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Hitotsubashi University Repository Title L'Amitie, forme ideale du dialogue valeryen Author(s) Kunio, Tsunekawa Citation Hitotsubashi journal of arts and sciences, 20(1): 32-42 Issue Date 1979-12 Type Departmental Bulletin Paper Text Version publisher URL http://doi.org/10.15057/3229 Right

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Hitotsubashi University Repository

Title L'Amitie, forme ideale du dialogue valeryen

Author(s) Kunio, Tsunekawa

CitationHitotsubashi journal of arts and sciences, 20(1):

32-42

Issue Date 1979-12

Type Departmental Bulletin Paper

Text Version publisher

URL http://doi.org/10.15057/3229

Right

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L’AMITIE,FORME IDEALE DU DIALOGUE VALERYEN1

Pα〆 KuNlo TsuNEKAwA*

    L’amiti6aura6t6une grande passion juv6nile de Paul Va16ry。Pour s’en convaincre,

il sumrait de parcourir les volumineuses correspondances de Va16ry avec des amis de jeunesse

tels que Fo皿ment,Louys et Gide en particulier,C’6tait d’abord une passion de la pubert6,

α〃2i∫i(5ραπi6μ1’2〆8dira-t-on,fゑvoris6e sans doute par I’entrevue d’une possibilit6deごo〃1一

ηπ‘nion dans la puret6de1’art secret,1’id6e que Va16ry ch6rissait au d6but de sa carriさre de

jeune poさte,Marqu6e par la suite profond6ment par l’6v6nement de l892,qui6tait en

somme une crise de sensibilit6ラ1’amiti6va16ryenne a subi me importante modincation,

Ayant6t6jusqu’alors essentiellement une quete du semblable,qui n’allait pas sans incidents

sentimentaux,elle en ressort comme d6pouill6e de tout attribut circonstantiel,r6duite pour

ainsi dire a sa seule existence。 C’est ce que Va且6ry laisse entendre dans une lettre a Four-

ment non envoy6e,6crite en l892autour de Ia IV碑4θ06nθs:

       L’amiti6est plus simple que toutes relations entre personnes se r6duisant par une op6ra-

    tion quasi naive de sa propre vertu a la notion seule qu’eHc existe,oubliant bient6t les6v6ne-

    ments,1es habitudes qui ront construite,1e Iangage meme en6tant rar666,rapide et nuL

    Sachant maintenant qu’il faut se m6ner de tout ce qui touche aux sentiments,Val6ry

proc色de a une sorte d’6puration(1e sa pens6e,de fagon a n’en retenir que l’aspect purement

fonctiomel ouααびselon sa propre terminologie.C’est pourquoi il a6cart6vio!emment

en l8921’attachement devenu trop sentimerしtal de son ami Fourment en ces termes:

       Si j’ob6is a une invite de phrases nulles,mouill6es,si je veux nous plain(lre et mettfe en

    parole ici la possibilit6de s’attendrir,d’etre une heure a ta gauche dans l’air trop lumlneux,

   vaste et a㏄outum6d’une promenade a1’o㏄ident,non! L’apparition d’une telle vie,hier

   n6tre,ne serait qu’oiseux malaise,Dis-moi ne vaut-il pas mille fois mieux que pour chacun

   ne s,61らve plus de l’Autre que...1a《notion pure》,1a seule vraie?2

Pour celui qui a d6clar6:《Aujourd’hui tout doit venir de moi》3,1’ami doit rester essentiel-

1ement研舵sans trop troubler le libre cours de la pens6e de son partenaire.S’il6tait

jadis《m jeune homme sympathique,soigneux d’6carter tout frottement avec les gens》,

comme il avoue a Gide,s’alimentant largement《a des livres et aux id6es r6pandues parmi

ses semblables》,4il devient tout juste le contraire alors.Il veut se diff6rencier des autres

par tous Ies moyens,coUte que co負te,Et cela a ce point que pour toute id6e《profonde

ou sublime》dont il n’est pas rauteur,peut-on lire dans une note des Cαhiθ7s,ll croit

qu’《[i1】faut40nc trouver son d6faut et qu’lil】la punisse de[ll’avoir enchant6・》  《Cela est

 * Professeur adjoint(Jloんアの〃)de langue et Iitt6rature frangaises.

 1Communication au S6minaire(ie Recherche organls6par le Centre d’Etudes val6ryennes de I’Universit6

Paul Va16ry(Montpellier),le ll mai1979。

 2Lettre a Fourment,1e23septembre1892. 3 Lettre a Gide,le14juillet1894,

 41bld.

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1979]  つ

L AMITIE,FORME IDEALE DU DIALOGUE VALERYEN33

vita1》,5ajoute-t-iL Avec cet6gotisme si caract6ristique de Val6ry(certains diront meme

I’勧os甥ααs∫εde Val6ry),la seule amiti6possible est celle ax6e,non plus sur la notion de

semblable,mais sur la diH16rence meme entre soi et autrui,dont l’image id6ale devient en

guelque sorte cet6tat de dialogue spontan6 sans且n entre deux personnes ind6pendantes,

irr6ductibles l’une a l’autre。 《La perfection de cet6tat brille,6crit Va16ry dans la suite

de la lettre a Fourment cit6e plus haut,lors(lue est possible l’appel soudain a Hotter entre

les amis d’une id6e quelconque,librement,le soir ou la nuit,au gr6de rien,et que les neuves

s6quences d’attitudes dans leur double jeu instantan6,apparaissent toujours d’ensemble

et comme accord6es,et dans le secret l’une de I’autre soient-elles tout diff6rence,antith色se,

et vari6es pendant le d6taiL》 Cette description admirable de l’6tat de l’amiti6rappelle

in61uctablement ce que Val6ry a6crit maintes fois ailleurs a propos de laρ8潅56θαα’vθ,caract6-

ris6e,on le sait,par《le maintien de conditions di驚rentes et simultan6es》,au moment d’une

op6rationdel’esprit,sacri盒anttoujours《lescontenues》aux《liaisonsd’oP6rations》・6

    Cependant,6pur6e註ce point,rendue abstraite et comme irr6elle a souhait,cette amiti6

n’est plus praticable dans Ia r6alit6,sauf dans des cas exceptiomels et passagers。Au mo-

ment meme o血chacun(1e ses amis pense s6rieusement a s’engager dans la soci6t6pour y

etreごαs6et recomu comme gμ吻μ’μn,tout en imposant auprさs du public sa personnalit6,

ce襯01en lettre minuscule,Val6ry proc色de a une d6marche tout a l’encontre du courant

96n6ra1. 《Ils s’6tonnent de ce que je ne fais rien de concret,6crit騨il a Gide en1896。On sait

que je m’int6resse a beaucoup de choses,je passe pour avoir une curiosit6d6vorante,mais

enfin il faudrait,etc。 Additionnons:cette opinion est celle de Louシs,de Kolbassine et de

I’ami en question。》 Et un peu plus loin dans la meme lettre:

       Je demande sincさrement a mes amis si j’ai souvent manqu6au pacte implicite.Si je ne

   leur ai pas dit parfois des choses int6ressantes,si je ne leur ai pas sug96r6,si je n’ai pas mis

   quelque bome foi a leur disposition,si je ne leur ai pas expos6mes recherches,   en Ies

   suppliant pour avoir des objections pr6cises,en(16clarant nulle toute fomlule(1e blame ou

   d’610ge,en m’exposant jusqu’a leur faire,au risque de l’amiti6,ce que j’aurais voulu qu’iis

   me行ssent.7

《Pas un ne m’a r6pondu》,a-t-il conclu.A1’exception toutefois de Gide,qui a su etre,

comme chacun sait,pendant quelques ann6es qui ont suivi imm6diatement la crise,le con・

五dent le plus fidさle de Va翌6ry et a qui ce demier adressait toute la fougue du temps,voyant

en lui le seul ami loyal,sumsamment attentif a ce qui lui touche le plus a c㏄uL Non que,

entre eux il y ait une similitude de vues ou de temp6rament:au contraire,ils sont parfaite-

ment conscients que leurs natures respectives sont aux antipodes,jusqu’ゑce qu’《en g6n6ra豆

tout ce que fait l,un d,eux est juste cσque l,autre ne doit pas faire.》8 11reste que parmi

les autres qui6taient《ou incomp6tants,ou int6ress6s,ou distraits》,9Gide6tait le seul qui

sache6couter,avec son且air peu commun,cette tonalit6authentique d’un Val6ry,《Je ne

vois pas d’inconv6nient註ce que tu diriges註ton gr61es rapports de ta litt6rature avec moi,

6crit enHn Val6ry註Gide,Mais la question change quand il s’agit des rapports de toi a moi.

Je t’avoue qu’ils me semblent innniment au-dessus de tout ce que nous pouvons chacun

 5Cαh’α3,1,712(N.B.Ces chi庁res indiquent respectivement le tome(chiEre romaln)et】a page(chi仔re

arabe)des6ditions en fac-simi16s des Cαh’α3par le C.R.N.S.)

 6 1bid.,1,690.

 7Lettre a Gide,1e4ao飢1896. 81bid.,Ie250ctobre 1899. 9 Cαh’ε75,1,768.

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34 ㎜OTSUBASHI JOURNAL OF ARτS AND SCIENCES [DDgember

barboter dans du papier。C’e§t-a-dire que je suis naturellement amen6par toi-meme之

n6ghger ce au sujet de quoi tu pr6fεres t’adresser aux autres・(・D・)・Je te r6P色te qu’en ma-

tiさre litt6raire pour toi,et en matiもre loufochistique,po皿moi,je nous considさre comme

vα吻δ1θ5’n4吻θn4θn’εs et faisant notre salade comme il nous convient・》10 0n sait que

Gi(le ne se sentait pas to両ours tran可uille devant《cette esp色ce agressive de sinc6rit6》(1’ex-

pression est de Val6ry)et que,piqu6,il r6agissait parfois durement aux arguments d6vasta-

teurs de son ami,ce旦ui amenait ce demier a prendre,a son tour,une d6f奄nsive plus ou moins、

violente。Ainsi il en r6sulte une s6rie de lettres extremement riches et r6v61atrices sur1’6vo-

lution du val6rysme de ce premier temps,《les plus importantes》,dira Gide,d’entre toutes

celles qui se sont jamais6chang6es entre eux et que rinterlocuteur adversaire lui-meme qua-

line parfois d’admirables。11 11y a,malgr6tout,de la tendresse entre eux et ils savent que

leurlienest《tr・pabstraitp・urqueladiversit6danslavielegene・》《N・usn・usint6resse-

rons,6crit Va16ry a Gide,assez pour nous int6resser toujours.Toutes aventures,jusqu’a

cette espさce d’amiti6ennemie qui a6t6un instant a ton pr6c6dent Lamalou,la n6tre,et fort

6troite,n’ont toum6qu’a meler6norm6ment quelque chose et a d6meler tr色s heureusement

tout le reste.Jラesp色re que tr6s souvent nous nous servons mutuellement de types bien

d6finis d’un autre esprit que le n6tre,et aussi sympathique et aussi diH6rent que possible!

L’id6alserait:aussip・ssiblequep・ssible・》12

   Le ton apais6et quelque peu nostalgique de cette lettre a Gide6crite quelques mois

aprさs le mariage de Va16ry avec Jeamie Gobillard,montre qui’1s’agissait ef琵ctivement

d’un d6nouement d’une tension qui existait entre eux,1’an pr6c6dent et qui6tait aussi celle

de resprit va16ryen sou任rant d’une extreme solitude oU il se murait d司a depuis des ann6es,

ayant6t6atteint particuli邑rement gravement par星a mort de Mallarm6survenue en1898。

Or cette tension bien persomelle semble s’etre dissoute,momentan6ment du reste,par le

mariage, 《Sono felicissimo,Je respire dans le vague avec autant de d61ices que j’en ai eu

a le fuir》,13a-t-i16crit a Gide,de son voyage de noces.Dispara宣t en meme temps,de leur

c・rresp・ndancesiassidue,laferveurdecesdemiさresann6es,quifaitplacesin・nalaplatitude mais a un assagissement plein de tendresse.Une lettre直Fourment6crite par

Val6ry trois ans plus tard t6moignera assez bien de cet6tat de d6tachement avanc6par

rapport au monde ext6rieur et aux amis,dans lequel se trouvait alors,non sans regret,il

fautledire,lefut皿poさtede加/εμnθP鍔μ8:

       Je sals que ramiti6aura6t6ma grande passion.Je hais public,foule et humanit6,a pro-

   portion du gont que j’6prouve pour les coteries et les quelques-uns.Je n’ai pas a me plaindre。

   J’ai6t6heureux en amis,Seulement,il y a d動註垂ongtemps。Aujourd’hui le fond du coeur

   (1e mon esprit est tr己s d6sert.Cette expression absurde est la bome-Je m’en sers int6rieure-

   ment avec assez de clart6ct n’en trouve pas d’autre.A la mort de Mallarm6,㏄c㏄ur4a a

   6t6bien atteint.Donc il est.En somme,je demeure avec l’immense regret de n’avoir pas

   port6㏄tte passion(1e la proximit6d’esprit au z6nith quasi visible_。。Ici on est oblig6de

   tomber dans le charabia.Mais peu m,importe。Je parie que tu m’a compris.14

 Lo Lettre a Gide,1e8juiHet1898. 11Nous devonsce d6tail aRobert Mallet qui signale dansson6dltion dela Correspondance Gide-Val6ryque Gide a6critαゴ’n加扉8en le soulignant deux fois sur l’enveloppe contenant la lettre de son ami,dat6e le・

10novembre1894. 12Lettre a Gi(1e,le170ctobre 1900.

 131bid.,1e8juin 1900.

 14Lettre a Fourment,le l l janvier1903。

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1979】 L,AM冨TIE,FORME IDEALE DU DIALOGUE VALERYEN35

    V。il註engrandeligneetenguised’uneintr・ducti・nan・tres両etcequ’6taitl’amiti6

pour le jeune Va16ry・

** *

    Nous nous proposons maintenant de regarder en profondeur cette《passion de la pro-

ximit6d・esprit》,quisemblesubsisterc1・ezVa16ryc・mmeunedesplusauthentiquesexigences

desonesprit    N・ussav・nsqueleparler6taitp・urVal6ryaussibienund・nquラunbes・in・lls’agissait

bien d’un don,comme en t6moignent beaucoup de ses contemporains ou de ceux qui1’ont

c。nnudes。nvivant.Pr・digieuxcauseur,ilalaiss6s・uventsesinterl・cuteurs6bahis・v・ire

accab16s.Mais le don,c’est aussi un besoin pour celui qui en est favoris6,《Je t’avoue

etrelasdesgensd・ici,6critt6tVal6ryaGide,tulesv・is,一ilsn’・ntpaschang6・一et艶indre

P・urtantdelesfr6quenter・carennn・unef・isparsemainej’aiゑes・indel’homme処jevaiscauser avec,genre de borde1.》15 Certains diront,tel Gide,qu il se contentait de n lmporte

quelauditeur,《ac・nditi・nquecelui-cipar盒Huipreterattenti・nsu伍santeetlelaissatdiscourir tout son so血l sans l’interrompre.》16 Remarque apParemment juste mais・vue

depr色s,singuli色rement飴uss6eetsuper丘cielle・Carcebes・indecauser・n・usall・ns】ev・ir,estpr・f・nd6menth6alanaturememeden・trep・さte・Celle-ci・「・切etd’uneanalyseconstante et extremement p6n6trante dans les Cαh’α5,semble etre caract6ris6e par deux

traitsessentiels:rapidit6etn・nengagement・《Jesuisrapide・urien・n・teVa16ry・m・ncerveau est rebut6par la longueur》. Alors il fait《trop de chemin en peu de temps pour en

faire peu en longtemps.》17D’autre part,il note:《Ma vie fut toμjours inquiらte de tout

engagement.Me d6gager,me d6gager,ma mani色re fondamentale nalve.》18Et encore:

       τεαひτ09

       Pas de continuit6dans l’effort,Pas de temps r6gulier、

       Des moments.

       De grandes in6ga璽it6s.

       」・en ai tir6ma mani前e-le goαt de la s6curit6,de la rigueur,des formules-rho皿eur de

   ㏄qui n,entre pas dans un instant.Rapidit6et lassitude。 Sens de l’incomplet-dc la dur6e,

   exag6r6s.Aller outre.D6passement-chutes(。g.).       J・ai vite le d6gont d’6crire. Le physique de r6criture m’est insupPortable・Quan(11e

   mot vicnt enfin sous la plume,rid6e est d6ja alt6r6e ou chue。19

De la sans doute,ce go直t connu chez Val6ry de la conversation。Car si r6criture exige de

lapartdel’6crivainune任・丘s・utenude血xer「id6eparlem・t・sum・ntantetmemre弩ca’motant les difHcult6s,la conversation Hbre ou le dialogue peut rester essentiellement a1’etat

debr・uill・nsettat・nne卑entssansautres・ucique1’exercicedel’espritparv・ied’6changesDemande-R6ponse entre deux etres,《entre des syst色mes a implexes,dira Va16ry,dont1’in6-

galit6estsupPos6e》。20

 15Lettre a Gide,1e25mai I894. 16Andr6Gide,P側1吻1勿,inL’囚〆伽n。10(octobre1945),P・6・ 17 Cαh’ε75,V, 165.

 18 1bid.,IV,280. 191bid.,passage in6dit et recueilh par Mme J.Robinson dans son6dition des Cαhier3(2vols。)de la Biblio-

thさque de la P且6iade。

 201bid。,XXIV,624.

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36HITOTSUBASH五」OURNAL OF ARTS AND SCIENCES [December

    On voit que ce n’est pas le monologue qu’il veutl mais une v6ritable conversation《entre

pens6es actives,a-t-il6crit a Gide,sans monologues de m6moire,6chos etc。》210U les deux

partenaires se regarderaient《trouvant a mesure》.22 Seulement,ce dialogue val6ryen a ceci

de particulier qu’il ne vise rien de fix6ni ne comporte aucun mouvement utilitaire tendant

a quelque fin bien d6termin6e,toutes id6es qui y apparaissent se valant par elle-memes dans

unjeu infini de substitutio曝s ou de《production d’images et de faits mentaux tant6t spontan6e

en quelque sorte,tant6t provoqu6e par les6v6nements》。 C’est ainsi que ce dialogue sans

fin ni sans objet s’approche aussi pr色s qu’on voudra d’un monologue a deux voix ou d’un

《dialogue int6rieur》qui est,selon Val6ry,1’6tat naturel de tout acte de penser chez l’homme:

《Un Moi est ce qui est en deux Persomes-mais ce sont deux fonctions(parler-entendre〉

dont rindivisibilit6fait un Moi.》23《C’est un fait in五niment remarquable,6crit encore

Val6ry,(lue l’homme communique avec-soi,par les memes moyens qu’il communique

avec rautre, La conscience a besoin d’un autre fictifL-d’une ext6riorit6-elle se d6veloppe

en d6veloPPallt cette alt6rit6. Le subjectif est la hmite.》24

    0rsilac・nscienceabes・ind’unealt6rit6P・ursed6vel・PPer,iln’estpas・bligat・ire

que celle-ci soit cet autre且ctif cr66dans le Mεmel il serait meme pr6f6rable si l’on peut la

remplacer par une《r6sistance vivante》dont Val6ry parle dans une note d“s Cαhiθ〆5de l910;

       Ma solitude-qui n’est que le manque depuis beaucoup d’ann6es,d’amis Ionguementシ

   profond6ment vus;de conversations6troites,dialogues sans pr6ambules,sans finesse que les

   plus rares一・elle me co負te cheL Ce n’est pas vivre que vivre sans objections,sans cette r6sis-

   tan㏄vivante,cette proie,cette autre personne,adversaire,reste individu6du monde,obstacle

   et ombre du moi-autre moi-intelligen㏄rivale,irr6pressible-ennemi le meilleur ami,hos-

   tilit6divine,fatale,intime.25

C’est bien de l’amiti6qu’il parle。Deux autres notes recueillies dans les Cαh’θ〆3de lgl6-

19176claireront mieux cette id6e:

       Amiti6.Si(leux hommes se juraient:Convenons que toute id6e,tout mouvement venant

   a run de nous sur l’autre,ou a propos de l’autre,sera dite par run a l’autre;que1’un puisse

   toujours la dlre,1’autre1’entendre,et que celui-ci avouera et pr6cisera le mouvement de riposte,

   de d6fense,de haine qui devra lui venh・.

       Celas’est-iljamaisvu?

       Cela rendrait siguliらrement forts deux hommes.

       Meme sans《persomalit6s》avoir et etre con且dent des pens6es toutes nues,des incidents

   incessants,des associations baroques,des remarques betes,des id6es troP Particuliさres,troP

   instantan6es;de tout l’inutilisable,1’absurdeシrinsens6,le nul_ce serait sans prix.26

Et encore:

   L’amiti6poumit etre la forme la plus profonde de connaissan㏄.

   S’il y avait deux hommes vraiment unis comme deux yeux,comme deux stations corres。

pondantcs comme des foyers conjugu6s,que de choses n’6chapPeraient pas a ce systらme!27

21Lettre a Gide,1e 160ctobre1899.22Cα々iθr3,1,350.

231bid.,XXVII,393.

241bid.,IX,651.

251bid.,IV,479.

261bid.,VI,24027 1bid.,VI,311

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1979】 L,AM畳TIE,FORME IDEALE DU DIALOGUE VALERYEN37

   L’id6e certes n’est pas nouvelle chez Val6ry,qui la formulait et la caressait,nous l’avons

vu,depuissajeunessec・㎜eunbeaureveirr6alis6・Maisilyat・utlieudecr・ireque・ayantatteintsamatuht6,n・trep・らtecreusesinguliさrementcetteid6e・c・mmes’ilrecherchait

en elle une solution a son problさme le plus cuisant:la r6conciliation du connaitre et du

vivre.Pour mieux voir la question,il conviendrait ici d’interroger le sens profond de cette

maturit6val6ryenne,pr6cis6mentdecellequ’ilditav・iratteintevers1910・28Al・rslalec-ture attentive des Cαh’873nous indique qu’il y nait vers cette6poque un mouvement(1’humani-

sation de tout un val6rysme,qui se traduit par une sorte de somatisation ou d’incamation

de resprit,si l’on peut dire ainsi。Y foisonnent effectivement des notes relativement au

corps,《1’instrument de r6fるrence》,29《1’objet capital qui丘xe[notre]6chelle》,30 C’est tout

comme s’il voulait maintenant,Val6ry,redresser un peu la trajectoire de sa recherche en ce

qui conceme la passion sinon erron6e mais quelque peu exag6r6e port6e a l’esprit et a l’esprit

seu1.Citons pouf exemple une note des Cαh’θrs de19120U apparait sigr旺ficativement le

mot d’《ange》dans un contexte de《choses r6volues》:

       Te rappelles-tu le temps o心tu6tais ange?(。。.),C’6tait une affaire(1e regard et de vo-

    10nt6,1’id6e de tout traverser avec mes yeux.Je n’aimais que le fむu.Je croyais que rien a Ia

    nn ne r6sistait a mon regard et(16sir de regard.Ou plut6tje croyais que quelqu,un pourrait etre

    ainsi et(lue moij’avais rid6e nette et absolue de celui-1a(...),Je ne vivais que pour deviner.

    C’est exag6rerla distance in6nie qu’il y aentre moi et les autres,entretout moiet tous les autres。31

    En fait si rhomme6tait pur esprit(ange),il n’y aurait ni《les importances diverses des

choses》血《ces tatonnements et ces troubles qui ren(1ent sensibles les travaux qui font la

pens6e,luid・mentunc・rps》32,puisquesanscetter6sistancevivantequ’estlec・rps(c・rps6tranger/autre personne/ami),il nテy aurait rien qui arrete le cours infini de l’esprit oU les

hypothさses sont purement hn6aires。Val6ry notait d鋤en l905-19061《La pens6e n’est

s6rieusequeparlec・rps.C’estrαPPariti・nduc・rpsquiluid・nnes・np・ids・saf・rce・sescons6quences et ses effets d66nitifs》,33 En un mot,c’est le corps qui fonde toute pens6e,

c’est-a-dire tout dialogue.

    Un autre fait important coincide avec cette apparition du corps dans1’univers val6ryen.

C’est la conscience d’un anneau d’id6es.sous lequel il finit,dit Va16ry,par se voir二

       Celui qui observe sa pens6e est fatalement condamn6a l’anneau。Il acquiert un passage

    plus rapide d’un616ment a un autre,soit par1’illusion de similitude entrc616ments qui ne font

    ques’apPeler,s・itparunsensplusaiguis6desana1・gies,quiretr・uverundans1’autre616-

    ment。3婁

Ainsi la maturit6vai6ryeme a apport6un profond changement de perspective au val6rysme

du premier temps,celui de l’オngθl la pens6e val6ryeme se voit d6sormais doublement en-

ferm6e dans son ile int6rieure,d’une part par1’apparition du corps,qui fait que tous les faits

mentaux purement spirituels perdent leur caract色re s6rieux et d’autre part,par la conscience

de cet《ameau》,qui condamne le sujet pensant a la situation bien embarrassante d’《une

  28αCα肋75,XVII,738:《Undemespremierspasdansladirectiondu Moi-memequisシest form6jusqu’a

sa matunt61910etc.》  29C痂θ75,IV,139.  301bid.,V,336.

  3夏Ibid.,IV,705.

  321bid,,IV,675.

  351bid.シIII,881。

  3噛Ibid.,IV,647.

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38HITOTSUBASHI JOURNAL OF ARTS AND SCIENCES [December

vache au piquet》o心《les memes questions depuis43ans,notera Va16ry plus tard,broutent

le pr6de【son】cerveau》.35 Et c’est la le moment oh le navire Esprit vire de bord sur l’Oc6an

Corps,pour reprendre la belle image de Val6ry,36cap au Monde.

    Dさs lors la pens6e,1a pens6e val6ryenne s’entend,aspire a dialoguer.Dialogue non

plus seulenlent avec soi a rint6rieur de son ile,mais aussi et surtout avec un autre vivant,

un autre corps dirait-on,《dialogue total,syst色me de consciences nues(...)entre gens

aussi vrais que possible(_.)ni triches,ni betises》,37 En e飾t tout est dialogue maintenant。

Compar6s aux grands monologues de jeunesse tels L’伽〆o吻αion et加Soi厘θ,1es6crits

ult6rieurs du cycle Teste et de la s6rie L60nard seront essentiellement dialogues en ce sens

慧、讐細臨・膿鵠藍怨離、:1離躍、Vla艦,隅無、1縦鑑1’Esprit。Ici,par exemple,le corps dラEmilie Teste,ce《rocher de vie》,comme chacun sait,

ques・nmarid6c・uvre《c・mmeuneterreneuve》chaquef・isqu’illuirevient《delapr・f・n-deur》40et ia,《ces unions anatomiques,coupes eHtroyables a meme l’amour》41que L60nard

a examin6es et dessin6es a loisir。S’il est vrai que le Teste de加30舵εreconnaissait la force

du corps en disant:《Je combats tout-hors la souffヤance de mon corps,au dela d’une cer-

taine grandeur》,42son corps sec et d6gami,souErant meme,devient dans Lθ’舵4θ〃川θ

E,n∫1iθ7セsガθcet homme vigoureux dont les prises font penser a son6pouse a celles《d’un

statuaire,d’un m6decin,dヲun assassin,sous leurs actions brutales et pr6cises》.43 De meme,

1e L60nard de l’1n吻ぬαion qui n’6tait au d6but qu’u旺nom donn6a une pure cr6ature de

lapens6e・lev・icidansN・’θθの幽si・nsibienhumanis6,dis・nsincam6ausenspr・preduteme・qu’ils・ngemaintenant:《1’・rganisati・nden・trec・rpsestunetellemerveillequerame,quoique chose divine,ne se s6pare qu’avec les plus grandes peines de ce corps qu’elle

habitait》et qu’il croit:《ses Iarmes et sa douleur ne sont pas sans raison.。.》.44

    Voyons plus loin。Eψα伽03,premier des v6ritables dialogues6crits par Val6ry,est

ici exemplaire,Chose paradoxale sans doute,cラest un dialogue de morts qui parlent inces-

samment du corpsラdes vivants,du solide!D色s le d6but,les deux interlocuteurs,Socrate

ct Ph合dre,vont pr6ciser les corしditions toutes particuliεres de leur monde des ombres。A

1’interpellation de Phさdre:《Que fais-tu la,socrate? voici longtemps que je te cherche》,

celui-ci r6pond en ces termes:

       Attends.Je ne puis pas r6pondre。Tu sais bien que la r6Hexion chez les morts est indi.

    visible.Nous sommes trop simplin6s maintenant pour ne pas subir jusqu’au bout le mouve.

    ment de quelque id6e,Les vivants ont un corps qui leur permet de sortir de la comaissance

    et d’y rentrer,45

Et bient6t leur conversation se d6roule autour de ce solide,de《ces pierres》(《O mat6riaux!

  851bid.,XVIII,648.

  s6Voir le passage des Cαh’θrs,XII,50:《Le皿avire Esprit notte et nuctue sur roc6an Corps.》

 37C4hゴ87s,XXH,200, 381bid.,VIII,838,

 39Voir le passage des Cαh’αs,IX,568:《Je dirais ici que le caractさre le plus6tonnant de resprit est rinstabi.

1it6.》

 400εμv7ε5,voL II,Bibliothさque de la Pl6iade,P.30.

 ‘11bid・,vol I,Biblioth色que de la P16iade,P.1212.

 421bid.,vol、II,P.25.

 ‘31bid.,vol.1,P.30.

 “Ibid,,vol.II,P.1213, 451bid.,p.79.                            』

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1979] L,AMIT【E,FORME IDEALE DU DIALOGUE VALERYEN39

Belles pieπes!,s’exclame Socrate,O trop l6gers que nous sommes devenus!》46)et de ce temple

《d61icat》ennn,qu’Eupalinos a construit d’aprらs le corpsう1’image math6matique d’une fille

de Corinthe. 《O Ph6dre,dit Eupalinos,quand je compose une demeure(qu’elle soit pour

les dieux,qu’elle soit pour un homme),et quand je cherche cette forme avec amour,m’6tu-

diantacr6erun・bjetquir句・uisseleregard,quis’entretienneavecl’espritシquis’acc・rde&vec la raison et les nombreuses convenances,...je te dirai cette chose6trange qu’il me

sembie que mon corps est de la partie。.g Laisse-moi dire,Ce corps est un instmment

admirable,dont je mヲassure que les vivants,qui1’ont tous a leur service,n’usent pas dans

sa p16nitude.Ils n’en tirent que du plaisir,de la douleur et des actes indispensables,comme

de vivre.》 《Mais moi,conclut-il plus loin dans le meme monologue,tout au contraire,

instruit par mes erreurs,je(lis en pleine lumi色re,je me r6p6te a chaque aurore:《O mon corps,

qui me rapPelez a tout moment ce temp6rament de mes tendances etc・…》・47Qui ne se sou-

vient de cette pri6re au corps qui se perp6tue par la bouche de rarchitecte de M6gare,《lou-

ange parfaite de la valeur et de la v6rit6de notre corps》48? D’un bout註1’autre,五解ρα1’nos,

c’est un dialogue des corps ou mieux:dialogue sur Ie corps qui n’a6t6rendu possible que-

p&r Ia conscience du corps,comme si tout dialogue ne pouvait se r6aliser d6sormais sans

se passer de cet《Anti-Socrate》49par excellence qu’est le corps, Et cette structure profonde

dudial・gueval6ryenpeutseretr・uverdanschacundesautresdial・guesquiv・ntdeL’肋εα加加nsεaM・nE㈱,enpassantpar1)iα1・9μθ4θ1ラオ加etム’傭θ加・L’肋餓加1)αnsε,c’est autour du corps de radmirable danseuse Athikt6que s’anime toute la conversa-

tion,comme c’est,dans1)’α10gμθ48i’/{7わ’で,autour de I’arbre,symbole de la vie en ce qu’elle

comporte de plus grandes merveilles:le corps et l’amour,que s’6temise la belle joum6e

entre Tityre et Lucr色ce.Quand a L’偏6θ万xθ,c’est bel et bien un dialogue entre deux hom-

mesenchaireten・squiparlent《neur・nes》,《viscらres》,《ect・dem・es》plusρ励酪que

toutepensee・    De tous les dialogues val6ryens le plus proche de la causerie que l’auteur aurait aim6

entretenir dans sa vie avec ses amis,ce dialogue retient particuliらrement notre attention。

Car il repr6sente,nous semble-t-i1,tous les termes qui constituent le fond et l’incitation

dial・giqueschezVal6ry.《Celivreestenfantdelahate,6crit-ildansl’avisaulecteurdeladeuxi6me6dition,une oeuvre de circonstance et tout improvis6e.》50 0n voit d色s rinstant

a(luel jeu notre po色te sラest livr6en6crivant un tel dialogue・En un mot・c’est le jeu de ses

dons les plus chers,jeu de rapidit6et de non engagement・《On n’y propose pas du tout

a la r6且exion du lecteur,6crit-il justement,les’44θs que nos deux hommes a la mer

s・envoient et se renvoient,mais cet6change meme:elles ne sont que les accessoires d’un

jeu dont la vitesse est l’essentieL》51 Cependant,c’est】e pr6ambule pr6c6dant le dialogue

proprement dit qui est le plus r6v61ateur sur ce qui6tait alors l’exigence profonde chez le

poさte et ce qui rorientait in61uctablement vers cette forme dialogu6e。

    Un homme qui est en proie a de grands tourments d’origine sentimentale cherche par

tous les moyens a sortir de cette sorte d’impasse i4吻1εpour《reprendrer6gali t6de[sonl

ame》.52 Homme d’esprit qui dit:《r6agir a une crise par une analyse》,53il essaie de d6truire

  461bid,,p.82.  47 1bid.,P.99.

  ‘8Mauri㏄Blanchot,加Pαπぬルμ,p、272。  490θμソ785,voI.ll,P,142,

  50・51・521bid.,p.195,  53Jacques Duchesne-Guillemin,、L85、0’α’08μ634θP4μ’レb14〆ア,in Cαhiε734β”!ls50c‘αがon1曜θ7πα’ionα18

485E鰯θs加卿’5θ524(1972),P・81・

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40 HITOTSUBASHI JOURNAL OF ARTS AND SC正NCES [De㏄mber

la Pens6e qui le torture en y opposant ulle autre pens6e plus g6n6rale:《U n autre,se dit-il,

qui[la】verrait en moi,n’en serait point6mu,.,Dans trois ans,ces memes fant6mes n’au-

ront plus de force_》54Mais cette tentative de《faire par resprit en quelques instants ce

quetroisansdevieeussentpeut-etrefait》55estmiseen6chec,Car《co㎜entploduiredu temps,dit-il,et comment d6truire l’absurde,一que nous choyons et cultivorls quand il

nous est d61icieux?》56 A】ors il s’est trait6《1’intellect et le corps en tyran》,cラest-a-dire qu’il

leur a donn6 《des exercices di伍ciles》,sachant que l’humanit6 《apProfondit pour ne pas

voir》。57Mais il se lassait promptement de ses prob1さmes《volontaires》,58entendons傭i一

ノ2ciθ1s:《Leur objet孟ndirect,dit-il,ruinait tout a coup leur objet direct.》5g Par ce biais non

plus,il ne parvenait point a maitriser ses maux:la《substitution》d6sir6e ne se faisait pas,

Faute de mieux,il s’est㎡s a errer,a battre la ville et le port.Mais le simple mouvement,

《la marche simple et plane》,dit-il,ne fait《qu’exciter ce qui songe》:

       Quoi de plus inventif qu’une id6e incam6e et envenim6e dont1’aigui皿on pousse la vie contre

    la vie hors de la vie? Elle retouche et ranime sans㏄sse toutes les sc色nes et les fables in6pui-

    sables de l’espoir et du d6sespoir,avec une pr6cision toujours croissante,et qui passe de loin

    Ia pr6cision nnie de toute r6alit6.60

11marchait,il marchait,emport6par son ame exasp6r6e,tout en sachant que cela ne lui

servirait a rien,Mais c’est ainsi qu’il a6t6conduit vers la route qui allait a la mer。Chose

bien significative,si car&ct6ristique de la sensibilit6de notre poさte,nous y reviendrons,la

vue de la mer a produit dans cette ame jusqu’alors si meurtrie,si rong6e et si harce16e par

son id6e fixe un mouvement de vie comme irr6sistible,un pressentiment de soulagement

et de d6nouement.Quand《une immense et pure paroi[lui】apParut nue et tendue a la

hauteur de[sesl yeux》,il se dit:《Je ressentis aussit6t le pouvoir,et la vanit6du pouvoir,qui

m’empechait de jouir de cette magnificence du calme,et de participer au moment meme.

Je m’arretai un peul et comme.。.entre les apparences et les phantasmes,一entre le vrai

et le vivant。》61Et dest a ce moment-la qu’il a pens6a rompre《le cercle des maux imagi-

naires et le rythme des accらs》par le recours a《quelque instinct puissant et simple》・62 Re-

cours au corps,non plus en《se le traitant en tyran》comme il avait tent6de le faire aupara-

vant mais en se soumettant enti色rement a son exigence dテadaptation《註toutes les difHcult6s

d’ull terrain rigoureusement irr6gulier,tout h6riss6d’obstacles et rompu de petits abimes

toujours impr6vus。》63 Toujours est-il que rabsurde le guettait。Seulement la raison,

1’attention prenaient ainsi leurs avantages naturels・《lh mportait a mon salut,dit-il,que je

fusse obl196dつagir,sans faute,sans retard,a peine de blessure、》64 Alors la lner disparais-

sait,rep&raissait a ses regards au fur et a mesure qu’il sautait d’une roche a rautre,puis de

cube en cube quand il arrivait aux amas de blocs en b6ton qui d6fendent les ouvrages avanc6s

des ports de mer.Et la sensation de la mer1’envahissant de plus en plus,par la vue et par

rouie,ilad6couvertauborddelamerentredeuxdecesd6s6nomes,unho㎜equiser6v61a non pas comme un inconnu mais comme un m6decin(lu’il rencontre assez souvent

chez tels amis,ou chez tels autres. Bref,c’6tait un ami.Heureusement d’ailleurs,car ce

demier point devient capital quand on sait ses hoπeurs de《public,foule et huma㎡t6》.65

54・55・56 0θ配vr83,vo1.II,P.197.57・5B・59・6D Ibid,,p.198.

61・62・681bid.,p。199.

641bid.,p.200.

55Lettre a Fourment, lelljanvler1903.

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1979] L,AMITIE,FORME IDEALE DU DIALOGUE VALERYEN 41

《Toutho㎜eestodieux,dit-ilexpress6ment,aquisefuitetseconsumeas’610ignerdesoi-meme,car les autres nous font invinciblement penser a lui。》66 0r pour(luoi dans ce con-

texte,1’ami peut-il etre admis,puisqu’il y reste tout de memeα雄θ? C’est parce(lue・croyons-

nous,si dest un ami,on peut parler avec lui et qu’un dialogue v繊peut s’engager entre amis,

ou《1a volont6d’approximation de Deux Moi-c’est-a-dire deux UNique-par voie d’6chan-

gesdeplusenpluspr6cis-sヲyd6vel・PPatauxd6pensdet・ut・》67C’estainsiene飾tqueva se d6rouler tout le dialogue qui guit、

    Reste maintenant pour achever notre d6nombrement des dialogues val6ryens,〃ron

掬断,1’un des plus hauts sommets de l’6criture val6ryeme.Il n’est pas ici quest孟on,bien

entendu,d’analyser pleinement cette oeuvre mais de renvisager simplement dans ce rapport

du corps et du dialogue. Notre premiさre observation est que〃ron勲麗5オest a peine un

dialogue comme le persorlnage principal,Faust,est a peine un corps。Non pas que

celui-ci redevienne pur Esprit,puisque son drame demeure parfaitement hμ溺α∫n,le cceur

du probl色me6tant plus que jamais le connit de l’etre et du connaitre.Mais il y a quelque

chose de profond6ment inhumain chez lui:sa condition de revivre sa vie。Car qu’est-ce

que revivre sinon cesser d’etre homme en tant que corps mortel dont le destin est de vivre

une fois pour toutes。Ainsi etre Faust,c’est etre une esp色ce de surhomme,d6pouil16de

corpsproprement humain,6chappantpar laalacondition normale du co㎜un desmortels.Du meme coup la conversation faustienne perd tout son caractさre s6rieux et tend

a s’6puiser par elle-meme sans y chercher autre chose que de dire tout a chaque scさne,a

chaque r6plique、 《Vous n7etes pas ici pour compren(1re,mon enfant,dit Faust a Lust,vous

y etβs pour6crire sous ma dict6e,me relire ce que je vous ai dict6・et en outre・en outre・pour

n’etre pas d6sagr6able a regarder sans r6f[exion,》68 Avec le Disciple,qui n’est qu’un per-

somage secondaire,une des rares cr6atures vivantes et comme g1αn48雄nα飯7θqui apParais-

sent dans la piさce,tous les autres personnages6tant le Diable,1es d6mons,le Solitaire et les

F6es,Lust,cette Demoiselle de Cristalシn’est nullement consid6r6e comme le partenaire a

part6gale de Faust pour r6aliser ensemble un dialogue rev6;elle est r6duite en quelque

maniさre aux seules oreilles,faites pour6couter sans comprendre,quoique charmantes et

merveilleusement6panoしiies・69

    Retour au monologue,on est tent6de dire。Mais a la di脱rence du monologue

d’autrefois,qui allait aspirer,nous l’avons vu,a dialoguer,c’est ici un monologue ult6rieur

comme/bκ4a cause de cette revie,exp6rience singuliさrement cruelle pour celui qui a tout

vu et pleinement v6cu dans l’espacc d’une premi色re vie et a pris parfaitement conscience de

l’《anneau》et du caract色re essentiellement cyclique de toute vie psychophysiologique,et

aussi a cause de la rar6faction de rair au bord du vide oh il est parvenu《au terme d’une

tr色s p6nible ascension》.70《Moi qui sus l’ange vaincre et le d6mon trahir,dit Faust,Jラen

sais trop pour aimer,j’en sais trop pour hair,et je suis exc6d6d’etre une cr6ature。》71 Ainsi,

avec Faust apparalt dans runivers va16ryen,le tragiquel l’indicible et le monologue essentieL

    Cette r6flexion nous ramさne a penser que le dialogue val6ryen n’est qu’un moment

priviligi6entre la solitude absolue,qui est un6tat d’isolement parfait et d’autodiscussion

  6608躍y〆θ5,vol,II,P.200.

  67Cαh’ε〆3,XXII,200.

  680θ鮮θs,vo1.II,P.280.

  691bid.,p.286。

  701bid。,p.380.

  711bid.,p、402.

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42HITOTSUBASHI JOURNAL OF ARTS AND SCIENCES

sans fin a l’int6rieur de soi-meme,et le maximum de commerce d’individus qu’est l’amour,

autre grand s両et de Va16ry que nous ne pouvons qu’aborder ici de f乞con bien d6toum6e。

Mais si l’amour昼gure comme un aboutissement rev6d’une aventure faustienne(cラest ce que

laissent enten(lre le IVe acte de Lust),notre po色te n’y est pas toujours a l’aise,on le sait,

craignant sans d6semparer une certaine perte de soi provoqu6e soit par une troP grande

intensit6qui risque d’emporter soi et autrui tous ensemble,soit par une chute soudaine a

la suite(run d6saccord d’amoureux durement ressenti.Ultime exp6rience a la fois d6sir6e

£t redout6e,1’amour val6ryen se situe a la fronti色re de la vie et de la mortラqui6carte,en

tant qu’exp6rience du sommet,tout mouvement de r6p6titionl de renouvellement et de retour

en arriさre,Par contre l’amiti6a droit a toutes sortes de retouches,de reprises et de renvois,

jouissant d’une grande libert6d’action et de r6action pour pouvoir s’adapter au《mouve-

ment de riposte,de d6fenseヲde haine》72qui vient a tout moment de toutes parts。Et c’est

dans cette sensation d’extreme libert6comme d’《exc色s du r6el》que prend forme cette union

sans prix,《cette6trange,essentielle propri6t6d’etre deux en un,6crit Val6ry,en contraste

avec le d6sir d’amour dラetre un par deux》,73

    《Etrange base,a-t-il6crit dans une des plus belles lettres de sa jeunesse adress6es註Gide

(et ceci pour conclure notre communication en meme temps que pour revcnir a l’image de

la mer qui se pr6sentait si signi6cativement au pr6ambule deム’1距θ万xε),dans tous les mo-

ments de trouble,quand1’onde g6n6rale de la vie revient a ce point g60m6trique qu’enfant

j’ai voulu etre,les images de mon esprit sont une mer toujours,oU j’use les demi色res minutes

d’une vie ou d’une veille。Je confonds alors mon existence avec tout ce pays du large,et

je me sens dissoudre。Ce qu’on appelle le sentiment,c’est cela pour moi.,.et je suis a

travers1’abstrait meme d’6dincation ou d’analyses,1’in且uellce et la d6formation de ce reve.

Et c’est la pourtant que,dans leurs instants d’exaltation et de possession en moi les formes

d’amiti60u d’amour se baignent aussi,Hnissent de se baigner aussi。》74

72 Cαh∫θ73,V1,240。

,31bid.,〉ぐVII,157。

74Lettre a Gide,le26fるvrier1894.