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    ASSOCIATION FRANAISE DES HISTORIENSDES IDES POLITIQUES

    Collection dHistoire des Ides Politiques

    dirige par Michel GANZIN

    Comit de rdaction : C.E.R.H.I.I.P.(Centre dtudes et de Recherches dHistoire des Ides

    et des Institutions Politiques)([email protected])

    - XX -

    Actes du Colloque international de Poitiers(14-15 mai 2009)

    UN DIALOGUEJURIDICO-POLITIQUE :

    LE DROIT NATUREL,LE LGISLATEUR ET LE JUGE

    LE DROIT NATUREL DANS LES MAINS DESJUGES DE COMMON LAW(XVIIIme - XIXme sicles) :

    FROM THE SUBSTANTIAL JUSTICE TO THE JURISPRUDENCE DETERMINED

    Par

    David GILLESProfesseur de droit lUniversit de Sherbrooke (Qubec, Canada)

    PRESSES UNIVERSITAIRES DAIX-MARSEILLEFacult de Droit de Science Politique

    - 2010 -

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    LE DROIT NATUREL DANS LES MAINS DESJUGES DE COMMON LAW(XVIIIme - XIXme sicles) :

    FROM THE SUBSTANTIAL JUSTICE TO THE JURISPRUDENCE DETERMINED

    Par

    David GILLESProfesseur de droit lUniversit de Sherbrooke (Qubec, Canada)

    Dans louvrage fondateur de Sir William Holsdworth, celui-ci crivait que le fait que durant le dix-huitime sicle, les cours furent capables de consolider etdtablir les principes du droit moderne, et le fait quelles furent mme dtablirdes rapprochements entre la common law et lequity () tait d largement lalibert avec laquelle elles pouvaient dvelopper leurs principes indpendammentdinterfrences lgislatives 1. Cest donc dans les mains des juges que le pouvoir

    politique a laiss la capacit dtablir les fondements de la common law moderne.Pourtant, cest bien au XVIIme et surtout au XVIIIme sicle que le droit statutaire, ledroit lgislatif, commence sa lente ascension dans la tradition britannique. On datetraditionnellement le dveloppement de celui-ci du rgne de Georges III (1760-1820), la plupart des lois adoptes par le Parlement durant le XVIII me sicle se

    trouvant tre des private bill, qui constiturent les principaux vhicules dinno-vation lgislative durant cette priode2. Si des personnages illustres de la science juridique et politique - comme Locke3 - attachrent leurs noms certains texteslgislatifs, la dynamique du droit britannique reste, au XVIIIme et XIXme sicle uneuvre jurisprudentielle4. Durant cette priode daffirmation de la common law et demonte en puissance du droit statutaire, les juges de common law, tels que LordMansfield, Holt ou Blackstone ont largement us la fois de la doctrine du droitromain et du droit civil5 afin de faire voluer la common law en matire de droit

    priv6. Ce faisant, ils affirment lexistence de principes de droit naturel qui transcen-dent les systmes juridiques. Lord Mansfield, Chief Justice de la Cour du Banc du

    1 Sauf indications contraires, les traductions sont de notre fait ; W. HOLDWORTH, A History of EnglishLaw, Methuen, London, 1938, vol. 12, p. 630.2Ibid., p. 324 ; D. LIEBERMAN, The Province of Legislation Determined : Legal Theory in EighteenthCentury Britain, New York, Cambridge University Press, 1989, rd. 2002, p. 13.3 H. HORWITZ et J. OLDHAM, John Locke, Lord Mansfield and arbitration during the eighteenthcentury , The Historical Journal, vol. 36, no 1, 1993, pp. 137-159.4 H. J. BERMAN, The Transformation Of English Legal Science : From Hale To Blackstone , EmoryLaw Journal, no 45, 1996, pp. 437-452.5 Voir S. P. DONLAN, Our Laws are as Mixed as Our Language : Commentaries on the Laws ofEngland and Ireland, 1704-1804 ,Journal of Comparative Law vol. 3, no 178, 2008, pp. 58-89.6 Sur le poids des juges et de la doctrine sur cette volution, voir louvrage de D. LIEBERMAN, op. cit.,

    pp. 25-146.

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    Roi de 1756 1788, nhsite pas, par exemple, fonder certaines de ses solutionssur les rflexions dun Pothier ou dun Domat7.La tradition juridique anglo-normande des cours royales dAngleterre tait un

    mlange htrogne de sources, de traditions lgales saxonnes et danoises confron-tes la loi fodale normande. Cette loi gnrale commune au royaume, faonne

    par la tradition et les juges, reflte toutefois lactivit des seules juridictions royales.Une large varit de tribunaux locaux, de commerces, de juridictions urbaines ouseigneuriales subsistait aux cts des juridictions de common law, permettant unemixit juridique plus forte.

    Au XVIIIme sicle, les juges britanniques, tels que Lord Mansfield, Kamesou Blackstone, vont jeter les bases modernes du systme juridique britannique 8. Lesystme de common law a connu en effet du XIVme jusquau XVIme sicle, unecertaine sclrose. La common law dun Bracton au XIIIme sicle ou dun Fortescue

    au XVme

    , se trouve entrave par deux problmatiques majeures. Les juridictions deWestminster, notamment le Kings Bench et les Common Pleas, sont trop peunombreuses pour nourrir la jurisprudence en formation, ainsi que pour rpondre auxnouveaux contentieux qui se prsentent dans une Angleterre en redfinition auxXVIIme et XVIIIme sicle. La cration des juridictions dequity ne parvient rsoudre que partiellement cette difficult9. Dautre part, le systme du bref, quioblige le justiciable obtenir lautorisation du roi afin de prsenter sa cause devantune juridiction royale, restreint considrablement lessor de la common law10. Si le

    pouvoir royal rpond partiellement ces difficults par la cration des juridictionsdequity et des cours de chancellerie, les common lawyers vont galement tenter demoderniser la common law, tant dans ses mcanismes que sur le fond. Au XVIme etXVIIme sicle, le recours aux fictions juridiques, afin de dvelopper la common lawhors des cadres restrictifs des prcdents et des writs, va rendre lusage de la

    common law fort complexe. En rponse, des juges comme Edward Coke (1552-1634)11 ou Matthew Hale (1609-1676)12 vont contribuer caractriser la common

    7 Cette utilisation ne doit pas tonner. Outre le fondement civiliste du droit d equity et lusage qui est faitdu droit romain et du droit civil devant les juridictions commerciales et de lAmiraut dans le systmeanglo-saxon, des auteurs comme Domat ou Pothier connaissent un fort rayonnement auprs des juristesde tradition britannique. Ainsi, Mansfield cite ces deux auteurs dans plusieurs causes dont Bright v.Eynon (1757) 1 Burr 390 at 393-4 ou Moses v. Macferlan (1760) 2 Burr 1005, 1008 ; De plus, comme lesouligne Daniel R. Coquillette, la traduction des Lois civiles de Domat par Strahan aura beaucoupdimpact sur les auteurs soucieux de rformer la common law dans un sens plus proche de lequity ; D.-R. COQUILLETTE, The civilian writers of Doctors Commons, London : three centuries of juristicinnovation in comparative, commercial, and international law, Duncker & Humblot, 1988, p. 209 ; voirgalement A.W. B. SIMPSON, Legal theory and Legal History. Essays on the Common law, London,Continuum International Publishing Group, Hambeldon Press, 1987, pp. 174-181. Plus tardivement, un

    auteur fondamental de la doctrine amricaine comme William W. Story fera encore rfrence lauteurclermontois, citant la fois la traduction de Strahan et ldition des uvres par Joseph Remy ; voir W.-W. STORY, A Treatise on the law of contract, 1re d. Boston, Little, Brown, 1856, rd. Law booksexchange, 2006, pp. 23, 45, 82-84, 107, 112-114, 274, 355, 360, 394, 423, 497, 617, 622 ; sur lutilisationdes Lois civiles dans le contexte nord-amricain, voir D. GILLES, Les Lois civiles de Jean Domat,

    prmices des Codifications ? Du Code Napolon au Code civil du Bas Canada , Revue juridique Thmis,Montral, no 43-1, 2009, pp. 2-49.8 P. WORMALD, The Making of English Law,Massachusetts, Blackwell, 1999, pp. 265-278.9 J. GETZLER, Chancery Reform and Law Reform , Law and History Review, Fall 2004 (consult le 6 dc. 2009) ;M. MORIN,Introduction historique au droit romain, franais et anglais, Thmis, 2003, pp. 322-324.10 M. MORIN, ibid., pp. 260-265.11 G.-P. SMITH, Dr. Bonhams Case and the Modern Significance of Lord Cokes Influence ,Washington Law Review, 1966, no 41, p. 297 et sq.

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    law comme un droit singulier, propre aux moeurs britanniques, et parfois en utilisantdes sources exognes, comme le droit romain. Coke, Foster (1689-1763)13 ou encoreSir Francis Bacon par ses Maxims of the Law14 vont galement dcouvrir unfondement naturel la common law, faisant du droit naturel la rponse toutedifficult survenant dans la pratique du common lawyer. Au XVIIIme sicle, desmagistrats comme Lord Mansfield ou Blackstone poursuivent cette volution de lacommon law dans une perspective quelque peu diffrente. Ils cherchent alors affirmer de grands principes juridiques, donner, selon les termes de Blackstone, a map of the law en caractrisant les limites et les structures de cette coutumegnrale de lAngleterre. Du point de vue de la connaissance des mcanismes decommon law et de leur critique, le monument de Blackstone figure comme unensemble incontournable, tant du point de vue du succs ddition que de linfluenceque les Commentaries ont eu sur lensemble des juristes de la deuxime moiti du

    XVIIIme

    sicle. Trs tt pourtant, cette uvre subie les critiques de Bentham et deses affidis, Blackstone constituant selon lui lhonteux apoligiste du statu quo ,son analyse sur la nature et les sources du droit tant contradictoire , superfi-cielle , marquant un amateurisme certain, selon les mots de Bentham15.

    Afin de btir la carte du droit britannique, les magistrats ont naturellementrecours la pense juridique des auteurs continentaux, et trouvent chez ces derniersdes exemples tant de rationalisation du droit que de dfinition dun fondement

    jusnaturaliste16. Plusieurs traits importants sont crits en Angleterre au dbut duXVIIIme sicle, se rattachant la tradition jusnaturaliste continentale. Ainsi ThomasWood, rdigeAn Institute of Imperial and Civil Law en 1704, puisAn Institute of thelaws of England or the law in their Natural Order, according to Common Life ten-tant de prolonger notamment les travaux de Domat et de Pufendorf dans le contextede la common law17. Wood proclame dans la prface de son ouvrage :

    But if there is that wide difference between the Common and Civil Laws in theirforms of Pleading and manner of Tryal, this is only the stile, practice, and course of theCourts. I contend that there is a mixture in the Principle, Maxims and Reasons of thesetwo Laws ; and indeed the Laws of all Countries are mixed with the Civil Law, whichhave arrived to any degree of perfection 18.

    12 M. HALE, The History of the Common Law of England(The History and Analysis of the Common Lawof England 1st ed.), 1713, rd. Charles M. Gray, University Of Chicago Press, 2002.13 The Right of Self-Defence in these Cases is founded in the Law of Nature, and is not nor can besuperseded by any Law of Society. [...] I say before societies were formed for mutual Defence andPreservation, the Right of Self-Defence resided in Individuals ; it could not reside elsewhere. And since inCases of Necessity, Individuals incorporated into Society cannot resort for Protection of the Law of theSociety, that Law with great Propriety and strict Justice considered them as still in that Instance under the

    Protection of the Law of Nature ; M. FOSTER, A Report of some Proceedings on the Commission ofOyer and Terminer and Goal Delivery for the Trial of the Rebels in the Year 1746 in the County of Surry ,and of other Crown Cases. To which Are Added Discourses upon a Few Branches of the Crown Law,Oxon, Professional Books, 1982 (rd. de ldition de 1762), pp. 273-274.14 Voir F. BACON, The Works of Francis Bacon, Baron of Verulam, Viscount St. Alban, and Lord HighChancellor of England : Law tracts. Maxims of the law , London, C.and J. Rivington, 1826.15 J. BENTHAM,A Fragment on Governement, 1776, cit par R. POSNER, Blackstone and Bentham ,Journal of Law and Economics, no 19, 1976, pp. 569-606, p. 570.16 Voir M. MORIN,Introduction historique, op. cit., p. 325 ; L. MOCCIA, English Law Attitudes to the Civil Law ,Journal of Legal History, n. 2, 1981, pp. 157-175.17 Th. WOOD, An Institute of the laws of England, or, The laws of England in their natural order,according to common use, London, printed by W. Strahan and M. Woodfall, d. 1772, rd. TheLawbook Exchange, 2006.18 Th. WOOD,New Institute of the Imperial or Civil Law, London, 1704, prface, non pagine.

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    Plusieurs auteurs se penchent alors sur les proximits entre common law etdroit civil, cherchant formaliser des principes de droit naturel transcendant lessystmes juridiques. Si Strahan considre que les Lois civiles de Domat contiennenttoutes les maximes fondamentales de la loi et de lequity, plusieurs auteurs procla-ment la similitude entre les principes du droit civil et la common law. John Ayliffecrit en 1734A New Pandect of Roman civil Law19, John Taylor unElements of theCivil law, vocation ducative et destination des common lawyers. Son objectif estclair :

    () to enquire into the Foundations of Justice and Equity and to examine theprincipal Obligations, which arise from these several connections, into which Providencehas thought proper to distribute teh Human species 20.

    Ces traits qui visent rapprocher le droit civil de la common law sont fondssur une rflexion jusnaturaliste, comme le montre louvrage cl de Thomas

    Rutherforth, Institutes of Natural Law21

    , essentiellement bas sur les travaux deGrotius et son ouvrageDe jure Belli ac pacis. La doctrine a donc fait beaucoup pourlintroduction de la perspective jusnaturaliste dans la common law22, mais elle setrouve confronte une forte rsistance de la pratique quotidienne des rsidents desInns of Courts. La prise de conscience par les juges de common law de leur rledans lintroduction de ces principes dans les mcanimes de la common law taitncessaire.

    Prolongeant ce courant doctrinal dans la jurisprudence, Lord Mansfield - etBlackstone dans une moindre part - vont alors btir certaines de leurs dcisions oude leurs rflexions sur le droit naturel, ce qui entranera au sein de la doctrine britan-nique de fortes critiques, qui aboutiront au rejet par Bentham et par Austin de la

    pertinence de la loi naturelle comme fondement axiomatique de la science juridique.Dans le mme temps, les thories des Lumires et le mouvement rvolutionnaire

    amricain prendront appui sur les thses jusnaturalistes afin de construire ce qui seraau cur de la doctrine juridique nord amricaine. Ainsi, Richard Price, se faisantlcho des dbats nord-amricains, dveloppe lide que le droit de proprit est undroit naturel pour la prservation duquel les citoyens ont lgitimement le droit dedsigner leur reprsentant politique, au nom du clbre no taxation without repre-

    sentation23. Si la rhtorique des droits de lhomme et ses fondements jusnaturalistesdans le contexte rvolutionnaire sont bien connus, lusage que font les juges et ladoctrine britanniques des concepts dvelopps par le courant jusnaturaliste lestmoins, surtout de la pense juridique continentale. Ce rapport au droit naturel estdautant plus important quil lgitime un maintien du judge made law sur unfondement jusnaturaliste, alors mme que le statute law se dveloppe durant toutecette priode, et que le lgislateur figure, de plus en plus, comme le seul dtenteurdun vritable pouvoir crateur de la norme. De plus, cette recherche des principes

    naturels passe pour partie par le mdia du droit romain et de la doctrine civiliste.Cest cette acclimatation du droit naturel aux mcanismes de common law par les

    19 Il dveloppe dans cet ouvrage une longue tude de la nature de la loi et il rejette fermement les

    prcdents contraires la raison et aux principes naturels du droit ; J. AYLYFFE, A New Pandect ofRoman Civil Law, London, 1734, pp. 5-25.20 J. TAYLOR,Elements of the Civil Law , Cambridge, 1755, p. iii.21 Th. RUTHERFORTH,Institutes of Natural Law, Cambridge, 1754-1756.22 A.-W.-B. SIMPSON,Legal theory and legal history : op. cit., pp. 273-321.23 R. PRICE, Observations on the Nature of Civil Liberty, the Principles of Government, and the Justiceand Policy of the War with America, 1775, dans Political Writings, D.-O. Thomas rd., Cambridge,Cambridge University Press, 1992, pp. 20-79.

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    juges eux-mmes - Blackstone et Mansfield figurant au premier plan - qui feralobjet dune premire analyse (I), avant daborder la raction de la doctrine utilita-riste, ces conceptions et au rle du juge, sous les plumes de Jeremy Bentham etJohn Austin (II).

    I. LA COMMON LAW, EXPRESSION DU DROIT NATUREL ?

    La tradition juridique britannique, malgr ses spcificits certaines, a connuglobalement les mmes volutions que la pense juridique continentale. La redcou-verte du droit romain au XIIme sicle provoque le dveloppement de lenseignementdu droit civil et du droit canon dans les universits anglaises, alors que les Inns ofCourt forment la common law. Les universits dOxford et Cambridge permirentdonc aux tudiants dtre forms la ratio scripta romaine24. Toutefois, cette source

    reste peu influente sur la common law proprement dite, jusquau XVIIme

    sicle. cette date, la doctrine est consciente des difficults rencontres dans la procdure decommon law et du dveloppement des juridictions de lAmiraut et de Chancellerie.Cest donc tout naturellement que Blackstone25 et Mansfield puisrent tour tourdans la tradition romaniste et jusnaturaliste afin de btir une common law moderni-se et, ce faisant, participrent une redfinition du rle du juge.

    La nata lexromaine comme grille de lecture du droit britannique : Blackstone

    Blackstone nat Londres le 10 juillet 1723. Aprs de solides tudes, il est bachelor in civil law en 1745, puis rentre au Barreau en 1746, obtenant peut-trele doctorat de droit civil lge de 27 ans. Avocat sans relief, il obtint dabord sarenomme en tant que pdagogue. Sil exera galement les fonctions de juge du

    Kings Bench et des Commons Pleas, cest essentiellement travers son uvredoctrinale quil simposera comme le plus grand auteur du XVIIIme sicle anglais.Son ouvrage en quatre livres, publis de 1765 1769 lui permit dtre le premierauteur dgager, au-del de la pluralit des dcisions de jurisprudence, les grands

    principes de son droit national. En 1753, il donne les premiers cours de common lawau sein dune universit. Avant cette priode, les universits dOxford et Cambridgese contentaient denseigner le droit romain et le droit canon. Les Inns of court, deslieux qui regroupaient dans un mme espace les praticiens de la common law, lestudiants et les juges, constituaient les seuls lieux dapprentissage et denseignementde la common law, dans une perspective qui marquera pour longtemps la formationdes juristes britanniques. Malgr ce succs ddition et laura qui imprgnera sonuvre pour des sicles, Posner souligne que lhistoire has not dealt kindly withBlackstone 26, notamment au regard de sa postrit en Grande-Bretagne.

    Ayant obtenu la premire chaire de droit anglais en Angleterre, il exera Oxford, de 1758 1766. Ses commentaires constituent le premier trait complet decommon law et sont largement construits autour du droit romain car Blackstone estun civilian , un auteur form la civil law , terme dsignant en Angleterre ledroit romain. Comme le relve Josette Garnier, le droit romain tait reu en24 S.-P. DONLAN, The Debt Is Forgotten : A Compendious View of Arthur Browne, c1756-1805 ,ElectronicJournal of Comparative Law,vol. 13.3, 2009, http : //www.ejcl.org/ 133/art133-3.pdf (consul-t le 10 novembre 2009).25 Sur linfluence de Blackstone sur la pense juridique britannique, voir louvrage rcent de W. PREST,Blackstone and his Commentaries : Biography, Law, History, London, Hart Publishing, 2009.26 R. POSNER, op. cit., p. 571.

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    Angleterre depuis Bracton, admirateur dAzon et connaisseur des textes deJustinien 27. Le choix de la langue anglaise dmontre ds le dpart sa volont deconstituer un outil pour le barreau28 et non pas un trait purement doctrinal etuniversitaire. Exerant les fonctions de juge partir de 1770 au sein de la Cour des

    plaids communs, il tait mme dapprhender toutes les difficults du juge decommon law. Paradoxalement, il faut relever que, si les Commentaires dcrivent ledroit anglais, par essence fortement jurisprudentiel, Blackstone cite quasiment autantde dcisions quil se rfre au droit romain.

    Selon lui, le pouvoir judiciaire stend toutes les causes en droit et enquit , une formulation qui recouvrait la distinction entre les courts of law et lescourts of equity en Angleterre. Il cherche dmentir un certain nombre da prioridont souffrent les juridictions dequity29. Classiquement, lequity tait dfinie selonlui comme tant lme et lesprit de toute loi . Conformment cette logique, les

    cours dequity devaient, en principe, juger selon les principes naturels du droitanglais plutt que par application des rgles positives ds lors quelles devaiententraner une injustice au regard des circonstances particulires de lespce 30.Blackstone avait toutefois lui-mme voqu les limites de la distinction, artificielleselon lui pour qualifier ces juridictions31, entre droit et quit, mme sil jugencessaire de faire la part des choses32, en prenant pour angle dattaque dune part lerle des juges et dautre part les sources de lequity :

    () it has been said that a court of equity is not bound by rules or precedents,but acts from the opinion of the judge, founded on the circumstances of every particularcase. Whereas the system of our courts of equity is a laboured connected system,governed by established rules, and bound down by precedents, from which they do notdepart, although the reason of some of them may perhaps be liable to objection ().Grotius, or Puffendorf, or any other of the great masters of jurisprudence, would have

    been as little able to discover, by their own light, the system of a court of equity in

    27 J. GARNIER, Droit anglais et droit romain. La considration selon Sir William Blackstone ,O. Vernier (ss. dir.),tudes dHistoire du droit priv en souvenir de Maryse Carlin, Universit de Nice-Sophia Antipolis, d. La Mmoire du droit, 2008, pp. 343-352.28 Sur le contexte de la pratique du droit cette poque, voir D. LEMMINGS, Professors of the law :barristers and English legal culture in the eighteenth century, Oxford University Press, 2000.29 In short, if a court of equity in England did really act, as a very ingenious writer in the other part ofthe island supposes it (from theory) to do, it would rise above all law, either common or statute, and be amost arbitrary legislator in every particular case. No wonder he is so often mistaken ;W. BLACKSTONE, Commentaries on the Laws of England,Oxford, Clarendon Press, 1765-1769, rd.conforme loriginale en 4 volumes, Legal classical Library, Birmingham, Alabama, 1983, vol. 4, livreIV, chp. 15, pp. 218-220.30 Par consquent, lattribution de ces deux pouvoirs (le jugement par la loi et par la raison) au sein desmmes cours dans le contexte colonial tait, aux yeux de certains auteurs, apprhend comme une

    incongruit, mme si la pratique coloniale britannique la trs vite impos ; cf. M. MORIN, Introductionhistorique, op. cit., pp. 326-385.31 The decrees of a court of equity were then rather in the nature of awards, formed on the suddenpro renata, with more probity of intention than knowledge of the subject ; founded on no settled principles, as

    being never designed, and therefore never used, for precedents. But the systems of jurisprudence, in ourcourts both of law and equity, are now equally artificial systems, founded in the same principles of justiceand positive law ; but varied by different usages in the forms and mode of their proceedings ;W. BLACKSTONE, Commentaries, op. cit., vol. 4, livre IV, chp. 15, pp. 218-219.32 Let us take a brief, but comprhensive, view of the general nature of equity, as now undersood and

    practised in our several courts of judicature (). [A]s nothing is hitherto extant, that can give a stranger atolerable idea of the courts of equity subsisting in England, as distinguished from the courts of law, thecompiler of these observations cannot but attempt it with diffidence : they, who know them best, are toomuch employed to find time to write ; and they, who have attended but little in those courts, must be oftenat a loss for materials , ibid., vol. 4, livre IV, chap. 15, p. 217.

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    Toutefois, il hsite conclure quon est tenu de dsobir la loi positive quicontredit la loi naturelle ou la loi divine40 lorsquelle est formule sous la forme dudroit statutaire. Reprenant la formulation du juge Coke dans laffaire du docteurBonham41, Blackstone considre que de telles normes statutaires sont invalides parelles-mmes, et ainsi peuvent tre rejetes par les juges de common law42. Toutefois,il nuance immdiatement laffirmation du juge en Chef Coke43 en faveur du ju-dicial review of legislation car, convaincu de la souverainet parlementaire, ilaccepte difficilement lide que les juges ont la libert de rejetter des normes statu-taires draisonnables. Commentant laffaire Bonham44, il considre en dfinitive queles juges ont la possibilit de scarter de la loi parlementaire uniquement si lesconsquences collatrales de son application sont manifestement contraires laraison commune45.

    Pour lui, la loi naturelle est being coeval with mankind, and dictated by

    God himself is, of course, superior in obligations to any other. It is binding over allthe globe, in all countries, and at all times. No human laws are of any validity, ifcontrary to this ; and such of them as are valid, derive all their authority, meditely,or immediately from this original 46. Il se fait essentiellement le contempteur des

    principes du droit naturel dans la section 2 de lintroduction ses Commentaires47,en se fondant essentiellement sur ldition anglaise des Principes du droit naturel(1748) de Burlamaqui (dont ldition de Genve datait de 1747), qui reprenaitlargement les travaux de Wolff48. Sa proximit sera si forte avec lauteur genevoisquil sera considr comme le plagiaire de ce dernier49. Toutefois, sa conception dudroit naturel est galement influence par la ratio scripta du droit romain, et par lestravaux des auteurs civilistes que sont Domat50 et Pothier ou certains auteurs britan-niques, proches de laugustinisme juridique comme Samuel Rutherford51. linstarde la pense jusnaturaliste classique, Blackstone fait de la loi naturelle un prolonge-

    ment de la loi rvle, la raison permettant aux hommes dchus de dcouvrir la loinaturelle malgr le pch originel52. Lhomme est alors une crature sujette la

    40 W. BLACKSTONE, Commentaries, op. cit., vol. 1, introd., sect. 2, p. 43.41Dr. Boham Case (1610) Hilary Term, 7 James 1 ; 8 Co. Rep. 114 ; Bonhams Case 8 Coke 113b.42 D. LIEBERMAN, op. cit., p. 53.43 E. COKE, The Selected Writings and Speeches of Sir Edward Coke, ed. Steve Sheppard, Indianapolis,Liberty Fund, 2003, vol. 1, p. 264.44 T.-F.-T. PLUCKNETT Bonhams Case and Judicial Review , Harvard Law Review, 1926, p. 40 etsq.45 D. LIEBERMAN, op. cit., p. 54.46 W. BLACKSTONE, Commentaries, op. cit., vol. 1, introd., sect. 2, p. 41.47 Voir A.-M. FORBES, Johnson, Blackstone and the Tradition of Natural Law , Mosaic, a journal forthe interdisciplinary study of literature, Univ. of Manitoba, Winnipeg, no 27-4, 1994, pp. 81-98.48

    O. FRIEDRICH VON GIERKE, Natural law and the theory of society, 1500 to 1800, trad. ErnstTroeltsch et Ernest Barker, red. The Lawbook Exchange, 2001, p. xliii.49 Voir P. LUCAS Ex Parte Sir William Blackstone, Plagiarist : A Note on Blackstone and the

    Natural Law , The American Journal of Legal History, vol. 7, no. 2, 1963, pp. 142-158.50 Il cite par exemple les Lois civiles en matire de droit des personnes et de consentement au mariage(Commentaries, op. cit., vol. 1, p. 437). Blackstone se serait mme inspir des travaux de Domat pourconstruire certains points de sa conception du droit pnal, notamment dans ses rapports lordre public ;J. HALL, General Principles of Criminal Law, 2nd ed., Indianapolis, the Bobbs Merrill Company, 1960,

    p. 10.51 Sur cet auteur, voir P.-J. RICHARDS, The law written in their hearts ? Rutherford and Locke,governement and resistance ,Journal of Law and religion, vol. 18, no. 1, 2002 - 2003, pp. 151-189.52 But in order to apply this to the particular exigencies of each individual it is still necessary to haverecourse to reason whose office it is to discover as was before observed what the law of nature directs inevery circumstance of life by considering what method will tend the most effectually to our own

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    volont divine, face laquelle il ne peut exprimer de vritable volontarismejuridique : Man, considered as creature, must necessarily be subject to the laws of his

    creator, for he is entirely a dependent being. A being, independent of any other, has norule to pursue, but such as he prescribes to himself ; but a state of dependence willinevitably oblige the inferior to take the will of him, on whom he depends, as the rule ofhi conduct ; not indeed in every particular, but in all those points wherein his dependenceconsists. This principle therefore has more or less extent and effect, in proportion as thesuperiority of the one and the dependence of the other is greater or less, absolute upon hismaker for every thing, it is necessary that he should in all points conform to his makerswill 53.

    Sans surprise, conformment aux canons du jusnaturalisme et affirmant plusieurs reprises que what is not reason is not law 54, il fait de la raison linstru-ment permettant de dcouvrir la loi naturelle, cette dernire confrant aux hommes

    des droits imprescriptibles, marquant la dette de la pense juridique aux travaux dela seconde scolastique. Toutefois, lhomme tant dchu et sa raison obscurcie, leslois humaines sont alors ncessaires afin de prolonger la loi naturelle 55. Ces passagesdes Commentaires sont alors trs proches des dveloppements des Lois civiles deDomat. Plus proche de sa propre tradition juridique, Blackstone reprend Bacon,lorsque ce dernier crivait, au sicle prcdent, que les nouvelles causes devaienttre dtermines sur les bases de la raison et des principes de la justice naturelle,sans recours la lgislation56. Il relve, l encore classiquement, que la volontdivine trouve son expression travers la loi rvle et la loi naturelle 57. La volontdivine, qualifie de loi naturelle, est ainsi prescriptrice dun certain nombre de

    principes naturels immuables et universels aux cratures humaines : This will of the maker is called the law of nature. For as God, when he created

    matter, and endued it with a principle of mobility, established certain rules for the

    perpetual direction of that motion ; so, when he created man, and life, he laid downcertain immutable laws of human nature, whereby that freewill is in some degreeregulated and restrained, and gave him also the faculty of reason to discover the purport ofthose laws 58.

    substantial happiness. And if our reason were always as in our first ancestor before his transgression clearand perfect unruffled by passions unclouded by prejudice unimpaired by disease or intemperance the taskwould be pleasant and easy we should need no other guide but this. But every man now finds the contraryin his own experience that his reason is corrupt and his understanding full of ignorance and error ;W. BLACKSTONE. Commentaries, op. cit., vol. 1, livre I, introd., pp. 40-41.53 W. BLACKSTONE, Commentaries, op. cit., vol. 1, livre I, introd., sect. 2, p. 3954 D. LIEBERMAN, op. cit., p. 85.55 The doctrines thus delivered we call the revealed or divine law and they are to be found only in theholy scriptures. These precepts when revealed are found upon comparison to be really a part of the

    original law of nature as they tend in all their consequences to mans felicity. But we are not from thenceto conclude that the knowlege of these truths was attainable by reason in its present corrupted state sincewe find that until they were revealed they were hid from the wisdom of ages ; W. BLACKSTONE,Commentaries, op. cit., vol. 1, livre I, introd., pp. 41-42.56 W. BACON,De Augmentis scientiarum, cit par D. LIEBERMAN, op. cit., p. 86.57 But in order to apply this the particular exigencies of each individual, it is necessary to have recourseto reason : whose office it is to discover, as was before observed, what the law of nature directs in everycircumstance of life ; by considering, what method will tend the most effectually to our own substantialhappiness. And if our reason were always, as in our first ancestor before his transgressions, clear and

    perfect, unruffled by passions, unclouded by prejudice, unimpaired by disease or intemperance, the talkwould be pleasant and easy ; we should need no other guide but this. But every man now finds thecontrary in his own experience ; that his reason is corrupt, and his understanding full of ignorance anderror ; W. BLACKSTONE, Commentaries, op. cit., vol. 1, livre I, sect. 2, p. 41.58Ibid., pp. 39-40.

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    cannot be attained but by observing the former ; and, if the former be punctually obeyed,it cannot induce the latter 65.Si le modle du systme juridique rside dans les lois naturelles, les hommes

    disposent toutefois dune marge de manuvre dans ltablissement de leurs propresnormes. Toutefois, cest lorsque les lois humaines prolongent des principes naturelsquelles trouvent leur plus grande efficacit :

    There is, it is true, a great number of indifferent points, in which both the divinelaw and the natural leave a man at his own liberty ; but which are found necessery for the

    benefit of society to be restrained within certain limits. And herein it is that human lawshave their greatest force and efficacy ; for, with regard to such points as are not indif-ferent, human laws are only declaratory of, and act in subordination to, the former 66.

    Les lois humaines trouvent ainsi leur ncessit par lentre en socit, quirend ncessaire lorganisation dtats complexes aux murs diffrentes67. SelonBlackstone, les hommes possdent des droits absolus et naturels tels ceux dont ilsdisposaient dans ltat de nature et pour la jouissance desquels ils ont fond lasocit68. Suivant fidlement Locke, Blackstone estime que le but de la socit est de

    protger lexercice de tels droits. Il fait des droits la scurit, la libert et laproprit prive des droits naturels absolus dont chaque individu est titulaire69. Lesextensions de ces droits absolus, trouvent galement leur fondement dans la loinaturelle70. Dans sa perspective, les magistrats disposent alors du pouvoir de sanc-tionner le non respect des lois par les individus sur une base consensuelle, car enentrant en socit, ils ont consenti un contrat71. Pour lui, la vie est un don de Dieuet a right inherent by nature in every individuals [...] 72. Reprenant pour partie65Ibid., pp. 40-41.66Ibid., p. 42.67 If man were to live in a state of nature, unconnected with other individuals, there would be no

    occasion for any other laws, than the law of nature, and the law of God. Neither could any other lawpossibly exist ; for a law always supposes some superior who is to make it ; and in a state of nature we areall equal, without any other superior but him who is the author of our being. But man was formed forsociety ; and, as is demonstrated by the writers on this subject, is neither capable of living alone, norindeed has the courage to do it. However, as it is impossible for the whole race of mankind to be united inone great society, they must necessarily divide into many ; and form separate states, commonwealths andnations, entirely independent of each other, and yet liable to a mutual intercourse ; ibid., p. 43.68 () such as would belong to their persons merely in a state of nature, and which every man is entitledto enjoy whether out of society or in it ; ibid., vol. 3, livre III, chp. 8, p. 119.69 And the absolute rights of each individuals were defined to be the right of personal security, the rightof personal liberty, and the right of private property ; so that the wrongs or injuries affecting them mustconsequently be of a correspondent nature , ibid., p. 119. Le droit la scurit personnelle consiste alors [...] in a persons legal and uninterrupted enjoyment of his life, his limbs, his body, his health, and hisreputation ; ibid., p. 125.70 Il relve plusieurs maximes ou principes qui sont fonds selon lui, sur la loi naturelle et lquit. Il enest ainsi de la possibilit dtre dfendu par un avocat lorsquun un individu est accus dun acte

    rprhensible ; It is the extension of that maxim of natural equity that every one shall be heard in hisown cause that warrants the admission of hired advocates in courts of justice for there is much greaterinequality in the powers of explanation and persuasion in the natural state of the human mind than when itis improved by education and experience , ibid., vol. 4, livre IV, chp. 27, p. 355.71 As to offences merely against the laws of society which are only mala prohibita and not mala in sethe temporal magistrate is also empowered to inflict coercive penalties for such transgressions and this bythe consent of individuals who in forming societies did either tacitly or expressly invest the sovereign

    power with the right of making laws and of enforcing obedience to them when made by exercising upontheir non observance severities adequate to the evil The lawfulness therefore of punishing such criminalsis founded upon this principle that the law by which they suffer was made by their own consent it is a partof the original contract into which they entered when first they engaged in society it was calculated forand has long contributed to their own security ; ibid., vol. 4, livre IV, chp. 1, pp. 8.72 Cette constatation tait dj faite par la pratique judiciaire. Les tribunaux anglais admettent ainsi quelobligation de sa propre prservation dcoule de la nature. En 1562, dans larrt Hales c.Petit, la Cour

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    Pufendorf, il affirme lexistence dun certain nombre de droits naturels, dont lobli-gation de subsistance qui existe entre les parents et leurs enfants, de mme quelobligation de protection envers les membres de sa famille73.

    The duty of parents to provide for the maintenance of their children is a principle of natural law ; an obligation says Pufendorf laid on them not only by natureherself but by their own proper act in bringing them into the world for they would be inthe highest manner injurious to their issue if they only gave their children life that theymight afterwards sec them perish. (...) And thus the children will have a perfect right ofreceiving maintenance from their parents 74.

    En matire de succession, il distingue galement entre les limites poses parla loi naturelle et celles poses par la loi civile75. Toujours en matire de droit des

    personnes, alors que la jurisprudence sur le sujet de lesclavage tait contradictoireavant le clbre arrt Somerset76, Blackstone rejette, se dtachant de la traditionaristotlicienne, lide que le droit naturel permettrait lesclavage, affirmant au con-traire que les principes du droit naturel et la raison ne peuvent justifier lasservisse-ment dautrui :

    As to the several sorts of servants I have formerly observed that pure and properslavery does not nay cannot subsist in England : such I mean whereby an absolute andunlimited power is given to the master over the life and fortune of the slave. And indeed itis repugnant to reason and the principles of natural law that such a state should subsist anywhere. The three origins of the right of slavery assigned by Justinian are all of them builtupon false foundations 77.

    Dans une lettre de fvrier 1769 adresse Granville Sharp, auteur dunmanuscrit intitul A Representation of the Injustice and Dangerous Tendency ofTolerating Slavery in England78, Blackstone constate que la question de lesclavagenest en rien rgle en common law et, sil affirme lesclavage comme contraire la

    raison et au droit naturel, il relativise le rapprochement traditionnellement fait parles abolitionnistes entre le statut du vilain au sens britannique du terme et lescla-vage proprement dit79. Aprs larrt Somerset, Blackstone ne fera dailleurs pas demodification majeure aux ditions successives de ses Commentaires, semblant ngli-ger limpact - il est vrai nuanc - de la dcision de Lord Mansfield, ce qui tmoigne

    des plaids communs affirmait ainsi que le suicide est une infraction contre Dieu, le Roi et la nature car : [...] it is contrary to the rules of self-preservation, which is the principle of nature, for every thing livingdoes by instinct of nature defend itself from destruction [...] ; (1562) 1 Plowden 253, 75 E.R. 387(Common Bench), p. 400. Au XIXme sicle, on retrouvera une conception similaire : Where a manstrikes at another, within a distance capable of the latter being struck, nature prompts the party struck toresist it, and he is justified in using such a degree of force as will prevent a repetition ; Anon., (1836) 2Lew. 48, 168 E.R. 1075 (Assizes).73

    W. BLACKSTONE, Commentaries op. cit., vol. 1, livre 1, chp. 16, p. 438.74Ibid., vol. 1, livre 1, chp. 16, p. 435 et sq.75Ibid., vol. 1, livre 1, chp. 16, II, p. 442.76 R. PALEY, After Somerset : Mansfield, Slavery and the Law in England, 1772-1830 , N. Landau(ed.),Law, Crime and English Society 1660-1830, Cambridge University Press, 2002, p. 168.77 W. BLACKSTONE, Commentaries op. cit., vol. 1, livre I, chp. 14, p. 411 et sq.78 G. SHARP, A Representation of the Injustice and Dangerous Tendency of Tolerating Slavery inEngland, London, 1769.79 You want no assistance with regard to the nature of Villenage ; a thing totally distinct from that a

    Negro Slaving ; except that it may be Collected from the Law of Villenage, how little a matter will serve(in the humanity of the English Law) for an Evidence of Manumission. The only Argument that can bedrawn from it against you, is, that as Villenage was allowed by the Common Law ; it cannot be arguedthat a state of Servitude is absolutely unknown to and insconsistent therewith ; W. PREST (ed.), TheLetters of Sir William Blackstone, Selden Society, 2006, p. 139.

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    la fois de son indpendance desprit80

    et du dtachement affich lvolutioneffective et matrielle de la common law.Les renvois aux principes de justice naturelle, que chaque nation, que cha-

    que individu peut dcouvrir par la raison81 sont donc fort nombreux et cela mme silarchitecture thorique entre lois naturelles et lois positives est relativement pauvre,ou traditionnelle. voquant la priode de la lutte entre le roi Stephen et lImpratriceMathilde, il relve que :

    Though the civil law in matters of contract and the general commerce of lifemay be founded in principles of natural and universal justice, yet the arbitrary anddespotic maxims which recommended it as a favourite to the pope and the Romish clergyrendered it deservedly odious to the people of England. Quod principi placuit legit habetvigorem 82.

    Si donc le droit des obligations et la lex mercatoria relvent de la loi naturelletire - pour le premier ensemble - de la nata lex romaine, la norme positive dorigine

    parlementaire joue galement un rle trs important. Dans son esprit, la distinctionentre la loi positive et la loi naturelle saffirme avec force. Il constate ainsi que sicertains actes blessent la loi naturelle83, la loi positive opre des distinctions travers ces actes, qui ne doivent rien la nature mais tout la volont du lgislateur.

    Pour Blackstone, les juges sont la fois the depositary of the laws , andthe living oracles de la loi mais, dans le mme temps ils ne sont pas dlgu-s pour dicter une nouvelle loi mais pour maintenir et expliciter lancienne :

    How are these customs or maxims to be known, and by whom is their validity tobe determined ? The answer is, by the judges in the several courts of justice. They are thedepositary of the laws ; the living oracles, who must decide in all cases of doubt and whoare bound by an oath to decide according to the law of the land. Their knowledge of thatlaw is derived from experience and study 84.

    Blackstone affirme la thorie dclaratoire de la loi, qui rduit fortement le

    rle du juge, se trouvant en retrait au regard du judge made law , rle crateur pourtant traditionnel du juge de common law mais quil restreint strictement audomaine des prcdents. Au moment o le droit statutaire sapprte connatre unfort dveloppement, il laisse au lgislateur la prdominance face au juge crateur dela norme, lexception des situations o la loi est contraire la raison et la loidivine :

    For it is an established rule to abide by former precedents, where the samepoints come again in litigation ; as well to keep the scale of justice even and steady, andnot liable to waver with every new judges opinion ; as also because the law in that case

    being solemny declared and determined, what before was uncertain, and perhaps

    80 Voir W. PREST, Law for Historians : William Blackstone on Wives, Colonies and Slaves , LegalHistory, vol. 11, 2007, pp. 105-116.81

    Pour lui, the law of nations is a system of rules, deducible by natural reason, and established byuniversal consent among the civilized inhabitants of the world ; W. BLACKSTONE, Commentaries,op. cit., vol. 4, livre IV, chp. 5, p. 66.82Ibid., vol. 1, introd. p. 18.83 The distinction between public crimes and private injuries seems entirely to be created by positivelaws and is referable only to civil institutions. Every violation of a moral law or natural obligation is aninjury for which the offender ought to make retribution to the individuals who immediately suffer from itand it is also a crime for which he ought to be punished to that extent which would deter both him andothers from a repetition of the offence. In positive laws those acts are denominated injuries for which thelegislature has only provided retribution or a compensation in damages ; but when from experience it isdiscovered that this is not sufficient to restrain within moderate bounds certain classes of injuries it then

    becomes necessary for the legislative power to raise them into crimes and to endeavour to repress themby the terror of punishment or the sword of the public magistrate ; ibid., vol. 4, livre IV, chp. 1, pp. 5-6.84Ibid., vol. 1, livre I, introd., 3, p. 69.

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    indifferent, is now become a permanent rule, which it is not in the breast of any subse-quent judge to alter or vary from, according to his own private judgment, but according tothe known laws and customs of the land ; not delegated to pronounce a new law, but tomaintain and expound the old one. Yet this rule admits of exception, where the formerdetermination is most evidently contrary to reason ; much more if it be contrary to thedivine law 85.

    Sous sa plume, les juges sont dlgus non pour donner des lois nouvellesmais pour expliquer et conserver les anciennes, un juge ne doit pas avoir pour rle

    principal de crer la loi, mais de lnoncer, ou de dcouvrir sa signification dans lesprcdents judicaires qui expriment le droit antrieur. Toutefois, cela nempche pasque le juge confront un prcdent contraire la raison ou la loi divine, puissecarter ce prcdent en dclarant que la sentence antrieure, ayant mal interprt ledroit, ntait pas une loi :Not that such a sentence was bad law, but that it was notlaw, aphorisme encore cit par la Cour suprme des tats-Unis de nos jours86. Il

    poursuit son propos cit ci-dessus en estimant que : But even in such cases the subsequent judges do not pretend to make a new law,

    but to vindicate the old one from misrepresentation. For if it be found that the formerdecision is manisfestly absurd or unjust, it is declared, not that such a sentence was badlaw, but that it was not law ; that is, that it is not the established custom of the realm, ashas been erroneously determined. And hence it is that our lawyers are with justice, socopious in their encomiums on the reason, that it always intends to conform thereto, andthat what is not reason is not law 87.

    Quand il en vient envisager les rapports normatifs densemble, il prendalors une position mitoyenne. Il donne la primaut au droit statutaire, considrantquil ny a aucun moyen de contrler son usage, se refusant daccorder un blancseing ses pairs. Il voque dailleurs le cas o si la sanction pnale sortait de la

    poitrine dun juge - usurpant le rle du lgislateur - les hommes deviendraient les

    esclaves des magistrats. Mais dans le mme temps, il considre que l equity estsynonyme de justice et que all the english courts enjoyed an equitable authori-ty 88. Cest en ayant lesprit ces prceptes relatifs au rle du juge que la jurispru-dence canadienne se rfre encore, lorsquelle penche vers un certain formalisme

    juridique, la formule lapidaire de Blackstone, faisant du juge linstrument dunedcouverte de la norme, et non pas dune cration de la loi. Il ne cre pas le trsornormatif, mais il en est linventeur. Cela a t raffirm avec force en 2007 par laCour suprme du Canada dans larrt Canada (Procureur gnral) c. Hislop,[2007] :

    Rappelons que la thorie dclaratoire est issue du clbre aphorisme deBlackstone : les juges ne crent pas le droit mais ne font que le dcouvrir (W. Blackstone,Commentaries on the Laws of England (1765), vol. 1, p. 69-70). Elle exprime une con-ception classique et fort rpandue du rle des tribunaux dans un tat dmocratique,fonde sur le souci de prserver une stricte sparation des pouvoirs judiciaire, lgislatif etexcutif. Ainsi, le tribunal accorde une rparation rtroactive en appliquant le droit exis-tant ou une rgle redcouverte qui est rpute avoir toujours exist, tandis que le lgisla-teur labore de nouvelles lois pour lavenir 89.

    85Ibid., p. 70.86 Voir par exemple la rfrence faite par le juge Scalia dans Harper v. Virginia Dept of Taxation (91-794), 509 U.S. 86 (1993).87 W. BLACKSTONE, Commentaries op. cit., vol. 1, livre I, pp. 69-70.88 D. LIEBERMAN, op. cit., p. 84.89Canada (Procureur gnral) c. Hislop, [2007] 1 R.C.S. 429, 2007 CSC 10 au para. 84.

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    Blackstone apparat ainsi lintersection du courant jusnaturaliste et du posi-tivisme naissant90. Ce rapport la norme, que le juge ne cre pas, est lorigine du noble rve amricain91, auquel la doctrine juridique amricaine se rattacheencore de nos jours, travers les travaux dun Dworkin par exemple92. Si Blackstonefigure par bien des aspects du ct dun droit naturel classique, presque archaque,encore marqu par la vision dun homme dchu, il dveloppe en matire de constitu-tionnalisme, de droits du parlement ou de relation entre droit statutaire et commonlaw, des thories proches de la modernit et du positivisme. Si sa vision thorique dudroit naturel est sans grande originalit, il laisse la place une ralisation dun droit

    positif vecteur dune certaine justice, la fois rationnel et moral. Il ouvre ainsi lavoie des auteurs plus radicaux, tels que Austin ou Bentham.

    A contrario de ce parcours original, Lord Mansfield caractrise parfaitementle juge de common law, actif, sr de son rle, crateur de solutions juridiques tant

    comme interprte du droit statutaire quen tant que Chief Justice dune juridiction decommon law. Les deux hommes partageront bien des vues sur lvolution de cetensemble normatif insulaire93, mme si leurs postures et leurs relations au droit natu-rel sexpriment sous des formes diffrentes. Abordant le problme sous un anglediffrent, plus axiomatique et pragmatique que Blackstone, Lord Mansfield vise

    btir un systme juridique plus juste, refltant la fois une justice naturelle maisgalement des valeurs propres aux anglo-saxons.

    La qute de la natural justice de Lord Mansfield ou la recherche desprincipes du droit naturel

    William Murray, fait Lord Mansfield, dorigine cossaise, est clbre pouravoir uvr la transformation de la loi anglaise ainsi qu la rforme du systme

    rgissant les cours britanniques. Holdworth le considrait non seulement comme leplus grand juriste du sicle, mais galement comme un legal statesman , qui avait pleine conscience de la ncessit dinsrer de nouvelles ides dans ladministrationet les principes de common law, si cela pouvait rsoudre adquatement les nouvellesquestions qui se posaient face aux bouleversements commerciaux et industriels 94

    de son poque. Reprsentant de la Couronne de 1742 175495, cest partir de 1756

    90 Voir R.-A. COSGROVE, Scholars of the law : English jurisprudence from Blackstone to Hart, NewYork University Press, 1996, pp. 21-34.91 Selon les termes de H.-L.-A. Hart dans un article publi une premire fois en 1977, AmericanJurisprudence Through English Eyes : The Nightmare and the Noble Dream , H.-L.-A. HART, Essay in jurisprudence and philosophy, pp. 124-145 ;sur les rapports entre Hart et Dworkin, voirR. GUASTINI, Thorie et ontologie du droit chez R. Dworkin , Droit et socit, 1986, n. 2, pp. 17-28.92

    Pour Dworkin, le rle du juge, primordial dans sa conception du droit intgrit , est encore desimplement dcouvrir les rgles et les principes sous-jacent du droit, le juge Hercule ayant pourfonction essentiellement dinterprter les normes, et non de les crer ; voir R. DWORKIN, Politicaljudges and the Rule of Law, Longwood Pr Ltd, 1977.93 Voir M. LOBBAN, Blackstone and the science of law , The Historical Journal, no 30-2, 1987,

    pp. 311-335.94 W. HOLDSWORTH, op. cit., p. 463.95 Aprs avoir suivi des tudes classiques au Christ Church College Oxford, il fut accept au LincolnsInn, en avril 1724, avant mme davoir gradu Oxford. Il intgre le Barreau, en novembre 1730. Il ft

    preuve durant sa formation dune curiosit intellectuelle irrpressible, ainsi que dune capacit de travailet dune volont hors du commun. Il semble avoir essentiellement pratiqu en cosse durant les premiresannes de sa carrire, agissant titre davocat-conseil junior ( junior counsel), portant en appel quelquescauses cossaises devant la House of Lord en 1733-1734. Durant les annes 1730, Murray fit desapparitions frquentes la House of Commons ainsi qu ses comits. Il sigea par la suite la Cour de la

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    quil fut nomm Lord Chief Justice au Kings Bench, o il usa de toute son influen-ce afin de faire voluer la common law jusquen 1788. Durant cette priode, raresseront les aspects du droit britannique qui chapperont son influence rformatrice.

    Lord Mansfield est la figure type du magistrat britannique la fois soucieuxdquit, de lvolution de la common law et empreint de son pouvoir en tant quejudge made law . Estimant que les Commentaires de Blackstone constituaient un

    parfait manuel dducation, prsentant les premiers pincipes sur lesquels les lois britanniques taient fondes96, il sattache faire de mme dans la jurisprudence.Juge en chef de la Cour du Banc du Roi, il va uvrer en profondeur afin de fairevoluer la common law vers une plus grande prise en compte du droit des personneset un rquilibrage des rapports juridiques en faveur des plus faibles97, insistant surune volution en profondeur du droit des contrats98. Il a pratiqu le droit priv durantune longue priode la Cour de la Chancellerie, o la ncessit de concilier lequity

    avec la common law sest impose lui. Admirateur de Lord Hardwicke, Mansfielda tent de raliser une justice individuelle, dpassant le cadre dune simple lgalitlorsque cela tait possible, condition de ne pas nuire aux intrts les plus consid-rables99. Cette tendance trancher en equity est incontestable dans ses notes de

    procs, comme la dmontre James Oldham100. Mansfield comme tout autre juge,disposait du pouvoir de fonder ses conclusions sur lequity lorsquil ntait pas en

    parfait accord avec un verdict du jury101.On dcouvre, la lecture des dcisions de Lord Mansfield, un usage des

    termes equity , justice and good conscience comme de quasi synonymes,les rfrences la substantial justice ou la fundamental law tant

    Chancellerie et en 1742, profita de la dmission du Sollicitor General, Sir John Strange, afin dtrenomm son tour. En 1754, il atteignit le poste dAttorney General, en succdant Dudley Ryder, lequelavait t nomm Lord Chief Justice of the Court of Kings Bench ; J. OLDHAM, English common law inthe age of Mansfield,The university of North Carolina press, Chapell Hill and London, 2004, pp. 6-25.96 J. HOLLIDAY, The life of William Murray Late Earl of Mansfield, London, imprim par P. Elmsly,D. Bremner, T. Cadell junior et W. Davies, 1797, p. 89.97 Il en est ainsi dans laffaire Zouch, o Mansfield justifie la protection des plus misrables : ()miserable must the condition of minors be ; excluded from the society and commerce of the world ;deprived of necessaries, education, employment, and many advantages ; if they could do no binding acts.Great inconvenience must arise to others, if they were bound by no act. The law, therefore, at the sametime that it protects their imbecility and indiscretion from injury through their own imprudence, enablesthem to do binding acts, for their own benefit ; and, without prejudice to themselves, for the benefit ofothers ;Zouch, dAbbot and Hallet v. Parsons (1765), 3 Burr 1794, 1801, 97 ER 1103, 1106.98 Lord Mansfield caractrise ainsi en 1775 toute la logique contractuelle de linterdiction de plaider sa

    propre turpitude dans laffaire Holman v. Johnson, estimant que : The objection, that a contract isimmoral or illegal as between plaintiff and defendant, sounds at all times very ill in the mouth of the

    defendant. It is not for his sake, however, that the objection is ever allowed ; but it is founded in generalprinciples of policy, which the defendant has the advantage of, contrary to the real justice as between himand the plaintiff, by accident, if I may so say. The principle of public policy is this ; ex dolo malo nonoritur actio. No court will lend its aid to a man who founds his cause of action upon an immoral or anillegal act. If, from the plaintiffs own stating or otherwise, the cause of action appears to arise ex turpicaus, or the transgression of a positive law of this country, there the court says he has no right to beassisted. It is upon that ground the court goes ; not for the sake of the defendant, but because they will notlend their aid to such a plaintiff. So if the plaintiff and defendant were to change sides, and the defendantwas to bring his action against the plaintiff, the latter would then have the advantage of it ; for where bothare equally in fault, potior est conditio defendentis ;Holman v. Johnson 1 Cowp. 341, 343 ; 98 ER1120, 1121.99 J. OLDHAM,English common law, op. cit., p. 27.100Ibid., p. 29 et sq.101Ibid., pp. 28-29.

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    nombreuses102

    . Le recours ces termes montre que Lord Mansfield, marqu par sonpassage la Cour de Chancellerie, tait en qute dune moralisation du droit et de lacration dun droit issu de la common law mais fond sur de grands principes issusdu droit naturel. Sans dogmatisme et quasi sans rfrence aux auteurs du droitnaturel moderne, il sattelle tout au long de sa carrire refonder la common law,notamment en matire de contrat et dassurance. Ce dernier domaine du droit offraitfort peu dautorits en matire de common law et ncessitait une profonde rforme etun rtablissement des principes103. Le fait que ce soit sur ces questions queMansfield eut le plus recours aux auteurs du droit civil104 nest pas une simpleconcidence105, mais dmontre le lien entre principes du droit, romanit et qute dundroit naturel. Comme le souligne David Libierman, the decisions of Mansfieldscourt greatly enrich our understanding of common orthodoxy, particularly in regardto the place of natural jurisprudence in common law theory 106.

    Dans un premier temps, cest au sujet de la libert de conscience et de latolrance religieuse que Lord Mansfield sest engag dans laffirmation de principesde droit naturel, loccasion dune affaire opposant la Cit de Londres aux Dis-senters qui se trouvaient soumis de lourdes obligations en raison de leur convic-tion religieuse. Mansfield refuse alors dimposer une perscution religieuse sur uneautre base que celle de la loi positive. Autrement dit, il refuse la validit de cesnormes de common law qui ne peuvent tre dduites par la raison. Seul le Parlement

    pourrait poser de telles rgles : I cannot be shown from the principles of Natural or Revealed Religion that

    independent of positive law, temporal punishments ought to be inflicted for mere opinionswith respect to particular modes of worship. Prosecution for a sincere, though erroneousconscience, is not to be deduced from reason or the fitness of things 107.

    Hors des questions religieuses, cest au sein du droit des contrats et du droit

    commercial

    108

    que Lord Mansfield, souhaitant rapprocher les logiques de commonlaw et dequity, sattache affirmer lexistence de principes de droit reprsentantune justice naturelle. Mansfield dresse patiemment une carte transsystmique du

    102Vintners Co v. Passey (1757) 1 Kenyon 500, 503 ; Anderson v. George (1757) 1 Burr 352, 353 oMansfield use des termes justice and good conscience ; Windham v. Chetwyn (1757) 1 Burr 414, 430 ;Rose v. Green (1758) 2 Kenyon 173, 178 ; Godin v. London Exchange Assurance (1758) 2 Kenyon 254,256 ; Burton v. Thompson (1758) 2 Kenyon 375, 376 ; Hawkes v. Crofton (1758) 2 Kenyon 389, 390 ;Foxcraft v. Devonshire (1760) 1 Wm Bla 193, 195 ; Robinson v. Bland(1760) 1 Wm Bla 256, 263 ;Baskerville v. Brown (1761) 1 Wm Bla 293, 294 ; Ingle v. Wandsworth (1762) 3 Burr 1284, 1286 ;Plumer v. Marchant(1762) 3 Burr 1380, 1384 ; Bird v.Randall(1762) 3 Burr 1345, 1353 o Mansfieldutilise ceux de justice and conscience ; et Goodright d Carter v. Staplan (1774) 1 Cowp 201, 203 o ilvoque la natural justice and equity ;Holman v. Johnson (1775) 1 Cowp 341, 343.103 () there have been but few positive regulations upon insurance, the principles, on which they were

    founded, could never have been widely diffused, nor very generally known ; J. PARK, System of theLaw of Marine Insurance, 2nd d., London, 1790, p. xliv.104 Voir par exemple les rfrences utilises par Mansfield dans Goss v. Withers (1758) 2 Burr 683 ;Pellyv. Royal Exchange Assurance Co. (1760) 1 Burr 341 ; Voir galement M. LOBBAN, Contractual fraudin law and equity , Oxford Journal of Legal Studies, 1997, vol 17, no 3, pp. 441-476 ; P. BIRKS etG. McLEOD, The implied contract theory of quasi-contract : civilian opinion current in the century

    befor Blackstone , Oxford Journal of Legal Studies,1986 vol. 6, no 1, pp. 46-85.105 Voir W. S. HOLDSWORTH, op. cit., p. 467 ; D. COQUILLETTE, Legal Ideology andIncorporation IV : The Nature of Civilian Influence on Modern Anglo-American Commercial Law ,Boston University Law Review, no 67, 1987, pp. 949-962.106 D. LIBIERMAN, op. cit., p. 3.107 Cit par D. LIBIERMAN, ibid. p. 125.108 R.-L. PALMER, Lord Mansfields Commercial Law and Adam Smiths Wealth of Nations :Common Underlying Themes , Commercial Law Journal,1983, no88, pp. 99-118.

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    droit, o les principes naturels viennent organiser les spcificits juridiques natio-nales ou locales. Dans la clbre affaire Carter v. Boehm de 1766109,Lord Mansfieldtenta ainsi dimposer en common law la notion de bonne foi dans le droit descontrats, sur un fondement moral. Il souhaitait faire de celle-ci un principe gouver-nant lexercice de lensemble des contrats en common law. Cette cause opposaitM. Carter, le gouverneur de Fort Malborough, un comptoir bti Sumatra enIndonsie par la British East India Company, M. Boehm. Dans les faits, Mr. Carteravait pris une police dassurance contre toute attaque du fort par un ennemi trangerauprs de M. Boehm. Un tmoignage de la part du Capitaine Tryon montrait queCarter savait que le fort tait bti pour rsister aux attaques des indignes mais pascontre celles des puissances europennes de la rgion. Or, les Franais attaqurent lefort et M. Boehm refusa de faire jouer lassurance, ce qui entrana la cause portedevant le juge Mansfield. Cest alors quil fait appel la notion de good faith, afin

    de faire primer lesprit du contrat plutt que sa lettre. Or, il trouve cette notion ausein dun corpus jusnaturaliste dont il affirme cette occasion la pertinence et lavalidit110. De la mme manire, la doctrine de la contribution quitable entre lesassureurs est fonde sur le principe gnral selon lequel les parties tenues au mmetitre dindemniser une personne dune perte doivent partager ce fardeau proportion-nellement. Ce principe remonte la formulation de Mansfield, dans Godin c.

    London Assurance Co. (1758) : Si lassur ne peut tre indemnis quune fois, la justice naturelle exige que les

    divers assureurs contribuent tous proportionnellement afin de rgler le sinistre quils onttous assur 111.

    Cette volont de promouvoir la bonne foi contractuelle et la justice naturellesera toutefois contrarie par la postrit car, si le principe nest pas totalement ignorde la common law, cest davantage la libert contractuelle qui va triompher dans la

    jurisprudence britannique postrieure luvre de Mansfield112

    . Toutefois, cesttoujours son uvre jurisprudentielle, sa logique dcouvrant les principes naturelsdu droit des contrats que la jurisprudence britannique se rfre de nos jours113.Douze ans aprs laffaire Carter v. Boehm, Lord Mansfield renforcera sa prise de

    position dans Pawson v. Watson (1778), o il affirmera que () by the law of

    109Carter v. Boehm 1766 3 Burr 1905 ; E.R. 1162110 Insurance is a contract based upon speculation. The special facts, upon which the contingent chanceis to be computed, lie most commonly in the knowledge of the insured only ; the underwriter trusts to hisrepresentation and proceeds upon the confidence that he does not keep back any circumstance in hisknowledge, to mislead the underwriter into a belief that the circumstance does not exist, and to inducehim to estimate the risque as if it did not exist. Good faith forbids either party by concealing what he

    privately knows, to draw the other into a bargain from his ignorance of that fact, and his believing thecontrary ; ibid.111

    Godin c. London Assurance Co. (1758), 1 Burr. 489, 97 E.R. 419 (K.B.), p. 420, par. 14. Selon unprincipe bien tabli en droit des assurances, lassur qui dtient plus dune police dassurance couvrant lemme risque ne peut jamais obtenir plus que le montant total du sinistre, mais il a le droit de choisir, saufstipulation contraire, la police en vertu de laquelle il prfre tre indemnis. Lassureur ainsi dsign a,quant lui, droit la contribution de tous les autres assureurs qui couvrent le mme risque.112 Cf. S. VIGNERON, Le rejet de la bonne foi en droit anglais , S. Robin-Olivier et D. Fasquelles(d.),Les changes entre les droits, lexprience communautaire, Bruylant, 2008, pp. 307-331.113 Ainsi Lord Bingham fait de Mansfield le champion de la bonne foi et de la moralit naturelle de la

    pratique commerciale dans laffaireDirector General of Fair Trading v. First National Bank plc [2002] ; [g]ood faith [] is not an artificial or technical concept ; nor, since Lord Mansfield was its champion,is it a concept wholly unfamiliar to British lawyers. It looks to good standards of commercial moralityand practice. Regulation bays down a composite test, covering both the making and the substance of thecontract ; Director General of Fair Trading v. First National Bank plc [2002] 1 AC 481 (HL)25/10/2001. au para. 17. La dcision de Lord Steyn va dans le mme sens, au para. 36.

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    merchants, all dealings must be fair and honest, fraud infects and vitiates every mer-cantile contract. Therefore, if there is fraud in a representation, it will avoid thepolicy, as a fraud, but not as a part of the agreement 114.

    Les juges britanniques accordent toutefois de nos jours plus dimportance la conception procdurale que substantielle de la bonne foi et, sils font de Mansfieldlartisan dune moralisation des pratiques commerciales, ils constatent lchec delintroduction de la bonne foi dans lconomie gnrale des contrats en commonlaw115. Dans H.I.H. Casualty and General Insurance Ltd v. Chase Manhattan Bank,le juge Rix constate encore lapport de Mansfield la notion de bonne foi dans la

    pratique des compagnies dassurances116, reprise dailleurs par le droit statutaire117.Affirmant la pertinence du recours la justice naturelle et au droit romain,

    Lord Mansfield indique dans la dcision Moses v. Macferlan (1760) que, lorsque : () the defendant be under an obligation, from the ties of natural justice, to

    refund , then the law implies a debt, and gives this action, founded in the equityof the plaintiffs case, as it were upon a contract (quasi ex contractu, as the Romanlaw expresses it) 118. Dans cette affaire, il multiplie les renvois aux fondementsromanistes119, permettant seuls laffirmation dune vritable natural justice 120 qui

    114Pawson v Watson (1778) 2 Cowp 786 la page 788.115 Celle-ci reste restreinte un nombre de cas limits dans leurs logiques et dans leurs contextualisations.Ainsi, dans Manifest Shipping Co Ltd v. Uni-Polaris Shipping Co Ltd[2001] UKHL1 Lord Hoffmann,

    juge de la Chambre des Lords, constate cet chec relatif : As Lord Mustill points out, Lord Mansfieldwas at the time attempting to introduce into English commercial law a general principle of good faith, anattempt which was ultimately unsuccessful and only survived for limited classes of transactions, one ofwhich was insurance. His judgment in Carter v Boehm was an application of his general principle to themaking of a contract of insurance. It was based upon the inequality of information as between the

    proposer and the underwriter and the character of insurance as a contract upon a speculation. He

    equated non-disclosure to fraud. He said at p 1909 : The keeping back [in] such circumstances is a fraud,and therefore the policy is void. Although the suppression should happen through mistake, without anyfraudulent intention ; yet still the underwriter is deceived, and the policy is void. It thus was not actualfraud as known to the common law but a form of mistake of which the other party was not allowed totake advantage . cette occasion, les juges de la plus haute cour britannique oprent une archologie duterme utmost good faith , en soulignant ses racines dans la doctrine et la pratique britanniques, rfutantla pertinence de son rattachement la tradition civiliste, ce qui montre que ces liens sont toujoursdifficiles assumer pour les successeurs de Mansfield et Blackstone : The expression utmost goodfaith appears to derive from the idea of uberrimae fidei, words which indeed appear in the sidenote, butwhose origin I have not been able to trace. The concept of uberrima fides does not appear to have derivedfrom civil law and it has been regarded as unnecessary in civilian systems (). BlackstonesCommentaries , 4th ed (1876) vol II, chapter 30 pp 412-413 states that the very essence of contracts ofmarine insurance consists in observing the purest good faith and integrity, but in Carter v Boehm(1766), 3 Burr 1905, at p. 1910, Lord Mansfield refers simply to good faith ; Director General ofFair Trading v. First National Bank plc [2002], au para. 5.116 () in Carter v. Boehm itself Lord Mansfield does seem to have considered that there was a

    difference between the concealment which the duty of good faith prohibited and mere silence (Aliud estcelare ; aliud tacere ). () However, Lord Mansfield was seeking to propound a doctrine of good faithwhich would extend through the law of contract, and in that respect his view did not bear fruit. Where,however, in the insurance context it put down firm roots, it came to be seen as a doctrine which wentmuch further than the antithesis of fraud, and, as it came to be developed, non-disclosure will in asubstantial proportion of cases be the result of an innocent mistake ; ibid.117 Ainsi, on trouve sa formulation en matire de contrats dassurance maritime au sein du MarineInsurance Act de 1906, reconnu comme lexpression gnrale des principes dassurances : A contract ofmarine insurance is a contract based upon the utmost good faith, and, if the utmost good faith be notobserved by either party, the contract may be avoided by the other party ; Marine Insurance Act 1906,sect. 17.118Moses v. Macferlan [1760], 97 Eng. Rep. 676, (2 Burr. 1005) 1008, p. 677119 D.-R. COQUILETTE, The civilian writers of Doctors Commons, op. cit., p. 209 ; P.-B.-H. BIRKES, English and roman learning in Moses v. MacFerlan Current Legal Problems, vol. 37, 1984, p. 1 et sq.

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    se trouve tre encore la base des dcisions actuelles de la Chambre des Lords121

    . Ilconclut cette affaire de la manire suivante : In one word, the gist of this kind ofaction is, that the defendant, up on the circumstance of the case, is obliged by theties of natural justice and equity to refund the money 122. Pour fonder ce rejet delenrichissement sans cause, Mansfield tansfre donc purement et simplement lalogique dveloppe devant les cours dequity, en se servant des rfrences aux prin-cipes du droit romain, afin de rformer la common law, ce qui lui sera lourdementreproch123. La mme logique lentrane dans laffaire Hawkes v. Saunders per-mettre une obligation morale de soutenir une promesse lgale :

    Where a man is under a legal or equitable obligation to pay, the law implies apromise, although none was ever actually made. A fortiori, a legal or equitable duty is asufficient consideration for an actual promise. Where a man is under a moral obligation,which no court of law or equity can enforce, and promises, the honesty and rectitude ofthe thing is a consideration 124.

    Au regard de cette qute des principes de la justice naturelle se pose bienvidemment la question du rle du juge. Dans Anderson v. Temple (1768) LordMansfield caractrise ainsi la fonction judiciaire : The most desirable object in all

    judicial determinations, especially in mercantile ones, (which ought to be deter-mined upon natural justice, and not upon niceties of law,) is, to do substantialJustice 125. Si Mansfield semble, dans bien des causes, promouvoir une utilisation

    pro-active de la justice naturelle et de la loi naturelle afin de renouveler la commonlaw, il nest toutefois pas prt se dgager totalement de la lettre contractuelle ou dela rigidit statutaire et lgislative. Dans Nightingale v. Bevisme (1770), il souligneque the words could not be extended to other things 126, obligeant le juge uncertain ralisme contractuel.

    Une certaine ambigut se rvle donc travers les jugements de Lord

    Mansfield dans sa qute des principes de la common law et la soumission la rgledu prcdent127 qui rappelle celle de Blackstone face au rle du juge devant unprcdent ou du droit statutaire contraire la raison. Le systme de common lawtait suffisamment flexible pour donner une marge de manuvre ou une certainelibert aux juges. Rompu la dialectique judiciaire, Mansfield reconnat limportan-

    120Moses v. Macferlan, op. cit., para. 1012.121 Reprise en 2007, dans la dcision Sempra Metals limited v. Her Majestys commissioners of Inlandrevenue, Lord Mance de la Chambre des Lords considre dailleurs favorablement cette dcision deMansfield, se satisfaisant de lquilibre tabli par le magistrat londonien entre la logique contractuelle etla recherche de la justice naturelle, quilibre dailleurs vis par le droit statutaire qui lui fera suite : LordMansfield went on carefully to distinguish the features of claims in contract and for money had andreceived, and showed that he were well aware of the different considerations actually underpinning thesedifferent claims, consensus on the one hand and natural justice or equity in a broad sense on the other

    (nous soulignons). It seems to me that the laws attitude to interest was shaped not by conceptualconfusion, but by policy-driven concerns (however debatable) regarding interest which may well havehad historical roots, and which find an echo to this day in modern legislation and Law Commissionreports (including their most recent report Pre-judgment Interest on Debts and Damages dated 23February 2004, (Law Com No 287) where it shaped their recommendations : cf especially at paras. 5.15through 5.40) ; Sempra Metals Limited (formerly Metallgesellschaft Limited) (Respondents) v. HerMajestys Commissioners of Inland Revenue and another (Appellants), [2007] UKHL 34.122Moses v. Macferlan, op. cit. para. 1012, p. 681.123 D. LIBIERMAN, op. cit., p. 130.124 Hawkes v Saunders (1782) 1 Cowp 289 at 290, 98 ER 1091, cit par J. OLDHAM, English CommonLaw in the Age of Mansfield, op. cit., pp. 86-87.125Alderson v. Temple (1768) 4 Burr 2235, 2239.126Nightingale v. Bevisme (1770) 5 Burr. 2589.127 Voir C.-H.-S. FIFOOT,Lord Mansfield, Oxford, Clarendon Press, 1936, pp. 201-229.

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    ce et la valeur du prcdent. Sil juge bien souvent sur la base dune certaine morali-t juridique caractrise par lequity, il recherche dans un premier temps, travers la jurisprudence et les autorits, la solution au diffrend et, si les arrts trouvs serangent sans lombre dun doute contre son sentiment, il se soumet alors au prc-dent128. Enclin dcouvrir des principes juridiques universels et naturels, Mansfieldouvre alors le flanc des critiques virulentes de son rle. Sa tendance juger enquit tait considre par certains comme inapproprie son rle de juge decommon law, particulirement lorsque de nouvelles questions survenaient. Dans ladcision Millar vs Taylor129 Mansfield avait ainsi fond la proprit intellectuelle surla base de la justice naturelle et la qualifiait de droit inalinable dans les mains desauteurs, interprtant - largement - le droit statutaire de la reine Anne130, dans uneaffaire qui opposait diteur et auteur131. Sans viser Mansfield expressment, LordCamden observa, loccasion du dbat surDonaldson vs Becket(1774)132, la dci-

    sion de la Chambre des Lors qui renversait Millar vs Taylor: Who has the right to decide these new cases, if there is no other rule to measureby, but moral fitness and equitable right? Not the judges of common law, I am sure. Theirbusiness is to tell the suitor how the law stands, not how it ought to be ; otherwise eachjudge would have a distinct tribunal in his own breast, the decisions of which would be asirregular and uncertain and various as the minds and tempers of mankind. As it is, we findthat they do not always agree ; but what would it be, where the rule of right would always

    be a private opinion of the judge as to the moral fitness and convenience of theclaim ? 133.

    Prolongeant cette perspective, le sarcastique pamphltaire Junius, dcrivaitainsi dans les annes 1770 ce qutait devenu selon lui la jurisprudence du KingsBench, visant sans le nommer Lord Mansfield :

    Instead of those certain, positive rules, by which the judgment of a court of lawshould invariably be determined, you have fondly introduced your own unsettled notions

    of equity and substantial justice. In the meantime the practice gains ground ; the courtof Kings Bench becomes a court of equity, and the judge, instead of consulting strictlythe law of the land, refers only to the wisdom of the court, and to the purity of his ownconscience 134

    Favorable un rle du juge de common law plus ouvert, mme pour les jugesdes juridictions infrieures135, Mansfield sattelle dans sa pratique caractriser lerle du juge dans la dcouverte des principes naturels ou fondamentaux du droit,allant mme jusqu faonner lordonnancement juridique colonial de lempire

    britannique en construction. Dans la clbre affaire Campbell vs Hall (1774),Mansfield a loccasion desquisser le rapport entre pouvoir lgislatif et normes inh-rentes au systme juridique dont les enseignements ont t examins attentivement

    128

    J. OLDHAM,English common law in the age of Mansfield, op. cit., pp. 29-30.129Millar vs Taylor(1769) 4 Burr. 2303, 98 ER 201.130 8 Anne c. 21 s. 9.131 Sur cette affaire, voir J. OLDHAM,English common law in the age of Mansfield, op. cit., pp. 194-195.132Donaldson vs Becket(1774) 4 Burr. 2408, 98 ER 257 ; Bro. P. C. 129, I ER 837.133 Cit par J. OLDHAM,English common law, op. cit., p. 33 note 84.134 J. CANNON (d.), The Letters of Junius,Oxford, Oxford University Press, 1978, Letter XLI, pp. 209-210.135 Mansfield sexprimait ainsi dansRex v. Harbeton : If the justices of the peace at their sessions, oreven out of sessions, are to be erected into chancellors, it cannot but happen but that on the same factsvery different decisions must be made. Honest and good men, when left to decide secundum discretionemboni viri, must and will vary in their sentiments. Such a rule therefore would be highly inconvenient, andindeed would amount to say that there was not rule at all ; cit par J. OLDHAM,English common law,op. cit., p. 34 la note de bas de page 85.

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    dans une dcision rcente de la Chambre des Lords, R (On The Application of Bancoult) v. Secretary of State For Foreign and Commonwealth Affairs[2008], portant sur la colonisation de lle Maurice136. Dans larrt de 1774, Mansfieldtablissait que, bien que le Roi possde le pouvoir dintroduire de nouvelles loisdans un pays conquis, il ne pouvait oprer any new change contrary to fundamen-tal principles 137. Limportance de la dcision de Lord Mansfield reposait essen-tiellement sur la distinction entre les colonies de peuplement et les colonies cdesou dites de conqutes (settled and ceded colonies). Caractrisant le pouvoir lgislatifdu prince, il est amen prendre position, dans le contexte colonial, sur le rapportentre norme positive et principe de justice naturelle. Visant le pouvoir ddicter uneloi destination dune colonie conquise, Mansfield dtermine que le roi138 na pas le

    pouvoir de faire de lois contraires au principe fondamental dans les colonies deconqute, de mme que sans lappui du Parlement, il ne peut lgifrer destination

    dune colonie de peuplement de faon contrevenir une norme parlementaire. Lepouvoir lgislatif du Roi est donc subordonn au respect de certains principes. Sousla plume de Mansfield, Sa Majest na pas le pouvoir de lgifrer en Conseil con-trairement aux principes fondamentaux de la common law anglaise 139. Sil voquede manire trs vasive le contenu de ces principes, reliant ceux-ci aux limitesclassiques du pouvoir normatif royal, il voque le rapport de ces principes la justi-ce naturelle et la tradition britannique, cherchant adapter une perspective jusnatu-raliste la tradition de common law.

    Ce difficile exercice sexprimera encore dans la clbre affaire Somerset v.Stewart(1772)140 o la question de la lgalit de lesclavage en Grande Bretagne est

    pose141. Pris entre deux lobbies, celui des marchands qui veulent voir reconnatre laqualit de linvestissement dans la traite ngrire, et celui des dfenseurs des es-claves, Lord Mansfield juge lesclavage odieux, mais se garde de le dclarer

    proprement parler illgal. Sans reconnatre que Somerset nest plus esclave, il sen

    136 Lle Maurice fut cde la Couronne britannique en 1814 et, en accord avec les termes du Trait deParis de 1814, la loi franaise continua sappliquer sur le fondement du principe formul dans larrtCampbell v. Hall : the laws of a conquered country continue in force, until they are altered by theconqueror : Campbell v Hall1 Cowp 204, 209. aucun moment durant la priode o lle Maurice ftune colonie on ne modifia la lgislation par la common law ; VoirR (On The Application of Bancoult) v.Secretary of State For Foreign and Commonwealth Affairs[2008] UKHL 61 au para. 84.137 Ainsi, comme le souligne Lord Hoffmann en 2008 : If the Kings power did not extend to makinglaws contrary to fundamental principles (presumably, of English law) in conquered colonies, it wasregarded as arguable, in the first half of the nineteenth century, that the same limitation applied to thelegislatures of settled colonies. It was never altogether clear what counted as fundamental principles andthe Colonial Laws Validity Act was intended to put the question to rest by providing that no colonial lawsshould be invalid by reason of repugnancy to any rule of English law except a statute extending to the

    colony ; R (On The Application of Bancoult) v. Secretary of State For Foreign and CommonwealthAffairs[2008] UKHL 61 au para. 36.138 The 6th and last proposition is, that if the King (and when I say the King, I always mean the Kingwithout the concurrence of Parliament,) has a power to alter the old and to introduce new laws in aconquered country, this legislation being subordinate, that is, subordinate to his own authority inParliament, he cannot make any new change contrary to fundamental principles : he cannot exempt aninhabitant from that particular dominion ; as for instance, from the laws of trade, or from the power ofParliament, or give him privileges exclusive of his other subjects ; and so in many other instances whichmight be put ; Campbell v. Hall(1774) 1 Cowp 204, 209.139Campbell v. Hall, (1774), 1 Cowp 204, 209.