Ann. Kinésithér., 1991, t. 18, nO 5, pp. 227-231© Masson, Paris, 1991

MÉMOIRE

Essai d'évaluation de la force maximale isométrique mesurée(F.M.M.)

Versant concentrique et versant excentrique

I. DANY (1), G. PIERRON (2)(1) Institut de thalassothérapie des Sables, F 85100 Les Sables d'Olonne.(2) E. CK. Bois Larris, F 60260 Lamorlaye

L

La force maximale isométrique mesurée(F.MM) a été évaluée sur les musc/esfléchisseurs du coude, à l'aide d'un dynamo­mètre, selon deux modalités :

- un test induisant un léger raccourcisse­ment préalable du groupe musculaire, explo­rant ainsi le versant concentrique de laF.MM ;

- un test induisant un léger étirementmusculaire préalable (conditions des techni­ques d'évaluation en charge directe), explorantainsi le versant excentrique de la F.MM

30 sujets, testés sur chacun de leursmembres supérieurs, ont participé à l'expéri..,mentation.

Nous obtenons deux résultats différents, lerésultat du test d'évaluation de la F.MMversant concentrique étant toujours inférieurau résultat du test versant excentrique.

Introduction

La mesure de la force musculaire indispensa­ble à tout programme de renforcement mus­culaire pose toujours au praticien des problèmesde réalisation pratique et concrète. Ces mesuresde force s'effectuent soit par des méthodesessais-erreurs longues et fastidieuses, soit par lamesure directe en utilisant un dynamomètre. Le

Tirés à part : B.L.D.O.C., E. CK. Bois Larris, F 60260Lamorlaye.

dynamomètre facilite grandement la tâche. Il estcependant nécessaire d'en préciser les modalitésd'utilisation.

Déjà Troisier, en faisant une différence« F.M.M. mesurée au dynamomètre » et« F.M.T. », laisse supposer que la F.M.M. estsous-évaluée dans ces conditions de mesure

(3 séries de contractions pour trouver la forcemaximale isométrique mesurée F.M.M. ; Ajou­ter 25 % pour obtenir la force maximalethéorique F.M.T. = F.M.M. + 25 %) (7, Il,12).

D'autre part, Adam (1) constate une grandedifférence entre la F.M.M. du dynamomètre etla F.M.M. en charge directe, indiquant là encoreune sous-évaluation de la force mesurée au

dynamomètre.Or, même si le principe des dynamomètres

modernes basés sur la déformation des jaugesde contraintes (de l'ordre du micron) permet unemesure isométrique stricte, il faut tenir comptede la mise en tension de toutes les structuresélastiques d'attache du système de mesure et destissus mous du sujet lui-même. Un légerraccourcissement préalable du muscle est ainsiinduit : l'isométrie stricte est donc impossibledans ces conditions (4).

Notre hypothèse de travail est que les mesuresréalisées dans des conditions de léger étirementmusculaire doivent être supérieures aux précé­dentes décrites. Ces conditions d'étirement seretrouvent d'ailleurs dans la technique d'évalua­tion par charges directes, la limite étant atteintelorsque le sujet est dans l'impossibilité demaintenir immobile le segment lesté.

228 Ann. Kinésithér., 1991, t. 18, nO 5

Cette étude se propose donc de comparer laF.M.M. mesurée en isométrique versant concen­trique à la F.M.M. mesurée en isométriqueversant excentrique d'un même groupe mus­culaire : les fléchisseurs du coude.

Matériel et méthode

POPULA nON

Elle est composée de 30 stagiaires en formation continuede kinésithérapie, regroupant 15 hommes et 15 femmesâgés de 24 à 51 ans. Ces sujets sont tous en excellentecondition physique et ne présentent aucun antécédentpathologique des membres supérieurs.

MATÉRIEL

Nous utilisonsun cadre métallique rigide avec 4 montants verticaux

fixés au sol et 3 montants horizontaux;- une poulie fixée à l'un des montants horizontaux ducadre, à H = 30 cm du sol;- un bras de levier métallique de 100 cm, fixé selon undes rayons de la poulie (R = 15 cm);- une chaîne métallique à gros maillons (L = 120 cm) ;- un poignet en cuir avec anneau métallique;- un goniomètre type Cochin;- un statergomètre constitué d'un capteur d'extensomé-trie relié à un système d'amplification et de lecture, utilisédans sa fonction de dynamomètre, fixé à la chaînemétallique.

MÉTHODE

Dans un premier temps, nous avons déterminé la F.M.M.versant concentrique puis versant excentrique sur lesfléchisseurs du coude de l'un des membres supérieurs(M.S.) du sujet.

Dans un second temps, nous avons déterminé laF.M.M. versant excentrique puis versant concentrique del'autre M.S. du sujet.

Ceci afin d'éviter l'effet passage pour le sujet testé.L'ordre de passage des M.S. était inversé pour le sujet

suivant, ceci afin d'éviter l'effet adaptation du manipula­teur à l'expérimentation.

Le protocole respectait les principes suivants :- pas d'échauffement;- 3 mn de récupération entre les deux mesures sur unmême M.S. ;- mise en tension préalable du groupe musculaire;

FIG. 1. - Position de départ des sujets pour les mesures enstatique (versant concentrique ou versant excentrique).

- la contraction doit être d'emblée maximale;- même expérimentateur tout au long de l'expérimenta-tion.

Installation du sujet (fig. 1)Le sujet se tient debout face à la poulie, le M.S. à tester

à 90° de flexion de coude, coude au corps en positionneutre de Flexion/Extension d'épaule, tel que l'angle entrel'avant-bras et la chaîne (fixée au poignet de cuir, justeau-dessus de l'interligne radio-carpien, avant-bras enposition neutre de Pro/Supination) soit de 90° ; on utiliseun goniomètre type Cochin pour vérifier les angles. Lalongueur de la chaîne est calculée pour être tendue danscette position de départ.

Le maintien de la position est strict pendant le test,le tronc et le coude maintenus fixes (pas de recul ducoude), membres inférieurs écartés pour stabiliser l'ensem­ble, et l'autre M.S. tenant la barre verticale homolatéralepour faciliter le maintien, sans rotation du tronc, duranttoute la prise de mesures, le sujet ne peut pas lire le cadrandu voltmètre de mesure du stratergomètre.

Le sélecteur de fonction est en position « F.M. » pourutiliser la position dynamométrique de l'appareil.

Mesure de la F.MM versant concentrique

Sujet en position de départ.Le manipulateur demande au sujet de tirer le plus fort

possible sur le capteur, en maintenant la position du coudeet de l'avant-bras. L'ordre « tirez » doit être énergique,induisant une réponse efficace. Il sera le même pour tousles sujets.

Mesure de la F.MM versant excentrique

Sujet en position de départ.Le manipulateur se place au niveau du bras de levier

fixé à la poulie, situé du côté opposé au sujet par rapportau cadre métallique; sa main d'action est sur un repèreà 100 cm du centre de la poulie. Le bras de levier estactionné de bas en haut, entraînant l'avant-bras du sujetvers le bas.

On demande au sujet de résister le plus possible à latraction ressentie lors de l'action du manipulateur sur lebras de levier. L'ordre « résistez » est énergique,semblable pour tous les sujets, induisant une réponseefficace.

Remarques

La sollicitation verbale est utilisée de manière identiquepour les tests à droite et à gauche. L'ordre « tirez» donnéau sujet semble induire une réponse neuromotrice orientéevers le travail concentrique, l'ordre « Résistez» induisantune réponse neuromotrice orientée vers le travail excentri­que (1, 2).

Lors du test en isométrique versant excentrique, le seulparamètre difficilement contrôlable est l'accélérationimprimée au système: elle est comparable à celle entraînée(pesanteur) par la charge directe appliquée au segmentde membre, (au préalable, on avait réalisé une étude surquelques sujets afin de vérifier que l'erreur due à cettemanipulation était négligeable, le manipulateur étanttoujours le même). On en déduit donc que l'accélérationdonnée au système est probablement constante ou, en toutcas, faiblement variable.

Ce .type de manipulation réalisée lors de la mesure enisométrique versant excentrique est utilisée dans latechnique d'évaluation manuelle de la force musculairedite en « break-test ». La contraction musculairedemandée au sujet, lors de tests, réalise un exerciceisométrique maximal réalisé par les fléchisseurs du coude,sans interposition d'articulations intermédiaires.

Subjectivement, tous les sujets étaient impressionnés parle test en versant excentrique mais trouvaient le test enversant concentrique plus difficile. En effet, le muscle estsollicité de manière isométrique selon deux modes derecrutement différents, et un travail concentrique de­mande plus d'énergie qu'un travail excentrique (9).

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Résultats

Nous avons obtenu, pour chaque sujet,4 valeurs de F.M.M. :

- 2 au M.S. Droit (M.S.D.);- 2 au M.S. Gauche (M.S.G.).Pour plus de clarté, nous nommonsa) membre super droit (M.S.D.) :- CI : la valeur de F.M.M. versant

concentrique;- E2 : la valeur de F.M.M. versant

excentrique;b) membre super gauche (M.S.G.)- C2 : la valeur de F.M.M. versant

concentrique;- El : la valeur de F.M.M. versant

excentrique;en général :- C : la valeur de F.M.M. versant

concentrique;- E : la valeur de F.M.M. versant

excentrique.

TABLEAU 1. - Résultats généraux, unité de mesure dN. N = 30.

MoyenneÉcart-typeE.S.MMiniMaxi

C

26,616,160,791036

E

31,637,430,961050

CI

27,035,561,011536

E2

325,94l,OS2142

El

31,26S,761,61050

C2

26,26,771,231036

Pour 30 sujets testés, nous avons obtenu 120résultats, comprenant (tableau 1)

a) 60 résultats au M.S.D.- 30C;- 30E;b) 60 résultats au M.S.G.

30C;- 30E.

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Discussion C40

y = .647x + 6.152 R-sQuared: .61

FIG. 2. - Droite de régressionsdes valeurs mesurées en statique,versant concentrique (C) et versant excentrique (E), unité demesure deca Newton.

•,1.

1 •·1 · ·

251 •• A· .. ·../' .....-- 1 •

2°1 /-Î.. ·15~/....-JI\. 1 1 1 1 1

POPULATIONS M.S.D. ET M.S.G.

La comparaison des moyennes des différences(F.M.M. versant excentrique - F.M.M. versantconcentrique) enregistrées à droite et à gauchefait ressortir une différence négligeable de leursmoyennes et montre que ces deux populationsM.S.D. et M.S.G. sont comparables et identi­ques, sauf exception due au hasard de l'échantil­lonnage .

Il n'y a pas d'effet passage pour le groupemusculaire testé. On peut donc étudier d'unefaçon générale les populations F.M.M. versantexcentrique et F.M.M. versant concentrique, enregroupant les résultats gauche et droite; onnotera ces populations E et C ; avec E = r El ;E2 J et C = r CI ; C2 J •

35

30

10 15 20 25 30 35 40 45

•

50E

POPULATIONS E ET C

Le t-test E/C nous indique que ces populationssont différentes d'une façon hautement significa­tive. Il existe une corrélation entre elles de

constance élevée (r = 0,78), vraie pour 61 % dela population. Cette relation est objectivée par ladroite de régression Y = 0,647 X + 6,152,entourée par un nuage de points serrés, et dontla pente est raide (fig. 2).

Ceci nous permet d'affirmer que, pour notrepopulation, la différence des moyennes E/Cétant constante, la F.M.M. versant excentriqueest bien toujours supérieure à la F.M.M. versantconcentrique.

Ce résultat est en accord avec la physiologiemusculaire. En effet, la courbe représentative de1a relation Force/Vitesse montre que la forcemaximale développée est plus faible pendant lacontraction concentrique que pendant lacontraction isométrique, la force maximale laplus élevée étant atteinte lors de la contractionexcentrique rapide (2, 3, 5, 6, 9, 10, 11).

ApPLICATIONS EN KINÉSITHÉRAPIE

La différence entre la mesure E et la mesure C

implique que la rééducation doit utiliser la

technique de mesure identique à la techniquede travail envisagé, pour ne pas sous- ousurévaluer la charge de base.

Cette constatation impliquerait que la F.M.M.mesurée d'un côté selon l'une des deux techni­

ques permettrait de se faire une idée de celle ducôté opposé selon la même technique, comptetenu de la différence des moyennes quasiinexistante entre droite et gauche. Pratiquement,face à un membre traumatisé non consolidé, lepraticien pourrait, d'emblée, estimer de façonprécise le déficit de force musculaire existant,en mesurant la F.M.M. du côté opposé, sanstoucher au côté atteint (la relation précise pourchaque groupe musculaire restant à étudier) (7).. L'étude des moyennes, grâce au test-t, des

populations non appariées, membre supérieurdominant (droit ou gauche) par rapport auxrésultats d~s F.M.M. versants concentriques ouexcentriques, nous montre que les populations« droitiers » ou « gauchers » ne sont pasdifférentes pour les résultats obtenus. Donc, pournotre échantillon, l'affirmation droitier ou gau­cher n'est pas vérifiée. Ainsi, le praticien ne seraitpas obligé de tenir compte du membre dominantlors de la mesure de la F.M.M. ; celui-ci n'étant,a priori, pas plus fort que l'autre pour ce typed'épreuve, du moins pour cette situation.

•

Conclusion

Pour tout test de détermination de la forcemusculaire maximale isométrique, il est néces­saire de choisir des modalités d'exécution du test

comparables au type des exercices réalisés lorsdu renforcement musculaire envisagé (1).

Le dynamomètre facilite la prise de mesurepour le praticien si l'utilisation de l'anneaud'extensométrie est adaptée en fonction du typed'entraînement prévu.

En effet, si l'évaluation dynamométrique sefait dans des conditions isométriques proches duversant excentrique pour un travail prévu enconcentrique, la F.M.M. sera surestimée.

Si l'évaluation dynamométrique se fait dansdes conditions isométriques proches du versantconcentrique pour un travail prévu en excentri­que, la F.M.M. sera sous-estimée.

Ainsi, on utilisera préférentiellement le dyna­momètre en faisant correspondre, à un travailprévu avec charges directes, une évaluation dela F.M.M. selon un test induisant un légerétirement musculaire préalable; à un travail detype concentrique, correspondra une évaluationde la F.M.M. selon un test induisant un légerraccourcissement préalable du muscle concerné.

On obtient alors une valeur de la F.M.M. très

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Ann. Kin ésith ér., J 99J, t. J 8, nO 5 231

proche de la réalité pour le type de travailmusculaire choisi, et ce, très facilement.

Références

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2. ASTRANDP. O., RODAHL K. - Précis de physiologie del'exercice musculaire, Masson Edit., Paris, 73-95, 1980.

3. DOLTO B. - Les contractions isométriques brèves. Ann.méd. phys., 1964, 7, 237-249.

4. DOTTEP. - Force musculaire et musculation en kinésithé­rapie. Ann. kinésithér., 1976, 3, 213-234.

5. HEULEUJ.-N., SIMONL. - Muscle et rééducation. Masson,Paris, 21-25, 1988.

6. KAYSERC. - Physiologie, système nerveux, muscle. Flam­marion, Paris, 1279-1297, 1963.

7. PELLERAYB. - Évaluation de la force musculaire. Intérêtd'une définition actualisée. Étude expérimentale proposantune force maximale théorique. Thèse doctorat en médecine.Université René Descartes Paris Ouest, 1978.

8. PLAS F. et coll. - Renforcement et entraînement mus­culaire. E.MC. TL 26055 A 10, 4-9-12, 1-16.

9. SCHERRERJ. - Physiologie du travail - travail physiqueénergétique. Masson Edit., Paris, 16-25, 1967.

10. TROISIERO. - Quelques notions pratiques sur la contrac­tion statique contre résistance contrôlée. Ann. méd. phys.,1964, 7, 233-236..

11. TROISIERO., MICHAUTE., PELISSEF. - Évaluation dela force musculaire par le statergomètre. Ann. méd. phys.,1980, 23, 501-507.

12. TROISIERO. et coll. - Méthode d'évaluation et renforce­ment de la force et de la puissance musculaire. Cah.Kinésithér., 1982, 93, 7-44.

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