histoire du droit

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Huvelin Histoire du droit

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    in 2011 with funding from

    University of Toronto

    http://www.archive.org/details/lhistoiredudroitOOhuve

  • lA

  • L'HISTOIRE

    DU

    DROIT COMMERCIAL

  • L'HISTOIRE

    DU

    DROIT COMMERCIALCONCEPTION GNRALE. TAT ACTUEL DES TUDES)

    PAR

    p. HUVELINVltOKESSElh A LA TACILT liK DltOIT liE I. IXIVEltSIT 1>E l.YUN

    Extrait le la lievue de Si/nlhse klsloiique, T. VU (1903), \>. .'.14-85; il :J28-;j'l ;T. VIII (1904), p. 198-243).

    PAIUS

    LIBRAIRIE LOPOLD GERE1-2, RLE sAINE-A.N.NE, 12

  • L'HISTOIRE DU DROIT COMMERCIAL

    CONCEPTION D'ENSEMBLE ; TAT ACTUEL DES TUDES

    Dans le domaine encore si ingalement connu de l'hisloire desinstitutions, il n'y a pas de champ moins explor en Francesurtout que celui de l'histoire du droit commercial. Jamais, ma connaissance, sujet emprunt cet ordre d'Uides n'a t traitdans un enseignement public, en France ou l'tranger; jamaisleon tire de cette matire n'a t impose aux concurrents denotre agrgation franaise d'histoire du droit. A peine une demi-douzaine de chercheurs (on en rencontrerait peut-tre un ou deuxen Allemagne, autant en Italie, autant en Belgique et autant enFrance) se partagent le champ immense qui leur est offert. Et pour-tant il n'en est pas o les recherches puissent tre plus fcondes,plus vivantes, plus riches en aperus inattendus. L'union du pointde vue sociologique et du point de vue juridique est plus apparenteque partout ailleurs, et nulle part on ne saisit mieux quelleinfluence les milieux physique, conomique et social exercentsur le dveloppement d'un ensemljle d'institutions.

    Il serait trop long d'examiner en dtail les causes de l'ostracismequi pse sur le droit commercial. Il faut sans doute faire la part la fois de la pnurie des sources, de leur obscurit, et des difficultsspciales du sujet.

  • 2 L'HISTOIRE (61 )

    Nous indiquerons en effet que les transactions commerciales sont

    essentiellement consensuelles et dgages des entraves du forma-

    lisme. Or si les transactions civiles anciennes ont quelque chance,

    par leur formalisme mme, c'est--dire par les gestes, les paroles,le crmonial solennels dont elles s'entourent, de laisser des traces,

    il n'en est pas de mme de celles qui ont pour lment essentiel lavolont. Les actes non formalistes sont aussi bien plus complexes.

    Les formes sont immuables et rigides; la volont est souple et sus-ceptible de nuances infinies. Aussi l'bistoire des obligations non

    formelles, et spcialement des obligations commerciales, prsente-

    t-elle des complications et des subtilits qui rebutent les premires

    recherches. On ne s'tonnera donc pas qu'on Tait nglige; dans

    une science en voie de formation, comme l'histoire gnrale dudroit, on va de prime abord au plus ais. Nul doute que l'his-

    toire des institutions politiques, ou de la famille, ou des succes-

    sions soit plus immdiatement accessible que celle des effets decommerce.

    En outre, le droit commercial tant originairement, comme nous

    le verrons, un droit international, ne peut, pendant longtemps,

    tre matire lgislation. Et, lors mme qu'il devient droit interne,le lgislateur ne s'en occupe que tardivement; il y touche seulement

    pour rgler les rapports du commerce avec les intrts (fiscaux ouannonaires) de l'Etat'. Les premires lois qui s'occupent ducommerce peuvent assez aisment nous renseigner sur \i\.poUtiquecomniprciale du lgislateur, non sur le mcanisme des transactions.Celles-ci obissent des usages et des coutumes, dont nous

    n'avons ordinairement de traces que dans les actes concrets de la

    pratique, c'est--dire dans les documents juridiques qui ont lemoins de chance de survivre et qui, lorsqu'ils existent, sont lesplus difficiles interprter.

    Ainsi l'histoire du droit commercial est inconnue ou mconnue,A peine s'aperoit-on que cette branche historique embrasse aumoins une bonne moiti de l'iiistoire du droit priv. Je voudraismontrer ici comment on doit la concevoir, puis tablir le bilan desrecherches d'ensemble ou de dtail qui lui ont t consacres.

    1. Voy. mon article Mercatuva (partie grecque) dans le Dictionnaire des antiquitsgrecques et romaines de Daremberg et Saglio.

  • (62) DU DROIT COMMERCIAL

    I

    La question primordiale est de dfinir le droit commercial et demarquer en quoi il se diffrencie du reste du droit. Cette questionsuppose rsolue une question prliminaire : Qu'est-ce que lecommerce?On est surpris de constater combien peu cette question a pr-

    occup jusqu' prsent les historiens. Les incertitudes de leursuvres font assez paratre le flottement de leur pense sur celtenotion fondamentale. Et l'on voit crire des tudes, souvent consi-drables, d'histoire conomique, o sont mises ple-mle dans lemme sac Thistoire de l'agriculture et celle de l'industrie avec celledu commerce '.

    Cependant on peut serrer d'assez prs les fondements de la notiondu commerce si on l'tudi historiquement, et si l'on cherche rtablir dans leur succession chronologique les tapes de l'volutionpar laquelle cette notion a pass pour se constituer sous sa formeactuelle. Pareille tude n'est pas entirement neuve. Elle a t enpartie ralise par les conomistes de l'cole historique allemande,depuis List et Roscher jusqu' Bcher et Sombart*. Mais ceux cin'ont mis en relief que l'aspect conomique de la question. Les

    1. Jf pourrais prendre comme exemplos peu prs toutes les Histoires du commerce.Pour irimliquer que des uvi'es d'autres gards excellentes, je citerai l'tude deM. Guiraud sur La main-d'uvre industrielle dans l'ancienne Grce et le livre rcentde M. G. Yver suv Le commerce et les tnarchands dans l'Italie mridionale au A'///et au XI]'" sicle (Paris, 1903). C'est le dfaut do dfinitions prcises du commerce etde l'industrie f4ui rend inextricable et sans issue possible le dbat institu entre histo-riens sur la question de savoir si l'antiquit grco-romaine a eu vraiment un commerce,une industrie, etc. Voy. iiofamment Meyer, Die irirthschaftliche Enttrickelunr/ desAlterthurns ;Ina, 1893). M. Francotte, L'industrie dans la Grce ancienne (Bruxelles,1900-19Ulj est peut-tre le seul auteur qui ait cherch chapper la critique ci-dessus.

    2. Il existe une littrature conomique trs abondante sur ce sujet, surtout en Alle-magne. On se bornera citer ici les livres les plus caractiistiques ou les plus rcents :Roscber. Nutionalkonomik des Ilandels und Gewerbefleisses fSijstem der Voiles-trirtluichaft, t. III, 1881 ; Scbflle, Das f/esellschaftlic/ie Si/stem der mensctilichenW'irthscliafl, 'i' d., 1873 ; Wagner, Allfjemeine oder Ikeoretisclie Volkswirlkschafts-lehre, 1. 2" d.. 1879 ; Cohn, System der Xalionalkonomie III, Sationalkonomiedes Ilandels und Verkehrswesens, 1898); Biicher, Die Enfslehunf/ der Volksirirth-schaft, 3" d., 1900 ^trad. franaise sous l titre tudes d'histoire et d'conomie poli-tique, 1901^ ; Dochow, Untersitchuni iiber die Stellunr/ des Handels in der Volks-irirllischaft, 1900; Ehrenberir, Der llandel. seine irirthschaftliche Bedeutunr/, 1900

    ;

    Sombart, Die Hntirickelunr/ des Kapilalismus, 1902 ; Schmoller, Grundriss der allf/e-meinen Volksvirthscha/'tslehre, I, 1900, etc. .>

  • 4 L'HISTOIRE (63)

    rsultats qu'ils ont dgags ne prennent toute leur porte que sison a.s])ecljuridiqite n'est pas nglig. On comblera cette lacuneavec l'aide des quelques travaux juridiques ou sociologiques quiont touch l'volution gnrale du droit commercial. Les travauxjuridiques de ce genre sont rares; 11 faut pourtant mettre hors depair ceux de M. Thaller'. Parmi les travaux sociologiques, onutilisera surtout, mais aprs une adaptation pralable ncessaire*,les observations pntrantes prsentes par M. Durkheim dans samagistrale Division du travail social '.

    II

    On n'ignore point que M. Durkheim, tudiant les rapports de lasolidarit sociale avec la division du travail, a pu distinguer etopposer ce point de vue deux types de groupements sociaux :

    1 D'une part les groupes lmentaires dans lesquels la cohsion

    est due la similitude des consciences individuelles. Cette solidarit

    mcanique, due aux ressemblances, rgne soit dans le groupesimple et homogne appel horde, soit dans les groupes complexes

    1. Thaller, De la place du commerce danfi lliisloire (jnrale et du droit com-mercial dans l'ensemble des sciences (Extrait des Annales de droit commercial,1892j ; Trait lmentaire de droit commercial, 2" d., 1900. Voyez aussi l'ouvrageclassique de Goldschinidt, Universalr/eschichte des Ihindelsrechts \i. I de la 3 dit.de son llandhuch des Uandelsrechts, ISQli, et l'article du mme auteur dans Revuede droit international et de ljislation compare, II, p. 3o9 et suiv. Lyon-Caen etRenault, Trait de droit commercial, o' d., I, 1898; Colin. Drei reditsu-issenschaft-liclie Vortraje, 1888 ; Pardessus, Discours sur Vorirjine et les progrs de la lgis-lation et de la jurisprudence commerciales, 1820; Lastig, Entiricklunfjsiretje undQuellen des Uandelsrechts, [S'il : Mass, Le droit commercial dans ses rapportsavec le droit des gens et le droit civil, 'i' d., 1874, etc.

    2. Ou trouvera peut-tre que les rsultats de la prsente esquisse sont assez diffrentsde ceux qu'indique parfois M. Durkheim. Pour n'en donner qu'un exemple, cet auteurconsidre (p. 34 ; p. 94) le droit civil et le droit commercial comme galement resti-tuti/'s, alors que nous considrons le premier comme rpressif, et le second seulementcomme restitutif. Ces divergences tiennent d'ahord ce que M. Durkheim a envisagsurtout le droit dans sa forme actuelle, et non dans les premires phases de son dve-loppement liistoii!|ue ; elles tiennent aussi certains dsaccords dans l'emploi techniquedes notions l't de la terminologie juridiques, dsaccords que le lecteur reconnatra ais-ment sans ([u'il soit utile d'y insister chaque fois. Il nous parat d'ailleurs que l'tudede l'voluliou du droit commercial, telle que nous la concevons, loin d'affaiblir la thsede M. Durkheim, conti'ihuc singulirement l'affermir.

    3. 2' dit., 1902. Les autres tudes de sociologie relatives au commerce et au droitcommen-ial manquent de solidit. H faut pourtant en excepter les Principes de socio-logie d'Herhert Spencer (traduction fianaise par Ca:zelles\ L'ouvrage de Ltourneau,L'volution du commerce dans les diverses races humaines (189"/^ manque de cri-tique dans la documentation, et de prudence dans la gnralisation.

  • (64) DU DROIT COMMERCIAL 5

    forms par la juxtaposition de segments [Jiordes on rinns) sem-blables les uns aux autres [Socits de type segmentairc) '.

    " D'autre part, les socits organises, dans lesquelles la cohsion{solidarit orr/anifjue\ est due l'interdpendance ncessaire quiunit les organes spcialiss par la division du travail. Le typesegmentaire est chronologiquement antrieur au type organis.Comment les groupes primitifs de type segmentaire peuvent-ils

    pourvoir leurs besoins conomiques? La logique et l'observations'accordent pour tablir que c'est par les moyens qui ne comportentqu'une division du travail nulle ou trs faible. S'il en tait autrement,la spcialisation engendrerait rapidement des formes nouvelles desolidarit, et le type segmentaire s'effacerait devant le type organis.Les moyens de vivre sont donc ncessairement les plus rudimen-taires; ils reposent sur l'utilisation directe des produits naturels

    {Economie naturelle, NatiirahrirtJuchaff^. Ce sont d'abord lacueillette et l'extraction des produits naturels, la pche et la chasse

    ;

    puis rlevage nomade des troupeaux ; enfin l'agriculture et l'levageagricole Cette dernire forme conomi(|ue comporte sans doute lemaximum de division du travail compatible avec une socitnettement segmentaire.

    Les membres du groupe peuvent donc se suffire eux-mmespar leur seule activit trs faiblement spcialise. Le groupe

    acquiert par ses propres forces tout ce dont il a besoin : nourriture,

    vtement, habitation. Il n'a rien demander aux groupes trangersque sparent de lui leurs dissemblances On exprime ce caractreconomique du groupe en disant qu'il forme une communautconomique autonome. C'est le systme dit de \conomie domes-tique [Hausicirthschaft).

    Il ne suffit pas d'exprimer le principe conomique, il fautexprimer aussi le principe juridique du systme. Les groupestrangers n'ayant pas besoin les uns des autres ne sont pas

    lis parla solidarit organi([ue; tant dissemblables, ils ne sont

    pas lis non plus par la solidarit mcani(iue. Cette absence de tout

    lien possible de solidarit fait d'eux des ennemis. Il n'y a entre eux

    ni religion ni paix communes. Les hommes primitifs ne recon-naissent de droits qu'aux membres de leur groupe. Les trangerssont hors le droit. Tuer un membre d'un autre groupe, s'emparer

    1. Durkheim, p. 149 et suiv.

  • 6 L'HISTOIRE (65)

    de lui ou de ce qu'il possde n'est pas un fait illicite, c'est unexploit '.

    Les hommes de groupes diffrents ne peuvent entrer en contactles uns avec les autres raison de cette absence rciproque dedroits. L'isolement, au point de vue juridique, des socits seg-mentaires primitives s'exprime dans le nom qu'on donne au systmeconomique qui les caractrise {Economie domestique ferme :geschlo^sene Hauswirlhschaft). Un pareil systme, exclusif de toutchange de services, peut tre constat dans un assez grand nombrede socits primitives. Il y a donc, quoi qu'on ait dit, des milieux quiignorent compltement ce qu'est le commerce-.Dans ces milieux il n'existe aucun droit commercial. Le droit

    est purement national, puisqu'il est propre aux membres dechaque groupe, et ne s'tend point d'autres. C'est un droit civil,au sens tymologique du mot. Il est ncessairement aussi reli-/ieux. La conscience collective lui assigne des origines transcen-dantes, et le rpute gnralement rvl par la divinit. Dire qu'ilest religieux revient dire, sous une autre forme, qu'il est social^.Il s'impose tous imprativement, puisqu'il n'est que l'expressionde croyances communes chez des individus semblables. Toute ma-nifestation de volont individuelle est un fait anormal. Les droits(notamment le droit de proprit) ne se prsentent donc pas sousforme de droits individuels, mais de droits collectifs (communautagraire, puis coproprit familiale). Quiconque porte atteinte l'ordre prexistant des croyances communes rompt ainsi la soli-darit mcanique ; il commet un acte perturbateur, contre lequella collectivit ragit en le rprimant, c'est--dire en infligeant unesouffrance son auteur. Le droit religieux et civil des socitssegmentaires dgage les notions du pch et du dlit, qui ne sontoriginairement qu'une seule et mme notion. Ce droit est exclusi-vement rpressif; il n'est pas restitutif, c'est- dire qu'il ne fournitpas de moyens la volont individuelle pour obtenir certains

    1. KiiliscluT, Der llandel auf priinifiL-en KuUitrslufen {Zeilsclir. fiir Volherps]/-cholof/ie, X, 1878), \). 378 3S9 ; Koehne, Markt- Kaiif'inanns- und Handelsrechl inprimiliven Kul/urver/iaUnissen (Zeiischr. fiir vergleic/iende Rechlsirissen.schaft

    ,

    XI), p. 196 et s. ; Scliradcr, Linguislisck-historisclie Untevsucliungen zur Handels-geschic/tfe und Wuarenfcunde, I, 1886 ; Post, Aiifgaben einer allgemeinen Rec/ils-wissenscliafl, p. 38 ; Afrikanische Jurisprudenz, p. 176.

    2. Kulisclier, p. 379 ; Waitz, Anthropologie der Saturvolker. II, p. 107.3. Durkheim, p. 142 et suiv.

  • (66) DU DROIT COMMERCIAL 7

    rsultais accepts et sanctionns par la collectivit '. L'ide d'undioit civil reslitutif serait en elle-mme contradictoire, puisque,nous l'avons dit, toute manifestation de volont individuelle estpar elle-mme anormale, constitue une atteinte la solidaritmcanique, et mme un dlit.Cependant il arrive, lorsque les premiers symptmes de ditT-

    rencialion sociale apparaissent, que des individus veuillent int-

    resser leurs entreprises individuelles la conscience collective, et,

    par suite, leur assurer la garantie religieuse et sociale. Ils n'y par-

    viennent pas directement, mais seulement s'ils dguisent leursactes sous des rites religieux [formes : solennits, paroles, gestes,etc.) dont la transgression entranerait une rpression. Ce sont cesrites seuls, et non la volont individuelle, qui deviennent sources

    de droit et appellent les sanctions 2. Le droit civil des socits

    segmentaires est ncessairement foDiialiste.

    III

    Comment les socits passent-elles de l'conomie domestiqueferme l'conomie commerciale, et comment, par suite, le droitcommercial nat-il ct du droit civil?

    Cela se ralise par l'efTet de causes complexes, variables avec les

    lieux et les temps, mais dont la plus gnrale. semble tre l'aug-mentation du volume des socits primitives sur un espace quin'est pas illimite De l la ncessit, pour faire vivre, sur un

    espace invariable, un nombre d'bommes de plus en plus grand, de

    1. Ceci aurait sans doute besoiu d'tre dvelopp. Car on se mprend trop souveatsur la sanction des contrats formalistes du droit civil primitif. On croit parfois unesanction rostitntive, et l'on parle communment de voies d'excution. C'est que l'onconnat imparfaitement les contrats formalistes des socits segmenlaii'es, et que, lors-qu'on parle de contrats formalistes, on se rfre implicitement au\ contrats formalistesdes socits dj avances dans la voie de l'orgranisation, dans lescpielles les formessegmentaires s'effacent : ainsi les contrats formels du trs ancien droit romain paraissentdj pourvus de sanctions reiperscutoircs. Mais on remartpiera que les prtenduesvoies d'excution des droits primitifs portent rgulirement sur la personne physiquedu dbiteur, et ont pour but de lui iniliger une souffrance (mise mort, mutilation,captivit) ; ce ne sont donc, en ralit, que des peines, qui n'ont point pour objet, aumoins direclenient, d'assurer l'excution d'une convention, mais seulement de rprimerla violation des rites employs par les parties.

    2. Thaller, Place du commerce, p. 39-40.3. Durkiieim. p. 237 et sniv.

  • 8 L'HISTOIRE 167)

    recourir des moyens conomiques plus perfectionns ncessitantune division du travail plus avance. Il arrive un temps o, poursatisfaire ces besoins croissants, la division du travail et l'-change rciproque de services doivent tendre s'tablir entre deshommes appartenant des groupes segmentaires diffrents etjusque-l isols. Des changes suivis supposent ncessairementune spcialisation entre les cochangistes : l'change serait inutile

    si les cochangistes produisaient la mme chose '.La possibilit dchanges se heurte l'obstacle dj signal :

    l'hostilit entre hommes appartenant des groupes diffrents *.Pour que l'obstacle soit lev, il faut que les hostilits soient sus-

    pendues et qu'une convention expresse ou tacite de paix tablisse

    entre les cochangistes certains liens de droit. Les premires con-ventions de paix sont troites et fragiles. Les plus rudimentaires

    de ces trves apparaissent dans le systme du commerce muet oupar dpts, dont l'existence nous est atteste dans les pays et les

    temps les plus divers. On sait ce dont il s'agit. Celui qui veuttroquer sa marchandise contre une autre la dpose dans un en-droit dtermin (ordinairement dans un lieu dsert); puis il seretire. Un tranger s'approche, examine l'objet offert, met ctce qu'il propose en change et se retire son tour. Le premieracteur rentre alors en scne ; s'il est satisfait du troc, il prend ce

    1. Nous nous sparons ici. plus en apparence qu'en ralit de M. Durkheim,pour qui la division du travail ne se produit qu'au sein de socits constitues. Sicependant dans certains cas. dit-il p. 266), des peuples qui nu tiennent ensemble paraucun lien, qui mme parfois se reirardent comme ennemis, changent entre eux desproduits d'une manire plus ou moins rgulire, il faut ne voir dans ces faits que desimples rapports de mutualisme qui ii"ont rien de commun avec la division du travail.Car. parce que deux organismes dilcreuts se trouvent avoir desjiroprits qui s'ajustentutilement, il ne s'ensuit pas qu'il y ait entre eux un partage de fonctions. Mais iln'est pas possible de considrer un fait en lui-mme identique, l'change, comme serattachant tantt au mutualisme et tantt la division du tiMvail (cf. Durkheim, p. 94).De plus, comme nous l'indiquons plus loin, l'change ne se conoit mme pas entrepeuples entirement ennemis. 11 ne jieut s'etfectuer qu' la faveur d'une trve, c'est--dire d'une solidarit tenqioraire et restreinte. L'ensemlile des groupes qu'unissent desemblables relations d'change constitue en ralit une socit tempoiaire et limitedans son tendue de mme ])ar exemple que l'ensemble des nations civilises, tant quela paix est maintenue, forme une socit limite, comme le remanjue quelque partM. Durkheim . On aurait aim voir M. Durkheim donner place, dans son beau livre, ce type social, prcurseur du type organis permanent.

    2. Outre les travaux cits ci-dessus p. 206, n. 1 , on consultera Thaller, Place ducommerce, p. 49 et suiv. : Lohmann, Kauffriede und Friedenschild {Gennanistisc/ieAbUandlunr/en zum LXX Gehiirtstarj Konrad von Maurer's, 1893

    ,p. 4"-6o ; Huvelin,

    Essai tiistoriqiie sur le droit des marc/ts et des foires, 1897, chapitre xiv (La paixdes foires ; Huvelin. v. Mercatura (partie grecque dans le Dictionnaire de Daremberget Sasrlio.

  • (68) DU DROIT COMMERCIAL 9

    qu'on lui oITre el laisse ce qu'il avait apport; sinon il laisse cequ'on lui ollVe et retire ce qu'il avait apport. Par de semblablesalles et venues, plus ou moins rptes, les transactions s'accom-plissent sans que jamais les parties se trouvent face face. Cesystme suppose une trve tacitement conclue l'gard des objetsd'cbange, pour lesquels chaque partie est oblige de s'en rap-porter la foi de l'autre. Mais cette trve est trs troite, puis-qu'elle ne s'tend mme pas aux personnes des intresss.On comprend que le commerce muet se prte mal des transac-

    tions suivies et nombreuses. Aussi rencontre-t-on des trves pluslarges qui permettent aux cochangistes de se rencontrer sanscraindre pour leur sret personnelle. Il existe des signes et dessymboles par lesquels les trangers peuvent se tmoigner leursintentions de paix. Le plus gnral peut-tre des symboles de paixconsiste lever bout de bras une branche d'arbre garnie de sesrameaux et de ses feuilles vertes. Cette ma-n ife station impliquel'intention de renoncer toute pense hostile, sans doute par uneopposition naturelle avec l'acte consistant brandir une branchemonde : car la branche monde est une massue, un pieu, unbton, donc une arme. Un autre signe non quivoque d'intentionspaisibles, rsulte du fait de dposer les armes offensives ou dfen-sives qu'on perlait. Ces premires trves sont fort irrgulires etfort prcaires.

    Elles se rgularisent avec l'institution de certains rendez-vous

    priodiques, placs sous la sauvegarde d'une trve, qu'on nommemarchs. Ces rendez-vous prsentent de l'importance, tant aupoint de vue conomique qu'au point de vue juridique '.

    1 Au point de vue ('-conouiiquc, le systme des marchs j'e-mdie au double obstacle matriel qui entrave la distribution desrichesses : je veux dire Vespace et le temps. (Distances ; obstaclesnaturels; insuffisance des voies et instrumenis de circulation.) Il

    convient do rduire les distances parcourir poui' se procurer les

    marchandises, de perfectionner et d'amliorer les voies et instru-

    ments de circulation. On y parvient en faisant converger toutes-les marchandises vers un centre comnmii. Les transports peuvent

    1. Goldsclimidt. Universalf/esc/iicti/p des liandelsieclils, p. -i et siiiv.; Koehiic,Marlit- Kaufmanns- nnd Handelsreetif in primiliven Kullurver/il/nissen, loc. cil. ;Huvolin, Essai fdslorir/ue sur le droit des marclis et des foires, Ititi'oduction et clia-pitre I.

  • 10 L'HISTOIRE (69)

    ainsi s'oprer collectivement, en convois arms (caravanes); lesroutes du trafic peuvent s'tablir. Si les marchandises devaientaller directement du producteur au consommateur, il faudraittracer pour cela un rseau trs complexe de distribution ; mais dumoment cjue les changes sont concentrs en certains points, onpourra se contenter de rseaux simples rayonnant autour de cespoints, et se i-amifiant seulement la priphrie. Les marchsse localisent naturellement vers les limites des territoires desgroupes intresss, c'est--dire en des points intermdiaires desroutes du transit. Chacun des visiteurs du march ne fait doncqu'une partie du chemin. Le march lunit en un seul lieu toutle stock des marchandises changer, et ce gToni)ement a d'im-portantes consquences. Les marchandises rapproches peuventtre compares ; on peut apprcier la proportion des offres et desdemandes, tablir des cours, dbattre la valeur marchande desobjets offerts.De l choisir comme units de mesure de cette valeur et

    comme intermdiaires d'change certaines marchandises, il n'y aqu'un pas. Le commerce de troc rtrograde devant le commerced'achat et de vente. C'est dans le march que la monnaie fait sonappai'ition et que Yconomie-argent [Geldwirthschaft] commence clipser lancienne conomie naturelle. A ce premier instrumentde circulation qu"est la monnaie s'en joint un autre, le crdit. Ilfacilite la circulation parce qu'il permet d'changer, non plusseulement une richesse prsente contre une richesse prsente,mais encore une richesse prsente contre une richesse future.Uconomie -crdit est le corollaire habituel de Vconomie- ar-gent. Le march constitue un cercle conomique de circulationintense et s'oppose par l aux sphres conomiques situes horsde lui.

    Il convient aussi d'carter rol)stacle du temps. lyconomie do-mestique ferme suffisant encore, par hypothse, une grandepartie des besoins, il ne saurait tre question d'changes perma-nents. Le commerce ne doit pas dtourner les hommes de ce quiest encore la principale source de leur conomie. Les marchsseront donc temporaii'cs, et se tiendront de certains intervalles.Mais il faut aussi que les hommes puissent compter sur leurretour rgulier intervalles fixes. Ils seront donc priodiques. Lapriode est d'autant plus espace que les besoins d'changes sont

  • ?0) DU DROIT GOMMERCII, i\

    plus exceptionnels : on a, par exemple, des marchs tous les cinqans, tous les deux ans, tous les ans, tous les six mois. Mais ellese rapproche mesure que les besoins et les habitudes d'changesse dveloppent. Le rythme de disiribution conomique s'acclre.On a des marchs tous les mois, toutes les quinzaines, toutes lessemaines, tous les jours mme.

    2 Au point de vue juridique, l'institution du march remdie l'obstacle qu'oppose aux relations humaines l'hostilit desgroupes segmentaires difTrents. Le march est un Heu de paix,mais de paix temporaire et limite.

    A. Temporaire. Ds que le march s'ouvre, l'tat d'hostilitcesse

    ;il ne reprend que lorsque le march se ferme. Il y a, entre

    les clients d'un mme march, des ondes galement espaces desolidarit. Lorsque le rythme de la priodicit s'acclre, lesondes se rapprochent dans le temps ; la solidarit tend devenirpermanente.

    B. Limite. La paix est limite dans l'espace ; elle ne protgeque la place du march. Mais, avec le temps, elle rayonne autourde cette place. Elle s'tend toutes les routes qui y conduisent{Sauf-conduit ou Conduit des foires) K La paix est limitequant aux hostilits auxquelles elle s'applique. Une trve entretrangers est, dans des socits segmentaires, quelque chosed'anormal, d'exceptionnel. Les conditions en sont donc troite-ment dfinies par l'accord qui l'tablit. La paix garantit d'abord lascurit matrielle des personnes et des biens des clients dumarch Puis, s'largissant, elle en vient garantir la fermet destransactions, et particulirement l'excution exacte des engage-ments. Elle ne s'tend pas plus loin. Notamment les hommes quifrquentent le march ne renoncent point aux avantages cono-miques qu'ils peuvent possder. La paix du march ne fournilpoint de garantie au plus faible lorsque l'quilibre des besoins etdes disponibilits est rompu ; elle ne ragit point contre les excsde la libre concurrence et de la spculation, c'est--dire de la lutte

    conomique. Les transactions du mai'ch demeurent par l destransactions entre ennemis.

    1. Gulilsclimidf. i'nn'ersal(/esc/iic/i/e, p. 118 ; Iluveliii, Droit des inurc/is el desfoires, cli. xiu Conduit des foires).

  • 12 L'HISTOIRE (71)

    IV

    La paix du marcho, nous venons de le voir, est temporaire. Ilarrive quun groupe assure un tranger une paix plus durable,par le systme de Yhospitalit^. L'accueil dun tranger titred'hte le rend solidaire de ceux qui l'accueillent. Commentexpliquer ce lien de solidarit ? Les formes symboliques par les-quelles Ihospilalil est accorde et accepte semblent indiquerque l'tranger est vritablement assimil ceux qui l'accueillent.Par exemple on pratique avec lui rchange des sangs ^ ou bienon le reoit au foyer commun, dans le culte commun, la com-munion du repas familial ^ ; en un mot, on ralise artificielle-ment entre lui et ses htes les similitudes grce auxquelles unlien religieux et social pourra les unir. C'est pourquoi la paixque cre Ihospitalil est durable. Les htes ont des signes pourse reconnatre, mme aprs de longues sparations (Tessresd'hospitalit).

    L'hospitalit affecte des formes plus ou moins comprhensives.Parfois elle unit deux trangers pris isolment (hospitalit T^nuee).L'hte rpond de son hte vis--vis de ses nationaux; il lui sertd'intermdiaire et d'appui (interprte, commissionnaire, coujtier.cojureur, caution, avocat, etc.) dans ses affaires; en un mot, il luicommunique son droit. Parfois l'hospitalit unit un tranger isol un groupe (proxnies grecques; systme des consuls hospites aumoyen gej; parfois enfin elle unit deux groupes entiers (hospita-lit jozM%?/e). Ces deux dernires formes d'iiospitaUt apparaissentbeaucoup plus tardivement que la ))remire.

    1. Goldschmidf. Univerml;/esc/iic/ife. ji. 33 et suiv. : JluTinir, dans Deutsc/ie Hitinl-sc/uiu, juin 1887, j). 357 et suiv.

    2. Les sansTS cliantrs font natre la solidarit reliricuse itarce que ce sont les sani-'sdes totems des den\ lites. Les formes sont peu prs les mmes que celles qui servent raliser une parent artificielle.

    'i. On pourrait j.'iouiier ici un grand nombre de faits connus : pain et sel offerts hriite tran.^er

    ;calumet de paix des sauvages ; libation propitiatoire accompagnant les

    contrats ((jTrovSai grcc(iues, spons/n romaine, vin du marc/i au moyeu ge, etc.);

    banquets caractristi

  • (72) DU DROIT COMMERCIAL 13

    Le systme d'changes entre trangers dont on vient d'esquisserle mcanisme porte le nom de st/stme conomique commercial[Handehwirthschaft). Son caractre essentiel est que chaquegroupe, au lieu de vivre isol des autres, est li avec eux par deschanges rciproques. Il peut tre ds lors question d'un droitcommercial, par opposition au droit civil de chaque socit seg-mentaire. Le droit commercial est l'ensemble des conditions de laconvention de paix (trve des marchs ou hospitalit) grce la-quelle les changes peuvent s'efTectuer. Le droit du march [Markt-recht] et le droit de l'hospitalit [(rastrecht) sont les deux premiressources du droit commercial.Ce qui prcde nous permet de dgager les caractres essen-

    tiels du droit commercial primitif. C'est un droit international

    ,

    puisqu'il n'est pas propre aux membres d'un seul groupe, maisrgit les rapports des ressortissants de groupes dilTrcnts. C'estun droit laque. Sans doute, lorsque le contact entre groupestrangers s'est rgularis, et a dtermin, sur les points o il seralise, des croyances communes, ces croyances prendront uneforme religieuse; il y aura des dieux internationaux du com-merce ou de la foi due aux conventions: le march deviendia unlieu religieux. Mais ce n'est point l un phnomne originaire. Ledroit du commerce est laque parce qu'il ne repose pas primitive-ment sur des croyances communes. Il repose sur la volont indivi-duelle des contractants. Le droit commercial est individualiste^ ; ildgage la notion des droits individuels, et notamment du di'oit in-dividuel de proprit ^ La trve qui rend les transactions possibles

    ou, pour mieux dire, qui cre le droit de ces transactions, rsulted'un accord exprs ou tacite de volonts. Le droit commercial estconventionnel ;\\ repose sur la convention ^ c'est--dire sui' l'ac-

    1. Tlialler, Place du commerce, p. 16.2. Cette proposition sera peu discute pour la pioptil individuelle des meubles

    ;

    elle le sera davautage pour celle des immeultles. Ou peut cependant dmontrer que laproprit individuelle du sol n'apparat ([ue dans des civilisations commerciales, commeune premire manifestation de cette tendance la mobilisation des ricliesses immobilesqui sera relevi'e plus loin.

    3. >'ous ne disons pas le conira/, pour ne pas crer d'quivoque, ce mot tant li-

  • 14 L'HISTOIRE (73)

    cord des volonts individuelles. Mais do provient la force obli-gatoire attache la convention? Ou, ce qui revient au mme,comment est sanctionne la convention?

    Il ne peut tre question d'une rpression exerce au sein d'ungroupe contre le membre de ce groupe qui a manqu de parole un tranger. L'tranger n'avait aucun droit dan^ le groupe et n'apu tre victime dun dlit. Il peut tre question seulement d'unevengeance exerce par l'tranger et par son groupe contre soncocontractant infidle et les siens. On revient, somme toute, l'hos-tilit dont on s'tait temporairement dparti, et il semblerait qu'iln'y et pas l une sanction vritable, si l'on ne rflchissait que les

    changes constituent, pour les groupes dont il s'agit, une ncessitpressante; la reprise des hostilits se heurte aux liens dplus enplus forts de la solidarit organique. Les vengeances exerces contreun groupe risquent d'atteindre les sources de sa vie conomique.C'est en ce sens que la Contrainte qui en rsulte est efficace. Cer-

    taines formes de vengeance, particulirement usites, portent le

    nom de reprhaUIes. Les reprsailles constituent la sanction dudroit commercial primitif. La crainte des reprsailles assure l'ex-cution des conventions; car, dans chaque groupe, pour viter lesreprsailles, on exerce une contrainte surle contractant rcalcitrant

    pour l'obliger s'excuter. Le droit commercial est essentiellementrestitutif, et non rpressif.

    Enfin il rsulte de ce qui prcde que la volont, source du droitcommercial, peut s'exprimer en des formes quelconques. Elle nerequiert ni paroles, ni gestes, ni crmonial solennels. Il arrivequ'elle se manifeste dans la pratique sous certaines formes ext-rieures dfinies: mais ces formes ne sont pas ncessaires pour fairenatre le droit Le droit commercial n'est pas formaliste.

    Ainsi le droit civil et le droit commercial s'opposent nettementparleurs origines. L'un drive de la solidarit mcanique, il estnational, collectif, religieux, formahste, rpressif; il exclut la con-currence et la spculation. L'autre drive de la solidarit orga-nique; il est international, individualiste, laque, non formaliste,restitutif; il repose sur l'ide de lutte conomique et de libreconcurrence.

    quemment appliqu aussi aux rites formalistes du droit civil qui servent faire natredes obligations.

    1. Tlialler, Place du commerce, p. 51.

  • DU DROIT COMMERCIAL i5

    VT

    L'opposition ainsi prsente du droit commercial et dn droit civilparat quelque peu schmatique, surtout pour qui considre cesdeux droits sous leur aspect actuel. C'est que, dans les civilisa-tions modernes, cette opposition s'est attnue. Les deux droits sesont pntrs, juxtaposs, transforms. Cette action rciproque estune consquence ncessaire de leffacement du type social segmen-laire et des progrs du type organis.

    C'est sur le terrain du march que l'organisation se dessined'abord. Il se cre dans le march des organes spcialiss com-muns. Il faut garantir la scurit du rendez-vous commercial contreles attaques du dehors : le march se fortifie, se double d'une cita-delle et d'une organisation militaire commune. Il faut assurer laIranquilUt du march au dedans, et rgler promptcment les litigesqui y peuvent natre : une juridiction et une police spciales veil-lent au maintien de la paix. Il faut dlibrer sur les intrts com-muns : des assembles (politiques, lgislatives) y pourvoient. Lemarch est devenu un lieu religieux : il lui faut son culte et sesprtres. Les organes militaire, judiciaire, politique, religieux, sontinstitus tantt par lensemble des groupes qui frquentent lemarch, tantt par un ou par quelques-uns d'entre eux qui y oc-cupent une situation prpondrante'.

    Ce systme de communaut de march [Marktgenossemchafl)doit ncessairement se transformer et aboutir une fusion plus oumoins complte des groupes qui frquentent le march. Le marchpourvu d'organes communs constitue le centre de cristallisation

    d'une socit nouvelle base, non plus sur les similitudes, mais surles diffrences, et sur la division du travail. Autour du marchs'tablissent des marchands, des artisans, etc. La paix (le droit) dumarch s'tend eux d'une manire permanente, et l'on a uneville. La ville est un march dont les tablissements sont devenusfixes et dont la pais est devenue permanente. L'agglomration deforme urbaine est caractristique d'une civilisation commerciale.

    Le march de la ville [agora, forum, etc.) demeure pendant long-

    1. Hanoteau et Letourneux, La Kubijlie et les coutumes kabyles, II, p. 78.

  • 16 L'HISTOIRE (7b)

    temps le centre de la vie commune : des intervalles rguliers yont lieu les revues militaires, les assembles politiques, judiciaires,lgislatives, les ftes religieuses de la communaut. La ville estsoumise un droit particulier : c'est le droit commercial primitif,le droit du march, qui devient le droit municipal ^ . Le plat pays,au contraire, dans lequel les divisions des diffrents groupes nesont pas effaces, reste soumis aux divers droits civils des groupesqui se le partagent. Par exemple, tandis que la proprit foncire

    est dj, la ville, une proprit individuelle, elle est encore uneproprit collective dans le plat pays -. La forme de socit qui secaractrise par une organisation permanente concentre dans uneville, coexistant avec la segmentation daus le plat pays, porte lenom de communaut territoriale {Territorialgenossenschaft).

    Mais la segmentation s'efface peu peu. Les religions et les droitsparticularistes des divers groupes perdent du terrain. L'organisationgagne le plat pays. L'effacement de la segmentation amne le ratta-chement immdiat la socit de l'individu (qui jusque-l n'y taitreli que par l'intermdiaire de son groupe) et la disparition ducaractre en quelque sorte contractuel de la solidarit organique.Celle-ci se resserre de plus en plus troitement, s'impose de pltfsen plus imprieusement. La similitude des situations des individus l'gard de la contrainte que cette solidarit leur impose s'exprimedans une croyance commune qui a, par suite, un caractre enquelque sorte rehgieux. C'est la croyance une chose publique,c'est--dire un intrt social suprieur l'intrt individuel. Lachose publique impose des obligations tous les membres de lasocit, et elle est sauvegarde cet effet par une force coercitiveorganise qu'on nomme puissance publique. Ainsi l'organisationde communaut territoriale se transforme en organisation socialeou latique [Soziale Organisation).En mme temps, le systme conomique progresse de Vconomie

    1. Sur l'origine des formations urbaines et leurs rapports avec l'institution du mar-ch, ou consultera, par exemple, pour les syucismes grecs, les travaux de Curtius(spcialement l'article Zait Geschichfe der griechisclien Sfadhnavkte, dans Archao-logische Zeilunf/, VI, 1848, p. 292 et suiv.'i ; pour les villes du moyeu Age : Solim,Die Entstehung des deufschen Sfcidfeiresens, 1891

    ;Huvelin. Droi/ des marchs et

    des foires, ch. viii (F^es formations municipalesi. Cf. Pirenne, L'orirjiyie des constitu-tions urbaines, dans Revue Historique, 1893 ; Villes et marchs, ibid., 1898.

    2. Cf. Rome le contraste qui existe entre les terres gentilices, communes entretoutes les familles de la gens, et les heredia urbains, qui aiiparlieuuent individuelle-ment eliu(|ue chef de famille.

  • l"6) DU DHOIT COMMERCIAL 1"

    urbaine {Stadtwirthschaft) Vconomie nationale {National^wirthschaft). Le commerce est devenu un instrument interne devie conomique pour la nation.

    Il demeure d'ailleurs en mme temps pour elle un instrumentexterne de vie conomique. Les socits organises ne peuvent pasvivre dans l'isolement, quand leur volume s'accrot. De mme queles groupes segmentaires ont d nouer des relations entre eux, lessocits organises ont d entrer en contact les unes avec les autresou avec des socits moins avances qu'elles ont subjugues cono-miquement ou politiquement (systme des comptoirs ou des colo-nies)K De nouveaux cercles de commerce international se sontsuperposs au cercle du commerce national; Vconomie interna-tionale a rayonn au-dessus de l'conomie nationale. Ces formesextensives des relations conomiques ont amen la cration demarchs internationaux nouveaux e^ la conclusion, expresse outacite, par les socits organises, jusque-l isoles, de conven-tions de paix (conventions ou traits d'hospitalit publique). Cesconventions sont mme devenues assez frquentes pour qu'ellessoient sous-entendues dans les rapports ordinaires des soci-ts civilises. La paix est leur tat normal. Elles peuvent

    cependant dnoncer encore le pacte de paix et revenir volon-tairement l'tat de guerre. Mais le fait que la paix est considrecomme la rgle, la guerre comme l'exception, suffit tablir

    l'existence d'une solidarit organiqne grandissante entre cessocits. Les conventions actuelles de paix n'ont gure pour butque de rtablir une paix qui a exist et qui a t rompue, ou de

    modifier les conditions d'une paix prexistante (traits, spciale-

    ment traits de commerce)*. Le terme de cette volution est l'ap-parition d'un commerce mondial et d'une conomie commercialemondiale. La solidarit organique s'tend de proche en proche. Onpeut prvoir qu'une poque viendra, quelque loigne qu'ellepuisse tre, o la paix encore temporaire qui unit les nationsdeviendra permanente, et o l'accession cette paix cessera d'trevolontaire, pour s'imposer au nom d'un intrt commun suprieur.

    On s'acheminera vers une organisation sociale mondiale.

    1. Ce systme qui, pour M. Thaller (P/wce du commerce, p. 48 et suiv.\ reprsenteraitle systme primitif, nous parat ncessairement assez rcent, car il suppose une socitau moins (celle pii porte le commerce au deliors; parvenue un plein essor commercial.

    2. Leur principal objet est, l'origine, d'carter les reprsailles ou de les limiter, enleur substituant des procdures moins brutales d'excuiiou et de contrainte. Arias,/ Iraltati couimerciali dlia reppublica fiorentina, I, l'JOl.

    2

  • l'histoire {t

    VII

    A cette volution conomique et sociale correspond une trans-formation profonde du droit commercial et du droit civil.

    Si l'on examine leurs rapports respectifs, au sein d'une socitorganise, on constate qu'il n'y a plus entre eux de sparationarrte, puisqu'ils ne se meuvent plus dans des sphres distinctes.On peut donc voir, selon les besoins de la pratique, les institutionsempruntes aux deux droits se combiner sur le mme terrain, con-courir ou s'exclure. En gnral celles du droit commercial l'em-portent parce qu'elles correspondent une division du travail plusaccentue : elles triomphent prcisment dans les matires o leprogrs de la division du travail est en jeu. Ainsi dans le droit deproprit, la proprit individuehe clipse la proprit collective ;dans le droit des obligations le formalisme disparat progressi-vement. Le droit civil rsiste mieux dans les institutions familialespar exemple. Certaines institutions empruntes au droit civil sontpeu peu modeles par le commerce et adaptes aux besoins nou-veaux : ainsi la communaut familiale primitive devient contrac-tuelle et donne naissance la socit de commerce. D'autres foisune institution civile se double d'une institution commercialecorrespondante, plus souple et plus plastique : ainsi la lettre dechange nat ct de Vmstrionendun ex causa cambii, ou, d'unefaon plus gnrale, l'elTet de commerce, ct de l'instrumentcivil.

    Le rsultat de ces actions et de ces ractions est le suivant :Le droit civil des socits organises n'a plus de caractre reli-

    gieux depuis que s'est dgage la croyance un droit fond surl'intrt social. Il tmoigne, vrai dire, quelque dfaveur auxtrangers, mais il ne les exclut pas compltement *. Il traduit ordi-nairement ses manifestations sous une forme plus ou moins sacra-mentelle, mais cela n'est pas absolu. S'il reste rpressif en certainesmatires, il est plus gnralement restitutif*.

    1. Lyon-Caen et Renault, Trait^, I, p. 7-8.2. Tout ceci, bien entendu, est prsent en raccourci. Il faudrait montrer comment la

    partie do l'ancien droit civil qui est rpute reposer sur l'intrt public s'en est sparesous le nom de droit pnal.

  • (78) DU DROIT COMMERCIAL 19

    En sens inverse, le droit commercial n'est plus exclusivementrestitutif; il est aussi rpressif, et pourvu de sanctions organisesinternes. Il devient formaliste en quelques matires (Eflets docommerce)Ml perd son caractre purement international, car, dansle sein de la nation, l'autonomie des groupes segmentaires a dis-paru. Il devient un droit national, au moins pour partie, et ne sedistingue point par l du droit civil nouveau ^ On a rserv le nomde droit international Tensemble des institutions juridiques parlesquelles peuvent se rsoudre les conflits qui surgissent entredeux tats, soit quil s'agisse de leurs intrts propres [Droitinternational public), soit qu'il s'agisse des intrts privs deleurs sujets [Droit international priv). Ce droit international, issude la solidarit organique qui tend unir les nations autonomes,embrasse une partie des institutions que comprenait l'ancien droitcommercial des groupes segmentaires. Le droit commercial actuelconserve seulement de son caractre international ancien unegnralit d'application, une aptitude l'unification que ne com-

    porte pas le droit civil ^ et qui permet d'envisager le jour o l'onarrivera un droit du commerce uniforme pour des sphres co-nomiques de plus en plus larges^.

    Il n'y a donc plus vraiment de critrium juridique de la distinc-tion du droit civil et du droit commercial. Comment expliquer dslors que cette distinction subsiste alors que ses bases historiques

    ont disparu ?

    C'est qu' dfaut d'une raison d\'[VQ Juridique, la distinction dudroit civil et du droit commercial a encore une raison d'tre cono-mique. Il subsiste un trait du contraste que nous avons signal.A la difl"rence du droit civil, le droit commercial est individualiste;il considre la volont individuelle comme le facteur fondamental

    de la distribution des richesses; ses institutions sont celles par

    lesquelles cette volont se manifeste avec le maximum de libert,donc celles qui permettent aux richesses de circuler le plus

    aisment.Le droit commercial se prsente ainsi comme le droit de la

    richesse circulante et des agents de sa circulation ; \e droit civil

    1. Tlialler, IHace du commerce, p. 30.2. Idetn., p. 54 et suiv.3. Goldschmidt, p. 11 ; Thall.r, Place, p. 9.4. Cohii, Die Anfange eines W'ellverhekisrechh {Drei rec/i/airissenuc/ia/'/lic/ie

    Vortnige, 1888).

  • 20 l'histoire (79)

    comme le droit de la richesse immobile et des titulaires de cetterichesse. De l vient que Fuii s'applique surtout (mais non exclu-sivement) aux meubles, et l'autre aux immeubles. La circulation estune notion qui manque de contours dfinis; elle est susceptiblede plus ou de moins. Cela explique les incertitudes de la distinc-tion actuelle de l'acte de commerce et de l'acte non commercial.Cela explique aussi pourquoi notre Code de commerce franais,ne pouvant dfinir l'acte de commerce, s'en est tenu une nu-mration dont toute ide gnrale parat absente', et pourquoiles jurisconsultes qui rechercbent le lien doctrinal que le lgis-lateur n'a pas indiqu ne peuvent aboutir qu' des dfinitionspurement conomiques mettant plus ou moins en relief l'ide decirculation -.

    Le domaine du droit commercial ainsi compris est susceptible des'accrotre aux dpens de celui du droit civil, car la richesse circu-lante peut s'accrotre aux dpens de la richesse immobile. Le ph-nomne de mobilisation des valeurs considres comme les moinsaptes circuler, et notamment de la proprit foncire, a souventt mis en relief: les immeubles reprsents par des parts socialesou par certains titres (livres fonciers) deviennent susceptibles decirculer et d'entrer indirectement dans la clientle du droitcommerciale Et le droit civil emprunte de plus en plus les insti-tutions du droit commercial. C'est par exemple la procdurecommerciale de la faillite qui s'tend dans certains pays aux non-commerants, ce sont les clauses commerciales ordre ou auporteur qui s'introduisent dans les titres civils; ce sont les formescommerciales qui peuvent tre adoptes par des socits ayant unobjet civil*, etc. L'empreinte mercantile du droit civil devient assez

    1. Code de commerce, art. 632-633. Lyon-Caen et Renault, Trait ^,\, p. .'?.2. Tlialler, dans les Annales de droit commercial, 1895 ; Trait lmentaire, Intro-

    duction, notamment p. l-j. Cf. Goldschmidt, I, p. 1 : Haudel ist die den Gilterumlaufvermitteliide Erwerbstli;itii;keit. MM. Lyon-Caen et Renault !T/'//c', I, p. 101), tout encritiquant la formule de M. Tlialler, sont amens pourtant reconnatre que les actesde commerce ne trouvent pas leur dfinitiou dans des conditions absolues de droit etde justice , et qu'ils sont soustraits au droit commun pour des raisons d'utilitpratique. Ainsi, ajoutent-ils, dans les ides des rdacteurs du Code, le billet ordrerend moins de services que la lettre de change ; aussi n'cst-il pas ncessairement unacte de commerce, tandis ([u'il en est autrement de la lettre de change . Or, s'il rendmoins de services praticiues, n'est-ce pas tout simplement parce qu'il se prte unecirculation moindre?

    3. Cf. Tlialler, Place du commerce, p. 38.4. Tlii'zard, De l'in/luence des relations commerciales sur le dveloppement du

  • (80) DU DROIT COMMERCIAL 21

    profonde pour qu'on puisse prvoir qu un temps approche sansdoute o il n'y aura plus de li^ne de dmarcation tranche entre larichesse immobile et la richesse circulante, et o toutes les ri-chesses seront galement aptes circuler. Le droit civil et le droitcommercial pourront alors se fondre. Cette fusion est accomplieplus ou moins compltement dans certains pays trangers (Suisse

    ;

    Grande-Bretagne) '.

    VIII

    Rsumons les rsultats auxquels nous sommes parvenus.Le commerce est un systme de distribution conomique qui

    correspond des formes sociales de transition, chelonnes entrele type segmen taire et le type organis. Ces formes sociales sontissues d'une division du travail conomique s'oprant dans l'espace(spcialisation des centres de production, des voies de transit, des

    centres de distribution, etc.). Le commerce permet de raliser la

    division du travail malgr l'obstacle de l'espace ; il fait circuler lesproduits. Le droit commercial permet de raliser la division dutravail malgr l'obstacle des hommes. Il assure la scurit et lasolidit matrielle des conventions, mais il laisse subsister l'in-

    galit conomique des contractants, et par l, il manifeste encoreson caractre oi'iginaire de droit limit entre ennemis.

    Cela pos, qu'arrive- t-il lorsque les formes transitoires o semarque encore la segmentation primitive disparaissent et que l'or-

    ganisation est pousse plus avant? On peut prvoir une rgressiondu commerce et du droit commercial. Cette rgression se ralise.Comme il arrive vers le sommet de toute courbe ascendante, onperoit ds maintenant la menace d'une chute.

    La division du travail ne produit en efl'et ses rsultats et n'en-gendre la solidarit organique que lorsqu'elle est spontane. C'est,

    droit priv [Revue crilirjue de ler/isla/ion el de jurisprudence, 1873-74, p. U"'!, IGGet 250]

    l. Thallcr, Pfece du commerce, p. 97, 'J8; Lyoi-Caeii et Renault, Trail^, \).l ;Gauffre, Essai sur une (endance actuelle l'unification du droit civil et du droitcommercial, 1898 ; Guy, Mthode d'interprtation et sources en droit priv, 1899,p. 5ol. Cf. Goldsclimidt, I, p. 10, ii. 3.

  • 22 L'HISTOIRE (8l)

    SOUS une autre forme, la mme ide que nous avons exprimelorsque nous avons indiqu que le droit commercial, expressiond'une forme dtermine de division du travail, repose essen-tiellement sur la volont. Or la division du travail nest spontanequ'autant qu'il n'y a aucune ingalit dans les conditions ext-rieures de la lutte '. Le droit commercial n'apporte par lui-mme *,nous l'avons dit, aucun correctif aux conditions ingales de la lutte

    conomique. Bien plus, il a contribu tablir l'une des sources/les plus fcondes qui soient d'ingalit, la proprit individuelle. Ilest clair qu'entre celui qui possde et celui qui ne possde pas, labalance n'est point gale ; l'quilibre ncessaire pour que la divi-

    sion du travail soit gnratrice de solidarit est rompu. Le droitcommercial est donc le droit d'une division du travail incomplte,et ne sanctionne que des formes incompltes de solidarit orga-nique. On peut prsenter la mme ide d'une autre faon: le r-gime dbostilit matrielle avait cr l'esclavage, qui exclut toutesolidarit entre le matre et l'esclave et n'tablit que des relations

    unilatrales. Le rgime d'hostilit conomique cre un tat dedpendance conomique qui n'est pas moins exclusif de toutesolidarit.

    Or, la rupture de la solidarit est d'autant plus sensible que la

    division du travail est pousse plus avant. La crise devient particu-lirement aigu lorsqu'un progrs nouveau de la division du travailmarque l'avnement d'un systme conomique diffrent des sys-tmes de l'conomie naturelle et de l'conomie commerciale, etqui se superpose eux. Je veux parler du systme de Vconomithulustrielle.

    Qu'appelle-t-on industrie? Il serait trop long d'examiner, avecles dveloppements ncessaires, cette question qui dpasse lesbornes strictes de notre sujet. Contentons-nous d'indiquer que,

    pour nous, l'industrie est le mode de production qui se caractrise

    1. Durkheim, p. 367 et suiv.2. Il existe vrai dire parfois certains correctifs au principe de liiire concurrence;

    mais ces correctifs ne sont pas issus du ririme commercial. Ainsi la limitation et laprohibition de l'usure sont trs iruralement d'origine relif/ieuse, donc nationale (Pro-hibition canonique chez les Musulmans, chez les Chrtiens, etc. On jiourrait jirouver quela prohibition et la limitation du prt intrt Rome ont aussi un caractre cano-nique). Les correctifs que le droit conlemporain appli(]ue aux excs de la concurrence(rpression de la concuri'ence dloyale, annulation par la jurisprudence de certainesclauses de non-responsabilit, etc.) sont relativement rcents et correspondent desformes de civilisation o l'organisation a dpasse la phase purement commerciale.

  • (82) DU DROIT COMMERCTAL 23

    parla division du travail porte dans l'acte mme de production.Cet acte est scind en un grand nomjjre de mouvements simples,dont chacun est accompli par des agents spcialiss. Cela entranecomme corollaires l'emploi d'un nombre important d'agents pour unmme acte, l'usage possible dumacliinisme et, partant, la ncessitd'une runion importante de capitaux. Cette dfinition est plustroite que celles qu'on adopte communment. Elle exclut, parexemple, de la sphre de l'industrie, le simple mtier exerc parun artisan seul ou avec quelques autres artisans. L'artisan n'est

    pas un industriel.

    On comprend aisment quel malaise juridique doit rsulter del'avnement de l'conomie industrielle dans un milieu faonn parl'conomie commerciale. La division du travail entre les agentset le patron n'est point spontane, puisqu'elle rsulte des capitauxqui manquent aux uns et dont l'autre dispose. Elle n'est doncpoint gnratrice de solidarit; elle ne cre pas une vritable

    rciprocit de services ; elle cre seulement des relations uni-

    latrales \ d'autant plus ingales que la division du travail estplus accentue. Du moment que celle-ci multiplie les agents et nedemande chacun d'eux que des mouvements simples, elle faitd'eux des rouages plus infimes et plus facilement interchangeables

    de l'entreprise. Ainsi, tandis qu'un petit cordonnier hsitera se

    dfaire de l'ouvrier qui travaille avec lui, le grand fabricant de

    chaussures n'hsitera pas renvoyer l'un des ouvriers qui posent

    des illets aux brodequins qu'il fabrique.

    Il n'y a mme pas de solidarit organique entre les agents sp-cialiss, car il n'y a pas entre eux change de services ; il y a seu-lement apport de services un tiers. Mais la similitude de leur

    situation, l'opposition commune de leurs intrts ceux du capitalfait natre entre eux une conscience collective, donc une solidarit

    mcanique, qui devient d'autant ])lus troite, par une ractionnaturelle, que le principe antagoniste d'individualisme est plus

    accentu.

    Il y a donc antinomie enti-e le droit individuaUste issu du com-

    merce (c'est--dire d'une division du travail limite), et une divi-

    sion du travail plus avance ^ Le coidlit des principes se traduit

    1. Cf. un autre aspect de la question dans Durkhcim, p. l.")").2. Nous uous sparons ainsi de M. DurJvheim, qui voit la principale cause du malaise

    dans Yanomie, c'est--dire dans l'indtermination juridique des rapports des fonctions

  • 24 L'HISTOIRE (83)

    extrieurement par des conflits entre le capital, d'une part, et lamasse des agents unis par la solidarit mcanique de l'autre.La fin de cet tat de lutte ne peut rsulter que de l'avnement

    d'un droit nouveau ragissant contre le droit individualiste. Cedroit en voie de formation porte le nom de droit industriel^. Ilgagne ds maintenant du terrain au fur et mesure que l'cono-mie industrielle fait tache d'huile. On peut suivre aujourd'hui lapntration du droit industriel jusque dans les institutions qui serattachent l'conomie naturelle (pche, agriculture, levage, ex-ploitations extractives), et cette pntration a pour cause le progrsde la division du travail (grandes entreprises, machinisme, etc.)dans cette forme conomique.La raction du droit industriel contre le droit commercial peut

    rsulter soit d'un accord de volonts, soit d'une contrainte exercepar le pouvoir rgulateur de la socit. Il existe, ds maintenant,au conflit industriel, des solutions contractuelles et des solutions

    tatiques. D'un ct se placent les institutions de prvoyance, demutualit, d'arhitrage, etc., de l'autre, les institutions de tutellesociale. L'attitude du droit industriel l'gard du commercediffre beaucoup selon qu'on considre la partie contractuelle,donc individualiste, ou la partie imprative, donc tatique, dece droit.

    Il n'y a pas d'incompatibilit entre les institutions contractuellesdu droit industriel d'une part, le commerce et le droit commercialde l'autre : car ces institutions contractuelles cherchent prcis-ment dans le principe d'individualisme qui est la base de l'co-nomie commerciale le remde du conflit que le rgime industrielfait natre. Les groupements corporatifs, par exemple, ou la coo-pration (spcialement la coopration de production), ne portentpas atteinte au droit du commerce ^. Cela n'arrive que si l'inter-vention sociale dans le systme corporatif ou coopratif s'accentue

    spcialises. En ralit, il n'y a pas anomie (al)sence le rgles), mais antinomie (oppo-sition de rg-les

    ,adaptation une situation nouvelle drgles prexistantes qui ne lui

    conviennent pas. Ainsi le contrat de travail industriel est rglement, mais il l'est parle Code civil qui n'a pas prvu le dveloppement de l'industrie au xixe sicle. En ralitle droit industriel rcent ue btit pas sur un terrain vide; il doit d'abord dmolir desrgles juridiques anciennes adaptes d'autres formes de division du travail. De mme d'autres gards : il existe videmment une morale des rapports entre patron et ouvrier

    ;

    mais c'est la morale du commerce, et elle ne suffit pas.1. Pic, Trait lmentaire de lgislation industrielle, 2' d., 1903.2. Thaller, Place du commerce, p. 123.

  • (84) DU DROIT COMMERCIAL 25

    au point de faire disparatre son caractre contractuel. C'est d'ail-leurs ce qui se produit de plus en plus, et c'est forc. On ne sauraitgurir l'excs de l'individualisme par l'individualisme mme; leremde engendre les mmes ruptures de solidarit que le mal.L'homopathie russit peu en matire sociale.

    Il y a, par contre, incompatibilit entre les institutions tatiquesdu droit industriel d'une part, le commerce et le droit commercialde l'autre. L'interventionnisme est ncessairement hostile au com-merce ; il a pour but de restreindre ou de supprimer la libre con-currence, et d'tablir la paix conomique. Les doctrines socia-listes, qui traduisent les aspirations et les esprances extrmesde l'interventionnisme grandissant, sont logiques lorsqu'elles seprononcent la fois contre la proprit individuelle, contre lalibert des conventions et contre le commerce, et lorsque, faisantde la socit l'unique agent de distribution conomique, elles fon-dent le droit commercial dans le droit administratif'. Est-ce dire que l'avenir doive raliser de tout point les programmes quetrace par exemple le collectivisme ? Il serait tmraire de le pr-dire, surtout quand l'on sait combien les prvisions des doctrinessont frquemment dmenties par les faits. On peut constater seu-lement une tendance : c'est que le dveloppement de la divisiondu travail, ragissant contre les traditions individualistes issuesde l'conomie commerciale, parat devoir limiter le champ du com-merce et des institutions commerciales. Jusqu' quel point? L'a-venir le dira. Cette conclusion, trop flottante au gr de quelques-

    uns, nous parat seule prudente.

    IX

    L'esquisse que nous venons de tracer de l'volution du droitcommercial suffit marquer le cadre dans letjuel se meut l'his-

    toire de ce droit. Ce cadre dborde sensiblement celui o se ren-fermerait l'histoire des institutions du droit commercial actuel. Il

    comprend notamment l'histoire des conventions de paix par les-

    1. Tliallcr, Place du commerce, p. 118 i>i suiv. La larp" organisation corporativeilonl M. Durkhcim (2 d., Prface, p. i-xxxvi) aUend le renouvellement le l'ordre juri-dique et moral dans nos socits modernes doit aboutir au mme rsultat.

    3

  • 26 L HISTOIRE (80)

    quelles se nouent les premires relations commerciales : hospita-

    lit, trve des marchs; systme des reprsailles (droit de marque),traits; en un mot un ensemble de questions qu'on rattacherait

    aujourd'hui au droit international ; puis l'histoire des forma-tions urbaines et du droit municipal, qu'on rattacherait au droit

    administratif; puis l'histoire de l'individualisme dans le droit

    priv (proprit individuelle ; dcadence du formalisme ; contrats

    consensuels, sanction restitutive) qu'on rattacherait au droit

    civil. A ces matires qui sortent de la sphre du droit commercialcontemporain se joint l'histoire encore extrmement vaste desinstitutions qui rentrent dans cette sphre (par exemple : socits,

    effets de commerce, faillites, juridictions commerciales, etc.).

    Un essai de synthse de ce vaste ensemble devrait naturelle-

    ment comprendre trois parties :

    1 Une partie consacre aux Sources. Elle se diviserait en deux

    sections : A. Une thorie gnrale des sources juridiqiies du droitcommercial, c'est--dire des faits gnrateurs de ce droit. B. Un

    tableau de ses sources historiques, c'est--dire des documents par

    lesquels nous le connaissons.

    2" Une partie consacre YHistoire externe de notre droit, c'est-

    -dire l'examen de l'influence que les diffrentes manifestations

    de la vie conomique, politique, sociale, ont exerce sur les insti-

    tutions commerciales. L'bistoire externe du droit commercial est

    donc base sur l'histoire mme du commerce et de la politiquecommerciale. Elle doit passer en revue les diverses civilisations,

    et mettre en relief l'importance et les formes que le droit du com-

    merce a prises dans chacune d'elles.

    3" Une partie consacre VHistoire interne du droit commercial,

    c'est--dire l'tude historique de chaque institution commerciale

    prise sparment, en dgageant la marche gnrale de cette insti-

    tution, et les prcdents immdiats de sa forme moderne.

    Nous suivrons cet ordre mme pour exposer les principauxrsultats des recherches qui ont t jusqu'ici consacres ces

    questions.

  • I. LES TRAVAUX D'ENSEMBLE ET LES SOURCES

    Travaux d'ensemble. Il ne faut pas s'attendre, aprs ce que nousavons dit', rencontrer beaucoup de bonnes tudes d'ensembleconsacres l'histoire du droit commercial. On numrerait plusaisment ce qui manque que ce qui existe. Je crois pourtant utilede dresser aussi exactement que possible ce procs-verbal de carence;

    il a son utilit pour les recherches venir -.

    Un travailleur qui dsire acqurir des vues d'ensemble du dve-loppement historique du droit commercial est naturellement tentde s'adresser d'abord aux histoires du commerce ^ . Mais il ne ren-contre dans celles-ci qu'il s'agisse d'histoires gnrales, natio-

    nales ou locales qu'un minimum d'indications juridiques, pr-sentes avec un minimum d'exactitude. Les auteurs de ces livresignorent sans doute que les changes, tant des accords de volont,

    ne peuvent tre pleinement compris sans une analyse des rapports

    4. Voy. ci-dessus, p. 60 et suiv.

    2. Je ne parle pas ici des histoires gnrales : on sait qu'elles commencent peine donner aux faits conomif4ues et juridiques la place qui leur revient. Il y en a ce-pendant quelques-unes je citerai spcialement la (h'iechische Gescliichle de Belocli,la Gescliichle des AUertkums de Meyer, Vllisloire de lieljique de Pirenne, et cer-taines parties de {'Histoire de France publie sous la direction de Lavisse quidgagent assez nettement les liens par lesquels les institutions politiques et sociales serattachent au commerce.

    3. On trouvera, la fin de l'article Me/'cfl^Mca (par Huvelin Gagnt et Besnier) dansle Dictionnaire de Daremberg et Saglio, une numration des principales histoires g-nrales du commerce ( laquelle il faut ajouter Larice, Sloria del commercio, 190-2).Voy. aussi GoMschmidl, Universalgesc/tichte des Handelsrechts, p. 14-15, n. 8, 9 et 10.La plupart des histoires gnrales du commerce ont t crites par des professeursd'coles de commerce, et en vue de leur enseignement ; elles portent trop souvent lamarque dune spcialisation histori(jue insuffisante. L'histoire du commerce ne pro-gressera que si elle trouve rguliremi-nt place dans l'enseignement de nos Universits,et si elle est confie des historiens. Un cours d'histoire du commerce vietit d'tre cr l'Universit de Bruxelles. Cf. Huisman, A propos de la thorie de K. liucher [leond'ouverture], Bruxelles, 1903.

  • 28 L'HISTOIRE (329)

    juridiques que ces accords font natre: et c'est mme l une desraisons qui font qu'il n"y a pas encore de bonnes histoires du com-merce. Les moins imparfaites de celles qui existent, je citerai cellesde Ber, d'Ungewitter, de Cons et de Mayr parmi les histoiresgnrales', celles d'Htillmann, de Canale, de Falke, de Pigeonneauparmi les histoires nationales -, portent la marque de ce vice initial,qui dpare aussi, quoique un moindre degr, les tudes plustroitement monographiques, telles que celles de Heyd sur le com-merce du Levant au Moyen Age^, de Masson, sur le commercefranais dans le Levant au XVII^ sicle et sur le commerce fran-ais dans rAfrique barbaj'esqite * , de Schulte sur les relationscommerciales entre VAllemagne et VItalie au Moyen Age =,d'Yver sur le commerce et les marchands dans VItalie ine'ridiotialeau XIII^ et au XIV^ sicle ".

    Aprs les histoires du commerce, on songe aux histoires cono-miques. La dception qu'on prouves! pire. La tendance ordinairede ces ouvrages des spculations fondes sur des concepts apriori, la prpondrance qu'ils donnent la doctrine ou, pourmieux dire, la littrature sur les faits, leur enlve le sens desralits. On n'aura donc utiliser que rarement, et toujours avecprcaution, non seulement certains livres vieillis, comme ceux deBlanqui, de Du Mesnil Marigny, de Bureau de la Malle, de Cibra-rio ^ mais encore certains ouvrages rcents, comme ceux d'Ingram,

    1. Ber, Allgemeine Geschichte des Wellhandels, 1860-1884 ; Ungewitter, Ges-chichte des Handels, der Industrie und Schiffahrt, 1831 ; Mayr, Lehrbuch der Han-delsfjescliichte, i89i, et 2 d., 1901 ; Cous, Prcis de l'histoire du commerce, 1896.

    2. Hiillmaun, Handelsgeschichte der Griechen, 1839; Geschichte des byzan-tinischen Bandels bis zum Ettde der Kreuzziiqe. 1806; Caii.ile, Storia del com-mercio... def/li UaVuini, 1866; Falke, Geschichte des deulschen Haiidels, 18o9-1860; Pigeonneau, Histoire du commerce de la France, 1883-1889.

    3. Heyd, Geschichte des Levantehandels im Mittelalter, 1879 (trad. franc, deFurcy-Raynaud, 1883-86).

    4. Masson, Histoire du commerce franais dans le Levant au XVII^ sicle,1897; Histoire des lalAissernents et du commerce franais datis l'Afrique bar-aresque (1560- 1793j, 1903.

    5. Scliulte, Geschichte des mittelalterlichen Handels und Verkehrs zirischenWestdeutschland und Italien, mit Ausschlnss von Venedig, 1900.

    6. Yver, Le commerce et les marchands dans l'Italie mridionale au XIII' et auX/Fe sicle {Bib. coles fr. d'Athnes et de Rome, 88), 1903.

    7. liianqui, Hisl. de l'conomie politique en Europe, 1837 ; Du Mesnil-Marigny,Hist. de l'conomie politique des anciens peuples de l'Inde, de l'Egi/pte, de laJude et de la Grce, 3* d., 1876; Dureau de la .Malle, Economie politique desRomains, 1811 ; Cibrario, Economia politica del medio evo, 1839 drad. fr. parBarneaud, 1839 .

  • (330),

    DU DROIT COMMERCIAL 29

    d'Ashley, d'E. de Girard, d'Eisenliart, deGrunzel, dOiickcn '.Seulesquelques monographies excellentes, dues rcole liistorique alle-mande, par exemple celles de Schmoller stn- les drapiers et tisse-rands de Strasbourr/-, de Gothein sur histoh'e conomique de laFort-Noire \ de Lampreclit sur la vie conomique allemandeau Moyen Age^, d'Inama-Sternegg sur Vhistoire conomique deVAllema(jne'% pourront fournir des lumires aux tudes de droitcommercial.Mmes rsultats ngatifs si l'on se tourne vers les livres dits d'Ats-

    toire du droit. J'ai dj eu l'occasion d'indiquer pourquoi l'histoiredu droit commercial n'a pas encore ohtenu droit de cit dans l'en-seignement juridique. Les meilleurs traits d'histoire du droit (Es-mein, Glasson, Viollet en France, Pollock et Maitlanden Angleterre,Brunner, Schrder, Stohbe, Heusler en Allemagne, Marichalar,Oliver, Hinojosa en Espagne, Huber en Suisse) mesurent parcimo-nieusement la place au droit commercial. Seuls les traits italiens(dj ceux de Sclopis et de Schupfer, mais surtout celui de Fertile)

    font exception, au moins pour certaines matires. En France, iln'va gure citer que le Manuel dliistoire du droit franais, encoreinachev, de Brissaud; il semble devoir consacrer plus de dvelop-pements que ses devanciers au droit commercial '.

    Reste enfin examiner les traites de droit commercial contem-porain. Pendant longtemps l'histoire n'y a figur que comme ellefigure dans nos rpertoires de jurisprudence et dans nos thses dedoctorat en droit, c'est--dire sous la forme ({'introductions som-maires, inexactes et chaotiques. Des introductions de ce type gtent

    les publications, estimables d'autres titres, de Bravard-Veyrires^,

    1. Ingram, A hislonj of political econoini/, 1888 (tr.id. franc, par H. de Variguy etBonneniaison, 1893) ; Asliley, Hisloire et Doctrines conomiques de l'Angleterre(trad. franc, par Bondois), 1900 (cf. Bry, Histoire industrielle et conomique del'Anf/leterre, 1900) ; E. do Giraid, Histoire de l'cono>nie sociale jusqu' la fin duXVI^ sicle, 1900 ; Eisenliart, Geschichte der Mationaldkonomie, 2 dit., 1901 ;Grunzel, System der llandelspolitik, 1901 ; Onckcn, Geschic/ite der Nationalko-nomie, I, 1902.

    2. Schmoller, Die Slrassburr/er Tuc/ier-und Weherzunft, iSlO.i. Gothein, Wirlhschaflsgeschichte des Schwarzwaldes, 1892 et sniv.4. Lampreclit, Deulsches Wirlhschaflsleben im Mittelaller, 1885-87 ; Beitrcif/e

    zur Geschichte des f'ranzdsischen Wirthschaftsleben im i1'" Jahrkundert, 1878(trad. frani;. par .Maritrnan, 1889).

    ."i. Inama-Sternegg, Deutsche Wirtschaflsgeschichte, 1879- 1 89 1.6. Pertile, Storia del dirilto italiano, 2 d., 1893-96.

    7. 1898 et suiv. Voy. par ex. le ciiapitre xii (pp. 314-317).8. Biavard-Veyrires, Trait de droit commercial, 1862.

  • 30 L'HISTOIRE (33l)

    de Molinier', de Beslay*; elles svissent mme, on ne sait parquelle tyrannie de mode ou d'habitude, dans les travaux des au-teurs qui semblaient le mieux arms pour faire uvre d'historiens :c'est peine si la robuste personnalit d'un Pardessus' ou d'unEndemann * se dgage des aperus placs en tte de leurs manuels.En Italie, les ouvrages de Marghieri ~% de Vidari ^, le profond traitde Vivante', l'utile rsum de Franchi ; en Allemagne, l'ouvrageclassique de Cosack ; en Espagne, ceux d'Alvarez del Manzano '" etde Blanco Constans ' (malgr les promesses de leurs titres) n'chap-pent point cette critique. Fort heureusement il semble que lventtourne. Les plus rcentes productions de la littrature commercia-liste s'engagent plus rsolument dans la voie historique. MM. Lyon-Caen et Renault, dans la troisime dition de leur monumentalTrait de droit commercial '*, ont donn leur introduction histo-rique une ampleur qu'elle n'avait point dans leurs prcdentes di-tions. M. Tballer, dans son excellent Trait lmentaire de droitcommerciale^, ne se contente pas d'exposer, dans un prambuleplein d'ides personnelles, les conditions gnrales du dveloppe-ment historique : dans tout le cours de son livre, il s'eiorce devivifier par un retour incessant vers le pass sa synthse du droitcontemporain. L'apparition de pareils livres est d'un heureuxsymptme. On peut esprer que l'tude du droit commercial con-temporain va enfin retrouvei" en France ses seules bases scienti-fiques, l'histoire et le droit compar.

    1. Molinier, Trait de droit commercial, t. I, 1846.2. Beslay, Commentaire thorique et pratique du Code de commerce, 1867.3. Pardessus, Discours sur l'origine et les progrs de la lgislation et de la

    jurisprudence commerciale, en tte de la deuxime dition de son Cours de droitcommercial, 1821.

    4. Endemann, Introduction de son Handhuch des deutsclien Handels -, See -und Wechselrechfs (1881-188ri,, t. 1, pp. 10-26.

    o, Marghieri, Il diritto commerciale italiano, 2" d., I, 1886.6. Vidari, Corso di diritto commerciale, 5' d., I, 1900.7. Vivante, Trattalo teorico prafico di diritto commerciale, l'^ d., 1893 et suit.,

    et 2' d. en cours de publication.8. Franchi, Manuale del diritto commerciale, 1890-95.9. Cosack, Leitrbuch des Jfandelsrechts, S d., 1902, et trad. franc., par Lon Mis,

    I, 1903.10. A. del Manzano, Curso de derecho mercantil, filosofico, historico e vigente,

    1890 et suiv. (Inachev.)11. Blanco Constans, Estudios elementares de derecho mercantil sobre la filosofia,

    la historia y la legislacion positiva, 1893-97. Voy. de mme les Elementos delderecho mercantil de Espana, de Carreras y Gonzalez et M. y Gonzalez Revilla(5-2d.), 1893.

    12. Lyon-Caen et Renault, Trait de droit commercial. S' d.. l, 1898.13. 2 d., 1900, et 3' d. en cours de publication.

  • (332) DU DROIT COMMERCII, 31

    XI

    Si les ouvrages gnraux ne peuvent suffire guider le chercheur ses dbuts, existe-t-il au moins des esquisses d'ensemble con-sacres exclusivement une synthse de l'histoire du droit com-mercial ? A premire vue, on pourrait croire qu'il en existe plu-sieurs : aprs examen, on s'aperoit vite qu'il n'en existe qu'une.

    Il faut liminer d'abord certains ouvrages de valeur, mais quin'abordent que quelques aspects de la matire : telles sont lesEtudes de droit commercial de Frmery, trop longtemps m-connues en France, et rhabilites juste titre par Goldschmidt ' ;le Manuel des Consuls, de Millitz, recommandable pour l'abon-dance de sa documentation *; l'ouvrage de Lastig sur le Dvelop-pement et les sources du droit commercial ^, qui, malgr la gn-ralit de son titre, comprend uniquement des tudes, d'ailleursexcellentes, sur les statuts commerciaux de Gnes et de Florence.On liminera encore l'esquisse lumineuse et originale de M.Thallersur la Place du commerce dans Vhistoire gnrale * : elle se borne,volontairement, des aperus gnraux, h'Introduction l'tudedu droit commercial de Benito^ n'est qu'une uvre de vulgari-sation. Si l'on carte ces travaux, et quelques autres de moindreimportance ^ on reste en prsence de deux livres seulement, de

    valeur fort ingale. L'un est un Prcis historique de lgislation

    consulaire, d Gragnon-Lacoste ^ ; on n'aurait pas le citer, s'iln'importait de dtourner les dbutants du soin inutile de le lire.

    L'autre devait former l'introduction de la 3 dition du Handbuchdes Handelsrechts de Goldschmidt. La mort de l'auteur a laiss

    l'uvre interrompue. Nous n'en possdons que le premier fasci-

    1. Frmery, tudes du droit commercial ou du droit fond sur la coutumeuniverselle des commerants, 1833.

    2. De Miltitz. Manuel des Consuls, 1837-1842.3. LastiL', Entwickelunrjswer/e und Quellen des Handelsrechts, 1877.4. Entrait des Annales de droit commercial, 1892.i. Loreiizo Beiiito, Ensai/o de unu introduccion al estudio del derecho mercanlil

    (preliminares e historia), 1897.6. I.-F. Al)dy, Lectures on the orif/in and prof/ress of commercial lair (Law

    Mar/azine. nov. 1850) ; Endemaun. Geschicfil lie/te Entwickelunfj des Handelsrechts.dans VEncyclopdie der Rechtswissenschaft d'Holtzendorff.

    7. 1800.

  • 32 L'HISTOIRE (333)

    cule, paru en 1891 sous le titre ^Universalr/cschichte des Handels-reclits, et nous sommes obligs de nous contenter, pour le surplus,

    de la partie correspondante, beaucoup moins dveloppe, de la2 dition (1874j, Mme incomplte, cette uvre est de grande en-vergure. Une documentation presque sans lacune, un sens histo-rique trs sr, une connaissance approfondie des institutionscommerciales contemporaines, concourent en faire un monumentde haute rudition et de rare probit scientifique. La bibliographie

    est d'une richesse ingale : aussi pourrons-nous plus d'une fois

    nous contenter d'y renvoyer, en nous bornant citer, pour l'poqueantrieure 1891, les ouvrages les plus caractristiques, et yajouter les productions postrieures. Sans doute on pourrait releverdans VUniversalgeschichte des lacunes (on n'y trouve aucunethorie des sources du droit commercial) et des taches de dtail, etmme un dfaut gnral de conception, qui rsulte d'une positiontrop exclusivement juridique des questions, et qui entrane unemconnaissance presque complte de leurs donnes sociologiques.Malgr tout cela, le livre n'en reste pas moins, et pour longtempssans doute, la base essentielle de tout travail portant sur l'histoiredu droit commercial. Il rend possible la constitution de cette bran-che de l'histoire en science. Ce n'est pas un mince mrite.Des ouvrages proprement dits, on doit rapprocher les Revues.

    Deux revues consacres au droit commercial font une large part l'histoire. Ce sont : 1 ' La Zeitschrift fur das gesammte Han-delsrecht ', fonde en 1838 par Goldschmidt. L'orientation histo-rique de cette belle revue parat malheureusement flchir depuisla mort de son fondateur (1897) et son passage en de nouvellesmains. Faut-il dnoncer ce propos la tendance des jurisconsultesallemands s'absorber dans l'interprtation de leurs jeunes Codes,et dlaisser le travail historique? >'e peut-on mme pas craindreque la codification n'ait pour la science allemande la mme influencestrilisante qu'elle a eue, pendant la plus grande partie du xix si-cle, pour la science franaise ? 2 Les Annales de droit commercialfranais, tram/er et international '^ , fondes en 1887 par M. Thal-1er. A ces deux revues il convient d'en ajouter maintenant unetroisime, fonde en 1903, et qui semble destine marcher sur les

    1. Dans les iiidicalions bihliograjiliiijues donnes pins bas, uons la dsignerons sousla forme abrge Z. f. Hrechl.

    2. Dsignes plus bas sous la forme abrge Ann. dr. corn.

  • (334) DU DROIT COMMERCIAL 33

    traces de ses deux anes : c'est la Rivista di diritto commerciale,industriale et maritimo de Vivante et Sraffa. Dans ces trois re-cueils, il parat priodiquement des chroniques bibliograpliiquesfort utiles pour l'historien du dioit commercial.En dehors de ces collections spciales, on peut tirer profit d'assez

    nombreux articles pars, soit dans les revues pratiques ou histo-riques de droit (p. ex. Diritto commerciale de Supino ; Archiviogiuridico de Serafmi; Nouvelle Revue historique de droit ; Zeit-

    schriftder Savigny-Stiftung fir Rechtsgeschichte, etc.), soit dansles revues conomiques, comme la Zeitschrift fur Sozial- iindWirthschaftsgeschichte (aujourd'hui disparue) ; la rcente Vier-teljahreschrift fi'ir Sozial- und Wirthschaftsgeschichte ; lesJahrbiicher fir Nationalkonomie und Statistik de Conrad ; leJahrbuch fir Gesetzgebung und Volkswb'thschaft de Schmol-1er, etc.

    XII

    Les sources. A. Sources juridiques. Quels sont les faits parlesquels se cre le droit commercial ?

    Il n'existe, ma connaissance, aucune tude historique con-

    sacre cette question capitale. Les sources du droit civil seules

    commencent tre tudies scientifiquement ', et encore le sont-

    elles incompltement parce qu'on nglige de leur opposer les

    sources du droit commercial.L'esquisse que nous avons prcdemment trace de l'volution

    du droit dans les socits segmentaires nous a conduits une tri-

    ple constatation : tandis que le droit civil est national, le droit

    commercial est international, tandis que le droit civil est religieux,

    le droit commercial est la'ique; tandis que le droit civil est imp-

    ratif, le droit commercial est conventionnel. Le caractre res-

    pectif de leurs sources s'en dduit logiquement.

    Le droit civil des socits segmentaires rsulte essentiellement

    de la coutume ancestrale, rpute d'origine Iranscondanle et r-

    1. Voy. surtout les travaux rcents et remar(iual)les de Gny, Mlhode d'inlerpr-talion el sources en droil prioc positif, 18i)'J, et Lamhert, La fonction du droit civilcompar [tudes de droit commun lgislatif ou de droit civil compar, 1), l'JOJ.

  • 34 L'HISTOIRE (335)

    vle par les oracles judiciaires ' ; il rsulte aussi des prescriptions(tabous) dictes, au nom des dieux, par lautorit religieuse. Il n'ya pas de diffrence sensible, cette tape du dveloppement, entreles diverses rvlations religieuses. Ce n'est gure que lorsque lessocits, en s"organisant, se scularisent, que la sentence judi-ciaire se spare spcifiquement du prcepte lgislatif et qu'uneopposition s'tablit entre la coutume et la lgislation.

    Il ne peut tre question, pour le droit commercial primitif (pasplus que pour le droit international contemporain) de cette doublesource : coutume (religieuse) * et lgislation. Les relations entretrangers ne relvent ni de coutumes ni de lois communes. Noussavons que les premires sources du droit commercial sont desconventions (individuelles ou collectives, prives ou publiques) depaix. (Paix des transactions commerciales isoles ; hospitalitprive; conventions d'union corporative; paix des marchs;traits.) Les conventions de paix crent des liens de droit con-tractuel qui unissent, sous la sanction des reprsailles, ceux-lseulement qui ont adhr ou qui adhrent ces conventions : lesconventions prives n'ont d'effet qu'entre les parties ; les conven-tions collectives n'engagent que les membres des collectivits con-tractantes 3.

    Les contrats privs, passs sous la sauvegarde de la paix, fontnatre, en se rptant, des usages. L'usage est la seconde sourcehistorique du droit commercial. Il a un caractre trs diffrent dela coutume civile, avec laquelle on est tent de le confondre *. La

    formalion diffrente de la coutume civile et de l'usage commercial ^

    se traduit, mme de nos jours, par des consquences importantes :notre droit considre en effet que la coutume a force de loi,

    1. Sur la notion de la coutume, on consultera surtout l'ouvrage prcdemment citde Lambert. Il a rfut d'une manire dfinitive l'ide d'une coutume forme incons-ciemment, spontanment, et il a fortement tabli le lien qui unit la coutume l'oracle,puis la scutence judiciaire.

    2. L'acception tecliuique du mot coutume n'tant point encore suffisamment dfinie,je suis oblig. i)our plus de clart, d'y ajouter une epitbtc prcisant l'opposition quiexiste entre la coutume nationale et les usages commerciaux ou internationaux.

    3. Ainsi, sur le terrain du droit commercial, mais sur ce teirain seulement, lathorie du contrai social a des points d'attache dans la ralit. L'erreur des partisansde cette tliorie et de ses adversaires consiste ne pas srier les questions et vouloir ramener toute la formation sociale un point de vue unique.

    4. 11 rsulte de ce qui prcde que je prends le mot usage commercial dans sonsens le plus large, et que j'y comprends mme ce qu'on ap|iellc maintenant coutumecommerciale.

    ). Voy. sur ce point l'article de Percerou, Ann. dr. corn., XIV (1900;, p. loi.

  • I(336) DU DROIT COMMERCIAL 3S

    tandis que l'usage a seulement force de com^ention , ce qui en-trane de notables diffrences d'application pratique ^Le caractre conventionnel des sources du droit commercial ne

    peut se maintenir qu'autant que les groupes segmcntaires mis encontact conservent leur autonomie. Il s'efface au fur et mesureque ces groupes tendent s'unir dans une organisation commune.Lorsque le march devient un centre priodique, et la ville uncentre permanent d'organisation, l'adhsion au droit commercialentre ressortissants du march et de la ville va cesser d'tre volon-taire et s'imposer progressivement comme l'expression mme de lasolidarit organique grandissante. Les droits du march et de laville prsentent la fois, dans des proportions variables, un ca-ractre conventionnel et un caractre impratif. Le droit de la cor-poration marchande est aussi dans le mme cas.

    a) Un caractre conventionnel ^. La paix (le droit) du march,de la ville, de la corporation, font originairement l'objet d'uneadhsion des intresss, renforce par un serment. Ce serment estle signe sensible du caractre conventionnel de ces droits (Sermentdes foires* ; conjiiratio des communes jures^ ; serment corporatifdans la Grce ancienne, en Italie ; conjuratio des gildes mar-chandes \ etc.). La justice du march, de la ville, de la corpora-tion, a un caractre arbitral assez marqu ^. Mais la sanction dudroit ne consiste point dans des reprsailles prives. 11 existe

    1. Notre droit franais est rest l'un des plus fidles la tradition liistoriciue sur cepoint. D'autres lgislations ont abandonn la conception ancienne. On sait ((ue le Codede commerce italien considre l'usage commercial l'gal d'une source lgislative dudroit, se plaant entre les lois commerciales et les lois civiles, primes par les pre-mires et primant les secondes.

    2. P. ex. sur les questions de savoir si l'usage peut droger la loi crite, et, dansJe cas o on admet l'affirmative, (pielles lois il peut droger ; si la violation d'unusage par les juges du fond donne ouverture cassation. Thailer, Manuel^, p. 45.

    3. Pour les boroughs anglais, voy. Pollock et Maitland, The historg of the Englishlaw^, 1898, I, p. 669.

    4. Huvelin, Droit des foires et des marchs, p. 343, 1 ; 356, 2.V). Viollet, Histoire des institutions politiques et administratives de la France,

    m, 1903, p. 54-33.

    6. Ziebarth, Griechisches Vereinswesen, 1896, p. 141 ; Hirzel, Der Eid, 1901,p. 110, 4 ; Lattes, Il diritto commerciale nella legislazione statutaria dlie cilt ita-liane, 1884, p. 30, 14.

    7. Viollet, op. cit., III, p. 146-147. Les nn-mbres des gildes danoises, p. ex , s'ap-pellent eux-mmes frres-jurs {sornue brader) ; Pappenlieim a voulu tirer de cefait la preuve (pie les gildes danoises ont ieui- origine dans le systme germa-ninue de la fraterniti': artificielle, ralise par le mlange des sangs et le serment.Pappenlieim, Die altdanischen Schutzgilden, I, 1883, p. 63 et suiv.

    8. Thailer, Place du commerce, ii" 32.

  • 36 l'histoire (337)

    des reprsailles collectives, exerces par la justice du march,de la ville, de la corporation, au nom de tous les ressortissants.

    L'une des formes les plus usites de reprsailles collectives con-

    siste dans l'exclusion de celui qui a manqu la foi promise, et,au besoin, des membres de son groupe D'o le systme de ladfense des foires (notamment aux foires de Champagne), de l'ex-clusion de la corporation ou de l'exclusion de la ville ^

    b) Les reprsailles collectives constituent une sanction interm-diair