la sainteté chez charles péguy - univ-lorraine.fr

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HAL Id: tel-01760205 https://hal.univ-lorraine.fr/tel-01760205 Submitted on 15 Jan 2020 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. La sainteté chez Charles Péguy Marie Velikanov To cite this version: Marie Velikanov. La sainteté chez Charles Péguy. Littératures. Université de Lorraine, 2017. Français. NNT : 2017LORR0103. tel-01760205

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Page 1: La sainteté chez Charles Péguy - univ-lorraine.fr

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Submitted on 15 Jan 2020

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Lrsquoarchive ouverte pluridisciplinaire HAL estdestineacutee au deacutepocirct et agrave la diffusion de documentsscientifiques de niveau recherche publieacutes ou noneacutemanant des eacutetablissements drsquoenseignement et derecherche franccedilais ou eacutetrangers des laboratoirespublics ou priveacutes

La sainteteacute chez Charles PeacuteguyMarie Velikanov

To cite this versionMarie Velikanov La sainteteacute chez Charles Peacuteguy Litteacuteratures Universiteacute de Lorraine 2017 FranccedilaisNNT 2017LORR0103 tel-01760205

AVERTISSEMENT

Ce document est le fruit dun long travail approuveacute par le jury de soutenance et mis agrave disposition de lensemble de la communauteacute universitaire eacutelargie Il est soumis agrave la proprieacuteteacute intellectuelle de lauteur Ceci implique une obligation de citation et de reacutefeacuterencement lors de lrsquoutilisation de ce document Dautre part toute contrefaccedilon plagiat reproduction illicite encourt une poursuite peacutenale Contact ddoc-theses-contactuniv-lorrainefr

LIENS Code de la Proprieacuteteacute Intellectuelle articles L 122 4 Code de la Proprieacuteteacute Intellectuelle articles L 3352- L 33510 httpwwwcfcopiescomV2legleg_droiphp httpwwwculturegouvfrcultureinfos-pratiquesdroitsprotectionhtm

1

Eacutecole Doctorale Fernand Braudel (ED 411)

THEgraveSE

Preacutesenteacutee le 27062017 agrave Metz En vue de lrsquoobtention du grade acadeacutemique de

DOCTEUR DE LrsquoUNIVERSITEacute DE LORRAINE EN LANGUE ET

LITTEacuteRATURE FRANCcedilAISES

Par MARIE VEacuteLIKANOV

Neacutee le 18 deacutecembre 1982 agrave Boulogne-Billancourt (France)

La sainteteacute chez Charles Peacuteguy

Jury de la thegravese

Mme Tatiana TAIumlMANOVA rapporteur

Professeur agrave lrsquoUniversiteacute drsquoEtat de Saint-Peacutetersbourg chevalier des Arts et des Lettres Mme Carole AUROY rapporteur

Professeur agrave lrsquouniversiteacute drsquoAngers M Denis PERNOT examinateur

Professeur agrave lrsquoUniversiteacute Paris XIII M Elena DI PEDE examinateur

Professeur agrave lrsquouniversiteacute de Lorraine M Jean-Michel WITTMANN directeur

Professeur agrave lrsquoUniversiteacute de Lorraine

2

Cette thegravese est deacutedieacutee agrave la meacutemoire de Tatiana OUGRIMOFF (1934-2004) Neacutee en France dans une famille drsquoeacutemigreacutes russes de la premiegravere vague elle est venue en URSS avec ses parents en 1946 a surveacutecu aux reacutepressions par miracle et a consacreacute ensuite toute sa vie agrave la transmission lrsquoenseignement de la culture et de la langue franccedilaise Elle mrsquoa fait deacutecouvrir et aimer Charles Peacuteguy quand jrsquoavais 13 ans Sans elle ce travail nrsquoaurait jamais eu lieu

Remerciements

Je remercie le professeur Jean-Michel WITTMANN qui a accepteacute de diriger

cette thegravese Son attention ses conseils toujours tregraves preacutecis ont eacuteteacute preacutecieux il mrsquoa

guideacutee et aiguilleacutee dans les moments de doutes je suis profondeacutement reconnaissante

pour son accompagnement du preacutesent travail

Je tiens aussi agrave exprimer ma reconnaissance aux directeurs successifs du Centre

de recherche ECRITURES le professeur Jean-Freacutedeacuteric CHEVALIER et le

professeur Pierre HALEN de leur soutien de leur preacutesence mais aussi de leurs

conseils meacutethodologiques et des ideacutees de lectures qui ont nourri ma reacuteflexion

Je remercie eacutegalement tous ceux et celles qui ont accepteacute de relire ma thegravese

Charles Beiss Riwanon Rimlinger Romain Vaissermann Marie-Noeumllle Pane

Je tiens agrave remercier en particulier Romain Vaissermann sa capaciteacute de reacutepondre

du tac au tac par teacuteleacutephone agrave des questions parfois tregraves pointues concernant tel ou

tel emploi de mot chez Peacuteguy mrsquoa beaucoup impressionneacute

Je remercie le pegravere Robert Scholtus qui a geacuteneacutereusement mis agrave ma disponibiliteacute

sa grande bibliothegraveque peacuteguyste je le remercie aussi pour ses encouragements et

nos discussions sur Peacuteguy tregraves enrichissantes

Merci aux doctorantes du centre de recherche ECRITURE qui sont devenues

de vraies amies Riwanon Rimlinger Maria-Vittoria Martino et Safa Morabbi

Merci agrave mon mari Serguey Volyuzhskiy sans lui sans son aide deacutevoueacutee et

aimante je nrsquoaurai jamais pu terminer ce travail Je remercie eacutegalement mon fils

Elie qui a su malgreacute son jeune acircge faire preuve de beaucoup de patience

3

laquo [hellip] dans cette chreacutetienteacute dans ce peuple chreacutetien la sainteteacute poussait pour ainsi

dire toute seule simple et srsquoignorant elle-mecircme non point travailleacutee par des exercices des forcements de serre mais litteacuteralement en pleine terre comme une fleur du pays comme une plante vigoureuse et vivace fille du terroir naturelle en ce sens autant que surnaturelle et qui enfonccedilait dans le sol des racines drsquoune profondeur incroyable [hellip] raquo

Charles Peacuteguy Texte de preacutesentation de lrsquoeacutedition de 1910 du Mystegravere de la Chariteacute de Jeanne drsquoArc

Œuvres poeacutetiques et dramatiques complegravetes Paris Gallimard laquo Bibliothegraveque de la Pleacuteiade raquo 2014 p 623

4

Abreacuteviations

I ndash Œuvres en prose complegravetes TI Paris Gallimard laquo Bibliothegraveque de la

Pleacuteiade raquo 1987

II ndash Œuvres en prose complegravetes TII Paris Gallimard laquo Bibliothegraveque de la

Pleacuteiade raquo 1988

III ndash Œuvres en prose complegravetes TIII Paris Gallimard laquo Bibliothegraveque de la

Pleacuteiade raquo 1992

OPD ndash Œuvres poeacutetiques et dramatiques complegravetes Paris Gallimard

laquo Bibliothegraveque de la Pleacuteiade raquo 2014

Tapisserie ndash La Tapisserie de sainte Geneviegraveve et de Jeanne drsquoArc et vers ineacutedits

Orleacuteans Paradigme 2016

Conventions

Traduction Sauf mention contraire les traductions sont de notre fait

Caractegraveres italiques et majuscules non conventionnelles Les italiques et les

lettres majuscules dans les citations reproduiront systeacutematiquement celles du texte

original

Nous alleacutegeons au maximum les reacutefeacuterences les indications complegravetes se trouvent en

bibliographie

5

INTRODUCTION

Pourquoi Peacuteguy eacutecrit-il tant sur les saints Pourquoi deacutecrit-il des amis des

personnaliteacutes dont il srsquoeacutemerveille agrave la maniegravere drsquoun hagiographe en les laquobeacuteatifiantraquo

en quelque sorte par ses textes La creacuteation des exemples agrave suivre est un acte qursquoon

retrouve souvent dans ses eacutecrits ou les publications qursquoil choisit pour figurer dans

les Cahiers de la quinzaine

En eacutecartant des reacuteponses laquopsychologisantesraquo on peut trouver une reacuteponse dans

les textes de Peacuteguy en commenccedilant par les tout premiers notamment par Marcel ou

le dialogue de la citeacute harmonieuse Crsquoest une utopie certes mais qui nrsquoest pas

seulement fondeacutee sur une future socieacuteteacute imagineacutee penseacutee elle se fonde sur les

personnes qui en font partie qui la construisent la citeacute eacutetant constitueacutee de ses

citoyens Agrave propos des deacutebuts de son engagement socialiste Peacuteguy eacutecrivait laquo Cette

ideacutee simple et vivace eacutetait que nous devons commencer de vivre en socialistes que

nous devons commencer la reacutevolution du monde par la reacutevolution de nous-mecircmes raquo

(I 640) Il nrsquoa jamais renieacute son engagement premier laquo nous ne renierons jamais un

atome de notre passeacute raquo (III 550) Toute son œuvre cherche agrave contribuer agrave la

construction drsquoune socieacuteteacute nouvelle drsquoougrave personne nrsquoest exclu ougrave la morale et la

mystique emportent sur la politique et les systegravemes

Degraves le deacutebut Peacuteguy a compris que pour changer il vaut mieux suivre un

exemple ses premiers textes des Cahiers sont des reacuteflexions sur la neacutecessiteacute ou

pas de laquo faire des personnaliteacutes raquo Il propose des personnaliteacutes exemplaires agrave ses

lecteurs drsquoabord Jauregraves puis Bernard-Lazare1 Il cherche inlassablement toute sa

vie quel est cet homme qui pourra devenir la pierre angulaire drsquoune nouvelle

socieacuteteacute juste ouverte agrave tous Plus tard il en vient agrave lrsquoideacutee que crsquoest Jeacutesus qursquoil faut

imiter agrave lrsquoimage des saints mais il ne srsquoagit pas drsquoune palinodie seulement du

1 Le vrai nom de plume de Lazare Marcus Manasseacute Bernard eacutetait Bernard Lazare sans tiret Peacuteguy lrsquoeacutecrit systeacutematiquement de maniegravere erroneacutee ndash Bernard-Lazare et nous avons choisi drsquoadapter dans la preacutesente thegravese lrsquoorthographe utiliseacutee par Peacuteguy

6

prolongement de la mecircme quecircte

Aude Bonord observe que les eacutecrivains du deacutebut du XXe siegravecle cherchaient agrave

laquo eacutelaborer un modegravele de sainteteacute conforme agrave leurs ideacuteaux existentiels et spirituels

[hellip] Lrsquohagiographe devient alors le creuset drsquoune reacuteflexion sur lrsquoHomme et sur

lrsquoHistoire raquo2

On pourrait dire que Peacuteguy entame la quecircte poursuivie un demi-siegravecle plus

tard par Camus laquo Peut-on ecirctre un saint sans Dieu crsquoest le seul problegraveme concret

que je connaisse aujourdrsquohui3 raquo dit Tarrou dans La Peste Dans le journal de son

voyage en Ameacuterique en 1946 Camus eacutecrit aussi laquo Pouvons-nous refaire une

Eacuteglise laiumlque raquo4 Pour Camus comme pour plusieurs autres auteurs la sainteteacute est

une reacuteponse agrave la demande du siegravecle lrsquoattente drsquoune exemplariteacute personnelle Cette

quecircte reacutepond agrave une question plus large lrsquohomme peut-il rester inchangeacute face aux

grands changements de ce siegravecle ou tout srsquoacceacutelegravere Et si lrsquohomme ne peut plus

rester le mecircme il faut de nouveaux ideacuteaux de nouveaux heacuteros Jacques Derrida cite

une conversation avec Emmanuel Levinas qui lui a dit laquo Vous savez on parle

souvent drsquoeacutethique pour deacutecrire ce que je fais mais ce qui mrsquointeacuteresse au bout du

compte ce nrsquoest pas lrsquoeacutethique pas seulement lrsquoeacutethique crsquoest le saint la sainteteacute du

saint raquo5 Dans un article consacreacute au centenaire de la mort de Peacuteguy le philosophe

de la religion Michaeumll de Saint-Cheacuteron rappelle en se preacutesentant comme un disciple

de Levinas que laquo la sainteteacute nrsquoest pas reacuteserveacutee aux chreacutetiens mais est une tacircche un

devoir deacutevolu agrave tout ecirctre humain par-delagrave toute croyance religieuse raquo6

Certains auteurs y compris en partie Peacuteguy rejettent le monde qui leur est

contemporain et cherchent des exemples des ideacuteaux dans les temps passeacutes surtout

dans le Moyen Age Ce mouvement est anteacuterieur agrave la geacuteneacuteration de Peacuteguy deacutejagrave 2 BONORD Aude Les laquoHagiographes de la main gaucheraquo Variations de la vie de saints au XXe siegravecle Paris Classiques Garnier 2011 p 33 3 CAMUS Albert La Peste Paris Gallimard 2012 p 230 4 CAMUS Albert Journaux de voyages Paris Gallimard 2013 p 34

5 DERRIDA Jacques Adieu agrave Levinas Paris Galileacutee 1997 p 15 6 De SAINT-CHEacuteRON Michaeumll laquo Le Centenaire de la mort de Peacuteguy raquo reacutefeacuterence internet httpwwwhuffingtonpostfrmichael-de-saintcheronle-centenaire-mort-charles-peguy_b_5782216html consulteacute le 5 janvier 2015

7

Verlaine eacutecrivait laquo Crsquoest vers le Moyen Age eacutenorme et deacutelicat Qursquoil faudrait que

mon cœur en panne naviguacirct Loin de nos jours drsquoesprit charnel et de chair triste raquo7

Au temps de Peacuteguy on trouve cet inteacuterecirct pour le Moyen Age chez les auteurs du

renouveau catholique comme Henri Gheacuteon par exemple ou chez les auteurs

deacutecadents comme Joseacutephin Peacuteladan etc

Drsquoautres auteurs ou parfois les mecircmes dans drsquoautres textes tentent de trouver

de nouveaux teacutemoins de nouvelles laquo balises raquo spirituelles philosophiques morales

pour ce monde qui change ougrave les vies de saints connues souvent inspirent peu agrave

cause de la grande distance du contexte actuel les martyrs sont eacuteloigneacutes dans le

temps et il faut de nouveaux repegraveres de nouveaux exemples

Bernanos eacuterige pour sa part le saint en laquo reacuteponse de lrsquoeacutecrivain au chaos de

lrsquoentre-deux-guerres raquo8 Pour lui il est moins un exemple agrave suivre qursquoune figure

drsquoopposition qui repreacutesente la diffeacuterence une autre faccedilon de vivre dans le monde

un teacutemoin drsquoune autre vie possible

Aujourdrsquohui un siegravecle plus tard il est important avec un recul certain

drsquoobserver cette recherche de voir ou elle a abouti de situer ces laquosaintsraquo ces

exemples que Peacuteguy a voulu proposer agrave ses contemporains et agrave ses disciples dans le

contexte du monde dans lequel ils sont neacutes et dans le monde qui a tellement changeacute

aujourdrsquohui Ces exemples ces formes de sainteteacute renouveleacutees nous parlent elles

encore Que disent-elles au monde drsquoaujourdrsquohui en notre temps

Pour Claire Daudin la litteacuterature ne peut pas ecirctre une ideacuteologie encore moins

une religion elle nrsquoest pas soumise agrave un systegraveme de penseacutee ou agrave un dogme Elle est

laquo inseacutereacutee dans la citeacute et tributaire de la morale raquo9 elle a donc une vraie emprise sur

le reacuteel ce qui est particuliegraverement important pour Peacuteguy qui cherche par son

travail de geacuterant des Cahiers et par son eacutecriture agrave construire une citeacute harmonieuse

Claire Daudin en parlant de Peacuteguy eacutecrit laquo Le poegravete et le philosophe srsquoallient sous 7 VERLAINE Paul Œuvres poeacutetiques compegravetes Paris Gallimard coll laquo La Pleacuteiade raquo 1962 p 249 8 DAUDIN Claire Dieu a-t-il besoin de lrsquoeacutecrivain Peacuteguy Bernanos Mauriac Paris Cerf 2002 p157 9 Ibid p 22

8

sa plume pour deacutefinir le preacutesent comme temps de la gracircce et de la liberteacute exprimer

la deacutependance du spirituel agrave lrsquoeacutegard du charnel renouveler agrave travers la ceacuteleacutebration

du lien filial la notion mecircme drsquoamour de Dieu raquo10 Pour transfigurer le preacutesent il

faut agir pour agir sur le monde il faut agir sur soi-mecircme crsquoest une voie de sainteteacute

agissante que Peacuteguy cherche ce sont ces exemples qursquoil trouve chez les saints qursquoil

choisit comme Jeanne drsquoArc Saint Louis Sainte Geneviegraveve ou tout simplement

dans la vie de ses amis Dans Encore de la grippe il eacutecrit laquo Preacuteparons dans le

preacutesent la reacutevolution de la santeacute pour lrsquohumaniteacute preacutesente raquo (I 433) Peacuteguy ne

faisait pas partie du mouvement des eacutecrivains convertis non seulement parce qursquoil

revendiquait le fait de ne pas ecirctre un converti mais aussi parce que tous les

eacutecrivains du renouveau catholique mettaient laquo leur talent agrave la disposition du dogme

et de lrsquoinstitution catholique raquo11 or pour Peacuteguy la reacuteponse agrave la question de la

sainteteacute dans le monde drsquoaujourdrsquohui se trouvait en dehors des murs de lrsquoEacuteglise

Pour lui laquo la religion nrsquoest pas une ideacuteologie ni lrsquoEacuteglise un parti ni la litteacuterature un

instrument au service drsquoune autoriteacute raquo12 Peacuteguy pensait que la reacuteponse offerte par

lrsquoEacuteglise nrsquoeacutetait pas universelle nrsquoapportait rien agrave la citeacute harmonieuse du demain qui

ne devait pas avoir de frontiegravere qui devait ecirctre aussi ouverte aux non-croyants etc

Mais cette reacuteponse a tout aussi besoin drsquoun exemple drsquoun modegravele Il faut donc des

saints hors de lrsquoEacuteglise des saints sans frontiegravere laquo Si la litteacuterature est capable de

sainteteacute contrairement agrave lrsquoopinion somme toute peu reluisante qursquoen ont les

eacutecrivains convertis crsquoest prise dans le courant drsquoune vie raquo13 eacutecrit Claire Daudin

10 Ibid p 13

11 DAUDIN Claire opcit p 28

12 Ibid p 23

13 Ibid p 21

9

Probleacutematique

Si de nombreux auteurs se sont pencheacutes sur le sujet de la religion chez Peacuteguy

peu ont approfondi la question de la sainteteacute Certes pour celui qui eacutetudie Peacuteguy ce

thegraveme est ineacutevitable eacutecrire sur les textes de Peacuteguy sur Jeanne drsquoArc saint Louis ou

bien sainte Geneviegraveve sans eacutevoquer la sainteteacute serait impossible mais le plus

souvent ce sujet nrsquoest abordeacute que de biais Par exemple dans lrsquoun des ouvrages de

reacutefeacuterence sur Peacuteguy La Religion de Peacuteguy de Pie Duployeacute seule une section de

chapitre parle directement de la sainteteacute laquo Une leccedilon drsquohagiographie raquo (p 261 ndash

268)14 Il srsquoagit drsquoune analyse de la poleacutemique entre Charles Peacuteguy et Fernand

Laudet agrave propos de la repreacutesentation de Jeanne drsquoArc comme sainte dans Le

Mystegravere de la chariteacute de Jeanne drsquoArc Certes le thegraveme de la sainteteacute est eacutevoqueacute

ailleurs dans ce livre mais il nrsquoest pas au centre de lrsquoeacutetude pour autant

Lrsquoaspect tregraves novateur de cette thegravese en theacuteologie est de prendre en

consideacuteration la litteacuterature comme sujet theacuteologique et de theacuteoriser la

reconnaissance de la litteacuterature par la theacuteologie Dans lrsquointroduction Pie Duployeacute

eacutecrit laquo On se propose avec le preacutesent travail de proceacuteder agrave la rectification des

frontiegraveres qui dans la mentaliteacute contemporaine seacuteparent le domaine de la theacuteologie

de celui de la litteacuterature raquo15 En quelque sorte mecircme si cinquante-trois ans seacuteparent

notre travail de cette eacutetude le choix audacieux de lrsquoauteur de briser ces frontiegraveres

(suite entre autre aux textes de Hans Urs Von Balthasar sur les styles16 qui porte

notamment sur Peacuteguy) nous a ouvert le chemin en nous engageant agrave faire la

deacutemarche inverse porter un regard litteacuteraire mener une analyse litteacuteraire sur un

sujet qui paraicirct relever de la theacuteologie

14 DUPLOYEacute Pie OP La Religion de Peacuteguy Genegraveve Slatkine Reprints 1978 15 Ibid p 10 16 VON BALTHASAR Hans Urs La Gloire et la Croix Styles (TII) De Jean de la Croix agrave Peacuteguy traduit de lrsquoallemand par Reacuteneacute Givord et Heacutelegravene Bourboulon Aubier Theacuteologie Editions Montaigne 1972

10

Franccedilois-Marie Leacutethel consacre une partie de sa thegravese sur la theacuteologie des

saints agrave lrsquoœuvre de Peacuteguy17 Cette thegravese relegraveve les ideacutees principales de Peacuteguy sur la

sainteteacute lrsquoimitation comme forme drsquoaccomplissement de lrsquoIncarnation (lrsquoauteur

montre notamment comment Peacuteguy preacutesente Jeanne drsquoArc en tant qursquoimitatrice

ideacuteale du Christ) lrsquoimportance de la vie cacheacutee de Jeacutesus et des saints (sujet

principal de la poleacutemique avec Fernand Laudet dans Un nouveau theacuteologien

monsieur Fernand Laudet) le rocircle du saint dans la reacutedemption et dans le salut (le

poids de lrsquointercession des saints pour le salut des hommes) la communion des

saints comme thegraveme de preacutedilection chez Peacuteguy chreacutetien demeureacute socialiste et

enfin le saint comme personne qui lie lrsquohistoire temporelle celle de la terre avec

lrsquoeacuteterniteacute Lrsquoouvrage eacutetudie les textes de Peacuteguy avec une approche purement

theacuteologique tout en preacutevenant le lecteur que Peacuteguy nrsquoest pas un theacuteologien Il srsquoagit

drsquoune thegravese en theacuteologie et lrsquoaspect litteacuteraire en est pratiquement absent

En revanche la thegravese de Laurent-Marie Pocquet du Haut-Jusseacute tout en eacutetant

une thegravese en theacuteologie considegravere de maniegravere tregraves approfondie lrsquoœuvre de Peacuteguy en

tant qursquoœuvre litteacuteraire18 Un chapitre entier y est consacreacute agrave la sainteteacute laquo Gracircce et

sainteteacute raquo (p 459-567) Lrsquoauteur souligne lrsquoimportance de lrsquoaccueil de la gracircce pour

devenir saint et approfondit la notion de la gracircce divine chez Peacuteguy Il eacutetudie aussi

les vertus chez Peacuteguy et analyse comment Peacuteguy deacutecrit lrsquoœuvre de la gracircce et la

pratique des vertus chez ses saints preacutefeacutereacutes saint Louis et Jeanne drsquoArc Il conclut

ce chapitre en questionnant le rocircle des saints dans le laquo monde moderne raquo selon

Peacuteguy

Lrsquoune des particulariteacutes de ces ouvrages comme par ailleurs drsquoun grand

nombre drsquoeacutetudes de lrsquoœuvre de Peacuteguy crsquoest la seacuteparation de sa vie en deux parties ndash

avant et apregraves sa laquo conversion raquo Le plus souvent on classe Peacuteguy parmi la premiegravere

geacuteneacuteration des intellectuels franccedilais convertis ceux qui avaient agrave peu pregraves vingt ans

entre 1880 et 1905 et qui ont choisi le christianisme en tournant le dos au

17 LEacuteTHEL Franccedilois-Marie Connaicirctre lrsquoamour du Christ qui surpasse toute connaissance la theacuteologie des saints Venasque Eacutedition du Carmel 1989 18 POCQUET DU HAUT-JUSSEacute Laurent-Marie Charles Peacuteguy et la moderniteacute Essai drsquointerpreacutetation theacuteologique drsquoune œuvre litteacuteraire Perpignan Artegravege 2010

11

positivisme et au naturalisme19 Jean Roussel dans son livre sur Peacuteguy20 Simone

Fraisse dans son article laquo Peacuteguy et Renan raquo21 et bien drsquoautres auteurs soutiennent

la thegravese de lrsquoatheacuteisme de Peacuteguy dans sa peacuteriode socialiste Pie Duployeacute est formel

il eacutecrit en commentant le ceacutelegravebre aveu de Peacuteguy fait agrave Joseph Lotte le 20 mai 1908

(laquo Jrsquoai retrouveacute ma foihellip je suis catholiquehellip raquo22) laquo Si Peacuteguy deacuteclare qursquoil a

retrouveacute la foi crsquoest qursquoil lrsquoavait perdue raquo23 Il remarque cependant que Peacuteguy nrsquoa

jamais donneacute de preacutecision sur son abandon de la foi chreacutetienne et srsquoil a expliqueacute les

raison de la laquo deacutechristianisation raquo de la France il nrsquoa jamais exposeacute les motifs de

son propre deacutepart de lrsquoEacuteglise

Peacuteguy lui-mecircme semble le dire en eacutecrivant en 1901 dans De la raison laquo nous

sommes atheacutees de tous les dieux raquo (I 836) Cependant le laquo nous raquo dans ce texte ne

correspond pas au laquo nous raquo qui est de mise lors des soutenances de thegraveses ou dans

les articles scientifiques Peacuteguy dit laquo nous raquo parce qursquoil exprime ici lrsquoopinion de son

laquo amitieacute raquo socialiste (nous eacuteviterons le mot laquo groupe raquo agrave cause de lrsquoaversion qursquoil

suscitait chez Peacuteguy) Dans ce texte il fait lrsquoapologie de la raison en eacutevitant

cependant de tomber dans le piegravege qui consiste agrave lrsquoeacuteriger en Dieu comme lrsquoont fait

les positivistes et les naturalistes dont il commence en cette peacuteriode agrave se distancier

Peacuteguy dit laquo je raquo dans ce mecircme texte trois pages plus tard ce laquo nous raquo nrsquoest donc

pas une maniegravere de dire laquo je raquo Et Peacuteguy nrsquoa jamais dit laquo je suis atheacutee raquo Srsquoil disait

son rejet de lrsquoEacuteglise des laquo cureacutes raquo (ce qui nrsquoa pas changeacute apregraves sa laquo conversion raquo)

il nrsquoa jamais eacutevoqueacute le rejet de Dieu En revanche il eacutecrit

Crsquoest par un approfondissement constant de notre cœur dans la mecircme voie ce nrsquoest nullement par une eacutevolution ce nrsquoest nullement par un rebroussement que nous avons trouveacute la voie de chreacutetienteacute Nous ne lrsquoavons pas trouveacute en revenant Nous lrsquoavons trouveacutee au bout Crsquoest pour cela il faut qursquoon le sache bien de part et drsquoautre chez les uns et chez les autres crsquoest pour cela que nous ne renierons jamais un atome de notre passeacute (III 550)

19 Voir HUBY Joseph La Сonversion Paris Beauchesne 1919 p 85-86 20 ROUSSEL Jean Peacuteguy Paris-Bruxelles Editions Universitaires 1952 21 FRAISSE Simone laquo Peacuteguy et Renan raquo Revue drsquoHistoire litteacuteraire de la France 73e Anneacutee No 23 Peacuteguy Mars-Juin 1973 p 264-380 22 PEacuteGUY Charles LOTTE Joseph Lettres et entretiens Paris Editions de Paris 1954 p 57 23 DUPLOYEacute Pie opcit p 13

12

Peacuteguy ne cesse pas drsquoecirctre socialiste en devenant chreacutetien Peacuteguy dit ne pas

avoir trouveacute la laquo voie de chreacutetienteacute raquo laquo en revenant raquo parce que la voie qursquoil entame

nrsquoest pas celle de son enfance Mais peut-on parler de conversion ni de peacuteriode

drsquoatheacuteisme radical srsquoil srsquoagit drsquoun seul chemin laquo au bout raquo duquel se trouve laquo la

voie de chreacutetienteacute raquo

Cependant mecircme Pie Duployeacute qui insiste sur lrsquoatheacuteisme de Peacuteguy agrave ses

deacutebuts cherche quand mecircme les sources de sa penseacutee religieuse dans les textes de

sa peacuteriode dite laquo atheacutee raquo Nous nous placerons donc dans cette mecircme deacutemarche

drsquoune vision entiegravere drsquoune recherche de lrsquouniteacute chez Peacuteguy Notre objectif sera de

distinguer la sainteteacute avant la sainteteacute24 et son eacutevolution vers lrsquoideacutee consciente et

explicite de la sainteteacute dans lrsquoœuvre de Charles Peacuteguy

Parmi les auteurs qui attestent de lrsquouniteacute de lrsquoœuvre de Peacuteguy il y a surtout les

peacuteguystes de la premiegravere heure comme par exemple Alexandre Marc et Bernard

Voyenne qui eacutecrivent que Peacuteguy

nrsquoa pas eacuteteacute socialiste par mode pas plus qursquoil nrsquoa eacuteteacute chreacutetien par snobisme Il nrsquoa jamais appris un cateacutechisme puis un autre cateacutechisme Il nrsquoa jamais connu qursquoun cateacutechisme et qursquoune foi qui est alleacutee en srsquoapprofondissant [hellip] La veacuteriteacute est que Peacuteguy a toujours eacuteteacute socialiste et chreacutetien chreacutetien et socialiste Mais pas socialiste-chreacutetien surtout Ce genre de confusion est ce qui lui faisait le plus horreur Il savait mieux que quiconque distinguer les plans et les genres Il eacutetait socialiste sur le plan temporel chreacutetien sur le plan spirituel et eacuteternel Entre les deux bien sucircr nulle contradiction nulle opposition mais seulement une distinction salutaire avec de lrsquoun agrave lrsquoautre tout un jeu de correspondances de contrepoints25

Ceci dit lrsquoideacutee que le socialisme de Peacuteguy qui pour lrsquoauteur eacutetait lieacute agrave une

mystique est uniquement temporel et que sa foi chreacutetienne nrsquoest que spirituelle et

eacuteternelle contredit le fond de la penseacutee de Peacuteguy pour qui la foi ne peut ecirctre

deacutesincarneacutee et introduit une autre forme de division dans lrsquouniteacute de son œuvre et de

sa penseacutee

Roger Secreacutetain maire drsquoOrleacuteans et peacuteguyste fidegravele va plus loin dans la vision

de lrsquoentiteacute de la vie et de lrsquoœuvre de Peacuteguy 24 Expression du professeur Jean-Freacutedeacuteric Chevalier qui a commenteacute ainsi notre intervention dans le seacuteminaire de lrsquoEacutecole doctorale Fernand Braudel laquo Construire exploiter et commenter un corpus raquo Nous lrsquoavons retenue comme une deacutefinition tregraves juste du travail que nous faisons sur lrsquoœuvre de Peacuteguy 25 MARC Alexandre VOYENNE Bernard laquo Peacuteguy contre la trahison du socialisme raquo La NEF ndeg25 deacutecembre 1946 p 68

13

Vivant preacutesent actuel Il nrsquoy a qursquoun Peacuteguy Et il y a des peacuteguysmes Ainsi revient le problegraveme de lrsquouniteacute dans la multipliciteacute On invoque trois peacuteguysmes essentiels qui se ramifient en quelques autres Peacuteguy socialiste agrave quoi il faut ajouter aussitocirct Peacuteguy anarchiste Peacuteguy chreacutetien qursquoil faut compleacuteter par Peacuteguy anticleacuterical Peacuteguy patriote qursquoon ne peut seacuteparer de Peacuteguy humanitaire Et les rassembler tous les trois sous le signe majeur de la liberteacute Car Peacuteguy vivant crsquoest Peacuteguy libre et mecircme Peacuteguy libertaire Et proclamer lrsquoactualiteacute de Peacuteguy crsquoest proclamer la feacuteconditeacute du preacutesent identifieacutee aux opeacuterations du geacutenie creacuteateur26

Parmi les thegraveses sur Peacuteguy il y a une belle exception une thegravese qui se

concentre pour beaucoup justement sur lrsquouniteacute de la vie et de lrsquoœuvre de Peacuteguy sur

lrsquoabsence de frontiegravere entre Peacuteguy socialiste et Peacuteguy chreacutetien crsquoest la thegravese de 3e

cycle non publieacutee du pegravere Robert Scholtus soutenue en 1979 agrave lrsquouniversiteacute de

Metz laquo A lrsquoeacutecole de la reacutealiteacute raquo recherche sur les fondements de la penseacutee de

Charles Peacuteguy dans ses œuvres en prose27 Voilagrave comment Robert Scholtus dans

lrsquointroduction deacutefinit lui-mecircme lrsquoun des objectifs de son travail laquo Il fallait sortir

du dualisme grossier socialismechristianisme sur lequel srsquoeacutetaient construits tant de

peacuteguysmes et ne pas se fier aux conjectures drsquoune coupure eacutepisteacutemologique 28raquo

Parmi les ouvrages plus reacutecents on peut citer la thegravese de Nicolas Faguer qui insiste

sur lrsquouniteacute de lrsquoœuvre de Peacuteguy en srsquoappuyant sur les analyses du theacuteologien Hans

Urs von Balthasar29

Cette thegravese traitera quant agrave elle deux questions principales qui est le saint

pour Peacuteguy et qursquoest-ce que le saint chez Peacuteguy fait au monde

Dans la premiegravere partie la reacuteflexion sera axeacutee sur les saints (reconnus comme

tels par lrsquoEacuteglise) ainsi que les laquo saints raquo (selon un proceacutedeacute drsquoeacutemerveillement de

mise en relief litteacuteraire propre agrave Peacuteguy) qui apparaissent dans les œuvres de Peacuteguy

26 SECREacuteTAIN Roger laquo Peacuteguy geacutenie poeacutetique de la penseacutee raquo Peacuteguy Vivant Lecce Milella 1977 p 30 27 SCHOLTUS Robert laquo A lrsquoeacutecole de la reacutealiteacute raquo recherche sur les fondements de la penseacutee de Charles Peacuteguy dans ses œuvres en prose thegravese de 3e cycle soutenue agrave lrsquouniversiteacute de Metz UER des lettres et sciences humaines centre de recherches en litteacuterature et spiritualiteacute 1979 28 Ibid p V 29 FAGUER Nicolas Un constant approfondissement du cœur lrsquouniteacute de lrsquoœuvre de Peacuteguy selon Hans Urs von Balthasar Berlin Lit Verlag dr WHopf 2013

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Nous tacirccherons drsquoy reacutepondre agrave la question qui est saint chez Peacuteguy qursquoest-ce qui

selon cet auteur fait drsquoun homme un saint un Juste

Peacuteguy parle de laquo saints de militation raquo parce que pour lui la nouvelle sainteteacute

ne peut plus exister agrave lrsquointeacuterieur de lrsquoEacuteglise de sa structure sa hieacuterarchie de ses

dogmes mais le nouveau saint doit se tenir agrave la frontiegravere entre le monde seacuteculaire et

lrsquoEacuteglise en opeacuterant un dialogue incessant en agissant sur le monde en teacutemoignant

Peacuteguy choisit donc de laquo faire des personnaliteacutes raquo agrave lrsquoaide drsquoun proceacutedeacute

drsquoeacutemerveillement qursquoon trouve souvent dans ses pages de dialogues intenses

parfois de conflits qui sont aussi une forme de rencontre qui met la personne en

exergue laquo Lrsquoeacutecriture de Peacuteguy vise tout autant agrave la rencontre fraternelle qursquoagrave la

confrontation raquo30 Dans ses eacutecrits il srsquoeacutemerveille en dialoguant avec ses amis ses

aicircneacutes ses maicirctres des auteurs qursquoil aime les saints Jauregraves Bernard-Lazare Hugo

Corneille saint Louis sainte Geneviegraveve Jeanne drsquoArchellip

Dans ses premiegraveres œuvres Peacuteguy parle plutocirct de laquo personnaliteacutes raquo comme

figures drsquoexemplariteacute mais en mecircme temps il reacutefleacutechit deacutejagrave sur ses formes

possibles lrsquoheacuteroiumlsme la sainteteacute le geacutenie en travaillant sur la trilogie dramatique

Jeanne drsquoArc Comme Corneille eacutetait lrsquoauteur preacutefeacutereacute de Peacuteguy et plus

particuliegraverement Polyeucte son œuvre favorite il est inteacuteressant drsquoobserver

comment les traits des saints et des heacuteros de Corneille se reflegravetent dans le

personnage heacuteroiumlque principal de Peacuteguy Jeanne drsquoArc

Mais ce nrsquoest pas uniquement la recherche drsquoune nouvelle forme drsquoexemplariteacute

qui pousse Peacuteguy agrave eacutecrire sur les saints Il y a aussi lrsquoimpact de son cheminement

vers la foi sur sa philosophie de lrsquohistoire qui megravene Peacuteguy vers un questionnement

sur la sainteteacute mecircme laquo Le chreacutetien se voit dans le passeacute dans le preacutesent dans le

futur Car il se voit dans une veacuteritable une reacuteelle eacuteterniteacute [] Crsquoest mecircme ce que

lrsquoon nomme la communion des saints raquo (III 1123-1124)

Crsquoest pourquoi la deuxiegraveme partie de cette thegravese cherchera la reacuteponse agrave la

question que fait le saint au monde dans le monde pour le monde comment le

30 DAUDIN Claire opcit p 136

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saint chez Peacuteguy change le monde il srsquoagit en somme de cerner le rocircle de la

sainteteacute dans le monde y compris en tant que concept eacutethique renouveleacute revisiteacute

Si Peacuteguy cherche agrave travers ses textes et donc ses heacuteros agrave construire une citeacute

harmonieuse srsquoil dit laquo La reacutevolution sociale sera morale ou elle ne sera pas raquo dans

ses eacutecrits on peut analyser comme lrsquoeacutecrit Sandra Laugier laquo ce pouvoir

drsquoinstruction voire de reacutedemption [hellip] qui fait aussi la valeur et lrsquoimportance drsquoune

œuvre ndash la place qursquoelle a dans nos existence raquo31 sa valeur morale eacutethique Pour

que la reacutevolution soit morale ses acteurs doivent changer se transformer de

lrsquointeacuterieur selon une nouvelle morale qui reacutegirait de lrsquointeacuterieur les relations entre les

hommes et selon une nouvelle responsabiliteacute eacutethique

Nous allons donc reacutefleacutechir sur la sainteteacute et le temps comme lieu de preacutesence

et drsquointervention du saint en consideacuterant lrsquoinfluence de la philosophie drsquoHenri

Bergson sur Peacuteguy et les deacuteveloppements de Peacuteguy lui-mecircme au sujet du temps et

de lrsquohistoire Nous allons aussi nous pencher sur le ou les rocircles que Peacuteguy attribue

au saint dans la socieacuteteacute solitaire parce que diffeacuterent des autres humains solidaire

parce qursquoagissant dans ce monde dans lequel il poursuit lrsquoœuvre de lrsquoIncarnation

Meacutethode

La sainteteacute est un pheacutenomegravene situeacute aux frontiegraveres de disciplines et civilisations

diffeacuterentes car il y a des saints dans des religions des peuples divers la nature et

lrsquoessence de la sainteteacute ne sont pas eacutetudieacutees que drsquoun point de vue theacuteologique

biblique et hagiologique mais aussi du point de vue culturel philosophique

psychologique sociologique etc Dans cette thegravese la sainteteacute sera consideacutereacutee dans

un contexte chreacutetien qui a heacuteriteacute drsquoune compreacutehension judaiumlque de ce pheacutenomegravene

Le mot heacutebreu qodesh traduit normalement comme laquo sainteteacute chose sainte raquo et

qacircdosh laquo saint raquo dans les versions latines de la Bible est rendu par sanctus qui

31 LAUGIER Sandra dir Ethique litteacuterature vie humaine Paris PUF 2006 p 3

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signifie laquo ce qui est divin raquo ou laquo ce qui srsquooppose au monde du profane raquo Marie

Reacutebeilleacute-Borgella explique

Le plus souvent sanctus traduit qacircdosh ou qodesh La racine sur laquelle ces termes sont formeacutes deacutesigne ce qui est saint consacreacute agrave Dieu ce qui est seacutepareacute du fait de sa conseacutecration agrave Dieu Crsquoest lagrave un point de contact entre ces deux mots et ceux de la famille de sancto et sanctus en latin qui justifie le choix du lexegraveme latin pour traduire lrsquoheacutebreu Quand sanctus traduit un de ces deux termes la traduction grecque du terme traduit par sanctus est le plus souvent ἅγιος ou un terme appartenant agrave la mecircme famille Cet adjectif est formeacute sur la racine de ἅζομαι qui signifie laquo eacuteprouver une crainte respectueuse raquo et laquo deacutesigne lrsquointerdit religieux que lrsquoon respecte) Il se diffeacuterencie drsquoἁγνός formeacute sur la mecircme racine par le fait qursquoil ne srsquoemploie anciennement qursquoen parlant de lieux de choses tandis qursquo ἁγνός est employeacute pour qualifier des diviniteacutes32

La perception de la sainteteacute comme eacuteloignement est justement la cleacute pour une

eacutetude dans un contexte litteacuteraire de lrsquoideacutee de la sainteteacute chez Charles Peacuteguy Dans la

litteacuterature on peut voir des heacuteros qui se deacutetachent du systegraveme de personnages non

par le sujet la forme ou mecircme la logique de leur biographie litteacuteraire mais par leur

personnaliteacute et leur choix Crsquoest par exemple Cordelie Don Quichotte et Sancho

Panza Platon Karatayev (heacuteros secondaire de Guerre et Paix de Leacuteon Tolstoiuml dont

la bonteacute fait un exemple de heacuteros saint et juste de la litteacuterature russe) ou le prince

Mychkine De plus en ce qui concerne Tolstoiuml Dostoiumlevski ou Camus Bernanos

et mecircme Michel Tournier ou Christian Bobin la sainteteacute devient un thegraveme de la

reacuteflexion consciente de lrsquoauteur et elle peut donc ecirctre eacutetudieacutee drsquoun point de vue

litteacuteraire et non pas theacuteologique

Rechercher les ideacutees dans lrsquoart y compris dans la litteacuterature eacutetait dans lrsquoair du

temps Et mecircme si Peacuteguy nrsquoadheacuterait pas loin de lagrave au courant symboliste ou

deacutecadent il appartenait tout de mecircme agrave son temps quand Moreacuteas dans son

manifeste symboliste eacutecrivait Ideacutee avec une majuscule quand Schopenhauer

eacutecrivait laquo Le but de tous les arts est drsquoexciter lrsquohomme agrave reconnaicirctre des Ideacutees raquo33

Lrsquoart de Peacuteguy le fait autrement que les symbolistes non par suggestion mais par

une recherche constante de la formulation exacte qui traduira lrsquoideacutee de la maniegravere la

32 REacuteBEILLEacute-BORGELLA Marie laquo Sanctus et sanctitas dans les Bibles latines raquo Conserveries meacutemorielles [En ligne] 14 | 2013 mis en ligne le 01 juillet 2013 consulteacute le 12 janvier 2015 URL httpcmrevuesorg1721 33 SCHOPENHAUER Arthur Le Monde comme volonteacute et comme repreacutesentation trad A BURDEAU Paris PUF 1966 p 239

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plus preacutecise pour eacuteviter le malentendu Parce que seule une ideacutee exacte peut mener

agrave lrsquoaction agrave la reacuteaction juste agrave lrsquoeacuteveacutenement qui se preacutesente et crsquoest ce qui est au

cœur de la vie et de lrsquoœuvre de Peacuteguy Le roman agrave thegravese invite agrave lrsquoaction Peacuteguy

pour sa part nrsquoeacutecrit pas de romans mais tous ses textes appellent agrave lrsquoaction puisque

crsquoest ainsi qursquoil conccediloit le but de lrsquoeacutecriture Crsquoest le travail drsquoun bacirctisseur drsquoun

artisan de la citeacute harmonieuse

Crsquoest pour cela que lrsquoune des questions centrales que pose son œuvre est celle

de la sainteteacute autrement dit un mode drsquoexistence qui incarne pleinement une ideacutee

18

Premiegravere partie

Le saint chez Peacuteguy

19

INTRODUCTION

La sainteteacute ce nrsquoest pas seulement les traits positifs du personnage sa bonteacute

Par exemple dans les romans de Dickens il y a beaucoup de heacuteros positifs mais

leurs qualiteacutes ne les seacuteparent pas des autres personnages Le personnage litteacuteraire

saint nrsquoest pas obligatoirement seacutepareacute des autres agrave la maniegravere de Don Quichotte Les

personnages de saints sont seacutepareacutes des autres par leur point de vue particulier sur le

monde et les gens qui les entourent et aussi par le point de vue particulier de

lrsquoauteur sur eux La voix du saint qui sonne seacutepareacutement des autres voix humaines

se mecircle neacuteanmoins au chœur des hommes en creacuteant une polyphonie du texte Ainsi

lrsquoimage du saint creacutee un espace litteacuteraire

Aude Bonord eacutecrit agrave propos de la Jeanne drsquoArc de Delteil34 que celui-ci

laquo distinguait pour se deacutefendre art et theacuteologie transposition romanesque et veacuteriteacute

dogmatique Cette mise au point visait agrave seacuteparer les objectifs et donc les critegraveres

drsquoeacutevaluation de lrsquohagiographie traditionnelle et de lrsquohagiographie romanesque raquo35

Ces derniers sont tout aussi applicables aux textes de Peacuteguy consacreacutes aux saints

mecircme si ce ne sont pas des romans laquo Ecrire la vie drsquoun saint srsquoinsegravere avant tout

dans une rencontre intersubjective entre le narrateur qui se confond souvent avec

lrsquoauteur et le personnage ainsi qursquoentre le personnage et le lecteur raquo

En tant que lecteurs nous ne sommes pas habitueacutes agrave inclure le saint dans le

systegraveme des personnages litteacuteraires Cependant si on se penche attentivement sur

les textes ougrave le heacuteros principal crsquoest agrave dire comme eacutecrit Maslovsky une personne

laquoqui existe pleinement dans lrsquoart de la paroleraquo est un saint on deacutecouvre qursquoil

interagit avec les autres personnages entre dans le systegraveme des personnages obtient

34 Voir DELTEIL Joseph Jeanne drsquoArc Paris Grasset 2011 35 BONORD Aude Les laquoHagiographes de la main gaucheraquo Variations de la vie de saints au XXe siegravecle Paris Classiques Garnier 2011 p 33

20

un rocircle dans le systegraveme de lrsquoaction36 Nous nous basons sur la deacutefinition du

personnage agrave travers ses actions (V Propp37 et A Greimas38) plus concregravetement les

relations des heacuteros entre eux et le monde qui les entoure (Tz Todorov39) et

lrsquoinscription de lrsquoaction du personnage dans une continuiteacute successive

drsquointerrelations (Cl Breacutemond40)

Le speacutecialiste de theacuteorie litteacuteraire et de narratologie Natan Tamarchenko donne

cette deacutefinition du systegraveme de personnages laquo Le systegraveme de personnages crsquoest une

correacutelation ayant une finaliteacute estheacutetique entre tous les heacuteros (principaux ainsi que

secondaires) drsquoune œuvre litteacuteraire raquo41 Aristote encore eacutecrivait que le personnage

est secondaire agrave lrsquoaction dramatique ou narrative Henry James renverse ce postulat

en parlant de lrsquoaction comme de lrsquoillustration du personnage mais elle ne saurait

ecirctre lrsquoillustration drsquoun seul personnage42 donc il faut un systegraveme qui donne

naissance agrave un dialogue du principe du dialogue naicirct la dynamique de lrsquoœuvre

(M Bakhtine43) Le saint fait partie de ce systegraveme avec les autres personnages mais

en gardant sa particulariteacute sa position laquo agrave part raquo Nous pouvons aussi remarquer

que certains personnages qui ne sont pas des saints laquo canoniseacutes raquo reconnus comme

tels jouent le mecircme rocircle dans le systegraveme des personnages litteacuteraires et ce rocircle

diffegravere des modes drsquoactions laquo traditionnels raquo du heacuteros principal Un heacuteros de

fantasy ainsi qursquoun personnage drsquoune trageacutedie antique peut occuper dans le

systegraveme des personnages la place drsquoun saint

36 ВИ Масловский laquo Литературный герой raquo dans ВМ Кожевников ПА Николаев Литературный энциклопедический словарь Москва (MASLOVSKY Vladimir laquo Le heacuteros litteacuteraire raquo in V Kogevnikov P Nikolaev (dir) Dictionnaire litteacuteraire encyclopeacutedique Moscou 1987 p 195) 37 PROPP Vladimir Morphologie du conte Paris Seuil 1970 38 GREIMAS Algirdas Julien Seacutemantique structurale Paris Larousse 1966 39 TODOROV Tzvetan Symbolisme et interpreacutetation Paris Seuil 1978 40 BREacuteMOND Claude Logique du reacutecit Paris Seuil 1973 41 НД Тамарченко Литературоведческие термины Материалы к словарю Москва (TAMARCHENKO Nathan Terminologie litteacuteraire mateacuteriaux pour un dictionnaire Moscou 2003 p 36) 42 JAMES Henry LrsquoArt de la fiction Paris Klincksieck 1973 43 BAKHTINE Mikhaiumll La Poeacutetique de Dostoiumlevski Paris Seuil 1970

21

Pour comprendre quelle place occupe le saint dans le systegraveme des personnages

litteacuteraires et la maniegravere dont il lrsquooccupe en placcedilant toutefois Dieu agrave part il faut

comparer ce type de heacuteros avec drsquoautres personnages qui pour une raison ou une

autre se trouvent dans une situation laquoagrave partraquo dans le systegraveme des personnages drsquoune

œuvre litteacuteraire

Nous ne prenons pas en compte les paires de heacuteros ou les triangles amoureux

parce que ce type de systegraveme de personnages est fermeacute le plus souvent il nrsquoy a pas

de heacuteros principal Mais nous nrsquoallons pas analyser non plus les systegravemes ou les

rocircles des personnages sont strictement deacutefinis comme dans la comedia dellrsquoarte

etc

Prenons par exemple le heacuteros antique classique que V Khalisev deacutefinit

comme personnage heacuteroiumlque-aventurier le personnage principal des chansons de

gestes ou du roman de chevalerie comme Achille Hercule ou Alan Breck

drsquoEnleveacute et de Katriona de R Stevenson Ce type de heacuteros se distingue des

autres se rend plus visible sur le fond du systegraveme de personnage gracircce agrave son action

et sa capaciteacute de faire ce que les autres personnages ne font pas Cette action peut

reposer dans nrsquoimporte quel domaine Le systegraveme des personnages est indispensable

agrave ce type de heacuteros il doit ecirctre entoureacute les autres constituant le fond laquopassifraquo qui le

laisse agir mecircme si en reacutealiteacute ils font la mecircme chose que lui Hercule agissait seul

mais Hector et Achille eacutetaient agrave la guerre pourtant seuls leurs exploits nous sont

parvenus Un heacuteros repreacutesente un systegraveme de personnages en se faisant remarquer

sur son fond Le heacuteros peut aussi se sacrifier mais sa voie de sacrifice se termine

apregraves lrsquoexploit accompli En cela il diffegravere du bouc eacutemissaire

Comme lrsquoeacutecrit Khalisev

Le personnage heacuteroiumlque-aventurier est une sorte drsquoeacutelu parfois un peu imposteur plein de force et drsquoeacutenergie qui srsquoaccomplit en atteignant des buts exteacuterieurs visibles (dans un diapason tregraves large allant du service de son peuple de la socieacuteteacute de lrsquohumaniteacute agrave une affirmation de soi eacutegoiumlste parfois lieacutee agrave un crime) 44

44 ВЕ Хализев Ценностные ориентации русской классики Москва (KHALISEV Valentin Les Orientations axiologiques de la litteacuterature classique russe Moscou 2005 p 144)

22

Le geacutenie se distingue des autres par sa capaciteacute agrave creacuteer agrave faire surgir ce que les

autres personnages ne peuvent pas Il est proche drsquoun dieu-creacuteateur mais autrement

que le saint son don fait de ce type de personnage un ideacuteal serviteur potentiel de

Dieu mais aussi un transgresseur (lrsquohybris) Le geacutenie peut exister sans le systegraveme

de personnages il nrsquoen a pas besoin puisqursquoil peut le creacuteer lui-mecircme (crsquoest le cas

par exemple du Maicirctre dans Le Maicirctre et Marguerite de M Boulgakov)

Le heacuteros culturel apporte dans le systegraveme de personnages quelque chose de

nouveau qui vient drsquoailleurs drsquoun autre monde Mais le plus souvent il rompt en

mecircme temps avec cet autre monde en choisissant la terre comme le fait par

exemple Promeacutetheacutee Le systegraveme des personnages lui est indispensable il agit agrave

travers ce systegraveme en faisant souvent un choix fatal

Le heacuteros protestataire comme les heacuteros de Byron ou le Faust de Goethe se

soulegraveve contre le systegraveme des personnages le systegraveme lui est indispensable agrave lui

aussi comme pour un heacuteros antique en tant que fond mais pas pour accomplir un

exploit plutocirct pour deacutetruire ou pour srsquoinsurger

Le heacuteros fripon (trickster) comme le picaro espagnol a besoin du systegraveme de

personnages pour en tirer un profit il nrsquoentre pas en dialogue mais lrsquoutilise comme

un instrument

Le heacuteros martyr qui joue un rocircle de bouc eacutemissaire ne peut pas lui aussi

exister sans le systegraveme des personnages puisque sa fonction est de srsquooffrir en

sacrifice pour ce systegraveme et souvent crsquoest tout ce qursquoil a agrave faire

Le heacuteros du type du heacuteros antique ne construit que tregraves rarement un dialogue

avec les autres personnages mecircme si son exploit les sauve le geacutenie encore moins

Le heacuteros culturel peut ecirctre dans un dialogue intensif avec les autres mais il est

coupeacute du monde auquel il a apporteacute du neuf son don au systegraveme des personnages

la parole principale du heacuteros-martyr crsquoest son sacrifice et non ses mots

Le saint est un ami de Dieu et cependant un homme Ainsi il teacutemoigne aux

autres personnages qursquoun autre monde ndash lrsquoau-delagrave ndash existe Dans la litteacuterature

laquo chreacutetienne raquo qui se preacutesente comme telle dans le cas ougrave lrsquoauteur se deacutefinit comme

23

tel ce nrsquoest pas tregraves compliqueacute Le saint teacutemoigne de lrsquoexistence de Dieu devant les

hommes et de lrsquoexistence des hommes face agrave Dieu Parce que Dieu fait partie de

son systegraveme de personnages par une relation une rencontre alors que pour les

hommes qui lrsquoentourent Dieu ne fait pas partie du systegraveme Il peut exister mais il

nrsquoy a pas de dialogue avec Dieu Le saint creacutee un dialogue entre ce monde et lrsquoau-

delagrave Ce dialogue ndash crsquoest le teacutemoignage devant lrsquoautre monde de lrsquoexistence de tout

le systegraveme de personnages (et agrave travers ce systegraveme ndash de toute lrsquohumaniteacute) et le

teacutemoignage devant le systegraveme des personnages de lrsquoexistence drsquoun autre monde

Sergueiuml Averintsev45 propose de diviser la litteacuterature en trois peacuteriodes

principales trois eacutetapes drsquoeacutevolutions qui peuvent se situer agrave des eacutepoques

diffeacuterentes selon le pays la peacuteriode archaiumlque la peacuteriode rheacutetorique et la peacuteriode

de la litteacuterature drsquoauteur La premiegravere peacuteriode que le maicirctre agrave penser drsquoAverintsev

Alexandre Veselovski46 appelait aussi laquo peacuteriode syncreacutetique raquo47 est celle ougrave la vie

et lrsquoart sont encore inseacuteparables lrsquoeacutepoque de lrsquoart rituel La seconde que Averintsev

appelait laquo peacuteriode rheacutetorique raquo (chez Veselovskiy elle est deacutesigneacutee comme

laquo litteacuterature traditionaliste raquo et chez SN Broiumltmann un eacutelegraveve de Bakhtine ndash

laquo litteacuterature eideacutetique raquo48) ndash crsquoest lrsquoeacutepoque ougrave la litteacuterature lrsquoart doivent suivre un

eacutetalon un exemple ideacuteal une tradition La troisiegraveme selon la deacutefinition de

Broiumltmann ndash crsquoest la litteacuterature de la modaliteacute de creacuteation ougrave les traits individuels

de lrsquoœuvre ainsi que son auteur prennent toute leur importance Les vies de saints

le plus souvent appartiennent agrave la litteacuterature de la deuxiegraveme eacutepoque ndash elles suivent

un discours hagiographique strictement deacutefini Plus encore parmi toute la litteacuterature

de la peacuteriode rheacutetorique ndash crsquoest le genre le plus traditionnel Ce qui est lieacute entre

autre agrave la recherche drsquoun chemin spirituel drsquoune maniegravere pratiquement drsquoun

algorithme de la rencontre avec Dieu Dans les vies de saints orientales les plus

45 AVERINTSEV Sergueiuml (1937-2004) historien de la litteacuterature philosophe culturologue et bibliste russe 46 VESELOVSKY Alexandre (1838-1906) theacuteoricien russe de la litteacuterature lrsquoun des creacuteateurs des eacutetudes litteacuteraires compareacutees 47 Веселовский АН Историческая поэтика М 1989 (VESELOVSKY Alexandre Poeacutetique historique Moscou 1989) 48 СН БройтманИсторическая поэтика М 2013 (BROIumlTMAN Samson Poeacutetique historique Moscou 2013)

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anciennes on peut lire ce qui plus tard en Occident sera propre aux Ars Moriendi

la recherche drsquoun chemin universel qui megravene vers Dieu Cependant dans chaque vie

de saint une personne vivante est repreacutesenteacutee dont le chemin est unique Gueorguy

Fedotov49 dans lrsquointroduction de son livre Les saints de la Russie Ancienne eacutecrit

que dans les saints nous recherchons laquo une reacuteveacutelation sur notre propre chemin

spirituel raquo50

La phrase laquo Ange terrestre homme ceacuteleste raquo qui revient dans plus de la moitieacute

des vies de saint orientales (qui en fait remonte agrave la vie de saint Savva eacutecrite agrave

Byzance) deacutefinit parfaitement la place du saint dans le systegraveme des personnages

Lrsquoange est un teacutemoin et envoyeacute le saint lui se tient au carrefour teacutemoigne agrave la

terre ndash du ciel et au ciel ndash de la terre

Il existe deux faccedilons principales drsquo laquo utiliser raquo lrsquoexemple de la vie drsquoun saint

que ce soit une laquo vie raquo canonique ou un texte plus reacutecent La premiegravere est lrsquoimitation

du saint la perception de la vie du saint dans la diachronie je peux aujourdrsquohui

apporter dans ma vie tel ou tel eacuteleacutement de sa vie de lrsquoeacutepoque drsquoil y a longtemps

pour lrsquoimiter La seconde est la quecircte drsquoune rencontre avec Dieu de son propre

dialogue avec le Christ par la recherche dans la vie du saint drsquoun algorithme pour

un dialogue possible aujourdrsquohui jrsquoentre avec ce saint puisqursquoil est eacuteternel comme

avec un guide dans un dialogue avec Dieu Chez Peacuteguy on peut trouver les deux

approches de lrsquoexemplariteacute du saint

49 FEDOTOV Georges (1886-1951) historien philosophe et theacuteologien russe 50 ГП Федотов Святые древней Руси Москва (FEDOTOV Georges Les Saints de la Russie Ancienne Moscou 2000 p 5)

25

CHAPITRE I EXEMPLARITEacuteS

Agrave lrsquoeacutepoque de Charles Peacuteguy lrsquoexemplariteacute occupait une place importante dans

la culture notamment dans la litteacuterature et la production journalistique La

litteacuterature avait un rocircle eacuteducatif important et lrsquoexemple eacutetait consideacutereacute comme la

meilleure faccedilon drsquoeacuteduquer la litteacuterature en particulier dans les romans srsquoefforccedilait

de creacuteer des personnages exemplaires pour inspirer voire guider le lecteur Dans

son livre consacreacute agrave la responsabiliteacute de lrsquoeacutecrivain Gisegravele Sapiro montre que crsquoest

justement vers la fin du XIXe siegravecle agrave la suite de la reacuteflexion sur lrsquoart de lrsquoeacutepoque

romantique que le rocircle de lrsquoeacutecrivain change Elle eacutecrit

La redeacutefinition de la notion drsquoeacutecrivain au XIXe siegravecle sous lrsquoeffet de la division du travail intellectuel de lrsquoavegravenement drsquoun champ politique et la libeacuteralisation du marcheacute du livre va renforcer lrsquoimage de lrsquoeacutecrivain libre et solitaire consacreacutee par le romantisme consolidant du mecircme coup sa responsabiliteacute subjective51

Concernant lrsquoexemplariteacute les personnages exemplaires sont leacutegion dans les

romans agrave thegravese de lrsquoegravere de la responsabiliteacute comme le remarque Pierre Citti52

Peacuteguy pour sa part en amoureux du reacuteel ne veut pas inventer des personnages

modegraveles il les recherche dans lrsquohistoire (Jeanne drsquoArc Geneviegraveve saint Louis) et

parmi ses contemporains

Le courant structuraliste a longuement insisteacute sur les dangers de la confusion de la personne humaine avec le personnage tentation drsquoune critique psychologique pour laquelle celui-ci est lesteacute drsquoun poids ontologique suffisant pour nrsquoecirctre pas essentiellement diffeacuterent drsquoun individu reacuteelraquo Il y a un risque de laquoconfondre une pure creacuteature verbale avec un ecirctre en chair qui en serait le modegravele et le reacutefeacuterent [hellip] Le personnage cristallise un mode de perception courant celui du lecteur habituel le personnage est le vecteur des affects des croyances du lecteur53

Pour ce laquo lecteur habituel raquo le personnage litteacuteraire peut ecirctre un modegravele un

exemple agrave imiter Et crsquoest bien agrave ce lecteur habituel que srsquoadressent les eacutecrits agrave

51 SAPIRO Gisegravele La Responsabiliteacute de lrsquoeacutecrivain litteacuterature droit et morale en France (XIX-XXI siegravecles) Paris Seuil 2011 p 11 52 CITTI Pierre Contre la deacutecadence Histoire de lrsquoimagination franccedilaise dans le roman 1890-1914 Paris PUF 1987 53 GLAUDES Pierre REUTER Yves (dir) Personnage et histoire litteacuteraire Actes du colloque de Toulouse 16-18 mai 1990 Toulouse Presse Universitaires du Mirail 1991 p 7

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lrsquoeacutepoque de Peacuteguy mecircme si Peacuteguy veut que son lecteur soit exigeant et se montre

particuliegraverement exigeant envers lui-mecircme Les figures historiques politiques les

saints repreacutesenteacutes deacutecrits par Peacuteguy sont lagrave pour susciter des affects tels que

lrsquoadmiration lrsquoeacutemerveillement voire la veacuteneacuteration un profond respect et une

reconnaissance en vue de faire naicirctre chez les lecteurs le deacutesir de les imiter De la

sorte ces eacutecrits pourront contribuer agrave la reacutevolution morale la seule vraie reacutevolution

agrave laquelle Peacuteguy peut croire Les personnages qui donnent envie de les suivre de les

imiter peuvent servir de pierres angulaires pour la construction de la citeacute

harmonieuse dont Peacuteguy parle dans lrsquoun de ses premiers textes

Victor-Henri Debidour dans sa confeacuterence de preacutesentation du Cercle Charles

Peacuteguy agrave Lyon en janvier 1963 remarque

Lorsqursquoil choisit lui-mecircme ses laquo exemples raquo Jeanne drsquoArc saint Louis Polyeucte Antigone ce nrsquoest pas seulement pour lrsquolaquo inspiration raquo qursquoil trouve aupregraves drsquoeux mais pour lrsquo laquo intercession raquo qursquoil attend drsquoeux en esprit de foi drsquoespeacuterance et drsquoamour Et ceci degraves le temps de sa premiegravere Jeanne drsquoArchellip54

Dans le Dictionnaire de la theacuteologie chreacutetienne le pegravere Yves Congar eacutetablit

une distinction parmi les types drsquoexemplariteacute dans son article laquo Sainteteacute raquo

Lrsquohistoire des ideacutees soucieuse de classer les grandes attitudes morales esquisse traditionnellement un triple portrait  le sage le heacuteros le saint

Le sage parvient agrave lrsquoeacutequilibre agrave la maicirctrise de soi en associant pratique et theacuteorie action et reacuteflexion Il cultive surtout les vertus drsquoordre de mesure drsquoharmonie de seacutereacuteniteacute Le heacuteros se met au service drsquoune cause qui le deacutepasse et lrsquoentraicircne agrave se deacutepasser lui-mecircme Il se distingue par la force drsquoacircme crsquoest-agrave-dire lrsquoeacutenergie du caractegravere mais aussi la grandeur la noblesse dans le choix des viseacutees Le saint tend agrave la perfection moins par recherche de lrsquointeacutegriteacute que par amour de Dieu (au du divin) dans lrsquoardeur drsquoune foi qui passe au deacutevouement total et agrave lrsquooubli de soi raquo [] Est saint ce qui est mis agrave part laquo seacutepareacute raquo du profane ndash laquo reacuteserveacute raquo aux dieux et redoutable agrave lrsquohomme [] En gros la notion de sainteteacute se construit autour des modegraveles spirituels qui deacuterivent drsquoune philosophie implicite et autour de laquo modegraveles raquo ideacuteologiques qui sont le reflet drsquoun type de sainteteacute [] Le saint peut ecirctre conccedilu comme celui qui se deacutepouille se deacutetache se concentre ou comme celui qui accumule les vertus les gracircces les meacuterites Dialectique de suppression de simplification ou dialectique drsquointeacutegration de totalisation [] Dans le domaine de lrsquoideacuteologie le saint peut ecirctre vivant ou mort mais toujours il remplit des fonctions sociales55

54 DEBIDOUR Victor-Henri laquo La Leccedilon de Peacuteguy raquo Le Porche Bulletin de lrsquoAssociation des Amis de Jeanne drsquoArc et Charles Peacuteguy (Russie Pologne Finlande) ndeg 16 juillet 2004 p 39 55 CONGAR Yves laquo Sainteteacute raquo Dictionnaire de la theacuteologie chreacutetienne Paris Encyclopaedia universalis Albin Michel 1998 p 711-726

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Dans ce chapitre parmi de nombreux types de figures exemplaires comme le

sage eacutevoqueacute par Yves Congar ou le sorcier dont parle Max Weber nous avons fait

le choix de porter notre attention sur le geacutenie le heacuteros et le leader politique parce

qursquoils apparaissent agrave plusieurs reprises dans lrsquoœuvre de Peacuteguy qui emprunte la

figure du geacutenie agrave Michelet et celle du heacuteros agrave Corneille en particulier pour les

comparer aux saints

Peacuteguy privileacutegie les personnages qui creacuteent une relation fondeacutee sur la

reacuteciprociteacute avec les hommes et avec le monde qui les entoure que ce soit dans

lrsquoinstant preacutesent ou agrave travers le temps Pour cette raison on ne trouve pas chez

Peacuteguy le sage dont parle Yves Congar qui selon la deacutefinition de Pierre Centilivres

est certes exemplaire mais il nrsquoa pas besoin de disciples par son eacutequilibre inteacuterieur sa liberteacute morale et sa seacutereacuteniteacute il est le sujet de reacutecit didactiques et peacutedagogiques Lrsquoexemplariteacute qursquoil incarne est semble-t-il modeacutereacutee et reacutefleacutechie bien eacuteloigneacutee des pheacutenomegravenes collectifs drsquoadheacutesion passionneacutee ou drsquoincorporation identitaire56

En revanche influenceacute par Michelet Peacuteguy introduit parmi ses personnages

exemplaires le geacutenie qui selon la classification de Pierre Centilivres est une laquo autre

personnification du surhumain autre modegravele ideacuteal qui tout en eacutetant parfois lrsquoobjet

drsquoun culte apparaicirct comme eacutetant par-delagrave le bien et le mal transcendant

lrsquoopposition entre nature et culture raison et deacuteraisonraquo57

On pourrait dire que les types de personnes exemplaires choisis par Peacuteguy ont

tous une caracteacuteristique commune ils sont ouverts au dialogue que ce soit en

synchronie ou en diachronie bref une rencontre avec eux est possible ce qui

rejoint une donneacutee fondamentale de lrsquoexistence et de la penseacutee de Peacuteguy Un

speacutecialiste de lrsquoœuvre de Peacuteguy Theacuteodore Quoniam analyse profondeacutement la

notion de laquo rencontre raquo chez lrsquoauteur

La vie de Peacuteguy srsquoest deacuterouleacutee sous le signe de la laquo rencontre raquo et dans une volonteacute constante de ressourcement aux sources pures Or il ne faut pas meacuteconnaicirctre que la rencontre est un acte qui se fait au niveau de lrsquoecirctre acte qui rend sensible une preacutesence Elle est bien plus qursquoune simple donneacutee de fait eacutetant reacuteponse agrave un appel Crsquoest la rencontre qui nous permet de deacutevoiler une preacutesence virtuelle elle est donc bien supeacuterieure agrave la deacutecouverte drsquoun objet On ne rencontre pas un objet on le

56 CENTILIVRES Pierre (dir) Saints Sainteteacute et Martyre La fabrication de lrsquoexemplariteacute Neuchacirctel Eacuteditions de lrsquoInstitut drsquoethnologie Paris eacuteditions de la Maison des sciences de lrsquohomme 2001 p 9 57 Ibid p 8

28

deacutecouvre mais la deacutecouverte drsquoune valeur peut devenir une rencontre Peacuteguy a veacutecu tous les degreacutes de la rencontre et en a assumeacute toutes les eacutepreuves Aussi a-t-il pu srsquoeacutelever progressivement agrave lrsquoexpeacuterience drsquoune preacutesence surnaturelle Les rencontres de Peacuteguy peuvent srsquoexprimer en termes apparemment abstraits mais qui pour lui ont pris des visages bien preacutecis il a rencontreacute la Pauvreteacute lrsquoAmitieacute le Socialisme la Patrie la Tradition le Monde Moderne la Foi et lrsquoEspeacuterance [hellip] La rencontre est ouverte agrave la Gracircce Elle permet de discerner derriegravere des laquo notions abstraites raquo des ecirctres concrets pour ainsi dire charnels sainte Geneviegraveve Saint Louis Jeanne drsquoArc la France la Citeacute la Paroisse Chez Peacuteguy le collectif srsquoindividualise toujours srsquoincarne et permet ainsi le dialogue direct vivant Crsquoest ce qui donne agrave son œuvre une audience sans cesse eacutelargie58

1 Les laquo Meneurs raquo

Comme cela arrive souvent aux jeunes gens souhaitant srsquoengager dans la

socieacuteteacute voire dans la politique le jeune Peacuteguy srsquoeacutemerveille devant certaines

personnes dont il voudrait suivre lrsquoexemple Au deacutebut il srsquoengage agrave leurs cocircteacutes puis

il entame sa propre action Mais cette deacutemarche marque le deacutebut drsquoune longue

reacuteflexion sur lrsquoexemplariteacute qui lrsquoamegravenera agrave penser lrsquoheacuteroiumlsme et la sainteteacute drsquoun

cocircteacute et lrsquoexemplariteacute drsquoun peuple le peuple franccedilais de lrsquoautre

Pourquoi avoir choisi cette notion de laquo meneurs raquo Il aurait pu sembler plus

logique drsquoemployer le terme de laquo grand homme raquo qui deacutecrit mieux ces

personnaliteacutes qui reviennent sans cesse dans les textes de Peacuteguy Depuis le XVIIIe

siegravecle grand homme est un terme geacuteneacuterique pour deacutesigner tous les hommes

ceacutelegravebres ayant accompli des exploits les geacutenies les heacuteros les hommes illustres agrave

lrsquoexclusion cependant des saints Crsquoest peut ecirctre lrsquoune des raisons pour lesquelles

Peacuteguy nrsquoemploie que tregraves rarement ce terme ou lrsquoemploie le plus souvent dans un

sens plutocirct peacutejoratif Ceci srsquoexplique notamment par le fait que le pantheacuteon

personnel de Peacuteguy ne correspond que tregraves partiellement au Pantheacuteon des grands

hommes de la Reacutepublique Son propre laquo pantheacuteon raquo est fait de saints de petites

gens de ses maicirctres drsquoeacutecole de ses amis du peuple franccedilais De plus lrsquoemploi de

ce terme chez Peacuteguy est souvent ironique comme le preacutecise Pauline Bernon

58 QUONIAM Theacuteodore La Penseacutee de Peacuteguy Paris Bordas 1967 p 23-24

29

[Bruley] laquo parce qursquoil rabat la grandeur sur lrsquohomme seul et la renvoie au jugement

drsquoune eacutepoque On pourrait dire qursquoil manque de mystique et de misegravere raquo59 Tandis

que dans laquo meneurs raquo il y a une dynamique et une liberteacute offerte drsquoagir autrement

pour le meneacute

Lrsquoexpression laquo meneuse de soldats raquo est tireacutee du premier texte litteacuteraire de

Peacuteguy la trilogie dramatique Jeanne drsquoArc qursquoil a eacutecrite en 1897 apregraves avoir

interrompu dans ce but ses eacutetudes agrave lrsquoEacutecole normale La valeur de cette expression

apparaicirct ambivalente Dans le texte de la piegravece le terme a plutocirct une connotation

neacutegative Jeanne nrsquoest pas un vrai chef de guerre qui commande aux autres parce

qursquoil sait le faire parce qursquoil a lrsquoexpeacuterience de la guerre la force drsquoun guerrier la

vaillance des connaissances en strateacutegie et tactique Jeanne nrsquoest qursquoune meneuse

de soldats que ses capitaines deacutesirant abandonner comparent mecircme agrave un chef de

bande Mais dans le mecircme temps le mot meneur pour Peacuteguy a aussi une reacutesonance

positive en raison de sa signification politique mais aussi en raison de lrsquoallusion agrave

la bergegravere qui megravene son troupeau Pour lui il srsquoagirait drsquoune force inteacuterieure qui

donne le droit de guider les autres cette force vient de ce qursquoil appellera plus tard

vocation mais qursquoil appelle au deacutebut de sa carriegravere le geacutenie en faisant reacutefeacuterence agrave

Michelet Nous reviendrons plus tard dans ce chapitre sur Jeanne drsquoArc qui chez

Peacuteguy est bien plus qursquoune meneuse elle est en effet aussi une heacuteroiumlne une sainte

et un geacutenie dans le sens (incarnation de lrsquoesprit drsquoun peuple) que donnait Peacuteguy agrave

ce mot

Pour commencer nous allons nous inteacuteresser aux contemporains de Peacuteguy

qursquoil consideacuterait comme des exemples agrave suivre donc des meneurs Lrsquoadmiration de

Charles Peacuteguy srsquoest drsquoabord tourneacutee vers les personnes qui se sont engageacutees en

faveur de Dreyfus ceux qui ont combattu en premiegravere ligne pour que justice soit

faite Ils sont nombreux et Peacuteguy est geacuteneacutereux dans sa reconnaissance de leur rocircle

dans lrsquoAffaire Nous avons donc choisi de revenir sur deux cas particuliegraverement

inteacuteressants

59 BERNON [BRULEY] Pauline laquo Le Nom grand homme et ses emplois chez Peacuteguy raquo Lrsquoamitieacute Charles Peacuteguy laquo Peacuteguy les grands hommes et la reacutepublique raquo ndeg 138 avril-juin 2012 p 159

30

a) Eacutemile Zola

En premier lieu donc Zola Il est naturel qursquoun jeune homme qui plus est un

jeune normalien deacutejagrave auteur drsquoune trilogie dramatique sur Jeanne drsquoArc choisisse

un eacutecrivain comme porteur principal de ses valeurs et des valeurs de tous les

dreyfusards ndash ou comme disait Peacuteguy dreyfusistes Certes Jrsquoaccuse y est pour

quelque chose mais pas seulement en cette laquo fin de siegravecle raquo les eacutecrivains prennent

conscience de leur(s) responsabiliteacute(s) agrave lrsquoeacutegard de la socieacuteteacute agrave un moment ougrave on

attend drsquoeux en premier lieu qursquoils guident la jeunesse Dans les 20e et 21e

numeacuteros du Mouvement socialiste dateacutes du 1er et du 15 novembre 1899 Peacuteguy

publie un texte sur Les reacutecentes œuvres de Zola Il y analyse sa Lettre au preacutesident

de la Reacutepublique publieacutee dans LrsquoAurore le 13 janvier 1898 apregraves lrsquoacquittement

drsquoEsterhazy sa Lettre agrave M le ministre de la Guerre publieacutee le 22 janvier 1898

dans LrsquoAurore le roman Feacuteconditeacute le premier des Quatre Eacutevangiles eacutecrit en exil

en 1898-1899 lrsquoarticle Justice publieacute dans LrsquoAurore en juin 1899 lrsquoarticle Le

Cinquiegraveme Acte publieacute dans LrsquoAurore en septembre 1899 enfin sa Lettre agrave Mme

Alfred Dreyfus apregraves la gracircce preacutesidentielle publieacutee dans lrsquoAurore le 22 septembre

1899 Mais surtout on trouve dans ce texte le reacutecit de la rencontre entre Peacuteguy et

Zola Peacuteguy raconte comme il rendit visite au romancier apregraves lrsquoacquittement

drsquoEsterhazy le 11 janvier 1898

Lrsquohomme que je trouvais nrsquoeacutetait pas un bourgeois mais un paysan noir vieilli gris aux traits tireacutes et retireacutes vers le dedans un laboureur de livres un aligneur de sillons un solide un robuste un entecircteacute aux eacutepaules rondes et fortes comme une voucircte romaine assez petit et peu volumineux comme les paysans du Centre Crsquoeacutetait un paysan qui eacutetait sorti de sa maison parce qursquoil avait entendu passer le coche Il avait des paysans ce que sans doute ils ont de plus beau cet air eacutegal cette eacutegaliteacute plus invincible que la perpeacutetuiteacute de la terre Il eacutetait trapu Il eacutetait fatigueacute Il avait une assurance coutumiegravere commode Son assurance lui eacutetait familiegravere Il avait une impuissance admirable agrave srsquoeacutetonner de ce qursquoil faisait une extraordinaire fraicirccheur agrave srsquoeacutetonner de ce que lrsquoon faisait de laid de mal de sale [hellip] Je ne lrsquoai plus revu mais je lrsquoai retrouveacute dans ses actes et dans ses œuvres (I 244-245)

Tout ce que Peacuteguy va admirer durant toute sa vie tout ce qui selon lui rend un

homme exemplaire on peut le retrouver dans ce portrait lrsquoamour du travail

lrsquohumiliteacute face au fruit de ses efforts lrsquoinnocence qui rend possible lrsquoespeacuterance

31

gracircce agrave un perpeacutetuel eacutetonnement devant le mal de ce monde lrsquoindivisibiliteacute de la

personne de sa vie et de ses actes de son œuvre

b) Jean Jauregraves

On retrouve ces mecircmes traits personnels dans le portrait proposeacute par Peacuteguy

drsquoun autre meneur de cette eacutepoque Jean Jauregraves

Apregraves avoir fondeacute la librairie Georges Bellais agrave lrsquoaide de la dot de sa femme ndash

il vient de se marier en 1899 ndash Peacuteguy entreprend de publier un choix de texte de

Jauregraves dans un recueil intituleacute Action socialiste Dans lrsquoarticle de promotion du

premier volume publieacute dans La petite reacutepublique socialiste le 7 juillet 1899 le ton

est donneacute

Pendant les longs mois que dura la preacuteparation attentive de la premiegravere seacuterie toutes les heures et toutes les forces de Jauregraves eacutetaient prises par la grande bataille donneacutee pour la justice et pour la veacuteriteacute aussi les eacutediteurs durent-ils composer eux-mecircmes cette premiegravere seacuterie sous leur seule responsabiliteacute (I 209)

Jauregraves est drsquoembleacutee preacutesenteacute par Peacuteguy comme un laquo chevalier sans peur et sans

reproche raquo luttant pour la justice et la veacuteriteacute agrave la tecircte drsquoune armeacutee ne pouvant pas

abandonner ses troupes et laissant agrave de jeunes pousses la tacircche secondaire de la

propagande de ses ideacutees Peacuteguy parle de textes ayant une laquo valeur drsquoaction raquo et

mecircme une laquo valeur de conversion [hellip] nous voulions seulement aller chercher

dans le passeacute de lrsquoorateur et de lrsquoeacutecrivain tout ce qui nous peut servir agrave preacuteparer

lrsquoavenir raquo (ibid) Ici Peacuteguy donne agrave Jauregraves une allure de preacutedicateur de guide

presque religieux puisque dans ces quelques lignes il parle de conversion il voit

aussi en lui une sorte de prophegravete puisqursquoil parle de preacuteparation de lrsquoavenir

Puis dans un style reacutepeacutetitif insistant qui annonce deacutejagrave ce qui sera la maniegravere

parfois obseacutedante de Peacuteguy drsquoimposer sa penseacutee avec une preacutecision qui ne laisse

aucune possibiliteacute drsquoeacutequivoque puisqursquoil preacutesente lui-mecircme toutes les

interpreacutetations possibles de son ideacutee initiale Peacuteguy preacutesente Jauregraves comme un

modegravele un homme vivant sincegravere et exemplaire

Qursquoon nous permette drsquoy insister plus encore peut-ecirctre que la souveraine eacuteloquence de certains discours plus que la deacutebordante indignation de certains cris

32

plus que la jeune fraicirccheur de certains poegravemes plus que toute la poeacutesie plus que toute la philosophie plus mecircme que lrsquoamour de la vie cette sinceacuteriteacute retiendra le cœur des hommes solides Qursquoon nous entende bien il ne srsquoagit eacutevidemment pas ici de la sinceacuteriteacute ordinaire il est trop eacutevident qursquoelle nrsquoest pas agrave mettre en cause Mais un assez grand nombre drsquohommes qui ne sont sincegraveres que ordinairement ne veulent pas ou ce qui revient presque au mecircme ils ne savent pas voir tout le reacuteel comme il se preacutesente et ils font des systegravemes de poeacutesie ou des systegravemes de philosophie Rare est le vrai poegravete et le vrai philosophe celui qui nrsquoignore pas qui ne meacuteprise pas le reacuteel celui qui srsquoen nourrit qui en nourrit incessamment son œuvre celui qui ne devient pas chef drsquoeacutecole qui ne devient pas chef de parti qui ne devient pas chef de poegravetes ou de philosophes ou de partisans mais qui resteacute homme libre propose agrave des hommes qui restent libres une œuvre drsquoart de poeacutesie de philosophie drsquoaction nourrie incessamment de la vie universelle (I 209)

Cette citation nous en dit long sur le jeune Peacuteguy on y trouve deacutejagrave en germe

tous les traits qui seront caracteacuteristiques de lrsquoauteur Agrave ses yeux lrsquoexemplariteacute de

Jauregraves nrsquoest pas lieacutee au fait qursquoil est un chef drsquoeacutecole ou de parti ce qui nrsquoest

assureacutement pas le plus frappant aux yeux de Peacuteguy son admirateur Jauregraves nrsquoest pas

un chef il est un meneur de par sa nature et donc en raison de sa laquo sinceacuteriteacute raquo

Plus tard Peacuteguy critiquera agrave maintes reprises lrsquoesprit de systegraveme qui lrsquoindigne tant

par exemple dans Heureux les systeacutematiques Ceux qui construisent des systegravemes

sont pour lui des menteurs dans la mesure ougrave quel que soit leur systegraveme celui-ci

exclut toujours une part du reacuteel Une vraie propheacutetie ne parle pas de lrsquoavenir elle

reflegravete le reacuteel ce qui permet drsquoentrevoir lrsquoavenir en srsquoappuyant sur ce reacuteel crsquoest en

cela que Jauregraves constitue aux yeux de Peacuteguy un prophegravete Une vraie action ne peut

ecirctre fondeacutee qursquoagrave la condition de srsquoinspirer du reacuteel les textes drsquoun meneur doivent

nourrir une action la sinceacuteriteacute de Jauregraves eacutetant ce qui reacuteunit sa personnaliteacute agrave sa

perception du reacuteel et rend possible la conception drsquoune action future

Dans un long texte intituleacute La preacuteparation du congregraves socialiste national

publieacute dans le deuxiegraveme et le troisiegraveme cahier de la toute premiegravere seacuterie des Cahiers

de la quinzaine en 1900 Peacuteguy reacutefleacutechit agrave la possibiliteacute de laquo faire des

personnaliteacutes raquo dans un discours politique Il donne deux sens agrave cette expression Le

premier commun est peacutejoratif il renvoie agrave lrsquoallusion deacuteplaisante visant une

personne particuliegravere utiliseacutee comme argument dans un discours Mais Peacuteguy

utilise aussi le sens dans une deuxiegraveme acception qursquoil place drsquoailleurs dans la

bouche drsquoun interlocuteur imaginaire le laquo citoyen docteur socialiste reacutevolutionnaire

moraliste internationaliste raquo (I 339-340) comme il le fera souvent plus tard

33

Dans lrsquoordre de la connaissance continua le docteur faire des personnaliteacutes ne peut avoir qursquoun sens attribuer agrave certaines personnaliteacutes une action donneacutee Je suppose que tel eacuteveacutenement se produise on dira que nous faisons des personnaliteacutes si nous attribuons agrave telle personnaliteacute telle part dans ces eacuteveacutenements (I 344)

On voit gracircce agrave cette explication combien ce sujet eacutetait important pour Peacuteguy

pourquoi il y consacre autant de pages il lui fallait en effet justifier son admiration

pour certaines personnes comme faisant partie de lrsquoaction si lrsquoaction consiste au

moins agrave lrsquoune de ses eacutetapes agrave se mettre dans les pas drsquoun meneur drsquohomme il faut

en laquo faire une personnaliteacute raquo crsquoest-agrave-dire reconnaicirctre sa part dans le reacuteel drsquoun

eacutevegravenement Peacuteguy introduit donc son portrait de Jauregraves par ces mots laquo Puisque

nous pouvons et devons faire des personnaliteacutes dans lrsquoordre de la connaissance

voulez-vous que nous reconnaissions lrsquoaction personnelle de Jauregraves dans les reacutecents

eacuteveacutenements raquo (I 353) Ce portrait de Jauregraves est un paneacutegyrique dans lequel on

trouve plusieurs eacuteleacutements du style de la prose de Peacuteguy non seulement les

reacutepeacutetitions mais aussi les assonances ou encore la multiplication des structures

binaires et ternaires Degraves le deacutebut de ce portrait de Jauregraves Peacuteguy le preacutesente comme

lrsquoexemple possible non drsquoun homme politique drsquoune personnaliteacute laquo en vue raquo mais

drsquoun homme tout court drsquoun homme dont la morale est exemplaire et rend possible

une action inteacuterieure et exteacuterieure exemplaire

Ainsi Jauregraves nrsquoest pas devenu socialiste par un coup de la gracircce par la lecture drsquoun livre par la vue drsquoun homme ou par un eacuteveacutenement particulier Mecircme on peut dire qursquoil nrsquoest pas devenu socialiste Il a toujours eacuteteacute socialiste au sens large de ce mot La culture geacuteneacuterale qursquoil avait reccedilue la philosophie qursquoil enseignait enveloppaient deacutejagrave le socialisme qui nrsquoavait plus qursquoagrave se deacutevelopper et agrave srsquoarmer De mecircme que toute civilisation harmonieuse acheveacutee sincegraverement aboutit agrave lrsquoeacutetablissement de la citeacute socialiste de mecircme toute culture vraiment humaine vraiment harmonieuse acheveacutee sincegraverement aboutit agrave lrsquoeacutetablissement de la penseacutee socialiste dans la conscience individuelle Si bien que la question que lrsquoon doit se poser agrave lrsquoeacutegard de tout homme harmonieusement cultiveacute nrsquoest pas de savoir comment et pourquoi il pourra devenir socialiste mais bien de savoir comment et pourquoi il pourrait bien ne pas devenir socialiste ne pas avoir au moins la penseacutee socialiste Et quand la penseacutee est devenue socialiste la rudesse des eacuteveacutenements lrsquoacircpreteacute des reacutesistances lrsquoinsolence de lrsquoinjustice lrsquoincessante insinuation du mensonge la pourriture des jalousies et la barbarie des haines se chargent bien de donner agrave celui qui a la penseacutee socialiste la vigueur drsquoagir en socialiste (I 354-355)

Le socialisme nrsquoest pas un mouvement politique ni mecircme une maniegravere de

penser il est une faccedilon drsquoecirctre une forme drsquoexistence Jauregraves nrsquoest pas un

laquo guide raquo il megravene les hommes derriegravere soi parce qursquoil incarne cette existence par

une action qui vient de lrsquointeacuterieur

34

La penseacutee de la transmission des geacuteneacuterations futures et donc de

lrsquoenseignement qui sera toujours importante pour Peacuteguy se retrouve au deacutebut de ce

texte sur Jauregraves Peacuteguy parle du discours de Jauregraves agrave la Chambre prononceacute le 21

octobre 1886 dans lequel Jauregraves insiste sur la neacutecessiteacute de ne rien dissimuler au

peuple et sur lrsquoobligation de creacuteer un enseignement sincegravere ougrave le doute soit preacutesenteacute

en tant que doute Quelques mois plus tocirct Peacuteguy parlait de Jauregraves comme drsquoun

homme totalement sincegravere et gracircce agrave cela fidegravele au reacuteel et pouvant incarner le reacuteel

Voilagrave qursquoil le preacutesente maintenant comme celui qui procircne cette sinceacuteriteacute dans

lrsquoenseignement afin de deacutemontrer justement que Jauregraves incarne cet esprit de

sinceacuteriteacute et drsquointeacutegriteacute qui permet drsquoecirctre dans la reacutealiteacute des eacutevegravenements et donc de

pouvoir entrer dans lrsquoaction Pour Peacuteguy lrsquoenseignement mecircme lrsquoenseignement

primaire devrait en effet preacuteparer agrave lrsquoaction

Et par-delagrave les ideacutees il y a lrsquohomme Jauregraves celui qui avait fortement

impressionneacute le jeune Peacuteguy non seulement par sa laquo fonction raquo sa capaciteacute

drsquoharanguer les foules drsquoecirctre celui qui megravene les autres agrave lrsquoaction en allant de

lrsquoavant mais aussi par sa personnaliteacute plus intime Peacuteguy parle ainsi de sa laquo tristesse

inteacuterieure raquo (I 357) Il deacutecrit sa maniegravere de parler agrave la foule et preacutesente Jauregraves

comme un homme entier sans division inteacuterieure ce qui repreacutesente pour Peacuteguy une

vertu indispensable pour ecirctre un meneur pour lui en effet la penseacutee la parole et

lrsquoaction doivent œuvrer ensemble

Puis la lourde et robuste puissance de sa penseacutee commenccedilait agrave se mouvoir dans la force drsquoabord un peu grinccedilante et dans la puissance un peu sourde de sa parole qui prenait aux entrailles [hellip] Et son discours srsquoimposait toujours admirablement composeacute comme une œuvre classique servi par une voix soudain devenue claire et merveilleusement puissante Rien drsquoartificiel rien drsquoappris dans la forme La force de la penseacutee portait la force de la forme Le geste surtout nrsquoavait rien de factice Il nrsquoavait pas les gestes habituels des orateurs mais des gestes drsquoouvrier manuel enfonccedilant les ideacutees dans le bois de la tribune appuyant du pouce pour insister gestes rudes et lourds instinctivement faits par son eacutepaisse carrure de montagnard ceacutevenol [hellip] il avait un sentiment une connaissance exacte et reacutealiste de la reacutealiteacute vivante Crsquoest pour cela qursquoil voulait qursquoen attendant que la reacutevolution sociale fucirct parfaite et justement pour bien faire cette reacutevolution sociale toute lrsquohumaniteacute devicircnt et demeuracirct belle et sainte et digne de sa prochaine fortune (I 358)

Ce texte contient plusieurs des ideacutees-phares de Peacuteguy comme la neacutecessiteacute drsquoun

travail bien fait bien construit et cependant reacutealiseacute avec une grande sinceacuteriteacute et une

sorte de spontaneacuteiteacute Peacuteguy valorise la force de penseacutee traduite par la force de la

35

forme sans le recours agrave aucun mot ou geste factice Notons que Peacuteguy appliquait

cette mecircme exigence agrave ses propres textes crsquoest ainsi que dans ce paneacutegyrique on

peut notamment observer plusieurs fois de nombreuses assonances en r comme

par exemple dans cette phrase laquo srsquoenfoncer dans sa pourriture et preacutecipiter sa

propre ruine raquo Les textes de Peacuteguy qui parfois semblent peu construits le sont en

reacutealiteacute dans les moindres deacutetails y compris dans la maniegravere dont les mots reacutesonnent

Dans ce texte Peacuteguy parle aussi de la grande culture de Jauregraves qui lui

permettait de puiser dans tout lrsquoheacuteritage du passeacute tout en reacutepondant agrave lrsquoappel du

reacuteel Il contient aussi cette ideacutee qursquoon retrouve souvent chez Peacuteguy selon laquelle la

reacutevolution doit drsquoabord se faire dans les acircmes pour que naisse une nouvelle

socieacuteteacute crsquoest lrsquohumaniteacute qui doit changer et crsquoest aussi lrsquohomme qui doit changer

ce qui implique de commencer par soi-mecircme Et pour que chacun puisse changer il

faut des exemples agrave suivre crsquoest pour cette raison que Peacuteguy propose agrave ses lecteurs

ce portrait de Jauregraves eacuterigeacute en exemple

Il eacutetait lui-mecircme un vivant exemple de ce que peut et de ce que vaut un socialisme ainsi vivifieacute ainsi humaniseacute par la consideacuteration respectueuse de lrsquohumaniteacute passeacutee de toute lrsquohumaniteacute preacutesente et future [hellip] Traiteacutees par lui les affaires du socialisme ne cessaient jamais drsquoecirctre les affaires de lrsquohumaniteacute drsquoecirctre des affaires humaines [hellip] Loin que cette largeur et cette universaliteacute affaiblicirct sa force reacutevolutionnaire il y puisait au contraire les eacuteleacutements premiers de sa conviction il y trouvait les puissantes bases de son assurance de sa robustesse de sa soliditeacute vigoureuse montrant ainsi que lrsquoeacutetroitesse de la penseacutee nrsquoest nullement neacutecessaire agrave la vigueur de lrsquoaction que la petitesse des vues nrsquoest pas le gage neacutecessaire de la soliditeacute (I 359)

Pour Peacuteguy les hommes se reacutevegravelent dans la confrontation aux eacuteveacutenements Il

poursuit donc son portrait de Jauregraves qursquoil appelle lui-mecircme laquo essai drsquohistoire

personnelle raquo (I 388) (un essai empli de citations parfois longues de plusieurs

pages) par le reacutecit de la participation de Jauregraves agrave lrsquoaffaire Dreyfus Ce nrsquoest pas un

hasard si Peacuteguy ne parle pas de paneacutegyrique ou de portrait mais bien drsquohistoire Ce

qursquoil fait ce nrsquoest pas seulement un portrait parce que le personnage de Jauregraves est

situeacute dans une peacuteriode historique et a eacuteteacute ameneacute agrave agir en fonction drsquoeacuteveacutenements

dont il nrsquoeacutetait pas le protagoniste Peacuteguy ne deacutecrit donc pas Jauregraves participant agrave

lrsquoaffaire Dreyfus il raconte lrsquohistoire de lrsquoAffaire en montrant quelle part y a pris

Jauregraves quel eacutetait son rocircle mais en preacutecisant bien qursquoil nrsquoa pas eacuteteacute agrave lrsquoorigine du

36

combat en faveur de Dreyfus Peacuteguy veut en revanche montrer comment lrsquoAffaire a

reacuteveacuteleacute lrsquohomme Jauregraves en mettant en eacutevidence son geacutenie

Lrsquoaffaire Dreyfus qui devait modifier si profondeacutement la situation et lrsquoaspect des partis politiques en France qui devait modifier si profondeacutement les dispositions de tant drsquoesprits et de tant de cœurs dans la France et dans le monde a commenceacute comme il eacutetait naturel par exercer son action preacuteciseacutement sur les hommes qui la firent sur les hommes qui travaillegraverent et combattirent pour la justice et pour la veacuteriteacute La grandeur et la beauteacute de lrsquoœuvre encore inacheveacutee aujourdrsquohui se refleacutetegraverent drsquoabord sur les ouvriers de cette œuvre Il est certain que depuis le commencement de lrsquoaffaire Dreyfus ou plutocirct depuis qursquoils ont commenceacute lrsquoaffaire Dreyfus le colonel Picquard Zola Clemenceau Francis de Pressenseacute tant drsquoautres sont devenus des hommes nouveaux non pas nouveaux en ce sens qursquoils seraient devenus diffeacuterents de ce qursquoils eacutetaient avant mais nouveaux en ce sens que des parties entiegraveres de leur talent de leur geacutenie de leur caractegravere de leur acircme insoupccedilonneacutees jusqursquoalors et qui pouvaient rester insoupccedilonneacutees toujours se sont soudain reacuteveacuteleacutees avec un eacuteclat incomparable Jauregraves fut de ces hommes (I 368)

Crsquoest sans aucun doute lrsquoimage de Jauregraves devenu lrsquoincarnation mecircme du

socialisme qui nourrira plus tard chez Peacuteguy un ressentiment amer et insurmontable

jusqursquoagrave deacuteterminer un rejet total de Jauregraves incarner une forme drsquoexistence et

preacutesenter une ideacutee sont deux choses bien distinctes qui nrsquoont ni la mecircme valeur ni

le mecircme poids Pour Peacuteguy en effet on peut changer drsquoideacutee mais on ne peut pas

cesser drsquoincarner quelque chose crsquoest une trahison agrave ses yeux mecircme si son point

de vue est tregraves subjectif Peacuteguy fait ses adieux agrave son maicirctre en politique dans une

longue digression placeacutee au deacutebut drsquoun texte intituleacute Courrier de Russie dans le

cinquiegraveme Cahier de la septiegraveme seacuterie (19111905) Il y preacutesente son collaborateur

en Russie Etienne Avenard qui est en mecircme temps le correspondant de

LrsquoHumaniteacute le journal de Jauregraves pour mieux le mettre en valeur il compare

Avenard agrave drsquoautres collaborateurs de Jauregraves qursquoil juge moins bons Cela lui fournit

drsquoabord lrsquooccasion drsquoexprimer son amertume quant agrave lrsquoacceptation du combisme par

quelqursquoun qursquoil jugeait exemplaire ndash Peacuteguy bien que violemment anticleacuterical agrave cette

eacutepoque-lagrave nrsquoait jamais eacuteteacute drsquoaccord avec les lois combistes ndash puis de raconter son

amitieacute passeacutee avec Jauregraves Il eacutevoque ainsi laquo une admiration commune et ancienne raquo

(II 75) leurs promenades la lecture des classiques ainsi que leur derniegravere entrevue

peu de temps apregraves la publication dont il srsquoagit ici Peacuteguy cite lui-mecircme les mots de

Jauregraves qui cernent ce qui causera plus tard leur deacutesaccord ou plutocirct le rejet

unilateacuteral de Peacuteguy dans la mesure ougrave Jauregraves a toujours gardeacute de lrsquoestime pour son

jeune ami laquo Vous Peacuteguy vous avez un vice Vous vous repreacutesentez vous avez la

37

manie drsquoimaginer la vie de tout le monde autrement que les titulaires eux-mecircmes

nrsquoen disposent Et drsquoen disposer agrave leur place pour eux raquo (II 76)

Dans ce texte de 1905 Peacuteguy se montre plein de tristesse et de regrets Plus

tard ses propos sur Jauregraves deviendront de plus en plus violents Crsquoest que Jauregraves est

pour Peacuteguy non seulement un meneur mais aussi un geacutenie or le geacutenie pour lui

nrsquoest pas celui qui se distingue par un don particulier crsquoest celui qui incarne lrsquoesprit

drsquoun peuple Par sa position pacifiste Jauregraves avait aux yeux de Peacuteguy cesseacute

drsquoincarner le peuple franccedilais trahissant du mecircme coup son pays soi-mecircme et son

geacutenie

2 Le saint et le geacutenie

Les geacutenies chez Peacuteguy sont laquoles heacuteritiers contemporains du royaume de la

gloireraquo ils nrsquoappreacutecient que laquola solitude seuleraquo aiment les laquogrands ancecirctresraquo et laquola

grande posteacuteriteacute les grands descendants les grands heacuteritiersraquo (II 182) mais pas

leurs contemporains Contrairement aux saints qui aiment la communion et la

fraterniteacute les geacutenies veulent ecirctre seuls comme Dieu est seul

Dans sa reacuteflexion sur le geacutenie Peacuteguy srsquoinspire beaucoup de Jules Michelet

Dans Par ce demi-clair matin un texte posthume eacutecrit comme la suite de Notre

Patrie en 1905 dans un contexte de grande anxieacuteteacute par rapport agrave la patrie

confronteacutee agrave lrsquoeacuteventualiteacute drsquoune guerre imminente et sous le choc de la deacutemission

du ministre des affaires eacutetrangegraveres Delcasseacute suite agrave lrsquoincident de Tanger Peacuteguy

eacutecrit

Le problegraveme de la reacutesidence du geacutenie dans de pauvres hommes est un des problegravemes les plus difficiles qui se soient jamais poseacutes agrave la psychologie agrave lrsquohistoire agrave la morale une solution extrecircme la solution limite par en bas sera naturellement celle ougrave la reacutealiteacute mecircme du geacutenie sera reacuteduite agrave zeacutero et cette solution limite cette solution minima non moins naturellement sera la solution de Michelet (II 210)

Cette question porte deacutejagrave sur lrsquoIncarnation laquo le mystegravere theacuteologique du Dieu

fait homme et demeurant dans lrsquohomme en le mettant agrave lrsquoabri raquo (II 221) comment

38

quelque chose de divin peut-il demeurer dans un simple et pauvre homme un

peacutecheur Drsquoailleurs quelques pages plus tard Peacuteguy lui-mecircme compare ce

questionnement aux interrogations sur la diviniteacute du Christ

Si lrsquoon considegravere la theacuteologie eacutetude ou connaissance de Dieu comme une limite ougrave tend la psychologie et la morale eacutetude ou connaissance de lrsquohomme comme une partie de la meacutetaphysique eacutetude ou connaissance de lrsquoecirctre on peut poser que le problegraveme de la diviniteacute du Fils de lrsquoHomme est comme une limite ougrave tend le problegraveme du geacutenie dans lrsquohomme et que tous deux ensemble ils sont deux aspects particuliers du problegraveme total de la personnaliteacute dans lrsquoecirctre (II 221)

Plus tard crsquoest la personne du saint qui donnera agrave Peacuteguy la reacuteponse agrave cette

question Mais en novembre 1905 Peacuteguy apporte deux reacuteponses Drsquoabord il

compare le mystegravere de la Triniteacute et celui des deux natures du Christ au concept du

deacutedoublement de la personnaliteacute dont on parlait beaucoup agrave cette eacutepoque il pense

que le problegraveme du geacutenie est de mecircme nature le geacutenie manifestant drsquoune part une

preacutesence du divin dans lrsquohumain le plus humble humain et drsquoautre part une forme

de deacutedoublement de personnaliteacute La diffeacuterence entre le saint et le geacutenie est du

domaine de la transformation voire de la transfiguration le geacutenie inspireacute par le

divin produit des œuvres geacuteniales et il teacutemoigne du divin par ces œuvres mais il

peut en mecircme temps rester un homme meacutediocre ce dont Peacuteguy parle dans ce mecircme

texte en eacutevoquant des querelles de geacutenies le mauvais caractegravere de Corneille etc Le

saint pour sa part est un homme qui change lui-mecircme agrave lrsquoapproche du divin il est

donc possible qursquoaucune laquo œuvre raquo ne soit produite par cette rencontre mais crsquoest

bien la personne qui est neacuteanmoins transfigureacutee laquo Le mystegravere est le mecircme du Dieu

fait homme du Dieu fils de lrsquoHomme du Dieu descendu en un homme vivant et

reacutesidant en lui que du geacutenie fait homme du geacutenie neacute vivant mourant dans un

homme et reacutesidant en lui raquo (II 220)

La deuxiegraveme reacuteponse agrave cette question du laquo pauvre homme raquo geacutenial Peacuteguy la

deacuteveloppe en partant du Peuple de Michelet qui eacutecrit laquo Crsquoest un fait remarquable

que la plupart des hommes de geacutenie ont une preacutedilection particuliegravere pour les

enfants et les simples60 raquo Dans la mesure ougrave le geacutenie a plutocirct besoin de ceux qui

60 MICHELET Jules Le peuple Paris Comptoir des eacutediteurs reacuteunis 1846 p 241

39

accueilleront le fruit de son action de sa vie ce sont les enfants les simples qui

auront le cœur le plus ouvert le plus disponible et attentif

Les simples sympathisent agrave la vie et ils ont en reacutecompense ce don magnifique qursquoil leur suffit du moindre signe pour la voir et la preacutevoir Crsquoest lagrave leur parenteacute secregravete avec lrsquohomme de geacutenie Ils atteignent souvent sans effort par simpliciteacute ce qursquoil obtient par la puissance de simplification qui est en lui en sorte que le premier du genre humain et ceux qui semblent les derniers se rencontrent tregraves bien et srsquoentendent Ils srsquoentendent par une chose leur sympathie commune pour la nature pour la vie qui fait qursquoils ne se complaisent que dans lrsquouniteacute vivante (II 244)

On retrouve aussi chez Peacuteguy ce souсi de lrsquouniteacute et de la puissante

simplification dont Peacuteguy fait lrsquoapanage des simples Dans Par ce demi-clair matin

il propose un long passage sur le geacutenie et le peuple Le geacutenie dont parle Peacuteguy ne

simplifie pas mais il apparaicirct lui-mecircme comme un reacutesumeacute une sorte de

laquo simplification raquo lrsquoexpression pure drsquoune race qursquoil repreacutesente et qui nrsquoest pas la

race des geacutenies mais celle de ses parents des ouvriers des paysans celle drsquoougrave il

vient et celle vers laquelle il tend laquo toute lrsquoessence est dans la segraveve qui monte de la

race Tout homme de geacutenie a derriegravere lui un immense peuple un peuple

silencieux raquo (II 186) Michelet disait agrave ce propos

Si le geacutenie agrave travers les divisions les anatomies fictives de la science conserve en lui toujours un simple qui ne consent jamais agrave la vraie division qui tend toujours agrave lrsquouniteacute qui craint de la deacutetruire dans la plus petite existence crsquoest que le propre du geacutenie crsquoest lrsquoamour de la vie mecircme lrsquoamour qui fait qursquoon la conserve et lrsquoamour qui la produit61

En repreacutesentant sa race son peuple ses aiumleux le geacutenie les voue agrave lrsquoeacuteterniteacute de

lrsquohistoire sans lui ils seraient laquo promis agrave la mort ndash agrave la mort de lrsquohistoire sinon agrave la

mort eacuteternelle raquo (II 186)

Dans sa thegravese consacreacutee agrave lrsquohistoire et au mystegravere chez Peacuteguy Teresa Martin

Sanz souligne le rocircle du geacutenie dans la meacutemoire

Mais qursquoest-ce qui diffeacuterencie pour Peacuteguy les œuvres de geacutenie En quoi se distinguent-elles drsquoautres tentatives de repreacutesentation Crsquoest le fait de reacuteussir agrave inscrire en mecircme temps que lrsquoeacuteveacutenement laquo la profondeur raquo lrsquohomme de geacutenie remonte le courant de lrsquoecirctre et en teacutemoigne En lui seul la contrarieacuteteacute fondamentale qui seacutepare ceux qui pensent de ceux qui produisent est abolie62

61 Ibid p 245 62 MARTIN SANZ Teresa Jeanne drsquoArc et Peacuteguy Lrsquohistoire face au mystegravere thegravese de 3e cycle preacutesenteacutee agrave lrsquouniversiteacute de Provence 1987 p 65

40

Pour Peacuteguy lrsquohomme de geacutenie possegravede le mecircme pouvoir qursquoun roi antique ou

meacutedieacuteval il a la capaciteacute de repreacutesenter un peuple plus encore que de le gouverner

Le geacutenie nrsquoest ni le meilleur ni le plus singulier des hommes il est celui en qui se

cristallise lrsquoacircme drsquoun peuple et en mecircme temps il est celui qui se nourrit le plus

dans son travail de la meacutemoire du peuple qursquoil repreacutesente Ainsi le geacutenie pour

Peacuteguy crsquoest par excellence lrsquohomme profondeacutement enracineacute dans son eacutepoque

De cet immense peuple monte la segraveve qui refleurira dans ses œuvres et qui dans ses fruits fructifiera de cette immense race monte le sang de ses veines silencieux ils vivent leur vie et meurent leur mort et leur nom mecircme disparaicirct aussitocirct de la meacutemoire de lrsquohumaniteacute ces hommes disparaissent de lrsquohumaniteacute ils en disparaicirctraient totalement deux survivances les sauvent de la mort humaine la survivance du sang transporteacute de geacuteneacuteration en geacuteneacuteration les sauve de la mort dans lrsquoexistence de lrsquohumaniteacute la survivance du geacutenie les sauve de la mort dans la meacutemoire de lrsquohumaniteacute (II 187)

Grande est par conseacutequent la responsabiliteacute du geacutenie aux yeux de Peacuteguy il est

responsable de son peuple en tant que teacutemoin ce qui implique aussi que

laquo supprimant son teacutemoignage il supprime aussi le teacutemoin qursquoil est il se supprime

lui-mecircme il supprime son geacutenie raquo (I 194) La trahison passe selon Peacuteguy par les

laquo mondaniteacutes raquo agrave savoir la freacutequentation des philosophes artistes poegravetes hommes

drsquoaction divers En effet ces freacutequentations relegravevent drsquoune communication

horizontale qui coupe le geacutenie du peuple dont il est issu alors mecircme qursquoil doit

teacutemoigner pour ce peuple en rendant manifestes ses qualiteacutes essentielles Le geacutenie

en tant que teacutemoin ne peut donc pas se permettre une communication horizontale

propre agrave le corrompre agrave le distraire et surtout agrave lui faire perdre la distance par

rapport au preacutesent cette distance qui lui permet preacuteciseacutement drsquoecirctre un teacutemoin Le

geacutenie teacutemoin tel qursquoil est deacutecrit par Peacuteguy est par excellence lrsquoacteur du dialogue et

de la succession Il rassemble en lui la meacutemoire du peuple dont il est issu en

gardant la distance par rapport au preacutesent il est capable aussi de manifester cette

meacutemoire mais surtout comme geacutenie il repreacutesente son peuple il en garde le treacutesor

il le transmet aux geacuteneacuterations futures qui ne se souviendront peut-ecirctre pas du peuple

de leurs ancecirctres mais se souviendront de leurs geacutenies Ce rocircle de lrsquoacteur du

dialogue et de la dureacutee sera celui que Peacuteguy accordera au saint qui en plus de

teacutemoigner devant la posteacuteriteacute teacutemoigne aussi par sa vie de lrsquoIncarnation Dans son

41

livre Solitude de Peacuteguy J-P Dubois-Dumeacutee parle de laquo lrsquoinvention raquo terme

bergsonien qui deacutecrit lrsquoune des fonctions du geacutenie dans lrsquohistoire

Lrsquoinspiration des grands geacutenies la gracircce des saints font dans ce qui meurt la relegraveve de la vie remettent un fagot au foyer qui srsquoeacuteteint pour en reacutenover lrsquoardeur Tout en dernier ressort revient agrave lrsquoindividu Selon la conception bergsonienne chegravere agrave Peacuteguy il y a une laquo invention raquo en morale et le progregraves srsquoopegravere par des personnaliteacutes drsquoexception Son action degraves lors est un appel constant aux forces mateacuterielles et spirituelles engageacutees dans la dureacutee63

Michelet rapproche le geacutenie et le saint par une autre voie celle des qualiteacutes

morales il deacutefinit le geacutenie notamment par sa bonteacute Cette caracteacuteristique disparaicirct

de la reacuteflexion de Peacuteguy sur le geacutenie parce qursquoil deacutecrit plutocirct sa fonction dans le

monde que sa personnaliteacute propre Cependant le geacutenie chez Peacuteguy nrsquoest pas

seulement un talent repreacutesentatif drsquoun peuple ou drsquoune eacutepoque car agrave la diffeacuterence

du talent selon la thegravese de Franccediloise Gerbod

le geacutenie ne srsquoappartient pashellip Version peacuteguyste de lrsquoinspiration combien riche et profonde lrsquoinspiration crsquoest la segraveve de la jeunesse non pas de la jeunesse de lrsquoeacutecrivain mais celle toujours jeune du peuple qui le soutient jamais le geacutenie ne se laquo repreacutesente lui-mecircme raquo Sinon il ne serait pas un geacutenie64

Ce qui rassemble encore Jules Michelet et Charles Peacuteguy dans leur reacuteflexion

sur le geacutenie crsquoest lrsquoideacutee du rafraicircchissement du renouvellement qursquoapporte le

geacutenie non seulement il est le repreacutesentant du peuple sa quintessence mais il est

aussi celui qui garantit une espeacuterance une possibiliteacute de nouveau en puisant dans le

passeacute et mecircme en se reacutepeacutetant en eacutetant fidegravele agrave soi Peacuteguy va parler plus tard de la

laquo petite fille espeacuterance raquo comme en eacutecho agrave Michelet qui eacutecrivait laquo Le geacutenie a le

don drsquoenfance comme ne lrsquoa jamais lrsquoenfant raquo65 Selon Franccediloise Gerbod le geacutenie

laquo exprime une reacutealiteacute venant de si loin que tout geacutenie se ressemblant agrave lui-mecircme se

redit drsquoune certaine maniegravere dans toutes ses œuvres comme Monet refait ses

nympheacuteas raquo66

Lrsquoexemple le plus eacutevident du geacutenie chez Peacuteguy crsquoest Victor Hugo son poegravete

preacutefeacutereacute Peacuteguy parle dans plusieurs textes du poegravete dont il connaissait des centaines

63 DUBOIS-DUMEacuteE Jean-Pierre Solitude de Peacuteguy Paris Plon 1946 p 166 64 GERBOD Franccediloise Peacuteguy lecteur de Corneille thegravese soutenue en 1969 agrave lrsquoUniversiteacute de Nanterre p 5 65 MICHELET Jules opcit p 247 66 GERBOD Franccediloise opcit p 10

42

de vers par cœur Dans Victor-Marie comte Hugo au deacutebut des Dialogue de

lrsquohistoire et de lrsquoacircme paiumlenne et dans drsquoautres textes Partout il souligne la

diffeacuterence entre lrsquohomme et son œuvre il meacuteprise presque le romantisme de Hugo

non pas drsquoun point de vue estheacutetique mais drsquoun point de vue ideacuteologique il rejette

ses choix politiques et le fait mecircme qursquoil ait fait de la politique laquo Cet antique ce

geacutenie unique ce paiumlen unique cet homme drsquoun geacutenie unique eacutetait ravageacute drsquoau

moins un double politicien un politicien de politique qui le fit deacutemocrate et un

politicien de litteacuterature qui le fit romantique raquo (II 747) Et pourtant Hugo reste un

geacutenie aux yeux de Peacuteguy car son œuvre est celle drsquoun geacutenie qui renouvelle la

langue franccedilaise qui repreacutesente le peuple franccedilais par ses eacutecrits qui en devient le

visage lrsquoincarnation Non seulement il renouvelle la langue mais encore il porte un

regard nouveau sur le monde comparable au regard de Dieu creacuteateur laquo II avait

reccedilu ce don unique entre les hommes il avait reccedilu ce don plus jeune que les

anciens avant les anciens il avait reccedilu ce don de voir la creacuteation comme si elle

sortait ce matin des mains du Creacuteateur raquo (Ibid) Mais selon lrsquoarticle de Pierre

Albouy qui analyse les liens complexes entre Charles Peacuteguy et Victor Hugo pour

Peacuteguy laquo Hugo crsquoest la preacutesence de la vie dans tous les moments de la succession

temporelle Il manque le sens que donne lrsquoassomption dans lrsquoeacuteternel Agrave la pleacutenitude

hugolienne manque lrsquoachegravevement chreacutetien raquo67

Ce qui rapproche le geacutenie selon Jules Michelet des geacutenies saints et heacuteros de

Peacuteguy crsquoest le fait qursquoil agisse et transforme le monde autrement dit crsquoest sa

fonction de bacirctisseur de la nouvelle citeacute laquo Lrsquoacircme de lrsquohomme de geacutenie cette acircme

visiblement divine puisqursquoelle creacutee comme Dieu crsquoest la citeacute inteacuterieure sur laquelle

nous devons modeler la citeacute exteacuterieure afin qursquoelle soit divine aussi raquo68 On retrouve

cette ideacutee dans la premiegravere œuvre litteacuteraire et philosophique de Peacuteguy Marcel ou le

dialogue de la citeacute harmonieuse Plus tard en revenant sur sa jeunesse socialiste

dans Notre jeunesse Peacuteguy eacutevoquera la neacutecessiteacute drsquoopeacuterer drsquoabord une reacutevolution

morale dans son acircme pour passer ensuite agrave une action exteacuterieure et devenir un heacuteros

67 ALBOUY Pierre laquo Peacuteguy et Hugo raquo Revue drsquoHistoire litteacuteraire de la France 73e Anneacutee ndeg 23 Peacuteguy Mars ndash Juin 1973 p 254-263 p 262 68 MICHELET Jules Michelet opcit p 257

43

3 Le saint et le heacuteros

Le heacuteros est toujours exemplaire Au temps de Peacuteguy lrsquoeacuteducation agrave lrsquoeacutecole

primaire met en exergue lrsquoheacuteroiumlsme on valorise le courage le patriotisme on

preacutepare les enfants agrave deacutefendre la Patrie Les heacuteros proposeacutes aux enfants des eacutecoles

primaires sont des exemples au point de vue moral Plus tard dans lrsquoenseignement

secondaire crsquoest Corneille qui se retrouve au centre drsquoune eacuteducation animeacutee par un

eacutelan patriotique et mettant deacutesormais en valeur la volonteacute plus que lrsquohonneur Cette

eacuteducation a marqueacute en profondeur lrsquoeacutelegraveve et le futur eacutecrivain Charles Peacuteguy elle

peut expliquer lrsquoimportance qursquoil donne aux heacuteros et la signification qursquoil donne agrave

cette notion

Pour bien comprendre lrsquooriginaliteacute de la vision du heacuteros propre agrave Peacuteguy il

convient drsquoabord de se reacutefeacuterer au sens que lrsquoon donne ordinairement agrave ce terme Le

Treacutesor de la Langue Franccedilaise Informatiseacute (TLFi) donne plusieurs deacutefinitions du

mot laquo heacuteros raquo

IA Ecirctre fabuleux la plupart du temps drsquoorigine mi-divine mi-humaine diviniseacute apregraves sa mort

IB Personnage leacutegendaire auquel la tradition attribue des exploits prodigieux

IIA 1Homme femme qui incarne dans un certain systegraveme de valeurs un ideacuteal de force drsquoacircme et drsquoeacuteleacutevation morale

Homme femme qui fait preuve dans certaines circonstances drsquoune grande abneacutegation

Combattant(e) remarquable par sa bravoure et son sens du sacrifice

IIA2 Homme femme qui porte un trait de caractegravere agrave son plus haut degreacute

Homme femme qui se distingue dans une activiteacute particuliegravere

IIB 1 Principal personnage masculin ou feacuteminin drsquoune œuvre artistique

Homme femme auxquels arrivent des aventures extraordinaires qui semblent sorties de lrsquoimagination drsquoun romancier

Personnage masculin ou feacuteminin propre agrave un auteur agrave un genre agrave une eacutepoque

IIB2 Homme femme qui joue le rocircle principal (dans un eacuteveacutenement)

Dans le regard que Peacuteguy porte sur le heacuteros et lrsquoheacuteroiumlsme on retrouve plusieurs

de ces significations Ainsi le haut prix du travail pour Peacuteguy donne un sens

particulier agrave la deacutefinition mecircme du heacuteros comme laquo homme femme qui se distingue

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dans une activiteacute particuliegravere raquo puisque cette distinction fait de cet homme ou de

cette femme dans les yeux de Peacuteguy un laquo ecirctre fabuleux raquo incarnant laquo un ideacuteal de

force drsquoacircme et drsquoeacuteleacutevation morale raquo

Jeanne drsquoArc est une heacuteroiumlne classique qui correspond pleinement agrave la premiegravere

deacutefinition du dictionnaire elle a une vie cacheacutee avant de vivre une eacutepiphanie

heacuteroiumlque elle apporte le neufhellip Cependant Peacuteguy ne fait pas de sa trilogie ni de

son Mystegravere de la chariteacute un classique reacutecit heacuteroiumlque il montre lrsquoenfance la vie

cacheacutee de Jeannette le lieu et le temps ougrave srsquoenracine le heacuteros

Dans le Dialogue de lrsquohistoire et de lrsquoacircme charnelle Peacuteguy parle aussi des

heacuteros antiques des demi-dieux Ce qui reacuteunit chez Peacuteguy le heacuteros le saint et le

geacutenie crsquoest en effet le fait qursquoils deacutetiennent leur force drsquoailleurs dans la mesure ougrave

ils puisent dans la meacutemoire et dans la race Comme lrsquoexplique Franccediloise Gerbod

La voix de la meacutemoire engloutie reacuteveilleacutee par lrsquoeacutevegravenement suggegravere agrave lrsquohomme en de certains moments critiques des actes qui viennent drsquoun au-delagrave de lui-mecircme et par lagrave le rattachent agrave travers les geacuteneacuterations agrave tout une famille spirituelle une communauteacute humaine69

Cette voix selon Franccediloise Gerbod a aussi le pouvoir de reacuteunir les saints les

geacutenies et les heacuteros entre eux par une forme de communion La litteacuterature fabrique en

quelque sorte les heacuteros gracircce agrave diffeacuterents proceacutedeacutes lrsquoagrandissement et le

merveilleux eacutepique la deacuteification et la recircverie heacuteroiumlque De la sorte le heacuteros laquo nrsquoest

pas un homme-dieu mais un homme divin raquo70 suivant la deacutefinition de Philippe

Sellier Pour Peacuteguy crsquoest plutocirct lrsquoadmiration qui megravene agrave lrsquoimitation du personnage

heacuteroiumlque et exemplaire lrsquoincarnation drsquoune force la distinction par les actes Agrave

propos du heacuteros chez Peacuteguy Pauline Bernon[-Bruley] eacutecrit

Lrsquoestime de Peacuteguy va aux heacuteros ou aux voix qui fondent ou repreacutesentent une civilisation et reacutesonneront toujours conjurant la mort temporelle Antigone Hypatie les dreyfusards disqualifieacutes Bernard-Lazare Polyeucte mecircme le Cid et Seacutevegravere Jeanne drsquoArc saint Louis croiseacute anachronique donnent agrave Peacuteguy la repreacutesentation tragique Ces figures repreacutesentent le peuple lrsquohumaniteacute dans un theacuteacirctre de veacuteriteacute aux valeurs universelles Lrsquoattention que Peacuteguy porte agrave ses piegraveces preacutefeacutereacutees ne donne donc pas lieu agrave des commentaires sur la psychologie des personnages mais agrave la puissance de reacuteveacutelation de leurs choix

69 GERBOD Franccediloise op cit p 66-67 70 SELLIER Philippe Le Mythe du heacuteros Paris-Bruxelles-Montreacuteal Univers des lettres Bordas 1970 p 24

45

La critique de Peacuteguy eacutepouse alors la forme drsquoun parallegravele fileacute dans une architecture de reacutefeacuterences ougrave textes et hommes entretiennent des relations drsquoimitation71

Ses lectures assidues de Jules Michelet offrent un cadre et donnent une

direction agrave la penseacutee de Peacuteguy sur lrsquoheacuteroiumlsme On trouve chez Michelet ces mots

La faculteacute du deacutevouement la puissance du sacrifice crsquoest je lrsquoavoue ma mesure pour classer les hommes Celui qui lrsquoa au plus haut degreacute est plus pregraves de lrsquoheacuteroiumlsme Les supeacuterioriteacutes de lrsquoesprit qui reacutesultent en partie de la culture ne peuvent jamais entrer en balance avec cette faculteacute souveraine72

Peacuteguy emprunte agrave Michelet cette ideacutee que le heacuteros crsquoest non seulement celui

qui accomplit des exploits remarquables mais aussi celui qui se deacutevoue et se

sacrifie en ce sens il se rapproche du saint qui srsquooublie et se donne Dans son

eacutetude Peacuteguy Lrsquoaxe de deacutetresse le philosophe Jean-Noeumll Dumont observe agrave ce

sujet

Le heacuteros nrsquoest tel que par son acte et son acte est toujours singulier saisissant une circonstance unique de lui seul aperccedilue On nrsquoest pas heacuteros par disposition ni agrave temps plein mais parce que telle situation dans sa contingence fait entendre un appel Certes cet appel le heacuteros comme Jeanne drsquoArc srsquoest preacutepareacute agrave lrsquoentendre en cultivant sa vie inteacuterieure en rejetant les geacuteneacuteraliteacutes Le systeacutematique obseacutedeacute par les lois geacuteneacuterales est reacutesigneacute avant tout eacuteveacutenement Le heacuteros ne se soumet pas parce qursquoil est ce singulier en tacircche drsquoune mission singuliegravere73

De ces reacuteflexions deacutecoulera laquo cette conception de la sainteteacute militante qui

marquera ainsi tout le christianisme du XXe siegravecle raquo74 dans la mesure ougrave pour

Peacuteguy comme pour le heacuteros corneacutelien le salut peut se trouver dans lrsquoacte qui nous

engage entiegraverement qui reacutegeacutenegravere tout notre ecirctre faisant de chacun de nous un

homme nouveau

a) Polyeucte

Finalement la frontiegravere entre le heacuteros et le saint chez Peacuteguy apparaicirct comme

tregraves fine Peacuteguy aime les saints militants qui agissent et les heacuteros qui se sacrifient

71 BERNON [BRULEY] Pauline laquo Peacuteguy critique lrsquoenvers du tragique raquo Revue drsquohistoire litteacuteraire de la France ndeg 3 2005 (vol105) p 573-586 (p 573) 72 MICHELET Jules opcit p 18 73 DUMONT Jean-Noeumll Peacuteguy Lrsquoaxe de deacutetresse Michalon Paris 2005 p 69 74 SELLIER Philippe op cit p 171

46

La diffeacuterence entre les deux reacuteside sans doute surtout dans leur rapport au monde

au travail pour un saint laquo lrsquoexploit raquo peut aussi bien ecirctre accompli dans le travail

quotidien que dans un contexte proprement heacuteroiumlque drsquoautre part le saint creacutee un

lien une possibiliteacute de dialogue avec lrsquoAutre qui ne fait pas partie du rocircle du

personnage heacuteroiumlque Le personnage principal de la trageacutedie de Corneille Polyeucte

ainsi que Jeanne drsquoArc se trouvent au centre du travail de Peacuteguy car ils preacutesentent

tous deux la particulariteacute drsquoecirctre agrave la fois heacuteros et saints

Peacuteguy juge que tous les personnages de Corneille sont toucheacutes par la gracircce et

se trouvent agrave la limite entre le heacuteros et le saint Dans Victor-Marie comte Hugo il

eacutecrit

Ainsi tout le romain de Polyeucte est deacutejagrave en germe en origine dans Horace et le chreacutetien y est deacutejagrave doublement triplement annonceacute promis par lrsquoheacuteroiumlsme par le civique par une sorte de sainteteacute anteacuterieure par une rigueur par une rudesse (qui se retrouvera srsquoentendre dans Polyeucte et qui est deacutejagrave si tendre en reacutealiteacute dans Horace et surtout dans le vieil Horace) (III 310)

La preacutefeacuterence de Peacuteguy pour Corneille et ses reacuteticences agrave lrsquoeacutegard de Racine

trouvent leurs origines justement dans le souci drsquoexemplariteacute preacutesent chez lrsquoauteur

de Polyeucte Peacuteguy choisit Corneille justement parce que contrairement agrave Racine

il ne deacutecrit pas les hommes comme ils sont mais comme ils devraient ecirctre il donne

vraiment lrsquoexemple un exemple stoiumlcien et chreacutetien

Dans un texte intituleacute De la situation faite au parti intellectuel dans le monde

moderne devant les accidents de la gloire temporelle Peacuteguy reacutefleacutechit longuement

sur le heacuteros et sur le saint Ce texte a eacuteteacute publieacute dans le premier Сahier de la

neuviegraveme seacuterie le 6 octobre 1907 il fait partie drsquoune seacuterie de textes consacreacutes agrave

lrsquohistoire au monde moderne et agrave un deacutebut drsquoune reacuteflexion sur la sainteteacute Peacuteguy

pense que le heacuteros comme le geacutenie qui drsquoapregraves Michelet repreacutesente son peuple

repreacutesente toute sa race il laquo y puise ineacutepuisablement une force ineacutepuisable de

joie raquo (II 761) Ses forces ne tarissent point Un peu plus tocirct dans un texte eacutecrit en

reacuteponse agrave la critique par Georges Sorel du roman Jean Coste publieacute dans les

Cahiers de la quinzaine De Jean Coste Peacuteguy en parlant des repreacutesentations de

lrsquoheacuteroiumlsme dans la litteacuterature va mecircme plus loin il va en effet jusqursquoagrave affirmer

47

Toutes les misegraveres humaines exigent du courage et je ne serais pas eacutetonneacute que dans la penseacutee des grands poegravetes classiques les grands personnages fussent les repreacutesentants eacuteminents de toute lrsquohumaniteacute [hellip] Ils ne sont pas drsquoune classe eacuteminente mais ils sont toute lrsquohumaniteacute consideacutereacutee sur un plan eacuteminent comme le roi repreacutesentait le royaume (I 900-901)

Ce texte date du 13 feacutevrier 1902 En 1902 Peacuteguy tendait agrave attribuer au heacuteros

lrsquoune des qualiteacutes qursquoil attribuera plus tard au saint agrave savoir la laquo sainteteacute

anteacuterieure raquo comme il le deacutefinira plus tard dans Victor-Marie comte Hugo Au

centre de la preacuteoccupation de Peacuteguy agrave cette eacutepoque se trouvait la misegravere ce que lrsquoon

appelle souvent aujourdrsquohui lrsquoexclusion La pauvreteacute selon Peacuteguy peut ecirctre digne

mais non la misegravere Crsquoeacutetait la raison pour laquelle il tenait tant agrave publier ce roman

drsquoAntonin Lavergne Jean Coste ou lrsquoinstituteur du village histoire drsquoun instituteur

provincial acculeacute au suicide par sa misegravere75

Lagrave encore il trouve matiegravere agrave reacuteflexion dans lrsquoœuvre de Corneille

concregravetement dans Polyeucte comme cela arrive souvent agrave Peacuteguy lorsqursquoil aborde

un sujet important pour lui

Franccediloise Gerbod auteur drsquoune thegravese sur Peacuteguy et Corneille analyse de faccedilon

deacutetailleacutee la maniegravere dont la lecture de Corneille reacutevegravele le deacuteveloppement de la

maniegravere dont Peacuteguy pense la sainteteacute et lrsquoheacuteroiumlsme

Si Corneille est au cœur des meacuteditations de Peacuteguy sur lrsquoheacuteroiumlsme deacutejagrave en 1901 il srsquoagit drsquoun heacuteroiumlsme ougrave la part du deacutetachement des choses de ce monde est plus grande que celle de la conquecircte mecircme de celle de sa propre grandeur [hellip] Deacutejagrave agrave cette eacutepoque la sainteteacute sous un aspect symbolique qui nrsquoa pas encore reacuteveacuteleacute son nom laquo briser les images des faux-dieux par manifestation de la vie nouvelle raquo est preacutefeacutereacute agrave un heacuteroiumlsme conqueacuterant et personnel Il nous semble donc faux de soutenir que Peacuteguy lecteur de Corneille a drsquoabord aimeacute choisi lrsquoheacuteroiumlsme et qursquoil a ensuite eacutevolueacute vers la sainteteacute Car visiblement si toutes les richesses symboliques dont le personnage de Polyeucte est chargeacute ne sont pas encore tregraves claires agrave ses yeux Peacuteguy est obseacutedeacute par Polyeucte et par Polyeucte seul Les autres personnages de Corneille

75 Le roman Jean Coste ou lrsquoInstituteur du village a eacuteteacute lrsquoune des raisons de la brouille entre Peacuteguy et la Socieacuteteacute nouvelle de librairie et drsquoeacutedition qui a repris la librairie Georges Bellais creacuteeacutee par Peacuteguy apregraves sa faillite Peacuteguy avait proposeacute de publier ce roman dans la librairie au moment ougrave il nrsquoy eacutetait plus que laquo deacuteleacutegueacute agrave lrsquoeacutedition raquo mais Leacuteon Blum Lucien Herr et leurs collegravegues ont jugeacute que lrsquoauteur exageacuterait et ils ont refuseacute la publication drsquoun texte jugeacute doloriste et non actuel sur le plan politique Crsquoeacutetait peut-ecirctre la derniegravere goutte pour Peacuteguy pour qui la lutte contre lrsquoexclusion la misegravere devait ecirctre au centre de toute action socialiste Agrave la fin de 1899 Peacuteguy propose agrave la CNLE de creacuteer un nouveau peacuteriodique qui donnera lrsquoinformation de la quinzaine mais ayant encore une fois essuyeacute un refus il se lance dans la creacuteation des Cahiers de la quinzaine Le premier cahier parait le 5 janvier 1900 Peacuteguy publiera le roman de Lavergne en 1901

48

pour lui ne sont que des eacutebauches imparfaites de ce heacuteros ideacuteal ndash ce qursquoil explicitera seulement par la suite76

Franccediloise Gerbod souligne lrsquouniteacute la coheacuterence de lrsquoœuvre de Peacuteguy qui

contrairement aux ideacutees reccedilues nrsquoa pas veacutecu de changement radical de sa vision de

lrsquohumain crsquoest la sainteteacute qui lrsquointeacuteresse en 1901 comme en 1914 mais en 1901 il

lui donne parfois drsquoautres noms

Dans sa reacuteponse agrave Sorel agrave propos de Jean Coste en 1902 Peacuteguy preacutesente les

stoiumlciens et les reacutevolteacutes comme ceux qui repreacutesentent les modestes et les humbles

dans cette perspective Jean Coste apparaicirct comme le repreacutesentant de tous les

miseacuterables et Polyeucte comme le heacuteros qui repreacutesente tous les martyrs

laquo obscurs raquo inconnus Il nrsquoest donc pas seulement un heacuteros il est aussi un martyr et

un saint ce qui donne une autre dimension agrave ses actes heacuteroiumlques Le heacuteros

repreacutesente une race ou mecircme lrsquohumaniteacute entiegravere mais le saint intercegravede pour

lrsquohumaniteacute devant Dieu et teacutemoigne de Dieu devant les hommes il teacutemoigne par

lrsquoincarnation dans sa vie des gracircces reccedilues en deacutefiant le temps lrsquoespace en restant

pleinement homme au contact de lrsquoautre afin de creacuteer un dialogue et de rendre

possible une Rencontre Dans ce petit texte eacutecrit dans une peacuteriode ougrave Peacuteguy eacutetait

totalement anticleacuterical on entrevoit toutefois ce qui sera plus tard le fondement de

sa penseacutee sur la sainteteacute Il eacutecrit agrave propos du personnage de Polyeucte laquo Polyeucte

a briseacute les images des faux dieux par manifestation de vie nouvelle non pour

tragiquer sa mort raquo (I 901) Cette laquo manifestation de la vie nouvelle raquo teacutemoigne de

la gracircce reccedilue et de la possibiliteacute drsquoune vie nouvelle au moment de la mort et au-

delagrave de la mort Franccediloise Gerbod montre dans sa thegravese comment le personnage de

Polyeucte dans les diffeacuterentes peacuteriodes de la vie de Peacuteguy devient le repreacutesentant de

la cause qui anime lrsquoauteur au deacutebut Polyeucte est un anarchiste qui brise les

idoles plus tard il est en premier lieu un heacuteros antique puis crsquoest son intercession

pour Pauline qui devient centrale pour Peacuteguy

Lrsquoacte individuel de Polyeucte se reacuteinscrit ainsi dans une vision collective Il nrsquoest plus lrsquoanarchiste le reacutevolteacute individualiste mais le repreacutesentant de tous les martyrs obscurs de ceux qui teacutemoignent de la force de la veacuteriteacute et qui malgreacute leur apparent eacutechec reacutegeacutenegraverent le monde en transformant sa conscience ndash Antigone ndash Jeanne drsquoArc ndash Jeacutesus

76 GERBOD Franccediloise op cit p 61- 62

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En un sens Polyeucte peut signifier aux yeux de Peacuteguy agrave cette eacutepoque le militant socialiste La vie nouvelle qui se manifeste en lui nrsquoest pas apparemment le christianisme mais son dynamisme le pousse deacutejagrave agrave deacutetruire les images des faux-dieux les idoles qui viennent remplacer le Dieu que les socialistes ont refuseacute [hellip] Polyeucte apparaicirct en effet dans lrsquoœuvre de Peacuteguy agrave cette eacutepoque agrave travers la violence mecircme de son geste le bris des idoles Plus tard drsquoautres attitudes retiendront davantage son apologiste Celle-ci correspond particuliegraverement bien agrave son eacutetat drsquoesprit entre 1900 et 190877

Cinq ans plus tard dans De la situationhellip Peacuteguy eacutetablit une claire distinction

entre le heacuteros et le saint Le heacuteros repreacutesente la race et srsquoinscrit dans une histoire et

une eacutepoque donneacutee alors que le saint repreacutesente la gracircce et srsquoinscrit dans lrsquoeacuteterniteacute

Il y a neacuteanmoins entre eux une relation de figuration le heacuteros figure le saint et

lrsquoeacuteternel dans le temporel Franccediloise Gerbod explique que la notion de figure chez

Peacuteguy est de provenance biblique parce que dans la Bible laquo les eacuteveacutenements se

figurent les uns les autres raquo les naissances drsquoenfants chez les femmes consideacutereacutees

comme steacuteriles figurent la naissance de Jeacutesus le passage de la mer Rouge par les

juifs fuyants lrsquoEacutegypte figure la reacutesurrection du Christ etc laquoLa figure est toujours un

eacutevegravenement reacuteel concret plein en lui-mecircmehellip mais signifiant plus que lui-mecircme

introduisant agrave une veacuteriteacute non encore pleinement reacuteveacuteleacuteeraquo explique Franccediloise

Gerbod Peacuteguy semble-t-il est influenceacute par Pascal dans lrsquoemploi de ce mot qursquoil

utilise pour deacutecrire le lien entre la vie concregravete des hommes et sa signification

biblique et plus largement ndash son sens spirituel Peacuteguy emploie souvent le mot

laquo figure raquo quand il parle de lrsquoIncarnation Dans lrsquoœuvre de Peacuteguy Franccediloise Gerbod

interpregravete Le Cid comme une figure de Polyeucte et lrsquoheacuteroiumlsme comme une figure

de la sainteteacute Dans De la Situation lrsquoideacutee de figure

est nettement appliqueacutee agrave la forme mecircme de lrsquoœuvre corneacutelienne le paralleacutelisme des stances du Cid et de celles de Polyeucte est reconnu Mais la figuration donne aussi un sens agrave lrsquoœuvre puisque le sang de sa race ougrave le heacuteros puise sa force est mis en parallegravele avec le sang de la gracircce qui est la communion de saints que la joie du heacuteros humain figure celle du heacuteros chreacutetien ndash du Saint78

En parlant des franccedilais qui ont fait la Reacutevolution dont il eacutevoque lrsquoheacuteroiumlsme

Peacuteguy dit qursquoen deacutepit de leurs souffrances ils eacutetaient heureux parce qursquoils

participaient agrave lrsquoeacutevegravenement laquo Leur pied nu a obtenu de lrsquoinstrument monde une

reacutesonance un retentissement que nul nrsquoen a tireacute depuis raquo (II 752) La participation agrave 77 GERBOD Franccediloise op cit p 59 78 Ibid p 130

50

un eacutevegravenement creacutee en effet pour lui la possibiliteacute de demeurer dans la meacutemoire

donc de rester eacuteternel dans le temps elle permet laquo que le bruit des pas que lrsquoon a

faits sur cette route ne puisse plus srsquoeffacer de la meacutemoire des peuples raquo (ibid) De

plus Peacuteguy est persuadeacute que celui qui participe agrave un eacutevegravenement propre agrave changer le

cours de lrsquohistoire en est totalement conscient

Des hommes un peuple une nation une race un homme qui obtient drsquoavoir de la puissance temporelle une fortune temporelle une histoire temporelle srsquoen aperccediloit aussitocirct voyons Ces gars-lagrave nrsquoeacutetaient pas si becirctes Ils savaient tregraves bien il savaient parfaitement quand ils posaient au moment mecircme qursquoils posaient leur pied dans la poussiegravere ou dans la boue des routes que nulle poussiegravere jamais nrsquoeffacerait que nulle boue jamais ne deacutetremperait que nul autre souvenir que nulle autre trace jamais nrsquoabolirait la trace de leur pas qursquoils creacuteaient une trace indeacuteleacutebile que le bruits de leur pas srsquoentendrait toujours dans lrsquohistoire des bruits de lrsquohistoire que le traceacute se lirait toujours que la trace de leurs pas se verrait temporellement toujours dans la meacutemoire du monde (II 756-757)

Le heacuteros chez Peacuteguy se deacutefinit donc par son rapport au temps au preacutesent agrave

lrsquohistoire Le heacuteros nrsquoest pas vraiment celui qui accomplit un exploit ou qui diffegravere

particuliegraverement des autres devient tel celui qui a pu discerner dans le cours de

lrsquohistoire lrsquoeacutevegravenement et y participer dans la mesure ougrave laquo ecirctre heacuteroiumlque crsquoest

accueillir lrsquoeacutevegravenement crsquoest faire face raquo79 Le prophegravete discerne les eacuteveacutenements

dans le temps mais il nrsquoagit pas forceacutement le saint vit chaque instant comme

lrsquoavegravenement de Dieu et donc comme un eacuteveacutenement le heacuteros est reacuteveacuteleacute par

lrsquoeacuteveacutenement Dans De la situation Peacuteguy donne cette deacutefinition de lrsquoheacuteroiumlsme

Or lrsquoheacuteroiumlsme est essentiellement une vertu un eacutetat lrsquoaction heacuteroiumlque est essentiellement une opeacuteration de santeacute de bonne humeur de joie mecircme de gaiteacute presque de blague une action une opeacuteration drsquoaisance de largesse de faciliteacute de commoditeacute de feacuteconditeacute de bien allant de maicirctrise et de possession de soi drsquohabitude presque pour ainsi dire et comme drsquousage de bon usage De feacuteconditeacute inteacuterieure de force comme drsquoune belle eau de source de force puiseacutee dans le sang de la race et dans le propre sang de lrsquohomme un trop-plein de segraveve et de sang (II 759)

Dans ce fragment Peacuteguy souligne visiblement le caractegravere presque anodin des

actes du heacuteros ce nrsquoest pas un homme qui est exceptionnel gracircce agrave ce qursquoil fait

mais il se maicirctrise et se possegravede pour entrer dans lrsquoeacuteveacutenement il puise sa force

dans sa race dans le passeacute ce qui permet de participer aux eacuteveacutenements dans le

preacutesent cependant que sa feacuteconditeacute inteacuterieure permet agrave lrsquoeacuteveacutenement de srsquoouvrir vers

le futur lrsquoeacuteterniteacute

79 GERBOD Franccediloise op cit p 65

51

Le heacuteros chez Peacuteguy joue crsquoest lrsquoune des sources de sa joie En srsquoinspirant de

Bergson Peacuteguy semble en effet concevoir le jeu comme une forme particuliegravere de

rapport au preacutesent qui rend possible et organise la rupture creacuteeacutee par le comique le

heacuteros qui se reacutevegravele dans lrsquoeacuteveacutenement joue en agissant le saint pour sa part qui se

reacutevegravele dans la dureacutee ne joue pas La source de sa joie est diffeacuterente

Comme le heacuteros temporel puise dans la force de sa race une force ineacutepuisable de joie ainsi dans un ordre autre dans un ordre infiniment supeacuterieur le saint le vrai saint puise dans lrsquoopeacuteration de la gracircce dans la force de lrsquoopeacuteration de la gracircce une force ineacutepuisable de joie Il nrsquoy a pas plus de saint grognons qursquoil nrsquoy a de heacuteros grognons (II 761)

Le heacuteros selon Peacuteguy est une sorte de figuration du saint La figuration peut

ecirctre comprise comme une sorte de jeu au sens ougrave un acteur joue et ougrave lrsquoon parle de

jeu theacuteacirctral crsquoest une repreacutesentation une mise en situation dans un eacuteveacutenement

eacutetant consideacutereacute que selon la deacutefinition de Colas Duflo dans son eacutetude de la

signification philosophique du jeu laquo lrsquoespace du jeu est relationnel et le temps du

jeu est seacutequentiel 80raquo Ainsi lrsquoheacuteroiumlsme devient une reacuteponse directe agrave lrsquoappel de

lrsquoeacuteveacutenement agrave travers une reconnaissance de sa veacuteriteacute inteacuterieure et si on parle de la

sainteteacute crsquoest principalement dans la reacuteponse agrave la vocation que se reacutevegravele la

perception de lrsquoeacuteveacutenement en tant qursquoordre appel et signe Robert Scholtus

approfondit le rocircle du jeu chez Peacuteguy sa fonction dans la reacuteception de lrsquoeacuteveacutenement

par le heacuteros et le saint dans un article publieacute dans le Bulletin de lrsquoAmitieacute Charles

Peacuteguy

Etre joueur crsquoest consentir au possible qui fait irruption dans lrsquoimpreacutevisibiliteacute de lrsquoeacuteveacutenement Le joueur se rebelle contre la neacutecessiteacute et la fataliteacute sans pour autant srsquoabandonner agrave la loi du hasard Entre hasard et neacutecessiteacute il se soumet humblement agrave laquo la souveraineteacute de lrsquoeacuteveacutenement raquo de laquelle participe le deacuteveloppement de lrsquohistoire de la penseacutee et de tous les pheacutenomegravenes culturels Jouer crsquoest consentir agrave la contingence radicale de ce qui aurait pu ne pas advenir et agrave la preacutecariteacute de ce qui est Les faits culturels ne sont pas des pions indistincts qursquoon ferait laquo progresser raquo sur le grand eacutechiquier de lrsquoaventure humaine La reacutealiteacute nrsquoeacutevolue pas elle advient dans la varieacuteteacute des pheacutenomegravenes et dans la fortuiteacute de lrsquoeacuteveacutenement81

Franccediloise Gerbod explore aussi la notion du jeu chez Peacuteguy mais elle

lrsquointerpregravete plutocirct comme un jeu du risque et du hasard dans le sens ougrave le heacuteros 80 DUFLO Colas Le Jeu une approche philosophique BIGREL Franccedilois La Performance humaine art de jouer art de vivre Les eacuteditions du CREPS Aquitaine 2006 p 61-76 81 SCHOLTUS Robert laquo Une Partie drsquoun enjeu infini raquo Peacuteguy poegravete du jeu Lrsquoamitieacute Charles Peacuteguy Ndeg61 janvier-mars 1993 p 19

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joue sa vie dans lrsquoeacuteveacutenement en la risquant Dieu joue sa vie en srsquoincarnant et le

saint en lrsquoimitant

Lagrave est la vraie parenteacute entre le christianisme de Peacuteguy et lrsquoheacuteroiumlsme corneacutelien le risque est neacutecessaire au saint comme au heacuteros Nrsquoest pas chreacutetien dit Peacuteguy celui qui est assureacute du pain quotidien Nrsquoest pas heacuteroiumlque dirait Corneille celui qui ne risque pas ce qursquoil a de plus cher dans un eacutelan de tout son ecirctre Toutes choses posseacutedeacutees sont immeacutediatement risqueacutees Risqueacute lrsquoamour du Cid pour Chimegravene risqueacutes lrsquoamitieacute et lrsquoamour drsquoHorace risqueacute immeacutediatement lrsquoamour si profond de Polyeucte pour Pauline Ce risque rupture inhabitude est agrave la fois exercice de notre liberteacute et possibiliteacute offerte agrave la gracircce maintien de notre aptitude agrave faire toutes choses nouvelles et accueil agrave la force creacuteatrice de Dieu Mais une ouverture spirituelle aussi constante aussi totale resterait un recircve utopique si la vie secregravete de la laquo race raquo ne la soutenait comme la communion soutient le chreacutetien82

La diffeacuterence entre le saint et le heacuteros reacuteside dans le fait que le saint se situe et

agit dans la dureacutee et dans lrsquoeacuteterniteacute Lrsquoaction du heacuteros est unique et reste graveacutee

dans la meacutemoire elle peut changer le cours de lrsquohistoire mais elle demeure inscrite

dans son temps Lrsquoaction du saint pour sa part agit dans la dureacutee dans lrsquoeacuteterniteacute et

dans la communion Elle peut avoir moins de reacutepercussion sur les contemporains

mais elle agit dans le futur et dans le passeacute par la reacuteversibiliteacute Le heacuteros reacuteagit agrave

lrsquoeacutevegravenement preacutesent alors que le saint peut agir suite agrave un eacutevegravenement cacheacute passeacute

futur sans savoir mecircme agrave quoi il reacuteagit juste parce qursquoil ressent lrsquoinquieacutetude drsquoun

appel

Le heacuteros repreacutesente la force de la race devant les hommes dans la mesure ougrave il

agit pleinement au cœur de lrsquoeacuteveacutenement avec lrsquoaide de ce que Peacuteguy deacutefinit parfois

comme une laquo repreacutesentation raquo Teresa Martin Sanz analyse dans sa thegravese la

signification de ce terme chez Peacuteguy

La notion de laquo repreacutesentation raquo est tregraves riche de sens dans lrsquounivers mental de Peacuteguy Bien souvent elle deacutesigne lrsquoactiviteacute mentale par laquelle on se met quelque chose devant lrsquoesprit au moyen drsquoune image drsquoune figure drsquoun concept ou drsquoun autre signe Mais parfois il srsquoagit tregraves preacuteciseacutement de laquo repreacutesentation historique raquo Alors le mot est agrave prendre dans son sens le plus litteacuteral rendre le passeacute preacutesent agrave nouveau Pour cela le theacuteacirctre dispose de deux atouts incomparables la force de lrsquoimage et la force de la vie83

Le saint accueille le don de la gracircce il repreacutesente donc Dieu par la force de

lrsquoIncarnation et il repreacutesente les hommes devant Dieu par la force de lrsquointercession

82 GERBOD Franccediloise op cit p 169-170 83 MARTIN SANZ Teresa op cit p 137

53

Lrsquoacte heacuteroiumlque bien qursquoinscrit dans un eacuteveacutenement concret drsquoune eacutepoque

deacutefinie peut aussi ecirctre propheacutetique et porteur drsquoespeacuterance dans la mesure ougrave il peut

rendre possible lrsquoavegravenement du nouveau Peacuteguy observe pour sa part au sujet de

Polyeucte que laquo crsquoest le fond de deacuteceptions de peines et drsquoeacutecœurements qui est le

moteur mecircme de son heacuteroiumlsme raquo84 Dans Notre jeunesse Peacuteguy deacuteclare que

laquo lrsquoheacuteroiumlsme et la sainteteacute avec lesquels moyennant lesquels on obtient des

reacutesultats deacuterisoires temporellement deacuterisoires crsquoest tout ce qursquoil y a de plus grand

de plus sacreacute au monde raquo (III 20) Dans ce texte encore une fois Peacuteguy semble

donc faire lrsquoamalgame entre lrsquoheacuteroiumlsme et la sainteteacute Mais en revenant agrave Polyeucte

on peut voir la diffeacuterence Le but du heacuteros est drsquoaccomplir une action au cœur de

lrsquoeacuteveacutenement Si le heacuteros apprend que son action va eacutechouer qursquoelle est deacuterisoire

qursquoelle nrsquoa ni sens ni espoir il nrsquoagit pas Le saint agit envers et contre tout parce

que son but nrsquoest pas drsquoaccomplir une action aussi salvatrice soit-elle mais drsquoimiter

Jeacutesus et de marcher dans les pas de Dieu Cependant pour le heacuteros crsquoest lrsquoacte

mecircme lrsquoexploit qui rompt le deacutesespoir Le heacuteros aspire agrave la gloire temporelle agrave la

gloire terrestre Crsquoest dans lrsquoattente de cette gloire mecircme posthume qursquoil accomplit

ses exploits Le saint aspire agrave la gloire eacuteternelle qui peut-ecirctre restera invisible aux

yeux des hommes il existe en effet des saints cacheacutes Dans le personnage de

Jeanne drsquoArc et dans celui de Polyeucte Peacuteguy deacutecouvre les deux forces celle de la

race et celle de la gracircce Il parle de Corneille comme drsquoun poegravete de la race et de la

gracircce qui a fait sa propre figuration

Toute une figuration tout un peuple de figures de heacuteros heacuteros de lrsquoamour (humain) heacuteros de la guerre heacuteros de la chevalerie heacuteros de la fideacuteliteacute heacuteros de la race heacuteros de la famille heacuteros de la patrie heacuteros de la citeacute heacuteros du courage heacuteros de lrsquoheacuteroiumlsme toutes sortes de heacuteros tous heacuteros de lrsquohonneur (humain temporel) Puis tout agrave coup tout drsquoun coup apregraves toute cette figuration temporelle passant lui-mecircme drsquoun bond du seul bond de cet ordre qursquoil y ait dans lrsquohistoire des litteacuteratures de la figure au figureacute [hellip] drsquoun seul trait poeacutetique drsquoun seul trait dramatique drsquoun seul trait il fit ce Polyeucte (et cette Pauline) agrave qui agrave quoi rien nrsquoest comparable dans lrsquohistoire du monde et qui est une histoire elle-mecircme une gracircce comme il nrsquoen est tombeacute sur la tecircte drsquoaucun homme dans lrsquohistoire du monde (II 763-764)

Ce texte date drsquooctobre 1907 La ceacutelegravebre confidence de Peacuteguy faite agrave son ami

Joseph Lotte ndash laquo Je ne trsquoai pas tout dithellip Jrsquoai retrouveacute ma foihellip Je suis

84 GERBOD Franccediloise op cit p 54

54

catholique raquo85 ndash date de deacutecembre 1908 un an plus tard Pour autant Peacuteguy nrsquoest

pas un converti si on trouve jusque dans ces textes anticleacutericaux de petits indices

qui montrent qursquoen srsquoeacuteloignant de lrsquoEacuteglise il nrsquoavait jamais rejeteacute Dieu les pages

qursquoil consacre agrave Polyeucte reacutevegravelent que celui-ci nrsquoest pas un simple personnage

litteacuteraire pour lrsquoauteur mais une sorte de compagnon de route

Nous retrouvons ce laquo compagnon raquo dans Victor-Marie comte Hugo publieacute agrave la

fin de 1910 lrsquoanneacutee mecircme de la parution du Mystegravere de la chariteacute de Jeanne drsquoArc

lrsquoœuvre qui a reacuteveacuteleacute aux lecteurs le retour de Peacuteguy au christianisme Ce texte fait

partie drsquoun long dialogue Daniel Haleacutevy a publieacute dans les Cahiers de la quinzaine

agrave la demande de Peacuteguy un texte sur lrsquoaffaire Dreyfus Apologie pour notre passeacute ougrave

Peacuteguy a vu une attitude de vaincus qui srsquoexcusent qui lrsquoa indigneacutee Pour y

reacutepondre Peacuteguy publia dans les Cahiers deux numeacuteros plus tard Notre jeunesse

qui agrave son tour blessa Haleacutevy Crsquoest pour srsquoexcuser publiquement devant son ami et

pour lui reacutepondre que Peacuteguy reacutedige ce texte qui est une sorte de dialogue

imaginaire entre deux amis presque une confession et une reacuteveacutelation de tout ce qui

est le plus preacutecieux pour lrsquoauteur

Cependant Victor Marie comte Hugo nrsquoest pas seulement une reacuteponse agrave un

ami cher que Peacuteguy ne veut pas perdre Ce texte est reacutedigeacute pour calmer la douleur

par le travail de maniegravere presque freacuteneacutetique en tregraves peu de temps Peacuteguy le reacutedige

en effet juste apregraves le mariage de Blanche Raphaeumll la femme qursquoil aimait sa

tentation Dans le deacutesespoir crsquoest la gracircce qui attire le plus lrsquoattention de Peacuteguy et

lrsquounivers de Corneille est pour lui celui mecircme de la gracircce la maniegravere dont

Polyeucte vit le temps accueille lrsquoeacuteveacutenement est pour Peacuteguy remplie de gracircce La

notion de laquo gracircce raquo chez Peacuteguy est complexe Voilagrave comment lrsquoexplique Franccediloise

Gerbod

Il ne srsquoagit pas en effet au deacutepart drsquoune cateacutegorie theacuteologique mais bien drsquoune attitude existentielle agrave la fois spirituelle et incarneacutee Elle est lieacutee agrave une certaine maniegravere de vivre le preacutesent qui la rattache directement au bergsonisme philosophie du temps et paraicirct aussi agrave Peacuteguy srsquoexprimer en pleacutenitude dans le mystegravere de lrsquoincarnation Crsquoest un des points sur lesquels Seacutevegravere-Bergson a reacuteveacuteleacute le christianisme agrave Peacuteguy-Polyeucte crsquoest lagrave que se deacutecegravele la parenteacute profonde entre lrsquoheacuteroiumlsme et la sainteteacute

85 PEacuteGUY Charles LOTTE Joseph Lettres et entretiens Eacuteditions de Paris 1954 p 57

55

Pour le heacuteros comme pour le saint le temps au lieu drsquoentraicircner la mort par habitude devient le lieu mecircme du salut Le heacuteros et le saint sont ceux qui disent laquo nous nrsquoavons qursquoun temps raquo qui reconnaissent que ce qui fait le prix de la vie humaine crsquoest nrsquoavoir laquo qursquoun temps chacun une fois dans un seul sens raquo (II 257)86

Apregraves des pages sur Hugo Racine Corneille et en particulier une analyse des

rimes de Corneille Peacuteguy revient sur le sujet du heacuteros et du saint Ce qui lrsquointeacuteresse

maintenant crsquoest de comprendre et drsquoexpliquer comment Polyeucte le heacuteros est

toucheacute par la gracircce bref comment il devient un saint

Un tel heacuteroiumlsme de sainteteacute ne se produit peut-ecirctre que dans un monde naturellement heacuteroiumlque dans le monde corneacutelien il y a lagrave encore une insertion du spirituel dans le temporel du surnaturel dans le naturel de la sainteteacute dans lrsquoheacuteroiumlsme une nourriture temporelle du spirituel par le temporel dans le temporel une nourriture une prise de deacutepart de la sainteteacute par et dans lrsquoheacuteroiumlsme de lagrave ce faicircte unique de sainteteacute heacuteroiumlque (III 223)

Crsquoest en srsquoappuyant sur Polyeucte que Peacuteguy avance lrsquoune de ses ideacutees

centrales celle du spirituel et du surnaturel ancreacute dans le temporel le naturel le

charnel Lrsquoeacuteveacutenement est creacuteeacute par Corneille celui-ci invente la situation de sa

trageacutedie pour que de lrsquoheacuteroiumlsme propre au personnage central drsquoune trageacutedie

classique naisse le saint pour qursquoagrave la race du heacuteros se joigne la gracircce de Dieu

laquo Jrsquoattends tout de sa gracircce et rien de ma faiblesse raquo87 dit Polyeucte agrave Neacutearque

avant drsquoaller au temple ougrave il brisera les idoles Finalement Peacuteguy montre que pour

le heacuteros qui trouve son ecirctre profond dans lrsquoeacuteveacutenement crsquoest lagrave dans lrsquoeacuteveacutenement

qui fait de lui un homme nouveau que se trouve la gracircce

Peacuteguy dit que laquo Corneille nrsquoa jamais pu faire que des ecirctres gracieux raquo

(III 277) Crsquoest en observant les heacuteros de Corneille qursquoil peut donc observer

eacutetudier peacuteneacutetrer ce mystegravere de la gracircce qui fait saint Ce rapport au personnage de

trageacutedie confine plus agrave une forme drsquoadmiration voire de veacuteneacuteration drsquoun heacuteros ou

drsquoun saint qursquoelle ne traduit la perception du personnage litteacuteraire Srsquoagissant de

Polyeucte chez Peacuteguy il faut savoir qursquoil srsquoagit drsquoune reacutealiteacute qui se vit agrave travers

lrsquoœuvre litteacuteraire Polyeucte quitte aux yeux de Peacuteguy les pages du livre pour

venir habiter parmi les saints Jeanne drsquoArc (en particulier celles qursquoon deacutecouvre

dans les Procegraves) Saint Louis (surtout celui de Joinville) Jeacutesus des Eacutevangiles

86 GERBOD Franccediloise op cit p 163 87 CORNEILLE Pierre Œuvres complegravetes T1 Imprimeurs de lrsquoInstitut de France Paris 1843 p 339

56

Corneille se fait pour Peacuteguy un chroniqueur Et puisque Polyeucte nrsquoest plus pour

Peacuteguy un personnage drsquoune trageacutedie de Corneille mais aussi un saint Peacuteguy veut

lrsquoimiter Et pour imiter il faut trouver un acte un comportement une attitude qursquoil

sera possible de reproduire il ne srsquoagit pas de chercher un martyre volontaire Crsquoest

un mouvement preacutecis qui dans Polyeucte a tellement frappeacute Peacuteguy qursquoil a deacutesireacute

inteacuterieurement de lrsquoimiter en donnant ainsi vie agrave celui qursquoil imitait Polyeucte en

lrsquoincarnant par son deacutesir drsquoimitation en rendant saint un personnage Il srsquoagit de

lrsquointercession

Tous les vers de lrsquointercession que nous avons marqueacutes que nous avons retenus dans Polyeucte qui annoncent qui introduisent qui repreacutesentent qui manifestent qui deacuteclarent qui proclament publiquement qui deacutefinissent pour ainsi dire techniquement lrsquointervention lrsquointercession de saints intercession geacuteneacuterale des saints pour les peacutecheurs applications pour ainsi dire intercessions particuliegraveres de Neacutearque pour Polyeucte et de Polyeucte pour Feacutelix et de Neacutearque et Polyeucte ensemble pour Pauline et les autres srsquoil y en a ne font qursquointroduire que preacutesenter quand mecircme ils sont apregraves cette grande priegravere de Polyeucte pour Pauline en preacutesence de Pauline qui est deacutejagrave proprement une priegravere drsquointercession (III 297)

Peacuteguy comme cela se voit dans son style aime cataloguer et faire voir tous les

deacutetours que sa penseacutee a pris afin que son lecteur non seulement connaisse le fond

de ses penseacutees mais aussi suive leur cheminement Autrement dit il appelle son

lecteur agrave le suivre et pas seulement agrave connaicirctre sa penseacutee Il en va de mecircme pour

lrsquoauteur il est heureux en effet de trouver dans Polyeucte une sorte de catalogue

drsquointercession qui lui permet drsquoimiter et drsquoapprendre Benoicirct Vermander en

commentant la lecture de Polyeucte que Peacuteguy fait toute sa vie eacutecrit que chez

Peacuteguy la gracircce corneacutelienne se manifeste par lrsquointercession

Crsquoest dire qursquoelle nrsquoest pas un eacuteleacutement surajouteacute une sorte de deus ex machina mais qursquoelle participe de cette attitude de pardon de cette absence geacuteneacuterale de maligniteacute qui caracteacuterisent les personnages corneacuteliens Elle srsquoinfiltre par leur innocence quels que soient leurs dires et leurs actes Lrsquointercession culmine dans la grande priegravere de Polyeucte pour Pauline mais elle est preacutepareacutee par les intercessions particuliegraveres de Neacutearque pour Polyeucte de Polyeucte pour Feacutelix de Neacutearque et Polyeucte ensemble pour ceux qui les entourent Cette preacutesence de lrsquointercession donne un caractegravere hieacuteratique agrave la piegravece elle en fait une piegravece de figuration - la repreacutesentation de la priegravere est la figuration par excellence ndash et ainsi proprement une trageacutedie sacreacutee88

La gracircce srsquointroduit par lrsquointercession parce que lrsquointercession donne place agrave

un autre dans lrsquointercession il y a drsquoune part lrsquohomme qui prie drsquoautre part Dieu agrave 88 VERMANDER Benoit laquo Peacuteguy lecteur de Corneille raquo France-Forum octobre-deacutecembre 1990 p 40-43

57

qui il srsquoadresse et enfin celui pour qui on intercegravede La gracircce ne peut pas ecirctre

contenue dans un vase clos crsquoest un don qui doit ecirctre transmis la priegravere

drsquointercession permet au don de la gracircce de porter fruit de laquo circuler raquo le heacuteros

peut devenir saint agrave lrsquoaide de la priegravere drsquointercession Lrsquointercession de Polyeucte

pour Pauline crsquoest laquo la sainteteacute qui reprend et assume toutes les noblesses de la

terre et elle les agrandit agrave lrsquoinfini 89raquo Crsquoest aussi la forme de priegravere qui eacutevoque le

plus la communion des saints sujet sur lequel nous reviendrons dans le dernier

chapitre de cette thegravese

Comme tous ceux qui sont partis comme tous ceux qui sont arriveacutes prient pour tous ceux qui sont resteacutes Voilagrave ce qui donne agrave cette priegravere son plein cette pleacutenitude cette avance tant drsquoexactitude une totale exactitude et ensemble cette eacuteternelle avanceacutee Crsquoest deacutejagrave crsquoest dedans crsquoest drsquoavance une priegravere une intercession rituelle Crsquoest lrsquooffice de saint Polyeucte Crsquoest deacutejagrave lrsquoEacuteglise triomphante Comme toute lrsquoEacuteglise triomphante prie pour toute lrsquoEacuteglise militante Et pour lrsquoEacuteglise souffrante Et tant de force et tant de beauteacute vient de ce que crsquoest partout dedans de ce que ce nrsquoest dit nulle part (III 302)

De plus Peacuteguy trouve dans Polyeucte la formule preacutecise qui deacutecrit comment

lrsquohomme est toucheacute par la gracircce il trouve dans cette trageacutedie lrsquoexplication en une

phrase du meacutecanisme de la gracircce

laquo Ce Dieu touche les cœurs lorsque moins on y pense raquo90 telle est la formule de

Polyeucte Crsquoest la formule mecircme de la morsure crsquoest la formule de lrsquoattaque de

lrsquoatteinte de la peacuteneacutetration de la gracircce [hellip] [Ce vers] est une proposition de lrsquohistoire

ou plutocirct de la chronique de la gracircce (III 1314)

Peacuteguy deacutemontre comment Corneille repreacutesente lrsquoaction de la gracircce sur un

homme Les heacuteros de Corneille vivent deacutejagrave selon la morale chevaleresque La

maniegravere dont Corneille perccediloit lrsquoamour provient de la mecircme source que sa

conception de lrsquohonneur toutes deux sont issues de la tradition noble Franccediloise

Gerbod eacutecrit que dans Polyeucte

Le jeune heacuteroiumlsme la chevalerie du Cid sont promus dans Polyeucte en laquo chevalerie de sainteteacute raquo lrsquoheacuteroiumlsme de la citeacute du vieil Horace sainteteacute romaine sainteteacute sauvage est promu dans Polyeucte en heacuteroiumlsme de la citeacute ceacuteleste La grandeur temporelle de Rome le paganisme philosophique poseacutes une premiegravere fois dans Cinna sont aussi precircts pour Polyeucte91

89 GERBOD Franccediloise op cit p 146 90 CORNEILLE Pierre opcit p 349 91 GERBOD Franccediloise op cit p 136

58

La gracircce dans cette trageacutedie fait ainsi du laquo chevalier raquo et du heacuteros antique

Polyeucte un saint

Dans un texte eacutecrit en mecircme temps que Le Mystegravere des saints innocents crsquoest-

agrave-dire au cœur de la reacuteflexion de Peacuteguy sur lrsquoincarnation ce dernier eacutevoque les

heacuteros antiques en soulignant leur humaniteacute pour lui ce sont bien des demi-dieux

mais crsquoest leur part humaine qui compte le plus pour lrsquoauteur parce qursquoil y voit

aussi une figuration celle de Jeacutesus Fils de Dieu qui srsquoest fait homme

Ils sont des hommes agrandis doubleacutes exalteacutes Ils ne sont nullement des dieux diminueacutes deacutedoubleacutes Heureusement pour eux heureusement pour nous heureusement pour le monde antique Heureusement pour les dieux mecircmes dont tout le sang ainsi nrsquoest point contamineacute Leur demi-sang de dieux ne leur confegravere par exemple aucune immortaliteacute ni en somme aucune diviniteacute Crsquoest pour cela qursquoils sont si grands Ils partagent le sort de lrsquohomme la mort de lrsquohomme Crsquoest ce qui les fait grands[hellip] Eux-mecircmes les heacuteros ils ne sont nullement contamineacutes de leur demi-fortune ils nrsquoont reccedilu aucune contamination de leur demi-sang Crsquoest pour cela que de tout ce que nous avons ils sont demeureacutes les plus parfaits exemplaires de lrsquoheacuteroiumlsme antique [hellip] Jeacutesus est du dernier des peacutecheurs et le dernier des peacutecheurs est de Jeacutesus Crsquoest le mecircme monde Eux leurs dieux ne sont pas drsquoeux et ils ne sont pas de leurs dieux (III 1162)

Le lien de parenteacute qui existe entre ces heacuteros antiques et les dieux de lrsquoOlympe

ne fait pas de ces hommes des dieux encore moins lrsquoinverse Drsquoailleurs Peacuteguy fait

dire agrave Clio que mecircme pour les Grecs du temps drsquoHomegravere lrsquoOlympe semble deacutejagrave

ecirctre une mythologie et laquo Jeacutesus nrsquoest jamais un ecirctre de mythologie raquo car mecircme pour

les non-chreacutetiens il reste malgreacute tout un personnage historique En revanche vivant

une vie terrestre mais ayant en eux agrave moitieacute le sang divin ils jouent le rocircle de

figuration pour le Dieu fait homme Jeacutesus ce qui les conduit agrave jouer de fait un rocircle

propheacutetique Ainsi pour Peacuteguy toute lrsquoantiquiteacute est une propheacutetie une anticipation

autant de la nouvelle Citeacute socialiste que du christianisme notamment du mystegravere de

lrsquoIncarnation Il le montre bien dans son dernier texte la Note conjointe sur M

Descartes et la philosophie carteacutesienne Sur lrsquoexemple de son œuvre preacutefeacutereacutee

Polyeucte il preacutesente le lien entre le monde antique le siegravecle des classiques et son

temps

Crsquoest tout lrsquohomme et crsquoest toute la Ville Lrsquohomme et Rome Le monde et la citeacute Lrsquoorbe et lrsquourbe Toute la deacutetresse et toute le triomphe Et crsquoest aussi toute la philosophie antique Toute la sagesse aux prises avec toute la gracircce (et comme il a bien montreacute qursquoen effet de tout ce qursquoil y a dans le monde crsquoest l sagesse qui est la

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plus impeacuteneacutetrable agrave la gracircce) Et aussi tout le secret de la leacutegation du monde antique Car il manque bien de respect aux faux dieux mais il ne manque pas de respect agrave celui qui respecte les faux dieux il ne manque pas de respect agrave celui qui adore les faux dieux et qui a eacuteteacute nourri de la sagesse antique Ainsi le monde chreacutetien allait rejeter Jupiter mais nrsquoallait point rejeter Virgile Ainsi le monde chreacutetien allait rejeter Zeus mais nrsquoallait pas rejeter Platon ni Homegravere ni peut-ecirctre mecircme Aristote (III 1312-1314)

Peacuteguy veut ici montrer le fait que le monde chreacutetien succegravede au monde antique

mais aussi que ce monde est loin de Dieu afin de rendre plus visible lrsquoaction de la

gracircce dans Polyeucte Cette trageacutedie est pour lui une œuvre sur la gracircce parce

qursquoelle montre lrsquoaction de la gracircce dans un monde paiumlen et la transformation drsquoun

heacuteros antique en un saint chreacutetien Mais surtout Polyeucte deacutemontre le contraste

avec le monde en son temps ainsi qursquoau temps de Peacuteguy un monde chreacutetien

habitueacute et impermeacuteable agrave la gracircce Imiter Polyeucte voudrait dire srsquoouvrir agrave la

nouveauteacute agrave la surprise agrave lrsquoespeacuterance Selon Peacuteguy Corneille laquo srsquoeacutetait donneacute le

monde romain inhabitueacute agrave Dieu et les immenses et les incroyables ravages de la

gracircce dans un monde inhabitueacute Il nous a laisseacute un monde habitueacute agrave Dieu et les

incroyables manques de prise de la gracircce dans un monde habitueacute raquo (III 1334)

Peacuteguy voit en Corneille un remegravede possible agrave cette habitude mortifegravere

puisqursquoil montre le deacutebut la possibiliteacute drsquoun avenir donc drsquoun avenir peut-ecirctre

diffeacuterend Le chemin de Polyeucte est radical il est un heacuteros antique un heacuteros

classique en lui germe le saint et il choisit aussitocirct le martyre crsquoest-agrave-dire que la

seule relation admissible pour lui avec le monde qui lrsquoentoure devient le teacutemoignage

et lrsquointercession autrement dit des formes de relation impliquant toujours trois

participants Dieu le teacutemoin (lrsquointercesseur) et le monde Ainsi Corneille

srsquoest donneacute le bourgeonnement et le germe cette ramification vivante cette immense germination de Dieu dans le monde romain Il nous a laisseacute ce qui devait arriver ensuite Il nous a laisseacute ce qui allait arriver plus tard Il nous a laisseacute ce qui allait arriver plus tard Il nous a laisseacute le bois mort et lrsquoacircme morte [hellip] Disons-le il a pris les faciliteacutes du martyre (III 1336)

Plus haut il a eacuteteacute question du heacuteros classique Effectivement en parlant de

Polyeucte Peacuteguy ne passe pas directement de lrsquoantiquiteacute au christianisme qui lui est

contemporain il situe bien Polyeucte dans le contexte de lrsquoeacutepoque de Corneille Les

regravegles morales qui sont celles de Polyeucte et plus encore celles de Seacutevegravere ne sont

60

pas laquo antiques raquo celles des stoiumlciens par exemple appartiennent plutocirct au code de

la noblesse et renvoient aux regravegles du duel Crsquoest dans cette structure morale

qursquointervient la gracircce pour la renouveler dans une morale diffeacuterente de celle de

lrsquoantiquiteacute laquo Ce nrsquoest pas seulement le systegraveme de la loyauteacute Crsquoest le systegraveme de

lrsquoheacuteroiumlsme Et crsquoest le systegraveme de lrsquohonneur raquo (III 1341) Ce systegraveme est celui des

trageacutedies de Corneille comme le Cid Horace Cinna selon Peacuteguy la gracircce

intervient dans Polyeucte pour peacuteneacutetrer ce systegraveme-lagrave Theacuteodore Quoniam eacutecrit agrave ce

propos laquo Le Heacuteros est une incarnation de la Valeur Noblesse car il est par

destination au service de la Justice Crsquoest avant tout lrsquohomme neacute pour le combat

loyal Il ne doit donc pecirccher ni par faiblesse de cœur ni par dureteacute de cœur mesure

difficile agrave tenir raquo92

Pour Peacuteguy lrsquoheacuteroiumlsme lrsquohonneur la loyauteacute des heacuteros de Corneille ne sont

pas exceptionnels Crsquoest bien la sainteteacute qui naicirct de la rencontre entre la gracircce et le

laquo systegraveme de la chevalerie raquo (III 1342) qui est exceptionnelle et devient une sorte

de chevalerie de la sainteteacute La source de ce systegraveme crsquoest le duel Le heacuteros se bat

le heacuteros doit combattre quelque chose laquo Dans le systegraveme chevaleresque il srsquoagit de

mesurer des valeurs raquo (III 1345) Si le heacuteros est toucheacute par la gracircce et devient saint

il ne cesse pas de se battre mais la nature de son combat change La guerre qui

deacutecoule du duel vise la bataille mais non la victoire parce qursquoelle vise lrsquohonneur et

non la domination Cette guerre peut mener agrave la sainteteacute par le deacutepassement notion

importante de Peacuteguy approfondie par Theacuteodore Quoniam

Le heacuteros et plus encore le saint portent en eux une exigence de deacutepassement leur conscience nrsquoest pas fermeacutee sur une limite agrave chaque niveau supeacuterieur qursquoils atteignent un appel retentit en eux les portant agrave pousser plus loin agrave srsquoengager toujours davantage agrave assumer le risque Le propre du christianisme nrsquoest-il point drsquoavoir trouveacute leur destination agrave la triple grandeur de lrsquohomme la mort la misegravere le risque 93

Polyeucte est un chreacutetien converti un martyr et donc un saint Mais la

description que Peacuteguy fait de Seacutevegravere dans la Note conjointe est particuliegraverement

admirative

92 QUONIAM Theacuteodore La Penseacutee de Peacuteguy Paris Bordas 1967 p 107 93 Ibid p 108

61

Crsquoest un des plus beaux Romains que nous ayons Lui aussi il est preacutesenteacute dans son exactitude et dans son plein Seacuterieux honnecircte et honnecircte homme grave et comme acheveacute cultiveacute nullement curieux humain et comme consommeacute bon deacutesabuseacute noble grave et drsquoune ingueacuterissable meacutelancolie il est lagrave pour nous rappeler ce que les imbeacuteciles seuls ignorent que lrsquoAntiquiteacute Paiumlenne que lrsquohumaniteacute antique et paiumlenne a eacuteteacute elle-mecircme un temple de pureteacute Et qursquoelle nrsquoa pas eu les dieux qursquoelle meacuteritait Crsquoest agrave dire qursquoelle nrsquoa pas eu ses dieux Crsquoest le contraire de nous qui avons le Dieu que nous ne meacuteritons pas (III 1370)

La figuration que Peacuteguy eacutevoque souvent en parlant des heacuteros ainsi que de

Corneille fonctionne aussi agrave lrsquointeacuterieur de la trageacutedie Polyeucte Seacutevegravere est en

quelque sorte une figuration de Polyeucte il est pleinement heacuteros mais il nrsquoest pas

saint Peacuteguy deacutecrit Seacutevegravere comme un stoiumlcien et Polyeucte qui lrsquoadmire eacutegalement

comme tel

Polyeucte mesure Seacutevegravere Car sa propre sainteteacute est fondeacutee sur le deacutepassement et non sur lrsquoignorance de lrsquoheacuteroiumlsme antique Et son propre martyre est fondeacute sur le deacutepassement et non sur lrsquoignorance de lrsquoantique martyre Et son Dieu est fondeacute sur le deacutepassement et non sur lrsquoignorance et sur un certain meacutepris du monde (III 1373)

En se servant de ce personnage de Seacutevegravere Peacuteguy exprime dans son dernier

texte ce qui a eacuteteacute le fondement de sa penseacutee durant toute sa vie drsquohomme de lettres

Mecircme la naissance de Jeacutesus mecircme le mystegravere drsquoIncarnation ne permettent pas

drsquoexclure quiconque de la communion Le monde antique participe agrave la communion

en tant que figuration du monde chreacutetien laquo il est certain que dans cette figuration et

ce paralleacutelisme crsquoest le stoiumlcisme qui a donneacute et qui seul a pu donner dans le

registre du monde antique ce qui seul correspond aux saints et aux martyrs ce qui

seul figure les saints et les martyrs les heacuteros et peut-ecirctre faut-il dire les martyrs raquo

(III 1371)

Le monde antique ne peut pas ecirctre exclu parce qursquoil nrsquoa pas connu le Christ

Les heacuteros antiques ceux qui ressemblent plus agrave des saints qursquoagrave des heacuteros ne

meacuteritent pas drsquoecirctre consideacutereacutes de faccedilon trop eacutetroite et placeacutes dans les marges de

lrsquoheacuteroiumlsme Ils figurent les saints comme Promeacutetheacutee figure le Christ Peacuteguy utilise

donc une formule qursquoil dit lui-mecircme ne pas aimer en parlant de laquo saints laiumlcs raquo

Mais Polyeucte pour Peacuteguy est plus qursquoun exemple de vie chreacutetienne Il est aussi

pour lui un exemple de chreacutetien en dialogue avec un monde profane et un exemple

de chreacutetien en marge de sa communauteacute Cette situation reflegravete celle de Peacuteguy lui-

62

mecircme sa famille est atheacutee ainsi que bon nombre de ses amis sa bien-aimeacutee est

juive ainsi que plusieurs personnes dans son entourage

Peacuteguy pense que cette relation doit se construire sur les regravegles du duel de la

courtoisie car laquo crsquoest le systegraveme de penseacutee de la juste guerre du combat loyal de la

comparaison agrave eacutegaliteacute raquo (III 1375) Le chreacutetien selon Peacuteguy doit ecirctre vainqueur

non seulement devant Dieu et devant soi mais aussi laquo dans le systegraveme de lrsquoautre raquo

(III 1376) Crsquoest preacuteciseacutement ce que fait Polyeucte en proposant agrave Seacutevegravere drsquoeacutepouser

Pauline

b) Jeanne drsquoArc

Dans Polyeucte Peacuteguy trouve lrsquoexemple de la pure action de la gracircce qui a le

pouvoir de transfigurer un homme il voit la gracircce qui srsquoaccomplit dans

lrsquoeacutevegravenement que constituent les derniers choix et la mort de Polyeucte Dans la

figure de Jeanne drsquoArc il admire le travail commun de la gracircce et de la volonteacute

humaine le long chemin du choix la gracircce qui agit dans la dureacutee drsquoune vie

Dans la premiegravere Jeanne drsquoArc la trilogie dramatique premiegravere œuvre

litteacuteraire de Peacuteguy Jeanne est une heacuteroiumlne qui incarne la petite Franccedilaise par

excellence le meilleur de ce qursquoon peut trouver dans le peuple franccedilais Le deacutebat

autour de Jeanne drsquoArc la sainte et Jeanne drsquoArc lrsquoheacuteroiumlne des livres drsquohistoire eacutetait

intense agrave la fin des anneacutees 1890 au moment ougrave Peacuteguy entreprend de reacutefleacutechir sur ce

sujet Degraves lrsquoenfance de Peacuteguy drsquoailleurs Jeanne eacutetait pour lui un sujet drsquoeacutecriture

comme en teacutemoignent ses travaux drsquoeacutecolier et plus tard ses reacutedactions Au moment

ougrave Peacuteguy jeune normalien entreprend drsquointerrompre ses eacutetudes pour eacutecrire une

monographie sur son heacuteroiumlne preacutefeacutereacutee la libeacuteratrice de sa ville natale ndash Orleacuteans ndash

est au centre de grands deacutebats politiques et religieux En 1890 Lucien Herr

socialiste bibliotheacutecaire de lrsquoEacutecole Normale et futur mentor puis encore plus tard

adversaire de Peacuteguy eacutecrit un article dans Parti Ouvrier intituleacute laquo Notre Jeanne

drsquoArc raquo Lrsquoarchevecircque drsquoAix-en-Provence lui reacutepond laquo Ioanna nostra est On ne

laiumlcise pas les saints raquo Jeanne nrsquoest pas encore beacuteatifieacutee En 1892 Eacutemile Antoine

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reacutepublicain eacutecrit dans Le Culte civique de Jeanne drsquoArc et sa laiumlciteacute neacutecessaire

laquo Le culte de Jeanne drsquoArc est professeacute en France par deux religions irreacuteductibles

lrsquoune civique lrsquoautre catholique raquo94 Catulle Mendegraves dans Lrsquoart au theacuteacirctre va

mecircme plus loin que lrsquoArchevecircque drsquoAix-en-Provence laquo Jeanne drsquoArc plus encore

que Jeacutesus doit demeurer hors de lrsquoatteinte de lrsquoart humain raquo95 Cependant parmi les

socialistes on trouve aussi ceux qui rejettent Jeanne en tant que monarchiste et

catholique Jauregraves lrsquoeacutevoque vaguement dans un article de 1893 mais il srsquooppose agrave la

proposition de Barregraves drsquoinstaurer une fecircte nationale en lrsquohonneur de la sainte

Dans la trilogie Jeanne drsquoArc Peacuteguy reacuteunit la tradition du theacuteacirctre antique et

celle des mystegraveres meacutedieacutevaux notamment par lrsquoalternance de la prose et de la

poeacutesie qui rappelle non seulement la trageacutedie antique mais aussi la chantefable

meacutedieacutevale tout en livrant un teacutemoignage voileacute sur lrsquoaffaire Dreyfus notamment

dans la troisiegraveme partie Rouen qui deacutecrit le procegraves de Jeanne Quant agrave lrsquoantiquiteacute

Peacuteguy lui-mecircme montre le lien de sa Jeanne avec la trageacutedie grecque dans un petit

article paru dans la Revue Blanche en aoucirct 1899 laquo La Crise du parti socialiste et

lrsquoaffaire Dreyfus raquo laquo par sa ferme deacutefense des citoyens elle avait la simple beauteacute

harmonieuse de la trageacutedie antique raquo (I 225) Les 11 et 12 aoucirct 1894 Peacuteguy qui a

assisteacute aux repreacutesentations drsquoAntigone et drsquoŒdipe-roi de Sophocle aux Choreacutegies

drsquoOrange est particuliegraverement impressionneacute par Antigone Romain Vaissermann

dans sa notice de la nouvelle eacutedition des Œuvres poeacutetiques complegravetes de Peacuteguy dans

la collection de la Pleacuteiade observe

Jeanne confronteacutee agrave lrsquoideacutee de la damnation eacuteternelle ressemble agrave la vierge theacutebaine risquant sa vie pour sauver lrsquoombre de Polynice drsquoun exil eacuteternel la plainte finale de Jeanne est fille des lamentations drsquoAntigone marchant agrave la mort il nrsquoy a pas jusqursquoaux propos familiers des soldats anglais qui ne soient un souvenir de cette scegravene du gardien qui avait choqueacute chez Sophocle Peacuteguy ne parle-t-il pas mecircme dans Les Suppliants parallegraveles de laquo la vocation drsquoAntigone raquo (II 353) La comparaison entre Antigone et Jeanne nrsquoest pas nouvelle mais chez Peacuteguy si la forte impression laisseacutee par le spectacle drsquoAntigone qursquoil avait deacutejagrave lu en traduction pour son plaisir personnel srsquoest associeacutee agrave son travail drsquohistorien autour de la pucelle drsquoOrleacuteans crsquoest que pouvait en ecirctre reacutesolue la question de lrsquoenfer dont nous avons deacutejagrave vu qursquoelle

94 LANEacuteRY DrsquoARC Pierre Le Livre drsquoor de Jeanne drsquoArc Bibliographie raisonneacutee et analytique des ouvrages relatifs agrave Jeanne drsquoArc catalogue meacutethodique descriptif et critique des principales eacutetudes historiques litteacuteraires et artistiques consacreacutees agrave la Pucelle drsquoOrleacuteans depuis le XVe siegravecle jusqursquoagrave nos jours Paris Leclerc et Corman 1894 p 610 95 MENDEacuteS Catulle LrsquoArt au theacuteacirctre E Fasquelle 2e anneacutee 1896 p 272

64

heurtait lrsquoesprit du jeune Peacuteguy La Jeanne de Peacuteguy tient drsquoailleurs agrave la fois de lrsquoAntigone incarneacutee par Bartet et de lrsquoŒdipe interpreacuteteacute par Mounet-Sully Jeanne drsquoArc est par lrsquoentremise drsquoOrange agrave lrsquoimage des trilogies du theacuteacirctre grec antique Qursquoon imagine Orange le deacutecor antique drsquoun theacuteacirctre eacuteclaireacute agrave la lumiegravere eacutelectrique sous le ciel de Provence la foule acclamant les membres de la troupe du Theacuteacirctre-Franccedilaishellip La foule Le peuple (OPD 1556-1557)

Jauregraves dans sa confeacuterence du 26 juillet 1900 Le theacuteacirctre social et Romain

Rolland dans Le theacuteacirctre du peuple et le Drame du peuple ont theacuteoriseacute

posteacuterieurement ce que Peacuteguy essaye de faire dans sa premiegravere Jeanne drsquoArc un

theacuteacirctre du peuple un theacuteacirctre socialiste qui fera parler le peuple mais qui aussi

donnera un exemple agrave suivre un heacuteros agrave admirer et agrave imiter Drsquoailleurs Peacuteguy

deacutedicace sa trilogie son laquo poegraveme raquo laquo Agrave toutes celles et agrave tous ceux qui auront veacutecu

leur vie humaine Agrave toutes celles et agrave tous ceux qui seront morts de leur mort

humaine pour lrsquoeacutetablissement de la Reacutepublique socialiste raquo (OPD 3-4)

Dans sa premiegravere Jeanne drsquoArc Peacuteguy donne plusieurs exemples possibles agrave

suivre dans la mesure ougrave il nrsquooppose pas ses personnages les uns aux autres

Hauviette lrsquoamie de Jeannette agrave Domreacutemy repreacutesente une sagesse et une pieacuteteacute

paysanne qui peuvent tregraves bien ecirctre aussi une voie de sainteteacute mais sans heacuteroiumlsme

Pour que le bon Dieu beacutenisse les moissons Jeannette il faut drsquoabord que nous ayons fait les semailles crsquoest pour cela que nous commenccedilons par les faire tous les ans Puis quand la terre est bien ensemenceacutee nous faisons nos priegraveres pour que le bleacute nouveau naisse et pousse en moisson Nous crsquoest tout ce que nous pouvons faire crsquoest tout ce que nous avons agrave faire le reste au bon Dieu il est le maicirctre il nous exauce agrave sa volonteacute (OPD 11-12)

Crsquoest un exemple drsquohumiliteacute de sagesse de confiance en Dieu et drsquoune vie de

labeur veacuteritable vertu pour Peacuteguy qui est donneacute par la petite villageoise Hauviette

Madame Gervaise elle repreacutesente un exemple de sainteteacute contemplative Agrave la

grande question de Jeannette qui est aussi celle de Peacuteguy laquo qui donc faut-il

sauver Comment faut-il sauver raquo Madame Gervaise reacutepond laquo En imitant

Jeacutesus en eacutecoutant Jeacutesus raquo (OPD 18) La voie contemplative propose comme

meilleure forme drsquoimitation le fait drsquoecirctre agrave lrsquoeacutecoute de Dieu Simone Fraisse eacutecrit agrave

ce propos que crsquoest une reacuteponse laquo qui nrsquoest simple qursquoen apparence lrsquoimitation de

Jeacutesus conduit-elle agrave la reacutesignation ou agrave lrsquoinsurrection raquo96 Lrsquoimitation telle que

Peacuteguy la voyait en 1897 ne suffit plus agrave Jeannette pas plus qursquoelle ne suffit agrave 96 FRAISSE Simone Peacuteguy et le Moyen Age Honoreacute Champion 1978 p 12

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Peacuteguy Au moment drsquoeacutecrire sa premiegravere Jeanne drsquoArc il ne cherche pas agrave sauver les

acircmes puisqursquoil nrsquoadmet pas lrsquoexistence de lrsquoenfer mais il cherche agrave sauver le

monde en le transformant en creacuteant une Citeacute Harmonieuse et ce en se

transformant soi-mecircme Or pour cette transformation il avait besoin de personnages

exemplaires de heacuteros agrave admirer et agrave imiter Crsquoest dans ce contexte que Peacuteguy eacuterige

Jeanne drsquoArc en exemple Celle-ci nrsquoest pas seulement une bonne travailleuse elle

nrsquoest pas seulement une heacuteroiumlne dans son milieu habituel Elle transgresse une loi

tacite mais inviolable de son temps et en Europe on ne passe pas drsquoun ordre social

agrave un autre Les trois ordines sont en effet quelque chose drsquoimmuable dans la socieacuteteacute

occidentale meacutedieacutevale Jeanne quitte lrsquoordre de ceux qui travaillent les fermiers

aratores pour traverser la barriegravere infranchissable qui la seacutepare de lrsquoordre de ceux

qui combattent les pugnatores ou bellatores Ce qui est possible parce

qursquointeacuterieurement mystiquement elle appartient agrave lrsquoordre de ceux qui prient les

oratores sans appartenir agrave un ordre religieux ce qui suscite une colegravere particuliegravere

chez ses juges eccleacutesiaux

Pourtant la Jeanne drsquoArc de Peacuteguy reste fidegravele agrave ses origines crsquoest la

condition pour qursquoelle soit une heacuteroiumlne dans la mesure ougrave le heacuteros repreacutesente son

peuple son milieu sa famille Elle parle de la bataille comme drsquoune nouvelle tacircche

agrave accomplir parmi drsquoautres tacircches

Si je travaille mal en bataille ou victoire

Et si lrsquoœuvre est mal faite ougrave jrsquoai voulu servir

Ocirc mon Dieu pardonnez agrave la pauvre servante (OPD 49)

Deacutejagrave dans la trilogie agrave lrsquoeacutepoque ougrave Peacuteguy tenait des propos tregraves vifs contre

lrsquoEacuteglise il ne repreacutesente pas Jeanne drsquoArc ndash qui nrsquoest pas encore beacuteatifieacutee ndash

uniquement comme une heacuteroiumlne mais aussi comme une sainte une sainte drsquoun

nouveau type drsquoune sainteteacute militante agissante qui peut appartenir en mecircme

temps agrave lrsquoordre des travailleurs agrave celui des combattants et agrave celui des priants Et

deacutejagrave dans ce premier texte sur Jeanne Peacuteguy precircte une importance particuliegravere agrave la

naissance de sa vocation Ainsi Louis Perche eacutecrit

Sceacuteniquement parlant Aacute Domreacutemy est la piegravece essentielle Et lorsqursquoon connaicirct Peacuteguy lrsquoon srsquoaperccediloit qursquoelle lrsquoest avec intention Elle signifie lrsquoimportance que

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preacutesente pour lrsquoauteur la vocation de Jeanne drsquoArc Il la considegravere dans sa complexiteacute et dans son eacutetendue puis dans ses effets mais il ne cesse drsquoinsister sur la preacuteparation constante drsquoun destin Il est inteacuteresseacute par la genegravese de lrsquoœuvre semble-t-il plus que par lrsquoœuvre elle-mecircme Srsquoil srsquoattache agrave cette gamine de treize ans crsquoest qursquoil la voit deacutechireacutee par lrsquoangoisse du mal Il sent lagrave une hantise qui reacutepond agrave ses propres sentiments97

Si Peacuteguy nrsquoeacutetait pas encore agrave la fin des anneacutees 1890 un grand lecteur de

Lrsquoimitation de Jeacutesus Christ il eacutetait deacutejagrave un lecteur assidu de Michelet et lrsquoHistoire

de France de ce dernier eacutetait lrsquoun de ses livres de chevet Or le ceacutelegravebre chapitre sur

Jeanne drsquoArc est preacuteceacutedeacute de tout un chapitre sur Lrsquoimitation de Jeacutesus Christ en

raison de la tregraves grande valeur que lui accordait Michelet Jeanne veut sauver la

France en chassant les Anglais mais aussi en sauvant les acircmes et pour sauver il

faut comme dit Madame Gervaise imiter le Christ Dans cette perspective Romain

Vaissermann eacutecrit laquo Le plan mecircme de lrsquoœuvre formeacutee de trois piegraveces ndash Agrave

Domremy Les Batailles Rouen ndash rappelle directement la vie cacheacutee la vie publique

et la Passion du Christ raquo (OPD 1552) Drsquoailleurs en structurant ainsi sa trilogie

Peacuteguy srsquoinspire du chapitre de lrsquoHistoire de France de Michelet consacreacute agrave Jeanne

drsquoArc

Jeanne drsquoArc dans Les Batailles est une heacuteroiumlne dans les yeux des Franccedilais

mais elle ne se perccediloit pas comme un heacuteros qui repreacutesente son peuple Elle voit dans

sa gloire un teacutemoignage de la gloire de Dieu Et pour Peacuteguy le saint est justement

cet intermeacutediaire qui peut teacutemoigner de Dieu aux hommes et interceacuteder pour les

hommes devant Dieu Jeanne repreacutesente la France et les Franccedilais pour les Anglais

pour les Franccedilais aussi mais elle-mecircme voit les choses ainsi

Mon Dieu la bonne ville ocirc Dieu les bonnes gens

Et comme il eacutetait bon drsquoavancer dans la foule

Votre gloire passait dans la foule agrave pas lents

Votre gloire eacutetait vaste ainsi qursquoun flot qui roule

Votre gloire a passeacute dans la ville du siegravege

Et les Orleacuteanais debout au seuil des portes

Acclamaient la bonteacute de Celui qui protegravege

Et chantaient votre gloire au chant de leurs voix fortes

97 PERCHE Louis Charles Peacuteguy (1957) Paris eacuteditions Seghers 1969 p 26-27

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Ils chantaient votre gloire au chant des voix humaines

Ils la faisaient sonner aux trompettes sonnants

Ils chantaient votre gloire au chant des voix humaines

Et la faisaient chanter au chant des cloches lentes

Votre gloire emplissait la vaste catheacutedrale

Et montait comme un flot jusqursquoau ciel ougrave vous ecirctes

Les precirctres et la foule agrave genoux sur la dalle

Chantaient les chants latins des triomphantes fecirctes

Et pendent que montait votre gloire ocirc mon Dieu

La vaillance croissait au cœur de la servante

Et les chants qursquoon chantait pour le maicirctre ocirc mon Dieu

Reacutesonnaient en vaillance au cœur de la suivante (OPD 87-88)

Et le peuple franccedilais dans Les Batailles ne voit pas en Jeanne seulement celle

qui va chasser les Anglais de France mais celle qui le preacutesente lui-mecircme agrave Dieu

Maicirctre Jean le couleuvrinier apprend drsquoun prisonnier anglais que les Anglais prient

toute la journeacutee avant de se battre ce qui nrsquoest pas le cas des Franccedilais il demande

alors agrave Jeanne de prier pour les Franccedilais

Puisqursquoil faut ocirc mon Dieu qursquoon fasse la bataille

Nous vous prions pour ceux qui seront morts demain

Mon Dieu sauvez leur acircme et donnez-leur agrave tous

Donnez-leur le repos de la paix eacuteternelle (OPD 113)

La position qursquooccupe Jeanne dans la trilogie est deacutejagrave celle que Peacuteguy donne agrave

tous les personnages qursquoil considegravere comme des saints le saint est le protagoniste

du dialogue entre Dieu et lrsquohumaniteacute entre lrsquohumaniteacute et Dieu

Une autre preuve du fait que degraves le deacutebut Peacuteguy voit en Jeanne drsquoArc plus

qursquoune heacuteroiumlne reacuteside dans ses failles et ses faiblesses un heacuteros nrsquoa pas de failles

crsquoest en quelque sorte un surhomme lrsquohistoire oublie les faiblesses des heacuteros dont

elle se souvient Cependant Jeanne dans la deuxiegraveme partie des Batailles est une

femme vulneacuterable pleine de doute blesseacutee non seulement par un trait drsquoarbalegravete

mais aussi dans son acircme par des paroles et par des actes de son entourage Peacuteguy

choisit de souligner cette faiblesse en rajoutant un eacuteleacutement du sujet absent des

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documents historiques sur Jeanne qursquoil suit pourtant fidegravelement dans le reste du

texte En somme la trilogie comporte des personnages inventeacutes quelques deacutetails

ajouteacutes mais elle ne diffegravere de ce qursquoon sait sur Jeanne drsquoArc que sur un seul point

important lrsquoeacutepisode ougrave on peut comprendre que Jeanne prise par le doute

nrsquoentend plus ses voix Agrave la question de Reignauld de Chartres qui voudrait savoir

si Jeanne agit encore en suivant le conseil de ses voix Raoul de Gaucourt reacutepond

laquo Elle en parle un peu moins souvent raquo (OPD 134) Et quand le mecircme Reignauld de

Chartres avant la bataille de Paris demande si Jeanne commande encore en suivant

le conseil de ses voix Jeanne lui reacutepond laquo Monseigneur je vous assure que mes

voix mrsquoont non pas conseilleacute mais commandeacute de chasser lrsquoAnglais hors de toute

France [hellip] Paris est en France monseigneur raquo (OPD 140-141)

Jeanne confie agrave son ami maicirctre Jean le couleuvrinier qui vient comme elle

de Lorraine son incapaciteacute de prier Il lui reacutepond qursquoelle a sucircrement le mal du pays

Elle-mecircme parle dans un monologue poeacutetique ougrave elle se trouve seule sur scegravene de

son sentiment drsquoecirctre salie par les propos de Gilles de Rais qui lui a parleacute des

pillages commis par les Franccedilais laquo Des mots qursquoil a dits lagrave me laverez-vous

lrsquoacircme raquo (OPD 138)

Raoul de Gaucourt explique que Jeanne nrsquoa tout simplement pas reacuteussi agrave

srsquohabituer agrave la guerre elle continue en effet agrave pleurer sur les blesseacutes et les morts ce

qui ne correspond pas agrave une conduite heacuteroiumlque Elle est simplement humaine Quant

agrave la large place que Peacuteguy accorde agrave cet eacutepisode de doute de peur de deacutetresse de

Jeanne elle signifie lrsquoimportance que lrsquoeacutecrivain attribue au fait de montrer sa

faiblesse humaine La Jeanne de Peacuteguy est briseacutee par sa deacutefaite agrave Paris elle dit

ainsi agrave Maicirctre Jean laquo mon acircme jamais ne se relegravevera de la deacutefaite raquo Parce que cette

deacutefaite lrsquoa laisseacutee seule les capitaines ne la suivent plus le roi la trahithellip Mais elle

explique aussi agrave son ami que ce sont les paroles de Gilles de Rais qui ont causeacute sa

deacutefaite que crsquoest de cette saleteacute que son laquo acircme ne [se] relegravevera pas raquo (OPD 182)

Jeanne veut sauver la France en combattant les Anglais mais elle veut aussi sauver

les acircmes en imitant et en eacutecoutant Dieu notamment en obeacuteissant agrave ses voix sans

ecirctre sucircre de reacuteussir Crsquoest ce qursquoelle reacutepond quand le fregravere Vincent Claudet

lrsquointerpelle deacutesireux de la sauver et lui conseille de srsquoarrecircter de se reposer puisque

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le roi ne veux plus continuer la guerre certes les voix lui ont commandeacute de

chasser les Anglais mais

Mes voix ne mrsquoont pas dit que je reacuteussirai [hellip] Mon pegravere tant que Dieu ne mrsquoaura pas deacutecommandeacute ce qursquoil mrsquoa commandeacute tant qursquoil ne mrsquoaura pas deacutesœuvreacutee de lrsquoœuvre tant que mes voix ne mrsquoauront pas dit le nom de mon successeur je mrsquoefforcerai agrave faire la bataille [hellip] La victoire mon pegravere elle est agrave Dieu (OPD 176-177)

Cependant crsquoest lrsquoheacuteroiumlne plutocirct que la sainte qui revient quand Peacuteguy deacutecrit

le deacutepart de Jeanne qui veut poursuivre la bataille contre la volonteacute du roi et sans le

conseil de ses voix

Dans Rouen Peacuteguy parle aussi clairement des doutes que Jeanne a traverseacutes

lors de son procegraves effrayeacutee par la torture affaiblie par les mauvais traitements

hellip Quand je pense ocirc Madame Gervaise

Que je me suis damneacutee agrave ne sauver personne

Et que je fus damneuse agrave ne sauver personnehellip

Jrsquoirai dans cet enfer ougrave la chariteacute blanche

Est sale agrave tout jamais ocirc foliehellip (OPD 285)

Mais les derniers mots de la trilogie crsquoest la priegravere de Jeanne pour tous les

humains elle reprend donc dans ce texte de Peacuteguy sa place drsquointercesseur pour

lrsquohumaniteacute devant Dieu laquo Pourtant mon Dieu tacircchez donc de nous sauver tous

mon Dieu Jeacutesus sauvez-nous tous agrave la vie eacuteternelle raquo (OPD 299)

La premiegravere reacuteeacutecriture de la premiegravere partie de la trilogie ougrave Jeanne drsquoArc est

une fillette et srsquoappelle Jeannette peut aussi ecirctre consideacutereacutee comme un premier

brouillon du Mystegravere de la chariteacute de Jeanne drsquoArc qui lui aussi ne parle que de

Jeanne enfant Ce texte qui nrsquoa pas eacuteteacute publieacute du vivant de Peacuteguy peut ecirctre dateacute de

1902 ou 1903 Le manuscrit ne portait pas de titre dans la premiegravere eacutedition en

1953 donc bien apregraves la mort de Peacuteguy tombeacute au champ drsquohonneur en 1914 il a

reccedilu le titre Variation ancienne sur le deacutebut du drame de Jeanne drsquoArc dans la

deuxiegraveme en 1954 Jeanne et Hauviette Les eacuteditions de la Pleacuteiade ne donnent pas

de titre restant fidegravele au manuscrit Ce fragment repreacutesente un dialogue entre

Jeannette et Hauviette notamment sur les jeux Hauviette demande agrave Jeannette

pourquoi elle ne joue jamais agrave la bataille en lui vantant toutes les joies de ces jeux

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et en srsquoeacutetonnant du fait que Jeannette ne se bat jamais bien qursquoelle soit forte

Jeannette est grave mais pas heacuteroiumlque du tout laquo Forte comme je parais je ne me

suis jamais battue raquo (OPD 311)

Peacuteguy visiblement veut souligner ce laquo parais raquo Jeanne ne se considegravere pas

comme forte elle ne lrsquoest sucircrement pas en revanche Dieu la rendra forte quand il

le faudra De lrsquoenfance des heacuteros normalement on ne sait que ce qui annonce leurs

futurs exploits de mecircme de lrsquoenfance des saints dans les hagiographies

traditionnelles qursquoon pouvait lire du temps de Peacuteguy on ne sait que ce qui annonce

leur future sainteteacute Peacuteguy montre dans le caractegravere de la Jeannette de Aacute Domreacutemy

son angoisse son inquieacutetude sa sensibiliteacute qui la diffeacuterencient des autres et la font

souffrir ainsi que son sentiment de responsabiliteacute agrave lrsquoeacutegard de son pays Crsquoest une

attitude ce ne sont pas des actes Dans ce petit fragment de 1902-1903 Jeannette

apparaicirct particuliegraverement seacuterieuse grave Lagrave encore il srsquoagit drsquoune attitude voire

drsquoun trait de caractegravere mais non drsquoactes comme ce serait sucircrement le cas dans une

hagiographie classique

Ces traits sont accentueacutes deacuteveloppeacutes et approfondis dans le Mystegravere de la

chariteacute de Jeanne drsquoArc Le premier manuscrit du Mystegravere de la chariteacute de Jeanne

drsquoArc est termineacute en novembre 1909 et porte le titre Mystegravere de la vocation de

Jeanne drsquoArc Ce titre le suggegravere fortement on nrsquoa pas la vocation drsquoecirctre heacuteros

Dans lrsquohistoire un homme une femme reacuteagissent agrave un eacutevegravenement un jour y

reacutepondent par un acte et deviennent un heacuteros ou une heacuteroiumlne Dans la mythologie

on est heacuteros par la naissance parce que lrsquoon est neacute drsquoune femme et drsquoun dieu quant

aux premiers actes heacuteroiumlques ils sont poseacutes degraves le plus jeune acircge En revanche

devenir saint suppose une vocation il srsquoagit drsquoun appel auquel on peut choisir de

reacutepondre ou non Crsquoest justement ce moment de la reacuteception de lrsquoappel lrsquoeacutecoute

puis le choix et la reacuteponse de Jeannette que Peacuteguy deacutecrit dans son premier mystegravere

Quand le mystegravere est publieacute en janvier 1910 Peacuteguy srsquoest livreacute agrave un travail de

reacuteeacutecriture et de correction consideacuterable au dernier moment lors de la relecture des

eacutepreuves il change le titre qui du Mystegravere de la vocation devient Mystegravere de la

chariteacute de Jeanne drsquoArc Il ajoute par ailleurs dans le reacutecit de la Passion un long

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texte sur Marie au pied de la Croix et il coupe le texte agrave la scegravene ougrave Jeanne dit

brusquement adieu agrave Madame Gervaise au moment ougrave elle srsquooppose fortement agrave

son amie aicircneacutee

4 Le Mystegravere de la chariteacute de Jeanne drsquoArc trois exemples de

sainteteacute

Jeanne nrsquoest pas le seul exemple de sainteteacute que Peacuteguy preacutesente dans ce

mystegravere En deacuteveloppant lrsquoideacutee prononceacutee par Madame Gervaise qui dans la

trilogie explique que crsquoest en imitant Jeacutesus qursquoon peut sauver les acircmes Peacuteguy

trouve dans lrsquoImitation de Jeacutesus Christ de Thomas agrave Kempis la deacutefinition de la

sainteteacute comme imitation du Christ Mais il existe des formes diffeacuterentes drsquoimitation

et aussi de dialogue avec Dieu ce dialogue est au cœur de la sainteteacute chez Peacuteguy

Dans le Priegravere drsquoinseacuterer du Mystegravere de la chariteacute de Jeanne drsquoArc Peacuteguy eacutecrit

laquo dans ce peuple chreacutetien la sainteteacute poussait pour ainsi dire tout seule simple et

srsquoignorant elle-mecircme raquo98 il parle ici des trois personnages du Mystegravere

Jean Onimus dans La route de Charles Peacuteguy en comparant Gervaise et

Hauviette eacutecrit

Gervaise Hauviette ineacutepuisable parallegravele Saintes toutes deux saintes par leur foi absolue leur absolue confiance malgreacute ce qursquoelles ont chaque jour sous les yeux Lrsquoangoisse les traverse mais elles en sortent lrsquoune par la simpliciteacute drsquoun cœur drsquoenfant incapable de douter de Dieu lrsquoautre plus douloureusement eacutetant plus acircgeacutee mucircrie par la souffrance et par sa luciditeacute plus proche de Jeanne Mais au fait en sort-elle Gervaise peut-elle gueacuterir son angoisse Tout ce qursquoelle peut faire telle Job crsquoest un acte de foi pur et simple crsquoest-agrave-dire plier le genou et se taire crsquoest tout ce qui la seacutepare de Jeanne Jeanne elle ne peut pas se taire et si elle plie le genou crsquoest en freacutemissant99

Les trois personnages de ce premier Mystegravere sont eacutetrangement statiques ils ne

changent pas drsquoopinion en parlant entre eux Leur cheminement est inteacuterieur et

lrsquointeraction ne les transforme pas crsquoest au demeurant lrsquoune des raisons de la 98 PEacuteGUY Charles LOTTE Joseph Lettres et entretiens Editions de Paris 1954 p 65 99 ONIMUS Jean La Route de Charles Peacuteguy Plon 1962 p 28

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difficulteacute de mettre en scegravene une telle piegravece comme le souligne Anna Vladimirova

dans son eacutetude de la structure de ce mystegravere

Quand les trois personnages du Mystegravere prononcent leurs tirades agrave qui sont-elles adresseacutees Est-ce seulement agrave lrsquointerlocuteur apparent Le Mystegravere a un sens sacral non seulement parce que crsquoest une discussion sur la foi mais parce que chaque mot chaque reacuteplique chaque monologue est adresseacute agrave un autre personnage que lrsquoon ne voit pas Les paroles sont dirigeacutees verticalement vers le ciel100

Jeannette dans la trilogie eacutetait une reacutevolteacutee une sorte de reacutevolutionnaire

socialiste avant lrsquoheure sa reacutevolte la rendait precircte agrave faire un choix deacutecisif dans la

mesure ougrave la reacutevolte pousse agrave rejeter lrsquoeacutetat actuel des choses ce qui deacutetermine une

possibiliteacute de renouvellement Dans le Mystegravere de la chariteacute de Jeanne drsquoArc

Jeannette reste certes reacutevolutionnaire mais elle est aussi plongeacutee dans le doute le

plus affreux dans un deacutesert spirituel elle exprime des doutes et formule la

possibiliteacute de souffrances vaines de priegraveres vaines elle dit mecircme dans sa premiegravere

priegravere que le fils de Dieu est peut-ecirctre mort en vainhellip Or le doute contrairement agrave

la reacutevolte complique le choix et retarde la prise de deacutecision Il nrsquoen reste pas moins

que par ce doute profond Peacuteguy rapproche sa Jeannette des mystiques ayant

traverseacute la laquo nuit spirituelle raquo le laquo deacutesert spirituel raquo Sa nouvelle Jeannette est une

mystique ce que confirme Madame Gervaise lorsqursquoelle affirme que drsquoautres sont

passeacutes par lagrave Crsquoest la confrontation la rencontre avec un autre ou une autre ndash

comme Madame Gervaise ndash qui permet agrave Jeanne de passer du doute agrave la reacutevolte et

de srsquoacheminer vers ce qui sera plus tard une deacutecision cette phrase non explicite

mais ougrave lrsquoon peut entendre son action future laquo Orleacuteans qui ecirctes au pays de la

Loire raquo (OPD 559)

La Jeannette de Peacuteguy nrsquoest pas une sainte laquo surnaturelle raquo au contraire elle

est profondeacutement humaine elle est une femme de son pays une fille du village

appartenant agrave sa paroisse crsquoest de lagrave qursquoelle reacutepond agrave sa vocation et lrsquoaccomplit

Peacuteguy eacutecrit en reacutepondant aux critiques du Mystegravere dans Un nouveau theacuteologien

monsieur Fernand Laudet

Elle exeacutecuta un ordre divin par des moyens strictement humains [hellip] 100 VLADIMIROVA Anna laquo La structure du Mystegravere de la chariteacute de Jeanne drsquoArc de Charles Peacuteguy raquo Le Porche Bulletin de lrsquoAssociation des Amis de Jeanne drsquoArc et Charles Peacuteguy (Russie Pologne Finlande) ndeg 32 mars 2010 p 47

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[hellip] Car si lrsquoon veut elle est de la race des saints et si lrsquoon veut elle est de la race des heacuteros Venant de Dieu et retournant agrave Dieu et recevant constamment assistance de conseil de ses voix par tout son ecirctre elle est une sainte Elle est de la race des saints Mais dans cette dure humaniteacute du quinziegraveme siegravecle et de tous les siegravecles accomplissant par des moyens purement humains un tel ramassement drsquoexploits purement humains drsquoune guerre purement humaine de toute une action purement humaine par toute son action comme exteacuterieure par tout son engagement corps et acircme dans lrsquoaction militaire dans tout une action de guerre par toute sa condition par tout son ecirctre drsquoaction elle est un heacuteros elle est de la race des heacuteros [hellip] Et ainsi elle est agrave un point drsquointersection unique dans lrsquohistoire de lrsquohumaniteacute En elle se joignent deux races qui ne se joignent nulle part ailleurs Par un recoupement unique de ces deux races par une eacutelection par une vocation unique dans lrsquohistoire du monde elle est agrave la fois sainte entre tous les heacuteros heacuteroiumlque entre toutes les saintes (III 567-569) Le Notre Pegravere de Jeannette qui ouvre le mystegravere porte deacutejagrave les traces de ses

doutes et mecircme drsquoun deacutesespoir laquo Si on voyait seulement se lever le soleil de votre

regravegne Mais rien jamais rien raquo (OPD 403) Elle nrsquoest pas loin de perdre la foi

laquo Faudra-t-il que vous ayez envoyeacute votre fils en vain et sera-t-il dit que Jeacutesus sera

mort en vain votre fils qui est mort pour nous raquo (OPD 432)

Jeannette est humaine elle est donc une peacutecheresse comme les autres elle

pecircche par le deacutesespoir par une tristesse mortifegravere proche du laquo peacutecheacute des moines raquo ndash

lrsquoaceacutedie qursquoelle eacutevoque en parlant des naufrageacutes de la guerre laquo Celui qui manque

trop du pain quotidien nrsquoa plus aucun goucirct au pain eacuteternel au pain de Jeacutesus-Christ raquo

(OPD 416) De plus elle a manqueacute sa premiegravere communion et elle se montre tecirctue

comme le sont souvent les adolescentes de treize ans souvent sermonneacutees par une

aicircneacutee de qui elles attendent de lrsquoaide Cet entecirctement est si bien traduit dans le

dialogue avec Madame Gervaise ougrave Jeannette lui reacutepond peut-ecirctre sans trop

lrsquoeacutecouter en reacutepeacutetant une seule phrase beaucoup de fois comme un refrain Mais

malgreacute tout cela elle accueille la gracircce la gracircce de Dieu fait drsquoelle une sainte tout

comme la gracircce de Dieu lui permet aussi de devenir une sainte agissante et de

reacutepondre en heacuteroiumlne aux eacutevegravenements preacutesents conformeacutement agrave ce qursquoeacutecrit Jean-

Noeumll Dumont au sujet du heacuteros et de lrsquoeacuteveacutenement laquo Le heacuteros est lrsquohomme de

lrsquoeacuteveacutenement Il nrsquoest pas celui qui fait lrsquoeacuteveacutenement agrave la maniegravere drsquoun coup de force

de sa volonteacute lrsquoeacuteveacutenement nrsquoest pas son œuvre Le heacuteros est plutocirct celui qui est lagrave

et coiumlncide avec lrsquoeacuteveacutenement raquo101

101 DUMONT Jean-Noeumll op cit p 89

74

La gracircce reccedilue et accueillie par Jeannette se traduit par sa priegravere incessante

dont teacutemoigne son amie Hauviette laquo Jamais les croix des chemins nrsquoavaient tant

servihellip raquo (OPD 407) cette derniegravere dit aussi laquo Tu veux ecirctre comme les autres Tu

veux ecirctre comme tout le monde Tu ne veux pas te faire remarquer Tu as beau faire

Tu nrsquoy arriveras jamais raquo (OPD 409) Oui Jeannette est diffeacuterente laquo mise agrave part

pour Dieu raquo (qadosh) Elle voit autrement le reacuteel elle perccediloit les choses de Dieu

dans le quotidien qui lrsquoentoure par exemple elle voit dans les eacutepis et la vigne le

pain et le vin de lrsquoEucharistie

Sacreacutes bleacutes sacreacutes bleacutes qui faites le pain froment eacutepi grain de lrsquoeacutepi de bleacute Moisson du bleacute des champs Pain qui fucirctes servi sur la table de Notre-Seigneur Bleacute pain qui fucirctes mangeacute par Notre-Seigneur mecircme qui un jour entre tous les jours fucirctes mangeacute Bleacutes sacreacutes bleacutes qui devicircntes le corps de Jeacutesus-Christ un jour entre tous les jours et qui tous les jours ecirctes mangeacute nrsquoeacutetant plus vous-mecircme mais eacutetant le corps de Jeacutesus-Christ (Ibid 417)

Sa perception aigueuml de la communion des saints de lrsquouniteacute du royaume de

France de lrsquounion entre tous les hommes la fait souffrir atrocement de

comportements qursquoelle ressent comme une forme de lacirccheteacute (travailler aux champs

par exemple au lieu de combattre pour sauver la France) parce qursquoelle se sent

complice Crsquoest la gracircce qui nourrit sa reacutevolte puisque lrsquoeacuteveacutenement que repreacutesente

la guerre agrave son eacutepoque suscite sa reacutevolte Mais cette reacutevolte va plus loin Non

seulement elle voudrait laquo tuer la guerre raquo (OPD 450) mais elle voudrait aller en

enfer laquo pour sauver de lrsquoAbsence eacuteternelle Les acircmes des damneacutes srsquoaffolant de

lrsquoAbsence raquo (OPD 458) Crsquoest cette reacutevolte profonde bouleversante qui pousse

Jeanne vers sa vocation de sainte militante active cette reacutevolte lui donne lrsquoaudace

de dire laquo Je crois que si jrsquoavais eacuteteacute lagrave je ne lrsquoaurais pas abandonneacute raquo (OPD 526)

Jeannette est impatiente Dans lrsquoune des pages retrancheacutees de la version

publieacutee mais qui figure sur le manuscrit et qui devait faire partie du deuxiegraveme acte

du mystegravere qui portait encore le titre Mystegravere de la vocation de Jeanne drsquoArc elle

dit agrave Dieu dans la priegravere (elle prie alors devant son village ravageacute et lrsquoEacuteglise de

Domreacutemy brucircleacutee par les Bourguignons) laquo Votre patience est effrayante Et on ne

sait jamais si votre patience est plus effrayante pour vos amis ou si votre patience

est plus effrayante pour vos ennemis raquo (OPD 562) Et de sa reacutevolte contre Dieu

75

mecircme contre sa patience une reacutevolte amegravere qui la pousse agrave dire agrave Dieu laquo Votre

main gauche reprend ce que nous a donneacute votre main droite raquo (Ibid) ainsi que de sa

honte de sa famille des paysans qui nrsquoont pas deacutefendu leur Eacuteglise qui ont fui

laquo portant nos lacirccheteacutes comme des sacs de bleacute raquo (OPD 564) naicirct sa priegravere pour le

laquo chef de guerre raquo et sa vocation laquo Que pour les reacuteveiller vienne le chef de guerre

Double chreacutetien pour des temps doublement tombeacutes raquo (OPD 567)

laquo Lrsquoaudace est lrsquoespeacuterance reacutealiseacutee dans lrsquoaction raquo eacutecrit Jean-Noeumll Dumont102

crsquoest donc par cette reacutevolte impatiente et audacieuse que Jeannette deacutepasse son

deacutesespoir Elle est peut-ecirctre deacutesespeacutereacutee dans ses propos mais elle reacutealise

lrsquoespeacuterance dans ses actes qui germent dans les derniegraveres paroles du Mystegravere de la

Chariteacute de Jeanne drsquoArc laquo Orleacuteans qui ecirctes au pays de Loire raquo (OPD 559)

Peacuteguy deacutecrit Jeannette en vision une sorte de vision jalouse de ceux qui ont

veacutecu au temps de Jeacutesus laquo Vous avez vu la couleur de ses yeux vous avez entendu

le son de ses paroles raquo (OPD 443) Crsquoest aussi en vision qursquoelle rencontre Madame

Gervaise qui lrsquoimite dans sa jalousie en insistant sur la preacutesence de Jeacutesus dans le

preacutesent aujourdrsquohui

Madame Gervaise degraves sa premiegravere apparition dans le Mystegravere est preacutesenteacutee

comme mystique Ses premiers mots se joignent agrave la vision de Jeanne une

didascalie les introduit qui preacutecise laquo En vision agrave elles deux raquo (OPD 444) Par ses

premiers mots elle se place dans lrsquoaujourdrsquohui de Dieu dans une vision mystique

qui efface le temps et lrsquoespace laquo Il est lagrave Il est lagrave comme au premier jour raquo (Ibid)

Madame Gervaise est docile et precircte agrave accomplir la volonteacute de Dieu elle nrsquoa pas

peur du deacutesert spirituel et des souffrances dont lui parle Jeannette qursquoelle a toutes

devineacutees gracircce agrave sa compassion et parce qursquoelle est elle-mecircme passeacutee par lagrave

Madame Gervaise est aussi pleine drsquoespeacuterance la plus grande vertu selon Peacuteguy

car elle nrsquoa pas peur de recommencer agrave zeacutero de reprendre un grand travail qui a eacuteteacute

deacutetruit Cette absence de crainte devant un travail peut-ecirctre insenseacute parce qursquoil doit

sans cesse ecirctre renouveleacute constitue pour Peacuteguy le plus grand signe de lrsquoespeacuterance 102 DUMONT Jean-Noeumll op cit p 96

76

laquo Ils deacutemolissent les Eacuteglises Nous en rebacirctirons toujours Nous rebacirctirons toujours

des Eacuteglises de pierre raquo (OPD 449)

Madame Gervaise a un amour absolu pour lrsquoEacuteglise qui est le Corps du Christ

pour elle crsquoest agrave travers lrsquoEacuteglise qursquo laquo Il est lagrave raquo LrsquoEacuteglise est pour elle par

excellence ce qui est vivant laquo Il nrsquoy a point drsquoEacuteglise morte raquo (OPD 462) Et puis

sous la plume de Peacuteguy elle parle comme quelqursquoun qui connaicirct Dieu et pas

seulement comme quelqursquoun qui a bien appris son cateacutechisme ou mecircme bien lu

Lrsquoimitation de Jeacutesus Christ ou les Saintes Eacutecritures Elle parle comme quelqursquoun

qui connaicirct Dieu personnellement Elle parle drsquoune expeacuterience veacutecue de la

rencontre Crsquoest Madame Gervaise qui dans le Mystegravere de la Chariteacute de Jeanne

drsquoArc commente la passion de Jeacutesus elle en parle comme un teacutemoin

Et son flanc qui lui brucirclait

Son flanc perceacute

Son cœur perceacute

Et son cœur qui lui brucirclait

Son cœur consumeacute drsquoamour

Son cœur deacutevoreacute drsquoamour (OPD 472-473)

Au demeurant crsquoest aussi par la bouche de Madame Gervaise que Dieu parle

dans les deux Mystegraveres suivants que Peacuteguy dans sa correspondance appelait laquo les

Jeannes drsquoArc raquo Le Porche du mystegravere de la deuxiegraveme vertu et Le Mystegravere des

saints Innocents Crsquoest Madame Gervaise qui reacutepond agrave la plus grande question de

Jeanne et lui indique sans le savoir son chemin laquo Qui donc faut-il sauver

Comment faut-il sauver raquo La reacuteponse et la question sont les mecircmes que dans la

premiegravere Jeanne drsquoArc laquo En imitant Jeacutesus En eacutecoutant Jeacutesus raquo (OPD 523-524)

Madame Gervaise se place dans une ligneacutee de saints elle srsquoinscrit dans un heacuteritage

en disant que tous nous avons pris la suite des apocirctres des premiers chreacutetiens et

que nous sommes leurs laquo fils spirituels et successeurs spirituels raquo (OPD 530)

Madame Gervaise fait preuve drsquohumiliteacute dans sa reacuteponse agrave Jeanne qui essaye de la

persuader que les saints franccedilais saint Franccedilois ou sainte Claire nrsquoauraient pas

abandonneacute Jeacutesus lors de sa Passion laquo Tu profites de ce que moi je ne suis qursquoune

pauvre femme une pauvre peacutecheresse heacutelas comme tout le monde Une peacutecheresse

77

Une pauvre Une pauvresse de gracircce raquo (OPD 540) Mais Jeannette la met encore agrave

lrsquoeacutepreuve et Peacuteguy dans les didascalies souligne lrsquoeffort drsquohumiliteacute que fait

Madame Gervaise en lui reacutepondant

JEANNETTE [hellip] Vous Madame Gervaise vous nrsquoauriez pas laisseacute faire ccedila

MADAME GERVAISE Chancelant soudain sous cette pousseacutee sous cette invasion sous cette attaque directe sous cette reacuteveacutelation de la penseacutee la plus secregravete Elle tremble Elle rougit brusquement Un eacuteclair dans les yeux Puis elle parle pour se rassurer Elle eacuteteint lentement modestement tout cela

Mon enfant mon enfant meacutenage-moi

Il est venu la nuit comme un larron et il a tout deacuterobeacute

Balbutiant bafouillant se reprenant peu agrave peu

Je ne suis pas venue au monde dans ce temps-lagrave mon enfant

JEANNETTE implacable Vous vous ne lrsquoauriez pas renonceacute

MADAME GERVAISE Dans un effort incroyable dans un effort terrible drsquohumiliteacute volontaire de volonteacute drsquohumiliteacute comme traqueacutee dans un freacutemissement dans un frissonnement fermant les yeux humblement elle achegravevera drsquoune voix grise

Mon enfant je suis comme tout le monde

Je ne vaux pas mieux que les autres

Je ne suis pas venue au monde dans ce temps-lagrave Dieu nous fait venir au monde quand il veut Il a toujours raison Dieu fait bien ce qursquoil fait

Il est venu la nuit comme un voleur et il a tout emporteacute (OPD 546-547)

Madame Gervaise a confiance dans la gracircce de Dieu

Il y a dans le ciel dans le ciel et sur la terre dans le ciel et de lagrave sur la terre il y a dans le ciel un treacutesor de la gracircce un treacutesor des gracircces une source eacuteternelle de la gracircce elle coule toujours et elle est toujours aussi pleine elle coule eacuteternellement et elle est eacuteternellement pleine voilagrave ce que les docteurs de la terre nrsquoont pas compris (OPD 553)

Ensuite elle parle pareillement du treacutesor infini des souffrances du Christ du

treacutesor infiniment plein des meacuterites et du treacutesor des promesses La confiance est

aussi pour Peacuteguy un trait essentiel drsquoun saint drsquoune sainte Mais elle a aussi un

trait surprenant qui semblerait-il ne correspond pas agrave son image de personnage qui

repreacutesente la tradition de lrsquoEacuteglise la doctrine elle exprime en effet presque une

reacutevolte en affirmant qursquoil y a quelque chose que laquo les docteurs de la terre nrsquoont pas

comprisraquo (OPD 553) Pour Charles Peacuteguy un saint ne peut pas ecirctre parfaitement

drsquoaccord avec lrsquoordre existant des choses Mecircme la religieuse pleinement fidegravele agrave

lrsquoEacuteglise trouve quand mecircme agrave redire chez les docteurs en theacuteologie Un saint doit

apporter quelque chose de nouveau crsquoest ce qui lrsquoapparente au geacutenie sauf que le

78

geacutenie veut rester seul alors que le saint aspire agrave la communion Les paroles que

prononce Madame Gervaise agrave la fin du mystegravere paroles qui attestent de son infinie

confiance agrave Dieu sont aussi celles qursquoHauviette a prononceacutees au deacutebut laquo Nous

sommes dans la main de Dieu raquo (OPD 559)

Mecircme la petite Hauviette qui nrsquoest preacutesente qursquoau deacutebut du Mystegravere incarne

une forme de sainteteacute Hauviette qui dans la premiegravere piegravece sur Jeanne drsquoArc Aacute

Domreacutemy faisait preuve de pieacuteteacute traditionnelle et de beaucoup de bon sens donne

ici lrsquoexemple de la sanctification par le travail elle teacutemoigne de la vertu du travail

dont nous parlerons dans le chapitre suivant Hauviette dit au deacutebut de la piegravece

laquo Travailler crsquoest prier raquo (OPD 407) En tout cas ses propos sont tout aussi graves

et peu vraisemblables chez une fillette de dix ans que ceux de son amie Jeannette

acircgeacutee de treize ans

Hauviette fait preuve drsquoune infaillible confiance en Dieu qui est le socle de

lrsquoespeacuterance la vertu la plus importante pour Peacuteguy Sa troisiegraveme phrase dans le

mystegravere est une reacuteponse agrave Jeannette qui parle du manque laquo Le bon Dieu sait bien

ce qursquoil nous faut le bon Dieu sait bien ce qui nous manque raquo (OPD 406)

Son attention aux autres sa capaciteacute de comprendre ses proches son eacutecoute

sont aussi hors du commun Elle comprend que Jeannette est diffeacuterente et qursquoelle a

une autre relation avec Dieu laquo ce que nous savons nous autres tu le vois [hellip] et ta

priegravere tu ne la fais pas tu ne la fais pas seulement tu la vois raquo (OPD 407-408) Elle

comprend aussi la profonde tristesse de Jeannette bien que Jeannette ne se soit

encore confieacutee agrave personne Elle est en colegravere contre Madame Gervaise parce que

celle-ci est partie au couvent en laissant sa megravere sans aide en parlant de la megravere de

Madame Gervaise Hauviette fait preuve de beaucoup de compassion laquo Crsquoeacutetait

affreux crsquoeacutetait affreux On en pleurait raquo (OPD 424) Au demeurant Jeannette le

sait et le dit bien qursquoHauviette refuse drsquoadmettre ses sentiments laquo Je ne suis peut-

ecirctre pas la seule Madame qui ne peut pas supporter les cris des enfants raquo

(OPD 412)

79

Hauviette est humble Agrave propos de la singulariteacute de Jeanne qui prie plus que

les autres elle dit

Je suis dans la main du bon Dieu Nous sommes dans la main du bon Dieu tous et la terre entiegravere est dans la main du bon Dieu Il faut de tout pour faire un monde Il faut des creacuteatures de toute sorte pour faire une creacuteation Il faut des paroissiens de toute sorte pour faire une paroisse Il faut des chreacutetiens de toute sorte pour faire une chreacutetienteacute (OPD 409)

Hauviette parle ainsi de la communion des saints dont elle sait humblement

qursquoelle fait partie parce qursquoelle appartient agrave la chreacutetienteacute et parce qursquoil faut aussi

des chreacutetiens comme elle pas seulement des chreacutetiens comme Jeanne ou Madame

Gervaise Plus loin en reacutepondant agrave Jeannette qui parle de lrsquoexclusiviteacute du lien de

Madame Gervaise avec le Seigneur lieacutee agrave son statut de religieuse Hauviette montre

encore plus de profondeur

Il nrsquoy a point de reacuteveacutelations particuliegraveres Il nrsquoy a qursquoune reacuteveacutelation pour tout le monde et crsquoest la reacuteveacutelation de Dieu et de Notre Seigneur-Jeacutesus-Christ [] Le bon Dieu a appeleacute tout le monde il a convoqueacute tout le monde il a nommeacute tout le monde [] Il conduit tout le monde par la main Il nous a toutes deacutesigneacutees Nous sommes toutes entreacutees au couvent de chreacutetienteacute [hellip] Il nous a toutes appeleacutees par notre nom qui est notre nom de baptecircme [hellip] Toute parole drsquohomme et de femme du pegravere de la megravere et des enfants arrive directement aux oreilles de Dieu toute priegravere humaine toute priegravere chreacutetienne arrive monte directement agrave lrsquooreille de Dieu (OPD 420-421)

Elle se preacutesente donc elle-mecircme comme appeleacutee par Dieu deacutesigneacutee et precircte agrave

reacutepondre agrave lrsquoappel Hauviette a un sens aigu de la paroisse de la communauteacute de

lrsquoEacuteglise et surtout de la communion des saints En continuant de signifier agrave

Jeannette sa colegravere envers Madame Gervaise elle dit laquo Il faut se sauver ensemble

Il faut arriver ensemble chez le bon Dieu raquo (OPD 424) Hauviette reacutepegravete plusieurs

fois qursquoelle laquo voit clair raquo ce qui est plus qursquoun simple bon sens Le lecteur le

deacutecouvre quand Hauviette sans le savoir propheacutetise sur Jeanne Peacuteguy souligne

alors son innocence en rajoutant une didascalie qui dit qursquoHauviette rit en

prononccedilant ces mots

hellippour tuer la guerre il faut un chef de guerre [hellip] et ce nrsquoest pas nous Nrsquoest-ce pas Qui ferons la guerre Ce nrsquoest pas nous qui serons jamais des chefs de guerre Alors nous en attendant qursquoon ait tueacute la guerre il nous faut travailler nous chacun de son cocircteacute chacun de son mieux agrave garder sauf tout ce qui nrsquoest pas encore gacircteacuteraquo (OPD 425-426)

Peacuteguy pour souligner que Hauviette est aussi une sainte dans ses yeux place

dans sa bouche un reacutecit qui vient de la vie de saint Louis de Gonzague

80

Si jrsquoeacutetais agrave la maison occupeacutee agrave filer mon peson de laine ou ccedila revient au mecircme si jrsquoeacutetais agrave jouer aux boquillons parce que ce serait lrsquoheure de jouer et si on venait me dire si quelqursquoun accourait Hauviette Hauviette crsquoest lrsquoheure du jugement lrsquoheure du jugement dernier dans une demi-heure lrsquoange va commencer agrave sonner de la trompettehellip [hellip]

Je continuerais agrave filer ma laine et ccedila revient au mecircme je continuerais agrave jouer aux boquillonshellip [hellip]

Parce que le jeu des creacuteatures est agreacuteable agrave Dieu Lrsquoamusement des petites filles lrsquoinnocence des petites filles est agreacuteable agrave Dieu [hellip] Tout est agrave Dieu tout regarde Dieu tout se fait sous le regard de Dieu toute la journeacutee est agrave Dieu Toute la priegravere est agrave Dieu tout le travail est agrave Dieu tout le jeu aussi est agrave Dieu quand crsquoest lrsquoheure de jouer Je suis une petite Franccedilaise je nrsquoai pas peur de Dieu parce qursquoil est notre pegravere (OPD 427-428)

Crsquoest une sainte du peuple une sainte de la paroisse elle nrsquoest pas une sainte

pour toute la France comme le deviendra Jeannette elle nrsquoest pas une sainte pour

toute lrsquoEacuteglise comme Madame Gervaise qui au couvent prie pour le salut de tous

mais elle est une sainte dans sa paroisse et pour sa paroisse Hauviette est donc

sainte parce que lrsquoenfance est sainte parce que lrsquoinnocence est sainte et parce que la

confiance et lrsquoespeacuterance sont saintes

En commenccedilant par des personnaliteacutes politiques ou litteacuteraires qui sont des

exemples agrave suivre en tant qursquoauteurs ou bien en tant que membres drsquoun groupe

politique comme Jauregraves pour les socialistes Peacuteguy arrive aux heacuteros et aux saints

Degraves lors il ne srsquoagit plus seulement de suivre de mettre ses pas dans ceux de

lrsquoexemple choisi mais aussi de lrsquoimiter Les heacuteros ont ceci de particulier que leurs

actes sont inimitables par leur essence mecircme sinon tout le monde pourrait ecirctre un

heacuteros En revanche chaque chreacutetien est appeleacute agrave imiter le Christ donc agrave devenir

saint Ainsi les saints deviennent des exemples agrave imiter Maurice Barregraves dans

LrsquoEcho de Paris du 28 feacutevrier 1910 eacutecrit agrave propos du Mystegravere de la chariteacute de

Jeanne drsquoArc

O stupeur Aux yeux de ce jeune normalien de grande culture classique tregraves meacuteditatif entecircteacute nullement un faiseur de paradoxes frivoles Jeanne drsquoArc est un modegravele Et pas drsquoeacutequivoque Il ne srsquoagit pas drsquoun modegravele drsquoapregraves lequel modeler sculpter eacutecrire Non un modegravele drsquoapregraves lequel vivre

81

CHAPITRE II LES VERTUS SELON PEacuteGUY

Si Peacuteguy se fait lrsquoapocirctre des vertus theacuteologales la foi la chariteacute et lrsquoespeacuterance

on ne lrsquoentend pas souvent parler des quatre vertus cardinales la tempeacuterance la

force la prudencehellip Seule la justice trouve gracircce agrave ses yeux En revanche si lrsquoon

considegravere qursquoune vie selon les vertus est ce qui fait drsquoun homme un saint Peacuteguy en

a sa propre laquo liste raquo

Certaines vertus vraisemblablement ne sont pas issues de son cateacutechisme ni de

sa foi chreacutetienne plus approfondie Elles pourraient ecirctre qualifieacutees de vertus

socialistes celles qui rendent un homme digne drsquoecirctre citoyen de la laquo citeacute

harmonieuse raquo deacutecrite par Peacuteguy en 1897 Sans doute elles sont issues de la culture

judeacuteo-chreacutetienne et ne srsquoen deacutemarquent pas mais il se peut que ce soit justement la

reacuteflexion sur le citoyen parfait qui ait finalement ameneacute Peacuteguy agrave penser la sainteteacute

Mais drsquoautres vertus ne sont-elles pas agrave recenser issues de sa freacutequentation des

juifs et de ses notions du judaiumlsme acquises agrave leur contact Le saint de Peacuteguy

serait-il un tzadik

Une question se pose en contrepoint des nombreuses vertus que Peacuteguy

mentionne et admire dans ses textes peut-on parler de vices Visiblement pour

Peacuteguy il nrsquoexiste que deux vices veacuteritables la reacutepeacutetition et la politique La

reacutepeacutetition est contraire au renouvellement agrave la possibiliteacute du nouveau incarneacutee

reacutealiseacutee dans la vertu de lrsquoespeacuterance

Quant agrave la politique en utilisant ce mot Peacuteguy ne parle pas uniquement de

lrsquoaction politique de lrsquoacte de diriger la France ou drsquoinfluencer drsquoune maniegravere ou

drsquoune autre le cours de son histoire Peacuteguy le militant chantre de saints agissants

ne saurait srsquoopposer agrave aucune action qui puisse contribuer agrave la construction de la

citeacute harmonieuse lrsquoaction dans et pour la socieacuteteacute est indispensable Mais chez

Peacuteguy laquo la politique raquo est ce qui est contraire agrave la vertu qursquoil honore le plus celle

de la justice (et de la justesse) La justice ne peut srsquoopeacuterer que dans une pleine

82

reconnaissance du reacuteel pour pouvoir agir au cœur de lrsquoeacuteveacutenement La politique peut

reacutecupeacuterer pour utiliser dans un but mecircme beau mais exteacuterieur agrave lrsquoeacuteveacutenement

preacutesent nrsquoimporte quelle veacuteriteacute reacutealiteacute situation actuelle preacutesente elle peut donc

la deacutenaturer en la deacuteracinant de son milieu originaire et originel La justice et

surtout la laquo justesse raquo dont Peacuteguy parle dans son œuvre poeacutetique est contraire agrave

cela La justesse suppose une volonteacute de tendre vers lrsquoharmonie le deacutesir de

srsquoaccorder avec les autres pour que lrsquoensemble sonne juste crsquoest lrsquoeacutecoute de soi de

lrsquoautre et de lrsquoeacuteveacutenement qui devient la pierre angulaire de la citeacute harmonieuse

1 Les vertus socialistes

De Platon agrave Peacuteguy comme le deacuteplore lrsquoarticle laquo vertu raquo du Dictionnaire de

spiritualiteacute le mot laquo vertu raquo a subi une laquo inflation verbale raquo103 Et la penseacutee de

Peacuteguy suit finalement tous les meacuteandres du chemin que le sens du mot laquo vertu raquo a

pu emprunter

En tentant de deacutecrire une citeacute harmonieuse constitueacutee de citoyens parfaits

Peacuteguy ne peut certainement pas se passer de la Reacutepublique de Platon qui le

premier avait systeacutematiseacute les vertus indispensables agrave lrsquoEacutetat celles qui plus tard

seront appeleacutees cardinales laquo car elles correspondent agrave la constitution naturelle de

lrsquohomme dont elles expriment lrsquoharmonie et la santeacute morale raquo104 Le jeune Peacuteguy est

tregraves platonicien les vertus chez les citoyens de sa citeacute harmonieuse sont inneacutees

autrement la citeacute ne serait pas harmonieuse Alain Thomasset explique laquo Pour

Platon la vertu est une forme de connaissance de ce qui est vraiment bon pour

lrsquohomme et qui le rend capable drsquoagir comme il faut raquo105 Les citoyens de sa citeacute

103 Dictionnaire de spiritualiteacute asceacutetique et mystique doctrine et histoire TXVI Paris Beauchesne 1994 p 490 104 Op cit Dictionnaire de spiritualiteacute p 485 105 THOMASSET Alain sj Interpreacuteter et agir jalons pour une eacutethique chreacutetienne Paris Cerf 2011 p 302

83

harmonieuse sont presque des anges ils sont parfaits et le jeune Peacuteguy nrsquoeacutecrit pas

ce qursquoil faut faire pour devenir digne de cette citeacute Mais cela constituera la

recherche de toute sa vie

En revanche la sainte bien que pas encore canoniseacutee agrave lrsquoeacutepoque que Peacuteguy

deacutecrit minutieusement Jeanne drsquoArc ne semble pas aussi parfaite dans la trilogie

de 1897 Jeanne drsquoArc comme dans sa reacuteeacutecriture dix ans plus tard dans le Mystegravere

de la chariteacute de Jeanne drsquoArc elle blasphegraveme elle se reacutevolte elle ment agrave ses

parents elle deacutesobeacuteit au nom de la justice pour que justice soit faite pour que

veacuteriteacute soit faite la veacuteriteacute de la France qui est aux Franccedilais et doit ecirctre gouverneacutee par

le Roi de France parce que Dieu le veut ainsi On deacutecouvre alors que la justice est

une vertu chez Peacuteguy une vertu qui peut sembler chevaleresque mais tout son

combat socialiste est une sorte drsquoaventure chevaleresque avec des laquo tournois raquo dans

les couloirs de la Sorbonne au deacutebut dans les pages poleacutemiques voire pamphleacutetaires

des Cahiers par la suite

a) Peacuteguy ndash preux chevalier du socialisme

En grand connaisseur et amateur du Moyen Age Peacuteguy se fabriqua drsquoune

certaine maniegravere surtout dans les premiegraveres anneacutees de lrsquoexistence des Cahiers de la

quinzaine une sorte de code des vertus chevaleresques du socialisme Il deacutefendait

avec une vaillance de guerrier le socialisme tel qursquoil le voyait la veacuteriteacute et la justice

avec ses poings et avec ses mots sa parole eacutetait une parole de veacuteriteacute et il y tenait

jusqursquoagrave la deacutemesure (laquo Dire la veacuteriteacute toute la veacuteriteacute rien que la veacuteriteacute dire

becirctement la veacuteriteacute becircte ennuyeusement la veacuteriteacute ennuyeuse tristement la veacuteriteacute

triste raquo (I 291-292)) il se voyait en deacutefenseur de tous les opprimeacutes et de tous les

perseacutecuteacutes il deacutepensait tout son argent pour sa cause sans penser agrave soi (et parfois

aussi sans penser vraiment agrave sa famillehellip) en chevalier sans peur et sans reproche

qui se bat pour la reacutevolution mystique et morale Don Quichotte du XXe siegravecle

Pocquet-du-Haut-Jusseacute eacutecrit laquo A vrai dire il est un peu artificiel de seacuteparer chez

Peacuteguy le combat pour la justice de celui pour la veacuteriteacute surtout dans le cadre de

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lrsquoAffaire Il est bien clair en effet que reacutetablir la veacuteriteacute agrave propos de Dreyfus crsquoest du

mecircme coup lui rendre justice raquo106

La justice et la veacuteriteacute semblent tellement centrales chez Peacuteguy que Roula Helou

va jusqursquoagrave dire qursquoil suffit qursquoun homme deacutefende ardemment ces valeurs pour que

Peacuteguy le considegravere comme saint107

Dix ans plus tard il garde encore sa fierteacute chevaleresque dans Notre Jeunesse

sa reacuteponse agrave Haleacutevy qui lrsquoa brouilleacute au moins pour un certain temps avec cet ami

fidegravele est pleine de fierteacute et drsquoindignation parce qursquoil trouve que Haleacutevy a donneacute

aux dreyfusards un air de laquo chiens battus raquo

Je ne me sens nullement ce poil de chien battu Je consens drsquoavoir eacuteteacute vainqueur je consens (ce qui est mon jugement propre) drsquoavoir eacuteteacute vaincu (ccedila deacutepend du point de vue auquel on se place) je ne consens point drsquoavoir eacuteteacute battu Je consens drsquoavoir eacuteteacute ruineacute (dans le temporel et fort exposeacute dans lrsquointemporel) je consens drsquoavoir eacuteteacute trompeacute je consens drsquoavoir eacuteteacute berneacute Je ne consens point drsquoavoir eacuteteacute mouilleacute Je ne me sens point ce poil de chien mouilleacute Je ne me reconnais point dans ce portrait Nous eacutetions autrement fiers autrement droits autrement orgueilleux infiniment fiers portant haut la tecircte infiniment pleins infiniment gonfleacutes des vertus militaires (III 41)

Peacuteguy eacutecrit plus loin que lrsquohumiliteacute et la peacutenitence ont leur place parmi les

vertus chreacutetiennes mais qursquoen tant que civil laiumlc il veut laquo ecirctre bourreacute drsquoorgueil raquo

(III 42) Parce qursquoun chevalier mecircme vaincu qui a perdu sa fierteacute son orgueil de

combattant en se repentant de ses actes guerriers nrsquoest plus un fier vaincu mais un

laquo chien battu raquo Ensuite Peacuteguy eacutenumegravere les vertus qursquoil deacutefinit comme

laquo franccedilaises raquo et qui constituent eacutegalement une sorte de code chevaleresque en

concluant que ces qualiteacutes ces vertus deacutefinissent lrsquoheacuteroiumlsme lrsquoheacuteroiumlsme franccedilais

la vaillance claire la rapiditeacute la bonne humeur la constance la fermeteacute un courage opiniacirctre mais de bon ton de belle tenue de bonne tenue fanatique agrave la fois et mesureacute forceneacute ensemble et pleinement senseacute une tristesse gaie qui est le propre du Franccedilais un propos deacutelibeacutereacute une reacutesolution chaude et froide une aisance un renseignement constant une dociliteacute et ensemble une reacutevolte constante agrave lrsquoeacuteveacutenement une impossibiliteacute organique agrave consentir agrave lrsquoinjustice agrave prendre son parti de rien Un deacutelieacute une finesse de lame Une acuiteacute de pointe (III 87)

Souvent quand Peacuteguy deacutecrit la France et les Franccedilais il procegravede par des

contrastes des oppositions des contradictions apparentes qui en veacuteriteacute ne sont pas 106 POQUET DU HAUT-JUSSEacute Laurent-Marie Charles Peacuteguy et la moderniteacute essai drsquointerpreacutetation theacuteologique drsquoune œuvre litteacuteraire Perpignan Artegravege 2010 p 48 107 HELOU Roula Les Images dans les mystegraveres de Charles Peacuteguy Villeneuve drsquoAscq Presses universitaires du Septentrion 2002 p 183

85

aussi contradictoires Toutes les qualiteacutes toutes les vertus eacutenumeacutereacutees dans cette liste

supposent une fideacuteliteacute agrave la veacuteriteacute et agrave la justice notamment par une reconnaissance

active de la reacutealiteacute Ecirctre vaillant mais sans ecirctre aveugleacute par la rage ecirctre vaillant de

maniegravere lucide laquo claire raquo Ecirctre rapide pour pouvoir reacutepondre agrave lrsquoeacuteveacutenement sans

tarder Ecirctre constant ce mot revient plusieurs fois dans cette liste ecirctre constant

donc ecirctre fidegravele agrave soi-mecircme demeurer soi Fanatique et forceneacute et cependant tout

mesureacute et senseacute voilagrave une belle description drsquoun heacuteros ou drsquoune heacuteroiumlne comme

Jeanne drsquoArc qui eacutetait fanatique et forceneacutee dans la fideacuteliteacute agrave sa vocation ceacuteleste

mais pleine de bon sens non seulement dans le portrait que Peacuteguy en fait mais dans

les textes de son procegraves dans son action sur terre laquo Une tristesse gaie raquo parce que

consciente de la reacutealiteacute pas toujours joyeuse mais refusant de srsquoappuyer

uniquement sur lrsquoexpeacuterience neacutegative du passeacute pleine drsquoespeacuterance laquo Une

reacutesolution chaude et froide raquo chaude parce que rapide reacuteactive par rapport au

preacutesent reacuteel agrave lrsquoeacuteveacutenement mais pourtant froide reacutefleacutechie Et laquo une acuiteacute raquo qui

rend possible la laquo justesse raquo

Dans le texte intituleacute par ses eacutediteurs Le Mystegravere de la vocation de Jeanne

drsquoArc (ce qui eacutetait drsquoailleurs le premier titre du mystegravere que Peacuteguy a changeacute au

dernier moment) retrancheacute par son auteur du manuscrit du Mystegravere de la chariteacute de

Jeanne drsquoArc Jeannette prie pour que Dieu donne agrave la France un chef de guerre et

deacutecrit les vertus qui doivent le caracteacuteriser il doit avoir une laquo vaillance neuve raquo

crsquoest-agrave-dire pleine drsquoespeacuterance confiante dans le futur puisque le mot laquo neuf raquo chez

Peacuteguy est presque un synonyme de lrsquoespeacuterance il doit pourvoir enseigner

laquo lrsquoefficace priegravere Et qui relegraveve droit les acircmes affaisseacutees raquo (OPD 555-556) il doit

donc guider les autres aussi dans sa relation agrave Dieu

Un capitaine dur pour les batailles dures

Un vainqueur pitoyable aux hommes apaiseacutes

Toujours precirct agrave braver les cuisantes morsures

Du fer et toujours precirct agrave lrsquoappel des blesseacutes (OPD 566)

Suit une longue meacuteditation sur les vainqueurs qui le plus souvent ne sont pas

charitables et sur laquo ceux qui sont charitables [et] ne sont pas vainqueurs raquo

(OPD 467) mais pour sauver la France il faut un chef qui saura vaincre en priant

86

et en eacutetant charitable qui saura guider les soldats dans la vaillance et dans la priegravere

et dans la chariteacute un chef pour qui la chariteacute ne srsquoopposera pas agrave lrsquoaction mais

pour qui lrsquoaction dans le monde y compris lrsquoacte de guerre celui de laquo tuer la

guerre raquo sera un fruit de la priegravere Et dans son dernier texte la Note conjointe sur

M Descartes et la philosophie carteacutesienne Peacuteguy parle de lrsquoaudace qui est laquo seule

est grande raquo (III 1279) Parce qursquoun audacieux ose et que le neuf devient possible

Jeannette exige la mecircme vaillance charitable de ses soldats elle voudrait

qursquolaquo ils fassent leur tacircche comme on fait un meacutetier raquo (OPD 574) sans colegravere sans

haine juste comme nrsquoimporte quel travail paisiblement elle voudrait que ses

soldats se battent contre leurs ennemis mais sans leur en vouloir pour de bon Et agrave

la fin de ce monologue elle dit elle-mecircme que cela est impossible Et crsquoest pour

cette raison finalement que crsquoest elle qui est choisie parce que crsquoest possible pour

elle Peacuteguy donne agrave son heacuteroiumlne sa propre exigence sans borne Il est exigeant avec

lui-mecircme Son combat pour la veacuteriteacute est exigeant pour ceux qui sont avec lui et

violent envers ses adversaires Peacuteguy fait peur agrave certains notamment agrave Romain

Rolland et agrave drsquoautres Jean Onimus eacutecrit que laquo Son rocircle au service de la veacuteriteacute

nrsquoest pas de faire plaisir mais plutocirct de blesser sans cesse Sa vocation profonde est

drsquoecirctre une conscience le sel qui corrode mais qui purifie et qui conserve raquo108

Dans la lettre de Peacuteguy agrave Eacutemile Zola publieacutee dans lrsquoAurore du 23 janvier 1898

le mot laquo justice raquo se retrouve cinq fois en deux alineacuteas

Les socialistes sous peine de deacutecheacuteance doivent marcher pour toutes les justices qui sont agrave reacutealiser Ils nrsquoont pas agrave consideacuterer agrave qui servent les justices reacutealiseacutees car ils sont deacutesinteacuteresseacutes ou ils ne sont pas Ils nrsquoont pas non plus agrave preacutetexter les injustices passeacutees pour se refuser agrave la justice preacutesente pare que crsquoest lagrave de la vengeance et du talion non pas de la justice Pour ces raisons nous saluons comme les futurs citoyens de la citeacute socialiste les hommes du meacutetier les ouvriers manuels et intellectuels en particulier les universitaires qui ont quitteacute leurs travaux ordinaires pour travailler agrave lrsquoentier recouvrement de la justice (I 45)

Un peu plus loin dans la mecircme bregraveve lettre Peacuteguy fustige seacutevegraverement ceux qui

ont laquo faibli raquo

108 ONIMUS Jean La route de Charles Peacuteguy Paris Plon 1962 p 41

87

b) La justice la liberteacute et la veacuteriteacute

La justice deacutesinteacuteresseacutee sert lrsquoeacutegaliteacute si la justice est reacutealiseacutee uniquement dans

le preacutesent sans consideacuterer envers qui elle est rendue rien ne fait obstacle agrave une

eacutegaliteacute telle que Peacuteguy la voyait en ce moment plus tard il doutera de la possibiliteacute

de concilier fraterniteacute et eacutegaliteacute et il choisira la fraterniteacute

Feacutelicien Challaye109 cite un carnet de notes ou il avait recueilli les indications

de Peacuteguy pour le laquo Journal vrai raquo ce journal socialiste que Peacuteguy voulait creacuteer avec

ses condisciples agrave lrsquoEacutecole Normale il y exigeait que les journalistes qui

contribueraient travaillent agrave cocircteacute pour vivre laquo non de lrsquoaction comme les

politiciens mais pour lrsquoaction raquo (lettre citeacutee dans I CXXVI)

En eacutevoluant la penseacutee de Peacuteguy devient plus aristoteacutelicienne les vertus sont

deacutesormais non inneacutees mais acquises or comme lrsquoexplique lrsquoarticle laquo Vertus raquo du

Dictionnaire de spiritualiteacute les vertus naissent gracircce agrave laquo des actes eacutemanant de la

liberteacute humaine dont ils expriment la maicirctrise et la stabiliteacute dans ses choix raquo110 La

vertu se fait ainsi une expression de la perfection drsquoun ecirctre humain laquo Lrsquoeacutethique

aristoteacutelicienne vise le bonheur comme finaliteacute propre de lrsquohomme et lrsquoaction est le

moyen de lrsquoatteindre la pratique concregravete des vertus morales megravene agrave

lrsquoaccomplissement de la nature humaine raquo111 Mais surtout chez Aristote les vertus

profitent agrave la fois au bonheur de lrsquohomme par son accomplissement et au bonheur

de la citeacute elles unifient et construisent la communauteacute

Agrave lrsquoEacutecole normale Peacuteguy devient un fidegravele disciple de Kant Geacuteraldi Leroy

eacutecrit de Marcel ou le dialogue de la citeacute harmonieuse laquo La citeacute harmonieuse veut

reacutealiser le Kantisme raquo112 et Jean-Noeumll Dumont le confirme en eacutecrivant que Peacuteguy

cherche et trouve chez Kant laquo lrsquoaspiration agrave une justice universelle raquo113

109 CHALLAYE Feacutelicien Peacuteguy socialiste Paris Amiot-Dumont 1954 110 Op cit Dictionnaire de spiritualiteacute p 486 111 THOMASSET Alain opcit p 302 112 LEROY Geacuteraldi Peacuteguy entre lrsquoordre et la reacutevolution Paris Presse de la Fondation Nationale des Sciences Politiques 1981 p 82 113 DUMONT Jean-Noeumll Peacuteguy Lrsquoaxe de deacutetresse Paris Michalon 2005 p 40

88

Cependant la justice la liberteacute et la veacuteriteacute ne sont pas chez Peacuteguy des vertus

qursquoon peut pratiquer mais plutocirct des reacutealiteacutes qursquoon reconnaicirct ou pas auxquelles on

adhegravere ou pas Mecircme dans la peacuteriode de sa vie ougrave Peacuteguy semblait ecirctre loin du

religieux la veacuteriteacute la liberteacute et la justice eacutetaient pour lui des sortes de vertus

theacuteologales suppleacutementaires crsquoest-agrave-dire des qualiteacutes de Dieu que lrsquohomme peut

reconnaicirctre auxquelles il peut adheacuterer et qursquoil peut accueillir comme une gracircce

cette gracircce le poussera agrave lrsquoaction qui sera alors juste et vraie En teacutemoignent ces

mots issus drsquoun petit article dans la Revue blanche du 1er avril 1899 sur lrsquoaffaire

Dreyfus intituleacute laquo Lrsquoopinion publique raquo

Nous ne croyons pas du tout que tant drsquoadheacutesions consideacuterables aient authentiqueacute la veacuteriteacute aient justifieacute la justice la veacuteriteacute nrsquoavait pas besoin drsquoecirctre authentiqueacutee puisque elle eacutetait authentique la justice nrsquoavait pas besoin drsquoecirctre justifieacutee puisqursquoelle eacutetait la justice mais nous sommes heureux de ce qursquoun grand nombre de nos concitoyens ont reconnu la justice et reconnu la veacuteriteacute (I 198)

Quand elle est accueillie inteacutegreacutee et servie la veacuteriteacute pousse agrave lrsquoaction et

devient alors une vertu qursquoon peut aussi mettre en pratique Peacuteguy en teacutemoigne dans

sa Lettre du Provincial dans le premier Cahier de la quinzaine en parlant de

lrsquoaffaire Dreyfus laquo Nous fucircmes les chercheurs et les serviteurs de la veacuteriteacute Telle

eacutetait en nous la force de la veacuteriteacute que nous lrsquoaurions proclameacutee envers et contre

nous Telle fut hors de nous la force de la veacuteriteacute qursquoelle nous donna la victoire raquo

(I 295) La veacuteriteacute est ici deacutefinie comme une gracircce qui descend sur les hommes et

les transforme en les poussant agrave la proclamer et en leur donnant une force visible

apparente aux yeux de tous une force de teacutemoignage Dans Le Mystegravere des saints

Innocents la veacuteriteacute est la vertu par excellence qui rapproche lrsquohomme de Dieu

Comme leur liberteacute a eacuteteacute creacuteeacutee agrave lrsquoimage et agrave la ressemblance de ma liberteacute dit Dieu comme leur liberteacute est le reflet de ma liberteacute Ainsi jrsquoaime agrave trouver en eux comme une certaine gratuiteacute qui soit comme un reflet de la gratuiteacute de ma gracircce qui soit comme creacuteeacutee agrave lrsquoimage et agrave la ressemblance de la gratuiteacute de ma gracircce (OPD 822)

Peacuteguy deacutecrit un cercle vertueux la gracircce de Dieu accorde agrave lrsquohomme la liberteacute

qui le rend semblable agrave Dieu et en priant dans la gratuiteacute lrsquohomme se rend

disponible agrave la gracircce de Dieu qui le rend libre

Selon Peacuteguy on ne peut pas pratiquer les vertus de la liberteacute et de la justice

temporairement ou les pratiquer dans un domaine de sa vie plutocirct que dans un

89

autre On peut les servir et les accueillir comme les vertus theacuteologales chreacutetiennes

qui sont theacuteologales parce qursquoelles caracteacuterisent Dieu Dans Un poegravete lrsquoa dit Peacuteguy

affirme laquo la liberteacute ne srsquoapprend pas raquo (II 818) Que caracteacuterisent donc ces trois

vertus la veacuteriteacute la liberteacute la justice Apparemment ce que Peacuteguy dans un texte

de 1904 consacreacute au Discours pour la liberteacute de Clemenceau appelle laquo la pleine

autoriteacute morale raquo qui change lrsquohomme et lrsquohumaniteacute pour rendre possible la

reacutevolution morale et lrsquoavegravenement de la citeacute harmonieuse

Ni la justice ni la veacuteriteacute ni la liberteacute ne sont intermittentes elles ne sont pas intermittentes selon le temps elles ne varient pas avec les anneacutees elles ne sont pas intermittentes selon le lieu elles ne varient pas avec les pays elles ne varient pas avec les anneacutees politiques elles ne varient pas avec les pays avec les partis politiques en ce sens elles sont universelles comme elles sont eacuteternelles immuables on ne peut les servir un temps les trahir un autre les servie quelque part les trahir ailleurs celui qui les sert autant qursquoil peut partout et toujours a seul qualiteacute pour parler en leur nom (I 1359)

Peacuteguy dans ce texte insiste sur lrsquoune de ses thegraveses favorites ce ne sont pas les

politiques ni la politique qui peuvent effectuer une reacutevolution sociale crsquoest la

mystique qui suppose un changement inteacuterieur seuls une transformation morale un

changement de lrsquohomme qui vient de lrsquointeacuterieur peuvent ecirctre universels Un peu

plus loin Peacuteguy eacutecrit qursquoon ne doit pas ecirctre fidegraveles agrave des hommes qui sont tantocirct

libres et justes tantocirct non mais agrave la liberteacute la justice et la veacuteriteacute mecircme Pour lui ce

ne sont pas des chemins pour atteindre un but mais le but mecircme laquo des fins

eacuteternelles drsquoaction de penseacutee qursquoon les doit invoquer et poursuivre eacutegalement dans

la victoire et dans la deacutefaite [hellip] elles sont une regravegle de vie eacuteternelle sans

exception sans vieillissement et sans commutateur raquo (I 1502)

Tout en deacutecrivant les vertus de veacuteriteacute justice et liberteacute comme des dons qursquoon

peut accueillir mais qursquoon ne sait pas toujours comment mettre en pratique Peacuteguy

la mecircme anneacutee dans Zangwill propose un chemin pour suivre la veacuteriteacute pour y

adheacuterer pleinement le reacuteel laquo Eacutepuiser lrsquoimmensiteacute lrsquoindeacutefiniteacute lrsquoinfiniteacute du deacutetail

pour obtenir la connaissance de tout le reacuteel telle est la surhumaine ambition de la

meacutethode discursive (I 1415)raquo eacutecrit-il et mecircme si cela reacutesonne encore une fois

comme une forme de sacerdoce drsquoeffort surhumain il srsquoagit bien de la meacutethode de

travail de lrsquohistorien et du journaliste que Peacuteguy voit comme un sacerdoce au

service du divin reacuteel Il approfondit ce sujet dans un texte de 1905 non publieacute de son

90

vivant Heureux les systeacutematiques qui est un hymne agrave la reacutealiteacute Se mettre au

service du don de la veacuteriteacute crsquoest adheacuterer agrave la reacutealiteacute tout entiegravere dans sa complexiteacute

et sa contradiction parfois

Quand le theacuteoricien quand le raisonneur se trouve en preacutesence drsquoune reacutealiteacute complexe non point seulement compliqueacutee de complications mais complexe de complexiteacute particuliegraverement quand il se trouve en preacutesence drsquoune reacutealiteacute double son premier mouvement ougrave il se tient parce que crsquoest le mauvais est de ne retenir qursquoune partie de cette reacutealiteacute complexe particuliegraverement une des deux parties dans les reacutealiteacutes doubles il eacutelimine instinctivement automatiquement tout le reste ce qui le gecircne particuliegraverement lrsquoautre des deux parties dans nulle inquieacutetude au contraire il srsquoen sait bon greacute il srsquoen estime drsquoautant il se mesure agrave cela il se trouve tregraves fort il serait inquiet au contraire srsquoil fardait beaucoup de reacutealiteacute srsquoil respectait la reacutealiteacute il serait anxieux srsquoil gardait toute la reacutealiteacute il ne se reconnaicirctrait pas ainsi naissent les systegravemes (II 223)

Dans ce texte posthume Peacuteguy fustige laquo les systeacutematiques raquo crsquoest-agrave-dire ceux

qui confronteacutes agrave la contradiction du reacuteel en font un systegraveme qui permet de concilier

les diffeacuterentes facettes qui semblent srsquoexclure les unes les autres et ne pas pouvoir

srsquoharmoniser Lrsquoharmonie de la veacuteriteacute nrsquoest pas celle qui efface les diffeacuterences et les

contradictions celui qui sert la veacuteriteacute se tient au cœur des contradictions du reacuteel

Il existe tout de mecircme deux formes drsquoexercice de la veacuteriteacute deux possibiliteacutes de

la pratiquer et non seulement de lrsquoaccueillir la premiegravere crsquoest celle de la dire tout

simplement crsquoest celle que Peacuteguy choisit comme vocation premiegravere des Cahiers de

la quinzaine la seconde crsquoest de ne jamais se trahir Le reacuteel auquel on est

confronteacute de la maniegravere la plus serreacutee et ineacutevitable crsquoest soi-mecircme et Peacuteguy le sait

bien quand il eacutevoque dans le ceacutelegravebre portrait de Bernard-Lazare au cœur de Notre

Jeunesse laquo cette fideacuteliteacute agrave soi-mecircme qui est tout de mecircme lrsquoessentiel raquo (III 61) La

fideacuteliteacute agrave soi-mecircme suppose une connaissance de soi loin de la fausse humiliteacute

Peacuteguy dit dans ce mecircme texte sur Bernard-Lazare qursquoil laquo se sentait fort raquo et laquo avait

confiance en soi Comme tous les veacuteritables forts raquo (III 75) Bernard-Lazare eacutetait

pour Peacuteguy une sorte de preux chevalier deacutefenseur des juifs et protecteur des

opprimeacutes

Se sentir fort et avoir confiance en soi cela fait partie de lrsquohonneur drsquoun

chevalierhellip ou drsquoun saint Dans Victor-Marie comte Hugo Peacuteguy en parlant des

heacuteros de Corneille de Polyeucte et du Cid Peacuteguy dit que laquo Cet honneur de sainteteacute

91

venu proceacutedant par promotion de lrsquohonneur chevaleresque raquo (III 310) crsquoest le

mecircme honneur qui peut eacutelever un heacuteros vers la sainteteacute

La laquo vertu raquo chez Peacuteguy est aussi la laquo vertu reacutepublicaine raquo une sorte

drsquoauthenticiteacute loueacutee encore par Robespierre et qui finalement se reacutesume en

liberteacute eacutegaliteacute et fraterniteacute Cependant deacutejagrave dans Marcelhellip Peacuteguy rejette lrsquoeacutegaliteacute

en tant que valeur bourgeoise parce qursquoelle supposerait un calcul or les valeurs

dont Peacuteguy parle dans ce texte ne sont pas deacutenombrables Il y a aussi des vertus

bourgeoises auxquelles Peacuteguy adhegravere sans heacutesiter celles du travail de lrsquoeacuteconomie

de lrsquoobeacuteissance de lrsquoordre que Peacuteguy a apprises aupregraves de sa megravere et de sa grand-

megravere et qui sont resteacutees essentielles pour lui jusqursquoagrave sa mort

En revanche dans ce texte Peacuteguy eacutecrit aussi que les citoyens de la citeacute

harmonieuse nrsquoont pas besoin de justice pour la mecircme raison lrsquoimpossibiliteacute du

calcul et de la comparaison des valeurs il refuse aussi la notion de chariteacute laquo parce

que toute chariteacute suppose des manques et que la citeacute harmonieuse ne laisse manquer

de rien les citoyens raquo (I 61) La seule loi qui reacutegit cette citeacute est celle de lrsquoharmonie

Parler de vertus dans la citeacute harmonieuse est deacutelicat puisque la vertu

srsquoapplique le plus souvent agrave un individu ce qui rend possible la comparaison le

jugement drsquoune personne comme plus vertueuse qursquoune autre or toute comparaison

est contraire agrave lrsquoideacutee que Peacuteguy a de lrsquoharmonie Cependant Peacuteguy mentionne les

sentiments laquo sains raquo des citoyens de la citeacute qui rendent possible leur cohabitation

harmonieuse laquo Les citoyens de la citeacute nrsquoont aucun des sentiments que nous

nommons dans la socieacuteteacute non harmonieuse les sentiments malsains crsquoest-agrave-dire

aucun des sentiments qui deacuteforment les acircmes et souvent ainsi les corps raquo (I 71)

Parmi les sentiments les plus contraires agrave lrsquoharmonie Peacuteguy cite la haine qui laquo est

tueuse de lrsquoamour raquo et la jalousie qui est laquo la malfaccedilon de lrsquoamour raquo Il dresse

ensuite tout une liste de sentiments malsains

Ainsi les citoyens de la citeacute harmonieuse nrsquoont pas les sentiments que nous nommons les sentiments de lrsquoeacutemulation de la rivaliteacute de la concurrence les sentiments de la guerre civile de la guerre eacutetrangegravere de la guerre eacuteconomique de la guerre militaire de la guerre priveacutee de la guerre publique les sentiments de lrsquoambition publique de lrsquoambition priveacutee lrsquoanimositeacute la colegravere la vengeance la rancune lrsquoenvie la meacutechanceteacute Ils ne savent pas ce que crsquoest que le mensonge (I 71)

92

Les citoyens de la citeacute harmonieuse ne peuvent pas pratiquer de vertu puisque

cela supposerait lrsquoexistence drsquoun comportement non vertueux ce qui est impossible

au sein de la citeacute harmonieuse Degraves lors Peacuteguy dresse une sorte de liste apophatique

de vertus Il y a aussi les vertus supposeacutees de ceux qui ont construit la citeacute et que la

citeacute a oublieacutes parce qursquoelle nrsquoa mecircme pas le souvenir de la possibiliteacute des

sentiments malsains Le travail devient ainsi une vertu non en tant qursquoeacuteleacutement

obligatoire de la vie de la citeacute mais en tant qursquoabsence de paresse la liberteacute en tant

que vertu pratiqueacutee devient plutocirct absence de domination

En revanche en dressant le portrait utopique drsquoune laquo acircme individuelle raquo

citoyenne de la citeacute harmonieuse Peacuteguy deacutecrit le reacutesultat drsquoune vie de vertu le fruit

drsquoune humaniteacute laquo assainie raquo par une reacutevolution morale ougrave les hommes libres ne

sont mus que par des

volitions [hellip] indeacutependantes et libres de tout parce qursquoil ne convient pas que les volitions soient commandeacutees par ce qui pourrait deacuteformer les acircmes en particulier par ce qui pourrait deacuteformer les volitions en particulier il ne convient pas que les volitions des acircmes individuelles soient commandeacutees par la citeacute par un peuple par un individu Rien drsquoexteacuterieur aux acircmes harmonieuses ne commande les volitions de ces acircmes [hellip] Les vouloirs des citoyens dans la citeacute harmonieuse en vont qursquoagrave des fins harmonieuses (I 82-83)

On y parvient en pratiquant les vertus Peacuteguy commence par la description de

la fin du chemin et srsquoemploiera toute sa vie agrave le baliser

c) Le travail

Le travail est la vertu dont le jeune Peacuteguy parle le plus apregraves la justice une

vertu tant socialiste que bourgeoise mais aussi chreacutetienne Dans sa thegravese sur Le sens

du travail dans la penseacutee de Charles Peacuteguy Marc Gaucherand eacutecrit que Peacuteguy

pense le travail dans sa relation avec la reacuteveacutelation du christianisme agrave la relation

entre le travailleur et le monde travailleacute srsquoajoute Dieu qui a lui-mecircme eacuteteacute travailleur

et qui pose son regard sur celui qui travaille Marc Gaucherand voit chez Peacuteguy une

veacuteritable theacuteologie du travail dans la mesure ougrave il le considegravere comme connaissance

93

du travail de Dieu (la Creacuteation et la Reacutedemption) cependant qursquoil considegravere le

travail des hommes comme imitation du travail de Dieu Chez Peacuteguy

le travail se preacutesente moins comme un concept que comme une reacutealiteacute veacutecue [hellip] le couple expeacuterience ndash concept peut ecirctre compris comme un rapport drsquoengendrement au sens ougrave les diffeacuterentes analyses approfondies et drsquoun apport incontestable proviennent moins drsquoune reacuteflexion exclusivement conceptuelle que drsquoune expeacuterience personnelle114

Tout travail qui pourrait devenir un obstacle dans la relation entre Dieu et

lrsquohomme est rejeteacute par Peacuteguy parce que le but de nrsquoimporte quel travail est la

participation agrave lrsquoœuvre divine de la Creacuteation et de la Reacutedemption Ce travail doit

ecirctre confiant libeacutereacute du souci mecircme reacutepeacutetitif il ne doit jamais devenir une

habitude un obstacle agrave la gracircce mais ecirctre plein de lrsquoeacuteternel renouvellement de

lrsquoespeacuterance

Lrsquoouvrage de Jeacutesus dans lrsquoatelier de Nazareth tient une grande place dans lrsquoœuvre de Peacuteguy puisqursquoil repreacutesente lrsquoorigine mecircme de la reacutenovation du travail qui confegravere agrave ce dernier une finaliteacute nouvelle Depuis Jeacutesus le chreacutetien travaille pour participer agrave lrsquoœuvre divine de la Creacuteation Il nrsquoexiste pourtant pas de veacuteritable rupture entre le travail drsquoavant et la nouvelle finaliteacute crsquoest le sens mecircme de lrsquoIncarnation veacuteritable reacutepeacutetition reprise des conditions humaines La reacutenovation du travail culmine dans le sacrement de lrsquoEucharistie qui sanctifie lrsquoouvrage en lrsquointeacutegrant au mystegravere du don de soi que Dieu fait aux hommes Par lrsquoEucharistie lrsquohomme ne participe plus uniquement agrave lrsquoœuvre de Creacuteation mais aussi au projet de Reacutedemption115

Dans la citeacute harmonieuse le but du travail est drsquoassurer simplement la vie

corporelle et de laisser aux citoyens la possibiliteacute de srsquoadonner agrave des loisirs

Pierre Commencement drsquoune vie bourgeoise ndash les souvenirs drsquoenfance de

Peacuteguy ndash sont un veacuteritable hymne au travail agrave lrsquoobeacuteissance Peacuteguy y dresse une liste

de ce qui est bien et de ce qui est mal conformeacutement agrave ce que sa megravere et sa grand-

megravere lui ont enseigneacute Il y parle des enfants sages travailleurs et obeacuteissants et des

bons ouvriers qui laquo sont ceux qui travaillent bien qui travaillent vite qui travaillent

beaucoup qui sont actifs intelligents qui ne sont pas becirctes qui sont patients qui

ont du courage qui ne sont pas paresseux qui nrsquoont pas peur de leur peine qui ne

sont pas mauvaise tecircte raquo (I 154) Le style reacutepeacutetitif de Peacuteguy est deacutejagrave preacutesent dans ce

texte toutes les variations du sens sont exposeacutees pour insister sur lrsquoimportance du

114 GAUCHERAND Marc Le Sens du travail dans la penseacutee de Charles Peacuteguy thegravese de doctorat en philosophie preacutesenteacutee agrave lrsquouniversiteacute de Paris IV ndash Sorbonne en 1987 p 1-2 115 GAUCHERAND Marc Opcit p 179

94

propos qui semble central un homme bon est un bon travailleur patient et

intelligent Et un bon peuple crsquoest comme Peacuteguy le dira bien plus tard dans Notre

Jeunesse ce peuple laquoqui tout entier aimait le travail tout entier raquo (III 8)

Dans Encore de la grippe Peacuteguy dit sa haine des romantiques franccedilais qui

selon lui ont fait croire agrave leurs lecteurs et admirateurs qursquoil ne fallait pas travailler

que seule lrsquoinspiration eacutetait neacutecessaire Ce qui le met en colegravere crsquoest non seulement

la deacutevalorisation du travail tellement preacutecieux pour lui mais le mensonge parce

que certainement eux aussi ils travaillaient Il eacutecrit

plus je vais citoyen moins je crois agrave lrsquoefficaciteacute des soudaines illuminations qui ne seraient pas accompagneacutees ou soutenues par un travail seacuterieux moins je crois agrave lrsquoefficaciteacute des conversions extraordinaires soudaines et merveilleuses agrave lrsquoefficaciteacute des passions soudaines ndash et plus je crois agrave lrsquoefficaciteacute du travail modeste lent moleacuteculaire deacutefinitif (I 419)

Dans la vie de Peacuteguy ainsi que dans ses textes chez les saints et les amis qursquoil

admire lrsquoinspiration les coups de chance lrsquoexpeacuterience mystique ou la passion

amoureuse porteront toujours le mecircme fruit beaucoup de travail il en va de mecircme

pour Jeanne que ses voix poussent agrave une lourde tacircche

Dans un petit texte de 1904 publieacute dans le XIIe cahier de la Ve seacuterie Orleacuteans

vu de Montargis ougrave il deacutecrit un enterrement agrave Orleacuteans et la maniegravere dont il est traiteacute

dans la presse locale Peacuteguy compare le cureacute et le meacutedecin de campagne les

reliques et les instruments de travail Ce texte est anticleacuterical antiparlementaire

antipolitique Crsquoest un pamphlet qui se moque des ceacutereacutemonies religieuses ou non y

compris les mariages et les pompes funegravebres Il srsquoagit dans cet article de

lrsquoenterrement du meacutedecin et de la preacutesence dans le cortegravege de sa voiture qui pour

le meacutedecin de campagne est un instrument de travail important Dans le Progregraves du

Loiret a eacuteteacute publieacute le compte rendu des laquo obsegraveques du docteur Gebauumler raquo ou il eacutetait

eacutecrit que sa voiture avait suivi la procession Peacuteguy srsquoindigne en disant que

contrairement agrave des reliques miraculeuses la voiture nrsquoest qursquoun simple instrument

de travail qui ne peut rien sans celui qui lrsquoavait conduit et qursquoon doit laisser se

reposer les instruments quand lrsquohomme qui travaillait avec ne travaille plus Peacuteguy

eacutecrit aussi laquo je ne connais rien de plus respectable et de plus honorable qursquoun

instrument de travail aucune ceacutereacutemonie cultuelle ne me paraicirct plus respectable et

95

plus honorable que le simple travail humain raquo (I 1323) Dans cette phrase le travail

est eacuterigeacute en sacerdoce nrsquoimporte quel travail pas seulement le travail du meacutedecin

qui de fait a eacuteteacute souvent compareacute agrave un sacerdoce Un instrument de travail devient

alors plus respectable et plus honorable qursquoune relique mais Peacuteguy avec son

eacuteternel bon sens et son amour de la reacutealiteacute refuse de lrsquohonorer comme une relique

preacutefeacuterant lui donner du repos comme reacutecompense apregraves un dur travail

Jeanne drsquoArc chez Peacuteguy appelle la garde des moutons ainsi que la bataille

laquo besogne raquo dans la seconde piegravece de la trilogie Jeanne drsquoArc Les Batailles eacutecrite

en 1897 elle dit laquo quand on viendra me trouver pour la besogne il ne faudra pas

avoir peur de me deacuteranger mecircme dans la priegravere parce que voyez-vous travailler agrave

la bonne besogne crsquoest encore de la priegravere raquo (OPD 89) Peacuteguy va plus loin que la

fameuse devise beacuteneacutedictine ora et lavora il la paraphrase en faisant dire agrave

Hauviette laquo travailler ndash crsquoest prier raquo (OPD 407) Ces mots preacutefigurent la future

sainteteacute agissante de Jeanne puisque comme le souligne le commentaire de Claire

Daudin agrave ces mots laquo crsquoest une revalorisation de lrsquoactiviteacute humaine raquo (OPD 1632)

Au fur et agrave mesure de sa reacuteflexion continue sur les vertus Peacuteguy finit par

remplacer certaines des vertus cardinales par ce qursquoil perccediloit comme plus vertueux

un plus haut signe de perfection pour un homme ainsi lrsquoinquieacutetude remplace

visiblement la prudence en tant que vertu visant lrsquoaction La vertu de sagesse chez

Platon remplaceacutee par la prudence chez Aristote est selon le Dictionnaire de

spiritualiteacute une vertu qui vise laquo lrsquouniteacute de lrsquoecirctre humain et de sa destineacutee raquo et

laquo exige lrsquounification de son agir raquo116 Lrsquoinquieacutetude en tant que capaciteacute drsquoecirctre mucirc

par les eacutevegravenements du preacutesent suppose aussi une uniteacute de lrsquoecirctre dans lrsquoaction mecircme

si elle semble contraire agrave la vertu traditionnelle de prudence On pourrait dire que la

souffrance remplace la force drsquoacircme Il semble cependant difficile de deacutefinir quelle

est la vertu peacuteguyste qui remplacerait la tempeacuterance qui est sucircrement une vertu

chez Peacuteguy mais qursquoil preacutefegravere observer en silence dans sa pudeur il parle

beaucoup de la justice qui reacutegit les relations avec autrui mais pas de la tempeacuterance

116 Dictionnaire de spiritualiteacute p 491

96

ou de la magnanimiteacute qui reacutegissent les relations avec soi-mecircme Selon Aristote la

justice laquo est une vertu parfaite au plus haut point car elle est lrsquoexercice de la vertu

complegravete Et elle est parfaite car celui qui la possegravede peut lrsquoexercer en vue drsquoautrui

et non seulement en vue de lui-mecircme raquo117 Crsquoest pour cela peut-ecirctre qursquoen parlant

de son maicirctre agrave penser Bernard-Lazare dans Notre Jeunesse Peacuteguy preacutecise laquo Il ne

voulait pas rendre preacuteciseacutement le bien pour le mal mais tregraves certainement le juste

pour lrsquoinjuste raquo (III 75) Le bien et le mal sont trop subjectifs et personnels puisque

personne ne peut se vanter de deacutetenir la connaissance parfaite de ce qui est le bien et

de ce qui est le mal La justice est une vertu collective En eacutetant juste on se reacutefegravere agrave

un ensemble agrave une veacuteriteacute qui appartient agrave un groupe qui deacuteclare que telle chose est

juste et telle autre ne lrsquoest pas Et la vertu parfaite aux yeux de Peacuteguy de Bernard-

Lazare consistait en cette pratique de la justice en reacuteponse agrave lrsquoinjustice

Crsquoest dans le socialisme teinteacute degraves le deacutebut de son engagement de mystique

que Peacuteguy trouve lrsquoaccomplissement de ses aspirations chreacutetiennes qui srsquoorientent

autrement sans se tarir pour autant Deacutejagrave dans sa correspondance avec un ami du

lyceacutee Lakanal Paul Collier en 1895 avant la publication de la brochure De la citeacute

socialiste (1897) de la premiegravere Jeanne drsquoArc (1897) et du Dialogue de la citeacute

harmonieuse (1898) Peacuteguy eacutevoquait un laquo ideacuteal de lrsquohumaniteacute raquo (I p CXXIV) ougrave

tous les hommes prendraient part agrave une tregraves haute œuvre commune

En ceci Peacuteguy rejoint Jauregraves qui procircnait aussi un socialisme mystique voire

religieux Comme lrsquoeacutecrit Vincent Peillon

Le socialisme reacutepublicain de Jauregraves propose bien une reacutevolution religieuse mais agrave travers celle-ci il ne srsquoagit pas drsquoun eacutechange de rocircles ou de places entre la creacuteature et le creacuteateur il ne srsquoagit pas ce qui sera justement aux yeux mecircmes de Jauregraves la faiblesse principale du marxisme de remplacer une religion par une autre avec dogmes rites preacutelats et clergeacute mais drsquoeacutedifier sur les ruines drsquoune religion qui nrsquoeacutetait pas conforme agrave lrsquoessence du religieux la religion vraie crsquoest-agrave-dire drsquoaccomplir lrsquoessence du religieux selon la veacuteriteacute et agrave partir de cette derniegravere de fonder la socieacuteteacute juste la Reacutepublique sociale118

117 Aristote Eacutethique agrave Nicomaque preacutesentation et notes de Richard Bodeacuteuumls Paris Flammarion 2004 129b30 118 PEILLON Vincent Jean Jauregraves et la religion du socialisme Paris Grasset amp Fasquelles 2000 p 26

97

Crsquoest agrave partir de ces mecircmes ideacutees que Peacuteguy combat les marxistes franccedilais

comme Jules Guesde Il aspire aussi agrave construire la Reacutepublique selon la veacuteriteacute et la

justice

En deacutecrivant les vertus chez Peacuteguy il est essentiel de souligner comme preuve

du fait que Peacuteguy ne divisait pas sa vie son œuvre en eacutetapes (avant et apregraves sa

laquo conversion raquo) mais la voyait et la preacutesentait comme un ensemble que dans Notre

Jeunesse il exprimait clairement que son engagement dans lrsquoaffaire Dreyfus eacutetait

chreacutetien Mecircme si agrave lrsquoeacutepoque il eacutetait anticleacuterical mecircme srsquoil ne se disait pas

croyant Mais il a toujours eacuteteacute fidegravele agrave lui-mecircme

Jrsquoajoute que pour nous chez nous en nous ce mouvement religieux eacutetait drsquoessence chreacutetienne drsquoorigine chreacutetienne qursquoil poussait de souche chreacutetienne qursquoil coulait de lrsquoantique source Nous pouvons aujourdrsquohui nous rendre ce teacutemoignage La Justice et la Veacuteriteacute que nous avons tant aimeacutees agrave qui nous avons donneacute tout notre jeunesse tout agrave qui nous nous sommes donneacutes tout entiers pendant tout le temps de notre jeunesse nrsquoeacutetaient point des veacuteriteacutes et des justices de concept elles nrsquoeacutetaient point des justices et des veacuteriteacutes mortes [hellip] mais elles eacutetaient organiques elles eacutetaient chreacutetiennes elles nrsquoeacutetaient nullement modernes elles eacutetaient eacuteternelles et non point temporelles seulement elles eacutetaient des Justices et des Veacuteriteacutes une Justice et une Veacuteriteacute vivantes Et de tous les sentiments qui ensemble nous poussegraverent dans un tremblement dans cette crise unique aujourdrsquohui nous pouvons avouer que de toutes les passions qui nous poussegraverent dans cette ardeur et dans ce bouillonnement dans ce gonflement et dans ce tumulte une vertu eacutetait au cœur et que crsquoeacutetait la vertu de chariteacute (III 84)

Crsquoest que pour Peacuteguy il nrsquoy a qursquoune seule Justice et qursquoune seule Veacuteriteacute

qursquoelles soient antiques ou juives socialistes ou chreacutetiennes

De son socialisme du temps de lrsquoAffaire le Peacuteguy de 1910 eacutecrira laquo Il eacutetait

essentiellement une religion de la pauvreteacute temporelle raquo (III 85) Et il conclut en

parlant cette fois de sa propre vocation

Nous avons reccedilu degraves lors une telle vocation de la pauvreteacute de la misegravere mecircme si profonde si inteacuterieure et en mecircme temps si historique si eacuteventuelle si eacuteveacutenementaire que depuis nous nrsquoavons jamais pu nous en tirer que je commence agrave croire que nous ne pourrons nous en tirer jamais Crsquoest une sorte de vocation Une destination (III 85)

Crsquoest pour cela que Peacuteguy parle de teacutemoignage il se positionne au cœur de

lrsquoeacuteveacutenement au cœur de lrsquohistoire dans la position du pauvre qui a donc le droit de

teacutemoigner sur la Justice et lrsquoinjustice

98

Finalement on peut dire que Peacuteguy prend le mecircme chemin que les auteurs de

lrsquoantiquiteacute chreacutetienne qui en voulant se deacutemarquer de lrsquoheacuteritage paiumlen voulaient

toutefois en commenccedilant par Origegravene garder ce qursquoil y avait de bon et de

compatible avec le christianisme ainsi que lrsquounir agrave lrsquoheacuteritage juif

2 Les vertus juives

Par une lettre de Jules Isaac envoyeacutee agrave la demande de Lazare Prajs pour lrsquoaider

agrave la reacutedaction de son livre Peacuteguy et les juifs119 nous savons que Peacuteguy connaissait

bien le judaiumlsme Il aimait entendre prier ses amis juifs il avait lu le Pirke Aboth

lrsquoun des livres de la Michna La Michna est un livre de commentaires des lois mais

parmi les livres dont elle est composeacutee se trouve le Pirke Aboth un recueil

drsquoaphorisme des anciens Selon le teacutemoignage de Jules Isaac que Peacuteguy appelait

laquo mon chapelain juif raquo Peacuteguy a aussi lu le Berahot le livre le plus ancien du

Talmud qui parle de la priegravere et des regravegles des beacuteneacutedictions

a) Le salut la meacutemoire et le charnel

Lrsquoune des ideacutees principales du judaiumlsme sur la sainteteacute le salut et la vertu se

reflegravete beaucoup dans lrsquoœuvre de Peacuteguy le salut dans le judaiumlsme nrsquoest pas

individuel il ne srsquoagit pas de sauver son acircme mais drsquoecirctre sauveacute en tant que peuple

en tant que communauteacute explique Emil Fackenheim120 Ce postulat minimise la

pratique individuelle de la vertu au profit de la responsabiliteacute des uns envers les

autres qui soude la communauteacute dans une attente commune de la venue du Messie

et du salut du peuple juif Dans Encore de la grippe Peacuteguy eacutecrit

119 PRAJS Lazare Peacuteguy et Israeumll Paris A-G Nizet 1970 120 Эмиль Факенгейм Что такое иудаизм Современная интерпретация Москва-Иерусалим ДААТ-Знание 2002 (FACKENHEIM Emil Qursquoest-ce que crsquoest que le judaiumlsme Interpreacutetation contemporaine Moscou-Jeacuterusalem DAAT-Znanie 2002) p 18

99

Le souci que jrsquoavais de lrsquoimmortaliteacute individuelle et qui selon les eacuteveacutenements de ma vie a beaucoup varieacute me reste Mais lrsquoattention que je donnais agrave ce souci a beaucoup diminueacute depuis que le souci de la mortaliteacute de la survivance et de lrsquoimmortaliteacute sociale a grandi en moi Pour lrsquoimmortaliteacute aussi je suis devenu collectiviste (I 420)

A cette eacutepoque Peacuteguy ne peut envisager qursquoune seule forme de salut le salut

collectif universel La vertu doit donc ecirctre collective et la vertu collective crsquoest

une socieacuteteacute morale harmonieuse Dans ce mecircme texte Peacuteguy eacutevoque la conversion

au socialisme comme on se convertirait agrave une religion parce que crsquoest le socialisme

qui selon Peacuteguy repreacutesente cette vertu collective qui peut mener la socieacuteteacute au salut

agrave lrsquoimmortaliteacute

Quelques anneacutees plus tard dans son premier texte ouvertement chreacutetien qui

par moments se rapproche drsquoun traiteacute de theacuteologie Le Mystegravere de la chariteacute de

Jeanne drsquoArc Peacuteguy par la bouche drsquoHauviette lrsquoamie de Jeannette insiste sur

cette mecircme ideacutee que crsquoest ensemble qursquoon œuvre pour le salut que crsquoest ensemble

qursquoon vit une vie chreacutetienne non pas seul mais dans la paroisse et dans la

laquo chreacutetienteacute raquo Hauviette reacutepond avec verve agrave Jeannette qui lui parlait de la

vocation monastique

Il nrsquoy a point de reacuteveacutelations particuliegraveres Il nrsquoy a qursquoune reacuteveacutelation pour tout le monde et crsquoest la reacuteveacutelation de Dieu et de Notre-Seigneur-Jeacutesus-Christ [hellip] Quand on sonne quand on bat le ban de la vendange on le bat pour tout le monde pour tous les vendangeurs Et apregraves la vendange quand on bat le ban de grappillage on le bat pour toutes les pauvres bonnes femmes qui vont grappiller pour toutes les vieilles bonnes femmes qui vont ramasser ce qui reste sur le bois et qui nrsquoeacutetait pas encore bien mucircr au temps de la vendange Tout ce qui eacutetait encore un peu vert un peu verduret Or il y a quatorze siegravecles que lrsquoon a fait battre le ban du salut Pour toutes les paroisses Crsquoest la reacuteveacutelation commune La reacuteveacutelation chreacutetienne La reacuteveacutelation paroissiale Le bon Dieu a appeleacute tout le monde il a convoqueacute tout le monde il a nommeacute tout le monde [hellip] Il conduit tout le monde par la main Il nous a toutes deacutesigneacutees (OPD 420-421)

Lrsquoune des laquo vertus collective raquo demandeacutee agrave la communauteacute juive eacutetait de

transmettre les valeurs du judaiumlsme La meacutemoire qui permet la transmission et une

forme de laquo sauvetage raquo du passeacute et du preacutesent ont donc une grande importance

dans le judaiumlsme toute la liturgie est centreacutee sur le souvenir de ce que Dieu a fait

pour son peuple en particulier de lrsquoExode Et cette valeur de la meacutemoire on la

retrouve aussi chez Peacuteguy Dans un texte posthume de 1906 Brunetiegravere qui fait

partie drsquoune longue seacuterie de textes consacreacutes agrave Renan et au monde moderne Peacuteguy

100

fustige rageusement les deacutefauts de ce dernier en disant laquo Vaniteacute infinie infinie

frivoliteacute du monde moderne Ignorance insouciance oubli meacuteconnaissance

amneacutesie de lrsquoeacuteternel Indigne successeur du grand monde helleacutenique Indigne

successeur du grand monde chreacutetien Mais indigne preacutedeacutecesseur de quel monde raquo

(II 581) Comme souvent chez Peacuteguy il faut passer par une sorte de deacutefinition

apophatique de ce qursquoil voudrait louer Il jugerait digne une reconnaissance de ce

qui est eacuteternel et doit ecirctre gardeacute par la meacutemoire il faut savoir reconnaicirctre dans le

monde helleacutenique et le monde chreacutetien ce qui est eacuteternel ce dont il faut assumer

lrsquoheacuteritage savoir en quoi il faut srsquoenraciner agrave lrsquoaide de la meacutemoire par laquelle se

transmet lrsquoheacuteritage Peacuteguy continue en utilisant la meacutetaphore de lrsquoarbre auquel il

compare lrsquohumaniteacute La meacutemoire est agrave lrsquohumaniteacute ce que la segraveve et lrsquoeau sont agrave

lrsquoarbre ce que lrsquoarbre puise dans la terre par ses racines permet au nouveau

bourgeon drsquoeacuteclore

Agrave part le salut du peuple la sainteteacute juive suppose une vie charnelle ce qui est

aussi une penseacutee chegravere agrave Peacuteguy surtout dans ses œuvres tardives Comme le peuple

entier est appeleacute agrave la sainteteacute il ne peut pas y avoir un chemin particulier

exceptionnel comme la solitude drsquoun ermite ou une ascegravese seacutevegravere Un rabbin doit

ecirctre marieacute la vie de famille est sainte La vie quotidienne est beacutenie par

lrsquoobservation des lois qui la reacutegissent surtout depuis la destruction du temple

puisque chaque maison se fait temple de la loi Baal Shem Tov le fondateur du

hassidisme de son vrai nom Rabbi Israeumll ben Eliezer dit qursquoon doit servir Dieu

avec les moyens qursquoon possegravede maintenant et que laquo Tu seras simple avec lrsquoEternel

ton Dieu raquo (Deut 1813) Le chemin de sainteteacute pour les juifs doit ecirctre accessible agrave

tous ce qui ne le rend pas facile pour autant Vivre en tenant compte de la chair fait

partie du chemin de la sainteteacute dans le judaiumlsme La via contemplativa chreacutetienne

qui dans le catholicisme occupait au temps de Peacuteguy une place privileacutegieacutee dans la

hieacuterarchie des formes de vie religieuse nrsquooccupe pas la mecircme place que celle de la

vie consacreacutee agrave lrsquoeacutetude de la Tora dans le judaiumlsme celui qui applique la Tora dans

la vie de tous les jours celui qui la met en pratique est eacutegal ou mecircme supeacuterieur agrave

celui qui consacre sa vie agrave sa lecture On retrouve clairement ces ideacutees chez Peacuteguy

pour lui laquo le surnaturel est lui-mecircme charnel raquo (OPD 1275) et le chemin de sainteteacute

101

peut se trouver dans la confection drsquoun pied de chaise Le fait est que le chemin vers

la sainteteacute chez Peacuteguy comme dans le judaiumlsme srsquoeffectue agrave travers le corps et avec

le corps que le respect et le soin du corps sont de mise lrsquoasceacutetisme est preacutesent dans

le travail acharneacute mais pas au deacutetriment de la raison parce que pour Peacuteguy ecirctre

saint crsquoest aussi ecirctre sain Degraves la premiegravere seacuterie des Cahiers on trouve dans De la

grippe lrsquoeacutevocation de la Priegravere pour demander agrave Dieu le bon usage des maladies de

Pascal que Peacuteguy admire et qursquoil lit et relit lors de sa maladie tout en se disant

atheacutee Mais lrsquoadmiration porteacutee agrave cette priegravere teacutemoigne du fait que pour lui la santeacute

morale et la santeacute physique ne font qursquoun drsquoautant plus que le citoyen docteur qui

vient le voir affirme laquo Le moraliste nrsquoa jamais la grippe ndash agrave condition bien

entendu qursquoil regravegle ponctuellement sa conduite sur les enseignements de sa

morale raquo (I 401) Dans le texte de Peacuteguy il nrsquoy a aucune reacuteaction agrave cette phrase en

revanche en parlant de la priegravere de Pascal Peacuteguy eacutevoque son admiration pour

cette foi passionneacutement geacuteomeacutetrique geacuteomeacutetriquement passionneacutee si absolument exacte si absolument propre si absolument ponctuelle si parfaite si infiniment finie si bien faite si bien close et reacuteguliegraverement douloureuse et consoleacutee enfin si utilement fidegravele et si pratiquement confiante si eacutetrangegravere agrave nous (I 403-404)

Comme souvent quand Peacuteguy veut exprimer un sentiment fort qui lrsquohabite

jusqursquoen profondeur que ce soit lrsquoindignation ou lrsquoadmiration il use de beaucoup

de reacutepeacutetitions de tous les synonymes possibles Il admire dans cette priegravere ce qui lui

plaira toujours une forme de discipline drsquoobeacuteissance agrave un rythme une

laquo geacuteomeacutetrie raquo et une laquo reacutegulariteacute raquo Il admire aussi le cocircteacute utile et pratique qui

unifie le corps et lrsquoesprit pour les rendre plus sains et donc aussi plus saints Pour

conclure il dit aussi qursquoelle est laquo eacutetrangegravere raquo ce que le docteur nrsquoapprouve pas Et

le dialogue qui suivra va prouver que dans le socialisme auquel Peacuteguy appartient la

morale est en mecircme temps saine et sainte

b) Lrsquoinquieacutetude juive

Les amis juifs de Peacuteguy ont exerceacute une forte influence sur lrsquoauteur Lazare

Prajs eacutecrit agrave propos de la Note conjointe sur monsieur Descartes et la philosophie

carteacutesienne ougrave Peacuteguy deacutecrit son amitieacute avec Jules Benda laquo Il retrouve chez le Juif

102

une tendresse anxieuse un certain fatalisme oriental un optimisme consolateur un

incurable souci apporteacute par lrsquoOrient en heacuteritage au christianisme raquo121 Crsquoest une

liste de traits de caractegravere dont certains selon Peacuteguy sont plutocirct des deacutefauts

drsquoautres des qualiteacutes drsquoautres encore sont eacuterigeacutes en vertus laquo Il fallait lrsquoopeacuteration

de cette greffe unique pour que lrsquounique inquieacutetude judaiumlque devicircnt lrsquounique

inquieacutetude chreacutetienne et la royale tristesse du roi Salomon devicircnt la tragique et plus

que royale tristesse drsquoun Pascal raquo (III 1319)

Lrsquolaquo inquieacutetude raquo juive dont parle Peacuteguy suppose non seulement le choix

drsquoassumer lrsquoabsence de confiance dans un avenir sucircr lieacute tout simplement agrave lrsquohistoire

du peuple juif agrave ses errances et agrave sa souffrance Crsquoest aussi une sorte de refus de

srsquoappuyer sur un laquo credo raquo une foi immuable mais plutocirct un appel agrave une attente qui

srsquoexprime dans une quecircte perpeacutetuelle

Le premier texte qui pourrait srsquoapparenter agrave un laquo Credo raquo juif apparaicirct chez

Maiumlmonide un savant juif rabbin rationaliste qui avait essayeacute dans ses eacutecrits de

reacuteconcilier la foi et la science comme Averroegraves lrsquoavait fait pour lrsquoIslam agrave la mecircme

eacutepoque agrave la fin du XIIe siegravecle Reste que ce texte est neacute probablement sous

lrsquoinfluence chreacutetienne Mecircme le mot laquo judaiumlsme raquo apparaicirct dans la Bible en grec

seulement dans le second livre des Maccabeacutees (120-110 avant JC) Crsquoest-agrave-dire

que jusqursquoau IIe s avant JC Israeumll ne donnait mecircme pas de nom agrave sa religion et

jusqursquoau XIIe s se passait de dogmes Dans la foi comme dans lrsquohistoire un juif

ne srsquoarrecircte pas Lrsquoexpression de la foi traditionnelle dans le judaiumlsme les textes qui

transmettent cette tradition les midrashim montrent que le doute est meilleur

qursquoune foi immuable que le manque de souplesse rend fragile Dans le Talmud

Rabbi Hiya dit que le meilleur eacutelegraveve crsquoest celui qui doute le plus qui ne laisse pas

un mot de la Tora sans question (Traiteacute Bava Metzia 85b) Crsquoest peut-ecirctre ce qui

attire le plus Peacuteguy dans le judaiumlsme Bernard-Lazare eacutecrivait que le juif quand il a

abandonneacute le rite laquo ne se souvient que drsquoune chose crsquoest que les docteurs du

judaiumlsme lui ont donneacute un preacutecepte invariable exercer sa raison et toujours faire

appel agrave elle Une religion dont les rabbins ont refuseacute mecircme agrave leur Dieu le droit de

121 PRAJS Lazare op cit p 126

103

leur imposer une veacuteriteacute non controcircleacutee ne peut pas ecirctre irreacutemeacutediablement

dangereuse raquo122 Lrsquoimmutabiliteacute du dogme chreacutetien blesse et deacuteccediloit Charles Peacuteguy Il

eacutecrit agrave Joseph Lotte le 30 avril 1910 laquo Les catholiques sont vraiment

insupportables dans leur seacutecuriteacute mystique Le propre de la mystique est au

contraire une inquieacutetude invincible Srsquoils croient que les saints eacutetaient des messieurs

tranquilles ils se trompent raquo123 Dans Notre Jeunesse Peacuteguy eacutevoque ce mecircme

Bernard-Lazare en eacutecrivant laquo Lrsquoexcellence des Juifs eacutetait selon lui venait de ce

qursquoils eacutetaient comme drsquoavance les plus libres penseurs raquo (III 64) Les leacutegendes et

paraboles qursquoon lit dans les midrashim veacutehiculent parfois jusqursquoagrave un agnosticisme

libre et humble permettant drsquoeacuteviter un deacuteterminisme rigoureux qui amegravene agrave voir

dans chaque eacuteveacutenement douloureux une punition divine124 Le catholicisme agrave

lrsquoeacutepoque de Peacuteguy eacutetait une religion qui donnait des reacuteponses et supportait

douloureusement lrsquoexistence de questions qui nrsquoen ont pas

Peacuteguy meacutedite longuement sur lrsquoinquieacutetude juive et sur lrsquoinquieacutetude chreacutetienne

dans la Note conjointe sur M Descartes et la philosophie carteacutesienne Il y deacutecrit un

dialogue entre lui et son ami juif Julien Benda et parle de lrsquoinquieacutetude et de la

patience Selon lui lrsquoinquieacutetude chreacutetienne peut amener le chreacutetien agrave perdre la paix

agrave se reacutevolter infructueusement mais non lrsquoinquieacutetude juive parce qursquoelle est

enracineacutee dans la patience laquo Les inquieacutetudes du Juif sont devenues agrave base de

patience raquo (III 1293) Neacuteanmoins il ne srsquoagit pas drsquoune patience qui servirait agrave

eacuteviter la souffrance et qui dans ce cas serait une forme de lacirccheteacute ou une forme de

paresse crsquoest une patience dans la dureacutee

Philippe Grosos dans un essai tregraves profond sur lrsquoinquieacutetude et la patience

commente les textes de Peacuteguy sur la vertu de lrsquoinquieacutetude laquo Agrave suivre le

questionnement de Peacuteguy on comprend vite que le motif de lrsquoinquieacutetude drsquoune

122 BERNARD LAZARE (Lazare Marcus Manasseacute BERNARD) laquo Lrsquooppression des Juifs dans lrsquoEurope orientale Les Juifs de Roumanie raquo in Cahiers de la Quinzaine Huitiegraveme cahier de la troisiegraveme seacuterie Paris feacutevrier 1902 p 92 123 PEacuteGUY Charles LOTTE Joseph Lettres et entretiens p72 124 FACKENHEIM Emil op cit p 5

104

inquieacutetude consentie est deacutecisif Crsquoest elle en effet qui nous permet de distinguer

entre fausse et vraie patience patience anestheacutesique et patience querelleacutee raquo125

laquo Le juif lit depuis toujours raquo eacutecrit Peacuteguy (III 1297) Lire eacutevidemment ne

signifie pas savoir deacutechiffrer lrsquoalphabet coller les lettres et les syllabes les unes aux

autres Par la lecture il deacutesigne la capaciteacute de lire de maniegravere critique de lire un

texte non comme un dogme mais comme une source de connaissance qursquoon

accueille tout en utilisant notre raisonnement Avant Luther la critique biblique

nrsquoeacutetait que tregraves rarement admise dans le christianisme elle est arriveacutee dans le

catholicisme sous lrsquoinfluence du protestantisme Dans le judaiumlsme la critique

biblique faisait partie de lrsquoeacuteducation de la formation on ne lisait pas le texte

comme un objet immuable la Tora est vivante pour les juifs

Deacutejagrave Rachi dans son commentaire du Talmud au XIe siegravecle deacutebute chaque

commentaire par une veacuteritable analyse philologique qui suppose la comparaison de

traductions diffeacuterentes Et au XIIe siegravecle Ibn Ezra eacutemet le premier un doute sur le

fait que Moiumlse soit lrsquoauteur de toute la Tora en pointant Deut 33 (Moiumlse nrsquoaurait

pas pu eacutecrire qursquoon va plus tard oublier lrsquoemplacement de sa tombe ) Plus encore

le principe mecircme du Talmud est de conserver dans le texte toutes les voix du

dialogue Le Talmud dans certains cas a conserveacute pour les geacuteneacuterations futures

jusqursquoagrave lrsquoexeacutegegravese qui eacutetait consideacutereacutee par le reacutedacteur comme erroneacutee Lrsquoeacutelegraveve

deacutecouvre ainsi comment ses maicirctres pensaient et non qui entre eux avait raison

Crsquoest le principe de la preacuteservation de la liberteacute humaine mais crsquoest aussi une

source drsquoinquieacutetude constante on srsquoappuie plus facilement sur le socle immuable

du dogme mecircme le plus restrictif alors que lire la Tora suppose une relation avec le

texte ce qui est toujours un risque celui de changer de douter de ne pas

comprendre voire de se tromper Lrsquoinquieacutetude juive agrave laquelle Peacuteguy se reacutefegravere

relegraveve de la vie du texte dans un peuple dans une tradition dans une religion Crsquoest

donc une inquieacutetude veacutecue ensemble

125 GROSOS Philippe Lrsquoinquiegravete patience essai sur le temps requis Chatou Les eacuteditions de la Transparence 2004 p 105

105

c) Le Ticcoun Olam

La ceacuteleacutebration du Shabbat rappelle toutes les semaines agrave un juif pratiquant que

le monde a besoin drsquoecirctre sauveacute les priegraveres les psaumes parlent de la creacuteation qui

attend le salut Dans lrsquoœuvre de Peacuteguy le salut universel est une preacuteoccupation

premiegravere agrave commencer par la trilogie Jeanne drsquoArc ougrave Jeanne se reacutevolte contre la

damnation des acircmes jusqursquoagrave Egraveve qui est une histoire du salut selon la deacutefinition de

Peacuteguy lui-mecircme Peacuteguy heacutesite entre la pratique des vertus et la dociliteacute agrave la gracircce

comme chemin du salut Dans ses premiers textes il preacutecise souvent que crsquoest la

pratique rigoureuse de la morale qui rendra possible la reacutevolution universelle et la

construction drsquoune citeacute harmonieuse Crsquoest un chemin de pratique des vertus tregraves

janseacuteniste au fond Peacuteguy est deacutejagrave agrave cette peacuteriode-lagrave un grand lecteur de Pascal

Encore un point commun entre la religion de Peacuteguy et le judaiumlsme le jour du

Yom Kippour le peuple juif se tient devant Dieu en disant laquo nous nrsquoavons pas de

meacuterites raquo en attendant la miseacutericorde et la gracircce de Dieu Dans la tradition

catholique les meacuterites surtout au temps de Peacuteguy comptent les laquo bonnes actions raquo

servent agrave racheter les mauvaises mais Peacuteguy mecircme en parlant de la reacuteversibiliteacute

qui chez Joseph de Maistre se rapporte aux meacuterites et aux fautes renverse tout en

parlant de la reacuteversibiliteacute des souffrances et des gracircces La notion mecircme de la

reacuteversibiliteacute reprise par Peacuteguy ressemble beaucoup agrave lrsquoun des principes

fondamentaux du judaiumlsme kabbalistique le Ticcoun Olam (laquo reacuteparation du

monde raquo) qui preacutesente la conception juive de la justice sociale Ce principe

correspond totalement agrave lrsquoideacutee de Peacuteguy suivant laquelle crsquoest la perfection morale

individuelle des acteurs de la reacutevolution socialiste qui rendra possible un jour la

creacuteation drsquoune citeacute harmonieuse Dans Encore de la grippe Peacuteguy eacutecrit laquo Il me

paraicirct que lrsquohumaniteacute preacutesente a besoin de tous les soins de tous les hommes raquo (I

432) Selon le Ticcoun Olam le monde change gracircce agrave lrsquoobservation des lois par les

membres de la communauteacute et une personne qui observe la loi rapproche la venue

du Messie pour tout le peuple juif Dans la kabbale le Ticcoun Olam est la derniegravere

eacutetape de la creacuteation du monde puisque en multipliant les actes drsquoobservance de la

loi les juifs creacuteent un monde plus juste plus accueillant pour le Messie Selon Isaac

106

Louria les juifs sont appeleacutes agrave reacuteparer le monde Crsquoeacutetait aussi lrsquoideacutee de deacutepart de

Peacuteguy Dieu travaille il creacutee un monde charnel Ce monde est abimeacute par le peacutecheacute de

lrsquohomme et lrsquohomme est appeleacute agrave reacuteparer le monde agrave faire le Ticcoun olam

Les premiers agrave œuvrer pour la reacuteparation du monde sont les professeurs

Fackenheim dans son livre eacutecrit de tregraves belles pages sur le rocircle des parents et des

maicirctres drsquoeacutecole dans lrsquoeacuteducation qui fera des enfants des hommes capables

drsquoœuvrer pour la reacuteparation le Ticcoun Olam Peacuteguy degraves le tout premier Cahier de

la quinzaine paru le 5 janvier 1900 dans sa Lettre du provincial preacutesenteacutee comme

eacutecrite par un enseignant de province mais en reacutealiteacute creacuteeacute par Peacuteguy professe

Nous sommes les maccedilons de la citeacute prochaine les tailleurs de pierre et les gacirccheurs de mortier Attacheacutes agrave la glegravebe ainsi qursquoau temps passeacute attacheacutes au travail agrave lrsquoatelier agrave la classe nous ne serons pas plus deacuteleacutegueacutes socialistes aux Parlements socialistes que nous nrsquoavons eacuteteacute deacuteputeacutes socialistes aux Parlements bourgeois Nous preacuteparons la matiegravere dont sont faites les renommeacutees et les gloires publiques (I 290)

Encore un point qui fait de Peacuteguy un heacuteritier du judaiumlsme comme il le disait

drsquoailleurs dans Louis de Gonzague (II 378-379) selon lrsquoun des midrashim le juif

laquo crsquoest celui qui teacutemoigne contre les idoles raquo Lrsquoœuvre qui selon Peacuteguy couronne la

litteacuterature franccedilaise celle qursquoil aimait le plus crsquoest Polyeucte de Corneille

Polyeucte devenu chreacutetien brise les idoles Il faut preacuteciser que briser les idoles

nrsquoeacutetait pas speacutecialement conseilleacute aux chreacutetiens du temps de Polyeucte mecircme au

sein de la communauteacute chreacutetienne Crsquoest un geste qui le distingue qui souligne sa

conversion radicale son inteacutegriteacute Crsquoest ce geste qui inspirait tellement Peacuteguy Mais

il faut se rappeler aussi du fait que crsquoest souvent par opposition aux laquo idoles raquo que

se construisaient les nouveaux juifs qui devenaient pratiquants en reacuteponse agrave

lrsquoantiseacutemitisme ambiant crsquoest souvent lrsquoexemple des chreacutetiens perseacutecuteacutes qui

amenait leur entourage agrave la conversion et crsquoeacutetait aussi drsquoune certaine maniegravere le cas

de Peacuteguy qui srsquoest tourneacute consciemment vers le christianisme lors de la peacuteriode du

combisme Ses pamphlets sa virulente poleacutemique avec Fernand Laudet avec ceux

qursquoil consideacuterait comme laquo le parti intellectuel raquo avec Jauregraves Maritain et les

thomistes et tant drsquoautres sont une faccedilon de combattre ce qursquoil consideacuterait comme

lrsquoidolacirctrie la forme la plus eacutevidente du mensonge Crsquoeacutetait donc un combat pour la

veacuteriteacute Effectivement dans le judaiumlsme lrsquoidolacirctrie crsquoest bien plus que la confection

107

drsquoidoles qui repreacutesenteraient des faux dieux ou des fausses images de Dieu Crsquoest le

choix de se mettre au service de quelqursquoun ou de quelque chose au deacutetriment de

Dieu agrave la suite de quoi Dieu perd la premiegravere place Jauregraves devenait ainsi idolacirctre

en instrumentalisant lrsquoaffaire Dreyfus Et toute lrsquoentreprise ou lrsquoideacutee mecircme des

Cahiers de la quinzaine est de laquo dire la veacuteriteacute raquo (I 292) donc de combattre les

idoles

La vision de lrsquohistoire lrsquohistoire humaine et lrsquohistoire sainte lrsquohistoire

surnaturelle et lrsquohistoire charnelle est aussi un point de convergence entre le

judaiumlsme et la philosophie de lrsquohistoire peacuteguyste Fackenheim eacutecrit que le juif laquo se

voit dans lrsquohistoire qui advient entre la Reacuteveacutelation et la Reacutedemption et teacutemoigne

lui-mecircme de ce qui se passe dans cet intervalle et de la Reacutedemption future Ce

teacutemoignage crsquoest son rocircle personnel dans lrsquohistoire sainte raquo126 Pour Peacuteguy le

teacutemoin est celui qui vit pour dire la veacuteriteacute le teacutemoignage est un acte de justice et de

reacuteparation du Ticcoun Olam

d) La souffrance

La vie de souffrance et de douleur la souffrance comme fait historique

identifiant un peuple le fait drsquoecirctre victime drsquoinjustice en tant que repreacutesentant du

peuple juif tout cela a fortement impressionneacutee Peacuteguy Comme lrsquoeacutecrit W Rabi laquo la

premiegravere raison la raison immeacutediate de la sensibilisation de Peacuteguy au fait juif

reacuteside donc dans la vocation de douleur du peuple juif Israeumll lui apparaicirct vraiment

comme lrsquohomme souffrant depuis des siegravecles de lrsquoinjustice du monde raquo127 La

vocation exprime un appel de Dieu Lrsquoun des mots heacutebreux deacutesignant la sainteteacute

qadosh eacutevoque la mise agrave lrsquoeacutecart drsquoune personne ou de tout un peuple pour le

rapprocher de Dieu Par rapport au peuple juif dans lrsquohistoire crsquoest la souffrance la

douleur qui le rend diffeacuterent et creacutee une distinction une mise agrave lrsquoeacutecart propre agrave le

rendre disponible agrave lrsquoappel de Dieu agrave la vocation Et aussi une forme

126 FACKENHEIM Emil op cit p 110 127 RABI Wladimir laquo Israeumll raquo Esprit aoucirct-sept 1964 p 336

108

drsquoenracinement dans son histoire sa tradition et sa religion qui constituent la seule

reacuteponse possible agrave lrsquoabsence drsquoune terre drsquoun pays mais qui font que les juifs sont

eacutetrangers partout ougrave ils sont Peacuteguy dans Notre Jeunesse deacutecrit le peuple juif qui

obeacuteit agrave la souffrance et au deacuteracinement charnel au chemin perpeacutetuel parce qursquoil y

voit la marque de Dieu le signe drsquoune vocation ougrave laquo ils saluent enfin le maicirctre de la

plus rigoureuse servitude raquo (III 54-55)

Peacuteguy est loin du dolorisme une ascegravese excessive et choisie ne lrsquoinspire pas

plus mais la souffrance est pour lui un signe de vocation degraves le deacutebut de sa carriegravere

litteacuteraire Cependant dans Un nouveau theacuteologien Monsieur Fernand Laudet

Peacuteguy accuse ce dernier de rejeter toutes les vertus laquo priveacutees raquo qui se pratiquent

dans la solitude et donc ne laisser que les saints martyrs ou missionnaires tandis

que la souffrance cacheacutee priveacutee de la maladie selon Peacuteguy est une laquo fabrique

portative de martyre [hellip] la maladie fait partie si inteacutegrante du meacutecanisme de la

sainteteacute que lrsquoon ne sait pas si les saints malades ne sont pas les plus grands drsquoentre

les saints raquo (III 449) Peacuteguy donne ensuite lrsquoexemple de saint Louis que son

chroniqueur Joinville voulait faire martyr et non seulement confesseur en

srsquoappuyant sur lrsquousage que le roi fit de sa maladie sa maniegravere de la vivre en

chreacutetien

Dans le portrait de Bernard-Lazare dans Notre Jeunesse Peacuteguy en le deacutecrivant

comme un saint eacutevoque certes sa bonteacute sa douceur et sa tendresse ainsi que son

laquo eacutegaliteacute drsquohumeur raquo mais il parle surtout de son laquo expeacuterience de lrsquoamertume et de

lrsquoingratitude une digestion parfaite de lrsquoamertume et de lrsquoingratitude raquo et il

souligne aussi sa mort laquo dans le silence et dans lrsquooubli dans un silence fait Dans

un oubli concerteacute raquo (III 57) Le saint est selon Peacuteguy un habitueacute de la souffrance

il obeacuteit agrave la souffrance non dans un esprit de flagellant meacutedieacuteval qui parfois

pensait acceacuteder agrave la sainteteacute en srsquoinfligeant des souffrances volontairement mais

dans une humble dociliteacute lrsquoacceptation de souffrir puisque cela fait partie du

chemin choisi de la fideacuteliteacute agrave sa vocation

Dans la trilogie Jeanne drsquoArc le deacutebut de la premiegravere piegravece est consacreacute agrave la

souffrance de la petite Jeannette qui fait venir du couvent une ancienne habitante de

109

Domreacutemy Madame Gervaise Jeannette demande agrave la voir parce qursquoelle a laquo de la

tristesse dans lrsquoacircme raquo (OPD 8) que son acircme est laquo douloureuse agrave mort raquo (OPD 15)

Ce qui distingue Jeannette crsquoest qursquoelle fait sienne la souffrance des affameacutes la

souffrance de la France en guerre la souffrance des peacutecheurs damneacutes la souffrance

du Christ Elle nrsquoest pas une grande ascegravete elle nrsquoaccomplit pas de miracles elle

nrsquoest pas encore une mystique visionnaire elle nrsquoest pas encore guerriegravere elle nrsquoest

qursquoune petite fille ordinaire qui prie et qui souffre plus que les autres le texte de

Peacuteguy ne nous dit pas si elle souffre plus parce que la priegravere lrsquoa rendue plus

sensible ou si elle prie autant parce que la souffrance la pousse dans la priegravere Mais

crsquoest la souffrance qui la rend seule et diffeacuterente qadosh Dans Le Mystegravere de la

chariteacute de Jeanne drsquoArc Hauviette dit agrave Jeannette laquo On dirait que tu as consommeacute

toute la tristesse de la terre raquo (OPD 411) parce que la souffrance de Jeanne nrsquoest

pas une souffrance laquo priveacutee raquo elle srsquoeacutelargit au monde entier parce qursquoune sainte

nrsquoest plus seulement une personne charitable dans sa paroisse son village sa

sainteteacute est universelle Jeannette ne pourra pas non plus aller prier pour le salut de

la France dans un couvent parce que sa souffrance la pousse agrave lrsquoaction celle de

sauver la France une forme de Ticcoun Olam pour Peacuteguy pour qui un monde

harmonieux est celui ougrave la terre appartient au peuple qui la travaille ougrave laquo chassez

les anglais hors de la France raquo constitue une action qui reacutepare le monde Et puisque

le crime pour Jeannette pour Peacuteguy est commun et englobe tout un peuple parce

que laquo Complice complice crsquoest comme auteur raquohellip ou quelques lignes plus bas

laquo Complice complice crsquoest pire qursquoauteur infiniment pire raquo (OPD 451) la reacuteponse

au crime ne peut ecirctre que collective aussi la pratique de la vertu qui reacutepare le crime

(dans ce cas-lagrave il srsquoagit de la lacirccheteacute) doit ecirctre commune pour cette raison donner

son pain au pauvre ne suffit pas il faut tuer la guerre crsquoest la seule reacuteponse

possible

Pour Peacuteguy lrsquoune des confirmations apregraves dix ans de lrsquoexistence des Cahiers

de la quinzaine qursquoil ne srsquoeacutetait pas trompeacute de mission de vocation crsquoeacutetait son

eacutechec financier sa solitude les deacutesabonnements lrsquoadversiteacute etc Lrsquoeacutechec prouvait

la gratuiteacute totale de lrsquoaction et ainsi confirmait la vocation veacuteritable Il le dit dans

un texte drsquoune immense amertume A nos amis agrave nos abonneacutes

110

Nous sommes des vaincus Le monde est contre nous Et on ne peut plus savoir aujourdrsquohui pour combien drsquoanneacutees Tout ce que nous avons soutenu tout ce que nous avons deacutefendu les mœurs et les lois le seacuterieux et la seacuteveacuteriteacute les principes et les ideacutees les reacutealiteacutes et le beau langage ma propreteacute la probiteacute de langage la probiteacute de penseacutee la justice et lrsquoharmonie la justesse une certaine tenue lrsquointelligence et le bon franccedilais la reacutevolution et notre ancien socialisme la veacuteriteacute le droit la simple entente le bon travail le bel ouvrage tout ce que nous avons soutenu tout ce que nous avons deacutefendu recule de jour en jour devant une barbarie devant une inculture croissantes devant lrsquoenvahissement de la corruption politique et sociale (II 1273)

e) La sainteteacute juive

Il existe une particulariteacute du judaiumlsme dont le christianisme assume lrsquoheacuteritage

qui est peut-ecirctre la plus importante pour Peacuteguy la laquo bonne action raquo lrsquoobservation

de la loi consistent en premier lieu agrave agir selon la miseacutericorde et la chariteacute le hesed

Anna Schmaiumln-Veacutelikanov dans son ouvrage consacreacute au livre de Ruth fait une

analyse tregraves deacutetailleacutee du rocircle du hesed dans la Bible et dans lrsquoheacuteritage biblique Ce

mot difficilement traduisible signifie en mecircme temps la chariteacute et la miseacutericorde

lrsquoamour la gracircce la fideacuteliteacute et la teacutenaciteacute Le plus souvent il est utiliseacute dans

lrsquoAncien Testament agrave propos de lrsquoattitude de Dieu pour lrsquohomme ce que Dieu

ressent et ce qursquoil fait agrave lrsquohomme pour lrsquohomme Anna Shmaiumln-Veacutelikanov preacutecise

que le hesed deacutefinit Dieu dans sa creacuteation son attitude est toujours supeacuterieure agrave

celle de lrsquohomme elle est donc toujours un don Il y a aussi beaucoup de cas dans la

Bible ougrave le hesed exprime lrsquoattitude que Dieu attend de lrsquohomme la maniegravere dont

lrsquohomme doit se conduire avec son prochain Parfois le hesed signifie mecircme une

exigence sociale par exemple la gracircce accordeacutee agrave un condamneacute agrave mort Dans le

judaiumlsme il y a trois mots qui deacutefinissent le saint qadosh tsaddiq et hasid Le

premier deacutecrit la diffeacuterence entre celui qui a eacuteteacute choisi par Dieu et les autres le

second veut dire laquo juste raquo le troisiegraveme srsquoapplique agrave celui qui effectue le hesed qui

imite Dieu dans son attitude miseacutericordieuse envers les autres laquo qui agit comme

Dieu raquo Dans lrsquoAncien Testament le mot qadosh peut ecirctre appliqueacute agrave tout le peuple

juif parce que crsquoest la relation avec Dieu qui distingue les juifs des autres peuples

Le mot hasid est principalement utiliseacute dans les psaumes dans la Vulgate il est

traduit comme sanctus pareillement agrave qadosh Dans lrsquoAncien Testament il nrsquoy a ce

111

terme nrsquoest que tregraves rarement employeacute pour qualifier une action humaine non dans

un psaume crsquoest lrsquoamour hesed du prophegravete Oseacutee pour sa femme infidegravele celui de

Jonathan pour David et celui de Ruth pour Noeacutemie128 Les dieux des autres peuples

des temps bibliques aimaient les heacuteros les rois et les puissants Le Dieu drsquoIsraeumll

aime la veuve lrsquoorphelin et lrsquoeacutetranger Ceci est la base de lrsquoeacutethique juive celui qui

aime lrsquoorphelin la veuve et lrsquoeacutetranger est un juste (tsaddiq) un saint (qadosh) un

hasid

Au temps de ses eacutetudes agrave lrsquoEacutecole Normale Peacuteguy eacutetait beacuteneacutevole agrave laquo La mie de

pain raquo et preacutesident drsquoune laquo Confeacuterence saint Vincent de Paul raquo Sa Jeanne drsquoArc est

aussi charitable qursquoheacuteroiumlque La premiegravere Jeanne drsquoArc deacutebute par le dialogue entre

Jeannette et Hauviette sur les orphelins que Jeannette a nourris Les exploits de

Jeanne nrsquoapparaissent que dans la deuxiegraveme piegravece Les Batailles et crsquoest surtout la

chariteacute de Jeanne qui est souligneacutee sa pitieacute pour les morts et les blesseacutes son refus

de souhaiter le mal mecircme pour ses ennemis Dans la deuxiegraveme Jeanne le Mystegravere

de la chariteacute de Jeanne drsquoArc la chariteacute devient veacuteritablement le sujet principal

Dans LrsquoArgent suite Peacuteguy deacuteclare avec force laquo Je ne reconnais qursquoune chariteacute

chreacutetienne mon jeune camarade et crsquoest celle qui procegravede directement de Jeacutesus

(Eacutevangiles passim ou plutocirct ubique) crsquoest la constante communion et spirituelle

et temporelle avec le pauvre avec le faible avec lrsquoopprimeacute raquo (III 886)

Dans Toujours de la grippe Peacuteguy fait le lien entre la chariteacute chreacutetienne et la

solidariteacute socialiste laquo Ainsi entendue ainsi aimeacutee ainsi voulue ainsi connue ainsi

exerceacutee ainsi profonde et libre la solidariteacute socialiste jaillit freacutequemment au cœur

des humbles et des pauvres au cœur des ignorants raquo (I 457) Lrsquoaccent mis sur

lrsquoignorance nrsquoest pas anodin il souligne le fait que Peacuteguy introduit tregraves tocirct la

mystique au sein de son socialisme militant il deacutecrit la solidariteacute comme une gracircce

qui est offerte aux pauvres et aux ignorants non comme une vertu qui se pratique

par lrsquoeffort la force de volonteacute Il srsquoagit de la sainteteacute drsquoailleurs le laquo citoyen

docteur raquo qui est lrsquointerlocuteur de Peacuteguy dans ce dialogue le dit tout de suite

128 АИ Шмаина-Великанова Книга Руфи как символическая повесть М Институт св Фомы 2010 (SCHMAIumlN-VELIKANOV Anna Le livre de Ruth comme reacutecit symbolique Moscou Institut saint Thomas 2010 p 7-13)

112

laquo crsquoest bien ce que jrsquoentendais nous avons nos saints et nous avons nos docteurs raquo

(ibid)

Imiter le Dieu des Juifs crsquoest ecirctre charitable envers les petits les pauvres les

malheureux les insignifiants les perdants les derniers Et crsquoeacutetait la plus grande

cause de Peacuteguy se battre sans relacircche pour les innocents les boucs eacutemissaires les

perseacutecuteacutes

3 Les vertus chreacutetiennes

Peacuteguy en suivant Saint Augustin distingue les trois vertus theacuteologales des

vertus cardinales Saint Augustin eacutelegraveve drsquoAmbroise de Milan qui fut un fidegravele

lecteur de Ciceacuteron et de son traiteacute De officiis souligne la gratuiteacute des vertus

theacuteologales venant de Dieu Plus tard Greacutegoire le Grand et Thomas drsquoAquin

reacuteunissent dans un systegraveme de sept vertus chreacutetiennes les quatre vertus morales

(cardinales) et les trois vertus theacuteologales La foi est la capaciteacute de lrsquohomme de

comprendre et de mettre en œuvre la volonteacute de Dieu lrsquoespeacuterance creacutee une attente

confiante et ouvre pour lrsquohomme un chemin vers la beacuteatitude la chariteacute unit

lrsquohomme agrave lrsquoamour de Dieu Selon saint Thomas drsquoAquin la prudence harmonise

lrsquointelligence et le cœur dans la prise de deacutecision et fait le lien entre les autres

vertus la justice est responsable des relations dans la socieacuteteacute la tempeacuterance

cherche le juste milieu entre les deacutesirs divers drsquoun ecirctre humain quant agrave la force

elle donne lrsquoeacutelan aux deacutecisions prises et permet agrave lrsquohomme drsquoecirctre perseacuteveacuterant Les

vertus antiques font ainsi partie des vertus chreacutetiennes et ce lien avec lrsquoheacuteritage

antique doit sucircrement ecirctre cher agrave Peacuteguy Mais il nrsquoaccepte pas la theacuteorie thomiste

des vertus qui suppose lrsquoacquisition de la vertu par la reacutepeacutetition qui creacutee un habitus

une habitude Or rien nrsquoest pire que lrsquohabitude pour Peacuteguy crsquoest ce qui tue la dureacutee

ferme la porte agrave la gracircce rend impossible lrsquoespeacuterance qui se traduit par un eacuteternel

renouvellement Recommencer sans cesse chaque jour chaque heure agrave nouveau est

113

contraire agrave la reacutepeacutetition de ce qui a eacuteteacute fait par le passeacute Cependant pour Alain

Thomasset Peacuteguy est moins loin de saint Thomas drsquoAquin qursquoil ne le croyait laquo la

vertu preacutesente un caractegravere paradoxal car elle est agrave la fois du cocircteacute de la reacutepeacutetition et

donc de la mecircmeteacute et en mecircme temps du cocircteacute de la nouveauteacute et de lrsquoalteacuteriteacute car

elle rend bon celui qui la possegravede Une reacutepeacutetition peut donc ouvrir agrave la nouveauteacute

une stabiliteacute faciliter le mouvement raquo129 Il est possible que la reacuteaction de Peacuteguy agrave la

theacuteologie thomiste soit plutocirct une suite agrave sa controverse avec le thomiste Maritain

qursquoun veacuteritable deacutesaccord theacuteologique

a) La Ballade du cœur qui a tant battu

Les vertus theacuteologales qui restent supeacuterieures dans une sorte de hieacuterarchie

parce que ce sont les vertus qui deacutecrivent la maniegravere dont Dieu agit envers les

hommes selon Peacuteguy ce sont les vertus qui appartiennent agrave Dieu que lrsquohomme ne

peut pas atteindre sans accueillir la gracircce par le seul effort de lrsquoimitation de Jeacutesus

Pour ce qui concerne les vertus theacuteologales seule la gracircce accueillie dans la

confiance peut rendre possible lrsquoimitation de Dieu qui espegravere en lrsquohomme qui croit

en lrsquohomme et qui aime lrsquohomme laquo Ce que nous devons faire pour Dieu crsquoest

Dieu qui prend les devants qui commence de le faire pour nous raquo Crsquoest une ideacutee

absolument novatrice que personne avant lui nrsquoa oseacute exprimer parce que selon la

theacuteologie de Peacuteguy Dieu ainsi se fait vulneacuterable jusqursquoagrave devenir deacutependant de

lrsquohomme laquo Dieu a besoin de nous Dieu a besoin de sa creacuteature raquo (OPD 715)

Dans les Ballades du cœur qui a tant battu lrsquoun des rares textes ougrave Peacuteguy dit

vraiment laquo je raquo ougrave il se preacutesente comme sujet de son œuvre il y a une longue

comparaison entre les vertus cardinales et les vertus theacuteologales La premiegravere fois

que Peacuteguy les mentionne les sept vertus sont preacutesenteacutees comme celles qui marchent

dans une procession

Dans les processions

O blanc vecirctu

129 THOMASSET Alain Thomasset opcit p 304

114

Les intercessions

Des sept Vertus (OPD 963)

Elles eacutevoquent donc tout de suite un chemin un mouvement avec Dieu et vers

Dieu Et elles intercegravedent en jouant le rocircle drsquoun pont qui relie lrsquohomme agrave Dieu

laquo Les quatre Cardinales naissent paiumlennes raquo (Ibid) et deviennent chreacutetiennes par le

travail et lrsquoeffort mais les trois Theacuteologales naissent de la gracircce par le don Il est

compreacutehensible que dans cette peacuteriode de lutte acharneacutee contre lui-mecircme contre sa

passion dont il laisse entendre plusieurs eacutechos dans ces Ballades les vertus

cardinales qui selon Peacuteguy laquo sont des gendarmes raquo (OPD 963) cegravedent le pas au

vertus Theacuteologales pleines de gracircce donneacutees provenant de la gracircce de Dieu Julie

Sabiani dans son commentaire des Ballades observe laquo La longue seacutequence qui

oppose Theacuteologales et Cardinales ne tend pas seulement agrave condamner le moralisme

vertueux mais aussi toute dogmatique religieuse raquo130 La gracircce seule suffit Cette

gracircce est leacutegegravere crsquoest un don pas un lourd fardeau Peacuteguy va jusqursquoagrave la deacutecrire

comme une ronde une danse laquo Mais les Theacuteologales Dansent en rond raquo (OPD

1014) elles laquo font carnaval raquo (OPD 1017) elles laquo sont des luronnes raquo (OPD 1031)

laquo megravenent la fecircte raquo (OPD 1032) laquo megravenent la danse raquo (OPD 1045) elles laquo jouent

aux billes raquo (OPD 1052) et vont jusqursquoagrave faire des batailles de boules de neige Elles

sont pleines de gratuiteacute incarneacutees par un esprit drsquoenfance Peacuteguy parle drsquohospitaliteacute

qui permet drsquoaccueillir la gracircce il nomme les laquo trois Theacuteologales hospitaliegraveres raquo

(OPD 1020) Mecircme si cette gracircce est accueillie dans la douleur dans la peine dans

lrsquohumiliteacute elles sont reccedilues comme un baume sur une blessure profonde laquo Au

trois Theacuteologales ndash notre souffrance raquo Les vertus Theacuteologales ne naissent pas de

cette certitude que Peacuteguy exeacutecrait mais de lrsquoinquieacutetude mystique qursquoil appreacuteciait

tant dans la tradition juive

Aux quatre Cardinales

La certitude

Mais aux Theacuteologales

Lrsquoinquieacutetude (OPD 1027)

130 SABIANI Julie La Ballade du cœur Paris Klincksieck 1973 p 125

115

Le chemin agrave la suite des quatre vertus Cardinales emmegravene celui qui le suit vers

un but deacutefini mais celui qui suit les trois theacuteologales avance sur un chemin

drsquoabandon total ougrave il reste un eacuteternel disciple Peacuteguy eacutecrit que laquo les Theacuteologales

sont eacutecoliegraveres raquo (Ibid)

Elles ne naissent pas de lrsquoabondance mais du manque de la pauvreteacute et de la

simpliciteacute

Aux quatre Cardinales

Porte-flambeaux

Les trois Theacuteologales

Vont en sabots (OPD 1032)

b) La Chariteacute

Ce sont les trois mystegraveres qui eacuteclairent la penseacutee de Peacuteguy sur les vertus

theacuteologales En changeant le titre sur eacutepreuves Peacuteguy transforme le Mystegravere de la

vocation de Jeanne drsquoArc en Mystegravere de la chariteacute de Jeanne drsquoArc Il eacutecrit ensuite

Le Porche du mystegravere de la deuxiegraveme vertu lrsquoespeacuterance et conclut avec Le Mystegravere

des saints Innocents qui ne contient pas le mot laquo foi raquo dans le titre

La chariteacute premiegravere des vertus theacuteologales la plus grande et celle qui se

rapproche le plus de la vertu juive par excellence le Hesed est au centre du premier

mystegravere de Peacuteguy Le Mystegravere de la chariteacute de Jeanne drsquoArc La chariteacute de Jeanne

est bien loin de la chariteacute traditionnelle des saintes meacutedieacutevales une chariteacute

personnelle individuelle faite drsquolaquo œuvres de chariteacute raquo la Jeannette de Peacuteguy ne se

contente pas de cela Le fait que les enfants affameacutes auxquels elle a donneacute tout son

pain auront de nouveau faim le lendemain lrsquoindigne et la pousse agrave agir sur les

racines du mal Il ne suffit pas de donner son pain aux pauvres il faut eacuteradiquer ce

qui les rend pauvres la guerre Peacuteguy fait de Jeannette une sainte militante une

sainte qui agit au tout deacutebut du mystegravere dans sa premiegravere priegravere elle dit laquo Enfin

ce qursquoil nous faudrait mon Dieu il faudrait nous envoyer une saintehellip qui

reacuteussisse raquo (OPD 405) Lrsquoaction de Jeanne nrsquoest pas une action priveacutee dans sa

paroisse son village sa famille Agir sur la racine crsquoest agir sur la socieacuteteacute Ainsi

116

Jeanne devient une laquo meneuse drsquohommes raquo qui pense qursquoon ne peut pas laquo tuer la

guerre raquo en priant dans un couvent

c) LrsquoEspeacuterance

La deuxiegraveme vertu lrsquoespeacuterance chez Peacuteguy est eacutetroitement lieacutee agrave lrsquoenfance

Seule la premiegravere piegravece de la trilogie est consacreacutee agrave lrsquoenfance de Jeanne Et le

Mystegravere de la chariteacute de Jeanne drsquoArc se concentre totalement sur quelques heures

de la vie de Jeannette enfant acircgeacutee de treize ans Le lecteur la rencontre ainsi que sa

famille ses amies fait connaissance de son acircme de ses penseacutees de ses attentes Et

tout ce qui lui arrivera plus tard y est deacutejagrave les germes de son action future On peut

voir deacutejagrave dans la petite Jeannette comme dans une semence la possibiliteacute de

reacutepondre on non agrave lrsquoappel de la vocation la possibiliteacute de devenir un chef de

guerre Crsquoest cette possibiliteacute qui est gage drsquoespeacuterance chez Peacuteguy

Dans Le Porche du mystegravere de la deuxiegraveme vertu Peacuteguy exprime cette ideacutee de

maniegravere presque choquante Dieu en srsquoadressant aux enfants prononce laquoVous

ecirctes des enfants Jeacutesusraquo (OPD 653)Pour lui chaque enfant crsquoest lrsquoespeacuterance pure

parce que lrsquoenfant contient une promesse de lrsquoimitation du Christ dans la mesure ougrave

lrsquohomme est fait agrave son image lrsquoenfant qui nrsquoest pas encore corrompu par le peacutecheacute

contient en lui un reflet une image presque parfaite Dans Egraveve Peacuteguy parle de

lrsquoenfant Jeacutesus qui contient en lui seul la possibiliteacute du salut de toute la terre du

regravegne sur tout le monde Ainsi lrsquoenfance lrsquoenfant deviennent chez Peacuteguy une sorte

de contenant merveilleux en qui toutes les possibiliteacutes germent et attendent

lrsquoincarnation et ainsi portent lrsquoespeacuterance Dans le Mystegravere des saints Innocents

Peacuteguy fait dire agrave Dieu ces paroles laquoMon fils avait eacuteteacute un tendre enfant laiteux une

enfance un bourgeonnement une promesse un engagement un essai une origine

un commencement de reacutedempteur une espeacuterance du salut une espeacuterance de

reacutedemptionraquo (OPD 784)

Le Mystegravere de la vocation de Jeanne drsquoArc srsquoachegraveve au moment ougrave Jeanne

acircgeacutee maintenant de seize ans apprend par ses voix que ce chef de guerre pour qui

117

elle a prieacute durant trois ans celui qui sauvera la France crsquoest elle Mais Charles

Peacuteguy nrsquoa jamais publieacute ce texte il lrsquoa retrancheacute sur eacutepreuves et donneacute un autre

titre au mystegravere Il a choisi Jeannette dans laquelle se concentre toute lrsquoespeacuterance

comme possibiliteacute du salut des hommes Elle peut reacutepondre ou ne pas reacutepondre agrave sa

vocation Entendre ou ne pas entendre lrsquoappel

Dans le Mystegravere de la chariteacute de Jeanne drsquoArc le poegravete montre ce tournant de

lrsquoenfance agrave lrsquoacircge adulte ce moment de croissance qui se traduit selon Peacuteguy dans

le surpassement du deacutesespoir Jeannette est tellement deacutesespeacutereacutee qursquoelle doute

mecircme du sens de la reacutedemption des hommes par le sacrifice du Christ elle se

demande mecircme srsquoil nrsquoest pas mort pour rienhellip et de ce surpassement du deacutesespoir

naicirct son deacutesir drsquoentendre la volonteacute de Dieu et de lrsquoaccomplir

Lrsquoenfant nrsquoa pas drsquoexpeacuterience ou tregraves peu mais surtout lrsquoexpeacuterience nrsquoa pas

encore drsquoinfluence sur lui sur sa maniegravere drsquoagir Lrsquoenfant va agir sans srsquoappuyer sur

une expeacuterience qui dit que si telle chose srsquoest mal passeacutee crsquoest comme ccedila que cela

va se passer dans le futur Lrsquoenfant nrsquoa pas peur que le mal se reproduise il peut

alors sans douter et sans prendre peur tout recommencer agrave nouveau en participant

avec le Creacuteateur dans lrsquoeacuteternel renouvellement laquoVoici je fais lrsquounivers nouveauraquo

(Ap 21 5)

Dans le Mystegravere de la chariteacute de Jeanne drsquoArc la petite Jeannette trouve une

source drsquoespeacuterance dans le refus de srsquoappuyer sur lrsquoexpeacuterience de prononcer ces

paroles tellement laquo adultes raquo laquo ce nrsquoest pas possible raquo Jeannette choisit drsquoattendre

le nouveau Au tout deacutebut du Mystegravere elle dit agrave Dieu

Il nous faudrait peut-ecirctre quelque chose de nouveau quelque chose qursquoon nrsquoaurait encore jamais vu Quelque chose qursquoon nrsquoaurait encore jamais fait Mais qui oserait dire mon Dieu qursquoil puisse y avoir du nouveau apregraves quatorze siegravecles de chreacutetienteacute apregraves tant de saintes et tant de saints apregraves tous vos martyrs apregraves la passion et la mort de votre fils (OPD 404)

Pour le moment Jeannette ne sait pas tregraves bien ce qui est possible et ce qui ne

lrsquoest pas elle peut donc croire que tout est possible et fonder son espeacuterance sur cette

possibiliteacute Hauviette son amie est diffeacuterente Elle est plus jeune mais chez Peacuteguy

elle incarne la tradition et elle srsquoappuie sur lrsquoexpeacuterience des geacuteneacuterations qui lrsquoont

preacuteceacutedeacutee sur celle du cateacutechisme de ce que ses parents lui ont appris agrave la maison

118

Pourtant lrsquoexpeacuterience ne deacutetruit pas son espeacuterance parce qursquoelle a une confiance

absolue en Dieu Pour Peacuteguy crsquoest lrsquoune des principales sources de lrsquoespeacuterance en

particulier de lrsquoespeacuterance du salut

Peacuteguy montre au lecteur le tournant de Jeannette du deacutesespoir agrave lrsquoespeacuterance

son choix de garder son esprit drsquoenfant qui est confiante et qui espegravere Jeannette agrave

treize ans nrsquoest plus tout agrave fait une enfant mais pas encore une adulte elle peut

choisir sa voie inteacuterieure Jeannette choisit de ne pas srsquoappuyer sur lrsquoideacutee que son

travail et ses priegraveres sont vaines

Et si elle choisit de srsquoappuyer sur lrsquoexpeacuterience de la joie de la reconnaissance drsquoune confiance absolue en Dieu et lrsquoattente du nouveau elle pourrait croire dans lrsquoincroyable commencer lrsquoimpossible ecirctre attentive agrave lrsquoappel et y reacutepondre devenir Jeanne drsquoArc Et ce deacutebut Peacuteguy le deacutecrit par une seule petite phrase la derniegravere du mystegravere qui semble ne pas ecirctre lieacutee avec le texte qui la preacutecegravede laquoOrleacuteans qui ecirctes au pays de Loireraquo (OPD 559)131

Le deuxiegraveme mystegravere de Peacuteguy Le Porche du mystegravere de la deuxiegraveme vertu

paru en octobre 1911 est entiegraverement consacreacute agrave la vertu theacuteologale de lrsquoespeacuterance

Peacuteguy le deacutefinit ainsi que le mystegravere suivant Le Mystegravere des saints Innocents

comme encore une laquo Jeanne drsquoArc raquo ce qui peut paraicirctre eacutetrange les sujets nrsquoeacutetant

pas lieacutes excepteacute le fait que le texte soit placeacute dans la bouche de Mme Gervaise

lrsquointerlocutrice de Jeannette dans le Mystegravere de la chariteacute cependant que Jeanne est

preacutesente comme celle qui eacutecoute En revanche la forme novatrice du Porche du

mystegravere de la deuxiegraveme vertu et du Mystegravere des saints Innocents entre la prose et

poeacutesie theacuteacirctre et traiteacute theacuteologique rejoint visiblement celle du reacutecit de la Passion

dans le Mystegravere de la chariteacute Dans la notice pour Le Porche de la reacutecente eacutedition agrave

la Pleacuteiade de lrsquoœuvre poeacutetique de Peacuteguy Claire Daudin eacutecrit que ce nrsquoest pas laquo une

suite chronologique mais une suite poeacutetique raquo (OPD 1647) Crsquoest aussi une suite

au Nouveau theacuteologien monsieur Fernand Laudet parce que crsquoest une suite agrave la

poleacutemique theacuteologique autour du Mystegravere de la chariteacute Dans Le Porche Peacuteguy

reacutepond en quelque sorte agrave Jacques Maritain qui lui a eacutecrit un grand nombre de

131 VEacuteLIKANOV Marie laquo Lrsquoenfance graine de lrsquoespeacuterance dans la poeacutesie de Peacuteguy raquo Le Porche Bulletin des Amis de Jeanne drsquoArc et de Charles Peacuteguy (Russie Pologne Finlande Estonie) Ndeg 36-37 deacutecembre 2012 p 90

119

lettres ainsi qursquoau pegravere Louis Baillet accusant le premier mystegravere drsquoheacutereacutesie132 Ce

texte est eacutecrit agrave la peacuteriode peut-ecirctre la plus dure de la vie de Peacuteguy un amour

impossible des problegravemes financiers les problegravemes de santeacute de ses enfants la

reacuteaction violente agrave son premier mystegravere le refus du prix de lrsquoAcadeacutemie auquel il

aspirait Cet hymne agrave lrsquoespeacuterance est eacutecrit du fond du deacutesespoir il le dit dans le

mystegravere cette vertu laquo est assureacutement la plus difficile raquo (OPD 635) La foi et mecircme

la chariteacute pour Peacuteguy vont de soi mais pas lrsquoespeacuterance Lrsquoespeacuterance est impossible

pour lui sans lrsquoaide sans la gracircce de Dieu

Peacuteguy choisit une petite fille neacutee agrave Noeumll une enfant qui joue avec une cregraveche

en bois pour incarner lrsquoespeacuterance dans son mystegravere Il explique ce choix laquo par

lrsquoabsence chez lrsquoenfant de lrsquoexpeacuterience du peacutecheacute ou de toute autre expeacuterience

neacutegative menant au deacutesespoir raquo Il met dans la bouche de Dieu ces mots laquoCar les

enfants sont plus mes creacuteatures que les hommes Ils nrsquoont pas encore eacuteteacute deacutefaits par

la vie de la terreraquo (OPD 632) Peacuteguy parle de lrsquoeacutetonnement de Dieu devant les

hommes qui suivent cette petite fille et laquovoient comme tout ccedila se passe et qursquoils

croient que demain ccedila ira mieuxraquo (OPD 632) Contrairement agrave lrsquoinnocence la foi

chez Peacuteguy est pratiquement opposeacutee agrave lrsquoespeacuterance parce qursquoelle srsquoappuie sur

lrsquoexpeacuterience sur laquo les histoires de lrsquoancien temps raquo (OPD 637) Chez Peacuteguy

lrsquoespeacuterance est une attente intense et concentreacutee du nouveau qui rend le miracle

possible

Au centre du Porche du mystegravere de la deuxiegraveme vertu se trouve la phrase

laquoPour espeacuterer mon enfant il faut ecirctre bien heureux il faut avoir obtenu reccedilu une

grande gracircceraquo (OPD 636) Crsquoest le don totalement gratuit de la joie qui devient

source de lrsquoespeacuterance Il deacutecrit cette joie enfantine en peignant une procession du

Saint Sacrement ougrave la petite fille Espeacuterance avance en dansant infatigablement

sans compter ses forces entre ses deux grandes sœurs les vertus de la Foi et de la

Chariteacute La petite fille Espeacuterance agrave cette fecircte est infatigable dans sa joie elle voit le

preacutesent tel qursquoil est en veacuteriteacute parce qursquoelle est tourneacutee vers le futur Elle ne

srsquoinquiegravete pas du passeacute et ne se deacutesole pas des fleurs qui vont faner Elle sait que de

132 MARITAIN Jacques BAILLET Louis Peacuteguy au porche de lrsquoEacuteglise Paris Cerf 1997

120

nouvelles fleurs naicirctront Il y a encore une raison pour laquelle Peacuteguy choisit une

enfant pour repreacutesenter lrsquoespeacuterance pour lui lrsquoespeacuterance ne pose pas de but crsquoest

la dureacutee qui est importante lrsquoeacuteveacutenement preacutesent comme pour les enfants pour qui

le jeu trouve sa valeur dans son processus mecircme et ils ne se lassent pas de

recommencer des dizaines de fois le mecircme Sans ecirctre conscient de lrsquoeacuteterniteacute

lrsquoenfant peut vivre comme srsquoil eacutetait eacuteternel ainsi chez Peacuteguy fait lrsquoespeacuterance

Elle croit elle compte que nous sommes comme elle Elle ne meacutenage point nos peines Et nos travails Elle compte que nous avons toute la vie devant nous Comme elle se trompe Comme elle a raison Car nrsquoavons-nous point toute la Vie devant nous La seule qui compte Toute la vie Eternelleraquo (OPD 748)

La petite fille Espeacuterance pousse les adultes agrave travailler ne travaillant pourtant

pas elle-mecircme tout simplement parce que les adultes travaillent souvent pour leurs

enfants qui repreacutesentent leur futur la promesse du lendemain ce nrsquoest pas le but

mais le sens du travail Pour Peacuteguy les enfants laquocrsquoest le futur dans le preacutesent nous

œuvrons pour eux aujourdrsquohui pas pour un but lointain mdash et crsquoest justement ce

travail qursquoaccomplit eacuteternellement la petite fille Espeacuterance raquo133 Lrsquoespeacuterance pousse

agrave recommencer non par goucirct de reacutepeacutetition mais au contraire par le souci du

renouvellement qui pour elle est toujours possible

Car crsquoest vingt fois qursquoelle nous fait faire le mecircme chemin sur terre pour la sagesse humaine ce sont vingt fois qui se redoublent qui se recommencent qui sont la mecircme qui sont vingt fois vaines qui se superposent Parce qursquoelles conduisaient par le mecircme chemin au mecircme endroit parce que crsquoeacutetait le mecircme chemin Mais pour la sagesse de Dieu rien nrsquoest jamais rien Tout est nouveau Tout est autre Tout est diffeacuterent Au regard de Dieu rien ne recommence (OPD 750)

Peacuteguy eacutecrit que le chemin de lrsquoespeacuterance naicirct dans le sacrement du baptecircme

dans lequel se deacutevoile lrsquoespeacuterance de Dieu en lrsquohomme laquoEt le baptecircme est le

sacrement le plus neuf Et le baptecircme est le sacrement qui commence [] Or la

petite espeacuterance est celle qui toujours commence Cette naissance perpeacutetuelle Cette

enfance perpeacutetuelleraquo (OPD 649)

La joie le refus de ne srsquoappuyer que sur lrsquoexpeacuterience et lrsquoattitude de

recommencer tout le temps agrave nouveau ne sont pas les seules conditions de

lrsquoespeacuterance chez Peacuteguy qui parle aussi de la confiance et de la peacutenitence Faire

peacutenitence pour Peacuteguy signifie un renouvellement dans lrsquoespeacuterance crsquoest ce qui de 133 VEacuteLIKANOV Marie opcit p 92

121

nouveau fait de nous des enfants ce qui creacutee un nouveau commencement laquoLa

force de vie la promesse la vie la force de vie et de promesse qui source au cœur

de lrsquoespeacuterance et qui rejaillit dans la peacutenitence mecircme dans la basse peacutenitenceraquo

(OPD 710) Pour ce qui concerne la confiance Peacuteguy la deacutecrit par une image celle

du sommeil enfantin qui exprime une confiance absolue en Dieu et permet agrave

lrsquoenfant de renouveler ses forces et de commencer chaque jour comme un jour

vraiment nouveau laquoVoilagrave le secret drsquoecirctre infatigable Infatigable comme les

enfants Infatigable comme lrsquoenfant Espeacuterance Et de recommencer toujours le

lendemainraquo (OPD 757)

Dans Le Mystegravere des saints Innocents (1912) Peacuteguy dit que lrsquoespeacuterance

comme une graine qui contient la promesse de la vie de lrsquoarbre recegravele la possibiliteacute

drsquoune nouvelle naissance laquoMais le tendre bourgeon nrsquoest fait que pour la naissance

et il nrsquoest chargeacute que de faire naicirctreraquo (OPD 783)

d) La foi et lrsquoinnocence

Dans un de ses textes Peacuteguy parle directement de la vertu theacuteologale de la foi

Un nouveau theacuteologien Monsieur Fernand Laudet Selon Peacuteguy la foi se

deacutecompose en deux autres vertus laquo qui seraient la creacuteance ou foi propre et la

fideacuteliteacute raquo (III 458) Autrement dit croire crsquoest choisir de consideacuterer ce que disent

les eacutecritures et lrsquoEacuteglise comme vrai et demeurer dans cette laquo creacuteance raquo confiante y

ecirctre fidegravele Quelques pages plus loin Peacuteguy parle aussi de laquo constance raquo et utilise

aussi un mot de lrsquoancien franccedilais laquo feacutealiteacute raquo (III 461) qui eacutevoque la fideacuteliteacute drsquoun

vassal agrave son seigneur et deacutesigne non seulement une fideacuteliteacute mais une forme

drsquoappartenance La fideacuteliteacute est ce que Peacuteguy retient en premier lieu dans la vertu

theacuteologale de la foi au deacutebut du Mystegravere des saints Innocents il eacutecrit laquo La Foi est

une eacutepouse fidegravele raquo (OPD 780) La foi rend possible la continuiteacute la dureacutee et

lrsquoespeacuterance apporte le renouvellement et la promesse

122

Dans Le Porche du mystegravere de la deuxiegraveme vertu Peacuteguy dit que la foi va de

soi laquo elle est toute naturelle tout allante tout simple toute venante raquo (OPD 636)

et ne semble pas demander drsquoeffort drsquoaction de combat

Souvent Peacuteguy ose remplacer lrsquoune des trois vertus theacuteologales la foi par

lrsquoinnocence Cela apparaicirct bien quand on voit le Mystegravere des saints Innocents

suivre les mystegraveres consacreacutes agrave la chariteacute et agrave lrsquoespeacuterance Lrsquoinnocence devient lrsquoune

des trois vertus theacuteologales chez Peacuteguy En parlant de la vertu theacuteologale de la foi

dans Un nouveau theacuteologien Monsieur Fernand Laudet il eacutecrit laquo Crsquoest une

question une question eacuteternelle de savoir si lrsquoignorance est plus pregraves de Dieu ou si

crsquoest lrsquoexpeacuterience si lrsquoignorance est plus agreacuteable agrave Dieu ou si crsquoest lrsquoexpeacuterience raquo

(III 461)

Le sens du mot laquo innocence raquo chez lui est complexe Deacutejagrave dans un texte de

1899 avant la creacuteation des Cahiers de la quinzaine dans lrsquoarticle laquo Lrsquoaffaire

Dreyfus et la Crise du parti socialiste raquo publieacute dans la Revue Blanche Peacuteguy dit de

Dreyfus qursquoil est un laquo juste raquo (I 233) agrave cause de son innocence Le fait drsquoecirctre

innocent fait de lui un homme qui adhegravere agrave la justice Dans Victor-Marie comte

Hugo en comparant Corneille agrave Racine Peacuteguy dit aussi que Corneille ne connaicirct pas

le mal laquo cette grande ignorance du mal de Corneille cette grande inexpeacuterience

cette grande incompeacutetence cette souveraine maladresse raquo (III 281) Apparemment

pour Peacuteguy cette innocente ignorance du mal est loin drsquoecirctre passive Elle suppose le

refus de srsquoappuyer sur lrsquoexpeacuterience passeacutee mais le choix drsquoecirctre totalement ouvert agrave

lrsquoeacuteveacutenement preacutesent et drsquoy reacutepondre entiegraverement Ainsi lrsquoinnocence est ce terrain

sur lequel peut croitre lrsquoespeacuterance qui est chez Peacuteguy une foi dans la possibiliteacute du

nouveau Cette innocence est aussi ce qui rend possible le pardon quand on est

innocent jusqursquoagrave ignorer le mal qursquoon nous a fait le pardon est plus facile

laquo Corneille est gonfleacute drsquoun perpeacutetuel pardon Ils se pardonnent drsquoavance par nature

tout ce qursquoils se feront raquo (III 283) On distingue aussi cette ideacutee dans Notre

Jeunesse ougrave dans le portrait de Bernard-Lazare Peacuteguy eacutevoque le fait que Bernard-

Lazare nrsquoavait aucun ressentiment pour ceux qui avaient eacuteteacute ingrats avec lui il

eacutecrivait avoir laquo une innocence deacutesarmante raquo et refusait de croire que la politique

emporte sur la mystique de lrsquoaffaire Dreyfus sur la mystique de lrsquoamitieacute (III 60)

123

Cette interpreacutetation de lrsquoinnocence comme vertu nrsquoest pas neuve elle nrsquoest pas

propre agrave Peacuteguy elle est de Platon mecircme si elle nrsquoa pas eacuteteacute beaucoup exploiteacutee

apparemment Chez Platon il y a une interpreacutetation veacuteneacuteneuse de la pratique niaise

des vertus cardinales mais on trouve aussi chez lui lrsquoeacuteloge de la naiumlveteacute pure une

sorte de candeur134 Peacuteguy deacutecrit cette candeur dans un texte de 1907 De la

situation faite au parti intellectuel dans le monde moderne devant les accidents de

la gloire temporelle Il y deacutecrit le pauvre homme qui a laquo la probiteacute dans la peau raquo

qui est loin des grandeurs non par humiliteacute consciente pratiqueacutee avec efforts mais

parce qursquoil ne sait mecircme pas comment agir diffeacuteremment qui sait qursquoil nrsquoaura toute

sa vie que des meacutetiers modestes non valorisants mais qui aime ce travail laquo Mais il

aime cela cet homme Il est si becircte qursquoil ne pense mecircme pas agrave nommer cela probiteacute

honnecircteteacute goucirct et passion de la liberteacute Il exegravecre le mot mecircme de pureteacute Parce que

de tous les seacutepulcres les seacutepulcres blanchis sont encore ceux qui lui paraissent le

plus cimetiegraveres raquo (II 681-682) Pour Peacuteguy lrsquoinnocence inconsciente de par son

essence mecircme est paradoxalement plus grande que la pureteacute pratiqueacutee gagneacutee au

prix de grands efforts

Dans Encore de la grippe Peacuteguy donne agrave son interlocuteur imaginaire

lrsquoexemple de la mort chreacutetienne drsquoune vieille femme qursquoil a connue dans son

enfance il parle drsquoabord de sa foi puis en citant les laquo femmes qui allaient laver la

lessive raquo il dit qursquoelle est innocente et il continue de lrsquoeacutevoquer en ces termes

(I 435-436) Apparemment pour lui lrsquoinnocence est le refus de croire agrave autre chose

que Dieu le refus de savoir autre chose autrement dit la foi agrave lrsquoeacutetat pur

e) Le courage lrsquoobeacuteissance et lrsquohumiliteacute

Peacuteguy ne parle pas tellement des vertus cardinales mais dans le premier texte

ougrave il parle directement de la sainteteacute un texte de 1905 Louis de Gonzague il

eacutevoque justement la vertu de courage (qui semble remplacer celle de la force) qui

134 Voir GAUDIN Claude EYHΘEIA La theacuteorie platonicienne de lrsquoinnocence raquo Revue Philosophique De La France Et De LrsquoEacutetranger 171 ndeg 2 1981 p 145-68

124

est en fait tregraves lieacutee agrave celle de la veacuteriteacute comme reconnaissance du reacuteel puisque pour

Peacuteguy le courage consiste laquo agrave savoir tregraves exactement et tregraves exactement agrave nrsquoavoir

point peur et agrave continuer tregraves exactement raquo (II 380) Crsquoest cette vertu tregraves

particuliegravere tregraves peacuteguyste de lrsquoexactitude qui rend courageux ceux qui la

pratiquent Il srsquoagit drsquoune forme drsquoobeacuteissance non aux hommes mais au reacuteel agrave

lrsquoeacutevegravenement cela implique de le reconnaicirctre dans toute sa veacuteriteacute et toute sa

contradiction de ne pas fuir cette reacutealiteacute de ne pas en choisir une part en rejetant

lrsquoautre mais drsquoagir en fonction de la seule reacutealiteacute non eacutedulcoreacutee non systeacutematiseacutee

Un peu plus loin Peacuteguy eacutecrit laquo Il ne deacutepend pas de nous que lrsquoeacuteveacutenement se

deacuteclenche mais il deacutepend de nous drsquoy faire face raquo (II 383)

Chez Peacuteguy on trouve une vertu traditionnellement chreacutetienne qui est bien

mise en valeur et assez surprenante chez un homme tellement loin des conventions

reacutevolutionnaire et hors de tous les moules la vertu de lrsquoobeacuteissance Deacutejagrave dans

Pierre commencement de la vie bourgeoise il deacutecrit en srsquoeacutemerveillant la marche en

rang agrave lrsquoeacutecole le chant en chœur tout ce qui eacutetait ordre rangement reacutegulariteacute lui

procurait une joie profonde tout comme lrsquoobeacuteissance mecircme difficile Lrsquoordre le

son de la cloche la reacutegulariteacute appellent agrave lrsquoobeacuteissance au temps Pour Peacuteguy crsquoeacutetait

une sorte de regravegle de vie Dans ces mecircmes souvenirs drsquoenfance Peacuteguy deacutecrit son

apprentissage de lrsquoeacutecriture qui fut tregraves dur pour lui laquo pour la premiegravere fois de ma

vie je connus lrsquoarriegravere-goucirct amegraverement bon de lrsquoobeacuteissance peacutenible voulue raquo

(I 163) Cette vie drsquoobeacuteissance peacutenible agrave lrsquoordre et aux maicirctres pourtant voulue

ressemble eacutetrangement agrave celle deacutecrite par les moines et les pegraveres de lrsquoEacuteglise celle

qui devient eacutecole drsquohumiliteacute et lrsquoune des vertus chreacutetiennes par excellence

Dans Un nouveau theacuteologien Monsieur Fernand Laudet Peacuteguy en parlant de

Jeanne drsquoArc la deacutecrit comme un exemple drsquoobeacuteissance agrave sa vocation agrave la voix de

Dieu et drsquohumiliteacute devant les blessures les eacutechecs la peur et la mort Il souligne

plusieurs fois que Jeanne nrsquoavait pas de protection particuliegravere qursquoelle nrsquoa jamais

eacuteteacute garantie contre les blessures la captiviteacute ni rien qursquoelle ne faisait pas de

miracles

Appeleacutee par une vocation divine en terre humaine envoyeacutee en mission divine en terre humaine non seulement elle nrsquoopeacutera jamais mais elle ne demanda jamais

125

drsquoopeacuterer elle ne pria jamais drsquoopeacuterer que par des moyens humains Vivant dans ce miracle perpeacutetuel drsquoecirctre assisteacutee par des voix propres de recevoir constamment une assistance propre de conseil de voix qui lui eacutetaient pour ainsi dire particuliegraverement et proprement attacheacutees personnellement affecteacutees elle ne demanda jamais un secours si lrsquoon peut dire surnaturel physique surnaturel direct surnaturel directement militaire (III 566)

Crsquoest pourquoi Jeanne drsquoArc est pour Peacuteguy la meilleure imitatrice de Jeacutesus

de son incarnation Elle non plus nrsquoa pas demandeacute laquo douze leacutegions drsquoanges raquo

Dans Les Tapisseries de sainte Geneviegraveve et de Jeanne drsquoArc Peacuteguy dans la

description eacutepique des armes de Jeacutesus qui ornent lrsquoeacutetendard de Jeanne et

combattent les armes de Satan fait la liste de toutes les vertus qui selon sa foi

caracteacuterisent un chreacutetien quelqursquoun qui voudrait imiter Jeacutesus Il parle de laquo sa face

maigrie raquo laquo ce frecircle roseau raquo laquo le plus malheureux raquo laquo la paille et lrsquoeacutetable raquo et dit

que les armes de Jeacutesus laquo crsquoest lrsquoeacuteternelle peine assise au creux du lit de toute race

humaine raquo mais aussi que laquo crsquoest la faim assouvie crsquoest le corps glorieux ce nrsquoest

pas la survie crsquoest lrsquoeacuteternelle table abondamment servie raquo Crsquoest laquo la source de

gracircce raquo laquo la deacutetresse humaine raquo laquo la rugueuse route incessamment gravie raquo laquo la

fidegravele route obscureacutement suivie raquo mais aussi laquo le solide ancrage raquo Crsquoest laquo la beauteacute

du plus pur du juste dans son fort raquo mais aussi laquo le secret raquo drsquoune priegravere crsquoest laquo la

mort heacuteroiumlque raquo mais aussi la laquo vertu prosaiumlque raquo Peacuteguy eacutenumegravere aussi la dociliteacute

la fideacuteliteacute la fragiliteacute la liberteacute la pauvreteacute la simpliciteacute la sagaciteacute la mendiciteacute

(OPD 1087-1114) Mais en somme on voit malgreacute le fait que ce sont des armes

brodeacutees sur un eacutetendard eacuteleveacute dans la bataille que crsquoest lrsquohumiliteacute et la pauvreteacute que

Peacuteguy met en avant

f) La sainte mort

Comme il a deacutejagrave eacuteteacute eacutevoqueacute plus tocirct en parlant de Notre jeunesse et du portrait

de Bernard-Lazare Peacuteguy voyait lrsquoacceptation de la souffrance lrsquohumiliteacute devant

les souffrances comme une forme drsquoobeacuteissance agrave Dieu et de fideacuteliteacute agrave sa vocation

Tout jeune il voyait deacutejagrave ainsi la sainte mort la mort exemplaire Toutefois elle

lrsquoeffrayait peut-ecirctre le jeune Peacuteguy voyait-il mecircme dans la mort lrsquoune des formes

drsquoinjustice En tout cas le premier exemple drsquoune mort sainte qursquoil donne dans un

126

de ses textes Encore de la grippe en 1900 premiegravere anneacutee de lrsquoexistence des

Cahiers de la quinzaine il le donne en reacuteponse agrave son interlocuteur imaginaire le

fameux laquo docteur moraliste reacutevolutionnaire raquo suite agrave un dialogue sur La priegravere pour

demander agrave Dieu le bon usage des maladies de Blaise Pascal Le docteur lui pose

cette question laquo Connaissez-vous des gens qui nrsquoaient pas pour la mort les

sentiments que vous avez eus raquo (I 434) Peacuteguy lui reacutepond en donnant lrsquoexemple

drsquoun ami mort de la tuberculose135 qui a longtemps eacuteteacute malade qui eacutetait tregraves bon

doux qui

eacutetait tregraves bon envers la vie et envers la mort sans croyance religieuse et tout deacutevecirctu drsquoespeacuterance meacutetaphysique ou religieuse A peine srsquoil disait qursquoil retournerait dans la nature qursquoil se disperserait en nature Il est mort jeune embaumeacute de seacutereacuteniteacute comme un vieillard qui a parfait son acircge (I 434)

Pour Peacuteguy semble-t-il crsquoest son absence de reacutevolte et une forme drsquohumiliteacute

qui le rendaient eacutegal agrave un vieillard devant la mort et qui donnaient agrave sa mort une

odeur de sainteteacute Quelques lignes plus tard laquo le docteur raquo tente de faire la

distinction entre lrsquoadmirable laquo soumission patiente raquo drsquoun stoiumlcien car crsquoest parmi

les stoiumlciens qursquoil range lrsquoami de Peacuteguy et la laquo soumission fidegravele raquo des chreacutetiens

qursquoil voudrait meacutepriser parce qursquoelle vient de lrsquoobeacuteissance et non drsquoun choix libre et

conscient Mais Peacuteguy conclut en laquo reacutepondant raquo agrave son interlocuteur imaginaire qursquoil

ne veut pas srsquoattarder sur ces nuances Crsquoest lrsquoabsence de reacutevolte devant la mort qui

la rend sainte

Le laquo docteur raquo continue de questionner Peacuteguy qui donne alors un autre

exemple celui drsquoune vieille dame pieuse qursquoil a connue dans son enfance agrave Orleacuteans

Cette reacuteponse laisse deacutejagrave pressentir lrsquoambiguumliteacute du jeune Peacuteguy de 1900 envers la

foi chreacutetienne puisqursquoil eacutecrit avec un certain humour laquo La malheureuse eacutetait

tombeacutee dans la deacutevotion quand je dis tombeacutee je cegravede agrave lrsquohabitude car je ne sais

nullement si elle en fut remonteacutee ou descendue raquo (I 435) Ce qui attire

particuliegraverement lrsquoattention dans ce passage crsquoest la phrase laquo cette croyance eacutetant

donneacutee elle y avait sa consolation raquo (I 436) Cette notion de don preacutepare toute la

reacuteflexion ulteacuterieure de Peacuteguy sur la gracircce la croyance donneacutee apporte la

consolation agrave celle qui reccediloit le don et la gracircce apporte la joie agrave celui qui lrsquoaccueille 135 Il srsquoagit de Leacuteon Gutzwiller un ami de Peacuteguy au lyceacutee Lakanal mort de tuberculose en 1896

127

avec gratitude Peacuteguy deacutecrit la vie et la maladie de cette dame comme un accueil

chaleureux de la mort en tant que rencontre avec Dieu Il parle presque de deacutesir de

mort en concluant laquo que les chreacutetiens peuvent avoir une soif religieuse et faire un

commencement drsquoexeacutecution de cette mort que nous redoutons raquo (I 436)

Cependant le jeune Peacuteguy se juge seacutevegraverement et par la bouche de son interlocuteur

imaginaire il reacuteplique laquo Vous avez tellement peur de la mort que ceux qui nrsquoen ont

point cette peur vous paraissent en avoir le deacutesir raquo (I 437) Cela situe donc la mort

dans une dureacutee de foi dans une continuiteacute qui commence dans lrsquoacte de foi et se

prolonge par une rencontre avec Dieu la mort nrsquoest alors qursquoun passage sans

qursquoelle en devienne pour autant objet de deacutesir puisque il srsquoagit uniquement drsquoun

seuil agrave franchir

Dix ans plus tard dans Notre Jeunesse en parlant de la mort de Bernard-

Lazare Peacuteguy semble tout aussi partageacute entre lrsquoideacutee de la mort comme acte

heacuteroiumlque et celle de la mort qursquoon accueille avec humiliteacute qursquoon subit dans la

souffrance et qui vient toujours comme une violence laquo On meurt toujours de

quelque(s) atteinte(s) raquo (III 57) En parlant de Bernard-Lazare Peacuteguy dit de

maniegravere tout agrave fait explicite qursquoil est tombeacute mortellement malade agrave cause du

surmenage physique psychique et spirituel causeacute par son engagement sans bornes

pour Dreyfus et qursquoil est mort non seulement dans lrsquooubli mais parce qursquoil a eacuteteacute

oublieacute par celui et par ceux qursquoil avait ardemment deacutefendus Peacuteguy parle de

Bernard-Lazare comme drsquoun saint interpreacuteteacutee ainsi sa sainte mort est une forme

de sacrifice ougrave le rocircle du mourant srsquoapparente agrave celui du bouc eacutemissaire Peacuteguy va

mecircme jusqursquoagrave dire laquo Il veacutecut et mourut pour eux comme un martyr raquo (ibid) La

vraie mort la forme extrecircme de lrsquoexclusion pour Peacuteguy crsquoest lrsquooubli Lrsquohomme ne

finit pas avec sa mort mais srsquoil est oublieacute tout est fini Le but principal lrsquoobjectif

absolument utopique des Cahiers de la quinzaine eacutetaient de lutter contre lrsquooubli de

toutes les situations dans le monde ougrave un groupe drsquohommes eacutetait par exemple

victime drsquoune extermination qui visait non seulement la mort mais aussi lrsquooubli

Crsquoeacutetait selon Peacuteguy le but du laquo journaliste raquo qui pour lui eacutetait plutocirct un historien

du temps preacutesent Dans Notre jeunesse Peacuteguy dit de Bernard-Lazare qursquoil eacutetait mort

avant drsquoecirctre mort parce qursquoil avait eacuteteacute oublieacute Le but du portrait de Bernard-Lazare

128

placeacute au centre de ce texte est justement de lui rendre la meacutemoire de la restituer de

lutter contre son oubli sa mort avant sa mort Peacuteguy eacutecrit que laquo Dans la mort mecircme

tout le poids de son peuple lui pesait aux eacutepaules raquo (III 78) Il va jusqursquoagrave dire que sa

mort arrangeait certains parce que Bernard-Lazare teacutemoignait drsquoune justice et

portait une responsabiliteacute qui eacutetait trop lourde pour les autres en jouant un rocircle de

bouc eacutemissaire (sans ecirctre litteacuteralement tueacute certes juste oublieacutehellip) et de martyr Aux

yeux de Peacuteguy mourir oublieacute de tous dans la solitude est une forme de sacrifice

qui fait du mort un martyr

Ces trois morts celle du camarade de Lakanal de la vieille dame du faubourg

Bourgogne et celle de Bernard-Lazare eacutetaient agrave ses yeux des morts silencieuses et

secregravetes Lrsquoultime œuvre poeacutetique de Peacuteguy Egraveve se termine par la description de

deux morts laquo parallegraveles raquo publiques visibles des morts de saintes la mort de

Jeanne drsquoArc et celle de sainte Geneviegraveve de Paris Elles sont unies par un regard

tourneacute vers la Croix et surtout par lrsquoattitude propre au guetteur biblique de celles

qui attendent non la mort mais la rencontre

Ces yeux qui tant avaient guetteacute les hirondelles

Ne guettegraverent plus rien que les dons de lrsquoEsprit

Ces yeux qui tant avaient guetteacute les hirondelles

Ne guettegraverent plus rien que de voir Jeacutesus-Christ

Mais crsquoest aussi curieusement le regard des autres Crsquoest une mort exemplaire

et tellement diffeacuterente Sainte Geneviegraveve donne lrsquoexemple drsquoune mort paisible et

sereine drsquoun simple passage qui megravene vers Dieu Jeanne drsquoArc donne lrsquoexemple de

la mort drsquoun martyr

Pour conclure ce chapitre il convient de rappeler que pour Peacuteguy apregraves 1907

ce qui fait principalement drsquoun homme un saint ce nrsquoest pas vraiment la pratique

des vertus mais la gracircce de Dieu Neacuteanmoins on ne peut pas dire lagrave non plus qursquoil

y ait eu une laquo conversion raquo et un changement radical drsquoideacutees de positions La

maniegravere dont Peacuteguy deacutecrit lrsquoaction de la gracircce sur un homme est tregraves proche de sa

description du geacutenie et du heacuteros qui ont un rapport particulier au temps et agrave

lrsquoeacuteveacutenement qui sont ce qursquoils sont parce qursquoils ont pu deacuteceler lrsquoeacuteveacutenement et y

129

reacutepondre promptement sans tarder La gracircce permet cela elle ouvre lrsquohomme au

reacuteel qursquoil soit en employant les termes de Peacuteguy charnel ou spirituel Mais aussi

elle rend heureux mecircme dans le malheur Peacuteguy en parle longuement dans ses

pages sur Corneille dans Victor-Marie comte Hugo

La conclusion de Louis de Gonzague un texte publieacute quelques anneacutees plus tocirct

que la laquo conversion officielle raquo de Peacuteguy est lrsquoun des rares textes ougrave il parle

directement de la vertu Ce texte est une preacutesentation drsquoun recueil de poegraveme du

sioniste Andreacute Spire intituleacute Et vous riez recueil plein de poegravemes aussi gais

qursquoamers reacuteagissant agrave la reacutealiteacute des eacuteveacutenements mais aussi agrave la reacutealiteacute de la vie

inteacuterieure du poegravete Peacuteguy y relate lrsquohistoire de saint Louis de Gonzague qui a dit agrave

ses camarades qursquoil continuerait de jouer agrave la balle mecircme si on lui disait que le

Jugement dernier adviendrait dans un quart drsquoheure Peacuteguy aimait cette histoire

puisqursquoil lrsquoutilisait aussi dans le Mystegravere de la chariteacute de Jeanne drsquoArc Dans ce

texte cette histoire donne lrsquoexemple drsquoune reacuteponse agrave lrsquoeacuteveacutenement qui prend en

compte lrsquoeacuteveacutenement mais de maniegravere non conventionnelle en consideacuterant les deux

reacutealiteacutes la reacutealiteacute charnelle et la reacutealiteacute mystique

Voilagrave comment Peacuteguy conclut ce texte en post scriptum apregraves la signature

laquo Surtout gardons ce treacutesor des humbles cette sorte de joie entendue qui est la fleur

de la vie cette sorte de sainte gaieteacute qui est la vertu mecircme et plus vertueuse que la

vertu mecircme raquo (II 388)

130

CHAPITRE III LES SAINTS PATRONS

Le saint patron est en quelque sorte patron de laquo lrsquoecirctre raquo de celui dont il est le

patron de ce qursquoil fait et de ses actions Il est aussi certes patron du lieu

drsquoenracinement du sujet de celui dont il est le patron patron drsquoun lieu et donc des

gens qui lrsquohabitent ougrave qui y viennent patron drsquoun meacutetier et donc des personnes qui

lrsquoexercent patron de ceux qui passent par la mecircme eacutepreuve (voyage maladie)

patron de la personne qui porte le mecircme nom Peacuteguy explique de maniegravere tregraves claire

ce qursquoest un saint patron dans Le Porche du mystegravere de la deuxiegraveme vertu ougrave en

parlant de saint Pierre patron de son fils Pierre Peacuteguy il dit que laquo pour celui qui

veut entrer au Paradis crsquoest bien le plus grand patron que lrsquoon puisse inventer Car il

est agrave la porte et il a la porte et il est le portier et il a les clefs raquo (OPD 666) Dans les

textes de Peacuteguy le saint patron fait eacuteternellement le travail que Dieu lui a confieacute de

son vivant son travail eacuteternel correspond souvent agrave son iconographie traditionnelle

et aux repreacutesentations populaires du saint

Chez Peacuteguy on trouve tous ces cas sainte Geneviegraveve est patronne de Paris

saint Louis est celui de la France et Peacuteguy mentionne aussi saint Aignan patron de

sa premiegravere paroisse Il deacutecrit aussi Bernard-Lazare comme le laquo patron raquo des

Cahiers de la quinzaine dans la mesure ougrave il exerccedilait ce mecircme meacutetier de journaliste

de maniegravere exemplaire Jeanne drsquoArc repreacutesente un cas agrave part pour Peacuteguy elle est

plus qursquoune sainte patronne mais il semble qursquoen tant que patronne elle assume le

patronage de ceux qui osent lrsquoaction en puisant la force dans la gracircce comme les

saints et dans la laquo race raquo comme les heacuteros

En parlant de lrsquoimportance des saints patrons pour Peacuteguy Dom Charles Poulet

eacutecrit laquo Pour sa part Peacuteguy vit en si profonde intimiteacute avec les saints qursquoil eacutecrit

parfois agrave des amis agrave seule fin de leur rappeler la fecircte de lrsquoun ou lrsquoautre de ses

131

patrons Cela lui constitue une telle atmosphegravere de surnaturel qursquoil est comme un

homme circulant parmi ses amis allant de groupe en groupe raquo136

Effectivement dans la correspondance de Peacuteguy notamment avec son ami

Joseph Lotte on trouve bon nombre de lettres qui contiennent seulement ces mots

laquo aujourdrsquohui fecircte drsquountel Peacuteguy raquo

1 Le saint patron comme acteur de lrsquoenracinement

Lrsquoenracinement constitue lrsquoun des concepts-cleacutes de lrsquoœuvre de Peacuteguy

Lrsquoenracinement comme processus comme action indispensable pour la construction

de la citeacute harmonieuse consiste pour Peacuteguy agrave vivre comme un arbre ayant toujours

la conscience de ses racines de sa race profonde Crsquoest dans la race qursquoon trouve la

force pour agir Cette race ce sont les ancecirctres le peuple la paroisse le pays et le

travail commun le travail des pegraveres qui reste le mecircme qursquoaujourdrsquohui

Peacuteguy a toujours eacutevoqueacute ses origines paysannes ses ancecirctres travaillaient la

vigne et il se disait donc paysan ou plus souvent bucirccheron il parlait de ses liens

tregraves profonds presque physiques avec la terre mais bien qursquoil ait eacuteteacute en fait eacuteleveacute

par une grand-megravere illettreacutee et une megravere rempailleuse de chaises en reacutealiteacute Peacuteguy

nrsquoa jamais eacuteteacute un paysan En allant au lyceacutee et plus tard en entrant agrave lrsquoEacutecole

Normale Peacuteguy a de fait rompu avec ses racines Mais toute sa vie tout son

heacuteritage est drsquoabord une prise de conscience et une reacuteflexion sur ses racines

propres puis sur lrsquoenracinement en geacuteneacuteral enracinement de lrsquohomme de la

nation du socium dans sa terre sa culture son histoire sa foi Il eacutecrit laquo Ma peau

sera une eacutecorce [] Puisseacute-je eacutecrire comme ils accolaient la vigne raquo (I 671-673)

Peacuteguy nrsquoa pratiquement jamais voyageacute les deux voyages qursquoon lui connaicirct agrave

part le pegravelerinage agrave Chartres nrsquoont pas eacuteteacute accomplis dans le but de voir du pays

136 POULET Charles (Dom) La Sainteteacute franccedilaise contemporaine Convertis Paris Beauchesne et ses fils 1952 p 236

132

mais dans lrsquoesprit des pegravelerinages il est alleacute agrave Orange du temps de ses eacutetudes agrave

lrsquoEacutecole Normale pour voir Mounet-Sully dans Œdipe-roi au theacuteacirctre antique agrave la

mecircme eacutepoque il est alleacute agrave Domreacutemy pour pouvoir deacutecrire les lieux dans sa premiegravere

Jeanne drsquoArc Son amour pour la France nrsquoest pas lrsquoamour drsquoun pays qursquoon aurait

arpenteacute qursquoon connaicirct de bout-en-bout et dont on admire la beauteacute Andreacute Rousseau

explique bien cet amour pour la France dans son livre Le Prophegravete Peacuteguy

Son culte de la France se concentre pour y ecirctre pratiqueacute agrave plein au cœur mecircme exact rigoureux de la terre franccedilaise Son royaume est celui des premiers Capeacutetiens qui sans sortir drsquoentre Orleacuteans et Paris faisaient deacutejagrave valoir dans lrsquounivers chreacutetien une France agrave qui rien ne manquait virtuellement de toutes ses grandeurs Crsquoest dans ce corps essentiel de la France qursquoil en atteint lrsquoesprit ou pour mieux dire lrsquoacircme Et non pas par quelque opeacuteration de spiritualisme poeacutetique qui exhalerait des sillons de la Beauce les nueacutees drsquoune idole vaporeuse Mais par lrsquoacte religieux par lrsquoacte chreacutetien qui accorde agrave cette terre centrale lrsquoacircme des franccedilais et des chreacutetiens qui y naissent et qui y meurent lrsquoacircme des hommes qui en ont fait sortir les catheacutedrales de Chartres et de Paris Non pas par une deacutesincarnation de lrsquoIle de France comme on lrsquoobserve chez Nerval quand il recircve dans le Valois Mais par cette perpeacutetuelle incarnation qui eacutetant lrsquoarticulation de toute la chreacutetienteacute doit articuler agrave plus forte raison la vie de la France reine de la chreacutetienteacute137

Descendant de cultivateurs Peacuteguy a beaucoup eacutecrit sur les travaux saisonniers

de la terre se reacutepeacutetant drsquoanneacutee en anneacutee de siegravecle en siegravecle ils unifient le temps

dont ils font un tout si bien que Jeanne drsquoArc sa sainte preacutefeacutereacutee apparaicirct presque

comme notre contemporaine Par lagrave-mecircme le lien avec la terre nous enracine dans

le temps Les saints qui ont veacutecu sur cette terre lrsquoont sanctifieacutee par leur preacutesence ils

la protegravegent rendent ses racines encore plus solides car elles plongent deacutejagrave dans

lrsquoeacuteterniteacute Jeanne gardait les moutons dans les champs de Lorraine ougrave aujourdrsquohui

encore on garde les moutons Le saint pour Peacuteguy crsquoest celui qui accomplit le

plus exactement sa tacircche sur la terre et continue agrave proteacuteger les travailleurs celui

qui par la reacutealisation exacte et obeacuteissante de ce agrave quoi il est affecteacute srsquoest enracineacute

dans ce monde

Peacuteguy deacutecrit de maniegravere tregraves explicite le rocircle du saint dans lrsquoenracinement dans

sa Priegravere drsquoinseacuterer du laquo Mystegravere de la chariteacute de Jeanne drsquoArc raquo

dans ce peuple chreacutetien la sainteteacute poussait pour ainsi dire toute seule simple et srsquoignorant elle-mecircme non point travailleacutee par des exercices par des forcement de terre mais litteacuteralement en pleine serre comme une fleur du pays comme une plante

137 ROUSSEAU Andreacute Le Prophegravete Peacuteguy Edition de la Baconniegravere Neuchatel 1954 p 182-183

133

vigoureuse et vivace fille du terroir naturelle en ce sens autant que surnaturelle et qui enfonccedilait dans le sol des racines drsquoune profondeur incroyable138

Ainsi la sainteteacute est agrave la fois le fruit de lrsquoenracinement drsquoun peuple dans sa

terre son histoire son passeacute sa foi dans la chreacutetienteacute et ce qui rend les racines

encore plus profondes elle est en mecircme temps la raison et la cause de

lrsquoenracinement

Pour Peacuteguy la terre crsquoest toujours la patrie la terre qui passe de pegravere en fils la

terre du peuple Ce peuple que Peacuteguy le plus souvent appelle la race mais la race

dans sa conception nrsquoa aucun rapport avec le sang lrsquoheacutereacutediteacute etc Le sens du

mot laquo race raquo chez Peacuteguy correspond agrave la deacutefinition qursquoen donne le dictionnaire

Littreacute laquo Tous ceux qui viennent drsquoune mecircme famille raquo avec cette preacutecision laquo La

race est la famille consideacutereacutee dans la dureacutee raquo De cette faccedilon la race pour Peacuteguy ce

sont les racines historiques humaines qui remontent des profondeurs ce dans quoi

plonge la meacutemoire ce sont les geacuteneacuterations qui se suivent les unes apregraves les autres

qui installent chaque homme dans le temps et font de chaque homme ou de chaque

groupe drsquohommes des heacuteritiers du passeacute Lrsquoheacuteritage des peuples juif grec et romain

se prolonge dans le peuple franccedilais la race franccedilaise La race se forme par lrsquoaction

de lrsquohomme dans lrsquohistoire Dans sa poeacutesie Peacuteguy joue souvent sur le fait qursquoen

franccedilais les mots laquo race raquo et laquo racine raquo sont phoneacutetiquement proches

Pierre Citti eacutecrit ainsi laquo La race fait allusion agrave une autre ideacutee du temps agrave la

persistance drsquoun passeacute inteacuterioriseacute dans la meacutemoire inconsciente des peuples mecircme

si nul chroniqueur nrsquoen a recueilli lrsquointeacutegraliteacute raquo139

Aujourdrsquohui au XXIe siegravecle ce mot est controverseacute mais pour Peacuteguy qui

deacutetestait toutes les formes drsquoexclusion il ne renvoyait en aucune maniegravere agrave lrsquoideacutee de

laquo pureteacute raciale raquo

Bondir agrave chaque rencontre du mot race crsquoest donc mal comprendre lrsquoaffectiviteacute de cette eacutepoque recircve drsquoeacutenergie appliqueacute aux ressources humaines drsquoune collectiviteacute lrsquoimagination de la race en est une composante geacuteneacuterale et nrsquoengendre pas

138 PEacuteGUY Charles LOTTE Joseph Lettres et entretiens Paris Editions de Paris 1954 p 65 139 CITTI Pierre opcit p 159

134

automatiquement des theacuteories laquoracistesraquo pas plus qursquoen proscrivant cette notion on nrsquoabolit les comportements xeacutenophobes140

La race pour lui crsquoest la forme parfaite de lrsquoheacuteritage de la transmission

laquo verticale raquo qui ne srsquoimpose pas mais vient de lrsquointeacuterieur la race est lieacutee aux

racines Si Peacuteguy nrsquoutilise pas le mot laquo enracinement raquo qui est entreacute dans le langage

philosophique franccedilais avec Simone Weil celui barreacutesien de deacuteracinement eacutetant

plutocirct utiliseacute du temps de Peacuteguy il eacutecrit tout de mecircme dans le Dialogue de

lrsquohistoire et de lrsquoacircme charnelle laquo La racination le racinement de lrsquoeacuteternel par la

race et dans le peuple Dans le temps Lrsquoacircge temporel de lrsquoeacuteternel heacutebreu Lrsquoacircge

temporel de lrsquoeacuteternel chreacutetien raquo (III 624)

Dans son livre Le Meacutecontemporain Peacuteguy lecteur du monde moderne Alain

Finkielkraut eacutecrit qursquoen 1905 apregraves la visite qursquoeffectue agrave Tanger Guillaume II141

Peacuteguy prit conscience du fait que la personnaliteacute de chaque homme est conditionneacutee

par lrsquoeacuteveacutenement historique et geacuteographique La liberteacute ce nrsquoest donc pas seulement

un principe mais aussi la terre qursquoil faut deacutefendre laquo Lrsquoideacutee prend les contours du

lieu le lieu apparaicirct comme le reacuteceptacle ou le point drsquoappui de lrsquoideacutee [] Loin

donc de choisir la soliditeacute de la terre contre lrsquoeacutether de la liberteacute Peacuteguy voit la liberteacute

atterrir et crsquoest cette deacutecouverte qui le conduit agrave se mettre au service de la

nation142 raquo

Pour Peacuteguy lrsquohomme est inseacuteparable de la terre sur laquelle il vit Son

nationalisme nrsquoexclut personne Si quelqursquoun grandit sur la terre de France il est

sans aucun doute Franccedilais Peacuteguy est nationaliste par amour pour son pays et non

par haine des autres pays Ce nrsquoest pas une question drsquoorigine ou drsquoappartenance

mais une question de geacuteographie et de maturation de lien de lrsquohomme avec le

temps Le pays connaicirct celui qui grandit en lui il a vu comment il est neacute Mais

lrsquohomme par son travail rend agrave la terre le devoir de maturation on laboure la terre 140 Ibid p 167 141 Le 31 mars 1905 lrsquoempereur Guillaume II fit une visite agrave Tanger et au cours de cette rencontre solennelle organiseacutee par les autoriteacutes marocaines il condamna publiquement lrsquoaccord anglo-franccedilais sur le Maroc de 1904 selon lequel la France devait jouer un rocircle de premier plan au Maroc lrsquoAllemagne ne jouant qursquoun rocircle sans importance Cette deacuteclaration fut la cause de la premiegravere crise marocaine 142 FINKIELKRAUT Alain Le Meacutecontemporain Peacuteguy lecteur du monde moderne Paris Gallimard 1992 p 89

135

sans penser aux autres terres notre pays est proportionneacute au champ que nous

sommes capables de cultiver La terre est geacuteneacutereuse elle est feacuteconde nous apporte

aussi le fruit de lrsquohistoire des hommes qui vivent sur cette terre bien que le poegravete

parle drsquoune laquo tragique histoire (OPD 1150) raquo Dans la Preacutesentation de la Beauce agrave

Notre Dame de Chartre Peacuteguy eacutecrit

Deux mille ans de labeur ont fait de cette terre

Un reacuteservoir sans fin pour les acircges nouveaux (OPD 1140)

Lrsquoenracinement est possible par la fideacuteliteacute et la pleine preacutesence attentive Pour

Peacuteguy lrsquoamitieacute avait une immense importance tout comme la fideacuteliteacute aux amis

Lrsquoenracinement dans les relations horizontales synchroniques ici et maintenant est

enracinement dans la Rencontre Les amis se reconnaissent de la mecircme laquo race raquo ils

ont des racines communes car lrsquoamitieacute ne peut exister sans profondeur commune

au cœur mecircme de lrsquoamitieacute il y a la fideacuteliteacute (II 183) Pourtant lrsquoenracinement dans

lrsquoamitieacute lrsquoenracinement dans lrsquoautre rend lrsquohomme tregraves fragile car il nrsquoest plus seul

agrave cultiver et agrave arroser les racines la communauteacute de racines exige une

responsabiliteacute commune et la rencontre peut devenir un pas vers le sacrifice

Les saints patrons chez Peacuteguy sont des acteurs de lrsquoenracinement Le saint

patron drsquoun lieu permet aux personnes qui lrsquohabitent mecircme agrave celles qui viennent

drsquoarriver de srsquoenraciner puisque tous ceux qui vivent dans le lieu qursquoil protegravege

deviennent membre de sa famille et partagent un mecircme ancecirctre Ainsi pour Peacuteguy

les personnes qui vivent sous le mecircme patronage sont de la mecircme race Jean

Delaporte le dit bien dans son livre Connaissance de Peacuteguy

Les saints au long de leur eacuteterniteacute demeurent mecircleacutes agrave la vie quotidienne de leurs fregraveres les hommes pour les sauver Comme le sang de lrsquoartegravere et le sang de la veine irriguent le corps entier selon les pulsations drsquoun mecircme cœur une double circulation de gracircce nourrit lrsquoEacuteglise militante et lrsquoEacuteglise triomphante Un courant remonte de la terre vers le ciel et crsquoest lrsquointercession un courant redescend des saints vers les hommes et crsquoest le patronage143

143 DELAPORTE Jean Connaissance de Peacuteguy II Paris Plon 1959 p 219

136

a) Les saints patrons et leur travail

En devenant patrons drsquoun meacutetier les saints creacuteent un lien dans le temps une

dureacutee qui prend source dans le saint travailleur et continue dans chaque personne

qui exerce ce meacutetier Non seulement elles sont unies par le mecircme travail mais aussi

par le mecircme patron la mecircme personne exemplaire agrave qui elles peuvent se reacutefeacuterer

qursquoelles peuvent imiter et agrave qui elles peuvent demander sa protection En quelque

sorte le saint continue tout simplement apregraves sa mort le mecircme travail qursquoil faisait

sur terre Or ceux qui font le mecircme travail srsquoenracinent dans la dureacutee dans

lrsquoimitation dans la continuiteacute du labeur Le chapitre preacuteceacutedent se terminait par

lrsquoinsistance de Peacuteguy sur la vertu de la joie laquo Lrsquoeacutethique aristoteacutelicienne vise le

bonheur comme finaliteacute propre de lrsquohomme et lrsquoaction est le moyen de lrsquoatteindre

la pratique concregravete des vertus morales megravene agrave lrsquoaccomplissement de la nature

humaine raquo eacutecrit ainsi Alain Thomasset144 Et Peacuteguy est tregraves proche drsquoAristote dans

sa perception de la joie et de la vertu

Marc Gaucherand auteur drsquoune thegravese sur Le sens du travail dans la penseacutee de

Charles Peacuteguy observe pour sa part

La caracteacuteristique de la participation des saints agrave lrsquoœuvre du Salut crsquoest lrsquoadeacutequation de leur mission et du travail temporel Sainte Jeanne drsquoArc et Sainte Geneviegraveve de mecircme que Jeacutesus ont drsquoabord eacuteteacute de laquo petites gens raquo dont les travaux de jeunesse ne furent pas uniquement des exercices mais de veacuteritables engagements La sainteteacute ne srsquoeacutedifie pas en rupture avec la vie simple du charpentier ou de la bergegravere puisque ceux-ci eacutetaient deacutejagrave des saints priveacutes145

En effet dans Un nouveau theacuteologien M Fernand Laudet Peacuteguy parle de

deux formes de sainteteacute la sainteteacute priveacutee et la sainteteacute publique la seconde

constitue un travail en soi parce qursquoelle fait partie de la Reacutedemption ou du Ticcoun

Olam Pour Peacuteguy le travail perccedilu comme vocation sanctifie la personne et

contribue agrave sa sainteteacute mais aussi le saint sanctifie le travail qursquoil effectue en le

transformant en service pour Dieu En eacutelargissant ainsi lrsquoideacutee du travail contribuant

agrave lrsquoœuvre de la Reacutedemption Peacuteguy reste fidegravele agrave la mystique juive selon laquelle il

nrsquoy a pas de forme de vie religieuse exceptionnelle mais nrsquoimporte quelle vie 144 THOMASSET Alain Opcit p 308 145 GAUCHERAND Marc opcit p 196

137

qursquoelle soit publique ou priveacutee et nrsquoimporte quel travail bien fait qursquoil soit public

ou priveacute peut contribuer agrave reacuteparer le monde agrave participer au Ticcoun Olam

Il se peut aussi qursquoune personne qui a meneacute une vie priveacutee cacheacutee soit

canoniseacutee sa vie devient alors publique Dans ce cas comme lrsquoeacutecrit Marc

Gaucherand laquo Agrave lrsquoimage du Christ [hellip] la vie publique des saints reprend

lrsquoessentiel de leur vie priveacutee Cette reprise porte plus preacuteciseacutement sur le travail

puisque celui-ci se trouve au centre des autres valeurs raquo146 Il poursuit en expliquant

que Peacuteguy distingue dans son œuvre la participation agrave lrsquoœuvre de la Reacutedemption

tacircche des saints publics et la participation agrave lrsquoœuvre de la Creacuteation tacircche des saints

priveacutes

Ainsi tout chreacutetien se voit appeleacute agrave lrsquoœuvre du Salut Dans une vision tregraves communautaire caracteacuteriseacutee par sa conception de la paroisse et de lrsquoEacuteglise comme peuple de Dieu Peacuteguy affirme que le Salut individuel ne doit pas se faire contre les autres mais avec eux Aimer dieu nrsquoest pas exclusif de lrsquoamour des autres Bien au contraire comme nous le reacutevegravelent les Eacutevangiles les deux commandements sont indissociables Il srsquoagit du travail comme redevance drsquoamour147

Dans la mesure ougrave nrsquoimporte quel travail contribue agrave lrsquoœuvre du Salut mecircme le

travail quotidien le plus humble et banal peut ecirctre une forme drsquoimitation de Jeacutesus

le travail de tous les jours devient un travail pour les autres pour la communauteacute

une contribution agrave la construction de la citeacute harmonieuse

b) Saint Louis

Parmi les saints patrons eacutevoqueacutes par Peacuteguy le saint roi Louis occupe une place

importante Peacuteguy mentionne souvent la chronique de Joinville si son attention se

porte souvent sur le chroniqueur le teacutemoin la vocation eacutetant importante pour lui le

personnage principal de cette chronique est aussi tregraves preacutesent dans son œuvre

Saint Louis eacutetait lrsquoun des patrons secondaires de la France sous la monarchie

franccedilaise mais il nrsquoy a pas eu drsquoautorisation officielle du Saint Siegravege concernant le

saint roi Selon les autorisations de patronage deacutelivreacutee par le Vatican jusqursquoagrave la 146 Ibid p 198 147 Ibid p 199

138

canonisation de Jeanne drsquoArc la seule patronne de la France eacutetait la Vierge Marie

Cependant dans le culte des saints patrons la tradition a toujours eacuteteacute plus forte que

lrsquoautoriteacute officielle ainsi Peacuteguy reconnaissait Saint Louis comme lrsquoun des patrons

de la France dans la mesure ougrave il a eacuteteacute son roi Comme il a eacuteteacute dit plus haut pour

Peacuteguy le saint continue apregraves la mort la tacircche qui lui a eacuteteacute confieacutee durant sa vie

ainsi la tacircche du roi de France eacutetait drsquoecirctre le patron de la France Il reacuteunit donc les

deux formes de patronage possibles il est patron de la France parce qursquoil lrsquoa

habiteacutee et parce que de son vivant la France lui a eacuteteacute confieacutee

Pierre Suire montre dans son livre Le tourment de Peacuteguy comment le saint roi

Louis personne publique par excellence devient chez Peacuteguy un exemple des vertus

priveacutees tellement importantes pour lrsquoauteur

La vie de saint Louis fut marqueacutee de vertus priveacutees projeteacutees dans la vie publique et cela attire Peacuteguy Comme roi comme croiseacute et comme malade il faisait appel aux mecircmes disciplines [hellip] Pour lui le gouvernement de la France devait ecirctre imiteacute de celui de Nazareth Le respect des vertus domestiques donne des secrets qui deacutebordent le cadre familial [hellip] Il deacutesirait que chacun de la cour eucirct la mecircme devise Il avait la passion profonde des devoirs de sa charge le goucirct de lrsquoautoriteacute le sentiment des responsabiliteacutes et un amour sans deacutefaillance pour ses sujets Il a laisseacute rappelle Peacuteguy un deacutecalogue des rois qui enseigne en toutes circonstances de respecter le peuple et de ne pas lrsquoaccabler Il eacutetait de lrsquoordre de la chevalerie il eacutetait homme de la courtoisie [hellip] La royauteacute de saint Louis eacutetait invincible et eacuteternelle elle eacutetait grande et impeacuterissable parce qursquoelle eacutetait dans lrsquoordre de la mesure et de la force148

Saint Louis pour Peacuteguy incarne la justice et la liberteacute Quand Peacuteguy est lui-

mecircme parti agrave la guerre les mots drsquoadieu qursquoil avait adresseacutes agrave Geneviegraveve Favre (laquo je

pars soldat de la Reacutepublique pour le deacutesarmement geacuteneacuteral et la derniegravere des

guerres raquo149) eacutetaient en quelque sorte une suite de sa phrase dans la Note conjointe agrave

propos de Saint Louis laquo Telle est la guerre chreacutetienne puisqursquoil faut bien que ces

deux mots aillent ensemble Une juste guerre agrave deacutefaut drsquoune juste paix et pour

preacuteparer une juste paix Et la croisade elle-mecircme est une juste guerre raquo (III 1354)

Il voyait deacutejagrave des guerres pour la paix dans les guerres meneacutees par le saint roi Louis

Quand Peacuteguy part agrave la guerre il srsquoenracine dans cet heacuteritage des justes guerres de

saint Louis qursquoil compare dans la Note Conjointe aux injustes guerres et traiteacutes de 148 Pierre SUIRE Le tourment de Peacuteguy Paris Robert Laffont 1956 p 180-181 149 Citeacute par Daniel Haleacutevy Peacuteguy Paris Pluriel 1979 p 380

139

son petit-fils Philippe le Bel Crsquoest deacutejagrave la comparaison entre la mystique et la

politique la politique moderne dans le sens peacutejoratif que lui donne Peacuteguy ougrave laquo la

guerre est voulue profitable raquo (ibid) Pour Peacuteguy la royauteacute telle qursquoelle fut au

temps de saint Louis aurait pu ecirctre eacuteternelle et invincible si elle eacutetait resteacutee fidegravele

enracineacutee dans la tradition ou plutocirct le mythe du roi chreacutetien du roi oint par Dieu

laquo Si elle fucirct demeureacutee dans lrsquoordre de la mesure elle eacutetait la plus grande Si elle fucirct

demeureacutee dans lrsquoordre de sa force elle eacutetait impeacuterissable raquo (III 1355)

Andreacute Rousseaux commente ainsi ce que Peacuteguy eacutecrit sur saint Louis

La politique inteacuterieure qui est fidegravele au noble jeu se reconnaicirct elle aussi agrave cette eacuteleacutevation Le chef que cette politique eacutetablit quand il srsquoappelle saint Louis roi de France ne tient pas son autoriteacute de lrsquoesprit de domination mais de cet esprit de noble deacutepassement Et crsquoest lagrave le principe inestimable de son autoriteacute un principe que Peacuteguy tiendrait volontiers pour sacreacute Car il lie lrsquoautoriteacute royale agrave ce noble jeu de la liberteacute et de lrsquohonneur qui est le jeu mecircme de lrsquohomme avec la gracircce de Dieu150

Crsquoest dans un passage sur saint Louis dans Un nouveau theacuteologien M Fernand

Laudet que Peacuteguy deacutefinit le saint patron il est laquo le maicirctre et le modegravele raquo (III 574)

Saint Louis explique justement Peacuteguy constitue laquo le maicirctre et le modegravele de

Jeanne drsquoArc raquo

c) Jeanne drsquoArc patronne de France

Il faudrait preacuteciser que du temps de Peacuteguy Jeanne drsquoArc nrsquoeacutetait pas encore

canoniseacutee elle nrsquoeacutetait donc pas encore reconnue comme la patronne secondaire de

la France Elle a eacuteteacute beacuteatifieacutee en 1901 soit deux ans avant la parution du Laudet

Exactement comme saint Louis eacutetait le modegravele et le maicirctre de Jeanne parce

qursquoil eacutetait roi de France donc de ce royaume que Jeanne voulait servir celle-ci

veut lrsquoimiter lui qui proteacutegeait son royaume et crsquoest ainsi qursquoelle devient selon

Peacuteguy le modegravele et la maicirctresse de la France et des Franccedilais elle deacutefend sa patrie

comme tout Franccedilais devrait le faire et elle continue de la proteacuteger eacuteternellement

comme elle lrsquoavait fait de son vivant Elle est la patronne de Domreacutemy parce

150 Andreacute Rousseau opcit p 211

140

qursquoelle y a travailleacute prieacute et reccedilu sa vocation Elle est la patronne de la France parce

qursquoelle y a travailleacute au labeur de la guerre parce qursquoelle y a accompli sa vocation de

sainte protectrice de la France parce qursquoelle y est morte en martyr Dans Le Mystegravere

de la chariteacute de Jeanne drsquoArc Hauviette dit en parlant de la priegravere de Jeannette

laquo Jamais les croix des chemins nrsquoavaient tant servihellip raquo (OPD 407) Crsquoest ainsi que

Jeannette commenccedilait son travail de patronne drsquoun lieu de son village de naissance

par la priegravere aupregraves de toutes les croix des chemins La trilogie Jeanne drsquoArc se

termine par la priegravere de Jeanne qui intercegravede pour tous laquo Jeacutesus sauvez-nous tous agrave

la vie eacuteternelle raquo (OPD 299) Ces derniegraveres paroles pour Peacuteguy sont le deacutebut de

son travail eacuteternel Dans Le Mystegravere de la Chariteacute Madame Gervaise deacutecrit le

travail du salut comme un travail humain manuel une tacircche lourde et eacutepuisante

elle dit en parlant de Jeacutesus qursquoil a gagneacute les acircmes des justes

Сomme un pauvre journalier qui travaille dans les fermes

Comme un pauvre ouvrier qui se deacutepecircche de travailler

Tout ce qursquoil avait amasseacute

Tout ce qursquoil avait pu ramasser drsquoacircmes en travaillant bien

Une pleine brasseacutee

Tout ce qursquoil pouvait tenir dans ses deux mains

[hellip]

Tout ce qursquoil pouvait tenir dans ses bras

Dans ses bras eacuteternels

Les acircmes de justes qursquoil avait parfumeacutees de ses vertus (OPD 466)

Tout comme Jeacutesus avait parfumeacute de ses vertus les acircmes des justes ces justes

pouvaient agrave leur tour sauver drsquoautres acircmes ce parfum de vertu faisait des justes des

saints patrons qui alors devenaient maicirctres et modegraveles pour drsquoautres saints Crsquoest la

communion des saints qui creacutee ainsi lrsquoenracinement dans la vertu la sainteteacute la

gracircce

La Jeannette de Peacuteguy lie directement lrsquoheacuteritage de la sainteteacute agrave la force de

lrsquoenracinement dans une terre devenue sainte

Jamais les hommes de ce pays-ci jamais des saints de ce pays-ci jamais des simples chreacutetiens mecircme de nos pays ne lrsquoauraient abandonneacute Jamais de chevaliers franccedilais jamais des paysans franccedilais jamais des simples paroissiens des paroisses franccedilaises Jamais les hommes des croisades ne lrsquoauraient abandonneacute Jamais ces hommes-lagrave ne lrsquoauraient renieacute On leur aurait plutocirct arracheacute la tecircte

141

Des gens du pays lorrain Des gens du pays franccedilais (OPD 533)

Les hommes des croisades nrsquoauraient pas trahi Jeacutesus pense Jeannette parce

qursquoils venaient de la sainte terre de France comme le saint roi Louis qui les guidait

Un peu plus loin Jeannette eacutevoque les saints patrons ceux qui deviendront patrons

pour elle quand elle deviendra Jeanne la meneuse drsquohommes sainte Geneviegraveve

saint Aignan saint Loup saint Martin qui eacutetaient soldats ou qui laquo nrsquoont pas eu peur

drsquoaller au-devant des armeacutees paiumlennes raquo (OPD 535) Elle eacutevoque aussi saint

Bernard qui avait precirccheacute la deuxiegraveme croisade Quelques lignes plus loin elle dit

que laquo Crsquoeacutetaient des pasteurs ccedila raquo Voilagrave encore une deacutefinition du saint patron il est

le maicirctre qui dirige il est le modegravele qursquoil faut imiter et il est le pasteur qui garde et

qui protegravege Jeannette place sa paroisse ses proches et ses amies dans cette ligneacutee

dans cette race dans cet heacuteritage elle dit que son oncle son parrain et sa marraine

ses fregraveres sa sœur et son cureacute nrsquoauraient pas renonceacute agrave Jeacutesus lors de sa passion

parce que laquo Nos saints eacutetaient des saints qui nrsquoavaient pas peur des coups raquo (OPD

546) Elle nomme ses amies et Madame Gervaise elle-mecircme et elle nrsquoy voit pas

drsquoorgueil parce que ce nrsquoest pas de sa force et de son courage qursquoelle parle mais de

la force de la race la force de la terre celle que portent en soi les saints patrons et

qursquoils donnent agrave leur troupeau Jeannette se place elle-mecircme dans cette ligneacutee Elle

nrsquoest pas meilleure que les apocirctres mais elle est de cette terre de ce pays et de ces

gens-lagrave laquo Moi je suis sucircre que je ne lrsquoaurais pas abandonneacute Dieu mrsquoest teacutemoin que

je ne lrsquoaurais pas abandonneacute raquo (OPD 547) Sa vocation est neacutee Elle est neacutee de

lrsquoimitation du modegravele donneacute par ses saints patrons les saints de France

d) Bernard-Lazare saint patron des laquo Cahiers de la quinzaine raquo

Dans un texte de 1905 Louis de Gonzague Peacuteguy parlant de lrsquoheacuteritage

notamment de lrsquoheacuteritage juif eacutecrit laquo Et je place ce paragraphe sous lrsquoinvocation de

la meacutemoire que nous avons gardeacutee du grand Bernard-Lazare raquo (II 379) Il parle

drsquoinvocation donc drsquoune forme de meacutemoire particuliegravere la meacutemoire drsquoun saint qui

le rend preacutesent permet de lrsquoinvoquer de srsquoadresser agrave lui Pauline Bernon [Bruley]

eacutecrit dans son article laquo Le portrait de Bernard-Lazare dans Notre Jeunesse raquo que la

142

construction litteacuteraire de la figure de Bernard-Lazare dans Notre Jeunesse relegraveve

entre autres de lrsquohagiographie laquo Axe de la justice qursquoil incarne et pour laquelle il

meurt Bernard-Lazare agonisant ressemble agrave la Veacuteriteacute crucifieacutee Enfin la

mysteacuterieuse bonteacute de Bernard-Lazare se rapproche de la reacuteponse eacutevangeacutelique au

mal raquo151

En quoi est-il saint patron Et de quoi de qui est-il le patron pour Peacuteguy

Pour qui est-il maicirctre modegravele et pasteur Pour les juifs Non Parce que la relation

entre un saint patron et son troupeau est reacuteciproque Ceux qui se trouvent sous la

protection drsquoun patron lrsquoaiment lrsquoinvoquent tentent de lui ressembler Pour les

juifs Peacuteguy le dit maintes fois Bernard-Lazare eacutetait un prophegravete mecircme si on ne

lrsquoentendait pas comme il advient souvent aux prophegravetes Peacuteguy donne lrsquoeacutebauche

drsquoune reacuteponse agrave cette question dans un texte de 1907 qui nrsquoa jamais eacuteteacute publieacute de

son vivant Un poegravete lrsquoa dit ougrave il dit de Bernard-Lazare laquo nous fucircmes lrsquoœuvre ougrave il

apportacirct tout ce qui lui restait drsquoamitieacute de foi de propheacutetie de force et drsquoaction et

de vigueur vivante raquo (II 873) laquo Nous raquo laquo lrsquoœuvre raquo en question ce sont les

Cahiers de la quinzaine auxquels Peacuteguy srsquoidentifie ici en tant que creacuteateur geacuterant

et auteur Crsquoest une œuvre agrave laquelle il a beaucoup travailleacute dans laquelle il a mis

beaucoup drsquoefforts de temps Un saint patron doit en effet donner un exemple de

travail comparable au travail de ceux qursquoil va proteacuteger apregraves sa mort Peacuteguy

continue laquo Il y entra tout entier comme il eacutetait entreacute dans lrsquoaffaire Dreyfus drsquoun

seul corps ce qui eacutetait son rythme bien qursquoil nrsquoeucirct aucune raideur tout entier drsquoun

seul acte corps et cœur acircme et tout raquo (II 875) Il raconte ensuite comment Bernard-

Lazare est venu aux Cahiers justement dans la peacuteriode la plus difficile quand les

ex-collaborateurs aicircneacutes de Peacuteguy Leacuteon Blum Lucien Herr et drsquoautres se sont

opposeacutes violemment agrave son entreprise et comment en restant un ami Bernard-

Lazare a pu la conseiller le guider en tant qursquoaicircneacute plus expeacuterimenteacute comment il a

aideacute les Cahiers de la quinzaine agrave traverser lrsquoeacutepreuve

151 BERNON [Bruley] Pauline laquo Le Portrait de Bernard-Lazare raquo Notre jeunesse Lrsquoamitieacute Charles Peacuteguy ndeg126 2009 p 251

143

Pour Peacuteguy Bernard-Lazare est le saint patron des Cahiers et celui des

dreyfusards Il transmet lrsquoheacuteritage de lrsquoAffaire sur la terre de France il donne

lrsquoexemple drsquoune lutte pour la veacuteriteacute et la justice un modegravele de journalisme qui est

plus que journalisme qui est une vocation de veacuteriteacute et de justice il est le maicirctre

parce qursquoil est lrsquoaicircneacute il est le modegravele parce qursquoil srsquoest donneacute entiegraverement agrave son

travail Et il est pasteur parce que Peacuteguy le reconnaicirct en tant que tel

Peacuteguy commence le portrait de Bernard-Lazare dans Notre Jeunesse par ces

mots

Il avait indeacuteniablement des parties de saint de sainteteacute Et quand je parle de saint je ne suis pas suspect de parler par meacutetaphore Il avait une douceur une bonteacute une tendresse mystique une eacutegaliteacute drsquohumeur une expeacuterience de lrsquoamertume et de lrsquoingratitude une digestion parfaite de lrsquoamertume et de lrsquoingratitude une sorte de bonteacute agrave qui on nrsquoen remontrait point une sorte de bonteacute parfaitement renseigneacutee et parfaitement apprise drsquoune profondeur incroyable (III 57)

En deacutecrivant le caractegravere doux tendre et bon de Bernard-Lazare sa profondeur

son expeacuterience du malheur sa paix Peacuteguy donne lrsquoimage drsquoun saint comme on est

habitueacute agrave lrsquoimaginer Ce portrait de saint qui se voudrait presque conventionnel

preacutepare le terrain agrave une description qui est bien moins conventionnelle ougrave Peacuteguy

par exemple eacutevoque sa teacutenaciteacute son entecirctement mecircme dans la deacutefense de Dreyfus

Peacuteguy srsquoexclame laquo Si on lrsquoavait suivi si on avait au moins suivi son enseignement

et son exemple raquo (III 76) en deacuteplorant ce que le dreyfusisme est devenu il

preacutesente donc clairement Bernard-Lazare comme un pasteur que son troupeau

nrsquoaurait pas suivi

On trouve dans Notre Jeunesse ces mots surprenants en parlant des Cahiers de

la quinzaine Peacuteguy dit que Bernard-Lazare eacutetait laquo lrsquoami inteacuterieur lrsquoinspirateur

secret je dirai tregraves volontiers et tregraves exactement le patron raquo (III 58)

e) La vierge Marie ndash megravere de tous les humains patronne de la France

Agrave propos de la Vierge la question qui se pose est en quelque sorte la mecircme

que pour Bernard-Lazare est-il leacutegitime de la placer parmi les saints et saintes que

Peacuteguy considegravere comme saints patrons Peut-elle ecirctre consideacutereacutee dans lrsquoœuvre de

144

Peacuteguy comme maicirctresse modegravele et bergegravere Ou est-elle un ideacuteal lointain et

inaccessible

Ideacuteal ndash oui certes Peacuteguy deacutecrit la vierge Marie dans Le Porche du mystegravere

de la deuxiegraveme vertu comme infiniment pure douce noble courtoise accueillante

dans une sorte de litanie

A celle qui est infiniment riche

Parce qursquoaussi elle est infiniment pauvre

A celle qui est infiniment haute

Parce qursquoaussi elle est infiniment descendante

A celle qui est infiniment grande

Parce qursquoaussi elle est infiniment petite

Infiniment humble

Une jeune megravere

A celle qui est infiniment droite

Parce qursquoaussi elle est infiniment pencheacutee

A celle qui est infiniment joyeuse

Parce qursquoaussi elle est infiniment douloureuse

Septante et sept fois septante fois douloureuse

A celle qui est infiniment touchante

Parce qursquoaussi elle est infiniment toucheacutee (OPD 667)

Inaccessible ndash non car elle est laquo toucheacutee raquo par la douleur humaine elle est

humaine elle-mecircme mecircme si dans la Preacutesentation de la Beauce agrave Notre Dame de

Chartres Peacuteguy lrsquoappelle laquo inaccessible Reine raquo (OPD 1140) car crsquoest plutocirct de la

flegraveche de la catheacutedrale de Chartres qursquoil srsquoagit et non de la vierge Marie elle-mecircme

De plus dans un entretien avec Joseph Lotte Peacuteguy dit que dans la peacuteriode de sa

lutte contre lrsquoamour impossible interdit pour Blanche Raphaeumll quand il ne pouvait

pas dire le Notre Pegravere ne pouvant pas prononcer laquo que votre volonteacute soit faite raquo il

priait Marie

145

Les priegraveres agrave Marie sont des priegraveres de reacuteserve Crsquoest ccedila des priegraveres de reacuteserve Il nrsquoy en a pas une dans toute la liturgie pas une tu entends pas une que le plus lamentable peacutecheur ne puisse dire vraiment Dans le meacutecanisme du salut lrsquoAve Maria est le dernier secours Avec lui on ne peut ecirctre perdu152

Peacuteguy a eacuteteacute accuseacute par les critiques du Mystegravere de la chariteacute agrave cause de sa

description trop humaine de la douleur de la Vierge

Elle pleurait elle pleurait elle eacutetait devenue si laide

En trois jours

Elle eacutetait devenue affreuse

Affreuse agrave voir

Si laide si affreuse

Qursquoon se serait moqueacute drsquoelle

Sucircrement

Si elle nrsquoavait pas eacuteteacute la megravere du condamneacute (OPD 495-496)

La megravere de Dieu laide jusqursquoagrave susciter des moqueries et proteacutegeacutee non par la

splendeur de son Fils mais par sa deacutefaite quel scandale

Dans ce mecircme texte qui parle de la Vierge sur le chemin de Croix Peacuteguy dit

qursquoelle demandait laquo la chariteacute de la pitieacute Drsquoune pieacuteteacute Drsquoune certaine pieacuteteacute Pietas raquo

(OPD 484) Il fait ainsi un rapprochement surprenant voire reacutevoltant pour ses

contemporains entre la pitieacute qursquoon pourrait avoir drsquoune femme qui pleure son fils

qui va vers sa mort et la pieacuteteacute la deacutevotion la veacuteneacuteration On ne srsquoapitoie pas sur

une sainte sur la megravere de Dieu Et pourtant crsquoest bien ce sentiment lagrave que Peacuteguy

voudrait faire ressentir visiblement agrave ses lecteurs La Vierge dans ces strophes

suscite la pitieacute ce qui pour Peacuteguy srsquoagissant de la megravere de Dieu devient synonyme

de pieacuteteacute parce qursquoelle est une femme la megravere de tous les hommes or on peut avoir

pitieacute de sa propre megravere qui souffre Jean Onimus eacutecrit sur la Vierge Marie dans

lrsquoœuvre de Peacuteguy laquo Elle accomplit modestement sa tacircche terrestre jusqursquoau bout

se placcedilant ainsi au nombre de ces petites gens de ces innombrables megraveres dont la

vie fut un long sacrifice raquo153 elle devient ainsi le modegravele de toutes les femmes

dans la mesure ougrave son laquo travail raquo de sainte agrave imiter est agrave la fois le plus simple ecirctre

femme au foyer ecirctre megravere et le plus extraordinaire ecirctre megravere de Dieu Peacuteguy 152 PEacuteGUY Charles LOTTE Joseph Lettres et entretiens p 174-175 153 ONIMUS Jean La route de Charles Peacuteguy Paris Plon 1962 p 167

146

deacutecrit une femme humaine qui souffre Lrsquohumaniteacute entiegravere chaque homme chaque

femme peut srsquoenraciner dans cette souffrance dans cette vie car chaque humain est

de la mecircme racine race que la megravere de Dieu par le mystegravere de lrsquoIncarnation Il

eacutecrit qursquoelle laquo ne sentait seulement pas qursquoelle marchait Elle ne sentait seulement

pas ses pieds qui la portaient Elle ne sentait pas ses jambes sous elle [hellip] Une

pauvresse en deacutetresse Une espegravece de mendiante de pitieacute raquo (OPD 485) Est-ce

qursquoune pauvre et simple femme souffrante peut ecirctre maicirctresse modegravele et bergegravere

Pour Peacuteguy oui dans la mesure ougrave elle est la maicirctresse de ceux et celles qui sont

dans la souffrance le modegravele des pauvres la bergegravere des mendiants et de ceux qui

en ont pitieacute Pour Peacuteguy sa souffrance fait drsquoelle un modegravele parce qursquoelle-mecircme

dans sa douleur a son fils comme modegravele

Elle pleurait elle eacutetait devenue affreuse

Les cils colleacutes

Les deux paupiegraveres celle du dessus et celle du dessous

Gonfleacutees meurtries sanguinolentes

Les joues ravageacutees

Les joues ravineacutees

Les joues ravaudeacutees

Ses larmes lui avaient comme laboureacute les joues

Les larmes de chaque cocircteacute lui avaient creuseacute un sillon dans les joues

Les yeux lui cuisaient lui brucirclaient

Jamais on nrsquoavait autant pleureacute

Et pourtant ce lui eacutetait un soulagement de pleurer

La peau lui cuisait lui brucirclait

Et lui pendant ce temps sur la croix les Cinq Plaies lui brucirclaient

Et il avait la fiegravevre

Et elle avait la fiegravevre

Et elle eacutetait ainsi associeacutee agrave sa Passion (OPD 496-497)

Crsquoest par la douleur que la vierge Marie imite son fils crsquoest par la douleur

humaine qursquoelle srsquoassocie agrave la souffrance humaine de Dieu qui alors fait drsquoelle la

sainte patronne la megravere de tous les hommes Peacuteguy va jusqursquoagrave dire laquo Que lrsquoon

aurait ri certainement Et que lrsquoon se serait moqueacute drsquoelle Certainement Si elle

nrsquoavait pas eacuteteacute la megravere du condamneacute raquo (OPD 497) Plus loin Peacuteguy eacutecrit laquo Elle

147

sentait son corps comme le sien raquo (OPD 510) en poursuivant par une description

tregraves physiologique de la souffrance du Christ sur la Croix que sa Megravere ressentait

comme lui dans son propre corps Il eacutelargit ainsi la souffrance qursquoune megravere eacuteprouve

face agrave la maladie de son enfant agrave lrsquoimitation du Christ chemin de sainteteacute Dans ce

texte la Vierge nrsquoest pas choisie pour ecirctre megravere de Dieu agrave cause de sa sainteteacute mais

crsquoest Dieu qui la sanctifie par son incarnation par son humaniteacute Elle ne peut pas ne

pas lrsquoimiter dans sa Passion tout simplement parce qursquoelle est sa megravere elle est unie

agrave son enfant dans sa souffrance par sa Passion La megravere de Dieu devient ainsi le

modegravele de ceux dont on rit dont on se moque parce qursquoelle les rejoint Crsquoest la

souffrance qui a fait drsquoelle la sainte patronne des souffrants des pauvres des

mendiants le modegravele de ceux qui veulent souffrir dignement leur consolatrice

Car elle avait vieilli drsquoune eacuteterniteacute

Elle avait vieilli de son eacuteterniteacute

Qui est la premiegravere eacuteterniteacute apregraves lrsquoeacuteterniteacute de Dieu

Car elle avait vieilli de son eacuteterniteacute

Elle eacutetait devenue Reine

Elle eacutetait devenue la Reine des sept Douleurs (OPD 495)

Agrave propos de la possibiliteacute de voir dans la Megravere de Dieu dans lrsquoœuvre de Peacuteguy

un modegravele agrave imiter Heacutelegravene Chaput observe dans sa thegravese

Parce que personne nrsquoa jamais veacutecu aussi pleinement le moment preacutesent que Marie agrave lrsquoheure de son Fiat jamais non plus le divin ne srsquoest autant inseacutereacute dans lrsquohumain Crsquoest en elle qua eacuteteacute reacuteussie [hellip] la parfaite incarnation celle du Verbe aussi reste-t-elle le modegravele agrave imiter par tous ceux qui veulent vivre cette spiritualiteacute de lrsquoincarnation154

Comme par ses souffrances de megravere la Vierge Marie devient la patronne des

souffrants et tout particuliegraverement des parents Dans Le Porche du mystegravere de la

deuxiegraveme vertu Peacuteguy raconte sa propre expeacuterience de pegravere quand il a confieacute ses

enfants souffrants agrave Marie laquo Par la priegravere il vous les avait mis Tout tranquillement

dans les bras de celle qui est chargeacutee de toutes les douleurs du monde Et qui a deacutejagrave

les bras si chargeacutes Car le Fils a pris tous les peacutecheacutes Mais la Megravere a pris toutes les

douleurs raquo (OPD 657)

154 CHAPUT Heacutelegravene Le thegraveme de la vierge dans lrsquoœuvre de Peacuteguy thegravese preacutesenteacutee pour obtenir le doctorat drsquouniversiteacute agrave lrsquoUniversiteacute de Paris 1968 p 366

148

Un peu plus loin dans ce mecircme texte Peacuteguy preacutecise que la Vierge est pour lui

plus grande que les saints patrons qursquoil eacutenumegravere pourtant avec un grand amour il

nomme les saints patrons de ses enfants saint Germain sainte Germaine saint

Marcel saint Pierre Peacuteguy dit lui avoir confieacute ses enfants parce qursquolaquo Il y a des jours

dans lrsquoexistence ougrave on sent qursquoon ne peut plus se contenter des saints patrons raquo

(OPD 662) il faut alors srsquoadresser agrave celle qui est le modegravele de tous les saints

patrons la patronne de tous les hommes par excellence parce qursquoelle est laquo celle qui

intercegravede La seule qui puisse parler avec lrsquoautoriteacute drsquoune megravere raquo (OPD 667)

Dans La Tapisserie de Notre Dame Peacuteguy srsquoadresse agrave la Vierge comme agrave la

protectrice la patronne de Paris en lui offrant Paris et ses habitants La Vierge est

preacutesente dans ces poegravemes par le regard qursquoelle porte sur Paris sur la Beauce sur les

hommes le mecircme dans la dureacutee des siegravecles sa gracircce transfigure les lieux mecircmes

qui lui sont offerts laquo Mille ans de votre gracircce ont fait de ces travaux Un reposoir

sans fin pour lrsquoacircme solitaire raquo (OPD 1140) Dans ce poegraveme et dans ceux qui

suivent crsquoest la force de transfiguration sous le regard aimant et maternel de la

Vierge que Peacuteguy souligne constamment par exemple dans la Priegravere de la

reacutesidence des Quatre Priegraveres dans la catheacutedrale de Chartres on trouve dans un

long enchaicircnement de comparaisons entre Chartres et les autres endroits de ce

monde ces mots laquo Ce qui partout ailleurs est un accablement Nrsquoest ici que lrsquoeffet

de pauvre obeacuteissance raquo (OPD 1154) Cette force de transfiguration par la gracircce

accordeacutee par le regard aimant de la megravere de Dieu prend source dans la possibiliteacute du

renouvellement du nouveau laquo Voici le lieu du monde ougrave tout devient novice raquo

(OPD 1154) eacutecrit Peacuteguy La seule demande formuleacutee par Peacuteguy dans ces

Tapisseries preacuteciseacutement dans la Priegravere de demande est celle de pouvoir imiter le

Fiat de la Vierge Marie sa fideacuteliteacute

Nous ne demandons rien dans ces amendements

Reine que de garder sous vos commandements

Une fideacuteliteacute plus forte que la mort (OPD 1158)

149

2 Sainte Geneviegraveve patronne de Paris

On pourrait dire que Jeanne drsquoArc est lrsquoalter ego de Peacuteguy agrave travers ses

paroles il parle de lui-mecircme et exprime sa position drsquoauteur Crsquoest entre autres ce

qui lui permet drsquoeacutecrire une piegravece sur Jeanne dans la peacuteriode ougrave il est loin de lrsquoEacuteglise

Son rapport agrave sainte Geneviegraveve est diffeacuterent il srsquoadresse agrave elle comme agrave une sainte

dans la priegravere Cela transparaicirct aussi au niveau de la poeacutetique la poeacutesie de Peacuteguy

contenant des ideacutees philosophiques meacutetaphysiques mais sans destinataire direct

est toujours eacutecrite en vers libres Agrave lrsquoinverse tous ses poegravemes-priegraveres sont eacutecrits en

alexandrins Or tous les textes de Peacuteguy consacreacutes agrave Geneviegraveve ainsi que les textes

deacutedieacutes agrave la Vierge sont eacutecrits en alexandrins Geneviegraveve est pour Peacuteguy la sainte

patronne par excellence apregraves la Vierge Marie Dans Le Porche du mystegravere de la

deuxiegraveme vertu Peacuteguy eacutecrit laquo Geneviegraveve mon enfant eacutetait une simple bergegravere

Jeacutesus aussi eacutetait un simple berger Mais quel berger mon enfant Berger de quel

troupeau Pasteur de quelles brebis En quel pays du monde raquo (OPD 669) On voit

ici lrsquoessence de ce qursquoest le saint patron chez Peacuteguy il garde les brebis du troupeau

des hommes en imitant Jeacutesus le Pasteur Pour comprendre ce que repreacutesente le saint

patron pour Peacuteguy une analyse deacutetailleacutee des textes de Peacuteguy consacreacutes agrave sainte

Geneviegraveve srsquoimpose

Les poegravemes consacreacutes agrave sainte Geneviegraveve ndash Les tapisseries de sainte Geneviegraveve

et de Jeanne drsquoArc (janvier 1913) Sainte Geneviegraveve patronne de Paris (eacuteteacute 1913)

et la fin de la derniegravere œuvre termineacutee de Peacuteguy Egraveve ndash sont tous eacutecrits dans les

derniegraveres anneacutees de sa vie

a) Les tapisseries de sainte Geneviegraveve et de Jeanne drsquoArc

LrsquoEacuteglise fecircte sainte Geneviegraveve le 3 janvier crsquoest donc le premier jour de la

neuvaine qui lui est consacreacutee et crsquoest aussi la date du premier poegraveme des

Tapisseries Ces tapisseries sont en effet des priegraveres composeacutees pour chaque jour

de la neuvaine Peacuteguy lui-mecircme disait que ses Tapisseries sont liturgiques crsquoest-agrave-

150

dire qursquoil ne srsquoagit pas seulement drsquoune poeacutesie religieuse mais drsquoune poeacutesie ougrave

lrsquoauteur fait reacutefeacuterence agrave la tradition liturgique de lrsquoEacuteglise

Cependant Peacuteguy nrsquoaurait pas su rester longuement dans les marges eacutetroites de

la forme du sonnet Seuls les premiers poegravemes des tapisseries sont des sonnets

classiques Le cycle Les tapisseries de sainte Geneviegraveve et de Jeanne drsquoArc est

composeacute de neuf parties qui correspondent aux neuf jours drsquoune neuvaine

Le choix du titre Tapisseries est tregraves signifiant Pour Peacuteguy le meacutetier du

tisserand symbolise lrsquohistoire la meacutemoire le destin tisseacute par les Parques

Comme dans une tapisserie les fils passent disparaissent reparaissent et le fil ne suit pas seulement les rimes au sens que lrsquoon a toujours donneacute agrave ce mot de la technique du vers mais ce sont drsquoinnombrables assonances inteacuterieures rythmes et articulations de consonnes tout un immense appareil aussi parfaitement reacutegleacute que lrsquoappareil drsquoun tisserandraquo155

Les reacutepeacutetitions de strophes agrave peine modifieacutees qui se retrouvent dans plusieurs

poegravemes du cycle tissent les laquo sonnets raquo en les rassemblant dans une tapisserie unie

La priegravere pour le premier jour de la neuvaine est un sonnet classique qui

observe toutes les regravegles de composition

Premier jour

Pour le vendredi 3 janvier 1913

Fecircte de sainte Geneviegraveve

Quatorze cent uniegraveme anniversaire de sa mort

Comme elle avait gardeacute les moutons agrave Nanterre

On la mit а garder un bien autre troupeau

La plus eacutenorme horde ougrave le loup et lrsquoagneau

Aient jamais confondu leur commune misegravere

Et comme elle veillait tous les soirs solitaire

Dans la cour de la ferme ou sur le bord de lrsquoeau

Du pied du mecircme saule et du mecircme bouleau

Elle veille aujourdrsquohui sur ce monstre de pierre

Et quand le soir viendra qui fermera le jour

Crsquoest elle la caduque et lrsquoantique bergegravere

155 Citeacute dans Albert Beacuteguin Lrsquo laquo rsquoEgraveve raquo de Peacuteguy Paris Cahiers de lrsquoamitieacute Charles Peacuteguy 1948 p 219

151

Qui ramassant Paris et tout son alentour

Conduira drsquoun pas ferme et drsquoune main leacutegegravere

Pour la derniegravere fois dans la derniegravere cour

Le troupeau le plus vaste а la droite du pegravere (OPD 1081)

Peacuteguy reste dans la tradition qui voit sainte Geneviegraveve comme une bergegravere156

mais il semble deacuterouler agrave lrsquoenvers la chaicircne drsquoalleacutegories qui amegravene agrave la naissance de

ce mythe Dans ce sonnet on voit deacutejagrave le regard particulier compatissant que

Peacuteguy porte sur lrsquohistoire il dit que dans le troupeau confieacute agrave la sainte loups et

agneaux partagent laquo leurs commune misegravereraquo Le poegravete semble regarder ce troupeau

avec les yeux de la sainte qui protegravege les loups ainsi que les agneaux elle est

preacutesenteacutee non comme une simple bergegravere mais comme une imitatrice du Bon

Pasteur Par ailleurs la penseacutee de Peacuteguy reprend les donneacutees hagiographiques sur la

sainte Sa Vie parle drsquoune vision du Paradis que sainte Geneviegraveve a eue durant une

maladie Peacuteguy eacutecrit qursquoelle amegravenera laquo le troupeau le plus vaste agrave la droite du

156 Lrsquoimage de sainte Geneviegraveve ndash bergegravere assimileacute par Peacuteguy est assez eacutetonnante puisque selon sa Vita et drsquoautres documents historiographiques la sainte provenait drsquoune grande et riche famille

La premiegravere hypothegravese des raisons de cette eacutetrange transformation est lieacutee aux arts plastiques Lrsquoattribut traditionnel de sainte Geneviegraveve ndash crsquoest un cierge qursquoun deacutemon tente drsquoeacuteteindre et un ange protegravege Les auteurs de cette hypothegravese expliquent que le cierge pouvait ecirctre pris pour une houlette Mais cette hypothegravese semble douteuse parce que non seulement dans une mecircme eacutepoque mais mecircme dans une seul livre ou manuscrit la sainte eacutetaient repreacutesenteacute en bergegravere ou en grande dame avec une houlette dans une main et un cierge dans lrsquoautre ou sans houlette mais toujours avec un cierge

La seconde suppose que la transformation de lrsquohistoire de sainte Geneviegraveve est due agrave la mode pastorale mais on peut eacutegalement en douter comme la litteacuterature pastorale est plus tardive que les enluminures repreacutesentant sainte Geneviegraveve en habit de bergegravere (les premiegraveres repreacutesentations datent du deacutebut du XV s)

La troisiegraveme hypothegravese parait plus convaincante Elle appartient agrave Dom Jacques Dubois auteur du livre Sainte Geneviegraveve de Paris la vie le culte lrsquoart (Paris Beauchesne 1982) En 1450 un moine anonyme de lrsquoabbaye sainte Geneviegraveve a eacutecrit un mystegravere sur sainte Geneviegraveve mais dans ce mystegravere il srsquoagissait plutocirct de Jeanne drsquoArc Les principaux thegravemes du mystegravere eacutetant le salut de la France les monologues de Geneviegraveve rappellent ceux du procegraves de Jeanne plus encore ndash le mystegravere parle drsquoune eacutepreuve de feu que sainte Geneviegraveve a subit et dans sa Vita il nrsquoen est pas question La sainte nrsquoest pas encore nommeacutee bergegravere mais lrsquoauteur du mystegravere visiblement cherche agrave meacutelanger lrsquoimage des deux saintes Dubois propose plusieurs versions du but de cette assimilation de sujet et de personnages La Sorbonne et ceux qui lrsquoentouraient y compris lrsquoordre des Geacutenoveacutefains se sont vivement opposeacute agrave la canonisation et au culte de Jeanne drsquoArc Lrsquoabbaye de sainte Geneviegraveve avait peur de perdre les fidegraveles comme Jeanne drsquoArc devenait la sainte preacutefeacutereacutee des franccedilais les moines avait peur que sainte Geneviegraveve et leur abbaye soit oublieacutee donc reacuteunir ces deux saintes dans une image de sainte protectrice de France simple bergegravere leurs eacutetait fort utile Cette hypothegravese srsquoappuie sur le fait que Pierre le Pont auteur drsquoune eacutepopeacutee sur sainte Geneviegraveve eacutecrite en 1513 ou la sainte est bergegravere du deacutebut jusqursquoagrave la fin du reacutecit a deacutedieacute son œuvre agrave lrsquoabbeacute du monastegravere Sainte Geneviegraveve

152

Pegravereraquo Il lui donne donc le droit de guider puisqursquoelle connaicirct lrsquo laquo espace raquo du

Paradis Les saints ce sont ceux qui ont veacutecu une rencontre avec Dieu dans leur vie

terrestre et connaissent deacutejagrave ce chemin ils peuvent mener tout le troupeau au lieu

de la Rencontre rendre le salut et la Rencontre possible pour chaque homme Dans

ce sonnet on trouve aussi lrsquoune des ideacutees principales pour toute lrsquoœuvre de Peacuteguy

lrsquoideacutee de la damnation eacuteternelle lui eacutetait insupportable et cette conviction srsquoexprime

maintes fois dans sa trilogie dramatique sur Jeanne drsquoArc ainsi que dans Le Mystegravere

de la chariteacute de Jeanne drsquoArc Dans le poegraveme du premier jour de la neuvaine Peacuteguy

souligne plusieurs fois que dans le vaste troupeau du peuple de Paris le loup et

lrsquoagneau partagent le mecircme destin et qursquoau dernier jour sainte Geneviegraveve

laquo conduira drsquoun pas ferme et drsquoune main leacutegegravere le troupeau le plus vaste agrave la droite

du Pegravere raquo

Dans la priegravere du deuxiegraveme jour de la neuvaine Peacuteguy commence agrave

transgresser les regravegles de composition du sonnet les rimes ne srsquointercalent plus

elles sont toutes feacuteminines Peacuteguy laisse la premiegravere strophe sans changement et

change un seul mot dans la derniegravere en remplaccedilant laquo vaste raquo par laquo sage raquo

Deuxiegraveme jour

Pour le samedi 14 janvier 1913

Comme elle avait gardeacute les moutons agrave Nanterre

Et qursquoon eacutetait content de son exactitude

On mit sous sa houlette et son inquieacutetude

Le plus mouvant troupeau mais le plus volontaire

Et comme elle veillait devant le presbytegravere

Dans les soirs et les soirs drsquoune longue habitude

Elle veille aujourdrsquohui sur cette ingratitude

Sur cette auberge eacutenorme et sur ce phalanstegravere

Et quand le soir viendra de toute pleacutenitude

Crsquoest elle la savante et lrsquoantique bergegravere

Qui ramassant Paris dans sa sollicitude

Conduira drsquoun pas ferme et drsquoune main leacutegegravere

153

Dans la cour de justice et de beacuteatitude

Le troupeau le plus sage agrave la droite du pegravere (OPD 1081-1082)

Dans le premier quatrain Peacuteguy souligne une ideacutee importante pour lui sainte

Geneviegraveve se voit confier la tacircche de mener Paris dans le royaume ceacuteleste justement

parce qursquoelle eacutetait une bonne bergegravere pour Peacuteguy chaque travail est en effet un

engagement et une vocation voire un ministegravere Le plus important pour lui crsquoest de

bien travailler de faire ce que lrsquoon doit faire ce que lrsquoon attend de vous quelle que

soit la tacircche que lrsquoon soit berger ou chef de guerre Sainte Geneviegraveve eacutetait une

bergegravere excellente crsquoest pour cette raison qursquoelle fait paicirctre eacuteternellement le

troupeau de la ville de Paris et de ses alentours elle est responsable pour toujours

devant Dieu pour ses pacircturages Sainte Geneviegraveve conduisait les troupeaux

avec laquo exactituderaquo Le choix du mot est preacutecis crsquoest bien lrsquoexactitude qui creacutee un

lien propheacutetique entre Dieu et les hommes Le prophegravete ce nrsquoest pas celui qui

annonce le futur mais celui qui eacutecoute et entend Dieu en transmettant aux

hommes laquo avec exactitude raquo ce qursquoil entend du passeacute du preacutesent du futur157 Il peut

expliquer le passeacute commenter le preacutesent annoncer le futur Sainte Geneviegraveve

menait son troupeau avec laquo exactitude raquo elle entendait ce que Dieu voulait dire agrave

ses brebis et transmettait son message de maniegravere preacutecise agrave ceux et celles qui lui

eacutetaient confieacutes

Un autre mot important pour Peacuteguy se trouve dans la troisiegraveme strophe du

deuxiegraveme sonnet laquo inquieacutetuderaquo Peacuteguy enrichit le sens de ce mot par sa

connaissance et sa perception du monde juif ougrave lrsquoinquieacutetude signifie le refus de

srsquoappuyer sur des certitudes en demeurant dans une quecircte constante de la veacuteriteacute

Dans le contexte des Tapisseries il srsquoagit aussi drsquoune inquieacutetude pour les autres

pour le troupeau confieacute agrave la sainte Une sollicitude inquiegravete parce qursquoactive

agissante parce que le troupeau mecircme le peuple de Paris est actif agissant

Il est remarquable que Peacuteguy bien que son expeacuterience dans la versification

classique soit agrave ce moment-lagrave pauvre se montre drsquoores et deacutejagrave extrecircmement

attentif agrave la forme mecircme dans ses premiers sonnets il aspire agrave minimiser 157 Voir Гриц И Внимая голосу пророков М 2007 (GRITZ Ilya Ecoutant la voix des prophegravetes Moscou 2007)

154

lrsquoaleacuteatoire mecircme au niveau du rythme et de lrsquoeuphonie Le poegravete veut lier tous les

eacuteleacutements du texte avec sa seacutemantique deacutejagrave dans ses premiers essais de

composition de sonnet il arrive agrave une haute perfection technique Comme exemple

on peut observer le second quatrain du deuxiegraveme sonnet

Et comme elle veillait devant le presbytegravere

Dans les soirs et les soirs drsquoune longue habitude

Elle veille aujourdrsquohui sur cette ingratitude

Sur cette auberge eacutenorme et sur ce phalanstegravere (OPD 1081)

Le calme des longues soireacutees dans le village est souligneacute par une grande

quantiteacute de voyelles la reacutepeacutetition du mot laquo soir raquo des accents chantants Dans la

troisiegraveme et la quatriegraveme strophe Peacuteguy parle de lrsquoingratitude de la ville envers sa

bergegravere de la difficulteacute de sa tacircche eacuteternelle Il y a plus de consonnes beaucoup de

r ces deux strophes ont une sonoriteacute dure fatiguent lrsquoouiumle en montrant que le

travail de lrsquointercession nrsquoest pas plus facile que celui drsquoune bergegravere de village

La priegravere pour le troisiegraveme jour de la neuvaine commence comme un sonnet

classique mais Peacuteguy ajoute une strophe au dernier tercet Il suit son principe favori

de reacutepeacutetition cette strophe diffegravere drsquoun seul mot des deux sonnets preacuteceacutedents elle

annonce que sainte Geneviegraveve megravenera laquo le troupeau tout entier agrave la droite du Pegravere raquo

Peacuteguy rappelle encore une fois agrave son lecteur agrave quel point le salut universel est

important pour lui

Troisiegraveme jour

Pour le dimanche 5 janvier 1913

Elle avait jusqursquoau fond du plus secret hameau

La reacuteputation dans toute Seine et Oise

Que jamais ni le loup ni le chercheur de noise

Nrsquoavaient pu lui ravir le plus cheacutetif agneau

Tout le monde savait de Limours agrave Pontoise

Et les vieux bateliers contaient au fil de lrsquoeau

Qursquoassise au pied du saule et du mecircme bouleau

Nul nrsquoavait pu jouer cette humble villageoise

Sainte qui rameniez tous les soirs au bercail

155

Le troupeau tout entier diligente bergegravere

Quand le monde et Paris viendront agrave fin de bail

Puissiez-vous drsquoun pas ferme et drsquoune main leacutegegravere

Dans la derniegravere cour par le dernier portail

Ramener par la voucircte et le double vantail

Le troupeau tout entier а la droite du pegravere (OPD 1082)

Le poegravete continue de comparer le travail de la bergegravere agrave celui de la sainte qui se

porte responsable au Dernier Jugement pour les acircmes humaines Il utilise une sorte

de laquo geacuteographie poeacutetique raquo un proceacutedeacute poeacutetique aimeacute par Peacuteguy dans sa poeacutesie

les noms geacuteographiques sont toujours bien choisis et occupent une place importante

reacutefleacutechie Les villes qui sont nommeacutes dans ce sonnet ont apparemment appartenu agrave

la sainte historique mais lrsquoimage populaire traditionnelle de la sainte dit que ce

sont les lieux ougrave elle faisait paicirctre ses troupeaux Le second quatrain fait allusion agrave

la leacutegende hagiographique qui dit que sainte Geneviegraveve eacutetait clairvoyante donc

certainement nul nrsquoaurait pu se laquo jouerraquo drsquoelle La preacutesence des laquo bateliers raquo fait

aussi eacutecho agrave lrsquohagiographie la vie de la sainte raconte que crsquoest par la riviegravere que

sainte Geneviegraveve est alleacutee chercher des vivres pour Paris assieacutegeacutee Bien que

visiblement Peacuteguy nrsquoait pas lu la Vie de la sainte ces deux eacuteleacutements du sujet sont

au cœur de la leacutegende populaire de sainte Geneviegraveve que Peacuteguy semble bien

connaicirctre

Dans le troisiegraveme sonnet on lit de nouveau leacutegegraverement modifieacutee une strophe

venant du premier sonnet laquo assise au pied du saule et du mecircme bouleau raquo De

nouveau Peacuteguy souligne la constance de la sainte la fideacuteliteacute avec laquelle elle

veille sur sa ville comme un bon pasteur sur son troupeau notamment par la

reacutepeacutetition du mot laquo mecircmeraquo Dans ce sonnet un changement-cleacute srsquoopegravere dans le

premier tercet la narration srsquoachegraveve et lrsquoauteur srsquoadresse directement agrave la sainte le

recueil de sonnets devient Neuvaine le cycle poeacutetique se transforme en priegravere

Dans le poegraveme-priegravere pour le quatriegraveme jour de la neuvaine un tercet en plus

srsquoajoute au sonnet classique Il nrsquoy a plus de strophes qui le nouent aux poegravemes

156

preacuteceacutedents du cycle Dans ce sonnet apparaicirct la sainte favorite de Peacuteguy Jeanne

drsquoArc

Quatriegraveme jour

pour le lundi 6 janvier 1913

jour des rois

cinq cent uniegraveme anniversaire de la naissance de Jeanne drsquoArc

Comme la vieille aiumleule au plus fort de son acircge

Se reacutejouit de voir le tendre nourrisson

Lrsquoenfant agrave la mamelle et le dernier besson

Recommencer la vie ainsi qursquoun heacuteritage

Elle en fait par avance un tregraves grand personnage

Le plus hardi faucheur au temps de la moisson

Le plus hardi chanteur au temps de la chanson

Qursquoon aura jamais vu dans cet humble village

Telle la vieille sainte eacuteternellement sage

Connut ce que serait lrsquohonneur de sa maison

Quand elle vit venir habilleacutee en garccedilon

Bien prise en sa cuirasse et droite sur lrsquoarccedilon

Priant sur le pommeau de son estramaccedilon

Apregraves neuf cent vingt ans la fille au dur corsage

Et qursquoelle vit monter de dessus lrsquohorizon

Souple sur le cheval et le caparaccedilon

La plus grande beauteacute de tout son parentage (OPD 1083)

Peacuteguy deacutecrit sainte Geneviegraveve comme lrsquoaicircneacutee drsquoune grande famille dans

laquelle Jeanne serait la derniegravere-neacutee Comme lrsquoaicircneacutee de la famille se reacutejouit agrave la

venue drsquoun nouveau-neacute Sainte Geneviegraveve aurait attendu 920 ans la naissance drsquoune

sainte agrave laquelle on peut eacutegalement confier un troupeau formeacute non seulement des

habitants de Paris et de ses alentours mais de toute la France Un speacutecialiste de

Peacuteguy Reneacute Avice dans son livre Peacuteguy pegravelerin de lrsquoespeacuterance eacutecrit que Dieu

157

donne aux saints des signes drsquoespeacuterance158 Egraveve pouvait donc mourir en paix parce

qursquoelle savait que de Dieu viendrait la Vierge Marie la Nouvelle Egraveve pour mettre

au monde le Reacutedempteur du peacutecheacute commis par Egraveve Sainte Geneviegraveve pouvait

mourir en paix parce qursquoelle savait que Dieu enverrait Jeanne pour sauver la

France Pour Peacuteguy il nrsquoest pas important que des centaines drsquoanneacutees seacuteparent ces

deux saintes Lrsquoespeacuterance lrsquoun des thegravemes preacutefeacutereacutes du poegravete est presque toujours

une action inteacuterieure ou exteacuterieure elle nrsquoest pas passive Dans ce poegraveme crsquoest

lrsquoespeacuterance de sainte Geneviegraveve qui segraveme la segraveve et travaille la terre sur laquelle

pourra naicirctre Jeanne drsquoArc Crsquoest ce que dit le deuxiegraveme quatrain comme lrsquoaicircneacute de

la famille voit deacutejagrave dans le nourrisson le meilleur chanteur ou le meilleur

moissonneur sainte Geneviegraveve a reconnu dans la laquo fille au dur corsage raquo la plus

grande sainte de France Le saint prie et espegravere la naissance drsquoun autre saint de

cette maniegravere il approche la Parousie Cette reconnaissance cette vision

propheacutetique vision par les yeux de lrsquoespeacuterance constituent le don de Dieu agrave ses

saints agrave ceux qui sont pour lui agrave lrsquoeacutecart du monde Cette reconnaissance cette

rencontre dans et par lrsquoespeacuterance rend possible pour Peacuteguy la transformation drsquoune

simple bergegravere en Jeanne la guerriegravere Agrave la fin du poegraveme Peacuteguy dit de Jeanne

qursquoelle est de laquo la plus grande beauteacuteraquo Pour Peacuteguy la beauteacute exteacuterieure est

indissociable de la beauteacute inteacuterieure spirituelle lrsquoune est impossible sans lrsquoautre

car lrsquoesprit emplit et transfigure la matiegravere il en parlera beaucoup dans Egraveve

Dans le poegraveme du cinquiegraveme jour de la neuvaine Peacuteguy garde la forme du

sonnet mais comme dans le deuxiegraveme sonnet les rimes ne sont que feacuteminines

Peacuteguy deacuteveloppe la mecircme ideacutee que dans le poegraveme preacuteceacutedent non seulement Jeanne

drsquoArc continue lrsquoœuvre de sainte Geneviegraveve sur terre mais elle est son heacuteritiegravere

Cinquiegraveme jour

Pour le mardi 7 janvier 1913

Comme la vieille aiumleule au fin fond de son acircge

Se plaicirct а regarder sa plus arriegravere fille

Naissante а lrsquoautre bout de la longue famille

Recommencer la vie ainsi qursquoun heacuteritage

158 AVICE Reacuteneacute Peacuteguy pegravelerin drsquoespeacuterance Bruges Beyaert 1952 р 180-183

158

Elle en fait par avance un tregraves grand personnage

Fileuse moissonneuse agrave la pleine faucille

Le plus preste fuseau la plus savante aiguille

Qursquoon aura jamais vu dans ce simple village

Telle la vieille sainte eacuteternellement sage

Du bord de la montagne et de la double berge

Regardait srsquoavancer dans tout son eacutequipage

Dans un encadrement de cierge et de flamberge

Et le casque remis aux mains du petit page

La fille la plus sainte apregraves la sainte Vierge (OPD 1083-1084)

Sainte Geneviegraveve voit comment Jeanne commence la vie laquo ainsi qursquoun

heacuteritage raquo Les saints ont une vie commune en communion puisqursquoils ont une

œuvre commune le salut des peacutecheurs Geneviegraveve et Jeanne ont une œuvre

commune le salut de la France159

Dans le poegraveme pour le sixiegraveme jour de la neuvaine il y a quatre quatrains un

tercet et encore une strophe agrave part en revanche les rimes sont celles drsquoun sonnet

classique

Sixiegraveme jour

Pour le mercredi 8 janvier 1913

Comme Dieu ne fait rien que par miseacutericordes

Il fallut qursquoelle vicirct le royaume en lambeaux

Et sa filleule ville embraseacutee aux flambeaux

Et ravageacutee aux mains des plus sinistres hordes

Et les cœurs deacutevoreacutes des plus basses discordes

Et les morts poursuivis jusque dans les tombeaux

Et cent mille Innocents exposeacutes aux corbeaux

Et les pendus tirant la langue au bout des cordes

Pour qursquoelle vоicirct fleurir la plus grande merveille

159 laquo Œuvre commune raquo ndash traduction du mot grec laquo liturgie raquo

159

Que jamais Dieu le pegravere en sa simpliciteacute

Aux jardins de sa gracircce et de sa volonteacute

Ait fait jaillir par force et par neacutecessiteacute

Apregraves neuf cent vingt ans de priegravere et de veille

Quand elle vit venir vers lrsquoantique citeacute

Gardant son cœur intact en pleine adversiteacute

Masquant sous sa visiegravere une efficaciteacute

Tenant tout un royaume en sa teacutenaciteacute

Vivant en plein mystegravere avec sagaciteacute

Mourant en plein martyre avec vivaciteacute

La fille de Lorraine agrave nulle autre pareille (OPD 1084)

Un nouveau thegraveme que Peacuteguy continuera de deacutevelopper jusqursquoagrave la fin de la

neuvaine apparaicirct celui de la miseacutericorde divine mais aussi celui des saints

Innocents Ce thegraveme occupe une place importante dans toute son œuvre et eacuteclaire

lrsquoune des facettes de sa perception de la sainteteacute Dans ce poegraveme il ne srsquoagit pas des

saints Innocents de Bethleacuteem mais de toutes les personnes qui sont mortes

innocemment agrave Bethleacuteem comme agrave Paris en France dans le monde entier Dans

ses cours de litteacuterature pour les eacutetudiants ameacutericains Andreacute Maurois eacutecrit que lrsquoideacutee

du salut par le sacrifice eacutetait eacutetrangegravere agrave Peacuteguy160 Il faudrait preacuteciser que Maurois

ne voulait sucircrement pas dire que Peacuteguy nrsquoaccepte pas le sacrifice reacutedempteur du

Christ Peacuteguy srsquoinsurgeait contre le culte de la souffrance expiatrice en soi qui eacutetait

propre agrave la spiritualiteacute catholique de son eacutepoque Une mort de martyr comme le

sacrifice de Jeanne drsquoArc sacrifice pour la France martyre pour une œuvre

commune est un sacrifice qui agit Mais lrsquoideacutee que lrsquoEacuteglise catholique fecircte les

saints Innocents tout simplement parce qursquoils sont morts innocemment est

insupportable pour Peacuteguy Pour lui ce nrsquoest pas la souffrance qui sauve le monde

mais ce pour quoi lrsquohomme souffre La vie dans une voie passive est inacceptable

pour lui mais un sacrifice pour Dieu pour le peuple pour un pays constitue un

geste actif une œuvre de salut de reacutedemption Pour comprendre la conception de la 160 MAUROIS Andreacute Etudes litteacuteraire I Paris 1947 р 219-248

160

sainteteacute chez Peacuteguy il faudrait aussi precircter attention agrave la premiegravere strophe du

quatriegraveme quatrain laquo Apregraves neuf cent vingt ans de priegravere et de veilleraquo Le travail du

saint crsquoest lrsquoattente patiente et la priegravere intense pour la naissance sur terre drsquoun

autre saint parce que la terre vit par les priegraveres des saints Chaque saint est un

preacutecurseur Le saint œuvre sur terre et prie pour la terre dans les deux cas il srsquoagit

drsquoun travail de laboureur qui cultive la terre et participe agrave lrsquoœuvre creacuteatrice

Le saint continue le laquo travail raquo de Jeacutesus Christ en maintenant le lien entre la

terre et le ciel Pour Peacuteguy lrsquoIncarnation eacutetait le dogme le plus important dans la foi

chreacutetienne Le saint dans le monde de Peacuteguy est comme lrsquoarbre qui enfonce ses

racines dans la terre et tend ses branches vers le ciel

Le septiegraveme poegraveme de la neuvaine comme le deuxiegraveme est un sonnet de forme

classique mais les rimes de nouveau ne sont que feacuteminines

Septiegraveme jour

Pour le jeudi 9 janvier 1913

Comme Dieu ne fait rien que par simple bergegravere

Il fallut qursquoelle vicirct la discorde civile

Secouer son flambeau sur les toits de la ville

Et joindre sa fureur а la guerre eacutetrangegravere

Il fallut qursquoelle vicirct lrsquohorrible harengegravere

Haranguer le bas peuple et la tourbe servile

Et de la halle au bleacute jusqursquoа lrsquohocirctel de ville

Refluer le hoquet de lrsquoodieuse meacutegegravere

Pour qursquoelle vicirct venir merveilleuse et leacutegegravere

Par les chemins de ronce et de frecircle fougegravere

Pliant ses beaux drapeaux comme une humble lingegravere

Gouvernant sa bataille en bonne meacutenagegravere

Traicircnant les trois Vertus dans quelque fourragegravere

Vers lrsquoantique vaisseau la jeune passagegravere (OPD 1085)

La premiegravere strophe du sonnet nrsquoest pas seulement une allusion au Bon Pasteur

mais aussi aux mots de saint Paul laquo ce qursquoil y a de fou dans le monde voilagrave ce que

161

Dieu a choisi pour confondre les sages ce qursquoil y a de faible dans le monde voilagrave

ce que Dieu a choisi pour confondre ce qui est fort raquo (1 Co 1 27) Pour Peacuteguy il

est extrecircmement important que Dieu ne choisisse pas les grands de ce monde pour

faire sa volonteacute mais ceux qui travaillent ceux qui œuvrent sans reacutefleacutechir et sans

faire reacutesistance pour srsquoacquitter du devoir le plus humble qui soit Ainsi sainte

Geneviegraveve dans lrsquoœuvre de Peacuteguy prie pour Paris et attend qursquoune autre simple

bergegravere arrive qui soit habile agrave la tacircche humble et capable de suivre le Christ et

drsquoentendre sa volonteacute

Dans la priegravere pour le huitiegraveme jour de la neuvaine Peacuteguy fait entrer

pleinement en scegravene son heacuteroiumlne preacutefeacutereacutee Jeanne drsquoArc rien ne peut le retenir

Apregraves deux quatrains corrects suit une longue couleacutee de tercets qui compare les

armes du Christ aux armes de Satan Nous nrsquoen citerons que le premier quatrain

Huitiegraveme jour

Pour le vendredi 10 janvier 1913

Comme Dieu ne fait rien que par pauvre misegravere

Il fallut qursquoelle vicirct sa ville endolorie

Et les peuples fouleacutes et sa race fleacutetrie

Lrsquoeacutemeute suppurant comme un secret ulcegravere (OPD 1085)

La misegravere pauvreteacute et souffrance est un mot lourd en signification pour

Peacuteguy Dieu parle aux hommes agrave travers la souffrance et agit sur terre agrave travers les

pauvres

La priegravere pour le dernier jour de la neuvaine ne rappelle que de loin un sonnet

Crsquoest une longue chaicircne de quatrains qui se termine par deux tercets Peacuteguy

preacutesente agrave sainte Geneviegraveve toute la France son passeacute son preacutesent et son futur

La premiegravere strophe dit laquo Comme Dieu ne fait rien que par compagnonnage raquo

On y voit mieux comment Peacuteguy voit le rocircle de Dieu et de lrsquohomme dans lrsquohistoire

Dieu se trouve des amis les saints et il agit par eux Mais il ne les laisse pas seuls

il leur trouve un soutien des amis drsquoautres saints comme Jeanne drsquoArc qui devient

sous sa plume une amie et une aide pour sainte Geneviegraveve

Il fallut qursquoelle vicirct dans cet appareillage

Srsquoavancer la galegravere ougrave captifs nous geignons

162

Et qursquoelle vicirct la nef lourde ougrave nous nous plaignons

Geacutemir dans ses haubans et ses bois drsquoassemblage

[]

Il fallut qursquoelle vicirct dans le mecircme mouillage

Sombrer le deacutesespoir que seul nous eacutetreignons

Et qursquoelle vicirct cet ordre ougrave nous nous astreignons

Perdre ses bancs de rame et son amarinage

[hellip]

Il fallut qursquoelle vicirct par un jeu de mirage

Reculer le but fixe et que nous atteignons

Et qursquoelle vicirct le terme ougrave nous nous rejoignons

Se deacuterober а nous en plein atterrissage

Il fallut qursquoelle vicirct en plein cœur de lrsquoorage

Brucircler la chegravere flamme et que nous eacuteteignons

Et qursquoelle vicirct les maux que nous nous adjoignons

Se coucher contre nous pour un noble servage

[]

Pour qursquoelle vicirct venir du fond de la campagne

Au milieu de ses clercs au milieu de ses pages

Vers lrsquoaregravene romaine et la roide montagne

Traicircnant les trois Vertus au train des eacutequipages

Sa plus fine et plus ferme et plus douce compagne

Et la plus belle enfant de ses longs patronages (OPD 1116-1117)

On peut diviser le dernier poegraveme des Tapisseries en deux parties Il contient 31

quatrains qui agrave partir du dix-huitiegraveme deacuteveloppent lrsquoimage complexe du navire

naviguant sur une mer orageuse Sainte Geneviegraveve est tout agrave la fois son capitaine

une femme qui attend au rivage lrsquoancre du salut et plus encore le teacutemoin de la

mort des enfants des brebis des vaisseaux Bien sucircr Peacuteguy nrsquoest pas seulement en

train de rappeler la vie de la sainte qui avait apporteacute la nourriture dans un Paris

affameacute par la voie fluviale Ce navire crsquoest aussi la vie humaine toute lrsquohumaniteacute

qui voyage vers son dernier jour sur les vagues de lrsquoexistence et Paris avec tous ses

habitants qui naviguent sur les vagues de lrsquohistoire Ainsi Jeanne drsquoArc armeacutee des

trois vertus devient un phare pour le navire en naufrage

163

b) Sainte Geneviegraveve patronne de Paris

Le poegraveme Sainte Geneviegraveve patronne de Paris composeacute le 17 juillet 1912 a

eacuteteacute publieacute dans le Figaro le 16 aoucirct 1913 Composeacute en vers alexandrins si chers agrave

Peacuteguy le poegraveme commence par un quatrain suivi par des dizains et encore six

quatrains pour finir Peacuteguy qui aime par-dessus tout le classicisme franccedilais reste

fidegravele aux vers classiques dans toute sa poeacutesie agrave lrsquoexception de la Ballade du cœur

qui a tant battu Lrsquoauteur preacutefeacutereacute de Peacuteguy Corneille choisit la mecircme forme

poeacutetique pour la traduction en franccedilais des hymnes liturgiques consacreacutes agrave sainte

Geneviegraveve Mecircme si Peacuteguy ne cite pas ce texte on peut supposer qursquoil lrsquoa lu et qursquoil

srsquoest appuyeacute sur lui pour composer Sainte Geneviegraveve patronne de Paris Agrave part la

forme ses deux œuvres ont aussi une proximiteacute theacutematique la plupart des hymnes

liturgiques traduits par Corneille ainsi que le texte de Peacuteguy parlent de la leacutegende

selon laquelle sainte Geneviegraveve aurait proteacutegeacute Paris de la peste

Ce texte de Peacuteguy nrsquoa pratiquement pas eacuteteacute eacutetudieacute mecircme dans la litteacuterature

consacreacute agrave ses vers alexandrins Le poegraveme parle des malheurs subis par la ville de

Paris dont sainte Geneviegraveve a eacuteteacute le teacutemoin compatissant et salvateur consolant et

gueacuterissant Le regard attentif concentreacute et bienveillant de la sainte sur la ville qui

lui est confieacutee traverse ce texte

Il y srsquoagit peu de la sainte crsquoest la ville que le poegravete ceacutelegravebre parce qursquoelle est

offerte avec toute sa vie et tous ses habitants agrave Geneviegraveve La sainte est preacutesente

dans le poegraveme de maniegravere implicite comme le saint peut agir dans une priegravere qui lui

est adresseacutee il nrsquoest pas deacutecrit il est nommeacute le texte drsquoune priegravere en effet ne

deacutecrit pas le saint mais il lui est adresseacute

Lrsquoanalyse de ce texte peut montrer agrave quel point Peacuteguy manie la technique

poeacutetique comment en restant dans le cadre de la composition classique en usant de

rimes et de rythmes traditionnels il souligne la seacutemantique du vers au niveau

euphonique Certains auteurs disent que pour Peacuteguy le sens seul importait qursquoil

utilisait des rangeacutees innombrables de synonymes pour concreacutetiser sa penseacutee

Effectivement la question du sens du texte eacutetait la plus importante pour lui mais agrave

164

travers lrsquoexemple de ce poegraveme on voit que Peacuteguy domine parfaitement le langage

poeacutetique en utilisant sans difficulteacute toute les possibiliteacutes que lui offre lrsquoart litteacuteraire

pour mieux traduire sa penseacutee

Bergegravere qui gardiez les moutons agrave Nanterre

Et guettiez au printemps la premiegravere hirondelle

Vous seule vous savez combien elle est fidegravele

La ville vagabonde et pourtant seacutedentaire (OPD 1169)

Lrsquoimage du guetteur est pleine de connotations bibliques le guetteur peut ecirctre

un prophegravete celui qui eacutecoute Dieu et attend sa parole Le guetteur du printemps de

la premiegravere hirondelle crsquoest une image eschatologique le printemps deacutesigne

souvent le deuxiegraveme avegravenement du Christ alors que lrsquohirondelle au printemps

annonce la fin du monde comme la colombe annonccedila agrave Noeacute la fin du Deacuteluge Le

guetteur qui se tient agrave son poste de garde qui veille sans relacircche sur la ville et voit

tout ce qui srsquoy passe est lui aussi un teacutemoin fidegravele Cette image du gardien fidegravele

de la bergegravere qui veille eacuteternellement sur ses troupeaux est souligneacutee

rythmiquement et phoneacutetiquement les clausules sont feacuteminines et il y a beaucoup

de voyelles Lrsquoamour du classicisme amegravene Peacuteguy agrave refuser jusqursquoaux nouveauteacutes

rajouteacutees agrave lrsquoalexandrin par les romantiques comme la division du deacutecasyllabe en

trois parties de trois syllabes au lieu de deux parties de six syllabes avec une ceacutesure

au milieu Il adoucit neacuteanmoins la ceacutesure dans les deux premiegraveres strophes du

premier quatrain de ce poegraveme afin drsquoapporter plus de fluiditeacute Des ceacutesures plus

dures apparaissent seulement quand le centre du reacutecit se deacuteplace de sainte

Geneviegraveve agrave son pacircturage spirituel la ville de Paris Le passeacute temps historique

temps hagiographique nrsquoapparaicirct que dans les deux premiegraveres strophes ougrave il srsquoagit

du deacutebut de la vie de sainte Geneviegraveve et de son enfance agrave Nanterre Le reste du

texte est au preacutesent parce que Geneviegraveve est un guetteur eacuteternel un teacutemoin drsquohier

drsquoaujourdrsquohui et de demain La description de Paris est pleine de la subjectiviteacute

propre agrave Peacuteguy il ne parle pas du Paris geacuteographique mais du

Paris laquo autobiographique raquo qui a joueacute un rocircle complexe dans sa destineacutee le Paris de

ses joies et de ses peines Crsquoest pour cela que la description est marqueacutee par les

antinomies la ville pouvant ecirctre laquo vagabonde et pourtant seacutedentaire raquo Chez Peacuteguy

165

le chronotope161 de Paris a de multiples facettes Il est changeant laquo la ville

vagabonde raquo est cependant fidegravele Peacuteguy ne parle jamais du Paris de son temps

contemporain il voit la ville avec toute son histoire agrave travers lrsquoeacutepaisseur des

siegravecles Pour ce qui concerne lrsquoespace Peacuteguy ne parle que tregraves rarement des

quartiers concrets de Paris La ville pour lui est un personnage il la perccediloit de

maniegravere entiegravere personnelle meacutetaphysique si lrsquoon peut dire il nrsquoy a pratiquement

pas de descriptions de lieux de rues de maisons reacuteelles mais une vision de la vie

drsquoune ville sur fond de lrsquohistoire mondiale Franccediloise Gerbod eacutecrit dans son article

Peacuteguy philosophe de lrsquohistoire laquo Les villes reacutevegravelent la richesse des eacuteveacutenements

historiques qui les ont faccedilonneacutees elles sont des treacutesors de meacutemoire permettant de

saisir lrsquohistoire dans une plongeacutee en profondeurraquo162 Degraves sa premiegravere apparition

dans le texte la ville de Paris est personnifieacutee Peacuteguy lrsquoappelle laquo ville vagabonde raquo

meacutetaphore eacutetrange car il est difficile de srsquoimaginer une ville qui se meut dans

lrsquoespace Cependant Peacuteguy eacutevoque ici un vagabondage spirituel la faccedilon dont

Paris avait quitteacute puis retrouveacute ses racines la ville qui avait perdu la foi srsquoeacutetant

convertie de nouveau Peacuteguy eacutevoque aussi ici les changements temporels

Lrsquooxymore laquo la ville vagabonde et pourtant seacutedentaire raquo deacutefinit briegravevement et

pleinement le chronotope parisien de Peacuteguy qui va se deacutevoiler tout au long du

poegraveme Paris est immobile et immuable son espace est un pacircturage sucircr et

cependant Paris est un vagabond comme le peuple juif dans la Bible trahissant son

Dieu avant de retourner agrave la foi convertie par une bergegravere sainte fidegravele qui

protegravege son troupeau

Vous qui la connaissez dans ses embrassements

Et dans sa turpitude et dans ses peacutenitences

Et dans sa rectitude et dans ses inconstances

Et dans le feu sacreacute de ses embrasements

Vous qui la connaissez dans ses deacutebordements

Et dans le maigre jeu de ses incompeacutetences

161 Le chronotope est une notion proposeacutee par Michail Bakhtine qui deacutecrit lrsquouniteacute la solidariteacute des eacuteleacutements spatiotemporels dans un reacutecit fictionnel ou non

162 GERBOD Franccediloise laquo Peacuteguy philosophe de lrsquohistoire raquo Mil neuf cent Revue drsquohistoire intellectuelle 12002 (ndeg 20) p 29

166

Et dans le battement de ses intermittences

Et dans lrsquoanxieacuteteacute de ses longs meuglements

Vous seule vous savez comme elle est peu rebelle

La ville indeacutependante et pourtant tributaire (OPD 1169)

Tous les dizains de ce long poegraveme commencent par une adresse agrave sainte

Geneviegraveve au preacutesent laquo Vous qui la connaissez dans ses embrassementsraquo Lrsquoimage

drsquoune ville qui embrasse correspond agrave un proceacutedeacute de personnification tregraves fort qui

donne tout de suite une dimension pleine drsquoeacutemotion agrave lrsquoimage de Paris et montre la

force et la soliditeacute du lien de la ville avec sa sainte patronne Lrsquoimage est renforceacutee

par lrsquousage que Peacuteguy fait de la forme interne du mot163 en faisant

rimer laquo embrassement raquo et laquo embrasement raquo il parle drsquoembrassement chaleureux

drsquoune ville qui a une acircme vivante Le changement drsquohumeur est surtout exprimeacute au

niveau de lrsquoeuphonie il y a une majoriteacute du son - ɑ qui est reacutepeacuteteacute 24 fois dont 10

dans des syllabes accentueacutees ce qui creacutee lrsquoimpression drsquoun mouvement plus rapide

La consonne laquo s raquo qui revient aussi plusieurs fois dans le premier dizain ainsi que

le double laquo t raquo dans la strophe laquo Et dans le battement de ses

intermittences raquo apportent une dynamique encore plus intense en donnant une

impression de danse Le rythme montre la mecircme chose il y a peu de syllabes

accentueacutees ce qui apporte une grande leacutegegravereteacute Ce dizain prolonge la chaicircne des

images qui soulignent la preacutesentation de Paris comme personnage la ville beacutegaye

drsquoangoisse au greacute des intermittences de son cœur

La description de la ville qui suit est construite sur les contrastes tant aimeacutes par

Peacuteguy la nature contradictoire de lrsquoauteur lui-mecircme son angoisse trouvent une

expression dans sa technique poeacutetique

La description que Peacuteguy fait de Paris dans ce premier dizain permet de

comprendre quelles qualiteacutes avaient pour lui le plus de valeur ces qualiteacutes eacutetaient

lrsquoapanage de sainte Geneviegraveve comme de la ville qui lui eacutetait confieacutee rectitude

163 Alexandre Potebnia linguiste russe (1835-1891) est lrsquoauteur de la notion de forme inteacuterieure du mot selon laquelle le contenu objectif du mot relegraveverait de lrsquoordre de la langue par opposition au contenu subjectif qui relegraveve de lrsquoordre du discours Cette notion explique entre autre dans la poeacutesie le rapprochement du sens une sorte de contamination par le sens de mots qui nrsquoont pas de liens eacutetymologiques entre eux mais sont rimeacutes ou placeacute dans la mecircme position meacutetrique comme crsquoest le cas ici

167

indeacutependance Paris brucirclante drsquoun feu sacreacute mais inconstante indeacutependante mais

tributaire est traverseacutee par les contradictions comme lrsquoauteur du poegraveme

Le deuxiegraveme dizain parle de lrsquohistoire difficile de Paris la pesanteur de ce

thegraveme est souligneacutee par lrsquoabsence presque totale de rimes feacuteminines elles

nrsquoapparaissent que dans les deux derniegraveres strophes ougrave il srsquoagit de la jeunesse et de

la beauteacute de la ville

Vous qui la connaissez dans le sang des martyrs

Et la reconnaissez dans le sang des bourreaux

Vous qui lrsquoavez connue au fond des tombereaux

Et la reconnaissez dans ses beaux repentirs

Et dans lrsquointimiteacute de ses chers souvenirs

Et dans ses fils plus durs que les durs hobereaux

Et dans lrsquoabsurditeacute de ces godelureaux

Qui marchaient agrave la mort comme on ferait ses tirs

Vous seule vous savez comme elle est jeune et belle

La ville intoleacuterante et pourtant libertaire (OPD 1169)

La personnification de Paris permet agrave Peacuteguy drsquoexprimer des ideacutees importantes

pour lui sur le bien et le mal dans lrsquohistoire et dans la personne humaine Le poegravete

porte sur la ville le mecircme regard de compassion universelle que sainte Geneviegraveve

Les contrastes sur lesquels lrsquoimage de la ville se construit sont souligneacutes au niveau

euphonique il y a une majoriteacute de sonoriteacutes claires ndash eacute i mais dans les clausules

apparaissent des voyelles plus sombres comme laquo eau raquo La cinquiegraveme mdash et centrale

mdash strophe de ce dizain parle de souvenirs laquo Et dans lrsquointimiteacute de ses chers

souvenirs raquo La meacutemoire constitue lrsquoun des thegravemes les plus importants pour Peacuteguy

la ville qui a une histoire a aussi une meacutemoire dont cette histoire est impreacutegneacutee La

meacutemoire joue le rocircle de teacutemoin qui contera lrsquohistoire aux heacuteritiers cependant que la

meacutemoire unit le temps

Dans le troisiegraveme dizain les contrastes sont agrave la limite de lrsquoabsurde mais cette

absurditeacute est consciente et preacutemeacutediteacutee par lrsquoauteur Ce nrsquoest pas un hasard si la

derniegravere strophe de ce dizain parle de lrsquo laquo incoheacuterence raquo de Paris

ville laquo deacutesarmeacutee raquo qui pourtant laquo mugit raquo Les descriptions si contradictoires

qursquoelles vont jusqursquoagrave lrsquooxymore rappellent la Ballade du concours de Blois de

168

Villon laquo lrsquohumiliteacute de ses omnipotences raquo Dans ce dizain Peacuteguy creacutee une

harmonie imitative gracircce agrave une alliteacuteration en laquo r raquo laquo Et dans le creux secret de

ses tressaillements raquo

Dans le quatriegraveme dizain Peacuteguy parle de plusieurs thegravemes important pour lui

la richesse et la pauvreteacute la force et la faiblesse la position active et la position

passive

Vous qui la connaissez dans le luxe de Tyr

Et la reconnaissez dans la force de Rome

Vous qui la retrouvez dans le cœur du pauvre homme

Et la froide eacutequiteacute de la pierre agrave bacirctir

Et dans la pauvreteacute de la chair agrave pacirctir

Sous la dent qui la mort et le poing qui lrsquoassomme

Et lrsquoeacutecrit qui la fixe et le nom qui la nomme

Et lrsquoargent qui la paye et veut lrsquoassujettir

Vous seule vous savez combien elle est pucelle

La ville exubeacuterante et pourtant censitaire (OPD 1170)

Lrsquoopposition entre la force et la faiblesse est exprimeacutee au niveau sonore les

syllabes accentueacutees tombent sur des diphtongues et des triphtongues ce qui leur

donne une pesanteur suppleacutementaire Autant la ville eacutetait active dans son expression

de sentiments dans le dizain preacuteceacutedant autant elle est en position extrecircmement

passive dans ce dizain ougrave Paris est assujettie agrave lrsquoargent Mais la strophe preacuteceacutedente

attire encore plus drsquoattention laquo lrsquoeacutecrit qui la fixe et le nom qui la nomme raquo Eacutecrire

et nommer crsquoest bien cela qui selon Peacuteguy arrecircte le moment dans lrsquohistoire et

accomplit le destin drsquoune ville dans le temps

Dans le cinquiegraveme dizain en parlant des potences Peacuteguy oppose le silence au

bruit de la foule

Vous qui la connaissez dans ses vieilles potences

Et la reconnaissez dans ses eacutegarements

Et dans la profondeur de ses recueillements

Et dans ses eacutechafauds et dans ses pestilences

Et la solenniteacute de ses graves silences

Et dans lrsquoordre secret de ses fourmillements

Et dans la nuditeacute de ses deacutepouillements

169

Et dans son ignorance et dans ses innocences

Vous seule vous savez comme elle est pastourelle

La ville assourdissante et pourtant solitaire (OPD 1170)

Lrsquoeacutechafaud crsquoest la rencontre drsquoune solitude extrecircme celle de la mort et de son

silence avec une foule qui hurle dans une laquo ville assourdissante et pourtant

solitaire raquo

On trouve encore une opposition importante pour Peacuteguy dans le sixiegraveme dizain

celle du peuple et de la foule

Vous qui la connaissez dans ses guerres civiles

Et la reconnaissez dans ses eacutegorgements

Dans son courage unique et dans ses tremblements

Dans son peuple sans peur et ses foules serviles

Dans son gouvernement des hordes et des villes

Et dans la loyauteacute de ses enseignements

Dans la fataliteacute de ses eacuteloignements

Dans lrsquohonneur de sa face et dans ses tourbes viles

Vous seule vous savez comme elle est colonelle

La ville turbulente et pourtant militaire (OPD 1170-1171)

Crsquoest le peuple qui creacutee lrsquohistoire crsquoest du peuple que viennent les saints

gardiens de lrsquohistoire qui voient et qui entendent La foule bruyante qui ne laisse

rien eacutecouter est assourdissante mais muette elle brouille la vue mais est aveugle

elle-mecircme Peacuteguy tente mecircme de nous faire entendre sa rumeur gracircce agrave des

alliteacuterations en laquo r raquo Dans la foule lrsquoindividualiteacute le regard personnel sur le monde

et lrsquohistoire disparaissent La foule crsquoest lrsquoincarnation de tout ce que Peacuteguy

nrsquoadmettait pas dans ce monde

Le septiegraveme dizain introduit le thegraveme du temps Peacuteguy parle de la dureacutee les

amours et les erreurs de Paris sont laquo longues raquo et ses fureurs lentes La ville est

appeleacutee maternelle or le temps ne peut rien contre lrsquoamour drsquoune megravere La ville

est laquo salutaire raquo comme si lrsquoimage de sainte Geneviegraveve et celle de la ville

srsquounissaient dans le symbole drsquoune megravere aimante et fidegravele

Dans le huitiegraveme dizain partie centrale de ce poegraveme il est dit que Paris est la

ville de sainte Geneviegraveve

170

Vous qui la connaissez dans le secret des cœurs

Et le sanglot secret de ses rugissements

Dans la fideacuteliteacute de ses attachements

Et dans lrsquohumiliteacute de ses plus grands vainqueurs

Dans le sourd tremblement des plus ardents piqueurs

Et la foi qui reacutegit ses accompagnements

Et lrsquohonneur qui reacutegit tous ses engagements

Et lrsquohumeur qui reacutegit ses plus grossiers moqueurs

Vous seule vous savez comme elle est ponctuelle

Votre ville servante et pourtant reacutefractaire (OPD 1171)

Le plus important se livre dans un secret la ville se livre agrave sa sainte Paris est

ici doteacutee de traits qui pour Peacuteguy constituent autant de critegraveres de la sainteteacute

fideacuteliteacute humiliteacute foi honneur ponctualiteacute liberteacute

Le neuviegraveme dizain continue le thegraveme du secret de lrsquohumiliteacute et de la fideacuteliteacute

Au milieu se trouve une strophe qui semble eacutetrange laquo Et dans le lent recul de ses

longs avenirs raquo Crsquoest ainsi que Peacuteguy deacutecrit la preacutesence du saint dans le temps

historique Comme eacutecrit W Fowlie il srsquoagit ici de laquo lrsquoenracinement de lrsquoeacuteternel

dans le temporel raquo164 Le rocircle du saint dans ce temps pour Peacuteguy crsquoest la preacutesence

de lrsquoeacuteternel dans le temporel le teacutemoignage du temporel devant lrsquoeacuteterniteacute et la

vision de lrsquoeacuteternel dans le temps

Le dixiegraveme dizain parle de sang un symbole important puisqursquoil srsquoagit en

mecircme temps du sang royal et du sang qui a couleacute sur les barricades

Vous qui la connaissez dans le sang de ses rois

Et dans le vieux paveacute des saintes barricades

Et dans ses mardis-gras et dans ses cavalcades

Et dans tous ses autels et dans toutes ses croix

Vous qui la connaissez dans son paveacute de bois

Teint du mecircme carnage et dans ses embuscades

Et dans ses quais de Seine et dans ses estacades

Et dans ses dures mœurs et son respect des lois

Vous seule vous savez comme elle est fraternelle

164 FOWLIE Wallace De Villon agrave Peacuteguy grandeur de la penseacutee franccedilaise Montreacuteal Edition de lrsquoarbre 1944 p 91

171

La ville deacutecevante et pourtant signataire (OPD 1171)

Crsquoest la premiegravere fois qursquoon trouve une description de la ville les mateacuteriaux de

construction srsquoaccordent alors avec le contenu des eacutevegravenements raconteacutes le bois

docile de la ville fraternelle srsquooppose aux durs quais de pierres

Dans le onziegraveme dizain Peacuteguy semble revenir un peu en arriegravere en quittant

une description un peu floue en croquis pour un lent reacutecit de lrsquohistoire de Paris agrave

lrsquoaide de paralleacutelismes et oppositions

Dans le douziegraveme dizain neacuteanmoins il revient agrave la description et encore une

fois revient lrsquoimage de Paris comme laquo caravelle raquo commandeacutee par sainte

Geneviegraveve que Peacuteguy a deacutejagrave utiliseacutee dans les Tapisseries laquo Vous seule commandez

la haute caravelle La ville menaccedilante et la destinataire raquo (OPD 1172)

Dans le treiziegraveme dizain on entend comme une intonation de compassion

envers une ville vielle et fatigueacutee

Dans la sourde rumeur de ses assemblements

Dans la porte et le mur de ses vieilles prisons

Vous seule connaissez la flamme et lrsquoeacutetincelle

La ville intelligente et pourtant volontaire (OPD 1172)

Mais dans cette vieille ville habite une flamme une eacutetincelle gardeacutee animeacutee

par sa sainte patronne

Dans le quatorziegraveme dizain on deacutecouvre la vie secregravete de la ville Sainte

Geneviegraveve est le seul vrai teacutemoin de toute la vie de Paris de laquo ses vices patents raquo et

de laquo ses vertus latentesraquo Paris apparaicirct comme une ville tellement contradictoire

qursquoelle est comme le dit le dernier dizain laquo eacuteblouissante et pourtant grabataire raquo

(OPD 1173)

Peacuteguy parle directement de sainte Geneviegraveve seulement dans les derniers

quatrains Il revient drsquoabord agrave lrsquoimage de lrsquohirondelle et de la fin du monde appeleacutee

printemps

Et quand aura voleacute la derniegravere hirondelle

Et quand il srsquoagira drsquoun bien autre printemps

Vous entrerez premiegravere et par les deux battants

172

Dans la cour de justice et dans la citadelle

On vous regardera comme eacutetant la plus belle

Le monde entier dira Crsquoest celle de Paris

On ne verra que vous au ceacuteleste pourpris

Et vous rendrez alors vos comptes de tutelle

Les galopins diront Crsquoest une vieille femme

Et les savants diront Elle est de lrsquoancien temps

Voici sa lourde ville et tous ses habitants

Et voici sa houlette et le soin de son acircme

Vous vous avancerez dans votre antiquiteacute

On vous eacutecoutera comme eacutetant la doyenne

Et la plus villageoise et la plus citoyenne

Et comme ayant reccedilu la plus grande citeacute

Seule vous parlerez lorsque tout se taira

Et Dieu qui nrsquoa jamais interloqueacute ses saints

Ni fausseacute sa parole et masqueacute ses desseins

Vous nommera sa fille et vous exaucera

Car vous lui parlerez comme sa mandataire

Pour votre patronage et votre clientegravele

Et seule vous direz comme elle eacutetait fidegravele

La ville deacutemocrate et pourtant feudataire (OPD 1173)

La sainte est deacutecrite drsquoune maniegravere touchante et presque drocircle comme une

princesse de conte de feacutee que tout le monde regarde parce qursquoelle est la plus belle et

cependant la plus vieille Elle connaicirct la ville et le village la jeunesse et la

vieillesse la richesse et la pauvreteacute ce qui fait de sainte Geneviegraveve le teacutemoin par

excellence

Et crsquoest de la fideacuteliteacute de Paris qursquoelle teacutemoignera devant Dieu qui lrsquoeacutecoutera

parce que lui aussi est eacuteternellement fidegravele

173

c) Egraveve

Le dernier texte poeacutetique que Peacuteguy a pu terminer date du 28 deacutecembre 1913

Le poegraveme monumental Egraveve est constitueacute de presque deux-mille quatrains eacutecrits dans

ses alexandrins habituels Crsquoest pratiquement la somme theacuteologique de lrsquoauteur

mais aussi la quintessence de sa maniegravere poeacutetique reacutepeacutetitions spirales sans bornes

synonymes aligneacutes Parfois le poegravete ne change qursquoun seul mot de quatrain en

quatrain Dans son proceacutedeacute de deacuteveloppement poeacutetique il suit le principe de la

Lectio Divina propre aux contemplatifs il srsquoagit de meacutediter sur une image un

texte biblique en srsquoimmergeant en precirctant attention agrave un seul mot un petit deacutetail

en posant longuement son regard sur quelque chose de nouveau en goucirctant chaque

mot chaque nuance de sens Le poegraveme est consacreacute agrave Egraveve mais il couvre toute la

Bible et presque toutes les eacutepoques historiques en se terminant par la comparaison

entre deux morts celle de Jeanne drsquoArc et celle de sainte Geneviegraveve

Au deacutebut Peacuteguy revient agrave son image preacutefeacutereacutee celle de Geneviegraveve et de Jeanne

qui megravenent Paris et toute la France aux portes du Royaume

Et nous serons conduits par une autre houlette

Et nos bergers seront de bien autres bergegraveres

Et nous nous deacutelierons drsquoune autre bandelette

Et nous serons meneacutes par de mains plus leacutegegraveres

Et nous seront conduits par une autre houlette

Et nos bergers seront deux antiques bergegraveres

Et nous serons lieacutes drsquoune autre bandelette

Et nous serons lieacutes par de mains plus leacutegegraveres

[]

Et nos bergers seront deux uniques bergegraveres

Et nous filerons doux par devant ses houlettes

Et nous serons meneacutes par des mains plus leacutegegraveres

Et nous eacutecarterons nos pacircles bandelettes (OPD 1382-1383)

Agrave lrsquoexemple du mot laquo bandelette raquo on voit comment Peacuteguy utilise la

polyseacutemie il laisse une partie de texte sans la changer mais gracircce agrave cette reacutepeacutetition

meacuteditative les multiples sens du mot que le poegravete voudrait souligner srsquoeacuteclaircissent

174

Il procegravede comme un savant qui pose une expeacuterience scientifique laquo poeacutetiqueraquo pour

que lrsquoimmersion intense dans le sens du mot megravene le lecteur sur la voie de la

connaissance Ici il pose une expeacuterience sur le mot laquo bandeletteraquo Crsquoest le peacutecheacute qui

lie lrsquohomme les mains des bergegraveres libegraverent le peuple franccedilais et elles conduisent

leur troupeau tendrement avec la corde jusqursquoau Royaume ceacuteleste le voile est celui

dans lequel eacutetait enveloppeacute Lazare que Jeacutesus ressuscita le voile de la mort On

pourrait aussi srsquoarrecircter sur lrsquoexpression laquo nous filerons doux raquo Crsquoest lrsquoideacutee de la

damnation eacuteternelle qui avait dans sa jeunesse eacuteloigneacute Peacuteguy de lrsquoEacuteglise Dans son

œuvre ultime il insiste sur le salut pour tous sainte Geneviegraveve et Jeanne presque

en cachette afin que laquo les cureacutes raquo ne les voient pas laquo filent doux raquo pour emmener

tout le troupeau qui leur est confieacute jusqursquoau Royaume de Dieu

Peacuteguy deacutecrit la mort de sainte Geneviegraveve et de Jeanne drsquoArc en montrant ce qui

est commun Les deux sont mortes connues et aux yeux drsquoune foule parce que les

deux guidaient le peuple franccedilais le troupeau doit voir son berger

Les yeux leveacutes au ciel sans hacircte et sans angoisse

Lrsquoune est morte au milieu drsquoun peuple convoqueacute

Les yeux leveacutes au ciel non-sens un peu drsquoangoisse

Lrsquoautre est morte au milieu drsquoun peuple convoqueacute

[]

Drsquoun cœur sans deacutefaillance et drsquoun cœur indompteacute

Lrsquoune est morte au milieu de la race chreacutetienne

Drsquoun cœur sans deacutefaillance et drsquoun cœur indompteacute

Lrsquoautre est morte au milieu de la race chreacutetienne (OPD 1384-1385)

Pour Peacuteguy qui a toujours donneacute pratiquement le mecircme poids agrave la sainteteacute et agrave

lrsquoheacuteroiumlsme mecircme sainte Geneviegraveve acquiert certains traits propres aux heacuteros elle

meurt laquo sans hacircte et sans angoisse raquo avec un cœur laquo sans

deacutefaillance raquo et laquo indompteacute raquo Cette description nrsquoa rien drsquoeacutetrange srsquoagissant de

Jeanne mais dans la mesure ougrave jamais Peacuteguy ne parle de la rencontre de sainte

Geneviegraveve avec Attila et eacutevoque agrave peine son voyage peacuterilleux avec des vivres pour

Paris lrsquoheacuteroiumlsme attribueacute dans ces strophes agrave sainte Geneviegraveve surprend Pour

Peacuteguy ce qui compte vraiment ce ne sont cependant pas les faits biographiques

Peacuteguy en eacutelegraveve fidegravele de Corneille unit les figures du heacuteros et du saint

175

Ensuite Peacuteguy parle de la terre celle sur laquelle les deux bergegraveres ont grandi

mais aussi la terre qui comme une megravere pour lrsquoauteur symbolise Egraveve la premiegravere

femme Il dit que la terre deacutefinit notre acircge et notre histoire La terre crsquoest la

meacutemoire et la gardienne de lrsquohistoire

Au milieu des bourgeois des manants et des precirctres

Lrsquoune est morte au milieu drsquoun peuple nouveau-neacute

Au milieu des soldats des bourreaux et des precirctres

Lrsquoautre est morte au milieu drsquoun peuple abandonneacute (OPD 1385)

Le contexte historique reste important pour Peacuteguy dans son aspect

synchronique (le monde qui entoure les saintes le peuple les soldats et les

bourreaux le monde dont les saintes sont eacutecarteacutees pour Dieu par leurs actes en

tant que saintes) comme dans son aspect diachronique (le peuple de France

nouveau-neacute ou abandonneacute)

Et lrsquoune dans le ciel a lrsquoacircge que Dieu veut

Fillette ou jeune femme ou diligente aiumleule

Comme un roi qui choisit dans une immense meule

Une gerbe de bleacute fine comme un cheveu

Mais lrsquoautre dans le ciel ne peut avoir qursquoun acircge

Et quand Dieu le voudrait il nrsquoy pourrait rien faire

Et quand Dieu le voudrait ce nrsquoest pas son affaire

Elle est monteacutee au ciel degraves son apprentissage

Elle est monteacutee au ciel ensemble jeune et sage

A peine parvenue au bord de son printemps

Au bord de sa tendresse et de son jeune temps

A peine au deacutebarqueacute de son premier village (OPD 1394)

Ces strophes peuvent paraicirctre absolument heacutereacutetiques drsquoun point de vue

theacuteologique puisque dans le Royaume de Dieu seule la volonteacute divine agit La

penseacutee de Peacuteguy sur sainte Geneviegraveve est claire la mort lrsquoa seacutepareacute de la terre qui

deacutefinit lrsquoacircge dans la vieillesse deacutesormais son acircge deacutepend de Dieu Mais ce que

Peacuteguy dit de Jeanne drsquoArc est troublant comment est-ce que Jeanne au ciel ne sera

que jeune laquo Et quand Dieu le voudrait il nrsquoy pourrait rien faire raquo Cette ideacutee de

176

Peacuteguy est lieacutee aux thegravemes principaux de tout le poegraveme Egraveve la creacuteation et

lrsquoIncarnation Dieu a creacuteeacute cette terre et les lois de la nature Dans la mesure ougrave Dieu

a creacuteeacute des lois il ne va pas les transgresser En srsquoincarnant Dieu lui-mecircme obeacuteit aux

lois qursquoil a creacuteeacutees il accepte de naicirctre de vivre de mourir Or si lrsquohomme

ressuscite avec son corps et Jeanne est morte agrave dix-neuf ans elle ne peut pas en

avoir plus au ciel Lrsquoexistence au Paradis nrsquoest pas un prolongement de lrsquoexistence

sur terre mais une autre existence

Et lrsquoune est morte un soir et le trois de janvier

Tout un peuple assembleacute la regardait mourir

Le bourgeois le manant le pacirctre et le bouvier

Pleuraient et se taisaient et la voyaient partir

Lrsquoeacuteblouissant manteau drsquoune seacutevegravere neige

Couvrait les beaux vallons de pays parisis

Lrsquoamour de tout un peuple eacutetait tout son cortegravege

Et ce peuple crsquoeacutetait le peuple de Paris

Lrsquoeacuteblouissant manteau drsquoune prudente neige

Couvrait les beaux recreux de la naissante France

Lrsquoamour de tout un peuple eacutetait son espeacuterance

Lrsquoamour de tout un peuple eacutetait tout son cortegravege

Et par la France jrsquoentends le pays parisis

Et la neige eacuteclatait tunique grave et blanche

On avait fabriqueacute comme une estrade en planche

Et lrsquoantique Lutegravece eacutetait deacutejagrave Paris

La neige deacuteroulait un immense tapis

Lrsquohistoire deacuteroulait un immense discours

La gloire encommenccedilait un immense parcours

Deacutejagrave lrsquohumble Lutegravece eacutetait le grand Paris

La neige deacutecoupait un immense parvis

Lrsquohistoire preacuteparait un immense destin

La gloire se levait dans un jeune matin

Et la jeune Lutegravece eacutetait le vieux Paris (OPD 1396-1397)

177

Peacuteguy ouvre le dernier eacutepisode du poegraveme par une date concregravete celle qui dans

lrsquoEacuteglise catholique ceacutelegravebre la mort de sainte Geneviegraveve de Paris Qursquoimporte si

cette date est bien la date historique de sa mort ou non Ce qui est important crsquoest

que Peacuteguy place la vie de la sainte dans lrsquohistoire de maniegravere preacutecise et concregravete

Il neige rarement agrave Paris mais la description de la mort de sainte Geneviegraveve est

une description de Paris sous la neige Certains adjectifs utiliseacutes par Peacuteguy pour

qualifier cette neige sont aussi ses eacutepithegravetes preacutefeacutereacutees pour parler des saints qursquoil

aime la sainte est prudente seacutevegravere grave eacuteblouissante Dans les textes de Peacuteguy

il y a peu de couleurs mais le blanc apparaicirct comme symbole de sainteteacute de pureteacute

Ici en revanche la neige ne parle pas que de pureteacute de mort et de froid Cette

description nrsquoest pas patheacutetique La neige couvre Paris et ses alentours pour

souligner son relief pour mieux preacutesenter les terres que la sainte aimait

Peacuteguy parle aussi de lrsquohistoire parce que pour lui lrsquohistoire et la gloire drsquoune

ville commencent avec le saint qui agit dans lrsquohistoire

laquoLrsquoamour de tout un peuple eacutetait son espeacuteranceraquo Non seulement la priegravere de

sainte Geneviegraveve pour Paris protegravege Paris et rend possible la naissance de Jeanne

drsquoArc mais aussi la priegravere des habitants de Paris agrave leur sainte patronne rend possible

la naissance drsquoune nouvelle sainte qui continue son travail La communion des

saints passe aussi par les fidegraveles qui les prient

Lrsquoautre est morte un matin et le trente de mai

Dans lrsquoheacutesitation et la stupeur publiques

Une forecirct drsquohorreur de haches et de piques

La tenaient circonscrite en un cercle fermeacute

Et lrsquoune est morte ainsi drsquoune mort solennelle

Sur ses quatre-vingt-dix ou quatre-vingt-douze ans

Et les durs villageois et les durs paysans

La regardant vieillir lrsquoavaient crue eacuteternelle

Et lrsquoautre est morte ainsi drsquoune mort solennelle

Elle nrsquoavait pas passeacute ses humbles dix-neuf ans

Que de quatre ou cinq mois et sa cendre charnelle

178

Fut disperseacutee aux vents (OPD 1397)

La mort des saints repreacutesentent une sorte de halte dans lrsquohistoire Jeanne drsquoArc

et Geneviegraveve sont les preacutecurseurs du Jugement dernier les deux bergegraveres apregraves

leur mort guideront la France agrave la droite du Pegravere bien que des siegravecles les seacuteparent

leur mort devient une derniegravere limite de lrsquohistoire

Pour conclure ce chapitre on peut voir ainsi que le saint patron est un saint qui

imite Jeacutesus le bon pasteur et la Vierge Marie dans sa materniteacute laquo Parce qursquoaussi

elle est la megravere du Bon Pasteur de lrsquoHomme qui a espeacutereacute raquo (OPD 671) Rien ne

reacutesiste agrave la supplication drsquoune megravere ou de ceux qui lrsquoimitent dans sa materniteacute

Peacuteguy le dit dans un entretien avec Joseph Lotte de maniegravere peut-ecirctre exageacutereacutee

mais qui explique parfaitement la place cruciale que les saints patrons tiennent dans

sa vie et aussi dans son œuvre

hellip Il ne faut pas voir les choses en noir Notre race a des ressources ineacutepuisables La geacuteneacuteration qui vient est admirable Quand on entend les idiots comme le vieux Leacuteon Blum nous annoncer que Paris doit srsquoeacutecrouler sous une pluie de feu par punition de ses crimes crsquoest agrave hausser les eacutepaules Comme si sainte Geneviegraveve saint Louis Jeanne drsquoArc devaient abandonner leur ville Il ne comprend rien au patronage le pauvre homme Litteacuteralement les saint commandent la volonteacute de Dieu et la dirigent165

165 PEacuteGUY Charles LOTTE Joseph Lettres et entretiens p 144

179

CONCLUSION

Dans lrsquoœuvre de Peacuteguy le personnage exemplaire eacutevolue en mecircme temps que

lrsquoauteur lui-mecircme en partant du rocircle des meneurs des chefs de file il passe par le

personnage agrave imiter pour en arriver au saint patron intercesseur

Le saint est un homme de dialogue il se tient donc au carrefour et il peut ecirctre

le suppliant le patron protecteur lrsquointercesseur lrsquoexemple agrave imiter non seulement

en visant la perfection morales des actes mais aussi pour pouvoir en imitant ses

faits et les gestes acceacuteder agrave lrsquointimiteacute de Dieu

Les saints chez Peacuteguy sont laquo fabriqueacutes raquo par Peacuteguy et par Dieu Peacuteguy

laquo fabrique raquo ses saints agrave lrsquoaide drsquoun proceacutedeacute drsquoeacutemerveillement qui lui est propre

fondeacute sur un meacutelange drsquoadmiration et de deacutesir drsquoimiter les actes toutefois sans

lrsquointervention de la gracircce divine ils ne pourraient qursquoacceacuteder aux vertus terrestres et

agrave la perfection mais pas agrave la sainteteacute

Peacuteguy creacutee des personnages saints qui sont terrestres et ceacutelestes charnels et

eacuteternels ils sont les heacuteritiers drsquoune race ils habitent une terre et ils y travaillent ils

vivent dans notre monde et dans notre histoire ils sont peacutecheurs mais ils se laissent

travailler par la gracircce pour pouvoir pratiquer des vertus et deviennent ainsi un

exemple agrave imiter pour leurs contemporains

Ils eacutetaient drsquoabord des heacuteros mais ils deviennent des saints ainsi que laquo tout ce

qui est de la citeacute de Rome devient tout ce qui est de la citeacute de Dieu raquo (III 310)

180

Deuxiegraveme partie

Une sainteteacute pour le temps preacutesent

181

INTRODUCTION

Pour Peacuteguy les saints ne sont pas seulement des figures historiques mais des

acteurs dans le preacutesent ils unifient le passeacute le preacutesent et le futur en creacuteant une

eacuteternelle reacutealiteacute Peacuteguy refuse absolument de faire la distinction entre la vie priveacutee

et la vie publique des saints justement parce qursquoil veut eacuteviter drsquoeacuteriger le saint en

simple figure exemplaire Crsquoest dans ce but par exemple que Peacuteguy disserte tant

sur les grands peacutecheurs devenus saints ces saints qui sont laquo comme nous raquo Il se fait

le laquo chroniqueur raquo des saints comme il lrsquoexplique dans le Laudet et dans la Note

conjointe parce que laquo Le chroniqueur parachegraveve ce que lrsquoIncarnation accomplit

non seulement Dieu srsquoest fait homme ais il a confieacute la meacutemoire de son incarnation

au verbe humain raquo166 Le saint certes srsquoapparente au heacuteros et il reste une figure

exemplaire mais Peacuteguy veut aussi le rapprocher de lui-mecircme de ses amis de nous

ses lecteurs et ses laquo heacuteritiers raquo pour rendre possible un dialogue

Ce thegraveme de lrsquoIncarnation de Dieu si proche des hommes est la marque drsquoune

eacutepoque Voilagrave ce dont Peacuteguy ose parler pour sa part dans ses textes par exemple il

commence Le Porche du mystegravere de la deuxiegraveme vertu par les mots laquo La foi que

jrsquoaime le mieux dit Dieu crsquoest lrsquoespeacuterance raquo (OPD 629) En mecircme temps que

Peacuteguy par exemple le philosophe russe Nicolas Berdiaev167 travaille sur le mystegravere

de lrsquoIncarnation et lrsquohistoire sur ce choix qui creacutee le mouvement dans lrsquohistoire et

donne une dimension eschatologique agrave chaque vie ce choix par lequel les saints

peuvent imiter Dieu quand leur choix les place dans Ses pas Cette nouvelle

perception de lrsquoincarnation creacutee un nouveau regard sur la sainteteacute une sainteteacute pour

notre temps

166DAUDIN Claire Daudin Dieu a-t-il besoin de lrsquoeacutecrivain opcit p 156 167 Nicolas Berdiaev (1874-1948) est un philosophe chreacutetien existentialiste qui a eacutecrit en franccedilais et en russe Comme Peacuteguy il a beaucoup travailleacute sur la philosophie de lrsquohistoire et mis la liberteacute au centre de sa reacuteflexion

182

Quelques anneacutees plus tard les Russes eacutemigreacutes en France deacutecouvriront Peacuteguy et

approuveront la proximiteacute entre sa penseacutee et la philosophie religieuse russe du deacutebut

du XXe siegravecle Avant les grands eacuteveacutenements du deacutebut du XX siegravecle qui ont changeacute

le monde le saint avait deux rocircles interceacuteder et servir drsquoexemple par lrsquoimitation de

Dieu Peacuteguy agrave lrsquoimage de lrsquohistorien et philosophe russe Georges Fedotov qui a

beaucoup eacutetudieacute la sainteteacute attribuent au saint et agrave la sainteteacute un nouveau rocircle celui

drsquoecirctre un acteur dans la socieacuteteacute Tous deux cherchent des exemples dans les vies de

saints dont un choix changeait la socieacuteteacute et non seulement une situation sainte

Geneviegraveve aux portes de Paris Jeanne drsquoArc et la France Boris et Gleb les

premiers saints Russes et Dreyfus pour Peacuteguy apparaissent ainsi comme des

saints en raison de leur innocence

La position du saint comme celle du heacuteros et du geacutenie dans la socieacuteteacute est

particuliegravere il srsquooppose agrave la laquo foule raquo au laquo groupe raquo tant deacutetesteacute par Peacuteguy il agit

dans le monde et fait partie drsquoune laquo communion raquo il est donc en mecircme temps

solitaire et solidaire Aussi la sainteteacute se voit-elle attribuer un rocircle capital dans la

nouvelle socieacuteteacute qursquoimagine Peacuteguy unissant la mystique et la politique

En parlant de la socieacuteteacute qursquoil voudrait construire Peacuteguy parle drsquoune forme

particuliegravere drsquounion entre les humains ougrave toute exclusion est impossible cette

forme correspond agrave la description de lrsquoEacuteglise comme laquo communion des saints raquo

Lrsquoamitieacute et la communion constituent le ciment de la citeacute Peacuteguy deacutecrit sainte

Geneviegraveve et Jeanne drsquoArc comme des amies bien qursquoelles soient seacutepareacutees par

plusieurs siegravecles Peacuteguy donne agrave lrsquoamitieacute non seulement la valeur drsquoune vertu mais

aussi celle drsquoune laquo communion des saints raquo lrsquoEacuteglise apparaicirct comme le produit de

lrsquoamitieacute des saints agrave travers les siegravecles

183

CHAPITRE IV LE TEMPS DE LA SAINTETE

La question du temps plus concregravetement celle des relations entre lrsquohistoire et la

meacutemoire est lrsquoune des mieux eacutelaboreacutees et des plus deacutetailleacutees dans lrsquoœuvre de

Peacuteguy Or le thegraveme de la sainteteacute tient un rocircle important dans cette reacuteflexion

Les influences de Peacuteguy dans ce domaine de penseacutee sont multiples Pour ce qui

concerne lrsquohistoire crsquoest au deacutepart surtout Jules Michelet ainsi que Taine et Renan

mecircme si Peacuteguy perccediloit ces auteurs de maniegravere tregraves ambigueuml Plus tard Peacuteguy rejette

deacutefinitivement Taine qui agrave son avis installe le scientifique et lrsquohistorien agrave la place

de Dieu mais il reste moins seacutevegravere envers Renan agrave cause de certains traits

laquo mystiques raquo (dans le sens peacuteguyste du mot) dans son œuvre Jean Delaporte

explique que laquo Renan aux yeux de Peacuteguy incarne ensemble le mythe drsquoun

messianisme de lrsquohumaniteacute et une certaine collusion du spirituel au temporel raquo168

Lrsquoinfluence majeure subie par Peacuteguy crsquoest indiscutablement celle drsquoHenri Bergson

son principal maicirctre agrave penser En novembre 1897 Bergson donne un cours sur la

philosophie de Plotin au Collegravege de France en feacutevrier 1898 il est nommeacute maicirctre de

confeacuterences agrave lrsquoEacutecole Normale supeacuterieure Peacuteguy nrsquoest alors plus officiellement

eacutelegraveve de lrsquoEacutecole Normale il lrsquoa quitteacutee en 1897 mais il preacutepare lrsquoagreacutegation de

philosophie et assiste agrave certains cours dont ceux de Bergson

Lrsquoinfluence de Bergson sur Peacuteguy est tregraves importante Le philosophe change

son approche du travail intellectuel mais aussi toute sa perception du monde La

future theacuteorie de Peacuteguy sur la mystique et la politique naicirct de cette influence agrave

commencer par lrsquoattention aux mystegraveres de la vie spirituelle agrave la seacuteparation dans la

vision de la vie entre ce qui relegraveve du spirituel et ce qui relegraveve du mateacuteriel Ce que

Peacuteguy va puiser chez Bergson explique Paul Cimon laquo crsquoest bien lrsquoessence mecircme

de la philosophie bergsonienne crsquoest avant tout le sens de la dureacutee universelle le

sens de cette dureacutee qui est de lrsquoecirctre et auquel se rattache une exigence immeacutediate de

168 DELAPORTE Jean Connaissance de Peacuteguy TI Paris Plon 1959 p 105

184

participation effective raquo169 Bergson a pousseacute Peacuteguy agrave se libeacuterer des seuls scheacutemas

et concepts qui priveraient le reacuteel de sa dimension spirituelle Dans sa thegravese sur la

philosophie de lrsquohistoire chez Charles Peacuteguy la speacutecialiste russe de lrsquoauteur Tatiana

Taiumlmanova eacutecrit agrave propos de lrsquoinfluence de Bergson sur Peacuteguy

Gracircce agrave lui Peacuteguy srsquoest rendu compte du danger drsquoune approche purement quantitative du reacuteel incapable de percevoir ses changements qualitatifs La philosophie de Bergson soutient lrsquoaspiration de Peacuteguy ndash sortir du cercle vicieux drsquoune existence meacutecanique deacutepasser le deacuteterminisme social et naturel par lrsquoesprit creacuteateur170

Dans le contexte de cette thegravese et concregravetement de ce chapitre consacreacute agrave

lrsquoeacutetude du lien entre la sainteteacute le temps lrsquohistoire et la meacutemoire dans lrsquoœuvre de

Peacuteguy crsquoest la maniegravere dont Peacuteguy a inteacutegreacute les ideacutees de Bergson sur le temps et la

meacutemoire qui requiert particuliegraverement notre attention Apregraves avoir lu Matiegravere et

meacutemoire ouvrage que Peacuteguy appreacutecie tellement qursquoil lrsquooffre agrave Charlotte Baudoin en

1896 en guise de cadeau de fianccedilailles Peacuteguy cesse de percevoir le temps comme

un processus lineacuteaire qursquoon pourrait mesurer dans lrsquoespace Bergson souligne en

effet dans ses travaux lrsquoimpossibiliteacute drsquoappliquer au temps les mecircmes moyens de

mesure et drsquoeacutetude qursquoagrave lrsquoespace Peacuteguy choisit degraves lors agrave la suite de son maicirctre de

consideacuterer le temps celui de la vie inteacuterieure tel qursquoil est veacutecu par le sujet comme

une dureacutee ininterrompue Ce qui est sujet au changement ce nrsquoest pas une quantiteacute

mesurable mais la qualiteacute de la dureacutee Dans la mesure ougrave la dureacutee nrsquoest pas

percevable agrave lrsquoaide drsquoune eacutetude quantitative Peacuteguy suit Bergson aussi dans lrsquoideacutee

que crsquoest lrsquointuition qui permet de peacuteneacutetrer de percevoir de comprendre le reacuteel dans

la dureacutee le changement le mouvement En revanche Franccedilois Hartog remarque

que si Bergson applique la notion de la dureacutee agrave lrsquoindividu Peacuteguy lrsquoeacutelargit en parlant

de la dureacutee par rapport au peuple et agrave la race171

Dans les textes du jeune Peacuteguy la notion du temps est floue parfois elle

signifie le temps deacutelimiteacute contraire agrave la dureacutee bergsonienne ce qui correspondrait

169 CIMON Paul Peacuteguy et le temps preacutesent Ottawa Fides 1964 p 10 170 TAIumlMANOVA Tatiana Charles Peacuteguy philosophie de lrsquohistoire thegravese de doctorat drsquoEacutetat de philologie Saint-Peacutetersbourg 2006 ms (Тайманова Татьяна Шарль Пеги философия истории и литература диссертация на соискание ученой степени доктора филологических наук СПб 2006 (на правах рукописи)) p 125 171 HARTOG Franccedilois Reacutegime drsquohistoriciteacute preacutesentisme et expeacuterience du temps Seuil 2012 p 176

185

plus tard dans ses textes agrave la notion de lrsquohistoire Parfois au contraire en eacutecrivant

laquo temps raquo Peacuteguy en fait deacutesigne la dureacutee Au demeurant il nrsquoemploie que tregraves

rarement le mot laquo dureacutee raquo Mais il lrsquoexprime dans des passages comme par

exemple celui-ci issu de lrsquoun des premiers textes publieacutes dans les Cahiers de la

quinzaine laquo Les jeunes souvenirs des conversions anciennes sont intervenus dans

les vieillesses et non pas dans les maturiteacutes de ce preacutesent soucieux raquo (I 388)

Cette ideacutee exprimeacutee par lrsquointerlocuteur de Peacuteguy dans La Preacuteparation du congregraves

socialiste national qui parle de sa jeunesse militante reacutepublicaine correspond

pleinement agrave lrsquoideacutee de Bergson pour qui laquo La dureacutee inteacuterieure est la vie continue

drsquoune meacutemoire qui prolonge le passeacute dans le preacutesent raquo172 La meacutemoire telle qursquoelle

est exprimeacutee par le laquo citoyen docteur socialiste reacutevolutionnaire moraliste

internationaliste raquo correspond agrave la conservation et agrave la reproduction du passeacute dans le

preacutesent

Dans ce contexte on peut mesurer le temps mais pas la dureacutee Selon la

conception bergsonienne de la dureacutee le passeacute est inscrit dans un rapport de

coexistence avec le preacutesent gracircce agrave la meacutemoire non dans un rapport de succession

Jean Onimus dit que la philosophie de Bergson

preacutesentait agrave Peacuteguy une reacutealiteacute telle qursquoil la ressentait en effet la meacutetaphysique chez Bergson nrsquoeacutetait pas une mise en systegraveme plus ou moins ingeacutenieuse mais au contraire un effort peacutenible pour remonter le mouvement naturel de lrsquointelligence afin drsquoappreacutehender le reacuteel dans sa complexiteacute mouvante pour le saisir ou le ressentir tel quel pour se situer agrave lrsquointeacuterieur173

Pour Peacuteguy agrave partir du moment ougrave sa penseacutee devient chreacutetienne cependant que

sa foi influence de plus en plus sa penseacutee la sainteteacute incarne la dureacutee La sainteteacute

pour Peacuteguy est une incarnation de la dureacutee dans le reacuteel le saint se repreacutesente le

passeacute biblique comme un preacutesent le passeacute de lrsquohistoire sainte se fait en lui

meacutemoire La meacutemoire fait du passeacute une forme du preacutesent Le saint est toujours

preacutesent dans le preacutesent lrsquoaujourdrsquohui par les priegraveres qursquoon lui adresse et par

lrsquoinvocation Le saint est aussi preacutesent dans le futur par lrsquointercession et une forme

de projection dans le futur mais aussi parce qursquoil a la vie eacuteternelle

172 BERGSON Henri Dureacutee et simultaneacuteiteacute Paris PUF 2009 p 41 173 ONIMUS Jean Peacuteguy et le mystegravere de lrsquohistoire Paris Cahiers de lrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy 1958 p 26

186

Pauline Bernon [Bruley] eacutecrit que si

le preacutesent comme dureacutee est vu comme intervalle immeacutediatement englobeacute ans le passeacute ou le futur ndash alors il est ouvert agrave lrsquointervention de la gracircce Cette conception du preacutesent intervient notamment dans lrsquoopposition entre les acircmes raidie par lrsquohabitude et enduite de morale inaccessibles agrave la gracircce et les acircmes ouvertes au contact divin pleines de la liberteacute du laquo preacutesent raquo conccedilu comme une dureacutee174

Le Dialogue de lrsquohistoire et de lrsquoacircme charnelle jamais publieacute du vivant de

Peacuteguy est lrsquoun de ses textes ougrave sa reacuteflexion sur le temps est la plus eacutelaboreacutee Il y

parle entre autres du laquo recouvrement raquo effectueacute par les Pegraveres de lrsquoEacuteglise qui ont

rendu possible la rencontre entre le monde helleacutenique et le monde chreacutetien via le

peuple juif ce laquo recouvrement raquo rend possible une rencontre de lrsquoeacuteternel et du

temporel Il poursuit en eacutecrivant

Et ce peuple enfin avant pendant apregraves ce peuple qui lineacuteaire srsquoentecircta trente et quarante siegravecles dans lrsquoadoration du mecircme Dieu En voilagrave des acircges au moins mon ami Lrsquoacircge de lrsquoOccident lrsquoacircge de lrsquoOrient Lrsquoacircge grec lrsquoacircge romain lrsquoacircge heacutebreu lrsquoacircge chreacutetien Lrsquoacircge temporel des eacuteternels mecircmes lrsquoinsertion temporelle de lrsquoeacuteternel par (cette) coiumlncidence par cette sorte de collusion par cette liaison eacutetroite plus qursquoune connexion par cette coexistence par cette sorte de consubstantialiteacute de coessentialiteacute Temporaire La racination le racinement de lrsquoeacuteternel par la race et dans le peuple Dans le temps Lrsquoacircge temporel de lrsquoeacuteternel heacutebreu Lrsquoacircge temporel de lrsquoeacuteternel chreacutetien (III 624)

Lrsquoeacuteternel qui ne peut pas ecirctre deacutelimiteacute obtient une racine donc un deacutebut un

acircge qui lrsquoancre dans le preacutesent (lrsquoacircge nrsquoeacutetant qursquoune tradition qursquoun peuple ou une

personne a au moment preacutesent) et srsquoincarne donc dans le temps La sainteteacute est

lrsquoincarnation mecircme de la laquo racination raquo de lrsquoeacuteternel dans le temporel La sainteteacute est

eacuteternelle car elle naicirct de lrsquoimitation de Dieu eacuteternel mais Peacuteguy eacutecrit dans la Note

conjointe que laquo La sainteteacute mecircme est temporelle Et elle est soumise aux saisons et

aux temps Elle est soumise aux acircges de la vie raquo (III 1383) Elle eacutechappe cependant

agrave la vieillesse car elle est

La jeunesse mecircme crsquoest-agrave-dire le zeacutero de meacutemoire le zeacutero de fleacutetrissure le zeacutero drsquohabitude Une gracircce totale Une gracircce neuve Et si je puis le dire une gracircce jeune Car lrsquoeacuteterniteacute mecircme est dans le temporel (III 1385)

Comment le saint peut-il ecirctre en mecircme temps libre de la meacutemoire parce qursquoelle

megravene agrave la reacutepeacutetition et plein de cette mecircme meacutemoire parce qursquoelle creacutee la 174 BERNON [Bruley] Pauline laquo Peacuteguy-Polyeucte une conversion de lrsquoeacutenonciation raquo in Didier Boisson Elisabeth Pinto-Matthieu (dir) La conversion textes et reacutealiteacute Presses universitaires de Rennes 2014 p 211

187

racination Par une meacutemoire ancreacutee dans lrsquoespeacuterance un lien avec ses ancecirctre

dans lrsquoeacuteternelle possibiliteacute de renouvellement

Dans le Mystegravere de la chariteacute Peacuteguy lrsquoexprime de maniegravere tregraves explicite par la

bouche de ses trois heacuteroiumlnes dont chacune repreacutesente une forme de sainteteacute

Hauviette drsquoabord sur les premiegraveres pages du mystegravere dit laquo Il faut prendre le

temps comme le bon Dieu nous lrsquoenvoie mecircme comme il lrsquoenvoie aux autres

comme il nous envoie le temps des autres raquo (OPD 414) Cette phrase semble

totalement paradoxale comment peut-on recevoir le temps des autres Elle

pourrait de plus ecirctre interpreacuteteacutee de diffeacuterentes maniegraveres Mais si on suppose que

Peacuteguy en parlant de laquo temps raquo eacutevoque en fait la dureacutee on peut recevoir le temps

des autres dans le sens ougrave on peut ecirctre le reacuteceptacle de la meacutemoire drsquoun autre

preacutesente dans lrsquoaujourdrsquohui partageacute dans la contemporaneacuteiteacute

Jeannette deacuteplore au deacutebut du mystegravere lrsquoabsence de Dieu dans le monde

drsquoaujourdrsquohui et parle du bonheur de ceux qui ont veacutecu du temps de Jeacutesus tregraves vite

elle arrive cependant agrave lrsquoideacutee du patronage des saints qui veillent sur la France

comme Jeacutesus veillait sur Jeacuterusalem laquo Eacuteternellement ils vous proteacutegeront

eacuteternellement ils vous couvriront de leurs priegraveres raquo (OPD 434) Cependant

Jeannette envie quand mecircme un peu la Vierge les apocirctres ceux qui ont vu Jeacutesus de

leurs yeux parce que les autres saints laquo le voient que dans lrsquoeacuteterniteacute ougrave on a le

temps et vous vous le voyez aussi dans lrsquoeacuteterniteacute et vous lrsquoaviez vu vous lrsquoavez

vu sur la terre ougrave lrsquoon nrsquoa pas le temps raquo (OPD 436) dans la mesure ougrave sur terre

ce temps est limiteacute

Les premiers mots de Madame Gervaise dans le mystegravere sont laquo Il est lagrave Il est

lagrave comme au premier jour raquo (OPD 444) Agrave travers ce personnage Peacuteguy preacutesente la

sainteteacute contemplative il eacutecrit qursquoelle est laquo en vision raquo ce qui revient agrave dire que

Dieu est preacutesent dans son aujourdrsquohui Ensuite Jeannette prononce ces mots qui

semblent scandaleux laquo Je crois que si jrsquoavais eacuteteacute lagrave je ne lrsquoaurais pas abandonneacute raquo

Et dans ces mots la meacutemoire de lrsquoHistoire sainte srsquounit agrave lrsquoactualiteacute drsquoun eacuteveacutenement

veacutecu

188

Cette preacutesence de Dieu agrave la fois dans lrsquoeacuteterniteacute dans la dureacutee dans le temps

apparaicirct aussi dans le reacutecit de la Passion ougrave Peacuteguy montre qursquoavant sa mort

laquo Comme il allait rentrer dans son eacuteterniteacute raquo (OPD 468) Jeacutesus se souvenait de son

enfance du deacutebut de sa vie sur terre temporelle

Il revoyait lrsquohumble berceau de son enfance

Ougrave son corps fut coucheacute pour la premiegravere fois

Les langes sur la paille et le bœuf et la panse

De lrsquoacircne et les preacutesents les bergers et les rois (OPD 469)

La reacuteflexion sur le temps se concreacutetise dans lrsquoœuvre de Peacuteguy dans des eacutecrits

sur lrsquohistoire dans lesquels Peacuteguy construit sa philosophie de lrsquohistoire avec

Bergson et Michelet contre Taine et Renan mais aussi Seignobos Langlois et

Lavisse Ces derniers visaient en effet agrave faire de lrsquohistoire une discipline

veacuteritablement scientifique donc deacutepourvue de subjectiviteacute Peacuteguy preacutefegravere agrave

lrsquohistorien scientifique le teacutemoin de lrsquoeacuteveacutenement et de la dureacutee La question se pose

alors de savoir si lrsquoon peut ecirctre teacutemoin du passeacute Peacuteguy trouve la reacuteponse dans le

saint Le saint peut toujours ecirctre teacutemoin puisqursquoen tant que membre de lrsquoEacuteglise

Triomphante il est la meacutemoire vivante de la peacuteriode ougrave il a veacutecu Quant au

chroniqueur du saint il est le vrai historien

1 La sainteteacute et lrsquohistoire

Mecircme si lrsquoobjectif de ce chapitre nrsquoest pas drsquoanalyser ce que Peacuteguy a eacutecrit sur

lrsquohistoire (plusieurs eacutetudes ont deacutejagrave eacuteteacute consacreacutees agrave ce sujet) mais drsquoeacutetudier le

rapport de la sainteteacute agrave lrsquohistoire il est neacutecessaire de preacutesenter briegravevement

lrsquoeacutevolution de la penseacutee sur lrsquohistoire de Peacuteguy en srsquoappuyant sur les travaux

existants

Les amis de Peacuteguy de lrsquoeacutepoque du lyceacutee Lakanal teacutemoignent deacutejagrave non

seulement de son inteacuterecirct drsquoalors pour lrsquohistoire mais preacuteciseacutement de sa reacuteflexion sur

les diffeacuterentes approches et meacutethodes pour eacutetudier le passeacute et percevoir le preacutesent

189

Le jeune Peacuteguy faisait part agrave ses camarades de sa theacuteorie des peacuteriodes et des

eacutepoques il deacutefinissait comme laquo eacutepoques raquo les courts moments ougrave lrsquohistoire se fait

et comme laquo peacuteriodes raquo les moments ougrave rien ne se passe Cette vision de lrsquohistoire

est encore la sienne agrave lrsquoeacutepoque de Notre jeunesse des anneacutees plus tard Peacuteguy eacutetait

persuadeacute qursquoon peut changer le cours de lrsquohistoire qursquoune personne peut changer

une laquo peacuteriode raquo en laquo eacutepoque raquo crsquoest ce qursquoil a toujours voulu faire Tatiana

Taiumlmanova observe ainsi

Cette distinction entre laquo eacutepoques raquo et laquo peacuteriodes raquo est tregraves importante pour la compreacutehension de la conception de lrsquohistoire chez Peacuteguy puisqursquoelle lui permet non seulement de suivre du regard les dates et les eacuteveacutenements mais peacuteneacutetrer en profondeur observer la conception lrsquoaccomplissement le changement lrsquoinfluence sur drsquoautres eacuteveacutenements175

En revanche les peacuteriodes chez Peacuteguy ce ne sont pas forceacutement des moments

ougrave se produisent des eacuteveacutenements exceptionnels qui seraient certainement

catalogueacutes ficheacutes par les historiens mais plutocirct le temps ougrave ces eacuteveacutenements se

preacuteparent

Franccedilois Hartog preacutesente les principales positions de lrsquohistorien au XIXe siegravecle

Il srsquoest penseacute en prophegravete (avec Jules Michelet en vates du peuple) il srsquoest voulu laquo pontife raquo et laquo instituteur raquo (avec Gabriel Monod et Ernest Lavisse lrsquohistorien est celui qui fait laquo pont raquo entre lrsquoancienne et la nouvelle France qui raconte la lente formation de la nation et inculque la Reacutepublique) il a revendiqueacute lrsquolaquo oubli raquo preacutealable du preacutesent (Fustel de Coulanges est celui qui a pousseacute au plus loin lrsquoargument) pour se vouer agrave la connaissance du seul passeacute176

Au deacutebut comme peut-ecirctre tout eacutetudiant de son temps Peacuteguy srsquoest appuyeacute sur

Taine et Renan fondateurs agrave ses yeux de lrsquoapproche scientifique de lrsquohistoire

consistant agrave examiner attentivement les moindres deacutetails de lrsquoeacuteveacutenement eacutetudieacute

Dans Renan surtout Peacuteguy trouve cette volonteacute de ne jamais dissocier le religieux

de lrsquohistoire de rechercher une harmonie entre un ideacuteal qursquoil appelle mystique et

une action sociale et politique concregravete Cette volonteacute cette quecircte lrsquohabitent degraves le

deacutebut de ses eacutetudes Jeacuterocircme Grondeux a bien cerneacute lrsquoinfluence de Renan sur Peacuteguy

dans son article Peacuteguy conservateur

175 TAIumlMANOVA Tatiana opcit p 166 176 HERTOG Franccedilois laquo Le preacutesent de lrsquohistorien raquo Le Deacutebat 12010 (ndeg 158) p 18-31

190

Jauregraves Sorel Peacuteguy tous trois sont des lecteurs attentifs de Renan tous trois ont trouveacute chez lrsquoauteur des Origines du christianisme lrsquoideacutee tout agrave la fois que les ideacutees de type religieux eacutetaient mobilisatrices contre une certaine vulgate libre penseuse qui voyait en elle des ideacutees de repli par rapport au monde et que le socialisme eacutevoquait les premiers temps du christianisme lrsquoideacutee soreacutelienne du mythe mobilisateur doit quelque chose agrave la lecture de Renan Pour aborder la question du basculement drsquoun engagement de type socialiste agrave un positionnement plus agrave droite sur lrsquoeacutechiquier politique il est instructif de rapprocher les itineacuteraires intellectuels de Sorel et de Peacuteguy les deux hommes voient dans le mouvement ouvrier la source possible drsquoun renouvellement profond face agrave un ordre bourgeois deacutecadent tous deux refusent le laquo socialisme scientifique raquo Sorel relisant Marx pour tenter dans le contexte de reacutevision du marxisme lieacute aux interrogations de la fin du siegravecle de faire du marxisme non plus une philosophie de lrsquoHistoire agrave preacutetention scientifique mais une doctrine mobilisatrice destineacutee agrave donner plus de force agrave lrsquoaction proleacutetarienne tous deux sont des deacuteccedilus de lrsquoaction militante Peacuteguy deacuteplorant lrsquoeacutevolution du socialisme politique et les modaliteacutes de la marche agrave lrsquouniteacute Sorel deacutesapprouvant lrsquoeacutevolution du syndicalisme reacutevolutionnaire Et tous deux agrave un moment donneacute en appellent au catholicisme pour renouveler le monde moderne agrave un catholicisme qui doit refuser de pactiser177

Les cours de Bergson qui insistait sur le fait qursquoil nrsquoy a pas drsquoeacuteveacutenements

immuables preacutefabriqueacutes que tout dans lrsquohistoire est en mouvement et donc ne

peut ecirctre eacutetudieacute comme quelque chose de figeacute fixeacute ont fortement influenceacute Peacuteguy

Celui-ci srsquoest mis agrave combattre ceux qui travaillaient sur les faits de lrsquohistoire en

laquo faisant des fiches raquo sans prendre en compte le mouvement et la dureacutee dans lrsquoeacutetude

des eacuteveacutenements Peacuteguy refuse agrave la science historique positiviste la capaciteacute

drsquoeacutetudier et de comprendre lrsquoeacutevolution spirituelle de lrsquohumaniteacute mais il la refuse

aussi agrave la sociologie et agrave la psychologie en choisissant son propre chemin Il srsquoagit

pour lui de percevoir la mystique dans lrsquohistoire dans lrsquoeacuteveacutenement dans la

politique et crsquoest lrsquointuitivisme de Bergson qui lui donnera lrsquoinstrument

philosophique neacutecessaire pour comprendre laquo le sens de lrsquohistoire chreacutetienne la

seule qui existait pour Peacuteguy raquo178

Ses becirctes noires sont justement ceux qui regravegnent sur la science historique de

son temps Lavisse Langlois Seignobos Franccedilois Beacutedarida explique donc

pourquoi donc Peacuteguy exegravecre agrave ce point lrsquohistoire scientifique

Drsquoabord les historiens laquo meacutethodiques raquo avec leur eacuterudition et leurs boicirctes agrave fiches en chassant de leur champ la meacutemoire jugeacutee mouvante et incertaine non seulement eacutetouffent la vie mais ils ont deacutenatureacute la connaissance historique Chez eux faute drsquoimagination et drsquointuition il nrsquoy a plus qursquoun passeacute mort Drsquoautre part

177 GRONDEUX Jeacuterocircme laquo Peacuteguy conservateur raquo Mil neuf cent Revue drsquohistoire intellectuelle 12002 (ndeg 20) p 35-53 178 TAIumlMANOVA Tatiana opcit p 146

191

nrsquoaccepter comme sources que les archives eacutecrites constitue une usurpation une perversion voire une fraude intellectuelle et morale vis-agrave-vis du passeacute179

Agrave lrsquohistoire laquo archiviste raquo Peacuteguy oppose lrsquohistoire romantique de Michelet

Cependant lrsquoadmiration de Peacuteguy pour Jules Michelet nrsquoest pas un obstacle agrave une

vision plutocirct critique du romantisme et du sens que celui-ci donne agrave lrsquohistoire

Jeacuterocircme Grondeux souligne combien sont diffeacuterentes la vision de lrsquohistoire chez

Peacuteguy et les romantiques

Sur un seul point ndash mais il est loin drsquoecirctre mineur ndash Peacuteguy diffegravere fortement de certaines speacuteculations religieuses romantiques sans en revanche srsquoeacuteloigner de son cher Michelet son refus du progregraves providentiel son refus de faire drsquoun Progregraves fatal la version actualiseacutee de la Providence refus lui-mecircme lieacute dans un premier temps agrave son kantisme Les romantiques couplent souvent [hellip] une forte preacuteoccupation eacutethique avec une volonteacute de deacutecrypter le sens de lrsquoHistoire de surmonter le scandale du mal et de la souffrance Or pour Peacuteguy lrsquoHistoire ne peut en aucun cas ecirctre une consolatrice rien ne vient reacuteduire le mal et la souffrance Rien ne vient supprimer lrsquoinjustice Peacuteguy est ici disciple de Proudhon [hellip] et se situe dans une tradition libertaire Il refuse toujours (cela deviendra son fameux laquo pluralisme meacutetaphysique raquo) la reacuteduction du multiple agrave lrsquoUn la reacuteduction de lrsquoindividu au groupe qui permettrait de donner agrave lrsquoHistoire un sens univoque et consolateur Aucune souffrance aucune injustice ne peut ecirctre inteacutegreacutee dans un processus qui serait drsquoune maniegravere ou drsquoune autre laquo neacutecessaire raquo et qui lui donnerait un sens positif Il y a lagrave une deacutefense tout agrave la fois de lrsquoimpreacutevisible jaillissement du preacutesent qui doit beaucoup agrave Bergson un moralisme kantien (mecircme si Peacuteguy srsquoeacuteloigne de Kant au fur et agrave mesure qursquoil laquo enracine raquo ce qursquoil y a de bon dans le monde) une protestation libertaire Et qui limite aussi consideacuterablement son ralliement au conservatisme et empecircchera un veacuteritable ralliement au catholicisme intransigeant Ce dernier courant emploie pour interpreacuteter lrsquoHistoire les cateacutegories de la theacuteologie chreacutetienne et en particulier celui du sacrifice reacutedempteur180

Pauline Bernon [Bruley] dans son article Peacuteguy critique lrsquoenvers du

tragique181 eacutecrit pour sa part que pour Peacuteguy lrsquohistoire et la science creacuteent une

distance entre lrsquoobservateur et lrsquoobjet La distance creacuteeacutee par lrsquohistoire correspond agrave

un regard agrave travers lrsquoespace eacuteloigneacute dans le temps la science creacutee la distance parce

qursquoelle objectivise alors que lrsquoenracinement au contraire devient prolongement et

transforme les relations entre lrsquohistorien et lrsquoeacuteveacutenement drsquoobjectives en subjectives

Cette conception ne srsquoapplique pas seulement aux eacuteveacutenements mais agrave toute la

culture Pauline Bernon [Bruley] poursuit laquo Peacuteguy craint que lrsquoon considegravere un

texte comme une ldquoœuvre morterdquo suite drsquoideacutees enregistreacutees raquo pour lui en effet 179 BEacuteDARIDA Franccedilois laquo Histoire et meacutemoire chez Peacuteguy raquo Vingtiegraveme Siegravecle Revue drsquohistoire 12002 (no 73) p 101-110 180 GRONDEUX Jeacuterocircme opcit

181 BERNON [BRULEY] Pauline laquo Peacuteguy critique lrsquoenvers du tragique raquo Revue drsquohistoire litteacuteraire de la France 32005 (vol105) p 573-586

192

tout texte est le prolongement et la partie drsquoune entiteacute une branche drsquoun arbre qui se

nourrit de toutes les racines les plus anciennes et les plus profondes de la culture de

cette culture qursquoil a appeleacutee classique Le classique est en effet eacuteternel dans le

classique reacuteside lrsquoessence de la creacuteation parce que les racines ne vieillissent pas

crsquoest lrsquoarbre qui pousse toujours plus haut Peacuteguy appelle classique lrsquoœuvre qui

permet lrsquoeacuteducation la formation de lrsquoopinion personnelle et laquo plus profondeacutement

encore [] celle qui nous permet drsquoentrer dans le reacuteel qui le deacutecrit tregraves exactement

[] Lrsquoœuvre classique conjugue reacutealiteacute veacuteraciteacute et authenticiteacute182 raquo Pour Peacuteguy on

la trouve au premier chef dans la litteacuterature franccedilaise du XVIIe siegravecle et ensuite

lrsquoantiquiteacute

Pourtant lrsquohumaniteacute le peuple la race peuvent oublier ses racines Degraves lors la

cime commence agrave se desseacutecher et ecirctre malade Dans Par un demi-clair matin Peacuteguy

eacutecrit que notre temps est le temps de la mort derniegravere laquo la finale mort raquo drsquoHypatie

cette civilisation moderne [] est elle-mecircme essentiellement mortelle Drsquoautant plus

mortelle drsquoautant plus exposeacutee agrave la mort qursquoelle est moins profonde moins

profondeacutement enracineacutee au cœur de lrsquohomme que ne le furent la plupart des

anciennes civilisationsraquo (II 105)

Peacuteguy luttait pour le droit agrave la meacutemoire mais aussi pour le droit agrave une place

pour chacun dans lrsquohistoire agrave lrsquoeacutegaliteacute devant lrsquohistoire Il deacutefendait le droit de

chaque homme de chaque participant de lrsquoeacuteveacutenement de lrsquoecirctre-avec agrave devenir

partie du systegraveme radical de lrsquoarbre commun de la meacutemoire de lrsquohumaniteacute Il

estimait que la connaissance du preacutesent et la participation agrave lrsquoaction permettaient

drsquoeacutecrire lrsquoHistoire

Pour Peacuteguy le caractegravere ininterrompu la succession garantissent lrsquohistoire

humaine lrsquohistoire terrestre Pour que la vie sur la terre continue les travaux drsquohier

doivent se poursuivre aujourdrsquohui et demain rien ne doit srsquointerrompre les

hommes se succegravedent lrsquoun lrsquoautre dans un seul et mecircme pays ils construisent la

nation par la succession du travail Le territoire sur lequel vit la nation correspond agrave

lrsquoespace que cette nation peut cultiver La nation se prolonge autant que peuvent se 182 POQUET DU HAUT-JUSSEacute Laurent-Marie opcit p 326-327

193

succeacuteder les travailleurs autant que se prolonge la transmission du savoir autant

que se prolonge la discipline non dans le sens contemporain drsquoorganisation et

drsquoobeacuteissance mais dans le premier sens du mot apprentissage Lrsquoaicircneacute le maicirctre

doivent avoir des disciples dans ces disciples il y a la promesse du futur la

possibiliteacute drsquoun prolongement

Peacuteguy voyait dans lrsquohistoire la continuiteacute successive des eacuteveacutenements Au centre

de sa philosophie de lrsquohistoire il y a lrsquoeacuteveacutenement dans lequel lrsquohistorien est celui

qui se fait corps avec la reacutealiteacute qui se produit agrave cocircteacute de lui Peacuteguy estimait que la

vocation de sa revue des Cahiers de la quinzaine eacutetait drsquoecirctre lrsquohistorien de la

contemporaneacuteiteacute Dans lrsquoun de ses tout premiers textes anteacuterieur aux Cahiers de la

quinzaine un article publieacute dans la Revue Blanche sous le titre laquo Le Ravage et la

Reacuteparation raquo Peacuteguy oppose sa vision du rocircle de lrsquohistorien agrave la vision traditionnelle

qui en fait celui qui travaille sur le passeacute en vertu du principe suivant lequel on peut

ecirctre impartial sur le passeacute alors que nous sommes toujours partiaux sur le preacutesent

Agrave ce postulat il reacutepond

Comme crsquoest nous au contraire qui sommes les historiens qui sommes devenus historiens Quelle connaissance nous avons reccedilue de ce que crsquoest qursquoun peuple de ce que crsquoest qursquoune ideacutee de ce que crsquoest qursquoune campagne de ce que crsquoest qursquoune crise de ce que crsquoest qursquoune reacutevolution (I 266-267)

Peacuteguy semble ici eacutecarter la notion drsquoimpartialiteacute en la remplaccedilant par celle de

la liberteacute En veacuteriteacute il ne lrsquoeacutecarte pas nombre de ses textes dans les premiers

Cahiers seront consacreacutes au droit de laquo faire des personnaliteacutes raquo en teacutemoignant et

plus tard souligneront la terrible neacutecessiteacute de choisir le sujet du teacutemoignage avec le

risque de vouer agrave lrsquooubli ce dont on ne parle pas Cet article dans la Revue Blanche

est le dernier article publieacute par Peacuteguy avant la creacuteation des Cahiers de la quinzaine

Dans ce texte on peut observer le choix fait par lrsquoauteur entre lrsquohistoire classique

lrsquohistoire qui observe les eacuteveacutenements passeacutes de lrsquoexteacuterieur dans une position qui

semble garantir une impartialiteacute et lrsquohistoire-teacutemoignage qui place lrsquohistorien au

cœur de lrsquoeacuteveacutenement Son impossible impartialiteacute lieacutee agrave sa participation agrave

lrsquoeacuteveacutenement est en mecircme temps pour Peacuteguy ce qui rend leacutegitime sa parole et

garantit la veacuteriteacute de son teacutemoignage Un teacutemoin peut-il faire de lrsquohistoire ou

seulement du journalisme Quel est le rocircle du teacutemoin dans lrsquohistoire Crsquoest

194

lrsquoimpasse intellectuelle et morale dans laquelle Peacuteguy se place crsquoest aussi du

mecircme coup celle des Cahiers dont il est le fondateur

a) Histoire et meacutemoire

Peacuteguy va reacutefleacutechir toute sa vie sur les relations entre la meacutemoire lrsquohistoire

lrsquoeacuteveacutenement et le monde moderne Dans les anneacutees 1908-1909 il pense exprimer

ces penseacutees dans une thegravese intituleacutee De la situation faite agrave lrsquohistoire dans la

philosophie geacuteneacuterale du monde moderne mais il ne laisse finalement que des notes

On peut consideacuterer les trois laquo situations raquo reacutedigeacutees en 1907 De la situation faite agrave

lrsquohistoire et agrave la sociologie dans les temps modernes De la situation faite au parti

intellectuel dans le monde moderne et De la situation faite au parti intellectuel dans

le monde moderne devant les accidents de la gloire temporelle comme des textes

preacuteparatifs agrave la thegravese mais deacutejagrave Les suppliants parallegraveles Zangwill et mecircme le

Compte rendu du congregraves eacutecrit en 1901 vont dans ce sens

Dans ses Notes pour une thegravese Peacuteguy eacutecrit

Et pour tomber et pour ecirctre sauveacutee lrsquohumaniteacute nrsquoa point attendu que fucirct creacuteeacutee lrsquohistoire et la science de lrsquohistoire des religions [hellip]

Partout (et naturellement) lrsquohumaniteacute comme tout le reste de la nature comme tout le reste de la creacuteation partout lrsquohumaniteacute dans la creacuteation dans lrsquoensemble de la creacuteation a preacuteceacutedeacute lrsquoenregistrement de lrsquohumaniteacute partout les actions ont devanceacute les registrations (II 1212)

La meacutemoire qui correspond agrave la dureacutee de lrsquoaction le prolongement de

lrsquoeacuteveacutenement dans le preacutesent srsquooppose ainsi agrave lrsquohistoire qui ne fait qursquoenregistrer

lrsquoeacuteveacutenement passeacute Emmanuel Mounier dans son texte consacreacute agrave Peacuteguy La vision

des hommes et du monde observe laquo Ce qursquoil appelle le regard historique avant de

se constituer en meacutethode est une attitude spontaneacutee de lrsquoesprit La meacutemoire est une

reacutesurrection lrsquohistoire st une inscription raquo183

Dans un texte deacutesespeacutereacute qui rend compte de la situation extrecircmement difficile

des Cahiers de la quinzaine en 1909 Agrave nos amis agrave nos abonneacutes Peacuteguy pour la

183 MOUNIER Emmanuel PEacuteGUY Marcel IZARD Georges La penseacutee de Charles Peacuteguy Paris Plon 1931 p 82

195

premiegravere fois fait parler lrsquohistoire qursquoil appelle laquo Clio fille de Meacutemoire raquo ou laquo la

Vieille raquo Il est tregraves dur avec elle Il nrsquoeacutecrit plus qursquoelle laquo enregistre raquo ou fait des

laquo fiches raquo mais qursquoelle est laquo Maicirctresse drsquoerreur(s) megravere des impostures raquo et

qursquoelle laquo ne donne que des cendres Mais non pas mecircme des cendres continues

totales une continuiteacute et une totaliteacute au moins de cendres Un systegraveme de cendres

Non quelques cendres discontinues disrompues des fragments de cendres mecircme

des brisures de cendres dans le creux de la main raquo (II 1296)

Quelle est cette diffeacuterence tragique voire ce conflit entre lrsquohistoire et la

meacutemoire qui la rend tellement ridicule et insenseacutee aux yeux de Peacuteguy

Il deacuteveloppe cette ideacutee dans les pages qui suivent comme plus tard de maniegravere

encore plus approfondie dans les anneacutees 1910 dans Clio et les deux Notes

Le siegravecle temporel nrsquoattendra point le regravegne eacuteternel pour se reacutesoudre en cendre Tous les jours du temps dans le preacutesent nous le voyons qui srsquoy reacutesout A mesure mecircme qursquoil passe Dans tout lrsquoimmense passeacute dans tout le preacutesent agrave mesure que lrsquoeacuteveacutenement reacuteel passe nous avons vu nous connaissons tout le monde a vu sous nos yeux nous voyons tous les jours que par lagrave mecircme et automatiquement devenant lrsquoeacuteveacutenement historique automatiquement aussi et en cela mecircme il devient presque instantaneacutement eacuteveacutenement historique drsquoeacuteveacutenement reacuteel qursquoil eacutetait qursquoil venait drsquoecirctre qursquoil eacutetait agrave lrsquoinstant eacuteveacutenement historique moins que rien une cendre en comparaison du reacuteel Une cendre temporelle (II 1296-1297)

La vision autrement dit le travail du teacutemoin joue un rocircle important aux yeux

de lrsquohistoire et de lrsquoeacuteveacutenement reacuteel Lrsquoeacuteveacutenement reacuteel que le teacutemoin voit et donc

connaicirct se fait cendres temporelles dans les mains de la vieille Clio Cependant

Peacuteguy lui donne la parole il deacuteclare laquo Laissons dire la Vieille raquo ougrave bien

laquo Laissons dire Clio fille de Meacutemoire raquo Il lui fait aussi une demande surprenante

celle de se souvenir laquo Laissons-la remeacutemorer et tenter de remeacutemorer raquo (II 1299) se

souvenir drsquoelle-mecircme et du fait qursquoelle est elle-mecircme poussiegravere Ce paradoxe

Peacuteguy lrsquoexpeacuterimente dans sa chair il lrsquoexplique par la maniegravere dont il vit dans la

dureacutee lrsquoaffaire Dreyfus Il dit laquo Nous sommes des vaincus raquo (II 1300) mecircme si

aux yeux de lrsquohistoire ce sont bien les dreyfusards qui ont remporteacute la victoire

Neacuteanmoins dans la meacutemoire dans la dureacutee de lrsquoeacuteveacutenement Peacuteguy se sent vaincu Il

explique cela drsquoabord par la deacutefaite de 1870 laquo Nous sommes des vaincus avant que

de naicirctre Nous sommes neacutes dans un peuple de vaincus raquo (II 1302) Il se considegravere

comme vaincu drsquoavance laquo Lrsquoexpeacuterience nous a montreacute une fois de plus

196

lrsquoeacuteveacutenement nous a rappeleacute durement acircprement une fois de plus que le vaincu ne

peut pas parler comme le vainqueur ou au moins comme celui qui nrsquoest qui nrsquoa eacuteteacute

ni vaincu ni vainqueur raquo (II 1305) Ce texte rend eacutevident cette diffeacuterence presque

conflictuelle entre la meacutemoire et lrsquohistoire dans lrsquohistoire on peut observer la

victoire des dreyfusards dans lrsquoAffaire mais dans la meacutemoire elle existe en tant que

deacutefaite continuation de cette mecircme deacutefaite veacutecue par la laquo race raquo franccedilaise comme

le dit Peacuteguy en 1870 deacutefaite dans la dureacutee qui se transforme en deacutefaite du

dreyfusisme en raison de sa reacutecupeacuteration politique

Dans un texte que Peacuteguy nrsquoa jamais termineacute intituleacute par son eacutediteur Dialogue

de lrsquohistoire et de lrsquoacircme charnelle il se moque presque de lrsquohistoire qui se preacutesente

en disant qursquoelle nrsquoa pas toujours eacuteteacute laquo cette vieille demoiselle steacutenographe qui

prend des copies qui fait toute la journeacutee des fiches et des enregistrements et qui

les met dans des boites raquo (III 595) Elle est deacutecrite comme une sorte de croque-mort

de lrsquoeacuteveacutenement qui le fiche et finalement lrsquooublie

Cependant Peacuteguy se veut historien du preacutesent Le mot laquo histoire raquo nrsquoest pas

toujours peacutejoratif pour lui surtout quand il srsquoinscrit dans un cadre poeacutetique Par

exemple dans La preacutesentation de la Beauce agrave Notre Dame de Chartres Peacuteguy

engage agrave laquo pleurer longuement notre tragique histoire raquo (OPD 1150) par lrsquoadverbe

laquo longuement raquo il inscrit lrsquohistoire dans la dureacutee

Par rapport agrave lrsquohistoire comme par rapport agrave la meacutemoire Peacuteguy demeure

paradoxal Franccedilois Beacutedarida explique bien ce paradoxe apparent qui pourrait faire

penser au lecteur que Peacuteguy se contredit

Agrave vrai dire de mecircme qursquoil y a deux histoires lrsquoauthentique et la caricaturale il y a deux meacutemoires En effet agrave la suite de Bergson qui distinguait une meacutemoire-souvenir proprement spirituelle et une meacutemoire-habitude meacutecanique et passive Peacuteguy distingue une meacutemoire vivifiante et une meacutemoire mortifiante Drsquoougrave lrsquoambivalence de la meacutemoire Ni lrsquoune ni lrsquoautre nrsquoont agrave ecirctre exalteacutees en soi en toutes circonstances et en tout lieu Car lrsquoune et lrsquoautre sont capables de faire vivre mais aussi drsquoendormir et de faire peacuterir La premiegravere est instrument de vie et instrument de sens elle relegraveve de la gracircce la seconde se trouve reacuteduite agrave lrsquohabitude Ainsi la bonne histoire grosse de la vraie meacutemoire loin de nous arracher au preacutesent nous aide agrave le vivre authentiquement et en profondeur 184

184 BEacuteDARIDA Franccedilois opcit

197

Dans Notre jeunesse aussi Peacuteguy cesse ses invectives contre lrsquohistoire pour

deacutemontrer comment lrsquohistoire devrait se conduire pour servir agrave la veacuteriteacute et agrave la

justice Ce texte a eacuteteacute penseacute au deacutebut comme une introduction agrave la publication dans

les Cahiers de la Quinzaine des archives de la famille Millets ndash des reacutepublicains

fourieacuteristes Au deacutebut de cette introduction qui comme souvent chez Peacuteguy

deacutepasse largement les frontiegraveres du genre ce dernier explique pourquoi ces archives

sont tellement preacutecieuses mais aussi pourquoi ce ne sont pas les lettres de Victor

Hugo qui les rendent preacutecieuses laquo Mais ce que nous voulons avoir ce que nous ne

pouvons pas faire crsquoest preacuteciseacutement les lettres de gens qui ne sont pas Victor

Hugo raquo ndash dit-il (III 6) Peacuteguy poursuit en expliquant qursquoon trouve facilement dans

les bibliothegraveques des lettres de Victor Hugo mais ce qursquoil voudrait vraiment savoir

laquo crsquoest ce qursquoil y avait derriegravere ce qursquoil y avait dessous comment eacutetait fait ce

peuple de France enfin ce que nous voulons savoir crsquoest quel eacutetait en cet acircge

heacuteroiumlque le tissu mecircme du peuple et du parti reacutepublicain Ce que nous voulons

faire crsquoest bien de lrsquohistologie ethnique raquo (III 6) Il eacutecrit ces lignes bien avant la

fondation de lrsquoeacutecole des Annales Lrsquohistoire que Peacuteguy admet celle dont il voudrait

se faire le heacuteraut crsquoest pourtant bien laquo lrsquohistoire de tous les jours de la semaine

crsquoest un peuple dans la texture dans la tissure dans le tissu de sa quotidienne

existence dans lrsquoacquecirct dans le gain dans le labeur du pain de chaque jour panem

quotidianum crsquoest une race dans son reacuteel dans son eacutepanouissement profond raquo (III

7) Lrsquohistoire les documents les laquo fiches raquo ne sont donc pas honnis srsquoils

permettent de conserver le commun et non lrsquoexception la vie drsquoune famille et non

seulement celle des grands hommes Il plaide donc pour une histoire fondeacutee sur les

chroniques et les teacutemoignages sans faire de choix parmi eux sans prendre la

deacutecision assassine agrave ses yeux de choisir ce qui sera important pour la posteacuteriteacute et ce

qui ne le sera pas laquo Par le jeu par lrsquohistoire des eacuteveacutenements par la bassesse et le

peacutecheacute de lrsquohomme la mystique est devenue politique ou plutocirct lrsquoaction mystique est

devenue action politique ou plutocirct la politique srsquoest substitueacutee agrave la mystique la

politique a deacutevoreacute la mystique raquo (III 28) Le crime commis par lrsquohistorien qui agit

ainsi ne consiste pas seulement agrave priver de meacutemoire certains eacuteveacutenements certaines

personnes il reacuteside aussi dans le chemin ouvert aux reacutecupeacuterations de la mystique

198

en politique La mystique se trouve dans lrsquoaction une action inscrite au cœur de

lrsquoeacuteveacutenement la meacutemoire fait durer lrsquoaction mais lrsquohistorien par ses choix ouvre la

voie agrave la reacutecupeacuteration en politique des eacuteveacutenements passeacutes en cessant de prolonger

lrsquoaction et en classant cet eacuteveacutenement dans telle ou telle politique Tatiana Taiumlmanova

eacutecrit que dans Notre Jeunesse Peacuteguy reacuteunit laquo la notion de la tradition reacutepublicaine

du conservatisme reacutepublicain et de la mystique Pour lui la rupture de lrsquohistoire sa

discontinuiteacute sont les conseacutequences de la rupture du lien spirituel des geacuteneacuterations

qui ressentaient cette mystique et qui ont perdu son goucirct raquo185

Dans Victor-Marie comte Hugo ardente et sincegravere reacuteponse agrave Haleacutevy heurteacute

par Notre jeunesse Peacuteguy place drsquoabord lrsquohistoire et la meacutemoire sur le mecircme rang

et fait presque drsquoeux des synonymes lorsqursquoil parle des laquo biens de meacutemoire et

drsquohistoire raquo (III 166) qursquoil se dit precirct agrave sacrifier au profit de lrsquoamitieacute plus haute que

tout La distinction commence quand Peacuteguy eacutevoque laquo lrsquoeacutelaboration de lrsquohistoire

propre lrsquoeacutelaboration la vieille lrsquoantique eacutelaboration de lrsquohistoire que lrsquoon ne peut

pas hacircter raquo (III 166-167) dans ce cas il srsquoagit drsquoun passeacute qui se forme se construit

dans la dureacutee qui nrsquoeacutetait pas le mecircme avant Ensuite il eacutevoque la meacutemoire en

preacutesentant eacutegalement sa particulariteacute de maniegravere tregraves claire la meacutemoire peut ecirctre

commune laquo partageacutee raquo (III 167) Lrsquohistoire peut ecirctre construite ensemble par un

groupe drsquohistoriens surgirait alors un autre passeacute diffeacuterent de celui qui existe dans

la meacutemoire commune un passeacute nouveau construit lentement dans la dureacutee du

travail La meacutemoire perdure dans plusieurs teacutemoins de lrsquoeacuteveacutenement passeacute car elle

vit avec eux Ce qui les unit Peacuteguy le preacutecise quelques lignes plus loin laquo Et le

propre de lrsquohistoire et de la meacutemoire est que tout ce qui est de lrsquohistoire et de la

meacutemoire ne se recommence point raquo (III 168)

Le paradoxe est encore plus surprenant quand dans sa reacuteponse agrave Fernand

Laudet Peacuteguy eacutevoque les sources qursquoil a utiliseacutees pour eacutecrire sa Jeanne drsquoArc Il

cite en effet les sources historiques en toute derniegravere ligne

Premiegraverement le cateacutechisme (celui des petits enfants monsieur Laudet) dans le cateacutechisme les sacrements

Deuxiegravemement la messe et les vecircpres le salut les offices la liturgie 185 TAIumlMANOV Tatiana opcit p 173

199

Troisiegravemement les eacutevangiles

Quatriegravemement les Procegraves

Cinquiegravemement seulement et au dernier plan une connaissance historique de la chreacutetienteacute franccedilaise aux onziegraveme douziegraveme treiziegraveme quatorziegraveme et quinziegraveme siegravecles

Plongeant naturellement dans sixiegravemement une connaissance plus geacuteneacuterale du christianisme franccedilais et du christianisme en geacuteneacuteral Ou pour parler exactement de la chreacutetienteacute franccedilaise et de la chreacutetienteacute en geacuteneacuteral (III 399)

Cependant les archives nous apportent les preuves que pour reacutediger sa

premiegravere Jeanne drsquoArc Peacuteguy a bien fait un veacuteritable travail drsquohistorien Il pensait

mecircme au deacutebut eacutecrire une monographie Romain Vaissermann dans sa notice de la

trilogie Jeanne drsquoArc dans la nouvelle eacutedition de lrsquoœuvre poeacutetique et dramatique de

Peacuteguy dans la collection de la Pleacuteiade cite le teacutemoignage de Jules Riby un ami de

Peacuteguy agrave lrsquoeacutepoque de ses eacutetudes au lyceacutee ce dernier indique qursquoagrave lrsquoadolescence

deacutejagrave Peacuteguy srsquoindignait du faible niveau litteacuteraire des œuvres consacreacutee agrave Jeanne

drsquoArc en franccedilais Finalement Peacuteguy choisit de reacuteunir ses deux projets celui drsquoune

belle œuvre litteacuteraire sur Jeanne drsquoArc et celui drsquoune monographie historique

laquo Jamais un drame nrsquoa puiseacute agrave drsquoaussi fiables et nombreuses sources historiques

Crsquoest une grande originaliteacute de Peacuteguy que de subordonner lrsquoart agrave lrsquohistoire lagrave ougrave les

autres eacutecrivains ont souvent alleacutegrement romanceacute raquo eacutecrit ainsi Romain Vaissermann

(OPD 1542-1543) Parmi les sources historiques de Peacuteguy lors de son travail sur la

trilogie on trouve bien sucircr les cinq volumes du Procegraves de condamnation et de

reacutehabilitation de Jeanne drsquoArc dite la Pucelle eacutediteacute par Jules Quicherat mais aussi

le manuscrit drsquoEdmond Richer qui nrsquoeacutetait pas publieacute au temps de Peacuteguy Jeanne

drsquoArc agrave Domremy de Simeacuteon Luce LrsquoHistoire de Charles XII drsquoAuguste Vallet de

Viriville Jeanne drsquoArc drsquoHenri Wallon les Aperccedilus nouveaux sur lrsquohistoire de

Jeanne drsquoArc de Quicherat les Meacutemoires et consultations en faveur de Jeanne

drsquoArc par les juges du procegraves de reacutehabilitation drsquoapregraves les manuscrits authentiques

par Pierre Laneacutery drsquoArc et bien sucircr Michelet (OPD 1545) Peacuteguy commence en

1893 un autre travail drsquohistorien sur Jeanne drsquoArc Au moment ougrave son projet

change quand il eacutecrit en 1895 agrave son ami Camille Bidaut qursquoil travaille sur

lrsquohistoire de Jeanne drsquoArc mais entend deacutesormais parler laquo plutocirct de sa vie

200

inteacuterieure raquo186 il ne renonce pas agrave son travail drsquohistorien au contraire il

lrsquoapprofondit et ne se met agrave la reacutedaction de la piegravece qursquoune fois sa recherche

acheveacutee Quand il reacuteeacutecrit la premiegravere piegravece de la trilogie pour en faire le Mystegravere de

la chariteacute le texte ne conserve certes que les traces du reacutecit de la laquo vie inteacuterieure raquo

mais ce reacutecit nrsquoaurait peut-ecirctre pas vu le jour et dans tous les cas nrsquoaurait pas eacuteteacute le

mecircme sans le travail drsquohistorien qui a preacuteceacutedeacute sa creacuteation

Cette œuvre est eacutegalement marqueacutee par plusieurs influences religieuses et

litteacuteraires mais ce sont les sources historiques qui nous inteacuteressent Pourquoi Peacuteguy

refuse-t-il aux historiens la possibiliteacute de dire la veacuteriteacute si lui-mecircme avait travailleacute

comme historien pour eacutecrire sa premiegravere Jeanne drsquoArc et srsquoil nrsquoa jamais renieacute

lrsquoutiliteacute de ce travail

La sortie de cette impasse se trouve peut-ecirctre dans la personne du saint telle

qursquoelle se preacutesente dans lrsquoœuvre tardive de Peacuteguy Le saint dans sa vie terrestre est

preacutesent dans lrsquoeacuteveacutenement il est actif parfois en tant qursquoacteur parfois en tant

qursquointercesseur mais il y prend part dans les deux cas Dans le mecircme temps il reste

laquo agrave lrsquoeacutecart raquo qacircdosh justement en raison de son rocircle drsquointercesseur par lequel il

preacutesente lrsquoeacuteveacutenement agrave Dieu Puisqursquoil est qacircdosh appartenant agrave Dieu le saint a un

autre rapport avec le temps comme Dieu est le maicirctre du temps le saint peut agir

dans ce qui pour lui dans sa vie terrestre serait consideacutereacute comme futur quand les

personnes drsquoeacutepoques futures srsquoadresseront agrave lui dans la priegravere Le saint est aussi

preacutesent dans une forme du passeacute puisque des saints drsquoeacutepoques tout agrave fait eacuteloigneacutees

apparaissent ensemble dans des visions et agissent ensemble dans un preacutesent

terrestre Elie et Moiumlse apparaissent ensemble dans lrsquoEacutevangile sur le mont Tabor le

jour de la Transfiguration sainte Catherine et sainte Marguerite apparaissent

ensemble dans une vision agrave Jeanne drsquoArc enfin dans sa Tapisserie de sainte

Geneviegraveve et de Jeanne drsquoArc Peacuteguy preacutesente Jeanne venant agrave lrsquoaide agrave Geneviegraveve

comme si elles eacutetaient contemporaines Peacuteguy se donne pour objectif drsquoecirctre un saint

chroniqueur et de reacuteunir les rocircles de lrsquohistorien et du teacutemoin dans lrsquohistoire et dans

la dureacutee

186 Bulletin de lrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy ndeg109 p 46-47

201

Dans le Laudet Peacuteguy deacutefinit comme laquo heacutereacutesie historique raquo la proposition de

Fernand Laudet de seacuteparer la Jeanne drsquoArc historique de la Jeanne drsquoArc leacutegendaire

et de la Jeanne drsquoArc surnaturelle Selon Peacuteguy Fernand Laudet tente drsquoeffectuer

lrsquoopeacuteration de la seacuteparation de lrsquohistoire et de la meacutemoire en liant la leacutegende mais

aussi la sainteteacute agrave la meacutemoire du peuple transmise de geacuteneacuteration en geacuteneacuteration par

le reacutecit habiteacute par la preacutesence de la sainte et en laissant agrave lrsquohistoire uniquement les

traces eacutecrites du temps de Jeanne drsquoArc agrave savoir son procegraves et les chroniques de

lrsquoeacutepoque

il nrsquoy a qursquoune Jeanne drsquoArc au monde qui soit historique et crsquoest la Jeanne drsquoArc de notre populaire histoire de France [hellip] Nulle Jeanne drsquoArc nrsquoest historique nulle Jeanne drsquoArc nrsquoest dans le tissu de la reacutealiteacute de lrsquohistoire qursquoune Jeanne drsquoArc profondeacutement et eacuteternellement peuple (III 397)

Or lrsquohistoire et la meacutemoire sont inseacuteparables parce qursquoelles parlent de la mecircme

personne Ainsi crsquoest le saint qui reacuteconcilie lrsquohistoire avec la meacutemoire le saint qui

agit dans lrsquoeacuteveacutenement historique en teacutemoignent les chroniques et tous les

documents qui peuvent ecirctre utiliseacutes par les historiens Peacuteguy reacutepond donc

fermement agrave Fernand Laudet laquo Pour nous chreacutetiens disons-le hautement le

surnaturel et la sainteteacute crsquoest cela qui est lrsquohistoire la seule histoire peut-ecirctre qui

nous inteacuteresse la seule histoire profonde et profondeacutement reacuteelle et nous

accorderions plutocirct que crsquoest tout le reste qui serait de la leacutegende raquo (III 397) Dans

les pages suivantes de cette mecircme œuvre Peacuteguy souligne que la proposition de

releacuteguer la surnaturelle et la sainte dans la leacutegende en lrsquoexcluant de lrsquohistoire exclut

ainsi de lrsquohistoire tous les saints mecircme srsquoils sont aussi des personnages historiques

ainsi que la personne mecircme de Jeacutesus Dieu incarneacute dont la vie par le mystegravere de

lrsquoIncarnation devient un fait historique Selon Fernand Laudet les chreacutetiens ne

peuvent consideacuterer que le Christ dans sa vie deacutecrite par les Eacutevangiles en tant que

documents historiques Peacuteguy lui reacutepond que les chreacutetiens contemplent laquo les Vertus

de Jeacutesus jusqursquoau moment ougrave il quitta la maison de son pegravere raquo (III 401) autant que

les Vertus de sa vie publique parce que toute la vie de Jeacutesus celle qui est cacheacutee

autant que celle qui a eacuteteacute publique et donc deacutecrite constitue la vie de Dieu fait

homme et incarneacute dans lrsquohistoire

202

La proposition de Peacuteguy dans Un nouveau theacuteologien M Fernand Laudet est

de mettre au centre de la vie chreacutetienne lrsquoImitation de Jeacutesus Christ (il srsquoappuie sur le

livre eacuteponyme) Lrsquoimitation de Jeacutesus telle que Peacuteguy la deacutecrit est une forme

drsquoincarnation de la dureacutee dans la vie spirituelle Dieu srsquoincarne se fait homme les

saints lrsquoimitent et donc la vie incarneacutee de Dieu dure elle dure dans la communion

des saints elle dure dans la vie de chaque homme qui imite la vie de Jeacutesus toute la

vie de Jeacutesus non seulement sa vie publique mais aussi sa vie cacheacutee Et crsquoest

justement les vies des saints la communion des saints qui permettent drsquoimiter la

vie cacheacutee de Jeacutesus parce que ces vies peuvent rendre apparent ce qui nrsquoest pas dit

dans les Eacutevangiles Lrsquoincarnation est un fait de lrsquohistoire mais lrsquoimitation est une

opeacuteration de la meacutemoire Le martyre est un fait historique mais quand laquo le plus

secret des malades imite litteacuteralement la Passion de Jeacutesus les priegraveres de Jeacutesus les

souffrances de Jeacutesus les vertus de Jeacutesus les meacuterites de Jeacutesus raquo (III 411) par un

exercice de la meacutemoire crsquoest lrsquoIncarnation qui se revit dans la dureacutee et qui ne

srsquointerrompt jamais Ce qui indigne particuliegraverement Peacuteguy dans les ideacutees

exprimeacutees par Fernand Laudet agrave propos de son Mystegravere de la Chariteacute crsquoest lrsquoideacutee

Que Jeacutesus ne serait plus de ce temps (lui qui est de tous les temps) Qursquoil y aurait eu une coupure en chreacutetienteacute en christianisme Une coupure horizontale temporelle absolue Que nous nrsquoaurions pas le droit drsquoecirctre chreacutetiens comme nos pegraveres Que Jeacutesus en somme ne serait pas venu pour sauver tout le monde ndash (quelle monstrueuse heacutereacutesie) ndash mais seulement certains siegravecles une certaine couche horizontale du temps (III 472)

Une telle perspective suppose que lrsquoimitation peut ecirctre interrompue que la

dureacutee peut cesser de durer et qursquoon ne peut plus laquo ecirctre chreacutetien naturellement par

une opeacuteration interne naturelle ordinaire raquo (III 473) autant de points en

contradiction avec le dogme de la communion des saints

Toutefois il y a une forme drsquointerruption de court-circuit de lrsquohistoire de la

meacutemoire du vieillissement que Peacuteguy accepte et ceacutelegravebre comme une fecircte crsquoest

lrsquoeacuteveacutenement qui interrompt la reacutepeacutetition mortifegravere la naissance drsquoun saint drsquoun

geacutenie ou drsquoun heacuteros lrsquoeacuteveacutenement qui naicirct de la rencontre fulgurante de la vraie

compreacutehension entre un homme et le reacuteel Voilagrave comment dans le Dialogue de

lrsquohistoire et de lrsquoacircme charnelle Peacuteguy deacutecrit ce qursquoil appelle laquo deacutesobeacuteissance agrave

lrsquohistoire raquo et mecircme comme une sorte drsquoarrecirct dans le temps

203

que la machine automatique de meacutemoire et de vieillissement srsquoarrecircte par quel mystegravere par quel secret de mystegravere inteacuterieur de preacutedilection par quelle exception par quelle usurpation par quel privilegravege par quelle incoheacuterence [hellip] par quelle gracircce il suffit que lrsquoeffet et le mouvement de ce roulement perpeacutetuel soit suspendu pour u temps ne fucirct-ce qursquoun instant pour qursquoaussitocirct pour qursquoinstantaneacutement par la fenecirctre de ce temps par le hiatus de cet instant ce soit le geacutenie mecircme qui apparaisse lrsquohomme et lrsquoœuvre du geacutenie qui jaillisse intercalaire Par e jour ouvert sur on ne sait quel arrecirct du temps (III 602-603)

Finalement cette deacutesobeacuteissance nrsquoest pas un arrecirct au contraire elle permet la

dureacutee gracircce au renouvellement introduit par lrsquoirruption du geacutenie du saint du heacuteros

dans le cours de lrsquohistoire par lrsquoobeacuteissance agrave la gracircce qui permet de reacutepondre au

reacuteel en creacuteant un eacuteveacutenement Le geacutenie pour creacuteer du nouveau pour pouvoir

commencer se deacutefait de la meacutemoire Peacuteguy lrsquoapparente ainsi agrave lrsquoenfant qui nrsquoa pas

de meacutemoire parce qursquoil nrsquoa pas encore drsquoexpeacuterience agrave meacutemoriser laquoLrsquoenfant est

inchargeacute de (la) meacutemoire naturellement ou il en est deacutechargeacute meacutetaphysiquement et

naturellement le geacutenie nrsquoen est deacutechargeacute ou inchargeacute qursquoexceptionnellement raquo (III

605) Cependant dans ce mecircme texte Dialogue de lrsquohistoire et de lrsquoacircme charnelle

Peacuteguy souligne que tout ne peut pas ecirctre renouveleacute laquo Le christianisme est

indeacuteleacutebile raquo (III 716) Peacuteguy deacuteveloppe cette ideacutee en exposant une petite theacuteologie

personnelle des sacrements Pour lui les sept sacrements creacuteent le temps personnel

de la vie drsquoun homme

Le baptecircme qui fait qui sanctionne qui marque lrsquoentreacutee dans le christianisme mecircme dans tout le christianisme dans la citeacute chreacutetienne lrsquoentreacutee dans lrsquoeacutetat (de) chreacutetien la confirmation qui fait lrsquoentreacutee dans le commerce avec le Saint-Esprit lrsquoordre qui fait lrsquoentreacutee dans le ministegravere dans lrsquoeacutetat sacerdotal dans lrsquoeacutetat de precirctre le mariage qui fait lrsquoentreacutee dans lrsquoeacutetat du mariage [hellip] le sacrement enfin de lrsquoextrecircme-onction lrsquoextrecircme onction qui fait litteacuteralement pour ainsi dire une entreacutee dans lrsquoeacutetat de mort une preacuteparation unique une entreacutee unique dans lrsquoeacutetat de preacuteparation agrave la mort et au jugement (III 720-721)

Le christianisme est donc indeacuteleacutebile parce que le baptecircme est indeacuteleacutebile et se

vit une fois pour toute et pour toujours Le temps de la sainteteacute et la possibiliteacute de

lrsquoimitation actrice de lrsquoincarnation se renouvellent donc dans le baptecircme de chaque

chreacutetien la confirmation le rend ensuite potentiellement docile agrave la gracircce cette

gracircce qui lui donnera la capaciteacute drsquoimiter Jeacutesus dans lrsquoeacuteveacutenement du preacutesent reacuteel en

faisant durer ainsi lrsquoIncarnation par la communion des saints Mais la gracircce peut

ecirctre renouveleacutee par les sacrements de la confession et de la communion Pour

Peacuteguy en effet ils sont laquo les initia les commencements successifs et par suite

204

srsquoeacutechelonnent comme un emploi du temps de lrsquohomme Ils sont ils font une sorte

drsquoeacutechelle irreacuteversible de la vie (et de la mort) raquo (III 720) Leur caractegravere irreacuteversible

est lieacute au fait qursquoon ne peut pas annuler un sacrement de la reacuteconciliation ou une

Eucharistie on ne peut que le vivre de nouveau en ouvrant de nouveau la porte de

la gracircce agrave lrsquointeacuterieur de la laquo citeacute chreacutetienne raquo dans laquelle on vit depuis le baptecircme

et la confirmation

Le christianisme est aussi indeacuteleacutebile parce que Peacuteguy fait dire agrave lrsquohistoire

Vous avez eacuteterniseacute vous avez infiniseacute tout [hellip] Vous avez tout porteacute toutes les valeurs au maximum agrave la limite agrave lrsquoeacuteternel agrave lrsquoinfini Alors on ne peut plus ecirctre (un instant) tranquille(s) On avait deacutejagrave tellement de mal agrave srsquoarranger avec les valeurs purement humaines Voilagrave mon enfant voilagrave ce que crsquoest que le christianisme On ne peut plus ecirctre tranquille avec vous Des valeurs humaines de toutes les valeurs humaines des simples valeurs humaines vous avez toutes faites des valeurs divines Vous portez tout agrave Dieu vous avez tout rapporteacute agrave Dieu Vous touchez Dieu de partout (III 776)

Il poursuit en disant la mecircme chose des crimes et des moindres mauvaises

actions qui dans le christianisme deviennent peacutecheacutes et atteignent donc Dieu lui-

mecircme en acqueacuterant ainsi une valeur intemporelle dans la mesure ougrave seule

lrsquointervention de Dieu deacutetruit leur eacuteterniteacute Lrsquointervention de la gracircce dans la vie des

saints qui par leurs vie drsquoimitation rachegravetent les peacutecheacutes par la reacuteversibiliteacute joue

aussi un rocircle primordial Dans la mesure ougrave toutes les valeurs sont porteacutees agrave lrsquoinfini

elles peuvent pallier les peacutecheacutes qui ainsi ne sont plus infinis

Dans un quatrain central de son poegraveme Egraveve Peacuteguy nous dit

Car le surnaturel est lui-mecircme charnel

Et lrsquoarbre de la gracircce est racineacute profond (OPD 1275)

Charles Peacuteguy parle de lrsquoenracinement dans la diachronie et la verticaliteacute crsquoest-

agrave-dire dans la tradition de lrsquoEacuteglise dans la meacutemoire dans la communion des saints

dans la terre la langue natale Chacun est le teacutemoin de lrsquoeacuteveacutenement lrsquoeacuteveacutenement

est partie de la continuiteacute partie de lrsquohistoire lrsquoeacuteveacutenement preacutesent est bacircti sur le

passeacute et sur le futur Lrsquoenracinement dans le passeacute est la meacutemoire les habitants du

passeacute sont nos amis dans le preacutesent par la reconnaissance et le contentement qursquoils

nous donnent par lrsquoecirctre-avec auquel le temps ne peut faire obstacle ils ressuscitent

et la vie se remplit drsquoamitieacute par cette communion des saints dont parle le Symbole

des Apocirctres La vocation du teacutemoin est drsquoenraciner les contemporains et les

205

eacuteveacutenements drsquoaujourdrsquohui de faccedilon qursquoils puissent devenir passeacute existant pour le

futur qursquoils deviennent racines gage pour le futur souvenir vivifiant

Lrsquoenracinement dans le futur est lrsquoespeacuterance espeacuterance du renouvellement

possibiliteacute du nouveau Lrsquoenracinement dans le preacutesent par le teacutemoignage creacutee le sol

dans lequel peut srsquoenraciner lrsquoespeacuterance

Le texte le plus explicite de Peacuteguy sur lrsquohistoire et la meacutemoire se trouve dans

Clio Dialogue de lrsquohistoire et de lrsquoacircme paiumlenne

Lrsquohistoire consiste essentiellement agrave passer au long de lrsquoeacuteveacutenement La meacutemoire consiste essentiellement eacutetant dedans lrsquoeacuteveacutenement avant tout agrave nrsquoen pas sortir agrave y rester et agrave le remonter en dedans

La meacutemoire et lrsquohistoire forment un angle droit

Lrsquohistoire est parallegravele agrave lrsquoeacuteveacutenement la meacutemoire lui est centrale et axiale (III 1177)

Peut-on passer au long de lrsquoeacuteveacutenement quand il est passeacute reacutevolu Oui en

eacutetudiant les fiches les teacutemoignages en lrsquoanalysant en se penchant dessus sans y

plonger en gardant une distance propice agrave la science Peut-on demeurer dans

lrsquoeacuteveacutenement le remonter en restant agrave lrsquointeacuterieur quand lrsquoeacuteveacutenement est reacutevolu

passeacute Peacuteguy dit dans ce mecircme texte Clio un peu plus loin que Michelet lrsquoavait

fait il fait dire agrave Clio elle-mecircme laquo Il ne faut pas dire aussi que Michelet est le plus

grand des historiens dit-elle Crsquoest un chroniqueur et un meacutemorialiste raquo (III 1182)

Le chroniqueur et le meacutemorialiste parlent des eacuteveacutenements qursquoils ont veacutecus or

Michelet nrsquoa pas veacutecu au temps de la guerre de cent ans Peacuteguy parle ici de la

meacutemoire de la race de la meacutemoire qui peut ecirctre transmise laquelle se distingue de

lrsquohistoire par la participation inteacuterieure aux eacuteveacutenements crsquoest-agrave-dire la capaciteacute de

se laisser toucher donc drsquoecirctre transformeacute par des eacuteveacutenements veacutecus par drsquoautres

dans le passeacute

Simone Fraisse commente dans cette perspective Clio dans Peacuteguy et le Moyen

Age

Rongeacutee creuseacutee sous lrsquoaction du temps Clio reprend pourtant figure quand on la considegravere sous lrsquoangle de la meacutemoire au sens bergsonien du mot Le dуvenir srsquoest inscrit dans sa chair Seule la meacutemoire qui compare qui mesure qui regrette reacutevegravele le vieillissement Seule elle donne la conscience de la distance parcourue [hellip] Faute de

206

cette expeacuterience inteacuterieure on fait de lrsquohistoire crsquoest-agrave-dire qursquoon demeure eacutetranger agrave la matiegravere de lrsquoeacuteveacutenement187

Crsquoest ainsi que le saint pour Peacuteguy devient le chroniqueur et le meacutemorialiste

parfait dans la mesure ougrave il a participeacute agrave des eacuteveacutenements dans le passeacute et demeure

toucheacute par ces eacuteveacutenements il est capable de transmettre sa meacutemoire et son veacutecu par

le mystegravere de la communion des saints de lrsquoimitation et de lrsquoinvocation Le saint est

un acteur de lrsquoincarnation crsquoest un homme qui imite Jeacutesus le Dieu fait homme par

le mystegravere de lrsquoIncarnation Ainsi la sainteteacute permet agrave Dieu drsquoagir dans lrsquohistoire

Lrsquoincarnation chez Peacuteguy crsquoest la possibiliteacute aujourdrsquohui de srsquoenraciner dans le

Christ et dans lrsquoespeacuterance de la Reacutesurrection

b) La fideacuteliteacute et la dureacutee

Chez Peacuteguy il y a deux faccedilon de faire durer la vie et drsquoecirctre fidegravele agrave Dieu qui

semblent comme souvent chez cet auteur contradictoires mais sont plutocirct

compleacutementaires Lrsquoune est celle que choisit le saint proche du heacuteros ou du geacutenie

ecirctre attentif agrave lrsquoappel de Dieu dans lrsquoeacuteveacutenement et y reacutepondre le moment venu

discerner sa vocation agrave incarner la volonteacute de Dieu dans lrsquoeacuteveacutenement preacutesent ecirctre agrave

lrsquoeacutecoute du reacuteel Lrsquoautre consiste agrave ecirctre fidegravele au travail agrave la terre agrave faire durer la

tradition et fructifier lrsquoheacuteritage agrave srsquoenraciner en attendant que la racine que lrsquoarbre

mecircme porte fruit qursquoun heacuteros un geacutenie un saint naisse de cette race

Deacutejagrave en 1897 dans sa premiegravere Jeanne drsquoArc Peacuteguy par la bouche

drsquoHauviette montre agrave quel point la fideacuteliteacute et la perseacuteveacuterance dans

lrsquoaccomplissement de la tacircche quotidienne sont essentielles car elles creacuteent et

maintiennent la dureacutee et la vie temporelle

Voilagrave bientocirct cinquante ans passeacutes au dire des anciens que le soldat moissonne agrave sa fantaisie voilagrave bientocirct cinquante ans passeacutes que le soldat eacutecrase ou brucircle ou vole agrave sa guise la moisson mucircre Eh bien apregraves tout ce temps-lagrave tous les ans agrave lrsquoautomne les bons laboureurs ton pegravere le mien les pegraveres de nos amies toujours les mecircmes labourent avec le mecircme soin les mecircmes terres les terres de lagrave-haut et les ensemencent Voilagrave ce qui garde tout Ils nrsquoauraient eux aussi qursquoagrave se faire soldats ccedila nrsquoest pas difficile on reccediloit moins de coups puisqursquoon en donne aux autres Une fois

187 FRAISSE Simone Peacuteguy et le Moyen Age Paris Honoreacute Champion 1978 p 59

207

soldats ils nrsquoauraient eux aussi qursquoagrave faire la moisson sans avoir fait les semailles Mais les bons laboureurs aiment les bons labours et les bonnes semailles tous les ans ils font agrave la mecircme eacutepoque la mecircme besogne avec la mecircme vaillance voilagrave ce qui tient tout ce sont eux qui tiennent tout eux qui gardent tout eux qui sauvent tout ce que lrsquoon peut sauver crsquoest par eux que tout nrsquoest pas mort encore et le bon Dieu finira bien par beacutenir leurs moissons (OPD 11)

Etre fidegravele agrave soi-mecircme en restant paysan et non soldat ecirctre fidegravele agrave sa tacircche

ecirctre fidegravele au passeacute en imitant les mecircmes travaux sur la mecircme terre ecirctre fidegravele au

preacutesent en recommenccedilant sans cesse malgreacute la guerre ecirctre fidegravele au futur en

semant avec espeacuterance avec lrsquoespoir que les semailles vont pousser laquo voilagrave ce qui

tient tout raquo et ce qui selon Peacuteguy permet la dureacutee de la vie

Dans le Mystegravere de la chariteacute Peacuteguy ne retranscrit pas ces mots drsquoHauviette

En revanche dans Un Nouveau theacuteologien monsieur Fernand Laudet texte qui

peut ecirctre consideacutereacute comme le commentaire du Mystegravere Peacuteguy consacre plusieurs

pages agrave la fideacuteliteacute demandeacutee aux chreacutetiens drsquoaujourdrsquohui qui vivent comme au

temps des croisades parce que les infidegraveles moderne sont pregraves de nous et que

laquo Nos fideacuteliteacutes sont des citadelles raquo (III 461)

La fideacuteliteacute rend possible lrsquoespeacuterance elle promet de nouveaux deacutebuts possibles

et des commencements qui eux aussi nourrissent la dureacutee Comme le dit Peacuteguy agrave

propos de lrsquoespeacuterance dans Le Mystegravere des saints Innocents laquo Mais le tendre

bourgeon nrsquoest fait que pour la naissance et il nrsquoest chargeacute que de faire naicirctre (Et de

faire durer) raquo (OPD 783)

a) La fin de lrsquohistoire

La question du temps se pose constamment dans la litteacuterature du XIXe siegravecle et

au-delagrave Certes le tempos fugit est un topos litteacuteraire omnipreacutesent mais au tournant

du XIXe siegravecle et du XXe une peacuteriode marqueacutee tout agrave la fois par drsquoimportantes

deacutecouvertes archeacuteologiques qui font penser au passeacute et par de grandes avanceacutees

techniques et scientifiques qui font recircver ou srsquoinquieacuteter au sujet de lrsquoavenir la

question se pose avec une intensiteacute particuliegravere Ce nrsquoest pas un hasard si crsquoest agrave

208

cette eacutepoque que se deacuteveloppe la philosophie de Bergson sa penseacutee sur le temps et

la dureacutee en particulier Crsquoest aussi lrsquoeacutepoque de lrsquoestheacutetique laquo deacutecadente raquo laquo fin de

siegravecle raquo des termes qui trahissent une angoisse parfaitement palpable devant la fuite

du temps et la corrosion qursquoelle comporte Peacuteguy exegravecre cette estheacutetique deacutecoulant

drsquoune temporaliteacute qui rejette le preacutesent il propose donc drsquoy remeacutedier par lrsquoaccueil

du reacuteel lrsquohospitaliteacute du reacuteel Vivre dans le preacutesent sans ecirctre un laquo moderne raquo crsquoest-agrave-

dire tourneacute vers le progregraves par le rejet du passeacute ni ecirctre un laquo deacutecadent raquo autrement

dit rejeter le preacutesent parce que le temps srsquoy perccediloit trop intenseacutement signifie pour

Peacuteguy vivre dans la continuiteacute et non dans le renoncement au passeacute vivre dans

lrsquoattente et lrsquoespeacuterance et non dans la peur de la disparition

Degraves ses premiers textes Peacuteguy srsquointeacuteresse agrave la fin de lrsquohistoire du monde de la

vie et il approche ce sujet par des biais diffeacuterents Crsquoest drsquoabord lrsquoutopie qursquoil

preacutesente dans un manifeste socialiste De la citeacute socialiste et dans un dialogue

meacutetaphasique Marcel ou le dialogue de la citeacute harmonieuse tous les deux eacutecrits

en 1897 Ensuite crsquoest lrsquoangoisse du salut que Peacuteguy voudrait universel Mais il a

appris de ses cateacutechistes enfant lrsquohorreur de lrsquoenfer de la damnation eacuteternelle

mecircme si agrave cette eacutepoque il ne se dit pas chreacutetien ces ideacutees le hantent De la citeacute

socialiste texte eacutecrit pour La Revue socialiste est un manifeste politique eacutecrit au

futur Marcel est un texte curieux qui nrsquoest drsquoailleurs pas un dialogue et qui deacutecrit

le monde utopique de la citeacute harmonieuse au preacutesent Dans ces deux textes il ne

srsquoagit pas reacuteellement drsquoune fin de lrsquohistoire mais drsquoune autre histoire drsquoun autre

monde un monde imagineacute La sainteteacute nrsquoy a pas vraiment de place parce que crsquoest

un monde ideacuteal ougrave il nrsquoy a laquo aucun travail qui puisse deacuteformer les acircmes ou les

corps raquo (I 57) il nrsquoy a mecircme pas drsquoeacutegaliteacute de justice ougrave de chariteacute laquo parce que

toute chariteacute suppose des manques et que la citeacute harmonieuse ne laisse manquer de

rien les citoyens raquo (I 61) Les sentiments malsains sont absents de la citeacute ainsi que

la meacutemoire drsquoune vie de la citeacute non-harmonieuse Il nrsquoy a donc pas drsquoeffort la

sainteteacute dans le sens de la perfection morale y est toute naturelle Mecircme lrsquoideacutee de

la transmission et de lrsquoheacuteritage est absente de la citeacute harmonieuse parce que laquo Les

parents nrsquoont pas dans la citeacute harmonieuse agrave enseigner agrave leurs enfants les sentiments

de la santeacute mais les sentiments de la santeacute naissent et croissent toute seules dans

209

les familles aux acircmes des enfants raquo (I 77) Dans cette utopie Peacuteguy deacutecrit un

monde ougrave la socieacuteteacute mecircme la citeacute mecircme creacutee ses saints les ecirctre moralement parfait

qui la constituent et qui ainsi nrsquoont pas peur drsquoune fin parce que ce monde ideacuteal ne

semble pas peacuterissable

Pour penser la fin du monde Peacuteguy se rapproche de lrsquoideacutee drsquoun acircge drsquoor mecircme

si on ne trouve pas cette expression dans ses textes on y trouve en revanche un

inteacuterecirct particulier pour le temps et pour lrsquohistoire le rejet drsquoune ideacutee du progregraves le

refus drsquoune socieacuteteacute marchande qui pour Peacuteguy correspond agrave une veacuteritable

deacutecadence lrsquoamour du passeacute et de la terre ougrave regravegne lrsquoharmonie Sur ce point Peacuteguy

rejoint en fait la perception du temps et de lrsquohistoire propre agrave lrsquoesprit de deacutecadence

mecircme srsquoil srsquoen deacutemarque une vision de lrsquohistoire qui nrsquoexiste qursquoen tant que

mouvement circulaire en boucle ougrave le progregraves nrsquoest pas seulement proscrit en tant

que rejet du passeacute mais simplement impossible ougrave lrsquoacircge drsquoor et lrsquoacircge de la

deacutecadence se succegravedent188

Agrave propos de lrsquoutopie et du mythe de lrsquoacircge drsquoor chez Peacuteguy Eric Thiers eacutecris

Que ce soit dans la citeacute harmonieuse ou dans le Paradis perdu et retrouveacute le temps qui nous soumet agrave un pourrissement inexorable est aboli tout comme lrsquohistoire et la meacutemoire Cette citeacute atemporelle nrsquoest pas agrave venir elle nrsquoa pas disparue Elle est preacutesente en chacun avec ses valeurs immuables lrsquoinnocence la veacuteriteacute lrsquoharmonie la bonteacute la chariteacute la justice etc Face agrave la politique qui doit affronter la contingence ndash crsquoest sa vocation elle est temporelle lieacutee au temps ndash Peacuteguy oppose la fixiteacute drsquoune morale drsquoune mystique eacuteternelle sans nous dire drsquoailleurs comment tenter de concilier ces deux plans en creacuteant un mode de communication entre eux La citeacute ideacuteale de Peacuteguy est proprement humaine en ce qursquoelle est constitueacutee en tout individu pourvu qursquoil demeure fidegravele agrave ce qursquoil fut189

La mecircme anneacutee que ses deux utopies Peacuteguy eacutecrit cependant sa premiegravere

Jeanne drsquoArc pleine drsquoangoisse du salut et drsquoinsurrection contre la justice de Dieu

qui voue les peacutecheurs agrave la damnation eacuteternelle Dans des paroles que Madame

Gervaise juge blaspheacutematoires la petite Jeannette se dit precircte agrave se sacrifier agrave la

place des pecirccheurs Les reacuteponses de lrsquoEacuteglise donneacutees par Madame Gervaise ne

sont pas satisfaisantes pour elle elle trouve lrsquoapaisement dans lrsquoaction puis la

188 Voir Raoul Girardet Mythes et mythologies politiques Seuil 1986 189 THIERS Eacuteric laquo Les mondes perdus de Charles Peacuteguy Un mythe intime et universelraquo Mil neuf cent Revue drsquohistoire intellectuelle 12013 (ndeg 31) p 25-51

210

mort les derniegraveres paroles de Jeanne dans la trilogie crsquoest la priegravere de Jeanne pour

le salut universel Cette priegravere eacutevoque lrsquoespeacuterance de Jeanne et donc la sienne

puisque Jeanne est en quelque sorte lrsquoalter ego de lrsquoauteur

Cette espeacuterance ineacutebranlable apparaicirct encore plus forte dans les paroles

drsquoHauviette au deacutebut de la trilogie Peacuteguy quelques anneacutees plus tard les reprend

dans Louis de Gonzague en relatant une anecdote attribueacutee au saint Il srsquoagit drsquoun

eacutepisode de la vie du saint qui raconte comme il a reacutepliqueacute agrave ses camarades lors

drsquoune reacutecreacuteation au couvent que si le jugement dernier avait lieu dans quelques

minutes il continuerait de jouer agrave la balle Cette histoire pour Peacuteguy ne parle pas

drsquoirrespect de Dieu mais de la liberteacute et surtout de la valeur de la vie en soi et de

la dureacutee drsquoune action reacuteelle nrsquoimporte quelle action y compris le simple jeu a elle

aussi de la valeur et ne peut ecirctre interrompue que par quelque chose qui la deacutepasse

complegravetement comme la venue de Dieu

Dans Le mystegravere des saints innocents le dernier des trois mystegraveres de Peacuteguy

eacutecrit et publieacute en 1912 celui-ci parle drsquoabord du jugement que lrsquohomme doit

effectuer sur soi-mecircme

Je suis partisan dit Dieu que tous les soirs on fasse son examen de conscience

Crsquoest un bon exercice

Mais enfin il ne faut pas srsquoen torturer au point drsquoen perdre le sommeil

A cette heure-lagrave la journeacutee est faite et bien faite il nrsquoy a plus agrave la refaire

Il nrsquoy a plus agrave y revenir raquo (III 787)

Peacuteguy deacuteveloppe longuement ce discours de Dieu sur lrsquoexamen de conscience

et la confiance lrsquoabandon Il lrsquoillustre par des images tregraves parlantes comme celle de

lrsquohomme qui srsquoessuie les pieds avant de franchir le seuil de lrsquoEacuteglise mais qui ne

pense pas apregraves ecirctre entreacute agrave la boue qui aurait pu rester un peu sur ses chaussures

Il semble essentiel de respecter lrsquoordre du passeacute du preacutesent et du futur Lrsquohomme

commet un peacutecheacute fait son examen de conscience il srsquoen rend compte se repent

puis srsquoabandonne agrave Dieu car le futur nrsquoappartient qursquoagrave Dieu Tout dans lrsquohistoire y

compris lrsquohistoire personnelle drsquoun homme a un deacutebut une continuation une fin

Voilagrave comment Peacuteguy lrsquoexplique par des mots qursquoil place dans la bouche de Dieu

Jrsquoai deacutecoupeacute le temps dans lrsquoeacuteterniteacute dit Dieu

211

Le temps et le monde du temps

La creacuteation fut le commencement et le jugement sera la fin

(Du temps) (Du monde du temps)

Crsquoest exactement une symeacutetrie un balancement

Ce que jrsquoai ouvert je le fermerai

Le jour de la creacuteation (les six jours) jrsquoai ouvert un certain monde

(On le connaicirct de reste) (On le sait on en a assez parleacute)

Enfin la premiegravere heure du premier des six jours de la creacuteation jrsquoai commenceacute une certaine histoire

Et le jour du jugement je la fermerai

Or tout lrsquoancien testament part de ce jugement que je fis de creacuteer

Et tout le nouveau testament va vers ce jugement que je ferai de juger

Ainsi lrsquoancien testament est symeacutetrique au nouveau

Et (contre) balance le nouveau

Et tout lrsquoancien testament par de cette creacuteation

Et tout le nouveau testament va vers ce jugement

Et dans lrsquoancien testament le Paradis est au commencement

Et crsquoest un Paradis terrestre

Mais dans le nouveau testament le paradis est agrave la fin

Et je vous le dis crsquoest un paradis ceacuteleste raquo (III 883)

Ainsi Peacuteguy deacutecrit le temps de ce monde comme une histoire raconteacutee par

Dieu qui a un deacutebut et une fin Il preacutesente ensuite lrsquoimage drsquoune catheacutedrale agrave deux

voucirctes lrsquoAncien et le Nouveau testament avec Jeacutesus comme cleacute de voucircte Ainsi la

fin de lrsquohistoire nrsquoest pas une catastrophe ni une destruction ou une trageacutedie ce

nrsquoest pas un terrible jugement mais tout simplement la fin drsquoune histoire conteacutee par

Dieu qui a creacuteeacute lrsquohistoire du monde par un jugement et qui va la clore de la mecircme

maniegravere En somme pour Peacuteguy le jugement dernier nrsquoest pas une catastrophe qui

vient deacutetruire le cours des choses mais la fin drsquoune histoire qui nous serait conteacutee

par Dieu dont nous faisons partie la fin toute naturelle de quelque chose qui a eu

un deacutebut Pour ce qui concerne le jugement dans ce mecircme texte Peacuteguy fait dire agrave

Dieu laquoOn sait assez comment le pegravere a jugeacute le fils qui eacutetait parti et qui est revenu

Crsquoest encore le pegravere qui pleurait le plus Voilagrave ce que mon fils leur a conteacute Mon fils

leur a livreacute le secret du jugement mecircmeraquo (OPD 798) Dans Clio lrsquohistoire

srsquoindigne du fait que les hommes lrsquoont choisie comme juge suprecircme laquo Qursquoils ont

voulu laiumlciser le Jugement et qursquoils en ont fait ce miseacuterable jugement historique Et

212

qursquoils ont voulu laiumlciser le Juge et qursquoils mrsquoont pris moi miseacuterable raquo (III 1127)

Lrsquoaberration pour Peacuteguy en 1913 crsquoest de choisir comme juge lrsquohistoire qui est

creacuteeacutee et raconteacutee par Dieu comment pourrait-elle juger lrsquohumaniteacute si le jugement

repreacutesente preacuteciseacutement sa propre fin

Pourquoi donc Peacuteguy ne deacutecrit-il jamais les visions effrayantes de

lrsquoApocalypse guerres tremblement de terres etc Pourquoi ne parle-t-il jamais de

ce qui est traditionnellement lieacute agrave lrsquoeschatologie La fin de lrsquohistoire celle qui

commence par Egraveve et se termine par la mort crsquoest la fin de la vie sur la terre mais

pas la fin de la terre On le remarque bien dans la description du paradis au deacutebut de

la derniegravere œuvre acheveacutee de Peacuteguy le grand poegraveme Egraveve Pour Peacuteguy dans les

cieux un Franccedilais reste un Franccedilais un Anglais reste un Anglais autrement dit les

pays demeurent la France demeure aussi agrave jamais peut-ecirctre mecircme ne va-t-elle pas

tellement changer Crsquoest pour cela que dans son eschatologie poeacutetique les saints ont

un rocircle particulier notamment la mort des saints Les saints demeurent patrons de la

terre sur laquelle ils ont marcheacute et ougrave ils sont enterreacutes La mort drsquoun saint crsquoest tout

de suite le Jugement dernier parce que le temps apregraves la mort nrsquoexiste plus La mort

drsquoun saint crsquoest le jugement de ceux qui vivent sur la mecircme terre que lui car selon

Peacuteguy le saint megravene son peuple au jugement Les saints franccedilais conduiront ainsi le

peuple franccedilais au Jugement dernier les saints parisiens pour leur part conduiront

le peuple de Paris Voilagrave pourquoi les saintes preacutefeacutereacutees du poegravete sont des bergegraveres

qui font paicirctre les troupeaux des acircmes humaines

LrsquoEspeacuterance constitue assureacutement lrsquoun des thegravemes les plus importants pour

Peacuteguy Crsquoest lrsquoespeacuterance qui deacutefinit les attentes eschatologiques du poegravete

personnelles et universelles Peacuteguy deacutebute le Mystegravere de la chariteacute de Jeanne drsquoArc

par la priegravere de Jeannette qui reacutecite le Notre Pegravere mais ne peut pas se limiter aux

mots qursquoelle connaicirct si bien

Notre pegravere notre pegravere qui ecirctes au royaume des cieux de combien il srsquoen faut que votre regravegne arrive au royaume de la terre Notre pegravere notre pegravere qui ecirctes au royaume des cieux de combien il srsquoen faut que votre regravegne arrive au royaume de France [] O mon Dieu si on voyait seulement le commencement de votre regravegne Si on voyait seulement se lever le soleil de votre regravegne Mais rien jamais rien [] Si on voyait poindre seulement le jour de votre regravegne Et vous avez envoyeacute vos saints vous les avez appeleacutes chacun par leur nom vos autres fils les saints et vos filles les saintes et

213

vos saints sont venus et vos saintes sont venues et rien jamais rien[] Encore si lrsquoon voyait le commencement de vos saints si lrsquoon voyait poindre le commencement du regravegne de vos saints [] Srsquoil nrsquoy a pas eu assez de saintes et assez de saints envoyez-nous en drsquoautres envoyez-nous en autant qursquoil en faudra envoyez-nous en tant que lrsquoennemi se lasse (OPD 403-404)

En drsquoautres termes la venue du Royaume des cieux crsquoest lrsquoaccomplissement

drsquoune espeacuterance et le travail du saint crsquoest lrsquoattente patiente et la priegravere intense

pour que naisse un nouveau saint Le saint crsquoest lrsquoacteur principal de lrsquoespeacuterance

celui dans qui elle se concentre et srsquoincarne parce que la terre ne peut pas exister

sans les priegraveres des saints Chaque saint est un preacutecurseur Le saint œuvre sur la

terre et prie pour la terre il accomplit un travail de laboureur qui faccedilonne la terre

Le saint prie et espegravere la naissance drsquoun autre saint de cette maniegravere il approche la

Parousie

En parlant de lrsquoApocalypse Peacuteguy ne parle jamais de la fin du monde de la

destruction mais plutocirct drsquoun nouveau deacutebut drsquoune nouvelle Citeacute Harmonieuse

Dans la fin de lrsquohumaniteacute il entrevoit son unification dans la Tapisserie de Notre

Dame il lrsquoappelle laquole jour solennelraquo et lrsquolaquoacircge absoluraquo dans lequel rentreront tous

les acircges comme un point de convergence Pourquoi Peacuteguy parle-t-il drsquoun acircge En

parlant de lrsquoApocalypse Peacuteguy ne parle pas de la fin de la terre mais de la fin de

lrsquohistoire et de la succession passeacute mdash preacutesent mdash futur Lrsquoeschatologie personnelle et

les eschatologies personnelles sont unies chaque mort la mort de chaque homme

marque la fin de son histoire quand chaque homme atteindra lrsquolaquoacircge absoluraquo

viendra la fin de lrsquohistoire Dans le monde nouveau il nrsquoy aura plus drsquohistoire mais

comme le dit Peacuteguy laquo une mort plus vivante que la vieraquo (OPD 1157) Il parle ainsi

de laquonotre tragique histoireraquo (OPD 1150) de la mort qui est lrsquoaboutissement de

lrsquohistoire drsquoun homme et de la fin du monde comme lrsquoaboutissement de lrsquohistoire

universelle Dans Egraveve en parlant du Dernier Jour Peacuteguy deacuteveloppe cette mecircme

ideacutee Il deacutecrit tout ce qui ne sera plus tout ce qui changera et tout ce qui adviendra

une toute derniegravere fois Pour autant il ne parle pas des changements il nrsquoy a pas de

description visionnaire rien que les images du Jugement que nous connaissons deacutejagrave

gracircce agrave ses autres œuvres poeacutetique ougrave il parle des saints qui guident les troupeaux

des acircmes Peacuteguy parle aussi de la fin du monde comme de la Rencontre de ceux qui

ont eacuteteacute seacutepareacutes par la mort et le temps laquoQuand tout srsquoeacuteclairera des flammes de

214

meacutemoireraquo et un peu plus loin laquoQuand les ressusciteacutes srsquoen iront par les bourgs

encore tout eacutebaubis et cherchant leur chemin et les yeux eacuteblouis et se tenant la

main Et reconnaissant mal ces tours et ces deacutetoursraquo (OPD 1219) Peacuteguy dit que

lrsquohumaniteacute est une que la rencontre est possible parce que les premiers hommes

sont unis aux derniers dans la mesure ougrave nous sommes tous faits de la mecircme terre

Egraveve constitue la derniegravere œuvre poeacutetique de Peacuteguy mais dans ces pages il

revient pour lrsquoessentiel au thegraveme de la trilogie dramatique sur Jeanne drsquoArc La

priegravere de Jeanne pour le salut de tous revient donc encore dans les pages drsquoEgraveve De

mecircme que Jeanne dans la seconde piegravece de la trilogie les Batailles prie pour le

salut de ceux qui sont morts sur le champ de guerre Peacuteguy consacre plusieurs pages

drsquoEgraveve agrave la priegravere pour les guerriers Il prie pour que le jour du Jugement dernier

laquoDieu mette avec eux dans la juste balance un peu de ce terreau drsquoordure et de

poussiegravereraquo (OPD 1265) cette poussiegravere pour laquelle ils sont morts et dans laquelle

ils reposent Dans lrsquoun des quatrains non retenus par lrsquoauteur pour le texte final

drsquoEgraveve on trouve une priegravere mais pas pour le salut des acircmes et pour le Jugement le

poegravete prie pour le second avegravenement du Christ en demandant une vision bien qursquoil

ne srsquoagisse pas drsquoune vision apocalyptique laquoPuissions-nous contempler quand

nous serons jugeacutes La figure laisseacutee aux mains de Veacuteroniqueraquo (OPD 1516)

Toute la vie de lrsquohomme pour Peacuteguy tend vers une espeacuterance lrsquoespeacuterance de

la Rencontre avec Dieu et de la rencontre de tous les hommes Le Jugement Dernier

nrsquoest pas une fin du monde mais vraiment la Parousie crsquoest-agrave-dire

lrsquoaccomplissement de lrsquoespeacuterance la Rencontre tant attendue Les saints ce sont

ceux qui ont veacutecu une rencontre dans leur vie terrestre et connaissent deacutejagrave ce

chemin ils peuvent comme de bonne bergegraveres qui connaissent le chemin vers les

bons pacircturages mener tout le troupeau agrave la place de la Rencontre rendre le salut et

la Rencontre possibles pour chaque homme

215

2 Le saint comme ancecirctre et comme prophegravete

Pour qursquoune vie dans la sainteteacute et une incarnation dans le preacutesent soient

possibles il faut que ce preacutesent soit ancreacute dans le passeacute et orienteacute vers lrsquoavenir Ces

deux axes sont pleinement preacutesents dans lrsquoœuvre de Peacuteguy Pour ce qui concerne le

passeacute on trouve dans ses textes plusieurs figures de lrsquoancecirctre au sens large du

terme ce sont des personnages qui repreacutesentent la race le peuple saisi dans la

longue dureacutee comme par exemple la grand-megravere de Peacuteguy dans Victor-Marie

comte Hugo des personnages qui peuvent ecirctre consideacutereacute comme premiers comme

Bernard-Lazare en tant que premier entre tous les dreyfusard car il a clameacute le

premier lrsquoinnocence de Dreyfus des personnes qui ont eacuteteacute premiegraveres et exemplaires

dans un sens de supeacuterioriteacute morale comme les heacuteros les saints patrons On peut

aussi consideacuterer comme ancecirctres ceux qui transmettent un heacuteritage non mateacuteriel (le

savoir les valeurs la foi) aux geacuteneacuterations suivantes en ce sens nrsquoimporte quel aicircneacute

ou maicirctre peut ecirctre un ancecirctre

Lrsquoeacutetymologie du mot ancecirctre vient du latin antecessor antecedere qui signifie

laquo marcher devant raquo laquo celui qui preacutecegravede raquo (en franccedilais preacutedeacutecesseur vieillard

initiateur devancier) quant agrave lrsquoadjectif laquo ancestral raquo il signifie heacutereacuteditaire

traditionnel heacuteriteacute Dans la mesure ougrave lrsquoancecirctre est la personne qui est agrave lrsquoorigine

drsquoune famille on peut le rapprocher de lrsquoaiumleul de lrsquoascendant Parfois ce mot

deacutesigne mecircme simplement lrsquoacircge avanceacute de la personne Laurent Husson eacutenumegravere

ainsi les diffeacuterentes interpreacutetations de ce terme

Lrsquoancecirctre peut srsquoentendre de plusieurs maniegraveres depuis lrsquoideacutee drsquoancecirctre commun universel jusqursquoagrave lrsquoancecirctre permettant de singulariser une famille voire lrsquoancecirctre au sens de preacutedeacutecesseur dans une fonction singuliegravere ou comme figure symbolique (ce qui nous reconduit justement au heacuteros)190

En tout cas lrsquoancecirctre est une personne qui a devanceacute ceux qui la deacutesignent en

tant qursquoancecirctre en acircge dans le temps dans les actes Lrsquoancecirctre crsquoest un lointain qui

est neacuteanmoins toujours preacutesent ce qui le diffeacuterencie du preacutecurseur qui demeure

190 HUSSON Laurent laquo Ancecirctre fondateur heacuteros eacuteleacutements de distinction raquo in Dominique Ranaivoson Valentina Litvan (dir) Les heacuteros culturels reacutecits et repreacutesentations Saint-Maur-des-Fosseacutes Seacutepia 2014 p 15

216

dans le passeacute Laurent Husson observe que laquo Lrsquoancecirctre se diffeacuterencie du mort en

intervenant dans les affaires des vivants raquo191 Le culte des morts est un rite de

commeacutemoration le culte des ancecirctres repreacutesente pour sa part un acte de

reconnaissance voire de veacuteneacuteration On doit aux ancecirctres non seulement la

meacutemoire mais une forme de reacuteciprociteacute puisque ils sont actifs drsquoune maniegravere ou

drsquoune autre dans notre preacutesent notre reacutealiteacute Le culte des ancecirctres permet aussi agrave

une communauteacute agrave un groupe de srsquounir autour drsquoun personnage qui devient la

reacutefeacuterence du groupe Souvent la figure de lrsquoancecirctre est lieacutee agrave un acte fondateur qui

est deacutesigneacute par le groupe comme un acte exceptionnel et doit demeurer dans la

meacutemoire de la communauteacute laquo La fondation srsquoopegravere par la violence ou dans un

moment charismatique mais elle doit pour srsquoinstaurer se peacuterenniser raquo192

Cependant un acte fondateur peut ne pas ecirctre lieacute agrave un personnage fondateur

Laurent Husson compare lrsquoancecirctre agrave drsquoautres personnages exemplaires en preacutecisant

qursquolaquo Ancecirctre fondateur heacuteros appartiennent tous neacutecessairement au passeacute dans la

mesure ougrave ils existent complegravetement que par leurs successeurs lesquels seuls

assurent leur avenir agrave travers les diffeacuterents modaliteacutes de leur action preacutesente raquo193 Le

heacuteros se diffeacuterencie de lrsquoancecirctre principalement par deux choses il doit avoir

effectueacute un geste une action exceptionnelle et srsquoil peut ne pas ecirctre fondateur voire

ne pas avoir un groupe de successeurs drsquoheacuteritiers il est forceacutement le personnage

drsquoun reacutecit

Lrsquoacte fondateur peut donc ecirctre le deacutebut de quelque chose drsquoimpersonnel De

mecircme le heacuteros peut devenir la pierre angulaire drsquoun reacutecit sans pour autant susciter

des imitations Lrsquoancecirctre concerne plus la personne vivante mecircme srsquoil est lieacute au

passeacute il a neacutecessairement une implication sur le preacutesent pour ceux qui le

reconnaissent en tant que tel Pierre Citti deacutefinit lrsquoancecirctre comme laquo lrsquoarcheacutetype de

191 HUSSON Laurent laquo Ancecirctre identiteacute histoire raquo in Jacques Fantino Bernard Bourdin (dir) Les figures de lrsquoancecirctre entre quecircte drsquoidentiteacute et souci de leacutegitimiteacute Sous la direction de Centre Ecritures coll theacuteologies et cultures universiteacute de Lorraine 2012 p 15 192 HUSSON Laurent ibid p 27 193 HUSSON Laurent opcit Ancecirctre fondateur heacuteros eacuteleacutements de distinction p 26

217

soi-mecircme raquo194 On ressent donc un lien avec ses ancecirctres ce lien que Peacuteguy deacutecrit

souvent en eacutevoquant la laquo race raquo On peut eacuteprouver envers ses ancecirctres des

sentiments plus forts qursquoune simple commeacutemoration parce qursquoils sont preacutesent en

nous il srsquoagit de reconnaissance de pieacuteteacute drsquoune forme de reconnaissance de

lrsquoautoriteacute de lrsquoancecirctre Pierre Citti deacutefinit ainsi la race comme laquo la repreacutesentation qui

donne agrave tous les sentiments de la pietas toute la force de lrsquoauctoritas raquo195

Anne-Marie Thiesse explique comment une forme de culte des ancecirctres sert de

fondement dans la formation drsquoune nation si pour la race lrsquoancecirctre aide agrave

reconnaicirctre sa filiation la continuiteacute la dureacutee Dans le processus de formation drsquoune

nation la reconnaissance drsquoun ancecirctre sert de leacutegitimation par une meacutemoire des

origines et de don reccedilu de ses aiumleux

laquo Tout acte de naissance eacutetablit une filiation La vie des nations europeacuteennes commence avec la deacutesignation de leurs ancecirctres Et la proclamation drsquoune deacutecouverte il existe un chemin drsquoaccegraves aux origines qui permet de retrouver les aiumleux fondateurs et de recueillir leur legs preacutecieux Le Peuple par sa primitiviteacute est un vivant fossile qui garde jusqursquoau cœur de la moderniteacute lrsquoesprit des grands ancecirctres raquo196

Mais un acte de naissance et la proclamation drsquoune deacutecouverte peuvent aussi

provenir drsquoune attitude ou drsquoune perception plutocirct que drsquoun fait Il y a un ancecirctre lagrave

ougrave il y a un deacutebut Peacuteguy le montre de maniegravere curieuse dans le Dialogue de

lrsquohistoire et de lrsquoacircme charnelle ougrave par la bouche de lrsquoHistoire il deacutesigne Victor

Hugo comme lrsquoancien lrsquoancecirctre de ceux qui eacutecrivent notamment de ceux qui

eacutecrivent lrsquohistoire

Le vieil Hugo mon ami voyait le monde comme srsquoil venait drsquoecirctre fait [hellip] Crsquoest naturellement la seule maniegravere de le voir Malheureusement elle nrsquoest pas donneacutee agrave tout le monde IL voyait la creacuteation comme si agrave lrsquoinstant elle sortait des augustes Mains comme si elle venait de sortir comme si des grandes Mains elle venait de srsquoeacutechapper bondissante Lagrave est ce qui compte et ce qui fait sa force antique Crsquoest pour cela mon ami que presque seul de tous les modernes et tout autrement que tout autre nous le consideacuterons nous lrsquoestimons nous le mesurons comme un Ancien comme un grand Ancien (III 597)

194 CITTI Pierre Contre la deacutecadence Histoire de lrsquoimagination franccedilaise dans la roman 1890-1914 Paris PUF 1987 p 155 195 CITTI Pierre opcit p 212 196 THIESSE Anne-Marie La creacuteation des identiteacutes nationales Europe XVIIIe-XXe siegravecle Paris Seuil 2001 p 21

218

On deacutecouvre ici encore un paradoxe de Peacuteguy Le geacutenie est celui qui renouvelle

le monde qui rend possible lrsquoavegravenement du neuf et donc lrsquoespeacuterance pour cela il

doit voir dans lrsquoeacuteveacutenement un possible deacutebut Mais en reacuteveacutelant le deacutebut en

renouvelant le monde il se fait lrsquoAncien puisqursquoil devient le premier Cette

possibiliteacute de voir les germes du nouveau dans le monde permet de poser un acte

fondateur

a) Le fondateur

Dans le Dialogue de lrsquohistoire et de lrsquoacircme charnelle Peacuteguy consacre plusieurs

pages aux fondateurs de citeacutes laquo directement inspireacutes de la puissance des dieux raquo

(III 626) La citeacute est le lieu ougrave lrsquohistoire se forge continue et dure Son fondateur

est laquo comme deacuteleacutegueacute du Creacuteateur raquo (III 629) il reccediloit du Creacuteateur non seulement

sa gloire et son don de voir le nouveau et de creacuteer mais aussi sa lourde

responsabiliteacute pour le nouveau qursquoil a engendreacute

Peacuteguy deacutesigne aussi le pegravere de famille comme un fondateur et un ancecirctre en le

comparant au fondateur drsquoune dynastie laquo Dans la fondation drsquoun meacutenage mon ami

drsquoun simple meacutenage rien nrsquoest petit dans lrsquoordre de la fondation car je suis lagrave car

jrsquointerviens car je preacuteside raquo (III 631) dit lrsquohistoire Elle poursuit en soulignant le

caractegravere essentiel et liminaire de tout acte de fondation Crsquoest une rupture une

limite un deacutebut un renouvellement et cependant la figure du fondateur si elle est

conserveacutee dans la meacutemoire et ceacuteleacutebreacutee par des actes meacutemoriels devient un acteur

de la continuiteacute La mecircme personne rend possible le commencement et la dureacutee

Peacuteguy continue de faire parler lrsquohistoire qui rappelle que les chreacutetiens

considegraverent Jeacutesus comme le fondateur de la citeacute de Dieu laquo fondateur (dans le

temps et dans lrsquoeacuteterniteacute) de cette citeacute eacuteternelle fondateur eacuteternel fondateur

temporel aussi raquo (III 631-632) En tant que Dieu fait homme Jeacutesus seul peut fonder

une citeacute qui serait agrave la fois eacuteternelle et temporelle une fondation dans lrsquoeacuteterniteacute ne

peut pas ecirctre possible dans la mesure ougrave nrsquoy a pas de temps mais dans le temps il

peut y avoir un commencement une fondation En se faisant homme Dieu nrsquoest

219

donc plus seulement le creacuteateur il est aussi le fondateur Tous les vivants

deviennent alors laquo concitoyens de votre Fondateur mecircme raquo parce qursquoen tant

qursquohomme

il srsquoest institueacute il srsquoest constitueacute en date et en digniteacute en fait et en droit en raison et en eacuteminence le premier citoyen de la citeacute nouvelle de la citeacute qursquoil fondait de sa citeacute Lui-mecircme il srsquoest institueacute il srsquoest fondeacute le premier des saints le premier parmi un saint parmi les saints (III 633)

Ainsi Jeacutesus devient le premier citoyen de la citeacute de Dieu donc le fondateur

drsquoune dynastie de saints ou lrsquoancecirctre drsquoune famille celle de lrsquoEacuteglise

Un peu plus loin Peacuteguy parle aussi de Jeacutesus comme du fondateur de lrsquoEacuteglise

durant ses trois anneacutees de vie publique Il souligne la diffeacuterence entre cette

fondation et les fondations humaines qui se basent sur des regravegles mecircme srsquoil srsquoagit

de la regravegle monastique (III 665) Cependant parmi les saints Peacuteguy donne une

place particuliegravere aux saints fondateurs drsquoordres parce qursquoils imitent Jeacutesus non

seulement dans sa vie mais aussi dans son acte de fondation preacutefigurant ainsi la

fondation de la citeacute de Dieu Certains parmi eux le font

par une floraison de la gracircce par un besoin de la fructification conseacutecutive par une force invincible de la race spirituelle par un invincible besoin de la feacuteconditeacute spirituelle et les autres au contraire [hellip] par le malheur des temps par la dureteacute des temps par suite du malheur et de la dureteacute des temps parce qursquoil fallait toujours recommencerhellip (III 634)

Cette comparaison de deux types de saints revient plusieurs fois dans les textes

de Peacuteguy il y a chez lui drsquoune part les saints qui puisent la force de leur sainteteacute

dans la laquo race raquo dans lrsquoheacuteritage dans la communion des saints et dans la vie de

lrsquoEacuteglise et drsquoautre part ceux qui laquo recommencent raquo en recevant la gracircce au cœur de

lrsquoeacuteveacutenement qui neacutecessite la preacutesence de Dieu par lrsquointervention de lrsquoun de ses

saints

b) Lrsquoheacuteritage

La filiation partant lrsquoeacutetablissement drsquoun lien geacuteneacuterationnel drsquoune transmission

de meacutemoire de connaissance de biens mateacuteriels aussi (mecircme si Peacuteguy nrsquoen parle

pas) de croyance constitue un sujet important chez Peacuteguy Lrsquoexistence drsquoun ancecirctre

220

fondateur creacutee un deacutebut agrave cette succession ougrave les geacuteneacuterations se suivent et se

prolongent dans la dureacutee par lrsquoaccueil du don drsquoun heacuteritage principalement

spirituel cette dimension eacutetant qui importe le plus agrave Peacuteguy

Peacuteguy eacutevoque deacutejagrave le sujet de lrsquoheacuteritage dans Marcel ou le dialogue de la citeacute

harmonieuse en juin 1898 Il deacuteclare alors que laquo La citeacute harmonieuse est agrave chaque

instant sa propre heacuteritiegravere universelle agrave chaque instant la citeacute harmonieuse est

lrsquoheacuteritiegravere universelle de la citeacute qursquoelle eacutetait agrave lrsquoinstant preacuteceacutedent raquo (I 69) Crsquoest

peut-ecirctre lrsquoun des tregraves rares textes ougrave Peacuteguy parle preacuteciseacutement de lrsquoheacuteritage

mateacuteriel pour dire que tous les heacuteritages dans la citeacute harmonieuse seront mis en

commun Il nrsquoy a pas drsquoancecirctre ni de parents qui transmettraient un legs la citeacute

produit tout le temps son laquo heacuteritage raquo Pour ce qui concerne lrsquoheacuteritage immateacuteriel

laquo la citeacute harmonieuse a reccedilu en heacuteritage de la socieacuteteacute qui nrsquoeacutetait pas harmonieuse

encore tous les sentiments heureux et malheureux qui sont de la santeacute raquo (I 75)

Peacuteguy efface des sentiments qursquoil deacutefinit comme eacutetant sains non seulement les

sentiments pouvant nuire agrave autrui comme la jalousie ou la haine mais aussi ceux

qui supposent leur existence ceux qui dans la socieacuteteacute non harmonieuse existent

pour pallier les sentiments malsains et nuisibles

les citoyens de la citeacute harmonieuse ne connaissent pas le droit amour de la justice les citoyens de la citeacute harmonieuse ne connaissent pas la chariteacute pencheacutee les citoyens de la citeacute harmonieuse ne connaissent pas la veacuteneacuterable pitieacute ils ont reccedilu en heacuteritage la citeacute que ces pieux sentiments leur avaient preacutepareacutee mais ils nrsquoont pas reccedilu en heacuteritage les sentiments qui leur avaient preacutepareacute cette citeacute parce que ces sentiments devenaient inutiles et vains et disharmonieux agrave preacutesent que lrsquoœuvre eacutetait parfaite (I 72)

Crsquoest donc preacuteciseacutement drsquoun acte fondateur qursquoil srsquoagit mais sans ancecirctre

deacutefini puisque cet acte srsquoest produit dans la dureacutee La justice la chariteacute et la pitieacute

ont servi agrave construire une citeacute harmonieuse mais elles nrsquoy ont pas trouveacute leur place

parce que la citeacute ougrave lrsquoinjustice la haine la cruauteacute et la jalousie nrsquoexistent pas nrsquoa

selon Peacuteguy pas besoin drsquoactes reacuteparateurs Un peu plus loin Peacuteguy preacutecise

encore laquo La citeacute est harmonieuse en particulier parce qursquoelle a oublieacute ceux qui

lrsquoont preacutepareacutee raquo (I 82) Peacuteguy agrave lrsquoeacutepoque pense que la citeacute harmonieuse ne peut

exister que si elle oublie lrsquoexistence par le passeacute de sentiments situations personnes

qui nuisaient agrave lrsquoharmonie

221

Dans un texte souvent compareacute agrave Marcel le manifeste De la citeacute socialiste

eacutecrit deux ans plus tard en 1900 Peacuteguy revient au mecircme sujet lrsquoimpossibiliteacute

drsquoune transmission partielle des valeurs neacutecessaires agrave la construction de la citeacute Il

propose de ne choisir que des jeunes gens pour la construire parce que tous ceux

qui ont plus de trente ans sont laquo contamineacutes du vice bourgeois raquo (I 639) La

meacutemoire ne peut pas ecirctre aussi seacutelective si on se souvient on ne se souvient pas

que du bien alors il vaut mieux choisir lrsquooubli et donc lrsquoabsence de transmission

drsquoheacuteritage au sens habituel de ce terme qui suppose un travail de meacutemoire

Cependant lrsquooubli lui-mecircme suppose lrsquoexistence drsquoune meacutemoire de ce qui a eacuteteacute

oublieacute

La citeacute harmonieuse preacutesente encore une autre particulariteacute laquo Les parents

nrsquoont pas dans la citeacute harmonieuse agrave enseigner agrave leurs enfants les sentiments de la

santeacute mais les sentiments de la santeacute naissent et croissent tout seuls dans les

familles aux acircmes des enfants raquo (I 77) Pareillement les repreacutesentants des

diffeacuterentes professions preacutesentes dans la citeacute harmonieuse nrsquoont pas drsquoeacutelegraveves

Parce que la soif de la connaissance comme tout autre laquo sentiment de la santeacute raquo

doit naicirctre naturellement dans lrsquoacircme drsquoun enfant Peacuteguy ne preacutecise pas comment

alors le savoir et la connaissance peuvent ecirctre transmis drsquoune geacuteneacuteration agrave une

autre Neacuteanmoins il eacutevoque bien les savoirs reccedilus en heacuteritage

Peacuteguy eacutenumegravere ensuite diffeacuterentes professions en preacutecisant que chacune a reccedilu

lrsquoheacuteritage de la connaissance et des savoirs par exemple laquo les matheacutematiciens de

la citeacute harmonieuse ont reccedilu et ont accepteacute tout lrsquoheacuteritage des anciens

matheacutematiciens raquo (I 108) En revanche ils nrsquoont pas reccedilu en heacuteritage peut-ecirctre

parce qursquoils ne lrsquoont pas accepteacute lrsquoheacuteritage du travail pour laquo assurer la vie

corporelle raquo (I 104) ils nrsquoont pas heacuteriteacute de lrsquoideacutee de la compeacutetition ni de celle de

la gloire ou du meacuterite Cet heacuteritage tregraves seacutelectif suppose donc un choix Mais est-ce

que cela peut ecirctre consideacutereacute dans ce cas comme un heacuteritage Est-ce qursquoun heacuteritier

peut choisir quel heacuteritage recevoir ou lrsquoheacuteritage est-il un don qursquoon accueille tout

entier ou qursquoon rejette tout entier Crsquoest lrsquoune des questions que pose ce texte de

Peacuteguy elle fait partie de la reacuteflexion sur la liberteacute de celui qui reccediloit un heacuteritage

222

Il tente drsquoy reacutepondre dans Louis de Gonzague eacutecrit cinq ans apregraves le manifeste

et sept ans apregraves Marcel en 1905 Dans ce texte reacutedigeacute agrave lrsquooccasion des vœux pour

la nouvelle anneacutee 1907 Peacuteguy eacutenumegravere ceux qursquoil srsquoest choisis comme ancecirctres

ceux dont il choisit drsquoecirctre lrsquoheacuteritier Drsquoune part on ne choisit pas tout laquo puisque

nous sommes des modernes issus des quatre disciplines heacutebraiumlque helleacutenique

chreacutetienne et franccedilaise ayons au moins les vertus de nos vices raquo dit-il (II 378)

Peacuteguy emploie ici le mot discipline dans son sens litteacuteral il srsquoagit du fait drsquoecirctre

disciple eacutelegraveve heacuteritier drsquoune tradition Pour lui lrsquoheacuteritier ne peut pas recevoir

uniquement les vertus il heacuterite aussi des vices Cependant dans le contexte des

traditions culturelles Peacuteguy insiste sur la possibiliteacute drsquoun choix Il reacutepegravete plusieurs

fois ces mots laquo Heacuteritiers autant que nous le pouvonshellip raquo de la culture antique de

la discipline heacutebraiumlque des chreacutetiens On ne choisit pas drsquoecirctre heacuteritier On ne choisit

pas non plus ce dont on heacuterite En revanche on choisit la mesure de notre

implication la part de discipline le degreacute drsquoobeacuteissance agrave un destin drsquoheacuteritier la part

qursquoon va accorder aux vices et celle qursquoon donnera aux vertus Lagrave aussi il nrsquoy a pas

vraiment drsquoancecirctre fondateur mais il y a une culture fondatrice une culture

ancestrale qui abrite des valeurs qursquoon peut choisir de pratiquer comme des vertus

Dans ce texte Peacuteguy propose le choix drsquoheacuteriter dans la culture antique de la joie

dans la reacuteussite et de la conscience citoyenne laquo que la citeacute a une valeur propre une

valeur en elle-mecircme une valeur eacuteminente qursquoelle est une institution une

proposition drsquoun prix parfait que la survivance et que la conservation que

lrsquoimmortaliteacute pousseacutee toujours plus loin de la citeacute est une œuvre raquo (II 379) Cet

heacuteritage exige donc une immense responsabiliteacute celle de faire durer la citeacute et de la

rendre immortelle

Il indique aussi que nous sommes les heacuteritiers de la laquo discipline heacutebraiumlque

heacuteritiers des Juifs anciens coheacuteritier des Juifs anciens avec les Juifs modernes raquo il

propose ainsi de recevoir des Juifs

cet enseignement que le salut temporel de lrsquohumaniteacute a un prix infini que la survivance drsquoune race que la survivance terrestre et temporelle drsquoune race que la survivance infatigable et lineacuteaire drsquoune race agrave travers toutes les vagues de tous les acircges que le maintien drsquoune race est une œuvre une opeacuteration drsquoun prix infini que lrsquoimmortaliteacute terrestre et temporelle drsquoune race eacutelue quand mecircme ce serait une race humaine simplement et surtout quand crsquoest une race comme cette race la seule

223

visiblement eacutelue de toutes les races modernes la race franccedilaise que ce maintien et que cette immortaliteacute est un objet une proposition drsquoun prix infini qui paie tous les sacrifices Et je place ce paragraphe sous lrsquoinvocation de la meacutemoire que nous avons gardeacutee du grand Bernard-Lazare (II 378-379)

Peacuteguy se voit ici comme un heacuteritier des Juifs qui savent faire durer leur race et

la rendre immortelle il voudrait les imiter en œuvrant pour peacuterenniser ainsi la race

franccedilaise Cependant Peacuteguy nrsquoest pas juif Alors pour ecirctre un heacuteritier leacutegitime il se

choisit un ancecirctre Bernard-Lazare Il est son heacuteritier leacutegitime non seulement parce

qursquoil eacutetait son ami mais parce qursquoil a gardeacute sa meacutemoire Il va mecircme jusqursquoagrave

lrsquoinvoquer car crsquoest le travail de la meacutemoire qui rend un heacuteritier spirituel leacutegitime

Peacuteguy se deacutesigne aussi dans ce texte comme lrsquoheacuteritier des chreacutetiens et plus

preacuteciseacutement de Pascal ainsi que de Platon de Descartes de Kant et de Bergson

Deux ans plus tard dans Notre Jeunesse Peacuteguy se preacutesente comme un heacuteritier

de la famille Millet non pas parce que crsquoeacutetait une famille exceptionnelle ni mecircme

parce qursquoil avait recueilli en tant que geacuterant des Cahiers de la quinzaine les

archives de cette famille pour une publication Il le fait tout simplement parce que

crsquoeacutetait une famille reacutepublicaine fourieacuteriste de lrsquoeacutepoque agrave laquelle Peacuteguy y croyait

fermement les reacutepublicains eacutetaient de vrais reacutepublicains qui avaient de vraies

valeurs reacutepublicaines Il choisit de publier ces archives non pas agrave cause des vers de

Beacuteranger et de lettres de Hugo qursquoelles contiennent mais pour savoir laquo Comment

vivaient ces hommes qui furent nos ancecirctres et que nous reconnaissons pour nos

maicirctres raquo (III 7) On peut distinguer lagrave aussi la reacuteflexion et le choix on ne choisit

pas drsquoecirctre heacuteritier mais on deacutecide drsquoecirctre disciple drsquoavoir tel ou tel maicirctre

Peacuteguy consideacuterait le travail du professeur comme le travail le plus noble le

plus preacutecieux le maicirctre crsquoest en effet celui qui transmet agrave la geacuteneacuteration suivante ce

qui est gardeacute dans la meacutemoire de lrsquohumaniteacute lrsquohistoire la culture lrsquoheacuteritage des

ancecirctres la tradition

Les valeurs porteacutees par cette famille dont Peacuteguy voudrait heacuteriter sont le travail

laquo un veacuteritable culte du travail raquo (III 8) la culture la famille Peacuteguy suppose laquo qursquoun

petit nombre de familles fidegraveles ayant fondeacute la Reacutepublique lrsquoont ainsi maintenue et

sauveacutee la maintiennent encore raquo et laquo nous en sommes litteacuteralement les derniers

224

repreacutesentants raquo (III 9) Peacuteguy ici procegravede comme il lrsquoavait fait dans Louis de

Gonzague avec Bernard-Lazare La famille de Peacuteguy nrsquoeacutetant pas speacutecialement

reacutepublicaine pour pouvoir se poser en heacuteritier des valeurs reacutepublicaines Peacuteguy se

choisit des ancecirctres les Millet il pose un acte de reconnaissance et de meacutemoire en

publiant leurs archives

Dans Notre Jeunesse Peacuteguy continue de se preacutesenter comme heacuteritier des Juifs

laquo Pauvre je porterai teacutemoignage pour les Juifs pauvres raquo (III 135) Pour cela il

eacutenumegravere les valeurs dont il veut heacuteriter qursquoil veut servir en soulignant encore une

fois le rocircle de Bernard-Lazare en tant que saint patron et ancecirctre fondateur Il dit

des juifs laquo je les ai trouveacutes drsquoune sucircreteacute drsquoune fideacuteliteacute drsquoun deacutevouement drsquoune

soliditeacute drsquoun attachement drsquoune mystique drsquoune pieacuteteacute dans lrsquoamitieacute ineacutebranlable raquo

(III 135) Et il preacutesente ensuite son engagement dans lrsquoAffaire comme la preuve de

son appartenance agrave la mystique juive

Dans Victor-Marie comte Hugo Peacuteguy parle de ses propres aiumleux de ses

ancecirctres reacuteels et anonymes laquo Les tenaces aiumleux paysans vignerons [hellip] Les

ancecirctres au pied pertinent les hommes noueux comme les ceps enrouleacutes comme les

vrilles de la vigne fins comme les sarments et qui comme les sarments sont

retourneacutes en cendre raquo (III 169) Ces ancecirctres-lagrave nrsquoont pas laisseacute de trace eacutecrite au

contraire ils ont tellement fait durer leur tradition leurs coutumes qursquoagrave la place de

teacutemoignage Peacuteguy donne une description visuelle de ses aiumleux de leurs travaux en

les comparant aux cultures qursquoils faisaient croicirctre comme srsquoils ne faisaient plus

qursquoun avec leur travail Peacuteguy parle aussi de sa grand-megravere qui est reacuteellement son

aiumleule lrsquoancecirctre fondatrice de sa famille laquo Ma grand-megravere qui gardait les vaches

qui ne savait pas lire et eacutecrire ou comme on dit agrave lrsquoeacutecole primaire qui ne savait ni

lire ni eacutecrire agrave qui je dois tout agrave qui je dois de qui je tiens tout ce que je suis raquo (III

169) Il est son heacuteritier dans ce qursquoil est plus que dans ce qursquoil fait mais aussi dans

la maniegravere dont il agit

Dans les socieacuteteacutes traditionnelles les hommes sont responsables de la continuiteacute

de la descendance de leur ancecirctre celui dont lrsquoactiviteacute a fondeacute lrsquoexistence du groupe

qursquoil continue de proteacuteger apregraves sa mort le culte des ancecirctres peut consister en la

225

reacutepeacutetition de son geste initial fondateur Dans le cas de Peacuteguy cette continuiteacute est

assureacutee par la fideacuteliteacute dans le travail et la conscience de sa race une race anonyme

et silencieuse comme il le dira dans la Note conjointe son œuvre ultime et

inacheveacutee laquo Nos ancecirctres eacutetaient du papier blanc et le lin mecircme dont on fera le

papier raquo (III 1303) Pour un chreacutetien cette continuiteacute cette dureacutee srsquoaccomplissent

dans lrsquoimitation de Jeacutesus le laquo devoir de procreacuteation raquo est assureacute par les saints qui

apportent le nouveau et qui accueillent la gracircce dans lrsquoeacuteveacutenement Peacuteguy en donne

un exemple eacuteloquent dans La Tapisserie de sainte Geneviegraveve et de Jeanne drsquoArc

dans le sonnet du IVe jour de la Neuvaine quand il deacutecrit comment sainte

Geneviegraveve voit lrsquoarriveacutee de Jeanne drsquoArc mille ans apregraves sa mort

Comme la vieille aiumleule au plus fort de son acircge

Se reacutejouit de voir le tendre nourrisson

Lrsquoenfant agrave la mamelle et le dernier besson

Recommencer la vie ainsi qursquoun heacuteritage (OPD 1083)

Son laquo geste initial raquo drsquoaiumleule qui consiste agrave prier et agrave proteacuteger son pays de

lrsquoennemi est renouveleacute par Jeanne laquo recommenceacute raquo elle-mecircme se reconnaicirct

comme lrsquoancecirctre en reconnaissant ce geste et se reacutejouissant de ces faits

c) Adam et Egraveve

Dans le tout premier quatrain drsquoEgraveve Jeacutesus srsquoadresse agrave la premiegravere femme laquo Ocirc

MEgraveRE ensevelie hors du premier jardin raquo (OPD 1177) Il srsquoadresse donc agrave elle et

non agrave Marie sa megravere terrestre dans ce texte en effet qui est une histoire de

lrsquoIncarnation il srsquoadresse agrave la Megravere de tous les humains comme agrave lrsquoaiumleule de

lrsquohumaniteacute en lui comme agrave sa grand-megravere Pauline Bernon [Bruley] dans la notice

de Egraveve explique le passage de la premiegravere personne du singulier agrave la premiegravere

personne du pluriel au milieu par le fait que Jeacutesus srsquoexprime comme le fregravere des

hommes laquo Par laquo vous raquo se trouvent deacutesigneacutees Egraveve et les hommes tandis que le

laquo je raquo de Jeacutesus deacutesigne lrsquoacteur de la Vie de Jeacutesus et de la Passion abandonneacute par

Egraveve et les siens Quand le laquo je raquo nrsquoest plus un laquo nous raquo crsquoest pour racheter le

laquo vous raquo raquo (OPD 1778)

226

Peacuteguy deacutesigne la terre du Paradis comme la laquo terre maternelle raquo drsquoEgraveve en

revisitant ainsi le thegraveme du Paradis perdu ce nrsquoest pas seulement un Paradis

interdit drsquoaccegraves crsquoest vraiment une terre natale ougrave se trouvent les racines de

lrsquohumaniteacute de la laquo race raquo

Vous nrsquoavez plus connu la terre maternelle

Fomentant sur son sein les faciles eacutepis

Et la race pendue aux innombrables pis

Drsquoune nature chaste ensemble que charnelle (OPD 1178)

Ce thegraveme de la race des racines de lrsquoenracinement qui revient souvent dans

les textes de Peacuteguy prend ici une toute autre dimension Simone Fraisse eacutecrit

Ainsi Peacuteguy peut-il utiliser les eacutequations peuple = terre peuple = race terre = patrie Mecircme si ces mots ont parfois des contours indeacutecis srsquoils suggegraverent des connotations diffeacuterentes ils nrsquoen expriment pas moins un sentiment global de reconnaissance et de confiance envers un passeacute dont il se sent lrsquoheacuteritier La race et la terre ont en commun la profondeur197

Ici Peacuteguy se place lui-mecircme et place lrsquohumaniteacute entiegravere en vrais heacuteritier de la

terre du Paradis en soulignant qursquoil est que nous sommes de la mecircme race qursquoEgraveve

Simone Fraisse met en eacutevidence deux images de la terre qui semblent se contredire

dans les textes de Peacuteguy consacreacutes agrave la terre ceux ougrave il parle de la terre plate la

plaine et ceux ougrave il eacutevoque la profondeur de la race Cependant elle conclut laquo Ces

deux visions ne se contrarient pas entiegraverement Lrsquoune srsquoen tient au visible agrave la

surface de la terre et figurativement agrave la longue dureacutee de lrsquohistoire Lrsquoautre tente de

peacuteneacutetrer lrsquoinvisible terreau drsquoougrave la vie est issue raquo198 Encore une fois on trouve chez

Peacuteguy lrsquoaxe horizontal temporel celui de la terre et lrsquoaxe eacuteternel mystique celui

de la race de la dureacutee

Andreacute Rousseau dans Le prophegravete Peacuteguy deacutemontre comment Peacuteguy reacutesout le

paradoxe de lrsquoeacuteternellement temporel ainsi que celui de la reacutepeacutetition et du

renouvellement justement par cette compreacutehension de la race

Cette force qui deacutepasse le temporel puisqursquoelle lui survit crsquoest la force dont nous avons vu que lrsquoeacuteternel peacutenegravetre et anime le temporel quand il y lance la ligne de la race Dans le recommencement deacutecroissant et deacuteclinant du temporel la race humaine fait un

197 FRAISSE Simone Peacuteguy et la terre Paris Sang de la terre 1988 p 70 198 FRAISSE Simone opcit p 72

227

recommencement qui se renouvelle et srsquoaccroit parce qursquoelle vient de lrsquoeacuteternel et qursquoelle y retourne199

Peacuteguy par la bouche de Jeacutesus salue en Egraveve la laquo premiegravere suivante raquo

(OPD 1188) celle qui la premiegravere srsquoest mise agrave suivre Dieu Il ne parle pas de

lrsquoimitation dans la mesure ougrave Egraveve est lrsquoaiumleule de Jeacutesus qui par lrsquoIncarnation rendra

possible lrsquoimitation de Dieu En revanche Peacuteguy eacutenumegravere longuement toute les

choses qursquoEgraveve avait faites la premiegravere la priegravere le travail puisqursquoil lrsquoappelle aussi

laquo premiegravere ouvriegravere raquo (OPD 1239) la fideacuteliteacute et les larmes Par sa preacutesence dans

toutes les femmes et tous les hommes preacutesence garantie par le fait mecircme de la

naissance et de la vie Egraveve repreacutesente la meacutemoire incarneacutee celle dont Peacuteguy dit

laquo Ocirc femme qui rangez les travaux et les jours raquo (OPD 1194) Egraveve est pour Peacuteguy

celle qui est mais aussi sera toujours preacutesente jusqursquoagrave la fin du temps il la peint

donc comme celle qui agrave la fin eacutegalement megravere de tous megravenera lrsquohumaniteacute entiegravere

devant le Juge en eacuteclairant leur chemin laquo par quelque vieille lanterne raquo

(OPD 1224)

Un lien plus personnel fait que Peacuteguy reconnaicirct en Egraveve son aiumleule ce lien

crsquoest la deacutefaite Peacuteguy srsquoidentifie aux vaincus il se deacutesigne plusieurs fois dans ses

texte comme un vaincu et en Egraveve il reconnaicirct celle qui la premiegravere a veacutecu

dignement la deacutefaite

Et moi je vous salue aiumleule insoupccedilonneacutee

Les autres sont sans gracircce et sans fleuronnement

Et sans procession et sans couronnement

Mais vous avez connu drsquoecirctre deacutecouronneacutee (OPD 1250)

La deacutefaite drsquoEgraveve est neacuteanmoins particuliegravere elle a veacutecu au Royaume bacircti par

Dieu au Paradis et elle lrsquoa perdu Il est donc possible que Peacuteguy fasse aussi

allusion dans ces quatrains agrave sa propre vie drsquohomme qui a eacuteteacute pratiquant qui

voudrait comme en teacutemoigne sa lettre agrave Joseph Lotte le 28 septembre 1912

revenir agrave la pratique des Sacrements mais qui ne le peut pas pour les raisons

familiales que lrsquoon connaicirct laquo Je vis sans sacrements Crsquoest une gageure raquo200

199 ROUSSEAU Andreacute Le prophegravete Peacuteguy (Introduction agrave la lecture de lrsquoœuvre de Peacuteguy) Deuxiegraveme et troisiegraveme partie Le poegravete de la naissance et de la vie Neuchatel Editions de la Baconniegravere 1944 p 204 200 Charles Peacuteguy opcit Lettres et entretiens p 141

228

Peacuteguy souligne plusieurs fois dans Egraveve le fait qursquoelle est lrsquoaiumleule de Jeacutesus par

Marie Egraveve a eacuteteacute la premiegravere agrave recevoir la vocation drsquoecirctre megravere Crsquoest

particuliegraverement apparent dans les ceacutelegravebres quatrains deacutedieacutes aux morts sur un champ

de bataille laquo Megravere voici vos fils qui se sont tant battus raquo (OPD 1265) eacutecrit Peacuteguy

en paraphrasant lrsquoEacutevangile (Jean 19 26)

Jean Delaporte eacutecrit dans le second tome de sa Connaissance de Peacuteguy laquo Egraveve

repreacutesente lrsquohumaniteacute qui a veacutecu le long deacuteroulement de son histoire et a gardeacute la

meacutemoire de ses deux sources la charnelle qui fut la Creacuteation au premier jardin et la

spirituelle qui fut le premier Noeumll raquo201

Si Jeacutesus fils de Marie et laquo petit fils raquo drsquoEgraveve est preacutesenteacute par Peacuteguy dans Clio

par exemple comme le fondateur et lrsquoancecirctre en recevant de Marie son humaniteacute

ce qui en fait une aiumleule il reccediloit aussi un heacuteritage leacutegueacute par Egraveve et fructifieacute par

Marie puiseacute agrave ces deux sources mentionneacutees par Jean Delaporte

Plusieurs quatrains sont consacreacute agrave lrsquoheacuteritage dont allait heacuteriter lrsquoenfant Jeacutesus

coucheacute dans la cregraveche laquo Il allait heacuteriter de la terre et de lrsquohomme raquo (OPD 1302)

De lrsquohomme Adam de lrsquohomme qursquoil allait devenir qursquoil allait renouveler et de

cette terre qursquoAdam et Egraveve ont reccedilue des mains de Dieu

Or la terre est chargeacutee et crsquoest la terre seule

De faire le long acircge et lrsquoacircge reacutevolu

Et de faire une enfant et de faire une aiumleule

Et de marquer les bords de notre acircge absolu (OPD 1387)

Seule la terre peut laquo faire une aiumleule raquo puisque elle a eacuteteacute creacuteeacutee avant lrsquohomme

avant Adam et Egraveve ainsi la terre peut deacutefinir lrsquolaquo acircge absolu raquo en laquo marquer les

bords raquo

Si dans Egraveve Peacuteguy ne parle pas drsquoAdam il consacre plusieurs pages de Victor-

Marie comte Hugo agrave la geacuteneacutealogie de Jeacutesus-Christ dans lrsquoEacutevangile de Matthieu et

dans lrsquoEacutevangile de Luc Il y deacutesigne Adam comme le laquo point drsquoorigine drsquoorigine

charnelle drsquoorigine spirituelle raquo (III 237) et souligne le fait que la filiation qui a

commenceacute dans Adam passe par laquo des crimes de chairs raquo Il note eacutegalement que

201 DELAPORTE Jean Connaissance de Peacuteguy tome II 1959 Paris Plon p 120

229

dans la geacuteneacutealogie du Dieu fait homme on ne trouve pas que des saints ni

uniquement des personnes comme Abraham que Peacuteguy deacutesigne comme laquo un

deuxiegraveme Adam charnel enfanteacute eacutelu choisi pegravere drsquoun peuple eacutelu raquo (III 237) on y

trouve aussi des criminels Peacuteguy va jusqursquoagrave dire que laquo Peu drsquohomme drsquoautres

hommes ont peut-ecirctre eu autant drsquoancecirctres criminels et si criminels

Particuliegraverement si charnellement criminels raquo (III 239) Drsquoailleurs Peacuteguy nrsquoutilise

pas le mot laquo geacuteneacutealogie raquo il parle de geacuteneacuteration et eacutevoque les hommes qui la

constituent et qui sont les ancecirctres terrestres de Jeacutesus nommeacutes en partant drsquoAdam

pour arriver agrave Jeacutesus chez Matthieu ou de Jeacutesus agrave Adam et agrave Dieu chez Luc

Ce sont toujours ce sont deacutejagrave deux chreacutetiens qui placeacutes apregraves Jeacutesus faisant leur office considegraverent contemplent lrsquoincarnation du cocircteacute du miracle du cocircteacute de lrsquoeacuteterniteacute cette insertion de lrsquoeacuteternel dans le temporel du spirituel dans le charnel ce sont deux chreacutetiens qui la considegraverent qui la contemplent du cocircteacute de lrsquoeacuteternel du cocircteacute du spirituel se situant dans lrsquoeacuteternel dans le spirituel venant de lrsquoeacuteternel du spirituel faisant en un mot leur meacutetier leur office de chreacutetiens Crsquoest toujours une histoire arriveacutee agrave Jeacutesus Et crsquoest toujours de lrsquoavegravenement beaucoup plus que de lrsquoeacuteveacutenement (III 245)

Dans cette histoire arriveacutee agrave Jeacutesus et agrave la terre il y a eu toute sorte drsquohommes et

de femmes il y a eu des criminels et des peacutecheurs qui eacutetaient des ancecirctres de Jeacutesus

Adam et Egraveve eacutetaient les premiers drsquoentre eux

d) La propheacutetie

Si dans la figure de lrsquoancecirctre telle que Peacuteguy la conccediloit lrsquoideacutee de la

transmission de geacuteneacuteration en geacuteneacuteration est importante la figure du prophegravete est

contraire laquo la penseacutee propheacutetique nrsquoest pas enseignable raquo explique Anne

Dufourmantelle dans son livre La vocation propheacutetique de la philosophie202 Le

message propheacutetique nrsquoest pas une information qursquoon pourrait transmettre agrave un autre

en lrsquoenseignant mais une vision du reacuteel diffeacuterente une autre perception du monde

et une reacuteveacutelation de ce qui est cacheacute Le prophegravete est seul agrave la voir et agrave lrsquoentendre il

peut donc partager une part sans srsquoattendre pour autant agrave une reacuteception complegravete de

202 DUFOURMANTELLE Anne La Vocation propheacutetique de la philosophie Paris Serf 1998 p 11

230

son message en acceptant la possible incompreacutehension agrave laquelle il va sucircrement se

heurter

La compreacutehension du pheacutenomegravene propheacutetique qui est celle de Peacuteguy

correspond plus agrave la tradition juive qursquoagrave la tradition helleacutenique Anne

Dufourmantelle observe dans cette perspective

Lrsquoideacutee selon laquelle le prophegravete annonce le futur vient primitivement du monde grec ainsi nous a-t-elle eacuteteacute transmise [hellip] helliple prophegravete juif nrsquoinscrit pas sa vocation dans cette anticipation de lrsquohistoire Il peut bien eacutevidemment manifester sa fonction critique au sujet drsquoune situation politique ou sociale pour laquelle il aura alors une attitude prospective Mais son rocircle ne se reacuteduit pas agrave lrsquoexercice de cette clairvoyance il reacuteside essentiellement dans une vision du reacuteel susceptible drsquoempecirccher les conseacutequences neacutefastes drsquoune situation donneacutee203

Dans les deux traditions le prophegravete voit le reacuteel tel qursquoil est Mais dans la

tradition grecque il insiste sur lrsquoineacutevitable accomplissement du destin alors que

dans la tradition juive il propose un choix libre au peuple si ce dernier se met agrave

lrsquoeacutecoute de son Dieu agrave travers les paroles du prophegravete Cette diffeacuterence est lieacutee

entre autres agrave une diffeacuterence dans la perception du temps consideacutereacute comme

cyclique chez le Grecs et comme eschatologique dans la tradition juive Ainsi Luis

Martinez eacutecrit en commentant lrsquoencyclique Gaudium et Spes laquo le premier souci

des prophegravetes ce nrsquoest pas de deviner le futur mais bien de changer le preacutesent car ils

croient que lrsquoavenir conjugue lrsquoinitiative de Dieu et la reacuteponse libre de

lrsquohomme raquo204

Le prophegravete peut aussi srsquoadresser au passeacute dans la mesure ougrave selon Andreacute

Vauchez laquo la propheacutetie est drsquoabord une relecture de lrsquohistoire un deacutechiffrement du

dessein de Dieu agrave travers les eacuteveacutenements non pour donner une connaissance mais

une perspective raquo205

Le prophegravete est une personne choisie par Dieu qui deacutecide drsquoinstaurer un

dialogue avec elle Anne Dufourmantelle poursuit laquo Lrsquoeacutemergence de la parole

203 Ibid p 10 204 MARTINES Luis (dir) Actualiteacute de la Parole propheacutetique Gaudium et Spes agrave la lumiegravere des prophegravetes Bruxelles Lumen Vitae 2014 p 9 205 VAUCHEZ Andreacute (dir) Lrsquointuition propheacutetique enjeu pour aujourdrsquohui Paris les eacuteditions de lrsquoAtelier 2011 p 18

231

propheacutetique se manifeste drsquoabord sous lrsquoordre de lrsquoIncarnation Cette parole prend

corps dans une vie placeacutee tout agrave la fois sous le signe de lrsquoeacutelection et du

sacrifice raquo206

La parole propheacutetique a aussi une double dimension temporelle et eacuteternelle

elle srsquoadresse drsquoabord aux personnes contemporaines du prophegravete le prophegravete joue

alors un rocircle de meacutediateur entre Dieu et son peuple dans lrsquoimmeacutediat Mais comme

crsquoest une parole de Dieu incarneacutee dans le message du prophegravete elle est aussi

eacuteternelle et peut servir de commentaire agrave des eacuteveacutenements passeacutes elle peut annoncer

le futur expliquer quelque chose de personnel au moment de la rencontre de la

parole et du lecteur ou bien annoncer quelque chose drsquouniversel Dans son rocircle

meacutediateur creacuteateur du dialogue la parole propheacutetique attend une reacuteponse laquo La

veacuteritable propheacutetie si elle est meacutediation entre le divin et lrsquohumain se transmet dans

une histoire ougrave Dieu attend quelque chose de lrsquohomme raquo207

Les prophegravetes grecs nrsquoallaient pas vers les hommes et ceux-ci consultaient

lrsquooracle en le payant Lrsquooracle nrsquoeacutetait en dialogue qursquoavec son dieu Le prophegravete

biblique et chreacutetien est pour sa part en dialogue avec les hommes et avec Dieu il

creacutee la possibiliteacute du dialogue par sa position propheacutetique Dans la tradition juive la

diffeacuterence entre les precirctres et les prophegravetes passe par la forme du maintien du lien

les precirctres les leacutevites utilisent les purifications les rites pour maintenir une

seacuteparation entre le profane et le sacreacute Le prophegravete au contraire se maintient dans

un dialogue direct avec Dieu et deacutepasse cette seacuteparation Jean-Pierre Albert

construit un tableau ougrave il preacutecise la diffeacuterence entre le precirctre et le prophegravete en

srsquoappuyant sur lrsquoœuvre de Max Weber consacreacutee agrave la virtuositeacute religieuse

Lrsquoinstitution et ses speacutecialistes La virtuositeacute

Types de rocircles Le laquo precirctre raquo Le laquo prophegravete raquo

Mobilisation Meacutediation rituelle Miracle

206 DUFOURMANTELLE Anne opcit p 15 207 DUFORMANTELLE Anne opcit p27

232

du divin

Leacutegitimiteacute Leacutegaliteacute charisme de fonction Charisme personnel

Style de

religiositeacute Ritualisme

Inteacuterioriteacute rationaliteacute

eacutethique

Rapport agrave la

veacuteriteacute

Savoir appris et construit (exeacutegegravese

theacuteologie)

Inspiration science

infuse

208

Le prophegravete est aussi appeleacute agrave apporter agrave ses contemporain une justice oublieacutee

il a donc un fort rocircle social celui drsquoun deacutenonciateur de la violation des lois de Dieu

instaureacutee pour rendre la vie sur terre bonne pour les hommes

Dans Un poegravete lrsquoa dit Peacuteguy exprime pour la premiegravere fois cette ideacutee laquo nous

ne connaissons pas qursquoil y ait eu un seul prophegravete en dehors drsquoun certain peuple que

nous aimons beaucoup raquo le peuple juif qursquoil deacutesigne aussi un peu plus loin dans le

mecircme texte comme laquo la race des prophegravetes raquo peuple laquo eacuteternellement inquiet raquo

(II 872-873) Le peuple juif est le peuple des prophegravetes sucircrement en raison de son

rapport particulier au temps le prophegravete sort de la race juive nourri de lrsquohistoire de

son peuple et de sa relation avec Dieu mais il demeure aussi dans un temps

eschatologique tourneacute vers un futur marqueacute par la venue du Messie mais aussi vers

un futur intemporel lrsquoeacuteterniteacute

Comme exemple de prophegravete juif Peacuteguy eacutevoque Bernard-Lazare Il le preacutesente

drsquoabord comme celui qui juge son peuple la propheacutetie srsquoapparente ainsi au

justement dernier et devient une sorte de preacutefiguration du jugement Le jugement de

Bernard-Lazare est plein de laquo tristesse raquo de laquo seacuteveacuteriteacute raquo de laquo justice raquo et de

laquo justesse raquo (II 873) Il se tient ainsi dans le rocircle du prophegravete qui rappelle au peuple

de Dieu la justice oublieacutee Peacuteguy dit aussi que lrsquoesprit propheacutetique de Bernard-

Lazare eacutetait fait de laquo cette force unique de deacutesillusion raquo laquo force de

208 ALBERT Jean-Pierre laquo La place des saints Virtuositeacute religieuse et structure du champ religieux raquo Conserveries meacutemorielles [En ligne] 14 | 2013 mis en ligne le 01 juillet 2013 consulteacute le 23 mars 2015 URL httpcmrevuesorg1509

233

deacuteception raquo laquo force unique de colegravere et drsquoindignation raquo (II 874) parce que le

prophegravete est celui qui voit entend et annonce la veacuteriteacute il ne peut donc pas

demeurer dans lrsquoillusion car il cesserait alors drsquoecirctre prophegravete Le prophegravete est

presque toujours plein de colegravere et drsquoindignation agrave cause de la distance qursquoil perccediloit

entre la veacuteriteacute et les croyances qui habitent le monde autour de lui laquo La force de

justice et de reacutevolte marque le prophegravete raquo observe Peacuteguy (II 874)

Une autre caracteacuteristique du prophegravete crsquoest de ne pas ecirctre eacutecouteacute ni entendu

Dans Notre Jeunesse Peacuteguy eacutecrit laquo Israeumll passe agrave cocircteacute du prophegravete le suit et ne le

voit pas La meacuteconnaissance des prophegravetes par Israeumll et pourtant la conduite drsquoIsraeumll

par les prophegravetes crsquoest toute lrsquohistoire drsquoIsraeumll raquo (III 56) Un prophegravete parle

toujours en son temps mais il est toujours eacutecouteacute et souvent entendu dans un autre

temps Peacuteguy consacre donc plusieurs pages de Notre jeunesse au terrible oubli

auquel Bernard-Lazare a eacuteteacute voueacute agrave la fin de sa vie non seulement par les

dreyfusards mais aussi par Dreyfus lui-mecircme

Mais malgreacute cette deacutefaite presque obligatoire le prophegravete est un ecirctre

drsquoespeacuterance parce que lrsquoessence de sa vie crsquoest lrsquoattente Chaque prophegravete attend le

prophegravete suivant avec espeacuterance il attend celui que le peuple peut-ecirctre enfin

entendra et le rendra alors precirct agrave accueillir le Messie Chaque prophegravete attend la

venue de Messie comme lrsquoeacutecrit Peacuteguy dans le Dialogue de lrsquohistoire et de lrsquoacircme

charnelle laquo Vingt siegravecles quarante siegravecles cinquante siegravecles preacuteceacutedents cinquante

siegravecles anteacuterieurs attendaient cinquante siegravecles avant attendaient avant cinquante

siegravecles de Juifs Cinquante siegravecles de prophegravetes Cinquante siegravecles de prophegravetes

lrsquoavaient annonceacute raquo (III 740)

Dans la Note conjointe Peacuteguy deacutesigne lrsquoAnnonciation comme lrsquoultime

propheacutetie laquo LrsquoAnnonciation peut ecirctre consideacutereacutee comme la derniegravere des propheacuteties

et comme la propheacutetie agrave la limite (et au dernier terme au dernier point au

commencement mecircme de la reacutealisation) raquo (III 1405) Il srsquoagit de la derniegravere des

propheacuteties bibliques qui ont en commun drsquoannoncer presque toutes la naissance du

Messie et cette derniegravere propheacutetie srsquoaccomplit elle-mecircme dans son annonce crsquoest

le deacutebut de lrsquoincarnation laquo la limite raquo comme le dit Peacuteguy Il poursuit laquo Crsquoest le

234

dernier point de la promesse et crsquoest ensemble le premier point de la tenue de la

promesse raquo Les saints de lrsquoAncien Testament dans leur rocircle leur fonction

ancestrale garantissent la continuiteacute par la meacutemoire du passeacute et le devoir de

transmettre de rappeler agrave leur contemporains lrsquoœuvre de Dieu pour son peuple ils

sont voueacutes au vieillissement par le poids de ce passeacute qursquoils legraveguent agrave leurs heacuteritiers

Les saints de lrsquoAncien Testament dans leur rocircle leur fonction propheacutetique sont

tourneacutes vers le futur dans lrsquoattente de la venue du Messie qursquoils annoncent agrave leurs

contemporains ils sont voueacute au vieillissement par cette longue attente

Deacutesormais depuis que Dieu srsquoest incarneacute la longue meacutemoire ne laquo vieillit raquo

plus les saints ils poursuivent lrsquoœuvre de lrsquoincarnation en revivant maintenant un

passeacute qui veut ecirctre transmis au cœur du preacutesent Les saints du Nouveau Testament

ne sont plus laquo obligeacutes raquo drsquoecirctre prophegravetes dans le sens ougrave la propheacutetie a quelque

chose agrave voir avec le futur par lrsquoattente Ils peuvent ecirctre saints par lrsquoincarnation

lrsquoimitation de Dieu dans le preacutesent au cœur de lrsquoeacuteveacutenement

235

CHAPITRE V LA SAINTETEacute DANS LE PREacuteSENT

Les saints qui vivent au cœur du preacutesent par lrsquoimitation du Dieu incarneacute

habitent le reacuteel Selon Peacuteguy ils accueillent la gracircce dans le preacutesent Jean Onimus

eacutecrit laquo Ce qui seul inteacuteresse Peacuteguy [hellip] crsquoest le reacuteel avec sa charge de douleur et

de mystegravere non pas pour lrsquoanalyser et srsquoen faire un spectacle intelligible mais pour

srsquoy inseacuterer activement et y deacuteployer sa chariteacute raquo209 Faire un laquo spectacle

intelligible raquo du reacuteel selon Peacuteguy crsquoest en faire de lrsquohistoire laquo des fiches raquo et donc

en quelque sorte lrsquoassassiner le vouer au laquo vieillissement raquo qui le reacutevulsait Crsquoest

aussi une forme de lacirccheteacute un refus de prendre parti et drsquoagir Or pour peacuteneacutetrer le

reacuteel et y laquo deacuteployer la chariteacute raquo en agissant il faut avoir du discernement et donc

ecirctre selon un autre mot cher agrave Peacuteguy laquo gracieacute raquo

Les saints agissent dans le reacuteel et au preacutesent Andreacute Devaux eacutecrit que le saint

est laquo celui que la savoureuse eacutetreinte du reacuteel ne fatigue pas parce qursquoil ne fait plus

qursquoun avec le reacuteel lui-mecircme en sorte qursquoil nrsquoa plus de choix douloureux agrave faire en

celui-ciraquo210 Mais crsquoest dans la race dans le passeacute que le saint peut puiser la force

de la communion Cette logique semble paradoxale cependant Thierry Dejond dit

bien de Peacuteguy que pour lui laquo seul le paradoxe exprime le reacuteel raquo211

Peacuteguy parle beaucoup de lrsquoIncarnation comme du moment ougrave laquo Lrsquoeacuteterniteacute a eacuteteacute

faite est devenue temps Lrsquoeacuteternel a eacuteteacute fait est devenu temporel raquo (III 234) il la

deacutesigne comme une laquo histoire arriveacutee agrave Dieu raquo ou une laquo histoire arriveacutee agrave la terre raquo

(III 235) Ces citations proviennent de Victor-Marie comte Hugo texte dans lequel

Peacuteguy insiste beaucoup sur le point de vue sur la position agrave prendre pour consideacuterer

lrsquoincarnation et pour laquo contempler Dieu du cocircteacute de la creacuteature raquo (III 236) Pour

209 ONIMUS Jean Le sens de lrsquoincarnation essai sur la penseacutee de Peacuteguy Paris Cahiers de lrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy 1950 p 84 210 DEVAUX Andreacute A laquoReacutealiteacute et veacuteriteacute selon Charles Peacuteguy raquo Rencontres avec Peacuteguy Colloque de Nice Paris Descleacutee de Brower 1975 (p 81-119) p 111 211 DEJOND Thierry Charles Peacuteguy Lrsquoespeacuterance drsquoun salut universel Namur Culture et Veacuteriteacute 1989 p 34

236

Peacuteguy lrsquoIncarnation peut ecirctre possible seulement srsquoil y a des creacuteatures sur terre

precirctes agrave accueillir Dieu la terre doit recevoir la segraveve divine Crsquoest pour cela que

Peacuteguy revient souvent agrave lrsquoAnnonciation comme agrave un tournant principal Mais il en

vient agrave parler de tous les saints comme des acteurs de lrsquoIncarnation parce que les

saints sont ceux qui savent accueillir la gracircce de Dieu

Le reacuteel crsquoest le temps et le lieu ougrave lrsquoeacuteveacutenement se produit celui dans lequel

Dieu srsquoincarne celui dans lequel le saint fait durer lrsquoIncarnation de Dieu

Dans son article Peacuteguy philosophe Franccedilois Feacutedier observe laquo Le deacutefi auquel

nous sommes ici confronteacutes crsquoest de ne pas accepter que mystique soit identifieacute agrave

irreacuteel En reacutealiteacute la mystique dont parle Peacuteguy est bien plutocirct la seule voie drsquoaccegraves

au reacuteel au sens entier du terme raquo212 Et la politique justement est agrave lrsquoopposeacute du

reacuteel parce qursquoelle est une forme de reacutecupeacuteration du reacuteel en fonction drsquoun systegraveme

construit intellectuellement deacutesincarneacute et deacuteracineacute Peacuteguy en parle longuement dans

le Dialogue de lrsquohistoire et de lrsquoacircme charnelle le refus de srsquoincarner de vivre dans

le reacuteel est un rejet de la mystique chreacutetienne Dans Agrave nos amis agrave nos abonneacutes

Peacuteguy opegravere une distinction entre le reacuteel et lrsquohistoire en srsquoappuyant sur lrsquoexemple

drsquoun jeune homme venu srsquoinformer sur lrsquoAffaire En lui parlant Peacuteguy prend

douloureusement conscience que ce qui pour lui est le reacuteel parce qursquoil est au cœur

de ces eacuteveacutenements nrsquoest qursquohistoire pour celui qui lrsquoeacutecoute puisqursquoil ne lrsquoa pas

veacutecu laquo Je lui donnais du reacuteel il recevait de lrsquohistoire raquo (II 1310) Lrsquohistoire crsquoest

donc seulement du reacuteel videacute de sa mystique

La reacutealiteacute lrsquoeacuteveacutenement de la reacutealiteacute lrsquoeacuteveacutenement reacuteel est cette rosace reacuteelle aux fleurs de rose infiniment fouilleacutees Lrsquohistoire lrsquoeacuteveacutenement de lrsquohistoire sont ces carreaux de placirctre qursquoaussitocirct la rosace abolie nous mettons au mecircme lieu chacun tous tant que nous sommes selon notre petit entendement selon nos petits moyens et notre petite capaciteacute (II 1309-1310)

Lrsquoeacuteveacutenement est plus grand que la personne qui le vit Lrsquohistoire est reacuteduite agrave

ceux qui la construisent elle deacutecrit les caracteacuteristiques exteacuterieures apparentes de

lrsquoeacuteveacutenement sans le peacuteneacutetrer sans lrsquohabiter dans la dureacutee Tatiana Taiumlmanova

remarque que Peacuteguy critique la science historique moderne preacuteciseacutement parce que

212 FEacuteDIER Franccedilois laquo Peacuteguy philosophe raquo Philosophie 42009 (ndeg 103) p 77-92

237

sous le poids du passeacute fixeacute par les documents et les fiches lrsquohomme perd sa

capaciteacute de ressentir le preacutesent comme un reacuteel vivant213

Gracircce agrave lrsquoIncarnation non seulement Dieu entre dans le temps agrave travers sa vie

sur terre et la vie de ses saints mais encore lrsquohomme entre dans lrsquoeacuteterniteacute laquo Vous

avez eacuteterniseacute vous avez infiniseacute tout raquo (III 775) Degraves lors la valeur de ses actes

devient tout aussi infinie et eacuteternelle et sa responsabiliteacute eacuteternelle aussi Il faut ecirctre

saint et il faut savoir accueillir la gracircce de Dieu pour pouvoir la porter

Lrsquoexplication la plus claire de ce que signifiait lrsquoIncarnation pour Peacuteguy se

trouve dans son dernier texte la Note conjointe sur M Descartes et la philosophie

carteacutesienne

Pour que Jeacutesus fucirct homme il fallait que sa meacutemoire mecircme et que son histoire fucirct la matiegravere et lrsquoobjet non pas drsquoun miracle mais drsquoun procegraves permanent

Il fallait qursquoil surveacutecucirct comme il avait veacutecu Et il fallait qursquoil surveacutecucirct comme il eacutetait mort Et il fallait qursquoil fucirct temporellement eacuteternel comme il avait veacutecu et comme il eacutetait mort

Il fallait en un mot que la vie de Jeacutesus fut une vie de saint Et qursquoil fut exposeacute agrave notre vieux camarade Babut comme un simple saint Martin

La premiegravere des vies de saint Ou la vie du premier saint Une vie de saint en tecircte des autres mais une vie de saint tout de mecircme comme les autres parmi les autres (III 1401)

Selon Peacuteguy pour srsquoincarner Dieu devait se doter drsquoun heacuteritage humain drsquoune

meacutemoire humaine (les geacuteneacuterations avant Jeacutesus chez Matthieu et Luc) Georges Izard

eacutecrit laquo En se deacutefendant de diminuer par ces reacuteflexions la part de Jeacutesus Peacuteguy

eacutetablit donc un lien nouveau entre le spirituel et le temporel Jeacutesus a tout incarneacute de

lrsquohomme y compris tout ce qursquoil y avait eu de divin ou drsquohumain dans lrsquohistoire de

ses civilisations raquo214 Il devait aussi trouver une forme drsquoexistence et de dureacutee dans

la meacutemoire agrave lrsquoaide de teacutemoignages et de chronique agrave commencer par les

Eacutevangiles Sa vie se preacutesentait aux geacuteneacuterations suivantes sous la forme de meacutemoire

inscrite dans les textes et en forme drsquoimitation humaine comme il advient pour les

heacuteros pour les saints et plus geacuteneacuteralement pour les personnaliteacutes exemplaires

213 Voir TAIumlMANOVA Tatiana opcit p 176 214 IZARD Georges La penseacutee religieuse in MOUNIER Emmanuel Marcel PEacuteGUY Marcel IZARD Georges La penseacutee de Charles Peacuteguy Paris Plon 1931 p 375

238

1 Lrsquoaction du saint dans le monde

Dans le monde le saint a une posture ambivalente drsquoune part il est agrave lrsquoeacutecart

du monde des autres non seulement srsquoil srsquoagit drsquoun ermite mais drsquoautre part en

raison de son essence de saint qui est qadosh mis agrave part pour Dieu Cependant en

tant qursquoacteur de lrsquoIncarnation celui qui continue lrsquoœuvre de Dieu sur la terre le

saint est au cœur de lrsquoeacuteveacutenement au cœur du monde des hommes en dialogue

constant avec les autres humains et avec Dieu Le saint est agrave la fois solitaire et

solidaire

J-P Dubois-Dumeacutee dans son livre Solitude de Peacuteguy analyse ainsi cette notion

de solidariteacute chez lrsquoauteur

Cette hantise de lrsquoecirctre ou des ecirctres exclus Peacuteguy lrsquoappelle solidariteacute Ainsi donne-t-il agrave ce mot monnayeacute alors vulgairement par tant de socialistes un sens plein ce nrsquoest pas seulement le coude-agrave-coude de ceux qui luttent pour un monde meilleur crsquoest une exigence de salut collectif un sacrifice de soi-mecircme pour les autres lrsquoamour des hommes En opposant cette solidariteacute agrave la chariteacute chreacutetienne qui passe pour un aveu drsquoimpuissance et de reacutesignation il reprend un thegraveme freacutequent alors de la propagande socialiste Mais seule les mots sont les mecircmes La solidariteacute ainsi entendue nrsquoest pas autre chose que la veacuteritable chariteacute chreacutetienne agrave laquelle on lrsquooppose lthellipgt En srsquoattachant au socialisme Peacuteguy a cru rompre avec le christianisme En reacutealiteacute il nrsquoa fait que provisoirement et inconsciemment appliquer au socialisme des sentiments qui plus tard se reacuteveacuteleront agrave nouveau ce qursquoils nrsquoavaient pas cesseacute drsquoecirctre profondeacutement chreacutetiens215

Crsquoest de cette solidariteacute du saint que naicirct la communion des saints

Si en eacutetudiant la place du saint dans la socieacuteteacute on compare les saints chez

Peacuteguy avec la typologie du religieux de Max Weber on voit que cette place pourrait

correspondre au rocircle du virtuose religieux doteacute drsquoun laquo charisme speacutecifique raquo en

particulier du laquo charisme speacutecifique de la foi raquo et de celui de la bonteacute Agrave propos du

charisme de la foi Weber affirme qursquolaquo en vertu de cette confiance charismatique

dans le soutien de Dieu qui deacutepasse les formes humaines ordinaires lrsquohomme de

confiance de la communauteacute eacutemotionnelle en tant que virtuose de la foi peut

pratiquement agir et accomplir drsquoautres choses que le laiumlc raquo216 Cette deacutefinition

215 DUBOIS-DUMEacuteE Jean-Pierre Solitude de Peacuteguy Paris Plon 1946 p 58-59 216 WEBER Max Eacuteconomie et socieacuteteacute Paris Plon (trad sous la dir de J Chavez amp G de Dampierre) 1971 p 576

239

correspond agrave lrsquoideacutee de Peacuteguy suivant laquelle le saint agit en accueillant la gracircce au

cœur de lrsquoeacuteveacutenement En commentant ce texte de Weber Reacutegis Deacutericquebourg

eacutecrit laquo Nous pensons que les charismes speacutecifiques fondent une virtuositeacute dans un

domaine de lrsquoaction quotidienne plus que dans lrsquoextra-quotidienneteacute typique du

charisme propheacutetique raquo217 Cela correspond agrave cette sainteteacute agissante chegravere agrave

Peacuteguy une sainteteacute qui se distingue par la capaciteacute de reacuteagir agrave lrsquoeacuteveacutenement dans

lrsquoimmeacutediat et dans la dureacutee en restant ouvert agrave la gracircce divine

Pour Max Weber comme lrsquoexplique Jean-Pierre Albert lrsquoune des fonctions

principales des virtuoses religieux consiste agrave laquo procurer des expeacuteriences actuelles du

surnaturel des expeacuteriences crsquoest-agrave-dire des situations veacutecues drsquoune maniegravere qui se

rapproche autant que possible de nos faccedilons ordinaires de juger de la reacutealiteacute des

faits dont nous sommes les auteurs ou les teacutemoins raquo ce qui peut correspondre chez

Peacuteguy agrave lrsquointuition de la dureacutee et de lrsquoeacuteveacutenement qui reacutevegravele le saint218

a) Le saint au cœur de lrsquoeacuteveacutenement

Emmanuel Mounier note pour sa part dans son eacutetude sur la penseacutee de Peacuteguy

que laquo Lrsquoeacuteveacutenement nrsquoest pas astreint seulement agrave la date mais agrave la terre agrave la langue

agrave lrsquohomme raquo219 Crsquoest-agrave-dire qursquoil se produit dans un lieu concret dans une ou des

langues concregravetes des hommes y participent en teacutemoignent lrsquoaccueillent ou

lrsquoignorent

217 DEacuteRICQUEBOURG Reacutegis laquo Max Weber et les charismes speacutecifiques raquo Archives de sciences sociales des religions [En ligne] 137 | janvier - mars 2007 mis en ligne le 05 juin 2010 consulteacute le 02 mars 2017 URL httpassrrevuesorg4146 DOI 104000assr4146 218 ALBERT Jean-Pierre Albert laquo La place des saints Virtuositeacute religieuse et structure du champ religieux raquo Conserveries meacutemorielles [En ligne] 14 | 2013 mis en ligne le 01 juillet 2013 consulteacute le 23 mars 2015 URL httpcmrevuesorg1509 219 MOUNIER Emmanuel PEacuteGUY Marcel IZARD Georges Izard La penseacutee de Charles Peacuteguy Paris Plon 1931 p 169

240

Au cœur de lrsquoeacuteveacutenement le saint peut choisir drsquoecirctre teacutemoin intercesseur ou

faire le choix drsquoagir Jean Delaporte eacutecrit laquo Lrsquoobeacuteissance agrave lrsquoeacuteveacutenement constitue le

dernier degreacute de la fideacuteliteacute au reacuteel engageacutee dans une ascegravese de lrsquoaction raquo220

Peacuteguy exprime la position envers lrsquoeacuteveacutenement qursquoil considegravere comme eacutetant la

plus juste dans Louis de Gonzague laquo Il ne deacutepend pas de nous que lrsquoeacuteveacutenement se

deacuteclenche mais il deacutepend de nous drsquoy faire face raquo (II 383) Il y a divers maniegravere

drsquoy faire face Celle que Peacuteguy preacutefegravere se reacutesume dans la parabole du jeu de la balle

au chasseur auquel on srsquoadonne alors que le jugement dernier aura lieu dans cinq

minutes cette parabole est rapporteacutee dans ce mecircme texte Non ce nrsquoest pas une

attitude passive mais crsquoest une attitude de disponibiliteacute totale drsquoaccueil et

drsquohospitaliteacute par rapport agrave lrsquoeacuteveacutenement qui vient sans pour autant lrsquoattendre sans

anticipation laquo Il ne deacutepend pas de nous que lrsquoeacuteveacutenement se deacuteclenche Mais il

deacutepend de nous de faire notre devoir raquo (II 388)

Dans lrsquoeacuteveacutenement la rencontre a un rocircle essentiel Ainsi il se fait plus grand

que ceux qui y participent notamment gracircce agrave la communication entre ses acteurs

Arlette Fargo explique ainsi

Fabricant et fabriqueacute lrsquoeacuteveacutenement est drsquoembleacutee un morceau de temps et drsquoaction mis en morceaux en partage comme en discussion crsquoest bien agrave travers les lambeaux de son existence que lrsquohistorien travaille srsquoil veut en rendre compte Face agrave lrsquoeacuteveacutenement retrouveacute ou relateacute il est devant une absence drsquoordre En effet sa structure perccedilue agrave travers les textes est deacutejagrave en soi une mise en relation221

Chez Peacuteguy le saint est celui qui met en relation par excellence il incarne

Dieu dans lrsquoeacuteveacutenement et il est lieacute avec ses contemporains par son action Il relie

Dieu et les hommes par sa priegravere le saint est au cœur de lrsquoeacuteveacutenement lrsquohomme du

dialogue et de la communion le prophegravete le teacutemoin et lrsquointercesseur

Pascale Goetschel et Christophe Graner approfondissent ce trait de lrsquoeacuteveacutenement

comme drsquoun chronotope de rencontre et de dialogue

Moment singulier en effet lrsquoeacuteveacutenement prend forme agrave lrsquointeacuterieur drsquoun systegraveme complexe de temporaliteacutes Il naicirct avant tout drsquoune rupture ou drsquoun eacutecart dans le cours ordinaire des choses Isolant le preacutesent du passeacute et de lrsquoavenir il suspend lrsquoordre du monde et y introduisant du jeu par la transgression des regravegles usuelles (cris insultes

220 DELAPORTE Jean Connaissance de Peacuteguy TI Paris Plon 1959 p 153 221 FARGO Arlette Des lieux pour lrsquohistoire Seuil 1997 p 82

241

gestes dramaturgie du renversement) ou la subversion symbolique des espaces de souveraineteacute (rue usine amphitheacuteacirctre) il contribue agrave le deacutefataliser Placeacute sous le signe de lrsquoincertitude et de lrsquoindeacutetermination il ouvre un temps des possibles offert agrave lrsquoinventiviteacute des acteurs en preacutesence Mais lrsquoeacuteveacutenement est aussi le moment drsquoune mise en relation222

Cette ideacutee que lrsquoeacuteveacutenement est un moment de laquo mise en relation raquo qui ouvre un

laquo temps des possibles raquo correspond agrave la maniegravere dont Peacuteguy conccediloit lrsquoeacuteveacutenement

comme moment drsquoun possible accueil de la gracircce et drsquoune possible action en

accord avec la gracircce et en coopeacuteration avec les autres acteurs de lrsquoeacuteveacutenement

Tatiana Taiumlmanova dans sa thegravese consacreacutee agrave la philosophie de lrsquohistoire chez

Peacuteguy eacutecrit laquo Peacuteguy considegravere lrsquoeacuteveacutenement historique comme le reacutesultat drsquoune

activiteacute creacuteative de lrsquohomme dont le prix deacutepend uniquement de ses objectifs

mystiques ou politiques et il ne justifie sur le plan moral que lrsquoeacuteveacutenement dont

lrsquoobjectif correspond agrave lrsquoobjectif divin raquo223 Elle poursuit en rappelant que selon

Peacuteguy il nrsquoy a pas vraiment drsquohistoire hors du christianisme parce que chaque

eacuteveacutenement a sa signification eacuteternelle et non seulement temporelle Taiumlmanova

insiste sur le fait que le sens le plus important que Peacuteguy donne agrave lrsquohistoire

correspond justement agrave lrsquoengagement reacuteciproque de lrsquoeacuteternel et du temporel

Cet engagement reacuteciproque est faciliteacute par la personne du saint qui appartient

autant agrave lrsquoeacuteternel qursquoau temporel il contribue ainsi agrave lrsquoinscription dans lrsquoeacuteternel de

lrsquoeacuteveacutenement temporel auquel il participe Jean-Noeumll Dumont eacutecrit laquo Seule une acircme

maintenue neuve par lrsquoeacuteveacutenement garde en soi assez drsquoinsoumission pour ne pas

courber lrsquoeacutechine devant les fataliteacute raquo224 Parce que lrsquoeacuteveacutenement srsquoimprime dans

lrsquoacircme de celui qui y prend part et la transfigure

On pourrait suivre lrsquoeacutevolution de la compreacutehension de lrsquoeacuteveacutenement chez Peacuteguy

et de la preacutesence du saint dans lrsquoeacuteveacutenement du preacutesent en observant ses eacutecrits sur

Jeanne drsquoArc

222 GOETSCHEL Pascale GRANER Christophe laquo Faire lrsquoeacuteveacutenement un enjeu des socieacuteteacutes contemporaines raquo Socieacuteteacutes amp Repreacutesentations 20112 (ndeg 32) (p 7-23) p 12-13 223 TAIumlMANOVA Tatiana Taiumlmanova opcit p 178 224 DUMONT Jean-Noeumll Peacuteguy lrsquoaxe de deacutetresse Paris Michalon p 91

242

Dans la premiegravere piegravece de la trilogie Aacute Domremy lrsquoaction est lanceacutee par un

eacuteveacutenement personnel de la vie de Jeannette sa premiegravere communion qursquoelle ressent

comme laquo rateacutee raquo ce qui la conduit agrave demander agrave voir Madame Gervaise Mais la

conversation des deux amies Jeannette et Hauviette tourne autour de lrsquoeacuteveacutenement

veacutecu par la France par leur village par leurs familles la guerre Or toutes les deux

rejettent une forme de non-participation agrave lrsquoeacuteveacutenement Hauviette srsquoindigne du

choix de Madame Gervaise celui de la vie contemplative laquo En veacuteriteacute Madame

Gervaise a mal choisi son temps pour deacutelaisser le monde et pour sauver son

acircmehellip raquo (OPD 10) dit-elle Pour Hauviette ce choix est une forme de fuite un

refus de vivre agrave lrsquointeacuterieur de lrsquoeacuteveacutenement de la guerre et de lrsquoaffronter avec sa

famille et dans son village Mais pour Jeannette ce choix semble au contraire lrsquoune

des reacuteponses possibles ou en tout cas une forme de vie qui peut apporter des

reacuteponses agrave soi et aux autres laquo Madame Gervaise est au couvent elle doit savoir

pourquoi le bon Dieu nrsquoexauce pas les bonnes priegraveres raquo (OPD 11) La penseacutee les

sentiments la priegravere de Jeannette eacutevoluent en fonction des eacuteveacutenements dont elle

prend connaissance laquo Les voyageurs qui passent nrsquoapportent plus que des

nouvelles mauvaises raquo (OPD 12) Continuer la vie habituelle autrement dit

demeurer dans la reacutepeacutetition steacuterile dirait Peacuteguy avec le vocabulaire bergsonien

mecircme si cela semble neacutecessaire vital continuer agrave faire les moissons et les

vendanges pendant que la guerre deacutetruit tout semble pour la petite Jeannette une

forme de lacirccheteacute

Dans sa rencontre avec Madame Gervaise Jeannette commence par eacutenumeacuterer

les horreurs commises par les Anglais avant de lui lancer laquo Savez-vous Madame

Gervaise que nous qui voyons tout cela se passer sous nos yeux sans rien faire agrave

preacutesent que des chariteacutes vaines et sans vouloir tuer la guerre nous sommes les

complices de tout cela raquo Elle srsquoaccuse ainsi malgreacute son jeune acircge elle accuse

aussi ses parents et tout son village parce que la seule reacuteponse possible agrave

lrsquoeacuteveacutenement pour Jeannette crsquoest drsquoentrer dans lrsquoeacuteveacutenement et de lui reacutepondre par

une action eacutegale si lrsquoeacuteveacutenement crsquoest la guerre alors il faut tuer la guerre la

reacuteponse doit ecirctre agrave la hauteur de lrsquooffense au mecircme niveau de la mecircme ampleur et

de la mecircme intensiteacute

243

Jeannette perccediloit aussi la damnation des acircmes comme un eacuteveacutenement drsquoordre

spirituel auquel elle veut eacutegalement reacutepondre jusqursquoagrave proposer si ccedila pourrait ecirctre

une reacuteponse agrave cet eacuteveacutenement sa propre mort et damnation On pourrait dire que la

vocation de Jeannette naicirct de la rencontre entre ces trois eacuteveacutenements qursquoelle a

veacutecus lrsquoeacuteveacutenement personnel de la premiegravere communion rateacutee lrsquoeacuteveacutenement de la

guerre veacutecu en communion avec sa famille son village son pays et lrsquoeacuteveacutenement

spirituel de la prise de conscience de la damnation eacuteternelle

Dans un article sur lrsquoinfluence de Bergson sur Peacuteguy Camille Riquier

eacutecrit qursquolaquo un homme naicirct ou renaicirct librement dans lrsquoeacuteveacutenement raquo225 On pourrait

dire eacutegalement que le saint naicirct dans lrsquoeacuteveacutenement Agrave la question de Madame

Gervaise laquo Pourquoi vouloir ma sœur sauver les morts damneacutes de lrsquoenfer eacuteternel

et vouloir sauver mieux que Jeacutesus le Sauveur raquo (OPD 17) Jeannette reacutepond

laquo Alors Madame Gervaise qui donc faut-il sauver Comment faut-il sauver raquo

(OPD 18) Cette phrase est agrave lrsquoorigine la vocation de Jeannette comme celle de

Peacuteguy Madame Gervaise reacutepond en effet laquo En imitant Jeacutesus En eacutecoutant

Jeacutesus raquo Et mecircme si Peacuteguy commence agrave parler de lrsquoimitation de Jeacutesus dans sa prose

seulement dix ans plus tard la question du salut se pose pour lui degraves 1897 Elle

revient dans les premiers Cahiers par exemple dans De la grippe et restera au

centre de son œuvre durant toute sa vie

La vocation concregravete de Jeannette celle de devenir chef de guerre prend

eacutegalement sa source dans un eacuteveacutenement preacutecis la libeacuteration du Mont saint Michel

Hauviette annonce agrave Jeannette cette bonne nouvelle et dans la scegravene suivante

Jeannette prie

O mon Dieu donnez-nous enfin le chef de guerre

Vaillant comme un archange et qui sache prier

Pareil aux chevaliers qui sur le Mont naguegravere

Terrassaient les Anglais raquo (OPD 23)

Dans ce cas aussi Jeannette procegravede par imitation le chef de guerre pour

lequel elle prie doit imiter lrsquoarchange par son regard vers Dieu sa priegravere et par la

225 RIQUIER Camille laquo Peacuteguy laquo Bergsonien raquo raquo Les Cahiers du Cerf laquo Charles Peacuteguy raquo Paris Les eacuteditions du Cerf 2014 p 168

244

vaillance des chevaliers qui terrassaient les Anglais Sa vocation prend sa source

dans la reacuteponse par la priegravere qursquoelle donne agrave lrsquoeacuteveacutenement de la reprise du Mont

Saint-Michel agrave lrsquoexemple du guerrier ceacuteleste saint Michel et des chevaliers

terrestre qui ont combattu les Anglais

La vocation de Jeanne drsquoArc se concreacutetise face agrave un autre eacuteveacutenement son

village a eacuteteacute deacutevasteacute Jeanne reccediloit lrsquoappel de ses voix quand elle prie encore pour le

chef de guerre laquo une derniegravere fois raquo (OPD 27) Agrave chaque fois lrsquoeacuteveacutenement appelle

un acte celui de prier Crsquoest encore un eacuteveacutenement qui deacuteclenchera lrsquoaction de

Jeanne Sa premiegravere reacuteponse agrave lrsquoappel est de demander par la priegravere un autre chef

de guerre Mais quand Hauviette lui annonce que les Anglais ont assieacutegeacute Orleacuteans

elle prend la deacutecision drsquoagir elle ne reste pas teacutemoin de lrsquoeacuteveacutenement elle le

peacutenegravetre et elle se tient agrave lrsquointeacuterieur

Pardonnez-moi drsquoavoir attendu si longtemps

Avant de deacutecider mais puisque les Anglais

Ont deacutecideacute drsquoaller agrave lrsquoassaut drsquoOrleacuteans

Je sens qursquoil est grand temps que je deacutecide aussi

Moi Jeanne je deacutecide que je vous obeacuteirai (OPD 49)

Le Mystegravere de la Chariteacute qui peu de temps encore avant sa publication portait

le titre du Mystegravere de la vocation ndash un extrait retrancheacute sur eacutepreuves demeure sous

ce titre ndash montre clairement comment la vocation de Jeanne naicirct de sa vie agrave

lrsquointeacuterieur de lrsquoeacuteveacutenement et de lrsquoimpression que font sur elle les nouvelles de la

guerre Degraves le tout deacutebut de la piegravece Jeannette prie le Notre Pegravere en le compleacutetant

de ses propres paroles la contemplation du monde ou laquo le regravegne des royaumes de

la terre est tombeacute tout entier au regravegne du royaume de la tentation raquo (OPD 404)

lrsquoamegravene agrave prier pour que viennent de nouveaux saints et de nouvelles saintes

Srsquoil nrsquoy a pas eu encore assez de saintes et assez de saints envoyez-nous-en drsquoautres envoyez-nous-en autant qursquoil en faudra envoyez-nous-en tant que lrsquoennemi se lasse Nous les suivrons mon Dieu Nous ferons tout ce que vous voudrez Nous ferons tout ce qursquoils voudront Nous ferons tout ce qursquoils nous dirons de votre part (Ibid)

245

La vision du malheur du monde fait naicirctre dans le cœur de Jeannette cette

priegravere qui ouvre une porte vers ses visions vers son obeacuteissance agrave ses voix et vers

son propre chemin de sainteteacute

Ce qui change par rapport agrave la premiegravere piegravece de la trilogie Aacute Domreacutemy crsquoest

la preacutesence de Jeanne simultaneacutement au cœur des eacuteveacutenements dans lesquels elle vit

corporellement et au cœur des eacuteveacutenements de lrsquoEacutevangile spirituellement Crsquoest

preacuteciseacutement de cette double preacutesence dans lrsquoeacuteveacutenement temporel et dans

lrsquoeacuteveacutenement eacuteternel que naicirct la vocation de Jeanne drsquoArc Cela commence degraves les

premiegraveres pages du Mystegravere quand Jeannette contemple les bleacutes deacutevasteacutes de son

village elle y voit le mecircme bleacute que Jeacutesus a mangeacute ce qui lrsquoamegravene agrave penser au

mystegravere de lrsquoEucharistie

Sacreacutes bleacutes sacreacutes bleacutes qui faites le pain froment eacutepi grain de lrsquoeacutepi de bleacute Moisson du bleacute des champs Pain qui fucirctes servi sur la table de Notre-Seigneur Bleacute pain qui fucirctes mangeacute par Notre-Seigneur mecircme qui un jour entre tous les jours fucirctes mangeacute

Bleacutes sacreacutes bleacutes qui devicircntes le corps de Jeacutesus-Christ un jour entre tous les jours et qui tous les jours ecirctes mangeacute nrsquoeacutetant plus vous-mecircme mais eacutetant le corps de Jeacutesus-Christ (OPD 417)

Elle est pleinement preacutesente dans la vie de son village dans le travail des

champs elle est pleinement preacutesente dans la vie des sacrements elle qui vient de

faire sa premiegravere communion Elle est encore pleinement preacutesente aux eacuteveacutenements

de lrsquoEacutevangile et laquo voit raquo inteacuterieurement Jeacutesus ramassant les eacutepis mucircrs Dans son

cœur ces preacutesences se rejoignent en creacuteant un preacutesent agrave la fois eacuteternel et temporel

un preacutesent feacutecond qui deacutetermine sa vocation

Jeanne parle de vocation avec Hauviette juste apregraves sa meacuteditation sur les bleacutes et

les vignes Elle parle de Madame Gervaise mais Hauviette la contredit en lui

disant laquo Elle est moins sainte que toi raquo (OPD 420) Jeanne insiste sur le fait que

pour entrer au couvent comme lrsquoa fait Madame Gervaise il faut que Dieu laquo lrsquoait

convoqueacutee par son nom instruite commandeacutee deacutesigneacutee par son nom conduite

par la main et quelquefois forceacutee et prise pour lui Il faut une vocation raquo

(OPD 421) Finalement elle deacutecrit son propre chemin sa propre vocation

Hauviette elle considegravere qursquo laquo il nrsquoy a qursquoune reacuteveacutelation pour tout le monde [hellip] Il

246

conduit tout le monde par la main Il nous a toutes deacutesigneacutees Nous sommes toutes

entreacutees au couvent de chreacutetienteacute raquo (OPD 420-421)

Comme il a eacuteteacute dit plus haut dans le chapitre sur les vertus chez Peacuteguy il y a

trois types de sainteteacutes preacutesenteacutes dans le Mystegravere celle de Jeannette celle

drsquoHauviette et celle de Madame Gervaise Celle de Jeannette et celle de Madame

Gervaise naissent de leurs reacuteactions diffeacuterentes agrave lrsquoeacuteveacutenement Jeanne veut unir

lrsquoaction eacuteternelle celle de la priegravere et lrsquoaction temporelle dans lrsquoeacuteveacutenement

temporel Madame Gervaise pour sa part choisit la priegravere et choisit de reacutepondre au

temporel par la seule force de lrsquoeacuteternel Hauviette est une sainte de la dureacutee de la

continuiteacute de la communion des saints une sainte par fideacuteliteacute agrave la tradition mais

aussi une sainte sanctifieacutee par le travail de ses mains Sa reacuteponse agrave lrsquoeacuteveacutenement est

la confiance et le labeur

Durant son dialogue avec Madame Gervaise Jeannette fait lrsquoanamnegravese au sens

liturgique du terme de toute lrsquohistoire sainte elle revit de lrsquointeacuterieur les

eacuteveacutenements de la vie de Jeacutesus et crsquoest ce qui feacuteconde sa vocation naissante

Jeannette se met agrave la place des disciples de Jeacutesus et ose dire laquo Je crois que si

jrsquoavais eacuteteacute lagrave je ne lrsquoaurais pas abandonneacute raquo (OPD 526) Pour Jeannette

abandonner son pays agrave son sort crsquoest abandonner Jeacutesus sa foi est neacutee avec les eacutepis

de bleacutes dans lesquels elle voit le Corps du Christ et de la contemplation du chemin

de Croix naicirct la contemplation drsquo laquo Orleacuteans qui ecirctes au pays de Loire raquo (OPD 559)

La vocation de Jeanne drsquoArc est neacutee

b) Lrsquoeacuteveacutenement de la reacutevolution et lrsquoeacuteveacutenement de la mort

Ce qui reacuteunit dans lrsquoœuvre de Peacuteguy des eacuteveacutenements aussi diffeacuterents que la

reacutevolution et la mort crsquoest le fait qursquoil srsquoagit dans les deux cas drsquoune rupture qui

nrsquoen est pas une et qui affermit la continuiteacute Eric Thiers eacutecrit en ce sens

Crsquoest une reacutevolution qui srsquoopegravere sous nos yeux Pour Peacuteguy ce terme ne renvoie nullement agrave lrsquoideacutee de rupture mais bien agrave celle de continuiteacute La reacutevolution nrsquoest pas ce qui est contraire agrave lrsquoexistant mais ce qui est nouveau Nous sommes de la sorte transporteacutes dans un monde certes ineacutedit mais qui nrsquoest pas autre [hellip]Le couple veacuteriteacute-reacutealiteacute se met ici en mouvement et devient lrsquoinstrument de deacutenonciation au mieux de

247

lrsquoaveuglement au pire de la trahison des intellectuels Mais cette reacutealiteacute qui sourd et nous tire de notre quotidien nrsquoest pas seulement une irruption du preacutesent Elle draine avec elle une meacutemoire qui joue un rocircle essentiel dans ce basculement Par lrsquointervention de lrsquoeacuteveacutenement le passeacute resurgit et devient matiegravere eacuteminemment preacutesente226

La reacutevolution est un appel au changement au renouvellement mais sans rejet

du passeacute comme dans la notion de laquo progregraves raquo abhorreacutee par Peacuteguy une situation

ougrave le monde a besoin de meneurs de personnaliteacutes exemplaires donc eacutevidemment

des saints qui en sont les vrais acteurs parce qursquoils relient le temporel agrave lrsquoeacuteternel et

qui en sont aussi les vrais teacutemoins et chroniqueurs

Dans Les suppliants parallegraveles Peacuteguy eacutecrit qursquolaquo Une reacutevolution est

essentiellement une opeacuteration qui fonde (II 355) raquo Autrement dit pour lui la

reacutevolution loin drsquoecirctre une destruction du passeacute est un deacutebut une naissance Jean-

Noeumll Dumont commentant les eacutecrits de Peacuteguy sur la reacutevolution remarque qursquolaquoil y

a reacutevolution parce que le mouvement est total incarneacute et saisit indissociablement le

temporel et le spirituel Mais cette reacutevolution nrsquoest pas une reacuteforme de structure elle

passe par la sainteteacute Dans cette Eacuteglise les saints seuls peuvent ecirctre des

reacuteformateurs raquo227

La reacutevolution serait en effet impossible sans reacutevolutionnaires Peacuteguy parle dans

Par ce demi-clair matin de la laquo force reacutevolutionnaire drsquoun homme raquo (II 157) qui

naicirct de lrsquoeacutevolution drsquoun peuple ou drsquoune race au sein de laquelle un tel homme peut

apparaicirctre Le saint peut aussi avoir ce rocircle de reacutevolutionnaire en tant que personne

qui apporte un renouvellement ou comme dirait Peacuteguy un laquo rejaillissement raquo

Jean Delaporte eacutecrit laquo Le reacutevolutionnaire est un fondateur du monde nouveau

au mecircme titre que les saints fondateurs (agrave qui il aime se reacutefeacuterer) ont instaureacute le

monde chreacutetien raquo228 Un an plus tard en 1906 Peacuteguy deacutefinit le reacutevolutionnaire

comme un homme laquo drsquoexpeacuterience et de reacutealiteacute raquo (II 460) crsquoest-agrave-dire un homme

226 THIERS Eacuteric laquo Charles Peacuteguy la reacuteveacutelation du 6 juin 1905 raquo Mil neuf cent Revue drsquohistoire intellectuelle 12001 (ndeg 19) p 43-52 227 DUMONT Jean-Noeumll opcit p 95 228 DELAPORTE Jean opcit TI p 174

248

qui sait fructifier sa meacutemoire en srsquoappuyant sur lrsquoexpeacuterience du passeacute et reacuteagir agrave

lrsquoeacuteveacutenement du preacutesent par le contact avec la reacutealiteacute Selon Andreacute Henri

pour Peacuteguy le reacutevolutionnaire mystique nrsquoest pas celui qui fait une seule fois sa reacutevolution et qui ne brise les cadres sociaux que pour promouvoir drsquoautres systegravemes hieacuterarchiques qui lui sembleront plus justes ou qui lui seront plus profitables Crsquoest celui qui sait que lrsquoardeur creacuteatrice surpasse en digniteacute les plus eacuteclatantes reacuteussites de la creacuteation229

La reacutevolution est un acte de creacuteation et non un acte de destruction

La laquo reacutevolution raquo accomplie par Jeanne drsquoArc qui a inciteacute les franccedilais agrave srsquounir

et se deacutefendre est ancreacutee dans son contact avec la reacutealiteacute elle est fortifieacutee par son

bon sens qui lui fait dire dans la premiegravere piegravece de la trilogie Aacute Domreacutemy qursquoil y

a encore beaucoup de Franccedilais pour combattre les Anglais et que laquo crsquoest aux

Franccedilais agrave sauver la France raquo (OPD 40) La laquo reacutevolution raquo de lrsquoaffaire Dreyfus

accomplie selon Peacuteguy par Bernard-Lazare qui a fondeacute commenceacute une nouvelle

reacuteflexion sur ce que veut dire ecirctre juif ecirctre franccedilais naicirct de sa rencontre avec la

veacuteriteacute de lrsquoinnocence de Dreyfus

Jean Onimus dans son livre sur le mystegravere de lrsquohistoire chez Peacuteguy observe

ainsi

Chez le fondateur ce collaborateur de Dieu on surprend la force creacuteatrice au travail voici que par lui une histoire prend naissance une destineacutee srsquoengendre capable de deacutepasser infiniment le geste initial qui lrsquoa mise au monde Le cas des fondateurs de villes est exemplaire comme celui des fondateurs drsquoordres religieux230

La fondation des villes et des ordres religieux prend une place importante chez

Peacuteguy il parle deacutejagrave de fondation dans Marcel ou le Dialogue de la citeacute

harmonieuse et lrsquoeacutevoque aussi dans Egraveve Le fondateur imite Dieu dans son acte le

moins imitable celui de creacuteer quelque chose de vraiment nouveau drsquoaccorder une

nouvelle existence et de donner vie agrave quelque chose de plus grand que soi Crsquoest ce

qui distingue la creacuteation de Dieu de celle des fondateurs de villes Dieu demeure

toujours plus grand que sa creacuteation mais les fondations humaines deacutepassent leurs

fondateurs

229 HENRI Andreacute Bergson maicirctre de Peacuteguy Paris Elzeacutevir 1948 p 305-506 230 ONIMUS Jean Peacuteguy et le mystegravere de lrsquohistoire Paris Cahiers de lrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy 1958 p 120-121

249

Un autre point eacutetonnant dans lrsquoœuvre de Peacuteguy meacuterite drsquoecirctre souligneacute il traite

la mort comme lrsquoun des eacuteveacutenements transformateurs porteurs de renouvellement

parce qursquoelle preacutepare agrave laquo une entreacutee unique raquo (III 721) Dans Le Dialogue de

lrsquohistoire et de lrsquoacircme charnelle il eacutevoque le viatique en disant que ccedila devrait ecirctre un

huitiegraveme sacrement Peacuteguy deacutefinit clairement la mort comme un eacuteveacutenement

laquo Crsquoest un grand eacuteveacutenement pour tout homme mon enfant une grande affaire que

de faire fucirct-ce dans son lit son dernier chemin et de voir son dernier soleil raquo (III

722) Crsquoest Clio qui parle en qualifiant cet eacuteveacutenement de laquo deacutepart terrible pour

vous chreacutetien qui tout aussitocirct vous preacutesentez au jugement raquo (Ibid) Autrement dit

du point de vue de la muse Clio chez Peacuteguy les chreacutetiens vivent en quelque sorte

deux eacuteveacutenements le passage de la vie agrave la mort et la comparution au Jugement

Dernier

En effet la mort a toutes les caracteacuteristiques de lrsquoeacuteveacutenement puisque il srsquoagit

drsquoun passage drsquoune rupture la personne confronteacutee agrave la mort doit reacuteagir et donner

une reacuteponse adeacutequate en lrsquoaccueillant Certes il ne srsquoagit pas de choisir entre la

mort et la vie ce choix nrsquoexistant pas mais de choisir comment mourir crsquoest ici

que les saints donnent leur ultime exemple lrsquoun des plus important vu que dans la

tradition chreacutetienne la sainte mort la mort exemplaire a un poids Peacuteguy dit aussi

que ce passage est plus dur pour les saints que pour les autres hommes parce que

les saints ont plus drsquoeacuteterniteacute en eux que la mort leur est moins familiegravere et parce

qursquoils rejoignent la souffrance de Jeacutesus le Dieu immortel mourant sur la Croix

Et le corps du saint ne se reacutevolte pas moins que le corps du pecirccheur Peut-ecirctre plus en un certain sens [hellip] Le saint sur son lit de mort la sainte sur le bucirccher sur son bucirccher de mort le Christ au mont des Oliviers Comment ne lrsquoeussent-ils point senti nrsquoavaient-ils point un corps comme nousraquo (III 726)

c) La preacutesence du saint dans le monde

Le saint preacutesent dans ce monde mecircme srsquoil se tient agrave lrsquoeacutecart parce qursquoil est un

homme de Dieu diffeacuterent peut ecirctre rejeteacute parce que sa preacutesence fait peur ou mal Il

250

entre en relation avec ses contemporains avec la race dont il est issu il est en effet

un ecirctre de dialogue et aussi celui par qui le dialogue avec Dieu est rendu possible

En premier lieu il incarne lrsquohospitaliteacute de Dieu Le saint accueille lrsquoeacuteveacutenement

dans un esprit drsquoouverture drsquohospitaliteacute aux personnes agrave Dieu au reacuteel Guy

Lecomte eacutecrit ainsi

Lrsquohospitaliteacute vraie spontaneacutee deacutesinteacuteresseacutee reacutepond essentiellement agrave une situation de carence partageacutee Lrsquohospitaliteacute est signe drsquoune certaine communion dans la faiblesse ou le danger ou le manque Celui qui accueille et celui qui est accueilli reconnaissent de fait une certaine solidariteacute dans leur laquo finitude raquo et chacun assure lrsquoautre par sa preacutesence au moins le temps drsquoune halte cette fraterniteacute de base constitue le fond mecircme de lrsquohospitaliteacute231

Crsquoest une attitude de pauvreteacute mais non de misegravere parce qursquoun miseacutereux ne

peut pas accueillir alors qursquoun pauvre le peut Cette attitude hospitaliegravere fait que

lrsquohocircte est ouvert precirct agrave accueillir la gracircce ouvert au dialogue il est ouvert agrave ce que

lrsquoeacuteveacutenement peut apporter

Dans Toujours de la grippe le Peacuteguy anticleacuterical dit du Dieu des chreacutetiens qursquoil

a heacuteriteacute de Zeus son don drsquohospitaliteacute laquo Ce Dieu tueur de dieux a heacuteriteacute des dieux

qursquoil a tueacutes il est devenu apregraves Zeus le Dieu des hocirctes et son hospitaliteacute est

infinie et il accueille les miseacuterables Il est devenu infiniment hospitalier infiniment

miseacutericordieux raquo (I 451)

Jeacutesus est donc un Dieu hospitalier il pratique la vertu de lrsquoaccueil de la

disponibiliteacute et ses saints lrsquoimitent

Le thegraveme de lrsquohospitaliteacute chez Peacuteguy a eacuteteacute analyseacute avec profondeur par Charles

Coutel Voilagrave comment il reacutesume ses conclusions

- La figure bilateacuterale celui qui reccediloit est reccedilu celui qui est reccedilu reccediloit celui qui supplie devient celui qui est supplieacute nous sommes dans la reacuteciprociteacute simple

- La figure multilateacuterale celui qui reccediloit comme celui qui est reccedilu sont agrave leur tour agrave leur insu ou volontairement les hocirctes drsquoun tiers preacutesent ou absent (la laquo tierce puissance raquo) crsquoest une hospitaliteacute en communauteacute

- Enfin la figure de lrsquoauto-hospitaliteacute celui qui reccediloit srsquoaccepte comme son propre hocircte afin de garder lrsquoestime lrsquoespoir lrsquoespeacuterance et le respect de soi

231 LECOMTE Guy laquo Charles Peacuteguy et lrsquoaccueil du reacuteel raquo Litteacuterature et socieacuteteacute Recueil drsquoeacutetudes en lrsquohonneur de Bernard Guyon Paris Descleacutee de Brouwer 1973 p 209

251

Crsquoest cette auto-hospitaliteacute qursquoil srsquoagit de faire vivre pour ecirctre au plus pregraves de nos laquo mystiques raquo ecirctre fidegravele agrave soi et ne pas se trahir comme le fit Judas232

laquo La figure bilateacuterale raquo correspond justement chez Peacuteguy agrave celle du saint qui

dans le temps reccediloit et eacutecoute dans une attitude drsquoamour de chariteacute ceux qui

viennent agrave lui et dans lrsquoeacuteterniteacute et accueille les priegraveres qui lui sont adresseacute Il reccediloit

la parole de Dieu et il est accueilli par Dieu Il se tient donc dans une posture

drsquohospitaliteacute et de dialogue

Lrsquo laquo hospitaliteacute en communauteacute raquo exprimeacutee dans laquo la figure multilateacuterale raquo se

vit dans la communion des saints dans laquelle chacun par la reacuteversibiliteacute des

gracircces et des vertus devient lrsquohocircte de Dieu

laquo La figure de lrsquoauto-hospitaliteacute raquo souligne un trait propre agrave la vision de la

sainteteacute chez Peacuteguy qui insiste sur la neacutecessiteacute drsquoune reconnaissance de soi Dans le

portrait de Bernard-Lazare dans Notre Jeunesse Peacuteguy montre lrsquoassurance et la

fierteacute de son ami il raconte par exemple que pendant lrsquoAffaire il disait que ce

nrsquoeacutetait pas la Cour de cassation qui avait eu raison contre lui mais lui qui nrsquoavait

pas eacuteteacute drsquoaccord avec la Cour de cassation Et dans le Mystegravere de la Chariteacute Peacuteguy

prend clairement le parti de Jeannette qui dit agrave Madame Gervaise qursquoelle nrsquoaurait

pas abandonneacute Jeacutesus au mont des Olivier comme lrsquoont fait ses disciples contre la

religieuse qui preacutevient Jeannette contre le terrible peacutecheacute de lrsquoorgueil Mais les saints

chez Peacuteguy ne sont pas orgueilleux ils font preuve drsquoauto-hospitaliteacute tout comme

Peacuteguy lui-mecircme et ils ne se trahissent jamais

Le saint est aussi celui qui communique avec ses contemporains comme un

prophegravete qui reacutevegravele annonce la parole et la volonteacute de Dieu agrave ceux qui veulent

lrsquoeacutecouter Parfois il reacutevegravele Dieu par sa maniegravere drsquoecirctre par exemple son ascegravese sans

communiquer une parole explicite Il enseigne aussi lrsquoimitation de Dieu par son

discours et par sa vie exemplaire Dans la deuxiegraveme piegravece de la trilogie Les

Batailles Jeanne drsquoArc donne lrsquoexemple par sa vaillance par la priegravere par sa

compassion Or cet exemple eacutetonne et bouscule laquo Crsquoest toujours ccedila qursquoon dit

quand on parle drsquoelle ldquoon nrsquoa jamais vu ccedilardquo raquo (OPD 100)

232 COUTEL Charles Lrsquohospitaliteacute de Peacuteguy Paris Descleacutee de Brouwer 2011 p 140

252

Jean Onimus dans sa thegravese sur lrsquoIncarnation chez Peacuteguy explique que le

devoir de lrsquohomme laquo consiste justement agrave faire la liaison spiritualiser le temporel

incarner le spirituel raquo Crsquoest une tacircche difficile mais les saints y excellent Jean

Onimus poursuit laquo Ce qui joint les deux bouts de la chaicircne crsquoest lrsquoaction crsquoest

elle qui chaque instant insegravere le spirituel dans le temps reacutealise le spirituel raquo233 Les

saints de Peacuteguy sont agissants en accueillant la gracircce au cœur de lrsquoeacuteveacutenement ils

lrsquoincarnent dans une action par laquelle ils imitent Jeacutesus

2 Le saint agrave lrsquoeacutecart du monde

Yves Bizeul eacutecrit laquo le saint opegravere par sa proximiteacute avec le divin la jonction

entre Dieu et ses creacuteatures rendant par-lagrave possible une mise en relation de

dimensions agrave priori incommensurables raquo234 Autrement dit le saint fait partie des

creacuteatures mais afin de pouvoir creacuteer un lien avec le divin il srsquoen seacutepare toutefois

Le saint le geacutenie le heacuteros sont des personnaliteacutes uniques diffeacuterentes des

autres mais faisant partie de lrsquohumaniteacute ils sont importants pour lrsquohumaniteacute en

raison du rocircle qursquoils y jouent Yves Bizeul deacutefinit ces trois cateacutegories surtout par

leur surpassement des limites humaines habituelles laquo Certains croyants vont plus

loin que drsquoautres dans la radicaliteacute de leur engagement et surtout dans lrsquoabneacutegation

de soi Ils sont appeleacutes saints et martyrs dans les religions du livre heacuteros dans les

laquo religions politiques raquo raquo235 Il accorde aux saints ainsi qursquoaux heacuteros les rocircles de

meacutediateur entre le monde mateacuteriel et le monde spirituel la deacutetention de dons

particuliers le fait de placer leurs valeurs plus haut que leur vie mais aussi un culte

apregraves leur mort Cependant Yves Bizeul semble reacuteduire le rocircle du saint et du heacuteros agrave

233 ONIMUS Jean Le sens de lrsquoIncarnation essai sur la penseacutee de Peacuteguy Paris Cahiers de lrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy 1950 p 65 234 BIZEUL Yves laquo Le statut de la sainteteacute dans les laquo religions politiques raquo raquo Conserveries meacutemorielles [En ligne] 14 | 2013 mis en ligne le 01 juillet 2013 consulteacute le 05 mars 2017 URL httpcmrevuesorg1643 235 Ibid

253

celui du laquo heacuteros culturel raquo mythologique et eacutepique mecircme si contrairement au saint

qui nrsquoest pas neacute dans la sainteteacute mais lrsquoacquiert par lrsquoimitation de Dieu et lrsquoaccueil

de la gracircce le heacuteros mythologique fait partie du monde divin souvent en parenteacute

avec les dieux La connaissance que le heacuteros culturel apporte agrave lrsquohumaniteacute il la

deacutetient par sa naissance son origine semi-divine Le heacuteros politique lui repreacutesente

un groupe de personnes partageant les mecircmes opinions mais il devient une sorte de

preacutecurseur celui qui provoque le renouvellement

a) La solitude du saint

Le saint en tant qursquoecirctre humain qui diffegravere des autres et de son entourage peut

ecirctre rejeteacute agrave cause de sa foi comme les martyrs agrave cause de la veacuteriteacute qursquoil annonce

comme les prophegravetes enfin agrave cause de son obeacuteissance radicale agrave Dieu et de la mise

en œuvre de lrsquoimitation qui deacutepasse les limites de lrsquoadmissible pour ses

contemporains

Mais chez Peacuteguy une personne peut aussi ecirctre sainte agrave cause du rejet qursquoelle

vit agrave cause de son exclusion voire agrave cause de sa diffeacuterence radicale Julie Higaki

eacutecrit

Un des messages laquo reacutevolutionnaires raquo de Peacuteguy ndash ce qui constitue son originaliteacute et la divergence de sa penseacutee par rapport agrave Pascal ndash serait le suivant il importe au temps moderne drsquoaffirmer lrsquoopposition radicale non pas entre laquo le charnel et le spirituel raquo ou entre laquo la nature et la gracircce raquo mais entre laquo lrsquoargent raquo et laquo lrsquoenfant raquo entre laquo la mystique raquo et laquo la politique raquo La politique du monde moderne ce raidissement symboliseacute par lrsquoargent et qui ne puise plus sa vie dans sa racine mystique demeure laquo le parasite raquo par excellence236

Les enfants et les saints les mystiques qui sont proche des enfants en tant

qursquoecirctres de confiance drsquoespeacuterance et de renouvellement ont rarement leur place

dans le monde de lrsquoargent et de la politique le monde moderne celui de la

politique et de lrsquoargent peut donc rejeter le saint

Le geacutenie lui est seul par son essence mecircme par sa nature qui le distingue de

tous ses contemporains 236 HIGAKI Julie laquo Lrsquoordre de la chariteacute et les images du reacuteel chez Peacuteguy raquo Cahiers de lrsquoAssociation internationale des eacutetudes franccedilaises 1997 ndeg49 p 409-425

254

Les saints chez Peacuteguy sont seuls et mecircme isoleacutes Crsquoest notamment le cas de

Bernard-Lazare dont la solitude tragique est freacutequemment eacutevoqueacutee par Peacuteguy Dans

Un nouveau theacuteologien M Fernand Laudet notamment Peacuteguy le qualifie

drsquo laquo Abandonneacute raquo (III 479) Bernard-Lazare ne srsquoest pas mis agrave lrsquoeacutecart

volontairement mais il a eacuteteacute abandonneacute et condamneacute agrave la solitude crsquoest cette

solitude et non seulement son action ses textes et ses vertus qui en ont fait aux

yeux de Peacuteguy un saint Il avait eacutecrit Peacuteguy dans Notre jeunesse laquo une expeacuterience

de lrsquoamertume et de lrsquoingratitude une digestion parfaite de lrsquoamertume et de

lrsquoingratitude raquo (III 57) Lrsquoingratitude accepteacutee constitue une forme ultime de la

solitude elle revient agrave assumer que mecircme les actions passeacutees ne sont pas reconnues

et sont voueacutees au mecircme abandon qursquoil vit au preacutesent Bernard-Lazare eacutetait

laquo solitaire surtout dans son propre parti raquo (III 62) crsquoest-agrave-dire abandonneacute des siens

en proie agrave la plus cruelle des solitudes Peacuteguy eacutevoque preacuteciseacutement cet abandon

total laquo Ceux qursquoil avait sauveacutes eacutetaient les plus presseacutes Lui-mecircme le savait tregraves

bien On a beau savoir aussi que crsquoest la regravegle Agrave chaque fois crsquoest toujours

nouveau Et crsquoest toujours dur agrave avaler raquo (III 63)

La solitude de Jeanne drsquoArc est eacutevidente Dans Aacute Domremy elle parle de sa

terrible solitude agrave Madame Gervaise laquo Tous ceux-lagrave que jrsquoaimais sont absents de

moi-mecircme raquo (OPD 15) Dans Les Batailles Jeanne est la seule femme dans un

monde drsquohommes et Peacuteguy souligne sa solitude laquo Ocirc mon Dieu faudra-t-il que je

sois toute seule Faut-il qursquoils fassent tous leur partance de moi Que leur

partance agrave tout me laisse toute seule raquo (OPD 180-181) dit-elle au moment ougrave

presque tous ses capitaines la quittent Et eacutevidemment elle est seule face agrave ses

juges lors du procegraves

Cependant la solitude du saint ce nrsquoest pas toujours le rejet Crsquoest aussi parfois

lrsquoadmiration de la foule lrsquoobservation constante voire un jugement Peacuteguy le

montre agrave travers lrsquoexemple de Jeanne drsquoArc dans Un nouveau theacuteologien monsieur

Fernand Laudet en parlant de la vie priveacutee et la vie publique drsquoun saint laquo Le saint

vivait comme tel sous le regard de tous raquo (III 427) Dans Egraveve Peacuteguy rappellera

que le saint meurt aussi sous le regard de tous En parlant de Jeanne drsquoArc il

255

eacutevoque laquo une sorte de jugement commun public latent ambiant anticipant les

jugements en forme anticipant escomptant le jugement dernier mecircme raquo (Ibid)

La vie drsquoun saint ou drsquoune sainte sous les yeux des autres est ainsi marqueacutee par

une constante exigence drsquoexemplariteacute or une personne exemplaire ne peut pas faire

partie drsquoune foule elle est regardeacutee par cette foule admireacutee parfois mais jamais

inteacutegreacutee elle est donc seule Cependant crsquoest cette mecircme foule qui se fait teacutemoin de

la sainteteacute et qui peut attester de la sainteteacute drsquoune personne en la donnant en

exemple laquo Le peuple seul garantit le saint Le peuple seul est assez ferme Le

peuple seul est assez profond Le peuple seul est assez terre raquo (III 432) Cela ne

signifie pas pour autant que seuls les saints dont la sainteteacute a eacuteteacute vue et entendue

sont des saints On peut ecirctre saint sans servir drsquoexemple Ces saints reconnus le

seront aussi par lrsquohistoire Les autres ceux que la foule nrsquoa pas remarqueacutes resteront

dans la meacutemoire de certains une meacutemoire individuelle

b) La vie cacheacutee des saints

Srsquoil nrsquoest pas rejeteacute ou comme Bernard-Lazare abandonneacute le saint souvent

megravene une vie presque invisible cacheacutee et inconnue de ses contemporains Crsquoest

cette vie retrancheacutee qui souvent nourrit sa vie publique La deacutefense de cette vie

cacheacutee mais essentielle est au centre de la poleacutemique de Peacuteguy avec Fernand

Laudet qui eacutecrit Peacuteguy laquo nous interdit ndash et de quel ton ndash de contempler de nous

proposer drsquoimiter les vertus des saints dans toutes les peacuteriodes de la vie des saints

qui nrsquoeacutetaient pas des peacuteriodes de vie publique raquo (III 400) Cette attitude est

eacuteminemment condamnable aux yeux de Peacuteguy parce que de la sorte Fernand

Laudet laquo deacutepeuple litteacuteralement la communion des saints et la reacuteversibiliteacute des

gracircces raquo (III 402)

La vie drsquoun saint nrsquoest pas tout entiegravere exposeacutee il y a des peacuteriodes dont on ne

sait pas grand-chose il y a aussi des chemins de sainteteacute comme celui des ermites

qui se font agrave lrsquoeacutecart Mais ce qui compte particuliegraverement aux yeux de Peacuteguy ce

nrsquoest pas la vie si particuliegravere des saints ermites mais la vie ordinaire qui est

256

sanctifieacutee par la vie cacheacutee de Jeacutesus agrave Nazareth les Eacutevangiles nrsquoen parlent pas

mais ce nrsquoen est pas moins la vie de Dieu fait homme que de nombreux saints ont

imiteacutee que chaque humain peut imiter pour atteindre ainsi agrave la sainteteacute sans faire

de miracles en mourant martyr ou en partant en mission lointaine

Dans son invective contre Fernand Laudet Peacuteguy par un proceacutedeacute apophatique

deacutecrivant tout ce que Fernand Laudet semble ignorer deacutefinit ce qui pour lui est

essentiel dans la foi chreacutetienne notamment dans la veacuteneacuteration des saints Ce sont

par exemple laquo des souffrances des eacutepreuves des exercices des travaux des Vertus

des gracircces des meacuterites des priegraveres raquo (III 402) qui sont exclues de la reacuteversibiliteacute

Ses gracircces et ses meacuterites sont reacuteversibles crsquoest-agrave-dire profitables au salut de tous les

humains par la sainteteacute de celui qui les accueille ou qui les accomplit mais ses

souffrances eacutepreuves ou travaux ndash autant drsquoeacuteleacutements de la vie qui deviennent

rarement publics ndash le sont tout autant

Dans lrsquoœuvre de Peacuteguy le peacutecheacute peut ecirctre le plus mortel avec celui de la

laquo politique raquo qui suppose mensonge et reacutecupeacuteration trafic de la veacuteriteacute crsquoest

lrsquoexclusion Deacutejagrave dans Marcel ou le dialogue de la citeacute harmonieuse on deacutecouvre

un Peacuteguy qui voudrait accueillir chaque ecirctre vivant dans la Citeacute Et ce qursquoil rejette

absolument crsquoest la damnation des peacutecheurs une exclusion deacutefinitive sans appel

Selon Peacuteguy Fernand Laudet reacuteserverait la sainteteacute aux saint visibles ndash grands

missionnaires mystiques visionnaires saints rois fondateurs drsquoordre religieux

martyrs ndash crsquoest-agrave-dire des saints qui auraient accompli quelques exploits apparents

exemplaires Il exclut de ce fait les saints qui imitaient Jeacutesus de Nazareth Jeacutesus

ouvrier Jeacutesus artisan Jeacutesus fils obeacuteissant Jeacutesus enfant Peacuteguy reacutepond agrave Fernand

Laudet que Jeacutesus laquo est essentiellement le Dieu des pauvres des miseacuterables des

ouvriers par conseacutequent de ceux qui nrsquoont pas une vie publique Le ciel est un ciel

de petites gens raquo (III 409)

Peacuteguy insiste sur le fait que Dieu ne fait pas la diffeacuterence entre un martyr qui

souffre le supplice agrave cause de sa foi en Jeacutesus ou un malade qui souffre le martyre en

restant dans son lit et qui peut laquo par une sorte drsquoaffectation agrave Dieu de conseacutecration

agrave dieu tourner sa maladie en martyre faire de sa maladie la matiegravere mecircme drsquoun

257

martyre raquo (III 411) Rien ni personne ne peut ecirctre exclu de la possibiliteacute drsquoimiter

Jeacutesus et donc de la communion des saints

Un autre point important pour Peacuteguy crsquoest le fait que les ideacutees de Fernand

Laudet deacutenigrent eacutegalement la notion de vocation La vie publique le martyre la

mission repreacutesentent des vocations particuliegraveres exceptionnelles mais chaque

personne est appeleacutee agrave lrsquoimitation de Jeacutesus donc agrave la sainteteacute Peacuteguy insiste sur

lrsquoimportance de la laquo commune loi du travail raquo (III 411) qui serait la vocation de

chaque personne humaine dans la mesure ougrave Adam le premier a reccedilu le

commandement de travailler Or le travail peut aussi donner lieu agrave lrsquoimitation de

Jeacutesus car il a lui-mecircme travailleacute

Jeacutesus endossant pour ainsi dire cette loi et la loi drsquohumiliteacute en a fait une redevance drsquoamour Ainsi est neacute le Travail nouveau Degraves lors des milliers et des centaines de millier drsquoateliers chreacutetiens nrsquoont plus eacuteteacute ne sont plus que des imitations de lrsquoatelier de Nazareth [hellip] Lrsquohomme aujourdrsquohui qui travaille est un homme qui fait comme Jeacutesus qui imite Jeacutesus (III 412)

Peacuteguy poursuit en eacutevoquant la famille On ne parle que tregraves peu dans les vies

des saints de leur vie de famille Le plus souvent des vies de saint on ne retient que

le moment ougrave le saint ou la sainte ont quitteacute leur famille leur maison Pour Peacuteguy il

srsquoagit de lrsquoacte originel crsquoest le temps et le lieu ougrave la sainteteacute germe mecircme si

comme toute graine cacheacutee dans la terre elle reste invisible tout comme la vie de

Jeacutesus avec Marie et Joseph laquo Jeacutesus a creacuteeacute pour nous le modegravele parfait de

lrsquoobeacuteissance filiale et de la soumission dans le mecircme temps ensemble qursquoil creacuteait

pour nous le modegravele parfait du travail manuel et de la patience raquo (III 414)

Peacuteguy preacutecise que cette vie cacheacutee est plus qursquoune source de la vie publique de

Jeacutesus et de ses saints il srsquoagit drsquoune peacuteriode drsquoapprentissage laquo un apprentissage

de trente ans preacuteparatoire introductoire agrave la soumission agrave la patience agrave

lrsquoobeacuteissance suprecircme agrave la soumission agrave la patience agrave lrsquoobeacuteissance du dernier

jour raquo (III 416) La vie cacheacutee est un temps drsquoapprentissage de mucircrissement des

vertus visibles apparentes

Pourtant Peacuteguy ne nie pas la diffeacuterence entre le public et le priveacute y compris

dans les vies des saints Il souligne en revanche que mecircme les saints publics

recevant leur vocation laquo ont toujours eacuteteacute remplis drsquoeacutepouvante agrave lrsquoideacutee mecircme drsquoune

258

mission publique raquo (III 419) et que la vie publique nrsquoa jamais eacuteteacute au cœur de leur

aspiration Pour les saints eux-mecircmes la part publique de leur vie eacutetait infime

mecircme si elle paraissait eacutenorme aux teacutemoins aux contemporains elle nrsquoeacutetait qursquoun

eacutepisode agrave part dans une vie secregravete laquo Les saints chreacutetiens les saints publics eacutetaient

eacuteminemment des hommes des saints des appeleacutes [hellip] qui pour se garantir dans

lrsquoextrecircme danger de missions extraordinaires y portaient drsquoabord commenccedilaient par

transporter les vertus ordinaires usuelles les vertus de tous les jours familiegraveres raquo

(III 420)

Crsquoest la vie priveacutee cacheacutee et non la vie publique qui fait drsquoun homme drsquoune

femme un saint ou une sainte il srsquoagit lagrave drsquoune conviction essentielle de Peacuteguy qui

constitue un fil conducteur du Mystegravere de la chariteacute de Jeanne drsquoArc ce nrsquoest donc

pas un hasard si ce sujet est au centre de la poleacutemique avec Fernand Laudet

La vie priveacutee du heacuteros du geacutenie de lrsquohomme politique a peu drsquoimportance

puisque le heacuteros devient heacuteros par ses actes vus par des teacutemoins le geacutenie eacutetant

consacreacute comme tel par ses œuvres vues lues reconnues alors que lrsquohomme

politique lrsquoest en raison des paroles prononceacutees devant une foule et de son action

meneacutee devant les hommes avec les hommes Plus tard les biographes et les

chercheurs pourront dire que telle ou telle œuvre de tel ou tel eacutecrivain a eacuteteacute

influenceacutee par tel ou tel deacutetail de sa vie priveacutee mais cette vie priveacutee nrsquoest

consideacutereacutee qursquoen fonction de la vie publique qui a attireacute lrsquoattention sur la vie

priveacutee Dans la sainteteacute aux yeux de Dieu qui seul connaicirct ses saints crsquoest le

quotidien la petite vie de tous les jours qui comptent et qui offrent la possibiliteacute

drsquoimiter Jeacutesus chaque jour et ainsi de devenir saint laquo Un saint nrsquoeacutetait saint que si

le tissu mecircme de sa vie eacutetait saint que si sa vie quotidienne eacutetait sainte que si sa vie

priveacutee eacutetait sainteteacute raquo (III 423)

Pour conclure la partie deacutedieacutee agrave la vie priveacutee et la vie publique des saints dans

Un nouveau theacuteologien monsieur Fernand Laudet Peacuteguy rappelle que le cas de

Jeanne drsquoArc est exceptionnel parce que le procegraves de sa condamnation ainsi que le

procegraves de sa reacutehabilitation portaient justement sur sa vie priveacutee en la rendant

publique Il est degraves lors parfaitement leacutegitime pour un auteur qui prend la vie de

259

Jeanne comme sujet de son œuvre drsquoeacutevoquer sa vie priveacutee et de montrer comment

de cette vie priveacutee naicirct une vocation publique crsquoest ce que Peacuteguy a fait dans le

Mystegravere de la Chariteacute de Jeanne drsquoArc

c) La sainteteacute contre le monde moderne et le progregraves

Comme souvent chez Peacuteguy son attachement au reacuteel au preacutesent mais en

mecircme temps son rejet du monde moderne semblent paradoxaux Joseph Barbier

explique

Peacuteguy qui nrsquoa jamais voulu ecirctre une acircme habitueacutee refuse toute compromission avec le monde moderne Comprenons bien le sens de cette eacutepithegravete une des plus lourdes de meacutepris dans la langue de lrsquoeacutecrivain Pour lui le monde moderne nrsquoest pas le monde drsquoun temps nouveau en marche vers lrsquoavenir crsquoest un monde figeacute dans son orgueil et dans ses preacutetentions refusant de se libeacuterer de toutes les servitudes en particulier de celles de lrsquoargent de la politique de la machine et de lrsquointellectualisme steacuterilisant237

En somme on pourrait dire que Peacuteguy rejette tout ce qui dans le moderne

srsquooppose au passeacute et aspire agrave le remplacer alors que pour lui le vrai renouvellement

naicirct drsquoun enracinement et non drsquoun progregraves Lrsquoideacutee du progregraves qui effacerait le passeacute

est pour Peacuteguy lrsquoincarnation de ce monde moderne contre lequel il se bat Yves

Vadeacute eacutecrit que le monde moderne pour Peacuteguy crsquoest le monde qui a lrsquoambition de se

substituer agrave Dieu par le jugement de lrsquohistoire et le jugement des autres mondes le

monde qui choisit le progregraves comme le rejet du passeacute238 Ce que Peacuteguy reproche

surtout au monde moderne crsquoest son infideacuteliteacute Le saint lui reconnaicirct le jugement

de Dieu comme le seul jugement juste

Antoine Compagnon preacutecise laquo Contre la doctrine moderne qui veut qursquoune

nouvelle meacutetaphysique annule la preacuteceacutedente Peacuteguy fait valoir que chaque

meacutetaphysique ajoute une voix au concert humain raquo239 qui peut aussi ecirctre deacutecrit par

le dogme de la communion des saints cher agrave Peacuteguy Il rejette aussi la reacutecupeacuteration

comme on peut le lire dans Herveacute traicirctre laquo le grand vice des temps modernes 237 BARBIER Joseph Barbier lrsquoEgraveve de Peacuteguy Paris eacuteditions de lrsquoEcole 1963 p 45 238 VADEacute Yves Peacuteguy et le monde moderne Paris Cahiers de lrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy 1965 239 COMPAGNON Antoine laquo Peacuteguy antimoderne raquo Le Deacutebat 12004 (ndeg 128) p 156-182

260

choisir dans la reacutealiteacute cumuler des inconciliables prendre dans des situations

donneacutees dans des situations toutes contradictoires toutes inconciliables entre elles

ce qui plaicirct raquo (II 440) Se tenir dans lrsquoaxe de la contradiction du paradoxe ne lui

fait pas peur ce qui lrsquoeffraye crsquoest le mensonge qui srsquoopegravere quand on

laquo retravaille raquo la reacutealiteacute agrave ses deacutepens

Peacuteguy se voit en historien du preacutesent qui se doit drsquoecirctre engageacute dans la mesure

ougrave il doit pleinement porter la responsabiliteacute pour le preacutesent Ce rocircle est souvent

endosseacute par les saints qui en accueillant la gracircce prennent la pleine responsabiliteacute

des eacuteveacutenements dont ils sont teacutemoins et participants Il en va ainsi dans la vie des

saints preacutefeacutereacutes de Peacuteguy qui ont tous porteacute une lourde responsabiliteacute dans lrsquohistoire

qursquoil srsquoagisse de sainte Geneviegraveve de Jeanne drsquoArc ou de saint Louis

Le monde que Peacuteguy deacutefinit comme laquo moderne raquo est celui de lrsquoargent la

sainteteacute nrsquoy trouve donc pas sa place Dans Notre jeunesse Peacuteguy deacuteveloppe la

phrase de lrsquoeacutevangile sur les riches et le royaume de Dieu en eacutecrivant laquo Il y a deux

sortes de riches les riches atheacutees qui riches nrsquoentendent rien agrave la religion [hellip] et

les riches deacutevots qui riches nrsquoentendent rien au christianisme raquo (III 108) Les non-

modernes ce sont les perdants les vaincus et tous ceux qui ont eacutechoueacute dans la

course au succegraves et agrave lrsquoargent mais aussi au progregraves parce qursquoils ont refuseacute de

reacuteeacutecrire un preacutesent par-dessus le passeacute et parce qursquoils sont resteacutes fidegraveles aux racines

Il ne faut pas oublier que les vertus principales pour Peacuteguy sont la veacuteriteacute la justice

et la justesse qui srsquoexerce dans le reacuteel elles sont donc tout le contraire de la

reacutecupeacuteration qui fausse le reacuteel

Le saint est pauvre parce qursquoil imite le Christ dans la pauvreteacute Le saint fait

partie de la communion des saints il peut souffrir de solitude de rejet drsquoabandon

mais il nrsquoest donc jamais seul il ne rejette personne il ne creacutee pas la division En

revanche le monde moderne est diviseacute en strates laquo dans le monde moderne les

connaissances ne se font ne se propagent que horizontalement parmi les riches

entre eux ou parmi les pauvres entre eux Par couches horizontales raquo (III 135)

Les juifs pauvres porteurs de vertus importantes pour Peacuteguy agrave lrsquoimage de celui

qui pour Peacuteguy les repreacutesente Bernard-Lazare sont fidegraveles ndash ils nrsquooublient pas le

261

passeacute ndash et mystiques ndash ils ne creacuteent pas de divisions laquo drsquoune fideacuteliteacute agrave toute

eacutepreuve drsquoune amitieacute reacuteellement mystique drsquoun attachement drsquoune fideacuteliteacute

ineacutebranlable agrave la mystique de lrsquoamitieacute raquo (Ibid) Peacuteguy loue la fideacuteliteacute des juifs

pauvres parce que contrairement au reste de la socieacuteteacute ils doivent en plus affronter

les perseacutecutions et les accusations Cette fideacuteliteacute dans lrsquoeacutepreuve laquo dans cet enfer

commun raquo (III 136) teacutemoigne de la sainteteacute de celui qui devient un bouc

eacutemissaire

Dans la Note conjointe sur M Descartes et la philosophie carteacutesienne Peacuteguy

preacutecise quant agrave lrsquoargent et agrave la richesse laquo La lutte nrsquoest point entre le heacuteros et le

juste elle nrsquoest point entre le sage et le saint Elle est entre lrsquoagent seul drsquoune part

et drsquoautre part ensemble le heacuteros et le juste et le sage et le saint Elle est entre

lrsquoargent et toutes le spiritualiteacutes raquo (III 1461) Peacuteguy deacuteveloppe cette ideacutee dans le

Dialogue de lrsquohistoire et de lrsquoacircme charnelle le monde moderne ne fait plus la

distinction entre ce qui est peacutecheacute et ce qui ne lrsquoest pas puisque crsquoest la valeur

marchande qui prime la frontiegravere est diffuse vague laquo le peacutecheacute [hellip] continu

faisant partie du tissu atteignant teignant les tissus mecircme tout le tissu raquo (III 714)

degraves lors le monde est impreacutegneacute du peacutecheacute qui ainsi expulse la sainteteacute Peacuteguy en

tire les conseacutequences laquo Il y a que le monde moderne est un monde inchreacutetien et qui

a parfaitement reacuteussi agrave se passer du christianisme raquo (III 715)

Dans Lrsquoargent Peacuteguy poursuit ses invectives contre le monde moderne en

disant que laquo le modernisme consiste agrave ne pas croire ce que lrsquoon croit raquo (III 821) Ce

qui est eacutevidemment contraire agrave la sainteteacute qui suppose une veacuteriteacute mais aussi une

fideacuteliteacute absolue Nous lrsquoavons vu dans le chapitre sur les vertus chez Peacuteguy la vertu

theacuteologale de la foi est pour lui souvent remplaceacutee par la fideacuteliteacute la veacuteriteacute de son

cocircteacute a presque la mecircme valeur agrave ses yeux que les vertus theacuteologales On ne peut pas

ecirctre fidegravele agrave quelque chose de flou de double de mensonger on ne peut donc pas

selon Peacuteguy ecirctre saint et moderne

Peacuteguy eacutevoque agrave part lrsquoargent qui engendre lrsquoavarice incarneacutee par lrsquoeacutepargne

deux autres vices du monde moderne le progregraves et lrsquohabitude Ils semblent agrave

lrsquoopposeacute lrsquoun de lrsquoautre mais Peacuteguy les reacuteunit en les preacutesentant comme tous deux

262

contraires au preacutesent Lrsquohabitude suppose une reacutepeacutetition infructueuse qui nrsquoapporte

rien de nouveau le progregraves suppose la trahison du passeacute En reacuteponse agrave ces vices

Peacuteguy propose la reacutevolution bergsonienne qui comme il lrsquoexplique dans son dernier

texte la Note conjointe sur M Descartes et la philosophie carteacutesienne laquo a retrouveacute

le preacutesent Partout elle a reacuteinstitueacute reacuteinteacutegreacute la preacutesence du preacutesent raquo (III 1422) Or

crsquoest seulement par une pleine preacutesence du preacutesent que lrsquoon peut vivre lrsquoeacuteveacutenement

de lrsquointeacuterieur dans la dureacutee et dans la conscience des racines et lrsquoespeacuterance du futur

en accueillant la gracircce qui rend saint

Le progregraves pour Peacuteguy est pire encore que lrsquohabitude Glenn Roe observe que

pour lui le progregraves est veacuteritablement assassin parce qursquoil suppose la mort de

quelque chose pour qursquoune autre chose puisse naicirctre240

La reacuteponse du saint au monde moderne crsquoest-agrave-dire agrave lrsquohabitude agrave la

reacutepeacutetition agrave lrsquoavarice au progregraves crsquoest lrsquoespeacuterance notamment lrsquoespeacuterance

exprimeacutee dans la Note conjointe que laquo les saints rejailliraient toujours raquo (III 1327)

Peacuteguy explique ainsi le sens principal de la vertu de lrsquoespeacuterance laquo Elle est

essentiellement la contre-habitude Et ainsi elle est diameacutetralement et axialement et

centralement la contre-mort Elle est la source et le germe Elle est le jaillissement

et la gracircce Elle est le cœur de la liberteacute Elle est la vertu du nouveau et la vertu du

jeune raquo (Ibid) Ainsi lrsquoespeacuterance se dresse comme un rempart contre la mort La

reacutepeacutetition et lrsquohabitude sont en effet steacuteriles et sans renouvellement la mort vient

Agrave lrsquoinverse lrsquoespeacuterance rend possible un renouvellement une renaissance

Dans Le Porche du mystegravere de la deuxiegraveme vertu on peut lire un

deacuteveloppement eacutetonnant sur les laquo deux races de saints dans le ciel Les saints de

Dieu sortent de deux eacutecoles De lrsquoeacutecole du juste et de lrsquoeacutecole du peacutecheur raquo (OPD

718) Peacuteguy a une nette preacutefeacuterence pour les saints issus de laquo lrsquoeacutecole du peacutecheur raquo

parce que ce sont les saints de la confiance et de lrsquoespeacuterance ceux qui espegraverent le

pardon de Dieu envers et contre tout leur invincible espeacuterance prend le dessus sur

leur peacutecheacute Cette sainteteacute naicirct drsquoune pauvreteacute inteacuterieure toute contraire agrave la richesse

240 ROE Glenn H The passion of Charles Peacuteguy literature Modernity and the Crisis of historicism Oxford University Press 2014 p 79

263

du monde moderne ce monde des laquo riches qui ne veulent pas ecirctre mes creacuteatures Et

qui se mettent agrave lrsquoabri Drsquoecirctre mes serviteurs raquo (OPD 630) comme Peacuteguy le fait

dire agrave Dieu au deacutebut du Porche

3 Du suppliant antique au priant

Lrsquointercession se trouve au centre de la vie et de la priegravere chreacutetienne selon

Peacuteguy Le saint est lrsquointercesseur par excellence Crsquoest un homme ou une femme

proche de Dieu qui imite Dieu et qui parle agrave Dieu En tant qursquohomme ou femme il

repreacutesente cependant tous les hommes et toutes les femmes comme Jeacutesus lui-

mecircme dans son humaniteacute Pour Peacuteguy lrsquointercession crsquoest lrsquoimitation de Jeacutesus la

plus parfaite

Pour interceacuteder au nom des souffrances des autres il faut aussi connaicirctre ces

souffrances de lrsquointeacuterieur dans Toujours de la grippe Peacuteguy preacutesente ainsi

Antigone comme celle qui la premiegravere eacutetait leacutegitime dans son intercession dans sa

supplication Elle est une femme elle souffre et ressemble aux damneacutes du

christianisme parce que Creacuteon lrsquoenferme vivante Peacuteguy compare ses paroles agrave la

lamentation chreacutetienne (I 467) laquo Dans ma prison tombeau morte pour ceux qui

vivent vivante pour les morts raquo Aux yeux de Peacuteguy cette mort sacrificielle est une

preacutefiguration de la damnation et du salut chreacutetien

Mais il y a aussi lrsquointercession collective comme les chœurs dans les trageacutedies

grecques auxquels Peacuteguy fait allusions plusieurs fois au fil de son œuvre Cette

supplication ressemble beaucoup agrave ses yeux agrave la priegravere de lrsquoEacuteglise agrave la priegravere

liturgique qui est une œuvre commune Le suppliant peut ecirctre seul comme

Antigone Jeanne drsquoArc ou Polyeucte mais il repreacutesente un peuple ou une

264

communauteacute nrsquoest donc pas isoleacute car il fait partie drsquoune communion Jean-Noeumll

Dumont eacutecrit ainsi

Ainsi le suppliant nrsquoest-il pas un chien battu mais celui qui peut parler au nom de tous car son combat est absolu Ou plutocirct il faudrait dire que tous peuvent se reconnaicirctre en lui car son combat nrsquoest pas celui drsquoun camp Jeanne toute Franccedilaise nrsquoest-elle pas une heacuteroiumlne universelle 241

La supplication des ouvriers au Tsar et la supplication du peuple devant Œdipe

dont Peacuteguy parle dans Les suppliants parallegraveles est une supplication de tout un

peuple le groupe repreacutesente le tout Dans les deux cas le supplieacute est lui aussi un

suppliant laquo Le supplieacute antique lui-mecircme suppliant du deuxiegraveme degreacute ne se

seacutepare point du suppliant du premier degreacute La supplication englobe lrsquoun et lrsquoautre

et nul citoyen fucirct-il precirctre fucirct-il roi ne se seacutepare de la citeacute comme nul suppliant ne

se seacutepare de la commune supplication civique raquo (II 322)

a) Lrsquointercession

Les premiegraveres reacuteflexions de Peacuteguy sur lrsquointercession si lrsquoon excepte la

premiegravere Jeanne drsquoArc se trouvent dans Victor Marie comte Hugo quand il

commente Polyeucte il deacutesigne la priegravere de Neacutearque pour Polyeucte celle de

Polyeucte pour Feacutelix et la priegravere commune de Neacutearque et de Polyeucte pour

Pauline comme les priegraveres drsquointercession typiques drsquoun saint pour un peacutecheur

elles lui paraissent typiques parce que le rocircle essentiel du saint dans le salut est bien

drsquointerceacuteder pour les peacutecheur et drsquoagir pour la reacuteversibiliteacute des gracircces Comme

exemple parfait de priegravere drsquointercession figurant la reacuteversibiliteacute des gracircces et la

communion des saints Peacuteguy propose la priegravere de Polyeucte pour Pauline en

preacutesence de cette derniegravere laquo Comme toute lrsquoEacuteglise triomphante prie pour toute

lrsquoEacuteglise militante Et pour lrsquoEacuteglise souffrante raquo (III 302)

LrsquoAntigone de Sophocle est aux yeux de Peacuteguy un autre personnage

drsquointercesseur surprenant parce que non chreacutetien Comme le rapporte Romain

241 DUMONT Jean-Noeumll laquo Lrsquootage et le suppliant raquo Les cahiers du Cerf laquo Charles Peacuteguy raquo Paris Les eacuteditions du Cerf 2014 p 240

265

Vaissermann dans sa notice agrave la trilogie Jeanne drsquoArc Peacuteguy a vu Antigone agrave

Orange justement pendant la peacuteriode ougrave il megravene un travail drsquohistorien sur la sainte

et lrsquoheacuteroiumlne drsquoOrleacuteans Les trageacutedies antiques et en particulier leur mise en scegravene agrave

Orange ont influenceacute lrsquoeacutecriture de Peacuteguy comme le note Romain Vaissermann

laquo La Jeanne de Peacuteguy tient drsquoailleurs agrave la fois de lrsquoAntigone incarneacutee par Bartet et

de lrsquoŒdipe interpreacuteteacute par Mounet-Sully raquo (OPD 1556) Mais dans Les suppliants

parallegraveles Peacuteguy la rapproche encore de Jeanne en parlant de la laquo vocation

drsquoAntigone raquo (II 353) Il deacutecrit le mecircme passage de la petite fille agrave laquo lrsquoeacuteternelle

Antigone raquo que celui qursquoil deacuteploie dans le Mystegravere de la Chariteacute la petite fille qui

souffre de la misegravere du monde par lrsquointercession par sa supplication dans la priegravere

du Notre Pegravere eacutelargi qui ouvre le mystegravere devient la sainte qui reccediloit sa vocation

Dans son eacutetude des Suppliants parallegraveles Pauline Bernon [Bruley] eacutecrit pour

part agrave propos de lrsquointercession

La grandeur drsquoŒdipe vient de son rocircle drsquoambassadeur des dieux ici-bas et des hommes aupregraves des dieux Il repreacutesentera aussi par anticipation le peuple russe venu devant le Palais du Tsar en 1905 laquo suppliant parallegravele raquo La reconnaissance de ce destin a guideacute et unifieacute la critique de Peacuteguy Jusqursquoagrave la Note Conjointe ougrave il reacuteunit ses intercesseurs litteacuteraires favoris dans un pantheacuteon agrave la fois historique et fictif il interroge les œuvres agrave lrsquoaune de ces destins drsquoeacutelus Lrsquoestime de Peacuteguy va aux heacuteros ou aux voix qui fondent ou repreacutesentent une civilisation et reacutesonneront toujours conjurant la mort temporelle Antigone Hypatie les dreyfusards disqualifieacutes Bernard-Lazare Polyeucte mecircme Le Cid et Seacutevegravere Jeanne drsquoArc saint Louis croiseacute anachronique donnent agrave Peacuteguy la repreacutesentation tragique Ces figures repreacutesentent le peuple lrsquohumaniteacute dans un theacuteacirctre de veacuteriteacute aux valeurs universelles Lrsquoattention que Peacuteguy porte agrave ses piegraveces preacutefeacutereacutees ne donne donc pas lieu agrave des commentaires sur la psychologie des personnages mais agrave la puissance de reacuteveacutelation de leurs choix242

Celui qui intercegravede est saint par excellence car il est le vrai acteur du dialogue

entre Dieu et lrsquohomme lrsquohomme et Dieu En tant qursquohomme peacutecheur il repreacutesente

dans sa personne tous les humains non seulement en les portant dans sa priegravere mais

en devenant leur quintessence En tant qursquoimitateur de Dieu en tant qursquoacteur de

lrsquoIncarnation par le mystegravere de la communion des saints le mystegravere de lrsquoEacuteglise qui

est le Corps du Christ il repreacutesente Dieu et son regard sur les hommes qui accueille

la priegravere drsquointercession

Maurice Schumann eacutecrit dans son commentaire des Suppliants parallegraveles 242 BERNON [BRULEY] Pauline laquo Peacuteguy critique lrsquoenvers du tragique raquo Revue drsquohistoire litteacuteraire de la France 32005 (Vol105) p 573-586

266

Degraves que la deacutetresse cesse drsquoecirctre animale pour devenir humaine aussitocirct commence le dialogue du suppliant et du supplieacute Mais agrave mesure que la creacuteature se libegravere des fataliteacutes instinctives ou cosmiques le sens mystique de la supplication change et srsquoeacutelegraveve De figeacute qursquoil eacutetait le suppliant srsquoanime Par lui la douleur des hommes entre en action243

Le suppliant chez Peacuteguy preacutefigure le saint parce qursquoil transforme la souffrance

en action crsquoest cette voie de transformation que Peacuteguy deacutecrit en repreacutesentant le

cheminement de Jeannette dans la trilogie et dans le Mystegravere de la Chariteacute

Peacuteguy repreacutesente sainte Geneviegraveve dans Sainte Geneviegraveve patronne de Paris

comme celle qui intercegravede pour Paris et toute la France et celle qui repreacutesente la

France et Paris il eacutecrit qursquoau Jugement dernier

Seule vous parlerez lorsque tout se taira

Et Dieu qui nrsquoa jamais interloqueacute ses saints

Ni fausseacute sa parole et masqueacute ses desseins

Vous nommera sa fille et vous exaucera (OPD 1173)

Elle a eacuteteacute choisie par le peuple de Paris pour le deacutefendre contre lrsquoennemi et

pour le repreacutesenter devant Dieu elle a eacuteteacute choisie par les Parisiens mais aussi par

Dieu pour ecirctre la patronne de Paris

Son ami Bernard-Lazare offre un autre exemple de saint intercesseur pour

Peacuteguy Cependant son rocircle eacutetait souvent celui drsquoun suppliant et drsquoun intercesseur

il repreacutesentait son peuple devant la justice et devant la socieacuteteacute devant la justice

dans le cas de Dreyfus devant le monde entier dans le cas de ses publications dans

la presse sur le sort tragique des juifs de lrsquoEurope de lrsquoEst Pour autant Peacuteguy

nrsquoomet pas ni ne nie le passeacute anarchiste de Bernard-Lazare qui influence toute son

action y compris son action en faveur de Dreyfus Dans Notre jeunesse il eacutecrit

Il faut penser que crsquoeacutetait un homme jrsquoai dit tregraves preacuteciseacutement un prophegravete pour qui tout lrsquoappareil des puissances la raison drsquoEacutetat les puissances temporelles les puissances politiques les autoriteacutes de tout ordre politiques intellectuelles mentales mecircme ne pesaient pas une once devant une reacutevolte dans un mouvement de la conscience propre (III 70)

Dans ce texte Peacuteguy montre neacuteanmoins comment la reacutevolte anarchiste devient

une mystique de la veacuteriteacute et de la laquo conscience propre raquo Il souligne le fait que

243 SCHUMANN Maurice La mort neacutee de leur propre vie trois essais sur Peacuteguy Simone Weil Gandhi Paris Fayard 1974 p 21

267

Bernard-Lazare ne se battait contre personne il ne voyait pas ses adversaires il

eacutetait tout simplement libre Il eacutetait donc vraiment un suppliant et un intercesseur

pas un combattant il se battait il suppliait il interceacutedait pour une cause pas contre

Il suppliait au nom du peuple juif Il avait eacutecrit Peacuteguy laquo un cœur qui saignait dans

tous les ghettos du monde raquo (III 65) un cœur de teacutemoin

b) Le teacutemoin le veilleur le chroniqueur

Le veilleur ou guetteur voilagrave lrsquoune des deacutesignations du prophegravete biblique

crsquoest une image que Peacuteguy emploie en parlant de sainte Geneviegraveve Elle veille sur

sa ville elle guette la venue du Christ et elle veille en attendent la venue drsquoune

sainte qui pourra la relayer dans sa tacircche de protectrice de Paris et de la France

Jeanne drsquoArc sera cette sainte

Le teacutemoin crsquoest celui qui peacutenegravetre dans lrsquoeacuteveacutenement selon la theacuteorie de

lrsquointuition de Bergson

Dans sa thegravese sur la philosophie de lrsquohistoire chez Peacuteguy Tatiana Taiumlmanova

deacutefinit le rocircle du teacutemoin dans lrsquoœuvre de lrsquoauteur laquo le teacutemoin voit juge compare

les faits dans la mesure dans laquelle lrsquohistoire de laquelle il teacutemoigne est sa propre

histoireraquo

Ainsi lrsquohistorien parfait crsquoest le chroniqueur crsquoest-agrave-dire un teacutemoin quelqursquoun

qui se trouve agrave lrsquointeacuterieur de lrsquoeacuteveacutenement et qui le deacutecrit Peacuteguy en suivant non

seulement Bergson mais aussi Michelet juge possible de peacuteneacutetrer un eacuteveacutenement

mecircme passeacute par lrsquointuition creacuteatrice et de devenir ainsi teacutemoin agrave travers les temps

Taiumlmanova remarque que crsquoest surtout lrsquoartiste lrsquoeacutecrivain qui selon Peacuteguy deacutetient

ce don de lrsquoeacuteternelle preacutesence dans tous les temps gracircce agrave son imagination

creacuteatrice Ainsi il se deacutecrit comme le chroniqueur de Jeanne drsquoArc comme

Joinville eacutetait celui de saint Louis malgreacute les siegravecles qui le seacuteparent de Jeanne

Dans son imagination il assiste en teacutemoin aux eacuteveacutenements de la vie de Jeanne Il

peut donc aussi en ecirctre le chroniqueur Il lrsquoatteste dans sa preacutesentation du Mystegravere

268

de la chariteacute de Jeanne drsquoArc laquo Devant ces grands exemples devant ces grands

enseignements de la reacutealiteacute une seule attitude est deacutecente une seule attitude est

permise agrave lrsquohistorien respecter ces exemples et cette reacutealiteacute recevoir ces

enseignements et les rendre autant que possible avec une fideacuteliteacute absolue Notre

situation envers ces grands saints est exactement la situation de Joinville envers

saint Louis Crsquoest dans lrsquoesprit dans la ligneacutee des chroniqueurs que nous devons

reacutesolument nous ranger raquo (OPD 623)

Un saint qui ne vit pas seulement dans le monde temporel mais aussi dans

lrsquoeacuteternel est donc un teacutemoin par excellence Il peut peacuteneacutetrer tous les eacuteveacutenements par

son appartenance agrave la temporaliteacute de Dieu Le saint qui teacutemoigne et qui eacutecrit pour

transmettre son teacutemoignage devient alors chroniqueur Peacuteguy eacutecrit dans sa reacuteponse agrave

Fernand Laudet en expliquant son rocircle drsquoauteur par rapport agrave Jeanne drsquoArc

ecirctre le chroniqueur crsquoest ce qursquoil y a de plus grave Et tout ce qursquoil y a de plus grand dans le deuxiegraveme ordre dans lrsquoordre de ceux qui ne sont pas eux-mecircmes mais qui relatent mais qui rapportent mais qui teacutemoignent de ceux qui sont Le chroniqueur est le teacutemoin historique Le teacutemoin de lrsquoecirctre et de lrsquoeacuteveacutenement [hellip] Crsquoest ce teacutemoignage mecircme et cet eacuteveacutenement unique et cette creacuteature et cet ecirctre unique de sainteteacute que je veux repreacutesenter (III 574)

Peacuteguy ici ne parle ni de Jeanne drsquoArc ni de saint Louis il ne parle pas de

grands saints mais il parle de Joinville dont il fait un exemple agrave titre personnel

Joinville devient en quelques sortes son saint patron car il se considegravere comme le

chroniqueur de Jeanne drsquoArc et dans cette tacircche laquo crsquoest Joinville qui est [s]on

maicirctre raquo (Ibid)

La sainteteacute du teacutemoin et du chroniqueur se mesure agrave son attention agrave sa

preacutesence dans le preacutesent de son modegravele agrave sa fideacuteliteacute fideacuteliteacute humaine mais aussi

fideacuteliteacute de la repreacutesentation qursquoil donne du modegravele qursquoil offre et de la possibiliteacute

drsquoimitation qursquoil creacutee

Joinville aussi eacutetait peacutecheur Ce nrsquoest pas cela que nous lui demandons ce nrsquoest pas de cela que lrsquoon parle Ce que nous lui demandons crsquoest ce qursquoil a fait de saint Louis Quel portrait il nous en a laisseacute Quelle fideacuteliteacute de repreacutesentation il a gardeacutee Quelle sucircreteacute Quelle profondeur de repreacutesentation de reproduction il a atteinte Quelle graviteacute quelle profondeur il a obtenue (III 575)

Le saint imite Jeacutesus des Eacutevangiles mais aussi drsquoautres saints qui ont imiteacute

Jeacutesus Le teacutemoin et le chroniqueur rendent lrsquoimitation possible chaque chroniqueur

269

imite les eacutevangeacutelistes Le teacutemoin le chroniqueur est aussi un acteur de la

communion des saints dans la mesure ougrave il transmet lrsquoexemple le modegravele il fait

que les saints agrave travers les siegravecles se connaissent et se rencontrent

Peacuteguy souligne le fait que le veacuteritable teacutemoin et chroniqueur ce nrsquoest pas

forceacutement celui qui eacutetait preacutesent sur les lieux de lrsquoeacuteveacutenement mais celui qui eacutetait le

plus fidegravele ainsi Joinville nrsquoa pas accompagneacute saint Louis dans sa derniegravere

croisade et il nrsquoa pas assisteacute agrave sa mort laquo Il nrsquoy fut pas la merci dieu Crsquoest pourtant

lui qui nous en a laisseacute le portrait le teacutemoignage eacuteternel [hellip] Il y a une gracircce

speacuteciale pour le chroniqueur raquo (III 577) Crsquoest la gracircce accordeacutee au plus fidegravele agrave

celui qui en raison de sa fideacuteliteacute est plus preacutesent dans lrsquoeacuteveacutenement que celui qui y

assistait physiquement

c) Invocation versus imitation

La relation de Peacuteguy avec les saints prend le plus souvent deux formes

lrsquoinvocation drsquoune part crsquoest-agrave-dire la priegravere et lrsquoimitation drsquoautre part Quand

Peacuteguy choisit lrsquoinvocation la distance entre lui et le saint qursquoil veacutenegravere srsquoeacutelargit

crsquoest une relation en diachronie Peacuteguy comme son lecteur se trouvent dans le

temps preacutesent et le saint dans lrsquoeacuteterniteacute Les textes poeacutetiques ougrave Peacuteguy srsquoadresse agrave

la Vierge ou agrave sainte Geneviegraveve preacutesentent un exemple explicite de lrsquoinvocation

dans lrsquoœuvre de Peacuteguy

Si Peacuteguy choisit lrsquoimitation la distance diminue Le saint agit comme lrsquoun de

nous comme un ami et un modegravele agrave suivre agrave imiter dans la synchronie il en va

ainsi dans les piegraveces de Peacuteguy sur Jeanne drsquoArc

Ce choix peut influencer la forme du texte consacreacute agrave tel ou tel saint Mecircme si

de nombreux commentateurs de lrsquoœuvre peacuteguyste notamment de sa poeacutesie

expriment leur eacutetonnement et souvent leur irritation face agrave un vocabulaire

incongru des reacutepeacutetitions fatigantes un vers libre eacutetrange rien dans la forme choisie

nrsquoest aleacuteatoire non reacutefleacutechi Cette eacutetrangeteacute mecircme est voulue Benoicirct Chantre a

bien eacuteclaireacute cet aspect de la poeacutetique de Peacuteguy

270

La poeacutetique de Peacuteguy suppose une meacutetaphysique Et cette meacutetaphysique cherche agrave son tour agrave refonder une politique Recourir agrave lrsquoorigine en deccedilagrave de toute fondation simplement pauvrement historique de tout vieillissement crsquoest trouver lrsquoeacutenergie propre agrave relancer une nouvelle seacuterie temporelle Il faut donc prendre tout histoire agrave rebours patiemment la remonter ndash lrsquoaffaire Dreyfus comme lrsquo laquo affaire Jeacutesus raquo ndash avant de pouvoir poser un acte libre lancer une nouvelle œuvre eacutecrire une autre histoire Il y a lrsquoeacuteveacutenement consigneacute dans lrsquoœuvre de geacutenie (Corneille Hugo) et dans la remeacutemoration duquel se reconstitue une communauteacute et il y a ce que figure cet eacuteveacutenement lrsquoinscription de lrsquoeacuteternel dans le temporel Seule compte cette audace de laquo rebroussement raquo cette remonteacutee en deux temps vers lrsquoeacutelan originaire244

Benoicirct Chantre emploie consciemment ici le terme de politique tellement haiuml

par Peacuteguy il revient en effet agrave son sens premier non peacuteguyste celui de

lrsquoorganisation de la socieacuteteacute Pour Peacuteguy qui considegravere le mot comme un outil de

continuation de lrsquoœuvre de Dieu creacuteateur et incarneacute la poeacutetique est un instrument

de laquo politique raquo qursquoon pourrait remplacer par laquo mystique raquo Par la poeacutetique Peacuteguy

entend bacirctir une citeacute harmonieuse en remontant vers lrsquoorigine de la race et en se

remeacutemorant les figures du passeacute afin de pouvoir reconstruire et tout renouveler

dans le preacutesent

Le premier agrave parler du rocircle essentiel de lrsquoestheacutetique chez Peacuteguy eacutetait un

theacuteologien Hans Urs Von Balthasar qui eacutecrivait

lrsquoestheacutetique est pour Peacuteguy identique en profondeur avec lrsquoeacutethique et ceci en vertu de lrsquoincarnation de Dieu dans le Christ le spirituel doit srsquoincarner lrsquoinvisible se deacutemontrer dans la forme visible et seul ce qui est juste et justifieacute devant Dieu peut ecirctre ce qui est juste dans le monde comme lrsquoexprimait deacutejagrave le mot fondamental drsquoAugustin et drsquoAnselme rectitudo et comme le double mot de Peacuteguy justice-justesse le reprend de nouveau245

Le mot est la forme visible du spirituel il revient par conseacutequent agrave lrsquoart

drsquoexprimer des reacutealiteacutes spirituelles avec des mots afin de se mettre au service de la

justice et de la veacuteriteacute Albert Chabanon lrsquoatteste en eacutecrivant que le style reacutepeacutetitif de

Peacuteguy est en quelque sorte une forme de Lectio divina effectueacutee sous les yeux des

lecteurs une tentative de preacutesenter la lecture la plus complegravete du reacuteel et de traduire

cette compreacutehension dans les mots les plus justes laquo serrer le reacuteel avec de plus en

plus de justesse raquo246

244 CHANTRE Benoicirct Peacuteguy point final Paris le Feacutelin 2014 p 59 245 VON BALTHASAR Hans Urs La Gloire et la Croix Styles (TII) De Jean de la Croix agrave Peacuteguy traduit de lrsquoallemand par Reacuteneacute Givord et Heacutelegravene Bourboulon Aubier Theacuteologie Editions Montaigne 1972 p 279 246 CHABANON Albert La poeacutetique de Peacuteguy Paris Robert Laffont 1947 p 16

271

Les lecteurs du drame Jeanne drsquoArc se sont interrogeacutes agrave propos de lrsquoeacutetrange

alternance de la prose et de la poeacutesie dans ces trois piegraveces Romain Rolland par

exemple trouvait que laquo les morceaux de poeacutesie primaire gauchement inseacutereacutes

plaqueacutes agrave froid raquo247 ne trouvaient pas vraiment leur place dans la prose de la

trilogie Dans la Notice du drame dans lrsquoeacutedition de lrsquoœuvre poeacutetique complegravete

Romain Vaissermann donne une explication historique laquo lrsquoalternance des parties en

prose et en vers rappelle les proceacutedeacutes de la trageacutedie antique et de la chantefable

meacutedieacutevale raquo (OPD 1553-1554) Pour ce critique aussi les alexandrins semblent

laquo perdus dans la prose raquo (OPD 1555)

Ils ne le sont pourtant point Dans le choix drsquoune forme drsquoeacutecriture poeacutetique de

la sainteteacute Peacuteguy est extrecircmement preacutecis Srsquoil se tourne vers lrsquoinvocation vers la

priegravere son choix tombe sur une forme poeacutetique reacuteguliegravere concregravetement sur

lrsquoalexandrin (La ballade du cœur qui a tant battu et la Chanson du roi Dagobert

eacutecrits dans une autre meacutetrique ne sont pas des priegraveres) Jean Delaporte lrsquoa

eacutegalement remarqueacute laquo les morceaux lyriques de la premiegravere Jeanne drsquoArc

expriment des priegraveres raquo248 Si le poegravete parle de saints de sainteteacute dans une

deacutemarche drsquoimitation il choisit alors la prose ou le vers libre agrave la base de sa

dramaturgie Les alexandrins dans le drame ne sont pas laquo perdus raquo ils

correspondent sauf rare exception aux moments ougrave Jeanne prie

On trouve encore dans les textes de Peacuteguy un autre proceacutedeacute poeacutetique tregraves

particulier peu commun agrave son eacutepoque et surtout preacutesent dans la trilogie Jeanne

drsquoArc les silences Ils ne sont pas deacutecoratifs laisser plusieurs pages vides pour de

simples raisons estheacutetiques aurait constitueacute une deacutepense typographique excessive

Philippe Grosos lrsquoatteste laquo Ici les blancs sont en effet toujours solidaires de la

parole poeacutetique qursquoils accompagnent raquo249 Ils semblent viser un but important pour

Peacuteguy celui drsquoinclure le lecteur de le faire participer et de lui faire vivre une sorte

de communion

247 ROLLAND Romain Peacuteguy TI Paris Albin Michel 1973 p 182 248 DELAPORTE Jean Connaissance de Peacuteguy TII p 245 249 GROSOS Philippe Peacuteguy philosophe Chatou Les eacuteditions de la Transparence 2005 p 88

272

Peacuteguy nrsquoeacutecrira-t-il pas dans Clio que la lecture est une laquo opeacuteration commune du

lisant et du lu raquo (III 1007) Pour Peacuteguy le blanc le silence crsquoest quelqursquoun qui se

tait et qui ne fait rien Peacuteguy permet agrave ses personnages drsquoexister sur scegravene sans rien

dire et sans rien faire il met leur existence agrave nu Peacuteguy provoque et incite donc les

acteurs et les spectateurs agrave vivre ensemble lrsquoexpeacuterience de lrsquoexistence pure mais

aussi lrsquoexpeacuterience de la dureacutee

Dans un spectacle coexistent trois temporaliteacutes le temps historique le temps

des spectateurs qui y assistent crsquoest-agrave-dire le temps que le spectacle a pris dans leur

journeacutee enfin le temps personnel du personnage principal son deacuteveloppement son

chemin Toutes ces temporaliteacutes diffeacuterentes sont unies dans la dureacutee En laissant de

longues plages de silences Peacuteguy en disciple fidegravele de Bergson permet de ressentir

la dureacutee telle qursquoelle est intrinsegravequement il unit ainsi les spectateurs aux acteurs

dans un veacutecu commun250

Ces silences les ceacutelegravebres laquo blancs raquo de Peacuteguy semblent ecirctre une preacutefiguration

de la communion des saints qui intervient le plus souvent agrave proximiteacute des parties du

texte eacutecrites en alexandrin et correspondant donc agrave des priegraveres

Dans la trilogie Jeanne drsquoArc la vie de Jeannette est preacutesenteacutee en prose en

dialogue dans une forme plutocirct classique Sa premiegravere eacutedition de 1897 dans la

librairie de la revue socialiste fondeacutee par Peacuteguy lui-mecircme se caracteacuterise par un trait

singulier une grande part des pauses des silences se traduit par des laquo blancs raquo

parfois longs de plusieurs pages vides Les silences renvoient agrave la dimension

temporelle de la vie mais dans ce premier texte litteacuteraire de Peacuteguy on peut voir les

silences Crsquoest une sorte de syncreacutetisme meacutetaphysique Le poegravete nous entraicircne vers

la meacuteditation par la typographie

La deacutedicace srsquoeacutetend sur quatre pages seacutepareacutees par des pages blanches251 Sur la

derniegravere un grand espace vide seacutepare les mots laquo Ce poegraveme est deacutedieacute raquo et 250 BERGSON Henry Dureacutee et simultaneacuteiteacute Paris PUF 2009 251 Pour lrsquoanalyse des proceacutedeacutes poeacutetiques du drame Jeanne drsquoArc nous utilisons la premiegravere eacutedition

Baudoin Marcel et Pierre Jeanne drsquoArc drame en 3 actes Paris Librairie des cahiers socialistes 1897

273

laquo Prenne agrave preacutesent sa part de la deacutedicace qui voudra raquo Peacuteguy laisse le temps et le

choix au lecteur de devenir dans lrsquoespace drsquoune pause typographique celui agrave qui

srsquoadresse lrsquoauteur il est libre de choisir de faire une simple lecture du texte ou bien

une meacuteditation en communion avec Peacuteguy Cinq pages blanches seacuteparent la

deacutedicace du titre qui a donc le temps de naicirctre

Si chaque lecture est une interpreacutetation chaque mot de lrsquoauteur en rencontrant

le lecteur ou lrsquoauditeur le spectateur de lrsquoœuvre se transforme en mettant en

rapport deux consciences deux chemins de penseacutee Le silence ne peut pas ecirctre

interpreacuteteacute il donne la parole au reacutecepteur ouvrant le champ de possibiliteacutes Crsquoest

donc une invitation agrave la co-creacuteation

Dans cette eacutedition de Jeanne drsquoArc il nrsquoy a pas de numeacutero de page Le vrai

silence est libre Dans la musique les silences quand ils sont mesureacutes font partie

du rythme de la meacutetrique musicale et on continue drsquoentendre dans ces silences la

mesure agrave leur instar les numeacuteros de pages auraient deacutelimiteacute ndash et donc briseacute ndash le

silence en mettant un obstacle agrave la liberteacute de la co-creacuteation Les pages vides non

numeacuteroteacutees creacuteent un intervalle pur

Il y a trois types de silences dans ce texte Le premier est exprimeacute de maniegravere

traditionnelle pour lrsquoeacutecriture theacuteacirctrale par des indications sceacuteniques laquo un silence

bref raquo laquo un assez long silence raquo etc Ce sont des pauses dans le dialogue entre les

personnages qui impliquent moins le lecteur il reste agrave lrsquoexteacuterieur agrave eacutecouter agrave voir

agrave observer Le deuxiegraveme ce sont les silences laquo typographiques raquo exprimeacutes par des

espaces blancs ou des pages blanches Ils donnent au lecteur la possibiliteacute de

collaborer avec lrsquoauteur et interrogent lrsquoacteur et le metteur en scegravene laquo Premiegravere

piegravece en trois parties Aacute Domreacutemy raquo puis trois pages blanches puis laquo Premiegravere

partie en cinq actes raquo puis deux pages plus loin laquo Premier acte raquo puis au verso en

haut laquo 1425 En plein eacuteteacute raquo Apregraves ces mots un grand espace vide puis en bas de

page vient une description deacutetailleacutee du paysage Encore un grand espace le temps

de se lrsquoimaginer Quand les cinq sens sont eacuteveilleacutes on peut accueillir les Cependant comme dans cette eacutedition la pagination est absente les citations sont reacutefeacuterenceacutees comme ailleurs dans le texte selon la derniegravere eacutedition Charles Peacuteguy Œuvre poeacutetique complegravete Paris Bibliothegraveque de la Pleacuteiade 2014

274

personnages dont lrsquoacircge est indiqueacute en bas de page suivante Ils ont pris une forme

concregravete et peuvent agir Le silence est precirct agrave ecirctre rompu Le texte est construit

comme une priegravere guideacutee dans la tradition ignacienne On entre lentement dans une

meacuteditation

Le troisiegraveme type de silence ce sont les rideaux Avant le deuxiegraveme acte de la

premiegravere piegravece de la trilogie on relegraveve cette curieuse indication laquo Rideau quinze

secondes raquo Cette fois il srsquoagit drsquoun silence visuel incarneacute dans la repreacutesentation

abstraite du lecteur ou concregravete du spectateur Le rideau seacutepare les spectateurs des

acteurs Ce nrsquoest pas un silence participatif qui permet de co-creacuteer de dialoguer

avec les personnages et lrsquoauteur crsquoest une absence ougrave le spectateur est renvoyeacute agrave

lui-mecircme Il faut remarquer que rien ne peut ecirctre vraiment changeacute derriegravere le rideau

en 15 secondes Mais au fur et agrave mesure la dureacutee des rideaux est de plus en plus

longue 15 secondes 30 secondes 50 secondes 1 minutes 5 minutes 20 minutes

Cela nrsquoest pas anodin vu que ces dureacutees nrsquoobeacuteissent pas agrave des raisons pratiques

Le dialogue central du premier acte sur la damnation eacuteternelle ndash que Peacuteguy

reprendra dans Le Mystegravere de la chariteacute de Jeanne drsquoArc ndash est en vers reacuteguliers

(alexandrins et parfois octosyllabes) et non en prose comme le texte qui lrsquoentoure

Il est ponctueacute de blancs Drsquoailleurs ce nrsquoest pas tout-agrave-fait un dialogue puisque

Jeannette srsquoadresse pour la premiegravere fois dans cette premiegravere piegravece Aacute Domreacutemy

directement agrave Dieu dans une priegravere audacieuse et deacutesespeacutereacutee Madame Gervaise lui

reacutepond mais Jeannette au deacutebut ne lrsquoeacutecoute pas Elle prie de la mettre en enfer agrave

la place des acircmes qui srsquoy trouvent (OPD 16) Cette priegravere reste inchangeacutee dans le

Mystegravere de la Chariteacute

Le premier silence et le plus long vient apregraves le deacutebut de la reacuteponse de

Madame Gervaise agrave Jeanne

Car si le fils de lrsquohomme agrave son heure suprecircme

Clama plus qursquoun damneacute lrsquoeacutepouvantable angoisse

Clameur qui sonna faux comme un divin blasphegraveme

Crsquoest que le Fils de Dieu savait (OPD 17)

275

Le rythme est briseacute Madame Gervaise semble srsquointerrompre elle-mecircme

absorbeacutee par le silence du savoir douloureux de Dieu qursquoelle voudrait peacuteneacutetrer

pour en rendre teacutemoignage agrave Jeanne

Un silence suit le quatrain suivant qui se termine sur ce vers laquo Jeacutesus mourant

pleura sur les abandonneacutes raquo Peacuteguy laisse le lecteur ou le spectateur partager

lrsquoabicircme de lrsquoabandon qui est muet insonore Puis nouveau quatrain qui se termine

sur ce vers laquo Jeacutesus mourant pleura sur la mort de Judas raquo encore un blanc une

plainte deacutesespeacutereacutee et aphone eacutetouffeacutee Puis la mort de Judas est deacutecrite et un grand

espace vide laisse contempler ce que Jeacutesus sait Suit un tercet agrave la place drsquoun

quatrain Peacuteguy se tait se coupe la parole sur le silence du Dieu tout puissant qui

ne peut pas sauver Judas mecircme en laquo se donnant tout entier raquo

La mort de Dieu est entoureacutee de deux longs silences crsquoest une strophe isoleacutee

laquo Et par pitieacute du Pegravere il eut sa mort humaine raquo

La mort ndash lrsquoultime silence

Puis Peacuteguy revient au vers libre mais de tous ces intervalles qui ont ponctueacute la

parole de Madame Gervaise naicirct la question de Jeanne qui entrant dans un silence

profond a cesseacute de filer Jeanne pose la question de toute la vie de Peacuteguy laquo Qui

donc faut-il sauver Comment faut-il sauver raquo (OPD 18)

Le premier combat de Jeanne pour accepter la volonteacute de Dieu est entoureacute et

ponctueacute de longues pauses puisqursquoil se passe en silence il nrsquoest pas de ces

combats qursquoon entend Ce combat inteacuterieur est une priegravere eacutecrite en alexandrins qui

sont absents du Mystegravere parce que crsquoest la priegravere que Jeannette fait apregraves avoir dit

adieu agrave Madame Gervaise quant au Mystegravere crsquoest le dialogue de Jeannette avec

Madame Gervaise eacutelargi Dans cette priegravere Jeannette dit agrave Dieu son acceptation de

sa volonteacute sa reacutesignation et dans le Mystegravere dix ans plus tard la Jeannette de

Peacuteguy ne se reacutesigne plus Dans ce deacutebut de la trilogie Jeannette dit laquo Et vous avez

raison dans la vie et la mort Sur la terre agrave jamais et dans lrsquoeacuteterniteacute raquo (OPD 21)

Cette priegravere est suivie apregraves de nouveaux silences par un nouveau combat

celui de la priegravere pour le Mont Saint-Michel Et de la reconnaissance pour cette

276

priegravere exauceacutee encore une fois dans un silence profond naicirct la conviction de

Jeanne que la priegravere doit ecirctre le fondement drsquoune œuvre et drsquoune action celle de

libeacuterer la France Ponctueacutee drsquoespaces blancs elle se concreacutetise dans une ardente

priegravere pour que Dieu donne un chef de guerre agrave la France laquo Vaillant comme un

archange et qui sache prier raquo (OPD 23) Dans les blancs qui remplissent ces pages

crsquoest comme srsquoil srsquoagissait de voir lrsquoimage de ce chef de guerre qui se dessine

devenant de plus en plus nette et distincte laquo Qursquoil soit chef de bataille et chef de la

priegravere raquo Puis comme si ces pauses laissaient la place agrave une vision qui srsquoeacutelargit de

plus en plus en allant du Mont agrave toute la France

Mais qursquoil ne sauve pas seulement telle place

En laissant aux Anglais le restant du pays

Dieu de la France envoyez-nous un chef qui chasse

De toute France les Anglais bien assaillis

Puis du chef de guerre agrave tout le peuple franccedilais

Qursquoil marche comme un saint dans la bataille humaine

Et que tous ses soldats soient des saints avec lui (OPD 23-24)

Encore une pause et la vision continue Jeanne parle de laquo Messire le dauphin

devant vous sacreacute roi raquo Et voilagrave que drsquoun immense silence Jeannette voit dans sa

priegravere visionnaire le chef de guerre prier le Notre Pegravere avec le roi et la foule

reconnaissante de franccedilais et les saints martyrs les saints du ciel srsquounir aux saints

guerriers franccedilais Dix ans plus tard dans le Mystegravere de la Chariteacute Peacuteguy fera

lrsquoinverse il deacutebutera le Mystegravere avec un Notre Pegravere eacutelargi mais sans lrsquoentrecouper

de vers reacuteguliers ce qui fera de la priegravere de Jeannette un prolongement tregraves naturel

des paroles de lrsquoEacutevangile

Un peu plus loin dans son action de gracircce Jeannette voit une France sainte

pays de Dieu avec un roi saint comme lrsquoeacutetait saint Louis puis un silence et elle

voit les Franccedilais en croisade dans la Terre Sainte Les silences dans cette longue

priegravere permettent un crescendo une vision qui srsquoeacutelargit drsquoune bataille concregravete agrave

une vision universelle et une reconquecircte de la Terre Sainte Ce sont ces blancs qui

277

laissent le temps et lrsquoespace agrave la priegravere de se deacuteverser au-delagrave de la parole Peacuteguy

utilisera plus tard souvent ce proceacutedeacute

Dans le quatriegraveme acte le silence a souvent la fonction de laisser tout lrsquoespace

au visuel Jeanne deacutecrit les paysans qui deviennent des guerrier et agrave partir de cette

vision entre de nouveau dans la priegravere

Le cinquiegraveme acte de la premiegravere partie de Aacute Domreacutemy consiste tout entier en

une priegravere en alexandrins ougrave Jeanne dit sa reconnaissance agrave Dieu pour les voix des

saintes qursquoil lui envoie puis elle le prie ainsi que saint Michel sainte Catherine et

sainte Marguerite pour leur demander drsquoenvoyer quelqursquoun drsquoautre un autre chef

de guerre (OPD 28-31)

La priegravere de Jeanne ougrave elle accepte sa vocation et prend sa deacutecision est elle

aussi en alexandrins mais elle se poursuit en prose Le silence lagrave encore donne

lrsquoespace neacutecessaire agrave la priegravere dans laquelle lrsquoengagement de Jeanne se concreacutetise

Ponctueacutee par des blancs voilagrave comment sa deacutecision srsquoeacutelabore laquo Je sens qursquoil est

grand temps que je deacutecide aussi raquo puis laquo Moi Jeanne je deacutecide que je vous

obeacuteirai raquo puis laquo Moi Jeanne je suis votre servante agrave vous qui ecirctes mon

maicirctre raquo puis laquo vous mrsquoavez commandeacute drsquoaller dans la bataille jrsquoirai Vous

mrsquoavez commandeacute de sauver la France pour monsieur le dauphin jrsquoy tacirccherai raquo

puis laquo Je vous obeacuteirai jusqursquoau bout raquo et pour finir laquo Je vous promets que je vais

commencer et que je vous obeacuteirai jusqursquoau bout je lrsquoai voulu Je sais ce que jrsquoai

fait raquo (OPD 43)raquo Ce nrsquoest plus un projet crsquoest un engagement qui est pris

Ce texte est une sorte de serment prononceacute non seulement comme une priegravere

dans un cœur-agrave-cœur solitaire avec Dieu mais devant la France toute entiegravere crsquoest

probablement pour cela que Peacuteguy interrompt lrsquoalexandrin afin de terminer en

prose cette affirmation solennelle

La priegravere de Jeanne pour que Dieu lui donne la force drsquoaccomplir sa tacircche est

elle aussi eacutecrite en vers reacuteguliers (OPD 49)

Lrsquoune des rares exceptions ougrave dans la trilogie un texte en vers alexandrins

nrsquoest pas vraiment une priegravere crsquoest la piegravece ceacutelegravebre des laquo adieux agrave la Meuse raquo

278

mecircme si lrsquoon peut encore parler de priegravere dans un sens poeacutetique puisque Jeanne

srsquoadresse agrave la riviegravere agrave sa maison et agrave ses parents mais sans qursquoils puissent

lrsquoentendre (OPD 58-60 72)

Agrave la fin du deuxiegraveme acte la priegravere de Jeanne entrecoupeacutee de silences

exprime son incertitude du silence naicirct alors la demande du pardon qursquoelle

demande drsquoavance au cas ougrave elle ne reacuteussirait pas (OPD 62) Ses adieux agrave la Meuse

sont aussi remplis par de grandes plages de blancs qui laissent le temps agrave Jeanne de

se reacuteinscrire dans lrsquoinstant preacutesent en se projetant dans le futur elle parle drsquoabord

de la Meuse au passeacute avant de revenir au moment actuel laquo Ocirc Meuse ineacutepuisable et

que jrsquoavais aimeacutee raquo puis laquo Ocirc Meuse inalteacuterable ocirc Meuse que jrsquoaimais raquo enfin

laquo Meuse que jrsquoaime encore ocirc ma Meuse que jrsquoaime raquo Contrairement agrave la priegravere le

mouvement nrsquoest pas drsquoeacutelargissement mais se concentre en un point du village de

la Meuse agrave la maison puis agrave la famille enfin agrave sa megravere laquo ocirc consolez maman de

mon absence lente raquo Ce mouvement devient une preacutesence silencieuse qui permet agrave

Jeanne drsquoecirctre deacutejagrave partie en eacutetant encore agrave Domreacutemy et de rester en son cœur avec

sa famille eacutetant partie

Agrave preacutesent loin de vous je vous aime encor plus

Qursquoau temps de la partance ou de la demeurance

Ocirc jrsquoaime eacutetrangement la demeure ougrave je fus

Agrave preacutesent que mon acircme a sa demeure en France (OPD 72)

Les Batailles la seconde piegravece de la trilogie est aussi celle ougrave il y a plus

drsquoaction plus de dialogues avec des reacutepliques bregraveves moins de monologues et

beaucoup moins de priegraveres Elles sont toutes sans exception eacutecrites en vers

alexandrins Les silences nrsquoentrent dans la cadence vive du texte qursquoau moment de

la priegravere de Jeanne La premiegravere fois ils permettent de donner lrsquoespace agrave la gloire de

Dieu laquo Votre gloire emplissait la vaste catheacutedrale raquo (OPD 88) Agrave la fin du

deuxiegraveme acte Jeanne devient non seulement le chef de guerre mais celle qui

intercegravede pour toute la France lrsquoespace de son cœur priant ne peut que srsquoeacutelargir

pour prendre la taille du royaume qursquoelle protegravege et les blancs qui entourent cette

priegravere se font tout aussi larges

279

Mais dans le deuxiegraveme acte apregraves les dures paroles de Gilles de Rais qui dit

que ce ne sont pas les Anglais mais les Franccedilais qui pillent les villages et violent les

femmes la priegravere de Jeanne de nouveaux en alexandrins prend une nouvelle

direction Ce nrsquoest plus une projection dans lrsquoavenir ce sont des souvenirs amers

cadenceacutes de silences or dans ces silences le cœur de Jeanne ne srsquoeacutelargit plus il se

reacutetreacutecit de douleur concentreacute sur ces seuls mots blessants qui empecircchent Jeanne de

prier et de faire la bataille laquo Comment lui commander de le suivre agrave lrsquoassaut Agrave

lui raquo (OPD 136-138)

Dans le quatriegraveme acte quand tout le monde abandonne Jeanne elle fait une

bregraveve priegravere en alexandrins aussi ougrave le texte est de nouveau entoureacute de blancs

mais dans cette priegravere il nrsquoy a plus de mouvement juste une plainte laquo Faut-il

qursquoils fassent tous leur partance de moi raquo (OPD 179)

Dans la troisiegraveme partie des laquo batailles raquo Jeanne prie une derniegravere fois pour

lrsquoavenir elle essaye de voir par ses yeux inteacuterieurs sa rencontre avec le roi et de

lrsquoanticiper mais les silences sont brefs car elle est toute dans lrsquoaction

Dans cette priegravere les alexandrins expriment la supplication de Jeanne

semblable agrave celle drsquoAntigone ougrave elle voit le roi en supplieacute qui pourrait se faire

suppliant comme Œdipe que sa propre supplication rend digne et grand aux yeux

de Peacuteguy Dans sa supplication et son intercession Jeanne repreacutesente le peuple

franccedilais qui srsquoadresse agrave son roi

O mon Dieu donnez-moi la force qursquoil me faut

Pour donner de la force au roi par ma parole

Je lui dirai laquo Messire ayez pitieacute du peuple

Du peuple qui chantait quand vous avez passeacute

Messire ayez pitieacute du peuple qui vous aime

Et qui chantait Noeumll quand vous avez passeacute

laquo Les Anglais outrageux vont commencer lrsquoassaut

Des villes qui srsquoouvraient quand vous avez passeacute

Messire ayez pitieacute des villes qui vous aimenthellip raquo (OPD 193)

280

Dans la troisiegraveme piegravece Rouen il y a peu de priegraveres car elle met en scegravene le

procegraves ce qui laisse peu de place agrave la priegravere Il y a peu de silences aussi Dans cette

piegravece se trouve la deuxiegraveme exception de la regravegle on y trouve un long texte en

alexandrins qui nrsquoest pas une priegravere mais au contraire le discours de maicirctre

Guillaume Evrard sur lrsquoenfer visant agrave effrayer Jeanne (OPD 273-275) Le premier

long silence se trouve juste apregraves le discours de maicirctre Evrard Ensuite la

meacuteditation de Jeanne sur ce discours est aussi ponctueacutee de silences

Jeanne parle longuement si longuement que ses geocircliers lui donnent lrsquoordre de

se taire Ce texte entiegraverement en alexandrins commence comme une lamentation

parle de ses sentiments et de ses peurs elle srsquoadresse de nouveau agrave la Meuse agrave sa

maison agrave sa famille agrave Madame Gervaise en revenant sur tous les lieux et vers

toutes les personnes qui ont eacuteteacute teacutemoins sans le savoir de sa vocation naissante

puis agrave la fin Jeanne srsquoadresse agrave Dieu agrave qui elle demande si les paroles du maicirctre

Evrard qui lrsquoa assureacute drsquoecirctre damneacutee sont vraies (OPD 279-286)

La trilogie se termine par une priegravere qui elle nrsquoest pas en alexandrins sauf le

dernier vers qui contient douze syllabes et pourrait ecirctre consideacutereacute comme tel Elle

rejoint le serment fait agrave la fin de la premiegravere piegravece Aacute Domreacutemy

Mais je sais bien que jrsquoai bien fait de vous servir

Nous avons bien fait de vous servir ainsi

Mes voix ne mrsquoavaient pas trompeacutee

Pourtant mon Dieu tacircchez donc de nous sauver tous mon dieu

Jeacutesus sauvez-nous tous agrave la vie eacuteternelle (OPD 299)

La boucle est boucleacutee Jeanne qui a promis de servir et drsquoobeacuteir lrsquoa fait elle

eacutetait precircte agrave srsquoabandonner aux flammes eacuteternelles pour sauver les acircmes damneacutees

elle sera brucircleacutee sur un bucirccher et sa derniegravere priegravere sera une priegravere pour le salut

universel

Le Mystegravere de la chariteacute de Jeanne drsquoArc est construit diffeacuteremment Le

dialogue de Jeannette et de Madame Gervaise est une oraison et une lectio divina

une meacuteditation sur lrsquoEacutevangile ougrave la religieuse et sa jeune amie contemplent

ensemble la vie de Jeacutesus en vision elles deviennent les teacutemoins de la vie de Dieu

sur terre et deviennent ses contemporaines Les vers libres et les alexandrins se

281

succegravedent sans que Jeannette ou Madame Gervaise srsquoadressent directement agrave Dieu

mais tout le texte est une priegravere Les alexandrins disparaissent toutefois du

dialogue entre Madame Gervaise et Jeannette ougrave celles-ci parlent des disciples de

Jeacutesus qui lrsquoavaient abandonneacute Jeannette ose dire qursquoelle nrsquoen aurait pas fait autant

la meacuteditation cesse et laisse place agrave une discussion animeacutee

Pour ce qui concerne les silences le Mystegravere de la chariteacute est moins

repreacutesentatif parce que dans Les Cahiers de la quinzaine Peacuteguy ne pouvait plus se

permettre de repreacutesenter les laquo blancs raquo sur le papier Il faut se contenter des

didascalies qui indiquent par exemple laquo un assez long silence raquo (OPD 416) au

deacutebut du mystegravere quand Hauviette interrompt la priegravere de Jeannette

Le reacutecit de Jeanne sur les deux enfants mendiants auxquels elle a donneacute agrave

manger est entrecoupeacute de pauses au moment ougrave le reacutecit srsquoeacutelargit de ces deux

enfants agrave toute la France souffrante exprimant lrsquoindignation de Jeannette devant la

guerre et la misegravere selon un proceacutedeacute que nous avons vu dans Jeanne drsquoArc Lagrave

encore le lecteur ou spectateur est inviteacute agrave se repreacutesenter les faits dont parle

Jeannette laquo Les voilagrave repartis sur la route affameuse Dans la poussiegravere dans la

boue dans la faim Dans lrsquoavenir dans la deacutetresse dans lrsquoanxieacuteteacute de lrsquoavenir raquo

(OPD 414) Chaque silence permet de changer de regard de lrsquoeacutelargir drsquoune scegravene

concregravete ndash deux petits mendiants et un peu de pain ndash Jeannette passe agrave tous les

enfants affameacutes agrave la guerre agrave la misegravere agrave la souffrance inexplicable aux bleacutes de

France pieacutetineacutes par les soldats anglais au bleacute dont ont fait le pain au pain qui

devient le Corps du Christ et agrave la vigne qui se fait vin qui deviendra le Sang du

Christ

Dans le Porche du mystegravere de la deuxiegraveme vertu et dans le Mystegravere des saints

Innocents il nrsquoy a pas drsquoalexandrins car ce nrsquoest pas une priegravere adresseacutee agrave Dieu ni

mecircme une meacuteditation sur sa vie crsquoest Dieu qui parle

Les Sonnets du laquo correspondant raquo Les sept contre Thegravebes et les Chacircteaux de la

Loire font exception mais on peut les consideacuterer comme un essai poeacutetique une

forme drsquoentraicircnement Peacuteguy au moment de les composer pensait deacutejagrave aux

282

Tapisseries mais il nrsquoavait plus eacutecrit de vers reacuteguliers depuis 1903 et La Chanson

du roi Dagobert La Tapisserie de sainte Geneviegraveve et de Jeanne drsquoArc est

eacutevidemment une priegravere puisqursquoil srsquoagit drsquoune Neuvaine agrave sainte Geneviegraveve La

Tapisserie de Notre Dame est constitueacutee de plusieurs priegraveres drsquointercession pour

Paris pour la Beauce pour un ami pour soi pour sa famille Sainte Geneviegraveve

patronne de Paris est une priegravere drsquointercession pour Paris adresseacutee agrave sa sainte

patronne

Egraveve enfin qursquoEmmanuel Mounier appelle laquo le poegraveme du monde raquo252 est une

priegravere drsquointercession agrave la Megravere de tous les humains ou souvent Peacuteguy srsquoadresse en

mecircme temps agrave la Megravere de Dieu et ougrave sa voix srsquounit agrave celle de Jeacutesus par le mystegravere

de lrsquoIncarnation fregravere de tous les humains Pauline Bernon [Bruley] commente ainsi

Egraveve dans un article

Peacuteguy reprend une langue mesureacutee par une communauteacute Srsquoil avait donneacute forme et mesure agrave son vers libre il seacutelectionne avec lrsquoalexandrin un laquo moule raquo qui correspond alors agrave toute sa reacuteflexion sur la Citeacute citeacute antique laquo corps de la citeacute de Dieu raquo laquo berceau raquo de lrsquoEmpire du Christ arche de sa preacutesence Lrsquoalexandrin srsquooffre comme un berceau agrave la parole de Jeacutesus Cette langue mesure la voix du Verbe fait chair253

Albert Beacuteguin rappelle que dans Lrsquo laquo Egraveve raquo de Peacuteguy article de Peacuteguy sur son

œuvre dicteacute agrave Joseph Lotte et publieacute sous le pseudonyme de Durel Peacuteguy affirme

que tout dans Egraveve est agrave la premiegravere personne du pluriel mais que le lecteur eacutetonneacute

deacutecouvre plutocirct la premiegravere personne du singulier laquo Jeacutesus parle raquo crsquoest une autre

maniegravere drsquoexprimer lrsquoincarnation et la communion des saints Le laquo je raquo de Jeacutesus

inclut aussi tous ses fregraveres de tous les temps lrsquohumaniteacute entiegravere

Lrsquoune des caracteacuteristiques drsquoEgraveve mise en eacutevidence par Albert Beacuteguin consiste

en la totale absence de narration Cela srsquoexplique drsquoabord par le fait que

lrsquoalexandrin chez Peacuteguy correspond agrave la priegravere qui est rarement narrative mais

aussi par lrsquoimportance pour ce dernier de ne pas entrecroiser la temporaliteacute de

252 MOUNIER Emmanuel PEacuteGUY Marcel IZARD Georges La penseacutee de Charles Peacuteguy Paris Plon 1931 p 151 253 BERNON [BRULEY] Pauline laquo Egraveve laquo inactualiteacute de la forme raquo Europe revue litteacuteraire mensuelle laquo Peacuteguy raquo aoucirct-septembre 2014 92e anneacutee ndeg 1024-1025 p 190

283

Dieu la temporaliteacute de lrsquohistoire de salut les temporaliteacutes des vies de sainte

Geneviegraveve et de Jeanne drsquoArc qursquoil a choisies entre toutes pour ecirctre des exemples

dans lrsquohistoire du salut avec sa propre temporaliteacute Srsquoil devient narrateur il

introduit alors dans le texte sa propre temporaliteacute et sa propre perception des

eacuteveacutenements

Albert Beacuteguin souligne le fait que Egraveve est une priegravere en quelque sorte une

continuation de la Tapisserie de Notre-Dame

De faccedilon tregraves secregravete Egraveve est un interminable chapelet drsquoave mais ougrave lrsquoorant nrsquoadresserait plus ses implorations directement agrave la Megravere ceacuteleste devenue mieux que naguegravere la reine du ciel elle a comme ceacutedeacute son humaniteacute agrave Egraveve agrave a femme finalement aux deux saintes de France Crsquoest en leur intercession que Peacuteguy met son espeacuterance les priegraveres de ce poegraveme srsquoadressent sous forme de salutation agrave Egraveve puis sous forme drsquoimploration de Jeacutesus agrave dieu pegravere et creacuteateur enfin sainte Geneviegraveve et Jeanne drsquoArc sous forme de demande drsquointercession aucune priegravere au Christ ou agrave la sainte Vierge Mais nrsquooublions pas que si une sorte de timiditeacute ou drsquohumiliteacute choisit de prier les intercesseurs ce choix est conforme au sens du poegraveme de lrsquoincarnation Egraveve sainte Jeanne sainte Geneviegraveve prieront avec leur humaniteacute proche de la nocirctre en mecircme temps qursquoavec les meacuterites de leur sainteteacute254

Albert Beacuteguin montre eacutegalement que tous les laquo climats raquo de Egraveve comme Peacuteguy

les deacutesignait sont des priegraveres parfois des intercessions parfois des paraphrases de

lrsquoAve Maria laquo Et le contenu de cette priegravere est toujours le mecircme aveu et

confession de lrsquohumaine deacutetresse puis gracircce agrave cet aveu eacuteleacutevation de lrsquoacircme vers la

seule chose deacutesirable la vue de Dieu raquo255

Le travail poeacutetique de Peacuteguy est un travail sur lrsquoincarnation une recherche de

lrsquouniteacute personnelle et de la communion des saints ougrave le mot est lrsquoinstrument

premier du poegravete pour dire Dieu incarneacute le Verbe fait homme Crsquoest ce qui conduit

Julie Higaki agrave affirmer que laquo La poeacutetique de Peacuteguy est ainsi comme une ultime

reacuteponse agrave sa quecircte centrale celle de lrsquouniteacute de lrsquoecirctre et de la communion drsquoune

veacuteritable uniteacute qui permet agrave la fois lrsquoun et la multitude lrsquouniversaliteacute et la

singulariteacute lrsquoenracinement et la liberteacute raquo256

254 BEacuteGUIN Albert Lrsquo laquo Egraveve raquo de Peacuteguy essai de lecture commenteacutee suivi de documents ineacutedits Paris Cahier de lrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy Labergerie 1948 p 39 255 Ibid p 191 256 HIGAKI Julie Peacuteguy et Pascal Les laquo trois ordres raquo et laquo lrsquoordre du cœur raquo Clermont-Ferrand Presses Universitaires Blaise Pascal 2005 p 305

284

CHAPITRE VI COMMUNION DES SAINTS

La communion des saints est une notion du Symbole des apocirctres qui preacutecise ce

qursquoest lrsquoEacuteglise On le trouve pour la premiegravere fois dans une version du Credo du IVe

siegravecle et elle apparaicirct dans pratiquement tous les Symboles de la foi degraves le VIIe

siegravecle Pierre-Marie Beaude eacutecrit que vers le XIIe siegravecle lrsquoEacuteglise est souvent deacutecrite

comme un laquo corps mystique agrave construire agrave partir de deux corps vrais le corps

scripturaire et le corps eucharistique raquo257 De cette compreacutehension naicirct la reacuteflexion

de saint Thomas drsquoAquin qui dans son commentaire du Credo eacutecrit

Comme dans le corps de lrsquohomme ou celui de lrsquoanimal lrsquoaction drsquoun membre profite au bien de tout le corps il en est de mecircme dans ce corps spirituel qursquoest lrsquoEacuteglise Et comme tous les fidegraveles forment un seul corps le bien de lrsquoun est communiqueacute agrave lrsquoautre Saint Paul eacutecrit aux Romains (12 5) Nous sommes tous membres les uns des autres Crsquoest pourquoi parmi les articles de foi que les Apocirctres nous ont enseigneacutes il se trouve celui-lagrave Il y a dans lrsquoEacuteglise entre les fidegraveles communion des biens crsquoest ce qursquoon appelle La communion des saints 258

Ce terme a trois significations principales

La communion aux choses saintes laquosanctaraquo par les sacrements (surtout

lrsquoEucharistie) et la communion dans une seule et mecircme foi partageacutee

La communion entre les personnes saintes (tous les fidegraveles) laquo sancti raquo par le

partage de biens spirituels la communion des charismes (chacun reccediloit de Dieu des

dons pour les partager avec ses fregraveres) lrsquoamour fraternel

La communion entre lrsquoEacuteglise du ciel et lrsquoEacuteglise de la terre lrsquoEacuteglise triomphante

et lrsquoEacuteglise militante la priegravere pour les deacutefunts et la communion avec eux

lrsquointercession des saints la communion avec les saints

Lrsquoexpression laquo communion des saints raquo contenue dans le Credo deacutesigne agrave la

fois lrsquounion spirituelle entre tous les chreacutetiens et leur union au Christ elle associe

ceux du Ciel (Eacuteglise triomphante) et ceux de la terre laquo (Eacuteglise militante) agrave ceux du

257 BEAUDE Pierre-Marie Saint Paul lrsquorsquoœuvre de meacutetamorphose Paris Cerf 2011 p 137 258 Saint Thomas drsquoAquin Commentaire du Credo Nouvelles Editions Latines 1969 Deuxiegraveme eacutedition numeacuterique [reacutefeacuterence internet] http docteurangeliquefreefr 2008 Consulteacute le 3 septembre 2014

285

Purgatoire (Eacuteglise souffrante) Andreacute Vauchez eacutecrit qursquolaquo Elle exprime le mystegravere de

la communion des justes agrave travers le temps et lrsquoespace raquo259 Il srsquoagit donc en premier

lieu de la communion entre les baptiseacutes de la communion drsquoespeacuterance qui unit les

vivants agrave ceux qui sont morts dans la foi Michel Feuillet dans le Vocabulaire du

Christianisme la deacutecrit comme laquo communauteacute solidaire raquo260 ce qui appelle une

distinction entre communion et communauteacute

Alain Deacutelaunay dans son article sur la Communion dans le Dictionnaire de la

theacuteologie chreacutetienne propose une distinction en preacutesentant la communion comme

ayant une dimension surindividuelle et la communauteacute comme comportant une

dimension transindividuelle

Ce qursquoon entend par communion reacutevegravele une double dimension drsquoaccomplissement spirituel de lrsquoecirctre humain a) une dimension transindividuelle de communauteacute impliquant les notions de partage drsquoeacutechange de reacuteunion de teacutemoignage de service de don de convivialiteacute b) une dimension surindividuelle drsquounion personnelle impliquant les notions de preacutesence de participation de fusion avec le divin drsquoadoration drsquoaccomplissement drsquouniciteacute 261

Pour Peacuteguy le souci de lrsquouniteacute des hommes de leur œuvre commune eacutetait

primordial degraves le tout deacutebut de son engagement politique social et litteacuteraire et il

srsquoest approfondi peu agrave peu

259 VAUCHEZ Andreacute (dir) Dictionnaire des temps des lieux et des figures du christianisme Paris Seuil 2010 p 136 260 FEUILLET Michel Vocabulaire du Christianisme Paris PUF coll laquo Que sais-je raquo Troisiegraveme eacutedition 2000 p 131 261 Encyclopaedia Universalis Dictionnaire de la theacuteologie Chreacutetienne Paris Albin Michel 1998 p 222

286

1 La Citeacute Harmonieuse et le Royaume de Dieu selon Peacuteguy

Peacuteguy srsquoinscrit pleinement dans la tradition socialiste qui suppose lrsquoentreacutee dans

le socialisme par la porte de lrsquoutopie il faut envisager le futur pour creacuteer un

preacutesent Dans Marcel premier dialogue de la citeacute harmonieuse eacutecrit en avril 1898

la description de la citeacute harmonieuse correspond pleinement agrave une vision

eacutevangeacutelique de la vie de la socieacuteteacute du monde Drsquoinspiration fourieacuteriste Peacuteguy va

en quelque sorte plus loin Dans un article des Cahiers Charles Fourier Michel

Guet eacutecrit laquo Peacuteguy fourieacuteriste Drsquoune certaine faccedilon oui nous sommes habitueacutes

(dans nos cahiers agrave nous) de traiter des fourieacuteristes pratiquants ici nous avons tenteacute

de traiter drsquoun fourieacuteriste croyant raquo262 Bien plus tard dans ses textes ouvertement

chreacutetiens Peacuteguy continuera de souligner le lien entre la Citeacute antique et la Citeacute de

Dieu laquo ainsi votre citeacute chreacutetienne votre citeacute baigne dans la citeacute antique raquo (III 633)

dit Clio dans le Dialogue de lrsquohistoire et de lrsquoacircme charnelle La grande diffeacuterence

entre la citeacute de Dieu et le royaume de Dieu crsquoest que le royaume de Dieu est

totalement reacutegi par Dieu sa loi y regravegne deacutejagrave elle y est deacutejagrave pleinement instaureacutee il

ne faut plus de travail de lutte pour que la citeacute dure continue existe pour qursquoelle

se renouvelle sans cesse La citeacute de Dieu nrsquoappartient agrave Dieu que par le choix de ses

citoyens qui deacutecident de vivre selon les lois de Dieu

a) Lrsquoutopie

Mecircme si ce texte ne respecte pas les regravegles du genre litteacuteraire de lrsquoutopie le

Marcel de Peacuteguy en est une contrairement agrave la laquo citeacute de Dieu raquo de saint Augustin

ou agrave la citeacute de Platon parce qursquoelle est une œuvre de la seule volonteacute humaine

La plupart des narrateurs deacutecrivent alternativement et mecircme parfois simultaneacutement un processus de reacuteforme des nouveaux citoyens utopiens et son reacutesultat final Lrsquoideacuteal humain qui inspirait la fondation est devenu la seconde nature des utopiens Et cette seconde nature est souvent une nature retrouveacutee celle de lrsquohomme innocent des commencements [hellip]

262 GUET Michel laquo Peacuteguy socialiste utopique raquo Cahiers Charles Fourier 2006 n 17 en ligne httpwwwcharlesfourierfrspipphparticle357 (consulteacute le 7 octobre 2014)

287

Crsquoest dans les utopies des Lumiegraveres et surtout dans les utopies socialistes du XIXe siegravecle que lrsquohomme utopique est le plus veacuteritablement le produit du gouvernement sage Mais peut-on encore parler laquo drsquohomme raquo utopique dans des socieacuteteacutes ougrave lrsquoindividu socialiseacute srsquoest meacutetamorphoseacute en citoyen [hellip] Le veacuteritable homme utopique crsquoest le citoyen parfait263

Le chemin que fait Peacuteguy dans son œuvre va justement du citoyen parfait agrave

lrsquohomme nouveau de la socieacuteteacute parfaite agrave la communion drsquohommes saints Lrsquoutopie

creacutee un intermeacutediaire entre le recircve et la pratique que Peacuteguy continue en relayant la

pratique agrave la mystique

Agrave peu pregraves en mecircme temps que Marcel en 1897 Peacuteguy a aussi publieacute dans le

numeacutero 152 de La Revue socialiste un article intituleacute De la citeacute socialiste (I 34-39)

Celui-ci est un manifeste eacutecrit au futur Marcel eacutetant entiegraverement reacutedigeacute au preacutesent

Ce ne sont pas une attente et un projet politique qui srsquoexpriment mais une vision

utopique qui peut-ecirctre se voudrait propheacutetique Marcel ou le dialogue de la citeacute

harmonieuse ne correspond pas tout agrave fait au genre de lrsquoutopie ni au genre drsquoun

manifeste politique

Le manifeste est une prise de position et un programme drsquoaction demande

impeacuterative drsquoagir pour rendre possible un autre avenir lrsquoutopie deacutecrit un ideacuteal qui

nrsquoexiste pas dans le preacutesent Mais Peacuteguy est un amoureux de la reacutealiteacute sa citeacute nrsquoest

pas vraiment une citeacute ideacuteale du futur mais plutocirct un monde superposeacute au notre une

reacutealiteacute parallegravele qui peut naicirctre dans les acircmes

Dans Marcel Peacuteguy lance un appel personnel agrave chaque ecirctre humain (qui

srsquoexprime par ailleurs dans un autre texte la deacutedicace de la premiegravere trilogie

Jeanne drsquoArc eacutecrite dans la mecircme peacuteriode)

A toutes celles et agrave tous ceux qui auront veacutecu

A toutes celles et agrave tous ceux qui seront morts pour tacirccher de porter le remegravede au mal universel

En particulier

A toutes celles et agrave tous ceux qui auront veacutecu leur vie humaine

A toutes celles et agrave tous ceux qui seront morts de leur mort humaine pour tacirccher de porter

remegravede au mal universel humain

263 HUGUES Micheline Lrsquoutopie Paris Nathan 1999 p 48

288

Parmi eux

A toutes celles et agrave tous ceux qui auront connu le remegravede

Crsquoest-agrave-dire

A toutes celles et agrave tous ceux qui auront veacutecu leur vie humaine

A toutes celles et agrave tous ceux qui seront morts de leur mort humaine pour lrsquoeacutetablissement de la Reacutepublique socialiste universelle

Ce poegraveme est deacutedieacute

Prenne agrave preacutesent sa part de la deacutedicace qui voudra

Marcel et Pierre Baudouin (I 27)

Le speacutecialiste norveacutegien de Peacuteguy Sven Storelv commente ainsi cette

deacutedicace

Lrsquouniteacute parfaite dans laquelle lrsquoauteur de Jeanne drsquoarc place son espoir de salut se preacutesente comme une forme pure immuable en dehors du temps agrave lrsquoabri du Mal A la fois synthegravese drsquoideacutees drsquoautres civilisations ndash des reacuteminiscences de la citeacute antique probablement aussi de La Reacutepublique de Platon et des eacuteleacutements de lrsquoideacuteal de chreacutetienteacute srsquoassimilant curieusement agrave lrsquoutopie socialiste ndash elle rappelle et preacutefigure celle du Corps Mystique264

Peacuteguy appelle agrave un changement mystique qui srsquoil srsquoopegravere dans la reacutealiteacute rendra

possible la naissance de la citeacute harmonieuse Ce changement ne peut pas ecirctre opeacutereacute

laquo drsquoen haut raquo par des structures de lrsquoeacutetat une autoriteacute quelconque parce que

comme lrsquoexplique Geneviegraveve Decrop laquo Peacuteguy deacuteclare dans les premiegraveres lignes de

De la citeacute socialiste que le gouvernement socialiste doit porter sur les choses et non

sur les hommes raquo265

b) Engagement contre lrsquoexclusion

On en voit la preuve dans la vie de Peacuteguy et surtout dans son travail de geacuterant

des Cahiers de la quinzaine ce nrsquoest pas le manifeste socialiste qursquoil tente

drsquoincarner mais bel et bien les principes fondamentaux de la vie de la citeacute

264 STORELV Sven laquo La vocation de la France chez Peacuteguy et Bernanos raquo PeacuteguyBernanos choix drsquoarticles reacuteunis agrave lrsquooccasion du soixante-dixiegraveme anniversaire de lrsquoauteur le 23 janvier 1993 OsloParis Solum Forlag Socieacuteteacute Nouvelle Didier Erudition 1993 p 19 265 DECROP Geneviegraveve laquo Lrsquoutopie de Charles Peacuteguy raquo Le Porche bulletin de lrsquoAssociation des Amis de Jeanne drsquoArc et Charles Peacuteguy (Russie Pologne Finlande) ndeg 28 nov 1999 p 23-43

289

harmonieuse Geacuteraldi Leroy lrsquoaffirme en srsquoappuyant sur une analyse tregraves preacutecise de

lrsquoutilisation des mots laquo citeacute raquo et laquo citoyen raquo dans De la citeacute socialiste et Marcel ou le

dialogue de la citeacute harmonieuse

Le vocabulaire de Marcel est au contraire marqueacute par sa tonaliteacute spiritualiste Agrave cet eacutegard la comparaison des freacutequences absolues est tregraves reacuteveacutelatrice [] Tout laisse croire que le ressort essentiel de la Citeacute Harmonieuse ne relegraveve pas de la technique eacuteconomique ou organisationnelle mais bien plutocirct drsquoune certaine disposition inteacuterieure (mot speacutecifique de Marcel dans le syntagme vie inteacuterieure) des citoyens 266

Premier principe de la citeacute harmonieuse laquo il ne convient pas qursquoil y ait des

vivants animeacutes qui soient des eacutetrangers raquo Peacuteguy adapte une forme de langage

biblique celui des paralleacutelismes reacutepeacutetitifs pour exprimer la pleacutenitude de lrsquohospitaliteacute

de sa laquo citeacute raquo

Tous les hommes de tous les langages tous les hommes de toutes les cultures tous les hommes de toutes les vies inteacuterieures tous les hommes de toutes les croyances de toutes les religions de toutes les philosophies de toutes les vies [] et ainsi tous les animaux sont devenus citoyens de la citeacute harmonieuse parce qursquoil ne convient pas qursquoil ait des animaux qui soient des eacutetrangers (I 56)

Cette hospitaliteacute universelle ne correspond pas agrave celle de lrsquoEacuteglise officielle du

temps de Peacuteguy ougrave les incroyants les heacutereacutetiques et tant drsquoautres eacutetaient damneacutes

donc exclus de la citeacute crsquoest ce qui retenait Peacuteguy au porche de lrsquoEacuteglise lui qui a

fait de sa vie une lutte contre toutes les formes drsquoexclusion Simone Fraisse rappelle

dans sa thegravese sur Charles Peacuteguy et le monde antique que le bannissement de la citeacute

dans les reacutepubliques de lrsquoAntiquiteacute constituait la peine capitale crsquoest dans cet esprit

que Peacuteguy perccediloit lrsquoexclusion laquo Il faudra que la citeacute antique fasse place agrave la citeacute de

Dieu pour que la deacutechirure se referme pour que le bannissement soit nieacute sinon

comme sanction du moins comme seacuteparation deacutefinitive raquo267

Cette lutte eacutetait au cœur mecircme du projet des Cahiers de la quinzaine Pour

Peacuteguy lrsquooubli mecircme est une forme drsquoexclusion et il se bat pour une cause

absolument utopique il voudrait que les laquo Cahiers raquo parlent des sujets en marges

omis par drsquoautres journaux et revues pour que rien ni personne dans le monde dont

Peacuteguy est contemporain ne sombre dans lrsquoexclusion de lrsquooubli

266 LEROY Geacuteraldi laquo Lrsquoutopie socialiste selon Peacuteguy Eacutetude lexicologique de citeacute et de citoyen raquo Mots octobre 1981 ndeg3 (p23-33) p 28-29 267 FRAISSE Simone Peacuteguy et le monde antique Paris Armand Colin 1973 p184

290

Dans sa communication laquo Peacuteguy et ses correspondants agrave lrsquoeacutetranger raquo Yves

Avril eacutecrit

Dans la citeacute du preacutesent la citeacute bourgeoise lrsquoeacutetranger existe et il existe surtout comme inconnu Faire connaicirctre cet inconnu crsquoest deacutejagrave dans lrsquoeacutetat imparfait de la citeacute poser les premiegraveres pierres de la citeacute ideacuteale Encore faut-il faire connaicirctre cet inconnu de faccedilon deacutesinteacuteresseacutee crsquoest-agrave-dire tel qursquoil est dans le plus profond respect de ce qursquoil est268

Les Cahiers et plus concregravetement ceux que Peacuteguy appelait laquo Cahiers de

courrier raquo (courrier de Russie de Madagascar drsquoArmeacutenie) crsquoest-agrave-dire des

numeacuteros entiegraverement confieacutes agrave des correspondants agrave lrsquoeacutetranger ont pour but de poser

les premiegraveres pierres drsquoune citeacute harmonieuse ougrave il nrsquoy a pas drsquoeacutetrangers drsquointrus

drsquoexclus Ces Cahiers apportaient de maniegravere deacutesinteacuteresseacutee et la plus objective

possible un teacutemoignage sur ceux qui en Europe de lrsquoOuest eacutetaient consideacutereacutes

comme eacutetrangers soit parce qursquoils eacutetaient tout simplement tregraves loin (les victimes du

geacutenocide des Armeacuteniens les ouvriers russes les enfants de Madagascar etc) soit

parce que les contemporains de Peacuteguy eacutetaient habitueacutes agrave se consideacuterer drsquoune

maniegravere ou drsquoune autre supeacuterieurs agrave eux (les peuples coloniseacutes les juifs les

congreacutegations religieuses au temps du combisme ou les pauvres maicirctres drsquoeacutecole

comme le personnage central de Jean Coste)

La reacutevolution et la victoire du socialisme la construction de la citeacute

harmonieuse selon Peacuteguy est impossible lagrave ou persiste lrsquoinjustice ougrave un innocent est

accuseacute drsquoougrave son acharnement dans sa lutte pour le capitaine Dreyfus laquo Aucun

vivant animeacute nrsquoest dans la citeacute harmonieuse comme un banni de la citeacute raquo (I 65)

c) LrsquoEacuteglise et la citeacute

Bien plus tard dans le Dialogue de lrsquohistoire et de lrsquoacircme charnelle Peacuteguy

deacutefinira le problegraveme de lrsquoexclusion comme le problegraveme du laquo seuil raquo en lrsquooccurrence

le seuil de lrsquoEacuteglise La communion ne peut-ecirctre que complegravete il nrsquoy a pas de vraie

communion srsquoil y a un seuil et pourtant il existe un seuil de lrsquoEacuteglise ceux qui ne

268 AVRIL Yves laquo Peacuteguy et ses correspondants agrave lrsquoeacutetranger raquo Cahiers de lrsquoAssociation internationale des eacutetudes franccedilaises 1997 ndeg 49 (p 321-339) p 324

291

peuvent pas le franchir sont appeleacutes laquoles acircmes qui se perdent raquo (III 705) les

peacutecheurs Pendant de longues anneacutees ce seuil constituait aussi un seuil

infranchissable pour Peacuteguy mais dans le Dialogue il reacutesout ce problegraveme en le

deacutefinissant comme un problegraveme historique qui relegraveve de lrsquoadministration inteacuterieure

laquo Lrsquoexcommunication met hors de la communion des fidegraveles Si lrsquoon veut et en un

certain sens mais en un certain sens seulement elle met hors de lrsquoEacuteglise [] Elle

ne met point hors du christianisme raquo (III 706) Oui le citoyen drsquoune citeacute qui en est

chasseacute ne cesse pas drsquoecirctre son citoyen puisque il en est chasseacute selon la loi de cette

citeacute il devient un citoyen chasseacute un citoyen hors les murs de la citeacute mais il reste

citoyen laquo Lrsquoexcommunieacute est chreacutetien puisqursquoil subit preacuteciseacutement les peacutenaliteacutes

chreacutetiennes raquo (III 707)

Le rapprochement entre lrsquoEacuteglise et la Citeacute nrsquoest pas propre agrave Peacuteguy il est agrave

proprement parler eacutetymologique Jean-Daniel Causse le rappelle dans son livre

drsquoentretiens avec Elian Cuvelier

lrsquoecclesia est une notion politique [] lrsquoassembleacutee des citoyens qui gouvernent la citeacute La notion de communauteacute a aussi une dimension politique mais je lui donne un sens plus anthropologique [] La communauteacute pose drsquoembleacutee la question du lien social Qursquoest ce qui donne agrave lrsquohumain le pouvoir drsquoecirctre ensemble sous la forme drsquoun laquo commun raquo crsquoest agrave dire un lien constitutif du social 269

Ce qui fait la particulariteacute de cette citeacute qursquoest lrsquoEacuteglise crsquoest le fait que laquo le

christianisme est indeacuteleacutebile raquo (III 716) on ne peut pas annuler le sacrement du

baptecircme il est pour toujours crsquoest une citeacute dont on peut sortir mais dont on reste le

citoyen pour lrsquoeacuteterniteacute Le pegravere Laurent-Marie Pocquet du Haut-Jusseacute eacutecrit laquo Le

Christ a institueacute lrsquoEacuteglise En terme peacuteguystes il a fondeacute une Citeacute raquo270

Les citoyens de la citeacute harmonieuse aiment la citeacute (la terre la maison les

racines) srsquoaiment les uns les autres sont responsables des plus petits comme les

animaux Ils respectent la nature la terre autrui et plus geacuteneacuteralement la creacuteation

Dans la citeacute regravegnent lrsquoeacutegaliteacute la justice la chariteacute lrsquoharmonie la solidariteacute la

beauteacute le deacutesinteacuteressement Pourtant la maladie lrsquoerreur et mecircme la paresse ne 269 CUVELIER Elian CAUSSE Jean-Daniel Traverseacutee du christianisme exeacutegegravese anthropologie psychanalyse Paris Bayard 2013 p 257 270 POCQUET DU HAUT-JUSSEacute Laurent-Marie Charles Peacuteguy et la moderniteacute essai drsquointerpreacutetation theacuteologique drsquoune œuvre litteacuteraire Perpignan Artegravege spiritualiteacute 2010 p 433

292

sont pas absentes de la cite harmonieuse ce nrsquoest pas une Jeacuterusalem ceacuteleste crsquoest

bel et bien une ville sur terre ses habitants connaissent la souffrance et son

harmonie doit ecirctre faite par les hommes Alors ses citoyens sont de bons ouvriers

Lrsquoeacutenumeacuteration quelque peu exubeacuterante de tous ceux qui feront partie de la citeacute

harmonieuse se veut inclusive large laquo Aucun vivant animeacute nrsquoest banni de la Citeacute

Harmonieuse raquo (I 56) Peacuteguy deacutecrit un paradis comme il voudrait le voir sans

bannis sans condamnation Sauf qursquoagrave cette peacuteriode de sa vie Peacuteguy voit en Dieu

celui qui condamne agrave lrsquoenfer et qui creacutee ainsi la plus odieuse forme drsquoexclusion Par

conseacutequent dans la citeacute harmonieuse il nrsquoy a pas drsquoenfer il nrsquoy a mecircme plus de

Dieu pour condamner personne nrsquoexclut personne la communion semble donc

parfaite

laquo Les citoyens de la citeacute harmonieuse [] aiment du mieux qursquoils peuvent la

citeacute dont ils sont citoyens [] ils sont ensemble concitoyens en la citeacute et [] aiment

de leur mieux les citoyens dont ils sont les concitoyens raquo (I 56) Ils sont donc

conscients de lrsquoentiteacute qui les renferme et qui les reacuteunis en communauteacute Il en va de

mecircme dans lrsquoEacuteglise la communion des saints ou lrsquoamour du prochain mais aussi

lrsquoamour pour lrsquoEacuteglise contribuent agrave la construction et agrave la force du Corps du Christ

Crsquoest lrsquoamour pour lrsquoentiteacute de lrsquoEacuteglise de ses fidegraveles (les saints) qui entrent en

communion qui la cimente

Geneviegraveve Decrop eacutecrit

Chaque acircme devient au mieux ce qursquoelle est raquo voilagrave qui reacutesume le fond de lrsquoutopie de Peacuteguy Crsquoest au principe et agrave lrsquohorizon Non pas la reacutealisation du bonheur collectif ou de lrsquoacircme collective mais un dуvenir rigoureusement personnel agrave chacun271

Ce nrsquoest donc pas seulement une utopie socialiste mais une image de lrsquoEacuteglise

qui se construit par et dans les acircmes des fidegraveles par leur libre arbitre et non par

lrsquoobeacuteissance agrave des lois le controcircle par un systegraveme la loi de lrsquoamour eacutetant un choix

libre La reacutevolte de Peacuteguy envers lrsquoEacuteglise est justement lieacutee avec lrsquoideacutee qursquoune acircme

peut ecirctre envoyeacutee en enfer donc chasseacutee exclue agrave jamais de la communion Dans sa

271 DECROP Geneviegraveve laquo Lrsquoutopie de Charles Peacuteguy raquo opcit

293

premiegravere Jeanne drsquoArc il va loin dans sa lutte poeacutetique contre cette exclusion Dans

la premiegravere piegravece de la trilogie Aacute Domreacutemy Jeanne dit

O srsquoil faut pour sauver de la flamme eacuteternelle

Les corps des morts damneacutes srsquoaffolant de souffrance

Abandonner mon corps agrave la flamme eacuteternelle

Mon Dieu donnez mon corps agrave la flamme eacuteternelle

Un silence

Et srsquoil faut pour sauver de lrsquoAbsence eacuteternelle

Les acircmes des damneacutes srsquoaffolant de lrsquoAbsence

Abandonner mon acircme agrave lrsquoAbsence eacuteternelle

Que mon acircme drsquoen aille en lrsquoAbsence eacuteternelle

(OPD 16)

Douze ans plus tard dans Le Mystegravere de la chariteacute de Jeanne drsquoArc Peacuteguy

reprendra ce texte inteacutegralement crsquoest lrsquoun des fragments de la premiegravere Jeanne

drsquoArc il nrsquoy a pas changeacute un seul mot il en a seulement rajouteacute quelques-uns On

ne peut pas dire que chez Peacuteguy il y a eu une laquoconversionraquo parce que se convertir

voudrait dire renier son passeacute et Peacuteguy nrsquoa jamais rien renieacute Notre Jeunesse eacutecrit

dans la mecircme peacuteriode que le Mystegravere de la chariteacute lrsquoatteste assureacutement Il a veacutecu

bien sucircr comme chaque humain et chaque croyant plusieurs eacutetapes mais ce

nrsquoeacutetaient pas une peacuteriode de deacuteni de la foi et une peacuteriode de retrouvailles crsquoeacutetaient

diffeacuterentes eacutetapes drsquoun dialogue intense avec Dieu sur la souffrance humaine

Dans les dialogues de Jeannette avec Hauviette ou avec Madame Gervaise il

nrsquoy a pas de vrai ou de faux Peacuteguy precircte ses penseacutees et ses sentiments

contradictoires agrave chacun de ses personnages Le jeune Peacuteguy militant socialiste

rejetait dans lrsquoEacuteglise lrsquoideacutee de lrsquoenfer et de la damnation eacuteternelle et comme pour

lui agrave lrsquoeacutepoque tous les dogmes de lrsquoEacuteglise ne faisaient qursquoun et qursquoen vertu du

mecircme principe de reacuteversibiliteacute qursquoil louera tant plus tard il extrapolait

lrsquolaquo exclusion raquo des peacutecheurs agrave toute lrsquoEacuteglise il eacutetait anticleacuterical Le Peacuteguy mucircr du

Mystegravere de la chariteacute reste tout aussi socialiste et sa Jeannette est socialiste aussi

Elle peut toutefois rester reacutevolteacutee comme Peacuteguy lui-mecircme On peut se reacutevolter

contre un dogme sans pour autant rejeter toute lrsquoEacuteglise Et ce nrsquoest que dans les

Notes sur Bergson et sur Descartes que Peacuteguy verra et acceptera le caractegravere

294

reacuteciproque de la laquo damnation raquo ce nrsquoest pas Dieu qui damne crsquoest lrsquohomme qui

rejette Dieu

2 Autour de qui de quoi la communion des saints se construit

elle

laquo La citeacute est harmonieuse en particulier parce qursquoelle a oublieacute ceux qui lrsquoont

preacutepareacutee raquo (I 82) ainsi lrsquoEacuteglise se construit sur le sang des martyr le sacrifice et le

don de soi La communauteacute se constitue pour beaucoup autour drsquoune perte

commune pas autour drsquoun avoir Chez Peacuteguy crsquoest par exemple Dreyfus dont

lrsquohonneur et lrsquoinnocence sont laquoabsentsraquo laquoinconnusraquo il faut les prouver et crsquoest

autour de cette neacutecessiteacute de la preuve de lrsquoinnocence et de lrsquohonneur qursquoil faut

restituer que se construit la laquo communauteacute raquo des dreyfusards Autre perte commune

qui se trouve au centre de la communauteacute chez Peacuteguy Bernard-Lazare autour de

qui se construit la communauteacute justement parce qursquoil il a eacuteteacute totalement oublieacute mal

compris et il est mort tocirct Et lrsquoEacuteglise comme communion des saints est une

laquo Communauteacute du tombeau vide272 raquo selon la belle deacutefinition de Causse une

communauteacute reacuteunie autour de Jeacutesus mort ressusciteacute et monteacute au ciel mdash en mecircme

temps perte et pleacutenitude

La communauteacute peut se construire autour de plusieurs choses le travail qui

devient liturgie une veacuteriteacute agrave eacutelucider une cause agrave soutenir un vide ou un manque

un homme une meacutemoire commune une espeacuterance une attente commune une

aspiration et tout se soude par une relation drsquoamour de chariteacute entre les membres

qui la constituent

272 CUVELIER Elian CAUSSE Jean-Daniel op cit p 260

295

a) Eacutegaliteacute et fraterniteacute

Le grand souci de Peacuteguy ce nrsquoest pas la chimegravere de la presque mythique

eacutegaliteacute mais la fraterniteacute eacutevangeacutelique comme il le dit dans un texte un peu plus

tardif laquo Lrsquoeacutegaliteacute est une chimegravere Il nrsquoy aura jamais drsquoeacutegaliteacute Aussi la fraterniteacute

est neacutecessaire raquo (III 565) Lrsquoeacutegaliteacute deacutecrit notre positionnement par rapport agrave

lrsquoautre on est eacutegaux ou non on se sent eacutegaux ou non mais elle ne change rien

dans notre relation agrave lrsquoautrui il ne srsquoagit pas de lien Plus tard dans un texte

posthume de 1908 Deuxiegraveme eacuteleacutegie XXX Contre les bucirccherons de la mecircme forecirct

Peacuteguy demandera de faire une distinction rigoureuse entre lrsquoeacutegaliteacute et lrsquoeacutequivalence

dans la citeacute (II 968)

Peacuteguy insiste sur les fait que dans la citeacute harmonieuse les biens ne sont pas

partageacutes selon la loi de lrsquoeacutegaliteacute laquo parce que toute eacutegaliteacute a pour condition

neacutecessaire le calcul des valeurs et que nous ne pouvons pas calculer la valeur drsquoun

produit agrave consommer raquo (I 66) ils ne sont pas partageacutes selon la justice pour une

raison similaire ni mecircme selon la chariteacute laquo parce que toute chariteacute suppose un

manque et que la citeacute harmonieuse ne laisse manquer de rien ses citoyens [] Le

partage des produits est fait selon lrsquoharmonie raquo (Ibid) Une harmonie fraternelle La

fraterniteacute nrsquoest pas seulement une position ou une loi elle est un choix relationnel

un choix drsquoamour un choix de reconnaicirctre dans lrsquoautre mon fregravere la fraterniteacute dont

parle Peacuteguy dans Marcel est ce mecircme amour fraternel lrsquoamour du prochain dont il

parlera plus tard dans les laquoMystegraveresraquo ou dans Un nouveau theacuteologien monsieur

Fernand Laudet les citoyens de la citeacute harmonieuse laquo aiment de leur mieux les

citoyens dont ils sont les concitoyens raquo (I 56)

Le lien fraternel est donc un lien moral mais aussi charnel deacutejagrave dans la

description de la citeacute harmonieuse Peacuteguy parle de lrsquoEacuteglise comme le Corps du

Christ qui reacuteunit les chreacutetiens par un lien fraternel La fraterniteacute est un eacutetat drsquouniteacute

elle rassemble plusieurs laquo moi raquo pour faire un laquo nous raquo Plus tard Peacuteguy parlera

aussi de la race commune des racines qui font de nous des branches drsquoun seul et

mecircme arbre

296

b) Lrsquoœuvre commune

Les citoyens de la citeacute harmonieuse bien sucircr travaillent Le travail chez Peacuteguy

est primordial crsquoest une vertu qui permet agrave un homme drsquoatteindre la perfection tout

simplement en faisant son travail le mieux possible mais qui permet aussi de srsquounir

dans une œuvre commune et on ne saurait oublier que les mots laquo œuvre

commune raquo sont la traduction franccedilaise du mot grec laquo Liturgie raquo On le voit

clairement dans les tout premiers textes de Peacuteguy comme Marcel ou le dialogue de

la citeacute harmonieuse ou Pierre commencement drsquoune vie bourgeoise et il le

deacuteveloppe plus tard par exemple dans Un nouveau theacuteologien M Fernand Laudet

ougrave il explique que peu drsquohommes sont appeleacutes au martyre ou agrave la mission publique

mais que chacun a reccedilu laquola commune vocation propre de nous sauver et notamment

nous avons reccedilu la commune loi du travail raquo (III 411) gracircce agrave lrsquoIncarnation par

lrsquoappel la vocation drsquoimiter Jeacutesus agrave Nazareth

Lrsquoimitation apporte un approfondissement du sens du travail par lrsquoIncarnation

qui opegravere un renouvellement de toute la vie humaine en commenccedilant par le plus

ordinaire le plus cacheacute le travail quotidien Par cette opeacuteration tous les

travailleurs du monde qursquoils soient des moines suivant la regravegle du ora et labora ou

des ouvriers dans une usine communistes et incroyants sont unis dans une seule

communion parce que degraves lors laquo lrsquohomme aujourdrsquohui qui travaille est un homme

qui fait comme Jeacutesus raquo (III 412) Par son incarnation en eacuterigeant cette loi du

travail Dieu sanctifie le temps laquo Lrsquohomme qui fait sa journeacutee est bon raquo (ibid) et

tous les humains sont unis dans le temps

Le travail reacuteunit non seulement les travailleurs entre eux mais aussi toute la

creacuteation puisque pour Peacuteguy le travailleur et lrsquoobjet de son travail collaborent laquo la

simple lecture est lrsquoacte commun lrsquoopeacuteration commune du lisant et du lu de

lrsquoauteur et du lecteur de lrsquoœuvre et du lecteur du texte et du lecteur [] Elle est

ainsi litteacuteralement une coopeacuteration une collaboration intime inteacuterieure raquo (III 1007-

1008) Il en va de mecircme pour toute sorte de travail le bois collabore avec celui qui

fait un pied de chaise Cette collaboration reacuteunit aussi les hommes agrave travers le

temps lrsquoespace puisque srsquoil srsquoagit effectivement de lecture lrsquoœuvre peut ecirctre

297

eacutecrite dans un pays lointain plusieurs siegravecles plus tocirct comme le bois pour la chaise

peut aussi provenir drsquoun autre pays et drsquoun autre temps Dans Clio Peacuteguy donne

lrsquoexemple de la chanson Malbrouk srsquoen va-t-en guerre dont la meacutelodie a inspireacute des

paroles agrave Beaumarchais comme agrave Hugo le poegraveme de Beaumarchais eacutetant une

chanson leacutegegravere et le texte de Hugo un texte grave Mais ils sont unis par la mecircme

meacutelodie dans le temps et lrsquoespace

c) Justice justesse et veacuteriteacute ndash centre de la citeacute cœur de la communion

Dans le premier texte des Cahiers de la quinzaine ougrave lrsquoaffaire Dreyfus est

deacutecrite comme sacreacutee bien que le mot ne soit pas prononceacute Textes formant

dossiers Peacuteguy parle drsquoun peuple reacuteuni pour eacuteclaircir une veacuteriteacute individuelle

laquo Dreyfus est innocent raquo (I 1524) Encore plus tocirct dans un petit article publieacute en

1899 agrave La Revue blanche Peacuteguy eacutecrivait agrave propos de lrsquoAffaire qursquoelle suscitait un

eacutelan semblable agrave celui qui portait les deacutefenseurs de la cause des Armeacuteniens lors du

geacutenocide ou ceux qui protestaient contre lrsquooppression de la Finlande agrave la mecircme

eacutepoque laquo Une veacuteritable catholiciteacute de la justice une opinion de la terre habiteacutee est

degraves agrave preacutesent esquisseacutee raquo (I 230)

Cette phrase aurait pu ecirctre eacutecrite dix ans plus tard et faire partie de lrsquoun des

textes ouvertement chreacutetiens de Peacuteguy Elle parle vraiment drsquoune communion des

saints agrave la justice qui illustre une forme de sainteteacute pour notre temps La justice du

royaume de Dieu sert de ciment pour construire une citeacute harmonieuse sur terre

Dans un autre article dans La Revue blanche laquo La Crise du parti socialiste et

lrsquoaffaire Dreyfus raquo (I 209-226) Peacuteguy parle de laquo lrsquoeacutepouvantable extension des

responsabiliteacutes raquo (I 226) Lrsquoaffaire Dreyfus est une affaire sacreacutee preacuteciseacutement parce

qursquoelle est capable de reacuteunir les hommes en leur accordant le don de la

responsabiliteacute humaine crsquoest agrave dire lrsquoessence mecircme de lrsquohumaniteacute Encore une fois

le chemin de lrsquoideacuteal socialiste rejoint le chemin qui conduit vers lrsquoideacuteal de la

communion chreacutetienne

298

Effectivement en 1913 dans LrsquoArgent suite Peacuteguy eacutecrit que le dreyfusisme

laquo eacutetait un systegraveme de liberteacute absolue de veacuteriteacute absolue de justice absolue et drsquoun

ordre spirituel profond raquo (III 943)

Srsquounir autour drsquoune veacuteriteacute autour de la veacuteriteacute crsquoest aussi rester fidegravele agrave la

reacutealiteacute Dans un texte eacutecrit en 1905 mais qui nrsquoa pas eacuteteacute publieacute du temps de Peacuteguy

Heureux les systeacutematiques Peacuteguy oppose les laquo systeacutematiques raquo aux reacutealistes Pour

lui le systegraveme est une uniteacute construite sur lrsquoirreacuteel donc contraire agrave la veacuteriteacute La

communion en revanche se construit sur le reacuteel et sur lrsquoespeacuterance puisque comme

Peacuteguy le dira dans des textes plus tardifs Dieu habite le reacuteel (II 223-310)

3 Enracinement

laquo La citeacute harmonieuse est agrave chaque instant heacuteritiegravere universelle de la citeacute

harmonieuse parce qursquoelle se continue perdurable drsquoinstants en instants raquo (I p 69)

a) Heacuteritage

Lrsquoheacuteritage est un thegraveme important chez Peacuteguy Crsquoest un teacutemoignage de la

durabiliteacute drsquoun lien de sa mateacuterialisation Crsquoest aussi quelque chose qui recreacutee et

incarne la dureacutee De lrsquoEacuteglise aussi on pourrait dire qursquoelle heacuterite eacuteternellement

drsquoelle-mecircme en transmettant la parole de Dieu dont elle est la preacutesence sur la terre

Dans La Tapisserie de sainte Geneviegraveve et de Jeanne drsquoArc Peacuteguy parle de Jeanne

comme drsquoun heacuteritage de Geneviegraveve laquo Recommencer la vie ainsi qursquoun heacuteritage raquo

(OPD 1083) La vie drsquoun saint imite celle du Christ crsquoest lrsquoincarnation de la

Parole par conseacutequent cette vie peut ecirctre recommenceacutee continueacutee par une autre

pour une pleacutenitude de lrsquoIncarnation Lrsquoheacuteritage est aussi le thegraveme central drsquoEgraveve

Jean-Daniel Causse eacutecrit

299

Communitas se deacutecompose en cum crsquoest-agrave-dire laquo avec raquo laquo ensemble raquo et en munus

qui peut prendre le sens de bien de ressource mais aussi de devoir de dette ou

encore finalement de don La communauteacute est constitueacutee par une dette commune ou

un don qui a alors ici le sens de ce qursquoon a reccedilu et qursquoon doit donner agrave son tour donc

transmettre 273

Pour Peacuteguy le caractegravere ininterrompu la succession constituent la garantie de

lrsquohistoire humaine de lrsquohistoire terrestre Sa citeacute harmonieuse heacuterite de tout ce qui

est sain et saint dans la vie qui la preacutecegravede laquo en particulier les anciennes croyances

les anciennes religions les anciennes vies les anciennes cultures les anciennes

philosophies les anciennes vies ont donneacute des sentiments en heacuteritage aux citoyens

de la citeacute harmonieuse raquo (I 76) Les sentiments peuvent devenir un heacuteritage ancien

qui fait vivre quelque chose de neuf une nouvelle harmonie engendreacutee par des

vieux laquo sentiments de santeacute raquo (I 76) Albert Beacuteguin eacutecrit agrave propos de lrsquoheacuteritage

Tous les saints ndash et tous les fidegraveles et tous les peacutecheurs ndash forment agrave travers les acircges une chaicircne continue et cette chaicircne-lagrave agrave la diffeacuterence du temps irreacuteversible se remonte comme elle se descend Vision rassurante aux yeux de celui que tourmentait la hantise drsquoune pente qui ne se remonte jamais Cette chaicircne descendante de lrsquoimitation qui partie de Jeacutesus srsquoen va de saint en saint jusqursquoau dernier peacutecheur mais elle est en mecircme temps la chaicircne montante de la priegravere qui remonte du dernier peacutecheur aux intercesseurs et agrave Jeacutesus Cette image de la double pente Peacuteguy la reprend plusieurs fois parce qursquoelle est proprement pour lui une image salvatrice une vue du monde qui le deacutelivre de la plus torturante de ses penseacutees et qui y substitue la miraculeuse impression drsquoecirctre directement et doublement relieacutee agrave la source de toute vie274

Lrsquoheacuteritage veacutecu ressenti en tant que communion libegravere Peacuteguy de sa hantise de

lrsquoEnfer

La citeacute harmonieuse tout comme lrsquoEacuteglise comme communion de saints ne

laisse pas entrer le peacutecheacute Le sacrement de la confession dans les premiers temps

chreacutetiens ramenait de nouveau le croyant dans lrsquoEacuteglise dont il srsquoeacutetait exclu par le

peacutecheacute lrsquoEacuteglise eacutetant constitueacutee de peacutecheurs mais elle-mecircme sans peacutecheacute Dans Louis

de Gonzague Peacuteguy explique qursquoen tant qursquohabitants de la citeacute humains formant

un certain ensemble (citoyens) nous portons un heacuteritage Au demeurant cet

heacuteritage nous forme et crsquoest ce passeacute que nous faisons vivre en nous comme

273 CUVELIER Elian CAUSSE Jean-Daniel opcit p 258 274 BEacuteGIN Albert La priegravere de Peacuteguy Neuchatel Editions de la Baconniegravere 1942 p 40-41

300

heacuteritiers fidegraveles qui soude la Citeacute Il eacutenumegravere donc et analyse dans ce texte ce qui

constitue notre heacuteritage de citoyens

Nous sommes drsquoabord laquo heacuteritiers autant que nous le pouvons de la culture

antique raquo (II 378) cet heacuteritage permet la reconnaissance de la victoire et surtout

lrsquoinstauration de la paix (et donc de la communion entre les humains) en tant que

reacutesultat ou plutocirct laquo reacuteussite de lrsquoeacuteveacutenement raquo (ibid) Crsquoest justement lrsquoheacuteritage

antique qui doit selon Peacuteguy nous rendre conscient de notre citoyenneteacute et laquo que la

citeacute a une valeur propre [] que lrsquoimmortaliteacute pousseacutee toujours plus loin de la citeacute

est une œuvre une opeacuteration qui est elle-mecircme drsquoun prix parfait raquo (II 379)

Lrsquoheacuteritage antique est important pour Peacuteguy il aime dire que le monde chreacutetien la

citeacute chreacutetienne nrsquoont pas eacuteteacute bacirctis agrave partir de rien mais agrave partir du monde antique

en se fondant sur lrsquoheacuteritage de lrsquoantiquiteacute laquo Crsquoest de la citeacute paiumlenne que fut faite la

citeacute chreacutetienne crsquoest de la citeacute antique que fut faite la citeacute de Dieu et non pas et

nullement drsquoun zeacutero de citeacute raquo (III 1157) Ce qui dans le monde antique est

vraiment tregraves proche du christianisme selon Peacuteguy qui se reacutefegravere agrave Pascal crsquoest le

stoiumlcisme qui preacutefigure en quelque sorte la sainteteacute chreacutetienne les martyrs Mais si

dans lrsquoheacuteroiumlsme la patience et le courage stoiumlcien il y un rejet du monde dans le

martyre il y a un laquo deacutepassement et non lrsquoignorance et un certain meacutepris de ce

monde raquo (III 1373)

Dans un deuxiegraveme temps Peacuteguy parle de lrsquoheacuteritage juif pour lui nous sommes

laquo commensaux des Juifs crsquoest-agrave-dire aujourdrsquohui mangeant agrave la table de la mecircme

citeacute raquo (II 378) Le peuple juif repreacutesente une autre forme pour deacutecrire une uniteacute

une communion la citeacute forme une uniteacute gracircce aux formes exteacuterieures qui la

protegravegent les lois lrsquohistoire autant de murs mateacuteriels ou non La citeacute a son

histoire le peuple comme un ecirctre humain a sa meacutemoire son heacuteritage son

expeacuterience commune son veacutecu commun des eacuteveacutenements sa dureacutee inteacuterieure Peacuteguy

eacutecrit

hellip des anciens et des nouveaux Juifs recevons cet enseignement que le salut temporel

de lrsquohumaniteacute a un prix infini que la survivance drsquoune race que la survivance terrestre

et temporelle drsquoune race que la survivance infatigable et lineacuteaire drsquoune race agrave travers

301

toutes les vagues de tous les acircges que le maintien drsquoune race est une œuvre une

opeacuteration drsquoun prix infini (II 378)

Parce que comme chaque uniteacute entiteacute le peuple subit le danger drsquoune

seacuteparation drsquoune dispersion drsquoune rupture de la dureacutee

Dans un troisiegraveme temps Peacuteguy parle de lrsquoheacuteritage chreacutetien en le preacutesentant

comme une vraie continuation de lrsquoheacuteritage juif et en exhortant agrave recevoir

laquol rsquoenseignement raquo de Pascal selon lequel la perfection seule lrsquoabsence du peacutecheacute

laquo ce qui tient agrave la sainteteacute raquo (II 379) peuvent perpeacutetuer la citeacute laquo On est chreacutetien

parce qursquoon est drsquoune certaine race remontante drsquoune certaine race mystique drsquoune

certaine race spirituelle et charnelle temporelle et eacuteternelle drsquoun certain sang []

Crsquoest une citeacute raquo (III 573-574)

Cette phrase est tregraves importante pour comprendre Peacuteguy Il insiste ici sur le fait

qursquoon nrsquoest pas chreacutetien par conversion On peut peut-ecirctre devenir chreacutetien naicirctre

au christianisme par conversion ou plutocirct par rencontre Mais on demeure chreacutetien

parce qursquoon fait siennes des racines une mystique commune

Pour finir Peacuteguy parle de lrsquoheacuteritage des philosophes celui de Platon qui pour

faire durer la citeacute en appelle agrave la connaissance de la citeacute de ses lois celui de Kant

qui en appelle pour sa part au devoir aux obligations morales

Mais nous demanderons aux anciens que ces obligations morales demeurent belles nous demanderons aux chreacutetiens que ces obligations morales demeurent saintes demeurant charitables aux messianiques nous demanderons qursquoelles demeurent ardentes aux carteacutesiens nous demanderons qursquoelles demeurent distinctes et claires aux bergsoniens nous demanderons qursquoelles demeurent profondes inteacuterieures et vivantes mouvantes et reacuteelles (II 379)

Lrsquoheacuteritage est transmis pas les laquopegraveresraquo et par les maicirctres qui laquo nrsquoexistent nulle

part aussi pleinement aussi complaisamment que dans leur descendance raquo (II 567)

qui ne se comparent pas agrave leurs eacutelegraveves mais donnent tout ce qursquoils ont pour que

lrsquoheacuteritage vive et dure (II 565-575)

laquo Israeumll nous a donneacute le Dieu mecircme Rome nous a donneacute la seule reacutepartition du

monde ougrave ce Dieu pouvait mouler son nouvel empire raquo (III 1230) Dans ce mecircme

texte le fameux Durel (commentaire de Egraveve que Peacuteguy avait dicteacute agrave Joseph Lotte

sous le pseudonyme de Durel) Peacuteguy dira que la citeacute preacutefigure la citeacute chreacutetienne et

302

le citoyen le fidegravele Ainsi dans chaque saint il y a non seulement quelque chose de

la race des prophegravetes bibliques mais laquo comme des eacuteleacutements drsquoune autre gracircce

emprunteacutes aux heacuteros et aux sages raquo (III 1232) de lrsquoAncien testament ainsi que du

monde antique

b) Meacutemoire

Peacuteguy rejette violemment lrsquoideacutee de la succession de lrsquohumaniteacute moderne agrave

lrsquohumaniteacute chreacutetienne ougrave la moderniteacute effacerait et remplacerait ce qui la preacutecegravede

crsquoest-agrave-dire le progregraves

Vaniteacute infinie infinie frivoliteacute du monde moderne Ignorance insouciance oubli meacuteconnaissance amneacutesie de lrsquoeacuteternel Indigne successeur du grand monde helleacutenique Indigne successeur du grand monde chreacutetien Mais indigne preacutedeacutecesseur de quel monde (II 581)

Pour le Peacuteguy de la maturiteacute lrsquoexistence future de la citeacute sa dureacutee deacutepend de la

conscience du passeacute de la reconnaissance de lrsquoheacuteritage il est loin deacutesormais de sa

proposition dans Marcel de fonder une citeacute harmonieuse sur lrsquooubli de ses

fondateurs pour pouvoir construire une nouvelle citeacute harmonieuse il faut savoir se

reconnaicirctre dans ses preacutedeacutecesseurs ses maicirctres Mecircme pour ce qui concerne la

mystique il refuse de nier lrsquoheacuteritage paiumlen la priegravere drsquoAntigone est une vraie

priegravere certes la priegravere chreacutetienne ne peut ecirctre que chreacutetienne et pourtant dans sa

Note sur M Bergson et la philosophie bergsonienne il eacutecrit laquo Rien nrsquoest pur

comme le pli du manteau de la priegravere antique raquo

Un monde nouveau doit srsquoenraciner dans la meacutemoire du passeacute dans les racines

La meacutemoire est un lieu de communion

La laquovoix de meacutemoireraquo (Notre Patrie I 853) de Peacuteguy est laquotregraves exactement immeacutemoriale et elle est la voix drsquoun peuple entier Elle ne lui ordonne pas de reacutepeacuteter ce que faisaient ses ancecirctres elle lui indique ce qursquoils eacutetaient en lui montrant ce qursquoil est [] Le contraire de Barregraves un mecircme sentiment de fideacuteliteacute fervente au lieu de partir du passeacute et drsquoaboutir au moi du preacutesent part du preacutesent gagne et remplit le passeacute275

275 CITTI Pierre Contre la deacutecadence Histoire de lrsquoimagination franccedilaise dans la roman 1890-1914 Paris PUF 1987 p 210

303

Lrsquoavegravenement drsquoune humaniteacute nouvelle ne srsquoeffectue pas selon Peacuteguy par

prolongement ajout ou soudure en effet agrave la maniegravere drsquoune plante laquoelle fait un

appel de segraveve plus profond [] agrave un ressourcement plus profond dans les

communes sources de segraveve de la perpeacutetuellement arborescente humaniteacuteraquo (II 582)

Peacuteguy dit clairement que lrsquoimage de lrsquoarbre dans ce contexte est pour lui bien plus

qursquoune comparaison mais une laquoimitation de la nature par elle-mecircmeraquo (II 582-583)

Lrsquohumaniteacute ne procegravede pas par le soin de ses laquo nouvelles pousses raquo deacutefaillantes

malades ou mourantes elle les laisses mourir en liberteacute et puise plus profondeacutement

dans la terre par ses racines pour qursquoun nouveau bourgeon puisse naicirctre laquo Ainsi

opegraverent et fonctionnent les nations les peuples et les races dans lrsquohumaniteacute raquo (II

586)

Les mondes preacuteceacutedents les mondes dont on peut heacuteriter ont selon Peacuteguy

laquo cette caracteacuteristique essentielle commune qursquoils eacutetaient fermes sur ce qursquoils

avaient agrave cœur [] sur ce qui leur eacutetait eacuteternel raquo (II 1445)

Cela revient agrave dire que pour la construction drsquoun monde temporel qui dure

dans le temps il faut un laquo cœur raquo un centre ancreacute dans lrsquoeacuteternel dans lrsquointemporel

Crsquoest cet eacuteternel cœur solide ce socle qui donnait agrave ce monde une preacutesence une

importance qui pouvaient ensuite ecirctre transmises et reccedilues en heacuteritage Par

exemple pour le monde antique ce socle solide crsquoest la laquo supplication de la

Fataliteacute antique raquo (ibid) Mais surtout selon Peacuteguy crsquoest le peuple le peuple uni

laquo Le peuple seul garantit un heacuteros Le peuple seul garantit le saint Le peuple seul

est assez ferme Le peuple seul est assez profond Le peuple seul est assez terre raquo

(III 432) Ce qui permet le renouvellement lrsquoavegravenement drsquoun monde nouveau ce

ne sont pas le refus le rejet du passeacute mais la naissance dans le monde qui dure drsquoun

geacutenie un heacuteros ou un saint qui par sa vie engendre la nouveauteacute tout en restant

totalement absolument fidegravele laquo ineacutebranlable en tout ce qui eacutetait essentiel de leur

humaniteacute raquo (II 1445) Parce que pour Peacuteguy comme il le dit dans le Dialogue de

lrsquohistoire et de lrsquoacircme charnelle laquo Le geacutenie ne naicirct jamais ne vient jamais trop tard

dans un monde trop vieux Il ignore mecircme ce que crsquoest que tard et ce que crsquoest que

vieillir et vieillissement Il nrsquoest que jeunesse raquo (III 599) Le geacutenie comme le saint

ou le heacuteros appartient agrave lrsquoeacuteterniteacute il permet donc un nouveau deacutebut agrave nrsquoimporte

304

quel moment de lrsquoexistence temporelle Il ne perd pas la meacutemoire mais nrsquoy est pas

soumis il nrsquoest pas conditionneacute par sa meacutemoire il peut lui eacutechapper pour creacuteer du

neuf pour permettre lrsquoeacuteternel avegravenement du nouveau donc de lrsquoespeacuterance

4 Lrsquoacircme commune

Dans Marcel Peacuteguy eacutevoque laquo lrsquoacircme de la citeacute raquo Crsquoest une acircme sans

meacutemoire pour qursquoelle puisse ecirctre libre de tous les laquo mauvais sentiments raquo du passeacute

Ceci est peut-ecirctre le seul point sur lequel la penseacutee de Peacuteguy a radicalement

changeacute au fur et agrave mesure de sa reacuteflexion sur cette question Le jeune Peacuteguy

militant socialiste du temps de Marcel jugeait la meacutemoire comme dangereuse

pour le bon fonctionnement de sa citeacute utopique Lrsquoacircme de la citeacute nrsquoa pas de

meacutemoire parce que la meacutemoire ne peut pas ecirctre seacutelective elle conserve le mauvais

avec le bon et la mauvaise expeacuterience peut conditionner le preacutesent et le futur La

citeacute harmonieuse ne serait pas harmonieuse si elle avait gardeacute la meacutemoire de ceux

qui lrsquoavaient preacutepareacutee Ceux qui la preacuteparent œuvrent sans attendre de

reconnaissance et mecircme de meacutemoire lrsquoabsence de meacutemoire est pour la citeacute un gage

drsquoespeacuterance Lrsquoart pour lrsquoart la science pour la science autant de buts drsquoune activiteacute

qui sont purs Les artistes les philosophes nrsquoont pas drsquoeacutelegraveves parce que la

discipline relegraveve de la meacutemoire et lrsquoart et la philosophie se conccediloivent comme une

reacuteponse directe au reacuteel

Dans son tout dernier texte la Note conjointe sur M Descartes et la

philosophie carteacutesienne Peacuteguy trouvera encore une expression pour deacutesigner la

communion il parle de la laquo catheacutedrale des acircmes raquo (III 1394)

305

a) Le peuple de Dieu

Mais dans Marcel il parle de plusieurs types drsquolaquo acircmes collectives raquo y

compris les laquoacircmes nationaleraquo Plus tard cette ideacutee eacutevolue vers lrsquoideacutee du peuple

comme entiteacute Et avec cette eacutevolution la perception de la meacutemoire chez Peacuteguy se

transforme La meacutemoire devient constitutive de la communion Le peuple ce sont

les habitants drsquoune citeacute mdashet par la citeacute Peacuteguy peut deacutesigner autant une ville qursquoun

pays mdash ougrave les hommes sont lieacutes par une responsabiliteacute commune la citoyenneteacute la

fraterniteacute En tout cas par exemple dans Notre Patrie eacutecrite en 1905 Peacuteguy parle

du peuple de Paris laquopeuple familier et ensemble respectueuxraquo comme drsquoun

ensemble (II 23-24) Il y a chez Peacuteguy une sorte drsquoidentiteacute-peuple il y voit un

ecirctre agrave admirer agrave imiter en mecircme temps qursquoune entiteacute dont il fait partie une

laquo race raquo laquo Comment ne pas imiter ce peuple dont nous sommes que nous sommes

crsquoest-agrave-dire comment ne pas nous imiter nous-mecircme comment ne pas ecirctre de notre

propre race raquo (II 25)

Jean Danieacutelou explique ce que veut dire le mot laquo peuple raquo chez Peacuteguy

Il est donc certain qursquoen parlant de laquo peuple raquo agrave propos du christianisme Peacuteguy a voulu exprimer trois ideacutees la premiegravere que le christianisme nrsquoest pas une secte de purs mais une foule immense de saints et de peacutecheurs la deuxiegraveme que le christianisme nrsquoest pas seulement une adheacutesion personnelle mais aussi une tradition sociale qui se transmet agrave travers la famille la race la nation la troisiegraveme qursquoil nrsquoy a pas de seacuteparation entre religion et civilisation (ce qui est lrsquoerreur des laquo modernes raquo) mais que le temporel a une dimension sacreacutee276

Pour qursquoun homme un peuple puissent continuer drsquoexister en restant en

communion avec ses ancecirctres et ceux qui viendront apregraves il doit vivre agrave lrsquointeacuterieur

de lrsquoeacuteveacutenement dans lrsquoaxe de lrsquohistoire et de la meacutemoire en eacutetant totalement

conscient de sa profondeur et pouvoir laquo remonter la race elle-mecircme [] remonter

le cours drsquoun fleuve raquo (III 1177)

Peacuteguy considegravere le caractegravere classique de la culture franccedilaise comme un heacuteritage vivifiant non comme un deacuteterminisme Crsquoest dans cette perspective qursquoil faut comprendre chez lui le terme de laquo race raquo la France a heacuteriteacute des peuples heacutebreu grec et romain La race est produite par lrsquoaction de lrsquohomme dans lrsquohistoire la gracircce divine vient agrave sa rencontre Ce jeu entre temporel et spirituel est essentiel dans lrsquoideacutee drsquoenracinement chez Peacuteguy Barregraves et lui lrsquoabordent avec une sensibiliteacute parente mais

276 DANIEacuteLOU Jean laquo Le peuple chreacutetien selon Peacuteguy raquo Eacutetudes septembre 1965 (p 175-185) p 182

306

leur compreacutehension des racines diffegravere Pour Barregraves laquo Nous ne sommes pas les maicirctres des penseacutees qui naissent en nous raquo (Scegravenes et doctrines du nationalisme) mais pour Peacuteguy nous en sommes maicirctres parce que les anciens nous ont leacutegueacute la liberteacute de penser Lrsquouniversel se trouve dans lrsquoheacuteritage franccedilais et les ideacuteaux de justice de liberteacute et de fraterniteacute furent reacutepandus par les armeacutees reacutevolutionnaires qui fascinegraverent tant Michelet et Hugo Enfin le couple race-gracircce permet agrave Peacuteguy drsquoeacutelucider lrsquoheacuteroiumlsme corneacutelien Polyeucte raccorde ainsi ciel et terre De mecircme le couple race-gracircce devient le sujet de laquo Booz endormi raquo La gracircce deacutesigne ainsi la creacuteativiteacute heureuse Peacuteguy met en parallegravele la feacuteconditeacute de Booz et celle de lrsquoeacutecrivain sucircr de lui Peacuteguy reconnaicirct en Corneille lrsquoeacutecrivain de la gracircce geacuteneacutereuse Elle est ainsi le gage de la reacuteussite en art le nom cacheacute du classique Peacuteguy critique de lui-mecircme estime avoir accompli son programme dans Egraveve277

La laquo race raquo des derniers textes de Peacuteguy ressemble pour beaucoup agrave lrsquo laquo acircme

commune raquo de la citeacute harmonieuse recircveacutee dans sa jeunesse Crsquoest une tige inteacuterieure

quelque chose de tregraves profond qui reacuteunit tous les vivants de maniegravere inexprimable

Dans la Note conjointe sur M Descartes et la philosophie carteacutesienne il compare

ceux qui ont derriegravere eux une geacuteneacutealogie eacutecrite ou une histoire eacutecrite comme le

peuple juif et lui dont la grand-megravere ne savait ni lire et eacutecrire qui a derriegravere lui

lrsquoanonymat Mais crsquoest dans cet anonymat qursquoil trouve ses racines sa race est

anonyme mais crsquoest une race aux racines profondes qui nourrissent bien son arbre

ces racines sont anonymes mais elles sont solides et nourrissantes

Pourquoi ne pas le dire il srsquoenfonce avec orgueil dans cet anonymat Lrsquoanonyme est son patronyme [] Ainsi notre homme ne veut ecirctre qursquoun arbre dans cette immense forecirct un eacutepi commun dans cette immense moisson Un citoyen de lrsquoespegravece commune un chreacutetien de la commune espegravece [] Et un peacutecheur de la plus commune espegravece [] ainsi il ne sait rien de cette immense race [] sinon que crsquoest de la chreacutetienteacute Et il srsquoenfonce avec joie dans cette eacutenorme anonymat (III 1299-1300)

La race de Peacuteguy ne lui a point laisseacute de paroles de textes drsquoeacutecrits Mais il sait

que laquo la lettre tue raquo (2 Cor 3 6) que laquo dans la lettre eacutetait lrsquoappareil mecircme de la

mort raquo (III 1305) parce qursquoelle fixe or la fixation en appelle agrave la reacutepeacutetition et

donc au deacuteclin au vieillissement Mais il a reccedilu un heacuteritage de la loi du travail de la

vertu du travail et drsquoune meacutemoire silencieuse laquo Et cette silencieuse race est le seul

eacutecho que nous puissions percevoir du silence premier de la creacuteation raquo (III 1304) La

race est pour Peacuteguy laquoune exigence drsquoirreacutevocable fideacuteliteacute [] Se deacutegager se

277 BERNON[-BRULEY] Pauline laquo Peacuteguy critique lrsquoenvers du tragique raquo Revue drsquohistoire litteacuteraire de la

France 32005 (vol105) p 573-586

307

deacutecharger de sa race crsquoest trahirraquo278 Il y a aussi un mot qui revient souvent chez

Peacuteguy agrave propos de la race celui de laquo responsabiliteacute raquo

Responsabiliteacute de son salut et du salut des autres dans une histoire dont la temporaliteacute

est spirituelle Responsabiliteacute vis-agrave-vis des siens qui oblige Bernard-Lazare agrave se

charger du fardeau de son peuple Responsabiliteacute tregraves simple et concregravete du fils agrave qui

on transmet un heacuteritage dont il est comptable et plus encore du pegravere envers le fils279

Lrsquoespeacuterance crsquoest lrsquoattente drsquoun nouvel avegravenement ce qui renouvelle crsquoest la

venue drsquoun heacuteros drsquoun geacutenie drsquoun saint de quelqursquoun qui brise lrsquohabitude qui

deacutefie la meacutemoire et lrsquohistoire qui reste dans la race et lrsquoheacuteritage mais non dans la

reacutepeacutetition Cette attente est assouvie Peacuteguy croit fermement que laquo les saints

rejailliraient toujours raquo (III 1327)

laquo [toute] lrsquohumaniteacute est comme un [seul] homme qui vieillit raquo eacutecrit Peacuteguy

dans un texte posthume de 1907 Un poegravete lrsquoa dit (II 868) Mais peu de temps

apregraves dans lrsquoun des brouillons du Mystegravere de la chariteacute de Jeanne drsquoArc il fait dire

agrave Jeannette cette priegravere laquo Que toute chreacutetienteacute marche comme un seul homme raquo

(OPD 617) lrsquohomme agrave lrsquoimage duquel cette chreacutetienteacute chaque homme chaque

femme a eacuteteacute creacuteeacute Les saints reacuteunis forment lrsquoEacuteglise comme Corps du Christ

puisque chaque saint dans sa particulariteacute peut preacutesenter une facette du Christ

Dans le Mystegravere de la chariteacute de Jeanne drsquoArc on ne peut pas vraiment dire que

Peacuteguy est contre Madame Gervaise ou Hauviette il fait de Jeanne son alter ego

mais pour lui Madame Gervaise et Hauviette repreacutesentent aussi des faces du Christ

des chemins vers la sainteteacute diffeacuterents du chemin choisis par Jeannette mais tout

aussi leacutegitimes

b) lrsquoEacuteglise ndash corps mystique du Christ

Deacutejagrave dans les textes des premiers chreacutetiens lrsquoEacuteglise apparaicirct comme Corps du

Christ dans les Odes de Salomon comme fraterniteacute chez saint Cleacutement de Rome

278 CITTI Pierre opcit p 211 279 Ibid p 212

308

unie agrave lrsquoimage de la Triniteacute chez Tertullien autant de deacutefinitions qui parlent de lien

mystique de communion Origegravene parle de lrsquoEacuteglise comme drsquoune socieacuteteacute il la

deacutefinit comme assembleacutee peuple citeacute de Dieu sur la terre donc comme une

communauteacute Un peu plus tard les deux images celles de la Citeacute de Dieu et celle du

Corps du Christ se retrouvent chez saint Basile le Grand puis chez Saint Augustin

Peacuteguy ose eacutelargir les images qui traditionnellement chez les Pegraveres des premiers

siegravecles du christianisme deacutecrivent lrsquoEacuteglise pour les appliquer agrave la chreacutetienteacute entiegravere

et mecircme agrave toute lrsquohumaniteacute Parmi les Pegraveres de lrsquoEacuteglise celui qui se trouve au plus

pregraves de la penseacutee de Peacuteguy crsquoest saint Greacutegoire de Nazianze il dit que le but de

lrsquoIncarnation crsquoest que chaque chreacutetien en son moi personnel en imitant le Christ

peut rejoindre lrsquouniteacute de son Corps Cette imitation est notamment possible gracircce

aux fecirctes chreacutetiennes qui permettent drsquoincarner un passeacute demeureacute vivant dans le

preacutesent par la participation agrave une remeacutemoration commune une forme drsquoimitation

particuliegraverement chegravere agrave Peacuteguy qui mecircme dans sa peacuteriode soi-disant anticleacutericale

pouvait indiquer le saint du jour sur un texte publieacute dans les Cahiers de la

quinzaine Les deux formes drsquouniteacute se rejoignent chez saint Ambroise de Milan qui

parle drsquoune communauteacute de fregraveres qui sont unis dans un mecircme corps de lrsquoEacuteglise

gracircce agrave leur union mystique au Christ280

Dans Un poegravete lrsquoa dit Peacuteguy cherche agrave comprendre la loi commune qui reacutegit

toute lrsquohumaniteacute et qui comme les lois de la nature la megravene vers la vieillesse et

srsquoefforce de trouver le remegravede agrave ce deacuteclin qui semble imminent Il le trouve dans

lrsquoeacutecoute mutuelle dans la reconnaissance de lrsquoautre autrement dit dans la

communion Pour reconnaicirctre entendre lrsquoautre il faut que chaque homme chaque

peuple chaque race chaque nation chaque culture ait une voix que chacun fasse

reacutesonner sa voix laquo la reacutesonance unique et temporellement inimitable de sa voix

dans le concert universel raquo (II 870) Ce concert serait une sorte drsquo laquo image

imparfaite de lrsquoeacuteterniteacute raquo (ibid) ou chacun parle chante reacutesonne agrave son tour dans

son temps laquo agrave tel point de lrsquoeacutecoulement de la dureacutee agrave tel moment de la vie du

monde agrave tel point de ce que nous avons nommeacute [] lrsquoeacuteveacutenement raquo (ibid) Un 280 Voir DUJARDIER Michel Eacuteglise-fraterniteacute lrsquoeccleacutesiologie aux huit premiers siegravecles LrsquoEglise est laquo fraterniteacute en Christ raquo (IV-V siegravecles) Paris Cerf 2016

309

concert nrsquoa de sens que srsquoil est eacutecouteacute entendu Ce concert reacutesonne pour que

lrsquohumaniteacute se reconnaisse dans lrsquoeacutecoute mutuelle en entendant la voix de chaque

eacuteveacutenement dans le temps et dans la dureacutee un eacuteveacutenement entendu peut ecirctre heacuteriteacute

donner une suite une continuiteacute laquo cette nation ce peuple cette culture p[euvent]

[] prendre une certaine connaissance drsquoun autre homme drsquoun autre peuple drsquoune

autre race drsquoune autre culture entendre au moins un eacutecho tant soit-il affaibli drsquoune

autre voix raquo (II 871)

Cette eacutecoute peut ecirctre appeleacutee meacutemoire meacutemoire organique drsquoun peuple

meacutemoire de lrsquoeacuteveacutenement moment laquo eacuteternellement temporel raquo dans la dureacutee Peacuteguy

compare lrsquoexistence drsquoune race drsquoun peuple dans la dureacutee agrave un corps dont le

mouvement serait lrsquoeacuteveacutenement ou agrave une tige ougrave les eacuteveacutenements sont des nœuds

laquo Et toute la tige de toute la plante a organiquement la penseacutee toujours preacutesente la

meacutemoire organique de lrsquoeacutepi temporel qui viendra raquo (II 882) Anne-Marie Thiesse

eacutecrit laquo Le Peuple [hellip] tient surtout le rocircle de fossile vivant garant de la

reconstitution des grands ancecirctres raquo Et elle preacutecise un peu plus loin qursquoelle parle

surtout des paysans pour les mecircmes raisons que Peacuteguy eacutevoquant le lien agrave la terre

Peuple ndash il est deacutesormais clairement speacutecifieacute qursquoil srsquoagit de la paysannerie ndash parce qursquoil est tout pregraves du sol est lrsquoexpression la plus authentique du rapport intime entre une nation et sa terre du long faccedilonnage de lrsquoecirctre national par le climat et le milieu Lrsquoacircme de la terre natale aussi bien que le geacutenie ancestral srsquoincarnent dans le Peuple des campagnes281

Peacuteguy preacutefegravere la meacutemoire agrave lrsquohistoire parce que lrsquohistoire eacutetudie classe

analyse le passeacute en demeurant agrave lrsquoexteacuterieur tandis que la meacutemoire est en dialogue

donc en communion avec le passeacute elle le fait vivre dans le preacutesent et assure la

peacuterenniteacute Crsquoest la meacutemoire qui creacutee la dureacutee la longue vie drsquoune acircme ou drsquoun

peuple Lrsquohistoire laquo privileacutegie lrsquoinscription au deacutetriment de la remeacutemoration raquo

(III 1177) mais crsquoest cette derniegravere qui fait revivre et qui creacutee la communion Dans

la meacutemoire il y a aussi une promesse et donc une espeacuterance

281 THIESSE Anne-Marie La Creacuteation des identiteacutes nationales Europe XVIIIe-XXe siegravecle Paris Seuil 2001 p 161

310

c) Lrsquoespeacuterance

Lrsquoespeacuterance est aussi un facteur un opeacuterateur de communion On espegravere en

Dieu ses saints en nos amis ou dans les geacuteneacuterations futures nos enfants nos

eacutelegraveves nos successeurs on espegravere en eux mais aussi pour eux laquo Deacuteconcertante

espeacuterance que ces malheureux srsquoacharnent agrave placer dans drsquoautres malheureux Cette

confiance cette sorte de creacutedit cette espeacuterance qursquoils se font de geacuteneacuteration en

geacuteneacuteration raquo (III 1115) cette confiance cette espeacuterance srsquoexpliquent par le seul

fait qursquoelles sont adresseacutees agrave ceux qui viendront plus tard apregraves mais laquo ces autres

seront leurs fils seront des nouveaux seront des successeurs et des heacuteritiers raquo

(III 1116) Lrsquoespeacuterance inconseacutequente de cet homme de quarante ans (ici bien sucircr

Peacuteguy parle de lui-mecircme) qui sait que laquolrsquoon nrsquoest pas heureux raquo (III 1133) que nul

homme nrsquoa jamais eacuteteacute heureux sur cette terre mais qui espegravere quand mecircme le

bonheur pour ses enfants

Peacuteguy appelle lrsquoacte drsquoespeacuterance laquo cette rage de vouloir faire [] de lrsquoeacuteternel

avec du temporel raquo (ibid) cet acte creacutee une communion entre les siegravecles une ligne

de la dureacutee parce que le temporel est toujours discret mais la ligne de dureacutee

eacuteternelle est une ligne ininterrompue Crsquoest justement le sentiment drsquoecirctre proteacutegeacute

par les saints du passeacute ceux du preacutesent et les saints du futur que Peacuteguy appelle la

communion des saints

La communion des saints procegravede drsquoune eacuteterniteacute de la reacuteelle eacuteterniteacute Elle peut ensuite se distribuer dans les temps et notamment dans et entre les passeacute(s) preacutesent et futur(s) [] elle nrsquoen demeure pas moins eacuteternellement et reacuteellement une et communion Et en un sens indivisible et indiviseacuteeraquo (III 1123-1124)

Reacuteneacute Johannet fait un long reacutecit de son entretien avec Peacuteguy ougrave ce dernier lui a

raconteacute un conte qursquoil recircvait drsquoeacutecrire mais ne lrsquoavait pas fait parce qursquoil disait qursquoil

fallait ecirctre heureux pour le faire Ce conte donne justement un exemple de la

protection des saints et de la vie dans la communion des saints telle que Peacuteguy la

concevait

Crsquoest lrsquohistoire drsquoun homme qui a eacuteteacute pendant plusieurs jours drsquoaffileacutee proteacutegeacute

drsquoun terrible peacutecheacute par les saints du jour parce que chaque jour en regardant le

calendrier pour eacutecrire la date en tecircte drsquoune lettre qui lrsquoaurait meneacute au peacutecheacute il

311

voyait aussitocirct le saint du jour indiqueacute dans le calendrier Johannet rapporte les

propos de Peacuteguy laquo Mais il faut que je vous apprenne que cet homme qui

srsquoennuyait avait une manie Une manie quand il eacutecrivait Il ne pouvait regarder la

date sans regarder en mecircme temps le saint du jour raquo282 Donc dans un accegraves terrible

drsquoennui lrsquohomme sort son papier agrave lettre regarde le calendrier voit que crsquoest la

saint Louis il se dit alors qursquoil ne va pas commettre de grand peacutecheacute le jour de la

fecircte drsquoun si grand saint mais que ce nrsquoest que partie remise Le lendemain crsquoest la

Saint Zeacutephyrin et lrsquohomme qui srsquoennuie encore beaucoup deacutecide drsquoeacutecrire la lettre

Mais voilagrave que le saint du jour lui apparait et lrsquoapostrophe seacutevegraverement

Mais voilagrave tout agrave coup un petit bonhomme qui lui saute sous le nez en coup de vent vous savez en grec le zeacutephyr quel vent terrible crsquoest un petit bonhomme tout ne colegravere tout rouge de colegravere qui lui dit laquo Alors crsquoest comme ccedila Hier tu nrsquoas pas oseacute commettre ton gros peacutecheacute parce que crsquoeacutetait saint Louis et aujourdrsquohui tu trsquoapprecirctes agrave le commettre parce que crsquoest saint Zeacutephyrin Crsquoest du propre Crsquoest du joli 283

Lrsquohistoire continua ainsi tous les jours alors que lrsquohomme srsquoeacutetait enfui agrave la

campagne les saints patrons du lieu ougrave il srsquoeacutetait retireacute sont intervenus agrave leur tour Et

tout cela dura laquo tant et si bien qursquoil ne put commettre son gros peacutecheacute La socieacuteteacute de

tant de saints lui fut profitable agrave ce point qursquoil ne srsquoennuya plus et ne songea mecircme

plus agrave le commettre raquo284 Cet homme srsquoest retrouveacute dans la communion des saints

qui lrsquoont deacutelivreacute de lrsquoennui et de la solitude

Crsquoest tregraves certainement de lui-mecircme que Peacuteguy parlait alors de la lettre

drsquoamour agrave Blanche Raphaeumll qursquoil nrsquoa finalement jamais eacutecrite Reneacute Johannet

poursuit laquo Rien de ce qui touchait les saints ne laissait Peacuteguy indiffeacuterent il

songeait souvent agrave eux raquo285

Le pegravere Auguste Valensin en commentant ce conte eacutecrit

Ce que Peacuteguy aurait voulu deacutemontrer dans ce conte crsquoest que comme il nrsquoy a pas un lieu sur la terre qui ne soit le point de croisement drsquoune longitude et drsquoune latitude il nrsquoy a pas non plus un lieu dans lrsquoespace ni une minute dans le temps ougrave le chreacutetien ne soit sous la protection des saints

282 JOHANNET Reacuteneacute Itineacuteraires de spirituels Paris Nouvelle Librairie Nationale 1921 p 145 283 Ibid p 147 284 Ibid p 152 285 Ibid p 152

312

Ce conte teacutemoigne drsquoun esprit profondeacutement chreacutetien Avec sa grosse imagerie populaire il montre que Peacuteguy avait laquo reacutealiseacute raquo le dogme infiniment consolant de lrsquoentraide spirituelle qui unit ceux de la terre et ceux du ciel286

Lrsquoeacuteternel commencement lrsquoeacuteternel renouvellement lrsquoeacuteternel avegravenement de

lrsquohistoire dont Peacuteguy parle dans tous ses textes de 1912-1914 ne la divise pas ne

rompt pas la communion parce que ces deacutebuts temporels font partie drsquoune dureacutee

Dans Le Porche du mystegravere de la deuxiegraveme vertu Peacuteguy eacutecrit laquo Or la petite

espeacuterance est celle qui toujours commence Cette naissance perpeacutetuelle Cette

enfance perpeacutetuelle raquo (OPD 649)

d) Lrsquoordre et la dureacutee

Lrsquoordre creacuteeacute par la forme et le rythme est aussi lrsquoun des facteurs de

communion Un ensemble se tient dans une forme mais une forme a toujours des

frontiegraveres par conseacutequent il y a ceux qui sont agrave lrsquointeacuterieur et ceux qui se trouvent

agrave lrsquoexteacuterieur Or Peacuteguy nrsquoadmet pas lrsquoexclusion Le rythme creacutee des liens internes

qui permettent de garder une forme un ensemble sans construire de frontiegravere

rigide

Pauline Bernon [Bruley] eacutecrit

En 1913 lrsquoalexandrin est ainsi pour Peacuteguy la langue de la tradition mais sa signification deacutepasse et accomplit lrsquoheacuteritage Peacuteguy reprend une langue mesureacutee par une communauteacute Srsquoil avait donneacute forme et mesure agrave son vers libre il seacutelectionne avec lrsquoalexandrin un laquo moule raquo qui correspond alors agrave toute sa reacuteflexion sur la Citeacute citeacute antique laquo corps de la citeacute de Dieu raquo laquo berceau raquo de lrsquoEmpire du Christ arche de sa preacutesence Lrsquoalexandrin srsquooffre comme un berceau agrave la parole de Jeacutesus Cette langue mesure la voix du Verbe fait chair287

Chez Peacuteguy il y a cette ideacutee du carreacute sacreacute lrsquoamour de la marche rythmeacutee et

surtout ses interminables alexandrins qui creacuteent un ensemble organique une uniteacute

litteacuteraire dans un texte sans forme deacutefinie comme lrsquoEgraveve Dans Egraveve Peacuteguy deacutecrit les

femmes crsquoest-agrave-dire Egraveve Marie et toutes les autres femmes comme celles qui

286 VALENSIN Auguste Regards sur Leacuteonard de Vinci Peacuteguy Valeacutery Claudel tII Paris Aubier 1955 p 166 287 Pauline Bernon[-Bruley] Egraveve laquo inactualiteacute de la forme raquo in Europe revue litteacuteraire mensuelle laquo Peacuteguy raquo aoucirct-septembre 2014 92e anneacutee ndeg 1024-1025 (p185-194) p190

313

rangent et gracircce agrave qui rien nrsquoest perdu agrave la communion parce que ce qui est rangeacute

ce qui existe dans un ordre une forme un rythme ne se perd plus laquo Vous qui

savez ranger vigilante bergegravere et compter les brebis et les jeunes agneaux raquo

(OPD 1203) Bien rangeacutee bien gardeacutee aucune brebis ne sera perdue

Serguey Averintsev eacutecrivait que le rythme par sa promesse de reacutepeacutetition qui

donne une forme un contenant agrave un contenu mecircme anarchique peut servir de

theacuteodiceacutee288 Peacuteguy aime lrsquoexemple de lrsquoarbre laquo cette dure eacutecorce rugueuse et ces

branches qui sont comme un fouillis de bras eacutenormes (un fouillis qui est un ordre)

et ces racines qui srsquoenfoncent et qui empoignent la terre comme un fouillis de

jambes eacutenormes (un fouillis qui est un ordre) raquo (OPD 781) Le rythme est une

expression de lrsquoespeacuterance parce qursquoil nous force agrave attendre la mesure suivante il

contient une promesse

5 LrsquoEacuteglise ndash communion des saints

laquo Communion des saints mdash liaison mystique des saints entre eux raquo (III 398)

Dans Un nouveau theacuteologien monsieur Fernand Laudet Peacuteguy donne sa

deacutefinition de la communion des saints

la communion des saints est en un de ses sens preacuteciseacutement cette saisie directe que nous avons nous chreacutetiens non seulement des saints du quinziegraveme siegravecle mais ensemble des saints de tous les siegravecles et autant que de tous autres des saints du premier siegravecle et ensemble eacuteminemment de Jeacutesus par la priegravere et par les sacrement par la gracircce par les meacuterites de Jeacutesus-Christ et des saints cette saisie immeacutediate instantaneacutee intemporelle eacuteternelle sans avoir agrave nous faire aucune archeacuteologie drsquoacircmehellip (III 456-457)

La communion des saints permet de ne pas prendre garde au temps de voir

instantaneacutement tous les temps devant soi et pourtant de se situer pleinement dans

lrsquohistoire Andreacute Robinet eacutecrit

288 Аверинцев Сергей laquoРитм как теодицеяraquo Новый Мир 2001 2 стр65-72 (AVERINTSEV S laquoLe rythme comme theacuteodiceacutee raquo Novyj Mir 2001 ndeg2) p 65-72

314

Mais ce qui rend cette communion indivisible et eacuteternelle ce qui permet de

reacuteunir les chreacutetiens eacuteloigneacutes geacuteographiquement ou temporellement crsquoest qursquoelle a

une seule source Dieu Crsquoest lui qui constitue la source de toute uniteacute de toute

communion

a) Eacuteglise triomphante Eacuteglise militante Eacuteglise souffrante

Dans lrsquoEacuteglise triomphante le royaume des cieux ougrave habitent les saints il y a

aussi une communion parfaite et lrsquoEacuteglise triomphante est en communion avec

lrsquoEacuteglise militante (les fidegraveles vivants sur la terre) et lrsquoEacuteglise souffrante (les acircmes du

purgatoire) laquo Telle est la communion telle est la vie des trois Eacuteglises vivantes raquo

(OPD 462) Le signe le plus visible de cette communion dont parle Peacuteguy ce sont

les voix de Jeanne Le fait qursquoelle entende les voix de saint Michel sainte Catherine

et sainte Marguerite teacutemoigne de lrsquoentente drsquoune sorte drsquoamitieacute de ces saintes entre

elles et de leur amitieacute pour Jeannette qui deviendra aussi une sainte et fera partie de

lrsquoEacuteglise triomphante Les visions pour Peacuteguy sont laquo des communications des

communions des saisies directes raquo (III 471) par lesquelles Dieu srsquoadresse agrave ses

creacuteatures et lrsquoEacuteglise triomphante rencontre lrsquoEacuteglise militante Parce que les saints

sont lieacutes aux peacutecheurs par laquo une liaison de communion raquo (III 572) les pecirccheurs

font aussi partie de la chreacutetienteacute de la communion des saints (dans le sens ougrave

chaque membre de lrsquoEacuteglise est un saint) qursquoest lrsquoEacuteglise

Le pecirccheur ensemble avec le saint [] est du systegraveme de chreacutetienteacute [] Le peacutecheur donne la main au saint puisque le saint donne la main au pecirccheur Et tous ensemble lrsquoun par lrsquoautre lrsquoun tirant lrsquoautre ils remontent jusqursquoagrave Jeacutesus ils font la chaicircne qui remonte jusqursquoagrave Jeacutesus une chaicircne aux doigts indeacuteliables Celui qui nrsquoest pas chreacutetiens [] crsquoest celui qui ne donne pas la main (III 573)

On revient au refus de lrsquoexclusion tellement insistant chez Peacuteguy de cette

communion personne ne peut ecirctre exclu srsquoil ne la refuse pas lui-mecircme en refusant

de laquo donner la main raquo

Pour Peacuteguy certains saints entrent deacutejagrave de leur vivant dans lrsquoEacuteglise

triomphante puisque leur vie et leur martyre constituent deacutejagrave un triomphe laquo Leur

militation est deacutejagrave triomphe raquo (III 1391) Il deacutecrit la relation entre des saints qui

315

vivaient agrave des siegravecles de distance lrsquoun de lrsquoautre comme une amitieacute ils peuvent agir

et marcher ensemble venir en aide lrsquoun agrave lrsquoautre lrsquoune agrave lrsquoautre Deacutejagrave dans la

premiegravere Jeanne drsquoArc dans la derniegravere piegravece de la trilogie laquo Rouen raquo Jeanne en

parlant de ses voix eacutevoque plus qursquoune amitieacute une parenteacute entre elle et les saintes

qursquoelle entend sainte Marguerite et sainte Catherine

Jrsquoeacutetais la sœur humaine et vous les sœurs ceacutelestes

Jrsquoeacutetais la sœur plus jeune et vous les deux aicircneacutees (OPD 310)

Au demeurant dans le Mystegravere de la chariteacute de Jeanne drsquoArc Jeannette deacutecrit

le lien entre tous les humains et Jeacutesus non comme une amitieacute mais comme une

parenteacute une fraterniteacute laquo Comment les chreacutetiens peuvent-ils ecirctre ennemis enfants

du mecircme Dieu fregraveres de Jeacutesus Tous fregraveres de Jeacutesus raquo (OPD 408) Et dans La

Tapisserie de sainte Geneviegraveve et de Jeanne drsquoArc Peacuteguy deacutecrit comment la vieille

sainte Geneviegraveve voit venir Jeanne comme son arriegravere-petite fille laquo naissante agrave

lrsquoautre bout de la longue famille raquo (OPD 1083) elle lrsquoattend pour qursquoelle lrsquoaide

dans sa lourde tacircche ecirctre patronne de la France veiller sur la France la proteacuteger

Apregraves neuf cent vingt ans de priegravere et de veille

quand elle vit venir vers lrsquoantique citeacute []

La fille de Lorraine agrave nulle autre pareille raquo (OPD 844)

Lrsquoun des moyens si particuliers dans lrsquoEacuteglise de creacuteer une communion qui

deacutepasserait le temps crsquoest le fait de donner le nom drsquoun saint dans le baptecircme (un

saint apregraves Jeacutesus-Christ ou un personnage de lrsquoAncien Testament) Celui qui porte

le nom drsquoun saint (un saint patron) est en quelque sorte appeleacute agrave continuer la

mission le travail de ce saint En parlant des apocirctres dans le Mystegravere de la chariteacute

Madame Gervaise dit

Ils portegraverent des noms qui retentiront eacuteternellement Ils portegraverent ils inauguraient des noms que des milliers et des milliers et des centaines de milliers de chreacutetiens revecirctirent ensuite ont revecirctus depuis pour srsquoen faire des patrons Et parmi ces milliers et ces milliers [] des saints eux-mecircmes qui revecirctirent le mecircme nom [] eux aussi pour srsquoen faire un patron agrave leur suite eux-mecircmes devinrent patrons resanctifiegraverent le nom le revecirctirent drsquoune gloire nouvelle [] comme une compagnie spirituelle comme une famille eacuteternelle (OPD 528-529)

Le nom dans la Bible ce nrsquoest pas seulement une nomination une deacutesignation

crsquoest la concreacutetisation de lrsquoappel universel de Dieu pour la personne qursquoil appelle

316

En appelant par son nom Dieu indique le chemin drsquoimitation agrave suivre la forme

drsquoimitation qursquoil voit pour cette creacuteature concregravete Madame Gervaise explique agrave

Jeanne comment agrave travers les saints patrons srsquoopegravere la communion des saints

Ce que Jeacutesus fut pour tout le monde pour toute la chreacutetienteacute pour eux-mecircmes et pour tous les autres saints [] pour tous ceux de la chreacutetienteacute pour tous ceux de la communion eux-mecircmes ils le furent agrave leur tour par lrsquoorganisation du patronage par une deacuteleacutegation par une reacutepartition par un partage par une communication par une distribution par un report par une veacuteritable imitation de Jeacutesus (OPD 496)

b) Lrsquoamitieacute

En parlant de la communion dans lrsquoEacuteglise militante crsquoest-agrave-dire lrsquoEacuteglise sur

terre Peacuteguy eacutevoque souvent lrsquoamitieacute Il eacutecrit agrave son ami Lotte le 3 mai 1910

Il faut regarder une amitieacute comme le bien le plus sacreacute et ne la rompre pour aucune cause [] Crsquoest justement pour meacutenager lrsquoamitieacute comme le plus preacutecieux des biens qursquoil faut rompre le propos et ne pas se laisser engager dans des blessures289

Lrsquoamitieacute crsquoest le fondement de la Citeacute Harmonieuse et donc de la

Communion laquo amis de la vie spirituelle et de la vie inteacuterieure raquo (II 568 posthume

(1906) Il ne faut pas dire) Dans une autre lettre agrave Romain Rolland cette fois-ci

Peacuteguy eacutecrit laquo Une fideacuteliteacute entiegravere dans une liberteacute entiegravere crsquoest notre amitieacute

franccedilaise mecircme raquo290 Cette deacutefinition tregraves riche pourrait aussi srsquoappliquer agrave la

communion dans lrsquoEacuteglise la fideacuteliteacute agrave Dieu et aux autres tout en restant

pleinement soi libre creacuteature de Dieu

Rappelons-nous que dans Marcel Peacuteguy parlait du travail qui fournit la vie

de la citeacute de maniegravere agrave ce que chaque citoyen ait le temps pour le travail

deacutesinteacuteresseacute (celui du savant de lrsquoartiste du philosophe etc) et pour la vie

inteacuterieure Et crsquoest ce travail-ci qui est au centre de la vie de la Citeacute nourri par

lrsquoamitieacute Dans Agrave nos amis agrave nos abonneacutes Peacuteguy eacutecrit sur lrsquoamitieacute qursquoelle

est laquo hellipune opeacuteration de lrsquoordre du berceau de la famille de la race de la patrie du

temps de la date de tout cet ordre temporel drsquoune importance unique

289PEacuteGUY Charles LOTTE Joseph Lettres et entretiens Paris Editions de Paris 1954 p 74 290 Citeacute dans ROLLAND Romain laquo Une amitieacute et une citeacute raquo Feuillets mensuels LrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy 194909 ndeg6 p 3

317

irremplaccedilable ougrave lrsquoopeacuteration ne se fait qursquoune fois raquo (II 1313) crsquoest-agrave-dire que

lrsquoamitieacute est un eacuteveacutenement eacuteternel et temporel laquoIl nrsquoy a qursquoune sainteteacuteraquo

(OPD 500)

Lrsquointercession est une forme particuliegravere drsquoamitieacute et de communion avec les

saints que Peacuteguy privileacutegie particuliegraverement Il lrsquoapprend par imitation drsquoune œuvre

litteacuteraire parce que ce ne sont pas des traiteacutes theacuteologique qui ont appris agrave Peacuteguy la

priegravere drsquointercession ni mecircme un souvenir du cateacutechisme Marcel Peacuteguy le preacutecise

dans son livre sur son pegravere laquo crsquoest dans Polyeucte dans le Polyeucte de Corneille

qursquoil trouve deacutefinie pour ainsi dire techniquement lrsquointervention lrsquointercession des

saints raquo291 Pocquet du Haut-Jusseacute dit pour sa part que lrsquointercession est une

structure de gracircce qui laquo reacutepond agrave une communion de malheur et de disgracircce qui est

elle aussi bien preacutesente dans le monde raquo292

c) Lrsquoimitation ndash incarnation de la communion

La communion des saints communion au Christ srsquoopegravere pour beaucoup par

lrsquoobservation lrsquoimitation des autres saints et agrave travers eux du Christ laquo des saints

innombrables [] on fait leur salut les yeux fixeacutes sur la vie obscure des autres

saints et en eux et par eux en cette vie obscure et directement sur la vie obscure de

Jeacutesus raquo (III 401) La deuxiegraveme accusation que Peacuteguy lance agrave Fernand Laudet crsquoest

drsquoavoir retrancheacute la communion des saints de laquo la face essentielle de la communion

qursquoest lrsquoimitation raquo (III 406) par lrsquoexclusion de la part cacheacutee et obscure de la vie

de Jeacutesus et des saints alors que crsquoest justement lrsquoespace principal de lrsquoapplication

de lrsquoimitation

Imiter la vie cacheacutee pour Peacuteguy qui aime tant parler du renouvellement et de

lrsquoespeacuterance crsquoest justement se donner la possibiliteacute de creacuteer du nouveau tout en

imitant puisqursquoil nrsquoy a pas de gestes drsquoactes concrets agrave imiter mais un esprit un 291 PEacuteGUY Marcel laquo La vocation de Peacuteguy raquo Cahiers de la quinzaine sous la direction de Marcel Peacuteguy deuxiegraveme cahier de la dix-septiegraveme seacuterie Paris Editions du Siegravecle 1926 p 93 292 POCQUET de HAUT-JUSSEacute Laurent-Marie Charles Peacuteguy et la moderniteacute essai drsquointerpreacutetation theacuteologique drsquoune œuvre litteacuteraire opcit p 543

318

chemin en pointilleacute agrave suivre Il souligne que mecircme lrsquoimitation de vertus cacheacutees

imiteacutees mecircme lrsquoimitation drsquoautres saints qui ont eux imiteacutes la vie cacheacutee de Jeacutesus

(laquo lrsquoextension geacuteographique de la sainteteacute raquo) a meneacute tant de laquo saint petites gens raquo

(III 407) agrave la sainteteacute

Ici on touche de nouveau ce point important pour Peacuteguy lrsquoindivisibiliteacute de la

vie priveacutee et de la vie publique Pour lui on devient saint en rempaillant les chaises

autant qursquoen partant en mission et Fernand Laudet fait offense agrave la communion des

saints en eacutecartant la laquo vie obscure raquo alors que pour Peacuteguy le ciel est laquo un ciel de

petites gens raquo (III 409) Justement lrsquoimitation est le principal acteur de la

communion des saints gracircce agrave lrsquoIncarnation de Jeacutesus qui permet que laquo tout ouvrier

chreacutetien travaille comme Jeacutesus de mecircme tout pegravere chreacutetien tout megravere chreacutetienne

aime instruit nourri eacutelegraveve ses enfants comme Joseph et Marie aimaient

instruisaient nourrissaient eacutelevaient Jeacutesus tout fils chreacutetien aime honore nourrit

ses parents comme Jeacutesus aimait honorait nourrissait son pegravere et sa megravere raquo

Il en va ainsi pour lrsquoimitation des meacuterites cacheacutes mais aussi pour lrsquoimitation

des souffrances il nrsquoy a pas que les martyrs pour imiter la passion de Jeacutesus la

communion des saints avec Jeacutesus par lrsquoIncarnation ne fait pas de diffeacuterence entre un

martyr ou un malade dans son lit parce que laquo la maladie les priegraveres les

souffrances les Vertus les meacuterites du plus secret malade drsquoune part et la Passion

les priegraveres les souffrances les Vertus les meacuterites de Jeacutesus drsquoautre part sont verseacutes

au mecircme Treacutesor raquo (III 411)

Les teacutemoins sont des acteurs importants pour la communion des saints le

teacutemoignage constituant un facteur indispensable puisque crsquoest gracircce aux teacutemoins

que nous avons accegraves aux exemples que nous voudrions imiter pour pouvoir aspirer

agrave la sainteteacute Dans Un nouveau theacuteologien monsieur Fernand Laudet Peacuteguy en se

preacutesentant comme chroniqueur de Jeanne drsquoArc se compare agrave Joinville le

chroniqueur de saint Louis qursquoil a choisi comme son maicirctre dans la matiegravere du

teacutemoignage Il eacutecrit laquo Toute la question est du portrait de lrsquohistoire de la

repreacutesentation que nous reacuteussissons agrave en donner Joinville aussi eacutetait peacutecheur []

Ce que nous lui demandons crsquoest ce qursquoil a fait de saint Louis raquo (III 575) Si le

319

teacutemoin a transmis fidegravelement son teacutemoignage il a servi la communion il a eacuteteacute

fidegravele et crsquoest ce qui compte le plus pour Peacuteguy

Lrsquoimitation repreacutesente un moyen laquo privileacutegieacute raquo de rejoindre le Christ de srsquounir

agrave lui non seulement en imitant ses actes ses œuvres mais de lrsquointeacuterieur il srsquoagit

drsquoune communion dans la souffrance Celui qui souffre en offrant ses souffrances agrave

Jeacutesus le rejoint non seulement dans sa vie mais aussi dans son sacrifice

reacutedempteur et cette souffrance laquo devient de la mecircme sorte de la mecircme race de la

mecircme famille que la souffrance de Jeacutesus-Christ raquo (OPD 459) De plus dans la

communion des saints il y a la reacuteversibiliteacute des souffrances des eacutepreuves gracircce agrave

laquelle cette souffrance trouve un sens devient laquo utile raquo Peacuteguy a beaucoup

reacutefleacutechi sur ce principe de reacuteversibiliteacute En quelque sorte comme lrsquoeacutecrit le pasteur

Michel Leplay chez Peacuteguy laquo de la Citeacute harmonieuse dont nul nrsquoest eacutetranger au

ciel de la ldquoreacuteversibiliteacute universellerdquo il nrsquoy a qursquoun changement de vocabulaire raquo293

d) La reacuteversibiliteacute

Qursquoest-ce que la reacuteversibiliteacute laquo des souffrances des eacutepreuves des exercices

des travaux raquo (III 402) Selon le TLFi crsquoest la laquoConseacutequence du dogme de la

communion des saints en vertu de laquelle les meacuterites obtenus par les saints les

bonnes œuvres ou les souffrances des justes profitent agrave lrsquoensemble de la

communauteacute de lrsquoEacuteglise raquo Il revient plusieurs fois sur cette ideacutee de reacuteversibiliteacute des

gracircces Ce qui attire lrsquoattention crsquoest que chez Joseph de Maistre qui deacuteveloppait

ce concept294 les mots utiliseacutes sont laquo meacuterite raquo et laquo peacutecheacute raquo plutocirct que laquo gracircce raquo et

laquo eacutepreuve raquo Ce qui change beaucoup le laquo degreacute raquo le niveau de profondeur de la

communion ce sont le meacuterite et le peacutecheacute qui sont drsquoabord individuels car ils

proviennent de lrsquohomme de son effort pour suivre la volonteacute de Dieu ou de sa

293 LEPLAY Michel laquo Une jeunesse universelle raquo Chemin du dialogue ndeg42 laquo Charles Peacuteguy et les religions raquo (p21-34) Marseille Chemins de Dialogue 2013 p 25 294Joseph de Maistre Les Soireacutees de Saint-Peacutetersbourg ou Entretiens sur le gouvernement temporel de la Providence suivi drsquoun traiteacute sur le sacrifice site internet httpgallicabnffrark12148bpt6k41853t consulteacute le 6 novembre 2014

320

deacutesobeacuteissance qui suite agrave la reacuteversibiliteacute est partageacutee propageacutee La gracircce et

lrsquoeacutepreuve srsquoimpliquent pas la volonteacute de lrsquohomme ce sont des dons Comme nous

lrsquoavons rappeleacute plus haut la communauteacute se construit autour drsquoun don (munus) reccedilu

et qursquoil faut transmettre Pour lrsquohomme il srsquoagit donc drsquoaccueillir (ou de rejeter) ce

don de lrsquoeacutepreuve ou de la gracircce qui est reacuteversible et qui rend impossible lrsquoexclusion

de la communion des saints dans la mesure ougrave chacun porte sa part de gracircce et

drsquoeacutepreuve accueillie accepteacutee

Nous revenons aussi au thegraveme preacutesent deacutejagrave dans les premiers textes de Peacuteguy

le refus de lrsquoexclusion Peacuteguy accuse Fernand Laudet le directeur de La revue

hebdomadaire de deacutepeupler la communion des saints laquo de leur peuple le plus

nombreux raquo (III 402) autrement dit les saints cacheacutes parce que Laudet est indigneacute

par lrsquoaudace de Peacuteguy qui dans son Mystegravere de la chariteacute de Jeanne drsquoArc ose

eacutecrire sur lrsquoenfance de la sainte dont on ne sait pas grand-chose Selon Peacuteguy le

refus de regarder les laquo saints obscurs raquo afin de les imiter revient agrave nier la

communion des saints et surtout la reacuteversibiliteacute qui permet aux saints

laquo invisibles raquo de devenir visibles agrave travers la vie publique lrsquoaction la visibiliteacute

drsquoautres saints Il accuse Fernand Laudet drsquoexclure les anneacutees cacheacutees de la vie de

Jeacutesus et des saints de la communion des saints de la reacuteversibiliteacute des meacuterites or

pour Peacuteguy non seulement personne ne peut ecirctre exclu mais encore rien dans la vie

drsquoun homme ne peut ecirctre exclu priveacute de meacuterite un travail cacheacute obscur vaut

autant qursquoun travail visible dans la mesure ougrave il est illumineacute enracineacute en Dieu par

le mystegravere de lrsquoIncarnation La vie humble et cacheacutee de Jeacutesus Dieu incarneacute vaut

autant que ses miracles il en va de mecircme pour ses meilleurs imitateurs les saints

les gracircces et meacuterites cacheacutes valent autant pour la reacutedemption que les gracircces et

meacuterites visibles cependant que la souffrance cacheacutee drsquoun innocent vaut autant pour

la reacutedemption drsquoun pecirccheur que le martyr

Le principe de la reacuteversibiliteacute dans la communion des saints fonctionne aussi

par rapport au temps Peacuteguy reproche agrave Fernand Laudet de deacutefinir certains siegravecles

comme chreacutetiens et drsquoautres non pour lui au contraire les temps sont reacuteversibles

aussi drsquoautant plus que Dieu est eacuteternel et laquo depuis Jeacutesus tous les siegravecles temporels

sont les mecircmes sont de la mecircme nature infiniment profonde de la mecircme texture

321

mystique litteacuteralement sont de la mecircme eacuteterniteacute raquo (III 458) parce que reacutegis par la

seule et mecircme loi de lrsquoamour

e) La chreacutetienteacute

Chez Peacuteguy on trouve souvent cette expression si particuliegravere par laquelle il

deacutesigne la totaliteacute du monde chreacutetien la chreacutetienteacute Il preacutefegravere ce mot agrave la

deacutesignation plus habituelle laquo les chreacutetiens raquo agrave cause de son caractegravere plus global

plus inclusif crsquoest non seulement le peuple des chreacutetiens mais aussi ses Eacuteglises

ses traditions sa meacutemoire ses attentes son espeacuterance Jean Danieacutelou eacutecrit laquo Le

chreacutetienteacute est preacuteciseacutement cet ordre de chose ougrave le christianisme est incorporeacute agrave la

race mecircme ougrave il est transmis comme un heacuteritage familial et national ougrave tous

appartiennent au ldquosystegraveme chreacutetienrdquo quitte agrave y reacutepondre diffeacuteremment raquo295

La chreacutetienteacute selon Peacuteguy ne se fonde pas sur les vertus publiques des saints

crsquoest-agrave-dire la mission lrsquoœuvre charitable et mecircme les miracles ce qui fait le

ciment de la chreacutetienteacute crsquoest la vie simple et ordinaire les vertus priveacutees des saints

celle qursquoil est facile drsquoimiter sans sortir de son cadre habituel mais toutefois en

gardant lrsquoaspiration vers la sainteteacute En cela Peacuteguy se rapproche une fois de plus agrave

lrsquoeacutepoque meacutedieacutevale si chegravere agrave son cœur au temps de Peacuteguy le mot chreacutetienteacute

deacutesignait lrsquoensemble des personnes qui confessent la foi chreacutetienne mais au Moyen

Age le sens de chreacutetienteacute eacutetait bien plus proche de la Citeacute de Dieu dans sa double

dimension ce qui creacutee le lien entre le ciel et la terre (la reacutealisation terrestre de la

Jeacuterusalem ceacuteleste) et lrsquoEacuteglise comme fraterniteacute des chreacutetiens

La chreacutetienteacute de Peacuteguy vit selon ses lois particuliegraveres drsquoattente et de reacuteponse agrave

cet attente par exemple les saints naissent parce qursquoon a besoin drsquoeux parce que le

peuple attend qursquoun saint ou une sainte vienne le sauver lui apporter la lumiegravere

lrsquoexemple agrave imiter

295 DANIELOU Jean laquo Le peuple chreacutetien selon Peacuteguy raquo Etudes septembre 1965 (p175-185) p 18

322

Le peuple creacutee laquo une immense attente une immense attention de communion raquo

(III 427) parce que gracircce au principe de la reacuteversibiliteacute la vie drsquoun seul saint

transfigure la vie drsquoun peuple laquo Le saint tout entier appartenait agrave tous raquo (ibid)

Peacuteguy parle mecircme de laquo gloutonnerie de la sainteteacute raquo dans la chreacutetienteacute du Moyen

Acircge Dans le mecircme temps il souligne le rocircle des laquo petites gens raquo dans la

reconnaissance du saint comme tel en rappelant les multiples teacutemoins du procegraves de

reacutehabilitation de Jeanne drsquoArc laquo Le peuple seul est la terre profonde Le peuple seul

teacutemoigne raquo (III 431)

Le peuple en laquo extension geacuteographique raquo crsquoest le public qui pour Peacuteguy nrsquoa

pas tellement drsquoimportance parce qursquoil est steacuterile instantaneacute il ne peut pas puiser

dans le passeacute dans une expeacuterience En revanche le peuple en profondeur en

laquo approfondissement geacuteologique raquo dans sa meacutemoire laquo priveacutee raquo dans son heacuteritage

constitue une force de teacutemoignage et de fideacuteliteacute

La chreacutetienteacute crsquoest la forme visible de lrsquoEacuteglise militante dans la communion

des saints elle est appeleacutee agrave croicirctre agrave srsquoapprofondir agrave srsquoeacutelargir agrave englober les

humain pour que personne ne soit exclu La chreacutetienteacute crsquoest aussi ce que creacutee le

peuple de Dieu pour le glorifier crsquoest tout lrsquoart religieux tout ce qui est creacuteeacute avec

foi et devient objet de pieacuteteacute de la poeacutesie liturgique aux catheacutedrales Ces œuvres

participent aussi agrave la communion des saints dans le sens de la communion comme

union des chreacutetiens entre eux et de leur union au seul et mecircme Dieu dans la mesure

ougrave elles sont une meacutemoire incarneacutee elles traversent les temps durent et recueillent

les priegraveres des chreacutetiens parfois durant des siegravecles et des siegravecles

Le corps de lrsquoadoration [] elles sont le corps mecircme du culte le corps mecircme de la priegravere le corps mecircme de lrsquoadoration Lrsquoinscription dans la dure dans la temporelle dans lrsquoexteacuterieure pierre de la vie inteacuterieur la plus profonde et la plus tendre [] œuvres qui sont le tissu mecircme de lrsquoEacuteglise et de la catheacutedrale la texture la pierre dans la pierre

Et ce tissu tisse la communion des saints des chreacutetiens entre eux des saints entre eux de la chreacutetienteacute avec son Dieu (III 447-448)

Un autre passage drsquoUn nouveau theacuteologien eacuteclaircit bien ce terme tant aimeacute

de Peacuteguy qui eacutevoque la laquo petite histoire sainte de la chreacutetienteacute qui accompagnait au

cateacutechisme et suivait lrsquohistoire sainte du peuple drsquoIsraeumll raquo (III 439) Peacuteguy est

persuadeacute qursquoil y a dans le christianisme une mecircme notion un sentiment du

323

laquo peuple raquo identique ou de moins semblable agrave celui qui unit le peuple drsquoIsraeumll qui

lui permet de conserver son identiteacute mecircme disperseacutee mecircme loin de sa laquoterre

promiseraquo Crsquoest donc ce peuple laquoprofondraquo et feacutecond ancreacute dans sa meacutemoire dans

son laquo histoire sainte raquo dans son enfance uni par cette histoire et par la meacutemoire

commune tourneacute dans son attente vers le ciel en communion tenu par la fideacuteliteacute

que Peacuteguy appelle chreacutetienteacute

Dans les temps modernes cette chreacutetienteacute est assaillie assieacutegeacutee par le deacuteclin de

la foi mais Peacuteguy souligne que le chreacutetien reste absolument le mecircme il ne fait que

passer par cet acircge moderne sans ecirctre alteacutereacute fidegravele agrave la foi proteacutegeant la chreacutetienteacute

La chreacutetienteacute pourtant ne doit pas ecirctre hermeacutetique Peacuteguy rejette non

seulement lrsquoideacutee de seacuteparer le priveacute et le public dans la vie drsquoun croyant mais aussi

la seacuteparation de la mystique et de la vie de ce monde

Originairement primitivement la vie mystique lrsquoopeacuteration mystique lrsquoopeacuteration chreacutetienne revenait consistait non point agrave eacuteviter le monde mais agrave sauver le monde non point agrave fuir le siegravecle mais au contraire elle revenait elle consistait agrave nourrir mystiquement le siegravecle (III 653)

Crsquoest justement cette coupure entre la mystique et le monde seacuteculier qui est

selon Peacuteguy fatale fatale pour la construction de la Citeacute fatale agrave la communion

parce que Dieu est venu srsquoincarner pour sauver tout le monde et pas seulement le

monde mystique et parce qursquoil a veacutecu une vie dans le monde dans un corps dans

une famille en travaillant

6 Communion agrave Dieu

Le fils de Peacuteguy Marcel dans une curieuse brochure contre le marxisme dans

laquelle il se fonde sur la trilogie Jeanne drsquoArc observe agrave propos de la force

singuliegravere de Jeanne drsquoArc qui ose agir seule sans soutien apparent laquo Comment la

volonteacute drsquoun seul peut-elle devenir aussi opeacuterante que lrsquoa eacuteteacute la volonteacute de Jeanne

drsquoArc Charles Peacuteguy reacutepond sans heacutesitation et cela au moment ougrave il vient de se

324

deacutetacher de lrsquoEacuteglise par la priegravere raquo296 Crsquoest la communion agrave Dieu et agrave lrsquoEacuteglise agrave

travers la priegravere qui donne la force drsquoagir laquo seul raquo parce que la solitude dans la

communion des saints nrsquoest plus perccedilue comme telle

a) La communion aux sacrements et aux choses saintes

La communion agrave Dieu crsquoest drsquoabord la communion aux sacrements aux

sancta Peacuteguy souligne que la communion des saints dans le temps et dans lrsquoespace

srsquoopegravere gracircce aux sacrements puisque saint Augustin et saint Paul Jeanne drsquoArc

Pascal ou Corneille donnaient ou recevait le mecircme corps de Jeacutesus laquo le mecircme en

eacuteterniteacute temporelle et en eacuteterniteacute eacuteternelle raquo (III 468) laquo la seule reacuteelle liaison du

Creacuteateur et de sa creacuteatureraquo (III 780) par la priegravere qui elle aussi deacutefie le temps

chaque homme qui prie laquo imite saisit il atteint directement Jeacutesus priant raquo

(Ibid) Selon Peacuteguy il ne peut pas y avoir de progregraves dans la chreacutetienteacute (Eacuteglise

communion des saints) dans la mesure ougrave la chreacutetienteacute vit dans un eacuteternel preacutesent

dans lrsquoeacuteternel preacutesent de Dieu Cela ne lrsquoempecircche pas de donner naissance au

nouveau mais ce nouveau ne remplace pas quelque chose de vieillissant la

chreacutetienteacute ne vieillit pas mais elle est progressivement enrichie et approfondie

laquo LrsquoEacuteglise est une dans tous les sens de ce mot et notamment dans les siegravecles raquo

(III 473) Lrsquoeacuteternel preacutesent suppose un eacuteternel renouvellement un nouveau deacutebut

incessant ce que Peacuteguy appelle un recommencement

La priegravere recommence tout le temps la naissance mecircme et la mort temporelle recommencent tout le temps [] Le sacrifice de la messe recommence tout le temps le Sacrifice de la Croix [] Il y a une chreacutetienteacute internelle un internel chreacutetien qui toujours le mecircme recommence tout le temps297 (III 475-476)

Ce qui creacutee aussi la communion ce sont les textes communs la parole de Dieu

adresseacutee agrave chacun ce qui fait lrsquoobjet de la foi commune les dogmes mais surtout 296 PEGUY Marcel Note conjointe sur Domreacutemy les Batailles et Rouan troisiegraveme numeacutero du journal vrai Paris Descleacutee de Brouwer 1933 p 34 297 Le TLFi deacutefinit laquointernelraquo comme laquoqui reste cacheacute au cœur de lrsquoindividuraquo Chez Peacuteguy crsquoest un neacuteologisme de sens neacute gracircce au principe de la laquoforme inteacuterieure du motraquo tel que deacutefini par Potebnia qui permet agrave un mot drsquoecirctre contamineacute par la seacutemantique des mots voisins du contexte Ici le mot internel est employeacute dans un texte sur le temps et lrsquoeacuteterniteacute et signifie plutocirct laquocacheacute au cœur de lrsquoindividu dans lrsquoeacuteterniteacuteraquo

325

la vie de Jeacutesus Crsquoest en quelque sorte lrsquoheacuteritage de la sainteteacute les choses saintes

les santi

Dans son commentaire de la Passion dans le Dialogue de lrsquohistoire et de lrsquoacircme

charnelle Peacuteguy eacutecrit que la mort de Jeacutesus crsquoest laquo la mort de tout le monde votre

mort toute mort raquo (III 733) Le point culminant de la communion entre lrsquohomme

et Dieu crsquoest la priegravere de Jeacutesus au Mont des oliviers quand Dieu a peur de mourir

quand il parle agrave ses disciples non comme un maicirctre mais comme un homme qui

parle agrave des hommes agrave des amis qui sont ses eacutegaux laquo une reacuteveacutelation drsquohomme agrave

homme drsquoun pauvre ecirctre miseacuterable agrave un pauvre ecirctre miseacuterable et agrave deux autres et

par-dessus leur tecircte et en peur personne agrave tous les pauvres ecirctres miseacuterables que

nous sommes raquo (III 749)

b) La communion par filiation

Peacuteguy a traiteacute de la relation filiale de lrsquohomme agrave Dieu non seulement dans le

Mystegravere des saints Innocents mais aussi dans un texte qui nrsquoa jamais eacuteteacute publieacute

jusqursquoen 2016 date agrave laquelle il a eacuteteacute eacutediteacute par Romain Vaissermann298 Lrsquoeacutediteur

heacutesite ne sachant pas si ce poegraveme est une continuation du VIIIe jour de la

Tapisserie de Sainte Geneviegraveve et de Jeanne drsquoArc consacreacutee aux laquo armes de

Jeacutesus raquo ou une suite du jour IX priegravere finale de la Neuvaine agrave sainte Geneviegraveve

Les quatrains qui nous inteacuteressent nrsquoont pas eacuteteacute publieacutes peut-ecirctre en raison des

confidences qursquoils contiennent plus personnelles encore que les aveux faits dans la

Ballade du cœur qui a tant battu eacutegalement ineacutedite du vivant de Peacuteguy Celui-ci

eacutevoque non seulement son amour secret pour Blanche Bernard mais encore son

mariage malheureux tout cela sous les yeux de la sainte au rythme de vers

reacutepeacutetitifs laquo il fallut qursquoelle vicirct raquo

298 PEacuteGUY Charles La Tapisserie de sainte Geneviegraveve et de Jeanne drsquoArc et vers ineacutedits Orleacuteans Paradygme 2016

326

Les figures du pegravere et du fils apparaissent pour la premiegravere fois dans le verset

114 (le poegraveme en contient 1900 ) Lrsquoimage est preacuteceacutedeacutee trois quatrains plus tocirct par

la description de lien entre deux hommes qui se brise on lit ensuite

Il fallut qursquoelle vicirct le solennel hommage

Qui liait lrsquohomme agrave lrsquohomme comme un fils agrave son pegravere

Se deacutetendre et briser comme un nœud trop prospegravere

Qui deacutesunit deux cœurs dans un mecircme courage (Tapisserie 265)

Ce laquo solennel hommage raquo peut eacutevoquer lrsquoalliance biblique entre Dieu et

lrsquohomme ainsi que les promesses du baptecircme ou plus concregravetement la promesse

du mariage que Peacuteguy a tellement du mal agrave cette eacutepoque-lagrave agrave tenir Les quatrains

qui suivent peuvent laisser deviner les difficulteacutes veacutecues dans le mariage de Peacuteguy

Ensuite nous lisons les vers de 148 agrave 152

Il fallut qursquoelle vicirct par un faux eacuteclairage

Lrsquoenfant paraicirctre vieux le vieux paraicirctre mort

Et la soudaine vie et le terme du sort

Blecircmir et srsquoenfoncer en un lointain mirage (Tapisserie 269)

Lrsquoeacutevocation de lrsquoenfant du vieux puis de la laquo soudaine vie raquo nrsquoest pas sans

rappeler la parabole du fils prodigue ougrave il srsquoagit drsquoun fils vieilli presque mort de la

vie qursquoil a veacutecu et son retour assimileacute agrave un retour agrave la vie (laquo Ton fregravere que voilagrave

eacutetait mort et il est revenu agrave la vie il eacutetait perdu et il est retrouveacute raquo Luc 15 32)

Peacuteguy parle ensuite de la parole de Dieu eacuteparpilleacutee au vent de la loi de Dieu qui

saigne et de la colegravere de Dieu Le reacutecit drsquoune faute possible et drsquoune rupture entre

probablement Dieu et lrsquohomme en arrive par le biais de la colegravere de Dieu nourrit

une meacuteditation sur le Jugement dernier Le nom de Jeacutesus apparait pour la premiegravere

fois dans un quatrain ougrave Peacuteguy utilise des images qui pourraient correspondre agrave

lrsquolaquo atelier de Nazareth raquo tellement important pour lrsquoauteur

Il fallut qursquoelle vicirct le jour du vernissage

Les meubles culbuteacutes par un mauvais larron

Ce nrsquoeacutetait pas ainsi que le premier charron

Que Jeacutesus les traitait dans son apprentissage (Tapisserie 273)

Comparer le Jugement dernier agrave un examen de la qualiteacute des meubles fournis

peut paraitre bien bizarre si on oublie les mots de Peacuteguy sur le pied de chaise sur

327

lrsquoouvrage bien fait Dieu a dit que cela eacutetait bon en creacuteant lrsquohomme Ce nrsquoest qursquoun

laquo mauvais larron raquo qui les abime Jeacutesus lui les aime

Dans le quatrain qui suit apparait le mysteacuterieux laquo homme raquo qui sera au centre

du propos de ce poegraveme jusqursquoagrave sa fin laquo Lrsquohomme raquo est mysteacuterieux parce qursquoil est

difficile de dire srsquoil srsquoagit de Peacuteguy de Jeacutesus du Fils prodigue ou de tous les trois

en mecircme temps

Il fallut qursquoil advicircnt que le jour du pansage

Lrsquohomme montra son flanc et fut trouveacute blesseacute

Et qursquoil traicircnait la jambe et voulait harasseacute

Marcher encore apregraves le terme du voyage (Tapisserie 273)

Jeacutesus montre son flanc transperceacute agrave saint Thomas qui doute Et crsquoest lrsquoAnge de

Dieu qui est blesseacute par Jacob agrave la hanche et traicircne sa jambe

Cependant le quatrain suivant dit

Il fallut qursquoil advicircnt que le jour du pesage

Lrsquohomme montra son sang et fut trouveacute leacuteger

Et qursquoil montra son pegravere et fut dit eacutetranger

Inconnu meacuteconnu dans son propre village (Ibid)

Ceci rappelle encore une fois la parabole du fils prodigue sauf qursquoici le pegravere

semble rejeter le fils Mais rien nrsquoindique qursquoil ne srsquoagit pas du mecircme homme que

dans le quatrain preacuteceacutedent Le Christ se mettrait-il agrave la place du fils prodigue

peacutecheur Ou est-ce une maniegravere de Peacuteguy de dire qursquoil srsquoidentifie autant au fils

prodigue qursquoagrave Jeacutesus sauveur reacutedempteur qui a pris sur lui le peacutecheacute du monde

Le quatrain suivant donne lrsquoimage du bateau de lrsquohomme naufrageacute qui implore

son pegravere pour pouvoir laquo reacuteembarquer sa peur pour un nouveau mouillage raquo Suit un

quatrain qui parle de lrsquoorage et de lrsquohomme foudroyeacute qui veut laquo renaicirctre de sa

cendre et reprendre visage raquo Le fils prodigue semble demander une nouvelle

possibiliteacute de rentrer Puis lrsquohomme qui pourtant montre son cœur est laquo refuseacute au

seuil de son partage et de son heacuteritage raquo Le partage de bien cela correspond au tout

deacutebut de la parabole du fils prodigue comme si la demande de lrsquohomme de lui

donner une deuxiegraveme chance avait eacuteteacute entendue il se retrouve de nouveau au deacutebut

du voyage mais cette fois-ci le Pegravere lui refuse sa part drsquoheacuteritage

328

Quelques quatrains plus loin lrsquohomme reccediloit laquo son bien patrimoine raquo

(Tapisserie 277) de son pegravere et devient laquo otage et prisonnier dans son propre

heacuteritage raquo Jusqursquoagrave ce que la deacutelivrance arrive par le travail le labeur lrsquoune des

grandes vertus pour Peacuteguy

Il fallut qursquoil advicircnt le dernier jour du stage

Que lrsquohomme fit sa preuve et fut trouveacute prouveacute

Et qursquoil fit son chef drsquoœuvre et qursquoil fut reprouveacute

Et qursquoil nomma son pegravere au seuil de lrsquoesclavage (Tapisserie 279)

Nous supposons que crsquoest de soi que Peacuteguy parle lui qui disait agrave son ami

Joseph Lotte qursquoil nrsquoy avait pas de peacutecheacute dans son travail Tout en sachant qursquoil se

sentait inteacuterieurement infidegravele agrave sa femme (sans jamais lrsquoavoir trompeacute pourtant)

qursquoil ne pouvait pas acceacuteder aux sacrements agrave cause de sa situation familiale Peacuteguy

espeacuterait trouver le salut dans son travail

Un peu plus loin Peacuteguy semble de nouveau eacutevoquer Jeacutesus quand il parle de

lrsquohomme qui laquo montra son pegravere et fut trouveacute coucheacute dans le dernier tombeau sur le

dernier rivage raquo Puis il revient au Peacuteguy deacutecrit en fils prodigue qui a laquo perdu la

clef de lrsquoheacuteritage raquo laquo fut trouveacute fautif raquo et donc reste esclavehellip jusqursquoagrave ce qursquoil

casse la chaicircne (Tapisserie 281)

Les quatrains qui suivent montrent un Peacuteguy qui heacutesite et doute sur la

responsabiliteacute pour ses fautes lrsquohomme est deacutepeint comme victime de

circonstances Tout cela aboutit agrave une curieuse image de Dieu qui prend la moitieacute de

ce qursquoon lui offre laquo et Dieu pris la moitieacute des orges et des bleacutes car il eacutetait

Seigneur et maicirctre du fermage raquo (Tapisserie 289) Mecircme quand Dieu reacutecolte les

gerbes laquo pour en peacutetrir le pain du Nouveau Teacutemoignage raquo la vigne laquo pour en

bouillir le sang qui saigne sans meacutelange raquo ou le bleacute pour laquo lrsquoeacuteternel pain des

anges raquo il ne prend que la moitieacute Agrave ce moment-lagrave il semble que Peacuteguy parle de lui

en fils prodigue et du travail qursquoil fait pour racheter ses fautes et louer Dieu Sauf

que tout de suite apregraves vient ce quatrain

Il fallut qursquoil advicircnt qursquoau jour du corroyage

Lrsquohomme montra sa peau sous qui battait son sang

Mais quatre trous de clous et une plaie au flanc

329

Deacutepareillaient la peau pour un commun otage (Tapisserie 291)

Ici crsquoest clairement du Christ qursquoil srsquoagit Suit la description de la quecircte

effectueacutee par le mysteacuterieux laquo homme raquo qui cherche laquo sa voie raquo et laquo son fregravere raquo

Nrsquoest-ce pas une nouvelle voie un nouveau chemin proposeacute au nouveau fils

prodigue Le fils prodigue de la parabole dans lrsquoEacutevangile selon saint Luc voulait

revenir vers son Pegravere mais il ne semblait pas se soucier de son grand fregravere Chez

Peacuteguy pour recommencer agrave zeacutero il faut drsquoabord retrouver le fregravere alors laquo il

chercha son fregravere raquo (Tapisseries 293)

Dans les versets 470-471 (laquo lrsquohomme fut deacutevoreacute dans les dents de Satan mais

on sut lrsquoen tirer raquo Tapisserie 295) apregraves une meacuteditation sur la parabole des brebis

et des beacuteliers Peacuteguy reprend toutes les images du deacutebut de poegraveme ougrave il eacutetait

question du pegravere qui rejette son fils en les transformant en image drsquoacceptation et

de pardon lrsquohomme est laquo relacirccheacute raquo on le fait entrer au festin mais aussi on lui

accorde une tombe Aussitocirct apparait la figure du traicirctre Judas avec les trente piegraveces

drsquoargent qursquoil propose pour acheter ce mecircme laquo homme raquo

Plus loin Peacuteguy eacutevoque vaguement encore un thegraveme qui lui est cher

Veacuteronique et lrsquoempreinte du visage du Christ seulement ici crsquoest Jeacutesus lui-mecircme

lrsquohomme qui agit laquo lrsquohomme coucha son corps dans la derniegravere toile et crsquoeacutetait

plus qursquoun drap et crsquoeacutetait plus qursquoun voile raquo (Tapisserie 309)

Plusieurs images encore alternent dans les quatrains qui suivent celles du

Christ celles du fils prodigue plus proches du texte de la parabole notamment avec

lrsquoimage du fils prodigue qui mange les glands pour les cochons Dans les versets

1156-1160 lrsquohomme devient soudain le voyageur attaqueacute par des brigands sauveacute

par le Bon Samaritain laquo Lrsquohomme prit mal sa courbe et chut dans le fosseacute mais le

Samaritain pencheacute sur le blesseacute lui lava les genoux les mains et le visage raquo

(Tapisserie 353) et dans le verset 1198 il devient Joseph vendu par ses fregraveres

(Tapisserie 357)

laquo LrsquoHomme raquo est aussi deacutecrit comme mort en cadavre laquo plein de terre et

bourreacute de remords et creveacute de misegravere raquo (Tapisserie 355) Peacuteguy deacutepeint un

aneacuteantissement total ougrave laquo le cœur de lrsquohomme eacutetait un vieux puits plein de boue raquo

330

et apparaicirct laquo si teacuteneacutebreacute qursquoon eucirct dit du vieux bois raquo (Tapisserie 379) Mais cette

destruction devient feacuteconde laquo Et le cœur eacutetait mur comme un raisin drsquoautomne et

le sang jaillissait comme un vin monotone raquo (Tapisserie 357) Certains versets

semblent vraiment contradictoires Peacuteguy emploie le principe du paralleacutelisme

antitheacutetique299 et laquo lrsquohomme raquo y est constamment preacutesenteacute de maniegravere ambivalente

trop grand mais trop petit trop riche mais trop pauvre

La valeur du doute comme possibiliteacute de trouver la veacuteriteacute a toujours eacuteteacute

importante chez Peacuteguy dans ces quatrains il le souligne encore une fois

laquo lrsquohomme fut rouleacute dans la boue et le doute mais de la boue on fit une nouvelle

route solide et qui menait vers un nouveau village raquo (Tapisserie 359) Lrsquoeacutediteur

du poegraveme Romain Vaissermann assimile ce village agrave la Jeacuterusalem ceacuteleste crsquoest

donc le doute qui permet drsquoy acceacuteder le doute et le mouvement

On voit bien dans ce texte combien lrsquoidentiteacute de lrsquohomme dont parle Peacuteguy

peut sembler flexible indeacutefinissable Mais on peut supposer qursquoil ne srsquoagit pas

drsquoidentiteacute floue mais bien au contraire drsquoune communion parfaite entre lrsquohomme et

Dieu lrsquohomme Peacuteguy qui bien que peacutecheur reconnait son peacutecheacute et se met dans la

peau du fils prodigue pour une parfaite peacutenitence qui lui permet drsquoecirctre un avec

Dieu Et dans lrsquoun des derniers quatrains conserveacute de ce long brouillon Peacuteguy dit

laquo crsquoest vous crsquoest moi crsquoest lrsquohomme et crsquoest tout un chacun raquo (Tapisserie 395)

Le chemin du doute de la lutte contre soi-mecircme contre le peacutecheacute en soi la voie de

lrsquoaneacuteantissement et de lrsquohumiliteacute agrave travers lrsquoimitation lrsquoidentification aux

personnages de la Bible amegravenent laquo lrsquohomme raquo agrave une communion avec le Christ ougrave

lrsquohomme devient fils de Dieu fregravere de Jeacutesus

Le monde est un le monde est uni parce que creacuteeacute par un seul Creacuteateur et parce

que ce Creacuteateur est mort pour ce monde laquo Et agrave un intervalle de plus de cinquante

siegravecles de distance le cri de la deuxiegraveme creacuteation reacutepondit agrave la parole de la premiegravere

creacuteation raquo (III 757) Dieu a creacuteeacute la terre laquo et pegravere il regardait drsquoun regard paternel

299 Agrave propos des paralleacutelismes chez Peacuteguy voir BARBIER Joseph La priegravere chreacutetienne agrave travers lrsquoœuvre de Charles Peacuteguy Paris Les eacuteditions de lrsquoeacutecole 1959 p 7-19

331

le monde rassembleacute comme un humble village raquo (OPD 1181) Tout ce qui advient

laquo et le christianisme et la chreacutetienteacute qursquoest-ce autre chose en un sens qursquoun fruit de

la terre Fructus ventris raquo (III 1340) Lrsquohistoire sainte crsquoest lrsquohistoire de tous les

humains et de toute la creacuteation donc en fait lrsquohistoire de ce monde tout le monde

sans exclusion

Dans Le Mystegravere de la chariteacute de Jeanne drsquoArc Peacuteguy fait dire agrave lrsquoamie de

Jeannette Hauviette laquo Il nrsquoy a point de reacuteveacutelations particuliegraveres [] Le bon Dieu a

appeleacute tout le monde il a convoqueacute tout le monde il a nommeacute tout le monde []

Nous sommes toutes de la maison de la mecircme maison et crsquoest Dieu qui conduit

toute la maisonneacutee Il nous a toutes appeleacutees par notre nom qui est notre nom de

baptecircme [] La priegravere est la mecircme pour tout le monde Les sacrements sont les

mecircmes pour tout le monde raquo (OPD 420-421)

Lrsquoappel de Dieu nrsquoest pas lagrave pour diviser il creacutee la communion mais les

hommes dans leur diversiteacute peuvent lrsquoeacutecouter ou non lrsquoentendre de diverses

maniegraveres reacutepondre ou non la division ne vient jamais de Dieu mecircme dans sa

distinction de lrsquoindividualiteacute drsquoune personne Hauviette poursuit laquo Il y a la

communion des saints et elle commence agrave Jeacutesus Il est dedans Il est agrave la tecircte raquo

(OPD 423) Dieu qui est preacutesent partout dans lrsquoespace et dans tous les temps voit

tout et reacuteunit tout par son regard par son eacuteterniteacute laquoTous les bourgs sont agrave Dieu sous

le regard de Dieuraquo (OPD 444) dit quelques pages plus loin Madame Gervaise

La communion agrave Dieu crsquoest un mouvement reacuteciproque de la part de lrsquohomme

crsquoest le choix de lrsquoimiter (de reproduire donc de srsquounir agrave Dieu par sa vie mecircme) le

choix de prier (donc de srsquounir agrave Dieu par le dialogue) le choix drsquoacceacuteder aux

sacrements (donc de srsquounir agrave Dieu en accueillant sa gracircce) de la part de Dieu crsquoest

lrsquoIncarnation qui rend possible lrsquoimitation les dons lrsquoEucharistie la Passion et la

Reacutesurrection mais aussi le choix terrible de deacutependre de lrsquohomme dans la mesure

ougrave laquo celui qui aime entre dans la deacutependance de celui qui est aimeacute [] Celui qui

cherche entre dans la deacutependance de celui qui est chercheacute raquo (III 1379)

Lrsquoaccomplissement de toutes les promesses de toutes les attentes crsquoest le

mystegravere de lrsquoIncarnation selon Peacuteguy le point mecircme ougrave se reacutealise la Communion

332

de saints dans toutes les significations que nous connaissons crsquoest lrsquoAnnonce faite

agrave Marie Ainsi cette communion srsquoaccomplit par Jeacutesus dans Marie la megravere de Dieu

est au cœur de la poeacutesie de Peacuteguy laquo Maicirctresse de la voie et du raccordement raquo

(OPD 1159) Tout est un dans Dieu le pegravere parce que tout vient de lui tout est un

par Egraveve parce qursquoelle est la megravere de tous les vivants mais la communion devient

parfaite avec Marie parce qursquoen elle Dieu srsquoest incarneacute Et dans Egraveve Peacuteguy parle de

Jeacutesus nouveau-neacute comme drsquoun prince qui reccediloit tout le monde ancien en heacuteritage et

engendre tout le monde nouveau

Ainsi lrsquoenfant dormait dans son premier oubli

Il allait commencer quelle immense meacutemoire

Il allait commencer quelle eacuteternelle histoire

Lrsquohistoire de tout homme en terre enseveli

[]

Il allait heacuteriter de la terre et de lrsquohomme (OPD 1070-1071)

Lrsquoannonciation crsquoest lrsquoeacuteveacutenement dans le temps et dans lrsquoespace ougrave lrsquoeacuteternel

rejoint le temporel ougrave le passeacute le preacutesent et le futur srsquounissent la reacutealisation de

toutes les propheacuteties la rencontre entre la terre et le monde surnaturel Et ce point

cet eacuteveacutenement sont situeacutes dans un eacuteternel preacutesent

333

Conclusion

Peacuteguy creacutee dans son œuvre un chronotope de la sainteteacute

Le saint habite la terre un lieu concret sur la terre il heacuterite de lrsquohistoire de ce

lieu et il en fait partie Le saint habite un pays une ville ou un village ougrave il vit ougrave il

travaille et prie precircche et souffre le martyre gueacuterit et console Apregraves sa mort il en

demeure le saint patron mais en mecircme temps il habite le Royaume de Dieu Il ne se

limite donc pas agrave creacuteer un lien entre ciel et terre mais il donne une dimension

eacuteternelle agrave la terre qursquoil a habiteacutee et en eacutelargit lrsquoespace

Du point de vue temporel le saint ne tient pas compte des regravegles de la

physique en communiquant avec ceux qui vivent des centaines drsquoanneacutees plus tard

que lui

Lrsquoeacuteveacutenement auquel participe un saint perd en partie ses frontiegraveres dans le

temps et dans lrsquoespace en srsquoeacutelargissant en devenant eacuteternel et illimiteacute en devenant

un fait non seulement de lrsquohistoire charnelle mais aussi de lrsquohistoire eacuteternelle

Par rapports agrave ses contemporains le saint est agrave la fois preacutesent et absent il est

absent par sa diffeacuterence se tenant agrave lrsquoeacutecart du monde pour ecirctre plus pregraves de Dieu Il

est preacutesent car chez Peacuteguy la sainteteacute est agissante le saint vit avec le monde dans

le monde et transfigure le monde par sa preacutesence

Gracircce agrave cette position paradoxale (dans le monde et hors du monde solitaire

mais solidaire sur la terre et au ciel temporel et eacuteternel) le saint peut accomplir sa

mission premiegravere ndash devenir un ecirctre de dialogue un laquo lieu raquo de rencontre de

carrefour celui par qui passe le dialogue entre lrsquohomme et Dieu

334

335

CONCLUSION

Au commencement de cette thegravese nous nous demandions pour quelle raison les

saints et autres personnages exemplaires heacuteros geacutenies peuplent les textes de

Peacuteguy Nous cherchions aussi agrave savoir qui sont les saints chez Peacuteguy ce qui les

distingue des autres pourquoi Peacuteguy utilise cette distinction

Si une partie de la reacuteponse se trouve tout simplement dans la personnaliteacute de

Peacuteguy son caractegravere passionneacute et sa tendance agrave ideacutealiser ses amis ses

contemporains pour une grande part lrsquoomnipreacutesence des saints et de la sainteteacute

dans lrsquoœuvre de Peacuteguy reacutepond agrave ses aspirations les plus profondes et agrave ce qursquoil voit

peut-ecirctre comme sa mission opeacuterer une reacutevolution sociale qui doit aussi ecirctre

morale Il ne peut pas lrsquoaccomplir seul et il a donc besoin de srsquoappuyer sur des

personnaliteacutes exceptionnelles ce seront les saints Les saints ne doivent pas

seulement ecirctre exceptionnels ils doivent aussi ecirctre exemplaires leur exemple doit

donner envie de les imiter afin qursquoaugmente le nombre des bacirctisseurs de la citeacute

harmonieuse Crsquoest la preacutesence de la sainteteacute dans le monde qui le reacutevolutionne ou

le transfigure elle creacutee un monde nouveau

Pour observer lrsquoeacutevolution de la penseacutee de Peacuteguy sur les saints et la sainteteacute degraves

ses premiegraveres publications par exemple dans la Revue Blanche avant la creacuteation

des Cahiers de la quinzaine jusqursquoaux deux Notes et Egraveve il convenait de travailler

sur tous les textes publieacutes de Peacuteguy crsquoest-agrave-dire sur un corpus aussi imposant

qursquoheacuteteacuterogegravene meacutelangeant prose et poeacutesie autocommentaire pamphlet note

drsquoeacutediteur preacuteface ou postface billet de geacuterancehellip Lrsquoimpreacutevisibiliteacute est lrsquoune des

caracteacuteristiques les plus eacutevidentes de lrsquoœuvre de Peacuteguy on ne peut pas savoir en

ouvrant par exemple un texte concernant les deacutesabonnements des Cahiers si

Peacuteguy nrsquoy donnera pas en passant la deacutefinition de la sainteteacute un texte sur Victor

Hugo srsquoavegravere ecirctre un texte sur Corneille etc Nous nrsquoavons donc eacutecarteacute aucun de

ses textes publieacutes en sachant toutefois que la plupart des manuscrits qui ne sont pas

336

publieacutes sont des brefs billets concernant la geacuterance des Cahiers de la quinzaine ce

qui a deacutetermineacute le choix de ne pas travailler sur les manuscrits ineacutedits

Une telle reacuteflexion sur les saints et sur la sainteteacute se heurte agrave une autre

difficulteacute lrsquoabsence parfois de commentaires de lrsquoauteur sur les sources de sa

penseacutee On trouve chez Peacuteguy des commentaires concernant lrsquoeacutecriture de la

premiegravere Jeanne drsquoArc ou quelques mots ici ougrave lagrave sur le projet des Mystegraveres les

sonnets Egraveve Il eacutevoque certains de ses inspirateurs Michelet Corneille Hugo

Bergson il parle de ses adversaires qui auraient aussi pu auparavant lrsquoinspirer

comme Renan certaines sources agrave peine nommeacutees sont toutefois eacutevidentes

comme les philosophes Platon Aristote Kant Cependant drsquoautres informations

par exemple sur les liens entre Peacuteguy et le judaiumlsme proviennent souvent

uniquement des teacutemoignages de ses amis comme celui de Jules Isaac Il est degraves lors

difficile drsquoanalyser par exemple un concept tregraves important pour notre sujet la

reacuteversibiliteacute Nous nrsquoavons pas pu trouver drsquoinformation agrave ce propos sur les lectures

de Peacuteguy srsquoil a trouveacute ce terme directement chez son principal theacuteoricien Joseph

de Maistre qursquoil ne mentionne nulle part ougrave chez Leacuteon Bloy qursquoil nrsquoappreacuteciait pas

particuliegraverement ou ailleurs

Une autre difficulteacute reacuteside dans le fait qursquoil srsquoagissait de saisir la coheacuterence de

la penseacutee de Peacuteguy alors que celle-ci est souvent paradoxale et qursquoil semble se

contredire Par exemple Peacuteguy se veut historien du preacutesent mais il nrsquoaime pas

lrsquohistoire en tant que discipline qui laquo fixe raquo le reacuteel vivant et qui en opeacuterant des

choix voue certains eacuteveacutenements agrave lrsquooubli Autre paradoxe il considegravere que la

meacutemoire et lrsquoexpeacuterience sont veacutecues dans la dureacutee mais peuvent faire obstacle agrave

lrsquoespeacuterance lrsquooubli est une forme drsquoexclusion mais peut ecirctre le berceau drsquoune

espeacuterance naissante

Malgreacute ces difficulteacutes nous avons pu suivre lrsquoeacutevolution de cette laquo sainteteacute

avant la sainteteacute raquo pour arriver agrave lrsquoideacutee drsquoune humaniteacute-amitieacute une fraterniteacute

chreacutetienne

337

Crsquoest lrsquoaspiration de Peacuteguy de creacuteer une citeacute harmonieuse qui lrsquoa pousseacute agrave

eacutecrire autant sur les saints et la sainteteacute Pour que soit possible une reacutevolution

socialiste morale ses principaux acteurs devaient atteindre une perfection morale

laquo commencer la reacutevolution du monde par la reacutevolution de nous-mecircme raquo (I 640) La

citeacute harmonieuse devait donc ecirctre constitueacutee drsquohommes de citoyens harmonieux

Pour reacutealiser ce projet Peacuteguy avait drsquoabord besoin drsquoexemples agrave imiter des

exemples harmonieux donc pas des ecirctres uniquement spirituels inhumainement

parfaits mais des ecirctres incarneacutes reacuteels exemplaires pour la vie dans la reacutealiteacute

charnelle Certes lrsquoexemple laquo par excellence raquo eacutetait Jeanne drsquoArc Mais ce nrsquoeacutetait

pas suffisant il lui fallait des exemples vivants contemporains Peacuteguy a drsquoabord

chercheacute ces exemples parmi ses amis Marcel Baudoin Bernard-Lazare ou parmi

ses contemporains plus eacuteminents et connus comme Zola ou Jauregraves

Le saint chez Peacuteguy a deux caracteacuteristiques principales crsquoest un ecirctre de

dialogue qui creacutee des ponts entre les hommes et aussi avec lrsquoau-delagrave et crsquoest un

ecirctre agissant Lrsquoun est impossible sans lrsquoautre le dialogue sans action est vain et

vide lrsquoaction sans dialogue devient violence et dictature Pour Peacuteguy vivre de

maniegravere exemplaire sainte parfaite nrsquoest pas suffisant quel que soit le degreacute

drsquoexigence il faut aussi agir changer le monde et œuvrer agrave sa transfiguration

Parmi les personnaliteacutes exemplaires que Peacuteguy choisit saintes ou non aucune nrsquoest

seulement parfaite sans une preuve par lrsquoaction

Pour lui lrsquoaction qui naicirct drsquoun dialogue change le monde On peut voir que

dans son admiration pour Zola ce que Peacuteguy admire le plus ce nrsquoest pas lrsquoœuvre en

soi le talent drsquoeacutecrivain ou la teacutemeacuteriteacute de sa conduite lors de lrsquoAffaire mais le fait

que lrsquoeacutecrivain eacutetait un pont entre le monde paysan et le monde des lettres crsquoest

lrsquohomme de dialogue et non lrsquohomme politique ou lrsquoeacutecrivain que Peacuteguy admirait

il ne voyait dans son travail drsquoeacutecrivain qursquoun atout permettant agrave Zola drsquoeffectuer

cette œuvre de dialogue Le discours de Jauregraves du 21 octobre 1886 seacuteduit Peacuteguy par

lrsquoideacutee de ne rien dissimuler au peuple donc drsquoentretenir un dialogue intense avec ce

peuple ce qui rendrait possible une action du peuple uni Crsquoest la rupture de de

dialogue que Peacuteguy ne pardonne pas agrave Jauregraves

338

Le geacutenie acteur du renouvellement ne suffit pas pour changer le monde Le

heacuteros celui qui agit en puisant la force dans sa race lorsque son entourage nrsquoose pas

agir ne suffit pas lui non plus Le heacuteros renouvelle aussi il rompt aussi lrsquohabitude

mais si le geacutenie deacutetruit lrsquohabitude mortifegravere dans la diachronie et creacutee quelque chose

qui nrsquoavait pas existeacute avant lui le heacuteros rompt lrsquohabitude dans la synchronie il

pose en effet un acte qursquoaucun de ses contemporains nrsquoest capable de poser Peacuteguy

cherche ce qui sera comme le levain de lrsquoEacutevangile repreacutesentant dans une parabole

le Royaume de Dieu ce levain laquo qursquoune femme enfouit dans trois grandes mesures

de farine jusqursquoagrave ce que toute la pacircte ait leveacute raquo (Luc 13 21) Pour Peacuteguy ce levain

capable de transformer crsquoest la sainteteacute qui change le monde Il la trouve dans le

personnage du saint qui cumule la capaciteacute du geacutenie de creacuteer le nouveau celle du

heacuteros enracineacute dans la terre la race et capable agir mais aussi celle drsquoecirctre ouvert

et docile agrave la gracircce

Peacuteguy cherchait aussi un ideacuteal de vie un exemple non seulement personnel

mais aussi une organisation de vie exemplaire Il le trouve drsquoabord dans la citeacute

antique ainsi que probablement dans le phalanstegravere de Fourier Il la trouve ensuite

dans la laquo paroisse raquo du Moyen Age dans laquo la chreacutetienteacute raquo ou plutocirct dans lrsquoaccord

harmonieux qursquoil cherche agrave creacuteer entre ces deux formes drsquoexistence de la socieacuteteacute

qui semblent ecirctre agrave lrsquoopposeacute lrsquoun de lrsquoautre

La citeacute harmonieuse va devenir citeacute de Dieu ndash communion des saints Il faut

donc des saints pour la bacirctir agissants parce qursquoune citeacute ne se construit pas toute

seule ecirctres de dialogue parce qursquoune communion ne se creacutee pas sans dialogue

ouverts agrave la gracircce et ancreacutes dans la race sauf agrave risquer de tomber dans une utopie

deacutesincarneacutee et cependant politiseacutee priveacutee de mystique

Ce but explique les vertus que Peacuteguy a privileacutegieacutees chez laquoses raquo saints il a

choisi les caracteacuteristiques requises pour les bons bacirctisseurs drsquoune citeacute harmonieuse

une citeacute de Dieu qui pourrait ecirctre incarneacute sur cette terre une communion une

amitieacute une fraterniteacute des saints

Les bons bacirctisseurs doivent bien travailler et le travail semble ecirctre une vertu

importante chez Peacuteguy Neacuteanmoins si pour Peacuteguy lrsquoaction est importante comme

339

lrsquoeffort il doit srsquoagir drsquoun effort pour le monde en utilisant la gracircce reccedilue de Dieu

et non drsquoune pratique de vertu cardinale pour atteindre Dieu laquo Les quatre

Cardinales naissent paiumlennes raquo (Ibid) et deviennent chreacutetiennes par le travail et

lrsquoeffort mais les trois Theacuteologales naissent de la gracircce par le don Le travail

drsquoordre spirituel peut selon Peacuteguy ecirctre une entrave agrave la confiance

La justice que Peacuteguy appelle parfois justesse est une sorte de diapason qui sert

agrave srsquoaccorder agrave Dieu agrave mesurer la qualiteacute de lrsquoimitation parce que crsquoest Dieu et que

chez Peacuteguy crsquoest une sorte drsquoideacuteal de comportement des hommes envers leurs

prochains Une citeacute de Dieu ne peut donc ecirctre geacutereacutee que par la loi de la justice La

liberteacute des saints est une eacutevidence si lrsquoun drsquoeux contribue agrave lrsquoœuvre de la

construction de la citeacute de Dieu par contrainte cela voudrait dire qursquoil ne travaille

pas avec amour

La veacuteriteacute est clairement une eacutevidence parce que le dialogue avec Dieu comme

avec les hommes est impossible sans veacuteriteacute les saints sont donc vrais avec eux

mecircme Dieu et autrui Le mensonge de Jeanne drsquoArc pour pouvoir quitter Domreacutemy

avec son oncle fait lrsquoobjet drsquoune longue scegravene dans la trilogie justement pour

montrer agrave quel point ce mensonge est une chose impossible pour Jeanne

Lrsquoinnocence prise dans son sens litteacuteral absence de notion de connaissances

et non pas naiumlveteacute permet de ne pas srsquoappuyer uniquement sur les acquis du passeacute

pour laisser place au geacutenie cacheacute parfois dans le saint capable de creacuteer du nouveau

Lrsquoinnocence qui remplace chez Peacuteguy la vertu theacuteologale de la foi rejoint la vertu

de lrsquoinquieacutetude juive qui ne permet pas de srsquoappuyer sur un dogme et devient aussi

un facteur important du dialogue avec Dieu les questions et donc une relation

naissent du doute Lrsquoinnocence est en quelque sorte la condition sine qua non de

lrsquoespeacuterance sur laquelle se construit la citeacute de Dieu

Dans le dernier texte de Peacuteguy la Note conjointe sur M Descartes et la

philosophie carteacutesienne il y a un passage tregraves eacutetrange drsquoun point de vue

theacuteologique mais qursquoon comprend mieux si on perccediloit les saints chez Peacuteguy dans la

perspective de la construction de la citeacute de Dieu ndash communion des saints Il srsquoagit

du passage ougrave Peacuteguy compare deux cateacutegories de saints

340

Il y a des saints que je nommerai des saints de beacuteatitude et pour ainsi dire drsquoanticipation Et il y a des saints de militation qursquoon pourrait nommer des saints de misegravere et de peine et presque des saints drsquoamertume et drsquoingratitude Les premiers seraient les plus beaux et les plus grands Mais Jeacutesus est plus proprement le patron et le modegravele des derniers (III 1392-1393)

Les saints de militation ce sont justement les bacirctisseurs de la citeacute de Dieu ceux

qui œuvrent dans le sang la sueur et les larmes ce sont les saints chez qui prime

lrsquoaction Les saints de la beacuteatitude ce sont les habitants de la citeacute ceux chez qui

prime le dialogue avec Dieu avec les hommes qui sont habiteacutes par la paix et

soucieux de transmettre la paix

Lrsquoobjectif socialiste et chreacutetien de Peacuteguy est de construire la citeacute de Dieu sur

terre la terre que nous habitons Il srsquoagit donc drsquoune citeacute qui existe dans le temps et

dans lrsquoespace elle a un passeacute un preacutesent et un futur Cependant ses frontiegraveres ne

peuvent pas ecirctre deacutefinies comme celles drsquoune simple citeacute mateacuterielle Par exemple

pour ce qui concerne lrsquoespace elle se trouve partout sur la terre ougrave un martyr est

mort ougrave un saint a veacutecu dans chaque lieu proteacutegeacute par un saint patron Ce patron se

voit confier une tacircche eacuteternelle amener au bercail dans la citeacute de Dieu toutes les

brebis eacutegareacutees du territoire qui lui est confieacute Si toutes les brebis rentrent au bercail

ce lieu devient une partie de la citeacute de Dieu qursquoon pourrait aussi selon les textes de

Peacuteguy appeler communion de saints Pour ce qui concerne le temps puisque les

saints demeurent en dialogue constant les uns avec les autres sans tenir compte des

siegravecles qui les seacuteparent la citeacute nrsquoa pas vraiment de limite temporelle la communion

des saints entre eux deacutetruit ces limites Cependant agrave lrsquointeacuterieur de cette citeacute-

communion eacuteternelle il y a la reacutevolution de la fondation la creacuteation de quelque

chose de nouveau lrsquoeacuteveacutenement qui reacuteveille qui renouvelle qui donne naissance et

du coup rend eacuteternel

Pour que rien ni personne dans ce monde ne soit exclu de la communion des

saints il faut changer le monde ce qui constitue la meilleure lutte contre

lrsquoexclusion Le saint va donc agir dans le reacuteel au preacutesent ecirctre attentif agrave

lrsquoeacuteveacutenement et accueillant agrave la gracircce et agrave la force de lrsquoespeacuterance Si Peacuteguy rejette

autant le monde moderne et lrsquoideacutee du progregraves crsquoest parce que la citeacute de Dieu ne

peut pas ecirctre bacirctie sur des deacutecombres ni des ruines Elle est construite sur un

341

heacuteritage accueilli dans une hospitaliteacute sans borne et elle nrsquoa pas peur de travailler agrave

la transfiguration drsquoun heacuteritage parfois encombrant pour qursquoil puisse entrer aussi

dans la communion On voit bien dans lrsquoœuvre de Peacuteguy comment finalement il

ne rejette rien ni de son enseignement scolaire laiumlc ni de son enseignement

religieux ni de sa formation plus tardive qui aurait pu parfois sembler contraire agrave

ses convictions Il compose avec lrsquoheacuteritage qursquoil a reccedilu mais il ne rejette rien il ne

deacutetruit pas les pierres il les travaille afin de srsquoen servir pour bacirctir Ainsi la citeacute de

Dieu inclut tout et tous dans la communion des saints dans le corps mystique du

Christ qui chez Peacuteguy est plus grand que lrsquoEacuteglise terrestre puisque Peacuteguy fait

partie de cette communion sans pour autant pouvoir faire partie de lrsquoEacuteglise

catholique Ce qui unit crsquoest lrsquoœuvre commune la Liturgie de la construction de la

citeacute le processus de la creacuteation de cette communion des saints

Le saint se tient au carrefour il est pleinement inscrit dans le preacutesent dans

lrsquoaction dans lrsquoeacuteterniteacute par lrsquoeacutecoute et lrsquoaccueil de la gracircce comme il lrsquoest dans le

passeacute et lrsquohistoire par lrsquoenracinement Il incarne ainsi le dialogue universel

Pour pouvoir agir il faut des forces surnaturelles le monde ne pousse pas agrave

une action exceptionnelle Peacuteguy se met donc agrave chercher quelles eacutetaient et quelles

sont les forces dans lesquelles puisent les heacuteros et les geacutenies pour pouvoir

commettre des actes exceptionnels et exemplaires Au cours de sa vie et au fil de

son travail il en trouve trois la race la gracircce et une troisiegraveme force plus difficile agrave

deacutefinir qui reacuteunit lrsquoespeacuterance et le renouvellement lrsquoesprit drsquoenfance dont parle

lrsquoun des inspirateurs et maicirctres de Peacuteguy Jules Michelet

Cette capaciteacute de srsquoappuyer sur des forces surnaturelles demande un don de

dialogue de lien Pour puiser dans la race il faut posseacuteder le don de lrsquoenracinement

du lien avec le passeacute et avec lrsquohistoire celle du monde celle de son pays la sienne

propre Pour puiser dans lrsquoespeacuterance de lrsquoesprit drsquoenfance il faut ecirctre ouvert au

preacutesent au reacuteel Pour accueillir la gracircce il faut devenir un ecirctre de dialogue un

dialogue agrave poursuivre avec Dieu et avec lrsquoau-delagrave

Pour pouvoir changer le monde la sainteteacute doit donc appartenir au monde y

ecirctre preacutesente par la personne du saint pleinement homme Elle doit eacutegalement

342

pouvoir lrsquoenglober drsquoun point de vue temporel ce qui suppose drsquoappartenir agrave

lrsquoeacuteterniteacute par le lien de dialogue avec lrsquoeacuteternel Lrsquoideacuteal de la chreacutetienteacute meacutedieacutevale

srsquoeacutelargit donc chez Peacuteguy vers la communion des saints qui unit toute lrsquohumaniteacute

par la reacuteversibiliteacute de gracircces

La piste qui nous semble particuliegraverement inteacuteressante agrave deacutevelopper

ulteacuterieurement dans lrsquoeacutetude de la sainteteacute chez Peacuteguy est celle des eacutetudes

compareacutees Peacuteguy nrsquoeacutetait pas le seul loin srsquoen faut agrave eacutecrire des mystegraveres en ce

deacutebut du XXe siegravecle On pourrait citer Joseacutephin Peacuteladan Henri Gheacuteon Paul

Claudel ou un peu plus tard megravere Maria Skobtsova T S Eliot GK Chesterton

Dorothy Sayers et tant drsquoautres Cette piste drsquoexigence liturgique de la litteacuterature

meacuteriterait drsquoecirctre exploreacutee pourquoi les eacutecrivains de cette fin de siegravecle tendaient-ils

agrave tel point vers une tentative de creacuteer une nouvelle liturgie par la Parole poeacutetique

Pourquoi la litteacuterature a-t-elle voulu en ce deacutebut du XXe siegravecle faire sortir la

liturgie des murs des frontiegraveres de lrsquoEacuteglise en srsquoeacutelargissant vers une laquo messe sur le

monde raquo (Teilhard de Chardin) vers une laquo liturgie hors lrsquoEacuteglise raquo (megravere Maria

Skobtsova)

Drsquoautres auteurs encore eacutecrivains ou philosophes sans se lancer dans des

tentatives drsquoeacutecritures plus ou moins liturgiques ont exprimeacute la quecircte drsquoune sainteteacute

laiumlque ou pas capable de sauver le monde Camus Leacutevinas Fedotov Berdiaev

Pasternak

Peacuteguy est un poegravete de lrsquoeacutemerveillement un eacutemerveillement qui naicirct de la

rencontre entre son acircme inhabitueacutee capable de discerner le nouveau dans ce et ceux

qursquoil rencontre ainsi que de son deacutesir drsquoimiter des personnaliteacutes exemplaires de son

ami Marcel Beaudoin au Polyeucte de Corneille de Bernard-Lazare agrave Jeanne drsquoArc

et Jeacutesus Son deacutesir de bacirctir une citeacute harmonieuse sur terre en passant par une

reacutevolution morale deacutebute dans lrsquoadmiration des exemples pour aboutir agrave la

participation de lrsquohomme peacutecheur agrave la reacutedemption du monde agrave la naissance la

fondation comme dirait Peacuteguy du royaume de Dieu par lrsquoabandon total agrave la gracircce

343

Le Christ sauve le monde en srsquoincarnant en se faisant homme en acceptant la

condition humaine et la mort et finalement en ressuscitant Le saint continue

lrsquoœuvre du salut et de la reacutedemption du monde laquo en imitant Jeacutesus raquo Le paradoxe du

saint chez Peacuteguy crsquoest qursquoil est peacutecheur il accueille la gracircce dans sa condition

drsquohomme et drsquohomme peacutecheur

Cependant sans ecirctre preacutesent dans ce monde tel qursquoil est une citeacute

disharmonieuse le saint ne peut pas selon Peacuteguy le sauver Le saint doit accueillir

la gracircce dans son cœur tout en demeurant enracineacute dans ce monde et sa meacutemoire

dans la fideacuteliteacute agrave ses ancecirctres et agrave la terre qursquoil habite et qui ainsi lui est confieacutee en

patronage

Le saint selon Peacuteguy doit discerner lrsquoaction que Dieu et le monde attendent de

lui dans la reacutealiteacute de lrsquoeacuteveacutenement tel qursquoil se preacutesente agrave lui Il ne doit pas avoir une

acircme enfermeacutee dans lrsquohabitude parce qursquoil ne saura pas alors reconnaicirctre la gracircce

qui est toujours nouvelle Pour discerner la vocation et devenir un saint agissant le

saint doit pour Peacuteguy devenir un ecirctre drsquoespeacuterance qui permet de toujours voir ce

qui est nouveau naissant

Mais nul saint ne peut sauver le monde tout seul Un ecirctre isoleacute ne saurait

accueillir toute la puissance de la gracircce divine Le saint peut srsquounir agrave Dieu dans

lrsquo laquo œuvre commune raquo de la Liturgie en lrsquoimitant dans la force et la gracircce de la

communion des saints qui fait le Corps du Christ lrsquoEacuteglise

Et mecircme si Peacuteguy dans sa vie est resteacute au porche de lrsquoEacuteglise son eacutecriture les

saints qursquoil a laquo creacuteeacutes raquo ou recreacuteeacutes dans son œuvre imitent Jeacutesus Les saints de

Peacuteguy sont des saints agissants et son œuvre appelle agrave lrsquoaction en revenant aux

sources juives de son œuvre on peut dire qursquoelle appelle au Ticcoun Olam la

reacuteparation du monde et de sa justice-justesse Ainsi par son verbe poeacutetique

( ποίησις poiacuteecircsis laquo creacuteation action de faire raquo) et laquo liturgique raquo Peacuteguy et les saints

qui apparaissent dans ses textes participent agrave lrsquoœuvre commune de la reacutedemption du

monde

344

BIBLIOGRAPHIE

Cette bibliographie recense les ouvrages citeacutes dans le corps du travail mais

aussi ceux qui ont indirectement nourri notre reacuteflexion

I Corpus primaire

Œuvres de Charles Peacuteguy

BAUDOIN Marcel et Pierre Jeanne drsquoArc drame en 3 actes Paris Librairie

des cahiers socialistes 1897

Ballade (La) du cœur poegraveme ineacutedit eacuted critique par Julie Sabiani Paris

Klincksieck coll laquo Publications de lrsquoUniversiteacute drsquoOrleacuteans UER Lettres et sciences

humaines raquo 1973

Peacuteguy tel qursquoon lrsquoignore textes choisis et preacutesenteacutes par Jean Bastaire Paris

Gallimard coll laquo Ideacutees 291 Philosophie raquo) 1973

Œuvres en prose complegravetes TI Paris Gallimard coll laquo Bibliothegraveque de la

Pleacuteiade raquo 1987

Œuvres en prose complegravetes TII Paris Gallimard coll laquo Bibliothegraveque de la

Pleacuteiade raquo 1988

Œuvres en prose complegravetes TIII Paris Gallimard coll laquo Bibliothegraveque de la

Pleacuteiade raquo 1992

Prier 15 jours avec Charles Peacuteguy [eacuted] Pierre Deruaz Paris Nouvelle Citeacute

coll laquo Prier raquo 2004

345

Eacutedition critique des laquo Sept contre Thegravebes raquo de Charles Peacuteguy Eacutedition critique

par Romain Vaissermann Avignon La Tour Saint-Jean 2010

Œuvres poeacutetiques et dramatiques complegravetes Paris Gallimard coll

laquo Bibliothegraveque de la Pleacuteiade raquo 2014

La Tapisserie de sainte Geneviegraveve et de Jeanne drsquoArc et vers ineacutedits Eacutedition

critique par Romain Vaissermann Orleacuteans Paradygme 2016

Chacircteaux de Loire et vers ineacutedits Eacutedition critique par Romain Vaissermann

Delatour France 2016

Correspondances

Charles Peacuteguy Joseph Lotte Lettres et entretiens Paris Editions de Paris 1954

Charles Peacuteguy Alain Fournier Correspondance Paysages drsquoune amitieacute par REY-

HERME Yves Paris Fayard 1973

Charles Peacuteguy Louis Boitier et le radicalisme orleacuteanais correspondance dossier

preacutesenteacute et commenteacute par Jacques Birnberg Paris Cahiers de lrsquoAmitieacute Charles

Peacuteguy diff Minard coll laquo Cahiers de lrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy 26 raquo 1976

Charles Peacuteguy et Pierre Marcel Correspondance (1905-1914) 398 textes reacuteunis

classeacutes et annoteacutes par Julie Sabiani Paris Cahiers de lrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy diff

Minard coll laquo Cahiers de lrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy 27 raquo 1980

Peacuteguy et Eacutemile Moselly introd par Alfred Saffrey correspondance eacutechangeacutee

souvenirs par Eacutemile Moselly Paris LrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy Minard 1966 coll

laquo Cahiers de lrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy 18 raquo 1966

Pour lrsquohonneur de lrsquoesprit correspondance entre Charles Peacuteguy et Romain

Rolland (1898-1914) introd et notes drsquoAuguste Martin Paris A Michel coll

laquo Cahiers Romain Rolland 22 raquo 1973

Charles Peacuteguy Andreacute Suaregraves correspondance preacutesenteacutee par Alfred Saffrey Paris

Minard coll laquo Cahiers de lrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy 14 raquo 1961

346

Peacuteguy tel qursquoon lrsquoignore textes choisis et preacutesenteacutes par Jean Bastaire Paris

Gallimard coll laquo Ideacutees 291 Philosophie raquo 1973

Charles Peacuteguy et les laquo Cahiers de la quinzaine raquo catalogue de la correspondance

I Lettres reccedilues catalogue reacutedigeacute par Franccedilois Boulard et Veacuteronique Mignan sous

la dir de Julie Bertrand-Sabiani avec la collab de Geacuteraldi Leroy Orleacuteans Presses

universitaires drsquoOrleacuteans 2000

II Corpus secondaire

BARREgraveS Maurice Les Deacuteracineacutes (1897) eacutedition critique (Jean-Michel Wittmann

amp Emmanuel Godo (eacuteds) Paris Honoreacute Champion 2004

CAMUS Albert La Peste Paris Gallimard 2012

CAMUS Albert Journaux de voyages Paris Gallimard 2013

CORNEILLE Pierre Œuvres complegravetes T1 Imprimeurs de lrsquoInstitut de France

Paris 1843

DELTEIL Joseph Jeanne drsquoArc Paris Grasset 2011

LAZARE (Bernard) Le Fumier de Job texte eacutetabli par Philippe Oriol Paris

Honoreacute Champion 1998

ROLLAND Romain Jean-Christophe Paris Albin Michel 2008

VERLAINE Paul Œuvres poeacutetiques compegravetes Paris Gallimard coll laquo La

Pleacuteiade raquo 1962

347

III Bibliographie critique

Biographies et teacutemoignages

ARCHAMBAULT Paul Charles Peacuteguy images drsquoune vie heacuteroiumlque Paris Bloud et

Gay coll laquo La nouvelle journeacutee 3 raquo 1939

AVICE Reneacute Peacuteguy pegravelerin drsquoespeacuterance Bruges Beyaert 1952

BOUDON Victor Mon lieutenant Charles Peacuteguy juillet-septembre 1914 Paris A

Michel 1964

CHAIGNE Louis Charles Peacuteguy heacuteraut de lrsquoespeacuterance Paris Eacuted des Loisirs

coll laquo Lrsquoacircme de la France raquo 1944

PREacuteVOST Gille Charles Peacuteguy et ses ancecirctres Paris Eacuteditions de la Voucircte coll

laquo Ancecirctres raquo 2002

CHRISTOPHE Lucien Le jeune homme Peacuteguy de la source au fleuve (1897-1905)

Bruxelles La Renaissance du livre 1963

ndash Les grandes heures de Charles Peacuteguy du fleuve agrave la mer (1905-1914)

Bruxelles La Renaissance du livre 1964

COUTEL Charles Petite vie de Charles Peacuteguy Descleacutee de Brouwer Paris 2013

DANIEL-ROPS Peacuteguy Paris Flammarion 1933

FRAISSE Simone Peacuteguy Paris Seuil coll Eacutecrivains de toujours 103 raquo 1979

GUILLEMIN Henri Charles Peacuteguy Paris Seuil 1981

GUYON Bernard Peacuteguy Paris Hatier coll laquo Connaissance des Lettres 55 raquo

1973

HALEacuteVY Daniel Peacuteguy Paris Pluriel 1979

ISAAC Jules Combat pour la veacuteriteacute pages choisies et textes ineacutedits preacutef drsquoAndreacute

Alba Paris Hachette 1970

ndash Expeacuteriences de ma vie [1] Peacuteguy Paris Calmann-Leacutevy 1959

348

JOHANNET Reneacute Itineacuteraires drsquointellectuels (Peacuteguy-Sorel) Paris Nouvelle

Librairie nationale 1921

ndash Vie et mort de Peacuteguy Paris Flammarion coll laquo Les grandes biographies raquo

1950

LEPLAY Michel Charles Peacuteguy Paris Descleacutee de Brouwer coll laquo Temps et

visages seacuterie Religion spiritualiteacute raquo 1998

LEROY Geacuteraldy Peacuteguy lrsquoinclassable Paris Armand Colin 2014

MARITAIN Jacques et BAILLET dom Louis Peacuteguy au porche de lrsquoEacuteglise

correspondance ineacutedite eacuted eacutetablie preacutes et annoteacutee par Reneacute Mougel et Robert

Burac preacutef par Jean Bastaire postf par Jean Schlick Paris Cerf coll laquo Textes raquo

1997

MARTIN Auguste Bergson et Peacuteguy Le dossier Bergson-Peacuteguy Paris Presses

universitaires de France coll laquo Les eacutetudes bergsoniennes 8 raquo 1968

ndash Peacuteguy et Alain-Fournier eacutevocation drsquoune amitieacute Paris LrsquoAmitieacute Charles

Peacuteguy coll laquo Cahiers de lrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy 8 raquo 1954

MAXENCE Jean-Pierre et GORODETZKY Nadejda Charles Peacuteguy textes suivis

de deacutebats au Studio franco-russe Paris Descleacutee de Brouwer 1931

MOREAU Abel DrsquoOrleacuteans agrave la Marne Charles Peacuteguy 1873-1914 Louvain M amp

L Symons Bruxelles Eacuted Foyer Notre-Dame coll laquo Convertis du XXe siegravecle raquo

1953

PEacuteGUY Marcel Le destin de Charles Peacuteguy Paris Perrin 1941

ndash Pourquoi Peacuteguy fonda les lsquoCahiersrsquo Paris Eacuted du Conquistador 1950

ndash La rupture de Charles Peacuteguy et de Georges Sorel drsquoapregraves des documents

ineacutedits Paris Cahiers de la quinzaine 1930

PEacuteGUY Pierre Peacuteguy preacutesenteacute aux jeunes Paris Gallimard 1941

PERCHE Louis Essai sur Charles Peacuteguy Paris Pierre Seghers coll laquo Poegravetes

drsquoaujourdrsquohui 60 raquo 1957

349

PORCHEacute Franccedilois Peacuteguy et les Cahiers de la quinzaine Paris C Bloch 1914

RECLUS Maurice Le Peacuteguy que jrsquoai connu avec 100 lettres de Charles Peacuteguy

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REY-HERNE Yves Charles Peacuteguy Paris Fleurus coll laquo Croyants de tous pays raquo

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ROLLAND Romain Peacuteguy Paris A Michel 2 vol 1944

ROUSSEL Jean Charles Peacuteguy preacutef de Daniel-Rops Paris Eacuted Universitaires

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SECREacuteTAIN Roger Peacuteguy soldat de la veacuteriteacute Marseille Sagittaire 1941

SUAREgraveS Andreacute Peacuteguy Paris Eacutemile-Paul 1915

SUIRE Pierre Peacuteguy Niort Impr Saint-Denis 1943

TARDIEU Marc Charles Peacuteguy biographie Paris F Bourin 1993

TEYSSIER Arnaud Charles Peacuteguy une humaniteacute franccedilaise Paris Perrin 2008

THARAUD Jeacuterocircme et Jean Lrsquoacircme de Peacuteguy Monaco Impr de Monaco 1927

ndash Notre cher Peacuteguy Paris Plon-Nourrit 1926 2 vol

ndash Pour les fidegraveles de Peacuteguy Paris Dumas 1949

VANDAMME Jean Charles Peacuteguy Bruges-Utrecht Descleacutee de Brouwer 1963

Un compagnon de Peacuteguy Joseph Lotte (1875-1914) pages choisies et notice

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AUBENQUE Jacques Images de Peacuteguy preacutef de Touny-Leacuterys Paris Luteacutetia 1942

AVICE Robert Peacuteguy pegravelerin drsquoespeacuterance Bruges Beyaert 1947

BALTHASAR Hans Urs von La gloire et la croix 2 II Styles de Jean de la Croix

agrave Peacuteguy les aspects estheacutetiques de la Reacuteveacutelation trad de lrsquoallemand

[Herrlichkeithellip II Faumlcher der Stile] par Robert Givord et Heacutelegravene Bourboulon

Paris Aubier (coll Theacuteologie 81) 1972

BANCQUART Marie-Claire Les eacutecrivains et lrsquohistoire drsquoapregraves Maurice Barregraves

Leacuteon Bloy Anatole France Charles Peacuteguy Paris A-G Nizet 1966

BARRAL Ceacuteline Le tact du poleacutemiste du local au mondial trois œuvres de

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BARBIER Joseph La priegravere chreacutetienne agrave travers lrsquoœuvre de Charles Peacuteguy Paris

Les eacuteditions de lrsquoeacutecole 1959

ndash lrsquoEgraveve de Peacuteguy Paris eacuteditions de lrsquoEcole 1963

ndash Le vocabulaire la syntaxe et le style des poegravemes reacuteguliers de Charles Peacuteguy

Paris Berger-Levrault 1957

BASTAIRE Jean et LUBAC Henri de Claudel et Peacuteguy Paris Aubier-Montaigne

1974

BASTAIRE Jean Court traiteacute drsquoinnocence [Appendice Peacuteguy et lrsquoenfance] Paris

Lethielleux Namur Culture et veacuteriteacute coll laquo Le Sycomore raquo Seacuterie laquo Chemins de

crecircte raquo 1977

ndash Peacuteguy contre Peacutetain lrsquoappel du 17 juin par Jean Bastaire Paris Eacuted

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ndash Peacuteguy lrsquoinchreacutetien Tournai-Paris Descleacutee de BrouwerProost coll

laquo Descleacuteeessai raquo 1991

ndash Peacuteguy lrsquoinsurgeacute Paris Payot coll laquo Traces raquo 1975

ndash Prier agrave Chartres avec Peacuteguy preacutef de Mgr Jacques Perrier Paris Descleacutee de

Brouwer coll laquo Prier agravehellip avechellip raquo 1993

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BEacuteGUIN Albert La priegravere de Peacuteguy Neuchatel Editions de la Baconniegravere 1942

ndash Lrsquo laquo Egraveve raquo de Peacuteguy Essai de lecture commenteacutee suivi de documents ineacutedits

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BONENFANT Joseph Lrsquoimagination du mouvement dans lrsquoœuvre de Peacuteguy

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BONNAUD-LAMOTTE Danielle Charles Peacuteguy devant la laquo reacutevolution sociale raquo

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BERNON [BRULEY] Pauline Rheacutetorique et style dans la prose de Charles Peacuteguy

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BRUNET Frantz En compagnie de Charles Peacuteguy Macirccon Impr Buguet-

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ndash La morale de Charles Peacuteguy Moulins Eacuted des Cahiers bourbonnais 1961

BURAC Robert Charles Peacuteguy la reacutevolution et la gracircce Paris R Laffont coll

laquo Biographies sans masque raquo 1994

ndash Le sourire drsquoHypatie essai sur le comique de Charles Peacuteguy Paris H

Champion coll laquo Litteacuterature de notre siegravecle raquo 1999

CAHM Eric Peacuteguy et le nationalisme franccedilais Paris Minard coll laquo Cahiers de

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CATTAUI Georges Peacuteguy teacutemoin du temporel chreacutetien Paris Eacuted du Centurion

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CHABANON Albert La poeacutetique de Peacuteguy Paris Robert Laffont 1947

CHALLAYE Feacutelicien Peacuteguy socialiste Paris Amiot-Dumont 1954

CHAMPEAUX Ernest Charles Peacuteguy philosophe chreacutetien Versailles lrsquoauteur

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CIMON Paul Peacuteguy et le temps preacutesent Ottawa Fides 1964

CLAVEL Henri Lrsquoimposture socialiste dans lrsquoœuvre de Charles Peacuteguy Paris

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COLLIGNON Bernard Pourquoi ont-ils tueacute Peacuteguy Latresne Eacuted Le bord de

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DADOUN Roger Eros de Peacuteguy la guerre lrsquoeacutecriture la dureacutee Paris Presses

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ndash Lrsquoutopie haut lieu drsquoinconscient (Lrsquoutopie et ses meacutetamorphoses)

Zamiatine Duchamp Peacuteguy Paris Sens amp Tonka coll laquo 10vingt-Essai raquo 2000

DAUDIN Claire Dieu a-t-il besoin de lrsquoeacutecrivain Peacuteguy Bernanos Mauriac

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DEJOND Thierry Charles Peacuteguy Lrsquoespeacuterance drsquoun salut universel Namur

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DUBOIS-DUMEacuteE Jean-Pierre Solitude de Peacuteguy Paris Plon 1946

DUMONT Jean-Noeumll Peacuteguy Lrsquoaxe de deacutetresse Michalon Paris 2005

FAGUER Nicolas Un constant approfondissement du cœur lrsquouniteacute de lrsquoœuvre de

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FONSEGRIVE George-Lespinasse De Taine agrave Peacuteguy lrsquoeacutevolution des ideacutees dans la

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ndash Peacuteguy et le Moyen Age Honoreacute Champion 1978

ndash Peacuteguy et la terre Paris Sang de la terre 1988

GAUCHERAND Marc Le Sens du travail dans la penseacutee de Charles Peacuteguy thegravese

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GALLI Attilio Charles Peacuteguy contestataire total Monte Carlo Regain 1972

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GROSOS Philippe) Peacuteguy philosophe Chatou Eacuted de la Transparence 2005

GUYON Bernard Lrsquoart de Peacuteguy Paris Labergerie coll laquo Cahiers de lrsquoAmitieacute

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ndash Peacuteguy devant Dieu Paris Descleacutee de Brouwer coll laquo Les eacutecrivains devant

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GUYOT Charly Peacuteguy pamphleacutetaire Neuchacirctel Agrave la Baconniegravere 1950

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HENRI Andreacute Bergson maicirctre de Peacuteguy Paris Elzeacutevir 1948

HIGAKI Juri [Julie] Peacuteguy et Pascal Les laquo trois ordres raquo et laquo lrsquoordre du cœur raquo

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KANG Seung-Hi La quecircte de lrsquoabsolu agrave travers lsquoEgraveversquo de Charles Peacuteguy et lsquoNim-Ui

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LE PRIOL Pierre-Yves En route vers Chartres Dans les pas de Charles Peacuteguy

Preacuteface de Michel Peacuteguy Le Passeur 2016

LEROY Geacuteraldi Les ideacutees politiques et sociales de Charles Peacuteguy Lille Universiteacute

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ndash Peacuteguy entre lrsquoordre et la reacutevolution Paris Presse de la Fondation

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Peacuteguy coll laquo Cahiers de lrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy 21 raquo 1968

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ndash Peacuteguy preacutesent Marseille Clairiegravere 1941

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MESTAT Jean-Paul Peacuteguy en notre temps du monde preacutef drsquoHenri Bernier Saint-

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MOELLER Charles Litteacuterature du XXe siegravecle et christianisme 4 Lrsquoespeacuterance en

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NELSON Roy Jay Peacuteguy poegravete du sacreacute essai sur la poeacutetique de Peacuteguy Paris

Minard coll laquo Cahiers de lrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy 13 raquo 1960

ONIMUS Jean Le sens de lrsquoincarnation essai sur la penseacutee de Peacuteguy Paris

Cahiers de lrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy 1950

ndash Lrsquoimage dans lrsquolaquo Egraveve raquo de Peacuteguy essai sur la symbolique et lrsquoart de Peacuteguy

Paris LrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy (coll laquo Cahiers de lrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy 7 raquo)

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ndash Peacuteguy et le mystegravere de lrsquohistoire Paris Cahiers de lrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy

1958

ndash Introduction aux trois Mystegraveres de Peacuteguy Avant-propos par Auguste Martin

Paris LrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy diff Minard coll laquo Cahiers de lrsquoAmitieacute Charles

Peacuteguy 15 raquo 1962

ndash La Route de Charles Peacuteguy Plon 1962

PEacuteGUY Marcel laquo La vocation de Peacuteguy raquo Cahiers de la quinzaine sous la

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PEacuteGUY Pierre La penseacutee de Peacuteguy preacutef par Georges Lamirand Lyon Eacuted de la

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PETIT Jacques Bernanos Bloy Claudel Peacuteguy quatre eacutecrivains catholiques face

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PFLEGER Charles Aux prises avec le Christ Peacuteguy Bloy Gide Chesterton

Dostoievski Soloviov Berdiaev Mulhouse Salvador 1949

POCQUET DU HAUT-JUSSEacute Laurent-Marie Charles Peacuteguy et la moderniteacute Essai

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PRAJS (LEacuteVRIER) Lazare Peacuteguy et Israeumll Paris A-G Nizet 1970

QUONIAM Theacuteodore Peacuteguy ou les chemins de la gracircce Paris Teacutequi coll

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ndash La penseacutee de Peacuteguy preacutef drsquoHenri Massis Paris Bordas coll laquo Pour

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SAUGER Alain Peacuteguy et la crise socialiste Tours 1971

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SECREacuteTAIN Roger Jeanne drsquoArc ou la vocation de Peacuteguy Paris Les Eacuted du

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SOULIEacute Reacutemi Peacuteguy de combat preacutef de Michaeumll Bar-Zvi Saint-Victor-de-

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SPITZER Leo Eacutetudes sur le style analyse de textes litteacuteraires franccedilais 1918-

1931 [Stilstudien II Stilsprechen] trad de lrsquoallemand par Jean-Jacques Briu Paris

Ophrys coll laquo Bibliothegraveque de lsquoFaits de languersquo linguistique raquo 2009

STORELV Sven PeacuteguyBernanos choix drsquoarticles reacuteunis par Reiclar Veland Oslo

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SUIRE Pierre Le tourment de Peacuteguy Paris R Laffont 1956

TJO Jung-Ok (Jean-Theacuteophane) Jeanne drsquoArc dans lrsquoœuvre de Peacuteguy de 1910 agrave

1914 preacutef de Simone Fraisse Taegu (Coreacutee du Sud) Universiteacute de Hyosung 1982

VADEacute Yves Peacuteguy et le monde moderne Paris Cahiers de lrsquoAmitieacute Charles

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VAISSERMANN Romain La digression dans lrsquoœuvre en prose de Charles Peacuteguy

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VALENSIN Auguste Regards sur Leacuteonard de Vinci Peacuteguy Valeacutery Claudel tII

Paris Aubier 1955

VAN ITTERBEEK Eugegravene Socialisme et poeacutesie chez Peacuteguy de la Jeanne drsquoArc agrave

lrsquoAffaire Dreyfus Paris LrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy Minard coll laquo Cahiers de

lrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy 17 raquo 1966

VIARD Jacques Philosophie de lrsquoart litteacuteraire et socialisme selon Peacuteguy Paris

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VIGNEAULT Robert Lrsquounivers feacuteminin dans lrsquoœuvre de Charles Peacuteguy essai sur

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pour notre temps Section de langue et de litteacuterature 6 raquo 1967

VITRY Alexandre de Conspirations drsquoun solitaire individualisme civique de

Charles Peacuteguy Paris Les Belles Lettres 2015

ndash Lrsquoindividu et la citeacute dans lrsquoœuvre en prose de Charles Peacuteguy thegravese soutenue agrave

Paris 4 en 2014

VOYENNE Bernard Proudhon et Dieu le combat drsquoun anarchiste Suivi

de Pascal Proudhon Peacuteguy Paris Cerf coll laquo Histoire raquo 2004

WINLING Raymond Peacuteguy et lrsquoAllemagne Lille Atelier de reproduction des

thegraveses Paris H Champion 1975 2 vol

ndash Peacuteguy et Renan aspects du drame spirituel drsquoune eacutepoque Lille Atelier de

reproduction des thegraveses Paris H Champion 1975

Numeacuteros de revues actes de colloques ouvrages collectifs recueil

drsquoarticles

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2007 [contributions P Bruley C Hussherr C Daudin D Millet-Geacuterard pegravere L-

M Pocquet du Haut-Jusseacute J-N Dumont J-P Sueur R Dadoun M Leplay]

Bergson et Peacuteguy numeacutero speacutecial Les Eacutetudes bergsoniennes t VIII 1968

laquo Cahiers (Les) de la quinzaine raquo textes reacuteunis par Simone Fraisse [contributions

J Bastaire J Bertrand-Sabiani G Blanchard S Fraisse G Leroy A Roche R

Winling] Paris Minard coll laquo La Revue des lettres modernes Charles Peacuteguy 2 raquo

1983

360

laquo Crsquoest lrsquoeacutetonnement qui compte raquo articles [L Brunelli F Pierangeli G Valente]

et interviews [J Bastaire A Finkielkraut R Pernoud cardinal G Danneels G

Andreotti] preacutef du cardinal Roger Etchegaray Rome Trenta Giorni 2001

Centenaire (Le) des lsquoCahiers de la quinzainersquo de Charles Peacuteguy in Esprit 2000-1

(janv) [contributions R Burac B Chantre D Lindenberg P Thibaud]

Centenaire de laquoNotre Jeunesse raquo in LrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy ndeg133-134 janvier-

juin 2011 [contributions J Grondeux G Leroy A de Vitry P Bruley M

Guilbaud M Leplay W Ossipow D Le Guay R Dadoun C Daudin M de Saint-

Cheacuteron Eacute Thiers R Dosiegravere]

Charles Peacuteguy cahier dir par Jean Bastaire [contributions J Bastaire H Beuve-

Meacutery J Birnberg J Brothier J Chabot R Dadoun G Dalgues A-A Devaux S

Fraisse F Gerbod B Guyon F Laichter G Lecomte G Leroy W Rabi A

Roche J Sabiani R Secreacutetain J Viard R Winling] Paris Eacuted de lrsquoHerne (coll

laquo Cahiers de lrsquoHerne raquo) 1977

Charles Peacuteguy in La Nouvelle Revue Franccedilaise 244 avril 1973 [contributions J

Bastaire J Copeau J Sabiani J Viard]

Charles Peacuteguy numeacutero speacutecial Chronique suppleacutement annuel au Bulletin de

litteacuterature eccleacutesiastique (Institut catholique de Toulouse) ndeg 3 1993

[contributions J Bastaire C Delmas Y Denis J Lyon J-C Meyer M

Montabrut B Quilhot J Sarocchi]

Charles Peacuteguy numeacutero speacutecial de la Revue des amis de saint

Franccedilois (Angoulecircme) 29 1941 contributions [J Calvet L Chaigne H Gheacuteon

G Hourdin P Messiaen R Salomeacute Y Sjoberg]

Charles Peacuteguy lrsquoeacutecrivain textes reacuteunis par Simone Fraisse [contributions R

Balibar A Barnes R Dadoun M Dufresne S Fraisse G Fritz F Gerbod G

Lecomte J Onimus] Paris Minard coll laquo La revue des lettres modernes seacuterie

Charles Peacuteguy 5 raquo 1990

Charles Peacuteguy lrsquoeacutecrivain et la politique textes eacuted par Romain

Vaissermann [contributions P Bernon G Bourgeade P Charlot L Chvedova C

361

Daudin F Lenne M Leplay S Richard F Sarter R Vaissermann] Paris Eacuted Rue

drsquoUlm diff Les Belles Lettres coll laquo Figures normaliennes raquo 2004

Charles Peacuteguy et la critique litteacuteraire Preacutef par Jacques Birnberg numeacutero speacutecial

de Australian journal of French studies (Melbourne) janvier-avril 1973

[contributions J Bastaire A Denat F Desplanques S Fraisse F Gerbod B

Guyon J Viard G Zoppi]

Charles Peacuteguy hommage du gouvernement table ronde agrave lrsquoEacutecole normale

supeacuterieure (quatre-vingtiegraveme anniversaire de la mort de Charles

Peacuteguy) [contributions F Bayrou C Daudin A Finkielkraut F Gerbod F

Leacuteotard J-F Louette] Paris Ministegravere de la deacutefense SIRPA 1995

Charles Peacuteguy poegravete de Jeanne drsquoArc numeacutero speacutecial Le Mail (Orleacuteans)

printemps 1929 [contributions M Abraham J Benda J Copeau R Dorgelegraves S

Fumet R Garric M Genevoix P Guiberteau C Lucas de Peslouumlan H de

Montherlant M Peacuteguy H Roy]

Chemins (Les) de lrsquoespeacuterance in LrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy ndeg88 octobre-deacutecembre

1999 [contributions M Leplay J Bertrand-Sabiani D Le Guay E Maakaroun

G Antoine]

Critiques (Les) de notre temps et Peacuteguy preacutesentation par Simone Fraisse [textes

R Balibar P Barbeacuteris M Barregraves A Beacuteguin A Chabanon P Duployeacute A Gide L

Gillet H Guillemin B Guyon D Haleacutevy E Mounier J Onimus M Parent A

Robinet R Rolland A Rousseaux R Secreacutetain L Spitzer Jet J Tharaud A

Thibaudet J Viard R Vigneault] Paris Garnier 1973

Dans la tradition de Peacuteguy hommage agrave Angelo Prontera textes reacuteunis par Jean-

Franccedilois Durand [contributions J Bastaire J Chabot C Daudin F Gerbod P

Grosos M Kohlhauer G Leroy J Onimus W Sarna] Montpellier Universiteacute

Montpellier III Centre drsquoeacutetude du XXe siegravecle 2002

Dialogues (Les) de lrsquohistoire textes reacuteunis par Simone Fraisse [contributions J

Brothier R Burac M Delon A-A Devaux S Fraisse F Gerbod M Leplay

362

ChG Mbock J Sabiani] Paris Minard coll laquo La Revue des lettres modernes

840-844 Charles Peacuteguy 4 raquo 1988

Eacutecrivains de la dissidence Pierre Leroux Charles Peacuteguy Boris Souvarine Textes

et photographies reacuteunies par Julie Sabiani [contributions M Abensour A Le

Bras-Chopard E Poulat P Thibaud J Verdegraves-Leroux J Viard] Orleacuteans Centre

Charles Peacuteguy coll laquo Ville drsquoOrleacuteans Centre Charles Peacuteguy 2 Colloque 1985 raquo

1987

Eacutegaliteacute(Lrsquo) au tournant du siegravecle Peacuteguy et ses contemporains actes reacuteunis par

Franccediloise Gerbod et Franccediloise Meacutelonio [contributions R Burac P Charlot J-F

Durand S Fraisse M Leplay F Meacutelonio] Paris H Champion coll laquo Champion

varia 13 raquo 1998

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Fraisse J Gaulmier M Jordan G Leroy P Pierrard J Sabiani J Viard G

Zoppi] Paris Klincksieck 1972

Egraveve (Lrsquo) de Peacuteguy in LrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy Bulletin drsquoInformation et de

Recherche ndeg36 octobre-deacutecembre 1986 [contributions Simone Fraisse Franz

Stirnimann Julie Sabiani Jean-Pierre Sueur Albert Beacuteguin Jean-Pierre Dubois-

Dumeacutee Arpad Szelpal]

Foi (la) de Peacuteguy in LrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy Bulletin drsquoInformation et de

Recherche ndeg34 avril-juin 1986 [contributions Robert Scholtus Michel Luce

Julie Sabiani Michel Leplay Franccediloise Gerbod Jean-Pierre Jossua Gilles Barnaud

Jacques Boudet Jean Bastaire]

France (Les) de Charles Peacuteguy et Jeanne drsquoArc in Esprit 1997-12 (deacutecembre)

[contributions A Badiou B Chantre F Delay A Finkiekraut]

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J Copeau R Dorgelegraves S Fumet R Garric M Genevoix P Guiberteau C Lucas

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1929

363

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Vaisserman Thanh-Vacircn Tocircn-That Elsa Godart Dominique Millet-Geacuterard Elie

Maakaroun]

Lectures de laquo Victor-Marie comte Hugo raquo textes reacuteunis par Julie Sabiani

[contributions P Citti J-F Durand S Fraisse F Gerbod J-P Haleacutevy F Lenne

G Leroy PNaudin J Sabiani] Paris Minard coll laquo La revue des lettres modernes

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Litteacuterature et socieacuteteacute recueil drsquoeacutetudes en lrsquohonneur de Bernard

Guyon [contributions J Bastaire D Bonnaud-Lamotte J Danieacutelou S Fraisse J

Gaulmier P Guiberteau G Lecomte A Le Reacuteveacuterend G Leroy A Roche J

Sabiani G Zoppi] Paris Descleacutee de Brouwer 1973

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Duployeacute A Espiau de la Maeumlstre H-M Feacuteret S Fraisse J Gaulmier H Giordan

P Guiberteau B Guyon C Guyot H Jenny M Jordan K Kurata F Laichter A

Martin RJ Nelson J Onimus T Quoniam H-D Saffrey SW Taylor P Thibaud

P Thisse Y Vadeacute J Viard] Paris Minard coll laquo Cahiers de lrsquoAmitieacute Charles

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Peacuteguy numeacutero speacutecial de Plaines et collines Chroniques de la vie et de lrsquoart en

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Bonnaud-Lamotte R Burac F Desplanques A-A Devaux Y-A Favre S Fraisse

R Francis G Fritz F Gerbod B Guyon G Leroy J Marchand J Onimus M

Peacuteguy Y Rey-Herme A Roche J Viard]

Peacuteguy Bernanos et le monde moderne histoire et liberteacute actes reacuteunis par Jean-

Franccedilois Durand [contributions M Bressolette J Chabot G Cholvy P Citti C

364

Daudin J-F Durand P Grosos J Julliard M Kohlhauer A Not A Pons J

Viard] Paris Champion coll laquo Champion-Varia 44 raquo 2000

Peacuteguy chez les protestants numeacutero speacutecial Foi et vie mars 1982 [contributions

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Peacuteguy chreacutetien in LrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy Bulletin drsquoInformation et de Recherche

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Zander J Basaire T Monod P Arnaud B Chantre]

Peacuteguy eacutecrivain colloque du centenaire de la naissance de Charles Peacuteguy Orleacuteans

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Peacuteguy et Bergson in LrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy ndeg92 octobre-deacutecembre 2000

[contributions B Chantre F Worms A Devaux J-M Rey]

Peacuteguy et lrsquoacircme charnelle in LrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy ndeg102 avril-juin 2003

[contributions R Burac E Maakaroun J-M Rey R Dadoun B Chantre M

Leplay Eacute Falque J-L Chreacutetien R Scholtus J-P Lemaire]

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Gerbod J Grondeux Eacute Thiers R Vaissermann]

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Doncoeur L Doucy G Freacutegault et J-M Parent C Franchet S Fumet H Gheacuteon

P Guiberteau A Marc E Mounier M Peacuteguy P Peacuteguy] Montreacuteal Serge 1944

Peacuteguy et le destin drsquoIsraeumll in Feuillets de lrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy ndeg156 feacutevrier

1970 [contributions T Quoniam L Khac-Riviegravere A Martin]

Peacuteguy et le judaiumlsme in LrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy Bulletin drsquoInformation et de

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Leymarie D Lindenberg J Birnberg R Dadoun M Leplay R Scholtus K Kern

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365

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Desfosseacutes P Bruley M Kopriwa C Daudin N Faguer GKeith Chaesterton

F Michel J-P Warren]

Peacuteguy face agrave lrsquoexclusion in LrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy ndeg87 juillet-septembre 1999

[contributions J Birnberg F Lenne R Burac E Maakaroun M Leplay]

Peacuteguy homme du dialogue textes reacuteunis par Franccediloise Gerbod Actes du colloque

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Bastaire J Birnberg J Chabot R Dadoun S Fraisse F Gerbod J-M Peacuteny J

Sabiani] Paris Minard coll laquo Cahiers de lrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy 28 raquo 1986

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Birnberg C Blanchet E Cahm P Duployeacute P Emmanuel S Fraisse F Laichter

R Marteau Rabi P Thibaud Y Vadeacute J Viard]

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Penseacutee de Peacuteguy Benoicirct Chantre Camille Riquier et Freacutedeacuteric Worms

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(dir) [contributions G Leroy J-P Rioux C Coutel F Bayrou R Dosiegravere J-P

Sueur A Finkielkraut J Julliard Eacute Thiers T Taiumlmanova A Kankindi J-C Vila

J Kilgore-Caradec] Toulouse Privat 2016

Poleacutemique et theacuteologie le laquo Laudet raquo textes reacuteunis par Simone Fraisse

[contributions A Barnes J Brothier A-A Devaux S Fraisse F Gerbod G

Lecomte G Leroy S Storelv] Paris Minard coll laquo La revue des lettres modernes

588-593 Charles Peacuteguy 1raquo 1980

Porche agrave lrsquoœuvre de Charles Peacuteguy avec des Lettres ineacutedites de Peacuteguy et la fin

drsquolaquo Egraveve raquo par une eacutequipe de jeunes eacutecrivains catholiques [contributions A

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Portraits litteacuteraires de notre temps sous la dir de Christophe Geffroy numeacutero

speacutecial de La Nef hors seacuterie ndeg 16 nov 2004 [contributions Y Avril Y Chiron

Dom Geacuterard S Lapaque M Toda]

Reacuteception (La) de Charles Peacuteguy en France et agrave lrsquoeacutetranger Ville drsquoOrleacuteans Centre

Charles Peacuteguy 3ecolloque international Textes et iconographies reacuteunis par Julie

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Bastaire F Berthezegravene J Birnberg J Boudet R Burac A Carlino P Citti R

Dadoun G Dalgues E DrsquoAmico G Dandurand F Danin Y-A Favre F

Fiorentino M Forcina S Fraisse F Gerbod J-Y Gueacuterin G Invitto L La Puma

M Leplay G Leroy M Luce W Marois F Meacutelonio T Olafsdottir-Ergun J-M

Peacuteny HR Picard GA Roggerone M Schumann A Stanca P Vergine K

Watanabe N Wilson R Winling M Winock] Orleacuteans Centre Charles Peacuteguy

1991

Rencontres avec Peacuteguy Autour drsquoun centenaire (1873-1973) actes du colloque de

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[contributions G Antoine F Desplanques A-A Devaux S Fraisse G Lecomte

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1975

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Chauchard H Contamine J Delaporte S Fumet B Guyon]

Voix de Peacuteguy eacutechos reacutesonances actes du colloque de Cerisy 30 juin ndash 7 juillet

2014 publ sous la dir de Jeacuterocircme Roger [contributions J Roger A de Vitry

C Coustille A Bonord R Scholtus M Gouttefangeas V Angers Eacute Benoit

A Marangoni M Nakazato C Coutel D Labouret P Bruley V Aubert S Siad

M Hasse T Victoroff J Kilgore-Caradec N Faguer J Higaki M de Saint-

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theacuteologie (suite) p 221-234

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ndash laquo Les laquo personnaliteacutes raquo cacheacutees dans le discours poleacutemique de Peacuteguy raquo

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Italien

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PRONTERA Angelo Ipotesi e proposte esistenziali introduzione a Peacuteguy con

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Russe

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доктора филологических наук СПб 2006 (на правах рукописи))

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ed de lrsquoUniversiteacute de Saint-Petersbourg 2006 (Тайманова Т С Шарль Пеги

философия истории и литература СПб Филологический факультет СПбГУ

Изд-во С-Петерб Ун-та 2006)

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- LrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy (bulletin drsquoinformations et de recherches jusqursquoen 1998) 1978 et suiv

- Courrier drsquoOrleacuteans (Centre Charles Peacuteguy drsquoOrleacuteans) 1961-1985

- Le Porche bulletin de lrsquoAssociation des Amis de Jeanne drsquoArc et Charles Peacuteguy de Saint-

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III Bibliographie geacuteneacuterale

Theacuteorie de la litteacuterature

Monographies recueils drsquoarticles actes de colloques ouvrages collectifs

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Историческая поэтика М 2013)

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1991

GREIMAS Algirdas Julien Seacutemantique structurale Paris Larousse 1966

JAMES Henry LrsquoArt de la fiction Paris Kliencksieck 1973

KHALISEV Valentin Les Orientations axiologiques de la litteacuterature classique

russe Moscou 2005 (ВЕ Хализев Ценностные ориентации русской классики

Москва 2005)

PROPP Vladimir Morphologie du conte Paris Seuil 1970

SOURIAU Eacutetienne Les deux cent mille situations dramatiques Paris Flammarion

1950

TAMARCHENKO Nathan Terminologie litteacuteraire mateacuteriaux pour un dictionnaire

Moscou 2003 (НД Тамарченко Литературоведческие термины Материалы

к словарю Москва 2003)

TODOROV Tzvetan Symbolisme et interpreacutetation Paris Seuil1978

VESELOVSKY Alexandre Poeacutetique historique Moscou 1989 (Веселовский

АН Историческая поэтика М 1989 )

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Articles et chapitres

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(dir) Dictionnaire litteacuteraire encyclopeacutedique Moscou 1987 (ВИ Масловский

laquo Литературный герой raquo dans ВМ Кожевников ПА Николаев

Литературный энциклопедический словарь Москва 1987)

Histoire de la litteacuterature

Monographies recueils drsquoarticles actes de colloques ouvrages collectifs

BONORD Aude Les laquohagiographes de la main gaucheraquo Variations de la vie de

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CITTI Pierre Contre la deacutecadence Histoire de lrsquoimagination franccedilaise dans le

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COLLONGES Julien SCHWEITZER Jeacuterocircme VICTOROFF Tatiana (dir) 1914

La Mort des poegravetes Charles Peacuteguy Ernst Stadler Wilfred Owen Catalogue de

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LEROY Geacuteraldi Batailles drsquoeacutecrivains litteacuterature et politique 1870-1914 Paris A

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SAPIRO Gisegravele La Responsabiliteacute de lrsquoeacutecrivain litteacuterature droit et morale en

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TEULADE Anne Le saint mis en scegravene Cerf Paris 2012

Articles et chapitres

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Nancy De Boccard Paris (coll laquo Eacutetudes anciennes 20 raquo) 1999

TEULADE Anne laquo Corneille et le theacuteacirctre hagiographique un moment singulier

dans la penseacutee de lrsquoeffet tragique raquo in Preacutesence de Corneille Mazouer Charles

(dir) Tuumlbingen Gunter Narr laquo Œuvres et critiques XXX 2 raquo 2005 p 55-66

WITTMANN Jean-Michel laquo Lrsquoartiste et le ldquodevoir absolu drsquoecirctre un saintrdquo Gide

face au soleil de Claudel raquo Bulletin de la Socieacuteteacute Paul Claudel 2015 ndash 1 ndeg 215

p 57-69

ndash laquo La Porte eacutetroite et la question de la ldquosainteteacute en artrdquo raquo Bulletin des Amis

drsquoAndreacute Gide ndeg 164 vol XXXVII octobre 2009 p 501-512

Histoire histoire des ideacutees ethnographie

Monographies recueils drsquoarticles actes de colloques ouvrages collectifs

ANGENOT Marc Histoire des ideacutees Presses universitaires de Liegravege coll

laquo Situations 5 raquo 2014

BALIBAR Etienne et WALLERSTEIN Emmanuel Race nation classe Les

identiteacutes ambiguumles Paris La Deacutecouverte 1988

BUSEKIST Astrid von Nations et nationalismes Paris Armand Colin 1998

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CENTILIVRES Pierre (dir) Saints Sainteteacute et Martyre La fabrication de

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Maison des sciences de lrsquohomme 2001

COMPAGNON Antoine Les Antimodernes de Joseph de Maistre agrave Roland

Barthes Paris Gallimard coll laquo Essai Folio raquo 2016

DELANNOI Gil et TAGUIEFF Pierre Andreacute (dir) Theacuteories du nationalisme

Nation nationaliteacute ethniciteacute Ed Kimeacute dis PUF 1992

FARGO Arlette Des Lieux pour lrsquohistoire Seuil 1997

FEDOTOV Georges Les Saints de la Russie Ancienne Moscou 2000 (ГП

Федотов Святые древней Руси Москва 2000)

GIRARDET Raoul Mythes et mythologies politiques Seuil 1986

ndash Nations et nationalismes Bruxelles Complexe 1996

GUGELOT Freacutedeacuteric La conversion des intellectuels au catholicisme en France

(1885-1935) Paris CNRS Editions 2010

HARTOG Franccedilois Reacutegime drsquohistoriciteacute preacutesentisme et expeacuterience du temps

Seuil 2012

LANEacuteRY DrsquoARC Pierre Le Livre drsquoor de Jeanne drsquoArc Bibliographie raisonneacutee et

analytique des ouvrages relatifs agrave Jeanne drsquoArc catalogue meacutethodique descriptif

et critique des principales eacutetudes historiques litteacuteraires et artistiques consacreacutees agrave

la Pucelle drsquoOrleacuteans depuis le XVe siegravecle jusqursquoagrave nos jours Paris Leclerc et

Corman 1894

MIQUEL Pierre Lrsquoaffaire Dreyfus Paris PUF laquo Que-sais-je raquo 9e eacuted 1996

REBEacuteRIOUX Madeleine CANDAR Gilles (dir) Jauregraves et les intellectuels Paris

Les eacuteditions de lrsquoAtelier 1994

THIESSE Anne-Marie La creacuteation des identiteacutes nationales Europe XVIIIe-XXe

siegravecle Paris Seuil 2001

PEILLON Vincent Jean Jauregraves et la religion du socialisme Paris Grasset amp

Fasquelles 2000

385

RENAN Ernest Qursquoest-ce qursquoune nation Postface de Nicolas Tenzer Paris

Eacuteditions Mille et une nuits coll laquo La Petite Collection raquo ndeg178 1997

Articles et chapitres

BERNARD LAZARE (Lazare Marcus Manasseacute BERNARD) laquo Lrsquooppression des

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Huitiegraveme cahier de la troisiegraveme seacuterie Paris feacutevrier 1902

REacuteTAT Claude laquo Jules Michelet lrsquoideacuteologie du vivant raquo Romantisme 20054 (ndeg

130) p 9-22

VIALLANEIX Paul laquo Michelet le magistegravere de lrsquohistorien raquo in Cahiers de

lrsquoAssociation internationale des eacutetudes francaises 1995 Ndeg47 p 247-264

ndash laquo Pierre Leroux theacuteologien socialiste (agrave propos de La Gregraveve de Samarez) raquo

Romantisme 1981 ndeg32 Philosophies p 75-80

Philosophie sociologie anthropologie

Monographies recueils drsquoarticles actes de colloques ouvrages collectifs

ARISTOTE Eacutethique agrave Nicomaque Preacutesentation et notes de Richard Bodeacuteuumls Paris

Flammarion 2004

BERGSON Henri Dureacutee et simultaneacuteiteacute Paris PUF 2009

CAUSSE Jean-Daniel et REY-FLAUD Henri (dir) Croyance et communauteacute Paris

Bayard 2010

DERRIDA Jacques Adieu agrave Levinas Paris Galileacutee 1997

DOSSE Franccedilois Renaissance de lrsquoeacuteveacutenement Un deacutefi pour lrsquohistorien entre

sphinx et pheacutenix Paris PUF coll laquo Le nœud gordien raquo 2015

ndash La marche des ideacutees Histoire des intellectuels histoire intellectuelle Paris

Eacuteditions La Deacutecouverte 2003

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DUFLO Colas Le Jeu une approche philosophique BIGREL Franccedilois La

performance humaine art de jouer art de vivre Les eacuteditions du CREPS Aquitaine

2006

DUFOURMANTELLE Anne La vocation propheacutetique de la philosophie Paris

Serf 1998

ESWARDS Michel De lrsquoeacutemerveillement Paris Fayard 2008

HUGUES Micheline Lrsquoutopie Paris Nathan 1999

JACCARD Jean-Philippe PODOROGA Ioulia (dir) laquo Temps ressenti raquo et temps

construit dans les litteacuteratures russe et franccedilaise au XXe siegravecle Paris Kimeacute 2013

KUON Peter PEYLET Geacuterard Lrsquoutopie entre eutopie et dystopie en hommage agrave

Claude-Gilbert Dubois Pessac Presses Universitaires de

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MARC Alexandre Proudhon textes choisis [textes preacutesenteacutes en parallegravele avec des

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MICHELET Jules Le Peuple Paris Comptoir des eacutediteurs reacuteunis 1846

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ONIMUS Jean Essai sur lrsquoeacutemerveillement Paris PUF 1990

PASCAL Blaise Penseacutees Le livre de poche coll laquo Les classiques du

poche raquo 2000

PLATON La Reacutepublique trad Georges Leroux Flammarion 2016

RICOEUR Paul La Meacutemoire lrsquohistoire lrsquooubli Le Seuil 2000

SCHOPENHAUER Arthur Le Monde comme volonteacute et comme repreacutesentation

trad A BURDEAU Paris PUF 1966

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SELLIER Philippe Le Mythe du heacuteros Paris-Bruxelles- Montreacuteal Univers des

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2007

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Articles et chapitres

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INDEX

A ALBERT Jean-Pierre 150 231 239 ALBOUY Pierre 42 AMBROISE DE MILAN (saint) 112 308 ANTOINE Eacutemile 62 ARISTOTE 20 59 87 95 136 336 AUGUSTIN (saint) 112 286 308 324 AVENARD Etienne 36 AVERINTSEV Sergueiuml 23 313 AVICE Reacuteneacute 156 AVRIL Yves 290

B BAAL SHEM TOV (Rabbi Israeumll ben Eliezer Besht)

100 BAILLET Louis 119 BAKHTINE Mikhaiumll 20 23 165 BARBIER Joseph 259 BARREgraveS Maurice 63 80 302 305 306 BARTET Julia 64 265 BASILE LE GRAND 308 BAUDOIN [Peacuteguy] Charlotte 184 BEAUDE Pierre-Marie 284 BEAUDOIN Marcel 342 BEAUMARCHAIS Pierre Augustin Caron de 297 BEacuteDARIDA Franccedilois 190 196 BEacuteGUIN Albert 150 282 283 299 BENDA Julien 101 103 BEacuteRANGER Pierre-Jean de 223 BERDIAEV Nicolas 181 342 BERGSON Henri 15 51 54 183 184 185 188 190

191 196 208 223 243 267 272 336 342 BERNANOS Georges 7 16 BERNARD-LAZARE (Lazare Marcus Manasseacute

Bernard) 5 14 44 90 96 103 108 122 125 127 128 130 141 142 143 215 223 224 232 233 248 251 254 255 260 265 266 267 294 307 337 342

BERNON [BRULEY] Pauline 29 191 225 282 312 BIDAUT Camille 199 BIRON Georges Gordon 22 BIZEUL Yves 252 BLOY Leacuteon 336 BLUM Leacuteon 47 142 BOBIN Christian 16 BONORD Aude 6 19 BOULGAKOV Mikhaiumll 22 BREacuteMOND Claude 20 BROIumlTMANN Samson 23

C CAMUS Albert 6 16 342 CAUSSE Jean-Daniel 291 294 298 CENTILIVRES Pierre 27 CHABANON Albert 270 CHALLAYE Feacutelicien 87 CHANTRE Benoicirct 269 270 CHAPUT Heacutelegravene 147 CHEVALIER Jean-Freacutedeacuteric 12 CHESTERTON Gilbert Keith 342 CICEacuteRON 112 CIMON Paul 183 CITTI Pierre 25 133 216 217 CLAUDEL Paul 342 CLEMENCEAU Georges 89 CLEacuteMENT DE ROME (saint) 207 COMPAGNON Antoine 259 CONGAR Yves 26 27 CORNEILLE Pierre 14 27 38 41 43 46 47 52 53

54 55 56 57 59 60 61 90 106 122 129 163 174 270 306 317 324 335 342

COULANGES Fustel de 189 COUTEL Charles 250 CUVELIER Elian 291

D DANIEacuteLOU Jean 305 DAUDIN Claire 7 8 95 118 DEBIDOUR Victor-Henri 26 DECROP Geneviegraveve 288 DEJOND Thierry 235 DELAPORTE Jean 135 183 228 240 247 271 DEacuteLAUNAY Alain 285 DELTEIL Joseph 19 DEacuteRICQUEBOURG Reacutegis 239 DERRIDA Jacques 6 DESCARTES Reneacute 223 DEVAUX Andreacute 235 DICKENS Charles 19 DOSTOIumlEVSKI Fedor 16 DREYFUS Alfred 29 30 35 36 84 122 127 143

182 215 233 248 266 290 294 297 DUBOIS-DUMEacuteE Jean-Pierre 41 238 DUFLO Colas 51 DUFOURMANTELLE Anne 229 230 DUMONT Jean-Noeumll 45 73 75 87 241 247 264 DUPLOYEacute Pie 9 11 12

393

E ELIOT Thomas Stearns 342

F FACKENHEIM Emil 98 FAGUER Nicolas 13 FARGO Arlette 240 FAVRE Geneviegraveve 138 FEacuteDIER Franccedilois 236 FEDOTOV Georges 24 182 342 FEUILLET Michel 285 FINKIELKRAUT Alain 134 FOURIER Charles 286 FOWLIE Wallace 170 FRAISSE Simone 11 64 205 226 289

G GAUCHERAND Marc 92 136 137 GENEVIEgraveVE (sainte) 8 9 14 25 28 128 130 136

141 149 150 151 153 154 155 156 157 158 161 162 163 164 166 167 169 171 172 173 174 175 177 178 182 260 266 267 269 283

GERBOD Franccediloise 41 44 47 48 49 51 54 57 165

GHEacuteON Henri 7 342 GIRARDET Raoul 209 GOETHE Johann Wolfgang 22 GOETSCHEL Pascale 240 GRANER Christophe 240 GREacuteGOIRE LE GRAND (saint) 112 GREacuteGOIRE DE NAZIANZE (saint) 308 GREIMAS Algirdas Julien 20 GRONDEUX Jeacuterocircme 189 191 GROSOS Philippe 103 271 GUESDE Jules 97 GUET Michel 286

H HALEacuteVY Daniel 54 84 138 198 HARTOG Franccedilois 184 189 HELOU Roula 84 HENRI Andreacute 199 248 HERR Lucien 47 62 142 HIGAKI Julie [Juri] 253 283 HUGO Victor 14 41 42 55 197 217 223 270 297

306 335 336 HUSSON Laurent 215 216 HYPATIE 44 192 265

I IBN EZRA (Rav Abraham ben Meir ibn Ezra) 104 ISAAC Jules 98 336 IZARD Georges 237

J JAMES Henri 20 JAUREgraveS Jean 5 14 31 32 33 34 35 36 37 63 64

80 96 106 190 337 342 JEANNE DARC (sainte) 19 25 29 139 141 264

265 324 337 342 JOHANNET Reacuteneacute 310 311 JOINVILLE Jean de 55 108 137 267 268 269 318

K KANT Emmanuel 87 191 223 301 KEMPIS Thomas 71 KHALISEV Valentin 21

L LANEacuteRY DARC Pierre 199 LANGLOIS Charles-Victor 188 190 LAUDET Fernand 9 10 106 198 201 202 255

256 257 258 268 317 318 320 LAUGIER Sandra 15 LAVERGNE Antonin 47 LAVISSE Ernest 188 189 190 LECOMTE Guy 250 LEPLAY Michel 319 LEROY Geacuteraldy 87 289 LEacuteTHEL Franccedilois-Marie 10 LEVINAS Emmanuel 6 342 LOTTE Joseph 11 53 103 131 144 178 227 282

301 316 328 LOUIS (saint) 8 9 10 14 25 26 28 44 108 130

137 138 139 178 260 265 267 268 269 276 311 318

LOUIS DE GONZAGUE (saint) 79 LOURIA Isaac 106 LUCE Simeacuteon 199

M MAIumlMONIDE (Moshe ben Maiumlmon Ha Rambam)

102 MAISTRE Joseph de 105 319 336 MARC Alexandre 12 MARITAIN Jacques 106 113 118 MARTIN SANZ Teresa 39 52 MARTINEZ Luis 230 MARX Carl 190 MASLOVSKY Vladimir 19 MAUROIS Andreacute 159 MENDEgraveS Catulle 63 MICHELET Jules 27 29 37 38 39 41 42 45 46

66 183 188 189 191 199 205 267 306 336 MILLET (les) 223 224 MONOD Gabriel 189 MOREacuteAS Jean 16 MOUNET-SULLY (Jean-Sully Mounet) 64 132 265 MOUNIER Emmanuel 194 239 282

394

O ONIMUS Jean 71 86 145 185 235 248 252 ORIGEgraveNE 98 308

P PASCAL Blaise 49 101 102 105 126 223 253

300 301 324 PASTERNAK Boris 342 PEacuteGUY Marcel 317 PEacuteGUY Pierre 130 PEILLON Vincent 96 PEacuteLADAN Joseacutephin 7 342 PERCHE Louis 65 PHILIPPE LE BEL 139 PLATON 59 82 95 123 223 286 288 301 336 PLOTIN 183 POCQUET DU HAUT-JUSSEacute Laurent-Marie 10 83

317 POTEBNIA Alexandre 166 324 POULET Charles 130 PRAJS Lazare 98 101 PROPP Vladimir 20

Q QUICHERAT Jules 199 QUONIAM Theacuteodore 27 60

R RABBI HIYA (Ben Abba bar Karssela bar Sela) 102 RABI Wladimir 107 RACHI (Rabbi Chlomo ben Itzhak Ha Tzarfati) 104 RACINE Jean 46 55 122 RAPHAEL Blanche 54 144 311 REacuteBEILLEacute-BORGELLA Marie 16 RENAN Ernest 11 99 183 188 189 190 336 RIBY Jules 199 RICHER Edmond 199 RIQUIER Camille 243 ROBINET Andreacute 313 ROE Glen 262 ROLLAND Romain 64 86 271 316 ROUSSEAU Andreacute 132 ROUSSEL Jean 11

S SABIANI Julie 114 SAPIRO Gisegravele 25 SAYERS Dorothy 342

SCHMAIumlN-VELIKANOV Anna 110 SCHOLTUS Robert 51 SCHOPENHAUER Arthur 16 SCHUMANN Maurice 265 SECREacuteTAIN Roger 12 SEIGNOBOS Charles 188 190 SELLIER Phillipe 44 SKOBTSOVA Maria 342 SOPHOCLE 63 264 SOREL Georges 46 48 190 SPIRE Andreacute 129 STEVENSON Robert Louis 21 STORELV Sven 288 SUIRE Pierre 138

T TAIumlMANOVA Tatiana 184 189 198 236 241 267 TAINE Hippolite 183 188 189 TAMARCHENKO Nathan 20 TEILHARD DE CHARDIN Pierre 342 TERTULLIEN 308 THIERS Eric 209 246 THIESSE Anne-Marie 217 309 THOMAS DAQUIN (saint) 112 284 THOMASSET Alain 82 113 136 TODOROV Tzvetan 20 TOLSTOIuml Leacuteon 16 TOURNIER Michel 16

V VADEacute Yves 259 VAISSERMANN Romain 63 66 199 265 271 325

330 VALENSIN Auguste 311 VALLET DE VIRIVILLE Auguste 199 VAUCHEZ Andreacute 230 285 VERLAINE Paul 7 VERMANDER Benoicirct 56 VESELOVSKI Alexandre 23 VLADIMIROVA Anna 72 VON BALTHASAR Hans Urs 9 270 VOYENNE Bernard 12

W WALLON Henri 199 WEBER Max 27 231 238 239

Z ZOLA Emile 30 86 337

395

INDEX THEMATIQUE

A action 17 21 26 28 31 32 33 34 35 39 41 42 47

50 52 53 72 73 75 85 86 87 88 89 95 109 115 116 128 130 131 133 136 142 157 189 192 194 197 205 209 210 216 238 239 240 241 242 244 246 252 254 266 276 278 279287 305 320 337 338 340 341 343

agissant (s) agissante (s) 8 65 73 81 95 153 239 252 333 337 338 343

amitieacute 11 36 52 101 122 135 142 150 182 198 204 224 261 314 315 316 317

ancecirctre (s) 37 40 131 135 187 215 216 217 218 219 220 222 223 224 225 228 229 302 305 309 343

C chariteacute 69 70 72 81 86 91 97 110 111 112 115

118 122 145 208 209 220 235 238 251 291 294 295

charnel charnelle 7 8 55 98 100 106 107 108 129 134 177 204 226 228 229 253 295 301 333

chreacutetienteacute 3 11 12 79 99 117 132 133 199 202 246 288 306 307 308 314 316 321 322 323 324 331 338

chroniqueur 56 137 181 188 200 205 206 267 268 269 318

citeacute 5 7 33 42 53 57 58 82 86 87 91 92 106 137 159 179 203 204 209 218 219 220 222 264 270 282 286 287 288 289 290 291 292 294 295 296 297 298 299 300 301 302 304 305 306 308 312 315 316 338 339 341 342 343

citeacute harmonieuse 7 15 17 81 82 87 89 91 92 93 105 131 220 221 286 290 292 295 297 298 299 302 304 337 338 340

communauteacute 44 61 79 87 98 99 105 135 137 216 238 250 251 264 270 282 285 291 292 294 299 308 312 319

communion des saints 10 14 57 74 79 140 177 182 202 203 204 206 219 238 246 251 255 257 259 260 264 265 269 272 282 283 284 292 294 297 310 311 313 314 316 317 318 319 320 322 324 331 338 339 341 342 343

confiance 64 71 77 78 80 90 102 113 118 120 210 238 246 253 262 310

D deacuteracinement 108 134

dialogue 5 14 20 22 23 24 27 28 40 46 48 61 67 71 104 179 181 230 231 238 240 250 251 265 266 309 319 331 333 337 339 340 341 342

dureacutee 40 41 51 52 62 103 112 120 121 127 133 136 148 169 183 184 185 186 187 188 190 194 195 196 198 200 202 203 206 207 208 210 215 217 218 220 225 226 236 237 239 246 262 272 298 300 301 302 308 309 310 312 336

E Eacuteglise 6 8 11 13 14 57 65 76 77 79 80

121135137 149 159 174 177 182 186 188 204 209 210 219 247 263 264 265 284 289 290 292 293 294 295 298 299 307 313 314 215 316 319 321 322 324 341 343

enracinement 108 130 131 132 133 134 135 140 170 191 204 226 259 283 305 341

entiteacute 12 48 292 301 305 espeacuterance 26 30 41 53 59 75 78 80 81 85 93

112 115 116 117 118 119 120 121 122 157 176 177 181 187 205 206 207 208 210 212 213 214 218 233 250 253 262 283 285 294 298 304 307 309 310 312 313 317 321 336 339 341 343

eacuteternel eacuteternelle 12 24 39 42 49 50 53 57 89 93 100 120 122 134 138 154 170 177 181 186 187 192 195 204 209 218 226 229 231 235 237 241 243 245 246 247 267 268 269 270 301 302 303 310 312 313 314 315 317 320 324 332 333 340 342

eacuteterniteacute 10 14 39 49 50 52 120 132 135 147 170 186 187 188 204 210 218 229 232 235 237 249 251 269 291 303 308 310 321 324 331

eacuteveacutenement (s) 17 33 34 39 43 45 50 51 52 53 54 55 73 74 82 84 85 95 97 103 120 122 124 128 129 134 187 188 189 190 191 192 193 194 195 196 198 200 201 202 203 204 205 206 218 219 225 229 234 236 238 239 240 241 242 243 244 245 246 247 248 249 250 252 262 267 268 269 270 300 305 308 309 317 332 333 340 343

exclusion 28 47 127 133 253 256 288 289 290 292 293 312 314 317 320 331 336 340

exemplariteacute 6 14 24 25 26 27 28 32 46 255 335 337 338 342

exemples 5 7 8 26 29 35 43 64 80 182 268 283 318 342

396

F feacuteconditeacute 13 50 219 306 fideacuteliteacute 53 85 90 108 110 121 125 135 148 155

170 172 206 207 224 225 227 240 246 261 268 269 302 306 316 322 323 343

foi 11 12 14 26 53 71 72 73 81 101 102 112 115 119 121 122 123 125 131 133 142 170 181 215 238 246 253 256 261 284 321 324 339

fondateur fondation 100 215 216 218 219 220 222 224 225 228 247 248 340 342

fraterniteacute 37 87 91 250 295 305 306 307 315 321 340

G geacuteneacuterations 34 40 44 104 133 198 215 220 237

310 geacutenie 13 14 22 27 29 36 37 38 39 40 41 42 44

46 77 128 182 202 203 206 218 252 253 258 270 303 307 309 335 338 339 341

gracircce 8 10 33 41 46 48 49 51 52 53 54 55 56 57 58 59 60 62 73 74 77 88 93 105 110 111 112 113 114 119 125 126 128 130 135 139 140 148 159 179 185 186 196 203 204 219 225 227 235 236 237 239 241 250 252 253 260 262 267 269 302 305 313 317 318 319 324 331 338 339 341 342 343

gracircces 26 48 77 105 251 255 256 264 319 320 gracieacute 235

H habitude 50 55 59 93 112 126 186 196 261 262

307 338 343 heacuteritage 35 76 98 100 102 112 131 133 134 138

140 141 143 156 157 158 206 208 215 219 220 221 222 223 225 228 237 298 299 300 301 302 305 307 312 321 322 325 327 328 332 341

heacuteritier (s) 37 100 106 133 167 179 181 216 221 222 223 224 226 234 300 310

heacuteroiumlsme 14 28 43 45 46 47 49 50 51 52 53 54 55 57 58 60 61 64 84 174 300 306

heacuteros 6 14 15 21 22 26 27 28 42 43 44 45 46 47 48 49 50 51 52 53 55 57 58 59 60 61 64 65 66 67 70 73 80 85 90 111 128 130 174 179 181 182 202 203 206 215 216 237 252 258 261 265 302 303 307 335 338 341

histoire 10 14 15 25 37 39 41 46 49 50 51 52 53 57 67 70 73 82 97 102 107 131 133 134 135 150 151 161 162 167 168 169 175 176 177 178 179 181 183 184 185 188 189 190 191 192 193 194 195 196 197 198 199 200 201 202 203 204 205 206 207 208 209 210 211 212 213 218 223 226 228 229 230 231 232 233 235 236 237 241 247 248 255 259 260 265 267 270 283 299 300 305 306 307

309 310 311 312 313 318 322 332 333 336 341

hospitaliteacute 114 208 240 250 251 289 341

I imitation 10 24 44 45 56 64 71 93 113 116 136

137 141 147 182 186 202 203 204 206 225 227 234 235 237 243 251 253 257 263 268 269 271 296 299 303 308 316 317 318 330 331 339

Incarnation 10 15 37 40 49 52 58 61 93 146 160 181 201 202 203 206 225 227 231 235 236 237 238 252 265 282 296 298 308 318 320 331

innocence 30 56 79 80 119 121 122 123 182 209 215 248 294 339

inquieacutetude 52 70 90 95 101 102 103 104 114 152 153 339

intercession 10 26 48 52 56 57 59 135 154 185 263 264 265 279 282 283 284 317

J justesse 81 85 110 232 260 270 297 339 341 343 justice 29 31 36 81 83 84 85 86 87 88 89 91 92

95 97 105 107 110 112 122 128 138 142 143 153 197 208 209 220 232 260 266 270 291 295 297 298 306 339 343

L liberteacute 8 13 27 29 52 87 88 89 91 92 104 123

125 134 138 139 170 181 186 193 210 221 230 262 273 283 298 303 306 316 339

M meacutemoire 39 40 44 50 52 98 99 128 133 141 150

167 175 181 183 184 185 186 187 188 190 192 194 195 196 197 198 201 202 203 204 205 206 208 209 214 216 217 218 219 221 224 227 228 234 237 247 248 255 294 300 302 304 305 306 307 309 321 322 323 332 336 343

meneur 29 31 32 33 34 37 meacuterites 26 77 105 202 256 283 313 318 319 320 modegravele 6 8 25 27 31 80 139 141 142 143 144

145 147 148 257 268 269 moderniteacute 10 217 302 monde moderne 10 99 190 194 253 259 260 261

262 263 302 340 mystique 5 12 29 83 89 94 96 109 111 114 122

129 136 139 143 182 183 189 190 197 209 224 226 236 248 253 261 266 270 284 287 288 301 302 308 321 323

397

O ordre 26 51 91 124 162 168 203 210 240 266

268 312 313 316

P paroisse 72 79 80 99 109 115 131 137 141 338 patronage 130 135 138 172 178 187 316 343 personnaliteacutes 5 14 28 32 33 41 80 193 237 247

252 335 337 342 peuple 3 21 28 29 34 37 39 40 41 42 44 46 50

53 62 64 65 66 71 80 92 94 98 99 100 104 107 109 131 133 134 137 138 169 174 175 176 184 186 189 192 193 197 201 212 215 226 229 230 231 232 233 234 247 255 263264 265 266 267 279 297 301 302 303 305 307 308 309 320 321 322

politique 5 27 28 29 32 42 80 81 89 110 122 139 182 183 189 190 196 197 209 230 236 253 256 259 270

preacutesent 8 14 27 40 50 51 52 54 75 82 85 87 93 95 99 119 120 122 137 147 181 185 186 187 188 189 191 192 193 194 195 196 200 203 204 206 207 208 210 215 216 220 230 234 235 237 240 241 245 247 248 250 254 259 260 262 268 269 270 271 278 286 302 308 309 310 324 332 333 336 340 341 343

prophegravete 31 32 50 142 153 164 189 215 229 230 231 232 233 240 251 266 267

Q qacircdosh qodesh 15 16 74 200

R race 39 40 44 46 48 49 50 51 52 53 55 73 125

130 131 133 134 135 141 146 161 174 178 179 184 186 192 196 197 205 206 215 217 219 222 223 225 226 232 235 247 250 270 295 300 301 302 305 306 307 308 309 316 319 321 338 341

racine (s) 3 16 100 115 131 132 133 134 135 146 160 186 192 205 206 226 253 260 262 291 295 301 302 303 306 313

reacutealiteacute 21 34 35 37 41 46 51 55 82 85 90 93 124 129 181 185 192 193 201 216 236 239 246 247 248 260 268 287 288 298 336 343

reacutedemption 10 15 116 117 159 320 342 343 reacuteel 7 25 32 33 34 35 49 74 82 85 89 90 124

129 184 185 192 195 197 202 203 206 208 229 230 235 236 237 240 250 259 260 270 298 304 336 340 341

renouvellement 41 72 81 93 112 117 120 121 148 187 190 203 205 218 226 247 249 253 259 262 296 303 312 317 324

reacutepeacutetition 81 112 120 186 202 226 242 262 306 307 313

reacuteversibiliteacute 52 105 204 251 255 256 264 293 319 320 322 336 342

reacutevolution 5 8 15 26 34 35 42 83 89 92 96 105 110 193 246 247 248 262 290 335 337 342

S Sain (s) santeacute 8 50 82 91 101 208 220 221 299 saint (s) patron (s) 130 131 135 136 137 138 139

140 141 142 143 148 149 178 179 215 224 268 315 316 333 340

salut 10 45 55 80 98 99 100 105 109 116 117 118 140 145 151 152 154 158 159 162 174 198 208 209 214 222 238 243 256 263 264 280 283 288 300 307 317 328 343

socialiste 5 10 11 12 13 47 58 83 86 92 105 111 190 208 288

souffrance 71 95 102 103 107 108 114 125 127 146 159 161 191 249 266 319 320

spirituel 8 12 49 55 129 183 198 220 229 237 243 247 252 253 270 284 285 298 305

surnaturel surnaturelle 3 28 55 72 100 107 125 131 133 201 204 239 332

systegravemes 5 21 32 90 248

T teacutemoignage 23 40 59 63 66 88 97 98 107 170

193 205 224 237 268 269 285 318 322 teacutemoin 7 24 40 59 76 107 137 141 162 163 164

167 171 172 188 193 195 200 204 240 244 255 267 268 269 319

temporel temporelle 10 12 42 44 49 50 51 53 55 57 84 97 111 123 134 136 170 183 186 188 195 218 202 206 209 218 222 226 229 231 235 237 241 245 246 247 252 265 268 270 300 301 303 304 305 309 310 316 319 322 324 332 333 340 342

temps 6 7 8 14 15 27 43 44 45 48 50 51 52 54 55 58 59 75 89 97 124 132 133 134 136 167 168 169 170 183 184 185 186 187 188 189 190 191 192 193 195 200 201 202 203 204 205 207 209 210 211 212 213 215 218 219 220 227 230 232 233 235 236 237 240 241 242 244 250 251 252 253 257 259 267 269 270 272 282 285 288 296 297 299 303 308 310 311 313 315 316 320 321 322 324 331 332 333

terre 3 10 22 24 30 57 64 77 79 85 100 108 109 116 119 120 124 131 132 133 134 135 136 140 141 157 160 161 175 179 187 188 192 204 206 207 209 212 213 226 228 229 232 235 237 238 239 255 284 303 306 309 310 312 313 314 316 322 329 332 333 340 342 343

Ticcoun Olam 105 106 107 109 136 343 transmission 34 99 134 193 208 219 221 229 travail 7 9 12 17 25 30 34 40 43 46 78 80 86

89 91 92 93 94 101 110 114 120 130 131 134

398

136 137 140 142 143 145 153 154 155 160 177 183 192 195 198 199 206 213 223 224 225 246 248 257 265 294 296 306 315 316320 328 339

U uniteacute 12 13 39 48 95 165 190 283 285 288 295

298 300 301 308 312 314 utopie 5 208 209 286 287 288 292

V veacuteriteacute 31 36 44 48 49 51 82 83 84 86 87 88 89

90 96 97 103 106 107 110 119 124 143 153

193 197 200 209 232 233 242 246 248 253 256 260 261 265 266 270 294 297 298 330 339

vertu (s) 10 26 34 50 64 75 78 81 82 83 84 85 87 88 89 91 92 95 97 98 99 102 103 105 108 109 111 112 113 114 115 116 119 121 122 123 124 125 128 129 130 136 138 140 162 171 179 182 202 222 238 246 250 254 255 261 262 270 296 306 318 319 321 328 338 339

vie cacheacutee 10 44 66 202 255 256 257 317 vocation 29 51 63 65 66 72 73 74 85 86 90 97

107 108 109 116 124 125 136 137 140 141 143 153 193 204 206 209 228 229 230 243 244 245 246 257 259 265 277 280 296 343

399

INDEX DES ŒUVRES DE PEacuteGUY

A Affaire Dreyfus et la Crise du parti socialiste (Lrsquo) 122 A nos amis agrave nos abonneacutes 109 194 236 316 Argent (Lrsquo) 261 Argent suite (Lrsquo) 111 298

B Ballade du cœur qui a tant battu 113 163 325 Brunetiegravere 99

C Chanson du roi Dagobert (La) 282 Chacircteaux de la Loire (Les) 281 Compte rendu du congregraves 194 Crise du parti socialiste et lrsquoaffaire Dreyfus (La) 63

297

D De Jean Coste 46 De la citeacute socialiste 96 208 221 289 De la grippe 101 243 De la raison 11 De la situation 46 49 50 De la situation faite agrave lrsquohistoire dans la philosophie

geacuteneacuterale du monde moderne 194 De la situation faite agrave lrsquohistoire et agrave la sociologie dans

les temps modernes 194 De la situation faite au parti intellectuel dans le monde

moderne devant les accidents de la gloire temporelle 46 123 194

Deuxiegraveme eacuteleacutegie XXX Contre les bucirccherons de la mecircme forecirct 295

Dialogue de lrsquohistoire et de lrsquoacircme charnelle 44 134 186 196 202 203 217 218 233 236 249 261 286 290 303 325

Dialogue de lrsquohistoire et de lrsquoacircme paiumlenne 42 205

E Encore de la grippe 8 94 98 105 123 126 Egraveve 105 116 128 149 150 173 175 176 204 212

213 214 225 228 248 254 282 283 298 301 306 312 332 335

H Heureux les systeacutematiques 32 90 298

I Il ne faut pas dire 205 316

J Jeanne drsquoArc 3 4 8 9 10 14 19 26 28 29 30 39

44 45 46 48 53 54 55 62 63 64 65 66 67 68 69 70 71 72 76 78 80 83 85 95 96 108 111 118 124 125 128 130 132 136 138 139 140 151 152 156 158 159 161 162 173 174 178 182 198 199 200 201 206 209 214 241 244 245 246 248 251 254 258 260 263 264 265 267 268 269 271 272 273 281 283 318 322 323 325 335 336 342

(Aacute Domreacutemy) 65 70 242 245 248 254 273 274 277 280 293

(Batailles (Les)) 66 67 95 111 251 254 278 (Rouen) 63 66 69 280 315

L Les sept contre Thegravebes 281 Lettre du provincial 106 Louis de Gonzague 106 123 129 141 210 222 224

240 299

M Marcel ou le dialogue de la citeacute harmonieuse 5 42

87 91 96 148 194 208 220 221 222 237 239 248 256 272 286 287 289 295 296 302 304 305 316 317

Mystegravere de la chariteacute de Jeanne drsquoArc (Le) 3 9 44 54 69 70 71 72 75 76 80 83 85 99 109 111 115 116 117 118 129 132 140 145 187 200 202 207 212 244 251 258 259 265 266 268 274 275 276 280 281 293 307 315 320 331 336

Mystegravere de la vocation de Jeanne drsquoArc (Le) 70 74 85 115 116

Mystegravere des saints Innocents (Le) 58 76 88 115 116 118 121 122 207 281 325 336

N Note conjointe sur M Descartes et la philosophie

carteacutesienne 58 60 86 101 103138 181 186 225 233 237 261 262 304 306 335 336 339

400

Note sur M Bergson et la philosophie bergsonienne 302 335 336

Notre Jeunesse 42 53 54 84 90 94 96 97 103 108 122 125 127 142 143 189 198 223 224 233 251 254 260 266 293

Notre Patrie 37 302 305 Nouveau theacuteologien monsieur Fernand Laudet (Un)

10 72 108 121 122 124 118 136 139 181 201 202 207 254 258 296 295 313 318

O Orleacuteans vu de Montargis 94

P Par ce demi-clair matin 37 39 247 Pierre commencement dune vie bourgeoise 93 124

296 Porche du mystegravere de la deuxiegraveme vertu (Le) 76 115

118 144 147 149 181 262 281 312 335 336 Preacuteparation du congregraves socialiste national (La) 185 Preacutesentation de la Beauce agrave Notre Dame de Chartres

135 144 196

Q Quatre Priegraveres dans la catheacutedrale de Chartres 148

R Reacutecentes œuvres de Zola (Les) 30

S Sainte Geneviegraveve patronne de Paris 149 163 266

282 Sonnets du laquo correspondant 281 Suppliants parallegraveles (Les) 194 247 264 265

T Tapisserie de Notre Dame (La) 148 213 282 Tapisserie de sainte Geneviegraveve et de Jeanne drsquoArc (La)

125 149 150 200 225 282 298 315 325 Textes formant dossiers 297 Toujours de la grippe 111 250 263

U Un Poegravete lrsquoa dit 89 142 232 307 308

Z Zangwill 89 194

401

TABLE DES MATIERES

Remerciements 2

Abreacuteviations 4

Conventions 4

Introduction 5

Probleacutematique 9

Meacutethode 15

Partie I Le saint chez Peacuteguy 18

Introduction 19

CHAPITRE I EXEMPLARITEacuteS 25

1 Les laquo Meneurs raquo 28

a) Eacutemile Zola 30

b) Jean Jauregraves 31

2 Le saint et le geacutenie 37

3 Le saint et le heacuteros 43

a) Polyeucte 45

b) Jeanne drsquoArc 62

4 Le Mystegravere de la chariteacute de Jeanne drsquoArc trois exemples de sainteteacute 71

CHAPITRE II Les vertus selon PEacuteguy 81

1 Les vertus socialistes 82

a) Peacuteguy ndash preux chevalier du socialisme 83

b) La justice la liberteacute et la veacuteriteacute 87

c) Le travail 92

2 Les vertus juives 98

a) Le salut la meacutemoire et le charnel 98

b) Lrsquoinquieacutetude juive 101

c) Le Ticcoun Olam 105

d) La souffrance 107

e) La sainteteacute juive 110

3 Les vertus chreacutetiennes 112

a) La Ballade du cœur qui a tant battu 113

b) La Chariteacute 115

402

c) LrsquoEspeacuterance 116

d) La foi et lrsquoinnocence 121

e) Le courage lrsquoobeacuteissance et lrsquohumiliteacute 123

f) La sainte mort 125

CHAPITRE III Les saints patrons 130

1 Le saint patron comme acteur de lrsquoenracinement 131

a) Les saints patrons et leur travail 136

b) Saint Louis 137

c) Jeanne drsquoArc patronne de France 139

d) Bernard-Lazare saint patron des laquo Cahiers de la quinzaine raquo 141

e) La vierge Marie ndash megravere de tous les humains patronne de la France 143

2 Sainte Geneviegraveve patronne de Paris 149

a) Les tapisseries de sainte Geneviegraveve et de Jeanne drsquoArc 149

b) Sainte Geneviegraveve patronne de Paris 163

c) Egraveve 173

Conclusion 179

Partie II Une sainteteacute pour le temps preacutesent 180

Introduction 181

CHAPITRE IV Le temps de la sainteteacute 183

1 La sainteteacute et lrsquohistoire 188

a) Histoire et meacutemoire 194

b) La fideacuteliteacute et la dureacutee 206

2 Le saint comme ancecirctre et comme prophegravete 215

a) Le fondateur 218

b) Lrsquoheacuteritage 219

c) Adam et Egraveve 225

d) La propheacutetie 229

CHAPITRE V La saintetEacute dans le prEacutesent 235

1 Lrsquoaction du saint dans le monde 238

a) Le saint au cœur de lrsquoeacuteveacutenement 239

b) Lrsquoeacuteveacutenement de la reacutevolution et lrsquoeacuteveacutenement de la mort 246

c) La preacutesence du saint dans le monde 249

2 Le saint agrave lrsquoeacutecart du monde 252

a) La solitude du saint 253

b) La vie cacheacutee des saints 255

c) La sainteteacute contre le monde moderne et le progregraves 259

403

3 Du suppliant antique au priant 263

a) Lrsquointercession 264

b) Le teacutemoin le veilleur le chroniqueur 267

c) Invocation versus imitation 269

CHAPITRE VI Communion des saints 284

1 La Citeacute Harmonieuse et le Royaume de Dieu selon Peacuteguy 286

a) Lrsquoutopie 286

b) Engagement contre lrsquoexclusion 288

c) LrsquoEacuteglise et la citeacute 290

2 Autour de qui de quoi la communion des saints se construit elle 294

a) Eacutegaliteacute et fraterniteacute 295

b) Lrsquoœuvre commune 296

c) Justice justesse et veacuteriteacute ndash centre de la citeacute cœur de la communion 297

3 Enracinement 298

a) Heacuteritage 298

b) Meacutemoire 302

4 Lrsquoacircme commune 304

a) Le peuple de Dieu 305

b) lrsquoEacuteglise ndash corps mystique du Christ 307

c) Lrsquoespeacuterance 310

d) Lrsquoordre et la dureacutee 312

5 LrsquoEacuteglise ndash communion des saints 313

a) Eacuteglise triomphante Eacuteglise militante Eacuteglise souffrante 314

b) Lrsquoamitieacute 316

c) Lrsquoimitation ndash incarnation de la communion 317

d) La reacuteversibiliteacute 319

e) La chreacutetienteacute 321

6 Communion agrave Dieu 323

a) La communion aux sacrements et aux choses saintes 324

b) La communion par filiation 325

Conclusion 333

Conclusion 335

Bibliographie 344

I Corpus primaire 344

Œuvres de Charles Peacuteguy 344

Correspondances 345

404

II Corpus secondaire 346

III Bibliographie critique 347

Biographies et teacutemoignages 347

Monographies critiques 349

Numeacuteros de revues actes de colloques ouvrages collectifs recueil drsquoarticles 359

Articles et chapitres 367

Sites et revues 380

III Bibliographie geacuteneacuterale 381

Theacuteorie de la litteacuterature 381

Histoire de la litteacuterature 382

Histoire histoire des ideacutees ethnographie 383

Philosophie sociologie anthropologie 385

Theacuteologie et histoire des religions 388

V Dictionnaires 390

Index 392

Index Theacutematique 395

Index des œuvres de Peacuteguy 399

Table des matiegraveres 401

405

  • Titre
  • Remerciements
  • INTRODUCTION
  • Premiegravere partie Le saint chez Peacuteguy
    • CHAPITRE I EXEMPLARITEacuteS
      • 1 Les laquo Meneurs raquo
        • a) Eacutemile Zola
        • b) Jean Jauregraves
          • 2 Le saint et le geacutenie
          • 3 Le saint et le heacuteros
            • a) Polyeucte
            • b) Jeanne drsquoArc
              • 4 Le Mystegravere de la chariteacute de Jeanne drsquoArc trois exemples de sainteteacute
                • CHAPITRE II LES VERTUS SELON PEacuteGUY
                  • 1 Les vertus socialistes
                    • a) Peacuteguy ndash preux chevalier du socialisme
                    • b) La justice la liberteacute et la veacuteriteacute
                    • c) Le travail
                      • 2 Les vertus juives
                        • a) Le salut la meacutemoire et le charnel
                        • b) Lrsquoinquieacutetude juive
                        • c) Le Ticcoun Olam
                        • d) La souffrance
                        • e) La sainteteacute juive
                          • 3 Les vertus chreacutetiennes
                            • a) La Ballade du coeur qui a tant battu
                            • b) La Chariteacute
                            • c) LrsquoEspeacuterance
                            • d) La foi et lrsquoinnocence
                            • e) Le courage lrsquoobeacuteissance et lrsquohumiliteacute
                            • f) La sainte mort
                                • CHAPITRE III LES SAINTS PATRONS
                                  • 1 Le saint patron comme acteur de lrsquoenracinement
                                    • a) Les saints patrons et leur travail
                                    • b) Saint Louis
                                    • c) Jeanne drsquoArc patronne de France
                                    • d) Bernard-Lazare saint patron des laquo Cahiers de la quinzaine raquo
                                    • e) La vierge Marie ndash megravere de tous les humains patronne de la France
                                      • 2 Sainte Geneviegraveve patronne de Paris
                                        • a) Les tapisseries de sainte Geneviegraveve et de Jeanne drsquoArc
                                        • b) Sainte Geneviegraveve patronne de Paris
                                        • c) Egraveve
                                          • Deuxiegraveme partie Une sainteteacute pour le temps preacutesent
                                            • CHAPITRE IV LE TEMPS DE LA SAINTETE
                                              • 1 La sainteteacute et lrsquohistoire
                                                • a) Histoire et meacutemoire
                                                • b) La fideacuteliteacute et la dureacutee
                                                • a) La fin de lrsquohistoire
                                                  • 2 Le saint comme ancecirctre et comme prophegravete
                                                    • a) Le fondateur
                                                    • b) Lrsquoheacuteritage
                                                    • c) Adam et Egraveve
                                                    • d) La propheacutetie
                                                        • CHAPITRE V LA SAINTETEacute DANS LE PREacuteSENT
                                                          • 1 Lrsquoaction du saint dans le monde
                                                            • a) Le saint au coeur de lrsquoeacuteveacutenement
                                                            • b) Lrsquoeacuteveacutenement de la reacutevolution et lrsquoeacuteveacutenement de la mort
                                                            • c) La preacutesence du saint dans le monde
                                                              • 2 Le saint agrave lrsquoeacutecart du monde
                                                                • a) La solitude du saint
                                                                • b) La vie cacheacutee des saints
                                                                • c) La sainteteacute contre le monde moderne et le progregraves
                                                                  • 3 Du suppliant antique au priant
                                                                    • a) Lrsquointercession
                                                                    • b) Le teacutemoin le veilleur le chroniqueur
                                                                    • c) Invocation versus imitation
                                                                        • CHAPITRE VI COMMUNION DES SAINTS
                                                                          • 1 La Citeacute Harmonieuse et le Royaume de Dieu selon Peacuteguy
                                                                            • a) Lrsquoutopie
                                                                            • b) Engagement contre lrsquoexclusion
                                                                            • c) LrsquoEacuteglise et la citeacute
                                                                              • 2 Autour de qui de quoi la communion des saints se construitelle
                                                                                • a) Eacutegaliteacute et fraterniteacute
                                                                                • b) Lrsquooeuvre commune
                                                                                • c) Justice justesse et veacuteriteacute ndash centre de la citeacute coeur de la communion
                                                                                  • 3 Enracinement
                                                                                    • a) Heacuteritage
                                                                                    • b) Meacutemoire
                                                                                      • 4 Lrsquoacircme commune
                                                                                        • a) Le peuple de Dieu
                                                                                        • b) lrsquoEacuteglise ndash corps mystique du Christ
                                                                                        • c) Lrsquoespeacuterance
                                                                                        • d) Lrsquoordre et la dureacutee
                                                                                          • 5 LrsquoEacuteglise ndash communion des saints
                                                                                            • a) Eacuteglise triomphante Eacuteglise militante Eacuteglise souffrante
                                                                                            • b) Lrsquoamitieacute
                                                                                            • c) Lrsquoimitation ndash incarnation de la communion
                                                                                            • d) La reacuteversibiliteacute
                                                                                            • e) La chreacutetienteacute
                                                                                              • 6 Communion agrave Dieu
                                                                                                • a) La communion aux sacrements et aux choses saintes
                                                                                                • b) La communion par filiation
                                                                                                  • Conclusion
                                                                                                  • BIBLIOGRAPHIE
                                                                                                  • INDEX
                                                                                                  • TABLE DES MATIERES
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AVERTISSEMENT

Ce document est le fruit dun long travail approuveacute par le jury de soutenance et mis agrave disposition de lensemble de la communauteacute universitaire eacutelargie Il est soumis agrave la proprieacuteteacute intellectuelle de lauteur Ceci implique une obligation de citation et de reacutefeacuterencement lors de lrsquoutilisation de ce document Dautre part toute contrefaccedilon plagiat reproduction illicite encourt une poursuite peacutenale Contact ddoc-theses-contactuniv-lorrainefr

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1

Eacutecole Doctorale Fernand Braudel (ED 411)

THEgraveSE

Preacutesenteacutee le 27062017 agrave Metz En vue de lrsquoobtention du grade acadeacutemique de

DOCTEUR DE LrsquoUNIVERSITEacute DE LORRAINE EN LANGUE ET

LITTEacuteRATURE FRANCcedilAISES

Par MARIE VEacuteLIKANOV

Neacutee le 18 deacutecembre 1982 agrave Boulogne-Billancourt (France)

La sainteteacute chez Charles Peacuteguy

Jury de la thegravese

Mme Tatiana TAIumlMANOVA rapporteur

Professeur agrave lrsquoUniversiteacute drsquoEtat de Saint-Peacutetersbourg chevalier des Arts et des Lettres Mme Carole AUROY rapporteur

Professeur agrave lrsquouniversiteacute drsquoAngers M Denis PERNOT examinateur

Professeur agrave lrsquoUniversiteacute Paris XIII M Elena DI PEDE examinateur

Professeur agrave lrsquouniversiteacute de Lorraine M Jean-Michel WITTMANN directeur

Professeur agrave lrsquoUniversiteacute de Lorraine

2

Cette thegravese est deacutedieacutee agrave la meacutemoire de Tatiana OUGRIMOFF (1934-2004) Neacutee en France dans une famille drsquoeacutemigreacutes russes de la premiegravere vague elle est venue en URSS avec ses parents en 1946 a surveacutecu aux reacutepressions par miracle et a consacreacute ensuite toute sa vie agrave la transmission lrsquoenseignement de la culture et de la langue franccedilaise Elle mrsquoa fait deacutecouvrir et aimer Charles Peacuteguy quand jrsquoavais 13 ans Sans elle ce travail nrsquoaurait jamais eu lieu

Remerciements

Je remercie le professeur Jean-Michel WITTMANN qui a accepteacute de diriger

cette thegravese Son attention ses conseils toujours tregraves preacutecis ont eacuteteacute preacutecieux il mrsquoa

guideacutee et aiguilleacutee dans les moments de doutes je suis profondeacutement reconnaissante

pour son accompagnement du preacutesent travail

Je tiens aussi agrave exprimer ma reconnaissance aux directeurs successifs du Centre

de recherche ECRITURES le professeur Jean-Freacutedeacuteric CHEVALIER et le

professeur Pierre HALEN de leur soutien de leur preacutesence mais aussi de leurs

conseils meacutethodologiques et des ideacutees de lectures qui ont nourri ma reacuteflexion

Je remercie eacutegalement tous ceux et celles qui ont accepteacute de relire ma thegravese

Charles Beiss Riwanon Rimlinger Romain Vaissermann Marie-Noeumllle Pane

Je tiens agrave remercier en particulier Romain Vaissermann sa capaciteacute de reacutepondre

du tac au tac par teacuteleacutephone agrave des questions parfois tregraves pointues concernant tel ou

tel emploi de mot chez Peacuteguy mrsquoa beaucoup impressionneacute

Je remercie le pegravere Robert Scholtus qui a geacuteneacutereusement mis agrave ma disponibiliteacute

sa grande bibliothegraveque peacuteguyste je le remercie aussi pour ses encouragements et

nos discussions sur Peacuteguy tregraves enrichissantes

Merci aux doctorantes du centre de recherche ECRITURE qui sont devenues

de vraies amies Riwanon Rimlinger Maria-Vittoria Martino et Safa Morabbi

Merci agrave mon mari Serguey Volyuzhskiy sans lui sans son aide deacutevoueacutee et

aimante je nrsquoaurai jamais pu terminer ce travail Je remercie eacutegalement mon fils

Elie qui a su malgreacute son jeune acircge faire preuve de beaucoup de patience

3

laquo [hellip] dans cette chreacutetienteacute dans ce peuple chreacutetien la sainteteacute poussait pour ainsi

dire toute seule simple et srsquoignorant elle-mecircme non point travailleacutee par des exercices des forcements de serre mais litteacuteralement en pleine terre comme une fleur du pays comme une plante vigoureuse et vivace fille du terroir naturelle en ce sens autant que surnaturelle et qui enfonccedilait dans le sol des racines drsquoune profondeur incroyable [hellip] raquo

Charles Peacuteguy Texte de preacutesentation de lrsquoeacutedition de 1910 du Mystegravere de la Chariteacute de Jeanne drsquoArc

Œuvres poeacutetiques et dramatiques complegravetes Paris Gallimard laquo Bibliothegraveque de la Pleacuteiade raquo 2014 p 623

4

Abreacuteviations

I ndash Œuvres en prose complegravetes TI Paris Gallimard laquo Bibliothegraveque de la

Pleacuteiade raquo 1987

II ndash Œuvres en prose complegravetes TII Paris Gallimard laquo Bibliothegraveque de la

Pleacuteiade raquo 1988

III ndash Œuvres en prose complegravetes TIII Paris Gallimard laquo Bibliothegraveque de la

Pleacuteiade raquo 1992

OPD ndash Œuvres poeacutetiques et dramatiques complegravetes Paris Gallimard

laquo Bibliothegraveque de la Pleacuteiade raquo 2014

Tapisserie ndash La Tapisserie de sainte Geneviegraveve et de Jeanne drsquoArc et vers ineacutedits

Orleacuteans Paradigme 2016

Conventions

Traduction Sauf mention contraire les traductions sont de notre fait

Caractegraveres italiques et majuscules non conventionnelles Les italiques et les

lettres majuscules dans les citations reproduiront systeacutematiquement celles du texte

original

Nous alleacutegeons au maximum les reacutefeacuterences les indications complegravetes se trouvent en

bibliographie

5

INTRODUCTION

Pourquoi Peacuteguy eacutecrit-il tant sur les saints Pourquoi deacutecrit-il des amis des

personnaliteacutes dont il srsquoeacutemerveille agrave la maniegravere drsquoun hagiographe en les laquobeacuteatifiantraquo

en quelque sorte par ses textes La creacuteation des exemples agrave suivre est un acte qursquoon

retrouve souvent dans ses eacutecrits ou les publications qursquoil choisit pour figurer dans

les Cahiers de la quinzaine

En eacutecartant des reacuteponses laquopsychologisantesraquo on peut trouver une reacuteponse dans

les textes de Peacuteguy en commenccedilant par les tout premiers notamment par Marcel ou

le dialogue de la citeacute harmonieuse Crsquoest une utopie certes mais qui nrsquoest pas

seulement fondeacutee sur une future socieacuteteacute imagineacutee penseacutee elle se fonde sur les

personnes qui en font partie qui la construisent la citeacute eacutetant constitueacutee de ses

citoyens Agrave propos des deacutebuts de son engagement socialiste Peacuteguy eacutecrivait laquo Cette

ideacutee simple et vivace eacutetait que nous devons commencer de vivre en socialistes que

nous devons commencer la reacutevolution du monde par la reacutevolution de nous-mecircmes raquo

(I 640) Il nrsquoa jamais renieacute son engagement premier laquo nous ne renierons jamais un

atome de notre passeacute raquo (III 550) Toute son œuvre cherche agrave contribuer agrave la

construction drsquoune socieacuteteacute nouvelle drsquoougrave personne nrsquoest exclu ougrave la morale et la

mystique emportent sur la politique et les systegravemes

Degraves le deacutebut Peacuteguy a compris que pour changer il vaut mieux suivre un

exemple ses premiers textes des Cahiers sont des reacuteflexions sur la neacutecessiteacute ou

pas de laquo faire des personnaliteacutes raquo Il propose des personnaliteacutes exemplaires agrave ses

lecteurs drsquoabord Jauregraves puis Bernard-Lazare1 Il cherche inlassablement toute sa

vie quel est cet homme qui pourra devenir la pierre angulaire drsquoune nouvelle

socieacuteteacute juste ouverte agrave tous Plus tard il en vient agrave lrsquoideacutee que crsquoest Jeacutesus qursquoil faut

imiter agrave lrsquoimage des saints mais il ne srsquoagit pas drsquoune palinodie seulement du

1 Le vrai nom de plume de Lazare Marcus Manasseacute Bernard eacutetait Bernard Lazare sans tiret Peacuteguy lrsquoeacutecrit systeacutematiquement de maniegravere erroneacutee ndash Bernard-Lazare et nous avons choisi drsquoadapter dans la preacutesente thegravese lrsquoorthographe utiliseacutee par Peacuteguy

6

prolongement de la mecircme quecircte

Aude Bonord observe que les eacutecrivains du deacutebut du XXe siegravecle cherchaient agrave

laquo eacutelaborer un modegravele de sainteteacute conforme agrave leurs ideacuteaux existentiels et spirituels

[hellip] Lrsquohagiographe devient alors le creuset drsquoune reacuteflexion sur lrsquoHomme et sur

lrsquoHistoire raquo2

On pourrait dire que Peacuteguy entame la quecircte poursuivie un demi-siegravecle plus

tard par Camus laquo Peut-on ecirctre un saint sans Dieu crsquoest le seul problegraveme concret

que je connaisse aujourdrsquohui3 raquo dit Tarrou dans La Peste Dans le journal de son

voyage en Ameacuterique en 1946 Camus eacutecrit aussi laquo Pouvons-nous refaire une

Eacuteglise laiumlque raquo4 Pour Camus comme pour plusieurs autres auteurs la sainteteacute est

une reacuteponse agrave la demande du siegravecle lrsquoattente drsquoune exemplariteacute personnelle Cette

quecircte reacutepond agrave une question plus large lrsquohomme peut-il rester inchangeacute face aux

grands changements de ce siegravecle ou tout srsquoacceacutelegravere Et si lrsquohomme ne peut plus

rester le mecircme il faut de nouveaux ideacuteaux de nouveaux heacuteros Jacques Derrida cite

une conversation avec Emmanuel Levinas qui lui a dit laquo Vous savez on parle

souvent drsquoeacutethique pour deacutecrire ce que je fais mais ce qui mrsquointeacuteresse au bout du

compte ce nrsquoest pas lrsquoeacutethique pas seulement lrsquoeacutethique crsquoest le saint la sainteteacute du

saint raquo5 Dans un article consacreacute au centenaire de la mort de Peacuteguy le philosophe

de la religion Michaeumll de Saint-Cheacuteron rappelle en se preacutesentant comme un disciple

de Levinas que laquo la sainteteacute nrsquoest pas reacuteserveacutee aux chreacutetiens mais est une tacircche un

devoir deacutevolu agrave tout ecirctre humain par-delagrave toute croyance religieuse raquo6

Certains auteurs y compris en partie Peacuteguy rejettent le monde qui leur est

contemporain et cherchent des exemples des ideacuteaux dans les temps passeacutes surtout

dans le Moyen Age Ce mouvement est anteacuterieur agrave la geacuteneacuteration de Peacuteguy deacutejagrave 2 BONORD Aude Les laquoHagiographes de la main gaucheraquo Variations de la vie de saints au XXe siegravecle Paris Classiques Garnier 2011 p 33 3 CAMUS Albert La Peste Paris Gallimard 2012 p 230 4 CAMUS Albert Journaux de voyages Paris Gallimard 2013 p 34

5 DERRIDA Jacques Adieu agrave Levinas Paris Galileacutee 1997 p 15 6 De SAINT-CHEacuteRON Michaeumll laquo Le Centenaire de la mort de Peacuteguy raquo reacutefeacuterence internet httpwwwhuffingtonpostfrmichael-de-saintcheronle-centenaire-mort-charles-peguy_b_5782216html consulteacute le 5 janvier 2015

7

Verlaine eacutecrivait laquo Crsquoest vers le Moyen Age eacutenorme et deacutelicat Qursquoil faudrait que

mon cœur en panne naviguacirct Loin de nos jours drsquoesprit charnel et de chair triste raquo7

Au temps de Peacuteguy on trouve cet inteacuterecirct pour le Moyen Age chez les auteurs du

renouveau catholique comme Henri Gheacuteon par exemple ou chez les auteurs

deacutecadents comme Joseacutephin Peacuteladan etc

Drsquoautres auteurs ou parfois les mecircmes dans drsquoautres textes tentent de trouver

de nouveaux teacutemoins de nouvelles laquo balises raquo spirituelles philosophiques morales

pour ce monde qui change ougrave les vies de saints connues souvent inspirent peu agrave

cause de la grande distance du contexte actuel les martyrs sont eacuteloigneacutes dans le

temps et il faut de nouveaux repegraveres de nouveaux exemples

Bernanos eacuterige pour sa part le saint en laquo reacuteponse de lrsquoeacutecrivain au chaos de

lrsquoentre-deux-guerres raquo8 Pour lui il est moins un exemple agrave suivre qursquoune figure

drsquoopposition qui repreacutesente la diffeacuterence une autre faccedilon de vivre dans le monde

un teacutemoin drsquoune autre vie possible

Aujourdrsquohui un siegravecle plus tard il est important avec un recul certain

drsquoobserver cette recherche de voir ou elle a abouti de situer ces laquosaintsraquo ces

exemples que Peacuteguy a voulu proposer agrave ses contemporains et agrave ses disciples dans le

contexte du monde dans lequel ils sont neacutes et dans le monde qui a tellement changeacute

aujourdrsquohui Ces exemples ces formes de sainteteacute renouveleacutees nous parlent elles

encore Que disent-elles au monde drsquoaujourdrsquohui en notre temps

Pour Claire Daudin la litteacuterature ne peut pas ecirctre une ideacuteologie encore moins

une religion elle nrsquoest pas soumise agrave un systegraveme de penseacutee ou agrave un dogme Elle est

laquo inseacutereacutee dans la citeacute et tributaire de la morale raquo9 elle a donc une vraie emprise sur

le reacuteel ce qui est particuliegraverement important pour Peacuteguy qui cherche par son

travail de geacuterant des Cahiers et par son eacutecriture agrave construire une citeacute harmonieuse

Claire Daudin en parlant de Peacuteguy eacutecrit laquo Le poegravete et le philosophe srsquoallient sous 7 VERLAINE Paul Œuvres poeacutetiques compegravetes Paris Gallimard coll laquo La Pleacuteiade raquo 1962 p 249 8 DAUDIN Claire Dieu a-t-il besoin de lrsquoeacutecrivain Peacuteguy Bernanos Mauriac Paris Cerf 2002 p157 9 Ibid p 22

8

sa plume pour deacutefinir le preacutesent comme temps de la gracircce et de la liberteacute exprimer

la deacutependance du spirituel agrave lrsquoeacutegard du charnel renouveler agrave travers la ceacuteleacutebration

du lien filial la notion mecircme drsquoamour de Dieu raquo10 Pour transfigurer le preacutesent il

faut agir pour agir sur le monde il faut agir sur soi-mecircme crsquoest une voie de sainteteacute

agissante que Peacuteguy cherche ce sont ces exemples qursquoil trouve chez les saints qursquoil

choisit comme Jeanne drsquoArc Saint Louis Sainte Geneviegraveve ou tout simplement

dans la vie de ses amis Dans Encore de la grippe il eacutecrit laquo Preacuteparons dans le

preacutesent la reacutevolution de la santeacute pour lrsquohumaniteacute preacutesente raquo (I 433) Peacuteguy ne

faisait pas partie du mouvement des eacutecrivains convertis non seulement parce qursquoil

revendiquait le fait de ne pas ecirctre un converti mais aussi parce que tous les

eacutecrivains du renouveau catholique mettaient laquo leur talent agrave la disposition du dogme

et de lrsquoinstitution catholique raquo11 or pour Peacuteguy la reacuteponse agrave la question de la

sainteteacute dans le monde drsquoaujourdrsquohui se trouvait en dehors des murs de lrsquoEacuteglise

Pour lui laquo la religion nrsquoest pas une ideacuteologie ni lrsquoEacuteglise un parti ni la litteacuterature un

instrument au service drsquoune autoriteacute raquo12 Peacuteguy pensait que la reacuteponse offerte par

lrsquoEacuteglise nrsquoeacutetait pas universelle nrsquoapportait rien agrave la citeacute harmonieuse du demain qui

ne devait pas avoir de frontiegravere qui devait ecirctre aussi ouverte aux non-croyants etc

Mais cette reacuteponse a tout aussi besoin drsquoun exemple drsquoun modegravele Il faut donc des

saints hors de lrsquoEacuteglise des saints sans frontiegravere laquo Si la litteacuterature est capable de

sainteteacute contrairement agrave lrsquoopinion somme toute peu reluisante qursquoen ont les

eacutecrivains convertis crsquoest prise dans le courant drsquoune vie raquo13 eacutecrit Claire Daudin

10 Ibid p 13

11 DAUDIN Claire opcit p 28

12 Ibid p 23

13 Ibid p 21

9

Probleacutematique

Si de nombreux auteurs se sont pencheacutes sur le sujet de la religion chez Peacuteguy

peu ont approfondi la question de la sainteteacute Certes pour celui qui eacutetudie Peacuteguy ce

thegraveme est ineacutevitable eacutecrire sur les textes de Peacuteguy sur Jeanne drsquoArc saint Louis ou

bien sainte Geneviegraveve sans eacutevoquer la sainteteacute serait impossible mais le plus

souvent ce sujet nrsquoest abordeacute que de biais Par exemple dans lrsquoun des ouvrages de

reacutefeacuterence sur Peacuteguy La Religion de Peacuteguy de Pie Duployeacute seule une section de

chapitre parle directement de la sainteteacute laquo Une leccedilon drsquohagiographie raquo (p 261 ndash

268)14 Il srsquoagit drsquoune analyse de la poleacutemique entre Charles Peacuteguy et Fernand

Laudet agrave propos de la repreacutesentation de Jeanne drsquoArc comme sainte dans Le

Mystegravere de la chariteacute de Jeanne drsquoArc Certes le thegraveme de la sainteteacute est eacutevoqueacute

ailleurs dans ce livre mais il nrsquoest pas au centre de lrsquoeacutetude pour autant

Lrsquoaspect tregraves novateur de cette thegravese en theacuteologie est de prendre en

consideacuteration la litteacuterature comme sujet theacuteologique et de theacuteoriser la

reconnaissance de la litteacuterature par la theacuteologie Dans lrsquointroduction Pie Duployeacute

eacutecrit laquo On se propose avec le preacutesent travail de proceacuteder agrave la rectification des

frontiegraveres qui dans la mentaliteacute contemporaine seacuteparent le domaine de la theacuteologie

de celui de la litteacuterature raquo15 En quelque sorte mecircme si cinquante-trois ans seacuteparent

notre travail de cette eacutetude le choix audacieux de lrsquoauteur de briser ces frontiegraveres

(suite entre autre aux textes de Hans Urs Von Balthasar sur les styles16 qui porte

notamment sur Peacuteguy) nous a ouvert le chemin en nous engageant agrave faire la

deacutemarche inverse porter un regard litteacuteraire mener une analyse litteacuteraire sur un

sujet qui paraicirct relever de la theacuteologie

14 DUPLOYEacute Pie OP La Religion de Peacuteguy Genegraveve Slatkine Reprints 1978 15 Ibid p 10 16 VON BALTHASAR Hans Urs La Gloire et la Croix Styles (TII) De Jean de la Croix agrave Peacuteguy traduit de lrsquoallemand par Reacuteneacute Givord et Heacutelegravene Bourboulon Aubier Theacuteologie Editions Montaigne 1972

10

Franccedilois-Marie Leacutethel consacre une partie de sa thegravese sur la theacuteologie des

saints agrave lrsquoœuvre de Peacuteguy17 Cette thegravese relegraveve les ideacutees principales de Peacuteguy sur la

sainteteacute lrsquoimitation comme forme drsquoaccomplissement de lrsquoIncarnation (lrsquoauteur

montre notamment comment Peacuteguy preacutesente Jeanne drsquoArc en tant qursquoimitatrice

ideacuteale du Christ) lrsquoimportance de la vie cacheacutee de Jeacutesus et des saints (sujet

principal de la poleacutemique avec Fernand Laudet dans Un nouveau theacuteologien

monsieur Fernand Laudet) le rocircle du saint dans la reacutedemption et dans le salut (le

poids de lrsquointercession des saints pour le salut des hommes) la communion des

saints comme thegraveme de preacutedilection chez Peacuteguy chreacutetien demeureacute socialiste et

enfin le saint comme personne qui lie lrsquohistoire temporelle celle de la terre avec

lrsquoeacuteterniteacute Lrsquoouvrage eacutetudie les textes de Peacuteguy avec une approche purement

theacuteologique tout en preacutevenant le lecteur que Peacuteguy nrsquoest pas un theacuteologien Il srsquoagit

drsquoune thegravese en theacuteologie et lrsquoaspect litteacuteraire en est pratiquement absent

En revanche la thegravese de Laurent-Marie Pocquet du Haut-Jusseacute tout en eacutetant

une thegravese en theacuteologie considegravere de maniegravere tregraves approfondie lrsquoœuvre de Peacuteguy en

tant qursquoœuvre litteacuteraire18 Un chapitre entier y est consacreacute agrave la sainteteacute laquo Gracircce et

sainteteacute raquo (p 459-567) Lrsquoauteur souligne lrsquoimportance de lrsquoaccueil de la gracircce pour

devenir saint et approfondit la notion de la gracircce divine chez Peacuteguy Il eacutetudie aussi

les vertus chez Peacuteguy et analyse comment Peacuteguy deacutecrit lrsquoœuvre de la gracircce et la

pratique des vertus chez ses saints preacutefeacutereacutes saint Louis et Jeanne drsquoArc Il conclut

ce chapitre en questionnant le rocircle des saints dans le laquo monde moderne raquo selon

Peacuteguy

Lrsquoune des particulariteacutes de ces ouvrages comme par ailleurs drsquoun grand

nombre drsquoeacutetudes de lrsquoœuvre de Peacuteguy crsquoest la seacuteparation de sa vie en deux parties ndash

avant et apregraves sa laquo conversion raquo Le plus souvent on classe Peacuteguy parmi la premiegravere

geacuteneacuteration des intellectuels franccedilais convertis ceux qui avaient agrave peu pregraves vingt ans

entre 1880 et 1905 et qui ont choisi le christianisme en tournant le dos au

17 LEacuteTHEL Franccedilois-Marie Connaicirctre lrsquoamour du Christ qui surpasse toute connaissance la theacuteologie des saints Venasque Eacutedition du Carmel 1989 18 POCQUET DU HAUT-JUSSEacute Laurent-Marie Charles Peacuteguy et la moderniteacute Essai drsquointerpreacutetation theacuteologique drsquoune œuvre litteacuteraire Perpignan Artegravege 2010

11

positivisme et au naturalisme19 Jean Roussel dans son livre sur Peacuteguy20 Simone

Fraisse dans son article laquo Peacuteguy et Renan raquo21 et bien drsquoautres auteurs soutiennent

la thegravese de lrsquoatheacuteisme de Peacuteguy dans sa peacuteriode socialiste Pie Duployeacute est formel

il eacutecrit en commentant le ceacutelegravebre aveu de Peacuteguy fait agrave Joseph Lotte le 20 mai 1908

(laquo Jrsquoai retrouveacute ma foihellip je suis catholiquehellip raquo22) laquo Si Peacuteguy deacuteclare qursquoil a

retrouveacute la foi crsquoest qursquoil lrsquoavait perdue raquo23 Il remarque cependant que Peacuteguy nrsquoa

jamais donneacute de preacutecision sur son abandon de la foi chreacutetienne et srsquoil a expliqueacute les

raison de la laquo deacutechristianisation raquo de la France il nrsquoa jamais exposeacute les motifs de

son propre deacutepart de lrsquoEacuteglise

Peacuteguy lui-mecircme semble le dire en eacutecrivant en 1901 dans De la raison laquo nous

sommes atheacutees de tous les dieux raquo (I 836) Cependant le laquo nous raquo dans ce texte ne

correspond pas au laquo nous raquo qui est de mise lors des soutenances de thegraveses ou dans

les articles scientifiques Peacuteguy dit laquo nous raquo parce qursquoil exprime ici lrsquoopinion de son

laquo amitieacute raquo socialiste (nous eacuteviterons le mot laquo groupe raquo agrave cause de lrsquoaversion qursquoil

suscitait chez Peacuteguy) Dans ce texte il fait lrsquoapologie de la raison en eacutevitant

cependant de tomber dans le piegravege qui consiste agrave lrsquoeacuteriger en Dieu comme lrsquoont fait

les positivistes et les naturalistes dont il commence en cette peacuteriode agrave se distancier

Peacuteguy dit laquo je raquo dans ce mecircme texte trois pages plus tard ce laquo nous raquo nrsquoest donc

pas une maniegravere de dire laquo je raquo Et Peacuteguy nrsquoa jamais dit laquo je suis atheacutee raquo Srsquoil disait

son rejet de lrsquoEacuteglise des laquo cureacutes raquo (ce qui nrsquoa pas changeacute apregraves sa laquo conversion raquo)

il nrsquoa jamais eacutevoqueacute le rejet de Dieu En revanche il eacutecrit

Crsquoest par un approfondissement constant de notre cœur dans la mecircme voie ce nrsquoest nullement par une eacutevolution ce nrsquoest nullement par un rebroussement que nous avons trouveacute la voie de chreacutetienteacute Nous ne lrsquoavons pas trouveacute en revenant Nous lrsquoavons trouveacutee au bout Crsquoest pour cela il faut qursquoon le sache bien de part et drsquoautre chez les uns et chez les autres crsquoest pour cela que nous ne renierons jamais un atome de notre passeacute (III 550)

19 Voir HUBY Joseph La Сonversion Paris Beauchesne 1919 p 85-86 20 ROUSSEL Jean Peacuteguy Paris-Bruxelles Editions Universitaires 1952 21 FRAISSE Simone laquo Peacuteguy et Renan raquo Revue drsquoHistoire litteacuteraire de la France 73e Anneacutee No 23 Peacuteguy Mars-Juin 1973 p 264-380 22 PEacuteGUY Charles LOTTE Joseph Lettres et entretiens Paris Editions de Paris 1954 p 57 23 DUPLOYEacute Pie opcit p 13

12

Peacuteguy ne cesse pas drsquoecirctre socialiste en devenant chreacutetien Peacuteguy dit ne pas

avoir trouveacute la laquo voie de chreacutetienteacute raquo laquo en revenant raquo parce que la voie qursquoil entame

nrsquoest pas celle de son enfance Mais peut-on parler de conversion ni de peacuteriode

drsquoatheacuteisme radical srsquoil srsquoagit drsquoun seul chemin laquo au bout raquo duquel se trouve laquo la

voie de chreacutetienteacute raquo

Cependant mecircme Pie Duployeacute qui insiste sur lrsquoatheacuteisme de Peacuteguy agrave ses

deacutebuts cherche quand mecircme les sources de sa penseacutee religieuse dans les textes de

sa peacuteriode dite laquo atheacutee raquo Nous nous placerons donc dans cette mecircme deacutemarche

drsquoune vision entiegravere drsquoune recherche de lrsquouniteacute chez Peacuteguy Notre objectif sera de

distinguer la sainteteacute avant la sainteteacute24 et son eacutevolution vers lrsquoideacutee consciente et

explicite de la sainteteacute dans lrsquoœuvre de Charles Peacuteguy

Parmi les auteurs qui attestent de lrsquouniteacute de lrsquoœuvre de Peacuteguy il y a surtout les

peacuteguystes de la premiegravere heure comme par exemple Alexandre Marc et Bernard

Voyenne qui eacutecrivent que Peacuteguy

nrsquoa pas eacuteteacute socialiste par mode pas plus qursquoil nrsquoa eacuteteacute chreacutetien par snobisme Il nrsquoa jamais appris un cateacutechisme puis un autre cateacutechisme Il nrsquoa jamais connu qursquoun cateacutechisme et qursquoune foi qui est alleacutee en srsquoapprofondissant [hellip] La veacuteriteacute est que Peacuteguy a toujours eacuteteacute socialiste et chreacutetien chreacutetien et socialiste Mais pas socialiste-chreacutetien surtout Ce genre de confusion est ce qui lui faisait le plus horreur Il savait mieux que quiconque distinguer les plans et les genres Il eacutetait socialiste sur le plan temporel chreacutetien sur le plan spirituel et eacuteternel Entre les deux bien sucircr nulle contradiction nulle opposition mais seulement une distinction salutaire avec de lrsquoun agrave lrsquoautre tout un jeu de correspondances de contrepoints25

Ceci dit lrsquoideacutee que le socialisme de Peacuteguy qui pour lrsquoauteur eacutetait lieacute agrave une

mystique est uniquement temporel et que sa foi chreacutetienne nrsquoest que spirituelle et

eacuteternelle contredit le fond de la penseacutee de Peacuteguy pour qui la foi ne peut ecirctre

deacutesincarneacutee et introduit une autre forme de division dans lrsquouniteacute de son œuvre et de

sa penseacutee

Roger Secreacutetain maire drsquoOrleacuteans et peacuteguyste fidegravele va plus loin dans la vision

de lrsquoentiteacute de la vie et de lrsquoœuvre de Peacuteguy 24 Expression du professeur Jean-Freacutedeacuteric Chevalier qui a commenteacute ainsi notre intervention dans le seacuteminaire de lrsquoEacutecole doctorale Fernand Braudel laquo Construire exploiter et commenter un corpus raquo Nous lrsquoavons retenue comme une deacutefinition tregraves juste du travail que nous faisons sur lrsquoœuvre de Peacuteguy 25 MARC Alexandre VOYENNE Bernard laquo Peacuteguy contre la trahison du socialisme raquo La NEF ndeg25 deacutecembre 1946 p 68

13

Vivant preacutesent actuel Il nrsquoy a qursquoun Peacuteguy Et il y a des peacuteguysmes Ainsi revient le problegraveme de lrsquouniteacute dans la multipliciteacute On invoque trois peacuteguysmes essentiels qui se ramifient en quelques autres Peacuteguy socialiste agrave quoi il faut ajouter aussitocirct Peacuteguy anarchiste Peacuteguy chreacutetien qursquoil faut compleacuteter par Peacuteguy anticleacuterical Peacuteguy patriote qursquoon ne peut seacuteparer de Peacuteguy humanitaire Et les rassembler tous les trois sous le signe majeur de la liberteacute Car Peacuteguy vivant crsquoest Peacuteguy libre et mecircme Peacuteguy libertaire Et proclamer lrsquoactualiteacute de Peacuteguy crsquoest proclamer la feacuteconditeacute du preacutesent identifieacutee aux opeacuterations du geacutenie creacuteateur26

Parmi les thegraveses sur Peacuteguy il y a une belle exception une thegravese qui se

concentre pour beaucoup justement sur lrsquouniteacute de la vie et de lrsquoœuvre de Peacuteguy sur

lrsquoabsence de frontiegravere entre Peacuteguy socialiste et Peacuteguy chreacutetien crsquoest la thegravese de 3e

cycle non publieacutee du pegravere Robert Scholtus soutenue en 1979 agrave lrsquouniversiteacute de

Metz laquo A lrsquoeacutecole de la reacutealiteacute raquo recherche sur les fondements de la penseacutee de

Charles Peacuteguy dans ses œuvres en prose27 Voilagrave comment Robert Scholtus dans

lrsquointroduction deacutefinit lui-mecircme lrsquoun des objectifs de son travail laquo Il fallait sortir

du dualisme grossier socialismechristianisme sur lequel srsquoeacutetaient construits tant de

peacuteguysmes et ne pas se fier aux conjectures drsquoune coupure eacutepisteacutemologique 28raquo

Parmi les ouvrages plus reacutecents on peut citer la thegravese de Nicolas Faguer qui insiste

sur lrsquouniteacute de lrsquoœuvre de Peacuteguy en srsquoappuyant sur les analyses du theacuteologien Hans

Urs von Balthasar29

Cette thegravese traitera quant agrave elle deux questions principales qui est le saint

pour Peacuteguy et qursquoest-ce que le saint chez Peacuteguy fait au monde

Dans la premiegravere partie la reacuteflexion sera axeacutee sur les saints (reconnus comme

tels par lrsquoEacuteglise) ainsi que les laquo saints raquo (selon un proceacutedeacute drsquoeacutemerveillement de

mise en relief litteacuteraire propre agrave Peacuteguy) qui apparaissent dans les œuvres de Peacuteguy

26 SECREacuteTAIN Roger laquo Peacuteguy geacutenie poeacutetique de la penseacutee raquo Peacuteguy Vivant Lecce Milella 1977 p 30 27 SCHOLTUS Robert laquo A lrsquoeacutecole de la reacutealiteacute raquo recherche sur les fondements de la penseacutee de Charles Peacuteguy dans ses œuvres en prose thegravese de 3e cycle soutenue agrave lrsquouniversiteacute de Metz UER des lettres et sciences humaines centre de recherches en litteacuterature et spiritualiteacute 1979 28 Ibid p V 29 FAGUER Nicolas Un constant approfondissement du cœur lrsquouniteacute de lrsquoœuvre de Peacuteguy selon Hans Urs von Balthasar Berlin Lit Verlag dr WHopf 2013

14

Nous tacirccherons drsquoy reacutepondre agrave la question qui est saint chez Peacuteguy qursquoest-ce qui

selon cet auteur fait drsquoun homme un saint un Juste

Peacuteguy parle de laquo saints de militation raquo parce que pour lui la nouvelle sainteteacute

ne peut plus exister agrave lrsquointeacuterieur de lrsquoEacuteglise de sa structure sa hieacuterarchie de ses

dogmes mais le nouveau saint doit se tenir agrave la frontiegravere entre le monde seacuteculaire et

lrsquoEacuteglise en opeacuterant un dialogue incessant en agissant sur le monde en teacutemoignant

Peacuteguy choisit donc de laquo faire des personnaliteacutes raquo agrave lrsquoaide drsquoun proceacutedeacute

drsquoeacutemerveillement qursquoon trouve souvent dans ses pages de dialogues intenses

parfois de conflits qui sont aussi une forme de rencontre qui met la personne en

exergue laquo Lrsquoeacutecriture de Peacuteguy vise tout autant agrave la rencontre fraternelle qursquoagrave la

confrontation raquo30 Dans ses eacutecrits il srsquoeacutemerveille en dialoguant avec ses amis ses

aicircneacutes ses maicirctres des auteurs qursquoil aime les saints Jauregraves Bernard-Lazare Hugo

Corneille saint Louis sainte Geneviegraveve Jeanne drsquoArchellip

Dans ses premiegraveres œuvres Peacuteguy parle plutocirct de laquo personnaliteacutes raquo comme

figures drsquoexemplariteacute mais en mecircme temps il reacutefleacutechit deacutejagrave sur ses formes

possibles lrsquoheacuteroiumlsme la sainteteacute le geacutenie en travaillant sur la trilogie dramatique

Jeanne drsquoArc Comme Corneille eacutetait lrsquoauteur preacutefeacutereacute de Peacuteguy et plus

particuliegraverement Polyeucte son œuvre favorite il est inteacuteressant drsquoobserver

comment les traits des saints et des heacuteros de Corneille se reflegravetent dans le

personnage heacuteroiumlque principal de Peacuteguy Jeanne drsquoArc

Mais ce nrsquoest pas uniquement la recherche drsquoune nouvelle forme drsquoexemplariteacute

qui pousse Peacuteguy agrave eacutecrire sur les saints Il y a aussi lrsquoimpact de son cheminement

vers la foi sur sa philosophie de lrsquohistoire qui megravene Peacuteguy vers un questionnement

sur la sainteteacute mecircme laquo Le chreacutetien se voit dans le passeacute dans le preacutesent dans le

futur Car il se voit dans une veacuteritable une reacuteelle eacuteterniteacute [] Crsquoest mecircme ce que

lrsquoon nomme la communion des saints raquo (III 1123-1124)

Crsquoest pourquoi la deuxiegraveme partie de cette thegravese cherchera la reacuteponse agrave la

question que fait le saint au monde dans le monde pour le monde comment le

30 DAUDIN Claire opcit p 136

15

saint chez Peacuteguy change le monde il srsquoagit en somme de cerner le rocircle de la

sainteteacute dans le monde y compris en tant que concept eacutethique renouveleacute revisiteacute

Si Peacuteguy cherche agrave travers ses textes et donc ses heacuteros agrave construire une citeacute

harmonieuse srsquoil dit laquo La reacutevolution sociale sera morale ou elle ne sera pas raquo dans

ses eacutecrits on peut analyser comme lrsquoeacutecrit Sandra Laugier laquo ce pouvoir

drsquoinstruction voire de reacutedemption [hellip] qui fait aussi la valeur et lrsquoimportance drsquoune

œuvre ndash la place qursquoelle a dans nos existence raquo31 sa valeur morale eacutethique Pour

que la reacutevolution soit morale ses acteurs doivent changer se transformer de

lrsquointeacuterieur selon une nouvelle morale qui reacutegirait de lrsquointeacuterieur les relations entre les

hommes et selon une nouvelle responsabiliteacute eacutethique

Nous allons donc reacutefleacutechir sur la sainteteacute et le temps comme lieu de preacutesence

et drsquointervention du saint en consideacuterant lrsquoinfluence de la philosophie drsquoHenri

Bergson sur Peacuteguy et les deacuteveloppements de Peacuteguy lui-mecircme au sujet du temps et

de lrsquohistoire Nous allons aussi nous pencher sur le ou les rocircles que Peacuteguy attribue

au saint dans la socieacuteteacute solitaire parce que diffeacuterent des autres humains solidaire

parce qursquoagissant dans ce monde dans lequel il poursuit lrsquoœuvre de lrsquoIncarnation

Meacutethode

La sainteteacute est un pheacutenomegravene situeacute aux frontiegraveres de disciplines et civilisations

diffeacuterentes car il y a des saints dans des religions des peuples divers la nature et

lrsquoessence de la sainteteacute ne sont pas eacutetudieacutees que drsquoun point de vue theacuteologique

biblique et hagiologique mais aussi du point de vue culturel philosophique

psychologique sociologique etc Dans cette thegravese la sainteteacute sera consideacutereacutee dans

un contexte chreacutetien qui a heacuteriteacute drsquoune compreacutehension judaiumlque de ce pheacutenomegravene

Le mot heacutebreu qodesh traduit normalement comme laquo sainteteacute chose sainte raquo et

qacircdosh laquo saint raquo dans les versions latines de la Bible est rendu par sanctus qui

31 LAUGIER Sandra dir Ethique litteacuterature vie humaine Paris PUF 2006 p 3

16

signifie laquo ce qui est divin raquo ou laquo ce qui srsquooppose au monde du profane raquo Marie

Reacutebeilleacute-Borgella explique

Le plus souvent sanctus traduit qacircdosh ou qodesh La racine sur laquelle ces termes sont formeacutes deacutesigne ce qui est saint consacreacute agrave Dieu ce qui est seacutepareacute du fait de sa conseacutecration agrave Dieu Crsquoest lagrave un point de contact entre ces deux mots et ceux de la famille de sancto et sanctus en latin qui justifie le choix du lexegraveme latin pour traduire lrsquoheacutebreu Quand sanctus traduit un de ces deux termes la traduction grecque du terme traduit par sanctus est le plus souvent ἅγιος ou un terme appartenant agrave la mecircme famille Cet adjectif est formeacute sur la racine de ἅζομαι qui signifie laquo eacuteprouver une crainte respectueuse raquo et laquo deacutesigne lrsquointerdit religieux que lrsquoon respecte) Il se diffeacuterencie drsquoἁγνός formeacute sur la mecircme racine par le fait qursquoil ne srsquoemploie anciennement qursquoen parlant de lieux de choses tandis qursquo ἁγνός est employeacute pour qualifier des diviniteacutes32

La perception de la sainteteacute comme eacuteloignement est justement la cleacute pour une

eacutetude dans un contexte litteacuteraire de lrsquoideacutee de la sainteteacute chez Charles Peacuteguy Dans la

litteacuterature on peut voir des heacuteros qui se deacutetachent du systegraveme de personnages non

par le sujet la forme ou mecircme la logique de leur biographie litteacuteraire mais par leur

personnaliteacute et leur choix Crsquoest par exemple Cordelie Don Quichotte et Sancho

Panza Platon Karatayev (heacuteros secondaire de Guerre et Paix de Leacuteon Tolstoiuml dont

la bonteacute fait un exemple de heacuteros saint et juste de la litteacuterature russe) ou le prince

Mychkine De plus en ce qui concerne Tolstoiuml Dostoiumlevski ou Camus Bernanos

et mecircme Michel Tournier ou Christian Bobin la sainteteacute devient un thegraveme de la

reacuteflexion consciente de lrsquoauteur et elle peut donc ecirctre eacutetudieacutee drsquoun point de vue

litteacuteraire et non pas theacuteologique

Rechercher les ideacutees dans lrsquoart y compris dans la litteacuterature eacutetait dans lrsquoair du

temps Et mecircme si Peacuteguy nrsquoadheacuterait pas loin de lagrave au courant symboliste ou

deacutecadent il appartenait tout de mecircme agrave son temps quand Moreacuteas dans son

manifeste symboliste eacutecrivait Ideacutee avec une majuscule quand Schopenhauer

eacutecrivait laquo Le but de tous les arts est drsquoexciter lrsquohomme agrave reconnaicirctre des Ideacutees raquo33

Lrsquoart de Peacuteguy le fait autrement que les symbolistes non par suggestion mais par

une recherche constante de la formulation exacte qui traduira lrsquoideacutee de la maniegravere la

32 REacuteBEILLEacute-BORGELLA Marie laquo Sanctus et sanctitas dans les Bibles latines raquo Conserveries meacutemorielles [En ligne] 14 | 2013 mis en ligne le 01 juillet 2013 consulteacute le 12 janvier 2015 URL httpcmrevuesorg1721 33 SCHOPENHAUER Arthur Le Monde comme volonteacute et comme repreacutesentation trad A BURDEAU Paris PUF 1966 p 239

17

plus preacutecise pour eacuteviter le malentendu Parce que seule une ideacutee exacte peut mener

agrave lrsquoaction agrave la reacuteaction juste agrave lrsquoeacuteveacutenement qui se preacutesente et crsquoest ce qui est au

cœur de la vie et de lrsquoœuvre de Peacuteguy Le roman agrave thegravese invite agrave lrsquoaction Peacuteguy

pour sa part nrsquoeacutecrit pas de romans mais tous ses textes appellent agrave lrsquoaction puisque

crsquoest ainsi qursquoil conccediloit le but de lrsquoeacutecriture Crsquoest le travail drsquoun bacirctisseur drsquoun

artisan de la citeacute harmonieuse

Crsquoest pour cela que lrsquoune des questions centrales que pose son œuvre est celle

de la sainteteacute autrement dit un mode drsquoexistence qui incarne pleinement une ideacutee

18

Premiegravere partie

Le saint chez Peacuteguy

19

INTRODUCTION

La sainteteacute ce nrsquoest pas seulement les traits positifs du personnage sa bonteacute

Par exemple dans les romans de Dickens il y a beaucoup de heacuteros positifs mais

leurs qualiteacutes ne les seacuteparent pas des autres personnages Le personnage litteacuteraire

saint nrsquoest pas obligatoirement seacutepareacute des autres agrave la maniegravere de Don Quichotte Les

personnages de saints sont seacutepareacutes des autres par leur point de vue particulier sur le

monde et les gens qui les entourent et aussi par le point de vue particulier de

lrsquoauteur sur eux La voix du saint qui sonne seacutepareacutement des autres voix humaines

se mecircle neacuteanmoins au chœur des hommes en creacuteant une polyphonie du texte Ainsi

lrsquoimage du saint creacutee un espace litteacuteraire

Aude Bonord eacutecrit agrave propos de la Jeanne drsquoArc de Delteil34 que celui-ci

laquo distinguait pour se deacutefendre art et theacuteologie transposition romanesque et veacuteriteacute

dogmatique Cette mise au point visait agrave seacuteparer les objectifs et donc les critegraveres

drsquoeacutevaluation de lrsquohagiographie traditionnelle et de lrsquohagiographie romanesque raquo35

Ces derniers sont tout aussi applicables aux textes de Peacuteguy consacreacutes aux saints

mecircme si ce ne sont pas des romans laquo Ecrire la vie drsquoun saint srsquoinsegravere avant tout

dans une rencontre intersubjective entre le narrateur qui se confond souvent avec

lrsquoauteur et le personnage ainsi qursquoentre le personnage et le lecteur raquo

En tant que lecteurs nous ne sommes pas habitueacutes agrave inclure le saint dans le

systegraveme des personnages litteacuteraires Cependant si on se penche attentivement sur

les textes ougrave le heacuteros principal crsquoest agrave dire comme eacutecrit Maslovsky une personne

laquoqui existe pleinement dans lrsquoart de la paroleraquo est un saint on deacutecouvre qursquoil

interagit avec les autres personnages entre dans le systegraveme des personnages obtient

34 Voir DELTEIL Joseph Jeanne drsquoArc Paris Grasset 2011 35 BONORD Aude Les laquoHagiographes de la main gaucheraquo Variations de la vie de saints au XXe siegravecle Paris Classiques Garnier 2011 p 33

20

un rocircle dans le systegraveme de lrsquoaction36 Nous nous basons sur la deacutefinition du

personnage agrave travers ses actions (V Propp37 et A Greimas38) plus concregravetement les

relations des heacuteros entre eux et le monde qui les entoure (Tz Todorov39) et

lrsquoinscription de lrsquoaction du personnage dans une continuiteacute successive

drsquointerrelations (Cl Breacutemond40)

Le speacutecialiste de theacuteorie litteacuteraire et de narratologie Natan Tamarchenko donne

cette deacutefinition du systegraveme de personnages laquo Le systegraveme de personnages crsquoest une

correacutelation ayant une finaliteacute estheacutetique entre tous les heacuteros (principaux ainsi que

secondaires) drsquoune œuvre litteacuteraire raquo41 Aristote encore eacutecrivait que le personnage

est secondaire agrave lrsquoaction dramatique ou narrative Henry James renverse ce postulat

en parlant de lrsquoaction comme de lrsquoillustration du personnage mais elle ne saurait

ecirctre lrsquoillustration drsquoun seul personnage42 donc il faut un systegraveme qui donne

naissance agrave un dialogue du principe du dialogue naicirct la dynamique de lrsquoœuvre

(M Bakhtine43) Le saint fait partie de ce systegraveme avec les autres personnages mais

en gardant sa particulariteacute sa position laquo agrave part raquo Nous pouvons aussi remarquer

que certains personnages qui ne sont pas des saints laquo canoniseacutes raquo reconnus comme

tels jouent le mecircme rocircle dans le systegraveme des personnages litteacuteraires et ce rocircle

diffegravere des modes drsquoactions laquo traditionnels raquo du heacuteros principal Un heacuteros de

fantasy ainsi qursquoun personnage drsquoune trageacutedie antique peut occuper dans le

systegraveme des personnages la place drsquoun saint

36 ВИ Масловский laquo Литературный герой raquo dans ВМ Кожевников ПА Николаев Литературный энциклопедический словарь Москва (MASLOVSKY Vladimir laquo Le heacuteros litteacuteraire raquo in V Kogevnikov P Nikolaev (dir) Dictionnaire litteacuteraire encyclopeacutedique Moscou 1987 p 195) 37 PROPP Vladimir Morphologie du conte Paris Seuil 1970 38 GREIMAS Algirdas Julien Seacutemantique structurale Paris Larousse 1966 39 TODOROV Tzvetan Symbolisme et interpreacutetation Paris Seuil 1978 40 BREacuteMOND Claude Logique du reacutecit Paris Seuil 1973 41 НД Тамарченко Литературоведческие термины Материалы к словарю Москва (TAMARCHENKO Nathan Terminologie litteacuteraire mateacuteriaux pour un dictionnaire Moscou 2003 p 36) 42 JAMES Henry LrsquoArt de la fiction Paris Klincksieck 1973 43 BAKHTINE Mikhaiumll La Poeacutetique de Dostoiumlevski Paris Seuil 1970

21

Pour comprendre quelle place occupe le saint dans le systegraveme des personnages

litteacuteraires et la maniegravere dont il lrsquooccupe en placcedilant toutefois Dieu agrave part il faut

comparer ce type de heacuteros avec drsquoautres personnages qui pour une raison ou une

autre se trouvent dans une situation laquoagrave partraquo dans le systegraveme des personnages drsquoune

œuvre litteacuteraire

Nous ne prenons pas en compte les paires de heacuteros ou les triangles amoureux

parce que ce type de systegraveme de personnages est fermeacute le plus souvent il nrsquoy a pas

de heacuteros principal Mais nous nrsquoallons pas analyser non plus les systegravemes ou les

rocircles des personnages sont strictement deacutefinis comme dans la comedia dellrsquoarte

etc

Prenons par exemple le heacuteros antique classique que V Khalisev deacutefinit

comme personnage heacuteroiumlque-aventurier le personnage principal des chansons de

gestes ou du roman de chevalerie comme Achille Hercule ou Alan Breck

drsquoEnleveacute et de Katriona de R Stevenson Ce type de heacuteros se distingue des

autres se rend plus visible sur le fond du systegraveme de personnage gracircce agrave son action

et sa capaciteacute de faire ce que les autres personnages ne font pas Cette action peut

reposer dans nrsquoimporte quel domaine Le systegraveme des personnages est indispensable

agrave ce type de heacuteros il doit ecirctre entoureacute les autres constituant le fond laquopassifraquo qui le

laisse agir mecircme si en reacutealiteacute ils font la mecircme chose que lui Hercule agissait seul

mais Hector et Achille eacutetaient agrave la guerre pourtant seuls leurs exploits nous sont

parvenus Un heacuteros repreacutesente un systegraveme de personnages en se faisant remarquer

sur son fond Le heacuteros peut aussi se sacrifier mais sa voie de sacrifice se termine

apregraves lrsquoexploit accompli En cela il diffegravere du bouc eacutemissaire

Comme lrsquoeacutecrit Khalisev

Le personnage heacuteroiumlque-aventurier est une sorte drsquoeacutelu parfois un peu imposteur plein de force et drsquoeacutenergie qui srsquoaccomplit en atteignant des buts exteacuterieurs visibles (dans un diapason tregraves large allant du service de son peuple de la socieacuteteacute de lrsquohumaniteacute agrave une affirmation de soi eacutegoiumlste parfois lieacutee agrave un crime) 44

44 ВЕ Хализев Ценностные ориентации русской классики Москва (KHALISEV Valentin Les Orientations axiologiques de la litteacuterature classique russe Moscou 2005 p 144)

22

Le geacutenie se distingue des autres par sa capaciteacute agrave creacuteer agrave faire surgir ce que les

autres personnages ne peuvent pas Il est proche drsquoun dieu-creacuteateur mais autrement

que le saint son don fait de ce type de personnage un ideacuteal serviteur potentiel de

Dieu mais aussi un transgresseur (lrsquohybris) Le geacutenie peut exister sans le systegraveme

de personnages il nrsquoen a pas besoin puisqursquoil peut le creacuteer lui-mecircme (crsquoest le cas

par exemple du Maicirctre dans Le Maicirctre et Marguerite de M Boulgakov)

Le heacuteros culturel apporte dans le systegraveme de personnages quelque chose de

nouveau qui vient drsquoailleurs drsquoun autre monde Mais le plus souvent il rompt en

mecircme temps avec cet autre monde en choisissant la terre comme le fait par

exemple Promeacutetheacutee Le systegraveme des personnages lui est indispensable il agit agrave

travers ce systegraveme en faisant souvent un choix fatal

Le heacuteros protestataire comme les heacuteros de Byron ou le Faust de Goethe se

soulegraveve contre le systegraveme des personnages le systegraveme lui est indispensable agrave lui

aussi comme pour un heacuteros antique en tant que fond mais pas pour accomplir un

exploit plutocirct pour deacutetruire ou pour srsquoinsurger

Le heacuteros fripon (trickster) comme le picaro espagnol a besoin du systegraveme de

personnages pour en tirer un profit il nrsquoentre pas en dialogue mais lrsquoutilise comme

un instrument

Le heacuteros martyr qui joue un rocircle de bouc eacutemissaire ne peut pas lui aussi

exister sans le systegraveme des personnages puisque sa fonction est de srsquooffrir en

sacrifice pour ce systegraveme et souvent crsquoest tout ce qursquoil a agrave faire

Le heacuteros du type du heacuteros antique ne construit que tregraves rarement un dialogue

avec les autres personnages mecircme si son exploit les sauve le geacutenie encore moins

Le heacuteros culturel peut ecirctre dans un dialogue intensif avec les autres mais il est

coupeacute du monde auquel il a apporteacute du neuf son don au systegraveme des personnages

la parole principale du heacuteros-martyr crsquoest son sacrifice et non ses mots

Le saint est un ami de Dieu et cependant un homme Ainsi il teacutemoigne aux

autres personnages qursquoun autre monde ndash lrsquoau-delagrave ndash existe Dans la litteacuterature

laquo chreacutetienne raquo qui se preacutesente comme telle dans le cas ougrave lrsquoauteur se deacutefinit comme

23

tel ce nrsquoest pas tregraves compliqueacute Le saint teacutemoigne de lrsquoexistence de Dieu devant les

hommes et de lrsquoexistence des hommes face agrave Dieu Parce que Dieu fait partie de

son systegraveme de personnages par une relation une rencontre alors que pour les

hommes qui lrsquoentourent Dieu ne fait pas partie du systegraveme Il peut exister mais il

nrsquoy a pas de dialogue avec Dieu Le saint creacutee un dialogue entre ce monde et lrsquoau-

delagrave Ce dialogue ndash crsquoest le teacutemoignage devant lrsquoautre monde de lrsquoexistence de tout

le systegraveme de personnages (et agrave travers ce systegraveme ndash de toute lrsquohumaniteacute) et le

teacutemoignage devant le systegraveme des personnages de lrsquoexistence drsquoun autre monde

Sergueiuml Averintsev45 propose de diviser la litteacuterature en trois peacuteriodes

principales trois eacutetapes drsquoeacutevolutions qui peuvent se situer agrave des eacutepoques

diffeacuterentes selon le pays la peacuteriode archaiumlque la peacuteriode rheacutetorique et la peacuteriode

de la litteacuterature drsquoauteur La premiegravere peacuteriode que le maicirctre agrave penser drsquoAverintsev

Alexandre Veselovski46 appelait aussi laquo peacuteriode syncreacutetique raquo47 est celle ougrave la vie

et lrsquoart sont encore inseacuteparables lrsquoeacutepoque de lrsquoart rituel La seconde que Averintsev

appelait laquo peacuteriode rheacutetorique raquo (chez Veselovskiy elle est deacutesigneacutee comme

laquo litteacuterature traditionaliste raquo et chez SN Broiumltmann un eacutelegraveve de Bakhtine ndash

laquo litteacuterature eideacutetique raquo48) ndash crsquoest lrsquoeacutepoque ougrave la litteacuterature lrsquoart doivent suivre un

eacutetalon un exemple ideacuteal une tradition La troisiegraveme selon la deacutefinition de

Broiumltmann ndash crsquoest la litteacuterature de la modaliteacute de creacuteation ougrave les traits individuels

de lrsquoœuvre ainsi que son auteur prennent toute leur importance Les vies de saints

le plus souvent appartiennent agrave la litteacuterature de la deuxiegraveme eacutepoque ndash elles suivent

un discours hagiographique strictement deacutefini Plus encore parmi toute la litteacuterature

de la peacuteriode rheacutetorique ndash crsquoest le genre le plus traditionnel Ce qui est lieacute entre

autre agrave la recherche drsquoun chemin spirituel drsquoune maniegravere pratiquement drsquoun

algorithme de la rencontre avec Dieu Dans les vies de saints orientales les plus

45 AVERINTSEV Sergueiuml (1937-2004) historien de la litteacuterature philosophe culturologue et bibliste russe 46 VESELOVSKY Alexandre (1838-1906) theacuteoricien russe de la litteacuterature lrsquoun des creacuteateurs des eacutetudes litteacuteraires compareacutees 47 Веселовский АН Историческая поэтика М 1989 (VESELOVSKY Alexandre Poeacutetique historique Moscou 1989) 48 СН БройтманИсторическая поэтика М 2013 (BROIumlTMAN Samson Poeacutetique historique Moscou 2013)

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anciennes on peut lire ce qui plus tard en Occident sera propre aux Ars Moriendi

la recherche drsquoun chemin universel qui megravene vers Dieu Cependant dans chaque vie

de saint une personne vivante est repreacutesenteacutee dont le chemin est unique Gueorguy

Fedotov49 dans lrsquointroduction de son livre Les saints de la Russie Ancienne eacutecrit

que dans les saints nous recherchons laquo une reacuteveacutelation sur notre propre chemin

spirituel raquo50

La phrase laquo Ange terrestre homme ceacuteleste raquo qui revient dans plus de la moitieacute

des vies de saint orientales (qui en fait remonte agrave la vie de saint Savva eacutecrite agrave

Byzance) deacutefinit parfaitement la place du saint dans le systegraveme des personnages

Lrsquoange est un teacutemoin et envoyeacute le saint lui se tient au carrefour teacutemoigne agrave la

terre ndash du ciel et au ciel ndash de la terre

Il existe deux faccedilons principales drsquo laquo utiliser raquo lrsquoexemple de la vie drsquoun saint

que ce soit une laquo vie raquo canonique ou un texte plus reacutecent La premiegravere est lrsquoimitation

du saint la perception de la vie du saint dans la diachronie je peux aujourdrsquohui

apporter dans ma vie tel ou tel eacuteleacutement de sa vie de lrsquoeacutepoque drsquoil y a longtemps

pour lrsquoimiter La seconde est la quecircte drsquoune rencontre avec Dieu de son propre

dialogue avec le Christ par la recherche dans la vie du saint drsquoun algorithme pour

un dialogue possible aujourdrsquohui jrsquoentre avec ce saint puisqursquoil est eacuteternel comme

avec un guide dans un dialogue avec Dieu Chez Peacuteguy on peut trouver les deux

approches de lrsquoexemplariteacute du saint

49 FEDOTOV Georges (1886-1951) historien philosophe et theacuteologien russe 50 ГП Федотов Святые древней Руси Москва (FEDOTOV Georges Les Saints de la Russie Ancienne Moscou 2000 p 5)

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CHAPITRE I EXEMPLARITEacuteS

Agrave lrsquoeacutepoque de Charles Peacuteguy lrsquoexemplariteacute occupait une place importante dans

la culture notamment dans la litteacuterature et la production journalistique La

litteacuterature avait un rocircle eacuteducatif important et lrsquoexemple eacutetait consideacutereacute comme la

meilleure faccedilon drsquoeacuteduquer la litteacuterature en particulier dans les romans srsquoefforccedilait

de creacuteer des personnages exemplaires pour inspirer voire guider le lecteur Dans

son livre consacreacute agrave la responsabiliteacute de lrsquoeacutecrivain Gisegravele Sapiro montre que crsquoest

justement vers la fin du XIXe siegravecle agrave la suite de la reacuteflexion sur lrsquoart de lrsquoeacutepoque

romantique que le rocircle de lrsquoeacutecrivain change Elle eacutecrit

La redeacutefinition de la notion drsquoeacutecrivain au XIXe siegravecle sous lrsquoeffet de la division du travail intellectuel de lrsquoavegravenement drsquoun champ politique et la libeacuteralisation du marcheacute du livre va renforcer lrsquoimage de lrsquoeacutecrivain libre et solitaire consacreacutee par le romantisme consolidant du mecircme coup sa responsabiliteacute subjective51

Concernant lrsquoexemplariteacute les personnages exemplaires sont leacutegion dans les

romans agrave thegravese de lrsquoegravere de la responsabiliteacute comme le remarque Pierre Citti52

Peacuteguy pour sa part en amoureux du reacuteel ne veut pas inventer des personnages

modegraveles il les recherche dans lrsquohistoire (Jeanne drsquoArc Geneviegraveve saint Louis) et

parmi ses contemporains

Le courant structuraliste a longuement insisteacute sur les dangers de la confusion de la personne humaine avec le personnage tentation drsquoune critique psychologique pour laquelle celui-ci est lesteacute drsquoun poids ontologique suffisant pour nrsquoecirctre pas essentiellement diffeacuterent drsquoun individu reacuteelraquo Il y a un risque de laquoconfondre une pure creacuteature verbale avec un ecirctre en chair qui en serait le modegravele et le reacutefeacuterent [hellip] Le personnage cristallise un mode de perception courant celui du lecteur habituel le personnage est le vecteur des affects des croyances du lecteur53

Pour ce laquo lecteur habituel raquo le personnage litteacuteraire peut ecirctre un modegravele un

exemple agrave imiter Et crsquoest bien agrave ce lecteur habituel que srsquoadressent les eacutecrits agrave

51 SAPIRO Gisegravele La Responsabiliteacute de lrsquoeacutecrivain litteacuterature droit et morale en France (XIX-XXI siegravecles) Paris Seuil 2011 p 11 52 CITTI Pierre Contre la deacutecadence Histoire de lrsquoimagination franccedilaise dans le roman 1890-1914 Paris PUF 1987 53 GLAUDES Pierre REUTER Yves (dir) Personnage et histoire litteacuteraire Actes du colloque de Toulouse 16-18 mai 1990 Toulouse Presse Universitaires du Mirail 1991 p 7

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lrsquoeacutepoque de Peacuteguy mecircme si Peacuteguy veut que son lecteur soit exigeant et se montre

particuliegraverement exigeant envers lui-mecircme Les figures historiques politiques les

saints repreacutesenteacutes deacutecrits par Peacuteguy sont lagrave pour susciter des affects tels que

lrsquoadmiration lrsquoeacutemerveillement voire la veacuteneacuteration un profond respect et une

reconnaissance en vue de faire naicirctre chez les lecteurs le deacutesir de les imiter De la

sorte ces eacutecrits pourront contribuer agrave la reacutevolution morale la seule vraie reacutevolution

agrave laquelle Peacuteguy peut croire Les personnages qui donnent envie de les suivre de les

imiter peuvent servir de pierres angulaires pour la construction de la citeacute

harmonieuse dont Peacuteguy parle dans lrsquoun de ses premiers textes

Victor-Henri Debidour dans sa confeacuterence de preacutesentation du Cercle Charles

Peacuteguy agrave Lyon en janvier 1963 remarque

Lorsqursquoil choisit lui-mecircme ses laquo exemples raquo Jeanne drsquoArc saint Louis Polyeucte Antigone ce nrsquoest pas seulement pour lrsquolaquo inspiration raquo qursquoil trouve aupregraves drsquoeux mais pour lrsquo laquo intercession raquo qursquoil attend drsquoeux en esprit de foi drsquoespeacuterance et drsquoamour Et ceci degraves le temps de sa premiegravere Jeanne drsquoArchellip54

Dans le Dictionnaire de la theacuteologie chreacutetienne le pegravere Yves Congar eacutetablit

une distinction parmi les types drsquoexemplariteacute dans son article laquo Sainteteacute raquo

Lrsquohistoire des ideacutees soucieuse de classer les grandes attitudes morales esquisse traditionnellement un triple portrait  le sage le heacuteros le saint

Le sage parvient agrave lrsquoeacutequilibre agrave la maicirctrise de soi en associant pratique et theacuteorie action et reacuteflexion Il cultive surtout les vertus drsquoordre de mesure drsquoharmonie de seacutereacuteniteacute Le heacuteros se met au service drsquoune cause qui le deacutepasse et lrsquoentraicircne agrave se deacutepasser lui-mecircme Il se distingue par la force drsquoacircme crsquoest-agrave-dire lrsquoeacutenergie du caractegravere mais aussi la grandeur la noblesse dans le choix des viseacutees Le saint tend agrave la perfection moins par recherche de lrsquointeacutegriteacute que par amour de Dieu (au du divin) dans lrsquoardeur drsquoune foi qui passe au deacutevouement total et agrave lrsquooubli de soi raquo [] Est saint ce qui est mis agrave part laquo seacutepareacute raquo du profane ndash laquo reacuteserveacute raquo aux dieux et redoutable agrave lrsquohomme [] En gros la notion de sainteteacute se construit autour des modegraveles spirituels qui deacuterivent drsquoune philosophie implicite et autour de laquo modegraveles raquo ideacuteologiques qui sont le reflet drsquoun type de sainteteacute [] Le saint peut ecirctre conccedilu comme celui qui se deacutepouille se deacutetache se concentre ou comme celui qui accumule les vertus les gracircces les meacuterites Dialectique de suppression de simplification ou dialectique drsquointeacutegration de totalisation [] Dans le domaine de lrsquoideacuteologie le saint peut ecirctre vivant ou mort mais toujours il remplit des fonctions sociales55

54 DEBIDOUR Victor-Henri laquo La Leccedilon de Peacuteguy raquo Le Porche Bulletin de lrsquoAssociation des Amis de Jeanne drsquoArc et Charles Peacuteguy (Russie Pologne Finlande) ndeg 16 juillet 2004 p 39 55 CONGAR Yves laquo Sainteteacute raquo Dictionnaire de la theacuteologie chreacutetienne Paris Encyclopaedia universalis Albin Michel 1998 p 711-726

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Dans ce chapitre parmi de nombreux types de figures exemplaires comme le

sage eacutevoqueacute par Yves Congar ou le sorcier dont parle Max Weber nous avons fait

le choix de porter notre attention sur le geacutenie le heacuteros et le leader politique parce

qursquoils apparaissent agrave plusieurs reprises dans lrsquoœuvre de Peacuteguy qui emprunte la

figure du geacutenie agrave Michelet et celle du heacuteros agrave Corneille en particulier pour les

comparer aux saints

Peacuteguy privileacutegie les personnages qui creacuteent une relation fondeacutee sur la

reacuteciprociteacute avec les hommes et avec le monde qui les entoure que ce soit dans

lrsquoinstant preacutesent ou agrave travers le temps Pour cette raison on ne trouve pas chez

Peacuteguy le sage dont parle Yves Congar qui selon la deacutefinition de Pierre Centilivres

est certes exemplaire mais il nrsquoa pas besoin de disciples par son eacutequilibre inteacuterieur sa liberteacute morale et sa seacutereacuteniteacute il est le sujet de reacutecit didactiques et peacutedagogiques Lrsquoexemplariteacute qursquoil incarne est semble-t-il modeacutereacutee et reacutefleacutechie bien eacuteloigneacutee des pheacutenomegravenes collectifs drsquoadheacutesion passionneacutee ou drsquoincorporation identitaire56

En revanche influenceacute par Michelet Peacuteguy introduit parmi ses personnages

exemplaires le geacutenie qui selon la classification de Pierre Centilivres est une laquo autre

personnification du surhumain autre modegravele ideacuteal qui tout en eacutetant parfois lrsquoobjet

drsquoun culte apparaicirct comme eacutetant par-delagrave le bien et le mal transcendant

lrsquoopposition entre nature et culture raison et deacuteraisonraquo57

On pourrait dire que les types de personnes exemplaires choisis par Peacuteguy ont

tous une caracteacuteristique commune ils sont ouverts au dialogue que ce soit en

synchronie ou en diachronie bref une rencontre avec eux est possible ce qui

rejoint une donneacutee fondamentale de lrsquoexistence et de la penseacutee de Peacuteguy Un

speacutecialiste de lrsquoœuvre de Peacuteguy Theacuteodore Quoniam analyse profondeacutement la

notion de laquo rencontre raquo chez lrsquoauteur

La vie de Peacuteguy srsquoest deacuterouleacutee sous le signe de la laquo rencontre raquo et dans une volonteacute constante de ressourcement aux sources pures Or il ne faut pas meacuteconnaicirctre que la rencontre est un acte qui se fait au niveau de lrsquoecirctre acte qui rend sensible une preacutesence Elle est bien plus qursquoune simple donneacutee de fait eacutetant reacuteponse agrave un appel Crsquoest la rencontre qui nous permet de deacutevoiler une preacutesence virtuelle elle est donc bien supeacuterieure agrave la deacutecouverte drsquoun objet On ne rencontre pas un objet on le

56 CENTILIVRES Pierre (dir) Saints Sainteteacute et Martyre La fabrication de lrsquoexemplariteacute Neuchacirctel Eacuteditions de lrsquoInstitut drsquoethnologie Paris eacuteditions de la Maison des sciences de lrsquohomme 2001 p 9 57 Ibid p 8

28

deacutecouvre mais la deacutecouverte drsquoune valeur peut devenir une rencontre Peacuteguy a veacutecu tous les degreacutes de la rencontre et en a assumeacute toutes les eacutepreuves Aussi a-t-il pu srsquoeacutelever progressivement agrave lrsquoexpeacuterience drsquoune preacutesence surnaturelle Les rencontres de Peacuteguy peuvent srsquoexprimer en termes apparemment abstraits mais qui pour lui ont pris des visages bien preacutecis il a rencontreacute la Pauvreteacute lrsquoAmitieacute le Socialisme la Patrie la Tradition le Monde Moderne la Foi et lrsquoEspeacuterance [hellip] La rencontre est ouverte agrave la Gracircce Elle permet de discerner derriegravere des laquo notions abstraites raquo des ecirctres concrets pour ainsi dire charnels sainte Geneviegraveve Saint Louis Jeanne drsquoArc la France la Citeacute la Paroisse Chez Peacuteguy le collectif srsquoindividualise toujours srsquoincarne et permet ainsi le dialogue direct vivant Crsquoest ce qui donne agrave son œuvre une audience sans cesse eacutelargie58

1 Les laquo Meneurs raquo

Comme cela arrive souvent aux jeunes gens souhaitant srsquoengager dans la

socieacuteteacute voire dans la politique le jeune Peacuteguy srsquoeacutemerveille devant certaines

personnes dont il voudrait suivre lrsquoexemple Au deacutebut il srsquoengage agrave leurs cocircteacutes puis

il entame sa propre action Mais cette deacutemarche marque le deacutebut drsquoune longue

reacuteflexion sur lrsquoexemplariteacute qui lrsquoamegravenera agrave penser lrsquoheacuteroiumlsme et la sainteteacute drsquoun

cocircteacute et lrsquoexemplariteacute drsquoun peuple le peuple franccedilais de lrsquoautre

Pourquoi avoir choisi cette notion de laquo meneurs raquo Il aurait pu sembler plus

logique drsquoemployer le terme de laquo grand homme raquo qui deacutecrit mieux ces

personnaliteacutes qui reviennent sans cesse dans les textes de Peacuteguy Depuis le XVIIIe

siegravecle grand homme est un terme geacuteneacuterique pour deacutesigner tous les hommes

ceacutelegravebres ayant accompli des exploits les geacutenies les heacuteros les hommes illustres agrave

lrsquoexclusion cependant des saints Crsquoest peut ecirctre lrsquoune des raisons pour lesquelles

Peacuteguy nrsquoemploie que tregraves rarement ce terme ou lrsquoemploie le plus souvent dans un

sens plutocirct peacutejoratif Ceci srsquoexplique notamment par le fait que le pantheacuteon

personnel de Peacuteguy ne correspond que tregraves partiellement au Pantheacuteon des grands

hommes de la Reacutepublique Son propre laquo pantheacuteon raquo est fait de saints de petites

gens de ses maicirctres drsquoeacutecole de ses amis du peuple franccedilais De plus lrsquoemploi de

ce terme chez Peacuteguy est souvent ironique comme le preacutecise Pauline Bernon

58 QUONIAM Theacuteodore La Penseacutee de Peacuteguy Paris Bordas 1967 p 23-24

29

[Bruley] laquo parce qursquoil rabat la grandeur sur lrsquohomme seul et la renvoie au jugement

drsquoune eacutepoque On pourrait dire qursquoil manque de mystique et de misegravere raquo59 Tandis

que dans laquo meneurs raquo il y a une dynamique et une liberteacute offerte drsquoagir autrement

pour le meneacute

Lrsquoexpression laquo meneuse de soldats raquo est tireacutee du premier texte litteacuteraire de

Peacuteguy la trilogie dramatique Jeanne drsquoArc qursquoil a eacutecrite en 1897 apregraves avoir

interrompu dans ce but ses eacutetudes agrave lrsquoEacutecole normale La valeur de cette expression

apparaicirct ambivalente Dans le texte de la piegravece le terme a plutocirct une connotation

neacutegative Jeanne nrsquoest pas un vrai chef de guerre qui commande aux autres parce

qursquoil sait le faire parce qursquoil a lrsquoexpeacuterience de la guerre la force drsquoun guerrier la

vaillance des connaissances en strateacutegie et tactique Jeanne nrsquoest qursquoune meneuse

de soldats que ses capitaines deacutesirant abandonner comparent mecircme agrave un chef de

bande Mais dans le mecircme temps le mot meneur pour Peacuteguy a aussi une reacutesonance

positive en raison de sa signification politique mais aussi en raison de lrsquoallusion agrave

la bergegravere qui megravene son troupeau Pour lui il srsquoagirait drsquoune force inteacuterieure qui

donne le droit de guider les autres cette force vient de ce qursquoil appellera plus tard

vocation mais qursquoil appelle au deacutebut de sa carriegravere le geacutenie en faisant reacutefeacuterence agrave

Michelet Nous reviendrons plus tard dans ce chapitre sur Jeanne drsquoArc qui chez

Peacuteguy est bien plus qursquoune meneuse elle est en effet aussi une heacuteroiumlne une sainte

et un geacutenie dans le sens (incarnation de lrsquoesprit drsquoun peuple) que donnait Peacuteguy agrave

ce mot

Pour commencer nous allons nous inteacuteresser aux contemporains de Peacuteguy

qursquoil consideacuterait comme des exemples agrave suivre donc des meneurs Lrsquoadmiration de

Charles Peacuteguy srsquoest drsquoabord tourneacutee vers les personnes qui se sont engageacutees en

faveur de Dreyfus ceux qui ont combattu en premiegravere ligne pour que justice soit

faite Ils sont nombreux et Peacuteguy est geacuteneacutereux dans sa reconnaissance de leur rocircle

dans lrsquoAffaire Nous avons donc choisi de revenir sur deux cas particuliegraverement

inteacuteressants

59 BERNON [BRULEY] Pauline laquo Le Nom grand homme et ses emplois chez Peacuteguy raquo Lrsquoamitieacute Charles Peacuteguy laquo Peacuteguy les grands hommes et la reacutepublique raquo ndeg 138 avril-juin 2012 p 159

30

a) Eacutemile Zola

En premier lieu donc Zola Il est naturel qursquoun jeune homme qui plus est un

jeune normalien deacutejagrave auteur drsquoune trilogie dramatique sur Jeanne drsquoArc choisisse

un eacutecrivain comme porteur principal de ses valeurs et des valeurs de tous les

dreyfusards ndash ou comme disait Peacuteguy dreyfusistes Certes Jrsquoaccuse y est pour

quelque chose mais pas seulement en cette laquo fin de siegravecle raquo les eacutecrivains prennent

conscience de leur(s) responsabiliteacute(s) agrave lrsquoeacutegard de la socieacuteteacute agrave un moment ougrave on

attend drsquoeux en premier lieu qursquoils guident la jeunesse Dans les 20e et 21e

numeacuteros du Mouvement socialiste dateacutes du 1er et du 15 novembre 1899 Peacuteguy

publie un texte sur Les reacutecentes œuvres de Zola Il y analyse sa Lettre au preacutesident

de la Reacutepublique publieacutee dans LrsquoAurore le 13 janvier 1898 apregraves lrsquoacquittement

drsquoEsterhazy sa Lettre agrave M le ministre de la Guerre publieacutee le 22 janvier 1898

dans LrsquoAurore le roman Feacuteconditeacute le premier des Quatre Eacutevangiles eacutecrit en exil

en 1898-1899 lrsquoarticle Justice publieacute dans LrsquoAurore en juin 1899 lrsquoarticle Le

Cinquiegraveme Acte publieacute dans LrsquoAurore en septembre 1899 enfin sa Lettre agrave Mme

Alfred Dreyfus apregraves la gracircce preacutesidentielle publieacutee dans lrsquoAurore le 22 septembre

1899 Mais surtout on trouve dans ce texte le reacutecit de la rencontre entre Peacuteguy et

Zola Peacuteguy raconte comme il rendit visite au romancier apregraves lrsquoacquittement

drsquoEsterhazy le 11 janvier 1898

Lrsquohomme que je trouvais nrsquoeacutetait pas un bourgeois mais un paysan noir vieilli gris aux traits tireacutes et retireacutes vers le dedans un laboureur de livres un aligneur de sillons un solide un robuste un entecircteacute aux eacutepaules rondes et fortes comme une voucircte romaine assez petit et peu volumineux comme les paysans du Centre Crsquoeacutetait un paysan qui eacutetait sorti de sa maison parce qursquoil avait entendu passer le coche Il avait des paysans ce que sans doute ils ont de plus beau cet air eacutegal cette eacutegaliteacute plus invincible que la perpeacutetuiteacute de la terre Il eacutetait trapu Il eacutetait fatigueacute Il avait une assurance coutumiegravere commode Son assurance lui eacutetait familiegravere Il avait une impuissance admirable agrave srsquoeacutetonner de ce qursquoil faisait une extraordinaire fraicirccheur agrave srsquoeacutetonner de ce que lrsquoon faisait de laid de mal de sale [hellip] Je ne lrsquoai plus revu mais je lrsquoai retrouveacute dans ses actes et dans ses œuvres (I 244-245)

Tout ce que Peacuteguy va admirer durant toute sa vie tout ce qui selon lui rend un

homme exemplaire on peut le retrouver dans ce portrait lrsquoamour du travail

lrsquohumiliteacute face au fruit de ses efforts lrsquoinnocence qui rend possible lrsquoespeacuterance

31

gracircce agrave un perpeacutetuel eacutetonnement devant le mal de ce monde lrsquoindivisibiliteacute de la

personne de sa vie et de ses actes de son œuvre

b) Jean Jauregraves

On retrouve ces mecircmes traits personnels dans le portrait proposeacute par Peacuteguy

drsquoun autre meneur de cette eacutepoque Jean Jauregraves

Apregraves avoir fondeacute la librairie Georges Bellais agrave lrsquoaide de la dot de sa femme ndash

il vient de se marier en 1899 ndash Peacuteguy entreprend de publier un choix de texte de

Jauregraves dans un recueil intituleacute Action socialiste Dans lrsquoarticle de promotion du

premier volume publieacute dans La petite reacutepublique socialiste le 7 juillet 1899 le ton

est donneacute

Pendant les longs mois que dura la preacuteparation attentive de la premiegravere seacuterie toutes les heures et toutes les forces de Jauregraves eacutetaient prises par la grande bataille donneacutee pour la justice et pour la veacuteriteacute aussi les eacutediteurs durent-ils composer eux-mecircmes cette premiegravere seacuterie sous leur seule responsabiliteacute (I 209)

Jauregraves est drsquoembleacutee preacutesenteacute par Peacuteguy comme un laquo chevalier sans peur et sans

reproche raquo luttant pour la justice et la veacuteriteacute agrave la tecircte drsquoune armeacutee ne pouvant pas

abandonner ses troupes et laissant agrave de jeunes pousses la tacircche secondaire de la

propagande de ses ideacutees Peacuteguy parle de textes ayant une laquo valeur drsquoaction raquo et

mecircme une laquo valeur de conversion [hellip] nous voulions seulement aller chercher

dans le passeacute de lrsquoorateur et de lrsquoeacutecrivain tout ce qui nous peut servir agrave preacuteparer

lrsquoavenir raquo (ibid) Ici Peacuteguy donne agrave Jauregraves une allure de preacutedicateur de guide

presque religieux puisque dans ces quelques lignes il parle de conversion il voit

aussi en lui une sorte de prophegravete puisqursquoil parle de preacuteparation de lrsquoavenir

Puis dans un style reacutepeacutetitif insistant qui annonce deacutejagrave ce qui sera la maniegravere

parfois obseacutedante de Peacuteguy drsquoimposer sa penseacutee avec une preacutecision qui ne laisse

aucune possibiliteacute drsquoeacutequivoque puisqursquoil preacutesente lui-mecircme toutes les

interpreacutetations possibles de son ideacutee initiale Peacuteguy preacutesente Jauregraves comme un

modegravele un homme vivant sincegravere et exemplaire

Qursquoon nous permette drsquoy insister plus encore peut-ecirctre que la souveraine eacuteloquence de certains discours plus que la deacutebordante indignation de certains cris

32

plus que la jeune fraicirccheur de certains poegravemes plus que toute la poeacutesie plus que toute la philosophie plus mecircme que lrsquoamour de la vie cette sinceacuteriteacute retiendra le cœur des hommes solides Qursquoon nous entende bien il ne srsquoagit eacutevidemment pas ici de la sinceacuteriteacute ordinaire il est trop eacutevident qursquoelle nrsquoest pas agrave mettre en cause Mais un assez grand nombre drsquohommes qui ne sont sincegraveres que ordinairement ne veulent pas ou ce qui revient presque au mecircme ils ne savent pas voir tout le reacuteel comme il se preacutesente et ils font des systegravemes de poeacutesie ou des systegravemes de philosophie Rare est le vrai poegravete et le vrai philosophe celui qui nrsquoignore pas qui ne meacuteprise pas le reacuteel celui qui srsquoen nourrit qui en nourrit incessamment son œuvre celui qui ne devient pas chef drsquoeacutecole qui ne devient pas chef de parti qui ne devient pas chef de poegravetes ou de philosophes ou de partisans mais qui resteacute homme libre propose agrave des hommes qui restent libres une œuvre drsquoart de poeacutesie de philosophie drsquoaction nourrie incessamment de la vie universelle (I 209)

Cette citation nous en dit long sur le jeune Peacuteguy on y trouve deacutejagrave en germe

tous les traits qui seront caracteacuteristiques de lrsquoauteur Agrave ses yeux lrsquoexemplariteacute de

Jauregraves nrsquoest pas lieacutee au fait qursquoil est un chef drsquoeacutecole ou de parti ce qui nrsquoest

assureacutement pas le plus frappant aux yeux de Peacuteguy son admirateur Jauregraves nrsquoest pas

un chef il est un meneur de par sa nature et donc en raison de sa laquo sinceacuteriteacute raquo

Plus tard Peacuteguy critiquera agrave maintes reprises lrsquoesprit de systegraveme qui lrsquoindigne tant

par exemple dans Heureux les systeacutematiques Ceux qui construisent des systegravemes

sont pour lui des menteurs dans la mesure ougrave quel que soit leur systegraveme celui-ci

exclut toujours une part du reacuteel Une vraie propheacutetie ne parle pas de lrsquoavenir elle

reflegravete le reacuteel ce qui permet drsquoentrevoir lrsquoavenir en srsquoappuyant sur ce reacuteel crsquoest en

cela que Jauregraves constitue aux yeux de Peacuteguy un prophegravete Une vraie action ne peut

ecirctre fondeacutee qursquoagrave la condition de srsquoinspirer du reacuteel les textes drsquoun meneur doivent

nourrir une action la sinceacuteriteacute de Jauregraves eacutetant ce qui reacuteunit sa personnaliteacute agrave sa

perception du reacuteel et rend possible la conception drsquoune action future

Dans un long texte intituleacute La preacuteparation du congregraves socialiste national

publieacute dans le deuxiegraveme et le troisiegraveme cahier de la toute premiegravere seacuterie des Cahiers

de la quinzaine en 1900 Peacuteguy reacutefleacutechit agrave la possibiliteacute de laquo faire des

personnaliteacutes raquo dans un discours politique Il donne deux sens agrave cette expression Le

premier commun est peacutejoratif il renvoie agrave lrsquoallusion deacuteplaisante visant une

personne particuliegravere utiliseacutee comme argument dans un discours Mais Peacuteguy

utilise aussi le sens dans une deuxiegraveme acception qursquoil place drsquoailleurs dans la

bouche drsquoun interlocuteur imaginaire le laquo citoyen docteur socialiste reacutevolutionnaire

moraliste internationaliste raquo (I 339-340) comme il le fera souvent plus tard

33

Dans lrsquoordre de la connaissance continua le docteur faire des personnaliteacutes ne peut avoir qursquoun sens attribuer agrave certaines personnaliteacutes une action donneacutee Je suppose que tel eacuteveacutenement se produise on dira que nous faisons des personnaliteacutes si nous attribuons agrave telle personnaliteacute telle part dans ces eacuteveacutenements (I 344)

On voit gracircce agrave cette explication combien ce sujet eacutetait important pour Peacuteguy

pourquoi il y consacre autant de pages il lui fallait en effet justifier son admiration

pour certaines personnes comme faisant partie de lrsquoaction si lrsquoaction consiste au

moins agrave lrsquoune de ses eacutetapes agrave se mettre dans les pas drsquoun meneur drsquohomme il faut

en laquo faire une personnaliteacute raquo crsquoest-agrave-dire reconnaicirctre sa part dans le reacuteel drsquoun

eacutevegravenement Peacuteguy introduit donc son portrait de Jauregraves par ces mots laquo Puisque

nous pouvons et devons faire des personnaliteacutes dans lrsquoordre de la connaissance

voulez-vous que nous reconnaissions lrsquoaction personnelle de Jauregraves dans les reacutecents

eacuteveacutenements raquo (I 353) Ce portrait de Jauregraves est un paneacutegyrique dans lequel on

trouve plusieurs eacuteleacutements du style de la prose de Peacuteguy non seulement les

reacutepeacutetitions mais aussi les assonances ou encore la multiplication des structures

binaires et ternaires Degraves le deacutebut de ce portrait de Jauregraves Peacuteguy le preacutesente comme

lrsquoexemple possible non drsquoun homme politique drsquoune personnaliteacute laquo en vue raquo mais

drsquoun homme tout court drsquoun homme dont la morale est exemplaire et rend possible

une action inteacuterieure et exteacuterieure exemplaire

Ainsi Jauregraves nrsquoest pas devenu socialiste par un coup de la gracircce par la lecture drsquoun livre par la vue drsquoun homme ou par un eacuteveacutenement particulier Mecircme on peut dire qursquoil nrsquoest pas devenu socialiste Il a toujours eacuteteacute socialiste au sens large de ce mot La culture geacuteneacuterale qursquoil avait reccedilue la philosophie qursquoil enseignait enveloppaient deacutejagrave le socialisme qui nrsquoavait plus qursquoagrave se deacutevelopper et agrave srsquoarmer De mecircme que toute civilisation harmonieuse acheveacutee sincegraverement aboutit agrave lrsquoeacutetablissement de la citeacute socialiste de mecircme toute culture vraiment humaine vraiment harmonieuse acheveacutee sincegraverement aboutit agrave lrsquoeacutetablissement de la penseacutee socialiste dans la conscience individuelle Si bien que la question que lrsquoon doit se poser agrave lrsquoeacutegard de tout homme harmonieusement cultiveacute nrsquoest pas de savoir comment et pourquoi il pourra devenir socialiste mais bien de savoir comment et pourquoi il pourrait bien ne pas devenir socialiste ne pas avoir au moins la penseacutee socialiste Et quand la penseacutee est devenue socialiste la rudesse des eacuteveacutenements lrsquoacircpreteacute des reacutesistances lrsquoinsolence de lrsquoinjustice lrsquoincessante insinuation du mensonge la pourriture des jalousies et la barbarie des haines se chargent bien de donner agrave celui qui a la penseacutee socialiste la vigueur drsquoagir en socialiste (I 354-355)

Le socialisme nrsquoest pas un mouvement politique ni mecircme une maniegravere de

penser il est une faccedilon drsquoecirctre une forme drsquoexistence Jauregraves nrsquoest pas un

laquo guide raquo il megravene les hommes derriegravere soi parce qursquoil incarne cette existence par

une action qui vient de lrsquointeacuterieur

34

La penseacutee de la transmission des geacuteneacuterations futures et donc de

lrsquoenseignement qui sera toujours importante pour Peacuteguy se retrouve au deacutebut de ce

texte sur Jauregraves Peacuteguy parle du discours de Jauregraves agrave la Chambre prononceacute le 21

octobre 1886 dans lequel Jauregraves insiste sur la neacutecessiteacute de ne rien dissimuler au

peuple et sur lrsquoobligation de creacuteer un enseignement sincegravere ougrave le doute soit preacutesenteacute

en tant que doute Quelques mois plus tocirct Peacuteguy parlait de Jauregraves comme drsquoun

homme totalement sincegravere et gracircce agrave cela fidegravele au reacuteel et pouvant incarner le reacuteel

Voilagrave qursquoil le preacutesente maintenant comme celui qui procircne cette sinceacuteriteacute dans

lrsquoenseignement afin de deacutemontrer justement que Jauregraves incarne cet esprit de

sinceacuteriteacute et drsquointeacutegriteacute qui permet drsquoecirctre dans la reacutealiteacute des eacutevegravenements et donc de

pouvoir entrer dans lrsquoaction Pour Peacuteguy lrsquoenseignement mecircme lrsquoenseignement

primaire devrait en effet preacuteparer agrave lrsquoaction

Et par-delagrave les ideacutees il y a lrsquohomme Jauregraves celui qui avait fortement

impressionneacute le jeune Peacuteguy non seulement par sa laquo fonction raquo sa capaciteacute

drsquoharanguer les foules drsquoecirctre celui qui megravene les autres agrave lrsquoaction en allant de

lrsquoavant mais aussi par sa personnaliteacute plus intime Peacuteguy parle ainsi de sa laquo tristesse

inteacuterieure raquo (I 357) Il deacutecrit sa maniegravere de parler agrave la foule et preacutesente Jauregraves

comme un homme entier sans division inteacuterieure ce qui repreacutesente pour Peacuteguy une

vertu indispensable pour ecirctre un meneur pour lui en effet la penseacutee la parole et

lrsquoaction doivent œuvrer ensemble

Puis la lourde et robuste puissance de sa penseacutee commenccedilait agrave se mouvoir dans la force drsquoabord un peu grinccedilante et dans la puissance un peu sourde de sa parole qui prenait aux entrailles [hellip] Et son discours srsquoimposait toujours admirablement composeacute comme une œuvre classique servi par une voix soudain devenue claire et merveilleusement puissante Rien drsquoartificiel rien drsquoappris dans la forme La force de la penseacutee portait la force de la forme Le geste surtout nrsquoavait rien de factice Il nrsquoavait pas les gestes habituels des orateurs mais des gestes drsquoouvrier manuel enfonccedilant les ideacutees dans le bois de la tribune appuyant du pouce pour insister gestes rudes et lourds instinctivement faits par son eacutepaisse carrure de montagnard ceacutevenol [hellip] il avait un sentiment une connaissance exacte et reacutealiste de la reacutealiteacute vivante Crsquoest pour cela qursquoil voulait qursquoen attendant que la reacutevolution sociale fucirct parfaite et justement pour bien faire cette reacutevolution sociale toute lrsquohumaniteacute devicircnt et demeuracirct belle et sainte et digne de sa prochaine fortune (I 358)

Ce texte contient plusieurs des ideacutees-phares de Peacuteguy comme la neacutecessiteacute drsquoun

travail bien fait bien construit et cependant reacutealiseacute avec une grande sinceacuteriteacute et une

sorte de spontaneacuteiteacute Peacuteguy valorise la force de penseacutee traduite par la force de la

35

forme sans le recours agrave aucun mot ou geste factice Notons que Peacuteguy appliquait

cette mecircme exigence agrave ses propres textes crsquoest ainsi que dans ce paneacutegyrique on

peut notamment observer plusieurs fois de nombreuses assonances en r comme

par exemple dans cette phrase laquo srsquoenfoncer dans sa pourriture et preacutecipiter sa

propre ruine raquo Les textes de Peacuteguy qui parfois semblent peu construits le sont en

reacutealiteacute dans les moindres deacutetails y compris dans la maniegravere dont les mots reacutesonnent

Dans ce texte Peacuteguy parle aussi de la grande culture de Jauregraves qui lui

permettait de puiser dans tout lrsquoheacuteritage du passeacute tout en reacutepondant agrave lrsquoappel du

reacuteel Il contient aussi cette ideacutee qursquoon retrouve souvent chez Peacuteguy selon laquelle la

reacutevolution doit drsquoabord se faire dans les acircmes pour que naisse une nouvelle

socieacuteteacute crsquoest lrsquohumaniteacute qui doit changer et crsquoest aussi lrsquohomme qui doit changer

ce qui implique de commencer par soi-mecircme Et pour que chacun puisse changer il

faut des exemples agrave suivre crsquoest pour cette raison que Peacuteguy propose agrave ses lecteurs

ce portrait de Jauregraves eacuterigeacute en exemple

Il eacutetait lui-mecircme un vivant exemple de ce que peut et de ce que vaut un socialisme ainsi vivifieacute ainsi humaniseacute par la consideacuteration respectueuse de lrsquohumaniteacute passeacutee de toute lrsquohumaniteacute preacutesente et future [hellip] Traiteacutees par lui les affaires du socialisme ne cessaient jamais drsquoecirctre les affaires de lrsquohumaniteacute drsquoecirctre des affaires humaines [hellip] Loin que cette largeur et cette universaliteacute affaiblicirct sa force reacutevolutionnaire il y puisait au contraire les eacuteleacutements premiers de sa conviction il y trouvait les puissantes bases de son assurance de sa robustesse de sa soliditeacute vigoureuse montrant ainsi que lrsquoeacutetroitesse de la penseacutee nrsquoest nullement neacutecessaire agrave la vigueur de lrsquoaction que la petitesse des vues nrsquoest pas le gage neacutecessaire de la soliditeacute (I 359)

Pour Peacuteguy les hommes se reacutevegravelent dans la confrontation aux eacuteveacutenements Il

poursuit donc son portrait de Jauregraves qursquoil appelle lui-mecircme laquo essai drsquohistoire

personnelle raquo (I 388) (un essai empli de citations parfois longues de plusieurs

pages) par le reacutecit de la participation de Jauregraves agrave lrsquoaffaire Dreyfus Ce nrsquoest pas un

hasard si Peacuteguy ne parle pas de paneacutegyrique ou de portrait mais bien drsquohistoire Ce

qursquoil fait ce nrsquoest pas seulement un portrait parce que le personnage de Jauregraves est

situeacute dans une peacuteriode historique et a eacuteteacute ameneacute agrave agir en fonction drsquoeacuteveacutenements

dont il nrsquoeacutetait pas le protagoniste Peacuteguy ne deacutecrit donc pas Jauregraves participant agrave

lrsquoaffaire Dreyfus il raconte lrsquohistoire de lrsquoAffaire en montrant quelle part y a pris

Jauregraves quel eacutetait son rocircle mais en preacutecisant bien qursquoil nrsquoa pas eacuteteacute agrave lrsquoorigine du

36

combat en faveur de Dreyfus Peacuteguy veut en revanche montrer comment lrsquoAffaire a

reacuteveacuteleacute lrsquohomme Jauregraves en mettant en eacutevidence son geacutenie

Lrsquoaffaire Dreyfus qui devait modifier si profondeacutement la situation et lrsquoaspect des partis politiques en France qui devait modifier si profondeacutement les dispositions de tant drsquoesprits et de tant de cœurs dans la France et dans le monde a commenceacute comme il eacutetait naturel par exercer son action preacuteciseacutement sur les hommes qui la firent sur les hommes qui travaillegraverent et combattirent pour la justice et pour la veacuteriteacute La grandeur et la beauteacute de lrsquoœuvre encore inacheveacutee aujourdrsquohui se refleacutetegraverent drsquoabord sur les ouvriers de cette œuvre Il est certain que depuis le commencement de lrsquoaffaire Dreyfus ou plutocirct depuis qursquoils ont commenceacute lrsquoaffaire Dreyfus le colonel Picquard Zola Clemenceau Francis de Pressenseacute tant drsquoautres sont devenus des hommes nouveaux non pas nouveaux en ce sens qursquoils seraient devenus diffeacuterents de ce qursquoils eacutetaient avant mais nouveaux en ce sens que des parties entiegraveres de leur talent de leur geacutenie de leur caractegravere de leur acircme insoupccedilonneacutees jusqursquoalors et qui pouvaient rester insoupccedilonneacutees toujours se sont soudain reacuteveacuteleacutees avec un eacuteclat incomparable Jauregraves fut de ces hommes (I 368)

Crsquoest sans aucun doute lrsquoimage de Jauregraves devenu lrsquoincarnation mecircme du

socialisme qui nourrira plus tard chez Peacuteguy un ressentiment amer et insurmontable

jusqursquoagrave deacuteterminer un rejet total de Jauregraves incarner une forme drsquoexistence et

preacutesenter une ideacutee sont deux choses bien distinctes qui nrsquoont ni la mecircme valeur ni

le mecircme poids Pour Peacuteguy en effet on peut changer drsquoideacutee mais on ne peut pas

cesser drsquoincarner quelque chose crsquoest une trahison agrave ses yeux mecircme si son point

de vue est tregraves subjectif Peacuteguy fait ses adieux agrave son maicirctre en politique dans une

longue digression placeacutee au deacutebut drsquoun texte intituleacute Courrier de Russie dans le

cinquiegraveme Cahier de la septiegraveme seacuterie (19111905) Il y preacutesente son collaborateur

en Russie Etienne Avenard qui est en mecircme temps le correspondant de

LrsquoHumaniteacute le journal de Jauregraves pour mieux le mettre en valeur il compare

Avenard agrave drsquoautres collaborateurs de Jauregraves qursquoil juge moins bons Cela lui fournit

drsquoabord lrsquooccasion drsquoexprimer son amertume quant agrave lrsquoacceptation du combisme par

quelqursquoun qursquoil jugeait exemplaire ndash Peacuteguy bien que violemment anticleacuterical agrave cette

eacutepoque-lagrave nrsquoait jamais eacuteteacute drsquoaccord avec les lois combistes ndash puis de raconter son

amitieacute passeacutee avec Jauregraves Il eacutevoque ainsi laquo une admiration commune et ancienne raquo

(II 75) leurs promenades la lecture des classiques ainsi que leur derniegravere entrevue

peu de temps apregraves la publication dont il srsquoagit ici Peacuteguy cite lui-mecircme les mots de

Jauregraves qui cernent ce qui causera plus tard leur deacutesaccord ou plutocirct le rejet

unilateacuteral de Peacuteguy dans la mesure ougrave Jauregraves a toujours gardeacute de lrsquoestime pour son

jeune ami laquo Vous Peacuteguy vous avez un vice Vous vous repreacutesentez vous avez la

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manie drsquoimaginer la vie de tout le monde autrement que les titulaires eux-mecircmes

nrsquoen disposent Et drsquoen disposer agrave leur place pour eux raquo (II 76)

Dans ce texte de 1905 Peacuteguy se montre plein de tristesse et de regrets Plus

tard ses propos sur Jauregraves deviendront de plus en plus violents Crsquoest que Jauregraves est

pour Peacuteguy non seulement un meneur mais aussi un geacutenie or le geacutenie pour lui

nrsquoest pas celui qui se distingue par un don particulier crsquoest celui qui incarne lrsquoesprit

drsquoun peuple Par sa position pacifiste Jauregraves avait aux yeux de Peacuteguy cesseacute

drsquoincarner le peuple franccedilais trahissant du mecircme coup son pays soi-mecircme et son

geacutenie

2 Le saint et le geacutenie

Les geacutenies chez Peacuteguy sont laquoles heacuteritiers contemporains du royaume de la

gloireraquo ils nrsquoappreacutecient que laquola solitude seuleraquo aiment les laquogrands ancecirctresraquo et laquola

grande posteacuteriteacute les grands descendants les grands heacuteritiersraquo (II 182) mais pas

leurs contemporains Contrairement aux saints qui aiment la communion et la

fraterniteacute les geacutenies veulent ecirctre seuls comme Dieu est seul

Dans sa reacuteflexion sur le geacutenie Peacuteguy srsquoinspire beaucoup de Jules Michelet

Dans Par ce demi-clair matin un texte posthume eacutecrit comme la suite de Notre

Patrie en 1905 dans un contexte de grande anxieacuteteacute par rapport agrave la patrie

confronteacutee agrave lrsquoeacuteventualiteacute drsquoune guerre imminente et sous le choc de la deacutemission

du ministre des affaires eacutetrangegraveres Delcasseacute suite agrave lrsquoincident de Tanger Peacuteguy

eacutecrit

Le problegraveme de la reacutesidence du geacutenie dans de pauvres hommes est un des problegravemes les plus difficiles qui se soient jamais poseacutes agrave la psychologie agrave lrsquohistoire agrave la morale une solution extrecircme la solution limite par en bas sera naturellement celle ougrave la reacutealiteacute mecircme du geacutenie sera reacuteduite agrave zeacutero et cette solution limite cette solution minima non moins naturellement sera la solution de Michelet (II 210)

Cette question porte deacutejagrave sur lrsquoIncarnation laquo le mystegravere theacuteologique du Dieu

fait homme et demeurant dans lrsquohomme en le mettant agrave lrsquoabri raquo (II 221) comment

38

quelque chose de divin peut-il demeurer dans un simple et pauvre homme un

peacutecheur Drsquoailleurs quelques pages plus tard Peacuteguy lui-mecircme compare ce

questionnement aux interrogations sur la diviniteacute du Christ

Si lrsquoon considegravere la theacuteologie eacutetude ou connaissance de Dieu comme une limite ougrave tend la psychologie et la morale eacutetude ou connaissance de lrsquohomme comme une partie de la meacutetaphysique eacutetude ou connaissance de lrsquoecirctre on peut poser que le problegraveme de la diviniteacute du Fils de lrsquoHomme est comme une limite ougrave tend le problegraveme du geacutenie dans lrsquohomme et que tous deux ensemble ils sont deux aspects particuliers du problegraveme total de la personnaliteacute dans lrsquoecirctre (II 221)

Plus tard crsquoest la personne du saint qui donnera agrave Peacuteguy la reacuteponse agrave cette

question Mais en novembre 1905 Peacuteguy apporte deux reacuteponses Drsquoabord il

compare le mystegravere de la Triniteacute et celui des deux natures du Christ au concept du

deacutedoublement de la personnaliteacute dont on parlait beaucoup agrave cette eacutepoque il pense

que le problegraveme du geacutenie est de mecircme nature le geacutenie manifestant drsquoune part une

preacutesence du divin dans lrsquohumain le plus humble humain et drsquoautre part une forme

de deacutedoublement de personnaliteacute La diffeacuterence entre le saint et le geacutenie est du

domaine de la transformation voire de la transfiguration le geacutenie inspireacute par le

divin produit des œuvres geacuteniales et il teacutemoigne du divin par ces œuvres mais il

peut en mecircme temps rester un homme meacutediocre ce dont Peacuteguy parle dans ce mecircme

texte en eacutevoquant des querelles de geacutenies le mauvais caractegravere de Corneille etc Le

saint pour sa part est un homme qui change lui-mecircme agrave lrsquoapproche du divin il est

donc possible qursquoaucune laquo œuvre raquo ne soit produite par cette rencontre mais crsquoest

bien la personne qui est neacuteanmoins transfigureacutee laquo Le mystegravere est le mecircme du Dieu

fait homme du Dieu fils de lrsquoHomme du Dieu descendu en un homme vivant et

reacutesidant en lui que du geacutenie fait homme du geacutenie neacute vivant mourant dans un

homme et reacutesidant en lui raquo (II 220)

La deuxiegraveme reacuteponse agrave cette question du laquo pauvre homme raquo geacutenial Peacuteguy la

deacuteveloppe en partant du Peuple de Michelet qui eacutecrit laquo Crsquoest un fait remarquable

que la plupart des hommes de geacutenie ont une preacutedilection particuliegravere pour les

enfants et les simples60 raquo Dans la mesure ougrave le geacutenie a plutocirct besoin de ceux qui

60 MICHELET Jules Le peuple Paris Comptoir des eacutediteurs reacuteunis 1846 p 241

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accueilleront le fruit de son action de sa vie ce sont les enfants les simples qui

auront le cœur le plus ouvert le plus disponible et attentif

Les simples sympathisent agrave la vie et ils ont en reacutecompense ce don magnifique qursquoil leur suffit du moindre signe pour la voir et la preacutevoir Crsquoest lagrave leur parenteacute secregravete avec lrsquohomme de geacutenie Ils atteignent souvent sans effort par simpliciteacute ce qursquoil obtient par la puissance de simplification qui est en lui en sorte que le premier du genre humain et ceux qui semblent les derniers se rencontrent tregraves bien et srsquoentendent Ils srsquoentendent par une chose leur sympathie commune pour la nature pour la vie qui fait qursquoils ne se complaisent que dans lrsquouniteacute vivante (II 244)

On retrouve aussi chez Peacuteguy ce souсi de lrsquouniteacute et de la puissante

simplification dont Peacuteguy fait lrsquoapanage des simples Dans Par ce demi-clair matin

il propose un long passage sur le geacutenie et le peuple Le geacutenie dont parle Peacuteguy ne

simplifie pas mais il apparaicirct lui-mecircme comme un reacutesumeacute une sorte de

laquo simplification raquo lrsquoexpression pure drsquoune race qursquoil repreacutesente et qui nrsquoest pas la

race des geacutenies mais celle de ses parents des ouvriers des paysans celle drsquoougrave il

vient et celle vers laquelle il tend laquo toute lrsquoessence est dans la segraveve qui monte de la

race Tout homme de geacutenie a derriegravere lui un immense peuple un peuple

silencieux raquo (II 186) Michelet disait agrave ce propos

Si le geacutenie agrave travers les divisions les anatomies fictives de la science conserve en lui toujours un simple qui ne consent jamais agrave la vraie division qui tend toujours agrave lrsquouniteacute qui craint de la deacutetruire dans la plus petite existence crsquoest que le propre du geacutenie crsquoest lrsquoamour de la vie mecircme lrsquoamour qui fait qursquoon la conserve et lrsquoamour qui la produit61

En repreacutesentant sa race son peuple ses aiumleux le geacutenie les voue agrave lrsquoeacuteterniteacute de

lrsquohistoire sans lui ils seraient laquo promis agrave la mort ndash agrave la mort de lrsquohistoire sinon agrave la

mort eacuteternelle raquo (II 186)

Dans sa thegravese consacreacutee agrave lrsquohistoire et au mystegravere chez Peacuteguy Teresa Martin

Sanz souligne le rocircle du geacutenie dans la meacutemoire

Mais qursquoest-ce qui diffeacuterencie pour Peacuteguy les œuvres de geacutenie En quoi se distinguent-elles drsquoautres tentatives de repreacutesentation Crsquoest le fait de reacuteussir agrave inscrire en mecircme temps que lrsquoeacuteveacutenement laquo la profondeur raquo lrsquohomme de geacutenie remonte le courant de lrsquoecirctre et en teacutemoigne En lui seul la contrarieacuteteacute fondamentale qui seacutepare ceux qui pensent de ceux qui produisent est abolie62

61 Ibid p 245 62 MARTIN SANZ Teresa Jeanne drsquoArc et Peacuteguy Lrsquohistoire face au mystegravere thegravese de 3e cycle preacutesenteacutee agrave lrsquouniversiteacute de Provence 1987 p 65

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Pour Peacuteguy lrsquohomme de geacutenie possegravede le mecircme pouvoir qursquoun roi antique ou

meacutedieacuteval il a la capaciteacute de repreacutesenter un peuple plus encore que de le gouverner

Le geacutenie nrsquoest ni le meilleur ni le plus singulier des hommes il est celui en qui se

cristallise lrsquoacircme drsquoun peuple et en mecircme temps il est celui qui se nourrit le plus

dans son travail de la meacutemoire du peuple qursquoil repreacutesente Ainsi le geacutenie pour

Peacuteguy crsquoest par excellence lrsquohomme profondeacutement enracineacute dans son eacutepoque

De cet immense peuple monte la segraveve qui refleurira dans ses œuvres et qui dans ses fruits fructifiera de cette immense race monte le sang de ses veines silencieux ils vivent leur vie et meurent leur mort et leur nom mecircme disparaicirct aussitocirct de la meacutemoire de lrsquohumaniteacute ces hommes disparaissent de lrsquohumaniteacute ils en disparaicirctraient totalement deux survivances les sauvent de la mort humaine la survivance du sang transporteacute de geacuteneacuteration en geacuteneacuteration les sauve de la mort dans lrsquoexistence de lrsquohumaniteacute la survivance du geacutenie les sauve de la mort dans la meacutemoire de lrsquohumaniteacute (II 187)

Grande est par conseacutequent la responsabiliteacute du geacutenie aux yeux de Peacuteguy il est

responsable de son peuple en tant que teacutemoin ce qui implique aussi que

laquo supprimant son teacutemoignage il supprime aussi le teacutemoin qursquoil est il se supprime

lui-mecircme il supprime son geacutenie raquo (I 194) La trahison passe selon Peacuteguy par les

laquo mondaniteacutes raquo agrave savoir la freacutequentation des philosophes artistes poegravetes hommes

drsquoaction divers En effet ces freacutequentations relegravevent drsquoune communication

horizontale qui coupe le geacutenie du peuple dont il est issu alors mecircme qursquoil doit

teacutemoigner pour ce peuple en rendant manifestes ses qualiteacutes essentielles Le geacutenie

en tant que teacutemoin ne peut donc pas se permettre une communication horizontale

propre agrave le corrompre agrave le distraire et surtout agrave lui faire perdre la distance par

rapport au preacutesent cette distance qui lui permet preacuteciseacutement drsquoecirctre un teacutemoin Le

geacutenie teacutemoin tel qursquoil est deacutecrit par Peacuteguy est par excellence lrsquoacteur du dialogue et

de la succession Il rassemble en lui la meacutemoire du peuple dont il est issu en

gardant la distance par rapport au preacutesent il est capable aussi de manifester cette

meacutemoire mais surtout comme geacutenie il repreacutesente son peuple il en garde le treacutesor

il le transmet aux geacuteneacuterations futures qui ne se souviendront peut-ecirctre pas du peuple

de leurs ancecirctres mais se souviendront de leurs geacutenies Ce rocircle de lrsquoacteur du

dialogue et de la dureacutee sera celui que Peacuteguy accordera au saint qui en plus de

teacutemoigner devant la posteacuteriteacute teacutemoigne aussi par sa vie de lrsquoIncarnation Dans son

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livre Solitude de Peacuteguy J-P Dubois-Dumeacutee parle de laquo lrsquoinvention raquo terme

bergsonien qui deacutecrit lrsquoune des fonctions du geacutenie dans lrsquohistoire

Lrsquoinspiration des grands geacutenies la gracircce des saints font dans ce qui meurt la relegraveve de la vie remettent un fagot au foyer qui srsquoeacuteteint pour en reacutenover lrsquoardeur Tout en dernier ressort revient agrave lrsquoindividu Selon la conception bergsonienne chegravere agrave Peacuteguy il y a une laquo invention raquo en morale et le progregraves srsquoopegravere par des personnaliteacutes drsquoexception Son action degraves lors est un appel constant aux forces mateacuterielles et spirituelles engageacutees dans la dureacutee63

Michelet rapproche le geacutenie et le saint par une autre voie celle des qualiteacutes

morales il deacutefinit le geacutenie notamment par sa bonteacute Cette caracteacuteristique disparaicirct

de la reacuteflexion de Peacuteguy sur le geacutenie parce qursquoil deacutecrit plutocirct sa fonction dans le

monde que sa personnaliteacute propre Cependant le geacutenie chez Peacuteguy nrsquoest pas

seulement un talent repreacutesentatif drsquoun peuple ou drsquoune eacutepoque car agrave la diffeacuterence

du talent selon la thegravese de Franccediloise Gerbod

le geacutenie ne srsquoappartient pashellip Version peacuteguyste de lrsquoinspiration combien riche et profonde lrsquoinspiration crsquoest la segraveve de la jeunesse non pas de la jeunesse de lrsquoeacutecrivain mais celle toujours jeune du peuple qui le soutient jamais le geacutenie ne se laquo repreacutesente lui-mecircme raquo Sinon il ne serait pas un geacutenie64

Ce qui rassemble encore Jules Michelet et Charles Peacuteguy dans leur reacuteflexion

sur le geacutenie crsquoest lrsquoideacutee du rafraicircchissement du renouvellement qursquoapporte le

geacutenie non seulement il est le repreacutesentant du peuple sa quintessence mais il est

aussi celui qui garantit une espeacuterance une possibiliteacute de nouveau en puisant dans le

passeacute et mecircme en se reacutepeacutetant en eacutetant fidegravele agrave soi Peacuteguy va parler plus tard de la

laquo petite fille espeacuterance raquo comme en eacutecho agrave Michelet qui eacutecrivait laquo Le geacutenie a le

don drsquoenfance comme ne lrsquoa jamais lrsquoenfant raquo65 Selon Franccediloise Gerbod le geacutenie

laquo exprime une reacutealiteacute venant de si loin que tout geacutenie se ressemblant agrave lui-mecircme se

redit drsquoune certaine maniegravere dans toutes ses œuvres comme Monet refait ses

nympheacuteas raquo66

Lrsquoexemple le plus eacutevident du geacutenie chez Peacuteguy crsquoest Victor Hugo son poegravete

preacutefeacutereacute Peacuteguy parle dans plusieurs textes du poegravete dont il connaissait des centaines

63 DUBOIS-DUMEacuteE Jean-Pierre Solitude de Peacuteguy Paris Plon 1946 p 166 64 GERBOD Franccediloise Peacuteguy lecteur de Corneille thegravese soutenue en 1969 agrave lrsquoUniversiteacute de Nanterre p 5 65 MICHELET Jules opcit p 247 66 GERBOD Franccediloise opcit p 10

42

de vers par cœur Dans Victor-Marie comte Hugo au deacutebut des Dialogue de

lrsquohistoire et de lrsquoacircme paiumlenne et dans drsquoautres textes Partout il souligne la

diffeacuterence entre lrsquohomme et son œuvre il meacuteprise presque le romantisme de Hugo

non pas drsquoun point de vue estheacutetique mais drsquoun point de vue ideacuteologique il rejette

ses choix politiques et le fait mecircme qursquoil ait fait de la politique laquo Cet antique ce

geacutenie unique ce paiumlen unique cet homme drsquoun geacutenie unique eacutetait ravageacute drsquoau

moins un double politicien un politicien de politique qui le fit deacutemocrate et un

politicien de litteacuterature qui le fit romantique raquo (II 747) Et pourtant Hugo reste un

geacutenie aux yeux de Peacuteguy car son œuvre est celle drsquoun geacutenie qui renouvelle la

langue franccedilaise qui repreacutesente le peuple franccedilais par ses eacutecrits qui en devient le

visage lrsquoincarnation Non seulement il renouvelle la langue mais encore il porte un

regard nouveau sur le monde comparable au regard de Dieu creacuteateur laquo II avait

reccedilu ce don unique entre les hommes il avait reccedilu ce don plus jeune que les

anciens avant les anciens il avait reccedilu ce don de voir la creacuteation comme si elle

sortait ce matin des mains du Creacuteateur raquo (Ibid) Mais selon lrsquoarticle de Pierre

Albouy qui analyse les liens complexes entre Charles Peacuteguy et Victor Hugo pour

Peacuteguy laquo Hugo crsquoest la preacutesence de la vie dans tous les moments de la succession

temporelle Il manque le sens que donne lrsquoassomption dans lrsquoeacuteternel Agrave la pleacutenitude

hugolienne manque lrsquoachegravevement chreacutetien raquo67

Ce qui rapproche le geacutenie selon Jules Michelet des geacutenies saints et heacuteros de

Peacuteguy crsquoest le fait qursquoil agisse et transforme le monde autrement dit crsquoest sa

fonction de bacirctisseur de la nouvelle citeacute laquo Lrsquoacircme de lrsquohomme de geacutenie cette acircme

visiblement divine puisqursquoelle creacutee comme Dieu crsquoest la citeacute inteacuterieure sur laquelle

nous devons modeler la citeacute exteacuterieure afin qursquoelle soit divine aussi raquo68 On retrouve

cette ideacutee dans la premiegravere œuvre litteacuteraire et philosophique de Peacuteguy Marcel ou le

dialogue de la citeacute harmonieuse Plus tard en revenant sur sa jeunesse socialiste

dans Notre jeunesse Peacuteguy eacutevoquera la neacutecessiteacute drsquoopeacuterer drsquoabord une reacutevolution

morale dans son acircme pour passer ensuite agrave une action exteacuterieure et devenir un heacuteros

67 ALBOUY Pierre laquo Peacuteguy et Hugo raquo Revue drsquoHistoire litteacuteraire de la France 73e Anneacutee ndeg 23 Peacuteguy Mars ndash Juin 1973 p 254-263 p 262 68 MICHELET Jules Michelet opcit p 257

43

3 Le saint et le heacuteros

Le heacuteros est toujours exemplaire Au temps de Peacuteguy lrsquoeacuteducation agrave lrsquoeacutecole

primaire met en exergue lrsquoheacuteroiumlsme on valorise le courage le patriotisme on

preacutepare les enfants agrave deacutefendre la Patrie Les heacuteros proposeacutes aux enfants des eacutecoles

primaires sont des exemples au point de vue moral Plus tard dans lrsquoenseignement

secondaire crsquoest Corneille qui se retrouve au centre drsquoune eacuteducation animeacutee par un

eacutelan patriotique et mettant deacutesormais en valeur la volonteacute plus que lrsquohonneur Cette

eacuteducation a marqueacute en profondeur lrsquoeacutelegraveve et le futur eacutecrivain Charles Peacuteguy elle

peut expliquer lrsquoimportance qursquoil donne aux heacuteros et la signification qursquoil donne agrave

cette notion

Pour bien comprendre lrsquooriginaliteacute de la vision du heacuteros propre agrave Peacuteguy il

convient drsquoabord de se reacutefeacuterer au sens que lrsquoon donne ordinairement agrave ce terme Le

Treacutesor de la Langue Franccedilaise Informatiseacute (TLFi) donne plusieurs deacutefinitions du

mot laquo heacuteros raquo

IA Ecirctre fabuleux la plupart du temps drsquoorigine mi-divine mi-humaine diviniseacute apregraves sa mort

IB Personnage leacutegendaire auquel la tradition attribue des exploits prodigieux

IIA 1Homme femme qui incarne dans un certain systegraveme de valeurs un ideacuteal de force drsquoacircme et drsquoeacuteleacutevation morale

Homme femme qui fait preuve dans certaines circonstances drsquoune grande abneacutegation

Combattant(e) remarquable par sa bravoure et son sens du sacrifice

IIA2 Homme femme qui porte un trait de caractegravere agrave son plus haut degreacute

Homme femme qui se distingue dans une activiteacute particuliegravere

IIB 1 Principal personnage masculin ou feacuteminin drsquoune œuvre artistique

Homme femme auxquels arrivent des aventures extraordinaires qui semblent sorties de lrsquoimagination drsquoun romancier

Personnage masculin ou feacuteminin propre agrave un auteur agrave un genre agrave une eacutepoque

IIB2 Homme femme qui joue le rocircle principal (dans un eacuteveacutenement)

Dans le regard que Peacuteguy porte sur le heacuteros et lrsquoheacuteroiumlsme on retrouve plusieurs

de ces significations Ainsi le haut prix du travail pour Peacuteguy donne un sens

particulier agrave la deacutefinition mecircme du heacuteros comme laquo homme femme qui se distingue

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dans une activiteacute particuliegravere raquo puisque cette distinction fait de cet homme ou de

cette femme dans les yeux de Peacuteguy un laquo ecirctre fabuleux raquo incarnant laquo un ideacuteal de

force drsquoacircme et drsquoeacuteleacutevation morale raquo

Jeanne drsquoArc est une heacuteroiumlne classique qui correspond pleinement agrave la premiegravere

deacutefinition du dictionnaire elle a une vie cacheacutee avant de vivre une eacutepiphanie

heacuteroiumlque elle apporte le neufhellip Cependant Peacuteguy ne fait pas de sa trilogie ni de

son Mystegravere de la chariteacute un classique reacutecit heacuteroiumlque il montre lrsquoenfance la vie

cacheacutee de Jeannette le lieu et le temps ougrave srsquoenracine le heacuteros

Dans le Dialogue de lrsquohistoire et de lrsquoacircme charnelle Peacuteguy parle aussi des

heacuteros antiques des demi-dieux Ce qui reacuteunit chez Peacuteguy le heacuteros le saint et le

geacutenie crsquoest en effet le fait qursquoils deacutetiennent leur force drsquoailleurs dans la mesure ougrave

ils puisent dans la meacutemoire et dans la race Comme lrsquoexplique Franccediloise Gerbod

La voix de la meacutemoire engloutie reacuteveilleacutee par lrsquoeacutevegravenement suggegravere agrave lrsquohomme en de certains moments critiques des actes qui viennent drsquoun au-delagrave de lui-mecircme et par lagrave le rattachent agrave travers les geacuteneacuterations agrave tout une famille spirituelle une communauteacute humaine69

Cette voix selon Franccediloise Gerbod a aussi le pouvoir de reacuteunir les saints les

geacutenies et les heacuteros entre eux par une forme de communion La litteacuterature fabrique en

quelque sorte les heacuteros gracircce agrave diffeacuterents proceacutedeacutes lrsquoagrandissement et le

merveilleux eacutepique la deacuteification et la recircverie heacuteroiumlque De la sorte le heacuteros laquo nrsquoest

pas un homme-dieu mais un homme divin raquo70 suivant la deacutefinition de Philippe

Sellier Pour Peacuteguy crsquoest plutocirct lrsquoadmiration qui megravene agrave lrsquoimitation du personnage

heacuteroiumlque et exemplaire lrsquoincarnation drsquoune force la distinction par les actes Agrave

propos du heacuteros chez Peacuteguy Pauline Bernon[-Bruley] eacutecrit

Lrsquoestime de Peacuteguy va aux heacuteros ou aux voix qui fondent ou repreacutesentent une civilisation et reacutesonneront toujours conjurant la mort temporelle Antigone Hypatie les dreyfusards disqualifieacutes Bernard-Lazare Polyeucte mecircme le Cid et Seacutevegravere Jeanne drsquoArc saint Louis croiseacute anachronique donnent agrave Peacuteguy la repreacutesentation tragique Ces figures repreacutesentent le peuple lrsquohumaniteacute dans un theacuteacirctre de veacuteriteacute aux valeurs universelles Lrsquoattention que Peacuteguy porte agrave ses piegraveces preacutefeacutereacutees ne donne donc pas lieu agrave des commentaires sur la psychologie des personnages mais agrave la puissance de reacuteveacutelation de leurs choix

69 GERBOD Franccediloise op cit p 66-67 70 SELLIER Philippe Le Mythe du heacuteros Paris-Bruxelles-Montreacuteal Univers des lettres Bordas 1970 p 24

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La critique de Peacuteguy eacutepouse alors la forme drsquoun parallegravele fileacute dans une architecture de reacutefeacuterences ougrave textes et hommes entretiennent des relations drsquoimitation71

Ses lectures assidues de Jules Michelet offrent un cadre et donnent une

direction agrave la penseacutee de Peacuteguy sur lrsquoheacuteroiumlsme On trouve chez Michelet ces mots

La faculteacute du deacutevouement la puissance du sacrifice crsquoest je lrsquoavoue ma mesure pour classer les hommes Celui qui lrsquoa au plus haut degreacute est plus pregraves de lrsquoheacuteroiumlsme Les supeacuterioriteacutes de lrsquoesprit qui reacutesultent en partie de la culture ne peuvent jamais entrer en balance avec cette faculteacute souveraine72

Peacuteguy emprunte agrave Michelet cette ideacutee que le heacuteros crsquoest non seulement celui

qui accomplit des exploits remarquables mais aussi celui qui se deacutevoue et se

sacrifie en ce sens il se rapproche du saint qui srsquooublie et se donne Dans son

eacutetude Peacuteguy Lrsquoaxe de deacutetresse le philosophe Jean-Noeumll Dumont observe agrave ce

sujet

Le heacuteros nrsquoest tel que par son acte et son acte est toujours singulier saisissant une circonstance unique de lui seul aperccedilue On nrsquoest pas heacuteros par disposition ni agrave temps plein mais parce que telle situation dans sa contingence fait entendre un appel Certes cet appel le heacuteros comme Jeanne drsquoArc srsquoest preacutepareacute agrave lrsquoentendre en cultivant sa vie inteacuterieure en rejetant les geacuteneacuteraliteacutes Le systeacutematique obseacutedeacute par les lois geacuteneacuterales est reacutesigneacute avant tout eacuteveacutenement Le heacuteros ne se soumet pas parce qursquoil est ce singulier en tacircche drsquoune mission singuliegravere73

De ces reacuteflexions deacutecoulera laquo cette conception de la sainteteacute militante qui

marquera ainsi tout le christianisme du XXe siegravecle raquo74 dans la mesure ougrave pour

Peacuteguy comme pour le heacuteros corneacutelien le salut peut se trouver dans lrsquoacte qui nous

engage entiegraverement qui reacutegeacutenegravere tout notre ecirctre faisant de chacun de nous un

homme nouveau

a) Polyeucte

Finalement la frontiegravere entre le heacuteros et le saint chez Peacuteguy apparaicirct comme

tregraves fine Peacuteguy aime les saints militants qui agissent et les heacuteros qui se sacrifient

71 BERNON [BRULEY] Pauline laquo Peacuteguy critique lrsquoenvers du tragique raquo Revue drsquohistoire litteacuteraire de la France ndeg 3 2005 (vol105) p 573-586 (p 573) 72 MICHELET Jules opcit p 18 73 DUMONT Jean-Noeumll Peacuteguy Lrsquoaxe de deacutetresse Michalon Paris 2005 p 69 74 SELLIER Philippe op cit p 171

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La diffeacuterence entre les deux reacuteside sans doute surtout dans leur rapport au monde

au travail pour un saint laquo lrsquoexploit raquo peut aussi bien ecirctre accompli dans le travail

quotidien que dans un contexte proprement heacuteroiumlque drsquoautre part le saint creacutee un

lien une possibiliteacute de dialogue avec lrsquoAutre qui ne fait pas partie du rocircle du

personnage heacuteroiumlque Le personnage principal de la trageacutedie de Corneille Polyeucte

ainsi que Jeanne drsquoArc se trouvent au centre du travail de Peacuteguy car ils preacutesentent

tous deux la particulariteacute drsquoecirctre agrave la fois heacuteros et saints

Peacuteguy juge que tous les personnages de Corneille sont toucheacutes par la gracircce et

se trouvent agrave la limite entre le heacuteros et le saint Dans Victor-Marie comte Hugo il

eacutecrit

Ainsi tout le romain de Polyeucte est deacutejagrave en germe en origine dans Horace et le chreacutetien y est deacutejagrave doublement triplement annonceacute promis par lrsquoheacuteroiumlsme par le civique par une sorte de sainteteacute anteacuterieure par une rigueur par une rudesse (qui se retrouvera srsquoentendre dans Polyeucte et qui est deacutejagrave si tendre en reacutealiteacute dans Horace et surtout dans le vieil Horace) (III 310)

La preacutefeacuterence de Peacuteguy pour Corneille et ses reacuteticences agrave lrsquoeacutegard de Racine

trouvent leurs origines justement dans le souci drsquoexemplariteacute preacutesent chez lrsquoauteur

de Polyeucte Peacuteguy choisit Corneille justement parce que contrairement agrave Racine

il ne deacutecrit pas les hommes comme ils sont mais comme ils devraient ecirctre il donne

vraiment lrsquoexemple un exemple stoiumlcien et chreacutetien

Dans un texte intituleacute De la situation faite au parti intellectuel dans le monde

moderne devant les accidents de la gloire temporelle Peacuteguy reacutefleacutechit longuement

sur le heacuteros et sur le saint Ce texte a eacuteteacute publieacute dans le premier Сahier de la

neuviegraveme seacuterie le 6 octobre 1907 il fait partie drsquoune seacuterie de textes consacreacutes agrave

lrsquohistoire au monde moderne et agrave un deacutebut drsquoune reacuteflexion sur la sainteteacute Peacuteguy

pense que le heacuteros comme le geacutenie qui drsquoapregraves Michelet repreacutesente son peuple

repreacutesente toute sa race il laquo y puise ineacutepuisablement une force ineacutepuisable de

joie raquo (II 761) Ses forces ne tarissent point Un peu plus tocirct dans un texte eacutecrit en

reacuteponse agrave la critique par Georges Sorel du roman Jean Coste publieacute dans les

Cahiers de la quinzaine De Jean Coste Peacuteguy en parlant des repreacutesentations de

lrsquoheacuteroiumlsme dans la litteacuterature va mecircme plus loin il va en effet jusqursquoagrave affirmer

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Toutes les misegraveres humaines exigent du courage et je ne serais pas eacutetonneacute que dans la penseacutee des grands poegravetes classiques les grands personnages fussent les repreacutesentants eacuteminents de toute lrsquohumaniteacute [hellip] Ils ne sont pas drsquoune classe eacuteminente mais ils sont toute lrsquohumaniteacute consideacutereacutee sur un plan eacuteminent comme le roi repreacutesentait le royaume (I 900-901)

Ce texte date du 13 feacutevrier 1902 En 1902 Peacuteguy tendait agrave attribuer au heacuteros

lrsquoune des qualiteacutes qursquoil attribuera plus tard au saint agrave savoir la laquo sainteteacute

anteacuterieure raquo comme il le deacutefinira plus tard dans Victor-Marie comte Hugo Au

centre de la preacuteoccupation de Peacuteguy agrave cette eacutepoque se trouvait la misegravere ce que lrsquoon

appelle souvent aujourdrsquohui lrsquoexclusion La pauvreteacute selon Peacuteguy peut ecirctre digne

mais non la misegravere Crsquoeacutetait la raison pour laquelle il tenait tant agrave publier ce roman

drsquoAntonin Lavergne Jean Coste ou lrsquoinstituteur du village histoire drsquoun instituteur

provincial acculeacute au suicide par sa misegravere75

Lagrave encore il trouve matiegravere agrave reacuteflexion dans lrsquoœuvre de Corneille

concregravetement dans Polyeucte comme cela arrive souvent agrave Peacuteguy lorsqursquoil aborde

un sujet important pour lui

Franccediloise Gerbod auteur drsquoune thegravese sur Peacuteguy et Corneille analyse de faccedilon

deacutetailleacutee la maniegravere dont la lecture de Corneille reacutevegravele le deacuteveloppement de la

maniegravere dont Peacuteguy pense la sainteteacute et lrsquoheacuteroiumlsme

Si Corneille est au cœur des meacuteditations de Peacuteguy sur lrsquoheacuteroiumlsme deacutejagrave en 1901 il srsquoagit drsquoun heacuteroiumlsme ougrave la part du deacutetachement des choses de ce monde est plus grande que celle de la conquecircte mecircme de celle de sa propre grandeur [hellip] Deacutejagrave agrave cette eacutepoque la sainteteacute sous un aspect symbolique qui nrsquoa pas encore reacuteveacuteleacute son nom laquo briser les images des faux-dieux par manifestation de la vie nouvelle raquo est preacutefeacutereacute agrave un heacuteroiumlsme conqueacuterant et personnel Il nous semble donc faux de soutenir que Peacuteguy lecteur de Corneille a drsquoabord aimeacute choisi lrsquoheacuteroiumlsme et qursquoil a ensuite eacutevolueacute vers la sainteteacute Car visiblement si toutes les richesses symboliques dont le personnage de Polyeucte est chargeacute ne sont pas encore tregraves claires agrave ses yeux Peacuteguy est obseacutedeacute par Polyeucte et par Polyeucte seul Les autres personnages de Corneille

75 Le roman Jean Coste ou lrsquoInstituteur du village a eacuteteacute lrsquoune des raisons de la brouille entre Peacuteguy et la Socieacuteteacute nouvelle de librairie et drsquoeacutedition qui a repris la librairie Georges Bellais creacuteeacutee par Peacuteguy apregraves sa faillite Peacuteguy avait proposeacute de publier ce roman dans la librairie au moment ougrave il nrsquoy eacutetait plus que laquo deacuteleacutegueacute agrave lrsquoeacutedition raquo mais Leacuteon Blum Lucien Herr et leurs collegravegues ont jugeacute que lrsquoauteur exageacuterait et ils ont refuseacute la publication drsquoun texte jugeacute doloriste et non actuel sur le plan politique Crsquoeacutetait peut-ecirctre la derniegravere goutte pour Peacuteguy pour qui la lutte contre lrsquoexclusion la misegravere devait ecirctre au centre de toute action socialiste Agrave la fin de 1899 Peacuteguy propose agrave la CNLE de creacuteer un nouveau peacuteriodique qui donnera lrsquoinformation de la quinzaine mais ayant encore une fois essuyeacute un refus il se lance dans la creacuteation des Cahiers de la quinzaine Le premier cahier parait le 5 janvier 1900 Peacuteguy publiera le roman de Lavergne en 1901

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pour lui ne sont que des eacutebauches imparfaites de ce heacuteros ideacuteal ndash ce qursquoil explicitera seulement par la suite76

Franccediloise Gerbod souligne lrsquouniteacute la coheacuterence de lrsquoœuvre de Peacuteguy qui

contrairement aux ideacutees reccedilues nrsquoa pas veacutecu de changement radical de sa vision de

lrsquohumain crsquoest la sainteteacute qui lrsquointeacuteresse en 1901 comme en 1914 mais en 1901 il

lui donne parfois drsquoautres noms

Dans sa reacuteponse agrave Sorel agrave propos de Jean Coste en 1902 Peacuteguy preacutesente les

stoiumlciens et les reacutevolteacutes comme ceux qui repreacutesentent les modestes et les humbles

dans cette perspective Jean Coste apparaicirct comme le repreacutesentant de tous les

miseacuterables et Polyeucte comme le heacuteros qui repreacutesente tous les martyrs

laquo obscurs raquo inconnus Il nrsquoest donc pas seulement un heacuteros il est aussi un martyr et

un saint ce qui donne une autre dimension agrave ses actes heacuteroiumlques Le heacuteros

repreacutesente une race ou mecircme lrsquohumaniteacute entiegravere mais le saint intercegravede pour

lrsquohumaniteacute devant Dieu et teacutemoigne de Dieu devant les hommes il teacutemoigne par

lrsquoincarnation dans sa vie des gracircces reccedilues en deacutefiant le temps lrsquoespace en restant

pleinement homme au contact de lrsquoautre afin de creacuteer un dialogue et de rendre

possible une Rencontre Dans ce petit texte eacutecrit dans une peacuteriode ougrave Peacuteguy eacutetait

totalement anticleacuterical on entrevoit toutefois ce qui sera plus tard le fondement de

sa penseacutee sur la sainteteacute Il eacutecrit agrave propos du personnage de Polyeucte laquo Polyeucte

a briseacute les images des faux dieux par manifestation de vie nouvelle non pour

tragiquer sa mort raquo (I 901) Cette laquo manifestation de la vie nouvelle raquo teacutemoigne de

la gracircce reccedilue et de la possibiliteacute drsquoune vie nouvelle au moment de la mort et au-

delagrave de la mort Franccediloise Gerbod montre dans sa thegravese comment le personnage de

Polyeucte dans les diffeacuterentes peacuteriodes de la vie de Peacuteguy devient le repreacutesentant de

la cause qui anime lrsquoauteur au deacutebut Polyeucte est un anarchiste qui brise les

idoles plus tard il est en premier lieu un heacuteros antique puis crsquoest son intercession

pour Pauline qui devient centrale pour Peacuteguy

Lrsquoacte individuel de Polyeucte se reacuteinscrit ainsi dans une vision collective Il nrsquoest plus lrsquoanarchiste le reacutevolteacute individualiste mais le repreacutesentant de tous les martyrs obscurs de ceux qui teacutemoignent de la force de la veacuteriteacute et qui malgreacute leur apparent eacutechec reacutegeacutenegraverent le monde en transformant sa conscience ndash Antigone ndash Jeanne drsquoArc ndash Jeacutesus

76 GERBOD Franccediloise op cit p 61- 62

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En un sens Polyeucte peut signifier aux yeux de Peacuteguy agrave cette eacutepoque le militant socialiste La vie nouvelle qui se manifeste en lui nrsquoest pas apparemment le christianisme mais son dynamisme le pousse deacutejagrave agrave deacutetruire les images des faux-dieux les idoles qui viennent remplacer le Dieu que les socialistes ont refuseacute [hellip] Polyeucte apparaicirct en effet dans lrsquoœuvre de Peacuteguy agrave cette eacutepoque agrave travers la violence mecircme de son geste le bris des idoles Plus tard drsquoautres attitudes retiendront davantage son apologiste Celle-ci correspond particuliegraverement bien agrave son eacutetat drsquoesprit entre 1900 et 190877

Cinq ans plus tard dans De la situationhellip Peacuteguy eacutetablit une claire distinction

entre le heacuteros et le saint Le heacuteros repreacutesente la race et srsquoinscrit dans une histoire et

une eacutepoque donneacutee alors que le saint repreacutesente la gracircce et srsquoinscrit dans lrsquoeacuteterniteacute

Il y a neacuteanmoins entre eux une relation de figuration le heacuteros figure le saint et

lrsquoeacuteternel dans le temporel Franccediloise Gerbod explique que la notion de figure chez

Peacuteguy est de provenance biblique parce que dans la Bible laquo les eacuteveacutenements se

figurent les uns les autres raquo les naissances drsquoenfants chez les femmes consideacutereacutees

comme steacuteriles figurent la naissance de Jeacutesus le passage de la mer Rouge par les

juifs fuyants lrsquoEacutegypte figure la reacutesurrection du Christ etc laquoLa figure est toujours un

eacutevegravenement reacuteel concret plein en lui-mecircmehellip mais signifiant plus que lui-mecircme

introduisant agrave une veacuteriteacute non encore pleinement reacuteveacuteleacuteeraquo explique Franccediloise

Gerbod Peacuteguy semble-t-il est influenceacute par Pascal dans lrsquoemploi de ce mot qursquoil

utilise pour deacutecrire le lien entre la vie concregravete des hommes et sa signification

biblique et plus largement ndash son sens spirituel Peacuteguy emploie souvent le mot

laquo figure raquo quand il parle de lrsquoIncarnation Dans lrsquoœuvre de Peacuteguy Franccediloise Gerbod

interpregravete Le Cid comme une figure de Polyeucte et lrsquoheacuteroiumlsme comme une figure

de la sainteteacute Dans De la Situation lrsquoideacutee de figure

est nettement appliqueacutee agrave la forme mecircme de lrsquoœuvre corneacutelienne le paralleacutelisme des stances du Cid et de celles de Polyeucte est reconnu Mais la figuration donne aussi un sens agrave lrsquoœuvre puisque le sang de sa race ougrave le heacuteros puise sa force est mis en parallegravele avec le sang de la gracircce qui est la communion de saints que la joie du heacuteros humain figure celle du heacuteros chreacutetien ndash du Saint78

En parlant des franccedilais qui ont fait la Reacutevolution dont il eacutevoque lrsquoheacuteroiumlsme

Peacuteguy dit qursquoen deacutepit de leurs souffrances ils eacutetaient heureux parce qursquoils

participaient agrave lrsquoeacutevegravenement laquo Leur pied nu a obtenu de lrsquoinstrument monde une

reacutesonance un retentissement que nul nrsquoen a tireacute depuis raquo (II 752) La participation agrave 77 GERBOD Franccediloise op cit p 59 78 Ibid p 130

50

un eacutevegravenement creacutee en effet pour lui la possibiliteacute de demeurer dans la meacutemoire

donc de rester eacuteternel dans le temps elle permet laquo que le bruit des pas que lrsquoon a

faits sur cette route ne puisse plus srsquoeffacer de la meacutemoire des peuples raquo (ibid) De

plus Peacuteguy est persuadeacute que celui qui participe agrave un eacutevegravenement propre agrave changer le

cours de lrsquohistoire en est totalement conscient

Des hommes un peuple une nation une race un homme qui obtient drsquoavoir de la puissance temporelle une fortune temporelle une histoire temporelle srsquoen aperccediloit aussitocirct voyons Ces gars-lagrave nrsquoeacutetaient pas si becirctes Ils savaient tregraves bien il savaient parfaitement quand ils posaient au moment mecircme qursquoils posaient leur pied dans la poussiegravere ou dans la boue des routes que nulle poussiegravere jamais nrsquoeffacerait que nulle boue jamais ne deacutetremperait que nul autre souvenir que nulle autre trace jamais nrsquoabolirait la trace de leur pas qursquoils creacuteaient une trace indeacuteleacutebile que le bruits de leur pas srsquoentendrait toujours dans lrsquohistoire des bruits de lrsquohistoire que le traceacute se lirait toujours que la trace de leurs pas se verrait temporellement toujours dans la meacutemoire du monde (II 756-757)

Le heacuteros chez Peacuteguy se deacutefinit donc par son rapport au temps au preacutesent agrave

lrsquohistoire Le heacuteros nrsquoest pas vraiment celui qui accomplit un exploit ou qui diffegravere

particuliegraverement des autres devient tel celui qui a pu discerner dans le cours de

lrsquohistoire lrsquoeacutevegravenement et y participer dans la mesure ougrave laquo ecirctre heacuteroiumlque crsquoest

accueillir lrsquoeacutevegravenement crsquoest faire face raquo79 Le prophegravete discerne les eacuteveacutenements

dans le temps mais il nrsquoagit pas forceacutement le saint vit chaque instant comme

lrsquoavegravenement de Dieu et donc comme un eacuteveacutenement le heacuteros est reacuteveacuteleacute par

lrsquoeacuteveacutenement Dans De la situation Peacuteguy donne cette deacutefinition de lrsquoheacuteroiumlsme

Or lrsquoheacuteroiumlsme est essentiellement une vertu un eacutetat lrsquoaction heacuteroiumlque est essentiellement une opeacuteration de santeacute de bonne humeur de joie mecircme de gaiteacute presque de blague une action une opeacuteration drsquoaisance de largesse de faciliteacute de commoditeacute de feacuteconditeacute de bien allant de maicirctrise et de possession de soi drsquohabitude presque pour ainsi dire et comme drsquousage de bon usage De feacuteconditeacute inteacuterieure de force comme drsquoune belle eau de source de force puiseacutee dans le sang de la race et dans le propre sang de lrsquohomme un trop-plein de segraveve et de sang (II 759)

Dans ce fragment Peacuteguy souligne visiblement le caractegravere presque anodin des

actes du heacuteros ce nrsquoest pas un homme qui est exceptionnel gracircce agrave ce qursquoil fait

mais il se maicirctrise et se possegravede pour entrer dans lrsquoeacuteveacutenement il puise sa force

dans sa race dans le passeacute ce qui permet de participer aux eacuteveacutenements dans le

preacutesent cependant que sa feacuteconditeacute inteacuterieure permet agrave lrsquoeacuteveacutenement de srsquoouvrir vers

le futur lrsquoeacuteterniteacute

79 GERBOD Franccediloise op cit p 65

51

Le heacuteros chez Peacuteguy joue crsquoest lrsquoune des sources de sa joie En srsquoinspirant de

Bergson Peacuteguy semble en effet concevoir le jeu comme une forme particuliegravere de

rapport au preacutesent qui rend possible et organise la rupture creacuteeacutee par le comique le

heacuteros qui se reacutevegravele dans lrsquoeacuteveacutenement joue en agissant le saint pour sa part qui se

reacutevegravele dans la dureacutee ne joue pas La source de sa joie est diffeacuterente

Comme le heacuteros temporel puise dans la force de sa race une force ineacutepuisable de joie ainsi dans un ordre autre dans un ordre infiniment supeacuterieur le saint le vrai saint puise dans lrsquoopeacuteration de la gracircce dans la force de lrsquoopeacuteration de la gracircce une force ineacutepuisable de joie Il nrsquoy a pas plus de saint grognons qursquoil nrsquoy a de heacuteros grognons (II 761)

Le heacuteros selon Peacuteguy est une sorte de figuration du saint La figuration peut

ecirctre comprise comme une sorte de jeu au sens ougrave un acteur joue et ougrave lrsquoon parle de

jeu theacuteacirctral crsquoest une repreacutesentation une mise en situation dans un eacuteveacutenement

eacutetant consideacutereacute que selon la deacutefinition de Colas Duflo dans son eacutetude de la

signification philosophique du jeu laquo lrsquoespace du jeu est relationnel et le temps du

jeu est seacutequentiel 80raquo Ainsi lrsquoheacuteroiumlsme devient une reacuteponse directe agrave lrsquoappel de

lrsquoeacuteveacutenement agrave travers une reconnaissance de sa veacuteriteacute inteacuterieure et si on parle de la

sainteteacute crsquoest principalement dans la reacuteponse agrave la vocation que se reacutevegravele la

perception de lrsquoeacuteveacutenement en tant qursquoordre appel et signe Robert Scholtus

approfondit le rocircle du jeu chez Peacuteguy sa fonction dans la reacuteception de lrsquoeacuteveacutenement

par le heacuteros et le saint dans un article publieacute dans le Bulletin de lrsquoAmitieacute Charles

Peacuteguy

Etre joueur crsquoest consentir au possible qui fait irruption dans lrsquoimpreacutevisibiliteacute de lrsquoeacuteveacutenement Le joueur se rebelle contre la neacutecessiteacute et la fataliteacute sans pour autant srsquoabandonner agrave la loi du hasard Entre hasard et neacutecessiteacute il se soumet humblement agrave laquo la souveraineteacute de lrsquoeacuteveacutenement raquo de laquelle participe le deacuteveloppement de lrsquohistoire de la penseacutee et de tous les pheacutenomegravenes culturels Jouer crsquoest consentir agrave la contingence radicale de ce qui aurait pu ne pas advenir et agrave la preacutecariteacute de ce qui est Les faits culturels ne sont pas des pions indistincts qursquoon ferait laquo progresser raquo sur le grand eacutechiquier de lrsquoaventure humaine La reacutealiteacute nrsquoeacutevolue pas elle advient dans la varieacuteteacute des pheacutenomegravenes et dans la fortuiteacute de lrsquoeacuteveacutenement81

Franccediloise Gerbod explore aussi la notion du jeu chez Peacuteguy mais elle

lrsquointerpregravete plutocirct comme un jeu du risque et du hasard dans le sens ougrave le heacuteros 80 DUFLO Colas Le Jeu une approche philosophique BIGREL Franccedilois La Performance humaine art de jouer art de vivre Les eacuteditions du CREPS Aquitaine 2006 p 61-76 81 SCHOLTUS Robert laquo Une Partie drsquoun enjeu infini raquo Peacuteguy poegravete du jeu Lrsquoamitieacute Charles Peacuteguy Ndeg61 janvier-mars 1993 p 19

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joue sa vie dans lrsquoeacuteveacutenement en la risquant Dieu joue sa vie en srsquoincarnant et le

saint en lrsquoimitant

Lagrave est la vraie parenteacute entre le christianisme de Peacuteguy et lrsquoheacuteroiumlsme corneacutelien le risque est neacutecessaire au saint comme au heacuteros Nrsquoest pas chreacutetien dit Peacuteguy celui qui est assureacute du pain quotidien Nrsquoest pas heacuteroiumlque dirait Corneille celui qui ne risque pas ce qursquoil a de plus cher dans un eacutelan de tout son ecirctre Toutes choses posseacutedeacutees sont immeacutediatement risqueacutees Risqueacute lrsquoamour du Cid pour Chimegravene risqueacutes lrsquoamitieacute et lrsquoamour drsquoHorace risqueacute immeacutediatement lrsquoamour si profond de Polyeucte pour Pauline Ce risque rupture inhabitude est agrave la fois exercice de notre liberteacute et possibiliteacute offerte agrave la gracircce maintien de notre aptitude agrave faire toutes choses nouvelles et accueil agrave la force creacuteatrice de Dieu Mais une ouverture spirituelle aussi constante aussi totale resterait un recircve utopique si la vie secregravete de la laquo race raquo ne la soutenait comme la communion soutient le chreacutetien82

La diffeacuterence entre le saint et le heacuteros reacuteside dans le fait que le saint se situe et

agit dans la dureacutee et dans lrsquoeacuteterniteacute Lrsquoaction du heacuteros est unique et reste graveacutee

dans la meacutemoire elle peut changer le cours de lrsquohistoire mais elle demeure inscrite

dans son temps Lrsquoaction du saint pour sa part agit dans la dureacutee dans lrsquoeacuteterniteacute et

dans la communion Elle peut avoir moins de reacutepercussion sur les contemporains

mais elle agit dans le futur et dans le passeacute par la reacuteversibiliteacute Le heacuteros reacuteagit agrave

lrsquoeacutevegravenement preacutesent alors que le saint peut agir suite agrave un eacutevegravenement cacheacute passeacute

futur sans savoir mecircme agrave quoi il reacuteagit juste parce qursquoil ressent lrsquoinquieacutetude drsquoun

appel

Le heacuteros repreacutesente la force de la race devant les hommes dans la mesure ougrave il

agit pleinement au cœur de lrsquoeacuteveacutenement avec lrsquoaide de ce que Peacuteguy deacutefinit parfois

comme une laquo repreacutesentation raquo Teresa Martin Sanz analyse dans sa thegravese la

signification de ce terme chez Peacuteguy

La notion de laquo repreacutesentation raquo est tregraves riche de sens dans lrsquounivers mental de Peacuteguy Bien souvent elle deacutesigne lrsquoactiviteacute mentale par laquelle on se met quelque chose devant lrsquoesprit au moyen drsquoune image drsquoune figure drsquoun concept ou drsquoun autre signe Mais parfois il srsquoagit tregraves preacuteciseacutement de laquo repreacutesentation historique raquo Alors le mot est agrave prendre dans son sens le plus litteacuteral rendre le passeacute preacutesent agrave nouveau Pour cela le theacuteacirctre dispose de deux atouts incomparables la force de lrsquoimage et la force de la vie83

Le saint accueille le don de la gracircce il repreacutesente donc Dieu par la force de

lrsquoIncarnation et il repreacutesente les hommes devant Dieu par la force de lrsquointercession

82 GERBOD Franccediloise op cit p 169-170 83 MARTIN SANZ Teresa op cit p 137

53

Lrsquoacte heacuteroiumlque bien qursquoinscrit dans un eacuteveacutenement concret drsquoune eacutepoque

deacutefinie peut aussi ecirctre propheacutetique et porteur drsquoespeacuterance dans la mesure ougrave il peut

rendre possible lrsquoavegravenement du nouveau Peacuteguy observe pour sa part au sujet de

Polyeucte que laquo crsquoest le fond de deacuteceptions de peines et drsquoeacutecœurements qui est le

moteur mecircme de son heacuteroiumlsme raquo84 Dans Notre jeunesse Peacuteguy deacuteclare que

laquo lrsquoheacuteroiumlsme et la sainteteacute avec lesquels moyennant lesquels on obtient des

reacutesultats deacuterisoires temporellement deacuterisoires crsquoest tout ce qursquoil y a de plus grand

de plus sacreacute au monde raquo (III 20) Dans ce texte encore une fois Peacuteguy semble

donc faire lrsquoamalgame entre lrsquoheacuteroiumlsme et la sainteteacute Mais en revenant agrave Polyeucte

on peut voir la diffeacuterence Le but du heacuteros est drsquoaccomplir une action au cœur de

lrsquoeacuteveacutenement Si le heacuteros apprend que son action va eacutechouer qursquoelle est deacuterisoire

qursquoelle nrsquoa ni sens ni espoir il nrsquoagit pas Le saint agit envers et contre tout parce

que son but nrsquoest pas drsquoaccomplir une action aussi salvatrice soit-elle mais drsquoimiter

Jeacutesus et de marcher dans les pas de Dieu Cependant pour le heacuteros crsquoest lrsquoacte

mecircme lrsquoexploit qui rompt le deacutesespoir Le heacuteros aspire agrave la gloire temporelle agrave la

gloire terrestre Crsquoest dans lrsquoattente de cette gloire mecircme posthume qursquoil accomplit

ses exploits Le saint aspire agrave la gloire eacuteternelle qui peut-ecirctre restera invisible aux

yeux des hommes il existe en effet des saints cacheacutes Dans le personnage de

Jeanne drsquoArc et dans celui de Polyeucte Peacuteguy deacutecouvre les deux forces celle de la

race et celle de la gracircce Il parle de Corneille comme drsquoun poegravete de la race et de la

gracircce qui a fait sa propre figuration

Toute une figuration tout un peuple de figures de heacuteros heacuteros de lrsquoamour (humain) heacuteros de la guerre heacuteros de la chevalerie heacuteros de la fideacuteliteacute heacuteros de la race heacuteros de la famille heacuteros de la patrie heacuteros de la citeacute heacuteros du courage heacuteros de lrsquoheacuteroiumlsme toutes sortes de heacuteros tous heacuteros de lrsquohonneur (humain temporel) Puis tout agrave coup tout drsquoun coup apregraves toute cette figuration temporelle passant lui-mecircme drsquoun bond du seul bond de cet ordre qursquoil y ait dans lrsquohistoire des litteacuteratures de la figure au figureacute [hellip] drsquoun seul trait poeacutetique drsquoun seul trait dramatique drsquoun seul trait il fit ce Polyeucte (et cette Pauline) agrave qui agrave quoi rien nrsquoest comparable dans lrsquohistoire du monde et qui est une histoire elle-mecircme une gracircce comme il nrsquoen est tombeacute sur la tecircte drsquoaucun homme dans lrsquohistoire du monde (II 763-764)

Ce texte date drsquooctobre 1907 La ceacutelegravebre confidence de Peacuteguy faite agrave son ami

Joseph Lotte ndash laquo Je ne trsquoai pas tout dithellip Jrsquoai retrouveacute ma foihellip Je suis

84 GERBOD Franccediloise op cit p 54

54

catholique raquo85 ndash date de deacutecembre 1908 un an plus tard Pour autant Peacuteguy nrsquoest

pas un converti si on trouve jusque dans ces textes anticleacutericaux de petits indices

qui montrent qursquoen srsquoeacuteloignant de lrsquoEacuteglise il nrsquoavait jamais rejeteacute Dieu les pages

qursquoil consacre agrave Polyeucte reacutevegravelent que celui-ci nrsquoest pas un simple personnage

litteacuteraire pour lrsquoauteur mais une sorte de compagnon de route

Nous retrouvons ce laquo compagnon raquo dans Victor-Marie comte Hugo publieacute agrave la

fin de 1910 lrsquoanneacutee mecircme de la parution du Mystegravere de la chariteacute de Jeanne drsquoArc

lrsquoœuvre qui a reacuteveacuteleacute aux lecteurs le retour de Peacuteguy au christianisme Ce texte fait

partie drsquoun long dialogue Daniel Haleacutevy a publieacute dans les Cahiers de la quinzaine

agrave la demande de Peacuteguy un texte sur lrsquoaffaire Dreyfus Apologie pour notre passeacute ougrave

Peacuteguy a vu une attitude de vaincus qui srsquoexcusent qui lrsquoa indigneacutee Pour y

reacutepondre Peacuteguy publia dans les Cahiers deux numeacuteros plus tard Notre jeunesse

qui agrave son tour blessa Haleacutevy Crsquoest pour srsquoexcuser publiquement devant son ami et

pour lui reacutepondre que Peacuteguy reacutedige ce texte qui est une sorte de dialogue

imaginaire entre deux amis presque une confession et une reacuteveacutelation de tout ce qui

est le plus preacutecieux pour lrsquoauteur

Cependant Victor Marie comte Hugo nrsquoest pas seulement une reacuteponse agrave un

ami cher que Peacuteguy ne veut pas perdre Ce texte est reacutedigeacute pour calmer la douleur

par le travail de maniegravere presque freacuteneacutetique en tregraves peu de temps Peacuteguy le reacutedige

en effet juste apregraves le mariage de Blanche Raphaeumll la femme qursquoil aimait sa

tentation Dans le deacutesespoir crsquoest la gracircce qui attire le plus lrsquoattention de Peacuteguy et

lrsquounivers de Corneille est pour lui celui mecircme de la gracircce la maniegravere dont

Polyeucte vit le temps accueille lrsquoeacuteveacutenement est pour Peacuteguy remplie de gracircce La

notion de laquo gracircce raquo chez Peacuteguy est complexe Voilagrave comment lrsquoexplique Franccediloise

Gerbod

Il ne srsquoagit pas en effet au deacutepart drsquoune cateacutegorie theacuteologique mais bien drsquoune attitude existentielle agrave la fois spirituelle et incarneacutee Elle est lieacutee agrave une certaine maniegravere de vivre le preacutesent qui la rattache directement au bergsonisme philosophie du temps et paraicirct aussi agrave Peacuteguy srsquoexprimer en pleacutenitude dans le mystegravere de lrsquoincarnation Crsquoest un des points sur lesquels Seacutevegravere-Bergson a reacuteveacuteleacute le christianisme agrave Peacuteguy-Polyeucte crsquoest lagrave que se deacutecegravele la parenteacute profonde entre lrsquoheacuteroiumlsme et la sainteteacute

85 PEacuteGUY Charles LOTTE Joseph Lettres et entretiens Eacuteditions de Paris 1954 p 57

55

Pour le heacuteros comme pour le saint le temps au lieu drsquoentraicircner la mort par habitude devient le lieu mecircme du salut Le heacuteros et le saint sont ceux qui disent laquo nous nrsquoavons qursquoun temps raquo qui reconnaissent que ce qui fait le prix de la vie humaine crsquoest nrsquoavoir laquo qursquoun temps chacun une fois dans un seul sens raquo (II 257)86

Apregraves des pages sur Hugo Racine Corneille et en particulier une analyse des

rimes de Corneille Peacuteguy revient sur le sujet du heacuteros et du saint Ce qui lrsquointeacuteresse

maintenant crsquoest de comprendre et drsquoexpliquer comment Polyeucte le heacuteros est

toucheacute par la gracircce bref comment il devient un saint

Un tel heacuteroiumlsme de sainteteacute ne se produit peut-ecirctre que dans un monde naturellement heacuteroiumlque dans le monde corneacutelien il y a lagrave encore une insertion du spirituel dans le temporel du surnaturel dans le naturel de la sainteteacute dans lrsquoheacuteroiumlsme une nourriture temporelle du spirituel par le temporel dans le temporel une nourriture une prise de deacutepart de la sainteteacute par et dans lrsquoheacuteroiumlsme de lagrave ce faicircte unique de sainteteacute heacuteroiumlque (III 223)

Crsquoest en srsquoappuyant sur Polyeucte que Peacuteguy avance lrsquoune de ses ideacutees

centrales celle du spirituel et du surnaturel ancreacute dans le temporel le naturel le

charnel Lrsquoeacuteveacutenement est creacuteeacute par Corneille celui-ci invente la situation de sa

trageacutedie pour que de lrsquoheacuteroiumlsme propre au personnage central drsquoune trageacutedie

classique naisse le saint pour qursquoagrave la race du heacuteros se joigne la gracircce de Dieu

laquo Jrsquoattends tout de sa gracircce et rien de ma faiblesse raquo87 dit Polyeucte agrave Neacutearque

avant drsquoaller au temple ougrave il brisera les idoles Finalement Peacuteguy montre que pour

le heacuteros qui trouve son ecirctre profond dans lrsquoeacuteveacutenement crsquoest lagrave dans lrsquoeacuteveacutenement

qui fait de lui un homme nouveau que se trouve la gracircce

Peacuteguy dit que laquo Corneille nrsquoa jamais pu faire que des ecirctres gracieux raquo

(III 277) Crsquoest en observant les heacuteros de Corneille qursquoil peut donc observer

eacutetudier peacuteneacutetrer ce mystegravere de la gracircce qui fait saint Ce rapport au personnage de

trageacutedie confine plus agrave une forme drsquoadmiration voire de veacuteneacuteration drsquoun heacuteros ou

drsquoun saint qursquoelle ne traduit la perception du personnage litteacuteraire Srsquoagissant de

Polyeucte chez Peacuteguy il faut savoir qursquoil srsquoagit drsquoune reacutealiteacute qui se vit agrave travers

lrsquoœuvre litteacuteraire Polyeucte quitte aux yeux de Peacuteguy les pages du livre pour

venir habiter parmi les saints Jeanne drsquoArc (en particulier celles qursquoon deacutecouvre

dans les Procegraves) Saint Louis (surtout celui de Joinville) Jeacutesus des Eacutevangiles

86 GERBOD Franccediloise op cit p 163 87 CORNEILLE Pierre Œuvres complegravetes T1 Imprimeurs de lrsquoInstitut de France Paris 1843 p 339

56

Corneille se fait pour Peacuteguy un chroniqueur Et puisque Polyeucte nrsquoest plus pour

Peacuteguy un personnage drsquoune trageacutedie de Corneille mais aussi un saint Peacuteguy veut

lrsquoimiter Et pour imiter il faut trouver un acte un comportement une attitude qursquoil

sera possible de reproduire il ne srsquoagit pas de chercher un martyre volontaire Crsquoest

un mouvement preacutecis qui dans Polyeucte a tellement frappeacute Peacuteguy qursquoil a deacutesireacute

inteacuterieurement de lrsquoimiter en donnant ainsi vie agrave celui qursquoil imitait Polyeucte en

lrsquoincarnant par son deacutesir drsquoimitation en rendant saint un personnage Il srsquoagit de

lrsquointercession

Tous les vers de lrsquointercession que nous avons marqueacutes que nous avons retenus dans Polyeucte qui annoncent qui introduisent qui repreacutesentent qui manifestent qui deacuteclarent qui proclament publiquement qui deacutefinissent pour ainsi dire techniquement lrsquointervention lrsquointercession de saints intercession geacuteneacuterale des saints pour les peacutecheurs applications pour ainsi dire intercessions particuliegraveres de Neacutearque pour Polyeucte et de Polyeucte pour Feacutelix et de Neacutearque et Polyeucte ensemble pour Pauline et les autres srsquoil y en a ne font qursquointroduire que preacutesenter quand mecircme ils sont apregraves cette grande priegravere de Polyeucte pour Pauline en preacutesence de Pauline qui est deacutejagrave proprement une priegravere drsquointercession (III 297)

Peacuteguy comme cela se voit dans son style aime cataloguer et faire voir tous les

deacutetours que sa penseacutee a pris afin que son lecteur non seulement connaisse le fond

de ses penseacutees mais aussi suive leur cheminement Autrement dit il appelle son

lecteur agrave le suivre et pas seulement agrave connaicirctre sa penseacutee Il en va de mecircme pour

lrsquoauteur il est heureux en effet de trouver dans Polyeucte une sorte de catalogue

drsquointercession qui lui permet drsquoimiter et drsquoapprendre Benoicirct Vermander en

commentant la lecture de Polyeucte que Peacuteguy fait toute sa vie eacutecrit que chez

Peacuteguy la gracircce corneacutelienne se manifeste par lrsquointercession

Crsquoest dire qursquoelle nrsquoest pas un eacuteleacutement surajouteacute une sorte de deus ex machina mais qursquoelle participe de cette attitude de pardon de cette absence geacuteneacuterale de maligniteacute qui caracteacuterisent les personnages corneacuteliens Elle srsquoinfiltre par leur innocence quels que soient leurs dires et leurs actes Lrsquointercession culmine dans la grande priegravere de Polyeucte pour Pauline mais elle est preacutepareacutee par les intercessions particuliegraveres de Neacutearque pour Polyeucte de Polyeucte pour Feacutelix de Neacutearque et Polyeucte ensemble pour ceux qui les entourent Cette preacutesence de lrsquointercession donne un caractegravere hieacuteratique agrave la piegravece elle en fait une piegravece de figuration - la repreacutesentation de la priegravere est la figuration par excellence ndash et ainsi proprement une trageacutedie sacreacutee88

La gracircce srsquointroduit par lrsquointercession parce que lrsquointercession donne place agrave

un autre dans lrsquointercession il y a drsquoune part lrsquohomme qui prie drsquoautre part Dieu agrave 88 VERMANDER Benoit laquo Peacuteguy lecteur de Corneille raquo France-Forum octobre-deacutecembre 1990 p 40-43

57

qui il srsquoadresse et enfin celui pour qui on intercegravede La gracircce ne peut pas ecirctre

contenue dans un vase clos crsquoest un don qui doit ecirctre transmis la priegravere

drsquointercession permet au don de la gracircce de porter fruit de laquo circuler raquo le heacuteros

peut devenir saint agrave lrsquoaide de la priegravere drsquointercession Lrsquointercession de Polyeucte

pour Pauline crsquoest laquo la sainteteacute qui reprend et assume toutes les noblesses de la

terre et elle les agrandit agrave lrsquoinfini 89raquo Crsquoest aussi la forme de priegravere qui eacutevoque le

plus la communion des saints sujet sur lequel nous reviendrons dans le dernier

chapitre de cette thegravese

Comme tous ceux qui sont partis comme tous ceux qui sont arriveacutes prient pour tous ceux qui sont resteacutes Voilagrave ce qui donne agrave cette priegravere son plein cette pleacutenitude cette avance tant drsquoexactitude une totale exactitude et ensemble cette eacuteternelle avanceacutee Crsquoest deacutejagrave crsquoest dedans crsquoest drsquoavance une priegravere une intercession rituelle Crsquoest lrsquooffice de saint Polyeucte Crsquoest deacutejagrave lrsquoEacuteglise triomphante Comme toute lrsquoEacuteglise triomphante prie pour toute lrsquoEacuteglise militante Et pour lrsquoEacuteglise souffrante Et tant de force et tant de beauteacute vient de ce que crsquoest partout dedans de ce que ce nrsquoest dit nulle part (III 302)

De plus Peacuteguy trouve dans Polyeucte la formule preacutecise qui deacutecrit comment

lrsquohomme est toucheacute par la gracircce il trouve dans cette trageacutedie lrsquoexplication en une

phrase du meacutecanisme de la gracircce

laquo Ce Dieu touche les cœurs lorsque moins on y pense raquo90 telle est la formule de

Polyeucte Crsquoest la formule mecircme de la morsure crsquoest la formule de lrsquoattaque de

lrsquoatteinte de la peacuteneacutetration de la gracircce [hellip] [Ce vers] est une proposition de lrsquohistoire

ou plutocirct de la chronique de la gracircce (III 1314)

Peacuteguy deacutemontre comment Corneille repreacutesente lrsquoaction de la gracircce sur un

homme Les heacuteros de Corneille vivent deacutejagrave selon la morale chevaleresque La

maniegravere dont Corneille perccediloit lrsquoamour provient de la mecircme source que sa

conception de lrsquohonneur toutes deux sont issues de la tradition noble Franccediloise

Gerbod eacutecrit que dans Polyeucte

Le jeune heacuteroiumlsme la chevalerie du Cid sont promus dans Polyeucte en laquo chevalerie de sainteteacute raquo lrsquoheacuteroiumlsme de la citeacute du vieil Horace sainteteacute romaine sainteteacute sauvage est promu dans Polyeucte en heacuteroiumlsme de la citeacute ceacuteleste La grandeur temporelle de Rome le paganisme philosophique poseacutes une premiegravere fois dans Cinna sont aussi precircts pour Polyeucte91

89 GERBOD Franccediloise op cit p 146 90 CORNEILLE Pierre opcit p 349 91 GERBOD Franccediloise op cit p 136

58

La gracircce dans cette trageacutedie fait ainsi du laquo chevalier raquo et du heacuteros antique

Polyeucte un saint

Dans un texte eacutecrit en mecircme temps que Le Mystegravere des saints innocents crsquoest-

agrave-dire au cœur de la reacuteflexion de Peacuteguy sur lrsquoincarnation ce dernier eacutevoque les

heacuteros antiques en soulignant leur humaniteacute pour lui ce sont bien des demi-dieux

mais crsquoest leur part humaine qui compte le plus pour lrsquoauteur parce qursquoil y voit

aussi une figuration celle de Jeacutesus Fils de Dieu qui srsquoest fait homme

Ils sont des hommes agrandis doubleacutes exalteacutes Ils ne sont nullement des dieux diminueacutes deacutedoubleacutes Heureusement pour eux heureusement pour nous heureusement pour le monde antique Heureusement pour les dieux mecircmes dont tout le sang ainsi nrsquoest point contamineacute Leur demi-sang de dieux ne leur confegravere par exemple aucune immortaliteacute ni en somme aucune diviniteacute Crsquoest pour cela qursquoils sont si grands Ils partagent le sort de lrsquohomme la mort de lrsquohomme Crsquoest ce qui les fait grands[hellip] Eux-mecircmes les heacuteros ils ne sont nullement contamineacutes de leur demi-fortune ils nrsquoont reccedilu aucune contamination de leur demi-sang Crsquoest pour cela que de tout ce que nous avons ils sont demeureacutes les plus parfaits exemplaires de lrsquoheacuteroiumlsme antique [hellip] Jeacutesus est du dernier des peacutecheurs et le dernier des peacutecheurs est de Jeacutesus Crsquoest le mecircme monde Eux leurs dieux ne sont pas drsquoeux et ils ne sont pas de leurs dieux (III 1162)

Le lien de parenteacute qui existe entre ces heacuteros antiques et les dieux de lrsquoOlympe

ne fait pas de ces hommes des dieux encore moins lrsquoinverse Drsquoailleurs Peacuteguy fait

dire agrave Clio que mecircme pour les Grecs du temps drsquoHomegravere lrsquoOlympe semble deacutejagrave

ecirctre une mythologie et laquo Jeacutesus nrsquoest jamais un ecirctre de mythologie raquo car mecircme pour

les non-chreacutetiens il reste malgreacute tout un personnage historique En revanche vivant

une vie terrestre mais ayant en eux agrave moitieacute le sang divin ils jouent le rocircle de

figuration pour le Dieu fait homme Jeacutesus ce qui les conduit agrave jouer de fait un rocircle

propheacutetique Ainsi pour Peacuteguy toute lrsquoantiquiteacute est une propheacutetie une anticipation

autant de la nouvelle Citeacute socialiste que du christianisme notamment du mystegravere de

lrsquoIncarnation Il le montre bien dans son dernier texte la Note conjointe sur M

Descartes et la philosophie carteacutesienne Sur lrsquoexemple de son œuvre preacutefeacutereacutee

Polyeucte il preacutesente le lien entre le monde antique le siegravecle des classiques et son

temps

Crsquoest tout lrsquohomme et crsquoest toute la Ville Lrsquohomme et Rome Le monde et la citeacute Lrsquoorbe et lrsquourbe Toute la deacutetresse et toute le triomphe Et crsquoest aussi toute la philosophie antique Toute la sagesse aux prises avec toute la gracircce (et comme il a bien montreacute qursquoen effet de tout ce qursquoil y a dans le monde crsquoest l sagesse qui est la

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plus impeacuteneacutetrable agrave la gracircce) Et aussi tout le secret de la leacutegation du monde antique Car il manque bien de respect aux faux dieux mais il ne manque pas de respect agrave celui qui respecte les faux dieux il ne manque pas de respect agrave celui qui adore les faux dieux et qui a eacuteteacute nourri de la sagesse antique Ainsi le monde chreacutetien allait rejeter Jupiter mais nrsquoallait point rejeter Virgile Ainsi le monde chreacutetien allait rejeter Zeus mais nrsquoallait pas rejeter Platon ni Homegravere ni peut-ecirctre mecircme Aristote (III 1312-1314)

Peacuteguy veut ici montrer le fait que le monde chreacutetien succegravede au monde antique

mais aussi que ce monde est loin de Dieu afin de rendre plus visible lrsquoaction de la

gracircce dans Polyeucte Cette trageacutedie est pour lui une œuvre sur la gracircce parce

qursquoelle montre lrsquoaction de la gracircce dans un monde paiumlen et la transformation drsquoun

heacuteros antique en un saint chreacutetien Mais surtout Polyeucte deacutemontre le contraste

avec le monde en son temps ainsi qursquoau temps de Peacuteguy un monde chreacutetien

habitueacute et impermeacuteable agrave la gracircce Imiter Polyeucte voudrait dire srsquoouvrir agrave la

nouveauteacute agrave la surprise agrave lrsquoespeacuterance Selon Peacuteguy Corneille laquo srsquoeacutetait donneacute le

monde romain inhabitueacute agrave Dieu et les immenses et les incroyables ravages de la

gracircce dans un monde inhabitueacute Il nous a laisseacute un monde habitueacute agrave Dieu et les

incroyables manques de prise de la gracircce dans un monde habitueacute raquo (III 1334)

Peacuteguy voit en Corneille un remegravede possible agrave cette habitude mortifegravere

puisqursquoil montre le deacutebut la possibiliteacute drsquoun avenir donc drsquoun avenir peut-ecirctre

diffeacuterend Le chemin de Polyeucte est radical il est un heacuteros antique un heacuteros

classique en lui germe le saint et il choisit aussitocirct le martyre crsquoest-agrave-dire que la

seule relation admissible pour lui avec le monde qui lrsquoentoure devient le teacutemoignage

et lrsquointercession autrement dit des formes de relation impliquant toujours trois

participants Dieu le teacutemoin (lrsquointercesseur) et le monde Ainsi Corneille

srsquoest donneacute le bourgeonnement et le germe cette ramification vivante cette immense germination de Dieu dans le monde romain Il nous a laisseacute ce qui devait arriver ensuite Il nous a laisseacute ce qui allait arriver plus tard Il nous a laisseacute ce qui allait arriver plus tard Il nous a laisseacute le bois mort et lrsquoacircme morte [hellip] Disons-le il a pris les faciliteacutes du martyre (III 1336)

Plus haut il a eacuteteacute question du heacuteros classique Effectivement en parlant de

Polyeucte Peacuteguy ne passe pas directement de lrsquoantiquiteacute au christianisme qui lui est

contemporain il situe bien Polyeucte dans le contexte de lrsquoeacutepoque de Corneille Les

regravegles morales qui sont celles de Polyeucte et plus encore celles de Seacutevegravere ne sont

60

pas laquo antiques raquo celles des stoiumlciens par exemple appartiennent plutocirct au code de

la noblesse et renvoient aux regravegles du duel Crsquoest dans cette structure morale

qursquointervient la gracircce pour la renouveler dans une morale diffeacuterente de celle de

lrsquoantiquiteacute laquo Ce nrsquoest pas seulement le systegraveme de la loyauteacute Crsquoest le systegraveme de

lrsquoheacuteroiumlsme Et crsquoest le systegraveme de lrsquohonneur raquo (III 1341) Ce systegraveme est celui des

trageacutedies de Corneille comme le Cid Horace Cinna selon Peacuteguy la gracircce

intervient dans Polyeucte pour peacuteneacutetrer ce systegraveme-lagrave Theacuteodore Quoniam eacutecrit agrave ce

propos laquo Le Heacuteros est une incarnation de la Valeur Noblesse car il est par

destination au service de la Justice Crsquoest avant tout lrsquohomme neacute pour le combat

loyal Il ne doit donc pecirccher ni par faiblesse de cœur ni par dureteacute de cœur mesure

difficile agrave tenir raquo92

Pour Peacuteguy lrsquoheacuteroiumlsme lrsquohonneur la loyauteacute des heacuteros de Corneille ne sont

pas exceptionnels Crsquoest bien la sainteteacute qui naicirct de la rencontre entre la gracircce et le

laquo systegraveme de la chevalerie raquo (III 1342) qui est exceptionnelle et devient une sorte

de chevalerie de la sainteteacute La source de ce systegraveme crsquoest le duel Le heacuteros se bat

le heacuteros doit combattre quelque chose laquo Dans le systegraveme chevaleresque il srsquoagit de

mesurer des valeurs raquo (III 1345) Si le heacuteros est toucheacute par la gracircce et devient saint

il ne cesse pas de se battre mais la nature de son combat change La guerre qui

deacutecoule du duel vise la bataille mais non la victoire parce qursquoelle vise lrsquohonneur et

non la domination Cette guerre peut mener agrave la sainteteacute par le deacutepassement notion

importante de Peacuteguy approfondie par Theacuteodore Quoniam

Le heacuteros et plus encore le saint portent en eux une exigence de deacutepassement leur conscience nrsquoest pas fermeacutee sur une limite agrave chaque niveau supeacuterieur qursquoils atteignent un appel retentit en eux les portant agrave pousser plus loin agrave srsquoengager toujours davantage agrave assumer le risque Le propre du christianisme nrsquoest-il point drsquoavoir trouveacute leur destination agrave la triple grandeur de lrsquohomme la mort la misegravere le risque 93

Polyeucte est un chreacutetien converti un martyr et donc un saint Mais la

description que Peacuteguy fait de Seacutevegravere dans la Note conjointe est particuliegraverement

admirative

92 QUONIAM Theacuteodore La Penseacutee de Peacuteguy Paris Bordas 1967 p 107 93 Ibid p 108

61

Crsquoest un des plus beaux Romains que nous ayons Lui aussi il est preacutesenteacute dans son exactitude et dans son plein Seacuterieux honnecircte et honnecircte homme grave et comme acheveacute cultiveacute nullement curieux humain et comme consommeacute bon deacutesabuseacute noble grave et drsquoune ingueacuterissable meacutelancolie il est lagrave pour nous rappeler ce que les imbeacuteciles seuls ignorent que lrsquoAntiquiteacute Paiumlenne que lrsquohumaniteacute antique et paiumlenne a eacuteteacute elle-mecircme un temple de pureteacute Et qursquoelle nrsquoa pas eu les dieux qursquoelle meacuteritait Crsquoest agrave dire qursquoelle nrsquoa pas eu ses dieux Crsquoest le contraire de nous qui avons le Dieu que nous ne meacuteritons pas (III 1370)

La figuration que Peacuteguy eacutevoque souvent en parlant des heacuteros ainsi que de

Corneille fonctionne aussi agrave lrsquointeacuterieur de la trageacutedie Polyeucte Seacutevegravere est en

quelque sorte une figuration de Polyeucte il est pleinement heacuteros mais il nrsquoest pas

saint Peacuteguy deacutecrit Seacutevegravere comme un stoiumlcien et Polyeucte qui lrsquoadmire eacutegalement

comme tel

Polyeucte mesure Seacutevegravere Car sa propre sainteteacute est fondeacutee sur le deacutepassement et non sur lrsquoignorance de lrsquoheacuteroiumlsme antique Et son propre martyre est fondeacute sur le deacutepassement et non sur lrsquoignorance de lrsquoantique martyre Et son Dieu est fondeacute sur le deacutepassement et non sur lrsquoignorance et sur un certain meacutepris du monde (III 1373)

En se servant de ce personnage de Seacutevegravere Peacuteguy exprime dans son dernier

texte ce qui a eacuteteacute le fondement de sa penseacutee durant toute sa vie drsquohomme de lettres

Mecircme la naissance de Jeacutesus mecircme le mystegravere drsquoIncarnation ne permettent pas

drsquoexclure quiconque de la communion Le monde antique participe agrave la communion

en tant que figuration du monde chreacutetien laquo il est certain que dans cette figuration et

ce paralleacutelisme crsquoest le stoiumlcisme qui a donneacute et qui seul a pu donner dans le

registre du monde antique ce qui seul correspond aux saints et aux martyrs ce qui

seul figure les saints et les martyrs les heacuteros et peut-ecirctre faut-il dire les martyrs raquo

(III 1371)

Le monde antique ne peut pas ecirctre exclu parce qursquoil nrsquoa pas connu le Christ

Les heacuteros antiques ceux qui ressemblent plus agrave des saints qursquoagrave des heacuteros ne

meacuteritent pas drsquoecirctre consideacutereacutes de faccedilon trop eacutetroite et placeacutes dans les marges de

lrsquoheacuteroiumlsme Ils figurent les saints comme Promeacutetheacutee figure le Christ Peacuteguy utilise

donc une formule qursquoil dit lui-mecircme ne pas aimer en parlant de laquo saints laiumlcs raquo

Mais Polyeucte pour Peacuteguy est plus qursquoun exemple de vie chreacutetienne Il est aussi

pour lui un exemple de chreacutetien en dialogue avec un monde profane et un exemple

de chreacutetien en marge de sa communauteacute Cette situation reflegravete celle de Peacuteguy lui-

62

mecircme sa famille est atheacutee ainsi que bon nombre de ses amis sa bien-aimeacutee est

juive ainsi que plusieurs personnes dans son entourage

Peacuteguy pense que cette relation doit se construire sur les regravegles du duel de la

courtoisie car laquo crsquoest le systegraveme de penseacutee de la juste guerre du combat loyal de la

comparaison agrave eacutegaliteacute raquo (III 1375) Le chreacutetien selon Peacuteguy doit ecirctre vainqueur

non seulement devant Dieu et devant soi mais aussi laquo dans le systegraveme de lrsquoautre raquo

(III 1376) Crsquoest preacuteciseacutement ce que fait Polyeucte en proposant agrave Seacutevegravere drsquoeacutepouser

Pauline

b) Jeanne drsquoArc

Dans Polyeucte Peacuteguy trouve lrsquoexemple de la pure action de la gracircce qui a le

pouvoir de transfigurer un homme il voit la gracircce qui srsquoaccomplit dans

lrsquoeacutevegravenement que constituent les derniers choix et la mort de Polyeucte Dans la

figure de Jeanne drsquoArc il admire le travail commun de la gracircce et de la volonteacute

humaine le long chemin du choix la gracircce qui agit dans la dureacutee drsquoune vie

Dans la premiegravere Jeanne drsquoArc la trilogie dramatique premiegravere œuvre

litteacuteraire de Peacuteguy Jeanne est une heacuteroiumlne qui incarne la petite Franccedilaise par

excellence le meilleur de ce qursquoon peut trouver dans le peuple franccedilais Le deacutebat

autour de Jeanne drsquoArc la sainte et Jeanne drsquoArc lrsquoheacuteroiumlne des livres drsquohistoire eacutetait

intense agrave la fin des anneacutees 1890 au moment ougrave Peacuteguy entreprend de reacutefleacutechir sur ce

sujet Degraves lrsquoenfance de Peacuteguy drsquoailleurs Jeanne eacutetait pour lui un sujet drsquoeacutecriture

comme en teacutemoignent ses travaux drsquoeacutecolier et plus tard ses reacutedactions Au moment

ougrave Peacuteguy jeune normalien entreprend drsquointerrompre ses eacutetudes pour eacutecrire une

monographie sur son heacuteroiumlne preacutefeacutereacutee la libeacuteratrice de sa ville natale ndash Orleacuteans ndash

est au centre de grands deacutebats politiques et religieux En 1890 Lucien Herr

socialiste bibliotheacutecaire de lrsquoEacutecole Normale et futur mentor puis encore plus tard

adversaire de Peacuteguy eacutecrit un article dans Parti Ouvrier intituleacute laquo Notre Jeanne

drsquoArc raquo Lrsquoarchevecircque drsquoAix-en-Provence lui reacutepond laquo Ioanna nostra est On ne

laiumlcise pas les saints raquo Jeanne nrsquoest pas encore beacuteatifieacutee En 1892 Eacutemile Antoine

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reacutepublicain eacutecrit dans Le Culte civique de Jeanne drsquoArc et sa laiumlciteacute neacutecessaire

laquo Le culte de Jeanne drsquoArc est professeacute en France par deux religions irreacuteductibles

lrsquoune civique lrsquoautre catholique raquo94 Catulle Mendegraves dans Lrsquoart au theacuteacirctre va

mecircme plus loin que lrsquoArchevecircque drsquoAix-en-Provence laquo Jeanne drsquoArc plus encore

que Jeacutesus doit demeurer hors de lrsquoatteinte de lrsquoart humain raquo95 Cependant parmi les

socialistes on trouve aussi ceux qui rejettent Jeanne en tant que monarchiste et

catholique Jauregraves lrsquoeacutevoque vaguement dans un article de 1893 mais il srsquooppose agrave la

proposition de Barregraves drsquoinstaurer une fecircte nationale en lrsquohonneur de la sainte

Dans la trilogie Jeanne drsquoArc Peacuteguy reacuteunit la tradition du theacuteacirctre antique et

celle des mystegraveres meacutedieacutevaux notamment par lrsquoalternance de la prose et de la

poeacutesie qui rappelle non seulement la trageacutedie antique mais aussi la chantefable

meacutedieacutevale tout en livrant un teacutemoignage voileacute sur lrsquoaffaire Dreyfus notamment

dans la troisiegraveme partie Rouen qui deacutecrit le procegraves de Jeanne Quant agrave lrsquoantiquiteacute

Peacuteguy lui-mecircme montre le lien de sa Jeanne avec la trageacutedie grecque dans un petit

article paru dans la Revue Blanche en aoucirct 1899 laquo La Crise du parti socialiste et

lrsquoaffaire Dreyfus raquo laquo par sa ferme deacutefense des citoyens elle avait la simple beauteacute

harmonieuse de la trageacutedie antique raquo (I 225) Les 11 et 12 aoucirct 1894 Peacuteguy qui a

assisteacute aux repreacutesentations drsquoAntigone et drsquoŒdipe-roi de Sophocle aux Choreacutegies

drsquoOrange est particuliegraverement impressionneacute par Antigone Romain Vaissermann

dans sa notice de la nouvelle eacutedition des Œuvres poeacutetiques complegravetes de Peacuteguy dans

la collection de la Pleacuteiade observe

Jeanne confronteacutee agrave lrsquoideacutee de la damnation eacuteternelle ressemble agrave la vierge theacutebaine risquant sa vie pour sauver lrsquoombre de Polynice drsquoun exil eacuteternel la plainte finale de Jeanne est fille des lamentations drsquoAntigone marchant agrave la mort il nrsquoy a pas jusqursquoaux propos familiers des soldats anglais qui ne soient un souvenir de cette scegravene du gardien qui avait choqueacute chez Sophocle Peacuteguy ne parle-t-il pas mecircme dans Les Suppliants parallegraveles de laquo la vocation drsquoAntigone raquo (II 353) La comparaison entre Antigone et Jeanne nrsquoest pas nouvelle mais chez Peacuteguy si la forte impression laisseacutee par le spectacle drsquoAntigone qursquoil avait deacutejagrave lu en traduction pour son plaisir personnel srsquoest associeacutee agrave son travail drsquohistorien autour de la pucelle drsquoOrleacuteans crsquoest que pouvait en ecirctre reacutesolue la question de lrsquoenfer dont nous avons deacutejagrave vu qursquoelle

94 LANEacuteRY DrsquoARC Pierre Le Livre drsquoor de Jeanne drsquoArc Bibliographie raisonneacutee et analytique des ouvrages relatifs agrave Jeanne drsquoArc catalogue meacutethodique descriptif et critique des principales eacutetudes historiques litteacuteraires et artistiques consacreacutees agrave la Pucelle drsquoOrleacuteans depuis le XVe siegravecle jusqursquoagrave nos jours Paris Leclerc et Corman 1894 p 610 95 MENDEacuteS Catulle LrsquoArt au theacuteacirctre E Fasquelle 2e anneacutee 1896 p 272

64

heurtait lrsquoesprit du jeune Peacuteguy La Jeanne de Peacuteguy tient drsquoailleurs agrave la fois de lrsquoAntigone incarneacutee par Bartet et de lrsquoŒdipe interpreacuteteacute par Mounet-Sully Jeanne drsquoArc est par lrsquoentremise drsquoOrange agrave lrsquoimage des trilogies du theacuteacirctre grec antique Qursquoon imagine Orange le deacutecor antique drsquoun theacuteacirctre eacuteclaireacute agrave la lumiegravere eacutelectrique sous le ciel de Provence la foule acclamant les membres de la troupe du Theacuteacirctre-Franccedilaishellip La foule Le peuple (OPD 1556-1557)

Jauregraves dans sa confeacuterence du 26 juillet 1900 Le theacuteacirctre social et Romain

Rolland dans Le theacuteacirctre du peuple et le Drame du peuple ont theacuteoriseacute

posteacuterieurement ce que Peacuteguy essaye de faire dans sa premiegravere Jeanne drsquoArc un

theacuteacirctre du peuple un theacuteacirctre socialiste qui fera parler le peuple mais qui aussi

donnera un exemple agrave suivre un heacuteros agrave admirer et agrave imiter Drsquoailleurs Peacuteguy

deacutedicace sa trilogie son laquo poegraveme raquo laquo Agrave toutes celles et agrave tous ceux qui auront veacutecu

leur vie humaine Agrave toutes celles et agrave tous ceux qui seront morts de leur mort

humaine pour lrsquoeacutetablissement de la Reacutepublique socialiste raquo (OPD 3-4)

Dans sa premiegravere Jeanne drsquoArc Peacuteguy donne plusieurs exemples possibles agrave

suivre dans la mesure ougrave il nrsquooppose pas ses personnages les uns aux autres

Hauviette lrsquoamie de Jeannette agrave Domreacutemy repreacutesente une sagesse et une pieacuteteacute

paysanne qui peuvent tregraves bien ecirctre aussi une voie de sainteteacute mais sans heacuteroiumlsme

Pour que le bon Dieu beacutenisse les moissons Jeannette il faut drsquoabord que nous ayons fait les semailles crsquoest pour cela que nous commenccedilons par les faire tous les ans Puis quand la terre est bien ensemenceacutee nous faisons nos priegraveres pour que le bleacute nouveau naisse et pousse en moisson Nous crsquoest tout ce que nous pouvons faire crsquoest tout ce que nous avons agrave faire le reste au bon Dieu il est le maicirctre il nous exauce agrave sa volonteacute (OPD 11-12)

Crsquoest un exemple drsquohumiliteacute de sagesse de confiance en Dieu et drsquoune vie de

labeur veacuteritable vertu pour Peacuteguy qui est donneacute par la petite villageoise Hauviette

Madame Gervaise elle repreacutesente un exemple de sainteteacute contemplative Agrave la

grande question de Jeannette qui est aussi celle de Peacuteguy laquo qui donc faut-il

sauver Comment faut-il sauver raquo Madame Gervaise reacutepond laquo En imitant

Jeacutesus en eacutecoutant Jeacutesus raquo (OPD 18) La voie contemplative propose comme

meilleure forme drsquoimitation le fait drsquoecirctre agrave lrsquoeacutecoute de Dieu Simone Fraisse eacutecrit agrave

ce propos que crsquoest une reacuteponse laquo qui nrsquoest simple qursquoen apparence lrsquoimitation de

Jeacutesus conduit-elle agrave la reacutesignation ou agrave lrsquoinsurrection raquo96 Lrsquoimitation telle que

Peacuteguy la voyait en 1897 ne suffit plus agrave Jeannette pas plus qursquoelle ne suffit agrave 96 FRAISSE Simone Peacuteguy et le Moyen Age Honoreacute Champion 1978 p 12

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Peacuteguy Au moment drsquoeacutecrire sa premiegravere Jeanne drsquoArc il ne cherche pas agrave sauver les

acircmes puisqursquoil nrsquoadmet pas lrsquoexistence de lrsquoenfer mais il cherche agrave sauver le

monde en le transformant en creacuteant une Citeacute Harmonieuse et ce en se

transformant soi-mecircme Or pour cette transformation il avait besoin de personnages

exemplaires de heacuteros agrave admirer et agrave imiter Crsquoest dans ce contexte que Peacuteguy eacuterige

Jeanne drsquoArc en exemple Celle-ci nrsquoest pas seulement une bonne travailleuse elle

nrsquoest pas seulement une heacuteroiumlne dans son milieu habituel Elle transgresse une loi

tacite mais inviolable de son temps et en Europe on ne passe pas drsquoun ordre social

agrave un autre Les trois ordines sont en effet quelque chose drsquoimmuable dans la socieacuteteacute

occidentale meacutedieacutevale Jeanne quitte lrsquoordre de ceux qui travaillent les fermiers

aratores pour traverser la barriegravere infranchissable qui la seacutepare de lrsquoordre de ceux

qui combattent les pugnatores ou bellatores Ce qui est possible parce

qursquointeacuterieurement mystiquement elle appartient agrave lrsquoordre de ceux qui prient les

oratores sans appartenir agrave un ordre religieux ce qui suscite une colegravere particuliegravere

chez ses juges eccleacutesiaux

Pourtant la Jeanne drsquoArc de Peacuteguy reste fidegravele agrave ses origines crsquoest la

condition pour qursquoelle soit une heacuteroiumlne dans la mesure ougrave le heacuteros repreacutesente son

peuple son milieu sa famille Elle parle de la bataille comme drsquoune nouvelle tacircche

agrave accomplir parmi drsquoautres tacircches

Si je travaille mal en bataille ou victoire

Et si lrsquoœuvre est mal faite ougrave jrsquoai voulu servir

Ocirc mon Dieu pardonnez agrave la pauvre servante (OPD 49)

Deacutejagrave dans la trilogie agrave lrsquoeacutepoque ougrave Peacuteguy tenait des propos tregraves vifs contre

lrsquoEacuteglise il ne repreacutesente pas Jeanne drsquoArc ndash qui nrsquoest pas encore beacuteatifieacutee ndash

uniquement comme une heacuteroiumlne mais aussi comme une sainte une sainte drsquoun

nouveau type drsquoune sainteteacute militante agissante qui peut appartenir en mecircme

temps agrave lrsquoordre des travailleurs agrave celui des combattants et agrave celui des priants Et

deacutejagrave dans ce premier texte sur Jeanne Peacuteguy precircte une importance particuliegravere agrave la

naissance de sa vocation Ainsi Louis Perche eacutecrit

Sceacuteniquement parlant Aacute Domreacutemy est la piegravece essentielle Et lorsqursquoon connaicirct Peacuteguy lrsquoon srsquoaperccediloit qursquoelle lrsquoest avec intention Elle signifie lrsquoimportance que

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preacutesente pour lrsquoauteur la vocation de Jeanne drsquoArc Il la considegravere dans sa complexiteacute et dans son eacutetendue puis dans ses effets mais il ne cesse drsquoinsister sur la preacuteparation constante drsquoun destin Il est inteacuteresseacute par la genegravese de lrsquoœuvre semble-t-il plus que par lrsquoœuvre elle-mecircme Srsquoil srsquoattache agrave cette gamine de treize ans crsquoest qursquoil la voit deacutechireacutee par lrsquoangoisse du mal Il sent lagrave une hantise qui reacutepond agrave ses propres sentiments97

Si Peacuteguy nrsquoeacutetait pas encore agrave la fin des anneacutees 1890 un grand lecteur de

Lrsquoimitation de Jeacutesus Christ il eacutetait deacutejagrave un lecteur assidu de Michelet et lrsquoHistoire

de France de ce dernier eacutetait lrsquoun de ses livres de chevet Or le ceacutelegravebre chapitre sur

Jeanne drsquoArc est preacuteceacutedeacute de tout un chapitre sur Lrsquoimitation de Jeacutesus Christ en

raison de la tregraves grande valeur que lui accordait Michelet Jeanne veut sauver la

France en chassant les Anglais mais aussi en sauvant les acircmes et pour sauver il

faut comme dit Madame Gervaise imiter le Christ Dans cette perspective Romain

Vaissermann eacutecrit laquo Le plan mecircme de lrsquoœuvre formeacutee de trois piegraveces ndash Agrave

Domremy Les Batailles Rouen ndash rappelle directement la vie cacheacutee la vie publique

et la Passion du Christ raquo (OPD 1552) Drsquoailleurs en structurant ainsi sa trilogie

Peacuteguy srsquoinspire du chapitre de lrsquoHistoire de France de Michelet consacreacute agrave Jeanne

drsquoArc

Jeanne drsquoArc dans Les Batailles est une heacuteroiumlne dans les yeux des Franccedilais

mais elle ne se perccediloit pas comme un heacuteros qui repreacutesente son peuple Elle voit dans

sa gloire un teacutemoignage de la gloire de Dieu Et pour Peacuteguy le saint est justement

cet intermeacutediaire qui peut teacutemoigner de Dieu aux hommes et interceacuteder pour les

hommes devant Dieu Jeanne repreacutesente la France et les Franccedilais pour les Anglais

pour les Franccedilais aussi mais elle-mecircme voit les choses ainsi

Mon Dieu la bonne ville ocirc Dieu les bonnes gens

Et comme il eacutetait bon drsquoavancer dans la foule

Votre gloire passait dans la foule agrave pas lents

Votre gloire eacutetait vaste ainsi qursquoun flot qui roule

Votre gloire a passeacute dans la ville du siegravege

Et les Orleacuteanais debout au seuil des portes

Acclamaient la bonteacute de Celui qui protegravege

Et chantaient votre gloire au chant de leurs voix fortes

97 PERCHE Louis Charles Peacuteguy (1957) Paris eacuteditions Seghers 1969 p 26-27

67

Ils chantaient votre gloire au chant des voix humaines

Ils la faisaient sonner aux trompettes sonnants

Ils chantaient votre gloire au chant des voix humaines

Et la faisaient chanter au chant des cloches lentes

Votre gloire emplissait la vaste catheacutedrale

Et montait comme un flot jusqursquoau ciel ougrave vous ecirctes

Les precirctres et la foule agrave genoux sur la dalle

Chantaient les chants latins des triomphantes fecirctes

Et pendent que montait votre gloire ocirc mon Dieu

La vaillance croissait au cœur de la servante

Et les chants qursquoon chantait pour le maicirctre ocirc mon Dieu

Reacutesonnaient en vaillance au cœur de la suivante (OPD 87-88)

Et le peuple franccedilais dans Les Batailles ne voit pas en Jeanne seulement celle

qui va chasser les Anglais de France mais celle qui le preacutesente lui-mecircme agrave Dieu

Maicirctre Jean le couleuvrinier apprend drsquoun prisonnier anglais que les Anglais prient

toute la journeacutee avant de se battre ce qui nrsquoest pas le cas des Franccedilais il demande

alors agrave Jeanne de prier pour les Franccedilais

Puisqursquoil faut ocirc mon Dieu qursquoon fasse la bataille

Nous vous prions pour ceux qui seront morts demain

Mon Dieu sauvez leur acircme et donnez-leur agrave tous

Donnez-leur le repos de la paix eacuteternelle (OPD 113)

La position qursquooccupe Jeanne dans la trilogie est deacutejagrave celle que Peacuteguy donne agrave

tous les personnages qursquoil considegravere comme des saints le saint est le protagoniste

du dialogue entre Dieu et lrsquohumaniteacute entre lrsquohumaniteacute et Dieu

Une autre preuve du fait que degraves le deacutebut Peacuteguy voit en Jeanne drsquoArc plus

qursquoune heacuteroiumlne reacuteside dans ses failles et ses faiblesses un heacuteros nrsquoa pas de failles

crsquoest en quelque sorte un surhomme lrsquohistoire oublie les faiblesses des heacuteros dont

elle se souvient Cependant Jeanne dans la deuxiegraveme partie des Batailles est une

femme vulneacuterable pleine de doute blesseacutee non seulement par un trait drsquoarbalegravete

mais aussi dans son acircme par des paroles et par des actes de son entourage Peacuteguy

choisit de souligner cette faiblesse en rajoutant un eacuteleacutement du sujet absent des

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documents historiques sur Jeanne qursquoil suit pourtant fidegravelement dans le reste du

texte En somme la trilogie comporte des personnages inventeacutes quelques deacutetails

ajouteacutes mais elle ne diffegravere de ce qursquoon sait sur Jeanne drsquoArc que sur un seul point

important lrsquoeacutepisode ougrave on peut comprendre que Jeanne prise par le doute

nrsquoentend plus ses voix Agrave la question de Reignauld de Chartres qui voudrait savoir

si Jeanne agit encore en suivant le conseil de ses voix Raoul de Gaucourt reacutepond

laquo Elle en parle un peu moins souvent raquo (OPD 134) Et quand le mecircme Reignauld de

Chartres avant la bataille de Paris demande si Jeanne commande encore en suivant

le conseil de ses voix Jeanne lui reacutepond laquo Monseigneur je vous assure que mes

voix mrsquoont non pas conseilleacute mais commandeacute de chasser lrsquoAnglais hors de toute

France [hellip] Paris est en France monseigneur raquo (OPD 140-141)

Jeanne confie agrave son ami maicirctre Jean le couleuvrinier qui vient comme elle

de Lorraine son incapaciteacute de prier Il lui reacutepond qursquoelle a sucircrement le mal du pays

Elle-mecircme parle dans un monologue poeacutetique ougrave elle se trouve seule sur scegravene de

son sentiment drsquoecirctre salie par les propos de Gilles de Rais qui lui a parleacute des

pillages commis par les Franccedilais laquo Des mots qursquoil a dits lagrave me laverez-vous

lrsquoacircme raquo (OPD 138)

Raoul de Gaucourt explique que Jeanne nrsquoa tout simplement pas reacuteussi agrave

srsquohabituer agrave la guerre elle continue en effet agrave pleurer sur les blesseacutes et les morts ce

qui ne correspond pas agrave une conduite heacuteroiumlque Elle est simplement humaine Quant

agrave la large place que Peacuteguy accorde agrave cet eacutepisode de doute de peur de deacutetresse de

Jeanne elle signifie lrsquoimportance que lrsquoeacutecrivain attribue au fait de montrer sa

faiblesse humaine La Jeanne de Peacuteguy est briseacutee par sa deacutefaite agrave Paris elle dit

ainsi agrave Maicirctre Jean laquo mon acircme jamais ne se relegravevera de la deacutefaite raquo Parce que cette

deacutefaite lrsquoa laisseacutee seule les capitaines ne la suivent plus le roi la trahithellip Mais elle

explique aussi agrave son ami que ce sont les paroles de Gilles de Rais qui ont causeacute sa

deacutefaite que crsquoest de cette saleteacute que son laquo acircme ne [se] relegravevera pas raquo (OPD 182)

Jeanne veut sauver la France en combattant les Anglais mais elle veut aussi sauver

les acircmes en imitant et en eacutecoutant Dieu notamment en obeacuteissant agrave ses voix sans

ecirctre sucircre de reacuteussir Crsquoest ce qursquoelle reacutepond quand le fregravere Vincent Claudet

lrsquointerpelle deacutesireux de la sauver et lui conseille de srsquoarrecircter de se reposer puisque

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le roi ne veux plus continuer la guerre certes les voix lui ont commandeacute de

chasser les Anglais mais

Mes voix ne mrsquoont pas dit que je reacuteussirai [hellip] Mon pegravere tant que Dieu ne mrsquoaura pas deacutecommandeacute ce qursquoil mrsquoa commandeacute tant qursquoil ne mrsquoaura pas deacutesœuvreacutee de lrsquoœuvre tant que mes voix ne mrsquoauront pas dit le nom de mon successeur je mrsquoefforcerai agrave faire la bataille [hellip] La victoire mon pegravere elle est agrave Dieu (OPD 176-177)

Cependant crsquoest lrsquoheacuteroiumlne plutocirct que la sainte qui revient quand Peacuteguy deacutecrit

le deacutepart de Jeanne qui veut poursuivre la bataille contre la volonteacute du roi et sans le

conseil de ses voix

Dans Rouen Peacuteguy parle aussi clairement des doutes que Jeanne a traverseacutes

lors de son procegraves effrayeacutee par la torture affaiblie par les mauvais traitements

hellip Quand je pense ocirc Madame Gervaise

Que je me suis damneacutee agrave ne sauver personne

Et que je fus damneuse agrave ne sauver personnehellip

Jrsquoirai dans cet enfer ougrave la chariteacute blanche

Est sale agrave tout jamais ocirc foliehellip (OPD 285)

Mais les derniers mots de la trilogie crsquoest la priegravere de Jeanne pour tous les

humains elle reprend donc dans ce texte de Peacuteguy sa place drsquointercesseur pour

lrsquohumaniteacute devant Dieu laquo Pourtant mon Dieu tacircchez donc de nous sauver tous

mon Dieu Jeacutesus sauvez-nous tous agrave la vie eacuteternelle raquo (OPD 299)

La premiegravere reacuteeacutecriture de la premiegravere partie de la trilogie ougrave Jeanne drsquoArc est

une fillette et srsquoappelle Jeannette peut aussi ecirctre consideacutereacutee comme un premier

brouillon du Mystegravere de la chariteacute de Jeanne drsquoArc qui lui aussi ne parle que de

Jeanne enfant Ce texte qui nrsquoa pas eacuteteacute publieacute du vivant de Peacuteguy peut ecirctre dateacute de

1902 ou 1903 Le manuscrit ne portait pas de titre dans la premiegravere eacutedition en

1953 donc bien apregraves la mort de Peacuteguy tombeacute au champ drsquohonneur en 1914 il a

reccedilu le titre Variation ancienne sur le deacutebut du drame de Jeanne drsquoArc dans la

deuxiegraveme en 1954 Jeanne et Hauviette Les eacuteditions de la Pleacuteiade ne donnent pas

de titre restant fidegravele au manuscrit Ce fragment repreacutesente un dialogue entre

Jeannette et Hauviette notamment sur les jeux Hauviette demande agrave Jeannette

pourquoi elle ne joue jamais agrave la bataille en lui vantant toutes les joies de ces jeux

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et en srsquoeacutetonnant du fait que Jeannette ne se bat jamais bien qursquoelle soit forte

Jeannette est grave mais pas heacuteroiumlque du tout laquo Forte comme je parais je ne me

suis jamais battue raquo (OPD 311)

Peacuteguy visiblement veut souligner ce laquo parais raquo Jeanne ne se considegravere pas

comme forte elle ne lrsquoest sucircrement pas en revanche Dieu la rendra forte quand il

le faudra De lrsquoenfance des heacuteros normalement on ne sait que ce qui annonce leurs

futurs exploits de mecircme de lrsquoenfance des saints dans les hagiographies

traditionnelles qursquoon pouvait lire du temps de Peacuteguy on ne sait que ce qui annonce

leur future sainteteacute Peacuteguy montre dans le caractegravere de la Jeannette de Aacute Domreacutemy

son angoisse son inquieacutetude sa sensibiliteacute qui la diffeacuterencient des autres et la font

souffrir ainsi que son sentiment de responsabiliteacute agrave lrsquoeacutegard de son pays Crsquoest une

attitude ce ne sont pas des actes Dans ce petit fragment de 1902-1903 Jeannette

apparaicirct particuliegraverement seacuterieuse grave Lagrave encore il srsquoagit drsquoune attitude voire

drsquoun trait de caractegravere mais non drsquoactes comme ce serait sucircrement le cas dans une

hagiographie classique

Ces traits sont accentueacutes deacuteveloppeacutes et approfondis dans le Mystegravere de la

chariteacute de Jeanne drsquoArc Le premier manuscrit du Mystegravere de la chariteacute de Jeanne

drsquoArc est termineacute en novembre 1909 et porte le titre Mystegravere de la vocation de

Jeanne drsquoArc Ce titre le suggegravere fortement on nrsquoa pas la vocation drsquoecirctre heacuteros

Dans lrsquohistoire un homme une femme reacuteagissent agrave un eacutevegravenement un jour y

reacutepondent par un acte et deviennent un heacuteros ou une heacuteroiumlne Dans la mythologie

on est heacuteros par la naissance parce que lrsquoon est neacute drsquoune femme et drsquoun dieu quant

aux premiers actes heacuteroiumlques ils sont poseacutes degraves le plus jeune acircge En revanche

devenir saint suppose une vocation il srsquoagit drsquoun appel auquel on peut choisir de

reacutepondre ou non Crsquoest justement ce moment de la reacuteception de lrsquoappel lrsquoeacutecoute

puis le choix et la reacuteponse de Jeannette que Peacuteguy deacutecrit dans son premier mystegravere

Quand le mystegravere est publieacute en janvier 1910 Peacuteguy srsquoest livreacute agrave un travail de

reacuteeacutecriture et de correction consideacuterable au dernier moment lors de la relecture des

eacutepreuves il change le titre qui du Mystegravere de la vocation devient Mystegravere de la

chariteacute de Jeanne drsquoArc Il ajoute par ailleurs dans le reacutecit de la Passion un long

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texte sur Marie au pied de la Croix et il coupe le texte agrave la scegravene ougrave Jeanne dit

brusquement adieu agrave Madame Gervaise au moment ougrave elle srsquooppose fortement agrave

son amie aicircneacutee

4 Le Mystegravere de la chariteacute de Jeanne drsquoArc trois exemples de

sainteteacute

Jeanne nrsquoest pas le seul exemple de sainteteacute que Peacuteguy preacutesente dans ce

mystegravere En deacuteveloppant lrsquoideacutee prononceacutee par Madame Gervaise qui dans la

trilogie explique que crsquoest en imitant Jeacutesus qursquoon peut sauver les acircmes Peacuteguy

trouve dans lrsquoImitation de Jeacutesus Christ de Thomas agrave Kempis la deacutefinition de la

sainteteacute comme imitation du Christ Mais il existe des formes diffeacuterentes drsquoimitation

et aussi de dialogue avec Dieu ce dialogue est au cœur de la sainteteacute chez Peacuteguy

Dans le Priegravere drsquoinseacuterer du Mystegravere de la chariteacute de Jeanne drsquoArc Peacuteguy eacutecrit

laquo dans ce peuple chreacutetien la sainteteacute poussait pour ainsi dire tout seule simple et

srsquoignorant elle-mecircme raquo98 il parle ici des trois personnages du Mystegravere

Jean Onimus dans La route de Charles Peacuteguy en comparant Gervaise et

Hauviette eacutecrit

Gervaise Hauviette ineacutepuisable parallegravele Saintes toutes deux saintes par leur foi absolue leur absolue confiance malgreacute ce qursquoelles ont chaque jour sous les yeux Lrsquoangoisse les traverse mais elles en sortent lrsquoune par la simpliciteacute drsquoun cœur drsquoenfant incapable de douter de Dieu lrsquoautre plus douloureusement eacutetant plus acircgeacutee mucircrie par la souffrance et par sa luciditeacute plus proche de Jeanne Mais au fait en sort-elle Gervaise peut-elle gueacuterir son angoisse Tout ce qursquoelle peut faire telle Job crsquoest un acte de foi pur et simple crsquoest-agrave-dire plier le genou et se taire crsquoest tout ce qui la seacutepare de Jeanne Jeanne elle ne peut pas se taire et si elle plie le genou crsquoest en freacutemissant99

Les trois personnages de ce premier Mystegravere sont eacutetrangement statiques ils ne

changent pas drsquoopinion en parlant entre eux Leur cheminement est inteacuterieur et

lrsquointeraction ne les transforme pas crsquoest au demeurant lrsquoune des raisons de la 98 PEacuteGUY Charles LOTTE Joseph Lettres et entretiens Editions de Paris 1954 p 65 99 ONIMUS Jean La Route de Charles Peacuteguy Plon 1962 p 28

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difficulteacute de mettre en scegravene une telle piegravece comme le souligne Anna Vladimirova

dans son eacutetude de la structure de ce mystegravere

Quand les trois personnages du Mystegravere prononcent leurs tirades agrave qui sont-elles adresseacutees Est-ce seulement agrave lrsquointerlocuteur apparent Le Mystegravere a un sens sacral non seulement parce que crsquoest une discussion sur la foi mais parce que chaque mot chaque reacuteplique chaque monologue est adresseacute agrave un autre personnage que lrsquoon ne voit pas Les paroles sont dirigeacutees verticalement vers le ciel100

Jeannette dans la trilogie eacutetait une reacutevolteacutee une sorte de reacutevolutionnaire

socialiste avant lrsquoheure sa reacutevolte la rendait precircte agrave faire un choix deacutecisif dans la

mesure ougrave la reacutevolte pousse agrave rejeter lrsquoeacutetat actuel des choses ce qui deacutetermine une

possibiliteacute de renouvellement Dans le Mystegravere de la chariteacute de Jeanne drsquoArc

Jeannette reste certes reacutevolutionnaire mais elle est aussi plongeacutee dans le doute le

plus affreux dans un deacutesert spirituel elle exprime des doutes et formule la

possibiliteacute de souffrances vaines de priegraveres vaines elle dit mecircme dans sa premiegravere

priegravere que le fils de Dieu est peut-ecirctre mort en vainhellip Or le doute contrairement agrave

la reacutevolte complique le choix et retarde la prise de deacutecision Il nrsquoen reste pas moins

que par ce doute profond Peacuteguy rapproche sa Jeannette des mystiques ayant

traverseacute la laquo nuit spirituelle raquo le laquo deacutesert spirituel raquo Sa nouvelle Jeannette est une

mystique ce que confirme Madame Gervaise lorsqursquoelle affirme que drsquoautres sont

passeacutes par lagrave Crsquoest la confrontation la rencontre avec un autre ou une autre ndash

comme Madame Gervaise ndash qui permet agrave Jeanne de passer du doute agrave la reacutevolte et

de srsquoacheminer vers ce qui sera plus tard une deacutecision cette phrase non explicite

mais ougrave lrsquoon peut entendre son action future laquo Orleacuteans qui ecirctes au pays de la

Loire raquo (OPD 559)

La Jeannette de Peacuteguy nrsquoest pas une sainte laquo surnaturelle raquo au contraire elle

est profondeacutement humaine elle est une femme de son pays une fille du village

appartenant agrave sa paroisse crsquoest de lagrave qursquoelle reacutepond agrave sa vocation et lrsquoaccomplit

Peacuteguy eacutecrit en reacutepondant aux critiques du Mystegravere dans Un nouveau theacuteologien

monsieur Fernand Laudet

Elle exeacutecuta un ordre divin par des moyens strictement humains [hellip] 100 VLADIMIROVA Anna laquo La structure du Mystegravere de la chariteacute de Jeanne drsquoArc de Charles Peacuteguy raquo Le Porche Bulletin de lrsquoAssociation des Amis de Jeanne drsquoArc et Charles Peacuteguy (Russie Pologne Finlande) ndeg 32 mars 2010 p 47

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[hellip] Car si lrsquoon veut elle est de la race des saints et si lrsquoon veut elle est de la race des heacuteros Venant de Dieu et retournant agrave Dieu et recevant constamment assistance de conseil de ses voix par tout son ecirctre elle est une sainte Elle est de la race des saints Mais dans cette dure humaniteacute du quinziegraveme siegravecle et de tous les siegravecles accomplissant par des moyens purement humains un tel ramassement drsquoexploits purement humains drsquoune guerre purement humaine de toute une action purement humaine par toute son action comme exteacuterieure par tout son engagement corps et acircme dans lrsquoaction militaire dans tout une action de guerre par toute sa condition par tout son ecirctre drsquoaction elle est un heacuteros elle est de la race des heacuteros [hellip] Et ainsi elle est agrave un point drsquointersection unique dans lrsquohistoire de lrsquohumaniteacute En elle se joignent deux races qui ne se joignent nulle part ailleurs Par un recoupement unique de ces deux races par une eacutelection par une vocation unique dans lrsquohistoire du monde elle est agrave la fois sainte entre tous les heacuteros heacuteroiumlque entre toutes les saintes (III 567-569) Le Notre Pegravere de Jeannette qui ouvre le mystegravere porte deacutejagrave les traces de ses

doutes et mecircme drsquoun deacutesespoir laquo Si on voyait seulement se lever le soleil de votre

regravegne Mais rien jamais rien raquo (OPD 403) Elle nrsquoest pas loin de perdre la foi

laquo Faudra-t-il que vous ayez envoyeacute votre fils en vain et sera-t-il dit que Jeacutesus sera

mort en vain votre fils qui est mort pour nous raquo (OPD 432)

Jeannette est humaine elle est donc une peacutecheresse comme les autres elle

pecircche par le deacutesespoir par une tristesse mortifegravere proche du laquo peacutecheacute des moines raquo ndash

lrsquoaceacutedie qursquoelle eacutevoque en parlant des naufrageacutes de la guerre laquo Celui qui manque

trop du pain quotidien nrsquoa plus aucun goucirct au pain eacuteternel au pain de Jeacutesus-Christ raquo

(OPD 416) De plus elle a manqueacute sa premiegravere communion et elle se montre tecirctue

comme le sont souvent les adolescentes de treize ans souvent sermonneacutees par une

aicircneacutee de qui elles attendent de lrsquoaide Cet entecirctement est si bien traduit dans le

dialogue avec Madame Gervaise ougrave Jeannette lui reacutepond peut-ecirctre sans trop

lrsquoeacutecouter en reacutepeacutetant une seule phrase beaucoup de fois comme un refrain Mais

malgreacute tout cela elle accueille la gracircce la gracircce de Dieu fait drsquoelle une sainte tout

comme la gracircce de Dieu lui permet aussi de devenir une sainte agissante et de

reacutepondre en heacuteroiumlne aux eacutevegravenements preacutesents conformeacutement agrave ce qursquoeacutecrit Jean-

Noeumll Dumont au sujet du heacuteros et de lrsquoeacuteveacutenement laquo Le heacuteros est lrsquohomme de

lrsquoeacuteveacutenement Il nrsquoest pas celui qui fait lrsquoeacuteveacutenement agrave la maniegravere drsquoun coup de force

de sa volonteacute lrsquoeacuteveacutenement nrsquoest pas son œuvre Le heacuteros est plutocirct celui qui est lagrave

et coiumlncide avec lrsquoeacuteveacutenement raquo101

101 DUMONT Jean-Noeumll op cit p 89

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La gracircce reccedilue et accueillie par Jeannette se traduit par sa priegravere incessante

dont teacutemoigne son amie Hauviette laquo Jamais les croix des chemins nrsquoavaient tant

servihellip raquo (OPD 407) cette derniegravere dit aussi laquo Tu veux ecirctre comme les autres Tu

veux ecirctre comme tout le monde Tu ne veux pas te faire remarquer Tu as beau faire

Tu nrsquoy arriveras jamais raquo (OPD 409) Oui Jeannette est diffeacuterente laquo mise agrave part

pour Dieu raquo (qadosh) Elle voit autrement le reacuteel elle perccediloit les choses de Dieu

dans le quotidien qui lrsquoentoure par exemple elle voit dans les eacutepis et la vigne le

pain et le vin de lrsquoEucharistie

Sacreacutes bleacutes sacreacutes bleacutes qui faites le pain froment eacutepi grain de lrsquoeacutepi de bleacute Moisson du bleacute des champs Pain qui fucirctes servi sur la table de Notre-Seigneur Bleacute pain qui fucirctes mangeacute par Notre-Seigneur mecircme qui un jour entre tous les jours fucirctes mangeacute Bleacutes sacreacutes bleacutes qui devicircntes le corps de Jeacutesus-Christ un jour entre tous les jours et qui tous les jours ecirctes mangeacute nrsquoeacutetant plus vous-mecircme mais eacutetant le corps de Jeacutesus-Christ (Ibid 417)

Sa perception aigueuml de la communion des saints de lrsquouniteacute du royaume de

France de lrsquounion entre tous les hommes la fait souffrir atrocement de

comportements qursquoelle ressent comme une forme de lacirccheteacute (travailler aux champs

par exemple au lieu de combattre pour sauver la France) parce qursquoelle se sent

complice Crsquoest la gracircce qui nourrit sa reacutevolte puisque lrsquoeacuteveacutenement que repreacutesente

la guerre agrave son eacutepoque suscite sa reacutevolte Mais cette reacutevolte va plus loin Non

seulement elle voudrait laquo tuer la guerre raquo (OPD 450) mais elle voudrait aller en

enfer laquo pour sauver de lrsquoAbsence eacuteternelle Les acircmes des damneacutes srsquoaffolant de

lrsquoAbsence raquo (OPD 458) Crsquoest cette reacutevolte profonde bouleversante qui pousse

Jeanne vers sa vocation de sainte militante active cette reacutevolte lui donne lrsquoaudace

de dire laquo Je crois que si jrsquoavais eacuteteacute lagrave je ne lrsquoaurais pas abandonneacute raquo (OPD 526)

Jeannette est impatiente Dans lrsquoune des pages retrancheacutees de la version

publieacutee mais qui figure sur le manuscrit et qui devait faire partie du deuxiegraveme acte

du mystegravere qui portait encore le titre Mystegravere de la vocation de Jeanne drsquoArc elle

dit agrave Dieu dans la priegravere (elle prie alors devant son village ravageacute et lrsquoEacuteglise de

Domreacutemy brucircleacutee par les Bourguignons) laquo Votre patience est effrayante Et on ne

sait jamais si votre patience est plus effrayante pour vos amis ou si votre patience

est plus effrayante pour vos ennemis raquo (OPD 562) Et de sa reacutevolte contre Dieu

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mecircme contre sa patience une reacutevolte amegravere qui la pousse agrave dire agrave Dieu laquo Votre

main gauche reprend ce que nous a donneacute votre main droite raquo (Ibid) ainsi que de sa

honte de sa famille des paysans qui nrsquoont pas deacutefendu leur Eacuteglise qui ont fui

laquo portant nos lacirccheteacutes comme des sacs de bleacute raquo (OPD 564) naicirct sa priegravere pour le

laquo chef de guerre raquo et sa vocation laquo Que pour les reacuteveiller vienne le chef de guerre

Double chreacutetien pour des temps doublement tombeacutes raquo (OPD 567)

laquo Lrsquoaudace est lrsquoespeacuterance reacutealiseacutee dans lrsquoaction raquo eacutecrit Jean-Noeumll Dumont102

crsquoest donc par cette reacutevolte impatiente et audacieuse que Jeannette deacutepasse son

deacutesespoir Elle est peut-ecirctre deacutesespeacutereacutee dans ses propos mais elle reacutealise

lrsquoespeacuterance dans ses actes qui germent dans les derniegraveres paroles du Mystegravere de la

Chariteacute de Jeanne drsquoArc laquo Orleacuteans qui ecirctes au pays de Loire raquo (OPD 559)

Peacuteguy deacutecrit Jeannette en vision une sorte de vision jalouse de ceux qui ont

veacutecu au temps de Jeacutesus laquo Vous avez vu la couleur de ses yeux vous avez entendu

le son de ses paroles raquo (OPD 443) Crsquoest aussi en vision qursquoelle rencontre Madame

Gervaise qui lrsquoimite dans sa jalousie en insistant sur la preacutesence de Jeacutesus dans le

preacutesent aujourdrsquohui

Madame Gervaise degraves sa premiegravere apparition dans le Mystegravere est preacutesenteacutee

comme mystique Ses premiers mots se joignent agrave la vision de Jeanne une

didascalie les introduit qui preacutecise laquo En vision agrave elles deux raquo (OPD 444) Par ses

premiers mots elle se place dans lrsquoaujourdrsquohui de Dieu dans une vision mystique

qui efface le temps et lrsquoespace laquo Il est lagrave Il est lagrave comme au premier jour raquo (Ibid)

Madame Gervaise est docile et precircte agrave accomplir la volonteacute de Dieu elle nrsquoa pas

peur du deacutesert spirituel et des souffrances dont lui parle Jeannette qursquoelle a toutes

devineacutees gracircce agrave sa compassion et parce qursquoelle est elle-mecircme passeacutee par lagrave

Madame Gervaise est aussi pleine drsquoespeacuterance la plus grande vertu selon Peacuteguy

car elle nrsquoa pas peur de recommencer agrave zeacutero de reprendre un grand travail qui a eacuteteacute

deacutetruit Cette absence de crainte devant un travail peut-ecirctre insenseacute parce qursquoil doit

sans cesse ecirctre renouveleacute constitue pour Peacuteguy le plus grand signe de lrsquoespeacuterance 102 DUMONT Jean-Noeumll op cit p 96

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laquo Ils deacutemolissent les Eacuteglises Nous en rebacirctirons toujours Nous rebacirctirons toujours

des Eacuteglises de pierre raquo (OPD 449)

Madame Gervaise a un amour absolu pour lrsquoEacuteglise qui est le Corps du Christ

pour elle crsquoest agrave travers lrsquoEacuteglise qursquo laquo Il est lagrave raquo LrsquoEacuteglise est pour elle par

excellence ce qui est vivant laquo Il nrsquoy a point drsquoEacuteglise morte raquo (OPD 462) Et puis

sous la plume de Peacuteguy elle parle comme quelqursquoun qui connaicirct Dieu et pas

seulement comme quelqursquoun qui a bien appris son cateacutechisme ou mecircme bien lu

Lrsquoimitation de Jeacutesus Christ ou les Saintes Eacutecritures Elle parle comme quelqursquoun

qui connaicirct Dieu personnellement Elle parle drsquoune expeacuterience veacutecue de la

rencontre Crsquoest Madame Gervaise qui dans le Mystegravere de la Chariteacute de Jeanne

drsquoArc commente la passion de Jeacutesus elle en parle comme un teacutemoin

Et son flanc qui lui brucirclait

Son flanc perceacute

Son cœur perceacute

Et son cœur qui lui brucirclait

Son cœur consumeacute drsquoamour

Son cœur deacutevoreacute drsquoamour (OPD 472-473)

Au demeurant crsquoest aussi par la bouche de Madame Gervaise que Dieu parle

dans les deux Mystegraveres suivants que Peacuteguy dans sa correspondance appelait laquo les

Jeannes drsquoArc raquo Le Porche du mystegravere de la deuxiegraveme vertu et Le Mystegravere des

saints Innocents Crsquoest Madame Gervaise qui reacutepond agrave la plus grande question de

Jeanne et lui indique sans le savoir son chemin laquo Qui donc faut-il sauver

Comment faut-il sauver raquo La reacuteponse et la question sont les mecircmes que dans la

premiegravere Jeanne drsquoArc laquo En imitant Jeacutesus En eacutecoutant Jeacutesus raquo (OPD 523-524)

Madame Gervaise se place dans une ligneacutee de saints elle srsquoinscrit dans un heacuteritage

en disant que tous nous avons pris la suite des apocirctres des premiers chreacutetiens et

que nous sommes leurs laquo fils spirituels et successeurs spirituels raquo (OPD 530)

Madame Gervaise fait preuve drsquohumiliteacute dans sa reacuteponse agrave Jeanne qui essaye de la

persuader que les saints franccedilais saint Franccedilois ou sainte Claire nrsquoauraient pas

abandonneacute Jeacutesus lors de sa Passion laquo Tu profites de ce que moi je ne suis qursquoune

pauvre femme une pauvre peacutecheresse heacutelas comme tout le monde Une peacutecheresse

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Une pauvre Une pauvresse de gracircce raquo (OPD 540) Mais Jeannette la met encore agrave

lrsquoeacutepreuve et Peacuteguy dans les didascalies souligne lrsquoeffort drsquohumiliteacute que fait

Madame Gervaise en lui reacutepondant

JEANNETTE [hellip] Vous Madame Gervaise vous nrsquoauriez pas laisseacute faire ccedila

MADAME GERVAISE Chancelant soudain sous cette pousseacutee sous cette invasion sous cette attaque directe sous cette reacuteveacutelation de la penseacutee la plus secregravete Elle tremble Elle rougit brusquement Un eacuteclair dans les yeux Puis elle parle pour se rassurer Elle eacuteteint lentement modestement tout cela

Mon enfant mon enfant meacutenage-moi

Il est venu la nuit comme un larron et il a tout deacuterobeacute

Balbutiant bafouillant se reprenant peu agrave peu

Je ne suis pas venue au monde dans ce temps-lagrave mon enfant

JEANNETTE implacable Vous vous ne lrsquoauriez pas renonceacute

MADAME GERVAISE Dans un effort incroyable dans un effort terrible drsquohumiliteacute volontaire de volonteacute drsquohumiliteacute comme traqueacutee dans un freacutemissement dans un frissonnement fermant les yeux humblement elle achegravevera drsquoune voix grise

Mon enfant je suis comme tout le monde

Je ne vaux pas mieux que les autres

Je ne suis pas venue au monde dans ce temps-lagrave Dieu nous fait venir au monde quand il veut Il a toujours raison Dieu fait bien ce qursquoil fait

Il est venu la nuit comme un voleur et il a tout emporteacute (OPD 546-547)

Madame Gervaise a confiance dans la gracircce de Dieu

Il y a dans le ciel dans le ciel et sur la terre dans le ciel et de lagrave sur la terre il y a dans le ciel un treacutesor de la gracircce un treacutesor des gracircces une source eacuteternelle de la gracircce elle coule toujours et elle est toujours aussi pleine elle coule eacuteternellement et elle est eacuteternellement pleine voilagrave ce que les docteurs de la terre nrsquoont pas compris (OPD 553)

Ensuite elle parle pareillement du treacutesor infini des souffrances du Christ du

treacutesor infiniment plein des meacuterites et du treacutesor des promesses La confiance est

aussi pour Peacuteguy un trait essentiel drsquoun saint drsquoune sainte Mais elle a aussi un

trait surprenant qui semblerait-il ne correspond pas agrave son image de personnage qui

repreacutesente la tradition de lrsquoEacuteglise la doctrine elle exprime en effet presque une

reacutevolte en affirmant qursquoil y a quelque chose que laquo les docteurs de la terre nrsquoont pas

comprisraquo (OPD 553) Pour Charles Peacuteguy un saint ne peut pas ecirctre parfaitement

drsquoaccord avec lrsquoordre existant des choses Mecircme la religieuse pleinement fidegravele agrave

lrsquoEacuteglise trouve quand mecircme agrave redire chez les docteurs en theacuteologie Un saint doit

apporter quelque chose de nouveau crsquoest ce qui lrsquoapparente au geacutenie sauf que le

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geacutenie veut rester seul alors que le saint aspire agrave la communion Les paroles que

prononce Madame Gervaise agrave la fin du mystegravere paroles qui attestent de son infinie

confiance agrave Dieu sont aussi celles qursquoHauviette a prononceacutees au deacutebut laquo Nous

sommes dans la main de Dieu raquo (OPD 559)

Mecircme la petite Hauviette qui nrsquoest preacutesente qursquoau deacutebut du Mystegravere incarne

une forme de sainteteacute Hauviette qui dans la premiegravere piegravece sur Jeanne drsquoArc Aacute

Domreacutemy faisait preuve de pieacuteteacute traditionnelle et de beaucoup de bon sens donne

ici lrsquoexemple de la sanctification par le travail elle teacutemoigne de la vertu du travail

dont nous parlerons dans le chapitre suivant Hauviette dit au deacutebut de la piegravece

laquo Travailler crsquoest prier raquo (OPD 407) En tout cas ses propos sont tout aussi graves

et peu vraisemblables chez une fillette de dix ans que ceux de son amie Jeannette

acircgeacutee de treize ans

Hauviette fait preuve drsquoune infaillible confiance en Dieu qui est le socle de

lrsquoespeacuterance la vertu la plus importante pour Peacuteguy Sa troisiegraveme phrase dans le

mystegravere est une reacuteponse agrave Jeannette qui parle du manque laquo Le bon Dieu sait bien

ce qursquoil nous faut le bon Dieu sait bien ce qui nous manque raquo (OPD 406)

Son attention aux autres sa capaciteacute de comprendre ses proches son eacutecoute

sont aussi hors du commun Elle comprend que Jeannette est diffeacuterente et qursquoelle a

une autre relation avec Dieu laquo ce que nous savons nous autres tu le vois [hellip] et ta

priegravere tu ne la fais pas tu ne la fais pas seulement tu la vois raquo (OPD 407-408) Elle

comprend aussi la profonde tristesse de Jeannette bien que Jeannette ne se soit

encore confieacutee agrave personne Elle est en colegravere contre Madame Gervaise parce que

celle-ci est partie au couvent en laissant sa megravere sans aide en parlant de la megravere de

Madame Gervaise Hauviette fait preuve de beaucoup de compassion laquo Crsquoeacutetait

affreux crsquoeacutetait affreux On en pleurait raquo (OPD 424) Au demeurant Jeannette le

sait et le dit bien qursquoHauviette refuse drsquoadmettre ses sentiments laquo Je ne suis peut-

ecirctre pas la seule Madame qui ne peut pas supporter les cris des enfants raquo

(OPD 412)

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Hauviette est humble Agrave propos de la singulariteacute de Jeanne qui prie plus que

les autres elle dit

Je suis dans la main du bon Dieu Nous sommes dans la main du bon Dieu tous et la terre entiegravere est dans la main du bon Dieu Il faut de tout pour faire un monde Il faut des creacuteatures de toute sorte pour faire une creacuteation Il faut des paroissiens de toute sorte pour faire une paroisse Il faut des chreacutetiens de toute sorte pour faire une chreacutetienteacute (OPD 409)

Hauviette parle ainsi de la communion des saints dont elle sait humblement

qursquoelle fait partie parce qursquoelle appartient agrave la chreacutetienteacute et parce qursquoil faut aussi

des chreacutetiens comme elle pas seulement des chreacutetiens comme Jeanne ou Madame

Gervaise Plus loin en reacutepondant agrave Jeannette qui parle de lrsquoexclusiviteacute du lien de

Madame Gervaise avec le Seigneur lieacutee agrave son statut de religieuse Hauviette montre

encore plus de profondeur

Il nrsquoy a point de reacuteveacutelations particuliegraveres Il nrsquoy a qursquoune reacuteveacutelation pour tout le monde et crsquoest la reacuteveacutelation de Dieu et de Notre Seigneur-Jeacutesus-Christ [] Le bon Dieu a appeleacute tout le monde il a convoqueacute tout le monde il a nommeacute tout le monde [] Il conduit tout le monde par la main Il nous a toutes deacutesigneacutees Nous sommes toutes entreacutees au couvent de chreacutetienteacute [hellip] Il nous a toutes appeleacutees par notre nom qui est notre nom de baptecircme [hellip] Toute parole drsquohomme et de femme du pegravere de la megravere et des enfants arrive directement aux oreilles de Dieu toute priegravere humaine toute priegravere chreacutetienne arrive monte directement agrave lrsquooreille de Dieu (OPD 420-421)

Elle se preacutesente donc elle-mecircme comme appeleacutee par Dieu deacutesigneacutee et precircte agrave

reacutepondre agrave lrsquoappel Hauviette a un sens aigu de la paroisse de la communauteacute de

lrsquoEacuteglise et surtout de la communion des saints En continuant de signifier agrave

Jeannette sa colegravere envers Madame Gervaise elle dit laquo Il faut se sauver ensemble

Il faut arriver ensemble chez le bon Dieu raquo (OPD 424) Hauviette reacutepegravete plusieurs

fois qursquoelle laquo voit clair raquo ce qui est plus qursquoun simple bon sens Le lecteur le

deacutecouvre quand Hauviette sans le savoir propheacutetise sur Jeanne Peacuteguy souligne

alors son innocence en rajoutant une didascalie qui dit qursquoHauviette rit en

prononccedilant ces mots

hellippour tuer la guerre il faut un chef de guerre [hellip] et ce nrsquoest pas nous Nrsquoest-ce pas Qui ferons la guerre Ce nrsquoest pas nous qui serons jamais des chefs de guerre Alors nous en attendant qursquoon ait tueacute la guerre il nous faut travailler nous chacun de son cocircteacute chacun de son mieux agrave garder sauf tout ce qui nrsquoest pas encore gacircteacuteraquo (OPD 425-426)

Peacuteguy pour souligner que Hauviette est aussi une sainte dans ses yeux place

dans sa bouche un reacutecit qui vient de la vie de saint Louis de Gonzague

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Si jrsquoeacutetais agrave la maison occupeacutee agrave filer mon peson de laine ou ccedila revient au mecircme si jrsquoeacutetais agrave jouer aux boquillons parce que ce serait lrsquoheure de jouer et si on venait me dire si quelqursquoun accourait Hauviette Hauviette crsquoest lrsquoheure du jugement lrsquoheure du jugement dernier dans une demi-heure lrsquoange va commencer agrave sonner de la trompettehellip [hellip]

Je continuerais agrave filer ma laine et ccedila revient au mecircme je continuerais agrave jouer aux boquillonshellip [hellip]

Parce que le jeu des creacuteatures est agreacuteable agrave Dieu Lrsquoamusement des petites filles lrsquoinnocence des petites filles est agreacuteable agrave Dieu [hellip] Tout est agrave Dieu tout regarde Dieu tout se fait sous le regard de Dieu toute la journeacutee est agrave Dieu Toute la priegravere est agrave Dieu tout le travail est agrave Dieu tout le jeu aussi est agrave Dieu quand crsquoest lrsquoheure de jouer Je suis une petite Franccedilaise je nrsquoai pas peur de Dieu parce qursquoil est notre pegravere (OPD 427-428)

Crsquoest une sainte du peuple une sainte de la paroisse elle nrsquoest pas une sainte

pour toute la France comme le deviendra Jeannette elle nrsquoest pas une sainte pour

toute lrsquoEacuteglise comme Madame Gervaise qui au couvent prie pour le salut de tous

mais elle est une sainte dans sa paroisse et pour sa paroisse Hauviette est donc

sainte parce que lrsquoenfance est sainte parce que lrsquoinnocence est sainte et parce que la

confiance et lrsquoespeacuterance sont saintes

En commenccedilant par des personnaliteacutes politiques ou litteacuteraires qui sont des

exemples agrave suivre en tant qursquoauteurs ou bien en tant que membres drsquoun groupe

politique comme Jauregraves pour les socialistes Peacuteguy arrive aux heacuteros et aux saints

Degraves lors il ne srsquoagit plus seulement de suivre de mettre ses pas dans ceux de

lrsquoexemple choisi mais aussi de lrsquoimiter Les heacuteros ont ceci de particulier que leurs

actes sont inimitables par leur essence mecircme sinon tout le monde pourrait ecirctre un

heacuteros En revanche chaque chreacutetien est appeleacute agrave imiter le Christ donc agrave devenir

saint Ainsi les saints deviennent des exemples agrave imiter Maurice Barregraves dans

LrsquoEcho de Paris du 28 feacutevrier 1910 eacutecrit agrave propos du Mystegravere de la chariteacute de

Jeanne drsquoArc

O stupeur Aux yeux de ce jeune normalien de grande culture classique tregraves meacuteditatif entecircteacute nullement un faiseur de paradoxes frivoles Jeanne drsquoArc est un modegravele Et pas drsquoeacutequivoque Il ne srsquoagit pas drsquoun modegravele drsquoapregraves lequel modeler sculpter eacutecrire Non un modegravele drsquoapregraves lequel vivre

81

CHAPITRE II LES VERTUS SELON PEacuteGUY

Si Peacuteguy se fait lrsquoapocirctre des vertus theacuteologales la foi la chariteacute et lrsquoespeacuterance

on ne lrsquoentend pas souvent parler des quatre vertus cardinales la tempeacuterance la

force la prudencehellip Seule la justice trouve gracircce agrave ses yeux En revanche si lrsquoon

considegravere qursquoune vie selon les vertus est ce qui fait drsquoun homme un saint Peacuteguy en

a sa propre laquo liste raquo

Certaines vertus vraisemblablement ne sont pas issues de son cateacutechisme ni de

sa foi chreacutetienne plus approfondie Elles pourraient ecirctre qualifieacutees de vertus

socialistes celles qui rendent un homme digne drsquoecirctre citoyen de la laquo citeacute

harmonieuse raquo deacutecrite par Peacuteguy en 1897 Sans doute elles sont issues de la culture

judeacuteo-chreacutetienne et ne srsquoen deacutemarquent pas mais il se peut que ce soit justement la

reacuteflexion sur le citoyen parfait qui ait finalement ameneacute Peacuteguy agrave penser la sainteteacute

Mais drsquoautres vertus ne sont-elles pas agrave recenser issues de sa freacutequentation des

juifs et de ses notions du judaiumlsme acquises agrave leur contact Le saint de Peacuteguy

serait-il un tzadik

Une question se pose en contrepoint des nombreuses vertus que Peacuteguy

mentionne et admire dans ses textes peut-on parler de vices Visiblement pour

Peacuteguy il nrsquoexiste que deux vices veacuteritables la reacutepeacutetition et la politique La

reacutepeacutetition est contraire au renouvellement agrave la possibiliteacute du nouveau incarneacutee

reacutealiseacutee dans la vertu de lrsquoespeacuterance

Quant agrave la politique en utilisant ce mot Peacuteguy ne parle pas uniquement de

lrsquoaction politique de lrsquoacte de diriger la France ou drsquoinfluencer drsquoune maniegravere ou

drsquoune autre le cours de son histoire Peacuteguy le militant chantre de saints agissants

ne saurait srsquoopposer agrave aucune action qui puisse contribuer agrave la construction de la

citeacute harmonieuse lrsquoaction dans et pour la socieacuteteacute est indispensable Mais chez

Peacuteguy laquo la politique raquo est ce qui est contraire agrave la vertu qursquoil honore le plus celle

de la justice (et de la justesse) La justice ne peut srsquoopeacuterer que dans une pleine

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reconnaissance du reacuteel pour pouvoir agir au cœur de lrsquoeacuteveacutenement La politique peut

reacutecupeacuterer pour utiliser dans un but mecircme beau mais exteacuterieur agrave lrsquoeacuteveacutenement

preacutesent nrsquoimporte quelle veacuteriteacute reacutealiteacute situation actuelle preacutesente elle peut donc

la deacutenaturer en la deacuteracinant de son milieu originaire et originel La justice et

surtout la laquo justesse raquo dont Peacuteguy parle dans son œuvre poeacutetique est contraire agrave

cela La justesse suppose une volonteacute de tendre vers lrsquoharmonie le deacutesir de

srsquoaccorder avec les autres pour que lrsquoensemble sonne juste crsquoest lrsquoeacutecoute de soi de

lrsquoautre et de lrsquoeacuteveacutenement qui devient la pierre angulaire de la citeacute harmonieuse

1 Les vertus socialistes

De Platon agrave Peacuteguy comme le deacuteplore lrsquoarticle laquo vertu raquo du Dictionnaire de

spiritualiteacute le mot laquo vertu raquo a subi une laquo inflation verbale raquo103 Et la penseacutee de

Peacuteguy suit finalement tous les meacuteandres du chemin que le sens du mot laquo vertu raquo a

pu emprunter

En tentant de deacutecrire une citeacute harmonieuse constitueacutee de citoyens parfaits

Peacuteguy ne peut certainement pas se passer de la Reacutepublique de Platon qui le

premier avait systeacutematiseacute les vertus indispensables agrave lrsquoEacutetat celles qui plus tard

seront appeleacutees cardinales laquo car elles correspondent agrave la constitution naturelle de

lrsquohomme dont elles expriment lrsquoharmonie et la santeacute morale raquo104 Le jeune Peacuteguy est

tregraves platonicien les vertus chez les citoyens de sa citeacute harmonieuse sont inneacutees

autrement la citeacute ne serait pas harmonieuse Alain Thomasset explique laquo Pour

Platon la vertu est une forme de connaissance de ce qui est vraiment bon pour

lrsquohomme et qui le rend capable drsquoagir comme il faut raquo105 Les citoyens de sa citeacute

103 Dictionnaire de spiritualiteacute asceacutetique et mystique doctrine et histoire TXVI Paris Beauchesne 1994 p 490 104 Op cit Dictionnaire de spiritualiteacute p 485 105 THOMASSET Alain sj Interpreacuteter et agir jalons pour une eacutethique chreacutetienne Paris Cerf 2011 p 302

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harmonieuse sont presque des anges ils sont parfaits et le jeune Peacuteguy nrsquoeacutecrit pas

ce qursquoil faut faire pour devenir digne de cette citeacute Mais cela constituera la

recherche de toute sa vie

En revanche la sainte bien que pas encore canoniseacutee agrave lrsquoeacutepoque que Peacuteguy

deacutecrit minutieusement Jeanne drsquoArc ne semble pas aussi parfaite dans la trilogie

de 1897 Jeanne drsquoArc comme dans sa reacuteeacutecriture dix ans plus tard dans le Mystegravere

de la chariteacute de Jeanne drsquoArc elle blasphegraveme elle se reacutevolte elle ment agrave ses

parents elle deacutesobeacuteit au nom de la justice pour que justice soit faite pour que

veacuteriteacute soit faite la veacuteriteacute de la France qui est aux Franccedilais et doit ecirctre gouverneacutee par

le Roi de France parce que Dieu le veut ainsi On deacutecouvre alors que la justice est

une vertu chez Peacuteguy une vertu qui peut sembler chevaleresque mais tout son

combat socialiste est une sorte drsquoaventure chevaleresque avec des laquo tournois raquo dans

les couloirs de la Sorbonne au deacutebut dans les pages poleacutemiques voire pamphleacutetaires

des Cahiers par la suite

a) Peacuteguy ndash preux chevalier du socialisme

En grand connaisseur et amateur du Moyen Age Peacuteguy se fabriqua drsquoune

certaine maniegravere surtout dans les premiegraveres anneacutees de lrsquoexistence des Cahiers de la

quinzaine une sorte de code des vertus chevaleresques du socialisme Il deacutefendait

avec une vaillance de guerrier le socialisme tel qursquoil le voyait la veacuteriteacute et la justice

avec ses poings et avec ses mots sa parole eacutetait une parole de veacuteriteacute et il y tenait

jusqursquoagrave la deacutemesure (laquo Dire la veacuteriteacute toute la veacuteriteacute rien que la veacuteriteacute dire

becirctement la veacuteriteacute becircte ennuyeusement la veacuteriteacute ennuyeuse tristement la veacuteriteacute

triste raquo (I 291-292)) il se voyait en deacutefenseur de tous les opprimeacutes et de tous les

perseacutecuteacutes il deacutepensait tout son argent pour sa cause sans penser agrave soi (et parfois

aussi sans penser vraiment agrave sa famillehellip) en chevalier sans peur et sans reproche

qui se bat pour la reacutevolution mystique et morale Don Quichotte du XXe siegravecle

Pocquet-du-Haut-Jusseacute eacutecrit laquo A vrai dire il est un peu artificiel de seacuteparer chez

Peacuteguy le combat pour la justice de celui pour la veacuteriteacute surtout dans le cadre de

84

lrsquoAffaire Il est bien clair en effet que reacutetablir la veacuteriteacute agrave propos de Dreyfus crsquoest du

mecircme coup lui rendre justice raquo106

La justice et la veacuteriteacute semblent tellement centrales chez Peacuteguy que Roula Helou

va jusqursquoagrave dire qursquoil suffit qursquoun homme deacutefende ardemment ces valeurs pour que

Peacuteguy le considegravere comme saint107

Dix ans plus tard il garde encore sa fierteacute chevaleresque dans Notre Jeunesse

sa reacuteponse agrave Haleacutevy qui lrsquoa brouilleacute au moins pour un certain temps avec cet ami

fidegravele est pleine de fierteacute et drsquoindignation parce qursquoil trouve que Haleacutevy a donneacute

aux dreyfusards un air de laquo chiens battus raquo

Je ne me sens nullement ce poil de chien battu Je consens drsquoavoir eacuteteacute vainqueur je consens (ce qui est mon jugement propre) drsquoavoir eacuteteacute vaincu (ccedila deacutepend du point de vue auquel on se place) je ne consens point drsquoavoir eacuteteacute battu Je consens drsquoavoir eacuteteacute ruineacute (dans le temporel et fort exposeacute dans lrsquointemporel) je consens drsquoavoir eacuteteacute trompeacute je consens drsquoavoir eacuteteacute berneacute Je ne consens point drsquoavoir eacuteteacute mouilleacute Je ne me sens point ce poil de chien mouilleacute Je ne me reconnais point dans ce portrait Nous eacutetions autrement fiers autrement droits autrement orgueilleux infiniment fiers portant haut la tecircte infiniment pleins infiniment gonfleacutes des vertus militaires (III 41)

Peacuteguy eacutecrit plus loin que lrsquohumiliteacute et la peacutenitence ont leur place parmi les

vertus chreacutetiennes mais qursquoen tant que civil laiumlc il veut laquo ecirctre bourreacute drsquoorgueil raquo

(III 42) Parce qursquoun chevalier mecircme vaincu qui a perdu sa fierteacute son orgueil de

combattant en se repentant de ses actes guerriers nrsquoest plus un fier vaincu mais un

laquo chien battu raquo Ensuite Peacuteguy eacutenumegravere les vertus qursquoil deacutefinit comme

laquo franccedilaises raquo et qui constituent eacutegalement une sorte de code chevaleresque en

concluant que ces qualiteacutes ces vertus deacutefinissent lrsquoheacuteroiumlsme lrsquoheacuteroiumlsme franccedilais

la vaillance claire la rapiditeacute la bonne humeur la constance la fermeteacute un courage opiniacirctre mais de bon ton de belle tenue de bonne tenue fanatique agrave la fois et mesureacute forceneacute ensemble et pleinement senseacute une tristesse gaie qui est le propre du Franccedilais un propos deacutelibeacutereacute une reacutesolution chaude et froide une aisance un renseignement constant une dociliteacute et ensemble une reacutevolte constante agrave lrsquoeacuteveacutenement une impossibiliteacute organique agrave consentir agrave lrsquoinjustice agrave prendre son parti de rien Un deacutelieacute une finesse de lame Une acuiteacute de pointe (III 87)

Souvent quand Peacuteguy deacutecrit la France et les Franccedilais il procegravede par des

contrastes des oppositions des contradictions apparentes qui en veacuteriteacute ne sont pas 106 POQUET DU HAUT-JUSSEacute Laurent-Marie Charles Peacuteguy et la moderniteacute essai drsquointerpreacutetation theacuteologique drsquoune œuvre litteacuteraire Perpignan Artegravege 2010 p 48 107 HELOU Roula Les Images dans les mystegraveres de Charles Peacuteguy Villeneuve drsquoAscq Presses universitaires du Septentrion 2002 p 183

85

aussi contradictoires Toutes les qualiteacutes toutes les vertus eacutenumeacutereacutees dans cette liste

supposent une fideacuteliteacute agrave la veacuteriteacute et agrave la justice notamment par une reconnaissance

active de la reacutealiteacute Ecirctre vaillant mais sans ecirctre aveugleacute par la rage ecirctre vaillant de

maniegravere lucide laquo claire raquo Ecirctre rapide pour pouvoir reacutepondre agrave lrsquoeacuteveacutenement sans

tarder Ecirctre constant ce mot revient plusieurs fois dans cette liste ecirctre constant

donc ecirctre fidegravele agrave soi-mecircme demeurer soi Fanatique et forceneacute et cependant tout

mesureacute et senseacute voilagrave une belle description drsquoun heacuteros ou drsquoune heacuteroiumlne comme

Jeanne drsquoArc qui eacutetait fanatique et forceneacutee dans la fideacuteliteacute agrave sa vocation ceacuteleste

mais pleine de bon sens non seulement dans le portrait que Peacuteguy en fait mais dans

les textes de son procegraves dans son action sur terre laquo Une tristesse gaie raquo parce que

consciente de la reacutealiteacute pas toujours joyeuse mais refusant de srsquoappuyer

uniquement sur lrsquoexpeacuterience neacutegative du passeacute pleine drsquoespeacuterance laquo Une

reacutesolution chaude et froide raquo chaude parce que rapide reacuteactive par rapport au

preacutesent reacuteel agrave lrsquoeacuteveacutenement mais pourtant froide reacutefleacutechie Et laquo une acuiteacute raquo qui

rend possible la laquo justesse raquo

Dans le texte intituleacute par ses eacutediteurs Le Mystegravere de la vocation de Jeanne

drsquoArc (ce qui eacutetait drsquoailleurs le premier titre du mystegravere que Peacuteguy a changeacute au

dernier moment) retrancheacute par son auteur du manuscrit du Mystegravere de la chariteacute de

Jeanne drsquoArc Jeannette prie pour que Dieu donne agrave la France un chef de guerre et

deacutecrit les vertus qui doivent le caracteacuteriser il doit avoir une laquo vaillance neuve raquo

crsquoest-agrave-dire pleine drsquoespeacuterance confiante dans le futur puisque le mot laquo neuf raquo chez

Peacuteguy est presque un synonyme de lrsquoespeacuterance il doit pourvoir enseigner

laquo lrsquoefficace priegravere Et qui relegraveve droit les acircmes affaisseacutees raquo (OPD 555-556) il doit

donc guider les autres aussi dans sa relation agrave Dieu

Un capitaine dur pour les batailles dures

Un vainqueur pitoyable aux hommes apaiseacutes

Toujours precirct agrave braver les cuisantes morsures

Du fer et toujours precirct agrave lrsquoappel des blesseacutes (OPD 566)

Suit une longue meacuteditation sur les vainqueurs qui le plus souvent ne sont pas

charitables et sur laquo ceux qui sont charitables [et] ne sont pas vainqueurs raquo

(OPD 467) mais pour sauver la France il faut un chef qui saura vaincre en priant

86

et en eacutetant charitable qui saura guider les soldats dans la vaillance et dans la priegravere

et dans la chariteacute un chef pour qui la chariteacute ne srsquoopposera pas agrave lrsquoaction mais

pour qui lrsquoaction dans le monde y compris lrsquoacte de guerre celui de laquo tuer la

guerre raquo sera un fruit de la priegravere Et dans son dernier texte la Note conjointe sur

M Descartes et la philosophie carteacutesienne Peacuteguy parle de lrsquoaudace qui est laquo seule

est grande raquo (III 1279) Parce qursquoun audacieux ose et que le neuf devient possible

Jeannette exige la mecircme vaillance charitable de ses soldats elle voudrait

qursquolaquo ils fassent leur tacircche comme on fait un meacutetier raquo (OPD 574) sans colegravere sans

haine juste comme nrsquoimporte quel travail paisiblement elle voudrait que ses

soldats se battent contre leurs ennemis mais sans leur en vouloir pour de bon Et agrave

la fin de ce monologue elle dit elle-mecircme que cela est impossible Et crsquoest pour

cette raison finalement que crsquoest elle qui est choisie parce que crsquoest possible pour

elle Peacuteguy donne agrave son heacuteroiumlne sa propre exigence sans borne Il est exigeant avec

lui-mecircme Son combat pour la veacuteriteacute est exigeant pour ceux qui sont avec lui et

violent envers ses adversaires Peacuteguy fait peur agrave certains notamment agrave Romain

Rolland et agrave drsquoautres Jean Onimus eacutecrit que laquo Son rocircle au service de la veacuteriteacute

nrsquoest pas de faire plaisir mais plutocirct de blesser sans cesse Sa vocation profonde est

drsquoecirctre une conscience le sel qui corrode mais qui purifie et qui conserve raquo108

Dans la lettre de Peacuteguy agrave Eacutemile Zola publieacutee dans lrsquoAurore du 23 janvier 1898

le mot laquo justice raquo se retrouve cinq fois en deux alineacuteas

Les socialistes sous peine de deacutecheacuteance doivent marcher pour toutes les justices qui sont agrave reacutealiser Ils nrsquoont pas agrave consideacuterer agrave qui servent les justices reacutealiseacutees car ils sont deacutesinteacuteresseacutes ou ils ne sont pas Ils nrsquoont pas non plus agrave preacutetexter les injustices passeacutees pour se refuser agrave la justice preacutesente pare que crsquoest lagrave de la vengeance et du talion non pas de la justice Pour ces raisons nous saluons comme les futurs citoyens de la citeacute socialiste les hommes du meacutetier les ouvriers manuels et intellectuels en particulier les universitaires qui ont quitteacute leurs travaux ordinaires pour travailler agrave lrsquoentier recouvrement de la justice (I 45)

Un peu plus loin dans la mecircme bregraveve lettre Peacuteguy fustige seacutevegraverement ceux qui

ont laquo faibli raquo

108 ONIMUS Jean La route de Charles Peacuteguy Paris Plon 1962 p 41

87

b) La justice la liberteacute et la veacuteriteacute

La justice deacutesinteacuteresseacutee sert lrsquoeacutegaliteacute si la justice est reacutealiseacutee uniquement dans

le preacutesent sans consideacuterer envers qui elle est rendue rien ne fait obstacle agrave une

eacutegaliteacute telle que Peacuteguy la voyait en ce moment plus tard il doutera de la possibiliteacute

de concilier fraterniteacute et eacutegaliteacute et il choisira la fraterniteacute

Feacutelicien Challaye109 cite un carnet de notes ou il avait recueilli les indications

de Peacuteguy pour le laquo Journal vrai raquo ce journal socialiste que Peacuteguy voulait creacuteer avec

ses condisciples agrave lrsquoEacutecole Normale il y exigeait que les journalistes qui

contribueraient travaillent agrave cocircteacute pour vivre laquo non de lrsquoaction comme les

politiciens mais pour lrsquoaction raquo (lettre citeacutee dans I CXXVI)

En eacutevoluant la penseacutee de Peacuteguy devient plus aristoteacutelicienne les vertus sont

deacutesormais non inneacutees mais acquises or comme lrsquoexplique lrsquoarticle laquo Vertus raquo du

Dictionnaire de spiritualiteacute les vertus naissent gracircce agrave laquo des actes eacutemanant de la

liberteacute humaine dont ils expriment la maicirctrise et la stabiliteacute dans ses choix raquo110 La

vertu se fait ainsi une expression de la perfection drsquoun ecirctre humain laquo Lrsquoeacutethique

aristoteacutelicienne vise le bonheur comme finaliteacute propre de lrsquohomme et lrsquoaction est le

moyen de lrsquoatteindre la pratique concregravete des vertus morales megravene agrave

lrsquoaccomplissement de la nature humaine raquo111 Mais surtout chez Aristote les vertus

profitent agrave la fois au bonheur de lrsquohomme par son accomplissement et au bonheur

de la citeacute elles unifient et construisent la communauteacute

Agrave lrsquoEacutecole normale Peacuteguy devient un fidegravele disciple de Kant Geacuteraldi Leroy

eacutecrit de Marcel ou le dialogue de la citeacute harmonieuse laquo La citeacute harmonieuse veut

reacutealiser le Kantisme raquo112 et Jean-Noeumll Dumont le confirme en eacutecrivant que Peacuteguy

cherche et trouve chez Kant laquo lrsquoaspiration agrave une justice universelle raquo113

109 CHALLAYE Feacutelicien Peacuteguy socialiste Paris Amiot-Dumont 1954 110 Op cit Dictionnaire de spiritualiteacute p 486 111 THOMASSET Alain opcit p 302 112 LEROY Geacuteraldi Peacuteguy entre lrsquoordre et la reacutevolution Paris Presse de la Fondation Nationale des Sciences Politiques 1981 p 82 113 DUMONT Jean-Noeumll Peacuteguy Lrsquoaxe de deacutetresse Paris Michalon 2005 p 40

88

Cependant la justice la liberteacute et la veacuteriteacute ne sont pas chez Peacuteguy des vertus

qursquoon peut pratiquer mais plutocirct des reacutealiteacutes qursquoon reconnaicirct ou pas auxquelles on

adhegravere ou pas Mecircme dans la peacuteriode de sa vie ougrave Peacuteguy semblait ecirctre loin du

religieux la veacuteriteacute la liberteacute et la justice eacutetaient pour lui des sortes de vertus

theacuteologales suppleacutementaires crsquoest-agrave-dire des qualiteacutes de Dieu que lrsquohomme peut

reconnaicirctre auxquelles il peut adheacuterer et qursquoil peut accueillir comme une gracircce

cette gracircce le poussera agrave lrsquoaction qui sera alors juste et vraie En teacutemoignent ces

mots issus drsquoun petit article dans la Revue blanche du 1er avril 1899 sur lrsquoaffaire

Dreyfus intituleacute laquo Lrsquoopinion publique raquo

Nous ne croyons pas du tout que tant drsquoadheacutesions consideacuterables aient authentiqueacute la veacuteriteacute aient justifieacute la justice la veacuteriteacute nrsquoavait pas besoin drsquoecirctre authentiqueacutee puisque elle eacutetait authentique la justice nrsquoavait pas besoin drsquoecirctre justifieacutee puisqursquoelle eacutetait la justice mais nous sommes heureux de ce qursquoun grand nombre de nos concitoyens ont reconnu la justice et reconnu la veacuteriteacute (I 198)

Quand elle est accueillie inteacutegreacutee et servie la veacuteriteacute pousse agrave lrsquoaction et

devient alors une vertu qursquoon peut aussi mettre en pratique Peacuteguy en teacutemoigne dans

sa Lettre du Provincial dans le premier Cahier de la quinzaine en parlant de

lrsquoaffaire Dreyfus laquo Nous fucircmes les chercheurs et les serviteurs de la veacuteriteacute Telle

eacutetait en nous la force de la veacuteriteacute que nous lrsquoaurions proclameacutee envers et contre

nous Telle fut hors de nous la force de la veacuteriteacute qursquoelle nous donna la victoire raquo

(I 295) La veacuteriteacute est ici deacutefinie comme une gracircce qui descend sur les hommes et

les transforme en les poussant agrave la proclamer et en leur donnant une force visible

apparente aux yeux de tous une force de teacutemoignage Dans Le Mystegravere des saints

Innocents la veacuteriteacute est la vertu par excellence qui rapproche lrsquohomme de Dieu

Comme leur liberteacute a eacuteteacute creacuteeacutee agrave lrsquoimage et agrave la ressemblance de ma liberteacute dit Dieu comme leur liberteacute est le reflet de ma liberteacute Ainsi jrsquoaime agrave trouver en eux comme une certaine gratuiteacute qui soit comme un reflet de la gratuiteacute de ma gracircce qui soit comme creacuteeacutee agrave lrsquoimage et agrave la ressemblance de la gratuiteacute de ma gracircce (OPD 822)

Peacuteguy deacutecrit un cercle vertueux la gracircce de Dieu accorde agrave lrsquohomme la liberteacute

qui le rend semblable agrave Dieu et en priant dans la gratuiteacute lrsquohomme se rend

disponible agrave la gracircce de Dieu qui le rend libre

Selon Peacuteguy on ne peut pas pratiquer les vertus de la liberteacute et de la justice

temporairement ou les pratiquer dans un domaine de sa vie plutocirct que dans un

89

autre On peut les servir et les accueillir comme les vertus theacuteologales chreacutetiennes

qui sont theacuteologales parce qursquoelles caracteacuterisent Dieu Dans Un poegravete lrsquoa dit Peacuteguy

affirme laquo la liberteacute ne srsquoapprend pas raquo (II 818) Que caracteacuterisent donc ces trois

vertus la veacuteriteacute la liberteacute la justice Apparemment ce que Peacuteguy dans un texte

de 1904 consacreacute au Discours pour la liberteacute de Clemenceau appelle laquo la pleine

autoriteacute morale raquo qui change lrsquohomme et lrsquohumaniteacute pour rendre possible la

reacutevolution morale et lrsquoavegravenement de la citeacute harmonieuse

Ni la justice ni la veacuteriteacute ni la liberteacute ne sont intermittentes elles ne sont pas intermittentes selon le temps elles ne varient pas avec les anneacutees elles ne sont pas intermittentes selon le lieu elles ne varient pas avec les pays elles ne varient pas avec les anneacutees politiques elles ne varient pas avec les pays avec les partis politiques en ce sens elles sont universelles comme elles sont eacuteternelles immuables on ne peut les servir un temps les trahir un autre les servie quelque part les trahir ailleurs celui qui les sert autant qursquoil peut partout et toujours a seul qualiteacute pour parler en leur nom (I 1359)

Peacuteguy dans ce texte insiste sur lrsquoune de ses thegraveses favorites ce ne sont pas les

politiques ni la politique qui peuvent effectuer une reacutevolution sociale crsquoest la

mystique qui suppose un changement inteacuterieur seuls une transformation morale un

changement de lrsquohomme qui vient de lrsquointeacuterieur peuvent ecirctre universels Un peu

plus loin Peacuteguy eacutecrit qursquoon ne doit pas ecirctre fidegraveles agrave des hommes qui sont tantocirct

libres et justes tantocirct non mais agrave la liberteacute la justice et la veacuteriteacute mecircme Pour lui ce

ne sont pas des chemins pour atteindre un but mais le but mecircme laquo des fins

eacuteternelles drsquoaction de penseacutee qursquoon les doit invoquer et poursuivre eacutegalement dans

la victoire et dans la deacutefaite [hellip] elles sont une regravegle de vie eacuteternelle sans

exception sans vieillissement et sans commutateur raquo (I 1502)

Tout en deacutecrivant les vertus de veacuteriteacute justice et liberteacute comme des dons qursquoon

peut accueillir mais qursquoon ne sait pas toujours comment mettre en pratique Peacuteguy

la mecircme anneacutee dans Zangwill propose un chemin pour suivre la veacuteriteacute pour y

adheacuterer pleinement le reacuteel laquo Eacutepuiser lrsquoimmensiteacute lrsquoindeacutefiniteacute lrsquoinfiniteacute du deacutetail

pour obtenir la connaissance de tout le reacuteel telle est la surhumaine ambition de la

meacutethode discursive (I 1415)raquo eacutecrit-il et mecircme si cela reacutesonne encore une fois

comme une forme de sacerdoce drsquoeffort surhumain il srsquoagit bien de la meacutethode de

travail de lrsquohistorien et du journaliste que Peacuteguy voit comme un sacerdoce au

service du divin reacuteel Il approfondit ce sujet dans un texte de 1905 non publieacute de son

90

vivant Heureux les systeacutematiques qui est un hymne agrave la reacutealiteacute Se mettre au

service du don de la veacuteriteacute crsquoest adheacuterer agrave la reacutealiteacute tout entiegravere dans sa complexiteacute

et sa contradiction parfois

Quand le theacuteoricien quand le raisonneur se trouve en preacutesence drsquoune reacutealiteacute complexe non point seulement compliqueacutee de complications mais complexe de complexiteacute particuliegraverement quand il se trouve en preacutesence drsquoune reacutealiteacute double son premier mouvement ougrave il se tient parce que crsquoest le mauvais est de ne retenir qursquoune partie de cette reacutealiteacute complexe particuliegraverement une des deux parties dans les reacutealiteacutes doubles il eacutelimine instinctivement automatiquement tout le reste ce qui le gecircne particuliegraverement lrsquoautre des deux parties dans nulle inquieacutetude au contraire il srsquoen sait bon greacute il srsquoen estime drsquoautant il se mesure agrave cela il se trouve tregraves fort il serait inquiet au contraire srsquoil fardait beaucoup de reacutealiteacute srsquoil respectait la reacutealiteacute il serait anxieux srsquoil gardait toute la reacutealiteacute il ne se reconnaicirctrait pas ainsi naissent les systegravemes (II 223)

Dans ce texte posthume Peacuteguy fustige laquo les systeacutematiques raquo crsquoest-agrave-dire ceux

qui confronteacutes agrave la contradiction du reacuteel en font un systegraveme qui permet de concilier

les diffeacuterentes facettes qui semblent srsquoexclure les unes les autres et ne pas pouvoir

srsquoharmoniser Lrsquoharmonie de la veacuteriteacute nrsquoest pas celle qui efface les diffeacuterences et les

contradictions celui qui sert la veacuteriteacute se tient au cœur des contradictions du reacuteel

Il existe tout de mecircme deux formes drsquoexercice de la veacuteriteacute deux possibiliteacutes de

la pratiquer et non seulement de lrsquoaccueillir la premiegravere crsquoest celle de la dire tout

simplement crsquoest celle que Peacuteguy choisit comme vocation premiegravere des Cahiers de

la quinzaine la seconde crsquoest de ne jamais se trahir Le reacuteel auquel on est

confronteacute de la maniegravere la plus serreacutee et ineacutevitable crsquoest soi-mecircme et Peacuteguy le sait

bien quand il eacutevoque dans le ceacutelegravebre portrait de Bernard-Lazare au cœur de Notre

Jeunesse laquo cette fideacuteliteacute agrave soi-mecircme qui est tout de mecircme lrsquoessentiel raquo (III 61) La

fideacuteliteacute agrave soi-mecircme suppose une connaissance de soi loin de la fausse humiliteacute

Peacuteguy dit dans ce mecircme texte sur Bernard-Lazare qursquoil laquo se sentait fort raquo et laquo avait

confiance en soi Comme tous les veacuteritables forts raquo (III 75) Bernard-Lazare eacutetait

pour Peacuteguy une sorte de preux chevalier deacutefenseur des juifs et protecteur des

opprimeacutes

Se sentir fort et avoir confiance en soi cela fait partie de lrsquohonneur drsquoun

chevalierhellip ou drsquoun saint Dans Victor-Marie comte Hugo Peacuteguy en parlant des

heacuteros de Corneille de Polyeucte et du Cid Peacuteguy dit que laquo Cet honneur de sainteteacute

91

venu proceacutedant par promotion de lrsquohonneur chevaleresque raquo (III 310) crsquoest le

mecircme honneur qui peut eacutelever un heacuteros vers la sainteteacute

La laquo vertu raquo chez Peacuteguy est aussi la laquo vertu reacutepublicaine raquo une sorte

drsquoauthenticiteacute loueacutee encore par Robespierre et qui finalement se reacutesume en

liberteacute eacutegaliteacute et fraterniteacute Cependant deacutejagrave dans Marcelhellip Peacuteguy rejette lrsquoeacutegaliteacute

en tant que valeur bourgeoise parce qursquoelle supposerait un calcul or les valeurs

dont Peacuteguy parle dans ce texte ne sont pas deacutenombrables Il y a aussi des vertus

bourgeoises auxquelles Peacuteguy adhegravere sans heacutesiter celles du travail de lrsquoeacuteconomie

de lrsquoobeacuteissance de lrsquoordre que Peacuteguy a apprises aupregraves de sa megravere et de sa grand-

megravere et qui sont resteacutees essentielles pour lui jusqursquoagrave sa mort

En revanche dans ce texte Peacuteguy eacutecrit aussi que les citoyens de la citeacute

harmonieuse nrsquoont pas besoin de justice pour la mecircme raison lrsquoimpossibiliteacute du

calcul et de la comparaison des valeurs il refuse aussi la notion de chariteacute laquo parce

que toute chariteacute suppose des manques et que la citeacute harmonieuse ne laisse manquer

de rien les citoyens raquo (I 61) La seule loi qui reacutegit cette citeacute est celle de lrsquoharmonie

Parler de vertus dans la citeacute harmonieuse est deacutelicat puisque la vertu

srsquoapplique le plus souvent agrave un individu ce qui rend possible la comparaison le

jugement drsquoune personne comme plus vertueuse qursquoune autre or toute comparaison

est contraire agrave lrsquoideacutee que Peacuteguy a de lrsquoharmonie Cependant Peacuteguy mentionne les

sentiments laquo sains raquo des citoyens de la citeacute qui rendent possible leur cohabitation

harmonieuse laquo Les citoyens de la citeacute nrsquoont aucun des sentiments que nous

nommons dans la socieacuteteacute non harmonieuse les sentiments malsains crsquoest-agrave-dire

aucun des sentiments qui deacuteforment les acircmes et souvent ainsi les corps raquo (I 71)

Parmi les sentiments les plus contraires agrave lrsquoharmonie Peacuteguy cite la haine qui laquo est

tueuse de lrsquoamour raquo et la jalousie qui est laquo la malfaccedilon de lrsquoamour raquo Il dresse

ensuite tout une liste de sentiments malsains

Ainsi les citoyens de la citeacute harmonieuse nrsquoont pas les sentiments que nous nommons les sentiments de lrsquoeacutemulation de la rivaliteacute de la concurrence les sentiments de la guerre civile de la guerre eacutetrangegravere de la guerre eacuteconomique de la guerre militaire de la guerre priveacutee de la guerre publique les sentiments de lrsquoambition publique de lrsquoambition priveacutee lrsquoanimositeacute la colegravere la vengeance la rancune lrsquoenvie la meacutechanceteacute Ils ne savent pas ce que crsquoest que le mensonge (I 71)

92

Les citoyens de la citeacute harmonieuse ne peuvent pas pratiquer de vertu puisque

cela supposerait lrsquoexistence drsquoun comportement non vertueux ce qui est impossible

au sein de la citeacute harmonieuse Degraves lors Peacuteguy dresse une sorte de liste apophatique

de vertus Il y a aussi les vertus supposeacutees de ceux qui ont construit la citeacute et que la

citeacute a oublieacutes parce qursquoelle nrsquoa mecircme pas le souvenir de la possibiliteacute des

sentiments malsains Le travail devient ainsi une vertu non en tant qursquoeacuteleacutement

obligatoire de la vie de la citeacute mais en tant qursquoabsence de paresse la liberteacute en tant

que vertu pratiqueacutee devient plutocirct absence de domination

En revanche en dressant le portrait utopique drsquoune laquo acircme individuelle raquo

citoyenne de la citeacute harmonieuse Peacuteguy deacutecrit le reacutesultat drsquoune vie de vertu le fruit

drsquoune humaniteacute laquo assainie raquo par une reacutevolution morale ougrave les hommes libres ne

sont mus que par des

volitions [hellip] indeacutependantes et libres de tout parce qursquoil ne convient pas que les volitions soient commandeacutees par ce qui pourrait deacuteformer les acircmes en particulier par ce qui pourrait deacuteformer les volitions en particulier il ne convient pas que les volitions des acircmes individuelles soient commandeacutees par la citeacute par un peuple par un individu Rien drsquoexteacuterieur aux acircmes harmonieuses ne commande les volitions de ces acircmes [hellip] Les vouloirs des citoyens dans la citeacute harmonieuse en vont qursquoagrave des fins harmonieuses (I 82-83)

On y parvient en pratiquant les vertus Peacuteguy commence par la description de

la fin du chemin et srsquoemploiera toute sa vie agrave le baliser

c) Le travail

Le travail est la vertu dont le jeune Peacuteguy parle le plus apregraves la justice une

vertu tant socialiste que bourgeoise mais aussi chreacutetienne Dans sa thegravese sur Le sens

du travail dans la penseacutee de Charles Peacuteguy Marc Gaucherand eacutecrit que Peacuteguy

pense le travail dans sa relation avec la reacuteveacutelation du christianisme agrave la relation

entre le travailleur et le monde travailleacute srsquoajoute Dieu qui a lui-mecircme eacuteteacute travailleur

et qui pose son regard sur celui qui travaille Marc Gaucherand voit chez Peacuteguy une

veacuteritable theacuteologie du travail dans la mesure ougrave il le considegravere comme connaissance

93

du travail de Dieu (la Creacuteation et la Reacutedemption) cependant qursquoil considegravere le

travail des hommes comme imitation du travail de Dieu Chez Peacuteguy

le travail se preacutesente moins comme un concept que comme une reacutealiteacute veacutecue [hellip] le couple expeacuterience ndash concept peut ecirctre compris comme un rapport drsquoengendrement au sens ougrave les diffeacuterentes analyses approfondies et drsquoun apport incontestable proviennent moins drsquoune reacuteflexion exclusivement conceptuelle que drsquoune expeacuterience personnelle114

Tout travail qui pourrait devenir un obstacle dans la relation entre Dieu et

lrsquohomme est rejeteacute par Peacuteguy parce que le but de nrsquoimporte quel travail est la

participation agrave lrsquoœuvre divine de la Creacuteation et de la Reacutedemption Ce travail doit

ecirctre confiant libeacutereacute du souci mecircme reacutepeacutetitif il ne doit jamais devenir une

habitude un obstacle agrave la gracircce mais ecirctre plein de lrsquoeacuteternel renouvellement de

lrsquoespeacuterance

Lrsquoouvrage de Jeacutesus dans lrsquoatelier de Nazareth tient une grande place dans lrsquoœuvre de Peacuteguy puisqursquoil repreacutesente lrsquoorigine mecircme de la reacutenovation du travail qui confegravere agrave ce dernier une finaliteacute nouvelle Depuis Jeacutesus le chreacutetien travaille pour participer agrave lrsquoœuvre divine de la Creacuteation Il nrsquoexiste pourtant pas de veacuteritable rupture entre le travail drsquoavant et la nouvelle finaliteacute crsquoest le sens mecircme de lrsquoIncarnation veacuteritable reacutepeacutetition reprise des conditions humaines La reacutenovation du travail culmine dans le sacrement de lrsquoEucharistie qui sanctifie lrsquoouvrage en lrsquointeacutegrant au mystegravere du don de soi que Dieu fait aux hommes Par lrsquoEucharistie lrsquohomme ne participe plus uniquement agrave lrsquoœuvre de Creacuteation mais aussi au projet de Reacutedemption115

Dans la citeacute harmonieuse le but du travail est drsquoassurer simplement la vie

corporelle et de laisser aux citoyens la possibiliteacute de srsquoadonner agrave des loisirs

Pierre Commencement drsquoune vie bourgeoise ndash les souvenirs drsquoenfance de

Peacuteguy ndash sont un veacuteritable hymne au travail agrave lrsquoobeacuteissance Peacuteguy y dresse une liste

de ce qui est bien et de ce qui est mal conformeacutement agrave ce que sa megravere et sa grand-

megravere lui ont enseigneacute Il y parle des enfants sages travailleurs et obeacuteissants et des

bons ouvriers qui laquo sont ceux qui travaillent bien qui travaillent vite qui travaillent

beaucoup qui sont actifs intelligents qui ne sont pas becirctes qui sont patients qui

ont du courage qui ne sont pas paresseux qui nrsquoont pas peur de leur peine qui ne

sont pas mauvaise tecircte raquo (I 154) Le style reacutepeacutetitif de Peacuteguy est deacutejagrave preacutesent dans ce

texte toutes les variations du sens sont exposeacutees pour insister sur lrsquoimportance du

114 GAUCHERAND Marc Le Sens du travail dans la penseacutee de Charles Peacuteguy thegravese de doctorat en philosophie preacutesenteacutee agrave lrsquouniversiteacute de Paris IV ndash Sorbonne en 1987 p 1-2 115 GAUCHERAND Marc Opcit p 179

94

propos qui semble central un homme bon est un bon travailleur patient et

intelligent Et un bon peuple crsquoest comme Peacuteguy le dira bien plus tard dans Notre

Jeunesse ce peuple laquoqui tout entier aimait le travail tout entier raquo (III 8)

Dans Encore de la grippe Peacuteguy dit sa haine des romantiques franccedilais qui

selon lui ont fait croire agrave leurs lecteurs et admirateurs qursquoil ne fallait pas travailler

que seule lrsquoinspiration eacutetait neacutecessaire Ce qui le met en colegravere crsquoest non seulement

la deacutevalorisation du travail tellement preacutecieux pour lui mais le mensonge parce

que certainement eux aussi ils travaillaient Il eacutecrit

plus je vais citoyen moins je crois agrave lrsquoefficaciteacute des soudaines illuminations qui ne seraient pas accompagneacutees ou soutenues par un travail seacuterieux moins je crois agrave lrsquoefficaciteacute des conversions extraordinaires soudaines et merveilleuses agrave lrsquoefficaciteacute des passions soudaines ndash et plus je crois agrave lrsquoefficaciteacute du travail modeste lent moleacuteculaire deacutefinitif (I 419)

Dans la vie de Peacuteguy ainsi que dans ses textes chez les saints et les amis qursquoil

admire lrsquoinspiration les coups de chance lrsquoexpeacuterience mystique ou la passion

amoureuse porteront toujours le mecircme fruit beaucoup de travail il en va de mecircme

pour Jeanne que ses voix poussent agrave une lourde tacircche

Dans un petit texte de 1904 publieacute dans le XIIe cahier de la Ve seacuterie Orleacuteans

vu de Montargis ougrave il deacutecrit un enterrement agrave Orleacuteans et la maniegravere dont il est traiteacute

dans la presse locale Peacuteguy compare le cureacute et le meacutedecin de campagne les

reliques et les instruments de travail Ce texte est anticleacuterical antiparlementaire

antipolitique Crsquoest un pamphlet qui se moque des ceacutereacutemonies religieuses ou non y

compris les mariages et les pompes funegravebres Il srsquoagit dans cet article de

lrsquoenterrement du meacutedecin et de la preacutesence dans le cortegravege de sa voiture qui pour

le meacutedecin de campagne est un instrument de travail important Dans le Progregraves du

Loiret a eacuteteacute publieacute le compte rendu des laquo obsegraveques du docteur Gebauumler raquo ou il eacutetait

eacutecrit que sa voiture avait suivi la procession Peacuteguy srsquoindigne en disant que

contrairement agrave des reliques miraculeuses la voiture nrsquoest qursquoun simple instrument

de travail qui ne peut rien sans celui qui lrsquoavait conduit et qursquoon doit laisser se

reposer les instruments quand lrsquohomme qui travaillait avec ne travaille plus Peacuteguy

eacutecrit aussi laquo je ne connais rien de plus respectable et de plus honorable qursquoun

instrument de travail aucune ceacutereacutemonie cultuelle ne me paraicirct plus respectable et

95

plus honorable que le simple travail humain raquo (I 1323) Dans cette phrase le travail

est eacuterigeacute en sacerdoce nrsquoimporte quel travail pas seulement le travail du meacutedecin

qui de fait a eacuteteacute souvent compareacute agrave un sacerdoce Un instrument de travail devient

alors plus respectable et plus honorable qursquoune relique mais Peacuteguy avec son

eacuteternel bon sens et son amour de la reacutealiteacute refuse de lrsquohonorer comme une relique

preacutefeacuterant lui donner du repos comme reacutecompense apregraves un dur travail

Jeanne drsquoArc chez Peacuteguy appelle la garde des moutons ainsi que la bataille

laquo besogne raquo dans la seconde piegravece de la trilogie Jeanne drsquoArc Les Batailles eacutecrite

en 1897 elle dit laquo quand on viendra me trouver pour la besogne il ne faudra pas

avoir peur de me deacuteranger mecircme dans la priegravere parce que voyez-vous travailler agrave

la bonne besogne crsquoest encore de la priegravere raquo (OPD 89) Peacuteguy va plus loin que la

fameuse devise beacuteneacutedictine ora et lavora il la paraphrase en faisant dire agrave

Hauviette laquo travailler ndash crsquoest prier raquo (OPD 407) Ces mots preacutefigurent la future

sainteteacute agissante de Jeanne puisque comme le souligne le commentaire de Claire

Daudin agrave ces mots laquo crsquoest une revalorisation de lrsquoactiviteacute humaine raquo (OPD 1632)

Au fur et agrave mesure de sa reacuteflexion continue sur les vertus Peacuteguy finit par

remplacer certaines des vertus cardinales par ce qursquoil perccediloit comme plus vertueux

un plus haut signe de perfection pour un homme ainsi lrsquoinquieacutetude remplace

visiblement la prudence en tant que vertu visant lrsquoaction La vertu de sagesse chez

Platon remplaceacutee par la prudence chez Aristote est selon le Dictionnaire de

spiritualiteacute une vertu qui vise laquo lrsquouniteacute de lrsquoecirctre humain et de sa destineacutee raquo et

laquo exige lrsquounification de son agir raquo116 Lrsquoinquieacutetude en tant que capaciteacute drsquoecirctre mucirc

par les eacutevegravenements du preacutesent suppose aussi une uniteacute de lrsquoecirctre dans lrsquoaction mecircme

si elle semble contraire agrave la vertu traditionnelle de prudence On pourrait dire que la

souffrance remplace la force drsquoacircme Il semble cependant difficile de deacutefinir quelle

est la vertu peacuteguyste qui remplacerait la tempeacuterance qui est sucircrement une vertu

chez Peacuteguy mais qursquoil preacutefegravere observer en silence dans sa pudeur il parle

beaucoup de la justice qui reacutegit les relations avec autrui mais pas de la tempeacuterance

116 Dictionnaire de spiritualiteacute p 491

96

ou de la magnanimiteacute qui reacutegissent les relations avec soi-mecircme Selon Aristote la

justice laquo est une vertu parfaite au plus haut point car elle est lrsquoexercice de la vertu

complegravete Et elle est parfaite car celui qui la possegravede peut lrsquoexercer en vue drsquoautrui

et non seulement en vue de lui-mecircme raquo117 Crsquoest pour cela peut-ecirctre qursquoen parlant

de son maicirctre agrave penser Bernard-Lazare dans Notre Jeunesse Peacuteguy preacutecise laquo Il ne

voulait pas rendre preacuteciseacutement le bien pour le mal mais tregraves certainement le juste

pour lrsquoinjuste raquo (III 75) Le bien et le mal sont trop subjectifs et personnels puisque

personne ne peut se vanter de deacutetenir la connaissance parfaite de ce qui est le bien et

de ce qui est le mal La justice est une vertu collective En eacutetant juste on se reacutefegravere agrave

un ensemble agrave une veacuteriteacute qui appartient agrave un groupe qui deacuteclare que telle chose est

juste et telle autre ne lrsquoest pas Et la vertu parfaite aux yeux de Peacuteguy de Bernard-

Lazare consistait en cette pratique de la justice en reacuteponse agrave lrsquoinjustice

Crsquoest dans le socialisme teinteacute degraves le deacutebut de son engagement de mystique

que Peacuteguy trouve lrsquoaccomplissement de ses aspirations chreacutetiennes qui srsquoorientent

autrement sans se tarir pour autant Deacutejagrave dans sa correspondance avec un ami du

lyceacutee Lakanal Paul Collier en 1895 avant la publication de la brochure De la citeacute

socialiste (1897) de la premiegravere Jeanne drsquoArc (1897) et du Dialogue de la citeacute

harmonieuse (1898) Peacuteguy eacutevoquait un laquo ideacuteal de lrsquohumaniteacute raquo (I p CXXIV) ougrave

tous les hommes prendraient part agrave une tregraves haute œuvre commune

En ceci Peacuteguy rejoint Jauregraves qui procircnait aussi un socialisme mystique voire

religieux Comme lrsquoeacutecrit Vincent Peillon

Le socialisme reacutepublicain de Jauregraves propose bien une reacutevolution religieuse mais agrave travers celle-ci il ne srsquoagit pas drsquoun eacutechange de rocircles ou de places entre la creacuteature et le creacuteateur il ne srsquoagit pas ce qui sera justement aux yeux mecircmes de Jauregraves la faiblesse principale du marxisme de remplacer une religion par une autre avec dogmes rites preacutelats et clergeacute mais drsquoeacutedifier sur les ruines drsquoune religion qui nrsquoeacutetait pas conforme agrave lrsquoessence du religieux la religion vraie crsquoest-agrave-dire drsquoaccomplir lrsquoessence du religieux selon la veacuteriteacute et agrave partir de cette derniegravere de fonder la socieacuteteacute juste la Reacutepublique sociale118

117 Aristote Eacutethique agrave Nicomaque preacutesentation et notes de Richard Bodeacuteuumls Paris Flammarion 2004 129b30 118 PEILLON Vincent Jean Jauregraves et la religion du socialisme Paris Grasset amp Fasquelles 2000 p 26

97

Crsquoest agrave partir de ces mecircmes ideacutees que Peacuteguy combat les marxistes franccedilais

comme Jules Guesde Il aspire aussi agrave construire la Reacutepublique selon la veacuteriteacute et la

justice

En deacutecrivant les vertus chez Peacuteguy il est essentiel de souligner comme preuve

du fait que Peacuteguy ne divisait pas sa vie son œuvre en eacutetapes (avant et apregraves sa

laquo conversion raquo) mais la voyait et la preacutesentait comme un ensemble que dans Notre

Jeunesse il exprimait clairement que son engagement dans lrsquoaffaire Dreyfus eacutetait

chreacutetien Mecircme si agrave lrsquoeacutepoque il eacutetait anticleacuterical mecircme srsquoil ne se disait pas

croyant Mais il a toujours eacuteteacute fidegravele agrave lui-mecircme

Jrsquoajoute que pour nous chez nous en nous ce mouvement religieux eacutetait drsquoessence chreacutetienne drsquoorigine chreacutetienne qursquoil poussait de souche chreacutetienne qursquoil coulait de lrsquoantique source Nous pouvons aujourdrsquohui nous rendre ce teacutemoignage La Justice et la Veacuteriteacute que nous avons tant aimeacutees agrave qui nous avons donneacute tout notre jeunesse tout agrave qui nous nous sommes donneacutes tout entiers pendant tout le temps de notre jeunesse nrsquoeacutetaient point des veacuteriteacutes et des justices de concept elles nrsquoeacutetaient point des justices et des veacuteriteacutes mortes [hellip] mais elles eacutetaient organiques elles eacutetaient chreacutetiennes elles nrsquoeacutetaient nullement modernes elles eacutetaient eacuteternelles et non point temporelles seulement elles eacutetaient des Justices et des Veacuteriteacutes une Justice et une Veacuteriteacute vivantes Et de tous les sentiments qui ensemble nous poussegraverent dans un tremblement dans cette crise unique aujourdrsquohui nous pouvons avouer que de toutes les passions qui nous poussegraverent dans cette ardeur et dans ce bouillonnement dans ce gonflement et dans ce tumulte une vertu eacutetait au cœur et que crsquoeacutetait la vertu de chariteacute (III 84)

Crsquoest que pour Peacuteguy il nrsquoy a qursquoune seule Justice et qursquoune seule Veacuteriteacute

qursquoelles soient antiques ou juives socialistes ou chreacutetiennes

De son socialisme du temps de lrsquoAffaire le Peacuteguy de 1910 eacutecrira laquo Il eacutetait

essentiellement une religion de la pauvreteacute temporelle raquo (III 85) Et il conclut en

parlant cette fois de sa propre vocation

Nous avons reccedilu degraves lors une telle vocation de la pauvreteacute de la misegravere mecircme si profonde si inteacuterieure et en mecircme temps si historique si eacuteventuelle si eacuteveacutenementaire que depuis nous nrsquoavons jamais pu nous en tirer que je commence agrave croire que nous ne pourrons nous en tirer jamais Crsquoest une sorte de vocation Une destination (III 85)

Crsquoest pour cela que Peacuteguy parle de teacutemoignage il se positionne au cœur de

lrsquoeacuteveacutenement au cœur de lrsquohistoire dans la position du pauvre qui a donc le droit de

teacutemoigner sur la Justice et lrsquoinjustice

98

Finalement on peut dire que Peacuteguy prend le mecircme chemin que les auteurs de

lrsquoantiquiteacute chreacutetienne qui en voulant se deacutemarquer de lrsquoheacuteritage paiumlen voulaient

toutefois en commenccedilant par Origegravene garder ce qursquoil y avait de bon et de

compatible avec le christianisme ainsi que lrsquounir agrave lrsquoheacuteritage juif

2 Les vertus juives

Par une lettre de Jules Isaac envoyeacutee agrave la demande de Lazare Prajs pour lrsquoaider

agrave la reacutedaction de son livre Peacuteguy et les juifs119 nous savons que Peacuteguy connaissait

bien le judaiumlsme Il aimait entendre prier ses amis juifs il avait lu le Pirke Aboth

lrsquoun des livres de la Michna La Michna est un livre de commentaires des lois mais

parmi les livres dont elle est composeacutee se trouve le Pirke Aboth un recueil

drsquoaphorisme des anciens Selon le teacutemoignage de Jules Isaac que Peacuteguy appelait

laquo mon chapelain juif raquo Peacuteguy a aussi lu le Berahot le livre le plus ancien du

Talmud qui parle de la priegravere et des regravegles des beacuteneacutedictions

a) Le salut la meacutemoire et le charnel

Lrsquoune des ideacutees principales du judaiumlsme sur la sainteteacute le salut et la vertu se

reflegravete beaucoup dans lrsquoœuvre de Peacuteguy le salut dans le judaiumlsme nrsquoest pas

individuel il ne srsquoagit pas de sauver son acircme mais drsquoecirctre sauveacute en tant que peuple

en tant que communauteacute explique Emil Fackenheim120 Ce postulat minimise la

pratique individuelle de la vertu au profit de la responsabiliteacute des uns envers les

autres qui soude la communauteacute dans une attente commune de la venue du Messie

et du salut du peuple juif Dans Encore de la grippe Peacuteguy eacutecrit

119 PRAJS Lazare Peacuteguy et Israeumll Paris A-G Nizet 1970 120 Эмиль Факенгейм Что такое иудаизм Современная интерпретация Москва-Иерусалим ДААТ-Знание 2002 (FACKENHEIM Emil Qursquoest-ce que crsquoest que le judaiumlsme Interpreacutetation contemporaine Moscou-Jeacuterusalem DAAT-Znanie 2002) p 18

99

Le souci que jrsquoavais de lrsquoimmortaliteacute individuelle et qui selon les eacuteveacutenements de ma vie a beaucoup varieacute me reste Mais lrsquoattention que je donnais agrave ce souci a beaucoup diminueacute depuis que le souci de la mortaliteacute de la survivance et de lrsquoimmortaliteacute sociale a grandi en moi Pour lrsquoimmortaliteacute aussi je suis devenu collectiviste (I 420)

A cette eacutepoque Peacuteguy ne peut envisager qursquoune seule forme de salut le salut

collectif universel La vertu doit donc ecirctre collective et la vertu collective crsquoest

une socieacuteteacute morale harmonieuse Dans ce mecircme texte Peacuteguy eacutevoque la conversion

au socialisme comme on se convertirait agrave une religion parce que crsquoest le socialisme

qui selon Peacuteguy repreacutesente cette vertu collective qui peut mener la socieacuteteacute au salut

agrave lrsquoimmortaliteacute

Quelques anneacutees plus tard dans son premier texte ouvertement chreacutetien qui

par moments se rapproche drsquoun traiteacute de theacuteologie Le Mystegravere de la chariteacute de

Jeanne drsquoArc Peacuteguy par la bouche drsquoHauviette lrsquoamie de Jeannette insiste sur

cette mecircme ideacutee que crsquoest ensemble qursquoon œuvre pour le salut que crsquoest ensemble

qursquoon vit une vie chreacutetienne non pas seul mais dans la paroisse et dans la

laquo chreacutetienteacute raquo Hauviette reacutepond avec verve agrave Jeannette qui lui parlait de la

vocation monastique

Il nrsquoy a point de reacuteveacutelations particuliegraveres Il nrsquoy a qursquoune reacuteveacutelation pour tout le monde et crsquoest la reacuteveacutelation de Dieu et de Notre-Seigneur-Jeacutesus-Christ [hellip] Quand on sonne quand on bat le ban de la vendange on le bat pour tout le monde pour tous les vendangeurs Et apregraves la vendange quand on bat le ban de grappillage on le bat pour toutes les pauvres bonnes femmes qui vont grappiller pour toutes les vieilles bonnes femmes qui vont ramasser ce qui reste sur le bois et qui nrsquoeacutetait pas encore bien mucircr au temps de la vendange Tout ce qui eacutetait encore un peu vert un peu verduret Or il y a quatorze siegravecles que lrsquoon a fait battre le ban du salut Pour toutes les paroisses Crsquoest la reacuteveacutelation commune La reacuteveacutelation chreacutetienne La reacuteveacutelation paroissiale Le bon Dieu a appeleacute tout le monde il a convoqueacute tout le monde il a nommeacute tout le monde [hellip] Il conduit tout le monde par la main Il nous a toutes deacutesigneacutees (OPD 420-421)

Lrsquoune des laquo vertus collective raquo demandeacutee agrave la communauteacute juive eacutetait de

transmettre les valeurs du judaiumlsme La meacutemoire qui permet la transmission et une

forme de laquo sauvetage raquo du passeacute et du preacutesent ont donc une grande importance

dans le judaiumlsme toute la liturgie est centreacutee sur le souvenir de ce que Dieu a fait

pour son peuple en particulier de lrsquoExode Et cette valeur de la meacutemoire on la

retrouve aussi chez Peacuteguy Dans un texte posthume de 1906 Brunetiegravere qui fait

partie drsquoune longue seacuterie de textes consacreacutes agrave Renan et au monde moderne Peacuteguy

100

fustige rageusement les deacutefauts de ce dernier en disant laquo Vaniteacute infinie infinie

frivoliteacute du monde moderne Ignorance insouciance oubli meacuteconnaissance

amneacutesie de lrsquoeacuteternel Indigne successeur du grand monde helleacutenique Indigne

successeur du grand monde chreacutetien Mais indigne preacutedeacutecesseur de quel monde raquo

(II 581) Comme souvent chez Peacuteguy il faut passer par une sorte de deacutefinition

apophatique de ce qursquoil voudrait louer Il jugerait digne une reconnaissance de ce

qui est eacuteternel et doit ecirctre gardeacute par la meacutemoire il faut savoir reconnaicirctre dans le

monde helleacutenique et le monde chreacutetien ce qui est eacuteternel ce dont il faut assumer

lrsquoheacuteritage savoir en quoi il faut srsquoenraciner agrave lrsquoaide de la meacutemoire par laquelle se

transmet lrsquoheacuteritage Peacuteguy continue en utilisant la meacutetaphore de lrsquoarbre auquel il

compare lrsquohumaniteacute La meacutemoire est agrave lrsquohumaniteacute ce que la segraveve et lrsquoeau sont agrave

lrsquoarbre ce que lrsquoarbre puise dans la terre par ses racines permet au nouveau

bourgeon drsquoeacuteclore

Agrave part le salut du peuple la sainteteacute juive suppose une vie charnelle ce qui est

aussi une penseacutee chegravere agrave Peacuteguy surtout dans ses œuvres tardives Comme le peuple

entier est appeleacute agrave la sainteteacute il ne peut pas y avoir un chemin particulier

exceptionnel comme la solitude drsquoun ermite ou une ascegravese seacutevegravere Un rabbin doit

ecirctre marieacute la vie de famille est sainte La vie quotidienne est beacutenie par

lrsquoobservation des lois qui la reacutegissent surtout depuis la destruction du temple

puisque chaque maison se fait temple de la loi Baal Shem Tov le fondateur du

hassidisme de son vrai nom Rabbi Israeumll ben Eliezer dit qursquoon doit servir Dieu

avec les moyens qursquoon possegravede maintenant et que laquo Tu seras simple avec lrsquoEternel

ton Dieu raquo (Deut 1813) Le chemin de sainteteacute pour les juifs doit ecirctre accessible agrave

tous ce qui ne le rend pas facile pour autant Vivre en tenant compte de la chair fait

partie du chemin de la sainteteacute dans le judaiumlsme La via contemplativa chreacutetienne

qui dans le catholicisme occupait au temps de Peacuteguy une place privileacutegieacutee dans la

hieacuterarchie des formes de vie religieuse nrsquooccupe pas la mecircme place que celle de la

vie consacreacutee agrave lrsquoeacutetude de la Tora dans le judaiumlsme celui qui applique la Tora dans

la vie de tous les jours celui qui la met en pratique est eacutegal ou mecircme supeacuterieur agrave

celui qui consacre sa vie agrave sa lecture On retrouve clairement ces ideacutees chez Peacuteguy

pour lui laquo le surnaturel est lui-mecircme charnel raquo (OPD 1275) et le chemin de sainteteacute

101

peut se trouver dans la confection drsquoun pied de chaise Le fait est que le chemin vers

la sainteteacute chez Peacuteguy comme dans le judaiumlsme srsquoeffectue agrave travers le corps et avec

le corps que le respect et le soin du corps sont de mise lrsquoasceacutetisme est preacutesent dans

le travail acharneacute mais pas au deacutetriment de la raison parce que pour Peacuteguy ecirctre

saint crsquoest aussi ecirctre sain Degraves la premiegravere seacuterie des Cahiers on trouve dans De la

grippe lrsquoeacutevocation de la Priegravere pour demander agrave Dieu le bon usage des maladies de

Pascal que Peacuteguy admire et qursquoil lit et relit lors de sa maladie tout en se disant

atheacutee Mais lrsquoadmiration porteacutee agrave cette priegravere teacutemoigne du fait que pour lui la santeacute

morale et la santeacute physique ne font qursquoun drsquoautant plus que le citoyen docteur qui

vient le voir affirme laquo Le moraliste nrsquoa jamais la grippe ndash agrave condition bien

entendu qursquoil regravegle ponctuellement sa conduite sur les enseignements de sa

morale raquo (I 401) Dans le texte de Peacuteguy il nrsquoy a aucune reacuteaction agrave cette phrase en

revanche en parlant de la priegravere de Pascal Peacuteguy eacutevoque son admiration pour

cette foi passionneacutement geacuteomeacutetrique geacuteomeacutetriquement passionneacutee si absolument exacte si absolument propre si absolument ponctuelle si parfaite si infiniment finie si bien faite si bien close et reacuteguliegraverement douloureuse et consoleacutee enfin si utilement fidegravele et si pratiquement confiante si eacutetrangegravere agrave nous (I 403-404)

Comme souvent quand Peacuteguy veut exprimer un sentiment fort qui lrsquohabite

jusqursquoen profondeur que ce soit lrsquoindignation ou lrsquoadmiration il use de beaucoup

de reacutepeacutetitions de tous les synonymes possibles Il admire dans cette priegravere ce qui lui

plaira toujours une forme de discipline drsquoobeacuteissance agrave un rythme une

laquo geacuteomeacutetrie raquo et une laquo reacutegulariteacute raquo Il admire aussi le cocircteacute utile et pratique qui

unifie le corps et lrsquoesprit pour les rendre plus sains et donc aussi plus saints Pour

conclure il dit aussi qursquoelle est laquo eacutetrangegravere raquo ce que le docteur nrsquoapprouve pas Et

le dialogue qui suivra va prouver que dans le socialisme auquel Peacuteguy appartient la

morale est en mecircme temps saine et sainte

b) Lrsquoinquieacutetude juive

Les amis juifs de Peacuteguy ont exerceacute une forte influence sur lrsquoauteur Lazare

Prajs eacutecrit agrave propos de la Note conjointe sur monsieur Descartes et la philosophie

carteacutesienne ougrave Peacuteguy deacutecrit son amitieacute avec Jules Benda laquo Il retrouve chez le Juif

102

une tendresse anxieuse un certain fatalisme oriental un optimisme consolateur un

incurable souci apporteacute par lrsquoOrient en heacuteritage au christianisme raquo121 Crsquoest une

liste de traits de caractegravere dont certains selon Peacuteguy sont plutocirct des deacutefauts

drsquoautres des qualiteacutes drsquoautres encore sont eacuterigeacutes en vertus laquo Il fallait lrsquoopeacuteration

de cette greffe unique pour que lrsquounique inquieacutetude judaiumlque devicircnt lrsquounique

inquieacutetude chreacutetienne et la royale tristesse du roi Salomon devicircnt la tragique et plus

que royale tristesse drsquoun Pascal raquo (III 1319)

Lrsquolaquo inquieacutetude raquo juive dont parle Peacuteguy suppose non seulement le choix

drsquoassumer lrsquoabsence de confiance dans un avenir sucircr lieacute tout simplement agrave lrsquohistoire

du peuple juif agrave ses errances et agrave sa souffrance Crsquoest aussi une sorte de refus de

srsquoappuyer sur un laquo credo raquo une foi immuable mais plutocirct un appel agrave une attente qui

srsquoexprime dans une quecircte perpeacutetuelle

Le premier texte qui pourrait srsquoapparenter agrave un laquo Credo raquo juif apparaicirct chez

Maiumlmonide un savant juif rabbin rationaliste qui avait essayeacute dans ses eacutecrits de

reacuteconcilier la foi et la science comme Averroegraves lrsquoavait fait pour lrsquoIslam agrave la mecircme

eacutepoque agrave la fin du XIIe siegravecle Reste que ce texte est neacute probablement sous

lrsquoinfluence chreacutetienne Mecircme le mot laquo judaiumlsme raquo apparaicirct dans la Bible en grec

seulement dans le second livre des Maccabeacutees (120-110 avant JC) Crsquoest-agrave-dire

que jusqursquoau IIe s avant JC Israeumll ne donnait mecircme pas de nom agrave sa religion et

jusqursquoau XIIe s se passait de dogmes Dans la foi comme dans lrsquohistoire un juif

ne srsquoarrecircte pas Lrsquoexpression de la foi traditionnelle dans le judaiumlsme les textes qui

transmettent cette tradition les midrashim montrent que le doute est meilleur

qursquoune foi immuable que le manque de souplesse rend fragile Dans le Talmud

Rabbi Hiya dit que le meilleur eacutelegraveve crsquoest celui qui doute le plus qui ne laisse pas

un mot de la Tora sans question (Traiteacute Bava Metzia 85b) Crsquoest peut-ecirctre ce qui

attire le plus Peacuteguy dans le judaiumlsme Bernard-Lazare eacutecrivait que le juif quand il a

abandonneacute le rite laquo ne se souvient que drsquoune chose crsquoest que les docteurs du

judaiumlsme lui ont donneacute un preacutecepte invariable exercer sa raison et toujours faire

appel agrave elle Une religion dont les rabbins ont refuseacute mecircme agrave leur Dieu le droit de

121 PRAJS Lazare op cit p 126

103

leur imposer une veacuteriteacute non controcircleacutee ne peut pas ecirctre irreacutemeacutediablement

dangereuse raquo122 Lrsquoimmutabiliteacute du dogme chreacutetien blesse et deacuteccediloit Charles Peacuteguy Il

eacutecrit agrave Joseph Lotte le 30 avril 1910 laquo Les catholiques sont vraiment

insupportables dans leur seacutecuriteacute mystique Le propre de la mystique est au

contraire une inquieacutetude invincible Srsquoils croient que les saints eacutetaient des messieurs

tranquilles ils se trompent raquo123 Dans Notre Jeunesse Peacuteguy eacutevoque ce mecircme

Bernard-Lazare en eacutecrivant laquo Lrsquoexcellence des Juifs eacutetait selon lui venait de ce

qursquoils eacutetaient comme drsquoavance les plus libres penseurs raquo (III 64) Les leacutegendes et

paraboles qursquoon lit dans les midrashim veacutehiculent parfois jusqursquoagrave un agnosticisme

libre et humble permettant drsquoeacuteviter un deacuteterminisme rigoureux qui amegravene agrave voir

dans chaque eacuteveacutenement douloureux une punition divine124 Le catholicisme agrave

lrsquoeacutepoque de Peacuteguy eacutetait une religion qui donnait des reacuteponses et supportait

douloureusement lrsquoexistence de questions qui nrsquoen ont pas

Peacuteguy meacutedite longuement sur lrsquoinquieacutetude juive et sur lrsquoinquieacutetude chreacutetienne

dans la Note conjointe sur M Descartes et la philosophie carteacutesienne Il y deacutecrit un

dialogue entre lui et son ami juif Julien Benda et parle de lrsquoinquieacutetude et de la

patience Selon lui lrsquoinquieacutetude chreacutetienne peut amener le chreacutetien agrave perdre la paix

agrave se reacutevolter infructueusement mais non lrsquoinquieacutetude juive parce qursquoelle est

enracineacutee dans la patience laquo Les inquieacutetudes du Juif sont devenues agrave base de

patience raquo (III 1293) Neacuteanmoins il ne srsquoagit pas drsquoune patience qui servirait agrave

eacuteviter la souffrance et qui dans ce cas serait une forme de lacirccheteacute ou une forme de

paresse crsquoest une patience dans la dureacutee

Philippe Grosos dans un essai tregraves profond sur lrsquoinquieacutetude et la patience

commente les textes de Peacuteguy sur la vertu de lrsquoinquieacutetude laquo Agrave suivre le

questionnement de Peacuteguy on comprend vite que le motif de lrsquoinquieacutetude drsquoune

122 BERNARD LAZARE (Lazare Marcus Manasseacute BERNARD) laquo Lrsquooppression des Juifs dans lrsquoEurope orientale Les Juifs de Roumanie raquo in Cahiers de la Quinzaine Huitiegraveme cahier de la troisiegraveme seacuterie Paris feacutevrier 1902 p 92 123 PEacuteGUY Charles LOTTE Joseph Lettres et entretiens p72 124 FACKENHEIM Emil op cit p 5

104

inquieacutetude consentie est deacutecisif Crsquoest elle en effet qui nous permet de distinguer

entre fausse et vraie patience patience anestheacutesique et patience querelleacutee raquo125

laquo Le juif lit depuis toujours raquo eacutecrit Peacuteguy (III 1297) Lire eacutevidemment ne

signifie pas savoir deacutechiffrer lrsquoalphabet coller les lettres et les syllabes les unes aux

autres Par la lecture il deacutesigne la capaciteacute de lire de maniegravere critique de lire un

texte non comme un dogme mais comme une source de connaissance qursquoon

accueille tout en utilisant notre raisonnement Avant Luther la critique biblique

nrsquoeacutetait que tregraves rarement admise dans le christianisme elle est arriveacutee dans le

catholicisme sous lrsquoinfluence du protestantisme Dans le judaiumlsme la critique

biblique faisait partie de lrsquoeacuteducation de la formation on ne lisait pas le texte

comme un objet immuable la Tora est vivante pour les juifs

Deacutejagrave Rachi dans son commentaire du Talmud au XIe siegravecle deacutebute chaque

commentaire par une veacuteritable analyse philologique qui suppose la comparaison de

traductions diffeacuterentes Et au XIIe siegravecle Ibn Ezra eacutemet le premier un doute sur le

fait que Moiumlse soit lrsquoauteur de toute la Tora en pointant Deut 33 (Moiumlse nrsquoaurait

pas pu eacutecrire qursquoon va plus tard oublier lrsquoemplacement de sa tombe ) Plus encore

le principe mecircme du Talmud est de conserver dans le texte toutes les voix du

dialogue Le Talmud dans certains cas a conserveacute pour les geacuteneacuterations futures

jusqursquoagrave lrsquoexeacutegegravese qui eacutetait consideacutereacutee par le reacutedacteur comme erroneacutee Lrsquoeacutelegraveve

deacutecouvre ainsi comment ses maicirctres pensaient et non qui entre eux avait raison

Crsquoest le principe de la preacuteservation de la liberteacute humaine mais crsquoest aussi une

source drsquoinquieacutetude constante on srsquoappuie plus facilement sur le socle immuable

du dogme mecircme le plus restrictif alors que lire la Tora suppose une relation avec le

texte ce qui est toujours un risque celui de changer de douter de ne pas

comprendre voire de se tromper Lrsquoinquieacutetude juive agrave laquelle Peacuteguy se reacutefegravere

relegraveve de la vie du texte dans un peuple dans une tradition dans une religion Crsquoest

donc une inquieacutetude veacutecue ensemble

125 GROSOS Philippe Lrsquoinquiegravete patience essai sur le temps requis Chatou Les eacuteditions de la Transparence 2004 p 105

105

c) Le Ticcoun Olam

La ceacuteleacutebration du Shabbat rappelle toutes les semaines agrave un juif pratiquant que

le monde a besoin drsquoecirctre sauveacute les priegraveres les psaumes parlent de la creacuteation qui

attend le salut Dans lrsquoœuvre de Peacuteguy le salut universel est une preacuteoccupation

premiegravere agrave commencer par la trilogie Jeanne drsquoArc ougrave Jeanne se reacutevolte contre la

damnation des acircmes jusqursquoagrave Egraveve qui est une histoire du salut selon la deacutefinition de

Peacuteguy lui-mecircme Peacuteguy heacutesite entre la pratique des vertus et la dociliteacute agrave la gracircce

comme chemin du salut Dans ses premiers textes il preacutecise souvent que crsquoest la

pratique rigoureuse de la morale qui rendra possible la reacutevolution universelle et la

construction drsquoune citeacute harmonieuse Crsquoest un chemin de pratique des vertus tregraves

janseacuteniste au fond Peacuteguy est deacutejagrave agrave cette peacuteriode-lagrave un grand lecteur de Pascal

Encore un point commun entre la religion de Peacuteguy et le judaiumlsme le jour du

Yom Kippour le peuple juif se tient devant Dieu en disant laquo nous nrsquoavons pas de

meacuterites raquo en attendant la miseacutericorde et la gracircce de Dieu Dans la tradition

catholique les meacuterites surtout au temps de Peacuteguy comptent les laquo bonnes actions raquo

servent agrave racheter les mauvaises mais Peacuteguy mecircme en parlant de la reacuteversibiliteacute

qui chez Joseph de Maistre se rapporte aux meacuterites et aux fautes renverse tout en

parlant de la reacuteversibiliteacute des souffrances et des gracircces La notion mecircme de la

reacuteversibiliteacute reprise par Peacuteguy ressemble beaucoup agrave lrsquoun des principes

fondamentaux du judaiumlsme kabbalistique le Ticcoun Olam (laquo reacuteparation du

monde raquo) qui preacutesente la conception juive de la justice sociale Ce principe

correspond totalement agrave lrsquoideacutee de Peacuteguy suivant laquelle crsquoest la perfection morale

individuelle des acteurs de la reacutevolution socialiste qui rendra possible un jour la

creacuteation drsquoune citeacute harmonieuse Dans Encore de la grippe Peacuteguy eacutecrit laquo Il me

paraicirct que lrsquohumaniteacute preacutesente a besoin de tous les soins de tous les hommes raquo (I

432) Selon le Ticcoun Olam le monde change gracircce agrave lrsquoobservation des lois par les

membres de la communauteacute et une personne qui observe la loi rapproche la venue

du Messie pour tout le peuple juif Dans la kabbale le Ticcoun Olam est la derniegravere

eacutetape de la creacuteation du monde puisque en multipliant les actes drsquoobservance de la

loi les juifs creacuteent un monde plus juste plus accueillant pour le Messie Selon Isaac

106

Louria les juifs sont appeleacutes agrave reacuteparer le monde Crsquoeacutetait aussi lrsquoideacutee de deacutepart de

Peacuteguy Dieu travaille il creacutee un monde charnel Ce monde est abimeacute par le peacutecheacute de

lrsquohomme et lrsquohomme est appeleacute agrave reacuteparer le monde agrave faire le Ticcoun olam

Les premiers agrave œuvrer pour la reacuteparation du monde sont les professeurs

Fackenheim dans son livre eacutecrit de tregraves belles pages sur le rocircle des parents et des

maicirctres drsquoeacutecole dans lrsquoeacuteducation qui fera des enfants des hommes capables

drsquoœuvrer pour la reacuteparation le Ticcoun Olam Peacuteguy degraves le tout premier Cahier de

la quinzaine paru le 5 janvier 1900 dans sa Lettre du provincial preacutesenteacutee comme

eacutecrite par un enseignant de province mais en reacutealiteacute creacuteeacute par Peacuteguy professe

Nous sommes les maccedilons de la citeacute prochaine les tailleurs de pierre et les gacirccheurs de mortier Attacheacutes agrave la glegravebe ainsi qursquoau temps passeacute attacheacutes au travail agrave lrsquoatelier agrave la classe nous ne serons pas plus deacuteleacutegueacutes socialistes aux Parlements socialistes que nous nrsquoavons eacuteteacute deacuteputeacutes socialistes aux Parlements bourgeois Nous preacuteparons la matiegravere dont sont faites les renommeacutees et les gloires publiques (I 290)

Encore un point qui fait de Peacuteguy un heacuteritier du judaiumlsme comme il le disait

drsquoailleurs dans Louis de Gonzague (II 378-379) selon lrsquoun des midrashim le juif

laquo crsquoest celui qui teacutemoigne contre les idoles raquo Lrsquoœuvre qui selon Peacuteguy couronne la

litteacuterature franccedilaise celle qursquoil aimait le plus crsquoest Polyeucte de Corneille

Polyeucte devenu chreacutetien brise les idoles Il faut preacuteciser que briser les idoles

nrsquoeacutetait pas speacutecialement conseilleacute aux chreacutetiens du temps de Polyeucte mecircme au

sein de la communauteacute chreacutetienne Crsquoest un geste qui le distingue qui souligne sa

conversion radicale son inteacutegriteacute Crsquoest ce geste qui inspirait tellement Peacuteguy Mais

il faut se rappeler aussi du fait que crsquoest souvent par opposition aux laquo idoles raquo que

se construisaient les nouveaux juifs qui devenaient pratiquants en reacuteponse agrave

lrsquoantiseacutemitisme ambiant crsquoest souvent lrsquoexemple des chreacutetiens perseacutecuteacutes qui

amenait leur entourage agrave la conversion et crsquoeacutetait aussi drsquoune certaine maniegravere le cas

de Peacuteguy qui srsquoest tourneacute consciemment vers le christianisme lors de la peacuteriode du

combisme Ses pamphlets sa virulente poleacutemique avec Fernand Laudet avec ceux

qursquoil consideacuterait comme laquo le parti intellectuel raquo avec Jauregraves Maritain et les

thomistes et tant drsquoautres sont une faccedilon de combattre ce qursquoil consideacuterait comme

lrsquoidolacirctrie la forme la plus eacutevidente du mensonge Crsquoeacutetait donc un combat pour la

veacuteriteacute Effectivement dans le judaiumlsme lrsquoidolacirctrie crsquoest bien plus que la confection

107

drsquoidoles qui repreacutesenteraient des faux dieux ou des fausses images de Dieu Crsquoest le

choix de se mettre au service de quelqursquoun ou de quelque chose au deacutetriment de

Dieu agrave la suite de quoi Dieu perd la premiegravere place Jauregraves devenait ainsi idolacirctre

en instrumentalisant lrsquoaffaire Dreyfus Et toute lrsquoentreprise ou lrsquoideacutee mecircme des

Cahiers de la quinzaine est de laquo dire la veacuteriteacute raquo (I 292) donc de combattre les

idoles

La vision de lrsquohistoire lrsquohistoire humaine et lrsquohistoire sainte lrsquohistoire

surnaturelle et lrsquohistoire charnelle est aussi un point de convergence entre le

judaiumlsme et la philosophie de lrsquohistoire peacuteguyste Fackenheim eacutecrit que le juif laquo se

voit dans lrsquohistoire qui advient entre la Reacuteveacutelation et la Reacutedemption et teacutemoigne

lui-mecircme de ce qui se passe dans cet intervalle et de la Reacutedemption future Ce

teacutemoignage crsquoest son rocircle personnel dans lrsquohistoire sainte raquo126 Pour Peacuteguy le

teacutemoin est celui qui vit pour dire la veacuteriteacute le teacutemoignage est un acte de justice et de

reacuteparation du Ticcoun Olam

d) La souffrance

La vie de souffrance et de douleur la souffrance comme fait historique

identifiant un peuple le fait drsquoecirctre victime drsquoinjustice en tant que repreacutesentant du

peuple juif tout cela a fortement impressionneacutee Peacuteguy Comme lrsquoeacutecrit W Rabi laquo la

premiegravere raison la raison immeacutediate de la sensibilisation de Peacuteguy au fait juif

reacuteside donc dans la vocation de douleur du peuple juif Israeumll lui apparaicirct vraiment

comme lrsquohomme souffrant depuis des siegravecles de lrsquoinjustice du monde raquo127 La

vocation exprime un appel de Dieu Lrsquoun des mots heacutebreux deacutesignant la sainteteacute

qadosh eacutevoque la mise agrave lrsquoeacutecart drsquoune personne ou de tout un peuple pour le

rapprocher de Dieu Par rapport au peuple juif dans lrsquohistoire crsquoest la souffrance la

douleur qui le rend diffeacuterent et creacutee une distinction une mise agrave lrsquoeacutecart propre agrave le

rendre disponible agrave lrsquoappel de Dieu agrave la vocation Et aussi une forme

126 FACKENHEIM Emil op cit p 110 127 RABI Wladimir laquo Israeumll raquo Esprit aoucirct-sept 1964 p 336

108

drsquoenracinement dans son histoire sa tradition et sa religion qui constituent la seule

reacuteponse possible agrave lrsquoabsence drsquoune terre drsquoun pays mais qui font que les juifs sont

eacutetrangers partout ougrave ils sont Peacuteguy dans Notre Jeunesse deacutecrit le peuple juif qui

obeacuteit agrave la souffrance et au deacuteracinement charnel au chemin perpeacutetuel parce qursquoil y

voit la marque de Dieu le signe drsquoune vocation ougrave laquo ils saluent enfin le maicirctre de la

plus rigoureuse servitude raquo (III 54-55)

Peacuteguy est loin du dolorisme une ascegravese excessive et choisie ne lrsquoinspire pas

plus mais la souffrance est pour lui un signe de vocation degraves le deacutebut de sa carriegravere

litteacuteraire Cependant dans Un nouveau theacuteologien Monsieur Fernand Laudet

Peacuteguy accuse ce dernier de rejeter toutes les vertus laquo priveacutees raquo qui se pratiquent

dans la solitude et donc ne laisser que les saints martyrs ou missionnaires tandis

que la souffrance cacheacutee priveacutee de la maladie selon Peacuteguy est une laquo fabrique

portative de martyre [hellip] la maladie fait partie si inteacutegrante du meacutecanisme de la

sainteteacute que lrsquoon ne sait pas si les saints malades ne sont pas les plus grands drsquoentre

les saints raquo (III 449) Peacuteguy donne ensuite lrsquoexemple de saint Louis que son

chroniqueur Joinville voulait faire martyr et non seulement confesseur en

srsquoappuyant sur lrsquousage que le roi fit de sa maladie sa maniegravere de la vivre en

chreacutetien

Dans le portrait de Bernard-Lazare dans Notre Jeunesse Peacuteguy en le deacutecrivant

comme un saint eacutevoque certes sa bonteacute sa douceur et sa tendresse ainsi que son

laquo eacutegaliteacute drsquohumeur raquo mais il parle surtout de son laquo expeacuterience de lrsquoamertume et de

lrsquoingratitude une digestion parfaite de lrsquoamertume et de lrsquoingratitude raquo et il

souligne aussi sa mort laquo dans le silence et dans lrsquooubli dans un silence fait Dans

un oubli concerteacute raquo (III 57) Le saint est selon Peacuteguy un habitueacute de la souffrance

il obeacuteit agrave la souffrance non dans un esprit de flagellant meacutedieacuteval qui parfois

pensait acceacuteder agrave la sainteteacute en srsquoinfligeant des souffrances volontairement mais

dans une humble dociliteacute lrsquoacceptation de souffrir puisque cela fait partie du

chemin choisi de la fideacuteliteacute agrave sa vocation

Dans la trilogie Jeanne drsquoArc le deacutebut de la premiegravere piegravece est consacreacute agrave la

souffrance de la petite Jeannette qui fait venir du couvent une ancienne habitante de

109

Domreacutemy Madame Gervaise Jeannette demande agrave la voir parce qursquoelle a laquo de la

tristesse dans lrsquoacircme raquo (OPD 8) que son acircme est laquo douloureuse agrave mort raquo (OPD 15)

Ce qui distingue Jeannette crsquoest qursquoelle fait sienne la souffrance des affameacutes la

souffrance de la France en guerre la souffrance des peacutecheurs damneacutes la souffrance

du Christ Elle nrsquoest pas une grande ascegravete elle nrsquoaccomplit pas de miracles elle

nrsquoest pas encore une mystique visionnaire elle nrsquoest pas encore guerriegravere elle nrsquoest

qursquoune petite fille ordinaire qui prie et qui souffre plus que les autres le texte de

Peacuteguy ne nous dit pas si elle souffre plus parce que la priegravere lrsquoa rendue plus

sensible ou si elle prie autant parce que la souffrance la pousse dans la priegravere Mais

crsquoest la souffrance qui la rend seule et diffeacuterente qadosh Dans Le Mystegravere de la

chariteacute de Jeanne drsquoArc Hauviette dit agrave Jeannette laquo On dirait que tu as consommeacute

toute la tristesse de la terre raquo (OPD 411) parce que la souffrance de Jeanne nrsquoest

pas une souffrance laquo priveacutee raquo elle srsquoeacutelargit au monde entier parce qursquoune sainte

nrsquoest plus seulement une personne charitable dans sa paroisse son village sa

sainteteacute est universelle Jeannette ne pourra pas non plus aller prier pour le salut de

la France dans un couvent parce que sa souffrance la pousse agrave lrsquoaction celle de

sauver la France une forme de Ticcoun Olam pour Peacuteguy pour qui un monde

harmonieux est celui ougrave la terre appartient au peuple qui la travaille ougrave laquo chassez

les anglais hors de la France raquo constitue une action qui reacutepare le monde Et puisque

le crime pour Jeannette pour Peacuteguy est commun et englobe tout un peuple parce

que laquo Complice complice crsquoest comme auteur raquohellip ou quelques lignes plus bas

laquo Complice complice crsquoest pire qursquoauteur infiniment pire raquo (OPD 451) la reacuteponse

au crime ne peut ecirctre que collective aussi la pratique de la vertu qui reacutepare le crime

(dans ce cas-lagrave il srsquoagit de la lacirccheteacute) doit ecirctre commune pour cette raison donner

son pain au pauvre ne suffit pas il faut tuer la guerre crsquoest la seule reacuteponse

possible

Pour Peacuteguy lrsquoune des confirmations apregraves dix ans de lrsquoexistence des Cahiers

de la quinzaine qursquoil ne srsquoeacutetait pas trompeacute de mission de vocation crsquoeacutetait son

eacutechec financier sa solitude les deacutesabonnements lrsquoadversiteacute etc Lrsquoeacutechec prouvait

la gratuiteacute totale de lrsquoaction et ainsi confirmait la vocation veacuteritable Il le dit dans

un texte drsquoune immense amertume A nos amis agrave nos abonneacutes

110

Nous sommes des vaincus Le monde est contre nous Et on ne peut plus savoir aujourdrsquohui pour combien drsquoanneacutees Tout ce que nous avons soutenu tout ce que nous avons deacutefendu les mœurs et les lois le seacuterieux et la seacuteveacuteriteacute les principes et les ideacutees les reacutealiteacutes et le beau langage ma propreteacute la probiteacute de langage la probiteacute de penseacutee la justice et lrsquoharmonie la justesse une certaine tenue lrsquointelligence et le bon franccedilais la reacutevolution et notre ancien socialisme la veacuteriteacute le droit la simple entente le bon travail le bel ouvrage tout ce que nous avons soutenu tout ce que nous avons deacutefendu recule de jour en jour devant une barbarie devant une inculture croissantes devant lrsquoenvahissement de la corruption politique et sociale (II 1273)

e) La sainteteacute juive

Il existe une particulariteacute du judaiumlsme dont le christianisme assume lrsquoheacuteritage

qui est peut-ecirctre la plus importante pour Peacuteguy la laquo bonne action raquo lrsquoobservation

de la loi consistent en premier lieu agrave agir selon la miseacutericorde et la chariteacute le hesed

Anna Schmaiumln-Veacutelikanov dans son ouvrage consacreacute au livre de Ruth fait une

analyse tregraves deacutetailleacutee du rocircle du hesed dans la Bible et dans lrsquoheacuteritage biblique Ce

mot difficilement traduisible signifie en mecircme temps la chariteacute et la miseacutericorde

lrsquoamour la gracircce la fideacuteliteacute et la teacutenaciteacute Le plus souvent il est utiliseacute dans

lrsquoAncien Testament agrave propos de lrsquoattitude de Dieu pour lrsquohomme ce que Dieu

ressent et ce qursquoil fait agrave lrsquohomme pour lrsquohomme Anna Shmaiumln-Veacutelikanov preacutecise

que le hesed deacutefinit Dieu dans sa creacuteation son attitude est toujours supeacuterieure agrave

celle de lrsquohomme elle est donc toujours un don Il y a aussi beaucoup de cas dans la

Bible ougrave le hesed exprime lrsquoattitude que Dieu attend de lrsquohomme la maniegravere dont

lrsquohomme doit se conduire avec son prochain Parfois le hesed signifie mecircme une

exigence sociale par exemple la gracircce accordeacutee agrave un condamneacute agrave mort Dans le

judaiumlsme il y a trois mots qui deacutefinissent le saint qadosh tsaddiq et hasid Le

premier deacutecrit la diffeacuterence entre celui qui a eacuteteacute choisi par Dieu et les autres le

second veut dire laquo juste raquo le troisiegraveme srsquoapplique agrave celui qui effectue le hesed qui

imite Dieu dans son attitude miseacutericordieuse envers les autres laquo qui agit comme

Dieu raquo Dans lrsquoAncien Testament le mot qadosh peut ecirctre appliqueacute agrave tout le peuple

juif parce que crsquoest la relation avec Dieu qui distingue les juifs des autres peuples

Le mot hasid est principalement utiliseacute dans les psaumes dans la Vulgate il est

traduit comme sanctus pareillement agrave qadosh Dans lrsquoAncien Testament il nrsquoy a ce

111

terme nrsquoest que tregraves rarement employeacute pour qualifier une action humaine non dans

un psaume crsquoest lrsquoamour hesed du prophegravete Oseacutee pour sa femme infidegravele celui de

Jonathan pour David et celui de Ruth pour Noeacutemie128 Les dieux des autres peuples

des temps bibliques aimaient les heacuteros les rois et les puissants Le Dieu drsquoIsraeumll

aime la veuve lrsquoorphelin et lrsquoeacutetranger Ceci est la base de lrsquoeacutethique juive celui qui

aime lrsquoorphelin la veuve et lrsquoeacutetranger est un juste (tsaddiq) un saint (qadosh) un

hasid

Au temps de ses eacutetudes agrave lrsquoEacutecole Normale Peacuteguy eacutetait beacuteneacutevole agrave laquo La mie de

pain raquo et preacutesident drsquoune laquo Confeacuterence saint Vincent de Paul raquo Sa Jeanne drsquoArc est

aussi charitable qursquoheacuteroiumlque La premiegravere Jeanne drsquoArc deacutebute par le dialogue entre

Jeannette et Hauviette sur les orphelins que Jeannette a nourris Les exploits de

Jeanne nrsquoapparaissent que dans la deuxiegraveme piegravece Les Batailles et crsquoest surtout la

chariteacute de Jeanne qui est souligneacutee sa pitieacute pour les morts et les blesseacutes son refus

de souhaiter le mal mecircme pour ses ennemis Dans la deuxiegraveme Jeanne le Mystegravere

de la chariteacute de Jeanne drsquoArc la chariteacute devient veacuteritablement le sujet principal

Dans LrsquoArgent suite Peacuteguy deacuteclare avec force laquo Je ne reconnais qursquoune chariteacute

chreacutetienne mon jeune camarade et crsquoest celle qui procegravede directement de Jeacutesus

(Eacutevangiles passim ou plutocirct ubique) crsquoest la constante communion et spirituelle

et temporelle avec le pauvre avec le faible avec lrsquoopprimeacute raquo (III 886)

Dans Toujours de la grippe Peacuteguy fait le lien entre la chariteacute chreacutetienne et la

solidariteacute socialiste laquo Ainsi entendue ainsi aimeacutee ainsi voulue ainsi connue ainsi

exerceacutee ainsi profonde et libre la solidariteacute socialiste jaillit freacutequemment au cœur

des humbles et des pauvres au cœur des ignorants raquo (I 457) Lrsquoaccent mis sur

lrsquoignorance nrsquoest pas anodin il souligne le fait que Peacuteguy introduit tregraves tocirct la

mystique au sein de son socialisme militant il deacutecrit la solidariteacute comme une gracircce

qui est offerte aux pauvres et aux ignorants non comme une vertu qui se pratique

par lrsquoeffort la force de volonteacute Il srsquoagit de la sainteteacute drsquoailleurs le laquo citoyen

docteur raquo qui est lrsquointerlocuteur de Peacuteguy dans ce dialogue le dit tout de suite

128 АИ Шмаина-Великанова Книга Руфи как символическая повесть М Институт св Фомы 2010 (SCHMAIumlN-VELIKANOV Anna Le livre de Ruth comme reacutecit symbolique Moscou Institut saint Thomas 2010 p 7-13)

112

laquo crsquoest bien ce que jrsquoentendais nous avons nos saints et nous avons nos docteurs raquo

(ibid)

Imiter le Dieu des Juifs crsquoest ecirctre charitable envers les petits les pauvres les

malheureux les insignifiants les perdants les derniers Et crsquoeacutetait la plus grande

cause de Peacuteguy se battre sans relacircche pour les innocents les boucs eacutemissaires les

perseacutecuteacutes

3 Les vertus chreacutetiennes

Peacuteguy en suivant Saint Augustin distingue les trois vertus theacuteologales des

vertus cardinales Saint Augustin eacutelegraveve drsquoAmbroise de Milan qui fut un fidegravele

lecteur de Ciceacuteron et de son traiteacute De officiis souligne la gratuiteacute des vertus

theacuteologales venant de Dieu Plus tard Greacutegoire le Grand et Thomas drsquoAquin

reacuteunissent dans un systegraveme de sept vertus chreacutetiennes les quatre vertus morales

(cardinales) et les trois vertus theacuteologales La foi est la capaciteacute de lrsquohomme de

comprendre et de mettre en œuvre la volonteacute de Dieu lrsquoespeacuterance creacutee une attente

confiante et ouvre pour lrsquohomme un chemin vers la beacuteatitude la chariteacute unit

lrsquohomme agrave lrsquoamour de Dieu Selon saint Thomas drsquoAquin la prudence harmonise

lrsquointelligence et le cœur dans la prise de deacutecision et fait le lien entre les autres

vertus la justice est responsable des relations dans la socieacuteteacute la tempeacuterance

cherche le juste milieu entre les deacutesirs divers drsquoun ecirctre humain quant agrave la force

elle donne lrsquoeacutelan aux deacutecisions prises et permet agrave lrsquohomme drsquoecirctre perseacuteveacuterant Les

vertus antiques font ainsi partie des vertus chreacutetiennes et ce lien avec lrsquoheacuteritage

antique doit sucircrement ecirctre cher agrave Peacuteguy Mais il nrsquoaccepte pas la theacuteorie thomiste

des vertus qui suppose lrsquoacquisition de la vertu par la reacutepeacutetition qui creacutee un habitus

une habitude Or rien nrsquoest pire que lrsquohabitude pour Peacuteguy crsquoest ce qui tue la dureacutee

ferme la porte agrave la gracircce rend impossible lrsquoespeacuterance qui se traduit par un eacuteternel

renouvellement Recommencer sans cesse chaque jour chaque heure agrave nouveau est

113

contraire agrave la reacutepeacutetition de ce qui a eacuteteacute fait par le passeacute Cependant pour Alain

Thomasset Peacuteguy est moins loin de saint Thomas drsquoAquin qursquoil ne le croyait laquo la

vertu preacutesente un caractegravere paradoxal car elle est agrave la fois du cocircteacute de la reacutepeacutetition et

donc de la mecircmeteacute et en mecircme temps du cocircteacute de la nouveauteacute et de lrsquoalteacuteriteacute car

elle rend bon celui qui la possegravede Une reacutepeacutetition peut donc ouvrir agrave la nouveauteacute

une stabiliteacute faciliter le mouvement raquo129 Il est possible que la reacuteaction de Peacuteguy agrave la

theacuteologie thomiste soit plutocirct une suite agrave sa controverse avec le thomiste Maritain

qursquoun veacuteritable deacutesaccord theacuteologique

a) La Ballade du cœur qui a tant battu

Les vertus theacuteologales qui restent supeacuterieures dans une sorte de hieacuterarchie

parce que ce sont les vertus qui deacutecrivent la maniegravere dont Dieu agit envers les

hommes selon Peacuteguy ce sont les vertus qui appartiennent agrave Dieu que lrsquohomme ne

peut pas atteindre sans accueillir la gracircce par le seul effort de lrsquoimitation de Jeacutesus

Pour ce qui concerne les vertus theacuteologales seule la gracircce accueillie dans la

confiance peut rendre possible lrsquoimitation de Dieu qui espegravere en lrsquohomme qui croit

en lrsquohomme et qui aime lrsquohomme laquo Ce que nous devons faire pour Dieu crsquoest

Dieu qui prend les devants qui commence de le faire pour nous raquo Crsquoest une ideacutee

absolument novatrice que personne avant lui nrsquoa oseacute exprimer parce que selon la

theacuteologie de Peacuteguy Dieu ainsi se fait vulneacuterable jusqursquoagrave devenir deacutependant de

lrsquohomme laquo Dieu a besoin de nous Dieu a besoin de sa creacuteature raquo (OPD 715)

Dans les Ballades du cœur qui a tant battu lrsquoun des rares textes ougrave Peacuteguy dit

vraiment laquo je raquo ougrave il se preacutesente comme sujet de son œuvre il y a une longue

comparaison entre les vertus cardinales et les vertus theacuteologales La premiegravere fois

que Peacuteguy les mentionne les sept vertus sont preacutesenteacutees comme celles qui marchent

dans une procession

Dans les processions

O blanc vecirctu

129 THOMASSET Alain Thomasset opcit p 304

114

Les intercessions

Des sept Vertus (OPD 963)

Elles eacutevoquent donc tout de suite un chemin un mouvement avec Dieu et vers

Dieu Et elles intercegravedent en jouant le rocircle drsquoun pont qui relie lrsquohomme agrave Dieu

laquo Les quatre Cardinales naissent paiumlennes raquo (Ibid) et deviennent chreacutetiennes par le

travail et lrsquoeffort mais les trois Theacuteologales naissent de la gracircce par le don Il est

compreacutehensible que dans cette peacuteriode de lutte acharneacutee contre lui-mecircme contre sa

passion dont il laisse entendre plusieurs eacutechos dans ces Ballades les vertus

cardinales qui selon Peacuteguy laquo sont des gendarmes raquo (OPD 963) cegravedent le pas au

vertus Theacuteologales pleines de gracircce donneacutees provenant de la gracircce de Dieu Julie

Sabiani dans son commentaire des Ballades observe laquo La longue seacutequence qui

oppose Theacuteologales et Cardinales ne tend pas seulement agrave condamner le moralisme

vertueux mais aussi toute dogmatique religieuse raquo130 La gracircce seule suffit Cette

gracircce est leacutegegravere crsquoest un don pas un lourd fardeau Peacuteguy va jusqursquoagrave la deacutecrire

comme une ronde une danse laquo Mais les Theacuteologales Dansent en rond raquo (OPD

1014) elles laquo font carnaval raquo (OPD 1017) elles laquo sont des luronnes raquo (OPD 1031)

laquo megravenent la fecircte raquo (OPD 1032) laquo megravenent la danse raquo (OPD 1045) elles laquo jouent

aux billes raquo (OPD 1052) et vont jusqursquoagrave faire des batailles de boules de neige Elles

sont pleines de gratuiteacute incarneacutees par un esprit drsquoenfance Peacuteguy parle drsquohospitaliteacute

qui permet drsquoaccueillir la gracircce il nomme les laquo trois Theacuteologales hospitaliegraveres raquo

(OPD 1020) Mecircme si cette gracircce est accueillie dans la douleur dans la peine dans

lrsquohumiliteacute elles sont reccedilues comme un baume sur une blessure profonde laquo Au

trois Theacuteologales ndash notre souffrance raquo Les vertus Theacuteologales ne naissent pas de

cette certitude que Peacuteguy exeacutecrait mais de lrsquoinquieacutetude mystique qursquoil appreacuteciait

tant dans la tradition juive

Aux quatre Cardinales

La certitude

Mais aux Theacuteologales

Lrsquoinquieacutetude (OPD 1027)

130 SABIANI Julie La Ballade du cœur Paris Klincksieck 1973 p 125

115

Le chemin agrave la suite des quatre vertus Cardinales emmegravene celui qui le suit vers

un but deacutefini mais celui qui suit les trois theacuteologales avance sur un chemin

drsquoabandon total ougrave il reste un eacuteternel disciple Peacuteguy eacutecrit que laquo les Theacuteologales

sont eacutecoliegraveres raquo (Ibid)

Elles ne naissent pas de lrsquoabondance mais du manque de la pauvreteacute et de la

simpliciteacute

Aux quatre Cardinales

Porte-flambeaux

Les trois Theacuteologales

Vont en sabots (OPD 1032)

b) La Chariteacute

Ce sont les trois mystegraveres qui eacuteclairent la penseacutee de Peacuteguy sur les vertus

theacuteologales En changeant le titre sur eacutepreuves Peacuteguy transforme le Mystegravere de la

vocation de Jeanne drsquoArc en Mystegravere de la chariteacute de Jeanne drsquoArc Il eacutecrit ensuite

Le Porche du mystegravere de la deuxiegraveme vertu lrsquoespeacuterance et conclut avec Le Mystegravere

des saints Innocents qui ne contient pas le mot laquo foi raquo dans le titre

La chariteacute premiegravere des vertus theacuteologales la plus grande et celle qui se

rapproche le plus de la vertu juive par excellence le Hesed est au centre du premier

mystegravere de Peacuteguy Le Mystegravere de la chariteacute de Jeanne drsquoArc La chariteacute de Jeanne

est bien loin de la chariteacute traditionnelle des saintes meacutedieacutevales une chariteacute

personnelle individuelle faite drsquolaquo œuvres de chariteacute raquo la Jeannette de Peacuteguy ne se

contente pas de cela Le fait que les enfants affameacutes auxquels elle a donneacute tout son

pain auront de nouveau faim le lendemain lrsquoindigne et la pousse agrave agir sur les

racines du mal Il ne suffit pas de donner son pain aux pauvres il faut eacuteradiquer ce

qui les rend pauvres la guerre Peacuteguy fait de Jeannette une sainte militante une

sainte qui agit au tout deacutebut du mystegravere dans sa premiegravere priegravere elle dit laquo Enfin

ce qursquoil nous faudrait mon Dieu il faudrait nous envoyer une saintehellip qui

reacuteussisse raquo (OPD 405) Lrsquoaction de Jeanne nrsquoest pas une action priveacutee dans sa

paroisse son village sa famille Agir sur la racine crsquoest agir sur la socieacuteteacute Ainsi

116

Jeanne devient une laquo meneuse drsquohommes raquo qui pense qursquoon ne peut pas laquo tuer la

guerre raquo en priant dans un couvent

c) LrsquoEspeacuterance

La deuxiegraveme vertu lrsquoespeacuterance chez Peacuteguy est eacutetroitement lieacutee agrave lrsquoenfance

Seule la premiegravere piegravece de la trilogie est consacreacutee agrave lrsquoenfance de Jeanne Et le

Mystegravere de la chariteacute de Jeanne drsquoArc se concentre totalement sur quelques heures

de la vie de Jeannette enfant acircgeacutee de treize ans Le lecteur la rencontre ainsi que sa

famille ses amies fait connaissance de son acircme de ses penseacutees de ses attentes Et

tout ce qui lui arrivera plus tard y est deacutejagrave les germes de son action future On peut

voir deacutejagrave dans la petite Jeannette comme dans une semence la possibiliteacute de

reacutepondre on non agrave lrsquoappel de la vocation la possibiliteacute de devenir un chef de

guerre Crsquoest cette possibiliteacute qui est gage drsquoespeacuterance chez Peacuteguy

Dans Le Porche du mystegravere de la deuxiegraveme vertu Peacuteguy exprime cette ideacutee de

maniegravere presque choquante Dieu en srsquoadressant aux enfants prononce laquoVous

ecirctes des enfants Jeacutesusraquo (OPD 653)Pour lui chaque enfant crsquoest lrsquoespeacuterance pure

parce que lrsquoenfant contient une promesse de lrsquoimitation du Christ dans la mesure ougrave

lrsquohomme est fait agrave son image lrsquoenfant qui nrsquoest pas encore corrompu par le peacutecheacute

contient en lui un reflet une image presque parfaite Dans Egraveve Peacuteguy parle de

lrsquoenfant Jeacutesus qui contient en lui seul la possibiliteacute du salut de toute la terre du

regravegne sur tout le monde Ainsi lrsquoenfance lrsquoenfant deviennent chez Peacuteguy une sorte

de contenant merveilleux en qui toutes les possibiliteacutes germent et attendent

lrsquoincarnation et ainsi portent lrsquoespeacuterance Dans le Mystegravere des saints Innocents

Peacuteguy fait dire agrave Dieu ces paroles laquoMon fils avait eacuteteacute un tendre enfant laiteux une

enfance un bourgeonnement une promesse un engagement un essai une origine

un commencement de reacutedempteur une espeacuterance du salut une espeacuterance de

reacutedemptionraquo (OPD 784)

Le Mystegravere de la vocation de Jeanne drsquoArc srsquoachegraveve au moment ougrave Jeanne

acircgeacutee maintenant de seize ans apprend par ses voix que ce chef de guerre pour qui

117

elle a prieacute durant trois ans celui qui sauvera la France crsquoest elle Mais Charles

Peacuteguy nrsquoa jamais publieacute ce texte il lrsquoa retrancheacute sur eacutepreuves et donneacute un autre

titre au mystegravere Il a choisi Jeannette dans laquelle se concentre toute lrsquoespeacuterance

comme possibiliteacute du salut des hommes Elle peut reacutepondre ou ne pas reacutepondre agrave sa

vocation Entendre ou ne pas entendre lrsquoappel

Dans le Mystegravere de la chariteacute de Jeanne drsquoArc le poegravete montre ce tournant de

lrsquoenfance agrave lrsquoacircge adulte ce moment de croissance qui se traduit selon Peacuteguy dans

le surpassement du deacutesespoir Jeannette est tellement deacutesespeacutereacutee qursquoelle doute

mecircme du sens de la reacutedemption des hommes par le sacrifice du Christ elle se

demande mecircme srsquoil nrsquoest pas mort pour rienhellip et de ce surpassement du deacutesespoir

naicirct son deacutesir drsquoentendre la volonteacute de Dieu et de lrsquoaccomplir

Lrsquoenfant nrsquoa pas drsquoexpeacuterience ou tregraves peu mais surtout lrsquoexpeacuterience nrsquoa pas

encore drsquoinfluence sur lui sur sa maniegravere drsquoagir Lrsquoenfant va agir sans srsquoappuyer sur

une expeacuterience qui dit que si telle chose srsquoest mal passeacutee crsquoest comme ccedila que cela

va se passer dans le futur Lrsquoenfant nrsquoa pas peur que le mal se reproduise il peut

alors sans douter et sans prendre peur tout recommencer agrave nouveau en participant

avec le Creacuteateur dans lrsquoeacuteternel renouvellement laquoVoici je fais lrsquounivers nouveauraquo

(Ap 21 5)

Dans le Mystegravere de la chariteacute de Jeanne drsquoArc la petite Jeannette trouve une

source drsquoespeacuterance dans le refus de srsquoappuyer sur lrsquoexpeacuterience de prononcer ces

paroles tellement laquo adultes raquo laquo ce nrsquoest pas possible raquo Jeannette choisit drsquoattendre

le nouveau Au tout deacutebut du Mystegravere elle dit agrave Dieu

Il nous faudrait peut-ecirctre quelque chose de nouveau quelque chose qursquoon nrsquoaurait encore jamais vu Quelque chose qursquoon nrsquoaurait encore jamais fait Mais qui oserait dire mon Dieu qursquoil puisse y avoir du nouveau apregraves quatorze siegravecles de chreacutetienteacute apregraves tant de saintes et tant de saints apregraves tous vos martyrs apregraves la passion et la mort de votre fils (OPD 404)

Pour le moment Jeannette ne sait pas tregraves bien ce qui est possible et ce qui ne

lrsquoest pas elle peut donc croire que tout est possible et fonder son espeacuterance sur cette

possibiliteacute Hauviette son amie est diffeacuterente Elle est plus jeune mais chez Peacuteguy

elle incarne la tradition et elle srsquoappuie sur lrsquoexpeacuterience des geacuteneacuterations qui lrsquoont

preacuteceacutedeacutee sur celle du cateacutechisme de ce que ses parents lui ont appris agrave la maison

118

Pourtant lrsquoexpeacuterience ne deacutetruit pas son espeacuterance parce qursquoelle a une confiance

absolue en Dieu Pour Peacuteguy crsquoest lrsquoune des principales sources de lrsquoespeacuterance en

particulier de lrsquoespeacuterance du salut

Peacuteguy montre au lecteur le tournant de Jeannette du deacutesespoir agrave lrsquoespeacuterance

son choix de garder son esprit drsquoenfant qui est confiante et qui espegravere Jeannette agrave

treize ans nrsquoest plus tout agrave fait une enfant mais pas encore une adulte elle peut

choisir sa voie inteacuterieure Jeannette choisit de ne pas srsquoappuyer sur lrsquoideacutee que son

travail et ses priegraveres sont vaines

Et si elle choisit de srsquoappuyer sur lrsquoexpeacuterience de la joie de la reconnaissance drsquoune confiance absolue en Dieu et lrsquoattente du nouveau elle pourrait croire dans lrsquoincroyable commencer lrsquoimpossible ecirctre attentive agrave lrsquoappel et y reacutepondre devenir Jeanne drsquoArc Et ce deacutebut Peacuteguy le deacutecrit par une seule petite phrase la derniegravere du mystegravere qui semble ne pas ecirctre lieacutee avec le texte qui la preacutecegravede laquoOrleacuteans qui ecirctes au pays de Loireraquo (OPD 559)131

Le deuxiegraveme mystegravere de Peacuteguy Le Porche du mystegravere de la deuxiegraveme vertu

paru en octobre 1911 est entiegraverement consacreacute agrave la vertu theacuteologale de lrsquoespeacuterance

Peacuteguy le deacutefinit ainsi que le mystegravere suivant Le Mystegravere des saints Innocents

comme encore une laquo Jeanne drsquoArc raquo ce qui peut paraicirctre eacutetrange les sujets nrsquoeacutetant

pas lieacutes excepteacute le fait que le texte soit placeacute dans la bouche de Mme Gervaise

lrsquointerlocutrice de Jeannette dans le Mystegravere de la chariteacute cependant que Jeanne est

preacutesente comme celle qui eacutecoute En revanche la forme novatrice du Porche du

mystegravere de la deuxiegraveme vertu et du Mystegravere des saints Innocents entre la prose et

poeacutesie theacuteacirctre et traiteacute theacuteologique rejoint visiblement celle du reacutecit de la Passion

dans le Mystegravere de la chariteacute Dans la notice pour Le Porche de la reacutecente eacutedition agrave

la Pleacuteiade de lrsquoœuvre poeacutetique de Peacuteguy Claire Daudin eacutecrit que ce nrsquoest pas laquo une

suite chronologique mais une suite poeacutetique raquo (OPD 1647) Crsquoest aussi une suite

au Nouveau theacuteologien monsieur Fernand Laudet parce que crsquoest une suite agrave la

poleacutemique theacuteologique autour du Mystegravere de la chariteacute Dans Le Porche Peacuteguy

reacutepond en quelque sorte agrave Jacques Maritain qui lui a eacutecrit un grand nombre de

131 VEacuteLIKANOV Marie laquo Lrsquoenfance graine de lrsquoespeacuterance dans la poeacutesie de Peacuteguy raquo Le Porche Bulletin des Amis de Jeanne drsquoArc et de Charles Peacuteguy (Russie Pologne Finlande Estonie) Ndeg 36-37 deacutecembre 2012 p 90

119

lettres ainsi qursquoau pegravere Louis Baillet accusant le premier mystegravere drsquoheacutereacutesie132 Ce

texte est eacutecrit agrave la peacuteriode peut-ecirctre la plus dure de la vie de Peacuteguy un amour

impossible des problegravemes financiers les problegravemes de santeacute de ses enfants la

reacuteaction violente agrave son premier mystegravere le refus du prix de lrsquoAcadeacutemie auquel il

aspirait Cet hymne agrave lrsquoespeacuterance est eacutecrit du fond du deacutesespoir il le dit dans le

mystegravere cette vertu laquo est assureacutement la plus difficile raquo (OPD 635) La foi et mecircme

la chariteacute pour Peacuteguy vont de soi mais pas lrsquoespeacuterance Lrsquoespeacuterance est impossible

pour lui sans lrsquoaide sans la gracircce de Dieu

Peacuteguy choisit une petite fille neacutee agrave Noeumll une enfant qui joue avec une cregraveche

en bois pour incarner lrsquoespeacuterance dans son mystegravere Il explique ce choix laquo par

lrsquoabsence chez lrsquoenfant de lrsquoexpeacuterience du peacutecheacute ou de toute autre expeacuterience

neacutegative menant au deacutesespoir raquo Il met dans la bouche de Dieu ces mots laquoCar les

enfants sont plus mes creacuteatures que les hommes Ils nrsquoont pas encore eacuteteacute deacutefaits par

la vie de la terreraquo (OPD 632) Peacuteguy parle de lrsquoeacutetonnement de Dieu devant les

hommes qui suivent cette petite fille et laquovoient comme tout ccedila se passe et qursquoils

croient que demain ccedila ira mieuxraquo (OPD 632) Contrairement agrave lrsquoinnocence la foi

chez Peacuteguy est pratiquement opposeacutee agrave lrsquoespeacuterance parce qursquoelle srsquoappuie sur

lrsquoexpeacuterience sur laquo les histoires de lrsquoancien temps raquo (OPD 637) Chez Peacuteguy

lrsquoespeacuterance est une attente intense et concentreacutee du nouveau qui rend le miracle

possible

Au centre du Porche du mystegravere de la deuxiegraveme vertu se trouve la phrase

laquoPour espeacuterer mon enfant il faut ecirctre bien heureux il faut avoir obtenu reccedilu une

grande gracircceraquo (OPD 636) Crsquoest le don totalement gratuit de la joie qui devient

source de lrsquoespeacuterance Il deacutecrit cette joie enfantine en peignant une procession du

Saint Sacrement ougrave la petite fille Espeacuterance avance en dansant infatigablement

sans compter ses forces entre ses deux grandes sœurs les vertus de la Foi et de la

Chariteacute La petite fille Espeacuterance agrave cette fecircte est infatigable dans sa joie elle voit le

preacutesent tel qursquoil est en veacuteriteacute parce qursquoelle est tourneacutee vers le futur Elle ne

srsquoinquiegravete pas du passeacute et ne se deacutesole pas des fleurs qui vont faner Elle sait que de

132 MARITAIN Jacques BAILLET Louis Peacuteguy au porche de lrsquoEacuteglise Paris Cerf 1997

120

nouvelles fleurs naicirctront Il y a encore une raison pour laquelle Peacuteguy choisit une

enfant pour repreacutesenter lrsquoespeacuterance pour lui lrsquoespeacuterance ne pose pas de but crsquoest

la dureacutee qui est importante lrsquoeacuteveacutenement preacutesent comme pour les enfants pour qui

le jeu trouve sa valeur dans son processus mecircme et ils ne se lassent pas de

recommencer des dizaines de fois le mecircme Sans ecirctre conscient de lrsquoeacuteterniteacute

lrsquoenfant peut vivre comme srsquoil eacutetait eacuteternel ainsi chez Peacuteguy fait lrsquoespeacuterance

Elle croit elle compte que nous sommes comme elle Elle ne meacutenage point nos peines Et nos travails Elle compte que nous avons toute la vie devant nous Comme elle se trompe Comme elle a raison Car nrsquoavons-nous point toute la Vie devant nous La seule qui compte Toute la vie Eternelleraquo (OPD 748)

La petite fille Espeacuterance pousse les adultes agrave travailler ne travaillant pourtant

pas elle-mecircme tout simplement parce que les adultes travaillent souvent pour leurs

enfants qui repreacutesentent leur futur la promesse du lendemain ce nrsquoest pas le but

mais le sens du travail Pour Peacuteguy les enfants laquocrsquoest le futur dans le preacutesent nous

œuvrons pour eux aujourdrsquohui pas pour un but lointain mdash et crsquoest justement ce

travail qursquoaccomplit eacuteternellement la petite fille Espeacuterance raquo133 Lrsquoespeacuterance pousse

agrave recommencer non par goucirct de reacutepeacutetition mais au contraire par le souci du

renouvellement qui pour elle est toujours possible

Car crsquoest vingt fois qursquoelle nous fait faire le mecircme chemin sur terre pour la sagesse humaine ce sont vingt fois qui se redoublent qui se recommencent qui sont la mecircme qui sont vingt fois vaines qui se superposent Parce qursquoelles conduisaient par le mecircme chemin au mecircme endroit parce que crsquoeacutetait le mecircme chemin Mais pour la sagesse de Dieu rien nrsquoest jamais rien Tout est nouveau Tout est autre Tout est diffeacuterent Au regard de Dieu rien ne recommence (OPD 750)

Peacuteguy eacutecrit que le chemin de lrsquoespeacuterance naicirct dans le sacrement du baptecircme

dans lequel se deacutevoile lrsquoespeacuterance de Dieu en lrsquohomme laquoEt le baptecircme est le

sacrement le plus neuf Et le baptecircme est le sacrement qui commence [] Or la

petite espeacuterance est celle qui toujours commence Cette naissance perpeacutetuelle Cette

enfance perpeacutetuelleraquo (OPD 649)

La joie le refus de ne srsquoappuyer que sur lrsquoexpeacuterience et lrsquoattitude de

recommencer tout le temps agrave nouveau ne sont pas les seules conditions de

lrsquoespeacuterance chez Peacuteguy qui parle aussi de la confiance et de la peacutenitence Faire

peacutenitence pour Peacuteguy signifie un renouvellement dans lrsquoespeacuterance crsquoest ce qui de 133 VEacuteLIKANOV Marie opcit p 92

121

nouveau fait de nous des enfants ce qui creacutee un nouveau commencement laquoLa

force de vie la promesse la vie la force de vie et de promesse qui source au cœur

de lrsquoespeacuterance et qui rejaillit dans la peacutenitence mecircme dans la basse peacutenitenceraquo

(OPD 710) Pour ce qui concerne la confiance Peacuteguy la deacutecrit par une image celle

du sommeil enfantin qui exprime une confiance absolue en Dieu et permet agrave

lrsquoenfant de renouveler ses forces et de commencer chaque jour comme un jour

vraiment nouveau laquoVoilagrave le secret drsquoecirctre infatigable Infatigable comme les

enfants Infatigable comme lrsquoenfant Espeacuterance Et de recommencer toujours le

lendemainraquo (OPD 757)

Dans Le Mystegravere des saints Innocents (1912) Peacuteguy dit que lrsquoespeacuterance

comme une graine qui contient la promesse de la vie de lrsquoarbre recegravele la possibiliteacute

drsquoune nouvelle naissance laquoMais le tendre bourgeon nrsquoest fait que pour la naissance

et il nrsquoest chargeacute que de faire naicirctreraquo (OPD 783)

d) La foi et lrsquoinnocence

Dans un de ses textes Peacuteguy parle directement de la vertu theacuteologale de la foi

Un nouveau theacuteologien Monsieur Fernand Laudet Selon Peacuteguy la foi se

deacutecompose en deux autres vertus laquo qui seraient la creacuteance ou foi propre et la

fideacuteliteacute raquo (III 458) Autrement dit croire crsquoest choisir de consideacuterer ce que disent

les eacutecritures et lrsquoEacuteglise comme vrai et demeurer dans cette laquo creacuteance raquo confiante y

ecirctre fidegravele Quelques pages plus loin Peacuteguy parle aussi de laquo constance raquo et utilise

aussi un mot de lrsquoancien franccedilais laquo feacutealiteacute raquo (III 461) qui eacutevoque la fideacuteliteacute drsquoun

vassal agrave son seigneur et deacutesigne non seulement une fideacuteliteacute mais une forme

drsquoappartenance La fideacuteliteacute est ce que Peacuteguy retient en premier lieu dans la vertu

theacuteologale de la foi au deacutebut du Mystegravere des saints Innocents il eacutecrit laquo La Foi est

une eacutepouse fidegravele raquo (OPD 780) La foi rend possible la continuiteacute la dureacutee et

lrsquoespeacuterance apporte le renouvellement et la promesse

122

Dans Le Porche du mystegravere de la deuxiegraveme vertu Peacuteguy dit que la foi va de

soi laquo elle est toute naturelle tout allante tout simple toute venante raquo (OPD 636)

et ne semble pas demander drsquoeffort drsquoaction de combat

Souvent Peacuteguy ose remplacer lrsquoune des trois vertus theacuteologales la foi par

lrsquoinnocence Cela apparaicirct bien quand on voit le Mystegravere des saints Innocents

suivre les mystegraveres consacreacutes agrave la chariteacute et agrave lrsquoespeacuterance Lrsquoinnocence devient lrsquoune

des trois vertus theacuteologales chez Peacuteguy En parlant de la vertu theacuteologale de la foi

dans Un nouveau theacuteologien Monsieur Fernand Laudet il eacutecrit laquo Crsquoest une

question une question eacuteternelle de savoir si lrsquoignorance est plus pregraves de Dieu ou si

crsquoest lrsquoexpeacuterience si lrsquoignorance est plus agreacuteable agrave Dieu ou si crsquoest lrsquoexpeacuterience raquo

(III 461)

Le sens du mot laquo innocence raquo chez lui est complexe Deacutejagrave dans un texte de

1899 avant la creacuteation des Cahiers de la quinzaine dans lrsquoarticle laquo Lrsquoaffaire

Dreyfus et la Crise du parti socialiste raquo publieacute dans la Revue Blanche Peacuteguy dit de

Dreyfus qursquoil est un laquo juste raquo (I 233) agrave cause de son innocence Le fait drsquoecirctre

innocent fait de lui un homme qui adhegravere agrave la justice Dans Victor-Marie comte

Hugo en comparant Corneille agrave Racine Peacuteguy dit aussi que Corneille ne connaicirct pas

le mal laquo cette grande ignorance du mal de Corneille cette grande inexpeacuterience

cette grande incompeacutetence cette souveraine maladresse raquo (III 281) Apparemment

pour Peacuteguy cette innocente ignorance du mal est loin drsquoecirctre passive Elle suppose le

refus de srsquoappuyer sur lrsquoexpeacuterience passeacutee mais le choix drsquoecirctre totalement ouvert agrave

lrsquoeacuteveacutenement preacutesent et drsquoy reacutepondre entiegraverement Ainsi lrsquoinnocence est ce terrain

sur lequel peut croitre lrsquoespeacuterance qui est chez Peacuteguy une foi dans la possibiliteacute du

nouveau Cette innocence est aussi ce qui rend possible le pardon quand on est

innocent jusqursquoagrave ignorer le mal qursquoon nous a fait le pardon est plus facile

laquo Corneille est gonfleacute drsquoun perpeacutetuel pardon Ils se pardonnent drsquoavance par nature

tout ce qursquoils se feront raquo (III 283) On distingue aussi cette ideacutee dans Notre

Jeunesse ougrave dans le portrait de Bernard-Lazare Peacuteguy eacutevoque le fait que Bernard-

Lazare nrsquoavait aucun ressentiment pour ceux qui avaient eacuteteacute ingrats avec lui il

eacutecrivait avoir laquo une innocence deacutesarmante raquo et refusait de croire que la politique

emporte sur la mystique de lrsquoaffaire Dreyfus sur la mystique de lrsquoamitieacute (III 60)

123

Cette interpreacutetation de lrsquoinnocence comme vertu nrsquoest pas neuve elle nrsquoest pas

propre agrave Peacuteguy elle est de Platon mecircme si elle nrsquoa pas eacuteteacute beaucoup exploiteacutee

apparemment Chez Platon il y a une interpreacutetation veacuteneacuteneuse de la pratique niaise

des vertus cardinales mais on trouve aussi chez lui lrsquoeacuteloge de la naiumlveteacute pure une

sorte de candeur134 Peacuteguy deacutecrit cette candeur dans un texte de 1907 De la

situation faite au parti intellectuel dans le monde moderne devant les accidents de

la gloire temporelle Il y deacutecrit le pauvre homme qui a laquo la probiteacute dans la peau raquo

qui est loin des grandeurs non par humiliteacute consciente pratiqueacutee avec efforts mais

parce qursquoil ne sait mecircme pas comment agir diffeacuteremment qui sait qursquoil nrsquoaura toute

sa vie que des meacutetiers modestes non valorisants mais qui aime ce travail laquo Mais il

aime cela cet homme Il est si becircte qursquoil ne pense mecircme pas agrave nommer cela probiteacute

honnecircteteacute goucirct et passion de la liberteacute Il exegravecre le mot mecircme de pureteacute Parce que

de tous les seacutepulcres les seacutepulcres blanchis sont encore ceux qui lui paraissent le

plus cimetiegraveres raquo (II 681-682) Pour Peacuteguy lrsquoinnocence inconsciente de par son

essence mecircme est paradoxalement plus grande que la pureteacute pratiqueacutee gagneacutee au

prix de grands efforts

Dans Encore de la grippe Peacuteguy donne agrave son interlocuteur imaginaire

lrsquoexemple de la mort chreacutetienne drsquoune vieille femme qursquoil a connue dans son

enfance il parle drsquoabord de sa foi puis en citant les laquo femmes qui allaient laver la

lessive raquo il dit qursquoelle est innocente et il continue de lrsquoeacutevoquer en ces termes

(I 435-436) Apparemment pour lui lrsquoinnocence est le refus de croire agrave autre chose

que Dieu le refus de savoir autre chose autrement dit la foi agrave lrsquoeacutetat pur

e) Le courage lrsquoobeacuteissance et lrsquohumiliteacute

Peacuteguy ne parle pas tellement des vertus cardinales mais dans le premier texte

ougrave il parle directement de la sainteteacute un texte de 1905 Louis de Gonzague il

eacutevoque justement la vertu de courage (qui semble remplacer celle de la force) qui

134 Voir GAUDIN Claude EYHΘEIA La theacuteorie platonicienne de lrsquoinnocence raquo Revue Philosophique De La France Et De LrsquoEacutetranger 171 ndeg 2 1981 p 145-68

124

est en fait tregraves lieacutee agrave celle de la veacuteriteacute comme reconnaissance du reacuteel puisque pour

Peacuteguy le courage consiste laquo agrave savoir tregraves exactement et tregraves exactement agrave nrsquoavoir

point peur et agrave continuer tregraves exactement raquo (II 380) Crsquoest cette vertu tregraves

particuliegravere tregraves peacuteguyste de lrsquoexactitude qui rend courageux ceux qui la

pratiquent Il srsquoagit drsquoune forme drsquoobeacuteissance non aux hommes mais au reacuteel agrave

lrsquoeacutevegravenement cela implique de le reconnaicirctre dans toute sa veacuteriteacute et toute sa

contradiction de ne pas fuir cette reacutealiteacute de ne pas en choisir une part en rejetant

lrsquoautre mais drsquoagir en fonction de la seule reacutealiteacute non eacutedulcoreacutee non systeacutematiseacutee

Un peu plus loin Peacuteguy eacutecrit laquo Il ne deacutepend pas de nous que lrsquoeacuteveacutenement se

deacuteclenche mais il deacutepend de nous drsquoy faire face raquo (II 383)

Chez Peacuteguy on trouve une vertu traditionnellement chreacutetienne qui est bien

mise en valeur et assez surprenante chez un homme tellement loin des conventions

reacutevolutionnaire et hors de tous les moules la vertu de lrsquoobeacuteissance Deacutejagrave dans

Pierre commencement de la vie bourgeoise il deacutecrit en srsquoeacutemerveillant la marche en

rang agrave lrsquoeacutecole le chant en chœur tout ce qui eacutetait ordre rangement reacutegulariteacute lui

procurait une joie profonde tout comme lrsquoobeacuteissance mecircme difficile Lrsquoordre le

son de la cloche la reacutegulariteacute appellent agrave lrsquoobeacuteissance au temps Pour Peacuteguy crsquoeacutetait

une sorte de regravegle de vie Dans ces mecircmes souvenirs drsquoenfance Peacuteguy deacutecrit son

apprentissage de lrsquoeacutecriture qui fut tregraves dur pour lui laquo pour la premiegravere fois de ma

vie je connus lrsquoarriegravere-goucirct amegraverement bon de lrsquoobeacuteissance peacutenible voulue raquo

(I 163) Cette vie drsquoobeacuteissance peacutenible agrave lrsquoordre et aux maicirctres pourtant voulue

ressemble eacutetrangement agrave celle deacutecrite par les moines et les pegraveres de lrsquoEacuteglise celle

qui devient eacutecole drsquohumiliteacute et lrsquoune des vertus chreacutetiennes par excellence

Dans Un nouveau theacuteologien Monsieur Fernand Laudet Peacuteguy en parlant de

Jeanne drsquoArc la deacutecrit comme un exemple drsquoobeacuteissance agrave sa vocation agrave la voix de

Dieu et drsquohumiliteacute devant les blessures les eacutechecs la peur et la mort Il souligne

plusieurs fois que Jeanne nrsquoavait pas de protection particuliegravere qursquoelle nrsquoa jamais

eacuteteacute garantie contre les blessures la captiviteacute ni rien qursquoelle ne faisait pas de

miracles

Appeleacutee par une vocation divine en terre humaine envoyeacutee en mission divine en terre humaine non seulement elle nrsquoopeacutera jamais mais elle ne demanda jamais

125

drsquoopeacuterer elle ne pria jamais drsquoopeacuterer que par des moyens humains Vivant dans ce miracle perpeacutetuel drsquoecirctre assisteacutee par des voix propres de recevoir constamment une assistance propre de conseil de voix qui lui eacutetaient pour ainsi dire particuliegraverement et proprement attacheacutees personnellement affecteacutees elle ne demanda jamais un secours si lrsquoon peut dire surnaturel physique surnaturel direct surnaturel directement militaire (III 566)

Crsquoest pourquoi Jeanne drsquoArc est pour Peacuteguy la meilleure imitatrice de Jeacutesus

de son incarnation Elle non plus nrsquoa pas demandeacute laquo douze leacutegions drsquoanges raquo

Dans Les Tapisseries de sainte Geneviegraveve et de Jeanne drsquoArc Peacuteguy dans la

description eacutepique des armes de Jeacutesus qui ornent lrsquoeacutetendard de Jeanne et

combattent les armes de Satan fait la liste de toutes les vertus qui selon sa foi

caracteacuterisent un chreacutetien quelqursquoun qui voudrait imiter Jeacutesus Il parle de laquo sa face

maigrie raquo laquo ce frecircle roseau raquo laquo le plus malheureux raquo laquo la paille et lrsquoeacutetable raquo et dit

que les armes de Jeacutesus laquo crsquoest lrsquoeacuteternelle peine assise au creux du lit de toute race

humaine raquo mais aussi que laquo crsquoest la faim assouvie crsquoest le corps glorieux ce nrsquoest

pas la survie crsquoest lrsquoeacuteternelle table abondamment servie raquo Crsquoest laquo la source de

gracircce raquo laquo la deacutetresse humaine raquo laquo la rugueuse route incessamment gravie raquo laquo la

fidegravele route obscureacutement suivie raquo mais aussi laquo le solide ancrage raquo Crsquoest laquo la beauteacute

du plus pur du juste dans son fort raquo mais aussi laquo le secret raquo drsquoune priegravere crsquoest laquo la

mort heacuteroiumlque raquo mais aussi la laquo vertu prosaiumlque raquo Peacuteguy eacutenumegravere aussi la dociliteacute

la fideacuteliteacute la fragiliteacute la liberteacute la pauvreteacute la simpliciteacute la sagaciteacute la mendiciteacute

(OPD 1087-1114) Mais en somme on voit malgreacute le fait que ce sont des armes

brodeacutees sur un eacutetendard eacuteleveacute dans la bataille que crsquoest lrsquohumiliteacute et la pauvreteacute que

Peacuteguy met en avant

f) La sainte mort

Comme il a deacutejagrave eacuteteacute eacutevoqueacute plus tocirct en parlant de Notre jeunesse et du portrait

de Bernard-Lazare Peacuteguy voyait lrsquoacceptation de la souffrance lrsquohumiliteacute devant

les souffrances comme une forme drsquoobeacuteissance agrave Dieu et de fideacuteliteacute agrave sa vocation

Tout jeune il voyait deacutejagrave ainsi la sainte mort la mort exemplaire Toutefois elle

lrsquoeffrayait peut-ecirctre le jeune Peacuteguy voyait-il mecircme dans la mort lrsquoune des formes

drsquoinjustice En tout cas le premier exemple drsquoune mort sainte qursquoil donne dans un

126

de ses textes Encore de la grippe en 1900 premiegravere anneacutee de lrsquoexistence des

Cahiers de la quinzaine il le donne en reacuteponse agrave son interlocuteur imaginaire le

fameux laquo docteur moraliste reacutevolutionnaire raquo suite agrave un dialogue sur La priegravere pour

demander agrave Dieu le bon usage des maladies de Blaise Pascal Le docteur lui pose

cette question laquo Connaissez-vous des gens qui nrsquoaient pas pour la mort les

sentiments que vous avez eus raquo (I 434) Peacuteguy lui reacutepond en donnant lrsquoexemple

drsquoun ami mort de la tuberculose135 qui a longtemps eacuteteacute malade qui eacutetait tregraves bon

doux qui

eacutetait tregraves bon envers la vie et envers la mort sans croyance religieuse et tout deacutevecirctu drsquoespeacuterance meacutetaphysique ou religieuse A peine srsquoil disait qursquoil retournerait dans la nature qursquoil se disperserait en nature Il est mort jeune embaumeacute de seacutereacuteniteacute comme un vieillard qui a parfait son acircge (I 434)

Pour Peacuteguy semble-t-il crsquoest son absence de reacutevolte et une forme drsquohumiliteacute

qui le rendaient eacutegal agrave un vieillard devant la mort et qui donnaient agrave sa mort une

odeur de sainteteacute Quelques lignes plus tard laquo le docteur raquo tente de faire la

distinction entre lrsquoadmirable laquo soumission patiente raquo drsquoun stoiumlcien car crsquoest parmi

les stoiumlciens qursquoil range lrsquoami de Peacuteguy et la laquo soumission fidegravele raquo des chreacutetiens

qursquoil voudrait meacutepriser parce qursquoelle vient de lrsquoobeacuteissance et non drsquoun choix libre et

conscient Mais Peacuteguy conclut en laquo reacutepondant raquo agrave son interlocuteur imaginaire qursquoil

ne veut pas srsquoattarder sur ces nuances Crsquoest lrsquoabsence de reacutevolte devant la mort qui

la rend sainte

Le laquo docteur raquo continue de questionner Peacuteguy qui donne alors un autre

exemple celui drsquoune vieille dame pieuse qursquoil a connue dans son enfance agrave Orleacuteans

Cette reacuteponse laisse deacutejagrave pressentir lrsquoambiguumliteacute du jeune Peacuteguy de 1900 envers la

foi chreacutetienne puisqursquoil eacutecrit avec un certain humour laquo La malheureuse eacutetait

tombeacutee dans la deacutevotion quand je dis tombeacutee je cegravede agrave lrsquohabitude car je ne sais

nullement si elle en fut remonteacutee ou descendue raquo (I 435) Ce qui attire

particuliegraverement lrsquoattention dans ce passage crsquoest la phrase laquo cette croyance eacutetant

donneacutee elle y avait sa consolation raquo (I 436) Cette notion de don preacutepare toute la

reacuteflexion ulteacuterieure de Peacuteguy sur la gracircce la croyance donneacutee apporte la

consolation agrave celle qui reccediloit le don et la gracircce apporte la joie agrave celui qui lrsquoaccueille 135 Il srsquoagit de Leacuteon Gutzwiller un ami de Peacuteguy au lyceacutee Lakanal mort de tuberculose en 1896

127

avec gratitude Peacuteguy deacutecrit la vie et la maladie de cette dame comme un accueil

chaleureux de la mort en tant que rencontre avec Dieu Il parle presque de deacutesir de

mort en concluant laquo que les chreacutetiens peuvent avoir une soif religieuse et faire un

commencement drsquoexeacutecution de cette mort que nous redoutons raquo (I 436)

Cependant le jeune Peacuteguy se juge seacutevegraverement et par la bouche de son interlocuteur

imaginaire il reacuteplique laquo Vous avez tellement peur de la mort que ceux qui nrsquoen ont

point cette peur vous paraissent en avoir le deacutesir raquo (I 437) Cela situe donc la mort

dans une dureacutee de foi dans une continuiteacute qui commence dans lrsquoacte de foi et se

prolonge par une rencontre avec Dieu la mort nrsquoest alors qursquoun passage sans

qursquoelle en devienne pour autant objet de deacutesir puisque il srsquoagit uniquement drsquoun

seuil agrave franchir

Dix ans plus tard dans Notre Jeunesse en parlant de la mort de Bernard-

Lazare Peacuteguy semble tout aussi partageacute entre lrsquoideacutee de la mort comme acte

heacuteroiumlque et celle de la mort qursquoon accueille avec humiliteacute qursquoon subit dans la

souffrance et qui vient toujours comme une violence laquo On meurt toujours de

quelque(s) atteinte(s) raquo (III 57) En parlant de Bernard-Lazare Peacuteguy dit de

maniegravere tout agrave fait explicite qursquoil est tombeacute mortellement malade agrave cause du

surmenage physique psychique et spirituel causeacute par son engagement sans bornes

pour Dreyfus et qursquoil est mort non seulement dans lrsquooubli mais parce qursquoil a eacuteteacute

oublieacute par celui et par ceux qursquoil avait ardemment deacutefendus Peacuteguy parle de

Bernard-Lazare comme drsquoun saint interpreacuteteacutee ainsi sa sainte mort est une forme

de sacrifice ougrave le rocircle du mourant srsquoapparente agrave celui du bouc eacutemissaire Peacuteguy va

mecircme jusqursquoagrave dire laquo Il veacutecut et mourut pour eux comme un martyr raquo (ibid) La

vraie mort la forme extrecircme de lrsquoexclusion pour Peacuteguy crsquoest lrsquooubli Lrsquohomme ne

finit pas avec sa mort mais srsquoil est oublieacute tout est fini Le but principal lrsquoobjectif

absolument utopique des Cahiers de la quinzaine eacutetaient de lutter contre lrsquooubli de

toutes les situations dans le monde ougrave un groupe drsquohommes eacutetait par exemple

victime drsquoune extermination qui visait non seulement la mort mais aussi lrsquooubli

Crsquoeacutetait selon Peacuteguy le but du laquo journaliste raquo qui pour lui eacutetait plutocirct un historien

du temps preacutesent Dans Notre jeunesse Peacuteguy dit de Bernard-Lazare qursquoil eacutetait mort

avant drsquoecirctre mort parce qursquoil avait eacuteteacute oublieacute Le but du portrait de Bernard-Lazare

128

placeacute au centre de ce texte est justement de lui rendre la meacutemoire de la restituer de

lutter contre son oubli sa mort avant sa mort Peacuteguy eacutecrit que laquo Dans la mort mecircme

tout le poids de son peuple lui pesait aux eacutepaules raquo (III 78) Il va jusqursquoagrave dire que sa

mort arrangeait certains parce que Bernard-Lazare teacutemoignait drsquoune justice et

portait une responsabiliteacute qui eacutetait trop lourde pour les autres en jouant un rocircle de

bouc eacutemissaire (sans ecirctre litteacuteralement tueacute certes juste oublieacutehellip) et de martyr Aux

yeux de Peacuteguy mourir oublieacute de tous dans la solitude est une forme de sacrifice

qui fait du mort un martyr

Ces trois morts celle du camarade de Lakanal de la vieille dame du faubourg

Bourgogne et celle de Bernard-Lazare eacutetaient agrave ses yeux des morts silencieuses et

secregravetes Lrsquoultime œuvre poeacutetique de Peacuteguy Egraveve se termine par la description de

deux morts laquo parallegraveles raquo publiques visibles des morts de saintes la mort de

Jeanne drsquoArc et celle de sainte Geneviegraveve de Paris Elles sont unies par un regard

tourneacute vers la Croix et surtout par lrsquoattitude propre au guetteur biblique de celles

qui attendent non la mort mais la rencontre

Ces yeux qui tant avaient guetteacute les hirondelles

Ne guettegraverent plus rien que les dons de lrsquoEsprit

Ces yeux qui tant avaient guetteacute les hirondelles

Ne guettegraverent plus rien que de voir Jeacutesus-Christ

Mais crsquoest aussi curieusement le regard des autres Crsquoest une mort exemplaire

et tellement diffeacuterente Sainte Geneviegraveve donne lrsquoexemple drsquoune mort paisible et

sereine drsquoun simple passage qui megravene vers Dieu Jeanne drsquoArc donne lrsquoexemple de

la mort drsquoun martyr

Pour conclure ce chapitre il convient de rappeler que pour Peacuteguy apregraves 1907

ce qui fait principalement drsquoun homme un saint ce nrsquoest pas vraiment la pratique

des vertus mais la gracircce de Dieu Neacuteanmoins on ne peut pas dire lagrave non plus qursquoil

y ait eu une laquo conversion raquo et un changement radical drsquoideacutees de positions La

maniegravere dont Peacuteguy deacutecrit lrsquoaction de la gracircce sur un homme est tregraves proche de sa

description du geacutenie et du heacuteros qui ont un rapport particulier au temps et agrave

lrsquoeacuteveacutenement qui sont ce qursquoils sont parce qursquoils ont pu deacuteceler lrsquoeacuteveacutenement et y

129

reacutepondre promptement sans tarder La gracircce permet cela elle ouvre lrsquohomme au

reacuteel qursquoil soit en employant les termes de Peacuteguy charnel ou spirituel Mais aussi

elle rend heureux mecircme dans le malheur Peacuteguy en parle longuement dans ses

pages sur Corneille dans Victor-Marie comte Hugo

La conclusion de Louis de Gonzague un texte publieacute quelques anneacutees plus tocirct

que la laquo conversion officielle raquo de Peacuteguy est lrsquoun des rares textes ougrave il parle

directement de la vertu Ce texte est une preacutesentation drsquoun recueil de poegraveme du

sioniste Andreacute Spire intituleacute Et vous riez recueil plein de poegravemes aussi gais

qursquoamers reacuteagissant agrave la reacutealiteacute des eacuteveacutenements mais aussi agrave la reacutealiteacute de la vie

inteacuterieure du poegravete Peacuteguy y relate lrsquohistoire de saint Louis de Gonzague qui a dit agrave

ses camarades qursquoil continuerait de jouer agrave la balle mecircme si on lui disait que le

Jugement dernier adviendrait dans un quart drsquoheure Peacuteguy aimait cette histoire

puisqursquoil lrsquoutilisait aussi dans le Mystegravere de la chariteacute de Jeanne drsquoArc Dans ce

texte cette histoire donne lrsquoexemple drsquoune reacuteponse agrave lrsquoeacuteveacutenement qui prend en

compte lrsquoeacuteveacutenement mais de maniegravere non conventionnelle en consideacuterant les deux

reacutealiteacutes la reacutealiteacute charnelle et la reacutealiteacute mystique

Voilagrave comment Peacuteguy conclut ce texte en post scriptum apregraves la signature

laquo Surtout gardons ce treacutesor des humbles cette sorte de joie entendue qui est la fleur

de la vie cette sorte de sainte gaieteacute qui est la vertu mecircme et plus vertueuse que la

vertu mecircme raquo (II 388)

130

CHAPITRE III LES SAINTS PATRONS

Le saint patron est en quelque sorte patron de laquo lrsquoecirctre raquo de celui dont il est le

patron de ce qursquoil fait et de ses actions Il est aussi certes patron du lieu

drsquoenracinement du sujet de celui dont il est le patron patron drsquoun lieu et donc des

gens qui lrsquohabitent ougrave qui y viennent patron drsquoun meacutetier et donc des personnes qui

lrsquoexercent patron de ceux qui passent par la mecircme eacutepreuve (voyage maladie)

patron de la personne qui porte le mecircme nom Peacuteguy explique de maniegravere tregraves claire

ce qursquoest un saint patron dans Le Porche du mystegravere de la deuxiegraveme vertu ougrave en

parlant de saint Pierre patron de son fils Pierre Peacuteguy il dit que laquo pour celui qui

veut entrer au Paradis crsquoest bien le plus grand patron que lrsquoon puisse inventer Car il

est agrave la porte et il a la porte et il est le portier et il a les clefs raquo (OPD 666) Dans les

textes de Peacuteguy le saint patron fait eacuteternellement le travail que Dieu lui a confieacute de

son vivant son travail eacuteternel correspond souvent agrave son iconographie traditionnelle

et aux repreacutesentations populaires du saint

Chez Peacuteguy on trouve tous ces cas sainte Geneviegraveve est patronne de Paris

saint Louis est celui de la France et Peacuteguy mentionne aussi saint Aignan patron de

sa premiegravere paroisse Il deacutecrit aussi Bernard-Lazare comme le laquo patron raquo des

Cahiers de la quinzaine dans la mesure ougrave il exerccedilait ce mecircme meacutetier de journaliste

de maniegravere exemplaire Jeanne drsquoArc repreacutesente un cas agrave part pour Peacuteguy elle est

plus qursquoune sainte patronne mais il semble qursquoen tant que patronne elle assume le

patronage de ceux qui osent lrsquoaction en puisant la force dans la gracircce comme les

saints et dans la laquo race raquo comme les heacuteros

En parlant de lrsquoimportance des saints patrons pour Peacuteguy Dom Charles Poulet

eacutecrit laquo Pour sa part Peacuteguy vit en si profonde intimiteacute avec les saints qursquoil eacutecrit

parfois agrave des amis agrave seule fin de leur rappeler la fecircte de lrsquoun ou lrsquoautre de ses

131

patrons Cela lui constitue une telle atmosphegravere de surnaturel qursquoil est comme un

homme circulant parmi ses amis allant de groupe en groupe raquo136

Effectivement dans la correspondance de Peacuteguy notamment avec son ami

Joseph Lotte on trouve bon nombre de lettres qui contiennent seulement ces mots

laquo aujourdrsquohui fecircte drsquountel Peacuteguy raquo

1 Le saint patron comme acteur de lrsquoenracinement

Lrsquoenracinement constitue lrsquoun des concepts-cleacutes de lrsquoœuvre de Peacuteguy

Lrsquoenracinement comme processus comme action indispensable pour la construction

de la citeacute harmonieuse consiste pour Peacuteguy agrave vivre comme un arbre ayant toujours

la conscience de ses racines de sa race profonde Crsquoest dans la race qursquoon trouve la

force pour agir Cette race ce sont les ancecirctres le peuple la paroisse le pays et le

travail commun le travail des pegraveres qui reste le mecircme qursquoaujourdrsquohui

Peacuteguy a toujours eacutevoqueacute ses origines paysannes ses ancecirctres travaillaient la

vigne et il se disait donc paysan ou plus souvent bucirccheron il parlait de ses liens

tregraves profonds presque physiques avec la terre mais bien qursquoil ait eacuteteacute en fait eacuteleveacute

par une grand-megravere illettreacutee et une megravere rempailleuse de chaises en reacutealiteacute Peacuteguy

nrsquoa jamais eacuteteacute un paysan En allant au lyceacutee et plus tard en entrant agrave lrsquoEacutecole

Normale Peacuteguy a de fait rompu avec ses racines Mais toute sa vie tout son

heacuteritage est drsquoabord une prise de conscience et une reacuteflexion sur ses racines

propres puis sur lrsquoenracinement en geacuteneacuteral enracinement de lrsquohomme de la

nation du socium dans sa terre sa culture son histoire sa foi Il eacutecrit laquo Ma peau

sera une eacutecorce [] Puisseacute-je eacutecrire comme ils accolaient la vigne raquo (I 671-673)

Peacuteguy nrsquoa pratiquement jamais voyageacute les deux voyages qursquoon lui connaicirct agrave

part le pegravelerinage agrave Chartres nrsquoont pas eacuteteacute accomplis dans le but de voir du pays

136 POULET Charles (Dom) La Sainteteacute franccedilaise contemporaine Convertis Paris Beauchesne et ses fils 1952 p 236

132

mais dans lrsquoesprit des pegravelerinages il est alleacute agrave Orange du temps de ses eacutetudes agrave

lrsquoEacutecole Normale pour voir Mounet-Sully dans Œdipe-roi au theacuteacirctre antique agrave la

mecircme eacutepoque il est alleacute agrave Domreacutemy pour pouvoir deacutecrire les lieux dans sa premiegravere

Jeanne drsquoArc Son amour pour la France nrsquoest pas lrsquoamour drsquoun pays qursquoon aurait

arpenteacute qursquoon connaicirct de bout-en-bout et dont on admire la beauteacute Andreacute Rousseau

explique bien cet amour pour la France dans son livre Le Prophegravete Peacuteguy

Son culte de la France se concentre pour y ecirctre pratiqueacute agrave plein au cœur mecircme exact rigoureux de la terre franccedilaise Son royaume est celui des premiers Capeacutetiens qui sans sortir drsquoentre Orleacuteans et Paris faisaient deacutejagrave valoir dans lrsquounivers chreacutetien une France agrave qui rien ne manquait virtuellement de toutes ses grandeurs Crsquoest dans ce corps essentiel de la France qursquoil en atteint lrsquoesprit ou pour mieux dire lrsquoacircme Et non pas par quelque opeacuteration de spiritualisme poeacutetique qui exhalerait des sillons de la Beauce les nueacutees drsquoune idole vaporeuse Mais par lrsquoacte religieux par lrsquoacte chreacutetien qui accorde agrave cette terre centrale lrsquoacircme des franccedilais et des chreacutetiens qui y naissent et qui y meurent lrsquoacircme des hommes qui en ont fait sortir les catheacutedrales de Chartres et de Paris Non pas par une deacutesincarnation de lrsquoIle de France comme on lrsquoobserve chez Nerval quand il recircve dans le Valois Mais par cette perpeacutetuelle incarnation qui eacutetant lrsquoarticulation de toute la chreacutetienteacute doit articuler agrave plus forte raison la vie de la France reine de la chreacutetienteacute137

Descendant de cultivateurs Peacuteguy a beaucoup eacutecrit sur les travaux saisonniers

de la terre se reacutepeacutetant drsquoanneacutee en anneacutee de siegravecle en siegravecle ils unifient le temps

dont ils font un tout si bien que Jeanne drsquoArc sa sainte preacutefeacutereacutee apparaicirct presque

comme notre contemporaine Par lagrave-mecircme le lien avec la terre nous enracine dans

le temps Les saints qui ont veacutecu sur cette terre lrsquoont sanctifieacutee par leur preacutesence ils

la protegravegent rendent ses racines encore plus solides car elles plongent deacutejagrave dans

lrsquoeacuteterniteacute Jeanne gardait les moutons dans les champs de Lorraine ougrave aujourdrsquohui

encore on garde les moutons Le saint pour Peacuteguy crsquoest celui qui accomplit le

plus exactement sa tacircche sur la terre et continue agrave proteacuteger les travailleurs celui

qui par la reacutealisation exacte et obeacuteissante de ce agrave quoi il est affecteacute srsquoest enracineacute

dans ce monde

Peacuteguy deacutecrit de maniegravere tregraves explicite le rocircle du saint dans lrsquoenracinement dans

sa Priegravere drsquoinseacuterer du laquo Mystegravere de la chariteacute de Jeanne drsquoArc raquo

dans ce peuple chreacutetien la sainteteacute poussait pour ainsi dire toute seule simple et srsquoignorant elle-mecircme non point travailleacutee par des exercices par des forcement de terre mais litteacuteralement en pleine serre comme une fleur du pays comme une plante

137 ROUSSEAU Andreacute Le Prophegravete Peacuteguy Edition de la Baconniegravere Neuchatel 1954 p 182-183

133

vigoureuse et vivace fille du terroir naturelle en ce sens autant que surnaturelle et qui enfonccedilait dans le sol des racines drsquoune profondeur incroyable138

Ainsi la sainteteacute est agrave la fois le fruit de lrsquoenracinement drsquoun peuple dans sa

terre son histoire son passeacute sa foi dans la chreacutetienteacute et ce qui rend les racines

encore plus profondes elle est en mecircme temps la raison et la cause de

lrsquoenracinement

Pour Peacuteguy la terre crsquoest toujours la patrie la terre qui passe de pegravere en fils la

terre du peuple Ce peuple que Peacuteguy le plus souvent appelle la race mais la race

dans sa conception nrsquoa aucun rapport avec le sang lrsquoheacutereacutediteacute etc Le sens du

mot laquo race raquo chez Peacuteguy correspond agrave la deacutefinition qursquoen donne le dictionnaire

Littreacute laquo Tous ceux qui viennent drsquoune mecircme famille raquo avec cette preacutecision laquo La

race est la famille consideacutereacutee dans la dureacutee raquo De cette faccedilon la race pour Peacuteguy ce

sont les racines historiques humaines qui remontent des profondeurs ce dans quoi

plonge la meacutemoire ce sont les geacuteneacuterations qui se suivent les unes apregraves les autres

qui installent chaque homme dans le temps et font de chaque homme ou de chaque

groupe drsquohommes des heacuteritiers du passeacute Lrsquoheacuteritage des peuples juif grec et romain

se prolonge dans le peuple franccedilais la race franccedilaise La race se forme par lrsquoaction

de lrsquohomme dans lrsquohistoire Dans sa poeacutesie Peacuteguy joue souvent sur le fait qursquoen

franccedilais les mots laquo race raquo et laquo racine raquo sont phoneacutetiquement proches

Pierre Citti eacutecrit ainsi laquo La race fait allusion agrave une autre ideacutee du temps agrave la

persistance drsquoun passeacute inteacuterioriseacute dans la meacutemoire inconsciente des peuples mecircme

si nul chroniqueur nrsquoen a recueilli lrsquointeacutegraliteacute raquo139

Aujourdrsquohui au XXIe siegravecle ce mot est controverseacute mais pour Peacuteguy qui

deacutetestait toutes les formes drsquoexclusion il ne renvoyait en aucune maniegravere agrave lrsquoideacutee de

laquo pureteacute raciale raquo

Bondir agrave chaque rencontre du mot race crsquoest donc mal comprendre lrsquoaffectiviteacute de cette eacutepoque recircve drsquoeacutenergie appliqueacute aux ressources humaines drsquoune collectiviteacute lrsquoimagination de la race en est une composante geacuteneacuterale et nrsquoengendre pas

138 PEacuteGUY Charles LOTTE Joseph Lettres et entretiens Paris Editions de Paris 1954 p 65 139 CITTI Pierre opcit p 159

134

automatiquement des theacuteories laquoracistesraquo pas plus qursquoen proscrivant cette notion on nrsquoabolit les comportements xeacutenophobes140

La race pour lui crsquoest la forme parfaite de lrsquoheacuteritage de la transmission

laquo verticale raquo qui ne srsquoimpose pas mais vient de lrsquointeacuterieur la race est lieacutee aux

racines Si Peacuteguy nrsquoutilise pas le mot laquo enracinement raquo qui est entreacute dans le langage

philosophique franccedilais avec Simone Weil celui barreacutesien de deacuteracinement eacutetant

plutocirct utiliseacute du temps de Peacuteguy il eacutecrit tout de mecircme dans le Dialogue de

lrsquohistoire et de lrsquoacircme charnelle laquo La racination le racinement de lrsquoeacuteternel par la

race et dans le peuple Dans le temps Lrsquoacircge temporel de lrsquoeacuteternel heacutebreu Lrsquoacircge

temporel de lrsquoeacuteternel chreacutetien raquo (III 624)

Dans son livre Le Meacutecontemporain Peacuteguy lecteur du monde moderne Alain

Finkielkraut eacutecrit qursquoen 1905 apregraves la visite qursquoeffectue agrave Tanger Guillaume II141

Peacuteguy prit conscience du fait que la personnaliteacute de chaque homme est conditionneacutee

par lrsquoeacuteveacutenement historique et geacuteographique La liberteacute ce nrsquoest donc pas seulement

un principe mais aussi la terre qursquoil faut deacutefendre laquo Lrsquoideacutee prend les contours du

lieu le lieu apparaicirct comme le reacuteceptacle ou le point drsquoappui de lrsquoideacutee [] Loin

donc de choisir la soliditeacute de la terre contre lrsquoeacutether de la liberteacute Peacuteguy voit la liberteacute

atterrir et crsquoest cette deacutecouverte qui le conduit agrave se mettre au service de la

nation142 raquo

Pour Peacuteguy lrsquohomme est inseacuteparable de la terre sur laquelle il vit Son

nationalisme nrsquoexclut personne Si quelqursquoun grandit sur la terre de France il est

sans aucun doute Franccedilais Peacuteguy est nationaliste par amour pour son pays et non

par haine des autres pays Ce nrsquoest pas une question drsquoorigine ou drsquoappartenance

mais une question de geacuteographie et de maturation de lien de lrsquohomme avec le

temps Le pays connaicirct celui qui grandit en lui il a vu comment il est neacute Mais

lrsquohomme par son travail rend agrave la terre le devoir de maturation on laboure la terre 140 Ibid p 167 141 Le 31 mars 1905 lrsquoempereur Guillaume II fit une visite agrave Tanger et au cours de cette rencontre solennelle organiseacutee par les autoriteacutes marocaines il condamna publiquement lrsquoaccord anglo-franccedilais sur le Maroc de 1904 selon lequel la France devait jouer un rocircle de premier plan au Maroc lrsquoAllemagne ne jouant qursquoun rocircle sans importance Cette deacuteclaration fut la cause de la premiegravere crise marocaine 142 FINKIELKRAUT Alain Le Meacutecontemporain Peacuteguy lecteur du monde moderne Paris Gallimard 1992 p 89

135

sans penser aux autres terres notre pays est proportionneacute au champ que nous

sommes capables de cultiver La terre est geacuteneacutereuse elle est feacuteconde nous apporte

aussi le fruit de lrsquohistoire des hommes qui vivent sur cette terre bien que le poegravete

parle drsquoune laquo tragique histoire (OPD 1150) raquo Dans la Preacutesentation de la Beauce agrave

Notre Dame de Chartre Peacuteguy eacutecrit

Deux mille ans de labeur ont fait de cette terre

Un reacuteservoir sans fin pour les acircges nouveaux (OPD 1140)

Lrsquoenracinement est possible par la fideacuteliteacute et la pleine preacutesence attentive Pour

Peacuteguy lrsquoamitieacute avait une immense importance tout comme la fideacuteliteacute aux amis

Lrsquoenracinement dans les relations horizontales synchroniques ici et maintenant est

enracinement dans la Rencontre Les amis se reconnaissent de la mecircme laquo race raquo ils

ont des racines communes car lrsquoamitieacute ne peut exister sans profondeur commune

au cœur mecircme de lrsquoamitieacute il y a la fideacuteliteacute (II 183) Pourtant lrsquoenracinement dans

lrsquoamitieacute lrsquoenracinement dans lrsquoautre rend lrsquohomme tregraves fragile car il nrsquoest plus seul

agrave cultiver et agrave arroser les racines la communauteacute de racines exige une

responsabiliteacute commune et la rencontre peut devenir un pas vers le sacrifice

Les saints patrons chez Peacuteguy sont des acteurs de lrsquoenracinement Le saint

patron drsquoun lieu permet aux personnes qui lrsquohabitent mecircme agrave celles qui viennent

drsquoarriver de srsquoenraciner puisque tous ceux qui vivent dans le lieu qursquoil protegravege

deviennent membre de sa famille et partagent un mecircme ancecirctre Ainsi pour Peacuteguy

les personnes qui vivent sous le mecircme patronage sont de la mecircme race Jean

Delaporte le dit bien dans son livre Connaissance de Peacuteguy

Les saints au long de leur eacuteterniteacute demeurent mecircleacutes agrave la vie quotidienne de leurs fregraveres les hommes pour les sauver Comme le sang de lrsquoartegravere et le sang de la veine irriguent le corps entier selon les pulsations drsquoun mecircme cœur une double circulation de gracircce nourrit lrsquoEacuteglise militante et lrsquoEacuteglise triomphante Un courant remonte de la terre vers le ciel et crsquoest lrsquointercession un courant redescend des saints vers les hommes et crsquoest le patronage143

143 DELAPORTE Jean Connaissance de Peacuteguy II Paris Plon 1959 p 219

136

a) Les saints patrons et leur travail

En devenant patrons drsquoun meacutetier les saints creacuteent un lien dans le temps une

dureacutee qui prend source dans le saint travailleur et continue dans chaque personne

qui exerce ce meacutetier Non seulement elles sont unies par le mecircme travail mais aussi

par le mecircme patron la mecircme personne exemplaire agrave qui elles peuvent se reacutefeacuterer

qursquoelles peuvent imiter et agrave qui elles peuvent demander sa protection En quelque

sorte le saint continue tout simplement apregraves sa mort le mecircme travail qursquoil faisait

sur terre Or ceux qui font le mecircme travail srsquoenracinent dans la dureacutee dans

lrsquoimitation dans la continuiteacute du labeur Le chapitre preacuteceacutedent se terminait par

lrsquoinsistance de Peacuteguy sur la vertu de la joie laquo Lrsquoeacutethique aristoteacutelicienne vise le

bonheur comme finaliteacute propre de lrsquohomme et lrsquoaction est le moyen de lrsquoatteindre

la pratique concregravete des vertus morales megravene agrave lrsquoaccomplissement de la nature

humaine raquo eacutecrit ainsi Alain Thomasset144 Et Peacuteguy est tregraves proche drsquoAristote dans

sa perception de la joie et de la vertu

Marc Gaucherand auteur drsquoune thegravese sur Le sens du travail dans la penseacutee de

Charles Peacuteguy observe pour sa part

La caracteacuteristique de la participation des saints agrave lrsquoœuvre du Salut crsquoest lrsquoadeacutequation de leur mission et du travail temporel Sainte Jeanne drsquoArc et Sainte Geneviegraveve de mecircme que Jeacutesus ont drsquoabord eacuteteacute de laquo petites gens raquo dont les travaux de jeunesse ne furent pas uniquement des exercices mais de veacuteritables engagements La sainteteacute ne srsquoeacutedifie pas en rupture avec la vie simple du charpentier ou de la bergegravere puisque ceux-ci eacutetaient deacutejagrave des saints priveacutes145

En effet dans Un nouveau theacuteologien M Fernand Laudet Peacuteguy parle de

deux formes de sainteteacute la sainteteacute priveacutee et la sainteteacute publique la seconde

constitue un travail en soi parce qursquoelle fait partie de la Reacutedemption ou du Ticcoun

Olam Pour Peacuteguy le travail perccedilu comme vocation sanctifie la personne et

contribue agrave sa sainteteacute mais aussi le saint sanctifie le travail qursquoil effectue en le

transformant en service pour Dieu En eacutelargissant ainsi lrsquoideacutee du travail contribuant

agrave lrsquoœuvre de la Reacutedemption Peacuteguy reste fidegravele agrave la mystique juive selon laquelle il

nrsquoy a pas de forme de vie religieuse exceptionnelle mais nrsquoimporte quelle vie 144 THOMASSET Alain Opcit p 308 145 GAUCHERAND Marc opcit p 196

137

qursquoelle soit publique ou priveacutee et nrsquoimporte quel travail bien fait qursquoil soit public

ou priveacute peut contribuer agrave reacuteparer le monde agrave participer au Ticcoun Olam

Il se peut aussi qursquoune personne qui a meneacute une vie priveacutee cacheacutee soit

canoniseacutee sa vie devient alors publique Dans ce cas comme lrsquoeacutecrit Marc

Gaucherand laquo Agrave lrsquoimage du Christ [hellip] la vie publique des saints reprend

lrsquoessentiel de leur vie priveacutee Cette reprise porte plus preacuteciseacutement sur le travail

puisque celui-ci se trouve au centre des autres valeurs raquo146 Il poursuit en expliquant

que Peacuteguy distingue dans son œuvre la participation agrave lrsquoœuvre de la Reacutedemption

tacircche des saints publics et la participation agrave lrsquoœuvre de la Creacuteation tacircche des saints

priveacutes

Ainsi tout chreacutetien se voit appeleacute agrave lrsquoœuvre du Salut Dans une vision tregraves communautaire caracteacuteriseacutee par sa conception de la paroisse et de lrsquoEacuteglise comme peuple de Dieu Peacuteguy affirme que le Salut individuel ne doit pas se faire contre les autres mais avec eux Aimer dieu nrsquoest pas exclusif de lrsquoamour des autres Bien au contraire comme nous le reacutevegravelent les Eacutevangiles les deux commandements sont indissociables Il srsquoagit du travail comme redevance drsquoamour147

Dans la mesure ougrave nrsquoimporte quel travail contribue agrave lrsquoœuvre du Salut mecircme le

travail quotidien le plus humble et banal peut ecirctre une forme drsquoimitation de Jeacutesus

le travail de tous les jours devient un travail pour les autres pour la communauteacute

une contribution agrave la construction de la citeacute harmonieuse

b) Saint Louis

Parmi les saints patrons eacutevoqueacutes par Peacuteguy le saint roi Louis occupe une place

importante Peacuteguy mentionne souvent la chronique de Joinville si son attention se

porte souvent sur le chroniqueur le teacutemoin la vocation eacutetant importante pour lui le

personnage principal de cette chronique est aussi tregraves preacutesent dans son œuvre

Saint Louis eacutetait lrsquoun des patrons secondaires de la France sous la monarchie

franccedilaise mais il nrsquoy a pas eu drsquoautorisation officielle du Saint Siegravege concernant le

saint roi Selon les autorisations de patronage deacutelivreacutee par le Vatican jusqursquoagrave la 146 Ibid p 198 147 Ibid p 199

138

canonisation de Jeanne drsquoArc la seule patronne de la France eacutetait la Vierge Marie

Cependant dans le culte des saints patrons la tradition a toujours eacuteteacute plus forte que

lrsquoautoriteacute officielle ainsi Peacuteguy reconnaissait Saint Louis comme lrsquoun des patrons

de la France dans la mesure ougrave il a eacuteteacute son roi Comme il a eacuteteacute dit plus haut pour

Peacuteguy le saint continue apregraves la mort la tacircche qui lui a eacuteteacute confieacutee durant sa vie

ainsi la tacircche du roi de France eacutetait drsquoecirctre le patron de la France Il reacuteunit donc les

deux formes de patronage possibles il est patron de la France parce qursquoil lrsquoa

habiteacutee et parce que de son vivant la France lui a eacuteteacute confieacutee

Pierre Suire montre dans son livre Le tourment de Peacuteguy comment le saint roi

Louis personne publique par excellence devient chez Peacuteguy un exemple des vertus

priveacutees tellement importantes pour lrsquoauteur

La vie de saint Louis fut marqueacutee de vertus priveacutees projeteacutees dans la vie publique et cela attire Peacuteguy Comme roi comme croiseacute et comme malade il faisait appel aux mecircmes disciplines [hellip] Pour lui le gouvernement de la France devait ecirctre imiteacute de celui de Nazareth Le respect des vertus domestiques donne des secrets qui deacutebordent le cadre familial [hellip] Il deacutesirait que chacun de la cour eucirct la mecircme devise Il avait la passion profonde des devoirs de sa charge le goucirct de lrsquoautoriteacute le sentiment des responsabiliteacutes et un amour sans deacutefaillance pour ses sujets Il a laisseacute rappelle Peacuteguy un deacutecalogue des rois qui enseigne en toutes circonstances de respecter le peuple et de ne pas lrsquoaccabler Il eacutetait de lrsquoordre de la chevalerie il eacutetait homme de la courtoisie [hellip] La royauteacute de saint Louis eacutetait invincible et eacuteternelle elle eacutetait grande et impeacuterissable parce qursquoelle eacutetait dans lrsquoordre de la mesure et de la force148

Saint Louis pour Peacuteguy incarne la justice et la liberteacute Quand Peacuteguy est lui-

mecircme parti agrave la guerre les mots drsquoadieu qursquoil avait adresseacutes agrave Geneviegraveve Favre (laquo je

pars soldat de la Reacutepublique pour le deacutesarmement geacuteneacuteral et la derniegravere des

guerres raquo149) eacutetaient en quelque sorte une suite de sa phrase dans la Note conjointe agrave

propos de Saint Louis laquo Telle est la guerre chreacutetienne puisqursquoil faut bien que ces

deux mots aillent ensemble Une juste guerre agrave deacutefaut drsquoune juste paix et pour

preacuteparer une juste paix Et la croisade elle-mecircme est une juste guerre raquo (III 1354)

Il voyait deacutejagrave des guerres pour la paix dans les guerres meneacutees par le saint roi Louis

Quand Peacuteguy part agrave la guerre il srsquoenracine dans cet heacuteritage des justes guerres de

saint Louis qursquoil compare dans la Note Conjointe aux injustes guerres et traiteacutes de 148 Pierre SUIRE Le tourment de Peacuteguy Paris Robert Laffont 1956 p 180-181 149 Citeacute par Daniel Haleacutevy Peacuteguy Paris Pluriel 1979 p 380

139

son petit-fils Philippe le Bel Crsquoest deacutejagrave la comparaison entre la mystique et la

politique la politique moderne dans le sens peacutejoratif que lui donne Peacuteguy ougrave laquo la

guerre est voulue profitable raquo (ibid) Pour Peacuteguy la royauteacute telle qursquoelle fut au

temps de saint Louis aurait pu ecirctre eacuteternelle et invincible si elle eacutetait resteacutee fidegravele

enracineacutee dans la tradition ou plutocirct le mythe du roi chreacutetien du roi oint par Dieu

laquo Si elle fucirct demeureacutee dans lrsquoordre de la mesure elle eacutetait la plus grande Si elle fucirct

demeureacutee dans lrsquoordre de sa force elle eacutetait impeacuterissable raquo (III 1355)

Andreacute Rousseaux commente ainsi ce que Peacuteguy eacutecrit sur saint Louis

La politique inteacuterieure qui est fidegravele au noble jeu se reconnaicirct elle aussi agrave cette eacuteleacutevation Le chef que cette politique eacutetablit quand il srsquoappelle saint Louis roi de France ne tient pas son autoriteacute de lrsquoesprit de domination mais de cet esprit de noble deacutepassement Et crsquoest lagrave le principe inestimable de son autoriteacute un principe que Peacuteguy tiendrait volontiers pour sacreacute Car il lie lrsquoautoriteacute royale agrave ce noble jeu de la liberteacute et de lrsquohonneur qui est le jeu mecircme de lrsquohomme avec la gracircce de Dieu150

Crsquoest dans un passage sur saint Louis dans Un nouveau theacuteologien M Fernand

Laudet que Peacuteguy deacutefinit le saint patron il est laquo le maicirctre et le modegravele raquo (III 574)

Saint Louis explique justement Peacuteguy constitue laquo le maicirctre et le modegravele de

Jeanne drsquoArc raquo

c) Jeanne drsquoArc patronne de France

Il faudrait preacuteciser que du temps de Peacuteguy Jeanne drsquoArc nrsquoeacutetait pas encore

canoniseacutee elle nrsquoeacutetait donc pas encore reconnue comme la patronne secondaire de

la France Elle a eacuteteacute beacuteatifieacutee en 1901 soit deux ans avant la parution du Laudet

Exactement comme saint Louis eacutetait le modegravele et le maicirctre de Jeanne parce

qursquoil eacutetait roi de France donc de ce royaume que Jeanne voulait servir celle-ci

veut lrsquoimiter lui qui proteacutegeait son royaume et crsquoest ainsi qursquoelle devient selon

Peacuteguy le modegravele et la maicirctresse de la France et des Franccedilais elle deacutefend sa patrie

comme tout Franccedilais devrait le faire et elle continue de la proteacuteger eacuteternellement

comme elle lrsquoavait fait de son vivant Elle est la patronne de Domreacutemy parce

150 Andreacute Rousseau opcit p 211

140

qursquoelle y a travailleacute prieacute et reccedilu sa vocation Elle est la patronne de la France parce

qursquoelle y a travailleacute au labeur de la guerre parce qursquoelle y a accompli sa vocation de

sainte protectrice de la France parce qursquoelle y est morte en martyr Dans Le Mystegravere

de la chariteacute de Jeanne drsquoArc Hauviette dit en parlant de la priegravere de Jeannette

laquo Jamais les croix des chemins nrsquoavaient tant servihellip raquo (OPD 407) Crsquoest ainsi que

Jeannette commenccedilait son travail de patronne drsquoun lieu de son village de naissance

par la priegravere aupregraves de toutes les croix des chemins La trilogie Jeanne drsquoArc se

termine par la priegravere de Jeanne qui intercegravede pour tous laquo Jeacutesus sauvez-nous tous agrave

la vie eacuteternelle raquo (OPD 299) Ces derniegraveres paroles pour Peacuteguy sont le deacutebut de

son travail eacuteternel Dans Le Mystegravere de la Chariteacute Madame Gervaise deacutecrit le

travail du salut comme un travail humain manuel une tacircche lourde et eacutepuisante

elle dit en parlant de Jeacutesus qursquoil a gagneacute les acircmes des justes

Сomme un pauvre journalier qui travaille dans les fermes

Comme un pauvre ouvrier qui se deacutepecircche de travailler

Tout ce qursquoil avait amasseacute

Tout ce qursquoil avait pu ramasser drsquoacircmes en travaillant bien

Une pleine brasseacutee

Tout ce qursquoil pouvait tenir dans ses deux mains

[hellip]

Tout ce qursquoil pouvait tenir dans ses bras

Dans ses bras eacuteternels

Les acircmes de justes qursquoil avait parfumeacutees de ses vertus (OPD 466)

Tout comme Jeacutesus avait parfumeacute de ses vertus les acircmes des justes ces justes

pouvaient agrave leur tour sauver drsquoautres acircmes ce parfum de vertu faisait des justes des

saints patrons qui alors devenaient maicirctres et modegraveles pour drsquoautres saints Crsquoest la

communion des saints qui creacutee ainsi lrsquoenracinement dans la vertu la sainteteacute la

gracircce

La Jeannette de Peacuteguy lie directement lrsquoheacuteritage de la sainteteacute agrave la force de

lrsquoenracinement dans une terre devenue sainte

Jamais les hommes de ce pays-ci jamais des saints de ce pays-ci jamais des simples chreacutetiens mecircme de nos pays ne lrsquoauraient abandonneacute Jamais de chevaliers franccedilais jamais des paysans franccedilais jamais des simples paroissiens des paroisses franccedilaises Jamais les hommes des croisades ne lrsquoauraient abandonneacute Jamais ces hommes-lagrave ne lrsquoauraient renieacute On leur aurait plutocirct arracheacute la tecircte

141

Des gens du pays lorrain Des gens du pays franccedilais (OPD 533)

Les hommes des croisades nrsquoauraient pas trahi Jeacutesus pense Jeannette parce

qursquoils venaient de la sainte terre de France comme le saint roi Louis qui les guidait

Un peu plus loin Jeannette eacutevoque les saints patrons ceux qui deviendront patrons

pour elle quand elle deviendra Jeanne la meneuse drsquohommes sainte Geneviegraveve

saint Aignan saint Loup saint Martin qui eacutetaient soldats ou qui laquo nrsquoont pas eu peur

drsquoaller au-devant des armeacutees paiumlennes raquo (OPD 535) Elle eacutevoque aussi saint

Bernard qui avait precirccheacute la deuxiegraveme croisade Quelques lignes plus loin elle dit

que laquo Crsquoeacutetaient des pasteurs ccedila raquo Voilagrave encore une deacutefinition du saint patron il est

le maicirctre qui dirige il est le modegravele qursquoil faut imiter et il est le pasteur qui garde et

qui protegravege Jeannette place sa paroisse ses proches et ses amies dans cette ligneacutee

dans cette race dans cet heacuteritage elle dit que son oncle son parrain et sa marraine

ses fregraveres sa sœur et son cureacute nrsquoauraient pas renonceacute agrave Jeacutesus lors de sa passion

parce que laquo Nos saints eacutetaient des saints qui nrsquoavaient pas peur des coups raquo (OPD

546) Elle nomme ses amies et Madame Gervaise elle-mecircme et elle nrsquoy voit pas

drsquoorgueil parce que ce nrsquoest pas de sa force et de son courage qursquoelle parle mais de

la force de la race la force de la terre celle que portent en soi les saints patrons et

qursquoils donnent agrave leur troupeau Jeannette se place elle-mecircme dans cette ligneacutee Elle

nrsquoest pas meilleure que les apocirctres mais elle est de cette terre de ce pays et de ces

gens-lagrave laquo Moi je suis sucircre que je ne lrsquoaurais pas abandonneacute Dieu mrsquoest teacutemoin que

je ne lrsquoaurais pas abandonneacute raquo (OPD 547) Sa vocation est neacutee Elle est neacutee de

lrsquoimitation du modegravele donneacute par ses saints patrons les saints de France

d) Bernard-Lazare saint patron des laquo Cahiers de la quinzaine raquo

Dans un texte de 1905 Louis de Gonzague Peacuteguy parlant de lrsquoheacuteritage

notamment de lrsquoheacuteritage juif eacutecrit laquo Et je place ce paragraphe sous lrsquoinvocation de

la meacutemoire que nous avons gardeacutee du grand Bernard-Lazare raquo (II 379) Il parle

drsquoinvocation donc drsquoune forme de meacutemoire particuliegravere la meacutemoire drsquoun saint qui

le rend preacutesent permet de lrsquoinvoquer de srsquoadresser agrave lui Pauline Bernon [Bruley]

eacutecrit dans son article laquo Le portrait de Bernard-Lazare dans Notre Jeunesse raquo que la

142

construction litteacuteraire de la figure de Bernard-Lazare dans Notre Jeunesse relegraveve

entre autres de lrsquohagiographie laquo Axe de la justice qursquoil incarne et pour laquelle il

meurt Bernard-Lazare agonisant ressemble agrave la Veacuteriteacute crucifieacutee Enfin la

mysteacuterieuse bonteacute de Bernard-Lazare se rapproche de la reacuteponse eacutevangeacutelique au

mal raquo151

En quoi est-il saint patron Et de quoi de qui est-il le patron pour Peacuteguy

Pour qui est-il maicirctre modegravele et pasteur Pour les juifs Non Parce que la relation

entre un saint patron et son troupeau est reacuteciproque Ceux qui se trouvent sous la

protection drsquoun patron lrsquoaiment lrsquoinvoquent tentent de lui ressembler Pour les

juifs Peacuteguy le dit maintes fois Bernard-Lazare eacutetait un prophegravete mecircme si on ne

lrsquoentendait pas comme il advient souvent aux prophegravetes Peacuteguy donne lrsquoeacutebauche

drsquoune reacuteponse agrave cette question dans un texte de 1907 qui nrsquoa jamais eacuteteacute publieacute de

son vivant Un poegravete lrsquoa dit ougrave il dit de Bernard-Lazare laquo nous fucircmes lrsquoœuvre ougrave il

apportacirct tout ce qui lui restait drsquoamitieacute de foi de propheacutetie de force et drsquoaction et

de vigueur vivante raquo (II 873) laquo Nous raquo laquo lrsquoœuvre raquo en question ce sont les

Cahiers de la quinzaine auxquels Peacuteguy srsquoidentifie ici en tant que creacuteateur geacuterant

et auteur Crsquoest une œuvre agrave laquelle il a beaucoup travailleacute dans laquelle il a mis

beaucoup drsquoefforts de temps Un saint patron doit en effet donner un exemple de

travail comparable au travail de ceux qursquoil va proteacuteger apregraves sa mort Peacuteguy

continue laquo Il y entra tout entier comme il eacutetait entreacute dans lrsquoaffaire Dreyfus drsquoun

seul corps ce qui eacutetait son rythme bien qursquoil nrsquoeucirct aucune raideur tout entier drsquoun

seul acte corps et cœur acircme et tout raquo (II 875) Il raconte ensuite comment Bernard-

Lazare est venu aux Cahiers justement dans la peacuteriode la plus difficile quand les

ex-collaborateurs aicircneacutes de Peacuteguy Leacuteon Blum Lucien Herr et drsquoautres se sont

opposeacutes violemment agrave son entreprise et comment en restant un ami Bernard-

Lazare a pu la conseiller le guider en tant qursquoaicircneacute plus expeacuterimenteacute comment il a

aideacute les Cahiers de la quinzaine agrave traverser lrsquoeacutepreuve

151 BERNON [Bruley] Pauline laquo Le Portrait de Bernard-Lazare raquo Notre jeunesse Lrsquoamitieacute Charles Peacuteguy ndeg126 2009 p 251

143

Pour Peacuteguy Bernard-Lazare est le saint patron des Cahiers et celui des

dreyfusards Il transmet lrsquoheacuteritage de lrsquoAffaire sur la terre de France il donne

lrsquoexemple drsquoune lutte pour la veacuteriteacute et la justice un modegravele de journalisme qui est

plus que journalisme qui est une vocation de veacuteriteacute et de justice il est le maicirctre

parce qursquoil est lrsquoaicircneacute il est le modegravele parce qursquoil srsquoest donneacute entiegraverement agrave son

travail Et il est pasteur parce que Peacuteguy le reconnaicirct en tant que tel

Peacuteguy commence le portrait de Bernard-Lazare dans Notre Jeunesse par ces

mots

Il avait indeacuteniablement des parties de saint de sainteteacute Et quand je parle de saint je ne suis pas suspect de parler par meacutetaphore Il avait une douceur une bonteacute une tendresse mystique une eacutegaliteacute drsquohumeur une expeacuterience de lrsquoamertume et de lrsquoingratitude une digestion parfaite de lrsquoamertume et de lrsquoingratitude une sorte de bonteacute agrave qui on nrsquoen remontrait point une sorte de bonteacute parfaitement renseigneacutee et parfaitement apprise drsquoune profondeur incroyable (III 57)

En deacutecrivant le caractegravere doux tendre et bon de Bernard-Lazare sa profondeur

son expeacuterience du malheur sa paix Peacuteguy donne lrsquoimage drsquoun saint comme on est

habitueacute agrave lrsquoimaginer Ce portrait de saint qui se voudrait presque conventionnel

preacutepare le terrain agrave une description qui est bien moins conventionnelle ougrave Peacuteguy

par exemple eacutevoque sa teacutenaciteacute son entecirctement mecircme dans la deacutefense de Dreyfus

Peacuteguy srsquoexclame laquo Si on lrsquoavait suivi si on avait au moins suivi son enseignement

et son exemple raquo (III 76) en deacuteplorant ce que le dreyfusisme est devenu il

preacutesente donc clairement Bernard-Lazare comme un pasteur que son troupeau

nrsquoaurait pas suivi

On trouve dans Notre Jeunesse ces mots surprenants en parlant des Cahiers de

la quinzaine Peacuteguy dit que Bernard-Lazare eacutetait laquo lrsquoami inteacuterieur lrsquoinspirateur

secret je dirai tregraves volontiers et tregraves exactement le patron raquo (III 58)

e) La vierge Marie ndash megravere de tous les humains patronne de la France

Agrave propos de la Vierge la question qui se pose est en quelque sorte la mecircme

que pour Bernard-Lazare est-il leacutegitime de la placer parmi les saints et saintes que

Peacuteguy considegravere comme saints patrons Peut-elle ecirctre consideacutereacutee dans lrsquoœuvre de

144

Peacuteguy comme maicirctresse modegravele et bergegravere Ou est-elle un ideacuteal lointain et

inaccessible

Ideacuteal ndash oui certes Peacuteguy deacutecrit la vierge Marie dans Le Porche du mystegravere

de la deuxiegraveme vertu comme infiniment pure douce noble courtoise accueillante

dans une sorte de litanie

A celle qui est infiniment riche

Parce qursquoaussi elle est infiniment pauvre

A celle qui est infiniment haute

Parce qursquoaussi elle est infiniment descendante

A celle qui est infiniment grande

Parce qursquoaussi elle est infiniment petite

Infiniment humble

Une jeune megravere

A celle qui est infiniment droite

Parce qursquoaussi elle est infiniment pencheacutee

A celle qui est infiniment joyeuse

Parce qursquoaussi elle est infiniment douloureuse

Septante et sept fois septante fois douloureuse

A celle qui est infiniment touchante

Parce qursquoaussi elle est infiniment toucheacutee (OPD 667)

Inaccessible ndash non car elle est laquo toucheacutee raquo par la douleur humaine elle est

humaine elle-mecircme mecircme si dans la Preacutesentation de la Beauce agrave Notre Dame de

Chartres Peacuteguy lrsquoappelle laquo inaccessible Reine raquo (OPD 1140) car crsquoest plutocirct de la

flegraveche de la catheacutedrale de Chartres qursquoil srsquoagit et non de la vierge Marie elle-mecircme

De plus dans un entretien avec Joseph Lotte Peacuteguy dit que dans la peacuteriode de sa

lutte contre lrsquoamour impossible interdit pour Blanche Raphaeumll quand il ne pouvait

pas dire le Notre Pegravere ne pouvant pas prononcer laquo que votre volonteacute soit faite raquo il

priait Marie

145

Les priegraveres agrave Marie sont des priegraveres de reacuteserve Crsquoest ccedila des priegraveres de reacuteserve Il nrsquoy en a pas une dans toute la liturgie pas une tu entends pas une que le plus lamentable peacutecheur ne puisse dire vraiment Dans le meacutecanisme du salut lrsquoAve Maria est le dernier secours Avec lui on ne peut ecirctre perdu152

Peacuteguy a eacuteteacute accuseacute par les critiques du Mystegravere de la chariteacute agrave cause de sa

description trop humaine de la douleur de la Vierge

Elle pleurait elle pleurait elle eacutetait devenue si laide

En trois jours

Elle eacutetait devenue affreuse

Affreuse agrave voir

Si laide si affreuse

Qursquoon se serait moqueacute drsquoelle

Sucircrement

Si elle nrsquoavait pas eacuteteacute la megravere du condamneacute (OPD 495-496)

La megravere de Dieu laide jusqursquoagrave susciter des moqueries et proteacutegeacutee non par la

splendeur de son Fils mais par sa deacutefaite quel scandale

Dans ce mecircme texte qui parle de la Vierge sur le chemin de Croix Peacuteguy dit

qursquoelle demandait laquo la chariteacute de la pitieacute Drsquoune pieacuteteacute Drsquoune certaine pieacuteteacute Pietas raquo

(OPD 484) Il fait ainsi un rapprochement surprenant voire reacutevoltant pour ses

contemporains entre la pitieacute qursquoon pourrait avoir drsquoune femme qui pleure son fils

qui va vers sa mort et la pieacuteteacute la deacutevotion la veacuteneacuteration On ne srsquoapitoie pas sur

une sainte sur la megravere de Dieu Et pourtant crsquoest bien ce sentiment lagrave que Peacuteguy

voudrait faire ressentir visiblement agrave ses lecteurs La Vierge dans ces strophes

suscite la pitieacute ce qui pour Peacuteguy srsquoagissant de la megravere de Dieu devient synonyme

de pieacuteteacute parce qursquoelle est une femme la megravere de tous les hommes or on peut avoir

pitieacute de sa propre megravere qui souffre Jean Onimus eacutecrit sur la Vierge Marie dans

lrsquoœuvre de Peacuteguy laquo Elle accomplit modestement sa tacircche terrestre jusqursquoau bout

se placcedilant ainsi au nombre de ces petites gens de ces innombrables megraveres dont la

vie fut un long sacrifice raquo153 elle devient ainsi le modegravele de toutes les femmes

dans la mesure ougrave son laquo travail raquo de sainte agrave imiter est agrave la fois le plus simple ecirctre

femme au foyer ecirctre megravere et le plus extraordinaire ecirctre megravere de Dieu Peacuteguy 152 PEacuteGUY Charles LOTTE Joseph Lettres et entretiens p 174-175 153 ONIMUS Jean La route de Charles Peacuteguy Paris Plon 1962 p 167

146

deacutecrit une femme humaine qui souffre Lrsquohumaniteacute entiegravere chaque homme chaque

femme peut srsquoenraciner dans cette souffrance dans cette vie car chaque humain est

de la mecircme racine race que la megravere de Dieu par le mystegravere de lrsquoIncarnation Il

eacutecrit qursquoelle laquo ne sentait seulement pas qursquoelle marchait Elle ne sentait seulement

pas ses pieds qui la portaient Elle ne sentait pas ses jambes sous elle [hellip] Une

pauvresse en deacutetresse Une espegravece de mendiante de pitieacute raquo (OPD 485) Est-ce

qursquoune pauvre et simple femme souffrante peut ecirctre maicirctresse modegravele et bergegravere

Pour Peacuteguy oui dans la mesure ougrave elle est la maicirctresse de ceux et celles qui sont

dans la souffrance le modegravele des pauvres la bergegravere des mendiants et de ceux qui

en ont pitieacute Pour Peacuteguy sa souffrance fait drsquoelle un modegravele parce qursquoelle-mecircme

dans sa douleur a son fils comme modegravele

Elle pleurait elle eacutetait devenue affreuse

Les cils colleacutes

Les deux paupiegraveres celle du dessus et celle du dessous

Gonfleacutees meurtries sanguinolentes

Les joues ravageacutees

Les joues ravineacutees

Les joues ravaudeacutees

Ses larmes lui avaient comme laboureacute les joues

Les larmes de chaque cocircteacute lui avaient creuseacute un sillon dans les joues

Les yeux lui cuisaient lui brucirclaient

Jamais on nrsquoavait autant pleureacute

Et pourtant ce lui eacutetait un soulagement de pleurer

La peau lui cuisait lui brucirclait

Et lui pendant ce temps sur la croix les Cinq Plaies lui brucirclaient

Et il avait la fiegravevre

Et elle avait la fiegravevre

Et elle eacutetait ainsi associeacutee agrave sa Passion (OPD 496-497)

Crsquoest par la douleur que la vierge Marie imite son fils crsquoest par la douleur

humaine qursquoelle srsquoassocie agrave la souffrance humaine de Dieu qui alors fait drsquoelle la

sainte patronne la megravere de tous les hommes Peacuteguy va jusqursquoagrave dire laquo Que lrsquoon

aurait ri certainement Et que lrsquoon se serait moqueacute drsquoelle Certainement Si elle

nrsquoavait pas eacuteteacute la megravere du condamneacute raquo (OPD 497) Plus loin Peacuteguy eacutecrit laquo Elle

147

sentait son corps comme le sien raquo (OPD 510) en poursuivant par une description

tregraves physiologique de la souffrance du Christ sur la Croix que sa Megravere ressentait

comme lui dans son propre corps Il eacutelargit ainsi la souffrance qursquoune megravere eacuteprouve

face agrave la maladie de son enfant agrave lrsquoimitation du Christ chemin de sainteteacute Dans ce

texte la Vierge nrsquoest pas choisie pour ecirctre megravere de Dieu agrave cause de sa sainteteacute mais

crsquoest Dieu qui la sanctifie par son incarnation par son humaniteacute Elle ne peut pas ne

pas lrsquoimiter dans sa Passion tout simplement parce qursquoelle est sa megravere elle est unie

agrave son enfant dans sa souffrance par sa Passion La megravere de Dieu devient ainsi le

modegravele de ceux dont on rit dont on se moque parce qursquoelle les rejoint Crsquoest la

souffrance qui a fait drsquoelle la sainte patronne des souffrants des pauvres des

mendiants le modegravele de ceux qui veulent souffrir dignement leur consolatrice

Car elle avait vieilli drsquoune eacuteterniteacute

Elle avait vieilli de son eacuteterniteacute

Qui est la premiegravere eacuteterniteacute apregraves lrsquoeacuteterniteacute de Dieu

Car elle avait vieilli de son eacuteterniteacute

Elle eacutetait devenue Reine

Elle eacutetait devenue la Reine des sept Douleurs (OPD 495)

Agrave propos de la possibiliteacute de voir dans la Megravere de Dieu dans lrsquoœuvre de Peacuteguy

un modegravele agrave imiter Heacutelegravene Chaput observe dans sa thegravese

Parce que personne nrsquoa jamais veacutecu aussi pleinement le moment preacutesent que Marie agrave lrsquoheure de son Fiat jamais non plus le divin ne srsquoest autant inseacutereacute dans lrsquohumain Crsquoest en elle qua eacuteteacute reacuteussie [hellip] la parfaite incarnation celle du Verbe aussi reste-t-elle le modegravele agrave imiter par tous ceux qui veulent vivre cette spiritualiteacute de lrsquoincarnation154

Comme par ses souffrances de megravere la Vierge Marie devient la patronne des

souffrants et tout particuliegraverement des parents Dans Le Porche du mystegravere de la

deuxiegraveme vertu Peacuteguy raconte sa propre expeacuterience de pegravere quand il a confieacute ses

enfants souffrants agrave Marie laquo Par la priegravere il vous les avait mis Tout tranquillement

dans les bras de celle qui est chargeacutee de toutes les douleurs du monde Et qui a deacutejagrave

les bras si chargeacutes Car le Fils a pris tous les peacutecheacutes Mais la Megravere a pris toutes les

douleurs raquo (OPD 657)

154 CHAPUT Heacutelegravene Le thegraveme de la vierge dans lrsquoœuvre de Peacuteguy thegravese preacutesenteacutee pour obtenir le doctorat drsquouniversiteacute agrave lrsquoUniversiteacute de Paris 1968 p 366

148

Un peu plus loin dans ce mecircme texte Peacuteguy preacutecise que la Vierge est pour lui

plus grande que les saints patrons qursquoil eacutenumegravere pourtant avec un grand amour il

nomme les saints patrons de ses enfants saint Germain sainte Germaine saint

Marcel saint Pierre Peacuteguy dit lui avoir confieacute ses enfants parce qursquolaquo Il y a des jours

dans lrsquoexistence ougrave on sent qursquoon ne peut plus se contenter des saints patrons raquo

(OPD 662) il faut alors srsquoadresser agrave celle qui est le modegravele de tous les saints

patrons la patronne de tous les hommes par excellence parce qursquoelle est laquo celle qui

intercegravede La seule qui puisse parler avec lrsquoautoriteacute drsquoune megravere raquo (OPD 667)

Dans La Tapisserie de Notre Dame Peacuteguy srsquoadresse agrave la Vierge comme agrave la

protectrice la patronne de Paris en lui offrant Paris et ses habitants La Vierge est

preacutesente dans ces poegravemes par le regard qursquoelle porte sur Paris sur la Beauce sur les

hommes le mecircme dans la dureacutee des siegravecles sa gracircce transfigure les lieux mecircmes

qui lui sont offerts laquo Mille ans de votre gracircce ont fait de ces travaux Un reposoir

sans fin pour lrsquoacircme solitaire raquo (OPD 1140) Dans ce poegraveme et dans ceux qui

suivent crsquoest la force de transfiguration sous le regard aimant et maternel de la

Vierge que Peacuteguy souligne constamment par exemple dans la Priegravere de la

reacutesidence des Quatre Priegraveres dans la catheacutedrale de Chartres on trouve dans un

long enchaicircnement de comparaisons entre Chartres et les autres endroits de ce

monde ces mots laquo Ce qui partout ailleurs est un accablement Nrsquoest ici que lrsquoeffet

de pauvre obeacuteissance raquo (OPD 1154) Cette force de transfiguration par la gracircce

accordeacutee par le regard aimant de la megravere de Dieu prend source dans la possibiliteacute du

renouvellement du nouveau laquo Voici le lieu du monde ougrave tout devient novice raquo

(OPD 1154) eacutecrit Peacuteguy La seule demande formuleacutee par Peacuteguy dans ces

Tapisseries preacuteciseacutement dans la Priegravere de demande est celle de pouvoir imiter le

Fiat de la Vierge Marie sa fideacuteliteacute

Nous ne demandons rien dans ces amendements

Reine que de garder sous vos commandements

Une fideacuteliteacute plus forte que la mort (OPD 1158)

149

2 Sainte Geneviegraveve patronne de Paris

On pourrait dire que Jeanne drsquoArc est lrsquoalter ego de Peacuteguy agrave travers ses

paroles il parle de lui-mecircme et exprime sa position drsquoauteur Crsquoest entre autres ce

qui lui permet drsquoeacutecrire une piegravece sur Jeanne dans la peacuteriode ougrave il est loin de lrsquoEacuteglise

Son rapport agrave sainte Geneviegraveve est diffeacuterent il srsquoadresse agrave elle comme agrave une sainte

dans la priegravere Cela transparaicirct aussi au niveau de la poeacutetique la poeacutesie de Peacuteguy

contenant des ideacutees philosophiques meacutetaphysiques mais sans destinataire direct

est toujours eacutecrite en vers libres Agrave lrsquoinverse tous ses poegravemes-priegraveres sont eacutecrits en

alexandrins Or tous les textes de Peacuteguy consacreacutes agrave Geneviegraveve ainsi que les textes

deacutedieacutes agrave la Vierge sont eacutecrits en alexandrins Geneviegraveve est pour Peacuteguy la sainte

patronne par excellence apregraves la Vierge Marie Dans Le Porche du mystegravere de la

deuxiegraveme vertu Peacuteguy eacutecrit laquo Geneviegraveve mon enfant eacutetait une simple bergegravere

Jeacutesus aussi eacutetait un simple berger Mais quel berger mon enfant Berger de quel

troupeau Pasteur de quelles brebis En quel pays du monde raquo (OPD 669) On voit

ici lrsquoessence de ce qursquoest le saint patron chez Peacuteguy il garde les brebis du troupeau

des hommes en imitant Jeacutesus le Pasteur Pour comprendre ce que repreacutesente le saint

patron pour Peacuteguy une analyse deacutetailleacutee des textes de Peacuteguy consacreacutes agrave sainte

Geneviegraveve srsquoimpose

Les poegravemes consacreacutes agrave sainte Geneviegraveve ndash Les tapisseries de sainte Geneviegraveve

et de Jeanne drsquoArc (janvier 1913) Sainte Geneviegraveve patronne de Paris (eacuteteacute 1913)

et la fin de la derniegravere œuvre termineacutee de Peacuteguy Egraveve ndash sont tous eacutecrits dans les

derniegraveres anneacutees de sa vie

a) Les tapisseries de sainte Geneviegraveve et de Jeanne drsquoArc

LrsquoEacuteglise fecircte sainte Geneviegraveve le 3 janvier crsquoest donc le premier jour de la

neuvaine qui lui est consacreacutee et crsquoest aussi la date du premier poegraveme des

Tapisseries Ces tapisseries sont en effet des priegraveres composeacutees pour chaque jour

de la neuvaine Peacuteguy lui-mecircme disait que ses Tapisseries sont liturgiques crsquoest-agrave-

150

dire qursquoil ne srsquoagit pas seulement drsquoune poeacutesie religieuse mais drsquoune poeacutesie ougrave

lrsquoauteur fait reacutefeacuterence agrave la tradition liturgique de lrsquoEacuteglise

Cependant Peacuteguy nrsquoaurait pas su rester longuement dans les marges eacutetroites de

la forme du sonnet Seuls les premiers poegravemes des tapisseries sont des sonnets

classiques Le cycle Les tapisseries de sainte Geneviegraveve et de Jeanne drsquoArc est

composeacute de neuf parties qui correspondent aux neuf jours drsquoune neuvaine

Le choix du titre Tapisseries est tregraves signifiant Pour Peacuteguy le meacutetier du

tisserand symbolise lrsquohistoire la meacutemoire le destin tisseacute par les Parques

Comme dans une tapisserie les fils passent disparaissent reparaissent et le fil ne suit pas seulement les rimes au sens que lrsquoon a toujours donneacute agrave ce mot de la technique du vers mais ce sont drsquoinnombrables assonances inteacuterieures rythmes et articulations de consonnes tout un immense appareil aussi parfaitement reacutegleacute que lrsquoappareil drsquoun tisserandraquo155

Les reacutepeacutetitions de strophes agrave peine modifieacutees qui se retrouvent dans plusieurs

poegravemes du cycle tissent les laquo sonnets raquo en les rassemblant dans une tapisserie unie

La priegravere pour le premier jour de la neuvaine est un sonnet classique qui

observe toutes les regravegles de composition

Premier jour

Pour le vendredi 3 janvier 1913

Fecircte de sainte Geneviegraveve

Quatorze cent uniegraveme anniversaire de sa mort

Comme elle avait gardeacute les moutons agrave Nanterre

On la mit а garder un bien autre troupeau

La plus eacutenorme horde ougrave le loup et lrsquoagneau

Aient jamais confondu leur commune misegravere

Et comme elle veillait tous les soirs solitaire

Dans la cour de la ferme ou sur le bord de lrsquoeau

Du pied du mecircme saule et du mecircme bouleau

Elle veille aujourdrsquohui sur ce monstre de pierre

Et quand le soir viendra qui fermera le jour

Crsquoest elle la caduque et lrsquoantique bergegravere

155 Citeacute dans Albert Beacuteguin Lrsquo laquo rsquoEgraveve raquo de Peacuteguy Paris Cahiers de lrsquoamitieacute Charles Peacuteguy 1948 p 219

151

Qui ramassant Paris et tout son alentour

Conduira drsquoun pas ferme et drsquoune main leacutegegravere

Pour la derniegravere fois dans la derniegravere cour

Le troupeau le plus vaste а la droite du pegravere (OPD 1081)

Peacuteguy reste dans la tradition qui voit sainte Geneviegraveve comme une bergegravere156

mais il semble deacuterouler agrave lrsquoenvers la chaicircne drsquoalleacutegories qui amegravene agrave la naissance de

ce mythe Dans ce sonnet on voit deacutejagrave le regard particulier compatissant que

Peacuteguy porte sur lrsquohistoire il dit que dans le troupeau confieacute agrave la sainte loups et

agneaux partagent laquo leurs commune misegravereraquo Le poegravete semble regarder ce troupeau

avec les yeux de la sainte qui protegravege les loups ainsi que les agneaux elle est

preacutesenteacutee non comme une simple bergegravere mais comme une imitatrice du Bon

Pasteur Par ailleurs la penseacutee de Peacuteguy reprend les donneacutees hagiographiques sur la

sainte Sa Vie parle drsquoune vision du Paradis que sainte Geneviegraveve a eue durant une

maladie Peacuteguy eacutecrit qursquoelle amegravenera laquo le troupeau le plus vaste agrave la droite du

156 Lrsquoimage de sainte Geneviegraveve ndash bergegravere assimileacute par Peacuteguy est assez eacutetonnante puisque selon sa Vita et drsquoautres documents historiographiques la sainte provenait drsquoune grande et riche famille

La premiegravere hypothegravese des raisons de cette eacutetrange transformation est lieacutee aux arts plastiques Lrsquoattribut traditionnel de sainte Geneviegraveve ndash crsquoest un cierge qursquoun deacutemon tente drsquoeacuteteindre et un ange protegravege Les auteurs de cette hypothegravese expliquent que le cierge pouvait ecirctre pris pour une houlette Mais cette hypothegravese semble douteuse parce que non seulement dans une mecircme eacutepoque mais mecircme dans une seul livre ou manuscrit la sainte eacutetaient repreacutesenteacute en bergegravere ou en grande dame avec une houlette dans une main et un cierge dans lrsquoautre ou sans houlette mais toujours avec un cierge

La seconde suppose que la transformation de lrsquohistoire de sainte Geneviegraveve est due agrave la mode pastorale mais on peut eacutegalement en douter comme la litteacuterature pastorale est plus tardive que les enluminures repreacutesentant sainte Geneviegraveve en habit de bergegravere (les premiegraveres repreacutesentations datent du deacutebut du XV s)

La troisiegraveme hypothegravese parait plus convaincante Elle appartient agrave Dom Jacques Dubois auteur du livre Sainte Geneviegraveve de Paris la vie le culte lrsquoart (Paris Beauchesne 1982) En 1450 un moine anonyme de lrsquoabbaye sainte Geneviegraveve a eacutecrit un mystegravere sur sainte Geneviegraveve mais dans ce mystegravere il srsquoagissait plutocirct de Jeanne drsquoArc Les principaux thegravemes du mystegravere eacutetant le salut de la France les monologues de Geneviegraveve rappellent ceux du procegraves de Jeanne plus encore ndash le mystegravere parle drsquoune eacutepreuve de feu que sainte Geneviegraveve a subit et dans sa Vita il nrsquoen est pas question La sainte nrsquoest pas encore nommeacutee bergegravere mais lrsquoauteur du mystegravere visiblement cherche agrave meacutelanger lrsquoimage des deux saintes Dubois propose plusieurs versions du but de cette assimilation de sujet et de personnages La Sorbonne et ceux qui lrsquoentouraient y compris lrsquoordre des Geacutenoveacutefains se sont vivement opposeacute agrave la canonisation et au culte de Jeanne drsquoArc Lrsquoabbaye de sainte Geneviegraveve avait peur de perdre les fidegraveles comme Jeanne drsquoArc devenait la sainte preacutefeacutereacutee des franccedilais les moines avait peur que sainte Geneviegraveve et leur abbaye soit oublieacutee donc reacuteunir ces deux saintes dans une image de sainte protectrice de France simple bergegravere leurs eacutetait fort utile Cette hypothegravese srsquoappuie sur le fait que Pierre le Pont auteur drsquoune eacutepopeacutee sur sainte Geneviegraveve eacutecrite en 1513 ou la sainte est bergegravere du deacutebut jusqursquoagrave la fin du reacutecit a deacutedieacute son œuvre agrave lrsquoabbeacute du monastegravere Sainte Geneviegraveve

152

Pegravereraquo Il lui donne donc le droit de guider puisqursquoelle connaicirct lrsquo laquo espace raquo du

Paradis Les saints ce sont ceux qui ont veacutecu une rencontre avec Dieu dans leur vie

terrestre et connaissent deacutejagrave ce chemin ils peuvent mener tout le troupeau au lieu

de la Rencontre rendre le salut et la Rencontre possible pour chaque homme Dans

ce sonnet on trouve aussi lrsquoune des ideacutees principales pour toute lrsquoœuvre de Peacuteguy

lrsquoideacutee de la damnation eacuteternelle lui eacutetait insupportable et cette conviction srsquoexprime

maintes fois dans sa trilogie dramatique sur Jeanne drsquoArc ainsi que dans Le Mystegravere

de la chariteacute de Jeanne drsquoArc Dans le poegraveme du premier jour de la neuvaine Peacuteguy

souligne plusieurs fois que dans le vaste troupeau du peuple de Paris le loup et

lrsquoagneau partagent le mecircme destin et qursquoau dernier jour sainte Geneviegraveve

laquo conduira drsquoun pas ferme et drsquoune main leacutegegravere le troupeau le plus vaste agrave la droite

du Pegravere raquo

Dans la priegravere du deuxiegraveme jour de la neuvaine Peacuteguy commence agrave

transgresser les regravegles de composition du sonnet les rimes ne srsquointercalent plus

elles sont toutes feacuteminines Peacuteguy laisse la premiegravere strophe sans changement et

change un seul mot dans la derniegravere en remplaccedilant laquo vaste raquo par laquo sage raquo

Deuxiegraveme jour

Pour le samedi 14 janvier 1913

Comme elle avait gardeacute les moutons agrave Nanterre

Et qursquoon eacutetait content de son exactitude

On mit sous sa houlette et son inquieacutetude

Le plus mouvant troupeau mais le plus volontaire

Et comme elle veillait devant le presbytegravere

Dans les soirs et les soirs drsquoune longue habitude

Elle veille aujourdrsquohui sur cette ingratitude

Sur cette auberge eacutenorme et sur ce phalanstegravere

Et quand le soir viendra de toute pleacutenitude

Crsquoest elle la savante et lrsquoantique bergegravere

Qui ramassant Paris dans sa sollicitude

Conduira drsquoun pas ferme et drsquoune main leacutegegravere

153

Dans la cour de justice et de beacuteatitude

Le troupeau le plus sage agrave la droite du pegravere (OPD 1081-1082)

Dans le premier quatrain Peacuteguy souligne une ideacutee importante pour lui sainte

Geneviegraveve se voit confier la tacircche de mener Paris dans le royaume ceacuteleste justement

parce qursquoelle eacutetait une bonne bergegravere pour Peacuteguy chaque travail est en effet un

engagement et une vocation voire un ministegravere Le plus important pour lui crsquoest de

bien travailler de faire ce que lrsquoon doit faire ce que lrsquoon attend de vous quelle que

soit la tacircche que lrsquoon soit berger ou chef de guerre Sainte Geneviegraveve eacutetait une

bergegravere excellente crsquoest pour cette raison qursquoelle fait paicirctre eacuteternellement le

troupeau de la ville de Paris et de ses alentours elle est responsable pour toujours

devant Dieu pour ses pacircturages Sainte Geneviegraveve conduisait les troupeaux

avec laquo exactituderaquo Le choix du mot est preacutecis crsquoest bien lrsquoexactitude qui creacutee un

lien propheacutetique entre Dieu et les hommes Le prophegravete ce nrsquoest pas celui qui

annonce le futur mais celui qui eacutecoute et entend Dieu en transmettant aux

hommes laquo avec exactitude raquo ce qursquoil entend du passeacute du preacutesent du futur157 Il peut

expliquer le passeacute commenter le preacutesent annoncer le futur Sainte Geneviegraveve

menait son troupeau avec laquo exactitude raquo elle entendait ce que Dieu voulait dire agrave

ses brebis et transmettait son message de maniegravere preacutecise agrave ceux et celles qui lui

eacutetaient confieacutes

Un autre mot important pour Peacuteguy se trouve dans la troisiegraveme strophe du

deuxiegraveme sonnet laquo inquieacutetuderaquo Peacuteguy enrichit le sens de ce mot par sa

connaissance et sa perception du monde juif ougrave lrsquoinquieacutetude signifie le refus de

srsquoappuyer sur des certitudes en demeurant dans une quecircte constante de la veacuteriteacute

Dans le contexte des Tapisseries il srsquoagit aussi drsquoune inquieacutetude pour les autres

pour le troupeau confieacute agrave la sainte Une sollicitude inquiegravete parce qursquoactive

agissante parce que le troupeau mecircme le peuple de Paris est actif agissant

Il est remarquable que Peacuteguy bien que son expeacuterience dans la versification

classique soit agrave ce moment-lagrave pauvre se montre drsquoores et deacutejagrave extrecircmement

attentif agrave la forme mecircme dans ses premiers sonnets il aspire agrave minimiser 157 Voir Гриц И Внимая голосу пророков М 2007 (GRITZ Ilya Ecoutant la voix des prophegravetes Moscou 2007)

154

lrsquoaleacuteatoire mecircme au niveau du rythme et de lrsquoeuphonie Le poegravete veut lier tous les

eacuteleacutements du texte avec sa seacutemantique deacutejagrave dans ses premiers essais de

composition de sonnet il arrive agrave une haute perfection technique Comme exemple

on peut observer le second quatrain du deuxiegraveme sonnet

Et comme elle veillait devant le presbytegravere

Dans les soirs et les soirs drsquoune longue habitude

Elle veille aujourdrsquohui sur cette ingratitude

Sur cette auberge eacutenorme et sur ce phalanstegravere (OPD 1081)

Le calme des longues soireacutees dans le village est souligneacute par une grande

quantiteacute de voyelles la reacutepeacutetition du mot laquo soir raquo des accents chantants Dans la

troisiegraveme et la quatriegraveme strophe Peacuteguy parle de lrsquoingratitude de la ville envers sa

bergegravere de la difficulteacute de sa tacircche eacuteternelle Il y a plus de consonnes beaucoup de

r ces deux strophes ont une sonoriteacute dure fatiguent lrsquoouiumle en montrant que le

travail de lrsquointercession nrsquoest pas plus facile que celui drsquoune bergegravere de village

La priegravere pour le troisiegraveme jour de la neuvaine commence comme un sonnet

classique mais Peacuteguy ajoute une strophe au dernier tercet Il suit son principe favori

de reacutepeacutetition cette strophe diffegravere drsquoun seul mot des deux sonnets preacuteceacutedents elle

annonce que sainte Geneviegraveve megravenera laquo le troupeau tout entier agrave la droite du Pegravere raquo

Peacuteguy rappelle encore une fois agrave son lecteur agrave quel point le salut universel est

important pour lui

Troisiegraveme jour

Pour le dimanche 5 janvier 1913

Elle avait jusqursquoau fond du plus secret hameau

La reacuteputation dans toute Seine et Oise

Que jamais ni le loup ni le chercheur de noise

Nrsquoavaient pu lui ravir le plus cheacutetif agneau

Tout le monde savait de Limours agrave Pontoise

Et les vieux bateliers contaient au fil de lrsquoeau

Qursquoassise au pied du saule et du mecircme bouleau

Nul nrsquoavait pu jouer cette humble villageoise

Sainte qui rameniez tous les soirs au bercail

155

Le troupeau tout entier diligente bergegravere

Quand le monde et Paris viendront agrave fin de bail

Puissiez-vous drsquoun pas ferme et drsquoune main leacutegegravere

Dans la derniegravere cour par le dernier portail

Ramener par la voucircte et le double vantail

Le troupeau tout entier а la droite du pegravere (OPD 1082)

Le poegravete continue de comparer le travail de la bergegravere agrave celui de la sainte qui se

porte responsable au Dernier Jugement pour les acircmes humaines Il utilise une sorte

de laquo geacuteographie poeacutetique raquo un proceacutedeacute poeacutetique aimeacute par Peacuteguy dans sa poeacutesie

les noms geacuteographiques sont toujours bien choisis et occupent une place importante

reacutefleacutechie Les villes qui sont nommeacutes dans ce sonnet ont apparemment appartenu agrave

la sainte historique mais lrsquoimage populaire traditionnelle de la sainte dit que ce

sont les lieux ougrave elle faisait paicirctre ses troupeaux Le second quatrain fait allusion agrave

la leacutegende hagiographique qui dit que sainte Geneviegraveve eacutetait clairvoyante donc

certainement nul nrsquoaurait pu se laquo jouerraquo drsquoelle La preacutesence des laquo bateliers raquo fait

aussi eacutecho agrave lrsquohagiographie la vie de la sainte raconte que crsquoest par la riviegravere que

sainte Geneviegraveve est alleacutee chercher des vivres pour Paris assieacutegeacutee Bien que

visiblement Peacuteguy nrsquoait pas lu la Vie de la sainte ces deux eacuteleacutements du sujet sont

au cœur de la leacutegende populaire de sainte Geneviegraveve que Peacuteguy semble bien

connaicirctre

Dans le troisiegraveme sonnet on lit de nouveau leacutegegraverement modifieacutee une strophe

venant du premier sonnet laquo assise au pied du saule et du mecircme bouleau raquo De

nouveau Peacuteguy souligne la constance de la sainte la fideacuteliteacute avec laquelle elle

veille sur sa ville comme un bon pasteur sur son troupeau notamment par la

reacutepeacutetition du mot laquo mecircmeraquo Dans ce sonnet un changement-cleacute srsquoopegravere dans le

premier tercet la narration srsquoachegraveve et lrsquoauteur srsquoadresse directement agrave la sainte le

recueil de sonnets devient Neuvaine le cycle poeacutetique se transforme en priegravere

Dans le poegraveme-priegravere pour le quatriegraveme jour de la neuvaine un tercet en plus

srsquoajoute au sonnet classique Il nrsquoy a plus de strophes qui le nouent aux poegravemes

156

preacuteceacutedents du cycle Dans ce sonnet apparaicirct la sainte favorite de Peacuteguy Jeanne

drsquoArc

Quatriegraveme jour

pour le lundi 6 janvier 1913

jour des rois

cinq cent uniegraveme anniversaire de la naissance de Jeanne drsquoArc

Comme la vieille aiumleule au plus fort de son acircge

Se reacutejouit de voir le tendre nourrisson

Lrsquoenfant agrave la mamelle et le dernier besson

Recommencer la vie ainsi qursquoun heacuteritage

Elle en fait par avance un tregraves grand personnage

Le plus hardi faucheur au temps de la moisson

Le plus hardi chanteur au temps de la chanson

Qursquoon aura jamais vu dans cet humble village

Telle la vieille sainte eacuteternellement sage

Connut ce que serait lrsquohonneur de sa maison

Quand elle vit venir habilleacutee en garccedilon

Bien prise en sa cuirasse et droite sur lrsquoarccedilon

Priant sur le pommeau de son estramaccedilon

Apregraves neuf cent vingt ans la fille au dur corsage

Et qursquoelle vit monter de dessus lrsquohorizon

Souple sur le cheval et le caparaccedilon

La plus grande beauteacute de tout son parentage (OPD 1083)

Peacuteguy deacutecrit sainte Geneviegraveve comme lrsquoaicircneacutee drsquoune grande famille dans

laquelle Jeanne serait la derniegravere-neacutee Comme lrsquoaicircneacutee de la famille se reacutejouit agrave la

venue drsquoun nouveau-neacute Sainte Geneviegraveve aurait attendu 920 ans la naissance drsquoune

sainte agrave laquelle on peut eacutegalement confier un troupeau formeacute non seulement des

habitants de Paris et de ses alentours mais de toute la France Un speacutecialiste de

Peacuteguy Reneacute Avice dans son livre Peacuteguy pegravelerin de lrsquoespeacuterance eacutecrit que Dieu

157

donne aux saints des signes drsquoespeacuterance158 Egraveve pouvait donc mourir en paix parce

qursquoelle savait que de Dieu viendrait la Vierge Marie la Nouvelle Egraveve pour mettre

au monde le Reacutedempteur du peacutecheacute commis par Egraveve Sainte Geneviegraveve pouvait

mourir en paix parce qursquoelle savait que Dieu enverrait Jeanne pour sauver la

France Pour Peacuteguy il nrsquoest pas important que des centaines drsquoanneacutees seacuteparent ces

deux saintes Lrsquoespeacuterance lrsquoun des thegravemes preacutefeacutereacutes du poegravete est presque toujours

une action inteacuterieure ou exteacuterieure elle nrsquoest pas passive Dans ce poegraveme crsquoest

lrsquoespeacuterance de sainte Geneviegraveve qui segraveme la segraveve et travaille la terre sur laquelle

pourra naicirctre Jeanne drsquoArc Crsquoest ce que dit le deuxiegraveme quatrain comme lrsquoaicircneacute de

la famille voit deacutejagrave dans le nourrisson le meilleur chanteur ou le meilleur

moissonneur sainte Geneviegraveve a reconnu dans la laquo fille au dur corsage raquo la plus

grande sainte de France Le saint prie et espegravere la naissance drsquoun autre saint de

cette maniegravere il approche la Parousie Cette reconnaissance cette vision

propheacutetique vision par les yeux de lrsquoespeacuterance constituent le don de Dieu agrave ses

saints agrave ceux qui sont pour lui agrave lrsquoeacutecart du monde Cette reconnaissance cette

rencontre dans et par lrsquoespeacuterance rend possible pour Peacuteguy la transformation drsquoune

simple bergegravere en Jeanne la guerriegravere Agrave la fin du poegraveme Peacuteguy dit de Jeanne

qursquoelle est de laquo la plus grande beauteacuteraquo Pour Peacuteguy la beauteacute exteacuterieure est

indissociable de la beauteacute inteacuterieure spirituelle lrsquoune est impossible sans lrsquoautre

car lrsquoesprit emplit et transfigure la matiegravere il en parlera beaucoup dans Egraveve

Dans le poegraveme du cinquiegraveme jour de la neuvaine Peacuteguy garde la forme du

sonnet mais comme dans le deuxiegraveme sonnet les rimes ne sont que feacuteminines

Peacuteguy deacuteveloppe la mecircme ideacutee que dans le poegraveme preacuteceacutedent non seulement Jeanne

drsquoArc continue lrsquoœuvre de sainte Geneviegraveve sur terre mais elle est son heacuteritiegravere

Cinquiegraveme jour

Pour le mardi 7 janvier 1913

Comme la vieille aiumleule au fin fond de son acircge

Se plaicirct а regarder sa plus arriegravere fille

Naissante а lrsquoautre bout de la longue famille

Recommencer la vie ainsi qursquoun heacuteritage

158 AVICE Reacuteneacute Peacuteguy pegravelerin drsquoespeacuterance Bruges Beyaert 1952 р 180-183

158

Elle en fait par avance un tregraves grand personnage

Fileuse moissonneuse agrave la pleine faucille

Le plus preste fuseau la plus savante aiguille

Qursquoon aura jamais vu dans ce simple village

Telle la vieille sainte eacuteternellement sage

Du bord de la montagne et de la double berge

Regardait srsquoavancer dans tout son eacutequipage

Dans un encadrement de cierge et de flamberge

Et le casque remis aux mains du petit page

La fille la plus sainte apregraves la sainte Vierge (OPD 1083-1084)

Sainte Geneviegraveve voit comment Jeanne commence la vie laquo ainsi qursquoun

heacuteritage raquo Les saints ont une vie commune en communion puisqursquoils ont une

œuvre commune le salut des peacutecheurs Geneviegraveve et Jeanne ont une œuvre

commune le salut de la France159

Dans le poegraveme pour le sixiegraveme jour de la neuvaine il y a quatre quatrains un

tercet et encore une strophe agrave part en revanche les rimes sont celles drsquoun sonnet

classique

Sixiegraveme jour

Pour le mercredi 8 janvier 1913

Comme Dieu ne fait rien que par miseacutericordes

Il fallut qursquoelle vicirct le royaume en lambeaux

Et sa filleule ville embraseacutee aux flambeaux

Et ravageacutee aux mains des plus sinistres hordes

Et les cœurs deacutevoreacutes des plus basses discordes

Et les morts poursuivis jusque dans les tombeaux

Et cent mille Innocents exposeacutes aux corbeaux

Et les pendus tirant la langue au bout des cordes

Pour qursquoelle vоicirct fleurir la plus grande merveille

159 laquo Œuvre commune raquo ndash traduction du mot grec laquo liturgie raquo

159

Que jamais Dieu le pegravere en sa simpliciteacute

Aux jardins de sa gracircce et de sa volonteacute

Ait fait jaillir par force et par neacutecessiteacute

Apregraves neuf cent vingt ans de priegravere et de veille

Quand elle vit venir vers lrsquoantique citeacute

Gardant son cœur intact en pleine adversiteacute

Masquant sous sa visiegravere une efficaciteacute

Tenant tout un royaume en sa teacutenaciteacute

Vivant en plein mystegravere avec sagaciteacute

Mourant en plein martyre avec vivaciteacute

La fille de Lorraine agrave nulle autre pareille (OPD 1084)

Un nouveau thegraveme que Peacuteguy continuera de deacutevelopper jusqursquoagrave la fin de la

neuvaine apparaicirct celui de la miseacutericorde divine mais aussi celui des saints

Innocents Ce thegraveme occupe une place importante dans toute son œuvre et eacuteclaire

lrsquoune des facettes de sa perception de la sainteteacute Dans ce poegraveme il ne srsquoagit pas des

saints Innocents de Bethleacuteem mais de toutes les personnes qui sont mortes

innocemment agrave Bethleacuteem comme agrave Paris en France dans le monde entier Dans

ses cours de litteacuterature pour les eacutetudiants ameacutericains Andreacute Maurois eacutecrit que lrsquoideacutee

du salut par le sacrifice eacutetait eacutetrangegravere agrave Peacuteguy160 Il faudrait preacuteciser que Maurois

ne voulait sucircrement pas dire que Peacuteguy nrsquoaccepte pas le sacrifice reacutedempteur du

Christ Peacuteguy srsquoinsurgeait contre le culte de la souffrance expiatrice en soi qui eacutetait

propre agrave la spiritualiteacute catholique de son eacutepoque Une mort de martyr comme le

sacrifice de Jeanne drsquoArc sacrifice pour la France martyre pour une œuvre

commune est un sacrifice qui agit Mais lrsquoideacutee que lrsquoEacuteglise catholique fecircte les

saints Innocents tout simplement parce qursquoils sont morts innocemment est

insupportable pour Peacuteguy Pour lui ce nrsquoest pas la souffrance qui sauve le monde

mais ce pour quoi lrsquohomme souffre La vie dans une voie passive est inacceptable

pour lui mais un sacrifice pour Dieu pour le peuple pour un pays constitue un

geste actif une œuvre de salut de reacutedemption Pour comprendre la conception de la 160 MAUROIS Andreacute Etudes litteacuteraire I Paris 1947 р 219-248

160

sainteteacute chez Peacuteguy il faudrait aussi precircter attention agrave la premiegravere strophe du

quatriegraveme quatrain laquo Apregraves neuf cent vingt ans de priegravere et de veilleraquo Le travail du

saint crsquoest lrsquoattente patiente et la priegravere intense pour la naissance sur terre drsquoun

autre saint parce que la terre vit par les priegraveres des saints Chaque saint est un

preacutecurseur Le saint œuvre sur terre et prie pour la terre dans les deux cas il srsquoagit

drsquoun travail de laboureur qui cultive la terre et participe agrave lrsquoœuvre creacuteatrice

Le saint continue le laquo travail raquo de Jeacutesus Christ en maintenant le lien entre la

terre et le ciel Pour Peacuteguy lrsquoIncarnation eacutetait le dogme le plus important dans la foi

chreacutetienne Le saint dans le monde de Peacuteguy est comme lrsquoarbre qui enfonce ses

racines dans la terre et tend ses branches vers le ciel

Le septiegraveme poegraveme de la neuvaine comme le deuxiegraveme est un sonnet de forme

classique mais les rimes de nouveau ne sont que feacuteminines

Septiegraveme jour

Pour le jeudi 9 janvier 1913

Comme Dieu ne fait rien que par simple bergegravere

Il fallut qursquoelle vicirct la discorde civile

Secouer son flambeau sur les toits de la ville

Et joindre sa fureur а la guerre eacutetrangegravere

Il fallut qursquoelle vicirct lrsquohorrible harengegravere

Haranguer le bas peuple et la tourbe servile

Et de la halle au bleacute jusqursquoа lrsquohocirctel de ville

Refluer le hoquet de lrsquoodieuse meacutegegravere

Pour qursquoelle vicirct venir merveilleuse et leacutegegravere

Par les chemins de ronce et de frecircle fougegravere

Pliant ses beaux drapeaux comme une humble lingegravere

Gouvernant sa bataille en bonne meacutenagegravere

Traicircnant les trois Vertus dans quelque fourragegravere

Vers lrsquoantique vaisseau la jeune passagegravere (OPD 1085)

La premiegravere strophe du sonnet nrsquoest pas seulement une allusion au Bon Pasteur

mais aussi aux mots de saint Paul laquo ce qursquoil y a de fou dans le monde voilagrave ce que

161

Dieu a choisi pour confondre les sages ce qursquoil y a de faible dans le monde voilagrave

ce que Dieu a choisi pour confondre ce qui est fort raquo (1 Co 1 27) Pour Peacuteguy il

est extrecircmement important que Dieu ne choisisse pas les grands de ce monde pour

faire sa volonteacute mais ceux qui travaillent ceux qui œuvrent sans reacutefleacutechir et sans

faire reacutesistance pour srsquoacquitter du devoir le plus humble qui soit Ainsi sainte

Geneviegraveve dans lrsquoœuvre de Peacuteguy prie pour Paris et attend qursquoune autre simple

bergegravere arrive qui soit habile agrave la tacircche humble et capable de suivre le Christ et

drsquoentendre sa volonteacute

Dans la priegravere pour le huitiegraveme jour de la neuvaine Peacuteguy fait entrer

pleinement en scegravene son heacuteroiumlne preacutefeacutereacutee Jeanne drsquoArc rien ne peut le retenir

Apregraves deux quatrains corrects suit une longue couleacutee de tercets qui compare les

armes du Christ aux armes de Satan Nous nrsquoen citerons que le premier quatrain

Huitiegraveme jour

Pour le vendredi 10 janvier 1913

Comme Dieu ne fait rien que par pauvre misegravere

Il fallut qursquoelle vicirct sa ville endolorie

Et les peuples fouleacutes et sa race fleacutetrie

Lrsquoeacutemeute suppurant comme un secret ulcegravere (OPD 1085)

La misegravere pauvreteacute et souffrance est un mot lourd en signification pour

Peacuteguy Dieu parle aux hommes agrave travers la souffrance et agit sur terre agrave travers les

pauvres

La priegravere pour le dernier jour de la neuvaine ne rappelle que de loin un sonnet

Crsquoest une longue chaicircne de quatrains qui se termine par deux tercets Peacuteguy

preacutesente agrave sainte Geneviegraveve toute la France son passeacute son preacutesent et son futur

La premiegravere strophe dit laquo Comme Dieu ne fait rien que par compagnonnage raquo

On y voit mieux comment Peacuteguy voit le rocircle de Dieu et de lrsquohomme dans lrsquohistoire

Dieu se trouve des amis les saints et il agit par eux Mais il ne les laisse pas seuls

il leur trouve un soutien des amis drsquoautres saints comme Jeanne drsquoArc qui devient

sous sa plume une amie et une aide pour sainte Geneviegraveve

Il fallut qursquoelle vicirct dans cet appareillage

Srsquoavancer la galegravere ougrave captifs nous geignons

162

Et qursquoelle vicirct la nef lourde ougrave nous nous plaignons

Geacutemir dans ses haubans et ses bois drsquoassemblage

[]

Il fallut qursquoelle vicirct dans le mecircme mouillage

Sombrer le deacutesespoir que seul nous eacutetreignons

Et qursquoelle vicirct cet ordre ougrave nous nous astreignons

Perdre ses bancs de rame et son amarinage

[hellip]

Il fallut qursquoelle vicirct par un jeu de mirage

Reculer le but fixe et que nous atteignons

Et qursquoelle vicirct le terme ougrave nous nous rejoignons

Se deacuterober а nous en plein atterrissage

Il fallut qursquoelle vicirct en plein cœur de lrsquoorage

Brucircler la chegravere flamme et que nous eacuteteignons

Et qursquoelle vicirct les maux que nous nous adjoignons

Se coucher contre nous pour un noble servage

[]

Pour qursquoelle vicirct venir du fond de la campagne

Au milieu de ses clercs au milieu de ses pages

Vers lrsquoaregravene romaine et la roide montagne

Traicircnant les trois Vertus au train des eacutequipages

Sa plus fine et plus ferme et plus douce compagne

Et la plus belle enfant de ses longs patronages (OPD 1116-1117)

On peut diviser le dernier poegraveme des Tapisseries en deux parties Il contient 31

quatrains qui agrave partir du dix-huitiegraveme deacuteveloppent lrsquoimage complexe du navire

naviguant sur une mer orageuse Sainte Geneviegraveve est tout agrave la fois son capitaine

une femme qui attend au rivage lrsquoancre du salut et plus encore le teacutemoin de la

mort des enfants des brebis des vaisseaux Bien sucircr Peacuteguy nrsquoest pas seulement en

train de rappeler la vie de la sainte qui avait apporteacute la nourriture dans un Paris

affameacute par la voie fluviale Ce navire crsquoest aussi la vie humaine toute lrsquohumaniteacute

qui voyage vers son dernier jour sur les vagues de lrsquoexistence et Paris avec tous ses

habitants qui naviguent sur les vagues de lrsquohistoire Ainsi Jeanne drsquoArc armeacutee des

trois vertus devient un phare pour le navire en naufrage

163

b) Sainte Geneviegraveve patronne de Paris

Le poegraveme Sainte Geneviegraveve patronne de Paris composeacute le 17 juillet 1912 a

eacuteteacute publieacute dans le Figaro le 16 aoucirct 1913 Composeacute en vers alexandrins si chers agrave

Peacuteguy le poegraveme commence par un quatrain suivi par des dizains et encore six

quatrains pour finir Peacuteguy qui aime par-dessus tout le classicisme franccedilais reste

fidegravele aux vers classiques dans toute sa poeacutesie agrave lrsquoexception de la Ballade du cœur

qui a tant battu Lrsquoauteur preacutefeacutereacute de Peacuteguy Corneille choisit la mecircme forme

poeacutetique pour la traduction en franccedilais des hymnes liturgiques consacreacutes agrave sainte

Geneviegraveve Mecircme si Peacuteguy ne cite pas ce texte on peut supposer qursquoil lrsquoa lu et qursquoil

srsquoest appuyeacute sur lui pour composer Sainte Geneviegraveve patronne de Paris Agrave part la

forme ses deux œuvres ont aussi une proximiteacute theacutematique la plupart des hymnes

liturgiques traduits par Corneille ainsi que le texte de Peacuteguy parlent de la leacutegende

selon laquelle sainte Geneviegraveve aurait proteacutegeacute Paris de la peste

Ce texte de Peacuteguy nrsquoa pratiquement pas eacuteteacute eacutetudieacute mecircme dans la litteacuterature

consacreacute agrave ses vers alexandrins Le poegraveme parle des malheurs subis par la ville de

Paris dont sainte Geneviegraveve a eacuteteacute le teacutemoin compatissant et salvateur consolant et

gueacuterissant Le regard attentif concentreacute et bienveillant de la sainte sur la ville qui

lui est confieacutee traverse ce texte

Il y srsquoagit peu de la sainte crsquoest la ville que le poegravete ceacutelegravebre parce qursquoelle est

offerte avec toute sa vie et tous ses habitants agrave Geneviegraveve La sainte est preacutesente

dans le poegraveme de maniegravere implicite comme le saint peut agir dans une priegravere qui lui

est adresseacutee il nrsquoest pas deacutecrit il est nommeacute le texte drsquoune priegravere en effet ne

deacutecrit pas le saint mais il lui est adresseacute

Lrsquoanalyse de ce texte peut montrer agrave quel point Peacuteguy manie la technique

poeacutetique comment en restant dans le cadre de la composition classique en usant de

rimes et de rythmes traditionnels il souligne la seacutemantique du vers au niveau

euphonique Certains auteurs disent que pour Peacuteguy le sens seul importait qursquoil

utilisait des rangeacutees innombrables de synonymes pour concreacutetiser sa penseacutee

Effectivement la question du sens du texte eacutetait la plus importante pour lui mais agrave

164

travers lrsquoexemple de ce poegraveme on voit que Peacuteguy domine parfaitement le langage

poeacutetique en utilisant sans difficulteacute toute les possibiliteacutes que lui offre lrsquoart litteacuteraire

pour mieux traduire sa penseacutee

Bergegravere qui gardiez les moutons agrave Nanterre

Et guettiez au printemps la premiegravere hirondelle

Vous seule vous savez combien elle est fidegravele

La ville vagabonde et pourtant seacutedentaire (OPD 1169)

Lrsquoimage du guetteur est pleine de connotations bibliques le guetteur peut ecirctre

un prophegravete celui qui eacutecoute Dieu et attend sa parole Le guetteur du printemps de

la premiegravere hirondelle crsquoest une image eschatologique le printemps deacutesigne

souvent le deuxiegraveme avegravenement du Christ alors que lrsquohirondelle au printemps

annonce la fin du monde comme la colombe annonccedila agrave Noeacute la fin du Deacuteluge Le

guetteur qui se tient agrave son poste de garde qui veille sans relacircche sur la ville et voit

tout ce qui srsquoy passe est lui aussi un teacutemoin fidegravele Cette image du gardien fidegravele

de la bergegravere qui veille eacuteternellement sur ses troupeaux est souligneacutee

rythmiquement et phoneacutetiquement les clausules sont feacuteminines et il y a beaucoup

de voyelles Lrsquoamour du classicisme amegravene Peacuteguy agrave refuser jusqursquoaux nouveauteacutes

rajouteacutees agrave lrsquoalexandrin par les romantiques comme la division du deacutecasyllabe en

trois parties de trois syllabes au lieu de deux parties de six syllabes avec une ceacutesure

au milieu Il adoucit neacuteanmoins la ceacutesure dans les deux premiegraveres strophes du

premier quatrain de ce poegraveme afin drsquoapporter plus de fluiditeacute Des ceacutesures plus

dures apparaissent seulement quand le centre du reacutecit se deacuteplace de sainte

Geneviegraveve agrave son pacircturage spirituel la ville de Paris Le passeacute temps historique

temps hagiographique nrsquoapparaicirct que dans les deux premiegraveres strophes ougrave il srsquoagit

du deacutebut de la vie de sainte Geneviegraveve et de son enfance agrave Nanterre Le reste du

texte est au preacutesent parce que Geneviegraveve est un guetteur eacuteternel un teacutemoin drsquohier

drsquoaujourdrsquohui et de demain La description de Paris est pleine de la subjectiviteacute

propre agrave Peacuteguy il ne parle pas du Paris geacuteographique mais du

Paris laquo autobiographique raquo qui a joueacute un rocircle complexe dans sa destineacutee le Paris de

ses joies et de ses peines Crsquoest pour cela que la description est marqueacutee par les

antinomies la ville pouvant ecirctre laquo vagabonde et pourtant seacutedentaire raquo Chez Peacuteguy

165

le chronotope161 de Paris a de multiples facettes Il est changeant laquo la ville

vagabonde raquo est cependant fidegravele Peacuteguy ne parle jamais du Paris de son temps

contemporain il voit la ville avec toute son histoire agrave travers lrsquoeacutepaisseur des

siegravecles Pour ce qui concerne lrsquoespace Peacuteguy ne parle que tregraves rarement des

quartiers concrets de Paris La ville pour lui est un personnage il la perccediloit de

maniegravere entiegravere personnelle meacutetaphysique si lrsquoon peut dire il nrsquoy a pratiquement

pas de descriptions de lieux de rues de maisons reacuteelles mais une vision de la vie

drsquoune ville sur fond de lrsquohistoire mondiale Franccediloise Gerbod eacutecrit dans son article

Peacuteguy philosophe de lrsquohistoire laquo Les villes reacutevegravelent la richesse des eacuteveacutenements

historiques qui les ont faccedilonneacutees elles sont des treacutesors de meacutemoire permettant de

saisir lrsquohistoire dans une plongeacutee en profondeurraquo162 Degraves sa premiegravere apparition

dans le texte la ville de Paris est personnifieacutee Peacuteguy lrsquoappelle laquo ville vagabonde raquo

meacutetaphore eacutetrange car il est difficile de srsquoimaginer une ville qui se meut dans

lrsquoespace Cependant Peacuteguy eacutevoque ici un vagabondage spirituel la faccedilon dont

Paris avait quitteacute puis retrouveacute ses racines la ville qui avait perdu la foi srsquoeacutetant

convertie de nouveau Peacuteguy eacutevoque aussi ici les changements temporels

Lrsquooxymore laquo la ville vagabonde et pourtant seacutedentaire raquo deacutefinit briegravevement et

pleinement le chronotope parisien de Peacuteguy qui va se deacutevoiler tout au long du

poegraveme Paris est immobile et immuable son espace est un pacircturage sucircr et

cependant Paris est un vagabond comme le peuple juif dans la Bible trahissant son

Dieu avant de retourner agrave la foi convertie par une bergegravere sainte fidegravele qui

protegravege son troupeau

Vous qui la connaissez dans ses embrassements

Et dans sa turpitude et dans ses peacutenitences

Et dans sa rectitude et dans ses inconstances

Et dans le feu sacreacute de ses embrasements

Vous qui la connaissez dans ses deacutebordements

Et dans le maigre jeu de ses incompeacutetences

161 Le chronotope est une notion proposeacutee par Michail Bakhtine qui deacutecrit lrsquouniteacute la solidariteacute des eacuteleacutements spatiotemporels dans un reacutecit fictionnel ou non

162 GERBOD Franccediloise laquo Peacuteguy philosophe de lrsquohistoire raquo Mil neuf cent Revue drsquohistoire intellectuelle 12002 (ndeg 20) p 29

166

Et dans le battement de ses intermittences

Et dans lrsquoanxieacuteteacute de ses longs meuglements

Vous seule vous savez comme elle est peu rebelle

La ville indeacutependante et pourtant tributaire (OPD 1169)

Tous les dizains de ce long poegraveme commencent par une adresse agrave sainte

Geneviegraveve au preacutesent laquo Vous qui la connaissez dans ses embrassementsraquo Lrsquoimage

drsquoune ville qui embrasse correspond agrave un proceacutedeacute de personnification tregraves fort qui

donne tout de suite une dimension pleine drsquoeacutemotion agrave lrsquoimage de Paris et montre la

force et la soliditeacute du lien de la ville avec sa sainte patronne Lrsquoimage est renforceacutee

par lrsquousage que Peacuteguy fait de la forme interne du mot163 en faisant

rimer laquo embrassement raquo et laquo embrasement raquo il parle drsquoembrassement chaleureux

drsquoune ville qui a une acircme vivante Le changement drsquohumeur est surtout exprimeacute au

niveau de lrsquoeuphonie il y a une majoriteacute du son - ɑ qui est reacutepeacuteteacute 24 fois dont 10

dans des syllabes accentueacutees ce qui creacutee lrsquoimpression drsquoun mouvement plus rapide

La consonne laquo s raquo qui revient aussi plusieurs fois dans le premier dizain ainsi que

le double laquo t raquo dans la strophe laquo Et dans le battement de ses

intermittences raquo apportent une dynamique encore plus intense en donnant une

impression de danse Le rythme montre la mecircme chose il y a peu de syllabes

accentueacutees ce qui apporte une grande leacutegegravereteacute Ce dizain prolonge la chaicircne des

images qui soulignent la preacutesentation de Paris comme personnage la ville beacutegaye

drsquoangoisse au greacute des intermittences de son cœur

La description de la ville qui suit est construite sur les contrastes tant aimeacutes par

Peacuteguy la nature contradictoire de lrsquoauteur lui-mecircme son angoisse trouvent une

expression dans sa technique poeacutetique

La description que Peacuteguy fait de Paris dans ce premier dizain permet de

comprendre quelles qualiteacutes avaient pour lui le plus de valeur ces qualiteacutes eacutetaient

lrsquoapanage de sainte Geneviegraveve comme de la ville qui lui eacutetait confieacutee rectitude

163 Alexandre Potebnia linguiste russe (1835-1891) est lrsquoauteur de la notion de forme inteacuterieure du mot selon laquelle le contenu objectif du mot relegraveverait de lrsquoordre de la langue par opposition au contenu subjectif qui relegraveve de lrsquoordre du discours Cette notion explique entre autre dans la poeacutesie le rapprochement du sens une sorte de contamination par le sens de mots qui nrsquoont pas de liens eacutetymologiques entre eux mais sont rimeacutes ou placeacute dans la mecircme position meacutetrique comme crsquoest le cas ici

167

indeacutependance Paris brucirclante drsquoun feu sacreacute mais inconstante indeacutependante mais

tributaire est traverseacutee par les contradictions comme lrsquoauteur du poegraveme

Le deuxiegraveme dizain parle de lrsquohistoire difficile de Paris la pesanteur de ce

thegraveme est souligneacutee par lrsquoabsence presque totale de rimes feacuteminines elles

nrsquoapparaissent que dans les deux derniegraveres strophes ougrave il srsquoagit de la jeunesse et de

la beauteacute de la ville

Vous qui la connaissez dans le sang des martyrs

Et la reconnaissez dans le sang des bourreaux

Vous qui lrsquoavez connue au fond des tombereaux

Et la reconnaissez dans ses beaux repentirs

Et dans lrsquointimiteacute de ses chers souvenirs

Et dans ses fils plus durs que les durs hobereaux

Et dans lrsquoabsurditeacute de ces godelureaux

Qui marchaient agrave la mort comme on ferait ses tirs

Vous seule vous savez comme elle est jeune et belle

La ville intoleacuterante et pourtant libertaire (OPD 1169)

La personnification de Paris permet agrave Peacuteguy drsquoexprimer des ideacutees importantes

pour lui sur le bien et le mal dans lrsquohistoire et dans la personne humaine Le poegravete

porte sur la ville le mecircme regard de compassion universelle que sainte Geneviegraveve

Les contrastes sur lesquels lrsquoimage de la ville se construit sont souligneacutes au niveau

euphonique il y a une majoriteacute de sonoriteacutes claires ndash eacute i mais dans les clausules

apparaissent des voyelles plus sombres comme laquo eau raquo La cinquiegraveme mdash et centrale

mdash strophe de ce dizain parle de souvenirs laquo Et dans lrsquointimiteacute de ses chers

souvenirs raquo La meacutemoire constitue lrsquoun des thegravemes les plus importants pour Peacuteguy

la ville qui a une histoire a aussi une meacutemoire dont cette histoire est impreacutegneacutee La

meacutemoire joue le rocircle de teacutemoin qui contera lrsquohistoire aux heacuteritiers cependant que la

meacutemoire unit le temps

Dans le troisiegraveme dizain les contrastes sont agrave la limite de lrsquoabsurde mais cette

absurditeacute est consciente et preacutemeacutediteacutee par lrsquoauteur Ce nrsquoest pas un hasard si la

derniegravere strophe de ce dizain parle de lrsquo laquo incoheacuterence raquo de Paris

ville laquo deacutesarmeacutee raquo qui pourtant laquo mugit raquo Les descriptions si contradictoires

qursquoelles vont jusqursquoagrave lrsquooxymore rappellent la Ballade du concours de Blois de

168

Villon laquo lrsquohumiliteacute de ses omnipotences raquo Dans ce dizain Peacuteguy creacutee une

harmonie imitative gracircce agrave une alliteacuteration en laquo r raquo laquo Et dans le creux secret de

ses tressaillements raquo

Dans le quatriegraveme dizain Peacuteguy parle de plusieurs thegravemes important pour lui

la richesse et la pauvreteacute la force et la faiblesse la position active et la position

passive

Vous qui la connaissez dans le luxe de Tyr

Et la reconnaissez dans la force de Rome

Vous qui la retrouvez dans le cœur du pauvre homme

Et la froide eacutequiteacute de la pierre agrave bacirctir

Et dans la pauvreteacute de la chair agrave pacirctir

Sous la dent qui la mort et le poing qui lrsquoassomme

Et lrsquoeacutecrit qui la fixe et le nom qui la nomme

Et lrsquoargent qui la paye et veut lrsquoassujettir

Vous seule vous savez combien elle est pucelle

La ville exubeacuterante et pourtant censitaire (OPD 1170)

Lrsquoopposition entre la force et la faiblesse est exprimeacutee au niveau sonore les

syllabes accentueacutees tombent sur des diphtongues et des triphtongues ce qui leur

donne une pesanteur suppleacutementaire Autant la ville eacutetait active dans son expression

de sentiments dans le dizain preacuteceacutedant autant elle est en position extrecircmement

passive dans ce dizain ougrave Paris est assujettie agrave lrsquoargent Mais la strophe preacuteceacutedente

attire encore plus drsquoattention laquo lrsquoeacutecrit qui la fixe et le nom qui la nomme raquo Eacutecrire

et nommer crsquoest bien cela qui selon Peacuteguy arrecircte le moment dans lrsquohistoire et

accomplit le destin drsquoune ville dans le temps

Dans le cinquiegraveme dizain en parlant des potences Peacuteguy oppose le silence au

bruit de la foule

Vous qui la connaissez dans ses vieilles potences

Et la reconnaissez dans ses eacutegarements

Et dans la profondeur de ses recueillements

Et dans ses eacutechafauds et dans ses pestilences

Et la solenniteacute de ses graves silences

Et dans lrsquoordre secret de ses fourmillements

Et dans la nuditeacute de ses deacutepouillements

169

Et dans son ignorance et dans ses innocences

Vous seule vous savez comme elle est pastourelle

La ville assourdissante et pourtant solitaire (OPD 1170)

Lrsquoeacutechafaud crsquoest la rencontre drsquoune solitude extrecircme celle de la mort et de son

silence avec une foule qui hurle dans une laquo ville assourdissante et pourtant

solitaire raquo

On trouve encore une opposition importante pour Peacuteguy dans le sixiegraveme dizain

celle du peuple et de la foule

Vous qui la connaissez dans ses guerres civiles

Et la reconnaissez dans ses eacutegorgements

Dans son courage unique et dans ses tremblements

Dans son peuple sans peur et ses foules serviles

Dans son gouvernement des hordes et des villes

Et dans la loyauteacute de ses enseignements

Dans la fataliteacute de ses eacuteloignements

Dans lrsquohonneur de sa face et dans ses tourbes viles

Vous seule vous savez comme elle est colonelle

La ville turbulente et pourtant militaire (OPD 1170-1171)

Crsquoest le peuple qui creacutee lrsquohistoire crsquoest du peuple que viennent les saints

gardiens de lrsquohistoire qui voient et qui entendent La foule bruyante qui ne laisse

rien eacutecouter est assourdissante mais muette elle brouille la vue mais est aveugle

elle-mecircme Peacuteguy tente mecircme de nous faire entendre sa rumeur gracircce agrave des

alliteacuterations en laquo r raquo Dans la foule lrsquoindividualiteacute le regard personnel sur le monde

et lrsquohistoire disparaissent La foule crsquoest lrsquoincarnation de tout ce que Peacuteguy

nrsquoadmettait pas dans ce monde

Le septiegraveme dizain introduit le thegraveme du temps Peacuteguy parle de la dureacutee les

amours et les erreurs de Paris sont laquo longues raquo et ses fureurs lentes La ville est

appeleacutee maternelle or le temps ne peut rien contre lrsquoamour drsquoune megravere La ville

est laquo salutaire raquo comme si lrsquoimage de sainte Geneviegraveve et celle de la ville

srsquounissaient dans le symbole drsquoune megravere aimante et fidegravele

Dans le huitiegraveme dizain partie centrale de ce poegraveme il est dit que Paris est la

ville de sainte Geneviegraveve

170

Vous qui la connaissez dans le secret des cœurs

Et le sanglot secret de ses rugissements

Dans la fideacuteliteacute de ses attachements

Et dans lrsquohumiliteacute de ses plus grands vainqueurs

Dans le sourd tremblement des plus ardents piqueurs

Et la foi qui reacutegit ses accompagnements

Et lrsquohonneur qui reacutegit tous ses engagements

Et lrsquohumeur qui reacutegit ses plus grossiers moqueurs

Vous seule vous savez comme elle est ponctuelle

Votre ville servante et pourtant reacutefractaire (OPD 1171)

Le plus important se livre dans un secret la ville se livre agrave sa sainte Paris est

ici doteacutee de traits qui pour Peacuteguy constituent autant de critegraveres de la sainteteacute

fideacuteliteacute humiliteacute foi honneur ponctualiteacute liberteacute

Le neuviegraveme dizain continue le thegraveme du secret de lrsquohumiliteacute et de la fideacuteliteacute

Au milieu se trouve une strophe qui semble eacutetrange laquo Et dans le lent recul de ses

longs avenirs raquo Crsquoest ainsi que Peacuteguy deacutecrit la preacutesence du saint dans le temps

historique Comme eacutecrit W Fowlie il srsquoagit ici de laquo lrsquoenracinement de lrsquoeacuteternel

dans le temporel raquo164 Le rocircle du saint dans ce temps pour Peacuteguy crsquoest la preacutesence

de lrsquoeacuteternel dans le temporel le teacutemoignage du temporel devant lrsquoeacuteterniteacute et la

vision de lrsquoeacuteternel dans le temps

Le dixiegraveme dizain parle de sang un symbole important puisqursquoil srsquoagit en

mecircme temps du sang royal et du sang qui a couleacute sur les barricades

Vous qui la connaissez dans le sang de ses rois

Et dans le vieux paveacute des saintes barricades

Et dans ses mardis-gras et dans ses cavalcades

Et dans tous ses autels et dans toutes ses croix

Vous qui la connaissez dans son paveacute de bois

Teint du mecircme carnage et dans ses embuscades

Et dans ses quais de Seine et dans ses estacades

Et dans ses dures mœurs et son respect des lois

Vous seule vous savez comme elle est fraternelle

164 FOWLIE Wallace De Villon agrave Peacuteguy grandeur de la penseacutee franccedilaise Montreacuteal Edition de lrsquoarbre 1944 p 91

171

La ville deacutecevante et pourtant signataire (OPD 1171)

Crsquoest la premiegravere fois qursquoon trouve une description de la ville les mateacuteriaux de

construction srsquoaccordent alors avec le contenu des eacutevegravenements raconteacutes le bois

docile de la ville fraternelle srsquooppose aux durs quais de pierres

Dans le onziegraveme dizain Peacuteguy semble revenir un peu en arriegravere en quittant

une description un peu floue en croquis pour un lent reacutecit de lrsquohistoire de Paris agrave

lrsquoaide de paralleacutelismes et oppositions

Dans le douziegraveme dizain neacuteanmoins il revient agrave la description et encore une

fois revient lrsquoimage de Paris comme laquo caravelle raquo commandeacutee par sainte

Geneviegraveve que Peacuteguy a deacutejagrave utiliseacutee dans les Tapisseries laquo Vous seule commandez

la haute caravelle La ville menaccedilante et la destinataire raquo (OPD 1172)

Dans le treiziegraveme dizain on entend comme une intonation de compassion

envers une ville vielle et fatigueacutee

Dans la sourde rumeur de ses assemblements

Dans la porte et le mur de ses vieilles prisons

Vous seule connaissez la flamme et lrsquoeacutetincelle

La ville intelligente et pourtant volontaire (OPD 1172)

Mais dans cette vieille ville habite une flamme une eacutetincelle gardeacutee animeacutee

par sa sainte patronne

Dans le quatorziegraveme dizain on deacutecouvre la vie secregravete de la ville Sainte

Geneviegraveve est le seul vrai teacutemoin de toute la vie de Paris de laquo ses vices patents raquo et

de laquo ses vertus latentesraquo Paris apparaicirct comme une ville tellement contradictoire

qursquoelle est comme le dit le dernier dizain laquo eacuteblouissante et pourtant grabataire raquo

(OPD 1173)

Peacuteguy parle directement de sainte Geneviegraveve seulement dans les derniers

quatrains Il revient drsquoabord agrave lrsquoimage de lrsquohirondelle et de la fin du monde appeleacutee

printemps

Et quand aura voleacute la derniegravere hirondelle

Et quand il srsquoagira drsquoun bien autre printemps

Vous entrerez premiegravere et par les deux battants

172

Dans la cour de justice et dans la citadelle

On vous regardera comme eacutetant la plus belle

Le monde entier dira Crsquoest celle de Paris

On ne verra que vous au ceacuteleste pourpris

Et vous rendrez alors vos comptes de tutelle

Les galopins diront Crsquoest une vieille femme

Et les savants diront Elle est de lrsquoancien temps

Voici sa lourde ville et tous ses habitants

Et voici sa houlette et le soin de son acircme

Vous vous avancerez dans votre antiquiteacute

On vous eacutecoutera comme eacutetant la doyenne

Et la plus villageoise et la plus citoyenne

Et comme ayant reccedilu la plus grande citeacute

Seule vous parlerez lorsque tout se taira

Et Dieu qui nrsquoa jamais interloqueacute ses saints

Ni fausseacute sa parole et masqueacute ses desseins

Vous nommera sa fille et vous exaucera

Car vous lui parlerez comme sa mandataire

Pour votre patronage et votre clientegravele

Et seule vous direz comme elle eacutetait fidegravele

La ville deacutemocrate et pourtant feudataire (OPD 1173)

La sainte est deacutecrite drsquoune maniegravere touchante et presque drocircle comme une

princesse de conte de feacutee que tout le monde regarde parce qursquoelle est la plus belle et

cependant la plus vieille Elle connaicirct la ville et le village la jeunesse et la

vieillesse la richesse et la pauvreteacute ce qui fait de sainte Geneviegraveve le teacutemoin par

excellence

Et crsquoest de la fideacuteliteacute de Paris qursquoelle teacutemoignera devant Dieu qui lrsquoeacutecoutera

parce que lui aussi est eacuteternellement fidegravele

173

c) Egraveve

Le dernier texte poeacutetique que Peacuteguy a pu terminer date du 28 deacutecembre 1913

Le poegraveme monumental Egraveve est constitueacute de presque deux-mille quatrains eacutecrits dans

ses alexandrins habituels Crsquoest pratiquement la somme theacuteologique de lrsquoauteur

mais aussi la quintessence de sa maniegravere poeacutetique reacutepeacutetitions spirales sans bornes

synonymes aligneacutes Parfois le poegravete ne change qursquoun seul mot de quatrain en

quatrain Dans son proceacutedeacute de deacuteveloppement poeacutetique il suit le principe de la

Lectio Divina propre aux contemplatifs il srsquoagit de meacutediter sur une image un

texte biblique en srsquoimmergeant en precirctant attention agrave un seul mot un petit deacutetail

en posant longuement son regard sur quelque chose de nouveau en goucirctant chaque

mot chaque nuance de sens Le poegraveme est consacreacute agrave Egraveve mais il couvre toute la

Bible et presque toutes les eacutepoques historiques en se terminant par la comparaison

entre deux morts celle de Jeanne drsquoArc et celle de sainte Geneviegraveve

Au deacutebut Peacuteguy revient agrave son image preacutefeacutereacutee celle de Geneviegraveve et de Jeanne

qui megravenent Paris et toute la France aux portes du Royaume

Et nous serons conduits par une autre houlette

Et nos bergers seront de bien autres bergegraveres

Et nous nous deacutelierons drsquoune autre bandelette

Et nous serons meneacutes par de mains plus leacutegegraveres

Et nous seront conduits par une autre houlette

Et nos bergers seront deux antiques bergegraveres

Et nous serons lieacutes drsquoune autre bandelette

Et nous serons lieacutes par de mains plus leacutegegraveres

[]

Et nos bergers seront deux uniques bergegraveres

Et nous filerons doux par devant ses houlettes

Et nous serons meneacutes par des mains plus leacutegegraveres

Et nous eacutecarterons nos pacircles bandelettes (OPD 1382-1383)

Agrave lrsquoexemple du mot laquo bandelette raquo on voit comment Peacuteguy utilise la

polyseacutemie il laisse une partie de texte sans la changer mais gracircce agrave cette reacutepeacutetition

meacuteditative les multiples sens du mot que le poegravete voudrait souligner srsquoeacuteclaircissent

174

Il procegravede comme un savant qui pose une expeacuterience scientifique laquo poeacutetiqueraquo pour

que lrsquoimmersion intense dans le sens du mot megravene le lecteur sur la voie de la

connaissance Ici il pose une expeacuterience sur le mot laquo bandeletteraquo Crsquoest le peacutecheacute qui

lie lrsquohomme les mains des bergegraveres libegraverent le peuple franccedilais et elles conduisent

leur troupeau tendrement avec la corde jusqursquoau Royaume ceacuteleste le voile est celui

dans lequel eacutetait enveloppeacute Lazare que Jeacutesus ressuscita le voile de la mort On

pourrait aussi srsquoarrecircter sur lrsquoexpression laquo nous filerons doux raquo Crsquoest lrsquoideacutee de la

damnation eacuteternelle qui avait dans sa jeunesse eacuteloigneacute Peacuteguy de lrsquoEacuteglise Dans son

œuvre ultime il insiste sur le salut pour tous sainte Geneviegraveve et Jeanne presque

en cachette afin que laquo les cureacutes raquo ne les voient pas laquo filent doux raquo pour emmener

tout le troupeau qui leur est confieacute jusqursquoau Royaume de Dieu

Peacuteguy deacutecrit la mort de sainte Geneviegraveve et de Jeanne drsquoArc en montrant ce qui

est commun Les deux sont mortes connues et aux yeux drsquoune foule parce que les

deux guidaient le peuple franccedilais le troupeau doit voir son berger

Les yeux leveacutes au ciel sans hacircte et sans angoisse

Lrsquoune est morte au milieu drsquoun peuple convoqueacute

Les yeux leveacutes au ciel non-sens un peu drsquoangoisse

Lrsquoautre est morte au milieu drsquoun peuple convoqueacute

[]

Drsquoun cœur sans deacutefaillance et drsquoun cœur indompteacute

Lrsquoune est morte au milieu de la race chreacutetienne

Drsquoun cœur sans deacutefaillance et drsquoun cœur indompteacute

Lrsquoautre est morte au milieu de la race chreacutetienne (OPD 1384-1385)

Pour Peacuteguy qui a toujours donneacute pratiquement le mecircme poids agrave la sainteteacute et agrave

lrsquoheacuteroiumlsme mecircme sainte Geneviegraveve acquiert certains traits propres aux heacuteros elle

meurt laquo sans hacircte et sans angoisse raquo avec un cœur laquo sans

deacutefaillance raquo et laquo indompteacute raquo Cette description nrsquoa rien drsquoeacutetrange srsquoagissant de

Jeanne mais dans la mesure ougrave jamais Peacuteguy ne parle de la rencontre de sainte

Geneviegraveve avec Attila et eacutevoque agrave peine son voyage peacuterilleux avec des vivres pour

Paris lrsquoheacuteroiumlsme attribueacute dans ces strophes agrave sainte Geneviegraveve surprend Pour

Peacuteguy ce qui compte vraiment ce ne sont cependant pas les faits biographiques

Peacuteguy en eacutelegraveve fidegravele de Corneille unit les figures du heacuteros et du saint

175

Ensuite Peacuteguy parle de la terre celle sur laquelle les deux bergegraveres ont grandi

mais aussi la terre qui comme une megravere pour lrsquoauteur symbolise Egraveve la premiegravere

femme Il dit que la terre deacutefinit notre acircge et notre histoire La terre crsquoest la

meacutemoire et la gardienne de lrsquohistoire

Au milieu des bourgeois des manants et des precirctres

Lrsquoune est morte au milieu drsquoun peuple nouveau-neacute

Au milieu des soldats des bourreaux et des precirctres

Lrsquoautre est morte au milieu drsquoun peuple abandonneacute (OPD 1385)

Le contexte historique reste important pour Peacuteguy dans son aspect

synchronique (le monde qui entoure les saintes le peuple les soldats et les

bourreaux le monde dont les saintes sont eacutecarteacutees pour Dieu par leurs actes en

tant que saintes) comme dans son aspect diachronique (le peuple de France

nouveau-neacute ou abandonneacute)

Et lrsquoune dans le ciel a lrsquoacircge que Dieu veut

Fillette ou jeune femme ou diligente aiumleule

Comme un roi qui choisit dans une immense meule

Une gerbe de bleacute fine comme un cheveu

Mais lrsquoautre dans le ciel ne peut avoir qursquoun acircge

Et quand Dieu le voudrait il nrsquoy pourrait rien faire

Et quand Dieu le voudrait ce nrsquoest pas son affaire

Elle est monteacutee au ciel degraves son apprentissage

Elle est monteacutee au ciel ensemble jeune et sage

A peine parvenue au bord de son printemps

Au bord de sa tendresse et de son jeune temps

A peine au deacutebarqueacute de son premier village (OPD 1394)

Ces strophes peuvent paraicirctre absolument heacutereacutetiques drsquoun point de vue

theacuteologique puisque dans le Royaume de Dieu seule la volonteacute divine agit La

penseacutee de Peacuteguy sur sainte Geneviegraveve est claire la mort lrsquoa seacutepareacute de la terre qui

deacutefinit lrsquoacircge dans la vieillesse deacutesormais son acircge deacutepend de Dieu Mais ce que

Peacuteguy dit de Jeanne drsquoArc est troublant comment est-ce que Jeanne au ciel ne sera

que jeune laquo Et quand Dieu le voudrait il nrsquoy pourrait rien faire raquo Cette ideacutee de

176

Peacuteguy est lieacutee aux thegravemes principaux de tout le poegraveme Egraveve la creacuteation et

lrsquoIncarnation Dieu a creacuteeacute cette terre et les lois de la nature Dans la mesure ougrave Dieu

a creacuteeacute des lois il ne va pas les transgresser En srsquoincarnant Dieu lui-mecircme obeacuteit aux

lois qursquoil a creacuteeacutees il accepte de naicirctre de vivre de mourir Or si lrsquohomme

ressuscite avec son corps et Jeanne est morte agrave dix-neuf ans elle ne peut pas en

avoir plus au ciel Lrsquoexistence au Paradis nrsquoest pas un prolongement de lrsquoexistence

sur terre mais une autre existence

Et lrsquoune est morte un soir et le trois de janvier

Tout un peuple assembleacute la regardait mourir

Le bourgeois le manant le pacirctre et le bouvier

Pleuraient et se taisaient et la voyaient partir

Lrsquoeacuteblouissant manteau drsquoune seacutevegravere neige

Couvrait les beaux vallons de pays parisis

Lrsquoamour de tout un peuple eacutetait tout son cortegravege

Et ce peuple crsquoeacutetait le peuple de Paris

Lrsquoeacuteblouissant manteau drsquoune prudente neige

Couvrait les beaux recreux de la naissante France

Lrsquoamour de tout un peuple eacutetait son espeacuterance

Lrsquoamour de tout un peuple eacutetait tout son cortegravege

Et par la France jrsquoentends le pays parisis

Et la neige eacuteclatait tunique grave et blanche

On avait fabriqueacute comme une estrade en planche

Et lrsquoantique Lutegravece eacutetait deacutejagrave Paris

La neige deacuteroulait un immense tapis

Lrsquohistoire deacuteroulait un immense discours

La gloire encommenccedilait un immense parcours

Deacutejagrave lrsquohumble Lutegravece eacutetait le grand Paris

La neige deacutecoupait un immense parvis

Lrsquohistoire preacuteparait un immense destin

La gloire se levait dans un jeune matin

Et la jeune Lutegravece eacutetait le vieux Paris (OPD 1396-1397)

177

Peacuteguy ouvre le dernier eacutepisode du poegraveme par une date concregravete celle qui dans

lrsquoEacuteglise catholique ceacutelegravebre la mort de sainte Geneviegraveve de Paris Qursquoimporte si

cette date est bien la date historique de sa mort ou non Ce qui est important crsquoest

que Peacuteguy place la vie de la sainte dans lrsquohistoire de maniegravere preacutecise et concregravete

Il neige rarement agrave Paris mais la description de la mort de sainte Geneviegraveve est

une description de Paris sous la neige Certains adjectifs utiliseacutes par Peacuteguy pour

qualifier cette neige sont aussi ses eacutepithegravetes preacutefeacutereacutees pour parler des saints qursquoil

aime la sainte est prudente seacutevegravere grave eacuteblouissante Dans les textes de Peacuteguy

il y a peu de couleurs mais le blanc apparaicirct comme symbole de sainteteacute de pureteacute

Ici en revanche la neige ne parle pas que de pureteacute de mort et de froid Cette

description nrsquoest pas patheacutetique La neige couvre Paris et ses alentours pour

souligner son relief pour mieux preacutesenter les terres que la sainte aimait

Peacuteguy parle aussi de lrsquohistoire parce que pour lui lrsquohistoire et la gloire drsquoune

ville commencent avec le saint qui agit dans lrsquohistoire

laquoLrsquoamour de tout un peuple eacutetait son espeacuteranceraquo Non seulement la priegravere de

sainte Geneviegraveve pour Paris protegravege Paris et rend possible la naissance de Jeanne

drsquoArc mais aussi la priegravere des habitants de Paris agrave leur sainte patronne rend possible

la naissance drsquoune nouvelle sainte qui continue son travail La communion des

saints passe aussi par les fidegraveles qui les prient

Lrsquoautre est morte un matin et le trente de mai

Dans lrsquoheacutesitation et la stupeur publiques

Une forecirct drsquohorreur de haches et de piques

La tenaient circonscrite en un cercle fermeacute

Et lrsquoune est morte ainsi drsquoune mort solennelle

Sur ses quatre-vingt-dix ou quatre-vingt-douze ans

Et les durs villageois et les durs paysans

La regardant vieillir lrsquoavaient crue eacuteternelle

Et lrsquoautre est morte ainsi drsquoune mort solennelle

Elle nrsquoavait pas passeacute ses humbles dix-neuf ans

Que de quatre ou cinq mois et sa cendre charnelle

178

Fut disperseacutee aux vents (OPD 1397)

La mort des saints repreacutesentent une sorte de halte dans lrsquohistoire Jeanne drsquoArc

et Geneviegraveve sont les preacutecurseurs du Jugement dernier les deux bergegraveres apregraves

leur mort guideront la France agrave la droite du Pegravere bien que des siegravecles les seacuteparent

leur mort devient une derniegravere limite de lrsquohistoire

Pour conclure ce chapitre on peut voir ainsi que le saint patron est un saint qui

imite Jeacutesus le bon pasteur et la Vierge Marie dans sa materniteacute laquo Parce qursquoaussi

elle est la megravere du Bon Pasteur de lrsquoHomme qui a espeacutereacute raquo (OPD 671) Rien ne

reacutesiste agrave la supplication drsquoune megravere ou de ceux qui lrsquoimitent dans sa materniteacute

Peacuteguy le dit dans un entretien avec Joseph Lotte de maniegravere peut-ecirctre exageacutereacutee

mais qui explique parfaitement la place cruciale que les saints patrons tiennent dans

sa vie et aussi dans son œuvre

hellip Il ne faut pas voir les choses en noir Notre race a des ressources ineacutepuisables La geacuteneacuteration qui vient est admirable Quand on entend les idiots comme le vieux Leacuteon Blum nous annoncer que Paris doit srsquoeacutecrouler sous une pluie de feu par punition de ses crimes crsquoest agrave hausser les eacutepaules Comme si sainte Geneviegraveve saint Louis Jeanne drsquoArc devaient abandonner leur ville Il ne comprend rien au patronage le pauvre homme Litteacuteralement les saint commandent la volonteacute de Dieu et la dirigent165

165 PEacuteGUY Charles LOTTE Joseph Lettres et entretiens p 144

179

CONCLUSION

Dans lrsquoœuvre de Peacuteguy le personnage exemplaire eacutevolue en mecircme temps que

lrsquoauteur lui-mecircme en partant du rocircle des meneurs des chefs de file il passe par le

personnage agrave imiter pour en arriver au saint patron intercesseur

Le saint est un homme de dialogue il se tient donc au carrefour et il peut ecirctre

le suppliant le patron protecteur lrsquointercesseur lrsquoexemple agrave imiter non seulement

en visant la perfection morales des actes mais aussi pour pouvoir en imitant ses

faits et les gestes acceacuteder agrave lrsquointimiteacute de Dieu

Les saints chez Peacuteguy sont laquo fabriqueacutes raquo par Peacuteguy et par Dieu Peacuteguy

laquo fabrique raquo ses saints agrave lrsquoaide drsquoun proceacutedeacute drsquoeacutemerveillement qui lui est propre

fondeacute sur un meacutelange drsquoadmiration et de deacutesir drsquoimiter les actes toutefois sans

lrsquointervention de la gracircce divine ils ne pourraient qursquoacceacuteder aux vertus terrestres et

agrave la perfection mais pas agrave la sainteteacute

Peacuteguy creacutee des personnages saints qui sont terrestres et ceacutelestes charnels et

eacuteternels ils sont les heacuteritiers drsquoune race ils habitent une terre et ils y travaillent ils

vivent dans notre monde et dans notre histoire ils sont peacutecheurs mais ils se laissent

travailler par la gracircce pour pouvoir pratiquer des vertus et deviennent ainsi un

exemple agrave imiter pour leurs contemporains

Ils eacutetaient drsquoabord des heacuteros mais ils deviennent des saints ainsi que laquo tout ce

qui est de la citeacute de Rome devient tout ce qui est de la citeacute de Dieu raquo (III 310)

180

Deuxiegraveme partie

Une sainteteacute pour le temps preacutesent

181

INTRODUCTION

Pour Peacuteguy les saints ne sont pas seulement des figures historiques mais des

acteurs dans le preacutesent ils unifient le passeacute le preacutesent et le futur en creacuteant une

eacuteternelle reacutealiteacute Peacuteguy refuse absolument de faire la distinction entre la vie priveacutee

et la vie publique des saints justement parce qursquoil veut eacuteviter drsquoeacuteriger le saint en

simple figure exemplaire Crsquoest dans ce but par exemple que Peacuteguy disserte tant

sur les grands peacutecheurs devenus saints ces saints qui sont laquo comme nous raquo Il se fait

le laquo chroniqueur raquo des saints comme il lrsquoexplique dans le Laudet et dans la Note

conjointe parce que laquo Le chroniqueur parachegraveve ce que lrsquoIncarnation accomplit

non seulement Dieu srsquoest fait homme ais il a confieacute la meacutemoire de son incarnation

au verbe humain raquo166 Le saint certes srsquoapparente au heacuteros et il reste une figure

exemplaire mais Peacuteguy veut aussi le rapprocher de lui-mecircme de ses amis de nous

ses lecteurs et ses laquo heacuteritiers raquo pour rendre possible un dialogue

Ce thegraveme de lrsquoIncarnation de Dieu si proche des hommes est la marque drsquoune

eacutepoque Voilagrave ce dont Peacuteguy ose parler pour sa part dans ses textes par exemple il

commence Le Porche du mystegravere de la deuxiegraveme vertu par les mots laquo La foi que

jrsquoaime le mieux dit Dieu crsquoest lrsquoespeacuterance raquo (OPD 629) En mecircme temps que

Peacuteguy par exemple le philosophe russe Nicolas Berdiaev167 travaille sur le mystegravere

de lrsquoIncarnation et lrsquohistoire sur ce choix qui creacutee le mouvement dans lrsquohistoire et

donne une dimension eschatologique agrave chaque vie ce choix par lequel les saints

peuvent imiter Dieu quand leur choix les place dans Ses pas Cette nouvelle

perception de lrsquoincarnation creacutee un nouveau regard sur la sainteteacute une sainteteacute pour

notre temps

166DAUDIN Claire Daudin Dieu a-t-il besoin de lrsquoeacutecrivain opcit p 156 167 Nicolas Berdiaev (1874-1948) est un philosophe chreacutetien existentialiste qui a eacutecrit en franccedilais et en russe Comme Peacuteguy il a beaucoup travailleacute sur la philosophie de lrsquohistoire et mis la liberteacute au centre de sa reacuteflexion

182

Quelques anneacutees plus tard les Russes eacutemigreacutes en France deacutecouvriront Peacuteguy et

approuveront la proximiteacute entre sa penseacutee et la philosophie religieuse russe du deacutebut

du XXe siegravecle Avant les grands eacuteveacutenements du deacutebut du XX siegravecle qui ont changeacute

le monde le saint avait deux rocircles interceacuteder et servir drsquoexemple par lrsquoimitation de

Dieu Peacuteguy agrave lrsquoimage de lrsquohistorien et philosophe russe Georges Fedotov qui a

beaucoup eacutetudieacute la sainteteacute attribuent au saint et agrave la sainteteacute un nouveau rocircle celui

drsquoecirctre un acteur dans la socieacuteteacute Tous deux cherchent des exemples dans les vies de

saints dont un choix changeait la socieacuteteacute et non seulement une situation sainte

Geneviegraveve aux portes de Paris Jeanne drsquoArc et la France Boris et Gleb les

premiers saints Russes et Dreyfus pour Peacuteguy apparaissent ainsi comme des

saints en raison de leur innocence

La position du saint comme celle du heacuteros et du geacutenie dans la socieacuteteacute est

particuliegravere il srsquooppose agrave la laquo foule raquo au laquo groupe raquo tant deacutetesteacute par Peacuteguy il agit

dans le monde et fait partie drsquoune laquo communion raquo il est donc en mecircme temps

solitaire et solidaire Aussi la sainteteacute se voit-elle attribuer un rocircle capital dans la

nouvelle socieacuteteacute qursquoimagine Peacuteguy unissant la mystique et la politique

En parlant de la socieacuteteacute qursquoil voudrait construire Peacuteguy parle drsquoune forme

particuliegravere drsquounion entre les humains ougrave toute exclusion est impossible cette

forme correspond agrave la description de lrsquoEacuteglise comme laquo communion des saints raquo

Lrsquoamitieacute et la communion constituent le ciment de la citeacute Peacuteguy deacutecrit sainte

Geneviegraveve et Jeanne drsquoArc comme des amies bien qursquoelles soient seacutepareacutees par

plusieurs siegravecles Peacuteguy donne agrave lrsquoamitieacute non seulement la valeur drsquoune vertu mais

aussi celle drsquoune laquo communion des saints raquo lrsquoEacuteglise apparaicirct comme le produit de

lrsquoamitieacute des saints agrave travers les siegravecles

183

CHAPITRE IV LE TEMPS DE LA SAINTETE

La question du temps plus concregravetement celle des relations entre lrsquohistoire et la

meacutemoire est lrsquoune des mieux eacutelaboreacutees et des plus deacutetailleacutees dans lrsquoœuvre de

Peacuteguy Or le thegraveme de la sainteteacute tient un rocircle important dans cette reacuteflexion

Les influences de Peacuteguy dans ce domaine de penseacutee sont multiples Pour ce qui

concerne lrsquohistoire crsquoest au deacutepart surtout Jules Michelet ainsi que Taine et Renan

mecircme si Peacuteguy perccediloit ces auteurs de maniegravere tregraves ambigueuml Plus tard Peacuteguy rejette

deacutefinitivement Taine qui agrave son avis installe le scientifique et lrsquohistorien agrave la place

de Dieu mais il reste moins seacutevegravere envers Renan agrave cause de certains traits

laquo mystiques raquo (dans le sens peacuteguyste du mot) dans son œuvre Jean Delaporte

explique que laquo Renan aux yeux de Peacuteguy incarne ensemble le mythe drsquoun

messianisme de lrsquohumaniteacute et une certaine collusion du spirituel au temporel raquo168

Lrsquoinfluence majeure subie par Peacuteguy crsquoest indiscutablement celle drsquoHenri Bergson

son principal maicirctre agrave penser En novembre 1897 Bergson donne un cours sur la

philosophie de Plotin au Collegravege de France en feacutevrier 1898 il est nommeacute maicirctre de

confeacuterences agrave lrsquoEacutecole Normale supeacuterieure Peacuteguy nrsquoest alors plus officiellement

eacutelegraveve de lrsquoEacutecole Normale il lrsquoa quitteacutee en 1897 mais il preacutepare lrsquoagreacutegation de

philosophie et assiste agrave certains cours dont ceux de Bergson

Lrsquoinfluence de Bergson sur Peacuteguy est tregraves importante Le philosophe change

son approche du travail intellectuel mais aussi toute sa perception du monde La

future theacuteorie de Peacuteguy sur la mystique et la politique naicirct de cette influence agrave

commencer par lrsquoattention aux mystegraveres de la vie spirituelle agrave la seacuteparation dans la

vision de la vie entre ce qui relegraveve du spirituel et ce qui relegraveve du mateacuteriel Ce que

Peacuteguy va puiser chez Bergson explique Paul Cimon laquo crsquoest bien lrsquoessence mecircme

de la philosophie bergsonienne crsquoest avant tout le sens de la dureacutee universelle le

sens de cette dureacutee qui est de lrsquoecirctre et auquel se rattache une exigence immeacutediate de

168 DELAPORTE Jean Connaissance de Peacuteguy TI Paris Plon 1959 p 105

184

participation effective raquo169 Bergson a pousseacute Peacuteguy agrave se libeacuterer des seuls scheacutemas

et concepts qui priveraient le reacuteel de sa dimension spirituelle Dans sa thegravese sur la

philosophie de lrsquohistoire chez Charles Peacuteguy la speacutecialiste russe de lrsquoauteur Tatiana

Taiumlmanova eacutecrit agrave propos de lrsquoinfluence de Bergson sur Peacuteguy

Gracircce agrave lui Peacuteguy srsquoest rendu compte du danger drsquoune approche purement quantitative du reacuteel incapable de percevoir ses changements qualitatifs La philosophie de Bergson soutient lrsquoaspiration de Peacuteguy ndash sortir du cercle vicieux drsquoune existence meacutecanique deacutepasser le deacuteterminisme social et naturel par lrsquoesprit creacuteateur170

Dans le contexte de cette thegravese et concregravetement de ce chapitre consacreacute agrave

lrsquoeacutetude du lien entre la sainteteacute le temps lrsquohistoire et la meacutemoire dans lrsquoœuvre de

Peacuteguy crsquoest la maniegravere dont Peacuteguy a inteacutegreacute les ideacutees de Bergson sur le temps et la

meacutemoire qui requiert particuliegraverement notre attention Apregraves avoir lu Matiegravere et

meacutemoire ouvrage que Peacuteguy appreacutecie tellement qursquoil lrsquooffre agrave Charlotte Baudoin en

1896 en guise de cadeau de fianccedilailles Peacuteguy cesse de percevoir le temps comme

un processus lineacuteaire qursquoon pourrait mesurer dans lrsquoespace Bergson souligne en

effet dans ses travaux lrsquoimpossibiliteacute drsquoappliquer au temps les mecircmes moyens de

mesure et drsquoeacutetude qursquoagrave lrsquoespace Peacuteguy choisit degraves lors agrave la suite de son maicirctre de

consideacuterer le temps celui de la vie inteacuterieure tel qursquoil est veacutecu par le sujet comme

une dureacutee ininterrompue Ce qui est sujet au changement ce nrsquoest pas une quantiteacute

mesurable mais la qualiteacute de la dureacutee Dans la mesure ougrave la dureacutee nrsquoest pas

percevable agrave lrsquoaide drsquoune eacutetude quantitative Peacuteguy suit Bergson aussi dans lrsquoideacutee

que crsquoest lrsquointuition qui permet de peacuteneacutetrer de percevoir de comprendre le reacuteel dans

la dureacutee le changement le mouvement En revanche Franccedilois Hartog remarque

que si Bergson applique la notion de la dureacutee agrave lrsquoindividu Peacuteguy lrsquoeacutelargit en parlant

de la dureacutee par rapport au peuple et agrave la race171

Dans les textes du jeune Peacuteguy la notion du temps est floue parfois elle

signifie le temps deacutelimiteacute contraire agrave la dureacutee bergsonienne ce qui correspondrait

169 CIMON Paul Peacuteguy et le temps preacutesent Ottawa Fides 1964 p 10 170 TAIumlMANOVA Tatiana Charles Peacuteguy philosophie de lrsquohistoire thegravese de doctorat drsquoEacutetat de philologie Saint-Peacutetersbourg 2006 ms (Тайманова Татьяна Шарль Пеги философия истории и литература диссертация на соискание ученой степени доктора филологических наук СПб 2006 (на правах рукописи)) p 125 171 HARTOG Franccedilois Reacutegime drsquohistoriciteacute preacutesentisme et expeacuterience du temps Seuil 2012 p 176

185

plus tard dans ses textes agrave la notion de lrsquohistoire Parfois au contraire en eacutecrivant

laquo temps raquo Peacuteguy en fait deacutesigne la dureacutee Au demeurant il nrsquoemploie que tregraves

rarement le mot laquo dureacutee raquo Mais il lrsquoexprime dans des passages comme par

exemple celui-ci issu de lrsquoun des premiers textes publieacutes dans les Cahiers de la

quinzaine laquo Les jeunes souvenirs des conversions anciennes sont intervenus dans

les vieillesses et non pas dans les maturiteacutes de ce preacutesent soucieux raquo (I 388)

Cette ideacutee exprimeacutee par lrsquointerlocuteur de Peacuteguy dans La Preacuteparation du congregraves

socialiste national qui parle de sa jeunesse militante reacutepublicaine correspond

pleinement agrave lrsquoideacutee de Bergson pour qui laquo La dureacutee inteacuterieure est la vie continue

drsquoune meacutemoire qui prolonge le passeacute dans le preacutesent raquo172 La meacutemoire telle qursquoelle

est exprimeacutee par le laquo citoyen docteur socialiste reacutevolutionnaire moraliste

internationaliste raquo correspond agrave la conservation et agrave la reproduction du passeacute dans le

preacutesent

Dans ce contexte on peut mesurer le temps mais pas la dureacutee Selon la

conception bergsonienne de la dureacutee le passeacute est inscrit dans un rapport de

coexistence avec le preacutesent gracircce agrave la meacutemoire non dans un rapport de succession

Jean Onimus dit que la philosophie de Bergson

preacutesentait agrave Peacuteguy une reacutealiteacute telle qursquoil la ressentait en effet la meacutetaphysique chez Bergson nrsquoeacutetait pas une mise en systegraveme plus ou moins ingeacutenieuse mais au contraire un effort peacutenible pour remonter le mouvement naturel de lrsquointelligence afin drsquoappreacutehender le reacuteel dans sa complexiteacute mouvante pour le saisir ou le ressentir tel quel pour se situer agrave lrsquointeacuterieur173

Pour Peacuteguy agrave partir du moment ougrave sa penseacutee devient chreacutetienne cependant que

sa foi influence de plus en plus sa penseacutee la sainteteacute incarne la dureacutee La sainteteacute

pour Peacuteguy est une incarnation de la dureacutee dans le reacuteel le saint se repreacutesente le

passeacute biblique comme un preacutesent le passeacute de lrsquohistoire sainte se fait en lui

meacutemoire La meacutemoire fait du passeacute une forme du preacutesent Le saint est toujours

preacutesent dans le preacutesent lrsquoaujourdrsquohui par les priegraveres qursquoon lui adresse et par

lrsquoinvocation Le saint est aussi preacutesent dans le futur par lrsquointercession et une forme

de projection dans le futur mais aussi parce qursquoil a la vie eacuteternelle

172 BERGSON Henri Dureacutee et simultaneacuteiteacute Paris PUF 2009 p 41 173 ONIMUS Jean Peacuteguy et le mystegravere de lrsquohistoire Paris Cahiers de lrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy 1958 p 26

186

Pauline Bernon [Bruley] eacutecrit que si

le preacutesent comme dureacutee est vu comme intervalle immeacutediatement englobeacute ans le passeacute ou le futur ndash alors il est ouvert agrave lrsquointervention de la gracircce Cette conception du preacutesent intervient notamment dans lrsquoopposition entre les acircmes raidie par lrsquohabitude et enduite de morale inaccessibles agrave la gracircce et les acircmes ouvertes au contact divin pleines de la liberteacute du laquo preacutesent raquo conccedilu comme une dureacutee174

Le Dialogue de lrsquohistoire et de lrsquoacircme charnelle jamais publieacute du vivant de

Peacuteguy est lrsquoun de ses textes ougrave sa reacuteflexion sur le temps est la plus eacutelaboreacutee Il y

parle entre autres du laquo recouvrement raquo effectueacute par les Pegraveres de lrsquoEacuteglise qui ont

rendu possible la rencontre entre le monde helleacutenique et le monde chreacutetien via le

peuple juif ce laquo recouvrement raquo rend possible une rencontre de lrsquoeacuteternel et du

temporel Il poursuit en eacutecrivant

Et ce peuple enfin avant pendant apregraves ce peuple qui lineacuteaire srsquoentecircta trente et quarante siegravecles dans lrsquoadoration du mecircme Dieu En voilagrave des acircges au moins mon ami Lrsquoacircge de lrsquoOccident lrsquoacircge de lrsquoOrient Lrsquoacircge grec lrsquoacircge romain lrsquoacircge heacutebreu lrsquoacircge chreacutetien Lrsquoacircge temporel des eacuteternels mecircmes lrsquoinsertion temporelle de lrsquoeacuteternel par (cette) coiumlncidence par cette sorte de collusion par cette liaison eacutetroite plus qursquoune connexion par cette coexistence par cette sorte de consubstantialiteacute de coessentialiteacute Temporaire La racination le racinement de lrsquoeacuteternel par la race et dans le peuple Dans le temps Lrsquoacircge temporel de lrsquoeacuteternel heacutebreu Lrsquoacircge temporel de lrsquoeacuteternel chreacutetien (III 624)

Lrsquoeacuteternel qui ne peut pas ecirctre deacutelimiteacute obtient une racine donc un deacutebut un

acircge qui lrsquoancre dans le preacutesent (lrsquoacircge nrsquoeacutetant qursquoune tradition qursquoun peuple ou une

personne a au moment preacutesent) et srsquoincarne donc dans le temps La sainteteacute est

lrsquoincarnation mecircme de la laquo racination raquo de lrsquoeacuteternel dans le temporel La sainteteacute est

eacuteternelle car elle naicirct de lrsquoimitation de Dieu eacuteternel mais Peacuteguy eacutecrit dans la Note

conjointe que laquo La sainteteacute mecircme est temporelle Et elle est soumise aux saisons et

aux temps Elle est soumise aux acircges de la vie raquo (III 1383) Elle eacutechappe cependant

agrave la vieillesse car elle est

La jeunesse mecircme crsquoest-agrave-dire le zeacutero de meacutemoire le zeacutero de fleacutetrissure le zeacutero drsquohabitude Une gracircce totale Une gracircce neuve Et si je puis le dire une gracircce jeune Car lrsquoeacuteterniteacute mecircme est dans le temporel (III 1385)

Comment le saint peut-il ecirctre en mecircme temps libre de la meacutemoire parce qursquoelle

megravene agrave la reacutepeacutetition et plein de cette mecircme meacutemoire parce qursquoelle creacutee la 174 BERNON [Bruley] Pauline laquo Peacuteguy-Polyeucte une conversion de lrsquoeacutenonciation raquo in Didier Boisson Elisabeth Pinto-Matthieu (dir) La conversion textes et reacutealiteacute Presses universitaires de Rennes 2014 p 211

187

racination Par une meacutemoire ancreacutee dans lrsquoespeacuterance un lien avec ses ancecirctre

dans lrsquoeacuteternelle possibiliteacute de renouvellement

Dans le Mystegravere de la chariteacute Peacuteguy lrsquoexprime de maniegravere tregraves explicite par la

bouche de ses trois heacuteroiumlnes dont chacune repreacutesente une forme de sainteteacute

Hauviette drsquoabord sur les premiegraveres pages du mystegravere dit laquo Il faut prendre le

temps comme le bon Dieu nous lrsquoenvoie mecircme comme il lrsquoenvoie aux autres

comme il nous envoie le temps des autres raquo (OPD 414) Cette phrase semble

totalement paradoxale comment peut-on recevoir le temps des autres Elle

pourrait de plus ecirctre interpreacuteteacutee de diffeacuterentes maniegraveres Mais si on suppose que

Peacuteguy en parlant de laquo temps raquo eacutevoque en fait la dureacutee on peut recevoir le temps

des autres dans le sens ougrave on peut ecirctre le reacuteceptacle de la meacutemoire drsquoun autre

preacutesente dans lrsquoaujourdrsquohui partageacute dans la contemporaneacuteiteacute

Jeannette deacuteplore au deacutebut du mystegravere lrsquoabsence de Dieu dans le monde

drsquoaujourdrsquohui et parle du bonheur de ceux qui ont veacutecu du temps de Jeacutesus tregraves vite

elle arrive cependant agrave lrsquoideacutee du patronage des saints qui veillent sur la France

comme Jeacutesus veillait sur Jeacuterusalem laquo Eacuteternellement ils vous proteacutegeront

eacuteternellement ils vous couvriront de leurs priegraveres raquo (OPD 434) Cependant

Jeannette envie quand mecircme un peu la Vierge les apocirctres ceux qui ont vu Jeacutesus de

leurs yeux parce que les autres saints laquo le voient que dans lrsquoeacuteterniteacute ougrave on a le

temps et vous vous le voyez aussi dans lrsquoeacuteterniteacute et vous lrsquoaviez vu vous lrsquoavez

vu sur la terre ougrave lrsquoon nrsquoa pas le temps raquo (OPD 436) dans la mesure ougrave sur terre

ce temps est limiteacute

Les premiers mots de Madame Gervaise dans le mystegravere sont laquo Il est lagrave Il est

lagrave comme au premier jour raquo (OPD 444) Agrave travers ce personnage Peacuteguy preacutesente la

sainteteacute contemplative il eacutecrit qursquoelle est laquo en vision raquo ce qui revient agrave dire que

Dieu est preacutesent dans son aujourdrsquohui Ensuite Jeannette prononce ces mots qui

semblent scandaleux laquo Je crois que si jrsquoavais eacuteteacute lagrave je ne lrsquoaurais pas abandonneacute raquo

Et dans ces mots la meacutemoire de lrsquoHistoire sainte srsquounit agrave lrsquoactualiteacute drsquoun eacuteveacutenement

veacutecu

188

Cette preacutesence de Dieu agrave la fois dans lrsquoeacuteterniteacute dans la dureacutee dans le temps

apparaicirct aussi dans le reacutecit de la Passion ougrave Peacuteguy montre qursquoavant sa mort

laquo Comme il allait rentrer dans son eacuteterniteacute raquo (OPD 468) Jeacutesus se souvenait de son

enfance du deacutebut de sa vie sur terre temporelle

Il revoyait lrsquohumble berceau de son enfance

Ougrave son corps fut coucheacute pour la premiegravere fois

Les langes sur la paille et le bœuf et la panse

De lrsquoacircne et les preacutesents les bergers et les rois (OPD 469)

La reacuteflexion sur le temps se concreacutetise dans lrsquoœuvre de Peacuteguy dans des eacutecrits

sur lrsquohistoire dans lesquels Peacuteguy construit sa philosophie de lrsquohistoire avec

Bergson et Michelet contre Taine et Renan mais aussi Seignobos Langlois et

Lavisse Ces derniers visaient en effet agrave faire de lrsquohistoire une discipline

veacuteritablement scientifique donc deacutepourvue de subjectiviteacute Peacuteguy preacutefegravere agrave

lrsquohistorien scientifique le teacutemoin de lrsquoeacuteveacutenement et de la dureacutee La question se pose

alors de savoir si lrsquoon peut ecirctre teacutemoin du passeacute Peacuteguy trouve la reacuteponse dans le

saint Le saint peut toujours ecirctre teacutemoin puisqursquoen tant que membre de lrsquoEacuteglise

Triomphante il est la meacutemoire vivante de la peacuteriode ougrave il a veacutecu Quant au

chroniqueur du saint il est le vrai historien

1 La sainteteacute et lrsquohistoire

Mecircme si lrsquoobjectif de ce chapitre nrsquoest pas drsquoanalyser ce que Peacuteguy a eacutecrit sur

lrsquohistoire (plusieurs eacutetudes ont deacutejagrave eacuteteacute consacreacutees agrave ce sujet) mais drsquoeacutetudier le

rapport de la sainteteacute agrave lrsquohistoire il est neacutecessaire de preacutesenter briegravevement

lrsquoeacutevolution de la penseacutee sur lrsquohistoire de Peacuteguy en srsquoappuyant sur les travaux

existants

Les amis de Peacuteguy de lrsquoeacutepoque du lyceacutee Lakanal teacutemoignent deacutejagrave non

seulement de son inteacuterecirct drsquoalors pour lrsquohistoire mais preacuteciseacutement de sa reacuteflexion sur

les diffeacuterentes approches et meacutethodes pour eacutetudier le passeacute et percevoir le preacutesent

189

Le jeune Peacuteguy faisait part agrave ses camarades de sa theacuteorie des peacuteriodes et des

eacutepoques il deacutefinissait comme laquo eacutepoques raquo les courts moments ougrave lrsquohistoire se fait

et comme laquo peacuteriodes raquo les moments ougrave rien ne se passe Cette vision de lrsquohistoire

est encore la sienne agrave lrsquoeacutepoque de Notre jeunesse des anneacutees plus tard Peacuteguy eacutetait

persuadeacute qursquoon peut changer le cours de lrsquohistoire qursquoune personne peut changer

une laquo peacuteriode raquo en laquo eacutepoque raquo crsquoest ce qursquoil a toujours voulu faire Tatiana

Taiumlmanova observe ainsi

Cette distinction entre laquo eacutepoques raquo et laquo peacuteriodes raquo est tregraves importante pour la compreacutehension de la conception de lrsquohistoire chez Peacuteguy puisqursquoelle lui permet non seulement de suivre du regard les dates et les eacuteveacutenements mais peacuteneacutetrer en profondeur observer la conception lrsquoaccomplissement le changement lrsquoinfluence sur drsquoautres eacuteveacutenements175

En revanche les peacuteriodes chez Peacuteguy ce ne sont pas forceacutement des moments

ougrave se produisent des eacuteveacutenements exceptionnels qui seraient certainement

catalogueacutes ficheacutes par les historiens mais plutocirct le temps ougrave ces eacuteveacutenements se

preacuteparent

Franccedilois Hartog preacutesente les principales positions de lrsquohistorien au XIXe siegravecle

Il srsquoest penseacute en prophegravete (avec Jules Michelet en vates du peuple) il srsquoest voulu laquo pontife raquo et laquo instituteur raquo (avec Gabriel Monod et Ernest Lavisse lrsquohistorien est celui qui fait laquo pont raquo entre lrsquoancienne et la nouvelle France qui raconte la lente formation de la nation et inculque la Reacutepublique) il a revendiqueacute lrsquolaquo oubli raquo preacutealable du preacutesent (Fustel de Coulanges est celui qui a pousseacute au plus loin lrsquoargument) pour se vouer agrave la connaissance du seul passeacute176

Au deacutebut comme peut-ecirctre tout eacutetudiant de son temps Peacuteguy srsquoest appuyeacute sur

Taine et Renan fondateurs agrave ses yeux de lrsquoapproche scientifique de lrsquohistoire

consistant agrave examiner attentivement les moindres deacutetails de lrsquoeacuteveacutenement eacutetudieacute

Dans Renan surtout Peacuteguy trouve cette volonteacute de ne jamais dissocier le religieux

de lrsquohistoire de rechercher une harmonie entre un ideacuteal qursquoil appelle mystique et

une action sociale et politique concregravete Cette volonteacute cette quecircte lrsquohabitent degraves le

deacutebut de ses eacutetudes Jeacuterocircme Grondeux a bien cerneacute lrsquoinfluence de Renan sur Peacuteguy

dans son article Peacuteguy conservateur

175 TAIumlMANOVA Tatiana opcit p 166 176 HERTOG Franccedilois laquo Le preacutesent de lrsquohistorien raquo Le Deacutebat 12010 (ndeg 158) p 18-31

190

Jauregraves Sorel Peacuteguy tous trois sont des lecteurs attentifs de Renan tous trois ont trouveacute chez lrsquoauteur des Origines du christianisme lrsquoideacutee tout agrave la fois que les ideacutees de type religieux eacutetaient mobilisatrices contre une certaine vulgate libre penseuse qui voyait en elle des ideacutees de repli par rapport au monde et que le socialisme eacutevoquait les premiers temps du christianisme lrsquoideacutee soreacutelienne du mythe mobilisateur doit quelque chose agrave la lecture de Renan Pour aborder la question du basculement drsquoun engagement de type socialiste agrave un positionnement plus agrave droite sur lrsquoeacutechiquier politique il est instructif de rapprocher les itineacuteraires intellectuels de Sorel et de Peacuteguy les deux hommes voient dans le mouvement ouvrier la source possible drsquoun renouvellement profond face agrave un ordre bourgeois deacutecadent tous deux refusent le laquo socialisme scientifique raquo Sorel relisant Marx pour tenter dans le contexte de reacutevision du marxisme lieacute aux interrogations de la fin du siegravecle de faire du marxisme non plus une philosophie de lrsquoHistoire agrave preacutetention scientifique mais une doctrine mobilisatrice destineacutee agrave donner plus de force agrave lrsquoaction proleacutetarienne tous deux sont des deacuteccedilus de lrsquoaction militante Peacuteguy deacuteplorant lrsquoeacutevolution du socialisme politique et les modaliteacutes de la marche agrave lrsquouniteacute Sorel deacutesapprouvant lrsquoeacutevolution du syndicalisme reacutevolutionnaire Et tous deux agrave un moment donneacute en appellent au catholicisme pour renouveler le monde moderne agrave un catholicisme qui doit refuser de pactiser177

Les cours de Bergson qui insistait sur le fait qursquoil nrsquoy a pas drsquoeacuteveacutenements

immuables preacutefabriqueacutes que tout dans lrsquohistoire est en mouvement et donc ne

peut ecirctre eacutetudieacute comme quelque chose de figeacute fixeacute ont fortement influenceacute Peacuteguy

Celui-ci srsquoest mis agrave combattre ceux qui travaillaient sur les faits de lrsquohistoire en

laquo faisant des fiches raquo sans prendre en compte le mouvement et la dureacutee dans lrsquoeacutetude

des eacuteveacutenements Peacuteguy refuse agrave la science historique positiviste la capaciteacute

drsquoeacutetudier et de comprendre lrsquoeacutevolution spirituelle de lrsquohumaniteacute mais il la refuse

aussi agrave la sociologie et agrave la psychologie en choisissant son propre chemin Il srsquoagit

pour lui de percevoir la mystique dans lrsquohistoire dans lrsquoeacuteveacutenement dans la

politique et crsquoest lrsquointuitivisme de Bergson qui lui donnera lrsquoinstrument

philosophique neacutecessaire pour comprendre laquo le sens de lrsquohistoire chreacutetienne la

seule qui existait pour Peacuteguy raquo178

Ses becirctes noires sont justement ceux qui regravegnent sur la science historique de

son temps Lavisse Langlois Seignobos Franccedilois Beacutedarida explique donc

pourquoi donc Peacuteguy exegravecre agrave ce point lrsquohistoire scientifique

Drsquoabord les historiens laquo meacutethodiques raquo avec leur eacuterudition et leurs boicirctes agrave fiches en chassant de leur champ la meacutemoire jugeacutee mouvante et incertaine non seulement eacutetouffent la vie mais ils ont deacutenatureacute la connaissance historique Chez eux faute drsquoimagination et drsquointuition il nrsquoy a plus qursquoun passeacute mort Drsquoautre part

177 GRONDEUX Jeacuterocircme laquo Peacuteguy conservateur raquo Mil neuf cent Revue drsquohistoire intellectuelle 12002 (ndeg 20) p 35-53 178 TAIumlMANOVA Tatiana opcit p 146

191

nrsquoaccepter comme sources que les archives eacutecrites constitue une usurpation une perversion voire une fraude intellectuelle et morale vis-agrave-vis du passeacute179

Agrave lrsquohistoire laquo archiviste raquo Peacuteguy oppose lrsquohistoire romantique de Michelet

Cependant lrsquoadmiration de Peacuteguy pour Jules Michelet nrsquoest pas un obstacle agrave une

vision plutocirct critique du romantisme et du sens que celui-ci donne agrave lrsquohistoire

Jeacuterocircme Grondeux souligne combien sont diffeacuterentes la vision de lrsquohistoire chez

Peacuteguy et les romantiques

Sur un seul point ndash mais il est loin drsquoecirctre mineur ndash Peacuteguy diffegravere fortement de certaines speacuteculations religieuses romantiques sans en revanche srsquoeacuteloigner de son cher Michelet son refus du progregraves providentiel son refus de faire drsquoun Progregraves fatal la version actualiseacutee de la Providence refus lui-mecircme lieacute dans un premier temps agrave son kantisme Les romantiques couplent souvent [hellip] une forte preacuteoccupation eacutethique avec une volonteacute de deacutecrypter le sens de lrsquoHistoire de surmonter le scandale du mal et de la souffrance Or pour Peacuteguy lrsquoHistoire ne peut en aucun cas ecirctre une consolatrice rien ne vient reacuteduire le mal et la souffrance Rien ne vient supprimer lrsquoinjustice Peacuteguy est ici disciple de Proudhon [hellip] et se situe dans une tradition libertaire Il refuse toujours (cela deviendra son fameux laquo pluralisme meacutetaphysique raquo) la reacuteduction du multiple agrave lrsquoUn la reacuteduction de lrsquoindividu au groupe qui permettrait de donner agrave lrsquoHistoire un sens univoque et consolateur Aucune souffrance aucune injustice ne peut ecirctre inteacutegreacutee dans un processus qui serait drsquoune maniegravere ou drsquoune autre laquo neacutecessaire raquo et qui lui donnerait un sens positif Il y a lagrave une deacutefense tout agrave la fois de lrsquoimpreacutevisible jaillissement du preacutesent qui doit beaucoup agrave Bergson un moralisme kantien (mecircme si Peacuteguy srsquoeacuteloigne de Kant au fur et agrave mesure qursquoil laquo enracine raquo ce qursquoil y a de bon dans le monde) une protestation libertaire Et qui limite aussi consideacuterablement son ralliement au conservatisme et empecircchera un veacuteritable ralliement au catholicisme intransigeant Ce dernier courant emploie pour interpreacuteter lrsquoHistoire les cateacutegories de la theacuteologie chreacutetienne et en particulier celui du sacrifice reacutedempteur180

Pauline Bernon [Bruley] dans son article Peacuteguy critique lrsquoenvers du

tragique181 eacutecrit pour sa part que pour Peacuteguy lrsquohistoire et la science creacuteent une

distance entre lrsquoobservateur et lrsquoobjet La distance creacuteeacutee par lrsquohistoire correspond agrave

un regard agrave travers lrsquoespace eacuteloigneacute dans le temps la science creacutee la distance parce

qursquoelle objectivise alors que lrsquoenracinement au contraire devient prolongement et

transforme les relations entre lrsquohistorien et lrsquoeacuteveacutenement drsquoobjectives en subjectives

Cette conception ne srsquoapplique pas seulement aux eacuteveacutenements mais agrave toute la

culture Pauline Bernon [Bruley] poursuit laquo Peacuteguy craint que lrsquoon considegravere un

texte comme une ldquoœuvre morterdquo suite drsquoideacutees enregistreacutees raquo pour lui en effet 179 BEacuteDARIDA Franccedilois laquo Histoire et meacutemoire chez Peacuteguy raquo Vingtiegraveme Siegravecle Revue drsquohistoire 12002 (no 73) p 101-110 180 GRONDEUX Jeacuterocircme opcit

181 BERNON [BRULEY] Pauline laquo Peacuteguy critique lrsquoenvers du tragique raquo Revue drsquohistoire litteacuteraire de la France 32005 (vol105) p 573-586

192

tout texte est le prolongement et la partie drsquoune entiteacute une branche drsquoun arbre qui se

nourrit de toutes les racines les plus anciennes et les plus profondes de la culture de

cette culture qursquoil a appeleacutee classique Le classique est en effet eacuteternel dans le

classique reacuteside lrsquoessence de la creacuteation parce que les racines ne vieillissent pas

crsquoest lrsquoarbre qui pousse toujours plus haut Peacuteguy appelle classique lrsquoœuvre qui

permet lrsquoeacuteducation la formation de lrsquoopinion personnelle et laquo plus profondeacutement

encore [] celle qui nous permet drsquoentrer dans le reacuteel qui le deacutecrit tregraves exactement

[] Lrsquoœuvre classique conjugue reacutealiteacute veacuteraciteacute et authenticiteacute182 raquo Pour Peacuteguy on

la trouve au premier chef dans la litteacuterature franccedilaise du XVIIe siegravecle et ensuite

lrsquoantiquiteacute

Pourtant lrsquohumaniteacute le peuple la race peuvent oublier ses racines Degraves lors la

cime commence agrave se desseacutecher et ecirctre malade Dans Par un demi-clair matin Peacuteguy

eacutecrit que notre temps est le temps de la mort derniegravere laquo la finale mort raquo drsquoHypatie

cette civilisation moderne [] est elle-mecircme essentiellement mortelle Drsquoautant plus

mortelle drsquoautant plus exposeacutee agrave la mort qursquoelle est moins profonde moins

profondeacutement enracineacutee au cœur de lrsquohomme que ne le furent la plupart des

anciennes civilisationsraquo (II 105)

Peacuteguy luttait pour le droit agrave la meacutemoire mais aussi pour le droit agrave une place

pour chacun dans lrsquohistoire agrave lrsquoeacutegaliteacute devant lrsquohistoire Il deacutefendait le droit de

chaque homme de chaque participant de lrsquoeacuteveacutenement de lrsquoecirctre-avec agrave devenir

partie du systegraveme radical de lrsquoarbre commun de la meacutemoire de lrsquohumaniteacute Il

estimait que la connaissance du preacutesent et la participation agrave lrsquoaction permettaient

drsquoeacutecrire lrsquoHistoire

Pour Peacuteguy le caractegravere ininterrompu la succession garantissent lrsquohistoire

humaine lrsquohistoire terrestre Pour que la vie sur la terre continue les travaux drsquohier

doivent se poursuivre aujourdrsquohui et demain rien ne doit srsquointerrompre les

hommes se succegravedent lrsquoun lrsquoautre dans un seul et mecircme pays ils construisent la

nation par la succession du travail Le territoire sur lequel vit la nation correspond agrave

lrsquoespace que cette nation peut cultiver La nation se prolonge autant que peuvent se 182 POQUET DU HAUT-JUSSEacute Laurent-Marie opcit p 326-327

193

succeacuteder les travailleurs autant que se prolonge la transmission du savoir autant

que se prolonge la discipline non dans le sens contemporain drsquoorganisation et

drsquoobeacuteissance mais dans le premier sens du mot apprentissage Lrsquoaicircneacute le maicirctre

doivent avoir des disciples dans ces disciples il y a la promesse du futur la

possibiliteacute drsquoun prolongement

Peacuteguy voyait dans lrsquohistoire la continuiteacute successive des eacuteveacutenements Au centre

de sa philosophie de lrsquohistoire il y a lrsquoeacuteveacutenement dans lequel lrsquohistorien est celui

qui se fait corps avec la reacutealiteacute qui se produit agrave cocircteacute de lui Peacuteguy estimait que la

vocation de sa revue des Cahiers de la quinzaine eacutetait drsquoecirctre lrsquohistorien de la

contemporaneacuteiteacute Dans lrsquoun de ses tout premiers textes anteacuterieur aux Cahiers de la

quinzaine un article publieacute dans la Revue Blanche sous le titre laquo Le Ravage et la

Reacuteparation raquo Peacuteguy oppose sa vision du rocircle de lrsquohistorien agrave la vision traditionnelle

qui en fait celui qui travaille sur le passeacute en vertu du principe suivant lequel on peut

ecirctre impartial sur le passeacute alors que nous sommes toujours partiaux sur le preacutesent

Agrave ce postulat il reacutepond

Comme crsquoest nous au contraire qui sommes les historiens qui sommes devenus historiens Quelle connaissance nous avons reccedilue de ce que crsquoest qursquoun peuple de ce que crsquoest qursquoune ideacutee de ce que crsquoest qursquoune campagne de ce que crsquoest qursquoune crise de ce que crsquoest qursquoune reacutevolution (I 266-267)

Peacuteguy semble ici eacutecarter la notion drsquoimpartialiteacute en la remplaccedilant par celle de

la liberteacute En veacuteriteacute il ne lrsquoeacutecarte pas nombre de ses textes dans les premiers

Cahiers seront consacreacutes au droit de laquo faire des personnaliteacutes raquo en teacutemoignant et

plus tard souligneront la terrible neacutecessiteacute de choisir le sujet du teacutemoignage avec le

risque de vouer agrave lrsquooubli ce dont on ne parle pas Cet article dans la Revue Blanche

est le dernier article publieacute par Peacuteguy avant la creacuteation des Cahiers de la quinzaine

Dans ce texte on peut observer le choix fait par lrsquoauteur entre lrsquohistoire classique

lrsquohistoire qui observe les eacuteveacutenements passeacutes de lrsquoexteacuterieur dans une position qui

semble garantir une impartialiteacute et lrsquohistoire-teacutemoignage qui place lrsquohistorien au

cœur de lrsquoeacuteveacutenement Son impossible impartialiteacute lieacutee agrave sa participation agrave

lrsquoeacuteveacutenement est en mecircme temps pour Peacuteguy ce qui rend leacutegitime sa parole et

garantit la veacuteriteacute de son teacutemoignage Un teacutemoin peut-il faire de lrsquohistoire ou

seulement du journalisme Quel est le rocircle du teacutemoin dans lrsquohistoire Crsquoest

194

lrsquoimpasse intellectuelle et morale dans laquelle Peacuteguy se place crsquoest aussi du

mecircme coup celle des Cahiers dont il est le fondateur

a) Histoire et meacutemoire

Peacuteguy va reacutefleacutechir toute sa vie sur les relations entre la meacutemoire lrsquohistoire

lrsquoeacuteveacutenement et le monde moderne Dans les anneacutees 1908-1909 il pense exprimer

ces penseacutees dans une thegravese intituleacutee De la situation faite agrave lrsquohistoire dans la

philosophie geacuteneacuterale du monde moderne mais il ne laisse finalement que des notes

On peut consideacuterer les trois laquo situations raquo reacutedigeacutees en 1907 De la situation faite agrave

lrsquohistoire et agrave la sociologie dans les temps modernes De la situation faite au parti

intellectuel dans le monde moderne et De la situation faite au parti intellectuel dans

le monde moderne devant les accidents de la gloire temporelle comme des textes

preacuteparatifs agrave la thegravese mais deacutejagrave Les suppliants parallegraveles Zangwill et mecircme le

Compte rendu du congregraves eacutecrit en 1901 vont dans ce sens

Dans ses Notes pour une thegravese Peacuteguy eacutecrit

Et pour tomber et pour ecirctre sauveacutee lrsquohumaniteacute nrsquoa point attendu que fucirct creacuteeacutee lrsquohistoire et la science de lrsquohistoire des religions [hellip]

Partout (et naturellement) lrsquohumaniteacute comme tout le reste de la nature comme tout le reste de la creacuteation partout lrsquohumaniteacute dans la creacuteation dans lrsquoensemble de la creacuteation a preacuteceacutedeacute lrsquoenregistrement de lrsquohumaniteacute partout les actions ont devanceacute les registrations (II 1212)

La meacutemoire qui correspond agrave la dureacutee de lrsquoaction le prolongement de

lrsquoeacuteveacutenement dans le preacutesent srsquooppose ainsi agrave lrsquohistoire qui ne fait qursquoenregistrer

lrsquoeacuteveacutenement passeacute Emmanuel Mounier dans son texte consacreacute agrave Peacuteguy La vision

des hommes et du monde observe laquo Ce qursquoil appelle le regard historique avant de

se constituer en meacutethode est une attitude spontaneacutee de lrsquoesprit La meacutemoire est une

reacutesurrection lrsquohistoire st une inscription raquo183

Dans un texte deacutesespeacutereacute qui rend compte de la situation extrecircmement difficile

des Cahiers de la quinzaine en 1909 Agrave nos amis agrave nos abonneacutes Peacuteguy pour la

183 MOUNIER Emmanuel PEacuteGUY Marcel IZARD Georges La penseacutee de Charles Peacuteguy Paris Plon 1931 p 82

195

premiegravere fois fait parler lrsquohistoire qursquoil appelle laquo Clio fille de Meacutemoire raquo ou laquo la

Vieille raquo Il est tregraves dur avec elle Il nrsquoeacutecrit plus qursquoelle laquo enregistre raquo ou fait des

laquo fiches raquo mais qursquoelle est laquo Maicirctresse drsquoerreur(s) megravere des impostures raquo et

qursquoelle laquo ne donne que des cendres Mais non pas mecircme des cendres continues

totales une continuiteacute et une totaliteacute au moins de cendres Un systegraveme de cendres

Non quelques cendres discontinues disrompues des fragments de cendres mecircme

des brisures de cendres dans le creux de la main raquo (II 1296)

Quelle est cette diffeacuterence tragique voire ce conflit entre lrsquohistoire et la

meacutemoire qui la rend tellement ridicule et insenseacutee aux yeux de Peacuteguy

Il deacuteveloppe cette ideacutee dans les pages qui suivent comme plus tard de maniegravere

encore plus approfondie dans les anneacutees 1910 dans Clio et les deux Notes

Le siegravecle temporel nrsquoattendra point le regravegne eacuteternel pour se reacutesoudre en cendre Tous les jours du temps dans le preacutesent nous le voyons qui srsquoy reacutesout A mesure mecircme qursquoil passe Dans tout lrsquoimmense passeacute dans tout le preacutesent agrave mesure que lrsquoeacuteveacutenement reacuteel passe nous avons vu nous connaissons tout le monde a vu sous nos yeux nous voyons tous les jours que par lagrave mecircme et automatiquement devenant lrsquoeacuteveacutenement historique automatiquement aussi et en cela mecircme il devient presque instantaneacutement eacuteveacutenement historique drsquoeacuteveacutenement reacuteel qursquoil eacutetait qursquoil venait drsquoecirctre qursquoil eacutetait agrave lrsquoinstant eacuteveacutenement historique moins que rien une cendre en comparaison du reacuteel Une cendre temporelle (II 1296-1297)

La vision autrement dit le travail du teacutemoin joue un rocircle important aux yeux

de lrsquohistoire et de lrsquoeacuteveacutenement reacuteel Lrsquoeacuteveacutenement reacuteel que le teacutemoin voit et donc

connaicirct se fait cendres temporelles dans les mains de la vieille Clio Cependant

Peacuteguy lui donne la parole il deacuteclare laquo Laissons dire la Vieille raquo ougrave bien

laquo Laissons dire Clio fille de Meacutemoire raquo Il lui fait aussi une demande surprenante

celle de se souvenir laquo Laissons-la remeacutemorer et tenter de remeacutemorer raquo (II 1299) se

souvenir drsquoelle-mecircme et du fait qursquoelle est elle-mecircme poussiegravere Ce paradoxe

Peacuteguy lrsquoexpeacuterimente dans sa chair il lrsquoexplique par la maniegravere dont il vit dans la

dureacutee lrsquoaffaire Dreyfus Il dit laquo Nous sommes des vaincus raquo (II 1300) mecircme si

aux yeux de lrsquohistoire ce sont bien les dreyfusards qui ont remporteacute la victoire

Neacuteanmoins dans la meacutemoire dans la dureacutee de lrsquoeacuteveacutenement Peacuteguy se sent vaincu Il

explique cela drsquoabord par la deacutefaite de 1870 laquo Nous sommes des vaincus avant que

de naicirctre Nous sommes neacutes dans un peuple de vaincus raquo (II 1302) Il se considegravere

comme vaincu drsquoavance laquo Lrsquoexpeacuterience nous a montreacute une fois de plus

196

lrsquoeacuteveacutenement nous a rappeleacute durement acircprement une fois de plus que le vaincu ne

peut pas parler comme le vainqueur ou au moins comme celui qui nrsquoest qui nrsquoa eacuteteacute

ni vaincu ni vainqueur raquo (II 1305) Ce texte rend eacutevident cette diffeacuterence presque

conflictuelle entre la meacutemoire et lrsquohistoire dans lrsquohistoire on peut observer la

victoire des dreyfusards dans lrsquoAffaire mais dans la meacutemoire elle existe en tant que

deacutefaite continuation de cette mecircme deacutefaite veacutecue par la laquo race raquo franccedilaise comme

le dit Peacuteguy en 1870 deacutefaite dans la dureacutee qui se transforme en deacutefaite du

dreyfusisme en raison de sa reacutecupeacuteration politique

Dans un texte que Peacuteguy nrsquoa jamais termineacute intituleacute par son eacutediteur Dialogue

de lrsquohistoire et de lrsquoacircme charnelle il se moque presque de lrsquohistoire qui se preacutesente

en disant qursquoelle nrsquoa pas toujours eacuteteacute laquo cette vieille demoiselle steacutenographe qui

prend des copies qui fait toute la journeacutee des fiches et des enregistrements et qui

les met dans des boites raquo (III 595) Elle est deacutecrite comme une sorte de croque-mort

de lrsquoeacuteveacutenement qui le fiche et finalement lrsquooublie

Cependant Peacuteguy se veut historien du preacutesent Le mot laquo histoire raquo nrsquoest pas

toujours peacutejoratif pour lui surtout quand il srsquoinscrit dans un cadre poeacutetique Par

exemple dans La preacutesentation de la Beauce agrave Notre Dame de Chartres Peacuteguy

engage agrave laquo pleurer longuement notre tragique histoire raquo (OPD 1150) par lrsquoadverbe

laquo longuement raquo il inscrit lrsquohistoire dans la dureacutee

Par rapport agrave lrsquohistoire comme par rapport agrave la meacutemoire Peacuteguy demeure

paradoxal Franccedilois Beacutedarida explique bien ce paradoxe apparent qui pourrait faire

penser au lecteur que Peacuteguy se contredit

Agrave vrai dire de mecircme qursquoil y a deux histoires lrsquoauthentique et la caricaturale il y a deux meacutemoires En effet agrave la suite de Bergson qui distinguait une meacutemoire-souvenir proprement spirituelle et une meacutemoire-habitude meacutecanique et passive Peacuteguy distingue une meacutemoire vivifiante et une meacutemoire mortifiante Drsquoougrave lrsquoambivalence de la meacutemoire Ni lrsquoune ni lrsquoautre nrsquoont agrave ecirctre exalteacutees en soi en toutes circonstances et en tout lieu Car lrsquoune et lrsquoautre sont capables de faire vivre mais aussi drsquoendormir et de faire peacuterir La premiegravere est instrument de vie et instrument de sens elle relegraveve de la gracircce la seconde se trouve reacuteduite agrave lrsquohabitude Ainsi la bonne histoire grosse de la vraie meacutemoire loin de nous arracher au preacutesent nous aide agrave le vivre authentiquement et en profondeur 184

184 BEacuteDARIDA Franccedilois opcit

197

Dans Notre jeunesse aussi Peacuteguy cesse ses invectives contre lrsquohistoire pour

deacutemontrer comment lrsquohistoire devrait se conduire pour servir agrave la veacuteriteacute et agrave la

justice Ce texte a eacuteteacute penseacute au deacutebut comme une introduction agrave la publication dans

les Cahiers de la Quinzaine des archives de la famille Millets ndash des reacutepublicains

fourieacuteristes Au deacutebut de cette introduction qui comme souvent chez Peacuteguy

deacutepasse largement les frontiegraveres du genre ce dernier explique pourquoi ces archives

sont tellement preacutecieuses mais aussi pourquoi ce ne sont pas les lettres de Victor

Hugo qui les rendent preacutecieuses laquo Mais ce que nous voulons avoir ce que nous ne

pouvons pas faire crsquoest preacuteciseacutement les lettres de gens qui ne sont pas Victor

Hugo raquo ndash dit-il (III 6) Peacuteguy poursuit en expliquant qursquoon trouve facilement dans

les bibliothegraveques des lettres de Victor Hugo mais ce qursquoil voudrait vraiment savoir

laquo crsquoest ce qursquoil y avait derriegravere ce qursquoil y avait dessous comment eacutetait fait ce

peuple de France enfin ce que nous voulons savoir crsquoest quel eacutetait en cet acircge

heacuteroiumlque le tissu mecircme du peuple et du parti reacutepublicain Ce que nous voulons

faire crsquoest bien de lrsquohistologie ethnique raquo (III 6) Il eacutecrit ces lignes bien avant la

fondation de lrsquoeacutecole des Annales Lrsquohistoire que Peacuteguy admet celle dont il voudrait

se faire le heacuteraut crsquoest pourtant bien laquo lrsquohistoire de tous les jours de la semaine

crsquoest un peuple dans la texture dans la tissure dans le tissu de sa quotidienne

existence dans lrsquoacquecirct dans le gain dans le labeur du pain de chaque jour panem

quotidianum crsquoest une race dans son reacuteel dans son eacutepanouissement profond raquo (III

7) Lrsquohistoire les documents les laquo fiches raquo ne sont donc pas honnis srsquoils

permettent de conserver le commun et non lrsquoexception la vie drsquoune famille et non

seulement celle des grands hommes Il plaide donc pour une histoire fondeacutee sur les

chroniques et les teacutemoignages sans faire de choix parmi eux sans prendre la

deacutecision assassine agrave ses yeux de choisir ce qui sera important pour la posteacuteriteacute et ce

qui ne le sera pas laquo Par le jeu par lrsquohistoire des eacuteveacutenements par la bassesse et le

peacutecheacute de lrsquohomme la mystique est devenue politique ou plutocirct lrsquoaction mystique est

devenue action politique ou plutocirct la politique srsquoest substitueacutee agrave la mystique la

politique a deacutevoreacute la mystique raquo (III 28) Le crime commis par lrsquohistorien qui agit

ainsi ne consiste pas seulement agrave priver de meacutemoire certains eacuteveacutenements certaines

personnes il reacuteside aussi dans le chemin ouvert aux reacutecupeacuterations de la mystique

198

en politique La mystique se trouve dans lrsquoaction une action inscrite au cœur de

lrsquoeacuteveacutenement la meacutemoire fait durer lrsquoaction mais lrsquohistorien par ses choix ouvre la

voie agrave la reacutecupeacuteration en politique des eacuteveacutenements passeacutes en cessant de prolonger

lrsquoaction et en classant cet eacuteveacutenement dans telle ou telle politique Tatiana Taiumlmanova

eacutecrit que dans Notre Jeunesse Peacuteguy reacuteunit laquo la notion de la tradition reacutepublicaine

du conservatisme reacutepublicain et de la mystique Pour lui la rupture de lrsquohistoire sa

discontinuiteacute sont les conseacutequences de la rupture du lien spirituel des geacuteneacuterations

qui ressentaient cette mystique et qui ont perdu son goucirct raquo185

Dans Victor-Marie comte Hugo ardente et sincegravere reacuteponse agrave Haleacutevy heurteacute

par Notre jeunesse Peacuteguy place drsquoabord lrsquohistoire et la meacutemoire sur le mecircme rang

et fait presque drsquoeux des synonymes lorsqursquoil parle des laquo biens de meacutemoire et

drsquohistoire raquo (III 166) qursquoil se dit precirct agrave sacrifier au profit de lrsquoamitieacute plus haute que

tout La distinction commence quand Peacuteguy eacutevoque laquo lrsquoeacutelaboration de lrsquohistoire

propre lrsquoeacutelaboration la vieille lrsquoantique eacutelaboration de lrsquohistoire que lrsquoon ne peut

pas hacircter raquo (III 166-167) dans ce cas il srsquoagit drsquoun passeacute qui se forme se construit

dans la dureacutee qui nrsquoeacutetait pas le mecircme avant Ensuite il eacutevoque la meacutemoire en

preacutesentant eacutegalement sa particulariteacute de maniegravere tregraves claire la meacutemoire peut ecirctre

commune laquo partageacutee raquo (III 167) Lrsquohistoire peut ecirctre construite ensemble par un

groupe drsquohistoriens surgirait alors un autre passeacute diffeacuterent de celui qui existe dans

la meacutemoire commune un passeacute nouveau construit lentement dans la dureacutee du

travail La meacutemoire perdure dans plusieurs teacutemoins de lrsquoeacuteveacutenement passeacute car elle

vit avec eux Ce qui les unit Peacuteguy le preacutecise quelques lignes plus loin laquo Et le

propre de lrsquohistoire et de la meacutemoire est que tout ce qui est de lrsquohistoire et de la

meacutemoire ne se recommence point raquo (III 168)

Le paradoxe est encore plus surprenant quand dans sa reacuteponse agrave Fernand

Laudet Peacuteguy eacutevoque les sources qursquoil a utiliseacutees pour eacutecrire sa Jeanne drsquoArc Il

cite en effet les sources historiques en toute derniegravere ligne

Premiegraverement le cateacutechisme (celui des petits enfants monsieur Laudet) dans le cateacutechisme les sacrements

Deuxiegravemement la messe et les vecircpres le salut les offices la liturgie 185 TAIumlMANOV Tatiana opcit p 173

199

Troisiegravemement les eacutevangiles

Quatriegravemement les Procegraves

Cinquiegravemement seulement et au dernier plan une connaissance historique de la chreacutetienteacute franccedilaise aux onziegraveme douziegraveme treiziegraveme quatorziegraveme et quinziegraveme siegravecles

Plongeant naturellement dans sixiegravemement une connaissance plus geacuteneacuterale du christianisme franccedilais et du christianisme en geacuteneacuteral Ou pour parler exactement de la chreacutetienteacute franccedilaise et de la chreacutetienteacute en geacuteneacuteral (III 399)

Cependant les archives nous apportent les preuves que pour reacutediger sa

premiegravere Jeanne drsquoArc Peacuteguy a bien fait un veacuteritable travail drsquohistorien Il pensait

mecircme au deacutebut eacutecrire une monographie Romain Vaissermann dans sa notice de la

trilogie Jeanne drsquoArc dans la nouvelle eacutedition de lrsquoœuvre poeacutetique et dramatique de

Peacuteguy dans la collection de la Pleacuteiade cite le teacutemoignage de Jules Riby un ami de

Peacuteguy agrave lrsquoeacutepoque de ses eacutetudes au lyceacutee ce dernier indique qursquoagrave lrsquoadolescence

deacutejagrave Peacuteguy srsquoindignait du faible niveau litteacuteraire des œuvres consacreacutee agrave Jeanne

drsquoArc en franccedilais Finalement Peacuteguy choisit de reacuteunir ses deux projets celui drsquoune

belle œuvre litteacuteraire sur Jeanne drsquoArc et celui drsquoune monographie historique

laquo Jamais un drame nrsquoa puiseacute agrave drsquoaussi fiables et nombreuses sources historiques

Crsquoest une grande originaliteacute de Peacuteguy que de subordonner lrsquoart agrave lrsquohistoire lagrave ougrave les

autres eacutecrivains ont souvent alleacutegrement romanceacute raquo eacutecrit ainsi Romain Vaissermann

(OPD 1542-1543) Parmi les sources historiques de Peacuteguy lors de son travail sur la

trilogie on trouve bien sucircr les cinq volumes du Procegraves de condamnation et de

reacutehabilitation de Jeanne drsquoArc dite la Pucelle eacutediteacute par Jules Quicherat mais aussi

le manuscrit drsquoEdmond Richer qui nrsquoeacutetait pas publieacute au temps de Peacuteguy Jeanne

drsquoArc agrave Domremy de Simeacuteon Luce LrsquoHistoire de Charles XII drsquoAuguste Vallet de

Viriville Jeanne drsquoArc drsquoHenri Wallon les Aperccedilus nouveaux sur lrsquohistoire de

Jeanne drsquoArc de Quicherat les Meacutemoires et consultations en faveur de Jeanne

drsquoArc par les juges du procegraves de reacutehabilitation drsquoapregraves les manuscrits authentiques

par Pierre Laneacutery drsquoArc et bien sucircr Michelet (OPD 1545) Peacuteguy commence en

1893 un autre travail drsquohistorien sur Jeanne drsquoArc Au moment ougrave son projet

change quand il eacutecrit en 1895 agrave son ami Camille Bidaut qursquoil travaille sur

lrsquohistoire de Jeanne drsquoArc mais entend deacutesormais parler laquo plutocirct de sa vie

200

inteacuterieure raquo186 il ne renonce pas agrave son travail drsquohistorien au contraire il

lrsquoapprofondit et ne se met agrave la reacutedaction de la piegravece qursquoune fois sa recherche

acheveacutee Quand il reacuteeacutecrit la premiegravere piegravece de la trilogie pour en faire le Mystegravere de

la chariteacute le texte ne conserve certes que les traces du reacutecit de la laquo vie inteacuterieure raquo

mais ce reacutecit nrsquoaurait peut-ecirctre pas vu le jour et dans tous les cas nrsquoaurait pas eacuteteacute le

mecircme sans le travail drsquohistorien qui a preacuteceacutedeacute sa creacuteation

Cette œuvre est eacutegalement marqueacutee par plusieurs influences religieuses et

litteacuteraires mais ce sont les sources historiques qui nous inteacuteressent Pourquoi Peacuteguy

refuse-t-il aux historiens la possibiliteacute de dire la veacuteriteacute si lui-mecircme avait travailleacute

comme historien pour eacutecrire sa premiegravere Jeanne drsquoArc et srsquoil nrsquoa jamais renieacute

lrsquoutiliteacute de ce travail

La sortie de cette impasse se trouve peut-ecirctre dans la personne du saint telle

qursquoelle se preacutesente dans lrsquoœuvre tardive de Peacuteguy Le saint dans sa vie terrestre est

preacutesent dans lrsquoeacuteveacutenement il est actif parfois en tant qursquoacteur parfois en tant

qursquointercesseur mais il y prend part dans les deux cas Dans le mecircme temps il reste

laquo agrave lrsquoeacutecart raquo qacircdosh justement en raison de son rocircle drsquointercesseur par lequel il

preacutesente lrsquoeacuteveacutenement agrave Dieu Puisqursquoil est qacircdosh appartenant agrave Dieu le saint a un

autre rapport avec le temps comme Dieu est le maicirctre du temps le saint peut agir

dans ce qui pour lui dans sa vie terrestre serait consideacutereacute comme futur quand les

personnes drsquoeacutepoques futures srsquoadresseront agrave lui dans la priegravere Le saint est aussi

preacutesent dans une forme du passeacute puisque des saints drsquoeacutepoques tout agrave fait eacuteloigneacutees

apparaissent ensemble dans des visions et agissent ensemble dans un preacutesent

terrestre Elie et Moiumlse apparaissent ensemble dans lrsquoEacutevangile sur le mont Tabor le

jour de la Transfiguration sainte Catherine et sainte Marguerite apparaissent

ensemble dans une vision agrave Jeanne drsquoArc enfin dans sa Tapisserie de sainte

Geneviegraveve et de Jeanne drsquoArc Peacuteguy preacutesente Jeanne venant agrave lrsquoaide agrave Geneviegraveve

comme si elles eacutetaient contemporaines Peacuteguy se donne pour objectif drsquoecirctre un saint

chroniqueur et de reacuteunir les rocircles de lrsquohistorien et du teacutemoin dans lrsquohistoire et dans

la dureacutee

186 Bulletin de lrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy ndeg109 p 46-47

201

Dans le Laudet Peacuteguy deacutefinit comme laquo heacutereacutesie historique raquo la proposition de

Fernand Laudet de seacuteparer la Jeanne drsquoArc historique de la Jeanne drsquoArc leacutegendaire

et de la Jeanne drsquoArc surnaturelle Selon Peacuteguy Fernand Laudet tente drsquoeffectuer

lrsquoopeacuteration de la seacuteparation de lrsquohistoire et de la meacutemoire en liant la leacutegende mais

aussi la sainteteacute agrave la meacutemoire du peuple transmise de geacuteneacuteration en geacuteneacuteration par

le reacutecit habiteacute par la preacutesence de la sainte et en laissant agrave lrsquohistoire uniquement les

traces eacutecrites du temps de Jeanne drsquoArc agrave savoir son procegraves et les chroniques de

lrsquoeacutepoque

il nrsquoy a qursquoune Jeanne drsquoArc au monde qui soit historique et crsquoest la Jeanne drsquoArc de notre populaire histoire de France [hellip] Nulle Jeanne drsquoArc nrsquoest historique nulle Jeanne drsquoArc nrsquoest dans le tissu de la reacutealiteacute de lrsquohistoire qursquoune Jeanne drsquoArc profondeacutement et eacuteternellement peuple (III 397)

Or lrsquohistoire et la meacutemoire sont inseacuteparables parce qursquoelles parlent de la mecircme

personne Ainsi crsquoest le saint qui reacuteconcilie lrsquohistoire avec la meacutemoire le saint qui

agit dans lrsquoeacuteveacutenement historique en teacutemoignent les chroniques et tous les

documents qui peuvent ecirctre utiliseacutes par les historiens Peacuteguy reacutepond donc

fermement agrave Fernand Laudet laquo Pour nous chreacutetiens disons-le hautement le

surnaturel et la sainteteacute crsquoest cela qui est lrsquohistoire la seule histoire peut-ecirctre qui

nous inteacuteresse la seule histoire profonde et profondeacutement reacuteelle et nous

accorderions plutocirct que crsquoest tout le reste qui serait de la leacutegende raquo (III 397) Dans

les pages suivantes de cette mecircme œuvre Peacuteguy souligne que la proposition de

releacuteguer la surnaturelle et la sainte dans la leacutegende en lrsquoexcluant de lrsquohistoire exclut

ainsi de lrsquohistoire tous les saints mecircme srsquoils sont aussi des personnages historiques

ainsi que la personne mecircme de Jeacutesus Dieu incarneacute dont la vie par le mystegravere de

lrsquoIncarnation devient un fait historique Selon Fernand Laudet les chreacutetiens ne

peuvent consideacuterer que le Christ dans sa vie deacutecrite par les Eacutevangiles en tant que

documents historiques Peacuteguy lui reacutepond que les chreacutetiens contemplent laquo les Vertus

de Jeacutesus jusqursquoau moment ougrave il quitta la maison de son pegravere raquo (III 401) autant que

les Vertus de sa vie publique parce que toute la vie de Jeacutesus celle qui est cacheacutee

autant que celle qui a eacuteteacute publique et donc deacutecrite constitue la vie de Dieu fait

homme et incarneacute dans lrsquohistoire

202

La proposition de Peacuteguy dans Un nouveau theacuteologien M Fernand Laudet est

de mettre au centre de la vie chreacutetienne lrsquoImitation de Jeacutesus Christ (il srsquoappuie sur le

livre eacuteponyme) Lrsquoimitation de Jeacutesus telle que Peacuteguy la deacutecrit est une forme

drsquoincarnation de la dureacutee dans la vie spirituelle Dieu srsquoincarne se fait homme les

saints lrsquoimitent et donc la vie incarneacutee de Dieu dure elle dure dans la communion

des saints elle dure dans la vie de chaque homme qui imite la vie de Jeacutesus toute la

vie de Jeacutesus non seulement sa vie publique mais aussi sa vie cacheacutee Et crsquoest

justement les vies des saints la communion des saints qui permettent drsquoimiter la

vie cacheacutee de Jeacutesus parce que ces vies peuvent rendre apparent ce qui nrsquoest pas dit

dans les Eacutevangiles Lrsquoincarnation est un fait de lrsquohistoire mais lrsquoimitation est une

opeacuteration de la meacutemoire Le martyre est un fait historique mais quand laquo le plus

secret des malades imite litteacuteralement la Passion de Jeacutesus les priegraveres de Jeacutesus les

souffrances de Jeacutesus les vertus de Jeacutesus les meacuterites de Jeacutesus raquo (III 411) par un

exercice de la meacutemoire crsquoest lrsquoIncarnation qui se revit dans la dureacutee et qui ne

srsquointerrompt jamais Ce qui indigne particuliegraverement Peacuteguy dans les ideacutees

exprimeacutees par Fernand Laudet agrave propos de son Mystegravere de la Chariteacute crsquoest lrsquoideacutee

Que Jeacutesus ne serait plus de ce temps (lui qui est de tous les temps) Qursquoil y aurait eu une coupure en chreacutetienteacute en christianisme Une coupure horizontale temporelle absolue Que nous nrsquoaurions pas le droit drsquoecirctre chreacutetiens comme nos pegraveres Que Jeacutesus en somme ne serait pas venu pour sauver tout le monde ndash (quelle monstrueuse heacutereacutesie) ndash mais seulement certains siegravecles une certaine couche horizontale du temps (III 472)

Une telle perspective suppose que lrsquoimitation peut ecirctre interrompue que la

dureacutee peut cesser de durer et qursquoon ne peut plus laquo ecirctre chreacutetien naturellement par

une opeacuteration interne naturelle ordinaire raquo (III 473) autant de points en

contradiction avec le dogme de la communion des saints

Toutefois il y a une forme drsquointerruption de court-circuit de lrsquohistoire de la

meacutemoire du vieillissement que Peacuteguy accepte et ceacutelegravebre comme une fecircte crsquoest

lrsquoeacuteveacutenement qui interrompt la reacutepeacutetition mortifegravere la naissance drsquoun saint drsquoun

geacutenie ou drsquoun heacuteros lrsquoeacuteveacutenement qui naicirct de la rencontre fulgurante de la vraie

compreacutehension entre un homme et le reacuteel Voilagrave comment dans le Dialogue de

lrsquohistoire et de lrsquoacircme charnelle Peacuteguy deacutecrit ce qursquoil appelle laquo deacutesobeacuteissance agrave

lrsquohistoire raquo et mecircme comme une sorte drsquoarrecirct dans le temps

203

que la machine automatique de meacutemoire et de vieillissement srsquoarrecircte par quel mystegravere par quel secret de mystegravere inteacuterieur de preacutedilection par quelle exception par quelle usurpation par quel privilegravege par quelle incoheacuterence [hellip] par quelle gracircce il suffit que lrsquoeffet et le mouvement de ce roulement perpeacutetuel soit suspendu pour u temps ne fucirct-ce qursquoun instant pour qursquoaussitocirct pour qursquoinstantaneacutement par la fenecirctre de ce temps par le hiatus de cet instant ce soit le geacutenie mecircme qui apparaisse lrsquohomme et lrsquoœuvre du geacutenie qui jaillisse intercalaire Par e jour ouvert sur on ne sait quel arrecirct du temps (III 602-603)

Finalement cette deacutesobeacuteissance nrsquoest pas un arrecirct au contraire elle permet la

dureacutee gracircce au renouvellement introduit par lrsquoirruption du geacutenie du saint du heacuteros

dans le cours de lrsquohistoire par lrsquoobeacuteissance agrave la gracircce qui permet de reacutepondre au

reacuteel en creacuteant un eacuteveacutenement Le geacutenie pour creacuteer du nouveau pour pouvoir

commencer se deacutefait de la meacutemoire Peacuteguy lrsquoapparente ainsi agrave lrsquoenfant qui nrsquoa pas

de meacutemoire parce qursquoil nrsquoa pas encore drsquoexpeacuterience agrave meacutemoriser laquoLrsquoenfant est

inchargeacute de (la) meacutemoire naturellement ou il en est deacutechargeacute meacutetaphysiquement et

naturellement le geacutenie nrsquoen est deacutechargeacute ou inchargeacute qursquoexceptionnellement raquo (III

605) Cependant dans ce mecircme texte Dialogue de lrsquohistoire et de lrsquoacircme charnelle

Peacuteguy souligne que tout ne peut pas ecirctre renouveleacute laquo Le christianisme est

indeacuteleacutebile raquo (III 716) Peacuteguy deacuteveloppe cette ideacutee en exposant une petite theacuteologie

personnelle des sacrements Pour lui les sept sacrements creacuteent le temps personnel

de la vie drsquoun homme

Le baptecircme qui fait qui sanctionne qui marque lrsquoentreacutee dans le christianisme mecircme dans tout le christianisme dans la citeacute chreacutetienne lrsquoentreacutee dans lrsquoeacutetat (de) chreacutetien la confirmation qui fait lrsquoentreacutee dans le commerce avec le Saint-Esprit lrsquoordre qui fait lrsquoentreacutee dans le ministegravere dans lrsquoeacutetat sacerdotal dans lrsquoeacutetat de precirctre le mariage qui fait lrsquoentreacutee dans lrsquoeacutetat du mariage [hellip] le sacrement enfin de lrsquoextrecircme-onction lrsquoextrecircme onction qui fait litteacuteralement pour ainsi dire une entreacutee dans lrsquoeacutetat de mort une preacuteparation unique une entreacutee unique dans lrsquoeacutetat de preacuteparation agrave la mort et au jugement (III 720-721)

Le christianisme est donc indeacuteleacutebile parce que le baptecircme est indeacuteleacutebile et se

vit une fois pour toute et pour toujours Le temps de la sainteteacute et la possibiliteacute de

lrsquoimitation actrice de lrsquoincarnation se renouvellent donc dans le baptecircme de chaque

chreacutetien la confirmation le rend ensuite potentiellement docile agrave la gracircce cette

gracircce qui lui donnera la capaciteacute drsquoimiter Jeacutesus dans lrsquoeacuteveacutenement du preacutesent reacuteel en

faisant durer ainsi lrsquoIncarnation par la communion des saints Mais la gracircce peut

ecirctre renouveleacutee par les sacrements de la confession et de la communion Pour

Peacuteguy en effet ils sont laquo les initia les commencements successifs et par suite

204

srsquoeacutechelonnent comme un emploi du temps de lrsquohomme Ils sont ils font une sorte

drsquoeacutechelle irreacuteversible de la vie (et de la mort) raquo (III 720) Leur caractegravere irreacuteversible

est lieacute au fait qursquoon ne peut pas annuler un sacrement de la reacuteconciliation ou une

Eucharistie on ne peut que le vivre de nouveau en ouvrant de nouveau la porte de

la gracircce agrave lrsquointeacuterieur de la laquo citeacute chreacutetienne raquo dans laquelle on vit depuis le baptecircme

et la confirmation

Le christianisme est aussi indeacuteleacutebile parce que Peacuteguy fait dire agrave lrsquohistoire

Vous avez eacuteterniseacute vous avez infiniseacute tout [hellip] Vous avez tout porteacute toutes les valeurs au maximum agrave la limite agrave lrsquoeacuteternel agrave lrsquoinfini Alors on ne peut plus ecirctre (un instant) tranquille(s) On avait deacutejagrave tellement de mal agrave srsquoarranger avec les valeurs purement humaines Voilagrave mon enfant voilagrave ce que crsquoest que le christianisme On ne peut plus ecirctre tranquille avec vous Des valeurs humaines de toutes les valeurs humaines des simples valeurs humaines vous avez toutes faites des valeurs divines Vous portez tout agrave Dieu vous avez tout rapporteacute agrave Dieu Vous touchez Dieu de partout (III 776)

Il poursuit en disant la mecircme chose des crimes et des moindres mauvaises

actions qui dans le christianisme deviennent peacutecheacutes et atteignent donc Dieu lui-

mecircme en acqueacuterant ainsi une valeur intemporelle dans la mesure ougrave seule

lrsquointervention de Dieu deacutetruit leur eacuteterniteacute Lrsquointervention de la gracircce dans la vie des

saints qui par leurs vie drsquoimitation rachegravetent les peacutecheacutes par la reacuteversibiliteacute joue

aussi un rocircle primordial Dans la mesure ougrave toutes les valeurs sont porteacutees agrave lrsquoinfini

elles peuvent pallier les peacutecheacutes qui ainsi ne sont plus infinis

Dans un quatrain central de son poegraveme Egraveve Peacuteguy nous dit

Car le surnaturel est lui-mecircme charnel

Et lrsquoarbre de la gracircce est racineacute profond (OPD 1275)

Charles Peacuteguy parle de lrsquoenracinement dans la diachronie et la verticaliteacute crsquoest-

agrave-dire dans la tradition de lrsquoEacuteglise dans la meacutemoire dans la communion des saints

dans la terre la langue natale Chacun est le teacutemoin de lrsquoeacuteveacutenement lrsquoeacuteveacutenement

est partie de la continuiteacute partie de lrsquohistoire lrsquoeacuteveacutenement preacutesent est bacircti sur le

passeacute et sur le futur Lrsquoenracinement dans le passeacute est la meacutemoire les habitants du

passeacute sont nos amis dans le preacutesent par la reconnaissance et le contentement qursquoils

nous donnent par lrsquoecirctre-avec auquel le temps ne peut faire obstacle ils ressuscitent

et la vie se remplit drsquoamitieacute par cette communion des saints dont parle le Symbole

des Apocirctres La vocation du teacutemoin est drsquoenraciner les contemporains et les

205

eacuteveacutenements drsquoaujourdrsquohui de faccedilon qursquoils puissent devenir passeacute existant pour le

futur qursquoils deviennent racines gage pour le futur souvenir vivifiant

Lrsquoenracinement dans le futur est lrsquoespeacuterance espeacuterance du renouvellement

possibiliteacute du nouveau Lrsquoenracinement dans le preacutesent par le teacutemoignage creacutee le sol

dans lequel peut srsquoenraciner lrsquoespeacuterance

Le texte le plus explicite de Peacuteguy sur lrsquohistoire et la meacutemoire se trouve dans

Clio Dialogue de lrsquohistoire et de lrsquoacircme paiumlenne

Lrsquohistoire consiste essentiellement agrave passer au long de lrsquoeacuteveacutenement La meacutemoire consiste essentiellement eacutetant dedans lrsquoeacuteveacutenement avant tout agrave nrsquoen pas sortir agrave y rester et agrave le remonter en dedans

La meacutemoire et lrsquohistoire forment un angle droit

Lrsquohistoire est parallegravele agrave lrsquoeacuteveacutenement la meacutemoire lui est centrale et axiale (III 1177)

Peut-on passer au long de lrsquoeacuteveacutenement quand il est passeacute reacutevolu Oui en

eacutetudiant les fiches les teacutemoignages en lrsquoanalysant en se penchant dessus sans y

plonger en gardant une distance propice agrave la science Peut-on demeurer dans

lrsquoeacuteveacutenement le remonter en restant agrave lrsquointeacuterieur quand lrsquoeacuteveacutenement est reacutevolu

passeacute Peacuteguy dit dans ce mecircme texte Clio un peu plus loin que Michelet lrsquoavait

fait il fait dire agrave Clio elle-mecircme laquo Il ne faut pas dire aussi que Michelet est le plus

grand des historiens dit-elle Crsquoest un chroniqueur et un meacutemorialiste raquo (III 1182)

Le chroniqueur et le meacutemorialiste parlent des eacuteveacutenements qursquoils ont veacutecus or

Michelet nrsquoa pas veacutecu au temps de la guerre de cent ans Peacuteguy parle ici de la

meacutemoire de la race de la meacutemoire qui peut ecirctre transmise laquelle se distingue de

lrsquohistoire par la participation inteacuterieure aux eacuteveacutenements crsquoest-agrave-dire la capaciteacute de

se laisser toucher donc drsquoecirctre transformeacute par des eacuteveacutenements veacutecus par drsquoautres

dans le passeacute

Simone Fraisse commente dans cette perspective Clio dans Peacuteguy et le Moyen

Age

Rongeacutee creuseacutee sous lrsquoaction du temps Clio reprend pourtant figure quand on la considegravere sous lrsquoangle de la meacutemoire au sens bergsonien du mot Le dуvenir srsquoest inscrit dans sa chair Seule la meacutemoire qui compare qui mesure qui regrette reacutevegravele le vieillissement Seule elle donne la conscience de la distance parcourue [hellip] Faute de

206

cette expeacuterience inteacuterieure on fait de lrsquohistoire crsquoest-agrave-dire qursquoon demeure eacutetranger agrave la matiegravere de lrsquoeacuteveacutenement187

Crsquoest ainsi que le saint pour Peacuteguy devient le chroniqueur et le meacutemorialiste

parfait dans la mesure ougrave il a participeacute agrave des eacuteveacutenements dans le passeacute et demeure

toucheacute par ces eacuteveacutenements il est capable de transmettre sa meacutemoire et son veacutecu par

le mystegravere de la communion des saints de lrsquoimitation et de lrsquoinvocation Le saint est

un acteur de lrsquoincarnation crsquoest un homme qui imite Jeacutesus le Dieu fait homme par

le mystegravere de lrsquoIncarnation Ainsi la sainteteacute permet agrave Dieu drsquoagir dans lrsquohistoire

Lrsquoincarnation chez Peacuteguy crsquoest la possibiliteacute aujourdrsquohui de srsquoenraciner dans le

Christ et dans lrsquoespeacuterance de la Reacutesurrection

b) La fideacuteliteacute et la dureacutee

Chez Peacuteguy il y a deux faccedilon de faire durer la vie et drsquoecirctre fidegravele agrave Dieu qui

semblent comme souvent chez cet auteur contradictoires mais sont plutocirct

compleacutementaires Lrsquoune est celle que choisit le saint proche du heacuteros ou du geacutenie

ecirctre attentif agrave lrsquoappel de Dieu dans lrsquoeacuteveacutenement et y reacutepondre le moment venu

discerner sa vocation agrave incarner la volonteacute de Dieu dans lrsquoeacuteveacutenement preacutesent ecirctre agrave

lrsquoeacutecoute du reacuteel Lrsquoautre consiste agrave ecirctre fidegravele au travail agrave la terre agrave faire durer la

tradition et fructifier lrsquoheacuteritage agrave srsquoenraciner en attendant que la racine que lrsquoarbre

mecircme porte fruit qursquoun heacuteros un geacutenie un saint naisse de cette race

Deacutejagrave en 1897 dans sa premiegravere Jeanne drsquoArc Peacuteguy par la bouche

drsquoHauviette montre agrave quel point la fideacuteliteacute et la perseacuteveacuterance dans

lrsquoaccomplissement de la tacircche quotidienne sont essentielles car elles creacuteent et

maintiennent la dureacutee et la vie temporelle

Voilagrave bientocirct cinquante ans passeacutes au dire des anciens que le soldat moissonne agrave sa fantaisie voilagrave bientocirct cinquante ans passeacutes que le soldat eacutecrase ou brucircle ou vole agrave sa guise la moisson mucircre Eh bien apregraves tout ce temps-lagrave tous les ans agrave lrsquoautomne les bons laboureurs ton pegravere le mien les pegraveres de nos amies toujours les mecircmes labourent avec le mecircme soin les mecircmes terres les terres de lagrave-haut et les ensemencent Voilagrave ce qui garde tout Ils nrsquoauraient eux aussi qursquoagrave se faire soldats ccedila nrsquoest pas difficile on reccediloit moins de coups puisqursquoon en donne aux autres Une fois

187 FRAISSE Simone Peacuteguy et le Moyen Age Paris Honoreacute Champion 1978 p 59

207

soldats ils nrsquoauraient eux aussi qursquoagrave faire la moisson sans avoir fait les semailles Mais les bons laboureurs aiment les bons labours et les bonnes semailles tous les ans ils font agrave la mecircme eacutepoque la mecircme besogne avec la mecircme vaillance voilagrave ce qui tient tout ce sont eux qui tiennent tout eux qui gardent tout eux qui sauvent tout ce que lrsquoon peut sauver crsquoest par eux que tout nrsquoest pas mort encore et le bon Dieu finira bien par beacutenir leurs moissons (OPD 11)

Etre fidegravele agrave soi-mecircme en restant paysan et non soldat ecirctre fidegravele agrave sa tacircche

ecirctre fidegravele au passeacute en imitant les mecircmes travaux sur la mecircme terre ecirctre fidegravele au

preacutesent en recommenccedilant sans cesse malgreacute la guerre ecirctre fidegravele au futur en

semant avec espeacuterance avec lrsquoespoir que les semailles vont pousser laquo voilagrave ce qui

tient tout raquo et ce qui selon Peacuteguy permet la dureacutee de la vie

Dans le Mystegravere de la chariteacute Peacuteguy ne retranscrit pas ces mots drsquoHauviette

En revanche dans Un Nouveau theacuteologien monsieur Fernand Laudet texte qui

peut ecirctre consideacutereacute comme le commentaire du Mystegravere Peacuteguy consacre plusieurs

pages agrave la fideacuteliteacute demandeacutee aux chreacutetiens drsquoaujourdrsquohui qui vivent comme au

temps des croisades parce que les infidegraveles moderne sont pregraves de nous et que

laquo Nos fideacuteliteacutes sont des citadelles raquo (III 461)

La fideacuteliteacute rend possible lrsquoespeacuterance elle promet de nouveaux deacutebuts possibles

et des commencements qui eux aussi nourrissent la dureacutee Comme le dit Peacuteguy agrave

propos de lrsquoespeacuterance dans Le Mystegravere des saints Innocents laquo Mais le tendre

bourgeon nrsquoest fait que pour la naissance et il nrsquoest chargeacute que de faire naicirctre (Et de

faire durer) raquo (OPD 783)

a) La fin de lrsquohistoire

La question du temps se pose constamment dans la litteacuterature du XIXe siegravecle et

au-delagrave Certes le tempos fugit est un topos litteacuteraire omnipreacutesent mais au tournant

du XIXe siegravecle et du XXe une peacuteriode marqueacutee tout agrave la fois par drsquoimportantes

deacutecouvertes archeacuteologiques qui font penser au passeacute et par de grandes avanceacutees

techniques et scientifiques qui font recircver ou srsquoinquieacuteter au sujet de lrsquoavenir la

question se pose avec une intensiteacute particuliegravere Ce nrsquoest pas un hasard si crsquoest agrave

208

cette eacutepoque que se deacuteveloppe la philosophie de Bergson sa penseacutee sur le temps et

la dureacutee en particulier Crsquoest aussi lrsquoeacutepoque de lrsquoestheacutetique laquo deacutecadente raquo laquo fin de

siegravecle raquo des termes qui trahissent une angoisse parfaitement palpable devant la fuite

du temps et la corrosion qursquoelle comporte Peacuteguy exegravecre cette estheacutetique deacutecoulant

drsquoune temporaliteacute qui rejette le preacutesent il propose donc drsquoy remeacutedier par lrsquoaccueil

du reacuteel lrsquohospitaliteacute du reacuteel Vivre dans le preacutesent sans ecirctre un laquo moderne raquo crsquoest-agrave-

dire tourneacute vers le progregraves par le rejet du passeacute ni ecirctre un laquo deacutecadent raquo autrement

dit rejeter le preacutesent parce que le temps srsquoy perccediloit trop intenseacutement signifie pour

Peacuteguy vivre dans la continuiteacute et non dans le renoncement au passeacute vivre dans

lrsquoattente et lrsquoespeacuterance et non dans la peur de la disparition

Degraves ses premiers textes Peacuteguy srsquointeacuteresse agrave la fin de lrsquohistoire du monde de la

vie et il approche ce sujet par des biais diffeacuterents Crsquoest drsquoabord lrsquoutopie qursquoil

preacutesente dans un manifeste socialiste De la citeacute socialiste et dans un dialogue

meacutetaphasique Marcel ou le dialogue de la citeacute harmonieuse tous les deux eacutecrits

en 1897 Ensuite crsquoest lrsquoangoisse du salut que Peacuteguy voudrait universel Mais il a

appris de ses cateacutechistes enfant lrsquohorreur de lrsquoenfer de la damnation eacuteternelle

mecircme si agrave cette eacutepoque il ne se dit pas chreacutetien ces ideacutees le hantent De la citeacute

socialiste texte eacutecrit pour La Revue socialiste est un manifeste politique eacutecrit au

futur Marcel est un texte curieux qui nrsquoest drsquoailleurs pas un dialogue et qui deacutecrit

le monde utopique de la citeacute harmonieuse au preacutesent Dans ces deux textes il ne

srsquoagit pas reacuteellement drsquoune fin de lrsquohistoire mais drsquoune autre histoire drsquoun autre

monde un monde imagineacute La sainteteacute nrsquoy a pas vraiment de place parce que crsquoest

un monde ideacuteal ougrave il nrsquoy a laquo aucun travail qui puisse deacuteformer les acircmes ou les

corps raquo (I 57) il nrsquoy a mecircme pas drsquoeacutegaliteacute de justice ougrave de chariteacute laquo parce que

toute chariteacute suppose des manques et que la citeacute harmonieuse ne laisse manquer de

rien les citoyens raquo (I 61) Les sentiments malsains sont absents de la citeacute ainsi que

la meacutemoire drsquoune vie de la citeacute non-harmonieuse Il nrsquoy a donc pas drsquoeffort la

sainteteacute dans le sens de la perfection morale y est toute naturelle Mecircme lrsquoideacutee de

la transmission et de lrsquoheacuteritage est absente de la citeacute harmonieuse parce que laquo Les

parents nrsquoont pas dans la citeacute harmonieuse agrave enseigner agrave leurs enfants les sentiments

de la santeacute mais les sentiments de la santeacute naissent et croissent toute seules dans

209

les familles aux acircmes des enfants raquo (I 77) Dans cette utopie Peacuteguy deacutecrit un

monde ougrave la socieacuteteacute mecircme la citeacute mecircme creacutee ses saints les ecirctre moralement parfait

qui la constituent et qui ainsi nrsquoont pas peur drsquoune fin parce que ce monde ideacuteal ne

semble pas peacuterissable

Pour penser la fin du monde Peacuteguy se rapproche de lrsquoideacutee drsquoun acircge drsquoor mecircme

si on ne trouve pas cette expression dans ses textes on y trouve en revanche un

inteacuterecirct particulier pour le temps et pour lrsquohistoire le rejet drsquoune ideacutee du progregraves le

refus drsquoune socieacuteteacute marchande qui pour Peacuteguy correspond agrave une veacuteritable

deacutecadence lrsquoamour du passeacute et de la terre ougrave regravegne lrsquoharmonie Sur ce point Peacuteguy

rejoint en fait la perception du temps et de lrsquohistoire propre agrave lrsquoesprit de deacutecadence

mecircme srsquoil srsquoen deacutemarque une vision de lrsquohistoire qui nrsquoexiste qursquoen tant que

mouvement circulaire en boucle ougrave le progregraves nrsquoest pas seulement proscrit en tant

que rejet du passeacute mais simplement impossible ougrave lrsquoacircge drsquoor et lrsquoacircge de la

deacutecadence se succegravedent188

Agrave propos de lrsquoutopie et du mythe de lrsquoacircge drsquoor chez Peacuteguy Eric Thiers eacutecris

Que ce soit dans la citeacute harmonieuse ou dans le Paradis perdu et retrouveacute le temps qui nous soumet agrave un pourrissement inexorable est aboli tout comme lrsquohistoire et la meacutemoire Cette citeacute atemporelle nrsquoest pas agrave venir elle nrsquoa pas disparue Elle est preacutesente en chacun avec ses valeurs immuables lrsquoinnocence la veacuteriteacute lrsquoharmonie la bonteacute la chariteacute la justice etc Face agrave la politique qui doit affronter la contingence ndash crsquoest sa vocation elle est temporelle lieacutee au temps ndash Peacuteguy oppose la fixiteacute drsquoune morale drsquoune mystique eacuteternelle sans nous dire drsquoailleurs comment tenter de concilier ces deux plans en creacuteant un mode de communication entre eux La citeacute ideacuteale de Peacuteguy est proprement humaine en ce qursquoelle est constitueacutee en tout individu pourvu qursquoil demeure fidegravele agrave ce qursquoil fut189

La mecircme anneacutee que ses deux utopies Peacuteguy eacutecrit cependant sa premiegravere

Jeanne drsquoArc pleine drsquoangoisse du salut et drsquoinsurrection contre la justice de Dieu

qui voue les peacutecheurs agrave la damnation eacuteternelle Dans des paroles que Madame

Gervaise juge blaspheacutematoires la petite Jeannette se dit precircte agrave se sacrifier agrave la

place des pecirccheurs Les reacuteponses de lrsquoEacuteglise donneacutees par Madame Gervaise ne

sont pas satisfaisantes pour elle elle trouve lrsquoapaisement dans lrsquoaction puis la

188 Voir Raoul Girardet Mythes et mythologies politiques Seuil 1986 189 THIERS Eacuteric laquo Les mondes perdus de Charles Peacuteguy Un mythe intime et universelraquo Mil neuf cent Revue drsquohistoire intellectuelle 12013 (ndeg 31) p 25-51

210

mort les derniegraveres paroles de Jeanne dans la trilogie crsquoest la priegravere de Jeanne pour

le salut universel Cette priegravere eacutevoque lrsquoespeacuterance de Jeanne et donc la sienne

puisque Jeanne est en quelque sorte lrsquoalter ego de lrsquoauteur

Cette espeacuterance ineacutebranlable apparaicirct encore plus forte dans les paroles

drsquoHauviette au deacutebut de la trilogie Peacuteguy quelques anneacutees plus tard les reprend

dans Louis de Gonzague en relatant une anecdote attribueacutee au saint Il srsquoagit drsquoun

eacutepisode de la vie du saint qui raconte comme il a reacutepliqueacute agrave ses camarades lors

drsquoune reacutecreacuteation au couvent que si le jugement dernier avait lieu dans quelques

minutes il continuerait de jouer agrave la balle Cette histoire pour Peacuteguy ne parle pas

drsquoirrespect de Dieu mais de la liberteacute et surtout de la valeur de la vie en soi et de

la dureacutee drsquoune action reacuteelle nrsquoimporte quelle action y compris le simple jeu a elle

aussi de la valeur et ne peut ecirctre interrompue que par quelque chose qui la deacutepasse

complegravetement comme la venue de Dieu

Dans Le mystegravere des saints innocents le dernier des trois mystegraveres de Peacuteguy

eacutecrit et publieacute en 1912 celui-ci parle drsquoabord du jugement que lrsquohomme doit

effectuer sur soi-mecircme

Je suis partisan dit Dieu que tous les soirs on fasse son examen de conscience

Crsquoest un bon exercice

Mais enfin il ne faut pas srsquoen torturer au point drsquoen perdre le sommeil

A cette heure-lagrave la journeacutee est faite et bien faite il nrsquoy a plus agrave la refaire

Il nrsquoy a plus agrave y revenir raquo (III 787)

Peacuteguy deacuteveloppe longuement ce discours de Dieu sur lrsquoexamen de conscience

et la confiance lrsquoabandon Il lrsquoillustre par des images tregraves parlantes comme celle de

lrsquohomme qui srsquoessuie les pieds avant de franchir le seuil de lrsquoEacuteglise mais qui ne

pense pas apregraves ecirctre entreacute agrave la boue qui aurait pu rester un peu sur ses chaussures

Il semble essentiel de respecter lrsquoordre du passeacute du preacutesent et du futur Lrsquohomme

commet un peacutecheacute fait son examen de conscience il srsquoen rend compte se repent

puis srsquoabandonne agrave Dieu car le futur nrsquoappartient qursquoagrave Dieu Tout dans lrsquohistoire y

compris lrsquohistoire personnelle drsquoun homme a un deacutebut une continuation une fin

Voilagrave comment Peacuteguy lrsquoexplique par des mots qursquoil place dans la bouche de Dieu

Jrsquoai deacutecoupeacute le temps dans lrsquoeacuteterniteacute dit Dieu

211

Le temps et le monde du temps

La creacuteation fut le commencement et le jugement sera la fin

(Du temps) (Du monde du temps)

Crsquoest exactement une symeacutetrie un balancement

Ce que jrsquoai ouvert je le fermerai

Le jour de la creacuteation (les six jours) jrsquoai ouvert un certain monde

(On le connaicirct de reste) (On le sait on en a assez parleacute)

Enfin la premiegravere heure du premier des six jours de la creacuteation jrsquoai commenceacute une certaine histoire

Et le jour du jugement je la fermerai

Or tout lrsquoancien testament part de ce jugement que je fis de creacuteer

Et tout le nouveau testament va vers ce jugement que je ferai de juger

Ainsi lrsquoancien testament est symeacutetrique au nouveau

Et (contre) balance le nouveau

Et tout lrsquoancien testament par de cette creacuteation

Et tout le nouveau testament va vers ce jugement

Et dans lrsquoancien testament le Paradis est au commencement

Et crsquoest un Paradis terrestre

Mais dans le nouveau testament le paradis est agrave la fin

Et je vous le dis crsquoest un paradis ceacuteleste raquo (III 883)

Ainsi Peacuteguy deacutecrit le temps de ce monde comme une histoire raconteacutee par

Dieu qui a un deacutebut et une fin Il preacutesente ensuite lrsquoimage drsquoune catheacutedrale agrave deux

voucirctes lrsquoAncien et le Nouveau testament avec Jeacutesus comme cleacute de voucircte Ainsi la

fin de lrsquohistoire nrsquoest pas une catastrophe ni une destruction ou une trageacutedie ce

nrsquoest pas un terrible jugement mais tout simplement la fin drsquoune histoire conteacutee par

Dieu qui a creacuteeacute lrsquohistoire du monde par un jugement et qui va la clore de la mecircme

maniegravere En somme pour Peacuteguy le jugement dernier nrsquoest pas une catastrophe qui

vient deacutetruire le cours des choses mais la fin drsquoune histoire qui nous serait conteacutee

par Dieu dont nous faisons partie la fin toute naturelle de quelque chose qui a eu

un deacutebut Pour ce qui concerne le jugement dans ce mecircme texte Peacuteguy fait dire agrave

Dieu laquoOn sait assez comment le pegravere a jugeacute le fils qui eacutetait parti et qui est revenu

Crsquoest encore le pegravere qui pleurait le plus Voilagrave ce que mon fils leur a conteacute Mon fils

leur a livreacute le secret du jugement mecircmeraquo (OPD 798) Dans Clio lrsquohistoire

srsquoindigne du fait que les hommes lrsquoont choisie comme juge suprecircme laquo Qursquoils ont

voulu laiumlciser le Jugement et qursquoils en ont fait ce miseacuterable jugement historique Et

212

qursquoils ont voulu laiumlciser le Juge et qursquoils mrsquoont pris moi miseacuterable raquo (III 1127)

Lrsquoaberration pour Peacuteguy en 1913 crsquoest de choisir comme juge lrsquohistoire qui est

creacuteeacutee et raconteacutee par Dieu comment pourrait-elle juger lrsquohumaniteacute si le jugement

repreacutesente preacuteciseacutement sa propre fin

Pourquoi donc Peacuteguy ne deacutecrit-il jamais les visions effrayantes de

lrsquoApocalypse guerres tremblement de terres etc Pourquoi ne parle-t-il jamais de

ce qui est traditionnellement lieacute agrave lrsquoeschatologie La fin de lrsquohistoire celle qui

commence par Egraveve et se termine par la mort crsquoest la fin de la vie sur la terre mais

pas la fin de la terre On le remarque bien dans la description du paradis au deacutebut de

la derniegravere œuvre acheveacutee de Peacuteguy le grand poegraveme Egraveve Pour Peacuteguy dans les

cieux un Franccedilais reste un Franccedilais un Anglais reste un Anglais autrement dit les

pays demeurent la France demeure aussi agrave jamais peut-ecirctre mecircme ne va-t-elle pas

tellement changer Crsquoest pour cela que dans son eschatologie poeacutetique les saints ont

un rocircle particulier notamment la mort des saints Les saints demeurent patrons de la

terre sur laquelle ils ont marcheacute et ougrave ils sont enterreacutes La mort drsquoun saint crsquoest tout

de suite le Jugement dernier parce que le temps apregraves la mort nrsquoexiste plus La mort

drsquoun saint crsquoest le jugement de ceux qui vivent sur la mecircme terre que lui car selon

Peacuteguy le saint megravene son peuple au jugement Les saints franccedilais conduiront ainsi le

peuple franccedilais au Jugement dernier les saints parisiens pour leur part conduiront

le peuple de Paris Voilagrave pourquoi les saintes preacutefeacutereacutees du poegravete sont des bergegraveres

qui font paicirctre les troupeaux des acircmes humaines

LrsquoEspeacuterance constitue assureacutement lrsquoun des thegravemes les plus importants pour

Peacuteguy Crsquoest lrsquoespeacuterance qui deacutefinit les attentes eschatologiques du poegravete

personnelles et universelles Peacuteguy deacutebute le Mystegravere de la chariteacute de Jeanne drsquoArc

par la priegravere de Jeannette qui reacutecite le Notre Pegravere mais ne peut pas se limiter aux

mots qursquoelle connaicirct si bien

Notre pegravere notre pegravere qui ecirctes au royaume des cieux de combien il srsquoen faut que votre regravegne arrive au royaume de la terre Notre pegravere notre pegravere qui ecirctes au royaume des cieux de combien il srsquoen faut que votre regravegne arrive au royaume de France [] O mon Dieu si on voyait seulement le commencement de votre regravegne Si on voyait seulement se lever le soleil de votre regravegne Mais rien jamais rien [] Si on voyait poindre seulement le jour de votre regravegne Et vous avez envoyeacute vos saints vous les avez appeleacutes chacun par leur nom vos autres fils les saints et vos filles les saintes et

213

vos saints sont venus et vos saintes sont venues et rien jamais rien[] Encore si lrsquoon voyait le commencement de vos saints si lrsquoon voyait poindre le commencement du regravegne de vos saints [] Srsquoil nrsquoy a pas eu assez de saintes et assez de saints envoyez-nous en drsquoautres envoyez-nous en autant qursquoil en faudra envoyez-nous en tant que lrsquoennemi se lasse (OPD 403-404)

En drsquoautres termes la venue du Royaume des cieux crsquoest lrsquoaccomplissement

drsquoune espeacuterance et le travail du saint crsquoest lrsquoattente patiente et la priegravere intense

pour que naisse un nouveau saint Le saint crsquoest lrsquoacteur principal de lrsquoespeacuterance

celui dans qui elle se concentre et srsquoincarne parce que la terre ne peut pas exister

sans les priegraveres des saints Chaque saint est un preacutecurseur Le saint œuvre sur la

terre et prie pour la terre il accomplit un travail de laboureur qui faccedilonne la terre

Le saint prie et espegravere la naissance drsquoun autre saint de cette maniegravere il approche la

Parousie

En parlant de lrsquoApocalypse Peacuteguy ne parle jamais de la fin du monde de la

destruction mais plutocirct drsquoun nouveau deacutebut drsquoune nouvelle Citeacute Harmonieuse

Dans la fin de lrsquohumaniteacute il entrevoit son unification dans la Tapisserie de Notre

Dame il lrsquoappelle laquole jour solennelraquo et lrsquolaquoacircge absoluraquo dans lequel rentreront tous

les acircges comme un point de convergence Pourquoi Peacuteguy parle-t-il drsquoun acircge En

parlant de lrsquoApocalypse Peacuteguy ne parle pas de la fin de la terre mais de la fin de

lrsquohistoire et de la succession passeacute mdash preacutesent mdash futur Lrsquoeschatologie personnelle et

les eschatologies personnelles sont unies chaque mort la mort de chaque homme

marque la fin de son histoire quand chaque homme atteindra lrsquolaquoacircge absoluraquo

viendra la fin de lrsquohistoire Dans le monde nouveau il nrsquoy aura plus drsquohistoire mais

comme le dit Peacuteguy laquo une mort plus vivante que la vieraquo (OPD 1157) Il parle ainsi

de laquonotre tragique histoireraquo (OPD 1150) de la mort qui est lrsquoaboutissement de

lrsquohistoire drsquoun homme et de la fin du monde comme lrsquoaboutissement de lrsquohistoire

universelle Dans Egraveve en parlant du Dernier Jour Peacuteguy deacuteveloppe cette mecircme

ideacutee Il deacutecrit tout ce qui ne sera plus tout ce qui changera et tout ce qui adviendra

une toute derniegravere fois Pour autant il ne parle pas des changements il nrsquoy a pas de

description visionnaire rien que les images du Jugement que nous connaissons deacutejagrave

gracircce agrave ses autres œuvres poeacutetique ougrave il parle des saints qui guident les troupeaux

des acircmes Peacuteguy parle aussi de la fin du monde comme de la Rencontre de ceux qui

ont eacuteteacute seacutepareacutes par la mort et le temps laquoQuand tout srsquoeacuteclairera des flammes de

214

meacutemoireraquo et un peu plus loin laquoQuand les ressusciteacutes srsquoen iront par les bourgs

encore tout eacutebaubis et cherchant leur chemin et les yeux eacuteblouis et se tenant la

main Et reconnaissant mal ces tours et ces deacutetoursraquo (OPD 1219) Peacuteguy dit que

lrsquohumaniteacute est une que la rencontre est possible parce que les premiers hommes

sont unis aux derniers dans la mesure ougrave nous sommes tous faits de la mecircme terre

Egraveve constitue la derniegravere œuvre poeacutetique de Peacuteguy mais dans ces pages il

revient pour lrsquoessentiel au thegraveme de la trilogie dramatique sur Jeanne drsquoArc La

priegravere de Jeanne pour le salut de tous revient donc encore dans les pages drsquoEgraveve De

mecircme que Jeanne dans la seconde piegravece de la trilogie les Batailles prie pour le

salut de ceux qui sont morts sur le champ de guerre Peacuteguy consacre plusieurs pages

drsquoEgraveve agrave la priegravere pour les guerriers Il prie pour que le jour du Jugement dernier

laquoDieu mette avec eux dans la juste balance un peu de ce terreau drsquoordure et de

poussiegravereraquo (OPD 1265) cette poussiegravere pour laquelle ils sont morts et dans laquelle

ils reposent Dans lrsquoun des quatrains non retenus par lrsquoauteur pour le texte final

drsquoEgraveve on trouve une priegravere mais pas pour le salut des acircmes et pour le Jugement le

poegravete prie pour le second avegravenement du Christ en demandant une vision bien qursquoil

ne srsquoagisse pas drsquoune vision apocalyptique laquoPuissions-nous contempler quand

nous serons jugeacutes La figure laisseacutee aux mains de Veacuteroniqueraquo (OPD 1516)

Toute la vie de lrsquohomme pour Peacuteguy tend vers une espeacuterance lrsquoespeacuterance de

la Rencontre avec Dieu et de la rencontre de tous les hommes Le Jugement Dernier

nrsquoest pas une fin du monde mais vraiment la Parousie crsquoest-agrave-dire

lrsquoaccomplissement de lrsquoespeacuterance la Rencontre tant attendue Les saints ce sont

ceux qui ont veacutecu une rencontre dans leur vie terrestre et connaissent deacutejagrave ce

chemin ils peuvent comme de bonne bergegraveres qui connaissent le chemin vers les

bons pacircturages mener tout le troupeau agrave la place de la Rencontre rendre le salut et

la Rencontre possibles pour chaque homme

215

2 Le saint comme ancecirctre et comme prophegravete

Pour qursquoune vie dans la sainteteacute et une incarnation dans le preacutesent soient

possibles il faut que ce preacutesent soit ancreacute dans le passeacute et orienteacute vers lrsquoavenir Ces

deux axes sont pleinement preacutesents dans lrsquoœuvre de Peacuteguy Pour ce qui concerne le

passeacute on trouve dans ses textes plusieurs figures de lrsquoancecirctre au sens large du

terme ce sont des personnages qui repreacutesentent la race le peuple saisi dans la

longue dureacutee comme par exemple la grand-megravere de Peacuteguy dans Victor-Marie

comte Hugo des personnages qui peuvent ecirctre consideacutereacute comme premiers comme

Bernard-Lazare en tant que premier entre tous les dreyfusard car il a clameacute le

premier lrsquoinnocence de Dreyfus des personnes qui ont eacuteteacute premiegraveres et exemplaires

dans un sens de supeacuterioriteacute morale comme les heacuteros les saints patrons On peut

aussi consideacuterer comme ancecirctres ceux qui transmettent un heacuteritage non mateacuteriel (le

savoir les valeurs la foi) aux geacuteneacuterations suivantes en ce sens nrsquoimporte quel aicircneacute

ou maicirctre peut ecirctre un ancecirctre

Lrsquoeacutetymologie du mot ancecirctre vient du latin antecessor antecedere qui signifie

laquo marcher devant raquo laquo celui qui preacutecegravede raquo (en franccedilais preacutedeacutecesseur vieillard

initiateur devancier) quant agrave lrsquoadjectif laquo ancestral raquo il signifie heacutereacuteditaire

traditionnel heacuteriteacute Dans la mesure ougrave lrsquoancecirctre est la personne qui est agrave lrsquoorigine

drsquoune famille on peut le rapprocher de lrsquoaiumleul de lrsquoascendant Parfois ce mot

deacutesigne mecircme simplement lrsquoacircge avanceacute de la personne Laurent Husson eacutenumegravere

ainsi les diffeacuterentes interpreacutetations de ce terme

Lrsquoancecirctre peut srsquoentendre de plusieurs maniegraveres depuis lrsquoideacutee drsquoancecirctre commun universel jusqursquoagrave lrsquoancecirctre permettant de singulariser une famille voire lrsquoancecirctre au sens de preacutedeacutecesseur dans une fonction singuliegravere ou comme figure symbolique (ce qui nous reconduit justement au heacuteros)190

En tout cas lrsquoancecirctre est une personne qui a devanceacute ceux qui la deacutesignent en

tant qursquoancecirctre en acircge dans le temps dans les actes Lrsquoancecirctre crsquoest un lointain qui

est neacuteanmoins toujours preacutesent ce qui le diffeacuterencie du preacutecurseur qui demeure

190 HUSSON Laurent laquo Ancecirctre fondateur heacuteros eacuteleacutements de distinction raquo in Dominique Ranaivoson Valentina Litvan (dir) Les heacuteros culturels reacutecits et repreacutesentations Saint-Maur-des-Fosseacutes Seacutepia 2014 p 15

216

dans le passeacute Laurent Husson observe que laquo Lrsquoancecirctre se diffeacuterencie du mort en

intervenant dans les affaires des vivants raquo191 Le culte des morts est un rite de

commeacutemoration le culte des ancecirctres repreacutesente pour sa part un acte de

reconnaissance voire de veacuteneacuteration On doit aux ancecirctres non seulement la

meacutemoire mais une forme de reacuteciprociteacute puisque ils sont actifs drsquoune maniegravere ou

drsquoune autre dans notre preacutesent notre reacutealiteacute Le culte des ancecirctres permet aussi agrave

une communauteacute agrave un groupe de srsquounir autour drsquoun personnage qui devient la

reacutefeacuterence du groupe Souvent la figure de lrsquoancecirctre est lieacutee agrave un acte fondateur qui

est deacutesigneacute par le groupe comme un acte exceptionnel et doit demeurer dans la

meacutemoire de la communauteacute laquo La fondation srsquoopegravere par la violence ou dans un

moment charismatique mais elle doit pour srsquoinstaurer se peacuterenniser raquo192

Cependant un acte fondateur peut ne pas ecirctre lieacute agrave un personnage fondateur

Laurent Husson compare lrsquoancecirctre agrave drsquoautres personnages exemplaires en preacutecisant

qursquolaquo Ancecirctre fondateur heacuteros appartiennent tous neacutecessairement au passeacute dans la

mesure ougrave ils existent complegravetement que par leurs successeurs lesquels seuls

assurent leur avenir agrave travers les diffeacuterents modaliteacutes de leur action preacutesente raquo193 Le

heacuteros se diffeacuterencie de lrsquoancecirctre principalement par deux choses il doit avoir

effectueacute un geste une action exceptionnelle et srsquoil peut ne pas ecirctre fondateur voire

ne pas avoir un groupe de successeurs drsquoheacuteritiers il est forceacutement le personnage

drsquoun reacutecit

Lrsquoacte fondateur peut donc ecirctre le deacutebut de quelque chose drsquoimpersonnel De

mecircme le heacuteros peut devenir la pierre angulaire drsquoun reacutecit sans pour autant susciter

des imitations Lrsquoancecirctre concerne plus la personne vivante mecircme srsquoil est lieacute au

passeacute il a neacutecessairement une implication sur le preacutesent pour ceux qui le

reconnaissent en tant que tel Pierre Citti deacutefinit lrsquoancecirctre comme laquo lrsquoarcheacutetype de

191 HUSSON Laurent laquo Ancecirctre identiteacute histoire raquo in Jacques Fantino Bernard Bourdin (dir) Les figures de lrsquoancecirctre entre quecircte drsquoidentiteacute et souci de leacutegitimiteacute Sous la direction de Centre Ecritures coll theacuteologies et cultures universiteacute de Lorraine 2012 p 15 192 HUSSON Laurent ibid p 27 193 HUSSON Laurent opcit Ancecirctre fondateur heacuteros eacuteleacutements de distinction p 26

217

soi-mecircme raquo194 On ressent donc un lien avec ses ancecirctres ce lien que Peacuteguy deacutecrit

souvent en eacutevoquant la laquo race raquo On peut eacuteprouver envers ses ancecirctres des

sentiments plus forts qursquoune simple commeacutemoration parce qursquoils sont preacutesent en

nous il srsquoagit de reconnaissance de pieacuteteacute drsquoune forme de reconnaissance de

lrsquoautoriteacute de lrsquoancecirctre Pierre Citti deacutefinit ainsi la race comme laquo la repreacutesentation qui

donne agrave tous les sentiments de la pietas toute la force de lrsquoauctoritas raquo195

Anne-Marie Thiesse explique comment une forme de culte des ancecirctres sert de

fondement dans la formation drsquoune nation si pour la race lrsquoancecirctre aide agrave

reconnaicirctre sa filiation la continuiteacute la dureacutee Dans le processus de formation drsquoune

nation la reconnaissance drsquoun ancecirctre sert de leacutegitimation par une meacutemoire des

origines et de don reccedilu de ses aiumleux

laquo Tout acte de naissance eacutetablit une filiation La vie des nations europeacuteennes commence avec la deacutesignation de leurs ancecirctres Et la proclamation drsquoune deacutecouverte il existe un chemin drsquoaccegraves aux origines qui permet de retrouver les aiumleux fondateurs et de recueillir leur legs preacutecieux Le Peuple par sa primitiviteacute est un vivant fossile qui garde jusqursquoau cœur de la moderniteacute lrsquoesprit des grands ancecirctres raquo196

Mais un acte de naissance et la proclamation drsquoune deacutecouverte peuvent aussi

provenir drsquoune attitude ou drsquoune perception plutocirct que drsquoun fait Il y a un ancecirctre lagrave

ougrave il y a un deacutebut Peacuteguy le montre de maniegravere curieuse dans le Dialogue de

lrsquohistoire et de lrsquoacircme charnelle ougrave par la bouche de lrsquoHistoire il deacutesigne Victor

Hugo comme lrsquoancien lrsquoancecirctre de ceux qui eacutecrivent notamment de ceux qui

eacutecrivent lrsquohistoire

Le vieil Hugo mon ami voyait le monde comme srsquoil venait drsquoecirctre fait [hellip] Crsquoest naturellement la seule maniegravere de le voir Malheureusement elle nrsquoest pas donneacutee agrave tout le monde IL voyait la creacuteation comme si agrave lrsquoinstant elle sortait des augustes Mains comme si elle venait de sortir comme si des grandes Mains elle venait de srsquoeacutechapper bondissante Lagrave est ce qui compte et ce qui fait sa force antique Crsquoest pour cela mon ami que presque seul de tous les modernes et tout autrement que tout autre nous le consideacuterons nous lrsquoestimons nous le mesurons comme un Ancien comme un grand Ancien (III 597)

194 CITTI Pierre Contre la deacutecadence Histoire de lrsquoimagination franccedilaise dans la roman 1890-1914 Paris PUF 1987 p 155 195 CITTI Pierre opcit p 212 196 THIESSE Anne-Marie La creacuteation des identiteacutes nationales Europe XVIIIe-XXe siegravecle Paris Seuil 2001 p 21

218

On deacutecouvre ici encore un paradoxe de Peacuteguy Le geacutenie est celui qui renouvelle

le monde qui rend possible lrsquoavegravenement du neuf et donc lrsquoespeacuterance pour cela il

doit voir dans lrsquoeacuteveacutenement un possible deacutebut Mais en reacuteveacutelant le deacutebut en

renouvelant le monde il se fait lrsquoAncien puisqursquoil devient le premier Cette

possibiliteacute de voir les germes du nouveau dans le monde permet de poser un acte

fondateur

a) Le fondateur

Dans le Dialogue de lrsquohistoire et de lrsquoacircme charnelle Peacuteguy consacre plusieurs

pages aux fondateurs de citeacutes laquo directement inspireacutes de la puissance des dieux raquo

(III 626) La citeacute est le lieu ougrave lrsquohistoire se forge continue et dure Son fondateur

est laquo comme deacuteleacutegueacute du Creacuteateur raquo (III 629) il reccediloit du Creacuteateur non seulement

sa gloire et son don de voir le nouveau et de creacuteer mais aussi sa lourde

responsabiliteacute pour le nouveau qursquoil a engendreacute

Peacuteguy deacutesigne aussi le pegravere de famille comme un fondateur et un ancecirctre en le

comparant au fondateur drsquoune dynastie laquo Dans la fondation drsquoun meacutenage mon ami

drsquoun simple meacutenage rien nrsquoest petit dans lrsquoordre de la fondation car je suis lagrave car

jrsquointerviens car je preacuteside raquo (III 631) dit lrsquohistoire Elle poursuit en soulignant le

caractegravere essentiel et liminaire de tout acte de fondation Crsquoest une rupture une

limite un deacutebut un renouvellement et cependant la figure du fondateur si elle est

conserveacutee dans la meacutemoire et ceacuteleacutebreacutee par des actes meacutemoriels devient un acteur

de la continuiteacute La mecircme personne rend possible le commencement et la dureacutee

Peacuteguy continue de faire parler lrsquohistoire qui rappelle que les chreacutetiens

considegraverent Jeacutesus comme le fondateur de la citeacute de Dieu laquo fondateur (dans le

temps et dans lrsquoeacuteterniteacute) de cette citeacute eacuteternelle fondateur eacuteternel fondateur

temporel aussi raquo (III 631-632) En tant que Dieu fait homme Jeacutesus seul peut fonder

une citeacute qui serait agrave la fois eacuteternelle et temporelle une fondation dans lrsquoeacuteterniteacute ne

peut pas ecirctre possible dans la mesure ougrave nrsquoy a pas de temps mais dans le temps il

peut y avoir un commencement une fondation En se faisant homme Dieu nrsquoest

219

donc plus seulement le creacuteateur il est aussi le fondateur Tous les vivants

deviennent alors laquo concitoyens de votre Fondateur mecircme raquo parce qursquoen tant

qursquohomme

il srsquoest institueacute il srsquoest constitueacute en date et en digniteacute en fait et en droit en raison et en eacuteminence le premier citoyen de la citeacute nouvelle de la citeacute qursquoil fondait de sa citeacute Lui-mecircme il srsquoest institueacute il srsquoest fondeacute le premier des saints le premier parmi un saint parmi les saints (III 633)

Ainsi Jeacutesus devient le premier citoyen de la citeacute de Dieu donc le fondateur

drsquoune dynastie de saints ou lrsquoancecirctre drsquoune famille celle de lrsquoEacuteglise

Un peu plus loin Peacuteguy parle aussi de Jeacutesus comme du fondateur de lrsquoEacuteglise

durant ses trois anneacutees de vie publique Il souligne la diffeacuterence entre cette

fondation et les fondations humaines qui se basent sur des regravegles mecircme srsquoil srsquoagit

de la regravegle monastique (III 665) Cependant parmi les saints Peacuteguy donne une

place particuliegravere aux saints fondateurs drsquoordres parce qursquoils imitent Jeacutesus non

seulement dans sa vie mais aussi dans son acte de fondation preacutefigurant ainsi la

fondation de la citeacute de Dieu Certains parmi eux le font

par une floraison de la gracircce par un besoin de la fructification conseacutecutive par une force invincible de la race spirituelle par un invincible besoin de la feacuteconditeacute spirituelle et les autres au contraire [hellip] par le malheur des temps par la dureteacute des temps par suite du malheur et de la dureteacute des temps parce qursquoil fallait toujours recommencerhellip (III 634)

Cette comparaison de deux types de saints revient plusieurs fois dans les textes

de Peacuteguy il y a chez lui drsquoune part les saints qui puisent la force de leur sainteteacute

dans la laquo race raquo dans lrsquoheacuteritage dans la communion des saints et dans la vie de

lrsquoEacuteglise et drsquoautre part ceux qui laquo recommencent raquo en recevant la gracircce au cœur de

lrsquoeacuteveacutenement qui neacutecessite la preacutesence de Dieu par lrsquointervention de lrsquoun de ses

saints

b) Lrsquoheacuteritage

La filiation partant lrsquoeacutetablissement drsquoun lien geacuteneacuterationnel drsquoune transmission

de meacutemoire de connaissance de biens mateacuteriels aussi (mecircme si Peacuteguy nrsquoen parle

pas) de croyance constitue un sujet important chez Peacuteguy Lrsquoexistence drsquoun ancecirctre

220

fondateur creacutee un deacutebut agrave cette succession ougrave les geacuteneacuterations se suivent et se

prolongent dans la dureacutee par lrsquoaccueil du don drsquoun heacuteritage principalement

spirituel cette dimension eacutetant qui importe le plus agrave Peacuteguy

Peacuteguy eacutevoque deacutejagrave le sujet de lrsquoheacuteritage dans Marcel ou le dialogue de la citeacute

harmonieuse en juin 1898 Il deacuteclare alors que laquo La citeacute harmonieuse est agrave chaque

instant sa propre heacuteritiegravere universelle agrave chaque instant la citeacute harmonieuse est

lrsquoheacuteritiegravere universelle de la citeacute qursquoelle eacutetait agrave lrsquoinstant preacuteceacutedent raquo (I 69) Crsquoest

peut-ecirctre lrsquoun des tregraves rares textes ougrave Peacuteguy parle preacuteciseacutement de lrsquoheacuteritage

mateacuteriel pour dire que tous les heacuteritages dans la citeacute harmonieuse seront mis en

commun Il nrsquoy a pas drsquoancecirctre ni de parents qui transmettraient un legs la citeacute

produit tout le temps son laquo heacuteritage raquo Pour ce qui concerne lrsquoheacuteritage immateacuteriel

laquo la citeacute harmonieuse a reccedilu en heacuteritage de la socieacuteteacute qui nrsquoeacutetait pas harmonieuse

encore tous les sentiments heureux et malheureux qui sont de la santeacute raquo (I 75)

Peacuteguy efface des sentiments qursquoil deacutefinit comme eacutetant sains non seulement les

sentiments pouvant nuire agrave autrui comme la jalousie ou la haine mais aussi ceux

qui supposent leur existence ceux qui dans la socieacuteteacute non harmonieuse existent

pour pallier les sentiments malsains et nuisibles

les citoyens de la citeacute harmonieuse ne connaissent pas le droit amour de la justice les citoyens de la citeacute harmonieuse ne connaissent pas la chariteacute pencheacutee les citoyens de la citeacute harmonieuse ne connaissent pas la veacuteneacuterable pitieacute ils ont reccedilu en heacuteritage la citeacute que ces pieux sentiments leur avaient preacutepareacutee mais ils nrsquoont pas reccedilu en heacuteritage les sentiments qui leur avaient preacutepareacute cette citeacute parce que ces sentiments devenaient inutiles et vains et disharmonieux agrave preacutesent que lrsquoœuvre eacutetait parfaite (I 72)

Crsquoest donc preacuteciseacutement drsquoun acte fondateur qursquoil srsquoagit mais sans ancecirctre

deacutefini puisque cet acte srsquoest produit dans la dureacutee La justice la chariteacute et la pitieacute

ont servi agrave construire une citeacute harmonieuse mais elles nrsquoy ont pas trouveacute leur place

parce que la citeacute ougrave lrsquoinjustice la haine la cruauteacute et la jalousie nrsquoexistent pas nrsquoa

selon Peacuteguy pas besoin drsquoactes reacuteparateurs Un peu plus loin Peacuteguy preacutecise

encore laquo La citeacute est harmonieuse en particulier parce qursquoelle a oublieacute ceux qui

lrsquoont preacutepareacutee raquo (I 82) Peacuteguy agrave lrsquoeacutepoque pense que la citeacute harmonieuse ne peut

exister que si elle oublie lrsquoexistence par le passeacute de sentiments situations personnes

qui nuisaient agrave lrsquoharmonie

221

Dans un texte souvent compareacute agrave Marcel le manifeste De la citeacute socialiste

eacutecrit deux ans plus tard en 1900 Peacuteguy revient au mecircme sujet lrsquoimpossibiliteacute

drsquoune transmission partielle des valeurs neacutecessaires agrave la construction de la citeacute Il

propose de ne choisir que des jeunes gens pour la construire parce que tous ceux

qui ont plus de trente ans sont laquo contamineacutes du vice bourgeois raquo (I 639) La

meacutemoire ne peut pas ecirctre aussi seacutelective si on se souvient on ne se souvient pas

que du bien alors il vaut mieux choisir lrsquooubli et donc lrsquoabsence de transmission

drsquoheacuteritage au sens habituel de ce terme qui suppose un travail de meacutemoire

Cependant lrsquooubli lui-mecircme suppose lrsquoexistence drsquoune meacutemoire de ce qui a eacuteteacute

oublieacute

La citeacute harmonieuse preacutesente encore une autre particulariteacute laquo Les parents

nrsquoont pas dans la citeacute harmonieuse agrave enseigner agrave leurs enfants les sentiments de la

santeacute mais les sentiments de la santeacute naissent et croissent tout seuls dans les

familles aux acircmes des enfants raquo (I 77) Pareillement les repreacutesentants des

diffeacuterentes professions preacutesentes dans la citeacute harmonieuse nrsquoont pas drsquoeacutelegraveves

Parce que la soif de la connaissance comme tout autre laquo sentiment de la santeacute raquo

doit naicirctre naturellement dans lrsquoacircme drsquoun enfant Peacuteguy ne preacutecise pas comment

alors le savoir et la connaissance peuvent ecirctre transmis drsquoune geacuteneacuteration agrave une

autre Neacuteanmoins il eacutevoque bien les savoirs reccedilus en heacuteritage

Peacuteguy eacutenumegravere ensuite diffeacuterentes professions en preacutecisant que chacune a reccedilu

lrsquoheacuteritage de la connaissance et des savoirs par exemple laquo les matheacutematiciens de

la citeacute harmonieuse ont reccedilu et ont accepteacute tout lrsquoheacuteritage des anciens

matheacutematiciens raquo (I 108) En revanche ils nrsquoont pas reccedilu en heacuteritage peut-ecirctre

parce qursquoils ne lrsquoont pas accepteacute lrsquoheacuteritage du travail pour laquo assurer la vie

corporelle raquo (I 104) ils nrsquoont pas heacuteriteacute de lrsquoideacutee de la compeacutetition ni de celle de

la gloire ou du meacuterite Cet heacuteritage tregraves seacutelectif suppose donc un choix Mais est-ce

que cela peut ecirctre consideacutereacute dans ce cas comme un heacuteritage Est-ce qursquoun heacuteritier

peut choisir quel heacuteritage recevoir ou lrsquoheacuteritage est-il un don qursquoon accueille tout

entier ou qursquoon rejette tout entier Crsquoest lrsquoune des questions que pose ce texte de

Peacuteguy elle fait partie de la reacuteflexion sur la liberteacute de celui qui reccediloit un heacuteritage

222

Il tente drsquoy reacutepondre dans Louis de Gonzague eacutecrit cinq ans apregraves le manifeste

et sept ans apregraves Marcel en 1905 Dans ce texte reacutedigeacute agrave lrsquooccasion des vœux pour

la nouvelle anneacutee 1907 Peacuteguy eacutenumegravere ceux qursquoil srsquoest choisis comme ancecirctres

ceux dont il choisit drsquoecirctre lrsquoheacuteritier Drsquoune part on ne choisit pas tout laquo puisque

nous sommes des modernes issus des quatre disciplines heacutebraiumlque helleacutenique

chreacutetienne et franccedilaise ayons au moins les vertus de nos vices raquo dit-il (II 378)

Peacuteguy emploie ici le mot discipline dans son sens litteacuteral il srsquoagit du fait drsquoecirctre

disciple eacutelegraveve heacuteritier drsquoune tradition Pour lui lrsquoheacuteritier ne peut pas recevoir

uniquement les vertus il heacuterite aussi des vices Cependant dans le contexte des

traditions culturelles Peacuteguy insiste sur la possibiliteacute drsquoun choix Il reacutepegravete plusieurs

fois ces mots laquo Heacuteritiers autant que nous le pouvonshellip raquo de la culture antique de

la discipline heacutebraiumlque des chreacutetiens On ne choisit pas drsquoecirctre heacuteritier On ne choisit

pas non plus ce dont on heacuterite En revanche on choisit la mesure de notre

implication la part de discipline le degreacute drsquoobeacuteissance agrave un destin drsquoheacuteritier la part

qursquoon va accorder aux vices et celle qursquoon donnera aux vertus Lagrave aussi il nrsquoy a pas

vraiment drsquoancecirctre fondateur mais il y a une culture fondatrice une culture

ancestrale qui abrite des valeurs qursquoon peut choisir de pratiquer comme des vertus

Dans ce texte Peacuteguy propose le choix drsquoheacuteriter dans la culture antique de la joie

dans la reacuteussite et de la conscience citoyenne laquo que la citeacute a une valeur propre une

valeur en elle-mecircme une valeur eacuteminente qursquoelle est une institution une

proposition drsquoun prix parfait que la survivance et que la conservation que

lrsquoimmortaliteacute pousseacutee toujours plus loin de la citeacute est une œuvre raquo (II 379) Cet

heacuteritage exige donc une immense responsabiliteacute celle de faire durer la citeacute et de la

rendre immortelle

Il indique aussi que nous sommes les heacuteritiers de la laquo discipline heacutebraiumlque

heacuteritiers des Juifs anciens coheacuteritier des Juifs anciens avec les Juifs modernes raquo il

propose ainsi de recevoir des Juifs

cet enseignement que le salut temporel de lrsquohumaniteacute a un prix infini que la survivance drsquoune race que la survivance terrestre et temporelle drsquoune race que la survivance infatigable et lineacuteaire drsquoune race agrave travers toutes les vagues de tous les acircges que le maintien drsquoune race est une œuvre une opeacuteration drsquoun prix infini que lrsquoimmortaliteacute terrestre et temporelle drsquoune race eacutelue quand mecircme ce serait une race humaine simplement et surtout quand crsquoest une race comme cette race la seule

223

visiblement eacutelue de toutes les races modernes la race franccedilaise que ce maintien et que cette immortaliteacute est un objet une proposition drsquoun prix infini qui paie tous les sacrifices Et je place ce paragraphe sous lrsquoinvocation de la meacutemoire que nous avons gardeacutee du grand Bernard-Lazare (II 378-379)

Peacuteguy se voit ici comme un heacuteritier des Juifs qui savent faire durer leur race et

la rendre immortelle il voudrait les imiter en œuvrant pour peacuterenniser ainsi la race

franccedilaise Cependant Peacuteguy nrsquoest pas juif Alors pour ecirctre un heacuteritier leacutegitime il se

choisit un ancecirctre Bernard-Lazare Il est son heacuteritier leacutegitime non seulement parce

qursquoil eacutetait son ami mais parce qursquoil a gardeacute sa meacutemoire Il va mecircme jusqursquoagrave

lrsquoinvoquer car crsquoest le travail de la meacutemoire qui rend un heacuteritier spirituel leacutegitime

Peacuteguy se deacutesigne aussi dans ce texte comme lrsquoheacuteritier des chreacutetiens et plus

preacuteciseacutement de Pascal ainsi que de Platon de Descartes de Kant et de Bergson

Deux ans plus tard dans Notre Jeunesse Peacuteguy se preacutesente comme un heacuteritier

de la famille Millet non pas parce que crsquoeacutetait une famille exceptionnelle ni mecircme

parce qursquoil avait recueilli en tant que geacuterant des Cahiers de la quinzaine les

archives de cette famille pour une publication Il le fait tout simplement parce que

crsquoeacutetait une famille reacutepublicaine fourieacuteriste de lrsquoeacutepoque agrave laquelle Peacuteguy y croyait

fermement les reacutepublicains eacutetaient de vrais reacutepublicains qui avaient de vraies

valeurs reacutepublicaines Il choisit de publier ces archives non pas agrave cause des vers de

Beacuteranger et de lettres de Hugo qursquoelles contiennent mais pour savoir laquo Comment

vivaient ces hommes qui furent nos ancecirctres et que nous reconnaissons pour nos

maicirctres raquo (III 7) On peut distinguer lagrave aussi la reacuteflexion et le choix on ne choisit

pas drsquoecirctre heacuteritier mais on deacutecide drsquoecirctre disciple drsquoavoir tel ou tel maicirctre

Peacuteguy consideacuterait le travail du professeur comme le travail le plus noble le

plus preacutecieux le maicirctre crsquoest en effet celui qui transmet agrave la geacuteneacuteration suivante ce

qui est gardeacute dans la meacutemoire de lrsquohumaniteacute lrsquohistoire la culture lrsquoheacuteritage des

ancecirctres la tradition

Les valeurs porteacutees par cette famille dont Peacuteguy voudrait heacuteriter sont le travail

laquo un veacuteritable culte du travail raquo (III 8) la culture la famille Peacuteguy suppose laquo qursquoun

petit nombre de familles fidegraveles ayant fondeacute la Reacutepublique lrsquoont ainsi maintenue et

sauveacutee la maintiennent encore raquo et laquo nous en sommes litteacuteralement les derniers

224

repreacutesentants raquo (III 9) Peacuteguy ici procegravede comme il lrsquoavait fait dans Louis de

Gonzague avec Bernard-Lazare La famille de Peacuteguy nrsquoeacutetant pas speacutecialement

reacutepublicaine pour pouvoir se poser en heacuteritier des valeurs reacutepublicaines Peacuteguy se

choisit des ancecirctres les Millet il pose un acte de reconnaissance et de meacutemoire en

publiant leurs archives

Dans Notre Jeunesse Peacuteguy continue de se preacutesenter comme heacuteritier des Juifs

laquo Pauvre je porterai teacutemoignage pour les Juifs pauvres raquo (III 135) Pour cela il

eacutenumegravere les valeurs dont il veut heacuteriter qursquoil veut servir en soulignant encore une

fois le rocircle de Bernard-Lazare en tant que saint patron et ancecirctre fondateur Il dit

des juifs laquo je les ai trouveacutes drsquoune sucircreteacute drsquoune fideacuteliteacute drsquoun deacutevouement drsquoune

soliditeacute drsquoun attachement drsquoune mystique drsquoune pieacuteteacute dans lrsquoamitieacute ineacutebranlable raquo

(III 135) Et il preacutesente ensuite son engagement dans lrsquoAffaire comme la preuve de

son appartenance agrave la mystique juive

Dans Victor-Marie comte Hugo Peacuteguy parle de ses propres aiumleux de ses

ancecirctres reacuteels et anonymes laquo Les tenaces aiumleux paysans vignerons [hellip] Les

ancecirctres au pied pertinent les hommes noueux comme les ceps enrouleacutes comme les

vrilles de la vigne fins comme les sarments et qui comme les sarments sont

retourneacutes en cendre raquo (III 169) Ces ancecirctres-lagrave nrsquoont pas laisseacute de trace eacutecrite au

contraire ils ont tellement fait durer leur tradition leurs coutumes qursquoagrave la place de

teacutemoignage Peacuteguy donne une description visuelle de ses aiumleux de leurs travaux en

les comparant aux cultures qursquoils faisaient croicirctre comme srsquoils ne faisaient plus

qursquoun avec leur travail Peacuteguy parle aussi de sa grand-megravere qui est reacuteellement son

aiumleule lrsquoancecirctre fondatrice de sa famille laquo Ma grand-megravere qui gardait les vaches

qui ne savait pas lire et eacutecrire ou comme on dit agrave lrsquoeacutecole primaire qui ne savait ni

lire ni eacutecrire agrave qui je dois tout agrave qui je dois de qui je tiens tout ce que je suis raquo (III

169) Il est son heacuteritier dans ce qursquoil est plus que dans ce qursquoil fait mais aussi dans

la maniegravere dont il agit

Dans les socieacuteteacutes traditionnelles les hommes sont responsables de la continuiteacute

de la descendance de leur ancecirctre celui dont lrsquoactiviteacute a fondeacute lrsquoexistence du groupe

qursquoil continue de proteacuteger apregraves sa mort le culte des ancecirctres peut consister en la

225

reacutepeacutetition de son geste initial fondateur Dans le cas de Peacuteguy cette continuiteacute est

assureacutee par la fideacuteliteacute dans le travail et la conscience de sa race une race anonyme

et silencieuse comme il le dira dans la Note conjointe son œuvre ultime et

inacheveacutee laquo Nos ancecirctres eacutetaient du papier blanc et le lin mecircme dont on fera le

papier raquo (III 1303) Pour un chreacutetien cette continuiteacute cette dureacutee srsquoaccomplissent

dans lrsquoimitation de Jeacutesus le laquo devoir de procreacuteation raquo est assureacute par les saints qui

apportent le nouveau et qui accueillent la gracircce dans lrsquoeacuteveacutenement Peacuteguy en donne

un exemple eacuteloquent dans La Tapisserie de sainte Geneviegraveve et de Jeanne drsquoArc

dans le sonnet du IVe jour de la Neuvaine quand il deacutecrit comment sainte

Geneviegraveve voit lrsquoarriveacutee de Jeanne drsquoArc mille ans apregraves sa mort

Comme la vieille aiumleule au plus fort de son acircge

Se reacutejouit de voir le tendre nourrisson

Lrsquoenfant agrave la mamelle et le dernier besson

Recommencer la vie ainsi qursquoun heacuteritage (OPD 1083)

Son laquo geste initial raquo drsquoaiumleule qui consiste agrave prier et agrave proteacuteger son pays de

lrsquoennemi est renouveleacute par Jeanne laquo recommenceacute raquo elle-mecircme se reconnaicirct

comme lrsquoancecirctre en reconnaissant ce geste et se reacutejouissant de ces faits

c) Adam et Egraveve

Dans le tout premier quatrain drsquoEgraveve Jeacutesus srsquoadresse agrave la premiegravere femme laquo Ocirc

MEgraveRE ensevelie hors du premier jardin raquo (OPD 1177) Il srsquoadresse donc agrave elle et

non agrave Marie sa megravere terrestre dans ce texte en effet qui est une histoire de

lrsquoIncarnation il srsquoadresse agrave la Megravere de tous les humains comme agrave lrsquoaiumleule de

lrsquohumaniteacute en lui comme agrave sa grand-megravere Pauline Bernon [Bruley] dans la notice

de Egraveve explique le passage de la premiegravere personne du singulier agrave la premiegravere

personne du pluriel au milieu par le fait que Jeacutesus srsquoexprime comme le fregravere des

hommes laquo Par laquo vous raquo se trouvent deacutesigneacutees Egraveve et les hommes tandis que le

laquo je raquo de Jeacutesus deacutesigne lrsquoacteur de la Vie de Jeacutesus et de la Passion abandonneacute par

Egraveve et les siens Quand le laquo je raquo nrsquoest plus un laquo nous raquo crsquoest pour racheter le

laquo vous raquo raquo (OPD 1778)

226

Peacuteguy deacutesigne la terre du Paradis comme la laquo terre maternelle raquo drsquoEgraveve en

revisitant ainsi le thegraveme du Paradis perdu ce nrsquoest pas seulement un Paradis

interdit drsquoaccegraves crsquoest vraiment une terre natale ougrave se trouvent les racines de

lrsquohumaniteacute de la laquo race raquo

Vous nrsquoavez plus connu la terre maternelle

Fomentant sur son sein les faciles eacutepis

Et la race pendue aux innombrables pis

Drsquoune nature chaste ensemble que charnelle (OPD 1178)

Ce thegraveme de la race des racines de lrsquoenracinement qui revient souvent dans

les textes de Peacuteguy prend ici une toute autre dimension Simone Fraisse eacutecrit

Ainsi Peacuteguy peut-il utiliser les eacutequations peuple = terre peuple = race terre = patrie Mecircme si ces mots ont parfois des contours indeacutecis srsquoils suggegraverent des connotations diffeacuterentes ils nrsquoen expriment pas moins un sentiment global de reconnaissance et de confiance envers un passeacute dont il se sent lrsquoheacuteritier La race et la terre ont en commun la profondeur197

Ici Peacuteguy se place lui-mecircme et place lrsquohumaniteacute entiegravere en vrais heacuteritier de la

terre du Paradis en soulignant qursquoil est que nous sommes de la mecircme race qursquoEgraveve

Simone Fraisse met en eacutevidence deux images de la terre qui semblent se contredire

dans les textes de Peacuteguy consacreacutes agrave la terre ceux ougrave il parle de la terre plate la

plaine et ceux ougrave il eacutevoque la profondeur de la race Cependant elle conclut laquo Ces

deux visions ne se contrarient pas entiegraverement Lrsquoune srsquoen tient au visible agrave la

surface de la terre et figurativement agrave la longue dureacutee de lrsquohistoire Lrsquoautre tente de

peacuteneacutetrer lrsquoinvisible terreau drsquoougrave la vie est issue raquo198 Encore une fois on trouve chez

Peacuteguy lrsquoaxe horizontal temporel celui de la terre et lrsquoaxe eacuteternel mystique celui

de la race de la dureacutee

Andreacute Rousseau dans Le prophegravete Peacuteguy deacutemontre comment Peacuteguy reacutesout le

paradoxe de lrsquoeacuteternellement temporel ainsi que celui de la reacutepeacutetition et du

renouvellement justement par cette compreacutehension de la race

Cette force qui deacutepasse le temporel puisqursquoelle lui survit crsquoest la force dont nous avons vu que lrsquoeacuteternel peacutenegravetre et anime le temporel quand il y lance la ligne de la race Dans le recommencement deacutecroissant et deacuteclinant du temporel la race humaine fait un

197 FRAISSE Simone Peacuteguy et la terre Paris Sang de la terre 1988 p 70 198 FRAISSE Simone opcit p 72

227

recommencement qui se renouvelle et srsquoaccroit parce qursquoelle vient de lrsquoeacuteternel et qursquoelle y retourne199

Peacuteguy par la bouche de Jeacutesus salue en Egraveve la laquo premiegravere suivante raquo

(OPD 1188) celle qui la premiegravere srsquoest mise agrave suivre Dieu Il ne parle pas de

lrsquoimitation dans la mesure ougrave Egraveve est lrsquoaiumleule de Jeacutesus qui par lrsquoIncarnation rendra

possible lrsquoimitation de Dieu En revanche Peacuteguy eacutenumegravere longuement toute les

choses qursquoEgraveve avait faites la premiegravere la priegravere le travail puisqursquoil lrsquoappelle aussi

laquo premiegravere ouvriegravere raquo (OPD 1239) la fideacuteliteacute et les larmes Par sa preacutesence dans

toutes les femmes et tous les hommes preacutesence garantie par le fait mecircme de la

naissance et de la vie Egraveve repreacutesente la meacutemoire incarneacutee celle dont Peacuteguy dit

laquo Ocirc femme qui rangez les travaux et les jours raquo (OPD 1194) Egraveve est pour Peacuteguy

celle qui est mais aussi sera toujours preacutesente jusqursquoagrave la fin du temps il la peint

donc comme celle qui agrave la fin eacutegalement megravere de tous megravenera lrsquohumaniteacute entiegravere

devant le Juge en eacuteclairant leur chemin laquo par quelque vieille lanterne raquo

(OPD 1224)

Un lien plus personnel fait que Peacuteguy reconnaicirct en Egraveve son aiumleule ce lien

crsquoest la deacutefaite Peacuteguy srsquoidentifie aux vaincus il se deacutesigne plusieurs fois dans ses

texte comme un vaincu et en Egraveve il reconnaicirct celle qui la premiegravere a veacutecu

dignement la deacutefaite

Et moi je vous salue aiumleule insoupccedilonneacutee

Les autres sont sans gracircce et sans fleuronnement

Et sans procession et sans couronnement

Mais vous avez connu drsquoecirctre deacutecouronneacutee (OPD 1250)

La deacutefaite drsquoEgraveve est neacuteanmoins particuliegravere elle a veacutecu au Royaume bacircti par

Dieu au Paradis et elle lrsquoa perdu Il est donc possible que Peacuteguy fasse aussi

allusion dans ces quatrains agrave sa propre vie drsquohomme qui a eacuteteacute pratiquant qui

voudrait comme en teacutemoigne sa lettre agrave Joseph Lotte le 28 septembre 1912

revenir agrave la pratique des Sacrements mais qui ne le peut pas pour les raisons

familiales que lrsquoon connaicirct laquo Je vis sans sacrements Crsquoest une gageure raquo200

199 ROUSSEAU Andreacute Le prophegravete Peacuteguy (Introduction agrave la lecture de lrsquoœuvre de Peacuteguy) Deuxiegraveme et troisiegraveme partie Le poegravete de la naissance et de la vie Neuchatel Editions de la Baconniegravere 1944 p 204 200 Charles Peacuteguy opcit Lettres et entretiens p 141

228

Peacuteguy souligne plusieurs fois dans Egraveve le fait qursquoelle est lrsquoaiumleule de Jeacutesus par

Marie Egraveve a eacuteteacute la premiegravere agrave recevoir la vocation drsquoecirctre megravere Crsquoest

particuliegraverement apparent dans les ceacutelegravebres quatrains deacutedieacutes aux morts sur un champ

de bataille laquo Megravere voici vos fils qui se sont tant battus raquo (OPD 1265) eacutecrit Peacuteguy

en paraphrasant lrsquoEacutevangile (Jean 19 26)

Jean Delaporte eacutecrit dans le second tome de sa Connaissance de Peacuteguy laquo Egraveve

repreacutesente lrsquohumaniteacute qui a veacutecu le long deacuteroulement de son histoire et a gardeacute la

meacutemoire de ses deux sources la charnelle qui fut la Creacuteation au premier jardin et la

spirituelle qui fut le premier Noeumll raquo201

Si Jeacutesus fils de Marie et laquo petit fils raquo drsquoEgraveve est preacutesenteacute par Peacuteguy dans Clio

par exemple comme le fondateur et lrsquoancecirctre en recevant de Marie son humaniteacute

ce qui en fait une aiumleule il reccediloit aussi un heacuteritage leacutegueacute par Egraveve et fructifieacute par

Marie puiseacute agrave ces deux sources mentionneacutees par Jean Delaporte

Plusieurs quatrains sont consacreacute agrave lrsquoheacuteritage dont allait heacuteriter lrsquoenfant Jeacutesus

coucheacute dans la cregraveche laquo Il allait heacuteriter de la terre et de lrsquohomme raquo (OPD 1302)

De lrsquohomme Adam de lrsquohomme qursquoil allait devenir qursquoil allait renouveler et de

cette terre qursquoAdam et Egraveve ont reccedilue des mains de Dieu

Or la terre est chargeacutee et crsquoest la terre seule

De faire le long acircge et lrsquoacircge reacutevolu

Et de faire une enfant et de faire une aiumleule

Et de marquer les bords de notre acircge absolu (OPD 1387)

Seule la terre peut laquo faire une aiumleule raquo puisque elle a eacuteteacute creacuteeacutee avant lrsquohomme

avant Adam et Egraveve ainsi la terre peut deacutefinir lrsquolaquo acircge absolu raquo en laquo marquer les

bords raquo

Si dans Egraveve Peacuteguy ne parle pas drsquoAdam il consacre plusieurs pages de Victor-

Marie comte Hugo agrave la geacuteneacutealogie de Jeacutesus-Christ dans lrsquoEacutevangile de Matthieu et

dans lrsquoEacutevangile de Luc Il y deacutesigne Adam comme le laquo point drsquoorigine drsquoorigine

charnelle drsquoorigine spirituelle raquo (III 237) et souligne le fait que la filiation qui a

commenceacute dans Adam passe par laquo des crimes de chairs raquo Il note eacutegalement que

201 DELAPORTE Jean Connaissance de Peacuteguy tome II 1959 Paris Plon p 120

229

dans la geacuteneacutealogie du Dieu fait homme on ne trouve pas que des saints ni

uniquement des personnes comme Abraham que Peacuteguy deacutesigne comme laquo un

deuxiegraveme Adam charnel enfanteacute eacutelu choisi pegravere drsquoun peuple eacutelu raquo (III 237) on y

trouve aussi des criminels Peacuteguy va jusqursquoagrave dire que laquo Peu drsquohomme drsquoautres

hommes ont peut-ecirctre eu autant drsquoancecirctres criminels et si criminels

Particuliegraverement si charnellement criminels raquo (III 239) Drsquoailleurs Peacuteguy nrsquoutilise

pas le mot laquo geacuteneacutealogie raquo il parle de geacuteneacuteration et eacutevoque les hommes qui la

constituent et qui sont les ancecirctres terrestres de Jeacutesus nommeacutes en partant drsquoAdam

pour arriver agrave Jeacutesus chez Matthieu ou de Jeacutesus agrave Adam et agrave Dieu chez Luc

Ce sont toujours ce sont deacutejagrave deux chreacutetiens qui placeacutes apregraves Jeacutesus faisant leur office considegraverent contemplent lrsquoincarnation du cocircteacute du miracle du cocircteacute de lrsquoeacuteterniteacute cette insertion de lrsquoeacuteternel dans le temporel du spirituel dans le charnel ce sont deux chreacutetiens qui la considegraverent qui la contemplent du cocircteacute de lrsquoeacuteternel du cocircteacute du spirituel se situant dans lrsquoeacuteternel dans le spirituel venant de lrsquoeacuteternel du spirituel faisant en un mot leur meacutetier leur office de chreacutetiens Crsquoest toujours une histoire arriveacutee agrave Jeacutesus Et crsquoest toujours de lrsquoavegravenement beaucoup plus que de lrsquoeacuteveacutenement (III 245)

Dans cette histoire arriveacutee agrave Jeacutesus et agrave la terre il y a eu toute sorte drsquohommes et

de femmes il y a eu des criminels et des peacutecheurs qui eacutetaient des ancecirctres de Jeacutesus

Adam et Egraveve eacutetaient les premiers drsquoentre eux

d) La propheacutetie

Si dans la figure de lrsquoancecirctre telle que Peacuteguy la conccediloit lrsquoideacutee de la

transmission de geacuteneacuteration en geacuteneacuteration est importante la figure du prophegravete est

contraire laquo la penseacutee propheacutetique nrsquoest pas enseignable raquo explique Anne

Dufourmantelle dans son livre La vocation propheacutetique de la philosophie202 Le

message propheacutetique nrsquoest pas une information qursquoon pourrait transmettre agrave un autre

en lrsquoenseignant mais une vision du reacuteel diffeacuterente une autre perception du monde

et une reacuteveacutelation de ce qui est cacheacute Le prophegravete est seul agrave la voir et agrave lrsquoentendre il

peut donc partager une part sans srsquoattendre pour autant agrave une reacuteception complegravete de

202 DUFOURMANTELLE Anne La Vocation propheacutetique de la philosophie Paris Serf 1998 p 11

230

son message en acceptant la possible incompreacutehension agrave laquelle il va sucircrement se

heurter

La compreacutehension du pheacutenomegravene propheacutetique qui est celle de Peacuteguy

correspond plus agrave la tradition juive qursquoagrave la tradition helleacutenique Anne

Dufourmantelle observe dans cette perspective

Lrsquoideacutee selon laquelle le prophegravete annonce le futur vient primitivement du monde grec ainsi nous a-t-elle eacuteteacute transmise [hellip] helliple prophegravete juif nrsquoinscrit pas sa vocation dans cette anticipation de lrsquohistoire Il peut bien eacutevidemment manifester sa fonction critique au sujet drsquoune situation politique ou sociale pour laquelle il aura alors une attitude prospective Mais son rocircle ne se reacuteduit pas agrave lrsquoexercice de cette clairvoyance il reacuteside essentiellement dans une vision du reacuteel susceptible drsquoempecirccher les conseacutequences neacutefastes drsquoune situation donneacutee203

Dans les deux traditions le prophegravete voit le reacuteel tel qursquoil est Mais dans la

tradition grecque il insiste sur lrsquoineacutevitable accomplissement du destin alors que

dans la tradition juive il propose un choix libre au peuple si ce dernier se met agrave

lrsquoeacutecoute de son Dieu agrave travers les paroles du prophegravete Cette diffeacuterence est lieacutee

entre autres agrave une diffeacuterence dans la perception du temps consideacutereacute comme

cyclique chez le Grecs et comme eschatologique dans la tradition juive Ainsi Luis

Martinez eacutecrit en commentant lrsquoencyclique Gaudium et Spes laquo le premier souci

des prophegravetes ce nrsquoest pas de deviner le futur mais bien de changer le preacutesent car ils

croient que lrsquoavenir conjugue lrsquoinitiative de Dieu et la reacuteponse libre de

lrsquohomme raquo204

Le prophegravete peut aussi srsquoadresser au passeacute dans la mesure ougrave selon Andreacute

Vauchez laquo la propheacutetie est drsquoabord une relecture de lrsquohistoire un deacutechiffrement du

dessein de Dieu agrave travers les eacuteveacutenements non pour donner une connaissance mais

une perspective raquo205

Le prophegravete est une personne choisie par Dieu qui deacutecide drsquoinstaurer un

dialogue avec elle Anne Dufourmantelle poursuit laquo Lrsquoeacutemergence de la parole

203 Ibid p 10 204 MARTINES Luis (dir) Actualiteacute de la Parole propheacutetique Gaudium et Spes agrave la lumiegravere des prophegravetes Bruxelles Lumen Vitae 2014 p 9 205 VAUCHEZ Andreacute (dir) Lrsquointuition propheacutetique enjeu pour aujourdrsquohui Paris les eacuteditions de lrsquoAtelier 2011 p 18

231

propheacutetique se manifeste drsquoabord sous lrsquoordre de lrsquoIncarnation Cette parole prend

corps dans une vie placeacutee tout agrave la fois sous le signe de lrsquoeacutelection et du

sacrifice raquo206

La parole propheacutetique a aussi une double dimension temporelle et eacuteternelle

elle srsquoadresse drsquoabord aux personnes contemporaines du prophegravete le prophegravete joue

alors un rocircle de meacutediateur entre Dieu et son peuple dans lrsquoimmeacutediat Mais comme

crsquoest une parole de Dieu incarneacutee dans le message du prophegravete elle est aussi

eacuteternelle et peut servir de commentaire agrave des eacuteveacutenements passeacutes elle peut annoncer

le futur expliquer quelque chose de personnel au moment de la rencontre de la

parole et du lecteur ou bien annoncer quelque chose drsquouniversel Dans son rocircle

meacutediateur creacuteateur du dialogue la parole propheacutetique attend une reacuteponse laquo La

veacuteritable propheacutetie si elle est meacutediation entre le divin et lrsquohumain se transmet dans

une histoire ougrave Dieu attend quelque chose de lrsquohomme raquo207

Les prophegravetes grecs nrsquoallaient pas vers les hommes et ceux-ci consultaient

lrsquooracle en le payant Lrsquooracle nrsquoeacutetait en dialogue qursquoavec son dieu Le prophegravete

biblique et chreacutetien est pour sa part en dialogue avec les hommes et avec Dieu il

creacutee la possibiliteacute du dialogue par sa position propheacutetique Dans la tradition juive la

diffeacuterence entre les precirctres et les prophegravetes passe par la forme du maintien du lien

les precirctres les leacutevites utilisent les purifications les rites pour maintenir une

seacuteparation entre le profane et le sacreacute Le prophegravete au contraire se maintient dans

un dialogue direct avec Dieu et deacutepasse cette seacuteparation Jean-Pierre Albert

construit un tableau ougrave il preacutecise la diffeacuterence entre le precirctre et le prophegravete en

srsquoappuyant sur lrsquoœuvre de Max Weber consacreacutee agrave la virtuositeacute religieuse

Lrsquoinstitution et ses speacutecialistes La virtuositeacute

Types de rocircles Le laquo precirctre raquo Le laquo prophegravete raquo

Mobilisation Meacutediation rituelle Miracle

206 DUFOURMANTELLE Anne opcit p 15 207 DUFORMANTELLE Anne opcit p27

232

du divin

Leacutegitimiteacute Leacutegaliteacute charisme de fonction Charisme personnel

Style de

religiositeacute Ritualisme

Inteacuterioriteacute rationaliteacute

eacutethique

Rapport agrave la

veacuteriteacute

Savoir appris et construit (exeacutegegravese

theacuteologie)

Inspiration science

infuse

208

Le prophegravete est aussi appeleacute agrave apporter agrave ses contemporain une justice oublieacutee

il a donc un fort rocircle social celui drsquoun deacutenonciateur de la violation des lois de Dieu

instaureacutee pour rendre la vie sur terre bonne pour les hommes

Dans Un poegravete lrsquoa dit Peacuteguy exprime pour la premiegravere fois cette ideacutee laquo nous

ne connaissons pas qursquoil y ait eu un seul prophegravete en dehors drsquoun certain peuple que

nous aimons beaucoup raquo le peuple juif qursquoil deacutesigne aussi un peu plus loin dans le

mecircme texte comme laquo la race des prophegravetes raquo peuple laquo eacuteternellement inquiet raquo

(II 872-873) Le peuple juif est le peuple des prophegravetes sucircrement en raison de son

rapport particulier au temps le prophegravete sort de la race juive nourri de lrsquohistoire de

son peuple et de sa relation avec Dieu mais il demeure aussi dans un temps

eschatologique tourneacute vers un futur marqueacute par la venue du Messie mais aussi vers

un futur intemporel lrsquoeacuteterniteacute

Comme exemple de prophegravete juif Peacuteguy eacutevoque Bernard-Lazare Il le preacutesente

drsquoabord comme celui qui juge son peuple la propheacutetie srsquoapparente ainsi au

justement dernier et devient une sorte de preacutefiguration du jugement Le jugement de

Bernard-Lazare est plein de laquo tristesse raquo de laquo seacuteveacuteriteacute raquo de laquo justice raquo et de

laquo justesse raquo (II 873) Il se tient ainsi dans le rocircle du prophegravete qui rappelle au peuple

de Dieu la justice oublieacutee Peacuteguy dit aussi que lrsquoesprit propheacutetique de Bernard-

Lazare eacutetait fait de laquo cette force unique de deacutesillusion raquo laquo force de

208 ALBERT Jean-Pierre laquo La place des saints Virtuositeacute religieuse et structure du champ religieux raquo Conserveries meacutemorielles [En ligne] 14 | 2013 mis en ligne le 01 juillet 2013 consulteacute le 23 mars 2015 URL httpcmrevuesorg1509

233

deacuteception raquo laquo force unique de colegravere et drsquoindignation raquo (II 874) parce que le

prophegravete est celui qui voit entend et annonce la veacuteriteacute il ne peut donc pas

demeurer dans lrsquoillusion car il cesserait alors drsquoecirctre prophegravete Le prophegravete est

presque toujours plein de colegravere et drsquoindignation agrave cause de la distance qursquoil perccediloit

entre la veacuteriteacute et les croyances qui habitent le monde autour de lui laquo La force de

justice et de reacutevolte marque le prophegravete raquo observe Peacuteguy (II 874)

Une autre caracteacuteristique du prophegravete crsquoest de ne pas ecirctre eacutecouteacute ni entendu

Dans Notre Jeunesse Peacuteguy eacutecrit laquo Israeumll passe agrave cocircteacute du prophegravete le suit et ne le

voit pas La meacuteconnaissance des prophegravetes par Israeumll et pourtant la conduite drsquoIsraeumll

par les prophegravetes crsquoest toute lrsquohistoire drsquoIsraeumll raquo (III 56) Un prophegravete parle

toujours en son temps mais il est toujours eacutecouteacute et souvent entendu dans un autre

temps Peacuteguy consacre donc plusieurs pages de Notre jeunesse au terrible oubli

auquel Bernard-Lazare a eacuteteacute voueacute agrave la fin de sa vie non seulement par les

dreyfusards mais aussi par Dreyfus lui-mecircme

Mais malgreacute cette deacutefaite presque obligatoire le prophegravete est un ecirctre

drsquoespeacuterance parce que lrsquoessence de sa vie crsquoest lrsquoattente Chaque prophegravete attend le

prophegravete suivant avec espeacuterance il attend celui que le peuple peut-ecirctre enfin

entendra et le rendra alors precirct agrave accueillir le Messie Chaque prophegravete attend la

venue de Messie comme lrsquoeacutecrit Peacuteguy dans le Dialogue de lrsquohistoire et de lrsquoacircme

charnelle laquo Vingt siegravecles quarante siegravecles cinquante siegravecles preacuteceacutedents cinquante

siegravecles anteacuterieurs attendaient cinquante siegravecles avant attendaient avant cinquante

siegravecles de Juifs Cinquante siegravecles de prophegravetes Cinquante siegravecles de prophegravetes

lrsquoavaient annonceacute raquo (III 740)

Dans la Note conjointe Peacuteguy deacutesigne lrsquoAnnonciation comme lrsquoultime

propheacutetie laquo LrsquoAnnonciation peut ecirctre consideacutereacutee comme la derniegravere des propheacuteties

et comme la propheacutetie agrave la limite (et au dernier terme au dernier point au

commencement mecircme de la reacutealisation) raquo (III 1405) Il srsquoagit de la derniegravere des

propheacuteties bibliques qui ont en commun drsquoannoncer presque toutes la naissance du

Messie et cette derniegravere propheacutetie srsquoaccomplit elle-mecircme dans son annonce crsquoest

le deacutebut de lrsquoincarnation laquo la limite raquo comme le dit Peacuteguy Il poursuit laquo Crsquoest le

234

dernier point de la promesse et crsquoest ensemble le premier point de la tenue de la

promesse raquo Les saints de lrsquoAncien Testament dans leur rocircle leur fonction

ancestrale garantissent la continuiteacute par la meacutemoire du passeacute et le devoir de

transmettre de rappeler agrave leur contemporains lrsquoœuvre de Dieu pour son peuple ils

sont voueacutes au vieillissement par le poids de ce passeacute qursquoils legraveguent agrave leurs heacuteritiers

Les saints de lrsquoAncien Testament dans leur rocircle leur fonction propheacutetique sont

tourneacutes vers le futur dans lrsquoattente de la venue du Messie qursquoils annoncent agrave leurs

contemporains ils sont voueacute au vieillissement par cette longue attente

Deacutesormais depuis que Dieu srsquoest incarneacute la longue meacutemoire ne laquo vieillit raquo

plus les saints ils poursuivent lrsquoœuvre de lrsquoincarnation en revivant maintenant un

passeacute qui veut ecirctre transmis au cœur du preacutesent Les saints du Nouveau Testament

ne sont plus laquo obligeacutes raquo drsquoecirctre prophegravetes dans le sens ougrave la propheacutetie a quelque

chose agrave voir avec le futur par lrsquoattente Ils peuvent ecirctre saints par lrsquoincarnation

lrsquoimitation de Dieu dans le preacutesent au cœur de lrsquoeacuteveacutenement

235

CHAPITRE V LA SAINTETEacute DANS LE PREacuteSENT

Les saints qui vivent au cœur du preacutesent par lrsquoimitation du Dieu incarneacute

habitent le reacuteel Selon Peacuteguy ils accueillent la gracircce dans le preacutesent Jean Onimus

eacutecrit laquo Ce qui seul inteacuteresse Peacuteguy [hellip] crsquoest le reacuteel avec sa charge de douleur et

de mystegravere non pas pour lrsquoanalyser et srsquoen faire un spectacle intelligible mais pour

srsquoy inseacuterer activement et y deacuteployer sa chariteacute raquo209 Faire un laquo spectacle

intelligible raquo du reacuteel selon Peacuteguy crsquoest en faire de lrsquohistoire laquo des fiches raquo et donc

en quelque sorte lrsquoassassiner le vouer au laquo vieillissement raquo qui le reacutevulsait Crsquoest

aussi une forme de lacirccheteacute un refus de prendre parti et drsquoagir Or pour peacuteneacutetrer le

reacuteel et y laquo deacuteployer la chariteacute raquo en agissant il faut avoir du discernement et donc

ecirctre selon un autre mot cher agrave Peacuteguy laquo gracieacute raquo

Les saints agissent dans le reacuteel et au preacutesent Andreacute Devaux eacutecrit que le saint

est laquo celui que la savoureuse eacutetreinte du reacuteel ne fatigue pas parce qursquoil ne fait plus

qursquoun avec le reacuteel lui-mecircme en sorte qursquoil nrsquoa plus de choix douloureux agrave faire en

celui-ciraquo210 Mais crsquoest dans la race dans le passeacute que le saint peut puiser la force

de la communion Cette logique semble paradoxale cependant Thierry Dejond dit

bien de Peacuteguy que pour lui laquo seul le paradoxe exprime le reacuteel raquo211

Peacuteguy parle beaucoup de lrsquoIncarnation comme du moment ougrave laquo Lrsquoeacuteterniteacute a eacuteteacute

faite est devenue temps Lrsquoeacuteternel a eacuteteacute fait est devenu temporel raquo (III 234) il la

deacutesigne comme une laquo histoire arriveacutee agrave Dieu raquo ou une laquo histoire arriveacutee agrave la terre raquo

(III 235) Ces citations proviennent de Victor-Marie comte Hugo texte dans lequel

Peacuteguy insiste beaucoup sur le point de vue sur la position agrave prendre pour consideacuterer

lrsquoincarnation et pour laquo contempler Dieu du cocircteacute de la creacuteature raquo (III 236) Pour

209 ONIMUS Jean Le sens de lrsquoincarnation essai sur la penseacutee de Peacuteguy Paris Cahiers de lrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy 1950 p 84 210 DEVAUX Andreacute A laquoReacutealiteacute et veacuteriteacute selon Charles Peacuteguy raquo Rencontres avec Peacuteguy Colloque de Nice Paris Descleacutee de Brower 1975 (p 81-119) p 111 211 DEJOND Thierry Charles Peacuteguy Lrsquoespeacuterance drsquoun salut universel Namur Culture et Veacuteriteacute 1989 p 34

236

Peacuteguy lrsquoIncarnation peut ecirctre possible seulement srsquoil y a des creacuteatures sur terre

precirctes agrave accueillir Dieu la terre doit recevoir la segraveve divine Crsquoest pour cela que

Peacuteguy revient souvent agrave lrsquoAnnonciation comme agrave un tournant principal Mais il en

vient agrave parler de tous les saints comme des acteurs de lrsquoIncarnation parce que les

saints sont ceux qui savent accueillir la gracircce de Dieu

Le reacuteel crsquoest le temps et le lieu ougrave lrsquoeacuteveacutenement se produit celui dans lequel

Dieu srsquoincarne celui dans lequel le saint fait durer lrsquoIncarnation de Dieu

Dans son article Peacuteguy philosophe Franccedilois Feacutedier observe laquo Le deacutefi auquel

nous sommes ici confronteacutes crsquoest de ne pas accepter que mystique soit identifieacute agrave

irreacuteel En reacutealiteacute la mystique dont parle Peacuteguy est bien plutocirct la seule voie drsquoaccegraves

au reacuteel au sens entier du terme raquo212 Et la politique justement est agrave lrsquoopposeacute du

reacuteel parce qursquoelle est une forme de reacutecupeacuteration du reacuteel en fonction drsquoun systegraveme

construit intellectuellement deacutesincarneacute et deacuteracineacute Peacuteguy en parle longuement dans

le Dialogue de lrsquohistoire et de lrsquoacircme charnelle le refus de srsquoincarner de vivre dans

le reacuteel est un rejet de la mystique chreacutetienne Dans Agrave nos amis agrave nos abonneacutes

Peacuteguy opegravere une distinction entre le reacuteel et lrsquohistoire en srsquoappuyant sur lrsquoexemple

drsquoun jeune homme venu srsquoinformer sur lrsquoAffaire En lui parlant Peacuteguy prend

douloureusement conscience que ce qui pour lui est le reacuteel parce qursquoil est au cœur

de ces eacuteveacutenements nrsquoest qursquohistoire pour celui qui lrsquoeacutecoute puisqursquoil ne lrsquoa pas

veacutecu laquo Je lui donnais du reacuteel il recevait de lrsquohistoire raquo (II 1310) Lrsquohistoire crsquoest

donc seulement du reacuteel videacute de sa mystique

La reacutealiteacute lrsquoeacuteveacutenement de la reacutealiteacute lrsquoeacuteveacutenement reacuteel est cette rosace reacuteelle aux fleurs de rose infiniment fouilleacutees Lrsquohistoire lrsquoeacuteveacutenement de lrsquohistoire sont ces carreaux de placirctre qursquoaussitocirct la rosace abolie nous mettons au mecircme lieu chacun tous tant que nous sommes selon notre petit entendement selon nos petits moyens et notre petite capaciteacute (II 1309-1310)

Lrsquoeacuteveacutenement est plus grand que la personne qui le vit Lrsquohistoire est reacuteduite agrave

ceux qui la construisent elle deacutecrit les caracteacuteristiques exteacuterieures apparentes de

lrsquoeacuteveacutenement sans le peacuteneacutetrer sans lrsquohabiter dans la dureacutee Tatiana Taiumlmanova

remarque que Peacuteguy critique la science historique moderne preacuteciseacutement parce que

212 FEacuteDIER Franccedilois laquo Peacuteguy philosophe raquo Philosophie 42009 (ndeg 103) p 77-92

237

sous le poids du passeacute fixeacute par les documents et les fiches lrsquohomme perd sa

capaciteacute de ressentir le preacutesent comme un reacuteel vivant213

Gracircce agrave lrsquoIncarnation non seulement Dieu entre dans le temps agrave travers sa vie

sur terre et la vie de ses saints mais encore lrsquohomme entre dans lrsquoeacuteterniteacute laquo Vous

avez eacuteterniseacute vous avez infiniseacute tout raquo (III 775) Degraves lors la valeur de ses actes

devient tout aussi infinie et eacuteternelle et sa responsabiliteacute eacuteternelle aussi Il faut ecirctre

saint et il faut savoir accueillir la gracircce de Dieu pour pouvoir la porter

Lrsquoexplication la plus claire de ce que signifiait lrsquoIncarnation pour Peacuteguy se

trouve dans son dernier texte la Note conjointe sur M Descartes et la philosophie

carteacutesienne

Pour que Jeacutesus fucirct homme il fallait que sa meacutemoire mecircme et que son histoire fucirct la matiegravere et lrsquoobjet non pas drsquoun miracle mais drsquoun procegraves permanent

Il fallait qursquoil surveacutecucirct comme il avait veacutecu Et il fallait qursquoil surveacutecucirct comme il eacutetait mort Et il fallait qursquoil fucirct temporellement eacuteternel comme il avait veacutecu et comme il eacutetait mort

Il fallait en un mot que la vie de Jeacutesus fut une vie de saint Et qursquoil fut exposeacute agrave notre vieux camarade Babut comme un simple saint Martin

La premiegravere des vies de saint Ou la vie du premier saint Une vie de saint en tecircte des autres mais une vie de saint tout de mecircme comme les autres parmi les autres (III 1401)

Selon Peacuteguy pour srsquoincarner Dieu devait se doter drsquoun heacuteritage humain drsquoune

meacutemoire humaine (les geacuteneacuterations avant Jeacutesus chez Matthieu et Luc) Georges Izard

eacutecrit laquo En se deacutefendant de diminuer par ces reacuteflexions la part de Jeacutesus Peacuteguy

eacutetablit donc un lien nouveau entre le spirituel et le temporel Jeacutesus a tout incarneacute de

lrsquohomme y compris tout ce qursquoil y avait eu de divin ou drsquohumain dans lrsquohistoire de

ses civilisations raquo214 Il devait aussi trouver une forme drsquoexistence et de dureacutee dans

la meacutemoire agrave lrsquoaide de teacutemoignages et de chronique agrave commencer par les

Eacutevangiles Sa vie se preacutesentait aux geacuteneacuterations suivantes sous la forme de meacutemoire

inscrite dans les textes et en forme drsquoimitation humaine comme il advient pour les

heacuteros pour les saints et plus geacuteneacuteralement pour les personnaliteacutes exemplaires

213 Voir TAIumlMANOVA Tatiana opcit p 176 214 IZARD Georges La penseacutee religieuse in MOUNIER Emmanuel Marcel PEacuteGUY Marcel IZARD Georges La penseacutee de Charles Peacuteguy Paris Plon 1931 p 375

238

1 Lrsquoaction du saint dans le monde

Dans le monde le saint a une posture ambivalente drsquoune part il est agrave lrsquoeacutecart

du monde des autres non seulement srsquoil srsquoagit drsquoun ermite mais drsquoautre part en

raison de son essence de saint qui est qadosh mis agrave part pour Dieu Cependant en

tant qursquoacteur de lrsquoIncarnation celui qui continue lrsquoœuvre de Dieu sur la terre le

saint est au cœur de lrsquoeacuteveacutenement au cœur du monde des hommes en dialogue

constant avec les autres humains et avec Dieu Le saint est agrave la fois solitaire et

solidaire

J-P Dubois-Dumeacutee dans son livre Solitude de Peacuteguy analyse ainsi cette notion

de solidariteacute chez lrsquoauteur

Cette hantise de lrsquoecirctre ou des ecirctres exclus Peacuteguy lrsquoappelle solidariteacute Ainsi donne-t-il agrave ce mot monnayeacute alors vulgairement par tant de socialistes un sens plein ce nrsquoest pas seulement le coude-agrave-coude de ceux qui luttent pour un monde meilleur crsquoest une exigence de salut collectif un sacrifice de soi-mecircme pour les autres lrsquoamour des hommes En opposant cette solidariteacute agrave la chariteacute chreacutetienne qui passe pour un aveu drsquoimpuissance et de reacutesignation il reprend un thegraveme freacutequent alors de la propagande socialiste Mais seule les mots sont les mecircmes La solidariteacute ainsi entendue nrsquoest pas autre chose que la veacuteritable chariteacute chreacutetienne agrave laquelle on lrsquooppose lthellipgt En srsquoattachant au socialisme Peacuteguy a cru rompre avec le christianisme En reacutealiteacute il nrsquoa fait que provisoirement et inconsciemment appliquer au socialisme des sentiments qui plus tard se reacuteveacuteleront agrave nouveau ce qursquoils nrsquoavaient pas cesseacute drsquoecirctre profondeacutement chreacutetiens215

Crsquoest de cette solidariteacute du saint que naicirct la communion des saints

Si en eacutetudiant la place du saint dans la socieacuteteacute on compare les saints chez

Peacuteguy avec la typologie du religieux de Max Weber on voit que cette place pourrait

correspondre au rocircle du virtuose religieux doteacute drsquoun laquo charisme speacutecifique raquo en

particulier du laquo charisme speacutecifique de la foi raquo et de celui de la bonteacute Agrave propos du

charisme de la foi Weber affirme qursquolaquo en vertu de cette confiance charismatique

dans le soutien de Dieu qui deacutepasse les formes humaines ordinaires lrsquohomme de

confiance de la communauteacute eacutemotionnelle en tant que virtuose de la foi peut

pratiquement agir et accomplir drsquoautres choses que le laiumlc raquo216 Cette deacutefinition

215 DUBOIS-DUMEacuteE Jean-Pierre Solitude de Peacuteguy Paris Plon 1946 p 58-59 216 WEBER Max Eacuteconomie et socieacuteteacute Paris Plon (trad sous la dir de J Chavez amp G de Dampierre) 1971 p 576

239

correspond agrave lrsquoideacutee de Peacuteguy suivant laquelle le saint agit en accueillant la gracircce au

cœur de lrsquoeacuteveacutenement En commentant ce texte de Weber Reacutegis Deacutericquebourg

eacutecrit laquo Nous pensons que les charismes speacutecifiques fondent une virtuositeacute dans un

domaine de lrsquoaction quotidienne plus que dans lrsquoextra-quotidienneteacute typique du

charisme propheacutetique raquo217 Cela correspond agrave cette sainteteacute agissante chegravere agrave

Peacuteguy une sainteteacute qui se distingue par la capaciteacute de reacuteagir agrave lrsquoeacuteveacutenement dans

lrsquoimmeacutediat et dans la dureacutee en restant ouvert agrave la gracircce divine

Pour Max Weber comme lrsquoexplique Jean-Pierre Albert lrsquoune des fonctions

principales des virtuoses religieux consiste agrave laquo procurer des expeacuteriences actuelles du

surnaturel des expeacuteriences crsquoest-agrave-dire des situations veacutecues drsquoune maniegravere qui se

rapproche autant que possible de nos faccedilons ordinaires de juger de la reacutealiteacute des

faits dont nous sommes les auteurs ou les teacutemoins raquo ce qui peut correspondre chez

Peacuteguy agrave lrsquointuition de la dureacutee et de lrsquoeacuteveacutenement qui reacutevegravele le saint218

a) Le saint au cœur de lrsquoeacuteveacutenement

Emmanuel Mounier note pour sa part dans son eacutetude sur la penseacutee de Peacuteguy

que laquo Lrsquoeacuteveacutenement nrsquoest pas astreint seulement agrave la date mais agrave la terre agrave la langue

agrave lrsquohomme raquo219 Crsquoest-agrave-dire qursquoil se produit dans un lieu concret dans une ou des

langues concregravetes des hommes y participent en teacutemoignent lrsquoaccueillent ou

lrsquoignorent

217 DEacuteRICQUEBOURG Reacutegis laquo Max Weber et les charismes speacutecifiques raquo Archives de sciences sociales des religions [En ligne] 137 | janvier - mars 2007 mis en ligne le 05 juin 2010 consulteacute le 02 mars 2017 URL httpassrrevuesorg4146 DOI 104000assr4146 218 ALBERT Jean-Pierre Albert laquo La place des saints Virtuositeacute religieuse et structure du champ religieux raquo Conserveries meacutemorielles [En ligne] 14 | 2013 mis en ligne le 01 juillet 2013 consulteacute le 23 mars 2015 URL httpcmrevuesorg1509 219 MOUNIER Emmanuel PEacuteGUY Marcel IZARD Georges Izard La penseacutee de Charles Peacuteguy Paris Plon 1931 p 169

240

Au cœur de lrsquoeacuteveacutenement le saint peut choisir drsquoecirctre teacutemoin intercesseur ou

faire le choix drsquoagir Jean Delaporte eacutecrit laquo Lrsquoobeacuteissance agrave lrsquoeacuteveacutenement constitue le

dernier degreacute de la fideacuteliteacute au reacuteel engageacutee dans une ascegravese de lrsquoaction raquo220

Peacuteguy exprime la position envers lrsquoeacuteveacutenement qursquoil considegravere comme eacutetant la

plus juste dans Louis de Gonzague laquo Il ne deacutepend pas de nous que lrsquoeacuteveacutenement se

deacuteclenche mais il deacutepend de nous drsquoy faire face raquo (II 383) Il y a divers maniegravere

drsquoy faire face Celle que Peacuteguy preacutefegravere se reacutesume dans la parabole du jeu de la balle

au chasseur auquel on srsquoadonne alors que le jugement dernier aura lieu dans cinq

minutes cette parabole est rapporteacutee dans ce mecircme texte Non ce nrsquoest pas une

attitude passive mais crsquoest une attitude de disponibiliteacute totale drsquoaccueil et

drsquohospitaliteacute par rapport agrave lrsquoeacuteveacutenement qui vient sans pour autant lrsquoattendre sans

anticipation laquo Il ne deacutepend pas de nous que lrsquoeacuteveacutenement se deacuteclenche Mais il

deacutepend de nous de faire notre devoir raquo (II 388)

Dans lrsquoeacuteveacutenement la rencontre a un rocircle essentiel Ainsi il se fait plus grand

que ceux qui y participent notamment gracircce agrave la communication entre ses acteurs

Arlette Fargo explique ainsi

Fabricant et fabriqueacute lrsquoeacuteveacutenement est drsquoembleacutee un morceau de temps et drsquoaction mis en morceaux en partage comme en discussion crsquoest bien agrave travers les lambeaux de son existence que lrsquohistorien travaille srsquoil veut en rendre compte Face agrave lrsquoeacuteveacutenement retrouveacute ou relateacute il est devant une absence drsquoordre En effet sa structure perccedilue agrave travers les textes est deacutejagrave en soi une mise en relation221

Chez Peacuteguy le saint est celui qui met en relation par excellence il incarne

Dieu dans lrsquoeacuteveacutenement et il est lieacute avec ses contemporains par son action Il relie

Dieu et les hommes par sa priegravere le saint est au cœur de lrsquoeacuteveacutenement lrsquohomme du

dialogue et de la communion le prophegravete le teacutemoin et lrsquointercesseur

Pascale Goetschel et Christophe Graner approfondissent ce trait de lrsquoeacuteveacutenement

comme drsquoun chronotope de rencontre et de dialogue

Moment singulier en effet lrsquoeacuteveacutenement prend forme agrave lrsquointeacuterieur drsquoun systegraveme complexe de temporaliteacutes Il naicirct avant tout drsquoune rupture ou drsquoun eacutecart dans le cours ordinaire des choses Isolant le preacutesent du passeacute et de lrsquoavenir il suspend lrsquoordre du monde et y introduisant du jeu par la transgression des regravegles usuelles (cris insultes

220 DELAPORTE Jean Connaissance de Peacuteguy TI Paris Plon 1959 p 153 221 FARGO Arlette Des lieux pour lrsquohistoire Seuil 1997 p 82

241

gestes dramaturgie du renversement) ou la subversion symbolique des espaces de souveraineteacute (rue usine amphitheacuteacirctre) il contribue agrave le deacutefataliser Placeacute sous le signe de lrsquoincertitude et de lrsquoindeacutetermination il ouvre un temps des possibles offert agrave lrsquoinventiviteacute des acteurs en preacutesence Mais lrsquoeacuteveacutenement est aussi le moment drsquoune mise en relation222

Cette ideacutee que lrsquoeacuteveacutenement est un moment de laquo mise en relation raquo qui ouvre un

laquo temps des possibles raquo correspond agrave la maniegravere dont Peacuteguy conccediloit lrsquoeacuteveacutenement

comme moment drsquoun possible accueil de la gracircce et drsquoune possible action en

accord avec la gracircce et en coopeacuteration avec les autres acteurs de lrsquoeacuteveacutenement

Tatiana Taiumlmanova dans sa thegravese consacreacutee agrave la philosophie de lrsquohistoire chez

Peacuteguy eacutecrit laquo Peacuteguy considegravere lrsquoeacuteveacutenement historique comme le reacutesultat drsquoune

activiteacute creacuteative de lrsquohomme dont le prix deacutepend uniquement de ses objectifs

mystiques ou politiques et il ne justifie sur le plan moral que lrsquoeacuteveacutenement dont

lrsquoobjectif correspond agrave lrsquoobjectif divin raquo223 Elle poursuit en rappelant que selon

Peacuteguy il nrsquoy a pas vraiment drsquohistoire hors du christianisme parce que chaque

eacuteveacutenement a sa signification eacuteternelle et non seulement temporelle Taiumlmanova

insiste sur le fait que le sens le plus important que Peacuteguy donne agrave lrsquohistoire

correspond justement agrave lrsquoengagement reacuteciproque de lrsquoeacuteternel et du temporel

Cet engagement reacuteciproque est faciliteacute par la personne du saint qui appartient

autant agrave lrsquoeacuteternel qursquoau temporel il contribue ainsi agrave lrsquoinscription dans lrsquoeacuteternel de

lrsquoeacuteveacutenement temporel auquel il participe Jean-Noeumll Dumont eacutecrit laquo Seule une acircme

maintenue neuve par lrsquoeacuteveacutenement garde en soi assez drsquoinsoumission pour ne pas

courber lrsquoeacutechine devant les fataliteacute raquo224 Parce que lrsquoeacuteveacutenement srsquoimprime dans

lrsquoacircme de celui qui y prend part et la transfigure

On pourrait suivre lrsquoeacutevolution de la compreacutehension de lrsquoeacuteveacutenement chez Peacuteguy

et de la preacutesence du saint dans lrsquoeacuteveacutenement du preacutesent en observant ses eacutecrits sur

Jeanne drsquoArc

222 GOETSCHEL Pascale GRANER Christophe laquo Faire lrsquoeacuteveacutenement un enjeu des socieacuteteacutes contemporaines raquo Socieacuteteacutes amp Repreacutesentations 20112 (ndeg 32) (p 7-23) p 12-13 223 TAIumlMANOVA Tatiana Taiumlmanova opcit p 178 224 DUMONT Jean-Noeumll Peacuteguy lrsquoaxe de deacutetresse Paris Michalon p 91

242

Dans la premiegravere piegravece de la trilogie Aacute Domremy lrsquoaction est lanceacutee par un

eacuteveacutenement personnel de la vie de Jeannette sa premiegravere communion qursquoelle ressent

comme laquo rateacutee raquo ce qui la conduit agrave demander agrave voir Madame Gervaise Mais la

conversation des deux amies Jeannette et Hauviette tourne autour de lrsquoeacuteveacutenement

veacutecu par la France par leur village par leurs familles la guerre Or toutes les deux

rejettent une forme de non-participation agrave lrsquoeacuteveacutenement Hauviette srsquoindigne du

choix de Madame Gervaise celui de la vie contemplative laquo En veacuteriteacute Madame

Gervaise a mal choisi son temps pour deacutelaisser le monde et pour sauver son

acircmehellip raquo (OPD 10) dit-elle Pour Hauviette ce choix est une forme de fuite un

refus de vivre agrave lrsquointeacuterieur de lrsquoeacuteveacutenement de la guerre et de lrsquoaffronter avec sa

famille et dans son village Mais pour Jeannette ce choix semble au contraire lrsquoune

des reacuteponses possibles ou en tout cas une forme de vie qui peut apporter des

reacuteponses agrave soi et aux autres laquo Madame Gervaise est au couvent elle doit savoir

pourquoi le bon Dieu nrsquoexauce pas les bonnes priegraveres raquo (OPD 11) La penseacutee les

sentiments la priegravere de Jeannette eacutevoluent en fonction des eacuteveacutenements dont elle

prend connaissance laquo Les voyageurs qui passent nrsquoapportent plus que des

nouvelles mauvaises raquo (OPD 12) Continuer la vie habituelle autrement dit

demeurer dans la reacutepeacutetition steacuterile dirait Peacuteguy avec le vocabulaire bergsonien

mecircme si cela semble neacutecessaire vital continuer agrave faire les moissons et les

vendanges pendant que la guerre deacutetruit tout semble pour la petite Jeannette une

forme de lacirccheteacute

Dans sa rencontre avec Madame Gervaise Jeannette commence par eacutenumeacuterer

les horreurs commises par les Anglais avant de lui lancer laquo Savez-vous Madame

Gervaise que nous qui voyons tout cela se passer sous nos yeux sans rien faire agrave

preacutesent que des chariteacutes vaines et sans vouloir tuer la guerre nous sommes les

complices de tout cela raquo Elle srsquoaccuse ainsi malgreacute son jeune acircge elle accuse

aussi ses parents et tout son village parce que la seule reacuteponse possible agrave

lrsquoeacuteveacutenement pour Jeannette crsquoest drsquoentrer dans lrsquoeacuteveacutenement et de lui reacutepondre par

une action eacutegale si lrsquoeacuteveacutenement crsquoest la guerre alors il faut tuer la guerre la

reacuteponse doit ecirctre agrave la hauteur de lrsquooffense au mecircme niveau de la mecircme ampleur et

de la mecircme intensiteacute

243

Jeannette perccediloit aussi la damnation des acircmes comme un eacuteveacutenement drsquoordre

spirituel auquel elle veut eacutegalement reacutepondre jusqursquoagrave proposer si ccedila pourrait ecirctre

une reacuteponse agrave cet eacuteveacutenement sa propre mort et damnation On pourrait dire que la

vocation de Jeannette naicirct de la rencontre entre ces trois eacuteveacutenements qursquoelle a

veacutecus lrsquoeacuteveacutenement personnel de la premiegravere communion rateacutee lrsquoeacuteveacutenement de la

guerre veacutecu en communion avec sa famille son village son pays et lrsquoeacuteveacutenement

spirituel de la prise de conscience de la damnation eacuteternelle

Dans un article sur lrsquoinfluence de Bergson sur Peacuteguy Camille Riquier

eacutecrit qursquolaquo un homme naicirct ou renaicirct librement dans lrsquoeacuteveacutenement raquo225 On pourrait

dire eacutegalement que le saint naicirct dans lrsquoeacuteveacutenement Agrave la question de Madame

Gervaise laquo Pourquoi vouloir ma sœur sauver les morts damneacutes de lrsquoenfer eacuteternel

et vouloir sauver mieux que Jeacutesus le Sauveur raquo (OPD 17) Jeannette reacutepond

laquo Alors Madame Gervaise qui donc faut-il sauver Comment faut-il sauver raquo

(OPD 18) Cette phrase est agrave lrsquoorigine la vocation de Jeannette comme celle de

Peacuteguy Madame Gervaise reacutepond en effet laquo En imitant Jeacutesus En eacutecoutant

Jeacutesus raquo Et mecircme si Peacuteguy commence agrave parler de lrsquoimitation de Jeacutesus dans sa prose

seulement dix ans plus tard la question du salut se pose pour lui degraves 1897 Elle

revient dans les premiers Cahiers par exemple dans De la grippe et restera au

centre de son œuvre durant toute sa vie

La vocation concregravete de Jeannette celle de devenir chef de guerre prend

eacutegalement sa source dans un eacuteveacutenement preacutecis la libeacuteration du Mont saint Michel

Hauviette annonce agrave Jeannette cette bonne nouvelle et dans la scegravene suivante

Jeannette prie

O mon Dieu donnez-nous enfin le chef de guerre

Vaillant comme un archange et qui sache prier

Pareil aux chevaliers qui sur le Mont naguegravere

Terrassaient les Anglais raquo (OPD 23)

Dans ce cas aussi Jeannette procegravede par imitation le chef de guerre pour

lequel elle prie doit imiter lrsquoarchange par son regard vers Dieu sa priegravere et par la

225 RIQUIER Camille laquo Peacuteguy laquo Bergsonien raquo raquo Les Cahiers du Cerf laquo Charles Peacuteguy raquo Paris Les eacuteditions du Cerf 2014 p 168

244

vaillance des chevaliers qui terrassaient les Anglais Sa vocation prend sa source

dans la reacuteponse par la priegravere qursquoelle donne agrave lrsquoeacuteveacutenement de la reprise du Mont

Saint-Michel agrave lrsquoexemple du guerrier ceacuteleste saint Michel et des chevaliers

terrestre qui ont combattu les Anglais

La vocation de Jeanne drsquoArc se concreacutetise face agrave un autre eacuteveacutenement son

village a eacuteteacute deacutevasteacute Jeanne reccediloit lrsquoappel de ses voix quand elle prie encore pour le

chef de guerre laquo une derniegravere fois raquo (OPD 27) Agrave chaque fois lrsquoeacuteveacutenement appelle

un acte celui de prier Crsquoest encore un eacuteveacutenement qui deacuteclenchera lrsquoaction de

Jeanne Sa premiegravere reacuteponse agrave lrsquoappel est de demander par la priegravere un autre chef

de guerre Mais quand Hauviette lui annonce que les Anglais ont assieacutegeacute Orleacuteans

elle prend la deacutecision drsquoagir elle ne reste pas teacutemoin de lrsquoeacuteveacutenement elle le

peacutenegravetre et elle se tient agrave lrsquointeacuterieur

Pardonnez-moi drsquoavoir attendu si longtemps

Avant de deacutecider mais puisque les Anglais

Ont deacutecideacute drsquoaller agrave lrsquoassaut drsquoOrleacuteans

Je sens qursquoil est grand temps que je deacutecide aussi

Moi Jeanne je deacutecide que je vous obeacuteirai (OPD 49)

Le Mystegravere de la Chariteacute qui peu de temps encore avant sa publication portait

le titre du Mystegravere de la vocation ndash un extrait retrancheacute sur eacutepreuves demeure sous

ce titre ndash montre clairement comment la vocation de Jeanne naicirct de sa vie agrave

lrsquointeacuterieur de lrsquoeacuteveacutenement et de lrsquoimpression que font sur elle les nouvelles de la

guerre Degraves le tout deacutebut de la piegravece Jeannette prie le Notre Pegravere en le compleacutetant

de ses propres paroles la contemplation du monde ou laquo le regravegne des royaumes de

la terre est tombeacute tout entier au regravegne du royaume de la tentation raquo (OPD 404)

lrsquoamegravene agrave prier pour que viennent de nouveaux saints et de nouvelles saintes

Srsquoil nrsquoy a pas eu encore assez de saintes et assez de saints envoyez-nous-en drsquoautres envoyez-nous-en autant qursquoil en faudra envoyez-nous-en tant que lrsquoennemi se lasse Nous les suivrons mon Dieu Nous ferons tout ce que vous voudrez Nous ferons tout ce qursquoils voudront Nous ferons tout ce qursquoils nous dirons de votre part (Ibid)

245

La vision du malheur du monde fait naicirctre dans le cœur de Jeannette cette

priegravere qui ouvre une porte vers ses visions vers son obeacuteissance agrave ses voix et vers

son propre chemin de sainteteacute

Ce qui change par rapport agrave la premiegravere piegravece de la trilogie Aacute Domreacutemy crsquoest

la preacutesence de Jeanne simultaneacutement au cœur des eacuteveacutenements dans lesquels elle vit

corporellement et au cœur des eacuteveacutenements de lrsquoEacutevangile spirituellement Crsquoest

preacuteciseacutement de cette double preacutesence dans lrsquoeacuteveacutenement temporel et dans

lrsquoeacuteveacutenement eacuteternel que naicirct la vocation de Jeanne drsquoArc Cela commence degraves les

premiegraveres pages du Mystegravere quand Jeannette contemple les bleacutes deacutevasteacutes de son

village elle y voit le mecircme bleacute que Jeacutesus a mangeacute ce qui lrsquoamegravene agrave penser au

mystegravere de lrsquoEucharistie

Sacreacutes bleacutes sacreacutes bleacutes qui faites le pain froment eacutepi grain de lrsquoeacutepi de bleacute Moisson du bleacute des champs Pain qui fucirctes servi sur la table de Notre-Seigneur Bleacute pain qui fucirctes mangeacute par Notre-Seigneur mecircme qui un jour entre tous les jours fucirctes mangeacute

Bleacutes sacreacutes bleacutes qui devicircntes le corps de Jeacutesus-Christ un jour entre tous les jours et qui tous les jours ecirctes mangeacute nrsquoeacutetant plus vous-mecircme mais eacutetant le corps de Jeacutesus-Christ (OPD 417)

Elle est pleinement preacutesente dans la vie de son village dans le travail des

champs elle est pleinement preacutesente dans la vie des sacrements elle qui vient de

faire sa premiegravere communion Elle est encore pleinement preacutesente aux eacuteveacutenements

de lrsquoEacutevangile et laquo voit raquo inteacuterieurement Jeacutesus ramassant les eacutepis mucircrs Dans son

cœur ces preacutesences se rejoignent en creacuteant un preacutesent agrave la fois eacuteternel et temporel

un preacutesent feacutecond qui deacutetermine sa vocation

Jeanne parle de vocation avec Hauviette juste apregraves sa meacuteditation sur les bleacutes et

les vignes Elle parle de Madame Gervaise mais Hauviette la contredit en lui

disant laquo Elle est moins sainte que toi raquo (OPD 420) Jeanne insiste sur le fait que

pour entrer au couvent comme lrsquoa fait Madame Gervaise il faut que Dieu laquo lrsquoait

convoqueacutee par son nom instruite commandeacutee deacutesigneacutee par son nom conduite

par la main et quelquefois forceacutee et prise pour lui Il faut une vocation raquo

(OPD 421) Finalement elle deacutecrit son propre chemin sa propre vocation

Hauviette elle considegravere qursquo laquo il nrsquoy a qursquoune reacuteveacutelation pour tout le monde [hellip] Il

246

conduit tout le monde par la main Il nous a toutes deacutesigneacutees Nous sommes toutes

entreacutees au couvent de chreacutetienteacute raquo (OPD 420-421)

Comme il a eacuteteacute dit plus haut dans le chapitre sur les vertus chez Peacuteguy il y a

trois types de sainteteacutes preacutesenteacutes dans le Mystegravere celle de Jeannette celle

drsquoHauviette et celle de Madame Gervaise Celle de Jeannette et celle de Madame

Gervaise naissent de leurs reacuteactions diffeacuterentes agrave lrsquoeacuteveacutenement Jeanne veut unir

lrsquoaction eacuteternelle celle de la priegravere et lrsquoaction temporelle dans lrsquoeacuteveacutenement

temporel Madame Gervaise pour sa part choisit la priegravere et choisit de reacutepondre au

temporel par la seule force de lrsquoeacuteternel Hauviette est une sainte de la dureacutee de la

continuiteacute de la communion des saints une sainte par fideacuteliteacute agrave la tradition mais

aussi une sainte sanctifieacutee par le travail de ses mains Sa reacuteponse agrave lrsquoeacuteveacutenement est

la confiance et le labeur

Durant son dialogue avec Madame Gervaise Jeannette fait lrsquoanamnegravese au sens

liturgique du terme de toute lrsquohistoire sainte elle revit de lrsquointeacuterieur les

eacuteveacutenements de la vie de Jeacutesus et crsquoest ce qui feacuteconde sa vocation naissante

Jeannette se met agrave la place des disciples de Jeacutesus et ose dire laquo Je crois que si

jrsquoavais eacuteteacute lagrave je ne lrsquoaurais pas abandonneacute raquo (OPD 526) Pour Jeannette

abandonner son pays agrave son sort crsquoest abandonner Jeacutesus sa foi est neacutee avec les eacutepis

de bleacutes dans lesquels elle voit le Corps du Christ et de la contemplation du chemin

de Croix naicirct la contemplation drsquo laquo Orleacuteans qui ecirctes au pays de Loire raquo (OPD 559)

La vocation de Jeanne drsquoArc est neacutee

b) Lrsquoeacuteveacutenement de la reacutevolution et lrsquoeacuteveacutenement de la mort

Ce qui reacuteunit dans lrsquoœuvre de Peacuteguy des eacuteveacutenements aussi diffeacuterents que la

reacutevolution et la mort crsquoest le fait qursquoil srsquoagit dans les deux cas drsquoune rupture qui

nrsquoen est pas une et qui affermit la continuiteacute Eric Thiers eacutecrit en ce sens

Crsquoest une reacutevolution qui srsquoopegravere sous nos yeux Pour Peacuteguy ce terme ne renvoie nullement agrave lrsquoideacutee de rupture mais bien agrave celle de continuiteacute La reacutevolution nrsquoest pas ce qui est contraire agrave lrsquoexistant mais ce qui est nouveau Nous sommes de la sorte transporteacutes dans un monde certes ineacutedit mais qui nrsquoest pas autre [hellip]Le couple veacuteriteacute-reacutealiteacute se met ici en mouvement et devient lrsquoinstrument de deacutenonciation au mieux de

247

lrsquoaveuglement au pire de la trahison des intellectuels Mais cette reacutealiteacute qui sourd et nous tire de notre quotidien nrsquoest pas seulement une irruption du preacutesent Elle draine avec elle une meacutemoire qui joue un rocircle essentiel dans ce basculement Par lrsquointervention de lrsquoeacuteveacutenement le passeacute resurgit et devient matiegravere eacuteminemment preacutesente226

La reacutevolution est un appel au changement au renouvellement mais sans rejet

du passeacute comme dans la notion de laquo progregraves raquo abhorreacutee par Peacuteguy une situation

ougrave le monde a besoin de meneurs de personnaliteacutes exemplaires donc eacutevidemment

des saints qui en sont les vrais acteurs parce qursquoils relient le temporel agrave lrsquoeacuteternel et

qui en sont aussi les vrais teacutemoins et chroniqueurs

Dans Les suppliants parallegraveles Peacuteguy eacutecrit qursquolaquo Une reacutevolution est

essentiellement une opeacuteration qui fonde (II 355) raquo Autrement dit pour lui la

reacutevolution loin drsquoecirctre une destruction du passeacute est un deacutebut une naissance Jean-

Noeumll Dumont commentant les eacutecrits de Peacuteguy sur la reacutevolution remarque qursquolaquoil y

a reacutevolution parce que le mouvement est total incarneacute et saisit indissociablement le

temporel et le spirituel Mais cette reacutevolution nrsquoest pas une reacuteforme de structure elle

passe par la sainteteacute Dans cette Eacuteglise les saints seuls peuvent ecirctre des

reacuteformateurs raquo227

La reacutevolution serait en effet impossible sans reacutevolutionnaires Peacuteguy parle dans

Par ce demi-clair matin de la laquo force reacutevolutionnaire drsquoun homme raquo (II 157) qui

naicirct de lrsquoeacutevolution drsquoun peuple ou drsquoune race au sein de laquelle un tel homme peut

apparaicirctre Le saint peut aussi avoir ce rocircle de reacutevolutionnaire en tant que personne

qui apporte un renouvellement ou comme dirait Peacuteguy un laquo rejaillissement raquo

Jean Delaporte eacutecrit laquo Le reacutevolutionnaire est un fondateur du monde nouveau

au mecircme titre que les saints fondateurs (agrave qui il aime se reacutefeacuterer) ont instaureacute le

monde chreacutetien raquo228 Un an plus tard en 1906 Peacuteguy deacutefinit le reacutevolutionnaire

comme un homme laquo drsquoexpeacuterience et de reacutealiteacute raquo (II 460) crsquoest-agrave-dire un homme

226 THIERS Eacuteric laquo Charles Peacuteguy la reacuteveacutelation du 6 juin 1905 raquo Mil neuf cent Revue drsquohistoire intellectuelle 12001 (ndeg 19) p 43-52 227 DUMONT Jean-Noeumll opcit p 95 228 DELAPORTE Jean opcit TI p 174

248

qui sait fructifier sa meacutemoire en srsquoappuyant sur lrsquoexpeacuterience du passeacute et reacuteagir agrave

lrsquoeacuteveacutenement du preacutesent par le contact avec la reacutealiteacute Selon Andreacute Henri

pour Peacuteguy le reacutevolutionnaire mystique nrsquoest pas celui qui fait une seule fois sa reacutevolution et qui ne brise les cadres sociaux que pour promouvoir drsquoautres systegravemes hieacuterarchiques qui lui sembleront plus justes ou qui lui seront plus profitables Crsquoest celui qui sait que lrsquoardeur creacuteatrice surpasse en digniteacute les plus eacuteclatantes reacuteussites de la creacuteation229

La reacutevolution est un acte de creacuteation et non un acte de destruction

La laquo reacutevolution raquo accomplie par Jeanne drsquoArc qui a inciteacute les franccedilais agrave srsquounir

et se deacutefendre est ancreacutee dans son contact avec la reacutealiteacute elle est fortifieacutee par son

bon sens qui lui fait dire dans la premiegravere piegravece de la trilogie Aacute Domreacutemy qursquoil y

a encore beaucoup de Franccedilais pour combattre les Anglais et que laquo crsquoest aux

Franccedilais agrave sauver la France raquo (OPD 40) La laquo reacutevolution raquo de lrsquoaffaire Dreyfus

accomplie selon Peacuteguy par Bernard-Lazare qui a fondeacute commenceacute une nouvelle

reacuteflexion sur ce que veut dire ecirctre juif ecirctre franccedilais naicirct de sa rencontre avec la

veacuteriteacute de lrsquoinnocence de Dreyfus

Jean Onimus dans son livre sur le mystegravere de lrsquohistoire chez Peacuteguy observe

ainsi

Chez le fondateur ce collaborateur de Dieu on surprend la force creacuteatrice au travail voici que par lui une histoire prend naissance une destineacutee srsquoengendre capable de deacutepasser infiniment le geste initial qui lrsquoa mise au monde Le cas des fondateurs de villes est exemplaire comme celui des fondateurs drsquoordres religieux230

La fondation des villes et des ordres religieux prend une place importante chez

Peacuteguy il parle deacutejagrave de fondation dans Marcel ou le Dialogue de la citeacute

harmonieuse et lrsquoeacutevoque aussi dans Egraveve Le fondateur imite Dieu dans son acte le

moins imitable celui de creacuteer quelque chose de vraiment nouveau drsquoaccorder une

nouvelle existence et de donner vie agrave quelque chose de plus grand que soi Crsquoest ce

qui distingue la creacuteation de Dieu de celle des fondateurs de villes Dieu demeure

toujours plus grand que sa creacuteation mais les fondations humaines deacutepassent leurs

fondateurs

229 HENRI Andreacute Bergson maicirctre de Peacuteguy Paris Elzeacutevir 1948 p 305-506 230 ONIMUS Jean Peacuteguy et le mystegravere de lrsquohistoire Paris Cahiers de lrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy 1958 p 120-121

249

Un autre point eacutetonnant dans lrsquoœuvre de Peacuteguy meacuterite drsquoecirctre souligneacute il traite

la mort comme lrsquoun des eacuteveacutenements transformateurs porteurs de renouvellement

parce qursquoelle preacutepare agrave laquo une entreacutee unique raquo (III 721) Dans Le Dialogue de

lrsquohistoire et de lrsquoacircme charnelle il eacutevoque le viatique en disant que ccedila devrait ecirctre un

huitiegraveme sacrement Peacuteguy deacutefinit clairement la mort comme un eacuteveacutenement

laquo Crsquoest un grand eacuteveacutenement pour tout homme mon enfant une grande affaire que

de faire fucirct-ce dans son lit son dernier chemin et de voir son dernier soleil raquo (III

722) Crsquoest Clio qui parle en qualifiant cet eacuteveacutenement de laquo deacutepart terrible pour

vous chreacutetien qui tout aussitocirct vous preacutesentez au jugement raquo (Ibid) Autrement dit

du point de vue de la muse Clio chez Peacuteguy les chreacutetiens vivent en quelque sorte

deux eacuteveacutenements le passage de la vie agrave la mort et la comparution au Jugement

Dernier

En effet la mort a toutes les caracteacuteristiques de lrsquoeacuteveacutenement puisque il srsquoagit

drsquoun passage drsquoune rupture la personne confronteacutee agrave la mort doit reacuteagir et donner

une reacuteponse adeacutequate en lrsquoaccueillant Certes il ne srsquoagit pas de choisir entre la

mort et la vie ce choix nrsquoexistant pas mais de choisir comment mourir crsquoest ici

que les saints donnent leur ultime exemple lrsquoun des plus important vu que dans la

tradition chreacutetienne la sainte mort la mort exemplaire a un poids Peacuteguy dit aussi

que ce passage est plus dur pour les saints que pour les autres hommes parce que

les saints ont plus drsquoeacuteterniteacute en eux que la mort leur est moins familiegravere et parce

qursquoils rejoignent la souffrance de Jeacutesus le Dieu immortel mourant sur la Croix

Et le corps du saint ne se reacutevolte pas moins que le corps du pecirccheur Peut-ecirctre plus en un certain sens [hellip] Le saint sur son lit de mort la sainte sur le bucirccher sur son bucirccher de mort le Christ au mont des Oliviers Comment ne lrsquoeussent-ils point senti nrsquoavaient-ils point un corps comme nousraquo (III 726)

c) La preacutesence du saint dans le monde

Le saint preacutesent dans ce monde mecircme srsquoil se tient agrave lrsquoeacutecart parce qursquoil est un

homme de Dieu diffeacuterent peut ecirctre rejeteacute parce que sa preacutesence fait peur ou mal Il

250

entre en relation avec ses contemporains avec la race dont il est issu il est en effet

un ecirctre de dialogue et aussi celui par qui le dialogue avec Dieu est rendu possible

En premier lieu il incarne lrsquohospitaliteacute de Dieu Le saint accueille lrsquoeacuteveacutenement

dans un esprit drsquoouverture drsquohospitaliteacute aux personnes agrave Dieu au reacuteel Guy

Lecomte eacutecrit ainsi

Lrsquohospitaliteacute vraie spontaneacutee deacutesinteacuteresseacutee reacutepond essentiellement agrave une situation de carence partageacutee Lrsquohospitaliteacute est signe drsquoune certaine communion dans la faiblesse ou le danger ou le manque Celui qui accueille et celui qui est accueilli reconnaissent de fait une certaine solidariteacute dans leur laquo finitude raquo et chacun assure lrsquoautre par sa preacutesence au moins le temps drsquoune halte cette fraterniteacute de base constitue le fond mecircme de lrsquohospitaliteacute231

Crsquoest une attitude de pauvreteacute mais non de misegravere parce qursquoun miseacutereux ne

peut pas accueillir alors qursquoun pauvre le peut Cette attitude hospitaliegravere fait que

lrsquohocircte est ouvert precirct agrave accueillir la gracircce ouvert au dialogue il est ouvert agrave ce que

lrsquoeacuteveacutenement peut apporter

Dans Toujours de la grippe le Peacuteguy anticleacuterical dit du Dieu des chreacutetiens qursquoil

a heacuteriteacute de Zeus son don drsquohospitaliteacute laquo Ce Dieu tueur de dieux a heacuteriteacute des dieux

qursquoil a tueacutes il est devenu apregraves Zeus le Dieu des hocirctes et son hospitaliteacute est

infinie et il accueille les miseacuterables Il est devenu infiniment hospitalier infiniment

miseacutericordieux raquo (I 451)

Jeacutesus est donc un Dieu hospitalier il pratique la vertu de lrsquoaccueil de la

disponibiliteacute et ses saints lrsquoimitent

Le thegraveme de lrsquohospitaliteacute chez Peacuteguy a eacuteteacute analyseacute avec profondeur par Charles

Coutel Voilagrave comment il reacutesume ses conclusions

- La figure bilateacuterale celui qui reccediloit est reccedilu celui qui est reccedilu reccediloit celui qui supplie devient celui qui est supplieacute nous sommes dans la reacuteciprociteacute simple

- La figure multilateacuterale celui qui reccediloit comme celui qui est reccedilu sont agrave leur tour agrave leur insu ou volontairement les hocirctes drsquoun tiers preacutesent ou absent (la laquo tierce puissance raquo) crsquoest une hospitaliteacute en communauteacute

- Enfin la figure de lrsquoauto-hospitaliteacute celui qui reccediloit srsquoaccepte comme son propre hocircte afin de garder lrsquoestime lrsquoespoir lrsquoespeacuterance et le respect de soi

231 LECOMTE Guy laquo Charles Peacuteguy et lrsquoaccueil du reacuteel raquo Litteacuterature et socieacuteteacute Recueil drsquoeacutetudes en lrsquohonneur de Bernard Guyon Paris Descleacutee de Brouwer 1973 p 209

251

Crsquoest cette auto-hospitaliteacute qursquoil srsquoagit de faire vivre pour ecirctre au plus pregraves de nos laquo mystiques raquo ecirctre fidegravele agrave soi et ne pas se trahir comme le fit Judas232

laquo La figure bilateacuterale raquo correspond justement chez Peacuteguy agrave celle du saint qui

dans le temps reccediloit et eacutecoute dans une attitude drsquoamour de chariteacute ceux qui

viennent agrave lui et dans lrsquoeacuteterniteacute et accueille les priegraveres qui lui sont adresseacute Il reccediloit

la parole de Dieu et il est accueilli par Dieu Il se tient donc dans une posture

drsquohospitaliteacute et de dialogue

Lrsquo laquo hospitaliteacute en communauteacute raquo exprimeacutee dans laquo la figure multilateacuterale raquo se

vit dans la communion des saints dans laquelle chacun par la reacuteversibiliteacute des

gracircces et des vertus devient lrsquohocircte de Dieu

laquo La figure de lrsquoauto-hospitaliteacute raquo souligne un trait propre agrave la vision de la

sainteteacute chez Peacuteguy qui insiste sur la neacutecessiteacute drsquoune reconnaissance de soi Dans le

portrait de Bernard-Lazare dans Notre Jeunesse Peacuteguy montre lrsquoassurance et la

fierteacute de son ami il raconte par exemple que pendant lrsquoAffaire il disait que ce

nrsquoeacutetait pas la Cour de cassation qui avait eu raison contre lui mais lui qui nrsquoavait

pas eacuteteacute drsquoaccord avec la Cour de cassation Et dans le Mystegravere de la Chariteacute Peacuteguy

prend clairement le parti de Jeannette qui dit agrave Madame Gervaise qursquoelle nrsquoaurait

pas abandonneacute Jeacutesus au mont des Olivier comme lrsquoont fait ses disciples contre la

religieuse qui preacutevient Jeannette contre le terrible peacutecheacute de lrsquoorgueil Mais les saints

chez Peacuteguy ne sont pas orgueilleux ils font preuve drsquoauto-hospitaliteacute tout comme

Peacuteguy lui-mecircme et ils ne se trahissent jamais

Le saint est aussi celui qui communique avec ses contemporains comme un

prophegravete qui reacutevegravele annonce la parole et la volonteacute de Dieu agrave ceux qui veulent

lrsquoeacutecouter Parfois il reacutevegravele Dieu par sa maniegravere drsquoecirctre par exemple son ascegravese sans

communiquer une parole explicite Il enseigne aussi lrsquoimitation de Dieu par son

discours et par sa vie exemplaire Dans la deuxiegraveme piegravece de la trilogie Les

Batailles Jeanne drsquoArc donne lrsquoexemple par sa vaillance par la priegravere par sa

compassion Or cet exemple eacutetonne et bouscule laquo Crsquoest toujours ccedila qursquoon dit

quand on parle drsquoelle ldquoon nrsquoa jamais vu ccedilardquo raquo (OPD 100)

232 COUTEL Charles Lrsquohospitaliteacute de Peacuteguy Paris Descleacutee de Brouwer 2011 p 140

252

Jean Onimus dans sa thegravese sur lrsquoIncarnation chez Peacuteguy explique que le

devoir de lrsquohomme laquo consiste justement agrave faire la liaison spiritualiser le temporel

incarner le spirituel raquo Crsquoest une tacircche difficile mais les saints y excellent Jean

Onimus poursuit laquo Ce qui joint les deux bouts de la chaicircne crsquoest lrsquoaction crsquoest

elle qui chaque instant insegravere le spirituel dans le temps reacutealise le spirituel raquo233 Les

saints de Peacuteguy sont agissants en accueillant la gracircce au cœur de lrsquoeacuteveacutenement ils

lrsquoincarnent dans une action par laquelle ils imitent Jeacutesus

2 Le saint agrave lrsquoeacutecart du monde

Yves Bizeul eacutecrit laquo le saint opegravere par sa proximiteacute avec le divin la jonction

entre Dieu et ses creacuteatures rendant par-lagrave possible une mise en relation de

dimensions agrave priori incommensurables raquo234 Autrement dit le saint fait partie des

creacuteatures mais afin de pouvoir creacuteer un lien avec le divin il srsquoen seacutepare toutefois

Le saint le geacutenie le heacuteros sont des personnaliteacutes uniques diffeacuterentes des

autres mais faisant partie de lrsquohumaniteacute ils sont importants pour lrsquohumaniteacute en

raison du rocircle qursquoils y jouent Yves Bizeul deacutefinit ces trois cateacutegories surtout par

leur surpassement des limites humaines habituelles laquo Certains croyants vont plus

loin que drsquoautres dans la radicaliteacute de leur engagement et surtout dans lrsquoabneacutegation

de soi Ils sont appeleacutes saints et martyrs dans les religions du livre heacuteros dans les

laquo religions politiques raquo raquo235 Il accorde aux saints ainsi qursquoaux heacuteros les rocircles de

meacutediateur entre le monde mateacuteriel et le monde spirituel la deacutetention de dons

particuliers le fait de placer leurs valeurs plus haut que leur vie mais aussi un culte

apregraves leur mort Cependant Yves Bizeul semble reacuteduire le rocircle du saint et du heacuteros agrave

233 ONIMUS Jean Le sens de lrsquoIncarnation essai sur la penseacutee de Peacuteguy Paris Cahiers de lrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy 1950 p 65 234 BIZEUL Yves laquo Le statut de la sainteteacute dans les laquo religions politiques raquo raquo Conserveries meacutemorielles [En ligne] 14 | 2013 mis en ligne le 01 juillet 2013 consulteacute le 05 mars 2017 URL httpcmrevuesorg1643 235 Ibid

253

celui du laquo heacuteros culturel raquo mythologique et eacutepique mecircme si contrairement au saint

qui nrsquoest pas neacute dans la sainteteacute mais lrsquoacquiert par lrsquoimitation de Dieu et lrsquoaccueil

de la gracircce le heacuteros mythologique fait partie du monde divin souvent en parenteacute

avec les dieux La connaissance que le heacuteros culturel apporte agrave lrsquohumaniteacute il la

deacutetient par sa naissance son origine semi-divine Le heacuteros politique lui repreacutesente

un groupe de personnes partageant les mecircmes opinions mais il devient une sorte de

preacutecurseur celui qui provoque le renouvellement

a) La solitude du saint

Le saint en tant qursquoecirctre humain qui diffegravere des autres et de son entourage peut

ecirctre rejeteacute agrave cause de sa foi comme les martyrs agrave cause de la veacuteriteacute qursquoil annonce

comme les prophegravetes enfin agrave cause de son obeacuteissance radicale agrave Dieu et de la mise

en œuvre de lrsquoimitation qui deacutepasse les limites de lrsquoadmissible pour ses

contemporains

Mais chez Peacuteguy une personne peut aussi ecirctre sainte agrave cause du rejet qursquoelle

vit agrave cause de son exclusion voire agrave cause de sa diffeacuterence radicale Julie Higaki

eacutecrit

Un des messages laquo reacutevolutionnaires raquo de Peacuteguy ndash ce qui constitue son originaliteacute et la divergence de sa penseacutee par rapport agrave Pascal ndash serait le suivant il importe au temps moderne drsquoaffirmer lrsquoopposition radicale non pas entre laquo le charnel et le spirituel raquo ou entre laquo la nature et la gracircce raquo mais entre laquo lrsquoargent raquo et laquo lrsquoenfant raquo entre laquo la mystique raquo et laquo la politique raquo La politique du monde moderne ce raidissement symboliseacute par lrsquoargent et qui ne puise plus sa vie dans sa racine mystique demeure laquo le parasite raquo par excellence236

Les enfants et les saints les mystiques qui sont proche des enfants en tant

qursquoecirctres de confiance drsquoespeacuterance et de renouvellement ont rarement leur place

dans le monde de lrsquoargent et de la politique le monde moderne celui de la

politique et de lrsquoargent peut donc rejeter le saint

Le geacutenie lui est seul par son essence mecircme par sa nature qui le distingue de

tous ses contemporains 236 HIGAKI Julie laquo Lrsquoordre de la chariteacute et les images du reacuteel chez Peacuteguy raquo Cahiers de lrsquoAssociation internationale des eacutetudes franccedilaises 1997 ndeg49 p 409-425

254

Les saints chez Peacuteguy sont seuls et mecircme isoleacutes Crsquoest notamment le cas de

Bernard-Lazare dont la solitude tragique est freacutequemment eacutevoqueacutee par Peacuteguy Dans

Un nouveau theacuteologien M Fernand Laudet notamment Peacuteguy le qualifie

drsquo laquo Abandonneacute raquo (III 479) Bernard-Lazare ne srsquoest pas mis agrave lrsquoeacutecart

volontairement mais il a eacuteteacute abandonneacute et condamneacute agrave la solitude crsquoest cette

solitude et non seulement son action ses textes et ses vertus qui en ont fait aux

yeux de Peacuteguy un saint Il avait eacutecrit Peacuteguy dans Notre jeunesse laquo une expeacuterience

de lrsquoamertume et de lrsquoingratitude une digestion parfaite de lrsquoamertume et de

lrsquoingratitude raquo (III 57) Lrsquoingratitude accepteacutee constitue une forme ultime de la

solitude elle revient agrave assumer que mecircme les actions passeacutees ne sont pas reconnues

et sont voueacutees au mecircme abandon qursquoil vit au preacutesent Bernard-Lazare eacutetait

laquo solitaire surtout dans son propre parti raquo (III 62) crsquoest-agrave-dire abandonneacute des siens

en proie agrave la plus cruelle des solitudes Peacuteguy eacutevoque preacuteciseacutement cet abandon

total laquo Ceux qursquoil avait sauveacutes eacutetaient les plus presseacutes Lui-mecircme le savait tregraves

bien On a beau savoir aussi que crsquoest la regravegle Agrave chaque fois crsquoest toujours

nouveau Et crsquoest toujours dur agrave avaler raquo (III 63)

La solitude de Jeanne drsquoArc est eacutevidente Dans Aacute Domremy elle parle de sa

terrible solitude agrave Madame Gervaise laquo Tous ceux-lagrave que jrsquoaimais sont absents de

moi-mecircme raquo (OPD 15) Dans Les Batailles Jeanne est la seule femme dans un

monde drsquohommes et Peacuteguy souligne sa solitude laquo Ocirc mon Dieu faudra-t-il que je

sois toute seule Faut-il qursquoils fassent tous leur partance de moi Que leur

partance agrave tout me laisse toute seule raquo (OPD 180-181) dit-elle au moment ougrave

presque tous ses capitaines la quittent Et eacutevidemment elle est seule face agrave ses

juges lors du procegraves

Cependant la solitude du saint ce nrsquoest pas toujours le rejet Crsquoest aussi parfois

lrsquoadmiration de la foule lrsquoobservation constante voire un jugement Peacuteguy le

montre agrave travers lrsquoexemple de Jeanne drsquoArc dans Un nouveau theacuteologien monsieur

Fernand Laudet en parlant de la vie priveacutee et la vie publique drsquoun saint laquo Le saint

vivait comme tel sous le regard de tous raquo (III 427) Dans Egraveve Peacuteguy rappellera

que le saint meurt aussi sous le regard de tous En parlant de Jeanne drsquoArc il

255

eacutevoque laquo une sorte de jugement commun public latent ambiant anticipant les

jugements en forme anticipant escomptant le jugement dernier mecircme raquo (Ibid)

La vie drsquoun saint ou drsquoune sainte sous les yeux des autres est ainsi marqueacutee par

une constante exigence drsquoexemplariteacute or une personne exemplaire ne peut pas faire

partie drsquoune foule elle est regardeacutee par cette foule admireacutee parfois mais jamais

inteacutegreacutee elle est donc seule Cependant crsquoest cette mecircme foule qui se fait teacutemoin de

la sainteteacute et qui peut attester de la sainteteacute drsquoune personne en la donnant en

exemple laquo Le peuple seul garantit le saint Le peuple seul est assez ferme Le

peuple seul est assez profond Le peuple seul est assez terre raquo (III 432) Cela ne

signifie pas pour autant que seuls les saints dont la sainteteacute a eacuteteacute vue et entendue

sont des saints On peut ecirctre saint sans servir drsquoexemple Ces saints reconnus le

seront aussi par lrsquohistoire Les autres ceux que la foule nrsquoa pas remarqueacutes resteront

dans la meacutemoire de certains une meacutemoire individuelle

b) La vie cacheacutee des saints

Srsquoil nrsquoest pas rejeteacute ou comme Bernard-Lazare abandonneacute le saint souvent

megravene une vie presque invisible cacheacutee et inconnue de ses contemporains Crsquoest

cette vie retrancheacutee qui souvent nourrit sa vie publique La deacutefense de cette vie

cacheacutee mais essentielle est au centre de la poleacutemique de Peacuteguy avec Fernand

Laudet qui eacutecrit Peacuteguy laquo nous interdit ndash et de quel ton ndash de contempler de nous

proposer drsquoimiter les vertus des saints dans toutes les peacuteriodes de la vie des saints

qui nrsquoeacutetaient pas des peacuteriodes de vie publique raquo (III 400) Cette attitude est

eacuteminemment condamnable aux yeux de Peacuteguy parce que de la sorte Fernand

Laudet laquo deacutepeuple litteacuteralement la communion des saints et la reacuteversibiliteacute des

gracircces raquo (III 402)

La vie drsquoun saint nrsquoest pas tout entiegravere exposeacutee il y a des peacuteriodes dont on ne

sait pas grand-chose il y a aussi des chemins de sainteteacute comme celui des ermites

qui se font agrave lrsquoeacutecart Mais ce qui compte particuliegraverement aux yeux de Peacuteguy ce

nrsquoest pas la vie si particuliegravere des saints ermites mais la vie ordinaire qui est

256

sanctifieacutee par la vie cacheacutee de Jeacutesus agrave Nazareth les Eacutevangiles nrsquoen parlent pas

mais ce nrsquoen est pas moins la vie de Dieu fait homme que de nombreux saints ont

imiteacutee que chaque humain peut imiter pour atteindre ainsi agrave la sainteteacute sans faire

de miracles en mourant martyr ou en partant en mission lointaine

Dans son invective contre Fernand Laudet Peacuteguy par un proceacutedeacute apophatique

deacutecrivant tout ce que Fernand Laudet semble ignorer deacutefinit ce qui pour lui est

essentiel dans la foi chreacutetienne notamment dans la veacuteneacuteration des saints Ce sont

par exemple laquo des souffrances des eacutepreuves des exercices des travaux des Vertus

des gracircces des meacuterites des priegraveres raquo (III 402) qui sont exclues de la reacuteversibiliteacute

Ses gracircces et ses meacuterites sont reacuteversibles crsquoest-agrave-dire profitables au salut de tous les

humains par la sainteteacute de celui qui les accueille ou qui les accomplit mais ses

souffrances eacutepreuves ou travaux ndash autant drsquoeacuteleacutements de la vie qui deviennent

rarement publics ndash le sont tout autant

Dans lrsquoœuvre de Peacuteguy le peacutecheacute peut ecirctre le plus mortel avec celui de la

laquo politique raquo qui suppose mensonge et reacutecupeacuteration trafic de la veacuteriteacute crsquoest

lrsquoexclusion Deacutejagrave dans Marcel ou le dialogue de la citeacute harmonieuse on deacutecouvre

un Peacuteguy qui voudrait accueillir chaque ecirctre vivant dans la Citeacute Et ce qursquoil rejette

absolument crsquoest la damnation des peacutecheurs une exclusion deacutefinitive sans appel

Selon Peacuteguy Fernand Laudet reacuteserverait la sainteteacute aux saint visibles ndash grands

missionnaires mystiques visionnaires saints rois fondateurs drsquoordre religieux

martyrs ndash crsquoest-agrave-dire des saints qui auraient accompli quelques exploits apparents

exemplaires Il exclut de ce fait les saints qui imitaient Jeacutesus de Nazareth Jeacutesus

ouvrier Jeacutesus artisan Jeacutesus fils obeacuteissant Jeacutesus enfant Peacuteguy reacutepond agrave Fernand

Laudet que Jeacutesus laquo est essentiellement le Dieu des pauvres des miseacuterables des

ouvriers par conseacutequent de ceux qui nrsquoont pas une vie publique Le ciel est un ciel

de petites gens raquo (III 409)

Peacuteguy insiste sur le fait que Dieu ne fait pas la diffeacuterence entre un martyr qui

souffre le supplice agrave cause de sa foi en Jeacutesus ou un malade qui souffre le martyre en

restant dans son lit et qui peut laquo par une sorte drsquoaffectation agrave Dieu de conseacutecration

agrave dieu tourner sa maladie en martyre faire de sa maladie la matiegravere mecircme drsquoun

257

martyre raquo (III 411) Rien ni personne ne peut ecirctre exclu de la possibiliteacute drsquoimiter

Jeacutesus et donc de la communion des saints

Un autre point important pour Peacuteguy crsquoest le fait que les ideacutees de Fernand

Laudet deacutenigrent eacutegalement la notion de vocation La vie publique le martyre la

mission repreacutesentent des vocations particuliegraveres exceptionnelles mais chaque

personne est appeleacutee agrave lrsquoimitation de Jeacutesus donc agrave la sainteteacute Peacuteguy insiste sur

lrsquoimportance de la laquo commune loi du travail raquo (III 411) qui serait la vocation de

chaque personne humaine dans la mesure ougrave Adam le premier a reccedilu le

commandement de travailler Or le travail peut aussi donner lieu agrave lrsquoimitation de

Jeacutesus car il a lui-mecircme travailleacute

Jeacutesus endossant pour ainsi dire cette loi et la loi drsquohumiliteacute en a fait une redevance drsquoamour Ainsi est neacute le Travail nouveau Degraves lors des milliers et des centaines de millier drsquoateliers chreacutetiens nrsquoont plus eacuteteacute ne sont plus que des imitations de lrsquoatelier de Nazareth [hellip] Lrsquohomme aujourdrsquohui qui travaille est un homme qui fait comme Jeacutesus qui imite Jeacutesus (III 412)

Peacuteguy poursuit en eacutevoquant la famille On ne parle que tregraves peu dans les vies

des saints de leur vie de famille Le plus souvent des vies de saint on ne retient que

le moment ougrave le saint ou la sainte ont quitteacute leur famille leur maison Pour Peacuteguy il

srsquoagit de lrsquoacte originel crsquoest le temps et le lieu ougrave la sainteteacute germe mecircme si

comme toute graine cacheacutee dans la terre elle reste invisible tout comme la vie de

Jeacutesus avec Marie et Joseph laquo Jeacutesus a creacuteeacute pour nous le modegravele parfait de

lrsquoobeacuteissance filiale et de la soumission dans le mecircme temps ensemble qursquoil creacuteait

pour nous le modegravele parfait du travail manuel et de la patience raquo (III 414)

Peacuteguy preacutecise que cette vie cacheacutee est plus qursquoune source de la vie publique de

Jeacutesus et de ses saints il srsquoagit drsquoune peacuteriode drsquoapprentissage laquo un apprentissage

de trente ans preacuteparatoire introductoire agrave la soumission agrave la patience agrave

lrsquoobeacuteissance suprecircme agrave la soumission agrave la patience agrave lrsquoobeacuteissance du dernier

jour raquo (III 416) La vie cacheacutee est un temps drsquoapprentissage de mucircrissement des

vertus visibles apparentes

Pourtant Peacuteguy ne nie pas la diffeacuterence entre le public et le priveacute y compris

dans les vies des saints Il souligne en revanche que mecircme les saints publics

recevant leur vocation laquo ont toujours eacuteteacute remplis drsquoeacutepouvante agrave lrsquoideacutee mecircme drsquoune

258

mission publique raquo (III 419) et que la vie publique nrsquoa jamais eacuteteacute au cœur de leur

aspiration Pour les saints eux-mecircmes la part publique de leur vie eacutetait infime

mecircme si elle paraissait eacutenorme aux teacutemoins aux contemporains elle nrsquoeacutetait qursquoun

eacutepisode agrave part dans une vie secregravete laquo Les saints chreacutetiens les saints publics eacutetaient

eacuteminemment des hommes des saints des appeleacutes [hellip] qui pour se garantir dans

lrsquoextrecircme danger de missions extraordinaires y portaient drsquoabord commenccedilaient par

transporter les vertus ordinaires usuelles les vertus de tous les jours familiegraveres raquo

(III 420)

Crsquoest la vie priveacutee cacheacutee et non la vie publique qui fait drsquoun homme drsquoune

femme un saint ou une sainte il srsquoagit lagrave drsquoune conviction essentielle de Peacuteguy qui

constitue un fil conducteur du Mystegravere de la chariteacute de Jeanne drsquoArc ce nrsquoest donc

pas un hasard si ce sujet est au centre de la poleacutemique avec Fernand Laudet

La vie priveacutee du heacuteros du geacutenie de lrsquohomme politique a peu drsquoimportance

puisque le heacuteros devient heacuteros par ses actes vus par des teacutemoins le geacutenie eacutetant

consacreacute comme tel par ses œuvres vues lues reconnues alors que lrsquohomme

politique lrsquoest en raison des paroles prononceacutees devant une foule et de son action

meneacutee devant les hommes avec les hommes Plus tard les biographes et les

chercheurs pourront dire que telle ou telle œuvre de tel ou tel eacutecrivain a eacuteteacute

influenceacutee par tel ou tel deacutetail de sa vie priveacutee mais cette vie priveacutee nrsquoest

consideacutereacutee qursquoen fonction de la vie publique qui a attireacute lrsquoattention sur la vie

priveacutee Dans la sainteteacute aux yeux de Dieu qui seul connaicirct ses saints crsquoest le

quotidien la petite vie de tous les jours qui comptent et qui offrent la possibiliteacute

drsquoimiter Jeacutesus chaque jour et ainsi de devenir saint laquo Un saint nrsquoeacutetait saint que si

le tissu mecircme de sa vie eacutetait saint que si sa vie quotidienne eacutetait sainte que si sa vie

priveacutee eacutetait sainteteacute raquo (III 423)

Pour conclure la partie deacutedieacutee agrave la vie priveacutee et la vie publique des saints dans

Un nouveau theacuteologien monsieur Fernand Laudet Peacuteguy rappelle que le cas de

Jeanne drsquoArc est exceptionnel parce que le procegraves de sa condamnation ainsi que le

procegraves de sa reacutehabilitation portaient justement sur sa vie priveacutee en la rendant

publique Il est degraves lors parfaitement leacutegitime pour un auteur qui prend la vie de

259

Jeanne comme sujet de son œuvre drsquoeacutevoquer sa vie priveacutee et de montrer comment

de cette vie priveacutee naicirct une vocation publique crsquoest ce que Peacuteguy a fait dans le

Mystegravere de la Chariteacute de Jeanne drsquoArc

c) La sainteteacute contre le monde moderne et le progregraves

Comme souvent chez Peacuteguy son attachement au reacuteel au preacutesent mais en

mecircme temps son rejet du monde moderne semblent paradoxaux Joseph Barbier

explique

Peacuteguy qui nrsquoa jamais voulu ecirctre une acircme habitueacutee refuse toute compromission avec le monde moderne Comprenons bien le sens de cette eacutepithegravete une des plus lourdes de meacutepris dans la langue de lrsquoeacutecrivain Pour lui le monde moderne nrsquoest pas le monde drsquoun temps nouveau en marche vers lrsquoavenir crsquoest un monde figeacute dans son orgueil et dans ses preacutetentions refusant de se libeacuterer de toutes les servitudes en particulier de celles de lrsquoargent de la politique de la machine et de lrsquointellectualisme steacuterilisant237

En somme on pourrait dire que Peacuteguy rejette tout ce qui dans le moderne

srsquooppose au passeacute et aspire agrave le remplacer alors que pour lui le vrai renouvellement

naicirct drsquoun enracinement et non drsquoun progregraves Lrsquoideacutee du progregraves qui effacerait le passeacute

est pour Peacuteguy lrsquoincarnation de ce monde moderne contre lequel il se bat Yves

Vadeacute eacutecrit que le monde moderne pour Peacuteguy crsquoest le monde qui a lrsquoambition de se

substituer agrave Dieu par le jugement de lrsquohistoire et le jugement des autres mondes le

monde qui choisit le progregraves comme le rejet du passeacute238 Ce que Peacuteguy reproche

surtout au monde moderne crsquoest son infideacuteliteacute Le saint lui reconnaicirct le jugement

de Dieu comme le seul jugement juste

Antoine Compagnon preacutecise laquo Contre la doctrine moderne qui veut qursquoune

nouvelle meacutetaphysique annule la preacuteceacutedente Peacuteguy fait valoir que chaque

meacutetaphysique ajoute une voix au concert humain raquo239 qui peut aussi ecirctre deacutecrit par

le dogme de la communion des saints cher agrave Peacuteguy Il rejette aussi la reacutecupeacuteration

comme on peut le lire dans Herveacute traicirctre laquo le grand vice des temps modernes 237 BARBIER Joseph Barbier lrsquoEgraveve de Peacuteguy Paris eacuteditions de lrsquoEcole 1963 p 45 238 VADEacute Yves Peacuteguy et le monde moderne Paris Cahiers de lrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy 1965 239 COMPAGNON Antoine laquo Peacuteguy antimoderne raquo Le Deacutebat 12004 (ndeg 128) p 156-182

260

choisir dans la reacutealiteacute cumuler des inconciliables prendre dans des situations

donneacutees dans des situations toutes contradictoires toutes inconciliables entre elles

ce qui plaicirct raquo (II 440) Se tenir dans lrsquoaxe de la contradiction du paradoxe ne lui

fait pas peur ce qui lrsquoeffraye crsquoest le mensonge qui srsquoopegravere quand on

laquo retravaille raquo la reacutealiteacute agrave ses deacutepens

Peacuteguy se voit en historien du preacutesent qui se doit drsquoecirctre engageacute dans la mesure

ougrave il doit pleinement porter la responsabiliteacute pour le preacutesent Ce rocircle est souvent

endosseacute par les saints qui en accueillant la gracircce prennent la pleine responsabiliteacute

des eacuteveacutenements dont ils sont teacutemoins et participants Il en va ainsi dans la vie des

saints preacutefeacutereacutes de Peacuteguy qui ont tous porteacute une lourde responsabiliteacute dans lrsquohistoire

qursquoil srsquoagisse de sainte Geneviegraveve de Jeanne drsquoArc ou de saint Louis

Le monde que Peacuteguy deacutefinit comme laquo moderne raquo est celui de lrsquoargent la

sainteteacute nrsquoy trouve donc pas sa place Dans Notre jeunesse Peacuteguy deacuteveloppe la

phrase de lrsquoeacutevangile sur les riches et le royaume de Dieu en eacutecrivant laquo Il y a deux

sortes de riches les riches atheacutees qui riches nrsquoentendent rien agrave la religion [hellip] et

les riches deacutevots qui riches nrsquoentendent rien au christianisme raquo (III 108) Les non-

modernes ce sont les perdants les vaincus et tous ceux qui ont eacutechoueacute dans la

course au succegraves et agrave lrsquoargent mais aussi au progregraves parce qursquoils ont refuseacute de

reacuteeacutecrire un preacutesent par-dessus le passeacute et parce qursquoils sont resteacutes fidegraveles aux racines

Il ne faut pas oublier que les vertus principales pour Peacuteguy sont la veacuteriteacute la justice

et la justesse qui srsquoexerce dans le reacuteel elles sont donc tout le contraire de la

reacutecupeacuteration qui fausse le reacuteel

Le saint est pauvre parce qursquoil imite le Christ dans la pauvreteacute Le saint fait

partie de la communion des saints il peut souffrir de solitude de rejet drsquoabandon

mais il nrsquoest donc jamais seul il ne rejette personne il ne creacutee pas la division En

revanche le monde moderne est diviseacute en strates laquo dans le monde moderne les

connaissances ne se font ne se propagent que horizontalement parmi les riches

entre eux ou parmi les pauvres entre eux Par couches horizontales raquo (III 135)

Les juifs pauvres porteurs de vertus importantes pour Peacuteguy agrave lrsquoimage de celui

qui pour Peacuteguy les repreacutesente Bernard-Lazare sont fidegraveles ndash ils nrsquooublient pas le

261

passeacute ndash et mystiques ndash ils ne creacuteent pas de divisions laquo drsquoune fideacuteliteacute agrave toute

eacutepreuve drsquoune amitieacute reacuteellement mystique drsquoun attachement drsquoune fideacuteliteacute

ineacutebranlable agrave la mystique de lrsquoamitieacute raquo (Ibid) Peacuteguy loue la fideacuteliteacute des juifs

pauvres parce que contrairement au reste de la socieacuteteacute ils doivent en plus affronter

les perseacutecutions et les accusations Cette fideacuteliteacute dans lrsquoeacutepreuve laquo dans cet enfer

commun raquo (III 136) teacutemoigne de la sainteteacute de celui qui devient un bouc

eacutemissaire

Dans la Note conjointe sur M Descartes et la philosophie carteacutesienne Peacuteguy

preacutecise quant agrave lrsquoargent et agrave la richesse laquo La lutte nrsquoest point entre le heacuteros et le

juste elle nrsquoest point entre le sage et le saint Elle est entre lrsquoagent seul drsquoune part

et drsquoautre part ensemble le heacuteros et le juste et le sage et le saint Elle est entre

lrsquoargent et toutes le spiritualiteacutes raquo (III 1461) Peacuteguy deacuteveloppe cette ideacutee dans le

Dialogue de lrsquohistoire et de lrsquoacircme charnelle le monde moderne ne fait plus la

distinction entre ce qui est peacutecheacute et ce qui ne lrsquoest pas puisque crsquoest la valeur

marchande qui prime la frontiegravere est diffuse vague laquo le peacutecheacute [hellip] continu

faisant partie du tissu atteignant teignant les tissus mecircme tout le tissu raquo (III 714)

degraves lors le monde est impreacutegneacute du peacutecheacute qui ainsi expulse la sainteteacute Peacuteguy en

tire les conseacutequences laquo Il y a que le monde moderne est un monde inchreacutetien et qui

a parfaitement reacuteussi agrave se passer du christianisme raquo (III 715)

Dans Lrsquoargent Peacuteguy poursuit ses invectives contre le monde moderne en

disant que laquo le modernisme consiste agrave ne pas croire ce que lrsquoon croit raquo (III 821) Ce

qui est eacutevidemment contraire agrave la sainteteacute qui suppose une veacuteriteacute mais aussi une

fideacuteliteacute absolue Nous lrsquoavons vu dans le chapitre sur les vertus chez Peacuteguy la vertu

theacuteologale de la foi est pour lui souvent remplaceacutee par la fideacuteliteacute la veacuteriteacute de son

cocircteacute a presque la mecircme valeur agrave ses yeux que les vertus theacuteologales On ne peut pas

ecirctre fidegravele agrave quelque chose de flou de double de mensonger on ne peut donc pas

selon Peacuteguy ecirctre saint et moderne

Peacuteguy eacutevoque agrave part lrsquoargent qui engendre lrsquoavarice incarneacutee par lrsquoeacutepargne

deux autres vices du monde moderne le progregraves et lrsquohabitude Ils semblent agrave

lrsquoopposeacute lrsquoun de lrsquoautre mais Peacuteguy les reacuteunit en les preacutesentant comme tous deux

262

contraires au preacutesent Lrsquohabitude suppose une reacutepeacutetition infructueuse qui nrsquoapporte

rien de nouveau le progregraves suppose la trahison du passeacute En reacuteponse agrave ces vices

Peacuteguy propose la reacutevolution bergsonienne qui comme il lrsquoexplique dans son dernier

texte la Note conjointe sur M Descartes et la philosophie carteacutesienne laquo a retrouveacute

le preacutesent Partout elle a reacuteinstitueacute reacuteinteacutegreacute la preacutesence du preacutesent raquo (III 1422) Or

crsquoest seulement par une pleine preacutesence du preacutesent que lrsquoon peut vivre lrsquoeacuteveacutenement

de lrsquointeacuterieur dans la dureacutee et dans la conscience des racines et lrsquoespeacuterance du futur

en accueillant la gracircce qui rend saint

Le progregraves pour Peacuteguy est pire encore que lrsquohabitude Glenn Roe observe que

pour lui le progregraves est veacuteritablement assassin parce qursquoil suppose la mort de

quelque chose pour qursquoune autre chose puisse naicirctre240

La reacuteponse du saint au monde moderne crsquoest-agrave-dire agrave lrsquohabitude agrave la

reacutepeacutetition agrave lrsquoavarice au progregraves crsquoest lrsquoespeacuterance notamment lrsquoespeacuterance

exprimeacutee dans la Note conjointe que laquo les saints rejailliraient toujours raquo (III 1327)

Peacuteguy explique ainsi le sens principal de la vertu de lrsquoespeacuterance laquo Elle est

essentiellement la contre-habitude Et ainsi elle est diameacutetralement et axialement et

centralement la contre-mort Elle est la source et le germe Elle est le jaillissement

et la gracircce Elle est le cœur de la liberteacute Elle est la vertu du nouveau et la vertu du

jeune raquo (Ibid) Ainsi lrsquoespeacuterance se dresse comme un rempart contre la mort La

reacutepeacutetition et lrsquohabitude sont en effet steacuteriles et sans renouvellement la mort vient

Agrave lrsquoinverse lrsquoespeacuterance rend possible un renouvellement une renaissance

Dans Le Porche du mystegravere de la deuxiegraveme vertu on peut lire un

deacuteveloppement eacutetonnant sur les laquo deux races de saints dans le ciel Les saints de

Dieu sortent de deux eacutecoles De lrsquoeacutecole du juste et de lrsquoeacutecole du peacutecheur raquo (OPD

718) Peacuteguy a une nette preacutefeacuterence pour les saints issus de laquo lrsquoeacutecole du peacutecheur raquo

parce que ce sont les saints de la confiance et de lrsquoespeacuterance ceux qui espegraverent le

pardon de Dieu envers et contre tout leur invincible espeacuterance prend le dessus sur

leur peacutecheacute Cette sainteteacute naicirct drsquoune pauvreteacute inteacuterieure toute contraire agrave la richesse

240 ROE Glenn H The passion of Charles Peacuteguy literature Modernity and the Crisis of historicism Oxford University Press 2014 p 79

263

du monde moderne ce monde des laquo riches qui ne veulent pas ecirctre mes creacuteatures Et

qui se mettent agrave lrsquoabri Drsquoecirctre mes serviteurs raquo (OPD 630) comme Peacuteguy le fait

dire agrave Dieu au deacutebut du Porche

3 Du suppliant antique au priant

Lrsquointercession se trouve au centre de la vie et de la priegravere chreacutetienne selon

Peacuteguy Le saint est lrsquointercesseur par excellence Crsquoest un homme ou une femme

proche de Dieu qui imite Dieu et qui parle agrave Dieu En tant qursquohomme ou femme il

repreacutesente cependant tous les hommes et toutes les femmes comme Jeacutesus lui-

mecircme dans son humaniteacute Pour Peacuteguy lrsquointercession crsquoest lrsquoimitation de Jeacutesus la

plus parfaite

Pour interceacuteder au nom des souffrances des autres il faut aussi connaicirctre ces

souffrances de lrsquointeacuterieur dans Toujours de la grippe Peacuteguy preacutesente ainsi

Antigone comme celle qui la premiegravere eacutetait leacutegitime dans son intercession dans sa

supplication Elle est une femme elle souffre et ressemble aux damneacutes du

christianisme parce que Creacuteon lrsquoenferme vivante Peacuteguy compare ses paroles agrave la

lamentation chreacutetienne (I 467) laquo Dans ma prison tombeau morte pour ceux qui

vivent vivante pour les morts raquo Aux yeux de Peacuteguy cette mort sacrificielle est une

preacutefiguration de la damnation et du salut chreacutetien

Mais il y a aussi lrsquointercession collective comme les chœurs dans les trageacutedies

grecques auxquels Peacuteguy fait allusions plusieurs fois au fil de son œuvre Cette

supplication ressemble beaucoup agrave ses yeux agrave la priegravere de lrsquoEacuteglise agrave la priegravere

liturgique qui est une œuvre commune Le suppliant peut ecirctre seul comme

Antigone Jeanne drsquoArc ou Polyeucte mais il repreacutesente un peuple ou une

264

communauteacute nrsquoest donc pas isoleacute car il fait partie drsquoune communion Jean-Noeumll

Dumont eacutecrit ainsi

Ainsi le suppliant nrsquoest-il pas un chien battu mais celui qui peut parler au nom de tous car son combat est absolu Ou plutocirct il faudrait dire que tous peuvent se reconnaicirctre en lui car son combat nrsquoest pas celui drsquoun camp Jeanne toute Franccedilaise nrsquoest-elle pas une heacuteroiumlne universelle 241

La supplication des ouvriers au Tsar et la supplication du peuple devant Œdipe

dont Peacuteguy parle dans Les suppliants parallegraveles est une supplication de tout un

peuple le groupe repreacutesente le tout Dans les deux cas le supplieacute est lui aussi un

suppliant laquo Le supplieacute antique lui-mecircme suppliant du deuxiegraveme degreacute ne se

seacutepare point du suppliant du premier degreacute La supplication englobe lrsquoun et lrsquoautre

et nul citoyen fucirct-il precirctre fucirct-il roi ne se seacutepare de la citeacute comme nul suppliant ne

se seacutepare de la commune supplication civique raquo (II 322)

a) Lrsquointercession

Les premiegraveres reacuteflexions de Peacuteguy sur lrsquointercession si lrsquoon excepte la

premiegravere Jeanne drsquoArc se trouvent dans Victor Marie comte Hugo quand il

commente Polyeucte il deacutesigne la priegravere de Neacutearque pour Polyeucte celle de

Polyeucte pour Feacutelix et la priegravere commune de Neacutearque et de Polyeucte pour

Pauline comme les priegraveres drsquointercession typiques drsquoun saint pour un peacutecheur

elles lui paraissent typiques parce que le rocircle essentiel du saint dans le salut est bien

drsquointerceacuteder pour les peacutecheur et drsquoagir pour la reacuteversibiliteacute des gracircces Comme

exemple parfait de priegravere drsquointercession figurant la reacuteversibiliteacute des gracircces et la

communion des saints Peacuteguy propose la priegravere de Polyeucte pour Pauline en

preacutesence de cette derniegravere laquo Comme toute lrsquoEacuteglise triomphante prie pour toute

lrsquoEacuteglise militante Et pour lrsquoEacuteglise souffrante raquo (III 302)

LrsquoAntigone de Sophocle est aux yeux de Peacuteguy un autre personnage

drsquointercesseur surprenant parce que non chreacutetien Comme le rapporte Romain

241 DUMONT Jean-Noeumll laquo Lrsquootage et le suppliant raquo Les cahiers du Cerf laquo Charles Peacuteguy raquo Paris Les eacuteditions du Cerf 2014 p 240

265

Vaissermann dans sa notice agrave la trilogie Jeanne drsquoArc Peacuteguy a vu Antigone agrave

Orange justement pendant la peacuteriode ougrave il megravene un travail drsquohistorien sur la sainte

et lrsquoheacuteroiumlne drsquoOrleacuteans Les trageacutedies antiques et en particulier leur mise en scegravene agrave

Orange ont influenceacute lrsquoeacutecriture de Peacuteguy comme le note Romain Vaissermann

laquo La Jeanne de Peacuteguy tient drsquoailleurs agrave la fois de lrsquoAntigone incarneacutee par Bartet et

de lrsquoŒdipe interpreacuteteacute par Mounet-Sully raquo (OPD 1556) Mais dans Les suppliants

parallegraveles Peacuteguy la rapproche encore de Jeanne en parlant de la laquo vocation

drsquoAntigone raquo (II 353) Il deacutecrit le mecircme passage de la petite fille agrave laquo lrsquoeacuteternelle

Antigone raquo que celui qursquoil deacuteploie dans le Mystegravere de la Chariteacute la petite fille qui

souffre de la misegravere du monde par lrsquointercession par sa supplication dans la priegravere

du Notre Pegravere eacutelargi qui ouvre le mystegravere devient la sainte qui reccediloit sa vocation

Dans son eacutetude des Suppliants parallegraveles Pauline Bernon [Bruley] eacutecrit pour

part agrave propos de lrsquointercession

La grandeur drsquoŒdipe vient de son rocircle drsquoambassadeur des dieux ici-bas et des hommes aupregraves des dieux Il repreacutesentera aussi par anticipation le peuple russe venu devant le Palais du Tsar en 1905 laquo suppliant parallegravele raquo La reconnaissance de ce destin a guideacute et unifieacute la critique de Peacuteguy Jusqursquoagrave la Note Conjointe ougrave il reacuteunit ses intercesseurs litteacuteraires favoris dans un pantheacuteon agrave la fois historique et fictif il interroge les œuvres agrave lrsquoaune de ces destins drsquoeacutelus Lrsquoestime de Peacuteguy va aux heacuteros ou aux voix qui fondent ou repreacutesentent une civilisation et reacutesonneront toujours conjurant la mort temporelle Antigone Hypatie les dreyfusards disqualifieacutes Bernard-Lazare Polyeucte mecircme Le Cid et Seacutevegravere Jeanne drsquoArc saint Louis croiseacute anachronique donnent agrave Peacuteguy la repreacutesentation tragique Ces figures repreacutesentent le peuple lrsquohumaniteacute dans un theacuteacirctre de veacuteriteacute aux valeurs universelles Lrsquoattention que Peacuteguy porte agrave ses piegraveces preacutefeacutereacutees ne donne donc pas lieu agrave des commentaires sur la psychologie des personnages mais agrave la puissance de reacuteveacutelation de leurs choix242

Celui qui intercegravede est saint par excellence car il est le vrai acteur du dialogue

entre Dieu et lrsquohomme lrsquohomme et Dieu En tant qursquohomme peacutecheur il repreacutesente

dans sa personne tous les humains non seulement en les portant dans sa priegravere mais

en devenant leur quintessence En tant qursquoimitateur de Dieu en tant qursquoacteur de

lrsquoIncarnation par le mystegravere de la communion des saints le mystegravere de lrsquoEacuteglise qui

est le Corps du Christ il repreacutesente Dieu et son regard sur les hommes qui accueille

la priegravere drsquointercession

Maurice Schumann eacutecrit dans son commentaire des Suppliants parallegraveles 242 BERNON [BRULEY] Pauline laquo Peacuteguy critique lrsquoenvers du tragique raquo Revue drsquohistoire litteacuteraire de la France 32005 (Vol105) p 573-586

266

Degraves que la deacutetresse cesse drsquoecirctre animale pour devenir humaine aussitocirct commence le dialogue du suppliant et du supplieacute Mais agrave mesure que la creacuteature se libegravere des fataliteacutes instinctives ou cosmiques le sens mystique de la supplication change et srsquoeacutelegraveve De figeacute qursquoil eacutetait le suppliant srsquoanime Par lui la douleur des hommes entre en action243

Le suppliant chez Peacuteguy preacutefigure le saint parce qursquoil transforme la souffrance

en action crsquoest cette voie de transformation que Peacuteguy deacutecrit en repreacutesentant le

cheminement de Jeannette dans la trilogie et dans le Mystegravere de la Chariteacute

Peacuteguy repreacutesente sainte Geneviegraveve dans Sainte Geneviegraveve patronne de Paris

comme celle qui intercegravede pour Paris et toute la France et celle qui repreacutesente la

France et Paris il eacutecrit qursquoau Jugement dernier

Seule vous parlerez lorsque tout se taira

Et Dieu qui nrsquoa jamais interloqueacute ses saints

Ni fausseacute sa parole et masqueacute ses desseins

Vous nommera sa fille et vous exaucera (OPD 1173)

Elle a eacuteteacute choisie par le peuple de Paris pour le deacutefendre contre lrsquoennemi et

pour le repreacutesenter devant Dieu elle a eacuteteacute choisie par les Parisiens mais aussi par

Dieu pour ecirctre la patronne de Paris

Son ami Bernard-Lazare offre un autre exemple de saint intercesseur pour

Peacuteguy Cependant son rocircle eacutetait souvent celui drsquoun suppliant et drsquoun intercesseur

il repreacutesentait son peuple devant la justice et devant la socieacuteteacute devant la justice

dans le cas de Dreyfus devant le monde entier dans le cas de ses publications dans

la presse sur le sort tragique des juifs de lrsquoEurope de lrsquoEst Pour autant Peacuteguy

nrsquoomet pas ni ne nie le passeacute anarchiste de Bernard-Lazare qui influence toute son

action y compris son action en faveur de Dreyfus Dans Notre jeunesse il eacutecrit

Il faut penser que crsquoeacutetait un homme jrsquoai dit tregraves preacuteciseacutement un prophegravete pour qui tout lrsquoappareil des puissances la raison drsquoEacutetat les puissances temporelles les puissances politiques les autoriteacutes de tout ordre politiques intellectuelles mentales mecircme ne pesaient pas une once devant une reacutevolte dans un mouvement de la conscience propre (III 70)

Dans ce texte Peacuteguy montre neacuteanmoins comment la reacutevolte anarchiste devient

une mystique de la veacuteriteacute et de la laquo conscience propre raquo Il souligne le fait que

243 SCHUMANN Maurice La mort neacutee de leur propre vie trois essais sur Peacuteguy Simone Weil Gandhi Paris Fayard 1974 p 21

267

Bernard-Lazare ne se battait contre personne il ne voyait pas ses adversaires il

eacutetait tout simplement libre Il eacutetait donc vraiment un suppliant et un intercesseur

pas un combattant il se battait il suppliait il interceacutedait pour une cause pas contre

Il suppliait au nom du peuple juif Il avait eacutecrit Peacuteguy laquo un cœur qui saignait dans

tous les ghettos du monde raquo (III 65) un cœur de teacutemoin

b) Le teacutemoin le veilleur le chroniqueur

Le veilleur ou guetteur voilagrave lrsquoune des deacutesignations du prophegravete biblique

crsquoest une image que Peacuteguy emploie en parlant de sainte Geneviegraveve Elle veille sur

sa ville elle guette la venue du Christ et elle veille en attendent la venue drsquoune

sainte qui pourra la relayer dans sa tacircche de protectrice de Paris et de la France

Jeanne drsquoArc sera cette sainte

Le teacutemoin crsquoest celui qui peacutenegravetre dans lrsquoeacuteveacutenement selon la theacuteorie de

lrsquointuition de Bergson

Dans sa thegravese sur la philosophie de lrsquohistoire chez Peacuteguy Tatiana Taiumlmanova

deacutefinit le rocircle du teacutemoin dans lrsquoœuvre de lrsquoauteur laquo le teacutemoin voit juge compare

les faits dans la mesure dans laquelle lrsquohistoire de laquelle il teacutemoigne est sa propre

histoireraquo

Ainsi lrsquohistorien parfait crsquoest le chroniqueur crsquoest-agrave-dire un teacutemoin quelqursquoun

qui se trouve agrave lrsquointeacuterieur de lrsquoeacuteveacutenement et qui le deacutecrit Peacuteguy en suivant non

seulement Bergson mais aussi Michelet juge possible de peacuteneacutetrer un eacuteveacutenement

mecircme passeacute par lrsquointuition creacuteatrice et de devenir ainsi teacutemoin agrave travers les temps

Taiumlmanova remarque que crsquoest surtout lrsquoartiste lrsquoeacutecrivain qui selon Peacuteguy deacutetient

ce don de lrsquoeacuteternelle preacutesence dans tous les temps gracircce agrave son imagination

creacuteatrice Ainsi il se deacutecrit comme le chroniqueur de Jeanne drsquoArc comme

Joinville eacutetait celui de saint Louis malgreacute les siegravecles qui le seacuteparent de Jeanne

Dans son imagination il assiste en teacutemoin aux eacuteveacutenements de la vie de Jeanne Il

peut donc aussi en ecirctre le chroniqueur Il lrsquoatteste dans sa preacutesentation du Mystegravere

268

de la chariteacute de Jeanne drsquoArc laquo Devant ces grands exemples devant ces grands

enseignements de la reacutealiteacute une seule attitude est deacutecente une seule attitude est

permise agrave lrsquohistorien respecter ces exemples et cette reacutealiteacute recevoir ces

enseignements et les rendre autant que possible avec une fideacuteliteacute absolue Notre

situation envers ces grands saints est exactement la situation de Joinville envers

saint Louis Crsquoest dans lrsquoesprit dans la ligneacutee des chroniqueurs que nous devons

reacutesolument nous ranger raquo (OPD 623)

Un saint qui ne vit pas seulement dans le monde temporel mais aussi dans

lrsquoeacuteternel est donc un teacutemoin par excellence Il peut peacuteneacutetrer tous les eacuteveacutenements par

son appartenance agrave la temporaliteacute de Dieu Le saint qui teacutemoigne et qui eacutecrit pour

transmettre son teacutemoignage devient alors chroniqueur Peacuteguy eacutecrit dans sa reacuteponse agrave

Fernand Laudet en expliquant son rocircle drsquoauteur par rapport agrave Jeanne drsquoArc

ecirctre le chroniqueur crsquoest ce qursquoil y a de plus grave Et tout ce qursquoil y a de plus grand dans le deuxiegraveme ordre dans lrsquoordre de ceux qui ne sont pas eux-mecircmes mais qui relatent mais qui rapportent mais qui teacutemoignent de ceux qui sont Le chroniqueur est le teacutemoin historique Le teacutemoin de lrsquoecirctre et de lrsquoeacuteveacutenement [hellip] Crsquoest ce teacutemoignage mecircme et cet eacuteveacutenement unique et cette creacuteature et cet ecirctre unique de sainteteacute que je veux repreacutesenter (III 574)

Peacuteguy ici ne parle ni de Jeanne drsquoArc ni de saint Louis il ne parle pas de

grands saints mais il parle de Joinville dont il fait un exemple agrave titre personnel

Joinville devient en quelques sortes son saint patron car il se considegravere comme le

chroniqueur de Jeanne drsquoArc et dans cette tacircche laquo crsquoest Joinville qui est [s]on

maicirctre raquo (Ibid)

La sainteteacute du teacutemoin et du chroniqueur se mesure agrave son attention agrave sa

preacutesence dans le preacutesent de son modegravele agrave sa fideacuteliteacute fideacuteliteacute humaine mais aussi

fideacuteliteacute de la repreacutesentation qursquoil donne du modegravele qursquoil offre et de la possibiliteacute

drsquoimitation qursquoil creacutee

Joinville aussi eacutetait peacutecheur Ce nrsquoest pas cela que nous lui demandons ce nrsquoest pas de cela que lrsquoon parle Ce que nous lui demandons crsquoest ce qursquoil a fait de saint Louis Quel portrait il nous en a laisseacute Quelle fideacuteliteacute de repreacutesentation il a gardeacutee Quelle sucircreteacute Quelle profondeur de repreacutesentation de reproduction il a atteinte Quelle graviteacute quelle profondeur il a obtenue (III 575)

Le saint imite Jeacutesus des Eacutevangiles mais aussi drsquoautres saints qui ont imiteacute

Jeacutesus Le teacutemoin et le chroniqueur rendent lrsquoimitation possible chaque chroniqueur

269

imite les eacutevangeacutelistes Le teacutemoin le chroniqueur est aussi un acteur de la

communion des saints dans la mesure ougrave il transmet lrsquoexemple le modegravele il fait

que les saints agrave travers les siegravecles se connaissent et se rencontrent

Peacuteguy souligne le fait que le veacuteritable teacutemoin et chroniqueur ce nrsquoest pas

forceacutement celui qui eacutetait preacutesent sur les lieux de lrsquoeacuteveacutenement mais celui qui eacutetait le

plus fidegravele ainsi Joinville nrsquoa pas accompagneacute saint Louis dans sa derniegravere

croisade et il nrsquoa pas assisteacute agrave sa mort laquo Il nrsquoy fut pas la merci dieu Crsquoest pourtant

lui qui nous en a laisseacute le portrait le teacutemoignage eacuteternel [hellip] Il y a une gracircce

speacuteciale pour le chroniqueur raquo (III 577) Crsquoest la gracircce accordeacutee au plus fidegravele agrave

celui qui en raison de sa fideacuteliteacute est plus preacutesent dans lrsquoeacuteveacutenement que celui qui y

assistait physiquement

c) Invocation versus imitation

La relation de Peacuteguy avec les saints prend le plus souvent deux formes

lrsquoinvocation drsquoune part crsquoest-agrave-dire la priegravere et lrsquoimitation drsquoautre part Quand

Peacuteguy choisit lrsquoinvocation la distance entre lui et le saint qursquoil veacutenegravere srsquoeacutelargit

crsquoest une relation en diachronie Peacuteguy comme son lecteur se trouvent dans le

temps preacutesent et le saint dans lrsquoeacuteterniteacute Les textes poeacutetiques ougrave Peacuteguy srsquoadresse agrave

la Vierge ou agrave sainte Geneviegraveve preacutesentent un exemple explicite de lrsquoinvocation

dans lrsquoœuvre de Peacuteguy

Si Peacuteguy choisit lrsquoimitation la distance diminue Le saint agit comme lrsquoun de

nous comme un ami et un modegravele agrave suivre agrave imiter dans la synchronie il en va

ainsi dans les piegraveces de Peacuteguy sur Jeanne drsquoArc

Ce choix peut influencer la forme du texte consacreacute agrave tel ou tel saint Mecircme si

de nombreux commentateurs de lrsquoœuvre peacuteguyste notamment de sa poeacutesie

expriment leur eacutetonnement et souvent leur irritation face agrave un vocabulaire

incongru des reacutepeacutetitions fatigantes un vers libre eacutetrange rien dans la forme choisie

nrsquoest aleacuteatoire non reacutefleacutechi Cette eacutetrangeteacute mecircme est voulue Benoicirct Chantre a

bien eacuteclaireacute cet aspect de la poeacutetique de Peacuteguy

270

La poeacutetique de Peacuteguy suppose une meacutetaphysique Et cette meacutetaphysique cherche agrave son tour agrave refonder une politique Recourir agrave lrsquoorigine en deccedilagrave de toute fondation simplement pauvrement historique de tout vieillissement crsquoest trouver lrsquoeacutenergie propre agrave relancer une nouvelle seacuterie temporelle Il faut donc prendre tout histoire agrave rebours patiemment la remonter ndash lrsquoaffaire Dreyfus comme lrsquo laquo affaire Jeacutesus raquo ndash avant de pouvoir poser un acte libre lancer une nouvelle œuvre eacutecrire une autre histoire Il y a lrsquoeacuteveacutenement consigneacute dans lrsquoœuvre de geacutenie (Corneille Hugo) et dans la remeacutemoration duquel se reconstitue une communauteacute et il y a ce que figure cet eacuteveacutenement lrsquoinscription de lrsquoeacuteternel dans le temporel Seule compte cette audace de laquo rebroussement raquo cette remonteacutee en deux temps vers lrsquoeacutelan originaire244

Benoicirct Chantre emploie consciemment ici le terme de politique tellement haiuml

par Peacuteguy il revient en effet agrave son sens premier non peacuteguyste celui de

lrsquoorganisation de la socieacuteteacute Pour Peacuteguy qui considegravere le mot comme un outil de

continuation de lrsquoœuvre de Dieu creacuteateur et incarneacute la poeacutetique est un instrument

de laquo politique raquo qursquoon pourrait remplacer par laquo mystique raquo Par la poeacutetique Peacuteguy

entend bacirctir une citeacute harmonieuse en remontant vers lrsquoorigine de la race et en se

remeacutemorant les figures du passeacute afin de pouvoir reconstruire et tout renouveler

dans le preacutesent

Le premier agrave parler du rocircle essentiel de lrsquoestheacutetique chez Peacuteguy eacutetait un

theacuteologien Hans Urs Von Balthasar qui eacutecrivait

lrsquoestheacutetique est pour Peacuteguy identique en profondeur avec lrsquoeacutethique et ceci en vertu de lrsquoincarnation de Dieu dans le Christ le spirituel doit srsquoincarner lrsquoinvisible se deacutemontrer dans la forme visible et seul ce qui est juste et justifieacute devant Dieu peut ecirctre ce qui est juste dans le monde comme lrsquoexprimait deacutejagrave le mot fondamental drsquoAugustin et drsquoAnselme rectitudo et comme le double mot de Peacuteguy justice-justesse le reprend de nouveau245

Le mot est la forme visible du spirituel il revient par conseacutequent agrave lrsquoart

drsquoexprimer des reacutealiteacutes spirituelles avec des mots afin de se mettre au service de la

justice et de la veacuteriteacute Albert Chabanon lrsquoatteste en eacutecrivant que le style reacutepeacutetitif de

Peacuteguy est en quelque sorte une forme de Lectio divina effectueacutee sous les yeux des

lecteurs une tentative de preacutesenter la lecture la plus complegravete du reacuteel et de traduire

cette compreacutehension dans les mots les plus justes laquo serrer le reacuteel avec de plus en

plus de justesse raquo246

244 CHANTRE Benoicirct Peacuteguy point final Paris le Feacutelin 2014 p 59 245 VON BALTHASAR Hans Urs La Gloire et la Croix Styles (TII) De Jean de la Croix agrave Peacuteguy traduit de lrsquoallemand par Reacuteneacute Givord et Heacutelegravene Bourboulon Aubier Theacuteologie Editions Montaigne 1972 p 279 246 CHABANON Albert La poeacutetique de Peacuteguy Paris Robert Laffont 1947 p 16

271

Les lecteurs du drame Jeanne drsquoArc se sont interrogeacutes agrave propos de lrsquoeacutetrange

alternance de la prose et de la poeacutesie dans ces trois piegraveces Romain Rolland par

exemple trouvait que laquo les morceaux de poeacutesie primaire gauchement inseacutereacutes

plaqueacutes agrave froid raquo247 ne trouvaient pas vraiment leur place dans la prose de la

trilogie Dans la Notice du drame dans lrsquoeacutedition de lrsquoœuvre poeacutetique complegravete

Romain Vaissermann donne une explication historique laquo lrsquoalternance des parties en

prose et en vers rappelle les proceacutedeacutes de la trageacutedie antique et de la chantefable

meacutedieacutevale raquo (OPD 1553-1554) Pour ce critique aussi les alexandrins semblent

laquo perdus dans la prose raquo (OPD 1555)

Ils ne le sont pourtant point Dans le choix drsquoune forme drsquoeacutecriture poeacutetique de

la sainteteacute Peacuteguy est extrecircmement preacutecis Srsquoil se tourne vers lrsquoinvocation vers la

priegravere son choix tombe sur une forme poeacutetique reacuteguliegravere concregravetement sur

lrsquoalexandrin (La ballade du cœur qui a tant battu et la Chanson du roi Dagobert

eacutecrits dans une autre meacutetrique ne sont pas des priegraveres) Jean Delaporte lrsquoa

eacutegalement remarqueacute laquo les morceaux lyriques de la premiegravere Jeanne drsquoArc

expriment des priegraveres raquo248 Si le poegravete parle de saints de sainteteacute dans une

deacutemarche drsquoimitation il choisit alors la prose ou le vers libre agrave la base de sa

dramaturgie Les alexandrins dans le drame ne sont pas laquo perdus raquo ils

correspondent sauf rare exception aux moments ougrave Jeanne prie

On trouve encore dans les textes de Peacuteguy un autre proceacutedeacute poeacutetique tregraves

particulier peu commun agrave son eacutepoque et surtout preacutesent dans la trilogie Jeanne

drsquoArc les silences Ils ne sont pas deacutecoratifs laisser plusieurs pages vides pour de

simples raisons estheacutetiques aurait constitueacute une deacutepense typographique excessive

Philippe Grosos lrsquoatteste laquo Ici les blancs sont en effet toujours solidaires de la

parole poeacutetique qursquoils accompagnent raquo249 Ils semblent viser un but important pour

Peacuteguy celui drsquoinclure le lecteur de le faire participer et de lui faire vivre une sorte

de communion

247 ROLLAND Romain Peacuteguy TI Paris Albin Michel 1973 p 182 248 DELAPORTE Jean Connaissance de Peacuteguy TII p 245 249 GROSOS Philippe Peacuteguy philosophe Chatou Les eacuteditions de la Transparence 2005 p 88

272

Peacuteguy nrsquoeacutecrira-t-il pas dans Clio que la lecture est une laquo opeacuteration commune du

lisant et du lu raquo (III 1007) Pour Peacuteguy le blanc le silence crsquoest quelqursquoun qui se

tait et qui ne fait rien Peacuteguy permet agrave ses personnages drsquoexister sur scegravene sans rien

dire et sans rien faire il met leur existence agrave nu Peacuteguy provoque et incite donc les

acteurs et les spectateurs agrave vivre ensemble lrsquoexpeacuterience de lrsquoexistence pure mais

aussi lrsquoexpeacuterience de la dureacutee

Dans un spectacle coexistent trois temporaliteacutes le temps historique le temps

des spectateurs qui y assistent crsquoest-agrave-dire le temps que le spectacle a pris dans leur

journeacutee enfin le temps personnel du personnage principal son deacuteveloppement son

chemin Toutes ces temporaliteacutes diffeacuterentes sont unies dans la dureacutee En laissant de

longues plages de silences Peacuteguy en disciple fidegravele de Bergson permet de ressentir

la dureacutee telle qursquoelle est intrinsegravequement il unit ainsi les spectateurs aux acteurs

dans un veacutecu commun250

Ces silences les ceacutelegravebres laquo blancs raquo de Peacuteguy semblent ecirctre une preacutefiguration

de la communion des saints qui intervient le plus souvent agrave proximiteacute des parties du

texte eacutecrites en alexandrin et correspondant donc agrave des priegraveres

Dans la trilogie Jeanne drsquoArc la vie de Jeannette est preacutesenteacutee en prose en

dialogue dans une forme plutocirct classique Sa premiegravere eacutedition de 1897 dans la

librairie de la revue socialiste fondeacutee par Peacuteguy lui-mecircme se caracteacuterise par un trait

singulier une grande part des pauses des silences se traduit par des laquo blancs raquo

parfois longs de plusieurs pages vides Les silences renvoient agrave la dimension

temporelle de la vie mais dans ce premier texte litteacuteraire de Peacuteguy on peut voir les

silences Crsquoest une sorte de syncreacutetisme meacutetaphysique Le poegravete nous entraicircne vers

la meacuteditation par la typographie

La deacutedicace srsquoeacutetend sur quatre pages seacutepareacutees par des pages blanches251 Sur la

derniegravere un grand espace vide seacutepare les mots laquo Ce poegraveme est deacutedieacute raquo et 250 BERGSON Henry Dureacutee et simultaneacuteiteacute Paris PUF 2009 251 Pour lrsquoanalyse des proceacutedeacutes poeacutetiques du drame Jeanne drsquoArc nous utilisons la premiegravere eacutedition

Baudoin Marcel et Pierre Jeanne drsquoArc drame en 3 actes Paris Librairie des cahiers socialistes 1897

273

laquo Prenne agrave preacutesent sa part de la deacutedicace qui voudra raquo Peacuteguy laisse le temps et le

choix au lecteur de devenir dans lrsquoespace drsquoune pause typographique celui agrave qui

srsquoadresse lrsquoauteur il est libre de choisir de faire une simple lecture du texte ou bien

une meacuteditation en communion avec Peacuteguy Cinq pages blanches seacuteparent la

deacutedicace du titre qui a donc le temps de naicirctre

Si chaque lecture est une interpreacutetation chaque mot de lrsquoauteur en rencontrant

le lecteur ou lrsquoauditeur le spectateur de lrsquoœuvre se transforme en mettant en

rapport deux consciences deux chemins de penseacutee Le silence ne peut pas ecirctre

interpreacuteteacute il donne la parole au reacutecepteur ouvrant le champ de possibiliteacutes Crsquoest

donc une invitation agrave la co-creacuteation

Dans cette eacutedition de Jeanne drsquoArc il nrsquoy a pas de numeacutero de page Le vrai

silence est libre Dans la musique les silences quand ils sont mesureacutes font partie

du rythme de la meacutetrique musicale et on continue drsquoentendre dans ces silences la

mesure agrave leur instar les numeacuteros de pages auraient deacutelimiteacute ndash et donc briseacute ndash le

silence en mettant un obstacle agrave la liberteacute de la co-creacuteation Les pages vides non

numeacuteroteacutees creacuteent un intervalle pur

Il y a trois types de silences dans ce texte Le premier est exprimeacute de maniegravere

traditionnelle pour lrsquoeacutecriture theacuteacirctrale par des indications sceacuteniques laquo un silence

bref raquo laquo un assez long silence raquo etc Ce sont des pauses dans le dialogue entre les

personnages qui impliquent moins le lecteur il reste agrave lrsquoexteacuterieur agrave eacutecouter agrave voir

agrave observer Le deuxiegraveme ce sont les silences laquo typographiques raquo exprimeacutes par des

espaces blancs ou des pages blanches Ils donnent au lecteur la possibiliteacute de

collaborer avec lrsquoauteur et interrogent lrsquoacteur et le metteur en scegravene laquo Premiegravere

piegravece en trois parties Aacute Domreacutemy raquo puis trois pages blanches puis laquo Premiegravere

partie en cinq actes raquo puis deux pages plus loin laquo Premier acte raquo puis au verso en

haut laquo 1425 En plein eacuteteacute raquo Apregraves ces mots un grand espace vide puis en bas de

page vient une description deacutetailleacutee du paysage Encore un grand espace le temps

de se lrsquoimaginer Quand les cinq sens sont eacuteveilleacutes on peut accueillir les Cependant comme dans cette eacutedition la pagination est absente les citations sont reacutefeacuterenceacutees comme ailleurs dans le texte selon la derniegravere eacutedition Charles Peacuteguy Œuvre poeacutetique complegravete Paris Bibliothegraveque de la Pleacuteiade 2014

274

personnages dont lrsquoacircge est indiqueacute en bas de page suivante Ils ont pris une forme

concregravete et peuvent agir Le silence est precirct agrave ecirctre rompu Le texte est construit

comme une priegravere guideacutee dans la tradition ignacienne On entre lentement dans une

meacuteditation

Le troisiegraveme type de silence ce sont les rideaux Avant le deuxiegraveme acte de la

premiegravere piegravece de la trilogie on relegraveve cette curieuse indication laquo Rideau quinze

secondes raquo Cette fois il srsquoagit drsquoun silence visuel incarneacute dans la repreacutesentation

abstraite du lecteur ou concregravete du spectateur Le rideau seacutepare les spectateurs des

acteurs Ce nrsquoest pas un silence participatif qui permet de co-creacuteer de dialoguer

avec les personnages et lrsquoauteur crsquoest une absence ougrave le spectateur est renvoyeacute agrave

lui-mecircme Il faut remarquer que rien ne peut ecirctre vraiment changeacute derriegravere le rideau

en 15 secondes Mais au fur et agrave mesure la dureacutee des rideaux est de plus en plus

longue 15 secondes 30 secondes 50 secondes 1 minutes 5 minutes 20 minutes

Cela nrsquoest pas anodin vu que ces dureacutees nrsquoobeacuteissent pas agrave des raisons pratiques

Le dialogue central du premier acte sur la damnation eacuteternelle ndash que Peacuteguy

reprendra dans Le Mystegravere de la chariteacute de Jeanne drsquoArc ndash est en vers reacuteguliers

(alexandrins et parfois octosyllabes) et non en prose comme le texte qui lrsquoentoure

Il est ponctueacute de blancs Drsquoailleurs ce nrsquoest pas tout-agrave-fait un dialogue puisque

Jeannette srsquoadresse pour la premiegravere fois dans cette premiegravere piegravece Aacute Domreacutemy

directement agrave Dieu dans une priegravere audacieuse et deacutesespeacutereacutee Madame Gervaise lui

reacutepond mais Jeannette au deacutebut ne lrsquoeacutecoute pas Elle prie de la mettre en enfer agrave

la place des acircmes qui srsquoy trouvent (OPD 16) Cette priegravere reste inchangeacutee dans le

Mystegravere de la Chariteacute

Le premier silence et le plus long vient apregraves le deacutebut de la reacuteponse de

Madame Gervaise agrave Jeanne

Car si le fils de lrsquohomme agrave son heure suprecircme

Clama plus qursquoun damneacute lrsquoeacutepouvantable angoisse

Clameur qui sonna faux comme un divin blasphegraveme

Crsquoest que le Fils de Dieu savait (OPD 17)

275

Le rythme est briseacute Madame Gervaise semble srsquointerrompre elle-mecircme

absorbeacutee par le silence du savoir douloureux de Dieu qursquoelle voudrait peacuteneacutetrer

pour en rendre teacutemoignage agrave Jeanne

Un silence suit le quatrain suivant qui se termine sur ce vers laquo Jeacutesus mourant

pleura sur les abandonneacutes raquo Peacuteguy laisse le lecteur ou le spectateur partager

lrsquoabicircme de lrsquoabandon qui est muet insonore Puis nouveau quatrain qui se termine

sur ce vers laquo Jeacutesus mourant pleura sur la mort de Judas raquo encore un blanc une

plainte deacutesespeacutereacutee et aphone eacutetouffeacutee Puis la mort de Judas est deacutecrite et un grand

espace vide laisse contempler ce que Jeacutesus sait Suit un tercet agrave la place drsquoun

quatrain Peacuteguy se tait se coupe la parole sur le silence du Dieu tout puissant qui

ne peut pas sauver Judas mecircme en laquo se donnant tout entier raquo

La mort de Dieu est entoureacutee de deux longs silences crsquoest une strophe isoleacutee

laquo Et par pitieacute du Pegravere il eut sa mort humaine raquo

La mort ndash lrsquoultime silence

Puis Peacuteguy revient au vers libre mais de tous ces intervalles qui ont ponctueacute la

parole de Madame Gervaise naicirct la question de Jeanne qui entrant dans un silence

profond a cesseacute de filer Jeanne pose la question de toute la vie de Peacuteguy laquo Qui

donc faut-il sauver Comment faut-il sauver raquo (OPD 18)

Le premier combat de Jeanne pour accepter la volonteacute de Dieu est entoureacute et

ponctueacute de longues pauses puisqursquoil se passe en silence il nrsquoest pas de ces

combats qursquoon entend Ce combat inteacuterieur est une priegravere eacutecrite en alexandrins qui

sont absents du Mystegravere parce que crsquoest la priegravere que Jeannette fait apregraves avoir dit

adieu agrave Madame Gervaise quant au Mystegravere crsquoest le dialogue de Jeannette avec

Madame Gervaise eacutelargi Dans cette priegravere Jeannette dit agrave Dieu son acceptation de

sa volonteacute sa reacutesignation et dans le Mystegravere dix ans plus tard la Jeannette de

Peacuteguy ne se reacutesigne plus Dans ce deacutebut de la trilogie Jeannette dit laquo Et vous avez

raison dans la vie et la mort Sur la terre agrave jamais et dans lrsquoeacuteterniteacute raquo (OPD 21)

Cette priegravere est suivie apregraves de nouveaux silences par un nouveau combat

celui de la priegravere pour le Mont Saint-Michel Et de la reconnaissance pour cette

276

priegravere exauceacutee encore une fois dans un silence profond naicirct la conviction de

Jeanne que la priegravere doit ecirctre le fondement drsquoune œuvre et drsquoune action celle de

libeacuterer la France Ponctueacutee drsquoespaces blancs elle se concreacutetise dans une ardente

priegravere pour que Dieu donne un chef de guerre agrave la France laquo Vaillant comme un

archange et qui sache prier raquo (OPD 23) Dans les blancs qui remplissent ces pages

crsquoest comme srsquoil srsquoagissait de voir lrsquoimage de ce chef de guerre qui se dessine

devenant de plus en plus nette et distincte laquo Qursquoil soit chef de bataille et chef de la

priegravere raquo Puis comme si ces pauses laissaient la place agrave une vision qui srsquoeacutelargit de

plus en plus en allant du Mont agrave toute la France

Mais qursquoil ne sauve pas seulement telle place

En laissant aux Anglais le restant du pays

Dieu de la France envoyez-nous un chef qui chasse

De toute France les Anglais bien assaillis

Puis du chef de guerre agrave tout le peuple franccedilais

Qursquoil marche comme un saint dans la bataille humaine

Et que tous ses soldats soient des saints avec lui (OPD 23-24)

Encore une pause et la vision continue Jeanne parle de laquo Messire le dauphin

devant vous sacreacute roi raquo Et voilagrave que drsquoun immense silence Jeannette voit dans sa

priegravere visionnaire le chef de guerre prier le Notre Pegravere avec le roi et la foule

reconnaissante de franccedilais et les saints martyrs les saints du ciel srsquounir aux saints

guerriers franccedilais Dix ans plus tard dans le Mystegravere de la Chariteacute Peacuteguy fera

lrsquoinverse il deacutebutera le Mystegravere avec un Notre Pegravere eacutelargi mais sans lrsquoentrecouper

de vers reacuteguliers ce qui fera de la priegravere de Jeannette un prolongement tregraves naturel

des paroles de lrsquoEacutevangile

Un peu plus loin dans son action de gracircce Jeannette voit une France sainte

pays de Dieu avec un roi saint comme lrsquoeacutetait saint Louis puis un silence et elle

voit les Franccedilais en croisade dans la Terre Sainte Les silences dans cette longue

priegravere permettent un crescendo une vision qui srsquoeacutelargit drsquoune bataille concregravete agrave

une vision universelle et une reconquecircte de la Terre Sainte Ce sont ces blancs qui

277

laissent le temps et lrsquoespace agrave la priegravere de se deacuteverser au-delagrave de la parole Peacuteguy

utilisera plus tard souvent ce proceacutedeacute

Dans le quatriegraveme acte le silence a souvent la fonction de laisser tout lrsquoespace

au visuel Jeanne deacutecrit les paysans qui deviennent des guerrier et agrave partir de cette

vision entre de nouveau dans la priegravere

Le cinquiegraveme acte de la premiegravere partie de Aacute Domreacutemy consiste tout entier en

une priegravere en alexandrins ougrave Jeanne dit sa reconnaissance agrave Dieu pour les voix des

saintes qursquoil lui envoie puis elle le prie ainsi que saint Michel sainte Catherine et

sainte Marguerite pour leur demander drsquoenvoyer quelqursquoun drsquoautre un autre chef

de guerre (OPD 28-31)

La priegravere de Jeanne ougrave elle accepte sa vocation et prend sa deacutecision est elle

aussi en alexandrins mais elle se poursuit en prose Le silence lagrave encore donne

lrsquoespace neacutecessaire agrave la priegravere dans laquelle lrsquoengagement de Jeanne se concreacutetise

Ponctueacutee par des blancs voilagrave comment sa deacutecision srsquoeacutelabore laquo Je sens qursquoil est

grand temps que je deacutecide aussi raquo puis laquo Moi Jeanne je deacutecide que je vous

obeacuteirai raquo puis laquo Moi Jeanne je suis votre servante agrave vous qui ecirctes mon

maicirctre raquo puis laquo vous mrsquoavez commandeacute drsquoaller dans la bataille jrsquoirai Vous

mrsquoavez commandeacute de sauver la France pour monsieur le dauphin jrsquoy tacirccherai raquo

puis laquo Je vous obeacuteirai jusqursquoau bout raquo et pour finir laquo Je vous promets que je vais

commencer et que je vous obeacuteirai jusqursquoau bout je lrsquoai voulu Je sais ce que jrsquoai

fait raquo (OPD 43)raquo Ce nrsquoest plus un projet crsquoest un engagement qui est pris

Ce texte est une sorte de serment prononceacute non seulement comme une priegravere

dans un cœur-agrave-cœur solitaire avec Dieu mais devant la France toute entiegravere crsquoest

probablement pour cela que Peacuteguy interrompt lrsquoalexandrin afin de terminer en

prose cette affirmation solennelle

La priegravere de Jeanne pour que Dieu lui donne la force drsquoaccomplir sa tacircche est

elle aussi eacutecrite en vers reacuteguliers (OPD 49)

Lrsquoune des rares exceptions ougrave dans la trilogie un texte en vers alexandrins

nrsquoest pas vraiment une priegravere crsquoest la piegravece ceacutelegravebre des laquo adieux agrave la Meuse raquo

278

mecircme si lrsquoon peut encore parler de priegravere dans un sens poeacutetique puisque Jeanne

srsquoadresse agrave la riviegravere agrave sa maison et agrave ses parents mais sans qursquoils puissent

lrsquoentendre (OPD 58-60 72)

Agrave la fin du deuxiegraveme acte la priegravere de Jeanne entrecoupeacutee de silences

exprime son incertitude du silence naicirct alors la demande du pardon qursquoelle

demande drsquoavance au cas ougrave elle ne reacuteussirait pas (OPD 62) Ses adieux agrave la Meuse

sont aussi remplis par de grandes plages de blancs qui laissent le temps agrave Jeanne de

se reacuteinscrire dans lrsquoinstant preacutesent en se projetant dans le futur elle parle drsquoabord

de la Meuse au passeacute avant de revenir au moment actuel laquo Ocirc Meuse ineacutepuisable et

que jrsquoavais aimeacutee raquo puis laquo Ocirc Meuse inalteacuterable ocirc Meuse que jrsquoaimais raquo enfin

laquo Meuse que jrsquoaime encore ocirc ma Meuse que jrsquoaime raquo Contrairement agrave la priegravere le

mouvement nrsquoest pas drsquoeacutelargissement mais se concentre en un point du village de

la Meuse agrave la maison puis agrave la famille enfin agrave sa megravere laquo ocirc consolez maman de

mon absence lente raquo Ce mouvement devient une preacutesence silencieuse qui permet agrave

Jeanne drsquoecirctre deacutejagrave partie en eacutetant encore agrave Domreacutemy et de rester en son cœur avec

sa famille eacutetant partie

Agrave preacutesent loin de vous je vous aime encor plus

Qursquoau temps de la partance ou de la demeurance

Ocirc jrsquoaime eacutetrangement la demeure ougrave je fus

Agrave preacutesent que mon acircme a sa demeure en France (OPD 72)

Les Batailles la seconde piegravece de la trilogie est aussi celle ougrave il y a plus

drsquoaction plus de dialogues avec des reacutepliques bregraveves moins de monologues et

beaucoup moins de priegraveres Elles sont toutes sans exception eacutecrites en vers

alexandrins Les silences nrsquoentrent dans la cadence vive du texte qursquoau moment de

la priegravere de Jeanne La premiegravere fois ils permettent de donner lrsquoespace agrave la gloire de

Dieu laquo Votre gloire emplissait la vaste catheacutedrale raquo (OPD 88) Agrave la fin du

deuxiegraveme acte Jeanne devient non seulement le chef de guerre mais celle qui

intercegravede pour toute la France lrsquoespace de son cœur priant ne peut que srsquoeacutelargir

pour prendre la taille du royaume qursquoelle protegravege et les blancs qui entourent cette

priegravere se font tout aussi larges

279

Mais dans le deuxiegraveme acte apregraves les dures paroles de Gilles de Rais qui dit

que ce ne sont pas les Anglais mais les Franccedilais qui pillent les villages et violent les

femmes la priegravere de Jeanne de nouveaux en alexandrins prend une nouvelle

direction Ce nrsquoest plus une projection dans lrsquoavenir ce sont des souvenirs amers

cadenceacutes de silences or dans ces silences le cœur de Jeanne ne srsquoeacutelargit plus il se

reacutetreacutecit de douleur concentreacute sur ces seuls mots blessants qui empecircchent Jeanne de

prier et de faire la bataille laquo Comment lui commander de le suivre agrave lrsquoassaut Agrave

lui raquo (OPD 136-138)

Dans le quatriegraveme acte quand tout le monde abandonne Jeanne elle fait une

bregraveve priegravere en alexandrins aussi ougrave le texte est de nouveau entoureacute de blancs

mais dans cette priegravere il nrsquoy a plus de mouvement juste une plainte laquo Faut-il

qursquoils fassent tous leur partance de moi raquo (OPD 179)

Dans la troisiegraveme partie des laquo batailles raquo Jeanne prie une derniegravere fois pour

lrsquoavenir elle essaye de voir par ses yeux inteacuterieurs sa rencontre avec le roi et de

lrsquoanticiper mais les silences sont brefs car elle est toute dans lrsquoaction

Dans cette priegravere les alexandrins expriment la supplication de Jeanne

semblable agrave celle drsquoAntigone ougrave elle voit le roi en supplieacute qui pourrait se faire

suppliant comme Œdipe que sa propre supplication rend digne et grand aux yeux

de Peacuteguy Dans sa supplication et son intercession Jeanne repreacutesente le peuple

franccedilais qui srsquoadresse agrave son roi

O mon Dieu donnez-moi la force qursquoil me faut

Pour donner de la force au roi par ma parole

Je lui dirai laquo Messire ayez pitieacute du peuple

Du peuple qui chantait quand vous avez passeacute

Messire ayez pitieacute du peuple qui vous aime

Et qui chantait Noeumll quand vous avez passeacute

laquo Les Anglais outrageux vont commencer lrsquoassaut

Des villes qui srsquoouvraient quand vous avez passeacute

Messire ayez pitieacute des villes qui vous aimenthellip raquo (OPD 193)

280

Dans la troisiegraveme piegravece Rouen il y a peu de priegraveres car elle met en scegravene le

procegraves ce qui laisse peu de place agrave la priegravere Il y a peu de silences aussi Dans cette

piegravece se trouve la deuxiegraveme exception de la regravegle on y trouve un long texte en

alexandrins qui nrsquoest pas une priegravere mais au contraire le discours de maicirctre

Guillaume Evrard sur lrsquoenfer visant agrave effrayer Jeanne (OPD 273-275) Le premier

long silence se trouve juste apregraves le discours de maicirctre Evrard Ensuite la

meacuteditation de Jeanne sur ce discours est aussi ponctueacutee de silences

Jeanne parle longuement si longuement que ses geocircliers lui donnent lrsquoordre de

se taire Ce texte entiegraverement en alexandrins commence comme une lamentation

parle de ses sentiments et de ses peurs elle srsquoadresse de nouveau agrave la Meuse agrave sa

maison agrave sa famille agrave Madame Gervaise en revenant sur tous les lieux et vers

toutes les personnes qui ont eacuteteacute teacutemoins sans le savoir de sa vocation naissante

puis agrave la fin Jeanne srsquoadresse agrave Dieu agrave qui elle demande si les paroles du maicirctre

Evrard qui lrsquoa assureacute drsquoecirctre damneacutee sont vraies (OPD 279-286)

La trilogie se termine par une priegravere qui elle nrsquoest pas en alexandrins sauf le

dernier vers qui contient douze syllabes et pourrait ecirctre consideacutereacute comme tel Elle

rejoint le serment fait agrave la fin de la premiegravere piegravece Aacute Domreacutemy

Mais je sais bien que jrsquoai bien fait de vous servir

Nous avons bien fait de vous servir ainsi

Mes voix ne mrsquoavaient pas trompeacutee

Pourtant mon Dieu tacircchez donc de nous sauver tous mon dieu

Jeacutesus sauvez-nous tous agrave la vie eacuteternelle (OPD 299)

La boucle est boucleacutee Jeanne qui a promis de servir et drsquoobeacuteir lrsquoa fait elle

eacutetait precircte agrave srsquoabandonner aux flammes eacuteternelles pour sauver les acircmes damneacutees

elle sera brucircleacutee sur un bucirccher et sa derniegravere priegravere sera une priegravere pour le salut

universel

Le Mystegravere de la chariteacute de Jeanne drsquoArc est construit diffeacuteremment Le

dialogue de Jeannette et de Madame Gervaise est une oraison et une lectio divina

une meacuteditation sur lrsquoEacutevangile ougrave la religieuse et sa jeune amie contemplent

ensemble la vie de Jeacutesus en vision elles deviennent les teacutemoins de la vie de Dieu

sur terre et deviennent ses contemporaines Les vers libres et les alexandrins se

281

succegravedent sans que Jeannette ou Madame Gervaise srsquoadressent directement agrave Dieu

mais tout le texte est une priegravere Les alexandrins disparaissent toutefois du

dialogue entre Madame Gervaise et Jeannette ougrave celles-ci parlent des disciples de

Jeacutesus qui lrsquoavaient abandonneacute Jeannette ose dire qursquoelle nrsquoen aurait pas fait autant

la meacuteditation cesse et laisse place agrave une discussion animeacutee

Pour ce qui concerne les silences le Mystegravere de la chariteacute est moins

repreacutesentatif parce que dans Les Cahiers de la quinzaine Peacuteguy ne pouvait plus se

permettre de repreacutesenter les laquo blancs raquo sur le papier Il faut se contenter des

didascalies qui indiquent par exemple laquo un assez long silence raquo (OPD 416) au

deacutebut du mystegravere quand Hauviette interrompt la priegravere de Jeannette

Le reacutecit de Jeanne sur les deux enfants mendiants auxquels elle a donneacute agrave

manger est entrecoupeacute de pauses au moment ougrave le reacutecit srsquoeacutelargit de ces deux

enfants agrave toute la France souffrante exprimant lrsquoindignation de Jeannette devant la

guerre et la misegravere selon un proceacutedeacute que nous avons vu dans Jeanne drsquoArc Lagrave

encore le lecteur ou spectateur est inviteacute agrave se repreacutesenter les faits dont parle

Jeannette laquo Les voilagrave repartis sur la route affameuse Dans la poussiegravere dans la

boue dans la faim Dans lrsquoavenir dans la deacutetresse dans lrsquoanxieacuteteacute de lrsquoavenir raquo

(OPD 414) Chaque silence permet de changer de regard de lrsquoeacutelargir drsquoune scegravene

concregravete ndash deux petits mendiants et un peu de pain ndash Jeannette passe agrave tous les

enfants affameacutes agrave la guerre agrave la misegravere agrave la souffrance inexplicable aux bleacutes de

France pieacutetineacutes par les soldats anglais au bleacute dont ont fait le pain au pain qui

devient le Corps du Christ et agrave la vigne qui se fait vin qui deviendra le Sang du

Christ

Dans le Porche du mystegravere de la deuxiegraveme vertu et dans le Mystegravere des saints

Innocents il nrsquoy a pas drsquoalexandrins car ce nrsquoest pas une priegravere adresseacutee agrave Dieu ni

mecircme une meacuteditation sur sa vie crsquoest Dieu qui parle

Les Sonnets du laquo correspondant raquo Les sept contre Thegravebes et les Chacircteaux de la

Loire font exception mais on peut les consideacuterer comme un essai poeacutetique une

forme drsquoentraicircnement Peacuteguy au moment de les composer pensait deacutejagrave aux

282

Tapisseries mais il nrsquoavait plus eacutecrit de vers reacuteguliers depuis 1903 et La Chanson

du roi Dagobert La Tapisserie de sainte Geneviegraveve et de Jeanne drsquoArc est

eacutevidemment une priegravere puisqursquoil srsquoagit drsquoune Neuvaine agrave sainte Geneviegraveve La

Tapisserie de Notre Dame est constitueacutee de plusieurs priegraveres drsquointercession pour

Paris pour la Beauce pour un ami pour soi pour sa famille Sainte Geneviegraveve

patronne de Paris est une priegravere drsquointercession pour Paris adresseacutee agrave sa sainte

patronne

Egraveve enfin qursquoEmmanuel Mounier appelle laquo le poegraveme du monde raquo252 est une

priegravere drsquointercession agrave la Megravere de tous les humains ou souvent Peacuteguy srsquoadresse en

mecircme temps agrave la Megravere de Dieu et ougrave sa voix srsquounit agrave celle de Jeacutesus par le mystegravere

de lrsquoIncarnation fregravere de tous les humains Pauline Bernon [Bruley] commente ainsi

Egraveve dans un article

Peacuteguy reprend une langue mesureacutee par une communauteacute Srsquoil avait donneacute forme et mesure agrave son vers libre il seacutelectionne avec lrsquoalexandrin un laquo moule raquo qui correspond alors agrave toute sa reacuteflexion sur la Citeacute citeacute antique laquo corps de la citeacute de Dieu raquo laquo berceau raquo de lrsquoEmpire du Christ arche de sa preacutesence Lrsquoalexandrin srsquooffre comme un berceau agrave la parole de Jeacutesus Cette langue mesure la voix du Verbe fait chair253

Albert Beacuteguin rappelle que dans Lrsquo laquo Egraveve raquo de Peacuteguy article de Peacuteguy sur son

œuvre dicteacute agrave Joseph Lotte et publieacute sous le pseudonyme de Durel Peacuteguy affirme

que tout dans Egraveve est agrave la premiegravere personne du pluriel mais que le lecteur eacutetonneacute

deacutecouvre plutocirct la premiegravere personne du singulier laquo Jeacutesus parle raquo crsquoest une autre

maniegravere drsquoexprimer lrsquoincarnation et la communion des saints Le laquo je raquo de Jeacutesus

inclut aussi tous ses fregraveres de tous les temps lrsquohumaniteacute entiegravere

Lrsquoune des caracteacuteristiques drsquoEgraveve mise en eacutevidence par Albert Beacuteguin consiste

en la totale absence de narration Cela srsquoexplique drsquoabord par le fait que

lrsquoalexandrin chez Peacuteguy correspond agrave la priegravere qui est rarement narrative mais

aussi par lrsquoimportance pour ce dernier de ne pas entrecroiser la temporaliteacute de

252 MOUNIER Emmanuel PEacuteGUY Marcel IZARD Georges La penseacutee de Charles Peacuteguy Paris Plon 1931 p 151 253 BERNON [BRULEY] Pauline laquo Egraveve laquo inactualiteacute de la forme raquo Europe revue litteacuteraire mensuelle laquo Peacuteguy raquo aoucirct-septembre 2014 92e anneacutee ndeg 1024-1025 p 190

283

Dieu la temporaliteacute de lrsquohistoire de salut les temporaliteacutes des vies de sainte

Geneviegraveve et de Jeanne drsquoArc qursquoil a choisies entre toutes pour ecirctre des exemples

dans lrsquohistoire du salut avec sa propre temporaliteacute Srsquoil devient narrateur il

introduit alors dans le texte sa propre temporaliteacute et sa propre perception des

eacuteveacutenements

Albert Beacuteguin souligne le fait que Egraveve est une priegravere en quelque sorte une

continuation de la Tapisserie de Notre-Dame

De faccedilon tregraves secregravete Egraveve est un interminable chapelet drsquoave mais ougrave lrsquoorant nrsquoadresserait plus ses implorations directement agrave la Megravere ceacuteleste devenue mieux que naguegravere la reine du ciel elle a comme ceacutedeacute son humaniteacute agrave Egraveve agrave a femme finalement aux deux saintes de France Crsquoest en leur intercession que Peacuteguy met son espeacuterance les priegraveres de ce poegraveme srsquoadressent sous forme de salutation agrave Egraveve puis sous forme drsquoimploration de Jeacutesus agrave dieu pegravere et creacuteateur enfin sainte Geneviegraveve et Jeanne drsquoArc sous forme de demande drsquointercession aucune priegravere au Christ ou agrave la sainte Vierge Mais nrsquooublions pas que si une sorte de timiditeacute ou drsquohumiliteacute choisit de prier les intercesseurs ce choix est conforme au sens du poegraveme de lrsquoincarnation Egraveve sainte Jeanne sainte Geneviegraveve prieront avec leur humaniteacute proche de la nocirctre en mecircme temps qursquoavec les meacuterites de leur sainteteacute254

Albert Beacuteguin montre eacutegalement que tous les laquo climats raquo de Egraveve comme Peacuteguy

les deacutesignait sont des priegraveres parfois des intercessions parfois des paraphrases de

lrsquoAve Maria laquo Et le contenu de cette priegravere est toujours le mecircme aveu et

confession de lrsquohumaine deacutetresse puis gracircce agrave cet aveu eacuteleacutevation de lrsquoacircme vers la

seule chose deacutesirable la vue de Dieu raquo255

Le travail poeacutetique de Peacuteguy est un travail sur lrsquoincarnation une recherche de

lrsquouniteacute personnelle et de la communion des saints ougrave le mot est lrsquoinstrument

premier du poegravete pour dire Dieu incarneacute le Verbe fait homme Crsquoest ce qui conduit

Julie Higaki agrave affirmer que laquo La poeacutetique de Peacuteguy est ainsi comme une ultime

reacuteponse agrave sa quecircte centrale celle de lrsquouniteacute de lrsquoecirctre et de la communion drsquoune

veacuteritable uniteacute qui permet agrave la fois lrsquoun et la multitude lrsquouniversaliteacute et la

singulariteacute lrsquoenracinement et la liberteacute raquo256

254 BEacuteGUIN Albert Lrsquo laquo Egraveve raquo de Peacuteguy essai de lecture commenteacutee suivi de documents ineacutedits Paris Cahier de lrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy Labergerie 1948 p 39 255 Ibid p 191 256 HIGAKI Julie Peacuteguy et Pascal Les laquo trois ordres raquo et laquo lrsquoordre du cœur raquo Clermont-Ferrand Presses Universitaires Blaise Pascal 2005 p 305

284

CHAPITRE VI COMMUNION DES SAINTS

La communion des saints est une notion du Symbole des apocirctres qui preacutecise ce

qursquoest lrsquoEacuteglise On le trouve pour la premiegravere fois dans une version du Credo du IVe

siegravecle et elle apparaicirct dans pratiquement tous les Symboles de la foi degraves le VIIe

siegravecle Pierre-Marie Beaude eacutecrit que vers le XIIe siegravecle lrsquoEacuteglise est souvent deacutecrite

comme un laquo corps mystique agrave construire agrave partir de deux corps vrais le corps

scripturaire et le corps eucharistique raquo257 De cette compreacutehension naicirct la reacuteflexion

de saint Thomas drsquoAquin qui dans son commentaire du Credo eacutecrit

Comme dans le corps de lrsquohomme ou celui de lrsquoanimal lrsquoaction drsquoun membre profite au bien de tout le corps il en est de mecircme dans ce corps spirituel qursquoest lrsquoEacuteglise Et comme tous les fidegraveles forment un seul corps le bien de lrsquoun est communiqueacute agrave lrsquoautre Saint Paul eacutecrit aux Romains (12 5) Nous sommes tous membres les uns des autres Crsquoest pourquoi parmi les articles de foi que les Apocirctres nous ont enseigneacutes il se trouve celui-lagrave Il y a dans lrsquoEacuteglise entre les fidegraveles communion des biens crsquoest ce qursquoon appelle La communion des saints 258

Ce terme a trois significations principales

La communion aux choses saintes laquosanctaraquo par les sacrements (surtout

lrsquoEucharistie) et la communion dans une seule et mecircme foi partageacutee

La communion entre les personnes saintes (tous les fidegraveles) laquo sancti raquo par le

partage de biens spirituels la communion des charismes (chacun reccediloit de Dieu des

dons pour les partager avec ses fregraveres) lrsquoamour fraternel

La communion entre lrsquoEacuteglise du ciel et lrsquoEacuteglise de la terre lrsquoEacuteglise triomphante

et lrsquoEacuteglise militante la priegravere pour les deacutefunts et la communion avec eux

lrsquointercession des saints la communion avec les saints

Lrsquoexpression laquo communion des saints raquo contenue dans le Credo deacutesigne agrave la

fois lrsquounion spirituelle entre tous les chreacutetiens et leur union au Christ elle associe

ceux du Ciel (Eacuteglise triomphante) et ceux de la terre laquo (Eacuteglise militante) agrave ceux du

257 BEAUDE Pierre-Marie Saint Paul lrsquorsquoœuvre de meacutetamorphose Paris Cerf 2011 p 137 258 Saint Thomas drsquoAquin Commentaire du Credo Nouvelles Editions Latines 1969 Deuxiegraveme eacutedition numeacuterique [reacutefeacuterence internet] http docteurangeliquefreefr 2008 Consulteacute le 3 septembre 2014

285

Purgatoire (Eacuteglise souffrante) Andreacute Vauchez eacutecrit qursquolaquo Elle exprime le mystegravere de

la communion des justes agrave travers le temps et lrsquoespace raquo259 Il srsquoagit donc en premier

lieu de la communion entre les baptiseacutes de la communion drsquoespeacuterance qui unit les

vivants agrave ceux qui sont morts dans la foi Michel Feuillet dans le Vocabulaire du

Christianisme la deacutecrit comme laquo communauteacute solidaire raquo260 ce qui appelle une

distinction entre communion et communauteacute

Alain Deacutelaunay dans son article sur la Communion dans le Dictionnaire de la

theacuteologie chreacutetienne propose une distinction en preacutesentant la communion comme

ayant une dimension surindividuelle et la communauteacute comme comportant une

dimension transindividuelle

Ce qursquoon entend par communion reacutevegravele une double dimension drsquoaccomplissement spirituel de lrsquoecirctre humain a) une dimension transindividuelle de communauteacute impliquant les notions de partage drsquoeacutechange de reacuteunion de teacutemoignage de service de don de convivialiteacute b) une dimension surindividuelle drsquounion personnelle impliquant les notions de preacutesence de participation de fusion avec le divin drsquoadoration drsquoaccomplissement drsquouniciteacute 261

Pour Peacuteguy le souci de lrsquouniteacute des hommes de leur œuvre commune eacutetait

primordial degraves le tout deacutebut de son engagement politique social et litteacuteraire et il

srsquoest approfondi peu agrave peu

259 VAUCHEZ Andreacute (dir) Dictionnaire des temps des lieux et des figures du christianisme Paris Seuil 2010 p 136 260 FEUILLET Michel Vocabulaire du Christianisme Paris PUF coll laquo Que sais-je raquo Troisiegraveme eacutedition 2000 p 131 261 Encyclopaedia Universalis Dictionnaire de la theacuteologie Chreacutetienne Paris Albin Michel 1998 p 222

286

1 La Citeacute Harmonieuse et le Royaume de Dieu selon Peacuteguy

Peacuteguy srsquoinscrit pleinement dans la tradition socialiste qui suppose lrsquoentreacutee dans

le socialisme par la porte de lrsquoutopie il faut envisager le futur pour creacuteer un

preacutesent Dans Marcel premier dialogue de la citeacute harmonieuse eacutecrit en avril 1898

la description de la citeacute harmonieuse correspond pleinement agrave une vision

eacutevangeacutelique de la vie de la socieacuteteacute du monde Drsquoinspiration fourieacuteriste Peacuteguy va

en quelque sorte plus loin Dans un article des Cahiers Charles Fourier Michel

Guet eacutecrit laquo Peacuteguy fourieacuteriste Drsquoune certaine faccedilon oui nous sommes habitueacutes

(dans nos cahiers agrave nous) de traiter des fourieacuteristes pratiquants ici nous avons tenteacute

de traiter drsquoun fourieacuteriste croyant raquo262 Bien plus tard dans ses textes ouvertement

chreacutetiens Peacuteguy continuera de souligner le lien entre la Citeacute antique et la Citeacute de

Dieu laquo ainsi votre citeacute chreacutetienne votre citeacute baigne dans la citeacute antique raquo (III 633)

dit Clio dans le Dialogue de lrsquohistoire et de lrsquoacircme charnelle La grande diffeacuterence

entre la citeacute de Dieu et le royaume de Dieu crsquoest que le royaume de Dieu est

totalement reacutegi par Dieu sa loi y regravegne deacutejagrave elle y est deacutejagrave pleinement instaureacutee il

ne faut plus de travail de lutte pour que la citeacute dure continue existe pour qursquoelle

se renouvelle sans cesse La citeacute de Dieu nrsquoappartient agrave Dieu que par le choix de ses

citoyens qui deacutecident de vivre selon les lois de Dieu

a) Lrsquoutopie

Mecircme si ce texte ne respecte pas les regravegles du genre litteacuteraire de lrsquoutopie le

Marcel de Peacuteguy en est une contrairement agrave la laquo citeacute de Dieu raquo de saint Augustin

ou agrave la citeacute de Platon parce qursquoelle est une œuvre de la seule volonteacute humaine

La plupart des narrateurs deacutecrivent alternativement et mecircme parfois simultaneacutement un processus de reacuteforme des nouveaux citoyens utopiens et son reacutesultat final Lrsquoideacuteal humain qui inspirait la fondation est devenu la seconde nature des utopiens Et cette seconde nature est souvent une nature retrouveacutee celle de lrsquohomme innocent des commencements [hellip]

262 GUET Michel laquo Peacuteguy socialiste utopique raquo Cahiers Charles Fourier 2006 n 17 en ligne httpwwwcharlesfourierfrspipphparticle357 (consulteacute le 7 octobre 2014)

287

Crsquoest dans les utopies des Lumiegraveres et surtout dans les utopies socialistes du XIXe siegravecle que lrsquohomme utopique est le plus veacuteritablement le produit du gouvernement sage Mais peut-on encore parler laquo drsquohomme raquo utopique dans des socieacuteteacutes ougrave lrsquoindividu socialiseacute srsquoest meacutetamorphoseacute en citoyen [hellip] Le veacuteritable homme utopique crsquoest le citoyen parfait263

Le chemin que fait Peacuteguy dans son œuvre va justement du citoyen parfait agrave

lrsquohomme nouveau de la socieacuteteacute parfaite agrave la communion drsquohommes saints Lrsquoutopie

creacutee un intermeacutediaire entre le recircve et la pratique que Peacuteguy continue en relayant la

pratique agrave la mystique

Agrave peu pregraves en mecircme temps que Marcel en 1897 Peacuteguy a aussi publieacute dans le

numeacutero 152 de La Revue socialiste un article intituleacute De la citeacute socialiste (I 34-39)

Celui-ci est un manifeste eacutecrit au futur Marcel eacutetant entiegraverement reacutedigeacute au preacutesent

Ce ne sont pas une attente et un projet politique qui srsquoexpriment mais une vision

utopique qui peut-ecirctre se voudrait propheacutetique Marcel ou le dialogue de la citeacute

harmonieuse ne correspond pas tout agrave fait au genre de lrsquoutopie ni au genre drsquoun

manifeste politique

Le manifeste est une prise de position et un programme drsquoaction demande

impeacuterative drsquoagir pour rendre possible un autre avenir lrsquoutopie deacutecrit un ideacuteal qui

nrsquoexiste pas dans le preacutesent Mais Peacuteguy est un amoureux de la reacutealiteacute sa citeacute nrsquoest

pas vraiment une citeacute ideacuteale du futur mais plutocirct un monde superposeacute au notre une

reacutealiteacute parallegravele qui peut naicirctre dans les acircmes

Dans Marcel Peacuteguy lance un appel personnel agrave chaque ecirctre humain (qui

srsquoexprime par ailleurs dans un autre texte la deacutedicace de la premiegravere trilogie

Jeanne drsquoArc eacutecrite dans la mecircme peacuteriode)

A toutes celles et agrave tous ceux qui auront veacutecu

A toutes celles et agrave tous ceux qui seront morts pour tacirccher de porter le remegravede au mal universel

En particulier

A toutes celles et agrave tous ceux qui auront veacutecu leur vie humaine

A toutes celles et agrave tous ceux qui seront morts de leur mort humaine pour tacirccher de porter

remegravede au mal universel humain

263 HUGUES Micheline Lrsquoutopie Paris Nathan 1999 p 48

288

Parmi eux

A toutes celles et agrave tous ceux qui auront connu le remegravede

Crsquoest-agrave-dire

A toutes celles et agrave tous ceux qui auront veacutecu leur vie humaine

A toutes celles et agrave tous ceux qui seront morts de leur mort humaine pour lrsquoeacutetablissement de la Reacutepublique socialiste universelle

Ce poegraveme est deacutedieacute

Prenne agrave preacutesent sa part de la deacutedicace qui voudra

Marcel et Pierre Baudouin (I 27)

Le speacutecialiste norveacutegien de Peacuteguy Sven Storelv commente ainsi cette

deacutedicace

Lrsquouniteacute parfaite dans laquelle lrsquoauteur de Jeanne drsquoarc place son espoir de salut se preacutesente comme une forme pure immuable en dehors du temps agrave lrsquoabri du Mal A la fois synthegravese drsquoideacutees drsquoautres civilisations ndash des reacuteminiscences de la citeacute antique probablement aussi de La Reacutepublique de Platon et des eacuteleacutements de lrsquoideacuteal de chreacutetienteacute srsquoassimilant curieusement agrave lrsquoutopie socialiste ndash elle rappelle et preacutefigure celle du Corps Mystique264

Peacuteguy appelle agrave un changement mystique qui srsquoil srsquoopegravere dans la reacutealiteacute rendra

possible la naissance de la citeacute harmonieuse Ce changement ne peut pas ecirctre opeacutereacute

laquo drsquoen haut raquo par des structures de lrsquoeacutetat une autoriteacute quelconque parce que

comme lrsquoexplique Geneviegraveve Decrop laquo Peacuteguy deacuteclare dans les premiegraveres lignes de

De la citeacute socialiste que le gouvernement socialiste doit porter sur les choses et non

sur les hommes raquo265

b) Engagement contre lrsquoexclusion

On en voit la preuve dans la vie de Peacuteguy et surtout dans son travail de geacuterant

des Cahiers de la quinzaine ce nrsquoest pas le manifeste socialiste qursquoil tente

drsquoincarner mais bel et bien les principes fondamentaux de la vie de la citeacute

264 STORELV Sven laquo La vocation de la France chez Peacuteguy et Bernanos raquo PeacuteguyBernanos choix drsquoarticles reacuteunis agrave lrsquooccasion du soixante-dixiegraveme anniversaire de lrsquoauteur le 23 janvier 1993 OsloParis Solum Forlag Socieacuteteacute Nouvelle Didier Erudition 1993 p 19 265 DECROP Geneviegraveve laquo Lrsquoutopie de Charles Peacuteguy raquo Le Porche bulletin de lrsquoAssociation des Amis de Jeanne drsquoArc et Charles Peacuteguy (Russie Pologne Finlande) ndeg 28 nov 1999 p 23-43

289

harmonieuse Geacuteraldi Leroy lrsquoaffirme en srsquoappuyant sur une analyse tregraves preacutecise de

lrsquoutilisation des mots laquo citeacute raquo et laquo citoyen raquo dans De la citeacute socialiste et Marcel ou le

dialogue de la citeacute harmonieuse

Le vocabulaire de Marcel est au contraire marqueacute par sa tonaliteacute spiritualiste Agrave cet eacutegard la comparaison des freacutequences absolues est tregraves reacuteveacutelatrice [] Tout laisse croire que le ressort essentiel de la Citeacute Harmonieuse ne relegraveve pas de la technique eacuteconomique ou organisationnelle mais bien plutocirct drsquoune certaine disposition inteacuterieure (mot speacutecifique de Marcel dans le syntagme vie inteacuterieure) des citoyens 266

Premier principe de la citeacute harmonieuse laquo il ne convient pas qursquoil y ait des

vivants animeacutes qui soient des eacutetrangers raquo Peacuteguy adapte une forme de langage

biblique celui des paralleacutelismes reacutepeacutetitifs pour exprimer la pleacutenitude de lrsquohospitaliteacute

de sa laquo citeacute raquo

Tous les hommes de tous les langages tous les hommes de toutes les cultures tous les hommes de toutes les vies inteacuterieures tous les hommes de toutes les croyances de toutes les religions de toutes les philosophies de toutes les vies [] et ainsi tous les animaux sont devenus citoyens de la citeacute harmonieuse parce qursquoil ne convient pas qursquoil ait des animaux qui soient des eacutetrangers (I 56)

Cette hospitaliteacute universelle ne correspond pas agrave celle de lrsquoEacuteglise officielle du

temps de Peacuteguy ougrave les incroyants les heacutereacutetiques et tant drsquoautres eacutetaient damneacutes

donc exclus de la citeacute crsquoest ce qui retenait Peacuteguy au porche de lrsquoEacuteglise lui qui a

fait de sa vie une lutte contre toutes les formes drsquoexclusion Simone Fraisse rappelle

dans sa thegravese sur Charles Peacuteguy et le monde antique que le bannissement de la citeacute

dans les reacutepubliques de lrsquoAntiquiteacute constituait la peine capitale crsquoest dans cet esprit

que Peacuteguy perccediloit lrsquoexclusion laquo Il faudra que la citeacute antique fasse place agrave la citeacute de

Dieu pour que la deacutechirure se referme pour que le bannissement soit nieacute sinon

comme sanction du moins comme seacuteparation deacutefinitive raquo267

Cette lutte eacutetait au cœur mecircme du projet des Cahiers de la quinzaine Pour

Peacuteguy lrsquooubli mecircme est une forme drsquoexclusion et il se bat pour une cause

absolument utopique il voudrait que les laquo Cahiers raquo parlent des sujets en marges

omis par drsquoautres journaux et revues pour que rien ni personne dans le monde dont

Peacuteguy est contemporain ne sombre dans lrsquoexclusion de lrsquooubli

266 LEROY Geacuteraldi laquo Lrsquoutopie socialiste selon Peacuteguy Eacutetude lexicologique de citeacute et de citoyen raquo Mots octobre 1981 ndeg3 (p23-33) p 28-29 267 FRAISSE Simone Peacuteguy et le monde antique Paris Armand Colin 1973 p184

290

Dans sa communication laquo Peacuteguy et ses correspondants agrave lrsquoeacutetranger raquo Yves

Avril eacutecrit

Dans la citeacute du preacutesent la citeacute bourgeoise lrsquoeacutetranger existe et il existe surtout comme inconnu Faire connaicirctre cet inconnu crsquoest deacutejagrave dans lrsquoeacutetat imparfait de la citeacute poser les premiegraveres pierres de la citeacute ideacuteale Encore faut-il faire connaicirctre cet inconnu de faccedilon deacutesinteacuteresseacutee crsquoest-agrave-dire tel qursquoil est dans le plus profond respect de ce qursquoil est268

Les Cahiers et plus concregravetement ceux que Peacuteguy appelait laquo Cahiers de

courrier raquo (courrier de Russie de Madagascar drsquoArmeacutenie) crsquoest-agrave-dire des

numeacuteros entiegraverement confieacutes agrave des correspondants agrave lrsquoeacutetranger ont pour but de poser

les premiegraveres pierres drsquoune citeacute harmonieuse ougrave il nrsquoy a pas drsquoeacutetrangers drsquointrus

drsquoexclus Ces Cahiers apportaient de maniegravere deacutesinteacuteresseacutee et la plus objective

possible un teacutemoignage sur ceux qui en Europe de lrsquoOuest eacutetaient consideacutereacutes

comme eacutetrangers soit parce qursquoils eacutetaient tout simplement tregraves loin (les victimes du

geacutenocide des Armeacuteniens les ouvriers russes les enfants de Madagascar etc) soit

parce que les contemporains de Peacuteguy eacutetaient habitueacutes agrave se consideacuterer drsquoune

maniegravere ou drsquoune autre supeacuterieurs agrave eux (les peuples coloniseacutes les juifs les

congreacutegations religieuses au temps du combisme ou les pauvres maicirctres drsquoeacutecole

comme le personnage central de Jean Coste)

La reacutevolution et la victoire du socialisme la construction de la citeacute

harmonieuse selon Peacuteguy est impossible lagrave ou persiste lrsquoinjustice ougrave un innocent est

accuseacute drsquoougrave son acharnement dans sa lutte pour le capitaine Dreyfus laquo Aucun

vivant animeacute nrsquoest dans la citeacute harmonieuse comme un banni de la citeacute raquo (I 65)

c) LrsquoEacuteglise et la citeacute

Bien plus tard dans le Dialogue de lrsquohistoire et de lrsquoacircme charnelle Peacuteguy

deacutefinira le problegraveme de lrsquoexclusion comme le problegraveme du laquo seuil raquo en lrsquooccurrence

le seuil de lrsquoEacuteglise La communion ne peut-ecirctre que complegravete il nrsquoy a pas de vraie

communion srsquoil y a un seuil et pourtant il existe un seuil de lrsquoEacuteglise ceux qui ne

268 AVRIL Yves laquo Peacuteguy et ses correspondants agrave lrsquoeacutetranger raquo Cahiers de lrsquoAssociation internationale des eacutetudes franccedilaises 1997 ndeg 49 (p 321-339) p 324

291

peuvent pas le franchir sont appeleacutes laquoles acircmes qui se perdent raquo (III 705) les

peacutecheurs Pendant de longues anneacutees ce seuil constituait aussi un seuil

infranchissable pour Peacuteguy mais dans le Dialogue il reacutesout ce problegraveme en le

deacutefinissant comme un problegraveme historique qui relegraveve de lrsquoadministration inteacuterieure

laquo Lrsquoexcommunication met hors de la communion des fidegraveles Si lrsquoon veut et en un

certain sens mais en un certain sens seulement elle met hors de lrsquoEacuteglise [] Elle

ne met point hors du christianisme raquo (III 706) Oui le citoyen drsquoune citeacute qui en est

chasseacute ne cesse pas drsquoecirctre son citoyen puisque il en est chasseacute selon la loi de cette

citeacute il devient un citoyen chasseacute un citoyen hors les murs de la citeacute mais il reste

citoyen laquo Lrsquoexcommunieacute est chreacutetien puisqursquoil subit preacuteciseacutement les peacutenaliteacutes

chreacutetiennes raquo (III 707)

Le rapprochement entre lrsquoEacuteglise et la Citeacute nrsquoest pas propre agrave Peacuteguy il est agrave

proprement parler eacutetymologique Jean-Daniel Causse le rappelle dans son livre

drsquoentretiens avec Elian Cuvelier

lrsquoecclesia est une notion politique [] lrsquoassembleacutee des citoyens qui gouvernent la citeacute La notion de communauteacute a aussi une dimension politique mais je lui donne un sens plus anthropologique [] La communauteacute pose drsquoembleacutee la question du lien social Qursquoest ce qui donne agrave lrsquohumain le pouvoir drsquoecirctre ensemble sous la forme drsquoun laquo commun raquo crsquoest agrave dire un lien constitutif du social 269

Ce qui fait la particulariteacute de cette citeacute qursquoest lrsquoEacuteglise crsquoest le fait que laquo le

christianisme est indeacuteleacutebile raquo (III 716) on ne peut pas annuler le sacrement du

baptecircme il est pour toujours crsquoest une citeacute dont on peut sortir mais dont on reste le

citoyen pour lrsquoeacuteterniteacute Le pegravere Laurent-Marie Pocquet du Haut-Jusseacute eacutecrit laquo Le

Christ a institueacute lrsquoEacuteglise En terme peacuteguystes il a fondeacute une Citeacute raquo270

Les citoyens de la citeacute harmonieuse aiment la citeacute (la terre la maison les

racines) srsquoaiment les uns les autres sont responsables des plus petits comme les

animaux Ils respectent la nature la terre autrui et plus geacuteneacuteralement la creacuteation

Dans la citeacute regravegnent lrsquoeacutegaliteacute la justice la chariteacute lrsquoharmonie la solidariteacute la

beauteacute le deacutesinteacuteressement Pourtant la maladie lrsquoerreur et mecircme la paresse ne 269 CUVELIER Elian CAUSSE Jean-Daniel Traverseacutee du christianisme exeacutegegravese anthropologie psychanalyse Paris Bayard 2013 p 257 270 POCQUET DU HAUT-JUSSEacute Laurent-Marie Charles Peacuteguy et la moderniteacute essai drsquointerpreacutetation theacuteologique drsquoune œuvre litteacuteraire Perpignan Artegravege spiritualiteacute 2010 p 433

292

sont pas absentes de la cite harmonieuse ce nrsquoest pas une Jeacuterusalem ceacuteleste crsquoest

bel et bien une ville sur terre ses habitants connaissent la souffrance et son

harmonie doit ecirctre faite par les hommes Alors ses citoyens sont de bons ouvriers

Lrsquoeacutenumeacuteration quelque peu exubeacuterante de tous ceux qui feront partie de la citeacute

harmonieuse se veut inclusive large laquo Aucun vivant animeacute nrsquoest banni de la Citeacute

Harmonieuse raquo (I 56) Peacuteguy deacutecrit un paradis comme il voudrait le voir sans

bannis sans condamnation Sauf qursquoagrave cette peacuteriode de sa vie Peacuteguy voit en Dieu

celui qui condamne agrave lrsquoenfer et qui creacutee ainsi la plus odieuse forme drsquoexclusion Par

conseacutequent dans la citeacute harmonieuse il nrsquoy a pas drsquoenfer il nrsquoy a mecircme plus de

Dieu pour condamner personne nrsquoexclut personne la communion semble donc

parfaite

laquo Les citoyens de la citeacute harmonieuse [] aiment du mieux qursquoils peuvent la

citeacute dont ils sont citoyens [] ils sont ensemble concitoyens en la citeacute et [] aiment

de leur mieux les citoyens dont ils sont les concitoyens raquo (I 56) Ils sont donc

conscients de lrsquoentiteacute qui les renferme et qui les reacuteunis en communauteacute Il en va de

mecircme dans lrsquoEacuteglise la communion des saints ou lrsquoamour du prochain mais aussi

lrsquoamour pour lrsquoEacuteglise contribuent agrave la construction et agrave la force du Corps du Christ

Crsquoest lrsquoamour pour lrsquoentiteacute de lrsquoEacuteglise de ses fidegraveles (les saints) qui entrent en

communion qui la cimente

Geneviegraveve Decrop eacutecrit

Chaque acircme devient au mieux ce qursquoelle est raquo voilagrave qui reacutesume le fond de lrsquoutopie de Peacuteguy Crsquoest au principe et agrave lrsquohorizon Non pas la reacutealisation du bonheur collectif ou de lrsquoacircme collective mais un dуvenir rigoureusement personnel agrave chacun271

Ce nrsquoest donc pas seulement une utopie socialiste mais une image de lrsquoEacuteglise

qui se construit par et dans les acircmes des fidegraveles par leur libre arbitre et non par

lrsquoobeacuteissance agrave des lois le controcircle par un systegraveme la loi de lrsquoamour eacutetant un choix

libre La reacutevolte de Peacuteguy envers lrsquoEacuteglise est justement lieacutee avec lrsquoideacutee qursquoune acircme

peut ecirctre envoyeacutee en enfer donc chasseacutee exclue agrave jamais de la communion Dans sa

271 DECROP Geneviegraveve laquo Lrsquoutopie de Charles Peacuteguy raquo opcit

293

premiegravere Jeanne drsquoArc il va loin dans sa lutte poeacutetique contre cette exclusion Dans

la premiegravere piegravece de la trilogie Aacute Domreacutemy Jeanne dit

O srsquoil faut pour sauver de la flamme eacuteternelle

Les corps des morts damneacutes srsquoaffolant de souffrance

Abandonner mon corps agrave la flamme eacuteternelle

Mon Dieu donnez mon corps agrave la flamme eacuteternelle

Un silence

Et srsquoil faut pour sauver de lrsquoAbsence eacuteternelle

Les acircmes des damneacutes srsquoaffolant de lrsquoAbsence

Abandonner mon acircme agrave lrsquoAbsence eacuteternelle

Que mon acircme drsquoen aille en lrsquoAbsence eacuteternelle

(OPD 16)

Douze ans plus tard dans Le Mystegravere de la chariteacute de Jeanne drsquoArc Peacuteguy

reprendra ce texte inteacutegralement crsquoest lrsquoun des fragments de la premiegravere Jeanne

drsquoArc il nrsquoy a pas changeacute un seul mot il en a seulement rajouteacute quelques-uns On

ne peut pas dire que chez Peacuteguy il y a eu une laquoconversionraquo parce que se convertir

voudrait dire renier son passeacute et Peacuteguy nrsquoa jamais rien renieacute Notre Jeunesse eacutecrit

dans la mecircme peacuteriode que le Mystegravere de la chariteacute lrsquoatteste assureacutement Il a veacutecu

bien sucircr comme chaque humain et chaque croyant plusieurs eacutetapes mais ce

nrsquoeacutetaient pas une peacuteriode de deacuteni de la foi et une peacuteriode de retrouvailles crsquoeacutetaient

diffeacuterentes eacutetapes drsquoun dialogue intense avec Dieu sur la souffrance humaine

Dans les dialogues de Jeannette avec Hauviette ou avec Madame Gervaise il

nrsquoy a pas de vrai ou de faux Peacuteguy precircte ses penseacutees et ses sentiments

contradictoires agrave chacun de ses personnages Le jeune Peacuteguy militant socialiste

rejetait dans lrsquoEacuteglise lrsquoideacutee de lrsquoenfer et de la damnation eacuteternelle et comme pour

lui agrave lrsquoeacutepoque tous les dogmes de lrsquoEacuteglise ne faisaient qursquoun et qursquoen vertu du

mecircme principe de reacuteversibiliteacute qursquoil louera tant plus tard il extrapolait

lrsquolaquo exclusion raquo des peacutecheurs agrave toute lrsquoEacuteglise il eacutetait anticleacuterical Le Peacuteguy mucircr du

Mystegravere de la chariteacute reste tout aussi socialiste et sa Jeannette est socialiste aussi

Elle peut toutefois rester reacutevolteacutee comme Peacuteguy lui-mecircme On peut se reacutevolter

contre un dogme sans pour autant rejeter toute lrsquoEacuteglise Et ce nrsquoest que dans les

Notes sur Bergson et sur Descartes que Peacuteguy verra et acceptera le caractegravere

294

reacuteciproque de la laquo damnation raquo ce nrsquoest pas Dieu qui damne crsquoest lrsquohomme qui

rejette Dieu

2 Autour de qui de quoi la communion des saints se construit

elle

laquo La citeacute est harmonieuse en particulier parce qursquoelle a oublieacute ceux qui lrsquoont

preacutepareacutee raquo (I 82) ainsi lrsquoEacuteglise se construit sur le sang des martyr le sacrifice et le

don de soi La communauteacute se constitue pour beaucoup autour drsquoune perte

commune pas autour drsquoun avoir Chez Peacuteguy crsquoest par exemple Dreyfus dont

lrsquohonneur et lrsquoinnocence sont laquoabsentsraquo laquoinconnusraquo il faut les prouver et crsquoest

autour de cette neacutecessiteacute de la preuve de lrsquoinnocence et de lrsquohonneur qursquoil faut

restituer que se construit la laquo communauteacute raquo des dreyfusards Autre perte commune

qui se trouve au centre de la communauteacute chez Peacuteguy Bernard-Lazare autour de

qui se construit la communauteacute justement parce qursquoil il a eacuteteacute totalement oublieacute mal

compris et il est mort tocirct Et lrsquoEacuteglise comme communion des saints est une

laquo Communauteacute du tombeau vide272 raquo selon la belle deacutefinition de Causse une

communauteacute reacuteunie autour de Jeacutesus mort ressusciteacute et monteacute au ciel mdash en mecircme

temps perte et pleacutenitude

La communauteacute peut se construire autour de plusieurs choses le travail qui

devient liturgie une veacuteriteacute agrave eacutelucider une cause agrave soutenir un vide ou un manque

un homme une meacutemoire commune une espeacuterance une attente commune une

aspiration et tout se soude par une relation drsquoamour de chariteacute entre les membres

qui la constituent

272 CUVELIER Elian CAUSSE Jean-Daniel op cit p 260

295

a) Eacutegaliteacute et fraterniteacute

Le grand souci de Peacuteguy ce nrsquoest pas la chimegravere de la presque mythique

eacutegaliteacute mais la fraterniteacute eacutevangeacutelique comme il le dit dans un texte un peu plus

tardif laquo Lrsquoeacutegaliteacute est une chimegravere Il nrsquoy aura jamais drsquoeacutegaliteacute Aussi la fraterniteacute

est neacutecessaire raquo (III 565) Lrsquoeacutegaliteacute deacutecrit notre positionnement par rapport agrave

lrsquoautre on est eacutegaux ou non on se sent eacutegaux ou non mais elle ne change rien

dans notre relation agrave lrsquoautrui il ne srsquoagit pas de lien Plus tard dans un texte

posthume de 1908 Deuxiegraveme eacuteleacutegie XXX Contre les bucirccherons de la mecircme forecirct

Peacuteguy demandera de faire une distinction rigoureuse entre lrsquoeacutegaliteacute et lrsquoeacutequivalence

dans la citeacute (II 968)

Peacuteguy insiste sur les fait que dans la citeacute harmonieuse les biens ne sont pas

partageacutes selon la loi de lrsquoeacutegaliteacute laquo parce que toute eacutegaliteacute a pour condition

neacutecessaire le calcul des valeurs et que nous ne pouvons pas calculer la valeur drsquoun

produit agrave consommer raquo (I 66) ils ne sont pas partageacutes selon la justice pour une

raison similaire ni mecircme selon la chariteacute laquo parce que toute chariteacute suppose un

manque et que la citeacute harmonieuse ne laisse manquer de rien ses citoyens [] Le

partage des produits est fait selon lrsquoharmonie raquo (Ibid) Une harmonie fraternelle La

fraterniteacute nrsquoest pas seulement une position ou une loi elle est un choix relationnel

un choix drsquoamour un choix de reconnaicirctre dans lrsquoautre mon fregravere la fraterniteacute dont

parle Peacuteguy dans Marcel est ce mecircme amour fraternel lrsquoamour du prochain dont il

parlera plus tard dans les laquoMystegraveresraquo ou dans Un nouveau theacuteologien monsieur

Fernand Laudet les citoyens de la citeacute harmonieuse laquo aiment de leur mieux les

citoyens dont ils sont les concitoyens raquo (I 56)

Le lien fraternel est donc un lien moral mais aussi charnel deacutejagrave dans la

description de la citeacute harmonieuse Peacuteguy parle de lrsquoEacuteglise comme le Corps du

Christ qui reacuteunit les chreacutetiens par un lien fraternel La fraterniteacute est un eacutetat drsquouniteacute

elle rassemble plusieurs laquo moi raquo pour faire un laquo nous raquo Plus tard Peacuteguy parlera

aussi de la race commune des racines qui font de nous des branches drsquoun seul et

mecircme arbre

296

b) Lrsquoœuvre commune

Les citoyens de la citeacute harmonieuse bien sucircr travaillent Le travail chez Peacuteguy

est primordial crsquoest une vertu qui permet agrave un homme drsquoatteindre la perfection tout

simplement en faisant son travail le mieux possible mais qui permet aussi de srsquounir

dans une œuvre commune et on ne saurait oublier que les mots laquo œuvre

commune raquo sont la traduction franccedilaise du mot grec laquo Liturgie raquo On le voit

clairement dans les tout premiers textes de Peacuteguy comme Marcel ou le dialogue de

la citeacute harmonieuse ou Pierre commencement drsquoune vie bourgeoise et il le

deacuteveloppe plus tard par exemple dans Un nouveau theacuteologien M Fernand Laudet

ougrave il explique que peu drsquohommes sont appeleacutes au martyre ou agrave la mission publique

mais que chacun a reccedilu laquola commune vocation propre de nous sauver et notamment

nous avons reccedilu la commune loi du travail raquo (III 411) gracircce agrave lrsquoIncarnation par

lrsquoappel la vocation drsquoimiter Jeacutesus agrave Nazareth

Lrsquoimitation apporte un approfondissement du sens du travail par lrsquoIncarnation

qui opegravere un renouvellement de toute la vie humaine en commenccedilant par le plus

ordinaire le plus cacheacute le travail quotidien Par cette opeacuteration tous les

travailleurs du monde qursquoils soient des moines suivant la regravegle du ora et labora ou

des ouvriers dans une usine communistes et incroyants sont unis dans une seule

communion parce que degraves lors laquo lrsquohomme aujourdrsquohui qui travaille est un homme

qui fait comme Jeacutesus raquo (III 412) Par son incarnation en eacuterigeant cette loi du

travail Dieu sanctifie le temps laquo Lrsquohomme qui fait sa journeacutee est bon raquo (ibid) et

tous les humains sont unis dans le temps

Le travail reacuteunit non seulement les travailleurs entre eux mais aussi toute la

creacuteation puisque pour Peacuteguy le travailleur et lrsquoobjet de son travail collaborent laquo la

simple lecture est lrsquoacte commun lrsquoopeacuteration commune du lisant et du lu de

lrsquoauteur et du lecteur de lrsquoœuvre et du lecteur du texte et du lecteur [] Elle est

ainsi litteacuteralement une coopeacuteration une collaboration intime inteacuterieure raquo (III 1007-

1008) Il en va de mecircme pour toute sorte de travail le bois collabore avec celui qui

fait un pied de chaise Cette collaboration reacuteunit aussi les hommes agrave travers le

temps lrsquoespace puisque srsquoil srsquoagit effectivement de lecture lrsquoœuvre peut ecirctre

297

eacutecrite dans un pays lointain plusieurs siegravecles plus tocirct comme le bois pour la chaise

peut aussi provenir drsquoun autre pays et drsquoun autre temps Dans Clio Peacuteguy donne

lrsquoexemple de la chanson Malbrouk srsquoen va-t-en guerre dont la meacutelodie a inspireacute des

paroles agrave Beaumarchais comme agrave Hugo le poegraveme de Beaumarchais eacutetant une

chanson leacutegegravere et le texte de Hugo un texte grave Mais ils sont unis par la mecircme

meacutelodie dans le temps et lrsquoespace

c) Justice justesse et veacuteriteacute ndash centre de la citeacute cœur de la communion

Dans le premier texte des Cahiers de la quinzaine ougrave lrsquoaffaire Dreyfus est

deacutecrite comme sacreacutee bien que le mot ne soit pas prononceacute Textes formant

dossiers Peacuteguy parle drsquoun peuple reacuteuni pour eacuteclaircir une veacuteriteacute individuelle

laquo Dreyfus est innocent raquo (I 1524) Encore plus tocirct dans un petit article publieacute en

1899 agrave La Revue blanche Peacuteguy eacutecrivait agrave propos de lrsquoAffaire qursquoelle suscitait un

eacutelan semblable agrave celui qui portait les deacutefenseurs de la cause des Armeacuteniens lors du

geacutenocide ou ceux qui protestaient contre lrsquooppression de la Finlande agrave la mecircme

eacutepoque laquo Une veacuteritable catholiciteacute de la justice une opinion de la terre habiteacutee est

degraves agrave preacutesent esquisseacutee raquo (I 230)

Cette phrase aurait pu ecirctre eacutecrite dix ans plus tard et faire partie de lrsquoun des

textes ouvertement chreacutetiens de Peacuteguy Elle parle vraiment drsquoune communion des

saints agrave la justice qui illustre une forme de sainteteacute pour notre temps La justice du

royaume de Dieu sert de ciment pour construire une citeacute harmonieuse sur terre

Dans un autre article dans La Revue blanche laquo La Crise du parti socialiste et

lrsquoaffaire Dreyfus raquo (I 209-226) Peacuteguy parle de laquo lrsquoeacutepouvantable extension des

responsabiliteacutes raquo (I 226) Lrsquoaffaire Dreyfus est une affaire sacreacutee preacuteciseacutement parce

qursquoelle est capable de reacuteunir les hommes en leur accordant le don de la

responsabiliteacute humaine crsquoest agrave dire lrsquoessence mecircme de lrsquohumaniteacute Encore une fois

le chemin de lrsquoideacuteal socialiste rejoint le chemin qui conduit vers lrsquoideacuteal de la

communion chreacutetienne

298

Effectivement en 1913 dans LrsquoArgent suite Peacuteguy eacutecrit que le dreyfusisme

laquo eacutetait un systegraveme de liberteacute absolue de veacuteriteacute absolue de justice absolue et drsquoun

ordre spirituel profond raquo (III 943)

Srsquounir autour drsquoune veacuteriteacute autour de la veacuteriteacute crsquoest aussi rester fidegravele agrave la

reacutealiteacute Dans un texte eacutecrit en 1905 mais qui nrsquoa pas eacuteteacute publieacute du temps de Peacuteguy

Heureux les systeacutematiques Peacuteguy oppose les laquo systeacutematiques raquo aux reacutealistes Pour

lui le systegraveme est une uniteacute construite sur lrsquoirreacuteel donc contraire agrave la veacuteriteacute La

communion en revanche se construit sur le reacuteel et sur lrsquoespeacuterance puisque comme

Peacuteguy le dira dans des textes plus tardifs Dieu habite le reacuteel (II 223-310)

3 Enracinement

laquo La citeacute harmonieuse est agrave chaque instant heacuteritiegravere universelle de la citeacute

harmonieuse parce qursquoelle se continue perdurable drsquoinstants en instants raquo (I p 69)

a) Heacuteritage

Lrsquoheacuteritage est un thegraveme important chez Peacuteguy Crsquoest un teacutemoignage de la

durabiliteacute drsquoun lien de sa mateacuterialisation Crsquoest aussi quelque chose qui recreacutee et

incarne la dureacutee De lrsquoEacuteglise aussi on pourrait dire qursquoelle heacuterite eacuteternellement

drsquoelle-mecircme en transmettant la parole de Dieu dont elle est la preacutesence sur la terre

Dans La Tapisserie de sainte Geneviegraveve et de Jeanne drsquoArc Peacuteguy parle de Jeanne

comme drsquoun heacuteritage de Geneviegraveve laquo Recommencer la vie ainsi qursquoun heacuteritage raquo

(OPD 1083) La vie drsquoun saint imite celle du Christ crsquoest lrsquoincarnation de la

Parole par conseacutequent cette vie peut ecirctre recommenceacutee continueacutee par une autre

pour une pleacutenitude de lrsquoIncarnation Lrsquoheacuteritage est aussi le thegraveme central drsquoEgraveve

Jean-Daniel Causse eacutecrit

299

Communitas se deacutecompose en cum crsquoest-agrave-dire laquo avec raquo laquo ensemble raquo et en munus

qui peut prendre le sens de bien de ressource mais aussi de devoir de dette ou

encore finalement de don La communauteacute est constitueacutee par une dette commune ou

un don qui a alors ici le sens de ce qursquoon a reccedilu et qursquoon doit donner agrave son tour donc

transmettre 273

Pour Peacuteguy le caractegravere ininterrompu la succession constituent la garantie de

lrsquohistoire humaine de lrsquohistoire terrestre Sa citeacute harmonieuse heacuterite de tout ce qui

est sain et saint dans la vie qui la preacutecegravede laquo en particulier les anciennes croyances

les anciennes religions les anciennes vies les anciennes cultures les anciennes

philosophies les anciennes vies ont donneacute des sentiments en heacuteritage aux citoyens

de la citeacute harmonieuse raquo (I 76) Les sentiments peuvent devenir un heacuteritage ancien

qui fait vivre quelque chose de neuf une nouvelle harmonie engendreacutee par des

vieux laquo sentiments de santeacute raquo (I 76) Albert Beacuteguin eacutecrit agrave propos de lrsquoheacuteritage

Tous les saints ndash et tous les fidegraveles et tous les peacutecheurs ndash forment agrave travers les acircges une chaicircne continue et cette chaicircne-lagrave agrave la diffeacuterence du temps irreacuteversible se remonte comme elle se descend Vision rassurante aux yeux de celui que tourmentait la hantise drsquoune pente qui ne se remonte jamais Cette chaicircne descendante de lrsquoimitation qui partie de Jeacutesus srsquoen va de saint en saint jusqursquoau dernier peacutecheur mais elle est en mecircme temps la chaicircne montante de la priegravere qui remonte du dernier peacutecheur aux intercesseurs et agrave Jeacutesus Cette image de la double pente Peacuteguy la reprend plusieurs fois parce qursquoelle est proprement pour lui une image salvatrice une vue du monde qui le deacutelivre de la plus torturante de ses penseacutees et qui y substitue la miraculeuse impression drsquoecirctre directement et doublement relieacutee agrave la source de toute vie274

Lrsquoheacuteritage veacutecu ressenti en tant que communion libegravere Peacuteguy de sa hantise de

lrsquoEnfer

La citeacute harmonieuse tout comme lrsquoEacuteglise comme communion de saints ne

laisse pas entrer le peacutecheacute Le sacrement de la confession dans les premiers temps

chreacutetiens ramenait de nouveau le croyant dans lrsquoEacuteglise dont il srsquoeacutetait exclu par le

peacutecheacute lrsquoEacuteglise eacutetant constitueacutee de peacutecheurs mais elle-mecircme sans peacutecheacute Dans Louis

de Gonzague Peacuteguy explique qursquoen tant qursquohabitants de la citeacute humains formant

un certain ensemble (citoyens) nous portons un heacuteritage Au demeurant cet

heacuteritage nous forme et crsquoest ce passeacute que nous faisons vivre en nous comme

273 CUVELIER Elian CAUSSE Jean-Daniel opcit p 258 274 BEacuteGIN Albert La priegravere de Peacuteguy Neuchatel Editions de la Baconniegravere 1942 p 40-41

300

heacuteritiers fidegraveles qui soude la Citeacute Il eacutenumegravere donc et analyse dans ce texte ce qui

constitue notre heacuteritage de citoyens

Nous sommes drsquoabord laquo heacuteritiers autant que nous le pouvons de la culture

antique raquo (II 378) cet heacuteritage permet la reconnaissance de la victoire et surtout

lrsquoinstauration de la paix (et donc de la communion entre les humains) en tant que

reacutesultat ou plutocirct laquo reacuteussite de lrsquoeacuteveacutenement raquo (ibid) Crsquoest justement lrsquoheacuteritage

antique qui doit selon Peacuteguy nous rendre conscient de notre citoyenneteacute et laquo que la

citeacute a une valeur propre [] que lrsquoimmortaliteacute pousseacutee toujours plus loin de la citeacute

est une œuvre une opeacuteration qui est elle-mecircme drsquoun prix parfait raquo (II 379)

Lrsquoheacuteritage antique est important pour Peacuteguy il aime dire que le monde chreacutetien la

citeacute chreacutetienne nrsquoont pas eacuteteacute bacirctis agrave partir de rien mais agrave partir du monde antique

en se fondant sur lrsquoheacuteritage de lrsquoantiquiteacute laquo Crsquoest de la citeacute paiumlenne que fut faite la

citeacute chreacutetienne crsquoest de la citeacute antique que fut faite la citeacute de Dieu et non pas et

nullement drsquoun zeacutero de citeacute raquo (III 1157) Ce qui dans le monde antique est

vraiment tregraves proche du christianisme selon Peacuteguy qui se reacutefegravere agrave Pascal crsquoest le

stoiumlcisme qui preacutefigure en quelque sorte la sainteteacute chreacutetienne les martyrs Mais si

dans lrsquoheacuteroiumlsme la patience et le courage stoiumlcien il y un rejet du monde dans le

martyre il y a un laquo deacutepassement et non lrsquoignorance et un certain meacutepris de ce

monde raquo (III 1373)

Dans un deuxiegraveme temps Peacuteguy parle de lrsquoheacuteritage juif pour lui nous sommes

laquo commensaux des Juifs crsquoest-agrave-dire aujourdrsquohui mangeant agrave la table de la mecircme

citeacute raquo (II 378) Le peuple juif repreacutesente une autre forme pour deacutecrire une uniteacute

une communion la citeacute forme une uniteacute gracircce aux formes exteacuterieures qui la

protegravegent les lois lrsquohistoire autant de murs mateacuteriels ou non La citeacute a son

histoire le peuple comme un ecirctre humain a sa meacutemoire son heacuteritage son

expeacuterience commune son veacutecu commun des eacuteveacutenements sa dureacutee inteacuterieure Peacuteguy

eacutecrit

hellip des anciens et des nouveaux Juifs recevons cet enseignement que le salut temporel

de lrsquohumaniteacute a un prix infini que la survivance drsquoune race que la survivance terrestre

et temporelle drsquoune race que la survivance infatigable et lineacuteaire drsquoune race agrave travers

301

toutes les vagues de tous les acircges que le maintien drsquoune race est une œuvre une

opeacuteration drsquoun prix infini (II 378)

Parce que comme chaque uniteacute entiteacute le peuple subit le danger drsquoune

seacuteparation drsquoune dispersion drsquoune rupture de la dureacutee

Dans un troisiegraveme temps Peacuteguy parle de lrsquoheacuteritage chreacutetien en le preacutesentant

comme une vraie continuation de lrsquoheacuteritage juif et en exhortant agrave recevoir

laquol rsquoenseignement raquo de Pascal selon lequel la perfection seule lrsquoabsence du peacutecheacute

laquo ce qui tient agrave la sainteteacute raquo (II 379) peuvent perpeacutetuer la citeacute laquo On est chreacutetien

parce qursquoon est drsquoune certaine race remontante drsquoune certaine race mystique drsquoune

certaine race spirituelle et charnelle temporelle et eacuteternelle drsquoun certain sang []

Crsquoest une citeacute raquo (III 573-574)

Cette phrase est tregraves importante pour comprendre Peacuteguy Il insiste ici sur le fait

qursquoon nrsquoest pas chreacutetien par conversion On peut peut-ecirctre devenir chreacutetien naicirctre

au christianisme par conversion ou plutocirct par rencontre Mais on demeure chreacutetien

parce qursquoon fait siennes des racines une mystique commune

Pour finir Peacuteguy parle de lrsquoheacuteritage des philosophes celui de Platon qui pour

faire durer la citeacute en appelle agrave la connaissance de la citeacute de ses lois celui de Kant

qui en appelle pour sa part au devoir aux obligations morales

Mais nous demanderons aux anciens que ces obligations morales demeurent belles nous demanderons aux chreacutetiens que ces obligations morales demeurent saintes demeurant charitables aux messianiques nous demanderons qursquoelles demeurent ardentes aux carteacutesiens nous demanderons qursquoelles demeurent distinctes et claires aux bergsoniens nous demanderons qursquoelles demeurent profondes inteacuterieures et vivantes mouvantes et reacuteelles (II 379)

Lrsquoheacuteritage est transmis pas les laquopegraveresraquo et par les maicirctres qui laquo nrsquoexistent nulle

part aussi pleinement aussi complaisamment que dans leur descendance raquo (II 567)

qui ne se comparent pas agrave leurs eacutelegraveves mais donnent tout ce qursquoils ont pour que

lrsquoheacuteritage vive et dure (II 565-575)

laquo Israeumll nous a donneacute le Dieu mecircme Rome nous a donneacute la seule reacutepartition du

monde ougrave ce Dieu pouvait mouler son nouvel empire raquo (III 1230) Dans ce mecircme

texte le fameux Durel (commentaire de Egraveve que Peacuteguy avait dicteacute agrave Joseph Lotte

sous le pseudonyme de Durel) Peacuteguy dira que la citeacute preacutefigure la citeacute chreacutetienne et

302

le citoyen le fidegravele Ainsi dans chaque saint il y a non seulement quelque chose de

la race des prophegravetes bibliques mais laquo comme des eacuteleacutements drsquoune autre gracircce

emprunteacutes aux heacuteros et aux sages raquo (III 1232) de lrsquoAncien testament ainsi que du

monde antique

b) Meacutemoire

Peacuteguy rejette violemment lrsquoideacutee de la succession de lrsquohumaniteacute moderne agrave

lrsquohumaniteacute chreacutetienne ougrave la moderniteacute effacerait et remplacerait ce qui la preacutecegravede

crsquoest-agrave-dire le progregraves

Vaniteacute infinie infinie frivoliteacute du monde moderne Ignorance insouciance oubli meacuteconnaissance amneacutesie de lrsquoeacuteternel Indigne successeur du grand monde helleacutenique Indigne successeur du grand monde chreacutetien Mais indigne preacutedeacutecesseur de quel monde (II 581)

Pour le Peacuteguy de la maturiteacute lrsquoexistence future de la citeacute sa dureacutee deacutepend de la

conscience du passeacute de la reconnaissance de lrsquoheacuteritage il est loin deacutesormais de sa

proposition dans Marcel de fonder une citeacute harmonieuse sur lrsquooubli de ses

fondateurs pour pouvoir construire une nouvelle citeacute harmonieuse il faut savoir se

reconnaicirctre dans ses preacutedeacutecesseurs ses maicirctres Mecircme pour ce qui concerne la

mystique il refuse de nier lrsquoheacuteritage paiumlen la priegravere drsquoAntigone est une vraie

priegravere certes la priegravere chreacutetienne ne peut ecirctre que chreacutetienne et pourtant dans sa

Note sur M Bergson et la philosophie bergsonienne il eacutecrit laquo Rien nrsquoest pur

comme le pli du manteau de la priegravere antique raquo

Un monde nouveau doit srsquoenraciner dans la meacutemoire du passeacute dans les racines

La meacutemoire est un lieu de communion

La laquovoix de meacutemoireraquo (Notre Patrie I 853) de Peacuteguy est laquotregraves exactement immeacutemoriale et elle est la voix drsquoun peuple entier Elle ne lui ordonne pas de reacutepeacuteter ce que faisaient ses ancecirctres elle lui indique ce qursquoils eacutetaient en lui montrant ce qursquoil est [] Le contraire de Barregraves un mecircme sentiment de fideacuteliteacute fervente au lieu de partir du passeacute et drsquoaboutir au moi du preacutesent part du preacutesent gagne et remplit le passeacute275

275 CITTI Pierre Contre la deacutecadence Histoire de lrsquoimagination franccedilaise dans la roman 1890-1914 Paris PUF 1987 p 210

303

Lrsquoavegravenement drsquoune humaniteacute nouvelle ne srsquoeffectue pas selon Peacuteguy par

prolongement ajout ou soudure en effet agrave la maniegravere drsquoune plante laquoelle fait un

appel de segraveve plus profond [] agrave un ressourcement plus profond dans les

communes sources de segraveve de la perpeacutetuellement arborescente humaniteacuteraquo (II 582)

Peacuteguy dit clairement que lrsquoimage de lrsquoarbre dans ce contexte est pour lui bien plus

qursquoune comparaison mais une laquoimitation de la nature par elle-mecircmeraquo (II 582-583)

Lrsquohumaniteacute ne procegravede pas par le soin de ses laquo nouvelles pousses raquo deacutefaillantes

malades ou mourantes elle les laisses mourir en liberteacute et puise plus profondeacutement

dans la terre par ses racines pour qursquoun nouveau bourgeon puisse naicirctre laquo Ainsi

opegraverent et fonctionnent les nations les peuples et les races dans lrsquohumaniteacute raquo (II

586)

Les mondes preacuteceacutedents les mondes dont on peut heacuteriter ont selon Peacuteguy

laquo cette caracteacuteristique essentielle commune qursquoils eacutetaient fermes sur ce qursquoils

avaient agrave cœur [] sur ce qui leur eacutetait eacuteternel raquo (II 1445)

Cela revient agrave dire que pour la construction drsquoun monde temporel qui dure

dans le temps il faut un laquo cœur raquo un centre ancreacute dans lrsquoeacuteternel dans lrsquointemporel

Crsquoest cet eacuteternel cœur solide ce socle qui donnait agrave ce monde une preacutesence une

importance qui pouvaient ensuite ecirctre transmises et reccedilues en heacuteritage Par

exemple pour le monde antique ce socle solide crsquoest la laquo supplication de la

Fataliteacute antique raquo (ibid) Mais surtout selon Peacuteguy crsquoest le peuple le peuple uni

laquo Le peuple seul garantit un heacuteros Le peuple seul garantit le saint Le peuple seul

est assez ferme Le peuple seul est assez profond Le peuple seul est assez terre raquo

(III 432) Ce qui permet le renouvellement lrsquoavegravenement drsquoun monde nouveau ce

ne sont pas le refus le rejet du passeacute mais la naissance dans le monde qui dure drsquoun

geacutenie un heacuteros ou un saint qui par sa vie engendre la nouveauteacute tout en restant

totalement absolument fidegravele laquo ineacutebranlable en tout ce qui eacutetait essentiel de leur

humaniteacute raquo (II 1445) Parce que pour Peacuteguy comme il le dit dans le Dialogue de

lrsquohistoire et de lrsquoacircme charnelle laquo Le geacutenie ne naicirct jamais ne vient jamais trop tard

dans un monde trop vieux Il ignore mecircme ce que crsquoest que tard et ce que crsquoest que

vieillir et vieillissement Il nrsquoest que jeunesse raquo (III 599) Le geacutenie comme le saint

ou le heacuteros appartient agrave lrsquoeacuteterniteacute il permet donc un nouveau deacutebut agrave nrsquoimporte

304

quel moment de lrsquoexistence temporelle Il ne perd pas la meacutemoire mais nrsquoy est pas

soumis il nrsquoest pas conditionneacute par sa meacutemoire il peut lui eacutechapper pour creacuteer du

neuf pour permettre lrsquoeacuteternel avegravenement du nouveau donc de lrsquoespeacuterance

4 Lrsquoacircme commune

Dans Marcel Peacuteguy eacutevoque laquo lrsquoacircme de la citeacute raquo Crsquoest une acircme sans

meacutemoire pour qursquoelle puisse ecirctre libre de tous les laquo mauvais sentiments raquo du passeacute

Ceci est peut-ecirctre le seul point sur lequel la penseacutee de Peacuteguy a radicalement

changeacute au fur et agrave mesure de sa reacuteflexion sur cette question Le jeune Peacuteguy

militant socialiste du temps de Marcel jugeait la meacutemoire comme dangereuse

pour le bon fonctionnement de sa citeacute utopique Lrsquoacircme de la citeacute nrsquoa pas de

meacutemoire parce que la meacutemoire ne peut pas ecirctre seacutelective elle conserve le mauvais

avec le bon et la mauvaise expeacuterience peut conditionner le preacutesent et le futur La

citeacute harmonieuse ne serait pas harmonieuse si elle avait gardeacute la meacutemoire de ceux

qui lrsquoavaient preacutepareacutee Ceux qui la preacuteparent œuvrent sans attendre de

reconnaissance et mecircme de meacutemoire lrsquoabsence de meacutemoire est pour la citeacute un gage

drsquoespeacuterance Lrsquoart pour lrsquoart la science pour la science autant de buts drsquoune activiteacute

qui sont purs Les artistes les philosophes nrsquoont pas drsquoeacutelegraveves parce que la

discipline relegraveve de la meacutemoire et lrsquoart et la philosophie se conccediloivent comme une

reacuteponse directe au reacuteel

Dans son tout dernier texte la Note conjointe sur M Descartes et la

philosophie carteacutesienne Peacuteguy trouvera encore une expression pour deacutesigner la

communion il parle de la laquo catheacutedrale des acircmes raquo (III 1394)

305

a) Le peuple de Dieu

Mais dans Marcel il parle de plusieurs types drsquolaquo acircmes collectives raquo y

compris les laquoacircmes nationaleraquo Plus tard cette ideacutee eacutevolue vers lrsquoideacutee du peuple

comme entiteacute Et avec cette eacutevolution la perception de la meacutemoire chez Peacuteguy se

transforme La meacutemoire devient constitutive de la communion Le peuple ce sont

les habitants drsquoune citeacute mdashet par la citeacute Peacuteguy peut deacutesigner autant une ville qursquoun

pays mdash ougrave les hommes sont lieacutes par une responsabiliteacute commune la citoyenneteacute la

fraterniteacute En tout cas par exemple dans Notre Patrie eacutecrite en 1905 Peacuteguy parle

du peuple de Paris laquopeuple familier et ensemble respectueuxraquo comme drsquoun

ensemble (II 23-24) Il y a chez Peacuteguy une sorte drsquoidentiteacute-peuple il y voit un

ecirctre agrave admirer agrave imiter en mecircme temps qursquoune entiteacute dont il fait partie une

laquo race raquo laquo Comment ne pas imiter ce peuple dont nous sommes que nous sommes

crsquoest-agrave-dire comment ne pas nous imiter nous-mecircme comment ne pas ecirctre de notre

propre race raquo (II 25)

Jean Danieacutelou explique ce que veut dire le mot laquo peuple raquo chez Peacuteguy

Il est donc certain qursquoen parlant de laquo peuple raquo agrave propos du christianisme Peacuteguy a voulu exprimer trois ideacutees la premiegravere que le christianisme nrsquoest pas une secte de purs mais une foule immense de saints et de peacutecheurs la deuxiegraveme que le christianisme nrsquoest pas seulement une adheacutesion personnelle mais aussi une tradition sociale qui se transmet agrave travers la famille la race la nation la troisiegraveme qursquoil nrsquoy a pas de seacuteparation entre religion et civilisation (ce qui est lrsquoerreur des laquo modernes raquo) mais que le temporel a une dimension sacreacutee276

Pour qursquoun homme un peuple puissent continuer drsquoexister en restant en

communion avec ses ancecirctres et ceux qui viendront apregraves il doit vivre agrave lrsquointeacuterieur

de lrsquoeacuteveacutenement dans lrsquoaxe de lrsquohistoire et de la meacutemoire en eacutetant totalement

conscient de sa profondeur et pouvoir laquo remonter la race elle-mecircme [] remonter

le cours drsquoun fleuve raquo (III 1177)

Peacuteguy considegravere le caractegravere classique de la culture franccedilaise comme un heacuteritage vivifiant non comme un deacuteterminisme Crsquoest dans cette perspective qursquoil faut comprendre chez lui le terme de laquo race raquo la France a heacuteriteacute des peuples heacutebreu grec et romain La race est produite par lrsquoaction de lrsquohomme dans lrsquohistoire la gracircce divine vient agrave sa rencontre Ce jeu entre temporel et spirituel est essentiel dans lrsquoideacutee drsquoenracinement chez Peacuteguy Barregraves et lui lrsquoabordent avec une sensibiliteacute parente mais

276 DANIEacuteLOU Jean laquo Le peuple chreacutetien selon Peacuteguy raquo Eacutetudes septembre 1965 (p 175-185) p 182

306

leur compreacutehension des racines diffegravere Pour Barregraves laquo Nous ne sommes pas les maicirctres des penseacutees qui naissent en nous raquo (Scegravenes et doctrines du nationalisme) mais pour Peacuteguy nous en sommes maicirctres parce que les anciens nous ont leacutegueacute la liberteacute de penser Lrsquouniversel se trouve dans lrsquoheacuteritage franccedilais et les ideacuteaux de justice de liberteacute et de fraterniteacute furent reacutepandus par les armeacutees reacutevolutionnaires qui fascinegraverent tant Michelet et Hugo Enfin le couple race-gracircce permet agrave Peacuteguy drsquoeacutelucider lrsquoheacuteroiumlsme corneacutelien Polyeucte raccorde ainsi ciel et terre De mecircme le couple race-gracircce devient le sujet de laquo Booz endormi raquo La gracircce deacutesigne ainsi la creacuteativiteacute heureuse Peacuteguy met en parallegravele la feacuteconditeacute de Booz et celle de lrsquoeacutecrivain sucircr de lui Peacuteguy reconnaicirct en Corneille lrsquoeacutecrivain de la gracircce geacuteneacutereuse Elle est ainsi le gage de la reacuteussite en art le nom cacheacute du classique Peacuteguy critique de lui-mecircme estime avoir accompli son programme dans Egraveve277

La laquo race raquo des derniers textes de Peacuteguy ressemble pour beaucoup agrave lrsquo laquo acircme

commune raquo de la citeacute harmonieuse recircveacutee dans sa jeunesse Crsquoest une tige inteacuterieure

quelque chose de tregraves profond qui reacuteunit tous les vivants de maniegravere inexprimable

Dans la Note conjointe sur M Descartes et la philosophie carteacutesienne il compare

ceux qui ont derriegravere eux une geacuteneacutealogie eacutecrite ou une histoire eacutecrite comme le

peuple juif et lui dont la grand-megravere ne savait ni lire et eacutecrire qui a derriegravere lui

lrsquoanonymat Mais crsquoest dans cet anonymat qursquoil trouve ses racines sa race est

anonyme mais crsquoest une race aux racines profondes qui nourrissent bien son arbre

ces racines sont anonymes mais elles sont solides et nourrissantes

Pourquoi ne pas le dire il srsquoenfonce avec orgueil dans cet anonymat Lrsquoanonyme est son patronyme [] Ainsi notre homme ne veut ecirctre qursquoun arbre dans cette immense forecirct un eacutepi commun dans cette immense moisson Un citoyen de lrsquoespegravece commune un chreacutetien de la commune espegravece [] Et un peacutecheur de la plus commune espegravece [] ainsi il ne sait rien de cette immense race [] sinon que crsquoest de la chreacutetienteacute Et il srsquoenfonce avec joie dans cette eacutenorme anonymat (III 1299-1300)

La race de Peacuteguy ne lui a point laisseacute de paroles de textes drsquoeacutecrits Mais il sait

que laquo la lettre tue raquo (2 Cor 3 6) que laquo dans la lettre eacutetait lrsquoappareil mecircme de la

mort raquo (III 1305) parce qursquoelle fixe or la fixation en appelle agrave la reacutepeacutetition et

donc au deacuteclin au vieillissement Mais il a reccedilu un heacuteritage de la loi du travail de la

vertu du travail et drsquoune meacutemoire silencieuse laquo Et cette silencieuse race est le seul

eacutecho que nous puissions percevoir du silence premier de la creacuteation raquo (III 1304) La

race est pour Peacuteguy laquoune exigence drsquoirreacutevocable fideacuteliteacute [] Se deacutegager se

277 BERNON[-BRULEY] Pauline laquo Peacuteguy critique lrsquoenvers du tragique raquo Revue drsquohistoire litteacuteraire de la

France 32005 (vol105) p 573-586

307

deacutecharger de sa race crsquoest trahirraquo278 Il y a aussi un mot qui revient souvent chez

Peacuteguy agrave propos de la race celui de laquo responsabiliteacute raquo

Responsabiliteacute de son salut et du salut des autres dans une histoire dont la temporaliteacute

est spirituelle Responsabiliteacute vis-agrave-vis des siens qui oblige Bernard-Lazare agrave se

charger du fardeau de son peuple Responsabiliteacute tregraves simple et concregravete du fils agrave qui

on transmet un heacuteritage dont il est comptable et plus encore du pegravere envers le fils279

Lrsquoespeacuterance crsquoest lrsquoattente drsquoun nouvel avegravenement ce qui renouvelle crsquoest la

venue drsquoun heacuteros drsquoun geacutenie drsquoun saint de quelqursquoun qui brise lrsquohabitude qui

deacutefie la meacutemoire et lrsquohistoire qui reste dans la race et lrsquoheacuteritage mais non dans la

reacutepeacutetition Cette attente est assouvie Peacuteguy croit fermement que laquo les saints

rejailliraient toujours raquo (III 1327)

laquo [toute] lrsquohumaniteacute est comme un [seul] homme qui vieillit raquo eacutecrit Peacuteguy

dans un texte posthume de 1907 Un poegravete lrsquoa dit (II 868) Mais peu de temps

apregraves dans lrsquoun des brouillons du Mystegravere de la chariteacute de Jeanne drsquoArc il fait dire

agrave Jeannette cette priegravere laquo Que toute chreacutetienteacute marche comme un seul homme raquo

(OPD 617) lrsquohomme agrave lrsquoimage duquel cette chreacutetienteacute chaque homme chaque

femme a eacuteteacute creacuteeacute Les saints reacuteunis forment lrsquoEacuteglise comme Corps du Christ

puisque chaque saint dans sa particulariteacute peut preacutesenter une facette du Christ

Dans le Mystegravere de la chariteacute de Jeanne drsquoArc on ne peut pas vraiment dire que

Peacuteguy est contre Madame Gervaise ou Hauviette il fait de Jeanne son alter ego

mais pour lui Madame Gervaise et Hauviette repreacutesentent aussi des faces du Christ

des chemins vers la sainteteacute diffeacuterents du chemin choisis par Jeannette mais tout

aussi leacutegitimes

b) lrsquoEacuteglise ndash corps mystique du Christ

Deacutejagrave dans les textes des premiers chreacutetiens lrsquoEacuteglise apparaicirct comme Corps du

Christ dans les Odes de Salomon comme fraterniteacute chez saint Cleacutement de Rome

278 CITTI Pierre opcit p 211 279 Ibid p 212

308

unie agrave lrsquoimage de la Triniteacute chez Tertullien autant de deacutefinitions qui parlent de lien

mystique de communion Origegravene parle de lrsquoEacuteglise comme drsquoune socieacuteteacute il la

deacutefinit comme assembleacutee peuple citeacute de Dieu sur la terre donc comme une

communauteacute Un peu plus tard les deux images celles de la Citeacute de Dieu et celle du

Corps du Christ se retrouvent chez saint Basile le Grand puis chez Saint Augustin

Peacuteguy ose eacutelargir les images qui traditionnellement chez les Pegraveres des premiers

siegravecles du christianisme deacutecrivent lrsquoEacuteglise pour les appliquer agrave la chreacutetienteacute entiegravere

et mecircme agrave toute lrsquohumaniteacute Parmi les Pegraveres de lrsquoEacuteglise celui qui se trouve au plus

pregraves de la penseacutee de Peacuteguy crsquoest saint Greacutegoire de Nazianze il dit que le but de

lrsquoIncarnation crsquoest que chaque chreacutetien en son moi personnel en imitant le Christ

peut rejoindre lrsquouniteacute de son Corps Cette imitation est notamment possible gracircce

aux fecirctes chreacutetiennes qui permettent drsquoincarner un passeacute demeureacute vivant dans le

preacutesent par la participation agrave une remeacutemoration commune une forme drsquoimitation

particuliegraverement chegravere agrave Peacuteguy qui mecircme dans sa peacuteriode soi-disant anticleacutericale

pouvait indiquer le saint du jour sur un texte publieacute dans les Cahiers de la

quinzaine Les deux formes drsquouniteacute se rejoignent chez saint Ambroise de Milan qui

parle drsquoune communauteacute de fregraveres qui sont unis dans un mecircme corps de lrsquoEacuteglise

gracircce agrave leur union mystique au Christ280

Dans Un poegravete lrsquoa dit Peacuteguy cherche agrave comprendre la loi commune qui reacutegit

toute lrsquohumaniteacute et qui comme les lois de la nature la megravene vers la vieillesse et

srsquoefforce de trouver le remegravede agrave ce deacuteclin qui semble imminent Il le trouve dans

lrsquoeacutecoute mutuelle dans la reconnaissance de lrsquoautre autrement dit dans la

communion Pour reconnaicirctre entendre lrsquoautre il faut que chaque homme chaque

peuple chaque race chaque nation chaque culture ait une voix que chacun fasse

reacutesonner sa voix laquo la reacutesonance unique et temporellement inimitable de sa voix

dans le concert universel raquo (II 870) Ce concert serait une sorte drsquo laquo image

imparfaite de lrsquoeacuteterniteacute raquo (ibid) ou chacun parle chante reacutesonne agrave son tour dans

son temps laquo agrave tel point de lrsquoeacutecoulement de la dureacutee agrave tel moment de la vie du

monde agrave tel point de ce que nous avons nommeacute [] lrsquoeacuteveacutenement raquo (ibid) Un 280 Voir DUJARDIER Michel Eacuteglise-fraterniteacute lrsquoeccleacutesiologie aux huit premiers siegravecles LrsquoEglise est laquo fraterniteacute en Christ raquo (IV-V siegravecles) Paris Cerf 2016

309

concert nrsquoa de sens que srsquoil est eacutecouteacute entendu Ce concert reacutesonne pour que

lrsquohumaniteacute se reconnaisse dans lrsquoeacutecoute mutuelle en entendant la voix de chaque

eacuteveacutenement dans le temps et dans la dureacutee un eacuteveacutenement entendu peut ecirctre heacuteriteacute

donner une suite une continuiteacute laquo cette nation ce peuple cette culture p[euvent]

[] prendre une certaine connaissance drsquoun autre homme drsquoun autre peuple drsquoune

autre race drsquoune autre culture entendre au moins un eacutecho tant soit-il affaibli drsquoune

autre voix raquo (II 871)

Cette eacutecoute peut ecirctre appeleacutee meacutemoire meacutemoire organique drsquoun peuple

meacutemoire de lrsquoeacuteveacutenement moment laquo eacuteternellement temporel raquo dans la dureacutee Peacuteguy

compare lrsquoexistence drsquoune race drsquoun peuple dans la dureacutee agrave un corps dont le

mouvement serait lrsquoeacuteveacutenement ou agrave une tige ougrave les eacuteveacutenements sont des nœuds

laquo Et toute la tige de toute la plante a organiquement la penseacutee toujours preacutesente la

meacutemoire organique de lrsquoeacutepi temporel qui viendra raquo (II 882) Anne-Marie Thiesse

eacutecrit laquo Le Peuple [hellip] tient surtout le rocircle de fossile vivant garant de la

reconstitution des grands ancecirctres raquo Et elle preacutecise un peu plus loin qursquoelle parle

surtout des paysans pour les mecircmes raisons que Peacuteguy eacutevoquant le lien agrave la terre

Peuple ndash il est deacutesormais clairement speacutecifieacute qursquoil srsquoagit de la paysannerie ndash parce qursquoil est tout pregraves du sol est lrsquoexpression la plus authentique du rapport intime entre une nation et sa terre du long faccedilonnage de lrsquoecirctre national par le climat et le milieu Lrsquoacircme de la terre natale aussi bien que le geacutenie ancestral srsquoincarnent dans le Peuple des campagnes281

Peacuteguy preacutefegravere la meacutemoire agrave lrsquohistoire parce que lrsquohistoire eacutetudie classe

analyse le passeacute en demeurant agrave lrsquoexteacuterieur tandis que la meacutemoire est en dialogue

donc en communion avec le passeacute elle le fait vivre dans le preacutesent et assure la

peacuterenniteacute Crsquoest la meacutemoire qui creacutee la dureacutee la longue vie drsquoune acircme ou drsquoun

peuple Lrsquohistoire laquo privileacutegie lrsquoinscription au deacutetriment de la remeacutemoration raquo

(III 1177) mais crsquoest cette derniegravere qui fait revivre et qui creacutee la communion Dans

la meacutemoire il y a aussi une promesse et donc une espeacuterance

281 THIESSE Anne-Marie La Creacuteation des identiteacutes nationales Europe XVIIIe-XXe siegravecle Paris Seuil 2001 p 161

310

c) Lrsquoespeacuterance

Lrsquoespeacuterance est aussi un facteur un opeacuterateur de communion On espegravere en

Dieu ses saints en nos amis ou dans les geacuteneacuterations futures nos enfants nos

eacutelegraveves nos successeurs on espegravere en eux mais aussi pour eux laquo Deacuteconcertante

espeacuterance que ces malheureux srsquoacharnent agrave placer dans drsquoautres malheureux Cette

confiance cette sorte de creacutedit cette espeacuterance qursquoils se font de geacuteneacuteration en

geacuteneacuteration raquo (III 1115) cette confiance cette espeacuterance srsquoexpliquent par le seul

fait qursquoelles sont adresseacutees agrave ceux qui viendront plus tard apregraves mais laquo ces autres

seront leurs fils seront des nouveaux seront des successeurs et des heacuteritiers raquo

(III 1116) Lrsquoespeacuterance inconseacutequente de cet homme de quarante ans (ici bien sucircr

Peacuteguy parle de lui-mecircme) qui sait que laquolrsquoon nrsquoest pas heureux raquo (III 1133) que nul

homme nrsquoa jamais eacuteteacute heureux sur cette terre mais qui espegravere quand mecircme le

bonheur pour ses enfants

Peacuteguy appelle lrsquoacte drsquoespeacuterance laquo cette rage de vouloir faire [] de lrsquoeacuteternel

avec du temporel raquo (ibid) cet acte creacutee une communion entre les siegravecles une ligne

de la dureacutee parce que le temporel est toujours discret mais la ligne de dureacutee

eacuteternelle est une ligne ininterrompue Crsquoest justement le sentiment drsquoecirctre proteacutegeacute

par les saints du passeacute ceux du preacutesent et les saints du futur que Peacuteguy appelle la

communion des saints

La communion des saints procegravede drsquoune eacuteterniteacute de la reacuteelle eacuteterniteacute Elle peut ensuite se distribuer dans les temps et notamment dans et entre les passeacute(s) preacutesent et futur(s) [] elle nrsquoen demeure pas moins eacuteternellement et reacuteellement une et communion Et en un sens indivisible et indiviseacuteeraquo (III 1123-1124)

Reacuteneacute Johannet fait un long reacutecit de son entretien avec Peacuteguy ougrave ce dernier lui a

raconteacute un conte qursquoil recircvait drsquoeacutecrire mais ne lrsquoavait pas fait parce qursquoil disait qursquoil

fallait ecirctre heureux pour le faire Ce conte donne justement un exemple de la

protection des saints et de la vie dans la communion des saints telle que Peacuteguy la

concevait

Crsquoest lrsquohistoire drsquoun homme qui a eacuteteacute pendant plusieurs jours drsquoaffileacutee proteacutegeacute

drsquoun terrible peacutecheacute par les saints du jour parce que chaque jour en regardant le

calendrier pour eacutecrire la date en tecircte drsquoune lettre qui lrsquoaurait meneacute au peacutecheacute il

311

voyait aussitocirct le saint du jour indiqueacute dans le calendrier Johannet rapporte les

propos de Peacuteguy laquo Mais il faut que je vous apprenne que cet homme qui

srsquoennuyait avait une manie Une manie quand il eacutecrivait Il ne pouvait regarder la

date sans regarder en mecircme temps le saint du jour raquo282 Donc dans un accegraves terrible

drsquoennui lrsquohomme sort son papier agrave lettre regarde le calendrier voit que crsquoest la

saint Louis il se dit alors qursquoil ne va pas commettre de grand peacutecheacute le jour de la

fecircte drsquoun si grand saint mais que ce nrsquoest que partie remise Le lendemain crsquoest la

Saint Zeacutephyrin et lrsquohomme qui srsquoennuie encore beaucoup deacutecide drsquoeacutecrire la lettre

Mais voilagrave que le saint du jour lui apparait et lrsquoapostrophe seacutevegraverement

Mais voilagrave tout agrave coup un petit bonhomme qui lui saute sous le nez en coup de vent vous savez en grec le zeacutephyr quel vent terrible crsquoest un petit bonhomme tout ne colegravere tout rouge de colegravere qui lui dit laquo Alors crsquoest comme ccedila Hier tu nrsquoas pas oseacute commettre ton gros peacutecheacute parce que crsquoeacutetait saint Louis et aujourdrsquohui tu trsquoapprecirctes agrave le commettre parce que crsquoest saint Zeacutephyrin Crsquoest du propre Crsquoest du joli 283

Lrsquohistoire continua ainsi tous les jours alors que lrsquohomme srsquoeacutetait enfui agrave la

campagne les saints patrons du lieu ougrave il srsquoeacutetait retireacute sont intervenus agrave leur tour Et

tout cela dura laquo tant et si bien qursquoil ne put commettre son gros peacutecheacute La socieacuteteacute de

tant de saints lui fut profitable agrave ce point qursquoil ne srsquoennuya plus et ne songea mecircme

plus agrave le commettre raquo284 Cet homme srsquoest retrouveacute dans la communion des saints

qui lrsquoont deacutelivreacute de lrsquoennui et de la solitude

Crsquoest tregraves certainement de lui-mecircme que Peacuteguy parlait alors de la lettre

drsquoamour agrave Blanche Raphaeumll qursquoil nrsquoa finalement jamais eacutecrite Reneacute Johannet

poursuit laquo Rien de ce qui touchait les saints ne laissait Peacuteguy indiffeacuterent il

songeait souvent agrave eux raquo285

Le pegravere Auguste Valensin en commentant ce conte eacutecrit

Ce que Peacuteguy aurait voulu deacutemontrer dans ce conte crsquoest que comme il nrsquoy a pas un lieu sur la terre qui ne soit le point de croisement drsquoune longitude et drsquoune latitude il nrsquoy a pas non plus un lieu dans lrsquoespace ni une minute dans le temps ougrave le chreacutetien ne soit sous la protection des saints

282 JOHANNET Reacuteneacute Itineacuteraires de spirituels Paris Nouvelle Librairie Nationale 1921 p 145 283 Ibid p 147 284 Ibid p 152 285 Ibid p 152

312

Ce conte teacutemoigne drsquoun esprit profondeacutement chreacutetien Avec sa grosse imagerie populaire il montre que Peacuteguy avait laquo reacutealiseacute raquo le dogme infiniment consolant de lrsquoentraide spirituelle qui unit ceux de la terre et ceux du ciel286

Lrsquoeacuteternel commencement lrsquoeacuteternel renouvellement lrsquoeacuteternel avegravenement de

lrsquohistoire dont Peacuteguy parle dans tous ses textes de 1912-1914 ne la divise pas ne

rompt pas la communion parce que ces deacutebuts temporels font partie drsquoune dureacutee

Dans Le Porche du mystegravere de la deuxiegraveme vertu Peacuteguy eacutecrit laquo Or la petite

espeacuterance est celle qui toujours commence Cette naissance perpeacutetuelle Cette

enfance perpeacutetuelle raquo (OPD 649)

d) Lrsquoordre et la dureacutee

Lrsquoordre creacuteeacute par la forme et le rythme est aussi lrsquoun des facteurs de

communion Un ensemble se tient dans une forme mais une forme a toujours des

frontiegraveres par conseacutequent il y a ceux qui sont agrave lrsquointeacuterieur et ceux qui se trouvent

agrave lrsquoexteacuterieur Or Peacuteguy nrsquoadmet pas lrsquoexclusion Le rythme creacutee des liens internes

qui permettent de garder une forme un ensemble sans construire de frontiegravere

rigide

Pauline Bernon [Bruley] eacutecrit

En 1913 lrsquoalexandrin est ainsi pour Peacuteguy la langue de la tradition mais sa signification deacutepasse et accomplit lrsquoheacuteritage Peacuteguy reprend une langue mesureacutee par une communauteacute Srsquoil avait donneacute forme et mesure agrave son vers libre il seacutelectionne avec lrsquoalexandrin un laquo moule raquo qui correspond alors agrave toute sa reacuteflexion sur la Citeacute citeacute antique laquo corps de la citeacute de Dieu raquo laquo berceau raquo de lrsquoEmpire du Christ arche de sa preacutesence Lrsquoalexandrin srsquooffre comme un berceau agrave la parole de Jeacutesus Cette langue mesure la voix du Verbe fait chair287

Chez Peacuteguy il y a cette ideacutee du carreacute sacreacute lrsquoamour de la marche rythmeacutee et

surtout ses interminables alexandrins qui creacuteent un ensemble organique une uniteacute

litteacuteraire dans un texte sans forme deacutefinie comme lrsquoEgraveve Dans Egraveve Peacuteguy deacutecrit les

femmes crsquoest-agrave-dire Egraveve Marie et toutes les autres femmes comme celles qui

286 VALENSIN Auguste Regards sur Leacuteonard de Vinci Peacuteguy Valeacutery Claudel tII Paris Aubier 1955 p 166 287 Pauline Bernon[-Bruley] Egraveve laquo inactualiteacute de la forme raquo in Europe revue litteacuteraire mensuelle laquo Peacuteguy raquo aoucirct-septembre 2014 92e anneacutee ndeg 1024-1025 (p185-194) p190

313

rangent et gracircce agrave qui rien nrsquoest perdu agrave la communion parce que ce qui est rangeacute

ce qui existe dans un ordre une forme un rythme ne se perd plus laquo Vous qui

savez ranger vigilante bergegravere et compter les brebis et les jeunes agneaux raquo

(OPD 1203) Bien rangeacutee bien gardeacutee aucune brebis ne sera perdue

Serguey Averintsev eacutecrivait que le rythme par sa promesse de reacutepeacutetition qui

donne une forme un contenant agrave un contenu mecircme anarchique peut servir de

theacuteodiceacutee288 Peacuteguy aime lrsquoexemple de lrsquoarbre laquo cette dure eacutecorce rugueuse et ces

branches qui sont comme un fouillis de bras eacutenormes (un fouillis qui est un ordre)

et ces racines qui srsquoenfoncent et qui empoignent la terre comme un fouillis de

jambes eacutenormes (un fouillis qui est un ordre) raquo (OPD 781) Le rythme est une

expression de lrsquoespeacuterance parce qursquoil nous force agrave attendre la mesure suivante il

contient une promesse

5 LrsquoEacuteglise ndash communion des saints

laquo Communion des saints mdash liaison mystique des saints entre eux raquo (III 398)

Dans Un nouveau theacuteologien monsieur Fernand Laudet Peacuteguy donne sa

deacutefinition de la communion des saints

la communion des saints est en un de ses sens preacuteciseacutement cette saisie directe que nous avons nous chreacutetiens non seulement des saints du quinziegraveme siegravecle mais ensemble des saints de tous les siegravecles et autant que de tous autres des saints du premier siegravecle et ensemble eacuteminemment de Jeacutesus par la priegravere et par les sacrement par la gracircce par les meacuterites de Jeacutesus-Christ et des saints cette saisie immeacutediate instantaneacutee intemporelle eacuteternelle sans avoir agrave nous faire aucune archeacuteologie drsquoacircmehellip (III 456-457)

La communion des saints permet de ne pas prendre garde au temps de voir

instantaneacutement tous les temps devant soi et pourtant de se situer pleinement dans

lrsquohistoire Andreacute Robinet eacutecrit

288 Аверинцев Сергей laquoРитм как теодицеяraquo Новый Мир 2001 2 стр65-72 (AVERINTSEV S laquoLe rythme comme theacuteodiceacutee raquo Novyj Mir 2001 ndeg2) p 65-72

314

Mais ce qui rend cette communion indivisible et eacuteternelle ce qui permet de

reacuteunir les chreacutetiens eacuteloigneacutes geacuteographiquement ou temporellement crsquoest qursquoelle a

une seule source Dieu Crsquoest lui qui constitue la source de toute uniteacute de toute

communion

a) Eacuteglise triomphante Eacuteglise militante Eacuteglise souffrante

Dans lrsquoEacuteglise triomphante le royaume des cieux ougrave habitent les saints il y a

aussi une communion parfaite et lrsquoEacuteglise triomphante est en communion avec

lrsquoEacuteglise militante (les fidegraveles vivants sur la terre) et lrsquoEacuteglise souffrante (les acircmes du

purgatoire) laquo Telle est la communion telle est la vie des trois Eacuteglises vivantes raquo

(OPD 462) Le signe le plus visible de cette communion dont parle Peacuteguy ce sont

les voix de Jeanne Le fait qursquoelle entende les voix de saint Michel sainte Catherine

et sainte Marguerite teacutemoigne de lrsquoentente drsquoune sorte drsquoamitieacute de ces saintes entre

elles et de leur amitieacute pour Jeannette qui deviendra aussi une sainte et fera partie de

lrsquoEacuteglise triomphante Les visions pour Peacuteguy sont laquo des communications des

communions des saisies directes raquo (III 471) par lesquelles Dieu srsquoadresse agrave ses

creacuteatures et lrsquoEacuteglise triomphante rencontre lrsquoEacuteglise militante Parce que les saints

sont lieacutes aux peacutecheurs par laquo une liaison de communion raquo (III 572) les pecirccheurs

font aussi partie de la chreacutetienteacute de la communion des saints (dans le sens ougrave

chaque membre de lrsquoEacuteglise est un saint) qursquoest lrsquoEacuteglise

Le pecirccheur ensemble avec le saint [] est du systegraveme de chreacutetienteacute [] Le peacutecheur donne la main au saint puisque le saint donne la main au pecirccheur Et tous ensemble lrsquoun par lrsquoautre lrsquoun tirant lrsquoautre ils remontent jusqursquoagrave Jeacutesus ils font la chaicircne qui remonte jusqursquoagrave Jeacutesus une chaicircne aux doigts indeacuteliables Celui qui nrsquoest pas chreacutetiens [] crsquoest celui qui ne donne pas la main (III 573)

On revient au refus de lrsquoexclusion tellement insistant chez Peacuteguy de cette

communion personne ne peut ecirctre exclu srsquoil ne la refuse pas lui-mecircme en refusant

de laquo donner la main raquo

Pour Peacuteguy certains saints entrent deacutejagrave de leur vivant dans lrsquoEacuteglise

triomphante puisque leur vie et leur martyre constituent deacutejagrave un triomphe laquo Leur

militation est deacutejagrave triomphe raquo (III 1391) Il deacutecrit la relation entre des saints qui

315

vivaient agrave des siegravecles de distance lrsquoun de lrsquoautre comme une amitieacute ils peuvent agir

et marcher ensemble venir en aide lrsquoun agrave lrsquoautre lrsquoune agrave lrsquoautre Deacutejagrave dans la

premiegravere Jeanne drsquoArc dans la derniegravere piegravece de la trilogie laquo Rouen raquo Jeanne en

parlant de ses voix eacutevoque plus qursquoune amitieacute une parenteacute entre elle et les saintes

qursquoelle entend sainte Marguerite et sainte Catherine

Jrsquoeacutetais la sœur humaine et vous les sœurs ceacutelestes

Jrsquoeacutetais la sœur plus jeune et vous les deux aicircneacutees (OPD 310)

Au demeurant dans le Mystegravere de la chariteacute de Jeanne drsquoArc Jeannette deacutecrit

le lien entre tous les humains et Jeacutesus non comme une amitieacute mais comme une

parenteacute une fraterniteacute laquo Comment les chreacutetiens peuvent-ils ecirctre ennemis enfants

du mecircme Dieu fregraveres de Jeacutesus Tous fregraveres de Jeacutesus raquo (OPD 408) Et dans La

Tapisserie de sainte Geneviegraveve et de Jeanne drsquoArc Peacuteguy deacutecrit comment la vieille

sainte Geneviegraveve voit venir Jeanne comme son arriegravere-petite fille laquo naissante agrave

lrsquoautre bout de la longue famille raquo (OPD 1083) elle lrsquoattend pour qursquoelle lrsquoaide

dans sa lourde tacircche ecirctre patronne de la France veiller sur la France la proteacuteger

Apregraves neuf cent vingt ans de priegravere et de veille

quand elle vit venir vers lrsquoantique citeacute []

La fille de Lorraine agrave nulle autre pareille raquo (OPD 844)

Lrsquoun des moyens si particuliers dans lrsquoEacuteglise de creacuteer une communion qui

deacutepasserait le temps crsquoest le fait de donner le nom drsquoun saint dans le baptecircme (un

saint apregraves Jeacutesus-Christ ou un personnage de lrsquoAncien Testament) Celui qui porte

le nom drsquoun saint (un saint patron) est en quelque sorte appeleacute agrave continuer la

mission le travail de ce saint En parlant des apocirctres dans le Mystegravere de la chariteacute

Madame Gervaise dit

Ils portegraverent des noms qui retentiront eacuteternellement Ils portegraverent ils inauguraient des noms que des milliers et des milliers et des centaines de milliers de chreacutetiens revecirctirent ensuite ont revecirctus depuis pour srsquoen faire des patrons Et parmi ces milliers et ces milliers [] des saints eux-mecircmes qui revecirctirent le mecircme nom [] eux aussi pour srsquoen faire un patron agrave leur suite eux-mecircmes devinrent patrons resanctifiegraverent le nom le revecirctirent drsquoune gloire nouvelle [] comme une compagnie spirituelle comme une famille eacuteternelle (OPD 528-529)

Le nom dans la Bible ce nrsquoest pas seulement une nomination une deacutesignation

crsquoest la concreacutetisation de lrsquoappel universel de Dieu pour la personne qursquoil appelle

316

En appelant par son nom Dieu indique le chemin drsquoimitation agrave suivre la forme

drsquoimitation qursquoil voit pour cette creacuteature concregravete Madame Gervaise explique agrave

Jeanne comment agrave travers les saints patrons srsquoopegravere la communion des saints

Ce que Jeacutesus fut pour tout le monde pour toute la chreacutetienteacute pour eux-mecircmes et pour tous les autres saints [] pour tous ceux de la chreacutetienteacute pour tous ceux de la communion eux-mecircmes ils le furent agrave leur tour par lrsquoorganisation du patronage par une deacuteleacutegation par une reacutepartition par un partage par une communication par une distribution par un report par une veacuteritable imitation de Jeacutesus (OPD 496)

b) Lrsquoamitieacute

En parlant de la communion dans lrsquoEacuteglise militante crsquoest-agrave-dire lrsquoEacuteglise sur

terre Peacuteguy eacutevoque souvent lrsquoamitieacute Il eacutecrit agrave son ami Lotte le 3 mai 1910

Il faut regarder une amitieacute comme le bien le plus sacreacute et ne la rompre pour aucune cause [] Crsquoest justement pour meacutenager lrsquoamitieacute comme le plus preacutecieux des biens qursquoil faut rompre le propos et ne pas se laisser engager dans des blessures289

Lrsquoamitieacute crsquoest le fondement de la Citeacute Harmonieuse et donc de la

Communion laquo amis de la vie spirituelle et de la vie inteacuterieure raquo (II 568 posthume

(1906) Il ne faut pas dire) Dans une autre lettre agrave Romain Rolland cette fois-ci

Peacuteguy eacutecrit laquo Une fideacuteliteacute entiegravere dans une liberteacute entiegravere crsquoest notre amitieacute

franccedilaise mecircme raquo290 Cette deacutefinition tregraves riche pourrait aussi srsquoappliquer agrave la

communion dans lrsquoEacuteglise la fideacuteliteacute agrave Dieu et aux autres tout en restant

pleinement soi libre creacuteature de Dieu

Rappelons-nous que dans Marcel Peacuteguy parlait du travail qui fournit la vie

de la citeacute de maniegravere agrave ce que chaque citoyen ait le temps pour le travail

deacutesinteacuteresseacute (celui du savant de lrsquoartiste du philosophe etc) et pour la vie

inteacuterieure Et crsquoest ce travail-ci qui est au centre de la vie de la Citeacute nourri par

lrsquoamitieacute Dans Agrave nos amis agrave nos abonneacutes Peacuteguy eacutecrit sur lrsquoamitieacute qursquoelle

est laquo hellipune opeacuteration de lrsquoordre du berceau de la famille de la race de la patrie du

temps de la date de tout cet ordre temporel drsquoune importance unique

289PEacuteGUY Charles LOTTE Joseph Lettres et entretiens Paris Editions de Paris 1954 p 74 290 Citeacute dans ROLLAND Romain laquo Une amitieacute et une citeacute raquo Feuillets mensuels LrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy 194909 ndeg6 p 3

317

irremplaccedilable ougrave lrsquoopeacuteration ne se fait qursquoune fois raquo (II 1313) crsquoest-agrave-dire que

lrsquoamitieacute est un eacuteveacutenement eacuteternel et temporel laquoIl nrsquoy a qursquoune sainteteacuteraquo

(OPD 500)

Lrsquointercession est une forme particuliegravere drsquoamitieacute et de communion avec les

saints que Peacuteguy privileacutegie particuliegraverement Il lrsquoapprend par imitation drsquoune œuvre

litteacuteraire parce que ce ne sont pas des traiteacutes theacuteologique qui ont appris agrave Peacuteguy la

priegravere drsquointercession ni mecircme un souvenir du cateacutechisme Marcel Peacuteguy le preacutecise

dans son livre sur son pegravere laquo crsquoest dans Polyeucte dans le Polyeucte de Corneille

qursquoil trouve deacutefinie pour ainsi dire techniquement lrsquointervention lrsquointercession des

saints raquo291 Pocquet du Haut-Jusseacute dit pour sa part que lrsquointercession est une

structure de gracircce qui laquo reacutepond agrave une communion de malheur et de disgracircce qui est

elle aussi bien preacutesente dans le monde raquo292

c) Lrsquoimitation ndash incarnation de la communion

La communion des saints communion au Christ srsquoopegravere pour beaucoup par

lrsquoobservation lrsquoimitation des autres saints et agrave travers eux du Christ laquo des saints

innombrables [] on fait leur salut les yeux fixeacutes sur la vie obscure des autres

saints et en eux et par eux en cette vie obscure et directement sur la vie obscure de

Jeacutesus raquo (III 401) La deuxiegraveme accusation que Peacuteguy lance agrave Fernand Laudet crsquoest

drsquoavoir retrancheacute la communion des saints de laquo la face essentielle de la communion

qursquoest lrsquoimitation raquo (III 406) par lrsquoexclusion de la part cacheacutee et obscure de la vie

de Jeacutesus et des saints alors que crsquoest justement lrsquoespace principal de lrsquoapplication

de lrsquoimitation

Imiter la vie cacheacutee pour Peacuteguy qui aime tant parler du renouvellement et de

lrsquoespeacuterance crsquoest justement se donner la possibiliteacute de creacuteer du nouveau tout en

imitant puisqursquoil nrsquoy a pas de gestes drsquoactes concrets agrave imiter mais un esprit un 291 PEacuteGUY Marcel laquo La vocation de Peacuteguy raquo Cahiers de la quinzaine sous la direction de Marcel Peacuteguy deuxiegraveme cahier de la dix-septiegraveme seacuterie Paris Editions du Siegravecle 1926 p 93 292 POCQUET de HAUT-JUSSEacute Laurent-Marie Charles Peacuteguy et la moderniteacute essai drsquointerpreacutetation theacuteologique drsquoune œuvre litteacuteraire opcit p 543

318

chemin en pointilleacute agrave suivre Il souligne que mecircme lrsquoimitation de vertus cacheacutees

imiteacutees mecircme lrsquoimitation drsquoautres saints qui ont eux imiteacutes la vie cacheacutee de Jeacutesus

(laquo lrsquoextension geacuteographique de la sainteteacute raquo) a meneacute tant de laquo saint petites gens raquo

(III 407) agrave la sainteteacute

Ici on touche de nouveau ce point important pour Peacuteguy lrsquoindivisibiliteacute de la

vie priveacutee et de la vie publique Pour lui on devient saint en rempaillant les chaises

autant qursquoen partant en mission et Fernand Laudet fait offense agrave la communion des

saints en eacutecartant la laquo vie obscure raquo alors que pour Peacuteguy le ciel est laquo un ciel de

petites gens raquo (III 409) Justement lrsquoimitation est le principal acteur de la

communion des saints gracircce agrave lrsquoIncarnation de Jeacutesus qui permet que laquo tout ouvrier

chreacutetien travaille comme Jeacutesus de mecircme tout pegravere chreacutetien tout megravere chreacutetienne

aime instruit nourri eacutelegraveve ses enfants comme Joseph et Marie aimaient

instruisaient nourrissaient eacutelevaient Jeacutesus tout fils chreacutetien aime honore nourrit

ses parents comme Jeacutesus aimait honorait nourrissait son pegravere et sa megravere raquo

Il en va ainsi pour lrsquoimitation des meacuterites cacheacutes mais aussi pour lrsquoimitation

des souffrances il nrsquoy a pas que les martyrs pour imiter la passion de Jeacutesus la

communion des saints avec Jeacutesus par lrsquoIncarnation ne fait pas de diffeacuterence entre un

martyr ou un malade dans son lit parce que laquo la maladie les priegraveres les

souffrances les Vertus les meacuterites du plus secret malade drsquoune part et la Passion

les priegraveres les souffrances les Vertus les meacuterites de Jeacutesus drsquoautre part sont verseacutes

au mecircme Treacutesor raquo (III 411)

Les teacutemoins sont des acteurs importants pour la communion des saints le

teacutemoignage constituant un facteur indispensable puisque crsquoest gracircce aux teacutemoins

que nous avons accegraves aux exemples que nous voudrions imiter pour pouvoir aspirer

agrave la sainteteacute Dans Un nouveau theacuteologien monsieur Fernand Laudet Peacuteguy en se

preacutesentant comme chroniqueur de Jeanne drsquoArc se compare agrave Joinville le

chroniqueur de saint Louis qursquoil a choisi comme son maicirctre dans la matiegravere du

teacutemoignage Il eacutecrit laquo Toute la question est du portrait de lrsquohistoire de la

repreacutesentation que nous reacuteussissons agrave en donner Joinville aussi eacutetait peacutecheur []

Ce que nous lui demandons crsquoest ce qursquoil a fait de saint Louis raquo (III 575) Si le

319

teacutemoin a transmis fidegravelement son teacutemoignage il a servi la communion il a eacuteteacute

fidegravele et crsquoest ce qui compte le plus pour Peacuteguy

Lrsquoimitation repreacutesente un moyen laquo privileacutegieacute raquo de rejoindre le Christ de srsquounir

agrave lui non seulement en imitant ses actes ses œuvres mais de lrsquointeacuterieur il srsquoagit

drsquoune communion dans la souffrance Celui qui souffre en offrant ses souffrances agrave

Jeacutesus le rejoint non seulement dans sa vie mais aussi dans son sacrifice

reacutedempteur et cette souffrance laquo devient de la mecircme sorte de la mecircme race de la

mecircme famille que la souffrance de Jeacutesus-Christ raquo (OPD 459) De plus dans la

communion des saints il y a la reacuteversibiliteacute des souffrances des eacutepreuves gracircce agrave

laquelle cette souffrance trouve un sens devient laquo utile raquo Peacuteguy a beaucoup

reacutefleacutechi sur ce principe de reacuteversibiliteacute En quelque sorte comme lrsquoeacutecrit le pasteur

Michel Leplay chez Peacuteguy laquo de la Citeacute harmonieuse dont nul nrsquoest eacutetranger au

ciel de la ldquoreacuteversibiliteacute universellerdquo il nrsquoy a qursquoun changement de vocabulaire raquo293

d) La reacuteversibiliteacute

Qursquoest-ce que la reacuteversibiliteacute laquo des souffrances des eacutepreuves des exercices

des travaux raquo (III 402) Selon le TLFi crsquoest la laquoConseacutequence du dogme de la

communion des saints en vertu de laquelle les meacuterites obtenus par les saints les

bonnes œuvres ou les souffrances des justes profitent agrave lrsquoensemble de la

communauteacute de lrsquoEacuteglise raquo Il revient plusieurs fois sur cette ideacutee de reacuteversibiliteacute des

gracircces Ce qui attire lrsquoattention crsquoest que chez Joseph de Maistre qui deacuteveloppait

ce concept294 les mots utiliseacutes sont laquo meacuterite raquo et laquo peacutecheacute raquo plutocirct que laquo gracircce raquo et

laquo eacutepreuve raquo Ce qui change beaucoup le laquo degreacute raquo le niveau de profondeur de la

communion ce sont le meacuterite et le peacutecheacute qui sont drsquoabord individuels car ils

proviennent de lrsquohomme de son effort pour suivre la volonteacute de Dieu ou de sa

293 LEPLAY Michel laquo Une jeunesse universelle raquo Chemin du dialogue ndeg42 laquo Charles Peacuteguy et les religions raquo (p21-34) Marseille Chemins de Dialogue 2013 p 25 294Joseph de Maistre Les Soireacutees de Saint-Peacutetersbourg ou Entretiens sur le gouvernement temporel de la Providence suivi drsquoun traiteacute sur le sacrifice site internet httpgallicabnffrark12148bpt6k41853t consulteacute le 6 novembre 2014

320

deacutesobeacuteissance qui suite agrave la reacuteversibiliteacute est partageacutee propageacutee La gracircce et

lrsquoeacutepreuve srsquoimpliquent pas la volonteacute de lrsquohomme ce sont des dons Comme nous

lrsquoavons rappeleacute plus haut la communauteacute se construit autour drsquoun don (munus) reccedilu

et qursquoil faut transmettre Pour lrsquohomme il srsquoagit donc drsquoaccueillir (ou de rejeter) ce

don de lrsquoeacutepreuve ou de la gracircce qui est reacuteversible et qui rend impossible lrsquoexclusion

de la communion des saints dans la mesure ougrave chacun porte sa part de gracircce et

drsquoeacutepreuve accueillie accepteacutee

Nous revenons aussi au thegraveme preacutesent deacutejagrave dans les premiers textes de Peacuteguy

le refus de lrsquoexclusion Peacuteguy accuse Fernand Laudet le directeur de La revue

hebdomadaire de deacutepeupler la communion des saints laquo de leur peuple le plus

nombreux raquo (III 402) autrement dit les saints cacheacutes parce que Laudet est indigneacute

par lrsquoaudace de Peacuteguy qui dans son Mystegravere de la chariteacute de Jeanne drsquoArc ose

eacutecrire sur lrsquoenfance de la sainte dont on ne sait pas grand-chose Selon Peacuteguy le

refus de regarder les laquo saints obscurs raquo afin de les imiter revient agrave nier la

communion des saints et surtout la reacuteversibiliteacute qui permet aux saints

laquo invisibles raquo de devenir visibles agrave travers la vie publique lrsquoaction la visibiliteacute

drsquoautres saints Il accuse Fernand Laudet drsquoexclure les anneacutees cacheacutees de la vie de

Jeacutesus et des saints de la communion des saints de la reacuteversibiliteacute des meacuterites or

pour Peacuteguy non seulement personne ne peut ecirctre exclu mais encore rien dans la vie

drsquoun homme ne peut ecirctre exclu priveacute de meacuterite un travail cacheacute obscur vaut

autant qursquoun travail visible dans la mesure ougrave il est illumineacute enracineacute en Dieu par

le mystegravere de lrsquoIncarnation La vie humble et cacheacutee de Jeacutesus Dieu incarneacute vaut

autant que ses miracles il en va de mecircme pour ses meilleurs imitateurs les saints

les gracircces et meacuterites cacheacutes valent autant pour la reacutedemption que les gracircces et

meacuterites visibles cependant que la souffrance cacheacutee drsquoun innocent vaut autant pour

la reacutedemption drsquoun pecirccheur que le martyr

Le principe de la reacuteversibiliteacute dans la communion des saints fonctionne aussi

par rapport au temps Peacuteguy reproche agrave Fernand Laudet de deacutefinir certains siegravecles

comme chreacutetiens et drsquoautres non pour lui au contraire les temps sont reacuteversibles

aussi drsquoautant plus que Dieu est eacuteternel et laquo depuis Jeacutesus tous les siegravecles temporels

sont les mecircmes sont de la mecircme nature infiniment profonde de la mecircme texture

321

mystique litteacuteralement sont de la mecircme eacuteterniteacute raquo (III 458) parce que reacutegis par la

seule et mecircme loi de lrsquoamour

e) La chreacutetienteacute

Chez Peacuteguy on trouve souvent cette expression si particuliegravere par laquelle il

deacutesigne la totaliteacute du monde chreacutetien la chreacutetienteacute Il preacutefegravere ce mot agrave la

deacutesignation plus habituelle laquo les chreacutetiens raquo agrave cause de son caractegravere plus global

plus inclusif crsquoest non seulement le peuple des chreacutetiens mais aussi ses Eacuteglises

ses traditions sa meacutemoire ses attentes son espeacuterance Jean Danieacutelou eacutecrit laquo Le

chreacutetienteacute est preacuteciseacutement cet ordre de chose ougrave le christianisme est incorporeacute agrave la

race mecircme ougrave il est transmis comme un heacuteritage familial et national ougrave tous

appartiennent au ldquosystegraveme chreacutetienrdquo quitte agrave y reacutepondre diffeacuteremment raquo295

La chreacutetienteacute selon Peacuteguy ne se fonde pas sur les vertus publiques des saints

crsquoest-agrave-dire la mission lrsquoœuvre charitable et mecircme les miracles ce qui fait le

ciment de la chreacutetienteacute crsquoest la vie simple et ordinaire les vertus priveacutees des saints

celle qursquoil est facile drsquoimiter sans sortir de son cadre habituel mais toutefois en

gardant lrsquoaspiration vers la sainteteacute En cela Peacuteguy se rapproche une fois de plus agrave

lrsquoeacutepoque meacutedieacutevale si chegravere agrave son cœur au temps de Peacuteguy le mot chreacutetienteacute

deacutesignait lrsquoensemble des personnes qui confessent la foi chreacutetienne mais au Moyen

Age le sens de chreacutetienteacute eacutetait bien plus proche de la Citeacute de Dieu dans sa double

dimension ce qui creacutee le lien entre le ciel et la terre (la reacutealisation terrestre de la

Jeacuterusalem ceacuteleste) et lrsquoEacuteglise comme fraterniteacute des chreacutetiens

La chreacutetienteacute de Peacuteguy vit selon ses lois particuliegraveres drsquoattente et de reacuteponse agrave

cet attente par exemple les saints naissent parce qursquoon a besoin drsquoeux parce que le

peuple attend qursquoun saint ou une sainte vienne le sauver lui apporter la lumiegravere

lrsquoexemple agrave imiter

295 DANIELOU Jean laquo Le peuple chreacutetien selon Peacuteguy raquo Etudes septembre 1965 (p175-185) p 18

322

Le peuple creacutee laquo une immense attente une immense attention de communion raquo

(III 427) parce que gracircce au principe de la reacuteversibiliteacute la vie drsquoun seul saint

transfigure la vie drsquoun peuple laquo Le saint tout entier appartenait agrave tous raquo (ibid)

Peacuteguy parle mecircme de laquo gloutonnerie de la sainteteacute raquo dans la chreacutetienteacute du Moyen

Acircge Dans le mecircme temps il souligne le rocircle des laquo petites gens raquo dans la

reconnaissance du saint comme tel en rappelant les multiples teacutemoins du procegraves de

reacutehabilitation de Jeanne drsquoArc laquo Le peuple seul est la terre profonde Le peuple seul

teacutemoigne raquo (III 431)

Le peuple en laquo extension geacuteographique raquo crsquoest le public qui pour Peacuteguy nrsquoa

pas tellement drsquoimportance parce qursquoil est steacuterile instantaneacute il ne peut pas puiser

dans le passeacute dans une expeacuterience En revanche le peuple en profondeur en

laquo approfondissement geacuteologique raquo dans sa meacutemoire laquo priveacutee raquo dans son heacuteritage

constitue une force de teacutemoignage et de fideacuteliteacute

La chreacutetienteacute crsquoest la forme visible de lrsquoEacuteglise militante dans la communion

des saints elle est appeleacutee agrave croicirctre agrave srsquoapprofondir agrave srsquoeacutelargir agrave englober les

humain pour que personne ne soit exclu La chreacutetienteacute crsquoest aussi ce que creacutee le

peuple de Dieu pour le glorifier crsquoest tout lrsquoart religieux tout ce qui est creacuteeacute avec

foi et devient objet de pieacuteteacute de la poeacutesie liturgique aux catheacutedrales Ces œuvres

participent aussi agrave la communion des saints dans le sens de la communion comme

union des chreacutetiens entre eux et de leur union au seul et mecircme Dieu dans la mesure

ougrave elles sont une meacutemoire incarneacutee elles traversent les temps durent et recueillent

les priegraveres des chreacutetiens parfois durant des siegravecles et des siegravecles

Le corps de lrsquoadoration [] elles sont le corps mecircme du culte le corps mecircme de la priegravere le corps mecircme de lrsquoadoration Lrsquoinscription dans la dure dans la temporelle dans lrsquoexteacuterieure pierre de la vie inteacuterieur la plus profonde et la plus tendre [] œuvres qui sont le tissu mecircme de lrsquoEacuteglise et de la catheacutedrale la texture la pierre dans la pierre

Et ce tissu tisse la communion des saints des chreacutetiens entre eux des saints entre eux de la chreacutetienteacute avec son Dieu (III 447-448)

Un autre passage drsquoUn nouveau theacuteologien eacuteclaircit bien ce terme tant aimeacute

de Peacuteguy qui eacutevoque la laquo petite histoire sainte de la chreacutetienteacute qui accompagnait au

cateacutechisme et suivait lrsquohistoire sainte du peuple drsquoIsraeumll raquo (III 439) Peacuteguy est

persuadeacute qursquoil y a dans le christianisme une mecircme notion un sentiment du

323

laquo peuple raquo identique ou de moins semblable agrave celui qui unit le peuple drsquoIsraeumll qui

lui permet de conserver son identiteacute mecircme disperseacutee mecircme loin de sa laquoterre

promiseraquo Crsquoest donc ce peuple laquoprofondraquo et feacutecond ancreacute dans sa meacutemoire dans

son laquo histoire sainte raquo dans son enfance uni par cette histoire et par la meacutemoire

commune tourneacute dans son attente vers le ciel en communion tenu par la fideacuteliteacute

que Peacuteguy appelle chreacutetienteacute

Dans les temps modernes cette chreacutetienteacute est assaillie assieacutegeacutee par le deacuteclin de

la foi mais Peacuteguy souligne que le chreacutetien reste absolument le mecircme il ne fait que

passer par cet acircge moderne sans ecirctre alteacutereacute fidegravele agrave la foi proteacutegeant la chreacutetienteacute

La chreacutetienteacute pourtant ne doit pas ecirctre hermeacutetique Peacuteguy rejette non

seulement lrsquoideacutee de seacuteparer le priveacute et le public dans la vie drsquoun croyant mais aussi

la seacuteparation de la mystique et de la vie de ce monde

Originairement primitivement la vie mystique lrsquoopeacuteration mystique lrsquoopeacuteration chreacutetienne revenait consistait non point agrave eacuteviter le monde mais agrave sauver le monde non point agrave fuir le siegravecle mais au contraire elle revenait elle consistait agrave nourrir mystiquement le siegravecle (III 653)

Crsquoest justement cette coupure entre la mystique et le monde seacuteculier qui est

selon Peacuteguy fatale fatale pour la construction de la Citeacute fatale agrave la communion

parce que Dieu est venu srsquoincarner pour sauver tout le monde et pas seulement le

monde mystique et parce qursquoil a veacutecu une vie dans le monde dans un corps dans

une famille en travaillant

6 Communion agrave Dieu

Le fils de Peacuteguy Marcel dans une curieuse brochure contre le marxisme dans

laquelle il se fonde sur la trilogie Jeanne drsquoArc observe agrave propos de la force

singuliegravere de Jeanne drsquoArc qui ose agir seule sans soutien apparent laquo Comment la

volonteacute drsquoun seul peut-elle devenir aussi opeacuterante que lrsquoa eacuteteacute la volonteacute de Jeanne

drsquoArc Charles Peacuteguy reacutepond sans heacutesitation et cela au moment ougrave il vient de se

324

deacutetacher de lrsquoEacuteglise par la priegravere raquo296 Crsquoest la communion agrave Dieu et agrave lrsquoEacuteglise agrave

travers la priegravere qui donne la force drsquoagir laquo seul raquo parce que la solitude dans la

communion des saints nrsquoest plus perccedilue comme telle

a) La communion aux sacrements et aux choses saintes

La communion agrave Dieu crsquoest drsquoabord la communion aux sacrements aux

sancta Peacuteguy souligne que la communion des saints dans le temps et dans lrsquoespace

srsquoopegravere gracircce aux sacrements puisque saint Augustin et saint Paul Jeanne drsquoArc

Pascal ou Corneille donnaient ou recevait le mecircme corps de Jeacutesus laquo le mecircme en

eacuteterniteacute temporelle et en eacuteterniteacute eacuteternelle raquo (III 468) laquo la seule reacuteelle liaison du

Creacuteateur et de sa creacuteatureraquo (III 780) par la priegravere qui elle aussi deacutefie le temps

chaque homme qui prie laquo imite saisit il atteint directement Jeacutesus priant raquo

(Ibid) Selon Peacuteguy il ne peut pas y avoir de progregraves dans la chreacutetienteacute (Eacuteglise

communion des saints) dans la mesure ougrave la chreacutetienteacute vit dans un eacuteternel preacutesent

dans lrsquoeacuteternel preacutesent de Dieu Cela ne lrsquoempecircche pas de donner naissance au

nouveau mais ce nouveau ne remplace pas quelque chose de vieillissant la

chreacutetienteacute ne vieillit pas mais elle est progressivement enrichie et approfondie

laquo LrsquoEacuteglise est une dans tous les sens de ce mot et notamment dans les siegravecles raquo

(III 473) Lrsquoeacuteternel preacutesent suppose un eacuteternel renouvellement un nouveau deacutebut

incessant ce que Peacuteguy appelle un recommencement

La priegravere recommence tout le temps la naissance mecircme et la mort temporelle recommencent tout le temps [] Le sacrifice de la messe recommence tout le temps le Sacrifice de la Croix [] Il y a une chreacutetienteacute internelle un internel chreacutetien qui toujours le mecircme recommence tout le temps297 (III 475-476)

Ce qui creacutee aussi la communion ce sont les textes communs la parole de Dieu

adresseacutee agrave chacun ce qui fait lrsquoobjet de la foi commune les dogmes mais surtout 296 PEGUY Marcel Note conjointe sur Domreacutemy les Batailles et Rouan troisiegraveme numeacutero du journal vrai Paris Descleacutee de Brouwer 1933 p 34 297 Le TLFi deacutefinit laquointernelraquo comme laquoqui reste cacheacute au cœur de lrsquoindividuraquo Chez Peacuteguy crsquoest un neacuteologisme de sens neacute gracircce au principe de la laquoforme inteacuterieure du motraquo tel que deacutefini par Potebnia qui permet agrave un mot drsquoecirctre contamineacute par la seacutemantique des mots voisins du contexte Ici le mot internel est employeacute dans un texte sur le temps et lrsquoeacuteterniteacute et signifie plutocirct laquocacheacute au cœur de lrsquoindividu dans lrsquoeacuteterniteacuteraquo

325

la vie de Jeacutesus Crsquoest en quelque sorte lrsquoheacuteritage de la sainteteacute les choses saintes

les santi

Dans son commentaire de la Passion dans le Dialogue de lrsquohistoire et de lrsquoacircme

charnelle Peacuteguy eacutecrit que la mort de Jeacutesus crsquoest laquo la mort de tout le monde votre

mort toute mort raquo (III 733) Le point culminant de la communion entre lrsquohomme

et Dieu crsquoest la priegravere de Jeacutesus au Mont des oliviers quand Dieu a peur de mourir

quand il parle agrave ses disciples non comme un maicirctre mais comme un homme qui

parle agrave des hommes agrave des amis qui sont ses eacutegaux laquo une reacuteveacutelation drsquohomme agrave

homme drsquoun pauvre ecirctre miseacuterable agrave un pauvre ecirctre miseacuterable et agrave deux autres et

par-dessus leur tecircte et en peur personne agrave tous les pauvres ecirctres miseacuterables que

nous sommes raquo (III 749)

b) La communion par filiation

Peacuteguy a traiteacute de la relation filiale de lrsquohomme agrave Dieu non seulement dans le

Mystegravere des saints Innocents mais aussi dans un texte qui nrsquoa jamais eacuteteacute publieacute

jusqursquoen 2016 date agrave laquelle il a eacuteteacute eacutediteacute par Romain Vaissermann298 Lrsquoeacutediteur

heacutesite ne sachant pas si ce poegraveme est une continuation du VIIIe jour de la

Tapisserie de Sainte Geneviegraveve et de Jeanne drsquoArc consacreacutee aux laquo armes de

Jeacutesus raquo ou une suite du jour IX priegravere finale de la Neuvaine agrave sainte Geneviegraveve

Les quatrains qui nous inteacuteressent nrsquoont pas eacuteteacute publieacutes peut-ecirctre en raison des

confidences qursquoils contiennent plus personnelles encore que les aveux faits dans la

Ballade du cœur qui a tant battu eacutegalement ineacutedite du vivant de Peacuteguy Celui-ci

eacutevoque non seulement son amour secret pour Blanche Bernard mais encore son

mariage malheureux tout cela sous les yeux de la sainte au rythme de vers

reacutepeacutetitifs laquo il fallut qursquoelle vicirct raquo

298 PEacuteGUY Charles La Tapisserie de sainte Geneviegraveve et de Jeanne drsquoArc et vers ineacutedits Orleacuteans Paradygme 2016

326

Les figures du pegravere et du fils apparaissent pour la premiegravere fois dans le verset

114 (le poegraveme en contient 1900 ) Lrsquoimage est preacuteceacutedeacutee trois quatrains plus tocirct par

la description de lien entre deux hommes qui se brise on lit ensuite

Il fallut qursquoelle vicirct le solennel hommage

Qui liait lrsquohomme agrave lrsquohomme comme un fils agrave son pegravere

Se deacutetendre et briser comme un nœud trop prospegravere

Qui deacutesunit deux cœurs dans un mecircme courage (Tapisserie 265)

Ce laquo solennel hommage raquo peut eacutevoquer lrsquoalliance biblique entre Dieu et

lrsquohomme ainsi que les promesses du baptecircme ou plus concregravetement la promesse

du mariage que Peacuteguy a tellement du mal agrave cette eacutepoque-lagrave agrave tenir Les quatrains

qui suivent peuvent laisser deviner les difficulteacutes veacutecues dans le mariage de Peacuteguy

Ensuite nous lisons les vers de 148 agrave 152

Il fallut qursquoelle vicirct par un faux eacuteclairage

Lrsquoenfant paraicirctre vieux le vieux paraicirctre mort

Et la soudaine vie et le terme du sort

Blecircmir et srsquoenfoncer en un lointain mirage (Tapisserie 269)

Lrsquoeacutevocation de lrsquoenfant du vieux puis de la laquo soudaine vie raquo nrsquoest pas sans

rappeler la parabole du fils prodigue ougrave il srsquoagit drsquoun fils vieilli presque mort de la

vie qursquoil a veacutecu et son retour assimileacute agrave un retour agrave la vie (laquo Ton fregravere que voilagrave

eacutetait mort et il est revenu agrave la vie il eacutetait perdu et il est retrouveacute raquo Luc 15 32)

Peacuteguy parle ensuite de la parole de Dieu eacuteparpilleacutee au vent de la loi de Dieu qui

saigne et de la colegravere de Dieu Le reacutecit drsquoune faute possible et drsquoune rupture entre

probablement Dieu et lrsquohomme en arrive par le biais de la colegravere de Dieu nourrit

une meacuteditation sur le Jugement dernier Le nom de Jeacutesus apparait pour la premiegravere

fois dans un quatrain ougrave Peacuteguy utilise des images qui pourraient correspondre agrave

lrsquolaquo atelier de Nazareth raquo tellement important pour lrsquoauteur

Il fallut qursquoelle vicirct le jour du vernissage

Les meubles culbuteacutes par un mauvais larron

Ce nrsquoeacutetait pas ainsi que le premier charron

Que Jeacutesus les traitait dans son apprentissage (Tapisserie 273)

Comparer le Jugement dernier agrave un examen de la qualiteacute des meubles fournis

peut paraitre bien bizarre si on oublie les mots de Peacuteguy sur le pied de chaise sur

327

lrsquoouvrage bien fait Dieu a dit que cela eacutetait bon en creacuteant lrsquohomme Ce nrsquoest qursquoun

laquo mauvais larron raquo qui les abime Jeacutesus lui les aime

Dans le quatrain qui suit apparait le mysteacuterieux laquo homme raquo qui sera au centre

du propos de ce poegraveme jusqursquoagrave sa fin laquo Lrsquohomme raquo est mysteacuterieux parce qursquoil est

difficile de dire srsquoil srsquoagit de Peacuteguy de Jeacutesus du Fils prodigue ou de tous les trois

en mecircme temps

Il fallut qursquoil advicircnt que le jour du pansage

Lrsquohomme montra son flanc et fut trouveacute blesseacute

Et qursquoil traicircnait la jambe et voulait harasseacute

Marcher encore apregraves le terme du voyage (Tapisserie 273)

Jeacutesus montre son flanc transperceacute agrave saint Thomas qui doute Et crsquoest lrsquoAnge de

Dieu qui est blesseacute par Jacob agrave la hanche et traicircne sa jambe

Cependant le quatrain suivant dit

Il fallut qursquoil advicircnt que le jour du pesage

Lrsquohomme montra son sang et fut trouveacute leacuteger

Et qursquoil montra son pegravere et fut dit eacutetranger

Inconnu meacuteconnu dans son propre village (Ibid)

Ceci rappelle encore une fois la parabole du fils prodigue sauf qursquoici le pegravere

semble rejeter le fils Mais rien nrsquoindique qursquoil ne srsquoagit pas du mecircme homme que

dans le quatrain preacuteceacutedent Le Christ se mettrait-il agrave la place du fils prodigue

peacutecheur Ou est-ce une maniegravere de Peacuteguy de dire qursquoil srsquoidentifie autant au fils

prodigue qursquoagrave Jeacutesus sauveur reacutedempteur qui a pris sur lui le peacutecheacute du monde

Le quatrain suivant donne lrsquoimage du bateau de lrsquohomme naufrageacute qui implore

son pegravere pour pouvoir laquo reacuteembarquer sa peur pour un nouveau mouillage raquo Suit un

quatrain qui parle de lrsquoorage et de lrsquohomme foudroyeacute qui veut laquo renaicirctre de sa

cendre et reprendre visage raquo Le fils prodigue semble demander une nouvelle

possibiliteacute de rentrer Puis lrsquohomme qui pourtant montre son cœur est laquo refuseacute au

seuil de son partage et de son heacuteritage raquo Le partage de bien cela correspond au tout

deacutebut de la parabole du fils prodigue comme si la demande de lrsquohomme de lui

donner une deuxiegraveme chance avait eacuteteacute entendue il se retrouve de nouveau au deacutebut

du voyage mais cette fois-ci le Pegravere lui refuse sa part drsquoheacuteritage

328

Quelques quatrains plus loin lrsquohomme reccediloit laquo son bien patrimoine raquo

(Tapisserie 277) de son pegravere et devient laquo otage et prisonnier dans son propre

heacuteritage raquo Jusqursquoagrave ce que la deacutelivrance arrive par le travail le labeur lrsquoune des

grandes vertus pour Peacuteguy

Il fallut qursquoil advicircnt le dernier jour du stage

Que lrsquohomme fit sa preuve et fut trouveacute prouveacute

Et qursquoil fit son chef drsquoœuvre et qursquoil fut reprouveacute

Et qursquoil nomma son pegravere au seuil de lrsquoesclavage (Tapisserie 279)

Nous supposons que crsquoest de soi que Peacuteguy parle lui qui disait agrave son ami

Joseph Lotte qursquoil nrsquoy avait pas de peacutecheacute dans son travail Tout en sachant qursquoil se

sentait inteacuterieurement infidegravele agrave sa femme (sans jamais lrsquoavoir trompeacute pourtant)

qursquoil ne pouvait pas acceacuteder aux sacrements agrave cause de sa situation familiale Peacuteguy

espeacuterait trouver le salut dans son travail

Un peu plus loin Peacuteguy semble de nouveau eacutevoquer Jeacutesus quand il parle de

lrsquohomme qui laquo montra son pegravere et fut trouveacute coucheacute dans le dernier tombeau sur le

dernier rivage raquo Puis il revient au Peacuteguy deacutecrit en fils prodigue qui a laquo perdu la

clef de lrsquoheacuteritage raquo laquo fut trouveacute fautif raquo et donc reste esclavehellip jusqursquoagrave ce qursquoil

casse la chaicircne (Tapisserie 281)

Les quatrains qui suivent montrent un Peacuteguy qui heacutesite et doute sur la

responsabiliteacute pour ses fautes lrsquohomme est deacutepeint comme victime de

circonstances Tout cela aboutit agrave une curieuse image de Dieu qui prend la moitieacute de

ce qursquoon lui offre laquo et Dieu pris la moitieacute des orges et des bleacutes car il eacutetait

Seigneur et maicirctre du fermage raquo (Tapisserie 289) Mecircme quand Dieu reacutecolte les

gerbes laquo pour en peacutetrir le pain du Nouveau Teacutemoignage raquo la vigne laquo pour en

bouillir le sang qui saigne sans meacutelange raquo ou le bleacute pour laquo lrsquoeacuteternel pain des

anges raquo il ne prend que la moitieacute Agrave ce moment-lagrave il semble que Peacuteguy parle de lui

en fils prodigue et du travail qursquoil fait pour racheter ses fautes et louer Dieu Sauf

que tout de suite apregraves vient ce quatrain

Il fallut qursquoil advicircnt qursquoau jour du corroyage

Lrsquohomme montra sa peau sous qui battait son sang

Mais quatre trous de clous et une plaie au flanc

329

Deacutepareillaient la peau pour un commun otage (Tapisserie 291)

Ici crsquoest clairement du Christ qursquoil srsquoagit Suit la description de la quecircte

effectueacutee par le mysteacuterieux laquo homme raquo qui cherche laquo sa voie raquo et laquo son fregravere raquo

Nrsquoest-ce pas une nouvelle voie un nouveau chemin proposeacute au nouveau fils

prodigue Le fils prodigue de la parabole dans lrsquoEacutevangile selon saint Luc voulait

revenir vers son Pegravere mais il ne semblait pas se soucier de son grand fregravere Chez

Peacuteguy pour recommencer agrave zeacutero il faut drsquoabord retrouver le fregravere alors laquo il

chercha son fregravere raquo (Tapisseries 293)

Dans les versets 470-471 (laquo lrsquohomme fut deacutevoreacute dans les dents de Satan mais

on sut lrsquoen tirer raquo Tapisserie 295) apregraves une meacuteditation sur la parabole des brebis

et des beacuteliers Peacuteguy reprend toutes les images du deacutebut de poegraveme ougrave il eacutetait

question du pegravere qui rejette son fils en les transformant en image drsquoacceptation et

de pardon lrsquohomme est laquo relacirccheacute raquo on le fait entrer au festin mais aussi on lui

accorde une tombe Aussitocirct apparait la figure du traicirctre Judas avec les trente piegraveces

drsquoargent qursquoil propose pour acheter ce mecircme laquo homme raquo

Plus loin Peacuteguy eacutevoque vaguement encore un thegraveme qui lui est cher

Veacuteronique et lrsquoempreinte du visage du Christ seulement ici crsquoest Jeacutesus lui-mecircme

lrsquohomme qui agit laquo lrsquohomme coucha son corps dans la derniegravere toile et crsquoeacutetait

plus qursquoun drap et crsquoeacutetait plus qursquoun voile raquo (Tapisserie 309)

Plusieurs images encore alternent dans les quatrains qui suivent celles du

Christ celles du fils prodigue plus proches du texte de la parabole notamment avec

lrsquoimage du fils prodigue qui mange les glands pour les cochons Dans les versets

1156-1160 lrsquohomme devient soudain le voyageur attaqueacute par des brigands sauveacute

par le Bon Samaritain laquo Lrsquohomme prit mal sa courbe et chut dans le fosseacute mais le

Samaritain pencheacute sur le blesseacute lui lava les genoux les mains et le visage raquo

(Tapisserie 353) et dans le verset 1198 il devient Joseph vendu par ses fregraveres

(Tapisserie 357)

laquo LrsquoHomme raquo est aussi deacutecrit comme mort en cadavre laquo plein de terre et

bourreacute de remords et creveacute de misegravere raquo (Tapisserie 355) Peacuteguy deacutepeint un

aneacuteantissement total ougrave laquo le cœur de lrsquohomme eacutetait un vieux puits plein de boue raquo

330

et apparaicirct laquo si teacuteneacutebreacute qursquoon eucirct dit du vieux bois raquo (Tapisserie 379) Mais cette

destruction devient feacuteconde laquo Et le cœur eacutetait mur comme un raisin drsquoautomne et

le sang jaillissait comme un vin monotone raquo (Tapisserie 357) Certains versets

semblent vraiment contradictoires Peacuteguy emploie le principe du paralleacutelisme

antitheacutetique299 et laquo lrsquohomme raquo y est constamment preacutesenteacute de maniegravere ambivalente

trop grand mais trop petit trop riche mais trop pauvre

La valeur du doute comme possibiliteacute de trouver la veacuteriteacute a toujours eacuteteacute

importante chez Peacuteguy dans ces quatrains il le souligne encore une fois

laquo lrsquohomme fut rouleacute dans la boue et le doute mais de la boue on fit une nouvelle

route solide et qui menait vers un nouveau village raquo (Tapisserie 359) Lrsquoeacutediteur

du poegraveme Romain Vaissermann assimile ce village agrave la Jeacuterusalem ceacuteleste crsquoest

donc le doute qui permet drsquoy acceacuteder le doute et le mouvement

On voit bien dans ce texte combien lrsquoidentiteacute de lrsquohomme dont parle Peacuteguy

peut sembler flexible indeacutefinissable Mais on peut supposer qursquoil ne srsquoagit pas

drsquoidentiteacute floue mais bien au contraire drsquoune communion parfaite entre lrsquohomme et

Dieu lrsquohomme Peacuteguy qui bien que peacutecheur reconnait son peacutecheacute et se met dans la

peau du fils prodigue pour une parfaite peacutenitence qui lui permet drsquoecirctre un avec

Dieu Et dans lrsquoun des derniers quatrains conserveacute de ce long brouillon Peacuteguy dit

laquo crsquoest vous crsquoest moi crsquoest lrsquohomme et crsquoest tout un chacun raquo (Tapisserie 395)

Le chemin du doute de la lutte contre soi-mecircme contre le peacutecheacute en soi la voie de

lrsquoaneacuteantissement et de lrsquohumiliteacute agrave travers lrsquoimitation lrsquoidentification aux

personnages de la Bible amegravenent laquo lrsquohomme raquo agrave une communion avec le Christ ougrave

lrsquohomme devient fils de Dieu fregravere de Jeacutesus

Le monde est un le monde est uni parce que creacuteeacute par un seul Creacuteateur et parce

que ce Creacuteateur est mort pour ce monde laquo Et agrave un intervalle de plus de cinquante

siegravecles de distance le cri de la deuxiegraveme creacuteation reacutepondit agrave la parole de la premiegravere

creacuteation raquo (III 757) Dieu a creacuteeacute la terre laquo et pegravere il regardait drsquoun regard paternel

299 Agrave propos des paralleacutelismes chez Peacuteguy voir BARBIER Joseph La priegravere chreacutetienne agrave travers lrsquoœuvre de Charles Peacuteguy Paris Les eacuteditions de lrsquoeacutecole 1959 p 7-19

331

le monde rassembleacute comme un humble village raquo (OPD 1181) Tout ce qui advient

laquo et le christianisme et la chreacutetienteacute qursquoest-ce autre chose en un sens qursquoun fruit de

la terre Fructus ventris raquo (III 1340) Lrsquohistoire sainte crsquoest lrsquohistoire de tous les

humains et de toute la creacuteation donc en fait lrsquohistoire de ce monde tout le monde

sans exclusion

Dans Le Mystegravere de la chariteacute de Jeanne drsquoArc Peacuteguy fait dire agrave lrsquoamie de

Jeannette Hauviette laquo Il nrsquoy a point de reacuteveacutelations particuliegraveres [] Le bon Dieu a

appeleacute tout le monde il a convoqueacute tout le monde il a nommeacute tout le monde []

Nous sommes toutes de la maison de la mecircme maison et crsquoest Dieu qui conduit

toute la maisonneacutee Il nous a toutes appeleacutees par notre nom qui est notre nom de

baptecircme [] La priegravere est la mecircme pour tout le monde Les sacrements sont les

mecircmes pour tout le monde raquo (OPD 420-421)

Lrsquoappel de Dieu nrsquoest pas lagrave pour diviser il creacutee la communion mais les

hommes dans leur diversiteacute peuvent lrsquoeacutecouter ou non lrsquoentendre de diverses

maniegraveres reacutepondre ou non la division ne vient jamais de Dieu mecircme dans sa

distinction de lrsquoindividualiteacute drsquoune personne Hauviette poursuit laquo Il y a la

communion des saints et elle commence agrave Jeacutesus Il est dedans Il est agrave la tecircte raquo

(OPD 423) Dieu qui est preacutesent partout dans lrsquoespace et dans tous les temps voit

tout et reacuteunit tout par son regard par son eacuteterniteacute laquoTous les bourgs sont agrave Dieu sous

le regard de Dieuraquo (OPD 444) dit quelques pages plus loin Madame Gervaise

La communion agrave Dieu crsquoest un mouvement reacuteciproque de la part de lrsquohomme

crsquoest le choix de lrsquoimiter (de reproduire donc de srsquounir agrave Dieu par sa vie mecircme) le

choix de prier (donc de srsquounir agrave Dieu par le dialogue) le choix drsquoacceacuteder aux

sacrements (donc de srsquounir agrave Dieu en accueillant sa gracircce) de la part de Dieu crsquoest

lrsquoIncarnation qui rend possible lrsquoimitation les dons lrsquoEucharistie la Passion et la

Reacutesurrection mais aussi le choix terrible de deacutependre de lrsquohomme dans la mesure

ougrave laquo celui qui aime entre dans la deacutependance de celui qui est aimeacute [] Celui qui

cherche entre dans la deacutependance de celui qui est chercheacute raquo (III 1379)

Lrsquoaccomplissement de toutes les promesses de toutes les attentes crsquoest le

mystegravere de lrsquoIncarnation selon Peacuteguy le point mecircme ougrave se reacutealise la Communion

332

de saints dans toutes les significations que nous connaissons crsquoest lrsquoAnnonce faite

agrave Marie Ainsi cette communion srsquoaccomplit par Jeacutesus dans Marie la megravere de Dieu

est au cœur de la poeacutesie de Peacuteguy laquo Maicirctresse de la voie et du raccordement raquo

(OPD 1159) Tout est un dans Dieu le pegravere parce que tout vient de lui tout est un

par Egraveve parce qursquoelle est la megravere de tous les vivants mais la communion devient

parfaite avec Marie parce qursquoen elle Dieu srsquoest incarneacute Et dans Egraveve Peacuteguy parle de

Jeacutesus nouveau-neacute comme drsquoun prince qui reccediloit tout le monde ancien en heacuteritage et

engendre tout le monde nouveau

Ainsi lrsquoenfant dormait dans son premier oubli

Il allait commencer quelle immense meacutemoire

Il allait commencer quelle eacuteternelle histoire

Lrsquohistoire de tout homme en terre enseveli

[]

Il allait heacuteriter de la terre et de lrsquohomme (OPD 1070-1071)

Lrsquoannonciation crsquoest lrsquoeacuteveacutenement dans le temps et dans lrsquoespace ougrave lrsquoeacuteternel

rejoint le temporel ougrave le passeacute le preacutesent et le futur srsquounissent la reacutealisation de

toutes les propheacuteties la rencontre entre la terre et le monde surnaturel Et ce point

cet eacuteveacutenement sont situeacutes dans un eacuteternel preacutesent

333

Conclusion

Peacuteguy creacutee dans son œuvre un chronotope de la sainteteacute

Le saint habite la terre un lieu concret sur la terre il heacuterite de lrsquohistoire de ce

lieu et il en fait partie Le saint habite un pays une ville ou un village ougrave il vit ougrave il

travaille et prie precircche et souffre le martyre gueacuterit et console Apregraves sa mort il en

demeure le saint patron mais en mecircme temps il habite le Royaume de Dieu Il ne se

limite donc pas agrave creacuteer un lien entre ciel et terre mais il donne une dimension

eacuteternelle agrave la terre qursquoil a habiteacutee et en eacutelargit lrsquoespace

Du point de vue temporel le saint ne tient pas compte des regravegles de la

physique en communiquant avec ceux qui vivent des centaines drsquoanneacutees plus tard

que lui

Lrsquoeacuteveacutenement auquel participe un saint perd en partie ses frontiegraveres dans le

temps et dans lrsquoespace en srsquoeacutelargissant en devenant eacuteternel et illimiteacute en devenant

un fait non seulement de lrsquohistoire charnelle mais aussi de lrsquohistoire eacuteternelle

Par rapports agrave ses contemporains le saint est agrave la fois preacutesent et absent il est

absent par sa diffeacuterence se tenant agrave lrsquoeacutecart du monde pour ecirctre plus pregraves de Dieu Il

est preacutesent car chez Peacuteguy la sainteteacute est agissante le saint vit avec le monde dans

le monde et transfigure le monde par sa preacutesence

Gracircce agrave cette position paradoxale (dans le monde et hors du monde solitaire

mais solidaire sur la terre et au ciel temporel et eacuteternel) le saint peut accomplir sa

mission premiegravere ndash devenir un ecirctre de dialogue un laquo lieu raquo de rencontre de

carrefour celui par qui passe le dialogue entre lrsquohomme et Dieu

334

335

CONCLUSION

Au commencement de cette thegravese nous nous demandions pour quelle raison les

saints et autres personnages exemplaires heacuteros geacutenies peuplent les textes de

Peacuteguy Nous cherchions aussi agrave savoir qui sont les saints chez Peacuteguy ce qui les

distingue des autres pourquoi Peacuteguy utilise cette distinction

Si une partie de la reacuteponse se trouve tout simplement dans la personnaliteacute de

Peacuteguy son caractegravere passionneacute et sa tendance agrave ideacutealiser ses amis ses

contemporains pour une grande part lrsquoomnipreacutesence des saints et de la sainteteacute

dans lrsquoœuvre de Peacuteguy reacutepond agrave ses aspirations les plus profondes et agrave ce qursquoil voit

peut-ecirctre comme sa mission opeacuterer une reacutevolution sociale qui doit aussi ecirctre

morale Il ne peut pas lrsquoaccomplir seul et il a donc besoin de srsquoappuyer sur des

personnaliteacutes exceptionnelles ce seront les saints Les saints ne doivent pas

seulement ecirctre exceptionnels ils doivent aussi ecirctre exemplaires leur exemple doit

donner envie de les imiter afin qursquoaugmente le nombre des bacirctisseurs de la citeacute

harmonieuse Crsquoest la preacutesence de la sainteteacute dans le monde qui le reacutevolutionne ou

le transfigure elle creacutee un monde nouveau

Pour observer lrsquoeacutevolution de la penseacutee de Peacuteguy sur les saints et la sainteteacute degraves

ses premiegraveres publications par exemple dans la Revue Blanche avant la creacuteation

des Cahiers de la quinzaine jusqursquoaux deux Notes et Egraveve il convenait de travailler

sur tous les textes publieacutes de Peacuteguy crsquoest-agrave-dire sur un corpus aussi imposant

qursquoheacuteteacuterogegravene meacutelangeant prose et poeacutesie autocommentaire pamphlet note

drsquoeacutediteur preacuteface ou postface billet de geacuterancehellip Lrsquoimpreacutevisibiliteacute est lrsquoune des

caracteacuteristiques les plus eacutevidentes de lrsquoœuvre de Peacuteguy on ne peut pas savoir en

ouvrant par exemple un texte concernant les deacutesabonnements des Cahiers si

Peacuteguy nrsquoy donnera pas en passant la deacutefinition de la sainteteacute un texte sur Victor

Hugo srsquoavegravere ecirctre un texte sur Corneille etc Nous nrsquoavons donc eacutecarteacute aucun de

ses textes publieacutes en sachant toutefois que la plupart des manuscrits qui ne sont pas

336

publieacutes sont des brefs billets concernant la geacuterance des Cahiers de la quinzaine ce

qui a deacutetermineacute le choix de ne pas travailler sur les manuscrits ineacutedits

Une telle reacuteflexion sur les saints et sur la sainteteacute se heurte agrave une autre

difficulteacute lrsquoabsence parfois de commentaires de lrsquoauteur sur les sources de sa

penseacutee On trouve chez Peacuteguy des commentaires concernant lrsquoeacutecriture de la

premiegravere Jeanne drsquoArc ou quelques mots ici ougrave lagrave sur le projet des Mystegraveres les

sonnets Egraveve Il eacutevoque certains de ses inspirateurs Michelet Corneille Hugo

Bergson il parle de ses adversaires qui auraient aussi pu auparavant lrsquoinspirer

comme Renan certaines sources agrave peine nommeacutees sont toutefois eacutevidentes

comme les philosophes Platon Aristote Kant Cependant drsquoautres informations

par exemple sur les liens entre Peacuteguy et le judaiumlsme proviennent souvent

uniquement des teacutemoignages de ses amis comme celui de Jules Isaac Il est degraves lors

difficile drsquoanalyser par exemple un concept tregraves important pour notre sujet la

reacuteversibiliteacute Nous nrsquoavons pas pu trouver drsquoinformation agrave ce propos sur les lectures

de Peacuteguy srsquoil a trouveacute ce terme directement chez son principal theacuteoricien Joseph

de Maistre qursquoil ne mentionne nulle part ougrave chez Leacuteon Bloy qursquoil nrsquoappreacuteciait pas

particuliegraverement ou ailleurs

Une autre difficulteacute reacuteside dans le fait qursquoil srsquoagissait de saisir la coheacuterence de

la penseacutee de Peacuteguy alors que celle-ci est souvent paradoxale et qursquoil semble se

contredire Par exemple Peacuteguy se veut historien du preacutesent mais il nrsquoaime pas

lrsquohistoire en tant que discipline qui laquo fixe raquo le reacuteel vivant et qui en opeacuterant des

choix voue certains eacuteveacutenements agrave lrsquooubli Autre paradoxe il considegravere que la

meacutemoire et lrsquoexpeacuterience sont veacutecues dans la dureacutee mais peuvent faire obstacle agrave

lrsquoespeacuterance lrsquooubli est une forme drsquoexclusion mais peut ecirctre le berceau drsquoune

espeacuterance naissante

Malgreacute ces difficulteacutes nous avons pu suivre lrsquoeacutevolution de cette laquo sainteteacute

avant la sainteteacute raquo pour arriver agrave lrsquoideacutee drsquoune humaniteacute-amitieacute une fraterniteacute

chreacutetienne

337

Crsquoest lrsquoaspiration de Peacuteguy de creacuteer une citeacute harmonieuse qui lrsquoa pousseacute agrave

eacutecrire autant sur les saints et la sainteteacute Pour que soit possible une reacutevolution

socialiste morale ses principaux acteurs devaient atteindre une perfection morale

laquo commencer la reacutevolution du monde par la reacutevolution de nous-mecircme raquo (I 640) La

citeacute harmonieuse devait donc ecirctre constitueacutee drsquohommes de citoyens harmonieux

Pour reacutealiser ce projet Peacuteguy avait drsquoabord besoin drsquoexemples agrave imiter des

exemples harmonieux donc pas des ecirctres uniquement spirituels inhumainement

parfaits mais des ecirctres incarneacutes reacuteels exemplaires pour la vie dans la reacutealiteacute

charnelle Certes lrsquoexemple laquo par excellence raquo eacutetait Jeanne drsquoArc Mais ce nrsquoeacutetait

pas suffisant il lui fallait des exemples vivants contemporains Peacuteguy a drsquoabord

chercheacute ces exemples parmi ses amis Marcel Baudoin Bernard-Lazare ou parmi

ses contemporains plus eacuteminents et connus comme Zola ou Jauregraves

Le saint chez Peacuteguy a deux caracteacuteristiques principales crsquoest un ecirctre de

dialogue qui creacutee des ponts entre les hommes et aussi avec lrsquoau-delagrave et crsquoest un

ecirctre agissant Lrsquoun est impossible sans lrsquoautre le dialogue sans action est vain et

vide lrsquoaction sans dialogue devient violence et dictature Pour Peacuteguy vivre de

maniegravere exemplaire sainte parfaite nrsquoest pas suffisant quel que soit le degreacute

drsquoexigence il faut aussi agir changer le monde et œuvrer agrave sa transfiguration

Parmi les personnaliteacutes exemplaires que Peacuteguy choisit saintes ou non aucune nrsquoest

seulement parfaite sans une preuve par lrsquoaction

Pour lui lrsquoaction qui naicirct drsquoun dialogue change le monde On peut voir que

dans son admiration pour Zola ce que Peacuteguy admire le plus ce nrsquoest pas lrsquoœuvre en

soi le talent drsquoeacutecrivain ou la teacutemeacuteriteacute de sa conduite lors de lrsquoAffaire mais le fait

que lrsquoeacutecrivain eacutetait un pont entre le monde paysan et le monde des lettres crsquoest

lrsquohomme de dialogue et non lrsquohomme politique ou lrsquoeacutecrivain que Peacuteguy admirait

il ne voyait dans son travail drsquoeacutecrivain qursquoun atout permettant agrave Zola drsquoeffectuer

cette œuvre de dialogue Le discours de Jauregraves du 21 octobre 1886 seacuteduit Peacuteguy par

lrsquoideacutee de ne rien dissimuler au peuple donc drsquoentretenir un dialogue intense avec ce

peuple ce qui rendrait possible une action du peuple uni Crsquoest la rupture de de

dialogue que Peacuteguy ne pardonne pas agrave Jauregraves

338

Le geacutenie acteur du renouvellement ne suffit pas pour changer le monde Le

heacuteros celui qui agit en puisant la force dans sa race lorsque son entourage nrsquoose pas

agir ne suffit pas lui non plus Le heacuteros renouvelle aussi il rompt aussi lrsquohabitude

mais si le geacutenie deacutetruit lrsquohabitude mortifegravere dans la diachronie et creacutee quelque chose

qui nrsquoavait pas existeacute avant lui le heacuteros rompt lrsquohabitude dans la synchronie il

pose en effet un acte qursquoaucun de ses contemporains nrsquoest capable de poser Peacuteguy

cherche ce qui sera comme le levain de lrsquoEacutevangile repreacutesentant dans une parabole

le Royaume de Dieu ce levain laquo qursquoune femme enfouit dans trois grandes mesures

de farine jusqursquoagrave ce que toute la pacircte ait leveacute raquo (Luc 13 21) Pour Peacuteguy ce levain

capable de transformer crsquoest la sainteteacute qui change le monde Il la trouve dans le

personnage du saint qui cumule la capaciteacute du geacutenie de creacuteer le nouveau celle du

heacuteros enracineacute dans la terre la race et capable agir mais aussi celle drsquoecirctre ouvert

et docile agrave la gracircce

Peacuteguy cherchait aussi un ideacuteal de vie un exemple non seulement personnel

mais aussi une organisation de vie exemplaire Il le trouve drsquoabord dans la citeacute

antique ainsi que probablement dans le phalanstegravere de Fourier Il la trouve ensuite

dans la laquo paroisse raquo du Moyen Age dans laquo la chreacutetienteacute raquo ou plutocirct dans lrsquoaccord

harmonieux qursquoil cherche agrave creacuteer entre ces deux formes drsquoexistence de la socieacuteteacute

qui semblent ecirctre agrave lrsquoopposeacute lrsquoun de lrsquoautre

La citeacute harmonieuse va devenir citeacute de Dieu ndash communion des saints Il faut

donc des saints pour la bacirctir agissants parce qursquoune citeacute ne se construit pas toute

seule ecirctres de dialogue parce qursquoune communion ne se creacutee pas sans dialogue

ouverts agrave la gracircce et ancreacutes dans la race sauf agrave risquer de tomber dans une utopie

deacutesincarneacutee et cependant politiseacutee priveacutee de mystique

Ce but explique les vertus que Peacuteguy a privileacutegieacutees chez laquoses raquo saints il a

choisi les caracteacuteristiques requises pour les bons bacirctisseurs drsquoune citeacute harmonieuse

une citeacute de Dieu qui pourrait ecirctre incarneacute sur cette terre une communion une

amitieacute une fraterniteacute des saints

Les bons bacirctisseurs doivent bien travailler et le travail semble ecirctre une vertu

importante chez Peacuteguy Neacuteanmoins si pour Peacuteguy lrsquoaction est importante comme

339

lrsquoeffort il doit srsquoagir drsquoun effort pour le monde en utilisant la gracircce reccedilue de Dieu

et non drsquoune pratique de vertu cardinale pour atteindre Dieu laquo Les quatre

Cardinales naissent paiumlennes raquo (Ibid) et deviennent chreacutetiennes par le travail et

lrsquoeffort mais les trois Theacuteologales naissent de la gracircce par le don Le travail

drsquoordre spirituel peut selon Peacuteguy ecirctre une entrave agrave la confiance

La justice que Peacuteguy appelle parfois justesse est une sorte de diapason qui sert

agrave srsquoaccorder agrave Dieu agrave mesurer la qualiteacute de lrsquoimitation parce que crsquoest Dieu et que

chez Peacuteguy crsquoest une sorte drsquoideacuteal de comportement des hommes envers leurs

prochains Une citeacute de Dieu ne peut donc ecirctre geacutereacutee que par la loi de la justice La

liberteacute des saints est une eacutevidence si lrsquoun drsquoeux contribue agrave lrsquoœuvre de la

construction de la citeacute de Dieu par contrainte cela voudrait dire qursquoil ne travaille

pas avec amour

La veacuteriteacute est clairement une eacutevidence parce que le dialogue avec Dieu comme

avec les hommes est impossible sans veacuteriteacute les saints sont donc vrais avec eux

mecircme Dieu et autrui Le mensonge de Jeanne drsquoArc pour pouvoir quitter Domreacutemy

avec son oncle fait lrsquoobjet drsquoune longue scegravene dans la trilogie justement pour

montrer agrave quel point ce mensonge est une chose impossible pour Jeanne

Lrsquoinnocence prise dans son sens litteacuteral absence de notion de connaissances

et non pas naiumlveteacute permet de ne pas srsquoappuyer uniquement sur les acquis du passeacute

pour laisser place au geacutenie cacheacute parfois dans le saint capable de creacuteer du nouveau

Lrsquoinnocence qui remplace chez Peacuteguy la vertu theacuteologale de la foi rejoint la vertu

de lrsquoinquieacutetude juive qui ne permet pas de srsquoappuyer sur un dogme et devient aussi

un facteur important du dialogue avec Dieu les questions et donc une relation

naissent du doute Lrsquoinnocence est en quelque sorte la condition sine qua non de

lrsquoespeacuterance sur laquelle se construit la citeacute de Dieu

Dans le dernier texte de Peacuteguy la Note conjointe sur M Descartes et la

philosophie carteacutesienne il y a un passage tregraves eacutetrange drsquoun point de vue

theacuteologique mais qursquoon comprend mieux si on perccediloit les saints chez Peacuteguy dans la

perspective de la construction de la citeacute de Dieu ndash communion des saints Il srsquoagit

du passage ougrave Peacuteguy compare deux cateacutegories de saints

340

Il y a des saints que je nommerai des saints de beacuteatitude et pour ainsi dire drsquoanticipation Et il y a des saints de militation qursquoon pourrait nommer des saints de misegravere et de peine et presque des saints drsquoamertume et drsquoingratitude Les premiers seraient les plus beaux et les plus grands Mais Jeacutesus est plus proprement le patron et le modegravele des derniers (III 1392-1393)

Les saints de militation ce sont justement les bacirctisseurs de la citeacute de Dieu ceux

qui œuvrent dans le sang la sueur et les larmes ce sont les saints chez qui prime

lrsquoaction Les saints de la beacuteatitude ce sont les habitants de la citeacute ceux chez qui

prime le dialogue avec Dieu avec les hommes qui sont habiteacutes par la paix et

soucieux de transmettre la paix

Lrsquoobjectif socialiste et chreacutetien de Peacuteguy est de construire la citeacute de Dieu sur

terre la terre que nous habitons Il srsquoagit donc drsquoune citeacute qui existe dans le temps et

dans lrsquoespace elle a un passeacute un preacutesent et un futur Cependant ses frontiegraveres ne

peuvent pas ecirctre deacutefinies comme celles drsquoune simple citeacute mateacuterielle Par exemple

pour ce qui concerne lrsquoespace elle se trouve partout sur la terre ougrave un martyr est

mort ougrave un saint a veacutecu dans chaque lieu proteacutegeacute par un saint patron Ce patron se

voit confier une tacircche eacuteternelle amener au bercail dans la citeacute de Dieu toutes les

brebis eacutegareacutees du territoire qui lui est confieacute Si toutes les brebis rentrent au bercail

ce lieu devient une partie de la citeacute de Dieu qursquoon pourrait aussi selon les textes de

Peacuteguy appeler communion de saints Pour ce qui concerne le temps puisque les

saints demeurent en dialogue constant les uns avec les autres sans tenir compte des

siegravecles qui les seacuteparent la citeacute nrsquoa pas vraiment de limite temporelle la communion

des saints entre eux deacutetruit ces limites Cependant agrave lrsquointeacuterieur de cette citeacute-

communion eacuteternelle il y a la reacutevolution de la fondation la creacuteation de quelque

chose de nouveau lrsquoeacuteveacutenement qui reacuteveille qui renouvelle qui donne naissance et

du coup rend eacuteternel

Pour que rien ni personne dans ce monde ne soit exclu de la communion des

saints il faut changer le monde ce qui constitue la meilleure lutte contre

lrsquoexclusion Le saint va donc agir dans le reacuteel au preacutesent ecirctre attentif agrave

lrsquoeacuteveacutenement et accueillant agrave la gracircce et agrave la force de lrsquoespeacuterance Si Peacuteguy rejette

autant le monde moderne et lrsquoideacutee du progregraves crsquoest parce que la citeacute de Dieu ne

peut pas ecirctre bacirctie sur des deacutecombres ni des ruines Elle est construite sur un

341

heacuteritage accueilli dans une hospitaliteacute sans borne et elle nrsquoa pas peur de travailler agrave

la transfiguration drsquoun heacuteritage parfois encombrant pour qursquoil puisse entrer aussi

dans la communion On voit bien dans lrsquoœuvre de Peacuteguy comment finalement il

ne rejette rien ni de son enseignement scolaire laiumlc ni de son enseignement

religieux ni de sa formation plus tardive qui aurait pu parfois sembler contraire agrave

ses convictions Il compose avec lrsquoheacuteritage qursquoil a reccedilu mais il ne rejette rien il ne

deacutetruit pas les pierres il les travaille afin de srsquoen servir pour bacirctir Ainsi la citeacute de

Dieu inclut tout et tous dans la communion des saints dans le corps mystique du

Christ qui chez Peacuteguy est plus grand que lrsquoEacuteglise terrestre puisque Peacuteguy fait

partie de cette communion sans pour autant pouvoir faire partie de lrsquoEacuteglise

catholique Ce qui unit crsquoest lrsquoœuvre commune la Liturgie de la construction de la

citeacute le processus de la creacuteation de cette communion des saints

Le saint se tient au carrefour il est pleinement inscrit dans le preacutesent dans

lrsquoaction dans lrsquoeacuteterniteacute par lrsquoeacutecoute et lrsquoaccueil de la gracircce comme il lrsquoest dans le

passeacute et lrsquohistoire par lrsquoenracinement Il incarne ainsi le dialogue universel

Pour pouvoir agir il faut des forces surnaturelles le monde ne pousse pas agrave

une action exceptionnelle Peacuteguy se met donc agrave chercher quelles eacutetaient et quelles

sont les forces dans lesquelles puisent les heacuteros et les geacutenies pour pouvoir

commettre des actes exceptionnels et exemplaires Au cours de sa vie et au fil de

son travail il en trouve trois la race la gracircce et une troisiegraveme force plus difficile agrave

deacutefinir qui reacuteunit lrsquoespeacuterance et le renouvellement lrsquoesprit drsquoenfance dont parle

lrsquoun des inspirateurs et maicirctres de Peacuteguy Jules Michelet

Cette capaciteacute de srsquoappuyer sur des forces surnaturelles demande un don de

dialogue de lien Pour puiser dans la race il faut posseacuteder le don de lrsquoenracinement

du lien avec le passeacute et avec lrsquohistoire celle du monde celle de son pays la sienne

propre Pour puiser dans lrsquoespeacuterance de lrsquoesprit drsquoenfance il faut ecirctre ouvert au

preacutesent au reacuteel Pour accueillir la gracircce il faut devenir un ecirctre de dialogue un

dialogue agrave poursuivre avec Dieu et avec lrsquoau-delagrave

Pour pouvoir changer le monde la sainteteacute doit donc appartenir au monde y

ecirctre preacutesente par la personne du saint pleinement homme Elle doit eacutegalement

342

pouvoir lrsquoenglober drsquoun point de vue temporel ce qui suppose drsquoappartenir agrave

lrsquoeacuteterniteacute par le lien de dialogue avec lrsquoeacuteternel Lrsquoideacuteal de la chreacutetienteacute meacutedieacutevale

srsquoeacutelargit donc chez Peacuteguy vers la communion des saints qui unit toute lrsquohumaniteacute

par la reacuteversibiliteacute de gracircces

La piste qui nous semble particuliegraverement inteacuteressante agrave deacutevelopper

ulteacuterieurement dans lrsquoeacutetude de la sainteteacute chez Peacuteguy est celle des eacutetudes

compareacutees Peacuteguy nrsquoeacutetait pas le seul loin srsquoen faut agrave eacutecrire des mystegraveres en ce

deacutebut du XXe siegravecle On pourrait citer Joseacutephin Peacuteladan Henri Gheacuteon Paul

Claudel ou un peu plus tard megravere Maria Skobtsova T S Eliot GK Chesterton

Dorothy Sayers et tant drsquoautres Cette piste drsquoexigence liturgique de la litteacuterature

meacuteriterait drsquoecirctre exploreacutee pourquoi les eacutecrivains de cette fin de siegravecle tendaient-ils

agrave tel point vers une tentative de creacuteer une nouvelle liturgie par la Parole poeacutetique

Pourquoi la litteacuterature a-t-elle voulu en ce deacutebut du XXe siegravecle faire sortir la

liturgie des murs des frontiegraveres de lrsquoEacuteglise en srsquoeacutelargissant vers une laquo messe sur le

monde raquo (Teilhard de Chardin) vers une laquo liturgie hors lrsquoEacuteglise raquo (megravere Maria

Skobtsova)

Drsquoautres auteurs encore eacutecrivains ou philosophes sans se lancer dans des

tentatives drsquoeacutecritures plus ou moins liturgiques ont exprimeacute la quecircte drsquoune sainteteacute

laiumlque ou pas capable de sauver le monde Camus Leacutevinas Fedotov Berdiaev

Pasternak

Peacuteguy est un poegravete de lrsquoeacutemerveillement un eacutemerveillement qui naicirct de la

rencontre entre son acircme inhabitueacutee capable de discerner le nouveau dans ce et ceux

qursquoil rencontre ainsi que de son deacutesir drsquoimiter des personnaliteacutes exemplaires de son

ami Marcel Beaudoin au Polyeucte de Corneille de Bernard-Lazare agrave Jeanne drsquoArc

et Jeacutesus Son deacutesir de bacirctir une citeacute harmonieuse sur terre en passant par une

reacutevolution morale deacutebute dans lrsquoadmiration des exemples pour aboutir agrave la

participation de lrsquohomme peacutecheur agrave la reacutedemption du monde agrave la naissance la

fondation comme dirait Peacuteguy du royaume de Dieu par lrsquoabandon total agrave la gracircce

343

Le Christ sauve le monde en srsquoincarnant en se faisant homme en acceptant la

condition humaine et la mort et finalement en ressuscitant Le saint continue

lrsquoœuvre du salut et de la reacutedemption du monde laquo en imitant Jeacutesus raquo Le paradoxe du

saint chez Peacuteguy crsquoest qursquoil est peacutecheur il accueille la gracircce dans sa condition

drsquohomme et drsquohomme peacutecheur

Cependant sans ecirctre preacutesent dans ce monde tel qursquoil est une citeacute

disharmonieuse le saint ne peut pas selon Peacuteguy le sauver Le saint doit accueillir

la gracircce dans son cœur tout en demeurant enracineacute dans ce monde et sa meacutemoire

dans la fideacuteliteacute agrave ses ancecirctres et agrave la terre qursquoil habite et qui ainsi lui est confieacutee en

patronage

Le saint selon Peacuteguy doit discerner lrsquoaction que Dieu et le monde attendent de

lui dans la reacutealiteacute de lrsquoeacuteveacutenement tel qursquoil se preacutesente agrave lui Il ne doit pas avoir une

acircme enfermeacutee dans lrsquohabitude parce qursquoil ne saura pas alors reconnaicirctre la gracircce

qui est toujours nouvelle Pour discerner la vocation et devenir un saint agissant le

saint doit pour Peacuteguy devenir un ecirctre drsquoespeacuterance qui permet de toujours voir ce

qui est nouveau naissant

Mais nul saint ne peut sauver le monde tout seul Un ecirctre isoleacute ne saurait

accueillir toute la puissance de la gracircce divine Le saint peut srsquounir agrave Dieu dans

lrsquo laquo œuvre commune raquo de la Liturgie en lrsquoimitant dans la force et la gracircce de la

communion des saints qui fait le Corps du Christ lrsquoEacuteglise

Et mecircme si Peacuteguy dans sa vie est resteacute au porche de lrsquoEacuteglise son eacutecriture les

saints qursquoil a laquo creacuteeacutes raquo ou recreacuteeacutes dans son œuvre imitent Jeacutesus Les saints de

Peacuteguy sont des saints agissants et son œuvre appelle agrave lrsquoaction en revenant aux

sources juives de son œuvre on peut dire qursquoelle appelle au Ticcoun Olam la

reacuteparation du monde et de sa justice-justesse Ainsi par son verbe poeacutetique

( ποίησις poiacuteecircsis laquo creacuteation action de faire raquo) et laquo liturgique raquo Peacuteguy et les saints

qui apparaissent dans ses textes participent agrave lrsquoœuvre commune de la reacutedemption du

monde

344

BIBLIOGRAPHIE

Cette bibliographie recense les ouvrages citeacutes dans le corps du travail mais

aussi ceux qui ont indirectement nourri notre reacuteflexion

I Corpus primaire

Œuvres de Charles Peacuteguy

BAUDOIN Marcel et Pierre Jeanne drsquoArc drame en 3 actes Paris Librairie

des cahiers socialistes 1897

Ballade (La) du cœur poegraveme ineacutedit eacuted critique par Julie Sabiani Paris

Klincksieck coll laquo Publications de lrsquoUniversiteacute drsquoOrleacuteans UER Lettres et sciences

humaines raquo 1973

Peacuteguy tel qursquoon lrsquoignore textes choisis et preacutesenteacutes par Jean Bastaire Paris

Gallimard coll laquo Ideacutees 291 Philosophie raquo) 1973

Œuvres en prose complegravetes TI Paris Gallimard coll laquo Bibliothegraveque de la

Pleacuteiade raquo 1987

Œuvres en prose complegravetes TII Paris Gallimard coll laquo Bibliothegraveque de la

Pleacuteiade raquo 1988

Œuvres en prose complegravetes TIII Paris Gallimard coll laquo Bibliothegraveque de la

Pleacuteiade raquo 1992

Prier 15 jours avec Charles Peacuteguy [eacuted] Pierre Deruaz Paris Nouvelle Citeacute

coll laquo Prier raquo 2004

345

Eacutedition critique des laquo Sept contre Thegravebes raquo de Charles Peacuteguy Eacutedition critique

par Romain Vaissermann Avignon La Tour Saint-Jean 2010

Œuvres poeacutetiques et dramatiques complegravetes Paris Gallimard coll

laquo Bibliothegraveque de la Pleacuteiade raquo 2014

La Tapisserie de sainte Geneviegraveve et de Jeanne drsquoArc et vers ineacutedits Eacutedition

critique par Romain Vaissermann Orleacuteans Paradygme 2016

Chacircteaux de Loire et vers ineacutedits Eacutedition critique par Romain Vaissermann

Delatour France 2016

Correspondances

Charles Peacuteguy Joseph Lotte Lettres et entretiens Paris Editions de Paris 1954

Charles Peacuteguy Alain Fournier Correspondance Paysages drsquoune amitieacute par REY-

HERME Yves Paris Fayard 1973

Charles Peacuteguy Louis Boitier et le radicalisme orleacuteanais correspondance dossier

preacutesenteacute et commenteacute par Jacques Birnberg Paris Cahiers de lrsquoAmitieacute Charles

Peacuteguy diff Minard coll laquo Cahiers de lrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy 26 raquo 1976

Charles Peacuteguy et Pierre Marcel Correspondance (1905-1914) 398 textes reacuteunis

classeacutes et annoteacutes par Julie Sabiani Paris Cahiers de lrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy diff

Minard coll laquo Cahiers de lrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy 27 raquo 1980

Peacuteguy et Eacutemile Moselly introd par Alfred Saffrey correspondance eacutechangeacutee

souvenirs par Eacutemile Moselly Paris LrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy Minard 1966 coll

laquo Cahiers de lrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy 18 raquo 1966

Pour lrsquohonneur de lrsquoesprit correspondance entre Charles Peacuteguy et Romain

Rolland (1898-1914) introd et notes drsquoAuguste Martin Paris A Michel coll

laquo Cahiers Romain Rolland 22 raquo 1973

Charles Peacuteguy Andreacute Suaregraves correspondance preacutesenteacutee par Alfred Saffrey Paris

Minard coll laquo Cahiers de lrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy 14 raquo 1961

346

Peacuteguy tel qursquoon lrsquoignore textes choisis et preacutesenteacutes par Jean Bastaire Paris

Gallimard coll laquo Ideacutees 291 Philosophie raquo 1973

Charles Peacuteguy et les laquo Cahiers de la quinzaine raquo catalogue de la correspondance

I Lettres reccedilues catalogue reacutedigeacute par Franccedilois Boulard et Veacuteronique Mignan sous

la dir de Julie Bertrand-Sabiani avec la collab de Geacuteraldi Leroy Orleacuteans Presses

universitaires drsquoOrleacuteans 2000

II Corpus secondaire

BARREgraveS Maurice Les Deacuteracineacutes (1897) eacutedition critique (Jean-Michel Wittmann

amp Emmanuel Godo (eacuteds) Paris Honoreacute Champion 2004

CAMUS Albert La Peste Paris Gallimard 2012

CAMUS Albert Journaux de voyages Paris Gallimard 2013

CORNEILLE Pierre Œuvres complegravetes T1 Imprimeurs de lrsquoInstitut de France

Paris 1843

DELTEIL Joseph Jeanne drsquoArc Paris Grasset 2011

LAZARE (Bernard) Le Fumier de Job texte eacutetabli par Philippe Oriol Paris

Honoreacute Champion 1998

ROLLAND Romain Jean-Christophe Paris Albin Michel 2008

VERLAINE Paul Œuvres poeacutetiques compegravetes Paris Gallimard coll laquo La

Pleacuteiade raquo 1962

347

III Bibliographie critique

Biographies et teacutemoignages

ARCHAMBAULT Paul Charles Peacuteguy images drsquoune vie heacuteroiumlque Paris Bloud et

Gay coll laquo La nouvelle journeacutee 3 raquo 1939

AVICE Reneacute Peacuteguy pegravelerin drsquoespeacuterance Bruges Beyaert 1952

BOUDON Victor Mon lieutenant Charles Peacuteguy juillet-septembre 1914 Paris A

Michel 1964

CHAIGNE Louis Charles Peacuteguy heacuteraut de lrsquoespeacuterance Paris Eacuted des Loisirs

coll laquo Lrsquoacircme de la France raquo 1944

PREacuteVOST Gille Charles Peacuteguy et ses ancecirctres Paris Eacuteditions de la Voucircte coll

laquo Ancecirctres raquo 2002

CHRISTOPHE Lucien Le jeune homme Peacuteguy de la source au fleuve (1897-1905)

Bruxelles La Renaissance du livre 1963

ndash Les grandes heures de Charles Peacuteguy du fleuve agrave la mer (1905-1914)

Bruxelles La Renaissance du livre 1964

COUTEL Charles Petite vie de Charles Peacuteguy Descleacutee de Brouwer Paris 2013

DANIEL-ROPS Peacuteguy Paris Flammarion 1933

FRAISSE Simone Peacuteguy Paris Seuil coll Eacutecrivains de toujours 103 raquo 1979

GUILLEMIN Henri Charles Peacuteguy Paris Seuil 1981

GUYON Bernard Peacuteguy Paris Hatier coll laquo Connaissance des Lettres 55 raquo

1973

HALEacuteVY Daniel Peacuteguy Paris Pluriel 1979

ISAAC Jules Combat pour la veacuteriteacute pages choisies et textes ineacutedits preacutef drsquoAndreacute

Alba Paris Hachette 1970

ndash Expeacuteriences de ma vie [1] Peacuteguy Paris Calmann-Leacutevy 1959

348

JOHANNET Reneacute Itineacuteraires drsquointellectuels (Peacuteguy-Sorel) Paris Nouvelle

Librairie nationale 1921

ndash Vie et mort de Peacuteguy Paris Flammarion coll laquo Les grandes biographies raquo

1950

LEPLAY Michel Charles Peacuteguy Paris Descleacutee de Brouwer coll laquo Temps et

visages seacuterie Religion spiritualiteacute raquo 1998

LEROY Geacuteraldy Peacuteguy lrsquoinclassable Paris Armand Colin 2014

MARITAIN Jacques et BAILLET dom Louis Peacuteguy au porche de lrsquoEacuteglise

correspondance ineacutedite eacuted eacutetablie preacutes et annoteacutee par Reneacute Mougel et Robert

Burac preacutef par Jean Bastaire postf par Jean Schlick Paris Cerf coll laquo Textes raquo

1997

MARTIN Auguste Bergson et Peacuteguy Le dossier Bergson-Peacuteguy Paris Presses

universitaires de France coll laquo Les eacutetudes bergsoniennes 8 raquo 1968

ndash Peacuteguy et Alain-Fournier eacutevocation drsquoune amitieacute Paris LrsquoAmitieacute Charles

Peacuteguy coll laquo Cahiers de lrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy 8 raquo 1954

MAXENCE Jean-Pierre et GORODETZKY Nadejda Charles Peacuteguy textes suivis

de deacutebats au Studio franco-russe Paris Descleacutee de Brouwer 1931

MOREAU Abel DrsquoOrleacuteans agrave la Marne Charles Peacuteguy 1873-1914 Louvain M amp

L Symons Bruxelles Eacuted Foyer Notre-Dame coll laquo Convertis du XXe siegravecle raquo

1953

PEacuteGUY Marcel Le destin de Charles Peacuteguy Paris Perrin 1941

ndash Pourquoi Peacuteguy fonda les lsquoCahiersrsquo Paris Eacuted du Conquistador 1950

ndash La rupture de Charles Peacuteguy et de Georges Sorel drsquoapregraves des documents

ineacutedits Paris Cahiers de la quinzaine 1930

PEacuteGUY Pierre Peacuteguy preacutesenteacute aux jeunes Paris Gallimard 1941

PERCHE Louis Essai sur Charles Peacuteguy Paris Pierre Seghers coll laquo Poegravetes

drsquoaujourdrsquohui 60 raquo 1957

349

PORCHEacute Franccedilois Peacuteguy et les Cahiers de la quinzaine Paris C Bloch 1914

RECLUS Maurice Le Peacuteguy que jrsquoai connu avec 100 lettres de Charles Peacuteguy

1905-1914 Paris Hachette 1951

REY-HERNE Yves Charles Peacuteguy Paris Fleurus coll laquo Croyants de tous pays raquo

1987

ROLLAND Romain Peacuteguy Paris A Michel 2 vol 1944

ROUSSEL Jean Charles Peacuteguy preacutef de Daniel-Rops Paris Eacuted Universitaires

coll laquo Les classiques du XXe siegravecle 4 raquo 1952

SECREacuteTAIN Roger Peacuteguy soldat de la veacuteriteacute Marseille Sagittaire 1941

SUAREgraveS Andreacute Peacuteguy Paris Eacutemile-Paul 1915

SUIRE Pierre Peacuteguy Niort Impr Saint-Denis 1943

TARDIEU Marc Charles Peacuteguy biographie Paris F Bourin 1993

TEYSSIER Arnaud Charles Peacuteguy une humaniteacute franccedilaise Paris Perrin 2008

THARAUD Jeacuterocircme et Jean Lrsquoacircme de Peacuteguy Monaco Impr de Monaco 1927

ndash Notre cher Peacuteguy Paris Plon-Nourrit 1926 2 vol

ndash Pour les fidegraveles de Peacuteguy Paris Dumas 1949

VANDAMME Jean Charles Peacuteguy Bruges-Utrecht Descleacutee de Brouwer 1963

Un compagnon de Peacuteguy Joseph Lotte (1875-1914) pages choisies et notice

biographique par Pierre Pacary preacutef par Pierre Batiffol Paris J Gabalda 1916

Monographies critiques

AGEORGES Joseph La sublime folie de Charles Peacuteguy Paris P Lethielleux coll

laquo Publicistes chreacutetiens 2 raquo 1941

ARCHAMBAULT Paul Peacuteguy la patrie charnelle et la citeacute de Dieu Paris Bloud

et Gay 1940

350

AUBENQUE Jacques Images de Peacuteguy preacutef de Touny-Leacuterys Paris Luteacutetia 1942

AVICE Robert Peacuteguy pegravelerin drsquoespeacuterance Bruges Beyaert 1947

BALTHASAR Hans Urs von La gloire et la croix 2 II Styles de Jean de la Croix

agrave Peacuteguy les aspects estheacutetiques de la Reacuteveacutelation trad de lrsquoallemand

[Herrlichkeithellip II Faumlcher der Stile] par Robert Givord et Heacutelegravene Bourboulon

Paris Aubier (coll Theacuteologie 81) 1972

BANCQUART Marie-Claire Les eacutecrivains et lrsquohistoire drsquoapregraves Maurice Barregraves

Leacuteon Bloy Anatole France Charles Peacuteguy Paris A-G Nizet 1966

BARRAL Ceacuteline Le tact du poleacutemiste du local au mondial trois œuvres de

poleacutemistes au deacutebut du XXe siegravecle (Charles Peacuteguy Karl Kraus Lu Xun) thegravese

soutenue en 2015 agrave Paris 8

BARBIER Joseph La priegravere chreacutetienne agrave travers lrsquoœuvre de Charles Peacuteguy Paris

Les eacuteditions de lrsquoeacutecole 1959

ndash lrsquoEgraveve de Peacuteguy Paris eacuteditions de lrsquoEcole 1963

ndash Le vocabulaire la syntaxe et le style des poegravemes reacuteguliers de Charles Peacuteguy

Paris Berger-Levrault 1957

BASTAIRE Jean et LUBAC Henri de Claudel et Peacuteguy Paris Aubier-Montaigne

1974

BASTAIRE Jean Court traiteacute drsquoinnocence [Appendice Peacuteguy et lrsquoenfance] Paris

Lethielleux Namur Culture et veacuteriteacute coll laquo Le Sycomore raquo Seacuterie laquo Chemins de

crecircte raquo 1977

ndash Peacuteguy contre Peacutetain lrsquoappel du 17 juin par Jean Bastaire Paris Eacuted

Salvator coll laquo Juste un deacutebat raquo 2000

ndash Peacuteguy lrsquoinchreacutetien Tournai-Paris Descleacutee de BrouwerProost coll

laquo Descleacuteeessai raquo 1991

ndash Peacuteguy lrsquoinsurgeacute Paris Payot coll laquo Traces raquo 1975

ndash Prier agrave Chartres avec Peacuteguy preacutef de Mgr Jacques Perrier Paris Descleacutee de

Brouwer coll laquo Prier agravehellip avechellip raquo 1993

351

BEacuteGUIN Albert La priegravere de Peacuteguy Neuchatel Editions de la Baconniegravere 1942

ndash Lrsquo laquo Egraveve raquo de Peacuteguy Essai de lecture commenteacutee suivi de documents ineacutedits

Paris coll laquo Cahier de lrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy raquo Labergerie 1948

BONENFANT Joseph Lrsquoimagination du mouvement dans lrsquoœuvre de Peacuteguy

Montreacuteal Centre eacuteducatif et culturel coll laquo Reflets 2 raquo 1969

BONNAUD-LAMOTTE Danielle Charles Peacuteguy devant la laquo reacutevolution sociale raquo

preacutef drsquoAngelo Prontera Lecce Milella coll laquo Incontri 12 raquo 1993

BERNON [BRULEY] Pauline Rheacutetorique et style dans la prose de Charles Peacuteguy

preacutef de Franccediloise Gerbod Paris H Champion coll laquo Litteacuterature de notre siegravecle

39 raquo 2010

BRUNET Frantz En compagnie de Charles Peacuteguy Macirccon Impr Buguet-

Comptour 1956

ndash La morale de Charles Peacuteguy Moulins Eacuted des Cahiers bourbonnais 1961

BURAC Robert Charles Peacuteguy la reacutevolution et la gracircce Paris R Laffont coll

laquo Biographies sans masque raquo 1994

ndash Le sourire drsquoHypatie essai sur le comique de Charles Peacuteguy Paris H

Champion coll laquo Litteacuterature de notre siegravecle raquo 1999

CAHM Eric Peacuteguy et le nationalisme franccedilais Paris Minard coll laquo Cahiers de

lrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy 25 raquo 1972

CATTAUI Georges Peacuteguy teacutemoin du temporel chreacutetien Paris Eacuted du Centurion

coll laquo Humanisme et religion raquo 1964

CHABANON Albert La poeacutetique de Peacuteguy Paris Robert Laffont 1947

CHALLAYE Feacutelicien Peacuteguy socialiste Paris Amiot-Dumont 1954

CHAMPEAUX Ernest Charles Peacuteguy philosophe chreacutetien Versailles lrsquoauteur

1974

CHANTRE Benoicirct Peacuteguy point final Paris le Feacutelin 2014

352

CHAPUT Heacutelegravene Le thegraveme de la vierge dans lrsquoœuvre de Peacuteguy thegravese preacutesenteacutee

pour obtenir le doctorat drsquouniversiteacute agrave lrsquoUniversiteacute de Paris 1968

CHRISTOPHE Lucien Lrsquoode agrave Peacuteguy et lrsquoappel du heacuteros Bruxelles Eacuted des

artistes 1942

CIMON Paul Peacuteguy et le temps preacutesent Ottawa Fides 1964

CLAVEL Henri Lrsquoimposture socialiste dans lrsquoœuvre de Charles Peacuteguy Paris

Nouvelles eacuteditions latines 1986

COLLIGNON Bernard Pourquoi ont-ils tueacute Peacuteguy Latresne Eacuted Le bord de

lrsquoeau coll laquo Documents raquo 2005

COUTEL Charles Coutel Lrsquohospitaliteacute de Peacuteguy Paris Descleacutee de Brouwer 2011

DADOUN Roger Eros de Peacuteguy la guerre lrsquoeacutecriture la dureacutee Paris Presses

universitaires de France coll laquo Eacutecrivains raquo 1988

ndash Lrsquoutopie haut lieu drsquoinconscient (Lrsquoutopie et ses meacutetamorphoses)

Zamiatine Duchamp Peacuteguy Paris Sens amp Tonka coll laquo 10vingt-Essai raquo 2000

DAUDIN Claire Dieu a-t-il besoin de lrsquoeacutecrivain Peacuteguy Bernanos Mauriac

Paris Cerf coll laquo Cerf litteacuterature raquo 2002

DAVID Maurice Initiation agrave Charles Peacuteguy Paris La Nouvelle Eacutedition coll

laquo Initiation raquo 1945

DEJOND Thierry Charles Peacuteguy Lrsquoespeacuterance drsquoun salut universel Namur

Culture et Veacuteriteacute diff Breacutepols coll laquo Chreacutetiens aujourdrsquohui nouv seacuterie 2 raquo 1989

DELAPORTE Jean Connaissance de Peacuteguy Paris Plon 1944 2 vol ndash Nouv eacuted

1959 ndash Refonte Peacuteguy dans son temps et dans le nocirctre Paris Union geacuteneacuterale

drsquoeacutedition coll laquo Le monde en 1018 353-355 raquo 1967

DELHAYE Philippe La penseacutee de Charles Peacuteguy sur lrsquoenfer Ciney Impr de

Marsia 1941

DERUAZ Pierre Prier 15 jours avec Charles Peacuteguy Paris Nouvelle Citeacute coll

laquo Prier 15 jours avec raquo 2004

353

DEVAUX Andreacute A La figure du pegravere dans lrsquoœuvre de Charles Peacuteguy Paris

LrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy 1976

DONCOEUR Paul Peacuteguy la reacutevolution et le sacreacute Lyon Agrave lrsquoOrante 1942

DUBOIS-DUMEacuteE Jean-Pierre Solitude de Peacuteguy Paris Plon 1946

DUMONT Jean-Noeumll Peacuteguy Lrsquoaxe de deacutetresse Michalon Paris 2005

FAGUER Nicolas Un constant approfondissement du cœur lrsquouniteacute de lrsquoœuvre de

Peacuteguy selon Hans Urs von Balthasar Berlin Lit Verlag dr W Hopf 2013

FERNANDEZ Ramon Itineacuteraire franccedilais de Descartes agrave Peacuteguy Paris Eacuted du

Pavois 1943

FINKIELKRAUT Alain Le meacutecontemporain Paris Gallimard 1991

FONSEGRIVE George-Lespinasse De Taine agrave Peacuteguy lrsquoeacutevolution des ideacutees dans la

France contemporaine Paris Bloud et Gay 1920

FRAISSE Simone Peacuteguy et le monde antique Paris Armand Colin 1973

ndash Peacuteguy et le Moyen Age Honoreacute Champion 1978

ndash Peacuteguy et la terre Paris Sang de la terre 1988

GAUCHERAND Marc Le Sens du travail dans la penseacutee de Charles Peacuteguy thegravese

de doctorat en philosophie preacutesenteacutee agrave lrsquouniversiteacute de Paris IV ndash Sorbonne en 1987

GALLI Attilio Charles Peacuteguy contestataire total Monte Carlo Regain 1972

GERBOD Franccediloise Peacuteguy lecteur de Corneille thegravese de IIIe cycle soutenue en

1969 agrave lrsquoUniversiteacute de Nanterre

ndash Eacutecriture et histoire dans lrsquoœuvre de Peacuteguy Lille Universiteacute de Lille III

Service de reproduction des thegraveses 1981 2 vol

GIL Marie Peacuteguy au pied de la lettre La question du litteacuteralisme dans lrsquoœuvre de

Peacuteguy Paris Cerf coll laquo Litteacuterature raquo 2011

GILLET Louis Claudel Peacuteguy Paris Eacuted du Sagittaire 1946

ndash Deux poegravetes paysans Lamartine et Charles Peacuteguy Saint-Feacutelicien

(Ardegraveche) Au Pigeonnier 1941

354

GOLDIE Rosemary Vers un heacuteroiumlsme inteacutegral dans la ligneacutee de Peacuteguy preacutef par

Albert Beacuteguin Paris Amitieacute Charles Peacuteguy coll laquo Cahiers de lrsquoAmitieacute Charles

Peacuteguy 5 raquo 1951

GROSOS Philippe) Peacuteguy philosophe Chatou Eacuted de la Transparence 2005

GUYON Bernard Lrsquoart de Peacuteguy Paris Labergerie coll laquo Cahiers de lrsquoAmitieacute

Charles Peacuteguy 2 raquo 1948

ndash Peacuteguy devant Dieu Paris Descleacutee de Brouwer coll laquo Les eacutecrivains devant

Dieu raquo 1974

GUYOT Charly Peacuteguy pamphleacutetaire Neuchacirctel Agrave la Baconniegravere 1950

HALEacuteVY Daniel Peacuteguy et les Cahiers de la quinzaine Paris B Grasset 1939

ndash Quelques nouveaux maicirctres Paris E Figuiegravere coll laquo Les Cahiers du Centre

6e seacuterie 59-60 raquo 1914

HELOU Roula Les Images dans les mystegraveres de Charles Peacuteguy Villeneuve

drsquoAscq Presses universitaires du Septentrion 2002

HENRI Andreacute Bergson maicirctre de Peacuteguy Paris Elzeacutevir 1948

HIGAKI Juri [Julie] Peacuteguy et Pascal Les laquo trois ordres raquo et laquo lrsquoordre du cœur raquo

Clermond-Ferrand Presse Universitaire Blaise Pascal 2005

JULLIARD Jacques Lrsquoargent Dieu et le diable face au monde moderne avec

Peacuteguy Bernanos Claudel Paris Flammarion 2008

KANG Seung-Hi La quecircte de lrsquoabsolu agrave travers lsquoEgraveversquo de Charles Peacuteguy et lsquoNim-Ui

chim mukrsquo (lsquoVotre silencersquo) de Han Yong-U Villeneuve-drsquoAscq Presses du

Septentrion coll laquo Thegraveses agrave la carte raquo 2001

KRAKOWSKI Edouard Deux poegravetes de lrsquoheacuteroiumlsme Charles Peacuteguy et Stanislas

Wyspianski Preacutef du cardinal Baudrillard Paris-Neuchacirctel V Attinger coll

laquo Poegravetes du nouvel acircge raquo 1937

KURATA Kiyoshi et MATSUDA M Peacuteguy et la France Tokyo Bunrin-Shojn

1964

355

LAICHTER Frantisek Peacuteguy et ses lsquoCahiers de la Quinzainersquo trad du tchegraveque par

Dominique Fournier Paris Eacuted de la Maison des sciences de lrsquoHomme 1985

LASSERRE Pierre Les chapelles litteacuteraires Claudel Jammes Peacuteguy Paris

Garnier 1920

LENNE Francine Le chevecirctre une lecture de Charles Peacuteguy Lille Eacuted du

Septentrion Presses universitaires de Lille coll laquo Racines et modegraveles raquo 1993

LE PRIOL Pierre-Yves En route vers Chartres Dans les pas de Charles Peacuteguy

Preacuteface de Michel Peacuteguy Le Passeur 2016

LEROY Geacuteraldi Les ideacutees politiques et sociales de Charles Peacuteguy Lille Universiteacute

de Lille III Service de reproduction des thegraveses 1980 2 vol

ndash Peacuteguy entre lrsquoordre et la reacutevolution Paris Presse de la Fondation

Nationale des Sciences Politiques 1981

LOUETTE Henri Peacuteguy lecteur de Dante De la laquo Divine Comeacutedie raquo agrave lrsquo laquo Eve raquo

essai sur la compleacutementariteacute de deux poegravemes parallegraveles Paris Amitieacute Charles

Peacuteguy coll laquo Cahiers de lrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy 21 raquo 1968

MALLARD Henri-Victor La morale de Peacuteguy Preacutef de Franccedilois Hertel Paris Eacuted

de lrsquoErmite 1952

MARC Alexandre et VOYENNE Bernard Le combat de Peacuteguy Peacuteguy socialiste

franccedilais Paris LrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy 1950

MARC Alexandre Peacuteguy et le socialisme Paris-Nice Presses drsquoEurope (coll

laquo Reacutealiteacutes du preacutesent 10 raquo) 1973

ndash Peacuteguy preacutesent Marseille Clairiegravere 1941

MARTIN SANZ Teresa Jeanne drsquoArc et Peacuteguy Lrsquohistoire face au mystegravere thegravese de

3e cycle preacutesenteacutee agrave lrsquouniversiteacute de Provence 1987

MASSIS Henri Aux sources de Charles Peacuteguy Liegravege Eacuted Dynamo coll

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356

MAUROIS Andreacute Eacutetudes litteacuteraires I et II New York Eacutedition de la Maison

franccedilaise 1947

MESTAT Jean-Paul Peacuteguy en notre temps du monde preacutef drsquoHenri Bernier Saint-

Estegraveve Presses litteacuteraires 2001

MOELLER Charles Litteacuterature du XXe siegravecle et christianisme 4 Lrsquoespeacuterance en

Dieu notre pegravere Anne Frank Miguel de Unamuno [hellip] Charles Peacuteguy Tournai-

Paris Castermann 1959

MOUNIER Emmanuel PEacuteGUY Marcel IZARD Georges La penseacutee de Charles

Peacuteguy Paris Plon coll Le roseau drsquoor 43 1931

NELSON Roy Jay Peacuteguy poegravete du sacreacute essai sur la poeacutetique de Peacuteguy Paris

Minard coll laquo Cahiers de lrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy 13 raquo 1960

ONIMUS Jean Le sens de lrsquoincarnation essai sur la penseacutee de Peacuteguy Paris

Cahiers de lrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy 1950

ndash Lrsquoimage dans lrsquolaquo Egraveve raquo de Peacuteguy essai sur la symbolique et lrsquoart de Peacuteguy

Paris LrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy (coll laquo Cahiers de lrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy 7 raquo)

1952

ndash Peacuteguy et le mystegravere de lrsquohistoire Paris Cahiers de lrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy

1958

ndash Introduction aux trois Mystegraveres de Peacuteguy Avant-propos par Auguste Martin

Paris LrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy diff Minard coll laquo Cahiers de lrsquoAmitieacute Charles

Peacuteguy 15 raquo 1962

ndash La Route de Charles Peacuteguy Plon 1962

PEacuteGUY Marcel laquo La vocation de Peacuteguy raquo Cahiers de la quinzaine sous la

direction de Marcel Peacuteguy deuxiegraveme cahier de la dix-septiegraveme seacuterie Paris Editions

du Siegravecle 1926

ndash Note conjointe sur Domreacutemy les Batailles et Rouan troisiegraveme numeacutero du

journal vrai Paris Descleacutee de Brouwer 1933

357

PEacuteGUY Pierre La penseacutee de Peacuteguy preacutef par Georges Lamirand Lyon Eacuted de la

France nouvelle 1941

PETIT Jacques Bernanos Bloy Claudel Peacuteguy quatre eacutecrivains catholiques face

agrave Israeumll images et mythes Paris Calmann-Leacutevy coll laquo Diaspora raquo 1972

PFLEGER Charles Aux prises avec le Christ Peacuteguy Bloy Gide Chesterton

Dostoievski Soloviov Berdiaev Mulhouse Salvador 1949

POCQUET DU HAUT-JUSSEacute Laurent-Marie Charles Peacuteguy et la moderniteacute Essai

drsquointerpreacutetation theacuteologique drsquoune œuvre litteacuteraire Perpignan Artegravege 2010

PRAJS (LEacuteVRIER) Lazare Peacuteguy et Israeumll Paris A-G Nizet 1970

QUONIAM Theacuteodore Peacuteguy ou les chemins de la gracircce Paris Teacutequi coll

laquo Lrsquoauteur et son message 16 raquo 1987

ndash La penseacutee de Peacuteguy preacutef drsquoHenri Massis Paris Bordas coll laquo Pour

connaicirctre la penseacutee raquo 1967

REY Jean-Michel Colegravere de Peacuteguy par Jean-Michel Rey Paris Hachette coll

laquo Textes du XXe siegravecle raquo 1987

ROBINET (Andreacute) Peacuteguy entre Jauregraves Bergson et lrsquoEglise meacutetaphysique et

politique Paris Seghers coll laquo Recherches raquo 1968

ROLANDI Ugo Les laquo Cahiers de la quinzaine raquo de Peacuteguy [preacutesent par Yves

Avril] Orleacuteans Paradigme 2002

ROUSSEAUX Andreacute Le prophegravete Peacuteguy introduction agrave la lecture de lrsquoœuvre de

Peacuteguy Neuchacirctel Eacuted de la Baconniegravere Paris A Michel 1946 2 vol

ROUSSEL Jean Mesure de Peacuteguy Paris Correacutea 1945

SAUGER Alain Peacuteguy et la crise socialiste Tours 1971

SCHOLTUS Robert laquo A lrsquoeacutecole de la reacutealiteacute raquo recherche sur les fondements de la

penseacutee de Charles Peacuteguy dans ses œuvres en prose thegravese de 3e cycle soutenue agrave

lrsquouniversiteacute de Metz UER des lettres et sciences humaines centre de recherches

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358

SCHUMANN Maurice La mort neacutee de leur propre vie trois essais sur Peacuteguy

Simone Weil Ghandi Paris Fayard 1974

SECREacuteTAIN Roger Jeanne drsquoArc ou la vocation de Peacuteguy Paris Les Eacuted du

Temps 1967

SOULIEacute Reacutemi Peacuteguy de combat preacutef de Michaeumll Bar-Zvi Saint-Victor-de-

Morestel (Isegravere) Les Provinciales Paris Cerf coll laquo Histoire agrave vif raquo 2007

SPITZER Leo Eacutetudes sur le style analyse de textes litteacuteraires franccedilais 1918-

1931 [Stilstudien II Stilsprechen] trad de lrsquoallemand par Jean-Jacques Briu Paris

Ophrys coll laquo Bibliothegraveque de lsquoFaits de languersquo linguistique raquo 2009

STORELV Sven PeacuteguyBernanos choix drsquoarticles reacuteunis par Reiclar Veland Oslo

Solum Forlag- Paris Didier Erudition 1993

SUIRE Pierre Le tourment de Peacuteguy Paris R Laffont 1956

TJO Jung-Ok (Jean-Theacuteophane) Jeanne drsquoArc dans lrsquoœuvre de Peacuteguy de 1910 agrave

1914 preacutef de Simone Fraisse Taegu (Coreacutee du Sud) Universiteacute de Hyosung 1982

VADEacute Yves Peacuteguy et le monde moderne Paris Cahiers de lrsquoAmitieacute Charles

Peacuteguy 1965

VAISSERMANN Romain La digression dans lrsquoœuvre en prose de Charles Peacuteguy

Avignon La Tour Saint-Jean 2011

VALENSIN Auguste Regards sur Leacuteonard de Vinci Peacuteguy Valeacutery Claudel tII

Paris Aubier 1955

VAN ITTERBEEK Eugegravene Socialisme et poeacutesie chez Peacuteguy de la Jeanne drsquoArc agrave

lrsquoAffaire Dreyfus Paris LrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy Minard coll laquo Cahiers de

lrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy 17 raquo 1966

VIARD Jacques Philosophie de lrsquoart litteacuteraire et socialisme selon Peacuteguy Paris

Klincksieck coll laquo Bibliothegraveque franccedilaise et romane Seacuterie C Eacutetudes litteacuteraires

19 raquo 1969

ndash Pierre Leroux Charles Peacuteguy Charles de Gaulle et lrsquoEurope Paris

LrsquoHarmattan (coll laquo Logiques historiques raquo) 2004

359

ndash Proust et Peacuteguy des affiniteacutes meacuteconnues Londres The Athlone press of the

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VIGNEAULT Robert Lrsquounivers feacuteminin dans lrsquoœuvre de Charles Peacuteguy essai sur

lrsquoimagination creacuteatrice drsquoun poegravete Bruges-Paris Descleacutee de Brouwer coll laquo Essais

pour notre temps Section de langue et de litteacuterature 6 raquo 1967

VITRY Alexandre de Conspirations drsquoun solitaire individualisme civique de

Charles Peacuteguy Paris Les Belles Lettres 2015

ndash Lrsquoindividu et la citeacute dans lrsquoœuvre en prose de Charles Peacuteguy thegravese soutenue agrave

Paris 4 en 2014

VOYENNE Bernard Proudhon et Dieu le combat drsquoun anarchiste Suivi

de Pascal Proudhon Peacuteguy Paris Cerf coll laquo Histoire raquo 2004

WINLING Raymond Peacuteguy et lrsquoAllemagne Lille Atelier de reproduction des

thegraveses Paris H Champion 1975 2 vol

ndash Peacuteguy et Renan aspects du drame spirituel drsquoune eacutepoque Lille Atelier de

reproduction des thegraveses Paris H Champion 1975

Numeacuteros de revues actes de colloques ouvrages collectifs recueil

drsquoarticles

Actes du colloque sur laquo Egraveve raquo in LrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy ndeg117-118 janvier-juin

2007 [contributions P Bruley C Hussherr C Daudin D Millet-Geacuterard pegravere L-

M Pocquet du Haut-Jusseacute J-N Dumont J-P Sueur R Dadoun M Leplay]

Bergson et Peacuteguy numeacutero speacutecial Les Eacutetudes bergsoniennes t VIII 1968

laquo Cahiers (Les) de la quinzaine raquo textes reacuteunis par Simone Fraisse [contributions

J Bastaire J Bertrand-Sabiani G Blanchard S Fraisse G Leroy A Roche R

Winling] Paris Minard coll laquo La Revue des lettres modernes Charles Peacuteguy 2 raquo

1983

360

laquo Crsquoest lrsquoeacutetonnement qui compte raquo articles [L Brunelli F Pierangeli G Valente]

et interviews [J Bastaire A Finkielkraut R Pernoud cardinal G Danneels G

Andreotti] preacutef du cardinal Roger Etchegaray Rome Trenta Giorni 2001

Centenaire (Le) des lsquoCahiers de la quinzainersquo de Charles Peacuteguy in Esprit 2000-1

(janv) [contributions R Burac B Chantre D Lindenberg P Thibaud]

Centenaire de laquoNotre Jeunesse raquo in LrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy ndeg133-134 janvier-

juin 2011 [contributions J Grondeux G Leroy A de Vitry P Bruley M

Guilbaud M Leplay W Ossipow D Le Guay R Dadoun C Daudin M de Saint-

Cheacuteron Eacute Thiers R Dosiegravere]

Charles Peacuteguy cahier dir par Jean Bastaire [contributions J Bastaire H Beuve-

Meacutery J Birnberg J Brothier J Chabot R Dadoun G Dalgues A-A Devaux S

Fraisse F Gerbod B Guyon F Laichter G Lecomte G Leroy W Rabi A

Roche J Sabiani R Secreacutetain J Viard R Winling] Paris Eacuted de lrsquoHerne (coll

laquo Cahiers de lrsquoHerne raquo) 1977

Charles Peacuteguy in La Nouvelle Revue Franccedilaise 244 avril 1973 [contributions J

Bastaire J Copeau J Sabiani J Viard]

Charles Peacuteguy numeacutero speacutecial Chronique suppleacutement annuel au Bulletin de

litteacuterature eccleacutesiastique (Institut catholique de Toulouse) ndeg 3 1993

[contributions J Bastaire C Delmas Y Denis J Lyon J-C Meyer M

Montabrut B Quilhot J Sarocchi]

Charles Peacuteguy numeacutero speacutecial de la Revue des amis de saint

Franccedilois (Angoulecircme) 29 1941 contributions [J Calvet L Chaigne H Gheacuteon

G Hourdin P Messiaen R Salomeacute Y Sjoberg]

Charles Peacuteguy lrsquoeacutecrivain textes reacuteunis par Simone Fraisse [contributions R

Balibar A Barnes R Dadoun M Dufresne S Fraisse G Fritz F Gerbod G

Lecomte J Onimus] Paris Minard coll laquo La revue des lettres modernes seacuterie

Charles Peacuteguy 5 raquo 1990

Charles Peacuteguy lrsquoeacutecrivain et la politique textes eacuted par Romain

Vaissermann [contributions P Bernon G Bourgeade P Charlot L Chvedova C

361

Daudin F Lenne M Leplay S Richard F Sarter R Vaissermann] Paris Eacuted Rue

drsquoUlm diff Les Belles Lettres coll laquo Figures normaliennes raquo 2004

Charles Peacuteguy et la critique litteacuteraire Preacutef par Jacques Birnberg numeacutero speacutecial

de Australian journal of French studies (Melbourne) janvier-avril 1973

[contributions J Bastaire A Denat F Desplanques S Fraisse F Gerbod B

Guyon J Viard G Zoppi]

Charles Peacuteguy hommage du gouvernement table ronde agrave lrsquoEacutecole normale

supeacuterieure (quatre-vingtiegraveme anniversaire de la mort de Charles

Peacuteguy) [contributions F Bayrou C Daudin A Finkielkraut F Gerbod F

Leacuteotard J-F Louette] Paris Ministegravere de la deacutefense SIRPA 1995

Charles Peacuteguy poegravete de Jeanne drsquoArc numeacutero speacutecial Le Mail (Orleacuteans)

printemps 1929 [contributions M Abraham J Benda J Copeau R Dorgelegraves S

Fumet R Garric M Genevoix P Guiberteau C Lucas de Peslouumlan H de

Montherlant M Peacuteguy H Roy]

Chemins (Les) de lrsquoespeacuterance in LrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy ndeg88 octobre-deacutecembre

1999 [contributions M Leplay J Bertrand-Sabiani D Le Guay E Maakaroun

G Antoine]

Critiques (Les) de notre temps et Peacuteguy preacutesentation par Simone Fraisse [textes

R Balibar P Barbeacuteris M Barregraves A Beacuteguin A Chabanon P Duployeacute A Gide L

Gillet H Guillemin B Guyon D Haleacutevy E Mounier J Onimus M Parent A

Robinet R Rolland A Rousseaux R Secreacutetain L Spitzer Jet J Tharaud A

Thibaudet J Viard R Vigneault] Paris Garnier 1973

Dans la tradition de Peacuteguy hommage agrave Angelo Prontera textes reacuteunis par Jean-

Franccedilois Durand [contributions J Bastaire J Chabot C Daudin F Gerbod P

Grosos M Kohlhauer G Leroy J Onimus W Sarna] Montpellier Universiteacute

Montpellier III Centre drsquoeacutetude du XXe siegravecle 2002

Dialogues (Les) de lrsquohistoire textes reacuteunis par Simone Fraisse [contributions J

Brothier R Burac M Delon A-A Devaux S Fraisse F Gerbod M Leplay

362

ChG Mbock J Sabiani] Paris Minard coll laquo La Revue des lettres modernes

840-844 Charles Peacuteguy 4 raquo 1988

Eacutecrivains de la dissidence Pierre Leroux Charles Peacuteguy Boris Souvarine Textes

et photographies reacuteunies par Julie Sabiani [contributions M Abensour A Le

Bras-Chopard E Poulat P Thibaud J Verdegraves-Leroux J Viard] Orleacuteans Centre

Charles Peacuteguy coll laquo Ville drsquoOrleacuteans Centre Charles Peacuteguy 2 Colloque 1985 raquo

1987

Eacutegaliteacute(Lrsquo) au tournant du siegravecle Peacuteguy et ses contemporains actes reacuteunis par

Franccediloise Gerbod et Franccediloise Meacutelonio [contributions R Burac P Charlot J-F

Durand S Fraisse M Leplay F Meacutelonio] Paris H Champion coll laquo Champion

varia 13 raquo 1998

Esprit (Lrsquo) reacutepublicain colloque drsquoOrleacuteans 4-5 septembre 1970 [contributions S

Fraisse J Gaulmier M Jordan G Leroy P Pierrard J Sabiani J Viard G

Zoppi] Paris Klincksieck 1972

Egraveve (Lrsquo) de Peacuteguy in LrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy Bulletin drsquoInformation et de

Recherche ndeg36 octobre-deacutecembre 1986 [contributions Simone Fraisse Franz

Stirnimann Julie Sabiani Jean-Pierre Sueur Albert Beacuteguin Jean-Pierre Dubois-

Dumeacutee Arpad Szelpal]

Foi (la) de Peacuteguy in LrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy Bulletin drsquoInformation et de

Recherche ndeg34 avril-juin 1986 [contributions Robert Scholtus Michel Luce

Julie Sabiani Michel Leplay Franccediloise Gerbod Jean-Pierre Jossua Gilles Barnaud

Jacques Boudet Jean Bastaire]

France (Les) de Charles Peacuteguy et Jeanne drsquoArc in Esprit 1997-12 (deacutecembre)

[contributions A Badiou B Chantre F Delay A Finkiekraut]

Hommage agrave Charles Peacuteguy [contributions M Abraham Alain-Fournier J Benda

J Copeau R Dorgelegraves S Fumet R Garric M Genevoix P Guiberteau C Lucas

de Peslouumlan H de Montherlant M Peacuteguy H Roy R Secreacutetain] Paris Gallimard

1929

363

Jardins in LrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy Bulletin drsquoInformation et de Recherche ndeg106

avril-juin 2004 [contributions Pauline Bernon (Bruley) Marie Gil Romain

Vaisserman Thanh-Vacircn Tocircn-That Elsa Godart Dominique Millet-Geacuterard Elie

Maakaroun]

Lectures de laquo Victor-Marie comte Hugo raquo textes reacuteunis par Julie Sabiani

[contributions P Citti J-F Durand S Fraisse F Gerbod J-P Haleacutevy F Lenne

G Leroy PNaudin J Sabiani] Paris Minard coll laquo La revue des lettres modernes

Charles Peacuteguy 6 raquo 1995

Litteacuterature et socieacuteteacute recueil drsquoeacutetudes en lrsquohonneur de Bernard

Guyon [contributions J Bastaire D Bonnaud-Lamotte J Danieacutelou S Fraisse J

Gaulmier P Guiberteau G Lecomte A Le Reacuteveacuterend G Leroy A Roche J

Sabiani G Zoppi] Paris Descleacutee de Brouwer 1973

Peacuteguy actes du colloque international drsquoOrleacuteans 7-8-9 sept 1964 [contributions

G Antoine P Barbeacuteris J Bastaire E Cahm L Christophe J Delaporte P

Duployeacute A Espiau de la Maeumlstre H-M Feacuteret S Fraisse J Gaulmier H Giordan

P Guiberteau B Guyon C Guyot H Jenny M Jordan K Kurata F Laichter A

Martin RJ Nelson J Onimus T Quoniam H-D Saffrey SW Taylor P Thibaud

P Thisse Y Vadeacute J Viard] Paris Minard coll laquo Cahiers de lrsquoAmitieacute Charles

Peacuteguy raquo 1966

Peacuteguy numeacutero speacutecial de Plaines et collines Chroniques de la vie et de lrsquoart en

Beauce et Perche ndeg 6 Chartres mai-juin 1947 [contributions J Delaporte J et

J Tharaud M Tricaud R Secreacutetain A Vick G Villet]

Peacuteguy numeacutero speacutecial Revue drsquohistoire litteacuteraire de la France LXXIII 2-3 mars-

juin 1973 [contributions P Albouy G Antoine R Balibar J Bastaire D

Bonnaud-Lamotte R Burac F Desplanques A-A Devaux Y-A Favre S Fraisse

R Francis G Fritz F Gerbod B Guyon G Leroy J Marchand J Onimus M

Peacuteguy Y Rey-Herme A Roche J Viard]

Peacuteguy Bernanos et le monde moderne histoire et liberteacute actes reacuteunis par Jean-

Franccedilois Durand [contributions M Bressolette J Chabot G Cholvy P Citti C

364

Daudin J-F Durand P Grosos J Julliard M Kohlhauer A Not A Pons J

Viard] Paris Champion coll laquo Champion-Varia 44 raquo 2000

Peacuteguy chez les protestants numeacutero speacutecial Foi et vie mars 1982 [contributions

M Boegner J Ellul M Leplay D Viaux]

Peacuteguy chreacutetien in LrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy Bulletin drsquoInformation et de Recherche

ndeg80 octobre-deacutecembre 1997 [contributions M Leplay Juri (Julie) Higaki L

Zander J Basaire T Monod P Arnaud B Chantre]

Peacuteguy eacutecrivain colloque du centenaire de la naissance de Charles Peacuteguy Orleacuteans

sept 1973 [contributions G Antoine J Bastaire J Birnberg A Devaux P

Emmanuel H-M Feacuteret S Fraisse B Latour G Lecomte J Onimus T Quoniam

R Secreacutetain J Viard] Paris Klincksieck 1977

Peacuteguy et Bergson in LrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy ndeg92 octobre-deacutecembre 2000

[contributions B Chantre F Worms A Devaux J-M Rey]

Peacuteguy et lrsquoacircme charnelle in LrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy ndeg102 avril-juin 2003

[contributions R Burac E Maakaroun J-M Rey R Dadoun B Chantre M

Leplay Eacute Falque J-L Chreacutetien R Scholtus J-P Lemaire]

Peacuteguy et lrsquohistoire numeacutero speacutecial Mil neuf cent revue drsquohistoire intellectuelle

(Cahiers Georges Sorel) 20 2002 [contributions B Chantre P Charlot F

Gerbod J Grondeux Eacute Thiers R Vaissermann]

Peacuteguy et la vraie France [contributions Leacuteo-M Bellerose Daniel-Rops P

Doncoeur L Doucy G Freacutegault et J-M Parent C Franchet S Fumet H Gheacuteon

P Guiberteau A Marc E Mounier M Peacuteguy P Peacuteguy] Montreacuteal Serge 1944

Peacuteguy et le destin drsquoIsraeumll in Feuillets de lrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy ndeg156 feacutevrier

1970 [contributions T Quoniam L Khac-Riviegravere A Martin]

Peacuteguy et le judaiumlsme in LrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy Bulletin drsquoInformation et de

Recherche ndeg86 avril-juin 1999 [contributions R Burac G Leroy Y Avril M

Leymarie D Lindenberg J Birnberg R Dadoun M Leplay R Scholtus K Kern

Pereira J Cuche]

365

Peacuteguy et lrsquoideacutee de la laquo chreacutetienteacute raquo in LrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy ndeg143-144 juillet-

deacutecembre 2013 [contributions A de Vitry A Rauwel P Henriet A Romain-

Desfosseacutes P Bruley M Kopriwa C Daudin N Faguer GKeith Chaesterton

F Michel J-P Warren]

Peacuteguy face agrave lrsquoexclusion in LrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy ndeg87 juillet-septembre 1999

[contributions J Birnberg F Lenne R Burac E Maakaroun M Leplay]

Peacuteguy homme du dialogue textes reacuteunis par Franccediloise Gerbod Actes du colloque

organiseacute par lrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy les 27-28 mai [contributions M Autrand J

Bastaire J Birnberg J Chabot R Dadoun S Fraisse F Gerbod J-M Peacuteny J

Sabiani] Paris Minard coll laquo Cahiers de lrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy 28 raquo 1986

Peacuteguy mis agrave jour colloque international tenu agrave lrsquoUniversiteacute McGill Montreacuteal (mars

1973) Introd de J Ethier-Blais [contributions R Balibar J Bonenfant S

Fraisse S Lafreniegravere J-C Morisot F Ricard R Vigneault E Weber] Queacutebec

Presses de lrsquoUniversiteacute Laval 1976

Peacuteguy reconnu numeacutero speacutecial Esprit 1964 aoucirct-sept [Contributions Y Avril

HU von Balthasar W Bartenstein J Bastaire A Beacuteguin G Bernanos J

Birnberg C Blanchet E Cahm P Duployeacute P Emmanuel S Fraisse F Laichter

R Marteau Rabi P Thibaud Y Vadeacute J Viard]

Peacuteguy theacuteologien in LrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy Bulletin drsquoInformation et de

Recherche ndeg61 janvier-mars 1993 [contributions E Bastianoni RScholtus J-F

Durand P Arnaud M Leplay Fregravere Philippe J Bastaire]

Peacuteguy un romantique malgreacute lui textes reacuteunis par Simone Fraisse [contributions

M Dufresne S Fraisse G Lecomte J Onimus J Sabiani P Viallaneix] Paris

Minard (coll laquo La Revue des lettres modernes Charles Peacuteguy 3 raquo) 1985

Penseacutee de Peacuteguy Benoicirct Chantre Camille Riquier et Freacutedeacuteric Worms

(eacuteds) [contributions B Chantre J-M Rey F Worms J-L Chreacutetien C Riquier

A de Vitry P Bernon [Bruley] P Manent E Falque P Grosos A Finkielkraut D

Le Guay Y Moix J Julliard M-O Padis] Paris Descleacutee de Brouwer 2015

366

Penseacutee (la) politique de Peacuteguy Notre Reacutepublique Charles Coutel et Eacuteric Thiers

(dir) [contributions G Leroy J-P Rioux C Coutel F Bayrou R Dosiegravere J-P

Sueur A Finkielkraut J Julliard Eacute Thiers T Taiumlmanova A Kankindi J-C Vila

J Kilgore-Caradec] Toulouse Privat 2016

Poleacutemique et theacuteologie le laquo Laudet raquo textes reacuteunis par Simone Fraisse

[contributions A Barnes J Brothier A-A Devaux S Fraisse F Gerbod G

Lecomte G Leroy S Storelv] Paris Minard coll laquo La revue des lettres modernes

588-593 Charles Peacuteguy 1raquo 1980

Porche agrave lrsquoœuvre de Charles Peacuteguy avec des Lettres ineacutedites de Peacuteguy et la fin

drsquolaquo Egraveve raquo par une eacutequipe de jeunes eacutecrivains catholiques [contributions A

Charlier J Chauvy R Francis A Fransque J Godmeacute J de Grix B Guyon J

Maxence M Peacuteguy R Pintard E Rabourdin H-R de Simony] Paris Cahiers de

la quinzaine (coll laquo CQ ns II-6 raquo) 1930

Portraits litteacuteraires de notre temps sous la dir de Christophe Geffroy numeacutero

speacutecial de La Nef hors seacuterie ndeg 16 nov 2004 [contributions Y Avril Y Chiron

Dom Geacuterard S Lapaque M Toda]

Reacuteception (La) de Charles Peacuteguy en France et agrave lrsquoeacutetranger Ville drsquoOrleacuteans Centre

Charles Peacuteguy 3ecolloque international Textes et iconographies reacuteunis par Julie

Sabiani avec la collab de Franccediloise Gerbod et Geacuteraldi Leroy [contributions J

Bastaire F Berthezegravene J Birnberg J Boudet R Burac A Carlino P Citti R

Dadoun G Dalgues E DrsquoAmico G Dandurand F Danin Y-A Favre F

Fiorentino M Forcina S Fraisse F Gerbod J-Y Gueacuterin G Invitto L La Puma

M Leplay G Leroy M Luce W Marois F Meacutelonio T Olafsdottir-Ergun J-M

Peacuteny HR Picard GA Roggerone M Schumann A Stanca P Vergine K

Watanabe N Wilson R Winling M Winock] Orleacuteans Centre Charles Peacuteguy

1991

Rencontres avec Peacuteguy Autour drsquoun centenaire (1873-1973) actes du colloque de

Nice (5-6 mai 1973) publ sous la dir de Jean Onimus et Michel Sanouillet

[contributions G Antoine F Desplanques A-A Devaux S Fraisse G Lecomte

367

G Leroy A Roche J Sabiani P Thibaud J Viard] Paris Descleacutee de Brouwer

1975

Table (La) ronde numeacutero speacutecial 202 1964 nov [contributions C Borgal P

Chauchard H Contamine J Delaporte S Fumet B Guyon]

Voix de Peacuteguy eacutechos reacutesonances actes du colloque de Cerisy 30 juin ndash 7 juillet

2014 publ sous la dir de Jeacuterocircme Roger [contributions J Roger A de Vitry

C Coustille A Bonord R Scholtus M Gouttefangeas V Angers Eacute Benoit

A Marangoni M Nakazato C Coutel D Labouret P Bruley V Aubert S Siad

M Hasse T Victoroff J Kilgore-Caradec N Faguer J Higaki M de Saint-

Cheron C Daudin] Paris Garnier coll laquo Litteacuterature ndeg1 raquo 2016

Articles et chapitres

ALBOUY Pierre laquo Peacuteguy et Hugo raquo Revue drsquoHistoire litteacuteraire de la France 73e

Anneacutee ndeg 23 Peacuteguy mars ndash juin 1973 p 254-263

ANTOINE Geacuterald laquo La Technique poeacutetique dans Le Mystegravere des saints

Innocents raquo LrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy Bulletin drsquoInformation et de Recherche ndeg22

avril-mai 1983 p 79-98

AVRIL Yves laquo Peacuteguy et ses correspondants agrave lrsquoeacutetranger raquo Cahiers de lrsquoAssociation

internationale des eacutetudes franccedilaises 1997 ndeg 49 p 321-339

BARNES Annie laquo Peacuteguy et lrsquoimitation de Jeacutesus Christ raquo LrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy

Bulletin drsquoInformation et de Recherche ndeg27 juillet-septembre 1984 p 159-163

BEAUNE-GRAY Daniegravele laquo Georges Fedotov lecteur de Peacuteguy Le Porche bulletin

de lrsquoAssociation des Amis de Jeanne drsquoArc et Charles Peacuteguy (Russie Pologne

Finlande) ndeg8 deacutecembre 2001 p 45-51

BEacuteDARIDA Franccedilois laquo Histoire et meacutemoire chez Peacuteguy raquo Vingtiegraveme Siegravecle Revue

drsquohistoire 12002 (no 73) p 101-110

368

BENOIT Jean-Louis laquo De vous agrave nous Notre-Dame dans la Preacutesentation de la

Beauce agrave Notre-Dame de Chartres de Charles Peacuteguy raquo Nouvelle revue

theacuteologique 42013 (Tome 135) p 617-631

BERNON [BRULEY] Pauline laquo Peacuteguy critique lrsquoenvers du tragique raquo Revue

drsquohistoire litteacuteraire de la France 32005 (vol105) p 573-586

ndash laquo De lrsquoaudace litteacuteraire agrave lrsquoaudace theacuteologique raquo LrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy

Bulletin drsquoInformation et de Recherche ndeg111 juillet-septembre 2005 Peacuteguy et la

theacuteologie (suite) p 221-234

ndash laquo Le Portrait de Bernard-Lazare dans Notre Jeunesse une oraison funegravebre

moderne raquo LrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy Bulletin drsquoInformation et de Recherche ndeg126

avril-juin 2009 p 245-258

ndash laquo Le Nom grand homme et ses emplois chez Peacuteguy et les Cahiers de la

quinzaine raquo LrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy Bulletin drsquoInformation et de Recherche ndeg

138 avril-juin 2012 Peacuteguy les grands hommes et la reacutepublique p 139-160

ndash laquo Peacuteguy-Polyeucte une conversion de lrsquoeacutenonciation raquo in Didier Boisson

Elisabeth Pinto-Matthieu (dir) La conversion textes et reacutealiteacute Presses

universitaires de Rennes 2014 p 203-217

ndash laquo Egraveve laquo inactualiteacute de la forme raquo Europe revue litteacuteraire mensuelle

laquo Peacuteguy raquo aoucirct-septembre 2014 92e anneacutee ndeg 1024-1025 p 185-194

BESSE Jean-Marc laquo Dans les plis du monde raquo LrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy Bulletin

drsquoInformation et de Recherche ndeg58 avril-juin 1992 Le paysage selon Peacuteguy

p 91-104

BIRNBERG Jacques laquo Un socialisme inteacutegral raquo Esprit 1964 ndeg 31 (8-9) p 343-

357

BRESSOLETTE Michel laquo La foi qui seacutepare ou les eacutepreuves de lrsquoamitieacute entre

Charles Peacuteguy et Jacques Maritain raquo Cahiers de lrsquoAssociation internationale des

eacutetudes franccedilaises 1997 ndeg49 p 371-387

369

CATTANI Paola laquo Le Christ au Gethseacutemani de Charles Peacuteguy entre Pascal et

Reacutenan raquo Revue drsquoHistoire litteacuteraire de la France 412013 Vol 113 ndeg2 p 341-

356

CHANTRE Benoicirct laquo Peacuteguy reacutevolution et histoire raquo LrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy

Bulletin drsquoInformation et de Recherche ndeg75 juillet-septembre 1995 Peacuteguy

philosophe inquieacutetude et histoire p 144-167

ndash laquo La mystique reacutepublicaine de Charles Peacuteguy et Simone Weil raquo Esprit

1011999 ndeg257 (10) p 53-70

CHARLOT Patrick laquo Marcel premier dialoguehellip utopie fondatrice de la penseacutee

de Peacuteguy raquo LrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy ndeg115 juillet-septembre 2006 1905 un

tournant historique p 299-318

CHIRPAZ Franccedilois laquo Peacuteguy agrave travers les deux Notes sur Bergson et Descartes raquo

LrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy Bulletin drsquoInformation et de Recherche ndeg76 octobre-

deacutecembre 1995 Peacuteguy eacutecrivain p 212-218

COMPAGNON Antoine laquo Peacuteguy antimoderne raquo Le Deacutebat 12004 (ndeg 128) p 156-

182

CREYGHTON Camille laquo laquo Histoire meacutemoire de lrsquohumaniteacute raquo Lrsquoinfluence de

Bergson sur la conception de lrsquohistoire et celle de la meacutemoire de Charles

Peacuteguy raquo LrsquoAtelier du Centre de recherches historiques [En ligne] 07 | 2011 mis en

ligne le 15 mars 2011 consulteacute le 17 avril 2016 URL httpacrhrevuesorgbases-

docuniv-lorrainefr3593 DOI 104000acrh3593

DADOUN Roger laquo Entre reniement et renouement dureacutee peacuteguienne de la

tradition raquo LrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy Bulletin drsquoInformation et de Recherche

octobre 1982 p 205-219

ndash laquo Peacuteguy un journalisme drsquoeacuteterniteacute raquo LrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy ndeg93 janvier-

mars 2001 Le centenaire des Cahiers de la quinzaine p 135-147

ndash laquo Peacuteguy militant anti-totalitaire raquo Esprit 1978 ndeg10 p 43-52

370

DANIEacuteLOU Jean laquo Le peuple chreacutetien selon Peacuteguy raquo Etudes septembre 1965

p 175-185

DAUDIN Claire laquo Splendeur et misegravere de la paterniteacute selon Charles Peacuteguy raquo

LrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy Bulletin drsquoInformation et de Recherche ndeg130 avril-juin

2010 p 657-675

ndash laquo Peacuteguy et lrsquoautre le deacutepassement de la litteacuterature poleacutemique raquo Cahiers de

lrsquoAssociation Internationale des Etudes Franccedilaises mai1997 ndeg 49 p 427-436

DECROP Geneviegraveve laquo Lrsquoutopie de Charles Peacuteguy raquo Le Porche bulletin de

lrsquoAssociation des Amis de Jeanne drsquoArc et Charles Peacuteguy (Russie Pologne

Finlande) ndeg 28 novembre 1999 p 23-43

DELAPORTE Jean laquo Peacuteguy et le socialisme scientifique (correspondance avec

lrsquoeacuteconomiste Walras) raquo Esprit 1967 ndeg 356 p 93-99

DEVAUX Andreacute A laquoReacutealiteacute et veacuteriteacute selon Charles Peacuteguy raquo Rencontres avec

Peacuteguy Colloque de Nice Paris Descleacutee de Brower 1975 p 81-119

DUMONT Jean-Noeumll laquo Lrsquootage et le suppliant raquo Les cahiers du Cerf laquo Charles

Peacuteguy raquo Paris Les eacuteditions du Cerf 2014 p 237-248

DURANT Jean-Franccedilois laquo La Nostalgie du sacreacute raquo LrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy

Bulletin drsquoInformation et de Recherche ndeg53 janvier-mars 1991 Peacuteguy et la

moderniteacute p 18-27

ndash laquo Michelet Peacuteguy la crise de lrsquohumaniteacute raquo In Cahiers de lrsquoAssociation

internationale des eacutetudes franccedilaises 1997 ndeg49 p 341-354

EMMANUEL Pierre laquo Peacuteguy serviteur du Verbe incarneacute raquo LrsquoAmitieacute Charles

Peacuteguy ndeg108 octobre-deacutecembre 2004 Eacutecriture et theacuteologie p 299-316

FEacuteDIER Franccedilois laquo Peacuteguy philosophe raquo Philosophie avril 2009 ndeg 103 p 77-92

FEacuteRET Henri-Marie laquo Genegravese et approfondissements de la foi de Peacuteguy en la

reacutedemption raquo LrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy Bulletin drsquoInformation et de Recherche ndeg2

avril-juin 1978 p 21-35

371

FRAISSE Simone laquo Peacuteguy et Renan raquo Revue drsquoHistoire litteacuteraire de la France

73e Anneacutee No 23 Peacuteguy Mars-Juin 1973 p 264-280

ndash laquo Le geacutenie lrsquoenfant et le commencement raquo Charles Peacuteguy les dialogues de

lrsquohistoire Paris Minard 1988 p 79-98

ndash laquo Le peuple dans lrsquoœuvre en prose de Peacuteguy raquo LrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy

Bulletin drsquoInformation et de Recherche ndeg23 juillet-septembre 1983 p 130-146

ndash laquo Les laquo personnaliteacutes raquo cacheacutees dans le discours poleacutemique de Peacuteguy raquo

LrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy Bulletin drsquoInformation et de Recherche ndeg26 avril-juin

1984 p 69-79

FRANCIS Raymond laquo Lrsquohumour de Peacuteguy raquo Revue drsquoHistoire Litteacuteraire de la

France 1973 ndeg73 p 504-515

FRITZ Geacuterard laquo La reacuteflexion de Peacuteguy sur le langage et le style raquo Revue

drsquoHistoire Litteacuteraire de la France 1973 ndeg73 p 491-503

GERBOD Franccediloise laquo Peuple franccedilais peuple chreacutetien dans le Porche et les

Innocents raquo LrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy Bulletin drsquoInformation et de Recherche ndeg23

juillet-septembre 1983 p 158-169

ndash laquo Peacuteguy lecteur de Booz endormi raquo LrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy Bulletin

drsquoInformation et de Recherche ndeg31 juillet-septembre 1985 p 135-143

ndash laquo Les voies de la redeacutecouverte du christianisme entre 1897 et 1905 raquo LrsquoAmitieacute

Charles Peacuteguy Bulletin drsquoInformation et de Recherche ndeg40 Paris oct- dec 1987

p 201- 209

ndash laquo La poeacutetique de lrsquoIncarnation chez Peacuteguy raquo LrsquoAmitieacute Charles Peacuteguy

Bulletin drsquoInformation et de Recherche Paris 1989 avril p 93-114

ndash laquo Peacuteguy philosophe de lrsquohistoire raquo Mil neuf cent Revue drsquohistoire

intellectuelle 12002 ndeg 20 p 9-34

GILBERT Pierre laquo Propheacutetisme et deacutesespeacuterance Leacuteon Bloy Charles Peacuteguy et

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- Courrier drsquoOrleacuteans (Centre Charles Peacuteguy drsquoOrleacuteans) 1961-1985

- Le Porche bulletin de lrsquoAssociation des Amis de Jeanne drsquoArc et Charles Peacuteguy de Saint-

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Monographies recueils drsquoarticles actes de colloques ouvrages collectifs

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KHALISEV Valentin Les Orientations axiologiques de la litteacuterature classique

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TAMARCHENKO Nathan Terminologie litteacuteraire mateacuteriaux pour un dictionnaire

Moscou 2003 (НД Тамарченко Литературоведческие термины Материалы

к словарю Москва 2003)

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АН Историческая поэтика М 1989 )

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laquo Литературный герой raquo dans ВМ Кожевников ПА Николаев

Литературный энциклопедический словарь Москва 1987)

Histoire de la litteacuterature

Monographies recueils drsquoarticles actes de colloques ouvrages collectifs

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TEULADE Anne Le saint mis en scegravene Cerf Paris 2012

Articles et chapitres

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WITTMANN Jean-Michel laquo Lrsquoartiste et le ldquodevoir absolu drsquoecirctre un saintrdquo Gide

face au soleil de Claudel raquo Bulletin de la Socieacuteteacute Paul Claudel 2015 ndash 1 ndeg 215

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ndash laquo La Porte eacutetroite et la question de la ldquosainteteacute en artrdquo raquo Bulletin des Amis

drsquoAndreacute Gide ndeg 164 vol XXXVII octobre 2009 p 501-512

Histoire histoire des ideacutees ethnographie

Monographies recueils drsquoarticles actes de colloques ouvrages collectifs

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GUGELOT Freacutedeacuteric La conversion des intellectuels au catholicisme en France

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HARTOG Franccedilois Reacutegime drsquohistoriciteacute preacutesentisme et expeacuterience du temps

Seuil 2012

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analytique des ouvrages relatifs agrave Jeanne drsquoArc catalogue meacutethodique descriptif

et critique des principales eacutetudes historiques litteacuteraires et artistiques consacreacutees agrave

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THIESSE Anne-Marie La creacuteation des identiteacutes nationales Europe XVIIIe-XXe

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Fasquelles 2000

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Eacuteditions Mille et une nuits coll laquo La Petite Collection raquo ndeg178 1997

Articles et chapitres

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INDEX

A ALBERT Jean-Pierre 150 231 239 ALBOUY Pierre 42 AMBROISE DE MILAN (saint) 112 308 ANTOINE Eacutemile 62 ARISTOTE 20 59 87 95 136 336 AUGUSTIN (saint) 112 286 308 324 AVENARD Etienne 36 AVERINTSEV Sergueiuml 23 313 AVICE Reacuteneacute 156 AVRIL Yves 290

B BAAL SHEM TOV (Rabbi Israeumll ben Eliezer Besht)

100 BAILLET Louis 119 BAKHTINE Mikhaiumll 20 23 165 BARBIER Joseph 259 BARREgraveS Maurice 63 80 302 305 306 BARTET Julia 64 265 BASILE LE GRAND 308 BAUDOIN [Peacuteguy] Charlotte 184 BEAUDE Pierre-Marie 284 BEAUDOIN Marcel 342 BEAUMARCHAIS Pierre Augustin Caron de 297 BEacuteDARIDA Franccedilois 190 196 BEacuteGUIN Albert 150 282 283 299 BENDA Julien 101 103 BEacuteRANGER Pierre-Jean de 223 BERDIAEV Nicolas 181 342 BERGSON Henri 15 51 54 183 184 185 188 190

191 196 208 223 243 267 272 336 342 BERNANOS Georges 7 16 BERNARD-LAZARE (Lazare Marcus Manasseacute

Bernard) 5 14 44 90 96 103 108 122 125 127 128 130 141 142 143 215 223 224 232 233 248 251 254 255 260 265 266 267 294 307 337 342

BERNON [BRULEY] Pauline 29 191 225 282 312 BIDAUT Camille 199 BIRON Georges Gordon 22 BIZEUL Yves 252 BLOY Leacuteon 336 BLUM Leacuteon 47 142 BOBIN Christian 16 BONORD Aude 6 19 BOULGAKOV Mikhaiumll 22 BREacuteMOND Claude 20 BROIumlTMANN Samson 23

C CAMUS Albert 6 16 342 CAUSSE Jean-Daniel 291 294 298 CENTILIVRES Pierre 27 CHABANON Albert 270 CHALLAYE Feacutelicien 87 CHANTRE Benoicirct 269 270 CHAPUT Heacutelegravene 147 CHEVALIER Jean-Freacutedeacuteric 12 CHESTERTON Gilbert Keith 342 CICEacuteRON 112 CIMON Paul 183 CITTI Pierre 25 133 216 217 CLAUDEL Paul 342 CLEMENCEAU Georges 89 CLEacuteMENT DE ROME (saint) 207 COMPAGNON Antoine 259 CONGAR Yves 26 27 CORNEILLE Pierre 14 27 38 41 43 46 47 52 53

54 55 56 57 59 60 61 90 106 122 129 163 174 270 306 317 324 335 342

COULANGES Fustel de 189 COUTEL Charles 250 CUVELIER Elian 291

D DANIEacuteLOU Jean 305 DAUDIN Claire 7 8 95 118 DEBIDOUR Victor-Henri 26 DECROP Geneviegraveve 288 DEJOND Thierry 235 DELAPORTE Jean 135 183 228 240 247 271 DEacuteLAUNAY Alain 285 DELTEIL Joseph 19 DEacuteRICQUEBOURG Reacutegis 239 DERRIDA Jacques 6 DESCARTES Reneacute 223 DEVAUX Andreacute 235 DICKENS Charles 19 DOSTOIumlEVSKI Fedor 16 DREYFUS Alfred 29 30 35 36 84 122 127 143

182 215 233 248 266 290 294 297 DUBOIS-DUMEacuteE Jean-Pierre 41 238 DUFLO Colas 51 DUFOURMANTELLE Anne 229 230 DUMONT Jean-Noeumll 45 73 75 87 241 247 264 DUPLOYEacute Pie 9 11 12

393

E ELIOT Thomas Stearns 342

F FACKENHEIM Emil 98 FAGUER Nicolas 13 FARGO Arlette 240 FAVRE Geneviegraveve 138 FEacuteDIER Franccedilois 236 FEDOTOV Georges 24 182 342 FEUILLET Michel 285 FINKIELKRAUT Alain 134 FOURIER Charles 286 FOWLIE Wallace 170 FRAISSE Simone 11 64 205 226 289

G GAUCHERAND Marc 92 136 137 GENEVIEgraveVE (sainte) 8 9 14 25 28 128 130 136

141 149 150 151 153 154 155 156 157 158 161 162 163 164 166 167 169 171 172 173 174 175 177 178 182 260 266 267 269 283

GERBOD Franccediloise 41 44 47 48 49 51 54 57 165

GHEacuteON Henri 7 342 GIRARDET Raoul 209 GOETHE Johann Wolfgang 22 GOETSCHEL Pascale 240 GRANER Christophe 240 GREacuteGOIRE LE GRAND (saint) 112 GREacuteGOIRE DE NAZIANZE (saint) 308 GREIMAS Algirdas Julien 20 GRONDEUX Jeacuterocircme 189 191 GROSOS Philippe 103 271 GUESDE Jules 97 GUET Michel 286

H HALEacuteVY Daniel 54 84 138 198 HARTOG Franccedilois 184 189 HELOU Roula 84 HENRI Andreacute 199 248 HERR Lucien 47 62 142 HIGAKI Julie [Juri] 253 283 HUGO Victor 14 41 42 55 197 217 223 270 297

306 335 336 HUSSON Laurent 215 216 HYPATIE 44 192 265

I IBN EZRA (Rav Abraham ben Meir ibn Ezra) 104 ISAAC Jules 98 336 IZARD Georges 237

J JAMES Henri 20 JAUREgraveS Jean 5 14 31 32 33 34 35 36 37 63 64

80 96 106 190 337 342 JEANNE DARC (sainte) 19 25 29 139 141 264

265 324 337 342 JOHANNET Reacuteneacute 310 311 JOINVILLE Jean de 55 108 137 267 268 269 318

K KANT Emmanuel 87 191 223 301 KEMPIS Thomas 71 KHALISEV Valentin 21

L LANEacuteRY DARC Pierre 199 LANGLOIS Charles-Victor 188 190 LAUDET Fernand 9 10 106 198 201 202 255

256 257 258 268 317 318 320 LAUGIER Sandra 15 LAVERGNE Antonin 47 LAVISSE Ernest 188 189 190 LECOMTE Guy 250 LEPLAY Michel 319 LEROY Geacuteraldy 87 289 LEacuteTHEL Franccedilois-Marie 10 LEVINAS Emmanuel 6 342 LOTTE Joseph 11 53 103 131 144 178 227 282

301 316 328 LOUIS (saint) 8 9 10 14 25 26 28 44 108 130

137 138 139 178 260 265 267 268 269 276 311 318

LOUIS DE GONZAGUE (saint) 79 LOURIA Isaac 106 LUCE Simeacuteon 199

M MAIumlMONIDE (Moshe ben Maiumlmon Ha Rambam)

102 MAISTRE Joseph de 105 319 336 MARC Alexandre 12 MARITAIN Jacques 106 113 118 MARTIN SANZ Teresa 39 52 MARTINEZ Luis 230 MARX Carl 190 MASLOVSKY Vladimir 19 MAUROIS Andreacute 159 MENDEgraveS Catulle 63 MICHELET Jules 27 29 37 38 39 41 42 45 46

66 183 188 189 191 199 205 267 306 336 MILLET (les) 223 224 MONOD Gabriel 189 MOREacuteAS Jean 16 MOUNET-SULLY (Jean-Sully Mounet) 64 132 265 MOUNIER Emmanuel 194 239 282

394

O ONIMUS Jean 71 86 145 185 235 248 252 ORIGEgraveNE 98 308

P PASCAL Blaise 49 101 102 105 126 223 253

300 301 324 PASTERNAK Boris 342 PEacuteGUY Marcel 317 PEacuteGUY Pierre 130 PEILLON Vincent 96 PEacuteLADAN Joseacutephin 7 342 PERCHE Louis 65 PHILIPPE LE BEL 139 PLATON 59 82 95 123 223 286 288 301 336 PLOTIN 183 POCQUET DU HAUT-JUSSEacute Laurent-Marie 10 83

317 POTEBNIA Alexandre 166 324 POULET Charles 130 PRAJS Lazare 98 101 PROPP Vladimir 20

Q QUICHERAT Jules 199 QUONIAM Theacuteodore 27 60

R RABBI HIYA (Ben Abba bar Karssela bar Sela) 102 RABI Wladimir 107 RACHI (Rabbi Chlomo ben Itzhak Ha Tzarfati) 104 RACINE Jean 46 55 122 RAPHAEL Blanche 54 144 311 REacuteBEILLEacute-BORGELLA Marie 16 RENAN Ernest 11 99 183 188 189 190 336 RIBY Jules 199 RICHER Edmond 199 RIQUIER Camille 243 ROBINET Andreacute 313 ROE Glen 262 ROLLAND Romain 64 86 271 316 ROUSSEAU Andreacute 132 ROUSSEL Jean 11

S SABIANI Julie 114 SAPIRO Gisegravele 25 SAYERS Dorothy 342

SCHMAIumlN-VELIKANOV Anna 110 SCHOLTUS Robert 51 SCHOPENHAUER Arthur 16 SCHUMANN Maurice 265 SECREacuteTAIN Roger 12 SEIGNOBOS Charles 188 190 SELLIER Phillipe 44 SKOBTSOVA Maria 342 SOPHOCLE 63 264 SOREL Georges 46 48 190 SPIRE Andreacute 129 STEVENSON Robert Louis 21 STORELV Sven 288 SUIRE Pierre 138

T TAIumlMANOVA Tatiana 184 189 198 236 241 267 TAINE Hippolite 183 188 189 TAMARCHENKO Nathan 20 TEILHARD DE CHARDIN Pierre 342 TERTULLIEN 308 THIERS Eric 209 246 THIESSE Anne-Marie 217 309 THOMAS DAQUIN (saint) 112 284 THOMASSET Alain 82 113 136 TODOROV Tzvetan 20 TOLSTOIuml Leacuteon 16 TOURNIER Michel 16

V VADEacute Yves 259 VAISSERMANN Romain 63 66 199 265 271 325

330 VALENSIN Auguste 311 VALLET DE VIRIVILLE Auguste 199 VAUCHEZ Andreacute 230 285 VERLAINE Paul 7 VERMANDER Benoicirct 56 VESELOVSKI Alexandre 23 VLADIMIROVA Anna 72 VON BALTHASAR Hans Urs 9 270 VOYENNE Bernard 12

W WALLON Henri 199 WEBER Max 27 231 238 239

Z ZOLA Emile 30 86 337

395

INDEX THEMATIQUE

A action 17 21 26 28 31 32 33 34 35 39 41 42 47

50 52 53 72 73 75 85 86 87 88 89 95 109 115 116 128 130 131 133 136 142 157 189 192 194 197 205 209 210 216 238 239 240 241 242 244 246 252 254 266 276 278 279287 305 320 337 338 340 341 343

agissant (s) agissante (s) 8 65 73 81 95 153 239 252 333 337 338 343

amitieacute 11 36 52 101 122 135 142 150 182 198 204 224 261 314 315 316 317

ancecirctre (s) 37 40 131 135 187 215 216 217 218 219 220 222 223 224 225 228 229 302 305 309 343

C chariteacute 69 70 72 81 86 91 97 110 111 112 115

118 122 145 208 209 220 235 238 251 291 294 295

charnel charnelle 7 8 55 98 100 106 107 108 129 134 177 204 226 228 229 253 295 301 333

chreacutetienteacute 3 11 12 79 99 117 132 133 199 202 246 288 306 307 308 314 316 321 322 323 324 331 338

chroniqueur 56 137 181 188 200 205 206 267 268 269 318

citeacute 5 7 33 42 53 57 58 82 86 87 91 92 106 137 159 179 203 204 209 218 219 220 222 264 270 282 286 287 288 289 290 291 292 294 295 296 297 298 299 300 301 302 304 305 306 308 312 315 316 338 339 341 342 343

citeacute harmonieuse 7 15 17 81 82 87 89 91 92 93 105 131 220 221 286 290 292 295 297 298 299 302 304 337 338 340

communauteacute 44 61 79 87 98 99 105 135 137 216 238 250 251 264 270 282 285 291 292 294 299 308 312 319

communion des saints 10 14 57 74 79 140 177 182 202 203 204 206 219 238 246 251 255 257 259 260 264 265 269 272 282 283 284 292 294 297 310 311 313 314 316 317 318 319 320 322 324 331 338 339 341 342 343

confiance 64 71 77 78 80 90 102 113 118 120 210 238 246 253 262 310

D deacuteracinement 108 134

dialogue 5 14 20 22 23 24 27 28 40 46 48 61 67 71 104 179 181 230 231 238 240 250 251 265 266 309 319 331 333 337 339 340 341 342

dureacutee 40 41 51 52 62 103 112 120 121 127 133 136 148 169 183 184 185 186 187 188 190 194 195 196 198 200 202 203 206 207 208 210 215 217 218 220 225 226 236 237 239 246 262 272 298 300 301 302 308 309 310 312 336

E Eacuteglise 6 8 11 13 14 57 65 76 77 79 80

121135137 149 159 174 177 182 186 188 204 209 210 219 247 263 264 265 284 289 290 292 293 294 295 298 299 307 313 314 215 316 319 321 322 324 341 343

enracinement 108 130 131 132 133 134 135 140 170 191 204 226 259 283 305 341

entiteacute 12 48 292 301 305 espeacuterance 26 30 41 53 59 75 78 80 81 85 93

112 115 116 117 118 119 120 121 122 157 176 177 181 187 205 206 207 208 210 212 213 214 218 233 250 253 262 283 285 294 298 304 307 309 310 312 313 317 321 336 339 341 343

eacuteternel eacuteternelle 12 24 39 42 49 50 53 57 89 93 100 120 122 134 138 154 170 177 181 186 187 192 195 204 209 218 226 229 231 235 237 241 243 245 246 247 267 268 269 270 301 302 303 310 312 313 314 315 317 320 324 332 333 340 342

eacuteterniteacute 10 14 39 49 50 52 120 132 135 147 170 186 187 188 204 210 218 229 232 235 237 249 251 269 291 303 308 310 321 324 331

eacuteveacutenement (s) 17 33 34 39 43 45 50 51 52 53 54 55 73 74 82 84 85 95 97 103 120 122 124 128 129 134 187 188 189 190 191 192 193 194 195 196 198 200 201 202 203 204 205 206 218 219 225 229 234 236 238 239 240 241 242 243 244 245 246 247 248 249 250 252 262 267 268 269 270 300 305 308 309 317 332 333 340 343

exclusion 28 47 127 133 253 256 288 289 290 292 293 312 314 317 320 331 336 340

exemplariteacute 6 14 24 25 26 27 28 32 46 255 335 337 338 342

exemples 5 7 8 26 29 35 43 64 80 182 268 283 318 342

396

F feacuteconditeacute 13 50 219 306 fideacuteliteacute 53 85 90 108 110 121 125 135 148 155

170 172 206 207 224 225 227 240 246 261 268 269 302 306 316 322 323 343

foi 11 12 14 26 53 71 72 73 81 101 102 112 115 119 121 122 123 125 131 133 142 170 181 215 238 246 253 256 261 284 321 324 339

fondateur fondation 100 215 216 218 219 220 222 224 225 228 247 248 340 342

fraterniteacute 37 87 91 250 295 305 306 307 315 321 340

G geacuteneacuterations 34 40 44 104 133 198 215 220 237

310 geacutenie 13 14 22 27 29 36 37 38 39 40 41 42 44

46 77 128 182 202 203 206 218 252 253 258 270 303 307 309 335 338 339 341

gracircce 8 10 33 41 46 48 49 51 52 53 54 55 56 57 58 59 60 62 73 74 77 88 93 105 110 111 112 113 114 119 125 126 128 130 135 139 140 148 159 179 185 186 196 203 204 219 225 227 235 236 237 239 241 250 252 253 260 262 267 269 302 305 313 317 318 319 324 331 338 339 341 342 343

gracircces 26 48 77 105 251 255 256 264 319 320 gracieacute 235

H habitude 50 55 59 93 112 126 186 196 261 262

307 338 343 heacuteritage 35 76 98 100 102 112 131 133 134 138

140 141 143 156 157 158 206 208 215 219 220 221 222 223 225 228 237 298 299 300 301 302 305 307 312 321 322 325 327 328 332 341

heacuteritier (s) 37 100 106 133 167 179 181 216 221 222 223 224 226 234 300 310

heacuteroiumlsme 14 28 43 45 46 47 49 50 51 52 53 54 55 57 58 60 61 64 84 174 300 306

heacuteros 6 14 15 21 22 26 27 28 42 43 44 45 46 47 48 49 50 51 52 53 55 57 58 59 60 61 64 65 66 67 70 73 80 85 90 111 128 130 174 179 181 182 202 203 206 215 216 237 252 258 261 265 302 303 307 335 338 341

histoire 10 14 15 25 37 39 41 46 49 50 51 52 53 57 67 70 73 82 97 102 107 131 133 134 135 150 151 161 162 167 168 169 175 176 177 178 179 181 183 184 185 188 189 190 191 192 193 194 195 196 197 198 199 200 201 202 203 204 205 206 207 208 209 210 211 212 213 218 223 226 228 229 230 231 232 233 235 236 237 241 247 248 255 259 260 265 267 270 283 299 300 305 306 307

309 310 311 312 313 318 322 332 333 336 341

hospitaliteacute 114 208 240 250 251 289 341

I imitation 10 24 44 45 56 64 71 93 113 116 136

137 141 147 182 186 202 203 204 206 225 227 234 235 237 243 251 253 257 263 268 269 271 296 299 303 308 316 317 318 330 331 339

Incarnation 10 15 37 40 49 52 58 61 93 146 160 181 201 202 203 206 225 227 231 235 236 237 238 252 265 282 296 298 308 318 320 331

innocence 30 56 79 80 119 121 122 123 182 209 215 248 294 339

inquieacutetude 52 70 90 95 101 102 103 104 114 152 153 339

intercession 10 26 48 52 56 57 59 135 154 185 263 264 265 279 282 283 284 317

J justesse 81 85 110 232 260 270 297 339 341 343 justice 29 31 36 81 83 84 85 86 87 88 89 91 92

95 97 105 107 110 112 122 128 138 142 143 153 197 208 209 220 232 260 266 270 291 295 297 298 306 339 343

L liberteacute 8 13 27 29 52 87 88 89 91 92 104 123

125 134 138 139 170 181 186 193 210 221 230 262 273 283 298 303 306 316 339

M meacutemoire 39 40 44 50 52 98 99 128 133 141 150

167 175 181 183 184 185 186 187 188 190 192 194 195 196 197 198 201 202 203 204 205 206 208 209 214 216 217 218 219 221 224 227 228 234 237 247 248 255 294 300 302 304 305 306 307 309 321 322 323 332 336 343

meneur 29 31 32 33 34 37 meacuterites 26 77 105 202 256 283 313 318 319 320 modegravele 6 8 25 27 31 80 139 141 142 143 144

145 147 148 257 268 269 moderniteacute 10 217 302 monde moderne 10 99 190 194 253 259 260 261

262 263 302 340 mystique 5 12 29 83 89 94 96 109 111 114 122

129 136 139 143 182 183 189 190 197 209 224 226 236 248 253 261 266 270 284 287 288 301 302 308 321 323

397

O ordre 26 51 91 124 162 168 203 210 240 266

268 312 313 316

P paroisse 72 79 80 99 109 115 131 137 141 338 patronage 130 135 138 172 178 187 316 343 personnaliteacutes 5 14 28 32 33 41 80 193 237 247

252 335 337 342 peuple 3 21 28 29 34 37 39 40 41 42 44 46 50

53 62 64 65 66 71 80 92 94 98 99 100 104 107 109 131 133 134 137 138 169 174 175 176 184 186 189 192 193 197 201 212 215 226 229 230 231 232 233 234 247 255 263264 265 266 267 279 297 301 302 303 305 307 308 309 320 321 322

politique 5 27 28 29 32 42 80 81 89 110 122 139 182 183 189 190 196 197 209 230 236 253 256 259 270

preacutesent 8 14 27 40 50 51 52 54 75 82 85 87 93 95 99 119 120 122 137 147 181 185 186 187 188 189 191 192 193 194 195 196 200 203 204 206 207 208 210 215 216 220 230 234 235 237 240 241 245 247 248 250 254 259 260 262 268 269 270 271 278 286 302 308 309 310 324 332 333 336 340 341 343

prophegravete 31 32 50 142 153 164 189 215 229 230 231 232 233 240 251 266 267

Q qacircdosh qodesh 15 16 74 200

R race 39 40 44 46 48 49 50 51 52 53 55 73 125

130 131 133 134 135 141 146 161 174 178 179 184 186 192 196 197 205 206 215 217 219 222 223 225 226 232 235 247 250 270 295 300 301 302 305 306 307 308 309 316 319 321 338 341

racine (s) 3 16 100 115 131 132 133 134 135 146 160 186 192 205 206 226 253 260 262 291 295 301 302 303 306 313

reacutealiteacute 21 34 35 37 41 46 51 55 82 85 90 93 124 129 181 185 192 193 201 216 236 239 246 247 248 260 268 287 288 298 336 343

reacutedemption 10 15 116 117 159 320 342 343 reacuteel 7 25 32 33 34 35 49 74 82 85 89 90 124

129 184 185 192 195 197 202 203 206 208 229 230 235 236 237 240 250 259 260 270 298 304 336 340 341

renouvellement 41 72 81 93 112 117 120 121 148 187 190 203 205 218 226 247 249 253 259 262 296 303 312 317 324

reacutepeacutetition 81 112 120 186 202 226 242 262 306 307 313

reacuteversibiliteacute 52 105 204 251 255 256 264 293 319 320 322 336 342

reacutevolution 5 8 15 26 34 35 42 83 89 92 96 105 110 193 246 247 248 262 290 335 337 342

S Sain (s) santeacute 8 50 82 91 101 208 220 221 299 saint (s) patron (s) 130 131 135 136 137 138 139

140 141 142 143 148 149 178 179 215 224 268 315 316 333 340

salut 10 45 55 80 98 99 100 105 109 116 117 118 140 145 151 152 154 158 159 162 174 198 208 209 214 222 238 243 256 263 264 280 283 288 300 307 317 328 343

socialiste 5 10 11 12 13 47 58 83 86 92 105 111 190 208 288

souffrance 71 95 102 103 107 108 114 125 127 146 159 161 191 249 266 319 320

spirituel 8 12 49 55 129 183 198 220 229 237 243 247 252 253 270 284 285 298 305

surnaturel surnaturelle 3 28 55 72 100 107 125 131 133 201 204 239 332

systegravemes 5 21 32 90 248

T teacutemoignage 23 40 59 63 66 88 97 98 107 170

193 205 224 237 268 269 285 318 322 teacutemoin 7 24 40 59 76 107 137 141 162 163 164

167 171 172 188 193 195 200 204 240 244 255 267 268 269 319

temporel temporelle 10 12 42 44 49 50 51 53 55 57 84 97 111 123 134 136 170 183 186 188 195 218 202 206 209 218 222 226 229 231 235 237 241 245 246 247 252 265 268 270 300 301 303 304 305 309 310 316 319 322 324 332 333 340 342

temps 6 7 8 14 15 27 43 44 45 48 50 51 52 54 55 58 59 75 89 97 124 132 133 134 136 167 168 169 170 183 184 185 186 187 188 189 190 191 192 193 195 200 201 202 203 204 205 207 209 210 211 212 213 215 218 219 220 227 230 232 233 235 236 237 240 241 242 244 250 251 252 253 257 259 267 269 270 272 282 285 288 296 297 299 303 308 310 311 313 315 316 320 321 322 324 331 332 333

terre 3 10 22 24 30 57 64 77 79 85 100 108 109 116 119 120 124 131 132 133 134 135 136 140 141 157 160 161 175 179 187 188 192 204 206 207 209 212 213 226 228 229 232 235 237 238 239 255 284 303 306 309 310 312 313 314 316 322 329 332 333 340 342 343

Ticcoun Olam 105 106 107 109 136 343 transmission 34 99 134 193 208 219 221 229 travail 7 9 12 17 25 30 34 40 43 46 78 80 86

89 91 92 93 94 101 110 114 120 130 131 134

398

136 137 140 142 143 145 153 154 155 160 177 183 192 195 198 199 206 213 223 224 225 246 248 257 265 294 296 306 315 316320 328 339

U uniteacute 12 13 39 48 95 165 190 283 285 288 295

298 300 301 308 312 314 utopie 5 208 209 286 287 288 292

V veacuteriteacute 31 36 44 48 49 51 82 83 84 86 87 88 89

90 96 97 103 106 107 110 119 124 143 153

193 197 200 209 232 233 242 246 248 253 256 260 261 265 266 270 294 297 298 330 339

vertu (s) 10 26 34 50 64 75 78 81 82 83 84 85 87 88 89 91 92 95 97 98 99 102 103 105 108 109 111 112 113 114 115 116 119 121 122 123 124 125 128 129 130 136 138 140 162 171 179 182 202 222 238 246 250 254 255 261 262 270 296 306 318 319 321 328 338 339

vie cacheacutee 10 44 66 202 255 256 257 317 vocation 29 51 63 65 66 72 73 74 85 86 90 97

107 108 109 116 124 125 136 137 140 141 143 153 193 204 206 209 228 229 230 243 244 245 246 257 259 265 277 280 296 343

399

INDEX DES ŒUVRES DE PEacuteGUY

A Affaire Dreyfus et la Crise du parti socialiste (Lrsquo) 122 A nos amis agrave nos abonneacutes 109 194 236 316 Argent (Lrsquo) 261 Argent suite (Lrsquo) 111 298

B Ballade du cœur qui a tant battu 113 163 325 Brunetiegravere 99

C Chanson du roi Dagobert (La) 282 Chacircteaux de la Loire (Les) 281 Compte rendu du congregraves 194 Crise du parti socialiste et lrsquoaffaire Dreyfus (La) 63

297

D De Jean Coste 46 De la citeacute socialiste 96 208 221 289 De la grippe 101 243 De la raison 11 De la situation 46 49 50 De la situation faite agrave lrsquohistoire dans la philosophie

geacuteneacuterale du monde moderne 194 De la situation faite agrave lrsquohistoire et agrave la sociologie dans

les temps modernes 194 De la situation faite au parti intellectuel dans le monde

moderne devant les accidents de la gloire temporelle 46 123 194

Deuxiegraveme eacuteleacutegie XXX Contre les bucirccherons de la mecircme forecirct 295

Dialogue de lrsquohistoire et de lrsquoacircme charnelle 44 134 186 196 202 203 217 218 233 236 249 261 286 290 303 325

Dialogue de lrsquohistoire et de lrsquoacircme paiumlenne 42 205

E Encore de la grippe 8 94 98 105 123 126 Egraveve 105 116 128 149 150 173 175 176 204 212

213 214 225 228 248 254 282 283 298 301 306 312 332 335

H Heureux les systeacutematiques 32 90 298

I Il ne faut pas dire 205 316

J Jeanne drsquoArc 3 4 8 9 10 14 19 26 28 29 30 39

44 45 46 48 53 54 55 62 63 64 65 66 67 68 69 70 71 72 76 78 80 83 85 95 96 108 111 118 124 125 128 130 132 136 138 139 140 151 152 156 158 159 161 162 173 174 178 182 198 199 200 201 206 209 214 241 244 245 246 248 251 254 258 260 263 264 265 267 268 269 271 272 273 281 283 318 322 323 325 335 336 342

(Aacute Domreacutemy) 65 70 242 245 248 254 273 274 277 280 293

(Batailles (Les)) 66 67 95 111 251 254 278 (Rouen) 63 66 69 280 315

L Les sept contre Thegravebes 281 Lettre du provincial 106 Louis de Gonzague 106 123 129 141 210 222 224

240 299

M Marcel ou le dialogue de la citeacute harmonieuse 5 42

87 91 96 148 194 208 220 221 222 237 239 248 256 272 286 287 289 295 296 302 304 305 316 317

Mystegravere de la chariteacute de Jeanne drsquoArc (Le) 3 9 44 54 69 70 71 72 75 76 80 83 85 99 109 111 115 116 117 118 129 132 140 145 187 200 202 207 212 244 251 258 259 265 266 268 274 275 276 280 281 293 307 315 320 331 336

Mystegravere de la vocation de Jeanne drsquoArc (Le) 70 74 85 115 116

Mystegravere des saints Innocents (Le) 58 76 88 115 116 118 121 122 207 281 325 336

N Note conjointe sur M Descartes et la philosophie

carteacutesienne 58 60 86 101 103138 181 186 225 233 237 261 262 304 306 335 336 339

400

Note sur M Bergson et la philosophie bergsonienne 302 335 336

Notre Jeunesse 42 53 54 84 90 94 96 97 103 108 122 125 127 142 143 189 198 223 224 233 251 254 260 266 293

Notre Patrie 37 302 305 Nouveau theacuteologien monsieur Fernand Laudet (Un)

10 72 108 121 122 124 118 136 139 181 201 202 207 254 258 296 295 313 318

O Orleacuteans vu de Montargis 94

P Par ce demi-clair matin 37 39 247 Pierre commencement dune vie bourgeoise 93 124

296 Porche du mystegravere de la deuxiegraveme vertu (Le) 76 115

118 144 147 149 181 262 281 312 335 336 Preacuteparation du congregraves socialiste national (La) 185 Preacutesentation de la Beauce agrave Notre Dame de Chartres

135 144 196

Q Quatre Priegraveres dans la catheacutedrale de Chartres 148

R Reacutecentes œuvres de Zola (Les) 30

S Sainte Geneviegraveve patronne de Paris 149 163 266

282 Sonnets du laquo correspondant 281 Suppliants parallegraveles (Les) 194 247 264 265

T Tapisserie de Notre Dame (La) 148 213 282 Tapisserie de sainte Geneviegraveve et de Jeanne drsquoArc (La)

125 149 150 200 225 282 298 315 325 Textes formant dossiers 297 Toujours de la grippe 111 250 263

U Un Poegravete lrsquoa dit 89 142 232 307 308

Z Zangwill 89 194

401

TABLE DES MATIERES

Remerciements 2

Abreacuteviations 4

Conventions 4

Introduction 5

Probleacutematique 9

Meacutethode 15

Partie I Le saint chez Peacuteguy 18

Introduction 19

CHAPITRE I EXEMPLARITEacuteS 25

1 Les laquo Meneurs raquo 28

a) Eacutemile Zola 30

b) Jean Jauregraves 31

2 Le saint et le geacutenie 37

3 Le saint et le heacuteros 43

a) Polyeucte 45

b) Jeanne drsquoArc 62

4 Le Mystegravere de la chariteacute de Jeanne drsquoArc trois exemples de sainteteacute 71

CHAPITRE II Les vertus selon PEacuteguy 81

1 Les vertus socialistes 82

a) Peacuteguy ndash preux chevalier du socialisme 83

b) La justice la liberteacute et la veacuteriteacute 87

c) Le travail 92

2 Les vertus juives 98

a) Le salut la meacutemoire et le charnel 98

b) Lrsquoinquieacutetude juive 101

c) Le Ticcoun Olam 105

d) La souffrance 107

e) La sainteteacute juive 110

3 Les vertus chreacutetiennes 112

a) La Ballade du cœur qui a tant battu 113

b) La Chariteacute 115

402

c) LrsquoEspeacuterance 116

d) La foi et lrsquoinnocence 121

e) Le courage lrsquoobeacuteissance et lrsquohumiliteacute 123

f) La sainte mort 125

CHAPITRE III Les saints patrons 130

1 Le saint patron comme acteur de lrsquoenracinement 131

a) Les saints patrons et leur travail 136

b) Saint Louis 137

c) Jeanne drsquoArc patronne de France 139

d) Bernard-Lazare saint patron des laquo Cahiers de la quinzaine raquo 141

e) La vierge Marie ndash megravere de tous les humains patronne de la France 143

2 Sainte Geneviegraveve patronne de Paris 149

a) Les tapisseries de sainte Geneviegraveve et de Jeanne drsquoArc 149

b) Sainte Geneviegraveve patronne de Paris 163

c) Egraveve 173

Conclusion 179

Partie II Une sainteteacute pour le temps preacutesent 180

Introduction 181

CHAPITRE IV Le temps de la sainteteacute 183

1 La sainteteacute et lrsquohistoire 188

a) Histoire et meacutemoire 194

b) La fideacuteliteacute et la dureacutee 206

2 Le saint comme ancecirctre et comme prophegravete 215

a) Le fondateur 218

b) Lrsquoheacuteritage 219

c) Adam et Egraveve 225

d) La propheacutetie 229

CHAPITRE V La saintetEacute dans le prEacutesent 235

1 Lrsquoaction du saint dans le monde 238

a) Le saint au cœur de lrsquoeacuteveacutenement 239

b) Lrsquoeacuteveacutenement de la reacutevolution et lrsquoeacuteveacutenement de la mort 246

c) La preacutesence du saint dans le monde 249

2 Le saint agrave lrsquoeacutecart du monde 252

a) La solitude du saint 253

b) La vie cacheacutee des saints 255

c) La sainteteacute contre le monde moderne et le progregraves 259

403

3 Du suppliant antique au priant 263

a) Lrsquointercession 264

b) Le teacutemoin le veilleur le chroniqueur 267

c) Invocation versus imitation 269

CHAPITRE VI Communion des saints 284

1 La Citeacute Harmonieuse et le Royaume de Dieu selon Peacuteguy 286

a) Lrsquoutopie 286

b) Engagement contre lrsquoexclusion 288

c) LrsquoEacuteglise et la citeacute 290

2 Autour de qui de quoi la communion des saints se construit elle 294

a) Eacutegaliteacute et fraterniteacute 295

b) Lrsquoœuvre commune 296

c) Justice justesse et veacuteriteacute ndash centre de la citeacute cœur de la communion 297

3 Enracinement 298

a) Heacuteritage 298

b) Meacutemoire 302

4 Lrsquoacircme commune 304

a) Le peuple de Dieu 305

b) lrsquoEacuteglise ndash corps mystique du Christ 307

c) Lrsquoespeacuterance 310

d) Lrsquoordre et la dureacutee 312

5 LrsquoEacuteglise ndash communion des saints 313

a) Eacuteglise triomphante Eacuteglise militante Eacuteglise souffrante 314

b) Lrsquoamitieacute 316

c) Lrsquoimitation ndash incarnation de la communion 317

d) La reacuteversibiliteacute 319

e) La chreacutetienteacute 321

6 Communion agrave Dieu 323

a) La communion aux sacrements et aux choses saintes 324

b) La communion par filiation 325

Conclusion 333

Conclusion 335

Bibliographie 344

I Corpus primaire 344

Œuvres de Charles Peacuteguy 344

Correspondances 345

404

II Corpus secondaire 346

III Bibliographie critique 347

Biographies et teacutemoignages 347

Monographies critiques 349

Numeacuteros de revues actes de colloques ouvrages collectifs recueil drsquoarticles 359

Articles et chapitres 367

Sites et revues 380

III Bibliographie geacuteneacuterale 381

Theacuteorie de la litteacuterature 381

Histoire de la litteacuterature 382

Histoire histoire des ideacutees ethnographie 383

Philosophie sociologie anthropologie 385

Theacuteologie et histoire des religions 388

V Dictionnaires 390

Index 392

Index Theacutematique 395

Index des œuvres de Peacuteguy 399

Table des matiegraveres 401

405

  • Titre
  • Remerciements
  • INTRODUCTION
  • Premiegravere partie Le saint chez Peacuteguy
    • CHAPITRE I EXEMPLARITEacuteS
      • 1 Les laquo Meneurs raquo
        • a) Eacutemile Zola
        • b) Jean Jauregraves
          • 2 Le saint et le geacutenie
          • 3 Le saint et le heacuteros
            • a) Polyeucte
            • b) Jeanne drsquoArc
              • 4 Le Mystegravere de la chariteacute de Jeanne drsquoArc trois exemples de sainteteacute
                • CHAPITRE II LES VERTUS SELON PEacuteGUY
                  • 1 Les vertus socialistes
                    • a) Peacuteguy ndash preux chevalier du socialisme
                    • b) La justice la liberteacute et la veacuteriteacute
                    • c) Le travail
                      • 2 Les vertus juives
                        • a) Le salut la meacutemoire et le charnel
                        • b) Lrsquoinquieacutetude juive
                        • c) Le Ticcoun Olam
                        • d) La souffrance
                        • e) La sainteteacute juive
                          • 3 Les vertus chreacutetiennes
                            • a) La Ballade du coeur qui a tant battu
                            • b) La Chariteacute
                            • c) LrsquoEspeacuterance
                            • d) La foi et lrsquoinnocence
                            • e) Le courage lrsquoobeacuteissance et lrsquohumiliteacute
                            • f) La sainte mort
                                • CHAPITRE III LES SAINTS PATRONS
                                  • 1 Le saint patron comme acteur de lrsquoenracinement
                                    • a) Les saints patrons et leur travail
                                    • b) Saint Louis
                                    • c) Jeanne drsquoArc patronne de France
                                    • d) Bernard-Lazare saint patron des laquo Cahiers de la quinzaine raquo
                                    • e) La vierge Marie ndash megravere de tous les humains patronne de la France
                                      • 2 Sainte Geneviegraveve patronne de Paris
                                        • a) Les tapisseries de sainte Geneviegraveve et de Jeanne drsquoArc
                                        • b) Sainte Geneviegraveve patronne de Paris
                                        • c) Egraveve
                                          • Deuxiegraveme partie Une sainteteacute pour le temps preacutesent
                                            • CHAPITRE IV LE TEMPS DE LA SAINTETE
                                              • 1 La sainteteacute et lrsquohistoire
                                                • a) Histoire et meacutemoire
                                                • b) La fideacuteliteacute et la dureacutee
                                                • a) La fin de lrsquohistoire
                                                  • 2 Le saint comme ancecirctre et comme prophegravete
                                                    • a) Le fondateur
                                                    • b) Lrsquoheacuteritage
                                                    • c) Adam et Egraveve
                                                    • d) La propheacutetie
                                                        • CHAPITRE V LA SAINTETEacute DANS LE PREacuteSENT
                                                          • 1 Lrsquoaction du saint dans le monde
                                                            • a) Le saint au coeur de lrsquoeacuteveacutenement
                                                            • b) Lrsquoeacuteveacutenement de la reacutevolution et lrsquoeacuteveacutenement de la mort
                                                            • c) La preacutesence du saint dans le monde
                                                              • 2 Le saint agrave lrsquoeacutecart du monde
                                                                • a) La solitude du saint
                                                                • b) La vie cacheacutee des saints
                                                                • c) La sainteteacute contre le monde moderne et le progregraves
                                                                  • 3 Du suppliant antique au priant
                                                                    • a) Lrsquointercession
                                                                    • b) Le teacutemoin le veilleur le chroniqueur
                                                                    • c) Invocation versus imitation
                                                                        • CHAPITRE VI COMMUNION DES SAINTS
                                                                          • 1 La Citeacute Harmonieuse et le Royaume de Dieu selon Peacuteguy
                                                                            • a) Lrsquoutopie
                                                                            • b) Engagement contre lrsquoexclusion
                                                                            • c) LrsquoEacuteglise et la citeacute
                                                                              • 2 Autour de qui de quoi la communion des saints se construitelle
                                                                                • a) Eacutegaliteacute et fraterniteacute
                                                                                • b) Lrsquooeuvre commune
                                                                                • c) Justice justesse et veacuteriteacute ndash centre de la citeacute coeur de la communion
                                                                                  • 3 Enracinement
                                                                                    • a) Heacuteritage
                                                                                    • b) Meacutemoire
                                                                                      • 4 Lrsquoacircme commune
                                                                                        • a) Le peuple de Dieu
                                                                                        • b) lrsquoEacuteglise ndash corps mystique du Christ
                                                                                        • c) Lrsquoespeacuterance
                                                                                        • d) Lrsquoordre et la dureacutee
                                                                                          • 5 LrsquoEacuteglise ndash communion des saints
                                                                                            • a) Eacuteglise triomphante Eacuteglise militante Eacuteglise souffrante
                                                                                            • b) Lrsquoamitieacute
                                                                                            • c) Lrsquoimitation ndash incarnation de la communion
                                                                                            • d) La reacuteversibiliteacute
                                                                                            • e) La chreacutetienteacute
                                                                                              • 6 Communion agrave Dieu
                                                                                                • a) La communion aux sacrements et aux choses saintes
                                                                                                • b) La communion par filiation
                                                                                                  • Conclusion
                                                                                                  • BIBLIOGRAPHIE
                                                                                                  • INDEX
                                                                                                  • TABLE DES MATIERES
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