intention de communication - entrepreneuriat
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INTENTION DE COMMUNICATION
10ème Congrès de l’Académie de l’Entrepreneuriat et de l’Innovation Entrepreneuriat, croissance et compétitivité :
expériences comparées Dakar – 15, 16 & 17 NOVEMBRE 2017
Dynamiques entrepreneuriales et microfinancement au Gabon
PETER Simon, CREG, Université de Pau et des Pays de l’Adour
LARSIG, Institut Supérieur de Technologie de Libreville
Emmanuel CARGNELLO-CHARLES
CREG, Université de Pau et des Pays de l’Adour
Résumé :
L’objectif de cette recherche est d’enrichir la compréhension des logiques managériales des
Très Petites Entreprises (TPE) en évoquant l’accompagnement institutionnel des unités de
production à faible densité capitalistique à travers le microfinancement.
Les théories de la contingence et des conventions sont mobilisées afin de modéliser le
processus d’accompagnement des TPE. A partir d’une recherche exploratoire, adossée à une
cinquantaine de TPE, nous tentons d’éprouver la proposition de recherche. Les résultats
montrent comment le propriétaire-dirigeant effectue les choix managériaux nécessaires à son
fonctionnement.
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INTRODUCTION
Les Très Petites Entreprises (TPE) sont de plus en plus demandeuses de ressources financières
pour assurer leur viabilité et garantir leur pérennité. Conscients de cette réalité économique,
les pouvoirs publics et les partenaires financiers prennent conscience de la nécessité de créer
un cadre institutionnel et offrir des ressources aux TPE.
Au Gabon, devant la frilosité des établissements bancaires classiques, ce sont les
établissements de microfinance (EMF) qui se proposent d’allouer officiellement des
ressources aux unités à faible densité capitalistique. En effet, les EMF offrent une opportunité
réelle de financement des TPE. A ce titre, ils peuvent renforcer la surface financière des TPE.
Mais cette capacité d’accompagnement financier des TPE est contingente car elle est soumise
aux caractéristiques organisationnelles et aux comportements managériaux adoptés par les
propriétaires-dirigeants des TPE.
Aussi, pouvons-nous voir au Gabon que malgré la présence d’Etablissements de
Microfinance, la Très Petite Entreprise (TPE) capte difficilement les ressources potentielles et
est obligée de faire preuve d’adaptabilité permanente. Emergent alors les constats suivants :
- constat 1 : la TPE a du mal à se plier aux exigences de formalisation de ses pratiques
managériales ;
- constat 2 : la TPE n’offre pas une lecture claire de son activité susceptible de susciter son
microfinancement.
De ces deux constats, deux principales questions surgissent :
- Les dispositifs institutionnels sont-ils adaptés au mode organisationnel des TPE ?
- Les pratiques managériales développées par les TPE constituent-elles un frein au
microfinancement et partant, de sa pérennité ?
Les questions et les constats qui précèdent posent en filigrane le problème du particularisme
des dynamiques managériales de la TPE, confronté aux exigences des EMF. A travers les
résultats de la recherche proposée, nous tentons d’apporter une réponse à ces questions.
En considérant le marché gabonais de la microfinance comme un lieu où cohabitent des
parties contractantes à intérêts divergents, nous mettons le doigt sur les éléments qui régissent
son fonctionnement et impactent la capacité des TPE à mobiliser les ressources disponibles.
Les TPE souhaitent, semble-t-il, bénéficier d’un accompagnement microfinancier sans
s’arrimer (totalement) aux exigences des bailleurs de fonds que sont les Etablissements de
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microfinance (EMF). Nous sommes là en face d’une dichotomie qu’il faut tenter de
comprendre. Cette communication détaille les dynamiques managériales des TPE face à
l’hostilité de son environnement. Elle est organisée en trois sections.
La première met en évidence les particularismes ce type d’organisations ainsi que les
caractéristiques et facteurs explicatifs observés.
La deuxième section présente l’élaboration du modèle d’accompagnement par le
microfinancement fondé sur la conformité réglementaire et le Système d’information
comptable. Ce modèle, grâce à une analyse qualitative des données, met en lumière les
évènements qui permettent à la TPE de bénéficier d’un microfinancement.
La dernière section constitue les discussions consécutives aux résultats obtenus.
1. D’UNE RATIONALITE CONTINGENTE A LA CONSTRUCTION D’UN
PARTICULARISME DES TPE FACE AU MICROFINANCEMENT :
PERSPECTIVES THEORIQUES
La très petite entreprise gabonaise présente des similitudes avec les autres entités de même
type observées dans les pays subsahariens : petite taille, faible densité capitalistique
(Cargnello-Charles et Peter, 2012). Plusieurs auteurs (Desreumaux, 1992 ; Blau et
Schoenherr, 1971 ; Child et Mansfield, 1972); insistent sur le fait que les caractéristiques
organisationnelles des entreprises sont significativement différentes selon la taille. Ces
caractéristiques, compte tenu de leurs ressemblances organisationnelles et structurelles,
pourraient s’expliquer par la théorie néo-institutionnelle. Mais, les pratiques qui façonnent
l’organisation particulière de la microentreprise, à la limite de l’informelle, peuvent
s’interpréter comme des choix en contradiction avec l’approche néo-institutionnaliste parce
que elles sont motivées par des contraintes non institutionnelles. Selon Desreumaux (1997) la
structuration de la TPE est déterminée par des contraintes contextuelles qui agissent sur sa
structure et amènent les dirigeants à s’adapter.
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1.1 Une lecture contingente de la structuration et pratiques managériales des
TPE
En principe, la perspective institutionnelle, dans un contexte critique, est considérée comme
un régulateur de comportements associés, selon (Nelson et al., 1982), à un ensemble de
règles, de normes et de lois qui sont respectées par la contrainte. La dimension institutionnelle
devrait jouer un rôle de « structuration institutionnelle » de la TPE et, la raison voudrait que,
face à une difficulté systémique, les institutions inhibent l’incertitude.
Finalement les institutions, au lieu d’apparaître comme pourvoyeuses de ressources que les
acteurs vont utiliser dans le développement de leurs activités, deviennent – à cause des
dispositifs contingents – des modalités incompatibles aux objectifs des organisations. Dans
ces circonstances, les organisations subsahariennes sont souvent contraintes à contourner des
dispositifs jugés inadéquats grâce à des pratiques particulières. Elles témoignent ainsi d’une
spécificité de systèmes de gestion (Marchesnay, 1982 ; Burlaud, Helfer et Marchesnay, 1991),
des effets de proximité comme levier stratégique (Gervais, 1978 ; Burlaud, Helfer et
Marchesnay, 1991 ; D’Ambroise, 1993 ; Julien et Marchesnay, 1988 ; Torrès, 2003) et surtout
de captation de ressources humaines géo-locales (Cargnello-Charles et Peter, 2012).
La Théorie néo-institutionnelle qui consacre le rôle des Institutions, comme facteur exclusif
de la logique organisationnelle, ne rend pas compte du contournement des normes et
n’auscultent pas les contingences qui modifient les pratiques managériales des TPE. Elle est
donc incomplète pour appréhender la TPE dans le Sud. C’est pourquoi l’analyse de sa logique
de survie et son ancrage territorial nécessite le dépassement de la TNI par la Théorie de la
contingence.
L’approche contingente marque les limites de l’hypothèse institutionnelle selon laquelle les
pratiques organisationnelle et managériales obéiraient à des normes universelles, valables
pour toutes les organisations appartenant à un même secteur ou une même catégorie.
Dans notre observation du terrain, les TPE évoluent pour s’ajuster et répondre à des difficultés
contextuelles. Les propriétaires-dirigeants, animés par une volonté de survie et de pérennité
sont proactifs. Ils partagent deux caractéristiques : l’encastrement territorial et la confusion à
leur entreprise.
Au vu de ce qui précède, l’importance du niveau de résilience atteint par plusieurs TPE
justifie le fait qu’on s’y intéresse de près.
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Par rapport aux travaux qui étudient, soit les impacts sociaux de la microfinance, soit les
impacts culturalistes sur le fonctionnement des TPE, nous proposons une analyse croisée des
caractéristiques de l’offre des EMF afin de mieux saisir les dynamiques à l’œuvre. Ce faisant,
nous cherchons à démontrer, combien la trajectoire d’une TPE peut être atypique, confrontées
aux exigences des EMF. Il est observé aujourd’hui que grâce à l’orientation territoriale et
l’ancrage géo-local (Cargnello-Charles et Peter, 2012), les TPE réussissent à développer leur
propre légitimité et soutien proxémique.
Dans ce contexte, notre préoccupation est de comprendre les ressorts qui favorisent
l’adaptation de l’organisation en partant de la proposition suivante : La TPE sait développer
des procédures formelles et informelles capables de détecter et anticiper les difficultés
potentielles de son environnement.
Les travaux rassemblés sous la dénomination de Théorie de la contingence apportent des
explications aussi bien aux pratiques de gestion, à travers les formes que prennent les
composantes de l’Organisation, qu’aux voies qu’empruntent les modes coopératifs des firmes
dans un marché institutionnalisé. A la suite des travaux précurseurs de Burns et Stalker (1961)
et Woodward (1965), de nombreux chercheurs (Lawrence et Lorsch, 1967) se sont penchés
sur les effets induits de l’environnement sur le fonctionnement des firmes. Ces travaux ont
cherché à confirmer la théorie dite de la contingence selon laquelle les firmes les plus
performantes sont celles dont l’organisation interne est la mieux adaptée aux contraintes de
leur environnement. Cette théorie est qualifiée de théorie objective.
Des théoriciens de la contingence (Katz et Khan, 1966), en insistant sur les effets de
l’environnement sur le propriétaire-dirigeant (Fabi, Garrand et Pettersen, 1993) ont confirmé
que l’organisation serait comme un organisme tenu de s’adapter pour survivre car le
propriétaire-dirigeant pourrait s’octroyer des degrés de liberté (Aubert, Gruere, Jabes, Laroche
et Enlart, 2010).
D’ailleurs, Beckert (1999) considère que le propriétaire-dirigeant est capable de se
« désencastrer » de son environnement institutionnel. Il indique que dans cette situation de
désencastrement, l’agent « prend du recul », les pressions institutionnelles diminuent et
l’agent regagne en capacité de choix stratégiques. Di Maggio (1988) affirme donc la nécessité
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de rendre compte des stratégies mises en œuvre par les agents pour agir vis-à-vis de leur
environnement à travers leurs pratiques.
1.2 Une approche conceptuelle des pratiques managériales
On peut définir les pratiques managériales comme la manière de faire d’une personne, sa
façon concrète d’exécuter une activité. Selon les approches, il existe plusieurs façons
d’appréhender la pratique (Blanchard-Laville et Fablet, 1998). Comme divers écrits le
montrent, ce mot est utilisé soit au singulier, “la pratique” ; soit au pluriel, “les pratiques”.
D’un côté, il y a les procédures, les codes, les fonctions, les comportements et, de l’autre, il y
a les règles, les objectifs, les stratégies. Le fait de retenir cette terminologie démontre que
« les pratiques » englobent différentes dimensions.
Dans les firmes, les pratiques managériales sont associées aux questions relatives à la
conformité réglementaire, à la valeur des ressources humaines, à la gestion des risques
opérationnels, au système d’information comptable. C’est l’expression et l’articulation de ces
différentes dimensions que notre travail de recherche s’efforce de mettre en évidence à partir
de l’observation de pratiques concrètes nées de différentes pressions contextuelles ou
institutionnelles et ainsi, expliquer les logiques de pratiques des TPE, comme synthétisé à
travers le schéma suivant :
Cadre conceptuel pour une étude empirique des pratiques managériales
Le fonctionnement de la TPE fait apparaître le management comme un processus d’ordre
contextuel. Ce type d’organisation s’appuie sur la réactivité et la pro-activité pour assurer sa
pérennité. Face à un environnement incertain et hostile, la TPE doit se créer un niveau de
Facteurs :
Internes ou
externes
Exigences
institutionnelles
Comportements
des TPE
Pratiques
adoptées
(ACTIONS)
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coordination interne de ses tâches acceptable, capable d’atténuer l’incertitude et partant,
répondre aux exigences de sa survie.
Il apparaît que plusieurs facteurs influencent les pratiques managériales et qu’il est nécessaire
de retenir ceux appropriés aux problématiques contextuelles des firmes. Parmi les facteurs
identifiés, la réglementation joue un rôle important dans le développement des pratiques. En
effet, les pratiques managériales considérées comme leviers de l’action marchande,
commerciale ou de production prennent des formes diverses au niveau de ses dimensions
organisationnelles, (conformité réglementaire, système d’information comptable, gestion des
ressources humaines, gestion des risques opérationnels), sous l’action de la réglementation.
L’observation des différentes dimensions permet d’expliquer les choix des organisations
induits par la réglementation.
Ces différentes dimensions des pratiques managériales permettent de mettre en lumière des
décalages organisationnels au niveau des TPE. L’observation du terrain indique une tendance
permettant de comprendre l’articulation fonctionnelle du processus managérial en situation
d’incertitude. Elle montre comment ce processus réactif aboutit à un contournement de la
règle par la TPE et un refus d’engagement de l’EMF.
En contexte gabonais, le contournement contient deux sens. Il peut être assimilé à une
limitation de l’adoption de la réglementation par la TPE. L’absence totale de conformité étant
préjudiciable, des pratiques face à la réglementation sont apparues tel que le simple
acquittement de la taxe municipale qui suffit largement à assurer une légitimité selon la
perception du propriétaire-dirigeant.
Il peut également être assimilé à une obligation de différenciation. L’objectif ici est de
sélectionner la règle à observer et de se la réapproprier sur la base d’une situation de
l’entreprise beaucoup plus favorable. En d’autres termes, la TPE sélectionne les règles à
appliquer qui lui conviennent et inscrit l’adoption des autres dans un avenir éloigné.
Tenue par une volonté d’exister, la TPE – par ses actions – nous permet d’appréhender
autrement ses pratiques et d’envisager un approfondissement de la question.
Il s’agit pour nous d’analyser la pratique managériale dont le contournement réglementaire
devient un outil managérial afin d’expliquer les logiques d’action observées, et qui handicape
le microfinancement des TPE.
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2. PROPOSITION D’UN MODELE DE CARACTERISATION DU
MICROFINANCEMENT CENTRE SUR LES PRATIQUES MANAGERIALES
DES TPE
Cette section présente les éléments qui permettent de fixer le modèle de description et
d’explication du niveau de microfinancement des TPE. Mais, avec l’absence d’éléments
produits par la TPE en matière de gestion des risques, de gestion de ressources humaine, notre
travail de recherche va porter su l’étude des dimensions telles que le Système d’Information
Comptable et la Conformité Réglementaire.
Notre recherche, émanant d’un terrain original, s’emploie à comprendre la façon dont les TPE
se comportent face aux exigences observées du microfinancement, et du lien que joue la
proxémie dans leur dynamique managériale. Aussi, notre investigation s’est organisée autour
d’études de cas, à partir d’un échantillon de 50 micro-entreprises.
Cette section vise à présenter le contexte (2.1) de notre étude ainsi que les aspects
méthodologiques de recueil et d’analyse des données (2.2).
2.1 Protocole d’investigation : contexte et spécificités de la TPE
Au Gabon, la TPE se confond généralement avec le propriétaire. De type monocratique,
l’actionnaire-gérant est le seul à prendre les décisions. Usant de tactique plutôt que de
stratégie pour répondre aux sollicitations du marché, la TPE privilégie sa typologie qui lui
assure une souplesse propice à l’action de proximité et n’envisage nullement une stratégie de
développement.
Au Gabon, on note sa présence dans des activités de services, de la très petite distribution et
production artisanale de biens agroalimentaires.
L’observation de cette forme de firme locale permet, en première approximation, de la
catégoriser en deux groupes :
• la très petite entreprise industrielle artisanale : elle se positionne dans des activités
essentiellement soutenues par la demande des ménages de proximité. Il s’agit de la
production de lait caillé, de poulet, de poisson et de viande fumés ainsi que de manioc
ouvré ;
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• la très petite entreprise de services : elle évolue dans la petite restauration de proximité
et la très petite distribution (échoppes).
La très petite entreprise (TPE) se caractérise par l’exercice d’un métier. Ferrier (2002) relève
que pour la TPE, la spécialisation est un avantage car elle maîtrise son activité et peut lui
consacrer toute son énergie, ce qui lui permet d’actualiser les performances de son produit. La
flexibilité dont jouit la TPE, du fait de la coordination directe des décisions, lui confère un
atout majeur dans des situations où un trop grand formalisme est source d’inertie. Mintzberg
(1992) explique que la simplicité structurelle des entreprises jeunes ou de petites dimensions
est un gage de flexibilité. Par ailleurs, il existe la dimension proxémique qui permet à la TPE
de saisir toutes les opportunités géo-locales ou territoriales.
Toutefois, cet avantage ne signifie pas toutes les difficultés qui se dressent devant la TPE. En
effet, la justesse de ces formes de coopération ne constitue pas pour autant un gage de
légitimation de la TPE face aux pourvoyeurs classiques de financement à l’entrepreneuriat.
Pour exister, la TPE dépend de son contexte environnemental qui contraint et forme sa
structure.
Quantitativement, les TPE sont des unités de très petite taille que l’on tente d’apprécier, à la
suite de Ferrier (2002), à partir d’un certain nombre d’indications :
- faible densité capitalistique : au démarrage, les fonds propres sont souvent largement
inférieurs à un million de francs CFA (1500 euros) ;
- insuffisance des ressources humaines : le nombre de salariés compris entre 1 et 10, est
constitué pour l'essentiel d’apprentis et d’une main d’œuvre familiale Hernandez,
1997) ;
- faible dimension : la modicité des outils et équipements de production est la
caractéristique de l’investissement initial. Constitué généralement d’un petit
équipement et d’un outillage simple, ce dernier peut devenir légèrement plus
important quand on passe d’opérations de services, de commerces, à la production
manufacturière.
Le chiffre d’affaires comme le résultat sont également relativement bas. Ils sont pour la
plupart du temps évalués quotidiennement et souvent, mensuellement. Le chiffre d’affaires en
l’occurrence, dépasse rarement un million de francs CFA (1500 euros) pour la période définie.
Il peut être aussi évalué trimestriellement, semestriellement et annuellement pour le secteur de
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la production et du commerce. Il peut donc arriver à s’établir à une dizaine de millions de
francs CFA (15.000 euros) pour l’année.
Les TPE du point de vue de ce critère confirment bien leur nature, celle d’unités d’une taille
très réduite. Cette petite taille semble être à la fois un atout et un handicap. L’avantage se
situe au niveau de la grande et facile mobilité des installations. Par contre, l’inconvénient est
que l’activité au premier abord semble inintéressante si l’on doit l’évaluer individuellement
sur le plan économique. Ceci peut expliquer le faible intérêt affiché jusqu’à présent, par
l’environnement institutionnel. Cette faible attractivité de la TPE liée à sa petitesse peut donc
se comprendre même si elle ne se justifie pas. Il importe donc à ce stade de l’analyse
d’évaluer également les aspects qualitatifs qui la fondent.
Qualitativement, la TPE se reconnaît par quelques caractéristiques principales :
- la forte implication d’un individu ou d’une famille qui exerce un pouvoir
discrétionnaire dans l’ensemble des décisions de production, de financement, de
localisation. La direction assume les aspects stratégiques, commerciaux et les
rapports avec les institutions aussi bien que des tâches opérationnelles de
production ;
- sa petite taille favorise des contacts directs, une distance hiérarchique moindre,
des relations de travail plutôt informelles. La TPE s'oppose en cela aux grandes
entreprises plus anonymes, fortement hiérarchisées et formalistes ;
- une stratégie intuitive et peu formalisée qui ressemble beaucoup plus à une
tactique : le dirigeant est suffisamment proche de ses collaborateurs et employés
pour leur expliquer oralement les changements qu'il impose sans formaliser par
écrit sa stratégie ;
- les employés sont généralement capables de changer de poste de travail ou de
fonction. Les équipements permettent la flexibilité de la production en étant
capables de produire à un coût compétitif des petites séries ;
- la « relation client » est caractérisée par une grande proximité avec le client.
Celle-ci se réalise en faveur d’une personnalisation du produit et d’une fidélisation
de la clientèle. La forte adaptation à la demande se réalise par la flexibilité du
système des prix. Les prix ainsi que le niveau d’élaboration du produit ou du
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service suivent ici le niveau du revenu de la clientèle. Cette action leur confère un
avantage économique distinctif malgré leur faiblesse technologique et une qualité
moyenne des produits. Toutefois, d’autres éléments contingents atténuent cet
apparent dynamisme.
Par ailleurs, il faut relever que les petites entreprises éprouvent du mal à financer leurs
besoins de trésorerie même lorsqu’elles ont un cahier de commandes éloquent. Par exemple,
les petites entreprises gabonaises du secteur des BTP qui exécutent des marchés publics avec
souvent l’État, comme client principal, font face à des tensions de trésorerie. Pour cause, le
délai de paiement des factures des organismes publics est une véritable gageure avec des
échéances de l’ordre de deux ans au minimum. Cette situation ne trouve aucune réponse
auprès des banques qui ont du mal à accorder le soutien souhaité par les entrepreneurs. Aussi,
cette absence de couverture des besoins des petites entreprises ne favorisent pas une
exploitation efficace de leur activité.
Ces conditions difficiles sont telles que la constante semble être l’incertitude. Il s’ensuit un
pilotage à vue que vient compliquer la faiblesse des outils d’analyse du risque dans un
environnement où rien ne semble être prévu en faveur d’une activité régulière.
Or, l’entrepreneur qui crée une TPE ou développe une activité existante a besoin de moyens
financiers pour rester compétitif, améliorer les techniques de production et financer sa
croissance. Pour cela, la présence d’un accompagnant permet de « favoriser les facultés
réflexives de l’accompagné » (Giddens, 1987). Selon Martinet (1990), il s’agit donc de
rendre, à plus ou moins long terme, l’individu autonome, c’est-à-dire capable de construire un
projet, de donner une identité propre à son organisation, d’agir sur son environnement.
L'idée, selon laquelle les micro-entreprises ne sont pas organisées, s’estompe. Il est de moins
en moins vrai que l'organisation de l'activité est totalement absente de la micro-entreprise. La
TPE sait construire autour d’une toute petite activité, des chaînes complètes de production
flexibles et individualisées. Avec l’objectif de pallier l’insuffisance du capital individuel
physique, financier, la TPE s’emploie à amplifier les effets de proximité, malgré la petitesse
des unités de production considérées isolément. En situant le capital humain au cœur des
préoccupations, la TPE révèle un esprit de créativité et de réactivité qui permet de contourner
l’ensemble des contraintes bien qu’elle ne les desserre pas totalement.
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Ferrier (2002) observe que c’est à leur capacité de concilier les valeurs sociales et culturelles
de l’Afrique avec l’efficacité économique que les TPE doivent leur développement et leur
pérennité. La TPE s’insère dans un réseau de relations sociales de la communauté
d’appartenance. Cette insertion est souvent la source de contraintes qui enferme
l’entrepreneur dans un ensemble de règles où la tradition demeure prépondérante.
Nous avons fait le choix de chercher à comprendre et expliquer la réalité micro-
organisationnelle monocratique de proximité à faible concentration capitalistique,
technologique et humaine qui se distingue par sa flexibilité, sa faible institutionnalisation et sa
capacité à repenser sans cesse son fonctionnement systémique, la TPE. Pour y parvenir, nous
empruntons une démarche qualitative comprenant deux phases principales.
Dans un premier temps, le protocole retenu autorise l’utilisation d’un guide d’entretien afin de
recueillir le discours des acteurs et ouvrir la voie au traitement des données recueillies.
Cinquante entretiens semi-directifs, d’une durée moyenne de quarante minutes, ont été
réalisés auprès de propriétaires dirigeants de TPE.
Ensuite, la mobilisation d’outils permettant l’analyse des données a ouvert des voies de
compréhension des pratiques à travers une classification des acteurs, grâce à la démarche
« Qualitative Comparative Analysis » (QCA)..
2.2 Méthodologie de recueil, de traitement et d’analyse des données
L’outil que nous mobilisons est proche de la famille des techniques de classification
hiérarchique. Il s’agit du logiciel Decision Tree Regression1 v4.5 (DTREG v.4.5). Ce logiciel
développe une méthode d’induction qui engendre un arbre de décision basé sur une
hiérarchisation de variables choisies en fonction de leur pouvoir de discrimination par rapport
à une variable décision prédéfinie. Le but poursuivi est la présentation d’une description des
déterminants la plus précise et la plus élaborée (tout en éliminant les variables non
significatives), sous la forme d’un arbre, appelé arbre de décision.
L’arbre résultant du traitement des données met en lumière des variables et leurs modalités
liées à la variable décision. Cet arbre est opérationnellement exhaustif car il prend en compte
1 Logiciel de Phillip H. Sherrod, téléchargeable à http://www.dtreg.com
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toutes les variables qu’il réorganise et simplifie. En effet, grâce à des méthodes de
minimisation, les variables encombrantes sont éliminées.
Dans notre contexte nous voulons établir les conditions qui favorisent le microfinancement
des TPE en identifiant les éléments qui peuvent conduire ou non à son observation. Dans cette
perspective analytique nous avons défini la variable expliquée (dépendante) à étudier par
Engagement, marquant le microfinancement. Cette variable prend deux valeurs (1 ou 0) selon
l’observation ou non du phénomène.
Des cas issus de notre échantillon, nous opérons une sélection des variables indépendantes
(forme juridique, recrutement, sécurité sociale, tenue comptable, crédits contractés, taxe, type
comptabilité, légalité) que nous allons utiliser dans l’élaboration de notre modèle explicatif à
cause de leur pertinence. A l’instar de la variable expliquée, les variables explicatives
(indépendantes) vont subir une dichotomisation pour les préparer au traitement. Cette
« binairisation » consiste à affecter la modalité 0 ou 1 à chaque variable qui correspond à
l’observation/inobservation d’une condition comme l’indique le tableau suivant :
Tableau 19 : Mode de dichotomisation
Après avoir identifié les facteurs affectant l’engagement (Engagement), l’objectif est donc de
déterminer la relation liant ces facteurs à l’engagement (Engagement). Comme nous l’avons
voulu, le codage des données qualitatives (Richards, 2010) ne s’est pas limité au codage des
catégories (Miles et Huberman, 2003) car en codifiant les cas de figure nous allons pouvoir
ainsi identifier les passages (Strauss et Corbin, 1998) qui permettraient de légitimer
l’Engagement (Résultat). Pour ce faire, nous avons, restant conforme à notre approche
inductive, élaboré un test pour évaluer le résultat (Engagement) :
Test = Stat_jur + Recrut + Secu + Tenue_Compta + Credit + Taxe + Typ_Compta + Legalite On considère dans notre approche inductive que si
Test ≥ 4, alors Engagement = 1
Test < 4, alors Engagement = 0
Variable explicative Modalité = 0 Modalité = 1
Stat_jur TPE est entreprise Individuelle = 0 TPE est une SARL ou SURL = 1
Recrut TPE n’opère pas un mode de recrutement Non = 0 TPE opère un mode de recrutement Oui = 1
Secu TPE n’assure pas ses employés Non = 0 TPE assure ses employés Oui = 1
Tenue_Compta TPE ne tient pas une comptabilité Non = 0 TPE tient une comptabilité Oui = 1
Credit Economie personelle + Famille + Tontine = 0 Banque + EMF =1
Taxe TPE ne paie pas de taxe Non = 0 TPE paie taxe Oui = 1
Typ_Compta TPE réalise comptabilité spontanée = 0 Tient une comptabilité Journalière ou Mensuelle =1
Legalite TPE n’est pas inscrite ni reconnue par l’Etat = 0 TPE est inscrite et reconnue par l’Etat = 1
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C'est-à-dire que si une TPE a une configuration composée au moins de quatre variables, alors
elle pourrait être accompagnée (Engagement = 1) par un EMF ; a contrario la TPE ne
pourrait pas être accompagnée si elle enregistre une configuration comportant moins de quatre
variables (Engagement = 0).
Le test utilisé pour notre recherche a permis de mettre en lumière un certain nombre de
variables significatives et d’identifier les combinaisons potentielles.
En cohérence avec notre objectif de bien saisir la réalité de l’engagement de l’EMF au regard
de l’institutionnalisation, nous allons utiliser un arbre de régression pour déterminer les
variables explicatives qui vont prédire la variable expliqué (Engagement). Cette démarche
émergente faiblement mobilisée en sciences de gestion, et empruntant le logiciel DTREG
v.4.5, offre la possibilité dans notre contexte de décomplexifier les causalités de la
coopération.
Sans prétendre être totalement dans l’orthodoxie méthodologique préconisée par Glaser et
Strauss(1967), notre démarche est adossée à la méthode d’analyse des données par approche
« enracinée ». Pour ce faire, nous avons recensé les données obtenues du terrain et qui
apparaissent sous une forme binaire dans ce tableau (hormis le résultat du test).
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Tableau de dichotomisation
Pour le traitement des données de cette partie de notre travail de recherche, nous avons utilisé
le logiciel DTREG v.4.5. Partant du tableau ci-dessus présentant les données dichotomisées
avec les passages de co-occurrence, nous devrions pouvoir prouver, préciser et spécifier les
facteurs qui affecteraient l’engagement de microfinancement.
Inscrit dans une démarche itérative dont l’intuition et la vérification de l’induction procèdent
par rapprochements successifs des éléments d’analyse jusqu’à l’aboutissement d’un résultat
valide et fiable, nous avons emprunté à Paillé (1994) l’essentiel des étapes qui organise
l’approche ancrée : la codification, la catégorisation, la mise en relation et la modélisation.
Ind. Stat_jur Recrut Secu Tenue_
Compta Credit Taxe
Typ_
Compta Legalite Test Engagement
TPE1 0 0 0 0 0 1 0 1 2 0
TPE2 1 0 0 0 0 1 0 1 3 0
TPE3 0 0 0 0 0 1 0 1 2 0
TPE4 0 0 0 0 0 1 0 1 2 0
TPE5 0 0 0 1 1 1 1 1 5 1
TPE6 0 0 0 0 0 1 0 1 2 0
TPE7 0 0 0 0 1 1 0 0 2 0
TPE8 0 1 1 1 1 1 1 1 7 1
TPE9 0 1 0 1 0 1 1 1 5 1
TPE10 0 1 1 1 1 1 1 1 7 1
TPE11 0 1 0 1 0 1 1 1 5 1
TPE12 0 0 0 0 0 1 0 1 2 0
TPE13 0 1 1 1 0 1 1 1 6 1
TPE14 0 1 0 0 1 1 0 1 4 0
TPE15 0 1 0 0 0 1 0 1 3 0
TPE15 0 1 1 1 0 1 1 1 6 1
TPE17 0 1 0 0 0 1 0 0 2 0
TPE18 0 0 0 0 1 1 0 1 3 0
TPE19 0 1 0 1 0 1 1 1 5 1
TPE20 0 1 1 1 1 1 1 1 7 1
TPE21 0 1 1 1 1 1 1 1 7 1
TPE22 0 1 1 1 0 1 1 1 6 1
TPE23 0 1 1 1 0 1 1 1 6 1
TPE24 0 0 0 0 0 1 0 0 1 0
TPE25 0 1 0 1 0 1 1 0 4 0
TPE26 1 1 1 1 0 1 1 1 7 1
TPE27 0 1 1 0 0 1 0 1 4 0
TPE28 0 1 0 1 0 1 1 1 5 1
TPE29 1 0 0 1 0 1 1 1 5 1
TPE30 0 1 0 1 0 1 1 0 4 0
TPE31 0 0 0 1 0 1 1 1 4 1
TPE32 0 0 0 1 0 1 1 1 4 1
TPE33 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0
TPE34 0 0 0 1 0 1 1 1 4 1
TPE35 1 0 0 1 0 1 1 1 5 1
TPE36 0 1 0 1 0 1 1 1 5 1
TPE37 0 0 0 1 0 0 1 1 3 0
TPE38 0 1 1 1 1 1 1 1 7 1
TPE39 0 1 0 1 0 1 1 1 5 1
TPE40 0 1 0 1 0 1 1 1 5 1
TPE41 0 1 0 1 0 1 1 1 5 1
TPE42 0 1 0 1 0 1 1 1 5 1
TPE43 0 0 1 1 0 0 1 1 4 0
TPE44 0 0 0 1 0 1 1 1 4 1
TPE45 0 0 0 1 0 1 1 1 4 1
TPE46 0 0 0 0 0 1 0 1 2 0
TPE47 1 1 0 1 0 1 1 0 5 0
TPE48 1 1 0 1 0 1 1 0 5 0
TPE49 0 0 0 0 0 1 0 0 1 0
TPE50 0 0 0 1 1 1 1 0 4 1
16
En partant des données empiriques (Tableau de dichotomisation), la figure ci-dessous issue du
logiciel DTREG v.4.5 illustre (au travers d’éléments jugés pertinents par les acteurs) la
modélisation, par abstraction des variables périphériques, les conditionnalités de
l’engagement des EMF et partant la coopération EMF/TPE. Le logiciel a opéré une
discrimination des variables qui aboutit au résultat représenté par la figure suivante :
Nous constatons que le modèle illustre bien l’importance induite de nos deux variables
explicatives retenues. Il s’agit des variables la tenue d’une comptabilité (Tenue_Compta
100%) et la légalité de la TPE (Legalite 36%).
Histogramme évaluation importance des variables explicatives
Ces deux conditions sont à réunir par la TPE pour qu’un établissement de microfinance puisse
s’engager dans une coopération à finalité de microfinancement. Le modèle inductif qui en
découle est :
M1 : ENGAGEMENT = TENUE_COMPTA * LEGALITE
17
Cela veut dire qu’un établissement de microfinance accompagnerait sans difficulté une TPE
qui est légalement reconnue et qui tient une comptabilité journalière ou mensuelle. Ce modèle
est vérifié dans notre cas par 34 TPE sur 50 qui présentent une comptabilité journalière ou
mensuelle soit 68 % puis, parmi ces 34, il y en a 29 qui évoluent dans la légalité soit 85%.
Donc, ce modèle concerne 58% des TPE de notre échantillon avec un pouvoir explicatif de
70.45%.
Sur un plan empirique, le résultat obtenu est encourageant. Nous pouvons rappeler sur la base
du modèle M1 que l’engagement de l’EMF est généralement soumis à la production d’une
information comptable et d’une situation légale de la TPE. Les variables Tenue_Compta et
Legalité sont nécessaires à la réalisation de l’Engagement. Ce modèle bien que classique
démontre que ces deux variables ont un effet systématiquement significatif.
Le modèle du processus d’engagement présenté ci-dessus précise que les caractéristiques
financières et statutaires agissent sur la perception qu’ont les EMF de la conformité
réglementaire et du système d’information comptable de la TPE, ce qui affecte en retour
l’engagement coopératif d’où la proposition suivante :
L’engagement de l’EMF en faveur de la TPE est consécutif à la tenue d’une comptabilité et à
la conformité légale.
La généralisation induite (Vanderborght et Yamasaki, 2004) par cette formule de
modélisation est montrée par le lien observé de notre démarche empirique qui indique que la
coopération serait positivement affectée par les conditionnalités que sont la légalité et la tenue
d’une comptabilité, au demeurant sommaire. Toutefois, nous ne devons pas omettre que notre
recherche tente de répondre à la question suivante : « comment les pratiques managériales des
TPE se développent-elles au contact (à l’épreuve) des exigences microfinancières ? ».
3. DISCUSSIONS
Dans notre contexte de recherche, la théorie de la contingence permet de fournir une
explication pertinente aux pratiques managériales des TPE. Les formes des pratiques
observées apparaissent au contact de facteurs internes et externes en décalage avec les
prescriptions environnementales. Leur utilisation assure à la TPE la pérennité observée dans
notre contexte. Ces facteurs de contingence, indépendantes de la volonté d’action de la firme,
influencent les comportements des acteurs et de ce fait, leur coopération.
18
Au niveau de la conformité réglementaire, les résultats obtenus font apparaitre que 80% des
TPE ont une conformité partielle. C'est-à-dire que la TPE privilégie l’adoption de certaines
règles organisationnelles ou opérationnelles. Ce comportement correspond à la stratégie de
survie de la TPE. De manière synthétique, le propriétaire-dirigeant décide de
s’institutionnaliser à des niveaux nécessaires.
En effet, ces entreprises expriment le besoin d’exister et la volonté de développer des activités
génératrices de revenus. Devant l’hostilité de l’environnement dans lequel évolue un
ensemble de sous systèmes en interaction constante, la TPE adapte son organisation en
fonction de son environnement.
Le courant de la contingence stipule que les dirigeants des firmes structurent leur organisation
et pensent leur stratégie en fonction des mutations de l’environnement de leur entreprise, et
que dans ces conditions, l’adaptation de l’entreprise est un impératif de survie pour elle
(Boukar, 2009). Selon Torrès (1998), les comportements stratégiques des dirigeants de petites
entreprises sont davantage réactifs qu’anticipatifs. Dans le cadre ce travail, nous observons
que 80% adoptent des comportements de contournement à caractère réactif, et 20% adoptent
un comportement de refus
Nous faisons une différence entre ces deux comportements en les considérant comme deux
niveaux stratégiques à partir du moment où la TPE développe des manœuvres opérationnelles
en vue d’assurer sa pérennité. La TPE, en découvrant les failles du système institutionnel,
invente des modes de coordination. Le premier correspond à un certain niveau d’abstraction
de certaines exigences institutionnelles entrainant des charges d’exploitation. Le deuxième
niveau met en relief des pratiques mises en œuvre avec la ferme volonté de ne pas adopter les
règles exigées par le dispositif institutionnel.
L’association du comportement des TPE à la viabilité et à la pérennité fait ressortir que toutes
les firmes qui contournent ou refusent les lois de l’environnement sont en activité après
plusieurs années.
Au niveau du système d’information comptable, son adoption est partielle. Nous sommes en
face d’une adaptation qui sied au fonctionnement de la TPE. L’analyse des motivations de
l’adoption d’un système d’information comptable montre que la comptabilité pour les TPE
doit être sommaire. Ces entités avancent le facteur temps comme contraignant. Elles estiment
19
que la complexité comptable alourdit l’action et que par conséquent, sa simplification est
nécessaire.
Ceci étant, les très petites entreprises gabonaises sont très peu familiarisées avec le système
minimal de trésorerie. Son utilisation n’est pas diffusée et les propriétaires-dirigeants ne le
ressentent pas comme une obligation opérationnelle. Pour la TPE, l’étroitesse de son marché,
l’instabilité de sa zone de chalandise ne prêtent pas à l’utilisation d’outils sophistiqués pour
mesurer l’accumulation du capital, la rentabilité/risque, la solvabilité et la capacité
d’endettement. Ceux-ci ne présentent pas d’intérêt pour le propriétaire-dirigeant qui est bien
ancré dans son territoire.
Ajoutée à ce qui précède, cette situation compromet toute coopération des TPE avec les
organismes financiers censés soutenir son développement à travers un financement approprié.
Les TPE observées nous donnent l’occasion de constater que la plupart d’entre elles n’ont pas
accès au financement auprès des organismes qui en ont la compétence. D’abord parce que les
TPE ne produisent pas de documents financiers et ensuite parce que ces structures ont une
conformité partielle ou nulle. Notre étude confirme les résultats de Cull et al. (2007). Ces
auteurs révèlent que dans la plupart des pays en transition, plus de 50% de l’actif total des
TPE étudiées est financé par des capitaux propres, le taux moyen de financement bancaire
n’étant que de 9,7%. En effet, le tableau ci-dessous, représentant les données de notre étude,
vont dans le sens des résultats de ces auteurs :
Mode de financement des TPE
A l’issue de notre enquête auprès des 50 TPE de notre échantillon, 60 à 70% de leur
financement proviennent des fonds personnels et familiaux, 12 % des systèmes de
financement décentralisé et seulement 14 % peuvent accéder au financement bancaire.
Il apparaît clairement que la TPE ne souffre pas de ce rationnement du crédit car elle puise ses
ressources largement grâce à des économies personnelles et des aides familiales.
Mode de financement Effectif TPE Pourcentage Banque 7 14% EMF 4 8% Economie personnelle 29 58% Famille 8 16% Tontine 2 4% Total 50 100%
20
Pour comprendre les comportements des TPE il nous a fallu non seulement étudier les
pratiques développées, mais aussi les contingences environnementales qui modifient les
pratiques managériales. A partir de la mobilisation des approches contingentes et
conventionnalistes pour une meilleure compréhension vont naître des propositions de
recherche.
Proposition 1 : Si la TPE manque de ressources propres, elle est capable de s’en procurer
en dehors du marché institutionnel.
Il semblerait donc que le recours au contournement soit une solution souvent envisagée pour
se donner des moyens de se développer et d’assurer sa pérennité.
Ceci nous amène à formuler la proposition suivante :
Proposition 2 : Un faible respect de la réglementation n’entrave pas la pérennité de la
TPE.
L’analyse de nos résultats fait apparaître que les comportements affichés par la TPE ne
trouvent leur explication que par la théorie de la contingence. Cette théorisation opère un
changement de perspective, elle voit l’organisation comme un système ouvert dont la survie
dépend de l’adaptation (Leca, 2006) et l’adoption de pratiques managériales spécifiques.
De récentes recherches ont essayé de développer des théories avec plus ou moins de succès
(Buisson, 2005) quant à leur portée explicative sur la gestion des TPE (Marchesnay et Carier,
2005) et leur mode de financement. Selon Buisson, « (…) le dirigeant des petites entreprises
intègre très souvent des valeurs liées à la culture ambiante, à ses origines et à son niveau
d’éducation et est influencé par sa famille et son entourage sinon par ses employés, influences
qui agissent sur sa personnalité et, finalement, sur (…) le développement de son entreprise ».
Le fait d’évoquer l’existence d’éléments contingents pouvant influencer le comportement
managérial et stratégique de la TPE nous conduit à constater que pour la firme à faible densité
capitalistique, « (…) l’environnement est source de menaces et d’opportunités (…) » (Boukar,
2009). Citant d’autres auteurs, Boukar relève que l’évolution de l’environnement va
déterminer, non seulement les facteurs de contingence auxquels l’entreprise doit faire face
(Thompson 1967) mais aussi, sa capacité d’apprentissage et de performance (Terreberry,
1968). Dans le cas de notre étude, la TPE au Gabon s’adapte à cet environnement et fait
preuve de pratiques managériales qui semblent l’aider dans son développement.
21
CONCLUSION
Nous nous sommes attaché à éclairer les pratiques les pratiques managériales des TPE. Nous
avons l’ambition de nous inscrire dans la remise en question du paradigme dominant en
sciences de gestion qui a été celui de considérer la très petite entreprise comme une entité
négligeable. Modestement, nous espérons avoir ajouté notre pierre à l’édification de cette
nouvelle vision. Notre travail de recherche s’inscrit dans une démarche en reconnaissance de
la TPE comme acteur du développement dans les régions subsahariennes.
Plus précisément, ce travail de recherche porte sur l’étude de l’institutionnalisation de
l’environnement microfinancier et ses effets sur les pratiques managériales des acteurs que
sont les TPE, dans le contexte gabonais. La recherche qui en découle, trouve son origine dans
le constat suivant : malgré l’institutionnalisation du marché de la microfinance, la coopération
entre les établissements de microfinance et les très petites entreprises a du mal à se concrétiser
alors que les TPE montrent un dynamisme et une viabilité qui laissent circonspect plus d’un
observateur avisé. Pour ce faire, nous avons poursuivi des objectifs qui nous ont permis
d’obtenir des résultats par rapport à nos questionnements.
De la phase exploratoire de notre travail de recherche se profilent plusieurs résultats non
négligeables. De manière générale, en ce qui concerne le TPE, on note l’intérêt pour ce type
d’organisation à être visible même si son institutionnalisation est souvent partielle. Cette
démarche des TPE s’intègre dans un processus d’institutionnalisation par étapes. Cette
posture permet à la TPE de garantir sa viabilité sauf qu’elle ne suffit pas à établir une certaine
confiance auprès des EMF à même de déboucher sur une coopération.
Ainsi, le respect de la réglementation apparaît comme un préalable et constitue un point
d’achoppement justifiant le degré de coopération EMF/TPE. Néanmoins, malgré le faible
engagement des EMF, les TPE mettent en place des stratégies organisationnelles qui assurent
leur pérennité. Soumises à diverses pressions institutionnelles, les TPE y répondent par des
modes de coordination spécifiques qui s’inscrivent dans un objectif de survie. Même s’il n’est
pas vérifié que le respect total de la réglementation influe sur l’organisation de la TPE, les
résultats de l’étude exploratoire soulignent majoritairement que l’aspect réglementaire agit
directement sur les choix décisionnels du propriétaire-dirigeant de la TPE.