gautié, j. de l'invention du chômage à sa déconstruction

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DE L'INVENTION DU CHÔMAGE À SA DÉCONSTRUCTION Jérôme Gautié Belin | « Genèses » 2002/1 n o 46 | pages 60 à 76 ISSN 1155-3219 ISBN 270113112X Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-geneses-2002-1-page-60.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Jérôme Gautié, « De l'invention du chômage à sa déconstruction », Genèses 2002/1 (n o 46), p. 60-76. -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Belin. © Belin. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 130.206.158.188 - 24/07/2015 12h38. © Belin Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 130.206.158.188 - 24/07/2015 12h38. © Belin

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La invención del paro y su deconstrucción

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  • DE L'INVENTION DU CHMAGE SA DCONSTRUCTIONJrme Gauti

    Belin | Genses 2002/1 no46 | pages 60 76 ISSN 1155-3219ISBN 270113112X

    Article disponible en ligne l'adresse :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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    Pour citer cet article :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Jrme Gauti, De l'invention du chmage sa dconstruction , Genses 2002/1 (no46),p. 60-76.--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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  • Depuis vingt ans, rapparaissent de faon rcur-rente des dbats particulirement intenses autourdes chiffres du chmage . Leurs vritablessignifications et enjeux ne peuvent tre compris que si,au-del du problme de la comptabilit des chmeurs, onsaisit la nature du chmage comme catgorie opratoire cest--dire, indissociablement, de reprsentation dumonde social et daction sur ce monde. De faon sympto-matique, au-del des problmes de mesure, le dbat arebondi rcemment en France un niveau thorique puisassez rapidement idologique: lutilisation de la catgoriede non emploi plutt que celle de chmage dansune tude dconomistes de renom et membres de lInsti-tut national de la statistique et des tudes conomiques1 asuscit de vives polmiques, certains y voyant lillustra-tion dune dmarche plus gnrale qui, dans une optiquelibrale, tend se focaliser sur les comportements desindividus, souponns pour beaucoup dentre eux dtredes sans-emploi volontaires2.

    Pour comprendre ces dbats (sur la mesure, et, au-del,sur la catgorie elle-mme), il faut souligner que la focali-sation sur la mise en vidence du bon chiffre, et sym-triquement sur les manipulations dont il pourrait fairelobjet, tend occulter le fait que la catgorie concernenest pas le simple reflet dune ralit sociale qui luiprexisterait. Comme lont montr des travaux dsormaisclassiques3, le chmage est en effet une construction his-torique et sociale propre nos socits occidentales cequoublient trop souvent les conomistes, qui ont ten-dance considrer les catgories et les lois conomiquescomme gnrales dans lespace et dans le temps quidcoule dun processus qui sest fait principalement lafin du XIXe au dbut du XXe sicle et dans les annestrente. Surtout, ces travaux ont soulign avec force que

    DE LINVENTION

    DU CHOMAGE SA

    DCONSTRUCTION*

    Jrme Gauti

    * Texte rdig sur la base dune intervention au colloque crire, compter, mesurer, journesorganises par le Laboratoire de sciences sociales (ENS/EHESS) et le Dpartement dhistoire (ENS), les 21-22 mars 2001 (coord. NatachaCoquery, Franois Menant, Florence Weber).Je remercie Jean-Claude Barbier,Luc Behagel, Yolande Benarosch,Alain Desrosires et Christian Topalovpour leurs remarques. Je restevidemment seul responsable des erreurs et opinions contenues dans cet article.

    1. Guy Laroque, Bernard Salani, Une dcomposition du non emploi en France , conomie et Statistique,n 331, 2000, pp. 47-60.

    2. Thomas Coutrot, Guillaume Exertier :La loi des grands noms, ou quand le non emploi efface le chmage, in Lanne de la Rgulation, Paris,Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, n 5, 2001, pp. 253-275.

    3. Robert Salais, Nicolas Baverez,Bndicte Reynaud, Linvention du chmage, Paris, Puf, 1986 ;Christian Topalov, Naissance du chmeur, 1880-1910, Paris, Albin Michel, 1994.

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  • lapparition du chmage relve bien dune invention et nonpas dune simple prise de conscience dune nouvelle ralit,ni dune nouvelle appellation dune ralit trs ancienne, lemanque de travail, qui aurait pris des dimensions particu-lirement importantes avec lindustrialisation4.

    On peut mme aller jusqu affirmer que le ch-mage a t la catgorie centrale de la formulation de laquestion sociale au XXe sicle. Ces considrations invitent bien saisir (et, en mme temps, garder) le sens de lamesure. Le taux de chmage, comme catgorie standardi-se, a connu son ge dor , durant les Trente Glo-rieuses, dans le cadre de rgimes dactivit et demploiparticuliers. Les polmiques actuelles sont, selon nous, undes multiples symptmes dun processus largemententam de dconstruction de la catgorie de chmage,processus en quelque sorte symtrique celui qui avaitdbouch sur son invention il y a un sicle, et qui pose desrieux dfis lintervention publique.

    Le sens de la mesure

    Avant de se pencher sur le problme de sa mesure, ilconvient de rappeler comment la catgorie de chmagesest construite la convergence dune dynamique auxdimensions indissociablement sociale (lutte contre la pau-vret), conomique (institution dun vritable march dutravail) et juridique (laboration du statut salari).

    Naissance dune catgorie

    Le terme de question sociale, qui, de faon symptoma-tique, a t remis au got du jour au cours des annes19905, est apparu au XIXe sicle, pour dsigner les dysfonc-tionnements sociaux lis la socit industrielle. On peuten largir lusage dans lespace et dans le temps, pourdsigner de faon large le problme de la mise en pril dela cohsion sociale dune socit donne6. Ainsi, la ques-tion sociale ne se rduit pas lexistence de la misre, quiest prsente, sous des formes diverses, dans pratiquementtoutes les socits : elle surgit quand les problmessociaux sont reprsents comme tels, cest--dire quandils sont conus comme renvoyant la socit dans sonensemble, parce qutant causs par le systme socialet/ou parce que mettant en pril ce systme. Ses formula-tions renvoient donc, de faon indissociable, des repr-sentations et modalits daction de la socit sur elle-mme. En adoptant une perspective historique longue

    4. C. Topalov, Naissance du chmeur,op. cit.

    5. Voir notamment Robert Castel,Les mtamorphoses de la questionsociale. Une chronique du salariat, Paris,Fayard, 1995 ; Pierre Rosanvallon,La nouvelle question sociale, Paris,Seuil, 1995.

    6. R. Castel dfinit ainsi la questionsociale comme une aporiefondamentale sur laquelle une socitexprimente lnigme de sa cohsion et tente de conjurer le risque de sa fracture. Voir R. Castel, Les mtamorphoses, op. cit., p. 18.

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  • dans le prolongement de la superbe fresque deRobert Castel7, on peut affirmer que le chmage apparatcomme la formulation contemporaine de la questionsociale , aprs la pauvret dans la socit dAncienRgime dont la figure centrale tait le vagabond et lepauprisme au XIXe sicle ce terme dsignant plus spci-fiquement la conjonction du travail et de la misre dans lasocit industrielle naissante.

    Pour comprendre comment on passe la fin duXIXe sicle de la focalisation sur les pauvres linventiondu chmage, il faut retracer comment cette dernire estne de la volont de rformateurs sociaux de rationaliserle fonctionnement du march du travail, dans un souci la convergence des proccupations sociales (le problmede la pauvret) et productivistes (assurer une main-duvre stable et performante une industrie en pleinessor). Ceci se traduira notamment en Angleterre laveille de la Premire Guerre mondiale par la mise enplace de bureaux de placement dont le rle est avant toutde trier les bons sans-emploi des mauvais8. Les premierssont les travailleurs valides temporairement dpourvusdemploi, du fait de la mauvaise conjoncture conomique.Ceux-l doivent tre aids. Les seconds sont inem-ployables ou paresseux, et relvent par l de lassistanceou de la rpression. Le chmage acquiert aussi un statutdans la thorie conomique grce notamment Alfred Marshall, le grand conomiste anglais de lapriode, trs impliqu dans les dbats sociaux de sonpoque9 : en introduisant notamment le concept de pro-ductivit marginale, central dans le paradigme de lcono-mie noclassique quil contribue fonder, il donne unfondement thorique la distinction entre lesemployables des inemployables. Ces derniers sont ceuxdont la productivit est trop faible pour pouvoir treemploys au salaire courant, ft-il de subsistance, et quirelvent soit de lassistance, pour les handicaps qui nepeuvent tre modifis, soit, pour la plupart, de la poli-tique de formation, destine accrotre leur capitalhumain. Au-del des chmeurs, le concept de chmagetrouve sens dans la reprsentation en termes de march,cest--dire la rencontre dune offre et dune demandedbouchant sur un prix dquilibre, le salaire : il est dfinipar lcart positif entre loffre et la demande de travail.

    On en reste encore l des classifications dindividus,mais on reconnat que la situation de certains dentre euxrenvoie non pas leurs caractristiques propres (handicap

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    7. Ibid.

    8. Sur tous ces points, voir C. Topalov : Invention du chmage et politiquessociales au dbut du sicle, Les TempsModernes, n 496-497, 1987, pp. 53-92 ;Naissance du chmeur, op. cit.

    9. Haim Barka, Travail, emploi et salaires dans lconomienoclassique : les conceptionsmarshalliennes au tournant du sicle,in Malcolm Mansfield, R. Salais,Nol Whiteside, Aux sources du chmage 1880-1914, Paris, Belin,1994, pp. 153-182.

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  • ou comportement), mais au fonctionnement delensemble du systme. Sous cet aspect, laction et luvrede William H. Beveridge vont jouer un rle dterminant.Ce dernier commence en effet sa carrire comme tra-vailleur social, exprience quil prolonge par unerflexion densemble sur le march du travail10. Celle-cimarque un pas dcisif dans llaboration de la catgoriede chmage en en distinguant les diffrentes causes(saisonnier, conjoncturel cyclique, ou structurel dinad-quation), qui renvoient lanalyse du systme cono-mique dans son ensemble: on passe alors dune collectiondindividus les pauvres, les indigents ou les ch-meurs un phnomne macrosocial, le chmage.Le tout nest pas gal la somme des parties : ce nest pasun hasard si en France la mme poque, cest un auteurtrs marqu par le durkheimisme, Max Lazard, qui dfinitlui aussi le chmage comme un fait social irrductible auxindividus qui le composent11.

    Cette volont de rationaliser le march du travail doitenfin se comprendre par rapport la transformation trsprogressive du rapport salarial la fin du XIXe sicle.Celui-ci, aussi bien en Angleterre quen France, bien queselon des modalits diffrentes (urbaines dans le premierpays, plus rurales dans le second) est encore assez peu sta-bilis cette poque. Les entreprises font notammentface une rotation des travailleurs assez importante, quiles met sous la menace dune pnurie de main-duvre certaines priodes, notamment en France, o la pluri-activit (beaucoup douvriers sont aussi agriculteurs) estencore trs rpandue, mais aussi en Angleterre, o la soli-darit des quartiers ouvriers peut servir de base de replipour rsister la mise au travail dans des conditions tropmauvaises12. Mais symtriquement, cette faible attache lentreprise se traduit pour les ouvriers par une trs forteprcarit qui les met la merci du moindre ralentisse-ment conjoncturel.

    La relative et trs lente stabilisation du salariat vasaccompagner, notamment dans le cas franais, duneconstruction juridique, refltant en partie une nouvelleralit qui est celle des grandes entreprises. la concep-tion du droit civil, qui fait du contrat de travail un simplecontrat dchange entre deux individus le contrat delouage de service, auquel lconomie noclassique faitcho en faisant du travail un bien et service quelconquequi schange sur un march comme un autre13 va suc-cder celle du droit du travail, qui inscrit la relation de

    10. William H. Beveridge,Unemployment, a Problem of Industry,London, New York, Longmans, Green and Co, 1909.

    11. Voir C. Topalov, Naissance du chmeur, op. cit., chap. XIII.

    12. Pour le cas franais, voir Grard Noiriel, Les ouvriers dans la socit franaise, Paris, Seuil,1984 ; pour le cas anglais, C. Topalov, Invention du chmage et politiquessociales, op. cit.

    13. Sur ce point, voir aussi B. Reynaud,Le contrat de travail dans le paradigme standard, Revue franaise dconomie, n 4, 1988, pp. 157-194.

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  • travail dans la dure, et qui en fait un lien de subordina-tion entre un individu et une entit collective, lentreprise.Du point de vue juridique, essentiel pour tablir les fron-tires ncessaires la mesure, le chmage pourra treconu comme le ngatif de lemploi dfini comme lins-cription sociale et juridique de la participation des indivi-dus la production des richesses. Mais cette constructionstale sur des dcennies : le chmage comme catgoriea prcd la mise en place du rapport salarial fordistedont lextension lui donnera tout son sens14.

    De la comptabilit des chmeurs la mesure du chmage

    Llaboration de la catgorie statistique va jouer unrle fondamental dans lapprhension de cette nouvelleralit macrosociale quest le chmage. Lagrgat statis-tique permet dabstraire et en mme temps dobjectiver,et ainsi de rompre avec lapproche moralisante danslaquelle risque de rester prisonnire lapproche individua-lisante. En mme temps, il va permettre progressivementde conceptualiser en retour le cas individuel en termes deprobabilit, et, par l, comme une modalit particulirede la survenance dun risque, conu au niveau globalcomme social . La voie est ouverte lindemnisationpar un systme dassurance sociale.

    La technique des sondages, qui apparat aux tats-Unis dans les annes trente15 va permettre de passerdune simple comptabilit exhaustive des chmeurs quiavait commenc en France avec le recensement de189616 une estimation du chmage au niveau national,renforant ainsi le travail dobjectivation permettant enretour de considrer les chmeurs comme victimes dunala conomique. La globalisation lie au travail demesure procde dun double mouvement de dlocalisa-tion notamment en rupture avec les enqutes mono-graphiques du XIXe sicle et de dsindividualisation avec les enqutes reposant sur la technique du sondage,on fait plus que simplement compter des individusconcrets pour les classer selon leurs caractristiquespropres. Elle sillustre dans le fait que, plus que le nombrede chmeurs, cest le taux de chmage qui rapporte lenombre de chmeurs lensemble de la populationactive qui devient lindicateur de rfrence.

    Il nen reste pas moins quune estimation du premierest indispensable pour calculer le second. Il est doncncessaire de dfinir de faon univoque ce quest un ch-meur. Vue ainsi la dfinition du Bureau international du

    14. Sur la relation de travail dans la grande entreprise commedfinissant en ngatif le chmage,voir R. Salais, N. Baverez, B. Reynaud,Linvention, op. cit., chap. II et III.

    15. Les dbats sur la mesure du chmage ont t particulirementvifs aux tats-Unis durant lentre-deux-guerres, notamment la suite de la crisede 1929, voir Alain Desrosires, La politique des grands nombres.Histoire de la raison statistique, Paris, La Dcouverte, 1993, chap. VI.

    16. Voir R. Salais, N. Baverez,B. Reynaud, Linvention, op. cit.

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  • travail (BIT) simposera plus tard comme le standardinternational : est considre comme chmeur toute per-sonne de plus de quinze ans dpourvue dun emploi sala-ri ou non (cest--dire nayant pas travaill au moins uneheure au cours de la semaine de rfrence de lenqutestatistique), la recherche active dun emploi, et imm-diatement disponible pour occuper cet emploi.

    La catgorie de chmage, on la soulign, rsulte de laconvergence dun triple point de vue:

    un point de vue juridique, qui exige que le ngatif duchmage, lemploi, salari ou non, soit dfini de faonclaire ; de fait, on la not, cest avant tout lemploi salariqui sert de rfrence;

    un point de vue conomique, qui dbouche sur uneanalyse du chmage en termes de mobilisation des fac-teurs de production en vue de la cration de richesse; lechmage est alors interprt comme un indicateur dunesous utilisation du facteur travail (do le terme aussi desous-emploi, longtemps utilis comme synonyme), etdonc de manque gagner pour la collectivit dans sonensemble;

    un point de vue social, enfin, qui est plus celui desindividus : le chmage est la cause majeure de la privationde ressources, et, conscutivement, la facteur potentiel dedsinsertion sociale.

    Il est intressant de souligner que la dfinition du ch-mage du BIT repose avant tout sur le point de vue cono-mique17. Ainsi, le fait de ne travailler ne serait-ce quuneheure dans la priode de rfrence exclut du chmage :lobjectif est bien de cerner lensemble de la main-duvreconcourant la production. Mais privilgier cette faon devoir ne posait pas trop de problmes durant les TrenteGlorieuses: les trois points de vue convergeaient en grandepartie. Travailler au moins une heure signifiait, pour lamajorit des travailleurs, dont la part croissait continmentdu fait de lextension du salariat, travailler plein tempsdans le cadre dun contrat de travail salari (avec les pro-tections fordistes associes) et accder un montant de res-sources permettant dchapper la pauvret.

    ge dor du chmage et mythe du plein emploi

    Outre ce travail dlaboration statistique, les annestrente vont aussi permettre dachever la construction duchmage comme catgorie opratoire en en faisant unobjectif prioritaire de la politique conomique. Luvrede lconomiste John M. Keynes18 est centrale de ce point

    17. Sur ce point, voir aussiJean-Louis Faure, Prsentationgnrale des catgories en usage pourla mesure de lemploi et du chmage,atelier n 5 : Emploi-chmage, faut-il faire voluer la mesure? in ANPE, Premiers entretiens de lemploi, Noisy-le-Grand,Dpartement des tudes et statistiquesde lANPE, 1999, pp. 165-178.

    18. John M. Keynes, Thorie gnrale de lemploi, de lintrt et de la monnaie,Paris, Payot, 1936 (d. angl. The General Theory of Emploiyment interest and money,London, Macmillan and Co, 1936).

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  • de vue, puisquelle fonde un nouveau paradigme dans lecadre duquel se justifie lintervention publique, en mmetemps que se dfinissent ses modalits daction. Lagrande force du kynesianisme est en mme temps derconcilier lconomique et le social, que le XIXe sicle, onla vu, pensait contradictoires19. Cest W. H. Beveridge20,encore lui, qui achve cette intgration en faisant du pleinemploi lobjectif de ltat providence. Les Trente Glo-rieuses, jusquau dbut des annes soixante-dix, marquentainsi le rgne des politiques de plein emploi, et traverselle, celui de la science macroconomique, qui penseavoir trouv les recettes permettant dobtenir une crois-sance stable et infinie. Le pilotage de lconomie soprenotamment grce aux modles macroconomtriques, quireprsentent en quations le fonctionnement densemblede lconomie, et o le chmage apparat comme unevariable au mme titre que, par exemple, la consomma-tion des mnages ou linvestissement des entreprises.Cette priode marque bien lge dor du chmage en tantque variable objectif de lintervention publique.

    La faiblesse du taux de chmage durant les TrenteGlorieuses, de lordre de 2 3% dans les pays dEuropeoccidentale et au Japon, de 4 5 % aux tats-Unis,amne rtrospectivement considrer cette priodecomme celle du plein emploi. Cependant, ce dernierdoit tre rfr la spcificit des rgimes dactivit etdemploi nationaux21, eux-mmes rsultant de larticula-tion march du travail-systmes de protection sociale-famille propre chaque pays. Cette dernire dtermineen effet les modalits daccs aux ressources cono-miques pour les diffrents membres dune socit, ouencore, les diffrentes modalits de rpartition de cesressources. La rpartition conomique renvoie auxrevenus que les individus tirent de leur participation lactivit productive ; cette participation sinstitutionna-lise dans nos socits dans une combinaison dlmentssociaux et juridiques que lon nomme emploi. La rpar-tition sociale renvoie aux transferts dont peuvent bn-ficier les individus en provenance dinstitutions qui prl-vent et redistribuent des revenus. La rpartitiondomestique , enfin, regroupe tous les transferts fondssur un lien personnel le plus souvent dordre familial entre lmetteur et le receveur.

    La catgorie de chmage a t construite, on la vu,pour objectiver, et de ce fait traiter, lexclusion involon-taire de la rpartition conomique, cette dernire tant,

    19. J.-M. Keynes prconise notammentla redistribution en faveur des faiblesrevenus, qui ont une propension consommer plus importante, pour soutenir lactivit conomique.

    20. W. H. Beveridge, Full employmentin a free society, London, George Allenand Unwin, 1994.

    21. Un rgime dactivit et demploirenvoie la rpartition de lactivit et de lemploi entre les diffrentescatgories socio-dmographiques(jeunes, vieux, hommes, femmes).Voir Jean-Claude Barbier,Jrme Gauti (d.), Les politiques de lemploi en Europe et aux tats-Unis,Paris, Puf, 1998, notamment le dernierchapitre sur lavenir des politiques de lemploi.

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  • durant les Trente Glorieuses, principalement rserve auxhommes. En effet, dans la plupart des pays occidentaux,une grande, voire la majeure partie des femmes, ntaientni en emploi ni au chmage, et comptabilises commeinactives, cest--dire ne faisant pas partie de loffre detravail. Celles qui taient sur le march du travail avaient,pour leur part, tendance sen retirer plus facilement rejoignant linactivit en cas de ralentissement conjonc-turel, le cas extrme tant le Japon o, pendant cettepriode, les flexions du taux dactivit fminin permettaitde maintenir pratiquement constant le taux de chmagemalgr les fluctuations de lactivit conomique. La perti-nence du taux de chmage comme indicateur restait doncen grande partie limite aux hommes. Le chmage taitdautant plus un flau quil retraait lexclusion de lemploidu breadwinner, dont dpendaient les autres membres dela famille, aussi bien pour leur consommation que, trssouvent, pour lacquisition dune protection sociale. Cestplus particulirement le cas dans des pays comme laFrance, o laccs aux droits la scurit sociale est avanttout li loccupation dun emploi; les inactifs peuvent enbnficier en tant quayants droit, rattachs un actifemploy ; de faon gnrale, la familialisation des poli-tiques sociales y relie troitement rpartition domestiqueet rpartition sociale, en contraste avec dautres payscomme, par exemple, les pays scandinaves, o la protec-tion sociale a une base universaliste et individualiste. Au-del des femmes, les autres catgories marginales comme les jeunes et les vieux relevaient de faon crois-sante de la rpartition domestique et/ou sociale.

    Les volutions depuis les annes soixante-dix se tradui-sant par la flexibilisation accrue des marchs du travail, lacrise des tats providence et la dstabilisation de lins-titution familiale, ont dbouch sur de nouvelles articula-tions entre les trois formes de rpartition. Ces mutationsse sont traduites par un affaiblissement renforc de la per-tinence de la catgorie de chmage, et surtout de samesure, pour ces catgories marginales. Mais lbranle-ment de la catgorie de chmage dpasse le problme deces seules catgories.

    Crise de la catgorie de chmage et multiplication des indicateurs

    Plusieurs indices laissent penser que lon assisteraitaujourdhui un processus par bien des aspects symtrique

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  • celui de linvention du chmage, et la rsurgence decertaines problmatiques qui rappellent celles de lge dela pauvret et du pauprisme. Lhistoire des vingt der-nires annes est en effet celle de la divergence progres-sive des points de vue conomique, social et juridique, la convergence desquels, on la vu, la catgorie de ch-mage prenait sens. Aussi, cette dernire, telle que samesure statistique a permis de la formaliser, est de plus enplus remise en cause, comme catgorie de reprsentation(de la ralit du march du travail) et daction (des pou-voirs publics). Il convient, dans un premier temps, de rap-peler le rle dans ce processus de la fragilisation progres-sive de lemploi salari fordiste comme norme,notamment dans un pays comme la France o la dimen-sion juridique de cette dernire est importante. On peutreprer ensuite les modalits de cette dconstructiondu chmage aussi bien aux tats-Unis quen Europe. Elledbouche sur un clatement de la mesure et une multipli-cation des indicateurs.

    Dstabilisation de la norme demploi et nouvelles ralitsjuridiques

    Mme si la dfinition du BIT pose le chmage commele ngatif de lemploi, salari ou non, on a rappel com-ment cest surtout par rapport au salariat fordiste quecette catgorie avait pris son sens. Or ce dernier srodeavec la multiplication des formes particulires demploi contrats dure dtermine, interim, travail tempspartiel et de statuts hybrides entre salariat et indpen-dance22. Dans cette perspective, le droit commercial tend gagner du terrain sur le droit du travail. Ce mouvementest aussi corollaire de lvolution du travail lui-mme: unepart croissante des salaris est soumise directement lapression du march du fait des nouvelles mthodes deproduction destines rendre lorganisation toujours plusractives face la demande des consommateurs, elle-mme plus instable dans le temps et plus diversifie.

    Le doit du travail, on la vu, avait consist, dans un payscomme la France, inscrire une logique statutaire dansune relation contractuelle, logique elle-mme hritire dela tradition juridique allemande, qui, dans une visionholiste, inscrit le travailleur dans une communaut etconoit lentreprise comme une entit collective23. Or lesadaptations du droit du travail et de la protection socialeaux mutations conomiques et sociales se traduisent soitpar un simple retrait de ce droit via la flexiblisation, qui

    22. Voir pour le cas franais,Commissariat gnral du Plan :Chmage : le cas franais, Paris,La Documentation franaise, 1997 ;J. Gauti, Bernard Gazier, Marie-Laure Morin, Nouvelles formesde travail, rgulation du march du travail et continuit de la protectionsociale, rapport de latelier n 3, in Jean-Michel Belorgey, Minimasociaux, revenus dactivit, prcarit,Rapport au Commissariat gnral du Plan, Paris, La Documentationfranaise, 2000, pp. 369-457.

    23. Sur tous ces points, voir lanalysetrs clairante dAlain Supiot, Critique du droit du travail, Paris, Puf, 1994, chap. I.

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  • rapproche du rapport salarial prfordiste soit par le bas-culement dune logique fonde sur la protection des sta-tuts professionnels lis lemploi une logique fondesur la scurisation des trajectoires des individus tout aulong de leur vie professionnelle. Ainsi, plutt que de pro-tger lemploi par des rgles juridiques (concernant lelicenciement, lutilisation des emplois temporaires, etc.),lide est daider le travailleur maintenir son employabi-lit tout au long de sa carrire professionnelle. Certainspays se sont engags sur cette voie, comme par exemple leDanemark, o la lgislation de protection de lemploi estfaible, mais o la politique de lemploi, et notamment deformation, base sur des suivis individuels, est trs active24.Dans cette perspective, certains proposent aussi dinstituerdes droits individuels du travailleur transportables dune entreprise lautre, tels que des droits de tiragesociaux, concernant la formation continue par exemple25.

    Dans les deux cas (flexibilisation du contrat detravail/scurisation des trajectoires plutt que protection delemploi), bien que selon des modalits diffrentes, ondbouche sur une plus grande individualisation de la rela-tion de travail et la dstabilisation de lemploi salari tradi-tionnel comme rfrence: la premire dmarche marque,en quelque sorte, un retour en de alors que la secondevise se situer au-del de lemploi traditionnel26.

    Dconstruction du chmage et retour danciennes reprsentations

    La faiblesse du chmage aux tats-Unis (son taux esttomb environ 4% la fin des annes 1990) pourraitlaisser penser que ces derniers nont pas de problmes surle march du travail. Pourtant, de nombreuses tudes lais-sent penser que le chmage global tel quil est mesurnest pas un bon indicateur de la ralit quil est censreprsenter. En effet, de nombreux sans-emploi, ne rele-vant pas de la catgorie des inactifs volontaires tradi-tionnels fordistes (telles que les femmes au foyer), ne sontpas pour autant comptabiliss parmi les chmeurs : cestnotamment le cas de chmeurs dcourags , qui ontrenonc chercher activement dsesprant de trouverun emploi dcent. De fait, au sein des travailleurs peuqualifis, les sorties de la population active ont t impor-tantes aux tats-Unis de la fin des annes 1970 la pre-mire moiti des annes 1990, alors que paralllement lapopulation carcrale augmentait fortement27. De faonsymptomatique, certains conomistes prfrent raisonner

    24. J. Gauti, Les enjeux de la rformedu march du travail en Europe,in Bruno Palier, Louis-Charles Viossat,Les politiques sociales lheure de la mondialisation, Paris, Futuribles,2001, pp. 187-204.

    25. Voir A. Supiot, Au-del de lemploi.Transformation du travail et devenir du droit du travail en Europe, Rapport pour la Commissioneuropenne, Paris, Flammarion, 1999 ;J. Gauti, B. Gazier, M.-L. Morin,Nouvelles formes de travail, op. cit.

    26. Do le titre du Rapport Supiot,1999. Voir n. 25.

    27. Voir R. Freeman, The Limits of Wage Flexibility to CuringUnemployment, Oxford Review of Economic Policy, vol. 11, n 1, 1995,pp. 63-72.

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  • dsormais sur le non emploi , la frontire entre ch-meur et inactif tant de moins en moins pertinente selonlanalyse conomique. Ainsi, Kevin Murphy etRobert Topel, au terme de leur tude sur lvolution delemploi et du chmage aux tats-Unis depuis la fin desannes 1960, notent que [leur] principale conclusion estque le taux de chmage a perdu progressivement de sapertinence pour dcrire ltat du march du travail28 .

    Symtriquement, lemploi nest pas ou nest plus auxtats-Unis la condition suffisante de lintgration sociale.Depuis le dbut des annes quatre-vingts, les ingalits sesont fortement accrues, du fait de la baisse non seulementen termes relatifs mais surtout rels du revenu des moinsqualifis. Au total, pauvret et chmage sont loin de con-cider : en 1995, seuls 17% des actifs pauvres amricainstaient chmeurs, les autres formant la catgorie des wor-king poors29, tandis que, linverse, un grand nombre debnficiaires de laide sociale (les welfare recipients), pour-tant valides, ne sont pas inscrits au chmage. Ces deuxcatgories renvoient des paradigmes qui rappellent, parde nombreux aspects, les reprsentations qui ont prcdlinvention du chmage. Ainsi, avec le working poor, onretrouve la conjonction du travail et de la misre qui est aufondement du pauprisme. Les bnficiaires de laidesociale, pour leur part, ont eu tendance tre stigmatisscomme de mauvais pauvres profitant indment du sys-tme, ou du moins ntant pas incits reprendre unemploi, sinstallant dans une trappe pauvret. Aussi,avec notamment la rforme de 1996, les programmes deworkfare, qui conditionnent lassistance sociale unecontrepartie en travail, se sont-ils multiplis30 : on retrouvela vieille dialectique traditionnelle assistance-rpressiondans le traitement de la pauvret, si bien que le pasteurJesse Jackson a pu dire que la guerre contre la pau-vret , ne dans les annes soixante, a fait placeaujourdhui une guerre contre les pauvres.

    tant donne la persistance dun taux de chmage trslev, la situation de certains pays europens comme laFrance pourrait apparatre, bien des gards, trs diff-rente de celle des tats-Unis. Cependant, on assiste lapparition de phnomnes de mme nature, notammentquant laugmentation du nombre de travailleurs pauvres du fait principalement du dveloppement du travail temps partiel subi et de la prcarit de lemploi31. Mais au-del, la permanence de la catgorie de chmage cachedes volutions trs importantes des reprsentations et des

    28. Kevin Murphy, Robert Topel,Unemployment and Non Employment , AmericanEconomic Review, n 2, 1997, (citation p. 295), pp. 295-300.

    29. Pierre Concialdi, Sophie Ponthieux,Salaris bas salaire et travailleurspauvres : une comparaison France-tats-Unis, Premires Synthses,DARES, n 02.1, janvier 2000 ; les actifs(travailleurs ou chmeurs) pauvres sont dfinis comme des actifsappartenant des mnages dont le revenu les place en dessous du seuilde pauvret soit la moiti du revenumdian.

    30.Voir sur ces points la synthse de Sylvie Morel, Emploi et pauvretaux tats-Unis : les politiques de Workfare in J.-C. Barbier,J. Gauti J. (d.), Les politiques de lemploi, op. cit., pp. 219-234.

    31. Voir P. Concialdi, S. Ponthieux,Salaris bas salaire, op. cit.

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  • modalits daction. Au niveau des modalits dinterven-tions, on a assist ainsi un glissement en deux temps. Onest dabord pass, au cours des annes 1970, de la focalisa-tion sur les politiques de rgulation macroconomique deplein emploi, au dploiement structurel de politiques sp-cifiques de lemploi. Chaque anne, depuis la fin desannes 1970, plusieurs centaines de milliers de personnesbnficient ainsi de dispositifs de formation ou demploissubventionns dans le secteur priv ou public. Dans undeuxime temps, le recentrage sur les publics les plus endifficult, et notamment la reconnaissance du phnomnede chmage de longue dure partir de la seconde moitides annes 1980, a contribu transformer de plus en plusces politiques de lemploi en politiques dinsertion, quidpassent la simple dimension professionnelle de lint-gration sociale. Ces glissements se traduisent, au niveaudes catgories de reprsentation dobjectifs, par le passagedu chmage, pris dans sa globalit, aux publics spcifiquesde chmeurs (les jeunes, les chmeurs de longue dureprincipalement), puis aux exclus32. Le premier glissementest notamment le fait de la neutralisation progressive despolitiques de rgulation macroconomiques en Europedepuis le dbut des annes 1980, rsultant notamment descontraintes lies lintgration conomique et montaire.Le second rsulte de la prise de conscience, avec la persis-tance dun chmage de masse, de lhtrognit crois-sante des chmeurs de longue dure.

    Ainsi, on assiste au processus en quelque sorte inversede celui qui avait dbouch sur linvention du chmage. Cedernier, comme on la soulign, a consist notamment dpasser la typologie des individus en fonction de leurscaractristiques propres, pour passer un autre niveaudanalyse, et une entit abstraite macrosociale. Linver-sion de ce processus est marque par le recours auxgroupes cibles de lintervention publique au niveau central,et, plus encore, par la dconstruction mme de ces groupesconsidrs comme trop htrognes au niveau local, lesagents locaux de lemploi recourant leurs propres critresde classement pour identifier et orienter les chmeurs.Ainsi Didier Demazire33 a notamment montr commentles agents locaux de lemploi substituaient, pour oprerleur travail de tri et dorientation, la catgorie purementadministrative de chmeur de longue dure34 des cat-gories indignes35 (cas lourd, dbrouillards, etc.).

    Ces volutions marquent un certain retour de la locali-sation et de lindividualisation de lintervention publique

    32. La notion dexclusion connatainsi une nouvelle heure de gloiredepuis le dbut des annes 1990,revtant un sens diffrent de celui des annes 1960, mais nonobstantrelativement flou. Sur tous ces pointsvoir Serge Paugam (d.), Lexclusion :ltat des savoirs, Paris, La Dcouverte,1996.

    33. Didier Demazire, Le chmage en crise. La ngociation des identits des chmeurs de longue dure, Lille,Presses universitaires de Lille, 1992.

    34. Les chmeurs de longue dure sont dfinis comme les personnesdepuis plus dun an au chmage.

    35. Ou encore locales, par oppositionaux catgories centrales dictes par les services du ministre, selon la terminologie de J.-C. Barbier.Voir J.-C. Barbier, Catgories de chmeurs et connaissances des effetsdes politiques de lemploi,in B. Gazier, Emploi, nouvelles donnes,Paris, Economica, 1993, pp. 124-143.

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  • comme latteste notamment ladoption rcente du Plandaide au retour de lemploi (PARE). Le risque est alorsimportant de se recentrer sur la vision selon laquelle cesont avant tout les caractristiques des individus entermes de proprits et/ou comportements qui expli-quent leur difficult dinsertion, et non pas un dysfonc-tionnement du systme conomique et social. Le retouren force du concept demployabilit comme rfrence delintervention publique est assez symptomatique de cepoint de vue. Bernard Gazier36 rappelle que lapparitionde ce concept dans le monde anglo-saxon est lie unecertaine mdicalisation de lintervention sociale auxtats-Unis au cours des annes soixante. De fait, sur lemodle amricain, les travaux dvaluation des politiquesde lemploi dordre macroconomique tendent dispa-ratre en Europe au profit des valuations dordre micro-conomique, qui essayent destimer limpact des mesuressur leurs bnficiaires, renforant par l cette connotationmdicale37. Aux tats-Unis, ce type dvaluation procdemme le plus souvent par exprimentation: deux groupesde chmeurs sont tirs au sort, le premier se voyant appli-qus le traitement (la mesure de politique de lemploi),le second servant de groupe tmoin; ce type dvaluationnest que peu ou pas pratique en Europe, pour des rai-sons juridiques et/ou thiques. Les rsultats de ces tra-vaux commencent tre utiliss en retour pour rationali-ser les procdures de tri et dorientation des chmeurs pratique du profilage, inspire du profiling amricain,qui nest pas sans rappeler la handicapologie voque parR. Castel38. De mme que pour le retour du conceptdemployabilit, leffacement dans certaines tudes dela notion de chmage au profit de celle de nonemploi39 est symptomatique dune refocalisation sur lescomportements des individus, souponns pour beaucoupdentre eux dtre des sans-emploi volontaires.

    clatement de la mesure et multiplication des indicateurs

    La crise du chmage se manifeste de la faon la plusvisible par les dbats autour de sa mesure. Ces denierssont notamment ns de la divergence croissante entre lenombre de chmeurs du BIT dont on a rappel la dfini-tion restrictive et le nombre de Demandeurs demploisen fin de mois (DEFM) recenss par lAgence nationalepour lemploi (ANPE). Cette divergence reflte celle quiexiste entre les points de vue conomique et social voquplus haut. En effet, la comptabilisation de lANPE repose

    36. B. Gazier, Lemployabilit : brve radiographie dun concept en mutation, Sociologie du travail,n 4, 1990, pp. 575-584.

    37. Sur les valuations dordremicroconomique, voir J. Gauti : Les valuations dordre micro-conomique, in J.-C. Barbier,J. Gauti (d.), Les politiques de lemploi, op. cit., pp. 237-256.

    38. R. Castel, Les mtamorphoses,op. cit.

    39. K. Murphy, R. Topel,Unemployment, op. cit. ;G. Laroque, B. Salani, Unedcomposition du non emploi,op. cit.

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  • sur une logique dclarative des demandeurs demploi(et non pas sur une logique classificatoire partirdenqute aux critres prdfinis, telle que la rechercheactive). Elle permet donc de mieux apprhender la ra-lit sociale du chmage relativement aux individus, et cesttout naturellement que, face la diversification des situa-tions, les catgories DEFM se sont multiplies pouratteindre le nombre de huit aujourdhui40. Seule la catgo-rie 1 (DEFM sans-emploi recherchant un emploi pleintemps et dure indtermine et nayant pas travaill plusde 78 heures au cours du mois) fait lobjet dune publicisa-tion de la part de lANPE, constituant ainsi le chiffre offi-ciel des chmeurs. Or ce dernier ne reprsentait plus en2001 que 47 % de lensemble des chmeurs dclars etpersonnes en temps partiel contraint ( sous emploi )contre encore 61% en 1996, et 75% en 198141.

    Dpassant les faux dbats, de nombreux analystes ontsoulign que le mythe du chiffre unique, pour dcrirela ralit du march du travail, est dsormais rvolu.Cette opinion dsormais largement partage, avait tnonce Edmond Malinvaud dans son rapport sur lamesure du chmage en 1986:

    Une statistique unique ne peut permettre dapprhender defaon satisfaisante la ralit et la complexit du march du tra-vail [] toute linformation souhaitable ne peut pas tre rsu-me en un nombre de chmeurs, quelque soin que lon ait mis le dfinir et le mesurer. Des donnes complmentaires doi-vent donc faire rgulirement lobjet dune large diffusionpublique [] celles-ci doivent renseigner sur limportance etlvolution des effectifs se rangeant dans des catgories inter-mdiaires qui nappartiennent pas vraiment au chmage maisen sont proches42.

    De fait, ds la fin des annes 1980, les services dtudedu ministre du Travail amricain, ont dfini une sriedindicateurs complmentaires au taux de chmage stan-dard pour tenir compte notamment des chmeurs dcou-rags, des personnes temps partiel involontaire, et de lapart des chmeurs de longue dure dans lensemble duchmage, lobjectif tant notamment daffiner les compa-raisons internationales43.

    Mais, au-del de la complexification de la mesure duchmage, lenjeu social de la multiplication des indicateursest bien de prsenter un tat des besoins sociaux nonsatisfaits en matire demploi44 . Ainsi, les rcentesrflexions menes sous lgide du BIT marquent uneavance importante. En effet, lors de la XVIe Confrence

    40. Pour le dtail, voir Commissariatgnral du Plan : Chmage : le cas franais, op. cit. ; J.-L. Faure,Prsentation gnrale descatgories , op. cit. ; les critres de classement renvoient principalementau type demploi recherch (tempsplein, temps partiel, dure dtermin,saisonnier, etc.), et lactivitventuellement exerce (les personnesen activit rduite, cest--diretravaillant en dessous dun certainnombre dheures par mois pouvant se dclarer DEFM).

    41. P. Concialdi : Des chmages de plus en plus invisibles, La note de CERC-Association, n 10, 2001.

    42. Cit par Commissariat gnral du Plan, Chmage : le cas franais, op. cit., p. 24.

    43. Constance Sorrentino : International unemploymentindicators, Monthly Labor Review,repris dans Problmes conomiques,n 2449, 1995, sous le titre Quel indicateur pour le chmage?,pp. 24-28.

    44. P. Concialdi : Les enjeux de la mesure, atelier n 5 : Emploi-chmage, faut-il faire voluerla mesure?, in ANPE, Premiersentretiens, op. cit., 1999 (citation p. 178), pp. 178-183.

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  • internationale des statisticiens du Travail, qui sest tenue Genve en octobre 1998, deux notions importantes ont tprcises, devant donner lieu une mesure standardise: lesous emploi et lemploi inadquat. On pourrait penser quele concept de sous-emploi, renvoyant la sous utilisationdes capacits de production de la population employe,privilgie avant tout le point de vue conomique45. Or,comme le prcise aussi la rsolution adopte lors de laconfrence, sa mesure (tout comme les indicateursdemploi inadquat) devrait tre fonde principalementsur les capacits actuelles des travailleurs et leur situationde travail telle que dcrite par ceux qui sont employs.On voit par cette prcision que le point de vue social renvoyant au vcu des individus est aussi prsent.

    La notion demploi inadquat est encore plus nova-trice, car elle renvoie des apprciations plus qualitativeset rapproche encore plus du point de vue des individus.Elle renvoie aux situations de travail qui diminuent lesaptitudes de bien-tre des travailleurs par rapport uneautre situation demploi. Le champ ouvert est trs large.Il regroupe notamment les situations dinadquation de laqualification du travailleur lemploi, les situations o ladure de travail est trop importante par rapport aux sou-haits de lindividu, ou encore les emplois mal pays rsultant dune organisation du travail insuffisante oudune faible productivit. Obtenir une mesure standardi-se de ces situations est particulirement dlicat ; aussi, lamme rsolution prcise que les mthodes statistiquesncessaires pour dcrire de telles situations demandentencore tre dveloppes plus avant. Mais la missionsemble particulirement ardue: en voulant saisir au plusprs les besoins des individus dans leur subjectivit et, parl, leur diversit, on risque de sloigner de la ncessaireobjectivation qui est au fondement mme du travail statis-tique, et qui consiste construire un indicateur pouvantservir de rfrentiel commun de reprsentation etdaction aux diffrents acteurs.

    En guise de conclusion: au-del du chmage, la remise en question des catgories macrostatistiqueset lindividualisation de lintervention publique

    Il est usuel de remarquer que la forte monte du ch-mage en Europe marque un certain chec des cono-mistes, ces derniers tant incapables de donner des expli-cations entirement convaincantes et unanimes de ce

    45. Le sous-emploi est dfini par rapport la contrainte portant sur la dure de travail. Il comprend les personnes qui ont un horaire temps partiel et qui dsirent accrotreleur dure de travail, ainsi que les personnes qui, pendant la priode de rfrence de lenqute, ont effectuun nombre dheures infrieur leur dure normale de travail.

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  • phnomne. De fait, il semble que ce soit bien pluslbranlement mme de la catgorie de chmage qui fra-gilise en retour la science conomique, et plus prcis-ment, la macroconomie. Il est vident que le keynsia-nisme traditionnel, qui fondait les politiques de pleinemploi, est considr depuis longtemps comme dpass.Mais on pourrait aussi montrer que la thorie macroco-nomique contemporaine bute sur des concepts qui, du chmage naturel celui de chmage dquilibre ,naviguent entre le flou thorique et la faible pertinenceempirique, et ainsi sont faiblement opratoires.

    De fait, on assiste un retour en force de la microco-nomie, et, au niveau empirique, un dveloppement de lamicroconomtrie. Les travaux se concentrent de plus enplus sur les trajectoires des individus et non plus sur lvo-lution des agrgats comme le taux de chmage. Mais, ensintressant directement aux individus, lconomie buteaussi sur ses propres limites : pour comprendre le ch-mage de longue dure et lexclusion, on ne peut dissocierles dimensions conomiques des autres dimensionssociales. Lconomie seule ne suffira pas donner les clsde la rsolution de la nouvelle question sociale.

    Cependant, si lon y regarde de plus prs, il sembleraitque la crise du chmage nbranle pas seulement lcono-mie, mais aussi une certaine sociologie. En effet, au-del duchmage, ce serait lensemble des catgories macrosocialesdont la pertinence serait remise en cause par les mutationssociales luvre. Ainsi, selon Pierre Rosanvallon, le phnomne de lexclusion, du fait de la grande htrog-nit des individus quil touche, illustre le fait que ce nesont plus des identits collectives quil faut dcrire maisdes parcours individuels 46. En effet, ajoute lauteur,lapproche statistique classique est inadquate la com-prhension des phnomnes dexclusion. Mais au-delde lexclusion, ce serait la socit tout entire qui seraitgagne par lindividualisation du social47. Gnralise lensemble des phnomnes sociaux, cette positiondbouche sur la remise en cause de la sociologie reposantsur lutilisation de catgories notamment statistiques macrosociales (au premier rang desquelles les catgoriessocioprofessionnelles), cest--dire les dmarches aussibien dinspiration durkheimienne que marxiste. Maiscomme pour la macroconomie, on peroit les dangerspolitiques dune remise en cause sans nuance de lamacrosociologie : lanalyse des problmes sociaux estrenvoye celle des caractristiques et comportements

    46. P. Rosanvallon, La nouvelle question, op. cit., p. 209.

    47. Ibid.

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  • individuels, et cest en mme temps la notion mme dequestion sociale, au sens o nous lavons dfinie ici, quiperd une grande partie de sa pertinence.

    Se dessine alors lenjeu fondamental pour linterventionpublique: comme le note encore P. Rosanvallon si leffi-cacit des politiques sociales impose de considrer les indi-vidus dans leur singularit, ne risque-t-on pas en retour detransformer ltat Providence en instance de gestion et decontrle des comportements?48. Linvention de la cat-gorie de chmage avait permis dobjectiver une commu-naut de destins pour en faire un traitement collectif. Lancessaire individualisation peut marquer un progrs aussibien en terme defficacit que de dignit si lobjectif descuriser les trajectoires des individus, qui modifie pro-fondment le signification de lhorizon de plein emploitoujours affich49, saccompagne de garanties, notammentjuridiques, qui font de lindividu un vritable citoyen. Maisle danger de revenir aux politiques moralisantes et rpres-sives existe. La dconstruction du chmage laisse linter-vention publique la croise des chemins.

    48. Ibid., p. 211.

    49. Voir Jean Pisani-Ferry, Plein emploi, rapport du Conseildanalyse conomique n 30, Paris, La Documentation franaise, 2000 ;reconnaissant que lhorizon de pleinemploi ne signifie pas le retour au plein emploi fordiste, il soulignenotamment que la socit de pleinemploi ne sera pas une socit sans chmage [au niveau global], mais une socit o le chmage ne durera pas [au niveau individuel](p. 61).

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