l' aphasie de baudelaire - researchgate · sartre, baudelaire, gallimard, 1947, p. 152. 2. op....

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L'aphasie de Baudelaire

Article · January 2016

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Sebastian Dieguez

Université de Fribourg

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Sebastian Dieguez et Julien Bogousslavsky

L' aphasie de Baudelaire

Plains-moi ! ... Sinon, je te maudis ! (Epigraphe pour un livre condamne, Les Flam d/l Mal,

ajout de la troisieme tdidon. 1868)

Mon cerveau est un palimpseste et Ie vatre aussi, lecteur. (Les Paradis Artificiels. chap. VIII)

Charles Baudelaire, poete maudit. Le stereotype est tenace, et renvoie a la fois aux miseres d'une existence dissolue et a l'incomprehension de ses contem­porains. Son AlbatroJ incarnait la place equivoque du genie poetique condamne aux souillures terrestres :

Le Poete est semblable au prince des nuees Qui hante la tempete et se rit de I'archer; Exile sur Ie sol au milieu des huees, Ses ailes de geant l'empechent de marcher.

Outre ses « ailes de geant », Baudelaire fut surtout confronte a une sante de­ficiente, jusqu'a l'aneantissement que pem represenrer l'aphasie, pour un homme qui VeCU( par c[ pour les lenTes. n fur en. effet frappe par un accidenr vasculaire ce[ebral a I' age de 45 ans, Ie laissant hemiplegique et sans parole., auqud il surve­cut pendant 18 mois.

Les elements de ce triste episode peuvent etre abordes a travers la correspon­dance, les recits de proches et des contemporains, ainsi que les donnees fournies par I'aphasiologie, discipline dont la naissance er les premiers deveioppernems cO'incident avec la chute du poete. L' epilogue douloureux de eet ameur considere comme subversif n'a pas manque de soulever des questions sur les liens entre maladie et creativite, la vie et l'reuvre, I' aphasie et l'intelligence. et la responsabi­lite de I'artiste. La symptomatologie de Baudelaire, apres son attaque, permet egalement d'introduire des aspects encore meconnus de l'aphasie motrice, no-

66 SEBASTIAN DIEGUEZ ET JULIEN BOGOUSSLAVSKY

tamment les auromatismes, les stereotypies, les jurons, la conscience du trouble et les reactions de catastrophe.

Sante avant I' aphasie

L'aphasie de Baudelaire, qui mit un terme definitif a une carriere d'ckrivain deja queJqu~ peu chancelante, ne fut que Ie poior culminant d'une vie marquee par les SOUCIS de sante. Sanre l y voyait la marque d'une faillite de la volonre la consequence logique d'un destin place sous Ie signe d'une mah~dicrion recher­chee c:t me~e souhaitee : « Et la demence finale, pour qui I'a suivi pas a pas, apparalt moms comme un accident que comme I'aboucissemenr necessaire de sa dec~~ance .. Cette longue et douloureuse dissolution fut choisie. Baudelaire a c:hOlSI de vlvre Ie temps a rebours", Son essai sur Ie poete se conclut sur ces ~gnes : « Tel il erait a vingr ans, tel nous Ie rerrouvons a la veille de sa mort: il est s;~ple~en[ plus sombre ( .. . ) Ie choix libre que I'homme fait de soi-meme s l~ent1£c absolumem avec ce qu'on appelle sa desrinee »'-. Bien evidemmenr Ie phllosop~e ex:iSt~~cialiste ~'explique pas a quel momenr er sur queUe base ex~c­te~em I o.n chOISH d ~vOLr ~ jour une partie de son hemisphere gauche de­trUlte., , nI comment iJ fauc s y prendre pour }' parvenir~ . Selon Pichois' c'est plutor l'accumulation progr~sive de diffe,renrs [{ouble qui a conduit 11 l'a~aque de ,1866. La cause en seralt une affection polymorphe d'origine infecrieuse, toxlque et « nerveuse I>.

Infection venerienne et troubles dermatologiques

D~s 1839 - il a alors a ~eine 18 ans - Baudelaire commence a se plaindre dans sa correspondance de divers problemes suggeranr une maladie vtnenenne. En novembre de cene annee, il ecrit a son demi-frece: " Je n'ai plus de courba­r~es, P;esque plus de maux de rete, je dors beaucoup mieux; mais j'ai des diges­tions deres.rables. et un pecir tcoulement courinuel. sans aucune douleur; cela avec un teInt magnifique, ce qui fait que personne ne se doute de la chose "s.

Cene « chose" esr souvent inre~p~eree comme la syphilis, mais une lecture plus prudente de ce fragmenr pourralt mdiquer une « simple» gonorrhee.

. Neanmoi~. il est co~nu qu'a ceue epoque de pandemie syphilirique, Baude­laue frequentaIt les prostltuees. Courracrer la maladie Clair plurot habituel, et Ie

1. J. P. Sartre, Baudelaire, Gallimard, 1947, p. 152. 2. Op. cit. p. 178·179. 3. Pour des r~ponses a Sartre sur ce sujet, voir Bntaille G. La Utferafllre et Ie Mal. Paris, Gallimard, 1957 et Angles A. Sartre versus Baudelaire, Yale French Studies. 1948, t.2, pp.ll9·124. 4. PIChOlS C. La maladle de Baudelaire .in Pichois C. (ed.), Retour a Baudelaire, Geneve, Slatkine Erudition 2005. 5. PlchOlS, ap. CIt. P.ll i. '

67 L' APHASIE DE BAUDELAIRE

milieu lirt(~raire ne manquai-r pas de s'en arnuserl. Baudelaire lui-me.me ecrivair: " ous avon tOUS l'espnr n:publicain dans les veines, comme la ve.role ciar:s I:s o. noUS sommes democraris s Ct syphilises » er « Le jow: OU Ie jeune eCrivam co'rriae a premiere epreuve, i1 est fier comme un ecolier qui viem: de gagner a pre~ere verole »'. La (I'ansmissi~n est souven( a~~uee 11 • ara," la ~~uc~ette » ,

mais.il avair d'autres favorite qUI pourraIenc aussl bien en eITe a I ongme . Dans une lettre a sa mere en 1860, Baudelaire se plaint de ce qu iJ a du endurer les 19 annees precedentes. mais cene remarque est trop generalc er en lOUS les cas ne renvoie pas a 1839, comme on peut parfois Ie lire: .ll es~ neanmoins largemenI accepre que des 1841. Bau,delaire a en e.if1:[ la syphilis. C est. alor que son beau­pere decide de I' envoyer aux lies pour quelques mois. La m~a~e s'anaque 11 a peau er aux membranes muqueuses, aux arthes et organes VlscecaUX. Mal~e un rrairemenr au potassium, divers bains et peur-erre du mercure de.s 1848 i1 pre­senre des douleurs au.x articulations, des tadles sur la peau, une fangue ex.acerbee er il commence 11 perdre ses cheveux. Les symptomes se manifesecront ?ar in(e~­mirrence en association avec de violentes chures de l'hume.ur. En maI 1861 II ecrir a sa m~re: « Tu ais qU'CtaI1[ rres jeune j'ai eu une affection ve~olique que plus rard j'ai crue roralement guerie. A Dijon, apr~~ 1848, dIe a fal.r une nou­velle explosion. EUe a erc de nou: eau pal Ute. Mallltenanr , die revlenr c.t e~le prcnd une nOli velie forme, des taches sur la p~u'. cr ll,ne Jasm~de o..'U~ordLUa're dans tOute les articulations, T u peux me CCOire' JC m y connaIS. Peut-CITe, dans ]a rristesse OU je suis plonge. rna terreur gros it-elle Ie mal »' .

Troubles visceraux et gastro-intestinaux

Les aurres symprome typiques de la syphilis dice secondaire n 'epargneronr pas Baudelaire.) .. partir de 184 , i1 se plaint d' ulceres de la g~rge cr ~u l~, ainsi que d'une ~ oisivete perpctuelle commandee ~ar un mal~lse perpe[U~ » . A ce moment, Ie jeune hommc de 26 am a de senelLX problemes£inanCier , er abuse du viTI er du laudanum. Baudelaire s'enmousiasme egalement pour I opium, Ie haschisch et l'emer pas lLUiquemem II des £in pOt!ri,!-ues. mais pro­bablemene egalcmenr pour calmer des douleurs gasrriques, De fair, so,? es.to~ac deviendra un motif de plaime recurreme dans seS lernes. En mars 18)3, II eerlt

1. Dieguez S., Bogousslavsky J. "The one·man band of pain, Alphonse Daudel and his painful.experience of Tabes Dorsalis» in Bogousslavsky J, Boller F. (ed.) Neurological disorders In famous artists, Frontiers In Neurol·

ogy and Neuroscience, Basel, Karger, 2005. pp, 17·45. . 2. Hayden D., Pox: Genius, Madness, and the Mysteri~s of Syphilis, N~W York, BaSIC ,BOOkS, 2004, pp.l1.2·113 • . 3. Pour Sartre , naturellement, Baudelaire est Ie seul a blam~r: ,,1/ n est pa$J~squ a sa sYP~/"s dont ." ne sO/t /'artisan presque volontaire (. .. ) Celie syphilis qui /'a torture toute sa Vie, qUi I a mene au gatlsme et a la mort,

est.ce trop a dire qu'iI /'a voulue?" [Sartre, op. cit. pp, 82·83].

4. Hayden, op . cit., p. 113. 5. CI. Pichois, op. cit. p. 112.

68 SEBASTIAN DIEGUEZ ET JULIEN BOGOUSSLAVSKY

que « cene abominable existence et I'eau-de-vie ( . .. ) m'onc gate I'estomac ,,1. Jusqu'a son artaque cen~brale, iJ souffrira de troubles de I'ingestion, de coliques, de vomissemenrs, de sensations d'eroufFemem, de palpitations, de nevres, d'insomnie. de nevralgics, de fatigue er de constipation.

Troubles « nerveux"

Le 30 juin 1845, Baudelaire evoque Ie suicide dans une Ierne a Narcisse An­celIe: " . .. Je me rue, parce que je suis inutile au. ... autre er dangereux a moi­me.me. Je me rue, parce que je me crois immorrd er que j'espere ... '/. U ne pass a pas a I'acre, ou echoua, apres avoir eerit un testament. Que ron prenne ou non cetre alerte au serieux, il est possible de darer certains rrouble « nerveu.x » _

symptomes attribuables a ses abus d'alcool et d'opium, ainsi qu'aux manifesta­tions seeondaires de la syphilis - plus precisement a 1854. Pichois3 en a etabli un impressionnant catalogue s'etendanr de 1854 a 1866: « Tour abeti ", « deran­gements d'estomac ", « diarrhee continue », « faiblesse physique et tristesse d'esprir ", « voile obscur devant les yeux ", « eremel tintouin dans les oreiUes », « spleen », « volonre aft"aiblie », « marche avec beaucoup de peine ", « tristesse »,

« maladresse de la main ", « insomnies provoquees ", « congesrion cerebrale », .. faiblesse '" « aronie, plus d'appetit, plus de sommeil, plus de rravail ", I( reverie, marasme, deeouragemem er indecision », I( migraine », II neYralgie ", « douleur sourde au-dessus du sourcil droit ", « lourdeur, distraction ". Dans une lettre a sa mere en 1855, il conne SOn souri de « voir s'user cr peficurer et disparaitre, dans cene horrible existence pleine de seeousses ('admirable faculte poerique, La nerre­te d' idees, er la pui5sance d'e peranee qui consrituenr en realirc: mon capital ,,". E[ en decembre 1857: « Ce que je sens, c'est un immense decouragemenr, une sensation d'isolemenr insupportable, une pellr perpetuelle d'un malheur vague, une defiance compli~te de mes forces, une absence rorale de desirs )/. Ces lignes indiquenr une evolution depressive; Sarcre, poursuivanr sa rheorie selon laquelle Baudelaire « a choisi de souffrir )/, insiste sur Ie fair qu iJ pouvair changer Laru­calement d'artirude selon les destinataires de ses Iemes. Ainsi, POllf ce qui COD­

ceme les lerrres a sa mere, Sanre suggere que « Son osrenta.tion de souffrance a visiblemenr un double bur. Le premier c'esr d'assouvir ses rancunes, iJ veur don­ner des remords a sa mere. Le second est plus complexe: Mme Aupick repre­sente Ie juge, Ie Bien. Devant eUe, il s'humilie, i1 recherche a la fois la condamna-

1, CI. Pichois, op. cit. p. 113. 2. Hayden, op. cit. p. 115. 3. CI. Pichois, op. cit. pp. 113-115. 4. J. E.Jackson, Baudelaire. Paris, LGF, 2001, p. 25B. 5. J. E. Jackson, op. cit p. 259. 6. J.-P. Sartre, op. cit. p. 89.

L'APHASIE DE BAUDELAIRE 69

• 1 I i ue dans ses lettres a d' autres personnes, Baude-tion et l'absolutJon » . I est vra qd~. maladie TouJ·ours est-il qu'en .. 'tre sa c;presslOn ou sa . laire latsse moms transpar~t P. -ad. Artifi ·tls il vir II une crise singuJi(:re » : 1860, l'annee ou est publie L~schar: , IS Cl e' congestion cerebrale ". Nous

. ., . elque Ose comme un . « Je crotS que J at eu qu . P " re e't~;[-ce une arraque transl-

'.< • congestion» eur-c;[ <u

ignorons ce qu <:,ran cene (I • l E I I'idee de fhysrerie £fc d dr t de 1'alcoo n rollS es cas,

taire, ou un e er es ogu~s ~ .. Inspire par Ia lecrure de Madame comme~ce a .faire s?n ch~~\n a;s ~~7 :;\rere physiologique ne ferair-il ~as BOIlary', Jl eent : « L hysrene . Po , q . Y e l'Academie de medecme Ie fond et Ie ruf d'une ceuv.re hrr~Jfe, ce~s~e:~e;;::es ar la sensation d'une n'a pas encore resolu, et ~U1'. 5 exp(~m~~r parle que du sY~Ptome principal), se boule aseendante et asp YXlanre Je tes les impuissances et aussi par traduir chez les hommes nerveux par tou

, 2 l'aptirude a tous les exces . » •

II semble qu'un diagnostic d'j,}'~ rerie,. en l'absence ~;~e ~~:frr~1~:i~~ claire des causes er des diverses ~an~es~no~s de ~~7sPde Ba~delaire. Dans Ie medecins a rendre compte de la hta~led . es s~mp~ siecie, iI exista.ir deux ma-

d 'd'cal ' use souvent '" ue qu au AlA mon e me I , on sam. . d' .11 a accepter ladies, 13 YI(hilis , e.[ l'hysterie. Ba~delair~:ae;~~:~~t ~« ~~:!~ persiste. Er I'etiquette d hysrene, comme ces

d eux Ph '<":e En bon fran~s: je jette rna

I 'd· nonce Je gran mor: ysrOl. ., . e me ean a pro ' ' . .1 et " Au moral comrne au physique J aJ langue aux chlens » (5 fevner 1866) I d uffre du sommeil. mais

I . d gouffre non seu emem u go roujours eu a sens~non u > d' . du desir du rearet, du remords, du d uffr de l'actlon, du reve u souvemr, '. t> •

U go e ,. ul . ' on h rerie avec JOlllssance et terreur. beau du nomhre, erc .. . J 31 c. nve m . ch, . 23 ·anvier 1862 j'ai subi un Maimenanr, j'ai roujours I.e ver:lge, er aUJour . 1 1

ill, dJ 1 aile de l'~becilite ». . . . . , . ' 0 pas er sur mOl event e

smgu11er avernssement, J al sen . d. es annonciareurs -de la Vallery-Rador' inrerprere ces !.ignes comme, res « SIgn "ailes de geant" ».

h ·· s plus card, rracassera ses paralysie avec ap asle qw

d, ql ~atre an eat aperru dans la rue la tete bandee, d e Bau e alre sera SOl.lV .,.

Pen ant ces ann es, ~ al. t migraines. Mais nous ne saurons apparemmem P?W; c~:ner ~es nc;vr glCS ~ jarnais queUe etan I ongme reeLie de cdles-C!.

. II t difficile d' evaluer a quel point ses symptomes Baudelaire a alors 40 ans. es d Plus problemar]que encore est . . de dams les uns es autres.

etatenr ou non 10 • pen . 6. hilitique ciererminerem les [[oubles d'esrim:r si ~~bPJamres .etalslo~ I~ I~:~~~~ Quoi qu'il en soir il est troublanr vascuJalres cere raux qUtaJCll ,

1. J.-P. S~rtre, op. cit. p. 86.. . R b rt Lafionl (Bouquins), 19BO, p. 481. VOir aussi CI. Pichois, op. 2. Baudelaire C., Oeuvres completes, Pans, 0 e cit. p. 128.

3. CI. Pichois. op. cit. p. 116.. J.d' t medecins» in La Presse Medicale, 1956, n.64, pp. 517.518. 4. Vallery·Radol P. " Baudelaire: mo eClne e ,

70 SEBASTIAN DIEGUEZ ET JULIEN BOGOUSSLAVSKY

de constater qu'iJ sembi . . . , . . ~1t preSSentlr sa traglque issue. Le 12 fevrier 1866 '1 ecnvrur norammenr; « Bien SOuvem dans . '. ' 1 Lit, je me disais: " ah ra. 1 Raisonn . c~ Jmel,lIDJnabl~s Journees passees au . )" . ons. I e est apoplexJe Oil I al ' .

Vlem, que Eerais-je et commenr menrai-J'e dr l. _ Lr_ : I a par YSle qUI . or c"" mes iilIaIIes :I " H ·<I- - ·I . vu Juste. . N . CliIli , I ava.tt

Accident vasculaire cerebral

Avant de souffrir d'aphasie Baudelal'Ie a ' , L • , preseme une scneuse al rt .

~~~; S~:~j::Ta~fla~~;~~;,~eit'~~~e l[~~nsiroire. L'e~i ~d.e ~':s; ~~~r~: Salnt-Loup _ « merveil.1 '. gal 6, alors qu iJ ISltrut I egllse de

e JnJsue et ·ante I> a ' iJ h ment Euge C· ,. - amur OU . c uta soudaine-rer a 'Poule~~al:!~t ~;Pf~e ~mciden~ ;1:< Comme il ~dmirait et faisait admi­seulptes avec la plus r'ch fus·ops>'I~ accomp~nruent, les confessionuam: et alJa s'abame sur W:e ~~~e Ion I . I cedla, pm d'~n erourdissemem subir,

. ' es amJS e r everenr' Ii ne p , ffr er prc"tendir que Ie pied lui avair glisse a fi ' . d I ' . a~t pas s e ayer marin en se levant il do d . . d n elglllt e e croue; maIS I lendemain a Bruxelles . ~ " n?da es stgnes e trouble mental. 00 Ie Lamena en hare

. " peme montc a.ns Ie WagOD i1 . ' , , • " etait ouverre 11 . di I . , pna quon OU\fj[ la pomere; or die

, avrut r e COflrrrure de ce u'jJ v ulai di ' . > fallair voir lit un iodeniable prodr [ . q 0, t . reo ~ aphasle, dom il pas ' d'd ' orne une paraphasle seman[Jque 'J ne '~rd a se e arer, ,,'. . , uu a

Quelques JOUIS piu ra.rd vers 1e 20 mar 'j d ' . « a ooze heures du sou ren' 0; S I .pro WSlr une no·uvelle er.reur : A . I" 3 ' P anr con tie de son ami Ie phomgraphe Neyr ill . d'

ce SOlr. " . Neyr rentra chez lui ... . . UI It on ami il decida d eri£ . B d~~s Illqu~er du Componemenr euange de

Grand MUoir OU iler~vsl'd~;r:erNsJ I,au rure avau attcim sain er sauf l'HoceJ du , ~, .... e y rrouvanr pas N . I '

bars bruxeIIois a Ia recherche d • A' h' eye enrrepnt a rournee des u poete. une eure d " 1 fi .

crouver ala Taveme Royale, se I d ' ,u ma[Jn, 1 filt par Ie u ans un COin :

Je Ie dccouvris ( ... ) l'air abarru ( ) J I' . . . ~ue c'~uic peu sage de sa parr, se ;~~rn:c :j~eru a reurrer, Je lui ~IS remarquer 51 longucmem Entin 1'1 se I ." q q ~ peu souffram, de s artarder aus-. ' . , . eva; Je accompagnaJ mal c,· I d .. mljJe difficu1res J' usqu 'iI son horel M ' I "1 ~II gr . UJ er e recoil U.ISIS avec br . aJS orsqu I "LUue gnmper les e car . c. .

o Ige de Ie hisser a bras Ie corps ( ) 1 ~ ". __ 11 ' d.an~ ch s - lers, Ie LUS I ... ~ lflSLalJaJ $ sa amb "alluma-ampe, rnals je dus partir; i.1 refusait obscin6ne.n : . r~,.1 , 1 sa

A1lez-vous en! A1lez-vous enl Vou d' . L I edmon. rude er me CDru[ a rue-cece; . s IS-Je. e en emam ( ... ) j'a1lai Ie voir. II crait

1. CI. Pichois, J. Ziegler, . Baudelaire. Paris, Fayard. 2005, p. 714. 2. CI. Plchols et J. Ziegler, op. cit. p. 717. 3. Y. Lebrun, J. Hasquin-Deleval J Briha J FI ,. 1971, n° 125, pp. 310-316. .. ye,. ament," Laphasle de Charles Baudelaire", Revue Neurologie,

L'APHASIE DE BAUDELAIRE 71

sur son lit, ctendu, tout habille, comme je l'avais renree ( ... ) II etait neuf heures du matin. Je Ie reveillai; il ouvrit les yeux, mais resta sans un mouvement et sans pouvoir prononcer une parole'.

Le docteur Leon Marcq! diagnostiqua « une meniogite du cote gauche, he­miplegie des membres du c6ee droir, avec aphasie subsequence ». Le recit de cer episode est base SUI Ie temoignage de Neyt a Kunel, longremps apres les fairs. U convient done de garder une cerraine prudence SUT Ie deroulement exacr des evenemems: A quel momem s'e·st insrailee l' aphasie? don les informations disponibles, il esc [Out a fait possible que Baudelaire air subi plusieurs « alerres »,

er done pJusieurs accidents vasculaires a quelques jour d'inrervalIe, peur-erre avec des episodes transiroires d'aphasie ou des paraphasies (mot ou syllabe pour untune auue) occasionnelles jusqu'a une ulume arreime severe ec dMiniuve.

De fait une Eois de rerour a I'Hotei du Grand MiroiI, DOUS savons que Bau­delaire etait encore auronome et capable d'ecriIe. La demiere lectre de sa main date du 20 mars (a sa mere) : « Je ne suis ni bien ni mal. Je travaiUe et j'ecris difficilemenr. Jc r'ex.pliquerai pourquoi ,,'. Ceci suggere un, debut d'agraphie ou une paralysie pure.ment discrece de la main, car I'ecrirure parair en fair meilleure que sur certaines Ie me anterieures et il en vi ear meme a y discuter d'un poinr d'onhographe. Dans les jour suivanrs, autour du 22 et du 23, il semble qu'il y air eu une aggravation - peuc-erre une nouvelle arraque - puisqu'il eSt alors incapable d ecrire. rom peut neanmoins dieter quelques lettres er carriger des epreuves. Ses amis cr docreur se.ll1blenr 11. ce momenT encore opcimistes du momenr qtl ' il accepre de prendre du repos er de change.r SOD mode de vie. HeIas, Ie 31 mars son ceat empire irremediablemenr, pIobablemenr it I' issue d'un grave accident vasculaire cen!bral. Ironie du son, sa mere, encore ignOTa.Dte de Ja situa­tion, receva.ie Ie meme jour une Ierne du doctcur Marcq lui declarant " l'assurance d 'une renninaison favorable de I'affection de M.B. ». Toujours Ie meme jour Ie docteur ecrivair egalemenr it Poulet-Malassis; «Je SOTS de chez Baudelaire, Je tIOuve on ctat notablenlent empire " . Er Pouler-Malassis ensuite, a un ami : « La simarion de Baudelaire est tres grave C.,.) On a craine un instam une hemiplegie, une maladie de la modle epiniere. mais tour paralt se borner it un desordre absolu du systeme nerveux qui n~cessitera une vie purement vegeta­tive de six mois a un an »5, avec ce pOSt-SCf1prum : (f Je rouvre _rna letue pour te dire que l'etat de Baudelaire est devenu en quelques heures de la plus exueme

1. Lebrun et aI., op. cit. 2. Ou, moins vraisemblablement, Ie docteur Oscar Max, nommt'i a I'H6tei du Grand Miroir, voir Lebrun et aI., op. cit. 3. CI. Pichois et J. Ziegler, op. cit. p 718. 4. Op. cit. p.721 5. Op. cit. p.722.

72 SEBASTIAN DIEGUEZ ET JULIEN BDGOUSSLAVSKY

gravire !I . En effet, Baudelaire presence desormais une h.lml· pl ~· dr ' h . I?: C. ' .. cgJe OIce et une aPalas~e compte. e JOur Mile Hugo eerir : « Baudelaire est perdu ( ) La m . a e a presque encieremenr envahi Ie cerveau. On d6espere d al d·" cr:unt surro "1 " u mae et on

ur qu 1 ne survive a son intdligence !l I Le 1" avril P I Mal . infofme Ass r d I ' . ., OU C[- <lSSIS

: meau e a situanon,: " Bier Ia paraiysie s'est declaree du core droit et Ie ramollissemem du cerveau s esc manifesre ( ) Ii ' . . di d' . d . .. n y a pour alDSI re pas

espOLr e sauver nocre ami. Je sors de chez lui C'est ~ . 'il ' ~ . a PClOC rna Ieconnu » •

.D:--os cet erar, Ba~d~Jaire. ne peuc plus restcr 11 I'Hotei du Grand Miroir.l.e 3 avril, II est emmene a Ilnstltur Sainr-Jean et ainte-Elisabeth r' d

reurs Augusrines. Sel.on Ie regisrre d'enrree Ie motif d'hosPI'-~I 'un~ c U;lq.ue e « 1. B d J . ,. , . lallSaUOn eralt une

apop exJe ) . au e aue y seJourna environ deux semaines dans la ch b commune, dans I'erar, selon les termes de Pichois et Ziegle> d' am ~e vanc I> D I' . eneraJ B ' . . ' to un mort "I­

. e avlS g . ' au~elaue eraIt « condamne », et ses biographes indi-quem que de ces rnolS de " VIC vegetative" il n'ya plus fl'en a' d· C' d . . . e1. ' ' , Ire. est ans cetre ill muuon r Igl~use que Baudelaire commen93- a exprimer so fum {( Crr nom ». 13arral ewr : " 11 criair: "Pas l Pasl Sacre" oml" PI' c

n. .eux iI a1la . '3. . . .. USH!urs rOl5 meme

Jusqu . aruculer Ie blaspheme comple[: "Sacn~ Nom de D I" ( ) Ri de ~Ius ~~OLssa~H que Ie spectacle des ravages de I'aphasie che~'~n ~~;e d'~~ esprit supeneur " .

Aprt;s quelques hesica~ons, la mere de Baudelaire se decida a faire Ie de la­eeme~[ a Brux;~es .pour S .occuper de son fils. Ce som ses echanges avec la S~ur supeflle~re de llUsmuc qUl la convainquirem que cet endroic n'erair pas indique pour Ul:

B.le [Ia seeur supeIieure] me dit, apres m 'avoir parle de I'L-- . d ' d P

au fil "1 ' d . _ . C"l.a. e sante e mon vre s, gu 1 n a pas e religion (':r que , 'est bien dur pour ell d' . d . h . . e . avon ans S3

~150n un om~Tle sans religion er cUe me demande de lui vtnir en ·d V·' gill Ol~ donn~ lieu de craindre qu'elle ne veuille pas Ie garder chez Jte e.( )oIE

CI

line alltre cr3lllte 0 . d ' . .. { b . . n n mOInS gran e, c esr que les religieusl!S anim&s de ~::esdmDre~nons ls~~~oute m: Ie r~lIrmemcnr; et en lui padam [fOP:;:; des

sse ICU, nc UI .""sene duma! » •

. De faib1

' rb' Ices religieus~ avaienc des exigenees peu raisonnables pour un patient vralsem a ement apraxlque· :

1. Op. cit p.722. 2. Op, cit. pp,722-723. 3. Op. cit p,725. 4. Lebrun et aI., op. cit. p.311. 5, J. Crepe!, Les demi~rsjours de Charles Baudelaire. NAF n° 21, 1932, pp, 641-671. 6, Presentant des troubles des ges!es, typiqUBil1!l1l! associes a certaines aphasies severes.

73 L'APHASIE DE BAUDELAIRE

Les Seeur lui imposeD( d · prariques; quand il mange, dies voudrniem qu 'U se signar de la croix; alors il est doux, et, dans une patience admirable::, ferme \es yeux er [oume 1:1 rete sans e flicher. II fair semblam de dormir, qu:md e\les Ie tOlIrmeD(enr, mais dies pellvem provoqllt:r une ~ne qui Ie ruenUrl.

L'hoseiliee. des bonnes sreurs a I'egard de leur ~tonnanc pacient eraie proba­blemeae liee, au moins en partie, a son usage involonraire (?) du blasphematoire <I Crt 110m " . Cependant, il n'exisraie pas d'autre endroir pour l'accueillir a Bruxelles. Mme Aupick decirla done de l'emmener a nouveau a I'Hotel du Grand Miroir. A ec moment, l'hemiplegie s'erair quelque peu amelioree - Bau­delaire pouvair se deplacer avec une canne - mais pas I'aphasie. Curieusemenr, sa mere, olonrairemem ou pas, sembI ail ne pas saisir I'e::.pithhe blasphemacoire de son flls : " Non, quie, quie, les seuls mots qu il arcieule, il les erie a rue-rete ,,'.

On rapporre que des que leur impudem patienr fut parri , les reurs s'adonnerent a quelques rites purificawires : " Aussito[ 1a porre ( ... ) de J'instirut C .•• ) refermee sur Baudelaire, les sreurs de l'etabusscmenc se jethenc a genollx. verserem d'abondanres I armes, aspergerem d cau benire l'en1placemenr occupe par leur terrifiant malade ec ne se sencirem apaisees qu'en voyanr apparalere I erole du preere exorcisre demande en touce hite ,,). On Ie ramena par la suire ~ Paris, Ie 2 juillet 1866 OU Asselineau fur glace par son rue quand il reuouva J'aphasique sur Ie quai de la gare. n resta quelques jours dans un hotel pr~s de la Gare du Nord avant d'f:cre rransf6-e 11 ja Maison de Same du docreur Duval . Bienrot. il fut incapable de quirre.r on lir er cessa roU[ effort de communiquer. Mesdames Manet er Meurice venaienr Ie distraire et Ie calmer en jouanr du piano. 11 mourur Ie 1 aout 1867. DartS ses ulcimes instams, il se serair exdame " Beau " randi qu' il monrrai[ Ie Dome des In alides a rravers a feneere, puis Ie Dieu ! ), . U oe aucre hlstoire circule egalemenr. 11 seraie devenu plus calme dans ses demiers jour ec serair mort dansles bras de sa mere, laqudlc a eerie:

(Il] paraissair dormir, avec les yeux OliVerts · il s'e::st ereinr tour cioucemenr, ans agonie, ni souffi-ances ; je Ie renais embrassc depuis une heure. voulant recueilLir son dewier sOllpir, je lui disais mille rencb:csses persuadee que malgre son ewe de prosmuion ee de murisme, iI devai[ me comprendre C:I pourrai[ me rc!pond rc. " ( ... 1 "[II) est mon sans agonie, rour dOl.1cemellt, c[ en soudam' .

La mere de Baudelaire erair u es pieuse : die a 'air demande auX sa::urs e[ a ses amis de veiller au bien~rre spirituel de son El aphasique: " ong z a on arne je vous en prie a mains joinres n ecrivait-elle ~ Ancelle. « Malgre les apparences,

1, Op. CiL, note 1, p. 647. 2, CI. Pichois et J. Ziegler, op. cit. p. 729 (Ia signification, ou transcription, de quie n'est pas claire)

3. Lebrun et aI., op. cit., p, 311 . 4. Crepet, op, cit., p. 663 et 667.

74 SEBASTIAN DIEGUEZ ET JULIEN BOGOUSSLAVSKY

malgn~ ses ecrits, il croit, il y a en lui un fond de religion» I. La premiere offre directe au parienr etanr venue d'un prerre, le resultat en fut une furieuse serie de " Cre nom! ». Neanmoins quelques semaines avant sa mort, iJ aurait consemi a reccvoir les derniers sacrements. " Man pauvrc enfant a rec;u tous ses sacrements, sachant bien ce qu'il faisair et avec ferveur. rai eu Ie bonheur de saisir un bon momenr I/. On peut narurellemenr discurer de la sinccrire de la deI]lande des derniers sacrements par un parient neurologiquement fragile, mais il est aussi vrai que malgre son caractere iconoclaste, I'reuvre de Baudelaire montre un quesrionnement constant sur Dieu er la religion. Quoi qu'il en soir, en publiant sa necrologie, les journaux carholiques Belges ne s'inrerrogerenr pas rrop lon­guement sur la quescion ; "Avant de mourir, M. Charles Baudelaire, qill avait re.reouve ses sens, a demande it recevoir les sacrements de I'Eglise, et s' est confesse au prerre de sa paroisse. L'auteur des Fleurs du Mal est mort en chretien )/. Pichois et Ziegler acceptent egalement l'idee que Baudelaire ait rec;:u les derniers sacrements a sa propre demande' .

Aphasie, pensee et langage

L'aphasie de Baudelaire mctite qu'on s'y arrarde norammem par son lien po[cnriel avec .I'intelligence generale de i'ecrivaLn I'usage parriculier du Stereory­pique (I Crenom », ses reactions emotioonelles, la question de la conscience du crouble, i' evolution des sympt6mes, et enfin la question de l' etiologie et des lesions du cerveau.

L'aphasie - la perre du langage. baptisee ainsi par Armand Trousseau en 1864, alors que Broca avai( parle d'aphemie trois ans plus tOt - est un rrouble qui commen~[ a hre relarivemem bien corrnu du temps de Bauddair~ mais qui ctait encore mal compris. Nombreux etaient ses contemporains et proches qui s'exprimerenr sur Ie sujet. Ces commentaires reAerenr la connaissance de l'aphasie a ceere cpoque, et ont donc imporrants d'un point de vue hismoque. Le 26 avril 1866, Poulet-Malassis recommande a Asseuueau de lire Ie travail de Trousseau sur Ie sujet, afin de mieux se familiariser avec la situation de leur ami. Ces pages, cependant, ne sont guere encourageantes ;

Pour l'aphasie avec paralysie, lorsqu'elle n'est pas ( . .. ) liee a la syphilis, je crois devoir avouer notre impuissance presque absolue. Nous ne pouvons pas plus gue­rir l'aphasie que la paralysie qui l'accompagne; la nature a peu pd:s seule fait les frais de l'amelioration, et celle-ci n'est toujours que partielle. L'aphasique reste a

1. Crepet, op. cit., note 1, p. 647 2. Op. cit. 3. J. Lebrun et aI., op. cit., p. 314. 4. CI. Pichois et J. Ziegler, op. cit. pp. 759-761

75 L'APHASIE OE BAUDELAIRE

. . fra pe dam son emendement commt: ill'est dans la moitie d'un cote de )amalS p ~ ,. . I

son corps. 11 boiu~ra toujours de I lnrelhgence .

SUR LE SIEGE n! LA

FAC~LTE D~ LANG1GE ARTIC~LE lYi' DlDi OBsmlTIONS

D'APHEMIE (P&RTE DE LA PAROLE)

PAR LE O· PAUL BROCA Pr1IleMCut acrOii ii. 1. F.cuUO de m~adne, chirurrieo de l'hOpiLJI de Bioel~.

P .A.I\.I S

VICTOR MASSON ET FILS

. d B description hisrorique p~<Te de tilIe du rapport prmceps e roca, ch d II d '.., . d · . . cc lIes pro c e ce e e (1 861) d' unc aphasic, pre ommance mom , . l)aude13irc, cenm:e sur la c<.1;ion fronmle de I'hemlsphere gauche.

1.0p cit p.731 .

76 SEBASTIAN DIEGUEZ ET JULIEN BOGOUSSLAVSKY

Cerre d erniere phrase esc resree celebre dans l'h" , . . savoir si Baudelaire «. boirair de I'inrelli ence " il lsro~re de ,I aphaSl?logle. Pour sur la nacure de son crouble. En 1869, gAsselinea co:vlenr d ~n savo~.r davamagc rapporre quelques fai rs perrinenrs : u, ans sa blOgraphie du poere,

Des bruio; CODr£<ldicro.ires s'c!raient re andus ' . O n avair parle de foli it d P a~ SUlet de la maladi.e de Ba.udelaire.

I'impossibilite ou i1 er:r d~~:efai~e ~~%~~:~~~l("c) Eque ~ 'expliquai r que crop un eclar de ri re, long, sonore, ersistanr ui m " ', n m aPe:c~~r, II poussa Je n'avais pas passe Jh . q . e glar;:a. [. ·.1 Ecalt-d fou, en effet? h~la, ! sur ce poinr J~n qu:rr, eur.': ~vec lUI que j'erais completemem rassur~ ...

. acqulS a conVl COon que Ba dd ' , " . avantage pour luj ~ans doure ni J . I 'd ' . u alte ~ av:ur Jamal ere, trine "oreille, rour en faisanr sa roil~[rc.~:' c~~ve~s:l. plus s~btil. E~ Ie ;oya.m prerer deux pas de. lui et ' d ' Ions qUl se renalem a "OIX basse a n en pas per re un mot ce q . d'improbarion au d 'im acience u" .: . ~ ,e pus com prendre aux signes Ic\'er les epauJes hOche; de la t' q doll manI1tstarr. echanger des sourires avec moi, I I ' ere, nner, en un mot des mar . d I' . a p us SOu(enu~ er de .I'in reUigence la I .' ,qut.. e arrerJ.tlon

que Ie mal avair respecte en lui ne fUr P;;'s .nette, )e ne dourals. pas que la partie prir fUr aussi libr ' " 1 ' P . F.iI~cmem same e[ acnve e[ que son es-

. . e er aussl agl e que Je I avals vu I'ann ' e ed Le ' d aIlleur$ conscarc par Its medecins . I ", I ~e pc c erue. fart fin ge~. LassCgue Isic} er Blanche. A ri~"\;il:I~e;,:"r:n cr JO,UfS

d su~~anrs, .1M. Pio­

t£<l1~es pd·.d ' a, gre es al.f.lrmanons con-:, ro u;res par es personnes qui ne connaissaierJr Bauddaire .

~~~:h~=uIS P~,u lcic tlemps, . c~[[C imeg~jre de l'i.mclligence avaic r~~~;~I~~ . . e qUI a e p us assldumenr \'eJ.ile C( ob ). ral .

Vlte de sa malad ie m 'Jcr' . ., • . SCJ.'Ve, par JVJ asslS. - « La " ra-, t: Ivarr-t , me pamI[ ecce eon).. d I" . <:t

s'exprimer. Et il CSt clai r qu"1 . d cre~em ans ImpoSStbil ire de agir eomrne un quasi-muer qlw' 3

n consaen.cc: ~culcerr" lmpossibili re; mai tnfin i1

" . , e pourmrranl er qu 'un .. h . d Se .aue comprend.re au moy~n des v ' " d" . on e[ qUI cae ef<lj r e

. arlercs Intonanon Je Ie cis souvent, en ce qui me conceme' m . d ' . compren assez , al5 c est ur ... ..

. C~ fragmenr conrienr de nombreuses informarion efJ' . CIon majeure a cene cpoque : De uoi I'a has' s.' r . e~nr une IDterroga-medecins pari iens inform~renr la ~Je.re d p B I~uf ~sr-il pnve, exact~em ? Les paralyseeil a perdu La ,(_ . d e au ~ aue que II sans avolr la langue ,. ' In<:J.UOlre u son » Er E 0 ' C

I Insensibilju~ complere [la d6n~ncel il . bl' ugene . !tpee.: II Pour glisse; il monrrera seuJemenr dans I~ d ne .~~m e pa~ que Baudelrure yair jamai

Q ~ J' . emlcres semrunes un abaneme r . ' uan e / Ire, II en craie devenu incapable des Ie lend . d n extreme.

raque» . Pour certains medea '. emam e a seconde ar­a semble don . os s~n aUlJ Assehneau er d 'aucres conremporains

c que Baudela ire aval[ seulement perdu la cap . -' d ' . aClrc: e s expnmer

1. On salt Que Baudelaire alai! connu pour son rir If' • (Benjamin ~. Charles Baudelaire, Paris. PaY01, 1955/;O~ ray~~~ souvent compare a celui du diable lui-me me

~: ~~'p~~~:~n:~~, ~t~7::' ~;~~~fa~r;2:a rls, If Temps q U';' ~ait, {S69!1990, Pp.91 '93.

4. J. Crepet, op. cit. note 2, p.643.

L' APHASIE DE BAUDELAIRE 77

verbalemem. Creper memionne cependam ~u' il t rai t egal~mem incapable de lire, m ais curieusemenr, ce fait esr largemem ignore par d 'auacs t€.tnoins. Acccre epoque bien enrendu, la psychologie cognitive n'etait pas nee, er Ie concept de « modularire " venai t a peine d 'erre ressuscite des cenrues de La phrenologie grace au rravai l fondareur de Broca en 1861 '. Langage er inrellige.nce resraien[ done des conceprs largemem unifies, et il crair conceprue.llemene difficile d'envisager un crouble rel que celui de Baudelaire sans remerrre en question cene vision d es choses. Vne incapacite a Lire 6:ait pent-crre (rreconciliable avec l' idce d 'une pre­servation de la vie me male, ce qui expliquerair pourquoi Ie problem erait passe sous silence par scs proches. Vn crouble puremc..nt moreur, en revanche. serait " acceptabJe ", dans la mesure OU a n ' impliqu~tair pas Wle arreime de la pl!Ilslt', quj serair alors proche d ' une. perrurbation de l'ame' . La presse, en revanche, ne s'embarrassair pas tOujours de rels scrupules, ainsi cene notice pame Ie 2 sep­eembre 1867 :

M. Charics Bauddaire iem d~ mourir, apr1.'S de longs jours de souffrance. De­puis plus d'un an, le pohe avair perdu- la parole er la raiso n, e{ la morr I'arue deja. pris a moirie. Elle I'enleve aujourd 'hu.i [Our erJrier, er ses amis n'osenr dcplorer une mort prevue depuis si longtemps et qu..i mer fin a une si longue agonie' .

Le docreur Charles- Lasegue, ancien reperlreur. de BaudeLai.re It Louis-Ie­Grand devenu celebre professeu r de medecine, ee 11 qui Madame Aupick avait eerie, rema de 1a rassurer avec une app(vche plus prudeme du probleme: II Le rrairemenr sera long et malheureusemenr d' une issue incenaine ( . .. ) Avec une aphasie aussi prono ncee, it est impossible de mcsure.r les e.mimenrs er l'inrcllig~nce, puis-que I' expression r:1anque pour les i.dees les plus simples ( ... ) ,,'.

Maxime Du Camp, dans s~s Souvenirs iittlraircs, pn~se.me quanr It lui une vi­sion plutor l1egari e de J'erar de Baudelaire: " Assis dans un grand faureuil les main blanches, Ie visage de cerre paleur ren;euse qui est Ie Fard de la d emence les paupieres boursouffiees, les yeux imerrogareurs cr fixes. N ulle crace d'emotion sur son visage amaigri; p arfois il emblair se souJever dans un incom­parable effort pour repond.re 11 ce qu'on lui disair; il ctiait:" on, 11on, ere nom. non!" C'eraiem les deux seuls mors - les deux seules nores - qu'i l parvenair it articuJer " s. De m eme, Jules Valles exprima ce jugement plut6r infa.nrilisanr:

1. Broca P. " Remarques sur Ie siege de la faculte du langage artiCUlI!, suivi d'une observation d'aphi!mie (perte de la parole) >t. Bulle/in de fa Societe Anatomlque de Paris, n° 36. 1861, pp. 330-357. 2. L. Daudet, " La fin d'un dogme scientlfique - , Ac/lon Franfo ise, 10 mars 1922. 3. Lebrun et aI., op. cit. p. 314. 4. Crepet, op, cit., p. 671. 5. Lebrun et aI., op. cit,. p. 313.

78 SEBASTIAN DIEGUEZ ET JULIEN BOGOUSSLAVSKY

II nc pouvait articuler qu'un mot. cemme un eofam, mais ce mO[. Hie gemissait, Ie ricanait. el, avec des hequets de coIere au dt joie, il rr:tduisair ses impression suprCmt:S! On lui monrra une Heur: il lui fir risene avec son sourire de fou. -Gre nom ! Cre nom! roucoulait-il en balanryam la tete, CI comme emu par Ie par­fum et par I'ecl:n. Gre nom! C/!rair tantor un salur er rantor un juron, suivanr qu 'en lui monrrair une chose au un nom qu'il avair aimes eu ha"is! Cre nom! Cerai! peur-erre aussi Ie grognemem idior du desespoIT ! - Qui sair ~ Gcla vOlllair dire p~llt-~cre : - « Ah ! peurquoi ai-je, toure rna vie, ete un comedien ! Je me uis rendu fou moi-meme, je Ie ais et je De puis Ie dire, et je Ie pourrais que peur-erre, orgueilleux, je ne Ie dirais pas !'.

Que resrair-il, au final, de la vie memale de Baudelaire? n semble que cha­CUll mecraic dans Ie <' Crt nom " du pol!te ce qu'il voulair bien entendre. Ce qu'est la pensee sans langage est une des plus vieilles questions philo ophiques, er I'erude des aphasies a cercainemenr consrime I'un des modeIes les plus impor­rants sur Ie sujet Malheureusemenr Fautc d'une erude sweuse et de donnees suffisantes, Ie cas particulier de Baudelaire restera sans do ute a. jamais irresolu.

Quel type d' aphasie ?

A la lumil:re des classifications acmelles des aphasies, deux hypotheses se de­gagenr sur Ie cas de Baudelaire : ceUe d'une aphasie de Broca. avec une compn~­hension relarivemenr bien preservee, et celle dune aphasie globale ou Ie trouble moteur du langage esr associe a une arreime de la comprehension. Cerre seconde hypothese nous semble plus plausible en regard des caracterisciques ci-dessous. Bien que Baudelaire n' air pas erc formellemenr e.xamine et reste, ni aumpsie, it reste en effct possible de com parer son cas, en consideranr avec prudence les informations disponibles, aux donnees rece.nres issu de I crude cognitive er neurologique du langage. Un premier poim d'irnporrance concerne ses capacir6 de comprehension. Paradoxalcment, on considere aujourd 'huj que Ie cas princeps d'aphasie dire « de Broca )l. c'est-i-dire Ie patiene Louis Vicror Leborgne decrir en ] 861 par Paul Broca n 'crait probablement pas un bon exemple d'aphasie de B-roca proprement dire (une aphasic quasiment sans anewre de La comprehen­sion du langage), mais plmot d'aphasie globale (avec cerre aneinre) (figure 1). La raison avancee esr qu " il ex.iste une forte correlation enae les productions srereo­typces [relies que Ie fameux {( Cre nom »] er l'aphasie globale ,/. Hors dune evaluation formelle, il est parfois difficile de juger du niveau d'inregrite de la face receptive, c est-a.-dire Ie aaitemenr phonemique. symaxique et ulrimemem se-

1. WT Bandy. CI. Pfchois, Baudelaire devant ses contemporains. Monaao. Editions du Rocher, 1957, p. 322. 2. D. Laplane La Pensde (tOutnt-mots, Le Plessis-Robinson. Las empecheurs de penser en rand, 1997. 3, Y. Lebrun . Aphasia with recurrent utterances: a review " In Br. J. Oisolli. Commun. 1986. n° 2~ . pp. 3-10; Y Lebrun, Anosognosia In aphaSics. Cortex 1987. n023. pp. 251·263 , OA Seines, A. Hillis . Patient Tan revisited: a case at atypical global aphasia? " Journal of the History of the Neuroscience. n09, 2000, pp. 233-237.

L'APHASIE DE BAUDELAIRE 79

manrique, du langage, qui fonne la compre~ension .propremenr dite. de certains patients aphasiques. Ceux-ci peuvent, bien lllco.nso~~~[, souven r ~?~et 1e change lorsqu 'ils sont immerges dans une ~irua[:o~ familier~ ?u lorsqu us om ,a

. des ' onc"'s donr la pertinence est unmcdlaremenr eVldente. Par conse-rralter e.n t: . , .

quem, les expressions faciales, les reaaions de colere. ouJ,executlon dune a,?on repondam a une demande ne cOU5ciruenr pas en eUes-memes des preuves d une

comprehension preservee.

1

v

Lesion cerebraIe presurnee de I'hemlsphhe gauche cprres­pondan 11 I'arn!qll~ principale ayanr entraim': I:aphasie chez Baudelaire (coupe cen!brale transverse, selon I arlas Duv~r­nay H. The huma/1 brain, (l7Iatomy aud MR!. Wien, Spnn­ger 1991 , fig. 1 1. pages 302-30~). Zones du langage (0 et de 1a motricite de I'hen:ucorps drOit (V).

80 SEBASTIAN DIEGUEZ ET JULIEN BOGOUSSLAVSKY

Nous avons vu que Baudelaire avait certainement perdu sa capacite d' expression verbale, de meme que sa capacite pour la lecture et l' ecriture. Si, comme les precedentes considerations Ie suggerent, sa comprehension etait ega­lement compromise, meme a un degre moindre, cela signifie que l' ensemble du systeme langagier de Baudelaire se reduisait a la seule capacite d' emettre Ie son « Cre nom)) (et peut-etre, par la suite, d'autres formules tout aussi courtes), ce qui indiquerait qu'il souffrait d'une forme severe, et chronique, d'aphasie globale (figure 2).

CreNom!

Assurement, l' element Ie plus frappant de la maladie de Baudelaire etait son usage recurrent et presque exelusif de l' expression « Cre nom» (forme abregee et euphemisee de « Sacre nom de Dieu »). Le seul fait que 1'anecdote soit passee a la posterite indique assez les remous causes par cet etrange symptome dans les milieux inteUectuels de l' epoque, qui serait sans doute passe inapen;:u, n' etait la nature controversee et provocante de 1'reuvre et Ie caractere du poete. Encore aujourd'hui, malgre les avancees de la linguistique, de la neurologie et de 1'inteUigence artificieUe, Ie langage est souvent considere comme la faculte hu­maine la plus haute. U ne atteinte de cette faculte, a fortiori si elle s' accompagne d'une composante blasphematoire, semble difficile a apprehender en termes purement mecanistes1

Pour Muray', Ie « Cre nom)) revetait une signification particuliere: « II a maintenant tout insulte ». L'usage d'un blaspheme venant achever une reuvre contribuant a la destruction methodique du sacre semble done logique. Pour autant, les explications neurologiques d'un tel phenomene (appele diversement « aphasie stereotypee », « expression recurrente» ou « monophasie» dans la litterature medicale3

), qu'il s'agisse de gros mots, de eliches ou de syUabes sans signification, restent a ce jour insatisfaisantes. QueUe est l' origine d'un tel symp­tome? Pourquoi ces patients usent-ils d'un mot ou d'une expression, plutot que d' autres ? QueUe est la valeur diagnostique et de localisation dans Ie cerveau de ces etranges manifestations?

Afin de demystifier la derniere parole de Baudelaire, Ia premiere piste con­siste a montrer q,u'il n'etait de loin pas Ie sew, ni Ie premier, a manifesrer un tel trouble dans Ie contexte d'une aphasie. btonnamment il a rarement ere- releve que Broca lui-meme n'a pas manque de signaler ces stereotypies: « .. .la reponse

1. L Daudet, op. cit. 2. P. Muray, Le x/)( siecle a travers les ages, Paris, Gallimard, 1984, p, 658, 3. Lebrun, 1986, op, cit.

L' APHASIE DE BAUDELAIRE 81

parIaltemenr sensee qu'ils [Ies patients souffran[ d'''aphemie'' , ce qui deviendra l'aphasie dire de Broc.1.1 voudraient fwe se n~duir a un tres peci r nombr~ de sons arricules roujours les memes er roujours disposes de la meme maruere; leur vocabulaire, si l'on peut dire ainsi, se compose d'une coune ~e.r~e de. sylla~es, quelquefois d'une monosyl1ahe qui exprime tOut ou pluto[ qw ~ expnme [Jen, car ce mot unique est Ie plus souvent erranger a rous les vocabulalres ( ... ) Dans les circonstances ordinaires, ils prononcem invariablement leur fim de predilec­tion; roais, lorsqu'ils eprouvent un mouvement de colere, ~ls dev~ennen~ c.apabl~s d'articuler un seeond mot, Ie plus souvent un juron groSS ler, qwleur elalt farru­lier probablement avant leur maladie, ~ui~ ils s'arrerenr a.pr~s ce de.rnie~ effort. M. Auburtin a observe un malade qw vlt encore et qw n a besom d aucune excitation pour prononcer ce juron stereOtype. Touces ses reponses comme~cent pat un mot bizarre de six syllabes et se ~erminent invariahlemem par ~ette ~nv~­cation' supreme: Sacre nom de D ... » . Dans son malheur, Baudelalre n avalt

donc rien invente !

II est egalement peu connu que Ie patient de Broca, Ie fameux Leborgne2

, dit « Monsieur Tan » car il repetait cette syUabe a 1'infini, s'exprimait parfois autre­ment que par 1'usage de la syUabe « tan ». De fait, dans l'artiele or~ginal rappor­tant son observation, Broca ecrivait a son prop0s: «Lorsque ses mterlocureurs ne comprenaient pas sa mimique, il se merraLc aisemenr en ~o.lere, et ajou~~~ alors a son vocabulaire un "fOS juran, un seul, et Ie meme preClsernent que ) al indique plus haur, en parl;r d'un malade observe par M. Aubunll. "J. Le blas­pheme utilise par Baudelaire n'avait d0ne visibJemem rien ~'original ehez les aphasiques du XI)( siecle: ~ne autre ~bservacion, 0ez un pan:m de Trlousseau. monrre que lo(sque edw-CI se menan en colhe, il pouvalt cner saeon., proba­blement une contraction de « sacre nom1 » voire" sale con ». D'autres exemples d'expressions recurrences chez des ap.hasiques inel.uent ceUe de I, .e~rivain Valery Larbaud, avec son eaangement poeuque " BODSOIr les choses. d la-bas », :r des 6tonces brefs tds que " mieux, mieux », "je peux pas "> " us me I> , des chiffres " Qui " au « non »', ainsi que des. noms propres' . Certains patients eXprimem des mots ou des syllabes sans signification, telies que Ie fameux " ran " de Leborgne, au Ie curieux " ipou » d'un patient que nous avons observe" .

1. P. Broca, Remarques sur Ie siege de (a facultfi du langagiJ articute, sUivies d'une obseNation d'aphtlmie Jperte de la parole), in Bulletin de la Societe AnalomiQ.ue. Parls, 1861 , n° 6 (36' annee, 2' serle), pp. 330-357. Relmpn­me in P. Broca [crits surl'aphasie (1861-1869). Paris, L'fiarmattan, 2004. pp. 113-114. 2. Probablemenlle cas Ie plus celebre dans I'histoire de I'aphasiologle. 3, Dp, cit., pp. 123-124. 4, Lebrun. 1986. 5. C. Code, "On the origins of recurrent utterances in aphasia» in Cortex, 1982, n° 18, pp. 161-164; Lebrun, op,

Git.. 1S86. . '" . 6. Ces deux syllables «ipou» auraient pu correspondre a un fragment des dernlere paroles avant I aphasle, Ie malade elant a une fete ou il criait «Hip hip hip, Hourrah ! »quand survint I'atlaque ce rebrale.

82 SEBASTIAN DIEGUEZ ET JULIEN BOGOUSSLAVSKY

Si les stereotypies lors d'une aphasie n'ont donc rien d'exceptionnel, quel mecanisme peut les expliquer ? On sait aujourd'hui que la faculte du langage ne se confine pas au seul hemisphere gauche. De nombreuses etudes experimentales et cliniques ont montre que 1'hemisphere droit participe 11 divers aspects du langage, notamment les composantes prosodiques et emotionnelles. Le neuro­logue britannique Hughlings Jackson fut Ie plus ardent defenseur de cette these, suivant dans ce sens les ecrits de Baillarger au 19' siecle. Ce dernier concevait deux types differents de parole - volontaire et involontaire - que Jackson propo­sa de faire correspondre 11 des systemes cerebraux differents. Brievement, la no­tion jacksonienne de « parole propositionnelle » correspondait 11 la « parole vo­lontaire •• et se situait dans l'hemisphere gauche, tandis que Ie discours « non propositionnel» (involontaire ou automatique) impliquait une participation des deux hemispheres. De plus, « Jackson envisageait les automatismes de l' aphasique comme des comportements primitifs et automatises, I' expression de niveaux inferieurs dans I' echelle neuronale ontogenetique et phylogenetique, lorsqu'ils etaient liberes des niveaux inhibiteurs superieurs »'. Par « primitiL., il faut comprendre des enonces qui n'impliquent guere de programmation cons­ciente, tels que des « phrases toutes faites », des lieux communs, des cliches, des expressions conventionnelles qui sont devenus, 11 force de repetition et de fami­liarite, « surappris >', familiers, invariants et largement associes 11 des contextes particuliers. Ceux-ci sont facilement accessibles, aises 11 formuler, et representent en un mot la facette automatisee et emotionnelle de nos communications, dont Ie juron, l'insulte, Ie « tic verbal" ou Ie proverbe sont des exemples tres repandus dans 1'usage quotidien du langage2

• Ces aspects automatises empruntent donc une voie priviJegiee qui peut se passer du controle de la conscience, mais s' expose egalement 11 des « fuites » non desirees.

Les jurons dans l'aphasie furent discutes en detail par Jackson en termes de desinhibition de cette voie emotionnelle-automatique du langage. Gowers re­marqua egalement que Ie juron semblait s'associer tout naturellement 11 l'aphasie, car « la volonte est necessaire non pour causer, mais pour restreindre la parole emotionnelle ,,'. II est interessant de noter que ces idees influencerent 1'idee freudienne de refoulement. Dans son livre sur l'aphasie, publie en 1891, Freud envisageait Ie juron chez les aphasiques comme Ie resultat d'une destruction de fonctions plus organisees du langage, jouant habituellement Ie role de « cen­sure ». Cette perte de controle superieur s' observait, selon Freud, dans les « cas non point rare de malades atteints d'aphasie motrice, ayant, outre Ie "oui" et Ie

1. C. Code, «Can the right hemisphere speak?", in Brain Lang, 1997, n057, pp. 38-59. 2.0p. cit. 3. KE Brown, HI Kushner, «Eruptive voices: coprolalia, malediction, and the poetics of cursing ", in New Literary History, 2001, n° 32, 537-562.

L'APHASIE DE BAUDELAIRE 83

000", a leur disposition un autre resre du laIloaage, qui habiruellemenr corres­pondair 11 une operation complexe du langage,. Ce reste de Ian gage ,consiste so~­vent en un juron energique (sact":: -Ilom de Dleu. Goddam, e~c.) ). ~1 p.oUISW­vair: « (. •• ) nous pouvons donner de la pluparr de ces cas une mt.erpretaaon treS

plausible. Par exemple, un hom me qui ne pouvait dire que <, A l ' aide~ a~ s~­COllIS II etair devenu aphasique apres une bagarre. all cours de laquelle il s eralt effondre san conscience apres avoir relTll un coup Sur la rere. Un aurre presen­£ait ce reste de langage assez curieux 'List complete' . Cerait un copisre qui ewr tombe rnalade apres avoiT complete un catalogue fort peniblemenr. De eels exempJe oous suggerem I'idee que ces restes de .Iangage sone les. derruers mots que I'appareil du langage a formes avant d'eae arreint de mala.d.ie> er pem-are deja en pressenram celle-cL ".

Plus reehniquement, «ces modes de reaccioo ,represenrenr des cas d involution foncrioondle (dis-involution) d'un appareil hauremenr organise er qui eorrespondenr ainsi 11 des etapes anrerieures de so~ dev~lo~peme~r :onction­nel. Done, en comes clrconStances, un arrangeroem d assoclanons qill est deve­loppe uherieurement et qui est d\ro. ruveau cleve se trOllver~ perdu ... alors que se maintiem un arrangemem acquis ame.cieurement et plus slillple "-. Rema::qua­blemenr, on reaouve ce phe.nomene rneme chez les rnuetS devenus aphaslqucs avec une aaei.nte du lan!'!age des siones, er qui jurem alors en employant automa­riquemenr des signes <I ~bolls \( Le cas de la coproJalie chez Ie patientS vicrimes du syndrome de Gilles dela TOUIerre (ma1a~e des tics)j sugger~ eg~emenr une dysfonctioo de « cenrres iuferieurs » SOllS-comeaux, fronraux et bmblques dans Je juroo chez \es aphasiques~ , Cecre approche n'est pas inco.mparible avec une,d~­sinhibirioD de I h6nisphb-e droit dit " mineur )t . On saLt que Baudelarre erall capable de reconnairre Ie nom de ses amis~ et deven~t rres ~motif en enrenclant des mots tel que " Paris )\ ou la mention de sa mere. II ecut egalement capable d'appreeier la musique, umarrunem quand adame. Maner er Mad~e ~ell­rice venaient jouer pour lui. n semble done que Ie lien eorre sons er ~otJons ecrut globalemenr preserve. ce qui suggere une epargne ~es foncno~s de I'hemisphere droit. lequel se specialise norammenr pour Ie rram:ment des 1Ofor­macions concernant Ie soil er les prefe.rences musicales'. La preservarioo de ces

1. S. Freud, Zur Auffassung der Aphasien, Leipzig, Franz Deuticke 1891 (Contribution a I'etude des aphasies,

p.111). 2. Brown & Kushner, op. cit. pp. 542-543. 3. Op . cit. . . . ° 5 4. C. Singer, "Tourette syndrome. Coprolalia and other coprophenomena". Neurological Climcs, 1997, n 1 ,

pp . 299-308. 5. C. Code, 1997, op. cit. 6. Crepet, op. cit, p. 655. 7. Op. cit., p. 644. 8. J. Keenan, The Face in the Mirror, London, Harper Collins, 2003.

84 SEBASTIAN DIEGUEZ ET JULIEN BOGOUSSLAVSKY

voies anarorniques pourrait correspondre au mode de production des Stereoty­pies verbales, qui impliqueraienr I'hemisphere droit2

• Par ailleurs I'observation que Baudelaire semblait capable de moduler la prosodie de sa monophasie sug­gere egalemem une implication de I'hemisphere droitJ

• Quoi qu'il en soit, l' existence d'une voie « epargnee» est mecaniquement necessaire si l' on veut rendre compte de ce que l' on appelle aujourd'hui la « dissociation automatico­volontaire de Baillarger-Jackson », un phenomene par lequel un patient peut s'exprimer automatiquement mais pas volontairement. Cependant, no us igno­rons si Baudelaire etait capable de prononcer son « Cre nom» volontairement, c' est-a.-dire sur demande ou dans une tache de repetition.

Quant au « choix » specifique du juron « Cre nom », nous ne pouvons Ia. en­core que speculer. Vne solution seduisante a. cette question serait la « theorie des dernieres paroles avant I' attaque », soutenue non seulement, comme on l' a vu, par Freud, mais egal,ement par de grands neurologues comme Jackson, Gowers, Alajouanine ou Critchley. SelOD ceITe approche, Ie patient disait ou etait sur Ie point de dire quelque chose au moment de l' attaque cerebrale, et Ie systeme serait alors reste « bloque » sur ces mots. Pour ce qui concerne Baudelaire, no us ne savons tout simplement pas quels furent ses derniers mots avant I'aphasie, et pour ce que nous en savons, il n'est pas certain qu'il ait ete particulierement feru de I'expression « Cre nom », ou meme de « Sacre nom de Dieu ». Vne autre ap­proche, similaire, invoque I'importance du premier mot tente lors d'une aphasie debutante, qui deviendrait alors l' expression recurrente. Elle semble tout aussi plausible que la premiere hypothese dans Ie cas de Baudelaire.

Reactions de catastrophe

On I'a vu, notamment lors de son passage chez les Sceurs Augustines, une fa­cette particuliere de la maladie de Baudelaire etait sa tendance it se mettre en colere. Cette tendance ne se presentait vraisemblablement pas en toutes circons­tances. Par exemple, il semblait relativement docile avec son ami Asselineau: « Nous faisons un tour dans la verdure C7 juin) C ... ) je lui tiens la conversation la plus egayante que je puis. Et je Ie ramene sans qu'il ait temoigne autre chose que Ie plaisir de viVIe et du concentement, levant de temps en temps les y~u." au ciel avec une expression de resignation, apres un vain effort de parler . Comme

1. BB Alfredson, J. Risberg, B. Hagberg, L. Gustafson, « Right temporal lobe activation when listening to emo­tionally significant music », Applied Neuropsychology journal, 2004, n° 11, pp. 161-166. 2. C. Code, 1997, op. cit. 3. PB Gorelick, ED Ross, « The aprosodias: further functional-anatomical evidence for the organization of affective language in the right hemisphere », Journal of Neurology, Neurosurgery. &Psychiatry, n° 50, 1987, pp.553-560. 4. Voir J. Lebrun 1986; C. Code 1982, 1997, op. cit. 5. Ch. Asselineau, op. cit. p.93.

L'APHASIE DE BAUDELAIRE 85

c'est Ie cas de nombreux patients aphasiques, i1 s' irritait essentielkmem lars de mises en ewec, face aux gens qui De Ie c.omprenaient pas. C'est pourtam, appa­remment, avec sa mhe qu' il pe.rdait patience Ie plus rapidernem (appuyant ainsi la these de Sante, sclon laquelle Baudelaire cherchait essentiellemenr it la faire culpabiliser). Dans une lettre it Pouler~Malassis, elle ecoc :

an livre de potsie (Lrs tPOIl/!J [avec les poemes imerdirs des Fieurs du Mol]) a ere souvem la cause de rerribles emporrcmems : i\ a qudquc dlose 11. me dire sur eet ouvrage que je ne puis d6neler. Derrueremenr, en reprenanr ce malheurcux livre, il me Ie fournir dans la fIgure au poinr de me Ellie reculer er en se meuant dans une colere furieuse de ec que je ne comprenais pas, er ftappanr du pied de roures ses forces, il a fini, epuise de farigue, par so: jerer sur son canape, OU qudques minutes apres, il a recommence de crier de toures ses forces, en agirant

. cs jambes en ('air cr hurlant COmIlle W1C bere feroce1,

Mmi: Aupick n' ignorair pas la selecrivire de son fil~ pour ses cdars de col~re : <~ II y [a la maison de sance] a roujours ete doux et pob avec rout Ie mon~e. Mal seule, j'ai eu it subir de grandes coleres de sa p~' sliremenr ~arce ~u II a ~es choses it me dire qu'i1 ne dit pas aux aurres, ou bIen, parce qu il se gene mOlns avec moi dam i1 connah la faiblesse ». Le docreur Duval lui fit meme cene re­marque: « Depws longremps je veUX vous dire de cesser vos visircs, patce qu'il

1 n est excite et en colere qu'avec VOllS ») .

Pichois er Ziegler), a la suite d'Asselineau, imerprhem Ie « Crt nom » comme une forme de frusaacion : «Les sceurs er leur superieure avaiem conelu qu'il manquait de religion, alors que les jur~ns , Ie plus souvent enaeco~pes. d~ leur malade - Ie fameux Crenom - r6ulmlenr de sa souffrance er de 1 tmpaoence d'eae mal compeis" ·u. Les reacUons de catastrophe et les Stereotypies verbales ne sont pas des explicadons muruellemenr exclusives pour ren~e compt~ de l '.us~e du « Crt nom n chez Baudelaire. Cependanr, a notre connrussance, I aSSOClatlon enrre ces deux manifestations des aphasies severes n' a pas ere fonnellemenr etu­diee-. Des mecanismes communs pourraient bien etre en jeu, noramment it la lumiere des commemaires precedents sur Ie role du systeme limbique et d'une

desinhibition de l' hemisphere droit~.

Anosognosie ?

1. J. Crepet, cit. pp.656-657. 2. 0p. cit. 3. CI. Pichols et J. Ziegler. op. cil.. p.730. 4. A- Carola, AD ROS$ettl, T. K;lrapMayiOtides. J . Bogousslavsky. Catastrophic reiJctio~ in acute stroke : a ref/ex behavior in aphasic patients. In Neurology, 2001 , n" 57. pp.1902-1905; A. Carola S. Dieguez. J. Bogousslavsky, PsychopathoJogle des accidents vasculaires cen!braux. Psychologie, Neuropsychlatrie et Vielllissement 2005.

n03, pp. 235-249.

86 SEBASTIAN DIEGUEZ ET JULIEN BOGOUSSLAVSKY

Jusqu'a quel pOint Baudelaire etait-il conscient de son trouble? A la lumiere de la section prece~ente, la questio~ pem paraftre deplacee, d' amant plus que Poulet-Malassls avalt note: « La gravlte de sa maladie ( ... ) me paraft etre entie­rement dans l'impossibilite de s'exprimer. Et il est clair qu'il a conscience de cette ~mpossibilite »:. II est en e~et commun en neurologie d' attribuer une pleine consCience du de~Clt aux aphaslques de type moteuriBroca, et une anosognosie (absence .de CO?SC1enCe ,du t~ouble) aux cas d'aphasie de reception, dont l'aphasie de Wernicke (Ja~gon n~ologlque, avec perte de la comprehension du langage) est Ie prototype. NeanmolOs, les choses ne SOnt pas wujours si daires. Dans une revu~ de la question, Lebrun

2 nare que les aphasiques qui recuperent de leurs

deficItS sont souvent assez surpris d'apprendre qu'ils employaient repetitivement u.n meme mot. II est possible que les aphasiques de type moteur soient cons­Clents de leur incapacite a s'exprimer, mais inconscients de produire un certain type d' erreur. Parmi les explications a ce phenomene, on a pu invoquer une boude (feedback) auditive defectueuse, qui empecherait ces patients de traiter correctement l'audition de leur propre stereotypie au moment ou ils la produi­sent. II est donc loin d'etre certain que Baudelaire savait qu'il jurait lorsqu'il tentait de s'exprimer.

Evolution et tentatives de reeducation

~'aph~ie d.e. Baudelaire a-t-elle montre quelque progres durant l' annee et demle qUi ~ SUlVl son acci~ent vasculaire cerebral? Voici comment Crepet pre­sente les faItS: « La maladle va montrer bien des hams et bas au cours des dix­~uit mois qu: elle durera. Plusieurs fois l'hemiplegie marqua une regression se­neuse, au pomt de permettre au malade de se promener et meme de prendre part it quelq~e petit df~er organise en son honneur. L'aphasie, par comre, r6ista a .tou: les tra!((;ment~ » . IJ semble .que Ie. docreur Duval ait tente quelque thera­pie clblee sur 1 aphasle. Mme Auplck ecnr : « On me dit qu'il peut dire mainte­nant: bonjour Monsieur. Je desirerais savoir s'il Ie dit spontanement, de lui­meme, quand on va Ie voir, ou bien s'ille repete apres M. Duval qui I'exerce a pro~ol1c;r quelques mots. Qudle chose oavranre ~que I erar de mon paUVIe fils, oblige d apprendre a parler comme un enfanr! " . Elle-meme renra de Ie &ire ecri.re d~ la. main gauche, m~is n'obrint que des reactions de colb-e' ce qui ten­~t.1J. mdLquer une agraphie. A [Out Ie moins il sembleraie que sa mere n'ait }amalS renonce a tout espoir d'ameIioration chez son fils, et elle demandait cons-

1. Ch. Asselineau, ap. cit. 2. Lebrun, 1987, cit. 3. J. Cr~pet, ap, cit. nate 2, p.643. 4. Lebrun et aI., op. cit., p.312. 5. J. Cr~pet, ap. cit. p.652.

L'APHASIE DE BAUDELAIRE 87

tamment a ses amis et docteurs s'ils percevaient quelques signes de progreso As elineau etair appar mmenr plus realiste : « D dir quarre mots nouveaux: Bon­jour, monsieur, Bonsoir monsieur, Adieu er Ie nom de son medecin. Ledit me­decm rriomphe de ce resulrat quj ne me semble pas a moi aussi glorieux. Ce n'est pas quand on aura fait dire quelques mots de plus a Baudelaire que la ques­tion sera rres avancee ... Le docteur Duval, qui n'est qu'un officier de sanre, triomphe sottement a mon avis ,,', Un autre exemple de J optimisrue deplace de sa mere etait sa joie a ces nouveaux mots: « Dernieremem, a la StUpefaction generale des personnes a table avec lui il a prononce tfes distinctement ces mots: Passez-moi la moutarde. Ce:ci me donne lieu d espercr que la parole pourm lui revenir pem-erre tout d'un coup ,,', et: " Charles a gagne quelques mots: il dit oui roujours a propos mainrenant; ues bien, on lui a emendu dire une fois Pio­gey lorsqu 'on cherchait Ie nom de ce medecin; mais il ne l'a pas repete. Puisse ce mieux dom je suis tour eronnee, continuer! ,,3. En realite, son etat ne cessa de se deteriorer. On s' accorde actuellement a minimiser les chances de recuperation complete que celle-ci soit progressive ou rapide, dans les cas d'aphasie globale d'origine vascula.ire. A. notre connaissance, il o'eriste du reste aucun cas docu­mente de rerour miraculeux ala normale dans les formes chroniques.

Etiologie de l' attaque cerebrale

QueUe etait la cause de I' accident vasculaire cerebral de Baudelaire? A nou­veau, il est delicat de repondre a cette question en l'absence de documentation medicale fiable. II nous faut rechercher des indices dans sa correspondance et dans son hisroire. On sait deja que, du poim de vue medical, l'hisroire familiale du patient eraic.lourde. Baudelaire est ne d'un pere de 61 ans, qui mournt a 65 ans d'une arraque cerebraJe. Sa mere mourut hemiplegique et aphasique. 4 ans apres l.a mort de son fi ls. On rapporre qu elle souffrir cl'un mal semblable a Celuj du POete, avec de bonnes capacires de comprehension, des difficultes a uouver les mots (anomie) des paraphasies verbales (mot pour un autre) et des automa­tismes (apparemment fort eJ.oignes du blasphematoire « Crt! nom ». eUe se serair contente de dire «cinquante centimes" ou « quaae-vingrs cemimes ,,) , Al­phonse, Ie demi-frere de Baudelaire, avait un diabe re et une neurosyprulis. II mourm d'une hcmorragie de l'h6nisphhe droit. Certains ont donc posrule un facteur hereditaire pour expliquer la lin de "Baudelaire, une approche qui ne faisait pas mauvais voisinage avec la meorie de la " degenerescence " en vogue a son epoque.

1. Lebrun et aI., op. cit., p.313. 2. J. Crepet, op. cit. p.660 3. Op. cit., p.6S7. 4. Vair CI. Pichois, op, cit. note 1 p.110.

88 SEBASTIAN DIEGUEZ ET JULIEN BOGOUSSLAVSKY

Ce concept fut longtemps fo . , mal du XIX' siecle Char' I . r~ement assoc.i.e a la question de Ia syphilis Ie . cor ul-meme en defend . .. h" '

sanr peu de cas des premiers ele d alt ,une onglne eredltaire, fai-ueLLx. Si une acuon preroce e' pme~ts. e pIdeuvIie pomrant vers un facteur infec-

... ,ermCleuse u repone aIL b' . buer a un affaibJissemem du system' l' 'I'h me p a len pu Contn-. e vascu alre ypoth' d' . encephahte» dans Ie cas de B d I . I 1'. ese une " meOlllgO-au e aIre, se on e dlag . d d Max, semble peu probable. Malgre Ie « vent de I'ail nos(~~ u. ~c~eur Oscar par Ie poere en J'anvier 1862 it n bJ e de Ilmbecilli"te .. ressenci

d " ' e scm e pas que 13audelai . cr d'

etenoration menrale dans les . . re air sourrert une Ie cas s'il avait eu une mening ~OIS ~~lnt ~ece~e son arraque. Ceci aurair ere possible d'ecaner J'hyporhese

0 d~~i nc:o r~que d~ ~a syphil is. 11 esc aussi Generale. Certe idee a 0 . , syp s remaue de type Paraly ie Cesare Lombroso dans s~n urtan

livrc eL~~oeule, Pdrob.;b.lemenr a La suire des ecri1S de

I . n mme e tTtnze (1891) . .l _ • B

alre comme un cas d'etude d a1' 6' . ' qw proentaIt aude-, e " par YSle pro!ITess d' , cemment Hayden' a d'L d j" d J. " lye es msenses ». Plus re-, elea u I ce que Baudel . . suires d' une Paralysie Gen.{rale . d a:re

mourne a un Jeune age des c ,au « sta e parcaque I . . . temps 11. la demence de s'installcr ( . . ' . , :1, ne aIssam aIJ1S1 pas de ou J'encephalite neurosyphili" (Oe qu~ ~n SOl n a guere de sens, dans la mesure

aque tertiaIre se present d' b d L

dereriorarion cognitive). e a or: sous corme de

II fam egalement mencionner Ies abus de subs . Iaire (opiaces cr alcool, essenriellc.m ) B' canees, ,nornbreux chez. Baude-d' episodes severes de manque ou ~~r. l~f que nou.s n ayons pas connaissance est clair que de nombreuses piaintes d~o;a ~s t~n~lqu~ ou. hallucinatoires, il de vie, ce dont il etait bien conscient AvanUt e ~~rle s ex~ lqualent par son mode L . • • qu 1 ne SOl[ trOp [ d'I . COIS pns Ia resolution, ou envis e de la d . ar , 1 ~VaJ.t par-« Obeir aux principes de la plus sagm' b ~"ren fe, de vlvre plus salDemenr: . . ete so ncr!!, dom Ie . I slOn de toUS les excitants quels " I . prCffi1er est a suppres-. , qu I S sOlem Le rr'I de, bonnes mceurs sobrierc er ' . , . aval engen re rorcemenr Ies

, ... consequemmenr Ia san' P . de Ala misere, de Ia maladie et de Ia melancolie 'I re »,« our guenr de tout, gout du travail... Hy iene Tro tard A ' II n; manque absolument que Ie rer ces exces plutot c~mme' I p .I.' peut-dene . » , 00 peut tourefois conside-

a consc:quence e sa . 'd leurs anciennes. mauvalse sante et e ses dou-

La question d'une pet'sounalire redis . Baudelaire etair emocif, instabte, u: ulsifP~sano~~eut ~galem~t eu~ envisagee. phobique et paranO"iaque On l' Pi! [' yP ndriaque, depresslf er parfois

O . . ' a vu , re eva souvenr SOn rap a I'h " .

n peut done VOIr certaines de I . , pOrt , ystcne ». . I ses p amtes comme Ie resultat d' bl fi tzonne, peut-etre une tendance ,. un rrou e 011C­a II somatlser» ses conllies internes. Sarrre aUa

1. Hayden, op, cit. 2. Vallery-Radot, op, cit., p. 518,

89 L'APHASIE DE BAUDELAIRE

plus loin ensuggerant en somme que Baudelaire n'etair qu'un simulareur pour la pluparr de ses troubles ... Le pohe eralt lui-meme aes au fait des discussions sciemifiques de ['cpoque sur La narure de J'hysrcrie, de la oevrose et de la simula­rion . 0 ecrivir: "Comment guerir? Comment, avec la d6esperance, faire de I'espoir' avec de la lachete, faire de la volonre ? Cene maladie est-elle imaginaire ou reeUe ? Est-eUe devenue n~elle, apres avoir etC imaginaire ? Serait-clle Ie rbuk­tat d' un affaiblissemenr physique, d'une melancolie incurable, 11 la suite de rant d'annees pleines de secousses, passees sans consolation, dans la solimde et Ie mal­~ue ?)e n'en sais rie;t ,! "I . Sa 'perso~re er son ?sych!sme ~nr-t- ils pu CO~[[L­buer a son attaque cerebrale ? Ala lwruere de conslderatlons recentes sur les liens enue les maladies vasculaires cerebrales, les troubles de l'humeur e[ la personna-

lite, c' est une hypothese que l' on ne peut exclure2

Lesions

Considerant ce qui precede sur la maladie et les symptomes de Baudelaire, peut-on, sans examen d'imagerie, erabill avec plus de precision les dommag

es

cerebraux qu'il a sub its ? Tout d'abord rappelons que l'ecUvain a cres probable­ment souffert de plusieurs attaques consecutives du 15 au 31 mars 1866' . Les premieres etaient vraisemblablement de nature ischemique transitoire (Ie 15 puis Ie 22 mars). L'attaque conduisant a ['aphasie devait etre un accident vasculaire cerebral severe, impliquant un ramollissement (infarctus) etendu de la region sylvie nne (arrere cerebrale moyenne) de J'hcrrtispher.e gauche· . Sachan( que son hemiplegie ft!cupera mieux que son aphasie, du moins pour ce qui concerne son membre inferieur droit!, on peut envisager que l'accidenr vasculaire rouchait avant (Out les zones corricales du langage- Neanmoins, les srrucrures so us­corcicales devaienr etre severemeDt endommagces, comme Ie sugghent habitue!­!ement les cas d'aphasic avec expressions recurrente{ En cela Ie cas de Baude­laire parait treS proche du cas princeps de Broca (Leborgne). Les reactions de catastrophe sont egalement associees a des lesions du territoire superficiel de la division superieure de [arrete cerebrale nloyenne gauche. impliquant l' insula, l'opercule frontal et le gyrus angulaire7

. Les s[cn!orypies etauwmarismes n'ont cependant pas une treS bonne valeur de localisation dans Ie ce.[Veau, er on les associe generalement a des lesions etendues conduisant a une aphasie globale,

1, S, Murphy. Loglques du demlerBaudelalre, Pari S, Honor~ Champfon, 2003. pp, 511-512, 2, S, Dieguez, F. Staub, l. Bruggimann. J. Bogousslavsky, "Is poststroke depression a vascular depression?", in

Neurological Sciences, 2004, n° 226, PP· 53-58. 3. Voir aussi Asselineau, op. cit. pp, 91 . 4. Lebrun et aI., op. cit. 5, II r~cup~ra la marche, alors que la main restait atteinte. 6. Lebrun 1986 ; Code 1997, op, cit. 7, Carota et al. 2001 , op. cit.

90 SEBASTIAN DIEGUEZ ET JULIEN BOGOUSSLAVSKY

c'est-a.-dire. a. de larges portions du lobe frontal et temporal gauche et des struc­tures sous-pcentes.

Conclusion: maladie et creativite

Ii reste a. se poser la question des liens entre la sante de Baudelaire et ses ca­pacites artistiques. On sait que les maladies du cerveau modifient habituellement - pas seule~ent en mal -les capacites cn~atrices'. Leon Daudet voyait un lien entre les accidents de sante et Ie genie de Baudelaire, dans la mesure OU les pre­miers permettraient a. l' artiste d' affiner et d' augmenter sa creativite: «Les tra­verses de son existence, qui fut ceUe d'un malade, d'un impuissant sexuel, d'un boheme et aussi d'un homme fort malheureux ( ... ) ont servi a. l'affinement de sa sensibilite et a. l'exaltation de sa pensee »2. Baudelaire lui-meme nota: «J'affirme q~e l'inspiration a quelque rapport avec la congestion et que toute pensee su­?lIme est accompagnee d:une secousse nerveuse plus ou moins forte qui retentit Jusq~e dans Ie cervelet. » • Peut-on affirmer cependant que sa maladie eut une relation avec son travaillitteraire? On l'a vu, son attaque cerebrale mit un terme de£initifa sa carriere d'ectivain. Mais rien n'indique que ses ecrits se soient dete­[iores dans les quelques semaines pn~cedant son arraque·. Certes, ses conferences bruxeUoises furent un desastre, et ses notes pour sa Pauvre Belgique etaient eparses et desorganisees. Mais nous savons aussi que ses dernieres lettres etaient bien ecrites et ne comportaient pas de changements ou de fautes notables en comparaison avec sa correspondance anterieure. En suivant sa carriere litteraire, les changements de sa capacite creatrice avant l' attaque cerebrale semblent mieux expliques par des facteurs psychologiques et des problemes generaux de sante que par des sympt6mes proprement neurologiques.

Si la question a ete posee, c' est probablement en regard de la nature sulfu­reuse de l'auteur et d'une incomprehension massive de la nature de l'aphasie de la part d'inteUectuels et de critiques litteraires peu familiarises avec les principes de la neurologie5

• La perte de la parole, surrout chez un homme ayant vecu peUf et par les mo.rs, .sem~le alors davanrage qu'une coIncidence pour qui recherche part?ut des slgnrficaoons psychologisantes cachees. A ce titre, l'aphasie de Bau­delaIre a pu semb~er presque logique pour certains, meme une punition, Ie prix a. payer pour Ie genIe en somme. Nous avons vu comment Sartre a pu considerer

1. J. Bogousslavsky, F. Boller, MG Hennerici, H. Baezner, C. Bassetti, S. Dieguez Neurological disorders in famous artists. 3 volumes, Basel, Karger 2005,2007,2010. 2. L. Daudet, Flambeaux. Paris, Grasset, 1929, p.204. 3. Vallery-Radot, op. cit, p.518. 4. Voir touteiois I'analyse graphologique detendue par Pichois, op. cit. 5. Y compris chez nos contemporains, voir par exemple B.-H, Levy, Les derniers jours de Charles Baudelaire, Pans, Grasset, 1988,

91 L'APHASIE DE BAUDELAIRE

Bauddaire comme une victime volontaire: L'individu ayant a. faire Ie choix d'erre ou non un " poere maudir ", il lui revient d'~tre respo~sable, et me~~ coupable, des consequences de SOD choix. En fait, la.liber~c ~artneDn~ se mu~ 10

bien curieuse.mem en un dererminisme treS peu eXlsrenualiste! DOlt-On neces­sairemem soufFrir pour creer? Doit-on mener une exi rence douloureuse pour decrire les aspects les plus sombre de I esprit humain ? Pichois: sembI Ie pcn.s~r, qui se monrre plmoe favorable a la the,s~ de .a~rre. Selon l~ .blOgra~he,. en effer, Baudelaire s'esr servi de [,hysterie - "J 31 culnve mon hysrene avec Jowssance ~r terreur» _ comme d'un [nasque pour creer sa p[opn~ legende. Son malheur, iJ l'a~ait denc cherche, et uouvl . Des lors, il aurair ere p~er a. " jeter s~ l~e. aux chiens », a. se condamner pour mieux creer. on reuvre nrunorreile real.isee, II n.e restait plus a l'aphasie que d'assurer qu'il n'aurait plus rien it ajourer, une fOiS

pour routes ...

Cette possible associacion emre un mal de vi,vre p:u-ticulier: avec un lot i~ha~ bitud de souH'rances peut cerres ' appliquer a I actIVlte creamce ~e Bau.d~~~~ . il e r en effer rel vI: que creativire, douleur er souffrance.ont un lIen pnvileg,H'~ . On ne voir cependam pas la rdation qu' i.l pOuri~r y avoil' ave~ la .s~rve~ue dun accident vasculaire cerebral aigu, a un moment d ail1eur [OU[ a faIr mdepend:mr d'une imensice creatrice parr.iculiere. Nous pe,llsons .plU[~t qut' Ba~de~alr~, comme beaucoup d'auaes malades infoHu.nes, a souffert d une m~adle ~gue, cwelle mais rdacivement frequeme c[ qui peut bien roucher une fOls ou Laurre des artistes, fussent-ils geniaux ou « maudirs », Personne ne demll.71de, er encore moins ne mtfriti!, d'erre aphasique, et pelit-erce que face a certames gloses, on cornprend mielL"< I'ultime cri du creur du malheureux poete : « Cre nom .' »

1. CI. Pichois, op. cit. 2. J.-P. Sartre, op. cit. p.128. . . 0

3. J. Bogousslavsky " Art et cerveau : La douleur d'exister », in Revue Medlcale SUisse, n 415, 2014, p. 218_

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