joseph moreau - approche de hegel-2
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7/26/2019 Joseph Moreau - Approche de Hegel-2
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Revue Philosophique de Louvain
Approches de Hegel (suite et fin)Joseph Moreau
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Moreau Joseph. Approches de Hegel (suite et fin). In: Revue Philosophique de Louvain. Quatrime srie, tome 80, n46, 1982.
pp. 191-224;
doi : 10.3406/phlou.1982.6183
http://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1982_num_80_46_6183
Document gnr le 25/05/2016
http://www.persee.fr/collection/phlouhttp://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1982_num_80_46_6183http://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1982_num_80_46_6183http://www.persee.fr/author/auteur_phlou_175http://dx.doi.org/10.3406/phlou.1982.6183http://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1982_num_80_46_6183http://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1982_num_80_46_6183http://dx.doi.org/10.3406/phlou.1982.6183http://www.persee.fr/author/auteur_phlou_175http://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1982_num_80_46_6183http://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1982_num_80_46_6183http://www.persee.fr/collection/phlouhttp://www.persee.fr/ -
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Rsum
La vogue de la philosophie hglienne vient de ce qu'elle rpond une exigence d'absolu, inhrente
la pense mtaphysique, en mme temps qu'elle rejette la transcendance ontologique, qui rpugne
la mentalit positiviste. Rien ne saurait tre au del de l'espace et du temps, et il n'est d'autre absolu
que les ralisations de l'esprit dans l'exprience et dans l'histoire. La description de telles ralisations
fait l'objet de la Phnomnologie de l'Esprit; mais pour reconnatre dans ce progrs historique la
manifestation de l'absolu, il faut une rflexion capable de saisir dans l'exprience et dans l'histoire
l'effet d'une ncessit rationnelle, la ralisation d'une exigence pure de la raison, d'o rsulte la
rationalit du rel. La Phnomnologie de l'Esprit requiert donc comme fondement une Logique, qui ne
se rduit pas une thorie du raisonnement formel, qui ne consiste pas non plus dans une critique de
la connaissance, examinant les conditions de l'accord entre la pense et son objet, mais qui s'exerce
dans une construction systmatique, par laquelle l'esprit produit lui-mme son objet mesure qu'il
prend conscience de lui-mme, des exigences de la raison.
C'est de Spinoza que Hegel a reu cette conception de la philosophie comme systme, de la logique
comme exprience de la puissance native de l'entendement; mais il reproche obstinment
Spinoza de n'avoir pas su montrer comment de la considration de l'tre abstrait ou substance la
pense s'lve ncessairement la conscience de soi, la notion de l'tre comme sujet ou esprit. Cedpassement de l'latisme s'accomplit cependant, estime Hegel, dans la dialectique platonicienne, o
l'opposition de Ytre et du non-tre est surmonte au moyen des relations du mme et de Vautre; ce
qui chappe toutefois Hegel, c'est que cette dialectique des genres suprmes, par o se dterminent
les objets de l'entendement, est subordonne dans le platonisme une construction ontologique, qui
se rfre une exigence absolue, qui requiert un principe inconditionn, l'activit d'un Intellect
transcendant.
Dans la synthse noplatonicienne, l'esprit ou l'Intellect n'est pas l'absolu, la premire hypostase; mais
c'est par sa conversion vers l'Un ou Premier principe qu'il se constitue en mme temps que l'Univers
intelligible ; et la Nature ou le monde sensible est drive de lui, comme troisime hypostase. Dans Y
Encyclopdie hglienne, au contraire, la Nature est l'extriorisation de l'Ide, du logos abstrait, et
c'est par le retour soi de l'Ide que l'Esprit se constitue progressivement, est reconquis sur la Nature.
L'hglianisme apparat donc comme un noplatonisme renvers, qui pourrait se rsumer en ces
termes: l'tre abstrait, l'objet le plus gnral de la pense, peut tre tenu pour l'absolu prsent notre
esprit, mais non reconnu comme tel ; et c'est seulement quand nous aurons pris conscience de lui qu'il
sera lui-mme rellement et pour soi, sujet conscient, Esprit absolu ou Dieu. Mais n'est-ce pas l une
proposition aberrante {ein ungereimter Satz, et dit Kant), la conclusion d'une dialectique qui renonce
la conversion primordiale, et qui veut aller l'absolu la tte en bas? troisime hypostase. Dans Y
Encyclopdie hglienne, au contraire, la Nature est l'extriorisation de l'Ide, du logos abstrait, et
c'est par le retour soi de l'Ide que l'Esprit se constitue progressivement, est reconquis sur la Nature.
L'hglianisme apparat donc comme un noplatonisme renvers, qui pourrait se rsumer en ces
termes: l'tre abstrait, l'objet le plus gnral de la pense, peut tre tenu pour l'absolu prsent notre
esprit, mais non reconnu comme tel ; et c'est seulement quand nous aurons pris conscience de lui qu'il
sera lui-mme rellement et pour soi, sujet conscient, Esprit absolu ou Dieu. Mais n'est-ce pas l uneproposition aberrante {ein ungereimter Satz, et dit Kant), la conclusion d'une dialectique qui renonce
la conversion primordiale, et qui veut aller l'absolu la tte en bas?
Abstract
The fame of hegelian philosophy arises from the fact that it yields to a demand for absoluteness,
inherent to metaphysical thought, while rejecting ontological transcendance, as abhorrent to modern
positive mind. There is no being beyond space and time, nothing absolute, if not the realizations of
mind in experience and history. These progressive realizations are described in the Phenomenology of
Mind; but if we are to recognise them as manifestations of the absolute, a sort of reflection is needed
by which experience and history are seen as the effects of rational necessity, according with the
requirements of pure thought, so as to grant the full rationality of being. The Phenomenology of Mind
claims to be founded in a sort of Logic, which is neither reduced to formal reasoning, nor amounts to a
critical examination of cognitive truth, testing conformity between thought and its object, but which aims
at a systematic construction, whereby the mind produces its own object, while becoming aware of the
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It is from Spinoza that Hegel borrowed the view of philosophy as systematic thought and of logic as exertion
of the native power of understanding; but he is obstinate in reproaching Spinoza for having not shown the
way by which thought necessarily arises from the conception of abstract being or substance to self-
consciousness, that is to the notion of being as subject or mind. The overcoming of eleatism, however, is
obtained, according to Hegel, in Platonic dialectics, where the opposition between being and not-being is
bridged by means of relations, such as same and other; but what Hegel has failed to remark, is that the
dialectic of summa genera, by which objects are determined before the understanding, is subordinated by
Plato to an ontological construction which refers to an absolute claim, which requires an unconditioned
principle, implied with the activity of transcendant Intellect.
In the neoplatonic synthesis, the Intellect or Mind is not the Absolute, the prime hypostasis ; but it is only by
conversion towards the absolute One, or the First principle, that Intellect instates itself and the intelligibles
objects; Nature or sensible world is derived from it, and is a third hypostasis. On the contrary, in the
hegelian Encyclopaedia, Nature is the outwardness of the Idea, the exterior reflection of abstract logos, and
it is only while the Idea comes back to itself, that Mind progressivly arises, whereas Nature is overcomed.
Hegelianism appears then as an inversion of neoplatonism, which might be summed up in these words:
abstract being, that is the most general object of thought, may be equated with the absolute as present in
some way to our mind, but not recognised as such; it is only when we become aware of it that it comes itself
to real being, as a subject conscious of himself, as God or the absolute Mind. This aberrant proposition
(ungereimter Satz, as Kant would say) is the conclusion of a sort of dialectic which renounces the primordialconversion, pointing yet towards absolute, but walking topsy turvy. intelligibles objects; Nature or sensible
world is derived from it, and is a third hypostasis. On the contrary, in the hegelian Encyclopaedia, Nature is
the outwardness of the Idea, the exterior reflection of abstract logos, and it is only while the Idea comes
back to itself, that Mind progressivly arises, whereas Nature is overcomed.
Hegelianism appears then as an inversion of neoplatonism, which might be summed up in these words:
abstract being, that is the most general object of thought, may be equated with the absolute as present in
some way to our mind, but not recognised as such; it is only when we become aware of it that it comes itself
to real being, as a subject conscious of himself, as God or the absolute Mind. This aberrant proposition
(ungereimter Satz, as Kant would say) is the conclusion of a sort of dialectic which renounces the primordial
conversion, pointing yet towards absolute, but walking topsy turvy.
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Approche
de
Hegel
(suite et
fin)*
III. Logique et dialectique
La
logique n'est
pas chez
Hegel ce que la
tradition aristotlicienne
dsigne
sous le nom 'Organon, d'instrument
de
la connaissance, si l'on
entend
par
l
une
discipline
pralable
la
science
et
lui
procurant
une
mthode; elle
n'est
pas
non
plus, comme la Logique transcendentale
de
Kant, une critique de
la facult
de connatre, destine
en
tablir
la
validit et
en
marquer les
limites
x . La mthode est pour lui, comme
pour Spinoza, immanente
la connaissance et
se
tire d'une rflexion sur
la
connaissance, sur
la
vrit
dj connue et
qui porte en
elle-mme
sa
marque2;
c'est une rflexion
applique dgager de l'exprience de
la
connaissance,
de
la
considration de ses dmarches,
la
ncessit qui
rgle
leur
progrs
et garantit
leur valeur3.
C'est que la
connaissance
ne
consiste
pas
pour
Hegel
dans
la
conqute d'une
ralit distincte
de
l'esprit;
la
vrit n'est
pas
adquation
de
la
pense et
de
l'tre considrs
comme opposs l'un l'autre, mais
appropriation
par
la
pense de
la
totalit
de son
tre.
Ce
n'est
qu'aux degrs
intermdiaires, entre
l'immdiatet de
la
sensation
et la
plnitude
du savoir absolu, que
s'opposent le sujet
et
l'objet de la connaissance4 ;
dans
le savoir absolu,
la
* Cf. Revue philosophique
de Louvain, fvrier
1982, pp. 5-34.
1 Hegel, Phn.
de
l'Esprit, Introduction,
dbut;
Encyclopdie
(3e
d., 1830)
Introduction,
10 et Concept prliminaire, Addition
au ^41,1
(Trad.
B.
Bourgeois, p. 496-498
et
la
note).
2 Spinoza, De Emendatione
Intellectus,
S
35-36:
ad
certitudinem
ventatis
nullo
alio
signo sit opus
quam
veram habere ideam...
Cum
itaque ventas nullo egeat
signo...,
hinc
sequitur
quod vera non
est
methodus signum quaerere ventatis post acquisitionem
idearum,
sed
quod vera methodus
est
via ut ipsa
ventas...
aut
ideae...
debito
ordine
quaerantur.
3 Ibid.,
38: Unde colligitur methodum nihil aliud esse
nisi cognitionem
reflexivam...
Unde
illa bona
ent
methodus, quae ostendit quomodo mens dirigenda sit ad
datae
verae
ideae normam. Cf.
Id.,
thique, II
43,
scol.
(ci-dessous,
n. 89).
* Cf. Phn.
de
l'Esprit, I: La certitude sensible, et VIII: Le savoir absolu.
Pareillement,
dans l'anstotlisme, la
sensation, en
tant qu'immdiate, est infaillible, et cet gard
comparable
Fintellection;
ces deux niveaux extrmes de la connaissance,
il
y a
adquation
de l'objet et du sujet, du sensible et du sentant, de
l'intelligible
et de l'intellect,
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192 Joseph M oreau
totalit
de
l'tre est
comprise
dans l'unit d'un systme o
s'exprime
l'esprit
absolu.
Ce systme se
constitue
donc par l'activit pure
de
l'esprit
s'efforant
de s'actualiser pleinement : ce qui revient dire
que
le savoir
philosophique se
constitue
entirement a priori,
sans
rien
devoir
emprunter l'exprience, mais partir de principes qui
rendent
raison
du
contenu
de l'exprience. Une
telle ambition
carte sans
doute
les
mthodes
du savoir empirique,
les rgles de
la logique
inductive; mais
elle ne peut se contenter
cependant de celles de
la logique formelle. La
logique
immanente au
savoir est une logique
a
priori,
mais non
proprement
deductive, car
la raison
y
est invite
se donner
elle-mme
un
contenu; c'est une logique qui n'est pas seulement, suivant l'expression
de Kant,
un canon du jugement, une
rgle
pour les oprations
de
l'entendement, mais
ce
qu'il appelle,
en un
sens qui
n'est
plus celui de
l'aristotlisme,
un
organon
de la connaissance, une logique qui demande
la
raison de produire elle-mme
la connaissance, sans faire appel
l'exprience, voire
en franchissant
ses limites. Un tel usage, regard par
Kant comme
un
abus
du
raisonnement,
est
dsign chez
lui
sous
le
nom
de
dialectique5.
1 . La dialectique hglienne et ses
antcdents
L'histoire de
la philosophie
pouvait offrir Hegel maints exemples
d'une
pareille
entreprise, faisant appel une mthode dite
galement
dialectique.
Pour bien saisir
la
signification de
ce
terme,
dont
Hegel a
vulgaris
l'usage, il
convient de revenir
la
division aristotlicienne de
la
logique en deux parties:
Y Analytique
et la Dialectique.
Cette division
est
reprise par Kant qui
n'en retient pas exactement
le sens : l'Analytique est
identifie par lui avec la
logique
formelle, et la
Dialectique
est
caractrise
d'une
manire qui ne se
relie
pas sans dtour au sens aristotlicien.
Pour
Aristote,
l'analytique
est
la
thorie
de
la
dmonstration,
du
raisonnement dans son
usage scientifique, s
'appliquant
prouver des
conclusions
partir
de prmisses
vraies et certaines6; la
dialectique,
c'est
qui ne se
distinguent
l'un
de
l'autre
qu'en puissance;
il en va autrement
aux
niveaux
intermdiaires de l'imagination et de l'opinion.
Cf.
Aristote,
De anima,
III 8, 431 b 22-23,
cit par S.
Thomas,
Summa theoi,
I
14, 2; Arist., Mtaph, IV 5, 1010 b
2-3,
voqu encore
Summa theol.,
I
17,2, et S. Thom. in
De
anima III,
lect.
4, n 632. Voir notre ouvrage:
De
la
connaissance selon S. Th. d'Aq., p. 61, n. 1; p. 73, n. 25-26.
5 Kant, Logique transcendentale, Introduction, III-I V (B 85-88).
6 Aristote,
Anal, post.,
I
2,71
b
18-24; Topiques, I 1,100 a 27-29.
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Approche
de Hegel 193
l exercice
du
raisonnement
dans
son usage non scientifique,
appliqu
produire non
la
science, mais
Xopinion,
en
partant
de prmisses
admises
par
un
auditoire
(usage
rhtorique)'
',
ou
mettre
en
question
des
opinions, les
prouver
dans la discussion (usage peiras tique ou
critique),
sans
pouvoir
en fournir
la
preuve. La dialectique apparat ainsi comme
un art
formel de raisonner indpendant de
la connaissance des choses,
comme
une logique gnrale extrieure
toute science
particulire8.
Comment
donc a-t-elle pu tre regarde comme
un
organon ou
instrument
de
la connaissance, comme la mthode du
savoir
suprme, capable
de dpasser les donnes de l'exprience, le savoir mtaphysique?
Pour comprendre
le
rle accord ainsi
la
dialectique, il
faut
considrer
que
sous
sa
forme
initiale,
comme
art
du
dialogue,
de
la
discussion dialogue, elle tait
utilise
par Socrate comme la mthode
propre rsoudre les
contestations
concernant les
valeurs.
Pour
cela,
la
dialectique, art du raisonnement formel, devait faire
appel
une exigence
qui se dcouvre
seulement dans
l'intriorit de
la
conscience,
et
qui
est le
principe de toute valeur9. D'un tel principe, ou
Ide du
Bien, Platon a
voulu faire
aussi
la
raison de
tout ce
qui
existe, et en
particulier de l'ordre
du monde10: les
hypothses mathmatiques,
partir
desquelles la
science astronomique, et plus gnralement la
physique,
explique les
mouvements
clestes
et
les phnomnes de
la
nature,
la
rflexion
philosophique
veut
en
rendre compte a priori, en
montrant en elles
les
conditions
requises pour l unit
parfaite
du
Tout.
Ainsi se superpose
la
reprsentation scientifique du
monde
une
mtaphysique cosmique,
une
cosmologie
rationnelle, une
ontologie
finaliste.
Celle-ci
est
labore par
une dialectique qui comporte
deux
mouvements
inverses;
l'un ascendant,
par
lequel la rflexion
critique, s'exerant sur les hypothses de
la
science,
remonte
au
principe
inconditionn;
l'autre descendant,
qui
part du
principe
absolu,
de l'exigence
d'unification du
Tout,
pour dterminer
les
conditions
effectives
de
sa
ralisation,
calculer
les
justes
proportions
que
l'on
observe dans
la
structure de l'Univers
*
l .
Platon a donc donn l'exemple
d'une
dialectique applique
la
constitution a priori
d'un systme
du monde;
pour cela la
dialectique fait
7 Id.,
Top.,
I
1,100 a 29-30; b
21-23;
Rhtorique,
I
1,1335 a 24-29; 2,1335 b 25-33.
8 Id.,
Top., IX (Rf. soph.) 11,172 a
21-35.
9 Platon, Euthyphron, 7
b-d;
Gorgias, 472
bc. Cf.
notre ouvrage:
Le
sens du
platonisme, p.
94,
177-178, 181-182.
10
Id.,
Phdon,
99
c.
11 Cf.
Le
sens du platonisme, p.
181-186.
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194 Joseph Moreau
appel
un principe
transcendant aux
rgles formelles
de
la
logique,
un
principe
de
caractre axiologique, impliquant
un
fondement thologique.
Or Hegel, qui se
rfre
cependant Platon, rpudie un tel principe; c'est
qu'il considre
un
autre aspect de
la
dialectique platonicienne, non pas
celle de
la
Rpublique, qui
trouve son
application
dans la cosmologie du
Time ou l'ontologie
du Philbe, mais celle
du Sophiste ou
du
Parmnide,
qui
s'apparente
une logique transcendentale, qui est une tude des
conditions de possibilit de
la connaissance.
La dialectique
est invoque dans
le Sophiste en vue de rfuter celui
qui nie
la
possibilit de
l'erreur; or l'erreur ne serait
impossible
que
si
la
connaissance tait apprhension immdiate de l'tre;
en ce
cas, de mme
que l'tre
est
ou
n'est pas,
de mme on sait ou
on
ne sait
pas: pas
d'intermdiaire
entre
le
savoir et
l'ignorance12.
Ce
qui
est
exclu
par
l,
c'est donc Yopinion, susceptible d'tre vraie ou fausse, mais aussi
la
rflexion
que cette ambigut suscite, et le
jugement
dont elle provoque
l'exercice. Si donc
l'on
veut rfuter
la thse sophistique
de l'impossibilit
de l'erreur, il convient
d'abord
de
mettre en
lumire la
fonction
primordiale
du
jugement,
en montrant que la connaissance n'est pas
immdiate,
qu'elle
ne s'obtient
que
par la mdiation du jugement; et c'est
la dialectique,
en
tant que raisonnement abstrait et dans sa fonction
critique,
qu'il appartiendra de
montrer la
possibilit
du
jugement, d'en
rechercher
les
conditions.
11
ressort
de
la discussion entreprise
cette
fin dans le
Sophiste
que le
jugement
repose sur la distinction du mme et
de Vautre,
qu'il
met
en
uvre
les relations
primordiales
de Yidentit et
de
la
diffrence.
Dire que
A est A implique
que
A n'est pas B;
mais
A ne peut tre
distingu de B
que si tous les deux sont compris dans l'unit
de Y
tre en gnral171.
Dans
Yunit
de l'tre, il y a
donc une
diversit, faute de laquelle on
ne
saurait
dfinir des
objets
distincts,
ni noncer
aucune relation; l'unit
de Y
tre,
son identit
lui-mme,
n'exclut
pas la
diversit de Y autre. L'tre
ne
se
prte
au
discours,
ne devient objet
de
connaissance,
que
parce
qu'il
n'est
pas l'Un
sans
fissure des lates,
mais parce qu'il
est travers par
Y autre,
qui est son oppos, le non-tre1*.
La dialectique
du
Sophiste,
procdant par concepts
abstraits,
met
en
lumire
le
rle de
la
mdiation,
par o est
rendue possible
la
connaissance; elle semble prfigurer ainsi la dialectique
hglienne.
Elle en est
12 Cf. Platon,
Sophiste,
236 e-237 a; Thtte, 187 e-188 d.
13
Cf.
Sophiste,
257
d-258
a,
et notre
livre:
Ralisme et
idalisme
chez Platon, p. 48.
'* Sophiste,
254 d-259 b, rsum dans
Le
sens du platonisme, p. 217-225.
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Approche
de Hegel
195
cependant,
quoi
qu'en
ait
pu
penser
Hegel, formellement
et
essentiellement distincte, et n'a
pu
lui
fournir
qu'un
matriel
de concepts
et
de
relations
logiques
(tre,
non-tre, identit
,'
diffrence),
car
la
dialectique
des
genres
suprmes apparat
chez Platon comme une logique trans-
cendentale,
qui remonte de
Y
exprience de
la connaissance,
de
la rflexion
sur l'exercice
du jugement,
ses conditions
de possibilit15;
elle ne
prtend pas montrer
a
priori la
gense de
la connaissance, la ncessit
de
son dveloppement progressif et de
la
ralisation
de
son contenu.
Un
tel
but
ne
saurait tre atteint que
par
cette dialectique descendante qui
prend
son principe dans l'Ide du Bien, comprise
dans
l'Intellect absolu,
cause
premire
de l'ordre de l'Univers,
et
sans
lequel
l'intelligence qui
est en
nous
serait
inexplicable15.
Le projet hglien
de
constituer entirement a priori le systme du
savoir,
et
qui revient demander
la
logique de produire elle-mme
le
contenu de
la
connaissance,
est la
tche suprme attribue
traditionnellement
la
dialectique,
et
o Kant
dnonce un
usage
abusif
de
la
logique.
Ce
n'est
du moins qu'en
faisant appel
un principe thologique
que
peut
tre
remplie
cette
tche.
Ce principe peut se justifier d'ailleurs au terme
d'une dialectique ascendante, par une rflexion sur la notion
de
possible,
o
est
implique une
rfrence
un
principe absolu. C'est ainsi
qu'Aristote,
par
la
dialectique
de
la
puissance
et
de l'acte,
s'lve
la
conception de l'tre
absolu,
de
la
substance
immatrielle, Acte
pur,
qui
ralise p leinement son essence, Intellect qui se
pense
lui-mme et suprme
Intelligible, en
qui l'tre
concide
avec la
pense17.
C'est
un
tel principe,
dit Aristote,
qu'est suspendu l'Univers
et la
Nature entire18;
et c'est
partir d'un
tel
principe
que les
systmes
thologiques,
de
Platon
Leibniz, ont
procd
a
priori
la
construction
de
l'Univers. Hegel, l'exemple
de
Fichte et
de
Schelling, veut passer
outre l'interdiction de Kant et
constituer
a priori le systme total
du
savoir;
mais
il
refuse
le
principe
thologique,
qui
rpond
seulement
pour
lui
une intuition
confuse, d'o
l'on
ne saurait dgager
le contenu
articul du
savoir. Il reproche Schelling,
qui
avait
eu
cependant
le
mrite
de
mettre
en
lumire
que
la Substance
spinoziste
est
en
mme
temps sujet,
la fois esprit et
nature,
d'avoir laiss dans
l'indtermination
15 Sophiste,
254
d: nyiata...
tjv yevwv. Cf.
Le sens
du
platonisme, p.
215-216.
6
Cf.
Philbe,
30
a-d, et
ci-dessous,
n. 83-84 et 100-101.
17 Cf. nos Remarques sur l'ontologie aristotlicienne, dans Revue philosophique de
Louvain,
1977, p.
600-605.
18
Aristote,
Mtaph., A
7,1072 b
13-14.
-
7/26/2019 Joseph Moreau - Approche de Hegel-2
9/37
196 Joseph Moreau
le concept
de
l'absolu19; et il n'admettrait pas
non
plus, sous le
nom de
Science intuitive,
une
vision synoptique de l'ordre
ternel des
choses,
des
essences distingues
hirarchiquement dans l'Intellect
divin.
Le savoir
a
priori
et
total,
dont
la
Phnomnologie
de
l'Esprit
nous
dcrit la
gense
et
le dveloppement, ne repose
pas
sur la
contemplation
d'un monde
intelligible,
d'une organisation transcendante; il ne tire son
origine
que
des rapports qui drivent
de
la
position
des
concepts
les plus
gnraux,
les genres
suprmes
de Platon.
L'absolu n'est pas originairement
l'Intellect
pur dans son identit avec l'Intelligible;
cette
identification
ne
s'effectue
pour Hegel
qu'au terme du
dveloppement de
la
connaissance;
l'absolu ne peut tre pour lui
qu'un
rsultat, issu
du
progrs
mme de
la
connaissance20. Le
savoir
absolu ne tire son origine et la ncessit
de
son
progrs
que
des
abstractions de
la
logique,
de
concepts
gnraux
hypostasis
en
un Logos abstrait, dtach du
sujet de
la connaissance, et
qui en conditionnerait
cependant l'activit21.
Dans
cette
primaut du
Logos
abstrait, rig en
norme
et
origine de
la
pense,
alors
qu'il
est
inconcevable
sans
elle,
ne faut-il pas reconnatre
une ptition
de
principe,
une priorit
accorde
la
possibilit
tenue pour le fondement
mme
de
la
ralit,
la condition suffisante
de
son actualisation? La position
hglienne
quivaut au
renversement
du
point de vue
classique,
exprim
dans
l'adage aristotlicien :
la
puissance ne saurait tre ontologiquement
antrieure
l'acte22.
2. Le dveloppement de
la
logique
hglienne
C'est dans la logique pure,
dans
l'objet le
plus gnral de
la
pense,
dtach abstraitement de l'activit de
la
pense,
que
Hegel veut trouver
le
principe
de cette
activit,
qui s'exerce
dans la
connaissance
et
qui
tend
19 Voir la premire
partie
de
cette
tude, notes 43-45.
20 Cf.
Ibid., n. 82. Cette vision
de
l'absolu
comme devenir
se rclame
parfois
chez
Hegel
de
l'analogie
avec l'existence
de
l'tre
vivant, dont
l'essence
s'exprime
travers
une
succession de
formes,
dans le dveloppement progressif d'un germe, aboutissant la
formation de l'organisme adulte, ainsi
qu'
la maturation d'un germe, point de dpart
d'une autre existence (Cf.
La
raison dans l'histoire, p. 58 Hoffm.)
Or cette
analogie,
dj
mise en lumire par Aristote, conduit une
conception
cyclique de l'existence, qui ne
peut trouver son
principe
que dans
la
transcendance
absolue.
Voir notre article cit
prcdemment (n.
17),
p.
603-605.
21 Cf. G. Gentile, La
Riforma
dlia dialettica hegeliana,
2
d., 1923, p. 1-74
et
209-
240,
rsumes dans
Id., Introduzione
alla filosofla,
2e d., 1952, p. 24-26 (traduites
dans le
recueil de Textes choisis de Gentile runis sous le titre: L'esprit,
la
vrit et l'histoire, Paris,
Aubier, 1962, p. 28-29).
22
Aristote, Mtaph.,
0
8,1050 b 3-4: nptepov
tfj
oaia evepyeux Suvueco.
-
7/26/2019 Joseph Moreau - Approche de Hegel-2
10/37
Approche
de
Hegel 1
97
la
constitution
a priori d'un
savoir
absolu et total. L'objet le plus
gnral
que
puisse concevoir
la
pense, c'est Ytre en
gnral,
exempt de toute
dtermination particulire,
et
dont
la
reprsentation
est
vide de
tout
contenu.
Mais, a-t-on souvent observ,
Ytre
ainsi
conu,
absolument
indtermin, n'est rien; il est, par consquent,
identique
au
non-tre.
Dans cette identit
de
l'tre avec sa ngation, son oppos, Hegel voit le
principe
d'une
nouvelle logique, au
regard
de laquelle l'tre
n'est
pas
immuable
en son
identit, mais porte
en lui le
devenir, inclut
le
passage de
l tant au
non-tant, le
changement ou l'existence dans
le
temps. La
premire dmarche
de
la logique hglienne, c'est le dpassement
de
l'opposition
de
l'tre et
du non-tre,
la rpudiation
de
l'tre absolument
immuable,
toujours
le
mme
en son
ternit
;
il
doit
faire
place
l'tre
sans
cesse
autre,
au mouvement de l'histoire23.
Une
rvolution aussi profonde
dans les principes
mmes de
la pense
philosophique, de l'ontologie
et
de
la gnosologie, et
particulirement
propre
exalter les esprits fascins par le spectacle des rvolutions,
doit
tre examine avec soin si
l'on
en veut apprcier justement le sens
et la
porte. L'identit de l'tre
et
du
non-tre,
dont Hegel fait
le principe
d'une logique
de
la contradiction, d'o rsulte une dialectique du
mouvement, repose sur des
considrations d'usage commun,
mais qui
ont
pu
tre
interprtes autrement.
Dans
l'aristotlisme,
la
matire,
prive
de toute dtermination, tait
un
aspect du non-tre; mais
Y
Un
absolu
des
noplatoniciens,
le
Premier
principe, antrieur
l'tre
et
la
pense,
chappait
galement
toute dtermination, et n'tait
aucun
tre;
cependant,
ce nant au del de l'tre, cet abme insondable des
thologies ngatives, ne
pouvait
tre confondu avec l'infinit
du
non-tre,
s exprimant dans
l'indtermination de
la
matire24. Si
l'on
prend garde
discerner
ces
deux
niveaux, l'indtermination de l'tre
abstrait ne
conduit
pas
l'identification
des opposs,
mais suggre
la
distinction de
deux
sortes d'infini, l'infinit
de
la matire, qui est la
possibilit de
tous les
tres, qui les contient
tous
virtuellement, et l'infinit
de
l'Un absolu, qui
est
la
puissance productrice de tous les tres, o ils sont tous contenus
minemment, comme
dans
la
source25.
Grce cette
distinction,
23
Hegel, La
Thorie de
l'tre,
premire
partie de La Science
de la
Logique
(voir
ci-
dessous, n. 27), et plus particulirement dans la
3e
dition de Y
Encyclopdie,
86-88, et
additions.
24
Plotin, Ennades, V 3,
15
(33):
o yp > r\ vkr\ uvuei Xyexai. Cf. notre
ouvrage: Plotin ou la
gloire...,
p. 78-84.
25
L'expression est de Leibniz, Monadoiogie,
68,
mais
voque Plotin, Enn., VI
9,5
(36-37): 7niyf|v tgv
pierrov...
kc vauiv yevv>aav x
vra.
-
7/26/2019 Joseph Moreau - Approche de Hegel-2
11/37
198 Joseph Moreau
l indtermination de l'tre dnote
la
conscience sa
corrlation, d'une
part, avec un horizon infini o
se
dterminent
tous les
objets, et
sa
rfrence, d'autre part, une exigence absolue sur laquelle se rglent
toutes les dterminations effectues par
la
pense25. C'est donc par
un
abus de
l'abstraction qu'est esquive,
chez
Hegel, une analyse qui nous
dcouvre d'un ct l'infini
du
possible,
de
l'autre la
transcendance
d'une
norme qui
atteste la dpendance
de l'esprit fini l'gard
d'un
absolu qui
le dpasse. C'est
faute de cette analyse qu'il
en
vient demander
une
logique
abstraite
d'expliquer la
gense
et le devenir
de
l'esprit,
son
progrs
vers
un
absolu qui
n'est
pas
son origine,
mais o il tend comme
un rsultat.
Vtre,
le
non-tre
et
le
devenir,
considrs
dans leur universalit
indtermine,
ne
sont
cependant
pour Hegel que des reprsentations
immdiates, qui n'enveloppent aucune connaissance
distincte;
pour
passer de l'abstraction pure des objets dfinis de pense, il faut
que soit
nie
cette universalit indtermine;
autrement
dit, il faut
que
l'tre
reoive des
dterminations
particulires, par o il
se
dlivre
de
la
contamination du non-tre et
de la contradiction
du
changement. La
premire
de ces
dterminations est
celle
par o l'tre est diversifi
qualitativement;
puis apparat
la quantit,
qui
dnote dans la qualit un
reste d'indtermination, le plus et le
moins,
indtermination
qui
est nie
son
tour
par
la
mesure.
Telles
sont,
selon Hegel,
les
premires
dterminations
de
l'tre
en gnral,
les catgories
de
l'tre,
tudies
dans la
premire
partie de
la
Logique21
Mais ces dterminations les plus gnrales ne
suffisent
pas
la
connaissance,
la
satisfaction de
l'entendement,
qui
requiert
des objets
26
Cette double relation fondamentale, dgage de nos tudes
d'histoire
de la
philosophie, est
mise
en
lumire dans nos
ouvrages thoriques: La conscience
et l'tre
(1958),
L'horizon des
esprits (1950), Le Dieu
des philosophes
(1969).
27
La Science
de
la Logique
(Wissenschaft
der Logik) a
t
publie d'abord
Nuremberg en
1
8
1
2
parut
le
1
volume
de
la
Logique
objective,
qui contenait
la Thorie
de
l'tre;
en 1813 parut le deuxime volume, consacr la Thorie de l'essence; en 1816 parut
la Logique subjective ou la Thorie du concept. C'est la division de l'ouvrage en trois parties
qui est retenue dans YEncyclopdie des
Sciences
philosophiques,
dont
le
premier
cycle est un
abrg de
la Science
de la
Logique.
La premire
dition en a
t donne
en 1
8
1
7
;
la
seconde,
plus ample, en 1827,
et
la troisime en
1830. Cet ensemble
a
t traduit
par B. Bourgeois,
sous
le titre
G.W.F. Hegel,
Encyclopdie
des sciences philosophiques,
I La
Science de la
Logique.
Sauf
indication
contraire, c'est
cette
prsentation de la logique hglienne que
nons
nous
rfrons dans la suite. Chacune
de
ces ditions comporte,
aprs
une Introduction
gnrale
l'Encyclopdie,
l'expos d'un
Concept
prliminaire (
VorbegrifJ) de
la Science
de
la
Logique, puis successivement
trois parties
(Thorie
de
l'tre,
de
l'essence,
du
concept); ces
parties
sont
dsignes sous le
nom de
sections dans les ditions
de 1827
et
de 1830.
-
7/26/2019 Joseph Moreau - Approche de Hegel-2
12/37
Approche de Hegel 199
parfaitement distincts et dfinis immuablement dans leur
essence.
V
essence,
par o
un
tre est ce
qu'il
est,
et n'est
pas autre chose, est seule
capable
d'offrir
la connaissance
un
objet vrai:
La
vrit
de
l'tre,
dit
Hegel, c'est l'essence28. Or, l'essence d'un tre
n'est
identique
elle-
mme qu'en se distinguant de
ce
qui
n'est
pas
elle ; son
identit
repose
sur
sa diffrence; elle
est donc
constitue de
relations,
qui s'opposent l'tre
en tant qu'immdiat. La
logique de
l'essence suppose donc
d'abord
la
distinction
de
la
vrit
et
de Y
tre; elle nous introduit ainsi l'idalisme et
fait consister
la
vrit
dans la
relation29. L'tre
n'est
saisi
dans
sa vrit,
dans son
essence, que
pour autant
qu'il
est
ni
en
tant
que donn
immdiat;
ce donn
n'est pas cependant aboli, mais
rduit
au
rang
d'apparence.
Or
cette
opposition
de
la
vrit
et
de
l'apparence, ou
encore
de Ytre
et du phnomne, doit tre
surmonte
son tour dans l unit
de
Ytre
rel, qui
runit
en
soi
l'tre et le phnomne, et en qui seul
Y
essence
vient
Yexistence30. Ce qui est rejet ici,
en
ce second
moment de
la
logique de l'essence, c'est
la
version ontologique de
l'idalisme, la
transcendance de
l'ide
la
ralit,
la
ralisation de l'essence
en
dehors de
l'existence,
la
sparation de l'ide
et
de
la
chose, de
la forme et
de
la
matire. L'essence, comme le
voulait Aristote, n'a
aucune ralit en
dehors de
ses manifestations31;
mais
(ce qui va plus
loin
que la requte
d'Aristote)
l'essence
passe
tout
entire
dans
ses
manifestations il
n'y
a
pas d'intriorit ni d'arrire-monde, ce qui parat exclure le spiritualisme
mtaphysique, ainsi
que le
thisme32.
28
Die Wahrheit
des
Seins ist
das
Wesen. Cette formule clbre apparat pour
la
premire
fois
dans
la
Thorie de
l'essence
de
1813.
On
en
trouve l'cho dans
le ^
64 de
l'Encyclopdie
(1817),
et le * 112 (1830).
29
Encyclopdie.
La
Thorie de l'essence, ^
66-72
(1817) tt 115-120 (1830).
30
Ibid., ^ 75-83,
91-94
(1817); ^ 123-134, 142-145 (1830).
31 Aristote,
Mtaphysique,
A
9,991
b
1
: vaxov evai
x^pi
T1V oaiav ko o f\
ooia.
32
La thorie de l'essence
&
81
(1817),
S 131 (1830) et Addition.
C'est pourquoi
l'essence
n'est
pas
derrire
l'apparition ou au
del d'elle;
mais
du
fait
que
c'est
l'essence
qui
existe, l'existence est
apparition. On
peut voquer
ce
propos
ces
vers
de Goethe, cits
par
un diteur
de la
Phnomnologie de
l'Esprit (Hoffmeister) dans son
Introduction, p.
vu :
Der Schein, was
ist er,
dem
das Wesen
fehlt?
Das Wesen, wr'es, wenn
es
nicht erschiene?
L'apparence, qu'est-elle,
s'il
y
manque
l'essence? L'essence, serait-elle,
s'il
n'y
avait
point
d'apparition? Cf. aussi & 89 (1817), fc 140 (1830), o
Hegel
rfute un pote
pour
qui
Y intriorit
de
la
Nature
s'oppose Yextriorit
de son
corce; c'est
ce mme pote que
Goethe
impatient rpondait:
La
nature
n'a
ni noyau, ni corce; elle est tout d'un seul
coup.
Natur hat
weder Kern
noch Schale,
Ailes
ist sie
mit einem Maie
(Gedichte,
2ter
Teil;
Gott und Welf.
Allerdings,
Dem
Physiker)
-
7/26/2019 Joseph Moreau - Approche de Hegel-2
13/37
200 Joseph
Moreau
Hegel professe nanmoins le dessein de franchir,
malgr
l'interdiction de Kant, les bornes de la connaissance
empirique, d'accder
la
connaissance rationnelle pure,
la
mtaphysique,
en
revalorisant
l'argument ontologique,
l'infrence
de
la pense
l'tre33. Dans la
logique
de
l'essence, il examine particulirement les
catgories de
la
substance, de
la
cause, de
Y
action
rciproque,
qui taient considres par
Kant comme des
catgories de
la relation, dont l'usage est
rgl
par les
Analogies de l'exprience^. Ces catgories sont pour Kant des concepts
purs
de l'entendement; mais ils ne
permettent aucune
connaissance, si
ce
n'est en
s'appliquant
la dtermination des phnomnes35.
Or
Hegel
voudrait
rserver
le nom
de
concepts
ces notions purement rationnelles
que
Kant
appelle les ides
de
la
raison,
et au moyen desquelles elle
s'efforce
de
concevoir
des
objets transcendants,
rpondant
l'exigence
d'un savoir absolu,des
objets
dont la ralit s'impose
in onditionnellement
notre
pense, mais qui ne sauraient tre donns dans
aucune
exprience, celle-ci ne
se
prtant
qu'aux dterminations toujours
relatives
de
l'entendement. C'est ainsi que la raison
forme ncessairement
l'ide
du
moi,
du
sujet universel de
la pense,
l'ide
du
monde, de
la totalit
des
objets de
l'exprience, l'ide
de
Dieu,
de
l'tre absolu, qui comprend
toutes choses
dans
sa souveraine perfection36. Or, ces
trois ides
sont
prcisment
pour Hegel
l'exemple mme
du concept, grce
auquel
l universalit
des
objets
est
comprise
dans
l'unit du
sujet, autrement
dit
par lequel
la
connaissance du Tout
est
ramene la conscience de soi37.
Dans
une
pareille vue
est exclue la
chose
en soi, l'impossible fiction
d'un
inconnaissable, et
Dieu, l'objet suprme de
la
pense,
quivaut
l'absolue
ralit;
et
tous les objets de
la connaissance tant
unifis
dans la
conscience
de
soi, leur
totalit
s'articule en une
hirarchie
de concepts
particuliers; l'objectivit n'apparat
pas
seulement comme
l'effet
de
dterminations
relatives ; les concepts sont des universaux, constitus
de
relations organiquement unifies et comprises
dans
l'unit d'un systme,
dans
une
hirarchie
de
genres
et
d'espces,
dont
chacune
est
un
universel
concret38.
33
Voir la premire partie de
cette tude,
n. 77.
34
La thorie de l'essence, ^ 150-157 (1830).
35
Kant, Anal, transe. (2< d.), fc 27.
36
Id.,
Dial,
transe, I
3:
Systme
des Ides transcendentales
(B
390-396).
37
Cf. Phn.
de l'Esprit,
VI
B
II a 1
b,
p.
389 Hoffmeister, o
il est
expliqu que
le
concept absolu signifie que le savoir et
objet du savoir, cela revient au mme.
38
Voir, dans
V
Encyclopdie, la
Thorie
du concept, spcialement S 1
13 (1817),
164
(1830), o Hegel,
aprs
avoir dclar que le concept, c'est le
concret
tous
gards
(das
-
7/26/2019 Joseph Moreau - Approche de Hegel-2
14/37
Approche de Hegel
201
Ce
que
Hegel veut nous montrer dans la
logique
du concept (la
troisime partie
de
la
Science
de logique),
c'est
que la
connaissance
ne
peut
s'achever que dans
l unit
d'un
systme. Si
l'on
renonce
cette
unification, ou si on lui refuse, avec Kant, une porte
relle,
si on
ne
lui
accorde
qu'une
valeur
symbolique39,
on consent
alors
une restriction
des pouvoirs
de
l'esprit. La
logique,
dans la succession
de ses
trois
parties
(logique de
Ytre,
de Yessence, du
concept), s'applique
marquer
les
tapes
de l'dification du
systme; mais l'avancement
de
sa
construction
correspond une lvation du niveau de
la connaissance,
impliquant
des
degrs de
l'ascension spirituelle.
Dans
le dveloppement
de
la
connaissance en
gnral, on
peut,
selon Hegel,
distinguer trois grands
moments;
1
le
moment
abstrait, constitu
par
des
dterminations
stables
de
l'entendement,
suivant
les
catgories de
Ytre,
et aboutissant la
reprsentation mathmatique;
2
le moment dialectique, o les
dterminations
de
l'entendement, s'appliquant
la
dfinition
de Yessence,
s'opposent entre
elles,
donnant
ainsi
lieu au changement, au passage de
l'une l'autre suivant des
lois dynamiques,
propres
la science
physique:
3 le
moment
spculatif, o les oppositions sont surmontes dans l unit
organique
du
Tout, au moyen des concepts de
la
pense
mtaphysique40
Cette
rhabilitation
hglienne de
la mtaphysique est inspire
de
Kant
lui-mme,
et
peut
se
rclamer
de
l'exemple
de
la Dialectique
transcenden-
tale. Aux yeux
de Kant, lorsque
la
raison, mue par
son exigence
d'inconditionn,
veut tirer
d'elle-mme
des connaissances qui dpassent
l'exprience,
lorsqu'elle veut indment
faire de
la
logique
un
organon de
la connaissance, elle se
heurte
alors des
contradictions,
suscite des
paralogismes, produit des conceptions illusoires. Cet usage dialectique
du
raisonnement
ne conduit pas
seulement,
comme l'avait not
Aristote,
aux
incertitudes
de
Y
opinion, il
engendre
Y
llusion transcendentale*1 . Mais
pour dissiper
cette illusion, on
ne peut avoir recours
toutefois
qu'au
raisonnement
pur, c'est--dire
encore la dialectique, considre cette
fois dans
son usage critique (ou peirastique); c'est ainsi qu'
la
dialectique
spontane et
illusoire Kant oppose
la dialectique
transcendentale*2 Mais
schlechthin
Konkrete),
s'attache
expliquer et carter l'opinion
courante
qui regarde le
concept
comme
quelque chose d'abstrait. Du concret
tous
gards
(le concept),
il
distingue
aussi le
concret
absolument
{das Absolut-Konkrete), qui est l'Esprit.
39
Cf. plus
bas,
note 42.
40 La Science
de la
Logique.
Concept
prliminaire,
13 (1817),
8 79
(1830).
41
Kant,
Dial, transe, Introduction
I
(B 349-354).
42 Id., Logique transe, Introduction IV (B 88): Dial, transe, Introd.,
II
C fin (B 365-
366).
-
7/26/2019 Joseph Moreau - Approche de Hegel-2
15/37
202 Joseph Moreau
au cours de ses
analyses critiques, il lui faut mettre en
lumire
tout ce
qu'il
y
a de ncessaire
dans la dialectique spontane;
les
ides
transcendantes sont des
productions ncessaires de
la
raison,
des notions
qui
lui
sont
essentielles
et
rpondent une exigence absolue, qui
ne peut
tre
dnue de toute
valeur.
Kant reconnat ainsi aux
ides
de
la
raison,
dfaut d'un rle
constitutif,
de
dtermination
des objets de
la
connaissance ,
un rle rgulateur,
dcouvrant
la
finalit
et l'organisation
de
l'Univers, contribuant
l'laboration d'une philosophie
du
comme si43.
Hegel se propose
de
rhabiliter cette fonction suprme
de
la raison,
de
lui
rendre une signification et une porte absolue, en reliant le concept
du
Tout
et
ses
articulations ncessaires
l'unit
de
la
conscience
de soi.
IV. Les
cycles
du
savoir
La logique hglienne,
dont
nous venons de
parcourir
rapidement
les
tapes, satisfait-elle
la
requte implique
dans le
projet du systme?
Russit-elle
nous montrer la ncessit
du dveloppement
progressif
de
la connaissance,
tel qu'il
est
dcrit
dans
la Phnomnologie de
l'Esprit,
justifier ainsi la prtention hglienne
de
saisir l'absolu
travers sa
ralisation
dans l'histoire,
autoriser
la
conclusion qui le regarde comme
le rsultat d'une
auto-ralisation progressive?44 A ces questions
touchant
les
capacits
de
la
logique, il
n'est
pas
possible
d'apporter
une
rponse sommaire, c'est--dire
sans avoir approfondi le
dessein
et
dcel
les artifices de
la
pense
hglienne.
La logique,
en effet,
sans se
rduire
pour Hegel
l'art formel
du
raisonnement,
n'en
est pas
moins
dfinie par
lui comme une science abstraite, o la connaissance est envisage dans sa
structure,
ses
conditions
transcendentales, ses
exigences pures, et
non
dans
son contenu objectif.
La logique,
dit-il, est
la
science
de
l'Ide pure,
c'est--dire de l'Ide
dans
l'lment
abstrait
de
la
pense45.
Elle
nous
apprend
distinguer
entre
l'tre et l'essence,
entre
l'essence et
l'existence4
entre
l'apparence et la
ralit,
entre
les reprsentations
de l'entendement
et
les concepts de
la raison;
mais elle
ne
s'lve pas l'actualit
du
concept,
la
comprhension effective du rel.
Elle
explique par quelles
mdiations, par
quelle suite
de dterminations progressivement encha-
*3
Id.,
Appendice
la
Dial, transe:
De
l'usage rgulateur des ides
de
la raison pure
(B 672);
pour l'emploi du
comme
si
(als
ob), cf.
Du
but
final
de
la
dialectique naturelle de
la
raison humaine (B 700,
706,
713-714,
716
etc.).
*4 Voir la premire
partie
de cette tude, n.
82.
45
Encyclopdie. La
Science de la Logique. Concept
prliminaire,
12
(1817) ^
19
(1830).
-
7/26/2019 Joseph Moreau - Approche de Hegel-2
16/37
Approche de Hegel 203
nes,
la pense procde des notions les plus
gnrales,
des
concepts
les
plus
abstraits, rpondant
une intuition immdiate, jusqu'au concept
suprme,
celui
de
la
totalit
unifie,
dans
lequel s'accomplit
le
savoir
absolu. Suppos ce savoir accompli,
la
logique nous
en
dcouvre les
conditions;
mais
suffit-elle,
science abstraite,
la
constitution
effective
du savoir?
Et surtout peut-elle nous
garantir son accomplissement
absolu, tenu pour
un
rsultat
ncessaire?
Ces interrogations nous
obligent
considrer la logique sous un
autre
aspect,
celui
de
l'usage auquel la philosophie
de
Hegel la
destine.
Si
la
logique,
entendue
au sens strict, en tant que science abstraite, ne peut
tre
l'quivalent
de
la
connaissance
des
objets, Hegel n'en
voit
pas moins
en
elle,
contrairement
Kant,
Yorganon
de
la connaissance,
c'est
--dire
la mthode
immanente
du
savoir rationnel,
capable
de produire
lui-
mme
son
objet.
Considre
sous
cet
aspect,
la logique n'est pas un
instrument
de
connaissance
extrieur
la
science; elle est
l'me
du
savoir
rationnel46.
Comment
la logique, si elle
n'est
qu'une science abstraite,
peut-elle
remplir
ce rle? C'est condition que, de par sa spontanit
rationnelle et la
ncessit qui en
dcoule, le
logos
abstrait en
quelque
sorte
se
redouble; autrement
dit,
il faut
que
la srie des formes logiques,
l'ordre rationnel des catgories, se
projette sur un fond d'objectivit, dans
un horizon
de
conscience,
afin
d'tre
rcupr
ensuite
dans
Y
unit
d'une
conscience.
L'ordre logique des raisons se
reflte
ainsi
dans
le
champ
de
l'exprience; c'est pour cela que notre raison se reconnat dans l'ordre
de
la
nature,
et que le savoir
peut se constituer a priori. La thorie
du savoir
ne tient donc pas tout entire dans la logique
abstraite;
le
systme
hglien ne
parvient
son
achvement
dans le savoir absolu, adquat
l'esprit absolu,
qu'aprs
le parcours
de
trois cycles superposs,
celui de
la
Logique,
celui de
la Nature et celui
de
l'Esprit47.
De
la
runion de ces
trois
cycles se compose
Y
Encyclopdie des
Sciences philosophiques;
entre
eux,
il
y
a correspondance
exacte;
ils se
refltent
mutuellement, de
sorte
qu'en
chacun d'eux on
discerne les
trois
moments:
abstrait,
dialectique, spculatif**; mais
ce qui est
surtout
remarquable, c'est que le passage d'un cycle au suivant s'effectue
galement par
un
processus dialectique. Pour passer
du
logos abstrait au
46 Ibid., La Thorie
du concept, 8
191 (1817), S
243
(1830). La
mthode
est de cette
manire
non pas forme
extrieure, mais l'me et le concept
du contenu
lui-mme.
47
Ibid.,
Concept
prliminaire, fc 11 (1817), fc 18 (1830).
48
Voir la
division
de
chacune
des parties de
V Encyclopdie (1830):
de la
Logique, S
83; de la Philosophie de la Nature, 5?
282;
de
la
Philosophie de l'Esprit,
&
385.
-
7/26/2019 Joseph Moreau - Approche de Hegel-2
17/37
204 Joseph Moreau
rgne de
la Nature, il faut que Vide
pure
sorte pour ainsi
dire d'elle-
mme,
qu'elle se
rpande dans l'extriorit,
qui
est la
ngation de
son
identit elle-mme; c'est ainsi qu'elle se fait Nature.
La
philosophie
de
la
Nature,
dit
Hegel, c'est
la
science de l'Ide en son tre autre49. Le
systme
de
la science
ou Encyclopdie s'achve
par la philosophie
de
l'Esprit,
dans
laquelle l'Ide,
aprs
s'tre rpandue
hors d'elle-mme,
fait
retour
soi,
et
o les objets
extrieurs
sont
rintgrs dans la
conscience
de soi50.
Ce processus d'extriorisation
et
de retour
soi
voque
invinciblement celui de
la
procession
et
de
la
conversion
dans la
mtaphysique
noplatonicienne, tel
point que
les interprtes de
celle-ci
se laissent
parfois
garer
par
la mode
hglienne51. Mais
dans le
contexte de
V
Encyclopdie,
ce
processus
est-il
apte
remplir
sa
fonction,
c'est--dire
rendre
compte
de
Vapparition
de
la
conscience
et
de
V accomplissement
ncessaire
du
savoir absolu? Dans
la
synthse noplatonicienne,
un
tel
savoir
s'accomplit au niveau
de
la seconde
hypostase, de
l'Intellect
premier, adquat au Tout
intelligible,
l'Univers des Ides, des
essences
ternelles, o
rside
la ralit absolue, la
plnitude de
l'tre, et la
constitution de
ce
savoir
suppose
que
l'Un absolu, antrieur l'tre et
la pense, a dbord
de
lui-mme,
s'est rpandu dans la diversit; puis,
avec l'arrt de ce mouvement de
procession,
la
diversit mane de l'Un
s'est retourne
vers
lui, et
c'est
dans
cette
conversion
que
se
constituent
corrlativement les Intelligibles et l'Intellect, les tres vritables et la
connaissance vraie et parfaite52.
Or,
dans le
dveloppement de V Encyclopdie hglienne,
le
savoir
absolu ne s'actualise
qu'au troisime moment
(le moment spculatif) du
troisime cycle,
celui de
la
Philosophie de l'Esprit; il prsuppose
donc
les
moments
antrieurs
de
ce
mme cycle,
et
d'abord le
premier, le
moment
abstrait,
celui de
Vesprit subjectif, o se produit l'apparition
de
la
conscience53. Dans la
procession noplatonicienne, au
contraire, la
conscience
n'apparat qu'aprs la
constitution de
l'Intellect;
elle
se
manifeste particulirement
dans l'me, c'est--dire au
niveau
de
la
49
Loc.
cit.
prcdemment, n.
47.
50
lbid.
51
Cf.
P. Hadot,
tre,
vie, pense
chez
Plotin
et avant
Plotin,
in Les Sources de Plotin
(Entretiens
de
la Fondation Hardt,
V),
p.
107 sq. L'tre
est
conu comme
un
acte
d'auto-
position
en
trois
moments:
simple position de soi, puis sortie de soi,
enfin retour
soi.
52 Plotin, Enn., V 2,1 (8-12). Cf. Plotin ou la gloire...,
p.
96-98.
53
Encyclopdie, 3e
partie:
La
Philosophie de l'Esprit, Ie section, L'esprit
subjectif,
B
413 et suiv., dans la
3e dition (1830).
-
7/26/2019 Joseph Moreau - Approche de Hegel-2
18/37
Approche
de
Hegel 205
troisime hypostase54.
Cette
interversion
ne
doit
pas nous surprendre,
car
la drivation des hypostases n'est pas un
processus
temporel,
mais
l'expression
d'une
subordination
ternelle; ainsi
la
gense
de
l'me,
o
apparat
la
conscience,
est
subordonne
la
constitution de l'Intellect,
o
s'actualise le savoir absolu; de mme,
la perfection
de
la connaissance,
l'adquation de
l'Intellect et
de l'Intelligible, dont les
fonctions distinctes
concident
dans
la
vrit,
prsuppose
la
transcendance de
l'Un
absolu,
antrieur
la distinction
de
la
pense
et
de
l'tre.
1 . La
gnalogie de
la conscience
Ce en quoi Hegel
se rapproche du
noplatonisme, c'est
qu'il
recherche
son
tour
l'origine
de
la
distinction
de
la
pense et
de
l'tre,
apparue en mme
temps
que
la conscience;
mais cette
distinction ne
prsuppose pas
chez
lui l'actualit
d'un
savoir
absolu, dj
ralis
dans
un Intellect transcendant, ni la
transcendance
absolue
de
l'Un; la vie
de
l'esprit, l'activit de
la
conscience,
ne
dpend pas selon lui de sa
conversion vers l'absolu, lequel ne peut tre pour lui
que
le rsultat
progressif
de cette activit,
son
aboutissement ncessaire. Mais, si
l'on
carte l'Un absolu
et
sa transcendance, o trouver l'origine de cette
activit,
le principe
de son
progrs et la
sanction de
son rsultat?
Le
processus
dialectique
par
lequel
l'Ide
pure
se
rpand
hors
de
soi,
s'exprime
dans la Nature
avant de
revenir
soi,
de
faire
rentrer la Nature
dans
l'Esprit,
ce mouvement
qui soutient
l'essor
de
YEncyclopdie
ne
russit
donc pas mieux que le cheminement de
la
logique abstraite
rsoudre les difficults
que
soulve le projet
hglien;
la
superposition
des
cycles
ne
fait
que
rpter
la
succession
des
moments:
abstrait,
dialectique,
spculatif, et
l'nigme demeure de concevoir comment de
Vide
pure,
de l'intuition immdiate ou notion abstraite de l'tre, peut
surgir l'activit dialectique qui
engendre
les formes
successives de
la
conscience,
jusqu'
son
triomphe
spculatif
dans
le
savoir
absolu.
Cette
gnalogie
de
la
conscience
nous
tait
dcrite dans la Phnomnologie
de
l'Esprit;
elle est reprise dans la
Philosophie de l'Esprit, troisime cycle de
VEncyclopdie; mais la succession des formes
de
la conscience est
considre cette
fois
dans un cadre logique,
dans le dveloppement
de
Y
esprit subjectif, moment abstrait
de
ce cycle55. Dans
la
Phnomnologie
s* Sur
ce
point, voir les textes cits et comments dans Plotin ou la gloire..., p.
164-
169.
Encyclopdie, 3e
partie, lre
section, 8
387
(3e
dition).
-
7/26/2019 Joseph Moreau - Approche de Hegel-2
19/37
206 Joseph Moreau
de l'Esprit, elle apparaissait comme
un
progrs dynamique, une suite de
dmarches de
l'activit spirituelle, suscitant des oppositions
(sujet-objet,
certitude-vrit,
objectivit-ralit)
pour
ensuite les surmonter;
dans
l'laboration finale
du
systme, elle
doit s'imposer comme
une exigence
abstraite; la dialectique,
qui
apparaissait comme le ressort
de
l'activit
spirituelle, est
assujettie maintenant
la
ncessit logique qui
en rgit la
gense et le dveloppement. Si
l'on
veut valuer
la
distance
du
systme
hglien
la
synthse noplatonicienne, il faut considrer que
dans la
hirarchie des hypostases l'Intellect est antrieur la Nature,
tandis que
dans
YEncyclopdie l'Esprit
doit
se reconqurir
sur la Nature par
une
conversion qui est un retour
soi de l'Ide;
dans le noplatonisme, au
contraire, la conversion est un retour
de
l'me,
de
la
conscience,
vers
l'Intellect,
et
primordialement
de
l'Intellect
vers
sa
source,
vers
l'Un
absolu, qui est au del
de
l'Ide, au del
de
l'tre, et dont
la
vie
de
l'esprit
est une
manation. Il
n'est
rien de pareil
dans le systme
hglien, dont
le
point de
dpart, l'Ide pure, n'est
que
l'tre abstrait et vide; ce qui
revient
substituer
l'Un absolu, transcendant
l'tre, principe
de l'tre
et
de
la
pense, l'tre
inerte des lates56.
Il
nous faut examiner nanmoins quels
buts
se
propose
d'atteindre
cette logique
de
l'Ide pure, cette
dtermination
des structures
de
l'tre
abstrait,
quels procds elle met
en
uvre, quels
rsultats
elle peut
aboutir;
ses
insuccs
et
ses
lacunes
nous
aideront
en
dgager
le
sens,
en mesurer
la valeur. Il nous a sembl
que
l'intention philosophique de
Hegel,
c'est
de conduire son achvement
le systme kantien
de
la
connaissance,
en
liminant l'inconnaissable
chose
en soi, ainsi que
l'autolimitation fichtenne
du
moi
par
le non-moi, afin de
permettre
la
conscience
de
soi
de
s'galer la totalit
de
l'tre.
C'tait l
refuser le
point de dpart de
la
gnosologie kantienne,
pour
laquelle il n'y a pas de
connaissance qui
ne
se
rfre une ralit extrieure
au
sujet
connaissant;
la connaissance
est le propre d'un
sujet born,
d'une
conscience
finie,
mais
ouverte
sur un
horizon
infini,
ouverture
qui
nous
atteste
la
transcendance
de
l'tre. Notre intellect, dont l'activit conditionne
l'objectivit de
la connaissance,
sa
validit universelle et
sa consistance
ncessaire,
ne
peut se donner lui-mme son objet57. Une telle prmisse
gnosologique
ne permet pas l'exclusion
de
la
chose en soi,
d'un
au-del
de
l'objet
de
la
connaissance58;
et si
l'on veut, comme Hegel, rejeter
cet
56
Encyclopdie,
La thorie de l'tre (1830), * 86.
57 Kant, Anal, transe, 2e d., I
2,
2e sect., fc 21 (B 145).
58
Cf. Encyclopdie. La Science
de
la Logique.
Concept
prliminaire (1817)
33.
-
7/26/2019 Joseph Moreau - Approche de Hegel-2
20/37
Approche
de
Hegel 207
au-del, il
n'en
reste pas moins que, dans la mesure o la connaissance
requiert l'opposition
de
l'objet et d'un sujet,
autrement dit la
distinction
de
la
pense
et
de
l'tre,
il
faudra chercher
l'intrieur
mme de
la
connaissance l'origine de cette distinction.
Pour
parvenir
cette
fin,
pour rendre
compte
de
l'origine et
du
progrs
de
la connaissance, Hegel ne part pas comme Kant
de
la
rfrence ncessaire de
la connaissance
l'tre,
mais de
la considration
de
Ytre
en gnral,
l'tat de
prsence immdiate, o il ne se distingue
pas encore de
la
pense. Considr ce moment initial, il
est
aussi bien
pense pure que
donne
simple
et
immdiate59, il
est
exempt de toute
dtermination, et par l
mme indiscernable du nant; de cette
identit
de
l'tre
et
du non-tre
rsulte
le devenir,
dont
les
premires
dterminations
(qualit, quantit,
mesure)
seront dsignes comme les catgories
de
l'tre60.
Mais ces dterminations
ne
dpassent pas le niveau de
la
reprsentation abstraite, mathmatique; si une
telle reprsentation
suppose implicitement la
pense, celle-ci
ne
manifeste
pas
encore sa
prsence; ce
n'est
qu'aux moments ultrieurs
du
dveloppement
logique
qu'on verra
dans
l'indtermination premire de l'tre apparatre
la
conscience,
la
dissociation de
la
pense et de l'tre
et
l'effort de
la
pense
pour
rcuprer
l'tre dans
le
concept, organe
du
savoir absolu.
En
ce premier
moment
du
dveloppement
logique,
moment abstrait,
caractris comme
logique
de
l'tre,
les moments
ultrieurs, auxquels
correspondent
l'avnement
et le progrs
de
l'esprit,
trouvent,
au
dire de
Hegel,
leur fondement (Grund)61; n'entendons point par
l
leur origine
absolue; l'absolu
ne
peut
tre
qu'un
rsultat, le
dveloppement
accompli.
L'tre abstrait, d'o la pense merge comme d'un fond indtermin,
n'est pas l'Un
transcendant de
la
mtaphysique
noplatonicienne, la
source
minente
des
tres et la
puissance productrice
infinie62.-
Il
et
59
Ibid., La
Thorie de
l'tre,
39
(1817); *
86
(1830).
60
Ibid.,
^
40-41,
52-50
(1817);
^
87-88,
99-107
(1830).
61 Le fondement est considr par Hegel
(Ibid., La
thorie de
l'essence,
$ 74 (1817) et
la
note
de B. Bourgeois, p. 222 de sa traduction)
avec
Yidentit et la diffrence, comme une
fonction de
l'essence, c'est--dire
une pure dtermination de la rflexion
(Ibid.,
66 et 67 ;
115-116,
122 dans
la 3e d.
1830).
Si
donc
les
catgories
de
l'tre
peuvent tre
regardes
comme
fondement
des
dterminations
ultrieures de la pense, telles que l'essence et le
concept,
c'est en
ce
sens qu'elles procurent la
rflexion
des raisons (Grnde) pour
s'expliquer
V
apparition de
la conscience
et
le
progrs du savoir ;
mais
ces raisons explicatives
relvent
de
la
dialectique abstraite, de
la Logique
pure, et
ne sauraient s'identifier
aux
principes
absolus du
devenir.
62 Plotin, Enn., III 8, 10
(1-2): Svctut
tv tuxvtcov. VI 9,5
(37) jniyriv
twv
piatcov.
-
7/26/2019 Joseph Moreau - Approche de Hegel-2
21/37
208
Joseph Moreau
dpendu
de
Hegel
de
ne
pas confondre dlibrment l'tre et le
non-tre,
dans son
impatience de faire exister
la
contradiction
et s'couler le
devenir; il et
alors
distingu entre Y infini au del de toute
dtermination
l'absolu
transcendant
tous
les
tres,
et
la
possibilit
indfinie
de
la
matire
indigente, susceptible
de recevoir n'importe
quelle
dtermination; et
de
cette opposition
primordiale
il et vu surgir,
non
la
mobilit
indiffrente
du
devenir,
mais l'aspiration de
l'tre imparfait,
incompltement dtermin, vers
la perfection
absolue63. Ainsi et apparu
dans
l'tre indtermin cette
distinction
de l'tre
et
de
la
pense, requise
par
l'activit de
la connaissance,
sans risque de subordonner
celle-ci
un
en-soi
inconnaissable.
Faute
de cette
conversion initiale vers l'Un absolu, par laquelle se
dessine,
en
dehors de
toute
rfrence
Y
en-soi, la
dualit
de
la
pense
et
de
l'tre, ce
n'est
qu'au second
moment du
dveloppement
de
la logique,
qui n'est plus le moment abstrait de l'tre, mais le moment dialectique de
l'essence, que l'on peut
apercevoir
l'avnement
de
la conscience. C'est
au
niveau de Y essence
que
l'tre se dcouvre
dans
sa vrit,
dfinie
au moyen
de
relations, par opposition
la donne
immdiate, relgue
au rang
d'apparence ou
de phnomne6*.
C'est dans cette ngation
de
l'tre
immdiat, non
pas
aboli, mais
retenu
(aufgehoben)
comme
non
vrai, que
s'affirme l'activit
de
la
pense. C'est ce
moment
dialectique du
dveloppement
de
la logique qu'apparat la
conscience,
la
manifestation
premire de
l'esprit,
dont
l'activit
essentielle consiste
dans la
ngation,
et
dont
le
fondement rside, selon Hegel,
dans la
contradiction65. Mais cette
fois
encore
fondement n'est
pas
l'quivalent
d'origine; de
la
contradiction, on concdera que peut dcouler le devenir,
mais non
l'activit
spirituelle.
Des contradictions
qui
dchirent l'exprience d'un sujet fini
peut surgir l'effort pour les surmonter; mais encore faut-il
que
l'esprit
soit
dj
l. La
tentative
de Hegel de faire de
la
contradiction
l'origine
de
la
pense,
et
plus gnralement de trouver
dans
les dterminations
63
Cette aspiration, qui
tend
vers l'intellection, est
dsigne chez Plotin
par le terme
cpecn
(Enn., V 3,1
1
(1-12);
VI 7,16
(13-16). Dj Anstote caractrisait la matire par son
aspiration
naturelle la
forme
(Phys.,
I
9,192
a 18-19):
t
5 7t(puKv (piea9ai kc
pyeaai ato (se. yaGo) Kat tt|v auxo
-
7/26/2019 Joseph Moreau - Approche de Hegel-2
22/37
Approche
de Hegel 209
abstraites
de
la logique le
fondement
des
activits
de
l'esprit considres
dans leur
dveloppement
progressif,
comme
une suite
de
moments
ncessaires
dans
la
ralisation
du
savoir
absolu,
cette
ambition
de
faire
tenir
dans le systme l'activit
mme
par laquelle
il se constitue,
et
de
faire apparatre comme
un rsultat
l'exigence absolue d'o
procde le
systme, est une ambition
qui recouvre
une ptition
de principe.
2. L'accomplissement
du
savoir
absolu
Si c'est
en
son moment dialectique, au niveau
de
l'essence, que
la
logique abstraite ou science de
l'Ide
pure dcouvre,
faute
de
pouvoir
l'engendrer, l'opposition de
l'objet et du
sujet,
la
distinction de
la
pense
et
de
l'tre,
c'est
au
moment
spculatif qu'elle s'applique
montrer
dans
le
Concept
la condition
de l'accomplissement de
la connaissance dans le
savoir
absolu. Ce qui caractrise cette figure suprme
de
l'esprit, c'est
qu'en elle s'unifie la diversit des
objets de
la connaissance, en
mme
temps
qu'est surmonte
la
dualit
de
l'tre
et
de
la
pense
dans
l unit du
Tout
la
diversit
s'organise en
systme,
et
cette organisation se
pose
non
comme
un
objet devant
la
pense, mais comme
la
ralisation mme
du
penser, comme l'absolu, la fois tre et esprit66 Cette
identit
de
l'esprit
et
de
l'tre,
cette
concidence
de
l'intelligible et
de
l'Intellect est un thme
constant
de
la
mtaphysique
traditionnelle,
des
origines
jusqu'
la
seconde hypostase de
Plotin67; la
nouveaut, ou
l'inconsquence
de
l'hglianisme, c'est
de faire de cette identit,
non un
prsuppos
qui
renvoie une exigence absolue6*, mais seulement un rsultat.
Que
le savoir absolu,
la
vrit totale,
ne
soit
que
progressivement
conquise,
travers
le dveloppement
de
Xesprit subjectif et
de
ses
manifestations objectives
dans l'histoire,
cela n'autorise pas rduire
ce
progrs
un
processus
naturel
ou historique, ni proclamer
son
accomplissement
ncessaire
partir d'une logique abstraite. On
ne
saurait
rendre
compte
du
dveloppement
de
la
connaissance,
tel
qu'il
est
dcrit
dans la
Phnomnologie de V
Esprit,
montrer
le
caractre rationnel
de ses dmarches
et leur
assigner une finalit absolue
dans le
vrai,
sans
66
Voir Encyclopdie. La Logique
du concept,
notamment $ 1
63
(1817)
ou 213(1
830),
o l'ide
est
dfinie comme Y
unit
absolue du
concept et
de
l'objectivit, puis ^ 185-186 (ou
236-237), o le concept est considr comme
Y
Ide
absolue, l'Ide se
pensant elle-mme.
67 Plotin, Enn., V
1,8 (17)
cite
le
mot de
Parmnide:
t yp
at
voev
ativ kc
evai, et
il
voque
(Ibid.,
3,5 (22-23) celui d'Aristote Mtaph., A 9,1072 b 21 : totv vo
KC VOT|TV.
68
Plotin,
Enn.,
III 8,9 (1-13); V 1,4 (27-29). Cf. Plotin ou la
gloire...,
p.
68.
-
7/26/2019 Joseph Moreau - Approche de Hegel-2
23/37
210
Joseph
Moreau
requrir, sous-jacente
aux phnomnes de
l'esprit, une activit radicale
qui les suscite,
et
au del des
objets de
la
pense,
des dterminations
abstraites de
la
logique, l'exigence transcendante qui
commande
les
oprations de
la
pense. La ngation, l'acte par
lequel la pense
se
dtache
de l'tre
immdiat et donne accs
la logique
de l'essence, au
dveloppement
de
la connaissance, ne
serait
pas
lui-mme
possible
sans rfrence
cette exigence absolue qui se dcouvre au plus profond
de
notre
intriorit et
qui
est au sommet de la
spiritualit69.
La ngation, qui
selon
Hegel donne l'essor au progrs de
la
pense, ne se conoit pas sans une
conversion
vers l'absolu
transcendant
l'tre
et la
pense. Le sujet
ne
saurait prendre conscience
de
soi dans le cogito,
se
tenir
distance
des
objets,
mettre en question leur
vrit, s'engager
dans l'entreprise du
doute, procder
la
rduction
phnomnologique,
s'il
ne
prenait
appui
sur une exigence absolue qui
s'exprime
dans l'ide
du vrai,
d'une
perfection idale
de
la connaissance, ide dont la
prsence
notre pense
nous rvle la transcendance de l'esprit infini70. C'est par cette dmarche
reflexive que
Descartes
remonte
de
la
conscience de soi
dans le cogito
l'intuition transcendante: Deus
est11.
La voie suivie par Hegel est tout
oppose;
l'affirmation
de
l'tre
absolu n'est pas pour lui un point
de
dpart, mais une conclusion
laquelle
on
ne
parvie