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Gestion des plantes envahissantes : limites techniques etinnovations socio-techniques appliquées au cas des jussies
M.J. Menozzi, A. Dutartre
To cite this version:M.J. Menozzi, A. Dutartre. Gestion des plantes envahissantes : limites techniques et innovations socio-techniques appliquĂ©es au cas des jussies. IngĂ©nieries eau-agriculture-territoires, Lavoisier ; IRSTEA ;CEMAGREF, 2007, p. 49 - p. 63. ïżœhal-00601910ïżœ
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Marie-Jo Menozzi a et Alain Dutartre b
Gestion des plantes envahissantes : limites techniques et innovations socio-techniques appliquées au cas des jussies
a. Anthropologue, consultante, 12 rue Jules Souffl et, 35310 Cintré b. Cemagref, UR Réseaux, épuration et qualité des eaux, 50 avenue de Verdun, Gazinet, 33612 Cestas Cedex
Les contacts
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Ă lâheure actuelle, la perte de la biodiversitĂ©, reconnue comme un des problĂšmes Ă©cologiques les plus importants, est en partie due Ă la destruction dâhabitats naturels, mais aussi Ă lâintroduction dâespĂšces exogĂšnes envahissantes. Dans cet article, les auteurs nous prĂ©sentent le cas de la jussie, une plante exo-tique ornementale qui continue Ă prolifĂ©rer dans les zones aquatiques de certaines rĂ©gions, malgrĂ© la mise en place dâactions de gestion. Ils sâintĂ©ressent aux facteurs sociaux et culturels qui vont influencer, tout autant que lâefficacitĂ© des techniques utilisĂ©es, la rĂ©ussite des actions de gestion de la plante. Dans ce contexte socio-technique, la notion dâinnovation est discutĂ©e au regard des reprĂ©sentations tradition-nelles de progrĂšs social et technique.
La jussie (photos 1 et 2, encadré 1), depuis longtemps appréciée comme plante orne-mentale, est parvenue à coloniser de plus en plus de zones aquatiques, à tel point
que sur diffĂ©rents sites, elle est tellement envahis-sante quâune partie des acteurs locaux sâest donnĂ© comme objectif de lâĂ©radiquer. Depuis plus de 10 ans, diffĂ©rentes actions ont donc Ă©tĂ© engagĂ©es dans certaines rĂ©gions pour lutter contre cette plante colonisatrice. Cependant, sur diffĂ©rents sites, ces actions nâont pas permis dâobtenir sa rĂ©gression et lâon constate mĂȘme une persistance de sa prolifĂ©ration.
Ce constat nous incite Ă nous interroger sur lâeffi -cacitĂ© des techniques mises en Ćuvre, mais aussi sur le rĂŽle jouĂ© par les facteurs sociaux et cultu-rels sur les rĂ©sultats des actions engagĂ©es par les
diffĂ©rents types dâacteurs : chercheurs et experts, techniciens, gestionnaires, propriĂ©taires privĂ©s ou publics, Ă©lus, usagers (chasseurs, pĂȘcheurs, promeneurs, navigateursâŠ). Cela nous amĂšne Ă poser lâhypothĂšse que les effets des actions techniques engagĂ©es sont liĂ©s aux modalitĂ©s col-lectives dâorganisation de ces acteurs au sein des territoires concernĂ©s, ainsi quâaux choix techni-ques effectuĂ©s au regard des reprĂ©sentations quâils Ă©laborent de lâeffi cacitĂ© supposĂ©e des techniques utilisĂ©es, effi cacitĂ© qui est aussi Ă©valuĂ©e Ă lâaune des objectifs dĂ©fi nis : « Ă©radiquer » ou contrĂŽler la jussie en apprenant Ă vivre avec ?
Les donnĂ©es prĂ©sentĂ©es dans cet article sont le rĂ©sultat des analyses ethnosociologiques de lâĂ©tude menĂ©e sur la jussie (2003-2006) dans le cadre du programme INVABIO mis en place et
Encadré 1
La jussie : une Ă©tonnante aptitude Ă lâauto-bouturage
La jussie est une belle plante amphibie aux fl eurs jaunes (photo 1), trĂšs apprĂ©ciĂ©e comme plante ornementale pour les bassins dâagrĂ©ment dâextĂ©rieur ou bien les Ă©tangs. Deux espĂšces de jussies (famille des OnagrariĂ©es) sont prĂ©sentes sur le territoire français, Ludwigia grandiflora subsp. hexapetala , et L. peploides subsp. montevidensis (Dandelot, 2004).
Leur introduction en France date des annĂ©es 1820-1830 : observĂ©es tout dâabord dans la rĂ©gion de Montpellier, elles ont ensuite gagnĂ© progressivement le sud, du Languedoc Ă lâAquitaine, puis, depuis environ une quarantaine dâannĂ©es, la façade atlantique jusquâen Bretagne ; leur extension se poursuit vers le nord et lâest (Dutartre, 2002a).
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Encadré 1 suite
Cette Ă©volution peut probablement sâexpliquer en partie par le fait que cette plante attrayante possĂšde plusieurs caractĂšres qui en font une plante ornementale facilement reproductible, ayant une grande capacitĂ© de dĂ©veloppement et capable de sâinstaller dans les biotopes qui lui sont favorables : plans dâeau, rĂ©seaux de fossĂ©s, cours dâeau aux faibles dĂ©bits dâĂ©tĂ©. Elle peut rapide-ment y occuper de grandes superfi cies grĂące Ă son excellente aptitude au bouturage : un fragment de tige de trĂšs petite taille peut suffi re Ă reconstituer une plante entiĂšre. Cette prolifĂ©ration gĂ©nĂšre diffĂ©rents types de nuisances tant au niveau Ă©cologique quâau niveau des usages : entrave Ă la circulation de lâeau, Ă la pĂȘche ou la navigation, impacts sur la biodiversitĂ©âŠ
ïżœ Photo 1 â Fleurs de jussie.
ïżœ Photo 2 â Bordure d'un Ă©tang des Landes colonisĂ©e par les jussies, 2002.
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fi nancĂ© par le ministĂšre en charge de lâĂ©cologie et du dĂ©veloppement durable (Dutartre et al. , 2004). Elles ont Ă©tĂ© recueillies lors dâinvestigations de terrain, dâobservations et de rĂ©alisations dâentre-tiens qualitatifs auprĂšs de diffĂ©rentes catĂ©gories dâacteurs sociaux concernĂ©s par le dĂ©veloppe-ment de la plante. Ces enquĂȘtes ont Ă©tĂ© menĂ©es dans diffĂ©rents sites des marais de Vilaine et de Redon en Bretagne, dans certains lacs et prairies inondables (Barthes de lâAdour) des Landes, et dans le Marais Poitevin.
Passer dâun questionnement technique Ă un questionnement socio-technique Faut-il espĂ©rer en la mise au point dâun produit miracle ou dâune technique parfaite qui permettra dâĂ©radiquer une bonne fois pour toute la jussie, apprendre Ă vivre avec ou bien encore sâentendre avec ses voisins pour parvenir Ă maĂźtriser la plante et sa prolifĂ©ration ?
Le point de dĂ©part de cette rĂ©flexion rĂ©side dans le dĂ©calage observĂ©, en particulier, entre les discours Ă©mis sur les herbicides capables de dĂ©truire la jussie, la seule rĂ©ponse possible au problĂšme pour certains acteurs, et leur relative ineffi cacitĂ© mise en Ă©vidence par dâautres. Sans aborder les aspects trĂšs complexes et rĂ©glementĂ©s de lâemploi dâherbicides en milieu aquatique, lâinnovation technique que peut reprĂ©senter le produit chimique, si elle exprime a priori une certaine idĂ©e du progrĂšs technique et scientifi que, semble loin de pouvoir apporter une solution adĂ©quate. Lâobservation de diffĂ©rents sites nous amĂšne Ă nous questionner sur les processus dâinnovation Ă lâĆuvre, Ă lâinterface des mondes de la technique et du social. Nous partirons pour cela de la dĂ©fi nition donnĂ©e par De Sardan (citĂ© par Geslin, 2002) dâun processus dâinnovation : « Toute greffe de techniques, de savoirs ou de modes dâorganisations inĂ©dits sur des techniques, savoirs et modes dâorganisation en place ». Pour prĂ©ciser cette dĂ©fi nition, nous nous rĂ©fĂ©rerons aussi Ă celle donnĂ©es par Vedel : « Un processus dâinnovation technologique est une systĂšme de relations sociales qui se met en place autour dâune technique, mais aussi par lâintermĂ©diaire de celle-ci. Un processus dâinnovation tech-nologique implique en effet la mise en place dâun ensemble articulĂ© de techniques mais aussi lâĂ©tablissement dâune coopĂ©ration entre diffĂ©rents acteurs » (Vedel, 1994).
Ă partir dâexemples, nous proposons donc dâana-lyser quelques aspects des processus dâinnovation technologique mis en Ćuvre pour amĂ©liorer la gestion de la jussie, ainsi que les facteurs infl uant sur ces processus. Nous verrons que ces proces-sus se situent certes dans un espace qui nâest pas complĂštement technique, mais qui nâest pas complĂštement social non plus.
Nous allons dans un premier temps observer les limites des techniques existantes et la nĂ©cessitĂ© dâajustements afin amĂ©liorer lâefficacitĂ© des actions menĂ©es, ainsi que la nĂ©cessitĂ© dâintĂ©grer la production et la diffusion de connaissances dans lâespace social. Nous allons ensuite observer le rĂŽle jouĂ© par les facteurs sociaux et cultu-rels dans la gestion de la plante. Cette analyse nous amĂšnera dans une derniĂšre partie Ă nous questionner sur les modalitĂ©s selon lesquelles la technique jugĂ©e la plus archaĂŻque par certains acteurs peut constituer le point dâancrage dâun processus dâinnovation socio-technique.
Les techniques existantes, une adĂ©quation limitĂ©e Les techniques peuvent ĂȘtre dĂ©fi nies par leur effi cacitĂ© Ă atteindre un but (Cresswell, 2002). Dans les sites enquĂȘtĂ©s (Menozzi, 2005), les techniques utilisĂ©es sont essentiellement de trois types : lâarrachage mĂ©canique, lâarrachage manuel, le dĂ©sherbage chimique, utilisĂ©es seules ou combinĂ©es dans diffĂ©rentes stratĂ©gies dâactions sur la plante. Une autre technique consiste Ă agir sur le milieu environnant, en crĂ©ant un milieu hostile Ă la plante (profondeur dâeau, ombre, courant). Cette derniĂšre solution reste cependant peu employĂ©e. Aucune de ces quatre techniques ne permet dâĂ©radiquer ou mĂȘme de rĂ©guler prĂ©ci-sĂ©ment la plante et chacune dâentre elles prĂ©sente des avantages et des inconvĂ©nients qui lui sont propres (Dutartre, 2002b).
âą Lâarrachage mĂ©canique (photo 3)
Il est gĂ©nĂ©ralement rĂ©alisĂ© avec des outils issus du monde agricole ou des travaux publics (barres de coupe, godets sur pelle mĂ©canique, griffes Ă fumier, etc.). Il permet dâenlever de grandes quantitĂ©s de plantes en un temps relativement court. Il gĂ©nĂšre toutefois une pollution mĂ©canique souvent importante provoquĂ©e par les sĂ©diments vaseux remaniĂ©s lors de lâextraction des plan-tes. Il est enfi n non sĂ©lectif car lâensemble des plantes aquatiques prĂ©sentes est retirĂ© lors de lâintervention.
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âą Lâarrachage manuel (photo 4)
Il sâagit dâenlever un Ă un les pieds de jussie ou des herbiers de superfi cies limitĂ©es. Cette techni-que sâavĂšre effi cace, particuliĂšrement sur les sites en dĂ©but de colonisation, ou comme intervention de complĂ©ment dâun arrachage mĂ©canique pour retirer les oublis des machines. Elle demande un temps considĂ©rable mais prĂ©sente lâavantage dâĂȘtre sĂ©lective.
âą Le traitement chimique (photo 5)
Il consiste Ă pulvĂ©riser des herbicides sur les plantes installĂ©es dans lâeau et sur les berges, et peut permettre de tuer rapidement la biomasse
existante. Cependant, cette technique, outre la production importante de matiĂšres organiques par les plantes dĂ©truites, prĂ©sente des risques de pollution chimique des rĂ©seaux hydrographiques, risques qui sont de moins en moins acceptĂ©s par les gestionnaires et acteurs locaux. Par ailleurs, lâemploi des herbicides en milieu aquatique est fortement rĂ©glementĂ©. Il sâinscrit dans un cadre dĂ©rogatoire autorisant certains produits phyto-sanitaires dans les eaux de surface et de rares produits commerciaux reçoivent une homolo-gation spĂ©cifi que aux milieux aquatiques. Ces homologations peuvent ĂȘtre modifi Ă©es tous les ans. Un index phytosanitaire 1 est Ă©ditĂ© annuelle-ment. Ă notre connaissance, seules deux molĂ©-cules actives prĂ©sentes dans moins dâune dizaine de spĂ©cialitĂ©s commerciales sont actuellement homologuĂ©es.
Des critĂšres de mise en Ćuvre diffĂ©renciĂ©s selon les acteurs Ces techniques sont en partie choisies selon leur effi cacitĂ© Ă©valuĂ©e, perçue ou supposĂ©e au regard des objectifs de gestion du site. DiffĂ©rents critĂšres sont gĂ©nĂ©ralement pris en compte, comme la capacitĂ© Ă traiter de grands espaces en un temps limitĂ© ou Ă Ă©viter la production de boutures en grandes quantitĂ©s, mais aussi le coĂ»t, les impacts rĂ©els ou supposĂ©s sur le milieu ou la rapiditĂ© prĂ©visible de la repousse des plantes selon la nature du site. En fonction des caractĂ©ristiques des gestionnaires et des acteurs impliquĂ©s, certains critĂšres sont privilĂ©giĂ©s par rapport Ă dâautres. Les particuliers tendent Ă utiliser les outils quâils ont Ă leur disposition et quâils ont lâhabitude dâutiliser (dĂ©broussailleuse, herbicide, arrachage manuel). Les engins mĂ©caniques sont plutĂŽt utilisĂ©s par les institutions, les communes, qui disposent des moyens fi nanciers nĂ©cessaires Ă leur mise en Ćuvre. Les acteurs institutionnels utilisent les trois types de techniques, soit sĂ©parĂ©ment, soit combinĂ©es.
Des expĂ©riences parfois peu concluantes Les premiĂšres actions de gestion mises en Ćuvre ont souvent eu des consĂ©quences imprĂ©vues et peu souhaitables, du fait de lâutilisation de techniques inadaptĂ©es et dâune mĂ©connaissance de lâĂ©cologie de la plante. Prenons lâexemple des techniques comme la dĂ©broussailleuse, le broyeur, et toutes autres actions de coupe qui
1. Index phytosanitaire ACTA (Association de coordination technique agricole) : http://www.acta.asso.fr/
1. Index phytosanitaire ACTA (Association de coordination technique agricole) : http://www.acta.asso.fr/
ïżœ Photo 3 â Arrachage mĂ©canique par une griffe sur ponton dans lâĂ©tang du Turc (Landes, 1993).
⌠Photo 4 â Arrachage manuel de jussie dans le Marais Poitevin : ces interventions manuelles permettent de sĂ©lectionner les plantes Ă retirer (travaux de lâInstitution interdĂ©partementale du Bassin de la SĂšvre niortaise, 2003).
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peuvent se révéler trÚs néfastes si elles sont enga-gées sans les précautions suivantes :
â ĂŽter les fragments de tiges pris dans les roues des engins (risques de dissĂ©mination dans dâautres sites) ;
â retenir et ramasser ces fragments avant leur entraĂźnement par le courant ;
â Ă©vacuer les berges humides des amas de vĂ©gĂ©-tation coupĂ©e.
Ces simples mesures permettent de prĂ©venir la production de multiples boutures de plantes et dâĂ©viter une recolonisation rapide du milieu traitĂ© ou des milieux aquatiques proches.
Ces impacts directs de certaines techniques sur le milieu ou encore le manque de moyens fi nanciers pour investir dans du matĂ©riel sont un des Ă©lĂ©-ments moteurs de la mise en place de dynamiques dâinnovation destinĂ©es Ă amĂ©liorer lâeffi cacitĂ© des actions de gestion engagĂ©es. Par ailleurs, les caractĂ©ristiques biologiques et Ă©cologiques de la jussie induisent des ajustements techniques qui peuvent prendre diffĂ©rentes formes selon les acteurs qui en sont Ă lâinitiative.
Lâapparition dâune telle nouvelle nuisance, couplĂ©e au manque dâinformations disponibles, a induit dans la plupart des cas des tĂątonnements de la part des acteurs gestionnaires avant de trouver la technique paraissant la plus adaptĂ©e. Par exemple, sur la riviĂšre du Don (affl uent rive gauche de la Vilaine), lâune des premiĂšres dĂ©marches a Ă©tĂ© de se renseigner sur la plante qui venait envahir la riviĂšre. Ătant donnĂ© lâimportance de la colonisa-tion, le syndicat du Don a dĂ» faire appel Ă une entreprise pour effectuer de lâarrachage mĂ©cani-que. Anticipant sur la repousse de la plante, un arrachage manuel rĂ©gulier a par la suite Ă©tĂ© mis en place, plusieurs fois dans lâannĂ©e au cours de la pĂ©riode de pousse de la plante. Cela a permis de retrouver une riviĂšre libre de jussie sur une grande partie de son cours. Ce type de prĂ©cau-tion, intĂ©grant la rapiditĂ© de dĂ©veloppement de la jussie, nâest pas toujours prise, puisque dans un site voisin, la programmation dâun arrachage mĂ©canique nâa pas Ă©tĂ© suivie dâentretien manuel rĂ©gulier, ce qui a conduit Ă une recolonisation du site en 2 ou 3 annĂ©es.
La nĂ©cessitĂ© dâajustements techniques ou dâinnovation Le plus souvent, les techniques que nous avons Ă©numĂ©rĂ©es ne peuvent ĂȘtre appliquĂ©es telles quelles et nĂ©cessitent alors des ajustements ou
des innovations, afin dâĂȘtre mieux adaptĂ©es aux caractĂ©ristiques du site, de la plante et de la tĂąche envisagĂ©e. Ces innovations sâĂ©laborent pour partie Ă travers les rĂ©seaux constituĂ©s par les diffĂ©rents acteurs impliquĂ©s et par le partage des informations et des expĂ©riences des uns et des autres.
Selon le lieu oĂč sâancre lâĂ©volution technique, de type institutionnel ou non, le processus pourra varier dans ses caractĂ©ristiques. Dans les insti-tutions, des connaissances et des Ă©valuations sur lâeffi cacitĂ© des diffĂ©rentes techniques dispo-nibles peuvent ĂȘtre produites, permettant ainsi de prĂ©ciser les choix judicieux et dâidentifi er ceux qui prĂ©sentent des risques (date optimum dâarrachage, prĂ©cautions Ă prendre au regard des capacitĂ©s de prolifĂ©ration de la plante, impact des interventions sur les dynamiques de prolifĂ©ration). Les usagers, les entreprises et les riverains sont aussi parfois associĂ©s dans cette dynamique, notamment Ă travers la production dâexpĂ©riences sur les diffĂ©rentes techniques utilisĂ©es.
Dans de nombreux cas, ce processus dâinnovation porte sur le souhait de limiter la prolifĂ©ration de boutures suite aux opĂ©rations dâarrachage. Cela nĂ©cessite lâabandon des techniques conduisant Ă la fragmentation des plantes et lâutilisation dâune technique dâarrachage de la plante qui ne casse pas la tige et permet, si possible, dâextraire en mĂȘme temps les racines. La pose de fi lets en aval du site traitĂ©, facilitant la rĂ©cupĂ©ration
Gestion des plantes envahissantes : limites techniques et innovations socio-techniques appliquées au cas des jussiesMarie-Jo Menozzi et Alain Dutartre
ïżœ Photo 5 â Traitement par un herbicide dâun herbier de jussie des rives du lac de Parentis Biscarrosse (Landes), en 1973.
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des fragments entraĂźnĂ©s par le courant, sâinscrit dans ce processus, de mĂȘme que le choix de lieux de stockage ou le nettoyage des engins et des outils Ă©vitant le transport de boutures dâun site Ă un autre. Ainsi, dans certaines opĂ©rations dâarrachage, la masse de jussies extraite Ă©tait en effet simplement posĂ©e sur la berge⊠pratique favorisant la repousse Ă partir de ce lieu de dĂ©pĂŽt dĂšs lors quâil restait suffi samment humide.
Ces pratiques dâinnovation peuvent ĂȘtre le fait de tous les acteurs impliquĂ©s, quâil sâagisse dâune entreprise privĂ©e ou, dans une moindre mesure, des particuliers. Les ajustements qui en rĂ©sultent peuvent aussi prendre la forme de changement dans les prioritĂ©s Ă prendre en compte, comme par exemple la nĂ©cessitĂ© de prĂ©server le milieu naturel. Ils impliquent des dimensions technique, cognitive et sociale.
Des exemples de comportements innovantsLes innovations peuvent ĂȘtre produites en divers lieux du social mais, selon la position des acteurs, leur capacitĂ© de communication et de conviction, ainsi que lâadĂ©quation aux objectifs poursuivis, ces innovations auront plus ou moins dâaudience dans les rĂ©seaux dâacteurs. Les choix techniques opĂ©rĂ©s se font rarement de maniĂšre isolĂ©e, mais sâeffectuent Ă travers les interactions existant entre les diffĂ©rents acteurs au sein des rĂ©seaux dans lesquels ils sâinscrivent.
Les entreprises spĂ©cialisĂ©es dans les travaux liĂ©s Ă lâenvironnement peuvent aussi participer Ă ce processus dâinnovation. Les prĂ©cautions prises pour mener leurs chantiers peuvent en outre constituer un argument complĂ©mentaire de qua-litĂ© de leur technicitĂ©.
Lâune dâelles, intervenant notamment en Bretagne, sâest aperçue que les bateaux habituellement uti-lisĂ©s dans les chantiers dâentretien posaient pro-blĂšme, du fait que les hĂ©lices cassaient les tiges de jussie et favorisaient la production importante de boutures. Le remplacement des hĂ©lices des bateaux par des roues Ă aube a permis de rĂ©duire ce problĂšme. Une autre entreprise du Sud-Ouest a testĂ© diffĂ©rents Ă©cartements des dents des grif-fes utilisĂ©es pour lâarrachage de grandes masses de jussies : il sâagissait de trouver lâĂ©cartement optimal limitant autant que possible lâextraction des sĂ©diments emprisonnĂ©s dans les racines des jussies et perdant le moins possible de plantes lors de lâarrachage avant leur dĂ©pĂŽt sur site adaptĂ© ou sur une barge de transport.
Les associations Ćuvrant dans le domaine des milieux aquatiques peuvent aussi Ă divers titres participer Ă cette Ă©volution. Par exemple, un groupe de pĂȘcheurs de lâĂ©tang dâAureilhan (Landes) a Ă©tĂ© Ă lâorigine dâadaptations techniques dâarrachage de jussies prĂ©sentes sur des sites de pĂȘche. Il a mis au point un systĂšme dâarrachage des plantes comportant un rĂąteau tractĂ© par un vĂ©hicule. Cet outil a Ă©tĂ© perfectionnĂ© Ă travers les Ă©changes entre les usagers et les scientifi ques du Cemagref. Ces Ă©changes ont notamment portĂ© sur la question de lâĂ©cartement des dents du « rĂąteau » Ă utiliser, ainsi que des prĂ©cautions Ă prendre en cas de prĂ©sence dâautres plantes aquatiques parmi les jussies Ă arracher.
Une autre association de pĂȘcheurs des Landes a Ă©laborĂ© un systĂšme de corde tractĂ©e par un vĂ©hicule 4 x 4 roulant sur la berge, qui arrache les plantes sur son passage, ce qui a dâailleurs valu Ă son inventeur lâappellation locale de « GĂ©otrouvetou ».
Autre exemple, une association dâinsertion des Landes rĂ©fl Ă©chit Ă la mise au point dâune tech-nique dâarrachage mĂ©canique effi cace sur les grandes surfaces colonisĂ©es dâun marais : insuffl er de lâair sous la surface de jussie afi n de dĂ©coller la plante.
La circulation et le partage des connaissances acquises Lâaccroissement des connaissances disponibles sur la plante ainsi que sur lâeffi cacitĂ© des techni-ques sont un aspect important du processus dâin-novation observĂ©. Elles interviennent sur le choix des techniques, sur leur modalitĂ© dâutilisation pro-prement dite ainsi que sur les prĂ©cautions prises pour la mise en Ćuvre et partant, sur lâeffi cacitĂ© des actions entreprises. Ces connaissances se rĂ©partissent de maniĂšre inĂ©gale parmi les acteurs sociaux et ne sont pas toujours prises en compte quand elles sont connues. MalgrĂ© la diffusion de recommandations, certaines techniques peu effi caces continuent dâĂȘtre utilisĂ©es.
Le partage des connaissances liĂ©es aux capacitĂ©s de reproduction de la plante nous en fournit un bon exemple. Par exemple, les utilisateurs de dĂ©broussailleuses Ă fi l ou dâengins de gyrobroyage sont des techniques de coupe des jussies qui produisent Ă©normĂ©ment de boutures, favorisant ainsi leur dissĂ©mination. La mise en Ă©vidence de cet aspect par les experts a conduit Ă dĂ©conseiller
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leur usage et ces conseils sont pris en compte par les gestionnaires institutionnels et des syndicats de riviĂšre ou de marais.
Par contre, ces connaissances et ces recomman-dations nouvelles, produites par les chercheurs et les techniciens, ne sont pas forcĂ©ment prises en compte par les particuliers et usagers, faute dâinformations, dâadaptations techniques ou parce quâelles sont intĂ©grĂ©es dans des routines dâentretien. Ceci peut conduire Ă perpĂ©tuer des techniques inadaptĂ©es induisant des rĂ©sultats de gestion plus ou moins nĂ©gatifs imputables au manque de connaissance et de prise en compte des caractĂ©ristiques de la plante et des caractĂ©-ristiques du milieu pouvant infl uer sur la coloni-sation par les jussies et sur les accĂšs aux engins ou au personnel chargĂ© du travail.
Cela aboutit Ă une certaine partition des acteurs : ceux proches des rĂ©seaux scientifi ques et tech-niques qui maĂźtrisent et prennent en compte ces recommandations, souvent des acteurs institutionnels de la gestion, et les acteurs qui continuent de « gĂ©rer » la jussie selon les moyens du bord, les « petites recettes de cuisine » (selon lâexpression dâun gestionnaire), souvent des par-ticuliers (dans les Landes, nombre de chasseurs et propriĂ©taires dâĂ©tangs, selon les propos recueillis, continuent dâutiliser les moyens Ă disposition pour gĂ©rer la jussie : faucardage, herbicides, arrachage avec dĂ©pĂŽt sur la berge, conduisant Ă de grands risques de colonisation accrue lâannĂ©e suivante et Ă la nĂ©cessitĂ© de devoir recommencer tous les ansâŠ).
Le partage des connaissances revĂȘt dâautant plus dâimportance que la gestion va ĂȘtre dĂ©lĂ©guĂ©e aux acteurs locaux, comme câest par exemple le cas sur les lacs et les Ă©tangs littoraux du dĂ©partement des Landes.
Ă la suite de la mise en Ćuvre dâun plan de gestion (Dutartre et al. , 1989), des journĂ©es de formation sur la gestion des plantes envahissantes ont Ă©tĂ© organisĂ©es en 1991 par le Cemagref pour le syndicat mixte GĂ©olandes. Elle a permis de nom-breux contacts, mais a Ă©tĂ© relativement peu suivie dâinterventions locales. En juin 2004, une autre session, dĂ©centralisĂ©e dans cinq agglomĂ©rations des Landes, avec lâappui de la FĂ©dĂ©ration de pĂȘche et de la FĂ©dĂ©ration des chasseurs du dĂ©partement a permis de toucher une centaine de personnes. Les informations diffusĂ©es portaient sur la connais-sance Ă©cologique des milieux, la prĂ©sentation des diffĂ©rentes techniques disponibles pour rĂ©guler
les dĂ©veloppements de plantes envahissantes ainsi que des prĂ©cisions sur les prĂ©cautions Ă prendre (Dutartre, 2004a). LâamĂ©lioration des connaissances Ă©cologiques gĂ©nĂ©rales des usagers est une des consĂ©quences positives de ce type de formation. Bien que cette approche bouscule les reprĂ©sentations en vigueur, un autre gain social est quâune partie des personnes ayant participĂ© Ă ces formations se familiarise petit Ă petit avec le mode dâanalyse proposĂ© par les chercheurs et les techniciens, mĂȘme si cette sensibilisation doit ĂȘtre perpĂ©tuĂ©e. Selon un des techniciens du syndicat mixte « MalgrĂ© la communication quâon essaie de faire autour de ces problĂšmes, la prĂ©vention de lâutilisation de mĂ©thodes chimi-ques, il y a forcĂ©ment des gens qui continuent de lâutiliser tandis que dâautres continuent Ă utiliser la dĂ©broussailleuse pour se dĂ©barrasser de la jussie, alors que câest le pire des moyens ».
Il est cependant nĂ©cessaire que la mise en place de tels espaces dâĂ©changes favorise la confron-tation des diffĂ©rents types de savoirs : les savoirs scientifi ques, mais aussi ceux qui sont produits par les acteurs locaux ; tel cet Ă©lu des marais de Vilaine qui souhaiterait que soient prises en compte les connaissances dĂ©tenues par les acteurs locaux. En effet, certains dâentre eux, vivant Ă proximitĂ© de zones colonisĂ©es, ont pu produire des connaissances empiriques sur la plante, Ă partir des observations et expĂ©rimentations quâils ont pu mener, et possĂšdent des connaissances des marais et de leur fonctionnement hydraulique rĂ©inscrites dans une dimension historique. Ces savoirs sont cependant actuellement peu pris en compte dans la dynamique de production de connaissances.
Lâorganisation de lâespace social Nous allons maintenant observer comment, Ă lâins-tar des techniques dâarrachage et des innovations quâelles nĂ©cessitent, lâeffi cacitĂ© de lâapplication de ces techniques est aussi largement liĂ©e aux modalitĂ©s dâorganisation sociale de la gestion.
La mise en place dâactions de gestion dans une perspective individuelle montre rapidement ses limites. Mettre en place des actions effi caces requiert certaines nĂ©cessitĂ©s, comme lâ« entente » des acteurs gestionnaires entre eux pour gĂ©rer dif-fĂ©rents types de territoires qui sont en interrelation du fait de leurs caractĂ©ristiques Ă©cologiques, ou la dĂ©signation dâacteurs responsables ou lĂ©gitimes pour sâoccuper de ce type de problĂšme.
Gestion des plantes envahissantes : limites techniques et innovations socio-techniques appliquées au cas des jussiesMarie-Jo Menozzi et Alain Dutartre
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Comme nous lâavons dĂ©jĂ mentionnĂ©, les carac-tĂ©ristiques biologiques de la jussie lui permettent de se dĂ©velopper rapidement Ă partir dâun seul fragment de tige dans de nombreux types de bio-topes. Or, il est bien Ă©vident que la gĂ©ographie de cette colonisation est sans relation directe avec les dĂ©limitations sociales, fonciĂšres ou adminis-tratives. LâidĂ©al serait que la mise en Ćuvre des actions de rĂ©gulation suive la logique naturelle de colonisation, voire la dynamique de rĂ©partition de la plante sur un vaste territoire. Cependant, dans la plupart des sites, les modalitĂ©s spĂ©cifi quement humaines dâorganisation et dâadministration du territoire profi tent Ă la jussie et favorisent son extension et sa prolifĂ©ration. La gestion de la plante ne peut sâeffectuer ni Ă une seule Ă©chelle locale, ni durant un temps limitĂ©, mais implique presque systĂ©matiquement que les diffĂ©rents acteurs concernĂ©s soient mis en relation continue, Ă diffĂ©rentes Ă©chelles des territoires. Ă lâinstar de Billaud (2000) qui dĂ©fi nit lâeau comme « un bien collectif » dont la gestion implique une mise en relation constante, la jussie peut ĂȘtre dĂ©fi nie comme une nuisance collective dont la gestion nĂ©cessite aussi une mise en relation constante des acteurs sociaux. Pour la plupart dâentre eux, il semble dâailleurs Ă©vident que seule une lutte collective peut sâavĂ©rer effi cace sur le long terme, comme le souligne un technicien du parc interrĂ©gional du Marais Poitevin : « En termes dâefficacitĂ©, les seules mĂ©thodes efficaces sont des mĂ©thodes collectives, oĂč il y a un opĂ©rateur unique. La dĂ©marche individuelle ne marche pas ; peut-ĂȘtre sur du court terme, mais pas sur le long terme. Ce qui marche, câest la logique de lutte collective ». Mais le fait de reconnaĂźtre cette nĂ©cessitĂ© nâinduit pas automatiquement la mise en place dâun tel mode dâorganisation.
Le problĂšme de la coordination spatiale des actions Le manque de coordination des actions entre les territoires se dĂ©cline de diffĂ©rentes maniĂšres, selon les caractĂ©ristiques des sites et des acteurs qui en sont partie prenante. Mais Ă chaque fois, les mĂȘmes constats sont effectuĂ©s, la non-inter-vention des uns rĂ©duit, voire annule, lâeffi cacitĂ© des interventions des autres.
Le cas du Don, Ă©voquĂ© plus haut, nous offre un bon exemple de la diffi cultĂ© Ă coordonner des actions entre des sites aux statuts variĂ©s. Des actions dâenlĂšvement mĂ©canique de la jussie ont Ă©tĂ© engagĂ©es sur ce cours dâeau, dont la
partie en aval Ă©tait entiĂšrement couverte de jussie. Ces actions se sont avĂ©rĂ©es relativement effi caces dans la mesure oĂč le secteur traitĂ© de la riviĂšre a Ă©tĂ© dĂ©gagĂ© et que seuls quelques rares herbiers y subsistaient. Cependant, le lac de Murin, situĂ© Ă la confl uence du Don et de la Vilaine, aussi envahi par la jussie, constitue un excellent rĂ©servoir de boutures pour la Vilaine et les marais de Redon plus en aval. Le propriĂ©taire a dĂ©jĂ commencĂ© Ă engager des actions, mais il se trouve relativement dĂ©muni face Ă lâampleur et la rapiditĂ© de cette colonisation. Ses opĂ©rations dâarrachage manuel paraissent dĂ©risoires et peu effi caces sur lâoccupation du plan dâeau car la jussie recommence Ă pousser rapidement dans les zones antĂ©rieurement dĂ©gagĂ©es. Ce plan dâeau Ă©tant une propriĂ©tĂ© privĂ©e, aucun fi nancement public nâest a priori prĂ©vu pour essayer de rĂ©gu-ler localement cette prolifĂ©ration, contribuant ainsi Ă diminuer lâeffi cacitĂ© des efforts publics engagĂ©s pour « nettoyer » la jussie prĂ©sente sur le Don et dans les milieux aquatiques connectĂ©s en aval. Des possibilitĂ©s de fi nancement public dâintervention sur des propriĂ©tĂ©s privĂ©es existent dĂšs lors que ces interventions satisferaient Ă des objectifs dâintĂ©rĂȘt public mais une nĂ©gociation sur ce point est alors nĂ©cessaire.
Ce type de diffi cultĂ©s se prĂ©sente donc sur tous les sites oĂč se cĂŽtoient des territoires aux statuts variĂ©s, mais aussi quand diffĂ©rents acteurs insti-tutionnels se partagent la gestion dâespaces en interdĂ©pendance et quâils peinent Ă coordonner leurs actions. Câest le cas sur un bassin versant dans les Landes oĂč des travaux trĂšs importants dâarrachage de la jussie ont Ă©tĂ© menĂ©s sur le cours aval dâune riviĂšre alors que les plantes prĂ©sentes dans un marais situĂ© en amont ont fait lâobjet dâinterventions limitĂ©es. Les travaux dâentretien, rĂ©alisĂ©s manuellement sur cette partie de la riviĂšre, sont donc sous la contrainte des apports permanents de boutures provenant du marais.
Cette problĂ©matique sâinscrit dans un apparent paradoxe dâĂȘtre Ă la fois en propriĂ©tĂ© privĂ©e et maĂźtre chez soi, tout en appartenant Ă un systĂšme plus large, nĂ©cessitant dâadmettre la dĂ©pendance et la solidaritĂ© pour une gestion adĂ©quate (BĂ©dou-cha, 2002). Cette assertion vaut dâailleurs pour tous types de « propriĂ©taires », quâils soient privĂ©s ou publics.
Qui coordonne ? Outre la nĂ©cessitĂ© dâune coordination quelquefois malaisĂ©e Ă mettre en place se pose le problĂšme
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de lâidentifi cation et de la dĂ©signation des acteurs lĂ©gitimes pour prendre en charge la gestion. Il nây a pas, au dĂ©part du processus conduisant aux interventions organisĂ©es, un acteur dĂ©signĂ© a priori pour prendre en charge cette gestion. En lien avec la grande diversitĂ© des situations, gĂ©ographiques mais aussi sociales, aucun dâentre eux nâest originellement plus lĂ©gitime quâun autre pour ce rĂŽle. Ă qui devrait revenir la gestion de la jussie ? Aux pĂȘcheurs qui voudraient pouvoir continuer Ă lancer leurs lignes, aux navigateurs, aux institutions de gestion des sites, aux commu-nes, aux promeneurs, Ă des bĂ©nĂ©voles ou bien des professionnels ?
La prise en compte de nouveaux dĂ©coupages ter-ritoriaux, dans une logique fonctionnelle plus en lien avec la structuration Ă©cologique des Ă©cosys-tĂšmes, notamment en ce qui concerne la gestion de lâeau dans le cadre de la mise en place de schĂ©mas dâamĂ©nagement et de gestion des eaux (SAGE), devrait permettre dâavoir une vision plus pertinente des choses. Par ailleurs, des collectivitĂ©s territoriales fondĂ©es sur cette structuration Ă©cologi-que de lâespace, comme les Ă©tablissements publics territoriaux de bassin, dont les syndicats de bassins versants, dĂ©jĂ prĂ©sents dans diffĂ©rentes rĂ©gions, sâavĂšrent ĂȘtre les structures institutionnelles les plus adĂ©quates pour prendre en charge les problĂš-mes de gestion. Le recours Ă ces structures favorise la mise en place dâune gestion intentionnelle, avec la dĂ©signation dâun acteur coordinateur, et permet de passer, selon lâexpression de Mermet (1992), dâune gestion effective (individuelle et non coordonnĂ©e) Ă une gestion intentionnelle (rationalisĂ©e, avec dĂ©signation dâun coordinateur). Cependant, lâexistence de ces structures adaptĂ©es et leur prise en charge du problĂšme des plantes envahissantes ne permet pas pour autant de rĂ©gler toutes les diffi cultĂ©s. MalgrĂ© la recherche dâune meilleure adĂ©quation des opĂ©rations menĂ©es Ă la problĂ©matique de gestion, elles se retrouvent toutes confrontĂ©es Ă des limites spĂ©cifi ques. MĂȘme si cette nĂ©cessitĂ© dâorganisation collective apparaĂźt comme une Ă©vidence pour qui connaĂźt bien la plante, sa mise en place, confrontĂ©e aux modes de fonctionnement en vigueur, ne se fait pas toujours dans le sens souhaitĂ©. Deux exemples vont nous permettre de prĂ©ciser le propos.
Un exemple de structure interdĂ©partementale Dans le Marais Poitevin, une coordination de la gestion de la jussie a Ă©tĂ© mise en place Ă une Ă©chelle interdĂ©partementale par lâIIBSN 2 , un
2. Institution interdépartementale du bassin de la SÚvre niortaise.
2. Institution interdépartementale du bassin de la SÚvre niortaise.
organisme de gestion territoriale qui intervient sur les territoires fonctionnels des marais mouillĂ©s, soit 15 000 hectares et 1 000 km de voies dâeau « dâintĂ©rĂȘt collectif ». Cet organisme est issu des trois dĂ©partements sur lesquels sâĂ©tend le Marais Poitevin, les Deux-SĂšvres, la VendĂ©e et la Charente-Maritime. Ce pĂ©rimĂštre dâinterven-tion paraĂźt pertinent au regard des modalitĂ©s de dĂ©veloppement de la jussie et de mise en place dâun plan de gestion Ă lâĂ©chelle dâun ter-ritoire homogĂšne, ainsi que dans un contexte de dĂ©sengagement de lâĂtat et du manque de gestion coordonnĂ©e des diffĂ©rents syndicats de marais. Lâobjectif du programme lancĂ© en 1994 Ă©tait de prendre en charge la totalitĂ© des actions de rĂ©gulation de la jussie sur la SĂšvre et les prin-cipaux chenaux du marais. Durant une premiĂšre phase de quatre ans, des expĂ©rimentations ont Ă©tĂ© menĂ©es afi n de tester lâeffi cacitĂ© de diffĂ©ren-tes techniques : arrachage mĂ©canique, manuel, traitement chimique, utilisĂ©es seules ou en les combinant (Dutartre, 2004b). Des travaux dâar-rachage ont ensuite Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©s sur des linĂ©aires progressivement plus importants. Par exemple, en 2003, plus de 700 km de rives ont fait lâobjet dâinterventions 3 . Afi n de rendre optimales ces interventions, lâinstitution centralise et rĂ©alise elle-mĂȘme les actions dâarrachage sur lâensemble des territoires concernĂ©s, quâils soient publics ou privĂ©s. La signature de conventions avec lâĂtat et les syndicats de propriĂ©taires de marais permet ces interventions. Une telle gestion intentionnelle explique lâeffi cacitĂ© des actions menĂ©es, qui se traduit par une faible prĂ©sence rĂ©siduelle de la plante dans les marais mouillĂ©s. Cela ne rĂšgle cependant pas le problĂšme de la jussie sur lâen-semble du Marais Poitevin (96 000 hectares), et notamment sur les rĂ©seaux de fossĂ©s privĂ©s qui nâont pas de vocation collective et donc qui ne font pas partie des compĂ©tences territoriales de lâIIBSN. Ă terme, et afi n dâaller au bout du pro-cessus de mise en place dâune gestion intention-nelle et coordonnĂ©e, selon le technicien chargĂ© de lâopĂ©ration, lâobjectif serait dâintervenir sur tous les rĂ©seaux dĂ©fi nis (rĂ©seau principal, rĂ©seau secondaire et rĂ©seau tertiaire dâintĂ©rĂȘt collectif dĂ©jĂ identifi Ă©s).
Lâexemple dâun syndicat mixte dĂ©partemental Dans le dĂ©partement des Landes, la diffi cultĂ© Ă sâentendre sur la dĂ©signation des acteurs gestion-naires montre sâil en est la diffi cultĂ© dâidentifi er de maniĂšre formelle les acteurs de la gestion de
3. Les donnĂ©es concernant cette opĂ©ration, que nous prĂ©sentons ici ont Ă©tĂ© communiquĂ©es lors dâun entretien rĂ©alisĂ© auprĂšs du technicien responsable (IIBSN, 2004).
3. Les donnĂ©es concernant cette opĂ©ration, que nous prĂ©sentons ici ont Ă©tĂ© communiquĂ©es lors dâun entretien rĂ©alisĂ© auprĂšs du technicien responsable (IIBSN, 2004).
Gestion des plantes envahissantes : limites techniques et innovations socio-techniques appliquées au cas des jussiesMarie-Jo Menozzi et Alain Dutartre
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la plante, et ce malgrĂ© lâexistence dâun syndicat mixte (GĂ©olandes) qui a en charge les problĂ©ma-tiques de gestion des lacs et Ă©tangs dâeau douce Ă lâĂ©chelle du dĂ©partement. Pour les diffĂ©rents acteurs concernĂ©s, il nâest pas aisĂ© dâidentifi er de maniĂšre Ă©vidente lâacteur Ă qui revient la responsabilitĂ© de la gestion, selon les modalitĂ©s des relations entretenues avec le milieu. Le fait que chaque structure reste cantonnĂ©e dans ses frontiĂšres administratives, et que les usagers ne se sentent pas forcĂ©ment concernĂ©s par la gestion contribue Ă brouiller la perception des modalitĂ©s de gestion qui peuvent se mettre en place. La rĂ©partition des responsabilitĂ©s dans ce domaine a pourtant Ă©tĂ© clairement prĂ©cisĂ©e dans la rĂ©daction et la signature de conventions entre le syndicat mixte et les communes, dans lesquelles les premiĂšres interventions, les plus importantes, sont du ressort et du fi nancement du syndicat, alors que les interventions dâen-tretien ultĂ©rieur restent de la responsabilitĂ© des communes. La signature dâune telle convention ne semble donc pas en garantir sa « comprĂ©hen-sion » et son application, si cela va Ă lâencontre des reprĂ©sentations que les acteurs peuvent avoir des responsabilitĂ©s des uns et des autres. Pour le syndicat mixte ce sont les communes propriĂ©taires des plans dâeau, Ă qui il apporte une aide logistique, qui doivent prendre en charge le problĂšme. Pour certains reprĂ©sentants des communes, la gestion de la jussie relĂšve des attributions du syndicat puisquâil existe, et pour les usagers, câest aux communes de gĂ©rer, puisquâ« ils y paient des impĂŽts ». Par ailleurs, selon certains usagers, cette tĂąche devrait ĂȘtre le fait de tous les utilisateurs des sites, qui sont conviĂ©s Ă venir participer Ă des journĂ©es dâarra-chage bĂ©nĂ©vole, journĂ©es qui attirent gĂ©nĂ©rale-ment peu de monde. En outre, les collectivitĂ©s et institutions continuent pour une grande part Ă envisager les choses au sein des frontiĂšres de leur territoire. Selon le chargĂ© de mission du syndicat, malgrĂ© la mise en place dâintercommunalitĂ©s, les diffĂ©rentes collectivitĂ©s ont encore du mal Ă se coordonner sur certaines tĂąches. Par exemple, les partenaires de la gestion des plantes aquati-ques sur lâĂ©tang de LĂ©on, câest-Ă -dire la rĂ©serve naturelle du Courant dâHuchet qui englobe la partie ouest de lâĂ©tang et les deux communes riveraines, rencontrent encore quelques diffi -cultĂ©s de coordination. De nombreux obstacles, institutionnels, juridiques, mais aussi sociaux et culturels subsistent toujours dans la mise en place de cette gestion collective idĂ©ale.
Le rĂŽle moteur de la jussie dans le processus social La jussie, en tant quâĂ©lĂ©ment non humain, joue donc un rĂŽle effectif dans ce processus dâinnova-tion sociale, Ă travers la nĂ©cessitĂ© de coordination collective quâelle gĂ©nĂšre. Dans le Marais Poitevin, comme le constate le technicien chargĂ© de lâar-rachage de la plante, le plan de gestion mis en place a rapprochĂ© lâinstitution des acteurs de la batellerie, des propriĂ©taires privĂ©s et des syndi-cats de propriĂ©taires. Il a permis aussi dâengager dâautres types de relations avec des institutions comme lâAgence de lâeau Loire-Bretagne, lâUnion des marais de la Charente-Maritime (UNIMA), une structure qui gĂšre les marais dessĂ©chĂ©s, le Parc interrĂ©gional du Marais Poitevin et les fĂ©dĂ©-rations dĂ©partementales de pĂȘche. Ă lâinverse, dans les Landes, la diffi cultĂ© de la mise en place dâactions de gestion semble liĂ©e Ă une mise en relation encore insuffi sante des acteurs, comme le constate le technicien de GĂ©olandes : « Chaque commune vit encore un peu recroquevillĂ©e sur elle-mĂȘme, malgrĂ© toutes les intercommunali-tĂ©s qui se mettent en place ». Il semble quâune meilleure mise en relation des acteurs entre eux sera la condition dâune meilleure gestion du pro-blĂšme dans les zones concernĂ©es. Ă cet Ă©gard, on peut, Ă lâinstar de Mougenot (2003), dans la lignĂ©e des rĂ©fl exions menĂ©es par Latour (1994), sâinterroger sur le rĂŽle jouĂ© par la jussie dans la mise en relation des acteurs sociaux. « Les objets sont particuliĂšrement effi caces pour propager ou prolonger les intentions et les actions des humains dans le temps et dans lâespace. (âŠ) Les objets interviennent de façon active. En matiĂšre de coordination notamment, ils jouent un rĂŽle que ne peuvent exercer les acteurs humains » (Mougenot, 2003). En tant quâobjet de nuisance et de gestion, la jussie illustre bien ce processus. Elle incite Ă repenser les relations entre les dif-fĂ©rents acteurs sociaux et elle participe mĂȘme Ă lâĂ©laboration de ces relations. Câest en tout cas ce que semble penser le prĂ©sident du ComitĂ© des marais de Vilaine quand il envisage la jussie, par delĂ les nuisances quâelle gĂ©nĂšre, comme une opportunitĂ© pour donner une plus grande cohĂ©-rence Ă la gestion des marais de Vilaine.
Innovation technologique : herbicide effi cace ou arrachage manuel ? La volontĂ© de prĂ©servation du milieu dans les actions de gestion de la jussie est Ă lâorigine de prĂ©conisations Ă©mises dans le choix des
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techniques par les chercheurs, les naturalistes et certains gestionnaires, notamment dâĂ©viter lâusage des herbicides et de mettre en place des chantiers dâarrachage manuel de la plante. Les premiĂšres propositions de mise en Ćuvre dâarrachages manuels de plantes envahissantes (Dutartre et al. , 1989) ont fait lâobjet de critiques de la plupart des acteurs engagĂ©s dans la gestion de ces plantes dans les Landes et les prĂ©conisa-tions de cette technique heurtent encore rĂ©gu-liĂšrement une partie des acteurs impliquĂ©s car elles vont Ă lâencontre des reprĂ©sentations que certains dâentre eux se font de ces techniques : un processus continu et cumulatif, en une dyna-mique qui ne saurait ĂȘtre remise en question, et tel que le dĂ©crit Cresswell (1993) : « Le sens gĂ©nĂ©ral de lâĂ©volution des techniques depuis le premier biface jusquâĂ lâindustrie nuclĂ©aire tend vers un plus grand contrĂŽle du milieu naturel, vers une libĂ©ration des contraintes imposĂ©es par les forces physiques, chimiques et biologiques de ce mĂȘme milieu ». Dans cette vision des choses, les solutions Ă mettre en Ćuvre contre la jussie ne pourraient venir que de la mise en place de machines perfectionnĂ©es ou de la mise au point dâherbicides plus Ă©laborĂ©s. Les attentes sont Ă©levĂ©es, allant jusquâĂ la demande plus ou moins explicitement formulĂ©e que la science trouve « un produit miracle », la formule magi-que pour rĂ©gler le problĂšme. Cela rejoint lâidĂ©e selon laquelle le progrĂšs est lui-mĂȘme devenu lâobjet dâune croyance mythique (LeliĂšpvre-Botton, 1997). Dans un tel contexte, le choix de la technique manuelle est perçu par certains comme Ă©tant « archaĂŻque », synonyme de rĂ©gres-sion, dâun Ăąge rĂ©volu, de l'« Ăąge de pierre » et constitue une remise en cause de la notion de « progrĂšs », alors que le recours aux herbicides apparaĂźt au contraire comme Ă©tant beaucoup plus Ă la pointe et beaucoup plus progressiste. Pour nombre dâusagers (notamment des agriculteurs, des Ă©lus, mais aussi de « simples usagers »), lâutilisation des produits phytosanitaires large-ment employĂ©s dans lâagriculture intensive est banale, voire banalisĂ©e, et considĂ©rĂ©e dâune maniĂšre Ă©vidente comme la rĂ©ponse appropriĂ©e au problĂšme posĂ©. Un simple « coup de pschitt », et on rĂšgle le problĂšme, comme le soulignait un Ă©lu : « Par rapport aux produits dâĂ©radication, qui nous auraient simplifiĂ© la vie, il suffisait de vaporiser et câĂ©tait rĂ©glĂ© ». Pour les chercheurs, au contraire, lâusage de tels produits est loin dâĂȘtre banal et leur usage nĂ©cessite de prendre un certain nombre de prĂ©cautions.
En outre, le fait que ce soit les techniciens ou les chercheurs spĂ©cialistes qui recommandent dans diverses situations lâusage de lâarrachage manuel, bouscule encore plus fortement les reprĂ©sentations en vigueur. Pour eux, arracher manuellement de la jussie, « câest un travail de forçat », ce qui remet en cause tout ce que le progrĂšs a apportĂ© Ă lâhomme, Ă savoir une diminution de la pĂ©nibilitĂ© du travail physique lorsquâil est encore nĂ©cessaire et une rĂ©duction des situations pour lesquelles on peut ĂȘtre amenĂ© Ă y recourir.
Ce dĂ©calage entre propositions techniques et systĂšmes de reprĂ©sentations amĂšne Ă une perte de lĂ©gitimitĂ© des scientifi ques car ils sont alors soupçonnĂ©s par les acteurs adeptes des herbici-des dâavoir une approche partisane et de prĂ©fĂ©rer prĂ©server quelques « petites plantes » plutĂŽt que sauver des zones colonisĂ©es par la jussie. Leurs propositions sont ainsi remises en cause en vertu mĂȘme des reprĂ©sentations dont la science est lâobjet. Les incertitudes liĂ©es Ă toute dĂ©marche scientifi que se trouvent en outre confrontĂ©es aux certitudes des acteurs locaux, comme par exemple, la croyance absolue en lâeffi cacitĂ© des produits chimiques.
Si lâarrachage manuel est considĂ©rĂ© Ă juste titre comme Ă©tant physiquement diffi cile, il est tout aussi Ă©vident de constater que le « progrĂšs » nâa pas encore permis de mettre en place des machines effi caces ou dâherbicides permettant de se dĂ©barrasser de maniĂšre radicale et sĂ©lec-tive de la plante. MĂȘme en y consacrant des moyens fi nanciers considĂ©rables, il nâest pas Ă©vident que des solutions « technologiques » compatibles avec lâĂ©cologie de ces milieux puissent voir le jour. Dans ce cas prĂ©cis de la gestion de la jussie, les innovations dans la recherche dâune gestion effi cace ne proviennent donc pas seulement du « progrĂšs technique » mais prend dâautres formes, comme celle de chantiers dâarrachage manuel, qui sâinscrivent Ă la fois dans les dimensions technique, cognitive et sociale. Cette technique est essentiellement utilisĂ©e depuis plusieurs annĂ©es dans les marais mouillĂ©s du Marais Poitevin par lâIIBSN, ainsi que dans des plans dâeau landais oĂč plusieurs Ă©tangs sont rĂ©guliĂšrement entretenus de cette maniĂšre (Dutartre et al. , 2005). De mĂȘme, dans la riviĂšre du Don, le travail de gestion est confi Ă© Ă une entreprise spĂ©cialisĂ©e dans lâarrachage manuel.
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Le cas exemplaire de la mise en place de chantiers dâarrachage manuel Les dynamiques Ă lâĆuvre dans la mise en place de chantiers dâarrachage manuel nous permettent dâobserver un processus dâinnovation techno-logique tel que dĂ©fi ni par Vedel ( op. cit. ), qui permet dâaller au-delĂ du paradoxe apparent qui est quâune technique perçue comme archaĂŻque, lâarrachage manuel, constitue un des Ă©lĂ©ments moteur dâun processus dâinnovation en matiĂšre de gestion des milieux (photo 6). Cette dynamique sâeffectue Ă la croisĂ©e dâun processus dâajuste-ment de gestes techniques et de mise en place dâune coordination entre acteurs, Ă partir dâune organisation sociale et logistique rĂ©fl Ă©chie. On peut en dĂ©composer diffĂ©rents aspects :
â une organisation Ă©laborĂ©e du temps de tra-vail ;
â une organisation technique des tĂąches cohĂ©-rente ;
â une redĂ©finition de la valeur de la tĂąche manuelle qui se lit dans le niveau de formation souvent Ă©levĂ© des personnes engagĂ©es dans les interventions ;
â une perception subjective du travail qui engage dâune autre maniĂšre lâimplication corporelle des travailleurs.
Fortement critiquĂ©e au dĂ©part (« câest un travail dâesclave »), une redĂ©fi nition politique et symbo-lique du travail manuel dans ce contexte lâamĂšne Ă devenir une des techniques de lutte contre la jussie parmi les plus Ă©laborĂ©es. Le fait quâelle seule permette un enlĂšvement sĂ©lectif et systĂ©ma-tique de la jussie dans des sites oĂč cette plante est en mĂ©lange avec des espĂšces indigĂšnes que lâon souhaite conserver la rend Ă©galement plus acceptable dans un contexte social qui intĂšgre une meilleure prise en compte de la protection de lâenvironnement.
Ces changements sâinscrivent dans la mise en place dâune logistique et dâune organisation permettant de mettre en valeur dâun point de vue social les actions entreprises, ainsi que dans une valorisation du travail, non plus un travail manuel dĂ©valorisant, mais un travail « dâintello-manuel », selon lâexpression dâune personne enquĂȘtĂ©e. La rĂ©fl exion menĂ©e au niveau technique mais aussi au niveau social, en terme dâorganisation du chantier, a permis une valorisation de ce pro-cĂ©dĂ© ainsi que son acceptation sociale. Selon le technicien de lâIIBSN : « Il y a encore lâarrachage manuel mais autour il y a plein de choses qui ont Ă©voluĂ© et qui font que câest un chantier qui est finalement sympa. Mais câest vrai au dĂ©but on a Ă©tĂ© fortement critiquĂ©s par quelques Ă©lus, et des gens de la DDE 4 qui disaient que câĂ©tait pas trĂšs valorisant ». Un processus similaire est Ă lâĆuvre sur dâautres sites colonisĂ©s.
Dans le chantier dâarrachage manuel qui se met en place et se structure progressivement dans une riviĂšre des Landes (le courant du Boudigau), la valorisation du travail passe aussi par une organisation logistique adaptĂ©e ainsi que par la valorisation de lâacquisition de connaissances naturalistes par lâobservation de leur environ-nement de travail : « Je sais que la premiĂšre annĂ©e ils ont Ă©tĂ© trĂšs curieux des espĂšces quâils rencontraient au bord des cours dâeau. Donc mĂȘme encore souvent, on a un petit bouquin avec la flore aquatique et ils viennent le feuilleter et disent, tiens on a vu ça ».
En outre, dans son recrutement pour les travaux dans le Marais Poitevin, le technicien de lâIIBSN privilĂ©gie des personnes titulaires dâun diplĂŽme liĂ© Ă lâenvironnement, BTS 5 , voire mĂȘme DESS 6 . LâĂ©quipe dâarrachage mĂšne en parallĂšle de sa tĂąche une action de veille sur les marais, comme par exemple le repĂ©rage des traces de loutres. Ces arracheurs valorisent ainsi eux-mĂȘmes leur travail
4. Direction dĂ©partementale de lâĂ©quipement.
4. Direction dĂ©partementale de lâĂ©quipement.
5. Brevet de technicien supérieur. 5. Brevet de technicien supérieur.
6. DiplĂŽme dâĂ©tudes supĂ©rieures spĂ©cialisĂ©es.
6. DiplĂŽme dâĂ©tudes supĂ©rieures spĂ©cialisĂ©es.
⌠Photo 6 â Un chantier dâarrachage manuel, innovation technologique ? (courant du Madigau, Landes).
In: Ingénieries - E A T, n° 49. 2007
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et opĂšrent de cette maniĂšre une redĂ©fi nition du progrĂšs, au regard du travail quâils effectuent. Ils mettent en avant, non pas la pĂ©nibilitĂ© du travail (nâest-ce pas aussi diffi cile de travailler Ă la chaĂźne dans une entreprise ?), mais la qualitĂ© dâun envi-ronnement oĂč ils ne sont pas assourdis par des bruits de machines. Ils auraient probablement Ă©tĂ© dâaccord avec ce constat Ă©mis par Roque-plo (1983) : « On dit volontiers que le progrĂšs technique libĂšre les travailleurs : par rapport Ă lâeffort physique, câest indubitable, mais au prix de quelles servitudes nouvelles ? »
Conclusion Ă travers cet exemple de la jussie et de sa gestion, nous avons voulu :
â montrer, par un choix sĂ©lectionnĂ© dâarguments, en quoi les discours tenus sur les techniques relĂšvent de reprĂ©sentations ;
â dĂ©construire les arguments dâeffi cacitĂ© que les reprĂ©sentations des notions de progrĂšs et dâinno-vation engendrent ;
â chercher Ă montrer les interactions Ă©troites entre systĂšme technique et modalitĂ©s dâorganisation sociale ;
â tenter de montrer en quoi la nĂ©cessitĂ© de ges-tion technique doit composer avec les modalitĂ©s de structuration du social en une co-Ă©volution permanente.
Lâanalyse des modalitĂ©s de la gestion de la jussie nous a permis de dĂ©construire une problĂ©matique environnementale oĂč sâimbriquent dans un mĂȘme ensemble non seulement des considĂ©rations biologiques et des questions dâordre technique, mais aussi des facteurs sociaux et culturels. Elle nous a donnĂ© Ă observer un processus dâinnova-
tion qui ne consiste pas seulement en la mise au point dâun objet technique mais qui sâinscrit dans un processus sociotechnique, Ă lâinterface du technique et du social, seul garant de lâeffi cacitĂ© des opĂ©rations de gestion menĂ©es. Ce processus sâinscrit dans une dynamique de changement technique, mais aussi de changement au niveau des modalitĂ©s sociales de la gestion. Lâexemple de la jussie offre ainsi Ă lâobservation un proces-sus conjoint de construction du social et de la technique comme dans un tissu sans couture tel quâil est pensĂ© par le courant de lâanthropologie symĂ©trique (Latour, 1994) et tel que le dĂ©crit Akrich (1994) : « Il y a autant dâincertitudes sur la sociĂ©tĂ© que sur la technique, ou, autrement dit, lâinnovation est un processus de stabilisation conjointe du social et de la technique et aboutit Ă des arrangements hybrides dans lesquels Ă©lĂ©ments techniques et Ă©lĂ©ments sociaux sont indissocia-blement entremĂȘlĂ©s ».
Les problĂ©matiques observĂ©es dans la gestion de la jussie ne lui sont pas spĂ©cifi ques, et on les retrouve dans les diffi cultĂ©s posĂ©es par dâautres espĂšces envahissantes, quâil sâagisse dâespĂšces animales ou vĂ©gĂ©tales. La lutte contre le ragondin (Mou-genot, 2002), le baccharis 7 , ou encore les huĂźtres creuses (Menozzi et al. , 2007) confrontent les gestionnaires des milieux naturels Ă des problĂ©ma-tiques similaires. Elles mettent en question lâorga-nisation territoriale de la gestion et de ses acteurs, la diffi cultĂ© Ă dĂ©signer un acteur fĂ©dĂ©rateur, ainsi que les controverses relatives Ă lâutilisation de certaines techniques ainsi que les diffĂ©rentes reprĂ©sentations sociales et culturelles dont ces espĂšces peuvent ĂȘtre lâobjet. Dâune maniĂšre plus gĂ©nĂ©rale, les espĂšces envahissantes questionnent les modalitĂ©s de relations que les sociĂ©tĂ©s humai-nes entretiennent avec le milieu naturel Ă travers une dimension socio-technique. â
7. Le Baccharis halimifolia ou SĂ©neçon en arbre, appelĂ© encore faux cotonnier en raison des tapis de graines quâil produit en automne, est un arbuste invasif dâorigine amĂ©ricaine, largement naturalisĂ© dans de nombreuses zones littorales comme la pĂ©riphĂ©rie du Bassin dâArcachon oĂč il tend Ă remplacer la fl ore locale en formant des buissons particuliĂšrement touffus.
7. Le Baccharis halimifolia ou SĂ©neçon en arbre, appelĂ© encore faux cotonnier en raison des tapis de graines quâil produit en automne, est un arbuste invasif dâorigine amĂ©ricaine, largement naturalisĂ© dans de nombreuses zones littorales comme la pĂ©riphĂ©rie du Bassin dâArcachon oĂč il tend Ă remplacer la fl ore locale en formant des buissons particuliĂšrement touffus.
Gestion des plantes envahissantes : limites techniques et innovations socio-techniques appliquées au cas des jussiesMarie-Jo Menozzi et Alain Dutartre
In: Ingénieries - E A T, n° 49. 2007
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Bibliographie
Résumé
La jussie est une plante exotique originaire du continent amĂ©ricain qui prolifĂšre dans les zones humides dâeau douce. MalgrĂ© la mise en place dâactions de gestion de la plante, elle continue de se dĂ©velopper et dâenvahir diffĂ©rents sites. Ă partir des Ă©checs de certaines des actions mises en place, nous nous interrogeons sur les facteurs qui contribuent Ă la mise en place dâune gestion effi cace de la jussie. Nous observons que lâeffi cacitĂ© technique est loin de suffi re Ă la rĂ©ussite des actions de gestion, mais que les facteurs sociaux et culturels sont aussi importants et que leur non-prise en compte rĂ©duit les possibilitĂ©s de rĂ©ussite. Lâexemple de la mise en place dâactions de gestion avec la technique jugĂ©e la plus « archaĂŻque », lâarrachage Ă la main, est utilisĂ© pour illustrer le processus dâinnovation socio-technique Ă lâĆuvre dans lâĂ©laboration dâune gestion effi cace de la plante.
Abstract
Ludwigia, originated from America, is an amphibian plant with great capacity of colonisation. It pro-liferates in wetlands. Despite its management in many places, the plant continues to develop. We wonder if the failure of actions against ludwigia, and we show that technical effi ciency is not the only factor to take into account for a good management but that the cultural and social ones are also very important. The example of management with the technique perceive as the most archaic, manual weeding, help us to demonstrate that the innovation processus is a socio-technical one for an effective management of the problem.
In: Ingénieries - E A T, n° 49. 2007
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