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INTRODUCTION MIRAME LA VIE ET LA CARRIÈRE LITTERAIRE DE DESMARETS Jean Desmarets est né à Paris vers 1600, selon H.G. Hall qui recule de cinq ans l'année présumée de sa naissance qui était jusque-là l'année 1595 d'après des sources du XVIII e siècle. Il n'existe en fait aucun document irréfutable prouvant que Desmarets est né en 1600 ou en 1595 et H.G. Hall tente de démontrer la véracité de sa thèse sans être vraiment convaincant 1 . L'auteur de Mirame appartenait à une famille bourgeoise liée à la classe noble et à la Cour ; il était le cousin de la baronne de Vigean, connue comme une Précieuse qui tenait salon à Paris, fréquentait l'Hôtel de Rambouillet et la nièce de Richelieu, Marie- Madeleine, devenue en 1638 duchesse d'Aiguillon ; Desmarets lui dédiera en 1639, Rosane, son deuxième roman. Notre auteur a eu donc très tôt ses entrées auprès du Cardinal dont il devint le familier, en 1634 2 . Desmarets devint aussi à une date inconnue le précepteur du petit-neveu de Richelieu, Armand de Vignerot, né en 1629 ; il restera un de ses proches puisqu'il mourra chez lui en 1676. Il ne deviendra le noble Desmarets de Saint-Sorlin qu'en 1653, grâce au jeune duc de Richelieu dont il est intendant, qui lui fait don du fief et de la seigneurie de Saint-Sorlin en Saintonge. Avant d’être écrivain, il est officier, c’est-à-dire qu’il détient des offices. Il en a plusieurs. Député pour les fortifications dès 1620, il achète la charge de surintendant des fortifications de France en 1634 ; vers la même époque, il 1. H.G. Hall, Richelieu’s Desmarets and the century of Louis XIV, Oxford, Clarendon Press, 1990, p. 19-20. 2. J. Desmarets, Les Visionnaires, éd. H.G. Hall, Paris, STFM, 1995, introd., p. XIX. [« Mirame », Desmarets de Saint-Sorlin. Introduction, notes et illustrations par Catherine Guillot et Colette Scherer] [Presses universitaires de Rennes, 2010, www.pur-editions.fr]

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Page 1: introduction Mirame - Presses Universitaires de Rennes · Title: introduction Mirame Author: perrin_p Created Date: 9/17/2010 10:58:21 AM Keywords « Mirame », Desmarets de Saint-Sorlin

INTRODUCTION

MIRAME

LA VIE ET LA CARRIÈRE LITTERAIRE DE DESMARETS

Jean Desmarets est né à Paris vers 1600, selon H.G. Hall qui recule de cinq ans l'année présumée de sa naissance qui était jusque-là l'année 1595 d'après des sources du XVIIIe siècle. Il n'existe en fait aucun document irréfutable prouvant que Desmarets est né en 1600 ou en 1595 et H.G. Hall tente de démontrer la véracité de sa thèse sans être vraiment convaincant1. L'auteur de Mirame appartenait à une famille bourgeoise liée à la classe noble et à la Cour ; il était le cousin de la baronne de Vigean, connue comme une Précieuse qui tenait salon à Paris, fréquentait l'Hôtel de Rambouillet et la nièce de Richelieu, Marie-Madeleine, devenue en 1638 duchesse d'Aiguillon ; Desmarets lui dédiera en 1639, Rosane, son deuxième roman. Notre auteur a eu donc très tôt ses entrées auprès du Cardinal dont il devint le familier, en 16342. Desmarets devint aussi à une date inconnue le précepteur du petit-neveu de Richelieu, Armand de Vignerot, né en 1629 ; il restera un de ses proches puisqu'il mourra chez lui en 1676. Il ne deviendra le noble Desmarets de Saint-Sorlin qu'en 1653, grâce au jeune duc de Richelieu dont il est intendant, qui lui fait don du fief et de la seigneurie de Saint-Sorlin en Saintonge.

Avant d’être écrivain, il est officier, c’est-à-dire qu’il détient des offices. Il en a plusieurs. Député pour les fortifications dès 1620, il achète la charge de surintendant des fortifications de France en 1634 ; vers la même époque, il

1. H.G. Hall, Richelieu’s Desmarets and the century of Louis XIV, Oxford, Clarendon Press, 1990, p. 19-20.

2. J. Desmarets, Les Visionnaires, éd. H.G. Hall, Paris, STFM, 1995, introd., p. XIX.

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INTRODUCTION

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devient contrôleur, puis en 1639, contrôleur général de l'extraordinaire des guerres ; ces charges concernent la finance. Le privilège de 1639 qu'il reçoit pour 20 ans quand il publie Scipion le dit aussi conseiller du roi. Après la mort, le 4 décembre 1642, du Cardinal de Richelieu dont il est l’exécuteur testamentaire, ce qui prouve les liens étroits qu’il avait tissés avec lui, il passe au service de sa nièce, Mme d'Aiguillon, qui lui fait avoir la charge de secrétaire général des galères, avec, à titre de gages une somme annuelle importante. Ces différentes charges lui donnent donc le statut d'officier et de « noble homme3 ».

Outre ses activités d’officier, il est un écrivain déjà connu à partir de 1632, quand il publie son roman historique Ariane (deux tomes de 523 et 423 p) qui a tout de suite du succès, un succès qui durera jusqu'au XVIIIe siècle4. Il est romancier mais aussi poète, dès 1633, avec des poèmes et le « Discours de la poésie à Monseigneur le Cardinal de Richelieu » paru dans les Nouvelles Muses de Boisrobert. Il participe aussi en 1634 à l’Hôtel de Rambouillet à la célèbre Guirlande de Julie. Depuis 1631 il fréquente Conrart et les membres de la future Académie française dont les réunions se tiennent chez lui dès 1634. Lorsque l’Académie est constituée, il en est le chancelier de 1635 à 1638. En 1641, l'année de la parution de Mirame, son éditeur Le Gras fait paraître aussi les Œuvres poétiques du Sieur Desmarets, sorte de recueil factice qui comprend plusieurs oeuvres déjà publiées, des poésies comme le Discours de la poésie…, un extrait du Ballet de la Félicité dansé en 1639, et les Amours du compas et de la règle …, poésie burlesque visant à amuser le Cardinal.

Après sa période théâtrale qui se termine à la mort du Cardinal, (de 1636 à 1642 il aura écrit 7 pièces de théâtre dont la dernière, Europe, comédie héroïque, paraît en 1643 dans le format in-4°), il se convertit en 1645. Il publiera plus tard plusieurs textes remplis d’une grande spiritualité religieuse comme l'Office de la Vierge Marie en 1645, les Promenades de Richelieu ou les Vertus chrétiennes en 1653, l'Imitation de Jésus-Christ qu’il traduira en vers (1654), Les Délices de l'Esprit, série de trente dialogues où il cherche à prouver la valeur spirituelle de la religion chrétienne (1658). Il lutte contre le jansénisme et contre l’hérésie et se trouve violemment attaqué entre 1665 et 1667, après la malheureuse affaire Morin, par

3. C’est un bourgeois vivant noblement ; voir Desmarets, Théâtre complet, éd. Cl. Chaineaux, Champion, 2005, p. 16.

4. Hall a compté dix éditions en français jusqu'en 1724 -celles de 1639 et de 1643 bénéficiant d'illustrations d'Abraham Bosse- et au moins dix traductions jusqu’en 1714.

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INTRODUCTION

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les Lettres visionnaires de Pierre Nicole qui l’accusent d’être lui-même visionnaire, donc en quelque sorte fou. Vers la fin de sa vie, toujours combatif, il s’intéresse aux institutions littéraires en affirmant la supériorité des Modernes sur les Anciens et déclenche alors la Querelle des Anciens et des Modernes : en 1670, la publication de La Comparaison de la langue et de la poésie française avec la grecque et la latine et des Poètes grecs, latins et français…tente « de concurrencer et de battre les Anciens sur les terrains mêmes où ils se sont illustrés5 ». En 1674, La Défense du poème héroïque… en forme de dialogues, s'attaque à l'Art poétique de Boileau ; en 1675, La Défense de la Poésie et de la Langue française, Adressée à Monsieur Perrault s’élève contre ceux qui écrivent de la poésie en latin. Il n'en continue pas moins à faire œuvre de poète avec Esther, en 16706.

Sa très longue carrière littéraire, commencée avec le roman, Ariane, en 1632, et terminée, après sa mort en 1676, par des Maximes chrétiennes posthumes en 1680 et 1687, a donc été très fertile et assez austère, surtout après sa conversion. En tout cas, romancier, poète, dramaturge, auteur de ballets et d'un long poème épique, Clovis, de textes allégoriques et religieux, de jeux de cartes, il aura touché presque à tous les genres. DESMARETS ET LE BALLET

Le premier tiers du XVIIe siècle est encore la grande période du ballet de cour.

Le roi, la reine-mère, et toute la Cour sont très amateurs de ce divertissement. Pour répondre à la demande qui est importante, de nombreux écrivains ou poètes en rédigent les livrets, comme Malherbe, Racan, Théophile de Viau, Colletet, L’Estoile, Sorel, Benserade. Même La Mesnardière qui, pourtant, dans sa Poétique, en 1639, regrette que « la simple Danse et les Ballets […] ont été les seuls passetemps que les Princes ont estimez dans la décadence des lettres, arrivée par leur nonchalance7 », écrira des airs de ballet pour la cour de Luxembourg. Le ballet de cour est incontestablement le spectacle à la mode avant la politique de Richelieu de promotion du théâtre, à partir de 1635. Même

5. A. Viala, « Desmarets, La guerre des institutions et la modernité », XVIIe siècle, n° 193, 1996.

6. Ce poème a été publié curieusement sous le nom du Sieur de Boisval, ce qui a amené la BNF à adopter ce nom comme le pseudonyme de Desmarets ; cela paraît excessif puisque, à notre connaissance, c'est la seule œuvre de D. parue sous cette appellation et qu'en 1673 ce même poème porte cette fois le nom de D. dans une édition in-12.

7. Cité par M. Mc Gowan, L'Art du ballet de cour en France 1581-1643, Paris, CNRS, p. 234-235.

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INTRODUCTION

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à la fin des années 1630, le ballet est encore la principale distraction des Grands et un des instruments d'affirmation de la puissance du souverain. Desmarets le sait bien qui, dans sa dédicace au roi de l’édition de Mirame en 1641, évoque le Ballet de la Prospérité des armes de France, dansé le 7 février 1641 au théâtre du Palais-Cardinal pour célébrer les victoires de Louis XIII et le mariage du duc d’Enghien avec Claire-Clémence, nièce de Richelieu, trois semaines seulement après la première représentation de Mirame. Ce ballet a paru dans la Gazette, sans nom d'auteur, mais on peut attribuer le livret et sa conception à Desmarets, grâce à Tallemant8. Ce fut un ballet magnifique d’une exceptionnelle ampleur, avec trente-six entrées et cinq actes. Comme pour les autres ballets dansés chez le roi, les Grands y participèrent, comme le duc d’Enghien lui-même, qui dansa la première entrée de l'acte I et apparut dans la septième de l'acte IV en Jupiter9. Desmarets a rédigé aussi l’argument du Ballet de la Félicité sur le sujet de l'heureuse naissance de Monseigneur le Dauphin, dansé en mars 1639 après la naissance du Dauphin Louis, non pas parce qu’on trouve « le sieur Marais » parmi les danseurs, mais parce qu’une partie des chansons de ce ballet figure dans l'édition des Œuvres poétiques de Desmarets en 1641.

Desmarets, ce bourgeois sévère, « esprit universel et plein d'inventions » mais qui « n’estoit pas propre pour faire rire10», érudit, travailleur, auteur de poésies et de textes religieux et tant apprécié de Richelieu, est-il bien celui qui, jeune adolescent, dès 1613, puis à de très nombreuses reprises jusqu’en 1639, est danseur à la Cour, celui que Tallemant traite de « bouffon du roi » dans son Historiette consacrée à Louis XIII ? Certes, outre celles de Tallemant, on a de multiples traces d'un certain Maraist, danseur à la Cour, danseur célèbre, « homme d'armes de la compagnie du Grand Ecuyer », « mime prodigieux, doublé d'un bon musicien11 ». Mais est-ce vraiment le même homme que l'auteur de Mirame, comme le pensent H.G. Hall12, M. Fumaroli13 et tout 8. Tallemant, écrit dans ses Historiettes, éd. A. Adam, t. 2, p. 154-155 : « Il voulut (il s'agit de Porchères Laugier qui a obtenu « l’employ de faire les ballets et autres choses semblables ») se formalizer de ce que Desmarets avait fait le dessein du ballet qui fut dansé au mariage du duc d'Anguien».

9. Ballets et mascarades de cour de Henri III à Louis XIV (1581-1652), éd. P. Lacroix, t. VI, p. 35 et 43.

10. Tallemant, Historiettes, t. 1, p. 400.

11. H. Prunières, Le Ballet de cour en France avant Benserade et Lully, 1914.

12. H. G., Hall, Richelieu’s Desmarets…, op. cit., p. 58. Hall ne donne aucune preuve de ce qu’il avance.

13. Selon M. Fumaroli, Desmarets « débuta à la Cour comme favori de Louis XIII » et y dansa dans de nombreux ballets, in « Les abeilles et les araignées », La querelle des Anciens et des Modernes XVII-XVIIIe, Gallimard, Folio Classique, p. 106.

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INTRODUCTION

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dernièrement Déborah Blocker14 ? Il est permis d’en douter ! Celui qui était très éloigné du théâtre15, qui répugnait à écrire les pièces de théâtre que lui demandait Richelieu, et qui, après la mort du Cardinal, n’alla plus jamais à la comédie, comme il le dit lui-même en 166616, a-t-il vraiment, dans la première partie de sa vie et même en 1639, trouvé le temps, le goût et la disponibilité d’accompagner les nobles désoeuvrés de la Cour qui dansaient pour le roi ? Son caractère plutôt introverti l’a-t-il conduit à être ce « mime prodigieux » dont on a parlé ? Comme le dit justement, Claire Chaineaux17, aucun témoignage contemporain sur Desmarets ne mentionne son rôle de danseur à la Cour de Louis XIII et la suite de sa carrière littéraire et de sa vie rend incongrue la thèse présentée par Hall. Le danseur et l’écrivain pouvaient-ils être le même homme ? C'est une question que l’on peut se poser encore, malgré les convictions de H.G. Hall, de Fumaroli et de Blocker, et malgré l’extrême ressemblance des noms18. Certes Desmarets a été influencé par l'esthétique du ballet : sa comédie, Les Visionnaires, montre bien cette influence : toute la structure de la pièce est proche de celle d'un ballet. Hall a remarqué aussi19 que les paroles d'Artabaze, le capitan de la célèbre comédie, ressemblent beaucoup à celles d’un Rodomont dans une entrée d'un ballet dansé à Bordeaux en 1620. Mais il n’était pas nécessaire d’avoir été danseur à la Cour pour avoir conçu des ballets et avoir écrit Les Visionnaires !

14. D. Blocker, Instituer un « art ». Politiques du théâtre dans la France du premier XVIIe siècle, p. 250. L’auteur attaque Cl. Chaineaux qui écrit que le danseur Maraist et l’auteur Desmarets n’étaient le même homme, mais elle n’apporte non plus pas de preuve quand elle affirme le contraire.

15. P. Pellisson, Relation contenant l’histoire de l'Académie française, 1653, cité par Hall, Richelieu's Desmarets…p. 143.

16. Dans la Seconde Partie de la Response à l'insolente Apologie des religieuses de Port Royal…

17. Desmarets, Théâtre complet, éd. Cl. Chaineaux, op. cit., p. 21. Tallemant, si cela avait été le cas, y aurait certainement fait une allusion, surtout pour le ballet de 1639.

18. « Parmi les nombreux baladins issus de la confrérie des Ménestriers ( ) se distingue l’incomparable Marais. Mime remarquable, bon chanteur et musicien, il tient des rôles importants… » (M. F. Christout, Le ballet de cour de Louis XIV… nouvelle édition, Paris, Centre National de la danse, A. et J. Picard, 2005, ch. 1, p. 27). Cette spécialiste du ballet de cour, interrogée ce mois-ci, affirme qu’il est impossible que Desmarets ait été le danseur Maraist, ce qui confirme mes arguments basés sur la personnalité de l’auteur de Mirame.

19. Hall, Richelieu's Desmarets.., op. cit., p. 63.

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INTRODUCTION

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DESMARETS ET LE THÉÂTRE : L’HOMME DE RICHELIEU

On sait que depuis 1635 Richelieu s'intéresse beaucoup au théâtre. Cet intérêt n'est pas exclusif : il soutient les autres arts, notamment la peinture et la sculpture ; c’est l'époque où l’architecte Jacques Lemercier dirige la construction du Palais-Cardinal, achevée en 1639. Cet édifice comporte une petite salle de spectacle à laquelle Lemercier ajoutera la grande salle qui verra la création de Mirame en 1641, mais aussi une galerie d’art avec des œuvres de Michel-Ange, Poussin, Guerchin, Corrège, où il fait décorer ce palais par Philippe de Champaigne qui exécute son portrait ainsi que celui de Louis XIII, où Le Bernin sculpte son buste20. Un peu plus tard, en 1640, il rappelle à Paris Nicolas Poussin qui était parti à Rome. Mais son goût pour la poésie et les Belles Lettres le rapproche du théâtre. Il faut inscrire toute l’action du Cardinal vis-à-vis du théâtre dans l’entreprise générale de réhabilitation qui aboutira à la fameuse déclaration de Louis XIII du 16 avril 1641 en faveur du théâtre et des comédiens21. Richelieu suscite directement trois pièces avec l’aide de son dévoué Chapelain : la Comédie des Tuileries, l'Aveugle de Smyrne et la Grande pastorale des Cinq auteurs22, représentées, semble-t-il, avec des décors dessinés par Georges Buffequin23 dans la petite salle du Palais-Cardinal, entre avril 1635 et janvier 163724.

On peut se demander pourquoi Desmarets ne fait pas partie de ce groupe ; mais Desmarets occupe incontestablement une place à part, celle de dramaturge officiel du Cardinal de Richelieu. Aspasie, sa première pièce, est donnée en grande pompe dans la petite salle du Palais-Cardinal, le 19 février 1636, devant le duc de Parme en visite à Paris, que Richelieu veut frapper par la magnificence

20. M. Bayard, Feinte baroque. Iconographie et esthétique de la variété au XVIIe siècle, Rome Académie de France à Rome-Villa Médicis- Paris, Somogy, 2010, introd., p. 13 et note 7 p. 159.

21. Ch. Mazouer, Le théâtre français de l’âge classique, Tome 1, Le premier XVIIe siècle, Champion, 2006, p. 139-140.

22. Boisrobert, Rotrou, Corneille, Colletet, Claude de l’Etoile, et plus tard Mairet qui remplace probablement Corneille.

23. M. Bayard, Feinte baroque…, op. cit., p. 18. D’après l’auteur, il est avéré que Buffequin a réalisé les décors de la Comédie des Tuileries ; on peut donc en déduire que, pour les deux autres pièces, cela est probable.

24. La Grande pastorale n’a jamais été éditée et le manuscrit en est perdu, Claire Chaineaux, Desmarets, Théâtre complet, Champion, 2005, p.11.

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INTRODUCTION

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déployée devant lui25. Cette représentation est la première étape d’une politique culturelle qui aboutira cinq ans plus tard à l’inauguration de la Grande salle du Palais-Cardinal avec Mirame. Benoît Bolduc a raison de souligner qu’en choisissant Mirame, au lieu du Ballet de la prospérité des armes de France, dansé au même endroit à peine trois semaines plus tard, pour « l’ouverture » de son nouveau théâtre, le Ministre « accordait à l’art dramatique le prestige généralement associé aux divertissements princiers26 ». Richelieu a compris depuis 1636 que le prestige dont bénéficierait le roi par la nouveauté et le faste du théâtre pouvait égaler et même dépasser celui procuré par le ballet de cour, depuis longtemps en vogue.

Desmarets se soumet aux désirs du Cardinal, alors qu’il n’a pas le goût du théâtre : il écrira plus tard en 1666 : « quand j'ay fait des comédies, qui n’ont esté que tres-honnestes, ç’a esté par le grand désir que m’en témoigna le Cardinal de Richelieu : Plusieurs sçavent quelle répugnance j’eus d’en faire27 ». Il a d'autres ambitions et, déjà en 1636, une solide réputation littéraire comme poète et romancier ; le théâtre n’occupera que sept ans de sa longue carrière littéraire, de 1636 à 1642, pendant lesquelles il produira sept œuvres dramatiques. C’est, en tout cas, dès cette époque un esprit habile et fertile et Richelieu veut manifestement se servir de ses capacités d’écrivain comme instrument de ce que l’on appellerait aujourd’hui sa politique culturelle. Parallèlement à son essai de théâtre dirigé, avec les Cinq auteurs, qui n’a sûrement pas été facile à coordonner et qui ne l’a peut-être pas satisfait, le Cardinal essaye autre chose en demandant à Desmarets d’écrire Aspasie.

Après Aspasie, suivie d'une autre comédie, les Visionnaires, au printemps 1637, qui obtient un très grand succès, Desmarets écrit Scipion. On ne sait pas où la troisième pièce de Desmarets, Scipion, cette fois une tragi-comédie, a été représentée, mais Chapelain la vante dans une lettre à Balzac de mai 1639. La pièce paraît en mars 1639 chez Le Gras qui profite ainsi du privilège du roi accordé à Desmarets pour vingt ans le 14 mars 1639. Le Gras publie ensuite en 1640, Roxane, elle aussi tragi-comédie, représentée en 1639, qu'il ne faut pas

25. Voir le compte rendu de La Gazette du 26 février 1636 et l’introduction de l’édition d’Aspasie par P. Tomlinson, 1992.

26. « Mirame, fête théâtrale dans un fauteuil », Le texte de théâtre et ses publics, Revue d’Histoire du Théâtre, 2010, I-II, p. 162.

27. Seconde Partie de la Response à l'insolente Apologie des Religieuses de Port-Royal, op. cit., Hall, Richelieu's Desmarets…, p. 143.

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INTRODUCTION

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confondre avec Rosane, le second roman de notre auteur qui l’adaptera au théâtre avec Erigone, jouée au Palais-Cardinal en janvier 1642 et publiée par Le Gras la même année, tandis qu’Europe, comédie héroïque, représentée en novembre 1642, juste avant la mort de Richelieu, sera publiée en janvier 1643, toujours chez Le Gras.

La pièce de Desmarets, Mirame, n’aurait pas la place qu’elle occupe dans l'histoire du théâtre du XVIIe siècle, si sa première représentation publique, le 14 janvier 1641, n’avait pas servi d’inauguration au théâtre de la grande salle du Palais-Cardinal, (ou d’« Ouverture » selon le titre de l’une des gravures de l’édition in folio de la pièce qui suivit l’événement). Ce spectacle dont la Gazette rendit compte longuement dans son numéro du 19 janvier 1641 fut donné avec faste, et surtout avec le concours de machines qui frappèrent les contemporains ayant eu le privilège d’avoir été invités par Richelieu. Ainsi l'abbé de Marolles se souviendra dans ses Mémoires, quelques années plus tard, « des machines qui faisaient le soleil et la lune et paraître la mer dans l'éloignement, chargée de vaisseaux28 ».

En fait il semble que la composition de Mirame, sa représentation et son édition en 1641 n’aient eu qu’un seul et même but, celui d'affirmer le prestige et la puissance de Louis XIII, face à ses voisins européens, et le pouvoir du Cardinal de Richelieu. C’est la profession théâtrale dans son ensemble, un des principaux moyens de cette politique, qui profite de ce récent intérêt du roi et de son ministre pour les planches, comme la déclaration du roi en avril 1641 en faveur des comédiens le montre bien.

En mars 1639, quand notre auteur cède son privilège à Le Gras, Desmarets n’est peut-être pas très avancé dans la rédaction de Mirame, mais, si la première représentation n'a lieu que le 14 janvier 1641, ce n’est probablement pas de son fait. Le retard constaté vient certainement de la construction des machines et de la peinture des décors que le Cardinal avait souhaitées pour l’inauguration de son théâtre et qui avaient nécessité de longues tractations avec des artistes italiens du cercle du Bernin, que Richelieu avait souhaité associer à l’entreprise en les faisant venir à Paris29. Enfin en janvier 1641, tout est prêt : les toiles sont

28. Mémoire de Michel de Marolles..., contenant ce qu’il a vu de plus remarquable en sa vie, depuis l’année 1600..., Paris, Antoine de Sommaville, 1656-1657 (éd. Claude-Pierre Goujet, Amsterdam, 1755, t. II, p. 236).

29. Voir C. Chaineaux éd. Desmarets de Saint-Sorlin, Théâtre complet, p. 556-561. Voir surtout, plus bas dans le texte, de façon plus détaillée, l’étude que nous consacrons à la scénographie par l’étude des illustrations de la pièce.

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INTRODUCTION

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peintes pour créer une grande perspective, le soleil va pouvoir se lever et la nuit tomber sur l'intrigue de Mirame ; la mer et les vaisseaux pourront paraître dans le fond de la scène. On peut supposer que la fable de Desmarets a été conçue et rédigée en fonction du spectacle qu’on voulait faire admirer grâce au dispositif scénique « à l’italienne » et aux décors voulus par Richelieu. Le respect strict des unités, notamment l'unité de temps d'une journée, qui est appliquée depuis 1631 avec la Silvanire de Mairet, vise à faire déployer le soleil, varier la lumière et tomber la nuit sur la scène. L’épisode de la bataille navale a été écrit surtout parce que les nouvelles techniques récemment installées au Palais-Cardinal permettaient de montrer la mer et « des agitations qui semblaient naturelles aux vagues de ce vaste élément, et deux grandes flottes dont l’une paraissait éloignée de deux lieues, qui passèrent toutes deux à la vue des spectateurs » selon la Gazette, au fond de la scène après le jardin. Ce jardin, lieu unique où se rencontrent les différents protagonistes, permet de respecter l’unité de lieu, mais aussi, parce que ouvert sur la mer, de rendre visible et spectaculaire, grâce aux nouvelles machines, la mer où évolueront des navires. Le spectacle de la flotte d’Arimant assiégeant le royaume de Bithynie ne pouvait que plaire au Cardinal qui avait constitué récemment en 1635 une flotte importante ; celle-ci avait même suscité le Ballet de la Marine dans lequel le roi apparaissait en Neptune. En 1641, la France peut donc rivaliser avec les Italiens qui étaient jusque-là en avance dans les techniques de la scène.

LA FABLE ET LES PERSONNAGES, L’ACTION

L’intrigue est très simple : encore une fois une histoire d’amour contrarié par

un père qui est aussi un roi, sans actions accessoires, avec un seul couple d'amants et un rival malheureux qui n’aura pas la ressource de se tourner vers une autre jeune fille et devra « désaimer », comme le souligne Hélène Baby dans son ouvrage sur la tragi-comédie30. La pièce est l’histoire d’une jeune princesse, Mirame, amoureuse d’Arimant qui l’aime, lui aussi. Le roi, père de Mirame, veut qu’elle épouse Azamor, roi de Phrygie et son allié, parce qu’Arimant, « né sujet », n’est pas de sang royal ; mais Mirame refuse Azamor pour mari. La crise se dénouera par le mariage de Mirame et d’Arimant, après deux fausses morts et

30. H. BABY, La tragi-comédie de Corneille à Quinault, Klincksieck, 2001.

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INTRODUCTION

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un « deus ex machina » qui viendra révéler qu'Arimant est de sang royal et frère d'Azamor. MIRAME ET LE THÉÂTRE DU TEMPS

Mirame rappelle la pièce de Du Ryer, Alcionée, jouée en 1637 et imprimée en

1640 dont le thème est proche : comme Arimant, le héros, Alcionée, se révolte contre son souverain qui ne veut pas lui donner sa fille Lydie parce qu’il n'est pas de sang royal. Mais Lydie, qui aime Alcionée, refuse de l’épouser car son honneur lui interdit d’épouser un ennemi de son père et Alcionée se suicidera de douleur. Nous sommes dans une tragédie. Georges Couton, dans son ouvrage, Richelieu et le théâtre, insiste sur les allusions à une actualité récente concernant la reine Anne d’Autriche, le duc de Buckingham, et le siège de La Rochelle, que Desmarets, et derrière lui Richelieu, auraient insérées dans l’intrigue de Mirame. Aujourd’hui nous nous intéressons peu à ce que les spectateurs de Mirame ont pu penser à ce propos. Remarquons plutôt que la pièce, et notamment l’attitude de la princesse Mirame qui aime l’ennemi de son père et le rencontre clandestinement la nuit, n’ont suscité, que l’on sache, aucun commentaire, alors que Le Cid et son héroïne Chimène avaient heurté les bienséances et provoqué, quatre ans auparavant, des protestations indignées ; un texte important était sorti de cette querelle : Les Sentiments de l'Académie française sur « Le Cid » qui affirme que « ses mœurs » (celles de Chimène) « sont du moins scandaleuses, si en effet elles ne sont dépravées ». Notons aussi que Desmarets était un des Académiciens, auteurs de ce texte. La situation a bien changé depuis 1637 ! L’INTRIGUE

L’intrigue de Mirame commence au moment où Arimant, pour obtenir

Mirame, est venu assiéger le royaume de Bithynie avec la flotte du roi de Colchos dont il est le favori. Dès la première scène de l’exposition, le roi de Bithynie nous renseigne sur la situation qu’il détaille à Acaste, son connétable et confident. La suite du premier acte démontre que les soupçons du roi sont exacts : Mirame ne veut pas avouer à son père son amour pour Arimant et refuse Azamor pour mari. Dans une longue scène avec sa confidente Almire, elle expose son amour et ses remords vis-à-vis de son père et de son pays, mais

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INTRODUCTION

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accepte le rendez-vous nocturne avec Arimant organisé par sa confidente, décidément très active (I, 5).

Comment cette situation va-t-elle évoluer ? En tout cas, les principaux personnages, déjà entièrement dessinés dès le premier acte, feront preuve d’une constance exceptionnelle : Mirame et Arimant dans leur amour réciproque ; Azamor, dans son statut de prétendant officiel et amoureux timide, rival d’Arimant, qui s’est précipité au secours du roi de Bithynie par amour pour Mirame ; le roi, dans son rôle de père inflexible qui veut pour gendre le roi de Phrygie, alors qu’Arimant n’est qu’un étranger et un ennemi « né sujet ». Après l’entrevue des deux jeunes gens pendant laquelle ils s’expriment mutuellement leur amour (II, 4), malgré le refus de Mirame de se laisser enlever, et la décision d’Arimant d’attaquer la Bithynie que Mirame finit par accepter, la crise s'aggrave pour les amoureux par la victoire navale d’Azamor sur Arimant et la capture de ce dernier. Cette première péripétie sera suivie d'une autre : la perspective pour les amoureux d’être séparés et éloignés l’un de l’autre après une deuxième rencontre (III, 5). Ces circonstances nouvelles entraînent d’abord le désespoir d’Arimant qui demande à son domestique de le tuer. Au début de l'acte IV, Mirame apprend la mort de son amant. À cette révélation, la jeune fille veut se suicider et demande à Almire un poison, après avoir menti à Azamor qui croit avoir vaincu enfin ses réticences (IV, 4). La suivante Alcine vient annoncer au roi la mort de Mirame (V, 3) mais l’arrivée opportune d’un ambassadeur du roi de Colchos, sorte de deus ex machina, révèle qu'Arimant est le frère d'Azamor et donc de sang royal (V, 4). Dans la dernière scène, un soldat annoncera qu’Arimant n'est pas mort. En définitive, Azamor renonçant à Mirame, le roi donnera sa fille à Arimant en procurant ainsi à la pièce, comme il se doit dans le genre tragi-comique, une fin heureuse. Mais le dénouement aura rompu l’unité d’action puisqu'il ne découle pas uniquement du déroulement de la pièce.

Desmarets ne donne pas à ses personnages une grande complexité : les deux rivaux sont tous deux convenus, ils ne savent que proclamer leur amour ou leur désespoir. Seule, Mirame exprime les difficultés qu'il y a à aimer un homme ennemi de son père : elle affirme avoir du mal à concilier deux fidélités contradictoires : envers son père et envers son amant. Mais, si elle est consciente du dilemme qui est le sien, et si elle l’exprime à sa confidente, Almire, elle n’hésite pas à choisir d’aimer Arimant, tout en cachant habilement, pour gagner du temps, à son père et à Azamor, son amour pour le jeune homme.

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INTRODUCTION

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STRUCTURE DE MIRAME

La pièce est longue de 1818 vers répartis en cinq actes à peu près de la même

longueur, le second et le quatrième étant les plus longs. Il y a douze personnages qui sont présents au cours des trente scènes de la pièce, à peu près toutes liées entre elles (liaison de vue), sauf à l’acte II, scènes 2 et 3. Mirame est incontestablement le personnage le plus important : comme le héros de la pièce classique, elle ne se fait pas rare et apparaît dans vingt scènes sur trente en prononçant 642,5 vers, soit plus du tiers du nombre total de vers. Après elle, le personnage qui se manifeste le plus est Azamor, l’amoureux éconduit, avec 376,5 vers, en douze scènes ; c’est plus que le roi (264,5) qui est en scène aussi douze fois. L’amant de Mirame, Arimant ne dit que 213,5 vers au cours de seulement quatre scènes (dans l’une d’entre elles, il sera même muet !), ce qui prouve largement son statut d’amoureux passif. La princesse, confidente de Mirame, Almire, a un rôle majeur : elle intervient dans l’intrigue, conseille, prend des initiatives (c’est elle qui organise le rendez-vous nocturne des deux amants, qui provoque la rencontre d’Azamor et de Mirame) ; elle intervient même dans la grande scène de l'acte III entre les deux amants (III, 5), et donne à la princesse voulant mourir un simple somnifère au lieu d’un poison mortel. Elle est présente, comme Mirame, dans vingt scènes et prononce 155 vers, mais son rôle est exceptionnellement important pour une confidente. Acaste, le connétable de Bithynie, interlocuteur et confident du roi, mais aussi celui qui négocie avec Arimant au sujet d’Arbas, prisonnier du père de Mirame (II, 1), apparaît dans douze scènes, comme son souverain, et dit 84 vers. Les autres personnages ne font que de brèves apparitions : Alcine, la suivante de Mirame, muette la plupart du temps, ou écartée de la scène par sa maîtresse, ne prononce que 18 vers ; l’Ambassadeur du roi de Colchos, en 44,5 vers, a un rôle essentiel, puisqu’il est le « deus ex machina » qui, en révélant l’origine royale d'Arimant, permet le dénouement heureux de cette tragi-comédie de palais.

Cette pièce ne semble pas avoir entraîné l’enthousiasme de ses contemporains : si l’on excepte la Gazette dont l’enthousiasme ne peut guère être authentique31, l'abbé de Marolles, dans ses Mémoires, ne trouve pas « l’action

31. On sait que la Gazette est l’organe du pouvoir. Le texte sur Mirame fut probablement l’œuvre de Desmarets lui-même avec l’assentiment de Richelieu.

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INTRODUCTION

19

beaucoup meilleure pour toutes ces belles machines et grandes perspectives » et Henri de Campion note « quantité de défauts32 ». On ne sait rien de sa réception après la première représentation du Palais-Cardinal, sinon qu’elle fut jouée à l’Hôtel de Bourgogne, vers 1646-1647, puisqu’elle figure dans le répertoire de Mahelot.

L’écriture de la pièce est souvent précieuse, remplie de pointes, de métaphores banales dans le discours amoureux, pour plaire, certes, au Cardinal qui aimait les jeux d’esprit, mais peu propres à l’émotion. En outre, ses personnages, au lieu d’agir, se lamentent, comme le dit si bien la confidente de Mirame, Almire, à Arimant, au début de l’entrevue des deux amants, acte II, sc. 4 : « Quoy ? tous vos entretiens se passent en soupirs ? ». Non seulement les jeunes gens ne varient pas du début à la fin de la pièce, mais leurs discours et leurs plaintes n’entraînent aucune modification de la situation. Seuls des événements qui leur sont extérieurs, la défaite de la flotte d'Arimant et l’arrestation du jeune homme par Azamor, puis l’éloignement de l’amoureux de Mirame qui espérait, pendant sa captivité, avoir la possibilité de voir la jeune fille, entraînent la pseudo-mort d’Arimant et la tentative de suicide de la jeune fille. Si Desmarets avait voulu écrire une tragédie, elle pourrait se terminer avec la mort des héros, mais pour que le dénouement soit heureux, Desmarets a ajouté des coups de théâtre bien artificiels : les fausses morts et l’intervention de l’ambassadeur du roi de Colchos, qui vient révèler l'identité d’Arimant et donc supprimer l’obstacle de sa basse naissance présumée (V, 4). Dans son ensemble, la pièce offre donc peu d’action pour une tragi-comédie. Malgré plusieurs péripéties, la pièce traîne ; le verbe ici, hélas, n'est pas action.

Si Mirame correspond à la définition de la tragi-comédie donnée par Desmarets dans l’avis au lecteur de Scipion : « une pièce dont les principaux personnages sont princes et les accidents graves et funestes, mais dont la fin est heureuse33 », c'est en quelque sorte une tragi-comédie à minima où l’on parle et où l’on se plaint plus que l’on agit, comme on l’a dit plus haut. On voit bien ici que le genre tragi-comique est en train de s’épuiser. Mirame est sur le chemin de la tragédie dont elle n’est séparée que par ses fausses morts et son dénouement heureux. En respectant les règles, Desmarets a privé son intrigue de la liberté d’invention, des rencontres fortuites et variées, mais il n'a pas

32. Hall, op. cit., p. 180.

33. Cité par Jacques Scherer, La dramaturgie classique en France, p. 138.

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INTRODUCTION

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trouvé la poésie et l’émotion. En fait, sur le plan historique, en 1641, Mirame arrive à la fin de la période d’expansion de la tragi-comédie des années 1630-1640 ; elle en annonce intrinsèquement la mort.

L’ÉDITION ILLUSTRÉE34

Fait exceptionnel pour l’époque, Mirame a été publiée dans un in-folio

magnifiquement orné d’un frontispice et de cinq planches gravées par Stefano Della Bella35. Célébrant et commémorant l’inauguration de la salle du Palais-Cardinal le 14 janvier 1641, le frontispice mentionne qu’il s’agit de l’ouverture de la grande salle du Palais-Cardinal tandis que chacune des illustrations représente le cadre scénique aux armes de Richelieu. Les cinq planches placées au-devant de chacun des actes constituent un véritable déroulement narratif du spectacle. L’IMPORTANCE DES IMAGES DU SPECTACLE

Ces illustrations sont de véritables documents scéniques qui permettent de

reconstituer en partie la mise en scène du spectacle représenté au Palais-Cardinal et qui en outre offrent de précieux renseignements concernant les enjeux de l’importation de la scénographie « à l’italienne » au moment où les règles sont théorisées et défendues avec vigueur notamment par Desmarets dans plusieurs de ses textes. Répondant alors à la commande de Richelieu, Desmarets fait ici preuve d’un sens très aigu de la recherche d’une unité de lieu vraisemblable qui rend nécessaire et fonctionnel le décor en perspective unifié.

34. Les illustrations de l’édition de Mirame sont reproduites à la suite (collection particulière), placées en frontispice et au devant de chacun des actes. 35. Stefano Della Bella, dit Étienne de la Belle à la cour de France (Florence, 18 mai 1610 – Florence, 12 juillet 1664), est un graveur aquafortiste italien de l’école florentine de la Renaissance, de style maniériste et baroque. Elève de Callot, il viendra s’installer à Paris en 1639 à la demande de Richelieu devenu son protecteur. A cette même date, ses gravures de La prise d’Arras lui font connaître un vif succès, deux ans avant la commande passée par Richelieu pour les gravures de Mirame. C’est également Della Bella qui, quelques mois avant son arrivée en France, a colloboré à la réalisation des estampes des Nozze degli dei : représentation donnée en l’honneur du mariage de Ferdinand II de Médicis. Une estampe pour chacun des actes de la pièce et intermèdes représente les moments visuels forts et spectaculiares de la représentation (apparitions célestes, ballets..). Voir à ce propos l’article de Benoît Bolduc, « Stefano della Bella, inventeur des gravures des Nozze degli dei et de Mirame », in Rome-Paris 1640. Transferts culturels et renaissance d’un centre artistique, sous la dir. de Marc Bayard. Rome, Académie de France à Rome-Villa Médicis- Paris, Somogy, 2010, p. 494-507.

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INTRODUCTION

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Cette expérimentation d’un lieu unifié confirme un changement esthétique important dans le champ de la régularité.

RIDEAU DE SCÈNE ET SCÈNOGRAPHIE « À L’ITALIENNE»

C’est un cadre de scène obstrué par un rideau de théâtre que représente le frontispice de Mirame illustrant la pièce de Desmarets. Ici, l’entrée dans le livre (avec son espace propre36) se double d’une entrée dans la salle de théâtre du Palais Cardinal qui s’ouvrira à son tour sur les images du spectacle ponctuant les cinq actes de la pièce. Le frontispice du livre signale d’emblée au lecteur que le texte est en rapport avec le monde du spectacle. A l’égal du cadre du tableau, le cadre de scène délimite le lieu du regard tandis que le rideau attire l’attention sur ce qui derrière est encore caché, il est une invitation à pénétrer le cadre de scène pour y contempler au sein du livre, une fois le rideau ouvert sur les cinq autres gravures, la « scénographie à l’italienne » et l’effet de mimesis picturale. C’est par le cadre et son rideau ouvert que s’accomplit le tableau dans sa finalité d’être vu, il est comme le souligne aussi Alberti37 cette fenêtre ouverte permettant d’entrer dans la fiction. Au XVIIe siècle, l’encadrement du tableau a une fonction déterminante dans la réception de l’œuvre (Poussin dans ses écrits s’y réfère) dans le sens où il permet de canaliser le regard vers ce qui se représente (représenter signifie montrer, exhiber38 selon la définition même de Furetière). Le cadre fait partie du dispositif scénique pour délimiter, cadrer le

36. Au XVIIe siècle, l’édition du « poème dramatique » constitue « un tout » dans lequel des textes liminaires et parfois un frontispice permettent précisément d’entrer. Le frontispice met en scène plusieurs espaces textuels selon des champs de référence spécifiques : celui de l’éditeur (espace éditorial avec nom, adresse, mention de l’octroi du privilège), de l’auteur (espace auctorial ou espace de l’œuvre comprenant généralement le nom de l’auteur, le titre de la pièce et éventuellement le genre) et de l’illustrateur (espace de la signature). Le frontispice est ainsi à la croisée des chemins entre le monde du dessin, le graphisme et le monde de l’édition du livre. Il offre différentes approches au lecteur en rapport avec le livre considéré comme objet mental et objet commercial destiné à la vente.

37. Selon la définition d’Alberti : « Mon premier acte, quand je veux peindre une superficie, est de tracer un rectangle, de la grandeur qui convient, en guise de fenêtre ouverte par où je puisse voir l’histoire » (De pictura, 1435, I, 19, trad. J.-L. Schefer, Paris, Macula, 1992, p. 115).

38. Voir A. Furetière, Dictionnaire universel, op. cit., tome 3, rubrique « Représentation » : « se dit au Palais de l’exhibition de quelque chose […] Quand on fait le procès à un accusé, on lui fait la représentation des armes dont il s’est trouvé saisi, du corps même de l’assassiné. « Représenter, signifie aussi, comparoir en personne, et exhiber les choses ».

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INTRODUCTION

22

champ de la perception, tout comme le rideau est un ornement qui permet d’attirer le regard dans l’image et d’agir sur les sens comme un dévoilement.

Dans le frontispice de Mirame, deux personnages entrouvrent légèrement le rideau sur le côté tout en regardant le spectateur, ce qui contribue à tenir le public dans un impatient désir de voir ce qui s’y cache derrière. A l’instar des ces deux personnages et de leur action d’ouverture sur le rideau, le spectateur sera sans doute tenté lui même, comme le fait remarquer Binet à la même époque, « d’oster le rideau pour voir ce qui est caché39 ». Ici, la présentation de l’image au sein du livre lui donne une dimension spectaculaire et ludique : elle doit inciter le lecteur à déplier lui-même la gravure du livre qui épouse le format in-4°-ouvrir lui-même le rideau pourrait-on dire - et retrouver à l’intérieur la mémoire du spectacle.

Le rideau marque donc indifféremment l’entrée dans le livre, l’ouverture sur l’espace de la fiction qu’elle soit théâtrale, picturale ou littéraire. Du même coup, le titre mentionné sur le rideau joue d’une polysémie de sens donnée au terme « d’ouverture » (mentionné ouverture du théâtre de la grande salle du Palais Cardinal) : il annonce l’ouverture de la salle du palais Cardinal construite initialement pour accueillir les techniques nouvelles de la scénographie « à l’italienne » et ses effets d’illusion ; en tant que titre du frontispice il indique une ouverture sur la fiction théâtrale à lire et à voir, tout comme le cadre de scène aux armes de Richelieu invite le lecteur à pénétrer un spectacle réservé à la Cour ; enfin il indique qu’il s’agit de l’ouverture d’un rideau d’avant-scène. Si l’on en croit les multiples témoignages de l’époque, l’ouverture du rideau d’avant-scène devait contribuer à l’effet de surprise et à l’émerveillement du spectateur. Les articles de La Gazette qui commentent le spectacle de Mirame montrent que le rideau d’avant-scène est utilisé pour révéler le décor au début du spectacle et qu’il ne se referme qu’à la fin : « Après la comédie circonscrite par les loix de la poësie dans les bornes de ce jour naturel : les nuages d’une toile abaissée cachèrent entièrement le théâtre. »

Au moment de son ouverture, le rideau et son jeu de caché-révélé serait actionné pour surprendre le spectateur en l’immergeant de façon quasi instantanée dans un monde fictionnel et en agissant sur ses sens avec plus d’intensité. Sabbattini, à la même époque, dans sa technique pour « enlever le rideau qui cache la scène », conseille de choisir celle qui risque le moins de 39. Binet, Essay des merveilles de nature et des plus nobles artifices, Rouen, 1621, p. 308.

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INTRODUCTION

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« rompre l’émerveillement que produit, en un seul instant, la chute inattendue et uniforme du rideau40 ». Il met ici l’accent sur le caractère surprenant de la manœuvre. Les desseins des pièces à machines dans les années 1640 abondent dans le même sens : Le Mariage d’Orphée et d’Eurydice joué au théâtre du Marais en 1647 utilise le rideau d’avant-scène pour dévoiler brusquement les décorations les plus fastueuses, surprendre et émerveiller le spectateur par la beauté des décors en perspectives et l’utilisation des machines les plus élaborées regorgeant d’effets surprenants et de trucages spectaculaires41.

Le rideau d’avant-scène est alors utilisé pour surprendre et il est conçu principalement comme un instrument d’émerveillement. L’étonnement, le ravissement sont les maîtres mots des commentaires de la Gazette42 pour souligner les effets spectaculaires et les procédés illusionnistes des changements à vue successifs mis en œuvre pour surprendre et émerveiller le spectateur. Dans Mirame, les changements à vue spectaculaires à partir d’un décor fixe qui respecte parfaitement l’unité de lieu (conformément à la didascalie du texte qui signale que « la scène est dans le jardin du Palais Royal d’Héraclée, regardant sur la mer »), et qui tend à la figuration illusoire du passage d’un jour à la nuit est une grande nouveauté pour l’époque, du moins en France43. Le compte

40. Sabbattini, Pratica di fabricar scene e machine ne’teatri, Ravenne, Pietro de’ Paoli et G. Battista Giovenelli, 1638 ; trad. Maria et Renée Canavaggia et Louis Jouvet, Pratique pour fabriquer scènes et machines de théâtre, Neuchâtel, Ides et Calendes, 1942 (réed. 1994), p. 59. D’un point de vue technique, le rideau visible dans le frontispice de Mirame se lève d’une seule pièce, en s’enroulant sans doute sur un tambour, tout comme Sabbattini le préconise.

41. « La grande toile qui couvrira toute la face du Theatre, étant levée avec une telle rapidité, que les yeux dans l’instant d’un éclair auront peine d’en suivre l’élévation, l’on verra le Théâtre couvert de Bois et de Rochers, dont la Perspective, l’éloignement et la beauté surpassant tout ce l’on peut décrire, raviront les yeux des spectateurs.»

42. « La France, ni possible les païs estrangers, n’ont jamais veu un si magnifique théâtre, & dont la perspective apportast plus de ravissement aux yeux des spectateurs. La beauté de la grande salle où se passoit l’action s’accordoit merveilleusement bien avec les majestueux ornemens de ce superbe théâtre : sur lequel, avec un transport difficile à exprimer & qui fut suivy d’une acclamation universelle d’estonnement, paroissaient de fort delicieux jardins, ornez de grottes, de statues, de fontaines & de grands parterres en terrace sur la mer, avec des agitations qui sembloient naturelles aux vagues de ce vaste élément, et deux grandes flottes dont l’une paroissoit éloignée de deux lieues, qui passèrent toutes deux à la veuë des spectateurs. La nuit sembla arriver en suitte par l’obscurcissement imperceptible tant du jardin que de la mer & du ciel qui se trouva éclairé de la Lune. A cette nuit succéda le jour, qui vint aussi insensiblement avec l’aurore & le Soleil qui fit son tour d’une si agréable tromperie qu’elle duroit trop peu aux yeux & au jugement d’un chacun. »

43. Elena Tamburini rappelle que le procédé du lever de soleil sur mer a été créé en 1639 par Le Bernin à l’occasion de l’inauguration du Théâtre Barberini ; elle cite à l’appui le témoignage de Girolamo Teti (1642) : le lever de soleil était « une machine extraordinaire qui avait piégé le public, qui était entré à la tombée du jour

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INTRODUCTION

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rendu de la Gazette laisse croire à une mise en scène dynamique, avec ses allusions aux « agitations » « qui passèrent à la vue des spectateurs », à la « nuit qui sembla arriver », à laquelle « succéda le jour, qui vint », au soleil « qui fit son tour », où tout y est mis en mouvement. L’écoulement du temps crée un mouvement de continuité. Alors que le lieu ne change pas, le temps se modifie dans la réalité de la pièce, grâce à la « machine-lumière » appropriée aux procédés illusionnistes des changements à vue successifs, et qui, en rapport avec les précisions apportées par les dialogues, se font à l’intérieur de l’acte et non aux entractes. Toujours est-il que l’action du texte coïncide avec les 24 heures de l’application théorique de l’unité de temps, telle qu’elle est préconisée à l’époque44 : Mirame montre effectivement l’immersion continue dans la fiction (le jour qui passe selon la révolution d’un soleil avec vue sur le jardin du palais royal). Aussi, le rideau d’avant-scène s’ouvre et se ferme sur l’espace fictionnel des 24 heures. Il est conçu et utilisé pour créer l’effet de surprise et envisager l’illusion scénique dans une continuité par l’immersion ininterrompue du spectateur dans le monde de la fiction. Il est donc ouvert en début de pièce et ne se referme qu'en fin de pièce pour mettre un terme au voyage45. L’illusion, nous dit Jacqueline Lichtenstein, « ne peut opérer que dans la soudaineté d’une capture et l’effraction d’une surprise », celle créée par l’ouverture instantanée du rideau. « Mais pour jouir de cet effet instantané, encore faut-il que cet instant s’inscrive dans un intervalle de durée46 » celui ici de l’immersion continue dans les 24 heures de la fiction de Mirame que la fermeture du rideau viendra rompre, ainsi que le fait remarquer le commentaire de la Gazette.

et qui, par un effet typique du Bernin, s’était retrouvé, l’espace d’un instant, partagé entre vérité sensorielle et vérité rationnelle » (« Guitti, Buonamici, Mariani, les Vigarini », in Les Lieux du spectacle dans l’Europe du XVIIe siècle, sous la dir. de Charles Mazouer, Tubingen, G. Narr, 2006 (Biblio 17 ;165), p.194-195). L’utilisation de la machine solaire utilisée dans Mirame serait entièrement apparentée à la technique utilisée par Le Bernin.

44. Par Chapelain notamment (comme d’Aubignac quelques années plus tard) dans l’un des passages clés de La Lettre des 24 heures où il associe la perception de l’espace et la perception du temps.

45. G. Védier a raison de préciser que ce n’est pas en tant qu’instrument pour camoufler les changements de décor que le rideau est présent du fait que les changements spectaculaires se font à la vue du spectateur (Origine et évolution de la dramaturgie néo-classique, Paris, PUF, 1955, p. 40).

46. J. Lichtenstein, La couleur éloquente, Paris, Flammarion, 1999, p. 184.

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INTRODUCTION

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LES PLANCHES GRAVÉES INTERNES : scénographie « à l’italienne », « machinerie » et « effet de mimesis picturale ».

Dans les cinq illustrations choisies pour illustrer un moment précis de chaque

acte, le même décor apparaît : la vue en perspective du jardin d'un palais royal. Deux documents des Archives Étrangères, étudiés par Anne Le Pas de Sécheval47, confirment que les illustrations reproduisent vraisemblablement le décor réalisé par l’italien Gian Maria Mariani dit « Jean Marie », ancien élève du Bernin, que Mazarin -à l’intention de Richelieu- avait fait venir d’Italie à cette occasion, accompagné de peintres et autres techniciens de la scène : notamment le peintre et paysagiste flamand Manciola, le stucateur Matteo Sassi et deux menuisiers48. Selon l’étude d’A. Beijer, la scène était pourvue d’une machinerie complexe parfaitement adaptée à l’utilisation des décors « à l’italienne » et aux simulations météorologiques sur toile de fond scénique. Les différents témoignages retrouvés dans les documents d’archives montrent l’ingéniosité du scénographe italien49. La machine utilisée pour le lever du soleil dans Mirame, dont ne parle pas Sabbattini puisqu’elle fut inventée par Le Bernin lui-même, aurait été rapportée dans toute sa nouveauté, tant pour les éclairages que pour les changements à vue du jour et de la nuit, par Mariani lui-même50. Selon Elena Tamburini, Le Bernin aurait en fait chargé Mariani, accompagné d’autres techniciens de son entourage, d’en importer le procédé en France51. Les planches de Mirame, signées par cet autre italien Della Bella que Richelieu avait mis sous sa protection, apportent alors la preuve de l’importation du décor dit « à l’italienne » sur la scène française, en 1641. L’illustration privilégie formellement cette intention d’un art théâtral nouveau se référant à une pratique scénographique spécifique et historiquement datée.

47. Anne Le Pas de Sécheval, « Le Cardinal de Richelieu, le théâtre et les décorateurs italiens : nouveaux documents sur Mirame et le ballet de La Prospérité des Armes de France (1641) », Dix-septième siècle, janvier-mars 1995, n° 186, p. 135-145.

48. Pour plus d’informations sur Mariani et sur les artistes-artisans qui l’accompagnèrent à Paris, voir Elena Tamburini, Due teatri per il Principe…, Rome, Bulzoni, 1997, p. 247-248.

49. Une lettre de Chavigny à Mazarin datée du 31 janvier 1641 montre que les machines de Mariani ont eu beaucoup de succès.

50. Voir Anne Le Pas de Sécheval, op. cit., p. 142.

51. Elena Tamburini, op. cit., Guiti, Buonamici, Mariani, les Vigarini, p. 194.

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INTRODUCTION

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Le décor, qui se réfère à la didascalie générale de l’auteur : « la scène est dans le jardin du Palais Royal d’Héraclée, regardant sur la mer », semble être une application directe de ce que dit La Mesnardière du lieu approprié aux « affaires domestiques » des personnes de rang royal censées en effet se dérouler sur « une scène composée de Palais et de jardinages52 », ce qui permet au spectateur d’avoir d’emblée une « idée de la nature de l’action » dans la pièce.

Dans ce jardin sont visibles des grands parterres en terrasse donnant sur la mer et ses deux grandes flottes en fond de scène. Le décor, rigoureusement symétrique, ouvre sur des façades ornées de colonnes, de niches et de fontaines53 et se termine sur une allée de cyprès. Au loin, la côte maritime est entourée par la nature sauvage avec les masses inégales formées par les rochers, ce qui contraste avec le beau jardin urbanisé du palais. Le jardin, comme la cour intérieure du palais utilisée dans les tragédies de la même période, fait partie de l’enceinte du palais, il renvoie au monde privé de la cour par opposition au monde extérieur provenant d’autres contrées. Aussi le lieu ouvert sur les côtes maritimes est-il propre à la tragi-comédie qui favorise les rencontres et le jeu du hasard. Dans Mirame, l’extérieur scénique se justifie au moins pour trois raisons : il permet d’accueillir l’arrivée clandestine de l’amant par le port maritime et aux deux amants de s’y rencontrer la nuit de façon anonyme, d’y voir les deux flottes marines et les combats navals tant attendus du public, enfin il permet de visualiser les machines comme la lune et le soleil. Ici, les éléments météorologiques et leurs diverses variations sur la toile de fond scénique donnent les clés du système temporel, en relation avec le passage du jour et de la nuit54 et donc avec les 24 heures de l’unité de temps. Le repérage du temps se fait également en concordance avec d’autres signes visuels comme le jeu d’éclairage scénique selon qu’il fait jour ou nuit. Le ciel est clair à l’acte I : il fait grand jour ; le ciel est obscurci et la lune apparaît à l’acte II : c’est la nuit (les statues du palais sont assombries grâce à un éclairage scénique adapté, le décor apparaît plus sombre que sur les autres images) ; le ciel est un peu moins nuageux et le soleil est bas dans l’acte III : c’est le soleil du matin ; à l’acte IV,

52. La Mesnardière, La Poétique, Paris, Antoine de Sommaville, 1639, p. 416.

53. Des châssis latéraux sont utilisés pour représenter les statues et les fontaines.

54. Conformément à ce que dit la Gazette de l’obscurcissement ou éclaircissement du plateau : « La nuit sembla arriver en suite par l’obscurcissement imperceptible tant du jardin que de la mer & du ciel qui se trouva éclairé de la Lune. A cette nuit succéda le jour, qui vint aussi insensiblement avec l’aurore & le Soleil qui fit son tour d’une si agréable tromperie qu’elle duroit trop peu aux yeux & au jugement d’un chacun. »

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INTRODUCTION

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le ciel très peu nuageux et plus éclairci suggère le plein jour ; à l’acte V, le ciel comporte une légère brume qui semble indiquer la fin d’après-midi ou la tombée du soir (le ciel est d’ailleurs comparable à celui de l’acte I). La série des cinq images, conformément aux indications données par le texte, montre la durée continue d’un jour à l’autre. La pièce commence l’après-midi, une partie se passe la nuit, le matin apparaît et en fin d’après-midi la pièce se termine.

En fonction des dialogues et du témoignage de La Gazette, il est possible de reconstituer le moment du passage d’un jour à l’autre effectué scéniquement par l’intermédiaire d’un éclairage approprié et par le changement des éléments météorologiques visibles sur la toile de fond scénique. Un changement à vue spectaculaire qui se fait, pour l’acte II, à la scène 2 en fonction de certaines répliques d’Azamor : « Allons, la nuit nous chasse, & Mars des le matin/Fera voir de nos jours quel sera le destin. » L’éclairage scénique assombrit le plateau, conformément à ce que dit la Gazette : « obscurcissement imperceptible tant du jardin que de la mer ». Le jour commence, dès la fin de la scène 4 de l’acte II, par l’éclaircissement du plateau et c’est ensuite le soleil qui apparaît en fonction des répliques de Mirame et d’Arimant :

-Mirame : Le jour commence, il se faut retirer (éclairage scénique lumineux). -Arimant : Non non, ce sont vos yeux qui font cette lumière. -Mirame : Le Soleil toutesfois commence sa carriere (machine du lever de soleil).

Pour l’Acte III, scène 5 pris pour référence dans l’illustration c’est à priori le même soleil du matin qui n’a pas changé. Une brume matinale est représentée dans l’image. D’après les images, la toile de fond doit changer encore deux fois : le ciel est plus brumeux à l’acte V qu’à l’acte IV. Or, plus rien dans le texte ne précise qu’un tel changement a eu lieu. Pas plus que le texte, la Gazette ne précise les changements à vue effectués au cours des deux derniers actes. Toujours est-il que la pièce s’achève en plein jour.

Par ailleurs, l’écoulement du temps entre deux soleils charge les données élémentaires d’un ordre temporel d’une pluralité de sens en rapport avec

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INTRODUCTION

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l’action dramatique. Comme le souligne Hélène Visentin, la machine-lumière est « au centre d’une scénographie qui se veut une interprétation du poème dramatique et (qui) fournit aux spectateurs des éléments leur permettant de comprendre et de visualiser l’œuvre en action55 ». Ainsi, les astres qui ont une fonction poétique accompagnent le discours bien réglé de la crise humaine déclenchée par les passions et les rivalités amoureuses : la lune pleine rivalise avec le soleil comme chez Ovide. De même, le passage de la nuit au jour est utilisé en fonction d’une fin démonstrative. La nuit permet de transgresser les interdits, c’est la nuit que les amants peuvent se parler de leur amour en toute confiance, et dès l’aurore ils doivent se séparer. D’un point de vue métaphorique, la mise en lumière de cet amour, à priori impossible, ne peut que les conduire à la mort. Or, dénouement heureux oblige : lorsque la pièce s’achève en plein jour, la preuve de la naissance royale d’Arimant a été donnée par le messager, ce qui permet au couple amoureux de pouvoir s’aimer désormais en toute quiétude et de se marier. Comme dans l’Iconologie de Ripa56, le soleil est ici symbole de vérité et c’est à la lumière du jour que la situation des personnages est clarifiée. Dans cette tragi-comédie, le plein jour correspond à la résurrection symbolique de Mirame (Acte V, 7) qui n’était qu’endormie et à celle d’Arimant qui n’était qu’évanoui. La nuit fait place au jour, c’est donc la vie qui prend le dessus sur la mort. Le soleil est aussi le symbole de l’amour triomphant. On sait que le soleil révéla les amours de Mars et de Vénus. Mars est pris à témoin par Arimant. Enfin, le soleil est le symbole de la vérité : lorsque la pièce s’achève en plein jour, la preuve de la naissance royale d’Arimant a été donnée par le messager. C’est ainsi que la vérité est mise en pleine lumière.

La spécificité de la machine-lumière dans la représentation de Mirame doit être pensée sous ses différents aspects : pratique (disposition scénique de la machine-lumière), poétique (règle aristotélicienne des unités), symbolique et enfin politique : le roi qui gouverne et pour qui la pièce a été représentée est le

55. Hélène Visentin, « L’éblouissement dans les pièces à machines » in Le siècle de la lumière, sous le direction de Christian Biet et Vincent Jullien, Fontenay/Saint-Cloud, ENS, 1997, p. 270.

56. Iconologie ou Explication nouvelle de plusieurs images, emblèmes et autres figures hiéroglyphiques des vertus, des arts, des sciences…Tirée des recherches et des figures de Cesare Ripa, desseignées et gravées par Jacques de Bie et moralisées par Jacques Baudoin, Paris, l’auteur, 1643, rééd. Paris, Aux Amateurs de Livres, diffusion Klincksieck, 1989. Un dictionnaire de figures symboliques qui fait référence à cette époque.

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INTRODUCTION

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soleil princier57 dont le pouvoir est absolu, il participe à l’ordre et à la symétrie et régit le monde.

Tandis qu’en politique s’affirme le pouvoir monarchique divin, dans le domaine artistique c’est « l’œil du prince58 » qui s’impose désormais -vision du roi comme vision du monde. A cet effet, le décor unifié en perspective frontale dans Mirame a été conçu en fonction de la position centrale du roi dans la salle : c’est l’emplacement idéal calculé en fonction du point de fuite et des effets de l’illusion. Dès lors, l’illustration du livre permet au lecteur-spectateur de l’image d’adopter cette position centrale et individualisée. On tient là, grâce aux images, le signe d’un nouveau rapport au spectateur, tenu à distance de la scène de façon frontale59 -ce qu’instaure d’emblée l’effet de cadre. ESPACE SCÈNIQUE ET THÉORIES RÉGULIÈRES

La question de l’illusion liée à la vraisemblance, aux règles des unités et à la mimesis60 tient une place prépondérante dans les illustrations de Mirame. Aussi le décor utilisé est-il celui d’une transposition esthétique et picturale d’un véritable jardin. Mirame entre de plein droit dans la définition des théories régulières dont l’essentiel du discours sur l’image se fonde sur la perfection d’une imitation qui fait croire à la présence réelle de l’objet, conformément à ce que préconise Chapelain en 1631 dans sa Lettre des 24 heures, dans laquelle il engage la

57. La figure principale de l’allégorie de la puissance comme propagande royale de Louis XIII est celle du soleil.

58. Dont on sait qu’il correspond à l’emplacement central du roi dans la salle, point de vue idéal calculé en fonction du point de fuite et des effets de l’illusion. Il y a ici l’idée nouvelle en France que le tableau scénique ou pictural régulier implique un spectateur unique.

59. Ce qui n’est pas le cas dans les théâtres publics où le spectateur est à la fois dans la salle et sur scène.

60. La question de l’illusion liée à la vraisemblance et à la mimèsis tient une place prépondérante dans l’inter-relation entre les arts, au sein même du livre illustré. Il existe une manière de voir et de concevoir l’illusion commune aux peintres, graveurs, illustrateurs, dramaturges, décorateurs. Au regard de l’Ut pictura poesis (« la poésie est comme la peinture »), axiome horacien reconnu par les artistes du XVIIe siècle qui fait débat, l’art de l’illustrateur s’intéresse aux règles dramaturgiques des unités pour y chercher des modèles et, réciproquement, la peinture est mise au centre des préoccupations intellectuelles par les hommes de théâtre. L’unification de l’image qui illustre le texte s’accomplit parallèlement à l’effort théorique. Aussi, l’esthétique même de l’image du livre met en place de façon effective des modes de visibilité centrés sur l’application des trois unités. L’unité du regard, qui ne peut s’accommoder que de la ressemblance illusionniste, définit celle de la représentation et donne naissance réciproquement aux règles des trois unités. Voir l’article de Catherine Guillot, «Unité, illusion et vraisemblance dans l'illustration du texte dramatique de la première moitié du XVIIe siècle», Littératures Classiques, sous la dir. de Patrick Dandrey et Georges Forestier, n° 44, hiver 2002, p. 51-72.

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INTRODUCTION

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« créance du spectateur », comme plus tard d’Aubignac qui opte pour la véracité de l’image peinte61. En relation avec ces théories concernant la mimesis62, le tableau scénique dans Mirame est signe d’un paysage véritable – « ou supposé comme tel » selon d’Aubignac – dont les formes, proportions, motifs reprennent un certain nombre des qualités de leur référent. L’art et la nature s’unissant alors dans l’expérience esthétique du spectateur qui opère au niveau mental un va-et-vient quasi instantané entre quelque chose qu’il accepte comme réel et ce qui n’est qu’une imitation feinte de la réalité. Les techniques de la scène « à l’italienne » répondaient entièrement aux attentes des réguliers.

En outre, la défiance des réguliers vis-à-vis de l’imagination mal guidée dicte le principe de continuité d’illusion, on ne peut concevoir que le spectacle change de lieu à chaque acte, la moindre rupture étant susceptible de briser la « créance du spectateur ». Le lieu unifié, qui acquiert dans Mirame une forme scénique exigeante, doit donner l’impression au spectateur que l’action évolue dans une simplicité rigoureuse, conformément d’ailleurs à la théorie de l’unité de lieu prônée par d’Aubignac lorsqu’il fait remarquer que l’aire de jeu ne doit pas changer pendant la représentation63. Et c’est l’écoulement du temps dans Mirame qui permet de créer un mouvement de continuité. La pièce a bien été créée dans le but de répondre à cette capacité du spectateur de se croire face à un événement réel, regardant par le cadre de scène64 l’action qui s’y déroule sur toute une journée. Le compte rendu de la Gazette laisse croire à une mise en scène dynamique, avec ses allusions aux « agitations » « qui passèrent à la vue des spectateurs », à la « nuit qui sembla arriver », à laquelle « succéda le jour, qui vint », au soleil « qui fit son tour », où tout y est mis en mouvement. Alors que le lieu ne change pas, le temps se modifie dans la réalité de la pièce, grâce à la « machine-lumière » de G. Mariani appropriée aux procédés illusionnistes des changements à vue successifs, et qui, en rapport avec les précisions apportées par les dialogues, se font à l’intérieur de l’acte et non aux entractes – ce qui reste 61. D’Aubignac, La Pratique, Liv. I, chap. VI, 1657, p. 77-78 (éd. Hélène Baby, Paris, Champion, 2001).

62. Pour les réguliers, de manière générale, le système de référence fondé sur une réalité vraisemblable doit permettre au spectateur d’oublier qu’il assiste à une représentation.

63. Op. cit., Liv. II, chap. VI, p. 157.

64. On peut parler comme en peinture de fenêtre ouverte sur l’espace de la représentation. Derrière la fenêtre du palais, se trouve le jardin du palais royal, le spectateur faisant lui-même partie d’un tout cohérent et relié, rendu possible dans la salle du Palais Cardinal notamment par le cadre de scène apparent peint en trompe l’œil. En effet, les deux colonnes placées de chaque côté du cadre de scène (côté salle) suivent le prolongement architectonique harmonieux du décor scénique.

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INTRODUCTION

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sans précédent en France. De fait, les changements à vue du jour et de la nuit, à partir d’un décor fixe qui respecte parfaitement l’unité de lieu et qui tend à la figuration illusoire du mouvement des astres, sont une grande nouveauté pour l’époque.

En s’assujettissant aux règles et en jouant des artifices scéniques de la machine-lumière, l’auteur ne perd pas de vue le principe de base qui fonde la représentation sur le respect des règles et le plaisir du spectateur. Le spectacle de Mirame trouve en effet un bon compromis au problème d’une stricte unité de lieu qui priverait le spectateur des effets spectaculaires qu’il réclamait pour sa satisfaction personnelle et à celui concernant les changements de décor nuisibles aux effets d’illusion. Avec Mirame, Desmarets sait rester fidèle aux préceptes aristotéliciens de l’art dramatique sans tomber dans l’excès des ornements extérieurs (en l’occurrence les machines) proscrits de la scène lorsqu’ils ne font pas corps avec la pièce. Ce rappel est important si l’on veut saisir tous les enjeux théoriques du genre dramatique du début des années 1640 et l’importance de ce spectacle qui ouvre la voie au spectaculaire visuel sous toutes ses formes – qu’il s’agisse des machines ou de la perfection de l’appareil de la scène au service de l’illusion théâtrale.

A ce titre, il est significatif que sans ses effets de scène le poème dramatique perdrait une partie de sa valeur spéciale et de son effet spécifique, d’où l’importance des images du livre. Le plaisir du spectateur provient de cette rencontre interdisciplinaire entre peinture (dans le sens de la picturalité du décor), architecture, machinerie, et c’est en quelque sorte l’union des arts au service du poème dramatique65 qui constitue l’une des conquêtes majeures de la pièce de Desmarets représentée dans ce théâtre de Cour.

65. Il existe à cette époque, entre les arts et le théâtre, tout un courant d’échanges réciproques, révélateur d’un même esprit. Le parallèle tire son succès du double héritage de la Poétique aristotélicienne et de la Rhétorique, et il s’effectue au moins à trois niveaux : métaphorique (c’est ainsi que les théoriciens du théâtre comparent le tableau au poème dramatique et mettent en avant le sens de leur coïncidence), esthétique (la pensée esthétique témoigne de réflexions croisées entre la dramaturgie et la peinture), scénique enfin (l’esthétique scénographique s’appuie sur le modèle pictural et architectural, l’actio oratoire et l’expression des passions en peinture servent de modèles aux comédiens). Voir l’ouvrage d’Emmanuelle Hénin, ut pictura theatrum, Droz, 2003.

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INTRODUCTION

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MOUVEMENT SCÈNIQUE DES ACTEURS

Un autre aspect intéressant de ces images scéniques concerne le jeu des acteurs et leur mouvement scénique. Chaque illustration est un modèle d’actualisation scénique du texte dans laquelle un moment précis de la scène d’un acte est pris pour référence. En ce sens, l’image du spectacle est complémentaire du texte et apporte des informations inédites. Force est de constater que chaque illustration a pour particularité de se référer en particulier à une entrée en scène d’un ou des personnages, ou une actio66 plus ou moins statique, répondant à une gestuelle codifiée et aux règles de civilité67. Les règles des gestes des bras ont rapport avec les idées contenues dans les paroles prononcées ou l’état psychologique du personnage. Les visages représentés dans les images de Mirame semblent impassibles : l’éloquence du visage répond ici à l’idéal d’une société pacifiée par l’agrément de l’expression. Les traités de civilité tout comme la rhétorique préconisent en effet la juste mesure, le juste milieu, la tempérance, le souci des contenances et le contrôle social devant se lire sur le visage.

Dans la plupart des illustrations, les acteurs se saluent entre eux. Le salut civil

de l’acteur, et le maniement des chapeaux, est une image forte qui envahit l’imaginaire de la représentation du XVIIe siècle.

- À l’acte 1, scène 468 : deux hommes se saluent. L’image fait référence à la rencontre entre le roi, situé à droite (il porte la barbe de l’age mûr), et Azamor (à gauche). Mirame se tient derrière son père, accompagnée de ses suivantes 66. Les caractéristiques du personnage interprété par l’acteur doivent être en tout point conformes au caractère constitutif du personnage, déterminé par des règles poétiques précises et des codes éthiques et sociaux propres au genre dramatique et renvoyant à une figuration plus ou moins stylisée d’attitudes corporelles. Voir à ce propos, l’article de Catherine Guillot, « L’acteur imitateur des passions de l’âme au XVIIe siècle » in Double jeu : l’acteur créateur, sous la dir. de Jean-Louis Libois et Sophie Lucet, CREDAS, n° 1, Presses Universitaires de Caen, 2003, p. 47-57.

67. Sabine Chaouche qui a étudié l’art de l’acteur montre que les comédiens de tragédie et de tragi-comédie de la première moitié du XVIIe utilisent et réadaptent à leur façon d’abord une gestuelle empruntée à la rhétorique ecclésiastique et judiciaire, mais au-delà aux règles de civilité, aux mœurs et coutumes de l’époque. Sabine Chaouche note à ce propos que les traités de civilité sont susceptibles d’éclairer le jeu de l’acteur – notamment ceux de Faret, de Morvan de Bellegarde, de Pasquier, ou de Méré (L’art du comédien. Déclamation et jeu scénique en France à l’âge classique (1629-1680), Paris, Champion, 2001).

68. Benoît Bolduc, qui propose également dans son article de la Revue d’histoire du Théâtre (n° 1-2, 2010), une analyse basée sur l’identification des scènes représentées, suppose qu’il s’agit de l’acte I, scène 4. Nous adhérons à cette interprétation.

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Almire et Alcine. Mirame est pointée du doigt par l’une des suivantes et montre que Mirame est l’objet d’amour dont parle Azamor. Tous les personnages de la scène sont présents.

- À l’acte II, scène 4 : rencontre entre Arimant et Mirame la nuit comme le souligne la lune sur l’image. Arimant qui vient d’entrer en scène, accompagné d’Anténor (« Capitaine de la coste »), s’agnouille devant sa bien-aimée en signe de soumission amoureuse.

- À l’acte III, scène 5 : scène entre Arimant captif – les poings liés – et Mirame. Il salue Mirame qui était déjà présente à la scène 4. La captivité est également marquée par la présence des gardes sur le côté. Par convention théâtrale, les prisonniers sont en fait tenus captifs à l’intérieur du palais (c’est un procédé dont parlera Corneille dans son examen de Médée). La rencontre se fait cette fois le matin, le soleil est visible sur la toile de fond.

- À l’acte IV, scène 1 : entrée en scène de Mirame et d’Almire. Le mouvement scénique est marqué par la distance d’Almire qui est censée se rapprocher de Mirame pour écouter les confidences amoureuses que cette dernière doit lui faire. La partie gauche de l’image est vide et corrobore l’absence de l’être aimé dont parle Mirame. Notons que dès son entrée en scène, Almire crée un lien gestuel avec les figurants placés en fond de scène.

- Acte V, scène 7 : l’image montre le mouvement scénique effectué par les personnages lors de l’entrée en scène de Mirame. Le roi et Azamor sont en scène. Mirame, aidée et soutenue par ses servantes et Almire, est en train de s’éveiller (après avoir respiré la plante qui l’a fait dormir profondément). Son père vient à sa rencontre.

De par la sélection des scènes de rencontres amoureuses, l’illustrateur priviligie l’intrigue amoureuse chère à la tragi-comédie et, de fait, les différentes situations qu’entraîne la passion amoureuse : déclaration d’amour, souffrances et malheurs de l’amant infortuné (scène de captivité). Le décor participe également de la « nature des sentiments », il constitue un topos : il est conçu comme un espace structuré et signifiant, corroborant la nature des sentiments.

Dans la mise en situation des personnages, les figurants qui ne sont pas mentionnés par le texte ont une importance capitale. Les rencontres de la journée se font dans un lieu public où tout le monde peut écouter et entendre ce qui s’y dit. Les figurants sont d’ailleurs pris à témoin par Almire à l’acte IV par son geste de la main. La main a ici une fonction sociale d’échange : elle montre, elle prend à témoin. A l’inverse, pour la scène nocturne, seuls les quatre

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personnages principaux mentionnés par les didascalies du texte sont présents. La rencontre se fait alors clandestinement et c’est la nuit qui favorise l’anonymat de la rencontre amoureuse.

Une remarque générale concernant le mouvement scénique de l’acteur peut être faite : l'ordonnance de l'unité architecturale est corroborée par la rigueur géométrique de l'emplacement des principaux personnages de la pièce sur une aire de jeu située plus précisément à « l’avant-scène ». En tout cas, les acteurs principaux jouent au centre du plateau (c’est surtout là qu’ils sont les mieux éclairés) tandis que les figurants, assez nombreux, sont sur les côtés. Les illustrations montrent aussi que les personnages féminins sont placés d’un côté (à jardin) et les personnages masculins de l’autre (à cour). Les principaux personnages jouent principalement de trois quarts, à l’exception de Mirame représentée de face à l’acte V. Ce sont principalement les modes du temps de Louis XIII qui sont utilisées dans cette mise en scène de Mirame. Notons que les représentations de cour sont autant d’occasions de porter des costumes somptueux.

Dans cette scénographie d’ensemble où le corps de l’acteur est englobé dans un décor gigantesque et dans un espace où la picturalité a toute son importance, seuls véritablement les effets illusionnistes du décor et de la machinerie semblent compter. Toujours est-il que dans ce type de scénographie, le corps de l’acteur s’accorde et s’intègre aux normes de la peinture. D’ailleurs, aucune mention spéciale n’est faite de la troupe qui a joué la pièce et encore moins d’un acteur en particulier.

L’IMAGE DU LIVRE : DES ENJEUX MULTIPLES

Cette mise en « spectacle du poème dramatique » par l’image montre combien la scénographie et sa « syntaxe spectaculaire » (machine-lumière, mimésis picturale) est un principe actif au cœur même de la représentation et son système symbolique. L’édition illustrée dans sa globalité montre qu’il s’agit d’un texte écrit en fonction d’un processus de « spectacularisation » de l’action et que l’on peut parler en terme de complémentarité du texte et de l’image de spectacle. L’union stratégique des éléments spectaculaires ou visuels et des éléments littéraires servant de guide indispensable au lecteur. Dès lors, ces images du livre, qui permettent donc de reconstituer la mise en scène du

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INTRODUCTION

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spectacle et ses effets visuels, sont exceptionnelles à plus d’un titre : elles montrent que le spectacle qui fait date dans l’histoire du théâtre comporte des enjeux artistiques, esthétiques, politiques voire même idéologiquement forts et très novateurs pour la période. Les images du livre associées à leur référent théâtral permettent en outre de prendre en compte les deux modes de réception du théâtre, l’une poétique et livresque par la lecture, l’autre plus proprement théâtrale par l’illustration du spectacle : réservé à la Cour, dans le cas de Mirame, mais que tout lecteur peut désormais contempler. Desmarets et Richelieu son mécène comptaient précisément sur les gravures du spectacle pour reconstituer toute la magie de la scène construite initialement pour accueillir les techniques nouvelles de la mise en scène « à l’italienne » dans la salle du Palais-Cardinal.

Par ailleurs, et c’est sans doute un enjeu politique important, les illustrations du livre de par leur diffusion dans le cadre du circuit éditorial contribuent à la propagande politique de prestige national, à la mise en circulation d’images de spectacles dont le sujet de la pièce et du spectacle associés, comme précisé dans « l’épître au roi », ont pour objectifs de célébrer les exploits du roi. Au-delà du simple divertissement de Cour, la construction de la Grande salle du Palais-Cardinal fait partie de la propagande politique culturelle des plus affirmée du Cardinal, elle permet en outre de montrer aux autres pays de quoi la France est capable. C’est dire si le pouvoir a besoin de grands projets culturels lui permettant de se penser comme puissance d’action et de persuasion. En bref, la salle du Palais-Cardinal est emblématique de la politique-spectacle du ministre et du roi, et c’est à l’illustration que revient d’en diffuser l’image.

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