireetsitentantequejemedemandes’ilnes’agitpasd’untestdestinéàvérifierquenousnebrisonspaslesrègles.Nouschoisissonsdecamperaupiedd’ungrosrocher.PendantqueWilletTomass’occupentdu
feu, jepars enquêtedenourriture.La terre est encore plus sèche ici que dans les zones que nousvenonsdetraverser,maisdel’autrecôtédelaclôture,j’aperçoisdesplantespleinesdevie.Lepointd’eauestunlac.C’estluisansaucundoutequiirriguelavégétation.Malgrémafrustrationdenepaspouvoirl’approcher,jeramassedesfeuillesdepissenlit,desoignonssauvagesetdutrèfleblanc.JefabriqueaussiquelquescolletsaveclefildeferdeWill.Cesontmesfrèresquim’ontapprisetavecunpeudechance,j’attraperaibienquelquechose.Monestomaccriefamine.Willn’aplusrienàboire.Tomasetmoipartageonsavecluicequenousavons.Àlanuittombée,il
ne nous reste que deux ou trois gorgées dans la gourde. Trouver une source sera notre prioritédemainmatin.Tomasinsistepourquenousprenionschacununtourdegardepourlanuit.–Ànoustrois,ceuxquidormentaurontletempsdebiensereposer.Jen’aiaucuneenviederevivre
l’expérienced’avant-hieraveclesbêtesquinousontattaqués.NouslaissonslefeualluméetTomasm’embrasseavantdegrimpersurlerocherpourprendrele
premierquart.J’aiétédésignéepourledernier.
Willmesecouepourmeréveilleravantdesecoucheretderapidementsombrerdanslesommeil.Dans la faible lumièredufeu, jevois lesépaulesdeTomasse relaxeralorsqueWillcommenceàronfler.Est-il restééveillépendant toute lagardedeWill?Jepensequeoui.Jesuisdéchiréeentremonagacementquem’inspirelemanquedeconfiancedeTomasetlaculpabilitéd’êtrepeut-êtretropcrédule.Maisquoiqu’ilensoit,lemalaisedeTomasm’obligeàreconsidérermonenviedevoyageravecWill.Le chant des oiseaux annonce l’arrivée de l’aube. J’ai promis à Tomas de le réveiller dès les
premièreslueursmaisjedécidedelelaisserdormirencoreunpeuetd’allerrelevermespièges.Unlapinmaigrichonmaistoutàfaitmangeables’estlaisséprendre.Jesuisfièredemoi.Jereviensverslecampementenlongeantlaclôturedansl’espoirdetrouverautrechoseàmanger.
Unepoignéede carottes sauvages et de trèfle finit dansmon sac. Jem’apprête à rejoindreWill etTomasquand le craquement d’unebrindilleme fait sursauter. Jeme retourne, prête à affronter unanimal,mais,là,del’autrecôtédelaclôture,ilyaunhommeauxcheveuxgrisquimesourit.
CHAPITRE16
Avantquej’aieletempsd’ouvrirlabouche,l’hommejetteunsacpar-dessuslaclôtureetpartencourant.Je fixe lesacàmespiedsenmedemandants’il s’agitd’unnouveau test.Dois-je regarderdedansaurisquequ’ilm’exploseauvisageouvaut-ilmieuxlelaisserlàoùilest?C’estd’ailleursplusuneboursequ’unsac.Entoilerêcheetbrune.Rienàvoiravecletissufabriqué
par lesmanufacturesde laCommunautéUnifiée.Lesvêtementsde l’hommeétaientusésmaisbienreprisés.Sonvisageétaitburinéparlesoleiletlevent,soncorpsmusclécommeceluidequelqu’unhabituéàtravaillerdur.Unpeucommemonpère.Rienàvoiraveclesofficielsquej’airencontrés.Quiétait-il?UndesrebellesévoquésparMichalchezlamagistrateOwens?Nousavonsapprisen
histoirequedifférentesoptionsseprésentaientauxsurvivantsaprèslaSeptièmeÉpoquedelaguerrepourrevitaliser la terre : regrouper tout lemondeetcréerungouvernementcentraliséoulaisseràchacun le choix d’avancer comme il le pouvait. Ceux qui ont refusé la CommunautéUnifiée sontdevenusdesrebelles.Maispourquoi,danscecas,l’hommea-t-illancésonsacsurunterritoiredelaCommunauté?Aprèsplusieursminutesd’hésitation,macuriositél’emporte.Jeramasselesacenespéranttrouver
des réponses à mes questions à l’intérieur. Mais je ne découvre qu’un petit morceau de pain, dufromage,unsachetderaisinssecsetunebouteilled’eau.Jel’ouvreetjelarenifle.Ellesemblepure.Uneoudeuxgouttesdemesrévélateurschimiquesleconfirment.Jecontemplecesaliments.L’eauestunebénédiction.Ainsiquelerested’ailleurs.Maisjenepeux
paslespartageravecmescompagnons.S’iln’yavaiteuqueTomas,jeluiauraisfaitsigned’enleversonbracelet,maisWillnesaitriendumicroqu’ilportesurlui.Etjeneleconnaispasdepuisassezlongtempspour être sûrede sa réaction si je le lui révèle. Il pourrait très biennous trahir sans levouloir et ruiner le seul avantage que nous avons sur le comité de Test. Il est également hors dequestionque lesofficiels apprennentque jeviensde recevoirde l’aidede l’extérieur. Jen’osepasimaginerquelleestlapénalitépourunetelleinfractionaurèglement.Nesachantpasvraimentquoifaire,jeverselecontenudelabouteilledansmagourdeenattendant
detrouverunbonprétextepourenfaireprofiterWilletTomas.Deretouraucampement,jeranimelefeuetdépècelelapinpendantquedescentainesdequestions
metournentdanslatête.J’ai appris en écoutant les autres candidats au centre de Test que les Cinq Lacs est une colonie
plutôtbienpourvue.Nousmangeonsànotrefaimetcen’estapparemmentpaslecaspartout.Alorspourquoicethommeoffrirait-ilsaprécieusenourritureàuneinconnue?Sait-ilpourquoijesuislà?Sait-ilquenoussommesplusieurs?L’odeurdulapingrilléréveillemescompagnons.Etmoi,jen’aitoujourspasderéponsesàmesquestions.Àlavuedelaviande,Willexécuteunepetitedansedejoie.IlmefaitpenseràmonfrèreHaminles
soirsdeNoël.C’estpeut-êtreparcequ’ilressembleàmonfrèrequej’aienviedeluifaireconfiance.NiTomasniWillneposentdequestionssurlaquantitéd’eaudanslagourde.Nous levons le camp, l’estomac plein, prêts à reprendre la route. Je marche derrière mes
camarades,lesyeuxfixésverslaclôture.Nousparcouronsquinzekilomètressanscroiserdepointd’eau.Enrevanche,unpommiersauvage
fait notre bonheur et nous remplissons nos sacs de petits fruits durs. Dix kilomètres plus loin, jecommenceàmedirequ’enrestantsurlaroutenousn’avonsaucunechancedetombersurunesourceouunemare.LesmembresducomitédeTestn’aurontcertainementpasvoulunousfaciliterlatâche.Jem’arrêtepourproposerunplanauxautres:–Ilfaudraitquel’und’entrenousparcourelesenvironsàvélo.Ilpourraitcouvrirplusdedistance
etauraitplusdechancesdetrouverdel’eau.–Jeveuxbienyaller,accepteWill.MaisTomasprotesteaussitôt:–Sansvouloirtevexer,Will,quinousditqu’unefoisquetuauraslevélo,tun’enprofiteraspas
pournouslaisserenplanetfoncerverslaligned’arrivée?Willhochelatête.–C’estvrai,jepourraisfaireça.Savoixestcalme,maissesyeuxscintillentdecolère.– Je pourrais te donner ma parole, mais je comprends que ça ne te suffise pas dans ces
circonstances.Mêmes’ilmesemblequetapetitecopinesauraits’encontenter.Mais jepariequetun’accepteraspasnonplusquejeresteseulavecellependantquetuparsenéclaireur?–Tuasraison,acquiescefroidementTomas.Jene laisseraisCiaseuleavecpersonne.Pasmême
avectoi.Sespoingssontserrés.CeuxdeWillaussi.–Etalors,onfaitquoimaintenant,hein?siffle-t-il.J’interviensavantqueTomasaitletempsd’envenimerlasituation:–Cequ’onfait?Ehbien,vousdeux,vousrestezàtranspirerpendantquejevaischercherdel’eau
pournoustous!Je n’ai pas essayé d’adopter un ton aimable. Ils sont prêts à se battre et même si je suis
reconnaissante à Tomas de vouloir assurer ma protection, leur petit numéro de machos m’agaceprofondément.Commesionn’avaitpasautrechoseàpenser.JelanceàTomaslagourdepresquevide.–Jevaisenprofiterpourposerdescollets.Jevouslaisseraidesmarquespourvousindiqueroùils
sontaucasoùvousyarriviezavantquej’yrepasse.Etessayezdevouscomporterenadultespendantquejemedonnedumalpournousgardertousenvie.Sivousn’enêtespascapables,vousmériteztouslesdeuxd’échoueràcetteépreuve!J’enfourcherageusementmonvéloetjem’éloignesansunregard.Tomasmecried’attendre,mais
je l’ignore.Cesdeuxidiotsvontdevoir résoudre leurdifférend toutseuls.L’idéequ’ilssontarmésm’inquiète unmoment,mais je décide de ne pasme tracasser.Ma colère s’éteint àmesure que jem’éloigned’eux.C’estvraiqu’ilsontdépasséleslimitesmaismaréactionétaitégalementexagérée.J’aimoiaussibesoindegrandir.Aprèsm’êtreassuréegrâceautranscommunicateurquej’aiparcouruquinzekilomètres,j’attache
unmorceaudedrapàunbuisson, j’installedes collets et je commencemonexploration,directionnord-ouest.Lesoleilesthautdansleciel.Ilfaitchaud.Lourdenfait.Avecunpeudechance,nousauronsdela
pluie.Jesuiscontentedem’êtregardéunpeud’eaudanslabouteillesecrèteaufonddemonsacetjesuisencoresuffisammenténervéeparlesgarçonspourmangerlemorceaudefromagesanstropde
culpabilité.Jepoussemonvéloenobservantlesolàlarecherched’éventuellestracesd’animaux.S’ilyaun
pointd’eau,ellespourraientm’yconduire.Jedécouvredesempreintesderaton-laveuretjelessuis.J’ai parcouru cinq kilomètres et je suis sur le point d’abandonner quand je distingue au nord unelégèredépressiondeterrain.Toutautour,lavégétationestunpeumoinsmaladive.Jem’approche.Ils’agitenfaitdelaberged’unpetitruisseau.Jesorsmonkitpourpurifierl’eauet
remplirmagourdeavantderepartir,trèscontentedemoi.Sicontentequej’entendslebruittroptard.Avantque j’aie le tempsdesortirmon revolver,mabicycletteest renverséeet je roule sur le côtépouréviterdejustesseunanimalquibonditsurmoi.Iln’attendpasquejereprennemesespritsavantdelancerunedeuxièmeattaque.Jehurle.Sesgriffesmedéchirentlebrasgauche.Mêmesij’arrivaisàrécupérermonvélo,jen’aiaucunechancedeledistancer.Jerampepourluiéchapperetparviensàmeredresser.Jesorsmonrevolverdemonsacetjevise.L’animalestplutôthautsurpattes,sespoilssontrouxetemmêlés,sondosbossu,sesbabinesretrousséessurdesdentsnoircies.Jetire.Lesyeuxdel’animals’écarquillent.J’ylisdelapeuretdelacolère.Sapoitrineseteintede
rouge.Etils’écroule.Sondernierglapissementressembleàunappelàl’aide.C’enétaitpeut-êtreun,carmaintenantqu’il nebougeplus, jepeuxplongermon regarddans les yeuxbleu foncédemonassaillant.Cenesontpasceuxd’unebête.Ilssonttropintelligents.Ilsressemblentbeaucouptropauxmiensquand jeme regardedans le réflecteur.Etmalgré le corpsdéformé, je n’ai aucundoute, jeviensdetuerunêtrehumain.Jen’aipas le tempsdemelaisseralleràmesémotions.Jeramassemabicycletteetalorsque je
m’apprêteàpartir,troisautressauvagesapparaissent.Quandilsremarquentlecorpsquigîtausol,ilspoussentuncri emplidedouleurquime faitmonter les larmesauxyeux.Puis legémissement estremplacéparungrognement.Ilsselancentàmapoursuite.Ilssontbeaucoupplusrapidesquemoi.Lapollutionquiamodifiéleurcorpsl’aégalementpourvu
d’une incroyabledétente. Ilscourentens’aidantde leursmains. Ils sont terrifiants. Ilyaunepetitecolline. Je lagravisàperdrehaleine. Ilsgrognent etprononcentdesmots incompréhensiblespourmoi,maisjesaisqu’ilscommuniquententreeux,échangentsurlameilleurefaçondem’attraper.Mablessuresaigne.Lachaleuretl’épuisementmedonnentletournis.Sijeralentis,jesuismorte.
Je pédale endanseuse, j’atteins le sommet de la colline, je saute demon vélo et tends les bras, lerevolvercrispédanslesdeuxmains.Ilssonttoutprès.Àmoinsdedixmètres.Jeviseleplusàgauche.Maisjenetirepas.Jeneveuxpas
les tuer. Ce sont des humains. Des humains très différents de moi mais nous avons les mêmesancêtres.Toutcequel’onm’aenseignédansmonenfancemepousseàvouloirleurparler.Àvouloirlesaider.Pourtant,jepresseladétente.Lepremiers’étreintlajambeettombeenglapissant.Celuidumilieusetourneverslui.Jetirede
nouveau.Auniveaudelapoitrine.Etiltombe.Ledernier,leslèvresretroussées,sejettesurmoi.Maballeluiexploselecrâne.Ilestmort.Lesdeuxautressontsuffisammentblesséspourêtreincapablesdeserelever.Unepart
demoiveutenterrerceluiquiestdécédé,maisdetoutefaçon,jen’enaipasletemps.Jedoispartiravantqued’autresarrivent.Jeremonteàvélo.Jecontinueàperdredusangmaisjenem’arrêtepasavantd’êtrearrivéeàlaroute.Jem’assoissur
l’asphaltebrûlantetjeprendsmatroussedesecours.Les cinqgriffuresparallèlesdequinzecentimètresde long sontvilainesmaispeuprofondes. Je
peuxbougerlebras,cequiprouvequenilesmusclesnilestendonsn’ontététouchés.Jenettoielesplaies et y applique du désinfectant avant de les protéger d’un bandage. Je pleure sans pouvoirm’arrêter.Enenfilantune tuniquepropre, j’accrochemonbraceletdans le tissu. Jemedemande si
ceux qui m’écoutent ont apprécié ce qu’ils viennent d’entendre. Est-ce que les coups de feu lesexcitent?Pensent-ilsque j’ai tuéuncandidat?Est-cequeça leurdonneuneplushauteopiniondemoi?Comprennent-ilsquejesuisblessée?Enont-ilsquelquechoseàfaire?Jevoudraispouvoir rester là,sansbouger,mais jemeforceàme lever.Le transcommunicateur
m’apprendquej’aiparcourucinquantekilomètresaujourd’hui.WilletTomassontquelquepartsurlarouteetilsontbesoind’eau.Àvraidire,uneautreraisonmepousseàlesretrouver:j’aipeurd’êtreseule.Peurd’affronterla
nuitsanseux.Peurd’affrontermaconscienceaussi.Jeviensdetuerdesêtreshumains.Maismesjambesrefusentdem’obéiretlesoleildéclineàl’horizon.Jemangelepainquimereste
etquelquesraisinssecs.J’ignorecombiendetempsilmefautpourrejoindreWilletTomas.S’ilssesonteuxaussiarrêtéspourchercherdel’eau,ilssontpeut-êtrebeaucouptroploinpourquej’aielamoindrechancedelesretrouveravantlecoucherdusoleil.Jecherchedesyeuxunendroitoùcamper.Unendroitoùjeneseraispastropexposéemaisd’oùj’auraisunebonnevuesurlaroute.Aprèstroiskilomètres, jemedécidepourunbosquetaubordde laclôture.JenoueunmorceaudedrapàunebranchepourprévenirWilletTomasquejesuislà,aucasoùilsdécideraientdecontinuerd’avancerdurantlanuit.Jedormiraissûrementplusconfortablementparterre,mais,aprèsavoircachémonvéloaumilieu
deshautesherbes,jedécidedegrimperàunarbrepourmesentirplusensécurité.Cen’estpasfacileavecmon bras blessé. Jememords les lèvres pour ne pas crier de douleurmais je ne laisse pastomber.Jeserrelesdentsetfinisparparveniràmehisser.Caléeentreplusieursgrossesbranches, je suis sûredenepas tomber si jem’endors.La lunese
lève.J’aimeraisquemamèremecaresselescheveuxcommeellelefaisaitquandj’étaismalade.Jevoudraisêtrechezmoi.Je garde les yeux fixés sur la routemais sansm’en rendre compte, je ferme les paupières et je
m’endors.Des mains me saisissent. Des griffes pénètrent ma chair. L’homme sauvage ne grogne plus
d’inintelligibles syllabes mais crie mon nom. Des larmes roulent sur ses joues. Ses yeux siintelligentsmesupplientdel’épargner.Maisjetire,encoreetencoreetencore.Jemeréveilleensursaut.Jenesuisplussurlacolline.Jesuisseule.Lanuit est déjàplusgrisequenoire.Mon fanionde fortune est toujours enplace auboutde sa
branche.TomasetWillnesontpaslà.Je descends de mon arbre. Mon bras me fait mal. Beaucoup plus qu’hier. J’avale des cachets
antidouleuravantdenettoyerlaplaie.Ellenesemblepasinfectée,cequimerassure.Unbruitsourdmefaitsursauter.Jefaisvolte-face,lerevolveràlamain.Aupieddel’arbre,jedécouvreunsacbruncommeceluiquel’hommeauxcheveuxgrism’adonnéhier.Cettefois,jen’hésitepasàleramasser.Del’eau,deuxpommes,unetranchedepain,dufromageetcequiressembleàunmorceaudepouletfroid.Pasdemot.Monbienfaiteurn’estnullepartenvue.Jemesensmieuxaprèsm’êtrerestauréed’unepommeetdepoulet.Lescachetsfontdel’effet.Je
récupèremonmorceaudetissuetj’enfourchemabicyclette.Jeretrouvemescompagnonsquelqueskilomètresplusloin.Épuisésmaisvivants.DèsqueTomas
mevoit,sonvisages’éclaire.Lecœurgonflé,j’accélère,jesautedemonvéloetjemejettedanssesbras.Nousnousembrassonsetpendantquelquesinstants,j’oublielaprésencedeWill.QuandTomasetmoinousséparons,jeluidéposeunbaisersurlajoueetluitendslagourdepleined’eau.–Tuvois,lanceWillàTomas.Jet’avaisditqu’elleallaitbienetqu’elleavaittrouvédel’eau.Ilavaledeuxgrandesgouléesavantd’ajouteràmonintention:
–Et tes collets ont trèsbien fonctionné.Ona eudeux écureuils et une espècede renardmutant.Dommagequeçan’attrapepaslesvélossauvages,hein?Jehochelatête.–J’aipenséàtonproblème,Willet…–Qu’est-cequit’estarrivé?m’interromptTomasenremarquantmonpansement.Çava?–Oui,çava.Jen’étaispaslaseuleintéresséeparl’eaudeceruisseau.Jeleurracontesanstropdedétailscequim’estarrivé.Tomasmeposedesquestionsauxquellesje
réponds aussi brièvement que possible.À aucunmoment, je ne précise quemes assaillants étaienthumains.Et jenefaispasmentiondes troisquim’ontpoursuivie.C’estensuiteàmon tourde leurdemandercomments’estpasséleurtrajet.Àleurexpression,jedevinequ’ilyaeuunproblème.TomasdétourneleregardpendantqueWillsoupire:–Aprèstondépart,nousavonsbeaucoupcriéetilsepourraitqu’onsesoitaussiunpeubattus.Et
puis,onadécidéd’arrêterdesecomportercommedescrétinsetdecontinueràavancer.Versmidi,ons’estretrouvéàcourtd’eau.Etonarencontréunautrecandidat.–Qui?Quelqu’unquel’onconnaît?Willsecouelatête.–UntypedelacoloniedeColoradoSprings.Iln’étaitpassuperravidenouscroisermais…ila
étéplutôtcool,pasvraiTomas?Ilaacceptédenousdonneràboire.Tomashausselesépaulessansunmot.Jefroncelessourcils.–Etilestoùmaintenant?JenesuispasétonnéequeTomasneveuillepass’adjoindreunautrecompagnonde route,mais
maintenant,nousavonsquelqu’underrièrenousquisaitoùnoussommes.Etl’idéenemerassurepasdutout.Willreprendunegorgéed’eauavantdepoursuivre:–J’aiessayédeconvaincreTomasdelaissercetypeveniravecnousmaisilarefusé.Onl’alaissé
ilyaunevingtainedekilomètres.Ilétaitplutôtmalenpoint.Jepensequ’ilvoulaitsereposerunpeu.Iln’estpasprèsdenousrattraper.Tomas m’adresse un sourire forcé et évite mon regard.Will ne me dit pas tout. Il s’est passé
quelquechosedegrave.Ilsrépondentàpeineàmesinterrogationssuivantesetjen’apprendsriendeplussurlesecretqu’ilspartagent.Nousrepartons.Willnousassurequ’ilcomprendrasinousvoulonsutilisernosvélosmaisj’insiste
pourquenous restionsencoreensemble.Laprésencedesdeuxgarçonsme rassure.Plus tarddansl’après-midi,nousrepéronsdesbâtimentsàl’horizon.Sansdoutelesrestesd’unepetiteville.–Bon,j’aipeut-êtreunechancedetrouverquelquechose,lanceWill.Jeparsenexploration.Sije
dégottecequ’ilmefaut,jevousretrouvedemain,sinon…rendez-vousàlaligned’arrivée.Tomas lui recommanded’êtreprudentmais son sourirene laisse aucundoute : il est contentde
voirWillpartir.Ilnouslaisseunepartiedelavianded’écureuiletderenardetmeserrecontrelui.–Faisattentionàtoi,Cia,memurmure-t-ilàl’oreille.Tonpetitcopainn’estpasletypecoolqu’il
essaiedeparaître.Jevousretrouvedemainsoir.Jusque-là,surveilletesarrières.Jeveuxluidemanderdesprécisions,l’obligeràmeracontercequiaobscurcileurregardàtous
lesdeux,maisjenepeuxpas.Wills’éloigne.Jedevraiéclaircircemystèreseule.Tomasn’estpasd’humeuràdiscuter. Ilmarchevite, sûrementpouressayerdemettre leplusde
distancepossibleentreWilletnous.Oubienentreluietcequis’estpassépendantmonabsence.Jedoisallongerlepaspourlesuivre.J’aimalaubrasetmoncorpsréclamedureposmaisjecontinuejusqu’àcequeleciels’assombrisse.Nousnousasseyonssurlarouteetalorsquejesorslaviandedemonsac,Tomasmedemande:
–Laluneestclairecesoir,tutesenscapabled’avancerencoreunpeuaprèsmanger?– Pourquoi ? Enfin, moi aussi je veux finir ce Test le plus vite possible, mais on dirait qu’un
démontepoursuit.Raconte-moicequis’estpassépendantquetuétaisavecWill!Tomashausselesépaules.–Rien,c’estjustequ’onaperdubeaucoupdetempsdanslelabyrintheetonnesaitpascequeles
officiels nous ont préparé pour nous ralentir. Je pensais qu’on pourrait essayer de prendre del’avance.Ses arguments sont logiques mais pourquoi crispe-t-il la mâchoire ? Et pourquoi serre-t-il le
poing?C’estseulementàcemomentquejeremarquelalamedesoncouteau.Elleesttachéedesang.Jepenseévidemmentaugarçonqu’ilsontrencontré.Non,iln’apasfaitça.Pourtant,sonmalaiseetlesavertissementsdeWill…Non.JeconnaisTomasdepuisdesannées.C’estungarçondoux,serviableetattentionnéquetoutle
mondeapprécie.Ilest incapabled’un telgeste.Cesangvientsansdoutede l’écureuiloudurenardqu’iladécoupé.Etmêmesicen’estpaslecas,ilnes’enseraitpasprisàunautrecandidatsansunebonneraison.Ilsuffitquejeleluidemande.Pourtant,jen’arrivepasàformerlesmots.Jemange,jeboisetjeremontesurmonvélo.Quandnousnousarrêtonsenfinpourdormir,Tomasinsistepourquel’undenousdeuxmontela
garde.Aprèsmarencontredelaveille,jen’aipasd’objection.Ilprendlepremierquartdeboutprèsd’unarbre.Àlalumièredelalune,jelevoisessuyerdeslarmes.J’aienviedelerejoindremaisilmecroitendormie.Cechagrin luiappartient. Jesuismalheureusequ’ilneveuillepas lepartageravecmoi,maisaprèstout,j’aidessecretsmoiaussi.Dessecretsquim’empêchentdetrouverlesommeiletquandenfin,jeparviensàm’endormir,ilsmepoursuiventdansmesrêves.Tomasmeréveilleaumilieud’uncauchemarpleindecoupsdefeuetde lamesensanglantées. Il
m’embrasseetmedemandesijevaisbien.Non,maisjesourisetprétendsquecen’étaitrien.Encoredessecrets.Puisquejenedorsplus,jevaisprendremontourpourqu’ilpuissesereposer.Jem’assoissouslemêmearbrequeluimaisaulieudesurveillerlaroute,jegardelesyeuxfixéssurlaclôture.Personnenevient.Lejourselève.Nousremontonssurnosvélos.Tomasalestraitstirés.Iléludetoutesmestentativesdeconversationetquandilouvrelabouche,
c’estpours’inquiéterdumanqued’eauetdenourriture.Jefaisdemonmieuxpourresteroptimistemaisunpontsedessineauloinetsouscepont,uneville.Lapeurm’étreint.D’autresépreuvesnousattendentencore.Lepontmesureplusieurskilomètresdelongetenjambeunerivière.D’enhaut,ellesembleclaire
mais elle esthorsdeportée.Pour l’atteindre, nous serionsobligés de faire undétour deplusieurskilomètres.Ça fait peut-être partie duTest.Vaut-ilmieuxperdre du tempsouprendre le risquedechercherunpointd’eauailleurs?Uncandidatdésespéréneseposeraitpas laquestion.Nousne lesommespas.Nousensommesrécompensésquelqueskilomètresplusloin.Lamarequenouscroisonsn’estpas
d’une limpidité fantastique mais mes tests indiquent que nous pouvons remplir nos gourdes sansrisque.Lavillen’estplusqu’àcinqousixkilomètresetnosréservessonttrèsbasses.Mêmeavecmarationsecrète,nousnepourrionspassurvivreplusdequelquesjours.Aprèscequis’estpassédanslelabyrinthe,nousdevonsprendre le tempsde réfléchir.Tomasabeauavoir envied’avancer leplusvite possible, c’est lui qui proposequenous nous arrêtions avant d’entrer enville. Jem’empressed’accepter. Pendant queTomas s’occupe du feu, je vais poser des collets et ramasser des légumessauvages.Jesuisen traindedéterrerdescarottesquandunbruitde l’autrecôtéde laclôtureattire
monattention.L’hommeauxcheveuxgrissortdederrièreunbuisson.Ilmefaitsigne.Sanshésiter,jeretiremonbraceletd’identificationet je leposesur ledessusdemonsacavantdem’approcherdugrillage.
CHAPITRE17
Jen’aimêmepasprismonarme.Sicethommeavaitvoulumetuer,ilenauraiteul’occasionlorsdenotrepremière rencontre.J’aid’abordcruqu’ilétaitvieuxàcausedesescheveuxgrismaisdeplusprès,jem’aperçoisqu’iln’apasderides.Ilporteunechemisesansmanchesetunpantalonlarge.Ilesttrèsmusclé.Iltientàlamainunsaccommeceuxqu’ilm’adéjàdonnés.Jeleregardedroitdanslesyeux.–Mercipourlanourriture.Ilsourit.–Derien.J’attendsqu’ilpoursuivemaisilrestesilencieux.–Quiêtes-vous?–Justeunamiquiveutquetusurvives,répond-il.Monnomn’apasd’importance.Saréticenceàmedirecommentils’appellemerendméfiante.–Bon,merciencore.Jetournelestalonsmaisilmerappelle.–Situasunpeudetemps,jepeuxt’expliquerpourquoijet’aideetpourquoijenepeuxpastedire
monnom.Jem’immobilise.–Monnomn’auraaucunesignificationpourtoimaisilenauraunepourceuxquit’évaluerontàla
findeceTest.Sijesuissûrquetuneleurlivreraspasdetonpleingré,tupourraisnepasavoirlechoix.Jesuisrevenueprèsdelaclôtureetjel’observeattentivement.–Quevoulez-vousdire?–Ilst’ontparlédel’entretienquisuitleTest?Ilattendquej’acquiesceavantdecontinuer.– Juste avant, ils te feront avaler un produit qui t’obligera à répondre honnêtement à leurs
questions.Tunepourraspast’empêcherdetoutraconter.Mêmecequetuaimeraisgardersecret.Jelecroismaisjenevoispascequijustifiedetellesextrémités.Riendecequej’aivécudurant
cetteépreuvenepourraitm’attirerdevéritablesproblèmes.Biensûr,j’aicompriscommentenlevermonbraceletetcepourraitêtreunesourced’inquiétudepourlecomité,maisriendeplus.Mêmelefait que cet hommem’ait donné àmanger n’est pas spécifiquement interdit par le règlement. Lesépaulesenarrière,lementondressé,j’affirme:–Jen’airienàcacher.–Tuenesvraimentsûre,Cia?Il connaît mon nom. J’avais supposé que notre rencontre était due au hasard mais ce n’est
manifestementpaslecas.–Commentsavez-vousquijesuis?Êtes-vousunmembreducomitédeTest?Ilrit.–Non, loinde là. Je suis au contrairequelqu’unquipenseque ceTest est une foutaise. Jeveux
t’aider.Passeulementaujourd’hui,maisaussilorsquetudevrasfairefaceauxdangersdel’université.Jusqu’à présent,mon but était de sortir vivante de cette épreuve.Que l’université représente un
autredéfiàrelevermeglacelesang.Maiscen’estpaslemomentdem’eninquiéter,desquestionsplusurgentesmetrottentdanslatête.–SivousêtescontreleTest,pourquoim’aidez-vousàleréussir?Pourquoinepastoutsimplement
mepermettredem’échapper?–CommeledocteurBarnesvousl’asansdouteexpliqué,vousn’êtespasautorisésàquitterlazone
detest,expliquel’hommed’unevoixdouce.Laclôturen’estinoffensivequesivousn’essayezpasdelafranchir.Ilsortdesapocheunbraceletd’identificationdontlesymbolereprésenteuntriangleavecunœilà
l’intérieur.Aprèslatroisièmeépreuve,Tomasm’avaitdésignéungarçondesongroupe.Grand,avecdescheveuxrouxenbataille,ilavaitl’airgentil.–Ilaessayéd’escalader legrillage, reprendmoninterlocuteur. Ilestmortavantd’avoirposé le
pieddel’autrecôté.Jel’aienterrécommetoncamaradeettoil’avezfaitaveclajeunefillequevousaveztrouvée.Tousmesmusclesseraidissent.–Seulunmembreducomitépeutsavoirça!–C’estvrai.Maistouslesmembresnesontpasd’accordaveclesprocédures.L’und’entreeuxa
mêmesabotéplusieursaérojetspourempêcherdesofficielsd’atteindrelescoloniesavantledébutduTest.Malheureusement, ils ont été réparés plus rapidement que nous ne l’avions prévu. Sinon, tesamisettoiserieztoujoursauxCinqLacsetjediscuteraisencemomentavecunautrecandidat.S’agirait-ildeMichal?Michalaurait-ilparlédemoiàcethomme?Je supposequemêmesi je
poselaquestion, jen’obtiendraipasderéponse.Etpuis, ilest tempsd’enveniraubut.Çafaitdéjàtrop longtempsque j’aiposémonbracelet.Mon silencepourrait amener ceuxquim’écoutent à seméfier.–Quevoulez-vousdemoi?Pourlapremièrefois,ilsourit.–Noussavonsquetafamilleadessecretsquelecomiténedoitapprendresousaucunprétexte,Cia.Ilmejettelesacqu’ilavaitàlamain.–Tutrouverasdedansunepetitefiole.Ellecontientunliquidequi,nousl’espérons,empêcherale
sérumdevéritéd’agir.Situveuxquetafamilleresteensécurité,prends-leavantl’entretien.Lamenaceàpeinevoilée contremesparents etmes frèresme terrifie.Mais lapeurneme sera
d’aucuneaide.Jememordslalèvre.–Commentpuis-jeêtresûrequ’ilnes’agitpasd’unautretest?Sic’estlecas,cettedroguemetueratrèsprobablement.Lesmauvaisesréponsesserontpénalisées.–Tunepeuxpas,soupirel’hommed’unevoixtriste.Tudoistecontenterdemaparole.Ilreculed’unpas.– Cache la fiole dans tes vêtements de rechange. Un de mes amis au comité fera en sorte que
personnenelatrouve.Bonnechance,Malencia.J’espèrequ’onsereverra.Jeleregardes’éloignerjusqu’àcequ’ilaitcomplètementdisparuavantderécupérermonbracelet.
Lesoleilcommenceàsecoucher.JedoisretournerauprèsdeTomas,maisj’aibesoind’unmomentpourréfléchir.J’examinelafiole.Jel’ouvreetenreniflelecontenu.Çasentunpeularose.Dans le sac, il y a aussi de l’eau et à la place du pain et du fromage, une boîte remplie de
framboises fraîches, une petite botte de carottes sauvages et de fruits jaunes que je pense être despoires.Aprèsavoircherchéunequinzainedeminutesdanslesenvirons,jedécouvreunframboisieret un poirier ainsi que des carottes. Cette nourriture n’est pas seulement pourmoi. Si je peux enexpliquerlaprovenanceàTomas,jepeuxaussilapartageraveclui.L’hommeauxcheveuxgrisdoitsavoirquejen’aipasparlédeluiàTomas.Ilal’airdesavoirbeaucoupdechoses.Il a évoquédes secretsde famille.Faisait-il allusionauxcauchemarsdemonpère ?Au fait que
Zeenest beaucoupplus intelligentquene le croient les officiels ?Que certainsdirigeants deCinqLacsontconspirépouréviterleTestauxjeunesdiplômésdelacolonie?Jesaismaintenantqu’onmeposeradesquestionssurcessujetslorsdemonentretien.Ou alors, je me trompe complètement. Et dans ce cas, je tomberai raide morte après avoir
ingurgitésonpoison.J’auraiunchoixàfairelemomentvenu.Maispasmaintenant.Tomasestravidemarécolte.Unefoisquej’aitoutdéposéparterre,ilmeprenddanssesbraset
mefaitdanseraveclui.Lesombresdesdeuxjoursprécédentss’évanouissent.Jesuisheureuse.Nous terminons la viande et nous régalons des framboises et des poires juteuses. Nous en
ramasseronsd’autresdemainavantderepartir.JevérifielaplaiedeTomasquicicatriseplutôtbien.Lamienneesttrèsdouloureuseetparaîtinfectée.Jelanettoieetreprendsdescachetsantidouleur.Jeréappliquedudésinfectantensachantaufonddemoiqueçanechangerapasgrand-chose.Maisilfautbienessayer.Tomasm’aideàrefairelepansement.Ilsemoquedemeslèvrestachéesdefruitavantdelesembrasser.Ilestredevenului-mêmeetjesuistentéedepartagermessecretsaveclui.Maisjenepeuxpas.Pasavantdeconnaîtrelessiens.–Dis-moicequis’estpasséavecWill.–Willt’adéjàtoutraconté.–Iln’apastoutraconté,jelesais.Tomasseraidit.–Tumetraitesdementeur?–Non,maisj’ail’impressionque…Tomas s’écarte demoi et se lève. Il s’éloignemême de quelques pas.Çame donnerait presque
enviedepleurer.Jemeredresseàmontouretjem’approchedelui.–J’aiconfianceenWill.– Tu ne devrais pas, me rembarre Tomas. Ton père t’a pourtant dit de n’avoir confiance en
personne.Sesmotsme pétrifient. Il sait que nous sommes écoutés et que s’il ne fait pas attention, il peut
mettretoutemafamilleendanger.Malgrélaboulequim’obstruelagorge,jeparviensàarticuler:–Jetefaisbienconfianceàtoi!Etsimonpèrem’aprévenuequelacompétitionpouvaitinciter
certainsàmalagir,jenepensepasqueWillsoitdeceux-là!–Etcommentpeux-tuenêtreaussi sûre?Parcequ’il estdrôle?Parcequ’ilétaitbouleverséen
apprenantquesonfrèreavaitéchouéàlapremièreépreuve?Tunesaispasdequoiilestcapable!Quandnousavonstrouvétescollets,ilaouvertsonsacetdedans,ilavaitunkitdepurification,unetroussedesecours,unepairedejumellesetunlivredecartescommelemien!–Etalors?–Nousn’avionsledroitdechoisirquetroisobjets,jeterappelle.Troisquenouspouvionsajouter
àdeuxobjetspersonnels.Ilavaitégalementunrevolveretuncouteau.Faislecompte!–Peut-êtrequ’ilatrouvélesjumellesoulecouteau…–AveclelogoduTest?Maisoui,biensûr!Non,ilacroiséaumoinsunautrecandidat!L’imagedelajeunefillemortem’apparaît,maisjelarepousse.
–Peut-êtrequ’undescandidatsaperdusonsacoupeut-êtremêmequ’il l’avoléàquelqu’unquidormait.Cene seraitpas terribled’unpointdevuemoral,mais jepourrais le comprendre. Jepousseun
profondsoupir.–ÉcouteTomas, lesgenspeuventagirbizarrementquandilssontsouspression.Tunepeuxpas
êtresûrqu’ilatuéquelqu’un!Vousavezcroiséunautrecandidatpendantmonabsenceetilneluiestrienarrivé!Tomasbaisselesyeux.–Ouais,marmonne-t-il.Tuasraison.Detoutmoncœur,j’aienviedelecroire.Maisc’estpresqueimpossible.Tomas,quejen’aijamais
vuautrementquecalmeetserein,boutdecolèreetdedésespoir.–Tomas, je tedemandeseulementdeconsidérer l’éventualitéd’uneautreexplication.Lecomité
cherchedesleadersetmêmelesleadersdoiventapprendreàavoirconfiance,parfois.Si mes mots échouent à convaincre Tomas, mon ton semble au moins l’apaiser. Nous nous
allongeonsetilmereprenddanssesbras,maisjedoisencoreluiposerunequestion.Unedernière.–Comments’appelaitlecandidatquevousavezcroisé?JesenslesbattementsducœurdeTomass’accélérer.Aprèsunpetitmoment,ilmurmure:–Jenesaispas.S’ilnousl’adit,j’aioublié.Ilment. S’ils ont réellement croisé quelqu’un, il lui a forcément demandé son nom après s’être
présenté.Neserait-cequeparhabitudeoupolitesse.C’estcommeçaquenousavonsétééduquésauxCinqLacs.Ladéceptionmeserrelagorgeetjemeforceàresterdanssesbrasmalgrémonenviedem’éloignerdelui.Cettenuit,nousfaisonstouslesdeuxsemblantdedormir.Mes collets fonctionnent bien. J’ai attrapé deux lapins et un opossum. Pendant que Tomas les
prépare,jevaisramasserdesfruitsetdeslégumes.Suffisammentpourtenirdurantlatraverséedelaville.Nousnenousembrassonspascematin.Tomasneprononcepasunmotetjesuisperduedansmespensées.Le ciel est couvert. Je jette des coups d’œil réguliers de l’autre côté de la clôture, mais je
n’aperçois aucun signe de mon mystérieux bienfaiteur. Ça ne me surprend pas. Pourtant, je suispresquesûrequ’ilnousobserve.Luiouundessiens.Sont-ilsdesrebelles?IlaaffirménepasfairepartieducomitédeTestetnepasêtred’accordaveclesméthodesdesélection.Pourtant,ilveutquejeréussisse.Siluietsesamisontlapossibilitédesaboterdesaérojets,ilsdoiventaussiavoirlemoyendefairefranchirlaclôturesansrisqueàuncandidat.Biensûr,commeill’aditlui-même,sileurplanavaitmarché,jeneseraispaslà.Maisquandmême.Jesuiscertaineques’ilsvoulaientseulementnouspermettredefuir,ilsleferaient.Denombreuxcandidats,affamés,effrayés,seraientsûrementravisdeprendreleursjambesàleurcou.Ou peut-être pas. Nous avons tous des familles, des parents, des frères, des sœurs. Le
gouvernement leur verse une pension quand nous sommes sélectionnés pour le Test, mais que sepasserait-ilsilecandidatnerespectaitpaslesrègles?Nouspassonssousuneimmensearchemétalliqueetentronsdanslaville.Lesbuildingssontplus
hautsqueceuxdelavilleprécédentemaisilssemblentenbienplusmauvaisétat.Ilestbientôtévidentqu’ilsontétébombardés.D’après la cartedeTomas,nous sommesàSaint-Louis.Ni luinimoinenous rappelonsceque
nous avons appris sur cet endroit en histoire. Aucune idée du genre de bombes utilisées. C’estdommagecarcertaines,cellesquel’onappelaitlesbombessales,contenaientdespolluantsdestinésàcontaminerl’eauetlaterredurantdenombreusesannées.Nousdécidonsdoncd’emprunterla routequilacontourne.Nousavonssuffisammentdenourritureetd’eaupournouspermettredeperdreun
peudetemps.Les jours suivants passent sans histoire. Nous marchons, mangeons, dormons. Nous croisons
quelquescoursd’eauquinouspermettentdenouslaver.Nousneressentonspaslafaim,maisnouscommençonsàflotterdansnosvêtements.Jesuisobligéedemefaireuneceintureavecunlambeaudedrappourempêchermonpantalondetomber.Tomasfaitdemême.Nousn’abordonsentrenousquelessujetslesplussuperficiels.Uneoudeuxfois,jelesurprendsàmeregardercommes’ilétaitprêtàmeparler.Maisilnepassepasàl’acte.Chaque bruit me fait sursauter. Pourtant, nous n’apercevons aucun animal. Seulement, par deux
fois,d’autrescandidats,auloin.Nouspédalonsvite,du leveraucoucherdusoleil.Nousvoulonsàtoutprixéviteruneconfrontation.L’hommeauxcheveuxgrisneréapparaîtpas.LescernesdeTomassecreusent.Mêmequandilsourit,salassitudeestpalpable.Mescauchemarsempirent,maisj’aiapprisàretenirmescris.Jemeréveilleet,pourmerassurer,
je touche la fioleque j’ai glisséedansmon sac.Lesgriffuresdemonbras refusentdeguérir.Lescontoursendeviennentverdâtresetellesexsudentunépaisliquidejaune.Jesupposequelesonglesdemes assaillants étaient empoisonnés par les mêmes produits chimiques qui les ont fait muter. Jeprendsdescachetsetjeboisbeaucoupd’eau.J’espèrearriveràlafindecetteépreuvesansdommagesphysiquespermanents.Auboutd’unesemaine,nousarrivonsenvued’uneautreville.Laclôturesudet laclôturenord
sont toutes les deux visibles. Nous entrons dans un entonnoir. Si d’autres candidats sont arrivésjusque-là,noussommespresquesûrsdelescroiser.D’ailleurs,nousne tardonspasà trouverdesempreintes. Ils sont aumoinsdeux.Peut-être trois.
Nousavonspourtantétérapides,maisilsl’ontétéplusquenous.Ilspeuventêtren’importeoù,ànousguetter.Nousdécidonsdelestrouveravantqu’ilsnoustrouvent.La ville est dans un état de décomposition avancée mais certains édifices tiennent encore bon.
Jusqu’aumomentoùaudétourd’unerue,nousdébouchonsdevantunimmensecratèrequis’étendsurplusieurskilomètres.Lesdoigtscrispéssurlesguidonsdenosvélos,nousfixonscevidequiétaitauparavantunendroit
oùdesgensvivaientet travaillaient.Nous sommes face àunpaysagedévasté.Pendant notre trajet,nousavonstraversédesterresravagées,maisdesplantesavaientréussiàpousserçàetlà.Às’adaptertant bien quemal. Ici, il n’y a rien, absolument rien.Comment un chef de gouvernement a-t-il pudonnerunordredontlaconséquenceaétéunetelledestruction?Laterreestrésiliente,certes,maisilest difficile d’imaginer un jour où ce lieu sera autre chose qu’un douloureux souvenir de ce dontl’hommeestcapable.Nousdevonscontournerlecratère.Nouschoisissonsauhasarddeprendreàdroite.Nouspoussons
nosvélosaulieudepédaler.J’aimalpartout,aubrasenparticulier.Lescachetsfonteffetuntemps,maisladouleurfinittoujoursparrevenir.Alorsquenousnousenfonçonsdansdesrues,jedemandeàTomas:–Tupensesque lesgensquiontbombardécettevilleavaientconsciencedesconséquences?Tu
croisqu’ilsontréaliséqu’ilsallaienttouttuerautourd’eux?qu’ilssedétruisaienteux-mêmes?Tomashausselesépaules.–Mêmesic’étaitlecas,est-cequeçachangeraitquelquechose?–Peut-être,oui.J’y ai beaucoup réfléchi ces derniers jours. Sans doute parce que si nous franchissons la ligne
d’arrivée, nous deviendrons l’élite de la Communauté ; certains d’entre nous en deviendront lesdirigeants.AucoursdeceTest,beaucoupdescandidatsontdémontréquepoureux,lafinjustifielesmoyens.Jen’arrivepasàêtred’accordavecça.Enrevanche,j’aicomprisunechoseimportante:on
nepeutpaschangerlepassé.Cequiestfaitnepeutêtredéfait.J’ailetempsderéfléchirdurantmesnuitsd’insomniequandmescauchemarsnemelaissentpasenpaix.Riendanscetestn’estlaisséauhasard.Jesuiscertainequelesofficielsavaientassezd’éléments,avantcettequatrièmeépreuve,pourdeviner à coup sûr lesquels d’entre nous utiliseraient les armes pour manger ou se défendre etlesquelss’enserviraientpourtuerleurscamarades.CeTestn’estpasseulementdestinéàévaluernoschoixmaisnotrecapacitéàvivreavecleschoixquenousavonsfaits.Pouvons-nousapprendredenoserreursetlestransformerenatoutsouleslaisserons-nousnousentraînerdansladépression?Quandj’observeTomasàladérobée,jesaisunechose:ilestentraindeselaisserentraîner.Rymes’estpendue.Elles’estnoyéedanslapeuretlesdoutes.J’ignorequelsouvenirhanteTomas
maisilestévidentqu’ilestentraindeperdrelecombat.Quoiqu’ilaitfait,ilneméritepasd’êtreunenouvellevictimeduTest.Jeprendsuneprofondeinspirationetjemelance:– Je crois que le but de ce Test est de nous obliger à regarder en face les conséquences
monstrueusesdesactesdupasséafinquenousapprenionsdesfautesdeceuxquinousontprécédés.Lesmeilleursgouvernantscommettentdeserreursmaisjamaisdeuxfoislesmêmes.Laseulefaçond’apprendreestdecomprendrecequinousapousséàagir.Tomas,lesyeuxfixéssurlecratèresombre,réfléchitunlongmoment.Quandiltournelatêtevers
moi,jelesensunpeumoinstendu.–Jepensequeleschefsdegouvernementquiontordonnécebombardementsavaientqu’ilsallaient
détruiredesvies,maisjenecroispasqu’ilsavaientconscienced’anéantir lemondedanslequelilsvivaient.Àunmoment,ilsontdûserendrecomptequ’ilscommettaientuneerreurmaisilsn’ontpassus’arrêter.J’acquiesce.–Peut-êtrequec’est lamarqued’unvéritabledirigeant : savoir reconnaîtrequ’il s’est trompéet
êtrecapabledechangerdecapquoiqu’illuiencoûte.Soudain,unfrissonmeparcourt.Jeporte lamainàmonfrontmais jen’aipasdefièvre.Quand
j’étais petite, mes frères s’amusaient à me faire faire des bêtises – comme voler du pain dans laréserveoutransformerundrapencostumedepirate.Jesavaistoujoursquej’allaismefaireprendrequandjememettaisàtressaillir.Cettefois,c’estlamêmechose:jesuiscertainequenoussommesobservés.Fenêtresbéantes,portesfracassées,fissuresdanslesmurs,ilouellepeutêtren’importeoù.Jesors
monrevolver.Leventselève,lecielvireaugris.Unetempêteapproche.Peut-êtrequec’estcequim’aalertée.Unerafalelibèreunemèchedecheveuxquimetombesurlefront.C’estenlarepoussantquejele
vois.Unvisagesousunporche.Degrandsyeuxdansunvisageridé,destouffesdecheveuxbrunssurlecrâne.Uneépaule,unemainetdesonglescommedesgriffes.Leventsouffleetportedesvoix.Desmurmures.Ilssontplusieurs.Jeplisselespaupièresetjeles
distingue dans l’ombre. Cinq. Dix. Deux autres au deuxième étage d’un immeuble. S’ils décidentd’attaquer,nousn’avonsaucunechance.Maisilssontparfaitementimmobiles.Tomasn’aencorerienremarqué.Sesyeuxsontfixésdroitdevant lui.Jeretiensmonsouffle.La
pluie commence à tomber. Tomas pousse un juron et suggère que nous remontions sur nos vélospourallerplusvite.Maisjen’osepas.Pourlemoment,leshabitantsdecettevillefantômen’ontfaitquenousregarder.Nousnereprésentonspeut-êtrepasunemenace,maisj’étaisàvéloquandj’aiétéattaquée.Sic’étaituneoffenseàleursyeux?Jeneveuxpasprendrelerisque.–Cia,tum’asentendu?J’acquiesceenmurmurant:–Regardeauxfenêtres.
Ils’arrêteetlèvelatête.Ilfrémit.Jemepencheverslui:–Ilyenadesdizaines.–Ondiraitpresquedeshumains,souffleTomasenposantlamainsursoncouteau.Jesecouelatête.–Ilssonthumains.–Commentpeux-tuenêtreaussisûre?Lapluietombedeplusenplusdruetnousbrouillelavue.Nosvêtementsnouscollentàlapeau.
Unedescréaturess’avanceversnous.Tomasdégainesoncouteau.L’hommes’arrêteàunedizainedepas. Il semble attendrenotre réaction.Nousnous remettons àmarcher, doucement.Mapoitrine estprisedansunétau.Letonnerregronde.Lesgriffuressurmonbrasmebrûlentplusquejamais.Deuxautrescréaturesrejoignentlapremière.Ellessemettentànoussuivre.Des éclairs zèbrent le ciel et se reflètent dans les pupilles des mutants. Ils sont maintenant une
dizaineetd’autresnecessentd’arriver.Lorsquenousatteignonsleboutdelarue,ilss’arrêtent.Nousaccélérons,ilsnebougentpas.Ilnesepasserarien.Peut-êtreque lesmembresducomitéd’évaluationvoulaientvoir sinotrepeurnouspousseraità
attaquersansavoirétéprovoqués.J’aperçoisune autre créature àune fenêtre.Ellenousobservede cet étrange regardqui ne cille
jamais.Etsoudain,unedétonationetsonvisageexplose.
CHAPITRE18
Tomasmejetteausolets’allongesurmoipourmeprotéger.D’autrescoupsdefeuretentissent.Lecorpsdumutantesttombésurl’asphaltedansunbruitmat.Uncridedouleurs’élèvederrièrenous,suivid’uneclameur.Bienque leur langagemesoit incompréhensible, lessentimentsqu’ilvéhiculesontparfaitementclairs.Indignation,colère,soifdevengeance.Legroupequinoussuivait franchitleslimitesdelarueetseprécipiteversnousenhurlant.Tomasselèveetmetendlamain.Unautrecoupdefeuetunsauvage,touché,tombeàgenoux.Une
fusilladeréduitdesmembresenbouillie,fracassedescrânes,pulvérisedescôtes,crééunimmondechaos de chair et de sang.Lesmutants hurlent. Je lève la tête.Au troisième étage d’un immeuble,j’aperçoisunesilhouetteetl’éclatmétalliqued’unemitrailleuse.Tomasmecriedebouger.Maisjenepeuxpas.J’aireconnuletireur.C’estBrick.Jelèvelesbraspourattirersonattention:–Arrête!Arrêtedetirer!Des glapissements angoissés se mêlent à mes cris. Des dizaines et des dizaines de mutants
continuentd’arriver. Jedevraisêtre terrifiéemais je n’arrive à penser qu’àune chose :Brickdoitcesser lefeuetregarder lecarnagequ’ilaprovoqué.L’odeurdusangmesoulèvel’estomac.Jenesuispaslaseule.Àcôtédemoi,Tomasvomit.Lapluierougieparlesangcoulesurlachaussée.Écarlate.Entreleshurlementsetlescoupsdetonnerre,ilmefautquelquessecondespourcomprendreque
Bricknousappelle.–Cia,jevouscouvre!Venez,viteavantqu’ilsattaquent!–Arrête,arrête.Jesanglote.Touscescorpsdéchiquetés.Tousceshommesetcesfemmesmorts,tuésparungarçon
dontj’aicontribuéàsauverlavie.–Ilsnenousvoulaientpasdemal.Cesontdesgens.Desgens.Mais Brick n’écoute pas. Il a rouvert le feu sur des mutants qui ne nous menaçaient pas, qui
voulaientseulementrécupérerleursmortsetleursblessés.Tomasmesaisitlebras.Jelâchemonvéloquitombedansunbruitdeferraille.–Onnepeutrienfaire,Cia.Onnepeutpaslesaider.Ilfautpartir.J’aidumalà resterdebout,ànepasm’effondrer. JevoudraisqueBrickarrêtemais ilcontinue,
encoreetencore.Jeluiaisauvélavieetenretour,ilcroitsauverlamienne.Le massacre auquel je viens d’assister me submerge de honte, de tristesse, de peur. Tomas,
patiemment,me répètequenousdevonspartir. Je voudraisme recroqueviller sur le sol et ne plusjamaisouvrirlesyeux.
Maisjeremontesurmonvéloetjepédale.Nousnouséloignons.Alors que nous arrivons en bordure de la ville, Tomas repère un petit immeuble qui semble
suffisammentsolidepourquenouspuissionsypasserlanuit.Ilnepleutplusmaisnosvêtementsetnos chaussures sont trempés. Tomas trouve assez de bois pour faire un feu près d’une fenêtre etm’exhorteàmechanger.J’obéismachinalement.Monautrechemiseesttachéedusangdesmutantsquej’aituésprèsduruisseau.Jesuisincapabled’avalerquoiquecesoit.Lesjambesramenéescontrelapoitrine,jefixelefeuen
essayantd’imaginermesparentsetmesfrèresdevantlacheminéeàlamaison.Tomasm’obligeàluimontrermon bras. Ilme soigne etme donne des cachets. Peut-être qu’ilsm’aideront à arrêter detrembler.Puisilmeprenddanssesbrasetmerépètecombienilm’aimependantquejepleure.Levisagebaignédelarmes,jefinisparm’endormir.Jerêvedecoupsdefeuetderivièresdesang.Quandjemeréveille,jemerappellequetoutétait
réeletlanauséemerevient.Jesaisquejedevraismangermaismonestomacserecroquevilleàlavued’unmorceaudeviande.Jemeforceàboireetàavalerunepoire,parminusculesbouchées.Nousremettonsnoschaussuresmouillées.Dehorsleciel,lavéparlapluie,estd’unbleumagnifique.Lesoleilétincelle.Labriseestagréable.
Icietlà,desfleursontpoussédanslescassuresdel’asphalte.Unejournéeparfaitequisembleraillerl’horreurdelaveille.Parhabitude, nous consultons la carte.D’après le transcommunicateur, il nenous resteplusque
troiscentskilomètresàparcourir.Nouspédalonsvite.Nouséloignerdecetendroit.Delamort.Lesclôturesnordetsudserapprochentl’unedel’autre.Oui,lesmembresducomitéveulentque
lescandidatss’affrontent.Jemedemandes’ilsaurontunchoixàfaireous’ilsaccepteronttousceuxquifranchissentlaligned’arrivée.Jeseraisétonnéequenoussoyonsplusd’unevingtaine.Nousnousarrêtonslemoinspossible.Mablessureaempiré.Jetranspireetjenesenspresqueplus
les doigts demamain gauche.Mais je continue. Pas de rencontre dans la journée et le soir nousvérifions ledécomptedeskilomètres.Plusquedeux cent quarante.Tomasmegarde dans ses brastoute lanuit. Ilmerépètedoucementquesinousconservonscetteallure, ilnenous resteque troisjours.Troisjours.Jepeuxyarriver.Jeveuxycroire.Lelendemainmatin,nouslevonslecampsousuncielcouvert.Mesjambestremblent,monbrasme
lance.Jereprendsdescachets.Aspergemablessurededésinfectant.Pourront-ilsmesoigneràTosu?Tomasaffirmequeoui,maisilestprêtàtoutpourm’empêcherd’abandonner.Enréalité,jen’enaiaucuneenvie.Abandonnersignifieraitqueriendetoutçan’avaitdesens.Ceseraitinsupportable.Uneidée me tourmente de plus en plus : je ne veux pas qu’on efface mes souvenirs. J’essaie de merappelertoutcequejesaissurlefonctionnementducerveauhumain.Aprèslapause,jeprétendsquej’aibesoind’unesiestemaisaulieudem’allonger,jeretiremon
braceletetm’éloigned’unecinquantainedemètres.Tomasm’imiteetmerejoint.–Qu’est-cequ’ilya?C’esttonbras?Onpeutralentirsituveux.Jesecouelatêteetjemurmure:–Noussommespresquearrivés.Ilsourit.Sesfossettesmedonnentenviedepleurer.–Oui.Encoreunjouroudeuxetceseraterminé.Ilposelamainsurmonfrontetm’annoncecequejesaisdéjà.Jesuisbrûlante.–Ilsvonttesoigner,tuverras,ilsteremettrontsurpied.Oui,c’estpossible,maiscen’estpascequimetracassepourlemoment.– D’après mon père, ils ont une méthode pour effacer tous nos souvenirs. Nous ne nous
rappelleronsriendecequinousestarrivéici.Tomassemordl’intérieurdelalèvre.–Peut-êtrequecen’estpasunesimauvaisechose,finalement.Peut-êtrelefont-ilspournousaider
à survivre à ces épreuves.Tu veux réellement te rappeler toute ta vie lamanière dontMalachi estmort?OuBricketsamitrailleuse?–Non.Ma réponse est honnête.Une vie de cauchemars neme tente évidemment pas plus que ça.Mais
l’idée d’être reprogrammée me déplaît encore plus. Et surtout, je ne veux pas oublier pourquoiMalachiestmort.–Jeveuxgardermessouvenirs,Tomas,lesbonsetlesmauvais.L’oublinechangepaslepassé.Et
puis,lescauchemarsdemonpèreprouventquelatechniqueducomitén’estpasefficaceàcentpourcent.Desimagesluireviennent,mais,étantincapabledelesexpliquer,ilenestprisonnier.Est-cequeçaneteparaîtpasencorepire?Tomasdonneuncoupdepieddansunetouffed’herbe.Mesargumentsletouchent.–Sescauchemars et ceuxdudocteurFlintme font supposerqu’ilsn’ontpas subid’intervention
chirurgicale.Jesuisd’accord.J’aiapprisquelesiègedelamémoireàcourtetmoyentermedanslecerveauest
facile à trouver mais que chaque personne est différente. Procéder à une opération qui permetted’effacer précisément trois ou quatre semaines de la vie d’une personne me paraît risqué etcompliqué.Çal’estforcémentencorepluspourplusieurscandidats.Jeréfléchis.–Ilsutilisentpeut-êtredeladrogue,uneondemagnétiqueoul’hypnose?–Jepariepourladrogue,grimaceTomas.Moiaussi.Etmadiscussionavec l’hommeauxcheveuxgris tendrait à leconfirmer. Jepourrais
profiter de cemoment sans nos bracelets pour parler de lui à Tomas. En me taisant, j’ai un peul’impressiondeletrahir.Maisj’aipeurqu’ilmereprochedenepasluienavoirparléplustôt.J’avaisdebonnesraisons,maisTomaspourraitnepaslescomprendre.Ladernièrechosedontnousavonsbesoinencemomentestbiendenousdisputeroudeprononcerdesmotsblessants.Jedevraitrouverunautremomentpourpartagercesecretaveclui.Enattendant,jeluidemande:–Commentcontrerunedroguedontnousnesavonsrien?–Jenesaispas.Nousdevronsyréfléchirunefoislà-bas,quandnousensauronsplussurlafaçon
dont ils comptent nous l’administrer. S’ils la mettent dans un verre d’eau, nous pourrons fairesemblantdeboireetleurdonnerl’impressionden’avoiraucunsouvenir.Mêmes’ilyabeaucoupdechosesquejepréféreraisoublier,jeveuxgarderenmémoirenotrepremierbaiser.Ilm’embrasseavecpassionetjemelaisseallerdanssesbras.Seslèvresseposentsurmesjoues,
mesyeux,moncou.Jefrissonne.Lafièvre?Non,jenecroispas.Jel’enlaceetjel’embrasseàmontourcommesi j’étaisaffaméedesonamour.Nousnouscollons l’unà l’autrepourne fairequ’unmaiscen’estpasencoreassezetquandTomass’écartelégèrement,noussommeshorsd’haleineetàpeinerassasiés.Mais nous devons récupérer nos bracelets. Notre silence va finir par alerter les membres du
comité. Tomas m’embrasse, doucement cette fois, sur les lèvres et nous retournons vers notrecampement,lamaindanslamain.Jefaissemblantdemeréveilleretjeluidemandecequ’ilafaitpendantmasieste.Jel’écouteen
souriant broder à propos d’un écureuil qu’il a essayé d’attraper. Je ne sais pas si ceux qui nousécoutentsontamusés,maismoioui.Nousmangeonsetremontonsàvélo,encomptantparcourirunecinquantainedekilomètresavant
lanuit.Jenesuispassûred’yarriver.Ladouleurdansmonbrasestinsupportable.Jeralentismalgrémoi.Tomasm’encouragemaisjen’yarriveplus.Jeparvienstoutjusteàgarderl’équilibre.
Soudain, Tomas s’arrête et tend le bras vers la clôture nord. Une silhouette court. Je plisse lespaupières.Sansdouteunautrecandidat.Àsonallure,jedevinequec’estungarçon.Tomasdésigneune autre ombre derrière nous. Chancelante. Amie ou ennemie ? Nous reprenons notre route enespérantnepasavoiràrépondreàlaquestion.Encore cinq kilomètres et je suis obligée de descendre de vélo. J’ai la tête qui tourne, la gorge
sèche.Laplaiedemonbrasestàvif.Jen’arriveplusàmeconcentrersurquoiquecesoitd’autrequeladouleur.J’ôtemonbandage.J’aibienfaitdem’attendreaupire.Lapeauestgonfléeetchaude.Quandj’étais
petite,jesuistombéeetjemesuisérafléetoutlelongdutibia.LedocteurFlintn’étaitpasauxCinqLacsetc’estmamanquim’asoignée.J’aidûrestercouchée,maisquelquesjoursplustard,majambeavaitdoublédevolume.Heureusement,àsonretour,ledocteurFlintasuquoifaire.Aprèsm’avoirlégèrementanesthésiée, ilm’aouvert lachairpourlaisserlepuss’échapper.Avecestvenuunpetitmorceaudemétalcontaminéquiavaitprovoquél’infection.Jesuiscertainequelepoisonestlàaussienfermédansmaplaie.Jeneveuxpasmourir.Tomasprépareunfeu.Ilfaitbouillirdel’eauetyplongelaserviettequej’aipriseaucentredeTest
avantnotredépart.Nousavonsdéjàutilisétouslespansementsdelatroussedesecours.J’avaleunepoignéedecachetsetjedemandesoncouteauàTomas.Ilmejetteunregardinterrogateurethésitemais finit parme le donner. Avant qu’il ait le temps deme demander ce que je compte en faire,j’entaillelaboursouflured’ungestesec.Sanslescachets,jemeseraispeut-êtreévanouiesouslecoupdeladouleur.Unenauséemetraverse,mesyeuxseremplissentdelarmes.Jepincelapeauetlachairpourfairesortirlepusmêléàunsangépais.L’odeurmefaitvomir.Jepleure.Maisjen’arrêtepasdepresser. Le liquide jaune et vert me coule sur le bras. Tomas passe la compresse que je viensd’enlever dans l’eau et m’essuie doucement. Ma vision vacille. Je suis pliée en deux. Et je serreencore,deplusenplusfort.LavoixdeTomasmeparvientcommes’ilétaitloin.Jenedistinguepassesmots.Etpuis,lesangremplacelepusetjesaisquejepeuxrelâcherlapressiondemesdoigts.JelaisseTomasnettoyermaplaieavecl’eauqu’ilafaitbouillir.Ilappliquelesdernièresgouttesde
désinfectantetmerefaitunbandagepropreetstérileaveclaserviette.Puisilmeprenddanssesbrasetmeberceenmemurmurantdedormir,qu’ilveillerasurmoi.Mes rêves sont peuplés, dans une égale proportion, de visions joyeuses et horribles. Malachi
m’aideàenterrerlajeunefilledontlesyeuxontétédévorésparlescorbeaux,Zeenmepardonnedeluiavoirprissontranscommunicateuretmedemandedereveniràlamaisondèsquejelepourrai,Romanm’abandonne en souriant à une horde demutants qui me déchirent de leurs griffes avantd’explosersousmesyeux.Monpèremeserrecontreluietmechantedeschansonsàmi-voixcommequand j’étaispetite.Puis ilpenche la tête sur lecôtéetmedemandedemeréveiller.Quelqu’unestarrivé.J’ouvrelesyeux.Tomas respire doucement près de moi. Je m’assois et remue les doigts de la main gauche. Ils
bougentmieuxqu’hier.Monbras etmon épaule paraissentmoins gonflés et j’aimoinsmal.C’estalorsquejeperçoisunmouvementsurmadroite.Jeretiensmarespiration.C’étaitgrand.Sansdouteun humain. Un mutant ou un candidat ? À sa façon de se déplacer, je pencherais plutôt pour uncandidat.Notrefeuestéteintetnoussommesdansuntrou,cachésparunbuisson.Ilnenousapeut-êtrepas
repérés.Maisl’aubenevapastarderetilnesemblepasprêtàpartir.Ilsedirigeversnous.Jetendslebraspourattrapermonsacàtâtons.Maisjeneletrouvepas.Tomasadûleposerunpeu
plusloinpendantquejedormais.Monrevolverestdedans.J’essaiedeleretrouverdanslapénombre,envain.N’ayantaucuneidéedesintentionsdenotreinvitésurprise,jen’osepasfaireunmouvement.
Jemurmureàl’oreilledeTomas:–Nousnesommespasseuls.Ils’éveilleaussitôtetm’adresseunimperceptiblesignedetête.Desbranchescraquent.L’intruss’estapproché. Je regardeà travers lebuisson.Personne.Tomas
mefaitsignequ’ilnevoitriennonplus.LecandidatnefaisaitsansdoutequepassersursoncheminpourTosu.–Jecroisquec’estbon,chuchoteTomas.Ils’assoit,faisantbruisserdesfeuillesséchées.J’entendslesifflementducouteauavantdelevoir.Çamesauvelavie.Jemejetteàplatventre.La
lame se plante juste à coté demoi.Notre assaillant pousse un juron.Dans les premiers rayons dusoleil, jerepèremonsac,prèsdemabicycletteàmoinsdecinqmètres.Tomasjaillithorsdenotrecachetteetseprécipiteenavant.Aubruitmétallique,jecomprendsquenotreadversaireauneautrearmeetqueTomasetluisontentraindesebattreaucorpsàcorps.Tomaspousseunhurlement.Ilestblessé.C’est à cemomentque je reconnaisnotre agresseur,malgré sonvisageamaigri.Roman. Ils’apprêtedenouveauàembrocherTomas.Jeplongelamaindansmonsac.Tomasparelecoup.Unnouveaucri.LavoixdeRomancettefois.Touchéaubras,ilnereculepaspourautant.Aucontraire.Tête baissée, il fonce sur Tomas et le renverse. Les deux garçons roulent au sol. J’étouffe unhurlement.RomanaratélagorgedeTomasdequelquescentimètres.Jesuispétrifiée.Chacunessaied’avoir le dessus sur l’autre. Coups de poing, de pied et Roman se retrouve à califourchon surTomas.Ilbranditsoncouteau,prêtàl’abattre.J’aienfinmonrevolveràlamain.Jevise.Unedétonation.LesangjaillitsurlatempedeRoman.Sonvisages’affaisse,sesyeuxs’écarquillent.Surprise,puis
néant.Illâchelecouteauets’effondre.Mort.Lamainserréesurlecôté,Tomassedégagedesouslecadavre.Soulagéd’êtreencoreenvie.Que
noussoyonsensécurité.Saufquenousnelesommespas.Cen’estpasmoiquiaitiré.
CHAPITRE19
–Couche-toi!Ilyaquelqu’und’autre!Lapeurvibredansmavoix.Mesmainstoujourscrispéessurlerevolvertremblent.–C’estmoi.Jefaisvolte-face,lesbrastendus,l’indexsurladétente.Maiscetonenmêmetempsnonchalantet
insolentm’estfamilier.Will.Jebaissemonarme.Ilavanceversnousenfaisanttournerunpistoletautourdesondoigt.Etmême
sijesaisqueTomasneveutpasquejeluifasseconfiance,jemejettedanssesbras.–Jesuistellementcontentedetevoir.Jenesaispassij’auraisétécapabledetirer.Merci.À vrai dire, je ne sais pas si je le remercie d’avoir sauvé Tomas ou de m’avoir épargné
l’obligationdetuerRoman.Probablementlesdeux.Willglisselepistoletdanssapoche.– Je suis sûrque tu te seraisparfaitementdébrouillée sansmoi, affirme-t-il.Etpuis, finalement,
c’estplutôtbienquecesalaudvousaitattaqués.Jenevousauraisjamaisretrouvéssanstoutceraffut.Jevous cherchedepuisdes jours et je commençais àmedirequevous aviezdéjà franchi la ligned’arrivée.–Non,malheureusement,lâcheTomas,lamainpresséecontresataille.–Ouais,ricaneWillenhaussantlessourcils.Jemedoutequetuespéraism’avoirsemé.Mais,on
diraitbienquejeviensdeteprouverquetupeuxmefaireconfiance,non?Lesdeuxgarçonssetoisent.Tomasestlepremieràbaisserlesyeux.–Ouais,ondirait,souffle-t-il.–Bien,ritWill.AlorspourquoionnelaisseraitpasCiajeteruncoupd’œilàtablessureavantque
tuperdestouttonsang?Situmeurs,tunepourraspasm’êtreéternellementreconnaissantdet’avoirsauvé,pasvrai?Çaseraitdommage!Jem’approchedeTomasenfaisantdemonmieuxpourignorer lecorpsdeRomanquigîtàses
pieds.Lacoupureestlonguemaispeuprofonde.Iln’aurapasbesoindepointsdesuture.Tantmieuxparce que je ne suis pas certaine quemes doigts engourdis soient capables dumoindre travail deprécision.Willmepropose lecontenudesa troussedesecourset jenettoie rapidement la plaie deTomasavantdeluifaireunpansement.EnrendantsesaffairesàWill,jeluilance:–Situnousasrattrapés,çaveutdirequetut’estrouvédesroues?Willsourittriomphalement.–Pasdesroues,enfait.Bienmieuxqueça.Venezvoir.Ilnousemmènejusqu’àlarouteoùestposéunminusculeaérojetquiressembleplusàunscooter
volantavecunecabine.Monpèreenatroiscommeçapourletravail.C’esttrèspratiquepourcouvrirdecourtesdistances.Enrevanche,pourleslongstrajets,lesmoteursonttendanceàchauffer.Deplus,ilsnepeuventpasporterplusde70kilos,cequilimiteleurutilité.MaisWillestminceetnedoitpaspeserbienlourd.–Tul’astrouvéoù?J’entendslaméfiancedanslavoixdeTomas,maissoitWillnel’apasremarquée,soitildécidede
nepass’enoffusquer.– Deux jours après vous avoir quittés, je suis tombé sur un grand bâtiment avec une porte
métallique.Ilm’afalluunmomentpourl’ouvrirmaisçavalaitlecoup.Ilyenavaitquatrecommeçaàl’intérieur.Aucunnemarchait,évidemment,maisjelesaitousdémontéspourenfaireunvalable.Jepensequ’ilsontétémislàexprès.J’aiaperçud’autrescandidatsquienavaienttrouvéaussi.J’enaimême rencontré qui avaient dégotté des armes automatiques dans une cabane, juste avant d’entrerdans la dernière ville qu’on a traversée. Je dirais que si la première partie du Test portait sur lasurvie,ladeuxièmeévalueplutôtnotrecapacitéànousdébarrasserdenosconcurrents.–Ettucomptesentuercombien?chuchoteTomasd’unevoixàpeineaudible.MaisWillaentenduetiln’essaiepasd’éluderlaquestion.Ilyrépond,levisagesérieux.–Jenecomptem’occuperquedeceuxquiconstituerontunemenacedirecte.Commecelui-ciquia
bienfaillit’égorger,jeterappelle.Àmoinsquetupensesqu’ilméritaitdevivre…Ilyadudéfidanssesyeux.Apparemment,Tomasabeauluidevoirlavie,ilnesembletoujours
pasdisposéàluiaccordersaconfiance.Jefaisunpasenavantpourmeplacerentreeux.–D’après le transcommunicateur, il nous reste cent quarante kilomètres à parcourir.Au lieu de
nousenprendrelesunsauxautres,onferaitmieuxdemangerunmorceauetdereprendrelaroute.–Tuasraison,Cia,approuveWill.Jesuisd’accordpourmettrenosdifférendsdecôtésiTomas
l’estaussi.Tomasacquiesceensilenceetjepousseunsoupirdesoulagement.Jenesuispasasseznaïvepour
medirequ’ilsnesaisirontpaslamoindreoccasiondes’enprendrel’unàl’autre,maisj’espèrequ’ilssaurontsetenir.Pendant que je prépare le petit déjeuner, Will fouille dans le sac de Roman. Il y trouve des
vêtements,deuxbouteillesd’eau,uneboussole,dumatérieldepêche,quelquesoutilsainsiqu’unarcetdesflèches.Romanavaitforcémentvoléunepartiedesonéquipementàunautrecandidat.Nouspartageonsdespoiresetdulapinavantdenousrépartirlesaffaires.Jegardelecouteau,l’arc
etlesflèches.Jeneveuxpasquemescompagnonsderouteaienttropd’armesàleurdispositionsileursdisputess’enveniment.PendantqueTomasetWillontledostourné,j’ôtelebraceletd’identificationdeRoman.Ilrejoint
dansmonsacceluidelafillequeTomasetmoiavonsenterrée.Roman n’était pas digne de confiance. Prêt à tout pour réussir le Test, il n’a pas hésité à s’en
prendreauxautres.IlneméritaitpasdedevenirundirigeantdelaCommunautéUnifiée,maismêmesi je suis en profond désaccord avec ses choix, ceux des membres du comité me dégoûtent plusencore.Ilapayédesavie.Nousnedevonspasl’oublier.Tomas etmoi fixonsnos sacs sur le porte-bagagesdenosvélos.Will rejoint son aérojet.Deux
silhouettes apparaissent derrière nous sur la route. D’autres candidats ? Si Will a dit vrai, ilspourraientêtreenpossessiondevéhiculesleurpermettantdenousdépasserrapidement.Nousdevonsnousdépêcher.L’aérojetsolairedeWillestplusrapidequenosbicyclettesmaisilfaitensortederesterprèsde
nous.Jenepeuxpasm’empêcherdemedemanderpourquoi.Ilpourraitsansdouteatteindrelaligned’arrivéeenquelquesheures.S’ilsesentaitredevableenversmoipourl’aidequeje luiaiapportéeaprès la deuxième épreuve, il a largement payé sa dette en sauvantTomas.Quelles que soient ses
raisons,jesuisheureusequ’uneautrepaired’yeuxscrutel’horizonavecnous.D’ailleurs, il est le premier à repérer le scintillement d’un câble tiré en travers de la route.Un
piègequelesrouesdenosvélosauraientdéclenché.Nousmettonspiedàterrepourfaireletour,pendantqueWilllesurvole.Nousreprenonslaroute
unpeupluslentement.Laprudenceélémentairel’exige.CeretarddéplaîtàTomas.Àmoiaussi,maisnousn’avonspaslechoix.Lavégétationautourdenousestdeplusenplusverdoyante.Lestroncsd’arbresontmoinstordus,
l’herbeetl’eaumoinsrares.Cesontlessignesdelarevitalisation.J’aimalaubras,maisàmesurequenousapprochonsdenotrebut,ladouleuretlafatiguesefontmoinsintenses.Uneexplosionderrièrenoussecouelesarbres.Descoupsdefeuetdesvoixretentissentaunord-
ouest.Nousnesommespasseulsetledangeresttoujoursaussiprésent.Nousprenonsdestoursdegardependant lanuit etnous levons tôtenespérantquec’estnotredernier jourdeTest. Jevérifiefréquemment le transcommunicateur pour mesurer notre progression. Soixante-dix kilomètres.Cinquante-cinq.Quarante.Nousbuvonssansnousarrêteretnousignoronsnotrefaim.Nousauronstoutcequenousvoulonsàmangerquandnousseronsarrivés.Encorevingt-cinqkilomètresetdéjàlesoleildescendàl’horizon.Lecielsestriedemauveetde
rose.Nouspoursuivonsnotreroute,plusquejamaisenalerte.Quinzekilomètres.C’estuniquementparchancequej’aperçoisunéclatmétalliqueprèsdutroncd’ungroschêne.Je
pousse un hurlement pour prévenir Tomas et Will. Une détonation retentit. Une lueur illuminebrièvement l’obscurité. Je tourne mon guidon mais le brusque changement de direction est tropviolentpourmonvélodéjàenpiteuxétat.Laroueavantsedétacheetjetombesurl’asphalte.Jemefaishorriblementmalaubrasgauche.Tomascriemonnom.Denouveauxcoupsdefeurésonnent.Jenepeuxplusbouger,àpeinerespirer.Mais jeneveuxpasmourir.TomasetWillcrientencore. Je roulesurmoi-mêmeen ignorant la
douleur. J’attrape mon sac et je me saisis de mon arme. Le canon d’un fusil apparaît maintenantclairementderrièreletroncdel’arbre.Jetireetlecriquisuitm’annoncequej’aiviséjuste.C’étaitunevoixféminine.Lebrastendu,j’attendsquemonagresseurréapparaisse.–Elles’enva!nousprévientWill.Je cligne des yeux sans comprendre. Puis j’entends le bruit d’un aérojet qui décolle. Quand je
l’aperçois,jetiremaisilesttroprapide.Àmoinsqu’unautrecandidats’enprenneàelleavant,ellevaatteindrel’arrivéedansmoinsd’une
demi-heure.Cette fille qui s’est cachée dans le seul but de nous tuer va gagner le droit d’entrer àl’université.Ellereprésenteral’élitedelaCommunautéUnifiée.J’étouffeunhurlementdefrustration.Maintenant,laseulechosesusceptibledel’empêcherderéussirestquenoussoyonsplusdevingtàl’arrivée. Il faut alors espérer que le comité exclura automatiquement ceux qui n’auront pas eurecoursàlastratégied’éliminationdesconcurrents.Nousdevonscontinuer.Jemeredresse.J’avaisoubliéquemonvéloétaithorsd’usage.Jen’aipasbesoindel’examinerde
trèsprèspourêtresûrequelesdégâtssontirréparables.Jemetourneverslesgarçons.–Jevaisfiniràpied.J’essaiedecachermondécouragement.Ilmerestedixkilomètres.Cen’estrienencomparaisonde
cequej’aidéjàfait.Tomass’approchedemoietmeprendlamain.–Jeresteavectoi.–Tun’espasobligé.Mais je suis contente qu’il l’ait proposé. L’idée demarcher seule dans le noir sans savoir quel
dangermeguetteestterrifiante.Ildéposeunbaisersurmeslèvresavantderépondre.–Jesais,maisc’estcequejeveux.IlsetourneversWill.–Jesupposequenosroutesseséparentunenouvellefois.Ciaetmoinevoulonspasteretarder.Willsourit.–C’estdrôle,maisc’estexactementcequej’allaisdire.C’estsonsourirequim’alerte.Froid,calculateur.JepousseTomassurlecôté,justeaumomentoù
Willsortsonarmeetluitiredessus.Maisjenesuispasassezrapide.Laballepénètredansl’abdomendeTomas.Sesyeuxs’écarquillentsouslecoupdelasurprise,ilseplieendeuxettombeàgenouxavantdes’effondrer.Jebrandismonrevolver.–Qu’est-cequetufais,Will?–Àtonavis?Jemedébarrassedemesconcurrents,commetoutlemonde.Jen’aipasperdumon
frère et subi toute cette merde pour qu’on me dise que je ne suis pas assez bon pour entrer àl’université.Jen’aimalheureusementpasréussiàtetuermaisj’aieulachancedecroiserquelquesautrescandidatsavantd’arriverauboutdemescarreaux.Gilletmoiétionschampionsdetiràl’arc.Chicago.L’arbalétrier.LablessuredeWillà l’épaule.C’estmoiqui l’ai touchéenmedéfendant.
Toutprendsensavecunemonstrueuseclarté.–Ettucroisquejevaistelaissermetuermaintenant?Malgrélaragequimesubmerge,mavoixestétrangementcalmeetferme.Jedoispuiserdanscette
ragelaforcedetuerungarçonquejepensaismonami.–Jenemelaisseraipasfaire,Will.Sonsourires’élargit.Sesdentsblanchesbrillentdanslasemi-obscurité.–Tuesintelligente,Cia,maistuesincapabledetuerquelqu’un.Sijepartaismaintenant,tuneme
tireraispasdessus.–Tuveuxprendrelepari?Le tremblement demamain dément l’aplomb demon ton. Pendant un instant, jeme dis qu’il a
raison.Jesuisincapabledetuerunêtrehumain.Jevaisdoncmouririci.–Cia.C’est cemurmuredugarçonque j’aimequi change tout.Tomasn’estpasmort.Will pointe son
armesurmoi.Mesdoigtssecrispentet lecouppart.UnesecondeavantqueWill tire.Maballe luientredansleventre,lasiennesiffleàmonoreille.Willpousseuncrirauque,maisilnetombepas.Ilcourtverssonaérojet.Jetireunenouvellefois.Ilvacille.Sonpistolettombeparterre.Jetireencoreetencore.Ilatteintsonvéhiculeetdécolle.Deuxnouveauxcoupsdefeuquimanquentleurcible.Etildisparaît.Il fait nuit à présent. Jem’agenouille près de Tomas. L’adrénaline qui courait dansmes veines
laisseplaceàlapeuretl’épuisement.–Ilestparti?demandeTomasd’unevoixfaible.Jerépondsenfeignantplusd’assurancequejen’enressensréellement.– Avec un peu de chance, il perdra connaissance avant la ligne d’arrivée. Où est-ce que tu es
touché?Maquestionest inutile car jevoisbienqueTomasa lesmainscrispées sur soncôtédroit. Je le
retournedoucementpourdécouvriruneplaiesanglantedanssondos.Laballel’atraversé.C’estunebonnenouvelle.JeprendslaservietteducentredeTestdansmonsacetjeladéchireenlargesbandesquej’appliquesursablessure.Unefoislesangépongé,j’essaiedemerappelertoutcequeledocteurFlintm’aapprisenanatomie.Jeposel’oreillesurlapoitrinedeTomas.Sesbattementsdecœursont
rapidesmaisréguliers.Sarespirationestunpeuhaletantemaisaucungargouillementn’indiquequesespoumonsseraientremplisdesang.JedoismaintenanttrouverunmoyendelerameneràTosu.Nous risquons de tomber sur d’autres candidats.Nous n’avons aucunmoyen d’avancer en nous
cachant.Nousdevonsdoncfranchirlaligned’arrivéeleplusvitepossible.Jefabriquedescompressesaveccequimerestedudrapetjelesmaintiensenluienroulantsontee-
shirtautourdelataille.Puisjeluidonneàboire.J’hésiteunpeuavantdeluiposerlaquestion:–Est-cequetupeuxmarcher?–Jepeuxessayer.Maisaprèsquelquespas,ilestévidentquenousn’ironsnullepartdecettefaçon.Tomasselaisse
tombersurlebas-côtéetsecouelatête.–Jenevaisjamaisyarriver.–Tuasseulementbesoindetereposerunpeu.Mais jesaisquec’est faux.Le tempsestnotreennemi.Àchaqueseconde, ilperdunpeuplusde
sang. Ilya aussi le risqued’infection et ledangerque représentent les autres candidats.Plusnousattendons,plusnousavonsdechancesd’yrester.Ilmeprendlamain.–Jesaisque tuneveuxpasentendreçamais tuvasdevoirmelaisser ici.Aprèsavoirdormiun
peu,jeseraipeut-êtrecapabledemeleveretde…–Horsdequestionquejet’abandonne!J’essaiedereprendremamain,maisTomasrésiste.–Ohquesi,reprend-il.TuvasfinircefoutuTestpournousdeux.Jeveuxquetut’enailles.S’ilte
plaît.Avantqu’unautrecandidatn’arrive.Mesyeuxseremplissentdelarmesquejenelaissepascouler.–Toutestmafaute.Jet’aidemandédefaireconfianceàWill.C’estàmoideréparermeserreurs.Je l’embrasse fermement sur les lèvres pour l’empêcher de me contredire et je lui donne les
dernierscachetscontreladouleurpourqu’ilpuissesereposerpendantquejeréfléchis.Ilfermelesyeuxetjecommenceàfairelescentpas.Tomasnepeutpasmarcher.S’iln’arrivepasàlaligned’arrivée,ilmourra.Monvéloestcassémaislesrouessontencoreenétat.EnutilisantceluideTomas,jepeuxbricoler
unmoyendetransportquiluipermettrades’asseoirderrièremoi.Allumerun feu augmentera le risquedeme faire repérer par un autre candidat,mais la nuit est
froide.Tomasabesoindechaleuretmoidelumièrepourfabriquercequej’aientête.Tomass’estendormi.Enprenantlesallumettes,jesensunobjetmétalliquedanslefonddesonsac.Unbraceletd’identification.Peut-êtreceluiquiétaitsurlesacdelafillequenousavonsenterrée.Ilestpossibleque,commemoi,ilaitvoulugarderunobjetluiappartenantafindenepasl’oublier.Jeleglissedansmapoche. Jeprépare le feuensuivant lesconseilsdemes frèresquim’ontapprisà faireensortequ’ildégageunminimumdelumière.Monrevolveràportéedemain,jecommenceàdémonterlesvélos.Jesursauteàchaquecraquementetsaisismonarmeaumoindresouffledevent.Maisfinalement,
riennevientperturbermabesogne.UnecarrioleoùTomaspourraits’installerseraitl’idéal,maisjen’aipasassezd’outilsàmadisposition.Jemanqueégalementdetemps.Lameilleuresolutionestdemodifiernosvélosdefaçonàcequenouspuissionsymonteràdeux.Quandj’aiterminé,mesdoigtssontcouvertsdegraisse.Laluneadisparu.L’aubeestproche.J’ai
enveloppélaselledeTomasdanssonpantalonderechangepourlarendreunpeuplusconfortable.J’ai ajouté les deux roues de mon vélo au sien pour que le cadre puisse supporter le poidssupplémentaire.Ondiraitunpeuletricyclesurlequelj’aiapprisàpédaler.C’estd’ailleurscequim’a
inspirée.Ilmefautdesheurespourréussiràtoutassembler.Ironie:j’utiliselefildeferquem’avaitdonnéWill.J’essayemonœuvreetjelaconsolideàplusieursreprisesavantdedéciderqu’elleferal’affaire.Maisjesaisqu’ellenetiendrapeut-êtrepasjusqu’aubout.LefrontdeTomasestchaudetmoitemaispasbrûlant.Jeleréveilleetjel’obligeàavalerdespetits
morceauxdepoireetdelaviandeenluiexpliquantcequej’aiprévu.–Tuasjusteàt’accrocheràmataille.Jefaislereste.Jene lui laissepas l’occasiondeprotester et je videnos sacspournegarderque l’essentiel. Je
laissedecôtélacasserole,lapoêle,l’arcetlesflèches,plusieursbouteillesvides,lelivredecartes,laboursedel’hommeauxcheveuxgrisetlatroussedesecoursvide.J’yajouteàcontrecœurlapetiteboîte à outils de Tomas mais j’ai mon couteau et de toute façon, si mon vélo casse, je seraiprobablementincapabledeleréparer.Maseulechanceestquetoutsepassebien.Pourfinir,jeglisselafiolecontenantladrogueinconnuedansmachaussette.Jenesaispascequi
nousattendàlafindelaroute.Quoiquecesoit,mieuxvautyêtrepréparé.Quandtoutestprêt, jehisseTomassurlevéloquelesdeuxrouessupplémentairesempêchentde
basculerpendantlamanœuvre.Jeneprendspaslapeined’éteindrelefeu.Jem’installedevantetunefoisqu’ilapassésesbrasautourdemataille,jenousattachel’unàl’autreavecdesbandesdedrapquej’aitransforméesencorde.Sinoustombons,noustomberonstouslesdeux.Lecadregrince sousnotrepoids. Jepousse sur lespédales.Notre allure est celled’unescargot
maisjeneperdspascourage.Nousavançonsetensoi,c’estdéjàunevictoire.Pieddroit,piedgauche.J’appuiedetoutesmesforces.Auboutd’unpetitmoment,nousavonsatteintunealluredecroisière.Laroutedescendlégèrementetnousgagnonsdelavitesse.J’aifixéletranscommunicateurdeZeensurmonguidon.Dixkilomètres.Neuf.Huit.Lesoleilestdéjàhautdansleciel.Jetranspire.L’étreintedeTomassedesserre.Sesbrasglissent.Jem’arrêtepourvérifiersonétat.Ilfrissonne;
safièvreaaugmenté.Jeluifaisboirelamoitiédenotreréserved’eauetnousrepartons.Quelquepartderrièrenous,descoupsdefeuretentissent.Lapeurm’aideàaccélérer.Septkilomètres.Lesdeuxclôturesnesontplusdistantesqued’unepetitedizainedemètres.Jen’aperçoisnullepart
Willousonaérojet.Iladûarrivermalgrésablessure.Àmoinsque…est-ilpossiblequ’ilnousguettedansl’idéedefinircequ’ilacommencé?Sixkilomètres.JedemandeàTomass’ilpeutseredresserunpeuetmoinspesersurmoi.Ilveutbienessayer.Je
détachelescordes.C’estplusconfortablepourmoi.Jepeuxpédalerplusvite.Cinqkilomètres.Tomasvacilleetmenacedetomber.Jenousréattachel’unàl’autre.Troiskilomètres.J’aperçois des taches rouges et violettes au loin. Des officiels nous attendent. Je suis presque
arrivée.Derrièreeux,lesimmeublesdeTosuscintillent.LatêtedeTomasbringuebalesurmondos.Unenouvellefois,ilmanquedetomber.Macordedefortuneleretientàpeine,maisjenepeuxpasm’arrêter.Sijelefais,jen’arriveraipeut-êtrejamaisàleremettresurlevéloetsijedoisletraîner,ilnesurvivraprobablementpas.D’unemain,jecaledumieuxquejepeuxlecorpsinconscientdeTomas.Del’autre,jemaintiensle
guidon.Tousmesmuscleshurlentdedouleur.Maiscen’estpaslemomentd’écoutermadouleurouma fatigue. Je pédale. La silhouette des officiels est de moins en moins floue. Je distingue dessouriresetaussidesminesinquiètes.Toussetiennentderrièreunbandeaublanc.Laligned’arrivée.J’ignorelesofficielspourmeconcentrersurlebandeau.Ilapproche.Nousnesommesplusqu’à
quelquesmètres quand je sens Tomas basculer. Il m’entraîne avec lui. J’entends des cris étouffés.Devant,ledocteurBarnesm’observeavecintérêt.Personnenenousvientenaide.Nousnesommesplusqu’àcinquantemètresdelaligne.Lesofficielssecontententdenousregarder.Jesuis fatiguée, j’aipeuret j’aimalmaisàcet instantc’est la ragequiprend lepas.Lespoings
serrés,jescrutechaquevisageetjesouhaitedetoutmoncœurlesfairepayerpourlamortdeRyme,de Malachi et des autres. Pour cette fille dont j’ignore le nom et dont le corps repose sous descailloux.Pourleshumainsmutantsmassacrés.EtpourTomasetcesfoutuscinquantemètresrestants,tellement importants que les officiels sont prêts à le voirmourir sous leurs yeux plutôt que de lesauveraprèstoutcequ’ilatraversé.Jedétachelacordeetjemerelève.Jeprendslessacssurleporte-bagagesetlesbalancesurmon
épaule.Lesjambestremblantes,j’aideTomasàseredresser.Jeneregardepaslesofficiels.Pasunefois.Tomasestvivant.Jepassesonbrassurmonépauleetjemeplieendeuxpourfairelevier.Unpasaprèsl’autre,lesyeuxfixéssurl’asphalte,j’avance.Deuxfois,jesuisobligéedeleposerpourreprendremonsouffle. Jemeretourneet j’aperçoisunautrecandidatunpeuplus loin. Jedoismedépêcher.Etj’ysuis.UnderniereffortetTomasetmoifranchissonsensemblelaligneblanche.Jem’écrouleauxpiedsdudocteurBarnesquim’annonced’unevoixdouce:–Félicitations,MalenciaVale!TomasEndressetvousvenezderéussirlaquatrièmeépreuve.
CHAPITRE20
Centhuit candidatsont été sélectionnéspour leTest.Centhuit candidatsdont le seul espoir étaitd’entreràl’université.Aujourd’hui, nous sommesvingt-neufdans le réfectoire. Il paraît qu’unoudeuxdoivent encore
arriver.Lesofficielsm’ontapprisqueneufjourssesontécoulésdepuisquej’aifranchilaligned’arrivée.
J’ai été inconsciente pendant presque tout ce temps. Le poison dansmon bras était beaucoup plusdangereuxque jene l’aicru.Si jen’enavaispaspresséunebonnepartiehorsdemonsystème, jeseraismorte.Ilafalluplusieursheuresauxmédecinspourdéterminerquelmédicamentpermettraitd’éliminercequirestait.Ilsdisposentd’unmoyenpermettantdefairedisparaîtrelescicatrices,maisilsn’ontpul’utilisersurmoi.Jesuismarquéeàvie.Finalement, Tomas s’en est plutôt mieux sorti. Sa peau est parfaitement lisse, sans le moindre
stigmate.Dumoins,visible.VulafaçondontWilletluiseregardent,jesuiscontentequetouteslesarmesaientétéconfisquéesauxcandidatsàleurarrivée.Will.Ilestlàdansleréfectoire,nonloindemoi.Nosregardssecroisentetilm’adresseunsourireetun
clind’œil.Ilestassisavecd’autrescandidatsàquijen’aijamaisadressélaparole.Saufun.Brick.Iln’estpasencorevenumeparleretc’esttantmieuxparcequejenesaispassijeseraiscapabledelesupporter.Jemedemandes’ilacomprisqu’ilavaitmassacrédesêtreshumainsetsileursvisagesencharpieviennentlehanterquandildort.Del’autrecôté,Stacia,levisageaussiimpénétrablequelorsquenousl’avonsrencontrée,estseule.
Soncompagnondevoyage,Vic,estassisloind’elle.Tracelyn,quirêvaitd’êtreprofesseuretvoulaitrevoirsonpetitami,n’estnullepartenvue.LeregardvidedeVicet lepetitsourire triomphantdeStacianelaissentpasbeaucoupdedoutessurcequiluiestarrivé.Tomasetmoirestonsentrenous.Nousprenonsnosrepasensembleetquandonnousyautorise,
nous allonsmarcher dans le parc.Nous parlons de chez nous.Une fois, à voix basse, Tomasmeglissequ’il apeut-être trouvé lemoyenpourquenotremémoirene soitpas effacée.Pendantqu’ilétait à l’hôpital, il a entendu un médecin discuter avec un officiel. Ce dernier était inquiet car letraitementadministréàTomasestconnupour interféreravec laprocédureprévue. Ila insistépourquelemédecins’assurequetoutetracemédicamenteusesoitéliminéeavantlessélectionsfinales.– Ils pensaient que je dormais. Plus tard, quand l’infirmière m’a apporté mon cachet, j’ai fait
semblantdeleprendre.Jevaisessayerd’enrécupérerunautrelorsdelaprochainevisitemédicale.Certainesinfirmièressontplusdistraitesqued’autres.Avecunpeudechance,jepeuxyarriver.JenesuispassurprisequelesyeuxgrisetlesfossettesdeTomasaientlacapacitédedistraireles
infirmières.Quandilm’embrasse,jenepenseàriend’autre.
Aucoursdesdeux jours suivants,Tomas ajouteun cachet à celui qu’il avait déjà et deuxautrescandidatsfranchissentlaligned’arrivée.J’espèrequeZandriestparmieuxmaiscen’estpaslecas.Le soir même, les haut-parleurs nous annoncent que la dernière partie du Test commencera lelendemain.Jenelareverraijamais.Cettenuit-là,ellerejointlesfantômesquipeuplentmescauchemars.Sachevelureblondeestétalée
surlaterredesséchée.Saboucheestgrandeouverteetdescorbeauxluipicorentlesyeux.Jemeréveilleensursautetétouffeuncri.Ilmefautplusieursminutespourmerappelerquejesuis
aucentredeTest.Jen’aiplusrienàcraindre.Sauf que si. Les entretiens commencent aujourd’hui. Le danger est toujours là. Peut-être plus
présentquejamais.Monsacdanslesbras,jefixeleplafondjusqu’àl’aube.Personnenepartagemachambreetjen’ai
pas besoin de dormir avecmon sac, mais les habitudes ont la vie dure. Aux premières lueurs del’aube,jemelèvepourprendreunedouche.Danslapochedupantalonquejeportaishier,jetrouvelafiole. Comme l’homme en grisme l’avait promis, elle était toujours là quand onm’a rendumesaffaires.Assiseparterre,jefaisroulerleflaconentremesdoigts.Juste avant l’entretien, ils vous feront avaler un produit qui vous encouragera à répondre
honnêtementàleursquestions.Vousnepourrezpasvousempêcherdetoutraconter.Mêmecequevousaimeriezgardersecret.C’estcequel’hommem’adit.Jeluiairéponduquejen’avaisrienàcachermaisjemetrompais.
MesréponsespourraientmettreendangermonpèreouZeen.Ounotreancienneprofesseur.Sicettefiolepeutmepermettredenepaslesincriminer,jedoislaprendre.Maislamêmequestionrevient.Ets’ils’agissaitd’unautretestdudocteurBarnes?Danscecas,jerisquelamort.Ilsontprouvémaintesfoisqu’ilsn’accordaientaucuneimportanceàlaviedescandidats.Jedoisfaireunchoix.Quandlehaut-parleurannoncelepetitdéjeuner,jen’aipasencoreprismadécision.Jenepeuxpas
attendrepluslongtemps.Ilsvontbientôtsedemanderpourquoijenesorspasdelasalledebains.Jedébouchelafioleetenavalelecontenu.Lasécuritédemafamilleestlapriorité.Jenevaispas
tarderàsavoirsij’aieutortouraison.Pourlemeilleuroupourlepire,leTestsetermineaujourd’hui.Auréfectoire,l’ambianceestauchahut.Laplupartdescandidatsontprisplaceaumilieudelasalle
comme pour prouver qu’ils n’ont rien à craindre de l’évaluation finale. Will est au centre d’ungroupe.Ilplaisantebruyamment.Ilmeregardem’asseoir.Je grignote un morceau de pain en attendant Tomas et les éventuels effets de la drogue. Je ne
remarquepasqueWills’estapprochéavantd’entendrelecrissementdelachaiseàcôtédemoi.Ilselaissetomberdessusetmorddanssapommeenmeregardant.–Jemesuisditqueçateferaitplaisirdesavoirquej’aifaillimourir.Tonderniercoupdefeua
faitexplosermonappendice.Heureusementqu’onn’enapasvraimentbesoinpourvivre,sinon,jeneseraispaslà.Jerestesilencieuseetsonsourires’évanouit.–OK,jesaisqueçavateparaîtreidiot,maisjesuiscontentdenepast’avoirtuéecommejel’avais
prévu.–Tuasraison,çameparaîtidiot.Jenepeuxpasm’empêcherd’ajouter:–Jetefaisaisconfiance.–Oui,c’esttontalond’Achille.Undirigeantestcenséinspirerlaconfiance,pasl’accorderaussi
facilement.
–TuavaisconfianceenGill.Une expression de douleur traverse brièvement son regard, presque aussitôt remplacée par un
souriremauvais.–Montalond’Achilleàmoi.Aprèssondépart,j’aieudumalàmeconcentrerpourladeuxième
épreuvemaisjemesuisrattrapéàlatroisièmeetlaquatrième.Jecroisquej’aidémontréaucomitémacapacitéàmeconsacrerentièrementàlaréalisationdel’objectifquejemefixe.–Zandrin’arienremarquédespécialdanstoncomportementlorsdelatroisièmeépreuve.–C’estparcequ’elleestpasséelapremière.Cen’estquequandtuasracontécequeRomanavait
faitqu’elleacommencéàcomprendre.Noussommeslesdeuxseulsdenotregroupeàêtrerevenus.Jesecouelatête.Jen’arrivepasàycroire.Will,commeRoman,achoisidetrahirsescamarades
afindeleséliminerdelacompétition.J’auraisdûm’endoutermaisj’étaistropabsorbéeparleretourdeBrick.Sij’avaisfaitplusattention,Tomasneseseraitpaspriscetteballedansleventre.MaisilestvraiaussiquesansWill,Tomasetmoin’aurionspeut-êtrepassurvécuànotrerencontreavecRoman.–Jet’aiprispourquelqu’undebien,Will.–Jesuisquelqu’undebien,rit-il.–Lesgensbiennetuentpaslesautres.–Cen’estpourtantpascequiaétéleplusdifficile.Chezmoi,j’allaissouventàlachasseauxloups.
C’étaitunpeupareil.Ilsuffitdeviser,tireretleproblèmeestrésolu.–C’estaussisimplequeçapourtoi?Unebileamèreemplitmagorge.–Lajeunefilleblondequetuasabattued’uncarreaud’arbalèten’étaitpasunanimal.Elleavaitune
famille,desamis.ElleessayaitdesurvivreàceTest.Commetoi.Jem’attendsàcequ’ilsedéfende,essaiedemeconvaincrequec’étaitunmalnécessaire,laseule
façonpourluid’entreràl’université.Maisaulieudeça,ilbaisselavoixetmechuchote:–Elle s’appelaitNina.Ellevenait de la coloniePierre.Unedes fillesqui est revenueest allée à
l’écoleavecelle.Nina. Je pense au bracelet dans mon sac et je suis heureuse d’avoir cette information. C’est
importantàmesyeux.Willhochelatête.–Ettuasraison,Cia,cen’estpassifacile.L’acteenlui-mêmeestsimple,maisvivreavecl’idéede
l’avoirfait…Ilsoupire.–Peut-êtrequec’est à çaqueceTest sert, finalement.Undirigeant éclairé estparfoisobligéde
tuer,ildoitensuiteapprendreàvivreaveclesdécisionsqu’ilaprises.C’estcequejevaisfaire.–Tucrois réellementquec’était lebutdecettequatrièmeépreuve?Apprendreà tueretàvivre
avec?Ilhausselesépaules.–Onvabientôtlesavoir,detoutefaçon.JemerappellelesmotsdeStacia,quifontéchoàceuxdeWill.JerepenseaudocteurBarnesquia
froidementregardélecorpsdeRymesebalancerauboutdesacorde.Croyait-il réellementquesamortétaitunmalpourunbien?Enréalité,j’aipeurqueWillaitraison.Moiaussi,j’aiôtéunevie.Sic’estlecritère,j’aitoutesmeschances.Enrevanche,jenesuisplussi
certainedevouloirdevenirunedirigeantedelaCommunautéUnifiée.Pass’ils’avèrequelemeurtreestunevaleurplusestiméequelacompassion.Unmouvementàl’entréeduréfectoireattiremonattention.Jesourispourlapremièrefoisdela
journée.Tomas.IlserrelamâchoireenapercevantWill,etaulieudemerejoindre,ilprendletempsderemplirsonassiette.SiWillestunpeumalin,ilserapartiavantqueTomasarrive.Ilasuivimon
regardetgrogneàmi-voix:–J’auraisdûmedouterquetutrouveraisunmoyendelesauvercommetum’assauvé,moi.Etsije
suiscontentdenepast’avoirtuée,jeregrettedel’avoirraté.Ilselèveetsepencheversmoi.–Navréde te ledire,Cia,mais ilneméritepasplus taconfiancequemoi.Etencoremoins ton
amour!Surcesmots,ilm’adresseundeseséternelsclinsd’œilets’éloigneàgrandspas.Tomass’assoitprèsdemoi.–Qu’est-cequ’ilvoulait?Bonnequestion.Jenesuispassûredeconnaîtrelaréponse.–Ilestvenumedirequ’ilétaitcontentquejesoisenvie.Etqu’ilregrettaitquetulesoisaussi.Tomasesquisseunsourire.–Dommagepourlui,parcequej’ail’intentionderesterdanslesparages.–Jesuiscontentedelesavoir.–C’estcequej’espérais.Ilregardeautourdeluietmedemande:–Tutesensprêtepourl’entretien?LeriredeWillrésonnedansleréfectoireetjemedemandeunenouvellefoiss’ilaraisonsurle
butfinaldeceTest.JeprendsunegrandeinspirationavantderépondreàTomas:–Cenesontquequelquesquestions.Aprèscequ’onavécu,çavaêtredugâteau.
–Bonjouràtous.Surl’estradedel’amphithéâtre,ledocteurBarnesnoussourit.– Félicitations. Votre intelligence, votre ingéniosité et votre implication nous ont beaucoup
impressionnés.Cettequatrièmeépreuvevousadonnél’occasiondedécouvrirlesterresdévitaliséesetdevousrendrecompteparvous-mêmesdel’ampleurdelatâcheàlaquelleestconfrontéel’élitedelaCommunautéUnifiée.Vousavezvécudesmomentsdifficilesetbeaucoupd’entrevousontéchoué.Maislesdécisionsquedoiventprendrenosdirigeantssontencorepluscomplexesetlesconséquencespotentiellementplusgraves.Nous sommes conscients de cequenous avons exigédevous et noussommesheureuxquevoussoyezplusnombreuxqueprévuàavoirréussi.Notregroupedesurvivantsmeparaîtminuscule.Jemedemandecombienilenrestait lesannées
passéespourqueledocteurBarnessoitainsisatisfait.–Biensûr,vousvousposezdesquestionssurlesentretiensquivousattendentaujourd’hui.Jesuis
heureuxdevousapprendrequ’ilsserontcourtsetquelesquestionsserontsimples.Vousavezdéjàfaitlapreuvedevosaptitudesintellectuellesdanstouslesdomaines,devotrecapacitéàsurvivredansdesconditionsextrêmesetàrésoudredesproblèmespresquesansressources.Noussavonsquevousêtesbrillants;àprésent,nousaimerionsensavoirplussurvotrepersonnalitéetcequilaconstitue.Nousallonsvous interrogersurvotrefamilleetvotrecolonie,ainsiquesur lesdécisionsquevousavezprises durant le Test. Soyez honnêtes et ouverts. Restez tout simplement vous-mêmes. La seulemauvaiseréponsepossibleestlemensongecarundirigeantsedoitd’êtredroitethonnête.Pendantquejemedemandecommentilscomptentfaireappliquercetterègleetquellepunitionils
ontprévupourceuxquil’enfreindraient,ledocteurBarnespoursuitsesinstructions.–Chacund’entrevousserainterrogéparcinqofficielsetlesentretiensn’excéderontpasquarante-
cinq minutes. Vous êtes priés de ne rien lire jusqu’à ce que vous soyez appelés. Quand ce seraterminé,vousserezescortésjusqu’àvotrechambreoùvousattendrezlesrésultats.Jevouspréviens
qu’ilnousfaudrasansdoutebeaucoupdetempspourprendrelesdécisionsdéfinitives.Vousdevrezfairepreuvedepatiencependantquenousdétermineronslesquelsd’entrevoussontlesplusaptesàentreràl’université.Certainsmembresducomitésonttêtus.Ilnousadresseunderniersourirechaleureuxavantdeconclure:– Je vous souhaite bonne chance à tous. J’ai hâte de travailler avec tous ceux d’entre vous qui
entrerontàl’universitél’anprochain.Nousallonsfaireensembleunexcellenttravail.LedocteurBarnessortdel’amphithéâtreetunefemmeauxcheveuxgrisvêtued’unetuniquerouge
montesurl’estradeàsaplace.–Quandvousentendezvotrenom,vousêtespriésderejoindrelecouloir.Unofficielvousyattend
etvousescorterajusqu’àlasalled’évaluation.–VictorJosslim.Vic,lerouquinauregardperdu,selève.Ilsort,têtebaissée.Ilestpâlecomparéaugarçonquej’ai
rencontrésurlaroute.Ilachangé.Nousavonstouschangé.Alorsqued’autresnomssontappelés,jem’accrocheàlamaindeTomasetjemedemandesicen’estpaslaraisonpourlaquellelesmembresducomitéeffacentnotremémoire.Afinquenouspuissionsabandonnernotrefardeau.Afinquenousredevenionslesjeunesgensinsouciantsetoptimistesquenousétionsenarrivant.Ceuxquipensaientqu’ilspouvaientchangerlemonde.Tomasseraidit.C’estsontour.J’effleuresajouedemeslèvrespourluisouhaiterbonnechance.Et
c’est seulement à cet instant que jeme rappelle : c’est lui qui a les cachets.Notre seule chance degarder notre mémoire intacte. J’espère que nous nous recroiserons avant que les officiels nousdonnentleurdrogue.Sicen’estpaslecas,Tomasdevrasesouvenirpournousdeux.Peu à peu, l’amphithéâtre se vide. J’essaie en vain de ne pas m’agiter sur mon siège en me
demandantquelgenredequestionsilscomptentmeposersurmafamille.LedocteurBarnesabeauaffirmer que seul le mensonge constitue une mauvaise réponse, je sais que c’est faux. Quatorzecandidatsdoiventencoreêtreéliminés.Lecomitécherchecertainementune informationspécifique.Maisj’ignorelaquelle.–MalenciaVale.Jemelèveentremblantunpeu.Moncœurcognedansmapoitrine.Jerépètelesmotsdudocteur
Barnesdansmatête,«soyezvous-mêmes».Unofficielmeconduitdevantuneporteetmedemanded’attendre.Ilentreetj’entendsmurmurer.Jemerongel’ongledupouceenmeretenantdefairelescentpas.Laportenes’ouvrequ’auboutdeplusieurslonguesminutes.–Entrez,lanceunevoix.«Soyezvous-mêmes.»Aulieudemecalmer,cesmotsnefontqu’augmentermonangoisse.Parcequejenesuispassûre
decequeçaveutdire.Nimêmed’enêtrecapable.JenesuispluscellequiaquittélesCinqLacs,cellequicroyaitqu’undiplômepouvaitfaired’unenfantunadulte.Jen’étaisencorequ’unepetitefilleetmaintenant…Aprèstoutcequej’aivuettoutcequej’aifait,jenesaisplusquijesuis.Ilfautnéanmoinsqueje
leurmontrequelquechose.C’estcequ’ilsattendentdemoi.
CHAPITRE21
Lesmursdelapetitepiècesontd’unblancéclatant.Iln’yapasdefenêtre.Cinqofficielssontassisderrièreunelonguetablenoire.Deuxenrouge,deuxenvioletetledocteurBarnesquimefaitsigned’approcher.Au milieu, une petite table et une chaise semblent m’attendre. Ainsi qu’un verre contenant un
liquideaussiclairquedel’eau.–Jet’enprie,bois.Cen’estpasunesuggestionmaisunordre.LedocteurBarneshochelatêteenmevoyantprendrele
verre.Un arrière-goûtmétallique et amerme reste dans la bouche. Presque immédiatement, tousmes
musclessedétendent.Aprèsêtrerestéesurmesgardessilongtemps,lasensationestextraordinaire.Je sourismalgrémoi.Ceque jeviensd’avalern’est pasun simpledécontractantmusculaire, c’estégalementuneuphorisant.Jemesensincroyablementbien.–Sérumdevérité.Lesmotssontsortisdemabouchesansquejepuissemecontrôler.LedocteurBarnesacquiesce.–Vousêteslapremièrecandidateàledeviner.–Lesautresavaientpeut-êtresimplementtroppeurpourvousledire.Unenouvellefois,j’aiexprimémapenséesansprendreletempsdelasoupeser.LedocteurBarnes
éclatederire.–Oui,c’estpossible,m’accorde-t-il.C’estbienpourçaquenousvousdonnonscettedrogue.Nous
savons que cet entretien est extrêmement stressant et votre anxiété risque d’altérer votrecomportementetdoncnotrejugementsurvotrevéritablepersonnalité.Monesprits’estunpeuéclaircietcettefois,jeprendsletempsderéfléchiravantdereconnaître:–Jenesuisplustrèssûredesavoirquijesuisvraiment.–C’estcequenousallonsessayerdedécouvrirensemble.Parlez-nousdevotrefamille,Cia.Ma famille. Je prends une longue inspiration pour me donner un peu de temps. Que j’en sois
capableindiquesansdoutequelecontenuduflacondonnéparl’hommeauxcheveuxgrisfonctionne.Maintenant,jedoisleurdonnerlaréponsequ’ilsattendent.Maisqueveulent-ilsentendre?Je décide de m’en tenir à l’essentiel. J’énumère le nom de mes parents et de mes frères. Les
officiels me posent quelques questions sur les Cinq Lacs et j’y réponds de mon mieux. Leursinterrogationstournentpresquetoutesautourdemonpère.Cequ’ilm’aappris,cequ’ilm’aracontésurleTest.J’expliquequ’iln’apresquepasdesouvenirs.–Maisilm’aprévenuequecertainscandidatsseraientsansdouteprêtsàtout.L’interrogatoire sepoursuit.Même si je suis trèsdétendue,monesprit reste suffisamment alerte
pourm’éviterdemettrema familleendanger.Quand ledocteurBarnesmentionnequ’il a entendu
dire que mon frère avait dirigé plusieurs projets ambitieux pour mon père, je n’hésite pas uneseconde.Jemens.–Monpèreessaie toujoursdefaire retomber leméritedesessuccèssur lesgensqui travaillent
pourlui,qu’ilsleméritentoupas.J’aimebeaucoupZeenmaissontravailestsouventbrouillonetlaplupartdutempsinachevé.J’ai à peine le temps deme réjouir d’avoir évité cet écueil qu’un autre se dresse devantmoi. Il
s’agitcettefoisdemonpère.Veut-ilquesesenfantsmarchentsursestraces?Était-ilheureuxquejesoissélectionnée?Jedonnedesréponsessimples,sansfioritures.Jen’évoquenilescauchemarsdemonpère,nisacrainteenapprenantquej’avaisétéchoisiepourleTest.Rienquileurpermettedesedouterdequoiquecesoit.OnabordeensuitelesujetduTestlui-même.Pourquoiai-jeprévenuBrickquandj’aicomprislatrahisondeRoman?Sij’avaisgardécetteinformationpourmoi,jemeseraisrévéléunebienpiètrecoéquipière.Pourquoiai-jeenterrélacandidateinconnue?Mesparentsm’ontapprisàrespectermessemblables.Ai-jeétéapprochéepardespersonnesdel’autrecôtédesclôtures?Non.Commentai-jevéculatrahisondeWill?FaireconfianceàWillétaituneerreur.Uneerreurquejenecomptepasreproduireàl’avenir.LedocteurBarnesm’examine,mescrute,m’étudie,pèsechacundemesmots.–Parlez-nousdevotrerelationavecTomasEndress.Cettequestionmeprendparsurprise.J’hésiteavantderépondre.–Noussommesamis. Ilditqu’ilm’aimemais jepensequec’estparceque je lui rappellenotre
colonie.–Vousressentezcertainementplusquedel’amitiépourM.Endress.Pourquoi,sinon,auriez-vous
risquévotreviepoursauverlasienne?Jememordslalèvreavantderépondre:–Mafamillem’aapprisquenousdevionsnousentraider,que la loyautéet lasolidaritésontdes
valeursessentielles.C’estainsiquefonctionnenttouslescitoyensdesCinqLacs.LedocteurBarnessepencheenavant:–Estimez-vousqueprendreletempsdemodifiervotrevélopourl’aiderétaitunedécisionsage?–Çaamarché.Noussommestouslesdeuxenvie.–C’estvrai,sourit-il,maisjecrainsquevousnesoyezémotionnellementtropattachéeaucandidat
Endress.Le ton légerdissimulemal lamenace.Même lesautresofficiels se trémoussentdans leur siège,
malàl’aise.Lesilences’étire.JesuissansdoutecenséedirequelquechosemaisledocteurBarnesnem’apasvraimentposédequestion.Jeneveuxpasm’avancertropàdécouvertetquelquechosemeditquemaréactionestcapitale.Auboutd’unmoment,jefinisparreconnaître:–Jenecomprendspas.– L’attachement émotionnel est à proscrire dans certaines situations, consent à m’expliquer le
docteurBarnes.Parexemple,quesepassera-t-ilsivousêtesacceptéeetqu’ilnel’estpas?–Jeseraiheureusepourmoietdéçuepourluiquelecomitén’aitpasreconnusonpotentiel.Ilest
intelligentetpleinderessources.Ilatoutàfaitsaplaceàl’université.–Votredéceptionpourrait-elleavoirunimpactsurvosperformancespersonnelles?Je réfléchis à toute vitesse. Je ne veux surtout pas desservir Tomas. Affirmer que je suis
indifférenteseraituntropgrosmensonge.Ilsdevineraientquelesérumn’apasfonctionnésurmoi.Aprèstout,commel’afaitremarquerledocteurBarnes,jeluiaisauvélavieaurisquedelamienne.
Jerésisteàl’enviedem’essuyerlespaumessurmonpantalon.–Touslesdirigeantsdoiventparfoisfairefaceàdesdéceptions.Si jedoisapprendrecetteleçon
maintenant,ceserasansplaisir,maisjeferaidemonmieuxpourqueçan’affecteenrienmontravail.Lesofficielsseregardentpendantquej’attendsqueledocteurBarnesrevienneàlacharge.Ilme
fixeenfaisantroulersoncrayonsurlatabledevantlui.Jeresteparfaitementimmobileetjenebaissepaslesyeux.Undesofficielstousse.Unautres’éclaircitlagorge.Lesminutespassent.Enfin,ledocteurBarnesprendlaparole:– Je pense que nous avons toutes les informations dont nous avions besoin. Àmoins que mes
collèguesveuillentajouterquelquechose?Les quatre officiels secouent la tête. L’entretien a duré à peine vingt minutes. On ne m’a posé
aucunequestionsurmesperformanceslorsdestroispremièresépreuvesetfinalementtrèspeusurlaquatrième.Leurdésintérêtsignifie-t-ilquej’aiéchoué?Lesofficielss’adossentàleurchaise.C’estterminé.Jevoudraisleurdemanderd’attendre, leurexposercequejepense, lesconvaincreque lescandidatsquionttrahilesautres,abusédeleurconfiance,nedevraientpasavoirlamoindrechancededevenirdesdirigeants.LeurrépéterquesijenesuispluslajeunefillequiestarrivéeàTosupleined’idéauxetd’espoir,jeméritequandmêmemaplaceàl’université.Pasparcequejeveuxparticiperàcesystème.Non,jen’enaiplusenvie.Maisseulementparcequejeneveuxpasmourir.Avantquej’aieletempsd’ouvrirlabouche,ledocteurBarnesmedemande:–Avez-vousdesquestionsànousposer?C’estl’occasiondebriller,delesimpressionner,deleurdémontrerlaprofondeurdemescapacités
d’observationetd’analyse.Maisriendecegenrenemevientàl’esprit.Ilyaunechoseetuneseulequej’aienviedesavoiràcet instantprécis.Peut-êtreparcequejeviensd’évoquerlesCinqLacsetnotrepetitecommunautéunie.OuparcequeWillapris le tempsdese renseignersur la jeunefillequ’ilatuée.Mêmesileschancessontminces,ilsepeutqu’unjourjerentreàlamaison.SilescachetsqueTomas a chapardés à l’hôpitalmepermettentdegardermes souvenirs intacts, jepourrai allervoirlafamilledeMalachi.Luiracontercommentilestmort.EtjeferaidemêmepourlafamilledeZandri.–Qu’est-ilarrivéàZandriHickspendantleTest?Commentest-ellemorte?LedocteurBarnesesquisseunsourire.–Moiquipensaisquevousl’aviezcompris.Maislaréponsevousviendraprobablementàlafinde
cetentretien.Aprèstout,vousavezsonbraceletdansvotresac.Puisiljetteuncoupd’œilàsamontreetsoupire:–Nousarrivonsautermedecetteévaluation.Jevousféliciteencored’êtrearrivéeaussiloin,Cia.
C’étaitunréelplaisirdevousvoiràl’œuvre.Unofficielm’escortejusqu’àlaporte.Mesgenouxvacillentetmenacentdesedérober.Sansdoute
un effet secondaire de ce qu’ils m’ont fait avaler, ou tout simplement du stress, car l’officiel mesoutientsanscommentairejusqu’àmachambre.Àprésent,jesuisseule.Seuleavecmonangoissed’avoirtoutratéetlesderniersmotsdudocteur
Barnes.Zandri.PourquoiledocteurBarnesa-t-ilcruquejesavaiscequiluiétaitarrivé?Jenel’aijamaiscroisée
durantleTest.Qu’a-t-ilvouludireaveccettehistoiredebracelet?Jerenverselecontenudemonsacsurmonlit.Mesvêtements,letranscommunicateur,moncouteau.Unpetitmorceaudedrapdéchiré.Toutleresteadisparu.Sauflestroisbraceletsd’identificationdanslapochetteavant.Jepassel’indexsur le premier. Un triangle avec une roue. Il appartenait à la jeune fille que Tomas etmoi avonsenterrée. Nina. Qui venait de la colonie Pierre pour passer un examen et a fini assassinée par laCommunautéUnifiée.Carsic’estbienWillqui l’a transpercéed’uncarreaud’arbalète,cesont les
officiels du comitédeTest qui sont lesvrais responsables.Combien d’autres candidats sontmortsainsiaucoursdesannées?Etcombiendecandidatsonttuédesjeunesgensdeleurâge?Unenouvellefois,lacolèremenacedemesubmerger.Ilmefautunmomentpourmecalmeretme
penchersurlesdeuxautresbracelets.D’aprèsledocteurBarnes,l’und’entreeuxestlaréponseàmaquestion.Lepremier est celui deRoman,unXdansun cercle.Sur ledeuxième, le symbolegravéreprésenteunefleurstyliséedansuntriangle.DesimagesdenotrevoyagedeCinqLacsàTosumereviennent.ZandriflirteavecTomasentripotantsonbracelet.Aveccemêmesymbole.Maispourquoiest-ilenmapossession?JemerepassetouslesévénementsquisesontdérouléspendantleTest.Unparun.Macoursedans
lesruinesdeChicago.L’oasispiégée.LesorbitesvidesdeNina.Lafuitedevantlesloupsmutants.LarencontreavecStacia,VicetTracelyn.Lavilleaulabyrinthe.Will.LemassacredeBrick.L’attaquedeRoman. Les coups de feu alors que nous étions si près du but. Will et Tomas qui se battent. LamodificationduvélopourramenerTomasjusqu’àTosu.Etsoudain,undétailmerevient. Insignifiant.Willvenaitdenous trahir,Tomasperdaitsonsang.
J’avaisbesoind’allumettes.J’aifouillédanslesacdeTomas.C’estlàquej’aitrouvélebracelet.J’aialorscruquec’étaitledeuxièmebraceletdeNina.Maisjemetrompais.C’étaitceluideZandri.Quefaisait-ildanslesacdeTomas?Durant les trois semaines et demie du Test, Tomas etmoi avons toujours été ensemble, sauf la
premièrejournée.Avait-il trouvécebraceletàChicagoavantquenousnousretrouvions?Danscecas,pourquoinepasmel’avoirdit?Parcequ’iln’avaitpaslecœuràm’annoncerqueZandriavaitéchouéalorsquenousvenionsàpeinedecommencer?C’estpossible.JeneseraispasétonnéequeTomasaitvoulumeprotéger.Maisest-cebiencequi
s’estpassé?Tomasetmoiavonsétéséparésuneseuleautrefois.Lavéritémeclaqueauvisagecommeunegifle.LesangsurlecouteaudeTomas.Sonregardhanté.L’avertissementdeWillaffirmantqueTomasn’estpasceluiquejecrois.Lecandidatqu’ilsontrencontrépendantmonabsencen’étaitpasuninconnusansnomoriginaire
delacoloniedeColoradoSprings.C’étaitZandri.Lesélémentssemettentenplacedansmatêteavecuneforcequimecoupelesouffle.Jenepeuxplusbouger,plusrespirer.Jeneparviensqu’àserrerdansmonpoinglebraceletdecettemagnifiquejeunefilledontletalentétaitadmirédetousàCinqLacs,quiessayaitd’attirerl’attentiondeTomas.QueTomasatrèsprobablementtuée.Non.Jenepeuxpaslecroire.Tomasestincapabled’untelacte.Saufs’iln’avaitpaslechoix.Je
l’ailaisséavecWill.C’estsûrementluiquis’enestprisàZandri.Ilssesontpeut-êtredisputéset…Lesdifférentsscénariospossiblesdéfilentdansmatête.Lesproduitschimiquesquej’aiingurgités
aujourd’huim’empêchentd’avoirlesidéesclaires.Lebraceletàlamain,jeparcoursmachambredelong en large comme si ça allaitm’aider à découvrir la vérité. J’ai beau refuser de croireTomascapabled’avoirtuéZandri,jesuistroubléeparsonrefusdemeracontercequis’estpassécejour-là.Colère, sentiment de trahison, peur, douleur, tous ces sentiments me frappent avec violence. Je
tombeàgenoux.Maisjenepleurepas.Jerefuse.Jen’aipasoubliélacaméradansleplafondetilesthorsdequestionquejedonneaudocteurBarnesetauxautresofficielslasatisfactiondemeslarmes.Ce sont eux les véritablesmeurtriers de Zandri. Ce sont eux qui ont inventé ce jeu cruel en nousdemandantd’ysurvivreà toutprix.Quoiqu’ait faitTomas, je suiscertainequecen’étaitpaspourobteniruneplaceàl’universitémaisparcequ’ilapenséquesavieétaitendanger.
Uncoupàlaportemefaitsursauter.J’ouvresurunofficielquimetendunplateauetm’annoncequelecomitéesttoujoursentraindedélibérer.Leverroudelaserrureclaque.Ilnemerestequ’àattendre.Lemenuestextravagant.Unénormesteakgrillé,roseetjuteuxàl’intérieur,despommesdeterreà
la vapeur – la variété créée parZeen –, des crevettes avec un quartier de citron et du beurre, unesalade de légumes frais et de noix, un verre glacé rempli d’un liquide transparent et gazeux, unebouteilled’eauetungâteau.Unrepaspourcélébrerdignementnotresuccès–nousnesommespasencoremorts,çasefête!
Jamaisdemaviejen’aieumoinsenviedemeréjouirdequelquechose.Mais la caméram’observe et je coupema viande. Elle est sans doute délicieusemais j’arrive à
peineàavalerchaquebouchéesansvomir. Jegoûteau liquidegazeuxet le repose immédiatement.C’estdel’alcool.C’estlamêmeboissonqueZeenm’avaitapportéepourmeconsoler lesoirde laremisedesdiplômes.Elleavaitcesoir-làlegoûtdeladéception.Aujourd’hui,ellealegoûtdechezmoi.Jevidelabouteilled’eaud’unetraiteetboisdeminusculesgorgéesd’alcool;çamedonneunpeu
l’impressionqueZeenest avecmoi. J’arrive àmanger la salade et je laisse le gâteaude côté.Lesderniersrayonsdusoleildisparaissentàl’horizonetjemedemandesilecomitéauraprissadécisionavantl’aube.Unofficielvientrécupérerleplateau.Unefoislaporterefermée,j’entendsdenouveauleverrou
tourner. La lune me tient compagnie pendant que les minutes et les heures s’écoulent. Je pense àZandri etMalachi, j’analyse chaque instant demon entretien pour essayer de déterminer si j’ai lamoindrechance.Jefinisparm’endormir,recroquevilléesurmonsac.Aumatin,onm’apporteunnouveauplateau.Ladélibérationn’esttoujourspasterminée.L’officiel
medemanded’êtrepatienteets’enva.Desplateauxarrivent,desplateauxrepartent.Toujourspasdenouvelles.Je cherche quelles raisons auraient pu pousser Tomas à s’en prendre à Zandri et n’en trouve
aucune. Zandri était certes une forte tête qui ne se laissait pas marcher sur les pieds, mais je nel’imaginepasuninstantattaquerTomas.Jesaisqu’ellel’appréciait.Peut-êtreétait-ellemêmeunpeuamoureusedelui.Etmaintenant,elleestmorte.J’essaiededormirpourempêchermespenséesdemetorturer,maisledocteurBarnesetd’autres
officielsm’attendentdansmonsommeil.Ilsévaluentunparunlescandidatsmorts.Ryme,Nina,Malachi;Boyd,Gill,Annalise,Nicolette,Roman,Zandri.Descorpss’empilentdans
uncoindelasalle.Lesofficielsmefixent,ledocteurBarnessecouelatêteetdéclarequej’étaisunecandidateprometteusemaisquemalheureusement,j’aisuivilesmauvaisespersonnes.Undirigeantnepeutpassepermettrelamoindreerreur.J’aiéchoué.Unofficielsortunearbalètedesouslatable,meviseettire.Lecarreaumepénètredansleventreetjehurle.Jemeréveilleparterre.Resterenferméedanscettechambresansaucunautrecontacthumainquel’officielquim’apporteà
manger menace de me rendre folle. Je fais les cent pas puis je m’assois et je reste sans bougerpendant des heures. J’attends encore et encore, mais rien ne vient. Cette attente fait-elle partie duTest?LedocteurBarnesetsesamissont-ilsassisderrièreleursécransàobservernosréactions?Lesautres candidats sont-ils aussi nerveux et impatients que moi ? Mes cauchemars jouent-ils en madéfaveurouunsommeilininterrompuserait-ilinterprétécommeuneindifférenceindésirable?Jefixelacaméra.Jemefichequelesmembresducomitécomprennentquejesuisaucourantde
son existence.Peut-êtremêmeque j’ai envie qu’ils le sachent.Pour leur prouver que je suis assezintelligentepouravoircomprisqu’ilyenavaitune.Alorsquejem’endors,jepenseunenouvellefoisauxcandidatsmortsetquiserontbientôteffacésdenotremémoiresiTomasetmoinetrouvonspas
unmoyendel’empêcher.Lescandidatsayantéchouéàlapremièreépreuveont-ilsétééliminésoulecomité s’est-il contenté d’effacer leur mémoire ? Ces cent dernières années, la population de lacommunautéa-t-elleaugmentésuffisammentpourquelegouvernementpuissesepermettrederayerdelacartedesdizainesdesescitoyenslesplusprometteurs?Etsicescandidatssonttoujoursenvie,oùsont-ils?Après le plateau du matin, je commence à ne plus supporter les yeux qui me regardent et les
oreilles quim’écoutent hurler dansmon sommeil. Face à la caméra, je détachemonbracelet et ledéposeàcôtédeceluideZandrietNina.J’ôteégalementlebraceletdemonsacquejeprendsavecmoiavantdem’enfermerdanslasalledebains.L’illusion d’être seule – vraiment seule – me permet de décompresser un peu. Je prends une
douche,puis jem’assoispar terre et sorsmes affairesdemon sac.Mesvêtementsquemamère acousus, le couteau que mon père a touché, le transcommunicateur avec lequel mon frère Zeen atravaillé. Ces objets ont un lien avec celle que j’étais. Débarrassée du poids de la caméra, jem’autorise à pleurer en portant chacun de ces objets à mon visage. Cette fille des Cinq Lacs memanque.Sonoptimismeetsonespoirmemanquent.Sa foi en l’avenir.Si lescachetsdeTomasnefonctionnentpas,l’oublilaramènera-t-il?Effacermessouvenirseffacera-t-ilégalementlesombresquimehantent?Peut-être,etpendantquelquesinstants,j’aienviedecetteignorancebénie.Jeveuxdenouveaurêver
sansavoirpeur.Jesursauteenentendantunevoixmasculine.Jecherched’oùellevientavantdecomprendreque
c’estdutranscommunicateurserrédansmamain.«Lesoldusecteur4montredessignesencourageants.Letauxderadiationestpresqueinexistant.
Lanouvelleformulesembleefficace.»Zeen. Sa belle voix grave si familière. J’ai mal de l’entendre. J’ai dû, sans m’en apercevoir,
appuyer sur un bouton qui a déclenché la lecture d’un enregistrement. J’ignorais que letranscommunicateuravaitégalementcettefonction.«Prévenirpapaquedesanimauxsontmaladesdans lesecteur7.Peut-êtreàcausedesnouvelles
baiesquenouscultivonslà-bas.Nousdevrionsentamerunprotocoledetests.»JemerappelleavoirentendumonpèreetZeenendiscuter lorsd’undînerunesemaineoudeux
avant la remise des diplômes. Ils avaient débattu de ce problème jusqu’à une heure avancée,m’autorisant même à participer et à proposer une ou deux théories. J’avais été fière qu’ils meconsidèrentcommeuneadulte.Çamesemblesipuérilaujourd’hui.Pendantunmoment,j’écoutelavoixdeZeenquidécritleszonesàl’extérieurdesCinqLacsque
monpèreetsonéquipetententderevitaliser.Ilditungrosmotetçamefaitrire.Etpuispleurer.Cen’estqueplustardquejemedemandecommentfonctionnel’enregistreur.Jefinispartrouverle
bouton.Manifestement, cette partie a été ajoutée, sans doute par Zeen. Avec le tournevis de moncouteau,j’ôtelaplaquedeprotection.Unepetiteboîtenoireaétécaléeentrelescircuits.Jen’aipasbesoind’observer très longtemps le travail soigneuxdemonfrèrepourcomprendrecomment il autilisé l’émetteur et le récepteur afin de les transformer en micro et en haut-parleur. C’estpratiquementindécelable.Un coup à la porteme fait lever la tête. Je range prudemmentmes affaires dansmon sac avant
d’allerouvrir.Danslecouloir,uneofficielle,unplateauàlamain,mescrutel’airinquiet.–Toutvabien?medemande-t-elle.Jesupposequemadisparitiondanslasalledebainsaétéremarquée.Jem’empressedelarassurer.–Çava.Maisaubruitquej’entendsdanslecouloir,jedevinequecen’estpaslecasdetoutlemonde.Un
autre candidat se serait-il suicidé ? Je m’inquiète malgré moi pour Tomas. Même si le Test l’a
changé,ilseratoujoursàmesyeuxlegarçondeCinqLacsquej’aiconnu.Jeneveuxpasqu’ilmeure.Lafemmemetendleplateauetm’annonce,commeàchaquefois,quelesdélibérationssuiventleur
cours. Elle referme la porte à clé derrière elle. Étrangement, la solitude ne m’angoisse plus. Jedégustelepouletàlasaucetomate.Délicieux.Puisjeretournem’enfermerdanslasalledebains.Lavoixdemonfrèremeréconforteunmoment,maisl’idéequ’unautrecandidatestpeut-êtremort
raviveunecolèremêléedepanique.Undemoins,unechancesupplémentairepourmoi.Voilàcequejedevraismedire,maisjen’yarrivepas.Encoreunélèveprometteurvouéàl’oubliéternel.L’oubli.Siseulementquelqu’unpouvaitsesouvenir.Jetienstoujoursletranscommunicateuràlamain.Il me faut quelques minutes avant de comprendre comment je peux m’enregistrer et alors, je
commenceàparler.D’unevoixcalme,j’évoqueMalachi.Sonsourire,satimidité,savoixchantante.Etsamort.Ryme,sesbiscuitsaumaïs,sonarrogance.Jeracontecommentjel’aitrouvéependueauplafonddenotre chambre. Je racontemon réveil dans laboîte audébutduquatrièmeexamen.LesruesdeChicago,l’arbalétrier,materreur,lereculdurevolverdansmamain.Mais l’appareil n’apasune contenance infinie et jedois faireun choix.Quels souvenirsdois-je
préserverenpriorité?Lecœurbrisé,j’effacemapremièreversion.Ilsméritenttousdenepasêtreoubliésmaiscertains leseront.Àplusieursreprises,mes larmesm’empêchentdecontinuer.Quandj’ai terminé,mespoumonssemblentsurlepointd’exploseretmagorgeestdouloureuse.Mais j’airéussi.Renverront-ilsmesaffairesàmesparentssi jenesuispaschoisiepourl’université?J’endoute.
Maispeut-êtrequejepeuxdemanderàMichaldes’encharger.Aveclalamedemoncouteau,jegraveunsymboleaudosdutranscommunicateur.Puis,jelerangedansmonsac.J’yenfourneensuitemesvêtements et le reste de mes affaires et je me nettoie le visage à l’eau claire. Quand l’officiellem’apporteleplateaudusoir,ellemedemandeunenouvellefoiscommentjevais.Unenouvellefois,jeluiprometsquejemeportecommeuncharme.Avantdefermerlaporte,ellelance:–Lesdélibérationssontterminées.Lesrésultatsserontannoncésaprèslepetitdéjeuner.Demain,toutprendrafin.
CHAPITRE22
Pour la première fois depuis des semaines, j’ai dormi d’un sommeil de plomb sans qu’aucuncauchemarnevienneinterrompremanuit.J’airêvédechezmoi.Àl’idéequetoutestbientôtterminé,je suis habitée d’un sentiment depaix et de soulagement. Je suis réveillée par un coup frappé à laporte.Unplateauaccompagnéd’une requête. Jedoism’habilleretavoirpréparémes affaires dansuneheure.Onviendramechercher.Jedéjeunedeframboisesfraîches,d’unporridgeépaisadoucideraisinssecsetdenoisettes.Lejus
d’orangeestagréablementacide,lesroulésàlacannellecouvertsd’unglaçageausucre.J’essaiedeprofiterdechaquebouchéemêmesiunebouledansl’estomacm’empêchedemangerautantquejelevoudrais.Jerattachelesbraceletsàmonpoignetetàmonsac.Jepenseàmonpèreetàcequ’iladûressentir
enattendantleverdictfinal.Jemedemandeaussisij’aiunechancedecroiserTomasavantquelesofficiels n’effacent nos souvenirs. Trouvera-t-il le moyen de me passer un cachet ? Lira-t-il messoupçonsàsonégarddansmesyeux?Quandonvientmechercher,jesuisprête.Lesacsurl’épaule,jesuislafemmeauxcheveuxnoirs
danslecouloir.Monpetitdéjeunerrouledansmonestomac.Nousprenonsl’ascenseur.Levisagedelafemmeest impassible.Ellenesouritpasmaisnefroncepasnonplus lessourcils. Impossiblededevinerquelsortm’attend.Auboutd’unautrecouloir,uneporteestouverte.L’officiellemefaitentrerdansunegrandepièce
trèséclairée.Lesmainsdans lespochespour lesempêcherde trembler, jemeretrouvefaceàplusd’unedizained’officielsderrièreunegrandetable.LedocteurBarnesestaucentre.Devantlui,unepetiteenveloppeblanche.Évidemment,sonexpressionestindéchiffrable.Jevaism’asseoir.LedocteurBarnesmesouritavecchaleur.–Noussommesdésolésdevousavoirfaitattendresilongtemps,maisladécisionn’étaitpasaisée.Trèslentement,ilprendl’enveloppe,selèveetfaitletourdelatable.Ils’arrêtedevantmoi.Mon
cœurvaexploser.–Jesuiscertainquevousavezhâtedeconnaîtrelesrésultatsetjenevousferaidoncpaspatienter
pluslongtemps.Ilouvrel’enveloppeetensortunefeuille.Ilmefixeunmomentcommes’ilhésitaitavantdemela
tendre. Jemaîtrise à peinemamain et quand je prends la feuille,ma vision est si floue que je neparvienspasàlirecequiyestécrit.Puis,jediscerne:ReçueJ’airéussi.Unsourires’étalesurmonvisage.Autourdemoi,j’entendsdesfélicitations.LedocteurBarnesme
serrelamainenaffirmantqu’ilestfierdemoi.Puis,jeressensunepiqûreauniveauducouettout
devientnoir.J’aiéchoué.
Devantlemiroir,jepasselesdoigtssurlescinqlignesgravéessurmonépauledroite.Jesuisdansmonappartement,àl’université.J’aitroispiècespourmoitouteseule:unechambre,unsalon-cuisineetunesalledebains.J’airéussileTest.Etjenemerappelleabsolumentrien.Jesuissûred’avoiressayédetrouverunmoyendegardermessouvenirs.Etj’aiéchoué.Laseule
imagequimerevienneestcelledenotretrajetdesCinqLacsàTosu.Ahsi,jemerappelleaussiungarçonébourifféàl’airsournoisentraindefaireuncroche-piedàMalachi,etlafillequipartageaitmachambre.Elleavaitdesbiscuitsaumaïs.Etpuis,jemesuisretrouvéedansunamphithéâtreavecd’autres candidats. J’ai cherché des yeux un visage familier pendant qu’un homme barbu, vêtu deviolet,montaitsurl’estrade.Ilnousaadresséunsourirechaleureuxetnousafélicités.–Bravoàtous.Vousavezétéchoisispourentreràl’université.Surprise, joie, confusion aussi. Et puis la prise de conscience que le Test était terminé. J’avais
réussi.LedocteurBarnesnousaannoncéqu’onnousemmèneraitdansnotrenouveauchez-nousdèsquecetteréunionseraitterminée.Unepetitefêteétaitprévueafinquenousfassionstousconnaissance.Maisentretemps,j’avaistrouvéquelqu’unquejen’avaispasoublié.Lecœurgonflédebonheuretdesoulagement,j’aireconnulesyeuxgrisdeTomas.Jemesuisjetéedanssesbras.J’étaissiheureusedenepasêtreseuledansl’inconnu.C’était il y a trois semaines.Depuis,Tomas etmoi passons toutes nos journées ensemble.Nous
arpentons Tosu et apprenons à connaître les autres étudiants. La seule idée de le retrouver tout àl’heuremerendpresquefébrile.Onfrappeàmaporte.Jebaissemamanchepourdissimulerlescicatricessurmonbras.J’ouvreàStacia.Ellerâleenvoyantquejeportematuniqueblancheetmonpantalonbrun.–Tun’espasprête!Tunepeuxpasalleràlafêtehabilléecommeça!Qu’est-cequelesautresvont
penser?Jehausselesépaulesenriant.–Cen’estquedansuneheureetnet’inquiètepas,jevaisfaireuneffortvestimentaire.–T’asintérêt.Ellefroncelessourcilsmaisjedevinesonsourirederrièresaminefâchée.Elleaunvisagedurqui
maintientpresque tous lesautrescandidatsàdistance,ycomprisTomas.Maispourune raisonquej’ignore,jesuisalléeverselleetnousnousentendonsplutôtbien.NousnoussommesprobablementrencontréespendantleTest.Peut-êtremêmequenoussommesdevenuesamies.JerefermelaportederrièreStaciaetdécidedesuivresonconseil.Ilesttempsquejecommenceà
mepréparer.Aprèstout,cettefêteestenmonhonneur.Entrelesréunionsaveclesprofesseurs,lesvisitesdesbâtimentsetl’emménagement,aucund’entre
nousn’aeuletempsd’allers’acheterdesvêtements.Desétudiantsdel’annéesupérieurenousenontdonné quelques-uns et le docteurBarnes nous a promis que nous pourrions bientôt aller faire lesmagasins. Je choisis donc un pantalon propre et une tunique bleue dont lesmanches couvrentmacicatrice.Jen’attachepasmescheveuxparcequeTomasm’aditl’autrejourqu’illespréféraitlibres.Ilestnaturelquenoussoyonsattirés l’unpar l’autre.Noussommes lesdeuxseulsdesCinqLacsàavoir réussi le Test.Mais il y a aussi autre chose.Un sentiment plus riche, plus complexe et plusexcitantque l’amitié.C’estpeut-être idiotdemapart,mais jemedemande si nousne sommespasamoureux.MaintenantqueleTestestterminé,riennem’empêchedem’enassurer.QuandStacia revient, je finis justed’attachermonbraceletd’identificationgravéd’uneétoile, le
symbole des première année. Dehors dans le parc, des murmures nous accueillent et je ne peuxretenirunsourireenvoyantlagrandebannièreaccrochéeentredeuxarbres.Bonanniversaire,Cia.Surunetable,ungâteaucouvertdebougiesetautour,desgensauvisagejoyeux.Tomas,ledocteur
Barnes.Touslesélèvesdemaclasseetquelquesofficielssontvenuspourfêtermonanniversaire.Certains semettent à chanter. J’ignore si toutes les colonies ont lamême chanson traditionnelle
pourcélébrer lesanniversairesou si c’estTomasqui leur a appris lesparoles,mais jememets àpleurer.Lachansonterminée,Tomass’approchedemoietm’essuiedoucementlajoue.–Jenevoulaispastefairedepeine.Cettechansonétaitunemauvaiseidée.Jesecouelatête.–Non,c’étaitparfait!Merci.–C’estvrai?Ilsepencheversmoietnoslèvressefrôlent.Jesouris.–Oui,c’estvrai.Promis.–Eh,t’espasleseulàvouloirembrasserlareinedelafête!Tomasréprimeunegrimace.Wills’approcheetm’embrassesurlajoueenpassantsonbrasautour
demesépaules.Ilanouésescheveuxenqueue-de-chevaletsesyeuxpétillentdemaliceetdebonnehumeur.Jel’appréciebeaucoup.LejouroùnousavonsapprisquenousavionsréussileTest,ilalevélamainpourdemanderoù
étaitGill,sonfrèrejumeau.QuandledocteurBarnesluiaexpliquéquesonfrèreavaitéchouéetquecommetouslescandidatsdanssoncas,ilavaitétéassignéàuneautrecolonie,Willestdevenufou.Ila fallu quatre officiels pour le sortir de l’amphithéâtre. Il ne nous a rejoints à l’université queplusieursjoursaprès.Unerumeuracouru:lesofficielspensaientfairerevenirundescandidatsquiavaitéchouépourprendresaplaceetl’envoyerdanslamêmecoloniequesonfrère.MaisWillafiniparnousrejoindre.Etj’ensuisheureuse.Willm’embrassesurl’autrejoueetsemoquedesprotestationsdeTomas.– Ton petit ami est jaloux, on dirait. Il a peur qu’on nous demande de faire équipe pour
l’orientation.Perso,jediraisquedetoutefaçon,tuestropbienpournousdeux,Cia!Ses mots résonnent familièrement à mon oreille. Ce n’est pas la première fois que j’ai cette
impression de déjà-vu et j’essaie en vain d’identifier le souvenir qui flotte à la surface de mamémoire.Tomasproteste.Iln’estpasjaloux.Ilsaitqu’ilestmonpréféré,affirme-t-il.D’autresétudiantsse
joignentànotrepetitgroupe.UngrandgarçondunomdeBrickmetendunbouquetdefleurs.Puislaconversation dévie sur notre orientation. Avant le début des cours, chaque étudiant passe quatresemaines à rencontrer des officiels deTosu et des représentants de chaque colonie.Nous devronsaussiapprendreàmieuxconnaîtrecettevilledanslaquellenousvivronsdurantlesprochainesannées.Lesétudiantssontnommésparpaires,etcommeledisaitWilltoutàl’heure,TomasapeurqueWillsoitdésignépourêtremoncoéquipier.Maiscen’estpasparcequ’ilestjaloux.SiTomass’entendàpeuprèsbienavectoutlemonde,ilneparvientpasàs’accorderavecWill.J’espèrequ’ilsréussirontàrésoudreleursdifférendsaucoursdel’année.Quelqu’un allume une radio solaire et nous nous mettons à danser. Même le docteur Barnes
entraîneuneofficiellesurlapiste.Justeavantdepartir,ilnouslaprésentecommesafemme.Aucoucherdusoleil,j’ailespiedsencompoteetj’aimangétropdegâteau.J’aienviederentrer.
Maisj’aperçoisunesilhouettefamilièreappuyéecontreunarbre.JechuchoteàTomasquejerevienstoutdesuiteetmedirigeversMichalGallen,l’officielquiestvenunouschercheràCinqLacs.–Bonanniversaire.
–Merci.Vousêteslàdepuisledébut?Ilsecouelatête.–Non,j’aipréféréattendrequecertainsdetesinvitéssoientpartis.Pouravoirunpeuletempsde
discuteravectoi.Félicitationsd’avoirréussileTest.Jen’aipasétésurprisenl’apprenant.Tuestrèsintelligenteetforteaussi.Jesavaisquetuyarriverais.Une nouvelle fois, cette impression d’avoir déjà vécu cemoment,mais commed’habitude,mes
souvenirss’effilochentàmesurequej’essaiedemeconcentrer.–Çanevapas,Cia?s’inquièteMichal.–Si,çava.C’estjustequej’auraispujurervousavoirdéjàentenduprononcercesmots.Ilsouritsansmecontredire.– Je t’ai apporté quelque chose, annonce-t-il brusquement enme tendant un paquet qu’il cachait
danssondos.Jecommenceàenleverlepapiercadeaumaisilm’enempêche.–Non, tu l’ouvriras plus tard.Quand tu seras seule. Sinon, on risque tous les deux d’avoir des
ennuis.La règle veut que les étudiants aient leminimumde contacts avec leur famille,mais je nevoyaispaslemalqu’ilyavaitàt’apporterça.Mafamille.Jeretournelepaquetdansmesmains.–Commentest-cepossible?Vousavezvumafamille?–Jedevaisallerm’occuperdequelqu’unàlacoloniedeMadisonlasemainedernière.J’aisuque
tonpèreydonnaituneconférenceetj’enaiprofitépourpasserlevoir.Ilm’adonnéçapourtoi.Une personne serviable fait quelque chose de gentil pour une fille loin de chez elle, rien
d’extraordinaireapriori.Maisjesensqu’ilyaplusqueça.Nosregardssecroisent.Jecherchedansses yeux les réponses à certaines questions quand j’entends qu’on m’appelle. Tomas et quelquesautresmefontsigne.Je leurprometsquej’arrivedansuneminutemaisquand jemeretourneversMichal,iladisparu.Quelquesétudiantsmetaquinentparcequ’unofficielm’aapportéuncadeau.J’expliquequ’ilnous
aaccompagnés jusqu’àTosu, cequine faitqu’accentuer l’hilaritédes filles.MêmeTomas lèveunsourcil,mais je lui faiscomprendreensilenceque je luiexpliquerai toutplus tard.Jeneraconteàpersonnequececadeauvientdemafamille.Michalaenfreintlerèglementpourmel’apporteretjeneveuxsurtoutpasluicauserdeproblèmes.Lanuitcommenceàtomberetlafêtesetermine.Tomasm’accompagneàlaportedechezmoiet
m’embrassetendrementavantdememurmurerqu’ilm’aime.Je luirépondsquejecroismoiaussiêtre amoureuse de lui, et ilme scrute comme s’il voulait s’assurer que je nemens pas.Après undernierbaiser,nousnousséparons.Jesuisenfinseuleavecmoncadeau.Mafamillen’apasoubliémonanniversaire.J’ouvre la boîte et y trouve deux cartes et un bouquet de roses séchées dans un petit pot de fer
étamé.Desfleurscrééesparmonpèreetmesfrèresetlepotquemamèretientdesapropremère.Jenepouvaisrienrêverdemieux.J’installe le bouquet sur ma table de chevet et je m’assois sur mon lit pour lire les cartes. La
premièreestdeDaileen.Jeluimanqueetellemeprometdemeretrouveràl’universitél’anprochain.L’autrevientdemafamille.Troisdemesfrèresontgriffonnéunelignedecirconstance;Zeenaprisunpeuplus deplacepourme féliciter etmedire qu’il regrette son comportement le soir demondépart.Ildemandeaussiquejeluirendesontranscommunicateur.Je ris et je sors l’appareil demon sac. Je suis certaine quemon père a déjà fourni un nouveau
transcommunicateur àmon frère,mais oui, je vais le lui renvoyer. Sansme priver de le taquiner.C’estàçaqueserventlespetitessœurs,non?Jerangel’appareildansmonsacquejeglissesousmonlit.Enallantàmonplacardprendremon
pyjama,j’entendsuncliquetis.J’aidûallumerletranscommunicateursanslefaireexprès.J’aidéjàessayédem’enservirpourcontactermafamille,maisjesuisévidemmenttroploin.Qui
sait, après un an à l’université, je réussirai peut-être à trouver le moyen de renforcer le signal.J’adoreraispouvoirparleràmonpère,àmamèreetàmesfrèresdèsquej’enauraisenvie.Jereprendsletranscommunicateurpourl’éteindre.Jem’apprêteàlerangerdenouveauquandune
égratignureaudosdel’appareilattiremonattention.Jesuispresquesûrequ’ellen’yétaitpasquandj’ai quitté la maison. La marque mesure à peine plus d’un centimètre mais elle me fait penser àquelquechose.Oui,àl’éclair,lesymbolegravésurmonbraceletdecandidate.Enpassantledoigtsurle boîtier, je sens un minuscule interrupteur. Il est bien caché mais il n’y a pas de doute. Ça nem’étonnepasqueZeenveuillelerécupérer.Ill’amanifestementmodifié.J’aidûm’enrendrecomptependantleTestetlaisserunemarquepourmelerappeler.Toutsourires,jemelaissetombersurmonlitetj’appuiesurlebouton.Ilvapeut-êtresepasserun
trucincroyable.AvecZeen,ilfauts’attendreàtout.Eteffectivement,c’estincroyable.Unevoixs’élève.Mavoix.Elleraconteunehistoirequejenepeuxpascroire.
Àsuivre…
Danslamêmecollection
ENTRECHIENSETLOUPS
deMalorieBlackman
EntrechiensetloupsdeMalorieBlackman
Traduitdel’anglaisparAmélieSarn
Imaginezunmonde.Unmondeoùtoutestnoiroublanc.Oùcequiestnoirestriche,puissantetdominant. Où ce qui est blanc est pauvre, opprimé et méprisé. Un monde où les communautéss’affrontentàcoupsdeloisracistesetdebombes.C’est unmonde oùCallum et Sephy n’ont pas le droit de s’aimer. Car elle est noire et fille de
ministre.Etluiblancetfilsd’unrebelleclandestin…Ets’ilschangeaientcemonde?
Extrait:Callumm’aregardée. Jene savaispas,avantcela,àquelpointun regardpouvait êtrephysique.
Callumm’acaressélesjoues,puissamainatouchémeslèvresetmonnezetmonfront.J’aifermélesyeuxetjel’aisentieffleurermespaupières.Puisseslèvresontprislerelaisetontàleurtourexplorémon visage.Nous allions faire durer cemoment. Le faire durer une éternité.Callum avait raison :nous étions ici etmaintenant. C’était tout ce qui comptait. Jeme suis laissée aller, prête à suivreCallumpartoutoùilvoudraitm’emmener.Auparadis.Ouenenfer.
LacouleurdelahainedeMalorieBlackman
Traduitdel’anglaisparAmélieSarn
Imaginezunmonde.Unmondeoùtoutestnoiroublanc.Oùcequiestnoirestriche,puissantetdominant.Oùcequiestblancestpauvre,oppriméetméprisé.NoirsetBlancsnesemélangentpas.Jamais.Pourtant,CallieRoseestnée.Enfantdel’amourpour
SephyetCallum,sesparents.Enfantdelahontepourlemondeentier.Chacundoitalorschoisirsoncampetsacouleur.Maispourcertains,cettecouleurprenduneteintedangereuse…celledelahaine.
Extrait:J’aicomprisquejenesavaisriendelamanièredontjedevaism’occuperdetoi,Callie.Tun’étais
plusunechosesansnom,sansréalité.Tun’étaisplusunidéalromantiqueouunesimplemanièredepunirmonpère.Tuétaisunevraiepersonne.Ettuavaisbesoindemoipoursurvivre.CallieRose.Machairetmonsang.ÀmoitiéCallum,àmoitiémoi,etcentpourcent toi.Pasune
poupée,pasunsymbole,niuneidée,maisunevraiepersonneavecunevietouteneuvequis’ouvraitàelle.Etsousmonentièreresponsabilité.
Lechoixd’aimerdeMalorieBlackman
Traduitdel’anglaisparAmélieSarn
Imaginezunmonde.Unmondeoùtoutestnoiroublanc.Oùcequiestnoirestriche,puissantetdominant.Oùcequiestblancestpauvre,oppriméetméprisé.Danscemonde,uneenfantmétisseestpourtantnée,CallieRose.Unevieentreleblancetlenoir.
Entrel’amouretlahaine.Entredesadultesprisonniersdeleurspropresvies,deleurspropresdestins.Viendraalorssontourdefaireunchoix.Lechoixd’aimer,malgrétous,malgrétout…
Extrait:Voilàleschosesdemaviedontjesuissûre:Jem’appelleCallieRose.Jen’aipasdenomdefamille.J’aiseizeansaujourd’hui.Bonanniversaire,CallieRose.Mamères’appellePerséphoneHadley,filledeKamalHadley.KamalHadleyestlechefdel’opposition–etc’estunsalaudintégral.MamèreestunePrima–elle
faitdoncpartiedelasoi-disantélitedirigeante.Monpères’appelaitCallumMcGrégor.MonpèreétaitunNihil.Monpèreétaitunmeurtrier.Mon
pèreétaitunvioleur.Monpèreétaitunterroriste.Monpèrebrûleenenfer.
Leretourdel’aubedeMalorieBlackman
Traduitdel’anglaisparAmélieSarn
TobeyestamoureuxdeCallie.Fouamoureux.Poursonanniversaire,ilveutluioffriruncadeaudigned’elle,uncadeaudevaleur.Alorsilvaaccepterlepire:effectuerunelivraisonpourlegangdeMcAuley.Enéchanged’unpeud’argent.Unpeud’argentquileconduiradirectementenenfer…
Extrait:
Del’intérieurdelavoiture,McAuleyatiré.Sonarmeétaitpointéesurnous.L’armeasautédanslamaindeMcAuley.Ilatiréencore.Etencore.Jen’avaispasletempsdeprévenirTobeyoudelepousser.Jemesuisplacéedevantlui.Letempss’estsoudainaccéléré.Ilestpasséàtoutevitesse.Enm’oubliantderrièrelui.
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