la carte, un modèle analogique mobilisant le calcul spatial

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HAL Id: halshs-01676425 https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01676425 Submitted on 8 Jan 2018 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. La carte, un modèle analogique mobilisant le calcul spatial Olivier Bonin To cite this version: Olivier Bonin. La carte, un modèle analogique mobilisant le calcul spatial. Communication & langages, Nec Plus, 2014. halshs-01676425

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Page 1: La carte, un modèle analogique mobilisant le calcul spatial

HAL Id: halshs-01676425https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01676425

Submitted on 8 Jan 2018

HAL is a multi-disciplinary open accessarchive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come fromteaching and research institutions in France orabroad, or from public or private research centers.

L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, estdestinée au dépôt et à la diffusion de documentsscientifiques de niveau recherche, publiés ou non,émanant des établissements d’enseignement et derecherche français ou étrangers, des laboratoirespublics ou privés.

La carte, un modèle analogique mobilisant le calculspatial

Olivier Bonin

To cite this version:Olivier Bonin. La carte, un modèle analogique mobilisant le calcul spatial. Communication & langages,Nec Plus, 2014. �halshs-01676425�

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Lacarte,unmodèleanalogiquemobilisantlecalculspatial

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Résumé La carte est un objet entretenant un rapport étroit avec la mesure, rédigée par le cartographe à partir d’un ensemble de mesures prises sur le terrain et devenant elle-même outil de mesure. L’article propose d’étendre ce constat en considérant la carte comme un modèle, au même titre qu’un modèle mathématique ou un modèle physique, en adoptant l’approche relationnelle de Robert Rosen. Cette approche permet d’analyser de manière nouvelle la dialectique entre carte et mesure et la façon dont la carte fait émerger du sens en mobilisant les opérations d’analogie et de comparaison qui font partie des opérations de base du calcul spatial. Mots-clés Cartographie, modélisation, calcul spatial

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1.IntroductionLacarte,demêmequesonhomologueurbainàgrandeéchelle, leplandeville,estunobjet particulier, combinant un caractère scientifique, un caractère utilitaire et uncaractèreesthétique.Soncaractèrescientifiqueluivientdesafabrication,quisupposelaplupartdutempsl’acquisitiondemesuresdepositionsàlasurfacedelaTerre,parfoispardes techniques trèssophistiquées.Soncaractèreutilitaireestmultiple,maisancrédansunelonguetradition,notammentaveclescartesmarines,puislescartesroutièresetaujourd’huileslogicielsdenavigation.Enfin,soncaractèreesthétiqueestindéniable;l’IGN employait encore il y a peu des «artistes cartographes». La carte tire ses deuxpremiers caractères d’un rapport étroit à la mesure, en tant qu’elle est constituée àpartirdemesures,etdevientelle-mêmeoutildemesure.C’estd’ailleurscequiconfèreàlacartedanssonensembleuncaractèred’indicedanslaterminologiedePeirce1.Étantdonnéslesliensentrecarteetmesure,nousproposonsdanscetarticleunelecturedelacarteentantquemodèle,aumêmetitrequ’unmodèlemathématique,unmodèleréduitouunmodèlede simulation.Lesmesures fontpartiedesopérationsd’encodageetdedécodage du système naturel dans cemodèle. Celui-ci est analogique, développe unemétaphore du monde, et ne fait rien, c’est-à-dire n’évolue pas, ne produit passpontanément de mesure ou d’analyse. Nous utiliserons cette définition de la cartecomme modèle pour tenter d’analyser la manière dont la carte peut construire desmessagesetfinalementpermettrel’émergencedusens.La définition de la carte comme modèle permet de clarifier trois points qui noussemblent importants quand on s’intéresse à la cartographie. Le premier point déjàévoquéestquelacarteestdansunrapportdialectiqueaveclamesure.Nousmontreronsque, du fait de la nature particulière de la représentation cartographique, ce rapportentrecarteetmesureestà la fois intuitif,puisque le lecteurpeututiliser lacarteet lacomprendresansnécessairementconnaîtrelesmodèlesmathématiquesdeprojectionetles méthodes demesure qui ont servi à la constituer, et tributaire de limitations. Ledeuxième point est que la carte comme modèle permet de considérer les relationsd’encodage et de décodage entre un système naturel et un modèle, qui vont jusqu’àétablirunepulsationentrecesdeuxentités,pourreprendreletermedeRenéGuitart2.La carte s’analyse alors à la lumière des choix et conventions d’abstraction, desymbolisation, mais également de lisibilité et d’esthétique, qui ont été opérés par lecartographeetdontlelecteuraplusoumoinsconscience.Enfin,lacarteestunmodèlequi fait émerger du sens, ce qui suppose que les relations d’encodage et de décodagemultiples qui participent à la constitution et à l’exploitation de ce modèle soientaccessiblesetunminimumpartagées.Eneffet,lacarte,deparsanaturegraphique,quicombinedessins,figurésetécrituresarrangéssurunefeuille,mobiliselecalculspatial,quiestunefaçond’appréhenderlemondeetlesphénomènesdifférentedelalogique.Lacarte rend visible, et cette matérialisation d’informations joue également un rôle demédiation pour des concepts. Avant d’analyser les rapports entre carte etmesure, etnotrepropositiondecartecommemodèle,nousintroduisonsunebrèveréflexionsurlescartesetlesdonnéesgéographiquesquiaideraàprécisernotreposition.

1CharlesSandersPeirce,CollectedPapers,HarvardUniversityPress,1931-1935.2RenéGuitart,Lapulsationmathématique(rigueuretambiguïté,lanaturedel'activitémathématique,cedontils'agitd'instruire),L'Harmattan,Paris,1999.

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2.Carteetdonnées,carteet«fonddecarte»La carte est un objet polymorphe, et le mot «carte» lui-même renvoie à dessignifications très variées. Nous ne tenterons pas ici de proposer une définition de lacarte, sinon en remarquant que sa constitution passe systématiquement par laconstitution de données géographiques, généralement sous forme de coordonnées depointsàlasurfacedelaterre,paruneopérationdeprojectionpourpasserdelasurfaceduglobeàunereprésentationplaneet,enfin,paruntravailderédactioncartographiquequi transforme ces points duplan enun ensembledepoints, lignes, surfaces, poncifs,figurés,écritures,etc.Unecartepouvantreprésenterdes informationstopographiquestrèsvariées,ainsiquedesinformationsthématiquesspatialisées,nousconsidéronsqu’ils’agitd’unereprésentationd’un«systèmenaturel»,enempruntantlevocabulairedelamodélisationdeRosen3.Notonsquecertainescartessontappelées«plans»plutôtque«cartes»: onparlede cartepourundépartementouune région etdeplanpouruneville. Nous verrons dans la suite de cette réflexion que cette distinction n’est passeulementliéeà l’échelledelareprésentation(grandeéchellepourleplan)etestplusprofonde qu’il n’y paraît. Les plans peuvent constituer une catégorie de modèlesdistinctedescartesnondansleurformemaisdansleurfinalité.Onpeutcommencerparsouligner ladistinctionusuelleentre lacartecommeobjetensoi», et le fond de carte, considéré comme un support de spatialisation d’uneinformationquiexisteendehorsdelacarte,etdonccommeunélémentparticipantàlafabricationde cette dernière.Onparle alors de carte «thématique», par opposition àla carte «topographique», dont la seule finalité serait de représenter un référentielspatial,latopographie,étymologiquementla«positiondeslieux»,àl’exclusiondetouteautre information.Ainsi, lacartetopographiqueserait l’archétypede lacarteutilitaire,quipermetdeserepéreràlasurfacedelaterre,etlacartethématiqueseraitlacartequiporte du sens en plus de la répartition spatiale des lieux, par l’ajout de figuréssuperposés à un «fond de carte». Les figurés, combinés au fond cartographique,représentant une information, comme par exemple une population ou une zoneinondable.La généralisation de l’utilisation des fonds de carte et des cartes thématiques est engrandepartieliéeaudéveloppementdel’imprimerie,puisdesmoyensdereproductionpersonnels.Avant l’apparitiondunumérique, cartes comme fondsde cartes existaientsouslaformededocumentsfinalisésouétaientdessinéesàlamainàpartirdemodèlesou de mémoire, comme c’était le cas dans les écoles pour l’enseignement de lagéographie (figure 1). La distinction entre la carte donnée, au sens courant du terme(qu’onnousdonne,etdoncexistantendehorsdesoi),etlacartefabriquéeàpartird’unfonddecarteétaitau fondmoins fondamentalequ’iln’yparaît:dans lesdeuxcas, lesdonnées géographiques, fournissant les repères de spatialisation, comme l’occupationdu sol ou les limites administratives, étaient définies et symbolisées sans quel’utilisateurpuisse intervenirnimêmeaitpleine consciencedes choixopérés à la foisdanslesdonnéesetdanslasymbolisation.

3RobertRosen,TheoreticalBiologyandComplexity,AcademicPress,NewYork,1985.

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Figure1:Cartescolaireréaliséeàmainlevéesuruncahierd’écolier,Alberville,vers

1900.Source:collectionpersonnelledel’auteur.L’apparition des données géographiques numériques, et des systèmes d’informationgéographique permettant la manipulation et l’affichage de ces données, a effacéprogressivementladistinctionentrecarteetfonddecarte,etentrecartethématiqueetcartetopographique.Endonnantlapossibilitédemélangerlessourcesdedonnées,lesrésolutions,lesthèmesreprésentés,etenlaissantàl’utilisateurlechoixdesconventionsgraphiquesutilisées, ainsique lapossibilitédemodifier lesobjetsgéographiqueseux-mêmes, par exemple en simplifiant leur contour, les systèmes d’informationgéographiqueontpermisauxutilisateursdedevenirdesrédacteurscartographiquesàpart entière. Un cartographe numérique réalisant une carte thématique a le contrôlecommeauparavantdel’informationqu’ilvasuperposeraufonddecarte,maisaussi lecontrôle sur le fond de carte lui-même, brouillant les repères entre deux activitésdifférentes qui sont la construction de l’information à représenter et la manière dereprésenterspatialementcetteinformation.Il n’en demeure pasmoins que la rédaction d’une carte, quelle que soit la techniqueutilisée, nécessite l’utilisation de données géographiques, c’est-à-dire finalement decoordonnées,demesures.Nousdiscutonsdonc le lienentrecarteetmesure,avantdedétaillernotrepropositiondeconsidérerlacartecommeunmodèle.3.LacarteetlamesureLesproblèmesdemesuredelasurfacedelaterreainsiquederepéragesurcettesurfaceont très tôt intéressé les savants et desméthodes ont étémises au point notamment

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avecl’observationdesétoilesoudelalongueurdesombresportées.Lescartessontdesreprésentations du territoire dans la fabrication desquelles le travail du cartographe,rédacteur de la carte, dépend de celui du topographe, qui mesure des positions à lasurface de la terre, dépendant lui-même de celui du géodésien4 , qui mesure etreprésentelasurfacedelaTerre.Ainsi,entrelacarteetlesystèmenaturels’interposentlesmesuresrelativesdelapositiondesobjetsparrapportàlasurfaceduglobeterrestre,lesmesuresdelasurfaceduglobeetuncalculdeprojectionpourpasserdelasurfaced’unobjetsphéroïdalàunesurfaceplane.Les premières cartes connues, comme la table5de Peutinger (figure 2), ne font pasapparaîtredemanièretrèsnettelesopérationsdemesurenécessairesàleurréalisation.Eneffet, latabledePeutingerdécritunterritoireavecunpointdevuenettementplusanthropocentrique qu’aujourd’hui, privilégiant la représentation du monde sous laformed’itinérairesplutôtquedereprésentationsgéométriquesabstraitesetrégulières.Cependant, étant donnée l’emprise spatiale représentée et la bonne correspondanceentrelesdistancesmesuréessurlacarteetlesmesuressurleterrain,onpeutdéduireque sa réalisation a nécessité d’abord la collecte d’une série de mesures, avant larédactiondesdocumentscartographiquesproprementdits.Mêmes’ilnes’agitpasd’uneprojection régulière avecdespropriétésmathématiques remarquables, le passagedesmesuressur leterrainàuneenreprésentationplanecorrespondbienàuneopérationdeprojection.DanslecasdelatabledePeutinger,laprojectionrespectelatopologieduréseau, c’est-à-dire les connexions entre des lieux et les distances entre les lieux, audétrimentdelapositiondeslieuxetdelagéométriedeschemins.

4LagéodésieestlasciencedelamesuredeladimensionetdelaformedelaTerre.Latopographie,cousinedelagéodésie,procèdeàdesmesureslocales,envued’applicationspratiques.5Leterme«table»décritlaformedel’objet,soitlecontenant,quiestunelonguebandedeparchemin,etnonlecontenu,quiestunecarte,c’est-à-direunereprésentationdelatopographied’unepartiedumonde.

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Figure2:Fac-similédelatabledePeutinger.Source:gallica.bnf.fr

Aujourd’hui,alorsquelessatellites,avions,hélicoptèresetdronesnousfournissentdesvues aériennes du territoire, que les GPS disséminés dans les objets de la viequotidienne nous donnent notre localisation à quelquesmètres près en tout point duglobe, la réalisationdemesuresprécisesà la surfaceduglobesembleallerdesoi.Lescoordonnées géographiques ont perdu leur caractère d’objet spécialisé. De même, lecontact quasi quotidien que nous avons avec des images de la Terre vue du ciel, enperspective centrale6ou transformées en orthophotographies7, nous incite à penserqu’une carte doit nécessairement présenter un rapport de similitude visuelle avec lemonde vu de haut. Or, le facteur limitant principal, que nous avons déjà cité dans larédactiond’unecarte,estlepassagedepointsàlasurfacedelaTerre,modéliséeparunesphèreouunellipsoïde,àdespointsdansleplandelacarte.Cepassageestopéréparunetransformationappeléeprojection.Lechoixd’uneprojectionconditionned’embléelesfutursusagespossiblesd’unecartecariln’existepasdeprojectionquirespecteàlafois lesangleset lesdistances.La carteest elle-mêmeunoutildemesure; il convientdoncdes’assurerquelesmesuresréaliséessurlacarte(mesuresdedistances,d’angles,desurfaces,tracésd’itinéraires,etc.)correspondrontbienàdesmesureseffectuéesdanslesystèmenaturelaprèstransformationparlefacteurd’échelle.Ainsi, dans une projection conforme, les angles sont préservés localement; dans uneprojection équivalente, ce sont les surfaces qui sont préservées, et il n’existe pas de6Ils’agitducasstandarddelaphotographie,oùtouslesrayonsperspectifspassentparl’objectif,assimilableàunpoint,avantd’impressionnerlapelliculeoud’êtreenregistrésparlecapteurnumérique.7Uneorthophotographieestunephotographiecorrigéedelaperspective,danslaquelleonal’impressiond’êtreàlaverticaledechaquepointdel’image.Unetellereprésentationestcalculéedemanièreàcequel’imagesoitsuperposableàunecarte.

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projectionàlafoisconformeetéquivalente.Demême,lepluscourtcheminentredeuxpointsàlasurfacedelaTerre,assimilableàl’arcdegrandcerclequipasseparcesdeuxpoints,neseraunedroitesurlacartequedanslecasd’uneprojectiongnomonique8,quin’est ni conforme ni équivalente. On conçoit donc qu’une carte telle que la table dePeutinger,probablementutiliséepourdécrirelesroutescommercialesetapporteruneconnaissance du monde, privilégie l’expérience anthropocentrique du voyageur enrespectantlesitinérairesetlesdistances,qu’unportulan,cartedenavigation,privilégielerespectdesroutesàlaboussole,etdoncdesangles,qu’unecartecommelecadastre,servant à calculer les impôts en fonction des superficies des parcelles, privilégie lerespect des surfaces, ou que la carte d’état-major destinée à l’armée permette decalculer des angles de tirs et de prévoir le déplacement des troupes. Chacun de cesusagesnécessiterauneprojectiondifférente.Danscettedialectiqueentrecarteetmesure,lesmesuressontlimitéesparlaprécisiondes données et par leur résolution spatiale. Pour une série de mesure, la précisioncorrespondà lacombinaisond’uneerreursystématiqueentre lamesureet la«vraie»grandeurmesurée et ladispersiondesdifférentesmesures.Ainsi, leGPSpermet-il unpositionnementà10mètresprèsdans laplupartdes cas, c’est-à-direavecuneerreurmoyenne et une variabilité de cette erreur de l’ordre de 10 mètres. La résolutionspatiale décrit la capacité de représenter des détails, commepar exempledes viragessuccessifs sur une route de montagne. Une question émerge de ces remarques: quepeut-onmesurer sur une carte? Peut-onmesurer une largeur de route sur une carteroutière?Peut-onmesurerlalongueurd’uneroutesurunecarteàtrèspetiteéchelle?C’est icique le travailducartographeprendsonsens, lorsqu’il choisituneéchelle (enlienaveclarésolutionetlaprécisiondesdonnées)etdesconventionsgraphiques,c’est-à-dire une symbolisation et une légende. La cohérence entre ces éléments rendperceptiblesleslimitationsdesdonnéesutiliséespourrédigerlacarte.Pourunecartecorrectementréalisée,avecunsavoir-fairecartographique,ladialectiqueentrecarteetmesureestriche.Lespartispriscartographiquesdurédacteurdelacarterendent impossible,ou limitentgrandement, la réalisationdemesuresaberrantes,parexemple en extrapolant au-delà de la précision des données ou encore en déduisantabusivementdespropriétésde la formedesobjets.Leprincipalgarde-fouest l’échellegraphique, qui rend le document imprimé difficile à utiliser dans des résolutionsdifférentesdecelleàlaquelleilaétéconçu.Unecartetopographiqueàmoyenneéchellenecomporterapasdereprésentation individuelledesbâtiments,maissimplementdespolygones délimitant le contour principal des villes. En effet, la rédactioncartographique à moyenne échelle impose, pour des raisons de lisibilité, unesymbolisation des routes avec une largeur importante, si on rapporte celle-ci auxdimensionsdu terrain: un traitde2mmde largeuraurauneemprise fictivede20mdans une carte au 1:100000e. L’emprise des routes ainsi symbolisées recouvre laplupartdesbâtimentsenzoneurbaine,sibienque lareprésentationdecesbâtimentsnécessiteraitdelesdéplacerdemanièreimportanteverslecentredesîlotsetdoncd’ensupprimer certains dans le cas d’îlots denses. L’utilisation d’un polygone enveloppantdesbâtimentsenlieuetplacedebâtimentsindividuelspermetdemainteniruncertainniveaud’information,toutenévitantdereprésenterdesbâtimentsdontlagéométriesur

8Uneprojectiongnomoniqueestuneprojectiondelasphère(oudel’ellipsoïde)surunplantangentquitransformelesgrandscerclesenlignesdroites.

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la carte, une fois rapportée au terrain, indiquerait une position trop éloignée de leurposition réelle. Ainsi une carte comporte-t-elle un mécanisme de régulation de cerapport entre carte etmesure: unemesure imprécisenepermettraque la réalisationd’unecarteàpetiteéchelle,etsurunecarteàpetiteéchellenepourra-t-oneffectuerdesmesuresqu’avecunniveaudeprécisionetderésolutionlimité.Cependant, l’utilisation des cartes ne se limite pas à la réalisation de mesures et lerapportdecesmesuresengrandeurssurleterrain,commeleferaitungéomètretraçantl’implantation d’un bâtiment sur le terrain à partir d’un plan. La carte de la figure 1représentantl’Asiedonneàvoirdespositionsrelativesdepayslesunsparrapportauxautres,desrapportsdesurface,lapositiondespaysparrapportauxmersetauxocéans,la longueur des côtes, etc. L’information qu’elle porte réside également dans unedimension syntagmatique et pas uniquement paradigmatique. C’est pour cette raisonquenousproposonsd’appréhendercettedialectiqueentrecarteetmesureàtraversunerelation de modélisation, en nous rattachant à une approche relationnelle de lamodélisation.4.LacartecommemodèleanalogiqueNousconsidéronsquelacarteestunmodèledumondeoudel’informationspatialisée(du systèmenaturel) qu’elle représente. Le terme «modèle» est polysémique, si bienqu’ilendevientambigu,commelerelèveGoodman9:unmodèleestquelquechosequ’onadmire et imite, oubienun cas-type (commeunmodèlede voiture), unprototypeouuneréplique(commeunmodèleréduitd’avion),unensembled’équations,etc.En fait,un modèle peut décrire n’importe quelle relation de symbolisation ou d’abstraction.NousadoptonsdoncladéfinitiondumodèleproposéeparRobertRosen10.Pour Rosen, établir une relation de modélisation consiste à considérer que lesévénements que nous observons ne sont pas arbitraires, mais plutôt obéissent à desprincipes,etquelesrelationsentrelesévénementsproduitsparcesloisetcesprincipessontcompréhensibles.Ainsi,Rosenfait-ilclairementladistinctionentreunerelationdecausalité, dans un système naturel, et une implication, qui est la relation qu’on peutdéduiredel’analysedesélémentscorrespondantsdanslemodèle.LapositiondeRosenrejointl’approchedeRenéGuitart11quiremarquequel’idéedemodèlepulseentreidéalàréaliseretréalisationempiriqued’unidéal.Considérerlacartecommeunmodèlepermetdedépasserleconstatquelacarteestuneimitation d’un système naturel, que le système naturel sert de modèle à la carte, enincluant dans ce concept les opérations de lecture et d’analyse de carte, qui sont dessuccessionsd’opérationsd’encodageetdedécodage(figure3).Uneautreinterprétationde ladistinctiondéjàrelevéeentre lacarteet leplan,qu’onattribuaitàunedifférenced’échelle,estdésormaispossible.Leplanpossèdeladoubledimensiond’êtreunmodèledumondeetdeservirdemodèleaumonde,cequen’estpaslacarte.Unplandevilleest

9NelsonGoodman,LanguagesofArt:AnApproachtoaTheoryofSymbols,2ndedition,Indianapolis:HackettPublishingCompany,1976.10RobertRosen,TheoreticalBiologyandComplexity,op.cit.11RenéGuitart,«Figure,lettre,preuve:lapulsationmathématiqueaulieudel’écriture,colloqueMutationdel’écriture»,Arts&Sciences,19-20octobre2007,ENS.

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une extension du plan d’un architecte, qui décrit la future implantation spatiale d’unbâtiment qui n’existe pas encore, et auquel lemondedevra se conformer. Le plan estainsiunpland’action,commeunpland’entreprise,etpeutinclureégalementlanotiondechronologie,deperspectiveoud’ordre,àl’imagedel’étagementdesplansenvision.

Figure3:SchémaduprocessusdemodélisationpourRobertRosen.Unerelationde

causalitédanslesystèmenaturels’encodedanslemodèle,setraduitparuneimplicationentreélémentsdumodèle,enfinsedécodepourserapporterausystèmenaturel.

Cette conception de la carte comme modèle donne également un sens différent auxprocessusd’abstractiondusystèmenaturel,desymbolisation,etauxnotionsdelisibilitéetd’esthétique.Ilnes’agitplusuniquementd’unsavoir-fairequiexisteraitendehorsdulecteur futur de la carte, et dont ce dernier serait dépositaire pour partie de par soncontactinconscientaveccetypedereprésentationetpourpartieàtraversdesmanuelset une formation à la lecture et à l’usage des cartes, mais bien d’un aller-retourpermanent entre encodage d’information et décodage d’information, permettant desinférences par un jeu des relations d’encodage, d’implications et de décodage, c’est-à-direpardesaller-retourentrelesystèmenatureletlemodèle.Lacartedelafigure1estcompréhensible bien qu’elle ne comporte pas de légende. En effet, on est capable dedeviner quels sont les éléments du système naturel qui sont représentés, ce quinécessite d’une part une connaissanceminimale de certains de ces éléments, d’autrepartd’effectuerdes inférences sur lamanièredont ceséléments sontencodésdans lemodèle.Parexemple, ladélimitationentremeretterreestsymboliséeparlaprésenced’unaplatbleulelongdescôtesdansledocumentoriginalencouleur(cetaplatapparaîticicommeuneborduregrisâtrelelongdescôtessurlafigure1);ils’agitd’unepremièrerelationd’encodage, qu’ondevinepar la connaissancede la conventionqui consiste àreprésenterlamerenbleusurlescartes,conventionelle-mêmeappuyéesuruncertaincaractère mimétique, puisque la mer apparaît bleue dans certaines conditions. Ladéterminationdeslimitesducontinentasiatiqueestensuiteopéréepardesimplicationsdans lemodèle: il existeunvasteensembledélimitéparun traitbordédebleu.Nousanalysons de même que l’océan s’étend au delà de la zone où le bleu du coloriages’estompe,enmobilisantnotreconnaissancedel’objetocéandusystèmenaturelquiestreprésenté. Ainsi, un ensemble d’encodages, implications et décodages nous permetd’analyser des causalités, et réciproquement. C’est parce que Bornéo est une île(causalité) qu’elle nous apparaît dans lemodèle comme une surface fermée de petitetaillebordéed’unaplatbleu; à l’inverse,uneproximité entre les figurés représentantBornéoetSumatrasedécodecommeunerelativeproximitéspatialeentrecesdeuxîles.Ce type d’exploration du modèle permet de découvrir l’existence d’une île qu’on neconnaîtraitpas,oumêmeleconceptd’île:ilexistedespetitspolygonesbordésdebleu

Systèmenaturel Modèle

Causalité

Encodage

Décodage

Implication

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sur la carte, donc des surfaces de terre relativement petites entourées d’eau. Il nepermet pas cependant, en l’absence du mot «île» dans les écritures de la carte, dedécouvrirletermedésignantceconcept.Cetyped’explorationdumodèlepermetausside remarquer des différences entre le système naturel représenté et celui que nousconnaissons. Ainsi, même en l’absence de date sur la carte, nous identifions que lemondereprésentéprésentedesdifférencesavecceluiquenousconnaissons:lenomdeCeylandésigneuneîlequenoussavonsêtreàlapositionduSriLanka.Ici, ledécodagede la position de Ceylan ne passe pas par une mesure absolue, par le calcul decoordonnées géographiques, mais par l’analyse d’une position relative par rapport àl’Inde.Il est important de souligner à quel point le processus de rédaction d’une carte, ousimplement de conception de l’objet carte, est une abstraction qui peut s’éloigner denotre expérience sensible, du fait de l’adoption de la projection comme mode dereprésentation,aulieudelaperspectiveàlaquellenotrevisionnousahabitués,etdelaconvention qui consiste à représenter le monde «vu»12du ciel. Le point de vuecartographiqueestinvariablementceluid’unevueaérienneorthogonaledumonde,sansperspective, qui place le lecteur à la verticale de chaque point de la carte. Cetteabstractionaémergébienavantqu’onsoitcapabled’observer lemondedepuis leciel,aveclespremiersvoyagesenballon.Lecartographeadoncreconstituél’imagementaledecequ’ilpercevraits’ilétaitplacéaudessusdumondeetàunedistancesuffisammentgrande, pour gommer toute perspective. La carte n’est pas une reproduction de laréalité,maisunemanièrede l’explorer, comme le soulignentDeleuze etGuattari13. Lacartedonneunsentimentd’ubiquitéàson lecteur,quipeutêtreàtous lesendroitsenmêmetemps,toutenn’étantnullepart.Grâceàcettefacultéd’ubiquité,lacartepermetd’acquérir une connaissance du monde. Comme le remarque Perec, «parcourir lemonde,lesillonnerentoussens,ceneserajamaisqu’enconnaîtrequelquesares[…]»14.Leparcoursvirtuelsurunecartepermetaulecteurd’unatlasdevoyager,commelefontlesoutilsdecartographienumériquemaintenantcouplésàlaphotographie.Etpourtant,cetteimagementaled’unmondeplat,vududessus,esttrèséloignéedenotreexpériencesensible,delareprésentationquenousnousfaisonsdumonde.Nousdéfendonsl’idéequecartographierlemonden’estpasappliqueruncalquesurlemonde, en reproduire certains éléments, et ensuite réduire ce calque à la proportiond’unefeuille,maisétablirunmodèledecemondepardesaller-retourentrelesystèmenaturel et le modèle, entre les phénomènes représentés et la carte. Les éléments dusystème naturel représentés sont encodés dans le langage de la modélisation, ici lelangage graphique des cartes, dont une composante essentielle est la sémiologiegraphique15, et décodés, établissant ainsi des relations de correspondance entre lesystèmenatureletlemodèle.Ils’agitd’unmodèleanalogiquecarilpossèdedestracésqui varient continûment et parce qu’il s’agit d’une relation d’analogie, et non deressemblance (soit plus une fonction d’indice qu’une fonction d’icône dans le

12Leterme«vu»esticiimpropre,nousavonseneffetmontréquelacarterefuselaperspective,etdoncle«pointdevue»,pouradopterunereprésentationenprojection.13GillesDeleuzeetFélixGuattari,MillePlateaux–Capitalismeetschizophrénie2,LesÉditionsdeMinuit,coll.«Critique»,Paris,1980.14GeorgesPerec,Espècesd'espaces,Galilée,1974.15JacquesBertin,Sémiologiegraphique,Paris,Mouton/Gauthier-Villars,1967.

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vocabulaire de Peirce, commenous l’avons déjà souligné), entre la carte et lemonde.Cette définition permet de dépouiller la carte d’une partie du caractère d’objectivitéqu’elle prétendrait tirer du recours à la géodésie, à la topographie et auxmathématiques: un encodage est un changement de représentation et le choix desrèglesdetransformationsefaitenfonctiondesusagesauxquelsondestinelacarte.Larelationdedécodageestlaplusfacileàappréhendercarellesupposedeuxélémentsindispensables: que le lecteur puisse physiquement lire la carte et qu’il puissecomprendrelemessageencodé,c’est-à-direeffectuerdesinférencesentrelesélémentsgraphiquesetendéduiredescausalitésdanslesystèmenaturel.Lalecturephysiquedela carte peut être altérée pour certaines populations puisque son message estprincipalementdenaturegraphique.Dans le casd’unmessage textuel, l’intégralitédumessage est transmise lorsque le lecteur est capable d’identifier l’ensemble descaractères, même si ceux-ci sont incomplets ou flous. La transmission du messageprésenteunecertainerobustesseauxconditionsdereproductiondutexteetdelecture.Dans le cas d’une carte, le cartographe peut utiliser des variations d’épaisseur, decouleur,decontrastequisollicitentl’ensembledescapacitésvisuellesdesindividus.Parexemple, l’usagede la couleurest très répanduen cartographie.Cependant, les cartescolorées sont bien souvent inaccessibles aux personnes affectées de déficiencesvisuelles: on pourra se référer à la thèse de Dhée16pour un travail complet sur laquestion.Plusgénéralement,enraisondesdifférencesdeformes,detaille,deproximitédes objets, le lecteur sera tributaire des particularités de la vision humaine, qu’onexploite dans les illusionsd’optique. Il sera ainsi possible dementir involontairementaveclescartes,lorsquelemessageencodéestimpossibleàvoiràcausedeslimitationsdelavisionhumaine,etmêmedementirvolontairement17.Nousentendonspar«mentiravecunecarte»lefaitd’encoderunmessageimpossibleàdécoder,sansavoiràtrichersur la teneurmêmede l’information à représenter. Le cas demensonge involontaireavec les cartes le plus courant et le plus difficile à résoudre est celui du MAUP(modifiable areal unit problem18): la représentation cartographique d’un phénomènestatistique diffus dépend très fortement du zonage qu’on utilise pour agréger etreprésenter ce phénomène. Notons qu’un moyen de limiter la rédaction de cartesillisiblesconsisteraitàformalisernonseulementlesrèglesdedécodaged’unecarte,ceque fournitnormalement la légende,maisaussi lesconditionsnécessairessur lechoixdescouleursetdesfiguréspourquelescartessoienteffectivementdécodables.Cependant, l’encodagede la carten’estpas totalementarbitraireetnouveauà chaquefois, comme le prouvent les similitudes observables entre des cartes réalisées àdifférentes époques et dans différentes cultures. Les modélisations des systèmesnaturels effectuées par les cartographes présentent des régularités importantes.Nousavonsdéjàrelevélechoixd’unegammedeprojectionsquinousprésententlemondevuduciel.Lesconventionsgraphiquesprésidantauxchoixdelégendes’appuientsouvent

16FrancisDhée,Cartographiepourlesdéficientsvisuelsdelacouleur.Propositionsd'améliorationdescartespourlesdaltoniens,thèsededoctorat,Paris,universitéParis1,2013.17MarkMonmonier,Commentfairementirlescartes,Flammarion,Paris,1993.18StanOpenshawetPeterTaylor,“Amillionorsocorrelationcoefficients:threeexperimentsonthemodifiableareaunitproblem”,inN.Wrigley(ed),StatisticalApplicationsintheSpatialSciences,1979pp.127‐144.

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suruneapprochemimétiquedumonde:onreprésentedanslaplupartdescarteslameren bleu et la forêt en vert. Ces conventions n’en constituent pas moins une culturecartographique:lamern’estpasréellementbleue,demêmequelaforêtn’estpasverteenautomneetenhiver.Nouspostulonsqu’unecarteestlisiblelorsquel’imagementalequenousformonsàsalectureestanalogueàl’imagementalequenousformonslorsdenotreexpériencesensibledumonde,c’est-à-direquenouseffectuonsinconsciemmentetsanseffortl’opérationdedécodagedumessagegraphique.L’approchedelacartecommemodèleàlaRosen,c’est-à-direuneapprocherelationnellede lamodélisation, permetd’analyser commenousvenonsde le faire lesmécanismesd’encodageetdedécodageentrelesystèmenatureletlemodèle.Ellepermetégalementd’analyser lamanière dont la succession des opérations d’encodage, d’inférence et dedécodage permet de faire émerger du sens. La carte étant principalement un objetgraphique, ce sens émerge d’un raisonnement graphique, spatial, renvoyant à latopologiquealgébrique,etdifférentdelalogiquepropositionnellequ’ontrouvedanslelangage.5.Lacarte:unmodèlequifaitémergerdusensEnnous appuyant sur l’approche de la philosophiemathématique de Peirce20,21, nouspostulonsque l’approchede lacartecommemodèlerelationnelpermetdesortirde lalogiqued’énoncésàunterme(ilyaunobjetsurlacarte)ouàdeuxtermes(cetobjetdela carte touche cet autre objet), pour introduire des relations à trois termes. En effet,Peirceétendl’approchecatégoriquedeKantenproposantl’établissementdejugementsàtraversdesinférences,ouvrantainsilavoieàlalogiquedesrelations.Or,lamodélisationrelationnelledeRosenouvrelavoie,etc’estlecheminqueRosenasuivi,àl’utilisationdelathéoriemathématiquedescatégories22,dontlebutfondamentalest de représenter demanière formelle et demanipuler les relations d’analogie et decomparaisonquisont l’essencedesopérationsderaisonnementdesmathématiciens23,maiségalementunefaçondedécrirel’émergencedesensdanscesopérations.Partonsd’unexempleconcretd’unetellerelationd’encodageetdedécodagedansunecarteetdel’analyserelationnelledecetteopération.Lacartedelafigure1montrequel’Asie est composée de plusieurs grandes régions, sans faire figurer explicitement defrontières, ni même que l’on identifie nécessairement quelles sont ces régions. Cette

20CharlesSandersPeirce,Écritssurlesigne,rassembléstraduitsetcommentésparG.Deledalle,Paris,LeSeuil,1978.21ChristianeChauviré,L’œilmathématique:essaisurlaphilosophiemathématiquedePeirce,Paris,Vrin,2008.22Nousn’avonspaslaplacededéveloppericidesélémentsdethéoriedescatégories.Onpourraseréféreràdenombreuxouvragessurlesujet,notammentaulivredeAndréeEhresmannetJean-PaulVanbremeersch,MemoryEvolutiveSystems.Hierarchy,Emergence,Cognition,Elsevier,2007,pouruneprésentationdelathéoriedescatégoriesdansuncontextedemodélisation.23RenéGuitart,«Lastructurationcatégoriciennecommecalculdesgestesmathématiques»,JournéeAspectshistoriquesetphilosophiquesdelathéoriedesCatégories,ENS,2005.

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information peut être extraite de la carte du fait de la présence de l’encodage d’uncertain nombre de régions par des toponymes (Arabie, Inde, Russie, etc.), que lescapitales d’imprimerie permettent de distinguer dans le modèle d’autres toponymesdécrivant des régions topographiques (plateaux et plaines, identifiables du fait del’usage explicite de ces termes sur la carte) ou des fleuves, identifiables du fait quel’écriture du toponyme suit une ligne bleue figurant le tracé du cours d’eau. On a iciutilisé des opérations d’analogie: les toponymes écrits en capitales d’imprimeriereprésententdesconceptsanalogues,etdecomparaison:ces toponymesreprésententdes concepts différents de ceux associés à des toponymes écrits différemment. Lesrelations spatiales des toponymes dans le modèle peuvent ensuite être décodées ettraduitesenrelationsdans lesystèmenaturel: laRussieestaunordde l’Inde. Ilestànoterquecettelecturesefaitsansrecouriràunelégende,d’ailleursabsentedanslecasdecettecarte,etnesupposeaucuneconnaissanceaprioridusystèmenaturel.Demême,l’identificationdeBornéoetdeSumatraentantqu’îlesmobilisenoscapacitésdecalculspatial,sansqu’ilsoitnécessaired’utiliserunerèglepourprocéderàdesmesures.Nouspouvons également inclure dans notre raisonnement Java, plus petite et orientéedifféremment,etdonc faireunedifférenceentreBornéoetSumatrad’unepartet Javad’autrepart:cetypedelogiques’étendàunnombrequelconqued’éléments.Un autre exemple d’utilisation du caractère relationnel de la carte est l’interprétationquenousfaisonsdeslignesimaginairesquesontlesméridiensetlesparallèles,servantà repérer des positions, ou encore des limites administratives, qui matérialisent unefrontièreréelleentredeuxentités,laquellefrontièren’agénéralementpasderéalitésurleterrain.Lesensémergedecequ’unautreobjetdelacarteserasituéàl’extérieurouàl’intérieurdupolygonedélimitéparlafrontière:onexploitedesrelationstopologiques,indépendammentdelamétriquedelacarte.Plusglobalement,l’interprétationd’unecartereposesurdesopérationsdecomparaisond’objets, de recherche de similitudes, d’analogies, à la fois totalement naturelles etimpossibles à formaliser sous forme numérique: l’analyse visuelle d’un plan de ville,avec le tracé des rues et le contour des bâtiments, ne peut pas être réduite à lacomparaisondegrandeursdécrivantdespropriétésdecesobjets;onperçoitcependantimmédiatement la différence entre un plan de ville américaine et un plan de villeeuropéenne, de même qu’on devine dans le plan d’une ville le tracé d’une ancienneenceintefortifiée.La puissance de la carte n’est donc pas de contenir une moindre subjectivité qued’autresreprésentationsdumonde,commeunereprésentationtextuelleouuntableauparexemple,maisderenvoyerauraisonnementspatial,end’autrestermesdesusciteruneapprochespatialeduraisonnement,développéedans la topologiealgébriqueet lathéorie des catégories, plutôt qu’une approche algébrique,même si enmathématiqueces deux approches ont maintenant largement tissé des ponts. La carte renvoie à laspatialité, à une façon d’appréhender le monde et ses phénomènes dans leurarrangementet leurextensionspatiale.Cetteparticularitéde lacarteestà l’originedel’idée des cartes sémantiques, qui consistent à utiliser l’approche cartographique de

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modélisation du monde pour d’autres espaces informationnels, comme par exemplel’organisationd’uneentreprise24.Lacarteaenfinlapropriétéderendrevisiblesdesrelations,desconcepts,etdoncjoueun rôle de médiateur pour ces concepts. Les cartes permettent de visualiser lesdiscontinuitésetlesfractures,lesfrontières25etl’organisationspatialedecesdernières.Elles ont ainsi un nouvel??? qui n’est plus de représenter simplement des catégoriesspatiales, mais plutôt des oppositions entre ces catégories, ou de mélanger les deuxdimensionsen incluantunedimensionsymboliquedans lareprésentationspatialedeslieux(figure4).

Figure4:Carteducommentairedel’ApocalypseparBeatusdeLiébana,XIesiècle.Cettecartesertàaiderlelecteurducommentaireàsituerleslieuxdesécrituressaintes,mais

estconçueégalementcommeunecosmogonie.Source:gallica.bnf.fr

6.ConclusionLa carte n’est pas seulement une image projective du monde, obtenue par desopérations de mesure et de projection, comme une photographie est une imageperspectivedumondeobtenuepar l’expositiond’un filmàdes rayons lumineux.C’estuneconstructionabstraiteconstituéeàpartirdemesure,quidevientensuiteelle-mêmeuninstrumentpourdenouvellesmesures,cequiluiconfèreuncaractèrescientifiqueetutilitaire.Nousavonsproposéd’analyserlacartecommeunmodèlerelationnel,cequirendcompteàlafoisdesopérationsd’encodageetdedécodageentrelesystèmenaturelet la carte par des opérations de mesure, mais aussi de la manière dont une carte,empreinte de subjectivité liée aux choix de modélisation, est susceptible de faire

24ChristopheTricot,Cartographiesémantique:desconnaissancesàlacarte,thèsededoctorat,LeBourgetdulac,universitédeSavoie,2006.25RogerBrunet,Jean-ChristopheFrançoisetClaudeGrasland,«Ladiscontinuitéengéographie:originesetproblèmesderecherche»,L’Espacegéographique,4,1997.

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émerger du sens en mobilisant le calcul spatial et les opérations de comparaison etd’analogie,formaliséesdanslathéoriedescatégories.

Bibliographie

BertinJacques,Sémiologiegraphique,Paris,Mouton/Gauthier-Villars,1967Brunet Roger, Jean-Christophe François et Claude Grasland, «La discontinuité engéographie:originesetproblèmesderecherche»,L’Espacegéographique,4,1997Chauviré Christiane, L’œil mathématique: essai sur la philosophie mathématique dePeirce,Paris,Vrin,2008Deleuze Gilles et Félix Guattari, Mille Plateaux – Capitalisme et schizophrénie 2, LesÉditionsdeMinuit,coll.«Critique»,Paris,1980Dhée Francis, Cartographie pour les déficients visuels de la couleur. Propositionsd'améliorationdescartespourlesdaltoniens,thèsededoctorat,Paris,universitéParis1,2013EhresmannAndrée et Jean-Paul Vanbremeersch,MemoryEvolutiveSystems.Hierarchy,Emergence,Cognition,Elsevier,2007Goodman Nelson, Languages of Art: An Approach to a Theory of Symbols, 2nd edition,Indianapolis:HackettPublishingCompany,1976Guitart René, La pulsation mathématique (rigueur et ambiguïté, la nature de l'activitémathématique,cedontils'agitd'instruire),L'Harmattan,Paris,1999Guitart René, «La structuration catégoricienne comme calcul des gestesmathématiques», Journée Aspects historiques et philosophiques de la théorie desCatégories,ENS,2005GuitartRené, «Figure, lettre, preuve: la pulsationmathématique au lieu de l’écriture,colloqueMutationdel’écriture»,Arts&Sciences,19-20octobre2007,ENSMonmonierMark,Commentfairementirlescartes,Flammarion,Paris,1993Openshaw Stan et Peter Taylor, “A million or so correlation coefficients: threeexperiments on the modifiable area unit problem”, in N. Wrigley (ed), StatisticalApplicationsintheSpatialSciences,1979p.127‐144PeirceCharlesSanders,CollectedPapers,HarvardUniversityPress,1931-1935Peirce Charles Sanders, Écrits sur le signe, rassemblés traduits et commentés par G.Deledalle,Paris,LeSeuil,1978

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PerecGeorges,Espècesd'espaces,Galilée,1974RosenRobert,TheoreticalBiologyandComplexity,AcademicPress,NewYork,1985Tricot Christophe, Cartographie sémantique : des connaissances à la carte, thèse dedoctorat,LeBourgetdulac,universitédeSavoie,2006.