jarczyk tran duc thao - kojeve
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7/26/2019 Jarczyk Tran Duc Thao - Kojeve
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Genses
Alexandre Kojve et Tran-Duc-Thao. Correspondance inditeGwendoline Jarczyk, Pierre-Jean Labarrire
Citer ce document Cite this document :
Jarczyk Gwendoline, Labarrire Pierre-Jean. Alexandre Kojve et Tran-Duc-Thao. Correspondance indite. In: Genses, 2,
1990. A la dcouverte du fait social. pp. 131-137;
doi : 10.3406/genes.1990.1033
http://www.persee.fr/doc/genes_1155-3219_1990_num_2_1_1033
Document gnr le 23/03/2016
http://www.persee.fr/collection/geneshttp://www.persee.fr/doc/genes_1155-3219_1990_num_2_1_1033http://www.persee.fr/author/auteur_genes_37http://www.persee.fr/author/auteur_genes_38http://dx.doi.org/10.3406/genes.1990.1033http://www.persee.fr/doc/genes_1155-3219_1990_num_2_1_1033http://www.persee.fr/doc/genes_1155-3219_1990_num_2_1_1033http://dx.doi.org/10.3406/genes.1990.1033http://www.persee.fr/author/auteur_genes_38http://www.persee.fr/author/auteur_genes_37http://www.persee.fr/doc/genes_1155-3219_1990_num_2_1_1033http://www.persee.fr/collection/geneshttp://www.persee.fr/ -
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Genses
2,
dec. 1990, p. 131-137
C est
en
1947
que
fut publi, chez Gallimard,
l ouvrage d'Alexandre Kojve
qui devait
marquer si
durablement
le
cours des
tudes
hgliennes
en
France. Son titre exact : Introduction la lecture
de
Hegel.
Leons
sur
la
Phnomnologie de esprit,
professes
de 1933
1939
l'cole
des Hautes-tudes,
runies et publies par
Raymond
Queneau.
L'anne
suivante,
parut
ce propos, dans les Temps
modernes,
un
article
de
Tran-Duc-Thao intitul
La
phnomnologie
de
l'esprit
et
son contenu
rel1
.
Peut-tre
la direction
de
la
revue
entendait-elle
prendre
quelque distance vis--vis
de
la teneur
de
ce
texte,
puisqu elle
le produisit sous
la
rubrique Opinions ,
et
lui
adjoignit
une note prliminaire qui exprimait une claire
rticence.
Voici cette note
:
L'tude
qu'on va
lire
restitue
avec une rigueur scientifique la
pense de
Hegel sur
les rapports de
la matire
et de l'esprit
comme
identit de l'identit et de
la
non-identit . Le mot de
matrialisme ,
l'ide
d'une dialectique propre
la
nature
sont-ils,
dans ces
conditions, les
plus convenables
pour exprimer
cette pense, voil
ce
que nous nous demanderions, -
si
nous ne
devions attendre, pour le faire, la thorie de la nature dont
l auteur ne donne
ici
qu'un aperu. Mais,
mme
si nous
formulons
autrement
que
lui les conclusions, et parlons
d'ambigut, quand
il parle
d'objectivit
ou de
nature,
son
exgse a pour
nous la
valeur
d'un
rappel
l'ordre
: il ne faut
pas
affadir la pense de
Hegel,
il faut
en
regarder
en
face
l'nigme
centrale,
cette dhiscence
qui ouvre
la
nature l'histoire, mais qui a dj son
analogue
l'intrieur de
la
nature,
et ne s'explique
donc
pas par en bas ,
mais pas davantage
par en haut.
D'emble, Tran-Duc-Thao
laissait entendre, de
fait,
qu'il aborderait
la
prsentation
de
l'ouvrage
de
Kojve
sous
la
raison, ses
yeux positive et
capitale, qu'il offre
une confirmation
de
la
lecture des
dialectiques
de
autoconscience
esquisse
par Marx.
Pour la premire fois,
crivait-il, l'on se trouve devant une explication
effect ive, qui
donne
au
texte un sens
concret
en
le rapportant
des
faits rels.
Sous
le
devenir
de
la conscience
de
soi,
Marx avait reconnu le mouvement
de
l'histoire
humaine
;
il
restait
le
montrer
dans
le dtail
du
contenu.
Le commentaire
de
Kojve nous en offre
un
essai, d'un
rare brillant
et d'une
profonde originalit.
ALEXANDRE KOJEVE
ET
TRAN DUC THAO
CORRESPONDANCE
INDITE
Prsentation de
Gwendoline Jarczyk
et Pierre-Jean Labarrire
1 3e anne, n 36, septembre
19480,
P-
492-519.
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Kojvet
Tran-Duc-Thao
2. La lettre de Kojve
a
t
rcemment
analyse
et cite en
partie par
Dominique
Auffret
dans
son ouvrage intitul Alexandre
Kojve. La Philosophie, l'tat, La
fin de l'Histoire,
Paris, Grasset,
1990, p. 249.
3. Un
mot
bien
tonnant pour
qui
connat
la haute probit scientifique
de Kojve.
On
peut penser pourtant
que
l'inflchissement ici
avou
commence
avec la dcision de
sens
qui consiste
rendre
par le
terme
esclave
le mot
allemand
Knecht,
dont
on
sait qu'il
a
une signification
plus
familire,
moins
dramatique.
Sur ce point,
cf. G.
Jarczyk,
P.-J.
Labarrire,
les Premiers
Combats de la reconnaissance.
Matrise et Servitude dans la
Phnomnologie de l'Esprit de
Hegel, Paris, Aubier-Montaigne,
1987.
4. Cf.
la
juste dnonciation
de
ces
pratiques
pdagogiques
par
Franois
Chtelet
dans son pamphlet
intitul
la Philosophie des professeurs,
Paris, Grasset,
1970, p.
114-116.
Or donc,
c'est
partir
de
Marx que Tran-Duc-Thao
juge l'interprtation kojvienne ;
il
lui
fait gloire d'avoir
anticip le jugement que
l'on
rencontre l, tout
en
lui
faisant reproche de n'tre pas all
jusqu'au
bout de cette
logique , ce qui aurait d le conduire dresser
l image d'un
Hegel rsolument
matrialiste
. La thse de
Tran-Duc-Thao
ainsi
dgage,
il
ne parat
pas
ncessaire
d'entrer
dans
le
dtail
de
son
argumentation ; aussi bien,
l'change
de
lettres dont cet
article fut
l'occasion
donne-t-il
de
faon suffisamment claire l'essentiel
de
ce
qui
l
se trouve en
jeu.
Les deux
textes
qui
suivent
lettre
de
Kojve
tape
la
machine, date du 7 octobre
1948, et
rponse
manuscrite
de
Tran-Duc-Thao du
30
octobre 1948 sont
la
proprit de Mlle Nina Ivanoff, lgataire
d'Alexandre
Kojve. Elle
a
bien
voulu accder
la demande
qui
lui
fut faite,
et permettre la
publication, pour
la premire
fois,
de
cette correspondance2.
Nous lui
en exprimons
notre
sincre
reconnaissance.
On peut imaginer que Kojve,
ayant
se
dfendre
contre une amicale contestation
lui
faisant reproche de
n'tre pas all au bout d'une
lecture
matrialiste
de
Hegel, aura
tendance
faire quelque concession en ce
sens
;
c'est
pourquoi
il
faut
sans
doute
temprer
l'aveu
qu'il
fait
d'avoir
consciemment renforc le rle
de
la
dialectique du Matre et
de
l'Esclave
pour des raisons
de propagande3
et
pour frapper les esprits . Il est
nanmoins prcieux
de
prendre
acte
de
ce fait :
Kojve
avait conscience d'avoir inflchi
la porte et
le
sens
mme
de
cette dialectique
laquelle son expos allait
confrer une influence durable et nettement oriente. Ce
faisant,
il ne
se conduisait certes pas
en
banal
propagandiste
d'une
lecture historic
s ante et immdiatement
rvolutionnaire , comme le firent dommageable-
ment nombre
de
ses
lecteurs-utilisateurs4
; mais
il
laissait percer
sa propre conception des rapports entre na-
turalit et
histoire
humaine. C'est pourquoi
sa lecture
conserve tout
son intrt,
mme si
on
ne
peut y voir une
exgse objective de cette
part
de l'uvre de Hegel. En
somme,
Kojve, et c'est en cela
qu'il est
un penseur
original,
n'entend pas faire un commentaire
de
la pense
de Hegel,
ce qui aurait
relev
du genre
tude
historique
:
il
veut
proposer
un
cours
d'anthropologie
phnomnologique
;
et
cela, crit-il, en me servant de
textes
hgliens , ne retenant d'eux
que
ce qu'il
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estime
tre la vrit , laissant
tomber ce
qui
lui
semble tre une
erreur
.
Il convient
donc
de
prter
ici attention ce qui
relve d'un
kojvisme
explicitement
non
hglien,
encore
qu'il ait
t
induit
et
port par cette
lecture de
Hegel.
L'essentiel tient
sans doute dans
l'intelligence
de ce que
Kojve appelle un
dualisme dialectique .
Alors que Tran-Duc-Thao parie sur la dialecticit
implicite de
la
nature, dont le dveloppement serait raison
de l'apparition de l'esprit,
Kojve
invente une tierce
voie,
qui vite
la
fois
dualisme et monisme
ontologiques ; si
dualisme
il
y a,
il
est
temporel
et
non
spatial
: la nature
a
exist avant
l'homme
et
sans
lui, mais, depuis l'homme, elle n'a
sens
que d'tre
nie pour apparatre comme esprit. Point de dualisme
ontologique,
par
consquent
et
Kojve
n'a
aucune
peine l'accorder son interlocuteur mais pas
davantage
de
monisme
; car, contrairement ce que
pense Tran-Duc-Thao,
la
transition de
la
nature
l esprit
Kojve
prfre dire :
de
la
nature l'homme ne
s'opre pas sous mode d'une dduction, c'est--dire
partir d'une
prsupposition
de
nature
matrialiste ,
mais procde
toujours d'un acte de libert qui tient
dans une assomption ngative
du
donn
naturel.
Bref,
pour
Kojve,
le
dualisme
nature/esprit
dont
la
forme
historique est le dualisme nature/homme est
dialectique
(pas seulement linaire, mais proprement r-
flexif),
du fait que l'esprit ou l'homme
ne peuvent
pas tre dduits
partir de
la nature, la
coupure
tant
faite par l'acte
de
libert
cratrice,
c'est--dire
ngatrice
de
la
nature
.
C'est de
la sorte que
Kojve
assoit un
athisme
sans
faille.
L'homme est
en
effet autre
que
le
divin
paen ,
lequel
est
identique
la
nature
elle-mme alors
que
l'Homme
n'est Homme
qu'en niant cette
nature ;
il
exclut aussi le
Dieu chrtien , postul comme
antrieur
la
nature
et la
crant
par
un
acte
positif
de
sa volont
alors que la ngation que
l'homme opre de cette nature
la
prsuppose
ncessairement,
ontologiquement
et
dialectiquement .
[La lettre de Kojve porte des
corrections ou adjonctions
marginales
de
sa
main
:
elles
seront
indiques en note. Quant
la
ponctuation, elle est
celle
de
l'original.
Notons enfin qu'il est
parfois
difficile de
faire le
dpart
entre les ajouts
de
Kojve lui-mme
et nombre
de
graphismes marginaux
ou
de soulignements
qui sont
manifestement
le
fait
d'un
lecteur
postrieur,
cochant
de la
sorte
ce
qu'il pensait le
plus
important et
voulait lui-mme
retenir. Ne
seront
ici repris
que
les
soulignements
pratiqus
la
machine
crire, et
qui donc remontent ncessairement
la
premire frappe]
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[Lettre de Kojve Tran-Duc-Thao]
Paris,
le 7
octobre
1948
Cher Monsieur,
Je
viens de
lire
dans les
Temps Modernes
votre
article
sur
la
Phnomnologie
de
l'Esprit
qui m'a beaucoup intress. Je voudrais d'abord vous remercier des
paroles
plus qu'aimables que
vous avez
cru devoir crire
mon
sujet.
J'y suis d'autant plus sensible que
le fait
d'avoir
fait publier
mon livre dans l'tat chaotique que
vous
connaissez continue me donner des remords.
Quant au
fond mme
de
la
question, je
suis,
dans l'ensemble, d'accord
avec l'interprtation
de
la
phnomnologie
que
vous donnez.
Je voudrais signaler, toutefois, que mon uvre n'avait
pas
le
caractre
d'une
tude
historique
; il m'importait relativement
peu de savoir
ce
que
Hegel
lui-mme a
voulu
dire dans son livre ;
j'ai
fait un cours d'anthropologie phnomnologique en me servant de
textes hgliens,
mais
en ne disant
que
ce
que je considrais tre
la vrit,
et
en laissant tomber ce
qui
me
semblait tre, chez
Hegel, une
erreur. Ainsi1, en
renonant
au monisme hglien, je me suis
consciemment
cart
de ce grand philosophe. D'autre part, mon
cours
tait essentiellement une uvre
de
propagande
destine
frapper
les
esprits.
C'est
pourquoi
j'ai
consciemment
renforc le
rle
de
la
dialectique
du Matre
et de
l Esclave
et, d'une manire gnrale, schmatis
le contenu
de
la
phnomnologie.
C'est pourquoi je crois personnellement qu'il
serait
au plus haut point souhaitable que
vous
dveloppiez,
sous forme
d'un
commentaire
complet les grandes
lignes
d'interprtation2
que vous avez
esquisses
dans l'article auquel je me rfre.
Une
petite
remarque seulement. Les termes
sentiment
de soi et conscience de soi
sont
de
Hegel
lui-mme qui dit expressment qu'
la
diffrence
de
l'homme,
l'animal
ne
dpasse jamais le
stade
du
sentiment
de soi .
Le terme
lutte
de
pur prestige ne se
trouve
effectivement
pas chez
Hegel, mais je crois qu'il s'agit
l
uniquement d'une
diffrence
de
terminologie, car
tout
ce
que je
dis au sujet de
cette
lutte s'applique parfaitement ce que Hegel
appelle
la
lutte
pour la
reconnaissance
.
Enfin,
en
ce
qui concerne ma
thorie
du
dsir
du dsir
,
elle
n'est
pas
non
plus
chez
Hegel
et je ne suis pas sr
qu'il
ait bien vu
la
chose. J'ai introduit cette
notion
parce que j'avais
l'intention
de faire, non
pas un
commentaire de la
phnomnologie, mais
une interprtation ; autrement dit, j'ai
essay de retrouver les prmisses
profondes
de
la
doctrine hglienne et
de la
construire en
la dduisant
logiquement
de ces
prmisses. Le dsir du dsir
me
semble tre l'une des prmisses fondamentales
en question,
et si Hegel
lui-mme
ne l a
pas
clairement dgage,
je
considre que,
en
la
formulant
expressment,
j'ai
ralis
un certain progrs philosophique.
C'est
peut-tre le
seul
progrs
philosophique
que j'ai ralis, le reste n'tant plus ou moins que de la
philologie,
c'est--dire prcisment
une
explication de
textes3.
Le
point le
plus
important est la
question
du
dualisme
et
de l'athisme que vous voquez
dans la
dernire
section de votre
article
(pages 517 519). Je dois dire que je ne suis pas d'accord avec ce
que vous
y
dites,
mais
je
crois
que
la
divergence
ne
repose
que
sur
un
malentendu.
Votre raisonnement serait certainement
exact s'il
se rapportait un
dualisme
proprement dit, c'est-
-dire abstrait et non dialectique.
Je
dirais comme vous
que
tout
dualisme
est
ncessairement
diste,
puisque, s'il
y
a deux
types
d'tre (Nature
et homme), il y
a ncessairement
l'unit des
deux qui
leur
est, d'une faon quelconque, suprieure , et cette
unit
ne peut tre conue autrement que comme
une
entit
divine. Mais le
dualisme que
j'ai en
vue
est
dialectique. En effet, je me suis
servi
de
l'image
d'un
anneau
en or, mais
il
n'existerait pas non plus en tant qu'anneau s'il n'y avait pas de trou. On
ne peut pas dire, toutefois, que le trou existe au mme titre que
l'or
et
qu'il
y a l deux
modes
d'tre,
dont
l'anneau est l'unit.
Dans
notre cas,
l'or est
la
Nature,
le trou
est l'Homme et
l'anneau
- l'Esprit4.
Ceci veut dire que si
la Nature
peut
exister
sans l'Homme, et a, dans
le
pass, exist sans l'Homme,
l'Homme n'a jamais exist et ne peut
pas
exister sans la Nature
et
en
dehors d'elle. De
mme
que
l'or
peut
exister
sans
le
trou,
tandis
que
le
trou
n'existe
simplement
pas
s'il
n'y
a
pas
de
mtal
qui
l'entoure. Etant donn que l'Homme ne s'est cr que dans et par, ou plus exactement encore, en tant
que
ngation
de
la Nature, il
s'ensuit qu'il
prsuppose la
Nature. Ceci
le
distingue
essentiellement
de
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tout
ce qui est divin. Etant donn
qu'il
est la ngation
de
la
nature,
il est autre chose que le divin
paen
qui est la
Nature elle-mme
; et
tant
donn
qu'il
est la ngation
de
la Nature, qui,
comme
toute
ngation, prsuppose ce
qui
est ni,
il
est5 diffrend6 du Dieu
chrtien
qui, lui, est au contraire antrieur
la Nature
et
la cre par
un
acte positif
de
sa volont.
Je ne dis
donc
pas qu'il y a
simultanment
deux modes
d'tre :
Nature
et Homme. Je dis que
jusqu'
l'apparition
du premier Homme (qui
s'est
cr dans une lutte de prestige), l'tre tout entier
n'tait que Nature. A
partir du
moment o l'Homme
existe,
l'tre
tout
entier est
Esprit, puisque
l'Esprit
n'est
autre
chose
que
la7 Nature
qui implique8
l'Homme,
et
du moment
o le
monde
rel
implique,
en fait, l'Homme, la Nature au
sens
troit du mot10 n'est plus qu'une abstraction. Donc, jusqu' un
certain
moment du
temps, il
n'y avait que Nature et partir
d'un
certain moment, il
n'y a plus
qu Esprit.
Or,
puisque ce
qui est vraiment
rel
dans l'Esprit (l'or de l'anneau),
c'est la
Nature11,
on peut
dire, comme
vous
le faites, que
l'Esprit
est le rsultat de l'volution de la
Nature
elle-mme12.
Toutefois, je
n'aime
pas cette
faon de
parler,
parce
qu'elle
peut faire croire
que l'apparition
de l'Homme
peut tre
dduite
a
priori,
comme n'importe
quel
autre vnement naturel. Or, je crois que ce n'est
pas
le cas et
que
si
l'ensemble de
l'volution naturelle
peut,
en principe, tre
dduite
a priori,
l apparition de l'Homme et de son
histoire ne peuvent tre
dduites qu'a
posteriori, c'est--dire,
prcisment,
non
pas
dduites
ou
prvues,
mais seulement
comprises.
Ceci
est une faon
de dire que
l'acte
de l'auto-cration de l'Homme
reste
un
acte
de
libert
et que toute
la srie
des actes humains qui
constituent
l'histoire
est,
elle
aussi,
une srie
d'actes
libres.
C'est
pourquoi
je
prfre
parler
de
dualisme entre la
Nature et
l'Homme,
mais
il serait
plus
correct
de
parler
d'un dualisme
entre la
Nature
et l'Esprit, l'Esprit tant cette mme
Nature
qui implique l'Homme. Donc, mon dualisme est
non
pas
spatial ,
mais
temporel : Nature d'abord, Esprit
ou
Homme
ensuite. Il
y a
dualisme
parce que
l'Esprit ou l'Homme ne peuvent pas tre dduits
partir
de
la
Nature,
la
coupure tant
faite
par
l'acte
de libert
cratrice,
c'est--dire ngatrice de
la
Nature.
Je vous serais
trs
reconnaissant, Cher Monsieur, si vous
pouviez
me dire en
quelques mots
dans
quelle mesure les explications, d'ailleurs trs insuffisantes que
je vous
donne dans
cette
lettre
sont
susceptibles de lever
les
objections que vous m'avez
faites.
Croyez, je vous prie, Cher Monsieur, toute ma sympathie.
A.Kojve
1. En
marge
: par exemple .
2.
En marge
: les
grandes
lignes
de
l interprtation .
3.
En marge
: ou un commentaire (
mon
attaque du monisme n'tait pas plus
qu'un
programme) .
4.
Kojve
avait
d'abord
crit
:
et
l'unit l'Esprit
.
Il a
corrig
en marge,
pour
crire
:
et
l'anneau - l'Esprit .
5. Ce est est barr, et remplac
en marge par
le texte
suivant
: prsuppose (ontologiquement et
dialectiquement) cette Nature
et est
donc .
6. Sic
-
il
faut
videmment
lire
: diffrent .
7. La est
barr,
et remplac
en
marge
par
cette mme
.
8. Adjonction
en marge
: dsormais .
9.
Kojve avait d'abord
crit :
du moment
o
la Nature
;
il a corrig en marge
: du
moment o
le
monde
rel
.
10 .
Un
astrisque
simple renvoie
cette
adjonction
en
bas
de page : cd
le
monde
rel moins
l'Homme .
11. Un astrisque double
renvoie
cette adjonction
en
bas
de
page :
l'Homme
n'tant
que la
ngation
(relle,
cd active) de la Nature .
12 .
Un astrisque
triple
renvoie
cette
adjonction
en
bas
de
page
:
Ceci
d'autant plus
qu'avant
l'apparition de l'Homme la Nature tait seule exister
rellement
.
135
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[Rponse de Tran-Duc-Thao Kojve]
Paris,
30 / X 48
Cher Monsieur
Je viens
de recevoir
votre
lettre et vous
remercie beaucoup
des claircissements que vous m'y
donnez.
Ils rejoignent du reste ce que
je
pense moi-mme, car, comme
vous
avez pu le remarquer,
j'ai lu votre livre avec la
plus
grande sympathie. Je crois simplement
que vous
n'allez
pas assez
loin
et
qu'en
refusant de
tirer les
consquences matrialistes de l'humanisme athe, vous
laissez
place,
sans
vous
en apercevoir,
un
retour de l'humanisme religieux. Si l'espace ne m'avait
pas
t mesur,
et si
je
n'avais
pas
eu
d'abord
m'attacher au
fond de
la question, j'aurais insist
encore davantage
sur le
progrs
considrable que vous avez fait sur les interprtations ordinaires de Hegel. Mais
puisque
vous
pensez
que
le
domaine de l'esprit
est
d'essence
historique,
vous ne
sauriez
vous
tonner
que
votre
doctrine qui pouvait sembler rvolutionnaire
il
y a
une dizaine
d'annes, ne
le soit
plus
aprs
les vnements qui, depuis, ont
boulevers
le
cours
du monde et lui ont donn une figure toute
nouvelle.
Naturellement,
il
ne s'agit pas ici de quelque
mdiocre
problme d'rudition et l'on ne saurait
critiquer
un travail comme
le vtre sur les quelques
divergences qui
peuvent se prsenter avec le
texte
de Hegel.
Aussi
bien
ne les ai-je
signales
que
pour
mmoire et en passant.
Il
fallait d'ailleurs marquer
votre originalit,
que
le lecteur ordinaire risquait de mconnatre.
Je dois pourtant
rappeler
ce propos que je
n'ai
jamais ni l'existence chez
Hegel
de
la distinction
de
la
conscience
de soi et
du
sentiment de soi
, et
je vous demanderais
de
croire que je n'ignorais
pas
les textes
qui s'y
rapportent.
J'ai
simplement remarqu, si
vous voulez
bien
me
lire avec
attention,
qu'elle
ne se trouvait pas dans le passage en question (chap. IV),
o elle
ne pouvait
manifestement
jouer aucun rle, puisqu'il s'agissait, cet
endroit,
de supprimer les
oppositions
abstraites et
d engendrer l'humain
partir
de
l'animal.
Quant
la
lutte
de
pur
prestige
,
elle
se
prsente,
dans
la
dfinition
que vous
en
donnez,
comme
une
ngation immdiate et inconditionne de
l'existence naturelle.
Or un concept de
ce genre
ne peut
trouver
aucune place chez Hegel
o
la ngation est toujours
mdiatise.
Pour le cas
qui nous
occupe,
elle
ne peut surgir
que
comme le rsultat de ce dont
elle
est ngation, savoir la nature
qui
se nie
en
s'affirmant.
La
lutte
des
consciences
de soi commence sur
le
plan animal et s'achve, par
la logique
interne
de son mouvement, sur le plan humain.
A
ce sujet, il
me
serait bien
difficile
d'accepter la
conciliation que vous proposez,
o,
reprenant
la distinction de Kant entre folgen et erfolgen.
vous
consentez dire que l'esprit est le rsultat du
devenir de la
nature,
en spcifiant
qu'il s'agit
d'un vnement absolument contingent et non d'une
consquence ncessaire. Or, vous savez trs
bien
que chez
Hegel le
rsultat drive de son
principe
dans un
mouvement dont la ncessit est identique la
libert.
Bien entendu il
s'agit d'un
mouvement
dialectique,
qui
exclut
toute
dduction
a
priori.
Il
ne peut
tre
que
compris
historiquement
ou pos
dans
une praxis.
Mais comprhension et action impliquent ici
une
intelligibilit, qui se trouve justement
nie dans
votre
doctrine de
la
libert.
Je ne vous
ai jamais
attribu,
bien videmment,
un dualisme
grossirement
spatial . Mais je ne
crois justement
pas
possible de transformer le
passage
dialectique de la nature
l'esprit
en une pure
succession contingente, fonde sur un acte de ngation
totalement
arbitraire.
Pour
Hegel la
ngation
est
identique
l'affirmation
et ne fait que
la
raliser dans
son
tre vritable. Si
donc il
y a
dualit-
cette dualit
est identique
l'unit.
Et
il ne
s'agit pas
du tout
de
jeux d'esprit
:
j'ai
prcisment essay
de
montrer
comment
le
marxisme matrialiste permettait de
donner
un
contenu rel
ces
notions
dialectiques fondamentales.
Je ne vous
reproche
donc
pas
d'avoir
spar
la
nature de l'esprit, mais
bien
de n'avoir pas
reconnu
que
cette
sparation
ne
faisait
que
raliser
leur identit.
Car
il
en rsulte
que
la
sparation
ne peut
plus
s'expliquer
que
par une transcendance divine.
Naturellement vous
repoussez
cette consquence
puisque
vous
dfinissez
la
libert par
l'exclusion
de toute intelligibilit, quelque genre
qu'elle
ap-
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7/26/2019 Jarczyk Tran Duc Thao - Kojeve
8/8
partienne.
Mais l'homme
saurait renoncer
comprendre la raison des choses. Et de ce que
vous
refusez
de
trouver le
motif de
la
sparation dans
l'unit
elle-mme,
le
thologien conclura qu'elle drive d'une
incarnation.
Mais peut-tre
n'appartenons-nous
pas
la
mme famille d'esprits. Car avant d'aborder
la
philosophie contemporaine,
j'tais un
spinoziste
convaincu,
et
je sais que
c'est une doctrine
que vous
n apprciez
gure.
Vous dfinissez
la libert par la ngation
de
la
ncessit.
Je
dfends
la grande tradition
rationaliste
qui
les
a
toujours
identifies.
Croyez,
Cher
Monsieur, mes meilleurs
sentiments
Thao
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