développer une autonomisation guidée de l'apprenant en français … · 2016-12-23 · keywords :...

495
evelopper une autonomisation guid´ ee de l’apprenant en fran¸ cais sur objectifs sp´ ecifiques : vers un apprentissage fond´ e sur le Web (web based learning) Van Toan Nguyen To cite this version: Van Toan Nguyen. D´ evelopper une autonomisation guid´ ee de l’apprenant en fran¸cais sur ob- jectifs sp´ ecifiques : vers un apprentissage fond´ e sur le Web (web based learning). Linguistique. Universit´ e Michel de Montaigne - Bordeaux III, 2015. Fran¸cais. <NNT : 2015BOR30001>. <tel-01201158> HAL Id: tel-01201158 https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01201158 Submitted on 17 Sep 2015 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destin´ ee au d´ epˆ ot et ` a la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publi´ es ou non, ´ emanant des ´ etablissements d’enseignement et de recherche fran¸cais ou ´ etrangers, des laboratoires publics ou priv´ es.

Upload: others

Post on 02-Apr-2020

3 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

  • Développer une autonomisation guidée de l’apprenant

    en français sur objectifs spécifiques : vers un

    apprentissage fondé sur le Web (web based learning)

    Van Toan Nguyen

    To cite this version:

    Van Toan Nguyen. Développer une autonomisation guidée de l’apprenant en français sur ob-jectifs spécifiques : vers un apprentissage fondé sur le Web (web based learning). Linguistique.Université Michel de Montaigne - Bordeaux III, 2015. Français. .

    HAL Id: tel-01201158

    https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01201158

    Submitted on 17 Sep 2015

    HAL is a multi-disciplinary open accessarchive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come fromteaching and research institutions in France orabroad, or from public or private research centers.

    L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, estdestinée au dépôt et à la diffusion de documentsscientifiques de niveau recherche, publiés ou non,émanant des établissements d’enseignement et derecherche français ou étrangers, des laboratoirespublics ou privés.

    https://hal.archives-ouvertes.frhttps://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01201158

  • Université Bordeaux Montaigne École Doctorale Montaigne Humanités (ED 480) THÈSE DE DOCTORAT EN LINGUISTIQUE

    Développer une

    autonomisation guidée de

    l’apprenant en français sur

    objectifs spécifiques Vers un apprentissage fondé sur le web

    (web based learning) Présentée et soutenue publiquement le 23 février 2015 par

    Van Toan NGUYEN Sous la direction d’Henri PORTINE

    Membres du jury Madame Martine JAUBERT (présidente du jury) Professeur des universités, ESPE d’Aquitaine Madame Olga GALATANU (rapporteur)

    Professeur émérite, Université de Nantes Monsieur Christian OLLIVIER (examinateur) Professeur des universités, Université La Réunion Monsieur Henri PORTINE (directeur de thèse)

    Professeur des universités, Université Bordeaux Montaigne Monsieur Dominique VINET (rapporteur)

    Professeur des universités, Université de Bordeaux

  • II

    Résumé Cette recherche se situe au croisement de quatre domaines différents : la didactique du FOS ; l’analyse

    de discours ; l’autonomisation de l’apprenant et l’apprentissage sur le web.

    Nous avons recueilli un corpus qui nous a fourni des données permettant de concevoir des activités

    discursives et contextualisées exploitant le web (webbased learning, web comme outil de communication, web

    comme artéfact intégrant dans l’environnement d’apprentissage) pour l’apprentissage du français dans le cadre

    du FOS – tourisme. Nous avons choisi de mettre l’accent sur l’activité discursive parce qu’elle nous permet de

    répondre à deux questions :

    - que fautil enseigner/apprendre dans un contexte du FOS du tourisme ? - quelles sont les caractéristiques des discours impliqués ?

    Notre corpus comporte deux guides imprimés sur le Vietnam (environ 1000 pages) et le discours oral

    des guides touristiques transcrit à partir des enregistrements dont la durée totale est d’environ 10 heures

    continues.

    Il s’agit donc à la fois de l’extraction de données dans le corpus, du tranfert de ces données à la

    didactique et de leur réutilisation directe dans la conception des activités d’apprentissage. Le transfert consiste

    en l’application des conclusions tirées de l’analyse du corpus pour l’élaboration des activités discursives tandis

    que la réutilisation de ces données consiste à extraire des éléments du corpus pour les intégrer aux activités

    discursives.

    Pour analyser le corpus et pour structurer, programmer les activités discursives, nous avons fait appel

    au langage XML et conçu des scripts informatiques permettant son exploitation (analyse et activités

    d’apprentissage)

    Enfin, notre recherche débouche sur une perspective didactique. Nous recommandons la démarche

    discursive pour la conception d’un programme de formation et d’activités d’apprentissage. Nous illustrons

    cette démarche par des activités d’apprentissage concrètes.

    Il est à noter qu’il s’agit d’une étude exploratoire et non expérimentale.

    Mots clés : autonomisation, analyse de discours spécialisés, activités discursives, FOS, tourisme, apprentissage

    composite, webbased learning.

    Abstract This research lies at the intersection of four different areas: French for specific purposes; discourse

    analysis; learner autonomy and web based learning.

    We’ve collected a corpus which provided data for designing contextualized discursive activities

    exploiting the web (webbased learning : web as a communication tool, web as artifact integrated into the

    learning environment) in the context of FOS for tourism. We chose to focus on the discursive activity because

    it allows us to answer two questions:

    - What should be taught / learned in a context of FOS for tourism ?

    - What are the characteristics of speech involved ?

    Our corpus comprises two printed travel guides on Vietnam (approximately 1000 pages) and oral

    discourse transcribed from records of tour guide speeches (about 10 hours in total).

    It is therefore both data mining in the corpus, the transfer of this data for applied linguistic and their

    direct reuse in the design of learning activities. The transfer is the application of the conclusions drawn from

    the analysis of the corpus for the development of discursive activities while the reuse of these data consists in

    extracting corpus elements to integrate them into discursive activities.

    To analyze the corpus, to structure and to program discursive activities, we used the XML and

    developed scripts for computer operations (analysis and learning activities )

    Finally, our research leads to a didactic perspective. We recommend the discursive approach for the

    design of syllabus and discursive learning activities. We illustrate this approach with some learning activities.

    It should be noted that this is an exploratory study and not an experimental one.

    Keywords : autonomisation, specialized discourse analysis, discursive activities, FOS, tourism, blendedlearning,

    webbased learning.

  • III

    Remerciements

    Cette thèse n’aurait pu aboutir sans la contribution de plusieurs personnes et institutions

    auxquelles je tiens à exprimer ma reconnaissance la plus sincère et mes remerciements.

    Je tiens à remercier tout particulièrement monsieur Henri PORTINE, professeur des

    universités, qui malgré ses nombreuses préoccupations, a bien voulu assurer la direction de

    cette thèse et qui m’a apporté une aide précieuse en me guidant avec patience et bienveillance

    et m’a soutenu tout au long de ce travail de recherche.

    Je remercie sincèrement les professeurs qui ont accepté d’évaluer ce travail en participant au

    jury.

    Cette recherche a été rendue possible grâce au soutien financier du gouvernement vietnamien

    et du gouvernement français à qui je tiens à exprimer toute ma gratitude.

    Je veux aussi exprimer ma reconnaissance à l’Ecole Normale Supérieure de Hanoi et à

    l’Equipe d’accueil TELEM – EA 4195 qui m’ont offert des conditions de travail et de

    recherche favorables.

    J’aimerais remercier madame Lamy, monsieur Chanier et monsieur Ollivier, Madame

    Enderlin, mademoiselle Patuano et la famille Delarue d’avoir eu la gentillesse de relire des

    parties ou l’intégralité de ce travail et pour leurs remarques et suggestions afin que je puisse

    apporter des correction pertinentes. Leurs observations ont été un apport précieux pour mon

    travail de chercheur débutant.

    Un grand merci à mes collègues et amis pour leur soutien et leur amitié inestimables. Je pense

    notamment aux enseignants du Département de Sciences du langage, Gilles, Catherine, Jean-

    Luc, à mes chers amis Marie-Luce et Jacques, Antoine et à toutes les personnes qui ont

    contribué d’une manière ou d’une autre à l’aboutissement de ce travail.

    Je suis particulièrement reconnaissant à mon premier enseignant de français, monsieur

    NGUYEN Van Tran, aujourd’hui à la retraite, qui m’a initié au français et m’a donné le goût

    et la passion d’enseigner cette belle langue. Je souhaite lui dire ici merci pour tout ce qu’il ma

    apporté.

    J’adresse aussi des remerciements particuliers à mes parents et à ma famille, qui m’ont

    apporté leur encouragement et leur soutien inconditionnel tout au long de ces années.

  • IV

    À ma femme Chu Thanh Thao

    Pour son soutien sans faille,

    À ma fille Lisa Nguyen

    En les remerciant de ne pas avoir porté plainte

    Pour le temps que je leur ai volé

  • V

    Table des matières

    Introduction générale ............................................................................................................... - 5 -

    A - Enjeux de la thèse ....................................................................................................... - 9 -

    Points de départ ............................................................................................................... - 9 -

    Au-delà de l’EAO .......................................................................................................... - 10 -

    Comment envisager de véritables activités discursives ? .............................................. - 13 -

    Corpus et activités discursives spécifiques ................................................................... - 15 -

    B - Configuration de la thèse .......................................................................................... - 16 -

    Objectifs de la recherche ............................................................................................... - 16 -

    Questions et hypothèses de la recherche ....................................................................... - 17 -

    Organisation de la thèse ................................................................................................ - 17 -

    PREMIERE PARTIE

    AU FONDEMENT DE L’INGENERIE LINGUISTIQUE

    Chapitre 1 : Apprentissage et didactique des langues ........................................................ - 22 -

    Introduction ..................................................................................................................... - 22 -

    1.1. Qu’est-ce qu’apprendre ? Qu’est-ce qu’enseigner ? ............................................ - 22 -

    1.1.1. Trois représentations courantes de la connaissance ............................................ - 23 -

    1.1.2. Connaissance linguistique ou compétence de communication langagière .......... - 24 -

    1.1.3. Apprendre une langue étrangère en contexte exolingue chez le public adulte ... - 25 -

    1.2. Les théories d’apprentissage et l’acquisition d’une langue étrangère ................ - 27 -

    1.2.1. La théorie behavioriste de l’apprentissage .......................................................... - 28 -

    1.2.2. La théorie gestaltiste de l’apprentissage .............................................................. - 34 -

    1.2.3. Les théories cognitives de l’apprentissage .......................................................... - 36 -

    1.2.4. Les courants théoriques et méthodologiques actuels de l’apprentissage ............ - 47 -

    1.3. L’instrumentation numérique et informatique du processus didactique ........... - 54 -

    1.4. De la théorie à la démarche didactique .................................................................. - 58 -

    Chapitre 2 : Apprentissage et contexte du FOS .................................................................. - 60 -

    Introduction ..................................................................................................................... - 60 -

    2.1. Historique et évolution méthodologique du FOS/FOP ......................................... - 60 -

    2.1.1. Français militaire ................................................................................................. - 62 -

    2.1.2. Français scientifique et technique (FST) ............................................................. - 64 -

    2.1.3. Français de spécialité / Français langue de spécialité/Langues de spécialité ..... -- 65 -

    2.1.4. Français instrumental .......................................................................................... - 67 -

    2.1.5. Français fonctionnel ............................................................................................ - 69 -

    2.1.6. Le Français sur objectifs spécifiques .................................................................. - 72 -

    2.1.7. Français Langue Professionnelle (FLP) .............................................................. - 81 -

    2.2. L’enseignement du « français du tourisme » au Vietnam .................................... - 87 -

    2.2.1. Aperçu général de l’enseignement du français au Vietnam ................................ - 88 -

    2.2.2. L’enseignement du FOS et le « français du tourisme » au Vietnam ................... - 92 -

  • VI

    Chapitre 3 : Autonomie de l’apprenant de FOS ................................................................. - 97 -

    Introduction ..................................................................................................................... - 97 -

    3.1. Autonomie dans l’apprentissage des langues : considérations et pratiques ....... - 97 -

    3.2. Autonomie : définitions, aspects et dimensions ................................................... - 102 -

    3.2.1. Autonomie et quelques définitions révélatrices ................................................ - 102 -

    3.2.2. Types et degrés d’autonomie ............................................................................. - 110 -

    3.2.3. Autonomie ou autonomisation ? ....................................................................... - 113 -

    3.3. Quelques théories et modèles cognitifs pour l’acquisition d’une compétence .. - 116 -

    3.3.1. La théorie des instances de Logan (memory-based theory) .............................. - 116 -

    3.3.2. La théorie ACT (Adaptive Control of Thought) d’Anderson .......................... - 118 -

    3.3.3. Modèles de huit événements d’Apprentissage - Enseignement ........................ - 120 -

    3.4. Quels sont les rôles que les TICe peuvent jouer dans la problématique de

    l’autonomie ? ................................................................................................................. - 126 -

    3.5. Vers une démarche didactique intégrative (blended-learning) .......................... - 131 -

    3.5.1. Le « blended learning » : définitions et dimensions du concept ....................... - 131 -

    3.5.2. Vers un blended learning comme « modalité normale » de l’enseignement et de

    l’apprentissage ............................................................................................................. - 143 -

    3.6. Du blended learning à l’autonomie ....................................................................... - 145 -

    Vers une définition de l’autonomie dirigée par le blended-learning ........................... - 145 -

    DEUXIEME PARTIE

    L’ANALYSE DU DISCOURS DU TOURISME

    Chapitre 4 : La problématique discursive ......................................................................... - 148 -

    Introduction ................................................................................................................... - 148 -

    4.1. L’analyse de discours : notions et théories .......................................................... - 149 -

    4.1.1. Notion de discours : évolution de la notion et définitions................................. - 149 -

    4.1.2. Type de discours ou genre discursif ? ............................................................... - 152 -

    4.1.3. L’analyse de discours selon notre perspective .................................................. - 156 -

    4.2. Approches et démarches d’analyse du corpus .................................................... - 161 -

    4.2.1. Théorie de l’énonciation et approche énonciative d’analyse du discours ......... - 162 -

    4.2.2. Approche communicationnelle de l’analyse de discours .................................. - 166 -

    4.2.3. Analyse statistique des éléments du discours .................................................... - 172 -

    4.2.4. Notre démarche d’analyse ................................................................................. - 173 -

    4.3. De l’analyse de discours aux apprentissages linguistiques ................................. - 174 -

    4.3.1. La notion de « discours » et la didactique des langues ..................................... - 176 -

    4.3.2. Les entrées de l’analyse de discours dans la didactique du FOS ...................... - 181 -

    4.3.3. Pourquoi faire de l’analyse de discours ? .......................................................... - 184 -

    4.3.4. Vers une analyse de discours à visée pédagogique ........................................... - 190 -

    Conclusion ..................................................................................................................... - 192 -

  • VII

    Chapitre 5 : Elaboration et présentation du corpus ......................................................... - 193 -

    Introduction ................................................................................................................... - 193 -

    5.1. Corpus oral ............................................................................................................. - 193 -

    5.1.1. Présentation du corpus oral et du protocole d’enregistrement .......................... - 193 -

    5.1.2. Matériel et protocole d’enregistrement ............................................................. - 200 -

    5.1.3. Transcription du corpus oral ............................................................................. - 202 -

    5.1.4. Découpage et présentation d’un extrait du corpus oral ..................................... - 210 -

    5.2. Corpus écrit ............................................................................................................ - 214 -

    5.2.1. Description du corpus écrit ............................................................................... - 214 -

    5.2.2. Segmentation du corpus écrit et définition des axes d’analyse ......................... - 216 -

    5.3. Choix des éléments discursifs à analyser ............................................................. - 217 -

    5.4. Difficultés de collecte du corpus et aspects juridiques ....................................... - 219 -

    5.5. Méthode d’analyse du corpus ............................................................................... - 220 -

    Conclusion partielle ...................................................................................................... - 220 -

    Chapitre 6 : Le cadre énonciatif du discours des guides et les genres discursifs ........... - 221 -

    6.1. Le discours oral et le discours écrit ...................................................................... - 221 -

    6.1.1. Distinction entre oral et écrit ............................................................................. - 221 -

    6.1.2. Quelques caractéristiques différentielles et communes de l’oral et de l’écrit ... - 222 -

    6.2. Le cadre énonciatif du discours des guides .......................................................... - 228 -

    6.2.1. La condition de communication et d’énonciation du discours .......................... - 228 -

    6.2.2. Les acteurs intervenants et la mise en discours de soi ...................................... - 229 -

    6.2.3. Le référent discursif .......................................................................................... - 234 -

    6.3. Les genre(s) de discours des guides (personne et ouvrage) ................................ - 238 -

    6.3.1. Généralités à propos du discours produit en situation professionnelle ............. - 238 -

    6.3.2. Discours des guides, un genre discursif ? ......................................................... - 240 -

    6.3.3. Caractéristiques du genre oral du discours du guide ......................................... - 241 -

    Chapitre 7 : Organisation discursive et visées communicationnelles .............................. - 246 -

    7.1. L’organisation discursive ...................................................................................... - 246 -

    7.1.1. L’organisation structurelle (discours écrit vs. discours oral) ............................ - 246 -

    7.1.2. L’organisation thématique (thème du discours : référent socio-culturel) ......... - 251 -

    7.1.3. L’organisation interactive ................................................................................. - 261 -

    7.2. Les visées communicationnelles du discours des guides ..................................... - 264 -

    7.2.1. La visée descriptive ........................................................................................... - 266 -

    7.2.2. La visée prescriptive .......................................................................................... - 274 -

    7.2.3. La visée critique ................................................................................................ - 286 -

    7.3. Le vocabulaire axiologique dans les guides de voyage ....................................... - 288 -

    7.3.1. Les adjectifs de valorisation positive ................................................................ - 290 -

    7.3.2. Adjectifs de valorisation positive dans les guides de voyage : ......................... - 297 -

    Conclusion du chapitre ................................................................................................. - 328 -

  • VIII

    TROISIEME PARTIE

    PROPOSITION DES ACTIVITES DISCURSIVES SUR LE WEB

    Chapitre 8 : Des activités discursives aux exercices .......................................................... - 331 -

    Introduction ................................................................................................................... - 331 -

    8.1. Niveaux et types d’apprentissage (bas-niveau vs. haut-niveau) ........................ - 331 -

    8.1.1. Taxonomie des connaissances de Bloom, révisée par Krathwohl (2002) ......... - 332 -

    8.1.2. Hiérarchie des connaissances de Gagné ............................................................ - 338 -

    8.1.3. Pour une articulation entre le bas-niveau et le haut niveau. .............................. - 340 -

    8.2. Quelle transférabilité des analyses de discours aux activités discursives ? ...... - 345 -

    8.3. Des exercices au service des stratégies discursives .............................................. - 347 -

    8.3.1. Les exercices : notion révisée et typologie ........................................................ - 348 -

    8.3.2. Vers une typologie des exercices en didactique du FOS ? ................................ - 350 -

    8.4. Quelques exemples d’exercice au service des stratégies discursives ................. - 356 -

    8.4.1. Les exercices de repérage au service des stratégies discursives ....................... - 356 -

    8.4.2. Les exercices à trous ......................................................................................... - 361 -

    8.4.3. Les exercices structuraux .................................................................................. - 363 -

    8.4.4. Les exercices de reformulation ......................................................................... - 366 -

    8.5. A propos de la conception des exercices .............................................................. - 368 -

    Chapitre 9 : Des activités discursives sur le web ............................................................... - 372 -

    9.1. Les activités discursives ......................................................................................... - 372 -

    9.2. L’apprentissage basé sur le web ........................................................................... - 374 -

    9.2.1. Evolution du web .............................................................................................. - 374 -

    9.2.2. Caractéristiques techno-pédagogiques du web actuel ....................................... - 375 -

    9.2.3. Comment le web permet-il de traiter les activités discursives ? ....................... - 379 -

    9.2.4. La question de la médiation et de la médiatisation ........................................... - 386 -

    9.3. Exemples d’activités discursives sur le web ......................................................... - 388 -

    9.3.1. Les activités discursives exploitant les ressources du web ............................... - 393 -

    9.3.2. Les activités discursives pour lesquelles le web est utilisé comme outil de

    communication et de publication ................................................................................ - 411 -

    9.3.3. Les activités discursives pour lesquelles le web est utilisé comme environnement

    d’apprentissage ............................................................................................................ - 422 -

    Quelques questions guidant le choix et l’élaboration des activités discursives

    (sections destinées à l’enseignant/formateur) ............................................................. - 432 -

    CONCLUSION GENERALE ............................................................................................. - 437 -

    BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................... - 443 -

    LES REFERENCES NON CITEES DANS LE TEXTE .................................................. - 467 -

    SITOGRAPHIE .................................................................................................................... - 478 -

    LISTE DES FIGURES......................................................................................................... - 479 -

    LISTE DES TABLEAUX .................................................................................................... - 480 -

    ANNEXES ............................................................................................................................. - 481 -

  • - 5 -

    Introduction générale

    Nous nous rappelons encore des difficultés que nous avons eues quand nous avons préparé les

    matériels didactiques pour des cours de français spécialisés. De formation en français langue

    étrangère, nous avons été amené à prendre en charge des formations en langue spécialisée à

    l’Ecole Normale Supérieure de Hanoï, à savoir : le français du tourisme, le français des

    affaires, le français du droit. Ces cours étaient et sont encore destinés aux étudiants de

    troisième année de Licence afin de leur donner une certaine spécialisation dans des domaines

    professionnels qui leur offrent un débouché de travail prometteur. Par manque de formation et

    d’expérience pratique professionnelle liée à ces domaines de spécialité, nous étions en

    quelque sorte démuni pour assurer ce type de cours. Nous étions ainsi naturellement dirigé

    vers l’offre existante dans des manuels de cours édités en France ou dans un pays

    francophone. Néanmoins, les contenus et les références tant culturelles que professionnelles

    que nous y trouvions ne convenaient pas à notre public. Prenons un exemple. Les méthodes

    de langue pour le cours Français du tourisme, tels que Le Français du Tourisme (Renner et

    al, 1993), Tourisme.com (Corbeau et al., 2004), Le Français du Tourisme (Calmy, 2004),

    Hôtellerie-restauration.com (Corbeau et al., 2006) pour n’en citer que quelques-unes, sont

    caractérisées par leurs aspects généralistes et leurs références à la France et à la culture

    française, tandis que nous souhaitions former des étudiants qui allaient travailler dans le

    domaine du tourisme au Vietnam. Ils allaient faire visiter leur pays à des touristes

    francophones et non la France à des touristes vietnamiens.

    Ces formations sont proposées généralement en un semestre scolaire, donc à très court terme

    pour couvrir un domaine entier tant sur le plan de la compétence linguistique que

    professionnelle. Pour balayer tous les sujets et toutes les situations de communication, les

    cours sont conçus en quelque sorte comme une initiation au domaine durant laquelle

    l’apprenant acquiert des compétences de base et une méthode de travail. Il doit poursuivre ses

    études, à son propre rythme afin de répondre aux exigences professionnelles.

  • - 6 -

    Dans ce contexte d’exercice professionnel et à l’issue de notre expérience pratique, nous

    avons ressenti le besoin de prendre du recul pour aller au-delà de la tâche qui nous était

    assignée. En effet, nous souhaitons améliorer notre pratique d’enseignement et rendre nos

    apprenants plus autonomes et plus compétents dans leur étude et dans leur vie professionnelle

    et essayer de devenir l’un des modestes acteurs de la recherche sur ce thème. En fait, dans le

    cadre de la formation proposée, le temps imparti à la formation linguistique à visée

    professionnelle est très limité. Or plusieurs parcours de spécialisation sont proposés : le

    tourisme, le commerce, l’interprétariat, le sécrétariat, etc. D’où la nécessité de mener une

    étude approfondie pour dégager des pistes d’actions et des améliorations possibles, avec des

    transferts de compétences possibles, ce qui nécessite une certaine théorisation.

    Notre recherche s’inscrit dans la mouvance de l’enseignement/apprentissage du français au

    Vietnam, comme dans beaucoup d’autres pays. Face à la mondialisation économique et à la

    montée en puissance de l’anglais, l’enseignement du français doit changer de perspective. Il

    ne s’agit plus d’un enseignement de langue dit « généraliste » et culturel, mais plutôt

    fonctionnel, actionnel et pragmatique. De nos jours, les étudiants apprennent le français non

    pour lire la littérature française et rarement pour leur plaisir personnel, mais pour travailler

    avec des francophones dans des domaines où le français est la langue de communication

    professionnelle (tourisme, commerce, médecine, construction, industrie pharmaceutique, etc.).

    Depuis quelques années, le secteur du tourisme au Vietnam enregistre une forte croissance

    (augmentation annuelle de 10%)1 et contribue pour une part imporante à l’économie

    nationale. Il s’agit également d’un secteur offrant de nombreux emplois. Selon le rapport du

    World Travel Market organisé à Londres en 2013, le Vietnam occupe actuellement la

    deuxième place en Asie en ce qui concerne le potentiel de développement du tourisme2. Le

    gouvernement vietnamien a envisagé un « plan d’investissement jusqu’en 2030 d’un montant

    de 94,2 milliard USD pour remettre les infrastructures à niveau, former du personnel, protéger

    l’environnement et doter le Vietnam d’une industrie plus compétitive. » (CCIFE Vietnam,

    2013)3. En 2012, les entreprises françaises ont investi au Vietnam près de 3,2 milliards USD,

    dont 6% dans le secteur du tourisme et de la restauration (ibidem). Le Vietnam est désormais

    une des destinations privilégiées par les touristes internationaux dont les francophones.

    Pourtant, « l’enseignement des langues étrangères est encore à améliorer » (CCIFE Vietnam).

    En ce qui concerne le français, l’objectif de la formation linguistique ne porte plus sur la

    langue, en tant qu’objet d’étude et d’appropriation, mais sur son aspect fonctionnel et

    pragmatique prenant en compte des situations de communications professionnelles.

    1 Statistiques de l’Agence nationale du tourisme du Vietnam

    http://www.vietnamtourism.com/fn/index.php/news/items/7165 2 Rapport du Foire international du tourisme – Londres 2013

    http://www.wtmlondon.com/files/wtm_2013_industry_report.pdf 3 Union des chambres de commerce et d'industrie à l'étranger (UCCIFE). Le secteurdu tourisme au Vietnam

    http://www.francemondexpress.fr/secteurs-marches/article/n/le-secteur-du-tourisme-au-vietnam/

  • - 7 -

    L’apprentissage est dès lors motivé par des opportunités de travail et un débouché

    prometteurs. Dans cette optique utilitaire et pragmatique de l’apprentissage du français, une

    familiarisation aux discours liés au tourisme est d’abord nécessaire pour l’apprenant et pour

    l’enseignant. L’appropriation de ces genres discursifs doit ensuite constituer l’objectif final de

    la formation. L’analyse de discours apparaît comme une entrée possible et intéressante. C’est

    sous ce point de vue que Carras et alii. (2007 : 39) écrivent :

    « L’analyse des discours spécialisés permet […] de mettre en évidence leurs caractéristiques

    linguistiques, pragmatiques, etc. et de les situer dans une pratique professionnelle ou

    disciplinaire, afin de cibler des compétences que les apprenants doivent acquérir pour maîtriser

    ces discours. »

    Du fait de cette approche, on trouvera que ce n’est pas la langue en elle-même qui est

    spécialisée, mais plutôt ses usages. Il n’y a pas donc de « langue du tourisme », par exemple,

    mais des « discours liés au tourisme » où certains éléments linguistiques, discursifs et socio-

    professionnels sont plus prégnants, ce qui fait leur spécialité et/ou leurs caractéristiques.

    On remarquera que le passage de l’apprentissage d’un français plutôt littéraire à un français

    plus quotidien rapproche notre problématique de la linguistique et de l’analyse de discours.

    Dans ce contexte, lorsque nous sommes arrivé en France, en septembre 2009, nous comptions

    faire une thèse sur l’apprentissage du français langue étrangère par le web. Le professeur

    Henri Portine, qui venait de mettre en place un cours sur le langage XML4 en Licence de

    sciences du Langage dans le cadre de la réorganisation des cursus en 2005 pour l’adaptation

    au processus de Bologne, nous proposa de travailler sur la catégorisation des données et leur

    exploitation sur le web dans le cadre du FOS du tourisme. Il souhaitait que nous explorions ce

    que pouvait être une attitude de type « web sémantique » pour la didactique des langues.

    Nous nous sommes alors initié au langage XML en même temps qu’un autre doctorant du

    professeur Portine, Jean-Luc Bergey. A trois, avec Henri Portine, nous avons monté un cours

    sur le langage XML pour l’Université Ouverte des Humanités5. Jean-Luc Bergey travaillait

    quant à lui, sur un modèle proche des réseaux sociaux. Nous utilisions un modèle plus proche

    d’un web industriel. Parallèlement, un étudiant de Master, Jean-Louis Janin, travaillait avec le

    professeur Portine sur l’élaboration d’un lexique de l’eau destiné à trois publics différents en

    prenant en compte trois types de discours sur l’eau, le discours quotidien (usagers,

    journalistes), le discours technico-administratif (personnels des entreprises industrielles du

    domaine du traitement de l’eau et de sa distribution commerciale), le discours technico-

    4 XML (Extensible Markup Language) est un langage informatique permettant la catégorisation et la

    structuration des informations de manière flexible et davantage sémantique.

    5 Ce cours est accessible à l’adresse

    http://www.uoh.fr/front/notice?id=168d2fd7-83fb-468a-ba15-68d741c0adca

  • - 8 -

    scientifique (personnels scientifiques de ces entreprises mais aussi de l’administration

    nationale ou des instances locales). La composition d’un tel lexique a amené Jean-Louis Janin

    à travailler sur les ontologies. Personnellement, nous n’avons pas encore abordé cet aspect

    même si nous y entrevoyons un intérêt potentiel.

    Nous avons donc baigné dans ce contexte pendant les années de rédaction de cette thèse.

    Parallèlement, le professeur Portine (qui était alors directeur du Centre de FLE de l’Université

    Bordeaux 3 en même temps que professeur au Département de Sciences du Langage) nous

    avait demandé ainsi qu’à Jean-Luc Bergey de collaborer à une action qui accompagnait un

    projet de coopération décentralisée de la Région Aquitaine avec la Région de Lao Cai au

    Vietnam. Dans ce cadre, nous devions étudier les modalités de réalisation d’une mallette

    pédagogique numérique pour l’apprentissage du français langue étrangère. Nous avons donc

    élaboré une étude faisant des propositions en ce sens. Cette thèse est donc le fruit non

    seulement d’une recherche centrée sur notre sujet mais aussi d’un travail de terrain.

    Dans un premier temps, nous pensions travailler surtout sur l’autonomisation de l’apprenant

    en corrélation avec un apprentissage sur le et par le web. Mais, confronté à notre sujet, il nous

    est apparu assez vite que nous manquions de données précises pour faire une thèse sur

    l’extraction et le traitement de données à des fins didactiques. Bien sûr, nous pouvions avoir

    recours à des données prélevées dans la littérature sur le FOS du tourisme, notre objet

    d’étude. Mais ces données nous semblaient trop extérieures à nous, trop « générales ». Il nous

    a alors fallu envisager une analyse de discours portant sur le discours du tourisme à partir

    d’un corpus composé de deux guides de voyage sur le Vietnam et des enregistrements des

    guides touristiques collectés dans le nord du Vietnam, et donc procéder à un recueil en

    veillant à la conformité de nos pratiques de recueil. Puis nous avons analysé le corpus ainsi

    recueilli et nous avons proposé des exploitations pédagogiques à deux niveaux, un niveau

    d’opérations linguistiques (comme on en trouve dans les exercices rédigés à l’aide

    d’exerciseurs), un niveau discursif (activités plus complexes supposant des stratégies

    discursives). C’est donc bien d’une thèse de didactique des langues qu’il s’agit et non d’une

    thèse technique portant sur le numérique même si elle fait parfois une large place aux aspects

    techniques. C’est aussi une thèse qui s’inscrit dans une conception de l’apprenant qui tend à

    en faire un « apprenant-analyste » comme nous l’avons exposé dans un article avec Jean-Luc

    Bergey et Henri Portine (2012).

    Cette thèse a donc un côté exploratoire. C’est pourquoi elle n’est pas accompagnée d’une

    expérimentation sur le terrain (il était trop tôt pour le faire). Ce présent chapitre exposera les

    enjeux et les paramètres de notre projet. Les chapitres suivants porteront sur l’analyse de

    discours que nous avons faite parce que cet objectif s’est imposé à nous. Puis nous traiterons

    de la question de l’autonomie, préalable obligatoire à notre question finale qui motive tout ce

    qui précède : proposer des activités discursives à la fois fondées théoriquement et réalistes

    empiriquement. Cette thèse est donc pour nous une trajectoire ouverte sur des prolongements.

  • - 9 -

    A - Enjeux de la thèse

    Points de départ

    Nous partons de deux constats, l’un empirique, l’autre théorique selon lesquels l’analyse de

    discours n’a pas encore toute sa place en didactique des langues, au moins dans les pratiques

    de classe.

    Empiriquement, dans les manuels édités consacrés à la didactique du FLE (Français Langue

    Etrangère), on ne voit pas de manière explicite l’implication de l’analyse de discours, ni dans

    la démarche pédagogique, ni dans les activités d’apprentissage. Sur ce point, Beacco a

    remarqué que :

    « Les apports de l’analyse de discours à la mise au point de syllabus et de curriculums

    spécifiques et leur incidence sur les pratiques d’enseignement, via les manuels ou, plus

    largement, les matériels d’enseignement, peuvent apparaître comme décevantes quantitativement

    et, ce qui est plus grave, de manière qualitative […] sous réserve d’inventaire, bien entendu. »

    (Beacco, 1996 : 186).

    Théoriquement, Mourlhon-Dallies, dans l’ouvrage Le discours : Enjeux et perspectives, un

    numéro spécial du Français dans le monde (1996) consacré à la problématique de discours, a

    souligné que :

    « Si les recherches en analyse de discours sont un des moyens de sensibiliser les enseignants aux

    constantes et aux variabilités de différentes sortes ou genres de discours, il existe un fossé entre

    ces entreprises descriptives et celle qui consiste à transmettre l’essentiel de ces résultats à des

    apprenants de langue. Il incombe aux enseignants de construire des “parcours didactiques”

    mêlant des supports variés, supports fabriqués ou authentiques, littéraires ou plus prosaïques,

    tout n’étant qu’une question de “dosage” au sein des programmes à élaborer. » (Mourlhon-

    Dallies, 1996 : 155)

    Ainsi, conduire un cours de français sur objectifs spécifiques exige de la part de l’enseignant

    des moyens et un travail importants de conception et de préparation. En effet, « le FOS se

    définit comme une démarche didactique de conception d’une formation linguistique à partir

    d’une demande précise et des besoins langagiers d’un public identifié, réuni autour d’un

    même projet » (Mangiante et Desroches, 2014 : 52). Si on accepte que l’analyse de discours

    est une discipline de référence pour la didactique des langues, notamment celle du FOS, on se

    demande pourquoi le « fossé » existe toujours après presqu’une décennie depuis la remarque

    de Mourlhon-Dallies sus-mentionnée. Qu’est-ce qui entrave la transposition didactique de

    l’analyse de discours ? Comment concevoir des activités d’apprentissage tenant compte

    davantage du discours ? Ce sont des questions qui nous occupent dans cette étude.

    N’étant plus un slogan commercial, la révolution numérique et informatique est bien réelle et

    fait basculer tous les secteurs d’activités humaines, l’éducation n’étant pas une exception. La

    façon par laquelle on accède à la connaissance change. On n’apprend plus « comme

  • - 10 -

    auparavant ». Les éducateurs se retrouvent volontairement ou non face à des questions comme

    « comment peut-on adapter ses pratiques d’enseignement pour tirer bénéfice de ce

    changement ? », « comment ne plus chercher à réduire l’écart entre la pratique

    institutionnelle de l’enseignant et la pratique individuelle de l’apprenant, mais passer à une

    nouvelle position visant à être en phase avec ce dernier quand chaque jour il navigue un peu

    plus sur la Toile ? »

    Toujours concernant le FOS, ses technologies d’appui ont considérablement évolué. On est

    passé de l’Enseignement assisté par ordinateur (EAO) aux Technologies de l’information et

    de la communication pour l’éducation (TICe) et aux dispositifs complexes et intégrants (voir

    Grosbois, 2012). Comment donc accompagner les apprenants dans ce nouveau contexte ?

    Pour répondre à cette question, quelques précisions sont nécessaires.

    Au-delà de l’EAO

    Notre objectif est de « programmer » l’apprentissage d’activités discursives, c’est-à-dire

    d’offrir à des apprenants de langue étrangère ou seconde un dispositif leur permettant de

    réaliser des activités sur un mode préparatoire, en quelque sorte de les entraîner au sein d’un

    monde virtuel, mais, dans notre cas, sans recourir pour autant à des avatars de type « Second

    Life » (cf. Wigham et Chanier, 2013) qui constitue aussi une modalité d’entraînement au sein

    d’un monde virtuel. Notre objectif est d’utiliser l’une des modalités actuelles du web, le

    « web 3 », dont nous allons esquisser à grands traits les propriétés ci-dessous.

    Mais cela ne remet-il pas en cause l’évolution des apprentissages linguistiques numériques ?

    En effet, cette évolution semble consister en une prise de distance de plus en plus grande avec

    le monde des exercices hors interaction effective entre humains. Nous voyons des

    diversifications à partir des pratiques de l’EAO, comme le montre la figure ci-après.

    EAO : enseignement assisté par ordinateur (anglais : CAL, Computer-assisted-learning)

    ALAO : apprentissage/acquisition des langues assisté(e) par ordinateur

    TICe : Technologies de l’information et de la communication pour l’éducation

    Figure 1 : Diversification des pratiques à partir de l’EAO

  • - 11 -

    La notion d’ALAO est plutôt orientée vers les exercices et suppose l’opposition entre notions

    de « bas niveau » et de « haut niveau » (notions que nous reprendrons à notre compte), d’où

    des exercices de bas niveau et des activités de haut niveau ou discursives. Mais l’ALAO peut

    aussi s’inscrire dans une théorie communicative ou interactionniste. On croise ici trois

    positions :

    Piaget a toujours considéré qu’il y avait des phases dans les apprentissages et que ces

    phases étaient caractérisables par des opérations « prototypiques » (Piaget, 1975), ce

    qui induit la notion de bas et de haut niveaux mises en évidence par le groupe LNR6

    au cours des années 1970 ;

    Vygotski, par sa critique de Piaget, a insisté sur le passage de l’interpsychique à

    l’intrapsychique, ce qui conduit à minorer le rôle du bas niveau ;

    Bruner (1983) a mis en avant le rôle du pragmatique dans l’acquisition des langues, ce

    qui valorise la notion de scénario issue de la notion de script (Schank et Abelson,

    1977).

    La notion de TICe est plutôt orientée vers l’idée d’approche communicative puisque les TIC

    sont issues du monde de la communication, d’où aussi l’idée de CMO, communication

    médiée par ordinateur. Cet accent mis sur la communication a pour conséquence le choix

    entre les trois options :

    une conception de la communication centrée sur la notion d’interaction (que l’on voit

    bien à l’œuvre actuellement sur les réseaux sociaux comme Facebook) ;

    une conception de la communication insérant les interactions dans la constitution

    d’une communauté (c’est-à-dire d’un ensemble de locuteurs/co-locuteurs partageant

    des normes d’interaction et une mémoire collective dynamique) ;

    une conception de la communication insérant les interactions dans des systèmes de

    représentation dynamiques construits et maintenus par les locuteurs/co-locuteurs.

    On remarquera que les deux derniers points sont deux facettes d’une même « réalité » (l’une

    orientée vers la communauté sociale, l’autre orientée vers la cognition individuelle mais

    insérée dans le collectif) et s’opposent tous deux au premier point. La CMO est confrontée au

    même problème. Mais il ne faut pas oublier que les approches cognitives qui se sont

    développées à partir des années 1980 s’opposent aussi sur deux points :

    6 Voir Lindsay et Norman (1977).

  • - 12 -

    faut-il opérer un retour au behaviorisme (selon une modalité plus large que celle due à

    Skinner, bien évidemment) ou, au contraire, intégrer les approches communicatives et

    interactionnistes ?

    si l’on se situe dans une perspective cognitive, faut-il faire un pont ou non entre les

    apprentissages et l’embodiment ?

    Nous n’argumenterons pas sur le premier point, cela nécessiterait « une autre thèse ». Il nous

    semble qu’il y a dans cette question (souvent posée de façon conflictuelle) une opposition trop

    radicale. Notre réponse serait : « cela dépend de ce que l’on entend par behaviorisme ».

    Nous ignorerons volontairement le deuxième point qui n’a de pertinence qu’en présentiel – au

    moins pour le moment.

    Nous avons pris position théoriquement. Abordons maintenant un plan plus pratique. De ce

    point de vue, deux questions se posent :

    A. L’utilisation de TIC ne s’accompagne-t-elle pas d’un « retour en arrière pédagogique » ?

    Cette question a été souvent abordée. Nous ne la reprendrons pas parce que la réponse dépend

    des pratiques : elle est citée ici pour mémoire.

    B. L’approche « TICe » ne manque-t-elle pas la question du bas niveau dans son orientation a

    priori communicative (même si ce n’est pas toujours le cas dans les faits) et n’est-elle pas un

    simple doublet de la partie « discursive » de l’ALAO ? Cette question entre plus dans notre

    champ d’interrogations.

    Le passage de l’EAO aux TICE marque effectivement le passage d’une centration sur le

    lexique (généralement isolé de son contexte) et sur la grammaire à une centration sur

    l’interaction (d’où l’apparition de la problématique de l’interactivité, parallèle sur le plan

    « humain ↔ machine » et de l’interaction sur le plan « humain ↔ humain », dans les années

    1980 – 1990). De plus, l’évolution d’une approche behavioriste et centrée sur la phrase

    (illustrée par les pratiques liées au structuro-global audio-visuel ou SGAV) à une approche

    communicative et centrée sur l’interaction et les documents « authentiques » s’est faite au

    tournant des années 1970 - 1980 pour le FLE. Les outils informatiques (les « micro-

    ordinateurs » de l’époque) n’étaient pas assez puissants pour suivre cette évolution. La

    conception de type EAO a donc continué jusqu’à la fin des années 1980. C’est avec

    Authorware, fait pour le Macintosh et qui pilotait un magnétoscope d’un pouce que l’on a

    assisté à un basculement vers la prise en compte de l’interaction dans les usages de l’outil

    informatique7. L’internet et les possibilités de numériser des images et des vidéos avec un

    poids acceptable (problème de l’affichage immédiat ou non) ont permis de poursuivre cette

    7 Information donnée par Henri Portine.

  • - 13 -

    évolution, ce qui a entraîné un désintérêt pour le lexical et le grammatical considérés comme

    appartenant à une époque révolue, celle de l’EAO.

    En 2002, la DT (Direction de la Technologie) du MEN (Ministère de l’Education nationale) a

    commandé à un groupe de travail piloté par Frédéric Haeuw (ALGORA) un « outil de

    pilotage par les compétences des projets TICE dans l'enseignement supérieur ». Cet outil qui

    se considérait comme un référentiel a été nommé COMPETICE. Ce dispositif envisageait

    cinq scénarios :

    présentiel enrichi par l'usage de supports multimédias ;

    présentiel amélioré en amont et en aval ;

    présentiel allégé : des apprentissages s'effectuent en dehors de la présence physique du

    formateur ;

    présentiel réduit ;

    présentiel quasi inexistant.

    L’opposition présentiel / blended learning / distanciel (telle qu’elle est illustrée par le

    référentiel Competice) est-elle encore valide ? Nous ne le pensons pas. Ce que l’on appelle

    « pratiques nomades » illustre bien l’évolution des apprentissages comme un mélange de

    relations en présentiel, en semi-distanciel (exemple, salle informatique avec tuteur) et en

    distanciel. D’ailleurs, l’apprentissage en ligne n’est plus réservé seulement à la formation à

    distance. Avec l’introduction des plates-formes de formation de type Moodle ou des ENT

    (Environnement numérique de travail) dans les établissement scolaires, de nombreuses

    activités d’apprentissage en ligne ont été introduits dans les cours en présentiel. De ce fait,

    nous ne considérons pas le blended learning comme un complément mais comme une

    véritable modalité d’apprentissage.

    Comment envisager de véritables activités discursives ?

    Le recours aux plates-formes permet de mettre en œuvre des activités communicatives, c’est

    pourquoi l’utilisation de TIC est massivement représentée à l’heure actuelle par le recours à

    ce type d’outils. C’est aussi le cas du recours à la « CMO » (communication médiée par

    ordinateur) ; exemples : des discussions entre classes (e-Twinning, par exemple). On « fait

    ensemble ».

    On a donc là l’idée suivante : réaliser des activités discursives (donc de haut niveau) c’est

    mettre en œuvre de la communication entre apprenants, d’où l’importance de l’interaction

    déjà signalée.

  • - 14 -

    Par son orientation « transversale » (et non « verticale »)8, le web 2.0 assume le même rôle :

    le « web 2 » est donc à rapprocher des réseaux sociaux, de la CMO, des pratiques

    communicatives et des apprentissages fondés sur une approche pragmatique et des scénarios.

    Mais peut-on envisager des activités discursives qui prendraient la forme d’exercices

    préparant à la communication orale et écrite ? On n’est plus alors dans une strate de type

    « communicatif » puisqu’on ne plonge plus les apprentissages dans des activités d’interaction

    entre humains. On n’est donc plus dans une approche de type « web 2 ». Comment alors se

    situe-t-on ? Elaborer des stratégies reposant sur des exercices (qui se situent toujours sur le

    bas niveau) préparant à la communication orale et écrite, c’est-à-dire à de véritables activités

    discursives (relevant du haut niveau) revient à « travailler les données », (cf. Gandon et alii.,

    2012). On se situe alors dans le « web 3 ». Mais il faut bien comprendre qu’il ne s’agit pas là

    d’une gradation : web 1, web 2, web 3, … (web 4 ?). Cela n’aurait pas de sens. Il n’y a pas de

    « web 4 » à attendre (en tout cas, pas actuellement) et le « web 3 » ne dépasse ni le « web 1 »

    ni le « web 2 » (comme le montrent bien Gandon et alii.). Il s’agit de modalités différentes du

    web. Dans cette perspective, l’apport de XML est tout à fait compatible avec le « web 1 »,

    c’est-à-dire la conception hiérarchique du web (un serveur détient des informations qu’il

    transmet à un client à sa demande). La seule différence est que XML permet une analyse plus

    ou moins fine des données véhiculées dans les deux sens alors que HTML ne le permettait

    pas. De même XML permet le « web 2 » sur une modalité transversale (peer to peer). Le

    « web 3 » sera, lui, axé sur l’analyse des données.

    Figure 2 : Trois modalités du web

    Le présent travail est consacré à une intégration de la problématique « web 3 » à la didactique

    des langues. Il ne s’inscrit donc pas dans le courant dominant actuel qui porte sur le « web

    2 », c’est-à-dire sur la mise en réseaux de partenaires dans un acte d’apprentissage, que l’on

    8 Notons qu’en situation didactique, le web 2.0 peut aussi comporter une dimension verticale : l’espace de

    travail/communicatiion… appartient à l’enseignant qui a des droits supérieurs à ceux de l’apprenant, notamment

    celui de modifier et supprimer des contributions (dans les forums par exemple sur Moodle). Merci à Christian

    Ollivier pour cette remarque.

  • - 15 -

    recourt aux réseaux sociaux, à la CMO ou au e-Twinning (prolongement de la correspondance

    scolaire de Freinet) au service de la « télécollaboration » dans l’apprentissage d’une langue

    (cf. Belz, 2001 ; O’Dowd, 2006b, 2012 ; entre autres), même s’il arrivera forcément que le

    web 2 et le web 3 se rencontrent ici, les frontières des catégories sont naturellement poreuses.

    On remarquera d’ailleurs que le travail sur les blogs (qui est intermédiaire entre une

    problématique « web 2 » et une problématique « web 3 ») a perdu ses aspects innovants alors

    qu’il y aurait sans doute encore beaucoup à faire. Il faut toutefois bien comprendre que le

    présent travail ne prétend pas se situer complètement « à côté » des travaux sur le « web 2 ».

    Il nous semble évident que notre travail, dans la réalité effective de la didactique des langues

    devra s’articuler avec ceux sur le « web 2 » (pour nous, le schéma ci-dessus le met en

    évidence), mais nous voulions effectuer un travail suffisamment approfondi, ce qui nous

    limitait de fait au présent sujet. Notre choix — creuser une orientation « web 3 » — a une

    conséquence : il est encore trop tôt pour confronter cette approche à des expérimentations.

    C’est pourquoi notre travail a un caractère exploratoire et non un caractère expérimental.

    Corpus et activités discursives spécifiques

    À partir du milieu du XXe siècle, trois développements parallèles dans les études

    linguistiques ont contribué largement à façonner le paysage actuel de la didactique des

    langues, notamment celle à des fins spécifiques (FOS). Tout d'abord, l'analyse de discours est

    devenue le domaine de référence, un passage obligatoire, pour de nombreuses recherches

    concernant différentes disciplines, notamment la sociolinguistique, mais aussi dans une

    mesure plus faible, la sociologie, la psychologie et la linguistique appliquée. Deuxièmement,

    l'approche communicative de l’enseignement et de l'apprentissage des langues, en mettant

    l'accent sur les activités pratiques de communication, a conduit au besoin de recourir à de

    véritables exemples d'utilisation de la langue, écrite et parlée. Donc des « documents

    authentiques » devraient être mis à la disposition des apprenants de langue. Le web est une

    excellente source pour ce matériel. Troisièmement, les progrès technologiques et

    informatiques ont contribué aux développements de la linguistique de corpus et à la

    constitution des corpus linguistiques de grande taille. Ces derniers sont potentiellement

    disponibles pour tous les acteurs impliqués dans le processus d'apprentissage des langues, y

    compris les concepteurs de matériel et de ressources pédagogiques, les enseignants et même

    les apprenants. Cela semble représenter un environnement d’enseignement et d’apprentissage

    idéal pour le FOS. L’enseignant et les apprenants de langue à des fins spécifiques ont

    désormais un accès facile à des exemples de discours spécialisés (écrits et oraux). Les corpus

    de textes, facilement constitués et souvent disponibles pour la communauté, permettent à

    l’analyste (l’enseignant et/ou l’apprenant) de relever des régularités discursives et des

    spécificités linguistiques d’un type de texte, ou plutôt d’un genre de discours. Or les

    publications dans le domaine de la linguistique de corpus et la démarche discursive dans

    l’enseignement et l’apprentissage des langues sont de plus en plus enrichies et nombreuses.

  • - 16 -

    Celles-ci constituent une aide méthodologique et pratique pour les enseignants qui n’ont pas

    été habitués à la démarche d’analyse de discours.

    Dans notre démarche, si nous faisons appel aux exercices, il ne s’agit ni de faire de la

    grammaire ni d’apprendre du lexique de manière décontextualisée mais de mobiliser des

    structures grammaticales ou du lexique à des fins fonctionnelles, ce qui permet d’envisager

    leur intégration à des activités discursives. Les deux plans (a) lexical/grammatical, (b)

    discursif, s’organisent donc en deux niveaux :

    Figure 3 : L’articulation « haut niveau » et « bas niveau »

    La flèche 1 signifie que le processus commence par un traitement global de type top > down.

    La flèche 2 signifie qu’il se poursuit par un traitement dialectique haut niveau > bas niveau /

    bas niveau > haut niveau.

    Travailler sur le web, c’est construire des traitements selon la figure ci-dessus en combinant

    des exercices de bas niveau et des stratégies de haut niveau qui sont corrélables / corrélés.

    B - Configuration de la thèse

    Objectifs de la recherche

    Cette recherche, de nature exploratoire, se donne pour objectifs de mieux connaître certains

    paramètres intervenant dans une formation de type FOS par analyse et révision critique. Elle a

    une visée didactique clairement définie et vise à trouver des moyens et démarches pour rendre

    l’apprenant plus autonome dans une formation linguistique à visée professionnelle, le français

    du tourisme en l’occurrence, à l’aide de l’outil numérique.

    Notre objectif est donc de définir une démarche didactique en prenant en compte les

    paramètres analysés, notammemt ceux de l’analyse de discours spécialisés et professionnels

    issus du domaine du tourisme et l’évolution des outils des technologies informatiques. S’il

    nous faut faire appel à l’analyse de discours, notre recherche se situe dans la perspective

  • - 17 -

    didactique de cette entreprise et non en linguistique théorique. L’analyse de discours nous

    fournit des éléments permettant ensuite d’envisager une démarche didactique qui met au

    devant de la scène le discours et favorise une autonomisation guidée de l’apprenant de FOS.

    Questions et hypothèses de la recherche

    Questions de la recherche

    Notre étude cherche à répondre principalement aux questions suivantes.

    Comment l’analyse de discours peut-elle remettre en question notre pratique

    d’enseignement des langues en général et du FOS en particulier et permettre de la

    renouveler en cours de FOS ?

    Qu’est-ce qui entrave la transposition didactique de l’analyse de discours ?

    Comment développer, outre une compétence de communication, une compétence

    discursive ? Autrement dit, comment concevoir des activités d’apprentissage tenant

    compte davantage du discours ?

    Comment l’utilisation des outils pour l’ingénierie linguistique permet-elle une

    autonomisation de l’apprenant ?

    Hypothèses de la recherche

    Nous partons de l’hypothèse que le discours des guides (guides papier et guides humains) est

    caractérisé par ses propres régularités et ses marques énonciatives. Il en découle trois

    positions qui seront argumentées dans le cadre de la thèse :

    - l’analyse de discours et celle du discours professionnel apportent un éclairage et contribuent

    à concevoir un programme de formation linguistique à visée professionnelle plus cohérent et

    pragmatique ;

    - la mise en place des exercices au service des stratégies discursives aide l’apprenant à

    développer des compétences discursives pour une meilleure communication professionnelle ;

    - les activités discursives basées sur le web soutiennent un apprentissage de plus en plus

    autonome chez l’apprenant ; cette autonomisation porte sur plusieurs points : linguistique,

    stratégique et professionnelle.

    Organisation de la thèse

    La première partie présente les fondements théoriques et méthodologiques de l’ingénierie

    linguistique pour la didactique des langues. Elle fait l’objet d’un développement en trois

    chapitres. La deuxième partie est consacrée à la problématique de l’analyse du discours du

    tourisme avec quatre chapitres. Elle traite trois sujets principaux : la définition du cadre

  • - 18 -

    théorique et conceptuelle de l’analyse du discours, la présentation de notre corpus et l’analyse

    de corpus. La troisième partie, la dernière, est le cœur de cette étude. Elle traite deux

    sujets équivalents aux deux chapitres : les exercices au service des stratégies discursives et

    l’élaboration d’activités discurisves sur le web. La thèse comprend donc neuf chapitres

    auxquels s’ajoute l’introduction et la conclusion générales.

    Le chapitre premier est consacré à l’examen des théories de l’apprentissage et de

    l’acquisition d’une langue étrangère. Ceci nous conduira à reternir les premiers éléments

    importants intervenant dans une formation linguistique.

    Le deuxième chapitre porte sur la présentation du contexte du FOS et de son évolution

    méthodologique. Les grands courants sont analysés de manière assez descriptive tout en

    précisant les publics concernés, les objectifs de la formation et les priorités didactiques. Au

    terme de ces analyses, deux tendances principales se dégagent : le dépassement de la langue

    au profit du discours comme objet d’étude et d’apprentissage et le passage du spécialisé au

    professionnel avec une meilleure prise en compte de l’activité professionnelle qui régit la

    pratique discursive en milieu de travail. Pour terminer, nous proposons un aperçu sur

    l’enseignement du FOS dans notre contexte précis, le Vietnam. Nous constatons par cette

    révision que l’enseignement du FOS au Vietnam soulève de nombreuses problématiques

    concernant la conception et l’élaboration du cours, les contenus, les démarches didactiques,

    sans parler des relations et de l’articulation entre les compétences linguistiques et discursives

    à développer, notamment dans un environnement de travail largement modifié par les outils

    technologiques et informatiques.

    Le troisème chapitre traitera de la problématique de l’autonomie de l’apprenant dans le

    cadre d’une formation linguistique. Notre attention sera essentiellement portée sur les

    résultats de différents travaux tant francophones qu’anglo-saxons. Nous essayerons

    d’identifier et de dégager les variables agissant sur l’exercice de l’autonomie et sur le

    développement de cette capacité à apprendre de manière autonome et efficace. Cette révision

    nous permettra d’orienter notre attention vers l’autonomisation (processus dont l’objectif est

    de rendre l’apprenant autonome) et non vers l’autonomie (qui est considérée comme un état,

    ce vers quoi on va). Appréhendée de telle manière, il est ainsi possible d’envisager des

    dispositifs permettant le développement d’une autonomisation progressive de la part de

    l’apprenant. Par ailleurs, un intérêt particulier sera accordé à l’examen de quelques théories et

    approches soutenant l’acquistion d’une compétence. Nous trouvons intéressant d’envisager la

    problématique de l’autonomie de manière dynamique sous l’influence de l’artefact

    informatique désormais omniprésent dans l’environnement pédagogique. Nous terminerons la

    première partie de la thèse par la recommandation d’une approche pédagogique, le blended

    learning (l’apprentissage composite), approche consistant à combiner de manière flexible et

    articulée plusieurs méthodes, modalités, supports, etc. pour créer un environnement

    d’apprentissage favorable dans lequel l’apprenant peut atteindre ses objectifs plus facilement

  • - 19 -

    et efficacement. Le blended learning ne sera donc pas pour nous l’UNE des modalités

    d’apprentissage, mais LA modalité d’apprentissage qui a déjà cours et qui est appelée à

    devenir la modalité d’apprentissage de référence.

    Le chapitre quatre intitulé La problématique discursive ouvre la deuxième partie et s’attache

    à définir le cadre conceptuel et méthodologique qui nous permettra d’analyser notre corpus de

    discours lié au tourisme. Les outils d’analyse les plus courants sont présentés et discutés.

    Dans un premier temps, nous essayerons de définir la notion de disours, nous proposerons

    ensuite une discussion concernant une typologie en faveur de la notion de genre de discours et

    non de type. Dans un deuxième temps, nous exposerons les différentes approches en analyse

    de discours : énonciative, communicationnelle, pragmatique, quantitative. Pour analyser notre

    corpus, nous ferons appel non pas à une approche/méthode unique, mais à plusieurs, en

    fonction de nos objectifs dans une perspective pédagogique.

    L’analyse de discours est, dans notre cas, au service de la didactique des langues et non de

    l’étude « purement » linguistique. Nous discuterons donc de la transposition de l’analyse de

    discours à la didactique des langues. Ce processus n’est pas évident et il existe un grand

    décalage entre les analyses théoriques et empiriques de l’analyse de discours et son

    implication effective dans les programmes de formation. L’analyse de discours n’est pas

    seulement la disciplince de référence pour la conception de curriculum et de syllabus d’une

    formation de type FOS, il est aussi possible de développer des activités d’apprentissage au

    bénéfice de l’appropriation du discours et de la compétence discursive dans une

    communication spécialisée en milieu professionnel.

    Le chapitre cinq présente les démarches de recueil et d’élaboration de notre corpus. Il s’agit,

    d’une part, des discours de deux guides de voyage (discours écrits) sur le Vietnam totalisant

    environ 1000 pages de texte, édités en France pour un public de touristes francophones ;

    d’autre part, des discours oraux des guides touristiques enregistrés lors des visites guidées

    dans les régions du Nord du Vietnam. Le corpus écrit est nettoyé, structuré et annoté avec des

    balises empruntées au langage XML, ce qui facilite l’exploration et l’extraction des séquences

    servant d’appui à notre analyse tandis que le corpus oral a été transcrit selon les normes de

    transcription alphabétique courantes dans les travaux ayant le discours parlé comme objet

    d’étude. Nous terminons ce chapitre par une présentation des extraits du corpus et de quelques

    difficultés auxquelles nous avons été confronté lors de la collecte de données.

    Le chapitre six et sept consistent en l’application des outils conceptuels et méthodiques à

    l’analyse de notre corpus. Nous allons d’abord mettre en évidence le cadre énonciatif du

    discours des guides et définir leurs genres discursifs . Nous proposerons ensuite des analyses

    de la structuration discursive portant sur les modalités d’organisation. Plus précisément, elles

    portent sur trois plans : structurel, thématique et interactif.

  • - 20 -

    Nous consacrerons également une partie à l’étude des adjectifs de valorisation positive, un

    moyen linguistique très prisé qui contribue largement à la mise en œuvre et à la légitimité de

    ces trois visées communicationnelles. Le chapitre se termine par une discussion à propos des

    résultats et de leurs potentialités didactiques.

    Le chapitre huit s’inscrit dans le volet didactique de la troisième partie de la thèse et propose

    une révision d’une notion classique de la didactique des langues, l’exercice. Nous sommes

    persuadé que le développement de la compétence discursive exige de la part de l’apprenant

    des compétences de natures diverses : linguistique et socioculturelle entre autres. L’apprenant

    a besoin de la matière langagière pour construire son discours. Les exercices ont donc toute

    leur place dans une démarche discursive. Ils seront utilisés en fonction du besoin de

    l’apprenant lors de la réception et de l’élaboration du discours. Nous donnerons également

    quelques exemples d’exercices visant à systématiser, à stabiliser et à autonomiser

    l’apprentissage de « bas-niveau ». Ces exercices ne seront pas proposés de manière

    indépendante et autonome, mais doivent être articulés avec des activités discursives.

    Le chapitre neuf conclut la thèse avec des exemples de séquences d’activités discursives

    d’apprentissage basées sur le web (web-based learning). Ces activités discursives sont

    conçues pour exploiter le web dans ses trois dimensions : ressources de discours authentiques,

    outils de communication et de publication et enfin environnement d’apprentissage intégré.

    Dans un futur proche, le web deviendra de plus en plus invisible. On accédera et utilisera le

    web en permance sans se soucier des modalités de connexion, ni des terminaux utilisés. Mais

    le web devient déjà une plateforme avec laquelle on travaille, apprend et se divertit. Les

    activités que nous avons proposées témoignent également d’une transposition tout à fait

    possible et pertinente de l’analyse de discours à l’apprentissage linguistique, étant donné que

    la langue elle-même ne constitue plus l’objet de prime abord important dans l’appropriation et

    l’acquisition linguistique, mais cède la place au discours, autrement dit la mobilisation de la

    langue dans des situations de communication concrètes visant un ou des objectif(s) précis.

  • - 21 -

    PREMIERE PARTIE

    AU FONDEMENT DE L’INGENERIE LINGUISTIQUE

    L’objectif de cette partie est de mettre en évidence les éléments qui sont au fondement de la

    didactique des langues en contexte spécialisé : la notion d’apprentissage mise en rapport avec

    les TICe et l’ingénierie linguistique (la démarche didactique utilisant les TICe) ; les

    développements qui ont abouti à la notion de FOS (Français sur Objectifs Spécifiques) et la

    diversité des contextes d’apprentissage du FOS ; la notion d’autonomie qui est une notion

    complexe au cœur de ces développements du FOS et qui est caractérisée par la diversité des

    approches auxquelles elle donne lieu.

    Pour atteindre ces objectifs, nous devrons nous situer dans les différentes approches qui ont

    été proposées et les propositions qui en ont découlé. La critique de ces différentes approches

    nous fournira nos premières analyses qui nous permettront de définir les principaux

    paramètres d’une formation de type FOS.

    L’ensemble s’incrit pleinement dans une visée didactique et débouche sur une argumentation

    en faveur d’une approche pédagogique déterminée, le blended learning comme modalité de

    plus en plus courante de l’apprentissage et de l’enseignement des langues, et notamment des

    « langues de spécialité ».

  • - 22 -

    CHAPITRE 1

    APPRENTISSAGE ET DIDACTIQUE DES LANGUES

    Introduction

    Dans ce chapitre, nous allons aborder la question de l’apprentissage d’une langue étrangère.

    Ce dernier est très différent de l’acquisition de la langue maternelle. Nous allons voir que la

    représentation de ce qu’est la langue influence la façon de concevoir l’enseignement et

    l’apprentissage. Du point de vue de l’enseignement, l’évolution méthodologique est toujours

    soutenue par les avancées dans les domaines connexes : la psychologie, la linguistique entre

    autres. Ainsi, nous décrirons de manière succincte les grandes théories des apprentissages

    linguistiques et leurs implications dans la démarche didactique avant de poser les premiers

    principes de notre approche pédagogique. Nous allons également argumenter sur le fait que

    l’objectif final de l’apprentissage des langues n’est plus les connaissances linguistiques mais

    une compétence à communiquer langagièrement. Ces premiers éléments constitueront la base

    pour discuter, dans les chapitres suivants, le processus d’apprentissage, les principes et les

    lignes directrices pour faciliter l’apprentissage afin d’atteindre la compétence visée, en

    l’occurrence la compétence à entrer dans les pratiques langagières du tourisme.

    1.1. Qu’est-ce qu’apprendre ? Qu’est-ce qu’enseigner ?

    Qu’est-ce qu’apprendre ? et qu’est-ce qu’enseigner ? sont des questions de base pour

    n’importe quel apprenant et n’importe quel enseignant impliqué dans cette affaire. Répondre

    adéquatement à ces questions n’est pas chose facile. D’ailleurs, il semble que l’on n’y prête

    pas toujours attention car on pense fonctionner (apprendre et enseigner) selon un cadre

    conceptuel et théorique bien défini sans s’interroger vraiment ni sur l’objet du processus (la

    connaissance), ni sur les caractéristiques de l’acte d’apprentissage ou de l’enseignement. Cela

    s’explique peut-être parce qu’il apparaît évident, au moins pour la plupart des apprenants et

    des enseignants, de s’inscrire et de suivre le courant théorique et méthodologique dominant à

    leur époque. Pourtant, il nous semble important de prendre du recul et de mettre en évidence

    les représentations que l’on a sur ce qu’est l’apprentissage et sur les théories qui soutiennent

    cet acte.

  • - 23 -

    1.1.1. Trois représentations courantes de la connaissance

    Les approches pédagogiques et les démarches didactiques de l’enseignement en général et de

    l’enseignement/apprentissage des langues en particulier reposent sur des représentations

    dominantes à une époque donnée de la connaissance et des savoirs, soutenues ensuite par des

    recherches théoriques et des modèles pratiques. Somme toute et de manière générale,

    Germain-Rutherford (2006), dans une note de cours, a présenté trois représentations courantes

    de la connaissance : la connaissance se transmet, la connaissance s’acquiert et la connaissance

    se construit. A partir de l’une de ces conceptions, les répercussions pédagogiques sont

    déterminées, le rôle de chaque acteur dans le processus de l’enseignement

    (enseignant/formateur) et de l’apprentissage (élève/apprenant) est identifié, et des méthodes

    pédagogiques correspondantes peuvent être développées.

    Selon Germain-Rutherford, si on considère que la connaissance se transmet, l’enseignant a

    donc la charge de transmettre l’information et la connaissance en donnant un message clair

    permettant la compréhension de l’objet de l’apprentissage. Le savoir est avant tout une

    donnée. L’apprenant l’écoute attentivement et retient l’information fournie. Dans ce modèle,

    les méthodes pédagogiques privilégiées sont l’exposé magistral et la transmission du savoir

    déjà structuré de l’enseignant à l’apprenant. Il s’agit donc d’une pédagogie transmissive

    centrée sur le contenu à acquérir. Les courants théoriques sous-jacents de cette approche sont

    le behaviorisme et l’associationnisme. Nous y reviendrons.

    Si on considère que la connaissance s’acquiert, l’enseignant est celui qui balise le parcours,

    indique les objectifs, formule des consignes claires et guide les apprenants dans leur

    apprentissage. Par l’acte d’apprentissage, ceux-ci suivent les indications, investissent dans le

    travail personnel pour acquérir la connaissance. Les méthodes pédagogiques dominantes

    s’organisent sous la forme de séminaires, cours et travail personnel. Cette représentation de

    l’apprentissage et de l’enseignement trouve son origine dans les théories cognitivistes. Dans

    ce courant, l’acquisition des connaissances consiste en l’appropriation du savoir proposé par

    l’enseignant ou déjà disponible dans les matériels d’apprentissage.

    Et enfin, si on considère que la connaissance se construit, pour faciliter l’apprentissage, le rôle

    de l’enseignant c’est de formuler des problèmes, d’accompagner les apprenants et de mettre

    des ressources à leur disposition. Ces derniers mobilisent des connaissances antérieures pour

    explorer, étudier, collaborer pour découvrir, créer la nouvelle connaissance et l’assimilent.

    Dans cette perspective, les méthodes pédagogiques recommandées sont la résolution de

    problèmes, l’apprentissage par projets, les pratiques de résolution conflit socio-cognitif. Cette

    approche est basée sur les théories cognitivistes - constructivistes que nous allons développer

    dans la section §1.2

    L’objet de l’apprentissage linguistique est bien différent de celui d’autres disciplines. La

    langue est un objet abstrait, conventionnel et très ancré dans un contexte socio-culturel et

  • - 24 -

    historique déterminé. Ensuite, l’appropriation des connaissances linguistiques n’est pas un but

    en soi, mais sert à communiquer et à conceptualiser le réel, il s’agit d’acquérir et de

    s’approprier un moyen de communication verbale qui aide son titulaire à interagir avec l’autre

    dans un contexte de connaissance donnée. Mais apprendre une langue étrangère est aussi autre

    chose qu’apprendre une langue maternelle.

    1.1.2. Connaissance linguistique ou compétence de communication langagière

    A la différence d’autres matières en science, l’objet de l’apprentissage linguistique évolue

    d’une époque à l’autre en fonction de ce que l’on a comme représentation de la langue, de ses

    composantes, de sa structure, de son rôle et de son fonctionnement. Cette représentation

    courante ou scientifique n’est pas stable mais susceptible d’évoluer notamment en

    conjonction avec les avancées des sciences connexes : la linguistique, la psycholinguistique,

    la sociolinguistique ou encore l’anthropologie, etc.

    L’objectif de l’apprentissage des langues, lui-aussi, change au cours du temps. Avant la

    mondialisation (économique et politique d’abord, puis sociale et culturelle) des années 1960,

    il y avait très peu de mobilité des individus au-delà des frontières nationales. Apprendre une

    langue étrangère ne consistait guère à apprendre à gérer la communication (orale et écrite)

    avec l’étranger (sauf dans le cas des colonies), mais plutôt à lire et comprendre la

    documentation en langue étrangère. Les langues vivantes choisies pour enseigner et apprendre

    à l’école n’étaient pas nombreuses. Il s’agissait principalement de l’espagnol, du portugais, du

    français et de l’anglais, les pays où on parle ces langues comme langue maternelle, ayant une

    certaine avancée au niveau de la science, de la technologie et de la culture académique et

    industrielle. L’expression libre y était autorisée et protégée. L’imprimerie s’y développait

    bien et l’offre éditoriale était abondante. Les autres pays qui voulaient accéder à ce

    patrimoine, surtout scientifique expérimental, technique, technologique et culturel, ont

    proposé des cours de langues étrangères dans leur système éducatif. Les gens qui apprenaient

    ces langues, avaient pour objectif de lire les documents scientifiques et littéraires du pays en

    question. Par conséquent, les démarches didactiques se focalisaient essentiellement sur la

    compréhension écrite.

    En même temps, à cette époque, on considait la langue comme un objet abstrait. Les

    linguistes étudiaient son fonctionnement interne et le décomposaient en deux

    éléments principaux : le vocabulaire et la grammaire. Le vocabulaire est l’ensemble des mots

    utilisés pour nommer les choses, désigner les objets et représenter le monde. La grammaire est

    l’ensemble des règles régissant la combinaison et l’ordre de ces mots pour former une phrase.

    Dans ce contexte, l’apprentissage d’une langue étrangère consistait donc en l’acquisition du

    vocabulaire et des règles grammaticales de la langue. La méthode didactique utilisée était la

    méthode grammaire-traduction qui procèdait par l’enseignement explicite du vocabulaire et

    de la grammaire, accompagné de la traduction vers la langue maternelle de l’apprenant afin

  • - 25 -

    que ce dernier comprenne le sens. Cette méthode grammaire-traduction s’est ensuite affinée

    pour tenir compte de la contextualisation du lexique et des structures phrastiques (approche

    structuro-globale). Mais ceux qui voulaient échapper à cette vision réductionniste de la langue

    avaient développé dès la fin du 19è siècle la méthode directe, qui recourt souvent à la classe

    de conversation (qu’il ne faut pas confondre avec l’approche communicative).

    Progressivement et avec l’évolution géopolitique et de la science, les flux migratoires, pour le

    commerce, pour le tourisme ou encore pour les études et le travail, ont été de plus en plus

    importants. On a vite senti le besoin de connaître une langue étrangère pour communiquer,

    travailler avec les étrangers. On constate que l’objet de l’apprentissage d’une langue étrangère

    passe de la langue au discours. L’objectif de l’acquisition