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RAPPORT FINAL ET ÉTUDES DE CAS DE L’ATELIER SUR LA DESTRUCTION ET LA RECONSTRUCTION DE L’ÉDUCATION DANS LES SOCIÉTÉS PERTURBÉES 15–16 MAI 1997, GENÈVE, SUISSE ORGANISÉ CONJOINTEMENT PAR LE BUREAU INTERNATIONAL D’ÉDUCATION ET L’UNIVERSITÉ DE GENÈVE Édité par Sobhi Tawil (UNESCO) BUREAU INTERNATIONAL D’ÉDUCATION

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RAPPORT FINAL ET ÉTUDES DE CAS

DE L’ATELIER SUR

LA DESTRUCTION ET

LA RECONSTRUCTION DE

L’ÉDUCATION DANS

LES SOCIÉTÉS PERTURBÉES 15–16 MAI 1997, GENÈVE, SUISSE

ORGANISÉ CONJOINTEMENT PAR LE

BUREAU INTERNATIONAL D’ÉDUCATION

ET L’UNIVERSITÉ DE GENÈVE

Édité par Sobhi Tawil

(UNESCO)

BUREAU INTERNATIONAL D’ÉDUCATION

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Sommaire

I. Introduction, par Sobhi Tawil, page 3

II. Rapport final de la réunion, Genève, 15–16 mai 1997, par Sobhi Tawil, page 7

III. Réflexions sur la Sierra Leone : une étude de cas, par Cream Wright, page 18

IV. Colombie : pays et écoles en conflit, par Elsa Castañeda Bernal, page 33

V. Destruction et reconstruction de l’éducation au Cambodge, par Pich Sophoan, page 44

VI. Perturbation et relèvement de l’éducation en Palestine, par Saïd Assaf, page 51

Annexe : Liste des participants, page 63 © 1998. Bureau international d’éducation, B.P. 199, 1211 Genève 20, Suisse

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CHAPITRE I

Introduction

Sobhi Tawil

Institut universitaire d’études du développement, Université de Genève

ANTÉCÉDENTS Depuis la Conférence mondiale sur l’Éducation pour tous (Jomtien, 1990), l’éducation dans les situations de conflit et de crise s’est présentée comme un nouveau défi que la communauté internationale doit relever. En effet, l’optimisme initial d’un monde sorti de la guerre froide et fondé sur la paix s’est évanoui face à la reconnaissance de la progression des antagonismes sociaux, politiques et ethniques. D’aucuns s’accordent à reconnaître que l’éducation et la formation font partie intégrante des réponses d’aide qu’offre la communauté internationale aux situations critiques engendrées par ces conflits. L’urgence actuelle ne consiste pas seulement à apporter des réponses éducatives rapides aux conséquences des situations d’urgence complexes, mais également à aborder le rôle de l’éducation dans les causes premières du conflit. Les processus de réhabilitation et de reconstruction sont donc maintenant perçus comme des ouvertures permettant de repenser l’organisation de l’éducation en vue d’encourager la stabilité et de promouvoir la paix.

Après la Réunion de consultation des différents organismes sur l’Éducation pour l’aide humanitaire et les réfugiés organisée par le BIE (9-11 mai 1996) largement consacrée à l’intervention après la crise, la réunion d’Amman sur l’Éducation pour tous au milieu de la décennie a consacré une de ses séances de dialogue ouvert à l’Éducation de base dans les situations de crise (16-19 juin 1996). L’Affirmation d’Amman envisageait ces sujets et identifiait l’éducation en situations de conflit comme un défi naissant dans les termes suivants : Étant donné l’escalade de la violence émanant des tensions ethniques croissantes et d’autres sources de conflit, nous devons répondre en assurant que l’éducation renforce le respect mutuel, la cohésion sociale et le pouvoir démocratique. Nous devons apprendre à utiliser l’éducation pour prévenir les conflits et, lorsque les crises se présentent, à assurer que l’éducation se trouve parmi les premières réponses, contribuant de la sorte à l’espoir, à la stabilité et à panser les plaies du conflit.

EXPOSÉ ET OBJECTIFS L’atelier a réuni des chercheurs, des fonctionnaires de l’éducation nationale et des représentants des organismes bailleurs de fonds pour tenter d’aborder ces questions dans une approche à la fois rétrospective et prospective. Le travail du groupe s’est concentré sur quatre études de cas choisis de manière à représenter des situations de crise de natures totalement différentes de plusieurs régions du Sud (Cambodge, Colombie, Palestine et Sierra Leone). Les objectifs généraux de l’atelier étaient de : 1. Replacer les problèmes éducatifs actuels se rapportant aux situations de conflit et de

crise dans une optique socio-historique. 2. Identifier les différents types des situations de conflit (causes, nature du conflit, durée,

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résolution...) et le rôle de l’éducation au cours des phases antérieure, simultanée et postérieure à ces conflits (cause, prévention, état de préparation, mécanismes d’entraide, assistance, réhabilitation, reconstruction).

3. Échanger les opinions entre les chercheurs nationaux, les représentants gouvernementaux et les représentants des organismes publics et privés d’aide au développement sur leurs analyses respectives du rôle de l’éducation et de la formation dans les situations de crise et sur l’opportunité des stratégies d’intervention actuelles.

CADRE POUR LA DISCUSSION

La fin de la guerre froide n’a pas amené une ère de paix et de coopération internationale comme on s’y attendait. Succédant à la guerre froide, l’optimisme et l’espoir d’une nouvelle ère dénuée de conflit et fondée sur la coopération mondiale ont fait place à la reconnaissance d’un monde plus antagoniste et fragmenté. En effet, une recrudescence des conflits et des guerres civiles a été observée dès le début de cette nouvelle ère, exacerbant les différences politiques, sociales et culturelles existantes. Rien qu’en Afrique, les deux tiers des cinquante-deux pays du continent ont été impliqués dans des conflits civils en 1993 (Ottone, 1996 : 233).

En outre, de nombreux critiques ont souligné l’incapacité de la communauté internationale de prévenir ces conflits et d’y répondre convenablement. Les réponses internationales conventionnelles se sont concentrées sur la résolution du conflit et sur le secours porté aux situations d’urgence et moins sur l’attention accordée à l’aide pour la réhabilitation. Les questions relatives à la reconstruction de l’éducation n’ont reçu que très peu d’attention. Une étude récente de sources choisies sur les sociétés déchirées par la guerre (UNRISD, 1995) montre clairement que les conséquences de la guerre sur l’organisation de l’éducation et de la formation ne constituent pas le principal centre d’intérêt des décideurs et des chercheurs. Ce manque d’intérêt manifeste est inquiétant étant donné l’importance attribuée à l’éducation dans le processus du développement national, ainsi que le rôle central que joue l’État dans le secteur de l’éducation.

L’attention minime accordée à l’éducation dans les États perturbés a eu tendance à se concentrer sur le rétablissement du processus normatif dans le contexte de la reconstruction. Il n’a été accordé qu’une attention très minime à un nouvel examen critique du rôle de l’éducation dans les différentes phases du développement des conflits politiques, sociaux et ethniques. Il serait important d’envisager l’éducation comme une scène pour les conflits et d’explorer le rôle de l’éducation dans le fait qu’elle reflète les facteurs qui précipitent la désintégration sociale et qu’elle y contribue, l’impact des conflits armés sur l’éducation ainsi que la manière dont l’organisation de l’éducation peut contribuer au processus de reconstruction nationale.

AVANT LE CONFLIT

Le rôle de l’éducation en tant que catalyseur de conflit ? L’éducation peut servir à la fois d’instrument d’émancipation en accroissant les chances disponibles des individus et des groupes, et d’outil de domination idéologique et de répression politique. Dans quelle mesure les choix de la politique d’éducation et la nature des systèmes de gestion expliquent-il ou reflètent-ils le climat de tension politique précédant le conflit ? Comme les causes du conflit sont souvent partiellement attribuées à un développement économique dénaturé, caractérisé par une pauvreté générale et des inégalités dans la distribution de la richesse, de quelle manière l’éducation contribue-t-elle au processus de

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désintégration sociale qui peut déboucher sur le déclenchement d’un conflit armé ? Étant donné l’étendue des conflits ethniques, que pouvons-nous apprendre de la

capacité des systèmes éducatifs de contribuer à la construction d’une identité nationale forte dans des États multi-ethniques ? Contribution de l’éducation à la prévention des conflits Le système éducatif peut-il fournir un signal d’alarme précoce quant au processus de désintégration de la société civile et à l’apparition de conflits ? Si c’est le cas, comment le rôle d’évaluation et de contrôle peut-il être défini ?

Existe-t-il des exemples de programmes d’intervention éducative qui soient instruments de paix et de tolérance accrue ? Le système éducatif peut-il être un espace efficace de la gestion des conflits ? L’éducation prépare-t-elle à faire face aux conflits ?

PENDANT LE CONFLIT L’éducation en tant que scène pour les conflits Quel impact ont les différents types de conflits sur l’organisation de l’éducation (par exemple, la destruction des infrastructures physiques, le massacre d’enseignants ou le déplacement (fuite des cerveaux), la rupture des systèmes centraux de gestion, le recrutement d’étudiants comme combattants) ?

Quelles leçons peuvent être tirées de l’ampleur et de la nature de la destruction de l’éducation (par exemple, les stratégies visant à perturber le processus éducatif et/ou à détruire le modèle d’éducation et ses produits) ? Stratégies d’entraide éducative et mécanismes de résistance Quelles sont les stratégies locales d’entraide pendant des périodes de conflit prolongé ou les mécanismes de résistance des communautés sous l’occupation ? Dans quelle mesure l’assistance externe peut-elle renforcer les mécanismes d’entraide et les institutions locales en vue de promouvoir un modèle durable de développement ?

APRÈS LE CONFLIT

Le processus de reconstruction dans les États perturbés requiert un contexte de sûreté et de sécurité. La nature même de la cessation du conflit armé ou de la paix obtenue est un élément crucial à l’heure du choix de la politique stratégique pour le processus de reconstruction. Une fois que les structures de sécurité sont en place, la reconstruction politique, sociale et économique doit non seulement aborder les besoins immédiats créés par l’impact du conflit armé, mais aussi envisager la manière dont la société a été (ou doit être) transformée après le conflit par rapport au modèle d’avant-guerre. Aide à l’éducation dans les cas d’urgence Les mesures d’aide à l’éducation conçues pour répondre aux cas d’urgence immédiats (par exemple, les programmes conçus pour réduire les traumatismes psychologiques des enfants soldats, des enfants de la rue, des orphelins et des enfants déplacés, les programmes d’éducation des réfugiés, les programmes de sensibilisation au problème des mines anti-personnelles) font partie intégrante du processus de réhabilitation. Jusqu’à quel point ces

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mesures comptent-elles sur une aide externe et comment contribuent-elles à trouver des solutions à long terme ? Reconstruction politique Passer d’une aide de secours et d’urgence à un développement durable exige des structures politiques légitimes sur lesquelles la reconstruction de la capacité éducative (systèmes de gestion) peut se fonder. Quel rôle doit (doivent) jouer le(s) nouveau(x) régime(s) politique(s) dans le financement et la gestion de l’éducation et de la formation ? Y a-t-il des leçons à tirer de ce qui n’a pas fonctionné dans le passé ? Éducation et réconciliation sociale Quel rôle peut jouer l’éducation dans le processus de réconciliation sociale dont la reconstruction sociale dépend si intimement ? Quelles questions relatives aux objectifs, au contenu, aux méthodes et à la gestion de l’éducation doivent être abordées ? Il est nécessaire de redéfinir le curriculum et les réseaux d’enseignement comme faisant partie intégrante du processus de transformation par rapport au modèle d’avant-guerre de la société. Reconstruction économique La reconstruction de la capacité de production d’un pays (DRH) exige une planification cohérente permettant de faire face tant aux nécessités de formation immédiate (par exemple la réinsertion des anciens soldats, de courtes formations professionnelles pour les segments vulnérables de la population) qu’aux demandes d’éducation à long terme. La formation et le développement des ressources humaines doivent-ils avoir la priorité sur l’éducation de base ? Comment (re)définir les choix stratégiques dans l’investissement éducatif à la lumière des leçons qui peuvent avoir été tirées du passé ?

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CHAPITRE II

Rapport final de la réunion Genève, 15–16 mai 1997

Sobhi Tawil

Institut universitaire d’études du développement, Université de Genève

INTRODUCTION

Le rôle de l’éducation, et plus particulièrement celui de la scolarité, dans les situations de conflit est ambivalent. Elle peut porter en son sein l’éruption de la violence et de conflits, l’aide pour affronter les crises et pour se rétablir par la suite, mais elle peut également contribuer à résoudre et à prévenir ces conflits. Avec l’escalade des antagonismes politiques, sociaux, religieux et ethniques observés depuis la fin de la guerre froide, l’éducation dans les situations de conflit et de crise est apparue comme un problème majeur. Plus récemment, la réunion du milieu des années 1990 de la Tribune sur l’éducation pour tous (Amman, 1996) a souligné l’importance d’assurer que l’éducation fait partie des interventions de première nécessité; cela signifie que l’éducation doit être insérée de bonne heure dans le continuum linéaire secours-réhabilitation-développement. En effet, rétablir les services sociaux de base, y compris l’éducation, est essentiel au retour de la société à une vie normale.

Cependant, malgré la problématique croissante relative à l’éducation dans les situations critiques et dans le processus de redressement, les conséquences ou les implications les plus fondamentales de la violence et du conflit sur l’organisation de l’éducation et de la formation ne semblent faire l’objet d’aucune attention sérieuse. Cette question et ce nouvel examen plus fondamentaux de l’éducation et de la formation ne semblent pas être un souci majeur des décideurs et des chercheurs dans le cadre de la reconstruction. L’attention accordée à l’éducation dans les situations de conflit/crise tend traditionnellement à se concentrer sur la restauration du processus normatif en vue de promouvoir la stabilité et le retour à la normalité. Panser les plaies d’un conflit suppose toutefois davantage qu’une simple réhabilitation des services éducatifs et demande de réexaminer de manière critique le rôle et le but de l’éducation au cours des différentes phases du développement des conflits politiques, sociaux et ethniques. L’absence de cet examen critique tendrait sérieusement à amoindrir la vision d’un continuum linéaire urgence-secours-réhabilitation-développement et pourrait favoriser une vision plus cyclique.

Ce nouvel examen critique est également crucial si le processus de reconstruction doit être considéré comme une ouverture pour repenser l’organisation de l’éducation afin d’encourager la stabilité et de promouvoir la paix en inculquant de nouvelles valeurs fondées sur des principes de justice, de solidarité et de participation. Il ressort actuellement que la tendance générale est de mettre plus l’accent sur l’éducation pour la paix comme un outil de prévention des conflits. Cependant, la fin d’un conflit et le retour à l’ordre social suppose plus qu’un retour à ce qui était dans le passé. Nous devrions tenter de comprendre, dans la mesure du possible, ce qui n’a pas fonctionné. Que pouvons-nous apprendre du rôle de l’éducation dans l’apparition des situations de conflit et de crise de diverses natures ?

L’intervention de l’éducation dans les situations de conflit doit se fonder sur une analyse approfondie. En admettant le fait que les stratégies d’intervention dans les situations antérieures, simultanées et postérieures au conflit doivent être spécifiques au contexte, il a été jugé nécessaire d’examiner quatre cas assez différents afin de parvenir à une compréhension plus globale du rôle joué par l’éducation dans le développement des situations de conflit. Des

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discussions ont donc été organisées autour des divers sujets relatifs à la question de (i) l’éducation comme catalyseur potentiel dans le déclenchement de conflit/violence, avant de se tourner vers la question de (ii) l’éducation dans les situations critiques, la réhabilitation et la reconstruction. L’analyse de ces deux ensembles de thèmes aiderait à éclairer la signification à donner au concept de (iii) l’éducation pour la paix dans différents contextes. L’atelier a réuni des chercheurs universitaires ainsi que des praticiens, et des décideurs (cf. Annexe 1) impliqués dans la formulation, la mise en œuvre et le financement d’interventions sur le terrain. Ce rapport constitue une tentative de saisir la dynamique des débats et des discussions entre les participants relatifs aux sujets et aux problèmes pertinents qui ont été identifiés et aux types de questions soulevées. Un mot de mise en garde Les quatre études qui suivent illustrent des violences de nature différente et d’intensité variable, allant de la normalisation de la violence structurelle dans la vie quotidienne en Colombie à l’impact extrêmement dévastateur d’une guerre prolongée sur la société cambodgienne, de la désintégration d’un ordre social et du déclenchement de la guerre civile en Sierra Leone à la lutte pour l’autodétermination de la société palestinienne sous l’occupation. Chaque étude de cas illustre différentes étapes dans le développement de la violence et des conflits et la manière dont l’organisation de l’éducation est impliquée. Malgré la difficulté à discerner les différentes phases du développement de la violence et des conflits, la dimension temporelle suppose des problèmes très variés relatifs à l’éducation.

Néanmoins, derrière ces différences, la violence semble affecter de manière croissante l’organisation de la société et de l’éducation en général. Les manifestations physiques statistiquement observables de la violence vis-à-vis de l’organisation de l’éducation (massacre et/ou enlèvement d’étudiants et d’enseignants, destruction d’infrastructures, enrôlement d’étudiants comme combattants) indiquent l’ampleur ou l’envergure du problème. Ces manifestations ne nous informent pas de l’impact à plus long terme, plus subtil sur le développement social sous l’angle de la survie et de la sécurité ultérieures. Étudier la violence dans la société est un exercice d’introspection profonde qui soulève des questions éthiques et philosophiques fondamentales relatives à la civilisation humaine et qui dépassent les limites de ce rapport.

AVANT LE CONFLIT L’éducation comme catalyseur Étant donné que les enfants sont de plus en plus impliqués dans les conflits, que ce soit comme victimes ou comme protagonistes, et que nombre de combattants participant actuellement aux conflits armés ont largement bénéficié du système scolaire, il a été jugé opportun de mettre en question le véritable rôle du système éducatif dans les situations de conflit. Déterminer dans quelle mesure les choix de la politique de l’éducation et la nature des systèmes de gestion de l’éducation expliquent ou reflètent le climat de tension politique menant au conflit n’est pas une tâche aisée. Il est nécessaire de faire la distinction entre l’éducation complice de la rébellion et du déclenchement du conflit et l’éducation victime de la violence et de la destruction lorsque l’origine du conflit réside ailleurs. Un certain nombre de facteurs ont été identifiés à l’heure de réfléchir à la manière dont l’éducation peut contribuer au processus de désintégration sociale et politique pouvant déboucher sur la violence et le déclenchement d’un conflit armé.

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Modernisation et violence La violence peut être considérée comme inhérente au processus de modernisation au cours duquel les contrats sociaux sont détruits avant que d’autres formes de cohésion sociale et de socialisation ne soient édifiées. Cela peut se voir à l’aide de la dégradation d’une société humanitaire en Sierra Leone et à l’aide du rôle de l’ éducation clandestine en Palestine pendant l’insurrection et pendant la phase actuelle de construction de l’État-nation. La vitesse des changements qui caractérise l’évolution sociale récente en Colombie a également été clairement associée à la montée de la violence. En outre, les cas du Mozambique et de l’Algérie illustrent clairement la manière dont le processus de modernisation de l’éducation crée de nouvelles identités nationales en rejetant les identités traditionnelles locales. Dans le cas de l’Algérie, la résistance à ce processus de modernisation de l’éducation peut être interprété comme étant une lutte pour la survie des traditions et constitue un ingrédient essentiel du fondamentalisme. La prise de conscience de la nature violente et souvent brutale du changement et de la modernisation nous aiderait donc à comprendre et à anticiper les événements. Instruction publique et culture communautaire Dans le passé, la modernisation implique aussi l’imposition de systèmes scolaires étrangers ainsi que de cultures étrangères dans de nombreuses parties du monde en développement. Fondés sur le modèle de l’instruction né en Europe au dix-neuvième siècle, le contenu et le mode d’organisation de la scolarité sont encore souvent peu représentatifs des cultures locales ou nationales. En raison des curriculums étrangers et de l’utilisation des langues étrangères, la scolarité est un facteur aliénant dans de nombreuses régions d’Afrique actuellement, créant un fossé de communication entre les étudiants et leurs parents et leurs communautés. Dans le souci actuel de placer la scolarité dans son contexte, il est nécessaire de rendre l’école à la communauté. La scolarité peut aller dans le sens d’une série de valeurs communes parmi les différentes communautés nationales ou dans le sens de l’obtention d’une compréhension et d’une acceptation d’une pluralité d’interprétations.

La scolarité est donc manifestement un instrument d’intégration dans le processus de construction de l’État-nation et peut être conflictuelle dans une situation de sociétés multiculturelles. Il a été rappelé cependant que les expériences de construction de l’État-nation en Occident sont extrêmement variables. Sans s’arrêter sur la manière dont la notion de communauté est définie, un certain nombre de questions restent à traiter. Les différents types d’ écoles communautaires sont-ils mieux adaptés au niveau local ? Peut-on trouver un équilibre entre les modes d’organisation et d’identification sociales fondés sur la communauté et un degré minimal de compréhension collective et de consensus au niveau national ? L’organisation sociale fondée sur la communauté est-elle une étape historique nécessaire ? Écart de frustration et injustices économiques Le progrès de la scolarité de masse, inhérent au processus de modernisation, a considérablement accru l’accès à l’éducation scolaire de même qu’aux moyens de communication, créant ainsi de nouvelles attentes et de nouveaux besoins de consommation. Il semble cependant qu’il y ait un écart entre l’importance de l’essor de l’accès à l’éducation scolaire et le modèle de croissance des revenus réels et les possibilités d’emploi. C’est un paradoxe, par exemple, que l’Amérique latine, qui dispose d’un niveau relativement élevé de développement de l’éducation sur le plan macro-social, soit la région du monde où la répartition des richesses est le plus inéquitable. Ce sont de telles différences entre la distribution de l’éducation scolaire et les attentes qu’elle suscite et la répartition des richesses

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et le salaire réel ainsi que les possibilités de consommation qui donnent lieu à un écart de frustration qui peut, en l’absence de mécanismes adéquats permettant de gérer les conflits, contribuer à la violence. Cela s’illustre tristement par la participation des aspirants oubliés comme combattants des deux côtés de la guerre de rébellion en Sierra Leone. Si l’hypothèse d’un écart de frustration s’avère exacte, elle soulève des questions fondamentales quant aux implications de la promotion du principe de démocratisation de l’éducation ou de l’Éducation pour tous (EPT), notamment en l’absence de mesures d’accompagnement sur le plan économique et politique. La recherche du principe de démocratisation de l’éducation menant à l’EPT doit s’accompagner de mesures de politique générale certes, mais aussi, et plus spécifiquement, de mesures visant à assurer la démocratie pour tous. Pouvoir affaibli de la scolarisation en tant qu’agent de socialisation L’éducation ne peut être assimilée uniquement à la scolarité. Le concept général inclut plutôt un large éventail de processus d’éducation et de socialisation. Ces processus de socialisation des enfants et des jeunes se caractérisent par une concurrence entre les divers agents de socialisation tels que la famille, l’école, les médias, etc. Les médias, et la télévision en particulier, sont généralement considérés comme des modes de socialisation très puissants qui peuvent être en contradiction avec les efforts de socialisation que fournissent la famille et l’éducation scolaire. En outre, les valeurs normatives et violentes et les modèles de comportement que les jeunes acquièrent dans les gangs de la rue en Colombie, par exemple, s’opposent à celles transmises à l’école. La violence de la rue que les jeunes Palestiniens ont connue pendant l’insurrection est aussi perçue comme un facteur d’érosion de l’autorité normative traditionnelle des aînés en général, et des enseignants en particulier. Il ne s’agit donc pas uniquement d’identifier les sources de l’autorité normative des divers agents de socialisation (famille, voisinage, école, médias, rue…) et la manière dont elles se concurrencent, mais aussi de déterminer comment ces divers agents peuvent être vraiment complémentaires en vue de constituer un processus d’éducation cohérent et complet. Culture éducative locale opposée à la culture éducative globale Il semble important de ne pas restreindre l’analyse à la scolarité publique et de considérer les initiatives de l’enseignement privé. Ceci est particulièrement fondé dans le contexte de la mondialisation économique qui favorise un rôle plus important du secteur privé dans l’éducation et la formation. De façon plus spécifique, il peut être opportun d’examiner de plus près l’ensemble des mouvements religieux qui participent aux initiatives éducatives dans le contexte du développement d’une société mondiale. Bien que la séparation de la religion et des affaires de l’État puisse être considérée comme une contribution à une plus grande tolérance dans certains contextes, la séparation n’est pas universelle. Quel est alors le rôle de la religion dans l’organisation de l’éducation nationale tout en étant dans un monde planétaire et l’étude des religions comparées y a-t-elle sa place ?

Par ailleurs, la mondialisation remet en question la notion même d’intégrité territoriale sur laquelle l’État-nation est fondé. Il est alors opportun d’envisager l’impact de la mondialisation notamment sur les sociétés qui n’ont même pas encore commencé à construire le concept d’État-nation. De plus, la mondialisation peut également être perçue comme une exacerbation des déséquilibres politiques qui n’inciterait qu’à la violence. À l’heure de considérer le relèvement de l’éducation dans le contexte général de la mondialisation, l’accent doit-il être mis sur la scolarité dans la (re)construction de l’État-nation, et/ou sur d’autres choix d’éducation fondée sur la communauté, et/ou sur des modes d’organisation sociale religieuse ? La nature du gouvernement et l’importance de la participation politique des différentes composantes de la société civile sont des questions fondamentales qui demandent un examen minutieux.

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DES SITUATIONS D’URGENCE À LA RECONSTRUCTION

Outre le travail important réalisé dans le domaine de l’éducation des réfugiés comme composante traditionnelle du travail d’aide d’urgence, il semble que l’intervention de l’éducation ait un rôle limité dans les situations de conflit. L’éducation ne semble généralement pas être une grande priorité pour les bailleurs de fonds lors des situations d’urgence ou juste après le conflit, tandis que l’aide alimentaire et la santé font généralement l’objet d’une priorité plus grande. Il est important de rappeler que le manque de structures efficaces des autorités centrales dans les zones de conflit rend les stratégies d’intervention éducative pendant les situations critiques très difficiles, voire impossibles à appliquer. Lorsque les bailleurs de fonds s’impliquent dans l’éducation, dans les situations succédant au conflit, ils ont tendance à se concentrer sur la reconstruction la plus visible des infrastructures physiques. Éducation des réfugiés En tant que situations générant des réfugiés, les cas d’urgence peuvent se concevoir en trois phases, de la situation critique initiale avec la nécessité de se concentrer sur la décision concernant les personnes déplacées, à celle des soins et alimentation dans l’attente d’une solution politique, à celle du retour dans le pays d’origine. Comme dans d’autres domaines d’intervention, il est maintenant suggéré qu’il doit exister une réponse éducative rapide dans les camps de réfugiés nouvellement créés. L’idée maîtresse est que les enfants doivent être réunis rapidement dans des activités éducatives de groupe menées par des enseignants réfugiés utilisant la même langue d’instruction et le même tronc commun que ceux du pays ou de la région d’origine. La philosophie sous-jacente est que puisque les enfants ont droit à l’éducation, les enfants réfugiés ont droit à leur propre éducation, du moins pendant les premières phases d’une situation d’urgence. Il est important d’observer, cependant, que tous les gouvernements ne sont pas coopérants comme cela a été illustré dans le cas des réfugiés rwandais dans l’est du Zaïre lors de l’urgence de 1994. Pour les situations critiques prolongées, le Ministère de l’éducation du pays d’asile a cependant le droit de discuter du programme opportun pour les enfants réfugiés. Reconsidération du continuum urgence-réhabilitation-développement Il est reconnu qu’il existe un déficit théorique général quant à l’intégration des composantes d’un développement viable dans les efforts d’aide et de réhabilitation dans les sociétés déchirées par la guerre. Cela est d’autant plus compliqué que les phases succédant au conflit ne peuvent pas toujours être clairement identifiées, et trop souvent les situations peuvent toutes être considérées comme des situations critiques permanentes . Dans ces cas, une intervention (état de préparation) peut devoir être considérée comme faisant partie intégrante des opérations de développement. La résurgence regrettable récente de la violence en Sierra Leone n’est qu’un exemple de la manière de mettre sérieusement en doute la vision d’un continuum linéaire urgence-redressement-développement. De manière plus générale, étant donné que la pression économique chronique se poursuit dans les nations actuellement en crise, la notion d’un développement linéaire est d’autant plus invalidée. Les chercheurs et les décideurs doivent donc réfléchir à des modèles non-linéaires de développement des conflits et tenir compte de la résurgence potentielle du conflit lors de la planification des stratégies d’intervention. Analyse du contexte politique plus large

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Le processus de redressement et de reconstruction dans les sociétés perturbées exige un climat de sûreté et de sécurité. Une fois en place, la définition des choix de politique est intimement liée à la nature de la cessation du conflit armé ou de la paix obtenue. Traditionnellement, l’éducation a bien trop souvent été traitée comme un domaine indépendant, détaché du contexte politique plus large. L’importance du contexte politique plus large dans lequel le développement de l’éducation a lieu est encore plus prononcé après le conflit. L’élaboration de politiques éducatives dans le contexte d’une paix incertaine et d’une instabilité relative, comme c’est le cas actuellement en Palestine, peut représenter un défi majeur. En effet, les frontières des catégories de la paix et du conflit pendant les périodes de transition peuvent être plutôt floues, comme c’est le cas en Sierra Leone. Détermination des priorités pour la reconstruction économique Rien que l’ampleur des destructions physiques et le nombre de vies humaines décimées pendant les longues années de guerre au Cambodge pose un dilemme à l’heure de fixer les priorités pour la période succédant au conflit. L’une des composantes de ce dilemme est la simple ampleur des besoins sociaux et économiques urgents et spécifiques des groupes vulnérables et touchés par la guerre (handicapés physiques, veuves, orphelins) et le besoin de réinsérer les soldats démobilisés. De plus, la rupture de l’organisation de l’éducation publique pendant des périodes de conflit prolongé exerce un impact négatif sur le niveau général de l’éducation de base de la population. Dans les cas de destruction de grande envergure comme au Cambodge, une assistance externe massive est nécessaire pour reconstruire une société qui a régressé de plusieurs décennies dans ses efforts de développement social et économique. La complexité de la tâche de la reconstruction nationale de grande envergure demande d’aborder simultanément les nécessités à court et à long terme, tant dans le domaine de l’éducation par opposition à d’autres secteurs du développement social, que parmi plusieurs sous-secteurs de l’éducation. Combinaison des stratégies à court et à long terme Les organismes bailleurs de fonds et les décideurs ont des vues de politique à très court terme pour faire face à la complexité et à l’acuité des problèmes existants. De plus, l’incertitude de l’avenir politique, dans le cas de la Palestine par exemple, est perçue comme un obstacle majeur, dans l’articulation des objectifs à court et à long terme, au processus du développement de l’éducation entrepris par l’ANP.

Les expériences de réinsertion de combattants démobilisés et de groupes touchés par la guerre au Cambodge, au Mozambique et en Angola, par exemple, indiquent la nécessité de promouvoir la formation en vue de créer des emplois tant à court terme qu’à long terme. La création d’emplois à court terme s’est révélée efficace sur le plan de programmes de travail nécessitant une main-d’œuvre nombreuse pour réhabiliter les infrastructures de base. La formation à long terme pour l’emploi, par ailleurs, peut cibler les besoins locaux tels que définis par l’évaluation du marché du travail et, lorsque c’est possible, par la construction de systèmes d’information sur le marché du travail. Étant donné qu’il fallait s’occuper rapidement d’un nombre élevé d’anciens soldats, comme c’était le cas en Bosnie, la formation accélérée pour les combattants démobilisés s’est avérée plus adéquate que la formation à long terme. Rapprochement entre éducation, formation et emploi Le chômage élevé présente une menace pour la paix durable, notamment dans les situations succédant au conflit. De ce fait, certains organismes officiels tentent d’identifier les types d’aptitudes nécessaires pour la survie après un conflit et de jeter un pont entre la formation

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technique et les possibilités d’emploi réelles pratiques. On a également de plus en plus conscience que la formation doit être liée à l’éducation de base de l’adulte et ne doit pas seulement se concentrer sur les compétences techniques, mais aussi sur l’alphabétisation, la numération et sur d’autres connaissances nécessaires dans la vie. Cela s’illustre aussi clairement par la décision du Gouvernement cambodgien de se concentrer à la fois sur l’éducation de base et sur la formation professionnelle.

L’importance de l’éducation non scolaire pour adultes et des programmes d’alphabétisation ainsi que le besoin de compléter les connaissances nécessaires dans la vie et l’éducation de base des adultes par une formation technique, sont également répercutés par les ONG impliquées en Sierra Leone et ailleurs en Afrique. Il faut rappeler que la définition de l’éducation de base adoptée à Jomtien comprenait un large éventail de compétences et les systèmes scolaires potentiels qui ne se limitent pas à l’enseignement primaire. Par ailleurs, on peut soutenir que tant l’éducation que l’emploi, en tant que droits fondamentaux, sont les conditions préalables à la paix et à la démocratie. Besoin d’initiatives créatrices accélérées Étant donné la diversité et l’ampleur des besoins en éducation et en formation, ainsi que les contraintes financières et temporelles, il semble nécessaire de concevoir des interventions créatrices pour le relèvement et la reconstruction. Il a toutefois été signalé que le syndrome de dépendance généré par des interventions (prolongées) d’urgence conduit à la déshabilitation des communautés, ce qui rend donc les interventions créatrices d’éducation très difficiles au cours de la phase succédant au conflit. L’utilisation créatrice des ressources locales s’est également avérée être plus rentable que les lourds investissements traditionnels des organismes bailleurs de fonds dans la reconstruction de centres de formation. Le Cambodge a adopté une politique alliant éducation de base et formation professionnelle fondée sur les technologies locales.

Les initiatives créatrices peuvent aussi partir des solutions pour l’éducation fondées sur la communauté et sur des expériences de la base qui se développent pendant les périodes de crise prolongées. Malheureusement, les structures éducatives non scolaires qui peuvent avoir joué un rôle crucial dans la continuation de l’éducation pendant le conflit ne sont pas toujours reconnues officiellement. Cela a été en grande partie le cas dans un certain nombre de pays africains où les enseignants semi-qualifiés et non qualifiés qui ont continué à dispenser l’éducation de base pendant les périodes de conflit n’ont pas été reconnus par les autorités de l’éducation. Cela peut aussi se prolonger jusqu’au fait que les autorités palestiniennes n’ont pas tenu compte de l’éducation clandestine en dehors des écoles qui s’est développée en Cisjordanie et à Gaza en réponse à la fermeture des écoles imposée par Israël. Enfin, le cas de la reconstruction de l’éducation en Bosnie soulève d’importantes questions pour savoir pourquoi et comment des stratégies conçues à l’étranger et menées par les bailleurs de fonds ont été imposées à l’encontre de la logique des expériences locales efficaces. En effet, des programmes de construction d’écoles de type Plan Marshall ont été imposés à la Bosnie de l’après conflit dans un contexte où les efforts de coopération de la part du MDE pour construire des écoles de guerre qui mêlaient initiatives formelles et non formelles avaient été couronnés de succès.

ÉDUCATION POUR LA PAIX L’éducation pour la paix est à la fois un outil de prévention et de réconciliation sociale. Il semble crucial de définir clairement dès le départ ce que l’on entend par paix et quel modèle de coexistence sociale est envisagé dans chaque contexte spécifique. Comme l’éducation pour la paix, que ce soit dans des buts préventifs ou de réconciliation, est un processus de longue haleine qui vise à modifier les types de comportement en changeant les valeurs et les

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perceptions, il est crucial de déterminer comment le facteur temps intervient pour différer les situations de conflit. Cultures pour la paix L’éducation pour la paix doit se concevoir au-delà des limites étroites de la scolarité. On peut affirmer que la scolarité seule ne peut avoir un impact majeur sur la promotion de la paix si elle n’est pas supportée par d’autres agents de socialisation et de communication tels que la famille et les médias. En effet, la lutte contre la violence doit se poursuivre à tous les niveaux, y compris dans les médias, dans la rue et dans le comportement quotidien. L’impossibilité pour le système scolaire d’affronter seul le phénomène de la violence a été clairement illustré dans le cas de la violence sociale en Colombie. À la lumière de cette observation, la promotion des cultures pour la paix peut prendre la forme d’initiatives originales telles que le jumelage et la création de centres communs dans le contexte de la coexistence de deux communautés antagonistes (par exemple en Bosnie).

Par ailleurs, dans les situations d’insécurité et de guerre, l’organisation de l’éducation nationale peut ne pas fonctionner, partiellement ou totalement. De ce fait, il peut être plus opportun de s’en remettre à la notion plus générale de culture pour la paix qui comprend une multiplicité de réponses éducatives prêtes à l’emploi. Les médias, et la radio en particulier, sont des canaux importants de diffusion d’informations et d’édification de la paix dans les phases succédant au conflit. Les expériences au Burundi et en Somalie offrent des exemples concrets de recours à la culture locale à l’heure de promouvoir des normes minimales de comportement, dans les situations de violence, en utilisant de manière novatrice les films, le théâtre et d’autres formes artistiques. Gestion de conflit et prévention Si l’on considère que le conflit est inhérent à la dynamique sociale, la paix n’est pas l’absence de conflit. Il s’agit plutôt d’un mode d’opération dans lequel le conflit est géré par des moyens non violents. Cela requiert toutefois de la justice et un cadre juridique participatif pour garantir l’égalité des droits et des chances à tous les citoyens. Si certains seuils de violence peuvent être considérés comme acceptables dans une société déterminée à une époque donnée de son histoire, les degrés de violence qui dépassent ce seuil constituent des indicateurs clairs que quelque chose ne va pas. L’éducation pour la paix doit donc chercher à aborder les problèmes fondamentaux qui peuvent être à l’origine du conflit. L’éducation pour la paix comme instrument de changement politique Ne fût-ce qu’à un niveau collectif, les protagonistes doivent avoir un statut identique, les individus des groupes antagonistes doivent être capables de travailler ensemble pour amorcer le changement politique en vue d’établir une justice pour tous malgré les inégalités politiques qui peuvent exister entre les communautés. La dynamique de paix doit donc être provoquée ou encouragée en employant à bien les forces motivées pour générer le changement. L’éducation pour la paix reste cependant superficielle s’il n’y a pas de support pratique ou de signe de changement. Les personnes concernées doivent avoir un minimum de foi en l’avenir.

Un signe de cette éducation pour la paix fonctionnant dans des situations de conflit peut être illustré par la coopération Palestine-Israël relative à la création de possibilités éducatives fondées sur la communauté pendant la période de fermeture des écoles, caractéristique du temps de l’Intifada. Les leçons tirées de ces expériences sont les suivantes : pour que l’éducation pour la paix soit efficace, il est essentiel que i) elle soit encouragée par des individus et des groupes motivés et ii) que les protagonistes soient impliqués dans la conception et l’exécution des programmes. Il a été démontré que l’éducation pour la paix ne

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demande pas de ressources financières considérables. En dehors des expressions audacieuses d’intention sur le plan international, les seules expériences sérieuses dans ce domaine sont cependant de petites expériences partant de la base.

Réconciliation sociale L’éducation (conjointement à d’autres systèmes) peut aider à définir la nature de la nouvelle société à construire. L’éducation peut aussi servir à dépolitiser et à panser les plaies du conflit. Il est vrai que l’impact qualitatif de la destruction sur la culture et les mentalités ou l’ampleur de la fracture culturelle dans les cas similaires à celui du Cambodge sont difficiles à évaluer. Néanmoins, l’introduction de l’histoire de la guerre dans les programmes des écoles primaires au Cambodge constitue un bon exemple de tentative de confronter l’expérience de la guerre et de panser les plaies émotionnelles. Dans le même esprit, il existe une étude commune de la manière dont l’histoire du conflit israélo-palestinien est présentée dans les programmes scolaires des deux nations. La refonte des curriculums pour une telle tentative suppose d’aborder les composantes émotionnelles et non cognitives telles que les représentations sociales de l’autre. Dans le contexte de réconciliation sociale dont les efforts de reconstruction nationale dépendent, il faut constituer un mécanisme de dialogue entre les différentes parties afin de trouver les partenaires principaux pour un accord communautaire sur le plan de l’éducation nationale.

Une ouverture Des définitions générales du contenu et de l’organisation des systèmes éducatifs ont dans une grande mesure été imposées pendant le processus de construction historique de l’État-nation. La reconstruction après la crise peut en effet être perçue comme une ouverture à condition qu’il y ait une véritable négociation et une consultation entre les protagonistes quant à l’éducation envisagée comme un processus de socialisation. A un niveau plus local, l’éducation pour la paix peut être considérée comme ayant la possibilité de contribuer à la survie et au développement viable de la participation. En effet, le témoignage de la Sierra Leone laisse supposer que nombre d’organisations œuvrant dans le domaine de l’éducation pour la paix ne définissent pas le résultat de leurs efforts comme la paix , mais plutôt comme une habilitation au niveau local et communautaire ou comme une

conscientisation des droits, des possibilités et des obligations. Coordination de l’aide internationale Diverses initiatives de collaboration entre les organismes dans plusieurs sous-secteurs de l’éducation laissent à penser que le manque de coordination est pris plus au sérieux. Bien qu’il soit convenu que la coordination de l’aide en général au sein de la communauté des bailleurs de fonds a fortement évolué ces dix ou quinze dernières années, d’importants écarts persistent dans le domaine de l’aide à l’éducation dans les situations d’urgence et de conflit. Bien que beaucoup de choses se fassent actuellement sur le plan de l’éducation pour la paix en Sierra Leone, par exemple, il n’y a que peu de signes de coordination et les stratégies d’intervention semblent être exécutées de manière chaotique. Il convient aussi de rappeler que la paix est une question politique. En conséquence, des tensions entre l’acquisition et la diffusion des informations peuvent apparaître ainsi qu’une concurrence parmi les ONG pour le financement. Bien qu’il y ait ailleurs quelques signes de relations stratégiques efficaces entre les organismes et entre certains organismes et les ONG, d’aucuns admettent que les efforts pour échanger les expériences et les informations doivent être développés de façon urgente et significative.

Comme l’aide est généralement dictée par les pays bailleurs de fonds qui se fondent

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sur des motifs politiques spécifiques, il est crucial que les pays bénéficiaires soient habilités à coordonner cette aide. Des réunions sectorielles régulières réunissant les autorités nationales et les bailleurs de fonds pour échanger et diffuser les informations sur les programmes en cours réalisés en Palestine, constituent un exemple d’une telle initiative de la part du pays

bénéficiaire ou partenaire. De même, l’essai d’entreprendre des études dans le secteur de l’éducation, menées par des équipes nationales composées d’organismes officiels, de chercheurs nationaux et le gouvernement, comme c’est actuellement le cas au Zimbabwe, illustre ce processus d’habilitation.

LE RÔLE POTENTIEL DE LA RECHERCHE Commentaires préliminaires Les recherches sur les problèmes de l’éducation et des situations de conflit requièrent une connaissance approfondie du contexte général dans lequel la violence sociale se développe. Documenter l’ampleur et les causes de la violence dans la société dans son ensemble constitue donc la première étape indispensable dans l’exploration du rôle de l’éducation scolaire dans le développement des conflits. Documentation de l’ampleur de la violence dans la société Il est maintenant généralement admis que la violence et les conflits armés deviennent plus courants. Un point de départ nécessaire serait de documenter les manifestations les plus visibles de la violence dans une région donnée à une période déterminée afin d’esquisser le modèle du développement de la violence en société de façon à confirmer l’hypothèse de base. Analyse des causes premières de la violence S’il s’avère exact que les degrés de violence s’accroissent et que les conflits armés se font plus fréquents, il deviendrait urgent de chercher à mieux comprendre les causes sous-jacentes, non seulement des manifestations ouvertes de violence, mais aussi de la violence

cachée ou silencieuse . De plus, plusieurs facteurs parmi ceux qui ont été identifiés comme étant des catalyseurs, tels que les écarts de connaissance et l’absence des droits fondamentaux, existent dans les pays où la violence à grande échelle ne s’est pas développée. Lors de la tentative d’identifier les causes premières de l’éruption de la violence et du conflit, il peut être opportun d’examiner des situations où la violence n’a pas éclaté. Dans le même esprit, plutôt que de chercher à comprendre pourquoi certains individus ou certains groupes sont violents, la question la plus appropriée peut être de déterminer pourquoi d’autres ne le sont pas. Quels mécanismes spécifiques au contexte permettent de résoudre des conflits sociaux et politiques de manière non violente ? Élaboration d’un cadre conceptuel La complexité des questions relatives à l’éducation dans les sociétés perturbées réitère la nécessité des recherches. Ces recherches doivent toutefois être prioritaires et doivent revêtir un caractère pratique pour les décideurs et les praticiens. Un cadre conceptuel adéquat est nécessaire pour établir une typologie des situations et il peut se révéler utile pour faire la distinction entre les divers problèmes en question aux macro, méso et micro niveaux. L’identification du poids relatif de ces problèmes aux différents niveaux et au cours des diverses phases du développement des conflits peut s’avérer utile pour les stratégies d’intervention d’informations sur le choix de partenaires locaux et l’opportunité des systèmes scolaires à employer.

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Exploration des dimensions psychologiques L’impact psychologique de l’exposition à la violence ainsi que la participation pendant les années formatrices de l’enfance et de l’adolescence doit être reconsidéré et faire l’objet de recherches supplémentaires. Quels effets ces changements ont sur l’impact de l’autorité normative que plusieurs processus éducatifs revêtent ? Développement de systèmes d’alarme précoce Il est important de surveiller ce qui est transmis par le système scolaire et ses implications potentielles. Dans quelle mesure des indicateurs quantifiables peuvent-ils être développés pour servir de systèmes d’alarme précoce ? Les systèmes éducatifs comme scènes pour les conflits Quelles leçons peuvent être tirées de l’ampleur et de la nature de la destruction de l’éducation pendant les périodes de conflit ? Que signifie la prise intentionnelle des systèmes éducatifs pour cible (c’est-à-dire l’adoption de stratégies visant à perturber les processus éducatifs et/ou à détruire le modèle éducatif de l’État et ses produits) par les forces armées ? Documentation de l’engagement international Comme l’importance d’aborder l’ éducation dans les situations d’urgence figurait dans la Déclaration de Jomtien (1990) et a été réitérée lors de l’Affirmation d’Amman (1996), qu’est-ce qui prouve qu’il y a effectivement eu un changement dans les allocations du budget à la fois pour l’intervention et pour la recherche ? Dans quelle mesure les organismes internationaux prennent-ils le problème au sérieux ? Évaluation de l’impact des stratégies d’intervention Il semble qu’il soit nécessaire d’analyser l’impact de l’intervention d’urgence et succédant au conflit. Cette étude mènerait à une réévaluation critique des hypothèses théoriques de base sur lesquelles se fondent diverses stratégies d’intervention. Étant donné la sensibilité du sujet, une évaluation commune effectuée par des chercheurs, des décideurs et des praticiens des universités, des organisations internationales et des ONG, a été jugée comme étant le type idoine permettant de fournir le degré nécessaire de détachement indispensable pour une telle évaluation.

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CHAPITRE III

Réflexions sur la Sierra Leone : une étude de cas

Cream Wright

Directeur général, Research, Educational and Development Initiatives Ltd. (REDI), Freetown, Sierra Leone

INTRODUCTION

La recrudescence actuelle des conflits civils et le glissement vers l’anarchie dans laquelle ont sombré tant de pays africains soulèvent de graves doutes quant à l’avenir de ces États-nations. Cela a mené à anéantir tant de choses que ces pays avaient réalisées dans leur poursuite du développement et cela remet en question la survie même de l’État en tant qu’entité de cohésion. Au-delà des pertes économiques et de la destruction physique amenées par la guerre, c’est le vide moral de la normalité et l’impuissance flagrante de la rationalité qui transmet un tel sens glaçant de l’avenir évanescent 1 auquel sont confrontés ces États. Lorsque la société civile dégénère en anarchie et que les normes et valeurs traditionnelles sont supplantées par la violence explosive, la signification de l’éducation en tant qu’instrument de socialisation et de développement doit être examinée minutieusement. Le traumatisme de la violence aveugle et la destruction gratuite qui caractérisent les guerres civiles soulèvent toujours des questions d’introspection de ce qui n’a pas été et de comment cela a pu se produire. Il est rare cependant qu’une telle interrogation conduise à réexaminer objectivement l’éducation sous l’angle de son rôle et de sa contribution éventuels dans la guerre/paix. Il y a eu un certain intérêt pour l’effet perturbateur de la guerre sur l’éducation en Afrique. Cet intérêt a eu tendance à se porter sur les interruptions imposées au processus normatif, au lieu de se porter sur la question plus fondamentale qu’est le rôle et l’utilité de l’éducation en tant qu’aire de conflit de valeurs et d’attentes incompatibles dans la société. Les chances de tirer des leçons critiques qui peuvent être essentielles pour la reconstruction ont tendance à être facilement gaspillées en faveur d’un retour à la normalité . L’éducation est perçue invariablement et à juste titre comme une partie importante du processus de reconstruction des États perturbés. Cependant, sans un nouvel examen très sérieux et critique du rôle et de l’utilité de l’éducation, la reconstruction pourrait simplement engendrer une plus forte dose de la même vieille histoire ou des innovations prises dans l’affolement et reflétant une idéologie dominante issue du conflit civil. La guerre civile a éclaté dans l’État d’Afrique occidentale de la Sierra Leone en 1991. Cet article explore le rôle de l’éducation dans la précipitation des circonstances menant à la guerre civile, souligne l’impact de la guerre sur l’éducation et envisage les contributions possibles de l’éducation au processus de reconstruction. Les Sierra-Léonais ont été très étonnés par la persistance de la guerre pendant les cinq dernières années. Elle s’est prolongée malgré un coup d’État militaire en 1992 (qui a évincé le gouvernement contre lequel la guerre avait été déclenchée) et malgré les élections placées sous l’observation de la communauté internationale en 1996, qui ont mis fin à l’autorité militaire en faveur d’un gouvernement civil démocratique. Cet article vise à aider le processus d’introspection.

SEMER LES GRAINES DE L’ANARCHIE 1. Hiller, Ralph M., The fading future [L’avenir évanescent], Comparative education review,

vol. 31, n 2, mai 1987.

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C’est une lourde tâche que de retracer les étapes qui conduisent une société à glisser dans l’anarchie. Les risques d’explications simplistes existent, et il n’est possible de se prononcer solidement sur les questions controversées qu’avec le temps. Néanmoins, il est essentiel de tenter de tracer le graphique du glissement de la Sierra Leone dans un type d’anarchie latente qui a culminé dans la guerre civile. Cela est primordial pour comprendre ce qui n’a pas fonctionné et cela revêt également une grande valeur pratique et thérapeutique sur le long chemin vers le rétablissement social et la reconstruction nationale. Réflexion faite, il existe au moins six domaines importants où les tendances indiquaient une ultime menace de conflit civil. Il convient de les exposer dans les grandes lignes car ils constituent le cadre permettant de comprendre le rôle éventuel de l’éducation comme complice de la rébellion en Sierra Leone. Tendances dictatoriales Les Sierra-Léonais ont eu tendance par inadvertance à transformer leurs gouvernements en dictatures. Cela est peut-être dû en partie à la tradition locale qui tient l’autorité en très haute estime. Il est plus probable cependant qu’elle est une conséquence inévitable des

louanges et de la flatterie orchestrées qui sont rapidement devenues la norme puisque les associations se disputent l’influence et la faveur de chaque nouveau gouvernement. Cette tendance est ironique, les Sierra-Léonais étant également connus pour critiquer perpétuellement leurs gouvernements. Depuis l’indépendance en 1961, la plupart des gouvernements ont exploité leur popularité initiale, et leurs courants connexes de flatterie, pour s’assurer la domination politique sur leurs opposants. Cela s’est effectué comme d’habitude par la suppression des institutions démocratiques2, l’érosion des droits civils et le déni de justice. Cependant, dès qu’un gouvernement s’approche de la dictature à part entière, les chanteurs de louanges d’autrefois ont tendance à se muer en critiques acharnés cherchant la chute du régime. Au mieux, cette étrange dialectique a été régressive sur le plan des efforts de développement, et elle se révèle maintenant être un présage de chaos civil. Inégalités économiques Comme la plupart des États africains indépendants, la Sierra Leone n’a pas pu surmonter les inégalités structurelles profondes institutionnalisées dans les relations économiques pendant l’époque coloniale. Les rouages des régimes coloniaux ont initialement été conçus pour exploiter les richesses naturelles et la main-d’œuvre productive de la colonie pour le bénéfice de la métropole. De la même façon, les gouvernements nationaux ont utilisé ces rouages hérités pour monopoliser les ressources naturelles et la main-d’œuvre productive de la Sierra Leone, officiellement pour promouvoir le développement national. Toutefois, ces ressources ont été de plus en plus largement utilisées pour financer les opérations d’une bureaucratie sans cesse croissante, au détriment de la majorité des citoyens se trouvant en dehors des rouages gouvernementaux. Par conséquent, bien que les régimes nationaux successifs aient poursuivi des plans de développement louables, la répartition des richesses reste fondamentalement imparfaite, les inégalités structurelles profondes n’ayant jamais été sérieusement mises en question. Par exemple, l’agriculture est restée trop orientée vers la production de culture pour l’exportation, au détriment de l’auto-suffisance alimentaire pour la population locale. De plus, la responsabilité de commercialiser ces produits d’exportation incombait à un quasi-monopole du gouvernement, qui continuait à payer des 2. L’absence d’une presse libre et la compromission du pouvoir judiciaire sont les principaux

indicateurs de ce type de suppression. Voir : Cole, Bernadette. Mass media, freedom and democracy in Sierra Leone [Moyens d’information de masse, liberté et démocratie en Sierra Leone]. Premier Publishing House, Freetown, Sierra Leone, 1995.

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prix à la production abusivement bas aux cultivateurs jusqu’à l’intervention récente des mesures d’ajustement structurel du FMI/Banque mondiale. De même dans le secteur minier, la commercialisation des diamants était contrôlée par un quasi-monopole du gouvernement, et les concessions pour les autres ressources minérales étaient octroyées principalement à des sociétés étrangères faiblement liées à l’économie locale. L’industrialisation a aussi été une façade n’ayant qu’un faible impact sur les revenus et la distribution des richesses. Généralement, les inégalités permanentes ont abouti à l’accroissement de la pauvreté pour la plupart des citoyens, notamment dans les zones rurales. Cela a donné raison aux cyniques désinvoltes qui affirment que les pays comme la Sierra Leone ont été : sucés jusqu’à la moelle par des élites du vol qui régnaient depuis la capitale et qui ont conclu des marchés avec des nations et des entreprises étrangères. La campagne était ignorée ou exploitée .3 Mauvaise gestion et corruption Lorsque la richesse nationale n’est pas distribuée équitablement, les citoyens dépendent généralement d’un système de favoritisme pour canaliser les ressources dans leur direction. En Sierra Leone, comme dans de nombreux autres pays africains, cela a signifié que ceux qui se trouvaient au pouvoir politique et à des postes élevés ont été mis fortement sous pression afin de canaliser les ressources nationales au profit de parents, d’amis, de proches et d’électeurs. Cette situation a, à son tour, aggravé la mauvaise gestion et la corruption à un point qui a mené une nation richement dotée près de la faillite. Bien que la corruption institutionnalisée permette parfois aux ressources de l’État de toucher les démunis, elle a principalement servi à accentuer leur dépendance vis-à-vis des riches et des puissants qui sont les principaux bénéficiaires de la corruption endémique. Cela a débouché sur une ironie cruelle où les pauvres hésitent à protester contre la corruption, de crainte que le maigre filet de ressources qui coule vers eux ne se tarisse ! Dissensions ethniques En termes relatifs, la Sierra Leone n’a pas de sérieux problèmes de conflit ethnique flagrant. Les divisions ethniques constituent toutefois un facteur dans les tensions sociales qui ont hanté les efforts de développement. Ces désaccords sont habituellement manipulés par ceux qui veulent utiliser le caractère ethnique comme base de pouvoir pour dominer les autres ou comme point de ralliement pour protéger leur peuple de la domination de tiers ou même comme moyen pour se venger d’une exploitation de leur groupe dans le passé. Ces utilisations idéologiques du caractère ethnique ont sapé la cohésion de l’État et doivent en définitive être considérées comme un facteur ayant contribué aux troubles civils actuels. Manque de transparence et de responsabilité La dictature et la corruption engendrent un manque de transparence et de responsabilité dans la conduite des affaires de l’État. Les contrôles et les équilibres habituels sur l’exercice du pouvoir sont rendus impuissants et remplacés par une clique d’éminences grises qui instituent rapidement un système de népotisme. Cela n’est pas propre à la Sierra Leone et ne doit pas être écarté en tant que simple corruption politique/économique. C’est le résultat de la juxtaposition des formes traditionnelles autoritaires de gouvernement (chefs de tribu) et de l’État démocratique moderne et de ses règles pour l’exercice du pouvoir.

3. Sierra Leone: Vote to nowhere [Sierra Leone : vote pour nulle part], The economist, 2 mars

1996, p. 62.

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A l’indépendance, le Gouvernement Sierra Leone People’s Party (SLPP) a agi dans un climat relativement démocratique, avec un système pluripartite, une presse active et un parlement vivant, ce qui assurait la transparence et la responsabilité adéquates. Lorsque le premier Premier ministre Milton Margai est décédé, son frère Albert Margai lui a succédé (contre toute attente), et il a dû affermir son maintien au pouvoir. Cela a engendré une domination ethnique de la tribu Mendés sur le pouvoir politique et a aliéné les autres groupes ethniques du gouvernement, menant éventuellement à sa chute. Les militaires sont alors intervenus pendant plusieurs années !

Le gouvernement civil qui a succédé aux Margai a tâché non seulement d’affermir son maintien au pouvoir, mais aussi d’éliminer tous les partis de l’opposition en introduisant un État à parti unique. Malgré sa popularité initiale, le Gouvernement du parti unique All People’s Congress (APC) a présidé pendant près de vingt-cinq années de dictature, de corruption et de mauvaise gestion. Cette corruption institutionnalisée, associée à un manque flagrant de transparence et de responsabilité, présentait un ultimatum joignez-vous à nous ou mourez à la plupart des Sierra-Léonais. Cette période d’autorité de l’APC a donc été témoin d’une importante fuite de cerveaux qui a presque mené à l’effondrement d’un service civil autrefois efficace et qui a sapé les professions libérales encore jeunes qui étaient si cruciales pour le développement.

Alors que le régime s’approchait de ses années noires , les Sierra-Léonais se sont trouvés mêlés à une étrange guerre civile. Au début, nombreux sont ceux qui affirmaient que la guerre n’était qu’un débordement du carnage du Libéria voisin. Il est vite apparu qu’il s’agissait d’un conflit propre plutôt que de simples retombées d’un voisin turbulent. Les années de corruption, l’autorité dictatoriale du parti unique avaient culminé dans une lame de fond de mécontentement qui alimentait l’insurrection, après qu’elle eut été déclenchée par le mouvement des insurgés du Revolutionary United Front (RUF). Exploitation d’une culture du silence Les gouvernements successifs ont poursuivi la corruption et les pratiques dictatoriales en raison de la culture du silence en Sierra Leone.4 Il existe une tradition d’éviter les conflits par la négociation et le compromis. Il s’agit d’une orientation éthique très forte au sein de la génération plus âgée et elle mène souvent à l’hypocrisie et à la fausseté en vue de régler les conflits sociaux/politiques insolubles. En général, il est correct de dire que les Sierra-Léonais ont la réputation méritée d’être pacifiques et civilisés lorsqu’ils font face aux tensions et conflits qui caractérisent tous les États-nations modernes. Cependant, des jeunes irrévérencieux ont souvent averti qu’être amateur de paix peut aisément dégénérer en

amateur de pets , ce qui ne mène qu’à l’égout ! Ils ont signalé que cette culture du silence a permis aux gouvernements et aux politiciens successifs de prolonger l’agonie d’un peuple !

4. Pour un exposé de cette culture du silence, reportez-vous, par exemple, à : Squire, C.B. Agony in

Sierra Leone [Agonie en Sierra Leone], CBS/Computech Services, Freetown, Sierra Leone, 1996; Squire, C.B., Ill-fated nation? [Nation vouée au malheur ?], CBS/Computech Services, Freetown, Sierra Leone, 1995.

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L’EDUCATION, COMPLICE DE LA REBELLION Il est bien connu que l’éducation est une arme à double tranchant qui peut servir la cause de la domination et de l’oppression comme elle peut faire progresser efficacement la cause de la libération et de la liberté. Ce qui est souvent moins bien compris, c’est que des conséquences dues à l’inadvertance et des résultats inconscients de l’éducation peuvent réduire à néant les intentions et les plans les meilleurs. Cet article soutient que d’une manière assez inconsciente, l’éducation en Sierra Leone a été complice de la création du climat de rébellion qui a culminé dans une guerre civile. Les arguments de cette assertion sont ébauchés par ce qui suit. Inégalités dans l’accès à l’éducation et dans sa qualité L’expansion de l’éducation moderne en Sierra Leone reflète des modèles d’inégalité qui sont caractéristiques de la plupart des pays africains. Pendant l’époque coloniale, elle était dispensée de manière quelque peu réticente et était donnée principalement par les corps religieux bénévoles plutôt que par les régimes coloniaux. Une période d’expansion rapide a suivi l’indépendance lorsque le gouvernement national a mis l’accent sur l’éducation comme étant un instrument vital pour la modernisation. En dépit des réalisations louables dans le développement des infrastructures, les inégalités ont persisté car les gouvernements avaient tendance à favoriser les groupes et les régions constituant la base de leur pouvoir. Dans ce contexte, il y a toujours eu des controverses et des tensions sur l’accès et sur la participation équitables à un système éducatif qui dépend fortement du financement public. Les promesses d’écoles supplémentaires sont fréquentes dans les manifestes pour les élections, mais ne sont pas toujours accomplies. La répartition des installations émanant de projets éducatifs financés par la communauté internationale a été utilisée par les politiciens pour s’attirer les bonnes grâces de leurs électeurs. Fait révélateur aussi, comme les nouvelles écoles sont souvent créées en fonction de la convenance politique plutôt qu’en fonction d’une planification de l’éducation, les normes baissent dans leur ensemble. En bref, les attentes concernant l’accès à l’éducation ainsi que la qualité n’ont pas été remplies. Élitisme et aspirants oubliés La Sierra Leone n’a jamais eu un véritable système d’éducation généralisé, mais a fait son possible pour qu’une minorité chanceuse ait accès à une éducation de qualité. Elle était connue comme l’ Athènes de l’Afrique occidentale, avec le Fourah Bay College créé en 1827 comme la principale institution d’enseignement supérieur de la sous-région. En dépit de cette longue affinité avec l’éducation moderne et l’expansion du système scolaire au fil des années, le taux national d’inscription en Sierra Leone a toujours été faible. La persistance dans le système a aussi été relativement faible. En conséquence, seul un petit pourcentage du groupe d’âge admissible a accès à l’éducation. Parmi ceux qui ont assez de chance pour commencer à aller à l’école, la plupart abandonnent les études à la fin de l’enseignement primaire, et moins de 1% vont au-delà du secondaire. La Sierra Leone a donc un système éducatif élitiste. Mais cet élitisme n’est pas purement fondé sur la richesse ou la classe sociale, puisque le favoritisme politique joue un rôle majeur dans le système d’éducation subventionné. Les élites de l’éducation ont donc tendance à provenir de différents groupes sociaux, économiques et ethniques, bien que certains soient plus prédisposés à l’élitisme que d’autres ! L’élitisme de l’éducation est donc relativement ouvert, mais cela ne garantit pas qu’il soit plus acceptable ou tolérable pour ceux qui sont laissés à l’écart. L’éducation en Sierra Leone était aussi élitiste sur le plan de son curriculum académique restreint qui tentait plus de singer les cultures et les valeurs occidentales que de promouvoir la connaissance, les compétences et les attitudes pour un État africain moderne et indépendant. Bien qu’au fil des années certains progrès aient été enregistrés dans la

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diversification du curriculum, une certaine mesure d’aliénation pour la plupart des étudiants existe toujours dans le système. De même, jusqu’à récemment, le curriculum ne faisait que peu de cas des compétences non académiques et ne les récompensait pas. La réussite a été définie trop étroitement ! On peut soutenir que l’aspect le plus négatif du système d’éducation élitiste de la Sierra Leone est son incapacité complète de s’adresser à ceux qui ne s’inscrivent pas dans le système. Les élèves abandonnant la scolarité ne sont simplement pas prévus de façon sérieuse ou valable. Par conséquent, ceux qui ne survivent pas et qui ne se hissent pas au sommet de ce système étroit et compétitif deviennent simplement les aspirants oubliés . Dans une situation où seule une toute petite minorité peut recevoir une éducation complète et de qualité raisonnable, le prix de l’ignorance pèse plus lourdement sur ceux qui ont bénéficié d’une certaine scolarité, que sur ceux qui n’ont jamais eu accès à la scolarité. Cela engendre une frustration considérable dans la population à moitié scolarisée des

aspirants oubliés , qui à leur tour pourraient servir de bombe à retardement amorcée. Il n’est donc pas surprenant de trouver des aspirants oubliés dans le rôle de combattants des deux côtés de la guerre de rébellion en Sierra Leone. La guerre permet aux jeunes de vivre par les armes, et de vivre mieux. Pour les personnes à moitié instruites, le pillage est de loin plus profitable que l’attente d’un travail qui n’arrivera jamais. Les jeunes se sont donc enrôlés dans l’armée rebelle ou dans l’armée gouvernementale, peu importe - par milliers.° 5

Illusions insouciantes et attentes irréalistes À cause de l’impact décrit de l’éducation sur la promotion de la mobilité sociale dans la Sierra Leone nouvellement indépendante, des signaux erronés ont été envoyés aux générations à venir. Cela a donné lieu à des attentes irréalistes de ce qui pouvait être obtenu par la simple fréquentation scolaire et l’attribution de diplômes. À l’indépendance en 1961, la tendance à la naturalisation a signifié que les nationaux ayant une formation un peu plus élevée que le niveau secondaire étaient catapultés à des postes élevés. Ensuite, la nouvelle population croissante de diplômés universitaires était assurée d’obtenir des postes élevés, quelle que soit sa spécialisation. La plupart des diplômés de l’enseignement secondaire pouvaient également être certains d’obtenir un poste correct dans le secteur public ou privé. Lorsque la croissance économique et la création d’emplois ont commencé à accuser un retard sur la production des universités et des écoles, la réalité a démontré que les diplômes scolaires ne pouvaient plus être une garantie en soi pour trouver un travail, et d’autant moins des postes de haut niveau. Malheureusement, les attentes ont continué à défier cette nouvelle réalité. La croyance que la scolarité mène à de bons postes n’a pas pu être mise en doute. Un profond sentiment d’illusion a donc persisté parmi les étudiants qui pensent que la société leur doit quelque chose lorsqu’ils sortent du système éducatif. Conformité et servilité Même à l’apogée de son excellence académique, l’éducation en Sierra Leone avait tendance à produire des conformistes intelligents plutôt que des novateurs audacieux . Cela se doit essentiellement à l’éthique et aux valeurs morales qui prédominent dans le système éducatif, ce qui se reflète dans les maximes populaires telles que Obéis maintenant et plains-toi plus tard , Travaille et attends , L’érudition vaut mieux que l’argent et l’or , L’éducation est la clef de la réussite dans la vie , etc. En principe, la plupart de ces maximes reflètent des valeurs morales correctes qui peuvent aider à se forger un caractère. Poussées à l’extrême, elles peuvent toutefois devenir tyranniques et archaïques, et elles font ainsi beaucoup de tort aux jeunes esprits qui devraient

5. Sierra Leone: Vote to nowhere° [Sierra Leone : vote pour nulle part], The economist, 2 mars

1996, p. 62.

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être interrogateurs et novateurs. Dans la pratique, ces maximes ont aidé à créer une mentalité dans laquelle la conformité docile est récompensée et toute innovation déviante est punie. La culture de la scolarité est enfermée dans cette mentalité où les enseignants savent mieux que quiconque; les règlements scolaires existent pour le bien des élèves et ne doivent pas être méprisés; il faut toujours faire preuve de déférence envers ceux qui savent mieux ; le respect envers ceux qui nous gouvernent doit être gardé en toutes circonstances; le savoir est là pour être acquis et non pour être contesté; il est plus important de connaître les réponses que de poser des questions; etc. Dans ce contexte, il n’est guère surprenant qu’en Sierra Leone le peuple ait tendance à être davantage jugé ou valorisé pour ses diplômes que pour ses véritables performances professionnelles. La position ou l’emploi détenu a tendance à être plus important que l’acquittement d’un devoir ou que les talents. On répugne fortement à mettre l’autorité en doute ou à s’écarter du statu quo dans la plupart des matières. Le problème de la flatterie est profondément enraciné dans le système éducatif ! Cela a été contrebalancé par l’émergence d’une culture d’ irrévérence de la jeunesse , notamment parmi les aspirants oubliés qui avaient peu à perdre en méprisant l’autorité. Cette tendance est devenue à la mode, engendrant un conflit croissant des générations qui fait partie de la recette pour la violence sociale dans le pays ! Promesses non tenues Les États perdent leur intégrité lorsque les citoyens cessent d’être convaincus que la nation vaut la peine que l’on fasse pour elle des sacrifices ou qu’il y a beaucoup à attendre de l’État. Cela sous-tend la tendance inquiétante des Sierra-Léonais qui désertent leur pays ! Les jeunes Sierra-Léonais qui partaient à l’étranger faisaient en sorte d’acquérir un enseignement postscolaire. Comme les jeunes ont perdu leurs illusions par manque de possibilités et par ce qu’ils considèrent comme une trahison de leur propre société, la tendance s’est muée en voyage à l’étranger en tant que mécanisme de survie. L’accent n’était plus mis sur un perfectionnement mais sur la recherche d’une vie meilleure dans un pays offrant plus de perspectives. Ils n’avaient pas hâte de rentrer chez eux couverts de lauriers durement gagnés. Ceux qui revenaient étaient soit en visite flattant leur ego pour montrer leur réussite à l’étranger, soit à la recherche d’un poste élevé pour lequel ils se sentaient à la hauteur en vertu de leur long séjour à l’étranger. Le phénomène parti en Amérique constitue une accusation contre les promesses non tenues d’un système éducatif élitiste !

SIGNES AVANT-COUREURS D’UNE GUERRE CIVILE Contrairement à ce que les Sierra-Léonais pourraient être portés à croire, les guerres civiles n’éclatent pas simplement à la surprise générale. Il y a généralement des signes avant-coureurs qui peuvent être perçus par ceux qui sont suffisamment perspicaces, et le bruit a effectivement couru qu’il allait y avoir une guerre puisque les voies pour les changements pacifiques étaient rendues inaccessibles sous la dictature d’un parti unique. Avec du recul, nous vous présentons un bref aperçu de quelques-uns des principaux signes avant-coureurs de la guerre civile en Sierra Leone.

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Résignation à la crainte de la liberté Le consentement pacifique face à l’oppression peut être trompeur. On peut trouver le défaut chez les Sierra-Léonais d’avoir consenti à la suppression et à la dictature des gouvernements successifs, à cause d’une attitude fataliste qui frôle la crainte de la liberté. Entourés de violations choquantes des droits de l’homme, de corruption flagrante et de dictature, il n’a jamais été aisé de pousser les Sierra-Léonais à résister ou à protester contre quelque pouvoir que ce soit. Au lieu de cela, ils ont toujours eu tendance à prier pour la délivrance et à se résigner à leur sort en attendant cette intervention divine. Cependant, cette résignation à la crainte de la liberté ne signifie pas qu’il y ait un manque de conscience ou un profond ressentiment vis-à-vis de ce qui se passe dans la société. C’est simplement que les gens attendent leur heure et l’occasion de se venger des violations de leurs droits. Par conséquent, lorsque la guerre civile a éclaté, il y avait une ambivalence considérable parmi les Sierra-Léonais pour supporter un gouvernement corrompu et dictatorial contre les forces rebelles. Toutefois, la destruction et les pertes traumatisantes en vies qui se déroulaient dans le Libéria voisin à ce moment-là, ont persuadé la plupart des Sierra-Léonais que, tout compte fait, il valait mieux supporter le mauvais gouvernement qu’ils connaissaient plutôt qu’une force rebelle d’invasion inconnue. Irrévérence des jeunes et empereurs déchus Les personnages puissants en Sierra Leone semblent toujours avoir un problème à traiter l’irrévérence des jeunes. Un premier ministre qui était constamment traité de voleur par les écoliers en venait à échanger des insultes avec eux, et cela dégénérait éventuellement en lancer de pierres sur son cortège de voitures. Un président confronté aux boycottages des écoles et des collèges par les étudiants qui protestaient contre la corruption, a essayé d’envoyer la brigade anti-émeute. Cela a fait sortir les parents qui ont invité la brigade à leur tirer dessus plutôt que sur les enfants. Le président a eu recours aux émissions radiophoniques nocturnes pour demander aux parents d’implorer leurs enfants de retourner à l’école. Ces exemples illustrent de façon vivante comment l’irrévérence des jeunes peut mettre à nu l’impuissance de dirigeants apparemment tout-puissants. Ce n’est donc pas surprenant que la dictature à parti unique du gouvernement de l’APC ait finalement été renversée, non par la guerre des rebelles, mais par un groupe de jeunes officiers de l’armée (tous d’une vingtaine d’années) ! Ces hommes étaient venus du front de la guerre pour se plaindre du non-paiement des soldes, mais avaient été rabroués par le gouvernement. Croyant qu’ils avaient de sérieux ennuis à cause de leur protestation, ces officiers ont tout misé sur un coup d’État militaire. Le gouvernement a alors découvert la dure vérité qui arrive toujours trop tard pour les dictatures. L’appui qu’ils pensaient trouver au sein de l’armée et de la population dans son ensemble avait fait place à l’euphorie et à la jubilation générales après le coup d’État, et les jeunes officiers étaient acclamés comme héros et sauveurs nationaux ! Arrogance politique et erreurs fatales Les dictatures se bercent souvent d’illusions quant au contrôle qu’elles ont de la situation dans un pays. Cela engendre un certain degré d’arrogance politique qui se manifeste souvent par un manque de responsabilité et une intolérance à toute forme de critique. Paradoxalement, cette arrogance politique peut également être la source de la chute du régime, puisqu’elle peut susciter des erreurs fatales. Le gouvernement APC était si sûr de rester au pouvoir grâce à sa dictature à parti unique qu’il a initialement exclu la possibilité d’une guerre de rébellion. Les ressources de guerre ont alors été mal gérées au point que l’armée n’était pas payée en pleine guerre civile ! Même lorsqu’un groupe de jeunes officiers a quitté le front pour se rendre dans la capitale afin de protester du non-paiement des soldes,

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ils ont été renvoyés comme mécontents . Ils ont ensuite rapidement organisé un coup d’État militaire qui a fait perdre le pouvoir au régime de l’APC et des personnages puissants ont fui à l’étranger pour y trouver asile. Dégradation d’une société humanitaire On peut dire que le signal le plus puissant d’un conflit civil imminent en Sierra Leone est la dégradation de la société humanitaire. Les valeurs traditionnelles et les systèmes de la famille étendue garantissaient un filet de sécurité pour les faibles et les vulnérables de la société. Celui-ci s’est toutefois progressivement érodé à cause de la cupidité, de l’exploitation, de la manipulation et de l’indifférence à l’égard du sort des moins chanceux. La consommation ostentatoire de biens mal acquis a remplacé un esprit charitable de partage. La réalisation de bénéfices excessifs éhontés sur les biens et services les plus fondamentaux et essentiels est devenue l’ordre du jour, en ne tenant pas compte des conséquences mortellement graves pour les pauvres et les déshérités de la société. Sans une certaine forme de filet de sécurité, les pauvres et les déshérités doivent affronter la vie du mieux qu’ils peuvent. À leur tour, ils n’ont aucune raison de soutenir ou même d’être bien intentionnés envers les privilégiés et les puissants de la société. Le ressentiment qui couve, résultant de ces développements, crée des tensions sociales et sert de base à une explosion de violence lorsque l’heure est venue.

IMPACT DE LA GUERRE CIVILE SUR L’ÉDUCATION

En Sierra Leone, l’impact de la guerre civile sur l’éducation est bien plus que de la prendre entre deux feux . Les signes laissent supposer que loin d’être une victime accidentelle des circonstances, l’éducation a été ciblée à dessein et constamment, tant comme instrument de guerre que comme scène de combat. Destruction des installations physiques Dans chaque ville ou village attaqué pendant la guerre de rébellion, les écoles ont été vandalisées et détruites pour des raisons obscures. Les centres médico-sociaux, les industries et les magasins, enfin les domiciles, sont pillés ; les premiers pour leurs équipements médicaux, les seconds pour leurs biens et les autres pour leurs avoirs. Dans les écoles, on ne remarque le plus souvent aucun vol ; les destructions semblent être des gestes gratuits ! Les cas les plus sérieux de destruction d’institutions éducatives sont le Teacher’s College de Bunumbu et le University College de Njala. Bunumbu a reçu un financement international important à la fin des années 1970 et au début des années 80 pour un projet novateur visant à préparer une nouvelle sorte de maîtres du primaire pour les zones rurales. L’établissement d’enseignement supérieur a formé des enseignants qui étaient aussi des animateurs, et des animateurs pour le développement rural. Le Teacher’s College de Bunumbu était devenu mondialement célèbre pour ce programme novateur de formation des enseignants. Il a été l’une des premières institutions éducatives attaquées et prises par les rebelles au début des hostilités. Lorsque la région a finalement été libérée par les forces gouvernementales, la destruction essuyée par cet établissement supérieur de Bunumbu était si complète que les observateurs ont fait remarquer que : Quiconque a fait cela voulait s’assurer que rien de ce que l’on appelle “éducation” ne puisse jamais reprendre place ici. Le University College de Njala est l’un des collèges constitutifs de l’Université de la Sierra Leone et est situé relativement près de la capitale Freetown. L’attaque initiale des rebelles sur Njala a été rapide et brutale, forçant la plus grande partie du personnel et des étudiants à abandonner l’établissement pour des emplacements plus sûrs. Il était considéré que ce n’était qu’un contretemps momentané et que l’établissement retournerait à la normale avec une mesure de protection des troupes gouvernementales. Cependant, chaque fois que des

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plans étaient élaborés pour rouvrir l’établissement, les rebelles le revisitaient et causaient des destructions supplémentaires. Njala a été attaqué au moins trois fois pour empêcher sa réouverture, et les dégâts engendrés ont assuré que cela prendrait beaucoup de temps et de moyens financiers pour le rendre à nouveau opérationnel en tant qu’établissement d’enseignement supérieur. Dans le cas du collège de Fourah Bay qui est le collège constitutif de l’université le plus ancien, son emplacement dans le centre de la capitale a rendu difficile son attaque par les rebelles. Cependant, cela n’a pas empêché de sérieuses menaces d’être proférées à son encontre. A maintes reprises, un ultimatum a été adressé au personnel et aux étudiants, leur enjoignant d’abandonner leurs recherches éducatives ou de s’apprêter à de terribles conséquences. En effet, au moins à l’une de ces occasions, le collège a été partiellement évacué de crainte d’une attaque rebelle imminente. Par conséquent, bien que le collège de n’ait pas été attaqué, son programme académique a été perturbé par un climat de peur. Outre ces institutions de niveau supérieur, nombre d’écoles secondaires situées en dehors de la capitale et des villes importantes ont aussi été détruites par les rebelles. Parmi celles-ci, la Harford Secondary School for Girls, située à Moyamba dans la province du Sud, occupe une place prééminente. C’est une école pour filles de premier plan qui a formé de nombreuses femmes éminentes de la société de la Sierra Leone. Le personnel et les étudiantes ont été forcés de s’enfuir de l’école et de se réfugier dans des endroits plus sûrs. Il y a aussi des cas où les attaques rebelles sur les écoles auraient été menées par d’anciens étudiants qui ont rejoint le mouvement rebelle. Dans l’un de ces cas, dans le district de Kambia dans la province du Nord, un nombre élevé d’étudiants (particulièrement des jeunes filles) ont été enlevés par les rebelles et sont maintenant détenus comme otages depuis presque deux ans. Généralement, en raison de ces attaques des forces rebelles sur les institutions éducatives, la population déplacée à l’intérieur du pays comprend une proportion importante d’élèves et d’enseignants. Cela a rendu difficile la tâche de vérification de l’inscription de base et des données connexes pour l’organisation de l’éducation. Enlèvement de personnel et d’étudiants Le mouvement rebelle RUF a coutume d’enlever le personnel et les étudiants des institutions éducatives attaquées. Il s’agit cependant d’une question qui soulève quelques controverses. Certains allèguent que même si une partie du personnel et des étudiants sont effectivement enlevés, beaucoup d’autres rejoignent le RUF de leur propre volonté. On ne comprend pas pourquoi ces jeunes voudraient échanger leur vie actuelle dans leur foyer contre une existence précaire dans la brousse comme membre d’un mouvement rebelle. Ce qui est clair cependant, c’est que le mouvement RUF compte un médecin, plusieurs ingénieurs et une proportion anormalement élevée d’anciens enseignants et d’anciens étudiants dans ses rangs ! Il s’agit en effet de l’une des ironies les plus cruelles de la guerre de rébellion : alors que la nation entre dans un conflit, tant de ses ressources humaines utiles sont utilisées pour détruire tant de choses qui ont été réalisées dans le passé. Il convient de soulever la question de l’impact à long terme de ce phénomène. Que se passera-t-il lorsque ces anciens enseignants et anciens étudiants réintégreront la société, si c’est le cas ? Quels types de valeurs et d’attentes amèneront-ils, et comment la société va-t-elle ou devra-t-elle y répondre ? Mise en question de la philosophie et des finalités de l’éducation La guerre de rébellion a lancé de sérieux défis à la philosophie et aux finalités que le système éducatif en Sierra Leone semble avoir épousées. D’abord, la direction du RUF a toujours soutenu que les gens qu’ils ont soi-disant enlevés ont en réalité été libérés et ont décidé de rester de leur propre volonté après avoir été conscientisés . Cela s’apparente bien sûr au type de rééducation politique liée aux régimes totalitaires et au traitement réservé aux dissidents. Cependant, ce que le RUF semble indiquer, c’est que dans une nation rongée par

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la corruption, la cupidité et l’injustice, les gens doivent apprendre la discipline de faire avec les ressources disponibles (dans la brousse), les vertus du partage avec autrui et la responsabilité de s’occuper des autres. Bien que ces revendications de la part d’un mouvement rebelle qui a commis tant d’atrocités contre des civils innocents sonnent très faux, il est impossible de ne pas reconnaître une condamnation du système éducatif qui n’a visiblement pas été capable de transmettre ces vertus. En outre, les tristes circonstances de la guerre civile ont donné à de nombreux jeunes un nouveau sens de la valeur pour la toute première fois de leur vie. Le pouvoir derrière un fusil a signifié que de nombreux jeunes qui avaient dû rester en marge de la société étaient maintenant propulsés à l’avant-plan comme combattants rebelles ou comme nouvelles recrues dans l’armée gouvernementale. Ce que beaucoup n’avaient pu accomplir par le processus scolaire était maintenant en train de se réaliser puisque la société levait les yeux vers eux pour déterminer l’issue du conflit civil. Sous le gouvernement militaire, certains de ces jeunes se sont retrouvés à des postes de responsabilité et de prise de décision dans le pays. Tout ceci a jeté un sérieux doute sur l’ancienne notion de l’éducation comme voie principale vers la mobilité sociale. De nombreux jeunes mettent maintenant en doute la valeur et les vertus réelles du système éducatif en Sierra Leone. Enfin, il semble qu’il y ait une relation paradoxale d’amour-haine envers l’éducation en ce qui concerne le mouvement rebelle. L’une des nombreuses revendications explicites présentées jusqu’à présent par la direction du RUF est une éducation libre , comme un des changements qu’ils veulent voir dans une nouvelle Sierra Leone. De la même façon, un désir d’éducation et de formation a été la priorité absolue exprimée par les jeunes combattants rebelles qui sont réhabilités au fur et à mesure de leur reddition ou de leur capture au cours des combats. Ces demandes sont extrêmement significatives de la part de ceux qui ont passé tant de temps et fait tant d’efforts pour détruire systématiquement les institutions éducatives. Ils nourrissent tout au moins un profond ressentiment envers la philosophie élitiste dans l’éducation, qui en a tant privé des bienfaits de la scolarité. Il existe également des arguments en faveur d’un réexamen de ce que représente l’éducation et de la manière dont elle peut être plus englobante sur le plan de la reconnaissance et de la récompense d’un plus large éventail de compétences et de talents pour l’édification de la nation.

MÉCANISMES D’ENTRAIDE POUR LA RELANCE La scolarité est une partie essentielle du rythme d’une société normale. Rendre les écoles fonctionnelles peut donc être crucial pour redresser des sociétés déchirées par la guerre. Il n’est donc pas surprenant que les mesures prises pour effectuer ce redressement et cette réhabilitation dans la Sierra Leone déchirée par la guerre comprennent un niveau élevé d’intervention éducative. Des exemples de ces mesures d’intervention sont exposés ci-dessous. Transfert des institutions Les Sierra-Léonais ont fait preuve d’une détermination tenace pour poursuivre le processus éducatif face à la destruction causée par la guerre de rébellion. Une des stratégies ayant enregistré le plus de succès dans ce domaine est le déménagement des institutions éducatives affectées par la guerre. Ainsi, le collège de Bunumbu a été transféré à Kenema qui est la capitale de la province orientale. Le collège partage les installations avec un institut technique de la ville, et on espère qu’il peut être plus facilement défendu dans un lieu aussi important. De même, le University College de Njala a été transféré à Freetown où il est installé temporairement dans toute une série de locaux éparpillés partout dans la ville. Le Harford Secondary School for Girls se trouve aussi maintenant à Freetown, à l’instar de plusieurs autres institutions. Les conditions sont loin d’être satisfaisantes pour certaines de ces institutions

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déplacées, mais la manière dont la scolarité est gardée vivante est sans aucun doute une réussite majeure pour contrecarrer les tentatives des rebelles d’anéantir l’éducation. À cet égard, les Sierra-Léonais ont eu à redécouvrir le type de force de leur système de la famille étendue traditionnelle et l’attention de la communauté. Il est remarquable que l’ensemble du personnel et des étudiants de ces institutions déplacées aient été capables de trouver un abri et le soutien chez des parents et des amis à Freetown, Bo ou Kenema tandis qu’ils continuent leur éducation. Intégration des étudiants déplacés dans les écoles existantes Naturellement, il n’a pas été possible de déménager toutes les écoles détruites par la guerre de rébellion. Même dans certains cas où les écoles n’avaient pas été détruites, le degré d’insécurité a forcé toute la population y compris les enseignants, les étudiants et leurs parents à fuir vers des régions plus sûres. Les villes importantes comme Freetown, Bo et Kenema ont donc accueilli une population croissante d’étudiants déplacés. La stratégie adoptée pour traiter ce problème était d’intégrer les étudiants déplacés du niveau secondaire dans les écoles existantes des grandes villes. Cela a de nouveau été une réussite, certaines des écoles les plus prestigieuses ayant dû accueillir des étudiants issus de ce qui serait considéré comme des écoles très médiocres. Certaines des écoles d’accueil ont été pourvues de pavillons de classes supplémentaires pour pouvoir absorber des effectifs supplémentaires, et presque toutes se sont mises à dédoubler les horaires de fonctionnement. Cette stratégie impliquait généralement la coopération des directeurs d’établissement et du Ministère de l’éducation pour assurer la continuité de la scolarité de ces enfants déplacés. Ouverture de nouvelles écoles pour les personnes déplacées et les réfugiés Une autre stratégie utilisée avec succès consistait à ouvrir de nouvelles écoles pour les étudiants déplacés. Cette technique était utilisée principalement pour résoudre le problème des élèves du primaire, et l’initiative a été prise principalement par les entités religieuses locales, les ONG et les organisations privées. L’une des plus notables parmi ces nouvelles institutions émergeant de ce type d’initiative est l’école FAWE (Forum of African Women Educators) qui s’adresse aux filles déplacées à Freetown. Démobilisation d’enfants combattants On n’a malheureusement pas pu s’occuper de tous les enfants au moyen des stratégies décrites ci-dessus. Dans un sens, les enfants déplacés ont été les chanceux, puisque beaucoup d’autres étaient en fait des combattants actifs au sein des forces rebelles et gouvernementales. L’UNICEF a pris la tête de l’initiative d’assurer la démobilisation des enfants combattants des deux camps du conflit. Ce type d’intervention aide à réduire le préjudice porté aux jeunes et leur offre un nouvel espoir. Détraumatisation par le programme Enfants touchés par la Guerre (ETG) A nouveau, l’UNICEF a été la première à établir un programme visant à résoudre les problèmes affrontés par les enfants touchés par la guerre. Cette catégorie comprend les enfants anciennement combattants ainsi que les enfants qui ont été témoins ou qui ont été soumis à des atrocités pendant la guerre. Les mesures prises pour aider ces enfants comprennent la détraumatisation ainsi que l’assistance socio-psychologique, l’éducation et la formation. En dépit de toutes ces interventions louables, il faut souligner qu’il y a toujours un nombre intolérablement élevé d’enfants dans les rues des grandes villes, qui sont simplement passés entre les mailles du filet de ces mécanismes d’entraide.

MISE EN GARDE

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Malgré leurs avantages incontestables, il y a des risques associés aux mécanismes d’entraide dans les États perturbés comme la Sierra Leone. Dans un sens, les mécanismes d’entraide traitent essentiellement de la survie plutôt que du développement. Le danger est donc d’être trop étroitement lié par ces mécanismes et de ne pas être capable de passer du mode de survie au mode de développement. Il existe déjà un cadre croissant de fonctionnaires participant aux organismes d’aide dans la planification et la mise en œuvre des mécanismes d’entraide. Les intérêts sont tissés et des hiérarchies créées, de sorte qu’en réalité ces mécanismes d’entraide ont une vie propre en dehors du système normal. On peut même affirmer que dans certains cas, la dépendance perpétuée est activement encouragée pour garantir que les nouveaux fonctionnaires conservent leur emprise sur les vies des gens, au nom du redressement et de la reconstruction de la nation ! De la part des bénéficiaires, il y a un danger de ne pas être à même de voir au-delà de la période d’assistance fournie par des tiers. Nombre d’enfants déplacés reçoivent actuellement une assistance importante dans les écoles spéciales qui sont supposées être une mesure temporaire. Certains doivent se demander si cela a du sens de retourner dans leurs anciennes écoles manquant de ressources et dans les conditions familiales déshéritées lorsque la guerre sera finie. Par ailleurs, il y a de nombreux enfants déplacés vivant dans des conditions effroyables qui attendent ardemment de retourner vers la sécurité et le confort relatif de leurs foyers et de leurs communautés. Si les mécanismes d’entraide sont traités comme des fins en soi se justifiant par elles-mêmes, ils ne peuvent que donner naissance à une culture de dépendance qui n’arrangera rien pour l’éducation à long terme. Par ailleurs, si les mécanismes d’entraide sont considérés comme étant des mesures temporaires pour aider à assurer la permanence jusqu’à ce que la situation revienne à la normale, l’éducation perdrait l’occasion de bénéficier des leçons parmi les plus importantes de la guerre. Le défi est d’utiliser les mécanismes d’entraide comme des catalyseurs qui peuvent ouvrir de nouveaux horizons et de nouvelles possibilités pour l’avenir de l’éducation. Ils ne doivent pas seulement nous aider à faire face à la crise actuelle, mais doivent aussi nous montrer de nouvelles voies pour mieux faire les choses à l’avenir. Ils ne doivent pas simplement servir de soutien pour étayer le système éducatif en temps de crise, mais doivent aussi servir de pont vers un changement majeur et un système éducatif amélioré.

L’ÉDUCATION ET LA VISION D’UNE SOCIÉTÉ D’APRÈS-GUERRE Quelle est la vision d’une nouvelle société que les Sierra-Léonais veulent voir surgir des leçons du conflit civil, et quel est le rôle que l’éducation peut jouer dans l’accomplissement de cette vision ? A en juger par les événements qui ont mené au cessez-le-feu et aux négociations de paix actuels, ainsi que par les cartes que les deux camps ont mises sur la table jusqu’à présent, les dimensions de la société envisagée peuvent être ébauchées. Redevenir une société humanitaire Tant le gouvernement que le mouvement rebelle ont souligné que la réimplantation des réfugiés et des familles déplacées devait être la priorité absolue dans le processus de reconstruction. En outre, le gouvernement a déjà institué une commission pour traiter de la question brûlante de la réconciliation nationale. Ce sont là des signes manifestes de la reconnaissance que la Sierra Leone doit réapprendre à être une société humanitaire. Cette notion n’implique pas une version romantique ou idéaliste de l’humanitaire. Elle signifie simplement que la cupidité, la consommation égoïste, la corruption flagrante et l’indifférence aux malheurs d’autrui doivent être sciemment découragés en société. Alors qu’il y a beaucoup à faire sur les plans du redressement économique et de la reconstruction nationale, il est aussi important de cultiver des filets de sécurité pour les classes déshéritées et vulnérables. Sans cette nouvelle approche humanitaire, la Sierra Leone risque de ne pas voir

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les véritables leçons de la guerre civile. Le défi pour l’éducation est de pouvoir insuffler les valeurs et attitudes appropriées dans le programme afin de promouvoir une société humanitaire. En effet, le défi le plus pressant se trouve dans les domaines de l’éducation des adultes et de la mobilisation de la communauté, qui s’avèrent être extrêmement faibles dans le contexte du système éducatif élitiste de la Sierra Leone. Sauvegarde de la démocratie et des droits de l’homme S’occuper des autres est bien trop souvent assimilé à de la charité et à de la bienveillance, notamment par les groupes puissants de la société. L’expérience récente des Sierra-Léonais dans l’exercice de leur droit à des élections libres et équitables pour déterminer qui les gouvernera est une leçon importante qui a modifié les attitudes des gens haut placés. Les politiciens, les soldats et les rebelles ont également été placés devant la certitude que la plupart des Sierra-Léonais chérissent maintenant le processus démocratique et soutiennent le respect des droits de l’homme dans leur société. Lorsque les Sierra-Léonais ont résisté aux pressions de la junte militaire au pouvoir et ont bravé les fusils et les balles destinés à les empêcher d’aller aux urnes en février 1996, ils envoyaient un message clair aux soldats. Alors que le peuple était reconnaissant aux armes qui l’avaient libéré de la dictature du parti unique de l’APC, il ne voulait pas être dirigé par un groupe de soldats non élus dont l’unique source d’autorité était le fusil. De même, lorsque les Sierra-Léonais défiaient les menaces du mouvement rebelle RUF selon lesquelles il déclencherait des destructions si les gens osaient se rendre aux urnes, ils envoyaient également un message puissant aux rebelles. Le peuple n’a pas besoin d’un soulèvement rebelle destructeur et meurtrier pour se libérer. Il est préparé à prendre son avenir en main par le biais du processus démocratique. Il s’agit là incontestablement des principaux avantages qui émergent du conflit civil qui a tourmenté le pays ces cinq dernières années. Ils marquent un moment décisif dans la recherche de la paix, en réalisant que les Sierra-Léonais avaient finalement atteint leur majorité et n’étaient plus disposés à tolérer la guerre absurde et ses effets dévastateurs. Le pays a maintenant besoin de sauvegarder ces avantages et de bâtir dessus, pour sa reconstruction rapide et son développement futur. Un des acteurs clés à cet égard est la National Commission for Democracy qui a été instituée, paradoxalement, par le régime militaire afin de convaincre le peuple qu’il favorisait un retour au pouvoir démocratique. Par la suite, cependant, la responsabilité pour la sauvegarde de la démocratie et des droits de l’homme doit reposer sur le système éducatif. C’est encore un défi majeur pour ceux qui cherchent à employer à bien le processus de l’éducation pour les finalités globales de la reconstruction nationale et du développement en Sierra Leone. Renouvellement de l’éducation Ce qui ressort clairement de ce qui précède, c’est que l’éducation doit être remaniée en Sierra Leone, si les leçons de la guerre doivent être intégrées dans le processus de réconciliation, de reconstruction et de développement. Cette tâche est rendue plus ardue par le fait que la Sierra Leone en était au début de l’implantation d’un nouveau système d’éducation lorsque la guerre a éclaté. Ce nouveau système 6-3-3-4 comporte toute une série d’aspects positifs, mais il serait regrettable qu’en se fixant sur son exécution, il ne soit pas possible d’accorder l’attention nécessaire au type de renouvellement suggéré par les leçons du conflit civil. L’idée maîtresse du nouveau système est de s’adresser à un plus large éventail de talents et de compétences, ainsi que d’assurer que des possibilités sont offertes à la plupart des étudiants de développer tout leur potentiel dans un système éducatif moins élitiste. A cette fin, des efforts sont fournis pour garantir que tous ceux qui y ont droit auront accès à 6 années d’enseignement primaire. Par la suite, on espère que tous ceux qui désirent poursuivre,

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et qui en ont les moyens, prendront place dans un collège d’enseignement secondaire. Ensuite, les possibilités deviennent très diversifiées. Un faible pourcentage d’étudiants compétents sur le plan scolaire poursuivront 3 années de lycée (enseignement secondaire), après lesquelles ils peuvent entrer dans les programmes de base de 4 ans de l’enseignement supérieur. La majorité de ceux qui terminent le collège d’enseignement secondaire seront à même de compléter leur éducation dans une série d’institutions techniques/professionnelles et dans certains cas de passer à des études supérieures. En outre, le curriculum pour l’ensemble du système devrait être remanié conformément à une nouvelle orientation vers les sciences, la technologie, le commerce et d’autres branches du curriculum indispensables pour l’édification de la nation. Certains des défis posés par les leçons de la guerre seront incontestablement relevés par les innovations du nouveau système d’éducation. Il y a cependant toute une série de questions éthiques et morales que le système ne peut se permettre de négliger. Elles ont trait à la mentalité institutionnelle qui prévaut dans le système, la manière dont les écoles sont organisées et gérées, la relation entre ceux qui gouvernent et leurs clients, les valeurs transmises par les règles de conduite, etc. À cet égard, quelques exemples des dilemmes posés par ces défis sont repris. Le conflit est considéré comme un problème majeur, et nombreux sont ceux qui voudraient le supprimer ou le renier au nom de la paix dans le pays. La Sierra Leone a cependant connu suffisamment le vieux style de gestion des conflits qui comportait hypocrisie et fausseté. Il est temps maintenant pour le système éducatif d’être le premier à promouvoir des formes plus éclairées de gestion des conflits. Un certain degré de conflit et de tension est toujours bon pour les institutions et la société dans son ensemble. Cela implique simplement d’accepter l’existence de valeurs, d’intérêts et d’optiques différents qui doivent être gérés dans une société démocratique. La Sierra Leone doit utiliser pleinement tout son potentiel de ressources humaines par l’entremise d’un système éducatif non élitiste. Toutefois, il est vain de croire que l’élitisme peut être éliminé à l’aide d’un nouveau système d’éducation. Les idéologies erronées d’un système méritocratique servant à déterminer ceux qui bénéficient le plus de l’éducation se sont toujours révélées susceptibles d’être manipulées. Il n’y a rien de mauvais à ce que les gens attendent le meilleur pour leurs enfants ou qu’ils soient disposés à utiliser toutes les ressources qu’ils ont à leur disposition pour cette fin. En effet, cela mène à une mobilité entre les générations qui ne peut être que bonne pour le développement. Un intérêt croissant pour l’enseignement privé se fait jour chez les parents qui veulent s’assurer qu’on ne refusera pas à leurs enfants l’accès au lycée (enseignement secondaire) (et à l’enseignement supérieur par la suite) dans le nouveau système éducatif 6-3-3-4. Quoi qu’il en soit, il est important d’admettre que toute société doit avoir ses élites ! Le défi maintenant consiste à savoir comment être sûr que le système éducatif forme ce qu’Ali Mazrui

6 appelle une élite du travail plutôt qu’une élite de loisirs . Comment

nous assurer que ceux qui reçoivent le plus du système éducatif relèveront le défi de donner le maximum à la société et à leurs concitoyens, au lieu d’exiger des récompenses supplémentaires de la part de la société, simplement parce qu’ils ont été éduqués. Un autre défi est que l’éducation doit maintenant promouvoir beaucoup plus des valeurs morales éclairées ou dynamiques pour une société africaine moderne. Elles doivent maintenant remplacer les valeurs archaïques défendues si longtemps par l’ancien système éducatif. C’est une manière de commencer à traiter le cancer de la flatterie dans la société.

6 Mazrui, A., Political values and the educated class in Africa [Valeurs politiques et classe instruite en

Afrique], Heinemann, Londres, 1978.

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CHAPITRE IV

Colombie : pays et écoles en conflit Elsa Castañeda Bernal

Coordinatrice du projet de recherche, Fundación FES, Compania de Financiamento Comercial, Santafé de Bogotá

Avant de ressentir une passion à l’égard d’une femme,

Je jouais avec mon cœur et la violence s’emparait de moi. José Eustasio Rivera, La Vorágine

INTRODUCTION

La Colombie est un pays fondamentalement hétérogène. Il se caractérise par une diversité géographique, une population multi-ethnique, une mosaïque culturelle à l’origine d’une variété d’expressions intellectuelles et artistiques, ainsi que par un manque du sens d’identité nationale et d’un système représentatif institutionnalisé, joint à un degré élevé d’inégalité sociale. Cette diversité sociale et culturelle fait donc qu’il est difficile de comprendre les facteurs économiques, sociaux et politiques qui sous-tendent le processus de dégradation que le pays est en train de traverser. La violence est devenue plus qu’un problème temporaire et représente un des principaux piliers historiques de la Colombie.

Dans cette optique, cet article cherche de nouvelles interprétations au phénomène de la violence spécifique à la Colombie et à établir ses liens éventuels avec l’éducation. Afin d’y parvenir, il est nécessaire d’aborder la question en allant au-delà d’une analyse de la situation actuelle et d’examiner le contexte social et historique du processus de modernisation en Colombie.

LA COLOMBIE ET LE PROCESSUS DE MODERNISATION Le processus de modernisation en Colombie se caractérise par sa vitesse remarquable, l’intensité du changement ainsi que par son iniquité. En d’autres termes, il y a des différences importantes dans la manière dont les différentes régions et classes sociales ont été touchées par le processus de modernisation.

L’ampleur du seul changement démographique a été énorme. À partir d’une population principalement rurale en 1950 (70% d’un total de 8,7 millions d’habitants), la pression démographique et la migration intensive des campagnes vers les villes expliquent le fait que vers 1960, 61% d’une population totale de 25,5 millions vivaient dans la zone urbaine. De nos jours, 76% (sur une population totale estimée à 37 millions)1 résident dans les quatre villes principales (Bogotá, Cali, Medellín et Barranquilla) en Colombie. Comme Giraldo et López (1994) l’ont déclaré : La transition d’un pays rural à un pays urbain, engendrée par le phénomène de la violence, a aussi déclenché une transformation d’importance égale des valeurs traditionnelles fondées sur la religion, les relations familiales et l’affiliation politique aux partis traditionnels, dans une moralité fondée sur le désespoir et la corruption (p. 278).

Au cours des cinquante dernières années, la Colombie a adopté des projets successifs de modernisation économique largement inspirés par les modèles européens et nord-

1 Office national de statistiques, Résultats du recensement de 1993, DANE, 1996.

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américains. Il en a résulté que le pays a oscillé entre les pôles de pauvreté-richesse et sous-développement-développement.

Bien que la pauvreté ait diminué au cours de ces deux dernières décennies (selon l’Indice des besoins fondamentaux non satisfaits), la proportion de la population vivant au-dessous du seuil de pauvreté reste très élevée (64,6% en 1992). Bien que la proportion de la population urbaine vivant au-dessous du seuil de pauvreté ait baissé de 48,6% en 1978 à 44% en 1988, elle est remontée à 46,4% en 1992. Le taux en zone rurale est resté stable entre 1978 et 1988 et était évalué entre 70,4 et 69,5%. Toutefois, au cours de la crise récente du secteur agricole, la pauvreté rurale est passée de 26 à 35% entre 1991 et 1993. En outre, l’écart entre les riches et les pauvres s’est accru. En effet, depuis 1990, l’écart entre le revenu réel par habitant dans les zones rurales et urbaines a enregistré une hausse d’environ 36 points de pourcentage2. En termes plus généraux, on peut affirmer que la tension entre le sous-développement et le développement est assez paradoxale. Le scénario socio-économique oscille entre la croissance extérieure et la désintégration sociale, le développement économique et la violence sociale, l’industrialisation et l’économie parallèle.

Les contradictions inhérentes au processus de modernisation en Colombie sont clairement illustrées par Giraldo et López (1994). Ils soutiennent que nos expériences de la modernité ont infiltré notre épiderme individuel et social, notre géographie, nos habitudes, notre religion, nos classes, nos croyances, nos idéologies et nos pratiques politiques. A leur tour, ces éléments affectent essentiellement les modes de vie des groupes et des élites de revenus élevés, ainsi que ceux des classes moyennes, dont font partie les petits entrepreneurs, les hommes d’affaires, les techniciens et les employés. Les modes de vie individuels et collectifs de la majorité écrasante de la population restent cependant inchangés (p. 262-272). Il n’est par conséquent pas surprenant de trouver différents modèles de développement socio-économique et de modes d’identification sociale sur le même territoire voire dans la même psyché individuelle. D’une ville, d’un quartier ou d’une classe sociale à l’autre, les représentations sociales fondées sur les visions pré-moderne, moderne et même post-moderne du monde coexistent. Il n’est pas non plus surprenant de voir à quelle vitesse les changements culturels et sociaux se sont produits. Londoño (1995) l’exprime clairement en affirmant que la règle d’or dans l’histoire de la Colombie réside dans le fait que dans ce pays, tout change deux fois plus vite que dans un autre pays en développement (p. xv) .

En conséquence, le processus de modernisation, caractérisé par une vitesse remarquable des changements, par les tensions inhérentes ainsi que par un impact différentiel sur les différentes couches sociales, constitue une menace potentielle pour la cohésion de la structure sociale de la Colombie. La somme des contradictions de ces cinquante dernières années, entre une société essentiellement fermée, traditionnelle, pastorale et une société caractérisée par le nouveau modèle modernisé, s’exprime par des canaux violents. La violence ne devient pas seulement un mode d’expression, mais aussi un mécanisme de résolution de conflits sociaux.

LA VIOLENCE DANS LA SOCIÉTÉ COLOMBIENNE Nombre d’études et d’analyses sur la violence en Colombie ont proliféré depuis les années 1960. Un large éventail de disciplines ont contribué à l’étude de ce phénomène, y compris la sociologie, l’économie, l’histoire, l’anthropologie et la psychologie, ainsi que l’épidémiologie, les communications et la violentologie3. De nombreux artistes ont également centré leur travail sur le thème de la violence. Dans les arts plastiques, comme ceux 2 Plan d’action de la Colombie en faveur des enfants – PFAI - Situation actuelle pour 1996 et perspectives pour 1998 et

l’an 2000. Santafé de Bogotá : Présidence de la République, juillet 1996. 3 La Colombie est peut-être le seul pays au monde à avoir un groupe d’experts qui se dédient exclusivement à l’étude de la

violence. Carlos Alberto Uribe Tobón (1990) dans Culture, violence culture and violentology [Culture, culture de violence et violentologie], Review of anthropology, vol. 6, n° 2, parle d’eux comme de ce groupe particulier de spécialistes qui pratiquent la nouvelle discipline des sciences sociales colombiennes, la violentologie .

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d’Alejandro Obregón, Carlos Granada et Luis Caballero, par exemple, des séries complètes sont dédiées à ce thème. En littérature, des écrivains célèbres tels que José Eustasio Rivera, Eduardo Caballero Calderón, Gabriel García Márquez, Manuel Mejía Vallejo, Gustavo Alvarez Gardeazábal, Jorge Eliécer Pardo, Fernando Vallejo, ont tous écrit sur les diverses formes de violence que le pays a connues et qui sont si caractéristiques de son histoire culturelle. Néanmoins, en dépit de cette abondante production scientifique et artistique, de nombreuses personnes déclarent qu’il reste beaucoup de choses à examiner sur le plan du développement historique de la violence en Colombie. C’est particulièrement vrai pour la vague la plus récente de violence.

Grâce à leur nature objective et détaillée, deux études en particulier valent la peine d’être analysées ici. La première est Violence en Colombie (1962), par Germán Guzmán Campos, Orlando Fals Borda et Eduardo Umaña Luna; et Colombie, violence et démocratie (1987), un rapport préparé par une équipe interdisciplinaire de dix spécialistes, à la demande de la Commission gouvernementale des études sur la violence.

Selon Guzmán et al. (1962), la littérature a concentré son attention sur les origines de la violence, qui se charge d’enrayer l’affiliation politique, ainsi que les facteurs socio-économiques tels que les effets de l’expropriation des paysans et, de manière plus générale, de la modernisation du pays. D’une manière ou d’une autre, les analyses du phénomène se sont concentrées sur l’éclaircissement des facteurs structurels de la violence.

Suivant Sánchez et Peñaranda (1991), depuis 1975, le thème de la violence est passé par une renaissance , caractérisée par la transition de l’analyse de la violence comme facteur politique à un phénomène étudié dans une perspective à long terme. L’existence de la violence est actuellement considérée comme un élément structurel de l’évolution sociale et politique du pays. Il y a également eu un changement depuis 1975 partant d’une perspective mondiale pour en arriver à une régionale dans laquelle les analyses ont tendance à se concentrer sur les rapports entre la structure agricole et celle des classes, les expropriations des paysans par les classes émergentes et les relations entre la dynamique des politiques locale, régionale et nationale (p. 28-35).

Le rapport entrepris par la Commission d’études sur la violence, jugé comme étant une évaluation très rigoureuse de la situation dans les années 1980, concluait que la Colombie a fini par devenir un endroit où de multiples formes de violence existent, ‘qui n’excluaient pas, mais dépassaient plutôt la dimension politique; elles s’imbriquent maintenant et se renforcent l’une l’autre de telle sorte que le pays se trouve au bord d’une situation chaotique, qui pourrait aisément se muer en anarchie générale . La Commission a également identifié des types de violence (comme on les appellera dorénavant) et y a trouvé un dénominateur commun, à savoir la démocratie restreinte qui ne reconnaît pas la nature pluraliste de la société qu’elle prétend représenter. Le fait que tous les citoyens ne puissent pas exercer librement leurs droits engendre l’inégalité entre eux (p. 39).

La Commission d’études sur la violence en est venue à mettre en question la nature de la violence politique et a identifié trois autres formes comprenant la violence socio-économique, socio-culturelle et territoriale. Ces trois types de violence sont renforcés par une culture globale de violence qui se reproduit par l’intermédiaire des principaux agents de socialisation, dont la famille, l’école et les médias. De plus, en définissant la violence comme

tout comportement et acte individuel et de groupe qui infligent la mort ou des blessures à autrui, qu’elles soient physiques, morales ou émotionnelles , le concept de la violence s’est élargi. En incluant le préjudice moral, on peut dire que la violence s’est enracinée dans le cœur de la société colombienne. Ce ne sont pas nécessairement les pauvres qui commettent des actes de violence. Au contraire, les Colombiens seraient plus enclins à s’entre-tuer à cause de leurs conditions de vie et de leurs relations sociales qu’à conquérir le contrôle politique de l’État (p. 11-27).

Selon cette étude et plusieurs événements sociaux et politiques qui se sont déroulés dans le pays, il était temps d’adopter la quatre-vingt-onzième réforme constitutionnelle, qui

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modifiait grandement, du moins en théorie, le niveau de participation civile dans les affaires sociales et tenait compte de plus de pluralisme et de tolérance en tant que piliers de la citoyenneté et de la société civile.

En raison de la portée du document de la Commission, il est devenu un modèle pour les études ultérieures entreprises cette dernière décennie. Ces études ont principalement cherché à comprendre les diverses formes de violence et à identifier ces acteurs : des massacres, trafic de drogue, activités paramilitaires, aux groupes d’auto-défense, milices populaires, mercenaires, guérillas4, gangs de jeunes dans les rues et criminels de droit commun.

En somme, ces études brossent un tableau général du problème de la violence en Colombie, de sa nature, de ses origines probables, de l’ampleur et de la gravité du problème au niveau général. Néanmoins, Sánchez (1991) souligne le manque d’études générales qui examinent les liens entre la vie quotidienne et la violence, les femmes et la violence, les effets de la violence sur la structure familiale (p. 38)5, la scolarité et la violence, et enfin, les interactions et les significations culturelles associées aux situations violentes. Enfin, il est nécessaire de clarifier, comme l’a fait Gaitán (1995), que ce ne sont pas les Colombiens qui sont responsables des explosions de violence; au contraire, c’est le type d’institution et d’organisation politique que nous avons choisies [. . .]. Par ailleurs, la dynamique de la violence nous a montré que les Colombiens ne sont pas le peuple le plus violent mais que l’histoire de la Colombie a été caractérisée par des événements et des circonstances spéciaux, liés au régime politique et aux institutions judiciaires, qui ont favorisé l’émergence de la violence [. . .] Nous ne sommes donc pas des spécimens rares, effrayés par un passé violent qui nous hante comme un cauchemar, transmettant la violence comme un virus létal, de génération en génération. Au contraire, des décisions appropriées ont été prises dans le passé qui ont permis au pays de retrouver sa tranquillité. Aujourd’hui, ce serait aussi possible (p. 395-97).

SCOLARITÉ ET VIOLENCE Les études sur la violence en Colombie ont conclu que la violence s’étend de plus en plus, en générant de multiples effets qu’il est impossible de démêler. Cette analyse se fonde aussi sur l’hypothèse que sa perspective à long terme n’est pas uniquement enracinée dans les éléments structurels de la société, mais aussi dans l’intensité et la fréquence des actes violents, qui se sont insinués dans nos vies quotidiennes de manière subtile. De plus, l’indifférence a transformé les écoles en une institution reproduisant et engendrant, parfois, la violence. En abordant le rôle de la scolarité et de ses rapports avec la violence, il est nécessaire d’entreprendre une analyse de la nature complexe de la violence. Cela suppose que le phénomène de violence soit décomposé à partir du niveau micro, spécifique et quotidien en un niveau général, structurel et macro. Il convient, à chaque étape, d’essayer de déterminer quels sont les divers types de violence qui existent, les différentes expressions et actes de violence et la manifestation de la violence dans le domaine de l’éducation. De plus, il serait utile de lier les éléments mentionnés ci-dessus aux facteurs et aux circonstances associés à la violence, les relations sociales et les significations culturelles qui accompagnent les actes de violence, les creusets et la dynamique sociale qui génèrent la violence, et enfin, à ses acteurs

4 Même si le phénomène de guérilla n’est pas un événement récent sur la ligne du temps de la violence en Colombie, il est

incontestable qu’au cours de la dernière décennie il a subi des transformations majeures à cause des différents facteurs sociaux, politiques et culturels de dimension nationale et internationale. Les analyses de cette question ne doivent pas être oubliées.

5 Depuis 1991, des recherches ont été effectuées afin de combler cette lacune. Voyez, par exemple, (i) Exploratory study on behaviour associated to violence [Etude préliminaire sur le comportement lié à la violence], entreprise par une équipe interdisciplinaire composée de Miriam Jimeno, Luis Eduardo Jaramillo, José M. Calvo, David Ospina, Ismael Roldán, professeurs de l’Université nationale et Sonia Chaparro avec l’appui de Colciencias; et (ii) les études menées à bien par l’Association colombienne pour la défense des mineurs maltraités.

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et à ses éléments structurels. L’étude de la violence n’a pas été une priorité dans le domaine de l’éducation en Colombie. En conséquence, la connaissance de nombre de ces aspects est limitée. Néanmoins, il y a plusieurs études de portée nationale, comme L’école violente : recherche ethnographique, (Parra et al., 1992), qui a tenté d’examiner la culture de la violence dans les écoles et son impact sur l’avenir des écoles et de la paix. Par ailleurs, le Projet de recherche régionale sur la qualité de l’éducation de base en Colombie ( Pirceb )6, vise à comprendre le rôle que les écoles ont joué dans la formation du citoyen. Le projet examine comment la présence de l’autorité et du pouvoir, de la tolérance et de la discrimination, de la justice et de la violence affectent la vie quotidienne dans les écoles primaires. En somme, ces deux études et les documents ethnographiques du projet Pirceb ont été publiés sous forme d’une base de données qualitative par Lozano y Cajiao (1995). Cet article s’articule autour des principaux points suivants : 1) Culture scolaire et son rapport avec la violence, 2) Facteurs socio-structurels et causes de la violence dans le système éducatif, 3) Possibilités d’établir un programme d’éducation pour la paix. 1. La culture scolaire et son rapport avec la violence Les analystes de l’éducation en Colombie, et en Amérique latine en général, admettent que la culture scolaire est un sujet qui doit être abordé à l’heure de réfléchir au rôle de l’éducation dans un contexte de transformations culturelles. Par ailleurs, il est nécessaire de réaliser que de nouvelles formes de violence sont apparues, remplaçant les coups de règle, les oreilles d’âne, le bonnet d’âne et le coin à punition, qui ont été abolis il y a plusieurs années dans les écoles colombiennes. À ce sujet, Camargo (1996) affirme que : Dans les institutions éducatives, il y a certains événements, relations et situations qui portent les graines de la violence, en symbolisant la signification de la violence, tels que faire justice soi-même, anéantir ceux qui sont différents et utiliser la force comme un instrument privilégié pour résoudre les conflits. Il est évident que les gens ne s’entre-tuent pas tous dans les écoles, même si cela a déjà été le cas dans le passé et que l’on s’attend à ce que cela se reproduise à l’avenir. Cependant, cette violence ne se présentera que dans des circonstances spécifiques, où les questions suivantes entrent en jeu : développement personnel et social, nouvelles chances et reconnaissance individuelle. Dans de telles circonstances, la violence affecte la manière dont on prépare sa vie, en ayant un impact négatif sur les relations interpersonnelles, sur les visions de la société et sur les possibilités de construction et, par conséquent, sur le type de vie menée tant dans le domaine public que privé. (p. 7). Dans cette optique, l’étude de la culture scolaire et l’analyse de sa complexité constituent un avantage pour comprendre les raisons qui sous-tendent l’éruption de la violence et sa relation avec la scolarité. L’examen de la nature de la culture et du pouvoir scolaires7 est très utile parce qu’il permet de visualiser plus aisément la violence dans toute son essence, en mettant en lumière les mécanismes et la dynamique du pouvoir, les connaissances et le désir. Ces éléments sont considérés comme étant les nœuds du conflit. 6 Étude inter-institutionnelle coordonnée et développée par l’équipe de recherches de la Fondation pour la séparation de

l’éducation – FSE – (FES) entre 1991 et 1992. 7 A ce sujet, Parra (1995, p. 130) prétend que la culture scolaire est d’une grande importance pour comprendre l’école et sa

relation avec la société et la modernité parce que la culture scolaire se réfère aux formes de l’organisation sociale dans les institutions scolaires, aux valeurs et aux règlements qui lui fournissent les informations, au concept et à la gestion du pouvoir, à la participation, à la résolution du conflit, aux règles de contrôle de la violence, aux relations entre les enseignants et les étudiants, à la discipline, à la nature de la connaissance et à la manière de l’apprendre et de la traiter. Comme il s’agit peut-être de l’un des instruments pédagogiques les plus complexes et les plus puissants, dont l’école peut dépendre, on ne se propose pas uniquement de continuer son travail dans le domaine de l’échange des connaissances, mais plutôt d’accomplir la tâche de former des citoyens. Le fait que la culture scolaire s’exprime dans la vie quotidienne et que ce soit dans cette vie quotidienne, et non dans les discours savants sur la démocratie, signifie qu’il porte le fruit des valeurs et aide à les renforcer avec des règlements et des manières de voir et de vivre la vie.

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Pouvoir : En Colombie, la configuration institutionnelle et l’organisation sociale des écoles permettent au pouvoir de fonctionner par des moyens de contrôle, d’homogénéisation et de reproduction. Cela s’aggrave par la concentration de ses attributions sur des micro-pouvoirs rencontrés chez les individus, groupes ou parties de l’institution scolaire. Indépendants de tout système judiciaire, tribunal ou autre mécanisme officiel de régulation stables, ces micro-pouvoirs génèrent la violence. L’exercice du pouvoir, par des moyens de contrôle, se concentre sur la discipline utilisée pour homogénéiser les étudiants. Afin d’établir la discipline, on cherche à contrôler le corps : port de l’uniforme et interdiction de manifester un sentiment amoureux ne sont que quelques exemples pour montrer comment cette discipline est mise en pratique. Le temps est contrôlé par des emplois du temps stricts où chacun fait et étudie la même chose au même moment. L’espace physique est utilisé comme un moyen de contrôle et de surveillance de toutes les activités accomplies à l’école. Cette dynamique de pouvoir fait réapparaître les micro-pouvoirs . Sur la base du projet Pirceb, Cajiao (1994) affirme que l’un des mécanismes utilisés pour le processus de l’institutionnalisation scolaire est la constitution d’un pouvoir absolu incarné par la figure de l’enseignant. Le maître d’école et l’éducateur représentent avant tout l’autorité. Tout d’abord, le rôle qu’il joue est imposé sur la connaissance alliée à l’autorité, c’est-à-dire par l’ensemble formel des règlements qu’il choisit toujours lui-même et par les habitudes et les coutumes que les enfants ont reçues de leurs familles et des groupes culturels. Ces habitudes, à leur tour, sont adaptées à la codification scolaire avec une espèce de moralité du bien et du mal. Voilà la tradition transmise aux maîtres d’école, qui, en dépit du renouvellement du discours pédagogique, éthique et épistémologique, a persisté grâce à sa notoriété (p. 41). Dans la vie scolaire quotidienne, le pouvoir absolu de l’enseignant varie entre l’application stricte des règles et l’administration des jugements et la condamnation des attitudes, comportements, sentiments et capacités des étudiants, parfois selon le caprice de l’enseignant. Quant aux étudiants (particulièrement les adolescents), ils doivent s’accommoder d’un système judiciaire scolaire très faible (ou inexistant). Ils finissent donc par entreprendre des actes violents, tels que la vacuna (le vaccin)8, el boleteo (l’étiquetage)9, l’autodéfense et, parfois, font justice eux-mêmes . Lorsqu’il est confronté à ces situations, le micro-pouvoir de l’enseignant est remplacé par celui des groupes d’étudiants. Néanmoins, il convient de signaler qu’il ne fonctionne pas nécessairement comme une réaction au micro-pouvoir de l’enseignant. Au contraire, il a parfois d’autres racines provenant d’autres sources que celles des micro-pouvoirs de l’école, comme les gangs de jeunes, les milices populaires10, les guérilleros et les simples criminels qui intimident leurs enseignants en les empêchant d’accomplir leur tâche ou en les prenant pour victimes. La reproduction d’actes violents et l’exercice du micro-pouvoir des étudiants peuvent s’ajouter à d’autres formes de pouvoir. Les moyens de contrôle social vont des menaces et de l’intimidation à la loi du plus fort. Là où l’enseignant n’exerce aucun pouvoir, comme dans la cour de récréation, les toilettes, le magasin de l’école et à l’entrée et à la sortie de l’école, les mécanismes d’auto-défense entrent en jeu. Des étudiants ou des groupes d’étudiants peuvent, par exemple, accorder leur protection à leurs compagnons de groupes ou de gangs scolaires, en échange d’argent, de nourriture, de devoirs ou de tout autre avantage. La manière dont le pouvoir est exercé à l’école suggère, entre autres, que la présence et la force de l’autoritarisme (de tout le monde envers tout le monde) soient une constante dans les relations sociales. De plus, les menaces, les cris, les railleries, les punitions, les 8 Quota d’extorsion pour éviter une agression. 9 Une expression pour désigner les mécanismes de sanction utilisés par les guérilleros, les trafiquants de drogue et les

ravisseurs. 10 Groupes paramilitaires qui font la justice au sein d’une communauté.

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humiliations, les insultes publiques et, dans certains cas, les agressions physiques sont typiques de la manière dont le conflit se manifeste. La nature de ces genres d’interaction entre camarades de classe et leurs enseignants et entre les étudiants eux-mêmes, met en lumière l’idée qu’il y a un groupe dominant et un groupe dominé. Par ailleurs, il pourrait s’agir d’une construction sociale où les différents micro-pouvoirs sont en désaccord les uns avec les autres et faisant de la culture scolaire un creuset où fomentent diverses formes de violence. Le manque de confiance en l’autorité, le recours à l’exclusion comme moyen de punition (expulsions définitives, renvois temporaires), la faiblesse de la structure scolaire, la fragilité des systèmes judiciaires scolaires sapent le rôle de la scolarité dans la formation des citoyens appartenant à une société démocratique. Cela souligne aussi l’impossibilité de s’opposer à la culture de la violence qui est si profondément ancrée dans la société colombienne ainsi que la difficulté de lancer une culture parallèle. Connaissance :

11 La gestion du pouvoir dans les écoles colombiennes se met en travers de la

relation avec la connaissance. Se concentrer sur une approche distributive plutôt que générative pourrait bien engendrer l’autoritarisme, la discrimination et l’exclusion : les mécanismes qui génèrent et reproduisent la violence. Dans la vie quotidienne à l’école, la relation autoritaire avec la connaissance se concrétise et établit sa nature administrative. En la considérant comme une vérité absolue, formulée et complétée par d’autres, elle a choisi l’approche pédagogique qui se concentre sur sa distribution, rendant ainsi impossible à quiconque de participer à son élaboration. La créativité, l’imagination, la joie d’apprendre, la nécessité de comprendre et de changer le monde sont donc anéantis. Elle transformera la soif de savoir en une banalité. On considère que la connaissance n’a de valeur que dans le contexte scolaire et qu’elle est inutile et inefficace dans la vie personnelle et sociale. Le processus de socialisation n’est pas le monopole du système scolaire. Il comporte également des processus qui se trouvent en dehors de l’école pour englober d’autres agents comme la rue, ses semblables et les médias. Ces agents permettent aux enfants et aux jeunes d’avoir accès aux systèmes modernes de conservation, de diffusion et de circulation de l’information, qui sont plus flexibles et plus souples que ceux utilisés par l’école. Ils indiquent clairement à quel point cette relation autoritaire avec la connaissance dans les écoles peut être obsolète, systématique et unilatérale. Le fait que la connaissance scolaire soit obsolète et socialement inefficace conduit à mettre en doute la qualité de l’éducation quant à sa capacité de former des citoyens productifs. Comment expliquer le fait que l’éducation scolaire ne réussisse pas à aider les jeunes à participer de manière compétitive sur la scène nationale et internationale, dans la production artistique, athlétique ou scientifique et technique, et dans l’utilisation et l’appropriation efficace des valeurs sociales ? Au macro niveau, il n’est pas surprenant que la qualité de l’éducation soit en corrélation avec le statut socio-économique : plus la pauvreté est grande, moins bonne est la qualité. Outre une éducation de qualité médiocre, les parties plus pauvres de la population sont aussi exposées à une faible diffusion, à l’inégalité sociale et à l’exclusion. Au micro niveau, le manque de pertinence des programmes, leur dogmatisme et leur autoritarisme génèrent une discrimination, les échecs scolaires et les abandons. Cela accroît encore le nombre de personnes vivant dans la pauvreté, en marge de la société. En conséquence, la marginalisation, l’inégalité et l’exclusion sociales, fomentées par l’école, privent nombre de citoyens colombiens de participer légalement à la société. Ce qui peut les mener à adopter des voies illégales et à se livrer à des actes violents. Désir : Défini comme étant le principe directeur et la source principale de la vitalité de la vie, comme le facteur déterminant le genre de vie que l’on mène et que l’on désire mener et

11 Ce concept est utilisé dans le sens large. Il comprend donc le concept de connaissance et celui d’information.

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comme l’élément tenant compte de l’unicité, de la différence et créant des projets de vie, déterminés en fonction du sens qu’ils donnent à la vie, à un monde individuel et social. Il est aisé de comprendre qu’à l'école le désir soit assujetti au pouvoir ou y est opposé, dans le sens où le pouvoir vise à contrôler et non à chercher la signification de l’interaction entre la connaissance, les normes sociales de la vie en société et l’autorité. Dans les écoles, le sens de l’obligation et du désir se chevauchent puisqu’il y a d’autres dimensions non cognitives aux relations humaines, telles que la sensibilité, la bonne volonté, le corps et la sexualité, qui n’ont pas leur place dans la salle de classe. Si elles sont présentes, ces dimensions devraient être incorporées dans le curriculum ou s’appliquer strictement aux règlements. Le programme scolaire devrait donner la priorité avant tout aux désirs et aux besoins des étudiants et des enseignants. L’efficacité sociale de l’éducation peut donc être mesurée par sa capacité à aider les étudiants à élaborer leurs propres projets de vie, sur la base de leurs désirs, de leurs capacités individuelles. Ces projets de vie doivent viser à leur intégration dans le monde social et du travail, tout en maximisant leur compétitivité et leur créativité. On pourrait dès lors affirmer qu’étant donné la difficulté de créer un curriculum qui rassemble toutes les facettes de l’individu, la dynamique et la relation interactive entre l’école, le pouvoir et la connaissance, comme nous l’avons déjà mentionné, sont très faibles. Ceci est confirmé par le Projet Atlántida (1995) qui suggère que les écoles aient perdu leur capacité de transmettre deux notions fondamentales de la socialisation, à savoir le passé et l’avenir. La notion du passé a été omise puisque les écoles se sont révélées incapables de transmettre de façon vivante et efficace l’identité culturelle. Quant à l’avenir, les écoles n’ont pas aidé les étudiants à construire leurs propres projets de vie en leur donnant un sens social. Le système scolaire s’est ainsi isolé de l’histoire ainsi que de l’élaboration de l’avenir; il reste paralysé dans le présent inerte. Il faut donc envisager de séparer les écoles de la société et ce que les écoles ont à offrir parmi les attentes des étudiants, comme un phénomène fondamental (p. 24). En conséquence, la nature de la corrélation entre les écoles et le pouvoir, la connaissance et le désir est telle qu’ils se renforcent négativement de même que les nombreux genres de violence en Colombie. Cette relation a engendré une culture scolaire qui fait partie de la spirale nationale de la violence. Les écoles perdent donc leur potentiel en qualité d’espaces pour la résistance et la résolution culturelle de ce conflit social. 2. Facteurs socio-structurels d’une nature éducative La spécificité de la culture scolaire en Colombie et de ses liens avec la violence peut s’expliquer par les facteurs socio-structurels liés au développement de l’éducation comme une composante de la modernisation. Selon Parra et al.(1992), les trois éléments structurels suivants ont fomenté la façade violente de la vie scolaire : * L’expansion quantitative du système scolaire a eu un impact négatif sur la qualité. Cette mauvaise qualité se reflète dans la formation improvisée des enseignants, l’accent mis sur la transmission du savoir et la glorification du curriculum qui va à l’encontre de la formation des valeurs nécessaires pour la vie sociale. * Les politiques nationales client-patron visant à accroître le nombre d’écoles ont mené à les remplir d’enseignants non préparés, qui n’ont pas de vocation académique mais plutôt une vision bureaucratique de l’enseignement. * La sur-bureaucratisation de l’organisation de l’éducation et des associations mal comprises qui défendent le peuple contre des actes peu éthiques et antipédagogiques (p. 21-23). D’autres facteurs plus profondément enracinés de la violence structurelle peuvent s’ajouter aux éléments structurels cités précédemment. Ils comprennent l’ethnocentrisme, le patriarcat, la ségrégation des classes et le racisme qui tous ont marqué la culture colombienne

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pendant des siècles. Les politiques de l’éducation n’ont pas été à l’abri de l’expansion de ces facteurs dans la société. Qui plus est, ces éléments étaient présents, de manière déguisée, dans les programmes scolaires, dans les manuels et dans le contenu des cours. De plus, ils sont renforcés dans les valeurs implicites propagées par les diverses interactions quotidiennes à l’école. Ces considérations permettent d’expliquer l’existence de la soumission, du manque de solidarité, de l’illégalité, de la corruption, des doubles critères, de la loi du plus fort, de la méfiance à l’égard de l’autorité, de la discrimination et de l’anéantissement de l’autre. La combinaison de ces éléments, contraire aux normes sociales indispensables pour la coexistence sociale pacifique, souligne la dégradation de la structure sociale et le manque d’éthique dans la société colombienne. Alors que les écoles devraient pouvoir s’y opposer ou les ralentir, elles ont au contraire reproduit la violence et l’ont projetée sur de nouvelles générations. 3. Possibilités d’établir un programme d’éducation pour la paix Ces observations amènent une série de questions. Tout d’abord, il est incontestable que

l’école s’attirera des critiques et une opposition en raison de l’état actuel des choses, en tâchant quotidiennement de rebâtir un ensemble de croyances et de morale afin de régler les comportements individuels et de groupe, de chercher des moyens pacifiques pour résoudre les conflits par le dialogue, de promouvoir le respect et la joie de la diversité, et la solidarité face à tous les problèmes liés à l’école, la vie personnelle et communautaire, et de faire l’expérience de l’interdépendance comme étant le propre de l’homme, sur laquelle l’attention personnelle, mutuelle et environnementale, se superpose comme valeur universelle (Estrada et al. 1996. p. 37). Ensuite, il convient de préciser que toutes les écoles colombiennes ne sont pas nécessairement violentes et que la situation actuelle ne correspond pas automatiquement à un type particulier d’école. Au contraire, nous avons essayé de démontrer que le système scolaire colombien traversait un phénomène culturel qui a acquis de l’importance par rapport aux tensions bipolaires, entre la pauvreté et la richesse, le retard et le développement que le pays a connu ces cinquante dernières années. Bien que la situation actuelle soit inquiétante et décourageante par moments, ces dernières années, particulièrement depuis la promulgation de la Loi générale sur l’éducation (1993) et conformément au cadre de la nouvelle loi constitutionnelle, de nouveaux projets et de nouvelles actions ont été lancés visant à construire une école qui s’oppose à la violence et qui encourage la paix. Il convient de mentionner les efforts visant à renforcer la démocratie dans les écoles et à insister sur la formation des valeurs sociales de la citoyenneté, tels que la gestion des écoles, des manuels sur la vie en société, les employés de l’école, les programmes pour résoudre les conflits par le dialogue et le compromis, les projets institutionnels et éducatifs élaborés autour de la notion de la vie pacifique en société et de la paix elle-même. Néanmoins, peu d’études se révèlent efficaces et ont un impact sur la vie quotidienne, dans les domaines autres que celui de l’enceinte scolaire. De plus, une nouvelle recherche relative à la participation des enfants et des jeunes à la gestion de leur école, notamment dans la zone urbaine pauvre de Bogota (Estrada et al. 1996) montre que : on trouve fréquemment que le discours tenu sur la participation des enfants présente les caractéristiques suivantes : (i) elle est sporadique et dépend essentiellement de la priorité que les agents éducatifs, externes, attribuent à la question (chercheurs, directeurs et/ou inspecteurs); (ii) il s’agit de jouer à faire semblant - le jeu de la participation : s’il se rapporte aux élections scolaires, elles sont menées par les enseignants (en fonction soit des candidats soit des questions auxquelles les commissions ont donné priorité). Par ailleurs, aucun processus de participation ne sape l’abus d’autorité ou de pouvoir à l’école (p. 53). Il est manifeste que les actions entreprises ont insisté sur la démocratisation de l’école,

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en se concentrant sur la vie en société et dans une organisation sociale. Comme pour la gestion de la connaissance et la possibilité de faire de l’école un creuset pour élaborer des projets de vie autour de la science, de la technologie, des sports et des arts, les expériences sont encore plus rares. Le savoir n’est de toute évidence pas reconnu comme l’une des facettes de la démocratie dans les écoles. Les écoles ont nettement le potentiel de s’opposer à la culture de la violence et de briser la capacité des institutions de faire des propositions apparemment novatrices et sensées qui ont en réalité été réadaptées à sa structure tout en donnant l’impression qu’elles ont été transformées. La solution consiste peut-être à trouver ces éléments qui complètent ou unissent les fissures ou les éléments manquants, résultant de la fragmentation. En ce sens, l’un de ces éléments d’intégration pourrait être le renforcement des écoles et des projets individuels de vie à responsabilité sociale. Essayer d’établir un lien entre l’école et l’élaboration des projets de vie suppose de fournir des réponses aux questions les plus importantes concernant l’éducation dans le monde contemporain. Cette problématique a pris beaucoup d’importance à cause de l’hétérogénéité culturelle de la Colombie et de l’évolution sociale ambiguë. En effet, comment l’éducation peut-elle promouvoir l’égalité dans un groupe hétérogène ? Comment relier le niveau local au niveau national et mondial ? D’aucuns devraient dépendre des enseignants dont le choix de vie tourne autour du monde académique. C’est une suggestion appuyée par la Mission pour la science, l’éducation et le développement12, plus particulièrement par García Márquez (1994), qui soutient que la vie durerait plus longtemps et serait plus heureuse si chaque personne pouvait travailler dans le domaine qui lui plaît, et uniquement dans celui-là. (p. 16). De cette manière, l’efficacité sociale de l’école, l’harmonie sociale, la connexion commune avec l’information, la connaissance et le savoir-faire prendraient peut-être un nouveau sens. Cela remplirait les étudiants de désirs et des capacités nécessaires à leur intégration sur le marché social et du travail, d’une façon éthique et compétitive; ils s’opposeraient à l’iniquité, à la sensation d’impuissance, à l’exclusion et à l’intolérance qui sont autant d’éléments déjà décelés dans les écoles comme étant sources de violence. Par ailleurs, les Colombiens suivraient la tragique prophétie de notre lauréat du Prix Nobel, Gabriel García Márquez (1979) : […] il était dit que la cité des miroirs (ou des mirages) serait rasée par le vent et bannie de la mémoire des hommes à l’instant où Aureliano Babilonia achèverait de déchiffrer les parchemins, et que tout ce qui y était écrit demeurerait depuis toujours et resterait à jamais irrépétible, car aux lignées condamnées à cent ans de solitude, il n’était pas donné sur terre de seconde chance (p. 347).

RÉFÉRENCES

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12 La Mission pour la science, l’éducation et le développement (16 septembre 1993), fondée par le Président de la

République, César Gaviria Trujillo, comprenait dix membres : Eduardo Aldana Valdés, Luis Fernando Caparro Osorio, Gabriel García Márquez, Rodrigo Gutiérrez Duque, Rodolfo Llinas, Marco Palacios Rozo, Manuel Elkin Patarroyo, Eduardo Posada Flórez, Angela Restrepo Moreno, Carlos Eduardo Vasco Uribe, pour tracer notre carte imaginaire du pays .

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CHAPITRE V

Destruction et reconstruction de l’éducation au Cambodge Pich Sophoan

Directeur, Éducation et formation supérieure technique et professionnelle, Ministère de l’éducation, de la jeunesse et des sports, Phnom Penh La réalité du Cambodge ces vingt-cinq dernières années, particulièrement dans le domaine de l’éducation, a été unique. Afin d’esquisser les grandes lignes de la dévastation du Cambodge et de sa lutte pour la reconstruction, il est nécessaire d’avoir un cadre pour discuter de la situation et des circonstances qui ont précédé le passé récent du Cambodge.

CONTEXTE HISTORIQUE

En 1954, le Cambodge est devenu indépendant de la France et, la même année, la Conférence de Genève reconnaissait la neutralité du Cambodge. Toutefois, la discorde générale qui s’est présentée dans de nombreux pays de la région après la Seconde Guerre mondiale a aussi été ressentie au Cambodge. Il s’agissait d’une peur presque paranoïaque de l’influence du communisme qu’éprouvaient de nombreux pouvoirs occidentaux. En 1963-64, un groupe socialiste dissident extrémiste s’était déjà constitué. Exerçant d’abord au Viet Nam et ensuite dans les jungles du Nord-Est du Cambodge, il contestait les inégalités dans la répartition des richesses et les chances dans la société cambodgienne. Rejetant un socialisme modéré pour une forme plus extrémiste, le groupe, sous la conduite de Saloth Sar (Pol Pot), prônait une philosophie maoïste extrémiste et s’appelait les Khmers rouges. La révolte paysanne dans la province du Battambang en 1967 a reflété cette dissension dans les zones rurales. Retombées de la guerre au Viet Nam

L’agitation à l’extérieur des frontières a aussi eu un sérieux effet sur la stabilité du Cambodge. Le conflit entre le Viet Nam du Nord et du Sud, par exemple, et l’intervention des États-Unis d’Amérique en faveur du Gouvernement de droite du Viet Nam du Sud, ont gagné le Cambodge, accroissant l’instabilité de la situation politique déjà fragile. Le bombardement du Cambodge, qui a commencé le 18 mars 1969, a causé la mort de nombreux Cambodgiens certes, mais a aussi abouti à la dévastation de grands segments de l’infrastructure rurale, y compris à la destruction d’un nombre énorme d’animaux de ferme. Le coup d’État de 1970, appuyé par les États-Unis, a vu Norodom Sihanouk être remplacé par le général Lon Nol, ce qui a signifié le début d’une guerre civile qui a dressé les Cambodgiens les uns contre les autres et qui a touché de manière négative à la structure qui maintenait la société cambodgienne. La guerre civile continue et les incursions des Sud-Vietnamiens soutenus par les Américains ont intensifié le climat d’insécurité et ont mené à des déplacements massifs des populations. On estime que vers 1972, plus de deux millions de Cambodgiens (étaient) sans abri à cause de la guerre entre Lon Nol et les Khmers rouges .1 Ce n’est qu’à la mi-1973 qu’une loi adoptée par le Congrès a arrêté les raids de bombardements américains sur le Cambodge. Cependant, l’hiatus qui a vu le début d’une période violente et sombre pour le Cambodge était déjà créé. La période khmère rouge

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Le 17 avril 1975, les Khmers rouges ont conquis Phnom Penh, ce qui a vidé la capitale et les autres villes importantes du Cambodge. Les semaines suivantes ont vu les personnes instruites, les moines et les chefs religieux, les fonctionnaires, les personnes qui parlaient des langues étrangères et même ceux qui portaient des lunettes être la cible d’extermination. Tout ce qui était considéré comme un signe de décadence et un produit de l’ apprentissage étranger était détruit. Le but était de ramener le Cambodge à un état agraire contrôlé par les Khmers rouges.

Des atrocités sans précédent ont été perpétrées contre la population - les gens furent massacrés, les familles séparées et envoyées dans des camps de travail forcé dans des contrées lointaines du pays, et les enfants endoctrinés afin de ne pas mettre en doute l’acceptation de l’ Organisation . Les services médicaux ont été éliminés, les écoles détruites, la vie de famille remplacée par une existence communautaire. Des jours interminables de dur labeur et de séances d’endoctrinement ont vu l’essence de la vie de famille et de la culture khmère en passe de s’écrouler.

Cette situation a duré trois ans, jusqu’au 7 janvier 1979, lorsque les Vietnamiens sont entrés au Cambodge. Leur intention initiale était de repousser les Khmers rouges en dehors de leurs propres frontières; toutefois, ne se trouvant confrontés qu’à une faible résistance, ils ont poursuivi leur percée, en poussant les Khmers rouges jusqu’à la frontière avec la Thaïlande. Occupation vietnamienne Pendant qu’elles étaient au Cambodge, les troupes vietnamiennes ont été confrontées à une opposition armée d’une coalition difficile de royalistes et de Khmers rouges qui lançait ses attaques depuis la région limitrophe à la Thaïlande. Cette période était aussi caractérisée par un embargo des Nations Unies contre le gouvernement à la solde du Viet Nam. Bien que de nombreuses nations n’aient pas pu fournir une aide officielle au Cambodge tout au long de cette période, quelque assistance était fournie par l’entremise du Viet Nam, par l’URSS et les autres pays de l’ancien bloc de l’Est. L’effondrement de l’URSS a sonné le glas de l’assistance soviétique et de l’ancien bloc de l’Est au Viet Nam et au Cambodge et est devenu un facteur décisif dans le retrait des forces d’occupation militaire et civile vietnamiennes du Cambodge en 1989. Paix et reconstruction Les années qui ont suivi le retrait du Viet Nam jusqu’à l’Accord de paix sous les auspices de l’ONU en octobre 1991 et les élections consécutives en mai 1993 ont été des années difficiles pour le Cambodge. L’aide a commencé à arriver goutte à goutte, plusieurs pays ayant offert assistance au Cambodge. Toutefois, les structures civiles étaient tout à fait incapables de traiter les demandes des bailleurs de fonds et les besoins massifs en développement des ressources humaines et en reconstruction. Les élections du nouveau gouvernement en mai 1993 ont connu un effort et une croissance accélérés dans l’aptitude du gouvernement à faire redémarrer les systèmes politique, économique, juridique, social et éducatif. La destinée du Cambodge, à l’aube du XXIe siècle, est entre ses mains.

REDRESSEMENT DE L’ÉDUCATION

Effondrement du système éducatif Les implications de ces développements sur l’éducation sont évidentes. À la fin du régime khmer rouge, en 1979, l’ensemble du système éducatif était délabré. L’éducation au Cambodge devait être relancée avec 2 481 écoles primaires et 13 619 enseignants pour

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éduquer 724 058 étudiants inscrits. La plupart des enseignants étaient ceux qui avaient reçu quelques années d’éducation au cours des années antérieures au régime khmer rouge, qui avaient survécu et qui voulaient devenir enseignants. Seuls 87 des 1 009 enseignants de l’enseignement supérieur d’avant la période des Khmers rouges avaient survécu. Certains parmi ceux-ci s’étaient aussi enfuis des camps de réfugiés en Thaïlande vers un autre pays, dans le but de s’y installer. Les défis de la reconstruction de l’éducation Le gouvernement a fait de l’éducation une priorité, en utilisant l’ancienne université de Phnom Penh comme un centre de formation d’enseignants. Cet institut a d’abord mis en place des programmes de formation courte afin de combler le manque d’enseignants du primaire le plus rapidement possible. Avec l’aide du Gouvernement vietnamien, du Gouvernement russe et des pays du bloc soviétique, le programme a ensuite été étendu pour former et recycler les enseignants du secondaire. Les institutions de formation des enseignants dans les provinces ont suivi les mêmes méthodes - cours de brève durée, courtes périodes de formation et stratégies de transition similaires afin de s’assurer que les enseignants conservent leur avance sur les étudiants. Les bâtiments scolaires, s’ils existaient, étaient pauvres, avaient été laissés à l’abandon ou étaient endommagés par les ravages de la guerre. Le matériel didactique et les livres étaient inexistants, il était difficile d’obtenir des craies et le papier pour les cahiers était un perpétuel problème. Certains de ces problèmes existent encore aujourd’hui.

Actuellement, plusieurs groupes mènent à bien des analyses et des études relatives aux directions futures du développement de l’éducation au Cambodge. Pour la plupart, ces études sont liées à la planification du gouvernement, que ce soit par le Ministère de l’éducation, de la jeunesse et des sports (MEJS) ou par le Conseil pour le développement du Cambodge. Tous ces groupes ont accès à une assistance technique patronnée par les organismes bailleurs de fonds. Coordination de l’aide et rôle du gouvernement La coordination est toutefois complexe. Cela est dû dans une large mesure au fait que plusieurs États bailleurs de fonds sont mus par un désir de conquérir ou de reconquérir l’hégémonie politique dans le Sud-Est asiatique, y compris au Cambodge. Plusieurs organismes bailleurs de fonds ont été accusés de ne créer de l’emploi que pour leurs propres consultants nationaux. Malgré cela, la plus grande partie de l’assistance technique est excellente et s’est avérée inestimable puisque le Cambodge prépare son propre avenir indépendant.

Il y a également plusieurs groupes privés qui effectuent des recherches dans le domaine de l’éducation, et même plusieurs personnes qui arrivent au Cambodge dans l’intention d’y rédiger une thèse ou d’y préparer une proposition pour l’obtention de fonds. Bien que leurs idées puissent être utiles, elles ne le sont souvent pas à cause de la courte durée de leur séjour et du sujet trop particulier de leurs études. La plupart des chercheurs admettent que la planification et la reconstruction du système éducatif doivent se faire par les filières gouvernementales. Les questions relatives au besoin d’assistance technique pour l’éducation devant être apolitique ont aussi été exprimées. Cela comporte un certain degré de liberté par rapport aux influences politiques externes/étrangères. Pour développer une société bien équilibrée, l’éducation ne doit pas être utilisée comme un outil des politiciens. On essaie pour l’instant d’assurer son autonomie par rapport à la politique. L’affectation aux divers postes clés dans les établissements d’enseignement supérieur, par exemple, doit être dénuée de toute influence politique. Dans la mesure du possible, les affectations, au Ministère et dans les écoles publiques, doivent se faire sur la base d’une série de critères et de valeurs objectifs. Curriculum et idéologie

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Les écoles ne sont pas le terrain adéquat pour les activités politiques, à quelque niveau que ce soit. Les manuels scolaires au Cambodge ne reflètent pas d’idéologie, et les opinions politiques ne sont pas supposées faire partie des leçons. Toutefois, il est difficile d’éliminer un point de vue politique de l’enseignant en tant qu’individu. Dans la course aux élections prochaines de 1998, il sera difficile pour les partis politiques de s’abstenir de faire pression sur les enseignants, les étudiants et les administrateurs pour qu’ils soutiennent leurs options politiques. L’utilisation publique de l’ouverture des écoles et des événements scolaires pour des discours politiques et la récompense des administrateurs de l’école qui, de manière déguisée ou non, soutiennent un parti ou un autre, est inévitable. Ce genre de pression politique au sein du système éducatif est connu dans le monde entier, et le Cambodge ne fait pas exception. Quoique le gouvernement fasse des efforts pour éviter des actions moins déguisées et/ou de menace à l’encontre des enseignants, des administrateurs et des étudiants, il est difficile d’enrayer complètement ces phénomènes. Financement public Le Gouvernement du Cambodge a déclaré à maintes reprises qu’il s’engageait fortement à soutenir l’éducation dans les tâches de reconstruction de l’État (cf. Programme national de réhabilitation et de développement du Cambodge pour l’ICORC III : mars 1995). Le défi est d’assigner une part raisonnable du budget national à cette tâche. Le gouvernement s’est engagé à consacrer 15% du budget annuel à l’éducation d’ici à l’an 2000. En 1993, l’Éducation a reçu 8% en 1996, elle est censée en recevoir 10.07%. On espère que lors de la prochaine réunion du Groupe consultatif sur le Cambodge, le MEJS sera à même de réaffirmer son soutien pour accroître la part de l’éducation dans les dépenses publiques afin de fournir une base plus solide qu’elle ne l’est actuellement pour l’aide des bailleurs de fonds.

À cet égard, la guerre civile ininterrompue, livrée par le Gouvernement cambodgien contre les forces khmères rouges proscrites, génère souvent une violence à l’encontre des personnes qui vivent dans les zones touchées par la guerre. Cela détourne également les ressources financières du reste du pays, ce qui reflète un manque sévère de finances attribuable à l’argent dépensé pour essayer d’anéantir l’armée insurgée et les bandits qui traînent dans de nombreuses régions du pays. Les Khmers rouges continuent à contrôler des territoires qui sont des sources extrêmement lucratives de bois et de pierres précieuses. Ils extraient des pierres gemmes, les taillent et les vendent, principalement à l’étranger, créant ainsi des ressources financières utilisées pour continuer la guerre contre le Cambodge et détourner des fonds qui pourraient être mis à profit pour le bien commun de la nation. Un des mandats des Autorités de transition des Nations Unies au Cambodge, était de désarmer toutes les factions armées. Cela a cependant été un échec et peut être considéré comme un facteur qui a contribué à la violence déjà présente au Cambodge. Insécurité permanente Un post-scriptum reconnu universellement à ce conflit est le fait qu’actuellement il y a encore deux mines anti-personnelles dans le sol par enfant cambodgien, souvent dans des endroits où les enfants ramassent du bois de chauffage, font boire leurs bêtes de trait et cherchent des baies et de l’herbe. Les mines continuent à être posées tous les jours, en dépit d’un appel lancé par le roi et d’autres personnes qui soutiennent une interdiction internationale des mines anti-personnelles. Les enfants subissent les effets de la guerre et de la violence au quotidien de diverses manières. La plupart du temps, il s’agit de pertes personnelles de membres de la famille, de perte de terres appartenant à la famille à cause des mines anti-personnelles et du conflit armé et de la perte des recettes gouvernementales pour l’éducation. En raison de ces problèmes, la qualité de l’éducation, dans de nombreuses contrées du pays, et plus

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particulièrement en zone rurale, est en deçà de celle nécessaire pour développer convenablement les ressources humaines. Réconciliation sociale Les guerres précédentes au Cambodge n’étaient pas le résultat direct de l’apprentissage scolaire. Souvent, le passé tourmenté du Cambodge était la conséquence de pressions externes. Cependant, on peut affirmer qu’il y a beaucoup de choses qui peuvent être faites en classe en faveur de la paix au Cambodge. Cela implique que la tendance des cultures à former des cliques doit aussi être abordée afin de réaliser un programme gouvernemental de reconstruction nationale. Il ne peut être accompli si une société est fragmentée et n’est pas coordonnée. On peut faire beaucoup par le biais du système éducatif, notamment dans les écoles, en faveur de l’harmonie et de la conciliation entre les enfants, les enseignants et le corps enseignant. Pour y parvenir, l’approche ouverte des ateliers et des séminaires pour les enseignants et l’inclusion de la paix et de l’harmonie doivent être traités dans les différents domaines du curriculum. En outre, des efforts doivent être consentis pour créer et accentuer les victoires remportées par la coopération au sein de l’école et de la communauté - tout peut porter fruit dans la réduction de la violence au fil du temps.

Les enfants sont très astucieux, et si le gouvernement, les dirigeants de la communauté, les parents et la famille au sens large disent aux enfants que l’harmonie sociale est de grande valeur et qu’ensuite ils agissent à l’encontre de cette valeur, les enfants tireront leurs propres conclusions. Par exemple, si l’attitude des enseignants, des parents et d’autres personnes importantes de la société nourrissent des sentiments racistes et de la colère envers les voisins régionaux, les enfants déploieront les mêmes sentiments.

Comme les pays s’assemblent par des accords bilatéraux et dans des groupements internationaux multilatéraux tels que l’ANASE, les haines de longue date, sources de beaucoup de violence, doivent être résolues et ne pas être emportées vers le siècle naissant. L’éducation dans les écoles et dans les établissements d’enseignement supérieur peut faire beaucoup pour changer les vieilles attitudes. Cependant, pour que les stratégies pour la paix fonctionnent, elles doivent inclure les parents et les dirigeants municipaux comme apprenants, ainsi que la génération plus jeune des enfants et des adolescents. Avoir recours à une rhétorique raciste pour essayer d’éveiller le patriotisme est une manœuvre qui doit être désamorcée et définitivement anéantie par un enseignement solide dans les écoles et avec les parents et les groupes communautaires. Les éducateurs peuvent montrer le chemin; ils ont besoin des informations, des compétences et de l’autorité pour le faire. Aborder l’impact de la guerre sur l’environnement Les actes de guerre ne touchent pas seulement les gens, mais aussi l’environnement, qui à son tour détruit les moyens d’existence de nombreuses personnes. Le Cambodge ne fait pas exception sur le plan de la dégradation de l’environnement. Pendant et après de longues périodes de conflit armé, ceux qui sont au pouvoir ont recours à la méthode la plus simple pour fournir les moyens de subsistance économique, et il s’agit souvent des forêts ou des ressources naturelles provenant du sol. Nombre de ces ressources doivent être laissées en héritage aux générations à venir. Le Cambodge offre un exemple manifeste de déboisement pour l’exploitation économique. Toutefois, cette exploitation n’apporte pas de ressources économiques au gouvernement, mais fournit plutôt un moyen de se procurer des armes de destruction qui seront utilisées contre les forces du gouvernement élu et contre des civils innocents. Il convient également de remarquer que le gouvernement vend aussi les terres boisées plus vite que de nouveaux arbres ne peuvent y être plantés.

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Les gens perdent leurs terres, et avec l’abattage des forêts, la courbe des précipitations et des températures, dans les zones agricoles avoisinantes, subit un changement. Toute la région est touchée par ce phénomène, causant des inondations pendant la saison des pluies sans que les racines puissent contenir les eaux; les particules entraînées par la pluie envasent les rivières et d’innombrables espèces de la flore et de la faune ont disparu des systèmes écologiques présents dans le pays. Nombre de Cambodgiens, y compris le roi et des groupes s’occupant de l’environnement ont attiré l’attention sur ces problèmes. Ce sera à l’éducation de changer ce modèle et de faire pression non seulement sur le Gouvernement du Cambodge, mais aussi sur les gouvernements des autres pays de la région.

Le MEJS travaille actuellement sur un curriculum qui aborde les problèmes environnementaux. Il sera inclus dans les manuels pour les écoles primaires et secondaires. On a l’espoir qu’il ne sera pas trop tard pour le Cambodge. Si le programme est un succès et que les gens prennent conscience de ces problèmes dans la pratique, ce sera alors au gouvernement de les écouter. Assurer une éducation de base pour tous Si on tient compte de l’histoire du Cambodge et qu’on analyse les effets de ces vingt-cinq dernières années de conflit sur l’éducation, il est évident que, depuis 1979, le gouvernement a donné une grande priorité à l’éducation et a essayé à tout prix d’assurer une éducation de base pour tous. Cependant, un des principaux effets d’une période de guerre est qu’il faut se concentrer sur la quantité lorsque le conflit est fini. C’est une triste réalité de voir que beaucoup d’enfants ont manqué plusieurs années d’éducation à cause de la période des hostilités.

Le Gouvernement du Cambodge a pris une décision univoque de procurer une instruction aux enfants dès que possible. Il y est parvenu en donnant des écoles où aller et en mettant des enseignants dans les classes, bien que beaucoup puissent ne pas être qualifiés pour ce travail à l’heure actuelle. La concentration doit maintenant se tourner vers l’amélioration de la qualité de l’éducation. Cela pose cependant plusieurs problèmes de priorité. Par exemple, bien que la qualité s’améliore, l’égalité des sexes pose toujours un problème. Actuellement, les étudiants masculins urbains représentent la majorité de l’ensemble des étudiants des diverses institutions d’enseignement supérieur. Dans les zones rurales de province, le problème le plus saillant est d’essayer de conserver les enseignants qui ont la qualité requise pour préparer les étudiants aux examens de sciences, d’anglais, et de mathématiques qui leur permettront de s’inscrire dans les sections et facultés les plus prestigieuses de l’enseignement supérieur. L’éducation opposée à la formation Il sera demandé au gouvernement de prendre des décisions difficiles relatives à l’égalité et aux ressources financières dans l’enseignement supérieur. Dans les régions où la guerre a décimé les ressources humaines et physiques, comme cela a été le cas au Cambodge, les choix sont difficiles et compliqués et ils doivent être faits avec le plus de clarté, de soin et d’échange d’informations possibles.

Nombre de Cambodgiens n’ont pas profité des chances d’éducation qui leur étaient offertes à cause des terribles années perdues depuis 1975. Afin qu’ils puissent gagner un revenu pour leur famille et contribuer à la reconstruction du Cambodge, il faut leur fournir des compétences et un emploi. En effet, le Cambodge manque de main-d’œuvre qualifiée. Malgré ce problème, le Cambodge, à l’instar d’autres pays au passé colonial, insuffle à ses enfants l’aspiration qu’ils ne doivent jamais travailler de leurs mains. L’enseignement supérieur est brandi comme une norme pour toute éducation. Dès la première année, le système scolaire pousse les enfants à croire qu’ils doivent d’une façon ou d’une autre faire

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partie de ce moins d’1% de la population qui suivent l’enseignement supérieur. Le besoin énorme de main-d’œuvre qualifiée, de commerçants et d’artisans est ignoré par la plupart des jeunes, qui s’exposent à un échec lorsqu’ils ne peuvent pas accéder à l’université.

Le Cambodge a actuellement 16 000 étudiants qui recommencent pour la troisième fois la dernière année de l’enseignement secondaire. Il n’existe pas de mécanisme pour envisager si l’enseignement supérieur est un but raisonnable et opportun pour ces étudiants particuliers. L’institut technique le mieux équipé du pays n’attire pas assez de candidats. L’école d’agriculture affiche le taux d’inscription le plus bas parmi toutes les institutions d’enseignement supérieur. Cette situation est alarmante étant donné que 77% du Cambodge reste surtout agraire. Cette problématique n’est pas spécifique au Cambodge, mais existe dans toute la région. Le rôle des ONG Enfin, il convient de signaler ces questions relatives à l’éducation au Cambodge, quoique les responsabilités du Gouvernement cambodgien, soient, en réalité, souvent prises en charge par les bailleurs de fonds internationaux par le biais de l’assistance technique provenant de diverses sources gouvernementales et non gouvernementales et de partenaires multilatéraux. Les organisations non-gouvernementales au Cambodge ont traditionnellement joué un rôle prépondérant dans l’éducation pendant la période de l’embargo des Nations Unies contre le Cambodge (1979-90). Pendant cette période, alors que les bailleurs de fonds bilatéraux augmentaient leur assistance, les ONG réévaluaient leurs rôles respectifs dans le secteur de l’éducation. Elles cherchent maintenant à voir où leurs talents particuliers peuvent être le mieux mis au service de la nouvelle réalité au Cambodge. Certaines sont impliquées dans la formation de compétences pour les très nombreuses personnes mutilées par les mines anti-personnelles dans le pays; des programmes pour l’assistance et la formation des aveugles et des sourds sont parrainés par des ONG; une école pour aider les enfants handicapés est fournie par une ONG.

Ce serait tout aussi vrai dans d’autres pays pendant une période d’après-guerre. On espère que le gouvernement fait usage à bon escient du service long et enrichissant des ONG au Cambodge et étudie les rapports de leurs succès et de leurs échecs - on apprend souvent beaucoup des choses qui ont mal tourné. Le Cambodge a des partenaires qui sont désireux d’aider à la reconstruction et à la réhabilitation du pays. Comme l’éducation est la clef de l’avenir, il faut que le gouvernement profite pleinement des ressources éducatives disponibles, en les utilisant judicieusement, à l’heure de bâtir sur l’expérience de ses nombreux partenaires ainsi que sur sa propre expérience à déterminer le succès à long terme du processus menant à une véritable paix au Cambodge.

NOTE

1. Mysliwiec, Eva. Punishing the poor [Châtiment du pauvre]. Oxford, Royaume-Uni, Oxfam, 1988, p. xxii.

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CHAPITRE VI

Perturbation et relèvement de l’éducation en Palestine Saïd Assaf

Directeur général, Formation, qualifications et inspection, Ministère de l’éducation, Ramallah, Autorité nationale de Palestine

INTRODUCTION La Cisjordanie et la Bande de Gaza ont été occupées par Israël en 1967. Bien que les territoires occupés aient conservé la plupart des structures légales et administratives préexistantes, les autorités militaires ont superposé plus de 1 000 décrets militaires qui annulaient pratiquement ces dispositions légales. L’éducation a été l’un des principaux secteurs à avoir souffert de ces décrets militaires de substitution. Le système éducatif en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza présentait donc un état quelque peu schizophrénique. Alors que les termes administratifs du mandat restaient ceux des systèmes jordanien et égyptien, le système éducatif était contrôlé et censuré par les autorités d’occupation israéliennes depuis 1967. Lorsque les Palestiniens ont obtenu le contrôle de leur système éducatif en août 1994, le Ministère de l’éducation (MDE), le secteur tertiaire palestinien le plus vaste, a dû faire face simultanément à de nombreux défis tout en reconstruisant le système éducatif.

Cet article va analyser la réponse palestinienne à la nature schizophrénique du système éducatif. Il commence par une description du système éducatif sous l’administration israélienne (1967-1994). Ensuite vient un tableau général des politiques de l’éducation pendant la période de l’Intifada et les réponses novatrices de la Palestine aux stratégies obstructionnistes d’Israël, notamment pendant la période d’insurrection. La section suivante examine l’impact de l’occupation prolongée sur le système éducatif palestinien, notamment sur le plan de la détérioration de la qualité. L’article envisage ensuite le présent avec les défis actuels auxquels les Palestiniens sont confrontés dans la reconquête du contrôle de leur système éducatif.

ÉDUCATION SOUS L’OCCUPATION

Les Palestiniens n’avaient jamais contrôlé leur système éducatif avant 1994. En effet, depuis l’Empire ottoman, le système scolaire palestinien a été administré par des étrangers. Le système scolaire moderne en Palestine émane d’une réaction aux tentatives ottomanes de promouvoir et d’imposer la culture turque. Ensuite, sous le mandat britannique, l’expansion du système scolaire a été une réponse aux Britanniques qui avaient besoin de fonctionnaires. Mahshi (1989) a résumé la situation de l’éducation à cette époque dans les termes suivants :

Malgré les insuffisances de l’éducation publique dispensée par les Britanniques, la valeur traditionnelle de l’éducation, spécialement de la scolarité, s’était renforcée avec le temps. La scolarité était perçue comme un moyen permettant de s’assurer un emploi dans un bureau et un revenu stable et d’améliorer son statut social, dans une société essentiellement paysanne.

Après la guerre de 1948 et la création de l’État d’Israël sur les terres de la Palestine britannique, la Cisjordanie a été administrée par la Jordanie tandis que la Bande de Gaza était administrée par l’Egypte. En outre, l’Office de secours et de travaux des Nations Unies

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(UNRWA) a créé des écoles dans les camps de réfugiés de Cisjordanie et de Gaza, ainsi qu’au Liban, en Syrie et en Jordanie. La situation fragmentée s’est compliquée davantage après l’occupation en 1967 de la Cisjordanie et de Gaza lorsque le système éducatif est tombé sous le contrôle complet des autorités israéliennes. Réseaux scolaires multiples Outre la dualité des systèmes éducatifs en Cisjordanie et à Gaza, il convient d’ajouter la diversité des réseaux scolaires. En effet, les écoles en Cisjordanie et à Gaza peuvent être classées en trois catégories : les écoles publiques, de l’UNRWA et privées. En 1996, les écoles publiques regroupaient 67,6% de l’ensemble des étudiants, tandis que l’UNRWA s’adressait à 26,3% et les écoles privées à 6,1% de la population scolaire. Le tableau 1 indique le poids relatif de chacun de ces types d’écoles dans le système éducatif palestinien global. TABLEAU 1 : Ecoles en Cisjordanie et à Gaza répertoriées par les autorités, 1995/96 Écoles Salles de classe Étudiants Enseignants État 1995 1996

1 084 1 112

11 817 12 524

418 807 447 822

13 533 14 742

UNRWA 1995 1996

253 259

3 702 3 918

161 332 174 284

4 370 4 642

Privé 1995 1996

147 147

1 563 1 640

40 521 40 765

2 175 2 210

Source : Annuaire statistique de l’éducation 1995/1996, MDE et BCPS, ANP.

Avant le transfert du pouvoir à l’Autorité nationale palestinienne (ANP), les salaires des enseignants du réseau public étaient payés par l’administration israélienne, tandis que l’UNRWA payait ses propres enseignants et que les écoles privées s’autofinançaient par le biais des frais d’inscription ou par une autre forme d’aide caritative. Depuis 1994, tout le système scolaire a progressivement été unifié et se conforme aux mêmes curriculums, aux durées et à la structure de cours identiques. Gestion et contrôle fortement centralisés Une des principales caractéristiques du système éducatif public sous l’occupation était son système de gestion fortement centralisé. Tous les pouvoirs administratifs et de prise de décision, y compris l’engagement et le licenciement des enseignants, se trouvaient entièrement aux mains de quelques officiers de l’ administration civile . Nombre d’enseignants n’avaient pas le droit de s’opposer aux décisions se rapportant aux licenciements. Dans les rares cas où ces décisions étaient justifiées, elles se fondaient sur des

raisons de sécurité . Par ailleurs, l’engagement se limitait aussi à des districts scolaires spécifiques. Engager un enseignant d’un autre district supposait une mission presque impossible, en particulier pendant la période de l’Intifada, pour modifier l’adresse inscrite sur la carte d’identité émise par les autorités militaires. De plus, les décisions de construire ou d’agrandir des écoles individuelles étaient aussi prises par l’administration israélienne.

Bien que les enseignants aient été recrutés et nommés par les directeurs de district palestiniens, ces décisions devaient être approuvées par les autorités israéliennes. Une fois désignés, les enseignants ne devenaient pas immédiatement fonctionnaires; ils devaient passer par une période d’essai qui pouvait durer de trois mois à une année complète. Les périodes d’essai sont des caractéristiques communes des pratiques de recrutement

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d’enseignants dans d’autres pays où cette période est mise à profit pour dispenser une formation supplémentaire de technique de classe et pour tenir compte de l’évaluation des nouveaux enseignants avant leur désignation définitive. Cependant, l’objectif en l’occurrence, et à la différence des autres systèmes, était pour les services de renseignements de l’armée d’approuver ou de refuser les nominations. Par ailleurs, les conditions de travail n’étaient pas clairement définies et les règlements du travail, les droits et les responsabilités n’ont jamais été éclaircis. Cela a abouti à un degré élevé de frustration et de manque de satisfaction du travail chez les enseignants. Curriculum et censure

Les écoles cisjordaniennes suivaient le programme jordanien tandis que les écoles de Gaza suivaient le programme égyptien. Bien que ces deux programmes puissent être caractérisés comme étant pertinents sur le plan culturel jusqu’à un certain point, ils n’étaient pas pertinents sur le plan national. La censure israélienne s’assurait que ces programmes ne soient pas utiles pour les efforts d’édification de la nation palestinienne. Le Décret militaire 101 imposait que tout le matériel de lecture, les livres et les périodiques soient approuvés par le censeur militaire. Toute référence à la Palestine ou à la question palestinienne était ainsi systématiquement censurée. Chaque année, les autorités israéliennes soumettaient les manuels scolaires importés d’Egypte et de Jordanie à une censure rigoureuse, effaçant certains mots, paragraphes, chapitres ou refusant l’entrée des livres abordant la question palestinienne, ses racines ou l’héritage culturel. Il est important de remarquer ici que cette censure ne s’appliquait pas uniquement aux manuels d’histoire et de géographie, mais aussi à ceux utilisés pour l’enseignement de la langue et de la religion.

Enseigner sous l’occupation était pénible et restrictif, les enseignants n’étaient pas autorisés à utiliser de matériel complémentaire pour améliorer le curriculum qui était étroitement défini pour signifier le contenu du manuel scolaire en dépit du degré de manque d’à-propos pour la culture palestinienne. Cette restriction constituait un facteur important dans le fait que les étudiants perdaient courage et explique en partie leur faible engagement vis-à-vis de l’éducation et les problèmes de comportement qui en résultent. Formation continue La formation des enseignants n’était pas un phénomène courant et seuls quelques cours de formation discrets étaient proposés. La participation d’éducateurs palestiniens, venant d’universités et d’institutions d’éducation non gouvernementales, dans la conception de ces cours était limitée par les autorités israéliennes. Dans de nombreux cas, les enseignants et les directeurs étaient priés de suivre les cours à l’Université hébraïque, bien qu’il ne leur ait jamais été permis de suivre de tels cours dans les universités locales. Dans de telles conditions, les efforts remarquables entrepris par les inspecteurs scolaires pour offrir une formation par le biais d’ateliers étaient généralement marginaux en raison de leurs ressources limitées, de leurs compétences souvent insuffisantes et du manque d’aide.

Même dans les rares cas où les enseignants avaient trouvé un moyen pour poursuivre leurs études ou leur formation à l’étranger, le congé pour études n’était pas facile à obtenir. Pour pouvoir partir ne fût-ce que pendant une courte période, les enseignants devaient non seulement renoncer à leur salaire mais aussi à leur poste. La perte du salaire et de l’emploi a découragé de nombreux enseignants qui étaient tout disposés à prendre un congé sabbatique pour parfaire leur formation à l’étranger.

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LA PÉRIODE DE L’INTIFADA Fermeture des écoles en guise de punition collective Les restrictions administratives et le harcèlement militaire qui caractérisaient l’éducation sous l’occupation se sont encore intensifiés pendant la période d’insurrection. En effet, depuis le début de l’Intifada en décembre 1987, on a assisté à une escalade des mesures répressives de la part d’Israël. Ces mesures sévères de punition collective comprenaient : (1) l’arrestation et la déportation d’étudiants et d’enseignants; (2) l’intensification du harcèlement financier; et (3) la fermeture des écoles. L’imposition des fermetures collectives des institutions éducatives dès 1988 n’était qu’une nouvelle forme d’une stratégie de longue date d’ingérence dans l’éducation palestinienne de la part des autorités israéliennes. La fermeture systématique des institutions éducatives pour une période de deux ans peut en effet être interprétée comme l’expression d’une politique d’ignorance forcée. Ces mesures ont été conçues et appliquées en guise de punition collective visant à contraindre les Palestiniens à cesser leur insurrection. Justifiées au départ par la nécessité de maintenir l’ordre et la sécurité, les politiques d’Israël visaient à rendre les coûts de l’insurrection insupportables pour la société palestinienne.

La phase initiale de seize mois de fermeture systématique a été prolongée d’une deuxième phase débutant en mai/juin 1989. Bien que cette seconde phase ait été caractérisée par la réouverture progressive des écoles, la politique obstructionniste d’Israël continuait tant par les fermetures intermittentes des écoles et des universités individuelles que par les couvre-feux. L’étendue de la perturbation dans le processus éducatif provoquée par ces mesures est clairement illustrée dans le tableau 2. Il est intéressant d’observer que c’était au niveau élémentaire que l’ampleur de la perturbation était la plus grande. Cette observation contredit la justification d’Israël qui fondait ces stratégies sur des raisons de sécurité.

TABLEAU 2: Nombre maximal de jours où les écoles ont été ouvertes, 1988-89 (nombre total de jours d’école : 205-210) Niveau Nombre total de jours/an % de l’année scolaire Élémentaire (Classes 1-6) 135 64 Préparatoire (Classes 7-9) 115 55 Classes 10-11 85 40 Classe 12 120 57 Source: Educational network, n° 2, septembre 1990. Formes alternatives d’éducation En réponse à ces fermetures militaires qui touchaient l’éducation, les Palestiniens ont inauguré des formes alternatives d’éducation dans l’espoir de minimiser la perte éducative à leurs enfants et à leurs communautés. Les communautés locales ont organisé une

éducation populaire (en dehors des écoles) qu’il est préférable de qualifier d’ éducation clandestine dans les maisons, les églises et les mosquées où l’instruction était

dispensée par des enseignants, des parents et des étudiants universitaires : Cette éducation fondée sur la communauté présentait une sérieuse menace pour les autorités israéliennes puisqu’elles ne contrôlaient plus le processus et le contenu de l’éducation palestinienne . En conséquence, l’éducation populaire a été déclarée illégale par les autorités israéliennes en août 1988 et les lieux ont fait à maintes reprises l’objet de descentes de la part des militaires israéliens. Ces descentes se soldaient généralement par l’arrestation des étudiants et des enseignants, et toute personne qui y participait était soumise à des tracasseries, à une arrestation et risquait d’être incarcérée jusqu’à dix ans et de devoir payer une amende de US$ 5 000. Le rapport Al Haq de 1988 fournit une illustration : le 6 septembre 1988, la Société des amis de l’Université Al-Najah à Nablus (une organisation communautaire fournissant de l’aide à l’université) a été fermée indéfiniment après que des

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soldats eurent fait une descente à la Société pendant un petit cours de rattrapage pour étudiants du secondaire. Deux étudiants et deux enseignants ont été arrêtés. Dans ce cas, il a été dit au directeur de la Société qu’il serait inculpé et poursuivi pour avoir permis que des cours de rattrapage se donnent dans ses locaux (p. 298). En raison de ces mesures et de la réouverture des écoles pour des périodes interrompues et de courte durée, l’éducation populaire [... ] est en réalité inexistante à l’heure actuelle (Educational network, n° 1, juin 1990).

Les écoles privées et de l’UNRWA ont tenté d’appliquer une autre stratégie fondée sur l’enseignement à distance avec des coffrets pédagogiques préparés pour être utilisés par les étudiants à domicile. Cette seconde stratégie de remplacement a aussi été considérée comme illégale par les autorités israéliennes. Impact de la fermeture des écoles En l’absence de stratégies éducatives viables pendant la période de l’insurrection, la fermeture des écoles a eu un impact négatif sur le plan académique, social et économique. Depuis l’année scolaire 1988/1989, les éducateurs et les enseignants, en particulier, ont commencé à être confrontés à une baisse de la norme académique des étudiants. Les enseignants devaient suivre des règlements qui limitaient à 6% au maximum, la proportion de redoublants. En conséquence, les étudiants étaient promus au niveau suivant même dans les cas où le curriculum assigné n’avait pas été achevé. Un dilemme était posé, le manque de scolarité pendant une longue période, à cause des fermetures, et le danger d’analphabétisme retombaient sur les étudiants de deuxième année. La fermeture des écoles a aussi sérieusement troublé le processus de socialisation des enfants de la communauté scolaire. En outre, il n’était pas possible de récupérer la perte académique en raison des courtes périodes scolaires, des grèves, des couvre-feux et des fermetures prolongées. Le manque de continuité et les interruptions répétées pendant l’occupation constituaient une force perturbatrice majeure dans le processus éducatif et a mené à une baisse de la motivation des enseignants. Enfin, les mesures israéliennes prises à l’encontre de l’éducation palestinienne ont réduit le nombre d’enseignants qualifiés. L’officier chargé de l’éducation a annoncé la fermeture de toutes les écoles le 15 avril 1988 et les enseignants n’ont perçu que la moitié de leur salaire mensuel déjà peu élevé (rapport Al-Haq, 1988). À la suite de ces mesures, les enseignants ont été confrontés à des difficultés financières.

DÉTÉRIORATION DE LA QUALITÉ Dimension des classes Il est généralement reconnu que les classes nombreuses ont un effet négatif sur le processus d’enseignement/apprentissage. Les classes nombreuses et surpeuplées ont cependant été une caractéristique des écoles palestiniennes. Le rapport Al-Haq 1988 illustrait l’ampleur du surpeuplement dans les termes suivants : en 1987, les enseignants ont signalé qu’à l’école primaire Bethany à Izarya [un faubourg de Jérusalem] il y avait 55 étudiants dans une classe de deuxième année. Cinq de ces étudiants devaient rester debout pendant les cours parce qu’il n’y avait simplement pas de place suffisante dans la pièce pour y placer des chaises supplémentaires. Avec plus de 33% des classes composées de plus de quarante étudiants, le tableau 3 illustre clairement l’ampleur du surpeuplement. Étant donné le taux de la croissance de la population nationale estimé à 3,7% selon les chiffres du BCPS, un effort important dans l’accroissement quantitatif du système éducatif doit être prévu sur le plan de la construction de salles de classe. Des données récentes publiées par le MDE et le BCPS indiquent que chaque étudiant

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au niveau fondamental a, en moyenne, 1,0 mètre carré d’espace de la classe, tandis que les étudiants du secondaire ont une moyenne de 1,4 mètre carré/étudiant. L’UNESCO (1995) a décrit la situation dans les termes suivants : Les salles de classe sont vraiment petites (16-20m2). Souvent, la ventilation et l’éclairage ne sont pas suffisants, et il n’y a pas de locaux spécialisés tels que laboratoires et cours de récréation ou installations sportives convenables disponibles. La plupart des bâtiments sont détériorés au point qu’ils s’effondrent, comme c’est le cas pour certaines écoles louées à Tulkarm, Nablus ou Hébron. Les plafonds et les murs y sont lézardés et fuient en hiver. Les classes surpeuplées ont de nombreux effets négatifs sur la gestion de la classe, ce qui mène à un plus faible apprentissage des étudiants. La discipline des étudiants faiblit (Mansour,1995), et, plus important, la qualité du processus d’apprentissage peut être moindre puisque les enseignants sont surchargés. Un autre aspect du surpeuplement du système scolaire est l’usage répandu des écoles à double plage horaire, plus de 50% des écoles à Gaza fonctionnant sur ce mode. TABLEAU 3 : Distribution des classes par les autorités et nombre d’étudiants/classe Nombre d’étudiants Public UNRWA Privé 1-19 666 16 413 20-25 1165 82 320 26-30 1696 162 292 31-35 2098 207 276 36-40 2688 374 159 41-45 2523 755 71 46-50 1253 1754 18 55+ 77 2 10 Total 12509 3352 1559 Source: Annuaire statistique de l’éducation, 1995/1996. MDE et BCPS. TABLEAU 4. Distribution des écoles par l’autorité d’inspection, dédoublement des équipes scolaires et niveaux

Primaire Primaire et secondaire

Secondaire

Public une équipe/matin une équipe /soir 2 équipes/1 administration 2 équipes/2 administrations

604 1

23 135

263 1

13 18

8 0 1 3

UNRWA* une équipe/matin une équipe /soir 2 équipes/1 administration 2 équipes/2 administrations

110 1

12 130

0 0 0 0

0 0 0 0

Source: Annuaire statistique de l’éducation 1995/1996, MDE et BCPS. *Note: L’UNRWA ne dirige que des écoles primaires. Abandon des études Bien que les données sur les inscriptions soient relativement rares, les Statistiques relatives aux Territoires administrés ont fourni quelques informations utiles. Ces données indiquent que moins de 50% des effectifs de première année atteignent la neuvième année et que seulement un tiers des effectifs de première année vont jusqu’à la douzième année. Ces taux élevés d’abandon peuvent s’expliquer en grande partie par les pressions économiques et par le besoin accru que les jeunes ayant entre 14 et 16 ans se lancent sur le marché du travail.

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C’est d’autant plus le cas qu’une législation réglant l’entrée des jeunes (principalement des hommes) dans la main-d’œuvre fait défaut. Le niveau de qualification de la main-d’œuvre a de ce fait chuté et il en a résulté une pénurie de la main-d’œuvre qualifiée (c’est-à-dire, des enseignants, des pharmaciens et d’autres professionnels). Rendement des élèves Il n’y a que très peu d’études disponibles portant sur l’évaluation du rendement de l’apprentissage puisque les éducateurs des écoles publiques (qui représentent plus de 70% de l’ensemble du corps enseignant) n’étaient pas autorisés à effectuer des études. Une étude récente menée par l’Institution Tamir (1991) a été conçue pour examiner le rendement (forces et faiblesses) de 1 200 étudiants de 4e et de 6e année sur leurs compétences en langue arabe dans les domaines suivants : compréhension à la lecture, compréhension à l’audition, grammaire, dictée et rédaction. Les résultats indiquaient que tant les étudiants de 4e année que ceux de 6e présentaient de sérieuses lacunes dans pratiquement toutes les compétences évaluées. Moins d’un quart des étudiants testés, par exemple, étaient capables de tirer correctement des informations formulées sans détours dans le texte.

Une deuxième étude effectuée par la même institution (1991) a été conçue pour examiner la nature et l’ampleur de la détérioration du rendement des étudiants en mathématiques. Six compétences importantes ont été analysées, comprenant les compétences statistiques, la géométrie élémentaire, l’estimation et l’approximation, les mesures, la théorie des nombres et la résolution de problèmes. Les résultats de cette étude indiquaient que la performance des étudiants de 4e et de 6e année était très faible dans chacun des six domaines de compétences testés. Par exemple, seulement 37% des étudiants de 4e année et 58% de 6e année étaient capables de trouver la solution à la question suivante : 3,479 = 9 + 70 + 400 + ?. L’étude montrait que bien que les étudiants se soient acquittés correctement des questions demandant un simple rappel, ils ont accompli médiocrement les tâches nécessitant une compréhension plus approfondie.

Le Centre national pour la recherche et le développement de l’éducation (CNRDE, Jordanie), a mené une étude comparative (1993) pour étudier le classement de la Jordanie et de la Cisjordanie par rapport aux autres pays participant à l’Évaluation internationale des progrès éducatifs (EIPE II) en ce qui concerne le rendement des étudiants de 8e année en mathématiques et en sciences. Les résultats indiquaient que le rendement des étudiants cisjordaniens était faible. En effet, les statistiques correctes du pourcentage moyen international de l’EIPE II (58) est de loin supérieur à celui de la Cisjordanie (33,6). Le pays affichant les meilleurs résultats était la Chine (avec 80% de réponses correctes), et le plus faible le Mozambique (28%). La Cisjordanie s’est classée l’antépénultième parmi les vingt et un pays étudiés tandis que la Jordanie se situait à 39,4% et Israël à 63%. La performance des étudiants cisjordaniens lors du test de rendement en sciences était aussi extrêmement faible (52,2%). La moyenne internationale de l’EIPE II s’élevait à 67% et le pays ayant le plus haut score était la République de Corée (78% de réponses correctes), et le plus faible était le Brésil (46,6%). La Jordanie se situait à 57,6%, Israël à 70% et la Cisjordanie s’est classée avant-dernière parmi les vingt et un pays étudiés. Problèmes de comportement Lorsque les écoles sont mal entretenues, que les classes sont surpeuplées, que les proportions étudiant/enseignant sont élevées (33 contre 1 par exemple), que les enseignants jouissent d’un développement professionnel minimal, que les programmes ne sont pas adaptés et que le processus scolaire est continuellement interrompu, on s’attend à ce que cela se reflète sur les niveaux de rendement des étudiants comme nous l’avons mentionné dans la section précédente. L’autre effet important d’une telle situation se fait sur la psychologie et les modes

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de comportement des étudiants. Une corrélation existe entre les sentiments associés à l’échec scolaire et l’apparition de problèmes du comportement, La violence institutionnelle nourrit la violence des individus, et un cercle vicieux s’installe (Mansour, 1996). Partant de leur expérience d’anciens étudiants, les enseignants savent comment gérer les systèmes qui sont fondés sur l’obéissance des étudiants aux enseignants. L’Intifada a planté les germes de la confrontation non seulement dans les rues, mais aussi à l’école, à la maison et dans la société au sens large. Les étudiants ont été forcés d’être agressifs puisque l’armée israélienne avait envahi leurs vies quotidiennes, que ce soit à l’école, à la maison et même dans les cauchemars des enfants (Mansour, 1996). Mansour parle des étudiants comme de la

génération de l’Intifada en faisant remarquer à juste titre que les étudiants d’aujourd’hui sont les jeunes de l’Intifada, les mêmes qui, hier encore, manifestaient et lançaient des pierres aux soldats israéliens . Enseignement supérieur Les universités palestiniennes ont été créées au cours des trois dernières décennies ; la première a été l’Université Bir Zeit. Un progrès considérable a été fait dans le développement de l’enseignement supérieur qui compte actuellement huit universités et quatre établissements d’enseignement supérieur comportant 37 000 étudiants inscrits. Les universités palestiniennes sont considérées par les Palestiniens surtout comme des centres de lutte politique et de résistance nationale. Comme il s’agissait d’institutions indépendantes et qu’elles jouissaient d’un degré d’autonomie plus élevé que les écoles sur le plan des programmes académiques et de la sélection du corps enseignant, les universités palestiniennes ont joué un rôle moteur dans la résistance et la construction de la nation. Lorsqu’elles ont pris conscience de ce rôle, les autorités israéliennes ont appliqué les mesures suivantes contre les universités : • Limitation de l’expansion des bâtiments et des équipements. • Limitation de l’accès des étudiants au matériel de la bibliothèque (des permis

spéciaux étaient exigés pour importer de nouveaux livres). • Suspension de l’aide financière extérieure, notamment celle provenant du monde

arabe. Il a été refusé aux universités le droit de ne pas payer de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) qui s’élevait à 17%.

• Restriction de la liberté académique par l’imposition de décrets militaires. Le décret militaire n° 854 exigeait des universités qu’elles fassent une demande d’autorisation annuelle pour pouvoir fonctionner. Face au rejet du décret par les professeurs palestiniens et par certains Israéliens, le décret n’a pas été appliqué, bien qu’il ait été maintenu en guise de menace potentielle. Une autre tentative pour entraver le fonctionnement des universités en 1982 exigeait que tout enseignant

étranger introduise une demande de permis de travail et signe un engagement qui limitait sa liberté académique et politique. Voici la formulation de cet engagement : Engagement pour l’octroi d’un permis de travail pour l’année scolaire 1982-83. Suite à ma demande d’un permis de travail pour l’année scolaire 1982-83, introduite le […], et sans préjudice de mon engagement complet signalé dans la demande mentionnée ci-dessus, je déclare par le présent acte que je m’engage à ne fournir aucun travail et à ne prêter aucun service qui aiderait à supporter l’organisation dite de l’OLP ou toute autre organisation hostile, et qui sont considérées hostiles conformément au décret relatif à l’interdiction des actions de protestation et de publicité hostile.

TABLEAU 5 : Étudiants des universités et des établissements d’enseignement supérieur palestiniens Université Hommes Femmes Total Bir Zeit 2161 1370 3531

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Al-Quds 928 1181 2140 Al-Quds open University 3055 2462 5517 Al-Najah 4146 2679 6825 Bethléem 754 1340 2094 Hébron 809 818 1627 Islamique 3790 1910 5700 Al-Azhar 3494 2644 7038 Établissements proposant une licence 1158 1500 2658 Total 21190 15904 37094 Source: Annuaire statistique de l’éducation, 1995/96, MDE et BCPS, ANP.

A ce moment-là, le nombre d’enseignants étrangers (c’est-à-dire ceux qui n’étaient pas détenteurs d’une carte d’identité de Cisjordanie ou de Gaza) était essentiel (approximativement la moitié du corps enseignant à l’Université de Bethléem et plus de 25% à l’Université Bir Zeit). A la suite des protestations contre cette mesure, plusieurs membres du personnel ont été déportés, y compris des présidents (par exemple le docteur. Salah de l’Université Al Najah), des doyens, des chefs de départements et des enseignants.

• Perturbation permanente du processus d’apprentissage résultant des arrestations et des interrogatoires des étudiants, et des cris, non seulement de la part de l’armée, mais aussi des colons. En juillet 1983, par exemple, les colons de Kiryat Arba à Hébron ont tué trois étudiants et en ont blessé plus de trente lors d’une attaque armée sur le campus de l’Université d’Hébron.

• Harcèlement des diplômés universitaires, particulièrement depuis 1992, qui n’ont pas eu le droit de poser leur candidature pour les postes de fonctionnaire dans les domaines dans lesquels ils avaient obtenu leur diplôme des universités qui avaient été officiellement fermées. Il s’agissait d’une stratégie indirecte visant à limiter l’efficacité des stratégies d’enseignement en dehors des établissements scolaires adoptées par de nombreux Palestiniens en réponse aux fermetures, couvre-feux et perturbations.

LE PROCESSUS DE RELÈVEMENT

Dans un petit pays de 2 millions d’habitants répartis en Cisjordanie et à Gaza, le secteur de l’éducation constitue le secteur tertiaire le plus important. Plus de 35-40% de la population totale sont soit employés soit servis directement par le système éducatif. Le processus de planification pour le relèvement et le renversement de la détérioration du système éducatif palestinien a débuté avec la signature de la Déclaration de principes entre l’Organisation pour la libération de la Palestine (OLP) et Israël le 13 septembre 1993. Il a été fait très peu au départ ; d’une part à cause des conséquences et des implications de la déclaration qui n’étaient pas claires pour les éducateurs et d’autre part à cause du manque de données fiables relatives à l’éducation. En août 1994, le Ministère de l’éducation (MDE) a pris le contrôle du secteur de l’éducation, comprenant l’enseignement primaire, secondaire et supérieur. Transfert de l’autorité de l’éducation Le transfert de l’autorité de l’éducation au Ministère de l’éducation (MDE), le 28 août 1994, a été un événement historique sur le plan du développement politique de la nation palestinienne puisqu’il était accordé pour la première fois aux Palestiniens l’entière responsabilité de l’éducation de leurs enfants, et aussi parce que cela reflétait l’importance des défis auxquels le MDE était confronté depuis le début. Comme l’année scolaire commence habituellement le premier jour de septembre, deux jours étaient insuffisants, de

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toute évidence, pour faire les préparatifs en vue d’entamer une nouvelle année scolaire. De plus, toute la population attendait énormément du MDE palestinien nouveau-né. Étant donné le manque de temps et de ressources humaines, le MDE a décidé que pendant la première année de fonctionnement, il était inopportun de se précipiter pour opérer des changements administratifs ou éducatifs. Une décision a été prise en ce sens pour conserver le système de gestion tel qu’il était, car il n’était pas possible de semer la confusion dans un système (malgré ses défauts) auquel les gens s’étaient habitués. Le MDE a commencé en même temps à recueillir plus systématiquement des données en vue de mieux comprendre les modèles existants d’apprentissage et d’inscription, et ce afin d’inverser le processus de détérioration de la qualité. Recueillir des données démographiques Se rendant compte du besoin pressant de données fiables, le MDE a créé un service dans le département de planification en vue de mettre en place un Système d’information pour la gestion de l’éducation (SIGE). Le développement du SIGE est une condition préalable à toute planification ou formulation de décision à moyen ou à long terme. Ce service a été créé avec l’aide de l’UNICEF et avec le financement de l’Union européenne et de la Suède. Une coopération importante entre ce service et le Bureau central palestinien de statistiques (BCPS) a permis d’organiser et de publier l’Annuaire statistique de l’éducation pour les années scolaires 1994/1995 et 1995/1996. En outre, le MDE a entamé un processus visant à accroître sa capacité de gestion et de planification de l’éducation. Des dispositions importantes ont été prises dans le sens de l’unification des deux systèmes éducatifs (Gaza et Cisjordanie). Comme toutes les écoles ont maintenant le même calendrier, les mêmes procédures de recrutement, les mêmes prix pour les manuels, les mêmes droits d’inscription nominaux et les mêmes procédures d’inspection, le rassemblement des données pour la planification s’en trouve facilité. Établir des priorités Comme Weiler (1982) l’a souligné, la planification dépend beaucoup de l’environnement spécifique dans lequel elle est appelée à fonctionner. Cela suppose qu’établir des priorités pour l’éducation se fait en fonction des caractéristiques du système social et politique dans lequel les éducateurs opèrent. La société palestinienne revêt certaines caractéristiques qui sont cruciales dans le processus de planification de l’éducation : • Les Palestiniens font grand cas de l’éducation, en partie parce qu’ils ont réalisé qu’il

s’agit d’un produit transférable dans un domaine où ils ont été exposés au déplacement et au harcèlement. Toutefois, bien qu’une proportion considérable soit entrée dans les universités, la qualité de l’éducation pendant la période d’occupation a chuté de manière spectaculaire.

• L’état économique général de la Palestine est toujours faible et les programmes du MDE dépendent encore beaucoup de l’aide internationale.

Ces caractéristiques ont eu un impact majeur sur la planification de l’éducation et sur la détermination des priorités en matière d’éducation : 1. Les systèmes d’éducation et de formation doivent s’adapter au besoin de changements

structurels de l’économie palestinienne. L’économie palestinienne est en effet devenue interdépendante des économies régionales et les espérances sont élevées. Cela suppose le besoin de développer les compétences et les capacités compétitives au moyen d’une éducation et d’une formation de haute qualité. L’éducation et la formation encourageant les compétences et les capacités humaines sont le but principal que le MDE poursuit. En raison de la valeur que les Palestiniens accordent à l’éducation, une proportion croissante d’étudiants devrait poursuivre son éducation

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au-delà de l’instruction obligatoire, ce qui engendrera inévitablement une demande de développement des infrastructures scolaires. Le tableau 6 indique qu’il y aura approximativement 60 à 70 000 nouveaux étudiants inscrits chaque année, ce qui implique la nécessité de construire 40 ou 50 nouvelles écoles chaque année.

2. Bien que l’amélioration de l’apprentissage des étudiants soit la finalité du MDE, satisfaire les besoins des enseignants est le moyen d’arriver à cette fin. Tous les efforts possibles doivent être consentis pour offrir aux enseignants la possibilité, le temps, les moyens et les matériaux pour améliorer leurs pratiques.

TABLEAU 6 : Nombre d’étudiants prévus en Palestine Année 1996 1997 1998 1999 2000 Nombre d’étudiants 629 069 757 196 819 131 879 966 938 491

Source: Écart étudiants, salles de classe, éducation en Palestine, MDE, ANP, 1996.

3. Les étudiants palestiniens ont vécu dans un pays fermé où les possibilités de voyage à

l’étranger étaient rares. Tous les enfants en âge scolaire et les étudiants universitaires sont nés sous l’occupation. Cela suggère la nécessité d’un programme national qui insiste sur les valeurs nationales, en mettant l’accent sur l’histoire, la culture et les problèmes modernes liés aux problèmes mondiaux. Pour cette raison, le MDE a créé le Centre pour le curriculum dont le défi est de développer un curriculum qui insiste sur la promotion des valeurs démocratiques et de la tolérance et qui soutienne l’apprentissage académique et social. Le curriculum doit garantir l’égalité et l’apprentissage efficace.

Le MDE est actuellement en train de passer au stade de développement en renforçant la formulation de la politique au moyen d’un plan quinquennal. La contribution et l’égalité des chances pour les filles en augmentant leur inscription dans les zones rurales constituent un intérêt majeur pour le MDE. Les données les plus récentes indiquent que bien que l’écart entre les sexes soit faible au niveau primaire (48% des élèves inscrits sont des filles), l’écart se creuse au niveau secondaire (44% de l’ensemble des étudiants inscrits sont des filles).

Le MDE lance aussi les activités d’orientation scolaire (200 conseillers d’orientation scolaire ont été engagés) afin d’aider les étudiants à surmonter les problèmes psychologiques éprouvés sous l’occupation.

Il est trop tôt pour évaluer l’impact des changements accomplis depuis 1994 puisque le système éducatif indépendant est encore jeune. À quel point le système est-il capable de répondre aux aspirations fondamentales du peuple et de contribuer à la communauté internationale, voilà une question qui devra être abordée plus tard.

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violation des droits de l’homme pendant l’insurrection palestinienne]. Déc. 1987–Déc. 1988. Education during Intifada [Éducation pendant l’Intifada]. Education network (Ramallah), n° 1. Centre des médias et de communication de Jérusalem. 1990a. Palestinian Education: A threat to Israel’s

security? The Israeli policy of school closures in the occupied West Bank and Gaza Strip [Éducation palestinienne : une menace pour la sécurité israélienne écoles en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza occupéesº? La politique israélienne de fermeture des écoles en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza occupées] (déc 1987 - mai 1990). Août.

Centre des médias et de communication de Jérusalem. 1990b. Lessons of occupation: Palestinian higher education during the uprising [Leçons tirées de l’occupation : enseignement supérieur palestinien pendant l’insurrection]. Mai.

Mahshi, K.; Bush, K. 1989. The Palestinian uprising and education for the future [L’insurrection palestinienne et l’éducation pour l’avenir]. Harvard educational review (Cambridge, MA), vol. 59, n° 4, novembre.

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Mansour, Sylvie. 1996. La Génération Intifada à l’école. Perspectives (Paris, UNESCO), vol. XXVI, n° 2, juin, p. 293-310.

Centre national pour la recherche et le développement de l’éducation (CNRDE). 1993. Student achievement in Jordan and the West Bank: a comparative perspective [Rendement des étudiants en Jordanie et en Cisjordanie : comparaison], N° 17. Amman, mars.

Autorité nationale palestinienne. Ministère de l’éducation; Bureau central palestinien de statistiques (BCPS). 1996. Annuaire statistique de l’éducation, 1995/1996. Ramallah, Publications BCPS. (Série Statistiques de l’éducation, n° 2.)

Institut Tamir pour l’éducation communautaire. 1991a. Évaluation du rendement en arabe des étudiants de quatrième et de sixième année dans la Région centrale de la Cisjordanie. Ramallah, Publications Institut Tamir.

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UNESCO. 1995. Enseignement primaire et secondaire en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza : vue d’ensemble du système et des nécessités pour le développement du Ministère de l’éducation. Paris. (rapport non publié.)

Weiler, Hans. 1982. Planification de l’éducation et changement social : une étude critique des concepts et des usages. In: Altbach, P.G.; Arnove, R.F.; Kelly, G.P., eds. Comparative education [Éducation comparée], p. 106–07. New York, Macmillan.

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ANNEXE

Liste des participants Saïd ASSAF Director General Training, Qualification and Supervision Ministry of Education Ramallah, P.O.Box 576, Palestinian National Authority (PNA) Tel : +972-2-985555 Fax : +972-2-9983222 Email : [email protected] Edith BAERISWYL Diffusion Jeunesse Division de la promotion du droit international humanitaire International Committee for the Red Cross (ICRC) 19, avenue de la Paix CH-1202 Geneva. Tel : +41(22) 730.24.17 Fax : +41(22) 733.20.57 Email : [email protected] Richard BLEWITT ActionAid Hamlyn House, Macdonald Rd, Archway, London N19 5PG, United Kingdom. Tel : +44(171)281.4101 Fax : +44(171)272.0899 Email : [email protected] Lene BUCHERT Senior Programme Specialist Section for Educational Policy Studies and Documents United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization (UNESCO) 7, place de Fontenoy, 75352 Paris 07 SP, France. Tel : +33(1)45.68.08.26 Fax : +33(1)45.68.56.31 Email : [email protected] Rath BUNLA Ministry of Education, Youth & Sports 80 blvd, Preah Norodom, Phnom Penh, Cambodia. Tel : +855(23)428.210 Fax : +855(23)427.632 Michel CARTON Deputy-Director Graduate Institute of Development Studies (IUED) P.O.Box 136, 24, rue Rothschild, 1211 Geneva 21. Tel : +41(22)906.59.01 Fax : +41(22)906.59.94 Email : [email protected] Elsa CASTANEDA-BERNAL

Fundación Restrepo Barco Carrera 7 No. 73-55, piso 12 Bogotá, Colombia. Tel : +57(1)211.23.00 Fax : +57(1)312.15.11 / +57(1)255.52.50 Pierre DASEN Department of Education Faculty of Psychology and Education (FPSE) University of Geneva 9, route de Drize, 1227 Carouge, Geneva. Tel : +41(22)705.96.21 Email : [email protected] Pape DIOUF Graduate Institute of Development Studies (IUED) P.O.Box 136, 24, rue Rothschild, 1211 Geneva 21. Tel : +41(22)906.59.04 Fax : +41(22)906.59.94 Email : [email protected] Martin DOORNBOS Head of Research and Evaluation War-torn Societies Project United Nations Research Institute for Social Development (UNRISD), Palais des Nations, 1211 Geneva 20. Tel : +41(22)788.86.45 Fax : +41(22)788.83.21 Email : [email protected] Lavinia GASPERINI Expert on Education and Training General Directorate for Development Cooperation (DGCS) UFFICIO XV-/UTC/III/FOR Via S. Contarini 25, 00195 Rome, Italy. Tel : +39(6)3691.46.22 Fax : +39(6)324.05.85 Email : [email protected] Aklilu HABTE President Northern Policy Research Review and Advisory Network on Education and Training (NORRAG), 9410 Corsica Drive, MD 20814 Bethesda, USA Tel : +1(301)564.1165/1-301-564.9192 Fax : +1(301)564.1174 Jacques HALLAK Director International Institute for Educational Planning (IIEP)/UNESCO, 7-9 rue Eugène-Delacroix, 75116 Paris, France. Tel : +33(1)45.03.77.10 Fax : +33(1)40.72.87.81

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Email : [email protected] Daniel HALPERIN Programme Plurifacultaire : Action Humanitaire (PPAH), University of Geneva and Geneva Foundation to Protect Health in War. 6, chemin du Pont-Perrin, 1231 Villette, Geneva. Tel : +41(22)702.55.89 [email protected] Maarit HIRVONEN Emergencies Unit United Nations Childrens' Fund (UNICEF) 5-7 Avenue de la Paix, 1202 Geneva. Tel : +41(22)909.55.05 Fax : +41(22)909.59.02 Email : [email protected] Walo HUTMACHER Department of Education Faculty of Psychology and Education (FPSE) University of Geneva 9, route de Drize, 1227 Carouge, Geneva. Tel : +41-22-705.96.20 (or) +41(22)787.65.50 Fax : +41(22)736.29.45 Email : [email protected] Jean-Dominique LAPORTE Programme Plurifacultaire, Action Humanitaire, Centre Médical Universitaire (CMU) 1211 Geneva 4 Email : [email protected] Sabine LOBNER Action Programme on Skills and Entrepreneurship Training for Countries Emerging from Conflict International Labour Office (ILO), 4, route des Morillons 1211 Geneva 22 Tel : +41(22)799.68.44 Fax : +41(22)799.76.50 Email : [email protected] Maureen McCLURE Director Global Information Network in Education (GINIE), University of Pittsburgh School of Education, Institute for International Studies in Education, University of Pittsburgh, 5K01 Forbes Quadrangle Pittsburgh, PA 15260, USA Tel : +1(412)624.1775 / +1(412)648.7114 Fax : +1(412)624.2609 / +1(412)648.5911 Email : [email protected] Cyrus MECHKAT

Graduate Institute of Development Studies (IUED) P.O.Box 136, 24, rue Rothschild, 1211 Geneva 21. Tel : +41(22)906.59.64 Email : [email protected] Soledad PEREZ Department of Education, Faculty of Psychology and Education (FPSE), University of Geneva 9, route de Drize, 1227 Carouge, Geneva. Tel : +41(22)705.96.27 Email : [email protected] Riccardo RODARI Graduate Institute of Development Studies (IUED) P.O.Box 136, 24, rue Rothschild, 1211 Geneva 21. Tel : +41(22)906.59.08 Fax : +41(22)906.59.94 Email : [email protected] Margaret SINCLAIR Senior Education Officer United Nations High Commission for Refugees (UNHCR), HQTS00, P.O.Box 2500, CH 1211 Geneva 22. Tel : +41(22)739.87.75 Fax : +41(22)739.73.71 Email : [email protected] Joanna SKELT International Extension College 95 Tension Road, Cambridge, CBI 2DL, United Kingdom. Tel : +44 1223 353321 Fax : +44 1223 464734 Sobhi TAWIL Graduate Institute of Development Studies (IUED) P.O.Box 136, 24, rue Rothschild, 1211 Geneva 21. Tel : +41(22)906.59.00 Fax : +41(22)906.59.94 Email : [email protected] Juan-Carlos TEDESCO Director International Bureau of Education (IBE : UNESCO) Case postale 199 1211 Geneva 20. Tel : +41(22)798.14.55 Fax : +41(22)798.14.86 Email : [email protected] Benoit VULLIET Graduate Institute of Development Studies (IUED) P.O.Box 136, 24, rue Rothschild, 1211 Geneva 21. Tel : +41(22)906.59.04 Fax : +41(22)906.59.94 Email : [email protected]