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5 Dossier Intercommunalités AdCF N° 164 - Février 2012 Lorsqu’il est question de ruralité, les regards constatent l'extrême diversité de figures territoriales et de types d’initiatives qu'elle incarne. Plutôt qu’une approche successive des différents types d'espaces ruraux, ce dossier d’ Intercommunalités a résolument ciblé les territoires ruraux de faible densité de population et opté pour la valorisation du foisonnement d'actions locales dont ils font preuve. Ces territoires sont les supports traditionnels des Unes pour illustrer la désertification, pendant de la concentration urbaine, ou pour démontrer les impacts de la réorganisation des services publics (fermeture d’une gare, d’un bureau de poste, d’un hôpital, d’une caserne…), peu encline à se conjuguer avec des projets d'aménagement de leur territoire décisifs pour l'avenir. Ces évolutions marquent autant de défis posés aux élus qui s’en saisissent et appellent parfois l’État ou l’Europe à leur chevet pour obtenir un soutien renforcé. L’innovation rurale au-delà des procédures L’effervescence des initiatives publiques et privées s’exprime singulièrement dans les espaces à faible densité. Elle s’appuie sur les richesses environnementales – l’eau, les paysages, la forêt – dont la valorisation est parfois délicate, tenue de concilier la diversité de leurs usages tout en préservant leurs qualités. Dans le même temps, les procédures (Leader, pôle d’excellence rurale) et labels (parcs naturels régionaux, + de services au public,…) peinent à rester démonstratifs en matière d’innovation… L es territoires ruraux de faible densité sont le creuset d’initiatives originales. L’engagement sur l’autonomie énergétique en Bretagne, l’organisation d’une filière des services à la per- sonne dans les Hautes-Alpes, la construction de circuits courts, l’émergence de nouveaux métiers… illustrent la capacité de ces espaces à générer du développement, quand bien même il s'inscrivent dans des situations démographiques (vieillisse- ment), géographiques (enclavement, reliefs mouve- mentés) et économiques (capacité productive ténue, faible valeur ajoutée dégagée) a priori défavorables. Les success stories se construisent souvent autour d’un leader, du repérage d’une niche valorisant une ressource locale… Aussi, ces territoires connaissent au gré des mutations de notre société, mais également des aventures humaines, des hauts et des bas illustrant le caractère non linéaire du développement local. La redéfinition du « péri- mètre des ressources », les « nouvelles diversi- fications » et « l’arrivée de nouvelles activités » cescampagnes quientreprennent Faibledensité: © REGINE SCHÖTTL - FOTOLIA.COM

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Intercommunalités • AdCF • N° 164 - Février 2012

Lorsqu’il est question de ruralité, les regards constatent l'extrême diversité de figures territoriales et de types d’initiatives qu'elle incarne. Plutôt qu’une approche successive des différents types d'espaces ruraux, ce dossier d’Intercommunalités a résolument ciblé les territoires ruraux de faible densité de population et opté pour la valorisation du foisonnement d'actions locales dont ils font preuve. Ces territoires sont les supports traditionnels des Unes pour illustrer

la désertification, pendant de la concentration urbaine, ou pour démontrer les impacts de la réorganisation des services publics (fermeture d’une gare, d’un bureau de poste, d’un hôpital, d’une caserne…), peu encline à se conjuguer avec des projets d'aménagement de leur territoire décisifs pour l'avenir. Ces évolutions marquent autant de défis posés aux élus qui s’en saisissent et appellent parfois l’État ou l’Europe à leur chevet pour obtenir un soutien renforcé.

L’innovation rurale au-delà des procéduresL’effervescence des initiatives publiques et privées s’exprime singulièrement dans les espaces à faible densité. Elle s’appuie sur les richesses environnementales – l’eau, les paysages, la forêt – dont la valorisation est parfois délicate, tenue de concilier la diversité de leurs usages tout en préservant leurs qualités. Dans le même temps, les procédures (Leader, pôle d’excellence rurale) et labels (parcs naturels régionaux, + de services au public,…) peinent à rester démonstratifs en matière d’innovation…

L es territoires ruraux de faible densité sont le creuset d’initiatives originales. L’engagement sur l’autonomie énergétique en Bretagne,

l’organisation d’une filière des services à la per-sonne dans les Hautes-Alpes, la construction de circuits courts, l’émergence de nouveaux métiers… illustrent la capacité de ces espaces à générer du

développement, quand bien même il s'inscrivent dans des situations démographiques (vieillisse-ment), géographiques (enclavement, reliefs mouve-mentés) et économiques (capacité productive ténue, faible valeur ajoutée dégagée) a priori défavorables. Les success stories se construisent souvent autour d’un leader, du repérage d’une niche valorisant

une ressource locale… Aussi, ces territoires connaissent au gré des mutations de notre société, mais également des aventures humaines, des hauts et des bas illustrant le caractère non linéaire du développement local. La redéfinition du « péri-mètre des ressources », les « nouvelles diversi-fications » et « l’arrivée de nouvelles activités »

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signalées et argumentées par Laurence Barthe et Johan Milian (p 11) font écho à l’abondante imagi-nation des entreprenants locaux pistés par Claire Lelièvre, journaliste à Village Magazine (Esprit village) (voir article ci-dessous).

Mode et créativitéLes situations locales critiques n’obèrent pas, loin s’en faut, la créativité. Dès 1996, la Commission européenne avait su le reconnaître en sélection-nant 40 territoires français « Leader » auxquels une enveloppe de crédits, libre d’emploi, a été apportée pour soutenir un programme plurian-nuel de développement. Les actions à soutenir étaient librement déterminées par un groupe d’ac-teurs locaux poussant la territorialisation d’une politique publique à son paroxysme. L’État français, par la politique des pays, et les régions, par l’intermédiaire de contrats territo-riaux, ont également accompagné ce mouvement soutenant une action publique locale pilotée par un couple technicien-élu. La mobilisation des acteurs locaux et la valorisation des ressources locales étaient les maîtres mots de ces démarches.Cet engouement semble passé de mode, ou tout du moins recentré : le concept de développe-ment local ne fait plus florès dans les politiques publiques ; les publications ou les formations uni-versitaires se détournent peu à peu. Les territoires

se voient davantage proposer l’accès à des guichets aux réglementations touffues qu’accompagnés dans la définition et la mise en œuvre d’un projet de territoire. Les échanges autour de l’actuelle programmation Leader (intégrée au règlement de développement rural 2006-2013) sont sympto-matiques de cette évolution, l’agent de développe-ment est davantage porté à discuter des fonds que de fond. La disponibilité de crédits européens et leurs versements prennent le pas sur l’accompa-gnement effectif d’une initiative locale.

Intégration des politiques publiquesDans le meilleur des cas, un territoire doté d’un projet figurant le fil à plomb des élus actionne des guichets, concourt aux appels à projets de plus en plus nombreux et, ce faisant, procède à une forme d’intégration des politiques publiques proposées en tuyau d’orgue par l’État (pôles d’excellence rurale par exemple), les agences (programme local de l’habitat, contrat local de santé…) ou les régions (appel à projets agenda 21).D’autres profitant des aubaines « reprofilent » un projet pour décrocher une subvention. Ainsi, l’engouement autour des appels à projets « maison pluridisciplinaire de santé », au mieux, marque l’aboutissement d’un diagnostic et de concertations entre élus et professions médi-cales, ou, au pire, organise une course visant à ce

qu’un canton n’échappe pas à la labellisation sans considération des besoins et de l’offre existante.

Au chevet des territoires rurauxLe déroulement de ces politiques publiques secto-risées est néanmoins ponctué de rendez-vous plus politiques pour se porter au chevet des territoires ruraux en voie de désertification. Les Assises des territoires ruraux, conduites durant l’hiver 2009-2010 par le gouvernement, s’inscrivent dans cette logique. Il était surprenant de relever qu’au moment où l’on avançait vers la fin de la reconnaissance nationale des « pays » par amendement à la loi de réforme des collectivités territoriales, les échanges entre les élus, les socioprofessionnels et les acteurs asso-ciatifs recréaient une doxa pro-développement local, portant les habits des pays défenestrés ! La clôture des assises a été l’occasion de relancer, çà et là, quelques mesures (annonce d’un soutien à l’équipement numérique des territoires), de mettre en lumière des engagements financiers antérieurs (doublement des enveloppes de l’Anah consacrées à la réhabilitation et aux économies d’énergie), d’an-noncer des plans (rénovation des trains Corail) et des appels à projets (maisons de santé). Mais laissant, au final, au milieu du gué, la question du soutien aux projets locaux de développement intégré.

Christophe�Bernard

Les campagnes aux mille ressourcesSous l’effet des mobilités, les campagnes sont en pleine mutation. De nouvelles activités émergent et incitent à porter un regard renouvelé sur l’entrepreneuriat en milieu rural et sur les ressources des territoires. Depuis bientôt 20 ans, les journalistes de la rédaction de L’Esprit Village donnent à voir des campagnes créatives, innovantes, laboratoires de nouveaux modes de vie et d’entreprendre. Analyse de ces mutations par Claire Lelièvre, directrice adjointe et cofondatrice de la publication.

C ontrairement aux clichés qui ont la vie dure, on observe aujourd’hui en milieu rural une multitude de métiers jusqu’alors

réservés à l’espace urbain ou inconnus il y a quelques années encore : esthéticienne, formateur en permaculture, artisan chocolatier, taxi, artiste, puéricultrice, designer, agent immobilier, accom-pagnateur de randonnées, organisateur de sémi-naires, gérant de parc aventure, ingénieur du son, metteur en scène… Cette variété accompagne la recomposition sociale des territoires ruraux liée à l’essor considérable des mobilités depuis une vingtaine d’années. Le mouvement de dispersion de la population sur le territoire, le développe-ment de la multirésidence et l’accueil de touristes contribuent au développement de cette économie résidentielle. Les nouvelles activités, souvent ter-tiaires, impulsent une dynamique économique. Ces secteurs, tournés vers la demande locale per-manente et saisonnière, permettent aux revenus de circuler sur les territoires, de créer des emplois et renforcent en outre la cohésion sociale.

Valoriser les ressources localesL’économie productive, cependant, n’a pas dit son dernier mot. Les activités agricoles ou industrielles, traditionnellement présentes en milieu rural, emploient de moins en moins de

main-d’œuvre. On voit néanmoins apparaître de nouveaux champs d’activités qui valorisent les ressources locales et répondent aux attentes nouvelles de la société en matière d’énergie, de matériaux de construction et d’alimentation. Ces besoins offrent de nouvelles chances aux terri-toires ruraux, une opportunité de fixer la valeur ajoutée localement et de rééquilibrer les relations avec le monde urbain. Paysans boulangers, maraî-chers bio, producteurs d’escargots, de plantes médicinales, de fruits rouges, de spiruline, de safran, pisciculteurs mais aussi producteurs de fromages, de yaourts, de charcuteries, de glaces, de confitures… s’installent partout. Des magasins collectifs de producteurs, des systèmes de paniers se développent à la faveur d’une demande locale et des besoins des populations des villes proches. On voit aussi s’installer des microbrasseurs, des pro-ducteurs de cosmétiques, d’huiles essentielles, des professionnels de l’écoconstruction. Les menui-siers, installateurs de panneaux photovoltaïques, de chauffe-eau solaires, constructeurs de poêles de masse ont aussi le vent en poupe… Des filières se structurent. En Pays Mellois (Deux-Sèvres) par exemple, agriculteurs, artisans et pro-fessionnels du bâtiment, avec le soutien d’élus et d’habitants, ont réussi à développer une filière économique locale autour du chanvre, matériau

sain d’isolation et de construction. Aux confins de l’Orne, du Loir-et-Cher et de la Sarthe, la SCIC Bois Bocage Énergie réunit plus de 100 associés, agricul-teurs, particuliers et collectivités. Elle propose des plaquettes et granulés, issus de la gestion durable

Jérôme Prévieux, installé dans la campagne iséroise, fabrique des poêles de masse vendus partout en France. Pour faire face à la demande, il aimerait former d’autres artisans et se concentrer en Rhône-Alpes.

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du bocage, pour alimenter des chaufferies bois. En Ségala Limargue, au nord-est du Lot, la coopérative Sicaseli est devenue un acteur central du dévelop-pement économique de son territoire, dépassant largement sa vocation agricole initiale (voir encadré ci-dessus). Les collectivités peuvent accompagner ces développements en agissant par exemple sur la commande publique via la restauration collective ou la construction de bâtiments exemplaires.

Entreprendre autrementDe nouveaux modes d’organisation apparaissent ou sont remis au goût du jour. Systèmes coopé-ratifs, groupements d’employeurs, couveuses agricoles, coopératives d’entrepreneurs salariés, structures de l’économie sociale, entreprises

d’insertion, fonctionnement en réseaux et en grappes ainsi que partenariats publics-privés se développent, s’expérimentent, se réinventent. Les nouvelles technologies changent aussi la donne : télétravail, espaces de co-working, travail colla-boratif, e-commerce et m-commerce (commerce mobile via smartphones et tablettes) gagnent également les campagnes. Des territoires misent particulièrement sur ces secteurs, comme le Gers qui, à travers le projet Soho Solo, accompagne des travailleurs indépendants dans leur installa-tion, ou l’Orne qui investit dans des télécentres et prospecte des télétravailleurs. Ce foisonne-ment conduit à porter un nouveau regard sur l’entrepreneuriat en milieu rural et sur les res-sources des territoires ruraux. L’expérience des

sites de proximité de Rhône-Alpes montre qu’il est possible de construire de nouvelles activités à partir des potentiels locaux, comme en témoigne le programme d’actions développé en Ardèche dans la Vallée du bijou, associant développe-ment touristique et économique, animations et manifestations autour des savoir-faire du bijou. C’est une autre façon d’aborder la richesse dont peuvent s’emparer les acteurs locaux.

Claire�Lelièvre,�journaliste��à�Village�Magazine�(Esprit�Village)

« La première ressource locale, ce sont les femmes et les hommes qui vivent sur nos terri-toires. » Dominique Olivier, directeur de la Sica-celi, coopérative agricole du Lot, n’en démord pas. En une trentaine d’années, l’engagement collectif initié par la coopérative a permis aux agriculteurs du Ségala Limargue de reconquérir la valeur ajoutée de leur travail. Ils sont passés du statut d’éleveurs vendant leurs broutards aux Italiens et leur lait aux Cantalous, à celui de producteurs d’énergie, de transformateurs et de vendeurs de produits du terroir. Il y a deux décennies, la Sicaseli était une coopéra-tive agricole d’approvisionnement comme tant d’autres, dont la mission se limitait à fournir de l’alimentation pour bétail ou des produits phytosanitaires. Elle a d’abord travaillé autour d’une filière locale pour l'alimentation des élevages bovins locaux, puis sur la vente des produits de ses adhérents, la création de plu-sieurs boucheries mais aussi la constitution d’une mutuelle de toits photovoltaïques, le

développement d’une filière bois énergie et l’investissement de l’épargne locale dans le capital d’un projet éolien. « Nous nous sommes attachés à des produits courants : l’alimen-tation quotidienne, l’énergie mais aussi l’ar-gent… car nous n’oublions pas que 25 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté et doit pouvoir avoir accès à ces produits cou-rants. D’un autre côté, il y a dans nos territoires ruraux davantage d’argent placé que d’argent emprunté pour de l’activité économique. Plutôt que d’investir dans des fonds de pension qui nous reviennent à la figure, nous essayons de réinvestir dans l’économie locale. » Garder de la valeur ajoutée sur les territoires passe par le développement de l’innovation et des compé-tences. La Sicaceli s’est investie dans la gestion territoriale des emplois et des compétences (GTEC) avec le réseau rural Midi-Pyrénées afin de développer les compétences des habitants et de gérer leur cartographie à l’échelle d’un pays. CL

La Scop des Ateliers, à Felletin, c'est d’abord l'histoire de quatre trente-naires qui travaillaient dans le bâtiment depuis dix ans et ont eu envie de créer leur entreprise. « On formait une équipe, on travaillait ensemble ; pendant quatre ans, nous avons été travailler au Mexique et en Californie, sur des chantiers de construction bois, une partie de l'année », se souvient Arnaud Bardel, l’un des sociétaires. Ils ont souhaité « se poser », chez eux, en Creuse. Créer leur entreprise et créer un mode de vie qui leur ressemble. « Nous n’avons pas l’optique de gagner beaucoup d’argent », confie Arnaud Bardel, attaché à dégager du temps (quatre mois par an environ) « pour soi », pour des voyages et pour des projets plus personnels. Coût de la vie moindre, pression sociale de « réussite à tout prix » également, rythme de vie « plus cool », comme il dit… la campagne offre tout cela.L’activité des Ateliers valorise les expériences des quatre amis sur les maisons à ossature bois. Une matière première qu’il n’est pas utile d’aller chercher bien loin : « 90 % du bois que nous travaillons provient de scie-ries locales. » L’entreprise propose la mise hors d'eau et d'air, c'est-à-dire la structure, la charpente, les fenêtres et portes, la toiture ainsi que des éléments intérieurs comme les planchers et les escaliers. Elle peut également faire l'isolation et la finition. Sa spécialité : l'ossature à l'américaine et la réa-lisation de panneaux préfabriqués en atelier (photo). La première année, le carnet de commandes était rempli par des chantiers de rénovation de bâti ancien. Un vrai filon dans la région, mais que les

quatre sociétaires n’ont pas l’intention d’exploiter. Parce que « nous avons envie d’innover, de découvrir et proposer de nouvelles choses », explique simplement Arnaud Bardel.

Emmanuelle�Mayer�et�Valérie�Liquet

Réinvestir dans l’économie locale

Créer son activité, son entreprise, son mode de travailler… et son mode de vie

Danièle et Gilbert Marignier cultivent le safran depuis 2009 dans les Monts du Lyonnais. S’il existe aujourd’hui près de 200 safranières dans l’Hexagone, l’essentiel du safran consommé en France reste importé.

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Les circuits courts, une grande idée ? La mode est aux circuits courts, synonymes de qualité, de production et d’emploi locaux, parfois aussi de produits chers. Qu’importe : de plus en plus de consommateurs sont prêts à mettre le prix et de plus en plus de producteurs comptent sur cette source de revenu. Les collectivités aussi peuvent participer à la rentabilité économique de ce marché prometteur…

L e circuit court n’est ni totalement exception-nel, ni totalement nouveau. Au sens strict1, « il concerne, et cela depuis 30 ans, environ

20 % des exploitations agricoles françaises », indique Ronan Le Velly, sociologue à Montpel-lier SupAgro, avant de préciser que « le véritable changement vient de la tendance, pour de plus en plus d’agriculteurs, d’en faire leur principal mode de commercialisation, voire de s’installer avec ce seul débouché ». Un choix qui peut se révéler ren-table ou non : le chercheur demeure prudent sur la question de la viabilité économique du modèle. « La réponse n’est pas tranchée car les situations sont hétérogènes. » Les contraintes diffèrent en fonction du type de circuit court : vente sur le marché de plein vent, panier de producteur(s) ou panier « AMAP » (Association pour le maintien de l’agriculture paysanne), magasin de produc-teurs, vente directe à la ferme… et des modalités d’organisation que cela implique.Les prix diffèrent également en fonction de ce que le consommateur local est prêt à rémuné-rer : « Une certaine clientèle urbaine des marchés de plein vent peut payer cher des produits culti-vés localement, de qualité, parfois bio… mais ce n’est pas le cas partout », souligne Ronan Le Velly. Selon lui, la rentabilité de ce mode de distribution dépend de l’adéquation entre les caractéristiques de la ferme, les envies des producteurs (mode de culture plus ou moins complexe, temps et plaisir accordé à la relation avec les consommateurs…) et le système de commercialisation adopté. Quoi qu’il en soit, la qualité doit être au rendez-vous : un consommateur, même très attaché à soutenir la production et l’emploi locaux, ne se satisfera pas

longtemps de paniers peu garnis et sans saveur. « Pour le consommateur comme pour le produc-teur, l’homo-economicus se mélange avec l’homo-ethicus », résume le chercheur.

Cantines et portages de repasConsommateurs un peu particuliers, les collec-tivités locales peuvent acheter en circuit court pour les besoins des cantines ou des portages de repas aux domiciles des personnes âgées et dépen-dantes. Là encore, attention aux idées reçues : « Une collectivité, même de taille moyenne, ne représente pas de volumes si importants, prévient Ronan Le Velly. On entend souvent dire que les producteurs ne peuvent pas assurer la quantité et la régularité exigées, bien souvent c’est parce qu’ils ne le souhaitent pas2 . ».Pour ceux déjà engagés dans un circuit court qui tourne bien, quel intérêt auraient-ils à changer de modèle, pour des prix d’achat souvent inférieurs et avec des contraintes spécifiques à la commande publique parfois dif-ficiles à respecter ? Que faire des carottes trop petites, ou tordues, qui ne répondent pas au cali-brage exigé ? Comment écouler 30 poulets sans cuisses (parce que la cantine voulait uniquement cette partie de la volaille) quand on a l’habitude de vendre des poulets entiers sur les marchés ?La situation est différente pour les producteurs travaillant aujourd’hui en circuit long. Pour eux, la commande publique locale pourrait offrir un débouché plus intéressant ou complémentaire à la centrale d’achat de grande surface. Or, « ces pro-ducteurs sont peu équipés et peu organisés pour commercialiser localement et directement leurs produits », souligne Ronan Le Velly, suggérant aux

collectivités de les aider à s’organiser, par exemple en mettant autour de la table un directeur d’achat de cantine ou de CHU, leurs cuisiniers et les pro-ducteurs pour qu’ils échangent et trouvent des compromis sur les questions de calibrage et de saisonnalité.Le chercheur croit également beaucoup dans la mobilisation d’acteurs intermédiaires (toute proportion gardée, pour rester dans l’esprit du « circuit court ») : un épicier local qui pratique déjà la vente de produits locaux et qui pourrait assurer le lien avec l’école proche, mais aussi des trans-porteurs, des grossistes, des acteurs de la distri-bution…Enfin, lorsque les rencontres entre acteurs amènent au constat que cela constitue des points de blocage, Ronan Le Velly suggère que la col-lectivité soutienne la création d’ateliers de trans-formation (découpe de viande, légumerie) ou de plates-formes de distribution qui pourraient, par exemple, être portés par une association de pro-ducteurs locaux.

Information et tourismeLes collectivités disposent d’autres modalités d’intervention plus modestes, à déployer avec des partenaires locaux du monde agricole (chambre d’agriculture, Civam, groupements d’agricul-teurs…). Ronan Le Velly cite d’abord les politiques de maintien de l’espace agricole, notamment en zones périurbaines. Les collectivités peuvent éga-lement lancer, plutôt à l’échelle départementale ou d’un pays, des actions d’information sur les pro-ducteurs pratiquant le circuit court : catalogues, cartes, site Internet, panneau de signalisation… Des actions complémentaires à la politique tou-ristique (tracts dans les offices de tourisme, routes des vins ou de fromages…) peuvent également être menées. En établissant de nouveaux marchés « de producteurs locaux » de plein vent, notamment à destination des estivants, les collectivités créent un événement festif et soutiennent l’agriculture locale. VL

1- Les circuits courts sont généralement définis comme des circuits de commercialisation impliquant 0 ou 1 intermédiaire entre le producteur et le consommateur2- Ronan Le Velly est notamment l’auteur d’un article de recherche intitulée « Comment se fait la rencontre entre offres et demandes locales pour la restauration collective publique ? », http://halshs.archives-ouvertes.fr, 2010.

Le point de vente collectif « Un dimanche à la campagne » réunit une trentaine de producteurs des Monts du Lyon-nais. Ils se relaient pour assurer la vente, en moyenne deux ou trois jours par mois chacun.

«  Le véritable changement vient de la tendance, pour de plus en plus d’agriculteurs, de faire du circuit court leur principal mode de commercialisation, voire de s’installer avec ce seul débouché. »

Ronan Le Velly

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Intercommunalités • AdCF • N° 164 - Février 2012

Vanik Berberian, président de l’Association des maires ruraux de FranceTRIBUNE

Le monde rural doit être considéré comme un contributeur au bien-être commun.

L e monde rural vit des muta-tions importantes, mais non uniformes. Pour autant,

des réalités s’esquissent, parfois contradictoires. Le premier de ces changements résulte du boom démographique ; plus trois mil-lions d’habitants en 30 ans pour les communes de moins de 3 500 habi-tants. L’Insee, pour sa part, constate que depuis 1999, le solde démo-graphique des espaces ruraux est positif, la population de ces terri-toires augmentant désormais au même rythme (0,7 %) que nationa-lement. Cette réalité doit amener à un déclic pour bouleverser enfin le regard porté sur la ruralité et les outils mis à la disposition des

acteurs locaux. Quand certains dis-sertent sur la disparition du rural et la tendance à l’urbanisation du monde, les maires ruraux, eux, sont confrontés concrètement à l’arrivée de résidents avec des modes de vie

dont les niveaux d’exigences n’ont rien à envier à l’urbain. Une autre de ces mutations concerne la structure de l’emploi, avec la chute de la part des agriculteurs et, donc, la modi-fication des fonctions du monde rural. Enfin, l’édifice politico-adminis-tratif prend ses distances avec le rural ; un indice d’une démarche de reconcentration et de retrait pro-gressif de l’intervention d’acteurs – dont l’État – et des services de proximité contre laquelle se mobi-liseront toujours les maires. Les communes rurales sont entre deux feux. L’un qui les renforce, l’autre qui réduit leur attractivité et leur auto-nomie – notamment financière.

Imagination, audace, envieGrâce à la décentralisation, les maires ont eux-mêmes pu façon-ner un outil pertinent et de plus en plus identifié par les habitants : l’intercommunalité. Cet outil indis-pensable doit être renforcé dans sa vocation de guide et d’appui au déve-loppement du territoire. En effet, sans elle, beaucoup d’équipements, de services et d’animations n’au-raient pas cours aujourd’hui. Il faut passer au stade suivant. Si, il y a 30 ans, les efforts pour accompa-gner l’urbanisation pouvaient se jus-tifier, il est dorénavant urgent de voir la France autrement, en termes, par exemple, de répartition des moyens financiers et humains. Un des enjeux majeurs auquel est confron-tée la ruralité aujourd’hui est la carence d’ingénierie territoriale. L’imagination, l’audace, l’envie sont

des qualités que l’on trouve partout, y compris dans le rural ! Pour autant, elles n’ont pas partout les mêmes chances d’être traduites en actions parce que là, l’aide à la conception du projet manque, ici les moyens, là-bas un maÎtre d’ouvrage. Ces enjeux spécifiques à la ruralité ne sont souvent pas compris par les décideurs et les financeurs. J’en veux pour preuve la question de l’accès au très haut débit. Il n’est plus seulement un facteur d’attractivité pour les territoires ruraux  ; son absence est bel et bien un obstacle au développement économique et de croissance de la ruralité. Une récente étude menée par l’AMRF a d’ailleurs démontré que, dans la hiérarchie des priorités des élus, le très haut débit arrive devant l'école et la santé.

L’intercommunalité doit être au service de l’ensemble des communesLe monde rural doit être appréhendé positivement et non comme un appendice de l’urbain. Il ne doit pas être considéré comme une sorte de « dépendance » mais bien comme un

contributeur au bien-être commun. À ce sujet, la manière d’anticiper le recours à l’espace rural comme un espace de développement est cru-ciale. C’est ce travail que les maires assument au quotidien et qui ne cessera de s’intensifier autour de l’agriculture, du logement, de la présence de services et de la préser-vation des espaces naturels. L’intercommunalité et son projet doivent être au service de l’ensemble des communes qui la composent, a fortiori désormais, dans un péri-mètre institutionnel élargi. Si elle est la meilleure garantie de la structura-tion d’une dynamique locale efficace, elle doit irriguer chaque commune. Les territoires ruraux constituent plus que jamais une richesse pour la France, non seulement en termes de qualité de vie, mais également en termes de développement écono-mique. Les zones rurales possèdent un énorme potentiel, tant écono-mique qu’humain ; il convient sim-plement de faire confiance aux élus et de leur donner, dans le même temps, les moyens financiers suffi-sants pour assurer pleinement leurs missions.

Selon Jean-Marc Touzard, directeur de recherche à L’Inra, c’est seulement depuis cinq ou six ans que la recherche française étudie de manière globale les circuits courts, « sous l’impulsion de la demande sociale », précise l’économiste, relayée dans un premier temps par le réseau rural français, les Civam ou le mouvement Terres en ville, notamment. D’abord d’un point de vue sociologique, avec notamment les travaux de Sophie Dubuisson (SciencePo) ou Yuna Chiffoleau (Inra, Montpel-lier), puis d’un point de vue économique avec ceux par exemple de Daniel Capt (AgroSup Dijon). Ces approches ont pu se rejoindre à travers des recherches associant l’Inra et plu-sieurs régions (Bretagne, Rhône-Alpes, Lan-guedoc-Roussillon), puis via le lancement, en 2007, par le ministère de l’Agriculture, d’une étude nationale sur les conditions de rentabilité de la distribution en circuits courts du point de vue des producteurs. Ce travail*, publié en 2011, s’est intéressé aux filières des fruits et légumes

et des produits laitiers, en montrant l’impact positif en terme d’emploi mais des résultats économiques hétérogènes liés à une diver-sité de facteurs relevant de choix de l’agricul-teur ou des caractéristiques du territoire local. Concernant le maraîchage, l'étude souligne que, si le nombre des exploitations maraîchères a diminué entre 2000 et 2010, « le déclin a été moins prononcé pour les exploitations agricoles pratiquant la vente directe » et que les effets d’expériences dans la construction des marchés de proximité ont été fondamentaux. Développer des circuits courts, c’est en effet investir dans des relations commerciales et dans une nouvelle organisation du travail sur l’exploitation.Ces travaux ont également dressé une typolo-gie, comprenant six modèles d’exploitations maraîchères en circuits courts : les « producteurs partenaires » de type AMAP ou paniers ; les « fer-miers indépendants » composés d’entreprises unipersonnelles ou familiales ; les « entrepre-neurs organisés » (gestion, stabilisation de la

main-d’œuvre, outils de rationalisation) ; les « assembleurs rationnels » (qui combinent cir-cuits courts et longs) ; les « pragmatiques diver-sifiés » (avec la production associée de fruits, céréales, élevages…) ; les « saisonniers réactifs » (période limitée de vente et de production).L’équipe Inra de Montpellier veut maintenant élargir ses recherches aux formes de gouver-nance alimentaire locale. Un sujet sur les stra-tégies de sécurisation alimentaire qui a été développé à l’échelle des villes, des commu-nautés de communes, des pays… qui aborde les questions d’approvisionnement, de qualité (qualité nutritionnelle et risque sanitaire), d’ac-cessibilité (géographique et sociale, Les Restos du cœur s’intéressant par exemple à la question) et même de culture (l’alimentation comme patri-moine culturel local). VL

* Élaboration d’un référentiel technico-économique dans le domaine des circuits courts de commercialisation, Inra, SupAgro Dijon, août 2011.

La recherche française se penche sur les circuits courts

« Quand certains dissertent sur la disparition du rural et la tendance à l’urbanisation du monde, les maires ruraux, eux, sont confrontés concrètement à l’arrivée de résidents, avec des modes de vie dont les niveaux d’exigences n’ont rien à envier à l’urbain. »

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N° 164 - Février 2012 • AdCF • Intercommunalités

I ls sont jeunes retraités de la fonction publique, amoureux de la nature et encore en forme. Tel est le profil type des nouveaux habitants des

Hautes-Alpes, attirés par le vert de la région, son bon air et les 300 jours de soleil dans l’année. Ils apprécient déjà les services à la personne dits « de confort » tels que le ménage et le jardinage ou la

livraison de courses… et ils se montrent exigeants dans ce registre. Dans quelques années, ils appré-cieront le portage de repas et l’aide à la mobilité, puis les services de maintien à domicile (garde de nuit, télé-assistance…) plus ou moins médicalisés (aides aux personnes en fin de vie…). Autre spécificité de ce département de montagne : une partie de ses habitants, âgés et en situation de dépendance, vivent dans des villages isolés dont cer-tains, l’hiver, sont difficilement accessibles. Enfin, comme partout, les familles sont en demande de services de garde d’enfants, de soutien scolaire ou encore d’assistance informatique.

Arrêter de travailler en fractionsC’est d’abord pour répondre à cette large palette de demandes que le comité de bassin d’emploi des Hautes-Alpes s’est lancé, en 2007, dans le cadre d’un accompagnement collectif DLA (dispositif local d’accompagnement, initié par l’État), dans une étude sur les pistes de coopération possible entre plusieurs organismes agréés services à la per-sonne (OASP). Parmi ces organismes, on retrouve ceux du réseau de l’association de service à domi-cile ADMR, mais pas seulement. Y figurent éga-lement des associations, des entreprises privées, deux CCAS et le service social d’une communauté de communes. Soit 35 structures engagées. « Nous voulions organiser le secteur à part entière », sou-ligne Mélanie Mulot, chargée de mission au CBE, « car il faut arrêter de travailler en fractions ».À l’issue d’un an d’échanges, 31 structures agréées

ont rédigé et signé une charte de collaboration reconnaissant notamment « la nécessité de coor-donner les interventions afin de favoriser une prise en compte globale des besoins de la personne par une intervention coordonnée entre professionnels » (quatre ont été exclues, ne jouant pas le jeu de la coopération). Elles reconnaissent également ce qui les relie au-delà de leurs différences. « Quel que soit leur statut (associatif, lucratif ou public) ou leur mode d’intervention (prestataire ou mandataire), les opé-rateurs s’inscrivent dans un modèle économique fragile en termes de rentabilité et de pérennité des structures et des emplois », est-il écrit dans la charte qui souligne également « l’utilité sociale indispen-sable » que revendique chacun des signataires. Aujourd’hui, le site www.sap05.fr propose vingt-cinq types de services, dont neuf à la vie quoti-dienne, six à la famille et dix aux personnes dépendantes. Les structures partenaires sont prêtes à passer à la vitesse supérieure : affiner les enquêtes sur les besoins des populations, envi-sager des échanges de personnels et même un groupement d’employeurs, monter des formations adaptées… À ce sujet, une des priorités serait de former les salariés à la conduite sur neige. Une compétence professionnelle qui, en montagne, se révèle indispensable lorsqu’il faut livrer des repas dans les vallées très isolées où le trajet se termine souvent… en raquettes. VL

L’avancement de Leader est une préoccu-pation pour le ministère de l’Agriculture, responsable du programme vis-à-vis de la

Commission européenne, puisque les 352 mil-lions d’euros de Leader ne sont programmés qu’à hauteur de 30 % à mi-parcours et payés à 12,5 % au 1er janvier 2012. Les explications tenant au temps nécessaire à la sélection des groupes Leader, à la mise en place de leurs conventions puis au démarrage de leurs actions ne suffisent à justifier un tel retard. Marc Bonnard, président de l’association Leader France qui regroupe les territoires porteurs de ce programme, souligne les affres dans lesquelles sont plongés les 223 groupes Leader français :

« L’ambition est freinée car aujourd’hui, pour débloquer des fonds Feader, il faut mobiliser en contrepartie des fonds publics français, de la région et du département principalement ; ce qui oblige les porteurs de projets, pour obtenir ces contreparties, à s’insérer dans les projets et des axes déjà définis pas ces collectivités. » Au final, la mécanique de gestion décourage les porteurs de projets innovants aux finances mal assurées et favorise les collectivités présentant un autofinancement public permettant d’appeler les fonds européens et pouvant supporter des délais d’instruction et de paiement à rallonge. Les groupes Leader souffrent d’une disjonction entre le type de soutien qu’ils devraient dispenser, le montant

Les Hautes-Alpes : sa nature, son soleil, ses services à la personne

Leader : une génération de trop ?

En cherchant à améliorer la qualité des services à la personne des Hautes-Alpes, le comité d’expansion Drac-Buëch-Durance s’est lancé dans une vaste opération d’organisation de la filière. Une filière qui employait 1 100 salariés en 2010 et qui pèsera de plus en plus lourd dans l’économie locale, compte tenu de la demande croissante de services de confort et de l’augmentation du nombre de personnes dépendantes.

Lancé en 1996 par la Commission européenne sous forme d’une initiative communautaire (programme pilote), Leader a marqué une étape dans la reconnaissance du développement local intégré. L’actuelle génération Leader 2007-2013 est à la peine, engoncée dans les procédures administratives et financières franco-européennes du règlement de développement rural.

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Depuis 2007, le programme Leader (Liaison entre action de développement de l’éco-nomie rurale) est intégré dans le règle-ment de développement rural (deuxième pilier de la politique agricole commune). Son application en France passe par le programme de développement rural hexa-gonal (PDRH) et des programmes de déve-loppement rural (PDR) pour chacun des DOM. Les territoires (pays et parcs naturels régionaux), pour accéder à Leader, ont soutenu un projet pluriannuel de dévelop-pement organisé autour d’une thématique et élaboré par des partenaires publics et privés réunis au sein d’un « groupe d’action local » (GAL). Ce groupe dispose d’une enveloppe de fonds européens allant de 0,7 à 1,9 million d’euros qu’il affecte aux initiatives qu’il sélectionne. CB

Leader kesaco ?

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Intercommunalités • AdCF • N° 164 - Février 2012

R eflet de leur diversité géographique, les profils économiques des espaces de faible densité sont variés. Toutefois, ils se singu-

larisent d’abord par des systèmes d’activités pri-vilégiant la valorisation des ressources fixes1 qui sont liées à l’abondance de l’espace. Cette partie du monde rural est par ailleurs confrontée depuis une vingtaine d’années à des processus contradic-toires, d’une part avec l’érosion d’une partie de sa fonction productive et, d’autre part, l’arrivée de nouvelles activités ainsi que l’essor d’activités jusque-là marginales. Ainsi l’économie dans ces mondes de la faible densité connaît aujourd’hui une phase de tran-sition liée à la redéfinition du périmètre des res-sources, à la recomposition et la diversification

des activités ainsi qu’à l’émergence de nouvelles pratiques de valorisation de ces espaces.

Innovations technologiques agricoles La dimension productive de la faible densité est structurée aujourd’hui essentiellement autour de trois activités. L’agriculture est traditionnelle-ment l’activité la plus ancrée et la plus spécifique à ces espaces dont elle surdétermine l’occupa-tion, la gestion et l’organisation fonctionnelle. C’est une activité composite, tantôt inscrite dans une logique de marché mondial en valorisant ses capacités d’innovation technologique et d’adap-tation aux changements économiques (agro-ressources, cosmétologie), tantôt privilégiant les marchés de proximité lorsqu’elle mobilise

la diversité des savoir-faire locaux en lien avec les caractéristiques des terroirs et l’essor d’une demande alimentaire de qualité. La vitalité de cette activité s’est également bâtie sur la confor-tation et la capitalisation des savoir-faire que les professionnels du secteur ont acquis grâce aux diverses expériences engagées.Depuis 50 ans, les orientations et les modalités pratiques de l’activité agricole des espaces de faible densité comme des autres espaces ruraux ont été fortement marquées par la PAC. Cette influence majeure s’est toutefois exprimée de manière très contrastée suivant les espaces concernés. Le soutien appuyé à certains produits jugés straté-giques et, en conséquence, un soutien corollaire à la production ainsi qu’aux activités recherche &

Une base économique en recomposition ?Dans un article intitulé « Les espaces de la faible densité », rédigé en 2010 dans le cadre du programme de prospective de la Datar « Territoires 2040 » et publié dans la revue du même nom, deux géographes, Laurence Barthe et Johan Milian, étudient les trois activités porteuses d’innovation et de développement pour la campagne : l’agriculture, l’environnement (production énergétique mais aussi gestion et protection des espaces naturels) et l’économie résidentielle. Extrait, avec l’aimable autorisation des auteurs et de la Datar.

d’aide par projet (en moyenne 10 000 euros, ce qui est modeste) et l’encadrement réglementaire euro-péen et national qui leur est imposé.

Sortir de situations kafkaïennesAu fil des générations, Leader s’est répandu sur le territoire, passant de 40 groupes en 1996 à 223 aujourd’hui. Cette extension géographique du domaine de Leader, orienté vers le soutien aux ini-tiatives de développement local, se conjugue dif-ficilement avec l'innovation qui était sa marque de fabrique initiale. Censé servir des dynamiques ascendantes, les programmes des groupes Leader sont passés sous les fourches Caudines des mesures agréées dans le programme de dévelop-pement rural hexagonal et calibrées par un corpus réglementaire (décrets, arrêtés et circulaires, dont certains annuels).Pour tenter de sortir de situations kafkaïennes, le comité national de suivi du programme a ouvert, en juin 2010, une mesure spécifique au sein du programme national pour que les groupes Leader puissent y rattacher leurs actions. Sur le plan de la gouvernance, Leader conserve sa singularité en imposant au sein de chaque groupe local une forte présence d’acteurs privés invités à prendre part aux décisions d’affectation de crédits. Cette originalité a pu être préservée mais elle est désormais dans le collimateur de la Cour des comptes européenne qui mesure difficilement sa plus-value et craint les conflits d’intérêts. Enfin, l’innovation, maître mot de Leader, peut-elle être l’apanage d’une procédure administrative et financière répétée dans le temps (quatre généra-tions de Leader) ?

Future générationLes propositions autour de la future génération des programmes européens (2014-2020) pré-servent Leader, voire étendent son rayonnement, en préconisant qu’il intégre les fonds de la poli-tique régionale (FSE, Feder).

Nombre d’observateurs s’interrogent : n’y aurait-il pas confusion entre une procédure qui pousse à une mise en œuvre territorialisée de crédits publics (qui pourrait effectivement se diffuser) et la promotion de l’innovation dans les territoires (qui mériterait d’être concen-trée et sélective) ? En matière d’efficacité, des

dispositifs nationaux plus resserrés et sectoriels, peut-être moins ambitieux dans leurs énoncés, comme les programmes locaux de l’habitat ou les contrats locaux de santé, peuvent se montrer plus démonstratifs… si tant est qu’ils restent ali-mentés en crédits.

Christophe�Bernard

Typologie des priorités ciblées des GAL Leader 2007-2013

Source : Maap

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développement dans ces domaines, ont amené la profession vers des pratiques à haut rendement. Cette orientation a transformé de grandes parties des bassins parisien et champenois où elle a pri-vilégié le développement d’une agriculture entre-preneuriale étroitement intégrée à des systèmes agro-industriels. Dans le même temps, les pro-cessus de modernisation et de concentration des exploitations soutenues par les mécanismes de la PAC ont manqué de condamner définitive-ment d’autres approches de l’économie agricole, comme l’élevage des montagnes sèches du Sud et Sud-Est conduit autour des systèmes herbagers extensifs.

Nouvelles filièresAujourd’hui, la vitalité de l’agriculture tient pour partie au dynamisme émergent de nouvelles filières, comme par exemple le développement des agroressources. Dans d’autres contextes, c’est le succès des filières de qualité observé au cours des dernières décennies qui a contribué au maintien du tissu agricole, notamment dans bon nombre de zones où cette activité était en déclin. Cependant, la diversification des pratiques agricoles qui est constatée localement ne doit pas masquer que le mouvement dominant reste ailleurs, c’est-à-dire dans le modèle porté par les grandes filières, l’ex-ploitation entrepreneuriale et l’intensification des méthodes de production.Rien n’est cependant figé : le partage entre des ressources banales, valorisées suivant des formes d’exploitation génériques (filières intégrées) et des ressources plus spécifiques (filières de qualité, filières territorialisées), fait l’objet de fluctuations et de tensions, notamment parce que peuvent s’exprimer des formes de concurrence entre elles sur les marchés et sur l’accès aux res-sources supports (foncier, infrastructures, eau, etc.). Il continuera ainsi à s’opérer des redistri-butions au sein des territoires. Il faut enfin réins-crire ces questions sur les évolutions agricoles dans un contexte plus large : quelles que soient leurs orientations, les activités agricoles sont aujourd’hui fortement interpellées par de nou-velles fonctions sociétales et environnementales qui traduisent une transition structurelle de la traditionnelle fonction de production de biens alimentaires vers une pratique plus diversifiée.

L’activité sylvicole est elle aussi à un carrefour. Alors que la surface forestière croît depuis un siècle, les richesses retirées de cette activité demeurent assez faibles et inégales. De nombreux espaces ne sont pas ou mal exploités et la filière bois demeure très segmentée, alors que les poten-tialités apparaissent nombreuses. Plus souvent perçue comme une réserve de capital que comme un véritable maillon d’un projet de développement économique, l’activité sylvi-cole tient ainsi encore fréquemment le rôle de variable d’ajustement au niveau local. Cette per-ception commence à changer, notamment du fait des démarches de promotion sur les « nouveaux » usages du bois (construction, biocombustibles) désormais relayés par des politiques incitatives. Les tendances macroéconomiques sont encore hési-tantes mais à l’inverse de l’agriculture, la produc-tion forestière est marquée par la forte inertie de ses processus de croissance ; elle nécessite donc du

temps pour pouvoir répondre efficacement à ces nouveaux marchés, au moyen de restructurations de filière et d'investissements importants2.

Production énergétique : un gisement d’activitésLa production énergétique est récemment réap-parue comme un gisement d’activités conséquent pour les espaces de faible densité, bien que l’éco-nomie de l’énergie n’y soit pas un phénomène nouveau ; depuis plusieurs décennies, certains secteurs ont ainsi fortement bénéficié des revenus de l’hydroélectricité. Porté par le discours de promotion de la transition énergétique et des mécanismes incitatifs généreux, le phénomène s’est aujourd’hui étendu  : l’exploi-tation des biocombustibles agricoles et forestiers, l’essor de la production d’énergie par l’éolien et le photovoltaïque ont multiplié les potentiels, donnant de surcroît un intérêt nouveau à des espaces délaissés. L’originalité de ces filières éner-gétiques tient à leur organisation intersectorielle, à leur capacité de chaînage de différents secteurs d’activité (agriculture, artisanat, collectivités terri-toriales, recherche, etc.) et à la possibilité pour ces nouvelles filières économiques de privilégier une valorisation territorialisée des ressources et des emplois. Toutefois, ce sont aussi les incertitudes de moyen terme sur l’évolution des marchés et sur les possibilités de production, ainsi que l’insuffisance des outils de régulation existants qui contraignent le développement de ces filières.

Nouveaux services environnementauxDans les espaces de faible densité, la gestion et la protection des aménités et des services environ-nementaux qu’ils fournissent apparaissent à la fois comme un enjeu fort, parfois source de tensions, mais aussi comme le support d’autres activités. La préservation de ressources et de services comme la disponibilité et la qualité de l’eau, l’entretien des paysages choisis, la gestion de la biodiversité, la protection contre les risques naturels, la reconsti-tution de cycles naturels, etc. présentent un carac-

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La production énergétique est réapparue récemment comme un gisement d'activités conséquent pour les espaces à faible densité.

« Small scale marketing for local products ». Depuis janvier, vingt élus auvergnats et autant de catalans savent traduire « circuits courts » en anglais. Et cela grâce à un voyage d’étude « formation à l’anglais en Espagne » de trois jours, organisé par le réseau rural d'Auvergne, sur le thème très ciblé du développement rural.« Pourquoi choisir l’Espagne plutôt qu’un pays anglophone ? L’idée est de décomplexer les acteurs des territoires dans la pratique de l’anglais de la coopération en suivant une formation avec des homologues européens ne maîtrisant pas non plus la langue anglaise », explique le Réseau rural*, estimant que « le manque de pratique de l'anglais constitue un frein au développement de projets européens ou internationaux ».À cette occasion, les élus ont également décou-vert, via des visites, le projet « Gustum » de coopération (agriculteurs, artisans, commer-çants et restaurateurs locaux) autour des pro-duits locaux et une coopérative de production d’huile d’olive, du réseau européen Slowfood,

dont la moitié des 44 employés sont en situa-tion de handicap mental. Ils ont également visité le centre technologique de la forêt de Catalogne, en pointe sur les énergies renou-velables mais aussi sur le marché des plantes aromatiques et médicinales. VL

* Pour toute information sur le Réseau rural français : http://www.reseaurural.fr/

Comment dit-on « circuits courts » en anglais ?

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L a foncière Terre de Liens est une société d'investissement solidaire du mouvement Terre de Liens. Créée fin 2006, elle a pour

objet de lever des fonds auprès de particuliers afin d'acquérir des fermes et les louer ensuite à des agriculteurs s’engageant dans l’agriculture biologique et/ou l’ agriculture paysanne (circuits courts, petites exploitations...). La foncière Terre de Liens compte aujourd’hui 7 000 actionnaires et affiche un capital de 25 millions d’euros. En quatre ans, 60 fermes ont été acquises et louées, embauchant 200 personnes. Vingt autres fermes entreront au patrimoine de la foncière d’ici mai prochain. « Notre action sur l’avenir de l’agriculture fran-çaise est modeste, reconnaît Philippe Cacciobue, directeur de la foncière. Nous n’avons évidem-ment pas vocation à nous substituer au système… mais donner à voir, par des expérimentations et des prototypes, qu’une autre voie est possible. » Mais s’il est contre la mise sous « perfusion éco-nomique » des agriculteurs, il n’en fait pas une affaire de principe. « Les seuls qui peuvent pré-tendre à une aide publique sont ceux qui consi-dèrent la terre comme un bien public », défend-il.

Dons de collectivitésAutre outil mis en place, le fonds Terre de Liens permet de recevoir des dons de fermes ou de foncier. Il devrait, courant 2012, être à même de recevoir des terres données par des collectivités (un dossier de demande de création d’une fon-dation reconnue d’utilité publique est en cours d’instruction). « Le fonds est de plus en plus sollicité par les collec-tivités, constate Jérôme Deconinck, son directeur. Car si elles voient bien l’intérêt d’agir sur le foncier agricole en termes de développement local, la

gestion foncière, sur le long terme, n’entre pas dans leurs prérogatives. » Et de citer une communauté de communes de Bretagne qui, après avoir acquis une exploitation et installé un porteur de projet, sollicite aujourd’hui Terre de Liens. D’une part, parce qu’elle considère que demeurer propriétaire de terrains agricoles n’a pas de sens pour une col-lectivité ; d’autre part, parce qu’elle souhaite avoir

la garantie que l’activité exercée corresponde durablement à son projet de territoire. « Beaucoup de collectivités ont compris que pour réorienter l’agriculture des territoires, c’est maintenant qu’il faut agir », confirme Jérôme Deconinck, rappelant que 65 % de la population agricole a plus de 55 ans aujourd’hui et que la transmission d’exploitations dans le cadre familial est en chute libre. VL

Les pressions environnementales et sociétales incitent à un changement de modèle de production et de distribution des produits alimentaires. Le mouvement Terre de Liens imagine et expérimente ce qui pourrait devenir l'un des visages de l’agriculture française de demain.

Le devéloppement des biocombustibles forestiers sus-cite un intérêt pour des territoires jusque-là délaissés.

Agronome de formation, ancien technicien de la filière bio, Mickaël Berthelot, 33 ans, s'est installé en 2010 comme maraîcher à Corps-Nuds, à 15 km de Rennes. Il loue ses terres à la foncière Terre de Liens et le bâti à une SCI locale composée de 110 associés qu’il a créée. Le maraîcher a également bénéficié du disposi-tif de portage foncier du conseil général d’Ille-et-Vilaine, afin que le bâti soit mis en réserve durant le temps nécessaire à la constitution du fonds (90 000 euros) porté par la SCI. Créé en juillet 2008, ce dispositif permet au Départe-ment de financer le stockage de foncier par la Safer pendant deux ans, le temps de trouver un candidat à l'installation en vue d’une activité de production bio et/ou en circuit court. Un dispo-sitif qui peut être sollicité par des porteurs de projets qui ont trouvé des terres mais ne sont pas encore prêts à s'installer.Quant à Mickaël Berthelot, il produit aujourd’hui légumes et petits fruits, commercialisés en libre cueillette et sous forme de paniers. Il cultive également des céréales transformées par une entreprise locale. En 2012, il travaillera en duo avec une autre maraîchère bio locale : de quoi

fournir 80 paniers et la cantine du village. « La demande est énorme, nous n'arrivons pas à y répondre ! » EM

Maraîcher et locataire à Terre de Liens…

Un accès au foncier agricole par économie solidaire

tère désormais hautement stratégique et font l’objet d’actions de mobilisation qui génèrent de nouveaux champs professionnels participant à la diversifica-tion de l’emploi dans ces espaces. Ce faisant, ces différentes activités recombinent les nouveaux champs professionnels à des ensembles de gestion plus vastes où des espaces différents doivent s’accorder pour prendre en charge les nombreuses interconnexions qui existent entre eux. Les pratiques récréatives enfin, fondées sur la valorisation des ressources patrimoniales cultu-relles et naturelles de ces espaces ainsi que sur les aménités apportées par d’autres activités, consti-tuent un autre secteur privilégié dans l’économie de nombreux territoires concernés. (…)Par ses aspects liés à la sphère domestique ou bien ceux liés aux activités touristiques, l’économie résidentielle constitue enfin un autre volet fort de l’économie de la faible densité, parfois bien diffi-cile à organiser : la situation géographique, selon que l’on se trouve dans une zone de possibles migrations alternantes ou bien dans des secteurs plus éloignés des bassins d’emploi urbains, à la fréquentation plus occasionnelle, en fait des ter-ritoires fortement contrastés quant à la typologie,

les attentes et les besoins de leur population.Cette situation met en avant la force des enjeux de multifonctionnalité qui caractérisent ces espaces et interpelle directement les modalités d’arbitrage qui président à leur orientation économique et en organisent la gestion. Ainsi, la faible densité n’est pas à l’écart des tensions qui s’expriment sur la maîtrise du foncier. Celles-ci y croisent d’autres sources de conflit, par exemple celles pouvant exister entre les activités fondées sur la produc-tion (agriculture, foresterie, activités industrielles, etc.) et celles orientées vers la valorisation des aménités rurales, paysagères et naturelles (éco-nomie résidentielle, tourisme vert, agritourisme) pour lesquelles la notion de patrimoine revêt un aspect de développement fort.

Laurence�Barthe, maître de conférence à l’université de Toulouse-Le Mirail

et�Johan�Milian,�maître de conférences à l’université de Vincennes Saint-Denis (Paris 8)

1- Les ressources fixes sont définies comme « tout facteur de produc-tion localisé dont la valorisation nécessite la présence du producteur ou du consommateur sur place » (UMR Caeser-Épices, 2009).2- Voir aussi notre dossier « Forêt : insuffler de l’oxygène dans les territoires », Intercommunalités n° 147, juillet-août 2010.

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Deux parlementaires livrent leur regard sur les territoires ruraux peu denses et les grands défis d’ordre politique à relever pour accompagner leur dynamisme. Interview croisée de Jean-Jacques Lozach, sénateur (PS) et président du conseil général de la Creuse, et de Pierre Morel A L’Huissier, député (UMP) de Lozère et coordonnateur de la mission nationale sur la ruralité confiée, en octobre 2011, par le président de la République.

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Jean-Jacques Lozach et Pierre Morel A L’HuissierINTERVIEW CROISÉE

Quels sont, d’après vous, les trois enjeux  majeurs  du  monde  rural peu dense aujourd’hui ?Jean-Jacques� Lozach� – Le vieillisse-ment de la population est un enjeu majeur. Très attachées à leur maison et à leur environnement, notamment familial, les personnes en perte d'auto-nomie fonctionnelle doivent pouvoir continuer à vivre majoritairement en domicile ordinaire, et ce même à des degrés de dépendance sévère.

Les zones rurales ne peuvent rester à l’écart du très haut débit. L’accès à la fibre optique est fondamental pour un département rural et « non rentable ». Il s’agit d’un levier de compétitivité et un facteur essentiel d'attractivité et de développement de nouveaux services. Malheureu-sement, le plan national « très haut débit » risque d’accroître la fracture numérique en raison du modèle de déploiement retenu.

Les infrastructures de transport sont un autre enjeu, de toute importance. La loi de mise en œuvre du Grenelle de l’environnement prévoit la réalisa-tion d’un schéma national des infras-tructures de transport (SNIT) qui doit fixer les orientations de l’État et préci-ser son soutien aux collectivités pour le développement de leurs propres réseaux. Il existe un projet de schéma ; mais le gouvernement estime qu’il doit être adapté au nouveau contexte

économique et financier, sur la base d’une hiérarchisation des projets et la définition d’un plan de financement compatible avec les engagements de la France. En outre, il indique mainte-nant que le SNIT ne constitue plus un document de programmation mais « un document d’orientation géné-rale » ! Le dossier est au point mort, d’où un profond désarroi.Pierre�Morel�A�L’Huissier�– Le socle des territoires ruraux est tradition-

P artout ailleurs, l’inauguration d’un bâti-ment à énergie positive est un événement. Dans la communauté de communes du

Menée (6 500 habitants) qui s’est fixée pour objec-tif de parvenir à produire localement 100 % de ses besoins en énergie à l’horizon 2030, c’est une évidence. « Quand on fait une maison de santé, le bâtiment est à énergie positive ; quand on construit une pépinière d’entreprises, c’est en BBC  ; quand on envisage un programme de logements, ce sont des maisons qui ne consomment pas d’énergie, en l’occurrence des maisons solaires, réparties dans plusieurs centres-bourgs… » égraine Laurent Gau-dicheau, DGS de la communauté. Certes, il est plus facile d’atteindre l’autonomie énergétique en milieu rural, les ressources natu-relles étant sur place, en abondance et variées. « On ne fait rien de mieux que ce que font les autres », observe d’ailleurs, modeste, le DGS Laurent Gaudicheau, avant d’ajouter : « Mais on

fait tout. » Ici, on utilise le soleil, le vent et le bois, mais on valorise aussi certains déchets agricoles et on réduit sa consommation d’énergie. « On », ce sont au départ des agriculteurs, rejoints par les élus communautaires qui ont donné « du sens » à la démarche en l’inscrivant dans un projet de ter-ritoire, puis par les habitants eux-mêmes dont cer-tains se sont improvisés investisseurs solidaires.

Booster de projetsRôle politique de « booster » plus que d’investis-seur, la communauté a fait le choix de recruter, en 2007, un ingénieur plutôt qu’un animateur de projet. « Pour acquérir de la légitimité, il fallait que les projets sortent vite », explique Laurent Gaudicheau.Une unité de méthanisation, Géotexia, est ainsi entrée en service en avril 2011. L’initiative revient à un groupe d’agriculteurs conscients, depuis la fin des années 1990, que « le modèle agricole fami-lial breton était économiquement rentable mais non pérenne d’un point de vue environnemental ». Leur réflexion a abouti à ce projet industriel qui transforme lisier et autres déchets agricoles en énergie. « Ils ont montré que derrière un problème environnemental, il y avait une solution collective économique », souligne Laurent Gaudicheau. Ce même groupe d’agriculteurs avait souligné l’intérêt d’un renforcement de la filière bois. Aujourd’hui, sur les sept communes membres de la communauté, cinq ont engagé des projets de chauf-feries bois, dont deux sont en service depuis trois ans, et ont vu leur facture d’énergie diminuer. L'un des projets en activité permet de chauffer 4 500 m2, soit une soixantaine de locaux (locaux municipaux, commerces et habitations). Une huilerie alimente des tracteurs depuis 2007, uti-lisant le colza cultivé localement comme carburant. Potentiellement, sa production pourrait couvrir deux fois les besoins énergétiques des exploitations

situées sur le territoire de la communauté.Un parc éolien participatif a obtenu son permis de construire en octobre 2011. Il est porté à 70 % par un partenaire industriel et à 30 % par des habitants rassemblés sous la forme d’un Club d’investisseurs pour une gestion alternative et locale de l’épargne solidaire (Cigales). Cette structure de capital risque solidaire mobilise l’épargne de 147 familles du territoire ayant investi entre 2 000 et 8 000 euros (4 300 euros en moyenne par famille).La pépinière d'entreprises destinée à accueillir des entreprises actives dans le domaine de la produc-tion d'énergies renouvelables et de l'écoconstruc-tion, inaugurée en 2010, héberge maintenant cinq entreprises (un bureau d’études thermiques, un fabricant de chaudières bois, un constructeur de maisons à ossature bois…) et accueille onze emplois.« L’ambition n’est pas de créer 500 emplois sur le territoire », précise Laurent Gaudicheau, sou-lignant que « l’usine de méthanisation et l’hui-lerie en ont également créé cinq, tout en offrant des revenus complémentaires aux 32 exploitants agricoles ». Ces projets et d’autres, dispersés sur le territoire, ont suscité une attraction telle que la communauté accueille deux à trois délégations par semaine : des collectivités françaises et étrangères, des grands opérateurs publics, des établissements d’ensei-gnement… au point qu’un tourisme d’un nouveau type semble voir le jour. Le guide ne manquera pas de souligner ce que le territoire doit à son plus célèbre habitant, Paul Houée, sociologue au CNRS puis à l'Inra, acteur historique du développement rural dans les années 1960, promoteur de la « culture locale de la conduite de projet collective et du travailler ensemble », rappelle Laurent Gaudicheau.

Valérie�Liquet�et�Damien�Denizot

Amener tout un territoire à l’énergie positiveLe projet de territoire de la petite communauté de communes du Menée, en Centre Bretagne, est guidé par une ambition : « atteindre l’autosuffisance énergétique en 2030 ». Plus qu’un slogan, la mobilisation de l’énergie comme ressource locale est un vecteur de développement économique dans un territoire qui ne dispose ni d’un grand bassin de consommation, ni de liaisons aux grands axes de déplacements, ni d’une population active qualifiée.

Géotexia, l'usine de méthanisation du Menée, est en-trée en service au printemps dernier.

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Dossier

Intercommunalités • AdCF • N° 164 - Février 2012

nellement l’agriculture. Aujourd’hui et comme l’a rappelé le président de la République lors de ses vœux aux territoires ruraux à Pamiers dans l’Ariège, la ruralité est plurielle et va au-delà de l’agriculture. C’est spécifi-quement cette pluralité qui est la clé de voûte de l’avenir du monde rural et qui constitue le fondement des enjeux pour les décennies à venir. Un regain d'attractivité certain pour les territoires ruraux est à ce jour perceptible. A titre d’exemple, le département de la Lozère qui, en 100 ans a perdu plus de la moitié de ses habitants, a vu sa courbe démo-graphique s’inverser lors des résul-tats du recensement de 1999, et les derniers recensements confirment cette tendance positive. Fort de ce constat, l’enjeu princi-pal pour les territoires ruraux est de conforter cette attractivité. Cela se traduit par le désenclavement ter-restre et surtout numérique, la pré-servation et la mise en valeur des atouts naturels garants du « bien-être » recherché, le maintien et le développement d’une agriculture de qualité et d’initiatives permettant aux porteurs de projet de se dévelop-per et d’innover. Le second enjeu que l’on peut men-tionner est l’équité de services entre tous les espaces, qu’ils soient urbains ou ruraux, et plus spécifiquement l’accès aux soins, à l’éducation...Enfin, le troisième enjeu qui est, à mon sens, à mettre en exergue, est la prise en compte des spécificités des territoires ruraux au regard des

espaces urbains et périurbains dans les textes législatifs.

Connaissez-vous  des  initiatives menées  à  l’échelle  intercommu-nale qui, selon vous, y répondent?Jean-Jacques� Lozach� – Dans la Creuse, plusieurs initiatives inter-communales répondent à ces enjeux. La communauté de communes Guéret Saint-Vaury a ainsi créé une filière autour de la domotique appliquée aux problématiques de la dépendance. Elle a porté un projet de pôle d’excellence rurale « domo-tique et santé ». Une licence profes-sionnelle « domotique et autonomie des personnes », unique en France, a été créée au lycée Jean-Favard où un pôle domotique de près de 1 000 m2 a été construit, pourvu d’un centre de ressources, de salles de forma-tion et d’un incubateur d’entre-prises. Legrand, leader mondial de la domotique et des appareillages élec-triques, est associé au projet.Les collectivités composant le syn-dicat mixte DORSAL sont fédérées par un projet de montée généralisée des débits numériques et d’exten-sion des réseaux qui contribue au développement économique (rac-cordement d’entreprises isolées, de zones d’activité) et favorise la cohé-sion territoriale et les solidarités (montée en débit résidentiel, rac-cordement des maisons de santé). Les maisons de santé pluridiscipli-naires témoignent de l’engagement des communautés de communes dans la réorganisation de la politique

régionale de santé. Les projets en cours, de Boussac, d’Ahun, du Pays de Guéret ou du parc naturel régio-nal de Millevaches, répondent à une partie de la problématique de l’accès aux soins en milieu rural.Pierre� Morel� A� L’Huissier� – Tout d’abord le développement des relais de service public (RSP) dans chaque chef-lieu de canton. À ce jour, la France comptabilise 230 RSP. Ils offrent une proximité directe entre l’administra-tion et les administrés via l’utilisation des technologies de l’information et de la communication. Toujours en lien avec le recours aux nouvelles technologies, le dévelop-pement de télécentres pour l’accueil de télétravailleurs correspond aussi à des initiatives menées à l’échelle locale en faveur de l’attractivité des territoires ruraux. La vente directe de produits agri-coles fait partie des initiatives locales mettant en valeur les atouts des ter-ritoires ruraux.

Quelles  seraient  les  trois  évolu-tions à engager ? Jean-Jacques� Lozach� – La politique régionale de santé doit être revue. Les MSP peuvent apporter des éléments de confort et de proximité à la popu-lation, mais elles dépendront de res-sources médicales qui se réduisent. L’accès de tous à une offre de soins de qualité, la continuité et la lisibilité de la prise en charge dans le respect du droit des usagers sont aujourd’hui remis en cause. La question de la démographie médicale et paramé-dicale risque d’être difficile dans les territoires ruraux, notamment dans la Creuse qui manque déjà de spé-cialistes, chirurgiens-dentistes ou kinésithérapeutes. La mutualisation et la coordination ne pourront, à elles seules, garantir le maintien d’un plateau technique de qualité sur les bassins de vie. Je constate l’absence d’une véritable démocratie sanitaire, accentuée par la sous-représenta-tion des élus dans les instances des agences régionales de santé.La réforme de la PAC post-2013 est un élément clé pour l’avenir des zones rurales et la correction des handicaps. Le budget de la PAC doit être impéra-tivement préservé, ainsi que la poli-

tique de développement rural. Les mécanismes de régulation du marché et de gestion des aléas économiques, les seuils d’intervention doivent être renforcés afin de restaurer des pers-pectives et faciliter l’installation des jeunes. Un équilibrage du rapport de force dans la filière, entre les éleveurs et leur aval, est également nécessaire.Enfin, la prise en compte de l’impé-ratif de l’aménagement du territoire et de péréquation dans la program-mation et le financement des grands schémas d’infrastructure est une autre réforme à engager. Pierre� Morel� A� L’Huissier� – Dans le cadre de la mission qui m'a été confiée par le président de la Répu-blique, j'ai déjà été amené à me dépla-cer dans plusieurs territoires ruraux afin d'entendre tous les acteurs de la ruralité. Une grande consultation a par ailleurs été lancée. L’objectif de la mission était, tout en étant le plus efficient possible, d'analyser tous les sujets de blocage et d'inadaptation

concernant l'application des règles administratives imposées aux com-munes et aux territoires ruraux. Il existe 8 000 lois et 400 000 normes applicables sur l’ensemble du terri-toire français. Le rapport qui sera remis au pré-sident de la République proposera un arsenal de mesures susceptible de « débloquer » le carcan adminis-tratif que les acteurs locaux – mais également parfois les administra-tions elles-mêmes – ne peuvent ou ne savent appliquer ou a fortiori adapter. Ces mesures pourront être mises en place très rapidement après l’annonce du chef de l’État. L’applica-tion de ces mesures sera une bouffée d’oxygène pour les collectivités locales et les porteurs de projet. Par ailleurs, les grands principes qui régissent l’application de la loi en France sont les principes d’éga-lité et de précaution. Une réflexion a été menée lors de cette mission pour faire émerger de nouveaux prin-cipes, dits de proportionnalité et de subsidiarité, qui permettraient une adaptation aux spécificités des zones rurales. Ces mesures seront égale-ment proposées au chef de l’État.

Propos�recueillis�par�VL

��������La�réforme�de�la�PAC�post�2013�est�un�élément�clé�pour�l’ave-nir�des�zones�rurales�et�la�correc-tion�des�handicaps.�Son�budget�doit�être�impérativement�préservé,�ainsi�que�la�politique�de�dévelop-pement�rural.����

Jean-Jacques Lozach,  sénateur de la Creuse

��������La�ruralité�est�plurielle�et�va�au-delà�de�l’agriculture.�C’est�cette�pluralité�qui�est�la�clé�de�voûte�de�l’avenir�du�monde�rural�et�qui�constitue�le�fondement�des�enjeux�pour�les�décennies�à�venir.�

Pierre Morel A L’Huissier,  député de la Lozère   

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Les maisons de santé pluridisciplinaires (ici la Maison de Santé de Laguerche de Bre-tagne) témoignent de l’engagement des communautés de communes dans la réorgani-sation de la politique régionale de santé.

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