la chasse commerciale en afrique centrale ii. une …sitatunga tragelaphus spekei 68 bois et forÊts...

16
Christian Fargeot Cirad-forêt Campus international de Baillarguet TA 10/D 34398 Montpellier Cedex 5 France La chasse commerciale en Afrique centrale II. Une activité territoriale de rente BOIS ET FORÊTS DES TROPIQUES, 2005, N° 283 (1) 65 CHASSE COMMERCIALE / LE POINT SUR… Vente de gibier à l’étal, en bordure de route, au Gabon. Selling game from a roadside stall, Gabon. Photo F. Jori. Le thème de la chasse commerciale en Afrique centrale est décliné en deux articles. La première partie, La venaison ou le négoce d’un produit vivrier (Fargeot, 2004), présentait la filière commerciale (évolution, organisation, structuration socio-économique), alors que la seconde partie analyse le volet production, avec les aspects social et technique.

Upload: others

Post on 29-Jul-2020

0 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: La chasse commerciale en Afrique centrale II. Une …Sitatunga Tragelaphus spekei 68 BOIS ET FORÊTS DES TROPIQUES, 2005, N 283 (1) FOCUS / COMMERCIAL HUNTING Vente à l’étal, en

Christian FargeotCirad-forêt Campus international de Baillarguet TA 10/D 34398 Montpellier Cedex 5France

La chasse commerciale en Afrique centrale

II. Une activité territoriale de rente

B O I S E T F O R Ê T S D E S T R O P I Q U E S , 2 0 0 5 , N ° 2 8 3 ( 1 ) 65CHASSE COMMERCIALE / LE POINT SUR…

Vente de gibier à l’étal, en bordure de route, au Gabon. Selling game from a roadside stall, Gabon.Photo F. Jori.

Le thème de la chasse commerciale en Afrique centrale est décliné en deux articles. La première partie, La venaison ou le négoce d’un produit vivrier (Fargeot, 2004), présentait la filièrecommerciale (évolution, organisation, structuration socio-économique), alors que la seconde partie analyse le volet production, avec les aspects social et technique.

Page 2: La chasse commerciale en Afrique centrale II. Une …Sitatunga Tragelaphus spekei 68 BOIS ET FORÊTS DES TROPIQUES, 2005, N 283 (1) FOCUS / COMMERCIAL HUNTING Vente à l’étal, en

RÉSUMÉ

LA CHASSE COMMERCIALE EN AFRIQUE CENTRALEII. UNE ACTIVITÉ TERRITORIALE DE RENTE

Après un article sur les circuits com-merciaux de la venaison, l’auteur pré-sente ici les aspects écologique, tech-nique, sociologique et organisation-nel de la chasse commerciale. Celle-ciconcerne d’abord les ongulés, puisles petits primates et, enfin, les ron-geurs. Les espèces communes, lesplus chassées, s’adaptent bien à ceprélèvement. Au contraire, les grandsprimates ou les éléphants, avec destaux faibles de reproduction, peuventêtre gravement menacés malgré unepression de chasse faible. La chasse,activité essentiellement masculine,s’exerce dans l’espace agricole ou engrande forêt. Dans l’espace agricole,elle est pratiquée par tous pour laconsommation familiale et pour pré-server les cultures. En forêt, le chas-seur s’intègre dans le circuit grâce aufaible niveau d’investissement requis.Le piégeage et la chasse au fusil sontles plus pratiqués. La chasse sur lesterroirs cultivés est régie par lesrègles de la tenure agricole ; en forêt,ce sont les règles moins contrai-gnantes de la parenté élargie et del’amitié. La vente de venaison dépendprincipalement de l’accès au marché,de l’abondance relative du gibier etdes autres ressources. Une politiquede gestion efficace de la faune peuts’appuyer sur le concept de territoire,à condition de définir l’échelon de lacollectivité locale à impliquer, lesrègles sociales et techniques d’accèsà la ressource et les frontières spa-tiales entre communautés.

Mots-clés : chasse commerciale,venaison, produit vivrier, Afrique cen-trale.

ABSTRACT

COMMERCIAL HUNTING IN CENTRAL AFRICA II. A PROFITABLE TERRITORIALACTIVITY

Following his article on trade circuitsfor bushmeat, the author nowdescribes the ecological, technical,sociological and organisationalaspects of commercial hunting. Themain species targeted are ungulates,followed by small primates and finallyrodents. While the commonerspecies, which are most frequentlyhunted, adapt quite well to the cull,large primates and elephants, withtheir low reproduction rates, cancome under serious threat even ifhunting pressure is low. Hunting –essentially a male preserve – takesplace in farmlands or deep forest. Onfarmlands everybody hunts for thefamily cooking pot and to protectcrops. Forest hunters are able to jointhe bushmeat trade thanks to the lowoutlay required. Trapping and shoot-ing are the most common huntingmethods. Hunting in village territo-ries is regulated by farm tenure rules.Forest hunting rules are less restric-tive and based on ties of kinship andfriendship. Sales of bushmeat aremainly dependent on access to mar-kets, on the abundance of game andthe availability of alternativeresources. To be effective, manage-ment policies may be based on theconcept of territory, provided that thelevel of local community authority tobe involved is clearly defined, as wellas social and technical rules foraccess to the resource and the spatialboundaries between communities.

Keywords: commercial hunting,bushmeat, subsistence product,Central Africa.

RESUMEN

LA CAZA COMERCIALEN ÁFRICA CENTRALII. UNA ACTIVIDAD TERRITORIALCOMERCIAL

Después de un artículo sobre los cir-cuitos comerciales de la caza mayor,el autor presenta aquí los aspectosecológicos, técnicos, sociológicos yorganizativos de la caza comercial.Esta caza concierne primero a losungulados, luego a los pequeños pri-mates y, finalmente, a los roedores.Las especies comunes, las más caza-das, soportan bien la mortalidad. Porel contrario, los grandes primates olos elefantes, con unos índices bajosde reproducción, pueden verse seria-mente amenazados a pesar de unabaja presión de caza. La caza, activi-dad básicamente masculina, se prac-tica en el espacio agrícola o en sel-vas. En el espacio agrícola, espracticada por todos para el consumofamiliar y para proteger los cultivos.En el bosque, el cazador se integra enel circuito gracias al bajo nivel deinversión necesario. La caza con tram-pas y con fusil son las formas de cazamás practicadas. La caza en tierrasagrícolas está regulada por las nor-mas de tenencia de la tierra; en elbosque, actúan las reglas, menoscoercitivas, del parentesco ampliadoy de la amistad. La venta de cazamayor depende principalmente delacceso al mercado, de la abundanciade la caza y de los demás recursos.Una política de gestión eficaz de lafauna puede basarse en el conceptode territorio, siempre y cuando sedefina la importancia de la colectivi-dad local que ha de verse involu-crada, las normas sociales y técnicasde acceso a este recurso y las fronte-ras espaciales entre comunidades.

Palabras clave: caza comercial, cazamayor, producto alimenticio, ÁfricaCentral.

66 B O I S E T F O R Ê T S D E S T R O P I Q U E S , 2 0 0 5 , N ° 2 8 3 ( 1 )

FOCUS / COMMERCIAL HUNTING

Christian Fargeot

Page 3: La chasse commerciale en Afrique centrale II. Une …Sitatunga Tragelaphus spekei 68 BOIS ET FORÊTS DES TROPIQUES, 2005, N 283 (1) FOCUS / COMMERCIAL HUNTING Vente à l’étal, en

Introduction

Le bassin du Congo, ses frangesest exceptées, est caractérisé par unecouverture forestière importante, unetrès faible densité de populationrurale et une agriculture tradition-nelle fondée sur l’essartage. Leschangements dans l’affectation desterres sont donc limités ; en revanche,la dynamique urbaine est très rapide,avec un taux d’urbanisation en fortecroissance et un accroissement de lademande urbaine en protéines. Sur leplan écologique, le bloc forestier estentouré d’une auréole de savanesboisées et de forêts-galeries ; lafaune mammalienne de forêt, consti-tuée de nombreuses espèces depetite taille, peu grégaires, mais dontles individus sont assez bien répartissur l’ensemble du territoire, s’opposeà celle des savanes, qui comprenddes espèces de plus grande taille,vivant en grands troupeaux concen-trés dans l’espace, en saison sèche,en fonction des abreuvoirs et despâturages (encadré 1).

Du fait de l’intérêt actuel de lacommunauté internationale et deschercheurs pour les zones forestièresintertropicales, l’essentiel de la docu-mentation disponible sur la chassecommerciale concerne les prélève-ments réalisés en grande forêt, bienque les savanes, les galeries fores-tières et les zones de culture inter-viennent de façon significative dansles consommations urbaines.

L’étude des circuits commer-ciaux a fait l’objet d’un premier articledans cette revue (Fargeot, 2004).Dans ce second volet, l’activité cyné-gétique est étudiée sur les plans éco-logique, technique, sociologique etorganisationnel, afin de proposerquelques pistes de réflexion pour sor-tir cette production de l’illégalité, lareconnaître et assurer son maintien àlong terme (encadré 2).

Les produitsprélevés

par la chasse

Les données bibliographiquessur les prélèvements par la chasse(tableau I) proviennent, d’une part,des études directes sur les tableauxde chasse et, d’autre part, des rele-vés de marchés urbains, en posant enpremière hypothèse une bonneconcordance entre ces observationsindirectes et les prises des chasseurs.

La répartition spécifique des prélè-vements de gibier est fréquemmentexprimée en pourcentage des effectifsabattus ; lorsqu‘elle n’était pas donnéepar les auteurs, nous avons calculé cetteventilation sur la base de la biomasseprélevée, à partir des poids moyens spé-cifiques tirés de la littérature, en particu-lier Fa et Purvis (1997). En schématisant,on peut considérer que le nombre relatifd’individus abattus permet de quantifierl’impact écologique de la chasse, alorsque la part de chaque espèce dans levolume prélevé indique plutôt sonimportance socio-économique.

B O I S E T F O R Ê T S D E S T R O P I Q U E S , 2 0 0 5 , N ° 2 8 3 ( 1 ) 67CHASSE COMMERCIALE / LE POINT SUR…

Potamochères en parc d’élevage, au Gabon. A breeding station for red river hogs, Gabon.Photo F. Jori.

Page 4: La chasse commerciale en Afrique centrale II. Une …Sitatunga Tragelaphus spekei 68 BOIS ET FORÊTS DES TROPIQUES, 2005, N 283 (1) FOCUS / COMMERCIAL HUNTING Vente à l’étal, en

En Afrique centrale, les artiodac-tyles et, en particulier, les cépha-lophes fournissent, en biomassecomme en effectifs, la majorité de laviande de chasse prélevée. Leur parti-cipation dans la biomasse prélevéevarie, selon les sites, entre 31 % dansles marais de la Likouala, àToukoulaka (où les prélèvements sontconcentrés sur les sauriens), 32 %dans la région de Kisangani et 93 % àproximité des camps forestiers duNord-Congo. Comme l’indique letableau II, l’espèce subissant les plusforts prélèvements pour la chassecommerciale est, en règle générale, lecéphalophe bleu (Cephalophus mon-ticola), petite antilope forestièrepesant de 4 à 5 kg, présentant unegrande souplesse écologique ets’adaptant bien à la pression cynégé-tique et aux milieux anthropisés parles défrichements agricoles.

Le deuxième groupe concernéest celui des primates ; entre 1 %(camps forestiers de Rca et duCameroun) et 43 % (région deKisangani) du poids de viande pré-levé relève de cet ordre. Les espècesles plus chassées, à la fois en nombred’individus et en biomasse, sont lespetits singes de forêt des genres cer-cocèbe et cercopithèque. Les grandssinges anthropoïdes (gorilles Gorillagorilla et chimpanzés Pan troglo-dytes) représentent entre 1 % et 5 %de la biomasse prélevée, avec un picexceptionnel de 14 %, relevé dans larégion de Kisangani et concernant enpartie le chimpanzé pygmée (Panpaniscus).

Les rongeurs assurent entre 1 %et 45 % du nombre des prises, ce quireprésente de 0,2 % à 26 % du poidsde venaison prélevé, selon lesrégions. L’athérure (Atherurus spp.)ou porc-épic de forêt est la principaleespèce chassée, l’aulacode (Thryono-mys swinderius) et le rat de Gambie(Cricetomys eminii) étant plus margi-naux.

Avec des prélèvements en bio-masse très forts pour les primates(43 %), moyens pour les céphalophes(32 %) et assez élevés pour les ron-geurs (15 %), la région de Kisangani

Encadré 1. Les pr incipales espèces animales citées.

Nom commun Nom scientifique

Athérure Atherurus spp.

Aulacode Thryonomys swinderianus

Buffle Syncerus caffer

Céphalophe bleu Cephalophus monticola

Céphalophes rouges Cephalophus silvicultor

Cephalophus rufilatus

Cephalophus callipygus

Cephalophus dorsalis

Cephalophus nigrifons

Chimpanzé Pan troglodytes

Chimpanzé pygmée Pan paniscus

Éléphant Loxodonta africana

Gorille Gorilla gorilla

Guib harnaché Tragelaphus scriptus

Hocheur Cercopithecus nictitans

Mone Cercopithecus pogonias

Moustac Cercopithecus cephus

Mangabés Cercocebus spp.

Rat de Gambie Cricetomys emini

Sitatunga Tragelaphus spekei

68 B O I S E T F O R Ê T S D E S T R O P I Q U E S , 2 0 0 5 , N ° 2 8 3 ( 1 )

FOCUS / COMMERCIAL HUNTING

Vente à l’étal, en bordure de route, République démocratique du Congo (Cercopithecus mitis). Roadside stall, Democratic Republic of the Congo (Cercopithecus mitis).Photo C. Doumenge.

Page 5: La chasse commerciale en Afrique centrale II. Une …Sitatunga Tragelaphus spekei 68 BOIS ET FORÊTS DES TROPIQUES, 2005, N 283 (1) FOCUS / COMMERCIAL HUNTING Vente à l’étal, en

B O I S E T F O R Ê T S D E S T R O P I Q U E S , 2 0 0 5 , N ° 2 8 3 ( 1 ) 69CHASSE COMMERCIALE / LE POINT SUR…

Encadré 2. Le rôle de l’État dans l’optique d’une gestion terr itor ialisée.

Dès 1945-1950, une politique pour la chassed’autosuffisanceAprès 1945 et, surtout, à partir des années 1950, la poli-tique de gestion de la faune a été totalement réorientée,avec l’implantation sur le terrain de l’administration desEaux et Forêts, chargée de la chasse, et l’abandon duquasi-accès libre à la ressource pour les chasseurs euro-péens approvisionnant les grandes plantations, les mineset les grands chantiers d’infrastructure. La filière viande dechasse européenne a été rapidement éliminée, la plupartdes chasseurs professionnels se recyclant comme guidesde chasse. La législation s’est inspirée de celle de l’Afriquede l’Est anglophone, dans un double but :▪ d’une part, la protection de la nature, avec la mise enplace de parcs nationaux et le développement du tourismede vision ;▪ d’autre part, la valorisation de la faune par le tourismecynégétique dans les zones d’intérêt cynégétique.

Les communautés locales se voyaient confirmer leursdroits de prélèvement sur la faune, mais dans une strictelimite d’autosubsistance, à l’exclusion de tout commercede la venaison.

Après 1970, développement illégal du commerce de la venaisonCette organisation a fonctionné de façon assez correctejusque vers les années 1970, mais elle n’a pas pu résisterau développement du commerce de la viande de chasse,organisé par les populations locales et lié à la croissanceurbaine après les indépendances et à la demande en pro-téines à faible coût des marchés citadins. Cette nouvellefilière économique a alors été rejetée dans l’illégalité parune législation inadaptée ; cette situation se poursuit denos jours.Dans une économie informelle aussi caractéristique quecelle de la venaison, l’intervention de l’État doit être trèsprudente. Des mesures inadaptées peuvent casser unefilière économique qui contribue efficacement à l’approvi-sionnement à faible coût des marchés urbains et renforcerles comportements rentiers des agents de l’Admi-nistration. Plutôt que d’envisager une intervention directesur la gestion de la ressource, l’État doit se concentrer surses missions régaliennes.

Missions de l’État Dans le domaine qui nous intéresse, ce rôle concerneessentiellement :▪ La médiation entre les collectivités, d’une part lors de ladéfinition physique des territoires, puis, dans le cadre dela résolution des conflits qui ne peuvent manquer d’appa-raître entre acteurs de la filière, entre collectivités localeset au sein des communautés.▪ La mise en place, soit sur les deniers publics, soit, plusprobablement, grâce à l’aide extérieure, des actions derecherche nécessaires pour proposer aux communautésdes modes de gestion de la faune efficaces et adaptés àleurs besoins et à leurs moyens techniques et humains,dans une optique « zootechnique ».▪ La formation et l’appui à la vulgarisation de ces méthodesde gestion.▪ Le contrôle des armes, dans un souci de sécuritépublique plutôt que pour prélever des taxes, par le biaisdes permis de chasse et de port d’armes.▪ La gestion des espèces migratrices ou fortement erra-tiques, et de celles dont le territoire biologique est d’unedimension incompatible avec les terroirs villageois ; dansce cadre, le contrôle de certains points clés (salines impor-tantes, points d’eau, gués et points de passage obligés…)ainsi que la protection totale de certaines espèces degrande taille ou à faible taux de reproduction (éléphants,grands primates…) peuvent s’imposer pour permettre àl’État de remplir ses engagements vis-à-vis des grandesconventions internationales et pour conserver un hautniveau de biodiversité.▪ La coordination entre la chasse commerciale villageoiseet la chasse sportive, dont l’apport en devises ne peut êtrenégligé. Ces deux types de chasseurs ne s’intéressant pasaux mêmes espèces, leur coexistence, sur un même site,peut être envisagée.

Les interventions dans la gestion de la filière sont beau-coup plus délicates, comme tout ce qui touche au secteurinformel ; il semble cependant que l’État ne puisse éviterune réflexion approfondie pour mettre en place une fisca-lité simple et adaptée, répondant au rôle fondamental del’impôt, assurer la couverture des dépenses publiques, enévitant les tentations de l’utiliser comme instrument decontrôle économique.

Garanties sanitairesUn minimum de garanties sanitaires doit également pou-voir être assuré au consommateur, à la fois sur le plan dela qualité des viandes fraîches et boucanées et pourrépondre aux soucis actuels de santé publique liés à l’ap-parition des maladies émergentes (fièvre Ebola, virus Hivet Siv…). Ce contrôle ne doit cependant pas aboutir àdéplacer les ponctions financières occultes sur la filièredes « corps en tenue » (Eaux et Forêts, Police,Gendarmerie…) vers les agents vétérinaires.

Page 6: La chasse commerciale en Afrique centrale II. Une …Sitatunga Tragelaphus spekei 68 BOIS ET FORÊTS DES TROPIQUES, 2005, N 283 (1) FOCUS / COMMERCIAL HUNTING Vente à l’étal, en

Tableau II. Les prélèvements par la chasse commerciale sur les principales espèces, d’après les relevés de marché.

Espèces Bangui Bata Malabo Kisangani Libreville Bukavu(Fargeot, Diéval, 2000) (Fa et al., 1995 ; Puit, 2003) (Fa et al., 1995) (Mankoto et al., 1987) (Steel, 1994) (Kofimaya, 1988)

% % % % % % % % % % % %effectifs biomasse effectifs biomasse effectifs biomasse effectifs biomasse effectifs biomasse effectifs biomasse

Céphalophe bleu 27 12 33 ; 29 30 ; 25 7 6 34 37 21 14 - 12

Céphalophes rouges 18* 19* 8 ; 6 18 ; 14 30 50 11 31 15 24 - 25

Moustac - - 7 ; 11 3 ; 5 0 0 0 0 6 2 -

Cercocèbes et divers 16** 10** 9 ; 13 6 ; 8 12 8 9 7 9 4 - 33cercopithèques

Athérure ε ε 26 ; 17 10 ; 6 15 5 4 2 27 8 - 26

Aulacode 5 4 0 ; εε 0 ; εε ε ε ε ε ε ε - ε

Lors des comptages en forêt, les difficultés pour différencier les traces (empreintes, crottes…) des différentes espèces de céphalophes forestiersconduisent la plupart des auteurs à regrouper sous le vocable « céphalophes rouges » C. callipygus, C. dorsalis, C. nigrifons et C. leucogaster.Leur taille conduit également à les regrouper lors des études de marché.* Céphalophes rouges + guib harnaché + sitatunga.** Ensemble des cercopithèques et cercocèbes (dont C. cephus).

Tableau I. Les principaux produits prélevés par la chasse et leurs utilisations.

Localisation Origine des données Marché Tableau Ongulés Primates Rongeursurbain de % % % % % %

chasse effectifs biomasse effectifs biomasse effectifs biomasse

Makokou (Gabon) Lahm (1996) X 57 67 18 18 14 4**

Libreville (Gabon) Steel (1994) X 41 67 21 15 28 8**

Gamba (Gabon) Thibault et Blaney (2003) X 60 62 8 1 5 1

Rio Muni (Guinée équatoriale) Fa et al. (2001) X 30 56 11 16 27 9

Rio Muni (Guinée équatoriale) Juste et al. (1995) X 41 64 21 19 30 10**

Rio Muni (Guinée équatoriale) Puit (2003) X 38 57 29 23 18 7**

Bioko (Guinée équatoriale) Juste et al. (1995) X 36 49 25 37 37 12**

Bioko (Guinée équatoriale) Fa et al. (1995) X 37 62 25 28 37 9

Kisangani (Rdc) Mankoto et al. (1987) X 13 32 22 43 45 15**

Kisangani (Rdc) Mankoto et al. (1987) X 46 80 10 9 41 11**

Bukavu (Rdc) Kofimaya (1988) X 41 33 26

Campo (Cameroun) Dounias (1999) X 57 76 8 11 18 5

Dja, Kompia (Cameroun) Delvingt et al. (2001) X 41 60 15 16 33 18

Dja, Ekom (Cameroun) Delvingt et al. (2001) X 88 97 3 1 5 1

Dja, Djapostem (Cameroun) Delvingt et al. (2001) X 75 72 12 4 10 1

Dja, Mékas (Cameroun) Solly (2000) X 62 90 10 3 18 4**

Bertoua (Cameroun) Takoryan (2000) X 32 68 7 12 45 13

Lobeke (Cameroun) Fimbel et al. (2000) X 68 71 7 19 11 3

Toukoulaka (Congo) Auzel et Wilkie (2000) X* 10 31 39 21 8 1

Nganzicolo (Congo) Auzel et Wilkie (2000) X* 20 79 6 15 3 2

Ndoki (Congo) Auzel et Wilkie (2000) X* 87 93 11 6 1 e

Bayanga (Rca) Noss (1998) X 69 94 2 1 20 4

Bangui (Rca) Fargeot et Diéval (2000) X 49 78 16 10 5 4

X* : consommation villageoise et non urbaine.67 : données calculées à partir des effectifs et des poids moyens par espèce.

70 B O I S E T F O R Ê T S D E S T R O P I Q U E S , 2 0 0 5 , N ° 2 8 3 ( 1 )

FOCUS / COMMERCIAL HUNTING

Page 7: La chasse commerciale en Afrique centrale II. Une …Sitatunga Tragelaphus spekei 68 BOIS ET FORÊTS DES TROPIQUES, 2005, N 283 (1) FOCUS / COMMERCIAL HUNTING Vente à l’étal, en

se distingue par un profil de chasseoriginal, intermédiaire entre lesobservations réalisées en Afrique del’Ouest (Caspary, 1999) et la situa-tion classique de l’Afrique centrale,qui se caractérise par la forte domi-nance des ongulés, le rôle intermé-diaire des primates et la faible part,en biomasse, des rongeurs.

L’impact des ponctions cynégé-tiques sur la biodiversité animale esttrès variable en fonction des straté-gies démographiques, de type K ou r(Frontier, Pichod-Viale, 1995), dechaque espèce. Il peut être trèsinquiétant, même avec une pressionde chasse très limitée, pour les grandsprimates (gorilles ou chimpanzés) oupour l’éléphant, qui présentent destaux de reproduction faibles, avec unedurée de gestation longue, des nais-sances uniques et un temps d’appren-tissage des jeunes élevé. En revanche,les espèces les plus chassées (cépha-lophes, petits singes ou rongeurs)semblent s’adapter à la forme particu-lière de prédation que représente lachasse commerciale.

Les modes de chasse

et les techniques

Les chasses collectives tradi-tionnelles (chasse au feu en savane,chasse à l’inondation, à la montéedes eaux, ou chasses au filet en forêt)disparaissent progressivement auprofit des chasses individuelles. Lepiégeage, à l’aide de pièges à pattesou de collets, est surtout utilisé pourles ongulés en grande forêt ou pourles rongeurs dans l’espace agricole ;les techniques et les matériaux tradi-tionnels sont abandonnés, de nosjours, au profit des câbles métal-liques plus ou moins forts en fonctionde la taille des animaux à prélever. Lachasse au fusil est exercée de jour,pour le gros gibier, pour l’approchedes singes ou pour l’appel des cépha-lophes, et de nuit, à la lampe, endirection essentiellement des ongu-lés. L’arme peut être la propriété duchasseur, mais elle est très fréquem-ment fournie par un commanditairequi donne également les munitions etprélève une part du gibier. La chasseau fusil, pour être rentable, supposesoit la présence de gibiers de grandetaille (éléphants, buffles…), soit unedensité élevée de faune de taillemoyenne ; en revanche, le piégeagepeut rester économiquement intéres-sant à des niveaux de présence ani-male assez faibles.

Cette dernière technique sup-pose cependant, pour « nourrir sonhomme », un aménagement minimaldu site (barrières autour des champspour le « garden hunting », ouverturede sentiers de piégeage en grandeforêt), une bonne connaissance de laforêt et des animaux et un niveau cor-rect de technicité. Noss (1998) com-pare les coûts d’équipement du pié-geur et du chasseur au fusil, en Rca.L’achat du câble nécessaire pourposer une ligne complète de pièges(60 à 100 collets) est amorti par lavente de deux céphalophes rougesou de cinq céphalophes bleus, ce qui

correspond à une recette de 7 000 à8 000 Fcfa (environ 12 euros). À titrede comparaison, un fusil artisanalcoûte localement de l’ordre de100 000 Fcfa (150 euros) et les car-touches 500 à 2 500 Fcfa pièce (1 à4 euros). Même en région giboyeuse,l’usage du fusil, pour un bon piégeur,n’est donc pas forcément la solutionla plus rentable ; son intérêt écono-mique diminue très rapidement avecla densité de faune. Il n’est d’autrepart pas possible d’allonger forte-ment les lignes de piégeage, car ellesdoivent être relevées régulièrement ;si ce n’est pas le cas, le pourcentagede pertes par décomposition dugibier augmente très rapidement, aurisque de vider inutilement la brousseet de provoquer les réactions desautres chasseurs. Bahuchet etIoveva (1999) font apparaître très jus-tement une relation inverse entre,d’une part, l’effort de piégeage,quantifié par la longueur de la ligneet le nombre de pièges posés ainsique le pourcentage de gibier avarié,et, d’autre part, la technicité et le pro-fessionnalisme des chasseurs.

La sélectivité des méthodes dechasse est très variable : si l’utilisa-tion diurne du fusil permet d’identi-fier les captures, ce n’est pas le casde la chasse de nuit à la lampe. Lepiégeage, surtout à l’aide du piège àcâble ou du collet, est généralementconsidéré comme non sélectif, mais,d’une part, il est dirigé plutôt vers lesanimaux terrestres que vers lesespèces arboricoles et, d’autre part,la taille des pièges, la solidité descâbles, l’usage d’appâts et la locali-sation du piège permettent, parexemple, une certaine sélection desprises. Cette technologie, pour êtreefficace, nécessite également uneexcellente connaissance de la biolo-gie du gibier (Dounias, 1999).

B O I S E T F O R Ê T S D E S T R O P I Q U E S , 2 0 0 5 , N ° 2 8 3 ( 1 ) 71CHASSE COMMERCIALE / LE POINT SUR…

Vente de venaison au village, en République centrafricaine. Selling bushmeat in a village in the Central African Republic.Photo B. Faye.

Page 8: La chasse commerciale en Afrique centrale II. Une …Sitatunga Tragelaphus spekei 68 BOIS ET FORÊTS DES TROPIQUES, 2005, N 283 (1) FOCUS / COMMERCIAL HUNTING Vente à l’étal, en

Le profilsociologique

des chasseurs

Si la commercialisation de lavenaison est, comme nous l’avons vudans un article précédent, une activitéfortement féminisée, la chasse, enAfrique centrale, est un travail essen-tiellement masculin. Le chasseur type,exerçant en grande forêt, est unhomme jeune, capable de supporterles fatigues de la chasse et de la vie enforêt. Contrairement à ce qui estobservé en Afrique de l’Ouest, cetteoccupation n’est pas l’objet d’initia-tions particulières ou n’est pas réser-vée à une caste comme les « Dozo »,les chasseurs traditionnels de Côted’Ivoire ou du Mali. Elle s’inclut dans laformation traditionnelle pratique detous les jeunes garçons ; les jeunes vil-lageois fabriquent des pièges pour lesrongeurs et chassent les oiseaux aulance-pierre dès l’enfance. Ils s’initientainsi progressivement à la chasse, puissuivent leurs aînés en forêt.

Parce qu’elle nécessite peu d’in-vestissements de démarrage, la chassecommerciale concerne plus spéciale-ment, en milieu villageois, deux profilssociologiques particuliers :

▪ les cadets, jeunes hommes ne dis-posant ni d’un capital financier pourcréer une plantation de culture derente, ni d’un capital social pourpayer la dot, pouvoir se marier et pra-tiquer alors, avec leur femme, la cul-ture vivrière ;▪ les « retournés », jeunes scolarisés,ayant échoué dans le milieu urbain etregagnant le village dans le cadred’une économie de survie.

La chasse reste encore de nosjours l’activité masculine essentielledes différents groupes pygmées.Dans le cadre de leurs relations dedépendance vis-à-vis des villageois,ils ont, dans le passé, assuré une partmajeure dans le trafic de l’ivoire, lacollecte des peaux de céphalophes etle ravitaillement en viande deséquipes de récolte du caoutchouc etdes différents chantiers locaux (scie-ries, plantations industrielles,routes…) durant la période coloniale,en particulier dans le système desgrandes concessions. Actuellement,ces relations évoluent rapidement etles commerçants cherchent à avoir unaccès direct aux campements pyg-mées, sans passer par les « patrons »bantu (Guillaume, 2001).

L’organisation de la production

Il faut distinguer, d’une part,l’organisation officielle de la chasse,qui ne reconnaît, en fait de venaison,que les prélèvements dans le cadrede l’approvisionnement traditionneldes communautés locales, et, d’autrepart, la pratique effective des activi-tés de chasse.

La législation officielle, issue descodes de protection de la faune del’époque coloniale, limite la chasseaux nécessités d’autoconsommationvillageoise ; dans l’esprit des textesjuridiques, la vente et le commerce dela viande de brousse sont donc exclus.Nous avons vu cependant, dans unarticle précédent, combien ces activi-tés étaient développées et impor-tantes pour les populations rurales eturbaines ; elles sont en fait organi-sées partie sur la base des usages tra-ditionnels et partie en fonction desimpératifs économiques.

Les régulationstraditionnelles :

le terr itoire

Les différentes études réaliséesà l’échelle de l’Afrique centrale confir-ment que l’accès aux terrains dechasse est fortement revendiqué, enréférence à la coutume, par les collec-tivités villageoises, sur une base ter-ritoriale. Nous retiendrons commedéfinition du territoire celle de MarcelGodelier (1984) : « On désigne parterritoire une portion de la nature et,donc, de l’espace sur laquelle unesociété déterminée revendique etgarantit à tout ou partie de sesmembres des droits stables d’accès,de contrôle et d’usage portant surtout ou partie des ressources qui s’ytrouvent et qu’elle est désireuse etcapable d’exploiter. »

Elle exprime bien les troisdimensions classiques du territoire,énoncées par les géographes et lessociologues : l’espace, les institu-tions de gestion et les règles socio-économiques de gestion.

72 B O I S E T F O R Ê T S D E S T R O P I Q U E S , 2 0 0 5 , N ° 2 8 3 ( 1 )

FOCUS / COMMERCIAL HUNTING

Dépeçage d’un éléphant, en 1967, au Tchad. Cutting up an elephant, 1967, Chad.Photo Ctft.

Page 9: La chasse commerciale en Afrique centrale II. Une …Sitatunga Tragelaphus spekei 68 BOIS ET FORÊTS DES TROPIQUES, 2005, N 283 (1) FOCUS / COMMERCIAL HUNTING Vente à l’étal, en

La chasse est bien une activitéinscrite dans l’espace et cette dimen-sion intervient à plusieurs niveaux :▪ l’espace éthologique des animaux,qui est fonction de leur comporte-ment erratique, migrateur ou forte-ment territorial, de leur taille et de lasuperficie de leur domaine vital ; ▪ le terrain de chasse individuel et vil-lageois, qui nécessite un minimumd’aménagement de sentiers de pié-geage, de campements de chasse, desentiers d’approche des salines… ;▪ le finage villageois, qui peut êtreséparé en deux parties, la zone agricoleau sens large, avec les champs en pro-duction et les jachères plus ou moinsâgées, et la grande forêt non défrichée.

Dans l’espace agricole, toutes lesclasses d’âge, des enfants aux adultesâgés, se livrent au piégeage, en parti-culier pour la défense des cultures. Lesprélèvements concernent alors essen-tiellement les rongeurs (aulacodes etrats de Gambie) et les divers ravageursdes cultures, dont beaucoup de petitssinges. Le gibier est approprié par l’ex-ploitant de la plantation et il est destinéessentiellement à la consommationfamiliale. Par opposition, la forêt pro-fonde est fréquentée par les « grandschasseurs », généralement les adultesjeunes. Comme l’indique le tableau III,c’est cette zone qui assure l’essentielde la production cynégétique et la des-tination du gibier est très diversifiée. Enrègle générale, les zones de chasse ysont appropriées sur une base fami-liale, l’ouverture des sentiers de pié-geage et d’approche pour la chasse aufusil assurant à la personne qui a réa-lisé ces aménagements et à sa familleun droit d’antériorité. L’abandon de lazone, après un temps variable selon lapression anthropique et la densitéd’aménagement, entraînera souvent ladisparition de ce droit.

En Afrique centrale, la superficiede ces finages villageois varie entre2 500 et 60 000 ha ; par exemple, dansla région du Dja, au Cameroun, quisemble assez représentative, Delvingtet al. (2001) estiment, pour des villagesde 300 à 400 habitants, la surface desterroirs entre 17 000 et 54 000 ha.

L’étude des règles pratiquesd’accès à la ressource faune a étérécemment développée au Came-roun, en particulier par P. Auzel (inDelvingt, 2001) et par Takforyan(2001) en région forestière. Le pre-mier distingue ainsi trois degrés decontrôle, selon le type de chasse :▪ « l’accès libre (contrôle inexistant)pour la chasse au fusil (…),▪ l’accès contrôlé (avec droit d’exclu-sion) par des groupes élargis, liés pardes liens de parenté ou d’amitié, pourla chasse aux pièges (…) ;▪ l’accès contrôlé par un groupe res-treint (individu, famille, segment delignage) pour le piège barrière pankésitué dans les champs ».

A. Takforyan, dans une zoneplus isolée, où le négoce de la venai-son est moins important, n’identifiepas d’accès libre pour la chasse aufusil. On peut émettre l’hypothèseque cette situation d’accès libre estliée aux ambiguïtés de la législationactuelle et aux convoitises exté-rieures aux communautés qui appa-raissent avec la commercialisation dela venaison. Actuellement, les com-munautés, dans bien des cas, sontcapables de réagir et de conserver lecontrôle de l’accès à la faune. C’est cequi se passe au Gabon, en périphériede la réserve de Minkébé, où lespopulations laissent les chasseursallochtones ou étrangers (Équato-Guinéens) pénétrer en forêt, par lesroutes d’exploitation forestière, enprélevant officieusement un droitd’accès aux zones de chasse et enretenant une partie de la venaison(Projet Minkébé, 2000).

On voit se confirmer l’opposi-tion, dont les origines semblentanciennes, entre une chasse de proxi-mité sur le terroir agricole, de type« garden hunting », avec un accèsstrictement contrôlé par les règles dela tenure agricole, et une chasse enforêt profonde, où les zones dechasse sont réparties, à l’intérieur dela communauté, selon les règlesmoins contraignantes de la parentéélargie et de l’amitié.

Jeunes céphalophes en captivité, en Côte d’Ivoire. Young captive duikers, Côte d’Ivoire.Photo D. Louppe.

B O I S E T F O R Ê T S D E S T R O P I Q U E S , 2 0 0 5 , N ° 2 8 3 ( 1 ) 73CHASSE COMMERCIALE / LE POINT SUR…

Tableau III. Contribution de chaque espace du finage à l’activité cynégétique.

Espace agricole Espace forestierEffectif (%) Biomasse (%) Effectif (%) Biomasse (%)

Mvae de Campo* (Dounias, 1999) 4 2 96 98

Bertoua (Takforyan, 2001) 28 11 72 89

* Hors activité de piégeage des jeunes garçons.

Page 10: La chasse commerciale en Afrique centrale II. Une …Sitatunga Tragelaphus spekei 68 BOIS ET FORÊTS DES TROPIQUES, 2005, N 283 (1) FOCUS / COMMERCIAL HUNTING Vente à l’étal, en

Les régulations modernes :les impératifs économiques

Après la récolte, le chasseur vautiliser la venaison de plusieursfaçons (tableau IV) :▪ la nourriture, en forêt, et celle del’équipe (il s’agit très fréquemmentdes abats dont la durée de conserva-tion est réduite) ; ▪ la consommation familiale ;▪ les échanges sociaux dans le cadrede la réciprocité des services entreparents et amis ;▪ la vente locale et la vente vers l’ex-térieur.

La répartition des prélèvementsentre la consommation villageoise et lavente à l’extérieur dépend directementde la présence de circuits commerciauxorganisés et solvables. Si les marchéssont peu actifs ou inexistants, laconsommation familiale de venaison,dans les villages, peut atteindre desniveaux très importants ; Koppert etal. (1996) relèvent une ration entre 104et 151 g de viande de brousse par per-sonne et par jour (g/p/j) chez les Mvaé

et les Kola de la région de Campo,Delvingt et al. (2001) observent, enpériphérie de la réserve de faune duDja, des niveaux de consommationentre 75 et 164 g/p/j et Auzel (1997),dans les villages riverains de laSangha, au Nord-Congo, une ration de91 à 95 g/p/j.

Lorsque les possibilités denégoce augmentent, par exemple avecl’implantation d’une industrie fores-tière, une part très significative de lavenaison, atteignant fréquemment lesdeux tiers des prélèvements, est desti-née à la vente, alors que le volume dugibier prélevé s’accroît également(Auzel, 1997). Par contre, il est difficilede faire apparaître une règle généralemarquant des préférences dans lechoix des espèces commercialisées ouautoconsommées ; le mode de chasse(piégeage ou chasse au fusil), le profilsocial du chasseur et sa zone d’action(grand chasseur opérant en forêt pro-fonde ou piégeur dans la zone périvil-lageoise cultivée) et la taille des proiessont sans doute des paramètres plusimportants que les goûts des consom-mateurs villageois et citadins.

La répartition entre les diversesutilisations de la venaison semblefortement conditionnée par l’accèsplus ou moins facile aux échangescommerciaux. Il n’y aurait donc pasde différence de nature entre lachasse commerciale et la chasse desubsistance et ces deux types d’éco-nomie de la faune semblent plutôt sesituer sur un continuum qui dépendprincipalement de l’accès au marché,de l’abondance du gibier et des pos-sibilités de ressources alternatives.

Cette opposition entre unechasse de subsistance, capable d’uneautolimitation en fonction de l’état despopulations animales et qu’on pour-rait considérer comme durable, et unechasse commerciale, uniquement pré-occupée d’un profit immédiat et forcé-ment destructrice, est cependant l’hy-pothèse qui sous-tend une part deslégislations cynégétiques actuelles,quand elles autorisent la chasse pourl’autoconsommation, et, également,certaines propositions de refonte deslois sur la chasse interdisant le négocede la venaison.

74 B O I S E T F O R Ê T S D E S T R O P I Q U E S , 2 0 0 5 , N ° 2 8 3 ( 1 )

FOCUS / COMMERCIAL HUNTING

Tableau IV. Les utilisations de la venaison.

Localisation Source Consommation Autoconsommation Don Vente Vente Pertes Indéterminé Unité Situationen forêt (%) familiale (%) (%) locale (%) extérieure (%) (%) (%)

Rio Muni Fa et al. 7 16 68 9 Effectif Bien desservie (Guinée équatoriale) (2001) par route

Bertoua (Cameroun) Takforyan 61 5 13 9 5 7 Biomasse Isolée(2001)

Campo (Cameroun) Dounias 34 18 34 14 Biomasse Isolée(1999)

Toukoulaka Auzel et al. 95 5 Biomasse Très isolée(Nord-Congo) (2000)

Nganzicolo Auzel et al. 38 62 Biomasse Bien desservie (Nord-Congo) (2000) par le fleuve

Ndoki (Nord-Congo) Auzel et al. 63 37 Biomasse Camp forestier(2000)

Djapostem Auzel et al. 8 26 66 Biomasse Proche (Cameroun) (2000) exploitation

forestière

Mekas (Cameroun) Solly 37 43 20 Effectif Desserte (2000) moyenne

Page 11: La chasse commerciale en Afrique centrale II. Une …Sitatunga Tragelaphus spekei 68 BOIS ET FORÊTS DES TROPIQUES, 2005, N 283 (1) FOCUS / COMMERCIAL HUNTING Vente à l’étal, en

Dans la pratique, le chasseurcompare effectivement le rendementdu travail entre les différentes activitéspossibles dans l’environnement villa-geois ; en fonction des prix, il arbitreraentre les temps consacrés à la chasse,à la culture vivrière d’autoconsomma-tion ou aux productions de rente (cul-tures d’exportation ou approvisionne-ment des marchés urbains). Entrentégalement en compte les disponibili-tés financières et sociales de chaqueindividu, âge, statut matrimonial, sta-tut social (disponibilité en capitalfinancier ou en capital de productionagricole hérité dans le cas d’une plan-tation pérenne), et le temps de retourdes investissements nécessaires.

Si la chasse devient la principalesource de revenus du villageois, sonniveau de vie dépend directement duprix de vente, bord de route, de lavenaison. Cette valeur, comme nousl’avons expliqué dans l’article précé-dent, est conditionnée fortement parles lois du marché classique. En effet, lavenaison est en concurrence directe,sur les prix à la consommation, avec lesautres sources de protéines animales :viande d’élevage locale ou importée,poisson de mer ou d’eau douce. Si onaccepte l’hypothèse selon laquelle lavenaison fait partie des produits debase de la consommation populaire,

cela contribue à limiter son prix devente au consommateur et pousse lesintermédiaires à réduire le prix d’achataux chasseurs pour essayer de préser-ver leurs marges. Cet « effet de ciseau »limiterait les possibilités de surexploi-tation de la ressource faune, au moinspour les espèces de taille petite àmoyenne, présentant une forte disper-sion géographique et des taux de repro-duction suffisants (céphalophes, petitssinges, rongeurs…), car il contraint,dans ce cas de figure, le bénéfice duchasseur et les marges des intermé-diaires. Le coût d’opportunité de l’acti-vité cynégétique varie en fonction del’âge et du statut social et ethnique(Pygmées) du chasseur ; il a tendance àaugmenter avec la diversification éco-nomique liée au désenclavement, et lachasse perd son intérêt financier bienavant le seuil de disparition biologiquedes espèces communes, qui représen-tent l’essentiel des prélèvements. Celaexpliquerait le cycle observé en matièrede chasse commerciale : à une phasepionnière, hautement rentable, d’ou-verture au marché de nouveaux ter-rains, souvent liée à l’ouverture dechantiers forestiers, succède le main-tien, à long terme et sur de vastes terri-toires, de prélèvements commerciauxnon négligeables, mais à un niveau net-tement plus faible.

Quelquespropositions

opérationnelles

Le concept de territoire, définiplus haut, peut être une basesérieuse pour mettre en œuvre unegestion efficace de la faune sauvage,voire des autres ressources natu-relles renouvelables. Cela suppose deconsidérer plusieurs dimensionspropres à ce concept : ▪ Le niveau pertinent de collectivitélocale à impliquer ; c’est un choixpolitique qui doit prendre en compte,sur une grande échelle, la stabilitésociale et géographique des collecti-vités ainsi que leurs capacités effec-tives de gestion de la ressource. ▪ Les règles sociales et techniquesd’accès à la ressource ; dans ce cadre,il importe de réhabiliter (éventuelle-ment de créer) les institutions de ges-tion de la faune, à l’échelle tant duvillage que du lignage, et de définirles règles de reconnaissance desayants droit, à la fois pour les per-sonnes originaires du village etl’ayant quitté (règles de parenté et desoutien réciproque) et pour d’éven-tuels nouveaux arrivants (règlesd’amitié). On peut très bien envisagerque ces normes sociales diffèrent enfonction des coutumes, mais il estnécessaire qu’elles soient claires etdurables. Sur le plan technique, unénorme travail de recherche-actionreste donc à accomplir, afin de fourniraux collectivités des outils adaptés àleurs besoins et à leurs capacités degestion (encadré 3).▪ Les frontières entre les différentsterritoires, en cherchant essentielle-ment à limiter les zones en accèslibre. Lorsque les densités de popula-tion et les impacts économiques sontfaibles, la frontière ne doit pas êtrevue comme une ligne parfaitementdéfinie, mais plutôt comme unemarche, au sens féodal du terme, unezone de flou entre deux territoires. Àmesure que les intérêts économiquesaugmentent, la délimitation du terri-toire doit être de plus en plus précise.

Dépeçage d’un éléphant, sur un secteur de chasse au Cameroun. Cutting up an elephant in a hunting zone in Cameroon.Photo R. Peltier.

B O I S E T F O R Ê T S D E S T R O P I Q U E S , 2 0 0 5 , N ° 2 8 3 ( 1 ) 75CHASSE COMMERCIALE / LE POINT SUR…

Page 12: La chasse commerciale en Afrique centrale II. Une …Sitatunga Tragelaphus spekei 68 BOIS ET FORÊTS DES TROPIQUES, 2005, N 283 (1) FOCUS / COMMERCIAL HUNTING Vente à l’étal, en

La notion de territoire présente,cependant, des limites à la fois sur leplan biologique et sur le plan humain.

Sur un plan purement biolo-gique, le gibier, par rapport aux pro-duits forestiers non ligneux d’originevégétale, a la capacité à se déplacer.Dans une perspective éthologique, ilconvient donc de séparer les animauxfortement territoriaux (céphalophes,chimpanzés, hippopotames…) de cer-taines espèces migratrices (oiseaux…),erratiques ou dont l’aire de parcoursest très supérieure à la superficie desterroirs villageois (éléphants…). Cesdernières espèces peuvent être consi-dérées, sous le rapport de la gestionde la faune, comme des animaux a-ter-ritoriaux et la gestion des migrateurs(oiseaux comme mammifères) et desgrands animaux erratiques ne peut seconcevoir uniquement à l’échelle desterroirs villageois ; une autorité supé-rieure, nationale, voire internationale,doit également être partie prenante.

Sur le plan humain, des acteursessentiels présentent des liens trèsdistendus par rapport à l’espace.

Le développement de l’économiemonétaire fait apparaître, en forêt, desacteurs relevant soit de l’économie for-melle, soit du secteur informel. Il s’agit,d’une part, des salariés des industriesforestières ou minières et, d’autre part,des artisans miniers, orpailleurs oudiamineurs, recherchant, de façonlicite ou non, l’or ou le diamant sur lesplacers alluviaux des régions produc-trices. Ce sont ces populations qui ontété qualifiées dans un article précé-dent de « rurbaines ». En raisonnant àmoyen terme, ces acteurs modernes,salariés ou du secteur informel, se rat-tachent rapidement à une logique demarché urbain.

Certaines populations tradition-nelles, comme les Pygmées, conti-nuent à considérer les ressourcesnaturelles comme inépuisables et sedéplacent sur des superficies de

l’ordre de plusieurs dizaines de mil-liers de km2, avec une utilisation trèsflexible de l’espace et, en particulier,de sa richesse en faune (Guillaume,2001). Les Pygmées sont cependantdes partenaires importants de lafilière de commercialisation de venai-son, soit en contact direct avec lescommerçant(e)s, soit par l’intermé-diaire des villageois. Leurs relationsavec l’économie monétarisée évo-luent très rapidement avec le désen-clavement des régions forestières.L’accès au marché, par le commercede la viande de chasse, et au salariat,en particulier dans les exploitationsforestières, leur permet de limiterleur dépendance vis-à-vis des villa-geois, mais cette évolution peut avoirun coût social très fort (prolétarisa-tion, alcoolisme…).

Un autre exemple est présentépar les Peuls Mbororo, qui, actuelle-ment, pénètrent largement dans lafrange nord de la forêt ; ils sont struc-turés socialement en vue de la gestiondu troupeau, qui représente leur véri-table ressource économique. Le pâtu-rage et, donc, le foncier ne sont pasl’objet d’une appropriation, car, sousles climats pluvieux de l’Afrique cen-trale, l’herbe et l’eau sont abondantesen toute saison et ne sont qu’excep-tionnellement des facteurs limitants.Les mises à feu pour le pâturage sontgérées sur une base annuelle et, àmoyen terme, les déplacements descampements sont de nature erratique,sur des distances importantes. Endehors du contrôle des grands félins,qui abattent le bétail, l’action desMbororo sur la faune sauvage et surles produits de cueillette est très peudocumentée. Si un usufruit est légale-ment reconnu aux communautéslocales et si l’ensemble des produitsforestiers non ligneux (Pfnl) devientune véritable ressource financière, lenomadisme erratique des pasteurs,qui entraîne souvent des relationsconflictuelles avec les agriculteurssédentaires à cause des dégâts dubétail sur les cultures, peut fairecraindre l’apparition de nouveauxconflits pour l’accès à ces différentsproduits, dont la venaison.

Encadré 3. Ébauche d’un programme de recherche.

Un programme de travail sur la venaison peut être orienté dans deux directionsprincipales :▪ L’étude de la dynamique des espèces chassées (céphalophes, petits singeset rongeurs), à partir des classes d’âge prélevées et de l’état reproductif desindividus abattus (allaitement, nombre de corps jaunes….) et de l’impact réeldes différents modes de prélèvement sur ces populations. Ces études sur labiologie et l’écologie des principales populations animales chassées devrontpermettre de proposer, à l’aide d’indicateurs simples et utilisables par lesorganisations de chasseurs, une gestion sur une base indicielle, plutôt qued’illusoires quotas de prélèvement. Elles pourront également servir de basepour l’organisation des terroirs de chasse et l’éventuelle réduction d’accès auxzones de chasse dans le temps (périodes de chasse) et dans l’espace (réservesde chasse plus ou moins grandes).▪ L’analyse des dynamiques sociales qui se développent actuellement dans lafilière. En identifier les acteurs, mieux connaître leurs profils sociologiques,bien cerner les principaux enjeux financiers et la formation des marges bénéfi-ciaires sont des étapes importantes dans cette étude. Parmi les objectifs prin-cipaux, il faut souligner également les besoins actuels en matière d’évaluationde l’impact des nouvelles zoonoses, dont la médiatique fièvre Ebola, maisaussi les nécessités de contrôle de la qualité des viandes. Cela ne peut semettre concrètement en place qu’avec la collaboration de tous les acteurs, ilimporte donc de bien les connaître.

76 B O I S E T F O R Ê T S D E S T R O P I Q U E S , 2 0 0 5 , N ° 2 8 3 ( 1 )

FOCUS / COMMERCIAL HUNTING

Page 13: La chasse commerciale en Afrique centrale II. Une …Sitatunga Tragelaphus spekei 68 BOIS ET FORÊTS DES TROPIQUES, 2005, N 283 (1) FOCUS / COMMERCIAL HUNTING Vente à l’étal, en

Les acteurs a-territoriauxmodernes, évoqués plus haut, peu-vent donc être inclus dans l’approcheterritoriale, comme un type particu-lier de consommateurs, plutôt quecomme des ayants droit directs sur laressource. Le cas des sociétésnomades ou erratiques est plus déli-cat et nécessite une approche anthro-pologique de chaque cas particulier,pour définir des règles de partage dela ressource, acceptables par tous.

Les régulations sociales et éco-nomiques, qui opèrent dans le cadrede l’économie informelle et de lasociété traditionnelle, par le biais duterritoire, semblent suffisammentpuissantes pour permettre un fonc-tionnement harmonieux de la filière.Elles écartent toute situation d’accèstrop privilégié au marché, limitent lesmarges des différents acteurs et favo-risent l’intégration de groupessociaux plutôt défavorisés. Ceconcept de territoire, manié avec sou-plesse et en recentrant les interven-tions de l’État sur les besoins fonda-mentaux de médiation et decoordination, peut permettre d’abor-der l’ensemble des enjeux liés à lafaune ; ils vont du besoin des popula-tions, surtout les plus défavorisées,de disposer d’une source de pro-téines abordable, et de qualité, à lanécessité de conserver le bien publicmondial que représente la biodiver-sité tropicale et à la volonté de déve-lopper un tourisme cynégétiqueindispensable à l’équilibre de labalance des paiements.

Conclusion

La venaison et son commerce, liéau phénomène d’urbanisation accélé-rée de l’Afrique, ont un impact écono-mique et social important. Cette res-source assure, en Afrique centrale,près de 40 % des apports en pro-téines des populations urbaines, à unprix capable de concurrencer lesimportations de viande subvention-née. Elle contribue également à main-tenir dans le circuit économique despopulations rurales (jeunes céliba-

taires, Pygmées) et urbaines (com-merçantes), fragilisées par la criseéconomique actuelle. Les espècescommunes formant le fond de chasse(céphalophes, suidés et petits singes)semblent encore assez abondantespour entreprendre une réelle gestiondes populations et des prélèvements ;leurs caractéristiques biologiques lesdotent d’un temps de réponse auxefforts de gestion suffisammentrapide pour que les communautés vil-lageoises puissent s’approprier cestechniques.

Le concept de territoire, appli-qué à la chasse dans le cadre d’uneutilisation extensive de l’espace, peutpermettre d’ébaucher une véritablegestion des ressources naturellesrenouvelables, en remplacement descomportements anarchiques, liés à lasituation d’accès libre de fait, décou-lant de la législation actuelle. EnAfrique centrale, l’échelle pertinentede territorialisation, pour la gestionde la faune commune, semble être levillage et ses structures sociales. Ilfaut, pour cela, déterminer les limites

Boucanage de céphalophes bleus (Congo). Smoking blue duikers (Congo).Photo C. Doumenge.

B O I S E T F O R Ê T S D E S T R O P I Q U E S , 2 0 0 5 , N ° 2 8 3 ( 1 ) 77CHASSE COMMERCIALE / LE POINT SUR…

Page 14: La chasse commerciale en Afrique centrale II. Une …Sitatunga Tragelaphus spekei 68 BOIS ET FORÊTS DES TROPIQUES, 2005, N 283 (1) FOCUS / COMMERCIAL HUNTING Vente à l’étal, en

de chaque finage, fixer les règlesd’accès techniques et sociales à laressource et conforter les institutionsde gestion. L’organisation de lachasse commerciale pourrait alorsêtre un modèle intéressant pour lagestion collective des autres res-sources naturelles renouvelables, dubois aux différents produits forestiersnon ligneux.

Les menaces sur la biodiversitédoivent être analysées à une échellegéographique et à un pas de tempssuffisants, en tenant compte de lapression démographique très faible àl’échelle régionale, qui limite l’an-thropisation des milieux naturels. Ledéveloppement des industries fores-tières, dans des régions isolées, s’ac-compagne fréquemment d’un « frontpionnier » cynégétique, avec des pré-lèvements importants et très ren-tables sur une faune abondante etpeu craintive. Le phénomène est decourte durée et l’exploitation de lafaune commune revient à un niveauplus faible, mais beaucoup plusdurable. Des filières économiquesstructurées, associant tous lesacteurs, du chasseur villageois à lacommerçante citadine, se mettentrapidement en place pour ravitaillerles « villes en forêt » que sont lescités ouvrières des scieries ou desmines, au même titre que les autresconcentrations urbaines. Par contre,les forts prélèvements initiaux sur lesespèces de grande taille, à faible tauxde reproduction, comme les grandsprimates, peuvent être particulière-ment problématiques. Cependant,l’interdiction de la chasse commer-ciale ne semble pas la solution à ceproblème ; celle-ci doit plutôt êtrerecherchée dans la formation deschasseurs et leur organisation selonle modèle territorial villageois.

Référencesbibliographiques

AUZEL P., 1997. Exploitation du milieuet émergence de nouvelles maladiesvirales : le cas de la faune sauvagedans les forêts d’Afrique centrale.Dea, université d’Orléans, France,209 p.

AUZEL P., WILKIE D. S., 2000. Wildlifeuse in Northern Congo : hunting in acommercial concession. In : Huntingfor sustainability in tropical forests.Robinson J. G., Bennett E. L. (éd.).New York, États-Unis, Columbia Uni-versity Press, p. 413-426.

BAHUCHET S., IOVEVA K., 1999. De laforêt au marché : le commerce degibier au Sud-Cameroun. In :L’homme et la forêt tropicale. Bahu-chet S. et al. (éd.). Châteauneuf-de-Grasse, France, Éditions de Bergier,p. 533-558.

CASPARY H. U., 1999. Utilisation de lafaune sauvage en Côte d’Ivoire etAfrique de l’Ouest. Potentiels etcontraintes pour la coopération audéveloppement. Eschborn, Alle-magne, Gtz, 184 p.

DELVINGT W. (éd.), 2001. La forêt deshommes. Terroirs villageois en forêttropicale africaine. Gembloux, Bel-gique, Les presses agronomiques deGembloux, 286 p.

DOUNIAS E., 1999. Le câble pris aupiège de la conservation. Technologiedu piégeage et production cynégé-tique chez les Mvae du Sud-Came-roun forestier. In : L’homme et la forêttropicale. Bahuchet S. et al. (éd.).Châteauneuf-de-Grasse, France, Édi-tions de Bergier, p. 281-300.

FA J. E., JUSTE J., PEREZ DEL VAL J.,CASTROVIEJO J., 1995. Impact of mar-ket hunting on mammal species inEquatorial Guinea. Conservation Biol-ogy, 9 (5) : 1107-1115.

FA J. E., PURVIS A., 1997. Body size,diet and population density inAfrotropical forest mammals : a com-parison with neotropical species.Journal of Animal Ecology, 66 : 98-112.

FA J. E., GARCIA YUSTE J. E., CASTELOR., 2000. Bushmeat markets on Biokoisland as a measure of hunting pres-sure. Conservation Biology, 14 (6) :1602-1613.

FA J. E., GARCIA YUSTE J. E., 2001.Commercial bushmeat hunting in theMonte Mitra forest, EquatorialGuinea : extent and impact. AnimalBiodiversity and Conservation, 24(1) : 31-52.

78 B O I S E T F O R Ê T S D E S T R O P I Q U E S , 2 0 0 5 , N ° 2 8 3 ( 1 )

FOCUS / COMMERCIAL HUNTING

Vente à l’étal, en bordure de route,République démocratique du Congo(Cercopithecus hamlyni). Roadside stall, Democratic Republic of theCongo (Cercopithecus hamlyni).Photo C. Doumenge.

Page 15: La chasse commerciale en Afrique centrale II. Une …Sitatunga Tragelaphus spekei 68 BOIS ET FORÊTS DES TROPIQUES, 2005, N 283 (1) FOCUS / COMMERCIAL HUNTING Vente à l’étal, en

FARGEOT C., 2004. La chasse com-merciale en Afrique centrale. I. Lavenaison ou le négoce d’un produitvivrier. Bois et Forêts des Tropiques,282 : 27-40.

FARGEOT C., DIÉVAL S., 2000. Laconsommation de gibier à Bangui,quelques données économiques etbiologiques. Canopée, 18 : 5-7.

FIMBEL C., CURRAN B., USONGO L.,2000. Enhancing the sustainability ofduiker hunting through communityparticipation and controlled access inthe Lobéké région of SoutheasternCameroon. In : Hunting for sustain-ability in tropical forests. Robinson J.G., Bennett E. L. (éd.). New York,États-Unis, Columbia UniversityPress, p. 356-374.

FRONTIER S., PICHOD-VIALE D., 1995.Écosystèmes. Structure, fonctionne-ment, évolution. Paris, France, Mas-son, 447 p.

GODELIER M., 1984. L’idéel et lematériel. Paris, France, Fayard, 348 p.

GUILLAUME H., 2001. Du miel aucafé, de l’ivoire à l’acajou. Louvain,Belgique, Peeters, 784 p.

JUSTE J., FA E. J., PEREZ DEL VAL J.,CASTROVIEJO J., 1995. Market dynam-ics of bushmeat species in EquatorialGuinea. Journal of Applied Ecology,32 : 454-467.

KOFIMAYA S., LUBALA B., NZARABAN-DORA M., VON RICHTER W., 1988.Enquête sur la vente de la viande dechasse dans la ville de Bukavu.Bukavu, République démocratiquedu Congo, Izcn/Gtz, 20 p.

KOPPERT G., DOUNIAS E., FROMENTA., PASQUET P., 1996. Consommationalimentaire dans trois populationsforestières de la région côtière duCameroun : Yassa, Mvae et Bakola. In :L’alimentation en forêt tropicale. Inter-actions bioculturelles et perspectivesde développement. Hladik A. (éd.).Paris, France, Unesco, p. 477-496.

LAHM S. A., 1996. Utilisation des res-sources forestières et variationslocales de la densité de gibier dans laforêt du Nord-Est du Gabon. In : L’ali-mentation en forêt tropicale. Interac-tions bioculturelles et perspectivesde développement. Hladik A. (éd.).Paris, France, Unesco, p. 383-400.

MANKOTO M., DUDU A., COLYN M.,1987. Données sur l’exploitation dupetit et moyen gibier des forêtsombrophiles du Zaïre. In : Sympo-sium international « Gestion de lafaune en Afrique subsaharienne »,Harare, Zimbabwe. Paris, France,Unesco, p. 109-146.

NOSS A. J., 1998. The impacts of cablesnare hunting on wildlife populationsin the forests of the Central AfricanRepublic. Conservation Biology, 12(2) : 390-398.

PROJET MINKÉBÉ, 2000. Le commercede gibier en périphérie de la réservede Minkébé. Canopée, 18 : 11.

PUIT M., 2003. Étude de la commer-cialisation de la viande de broussedans la région continentale Rio Muni,Guinée équatoriale. Liège, Belgique,Institut vétérinaire tropical, universitéde Liège, 38 p.

SOLLY H., 2000. The local view of out-side intervention. Bulu case study. In :Rapport final. Projet Apft. Bruxelles,Belgique, Commission européenne,p. 85-95.

STEEL E. A., 1994. Étude sur le volumeet la valeur du commerce de la viandede brousse au Gabon. Libreville,Gabon, ministère des Eaux et Forêtset de l’Environnement, Wwf, 84 p.

TAKFORYAN A., 2001. Chasse villa-geoise et gestion locale de la faunesauvage en Afrique. Une étude de casdans une forêt de l’Est-Cameroun.Paris, France, Ehess, 623 p.

THIBAULT M., BLANEY S., 2003. The oilindustry as an underlying factor in thebushmeat crisis in Central Africa. Con-servation Biology, 17 (6) : 1807-1813.

B O I S E T F O R Ê T S D E S T R O P I Q U E S , 2 0 0 5 , N ° 2 8 3 ( 1 ) 79CHASSE COMMERCIALE / LE POINT SUR…

Le fumoir, dans un campement de chasseurs, au Congo. Smokehouse in a hunters’ camp, Congo.Photo C. Doumenge.

Page 16: La chasse commerciale en Afrique centrale II. Une …Sitatunga Tragelaphus spekei 68 BOIS ET FORÊTS DES TROPIQUES, 2005, N 283 (1) FOCUS / COMMERCIAL HUNTING Vente à l’étal, en

Synopsis

COMMERCIAL HUNTING IN CENTRAL AFRICAII. A PROFITABLETERRITORIAL ACTIVITY

Christian FARGEOT

Following his article ontrade circuits for bushmeat, theauthor describes the ecological, tech-nical, sociological and organisationalaspects of commercial hunting. Theissue addressed is the legalisation ofhunting, its recognition and how toensure its long-term sustainability.

Game and hunting methods In Central Africa, the artiodactyls sup-ply the majority of bushmeat, in termsof both biomass and numbers.Second in rank are the primates.Those most intensively hunted, interms of numbers and biomass, aresmall forest monkeys of the cercoce-bus and cercopithecus families. Largeanthropoid apes (Gorilla gorilla andPan troglodytes, the chimpanzees)account for 1 to 5 % of biomassextracted by hunting. Rodents comein third place and, depending onregions, account for 1 to 45 % of allcaptures, or 0.2 - 26 % of bushmeatextracted, in terms of weight. In the case of the large apes (gorillasand chimpanzees) and elephants,which have low breeding rates, theimpact of hunting can be a matter ofserious concern, even if hunting pres-sure is low. The most frequentlyhunted species (duikers, small mon-keys and rodents) seem to adapt tothe pressure on their populations.The two most common hunting meth-ods are trapping and shooting. Legtraps and snares are used to captureungulates in deep forest areas orrodents in farmlands. Shooting takesplace in the daytime to kill large gameor approaching monkeys or duikers,and at night, by lamplight, mainly tokill ungulates.

Hunters and regulations In Central Africa, hunting is essen-tially a male preserve. Forest huntersare typically young. Commercial hunt-ing, which requires little outlay, oftencorresponds to two specific sociologi-cal profiles: generally poor andunmarried “younger brothers”, and“returnees”, or young men who havefailed to find in living in town andhave returned to their villages. Onfarmlands, however, everybody willtrap game, especially to protect cropsand feed the family.Hunting on family farmlands, whereaccess is strictly regulated by farmtenure rules, is quite different to for-est hunting, where hunting zones aredistributed within a communityaccording to less restrictive rulesbased on ties of kinship or friendship.

Uses of bushmeatAfter capture, bushmeat is used forvarious purposes:▪ To feed hunters and their teams

while out in the forest;▪ To feed their families;▪ At village gatherings, as part of a

mutual sharing system;▪ To sell on local markets;▪ To sell outside the local area.The relative proportions of these dif-ferent uses seem to be highlydependent on access to markets, onthe abundance of game and on theavailability of alternative resources.In practice, hunters compare financialreturns from their working time spenton different possible activities in thevillage environment. This appears tobe a way for hunters to regulate theirown hunting pressure and thereforereduces the likelihood of over-exploitation of fauna resources, atleast for the small to medium-sizedspecies.

Fauna managementTo be effective, a fauna managementpolicy may be based on the conceptof territory provided that the relevantlevel of community authority to beinvolved is clearly defined, as well associal rules, techniques for accessingthe resources and spatial boundariesbetween communities.Social and economic forms of regula-tion, which operate within the contextof the informal economy and tradi-tional society, through the concept ofterritory, seem to be robust enough tocontrol hunting pressure. They pre-vent situations involving over-prefer-ential access to the market, limit mar-gins among the various parties andencourage the integration of the moredeprived social groups.The common species making up thebulk of the hunt are still abundantenough to allow for true game man-agement, based on village territories.However, large species with low ratesof reproduction (elephants and largeprimates in particular) need action ata higher level, as managing them sus-tainably requires direct involvementfrom the State. Rather than by impos-ing unrealistic bans on commercialhunting, sustainable fauna manage-ment should be sought by providingtraining for hunters, organising theiractivities in accordance with the vil-lage model of territorial manage-ment, and involving them in nationalpolicies for flagship species.

80 B O I S E T F O R Ê T S D E S T R O P I Q U E S , 2 0 0 5 , N ° 2 8 3 ( 1 )

FOCUS / COMMERCIAL HUNTING