Avec cette œuvre composite, apparemment «chaotique», qui représente l’actrice Gretchen Mol sous les traits de la pin-up Bettie Page chevauchant un dauphin, Jeff Koons rend hommage à ses maîtres.

Réalisée par le pape du «néo-pop» entre 2009 et 2011, l’huile sur toile hyper-réaliste Antiquity 3 appartient à la série du même nom. Dévoilée pour la première fois en juin 2012 à Francfort, la série «Antiquity» inclut des sculptures, réinterprétations de statues préhistoriques et

gréco-romaines, et des peintures contemporaines, qui, ensemble, «explorent les thèmes de la fécondité, de la beauté féminine et de l’énergie vitale à travers les âges», selon Lucia Agírre, commissaire de la rétrospective consacrée à Jeff Koons au musée Guggenheim de Bilbao.

L’art de la juxtapositionInfiniment riche et complexe, pour ne pas dire ostentatoire,

Antiquity 3 juxtapose un grand nombre de plans. Au 1er plan, Gretchen Mol, actrice américaine ayant incarné à l’écran la célèbre pin-up Bettie Page, chevauche un dauphin en plastique réalisé par Jeff Koons. Photographiée en 2006 par ce dernier, elle s’apprête à embrasser un petit singe gonflable. Au 2nd plan,

Jeff Koons

ANTIQUITY 3

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Références à peine voiléesCette toile fourmille de références historiques, mythologiques et artistiques. Chaque élément est un clin d’œil à un événement, un mythe ou une œuvre-phare de l’histoire de l’art. Ainsi, «le délicat voilage que l’on devine derrière les sculptures gréco-romaines est une référence à la Nature Morte Vivante de Salvador Dalí, artiste admiré par Jeff Koons», précise Lucia Agírre. Le peintre de Cadaques se serait quant à lui inspiré de Vénus sortant de la mer – une déception, peinture réalisée en 1822 par Raphaël Peale.

Pin-up des années 50Dans cette toile en forme d’hommage au sexe faible, Jeff Koons met en perspective 2 représentations de la féminité. Une féminité dans tous les cas exacerbée et idéalisée. Face aux graciles et virginales silhouettes des statues gréco-romaines, surgit, telle la Vénus de Botticelli, une déesse des plus contemporaines. Il s’agit de l’actrice Gretchen Mol, qui endosse pour la photo le rôle de la célèbre pin-up des années 50, Bettie Page. Ses courbes plantureuses et sa posture suggestive – Gretchen est à califourchon sur un animal phallique – tranchent avec les gestes pudiques des trois figures antiques.

L’œuvre Antiquity 3 est présentée jusqu’au 27septembre 2015 au musée Guggenheim Bilbao dans le cadre d’une exposition-rétrospective exceptionnelle consacrée à Jeff Koons. Coproduite par le Whitney Museum of American Art New York et le centre Georges-Pompidou

Paris, cette manifestation revient sur l’œuvre unique et insolite, souvent incomprise, toujours novatrice, de l’une des figures emblématiques de l’art contemporain. Ses créations tout à la fois complexes et accessibles grouillent de concepts apparemment contradictoires et de références aux

icônes de la «pop culture» (Hulk, Bettie Page, Buster Keaton, Michael Jackson et Bubble, La Cicciolina...) d’une part, et aux maîtres du dadaïsme et du surréalisme, d’autre part. Parmi ses «héros» : Marcel Duchamp, René Magritte et Salvador Dalí.

À VOS AGENDAS

Femmes, femmes, femmesBarrant la composition, de grossiers coups de pinceau esquissent le sexe d’une femme. Surmonté d’un soleil et d’oiseaux schématisés aux ailes déployées, il symbolise la fécondité, un concept universel, cher à l’artiste américain. C’est aussi une référence subtile à l’une des pièces maîtresses de l’histoire de l’art, L’Origine du monde (1866) de Gustave Courbet.

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Jeff Koons (1955), Antiquity 3, 2009-11. Huile sur toile, 259,1 x

350,5 cm. Collection particulière ; courtoisie de la Fundación Almine y Bernard Ruiz-Picasso para el Arte.

© Jeff Koons

une forêt de statues antiques, dans laquelle on croit reconnaître la déesse gréco-romaine de l’amour Aphrodite/Vénus et un satyre, jette un pont entre le présent et le passé. Derrière ces figures réalisées en hommage aux Anciens, une trame colorée rappelle les dots de Roy Lichtenstein. Au tout 1er plan, un dessin d’enfant, grossièrement exécuté, figure un voilier... À moins qu’il ne s’agisse d’un sexe féminin. Dans cette œuvre mâtinée de surréalisme, peuplée d’archétypes populaires et bardée de références artistiques, tous les motifs et tous les niveaux d’images permettent à Jeff Koons, figure emblématique de l’art contemporain, d’affirmer sa filiation avec les créateurs qui l’ont précédé.

Honorine reussard

Déesses gréco-romainesSelon Vinzenz Brinkmann, commissaire de l’exposition-rétrospective consacrée à Jeff Koons au Liebieghaus de Francfort en 2012, l’Américain est d’une certaine façon «le dernier artiste de l’Antiquité». Non seulement Jeff Koons partage avec les Anciens la quête de la perfection, visible à travers ses compositions équilibrées et ses pièces parfaitement exécutées, et le goût des couleurs flamboyantes qui ornaient autrefois les statues antiques mais le peintre et sculpteur leur emprunte également leurs motifs. En témoignent ces 3 statues gréco-romaines, qu’il a lui-même sculptées, puis intégrées à la toile Antiquity 3, et ce satyre, dont seuls les cornes et les sabots apparaissent à l’arrière-plan.

Jouets gonflablesAu-delà de leur dimension «pop», ludique et totalement anachronique, les jouets gonflables attestent de l’influence déterminante de Salvador Dalí sur Jeff Koons, cet éternel enfant qui grandit au milieu d’une forêt d’objets kitsch, vendus par son père. Alors que le dauphin symbolise l’amour, fil d’Ariane de la toile, et le passage entre le monde des morts et celui des vivants, selon la mythologie grecque, le singe, lui, se réfère à la mortalité. C’est également un clin d’œil au tableau de Francis Picabia, Natures Mortes : Portrait de Cézanne, Portrait de Renoir, Portrait de Rembrandt (1920).