la reine margot pt. 1 by dumas

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  • 8/14/2019 La Reine Margot Pt. 1 by Dumas

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    Project Gutenberg's La reine Margot - Tome I, by Alexandre Dumas, Pre

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    Title: La reine Margot - Tome I

    Author: Alexandre Dumas, Pre

    Release Date: February 27, 2005 [EBook #13856]

    Language: French

    Character set encoding: ISO-8859-1

    *** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LA REINE MARGOT - TOME I ***

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    Alexandre Dumas

    LA REINE MARGOT

    Tome I

    (1845)

    Table des matires

    PREMIRE PARTIE

    I Le latin de M. de Guise ............. ............ ............. ............. ............. ............. ............. ........... ..... ..... ..... .

    II La chambre de la reine de Navarre ............. ............. ............. ............. ............ ............. ......... ..... ..... .

    III Un roi pote ............ ............. ............ ............. ............. ............. ............. ............. ........ ..... ..... ..... ..... .

    IV La soire du 24 aot 1572 ............. ............. ............. ............ ............. ............. ............. ............. ....... .

    V Du Louvre en particulier et de la vertu en gnral ............ ............. ............. .......... ..... ..... ..... ..... .....

    VI La dette paye ............ ............. ............. ............. ............. ............ ............. ............. ............. ........... ...

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    VII La nuit du 24 aot 1572 ............. ............. ............. ............. ............. ............ ............. ..... ..... ..... ..... ..

    VIII Les massacrs ............ ............. ............. ............. ............. ............. ............. ............. ........... ..... ..... ..

    IX Les massacreurs ............ ............. ............. ............. ............. ............. ............. ............. ......... ..... ..... ...

    X Mort, messe ou Bastille ............. ............. ............. ............. ............. ............. ............. ........ ..... ..... ..... .

    XI Laubpine du cimetire des Innocents ............. ............. ............. ............. ............ ............. ...... ..... .

    XII Les confidences ............. ............. ............. ............. ............. ............. ............. ............. ............ ....... ..

    XIII Comme il y a des clefs qui ouvrent les portes auxquelles elles ne sont pas destines ..... ..... .....

    XIV Seconde nuit de noces ........... ............. ............. ............. ............. ............. ............. ...... ..... ..... ..... ...

    XV Ce que femme veut Dieu le veut ............. ............. ............. ............. ............. .......... ..... ..... ..... ..... ....

    XVI Le corps dun ennemi mort sent toujours bon ............. ............. ............. ............. ............. ...... .....

    XVII Le confrre de matre Ambroise Par ........... ............. ............. ............. ............. ............. ..... ..... ..

    XVIII Les revenants ........... ............. ............. ............. ............. ............. ............. ............. ......... ..... ..... ...

    XIX Le logis de matre Ren, le parfumeur de la reine mre ............. ............. ............. ............ ....... ...

    XX Les poules noires ........... ............. ............. ............. ............. ............. ............. ............. ............ .........

    XXI Lappartement de Madame de Sauve ............ ............. ............ ............. ............. ............. ......... .....

    XXII Sire, vous serez roi ............ ............. ............. ............. ............. ............. ............ .......... ..... ..... ..... ...

    XXIII Un nouveau converti ............ ............. ............. ............. ............. ............ ............. ..... ..... ..... ..... ...

    XXIV La rue Tizon et la rue Cloche-Perce ........... ............. ............. ............. ............. ........... ..... ..... ....

    XXV Le manteau cerise ............ ............. ............ ............. ............. ............. ............. ............. ............. ....

    XXVI Margarita ............ ............. ............. ............. ............. ............. ............. ............. ............ ............. ...

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    XXVII La main de Dieu ............. ............. ............. ............ ............. ............. ............. ............. ........... ....

    XXVIII La lettre de Rome ............. ............. ............ ............. ............. ............. ............. ............. ..... ..... ..

    XXIX Le dpart ............. ............. ............. ............. ............. ............. ............ ............. ............ ..... ..... ..... .

    XXX Maurevel ............ ............. ............. ............ ............. ............. ............. ............. ............. ............ ..... .

    XXXI La chasse courre ............. ............. ............. ............. ............ ............. ............. ............. .......... ....

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    PREMIRE PARTIE

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    ILe latin de M. de Guise

    Le lundi, dix-huitime jour du mois daot 1572, il y avaitgrande fte au Louvre.

    Les fentres de la vieille demeure royale, ordinairement sisombres, taient ardemment claires ; les places et les rues

    attenantes, habituellement si solitaires, ds que neuf heuressonnaient Saint-Germain-lAuxerrois, taient, quoiquil ftminuit, encombres de populaire.

    Tout ce concours menaant, press, bruyant, ressemblait,dans lobscurit, une mer sombre et houleuse dont chaque flotfaisait une vague grondante ; cette mer, pandue sur le quai, oelle se dgorgeait par la rue des Fosss-Saint-Germain et par larue de lAstruce, venait battre de son flux le pied des murs duLouvre et de son reflux la base de lhtel de Bourbon quislevait en face.

    Il y avait, malgr la fte royale, et mme peut-tre causede la fte royale, quelque chose de menaant dans ce peuple, caril ne se doutait pas que cette solennit, laquelle il assistait

    comme spectateur, ntait que le prlude dune autre remise huitaine, et laquelle il serait convi et sbattrait de tout soncur.

    La cour clbrait les noces de madame Marguerite deValois, fille du roi Henri II et sur du roi Charles IX, avec Henride Bourbon, roi de Navarre. En effet, le matin mme, le cardinalde Bourbon avait uni les deux poux avec le crmonial usit

    pour les noces des filles de France, sur un thtre dress laporte de Notre-Dame.

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    Ce mariage avait tonn tout le monde et avait fort donn songer quelques-uns qui voyaient plus clair que les autres ; oncomprenait peu le rapprochement de deux partis aussi haineuxque ltaient cette heure le parti protestant et le particatholique : on se demandait comment le jeune prince de Condpardonnerait au duc dAnjou, frre du roi, la mort de son preassassin Jarnac par Montesquiou. On se demandait commentle jeune duc de Guise pardonnerait lamiral de Coligny la mortdu sien assassin Orlans par Poltrot du Mr. Il y a plus :Jeanne de Navarre, la courageuse pouse du faible Antoine deBourbon, qui avait amen son fils Henri aux royales fianaillesqui lattendaient, tait morte il y avait deux mois peine, et desinguliers bruits staient rpandus sur cette mort subite.Partout on disait tout bas, et en quelques lieux tout haut, quunsecret terrible avait t surpris par elle, et que Catherine deMdicis, craignant la rvlation de ce secret, lavaitempoisonne avec des gants de senteur qui avaient tconfectionns par un nomm Ren, Florentin fort habile dansces sortes de matires. Ce bruit stait dautant plus rpandu et

    confirm, quaprs la mort de cette grande reine, sur lademande de son fils, deux mdecins, desquels tait le fameux Ambroise Par, avaient t autoriss ouvrir et tudier lecorps, mais non le cerveau. Or, comme ctait par lodoratquavait t empoisonne Jeanne de Navarre, ctait le cerveau,seule partie du corps exclue de lautopsie, qui devait offrir lestraces du crime. Nous disons crime, car personne ne doutaitquun crime net t commis.

    Ce ntait pas tout : le roi Charles, particulirement, avaitmis ce mariage, qui non seulement rtablissait la paix dansson royaume, mais encore attirait Paris les principauxhuguenots de France, une persistance qui ressemblait delenttement. Comme les deux fiancs appartenaient, lun lareligion catholique, lautre la religion rforme, on avait toblig de sadresser pour la dispense Grgoire XIII, qui tenait

    alors le sige de Rome. La dispense tardait, et ce retard

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    inquitait fort la feue reine de Navarre ; elle avait un jourexprim Charles IX ses craintes que cette dispense narrivtpoint, ce quoi le roi avait rpondu :

    Nayez souci, ma bonne tante, je vous honore plus que lepape, et aime plus ma sur que je ne le crains. Je ne suis pashuguenot, mais je ne suis pas sot non plus, et si monsieur lepape fait trop la bte, je prendrai moi-mme Margot par lamain, et je la mnerai pouser votre fils en plein prche.

    Ces paroles staient rpandues du Louvre dans la ville, et,

    tout en rjouissant fort les huguenots, avaient considrablementdonn penser aux catholiques, qui se demandaient tout bas sile roi les trahissait rellement, ou bien ne jouait pas quelquecomdie qui aurait un beau matin ou un beau soir sondnouement inattendu.

    Ctait vis--vis de lamiral de Coligny surtout, qui depuiscinq ou six ans faisait une guerre acharne au roi, que la

    conduite de Charles IX paraissait inexplicable : aprs avoir missa tte prix cent cinquante mille cus dor, le roi ne juraitplus que par lui, lappelant son pre et dclarant tout haut quilallait confier dsormais lui seul la conduite de la guerre ; cestau point que Catherine de Mdicis, elle-mme, qui jusqualorsavait rgl les actions, les volonts et jusquaux dsirs du jeuneprince, paraissait commencer sinquiter tout de bon, et centait pas sans sujet, car, dans un moment dpanchement

    Charles IX avait dit lamiral propos de la guerre de Flandre :

    Mon pre, il y a encore une chose en ceci laquelle il fautbien prendre garde : cest que la reine mre, qui veut mettre lenez partout comme vous savez, ne connaisse rien de cetteentreprise ; que nous la tenions si secrte quelle ny voie goutte,car, brouillonne comme je la connais, elle nous gterait tout.

    Or, tout sage et expriment quil tait, Coligny navait pu

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    tenir secrte une si entire confiance ; et quoiquil ft arriv Paris avec de grands soupons, quoique son dpart deChtillon une paysanne se ft jete ses pieds, en criant : Oh !monsieur, notre bon matre, nallez pas Paris, car si vous y

    allez vous mourrez, vous et tous ceux qui iront avec vous ; cessoupons staient peu peu teints dans son cur et dans celuide Tligny, son gendre, auquel le roi de son ct faisait degrandes amitis, lappelant son frre comme il appelait lamiralson pre, et le tutoyant, ainsi quil faisait pour ses meilleursamis.

    Les huguenots, part quelques esprits chagrins et dfiants,taient donc entirement rassurs : la mort de la reine deNavarre passait pour avoir t cause par une pleursie, et lesvastes salles du Louvre staient emplies de tous ces bravesprotestants auxquels le mariage de leur jeune chef Henripromettait un retour de fortune bien inespr. Lamiral deColigny, La Rochefoucault, le prince de Cond fils, Tligny,enfin tous les principaux du parti, triomphaient de voir tout-puissants au Louvre et si bien venus Paris ceux-l mmes quetrois mois auparavant le roi Charles et la reine Catherinevoulaient faire pendre des potences plus hautes que celles desassassins. Il ny avait que le marchal de Montmorency que loncherchait vainement parmi tous ses frres, car aucune promessenavait pu le sduire, aucun semblant navait pu le tromper, et ilrestait retir en son chteau de lIsle-Adam, donnant pourexcuse de sa retraite la douleur que lui causait encore la mort deson pre le conntable Anne de Montmorency, tu dun coup de

    pistolet par Robert Stuart, la bataille de Saint-Denis. Maiscomme cet vnement tait arriv depuis plus de trois ans etque la sensibilit tait une vertu assez peu la mode cettepoque, on navait cru de ce deuil prolong outre mesure que cequon avait bien voulu en croire.

    Au reste, tout donnait tort au marchal de Montmorency ; leroi, la reine, le duc dAnjou et le duc dAlenon faisaient merveille les honneurs de la royale fte.

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    Le duc dAnjou recevait des huguenots eux-mmes descompliments bien mrits sur les deux batailles de Jarnac et deMoncontour, quil avait gagnes avant davoir atteint lge dedix-huit ans, plus prcoce en cela que navaient t Csar etAlexandre, auxquels on le comparait en donnant, bien entendu,linfriorit aux vainqueurs dIssus et de Pharsale ; le ducdAlenon regardait tout cela de son il caressant et faux ; lareine Catherine rayonnait de joie et, toute confite engracieusets, complimentait le prince Henri de Cond sur sonrcent mariage avec Marie de Clves ; enfin MM. de Guise eux-mmes souriaient aux formidables ennemis de leur maison, et leduc de Mayenne discourait avec M. de Tavannes et lamiral surla prochaine guerre quil tait plus que jamais question dedclarer Philippe II.

    Au milieu de ces groupes allait et venait, la tte lgrementincline et loreille ouverte tous les propos, un jeune hommede dix-neuf ans, lil fin, aux cheveux noirs coups trs court,

    aux sourcils pais, au nez recourb comme un bec daigle, ausourire narquois, la moustache et la barbe naissantes. Cejeune homme, qui ne stait fait remarquer encore quau combatdArnay-le-Duc o il avait bravement pay de sa personne, etqui recevait compliments sur compliments, tait llve bien-aim de Coligny et le hros du jour ; trois mois auparavant,cest--dire lpoque o sa mre vivait encore, on lavait appelle prince de Barn ; on lappelait maintenant le roi de Navarre,en attendant quon lappelt Henri IV.

    De temps en temps un nuage sombre et rapide passait surson front ; sans doute il se rappelait quil y avait deux mois peine que sa mre tait morte, et moins que personne il doutaitquelle ne ft morte empoisonne. Mais le nuage tait passageret disparaissait comme une ombre flottante ; car ceux qui luiparlaient, ceux qui le flicitaient, ceux qui le coudoyaient,

    taient ceux-l mmes qui avaient assassin la courageuseJeanne dAlbret.

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    quelques pas du roi de Navarre, presque aussi pensif,presque aussi soucieux que le premier affectait dtre joyeux etouvert, le jeune duc de Guise causait avec Tligny. Plus heureuxque le Barnais, vingt-deux ans sa renomme avait presqueatteint celle de son pre, le grand Franois de Guise. Ctait unlgant seigneur, de haute taille, au regard fier et orgueilleux, etdou de cette majest naturelle qui faisait dire, quand il passait,que prs de lui les autres princes paraissaient peuple. Toutjeune quil tait, les catholiques voyaient en lui le chef de leurparti, comme les huguenots voyaient le leur dans ce jeune Henride Navarre dont nous venons de tracer le portrait. Il avaitdabord port le titre de prince de Joinville, et avait fait, au sigedOrlans, ses premires armes sous son pre, qui tait mortdans ses bras en lui dsignant lamiral Coligny pour sonassassin. Alors le jeune duc, comme Annibal, avait fait unserment solennel : ctait de venger la mort de son pre surlamiral et sur sa famille, et de poursuivre ceux de sa religionsans trve ni relche, ayant promis Dieu dtre son angeexterminateur sur la terre jusquau jour o le dernier hrtique

    serait extermin. Ce ntait donc pas sans un profondtonnement quon voyait ce prince, ordinairement si fidle saparole, tendre la main ceux quil avait jur de tenir pour sesternels ennemis et causer familirement avec le gendre de celuidont il avait promis la mort son pre mourant.

    Mais, nous lavons dit, cette soire tait celle destonnements.

    En effet, avec cette connaissance de lavenir qui manqueheureusement aux hommes, avec cette facult de lire dans lescurs qui nappartient malheureusement qu Dieu,lobservateur privilgi auquel il et t donn dassister cettefte, et joui certainement du plus curieux spectacle quefournissent les annales de la triste comdie humaine.

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    Mais cet observateur qui manquait aux galeries intrieuresdu Louvre, continuait dans la rue regarder de ses yeuxflamboyants et gronder de sa voix menaante : cet observateurctait le peuple, qui, avec son instinct merveilleusement aiguis

    par la haine, suivait de loin les ombres de ses ennemisimplacables et traduisait leurs impressions aussi nettement quepeut le faire le curieux devant les fentres dune salle de balhermtiquement ferme. La musique enivre et rgle le danseur,tandis que le curieux voit le mouvement seul et rit de ce pantinqui sagite sans raison, car le curieux, lui, nentend pas lamusique.

    La musique qui enivrait les huguenots, ctait la voix de leurorgueil.

    Ces lueurs qui passaient aux yeux des Parisiens au milieu dela nuit, ctaient les clairs de leur haine qui illuminaientlavenir.

    Et cependant tout continuait dtre riant lintrieur, etmme un murmure plus doux et plus flatteur que jamais couraiten ce moment par tout le Louvre : cest que la jeune fiance,aprs tre alle dposer sa toilette dapparat, son manteautranant et son long voile, venait de rentrer dans la salle de bal,accompagne de la belle duchesse de Nevers, sa meilleure amie,et mene par son frre Charles IX, qui la prsentait auxprincipaux de ses htes.

    Cette fiance, ctait la fille de Henri II, ctait la perle de lacouronne de France, ctait Marguerite de Valois, que, dans safamilire tendresse pour elle, le roi Charles IX nappelait jamaisque ma sur Margot.

    Certes jamais accueil, si flatteur quil ft, navait t mieux

    mrit que celui quon faisait en ce moment la nouvelle reinede Navarre. Marguerite cette poque avait vingt ans peine, et

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    dj elle tait lobjet des louanges de tous les potes, qui lacomparaient les uns lAurore, les autres Cythre. Ctait eneffet la beaut sans rivale de cette cour o Catherine de Mdicisavait runi, pour en faire ses sirnes, les plus belles femmes

    quelle avait pu trouver. Elle avait les cheveux noirs, le teint brillant, lil voluptueux et voil de longs cils, la bouchevermeille et fine, le cou lgant, la taille riche et souple, et,perdu dans une mule de satin, un pied denfant. Les Franais,qui la possdaient, taient fiers de voir clore sur leur sol une simagnifique fleur, et les trangers qui passaient par la Francesen retournaient blouis de sa beaut sils lavaient vueseulement, tourdis de sa science sils avaient caus avec elle.

    Cest que Marguerite tait non seulement la plus belle, maisencore la plus lettre des femmes de son temps, et lon citait lemot dun savant italien qui lui avait t prsent, et qui, aprsavoir caus avec elle une heure en italien, en espagnol, en latinet en grec, lavait quitte en disant dans son enthousiasme : Voir la cour sans voir Marguerite de Valois, cest ne voir ni laFrance ni la cour.

    Aussi les harangues ne manquaient pas au roi Charles IX et la reine de Navarre ; on sait combien les huguenots taientharangueurs. Force allusions au pass, force demandes pourlavenir furent adroitement glisses au roi au milieu de cesharangues ; mais toutes ces allusions, il rpondait avec seslvres ples et son sourire rus :

    En donnant ma sur Margot Henri de Navarre, jedonne mon cur tous les protestants du royaume.

    Mot qui rassurait les uns et faisait sourire les autres, car ilavait rellement deux sens : lun paternel, et dont en bonneconscience Charles IX ne voulait pas surcharger sa pense ;lautre injurieux pour lpouse, pour son mari et pour celui-lmme qui le disait, car il rappelait quelques sourds scandales

    dont la chronique de la cour avait dj trouv moyen de souillerla robe nuptiale de Marguerite de Valois.

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    Cependant M. de Guise causait, comme nous lavons dit,avec Tligny ; mais il ne donnait pas lentretien une attentionsi soutenue quil ne se dtournt parfois pour lancer un regardsur le groupe de dames au centre duquel resplendissait la reinede Navarre. Si le regard de la princesse rencontrait alors celuidu jeune duc, un nuage semblait obscurcir ce front charmantautour duquel des toiles de diamants formaient unetremblante aurole, et quelque vague dessein perait dans sonattitude impatiente et agite.

    La princesse Claude, sur ane de Marguerite, qui depuisquelques annes dj avait pous le duc de Lorraine, avaitremarqu cette inquitude, et elle sapprochait delle pour lui endemander la cause, lorsque chacun scartant devant la reinemre, qui savanait appuye au bras du jeune prince de Cond,la princesse se trouva refoule loin de sa sur. Il y eut alors unmouvement gnral dont le duc de Guise profita pour serapprocher de madame de Nevers, sa belle-sur, et par

    consquent de Marguerite. Madame de Lorraine, qui navait pasperdu la jeune reine des yeux, vit alors, au lieu de ce nuagequelle avait remarqu sur son front, une flamme ardente passersur ses joues. Cependant le duc sapprochait toujours, et quandil ne fut plus qu deux pas de Marguerite, celle-ci, qui semblaitplutt le sentir que le voir, se retourna en faisant un effortviolent pour donner son visage le calme et linsouciance ; alorsle duc salua respectueusement, et, tout en sinclinant devantelle, murmura demi-voix :

    Ipse attuli.

    Ce qui voulait dire :

    Je lai apport, ou apport moi-mme.

    Marguerite rendit sa rvrence au jeune duc, et, en se

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    relevant, laissa tomber cette rponse :

    Noctu pro more. Ce qui signifiait : Cette nuit comme

    dhabitude. Ces douces paroles, absorbes par lnorme colletgoudronn de la princesse comme par lenroulement dun porte-voix, ne furent entendues que de la personne laquelle on lesadressait ; mais si court quet t le dialogue, sans doute ilembrassait tout ce que les deux jeunes gens avaient se dire,car aprs cet change de deux mots contre trois, ils sesparrent, Marguerite le front plus rveur, et le duc le frontplus radieux quavant quils se fussent rapprochs. Cette petite

    scne avait eu lieu sans que lhomme le plus intress laremarquer et paru y faire la moindre attention, car, de sonct, le roi de Navarre navait dyeux que pour une seulepersonne qui rassemblait autour delle une cour presque aussinombreuse que Marguerite de Valois, cette personne tait labelle madame de Sauve.

    Charlotte de Beaune-Semblanay, petite-fille du

    malheureux Semblanay et femme de Simon de Fizes, baron deSauve, tait une des dames datours de Catherine de Mdicis, etlune des plus redoutables auxiliaires de cette reine, qui versait ses ennemis le philtre de lamour quand elle nosait leur verserle poison florentin ; petite, blonde, tour tour ptillante devivacit ou languissante de mlancolie, toujours prte lamouret lintrigue, les deux grandes affaires qui, depuis cinquanteans, occupaient la cour des trois rois qui staient succd ;

    femme dans toute lacception du mot et dans tout le charme dela chose, depuis lil bleu languissant ou brillant de flammesjusquaux petits pieds mutins et cambrs dans leurs mules develours, madame de Sauve stait, depuis quelques mois dj,empare de toutes les facults du roi de Navarre, qui dbutaitalors dans la carrire amoureuse comme dans la carrirepolitique ; si bien que Marguerite de Navarre, beautmagnifique et royale, navait mme plus trouv ladmiration aufond du cur de son poux ; et, chose trange et qui tonnaittout le monde, mme de la part de cette me pleine de tnbres

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    et de mystres, cest que Catherine de Mdicis, tout enpoursuivant son projet dunion entre sa fille et le roi de Navarre,navait pas discontinu de favoriser presque ouvertement lesamours de celui-ci avec madame de Sauve. Mais malgr cette

    aide puissante et en dpit des murs faciles de lpoque, la belleCharlotte avait rsist jusque-l ; et de cette rsistanceinconnue, incroyable, inoue, plus encore que de la beaut et delesprit de celle qui rsistait, tait ne dans le cur du Barnaisune passion qui, ne pouvant se satisfaire, stait replie sur elle-mme et avait dvor dans le cur du jeune roi la timidit,lorgueil et jusqu cette insouciance, moiti philosophique,moiti paresseuse, qui faisait le fond de son caractre.

    Madame de Sauve venait dentrer depuis quelques minutesseulement dans la salle de bal : soit dpit, soit douleur, elle avaitrsolu dabord de ne point assister au triomphe de sa rivale, et,sous le prtexte dune indisposition, elle avait laiss son mari,secrtaire dtat depuis cinq ans, venir seul au Louvre. Mais enapercevant le baron de Sauve sans sa femme, Catherine deMdicis stait informe des causes qui tenaient sa bien-aimeCharlotte loigne ; et, apprenant que ce ntait quune lgreindisposition, elle lui avait crit quelques mots dappel,auxquels la jeune femme stait empresse dobir. Henri, toutattrist quil avait t dabord de son absence, avait cependantrespir plus librement lorsquil avait vu M. de Sauve entrerseul ; mais au moment o, ne sattendant aucunement cetteapparition, il allait en soupirant se rapprocher de laimablecrature quil tait condamn, sinon aimer, du moins traiter

    en pouse, il avait vu au bout de la galerie surgir madame deSauve ; alors il tait demeur clou sa place, les yeux fixs surcette Circ qui lenchanait elle comme un lien magique, et, aulieu de continuer sa marche vers sa femme, par un mouvementdhsitation qui tenait bien plus ltonnement qu la crainte, ilsavana vers madame de Sauve.

    De leur ct les courtisans, voyant que le roi de Navarre,dont on connaissait dj le cur inflammable, se rapprochait de

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    la belle Charlotte, neurent point le courage de sopposer leurrunion ; ils sloignrent complaisamment, de sorte quaumme instant o Marguerite de Valois et M. de Guisechangeaient les quelques mots latins que nous avons

    rapports, Henri, arriv prs de madame de Sauve, entamaitavec elle en franais fort intelligible, quoique saupoudrdaccent gascon, une conversation beaucoup moins mystrieuse.

    Ah ! ma mie ! lui dit-il, vous voil donc revenue aumoment o lon mavait dit que vous tiez malade et o javaisperdu lesprance de vous voir ?

    Votre Majest, rpondit madame de Sauve, aurait-elle laprtention de me faire croire que cette esprance lui avaitbeaucoup cot perdre ?

    Sang-diou ! je crois bien, reprit le Barnais ; ne savez-vouspoint que vous tes mon soleil pendant le jour et mon toilependant la nuit ? En vrit je me croyais dans lobscurit la plus

    profonde, lorsque vous avez paru tout lheure et avez soudaintout clair.

    Cest un mauvais tour que je vous joue alors,Monseigneur.

    Que voulez-vous dire, ma mie ? demanda Henri.

    Je veux dire que lorsquon est matre de la plus bellefemme de France, la seule chose quon doive dsirer, cest que lalumire disparaisse pour faire place lobscurit, car cest danslobscurit que nous attend le bonheur.

    Ce bonheur, mauvaise, vous savez bien quil est aux mains

    dune seule personne, et que cette personne se rit et se joue dupauvre Henri.

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    Oh ! reprit la baronne, jaurais cru, au contraire, moi, quectait cette personne qui tait le jouet et la rise du roi deNavarre.

    Henri fut effray de cette attitude hostile, et cependant ilrflchit quelle trahissait le dpit, et que le dpit nest que lemasque de lamour.

    En vrit, dit-il, chre Charlotte, vous me faites l uninjuste reproche, et je ne comprends pas quune si jolie bouche

    soit en mme temps si cruelle. Croyez-vous donc que ce soit moiqui me marie ? Eh ! non, ventre saint gris ! ce nest pas moi !

    Cest moi, peut-tre ! reprit aigrement la baronne, sijamais peut paratre aigre la voix de la femme qui nous aime etqui nous reproche de ne pas laimer.

    Avec vos beaux yeux navez-vous pas vu plus loin,baronne ? Non, non, ce nest pas Henri de Navarre qui pouseMarguerite de Valois.

    Et qui est-ce donc alors ?

    Eh, sang-diou ! cest la religion rforme qui pouse le

    pape, voil tout.

    Nenni, nenni, Monseigneur, et je ne me laisse pas prendre vos jeux desprit, moi : Votre Majest aime madameMarguerite, et je ne vous en fais pas un reproche, Dieu mengarde ! elle est assez belle pour tre aime.

    Henri rflchit un instant, et tandis quil rflchissait, unbon sourire retroussa le coin de ses lvres.

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    Baronne, dit-il, vous me cherchez querelle, ce me semble,et cependant vous nen avez pas le droit ; quavez-vous fait, voyons ! pour mempcher dpouser madame Marguerite ?Rien ; au contraire, vous mavez toujours dsespr.

    Et bien men a pris, Monseigneur ! rpondit madame deSauve.

    Comment cela ?

    Sans doute, puisque aujourdhui vous en pousez uneautre.

    Ah ! je lpouse parce que vous ne maimez pas.

    Si je vous eusse aim, Sire, il me faudrait donc mourirdans une heure !

    Dans une heure ! Que voulez-vous dire, et de quelle mortseriez-vous morte ?

    De jalousie car dans une heure la reine de Navarrerenverra ses femmes, et Votre Majest ses gentilshommes.

    Est-ce l vritablement la pense qui vous proccupe, mamie ?

    Je ne dis pas cela. Je dis que, si je vous aimais, elle meproccuperait horriblement.

    Eh bien, scria Henri au comble de la joie dentendre cet

    aveu, le premier quil et reu, si le roi de Navarre ne renvoyait

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    pas ses gentilshommes ce soir ?

    Sire, dit madame de Sauve, regardant le roi avec un

    tonnement qui cette fois ntait pas jou, vous dites l deschoses impossibles et surtout incroyables.

    Pour que vous le croyiez, que faut-il donc faire ?

    Il faudrait men donner la preuve, et cette preuve, vous nepouvez me la donner.

    Si fait, baronne, si fait. Par saint Henri ! je vous ladonnerai, au contraire, scria le roi en dvorant la jeune femmedun regard embras damour.

    Votre Majest ! murmura la belle Charlotte enbaissant la voix et les yeux. Je ne comprends pas Non, non ! ilest impossible que vous chappiez au bonheur qui vous attend.

    Il y a quatre Henri dans cette salle, mon adore ! reprit leroi : Henri de France, Henri de Cond, Henri de Guise, mais ilny a quun Henri de Navarre.

    Eh bien ?

    Eh bien, si vous avez ce Henri de Navarre prs de voustoute cette nuit

    Toute cette nuit ?

    Oui ; serez-vous certaine quil ne sera pas prs duneautre ?

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    Ah ! si vous faites cela, Sire, scria son tour la dame deSauve.

    Foi de gentilhomme, je le ferai. Madame de Sauve leva sesgrands yeux humides de voluptueuses promesses et sourit auroi, dont le cur semplit dune joie enivrante.

    Voyons, reprit Henri, en ce cas, que direz-vous ?

    Oh ! en ce cas, rpondit Charlotte, en ce cas je dirai que jesuis vritablement aime de Votre Majest.

    Ventre-saint-gris ! vous le direz donc, car cela est,baronne.

    Mais comment faire ? murmura madame de Sauve.

    Oh ! par Dieu ! baronne, il nest point que vous nayezautour de vous quelque camrire, quelque suivante, quelquefille dont vous soyez sre ?

    Oh ! jai Dariole, qui mest si dvoue quelle se feraitcouper en morceaux pour moi : un vritable trsor.

    Sang-diou ! baronne, dites cette fille que je ferai safortune quand je serai roi de France, comme me le prdisent lesastrologues.

    Charlotte sourit ; car ds cette poque la rputationgasconne du Barnais tait dj tablie lendroit de sespromesses.

    Eh bien, dit-elle, que dsirez-vous de Dariole ?

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    Bien peu de chose pour elle, tout pour moi.

    Enfin ?

    Votre appartement est au-dessus du mien ?

    Oui.

    Quelle attende derrire la porte. Je frapperai doucement

    trois coups ; elle ouvrira, et vous aurez la preuve que je vous aiofferte.

    Madame de Sauve garda le silence pendant quelquessecondes ; puis, comme si elle et regard autour delle pourntre pas entendue, elle fixa un instant la vue sur le groupe ose tenait la reine mre ; mais si court que fut cet instant, il suffitpour que Catherine et sa dame datours changeassent chacuneun regard.

    Oh ! si je voulais, dit madame de Sauve avec un accent desirne qui et fait fondre la cire dans les oreilles dUlysse, si jevoulais prendre Votre Majest en mensonge.

    Essayez, ma mie, essayez

    Ah ! ma foi ! javoue que jen combats lenvie.

    Laissez-vous vaincre : les femmes ne sont jamais si fortesquaprs leur dfaite.

    Sire, je retiens votre promesse pour Dariole le jour o

    vous serez roi de France. Henri jeta un cri de joie.

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    Ctait juste au moment o ce cri schappait de la bouchedu Barnais que la reine de Navarre rpondait au duc de Guise :

    Noctu pro more : Cette nuit comme dhabitude.

    Alors Henri sloigna de madame de Sauve aussi heureuxque ltait le duc de Guise en sloignant lui-mme deMarguerite de Valois.

    Une heure aprs cette double scne que nous venons deraconter, le roi Charles et la reine mre se retirrent dans leursappartements ; presque aussitt les salles commencrent sedpeupler, les galeries laissrent voir la base de leurs colonnesde marbre. Lamiral et le prince de Cond furent reconduits parquatre cents gentilshommes huguenots au milieu de la foule quigrondait sur leur passage. Puis Henri de Guise, avec lesseigneurs lorrains et les catholiques, sortirent leur tour,escorts des cris de joie et des applaudissements du peuple.

    Quant Marguerite de Valois, Henri de Navarre et madame de Sauve, on sait quils demeuraient au Louvre mme.

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    IILa chambre de la reine de Navarre

    Le duc de Guise reconduisit sa belle-sur, la duchesse deNevers, en son htel qui tait situ rue du Chaume, en face de larue de Brac, et aprs lavoir remise ses femmes, passa dansson appartement pour changer de costume, prendre unmanteau de nuit et sarmer dun de ces poignards courts et aigus

    quon appelait une foi de gentilhomme, lesquels se portaientsans lpe ; mais au moment o il le prenait sur la table o iltait dpos, il aperut un petit billet serr entre la lame et lefourreau.

    Il louvrit et lut ce qui suit :

    Jespre bien que M. de Guise ne retournera pas cette nuitau Louvre, ou, sil y retourne, quil prendra au moins laprcaution de sarmer dune bonne cotte de mailles et dunebonne pe.

    Ah ! ah ! dit le duc en se retournant vers son valet dechambre, voici un singulier avertissement, matre Robin.Maintenant faites-moi le plaisir de me dire quelles sont les

    personnes qui ont pntr ici pendant mon absence.

    Une seule, Monseigneur.

    Laquelle ?

    M. du Gast.

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    Ah ! ah ! En effet, il me semblait bien reconnatrelcriture. Et tu es sr que du Gast est venu, tu las vu ?

    Jai fait plus, Monseigneur, je lui ai parl.

    Bon ; alors je suivrai le conseil. Ma jaquette et mon pe.

    Le valet de chambre, habitu ces mutations de costumes,apporta lune et lautre. Le duc alors revtit sa jaquette, qui taiten chanons de mailles si souples que la trame dacier ntaitgure plus paisse que du velours ; puis il passa par-dessus sonjaque des chausses et un pourpoint gris et argent, qui taient sescouleurs favorites, tira de longues bottes qui montaient jusquaumilieu de ses cuisses, se coiffa dun toquet de velours noir sansplume ni pierreries, senveloppa dun manteau de couleursombre, passa un poignard sa ceinture, et, mettant son peaux mains dun page, seule escorte dont il voult se faireaccompagner, il prit le chemin du Louvre.

    Comme il posait le pied sur le seuil de lhtel, le veilleur deSaint-Germain-lAuxerrois venait dannoncer une heure dumatin.

    Si avance que ft la nuit et si peu sres que fussent les rues cette poque, aucun accident narriva laventureux princepar le chemin, et il arriva sain et sauf devant la masse colossale

    du vieux Louvre, dont toute les lumires staientsuccessivement teintes, et qui se dressait, cette heure,formidable de silence et dobscurit.

    En avant du chteau royal stendait un foss profond, surlequel donnaient la plupart des chambres des princes logs aupalais. Lappartement de Marguerite tait situ au premiertage.

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    Mais ce premier tage, accessible sil ny et point eu defoss, se trouvait, grce au retranchement, lev de prs detrente pieds, et, par consquent, hors de latteinte des amants etdes voleurs, ce qui nempcha point M. le duc de Guise de

    descendre rsolument dans le foss.

    Au mme instant, on entendit le bruit dune fentre du rez-de-chausse qui souvrait. Cette fentre tait grille ; mais unemain parut, souleva un des barreaux descells davance, et laissapendre, par cette ouverture, un lacet de soie.

    Est-ce vous, Gillonne ? demanda le duc voix basse.

    Oui, Monseigneur, rpondit une voix de femme dunaccent plus bas encore.

    Et Marguerite ?

    Elle vous attend.

    Bien. ces mots le duc fit signe son page, qui, ouvrantson manteau, droula une petite chelle de corde. Le princeattacha lune des extrmits de lchelle au lacet qui pendait.Gillonne tira lchelle elle, lassujettit solidement ; et le prince,aprs avoir boucl son pe son ceinturon, commenalescalade, quil acheva sans accident. Derrire lui, le barreaureprit sa place, la fentre se referma, et le page, aprs avoir vuentrer paisiblement son seigneur dans le Louvre, aux fentresduquel il lavait accompagn vingt fois de la mme faon, sallacoucher, envelopp dans son manteau, sur lherbe du foss et lombre de la muraille. Il faisait une nuit sombre, et quelquesgouttes deau tombaient tides et larges des nuages chargs desoufre et dlectricit.

    Le duc de Guise suivit sa conductrice, qui ntait rien moins

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    que la fille de Jacques de Matignon, marchal de France ; ctaitla confidente toute particulire de Marguerite, qui navait aucunsecret pour elle, et lon prtendait quau nombre des mystresquenfermait son incorruptible fidlit, il y en avait de si

    terribles que ctaient ceux-l qui la foraient de garder lesautres.

    Aucune lumire ntait demeure ni dans les chambresbasses ni dans les corridors ; de temps en temps seulement unclair livide illuminait les appartements sombres dun refletbleutre qui disparaissait aussitt.

    Le duc, toujours guid par sa conductrice qui le tenait par lamain, atteignit enfin un escalier en spirale pratiqu danslpaisseur dun mur et qui souvrait par une porte secrte etinvisible dans lantichambre de lappartement de Marguerite.

    Lantichambre, comme les autres salles du bas, tait dans laplus profonde obscurit.

    Arrivs dans cette antichambre, Gillonne sarrta.

    Avez-vous apport ce que dsire la reine ? demanda-t-elle voix basse.

    Oui, rpondit le duc de Guise ; mais je ne le remettrai quSa Majest elle-mme.

    Venez donc et sans perdre un instant ! dit alors au milieude lobscurit une voix qui fit tressaillir le duc, car il la reconnutpour celle de Marguerite.

    Et en mme temps une portire de velours violet fleurdelis

    dor se soulevant, le duc distingua dans lombre la reine elle-

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    Henri, voulez-vous que je vous dise une chose ? repritMarguerite en regardant fixement le duc, cest que vous ne mefaites plus leffet dun prince, mais dun colier ! Moi nier que jevous ai aim ! moi vouloir teindre une flamme qui mourrapeut-tre, mais dont le reflet ne mourra pas ! Car les amours despersonnes de mon rang illuminent et souvent dvorent toutelpoque qui leur est contemporaine. Non, non, mon duc ! Vouspouvez garder les lettres de votre Marguerite et le coffre quellevous a donn. De ces lettres que contient le coffre elle ne vousen demande quune seule, et encore parce que cette lettre estaussi dangereuse pour vous que pour elle.

    Tout est vous, dit le duc ; choisissez donc l-dedans celleque vous voudrez anantir.

    Marguerite fouilla vivement dans le coffre ouvert, et dunemain frmissante prit lune aprs lautre une douzaine de lettresdont elle se contenta de regarder les adresses, comme si

    linspection de ces seules adresses sa mmoire lui rappelait ceque contenaient ces lettres ; mais arrive au bout de lexamenelle regarda le duc, et, toute plissante :

    Monsieur, dit-elle, celle que je cherche nest pas l.Lauriez-vous perdue, par hasard ; car, quant lavoir livre

    Et quelle lettre cherchez-vous, madame ?

    Celle dans laquelle je vous disais de vous marier sansretard.

    Pour excuser votre infidlit ? Marguerite haussa lespaules.

    Non, mais pour vous sauver la vie. Celle o je vous disais

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    que le roi, voyant notre amour et les efforts que je faisais pourrompre votre future union avec linfante de Portugal, avait faitvenir son frre le btard dAngoulme et lui avait dit en luimontrant deux pes : De celle-ci tue Henri de Guise ce soir,

    ou de celle-l je te tuerai demain. Cette lettre, o est-elle ?

    La voici, dit le duc de Guise en la tirant de sa poitrine.Marguerite la lui arracha presque des mains, louvrit avidement,sassura que ctait bien celle quelle rclamait, poussa uneexclamation de joie et lapprocha de la bougie. La flamme secommuniqua aussitt de la mche au papier, qui en un instant

    fut consum ; puis, comme si Marguerite et craint quon ptaller chercher limprudent avis jusque dans les cendres, elle lescrasa sous son pied.

    Le duc de Guise, pendant toute cette fivreuse action, avaitsuivi des yeux sa matresse.

    Eh bien, Marguerite, dit-il quand elle eut fini, tes-vous

    contente maintenant ?

    Oui ; car, maintenant que vous avez pous la princessede Porcian, mon frre me pardonnera votre amour ; tandis quilne met pas pardonn la rvlation dun secret comme celuique, dans ma faiblesse pour vous, je nai pas eu la puissance devous cacher.

    Cest vrai, dit le duc de Guise ; dans ce temps-l vousmaimiez.

    Et je vous aime encore, Henri, autant et plus que jamais.

    Vous ?

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    Oui, moi ; car jamais plus quaujourdhui je neus besoindun ami sincre et dvou. Reine, je nai pas de trne ; femme,je nai pas de mari.

    Le jeune prince secoua tristement la tte.

    Mais quand je vous dis, quand je vous rpte, Henri, quemon mari non seulement ne maime pas, mais quil me hait,mais quil me mprise ; dailleurs, il me semble que votreprsence dans la chambre o il devrait tre fait bien preuve decette haine et de ce mpris.

    Il nest pas encore tard, madame, et il a fallu au roi deNavarre le temps de congdier ses gentilshommes, et, sil nestpas venu, il ne tardera pas venir.

    Et moi je vous dis, scria Marguerite avec un dpitcroissant, moi je vous dis quil ne viendra pas.

    Madame, scria Gillonne en ouvrant la porte et ensoulevant la portire, madame, le roi de Navarre sort de sonappartement.

    Oh ! je le savais bien, moi, quil viendrait ! scria le duc deGuise.

    Henri, dit Marguerite dune voix brve et en saisissant lamain du duc, Henri, vous allez voir si je suis une femme deparole, et si lon peut compter sur ce que jai promis une fois.Henri, entrez dans ce cabinet.

    Madame, laissez-moi partir sil en est temps encore, carsongez qu la premire marque damour quil vous donne je

    sors de ce cabinet, et alors malheur lui !

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    Vous tes fou ! entrez, entrez, vous dis-je, je rponds detout. Et elle poussa le duc dans le cabinet.

    Il tait temps. La porte tait peine ferme derrire leprince que le roi de Navarre, escort de deux pages qui portaienthuit flambeaux de cire jaune sur deux candlabres, apparutsouriant sur le seuil de la chambre.

    Marguerite cacha son trouble en faisant une profondervrence.

    Vous ntes pas encore au lit, madame ? demanda leBarnais avec sa physionomie ouverte et joyeuse ; mattendiez-vous, par hasard ?

    Non, monsieur, rpondit Marguerite, car hier encore vousmavez dit que vous saviez bien que notre mariage tait une

    alliance politique, et que vous ne me contraindriez jamais.

    la bonne heure ; mais ce nest point une raison pour nepas causer quelque peu ensemble. Gillonne, fermez la porte etlaissez-nous.

    Marguerite, qui tait assise, se leva, et tendit la main

    comme pour ordonner aux pages de rester.

    Faut-il que jappelle vos femmes ? demanda le roi. Je leferai si tel est votre dsir, quoique je vous avoue que, pour leschoses que jai vous dire, jaimerais mieux que nous fussionsen tte--tte.

    Et le roi de Navarre savana vers le cabinet.

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    Non ! scria Marguerite en slanant au-devant de luiavec imptuosit ; non, cest inutile, et je suis prte vousentendre.

    Le Barnais savait ce quil voulait savoir ; il jeta un regardrapide et profond vers le cabinet, comme sil et voulu, malgrla portire qui le voilait, pntrer dans ses plus sombresprofondeurs ; puis, ramenant ses regards sur sa belle pouseple de terreur :

    En ce cas, madame, dit-il dune voix parfaitement calme,

    causons donc un instant.

    Comme il plaira Votre Majest, dit la jeune femme enretombant plutt quelle ne sassit sur le sige que lui indiquaitson mari.

    Le Barnais se plaa prs delle.

    Madame, continua-t-il, quoi quen aient dit bien des gens,notre mariage est, je le pense, un bon mariage. Je suis bien vous et vous tes bien moi.

    Mais, dit Marguerite effraye.

    Nous devons en consquence, continua le roi de Navarresans paratre remarquer lhsitation de Marguerite, agir lunavec lautre comme de bons allis, puisque nous nous sommesaujourdhui jur alliance devant Dieu. Nest-ce pas votre avis ?

    Sans doute, monsieur.

    Je sais, madame, combien votre pntration est grande, jesais combien le terrain de la cour est sem de dangereux

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    abmes ; or, je suis jeune, et, quoique je naie jamais fait de mal personne, jai bon nombre dennemis. Dans quel camp,madame, dois-je ranger celle qui porte mon nom et qui ma juraffection au pied de lautel ?

    Oh ! monsieur, pourriez-vous penser

    Je ne pense rien, madame, jespre, et je veux massurerque mon esprance est fonde. Il est certain que notre mariagenest quun prtexte ou quun pige.

    Marguerite tressaillit, car peut-tre aussi cette pensestait-elle prsente son esprit.

    Maintenant, lequel des deux ? continua Henri de Navarre.Le roi me hait, le duc dAnjou me hait, le duc dAlenon me hait,Catherine de Mdicis hassait trop ma mre pour ne point mehar.

    Oh ! monsieur, que dites-vous ?

    La vrit, madame, reprit le roi, et je voudrais, afin quonne crt pas que je suis dupe de lassassinat de M. de Mouy et delempoisonnement de ma mre, je voudrais quil y et iciquelquun qui pt mentendre.

    Oh ! monsieur, dit vivement Marguerite, et de lair le pluscalme et le plus souriant quelle pt prendre, vous savez bienquil ny a ici que vous et moi.

    Et voil justement ce qui fait que je mabandonne, voil cequi fait que jose vous dire que je ne suis dupe ni des caressesque me fait la maison de France, ni de celles que me fait la

    maison de Lorraine.

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    Sire ! Sire ! scria Marguerite.

    Eh bien, quy a-t-il, ma mie ? demanda Henri souriant son tour.

    Il y a, monsieur, que de pareils discours sont biendangereux.

    Non, pas quand on est en tte--tte, reprit le roi. Je vous

    disais donc

    Marguerite tait visiblement au supplice ; elle et vouluarrter chaque parole sur les lvres du Barnais ; mais Henricontinua avec son apparente bonhomie :

    Je vous disais donc que jtais menac de tous cts,menac par le roi, menac par le duc dAlenon, menac par leduc dAnjou, menac par la reine mre, menac par le duc deGuise, par le duc de Mayenne, par le cardinal de Lorraine,menac par tout le monde, enfin. On sent cela instinctivement ;vous le savez, madame. Eh bien ! contre toutes ces menaces quine peuvent tarder de devenir des attaques, je puis me dfendreavec votre secours ; car vous tes aime, vous, de toutes lespersonnes qui me dtestent.

    Moi ? dit Marguerite.

    Oui, vous, reprit Henri de Navarre avec une bonhomieparfaite ; oui, vous tes aime du roi Charles ; vous tes aime, ilappuya sur le mot, du duc dAlenon ; vous tes aime de lareine Catherine ; enfin, vous tes aime du duc de Guise.

    Monsieur, murmura Marguerite.

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    Eh bien ! quy a-t-il donc dtonnant que tout le mondevous aime ? ceux que je viens de vous nommer sont vos frresou vos parents. Aimer ses parents ou ses frres, cest vivre selonle cur de Dieu.

    Mais enfin, reprit Marguerite oppresse, o voulez-vousen venir, monsieur ?

    Jen veux venir ce que je vous ai dit ; cest que si vousvous faites, je ne dirai pas mon amie, mais mon allie, je puis

    tout braver ; tandis quau contraire, si vous vous faites monennemie, je suis perdu.

    Oh ! votre ennemie, jamais, monsieur ! scria Marguerite.

    Mais mon amie, jamais non plus ?

    Peut-tre.

    Et mon allie ?

    Certainement. Et Marguerite se retourna et tendit la mainau roi.

    Henri la prit, la baisa galamment, et la gardant dans lessiennes bien plus dans un dsir dinvestigation que par unsentiment de tendresse :

    Eh bien, je vous crois, madame, dit-il, et vous acceptepour allie. Ainsi donc on nous a maris sans que nous nousconnussions, sans que nous nous aimassions ; on nous a maris

    sans nous consulter, nous quon mariait. Nous ne nous devonsdonc rien comme mari et femme. Vous voyez, madame, que je

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    vais au-devant de vos vux, et que je vous confirme ce soir ceque je vous disais hier. Mais nous, nous nous allions librement,sans que personne nous y force, nous, nous allions comme deuxcurs loyaux qui se doivent protection mutuelle et sallient ;

    cest bien comme cela que vous lentendez ?

    Oui, monsieur, dit Marguerite en essayant de retirer samain.

    Eh bien, continua le Barnais les yeux toujours fixs sur laporte du cabinet, comme la premire preuve dune alliance

    franche est la confiance la plus absolue, je vais, madame, vousraconter dans ses dtails les plus secrets le plan que jai form leffet de combattre victorieusement toutes ces inimitis.

    Monsieur, murmura Marguerite en tournant son touret malgr elle les yeux vers le cabinet, tandis que le Barnais,voyant sa ruse russir, souriait dans sa barbe.

    Voici donc ce que je vais faire, continua-t-il sans paratreremarquer le trouble de la jeune femme ; je vais

    Monsieur, scria Marguerite en se levant vivement et ensaisissant le roi par le bras, permettez que je respire ;lmotion la chaleur jtouffe.

    En effet Marguerite tait ple et tremblante comme si elleallait se laisser choir sur le tapis.

    Henri marcha droit une fentre situe bonne distance etlouvrit. Cette fentre donnait sur la rivire.

    Marguerite le suivit.

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    Silence ! silence ! Sire ! par piti pour vous, murmura-t-elle.

    Eh ! madame, fit le Barnais en souriant sa manire, nemavez-vous pas dit que nous tions seuls ?

    Oui, monsieur ; mais navez-vous pas entendu dire qulaide dune sarbacane, introduite travers un plafond ou travers un mur, on peut tout entendre ?

    Bien, madame, bien, dit vivement et tout bas le Barnais.Vous ne maimez pas, cest vrai ; mais vous tes une honntefemme.

    Que voulez-vous dire, monsieur ?

    Je veux dire que si vous tiez capable de me trahir, vousmeussiez laiss continuer puisque je me trahissais tout seul.

    Vous mavez arrt. Je sais maintenant que quelquun est cachici ; que vous tes une pouse infidle, mais une fidle allie, etdans ce moment-ci, ajouta le Barnais en souriant, jai plusbesoin, je lavoue, de fidlit en politique quen amour

    Sire, murmura Marguerite confuse.

    Bon, bon, nous parlerons de tout cela plus tard, dit Henri,quand nous nous connatrons mieux. Puis, haussant la voix :

    Eh bien, continua-t-il, respirez-vous plus librement cette heure, madame ?

    Oui, Sire, oui, murmura Marguerite.

    En ce cas reprit le Barnais, je ne veux pas vous

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    importuner plus longtemps. Je vous devais mes respects etquelques avances de bonne amiti ; veuillez les accepter commeje vous les offre, de tout mon cur. Reposez-vous donc et bonnenuit.

    Marguerite leva sur son mari un il brillant dereconnaissance et son tour lui tendit la main.

    Cest convenu, dit-elle.

    Alliance politique, franche et loyale ? demanda Henri.

    Franche et loyale, rpondit la reine. Alors le Barnaismarcha vers la porte, attirant du regard Marguerite commefascine. Puis, lorsque la portire fut retombe entre eux et lachambre coucher :

    Merci, Marguerite, dit vivement Henri voix basse,

    merci ! Vous tes une vraie fille de France. Je pars tranquille. dfaut de votre amour, votre amiti ne me fera pas dfaut. Jecompte sur vous, comme de votre ct vous pouvez compter surmoi. Adieu, madame.

    Et Henri baisa la main de sa femme en la pressantdoucement ; puis, dun pas agile, il retourna chez lui en sedisant tout bas dans le corridor :

    Qui diable est chez elle ? Est-ce le roi, est-ce le ducdAnjou, est-ce le duc dAlenon, est-ce le duc de Guise, est-ceun frre, est-ce un amant, est-ce lun et lautre ? En vrit, jesuis presque fch davoir demand maintenant ce rendez-vous la baronne ; mais puisque je lui ai engag ma parole et queDariole mattend nimporte ; elle perdra un peu, jen ai peur,

    ce que jai pass par la chambre coucher de ma femme pouraller chez elle, car, ventre-saint-gris ! cette Margot, comme

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    lappelle mon beau-frre Charles IX, est une adorable crature.

    Et dun pas dans lequel se trahissait une lgre hsitation

    Henri de Navarre monta lescalier qui conduisait lappartement de madame de Sauve.

    Marguerite lavait suivi des yeux jusqu ce quil et disparu,et alors elle tait rentre dans sa chambre. Elle trouva le duc laporte du cabinet : cette vue lui inspira presque un remords.

    De son ct le duc tait grave, et son sourcil froncdnonait une amre proccupation.

    Marguerite est neutre aujourdhui, dit-il, Marguerite serahostile dans huit jours.

    Ah ! vous avez cout ? dit Marguerite.

    Que vouliez-vous que je fisse dans ce cabinet ?

    Et vous trouvez que je me suis conduite autrement quedevait se conduire la reine de Navarre ?

    Non, mais autrement que devait se conduire la matressedu duc de Guise.

    Monsieur, rpondit la reine, je puis ne pas aimer monmari, mais personne na le droit dexiger de moi que je letrahisse. De bonne foi, trahiriez-vous le secret de la princesse dePorcian, votre femme ?

    Allons, allons, madame, dit le duc en secouant la tte,

    cest bien. Je vois que vous ne maimez plus comme aux jours ovous me racontiez ce que tramait le roi contre moi et les miens.

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    Le roi tait le fort et vous tiez les faibles. Henri est lefaible et vous tes les forts. Je joue toujours le mme rle, vousle voyez bien.

    Seulement vous passez dun camp lautre.

    Cest un droit que jai acquis, monsieur, en vous sauvantla vie.

    Bien, madame ; et comme quand on se spare on se rendentre amants tout ce quon sest donn, je vous sauverai la vie mon tour, si loccasion sen prsente, et nous serons quittes.

    Et sur ce le duc sinclina et sortit sans que Marguerite ft ungeste pour le retenir. Dans lantichambre il trouva Gillonne, quile conduisit jusqu la fentre du rez-de-chausse, et dans lesfosss son page avec lequel il retourna lhtel de Guise.

    Pendant ce temps, Marguerite, rveuse, alla se placer safentre.

    Quelle nuit de noces ! murmura-t-elle ; lpoux me fuit etlamant me quitte !

    En ce moment passa de lautre ct du foss, venant de laTour du Bois, et remontant vers le moulin de la Monnaie, uncolier le poing sur la hanche et chantant :

    Pourquoi doncques, quand je veuxOu mordre tes beaux cheveux,

    Ou baiser ta bouche aime,

    Ou toucher ton beau sein,

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    Contrefais-tu la nonnainDedans un clotre enferme ?

    Pour qui gardes-tu tes yeuxEt ton sein dlicieux,

    Ton front, ta lvre jumelle ?En veux-tu baiser Pluton,L-bas, aprs que CaronTaura mise en sa nacelle ?

    Aprs ton dernier trpas,Belle, tu nauras l-bas

    Quune bouchette blmie ;Et quand, mort, je te verrai,

    Aux ombres je navoueraiQue jadis tu fus ma mie.

    Doncques, tandis que tu vis,Change, matresse, davis,

    Et ne mpargne ta bouche ;Car au jour o tu mourras,

    Lors tu te repentirasDe mavoir t farouche.

    Marguerite couta cette chanson en souriant avecmlancolie ; puis, lorsque la voix de lcolier se fut perdue dansle lointain, elle referma la fentre et appela Gillonne pour laider se mettre au lit.

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    IIIUn roi pote

    Le lendemain et les jours qui suivirent se passrent en ftes,ballets et tournois.

    La mme fusion continuait de soprer entre les deux partis.Ctaient des caresses et des attendrissements faire perdre la

    tte aux plus enrags huguenots. On avait vu le pre Cottondner et faire dbauche avec le baron de Courtaumer, le duc deGuise remonter la Seine en bateau de symphonie avec le princede Cond.

    Le roi Charles paraissait avoir fait divorce avec samlancolie habituelle, et ne pouvait plus se passer de son beau-frre Henri. Enfin la reine mre tait si joyeuse et si occupe de broderies, de joyaux et de panaches, quelle en perdait lesommeil.

    Les huguenots, quelque peu amollis par cette Capouenouvelle, commenaient revtir les pourpoints de soie, arborer les devises et parader devant certains balcons commesils eussent t catholiques. De tous cts ctait une raction

    en faveur de la religion rforme, croire que toute la cour allaitse faire protestante. Lamiral lui-mme, malgr son exprience,sy tait laiss prendre comme les autres, et il en avait la ttetellement monte, quun soir il avait oubli, pendant deuxheures, de mcher son cure-dent, occupation laquelle il selivrait dordinaire depuis deux heures de laprs-midi, momento son dner finissait, jusqu huit heures du soir, momentauquel il se remettait table pour souper.

    Le soir o lamiral stait laiss aller cet incroyable oubli

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    de ses habitudes, le roi Charles IX avait invit goter avec lui,en petit comit, Henri de Navarre et le duc de Guise. Puis, lacollation termine, il avait pass avec eux dans sa chambre, et lil leur expliquait lingnieux mcanisme dun pige loups quil

    avait invent lui-mme, lorsque, sinterrompant tout coup :

    Monsieur lamiral ne vient-il donc pas ce soir ? demanda-t-il ; qui la aperu aujourdhui et qui peut me donner de sesnouvelles ?

    Moi, dit le roi de Navarre, et au cas o Votre Majest

    serait inquite de sa sant, je pourrais la rassurer, car je lai vuce matin six heures et ce soir sept.

    Ah ! ah ! fit le roi, dont les yeux un instant distraits sereposrent avec une curiosit perante sur son beau-frre, voustes bien matineux, Henriot, pour un jeune mari !

    Oui, Sire, rpondit le roi de Barn, je voulais savoir delamiral, qui sait tout, si quelques gentilshommes que jattendsencore ne sont point en route pour venir.

    Des gentilshommes encore ! vous en aviez huit cents le jour de vos noces, et tous les jours il en arrive de nouveaux,voulez-vous donc nous envahir ? dit Charles IX en riant.

    Le duc de Guise frona le sourcil.

    Sire, rpliqua le Barnais, on parle dune entreprise surles Flandres, et je runis autour de moi tous ceux de mon payset des environs que je crois pouvoir tre utiles Votre Majest.

    Le duc, se rappelant le projet dont le Barnais avait parl

    Marguerite le jour de ses noces, couta plus attentivement.

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    Bon ! bon ! rpondit le roi avec son sourire fauve, plus il yen aura, plus nous serons contents ; amenez, amenez, Henri.Mais qui sont ces gentilshommes ? des vaillants, jespre ?

    Jignore, Sire, si mes gentilshommes vaudront jamaisceux de Votre Majest, ceux de monsieur le duc dAnjou ou ceuxde monsieur de Guise, mais je les connais et sais quils feront deleur mieux.

    En attendez-vous beaucoup ?

    Dix ou douze encore.

    Vous les appelez ?

    Sire, leurs noms mchappent, et, lexception de lundeux, qui mest recommand par Tligny comme ungentilhomme accompli et qui sappelle de la Mole, je ne sauraisdire

    De la Mole ! nest-ce point un Lerac de La Mole, reprit leroi fort vers dans la science gnalogique, un Provenal ?

    Prcisment, Sire ; comme vous voyez, je recrute jusquen

    Provence.

    Et moi, dit le duc de Guise avec un sourire moqueur, jevais plus loin encore que Sa Majest le roi de Navarre, car je vaischercher jusquen Pimont tous les catholiques srs que jy puistrouver.

    Catholiques ou huguenots, interrompit le roi, peumimporte, pourvu quils soient vaillants.

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    Le roi, pour dire ces paroles qui, dans son esprit, mlaienthuguenots et catholiques, avait pris une mine si indiffrente quele duc de Guise en fut tonn lui-mme.

    Votre Majest soccupe de nos Flamands ? dit lamiral qui le roi, depuis quelques jours, avait accord la faveur dentrerchez lui sans tre annonc, et qui venait dentendre les derniresparoles du roi.

    Ah ! voici mon pre lamiral, scria Charles IX en ouvrant

    les bras ; on parle de guerre, de gentilshommes, de vaillants, etil arrive ; ce que cest que laimant, le fer sy tourne ; mon beau-frre de Navarre et mon cousin de Guise attendent des renfortspour votre arme. Voil ce dont il tait question.

    Et ces renforts arrivent, dit lamiral.

    Avez-vous eu des nouvelles, monsieur ? demanda leBarnais.

    Oui, mon fils, et particulirement de M. de La Mole ; iltait hier Orlans, et sera demain ou aprs-demain Paris.

    Peste ! monsieur lamiral est donc ncromant, pour savoir

    ainsi ce qui se fait trente ou quarante lieues de distance !Quant moi, je voudrais bien savoir avec pareille certitude cequi se passa ou ce qui sest pass devant Orlans !

    Coligny resta impassible ce trait sanglant du duc de Guise,lequel faisait videmment allusion la mort de Franois deGuise, son pre, tu devant Orlans par Poltrot de Mr, nonsans soupon que lamiral eut conseill le crime.

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    Monsieur, rpliqua-t-il froidement et avec dignit, je suisncromant toutes les fois que je veux savoir bien positivementce qui importe mes affaires ou celles du roi.

    Mon courrier est arriv dOrlans il y a une heure, et, grce la poste, a fait trente-deux lieues dans la journe. M. de LaMole, qui voyage sur son cheval, nen fait que dix par jour, lui, etarrivera seulement le 24. Voil toute la magie.

    Bravo, mon pre ! bien rpondu, dit Charles IX. Montrez ces jeunes gens que cest la sagesse en mme temps que lge qui

    ont fait blanchir votre barbe et vos cheveux : aussi allons-nousles envoyer parler de leurs tournois et de leurs amours, et resterensemble parler de nos guerres. Ce sont les bons cavaliers quifont les bons rois, mon pre. Allez, messieurs, jai causer aveclamiral.

    Les deux jeunes gens sortirent, le roi de Navarre dabord, leduc de Guise ensuite ; mais, hors de la porte, chacun tourna de

    son ct aprs une froide rvrence.

    Coligny les avait suivis des yeux avec une certaineinquitude, car il ne voyait jamais rapprocher ces deux hainessans craindre quil nen jaillt quelque nouvel clair. Charles IXcomprit ce qui se passait dans son esprit, vint lui, et appuyantson bras au sien :

    Soyez tranquille, mon pre, je suis l pour maintenirchacun dans lobissance et le respect. Je suis vritablement roidepuis que ma mre nest plus reine, et elle nest plus reinedepuis que Coligny est mon pre.

    Oh ! Sire, dit lamiral, la reine Catherine

    Est une brouillonne. Avec elle il ny a pas de paix possible.

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    Ces catholiques italiens sont enrags et nentendent rien quexterminer. Moi, tout au contraire, non seulement je veuxpacifier, mais encore je veux donner de la puissance ceux de lareligion. Les autres sont trop dissolus, mon pre, et ils me

    scandalisent par leurs amours et par leurs drglements. Tiens,veux-tu que je te parle franchement, continua Charles IX enredoublant dpanchement, je me dfie de tout ce quimentoure, except de mes nouveaux amis ! Lambition desTavannes mest suspecte. Vieilleville naime que le bon vin, et ilserait capable de trahir son roi pour une tonne de malvoisie.Montmorency ne se soucie que de la chasse, et passe son tempsentre ses chiens et ses faucons. Le comte de Retz est Espagnol,

    les Guises sont Lorrains : il ny a de vrais Franais en France, jecrois, Dieu me pardonne ! que moi, mon beau-frre de Navarreet toi. Mais, moi, je suis enchan au trne et ne puiscommander des armes. Cest tout au plus si on me laissechasser mon aise Saint-Germain et Rambouillet. Monbeau-frre de Navarre est trop jeune et trop peu expriment.Dailleurs, il me semble en tout point tenir de son pre Antoineque les femmes ont toujours perdu. Il ny a que toi, mon pre,

    qui sois la fois brave comme Julius Csar, et sage commePlato. Aussi, je ne sais ce que je dois faire, en vrit : te gardercomme conseiller ici, ou tenvoyer l-bas comme gnral. Si tume conseilles, qui commandera ? Si tu commandes, qui meconseillera ?

    Sire, dit Coligny, il faut vaincre dabord, puis le conseilviendra aprs la victoire.

    Cest ton avis, mon pre ? eh bien, soit. Il sera fait selonton avis. Lundi tu partiras pour les Flandres, et moi, pourAmboise.

    Votre Majest quitte Paris ?

    Oui. Je suis fatigu de tout ce bruit et de toutes ces ftes.

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    Ah ! mon pre ! scria Charles IX, que ne dis-tu vrai ! carle titre de pote, vois-tu, est celui que jambitionne avant touteschoses ; et, comme je le disais il y a quelques jours mon matreen posie :

    Lart de faire des vers, dt-on sen indigner, Doit tre plus haut prix que celui de rgner ; Tous deux galement nousportons des couronnes : Mais roi, je les reus, pote, tu lesdonnes ; Ton esprit, enflamm dune cleste ardeur, clate parsoi-mme et moi par ma grandeur. Si du ct des dieux je

    cherche lavantage, Ronsard est leur mignon et je suis leurimage. Ta lyre, qui ravit par de si doux accords, Te soumet lesesprits dont je nai que les corps ; Elle ten rend le matre et tefait introduire O le plus fier tyran na jamais eu dempire.

    Sire, dit Coligny, je savais bien que Votre Majestsentretenait avec les Muses, mais jignorais quelle en et faitson principal conseil.

    Aprs toi, mon pre, aprs toi ; et cest pour ne pas metroubler dans mes relations avec elles que je veux te mettre latte de toutes choses. coute donc : il faut en ce moment que jerponde un nouveau madrigal que mon grand et cher potema envoy je ne puis donc te donner cette heure tous lespapiers qui sont ncessaires pour te mettre au courant de lagrande question qui nous divise, Philippe II et moi. Il y a, enoutre, une espce de plan de campagne qui avait t fait par mesministres. Je te chercherai tout cela et je te le remettrai demainmatin.

    quelle heure, Sire ?

    dix heures ; et si par hasard jtais occup de vers, si

    jtais enferm dans mon cabinet de travail eh bien, tuentrerais tout de mme, et tu prendrais tous les papiers que tu

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    trouverais sur cette table, enferms dans ce portefeuille rouge ;la couleur est clatante, et tu ne ty tromperas pas ; moi, je vaiscrire Ronsard.

    Adieu, Sire.

    Adieu, mon pre.

    Votre main ?

    Que dis-tu, ma main ? dans mes bras, sur mon cur, cestl ta place. Viens, mon vieux guerrier, viens. Et Charles IX,attirant lui Coligny qui sinclinait, posa ses lvres sur sescheveux blancs. Lamiral sortit en essuyant une larme.

    Charles IX le suivit des yeux tant quil put le voir, tenditloreille tant quil put lentendre ; puis, lorsquil ne vit etnentendit plus rien, il laissa, comme ctait son habitude,

    retomber sa tte ple sur son paule, et passa lentement de lachambre o il se trouvait dans son cabinet darmes.

    Ce cabinet tait la demeure favorite du roi ; ctait l quilprenait ses leons descrime avec Pompe, et ses leons deposie avec Ronsard. Il y avait runi une grande collectiondarmes offensives et dfensives des plus belles quil avait putrouver. Aussi toutes les murailles taient tapisses de haches,de boucliers, de piques, de hallebardes, de pistolets et demousquetons, et le jour mme un clbre armurier lui avaitapport une magnifique arquebuse sur le canon de laquelletaient incrusts en argent ces quatre vers que le pote royalavait composs lui-mme :

    Pour maintenir la foy,

    Je suis belle et fidle ;

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    Aux ennemis du royJe suis belle et cruelle.

    Charles IX entra donc, comme nous lavons dit, dans cecabinet, et, aprs avoir ferm la porte principale par laquelle iltait entr, il alla soulever une tapisserie qui masquait unpassage donnant sur une chambre o une femme agenouilledevant un prie-Dieu disait ses prires.

    Comme ce mouvement stait fait avec lenteur et que les pasdu roi, assourdis par le tapis, navaient pas eu plus de

    retentissement que ceux dun fantme, la femme agenouille,nayant rien entendu, ne se retourna point et continua de prier,Charles demeura un instant debout, pensif et la regardant.

    Ctait une femme de trente-quatre trente-cinq ans, dontla beaut vigoureuse tait releve par le costume des paysannesdes environs de Caux. Elle portait le haut bonnet qui avait t sifort la mode la Cour de France pendant le rgne dIsabeau deBavire, et son corsage rouge tait tout brod dor, comme lesont aujourdhui les corsages des contadines de Nettuno et deSora. Lappartement quelle occupait depuis tantt vingt anstait contigu la chambre coucher du roi, et offrait unsingulier mlange dlgance et de rusticit. Cest quenproportion peu prs gale, le palais avait dteint sur lachaumire, et la chaumire sur le palais. De sorte que cettechambre tenait un milieu entre la simplicit de la villageoise etle luxe de la grande dame. En effet, le prie-Dieu sur lequel elletait agenouille tait de bois de chne merveilleusementsculpt, recouvert de velours crpines dor ; tandis que labible, car cette femme tait de la religion rforme, tandis que labible dans laquelle elle lisait ses prires tait un de ces vieuxlivres moiti dchirs, comme on en trouve dans les pluspauvres maisons.

    Or, tout tait lavenant de ce prie-Dieu et de cette bible.

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    Eh ! Madelon ! dit le roi.

    La femme agenouille releva la tte en souriant, cette voixfamilire ; puis, se levant :

    Ah ! cest toi, mon fils ! dit-elle.

    Oui, nourrice, viens ici.

    Charles IX laissa retomber la portire et alla sasseoir sur lebras du fauteuil. La nourrice parut.

    Que me veux-tu, Charlot ? dit-elle.

    Viens ici et rponds tout bas. La nourrice sapprocha aveccette familiarit qui pouvait venir de cette tendresse maternelle

    que la femme conoit pour lenfant quelle a allait, mais laquelle les pamphlets du temps donnent une source infinimentmoins pure.

    Me voil, dit-elle, parle.

    Lhomme que jai fait demander est-il l ?

    Depuis une demi-heure.

    Charles se leva, sapprocha de la fentre, regarda sipersonne ntait aux aguets, sapprocha de la porte, tenditloreille pour sassurer que personne ntait aux coutes, secouala poussire de ses trophes darmes, caressa un grand lvrierqui le suivait pas pas, sarrtant quand son matre sarrtait,

    reprenant sa marche quand son matre se remettait en

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    mouvement ; puis, revenant sa nourrice :

    Cest bon, nourrice, fais-le entrer. La bonne femme sortit

    par le mme passage qui lui avait donn entre, tandis que le roiallait sappuyer une table sur laquelle taient poses des armesde toute espce. Il y tait peine, que la portire se souleva denouveau et donna passage celui quil attendait. Ctait unhomme de quarante ans peu prs, lil gris et faux, au nezrecourb en bec de chat-huant, au facis largi par despommettes saillantes : son visage essaya dexprimer le respectet ne put fournir quun sourire hypocrite sur ses lvres blmies

    par la peur. Charles allongea doucement derrire lui une mainqui se porta sur un pommeau de pistolet de nouvelle invention,et qui partait laide dune pierre mise en contact avec une rouedacier, au lieu de partir laide dune mche, et regarda de sonil terne le nouveau personnage que nous venons de mettre enscne ; pendant cet examen il sifflait avec une justesse et mmeavec une mlodie remarquable un de ses airs de chasse favoris.

    Aprs quelques secondes, pendant lesquelles le visage deltranger se dcomposa de plus en plus :

    Cest bien vous, dit le roi, que lon nomme Franois deLouviers-Maurevel ?

    Oui, Sire.

    Commandant des ptardiers ?

    Oui, Sire.

    Jai voulu vous voir. Maurevel sinclina.

    Vous savez, continua Charles en appuyant sur chaque

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    mot, que jaime galement tous mes sujets.

    Je sais, balbutia Maurevel, que Votre Majest est le pre

    de son peuple.

    Et que huguenots et catholiques sont galement mesenfants.

    Maurevel resta muet ; seulement, le tremblement qui agitaitson corps devint visible au regard perant du roi, quoique celuiauquel il adressait la parole ft presque cach dans lombre.

    Cela vous contrarie, continua le roi, vous qui avez fait unesi rude guerre aux huguenots ? Maurevel tomba genoux.

    Sire, balbutia-t-il, croyez bien

    Je crois, continua Charles IX en arrtant de plus en plussur Maurevel un regard qui, de vitreux quil tait dabord,devenait presque flamboyant ; je crois que vous aviez bien enviede tuer Moncontour M. lamiral qui sort dici ; je crois quevous avez manqu votre coup, et qualors vous tes pass danslarme du duc dAnjou, notre frre ; enfin, je crois qualors voustes pass une seconde fois chez les princes, et que vous y avezpris du service dans la compagnie de M. de Mouy de Saint-Phale

    Oh ! Sire !

    Un brave gentilhomme picard ?

    Sire, Sire, scria Maurevel, ne maccablez pas !

    Ctait un digne officier, continua Charles IX, et au fur

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    et mesure quil parlait, une expression de cruaut presquefroce se peignait sur son visage, lequel vous accueillit commeun fils, vous logea, vous habilla, vous nourrit.

    Maurevel laissa chapper un soupir de dsespoir.

    Vous lappeliez votre pre, je crois, continuaimpitoyablement le roi, et une tendre amiti vous liait au jeunede Mouy, son fils ?

    Maurevel, toujours genoux, se courbait de plus en plus,cras sous la parole de Charles IX, debout, impassible et pareil une statue dont les lvres seules eussent t doues de vie.

    propos continua le roi, ntait-ce pas dix mille cus quevous deviez toucher de M. de Guise au cas o vous tueriezlamiral ?

    Lassassin, constern, frappait le parquet de son front.

    Quant au sieur de Mouy, votre bon pre, un jour vouslescortiez dans une reconnaissance quil poussait versChevreux. Il laissa tomber son fouet et mit pied terre pour leramasser. Vous tiez seul avec lui, alors vous prtes un pistoletdans vos fontes, et, tandis quil se penchait, vous lui bristes lesreins ; puis le voyant mort, car vous le tutes du coup, vousprtes la fuite sur le cheval quil vous avait donn. Voillhistoire, je crois ?

    Et comme Maurevel demeurait muet sous cette accusation,dont chaque dtail tait vrai, Charles IX se remit siffler avec lamme justesse et la mme mlodie le mme air de chasse.

    Or l, matre assassin, dit-il au bout dun instant, savez-

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    vous que jai grande envie de vous faire pendre ?

    Oh ! Majest ! scria Maurevel.

    Le jeune de Mouy men suppliait encore hier, et en vritje ne savais que lui rpondre, car sa demande est fort juste.

    Maurevel joignit les mains.

    Dautant plus juste que, comme vous le disiez, je suis le

    pre de mon peuple, et que, comme je vous rpondais,maintenant que me voil raccommod avec les huguenots ilssont tout aussi bien mes enfants que les catholiques.

    Sire, dit Maurevel compltement dcourag, ma vie estentre vos mains, faites-en ce que vous voudrez.

    Vous avez raison, et je nen donnerais pas une obole.

    Mais, Sire, demanda lassassin, ny a-t-il donc pas unmoyen de racheter mon crime ?

    Je nen connais gure. Toutefois, si jtais votre place, cequi nest pas, Dieu merci !

    Eh bien, Sire ! si vous tiez ma place ? murmuraMaurevel, le regard suspendu aux lvres de Charles.

    Je crois que je me tirerais daffaire, continua le roi.

    Maurevel se releva sur un genou et sur une main en fixantses yeux sur Charles pour sassurer quil ne raillait pas.

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    Jaime beaucoup le jeune de Mouy, sans doute, continuale roi, mais jaime beaucoup aussi mon cousin de Guise ; et si luime demandait la vie dun homme dont lautre me demanderaitla mort, javoue que je serais fort embarrass. Cependant, en

    bonne politique comme en bonne religion, je devrais faire ceque me demanderait mon cousin de Guise, car de Mouy, toutvaillant capitaine quil est, est bien petit compagnon, compar un prince de Lorraine.

    Pendant ces paroles, Maurevel se redressait lentement etcomme un homme qui revient la vie.

    Or, limportant pour vous serait donc, dans la situationextrme o vous tes, de gagner la faveur de mon cousin deGuise ; et ce propos je me rappelle une chose quil me contaithier.

    Maurevel se rapprocha dun pas.

    Figurez-vous, Sire, me disait-il, que tous les matins, dix heures, passe dans la rue Saint-Germain-lAuxerrois,revenant du Louvre, mon ennemi mortel ; je le vois passer dunefentre grille du rez-de-chausse ; cest la fentre du logis demon ancien prcepteur, le chanoine Pierre Piles. Je vois doncpasser tous les jours mon ennemi, et tous les jours je prie lediable de labmer dans les entrailles de la terre. Dites donc,

    matre Maurevel, continua Charles, si vous tiez le diable, ou sidu moins pour un instant vous preniez sa place, cela ferait peut-tre plaisir mon cousin de Guise ?

    Maurevel retrouva son infernal sourire, et ses lvres, plesencore deffroi, laissrent tomber ces mots :

    Mais, Sire, je nai pas le pouvoir douvrir la terre, moi.

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    Vous lavez ouverte, cependant, sil men souvient bien, aubrave de Mouy. Aprs cela, vous me direz que cest avec unpistolet Ne lavez-vous plus, ce pistolet ?

    Pardonnez, Sire, reprit le brigand peu prs rassur, maisje tire mieux encore larquebuse que le pistolet.

    Oh ! fit Charles IX, pistolet ou arquebuse, peu importe, etmon cousin de Guise, jen suis sr, ne chicanera pas sur le choixdu moyen !

    Mais, dit Maurevel, il me faudrait une arme sur la justessede laquelle je pusse compter, car peut-tre me faudra-t-il tirerde loin.

    Jai dix arquebuses dans cette chambre, reprit Charles IX,avec lesquelles je touche un cu dor cent cinquante pas.Voulez-vous en essayer une ?

    Oh ! Sire ! avec la plus grande joie, scria Maurevel ensavanant vers celle qui tait dpose dans un coin, et quonavait apporte le jour mme Charles IX.

    Non, pas celle-l, dit le roi, pas celle-l, je la rserve pourmoi-mme. Jaurai un de ces jours une grande chasse, ojespre quelle me servira. Mais toute autre votre choix.

    Maurevel dtacha une arquebuse dun trophe.

    Maintenant, cet ennemi, Sire, quel est-il ? demandalassassin.

    Est-ce que je sais cela, moi ? rpondit Charles IX encrasant le misrable de son regard ddaigneux.

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    Je le demanderai donc M. de Guise, balbutia Maurevel.Le roi haussa les paules.

    Ne demandez rien, dit-il ; M. de Guise ne rpondrait pas.Est-ce quon rpond ces choses-l ? Cest ceux qui ne veulentpas tre pendus deviner.

    Mais enfin quoi le reconnatrai-je ?

    Je vous ai dit que tous les matins dix heures il passaitdevant la fentre du chanoine.

    Mais beaucoup passent devant cette fentre. Que VotreMajest daigne seulement mindiquer un signe quelconque.

    Oh ! cest bien facile. Demain, par exemple, il tiendra sousson bras un portefeuille de maroquin rouge.

    Sire, il suffit.

    Vous avez toujours ce cheval que vous a donnM. de Mouy, et qui court si bien ?

    Sire, jai un barbe des plus vites.

    Oh ! je ne suis pas en peine de vous ! seulement il est bonque vous sachiez que le clotre a une porte de derrire.

    Merci, Sire. Maintenant priez Dieu pour moi.

    Eh ! mille dmons ! priez le diable bien plutt ; car cenest que par sa protection que vous pouvez viter la corde.

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    Adieu, Sire.

    Adieu. Ah ! propos, monsieur de Maurevel, vous savezque si dune faon quelconque on entend parler de vous demainavant dix heures du matin, ou si lon nen entend pas parleraprs, il y a une oubliette au Louvre !

    Et Charles IX se remit siffler tranquillement et plus justeque jamais son air favori.

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    IVLa soire du 24 aot 1572

    Notre lecteur na pas oubli que dans le chapitre prcdentil a t question dun gentilhomme nomm La Mole, attenduavec quelque impatience par Henri de Navarre. Ce jeunegentilhomme, comme lavait annonc lamiral, entrait Parispar la porte Saint-Marcel vers la fin de la journe du 24 aot

    1572, et jetant un regard assez ddaigneux sur les nombreuseshtelleries qui talaient sa droite et sa gauche leurspittoresques enseignes, laissa pntrer son cheval tout fumant jusquau cur de la ville, o, aprs avoir travers la placeMaubert, le Petit-Pont, le pont Notre-Dame, et long les quais, ilsarrta au bout de la rue de Bresec, dont nous avons fait depuisla rue de lArbre-Sec, et laquelle, pour la plus grande facilit denos lecteurs, nous conserverons son nom moderne.

    Le nom lui plut sans doute, car il y entra, et comme sagauche une magnifique plaque de tle grinant sur sa tringle,avec accompagnement de sonnettes, appelait son attention, il fitune seconde halte pour lire ces mots : la Belle-toile, crits enlgende sous une peinture qui reprsentait le simulacre le plusflatteur pour un voyageur affam : ctait une volaille rtissantau milieu dun ciel noir, tandis quun homme manteau rouge

    tendait vers cet astre dune nouvelle espce ses bras, sa bourseet ses vux.

    Voil, se dit le gentilhomme, une auberge qui sannoncebien, et lhte qui la tient doit tre, sur mon me, un ingnieuxcompre. Jai toujours entendu dire que la rue de lArbre-Sectait dans le quartier du Louvre ; et pour peu queltablissement rponde lenseigne, je serai merveille ici.

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    Pendant que le nouveau venu se dbitait lui-mme cemonologue, un autre cavalier, entr par lautre bout de la rue,cest--dire par la rue Saint-Honor, sarrtait et demeuraitaussi en extase devant lenseigne de la Belle-toile.

    Celui des deux que nous connaissons, de nom du moins,montait un cheval blanc de race espagnole, et tait vtu dunpourpoint noir, garni de jais. Son manteau tait de velours violet fonc : il portait des bottes de cuir noir, une pe poigne de fer cisel, et un poignard pareil. Maintenant, si nouspassons de son costume son visage, nous dirons que ctait un

    homme de vingt-quatre vingt-cinq ans, au teint basan, aux yeux bleus, la fine moustache, aux dents clatantes, quisemblaient clairer sa figure lorsque souvrait, pour sourire dunsourire doux et mlancolique, une bouche dune forme exquiseet de la plus parfaite distinction.

    Quant au second voyageur, il formait avec le premier venuun contraste complet. Sous son chapeau, bords retrousss,

    apparaissaient, riches et crpus, des cheveux plutt roux que blonds ; sous ses cheveux, un il gris brillait la moindrecontrarit dun feu si resplendissant, quon et dit alors un ilnoir.

    Le reste du visage se composait dun teint ros, dune lvremince, surmonte dune moustache fauve et de dentsadmirables. Ctait en somme, avec sa peau blanche, sa haute

    taille et ses larges paules, un fort beau cavalier dans lacceptionordinaire du mot, et depuis une heure quil levait le nez verstoutes les fentres, sous le prtexte dy chercher des enseignes,les femmes lavaient fort regard ; quant aux hommes, quiavaient peut-tre prouv quelque envie de rire en voyant sonmanteau triqu, ses chausses collantes et ses bottes duneforme antique, ils avaient achev ce rire commenc par un Dieuvous garde ! des plus gracieux, lexamen de cette physionomie

    qui prenait en une minute dix expressions diffrentes, sauftoutefois lexpression bienveillante qui caractrise toujours la

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    figure du provincial embarrass.

    Ce fut lui qui sadressa le premier lautre gentilhomme qui,

    ainsi que nous lavons dit, regardait lhtellerie de la Belle-toile.

    Mordi ! monsieur, dit-il avec cet horrible accent de lamontagne qui ferait au premier mot reconnatre un Pimontaisentre cent trangers, ne sommes-nous pas ici prs du Louvre ?En tout cas, je crois que vous avez eu mme got que moi : cestflatteur pour ma seigneurie.

    Monsieur, rpondit lautre avec un accent provenal quine le cdait en rien laccent pimontais de son compagnon, jecrois en effet que cette htellerie est prs du Louvre. Cependant,je me demande encore si jaurai lhonneur davoir t de votreavis. Je me consulte.

    Vous ntes pas dcid, monsieur ? la maison est flatteuse,pourtant. Aprs cela, peut-tre me suis-je