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La stigmatisation, écho de la crise urbaine Khandak el Ghamik, Beyrouth Résumé Khandak el Ghamik, un quartier péricentral de la capitale libanaise, demeure fortement stigmatisé par la majorité des beyrouthins. 25 ans après la guerre civile, les traces de destruction marquent toujours le quartier. De plus, les diverses politiques urbaines ont accentué la pauvreté, les inégalités et les marginalisations. Dans ce contexte, cette étude interroge le discours pathologique du stigmate envers le quartier, imprégné d’un imaginaire collectif conflictuel et communautaire, sans analyse structurelle de cause à Effet. L’observation du terrain et les entretiens auprès des acteurs locaux sont confrontées au discours sur Khandak el Ghamik à travers deux questionnaires, auprès des habitants du quartier et auprès d’un échantillon des beyrouthin. L’enclavement spatial de Khandak el Ghamik, dû aux aménagements urbains le séparant du centre- ville, est le facteur majeur de la stigmatisation du quartier. La dégradation du bâti et le blocage des anciens loyers aux tarifs ante 1992 accélèrent l’emménagement de locataires pauvres. De plus, la mauvaise réputation dévalue le reste du parc immobilier. Pour les autres Beyrouthins, ce quartier, entre autres, représente ‘le logement social’ attendu mais jamais concrétisé. Mots clés : Stigmatisation urbaine, inégalités, ségrégation, Beyrouth, Khandak el Ghamik, ancien loi de location (ante 1992), politique d’habitat. Introduction "C’est la Dahyeh mais dans Beyrouth" me dit- elle en me décrivant son quartier péricentral en faisant pourtant allusion à la banlieue sud de la capitale, à majorité Chiite, connue surtout pour être lieu d’implantation du Hezbollah. Un autre beyrouthin me dit "C’est dans les camps palestiniens, en tout cas ça sonne comme étant de là bas" en essayant de localiser en vain le quartier dans la ville. "Ce sont des voleurs, constituant, avec les voyous de Hayy el Sellom 1 le même réseau de banditisme" voilà encore une réponse qui décrit, selon les critères de l’interviewé, l’implantation sociale de certains groupes dévalorisés dans la ville depuis presque 70 ans. Enfin un de ses habitants affirme "c’est notre village au pied du centre-ville" en décrivant son environnement. Ces réponses ont été récoltées lors d’une étude sur la stigmatisation urbaine du quartier Khandak el Ghamik à Beyrouth (figure, 01) connu pour son état dégradé, son enclavement, un vide prégnant et une population miséreuse. Il est pourtant un des quartiers péricentraux de la capitale avec une histoire et un patrimoine architectural assez riche. Mais, ce quartier semble toujours subir les effets de la guerre civile et, les ségrégations physiques et sociales cumulées. 1 Un Un quartier qui se situ dans la banlieue sud de Beyrouth, un quartier dégradé et semi-informel. Figure 1-localisation du quartier dans Beyrouth (source: auteur) Le stigmate urbain est-il uniquement le produit de l’imaginaire, du préjugé socio-politique, ou bien, s’y rajoute-il des critères urbains et spatiaux ? Le façonnage de l’espace contribue-t- il indirectement à sa dévalorisation ? Et inversement, la stigmatisation d’un quartier peut- elle affecter la politique de l’espace dans son approche fondamentale ? Dans sa définition sociale, Goffman (1963) a synthétisé le stigmate au cadre relationnel entre un attribut et un stéréotype (Goffman, 1963 :45). D’autre part, l’étiquetage, les stéréotypes, la distance sociale, la discrimination et, finalement, les relations de pouvoirs, accomplissent l’appréhension de ce mécanisme social, dégageant ainsi deux entités séparées : le stigmatisateur et le stigmatisé, "le normal" et "l’anormal" (Rogel, 1997 : 54 ; Link & Phelan, 2001: 310).

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La stigmatisation, écho de la crise urbaine

Khandak el Ghamik, Beyrouth Résumé

Khandak el Ghamik, un quartier péricentral de la capitale libanaise, demeure fortement stigmatisé par la majorité des beyrouthins. 25 ans après la guerre civile, les traces de destruction marquent toujours le quartier. De plus, les diverses politiques urbaines ont accentué la pauvreté, les inégalités et les marginalisations.

Dans ce contexte, cette étude interroge le discours pathologique du stigmate envers le quartier, imprégné d’un imaginaire collectif conflictuel et communautaire, sans analyse structurelle de cause à Effet.

L’observation du terrain et les entretiens auprès des acteurs locaux sont confrontées au discours sur Khandak el Ghamik à travers deux questionnaires,

auprès des habitants du quartier et auprès d’un échantillon des beyrouthin.

L’enclavement spatial de Khandak el Ghamik, dû aux aménagements urbains le séparant du centre-ville, est le facteur majeur de la stigmatisation du quartier. La dégradation du bâti et le blocage des anciens loyers aux tarifs ante 1992 accélèrent l’emménagement de locataires pauvres. De plus, la mauvaise réputation dévalue le reste du parc immobilier. Pour les autres Beyrouthins, ce quartier, entre autres, représente ‘le logement social’ attendu mais jamais concrétisé.

Mots clés : Stigmatisation urbaine, inégalités,

ségrégation, Beyrouth, Khandak el Ghamik, ancien loi de location (ante 1992), politique d’habitat.

Introduction "C’est la Dahyeh mais dans Beyrouth" me dit-elle en me décrivant son quartier péricentral en faisant pourtant allusion à la banlieue sud de la capitale, à majorité Chiite, connue surtout pour être lieu d’implantation du Hezbollah. Un autre beyrouthin me dit "C’est dans les camps palestiniens, en tout cas ça sonne comme étant de là bas" en essayant de localiser en vain le quartier dans la ville. "Ce sont des voleurs, constituant, avec les voyous de Hayy el Sellom1 le même réseau de banditisme" voilà encore une réponse qui décrit, selon les critères de l’interviewé, l’implantation sociale de certains groupes dévalorisés dans la ville depuis presque 70 ans. Enfin un de ses habitants affirme "c’est notre village au pied du centre-ville" en décrivant son environnement. Ces réponses ont été récoltées lors d’une étude sur la stigmatisation urbaine du quartier Khandak el Ghamik à Beyrouth (figure, 01) connu pour son état dégradé, son enclavement, un vide prégnant et une population miséreuse. Il est pourtant un des quartiers péricentraux de la capitale avec une histoire et un patrimoine architectural assez riche. Mais, ce quartier semble toujours subir les effets de la guerre civile et, les ségrégations physiques et sociales cumulées.

1 Un Un quartier qui se situ dans la banlieue sud de Beyrouth, un quartier dégradé et semi-informel.

Figure1-localisationduquartierdansBeyrouth(source:auteur)

Le stigmate urbain est-il uniquement le produit de l’imaginaire, du préjugé socio-politique, ou bien, s’y rajoute-il des critères urbains et spatiaux ? Le façonnage de l’espace contribue-t-il indirectement à sa dévalorisation ? Et inversement, la stigmatisation d’un quartier peut-elle affecter la politique de l’espace dans son approche fondamentale ? Dans sa définition sociale, Goffman (1963) a synthétisé le stigmate au cadre relationnel entre un attribut et un stéréotype (Goffman, 1963 :45). D’autre part, l’étiquetage, les stéréotypes, la distance sociale, la discrimination et, finalement, les relations de pouvoirs, accomplissent l’appréhension de ce mécanisme social, dégageant ainsi deux entités séparées : le stigmatisateur et le stigmatisé, "le normal" et "l’anormal" (Rogel, 1997 : 54 ; Link & Phelan, 2001: 310).

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Selon Lefebvre "L’espace ne serait ni un point de départ … ni un point d’arrivé... mais un intermédiaire .... un instrument politique intentionnellement manié.... La représentation de l’espace servirait toujours une stratégie projetée" (Lefebvre, 1974, p.35). Dès lors la représentation de l’espace, négative ou pas, stigmatisante ou pas, n’est pas une réalité absolue, elle est issue d’une démarche culturelle, intellectuelle et plus importante encore, stratégique, qui établit l’ordre social et urbain (Lefebvre, 1974). La littérature abondante touchant à ce sujet renvoie le mécanisme à des configurations socio-spatiales différentes et variées. Cependant, la pauvreté et plus précisément la " nouvelle pauvreté urbaine " (Wacquant, 1993, Mingione, 1996) reste le dénominateur commun à toute ces configurations socio-spatiales (Bayon, 2012 ; Waquant, 1993 ; Hasting, 2004 ; Prudy, 2003). Ainsi, la concentration de la pauvreté dans un cadre spatial bien défini finit par confondre population et contexte spatial :

"The ultimate point is arrived at when victimized and segregated become identical. Is that not the ultimate implication of William Wilson’s shift from ‘underclass’ to ‘ghetto poor’? By equating the two, spatial location becomes the defining characteristic by which the victims can be identifie " (Marcuse, 1996: 209)

Le contexte de Beyrouth se prête particulièrement à la stigmatisation urbaine étant donné la composition socio-culturelle de sa population, la territorialisation politique et les inégalités qui s’accumulent dans différentes zones de la ville. Désormais, la mémoire collective des habitants reflète un espace urbain de conflits, où l’imaginaire biaise gravement la représentation de la réalité urbaine. Des frontières "barrières" en résultent, affectant les désignations des espaces, la mobilité entre quartiers, la structure et l’identité même de l’espace urbain. Ces tensions socio-politiques s’ajoutent à la localisation de la misère et des inégalités fixée depuis que la capitale prend de l’importance national ou régional. Les quartiers pauvres se forment dès la fin de la période Ottomane. Durant le mandat français se développe une population marginale à cause de nouveaux régimes de gouvernance urbaine (Davie, 1996).

Les banlieues et les camps de réfugiés (Chrétiens de la montagne, Arméniens, Palestiniens) subissent le plus cette marginalisation. Les banlieues croissent exponentiellement dans un tissu détérioré sans infrastructures basiques (Davie, 1996). Les réfugiés Arméniens et Syriaques s’entassent dans des camps, sur des terrains privés, gérés et financés par un acteur privé (Kassir, 2005). De même, les camps des réfugiés palestiniens préparent le tissu urbain à la création des poches aréolaires fortement marginalisées et stigmatisées. Après l’Indépendance en 1943, la période de "laissez faire" implante la pauvreté au sein du tissu urbain central, en sorte que les ceintures d’extensions de la ville ne correspondaient plus à la hiérarchisation sociale de la population. La guerre civile (1975-1990) aggrave ces inégalités et la reconstruction accroit les écarts, abolissant la classe moyenne, négligeant toute stratégie d’équité sociale. La littérature historique éclaire l’implantation de la misère urbaine et des inégalités socio-spatiales actuelles à Beyrouth. La corrélation avec les politiques urbaines indique que ces facteurs touchent les attributs spatiaux (topographie, morphologie, état et type d’infrastructure), l’acteur de gouvernance (public ou privé), les principaux mouvements démographiques des populations précaires et leur implantation dans la ville. A Beyrouth, les politiques urbaines échouent à corriger les injustices spatiales. Les stratégies de réduction des inégalités des projets d’intérêt public n’arrivent jamais à remédier aux causes ni aux conséquences. Le stigmate du quartier procède-t-il des lacunes des projets urbains globaux ? La confusion entre intérêt public et clientélisme politique amplifie-t-elle les ségrégations spatiales ? A Beyrouth, le stigmate urbain, ce produit socio-spatial, est-il le résultat direct des inégalités et des lacunes cumulées par les politiques urbaines depuis le mandat français ? Le quartier Khandak el Ghamik témoigne de la relation entre stigmatisation, inégalité et politiques urbaines : Premièrement, sa stigmatisation est médiatique sociale et politique. Deuxièmement, la stigmatisation date des années 1950 (Ruppert, 1967). Troisièmement, ce quartier péricentral a connu

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de multiples mutations sociales, architecturales et fonctionnelles. Quatrièmement, plusieurs aménagements urbains importants ont affecté Khandak el Ghamik ; ceci encourage le choix de ce cas pour établir le lien entre stigmate et politique urbaine. Enfin, comme la pression immobilière spécule sur l’emplacement et l’héritage du quartier, il est crucial de comprendre comment le stigmate peut être un outil de changement urbain radical et donc d’une potentielle gentrification.

Méthodologie Deux tâches principales structurent les investigations de terrain : appréhender le discours de stigmatisation (construction, manifestation, acteurs et ressemblance) et décrire la réalité urbaine (profil de la population, état et mode d’occupation du parc immobilier, morphologie et topographie, type d’équipements et d’activités existantes) La littérature recommande de séparer le discours des habitants, du discours des citadins car les habitants portent un discours inclusif, biaisé, tandis que les citadins expriment le préjugé et l’imaginaire (Permentier, 2009). Dès lors, deux questionnaires étaient menés, un dans le quartier, et, le deuxième auprès d’un échantillon de la population beyrouthine dans d’autres quartiers. La nature du sujet et les données à récolter ont imposé naturellement une liste de critères à respecter dans la constitution respective des deux échantillons de ces questionnaires. Dans le quartier, il a été essentiel de, cerner le profil et le statut socio-économique de la population, comprendre l’inscription du quartier dans la ville et enfin, analyser la relation cognitive qu’établissent les résidents et les pratiquants des lieux avec leur contexte direct et celui plus large de la ville. C’est pourquoi il a fallu un échantillon qui inclut : plusieurs générations en fonction de leur date d’arrivée dans le quartier, dans le but de relever les différentes mutations ; les ethnies et les différentes communautés existantes afin d’analyser le rôle du facteur culturel dans le stigmate à Beyrouth ; des genres différents afin d’obtenir des témoignages féminins, plus vulnérables dans un tel contexte; des catégories socio-professionnelles différentes (des travailleurs précaires syriens et africains, des

commerçants, des rentiers, des jeunes chômeurs et autres) ; finalement cet échantillon incluait tous les modes d’occupations immobilières recensés sur les lieux (des propriétaires, des locataires, des colocataires, des occupants à titres gratuit ainsi que des squatteurs). Ce dernier critère étant essentiel pour comprendre la corrélation entre le tissu spatial et le tissu social dans un quartier stigmatisé (Athurson, 2004 ; Hasting, 2004 ; Murphy, 2012). L’ensemble de ces critères étaient discutés, entre autres, durant les entretiens semi structurés (annexe, 01) organisés avec cinq makhatirs 2 du quartier ainsi que deux personnalités connues pour être des références3 à Khandak el Ghamik et disposant chacun d’un local au sein du quartier ouvert tout au long de la journée. Un croisement entre les données récoltées de ses entretiens était effectué afin de raffiner l’échantillon, établir le contact et entamer ce questionnaire4 (annexe, 02). En ce qui concerne le deuxième questionnaire (annexe, 03), le but était d’explorer les manifestations de ce discours et comprendre l’ampleur et l’étendu de ce mécanisme dans la ville. Le premier critère dans le choix de l’échantillon était la distance physique du questionné par rapport au quartier. Être éloigné ou proche du quartier, familier ou pas avec les lieux entame souvent une démarche différente, de la stigmatisation ou non. Dès lors, l’échantillon devait refléter un déploiement spatial à des distances variées du cas d’étude, en se basant sur les espaces publics existants en accès libre comme les jardins publics, les places et les rues

2 Makhatirs, pluriel de Mukhtar (désigné en arabe) sont des élus à l’échelle locale mais différent d’un maire par la nature de leur mission qui s’attache uniquement à l’état civil. Le statut de Mukhtar est un héritage du système Ottomane de la gouvernance urbaine où le diwân serait l’institution urbaine officielle présidée par le Cheikh (le notable du quartier, nommé par le wali) et constituée des désignés, les makhatirs. Chaque désigné représentait une famille, une communauté ou une minorité ethnique. 3 Une référence sociale dans une ville comme Beyrouth serait une sorte de notable ou un médiateur qui gère quotidiennement les tensions entre les habitants pouvant distribuer des aides financières et des avantages en nature. 4 40 questionnaires étaient menés aves les habitants et les pratiquants du quartier

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commerçantes 5 . Naturellement, ces espaces sont porteurs d’une mixité sociale élevée ce qui consistait le deuxième critère dans le choix de cet échantillon. Finalement, les entretiens étaient menés à des moments différents de la journée et de la semaine pour optimiser la constitution de cet échantillon6. Par ailleurs, les entretiens avec les différents acteurs sur le terrain7 ainsi que les observations jumelées à la consultation d’archives (les permis de construire délivrés depuis 20 ans, le registre cadastral, l’analyse cartographique et photographique, consultation de la littérature existante sur le quartier) ont concrétisé une description fidèle de la réalité urbaine. De plus, pour comprendre les rouages de ce mécanisme, un entretien fut organisé avec un journaliste travaillant sur le quartier, un autre avec un conseiller municipal de Beyrouth pour comprendre l’avis de l’acteur public. Khandak el Ghamik signifie en arabe la tranchée profonde, ce qui correspond à la topographie de la ville : le point le plus bas entre les deux collines de Beyrouth. Situé à la périphérie sud du centre-ville dans le district de Bachoura, Khandak el Ghamik est un des quartiers péricentraux qui ont toujours eu une relation vitale avec le centre-ville. Au début du XXè siècle Bachoura constituait avec Saifi la zone logistique arrière du port de Beyrouth. Se situant le long de la rue de Damas, à l’époque l’axe principal du transport non mécanisé entre Beyrouth et les autres régions du Liban et de la Syrie. Le quartier héberge alors des métiers liés au port et au transit de produits (Fischfish, 2011). À l’époque, le paysage des quartiers péricentraux est celui des faubourgs de "cités-jardins" habitées par les familles aisées quand par contre le centre-ville reste populaire, dense, peu résidentiel résumant tout le poids économique de la ville. Dans les 1920-30 du XX siècle, le quartier mue quand les familles aisées s’éloignent vers des faubourgs et sont

5 Dans l’entourage directe du quartier à Basta, la rue commerçante de Mar elyass, la rue commerçante de Hamra, la place Sassine à Achrafieh et enfin un jardin public à Sin el fil dans l’entourage d’une faculté public. 6 60 questionnaires étaient menés avec les beyrouthins 7 Les entretiens menés dans le quartier sont : avec les makahtirs, avec la directrice de la seule école existante, avec un représentant de la patriarcat syriaque, avec un responsable de BDD (Beirut Digital District), avec un employé d’une association caritative opérant sur les lieux.

remplacées par une population ouvrière précaire. Les grandes villas sont divisées pour une location par "chambre" pour loger la main d’œuvre du centre-ville déjà congestionné, introduisant ainsi un nouveau mode de vie et d’occupation de l’immobilier (Fischfich, 2011). Néanmoins, le quartier reste encore mixte culturellement, presque toutes les communautés habitent le quartier à l’époque, dont une majorité de syriaques et de sunnites. Cependant, avant le déclenchement de la guerre civile en 1975 le quartier subit les premières tensions communautaires qui déstabilisent son tissu culturel. En effet, suite à un assassinat politique, le quartier traversé à l’époque par de nombreux courants politiques, est le théâtre des premiers coups de feu de la mini-guerre civile de 1958 entre nassériens, anticolonialistes, et la tendance soutenant le Président Chamoun. Même si le conflit n’opposait pas deux communautés, en l’occurrence chrétienne et musulmane, de nombreuses familles chrétiennes abandonnent alors le quartier. Ce départ inscrit dans la mémoire collective des beyrouthins le nom de Khandak el Ghamik synonyme de tensions communautaires.

Figure2-Leplangénéralduquartier-Zonage(source:auteur)

Dans les années 1950-60, l’exode rural modifie le paysage de Khandak el Ghamik, comme toute la ville. Ainsi la « cité jardin » disparaît en une anarchie de constructions dont la ville soufre jusqu’à maintenant. Beyrouth, capitale d’un

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nouveau pays, ressemble de plus en plus à la configuration du Liban où les communautés qui ne trouvent pas leur place dans le paysage urbain des grandes agglomérations, commencent à lutter pour une présence et pour une reconnaissance de leurs droits. C’est ainsi que la communauté chiite venant principalement du sud du pays et de la vallée de la Bekaa à l’est, s’installe majoritairement dans les banlieues proches dans un état de misère. Pourtant une petite minorité réussit à s’inscrire près du centre-ville. Mais cette inscription spatiale demeure homogène et enclavée, d’autant plus que c’est une communauté sans pouvoir politique ni poids économique à l’époque. Deux quartiers constituent alors le réceptacle de cette minorité chiite au sein de la capitale libanaise : Khandak el Ghamik et Hayy el Llija. Depuis cette époque les habitants du quartier subissent la stigmatisation d’un entourage à qui les rituels religieux et les mosquées chiites semblent étranges et surtout "non-urbains" (Rustom, 2013). À l’époque, la première source d’emploi pour les habitants du quartier reste la municipalité et les souks, ils constituent en effet la main d’œuvre, peu rétribuée, pour le ramassage des ordures, des travaux d’assainissent et de coltinage. Les travailleurs s’organisent alors en syndicats et militent pour des droits et des meilleures conditions de travail, notamment par le biais de grèves ou de manifestations qui seront les premiers signes d’un conflit politique profond qui marque l’espace en sa totalité. Cependant le clivage ne reste pas au seul niveau socio-politique ; des clivages physiques résultent directement de la politique de la ville à l’époque, initiée pour traiter ces inégalités socio-économiques et restructurer le pays. En effet cette politique urbaine, le plan Écochard, est réduite dans la phase d’exécution à des traçages de routes, une simple opération d’ "urbanisme routier spéculatif" selon Éric Verdeil (2010: 296). C’est ainsi que la rue Fouad Chéhab, connue désormais sous le nom du Ring, est élargie et inaugurée en 1961 favorisant alors le transit est ouest, mais coupant le quartier Khandak el GhamiK du centre-ville. Néanmoins, la cartographie et la littérature de l’époque (Ruppert, 1967) décrivent une réalité urbaine certes segmentée mais toujours animée et dotée de nombreuses activités des deux côtés. Cette mixité ne s’arrêtait pas au niveau

fonctionnel, puisque plusieurs partis politiques y avaient des permanences, d’ailleurs chaque imprimerie ou librairie était reconnue pour être indirectement un local partisan. La guerre civile bouleverse le tissu social. A cause des destructions massives, le quartier ne retrouve jamais sa configuration socio-spatiale. Politiquement, après la guerre, le mouvement Amal prend le monopole et ancre le quartier dans une territorialité politique. Le quartier est assimilé à un lieu de délinquance. En outre, la reconstruction ne change pas non plus le paysage de dégradation et de vide. Au contraire le chantier du centre-ville semble être déconnecté de son entourage proche frappé par une grande misère. Les observations et la carte indiquent que le quartier se divise en trois entités (figure, 02). Cette division est faite en se basant sur les attributs généraux de l’espace touchant à la fois à la morphologie, la topographie, le type et le mode d’occupation de l’immobilier, les activités ainsi que le profil des résidents dans chaque zone (figure, 02). La zone A reste majoritairement vide avec un immobilier dégradé, à part dans sa partie donnant à la rue Béchara el Khoury où s’est implantée la compagnie BDD, Beirut Digital District, dans la perspective de créer un hub de startup à Beyrouth. La Zone B reste très active et intégrée à la ville. Cette dernière dépend de la rue commerçante, Zeharoui, constituant un Souk traditionnel pour le quartier. La morphologie de cette zone reste poreuse, dense, haute avec des petits îlots sans impasse dont les immeubles datent des années 1970 et 80 avec quelques constructions récentes le long de la rue de l’indépendance. Dans la zone C, le paysage est complètement différent avec une architecture traditionnelle assez présente, constituant une partie importante du patrimoine architectural restant de la ville. Les débris du tissu urbain traditionnel, les hawchs, sont pris dans de grands îlots dont le périmètre est constitué d’immeubles datant du début, ou de la fin du Mandat. Si dans la zone B le profil des habitants reste majoritairement des gens en provenance de divers villages du Sud Liban, il existe toutefois une minorité de Kurdes et une concentration d’ouvriers africains dans quelques immeubles. Par contre l’implantation des habitants dans la zone C est faite par village et par famille. C’est ainsi que les immeubles portent le nom du village d’origine et les

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toponymes courants des rues sont ceux des familles résidantes. On note aussi dans cette partie une forte présence ouvrière d’origine arabe majoritairement syrienne, implantée dans quelques hawchs et dans un grand immeuble très emblématique dans l’espace (figure, 03).

Figure 3- L'immeuble dédié́ aux ouvriers Les cœurs des hawchs (source:auteur,Mai,2015)

Décrypter le discours stigmatisant sur Khandak el Ghamik Différentes formes de discours stigmatisent le quartier de Khandak el Ghamik dans les discussions quotidiennes des beyrouthins mais aussi dans les médias ou dans le discours politique qui entretient une image négative du lieu et de ses habitants. Le questionnaire présenté aux citadins cerne les facettes du stigmate de Khandak el Ghamik et les relativise par rapport à des cas similaires à Beyrouth. Les questions portent sur l’évocation du nom, la qualification du quartier, sa localisation dans la ville, la comparaison avec les quartiers limitrophes etc. Un décalage surprenant existe entre la représentation du quartier et de la ville dans son ensemble. Cette représentation de l’espace change catégoriquement selon les personnes interrogées, selon le quartier, selon leur mobilité dans l’espace et surtout leur vision de la ville dans sa globalité. Généralement, les réponses se distribuent sur cinq grandes catégories (figure, 04) : (1). Ceux pour qui le nom et le quartier est totalement inconnu mais qui ont un avis négatif en se basant sur le toponyme dont la connotation linguistique est péjorative (tranchée profonde). (2). Ceux familiers avec le nom mais incapables de le situer tout en le stigmatisant. (3). Ceux familiers avec le nom seulement, incapables de le situer mais sans le stigmatiser. (4). Ceux connaissant le quartier et le stigmatisant en tant que tel.

(5). Ceux connaissant le quartier mais ne le stigmatisant pas Si le stigmate existe dans la grande majorité des réponses, la raison change catégoriquement.

Figure 4- Classification générale des réponses des beyrouthins (source:auteur,donnéescollectéesenmai2015)

Quand le nom Khandak el Ghamik est méconnu par les participants, le stigmate s’appuie sur les connotations linguistiques négatives de ce terme car les tranchés sont traditionnellement un "outil" de guerre. Dès lors, inconsciemment, et dans le contexte libanais, ceci peut évoquer le souvenir de la guerre civile. Cependant cette réflexion évolue dès lors que leur est communiqué l’information qu’il s’agit bien d’un quartier. C’est alors en leur demandant de le localiser que la stigmatisation s’imprègne plus du contexte socio-politique actuel. Le discours s’appuie alors sur leurs représentations spatiales de la ville dans sa globalité s’inspirant des principales ségrégations urbaines surtout héritées de la guerre civile. Ainsi des réponses comme "c’est à Dahyeh", "Beyrouth ouest" ou bien "dans les camps palestiniens". Pour justifier leurs réponses, certaines personnes ajoutant alors que "ça sonne comme là-bas". Pour autant tous les participants, familiers avec le nom, ne stigmatisent pas le quartier (2ème et 3ème catégorie). Dans ce cas, la stigmatisation s’approche de la première catégorie car le stigmate repose toujours sur le seul nom, mais le nom évoque des évènements précis qui sous-entendent selon les interviewés, "la peur", "la guerre", la mémoire collective des conflits communautaires plus précisément la guerre de 1958. Sans être capable de le localiser dans la ville et sans aucune connaissance physique avec l’endroit, les participants peuvent tout de même stigmatiser le quartier en le renvoyant systématiquement à la ségrégation est-ouest de la ville entre Chrétiens et Musulmans. "C’est dans les profondeurs de la ville" me dit un participant avançant une lecture stratifiante de l’espace (Wacquant,1993), où les quartiers de la

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ville sont organisés selon une hiérarchie spatiale allant du "bien", en haut, jusqu’au "mauvais", en bas de l’échelle. C’est surtout par la télévision, la presse écrite ou par leurs relations sociales que cette catégorie a entendu parler du quartier, et toujours en mal. Les réponses de la catégorie 4, représentent la majorité des questionnaires. Les participants savent très bien localiser Khandak el Ghamik, arrivant à en décrire ses limites physiques, à savoir les routes qui l’entourent et le cimetière. Ils connaissent les commerces du quartier. Pourtant l’apriori du stigmate n’est ici pas toujours pathologique, biaisé par les préjugés socio-culturels, au contraire, d’autres critères surgissent fortement, comme la densité urbaine, l’étroitesse des rues, les terrains ou bâtiments vides, les inégalités sociales et la pauvreté, la délinquance, et enfin la territorialisation politique. Comme le graphe le montre (figure, 05), les réponses exprimant la présence des délinquants équivalent celles sur la pauvreté et les inégalités sociales. Certains participants évoquent aussi la proximité du centre ville et une morphologie close en cas de tensions politiques : "C’est un nœud de circulation mais fermé à la fois" décrit un commerçant de Hamra, familier avec le quartier. Dès lors plus les participants témoignent d’une connaissance du quartier, de son histoire, des multiples changements de Khandak el Ghamik, plus le discours de stigmate est euphemisé et ramené vers une interprétation structurelle de cause à effet.

Figure 5-L'apriori du stigmate (source: auteur,données collectées enMai2015)

En ce qui concerne les habitants du quartier, évidemment l’approche diffère

fondamentalement mais conserve des convergences avec le discours général des beyrouthins. Pour les habitants, la réputation de leur quartier reste mauvaise principalement à cause des "problèmes", un mot souvent utilisé par les gens afin d’évoquer la délinquance dans le quartier. Souvent les habitants regrettent une exagération car ces jeunes ne seraient que des désœuvrés trainant dans la rue. En outre, ironiquement, les habitants perçoivent le fait qu’une partie des beyrouthins "ne viennent pas car ils ont peur de Khandak". Alors que pour ses habitants, le quartier est "un village", une "oasis" au sein de la ville. Ils décrivent le passage de leur monde vers la ville et l’enclavement qu’il endure. "Tu passes le Ring, et c’est un autre monde", "en fait on est quasi invisible de notre entourage". De plus, une autre partie se réfère au lien de parenté entre eux et à l’implantation spatiale qui en découle, "on est une grande famille ici". Par ailleurs, une minorité le décrit comme un quartier traditionnel plein d’atouts architecturaux, "je vois plein de touristes qui prennent des photos". Enfin, une qualification qui revient souvent mérite des explications : "c’est Dahyeh, mais dans Beyrouth" montrant à quel point le réseau social tissé entre le quartier et la banlieue sud chiite, les rapprochent moralement et presque physiquement l’un de l’autre, créant presque un pont avec cette banlieue pourtant éloignée de plusieurs kilomètres, mais, paradoxalement, éloignant Khandak el Ghamik de son tissu urbain direct. A propos des raisons de déclin, selon les habitants, la guerre civile marque toujours l’esprit des gens et ils sentent qu’ils subissent toujours son héritage. Les habitants font tout de suite référence aux conflits et combats au sein ou à la limite du quartier. Pourtant une bonne partie cite les inégalités de développement et la marginalisation comme cause majeure de l’état actuel du quartier, "nous ne sommes pas traités comme le reste de la ville". Enfin la relation coupée avec le centre-ville est évoquée par certains anciens qui ont connu l’époque d’avant guerre et d’avant l’aménagement de l’avenue Fouad Chehab (Le Ring).

Imaginaire, territorialité et réseaux socio-spatiaux Le discours de stigmatisation sur Khandak el Ghamik comporte tous les stéréotypes que peut subir à la fois un quartier pauvre et un quartier à

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connotation politique et communautaire forte dans le contexte libanais. D’après les résultats, une forte corrélation existe entre le stigmate à l’échelle de la ville voire du territoire national, et la stigmatisation de Khandak el Ghamik. Plus la connaissance s’affaiblit et la distance physique augmente, plus le stigmate tombe dans les clivages politico-communautaires hérités de la guerre civile, s’appuyant plus sur la mémoire collective que sur l’expérience urbaine actuelle. Dans cette approche, le nom déclenche la dévalorisation urbaine. En effet, l’impact négatif du nom tient à deux raisons : la signification linguistique qui reste péjorative et son rattachement à la guerre et aux tensions politiques. Ainsi l’évocation du nom renvoie systématiquement à "ligne de démarcation", à la guerre dans un pure mécanisme d’étiquetage urbain (Depaule, 2006 ; Topalov, 2002 ; Phelan & Link, 2001). En cas de méconnaissance quasi complète du contexte, les participants tendent systématiquement à localiser le quartier dans Dahyeh ou dans les camps palestiniens. Leur réalité urbaine est façonnée, justement, à travers ces ségrégations socio-spatiales qui reflètent un imaginaire de l’autre comme étant "le non urbain", "l’anormal" ou bien "le dangereux" voire, tout simplement, celui qui réside derrière les frontières morales façonnant leur environnement (Bourdieu, 1993).

Figure6-Inscriptionspatialeduquartierdanslaville(source:auteur)

Pourtant, être proche et connaître le quartier ne suscite pas forcement une pacification du discours. Au contraire, la dévalorisation s’exprime sous une autre forme et suivant une démarche volontaire, plus planifiée qu’innée affectant la vie et les décisions quotidiennes : "je ne vais jamais là bas même si j’avais un intérêt d’y aller" répond un habitant voisin du quartier. En se basant sur des préjugés communautaires vis à vis des chiites, "les indignes" de la vie urbaine, les "ruraux", cette stigmatisation vise réellement la pauvreté en utilisant une série de faits divers et d’attributs généralement utilisés afin de dévaloriser les configurations socio-spatiales précaires. C’est ainsi que Khandak el Ghamik devient un "hub" de délinquance, de "vendeur de drogues et de drogués", de "voleurs de scooters", des "zêeran" (déviants), des "mouchkaljiyeh" (perturbateurs). Même le nom du quartier fini par désigner d’une façon péjorative les jeunes du quartier, les "khendakjieh" en se référant à Khandak el Ghamik. Néanmoins cette réputation n’est pas nouvelle, la littérature existante sur la ville révèle du stigmate vis à vis du quartier depuis les années 1960. En effet Ruppert (1967) traite déjà de ce comportement de délinquance dans son récit sur le quartier.

"Selon les dires d’un Beyrouthin averti, ce quartier serait la base arrière pour l'approvisionnement en haschisch de nombreux marchands ambulants ou cireurs de chaussures". (Ruppert, 1999 : 48)

Mais il ne relaye ici que le témoignage d’un seul habitant. Pour autant on peut se demander si ce type de discours ne s‘est pas répandu dans la population en concomitance avec l’arrivée des populations, pauvres, chiites et originaires du sud Liban, venant travailler pour la municipalité (Roustom, 2013). Cependant, malgré l’exagération sur la présence des voyous, ce discours s’appuie aussi sur une réalité. En effet, les makhatirs représentant les différents partis politiques locaux (hezbollah et Amal), ainsi qu’un journaliste qui a travaillé longtemps sur le quartier, confirment la présence de délinquants. Ces jeunes rackettent des nettoyeurs ou des restaurants dans la rue festive de Monot dans le quartier limitrophe de Saifi. Revers de la pauvreté et de la précarité, cette violence traduit une forte territorialité exercée par ces jeunes dans le quartier. Cette territorialité est surtout exercée sur les entrées du côté est-nord et dans la partie nord très enclavée et vide. À cela s’ajoute une

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topographie défavorable qui constitue le point le plus bas de son périmètre, voire de Beyrouth, composée d’enceintes et de murs de tous les côtés. Ces attributs spatiaux amplifient la territorialité, souvent exercée au nom du parti politique Amal, ce qui reflète une relation ambiguë entre un parti et des jeunes. Dans une pure relation d’opportunisme et de clientélisme, ces jeunes sont tenus dans un état de pauvreté, de chômage et menacé du pire en cas de rupture ou de révolte. Ainsi l’identité politique que dégage le quartier le stigmatise et le renvoie aux dynamiques politiques nationales. Le quartier est connu d’une manière péjorative comme fief d’Amal. Ainsi, une fille refuse un emploi au Beirut Digital Center, dans la zone est du quartier, à cause "de la présence milicienne surtout celle d’Amal que ses parents ne peuvent tolérer". Le stigmate est alors une cause directe d’exclusion du quartier de la dynamique urbaine. Il annule tout intérêt de part des citadins envers le quartier en termes de mobilité quotidienne, de choix résidentiel ou de lieu de travail etc. Le dénigrement de Khandak el Ghamik dépasse l’identité politique et s’étend à tous les préjugés radicaux envers la population chiite de la ville dans sa globalité. Ainsi, les participants à l’enquête appliquent les mêmes préjugés envers ce quartier qu’envers Hay el Llija, Hay el Selom voire Dahyeh en général. À travers ce plus petit dénominateur commun, à savoir une population à majorité chiite, Khandak el Ghamik devient un satellite, une extension de la banlieue chiite dans Beyrouth. Le stigmate originel de la Banlieue affecte ensuite le quartier péricentral quand il s’affirme comme quartier chiite. Dans ce contexte, on entend des réponses comme "Dahyeh est la base arrière des délinquants" ou encore, à Khandak el Ghamik on subit, comme en banlieue, le contrôle des passants intrus au quartier et épiés : "dès que je rentre là bas, j’ai l’impression d’être suivi". Cette référence systématique à Dahyeh n’est pas uniquement celle des gens extérieurs au quartier. Les habitants de Khandak el Ghamick se comparent souvent eux-mêmes à ceux de Dahyeh. Ils se voient comme la continuité naturelle de la banlieue sud car ils sont autant exclus de ville. Ils ne sont pas acceptés dans le paysage beyrouthin et sont toujours traités de ruraux qui se seraient introduits dans la ville (Harb, 2006). "C’est la Dahyeh, mais dans

Beyrouth" qualifie le quartier. Une autre personne compare ainsi le quartier à son entourage : "on est mieux quʼà Dahyeh", qui est son point de repère. Ceci exprime la distance morale et la distance physique du voisinage et des liens urbains (Bourdieu, 1993). Cette auto-comparaison à Dahyeh exprime aussi une sensation de victoire dans le sens où les habitants seraient moins marginalisés que les banlieusards, "on est proche du centre-ville", "pourquoi déménager pour aller habiter à Dahyeh ?", "mes amis à Dahyeh me disent, c’est bien à Khandak, au moins vous avez de l'électricité et de l’eau". Même les stigmatisés finissent par projeter la vision du stigmatiseur sur eux même (Arthurson, 2012). Ceci est dû aux effets de l’exclusion et du manque d'intégration dans l’espace urbain (Arthurson, 2012). Dès lors, les exclus de Dahyeh et de khandak el Ghamick finissent par tisser plus de relations de cohésion et de solidarité (Tissot, 2006) entre eux. Ils s’enfoncent ainsi dans une inclusion socio-urbaine dans leurs propres réseaux sociaux, économiques, politiques, familiaux et communautaires (Arthurson, 2012).

La réalité démonte le discours pathologique L’étude micro-spatiale déstructure le stigmate pathologique inspiré de l’échelle macro spatiale qui stigmatise Dahyeh et Khandak el Ghamik, hay el Sellom, hay el Llija, Nabaa, Zokak el Blat. En effet, les gens qui dénigrent sur le préjugé socio-politique se contredisent pour s’exprimer à l’échelle du quartier ou de la rue, car ils adoptent des critères spatiaux pour donner des exemples similaires. C’est ainsi que d’autres noms surgissent, Tariq el Jdideh, Rue Tamliss, Bordj Hammoud… (figure, 07), quartiers dont le dénominateur commun avec Khandak el Ghamik reste la pauvreté, la marginalisation, la dégradation de l’environnement et l’enclavement urbain.

Figure 7-les autres quartiers stigmatisés, similaires à Khandak el Ghamikselonlesbeyrouthins,Source:auteur,donnéescollectéesenmai2015

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La morphologie du quartier, à savoir son tissu viaire étroit, vernaculaire, contrasté par des grands îlots plein d’impasses, fait directement ressentir chez le passant le sentiment de traverser une série de sphères privées, "on se sent vite des intrus". Une autre caractéristique spatiale est le vide des terrains vagues et des ruines (figure, 06, 10). L’absence d’activité ou de flux de cette zone tampon enclave plus le quartier. Les ruines de la guerre civile effrayent les passants, surtout dans la rue de la Syrie où réside toujours l’église syriaque sévèrement touchée pendant les combats, très emblématique et marquante : "ah ! Là où il y a l’église détruite" (figure, 08).

Figure8-LaruedelaSyrie(l’églisesyriaque)(source:auteur,Mai,2015)

De plus, l’inaccessibilité du quartier l’enclave et marque l’imaginaire. En effet, les habitants, surtout les femmes, qui utilisent le "service-taxi", témoignent beaucoup du fait que le « service » ne les dépose que sur la route limitrophe du côté de Basta au sud, sauf "si le chauffeur est de la "mantequa " (région en arabe)". Une autre personne ajoute à cela, "il va me déposer dans le quartier mais pour aller où après, faire un demi-tour ?". En effet, plus loin vers le Nord du quartier, il n’y a plus de piétions faute d’activités et à cause de l’obstacle du Ring Fouad Chéhab (figure, 06).

"Nœud de circulation, mais aussi fermé" est une expression récurrente chez les enquêtés. Cette description est réaliste car ce quartier péri-central constitue un nœud de circulation mais se referme facilement sur lui-même à cause de sa mauvaise connexion à la ville et de ses impasses (figure, 06). Ceci est évoqué surtout lors des tensions politiques sur la place des Martyres (500 mètres au nord), lorsque des militants du quartier peuvent accéder et se retirer facilement après les troubles. Déjà lors du Mandat Français, les délinquants du centre ville fuyaient la police par la rue Halim Kaddoura, et disparaissaient dans les grands îlots (les hawchs). D’où le toponyme courant désignant cette rue, zaroub el haramiye, la ruelle des voleurs.

Relation antagonique et emblématique avec le centre-ville Historiquement, le quartier a une relation vitale avec le centre-ville et le port de Beyrouth comme appui logistique. Cette relation a évolué suivant le développement économique du centre ville, laissant le quartier s’adapter aux nécessités. Actuellement, cette relation est physiquement rompue par la construction du Ring (Figure, 10), fruit du plan Ecochard et de l’urbanisme Chéhabiste durant les années 1960 et fonctionnellement rompue par la destruction massive du centre-ville, puis la philosophie de reconstruction dans les années 1960.

Figure9-l'impactmorphologiquedelarueFouadChouhab(leRing),Source:auteur.

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L’analyse de cette transformation morphologique montre que la rue de Syrie, axe Nord-Sud, est aujourd’hui coupée, alors qu’elle constituait l’artère principale entre le quartier et le centre ville (figure, 09). Cette rue profitait à la dynamique de la deuxième rue principale du quartier, la rue Khandak el Ghamick (figure, 09). Dans le quartier de Hamra, un ancien habitant et commerçant du quartier (années 1950-60) qui avait alors une boutique sous sa maison dans le quartier et une autre dans le centre, regrette la fluidité : "quelque pas dans la descente et on y était". Ainsi les rues répondaient d’une manière harmonieuse, aux activités et aux flux humain entre le centre-ville et le quartier. La construction du Ring a fermé le quartier car la topographie et les aménagements l’isolent. D’ailleurs, les habitants considèrent cette infrastructure comme leur "clôture", les séparant du monde extérieur et du centre-ville. Cependant, ce n’était pas la seule raison de la coupure complète. En effet, grâce à la diversité des activités au sein et à la limite du quartier, ses habitants résistaient encore à l’enfermement et restaient malgré tout, une partie du centre-ville. Les premiers combats de la guerre civile en 1975 enclavent le quartier par la destruction massive de ses abords. Par la suite, la reconstruction du centre-ville comme une entité à part, l’’ouvre vers un "waterfront" et non pas vers les quartiers péricentraux. En fait, cette volonté de se détacher des quartiers péricentraux, et ainsi de la ville, n’est pas initiée que par la politique urbaine néolibérale (Ragheb, 2011) menée après la guerre civile. En effet, cette vision "île" du centre-ville apparait déjà bien avant pendant le mandat français notamment, lorsque le centre connaît de nombreux aménagements, modernisant son tissu, introduisant de nouvelles activités dans la perspective de la tertiairisation de l’économie de la ville. Le centre-ville prendra alors le nom de "quartier du port" qui tourne le dos à la ville (Tabet, 1996). Ce détachement atteignait la "personne morale" du centre, mais la ville a résisté grâce à toutes les infrastructures populaires traditionnelles utiles. Ainsi, la place des Martyres, le souk Ghalghoul, et le souk Bed Idriss assuraient un flux important du centre vers les quartiers limitrophes et même la ville dans son ensemble. Sans adopter une analyse nostalgique proposant de reprendre le passé comme

solution, la conception de la reconstruction ignore les quartiers limitrophes. La philosophie même du projet rejetait catégoriquement les dynamiques urbaines entre centre et ville où la notion du "public" s’oppose à la vision néolibérale du projet. Le centre-ville, désormais connu comme Solidere (Société Libanaise de reconstruction) n’est plus l’espace naturel et n’incite pas l’intérêt des beyrouthins à cause de ses fonctions et ses activités dédiées à une clientèle plutôt issue des classes supérieures ou étrangère (Ragheb, 2011). D’ailleurs, les habitants du quartier le confirment et montrent même une hostilité envers le centre-ville actuel où comme marginalisés, réfugiés, chômeurs, ils ne ressentent aucune amélioration de leur vie par cette reconstruction : "on est viré du centre, c’est pour les riches".

Figure10.-Lazonelimitropheentrelequartieretlecentre-ville.(a)levidele longduRingavec le centre-villeenarrièreplanennoir etblanc. (b) leRing avec le quartier en arrière plan en couleur. (c) la dégradation duquartierparrapportauquartierlimitrophes.(source:auteurMai,2015)

Les ‘logements sociaux’ de Beyrouth La mobilité résidentielle indique combien la paupérisation urbaine gangrène le quartier. Normalement habiter tel ou tel quartier relève de l’offre immobilière, de l’emplacement et l’infrastructure du quartier. Mais dans Khandak el Ghamik, ce n’est pas tout à fait la réalité. Le travail de terrain démontre que le choix d’habiter le quartier relève d’abord d’un accès à un réseau social fermé parfaitement inscrit dans les

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lieux ou bien du choix précaire d’une main d’œuvre étrangère vulnérable. Bien qu’une partie des résidents témoigne d’un attachement aux lieux, une autre partie manifeste directement le désir de "sortir du quartier" si la chance ou l’opportunité le permet. Le parc immobilier, à travers son état, son type, son statut et son mode d’occupation explique plus les raisons et les structures de cette mobilité résidentielle. Dans sa globalité, le parc est ancien sauf autour de la rue Zehraoui où la majorité des constructions date des années 1970-80 avec quelques bâtiments récents. Khandak el Ghamik possède en effet un patrimoine architectural assez intéressant datant de l’époque ottomane, de l’époque du mandat français, notamment entre le cimetière et la rue de Syrie, et de quelques édifices des années 1950-60. Pourtant, la dégradation de l’immobilier est évidente : vitres cassées bâchées, cloisons tombées, murs fissurés. Concernant le statut du logement (figure, 11), nous avons relevé des propriétaires, des locataires, des colocataires, des occupants à titre gratuit, mais aussi des squatteurs dans un grand immeuble abandonné dans la rue de Syrie et dans quelques constructions précaires dans la rue Khandak el Ghamik. La propriété est vue par les habitants, tous anciens locataires, comme passage à la vie urbaine et aboutissement de leur intégration : "ce n’est plus comme avant, on a la capacité d’investir dans notre bien … ". Les locataires restent pourtant majoritaires dans le quartier, dont des baux signés avant et après 1992. Cependant habiter Khandak el Ghamik est moins cher que dans le reste de la ville. Ainsi pour une surface identique, dans le quartier le loyer est à 600$ tandis que dans les quartiers alentours le prix grimpe vite à 800 ou 900$. Ceci est expliqué par le stigmate et les "effets de quartier" (Arthurson, 2012). Tout d’abord, la réputation du quartier rend l’offre inintéressante aux yeux du reste des beyrouthins et donc ipso facto le prix diminue. Deuxièmement, le repli des habitants sur eux même, dans leur entourage, qui résulte de la stigmatisation (Wacquant, 2007), renforce la compassion entre eux : "pourquoi demander un loyer cher quand je suis conscient de son état

financier ?", "on cherche à rester entre soi". Dès-lors, la stigmatisation a un effet pervers car elle atténue indirectement la misère des pauvres en rendant leur quartier non attractif et donc plus accessible, mais accessible à eux seuls. La majorité des baux de location relèvent de l’ancienne loi d’avant 1992 8 , tout l’ouest du cimetière et la rue de Syrie jusqu’à la rue Zeharoui au sud rentrent dans ce cas (figure, 11). Le profil de ces habitants varie entre des retraités de la municipalité, des chômeurs, et des familles précaires qui, depuis toujours ont habités le quartier. On trouve aussi les enfants des anciens locataires qui ont pris le relais et qui n’ont nulle part ailleurs où aller. La dégradation des bâtiments résulte en partie de cette situation car le propriétaire ne gagne pas assez pour entretenir, une situation où locataire et propriétaire baignent finalement dans la même misère.

Figure11-L'inscriptionspatialedelapopulationetlemoded'occupationdel'immobilier

8 L’ancienne loi de location, n°48-1360, inspiré de la loi française connue comme la loi1948. Cette dernière ayant figé définitivement le montant du bail locatif tel qu’il était à la signature. Ainsi les baux datant d’avant 1992, ne prennent fin que lorsque les locataires décident de quitter l’immeuble, ainsi le loyer n’augmente pas avec l’inflation et reste à la valeur fixée lors de la signature du contrat.

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Rester est une nécessité financière faute de pouvoir payer un loyer plus onéreux. Cependant, ceux qui ont eu "l’opportunité" de sortir ont transformé leur maison louée en une source de revenu. En effet, une petite partie des anciens locataires loue des colocations par pièces à des ouvriers précaires, de nationalité arabe majoritairement syrienne, constituant la main d’œuvre de construction non déclarée dans le pays. Dès lors le mouvement démographique dans le quartier favorise l’apparition d’une classe encore plus précaire que celle qui existait déjà et la sortie de la classe un peu moins fragile. Il est clair que l’offre immobilière de Khandak el Ghamik répond à une demande de logements modiques dans une ville sans logements sociaux. Même si les inégalités étaient une préoccupation des politiques Chahebiste des années 1960, dont le plan Écochard fut la traduction sur le terrain, l’application n’a pas été à la hauteur des besoins sacrifiant radicalement tous les aspects sociaux dont les logements prévus dans la partie sud de la banlieue (Verdeil, 2010). De plus, la politique de reconstruction d’après guerre ignore cette question malgré le nombre de déplacés et de réfugiés (Beyhum, 1995, 1996). Lors du projet Elyssar la question de 7000 logements sociaux réapparait dans le débat public. Mais ceci reste lettre morte car les autorités en charge de ce projet "luxueux" délèguent cette mission à la caisse de lʼhabitat, qui, si elle dispose des compétences, ne dispose pas des fonds nécessaires à ces travaux d’envergure (Harb, 2010). Dès lors, des quartiers comme celui de Khandak el Ghamik constituent désormais pour quantité d’habitants "le logement social" de Beyrouth.

Enjeux & Conclusion Etudier le stigmate urbain à Beyrouth est essentiel à la compréhension de l’ampleur de la crise urbaine dans la ville dont les signes persistent d’une façon alarmante. En cela, le stigmate est considéré comme un "indicateur" de crise dans la mesure où son mécanisme prend ses origines de la dynamique urbaine dans l’espace. Tout en étant conscient de la complexité que ce champ d’étude implique, allant du social vers le façonnage de l’espace, le but était de trouver une corrélation entre les inégalités, les lacunes au niveau des politiques

urbaines et le discours de stigmate dans son apparition et sa ténacité. À travers les résultats, et, dans une ville comme Beyrouth où les tensions et les conflits politico-communautaires sont omniprésents, il a été clair dans l’interprétation du discours que les raisons pathologiques, à savoir le préjugé socio-culturel, tendent à camoufler et enrober les raisons structurelles du stigmate urbain enraciné dans la marginalisation économique d’une population dans une enclave urbaine dégradée, recluse sur soi. Cependant, les aspects communautaires, culturels et politiques du stigmate jouent principalement dans le contexte beyrouthin comme représentation de l’espace urbain polarisé entre communautés et territoires politiques. Khandak el Ghamik, une fois coupé du centre-ville, a perdu son moteur économique et sa dynamique urbaine. Ceci est dû à l’aménagement d’autoroutes au sein du tissu existant sans évaluation des impacts et la coupure fonctionnelle après la reconstruction du centre-ville. De plus, les inégalités sociales n’ont jamais réellement été traités à Beyrouth ni au Liban. Ainsi, le manque de vraie politique d’habitat a poussé les gens les plus vulnérables à s’accrocher au seul accès à un logement modique plus au moins digne, c’est-à-dire la partie du parc immobilier louée selon la loi d’avant 1992. Les précaires et marginalisés trouvent dans ce statut locatif une autre solution que les taudis et les quartiers informels en dehors de la ville. Ce parc figé constitue un des derniers refuges au sein du tissu urbain à Beyrouth. Cependant, une nouvelle loi datant de mai 2014 annule tous les anciens baux d’avant 1992. Cette loi menace plus de 59000 familles à Beyrouth et 180 000 familles au Liban (Marot, 2012). Khandak el Ghamik subit une grande mutation démographique chassant "ses pauvres" dans les zones où la pauvreté sera "acceptée", et non pas stigmatisée, ajoutant de la misère sur la misère dans des zones déjà marginalisées en périphérie de la ville. L’espace urbain va être ainsi, de plus en plus polarisé entre zones qui s’embourgeoisent d’un côté, et des zones qui se ghettoïsent de l’autre. D’ailleurs à Khandak el Ghamik les premiers

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signes de gentrification apparaissent avec l’activité immobilière qui détruit autour du BDD pour proposer des appartements de luxe.

La question majeure est, comment le discours de stigmate vis à vis de Khandak el Ghamik est et sera utilisé pour métamorphoser le quartier, et dans quelle finalité ? La crainte est d’utiliser la stigmatisation pour une spéculation foncière sans considération des habitants et des solutions de logement durable.

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