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Horizons Les think tanks belges Portrait Bernard Zimmern Entretiens Benoît Hamon et Jean-Louis Le Moigne

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Page 1: Horizons PortraitBernard Zimmern EBenoît Hamon et Jean-Louis Le Moigne Editorial Le 27 mai 1968, au ministère du Travail, rue de Grenelle, après deux jours de négociations, le

Horizons Les think tanks belges

Portrait Bernard Zimmern

Entretiens Benoît Hamon et Jean-Louis Le Moigne

Page 2: Horizons PortraitBernard Zimmern EBenoît Hamon et Jean-Louis Le Moigne Editorial Le 27 mai 1968, au ministère du Travail, rue de Grenelle, après deux jours de négociations, le

Editorial

Le 27 mai 1968, au ministère du Travail, rue de Grenelle, après deux jours denégociations, le gouvernement, les représentants syndicaux et le patronatparvenaient à un accord pour tenter de sortir de la crise sociale dans laquelle lepays était plongé depuis plusieurs semaines. Succès pour les différents acteursparticipant à la conférence, enchantés par la méthode, les accords dits deGrenelle ne firent pas l’unanimité auprès des sympathisants des organisationssyndicales (la “base” comme on dit) et ne permirent pas de mettre finimmédiatement à ce long conflit social. Pourtant, malgré le résultat en demi-teinte et les effets relatifs sur le dénouement de la crise, les accords de Grenelleallaient passer à la postérité et devenir, par la suite, une méthode souventrevendiquée lorsqu’il s’est agi de réunir les partenaires sociaux et l’Etat afin derépondre à des questions sociales particulières ou, plus récemment, à desproblèmes de société de grande ampleur.Le terme même de Grenelle est ainsi passé dans le langage courant pour s’utilisercomme un nom commun, faisant sens en lui-même et renvoyant à des pratiques denégociation et à des modes de concertation spécifiques. A tel point, d’ailleurs,qu’aujourd’hui, en France, il ne semble guère exister de problèmes qui ne doivent êtreréglés sans recours à l’organisation d’un Grenelle. Après le “Grenelle del’environnement”, à l’automne 2007, l’hiver 2008 est au “Grenelle de l’insertion”, pilotépar le Haut commissaire aux solidarités actives, Martin Hirsch. Dans le même temps,des voix se font entendre pour réclamer, ici, l’organisation d’un “Grenelle de la Culture”,là, un “Grenelle du pouvoir d’achat”, “de la santé”, “de la banlieue”, etc. A chaqueproblème son Grenelle en somme !Le principe du Grenelle serait-il la méthode la plus efficace pour associer davantage lescitoyens et la société civile à la définition des politiques publiques ? L’organisationd’une grande conférence réunissant l’ensemble des acteurs publics et privés parties àun problème (Etat, collectivités territoriales, administrations, experts, associations,entreprises, etc.), au cours de laquelle tous les aspects d’une question seraientabordés et soumis à la négociation, serait-ce là le remède pour produire réellement dela décision publique concertée ? Serait-ce là les prémices d’une démocratieparticipative en devenir, appelée à remédier à la crise du politique et de lareprésentation dont le régime serait frappé ? Pour l’heure, ces questions demeurent ouvertes. Toutefois, si ces dispositifsparticipatifs doivent être considérés comme des expériences sociales et politiquesdignes d’intérêt, il importe également d’en relever les limites et de ne pas se laisserabuser par la profusion de discours répétant à l’envie qu’il s’agirait là de nouvellesmanières de faire de la politique, et ce sans autres formes d’examen critique. Ilconvient, ainsi, de prendre garde à ce que Grenelle ne devienne pas le nom d’unesimple machine à produire du consensus sans contenu véritable ou, pire encore, leslogan d’une vaste opération de communication.

Emilie Johann, rédactrice en chefRobert Chaouad, conseiller éditorial

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Sommaire

Question de saison . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 4Grenelle de l’environnement, force de la démocratie participative ou échec de la démocratie représentative ?

Réservoir d’acteurs. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 6Politique Autrement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 7Mémoire des luttes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 9

Portrait . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 11Bernard Zimmern - Fondateur et Président de l’Ifrap

Entretiens. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 13Benoît Hamon - C’est en forgeant à gauche qu’on devient... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 13Jean-Louis Le Moigne - Stimuler la dignité de l’Homme : entre curiosité citoyenne et modestie des experts… . . . p. 17

Horizons. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 21Les think tanks en Belgique

Lectures . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 25

Regard . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 26Max Weber - Le savant et le politique... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 26Le XIe Carrefour AVRIST . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 28

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Grenelle. Voilà maintenantenviron 40 ans que cetteadresse était retombéedans un relatif anonymat.

Les “accords de Grenelle” ontdisparu derrière la réputationsulfureuse ou controversée, selon lecas, de Mai 68, avec son imageriede pavés volants. Jusqu’en mai2007. Le nouveau Ministre del’Environnement annonce alors qu’ilva organiser une négociation avecles acteurs concernés parl´écologie pour répondre à lapréoccupation que les Français ontexprimée à cet endroit tout au longde la campagne électorale. LeGrenelle de l´environnement étaitné.

Événement médiatique, coup de bluffou de génie, l´événement est inattenduet nouveau... Une négociation qui,hors de toute situation de crise, réunit

un ensemble disparate, voirefranchement traversé d´antagonismes,pour parler d´un sujet jusqu´alorsconsidéré comme secondaire, on nepeut qu´en reconnaître la nouveauté.Pourtant, cet événement ne pose pasmoins de question quant au rôle d´untel dispositif au sein de notredémocratie. Cette négociation est-elleen effet le signe d´un renouveau de la

démocratie participative ou est-ellesuscitée par les insuffisances de ladémocratie représentative ?

Paris, 24 et 25 octobre 2007, leGrenelle de l´environnement réunitl’État, les collectivités locales, lesONG, les employeurs et les salariésdans une négociation autour desthèmes majeurs du débatenvironnemental : énergie,agriculture, pesticides, santé,biodiversité... Au terme de trois moisde travail, chacun des groupes afinalement abouti à un certain nombrede propositions. Ces propositionsseront ensuite soumises à lanégociation trois jours durant, aprèsavoir été présentées aux citoyensfrançais pendant un mois. Au termede cette négociation, un programmed´action a été élaboré, dont la mise enapplication reste cependant encore àdéfinir.

Si le principe de la négociation n´estpas nouveau, qui réunisse les acteursimpliqués et aux points de vue diverspour débattre d’un sujet et trouverune solution satisfaisant lesdifférentes parties prenantes, cettenégociation pose cependantd’importantes questions quant aurégime politique qui l’a convoqué.

Peut-on alors penser que cettenégociation organisée par l’Etat etinvitant jusqu’à ses contradicteursconstitue une forme de renouveaude la démocratie participative ? Ilest en effet possible de voir danscet événement une reconnaissancepar l’État de la force de propositionde la société civile et de lapertinence de l’expertise citoyenne,associative, syndicale dansl’élaboration de politiquespubliques sur un sujet donné. Un teldispositif permettrait à la sociétécivile de participer à l’élaborationdes politiques publiques, illustrantla volonté d’ouverture revendiquéepar le président. Il serait la pleineexpression de la légitimité dechaque partie prenante de lathématique écologique à être à lafois force de proposition et, àterme, de législation ; il serait ainsila reconnaissance que ce n’est pas

de la seule sphère gouvernementaleque peuvent s’élaborer desdécisions nationales. Et c’est là quele bât blesse.Si organiser une telle négociationest signe d’ouverture au-delà deslimites traditionnelles de la sphèregouvernementale, elle peut aussiêtre comprise comme suscitée parses propres insuffisances.

Grenelle de l’environnementforce de la démocratie participative

ou échec de la démocratie représentative ?

THINK n° - Février 2008 p. 4Question de Saison par Emilie Johann 6

“Et si le Grenelle de l'environnement constituait une pure et simple supercherie ?”

Jean-Luc Porquet, Le Canard enchaîné, n° 4537, 10 octobre 2007, p. 5.

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THINK n° - Février 2008 p. 5Question de Saison par Emilie Johann 6

Mai 1968, la France est traverséepar un conflit social d’une ampleurextra-ordinaire. Les 25 et 26 mai setient rassemblement de représentantsdu gouvernement Pompidou, desyndicats et d’organisations patronalesen une négociation multipartite visant àmettre un terme à cette crise sociale.Au terme de ces deux jours, lesaccords de Grenelle sont conclus ; ilsconstitueront un des éléments derésolution de la crise et aboutirontnotamment à des acquis importants, àsavoir une augmentation de 25 % duSMIG (salaire minimuminterprofessionnel garanti) et de 10 %

en moyenne des salaires réels. Ils sontégalement à l’origine de la création dela section syndicale d’entreprise. Sil’ancêtre du Grenelle de 2007 est né,c’est comme outil de résolution decrise. Un tel dispositif s’expliquait doncpar l’incapacité à résoudre le conflit parles seuls moyens gouvernementaux.Ce Grenelle était bien alors un signe decette même impasse.

D’où la possibilité de se demander sile Grenelle de l’environnement,convoqué, planifié, préparé hors detoute situation de crise, ne trahirait pas

l’impossibilité de répondre à cettequestion majeure “en interne”. Notonsqu’il ne s’agit nullement de nierl’urgence écologique actuelle, exigeantun travail politique à sa mesure, maisplutôt de questionner la nature dutravail politique effectué. Cettenégociation n’est-elle pas le signed’une anticipation par le gouvernementde son incapacité à construire en sonsein une politique environnementaleadaptée ? L’ouverture à la société civileserait alors un moyen de garantir à lapolitique les ressources, l’expertise, lesidées qu’elle mérite et qu’ellenécessite, et qui ne sont plus

aujourd’hui l’unique apanage desdécideurs politiques élus maiss’élaborent et s’incarnent seulementdans un type nouveau de collaboration.Elle serait alors à la fois reconnaissancedes limites de la démocratiereprésentative et réappropriation despossibilités de la démocratieparticipative.

Mais alors une dernière question, oupeut-être plutôt un avertissement sefait entendre. Qu’un tel dispositif nedevienne pas la nouvelle solutionmiracle aux problèmes complexes de

notre temps, comme pourrait nous lefaire craindre le Grenelle de l’insertionqui doit y faire suite. Que lanégociation ne soit jamais un simpledispositif de légitimation a posterioride décisions prises ou de politiquesdéjà entamées. Enfin qu’un telsystème, avec ses lourdeurs et soninstitutionnalisation ne vienne pasétouffer et récupérer les idées de lasociété civile et leur enlever toute leurvigueur. Que l’appropriation par unsystème d’acteurs qui lui sont pardéfinition étrangers, quand ce n’estpas opposés, n’en vienne pas àremettre en cause l’essence de ces

producteurs d’idées et de ces contre-pouvoir intrinsèquement à la marge.

Il est difficile de résoudre le dilemmequi s’érige entre la marge demanœuvre, l’effectivité des idées quiest offerte à la société civile quand onlui ouvre les portes de la décision, et ledanger qu’il y a à se fourvoyer dans unexercice institutionnel qui n’est pas sadestination essentielle. Encore ettoujours, c’est à l’observation,l’analyse, la vigilance et la confiancedans la vie des idées et dans ceux quila font que nous nous en remettons.

“Le Grenelle, c’est la réflexion et la proposition partagées. C’est unsuccès. C’est un succès que nous devons aux organisations non

gouvernementales de l’écologie qui ont su être à la hauteur de ce rôleinédit. Je suis persuadé que si on avait dit à un certain nombre d'entreeux « bientôt vous travaillerez avec lui »... Ce n'était pas acquis ! C’estun succès que nous devons aux syndicats qui ont su se saisir de cesujet, dont je n'ignore nullement qu'il est nouveau pour un certain

nombre d'entre eux. C’est un succès que nous devons à l’ensemble dumonde agricole qui a eu le courage de revenir sur des positions

anciennes. C’est un succès que nous devons aux entreprises qui ont suelles aussi être au rendez-vous. C’est un succès que nous devons aux

élus qui ont compris les exigences de la population.” Discours de M. Nicolas Sarkozy à l’occasion de la restitution des conclusions du Grenelle de

l’environnement. Palais de l'Elysée - Jeudi 25 Octobre 2007

Grenelle de l’environnementforce de la démocratie participative

ou échec de la démocratie représentative ?

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Présentation de deux think tanks français :

Politique Autrement,

Mémoire des luttes.

THINK n° - Février 2008 p. 66

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THINK n° - Février 2008 p. 7Réservoir d’Acteurs par Agnès Iborra 6

Historique Au début des années 1980, la relecture des œuvres de Raymond Aron, Hannah Arendt etClaude Lefort, et la rencontre avec le noyau premier de la revue Esprit, Jean Conilh, Jean-Marie Domenach “eux qui ont connu l’engagement”, sont décisifs pour Jean-Pierre LeGoff. En 1986, constatant que les schémas de pensée structurant notre société sedélitaient et qu’aucune nouvelle proposition n’est avancée, il décide de créer l’associationPolitique Autrement. Ces manquements traduisent, selon lui, une “crise politique etculturelle ainsi qu’un besoin de renouveau des réflexions autour de la démocratie” ; c’estavec l’ambition d’y pallier que Politique Autrement est née.

ValeursDès sa création, Politique Autrement a cherché à apporter des solutions pérennes auxproblèmes de la société française (chômage, Europe, développement, santé, etc.), enrepensant le collectif et en prônant l’engagement citoyen par le dépassement des intérêtsparticuliers et de sa propre subjectivité. Il s’agit pour ce think tank de retrouver une basecommune à tous et de développer l’esprit critique et civique de la nation.Ces idées de reconstruction du collectif et de mise en place d’une base démocratiquepartagée par toute la société reposent sur les valeurs de transmission et d’héritageculturel et historique, chères à son président. Pour lui, il faut aujourd’hui “retrouver descadres de discussion et d’action pour se forger ses propres convictions à partir d’un débatsensé, où ce ne sont pas les idéologies ou les camps politiques qui sont discutés, maisles idées en tant que telles”. Il appartient ensuite aux hommes politiques de prendre lerelais et d’émettre des propositions, ou pas.Politique Autrement se veut également lieu de décloisonnement et de diversité (sociale,professionnelle ou d’âge) où les rencontres et les discussions sont possibles, en dépit del’individualisme et de l’empressement ambiants. Les membres sont appelés à faire preuvede raison et de libre arbitre lors des débats, dont le seul garant est l’accession de chacunà la formation et l’éducation.Concernant sa méthode de travail, Politique Autrement part de problèmes concrets :délinquance, euthanasie, évolutions des mœurs, immigration, procréation médicalementassistée…, et cherche dans la culture et l’histoire des repères structurants pour agir etréagir. La mise en place de contacts et de rencontres entre le théoricien qui intellectualise unphénomène et le praticien qui le vit est une des volontés de Politique Autrement. Laprésence d’un public très varié lors des séminaires et conférences, et la diversité desintervenants en attestent. En effet, selon les sujets traités, des militaires, des éducateurssociaux, des Professeurs d’Université, par exemple, animent les débats.L’objectif recherché est la lutte contre une sous-culture faite de bons sentiments et dedroits de “l’hommisme”, perçus par Jean-Pierre Le Goff comme les nouveaux défis posésaux démocraties. Il estime que les hommes politiques doivent aujourd’hui replacer lesproblèmes dans un contexte long et avoir une vision historique de la société, et avoir unevision historique de la société afin de ne pas se laisser enfermer dans le présent oùrègneneraient la victimisation et l’exigence de droits indéfinis.

Missions et réalisationsTout le travail de Politique Autrement vise à créer un nouvel élan démocratique où chacundoit pouvoir réfléchir librement, tout en faisant preuve de rigueur, nourrir le débat sur lesquestions de société actuelles et à venir. Les sujets de travail sont abordés selon leurprégnance, culturelle ou sociale, dans la société française. Les préoccupations de lasociété décident des thématiques traitées. Politique Autrement reconnaît “l’existence duchamp politique et les évolutions sociétales, modificatrices du rapport au collectif, commearrière fond de sa réflexion”.Au cours de ses réunions-débats mensuelles, les Mardis de Politique Autrement, y sont

BP 0778401 Chatou cedex

Mél : [email protected]

POLITIQUE AUTREMENT

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THINK n° - Février 2008 p. 8Réservoir d’Acteurs par Agnès Iborra 6

DIRIGEANTS ET FONDATEURSJean- Pierre Le Goff :philosophe de formation, il est le fondateur de PolitiqueAutrement. Par ailleurs, membre du Laboratoire de recherche de sociologieGeorges Friedman de l’Université Paris I - La Sorbonne , il s’est surtout intéresséà “comprendre les désordres du monde”, au post-totalitarisme et aumanagement dans les entreprises. Il travaille, au sein de l’association, sur l’étatdes sociétés démocratiques aujourd’hui et leurs défis.

Ses derniers ouvrages sont Mai 68, l'héritage impossible, en 1998, et La démocratie post-totalitaire, en 2002.

Les membres ont des professions diverses : militaires, enseignants, fonctionnaires d’Etat, chefsd’entreprise, etc.

PARTENARIATSL’association serait en autofinancement total.

http://www.politique-autrement.org/ Le site Internet est sobre et très bien organisé ; des extraits de compte rendu d’assembléegénérale, des conférences et des séminaires antérieurs sont disponibles.Des extraits et une version podcast de la Lettre de Politique Autrement sont accessibles sur lesite.Des extraits d’ouvrages fondateurs, sur la démocratie et les sciences politiques notamment,sont proposés dans la rubrique “Repères”.La rubrique “Lire”fournit,quant à elle,une sélectionde revues et d’ouvrages élaborée par les membres de Politique Autrement.

traités de sujets variés en lien avec l’actualité. L’accès à ses réunions, qui se tiennentdans un café, se fait sur invitation, après inscription sur le site. Le travail et l’emploi,l’armée et la défense devaient être les prochains thèmes traités, mais l’actualité en adécidé autrement. La première question à laquelle Politique Autrement a tenté derépondre, le 22 janvier 2008, est “L’humanitaire a-t-il tous les droits ?” ; le débat s’estfait en présence de Rony Brauman, enseignant à Sciences Po et ancien président deMédécins sans frontières. Ces débats sont repris dans la Lettre de Politique Autrement, trimestrielle, partiellementtéléchargeable sur le site. Les derniers numéros portaient, en juin 2007, sur l’élection de Nicolas Sarkozy ; sur lecommunautarisme en avril ; sur l’Iran et la Corée du Nord en février. En 2006, les thèmesabordés ont été l’avenir de la presse écrite, l’évolution de Paris, l’insécurité sociale etl’impact des sondages sur les questions européennes. Des séminaires de réflexion et de formation sont mis en place tous les ans. Leur butest d’apporter des connaissances transversales : historiques, philosophiques etsociologiques sur des questions de fond. A partir d’études de textes, il s’agit d’offrir auxparticipants des perspectives pluridisciplinaires sur une question, afin de nourrir leursréflexions. Le thème de travail pour l’année 2007-2008 est l’évolution des mœurs dans lessociétés démocratiques ; en 2006-2007, la confusion et la distinction entre morale etpolitique ont été étudiées. Leur accès est ouvert à tous, sur participation financière. Toujours avec la même volonté de diffusion, de partage des connaissances et d’unemeilleure compréhension de la société, des conférences sur des thématiqueséconomiques, politiques ou sociales sont organisées. La prochaine se tiendra le 16 février sur la thématique suivante : “Rencontre avec PierreNora : Quelle crise de l’identité nationale ?”. Elle tentera d’apporter des réponses auxquestions suivantes : quelles sont les principales caractéristiques du modèle nationalfrançais ? Ce modèle est-il devenu obsolète ? Quel nouveau modèle possible aujourd’hui ?Les Cahiers relaient les principaux points discutés au cours des séminaires etconférences et proposent également des analyses et le point de vue de PolitiqueAutrement sur les grands événements de l’actualité. Les derniers numéros traitaient du libéralisme en janvier 2007, des crises interétatiques enEurope et la possibilité de l’emploi de la force armée en juin 2006 et du capitalisme en mai2006. Ils sont vendus huit euros l’unité.Une bibliothèque de trois mille revues et articles parus depuis les années 1980 (Le Débat,Esprit, Commentaire, Études, etc.) est accessible aux membres.

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THINK n° - Février 2008 p. 9Réservoir d’Acteurs par Maud Clément 6

Historique L'association Mémoire des luttes est portée par la figure emblématique et bienfaitrice de Gunter Holzmann,décédé en 2001 à l'âge de 89 ans. Ce juif allemand, condamné à fuir la menace hitlérienne, entreprit unenouvelle vie en Amérique latine où il épousa les causes des cultures indigènes, de l'environnement et desdéshérités. Toute sa vie fut consacrée aux luttes pour un monde plus juste, plus libre, et plus égalitaire. C'està son initiative que l'association - dont il a proposé le nom - fut créée le 7 janvier 2000 pour que perdurentses combats et demeure leur mémoire. Mise en place, à sa demande, par Bernard Cassen et IgnacioRamonet, l'association est aujourd'hui animée par Ramón Chao, Mireille Azzoug et Christophe Ventura. Sonobjectif principal est de rappeler les combats sociaux du passé, de soutenir ceux d'aujourd'hui et depréparer ceux de demain.

ValeursL'association, qui porte les valeurs d'une gauche radicale et antilibérale, s'inscrit dans la tradition desgrandes luttes de l’Histoire. L'idée forte est d'affirmer la primauté du politique sur l'économie et le domainefinancier. Elle s'inscrit dans le mouvement altermondialiste qu'elle souhaite approfondir et dépasser, pourdévelopper une vision réaliste et politiquement viable. Ce post-altermondialisme doit s'appuyer sur ce quise développe, en termes de propositions, d'alternatives et de pratiques, dans les mouvements populairesdepuis une dizaine d'années, au Brésil avec le Mouvement des Sans Terre, en Inde avec le mouvementpaysan, ou bien encore en Bolivie, en Equateur et au Venezuela. Dans tous ces pays, l'hégémonie dumodèle néolibéral est en effet remise en cause dans le champ social et le champ politique. L'association Mémoire des luttes, de plus, s'engage, avec la revue internationale Utopie critique, dans laréalisation d'un Manifeste pour un socialisme du XXIè siècle dont elles veulent poser les principes, lesvaleurs et les orientations. C'est “une initiative qui tend à reconstituer une sorte de carte idéologique visantà faire accéder au pouvoir des forces antilibérales, donc radicales, mais aptes à gouverner. Il ne s'agit pasde faire un programme utopique, mais de se demander qu'est-ce qu'on peut raisonnablement faire [...] s'ily a une forte volonté politique et une forte mobilisation derrière”1, explique Bernard Cassen lors d'unprécédent entretien réalisé par Robert Chaouad pour l'OFTT.

MissionsIl s'agit pour Mémoire des luttes de “redéfinir un socle idéologique à opposer au projet néolibéral, commeà ses variantes sociales-libérales dans la perspective de la conduite d'une action gouvernementale”. Pour cefaire, l'association s'inspire des différents mouvements à l'œuvre dans le monde et notamment en Amériquelatine (qui fut le laboratoire des politiques néolibérales du Consensus de Washington et des institutionsfinancières internationales, comme le FMI et la Banque mondiale, dès les années 1980) dont elle tente dedécrypter les processus de transformation sociale. Au Venezuela par exemple : “la révolution bolivarienneest la première expérience politique menée à l'échelle d'un pays qui affirme sa volonté de transformer lecapitalisme et de lutter contre son ordre impérialiste sur un ordre démocratique et non dogmatique depuisla chute du mur de Berlin et la fin de l'empire soviétique.”2 L'expérience d'une volonté politique et d'unemobilisation populaire est déterminante dans ce processus de transformation sociale. Elle constitue lepremier stade d'une évolution vers la prise du pouvoir politique. On voit en effet qu'au Venezuela, enEquateur, en Bolivie, les masses populaires sont mises en mouvement. La révolution bolivarienne estconstituée d'une variété de groupes sociaux hétérogènes mais conscients des intérêts qu'ils ont encommun. Des organisations, des projets, des initiatives locales de toutes sortes prolifèrent.Selon les travaux de certains membres de Mémoire des luttes, un parallèle peut, dans une certaine mesure,être fait entre le bolivarisme, le socialisme et l'altermondialisme. Même si le contexte socio-économique duVenezuela (notamment la place prépondérante du pétrole dans l'économie) rend impossible unetransposition en Europe, il semblerait que des enseignements puissent être tirés pour reconstruire, ici, unprojet post-néo-libéral.Le bicentenaire des indépendances latino-américaines (1810-1830) sera une occasion pour l'association demettre en lumière et de communiquer à un large public les leçons que l'on peut retirer de l'histoire des luttessociales et politiques du sous-continent. A cette occasion, plusieurs séminaires, ouverts au public, sontprévus fin 2008, début 2009. Des publications et ouvrages généralistes seront également publiés à cettepériode. Le programme d'activités de Mémoire des luttes relatif à ce bicentenaire s'étalera de 2008 à 2013.Outre ses travaux sur l'Amérique latine, l'association se donne comme mission de promouvoir, en Europe,les débats sur l'avenir de l'altermondialisme. Elle participe également aux Forums sociaux, dont le prochainse déroulera en septembre 2008 à Malmö, en Suède.

3, avenue Stephen Pichon 75013 ParisTel : 01 53 94 96 70

Mél : [email protected]

MÉMOIRE DES LUTTES

1 Interview de Bernard Cassen par Robert Chaouad, Think 4 : http://www.oftt.eu/spip.php?article572 Christophe Ventura « Pourquoi s'intéresser à la Révolution Bolivarienne?» http:/utopie-critique.fr

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THINK n° - Février 2008 p. 10Réservoir d’Acteurs par Maud Clément 6

DIRIGEANTS ET FONDATEURSIgnacio Ramonet est directeur et éditorialiste du mensuel Le Mondediplomatique. En décembre 1997, son éditorial a été à l'origine de la création del'association ATTAC. Il a été parmi les promoteurs du Forum social mondial dePorto Alegre dont il a proposé le slogan :“Un autre monde est possible”. Il est lefondateur de l'ONG internationale Media Watch Global (Observatoire Internationaldes médias) et de sa version française, l'Observatoire français des médias.Bernard Cassen a été le premier président de l'association ATTAC, de 1998 à2002. Il a été l'un des concepteurs du premier Forum social mondial (FSM) àPorto Alegre et par la suite des multiples FSM et Forum social européen qui luiont succédé,partout dans le monde. Il a collaboré au journal Le Monde à partirde 1967 avant de rejoindre la rédaction du Monde diplomatique en 1973.

Ramón Chao est journaliste et écrivain galicien. Il a été rédacteur en chef du serviceAmérique latine de Radio France internationale et a créé, en 1984, le prix Juan Rulfo quirécompense chaque année une nouvelle littéraire en langue espagnole. Ramón Chao estl'auteur de plusieurs ouvrages évoquant sa région natale.

Animateurs actuelsMireille Azzoug est directrice de l'Institut d'études européennes de l'université Paris VIII.Maître de conférences,elle est spécialiste des questions européennes et de l'histoire des idéesen Europe. Mireille Azzoug est également collaboratrice de divers journaux dont le mensuelLe Monde diplomatique.Christophe Ventura a rejoint l'association altermondialiste ATTAC dès sa fondation en 1998.D'abord bénévole, il est ensuite devenu responsable du secteur international, entre 1999 et2007. À ce titre, il a participé à la conception, à la promotion et à l'organisation des différentsForums sociaux mondiaux (FSM), continentaux (notamment du Forum social européen), etnationaux (Allemagne, Hongrie, etc.) depuis le premier FSM de Porto Alegre en 2001. Il estaujourd'hui trésorier de l'association Mémoire des luttes.

PARTENAIRESDu point de vue financier, Gunter Holzmann, fondateur de l’association, a fait un apportfinancier d‘un million de dollars dont Mémoire des luttes a reçu la majeure partie, le resteétant en discussion avec le mandataire du donateur. L'association, qui dispose de quelquesdizaines de milliers d'euros pour son budget de fonctionnement annuel (la dotation deGunter Holzmann ne peut être utilisée pour le fonctionnement quotidien de l'association),est encore à la recherche d'autres financements publics et privés. Sur le plan intellectuel,Mémoire des luttes travaille en étroite collaboration avec la revue internationale Utopiecritique, avec qui elle partage diverses préoccupations. Leur collaboration se borne pourl'instant à la réalisation du Manifeste.

www.memoiredesluttes.org Nouvellement créé (décembre 2007), le site ne contient pour l'instant que quelques articleset la présentation de l'association. Il s'enrichira au fur et à mesure, de notes, communiqués.Un blog est également en prévision.

Réalisations L'association prévoit la parution régulière de divers articles. Deux publications (dans un premier tempsdisponibles sur la Toile) sont au programme : Les notes de Mémoire des luttes sont des analyses d'unequinzaine de pages dont le premier numéro paraîtra courant février et traitera du modèle économique auVenezuela et des mouvements coopératifs ; Les cahiers du postaltermondialisme seront liés au colloque“Altermondialisme et postaltermondialisme” organisé en janvier 2008, et seront le lieu d'analyses et dedébats entre divers acteurs altermondialistes. Une collection d'ouvrages devrait aussi voir le jour. De plus,l'association prévoit de continuer à soutenir des publications. Mémoire des luttes a déjà soutenu les œuvresde Ramón Chao et deux ouvrages aux éditions Mille et une nuits sur le parcours d'Ernesto Che Guevara(Justice globale - Libération et socialisme - et Voyage à motocyclette)Des événements seront organisés régulièrement. Le dernier a eu lieu le 26 janvier 2008, à Paris. Intitulé“Altermondialisme et post-altermondialisme”, ce colloque etait organisé dans le cadre de la journéeinternationale de mobilisation décidée par le Conseil international du Forum social mondial. Une vingtained'intervenants - militants altermondialistes, universitaires, chercheurs, journalistes - étaient présents.

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THINK n° - Février 2008 p. 116

Bernard ZimmernFondateur et Président de l’Ifrapwww.ifrap.org)

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L'homme qui voulait réformer l'administration ! Voilàcomment on pourrait d’une phrase résumer l’actionde Bernard Zimmern. Président depuis près dequinze ans de l'IFRAP qu'il a fondé en 1985, BernardZimmern (diplômé de Polytechnique et de l'ENA) faitpartie de cette haute fonction publique qui auratrouvé très tôt l'épanouissement qu'il cherchait ausein du secteur privé.Il fut, dans une certaine mesure, précurseur de cespratiques qui verront le jour et s'affirmeront dans lesannées 1980 et 1990, à savoir la direction par unegrande partie de la haute fonction publique (énarqueset polytechniciens pour ne pas les nommer !) desgrandes entreprises françaises. Bernard Zimmern a occupé différents postes àresponsabilité durant sa carrière, notamment au seinde l'ancienne Régie Renault, mais c'est certainementsa fonction de dirigeant d'entreprise qui lui auradonné l'expérience nécessaire à la réflexion et lesmoyens matériels pour la mettre en œuvre,notamment grâce à une carrière aux Etats-Unis. Paysoù il découvrira les think tanks.Mais pourquoi créerl'IFRAP ? Et dans quel but ?Pour le comprendre, ilsuffit de prendre une date :1981. Tout rapprochementavec une date importantedans la vie de la VèRépublique serait le fruitdu hasard... Enfin peut-être pas tant que ça ! Eneffet, en bon dirigeantd'entreprise M. Zimmernpréférait développer sonactivité plutôt que de voirson activité administrativese développer. Entendezpar là, l'augmentationconsidérable dedocuments administratifs àremplir et une pressiontoujours plus grande desservices de l'Etat, notamment fiscaux... Le mondetournait à l'envers et ses amis et collègues énarquesavaient perdu la tête. N'ayant pas de goût prononcépour les belles voitures ni les yachts, il va créer un

think tank dont le but sera d'étudier l'état et lespratiques de l'administration publique, s'inspirant encela de certains grands patrons américains qui,fortune faite, choisissaient d'investir leur temps et leurargent dans la chose publique. Pour lui, la fonctionpublique devait et doit toujours s'inspirer desméthodes modernes de management afin de gérer aumieux les deniers publics. Que l'on partage ou non lespostures de l'IFRAP, reconnaissons la démarchecitoyenne d'un “patron” qui aurait pu tout simplementprofiter de ses actifs pour couler des jours paisibles.Eh bien non, le Parlement, la fonction publique, lessyndicats, le système de santé, telles sont certainesdes thématiques qui ont été passées au crible et à lamoulinette des experts de l'IFRAP, afin de produiredes analyses et comptes rendus suffisamment clairset digestes pour être absorbés par les décideurs etles citoyens.Son credo : “indépendance et expertise”. Indépendancecar il affirme ne recevoir aucune subvention publique.Expertise car le leitmotiv de Bernard Zimmern c'est “1dossier, 1 expert, 1 an”... En somme, on pourra discuter

les postures et prises deposition de l’IFRAP maisavec une bonneconnaissance desdossiers.

Agé aujourd'hui de 78 ans,Bernard Zimmern gardecette même passion etcette verve qui guidentsouvent les personnagesatypiques. Ce dernier estsouvent classé à droite del'échiquier politique, avecun vernis libéral, mais nelui faites pas le procès deconcourir à la mort duservice public, auquel casil vous expliquera sonattachement profond à cedernier et à la chose

publique en général. Attachement construit aucontact de grands commis de l'Etat lors de sesjeunes années et pour lesquels il garde un profondrespect.

Son credo : “indépendance et expertise”

Portrait Bernard Zimmern

THINK n° - Février 2008 p. 12Portrait par Selim Allili 6

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THINK n° - Février 2008 p. 13Entretiens par Robert Chaouad 6

Robert Chaouad : Très présent dans les discours etles commentaires politiques, notamment en périodeélectorale, le thème de la modernité en politiquesemble avoir changé de sens ou, du moins,d’incarnation.Benoît Hamon : On a assisté, effectivement, à droitecomme à gauche, a une appropriation du thème de lamodernité par les deux principaux leaders politiques dela dernière campagne électorale présidentielle. Ce thèmede la modernité est ainsi apparu comme la marque deleur pratique du pouvoir et de leurs orientations, l’uncomme l’autre souhaitant incarner, à sa manière, cettemodernité. Or, Nicolas Sarkozy développe une vision quitend plus à restaurer ou à enraciner la hiérarchie sociale,à rétablir les privilèges, à remettre en cause le principede redistribution et tous les mécanismes modernes deluttes contre les inégalités (la sécurité sociale, l’impôt,l’Etat, etc.), un retour à une société d’avant la périodedes Trente Glorieuses en somme ; quant à SégolèneRoyal, chez elle, la modernité, à bien des égards, renvoieà l’abandon de ce qu’était la capacité ou la volonté de lagauche à tordre et à inverser les rapports de force.

RC : Dès lors, comment définiriez-vous, aujourd’hui,la modernité en politique ?BH : Si l’on considère que la modernité est en soi uneforme de rupture avec les dogmes ou les cadres depensée traditionnels, et si, en plus, on constate que cescadres imposent des concepts et des solutions dont lamise en œuvre se révèle être un échec, alors lamodernité devrait correspondre à une rupture avec cescadres-là. La première rupture que la gauche françaiseet européenne devrait mettre en œuvre, assumer etdécliner, c’est celle-là, c’est la rupture avec toute ladoctrine économique qui domine, aujourd’hui, le débateuropéen, qu’il s’agisse des débats politiques àl’intérieur des Etats membres ou au sein de l’Unioneuropéenne. Quelle est cette doctrine économique ?Elle se fonde, notamment, sur le primat duconsommateur sur le salarié et du consommateur sur lecitoyen. J’entends par là que toute la doctrine

économique de l’UE parie sur le rétablissement de lacompétitivité des économies européennes par la baissedes prix et non pas par l’amélioration de la productivité,c’est-à-dire par l’investissement dans la recherche, ledéveloppement, l’éducation et la formation. Or,aujourd’hui, le présupposé de cette doctrine est que lamise en concurrence des acteurs travaille aux intérêtsdes consommateurs puisqu’elle stimule uneconcurrence qui favoriserait la baisse des prix. Dès lorsque l’on parie exclusivement là-dessus, on assiste, ausein des Etats membres de l’UE, à la mise en place depolitiques qui encouragent la baisse des prix et qui,parallèlement, encouragent la modération salariale,favorisent des disciplines budgétaires strictes et doncpénalisent les investissements qui pourraient être fait parles Etats membres. Conséquence de quoi, les citoyens,pour que leur pouvoir d’achat augmente, sontencouragés à consommer en stimulant une concurrencepar la baisse des prix et en cherchant les prix les plusbas. Or, en choisissant les prix les plus bas, et donc enstimulant cette concurrence, cela conduit les entreprisesà devoir baisser leur coût de production, et pour ce faireà jouer sur la variable d’ajustement sur laquelle il est leplus simple de jouer aujourd’hui, à savoir le coût dutravail. On en arrive donc, et c’est la théorie que je défends,avec d’autres, à faire du consommateur l’artisan de laremise en cause de ses propres droits de salarié et deses propres intérêts de citoyen. Ainsi, je constate qu’il ya une contradiction absolue à voir que c’est le mêmegouvernement qui prétend investir sur le long terme avecle Grenelle de l’environnement et qui, dans le mêmetemps, revendique le fait que la France est en retard surle low cost et devrait mieux se positionner en la matière.Or, le low cost est en contradiction directe à la fois avecce que devraient être les investissements nécessairespour assurer la protection de l’environnement et, surtout,cela pousse le consommateur à faire un choix qui remeten cause son propre intérêt de salarié puisque ce choixpousse à la baisse du coût du travail. Je crois, ainsi, que cette doctrine économique, qui

Benoît Hamon est député européen et porte-parole du Parti socialiste. Il est membrefondateur du think tank La Forge, qui a vu le jour à l’automne 2007. La Forge : http://la-forge.info/site/

Benoît HamonC’est en forgeant à gauche qu’on devient...Propos recueillis par Robert Chaouad, le 3 janvier 2008

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THINK n° - Février 2008 p. 14Entretiens par Robert Chaouad 6

désosse méthodiquement tous les modèles sociauxnationaux et qui pousse à des choix politiques qui sedétournent des investissements favorables à laprotection de l’environnement, eh bien, ce choix depolitique économique est le choix avec lequel on devraitrompre. Et la modernité, pour le coup, c’est celle quis’attaque à ce qu’est la répartition primaire des revenusentre le capital et le travail, entre les profits et lessalaires, et celle qui réhabilite l’impôt. C’est d’ailleurs laraison pour laquelle je suis favorable à la création d’ungrand impôt universel qui prenne en charge l’ensembledes prestations universelles (assurance maladie,politique familiale, dépenses publiques, éducation, etc.),qu’on change aussi la principale cotisation qui pèse surles entreprises et qu’on l’élargisse à la valeur ajoutée. Etdonc, en tout cas, qu’on réarme la politique enredonnant, par l’impôt, des moyens d’action à lapuissance publique. Ce qu’elle n’a plus. Dans unesociété prompte à exalter en permanence les devoirs encontrepartie des droits,on oublie que le principaldes devoirs qu’acquitten’importe quel citoyen,c’est justement l’impôt.Et je trouveinvraisemblable quel’impôt soit à ce pointdiscrédité aujourd’hui,alors qu’il estl’instrument qui permet,par la construction debiens publics universels,par la construction deservices publics, par la mise en œuvre d’une protectionsociale, de lutter contre les inégalités. Il s’agit là d’unpoint sur lequel, comme think tank, La Forge entendtravailler.

RC : Dans une certaine mesure, et sans tomberdans un déterminisme social caricatural, lacontradiction que vous relevez peut également seretrouver dans la sociologie électorale du voteprésidentiel de mai 2007. Dès lors, comment fairepour que les idées que vous défendez à La Forge,ou plus globalement au sein de votre famillepolitique, gagnent l’espace public et, surtout,redeviennent “hégémoniques” ?BH : Je crois qu’il y a une crise culturelle à gauche.Pourquoi les gens pensent-ils, aujourd’hui, que lesidées de mise en concurrence et de compétition sontplus fécondes pour eux que ne l’était, hier, un modèlefondé sur la redistribution et la solidarité ? D’abordparce que le modèle social français est en crise,comme tous les modèles sociaux nationauxeuropéens. Ce qui est frappant dans la période

actuelle, c’est cette forme de myopie oud’aveuglement d’une partie des élites de gauche, quirefusent de voir que la crise française s’inscrit dans unmouvement général de crise de la social-démocratieeuropéenne. Souvent, on vante ce que serait laréussite éclatante du socialisme au-delà de nosfrontières, là où, dans les pays nordiques, la social-démocratie ne dirige plus aucun pays, là où noussommes en coalition en Allemagne, là où noussommes menacés en Italie et nous ne savons pas sinous allons garder la Grande-Bretagne. On ne dirigeque quatre pays sur 27 Etats dans l’UE et on vit sur lemythe que ce serait le socialisme français qui seraitfrappé du sceau de l’archaïsme et qui serait en crise làoù tous les autres auraient réussi leur congrès de BadGodesberg. Or, aujourd’hui, la crise de la social-démocratie touche l’Europe entière. Toutes lesformations sociales-démocrates, au sens générique duterme (travailliste, socialiste, etc.), sont confrontées à

une crise politique etidéologique et à uneremise en cause deleur vocation et de leurfonction. Cette crise etcette remise en causes’expliquent par le faitque l’histoire de lasocial-démocratie estindissociable de laconstruction et del’essor des modèlessociaux nationaux. Augouvernement ou dans

ses luttes, dans ses combats, dans l’exercice desresponsabilités ou dans les mobilisations populaires,la gauche est associée à l’édification d’un modèleredistributeur et protecteur, peu importe qu’il soitrhénan, nordique ou méditerranéen. Or, concrètement,ce sont ces modèles-là qui se révèlent, aujourd’hui,défaillants à lutter contre l’exclusion et contre lapauvreté, à vaincre la précarisation des conditionsd’existence et des conditions de travail et à éviter ledéclassement social. On constate donc que cesystème-là, qui repose sur des grandes valeurscollectives et sur d’importants mécanismes desolidarité, échoue, aujourd’hui, à vous protéger desaléas de la vie. Dès lors, il paraît assez logique et assez tentant, pourceux qui disent que ces modèles redistributeurs sonten échec et qu’en plus ils sont responsables de lafaiblesse de la croissance, de se tourner vers unmodèle qui parie, lui, sur les moyens qui seront donnerà chacun de pouvoir s’en sortir seul. Je crois, pour mapart, que ce dernier modèle sera assez vite mis enéchec, ou en tout cas que la politique qu’il induit sera

"Aujourd’hui, la crise

de la social-démocratie

touche l’Europe entière"

Entretiens Benoît Hamon

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THINK n° - Février 2008 p. 15Entretiens par Robert Chaouad 6

très vite majoritairement contestée. Je pense ainsi quecette offre politique a correspondu, à un momentdonné, à ce qui était une disponibilité de personnesissues des classes populaires et des classesmoyennes, qui font, pour elles-mêmes et leurs enfants,le constat de l’échec des mécanismes deredistribution et de solidarité à les protéger de lamondialisation, des délocalisations, dans leur travail,dans l’accès à la retraite, etc. Dans ce cadre-là, je pense que la faute de la gaucheest majeure, dans la mesure où elle a refusé le combat.Là où on aurait dû revendiquer la nécessité deréhabiliter l’impôt, de réhabiliter la redistribution, lasolidarité, de trouver de nouvelles recettes pourfinancer un modèle social réformé, rénové, plusmoderne, eh bien, la gauche ne l’a pas fait. On a, aucontraire, directement emprunté à ce que je considèreêtre le patrimoine intellectuel et idéologique de ladroite, en revendiquant le donnant-donnant, en faisantdes assistés l’une des causes des déficits sociaux,etc.

RC : En même temps,la montée enpuissance de “valeursindividualistes” au seinde la société nepoussait-elle pas à untel emprunt ?BH : Ce que l’onconstate, en tout cas,c’est que coller à l’air dutemps nous conduit à ladéfaite ! J’aimeraisenfin sortir de cette analyse qui veut que l’on ait perdutrois élections présidentielles par trop plein desocialisme. On n’a pas perdu ces élections parce qu’onappelait à la nationalisation des banques ou à lacollectivisation des moyens de production. On n’a pasperdu parce que Ségolène Royal était trop à gauche ;on n’a pas perdu parce que Lionel Jospin était trop àgauche. On a perdu, à chaque fois, par défaut declarté et par défaut de socialisme. Ce que je constate,c’est que des trois élections présidentielles perdues,quelle est celle où on a réalisé le meilleur score ? C’estcelle de 1995, avec Lionel Jospin. Avec un programmeoù figuraient déjà la CMU, les 35 heures, les emploisjeunes, etc. Programme avec lequel ont été remportéesles élections législatives de 1997. Ce que je veux direpar là, c’est qu’à l’époque, nous étions en présenced’une gauche qui s’assumait. Et une gauche quis’assumera, demain, ce n’est pas forcément unegauche qui prône les 32 heures, mais une gauche quidéveloppe un véritable volontarisme en matière deredistribution et de lutte contre les inégalités.

RC : Dans le cadre de votre think tank, La Forge,vous ambitionnez d’”élaborer un nouvel intellectuelcollectif”. Qu’entendez-vous par là et commententendez-vous fonctionner ?BH : Nos influences sont multiples et l’une descaractéristiques de La Forge, c’est la diversité deshistoires politiques, des trajectoires et des disciplinesdes personnes qui la compose. Surtout, ce qui nous aréuni, c’est la volonté de s’attaquer aux vrais impensésdu discours de la gauche aujourd’hui, ou du moins cequ’on considère comme tel, et, en même temps, avoirune méthode de diffusion qui emprunte directement à laréussite des think tanks anglo-saxons. Là où les partispolitiques de gauche peinent à être des émetteurspolitiques puissants, on pense qu’on doit être, le plusrapidement possible, dans la liste des sites favoris desétudiants en science politique, des chercheurs, desjournalistes, etc. Donc être un pôle de référence enmatière de production de pensée, comme le sont laFondation Schuman, la Fondation Jean Jaurès, l’Institut

Montaigne, etc. Ils ontréussi à s’imposercomme de puissantsémetteurs en termes depensée. On aura doncune stratégieextrêmement agressiveen termes de lobbying,tout en produisant despublications, quiprendront différentesformes, sur supportpapier ou Internet. Onaura trois formats de

communication : une communication sous la forme delivre, qui correspondra à une note oscillant entre 90 000et 140 000 signes, puis les notes de La Forge, d’environ30 000 signes, passant également par le comité delecture et répondant à un protocole spécifique en termesde publications, de références, etc. ; et, enfin, un formatplus léger, une note d’environ 10 000 signes, un mémoplus réactif à l’actualité, dénonçant les raccourcisintellectuels, les démonstrations paresseuses, etc.

RC : Cela signifie que vous ne vous retrouviez pasdans les nombreux lieux qui ont également pourfonction de produire du savoir et de l’analyse ?BH : Il existe effectivement de nombreux lieux où ils’écrit des choses extrêmement intéressantes, comme laFondation Jean Jaurès, la République des idées, etc.Pour ma part, dès le moment où je me suis penché surces questions-là, j’ai trouvé qu’il manquait un lieu où lespolitiques pourraient régulièrement croiser dessyndicalistes, des universitaires, des gens qui font de lapolitique sans appartenir au champ politique stricto

"Ce que l’on constate, c’est que coller à l’air du temps nous conduit à la défaite !"

Entretiens Benoît Hamon

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THINK n° - Février 2008 p. 16Entretiens par Robert Chaouad 6

sensu (comme l’association AC le feu par exemple), etc.On voulait donc, en créant La Forge, créer un lieu oùpuissent se mêler les disciplines et les trajectoires, maiségalement créer un lieu à l’intérieur duquel les personnesqui ont eu à subir l’effet du plafond de verre dans leurdiscipline ou leur champ de compétence, en termes depublication et de diffusion de leurs travaux et de leursidées, puissent s’exprimer et être entendues. La Forgen’est pas un think tank générationnel, mais il y a eu unesorte de parti pris qui consistait à dire que l’onaccorderait une attention particulière aux travaux jugésintéressants issus de jeunes chercheurs. Enfin, en créant La Forge, ce qui nous a intéressé, cen’était pas tant de créer des concepts que d’avoirl’exigence d’associer systématiquement aux questionstraitées des solutions qui pourraient être mises enœuvre. On s’est fixé comme objectif clair, le réarmementthéorique et pratique de la gauche dans la perspectivede la reconquête du pouvoir dans cinq ans. Noussommes un think tank entièrement dédié à cet objectif-là, et en ce sens je croisqu’il complète ce quiexiste déjà.

RC : Entendez-vousdonner une dimensioneuropéenne auxactivités de La Forge ?BH : Ma premièresatisfaction provient dufait que, deux moisseulement après lacréation de La Forge,nous faisons partie, avecla Fondation Jean Jaurès, des deux think tanks françaisqui ont été retenus par le Parti socialiste européen (PSE)pour participer aux travaux d’élaboration de sonmanifeste pour les élections européennes de 2009. Celasignifie donc que la famille politique que noussouhaitons incarner, celle qui réfléchit, par exemple, aurôle de la puissance publique, et qui ne se réduit pas àla gauche du « non », sera reconnue. Et lareconnaissance de cette famille politique et du rôlequ’elle peut jouer dans l’avenir de la gauche européenneest, à mes yeux, une chose extrêmement importante.

RC : Pensez-vous pouvoir vous faire entendre ausein du PSE ?BH : Il est clair que nous ne disposons pas de la mêmesurface et des mêmes moyens que d’autres thinktanks. Toutefois, la question qui se pose, à l’égard desthink tanks anglo-saxons par exemple, notammentceux qui inspirent le Parti travailliste, c’est de savoir,aujourd’hui, s’ils sont les plus influents. Je pense, pourma part, que le problème du débat à l’intérieur du PSE,

c’est justement l’absence de débat. Et c’est pour çaque Poul Nyrup Rasmussen [NDLR : président du PSE]réinjecte aujourd’hui de la politique, parce qu’il se rendcompte du lent déclin de la social-démocratie, tant surle plan des positions qu’elle occupe dans les Etatsmembres de l’UE que sur le fond, et en raison du faitqu’elle peine à être un acteur majeur du débat politiqueeuropéen. Ce qui est amusant d’ailleurs, pour revenir à la doctrineéconomique européenne dont nous parlions tout àl’heure, c’est de voir qu’il faut aller chercher aux Etats-Unis, voire en Amérique latine, des économistes pourcritiquer, voire moquer, les stratégies mises en œuvreen Europe et qui sont des stratégies qui échouent et quine sont remises en cause par personnes – ou par trèspeu de monde. Ce qui est frappant aujourd’hui, c’estqu’il faille que ce soit un Joseph Stiglitz qui dise que leschoix de politique monétaire européens sont des choixstériles, pour qu’un Jean-Paul Fitoussi retrouve de lalégitimité dans le débat, là où il disait la même chose

par le passé, mais iln’était pas écouté parcequ’il était français. Cela dit, on constate,petit à petit, que tout çaest en train de bouger.On commence à avoir ànouveau du débat, enEurope et au sein mêmede la social-démocratie,là où il avait été renduimpossible, notammenten raison de lamodification des

rapports de force à la suite de l’élargissement.

RC : Pour conclure, quels sont les projets de LaForge pour les prochains mois ?BH : On travaille sur plusieurs initiatives en mêmetemps. Il y a un cycle de conférences sur le pouvoird’achat dont les vidéos seront mises en ligne. On vaégalement produire un contre-rapport Attali.Actuellement, on fonctionne à partir de quatre groupesde travail lourds et de deux cellules plus réactives,l’une consacrée à l’opinion et aux analyses électoraleset l’autre, “riposte”, qui s’attachera, à chaque foisqu’on le pourra, à niveau d’expertise égal, à proposer lecontre-rapport aux productions du gouvernement. Onest donc à la fois sur des cycles longs et sur des cyclesplus courts. On aura également beaucoup de travauxsur des problématiques culturelles, sur les territoires, lalaïcité, sur les questions carcérales, les libertéspubliques, etc. On publiera en début d’année une notequi fixera l’agenda de travail de La Forge pour 2008.

"On s’est fixé comme objectifclair, le réarmement théoriqueet pratique de la gauche dansla perspective de la reconquête

du pouvoir dans cinq ans"

Entretiens Benoît Hamon

Page 17: Horizons PortraitBernard Zimmern EBenoît Hamon et Jean-Louis Le Moigne Editorial Le 27 mai 1968, au ministère du Travail, rue de Grenelle, après deux jours de négociations, le

MR : Lors de nos premiers contacts, vous aviez fait une distinctionentre les notions de réseau pensant et de réservoir de pensée,pouvez-vous nous l’expliquer ?JLLM : Le jeu de mots que je vous avais adressé qui précisait quenous étions un réseau pensant plus qu’un “réservoir de pensée” étaitpour accuser ce côté un peu insolite de ce mot “think tank”, qui n’est,à mon sens, que rarement utilisé dans sa traduction littérale. Bien desthink tanks ne sont-ils pas des lobbyes plus conservateursqu’innovateurs ?

C’est sans doute là où le “Réseau Intelligence de la Complexité -MCX-APC” se distingue, car il est issu de l’auto-émergence d’unréseau, à partir d’individus qui ne se connaissaient guère.Au départ, dans les années 80, il y avait bien mon laboratoire del’Université Aix-Marseille, qui permettait de nous donner une base detravail pour débuter au niveau universitaire, mais ma formationpersonnelle aidant, et bien d’autres aidant, nous avions un peu lemême problème que vous… Nous avons très vite compris ce qui estdevenu ma devise, empruntée à Léonard de Vinci, “Faire pourcomprendre et comprendre pour faire”. Nous nous sommes donc dit,cessons de séparer ceux qui font et ceux qui comprennent. Autour de ça on avait E. Morin, on avait H. Simon, on avait G.Bachelard, on avait J. Piaget, et donc, vous le voyez, un réservoir depensée prodigieux ! Prenez ne serait-ce qu’Edgar Morin, c’est un peuun think tank à lui tout seul… Je ne plaisante pas, personne n’estconscient de l’immensité de sa culture ! C’est fascinant !

Notre réseau a donc émergé sans leadership. Ça n’est pas un ministre,un député, un banquier ou un industriel qui rassemble autour de luiquelques intellectuels, quelques collègues, pour se faire un club. Sinotre activité est sans doute plus visible dans le champ académiqueet universitaire, c’est parce que les praticiens de notre réseau n’ontpas le temps de se dégager comme les universitaires en ont eul’occasion. Ils sont toujours harcelés par des quotidiens enchevêtrés…C’est incroyable la complexité que ces gens affrontent parfois !Toutefois, nous fonctionnons ensemble. Ce fonctionnement a sa basedans notre vive conscience collective du fait que les programmes denos institutions nous apprennent à devenir dépendants de l’expert etdu scientifique pour résoudre nos problèmes. L’éthique sous-jacenteest ici “ce qui est scientifiquement vrai sera toujours moralement bon”. Et, peut être paradoxalement, je suis toujours frappé lorsque je lis les

papiers ou les discours sur les think tanks dans une de vospublications, je lis une dame qui s’étonne que les politiques ne soientpas plus à l’écoute des think tanks... Au fond de moi, j’éclate de rirequand je lis ça. Depuis que le monde est monde, les conseillers seplaignent que les politiques ne font pas ce que leurs experts leurpréconisent !Pendant très longtemps, lorsque je lisais des articles de gestion, c’étaitla même conclusion, en anglais comme en français,“malheureusement, pour de sordides raisons politiques, ma belleméthode n’a pas pu être appliquée jusqu’au bout et donc n’a pas faitses preuves”. Je résume et je caricature un peu, mais c’est à peineexagéré.Ce n’est pas pour dire du mal du système, mais le petit jeu qui consistehabituellement à dire “moi je suis intelligent et les autres sont idiots”, nenous semblait pas suffisant comme motif pour créer notre réseau.Il y a eu une cascade d’émergences qui ont commencé en 1977, ayantatteint un certain sommet en 1984-85 de ce que je vais appeler “leparadigme de la complexité”. En 1977, c’est la sortie du tome 1 de laMéthode d’Edgar Morin. C’est aussi le moment où R. Thom, I.Prigogine, F. Varela, H. Atlan, H. Von Foerster commencent à êtreconnus… C’est le moment où le concept de système émergeait, et lemoment où on en avait un peu marre des visions linéaires. Nous avonsalors organisé un congrès à Versailles. Il y avait 800 personnes, et toutle monde était là : Thom, Prigogine, Von Foerster, Morin, Atlan, Varela,Lesourne… Et il y a eu un volume de productions assez considérable !

Cet évènement explosif a toutefois eu un effet pervers... C’étaittellement surprenant, tellement grand par rapport aux courants d’idéesd’alors, que le monde académique a voulu le récupérer. A partir de là vous avez pu constater le début la dégénérescence decertains concepts issus de ce paradigme, comme celui de l’analyse desystèmes (et je fais bien ici la différence avec la modélisationsystémique qui n’a rien à voir), qui est devenu à l’image de cettephrase qui la caractérise “l’analyse à la balayette, où il ne faut rienlaisser dans les coins”. Il y a eu un topo à l’Académie des sciences quelques années après,qui a voulu elle aussi s’approprier ce courant d’idées. Leurproblématique était alors de trouver une science qui permette deconvaincre les citoyens et les politiques de la légitimité desscientifiques à interférer dans la vie publique, ou comme je l’aientendu, “comment arrêter d’avoir ces citoyens dans les pattes qui

Jean-Louis Le Moigne est Professeur émérite à l'Université d'Aix-Marseille, Ingénieur ECPet diplômé ITP de la Harvard Business School et de la Sloan School of Management duMIT, Président du Programme européen Modélisation de la CompleXité (MCX) et Vice-président de l'Association pour la Pensée Complexe (APC) aux cotés d'Edgar Morin.

Jean-Louis Le MoigneStimuler la dignité de l’Homme : entre curiosité citoyenne et modestie des experts…Propos recueillis par Marc Riedel

THINK n° - Février 2008 p. 17Entretiens par Marc Riedel 6

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emmerdent les experts”. J’avais publié à l’époque un commentaire surce thème dans la Lettre Chemin Faisant, qui n’avait pas beaucoup plu.Aujourd’hui ces idées foisonnent, mais il faut se rendre compte qu’il ya eu une réappropriation précipitée par certains experts des sciencesdures, qui se demandent encore aujourd’hui comment utiliser cesidées pour appliquer leurs modèles aux sciences humaines ou à la viede la cité. A contrario, ils ne se sont jamais demandé comment intégrerdes concepts des sciences sociales dans leurs sciences… C’est, pourreprendre les mots d’Edgar Morin, le problème du passage de lacomplexité restreinte à la complexité générale. La complexitérestreinte est en quelque sorte une dégénérescence de la complexitégénérale, une fermeture du modèle, un traitement sous formealgorithmique de quelque chose de “vivant”. Et sous formealgorithmique c’est bien entendu le calcul, le modèle mathématiquequi vous dirige, et non plus les tentatives d’explorations successiveset la créativité poïétique des chercheurs comme des praticiens…C’est aussi là-dessus quenous nous sommesconstitués… Pour supplierles tenants (académiques)de la complexité restreintede réfléchir un peu…

Il y a eu d’autres bonneschoses également, commele colloque de l’Universitédes Nations Unies àMontpellier, ou en Italie uncolloque similaire baptisé“Les défis de la complexité”(en 1984). Aux Etats-Unis, il ya eu également laconstitution de l’Institut deSanta Fe puis de nombreuxautres, tous tentés hélas parles charmes académiquesde la complexité restreinte àses formalismes…

En 1988, la première rencontre “Modélisation de la CompleXité” s’esttenue à Aix. Nous avons peu à peu rallié des praticiens, des travailleurssociaux, des thérapeutes, quelques notables... Jusqu’en 1993, notreréseau vivait entre autres à partir du petit budget de mon laboratoire,et partant à la retraite sous peu, j’avais senti venir les choses. Nousnous sommes donc constitués en association loi 1901 en 1994 avecdes collègues issus d’autres universités et quelques managersmotivés ; à partir de 1997 nous avons développé notre site internet,car l’impression et l’envoi de la Lettre Chemin Faisant, publication denotre réseau, commençaient à coûter chers.Il faut voir que toute cette logistique est très contraignante. En cas derencontre physique, il faut trouver une salle, trouver des sous, trouverdes impressions, des hôtels, un secrétariat… C’est essoufflant...On a donc décidé de camper en réseau internet sur quelques idéesfortes. Nous avions conscience que nous n’allions pas changer le

monde, mais que notre mission était de garder “les veilleusesallumées”. Les pistes qui ne sont pas actuellement éclairées par nosinstitutions et qui nous semblent importantes, faisons en sorte de lesrendre visibles pour ceux qui s’y intéresseront. L’argument en faveur de cette veilleuse a été celui de la prégnance“épistémo-civique” de notre démarche : tentons de nous donnercollectivement les moyens d’être citoyens capables de comprendre cequ’ils font. Nous avons œuvré à sa diffusion dans nos manifestationset nos publications et surtout, de plus en plus par l’animation de notresite www.mcxapc.org.Mais nos efforts pour échapper aux carcans disciplinairesn’empêchent nullement chaque membre du réseau de “travailler à bienpenser” avec ses outils propres, et c’est ça la complexité…

Notre efficacité au niveau des politiques conjoncturelles est quasinulle, là n’est pas notre but, mais nous ne l’évaluons pas à vrai dire !

Notre projet se situe auniveau de “la politique decivilisation”, pour reprendreune formule d’Edgar Morinque nous faisons trèsvolontiers nôtre1.Mais peut-être qu’il fauttoutefois nuancer un peucette réponse. Lesrayonnements de nosveilleuses sont fortementaugmentés par lapersonnalité charismatiqued’Edgar Morin. Son nom etson œuvre font grincer lesdents de beaucoupd’universitaires, maissuscitent un élan de chaleuret de sympathie chezbeaucoup de citoyens, et ceoù qu’on les rencontre depar le monde.

MR : L’émergence des think tanks vous semble-t-elle être liée à unbesoin ou des difficultés qu’aurait notre classe dirigeante à gérerune complexité grandissante ?JLLM : La complexité c’est justement ce qui n’est pas gérable ! Alorsbien sûr, vous allez avoir cinquante bouquins sur la gestion de lacomplexité dans votre librairie. C’est pour cela que l’anglophone a dela chance. Là, vous dites “managing the complexity”, eux peuvent dire“to deal with complexity”, il faut “faire avec”. Dominique Genelot dit très heureusement “Manager dans lacomplexité”. Vous sentez le subtil glissement ? Si j’arrive en vousdisant “je suis expert, je vais gérer la complexité, achetez-moi”, vousallez me payer cher (bien entendu), parce que vous en avez marre dela complexité, mais je vous garantis qu’à la sortie, vous allez vousretrouver avec au moins la même complexité qu’au départ. Le glissement mental vers ce point de vue est difficile à accepter par

Je ne juge pas ici de la pertinence des idées et des arguments des citoyens

ou des experts, je dis juste qu’il n’y apas de preuves scientifiques pour direqui a raison ou qui a tort. Mais il y a

toutefois une chose dont on peut parler.[...] L'Hominis Dignitae, La dignité

humaine c’est précisément ce qu’il fautrechercher dans ces situations !

Mais cet appel à la dignité humaine, je ne suis pas sûr que tout le monde

l’ait entendu…

Entretiens Jean-Louis Le Moigne

THINK n° - Février 2008 p. 18Entretiens par Marc Riedel 6

1 Cf. par exemple l’éditorial de mai 2007sur le site du RIC : http://www.mcxapc.org/docs/reperes/edil38.pdf

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les dirigeants. Il y a une réelle tension culturelle à ce niveau.Nous avons récemment publié un éditorial sur notre site, dont le titreest “L’expert est aveugle sans les lunettes du citoyen”. Je pense quevous voyez où se situe la provocation. Ce que vous ne savez peut êtrepas, c’est qu’un éminent prospectiviste parisien a publié dans LeMonde [NDLR : en pleine période électorale, visant plusparticulièrement un programme politique “participatif”] un articleintitulé “Le citoyen est aveugle sans les lunettes de l’expert”. On adonc renversé la proposition, et illustré le propos avec quelquesexemples2.

Je ne juge pas ici de la pertinence des idées et des arguments descitoyens ou des experts, je dis juste qu’il n’y a pas de preuvesscientifiques pour dire qui a raison ou qui a tort.Mais il y a toutefois une chose dont on peut parler. Et je l’ai trouvé enparcourant votre site internet, et cela m’a fait très plaisir, c’est lié àvotre capacité à lire Pico della Mirandola. Tout est là ! L'HominisDignitae, la dignité humaine c’est précisément ce qu’il faut rechercherdans ces situations !Mais cet appel à la dignité humaine, je ne suis pas sûr que tout lemonde l’ait entendu…Aussi ce que nous pouvons faire, c’est d’appeler les experts et lescitoyens à enrichir leur cultureépistémologique, à se demandercomment ils font pour légitimerles connaissances auxquelles ilsse réfèrent pour agir. D’où çavient ? Pourquoi ? Sur quoi sebase-t-on pour s’assurer ? S’il ya un risque, si je n’ai pas degarde fou, si je n’ai comme seuleréponse que “Platon l’a dit” ou“Descartes l’a dit”, que je sacheau moins que je suis limité et qued’autres points de vue sont possibles. Cela doit induire chez l’expertune attitude de modestie, et chez le citoyen une certaine curiosité, aulieu de simplifier des deux côtés comme on le fait d’habitude. Et laresponsabilité du Réseau Intelligence de la Complexité est decontribuer au maintien de cette petite flamme…

MR : Selon vous les think tanks représentent-ils un risque pour ladémocratie ?JLLM : Oui. La plupart des think tanks et leurs experts risquent dedéposséder les citoyens de leur capacité à disposer d’eux-mêmes.Mais la réponse doit être : plus les citoyens seront cultivés, moins lesexperts auront de chances de faire des bêtises, et plus on pousserales experts à réfléchir en fonction du dessein civilisateur que seconstruisent en permanence les sociétés humaines. D’où notremotivation à maintenir notre veilleuse allumée. Ce que je vous dis là,ça n’est ni plus ni moins que du Morin, ou du Simon… Nous avons toujours été habitués à penser le rapport pragmatique /éthique, “je fais ceci afin de cela”. On y met en relation l’acte et lafinalité de l’acte : “Je cours pour traverser la rue afin de ne pas me

faire écraser”. On doit aujourd’hui complexifier ce rapport, le rendreintelligible en y réinsérant le troisième terme, l’épistémique, entre lepragmatique et l’éthique. C’est la dimension du “pourquoi”. L’éthiquen’est pas donnée : la dignité de l’Homme, c’est l’Homme qui se laproclame nous rappelle Pic de la Mirandole. Et pour la formuler, lafaire varier, et l’adapter aux situations, on doit passer par unemédiation “épistémique”, un passage par le comprendre, tâcher nonpas d’expliquer mais d’interpréter au mieux de notre raison. Cela vadans le sens de la formule de Pascal, et que Morin cite tout le temps: “L’homme n’est qu’un roseau mais un roseau pensant, en celaconsiste notre dignité.” et il conclut par “Travailler à bien penser, voilàle principe de la morale”.Pour avoir un comportement éthiquement justifié, travaillez donc àbien penser !Et pour cela rappelons-nous les mots de Machado, “Marcheur, iln’est pas de chemin, le chemin se construit en marchant”. Nous nesommes pas des prophètes. Nous devons chercher sans arrêt àcontextualiser.

MR : Quelle devrait être la place de la systémique, des sciencesde la complexité et du constructivisme dans les réflexions de nosexperts et de nos scientifiques aujourd’hui ?

JLLM : Le constructivisme neme semble intelligible quecomme qualificatif attribué à unsubstantif qui seraépistémologie. L’épistémologieconstructiviste renvoieexplicitement à un mode dereprésentation du monde quel’on se propose de construireen sachant ce que l’on fait ouce que l’on va faire de sesconnaissances.

Je suis désespéré par la prolixité d’un constructivisme qui se ramèneà de la gadgetterie méthodologique. Et je vois des thèses quil’utilisent comme ça, et dont l’argument est “puisque je suisconstructiviste, je pourrais dire n’importe quoi et personne ne pourrame contrer”. Vous m’accorderez que c’est imparable commeargument : “j’ai construit ça” ! (rires). Il n’est pas surprenant que tousles scientifiques, récusant une telle méthode, vous tapent sur la têtejusqu'à ce que vous soyez complètement agonisant. Soyons donc conscients de cette tentation laxiste, et gardons àl’esprit les mots de Léonard de Vinci, “Ostinato Rigore”, “une rigueurobstinée”. Ne fut-il pas le plus grand constructiviste que la terre aitporté, lui qui passait son temps à inventer des choses qui n’existaientpas ! Léonard, pour tenter de représenter le monde, crée le concept deDisegno. Si j’essaie de le traduire en français, cela signifie le dessin àdessein. Cette notion de dessin, prenez-la au sens large, il y a dedansles traits, les couleurs, les chiffres, la peinture, la musique même…C’est de l’hypermédia poussé au paroxysme. Cela l’a poussé àinventer une technique de représentation qui ne commence pas parappauvrir le monde. Moi si je fais un portrait, je vais commencer par

Ce qui m’intéresse dans l’affaire, c’est cette capacité qu’a l’esprit humain

à ne pas nécessairement appauvrir sa représentation du monde.

Entretiens Jean-Louis Le Moigne

THINK n° - Février 2008 p. 19Entretiens par Marc Riedel 6

2 Cf. l’éditorial de septembre 2007 également sur le site du RIC : http://www.mcxapc.org/docs/reperes/edil37.pdf

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THINK n° - Février 2008 p. 20Entretiens par Marc Riedel 6

faire des traits. Lui non. Lui il va commencer par faire des jeuxd’ombres, qui augmentent, qui s’atténuent et qui s’effacent, leSfumato. Et techniquement, c’est beaucoup plus calé ! Celademande plus de temps, plus de soin, plus de finesse, et c’estinfiniment plus beau.Ce qui m’intéresse dans l’affaire, c’est cette capacité qu’a l’esprithumain à ne pas nécessairement appauvrir sa représentation dumonde.Or on a été éduqués à commencer par simplifier, au lieu decommencer à rendre intelligible…Valery dit “On ne définit que ce que l’on peut construire, et l’on peutnommer n’importe quoi”, vous voyez la différence ? On peutnommer, mais ça n’est pas pour autant que l’on définit. Si l’on prend l’exemple de l’intelligence collective, un concept très àla mode, essayez de vous demander ce que l’on comprend par“intelligence collective”, et vous allez trouver des choses qui n’ont àvoir ni avec le mot “intelligence”, ni avec le mot “collective”. Enrevanche, on peut voir comment concevoir un contexte qui excite etqui cultive l’intelligence des acteurs dans un réseau.En ce qui concerne la systémique, c’est devenu une véritable tarte àla crème. On va vousdemander à tout va,“vous avec vos systèmes,vous ne pouvez pasrésoudre ça ?”. Il n’estpas écrit dans la Genèse,“Au commencement,Dieu créa le Système enGénéral puis moula lemonde autour” :“Systems everywhere”concluait L. VonBertalanffy (rires)…C’est moi, c’est vous,c’est nous, qui trouvonscommode de nous représenter le monde comme et par un système.C’est pour cela qu’il ne faut accepter le mot systémique que précédédu substantif modélisation. Nous avons en gros deux outils, lamodélisation analytique où l’on décompose les difficultés “en autantde parties qu'il se pourrait et qu'il serait requis pour les mieuxrésoudre”, et la modélisation systémique par laquelle on insère unprojet dans un contexte. C’est le mot très beau attribué par Valéry àL. de Vinci : “Pour te représenter un arbre, tu es forcé de tereprésenter quelque sorte de fond sur lequel il se détache”. Notezqu’il n’est pas simplement dans le contexte, il se détache, autrementdit, c’est l’interaction qui est importante.

MR : Travaillez-vous avec des think tanks ou vous êtes-vousintéressé à leurs travaux ?JLLM : Il est bien sûr des “pseudos think tanks” avec qui noussommes volontiers en relation, et qui sont riches d’expériences troprarement méditées.

ATD Quart Monde nous ouvre le champ des possibles dès que l’ons’attache au respect sincère de la dignité humaine. Ils y vont, ils n’ont

pas peur, ils expérimentent… Et ils ont un impact concret ! BrunoTardieu, dans “Artisans de démocratie”, raconte comment untechnicien d’EDF qui avait pour mission de s’occuper des compteursdes mauvais payeurs, a refusé pour des raisons humaines évidentesde couper le courant d’une famille dans le besoin. Cet exemple asuscité une réflexion intense, engendrant une série d’initiativesadministratives, techniques et politiques parfois fort complexes, ayantabouti à l’invention de compteurs spéciaux, au changement de la loicommerciale, etc. Ce qui a eu au final des résultats concrets pour lespersonnes concernées ! Il y avait là une volonté d’explorer le champdes possibles, rien de planifié ou de décidé au départ. Le type mêmed’expériences à transformer en science avec conscience pour civiliserla Cité Lorsque vous écoutez l’exemple d’ATD Quart Monde, cela montre quel’existence d’un think tank ou d’un réseau comme le nôtre correspondà une nécessaire suppléance pour un problème donné. Il n’y a pas desolution connue, et comme il faut que cela se fasse, on le fait. Mais cela ne veut pas dire qu’il faut penser à la place de l’autre. Il y aune espèce de vitalité dans l’activité humaine, une inventivité assezincroyable que l’on retrouve un peu dans les écrits d’un auteur comme

Michel de Certeau, quiparle de “l’invention duquotidien”. Une“démerde” qui au final esttrès ordinaire, et qui semanifeste lorsque l’on estconfronté à un problèmeconcret. Le citoyen parfoissait devenir un expert et lemépris et l’inattention desexperts patentés pour“l’expertise citoyenne” estsouvent indigne.

Pour finir, si l’on devaitdire ce qu’est un think tank, c'est-à-dire ce qu’un think tank fait, jedirais que le think tank pense pour vous, pense à votre place… Etc’est pour ça que je n’arrive pas à me laisser enfermer dans cetteboite là… De la Rand Corporation à la Fondation Templeton, lemodèle mental est le même. Lorsque quelqu’un se plaint qu’onn’utilise pas assez les think tanks, cela montre bien qu’il ne conçoitpas que les citoyens puissent penser par eux-mêmes. Il y a là unpostulat de médiocrité de l’être humain. C’est terrible… Trèsplatonicien d’ailleurs… Et si vous calquez ça dans le contexted’aujourd’hui, c’est désespérant.Mais si notre culture porte en elle ces germes de dégénérescencepost-scientiste, elle porte aussi des germes de régénérescencecivilisatrice. Tant d’initiatives, rarement tenues pour des think tanks ilest vrai, inventent des formes d’actions alternatives, prudentes,réfléchies, qu’il est raisonnable de ne pas désespérer. Il ne s’agit paspour nous d’attendre ou de provoquer le grand soir et les lendemainsqui chantent, il s’agit juste d’essayer, responsables et solidaires, departager et de renouveler nos moyens de ne pas mourir idiots…

entretien relu par Jean-Louis Le Moigne

L’existence d’un Think Tank ou d’un réseaucomme le nôtre correspond à une nécessairesuppléance pour un problème donné. Il n’y apas de solution connue, et comme il faut quecela se fasse, on le fait. Mais cela ne veut pas

dire qu’il faut penser à la place de l’autre.

Entretiens Jean-Louis Le Moigne

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Les Think-Tanks en Belgique

Les tourments que le royaume de Belgique a connus en 2007 ont mis en lumière la fragilité de cet édificeinstitutionnel complexe. Etat reposant sur des équilibres subtils, la Belgique est, à bien des égards, un laboratoired’expérimentations constitutionnelles et politiques. Ce foisonnement est largement entretenu par des centres de

réflexion nombreux et bien structurés. Notre propos sera exclusivement consacré à des think tanks belges et non àleurs homologues bruxellois, de « nationalités » diverses, dont les centres d’intérêts sont avant tout européens.

Les think tanks belges tirent leurs spécificités de l’histoire si particulière de la mosaïque belge. Ils ont joué un rôleessentiel dans l’évolution sociopolitique du royaume et sont également pris, aujourd’hui, dans la crise existentielle

que traverse l’Etat belge.

THINK n° - Février 2008 p. 216

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THINK n° - Février 2008 p. 22Horizons par Romain Canler 6

La construction du royaumeLa construction de l’Etat belge estrelativement récente. Intégréesprécocement aux Etats des ducs deBourgogne, les régions correspondant àl’actuelle Belgique ont connu dès le basMoyen-Âge un développementéconomique rapide et soutenu. Cet essor apermis l’émergence d’une bourgeoisiepuissante qui aspira à jouer un rôle centraldans la gestion des cités marchandes tellesqu’Anvers, Gand ou Bruges. Cette premièretendance structurelle rapproche ces régionsde leurs voisines plus septentrionales desProvinces-Unies.Mais à la différence de ces dernières, lesrégions “belges” ne quitteront pas le girondes Habsbourg. En effet, en 1579, parl’Union d’Arras, les provinces du sudcatholiques réaffirment leur fidélité auxHabsbourg d’Espagne, au contraire desprovinces du nord réformées, qui fontsécession en 1581 et formeront les futursPays-Bas. Le premier ciment de la futureBelgique est donc religieux.Passées sous domination des Habsbourgde Vienne, les futures provinces belges vontconstituer un tampon entre les grandespuissances. Elles verront s’affronterFrançais, Néerlandais, Autrichiens,Anglais… Souvent durement touchées parces combats, ces provinces n’en feront pasmoins toujours preuve d’une grande vitalitééconomique et intellectuelle.C’est au cours de cette période qui couvrela majeure partie du XVIIIe siècle que vonts’exprimer les premiers cercles de réflexionet de pensée qui peuvent être assimilés àdes “proto-think tanks”. Ainsi, dans la futurecapitale, Bruxelles, les institutionsoligarchiques traditionnelles que sont lesNations, qui regroupent les bourgeoismarchands, et les Lignages, qui regroupentles grandes familles patriciennes etrentières, seront le centre d’une intenseréflexion sur les modes de “gouvernance”des cités et provinces des Pays-Basautrichiens. Ces réflexions seront l’un desterreaux des deux premières révolutionsbelges : la révolution brabançonne et larévolution liégeoise, à peu prèscontemporaines de la Révolution française.Plutôt d’inspiration conservatrices etbourgeoises, particulièrement la première,elles naissent en partie d’un véritable choixsur les institutions, fondé sur un maintien dela décentralisation du pouvoir politique auxvilles et aux provinces, et s’inscrivent donccontre les projets centralisateurs de

l’empereur autrichien Joseph II.Après cet épisode révolutionnaire, lesprovinces belges passent sous la coupe dela France. A l’issue des guerresnapoléoniennes, elles sont brièvementintégrées au royaume des Pays-Bas, avantla révolution de 1830, qui consacreradéfinitivement le royaume de Belgique,avec à sa tête Léopold de Saxe-Cobourg.Les grandes puissances européennesentendent ainsi favoriser à nouveau lacréation d’un Etat tampon au nord d’uneFrance toujours suspecte de viséeexpansionniste.Le royaume de Belgique va ensuiteprogressivement évoluer d’une monarchieconstitutionnelle censitaire vers unemonarchie parlementaire basée sur lesuffrage universel direct. Parallèlement, ilconnaîtra une phase d’industrialisationrapide qui en fera l’Etat le plus développéd’Europe continentale à la fin du XIXe siècle.

Une démocratie « consociative »fondée sur des « piliers »Le royaume de Belgique n’est donc pas lefruit d’une construction étatique unitairecomme en France ou en Angleterre, nid’une construction par un Etat colonialiste,comme la Prusse ou le Piémont,respectivement pour l’Allemagne et l’Italie. Ilréunit des villes et des provinces ouprincipautés qui ont toujours joui d’unegrande autonomie. Par ailleurs, le royaumeest divisé d’un point de vue linguistique,politique et économique. Au début du XXe

siècle, la Flandre est moins industrialisée etplus conservatrice qu’une Walloniedavantage progressiste et plus développée.Le système des partis politiques va être lereflet de cette diversité. Le systèmepolitique va avoir pour “fonction” d’êtrel’image fidèle de la société belge davantageque de faire émerger une équipe degouvernement stable. Le politologuenéerlandais, Arend Lijphart, parlera àpropos du système belge de démocratie“consociative”, par contraste avec lesdémocraties “représentatives” de typebritannique ou française (sous laVe République). Ce typede régime secaractérise parun système dep a r t i s

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THINK n° - Février 2008 p. 23Horizons par Romain Canler 6

multipolarisé, le recours au scrutinproportionnel plurinominal et une grandeintégration entre partis politiques, syndicats,presse et associations.Ce type d’intégration est appelé, enBelgique, “piliers”. Traditionnellement, il enexiste trois dans le royaume : le pilier libéral(de droite et laïc), le pilier socialiste (degauche et laïc) et le pilier socio-chrétien(centriste et catholique). Au sein de chacun de ces piliers vont secréer et se développer des think tanksdédiés à la maturation et à la promotion desidées du “pilier”. Ainsi, le Centre Harmelsera le centre de réflexion du pilier centristeà partir de 1948, l’Institut Turgot se veut lethink tank du pilier libéral et laïc. Pour lepilier socialiste, se développeront surtoutdes centres de réflexion intégrés à desmouvements de travailleurs comme ABVV-FGTB. Ces différents centres de réflexionsont financièrement indépendants grâceaux cotisations de leurs membres, auxdonations des organisations proches et auxsubventions publiques, mais entretiennentdes liens idéologiques et politiques étroitsavec les autres membres de leur pilierd’origine.Les think tanks qui appartiennent à cespiliers traditionnels ont centré leurs travauxsur les questions d’organisationinstitutionnelle du royaume, les questionséconomiques et sociales et, bien sûr, lesquestions communautaires. Ils ont laspécificité de bénéficier d’un accèsprivilégié aux gouvernants lorsque le partide leur pilier participe à un gouvernement,mais également de profiter de relaismédiatiques à travers les journaux du“pilier”. Enfin, ils entretiennent des rapportsétroits avec les universités de leur pilierd’origine.Ainsi, pour deux think tanks déjà cités, ilapparaît que le centre Harmel est proche duCentre démocrate humaniste (CDH) et desChrétiens démocrates fédéraux (CDF), deLa Libre Belgique et de l’université deLouvain, et que l’Institut Turgot a davantagede proximité avec le Mouvementréformateur (MR), Le Soir et l’université deBruxelles.

Crise de l’Etat belge, crise des think tanksLes think tanks intégrés au fonctionnementtraditionnel des piliers ont souffert commeeux du discrédit généralisé qui a frappé cesystème depuis le début des années 1980et de la crise économique. Ce système

“consociatif” est jugétrop peu transparent,générateur de coalitionsg o u v e r n e m e n t a l e sinstables et de corruption.La crise du systèmepolitique belge a provoqué unrenouvellement du paysagedes think tanks. D’anciensacteurs moribonds ontrepris une vigueurnouvelle, notamment dansles rangs des nationalisteswallons ou flamands.D’autres sont apparus ensortant du cadre“consociatif” et en travaillantsur des thématiques nouvellesou renouvelées, comme lespolitiques environnementales etla libéralisation de l’économie.Ces think tanks sont le reflet desnouvelles forces de la scènepolitique et intellectuelle belge. Leurparticularité est d’agir de plus en plus auniveau des régions et des communautés etde moins en moins au niveau dugouvernement fédéral. En outre, ils secaractérisent par un recrutement de plusen plus endogamique à leur communautélinguistique d’origine. A ce titre, ilstraduisent également les fissures de plusen plus criantes de l’édifice national belge.Seule exception à la règle de lacommunautarisation croissante desnouveaux think tanks : quelques thinktanks qui traitent essentiellement depolitique étrangère. Parmi eux, leprestigieux Institut royal des relationsinternationales, dénommé aujourd’huiEGMONT et décrit ci-après.Cette tendance lourde à l’affaiblissementdes think tanks belges aux ambitionsnationales au profit de think tanksflamands, wallons ou bruxellois a unimpact sur les moyens des acteurs de laréflexion en matière de politiquespubliques. Alors que les héritiers dusystème consociatif voient leur légitimité etdonc leur audience se restreindre, lesnouveaux acteurs ont tendance à réduireleur champ d’étude en privilégiant lespolitiques liées aux questionscommunautaires. Ainsi, les think tanksbelges privilégient le travail sur desdissensions communautaires parfoisartificielles, au détriment durenouvellement de la réflexion sur lespolitiques publiques.

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Horizons THINK n° - Février 2008 p. 246

Itinera Institute EGMONT – Institut Royal des Relations Internationales

Officiellement créé en mars 2006, l’Itinera Institute a pour seul etunique souci la Belgique et ses régions dans leur ensemble et leurdiversité. Ce tout jeune think tank se veut également do tank, c'est-à-dire à la fois apte à réfléchir sur le long terme, mais aussi promouvoir,à plus courte échéance, ses propres propositions politiques. Dès sacréation, il a décidé de se professionnaliser et d’agir indépendammentde toute structure ou source de financement. Aujourd’hui, despersonnes de tous âges, d’horizons professionnels divers(universitaires, entrepreneurs, etc.) et sans a priori politique évoluenten son sein, lui permettant ainsi de se placer dans une optiqueinternationale et de s’ouvrir à différents points de vue.Partant du constat que la Belgique possède une croissance économiquelimitée, un chômage élevé et un faible niveau de compétitivité, etarguant que la responsabilité de la réforme des politiques appartientautant aux think tanks qu’aux centres de recherche financés par lesecteur public par exemple, l’Itinera Institute prône la mise en place deréformes structurelles, et étudie les perspectives internationalesoffertes à la Belgique et les intérêts des générations à venir.Ses champs d’activités sont l’économie, l’éducation et l’innovation,l’emploi, l’énergie et l’environnement, le gouvernement et la fiscalité ;ils touchent donc au développement économique et social tout enreprésentant, chacun séparément, un défi politique de grande ampleurpour le pays. L’objectif clairement affiché est que perdurent l’attrait del’économie belge et la redistribution de ses fruits, notammentconcernant son système de soins. L’institut veut par ailleurs êtrereconnu à la fois comme garde-fou en matière de politiques publiqueset comme défenseur des réformes qu’il estime nécessaires pour laBelgique. L’institut cherche également à fournir des informationspratiques et fiables pour la prise de décision politique, à s’engager dansle débat de société et à diffuser son message dans les médias. L’ItineraInstitute estime que les réformes qu’il propose sont nécessaires eturgentes pour la pérennité de la Belgique. Par souci de pédagogie, lethink tank fait l’effort de communiquer sur le potentiel des réformesprésentées, autant auprès du grand public que des décideurspolitiques. Une meilleure prise en compte des études internationales,dans un contexte national et régional, est aussi souhaitée.Pour réaliser ses objectifs, l’Itinera Institute utilise notamment son siteInternet, une newsletter, des interviews et des articles d’opinion.

http://www.itinerainstitute.org/

Fondé en 1947, l’Institut royal des relations internationales (rebaptisé depuisInstitut Egmont) voit le jour sous l’impulsion de grandes figures politiquesbelges,au premier rang desquels on trouve Paul Van Zeeland,Premier ministredu Royaume de 1935 à 1937, puis ministre des Affaires étrangères de 1949 à1954. Le professeur Charles De Visscher (membre de la Cour internationalede justice) et le professeur Fernand Dehousse (membre de la délégation belgeà la conférence de San Francisco) ont également participé à sa création.

Réputé proche du ministère des Affaires étrangères,l’Institut Egmont organiseses activités autour de trois axes principaux : la recherche et la publication ;l’organisation de conférences, débats et autres rencontres et, enfin, l’institutpropose plusieurs cycles de formation à destination des diplomates et desjeunes professionnels.

Trois thèmes de recherche, répartis en trois programmes, sont développés ausein de l’institut. Le programme “Affaires européennes”, comme son noml’indique, traite de l’évolution de l’Union européenne, tant sur le planpolitique qu’institutionnel.Sur son site Internet, l’institut se targue d’avoir étéassocié aux négociations du traité d’Amsterdam,de l’agenda 2000,du traité deNice, ainsi qu’aux travaux de la Convention.Le second programme, “Sécurité et gouvernance mondiale”, s’intéresseparticulièrement à l’évolution politique et sécuritaire du monde en tantqu’entité multipolaire. Ce programme est subdivisé en trois sous-thèmes :“Sécurité européenne”,“Gouvernance mondiale”et “Terrorisme”.Le troisièmethème, “Afrique centrale”, est le plus récent des trois programmes derecherche de l’institut. En effet, en 2003, le think tank traitait principalementdu conflit israélo-palestinien.

L’institut diffuse ses recherches au travers de “working papers” classés parprogramme. Il dispose également d’une publication phare, StudiaDiplomatica. Existant depuis 1948, la revue, sous-titrée “The BrusselsJournal of International Relations”, s’est enrichie en 2006 d’une tribunelibre ouverte aux milieux politique et de la recherche.

En matière de formation, l’institut s’est naturellement orienté versl’enseignement en direction des diplomates, mais aussi des jeunesprofessionnels.Deux programmes existent.Baptisé cycle de hautes études desécurité et défense, le premier programme est réalisé en partenariat avecl’Institut royal supérieur de défense. Organisé en séminaires, le cycle alternejournées de formation et visites (OTAN,Croix-Rouge,Parlement fédéral, etc.).Le deuxième cycle de formation, en langue anglaise exclusivement, est plusspécifiquement destiné aux diplomates (mais pas exclusivement) et vise àl’approfondissement de leurs connaissances sur l’Union européenne, l’OTANet le système fédéral belge.

http://www.egmontinstitute.be

Reservoir d’acteurs par Agnès Iborra

Reservoir d’acteurs par Romaric Bullier

INSTITUTIONS FÉDÉRALES Gouvernement Chambre des députés Sénat

Région flamande Région bruxelloise Région wallonne

AFFAIRES COMMUNAUTAIRES

AFFAIRES RÉGIONALES

Conseil flamandConseil

Communauté française

Conseil Communauté

germanophone

Conseil régional wallon

Conseil région de

Bruxelles-Capitale

Horizons par Romain Canler

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Bernard-Henri Lévy, Ce grand cadavre à la renverse, Grasset,Paris, septembre 2007 19€90.

Dans son dernier ouvrage publié quelques mois après l’élection présidentielle, Bernard-Henri Lévy nouspropose une lecture personnelle de la crise que traverse la gauche française. L’idée de cette nouvelleréflexion prend forme à partir d’une conversation entre le philosophe et le candidat – futur Président de laRépublique – Nicolas Sarkozy, à la suite de la publication d’une tribune d’André Glucksmann en sa faveurdans Le Monde. Son interlocuteur l’interpelle sur sa famille politique, ses clivages idéologiques et son avenir.Pour enraciner son engagement à gauche, BHL s’interroge alors sur ce que signifie être de gaucheaujourd’hui et revient sur trente années de combats, de luttes, d’engagements et d’errements. Il sedemande finalement si la société contemporaine aurait renoncé au courage progressiste d’une part et à laréaffirmation de ses valeurs face à l’effondrement du communisme d’autre part. Ce nouveau plaidoyer austyle enlevé conserve une modération de ton propre à son auteur. Et BHL de s’émouvoir d’une gauchecadavérique qui pour se relever devra irrémédiablement, comme l’avait évoqué Manuel Valls, “prononcerun acte de rupture dans le vif de son histoire, donc de son nom”. Au-delà de cette considération, BHL prieles acteurs de la gauche de se mobiliser et d’agir pour perpétuer les mots de Guillaume d’Orange assurantqu’”il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer.” Amaury Bessard

Christian Salmon,Storytelling. La machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits,Paris, La Découverte, coll.“Cahiers libres”, 2007, 240 p.Le storytelling, ou l’art du récit, s’est imposé avec force aux Etats-Unis dans les années 1990, avant degagner peu à peu l’Europe. Si l’art de raconter des histoires n’est pas une innovation, cette tradition anciennea pris cependant des formes nouvelles ces dernières décennies. Du marketing au management, de lacommunication politique aux questions militaires nous dit l’auteur, aucun espace social ne semble échapperau storytelling, à ce souci permanent de mettre en récit le monde social et de construire des dispositifsnarratifs autour des activités les plus diverses, économique et politique en premier lieu. Simple technique d’écriture au départ, le storytelling serait devenu un instrument de communication visant àformater les esprits. Aux yeux de C. Salmon, c’est en matière de communication politique que les inquiétudesseraient les plus grandes. Si le storytelling et les spin doctors qui l’alimente occupent une place importantedans la vie politique américaine, ils ont désormais gagné le continent européen, comme l’attestent, parexemple, le déroulement de la dernière campagne présidentielle française ou encore l’actualité politique laplus immédiate. Désormais, la vie politique ne serait qu’histoire, récit, narration, à entretenir quotidiennement.Cette pratique de mise en fiction de la réalité conduirait ainsi à “transformer la vie politique en une successiond’histoires évocatrices et de récits émouvants” (p. 138), faits de “héros et d’antihéros”, de souffrancespersonnelles et de rédemption. Un tel procédé aurait ainsi pour conséquence de détourner le citoyen de sapropre réalité en en construisant une autre, virtuelle, mais à laquelle il pourrait s’identifier. Avec le storytelling,la communication politique change alors de fonction : “Il s’agit moins désormais de communiquer que deforger une histoire et de l’imposer dans l’agenda politique” (p. 135). Robert Chaouad

Nathalie Heinich, Pourquoi Bourdieu, Paris, Gallimard, coll.“Le Débat”, 2007, 192 p.

Sociologue de l’art formée à l’”école Bourdieu” à la fin des années 1970, avant de s’en détacher quelques annéesplus tard, Nathalie Heinich dresse, depuis sa propre expérience, un portrait intellectuel de l’un des plus grandssociologues du XXe siècle. Son projet, précisé dans une adresse au lecteur placée en début d’ouvrage, ambitionnede comprendre et d’expliquer, depuis les outils de la sociologie et dans un texte écrit à la première personne,comment Pierre Bourdieu (1930-2002), jeune provincial béarnais monté à la capitale, est devenu un “phénomèneinternational” ? Interrogeant l’activité de P. Bourdieu depuis différents ordres sociaux (l’ordre du religieux, duscientifique, du politique, du culturel et du philosophique), N. Heinich s’attache à retracer et analyser les raisons etles conditions de la fascination exercée par le sociologue sur toute une génération de chercheurs. Très rapidement, pourtant, la lecture de ce travail révèle un sentiment confus quant aux motivations de l’auteur. Lemalaise surgit lorsque l’on sent poindre, insidieusement, froidement, au fil des pages, quelque chose comme del’amertume ou de la rancœur. Tout, ou presque, semble alors matière à dénigrement, à tel point qu’il devientimpossible de discerner les critiques sociologiquement opérantes de celles fondées sur le ressentiment. Dans lapremière partie, la référence wébérienne à la “domination charismatique” montre Pierre Bourdieu en chef de secte,prophète ou prêtre réunissant ses disciples dans de sombres travées du Quartier latin pour s’y livrer à des ritesinitiatiques ; plus loin, les engagements politiques du sociologue, rompant avec l’autonomie des champs dont ils’était fait l’ardent défenseur, porteraient atteintes à la scientificité de ses travaux, révélant un double discours et unecontradiction dont il n’aura jamais voulu reconnaître la réalité. Le portrait intellectuel se fait alors, trop souvent, livreà charge, où la posture dénonciatrice le dispute à la psychologisation outrancière (Pierre Bourdieu en paranoïaqueet stratège machiavélique), au risque, hélas, de se disqualifier et de susciter, chez le lecteur, une certaine déceptionune fois le livre refermé. Robert Chaouad

THINK n° - Février 2008 p. 25Lectures 6

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Bien avant l’invention de l’intellectuelengagé, la vie et l’œuvre de Max Weberportent le témoignage de la difficulté

qu’il y a à faire coïncider dans une mêmeexistence les exigences contradictoires de lapensée et de la politique. Max Weber estcélèbre pour être l’un des pères fondateursde la sociologie et l’un des penseurs les plusféconds de son époque. Les questions qu’il aposées, et les réponses qu’il a tentées d’yapporter continuent de susciter de nombreuxdébats, ce qui est la marque des grandspenseurs, ceux qui ont su, avec plus d’acuitéque les autres, révéler les grands problèmesde leur temps, et ont voulu les prendre à brasle corps. Dans cette catégorie de penseurs,Weber, pas plus qu’un autre, ne faitl’unanimité, mais son œuvre continue d’agircomme un aiguillon, qu’elle soit admirée oucontestée. Si son influence fondatrice pour lasociologie est souvent soulignée, il ne fautpas oublier qu’il fut également juriste (ilcommença par enseigner le droit),économiste, historien, et que la dimensionpolitique et philosophique de son travail futégalement d’une importance considérable.Enfin, il écrivait dans les journaux et menaune activité politique qui prit une place deplus en plus importante dans sa vie, surtoutaprès la défaite allemande de 1918. C’estdans ce contexte de l’après-guerre queWeber, opposant à l’empereur Guillaume II,prononce ses deux célèbres conférences surla vocation du savant et sur la vocation dupolitique.Le témoignage de Karl Löwith estparticulièrement significatif de ce que purentreprésenter ces conférences dans l’Allemagnedéfaite de l’après-guerre : “Au milieu de cette

désagrégation générale de toutes les valeursintérieures et extérieures, à la survivancedesquelles seuls nos pères croyaient encore, iln’y eut en Allemagne qu’un seul homme qui, parson discernement et son caractère, sut trouverles mots capables de nous toucher : Max Weber.(…) Il nous bouleversa. Ses mots étaient le refletde l’expérience et des connaissancesaccumulées pendant toute une vie ; toutprovenait directement du plus profond de lui-même, avait été repensé avec une intelligencecritique et s’imposait par le poids de cettepersonnalité considérable. A des questionsprécises, il ne donnait jamais une solution facile.Il dissipait tout ce qu’il y avait d’illusoire dans lesaspirations et pourtant, chacun devait leressentir, cet esprit clair ne manquait pas de laplus profonde humanité. Après les innombrablesdiscours révolutionnaires des activistes lettrés,les paroles de Weber sonnaient comme unedélivrance.”1

“La profession et la vocation de savant” reprendde grands thèmes de la pensée wébériennedans une brillante analyse de la vocation et del’éthique de la recherche scientifique. On ytrouve surtout l’expérience, parfois tragique,d’un homme, celle de la nécessaire différenceentre la vocation de savant et l’action politique.C’est sur cet aspect que nous voudrions nousarrêter ici.Pour Weber, la science ne saurait répondre à laquestion du sens de l’existence, pas plus qu’ellene doit se prononcer sur la question des valeurs.Si elle peut servir à faire des choix sur lesmoyens pouvant permettre d’atteindre une fin,elle ne peut et ne doit pas servir à choisir entredes fins. Et ceci pour des raisons propres à lascience que Weber détaille, l’une d’entre ellesétant “que partout où l’homme de science

Max Weber (1864-1920),Le savant et le politiquePar Pierre CollantierPierre Collantier est chercheur en philosophie. Ses domaines de recherche portentsur l'anthropologie philosophique, la sociologie et la philosophie morale et politique.Il est président de l'association MCPS – Mouvements, conflits et pratiques sociales.

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1 Karl Löwith, Ma vie en Allemagne avant et après 1933, Hachette, Paris, 1988, p. 32.2 Max Weber, Le savant et le politique. Une traduction nouvelle, La Découverte, Paris, 2003, préface, traduction et notes de Catherine Colliot-Thélène, p. 95.

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intervient avec son propre jugement de valeur, ilcesse de comprendre pleinement les faits”2. Il ya également cet autre motif, fondamental :“L’impossibilité de défendre “scientifiquement”des prises de position pratiques, excepté dans lecas de la discussion des moyens nécessairespour un but que l’on présuppose donné demanière fixe, résulte de raisons bien plusprofondes. Cette défense est fondamentalementdépourvue de sens parce que les différentsordres de valeur du monde sont engagés les unsavec les autres dans une lutte sans issue”3. Car,en dernière instance, les prises de positionpratiques sont la conséquence et se réfèrenttoujours à un ordre de valeur.Weber établit ici une véritable ligne dedémarcation entre ce qui est du ressort du

discours scientifique d’une part, et le discoursprenant partie sur les pratiques et sur la politiqued’autre part. Cette distinction est primordialeaujourd’hui, au moment où une forme gênantede confusion est entretenue dans les médias.Des experts, professeurs d’université,bénéficiant de la légitimité que leur procure leurstatut institutionnel, se prononcentabondamment sur des questions pratiques etpolitiques. Ceci ne poserait pas problème s’ilsclarifiaient le point de vue à partir duquel ilss’expriment, notamment lorsque leur discourssert de justification à l’action politique. Or, biensouvent, lorsque nous les entendons dire“pédagogie” – un mot à la mode qui est bien lemoins que l’on puisse attendre d’un professeur–, nous devons entendre “persuasion”. En sontemps, Weber a défendu de nombreusespositions pratiques, mais il l’a toujours fait enprécisant dans quel registre de discours il se

situait. Dans une salle de cours ou dans toutautre lieu où la critique ne peut s’exercer, il fauts’en tenir strictement au discours scientifique. Iln’a en tout cas jamais cherché à se servir de saposition académique pour persuader. Pour lui,l’éducation consiste en particulier à apprendre àentendre des faits désagréables pour sesconvictions personnelles. Le rôle du professeurest de faire en sorte “que l’auditeur soit en étatde trouver le point à partir duquel il peut lui-même, compte tenu de ses propres idéauxultimes, prendre position à ce propos”4.Lorsqu’il prend position politiquement, le savantdoit entendre ces mots : “Notre fichu devoir estalors précisément de prendre parti d’unemanière clairement reconnaissable. Les motsque l’on emploie ne sont pas alors des moyens

d’analyse scientifique, mais des moyens de lapropagande politique sollicitant la prise deposition des autres. Ce ne sont pas des socs decharrue pour ameublir la terre de la penséecontemplative, mais des épées contre desadversaires, donc des moyens de lutte.”5 Cetteexigence a un nom : la probité intellectuelle.Pour ceux qui ne sauraient la satisfaire, Weber,prolongeant l’analogie entre politique et religiondéveloppée dans le texte, a cette suggestion :“Les prophéties émises de la chaire ne créeront,au bout du compte, que des sectes fanatiques,mais jamais une communauté authentique. Acelui qui ne peut supporter avec virilité ce destinde notre temps, il faut conseiller de retourner ensilence, sans les proclamations publiquesusuelles des renégats, mais avec simplicité etdiscrétion, dans les bras largement ouverts etmiséricordieux des vieilles Eglises. Elles ne luirendront pas ce retour difficile.”6

6

3 Max Weber, op. cité, pp. 96-974 Max Weber, op. cité, p. 945 Max Weber, op. cité, p.936 Max Weber, op. cité, p. 109

“Au milieu de cette désagrégation générale de toutes les valeurs intérieures et extérieures, à la survivancedesquelles seuls nos pères croyaient encore, il n’y eut

en Allemagne qu’un seul homme qui, par son discernementet son caractère, sut trouver les mots capables de nous

toucher : Max Weber.”

Regard Max Weber

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L’introduction du carrefour réalisée par le Pr. Capronévoquait la question des relations difficiles existant entrescientifiques et citoyens. En trame, cette introduction

laissait transparaître au-delà d’une préoccupation, une véritableinquiétude sur l’avenir de l’institution scientifique française. Lesmots utilisés ne laissent aucun doute possible, il s’agirait “d’unecrise institutionnelle grave” : l'institution scientifique setrouverait donc aujourd'hui remise en cause, et contrainte à unecertaine démarche d’introspection. Comment faire évoluer la France vers l'excellence technologique ?Quels secteurs de recherche privilégier ? La science peut-elleencore inspirer la vie politique ? Comment susciter la vocationscientifique chez les plus jeunes ? Comment faire entrer la sciencedans la culture du grand public ? La communauté scientifique s'interroge donc sur les rapports qu'elleentretient avec le pouvoir politique, d'un côté, envers lequel elle jugemanquer d'influence, et avec la société civile, de l'autre, avec laquelleelle semble de plus en plus confrontée à un problème de légitimité.On pourrait sans doute avancer sans trop rencontrer d’oppositionsqu’il s’agit d’une problématique actuelle. Certains pourraientargumenter que le scientifique est de moins en moins audible du faitde la concurrence de nombreux experts médiatiques évoluant dansune démocratie devenue démocratie d'opinion, où l'on en vient peuà peu à considérer que tous les avis sont légitimes et dignes d'êtrepris en considération.Cela nous ferait presque oublier qu’il y a quelques millénaires, Platonet Socrate se plaignaient déjà de ne pas être écoutés par les princeset de ne pas être aimés par le peuple, à un tel point qu’ils en firentpresque un indicateur permettant de reconnaître un philosophe dansla cité. Dans la République, Platon aborde également la question dela formation des jeunes générations, qui doivent selon lui “servir laphilosophie” et essaie de trouver les arguments pour convaincre lepeuple des bienfaits de cette dernière... C’est donc sur les traces de cet illustre prédécesseur et bienconscient que ces questions accompagnent les hommes depuisquelque temps, que l’AVRIST relance le débat en le remettant à jour,à la lumière de l’émergence actuelle du phénomène « think tank »en France et en Europe.

Qu’est-ce qu’un think tank ?La difficulté globalement éprouvée par la plupart des intervenants

pour traduire aisément l’expression anglo-saxonne en français nousdonne un avant goût de la difficulté que l’on risque de trouver enétudiant le phénomène think tank sans concevoir également lesinteractions qu’il entretient avec son environnement. Les différents intervenants ont donc tiré quelques traits sur une feuilleencore blanche, qui peu à peu a vu naître une première esquisse. Dans l’idéal, un think tank serait une institution dont les travauxaboutiraient à des propositions actionnables dans le cadre despolitiques publiques, ayant une certaine capacité de productiond’idées nouvelles. Du fait de ses rapports avec les décideurs et lespuissances publiques, le think tank jouerait le rôle d’interface entre lemonde du savoir, de l’expertise, les centres d’intérêts et lespréoccupations politiques. Il serait pour cela un espace de circulationdes élites. Certains lui prêtent une fonction d’alerte, d’évaluation desrisques. Mais il incarnerait surtout un enjeu dans la création de règles et denormes grâce à un certain cumul de légitimité, d’expertise, decapacité dialectique, d’argumentation. Les think tanks ne sont pasdes lobbys à proprement parler, n’utilisent pas les mêmestechniques, n’ont pas la même organisation ni la même “pugnacité”,mais ont toutefois la même fonction (volonté ?) d’inflexion desrégulations sociales. Ils constituent de véritables pôles de “softpower” aux contours flous, difficiles à cerner… Et donc à définir.Lorsque les apparences sont trompeuses (et à ce niveau decomplexité, elles le sont toujours lorsqu’on les observe depuis lafenêtre d’un simple individu), là où toute tentative de modélisationanalytique classique rencontre des limites pour définir un systèmecomplexe, il est salutaire de changer de point de vue et d’adopterune démarche de modélisation progressive centrée sur la questiondes processus d’interaction entre le système étudié et sonenvironnement. L’OFTT aura, sans doute un peu à contre courant de lapréoccupation de certains auditeurs, insisté sur cet aspectfondamental. Vouloir définir, c’est en quelque sorte donner une fin àtoute possibilité de dialogue dès l’introduction du sujet. Construireensemble une modélisation systémique, en revanche, c’est rendrecollectivement et progressivement intelligibles les interactions entrele système et son environnement sans les appauvrir. En poussant leraisonnement jusqu’au bout, cela peut conduire à ne plus considérerde démarcations entre l’un et l’autre et à s’intéresser auxphénomènes en considérant les flux et la fluidité des échanges au

Le XIe CarrefourAVRISTPar Maud Clément, Selim Allili et Marc Riedel

THINK n° - Février 2008 p. 28Regard par Maud Clément, Selim Allili et Marc Riedel 6

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lieu de se focaliser sur les différences et les exclusions. Cela permetainsi d’ôter une partie du voile recouvrant la “physiologie” au sensbiologique, philosophique et étymologique du terme, et de seconcentrer sur les principes régissant un système au lieu de seperdre dans ses symptômes, ses manifestations. Les stratègesajouteront que cette approche est à même de nous donner les clésd’une certaine influence (nous rappellerons ici que le terme vient defluxus en latin). Même si le débat n’était pas directement ni expressément porté surl’épistémologie et ce type de démarche, il est toutefois important denoter que bon nombre des interventions ont spontanément évoquédes points importants permettant d’aborder les choses de cettefaçon.

Existe-t-il un environnement favorable au développement desthink tanks ?De prime abord, l'émergence des think tanks aux Etats-unis sembleavoir été facilitée et légitimée par l’existence d’une démocratiefédérale. Ces organisations s’y seraient naturellement constituéespour garantir la liberté des citoyens à disposer d’eux-même, face àune institution fédérale hors de portée des influences directes de lapopulation. Le think tank y endosserait donc la difficile mission deproduire suffisamment d'expertises et de contre-expertises pourassurer un équilibre dynamique, une régulation permettant d’établirune sorte de semi-autonomie entre les États et l’institution fédérale.

On peut noter également que l'Etat américain est globalementdemandeur d'études et de rapports réguliers qui lui permettent decerner rapidement les préoccupations dans l’air du temps, et qu’ilexiste une forte concurrence ou un fort maillage de ce typed’institutions dans le pays. La population est également soucieusedu leadership qu’exerce son pays sur les problématiquesscientifiques et technologiques offre aussi un soutien de principe auxorganisations qui y participent. Il existe donc à la base, une attente,une préoccupation leur permettant de s’exprimer.Ajoutons à cela un statut fiscal qui facilite grandement le lancementet le financement de ces structures ad hoc, et nous avons là unepremière ébauche intéressante d’environnement à étudier.En France, l'Etat ne sollicite pas ou très peu les groupes de réflexionindépendants, et mise à part la classique et protéiforme associationloi 1901, il n’y a pas de statut qui permettrait de les favoriser plusparticulièrement. La forte régulation de contrôle exercée par nosinstitutions étatiques, le poids de la norme, freinent les initiativesoriginales. Cette régulation considère souvent sans le savoir les

processus d’une innovation ordinaire1 comme ceux d’une véritabledéviance qu’elle corrige donc en conséquence. A cettecaractéristique s'ajoute celle d'un paysage scientifique composéd’imposantes institutions et universités qui occupent déjà une nicheécologique dans laquelle la greffe du modèle anglo-saxon auraitpeut-être pu trouver une place. Il faudrait également questionner l’historien et avec lui spéculer surce qu’aurait pu être la place des think tanks dans le système françaissi la révolution de 1789 avait adopté le système fédéraliste girondindéfendu par Brissot et ses congénères (inspiré des modèles suisseet américain), au lieu de choisir une centralisation plus jacobine etmontagnarde…En adoptant l’hypothèse d’un lien de cause à effet entre l’existenced’un environnement politique teinté de démocratie et de fédéralismeet la présence de think tanks forts, on peut être tenté de regarder cequ’il se fait plus proche de nous en Allemagne. On y trouveeffectivement un modèle fédéral, mais le fort paysage scientifiqueclassique cantonne les think tanks d’outre-Rhin à un champ d’actionréduit. En Angleterre, pays des premiers think tanks connus, ilsemblerait que nos organisations se soient emparéesprogressivement d’un rôle de vulgarisation, d’information, assurantessentiellement une médiation entre la communauté scientifique, lemonde des affaires et les pouvoirs publics, mais il est difficile àpremière vue d’y retrouver du fédéralisme (si ce n’est peut-êtreindirectement au travers des notions de royaume uni ou

éventuellement de commonwealth). En ce qui concerne l’Europe, les intervenants ont évoqué un“potentiel inaccompli”, d’après eux à un éparpillement des acteurs,un manque d’intérêt commun. Fut arguée également la questiond’indépendance des think tanks au travers de leurs modalités definancement, leur utilisation à des fins de lobbying, et la question desthink tanks militants “pro” et “anti” européens.Cette hypothèse du fédéralisme nous semble intéressante maistoutefois insuffisante. Elle pourrait être complétée par une approchetouchant à la notion de complexité des problématiques devant êtretraitées par un gouvernement, qui pourrait être en partie uneconséquence du fédéralisme. Un think tank naîtrait donc plusfacilement là où il y aurait complexité assumée et suffisante dans lespolitiques publiques, une volonté ou une contrainte empêchant desimplifier les problématiques abordées, et là où il y aurait une certaineattente de la population vis-à-vis de problèmes sans solutionsconnues.Il semble donc vain et non pertinent de vouloir transposer tel quel le

De prime abord, l'émergence des think tanks aux Etats-unissemble avoir été facilitée et légitimée par l’existence d’une

démocratie fédérale.

THINK n° - Février 2008 p. 29Regard par Maud Clément, Selim Allili et Marc Riedel 6

1 Voir ALTER N. (2001) L’innovation ordinaire, PUF, Quadrige, Paris.

Regard Le XIe Carrefour AVRIST

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schéma des think tanks américains, même si des enseignementspeuvent être tirés de leurs expériences. Dans cette optique, les intervenants du carrefour se sont doncintéressés plus en avant à la manière avec laquelle le think tank créeles conditions de diffusion et de succès d’une de ses idées.

Peut-on optimiser les conditions de passage d’une idée dans ledébat public ?“KISS : Keep It Stupid and Simple”… Si l’on ne doit retenir ici qu’uneseule chose, c’est cet acronyme anglo-saxon. Pour les think tankersexpérimentés présents lors du carrefour, le message doit être simple,clair, lisible, et non contradictoire. Les propositions doivent correspondre de manière pertinente auxproblématiques de terrain ainsi qu’aux possibilités de financement del’idée par les pouvoirs publics. La personnalité de l'expert et sanotoriété peuvent également jouer un rôle important dansl'acceptation de l'idée. Elle le sera d'autant plus si elle est appuyéepar un accord de la communauté scientifique sur la question. En trame de cette observation, on voit clairement que la seule qualitéde la production qu'un think tank propose ne suffit pas à sonacceptation et à sa réalisation. Une bonne capacité de diffusion et de

communication, voire d'influence, est indispensable. Tout commeune thèse devant un jury, les idées ont besoin d’être soutenues. Il fautdonc savoir se faire avocat, porte-voix, et parfois utiliser plusieursintermédiaires pour arriver à ses fins, quitte à ce que le message s'entrouve altéré. Les think tanks utilisent pour cela des moyens decommunication directs (rapports, lobbying, conseil, témoignages,débats) et indirects (passage des idées dans la société civile, chez lesleaders d'opinion, et stakeholders).Entre la stratégie d’influence, la pédagogie et le marketing, les thinktanks ont donc développé une compétence avérée desynchronisation avec les préoccupations de leurs cibles, un savoir-faire dans la détection du “Kaïros”, le moment opportun où décocherleur flèche. Si cette compétence semble être nécessaire pour rendre une idéeeffective, elle l'est aussi pour intégrer la population aux débatsscientifiques du XXIe siècle. Les experts ont en effet à faire face à denouveaux interlocuteurs issus de la société civile, avec qui ils doiventadapter leur discours, apprendre à communiquer et à débattre.

La défiance des citoyens vis-à-vis des experts et desscientifiquesLes différences de représentation, le vocabulaire, les intérêts parfoisdivergents, contribuent, là encore, à rendre la passerelle entre cesacteurs difficile à franchir. Selon les intervenants, un fossé semble

même s'être creusé et l'on voit se renforcer, depuis quelques années,une crise d'acceptabilité de la science et de son application. La génétique, les nanotechnologies et l'énergie seraient des secteursparticulièrement touchés par ce phénomène. La science et sesdécouvertes touchent en effet des enjeux sociétaux majeurssusceptibles d'entraîner des transformations sociales importantes,qu’il s’agisse de solutions et d'opportunités ou de risques et dedangers. La société civile, de plus en plus informée, refuse d'êtremise à l'écart et exige à juste titre de prendre part au débat, ce quin’est pas là encore sans créer une certaine difficulté aux politiquescomme aux scientifiques.Mais comment permettre à des profanes de s'approprier desproblématiques complexes ? La réussite du dialogue entre experts etcitoyens repose sans doute sur ce questionnement. Il n’est pluspossible aujourd’hui de penser à la place de l’autre ni de décider pourlui… Il n’est toutefois pas possible non plus de prendre des décisionssans maîtriser un minimum un sujet. La marche vers une expertisecitoyenne est lancée, avec ses contradictions et la nécessaire remiseen cause des tenants de l’expertise scientifique que cela implique. Si les grands organismes de recherche monopolistiques sont jugéscompétents par les citoyens dans les domaines qui sont les leurs, ils

souffrent malgré tout auprès d’eux d'un manque certain decrédibilité. Cette qualité est par ailleurs plus volontiers associée auxassociations de consommateurs ainsi qu’aux ONG… Pour accroîtrecette crédibilité, le monde scientifique doit-il prouver aux citoyensqu’il sait prendre des risques, qu’il sait se mettre en danger, qu’il saitégalement accepter des opinions contradictoires et, au travers unecapacité à se mettre à la portée de tout le monde, qu’il sait égalementse faire humble ?Peut-on, grâce à cela, créer des conditions de réalisation d’undialogue entre experts et citoyens dans le cadre d’une démarche,d’un processus à long terme ? Peut-on développer unfonctionnement “anthropotrophe”2 ou symbiotique basé sur lacomplémentarité et le respect des rôles de chacun ? Peut-onprocurer des conditions favorables à l’organisation d’une rencontreentre une intention de recherche et une résolution de problèmesconcrets ?

Dialogue ou dialectique ?La troisième demi journée du carrefour s’est spontanément portéesur la problématique de l’échange et du débat public pour tenter derépondre à ces questions. L’inconvénient du débat entre experts et citoyens est qu’il verse biensouvent dans la dialectique (qui selon Schopenhauer correspond à“l’art d’avoir toujours raison”) au détriment du dialogue au sens

“KISS : Keep It Stupid and Simple”

2 Nous empruntons ici le terme au biologiste Jean Didier Vincent

Regard Le XIe Carrefour AVRIST

Page 31: Horizons PortraitBernard Zimmern EBenoît Hamon et Jean-Louis Le Moigne Editorial Le 27 mai 1968, au ministère du Travail, rue de Grenelle, après deux jours de négociations, le

THINK n° - Février 2008 p. 31Regard par Maud Clément, Selim Allili et Marc Riedel 6

étymologique du terme. Le philosophe allemand affirme que cettedernière n’existerait pas si les hommes étaient honnêtes, s’ilsn’étaient pas vaniteux, s’ils ne s’obstinaient pas dans l’erreur et s’ilsne parlaient pas avant de réfléchir. L’auteur continue en affirmant quebien souvent, lorsque ses arguments en faveur d'une thèse sontréfutés, l’individu connaissant bien son sujet est toujours capable detrouver un argument lui donnant raison dans le cadre de ladiscussion. Si l’on cumule ces observations, la dialectique conduiraità une attitude consistant bien souvent à déprécier les thèses del'adversaire et à les assaillir sans examen préalable... Difficile dansces conditions de profiter d’un flux de partage de connaissances.C’est une fois cet écueil écarté pour chacune des parties prenantesque le débat constituerait une condition de réalisation d’un projetscientifique commun, une rencontre entre une intention de rechercheet des problématiques concrètes. Une partie des participantsconsidérait que les scientifiques pourraient prendre en compte lesintérêts des citoyens dans les problématiques de leurs recherches etles y intéresser directement autour de problématiques partagées,comme le suggère la démarche de recherche-action en sciences

sociales.Mais comment créer une préoccupation commune ? Commentrepérer les zones de chevauchement des problématiques ? C’est peut-être en parlant de manière rationnelle de la remise en causede la tranquillité des populations, de leur santé, des risques et desdangers que les scientifiques arriveraient encore à intéresser leshommes politiques et les citoyens… Ceci viendrait appuyer les idéesde Michel Foucault qui disait en son temps dans la volonté de savoir :“L’homme pendant des millénaires est resté ce qu’il était pourAristote : un animal vivant et, de plus, capable d’une existencepolitique ; l’homme moderne est un animal dans la politique duquelsa vie d’être vivant est en question”. Celui qui saurait utiliser ce“biopouvoir” serait sans doute capable d’asseoir pour un temps lesdifférentes parties prenantes des politiques publiques à la mêmetable, mais cela est-il durable ou soutenable ? Comme unintervenant a pu le faire remarquer, en ne nous intéressant qu’aurisque, nous perdrions du même coup la notion de rêve, notion unpeu plus poétique mais tout aussi indispensable lorsqu’il s’agit de seprojeter dans l’avenir.

Ne surtout pas conclure…Tout auteur qui veut s’apporter une quelconque légitimité décoresouvent les lignes de son œuvre d’une galerie de bustes grecs. Nouscitons Platon et Socrate en introduction, nous terminerons ici par

Hippocrate. Mais si nous utilisons aujourd’hui ces auteurs, ce n’estpas pour réaliser un effet de manche ou faire parler les morts à notreplace... Non. Il s’agit au contraire pour nous de montrer à la lueur desdébats actuels que depuis plus de deux millénaires d’histoire, leprincipe animant la relation entre experts et citoyens resteglobalement le même, et que ce principe, au travers de nouvellesmanifestations, s’exprime d’une manière tout autre pourtant.Ceci nous permet tout d’abord de nous rassurer et peut-être detempérer les discours alarmistes sur la question, car l’humanitésemble avoir survécu sans trop d’encombres avec ce problèmependant un certain temps. Par ailleurs cela est tout aussi stimulant,car le problème lui-même ne semble toujours pas être résolu…On peut également se poser la question suivante : dans le cadred’une mission de résolution de problèmes sans solutions connues, lebut de la communauté scientifique n’est-il pas d’œuvrer à ladisparition de ce problème, et donc des causes justifiant sa propreexistence ? Le paradoxe nous semble être séduisant et pourrait fairel’objet d’une réflexion plus approfondie… Le Carrefour 2007 nous interroge donc en termes de stratégie sur les

modalités de maîtrise de l’écosystème et de la dialectique des thinktanks, sur la nécessaire capacité d’évaluation de leur activité. A cetitre, faut-il considérer le phénomène think tank comme un risque ouune opportunité pour la démocratie ? Existe-t-il dans ce cadre desrisques de création d’addiction à l’expertise ou d’hégémonie del’opinion publique ?L’émergence des think tanks, des groupes de réflexion etd’influences, en tant qu’acteurs collectifs de la régulation sociale,permet de faire renaître une vraie curiosité autour des questionséthiques que pose la relation citoyens-experts. La réflexion portée par l’AVRIST a donc de beaux jours devant elle etnous ouvre, à la lumière de l’étude des think tanks, le champ d’unerecherche ambitieuse.

Afin de ne pas s’arrêter en si bon chemin et de ne pas conclure,permettez-nous de relancer ici le débat et la réflexion en plantant unepetite graine intellectuelle. Elle prendra comme convenuprécédemment la forme des mots du médecin de Cos :

“Avant toute chose, ne pas nuire”.En espérant que cette graine puisse germer, se développer, donnerdes fruits et participer activement à l’équilibre dynamique del’écosystème que nous étudions…

Il faut cultiver son jardin, c’est bien connu !

L’émergence des think tanks, des groupes de réflexion etd’influences, en tant qu’acteurs collectifs de la régulation

sociale, permet de faire renaître une vraie curiosité autourdes questions éthiques que pose la relation citoyens-experts.

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Page 32: Horizons PortraitBernard Zimmern EBenoît Hamon et Jean-Louis Le Moigne Editorial Le 27 mai 1968, au ministère du Travail, rue de Grenelle, après deux jours de négociations, le

THINK n° / Janvier 2008Édité par L’Observatoire français des think tankswww.oftt.eu / [email protected] gratuit sur le site internet de l’OFTT

Directeur des publications : Amaury BessardConseiller éditorial : Robert ChaouadRédactrice en chef : Emilie JohannRédacteur en chef adjoint (dossier Horizons) : Romain CanlerDirecteur artistique : Julien MénetratSecrétariat de rédaction : Robert Chaouad, Agnès Iborra.Comité de rédaction : Sélim Allili, Romaric Bullier, Amaury Bessard, Romain Canler, Robert Chaouad, Maud Clément,Agnès Iborra, Emilie Johann, Marc Riedel.

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