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Le conflit germano-soviétique, 1941-1945 Analyse des principaux enjeux militaires, politiques et stratégiques Par Nicolas Bélanger Département d'histoire Université McGill Montréal Août 2005 Thèse soumise à l'Université McGill en vue de l'obtention du diplôme de Maître ès Arts © Nicolas Bélanger 2005

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Le conflit germano-soviétique, 1941-1945 Analyse des principaux enjeux militaires, politiques et stratégiques

Par Nicolas Bélanger

Département d'histoire Université McGill

Montréal Août 2005

Thèse soumise à l'Université McGill en vue de l'obtention du diplôme de Maître ès Arts

© Nicolas Bélanger 2005

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Table des matières

Résumé 1 Abstract

Remerciements

Note de l'auteur

Introduction

Revue de la littérature

22 juin 1941 Les origines du désastre

L'Opération Barbarossa Autopsie d'un échec

Stalingrad et Koursk Le tournant radical de la guerre

Yalta. le « partage du monde» et la satellisation des pays de l'Est

Le bilan de la « Grande Guerre Patriotique» Staline, le décompte des pertes soviétiques et le rôle de l'Armée rouge dans la défaite des forces de l'Axe

Conclusion

Bibliographie

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IV

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Résumé

Malgré l'importance cruciale du front soviétique dans l'issue de la Seconde Guerre mondiale, cet aspect du conflit a été relativement peu étudié en Occident depuis 1945. Cette lacune historiographique est attribuable à plusieurs facteurs, au nombre desquels figurent la complexité du langage, la difficulté d'accès aux archives soviétiques et certaines contraintes politiques générées par le climat idéologique particulier de la Guerre froide. Depuis les années de glasnost et l'effondrement du bloc soviétique, une nouvelle ère historiographique a toutefois débuté, grâce à la divulgation de nombreux documents secrets et à l'assouplissement du climat idéologique.

Le présent travail se veut un résumé de l'état actuel du débat dans ce paysage historiographique en pleine expansion. Quelques-unes des questions militaires, politiques et stratégiques les plus controversées y sont examinées, le plus souvent à partir d'une perspective soviétique. Les sujets discutés dans le cadre de cette étude comprennent: la préparation soviétique à la guerre et ses lacunes; la campagne allemande de 1941 et les raisons de son échec; le tournant stratégique de 1942-1943, plus particulièrement les batailles de Koursk et de Stalingrad; la conférence de Yalta et le «partage du monde»; le rôle de Staline et de son régime dans la «Grande Gu~rre Patriotique »; les pertes humaines et matérielles de l'Union soviétique au cours du conflit; et finalement, l'importance de la contribution soviétique à la victoire alliée.

Abstract

In spite of the crucial importance of the Russian front in the outcome of the Second World War, this aspect of the conflict has been studied relatively little in the West since 1945. This omission can be attributed to several factors including linguistic complexity, the difficulty of access to Soviet archives, and the political constraints caused by the ideological climate of the Cold War. Since the time of glasnost' and the collapse of the Soviet block, however, a new era has begun for historians thanks to the release of many documents which had been secret and to the improved ideological climate.

The present work aims to summarise the current situation of the debate in this rapidly expanding field of historiography. Sorne of the most controversial military, political, and strategic que~tions are examined, most frequently from a Soviet perspective. These include the Soviet preparations for war and their shortcomings; the German campaign of 1941 and the reasons for its failure; the turning of the tide in 1942-1943, especially the battles of Kursk and Stalingrad; the Yalta conference and the "division of the world"; the role of Stalin and his regime in the "Great Patriotic War"; the human and material los ses of the Soviet Union during the conflict; and finally the importance of the Soviet contribution to the victory of the Allies.

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Remerciements

J'aimerais exprimer ma plus sincère gratitude au Professeur Valentin J. Boss, qui

a généreusement accepté de superviser l'élaboration de cette thèse. Sans son précieux

concours, le présent travail n'aurait sans doute jamais vu le jour. Je me dois également

de souligner l'aide inestimable de Madame Colleen Frances Parrish, coordinatrice des

études supérieures au département d'histoire, dont le support constant m'a permis de me

frayer un chemin à travers les méandres bureaucratiques de l'Université McGill.

J'aimerais finalement remercier ma famille, pour le soutien inconditionnel qu'elle m'a

apporté au cours des vingt-sept dernières années.

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Note de l'auteur

Dans le cadre de ce mémoire, les normes françaises ont été adoptées pour la

translittération des mots et des noms d'origine russe. Le lecteur accoutumé aux normes

anglaises de translittération ne doit donc pas s'étonner s'il remarque certaines

divergences par rapport à celles-ci. D'autre part, dans un souci de fluidité et

d'allègement du texte, les citations en langue russe ou anglaise ont été traduites en

français, en respectant le plus fidèlement possible la pensée de leurs auteurs. Finalement,

les ouvrages cités dans le texte n'ont été identifiés que par leur titre et le nom de leur

auteur dans les notes de bas de page, afin de réduire l'espace accordé à ces dernières dans

le document. Les références complètes de ces ouvrages peuvent être trouvées dans la

bibliographie. En ce qui concerne les articles cités, la référence complète est donnée dans

les notes de bas de page ainsi que dans la bibliographie.

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Introduction

Le principal théâtre d'opérations de la Seconde Guerre mondiale fut sans conteste

le front soviétique. Ce fut sur ce front que les puissances de l'Axe subirent l'écrasante

majorité de leurs pertes ainsi que leurs défaites les plus décisives. Ce fut également sur

ce front que se dessina l'ordre européen de l'après-guerre. Malgré son importance

indéniable dans le déroulement de la guerre, cette partie de la dernière conflagration

mondiale a cependant été relativement peu étudiée en Occident depuis 1945. Cette

carence historiographique peut être attribuée à plusieurs facteurs: difficulté du langage,

distortions idéologiques de la littérature soviétique, fermeture des archives aux

chercheurs occidentaux, inaccessibilité des sources allemandes tombées entre les mains

de l'Armée rouge, etc. Les quelques historiens occidentaux qui se sont penchés sur le

sujet ont dû le plus souvent s'appuyer exclusivement sur des sources allemandes -

lesquelles, en plus de ne présenter qu'un point de vue partiel sur les événements, se sont

parfois réyélées d'une fiabilité et d'une intégrité douteuses.! Avec l'accession de

Gorbatchev au poste de Premier .secrétaire en 1985, une ère nouvelle s'est toutefois

ouverte dans l'historiographie du conflit germano-russe. La divulgation de nombreux

documents soviétiques jusqu'alors inaccessibles, ainsi que l'assouplissement du contexte

idéologique, ont permis de nombreuses avancées remarquables dans ce domaine d'études.

Le présent mémoire se veut un résumé succinct de l'état actuel des connaissances

relatives à certaines questions militaires, politiques et stratégiques soulevées par le conflit

germano-soviétique. Étant donné l'importance de l'explosion historiographique suscitée

par l'ouverture partielle des archives soviétiques au cours des vingt dernières années,

plusieurs ouvrages basés sur l'utilisation de ces sources ont été mis à contribution, et

l'expérience de guerre soviétique a été le plus souvent privilégiée au détriment de celle de

l'Allemagne. Il faut également voir dans cette décision, ainsi que dans le choix des sujets

discutés, le résultat de préférences subjectives de l'auteur. Les sujets à l'étude ont aussi

été choisis pour l'importance des controverses historiographiques qu'ils ont suscitées au

cours des dernières décennies.

1 Rolf-Dieter MULLER et Gerd R. UEBERSCHAR, Hitler's War in the East, 1941-1945: A Critical Assessment, vii.

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Avant d'entrer dans le vif du sujet, la littérature consacrée au conflit gennano­

soviétique depuis 1945 sera brièvement commentée. Le premier aspect du conflit qui

sera ensuite examiné sera celui de la préparation soviétique à la guerre. Il s'agit d'un

sujet qui a fait l'objet de débats particulièrement enflammés en Russie, étant donné la

gravité des désastres subis par l'Année rouge au cours des dix-huit premiers mois de la

guerre -lesquels étaient le résultat, dans une très large mesure, de l'incapacité flagrante du

gouvernement soviétique à préparer adéquatement le pays en prévision de l'agression

allemande. Dans un second temps, la campagne allemande de 1941 et les raisons de son

échec seront brièvement analysées. Cette question s'est toujours avérée particulièrement

brûlante en Allemagne, puisque l'échec de 1'« Opération Barbarossa» marqua un

tournant majeur dans l'évolution globale du conflit et fut, selon plusieurs auteurs, à

l'origine de la défaite allemande. Le virage stratégique proprement dit n'eut cependant

lieu qu'en 1942-1943, avec les victoires de l'Année rouge à Stalingrad et à Koursk. Ces

années charnières du conflit feront l'objet de la troisième partie du présent travail.

Les opérations militaires comprises entre la bataille de Koursk et la capitulation

de l'Allemagne ont été délibérément exclues de cette étude. Cette décision a été motivée

par une adhésion personnelle à l'interprétation, largement admise, selon laquelle après

Koursk, la défaite militaire de l'Allemagne n'était à toutes fins pratiques qu'une question

de temps. En conséquence, l'auteur a jugé plus à propos de procéder à une analyse de la

politique étrangère poursuivie par Staline en prévision de l'après-guerre, en portant une

attention particulière à la conférence de Yalta, qui marque de plusieurs façons le

couronnement de cette politique. La satellisation et la soviétisation de l'Europe de l'Est

feront également l'objet d'une brève analyse, en tant que conséquences directes de la

« libération» de l'Europe de l'Est par l'Année rouge. Finalement, le dernier chapitre de

ce mémoire se voudra un bilan sommaire de l'expérience de guerre soviétique. Le rôle

personnel de Staline dans l'organisation de la victoire, le décompte des pertes humaines

et matérielles de l'URSS au cours de la « Grande Guerre Patriotique» ainsi que le sujet,

éminemment controversé, de l'importance du rôle joué par l'Union soviétique dans la

victoire alliée seront discutés.

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Si, à l'issue de cette analyse sommaire du conflit gennano-soviétique, le lecteur

bénéficie d'une compréhension plus éclairée des événements survenus sur le front russe

entre 1941 et 1945, de leurs causes, de leurs conséquences et des controverses

historiographiques qu'ils ont suscités au fil des années, l'auteur aura atteint l'ensemble de

ses objectifs et pourra s'estimer pleinement satisfait.

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Revue de la littérature

Entre 1945 et 1985, les archives soviétiques demeurèrent généralement hors de

portée des chercheurs occidentaux. En conséquence, l'histoire du conflit germano­

soviétique fut essentiellement racontée à partir du point de vue allemand, en s'appuyant

sur les achives qui étaient tombées entre les mains des Anglo-américains au cours de la

Seconde Guerre mondiale.

Une exception à cette règle demeure l'extraordinaire Russia at War d'Alexander

Werth, publiée en 1965. Correspondant britannique en Union soviétique au cours de la

guerre, Werth offrit au lectorat occidental l'une des seules descriptions de ce conflit à

partir du point de vue soviétique, combinant l'élégance du style à la rigueur de

l'historien. Cet ouvrage contient de nombreuses entrevues exclusives avec des acteurs

historiques importants et plusieurs le considèrent, encore aujourd'hui, comme le meilleur

compte-rendu de la « Grande Guerre Patriotique ». Le livre de Werth fut toutefois écrit

longtemps avant la divulgation de certains documents cruciaux, et on peut légitimement

reprocher à son auteur un enthousiasme excessif et quelque peu naïf pour le régime

stalinien. À-peu-près en même temps que La Russie en guerre parut un ouvrage de

l'historien britannique Alan Clark intitulé Barbarossa: The German-Russian Conflict.

Essentiellement dédié à l'analyse des principaux aspects militaires et stratégiques du

conflit, cet ouvrage se distingue de celui de Werth par son approche plus scientifique,

ainsi que par l'adoption du point de vue allemand. Il s'agit en définitive d'un excellent

ouvrage, auquel on peut toutefois reprocher le fait qu;il s'appuie presque exclusivement

sur des sources allemandes. Les travaux d'Albert Seaton, publiés au cours des années

1970, constituent eux aussi d'excellents résumés des opérations militaires sur le front

russe, mais auraient certainement bénéficié d'un éventail plus large de sources

soviétiques. Earl F. Ziemke a également écrit au fil des décennies de superbes analyses

mais, là comme ailleurs, la majorité des sources primaires utilisées étaient allemandes.

Deux véritables stakhanovites méritent toutefois une mention particulière: John Erickson

et David M. Glantz. Ces remarquables historiens du conflit germano-russe ont, plus

qu'aucun autre chercheur au cours des dernières décennies, communiqué au monde

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occidental le fruit des recherches soviétiques et post-soviétiques sur le sujet de la

« Grande Guerre Patriotique ». En vertu de leurs talents linguistiques et de leur accès

privilégié aux sources soviétiques, ils ont pu exposer, mieux que quiconque, la nature de

la participation soviétique à la Seconde Guerre mondiale, bien que certains de leurs

ouvrages plus anciens aient soufferts d'un accès plus limité aux sources primaires.

Avec l'ouverture partielle des archives soviétiques depuis 1985, quelques

ouvrages basés sur ce matériel inédit ont été publiés en Occident. Lorsque comparés aux

compte-rendus traditionnels, basés presque exclusivement sur les sources allemandes, ces

études semblent développer une synthèse beaucoup plus juste et complète de la guerre.

C'est le cas notamment de quelques ouvrages récents de l'historien britannique Richard

Overy. En Allemagne, les quatrième et sixième volumes de la série L'Allemagne et la

Seconde Guerre mondiale, publiée au cours des années 1990, comprennent d'excellentes

analyses des opérations militaires sur le front russe et de la politique allemande dans les

territoires occupés, basées sur une connaissance approfondie de la littérature et une

analyse exhaustive des archives nouvellement disponibles.

La timide ouverture des archives soviétiques, bien qu'elle s'avère encourageante à

plusieurs égards, doit cependant être remise en perspective. En effet, la divulgation a été

sélective et plusieurs fonds d'archives, dont ceux du ministère des affaires étrangères, du

NKVD et du SMERCH, demeurent extrêmement difficiles d'accès ou carrément fermés

aux chercheurs. Les quelques privilégiés qui ont eu accès à des documents sensibles ne

se sont pas vus accorder l'accès direct aux archives. On leur a plutôt remis certains

documents spécifiques qu'ils avaient sollicités. L'accès physique à la plupart des dépôts

d'archives n'a pas encore été accordé aux historiens occidentaux.

Côté soviétique, l'histoire officielle de la «Grande Guerre Patriotique »,

consolidée dans la décennie après 1945, demeura remarquablement intacte jusqu'au

milieu des années 1980. Les historiens soviétiques furent systématiquement forcés de

suivre les instructions du Parti, c'est-à-dire d'adhérer à une interprétation marxiste­

léniniste de l'histoire ainsi qu'à la ligne politique du moment. Les écrits furent

soigneusement censurés et l'accès aux archives sévèrement limité. Ainsi, la quasi-totalité

des ouvrages soviétiques publiés entre 1945 et 1985 sont d'une valeur scientifique pour le

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moins douteuse. Il ne sera sans doute jamais possible de démêler le vrai du faux dans ce

tissu inextricable de demi-vérités, de distortions et de mensonges.

Deux types de biais affectent particulièrement la littérature soviétique consacrée à

la «Grande Guerre Patriotique ». Le premier découle du rôle central de l'idéologie

marxiste-léniniste dans le système soviétique et se traduit par une approche hautement

codifiée et standardisée de l'histoire. Il s'agit essentiellement d'une grille de lecture

dogmatique et simpliste de la réalité, pervertissant tous les écrits soviétiques sur le sujet

et résistant aux changements de régime. Par exemple, pour l'ensemble des auteurs

soviétiques -qu'ils écrivent en 1948, en 1956 ou en 1975-, les politiques des États

« capitalistes» sont nécessairement dictées par les intérêts des «classes exploiteuses ».

Conséquemment, les responsables de la Seconde Guerre mondiale furent, de l'avis

unanime des auteurs soviétiques, les «capitalistes monopolistes» allemands, qui

cherchèrent à étendre leur domination sur le monde en se servant de Hitler comme d'une

simple marionette.

Le second type de distortion observé dans les publications soviétiques est

beaucoup plus volatile. Il s'agit de l'ajustement du passé en fonction des impératifs

politiques du présent, qui reflète généralement un changements de leadership ou de

politique en Union soviétique. C'est ainsi, par exemple, que la performance des chefs

politiques et militaires de l'URSS au cours de la «Grande Guerre Patriotique» semble

toujours dépendre de leur position dans la hiérarchie soviétique au moment de mettre

sous presse.

Finalement, les compte-rendus soviétiques de la guerre publiés avant 1985

s'avèrent de peu d'utilité pour l'historien. Il s'agit essentiellement d'ouvrages de

propagande, dont les interprétations et les découvertes sont avant tout dictées par des

impératifs politiques et idéologiques. Quelques ouvrages méritent cependant une

attention particulière. Au nombre de ceux-ci figure l'Histoire de la Grande Guerre

Patriotique de l'Union soviétique en six volumes, publiée au cours des années 1960.

Écrite par un collectif de plus de trente historiens et spécialistes militaires sous l'égide de

l'Institut de Marxisme-Léninisme du Comité central du PCUS, il s'agissait de la première

étude exhaustive du conflit à être publiée en Union soviétique. Un ouvrage semblable

parut également à partir de 1973, mais il s'avèra somme toute inférieur au premier, qui

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avait bénéficié d'un climat de détente intellectuelle passager, généré par le dégel et la

politique de déstalinisation de Khrouchtchev.

Les mémoires des généraux soviétiques sont également incontournables, pour la

simple et bonne raison qu'ils constituent, malgré leur fiabilité parfois douteuse, les seuls

témoignages de ces personnages d'envergure sur les opérations militaires cruciales

auxquelles ils ont pris part. Au nombre des mémoires les plus intéressants, on peut

mentionner ceux de Joukov, Vassilievski, Tchouikov et Rokossovski. Malgré les

contraintes de la censure2, ces mémoires demeurent généralement exacts au plan factuel,

et pèchent plus souvent par omission que par falsification délibérée.3

Au cours des vingt dernières années, l'histoire soviétique et russe de la « Grande

Guerre Patriotique» s'est beaucoup rapprochée de la vérité, grâce à la divulgation de

documents inédits, ainsi qu'à l'assouplissement de la censure et des contraintes

idéologiques. Plusieurs ouvrages publiés en Russie ont suscité l'intérêt des historiens

occidentaux. Au nombre de ceux-ci, la biographie critique de Staline de Dimitri

Volkogonov, parue en 1989 et basée sur un accès inédit aux archives, occupe une place à

part. Une grande quantité d'articles parus dans le Voenno-Istoritcheski Journal ont

également attiré l'attention de la communauté scientifique et renouvelé le débat entourant

certaines questions controversées -particulièrement celles de la préparation soviétique à

la guerre et du rôle joué par Staline dans la débâcle de 1941. Ces avancées ne

représentent toutefois que la pointe de l'iceberg, et il faudra sans doute quelques

décennies, ainsi qu'un accès beaucoup plus élargi aux archives, avant de parvenir à une

réelle compréhension du conflit germano-russe. D'ici là, plusieurs question continueront

à alimenter les débats passionnés des historiens. Celles qui sont discutées dans le présent

mémoire ont la prétention d'en faire partie.

2 Entre 1945 et 1990, les mémoires de Joukov furent modifiés à dix reprises par la censure soviétique (source: William J. SP ARR, Zhukov : The Rise and FaU of a Great Captain, pages xi-xii, 56, 261 à 263). 3 David M. GLANTZ, When Titans Clashed : How the Red Army Stopped Hitler, page 2.

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22 juin 1941 Les origines du désastre

John F. Kennedy aimait à dire que la victoire se découvre toujours de nombreux

parents, alors que la défaite se retrouve le plus souvent orphelin~. Cette tendance semble

s'accentuer avec l'ampleur de la défaite. On remarquera par exemple que la défaite de

l'Allemagne nazie au cours de la Seconde Guerre mondiale est une complète orpheline, si

l'on fait exception du Führer déchu qui mit fin à ses jours dans son bunker, enfoui sous

les décombres du Reichstag en flammes. Ainsi, le nombre des responsables semble

toujours diminuer de façon inversement proportionnelle à l'ampleur de la défaite.

Pour les Russes, le 22 juin 1941 marque le début du plus grand désastre d'une

histoire nationale qui n'en est pourtant pas avare. C'est en effet ce jour fatidique que

choisirent les «hordes fascistes» pour traverser la frontière et déclencher un conflit qui

devait, en à peine quatre ans, faire près de trente millions de victimes civiles et militaires.

L'avance rapide des Allemands en territoire soviétique fut un choc ahurissant pour les

peuples de l'URSS, conditionnés par des années de propagande à croire en l'invincibilité

de l'Armée rouge. Comme les succès initiaux de la Wehrmacht posaient la question de la

clairvoyance du régime communiste, cet épisode de la guerre a d'ailleurs toujours été un

sujet délicat en Union soviétique. Cette question, pourtant, ne pouvait être entièrement

évitée : comment expliquer les désastres encourus par l'Armée rouge lors des premiers

mois de la guerre?

La réponse du régime soviétique à cette question a changé plusieurs fois entre

1945 et 1991. Dans un premier temps, il fut tout simplement nié qu'il y ait eu un

quelconque problème. L'Armée rouge n'avait pas subi une déroute humiliante: elle avait

plutôt mis en œuvre un plan diaboliquement astucieux de Staline, lequel consistait à

entraîner les envahisseurs fascistes profondément dans le territoire soviétique avant de

contre-attaquer de façon décisive. Les défaites des premiers temps étaient en

conséquence des éléments à part entière de la « stratégie de défense active» élaborée par

le Guide, qui était, après tout, le « plus grand génie militaire de tous les temps ».

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Avec l'accession de Khrouchtchev au pouvoir suprême et la campagne de

déstalinisation qui s'ensuivit, une nouvelle explication fut mise de l'avant: sans doute

l'Armée rouge avait-elle subi de cuisantes défaites au début de la guerre, mais la faute en

incombait entièrement à Staline. C'était lui, en effet, qui avait forcé l'armée à adopter

une stratégie offensive, alors qu'une stratégie défensive aurait été plus appropriée; lui qui

avait ordonné et dirigé les purges de 1937-1938, au cours desquelles les meilleurs

éléments de l'Armée rouge avaient été éliminés; lui, enfin, qui avait refusé obstinément

de prêter attention aux nombreux renseignements qui lui avaient été transmis au sujet des

préparatifs de l'offensive allemande. Bref, Staline était le seul et unique responsable de

la débâcle de l'Armée rouge en 1941. Il se retrouvait ainsi soudainement, comme son

adversaire Hitler, dans la position ingrate de bouc émissaire. Ces attaques contre Staline

furent généralement menées à l'instigation des militaires ou pour satisfaire leurs

aspirations. Ceux-ci étaient en effet désireux de se disculper de toute responsabilité pour

les revers subis lors des premiers mois de la guerre, tout en récoltant une part des lauriers

jusque-là octroyés au VOjd.4 En jetant tout le blâme sur Staline, Khrouchtchev

rencontrait ainsi à la fois les exigences de sa politique de déstalinisation et les aspirations

des militaires. L'arrivée de Brejnev au pouvoir consacra le retour à une ligne politique

plus conservatrice et pour l'essentiel, l'histoire de la « Grande Guerre Patriotique» se

cantonna dans la langue de bois et l'orthodoxie marxiste-léniniste jusqu'à l'accession de

Gorbatchev au poste de Secrétaire général en 1985.

Avec les années de glasnost et la chute de l'URSS, de nouvelles tendances

historiographiques commencèrent à émerger, grâce au climat intellectuel plus favorable

et à l'ouverture partielle des archives secrètes soviétiques. Les responsabilités du

désastre furent réparties plus équitablement entre Staline, son entourage immédiat, le

système communiste dans son ensemble et les dirigeants historiques de l'Armée rouge.

En Occident également, où jusqu'à récemment Staline remplissait la fonction de bouc

émissaire, les positions des historiens se sont nuancées.

Il est une chose cependant sur laquelle tous se sont accordés depuis 1956 : le 22

juin 1941, l'Union soviétique n'était pas prête à repousser l'assaut allemand, et les

défaites qu'elle subit au cours des premiers mois de la guerre auraient suffi à écraser

4 Vladimir PETROV, June 22, 1941. Soviet Historians and the German Invasion, pages 10-11.

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n'importe quel autre pays européen. Des millions de citoyens soviétiques payèrent de

leur vie cette incapacité de leurs dirigeants à mettre en œuvre une défense adéquate.

L'ampleur de la catastrophe appelle donc une question qui conserve encore aujourd'hui

toute sa pertinence: pourquoi l'Union soviétique était-elle aussi mal préparée à faire face

à la guerre?

L'Armée rouge à la veille du conflit Purges, expansion et armements

Le 26 mai 1937, le maréchal Toukhatchevski et sept autres officiers de rangs

élevés furent arrêtés et accusés d'avoir conspiré secrètement avec l'Allemagne pour

renverser Staline. Leur procès, tenu à huis clos le Il juin, dura moins de quatre heures. 5

Ils furent exécutés le lendemain. L'identité de ceux qui orchestrèrent l'arrestation de

Toukhatchevski et de ses camarades et forgèrent les preuves de leur «conspiration»

demeure encore aujourd'hui difficile à établir avec certitude.6 Il semblerait cependant

que les «preuves» aient été fabriquées par la Gestapo, mais que Staline l'ait su et s'en

soit néanmoins servi pour se débarrasser du trop encombrant maréchal. 7 Dans tous les

cas, il est clair aujourd'hui que Ejov, le chef du NKVD, était au courant de l'implication

de la Gestapo dans la fabrication des «preuves» et qu'il participa lui-même à l'extortion

des aveux de Toukhatchevski. 8 Il est clair également que ceux qui jugèrent le maréchal et

ses compagnons d'infortune (tous des militaires de haut rang qui connaissaient les

accusés depuis longtemps) étaient parfaitement conscients de leur innocence. Ils portent

donc une part de responsabilité pour leur fin tragique.

L'essentiel est que l'exécution de Toukhatchevski et de ses «complices» marqua

le début d'un nettoyage en règle du corps d'officiers de l'Armée rouge. En l'espace de

quelques mois, des dizaines de milliers d'officiers furent arrêtés et déportés ou exécutés

après des simulacres de procès. Les maréchaux Blücher et Egorov figurèrent au nombre

des officiers exécutés. Furent également liquidés 14 commandants d'armées sur 16, 60

5 Dimitri VOLKOGONOV, Stalin: Triumph and Tragedy, page 321. 6 Sally STOECKER, Forging Stalin 's Army, page 183. 7 Ibid., pages 183 à 185. Voir également Vladimir PETROV, op. cil., page 254 et Jean ELLEINSTEIN, Staline, page 225. 8 Dimitri VOLKOGONOV, op. cit., pages 318 à 321.

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commandants de corps d'armées sur 67, 136 commandants de divisions sur 199.9 En

tout, 40 000 officiers de l'Armée rouge furent éliminés au cours de la Ejovtchina, soit la

moitié des effectifs. 10

Cette purge sanglante du corps d'officiers soviétique, sans doute unique dans

l 'histoire, est communément perçue comme l'une des principales explications des revers

subis par l'Armée rouge en 1941. Selon Volkogonov -et il n'est pas seul à défendre cette

position-, «ils étaient la fleur du corps d'officiers, avec une expérience de la guerre

civile, et la plupart d'entre eux étaient encore jeunes. Le coup porté aux forces armées

fut énorme. »11 Les recherches les plus récentes suggèrent toutefois que les purges ne

furent pas si déterminantes pour l'avenir de l'Armée rouge, et que la raison principale

pour laquelle elle manquait si cruellement d'officiers expérimentés au début de la guerre

fut plutôt son expansion très rapide au cours des années précédentes. 12

Entre les années 1935 et 1941, les effectifs de l'Armée rouge passèrent en effet de

1,5 à plus de 5 millions d'hommes - ce qui en fit la plus grande armée du monde. Elle

disposait de plus de divisions, de tanks, d'avions et de pièces d'artillerie que tous ses

opposants potentiels réunis. 13 La conjonction des purges et d'une expansion trop rapide

était toutefois à l'origine d'une grave carence en officiers qualifiés au sein des forces

armées soviétiques. À la fin de 1939, la plupart des officiers de l'Armée rouge n'étaient

dans l'armée que depuis cinq ans ou moins. Ils avaient moins d'expérience et

d'éducation militaire que leurs homologues allemands, français ou britanniques. De

façon générale, les troupes soviétiques étaient encadrées par des officiers fraîchement

émoulus des écoles militaires, dont la formation s'était le plus souvent avérée incomplète

ou trop rapide. Au début de la guerre, moins de 10% des officiers de l'Armée rouge

avaient complété des études militaires supérieures, 37% n'avaient pas complété une

9 Oleg F. SOUVENIROV, «Vseanneïskaya Tragediya », Voenno-Istoritcheski Journal, 3,1989, page 42. JO Roger R. REESE, Stalin 's Refuctant Soldiers. A Social History of the Red Army, 1925-1941, page 134; David M. GLANTZ, op. cit., page Il. 11 Dimitri VOLKOGONOV, op. cit., page 328. 12 Voir notamment Roger R. REESE, op. cit., chapitre 5. 13 David M. GLANTZ, Stumbling Colossus : The Red Army on the Eve of World War, page 259; Youri N. AFANASSIEV, Drougaya voina, 1939-1945, page 98.

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éducation militaire secondaire et 12 % n'avaient tout simplement aucune formation

militaire. Plus de 75% des officiers occupaient leur poste depuis moins d'un an.14

Comme beaucoup des nouveaux officiers se révélaient parfaitement incompétents,

les hommes perdirent rapidement confiance en eux -particulièrement après la désastreuse

campagne de Finlande. Le moral et la discipline au sein de l'Armée rouge atteignirent en

fait un creux historique en 1940-1941. Les soldats n'étaient pas coopératifs et se

montraient même franchement hostiles envers leurs officiers. Les difficultés

d'approvisionnement, ainsi que le souvenir douloureux de la collectivisation forcée des

terres, achevaient de consacrer la désaffection des conscrits (dont la plupart étaient

d'origine paysanne) vis-à-vis de leurs supérieurs et du système communiste qu'ils étaient

censés défendre. Les Ukrainiens se montraient particulièrement rétifs. Le commissaire

de la 13ge Division de fusiliers du district militaire de Kiev reconnut à la mi-juin 1940

que la discipline avait atteint le degré le plus bas imaginable. Au cours d'une période d'à

peine quinze jours, entre le 25 avril et le 1 0 mai 1940, la Division avait enregistré plus de

400 cas d'ivrognerie -lesquels avaient été à l'origine de cinq ble.ssures graves et d'un

suicide. 15 Le taux de désertion était également très élevé. Certains soldats allaient

jusqu'à rejoindre les lignes allemandes en Pologne. 16 Après le déclenchement des

hostilités, ils seraient des centaines de milliers à imiter cet exemple.

Les masses paysannes de l'Union soviétique, peu éduquées, techniquement

inexpérimentées et naturellement hostiles au régime bolchevique, s'avéraient

extrêmement difficiles à mobiliser. La plupart des recrues se révélaient incapables de

manœuvrer autre chose qu'un simple fusil. Avec l'augmentation du nombre d'unités, les

hommes furent de surcroît de plus en plus mal équipés et entraînés. L'entraînement des

soldats et des officiers, particulièrement dans les unités de petites tailles, s'avérait le plus

souvent totalement inadéquat. 17 La situation était particulièrement tragique dans l'Armée

de l'Air, ou le manque de pilotes qualifiés se faisait cruellement sentir. C'est ainsi

qu'une division aérienne qui avait reçu 32 nouveaux appareils réussit à en écraser 7 dès le

premier jour, en raison de l'inexpérience des pilotes et de leur manque d'entraînement sur

14 Hélène CARRÈRE D'ENCAUSSE, Staline,' L'ordre par la terreur, page 109. Voir aussi Dimitri VOLKOGONOV, op. cit., pages 368-369. 15 RogerR. REESE, op. cil., page 179. 16 Ibid., page 182 et suivantes. 17 Ibid.,pages 172 à 175.

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les nouveaux modèles.18 À la veille de l'offensive allemande, plusieurs pilotes

soviétiques n'avaient pas plus de quatre heures d'expérience de vol sur leur appareil. 19

Si elles n'ont pas eu les conséquences désastreuses qu'on leur a généralement

attribuées, les purges de 1937-1938 eurent par ailleurs certains effets pernicieux qui

demeurent parfaitement incontestables. Elles découragèrent l'innovation en instillant la

peur dans le corps d'officiers et privèrent l'Armée rouge de ses stratèges les plus

inventifs et les plus compétents, dont le maréchal Toukhatchevski. L'exécution de

Toukhatchevski marqua en fait une halte soudaine de toute innovation dans le champ

militaire.2o Après son procès et celui de ses « complices », l'Académie du Grand État­

Major fut le lieu d'une véritable chasse aux sorcières. Les professeurs les plus

imaginatifs et les plus instruits furent éliminés pour être remplacés par des «nullités »,

des gens «sans expérience, connaissant peu la matière qu'ils enseignaient ».21 Il fut

désormais interdit de se servir des manuels rédigés par les professeurs tombés en

disgrâce. Comme substituts à ces précieux ouvrages, les nouveaux professeurs écrivirent

à la hâte de «mauvais abrégés» de leurs cours qu'ils «bourraient de dogmes en

vogue ».22 La théorie de la guerre de mouvement (littéralement: «du combat en

profondeur »), élaborée par Toukhatchevski, Egorov, Ouborevitch et Yakir, fut dénoncée

comme «nuisible» et rejetée.23 La plupart des écrits théoriques de Toukhatchevski

furent retirés de la circulation et détruits. Selon le colonel David M. Glantz, il n'est pas

exagéré de dire qu'en conséquence, les conceptions soviétiques de la guerre mécanisée

régressèrent de façon considérable entre 1936 et 1940.24

De façon générale, les officiers et les théoriciens les plus qualifiés furent

remplacés à tous les échelons de l'armée par des lèche-bottes obséquieux, des idéologues

fanatisés ou des avortons timorés et incapables d'initiative. Comme l'écrit avec justesse

David Glantz, «les purges produisirent une Armée rouge dont la loyauté à Staline était

indiscutable. Cette loyauté, cependant, était surtout basée sur une peur abjecte et

paralysante, qui inhibait toute créativité, initiative ou flexibilité au sein de l'Armée

\8 David M. GLANTZ, Stumbling Colossus, page 225. \9 Alexander WERTH, Russia at War, 1941-1945, page 139. 20 Sally STOECKER, op. cit., page 182. 2\ Piotr GRlGORENKO, Mémoires, page 209. 22 Ibid., pages 209-210. 23 Ibid., page 211. 24 David M. GLANTZ, When Titans Clashed, pages 12-13.

13

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rouge. »25 Signalons enfin que la quasi-totalité des officiers qui avaient acquis une

expérience de la guerre moderne en Espagne ou en Extrême-Orient au cours des années

précédentes furent liquidés au cours de ces purges.

En définitive, il apparaît clairement que l'Armée rouge n'était pas prête à

repousser l'attaque allemande en juin 1941. Conformément à la prédiction de Trotski,

elle était devenue «un édifice bâti sur des sables mouvants ».26 Le manque d'officiers

compétents se faisait cruellement sentir. L'état du moral et de la discipline était

proprement désastreux. L'entraînement des soldats et des officiers se révélait déficient,

comme l'était le système de ravitaillement des troupes. De façon générale, les purges et

l'expansion trop rapide de l'Armée rouge l'avaient profondément désorganisée, et la

plupart des unités n'étaient pas sur un pied de guerre, que ce soit au plan mental ou

organisationnel. Dans la majorité des cas, ces unités n'étaient guère plus que des

ramassis de paysans rébarbatifs, dirigés par des officiers ineptes qui suivaient

aveuglément la « ligne» en vigueur.

La situation n'était guère plus reluisante dans le domaine de la production

industrielle, et plus particulièrement dans celui de l'armement. L'expansion rapide de

l'Armée rouge priva en effet les usines et les mines d'un grand nombre de travailleurs, ce

qui eut pour effet de ralentir considérablement le rythme de production. Les effets des

purges se firent également sentir. Elles entraînèrent en effet l'élimination de plusieurs

excellents directeurs de production, qui furent remplacés le plus souvent par des

dirigeants moins expérimentés. Quant à l'atmosphère de crainte et de suspicion générée

par la Ejovtchina, elle ne fit bien entendu rien pour améliorer les choses. Dans le secteur

de l'armement, de nombreux techniciens éminents furent par ailleurs éliminés, dont

Lannemann, l'inventeur du lance-roquettes Katioucha.27

Les équipements de l'Armée rouge étaient généralement archaïques, et le nouveau

matériel était peu connu des soldats. Presque tout le parc d'avions était constitué de

vieux modèles, largement inférieurs à ceux dont disposait la Luftwaffe.28 Le ~parc de

tanks était également désuet. De fait, bien que l'URSS disposât de près de 20000 tanks à

25 David M. Glantz, Stumbling Colossus, page 157. 26 Leon TROTSKI, Military Writings, page 107. 27 Vladimir PETROV, op. cil., page 258. 28 A. S. YAKOVLEV,« AirPreparedness », dans S. BIALER, Stalin and his Generais, pages 166 à 171.

14

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la veille de la guerre -soit davantage que toutes les autres années du monde combinées-,

il s'agissait presque exclusivement de modèles désuets. L'Armée rouge ne disposait à

l'aube du conflit que de 1 500 tanks T-34 et KV_1.29 Plus grave encore, elle ne disposait

que d'une quantité dérisoire de canons et de mines anti-tanks.3o Cette lacune se fit

cruellement sentir au moment de l'invasion allemande. L'entraînement pour l'utilisation

des armes nouvelles était presque toujours déficient et l'équipement était très mal

entretenu. En juin 1941, 73 % des vieux modèles de tanks et 88% des avions avaient été

rendus inutilisables à la suite d'un entretien inadéquat.31

Finalement, signalons que si l'on se fie aux nombreux témoignages recueillis à ce

sujet, les interventions personnelles de Staline dans le processus de production

s'avérèrent presque toujours désastreuses. À la lecture de ces anecdotes, on a même

l'impression que plus une idée était bonne, moins elle avait de chances d'être adoptée par

le Vojd. Alexandre Nekritch cite un exemple particulièrement aberrant d'une

intervention de Staline dans le processus de production: le maréchal Koulik, chef de

l'administration principale de l'artillerie, voulait arrêter la fabrication des canons de tanks

de 45 et 76 mm, pour équiper plutôt les nouveaux chars de canons de 107 mm. Cette

proposition rencontrait l'opposition résolue du Commissaire du peuple à l'Armement

Vannikov. Staline trancha le débat en ces termes: «Voici Vannikov, dit-il en s'adressant

à Jdanov32, qui refuse de donner des canons de 107 mm à vos chars de Léningrad. Il

s'agit pourtant de canons excellents.» Vannikov n'osa pas s'opposer à l'opinion du Vojd,

bien que celui-ci fit allusion à un modèle de canons d'artillerie du même calibre utilisé

pendant la guerre civile .de 1918-1921 (qui n'avait donc rien à voir avec les canons

modernes dont il était question ici). Un blindage beaucoup plus épais que celui des tanks

soviétiques aurait été nécessaire pour supporter cette énorme pièce de 107 mm. Les

arguments timides des ingénieurs ne parvinrent pas cependant à ébranler la résolution de

Staline, et la production des canons de 45 et 76 mm fut interrompue. Cette décision

29 Roger R. REESE, op. cit., page 168. 30 Voir notamment 1. T. STARINOV, «In the Main Engineering Directorate », dans S. BIALER, op. cit., ~ages 161 à 166.

1 Ibid., page 190; Robert W. THURSTON, The People 's War, page 238. 32 Secrétaire du Parti pour la région de Léningrad.

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s'avéra une erreur monumentale. La preuve en est qu'au début de la guerre, Staline se vit

forcé de la renverser et de relancer la production des anciens canons. 33

La diplomatie stalinienne et le pacte germano-soviétique

Entre 1935 et 1939, l'obsession principale de Staline était de repousser le plus

loin possible l'épreuve suprême de la guerre. Dans ce contexte, deux possibilités

diplomatiques s'offraient à lui: une alliance avec la France et l'Angleterre ou un pacte de

non-agression avec l'Allemagne. Staline préférait l'accord avec l'Allemagne, puisqu'en

raison de sa proximité géographique, celle-ci représentait le danger le plus immédiat pour

l'URSS. Une autre raison de rechercher cette alliance était la nécessité d'éviter une

guerre sur deux fronts dans le cas d'une agression japonaise en Sibérie. Enfin, Staline

redoutait que les «impérialistes» anglo-français n'entraînent l'URSS dans une guerre

contre Hitler s'il s'alliait avec eux. Ainsi, tout en souscrivant à la doctrine de la sécurité

collective et en négociant une alliance avec Londres et Paris, Staline faisait discrètement

sonder Berlin.

Suite à des négociations secrètes, l'Allemagne naZIe et l'Union soviétique

signèrent finalement un pacte de non-agression le 23 août 1939. Des protocoles secrets

annexés au pacte prévoyaient un partage de l'Europe de l'Est en « zones d'influence », ce

qui incluait notamment la liquidation et le partage de la Pologne, de même que

l'annexion des pays baltes par l'Union soviétique. Le 28 septembre, le pacte fut renforcé

par un traité d'amitié qui ouvrit une période de coopération politique et commerciale

entre le Troisième Reich et l'Union soviétique. Cette entente fut matérialisée et précisée

par la signature de trois accords commerciaux entre 1939 et 1941.

Accuser Staline de cynisme relèverait ici de la naïveté. Comme tous les autres

dirigeants historiques de l'Union soviétique -Trotski inclus-, Staline n'avait en effet

aucune préférence idéologique ou morale pour les démocraties par rapport aux fascismes.

Il s'agissait dans les deux cas de puissances «impérialistes» mortellement hostiles à

33 Alexandre NEKRITCH, 1941. 22-go Iounia, pages 112-113. L'incident est également rapporté par Volkogonov dans sa biographie de Staline, op. cit., page 373, ainsi que par Vannikov lui même dans ses mémoires (Seweryn BIALER, op. cit., pages 155 à 157).

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l'URSS, et le jour viendrait tôt ou tard où il faudrait affronter les deux camps. La seule

question était de savoir lequel des deux constituait le plus grand danger à un moment

déterminé. L'alliance qui en résultait n'était ainsi qu'une simple question de prudence.34

Le problème avec le pacte germano-soviétique, c'est qu'il était en fait très

mauvais pour la sécurité de l'URSS. Il Y a fort à parier, en effet, que Hitler n'aurait pas

déclenché les hostilités en Europe si son agression contre la Pologne l'avait acculé à une

guerre sur deux fronts, pour laquelle l'Allemagne n'était pas du tout préparée en 1939.

Peut-être Staline voulait-il justement provoquer un affrontement entre les puissances

occidentales et l'Allemagne, pour ensuite entrer dans le conflit au moment opportun,

mais dans tous les cas, son calcul se révéla tout à fait erroné. La défaite rapide de la

France plaça en effet l'Union soviétique dans une position extrêmement désavantageuse

vis-à-vis de l'Allemagne. La patrie du socialisme partageait maintenant une frontière

commune avec le Troisième Reich, ce qui donnait à ce dernier l'opportunité de

déclencher une attaque surprise. Avec la conquête du continent européen et les livraisons

de matières premières de l'Union soviétique, l'Allemagne était de surcroît devenue un

adversaire beaucoup plus formidable en 1941.35 Rétrospectivement, il aurait donc été

beaucoup plus avantageux pour l'URSS de conclure une alliance avec la France et

l'Angleterre.

Pis encore, le temps que Staline avait acheté avec le pacte lui servit surtout à

agraver la vulnérabilité de son État. Bien sûr, il profita de cette « période de grâce» pour

annexer les États baltes ainsi que des portions de la Finlande, de la Pologne et de la

Roumanie. Mais l'établissement de cette « zone tampon» entre l'Allemagne et l'Union

soviétique ne doit pas faire illusion. Les lignes de défense le long de l'ancienne frontière

furent démantelées et les fortifications le long de la nouvelle frontière ne furent jamais

achevées. Les aérodromes et les dépôts de matériel furent construits beaucoup trop près

de la nouvelle frontière, ce qui les rendit vulnérables à une attaque surprise. 36 Les

34 Voir notamment Martin MALIA, La tragédie soviétique, page 363. 35 Au cours des dix-huit mois précédant l'agression hitlérienne, l'URSS fournit notamment à l'Allemagne nazie deux millions de tonnes de pétrole, 140 000 tonnes de manganèse et 26 000 tonnes de chrome (Source: Alexander WERTH, op. cit., page 113). 36 Dans le seul avant-midi du 22 juin 1941, 668 avions soviétiques furent détruits au sol par la Luftwaffe. Au cours des vingt premiers jours de la guerre, l'URSS perdit non moins de 6 857 appareils (source: Horst BOOG et al., Germany and the Second World War, volume IV, page 737).

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institutions soviétiques furent introduites dans les territoires nouvellement conquis et les

campagnes de répression contre les «catégories suspectes» (koulaks, bourgeoisie,

leaders nationalistes, etc.) eurent tôt fait de susciter l'hostilité des populations locales

envers le régime soviétique.

En définitive, le déplacement des frontières occidentales de l'URSS fut davantage

un handicap qu'un bienfait, et la période du pacte Ribbentrop-Molotov contribua surtout

à l'affaiblissement du premier État socialiste. Ce que Staline n'avait peut-être pas

suffisamment réalisé, par ailleurs, c'était que pour Hitler, « un pacte n'était jamais qu'un

pacte: il fallait un stylo pour le signer, quelques divisions pour le rendre caduc. »37

Aussi, bien que Staline se refusât obstinément à l'admettre, la décision du Führer

d'ènvahir l'Union soviétique avait été prise dès le mois de décembre 1940.

Depuis 1956, il a été admis même en URSS que les dirigeants soviétiques

disposaient de toutes les informations nécessaires pour préparer adéquatement le pays à

l'agression allemande. Plus encore, selon Seweryn Bialer, «les décideurs du Kremlin

reçurent plus d'informations sur le danger imminent [ ... ] qu'aucune autre équipe

dirigeante d'un pays attaqué dans l'histoire de la guerre moderne ».38 Staline, cependant,

ignora systématiquement tous les renseignements qui lui furent transmis au sujet des

préparatifs de la Wehrmacht. Après la victoire de Hitler dans les Balkans en avril 1941,

de tels renseignements commencèrent pourtant à affluer à un rythme de plus en plus

inquiétant. Même à ce moment tardif, certaines me~ures auraient pu être prises pour

préparer l'Armée rouge à essuyer l'assaut des« hordes fascistes ». Rien ne fut fait.

Tous les renseignements relatifs à la préparation de l'offensive allemande furent

dénoncés par Staline comme des «provocations britanniques» visant à entraîner l'Union

soviétique dans la.guerre. Le Vojd espérait vraisemblablement repousser la guerre assez

longtemps pour être en mesure d'attaquer le premier. Ce faisant, il refusait tout

simplement de faire face la réalité et d'admettre que son coup de poker avait échoué,

qu'il avait parié sur le mauvais cheval. L'agression allemande était inévitable, mais tout

se passait comme si le Vojd refusait de l'admettre. Comme le souligne judicieusement

37 Jean ELLEINSTEIN, op. cit., page 261. 38 Seweryn BIALER, op. cit., page 180.

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Joukov, «les actions et les pensées de Staline à la veille de l'invasion étaient

subordonnées au seul effort d'éviter la guerre, et cela générait en lui la certitude qu'elle

n'aurait pas lieu. »39

Le système terroriste et dictatorial façonné par le Guide décuplait les effets de son

erreur de jugement, puisque personne ne pouvait ou n'osait le contredire. Son désir de

repousser la guerre à tout prix était en effet bien connu dans les cercles diplomatiques,

militaires et de renseignement, et ceux qui réalisaient la gravité de la situation étaient trop

prudents ou serviles pour imposer la vérité au redoutable tyran. Ainsi, même si les

renseignements bruts concouraient tous à indiquer l'imminence de l'attaque allemande,

l'analyse de ces renseignements était toujours présentée de façon à concorder avec

l'opinion de Staline. Selon Khrouchtchev, «comme on savait que l'autorité supérieure

était prévenue contre de telles indications, on n'envoyait les données qu'avec crainte, en

les entourant de formules de réserve. »40 Ainsi, lorsque Golikov remit à Staline un

rapport sur le «Plan Barbarossa », il précisa qu'il s'agissait sans doute d'un faux fabriqué

par des agents provocateurs. Kouznetsov remit lui aussi une copie du plan à Staline, en

alléguant qu'il s'agissait vraisemblablement d'un leurre forgé par les services de contre­

espionnage allemands.41 Ce genre de scène se répétait à tous les échelons des appareils

politique et militaire. Chacun essayait de plaire à son supérieur en lui disant ce qu'il

souhaitait entendre. La mémoire des purges était encore fraîche dans les esprits, et tous

savaient que n'importe quelle objection ou démonstration «d'immaturité politique»

pouvait entraîner les plus sérieuses conséquences. Ainsi, la nature même de la culture

politique stalinienne -en particulier la nécessité vitale du conformisme et le culte de la

personnalité- contribuait à alimenter un cercle vicieux de désinformation qui confortait

Staline dans son erreur de jugement. Comme le dit avec justesse Dimitri Volkogonov,

«la bureaucratie que Staline avait si habilement façonnée était uniquement capable

d'approuver ses décisions.»42

39 Guéorgui JOUKOV, The Memoirs of Marshal Zhukov, page 102. 40 Nikita S. KHROUCHTCHEV, Rapport secret au.x.:re congrès du peus, page 48. 41 VladimirPETROV, op. cit., page 253. 42 Dimitri VOLKOGONOV, op. cif., page 390.

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Les Soviétiques disposaient pourtant de renseignements extrêmement variés et

précis sur les préparatifs de l'offensive allemande. À peine onze jours après l'adoption

du «Plan Barbarossa », les services d'espionnage soviétiques en avaient déjà obtenu

copie.43 Le nom de l'agent qui transmit cette information à Moscou n'a jamais été révélé,

mais il pourrait s'agir de le même taupe qui obtint le plan de l'Opération Citadelle en

1943. Selon Souvorov, ce document fut discuté en présence de Staline au début de

janvier 1941, mais le Vojd ne crut pas à son authenticité.44 En mars 1941, le célèbre

espion soviétique Richard Sorge communiqua lui aussi au Kremlin les détails du plan

allemand. De nombreuses informations furent également transmises via les canaux

diplomatiques. À ce chapitre, les services de renseignement britanniques se montrèrent

particulièrement prodigues. Churchill écrivit même personnellement à Staline, en avril

1941, pour l'avertir de l'imminence de l'attaque allemande. Soulignons toutefois qu'il

est tout à fait compréhensibe que Staline n'ait pas eu confiance en Churchill. Ce dernier

n'avait rien en effet d'un observateur neutre distribuant gracieusement des conseils

bienveillants. Il s'agissait d'un chef d'État aux prises avec des difficultés très sérieuses,

qui avait désespérément besoin d'entraîner l'URSS dans sa guerre contre l'Allemagne.

Du reste, Lénine lui-même n'avait-il pas dépeint Churchill comme «le pire ennemi de

l'Union soviétique »?45 Dans ces conditions, comment Staline aurait-il pu lui faire

confiance?

Les avertissements des Britanniques ne représentaient cependant que quelques

gouttes d'eau dans l'immense bassin d'informations préoccupantes dont disposaient les

Soviétiques à la veille du conflit. Plus ce dernier approchait, plus il était difficile de ne

pas admettre la réalité des préparatifs allemands. Les troupes de la Wehrmacht qui se

dirigeaient vers l'est paralysèrent les rues de Varsovie pendant une dizaine de jours en

avril 1941, à un point tel que n'importe quel civil polonais pouvait se persuader de

l'imminence des hostilités.46 Les violations de l'espace aérien soviétique se

multipliaient. Selon Alexandre Nekritch, il y en eut 152 au cours des cinq mois

43 Voenno-lstoritcheski Journal, 6, 1966, page 8. 44 Viktor SOUVOROV, Icebreaker, page 320. 45 PSS, Moscou, volume 14, page 3350. Cité par Souvorov dans ibid., page 302. 46 Daniel C. HOLTROP,« Failure and Success in the First Months of the Great Patriotic War », H-Russia­H-Net Reviews, novembre 2000, page 5.

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précédant la guerre.47 Afin de ne pas «provoquer» les Allemands, ordre fut toutefois

donné aux unités frontalières de ne pas ouvrir le feu sur les avions de reconnaissance qui

survolaient le territoire soviétique. Même lorsqu'ils se voyaient forcés d'atterrir, les

avions et leurs équipages étaient immédiatement rendus aux Allemands.48 Quelques

jours avant l'invasion, Korponos, le commandant du district militaire spécial de Kiev,

écrivit à Staline que les armées allemandes se préparaient de toute évidence à lancer une

offensive. Il suggéra l'organisation d'une défense vigoureuse et l'évacuation de 300 000

civils des régions frontalières. Moscou répondit à Korponos de ne prendre aucune

mesure susceptible de « provoquer» les Allemands.49

Dans les jours précédant l'agression hitlérienne, la presse mondiale publia à la

une des rapports sur les immenses concentrations de troupes allemandes le long de la

frontière soviétique. Le New York Times publia notamment de nombreux articles au

cours du mois de juin, et même des cartes détaillées des concentrations de troupes

allemandes à la frontière de l'URSS.5o La presse soviétique s'affairait pendant ce temps

à persuader la population que la guerre n'était pas pour bientôt. Le 14 juin 1941 -à peine

une semaine avant l'invasion allemande-, un communiqué officiel de l'Agence Tass se

lisait comme suit dans la Pravda :

«Suivant les informations soviétiques, l'Allemagne, tout autant que l'URSS, respecte scrupuleusement les clauses du pacte de non-agression. Les milieux soviétiques considèrent donc comme dénuées de tout fondement les rumeurs selon lesquelles l'Allemagne aurait l'intention de rompre le pacte et d'attaquer l'URSS. »51

Ce communiqué extraordinaire a fait l'objet de nombreuses discussions depuis la

fin de la guerre. Selon la plupart des historiens, il s'agissait tout simplement d'une

tentative naïve et illusoire de «pacifier» Hitler. Le principal effet de ce communiqué,

dans tous les cas, fut de désarmer moralement la population et l'armée soviétiques. La

plupart des Soviétiques furent en effet définitivement convaincus que la guerre ne serait

pas déclenchée dans un avenir rapproché. Dans les régions frontalières, les soldats

47 Alexandre NEKRITCH, op. cit., page 161. 48 Dimitri VOLKOGONOV, op. cit., page 389. 49 Geoffrey A. HOSKING, The First Socia/ist Society, page 269. 50 Jean ELLEINSTEIN, op. cit., pages 264-265. 51 Cité par Jean ELLEINSTEIN dans ibid., page 262.

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commencèrent même à se déshabiller avant d'aller au lit.52 Ainsi, l'attaque allemande

prit la population civile et l'Armée rouge totalement au dépourvu -ce qui contribue sans

aucun doute à expliquer les désastres des premiers jours de la guerre.

Même dans les dernières heures précédant l'agression allemande, Staline refusa

de faire face à la réalité. À la réunion du Politburo du 21 juin 1941, Golikov signala la

concentration massive de troupes allemandes à la frontière. Il connaissait le nombre de

divisions allemandes, les noms de leurs commandants et leurs emplacements exacts. Il

connaissait également le nom de l'Opération Barbarossa et l'heure à laquelle elle devait

. être déclenchée. Réponse de Staline: « Les unités frontalières ne doivent pas se laisser

entraîner dans quoi que ce soit susceptible d'entraîner des complications. »53 Les ordres

envoyés aux fronts le 21 juin 1941 reflétaient cette décision de Staline. Les troupes

étaient tenues de <<ne s'adonner à aucune action de provocation qui pourrait causer

d'énormes complications ». Ordre fut donné de ne pas renforcer les défenses. De telles

préparations, d'après une directive du général Joukov, pouvaient uniquement «provoquer

les Allemands prématurémènt ».54 Ainsi, alors que 153 divisions allemandes et 37

divisions alliées, totalisant quelque 4 600 000 hommes, étaient massées à la frontière et se

préparaient à déferler sur l'Union· soviétique, Staline refusait obstinément de placer

l'Armée rouge en état d'alerte, afin de ne pas donner de «prétexte» à Hitler pour

attaquer. Non seulement fut-il interdit aux unités frontalières d'adopter des positions de

combat, mais il ne leur fut même pas permis de se redéployer pour favoriser une

meilleure position défensive en cas d'attaque, puisque cette action aurait pu elle aussi être

interprétée comme une « provocation ».55 La prudence de Staline ressemblait de plus en

plus à de la faiblesse ou de la folie. Contre toute logique, il refusait d'admettre

l'imminence de l'assaut allemand et s'accrochait désespérément à la thèse absurde de la

désinformation britannique.

Le 22 juin 1941, à trois heures du matin, la Wehrmacht posait finalement le pied

sur le sol de l'Union soviétique. En réponse à la déclaration de guerre que lui remit

l'ambassadeur allemand Schulenburg, Molotov articula d'une voix faible:« Nous

52 Leonid M. SANDALOV, Perejitoe, Moscou, 1961, page 75. 53 Viktor SOUVOROV, op. cit., page 32l. 54 Cité par Albert L. WEEKS dans Stalin 's Other War. Soviet Grand Strategy, 1939-1941, page 155. 55 G. FEDOROV,« A Measure ofResponsibility» dans Vladimir PETROV, op. cit., page 269.

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n'avons certainement pas mérité cela. »56 Il avait parfaitement raison. L'URSS avait fait

tout ce qui était en son pouvoir pour éviter cette guerre contre l'Allemagne hitlérienne.

Elle avait respecté scrupuleusement les clauses du pacte de non-agression et les accords

économiques conclus entre le Troisième Reich et l'URSS -contribuant en fait à préparer

l'agression allemande avec ses livraisons colossales de matières premières. Elle s'était

abstenue de poser le moindre geste susceptible de «provoquer» Hitler. Elle avait salué

les conquêtes allemandes en Europe et vilipendé systématiquement les «manœuvres

perfides» des «impérialistes anglais ». La seule chose qu'elle avait négligé de faire,

c'était d'assurer les moyens de sa défense en cas d'agression. En ce sens, ce que l'Union

soviétique avait pleinement mérité, c'était la débâcle catastrophique qui l'attendait en

1941.

La stratégie de l'Armée rouge à la veille de la guerre et la controverse « offensiste »

Depuis une dizaine d'années, plusieurs historiens en Russie et en Occident ont

soulevé une question jusque-là peu discutée: l'Union soviétique préparait-elle une guerre

offensive contre le Troisième Reich avant d'être prise de court par l'agression allemande

le 22 juin 1941? Cette thèse de la « guerre préventive» fut envisagée sérieusement pour

la première fois par Dimitri Volkogonov dans sa biographie de Staline, parue en 1989.

Les mêmes idées avaient toutefois été avancées par Sakharov dès les années 1960. Le

général dissident Piotr Grigorenko, dans ses mémoires, soulignait également qu'il ne

pouvait y avoir qu'une seule raison au déploiement massif de troupes dans les régions

frontalières de l'URSS en 1941, soit la préparation d'une attaque surprise contre

l'Allemagne. Ce n'est cependant qu'après la chute de l'Union soviétique que les

historiens militaires russes purent bénéficier d'un accès inédit à certaines archives

secrètes et tenter d'étayer cette thèse. 57

56 Cité par Vladimir PETROV dans ibid., page 322. 57 En Allemagne, cette thèse controversée a été défendue par le philosophe Ernst Topitsch, ainsi que par les historiens Joachim Hoffmann, Fritz Becker et Werner Maser.

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Depuis 1992, une série d'ouvrages controversés de l'émigré russe Viktor

Souvorov ont popularisé cette thèse «offensiste» ou «révisionniste », en Russie et

ailleurs. Ex-officier de l'Année soviétique et des services de renseignement militaires

ayant fait défection en Grande-Bretagne, Souvorov n'a toutefois jamais eu accès aux

archives militaires de la Fédération de Russie depuis sa défection, ce qui pose de

sérieuses limites à la qualité de son investigation. La plupart des historiens n'accordent

d'ailleurs que très peu de valeur à ses travaux, qui comportent une bonne part de

spéculation sur les intentions de Staline et de son entourage. Souvorov va jusqu'à

prétendre que l'offensive soviétique, assortie d'une entreprise machiavélique de

soviétisation de l'Europe, était prévue pour aussi tôt que le 6 juillet 1941, soit à peine

deux semaines après le déclenchement de l'Opération Barbarossa; À l'appui de ses dires,

Souvorov invoque le déploiement de troupes très nombreuses dans les territoires

nouvellement annexés et l'absence d'une zone défensive puissamment fortifiée dans cette

même région. Selon lui, la construction des aérodromes directement sur la frontière

aurait également été pensée en fonction de futurs bombardements tactiques et

stratégiques contre l'Allemagne nazie et ses alliés. D'après lui,. les troupes soviétiques

auraient par ailleurs été munies à la veille de la guerre de cartes topographiques du

Troisième Reich, ainsi que de milliers de petits livres de traduction russe-allemand,

comprenant des phrases utiles telles que « arrêtez de transmettre ou je tire ». Ces recueils

d'expressions allemandes, imprimés en grand nombre à la veille de la guerre, auraient

cependant été détruits au cours des premières phases du conflit.58 Pour Souvorov, la

seule explication de ces « faits troublants» est la préparation par Moscou d'une offensive

contre l'Allemagne nazie.

Les recherches de Gabriel Gorodetski, basées sur un accès sans précédent aux

archives secrètes soviétiques, réfutent de façon convaincante la thèse «offensiste» de . Souvorov. Selon Gorodetski, rien dans les archives soviétiques n'indique en effet que

Staline planifiait une attaque à l'été de 1941. Au contraire, le Staline de Gorodetski

apparaît en juin 1941 comme un chef d'État de plus en plus craintif et timoré, essayant

désespérément de repousser la guerre à 1942 ou même à 1943 parce qu'il estime -avec

58Viktor SOUVOROV, Poslednaya respoublika, page 64.

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raison- que l'Armée rouge n'est pas prête à affronter la Wehnnacht.59 L'historien

américain David M. Glantz abonde dans le même sens. Selon lui, la thèse de Souvorov

est infirmée tant par les archives secrètes soviétiques récemment divulguées que par les

archives allemandes. Par ailleurs, l'état de faiblesse de l'Armée rouge à la veille de la

guerre interdisait selon lui la planification d'une opération offensive sérieuse. Ainsi,

conclut Glantz, «aussi intéressante, sensationnelle et accrocheuse puisse être la théorie

de la guerre préventive en 1941, elle ne résiste pas à un examen approfondi et n'a en

définitive aucune substance. »60 Dans l'ensemble, cette théorie n'a d'ailleurs trouvé

aucun support parmi les spécialistes de la Seconde Guerre mondiale.61

Il ne fait aucun doute cependant que l'Armée rouge n'était pas préparée à mener

une campagne défensive en 1941 -ce qui explique en grande partie les désastres de la

première année de la guerre. Tous les documents concourent en effet à démontrer que

l'Union soviétique s'était préparée à mener une guerre strictement offensive. La seule

question qui se pose encore aujourd'hui. est celle du moment où Staline pensait que

l'Armée rouge serait en mesure de lancer son attaque. La thèse de Souvorov ne résiste

pas à un examen sérieux, mais plusieurs historiens crédibles soutiennent que Staline

préparait « sa » guerre pour 1942 ou 1943 au plus tard.62

Le problème, c'est que le haut commandement soviétique n'avait prévu aucune

solution de rechange pour le cas où l'Union soviétique ne parviendrait pas à contenir

suffisamment longtemps les velléités expansionnistes du Troisième Reich. Pas le

moindre plan ou exercice défensif n'avait été élaboré par les forces armées entre 1935 et

1941, que ce soit à l'échelle tactique ou stratégique. Les manuels de campagne et les

conceptions théoriques sur lesquels s'appuyait l'Armée rouge ne parlaient que le langage

de l'offensive. Toute idée de retraite semblait virtuellement criminelle. Les militaires

professionnels y pensaient d'ailleurs à deux fois avant d'utiliser le mot «retraite»

59 Gabriel GORODETSKI, Mlf« Ledokola» (1995); du même auteur: Grand Delusion: Stalin and the German Invasion of Russia (1999); «Was Stalin Planning to Attack Hitler in June 1941? », Journal of the Royal United Services Institute for Defence Studies, 131, 2 (1986), pages 69 à 72; «Stalin and Hitler's Attack on the Soviet Union» dans Bernd WEGNER, From Peace ta War: Germany, Soviet Russia and the World, 1939-1941, pages 343 à 361. 60David M. GLANTZ, Stumbling Colossus, page 6. 61 Rolf-Dieter MULLER et Gerd R. UEBERSCHAR, op. cit., page 373. 62 Au nombre de ces partisans de la thèse «offensiste» ou «révisionniste », on peut citer notamment Albert L. Weeks, y ouri N. Afanassiev, Y ouri L. Dyakov, Pavel N. Bobylev et Marius Broekmeyer.

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(otstouplenie), lui préférant généralement le mot «repli» (otkhod), qui présente une

légère nuance le rendant sans doute plus acceptable aux yeux des idéologues du Parti.

Comme devait plus tard le reconnaître le maréchal Bagramian, «nous n'avions

appris qu'à attaquer. Nous n'avions pas porté assez d'attention à une question aussi

importante que la retraite. [En 1941], nous dûmes payer pour cette erreur. »63 Le prix à

payer fut très élevé... Dans les premières semaines de la guerre, des centaines de milliers

de soldats soviétiques furent encerclés et capturés, en raison de l'obsession insensée du

commandement pour les actions offensives et de la disposition des troupes beaucoup trop

près de la frontière. Des tonnes de matériel furent détruites ou saisies par l'ennemi et

l'aviation fut presque totalement anéantie dans les premiers jours de la guerre.

Finalement, comme résultat de son impréparation totale à mener une guerre défensive,

l'Union soviétique subit en quelques mois des pertes en hommes et en matériel qui

auraient suffi à anéantir n'importe quel autre pays européen. La patrie du socialisme ne

dut sa survie qu'à l'immense étendue de son territoire et au sacrifice de plus de vingt

millions d'hommes et de femmes sur l'autel de la guerre.

Conclusion

Le 22 juin 1941, l'URSS n'était pas adéquatement préparée pour faire face à

l'invasion allemande. Les purges et l'expansion rapide de l'Armée rouge l'avaient

profondément désorganisée. Les officiers qualifiés étaient peu nombreux et le moral des

hommes avait atteint un creux historique. L'entraînement des soldats et des officiers se

révélait parfaitement inadéquat et le système de ravitaillement des troupes n'était pas au

point. Enfin, les purges avaient instillé la peur ,dans le corps d'officiers et découragé

l'innovation ou l'expression d'opinions divergentes à tous les échelons des appareils

politique et militaire.

63 Cité par Albert L. WEEKS dans op. cif., page 99.

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La situation n'était guerre meilleure dans le domaine de la production

d'armements. Le matériel était en grande partie désuet et les nouveaux équipement

n'avaient pas en~ore été pleinement maîtrisés. La guerre trouva l'industrie de guerre

soviétique en pleine transition, totalement désorganisée. Par ailleurs, les interventions

personnelles de Staline dans le processus de production s'avérèrent presque toujours

désastreuses.

Sur le plan diplomatique, le pacte avec l'Allemagne se révéla sans contredit une

erreur monumentale, ceci d'autant plus que l'Union soviétique agrava sa vulnérabilité au

cours de ces deux années de coopération avec le Reich. L'Allemagne, au contraire,

profita de ce délai pour renforcer considérablement sa position.

Finalement, on ne saurait mettre trop l'accent sur l'attitude déplorable de Staline,

qUI refusa systématiquement de prêter attention aux multiples avertissements qui lui

furent transmis au sujet des préparatifs de l'invasion allemande. La dictature terroriste

qu'il avait établie, de même que le culte personnel dont il était l'objet, contribuèrent sans

aucun doute à l'impréparation de l'Union soviétique à la veille de l'assaut allemand,

puisque personne parmi ses subordonnés n'eut le courage de contester ouvertement ses

erreurs d'appréciation.

Le résultat de ces lacunes et de ces bévues innombrables fut la débâcle sans nom

de 1941. Il n'est pas évident, toutefois, que ces fautes de préparation auraient pu être

entièrement évitées. Le désatre de 1941 était en effet le produit, dans une large mesure,

de l'incapacité flagrante du régime soviétique à exercer la modération et le pragmatisme

dans les sphères sociale, politique et économique. L'expansion fulgurante de l'Armée

rouge, les purges de 1937-1938 et le culte de la personnalité en sont de bonnes

illustrations. Les tares de l'Armée rouge à l'aube de la guerre incarnent également, dans

une certaine mesure à tout le moins, la subordination systématique de la réalité à des

impératifs politiques et idéologiques - un travers qui semble pervertir tous les aspects de

la société stalinienne.

En définitive, si le système communiste édifié par Staline joua sans aucun doute

un rôle déterminant dans l'organisation de l'effort de guerre soviétique à partir de 1942, il

fut également, et sans doute encore davantage, le premier responsable des terribles revers

subis par l'Armée rouge en 1941. C'est sans doute ce qui explique l'occultation de cet

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épisode historique au cours de la période soviétique, ainsi que la discussion passionnée

dont il a fait l'objet en Russie au cours des vingt dernières années.

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L'Opération Barbarossa Autopsie d'un échec

La tradition historiographique situe le tournant de la Seconde Guerre mondiale en

1942-1943. Selon cette tradition, l'entrée en guerre des États-Unis, les bataille de

Stalingrad et de Koursk ainsi que les opérations alliées en Afrique du Nord apparaissent

donc comme les événements décisifs de cette guerre, ceux qui lui imprimèrent un tour

nouveau en privant les forces de l'Axe de l'initiative qu'elles détenaient jusqu'alors.

Cependant, il n'est pas téméraire de situer le véritable point tournant de cette guerre en

1941, soit au moment de l'échec de la Wehrmacht devant Moscou. En effet, lorsque les

Allemands se lancèrent à l'assaut de l'Union soviétique en juin 1941, leurs espoirs pour

la conduite future de la guerre reposaient sur le succès d'une campagne rapide et décisive

-une campagne qui leur permettrait d'écarter définitivement la menace soviétique et de

priver l'Angleterre de son dernier allié potentiel sur le continent, tout en mettant la main

sur des territoires richement dotés en matières premières. La quantité limitée de

carburant et de réserves mise à la disposition des armées allemandes, de même que

l'absence d'un plan de rechange au cas où cette campagne s'avérerait plus longue que

prévu, faisaient de celle-ci un véritable coup de dé.64 Or, la sous-estimation des capacités

de résistance de l'Armée rouge et des difficultés liées au climat et à la géographie

soviétiques conduisirent les Allemands à s'enliser dans une campagne longue et ruineuse

sur ce nouveau front. Les conséquences militaires et politiques de l'échec de cette

campagne se révélèrent dramatiques pour le Troisième Reich. L'Angleterre y gagna le

répit dont elle avait besoin et la Wehrmacht y usa peu à peu ses forces, en même temps

que son moral et sa réputation d'invincibilité. Ce qui avait été prévu comme une

campagne d'été fraîche et joyeuse se transforma en une guerre totale aux proportions

inédites, où l'armée allemande dilapida la plus grande partie de ses ressources humaines

et matérielles. En ce sens, il paraît judicieux de dire que l'échec de cette campagne

marqua le début de la fin pour l'Allemagne nazie et qu'à ce titre, il puisse bel et bien

s'agir du véritable point tournant de la Seconde Guerre mondiale.65

64 Klaus REINHARDT, Moscow: The Turning Point, pages 26 à 28. 65 Hanson BALDWIN, Baules Lost and Won, page 443.

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Dans ce chapitre, l'auteur se propose d'exposer les principaux facteurs qUI

entraînèrent l'échec de l'Opération Barbarossa. Les problèmes particuliers de la

géographie et du climat soviétiques, la responsabilité personnelle de Hitler dans certaines

prises de décision douteuses, les erreurs stratégiques allemandes et l'influence néfaste de

l'idéologie national-socialiste sur la conduite de la guerre seront quelques-uns des thèmes

abordés. Mais en tout premier lieu, il semble approprié de procéder à un examen

sommaire de la planification de cette campagne afin d'en souligner les lacunes les plus

évidentes.

Le Plan Barbarossa

La mise au point du plan de la campagne révéla, dès le début, de profondes

divergences entre Hitler et ses principaux conseillers militaires. La plupart des généraux

allemands estimaient en effet que le gros des forces disponibles devait être concentré sur

Moscou. Le Führer, pour sa part, préconisait un déploiement des ailes de la Wehrmacht

de part et d'autre du groupe central. Une colonne, remontant vers le nord, marcherait sur

Léningrad; une autre ferait main basse sur l'Ukraine et les champs pétrolifères du

Caucase. Autrement dit, il fallait tout conquérir à l'intérieur d'une campagne-éclair de

moins de trois mois: Moscou, Léningrad, l'Ukraine et le pétrole du Caucase. Ce plan

extrêmement ambitieux impliquait de surcroît l'établissement d'un front immense,

s'élargissant de plus en plus au fur et à mesure de l'avancée des troupes en territoire

ennemI.

Beaucoup d'historiens et la plupart des généraux allemands soutiennent que la

défaite allemande fut assurée avant même le début de l'offensive, lorsque ce plan trop

ambitieux fut adopté. Selon ses détracteurs, cette campagne était irréalisable pour la

simple et bonne raison que l'armée allemande ne disposait pas des ressources nécessaires

à sa mise en oeuvre. D'autre part, il est presque certain que sans cette dispersion des

forces allemandes, Moscou aurait été prise avant le début de l'automne. Or, Moscou était

le cœur de l'Union soviétique. Cette ville était à la fois le premier centre industriel, le

nœud de communications et le centre de rayonnement politique, moral, commercial et

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technique de l'URSS. La prise de Moscou aurait également eu pour effet de couper le

front soviétique en deux, rendant ainsi plus difficile l'organisation d'une défense unifiée

contre l'envahisseur. En sous-estimant l'importance de cet objectif stratégique et en

dispersant inutilement ses forces, Hitler priva sans doute l'armée allemande de sa

meilleure chance de remporter une victoire décisive avant l'hiver.

De façon générale, ce plan révélait une grossière sous-estimation de la tâche à

accomplir. La capacité de résistance de l'Union soviétique, la qualité de ses

équipements, son potentiel économique et la quantité de soldats qu'elle était capable de

mobiliser étaient autant de facteurs qui n'avaient pas été appréciés à leur juste valeur par

Hitler et ses généraux. Ces erreurs d'appréciation peuvent être attribuées à diverses

causes: désinformation en provenance d'URSS, confiance aveugle générée par les

victoires rapides de l'armée allemande en Europe, obstination quasi-infantile d'un

dictateur balayant du revers de la main les objections les plus sensées... Quelles qu'en

soient les explications, il demeure que les Allemands étaient convaincus de pouvoir

vaincre l'Union soviétique au moyen d'une opération de Blitzkrieg semblable à celles

conduites en Pologne et en France. Ils s'enfoncèrent donc dans la steppe eurasienne avec

des forces nettement insuffisantes et sans prévoir les réserves nécessaires à une campagne

de longue durée. Les réserves de carburant, par exemple, n'avaient été prévues que pour

trois mois; celles de pneus, pour deux mois seulement. 66 Les forces motorisées ne

disposaient pas des pièces de rechange et du personnel d'entretien nécessaires à une

campagne de cette envergure.67 Les conséquences de ces fautes de préparation allaient se

trouver décuplées par les conditions particulières du climat et du terrain en Russie

occidentale, pour finalement prendre des proportions dramatiques.

L'apport de la nature et du terrain

Dès le début de la campagne, les Soviétiques bénéficièrent de l'état lamentable de

leur réseau routier, qui doublait la consommation en carburant des véhicules allemands et

rendait le ravitaillement très difficile. 68 En septembre, la situation empira lorsque les

66 Albert SEATON, The Russo-German War, 1941-45, page 219. 67 David M. GLANTZ, When Titans Clashed, page 30. 68 Barry A. LEACH, German Strategy Against Russia, 1939-1941, page 205.

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pluies diluviennes transformèrent le pays en un vaste marécage dans lequel les camions

allemands s'embourbèrent. Le ravitaillement devint sporadique et difficile. Plusieurs

divisions blindées furent immobilisées pendant des semaines en attente de carburant.

Dans certains cas, on en vint même à transporter l'essence à dos de chameau. 69

Bien entendu, cette situation ne compromit pas seulement le ravitaillement des

troupes allemandes, mais aussi leur avance. C'est cet enlisement des forces motorisées

sur les routes boueuses qui consacra la faillite de l'offensive allemande à l'automne de

1941. Aussi, il paraît sensé d'affirmer que si l'Union soviétique avait été dotée d'un

réseau routier comparable à celui des pays occidentaux, elle aurait peut-être succombé à

l'offensive de 1941. C'est sans doute ce que veut dire Gert Buchheit lorsqu'il écrit que

ce qui sauva l'URSS, «ce fut non pas sa modernisation, mais son archaïsme ».70 On peut

ajouter, cependant, que si l'Allemagne avait été mieux informée de l'état du réseau

routier soviétique et en avait tiré les conclusions appropriées, elle aurait songé à utiliser

plus de véhicules à chenilles. Des unités de Panzers accompagnées de convois sur

chenilles auraient probablement pu atteindre les centres vitaux de l'Union soviétique

assez rapidement et ce, en dépit des conditions difficiles du terrain.71

De toutes les façons, un point mérite d'être souligné à ce stade de la discussion: si

l'Union soviétique avait été un pays de la taille de la France ou de la Pologne, voire deux

ou trois fois plus grand, rien n'aurait pu la sauver d'une défaite irrémédiable en 1941.

Son immense étendue lui permit de survivre malgré des pertes territoriales qui auraient

suffi à anéantir n'importe quel autre État européen. En chiffres absolus, les pertes subies

par l'Union soviétique en 1941 se révélèrent de beaucoup supérieures à celles subies par

les adversaires de la Wehrmacht au cours des années précédentes. Comme il l'a été

souligné précédemment, il n'est même pas certain que les ressources de l'Allemagne

auraient pu suffire à mener à bien la conquête d'un pays aussi gigantesque; mais dans

tous les cas, il aurait été préférable de concentrer les ressources disponibles sur un

nombre plus restreint d'objectifs. En ce sens, les plus grands responsables de l'échec de

la campagne furent les stratèges allemands qui se montrèrent trop gourmands, et Hitler

69 Basil H. LIDDELL HART, Les généraux allemands parlent, page 222. 70 Gert BUCHHEIT, Hitler chef de guerre (tome 1), page 253. 71 Basil H. LIDDELL HART, op. cit., page 184.

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lui-même au tout premier chef. Le Führer, cependant, est doublement coupable car il

accumula, tout au long de cette campagne, les erreurs stratégiques les plus navrantes.

Les erreurs stratégiques de Hitler

Au cours de la campagne, deux erreurs stratégiques de Hitler correspondirent à

autant de tournants décisifs. La première, il la fit vers la fin du mois de juillet.

Constatant que le premier objectif de l'Opération Barbarossa -la destruction du gros des

forces de l'Armée rouge à l'ouest du Dniepr- n'avait pas été atteint, Hitler prit la décision

de poursuivre néanmoins l'offensive. Il réitérait ainsi l'erreur funeste commise par

Napoléon en 1812. Selon Liddell Hart, ce fut la décision la plus tragique de cette

campagne, étant donné, d'une part, la difficulté de transporter une quantité suffisante de

ravitaillement et de renforts au-delà du Dniepr et, d'autre part, l'incertitude de Hitler

quant à la direction à prendre par la suite.72 Dans tous les cas, il est certain que l'armée

allemande s'engageait dès lors dans une guerre d'usure contre un ennemi affaibli mais

toujours combatif, avec des lignes de communication vulnérables s'enfonçant

profondément en territoire hostile. Le~ attaques continuelles des partisans soviétiques ne

tardèrent d'ailleurs pas à faire du ravitaillement des troupes allemandes une entreprise

complexe et périlleuse.73

La seconde erreur fut commise à la fin du mois d'août lorsque Hitler, confronté à

une résistance acharnée aux environs de Smolensk, décida de mettre un frein à l'offensive

contre Moscou et de prélever sur son groupe d'armées central des forces importantes

pour les rediriger vers l'Ukraine. La quasi-totalité des généraux allemands et des

historiens militaires considèrent cette décision comme la plus grave erreur de la

campagne. Ainsi, selon Buccheit, « c'est cette décision qui a frustré le soldat allemand,

au moment où i11e tenait à la portée de la main, de l'enjeu de la campagne, le fondement

72 Ibid., page 190. 73 Klaus SCHÜLER, « The Eastern Campaign as a Transportation and Supply Problem» dans Bernd WEGNER, From Peace ta War, pages 205 à 223; James LUCAS, « Partisans» dans War on the Eastern Front, 1941-1945. The German Soldier in Russia, pages 60 à 69.

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de la puissance ennemie, je veux dire Moscou. »74 Pour Claude Bertin, cette stratégie

« tourne le dos au bon sens. Il aurait fallu foncer sur Moscou et, une fois celle-ci tombée,

pousser vers le Caucase ».75 À vrai dire, il ne se trouve que très peu de commentateurs

pour aller à l'encontre de cette évidence : à ce stade de la campagne, le principal effort

allemand aurait dû être dirigé contre Moscou. La victoire sans précédent de Kiev, au

cours de laquelle plus de 600 000 soldats soviétiques furent faits prisonniers, consacra

dans les faits l'échec de la campagne nazie. La conséquence principale de la diversion du

centre de gravité de l'attaque vers l'Ukraine fut d'immobiliser le groupe d'armées central

à 300 kilomètres de Moscou pendant deux mois. Lorsque l'offensive fut enfin relancée,

au début du mois d'octobre, il était trop tard pour espérer remporter une victoire décisive

avant l'hiver, ceci d'autant plus que la machine de guerre allemande avait été durement

éprouvée par deux mois de marches et de combats acharnés. À bout de forces, les

Allemands furent finalement arrêtés a quarante kilomètres du Kremlin.76

Cette décision aberrante de Hitler -celle de détourner la Wehrmacht de la route de

Moscou au moment crucial- n'est que la plus éminente illustration de sa direction

erratique des opérations sur le front russe. Il faut dire que depuis les succès inespérés

remportés à l'ouest en 1940, le dictateur se considérait comme un génie militaire hors

pair dont les intuitions primaient les conceptions opérationnelles les plus savantes. Il se

croyait donc en droit d'imposer sa volonté à ses généraux et de conduire la guerre à sa

guise. C'est ainsi que, tout au long de la campagne de Russie, les décisions les plus

absurdes finissaient par prévaloir. Le dictateur allemand refusait d'admettre que ses

idées étaient erronées ou irréalisables. Il était intimement persuadé qu'on pouvait

compenser n'importe quelle insuffisance matérielle par un simple exercice de volonté.

Victime de ses propres mythes de propagande, il était par ailleurs convaincu de

l'infériorité congénitale des Slaves et de la défaite inéluctable du bolchevisme.

Finalement, l'indécision et l'inconstance de cet homme impatient dans la sélection des

objectifs, ses directives et ses suppléments incessants, ses ordres et ses contre-ordres sur

74 Gert BUCHHEIT, op. cit., page 301. 75 Claude BERTIN, Le conflit germano-russe (tome 1), page 140. 76 Rolf-Dieter MÜLLER et Gerd R. UEBERSCHÂR, op. cit., page 93. En ce qui concerne la bataille de Moscou proprement dite, voir Albert SEATON, The Battlefor Moscow ainsi que Klaus REINHARDT, op. cit. et Janusz PIEKALKIEWICZ, Moscow, 1941. The Frozen Offensive.

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la direction à prendre généraient invariablement la confusion, la dispersion des forces et

l'épuisement des troupes dans des manœuvres désordonnées et inutiles.

Le rôle de l'idéologie

À ce stade de la discussion, nous saisissons aisément à quel point le projet de

conquête de l'Union soviétique élaboré par Hitler et ses généraux n'avait que peu de

chances de réussir. Néanmois, il est probable que l'Allemagne aurait pu abattre l'Union

soviétique si elle avait retenu les enseignements de Clausewitz -lequel affirmait en

substance que la Russie ne pouvait être conquise que de l'intérieur. En effet, la croisade

antibolchevique de l'Allemagne nazie aurait pu facilement se parer des apparences d'une

campagne de libération. Habituées à ne tenir aucun compte de la propagande soviétique

et durement éprouvées par le régime stalinien, les populations des républiques

frontalières de l'Union soviétique accueillirent les Allemands en libérateurs aux premiers

jours de la guerre.77 Afin de faciliter leur entreprise militaire, les Allemands auraient dû

encourager ces populations à embrasser une campagne de « libération» du joug

bolchevique. Quelques mesures faciles à appliquer auraient sans doute suffi à gagner leur

appui : suppression des kolkhozes, rétablissement des libertés religieuses, délégation de

pouvoirs restreints aux autorités locales, encouragement des mouvements nationaux ...

Or, les envahisseurs agirent au contraire de façon à s'aliéner la sympathie des

autochtones dans les territoires occupés et encouragèrent même, par leur brutalité, le

développement de la résistance armée.78 Convaincu de l'infériorité des peuples slaves et

désireux d'établir à l'est un puissant état colonial allemand, Hitler avait expressément

écarté toute possibilité d'une alliance tactique avec les populations de la Russie

occidentale, de l'Ukraine ou de la Biélorussie, choisissant plutôt de déclarer aux peuples

de l'Union soviétique «la plus monstrueuse guerre de conquête, d'asservissement et

77 Voir notamment Martin MALIA, op. cit., pages 367-368; John BARBER et Mark HARRISON, The Soviet Home Front, 1941-1945, page 113. 78 Voir John A. ARMSTRONG (éd.), Soviet Partisans in World War II; Leonid GRENKEVITCH, The Soviet Partisan Movement, 1941-1944; Alexander HILL, The War Behind the Eastern Front; Matthew COOPER, The Phantom War: The German Struggle against Soviet Partisans, 1941-1944.

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d'annihilation de l'histoire moderne ».79 L'administration des territoires occupés fut

confiée aux SS, qui se trouvèrent libres d'agir en dehors de l'autorité militaire et sous la

responsabilité directe de Himmler. De nombreux ouvrages ont également mis en lumière

le rôle joué par la Wehrmacht dans les exactions commises contre la population civile.8o

Les arrestations et les exécutions arbitraires, l'extermination systématique des Juifs81 et

des Communistes, la déportation des hommes pour le travail forcé en Allemagne, le

traitement inhumain des prisonniers82 ainsi que le pillage éhonté des ressources locales

eurent tôt fait de créer la quasi-unanimité des peuples soviétiques contre l'occupant

allemand -les pays baltes nouvellement annexés et culturellement plus près de

l'Allemagne faisant figure d'exception. C'est ainsi que les Nazis, obnubilés par leurs

théories racistes et leur fanatisme glacial, se privèrent de leur meilleure option sur la

victoire: un effondrement général de l'Union soviétique à partir de l'intérieur, grâce à la

subversion et à l'utilisation judicieuse d'une mythologie de libération. 83

79 Ernst NOLTE, Le fascisme dans son époque. Tome III : Le National-socialisme, page 24. 80 Voir entre autres Theo J. SCHULTE, The German Army and Nazi Policies in Occupied Russia; Omer BARTOV, The Eastern Front, 1941-1945. German Troops and the Barbarisation ofWarfare. 81 EHRENBOURG, Ilya et GROSSMAN, Vassili, Tchernaïa kniga; Wila ORBACH, "The Destruction of the Jews in the Nazi-Occupied Territories of the USSR", Soviet Jewish Affairs, vol. 2 (1976), pages 14 -51. 82 3 300000 prisonniers de guerre soviétiques moururent aux mains des Allemands, soit 58% du total. Par contraste, à peine 3,5% des prisonniers de guerre britanniques et américains périrent dans les camps nazis au cours de la Seconde Guerre mondiale (Source: Bernd WEGNER, «The Road to Defeat : The German Campaigns in Russia, 1941-1943 », Journal of Strategie Studies, 13 (1990), page 112. Ces chiffres sont également mentionnés par Omer Bartov dans op. cif., pages 107 et 153, ainsi que par Theo J. SCHULTE (op. cif., page 181). 83 L'étude la plus captivante et la plus exhaustive des politiques d'occupation allemandes en Union soviétique et de leurs conséquences désastreuses demeure sans doute celle d'Alexandre Dallin (German Rule in Russia, 1941-1945: A Study of Occupation Policies, New York, 1980). Timothy Patrick MULLIGAN, dans The Politics of Illusion and Empire (1988), s'est penché plus spécifiquement sur les années 1942 et 1943. Pour une étude plus récente, appuyée sur la divulgation de documents inédits, voir Horst BOOG et aL, op. cit.

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Conclusion

Il ressort de ce chapitre que la première raison pour laquelle l'Allemagne n'a pas

réussi à vaincre l'Union soviétique en 1941 est fort simple: la tâche excédait les

ressources à sa disposition. Le plan Barbarossa était un plan irréalisable, pour lequel les

réserves et la préparation de la Wehrmacht étaient inadéquates. Il était le fruit d'une

sous-estimation des forces politiques, économiques et militaires de l'URSS, ainsi que des

difficultés posées par la géographie et le climat de ce pays. Les erreurs stratégiques de

Hitler contribuèrent également à cet échec; on pense notamment à sa décision aberrante

consistant à déplacer le centre de gravité de l'offensive vers l'Ukraine à la fin du mois

d'août 1941, alors que l'armée allemande était sur le point de s'emparer de Moscou. Il

est presque certain, néanmoins, que la campagne se serait soldée par un échec, puisque

l'Allemagne ne disposait pas des ressources nécessaires pour abattre l'Union soviétique

de façon aussi rapide et décisive. Or, la supériorité écrasante des ressources humaines et

matérielles de l'URSS rendait sa victoire quasiment inéluctable si le conflit venait à

traîner en longueur.

Dans ces conditions, la seule chose qui aurait pu rendre possible une victoire

allemande aurait été un effondrement général du système soviétique. Pour provoquer un

tel effondrement, il aurait sans doute suffi aux Allemands de mobiliser en leur faveur

l 'hostilité des populations locales envers le pouvoir stalinien. Hitler, aveuglé par les

théories raciales qu'il avait lui-même conçues et encouragées, ordonna cependant

l'application d'une politique de terreur dans les territoires occupés. La nature même du

nazisme interdisait, en somme, toute forme d'alliance avec les Untermenschen slaves. En

conséquence, on pourrait soutenir que l'échec de l'Opération Barbarossa fut attribuable

en tout premier lieu au dogmatisme étroit et brutal de la doctrine 'nazie. À ce titre, il

s'agit non seulement de l'un des plus sérieux revers militaires de l'Allemagne hitlérienne,

mais aussi de la plus éminente démonstration de l'ineptie de son idéologie raciste.

Finalement, il paraît sensé de dire que l'échec de la Wehrmacht devant Moscou et

l'entrée en guerre des États-Unis quelques jours plus tard sonna bel et bien le glas des

prétentions allemandes à l'hégémonie européenne. En effet, l'Allemagne n'aurait pu

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gagner la Seconde Guerre mondiale qu'à la condition de vaincre l'Union soviétique avant

que le potentiel économique supérieur des Alliés ne commence à peser dans la balance.

Or, les généraux allemands ne parvinrent pas à remporter la victoire décisive dont ils

avaient besoin sur le front russe. Leur meilleur pari, dans les circonstances, fut donc de

préserver l'initiative stratégique dont ils disposaient aussi longtemps que possible. Cette

initiative, ils la perdirent en novembre 1942 avec l'encerclement de la Sixième Armée à

Stalingrad. Comme le souligne avec justesse la périodisation soviétique de la « Grande

Guerre Patriotique », les batailles de Moscou et Stalingrad marquent ainsi respectivement

le «tournant» (povorot) et le « revirement radical» (korennoï perelom) de la guerre.

Moscou rendit inéluctable la défaite ultime de l'Allemagne nazie; Stalingrad et Koursk

ouvrirent à l'Union soviétique la route de Berlin et firent de la patrie du socialisme la plus

grande puissance d'Europe.84

84 Voir notamment Earl F. ZIEMKE, Moscow to Stalingrad, pages 512 à 514.

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STALINGRAD ET KOURSK Le tournant radical de la guerre

En 1941, l'Opération Barbarossa s'était avérée un échec cuisant pour l'Allemagne

nazie. Bien qu'elles se fussent assuré la conquête d'une grande partie de la Russie

européenne, les forces de la Wehrmacht se trouvèrent en effet immobilisées en Union

soviétique et le haut commandement allemand devait maintenant affronter le spectre

d'une guerre sur deux fronts. L'Angleterre se révélait plus déterminée que jamais à

résister jusqu'à la mort, et la machine de guerre américaine s'était mise en branle. Hitler

s'était donc placé dans une situation difficile en laissant ses troupes s'enliser sur le front

russe. Aussi, il lui fallait à tout prix trouver un moyen de débloquer la situation sur ce

front au printemps de 1942.

C'est dans ce contexte que fut élaborée la seconde grande offensive allemande en

Union soviétique. Ignorant une fois de plus les conseils de ses officiers d'état-major,

Hitler décida d'oublier Moscou pour diriger l'effort principal de ses armées en direction

du Caucase. En détournant l'effort principal du centre névralgique de l'URSS (comme il

l'avait déjà fait en août 1941), il se privait en fait de sa dernière chance d'anéantir

rapidement la masse principale de l'Armée rouge -ce qui constituait pourtant l'objectif

avoué de l'armée allemande depuis le début de la guerre en URSS. Une fois de plus, la

stratégie de la Wehrmacht était révisée: elle consistait maintenant à couper l'Union

soviétique en deux, en mettant la main sur les terres céréalières du sud ainsi que sur le

pétrole du Caucase.

Selon Hitler, l'appropriation de ces champs pétrolifères était nécessaire à la

poursuite de l'effort de guerre allemand. Leur perte aurait de surcroît porté un coup très

dur à l'Union soviétique. La capture de Stalingrad, en contrepartie, ne constituait pas a

priori un objectif de premier plan. Ce n'est qu'au début de l'automne, lorsque les forces

allemandes se butèrent à une résistance acharnée aux abords de cette ville, que Hitler

conçut une véritable obsession pour sa conquête. Son entêtement insensé devait entraîner

le revirement complet de la situation stratégique sur le front russe.

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L'obsession de Hitler pour la conquête de Stalingrad n'avait que peu de

fondements rationnels, L'interruption du trafic fluvial sur la Volga revêtait certes une

importance considérable, puisqu'il signifiait le blocage d'une source d'approvision­

nement en pétrole essentielle à l'effort de guerre soviétique. Cependant, il n'y avait

aucune nécessité de couper la Volga précisément à Stalingrad. La couper plus au sud

aurait même présenté certains avantages stratégiques.85 La stricte logique militaire ne

pouvait toutefois s'imposer dans les circonstances. De fait, si la ville ne présentait pas

une importance stratégique majeure, l'épreuve de force avait une portée symbolique.

C'était un drame joué à la face du monde. Stalingrad portait le nom du maître de

l'URSS. Elle était par ailleurs intimement liée aux plus hauts faits d'armes de Staline

lors de la guerre civile, ainsi qu'à ses premières aspirations au pouvoir politique. Dans

l'esprit de Hitler, il fallait à tout prix abattre ce symbole.86

Prisonnier de ces considérations de prestige, le Führer s'entêta et fit de la capture

de Stalingrad l'objectif principal du Groupe d'Armées B.87 Staline releva ce défi en

ordonnant à l'Armée rouge de ne plus céder un pouce de terrain. Les enjeux respectifs

des belligérants, pourtant, n'étaient pas les mêmes. Staline avait peu à perdre et

beaucoup à gagner dans l'affrontement. L'Armée rouge disposait en effet de ressources

humaines quasi-illimitées, et la supériorité tactique des Allemands en terrain découvert

n'avait que peu d'incidence dans le combat urbain. La bataille de Stalingrad comportait

en outre l'avantage non négligeable d'immobiliser de grandes concentrations de troupes

allemandes.

Hitler, au contraire, n'avait strictement rien à gagner à Stalingrad en dehors d'une

victoire de prestige. Afin de s'assurer les décombres de cette ville dont l'importance

stratégique s'avérait somme toute négligeable, il accepta en fait de sacrifier l'initiative

stratégique dont il disposait jusqu'alors sur le front russe pour se battre selon les termes

fixés par son opposant. Il refusa obstinément d'autoriser l'abandon de Stalingrad, même

lorsqu'il devint évident que les troupes allemandes ne réussiraient pas à franchir la Volga

à cet endroit. Les troupes soviétiques en profitèrent pour encercler la ville et anéantir la

85 Voir notamment Albert SEATON, op. cit., page 269. 86 Alan BULLOCK, Hitler and Stalin : ParaUe! Lives, pages 772 à 778. 8? Le groupe d'Années A devait pour sa part s'emparer du Caucase. Cette division des forces allemandes se révéla, comme en 1941, une erreur cruciale du Führer allemand.

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Sixième Armée allemande. Cette défaite ne détruisit pas entièrement les capacités

offensives de la Wehrmacht, mais elle marqua sans aucun doute un tournant radical dans

le cours de la guerre. Après Stalingrad, l'Allemagne ne pouvait plus remporter la victoire

en Union soviétique. Elle ne devait plus lancer qu'une seule offensive majeure, à

Koursk. Ce n'était là cependant qu'un dernier sursaut. Vaincue une seconde fois et de

façon extrêmement décisive, la Wehrmacht, blessée à mort, se vit forcée de retraiter pas à

pas jusqu'à Berlin.

Ce chapitre se veut un résumé succinct des événements majeurs qui ponctuèrent

ce tournant radical de la guerre sur le front russe. Les batailles de Stalingrad et de

Koursk feront l'objet d'une attention particulière. Une lecture attentive des principaux

ouvrages de synthèse consacrés au conflit germano-soviétique devrait nous permettre de

dégager les lignes de force de ce revirement stratégique. Il est à souhaiter également

qu'une meilleure interprétation des événements sera rendue possible, grâce à l'apport de

sources récemment divulguées par les autorités russes, ainsi qu'au recul acquis par les

analystes contemporains vis-à-vis des distorsions générées autrefois par le climat néfaste

de la Guerre froide.

Stalingrad Le point de rupture

Alors que les forces allemandes progressaient à marches forcées en direction de

Stalingrad, un sentiment diffus se propagea dans les deux camps: les combats qui se

dérouleraient sous les murs de la ville seraient d'une importance capitale pour la suite de

la guerre. Il est difficile de dire par quelle propagande subtile cette idée avait été mise de

l'avant, mais les germes de la« légende de Stalingrad» étaient ainsi présents avant même

le début de la bataille. Le nom seul de la ville conférait au lieu une signification

symbolique qui n'échappait pas aux soldats des deux camps.

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Le 28 juillet, Staline fit publier son ordre 227, le célèbre « Plus un pas en arrière »

(ni chagou nazad). Les tennes détaillés de cet ordre ne furent révélés qu'en 1988.88 Ils

comprenaient, entre autres, une liste des châtiments prévus en cas de retraite devant

l'ennemi. La création d'unités pénàles y était également envisagée. Ces unités devaient

être fonnées de soldats et d'officiers trouvés coupàbles de lâcheté ou d'incompétence sur

le champ de bataille. Elles se verraient confier des missions particulièrement

dangereuses afin d' «expier leurs crimes dans le sang ». Dans chaque région d'année,

des détachements spéciaux du NKVD devaient par ailleurs être disposés derrière les

unités combattantes, avec ordre d'abattre tous ceux qui tenteraient de fuir la zone de

combat. Ces mesures contribuent sans aucun doute à expliquer l'opiniâtreté de la

résistance soviétique à Stalingrad. Un autre facteur détenninant fut l'application d'une

politique systématique de représailles contre les familles des officiers coupables de

désertion. De façon générale, la sévérité des mesures destinées à renforcer la discipline à

l'intérieur de l'Année rouge est suggérée par le fait que 13 500 soldats furent exécutés­

la plupart pour lâcheté- au cours de la bataille de Stalingrad. 89

L'avance des Allemands en direction de la ville fut si rapide que les Soviétiques

n'eurent pas le temps de la fortifier. Les assaillants, cependant, commirent une erreur de

taille en soumettant la cité à un bombardement aérien intensif avant de l'investir. Les

montagnes de débris provoquées par ces bombardements obstruèrent les rues bien plus

efficacement que n'auraient pu le faire des fortifications conventionnelles. L'utilisation

tactique des tanks s'en trouva grandement complexifiée. Les Allemands s'assurèrent

néanmoins le contrôle de la plus grande partie de la ville. Le ravitaillement et

l'acheminement des renforts soviétiques vers la rive occidentale de la Volga durent

bientôt s'effectuer sous le feu ennemi. Tandis qu'elle résistait désespérément pour ne pas

être jetée dans la Volga, l'Année rouge essuyait des pertes colossales.

Lors des premières phases de la bataille, la supériorité allemande en tanks et en

avions se révéla écrasante. La portée de cet avantage matériel se voyait cependant

limitée par certains facteurs décisifs. Tout d'abord, après avoir remarqué la difficulté des

Allemands à effectuer des bombardements de précision, le général Tchouïkov,

88 Voenno-Istoritcheski Journal, 8, 1988, pages 73 à 75; Alexandre SAMSONOV, Stalingradskaya Bitva (quatrième édition), Moscou, Naouka, 1989. 89 Anthony BEEVOR, Stalingrad, page 8.

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commandant en chef de la 62e Année soviétique, avait mis au point une tactique de

combat rapproché d'après laquelle l'ennemi devait être gardé à une distance n'excédant

jamais celle d'un jet de grenade. De cette façon, les lignes soviétiques se trouvaient

virtuellement immunisées contre les attaques aériennes. Cette tactique présentait par

ailleurs l'avantage de favoriser la défensive, ce qui entraînait de très lourdes pertes dans

les rangs allemands. Enfin, la présence de l'artillerie soviétique sur la rive orientale de la

Volga se révélait un atout de taille. Hors d'atteinte de l'aviation ennemie, celle-ci causait

des ravages dans les concentrations de troupes et les positions allemandes, généralement

plus exposées et moins bien camouflées que celles de l'Année rouge.

Le 27 septembre, les Allemands lancèrent leur première grande offensive contre

les quartiers industriels de Stalingrad. Au prix de lourdes pertes, ils réussirent à avancer

de plus de deux kilomètres en une seule journée. «Un jour de plus comme celui-là », .

écrit Tchouïkov, «et nous étions jetés dans la Volga ».90 Par la suite, le front se stabilisa

quelque peu; mais pour l'Année rouge, le mois d'octobre fut indéniablement le plus

difficile. Le 14 octobre, la ville fut presque perdue. Toujours selon Tchouïkov, ce fut le

jour le plus sanglant et le plus féroce de toute la bataille. Le long d'un front de cinq

kilomètres, les Allemands jetèrent dans la mêlée cinq divisions d'infanterie et deux

divisions blindées. 61 hommes du quartier-général de la 62e Année furent tués au cours

de cette seule journée. En deux jours à peine, certaines divisioI}.s perdirent les trois quarts

de leurs effectifs.91 Les Soviétiques se virent finalement contraints d'envoyer au front

des employés de soutien de l'armée qui n'avaient aucune expérience du combat:

cordonniers, tailleurs, palefreniers, magasiniers... Staline devait admettre, un an plus

tard, que ce mois d'octobre 1942 fut celui pendant lequel l'Union soviétique courut le

danger le plus mortel - plus encore que devant Moscou en 1941.

Les Allemands lancèrent leur dernière offensive majeure le Il novembre.

Avançant le long d'un front d'environ cinq kilomètres, cmq divisions d'infanterie,

appuyées par des fonnations blindées, tentèrent de jeter dans la Volga les derniers

défenseurs de Stalingrad enfoncés dans les falaises bordant le fleuve. Les Soviétiques

étaient cependant si bien entranchés dans leurs positions que les Allemands ne

90 Vassili TCHOUIKOV, Stalingrad: La bataille du siècle, page 180. 91 Alexander WERTH, op. cit., pages 465 et 558.

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progressèrent pas beaucoup. L'obstination de la résistance soviétique atteignit un degré

suicidaire. C'est ainsi que des 250 soldats qui con situaient le 118e Régiment de la Garde,

six hommes seulement survécurent aux combats de cette journée.92

Obsédé par la capture de Stalingrad, Hitler ne tolérait plus les OpInIOnS

divergentes de son entourage. Des décisions vitales étaient prises dans des moments

d'excitation, de rage ou de récrimination. Le Führer s'était arrogé peu à peu tous les

postes de commandement, dans le gouvernement comme dans l'armée. Ainsi, au

moment de la bataille de Stalingrad, il cumulait les fonctions de chef d'État, de

commandant en chef des forces armées, de commandant en chef de la campagne de

Russie, en plus de la direction du Groupe d'Armées A -alors que son quartier général de

Vinnitsa se trouvait à une distance de l 500 kilomètres de ce groupe d'armées. Le

principal problème pour la Wehrmacht, dans les circonstances, était que le Führer se

révélait un commandant parfaitement inepte et qu'il refusait d'écouter les avis de ses

lieutenants plus compétents. Peu à peu, il en vint à s'entourer d'incapables dont les

seules qualités notables étaient la docilité et une loyauté fanatique à sa personne. Si l'on

en croit le témoignage d'Albert Speer, Hitler n'acceptait les opinions d'autrui «que

lorsque celles-ci s'avéraient plus otimistes encore que les siennes ».93 Or, de telles

opinions étaient de plus en plus rarement le fruit d'une réflexion sensée.

L'obsession de Hitler pour la capture de Stalingrad et l'aveuglement volontaire

qui en découlait donna aux Soviétiques le temps dont ils avaient besoin pour élaborer les

plans d'une vaste contre-offensive. En fait, les lignes générales de cette contre-attaque

furent dessinées dès le début des combats sur la Volga. Vassilievski, Joukov et Voronov

formulèrent les bases de l'attaque, identifiée par le nom de code «Opération Uranus ».

Vatoutine et Rokossovski auraient également joué un rôle dans la planification de cette

offensive. L'attribution du mérite pour l'organisation d'Uranus demeure toutefois,

encore aujourd'hui, l'objet d'une vive controverse.94 Dans tous les cas, ce plan connut

une gestation d'une lenteur inhabituelle, contrastant fortement avec la désastreuse

impatience manifestée par Staline au cours des premiers mois de la guerre. Cette fois, sa

volonté d'assurer sa revanche l'avait conduit à se maîtriser.

92 Ibid., page 469. 93 Speer Interrogation Reports, F.D.C. 1, Rapport 19. Cité par Albert SEATON dans op. cit., page 301. 94 David M. GLANTZ, When Titans Clashed, page 130.

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Le plan de l'Opération Uranus prévoyait un encerclement de la Sixième Armée

allemande au moyen de deux pénétrations de blindés. La première colonne frapperait à

partir du nord, dans la région de Tletskaya, pour enfoncer les lignes allemandes en

direction du sud-est; la seconde frapperait au sud de Stalingrad, près de Tsatsa, pour

foncer en direction du nord-ouest. Les deux tenailles de cette gigantesque pince devaient

se rencontrer sur le Don, dans les environs de Kalach. Le choix des secteurs où les

attaques devaient avoir lieu n'avait pas été fortuit. Ces secteurs étaient en effet défendus

par des armées roumaines, dont les capacités combatives s'avéraient médiocres en

comparaison de celles des unités régulières de la Wehrmacht. Le moral au sein des

troupes roumaines se révélait particulièrement bas, comme l'indiquait le taux de désertion

anormalement élevé qui y sévissait.

De strictes mesures furent prises pour préserver le secret de l'offensive. Aux

premiers stades de sa préparation, les fronts ne reçurent aucune information relative à

l'attaque. En dehors du haut commandement à Moscou, aucune information ne fut

consignée par écrit, ni échangée par radio ou par téléphone. Tous les arrangements furent

pris oralement, lors des visites des généraux responsables de la mise en œuvre de

l'opération, qui effectuaient l'aller-retour entre Moscou et leurs fronts respectifs. Le

déplacement des troupes assemblées en vue de l'offensive se fit de nuit et les soldats

furent discrètement cantonnés dans les villages de la région de Stalingrad. L'obsession

du secret atteignit en fait un tel paroxysme que les soldats qui n'étaient pas directement

impliqués dans l'Opération Uranus ne furent informés de sa mise en œuvre que cinq jours

après son déclenchement.95

L'Armée rouge ne pouvait évidemment dissimuler entièrement la préparation de

cette gigantesque offensive. En ce sens, les commentateurs soviétiques se révèlent

quelque peu présomptueux lorsqu'ils affirment sans sourciller que l'attaque fut pour les

Allemands une « surprise totale ». Il semble plutôt que les commandants allemands aient

envisagé la possibilité d'une telle contre-attaque, mais qu'ils ne se soient pas attendus à

ce qu'elle puisse prendre une telle ampleur. Du point de vue allemand, ces forces

soviétiques sortaient littéralement de nul part -et elles étaient proprement terrifiantes: au

moment de l'offensive, les forcès de l'Armée rouge concentrées dans la région

95 Anthony BEEVOR, op. cil., page 387.

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totalisaient plus d'un million d'hommes, supportés par 13 500 pièces d'artillerie, plus

d'une centaine de batteries de lance-roquettes Katioucha, quatre corps blindés, trois corps

mécanisés et quatorze brigades de tanks, en plus d'un certain nombre de régiments

blindés indépendants. À cela s'ajoutaient encore 1 100 canons anti-aériens et 1 115

avions. Dans les secteurs d'attaque principaux, la supériorité soviétique était plus

écrasante que jamais auparavant au cours de la guerre: de l'ordre de 3: 1 en hommes et

de 4 : 1 en matériel. 96

La quasi-totalité de ces équipements avaient été produits par l'industrie soviétique

au cours des six derniers mois de 1942. La surprise des Allemands s'explique donc, en

partie du moins, par une sous-estimation des effets de l'impitoyable programme

d'évacuation des industries vers l'Oural et de militarisation de la main-d'oeuvre ouvrière

mis en œuvre par le gouvernement soviétique. Au cours de la première année de la

guerre, plus de 1 500 usines avaient été transférées des régions occidentales de l'URSS et

entièrement remontées à l'est de l'Oural.97 Pour se procurer la main-d'œuvre dont elles

avaient besoin, les autorités soviétiques n'avaient pas hésité à mobiliser des couches de

population entièrement nouvelles (femmes essentiellement, mais aussi vieillards et

adolescents), qu'elles traitaient avec la même indifférence et le même mépris de la vie

humaine que les soldats du front. Le matérialisme, comme le remarquerait un jour avec

amertume un vétéran du Goulag, semblait parfois signifier que «l'homme n'était qu'un

matériel comme un autre, qu'on pouvait utiliser et jeter après usage ».98

Les effets de ces mesures drastiques destinées à augmenter la production ne

tardèrent pas cependant à se faire sentir. À l'été de 1942, alors que l'Allemagne

produisait environ 500 chars par mois, le général Halder avait affirmé devant Hitler que

l'Union soviétique en fabriquait sans doute 1 200 dans un même laps de temps. Hitler

avait riposté avec colère que c'était tout simplement impossible. Pourtant, ce chiffre était

encore en-deçà de la réalité. En 1942, la production soviétique de chars était passée de

11 000 durant les six premiers mois de l'année à 13 600 au cours du deuxième semestre,

soit une moyenne de 2 200 unités par mois. La production d'avions était quant à elle

96 Voir notamment Andrew AITKEN, Stalin 's Secret Armies. 97 A. NIKITINE, « Peretsroika raboty promyshlennosty SSSR v pervom periode Velikoï Otetchestvennoï voïny», Voenno-lstoritcheski Journal, 2, février 1963. 98 Cité par Anthony BEEVOR dans op. cil., page 564.

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passée de 9 600 appareils durant le premier semestre à 15 800 au cours du second, soit

une moyenne de plus de 2 600 unités par mois.99 L'Union soviétique surclassait

totalement l'Allemagne nazie dans la production de matériel militaire.

L' encerèlementet la destruction de la Sixième Armée

D'après les nombreux témoignages -tant allemands que soviétiques-, l'Armée

rouge ne se vit opposer qu'une faible résistance dans les deux principaux secteurs de son

offensive à Stalingrad. Ici encore, la faute en incombe avant tout à Hitler. Trop

préoccupé de s'assurer la conquête des décombres de la ville, ce dernier avait en effet

négligé de renforcer les flancs de la Sixième Armée. Il avait poussé l'imprudence

jusqu'à ordonner le déploiement de troupes roumaines sur ses flancs, afin d'envoyer à

Stalingrad les unités allemandes qui tenaient jusque-là ces positions vitales. Compte-tenu

de la fiabilité éminemment douteuse des Roumains, il s'agissait d'un pari extrêmement

risqué. De fait, le commandement soviétique avait pris bonne note de la médiocrité de

ces troupes et frappa précisément dans les régions dont elles assuraient la défense.

Alors que l'Armée rouge enfonçait avec facilité les lignes roumaines, la panique

se propagea rapidement aux zones de l'arrière. Plusieurs officiers désertèrent et les

troupes se rendirent en masse, parfois sans faire le coup de feu. Les replis s'effectuaient

dans le désordre le plus complet. Les localités qui avaient été fortifiées par les

Allemands en prévision d'une éventuelle retraite ne furent pas mises à profit. Le 23

novembre, les deux colonnes soviétiques accomplirent finalement leur jonction près de

Sovietski, à environ 20 kilomètres au sud-est de Kalach. L'Armée rouge coupait ainsi

toutes les lignes de communication terrestres de la Sixième Armée. Il avait fallu moins

de quatre jours pour compléter l'encerclement.

Le commandement soviétique redoutait par-dessus tout une tentative de percée de

la Sixième Armée. Aucune tentative ne fut pourtant faite en ce sens et, paradoxalement,

de nombreuses unités allemandes se «réfugièrent» à Stalingrad au cours de l'opération

99 Nikolaï S. VOLGUINE, Ob istorii Velikoï Otetchestvennoï Voïny : novy vzgliad, page 27.

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d'encerclement. Ici encore, les erreurs personnelles de Hitler sont accablantes. C'est lui,

en effet, qui refusa d'accorder à Paulus la permission de tenter une percée. Cet ordre était

avant tout inspiré par des considérations d'ordre politique. Hitler, qui avait affirmé à de

multiples reprises son intention implacable de rester sur la Volga, refusa de perdre la face

publiquement en retirant ses troupes de Stalingrad. Comme le dit avec justesse

l'historien britannique Anthony Beevor, «le chef militaire se retrouvait prisonnier du

politicien démagogue ».100

À partir de ce moment, le sort de la Sixième Armée reposait sur la capacité de son

commandant à outrepasser l'autorité du Führer. Or, celui-ci n'eut pas le courage de

s'opposer aux ordres venus d'en haut. Le sort de la Sixième Armée fut ainsi

virtuelleme~t scellé. S'il existait encore un doute en ce sens, il fut définitivement dissipé

le 24 novembre, lorsque Goering promit à Hitler que la Luftwaffe serait en mesure de

ravitailler les troupes encerclées au moyen d'un pont aérien. Trop content de trouver là

une justification de sa politique insensée, Hitler s'accrocha immédiatement à cette

proposition totalement irréaliste. Le 26 novembre, cinq minutes avant minuit, le Führer

adressa un message solennel aux soldats de la Sixième Armée, dans lequel il les exhorta à

tenir ferme en attendant de nouveaux développements.

Le pont aérien de la Luftwaffe s'avéra dans les faits incapable de combler un

dixième des besoins de la Sixième Armée. lOl Les troupes allemandes encerclées se

trouvèrent rapidement à court de nourriture et de munitions. Mal vêtues, elles

commencèrent par ailleurs à souffrir atrocement du froid hivernal. Les hommes

devinrent faibles et apathiques. Pour subsister, ils en furent bientôt réduits à faire bouillir

leurs bottes de cuir et les os des chevaux morts. Personne n'avait plus la force de creuser

la terre gelée pour enterrer les cadavres qui durcissaient dans la neige.

Les troupes allemandes continuaient cependant à se battre vaillamment dans la

ville. À la fin de novembre, les positions soviétiques sur la rive occidentale de la Volga

furent même réduites à quelques têtes de pont, dont aucune n'avait plus de quelques

centaines de mètres de profondeur. Les neuf dixièmes de la ville étaient entre les mains

100 AnthonyBEEVOR, op. cit., page 293. 101 Joel S.A. HAYWARD, Stopped at Stalingrad: The Luftwaffe and Hitler's Defeat in the East, 1942-1943, chapitres 8 et 9.

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des Allemands, et à peine quelques milliers de soldats de l'Armée rouge continuaient à se

battre le dos à la Volga, entranchés dans les falaises bordant le fleuve. Ces quelques

mètres qui les séparaient d'une victoire symbolique, les Allemands ne réussirent

cependant jamais à les franchir.

Les troupes allemandes dans le «Chaudron» de Stalingrad résistèrent avec

courage. Cette assertion est confirmée par le nombre dérisoire de soldats faits prisonniers

par les Soviétiques lors de l'opération de liquidation de la Sixième Armée. L'opiniâtreté

de la résistance diminua toutefois sensiblement après l'échec de la tentative de Manstein

pour briser l'encerclement. 102 Pour les Allemands, il ne fit plus aucun doute dès lors que

la bataille était perdue. À la fin de janvier, l'Armée rouge put souligner le dixième

anniversaire de l'accession de Hitler au pouvoir en liquidant les dernières poches de

résistance allemande à Stalingrad. Les ruines et les caves furent méticuleusement

nettoyées à la grenade et au lance-flammes. Enfin, après un dur pilonnage de la Place

rouge, les officiers de l'état-major allemand sortirent du sous-sol du magasin Univermag

pour se constituer prisonniers et signer la reddition inconditionnelle de la Sixième Armée.

Ainsi se terminait ce que William Craig qualifie de «plus grand bain de sang

militaire de toute l'histoire des guerres ».103 Les chiffres ne pourront jamais être établis

avec précision, mais il est certain que plus d'un million de personnes perdirent la vie au

cours de cette bataille. Ce nombre comprend environ 500 000 victimes soviétiques et un

nombre presque aussi élevé de soldats allemands, en plus de 200 000 Roumains, 130 000

Italiens et 120 000 Hongrois. Les pertes soviétiques sont toutefois difficiles à établir

avec précision, puisqu'ils n'ont jamais été consignées par les autorités, probablement

soucieuses de dissimuler le coût exorbitant de cette victoire. S'appuyant sur des

documents récemment divulgués, Anthony Beevor estime cependant les pertes totales de

l'Armée rouge à Stalingrad à 1 100 000 hommes, dont 500 000 tués. 104

Les estimations des pertes allemandes varient également beaucoup d'un auteur à

l'autre. Une chose est claire cependant: il s'agissait à ce moment de la défaite militaire

la plus catastrophique jamais subie par l'Allemagne. La Sixième Armée avait été

102 Cette opération de secours plus ou moins bâclée fut lancée le 12 décembre. Après trois jours de combats, les forces blindées de Manstein furent arrêtées à 40 kilomètres de la ville, sans avoir pu enfoncer significativement les lignes soviétiques. 103 William CRAIG, Vaincre ou mourir à Stalingrad, page 15. 104 Anthony BEEVOR, op. cit., page 525.

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anéantie, de même que la 4e Armée de Panzers. Le nombre de soldats massacrés après

l'encerclement s'élève probablement à près de 200 000.105 L'Armée rouge revendiqua

également 91 000 prisonniers, dont 24 généraux et 2 500 officiers de rangs moins élevés.

De ce nombre, à peine 6 000 survécurent à la captivité en URSS. 106 Ces chiffres

demeurent toutefois, encore aujourd'hui, l'objet de vives controverses. I07

La fin tragique de la Sixième Armée a fait couler beaucoup d'encre et suscité de

nombreuses discussions passionnées, particulièrement en Allemagne. Il est toutefois un

élément de convergence dans les différentes appréciations de cette catastrophe: la

désignation de Hitler comme bouc émissaire. Lorsque vient le temps d'identifier un

coupable, presque tous les analystes s'entendent pour le pointer du doigt. Il est difficile

de ne pas partager ce point de vue. On peut en effet imaginer sans trop de peine un

développement moins désastreux de la situation si Paulus s'était vu accorder la

permission de retirer à temps ses vingt divisions empêtrées à Stalingrad. Par la suite,

lorsque ne subsista plus le moindre espoir de briser l'encerclement, Hitler décida qu'un

suicide collectif serait moins dommageable pour le moral de la nation allemande et son

image personnelle qu'une reddition. En conséquence, il ordonna une résistance

fanatique. Comme il le souligna à de multiples reprises, la Sixième Armée rendait ainsi

un service crucial au Groupe d'Armées A en immobilisant plusieurs centaines de milliers

de soldats soviétiques à Stalingrad (ce qui permit à ce groupe d'armées de se retirer du

Caucase sans trop de dommages); d'un autre côté, c'était un service rendu pour de

mauvaises raisons. Les véritables préoccupations de Hitler étaient d'ordre politique. Il

voulait sauver la face à tout prix, préserver une apparence de succès pour une campagne

dont il savait déjà qu'elle était un échec cuisant.

Goering partage avec Hitler la responsabilité du désastre, puisque ce sont ses

promesses irréalistes au sujet du ravitaillement des troupes encerclées qui confirmèrent le

dictateur dans sa folle résolution. Enfin, Paulus ne saurait être exempté de tout reproche,

puisque c'est son indécision et son incapacité à défier les ordres du Führer qui scellèrent

le sort de l'armée dont il avait le commandement. Dans son cas, le blâme est· d'autant

105 Edwin P. HOYT, 199 Days: The Battlefor Stalingrad, pages 347 à 349. 106 Earl F. ZIEMKE, op. cit., page SOL 107Rolf-Dieter MÜLLER et Gerd R. UEBERSCHÂR, op. cil., page 112.

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plus sévère qu'il ordonna à ses hommes une résistance suicidaire avant de se constituer

lui-même prisonnier. Le sacrifice ultime qu'il exigea de tant d'hommes, il n'eut donc pas

le courage et l'honneur de le faire lorsqu'il fut lui-même confronté à l'instant de vérité.

La dernière question d'intérêt ici consiste à déterminer si la Sixième Armée

disposait des ressources nécessaires pour briser l'encerclement si Paulus en avait donné

l'ordre à temps. Il s'agit d'une question difficile à trancher; mais le 23 novembre, au

moment de l'encerclement, la plupart des formations allemandes à l'intérieur du

« Chaudron» étaient encore relativement intactes, ce qui porte à croire que la Sixième

Armée aurait pu, au prix de l'abandon de la plus grande partie de son équipement, se

frayer un chemin vers l'ouest en profitant du fait que les lignes soviétiques n'avaient pas

été suffisamment consolidées. Certains auteurs, dont l'éminent spécialiste du conflit

germano-soviétique David M. Glantz, prétendent toutefois que la Sixième Armée ne

disposait pas des ressources nécessaires pour briser l'encerclement sans aide

extérieure. lOS La résolution de cette question historique demeurera donc à jamais un

point de conjectures. De toute façon, le sauvetage d'une partie de la Sixième Armée

n'aurait jamais qu'atténué les conséquences de ce désastre militaire.

Un tournant psychologique

La victoire soviétique de Stalingrad, aussi glorieuse fût-elle, ne se révéla

économique ni en temps, ni en effort. Comme en de nombreuses occasions au cours de

ces années tragiques, l'Armée rouge paya chèrement sa victoire. Il n'est pas douteux

cependant que la bataille marquait un tournant radical dans le cours de la guerre. Écrasés

depuis plus d'un an par le rouleau compresseur de la Wehrmacht, la plupart des soldats

de l'Armée rouge en étaient en effet venus à croire les Allemands invincibles.

Contrairement aux prétentions des historiens soviétiques, le taux de désertion au sein de

l'Armée rouge était très élevé au cours de ces années. Par centaines de milliers, les

soldats rejoignaient les lignes allemandes pour se constituer prisonniers. Plusieurs

108 David M. GLANTZ, When Titans Clashed, page 134.

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d'entre eux acceptèrent même de retourner leurs armes contre le régime soviétique. 109 À

Stalingrad seulement, le nombre de déserteurs combattant sous les drapeaux allemands a

été établi à 50 000. 110

La victoire de Stalingrad mit un terme définitif à cette désaffection morale

généralisée. L'aura d'invincibilité qui entourait la Wehrmacht fut définitivement dissipée

et les soldats de l'Armée rouge acquirent la conviction que l'Union soviétique

remporterait la victoire. Comme le déclara un officier blessé au cours de la bataille,

«après Stalingrad, plus un seul soldat n'avait le moindre doute quant à l'issue de la

guerre. »111 L'URSS avait remporté le combat pour sa survie et chacun sentait que la

guerre entrait maintenant dans une phase entièrement nouvelle.

Dans son ordre du jour du 23 février 1943, Staline qualifia la bataille de «plus

grande bataille dans l'histoire des guerres. »112 La presse soviétique en fit « le Cannes du

vingtième siècle », «le premier exemple dans l'histoire de la guerre d'un regroupement

aussi puissant, équipé de la plus récente technologie, encerclé et totalement liquidé ».

L'Opération Uranus avait «enrichi l'art militaire d'un exemple désormais classique

d'opération offensive moderne ».113 On soulignait « la sévère leçon d'histoire» infligée

par l'Armée rouge aux« aventuriers de l'état-major général allemand ».114

Bien que la propagande soviétique ait comme toujours versé dans l'hyperbole, la

victoire de Stalingrad se révélait effectivement déterminante pour la suite de la guerre. Il

s'agissait de l'aboutissement d'un bras de fer de dix-sept mois pour l'initiative

stratégique sur le front russe -une lutte féroce, dans laquelle des millions de vies avaient

été englouties. En comparaison, les Alliés anglo-américains avaient acheté leurs victoires

à moindre coût. Aux yeux des historiens soviétiques et russes, cette disproportion dans

les pertes humaines fait du front soviétique le « front principal et décisif» de la guerre.

109 Plus d'un million de citoyens soviétiques servirent dans l'année allemande durant la guerre (ce qui représente le plus important contingent étranger de la W ehnnacht, avant même ceux des alliés de l'Allemagne). À ce sujet, voir notamment Jürgen THORWALD, The Illusion: Soviet Soldiers in Hitler's Armies; Catherine ANDREYEV, Vlasov and the Russian Liberation Movement; George FISCHER, Soviet Opposition to Stalin; Wilfried STRIK-STRIKFELDT, Against Stalin and Hitler; Sven STEENBERG, Vlasov et Alexander DALLIN, op. cit., pages 533 à 659. 110 Anthony BEEVOR, op. cit., page 8. 111 Ibid., page 538. 112 Earl F. ZIEMKE, op. cit., page 503. 113 Ibid., page 511. 114 Anthony BEEVOR, op. cit., page 537.

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Selon cette même optique, la bataille de Stalingrad marque LE point tournant de la

Seconde Guerre mondiale, celui qui entraîne «le retour de l'Allemagne et de ses alliés à

une stratégie défensive dans tous les théâtres d'opération de la Guerre. »115

Il s'agit d'un point de discussion qui mérite d'être traité brièvement ici, puisqu'il

comporte une certaine part d'exagération. La bataille de Stalingrad représente sans doute

un jalon important sur la route de la victoire alliée. Ceci dit, il est erroné de prétendre,

comme l'ont fait plusieurs historiens soviétiques et russes depuis 1945, que les Alliés

anglo-américains ne se décidèrent à une réelle participation dans la guerre qu'après

Stalingrad, «lorsqu'il devint évident que l'Union soviétique était en position de libérer

les peuples de l'Europe du joug fasciste par ses propres moyens. »116 En vérité, cette

défaite était très sévère, mais pas suffisante pour sceller à elle seule le sort de

l'Allemagne nazie. À Stalingrad, les Allemands perdirent entre 300 000 et 500 000

hommes. À cela s'ajoutaient les pertes de leurs alliés roumains, hongrois et italiens. Il

s'agissait sans aucun doute de pertes considérables, mais les hommes et le matériel

pouvaient être remplacés et la position stratégique de l'Allemagne n'était pas

irrémédiablement compromise. En ce sens, Stalingrad ne constitue pas LE point tournant

de la Seconde Guerre mondiale, mais plutôt une victoire majeure, comparable à celles de

Moscou, de Guadalcanal ou de Tunis, mais certainement mois déterminante au plan

militaire que la bataille de Koursk. Au plan psychologique, toutefois, Stalingrad se

distingue des autres grandes défaites des forces de l'Axe. Il s'agit en effet de la première

défaite majeure de l'armée allemande, face à un ennemi perçu comme congénitalement,

militairement et technologiquement inférieur. Une armée entière y est anéantie dans des

conditions atroces; il s'agit, de surcroît, de l'une des armées les plus prestigieuses du

Reich. Pour la première fois de l'histoire, un Feldmarshal allemand a été contraint de

capituler. Toutes choses étant pesées, Stalingrad constitue donc bel et bien le tournant

psychologique de la Seconde Guerre mondiale. C'est d'ailleurs l'interprétation qu'en

font Albert Seaton et Alexander Werth, deux auteurs incontournables dont les positions

idéologiques, les perspectives et les conclusions sont généralement opposées.

115 Dimitri KOV ALEVSKI, Velikaya Otetchestvennaya VoÏna Sovetskogo Soyouza, pages 90 à 122. 116 Grigori A. DEBORINE, Itogi i ouroki VelikoÏ OtetchestvennoÏ Voiny, page 154.

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Ce changement radical dans le cours de la guerre n'échappa pas aux dirigeants de

l'Allemagne nazie. Ils ne pouvaient en effet se refuser longtemps à admettre que la perte

de la Sixième Armée représentait la pire défaite de l'histoire militaire allemande. Pour

ces idéologues' fanatisés, intimement persuadés de leur appartenance à la race des

seigneurs, il s'agissait en outre d'une calamité ahurissante. Hitler n'eut cependant aucun

mot de regret au sujet des immenses pertes humaines subies à Stalingrad. Il se résolut au

contraire à mettre encore plus de vies en jeu. «Nous allons terminer la guerre cette

année, confia-t-il à l'un de ses collaborateurs. J'ai donc décidé une gigantesque

mobilisation de tout le potentiel humain allemand. »117

Hitler et Goebbels s'employèrent du mieux qu'ils le purent à convertir le désastre

de Stalingrad en un engagement inconditionnel de la nation en faveur de la guerre totale.

Dans ce but, ils mobilisèrent toutes les stations de radio et les organes de presse du Reich.

Le 18 février, dans un discours d'une heure consacré au seul thème de la guerre totale,

Goebels décrivit la Wehrmacht comme le dernier rempart de la civilisation européenne

contre les «hordes asiatiques ». La bataille de Stalingrad, clama-t-il, avait été «le grand

tocsin de la destinée allemande ».118

Au même moment, des signes de défection commencèrent à se faire sentir au sein

de la coalition hitlérienne. Les gouvernements de la Finlande, de la Hongrie, de l'Italie et

de la Roumanie cherchaient une façon de sortir de la guerre sans trop de dommages. La

plupart d'entre eux établirent des contacts avec les Britanniques ou les Américains, dans

l'espoir d'échapper aux conséquences redoutables d'une occupation soviétique. Les

États qui hésitaient encore à entrer dans la guerre aux côtés de l'Allemagne, tels que la

Turquie, prirent également bonne note de l'évolution de la situation en faveur de l'URSS.

Après Stalingrad, la position internationale de l'Allemagne se trouva ainsi gravement

détériorée. Le vent diplomatique soufflait soudainement dans le dos des Alliés.

117 Anthony BEEVOR, op. cil., page 537. 118 Earl F. ZIEMKE, op. cit., Page 504.

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1942-1943 : le virage militaro-industriel

Une lecture appropriée du revirement radical de 1942-1943 sur le front russe

passe par l'examen de certains changements décisifs dans le mode de fonctionnement et

la puissance relative des armées en présence. De fait, si l'Allemagne disposait au début

de la guerre dë forces blindées et aériennes supérieures à celles de l'Armée rouge, les

figures de production allemandes tombèrent loin derrière celles de l'URSS au cours de

ces années-charnières du conflit. Pendant cette période, la production soviétique de

tanks, d'avions, d'armes légères et de pièces d'artillerie surpassa même très largement

celle de l'Allemagne. Les avions de combat soviétiques, bien qu'encore inférieurs à ceux

de la Luftwaffe, s'améliorèrent sensiblement. Les tanks KV et T-34, supérieurs aux

Mark III et Mark IV allemands, furent produits en plus grande quantité, à un point tel

qu'au début de 1943, l'Union soviétique produisait mensuellement cinq fois plus de tanks

que l 'AllemagneY 9 L'artillerie s'était également améliorée, en particulier avec

l'introduction du lance-roquettes «Katioucha », une arme au potentiel de destruction

formidable dont l'utilisation extensive contribua à la démoralisation des troupes

allemandes. Une autre amélioration significative fut la motorisation rapide de l'Armée

rouge grâce à l'apport des camions américains. Bien entendu, les historiens soviétiques

et russes se sont toujours montré réticents à admettre l'importance de cette

contribution. 120

Le développement le plus significatif au sein de l'Armée rouge en 1942-1943 fut

toutefois l'émergence d'un corps d'officiers compétent et largement affranchi des

ingérences politiques auxquelles le régime l'avait jusque-là soumis. Après deux années

de défaites quasi-ininterrompues, des planificateurs et des commandants talentueux

commençaient à éclore. Parmi ceux-ci, Joukov, Vassilievski et Rokossovski

s'affirmèrent peu à peu comme des stratèges hors pairs. Non contents de se révéler

119 Earl F. ZIEMKE, op. cit., page 515. 120 Au cours de la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis fournirent à l'Union soviétique pas moins de 3 700 avions, 6 400 tanks et 400000 camions de transport, en plus d'une somme de près de onze milliards de dollars américains. À ce sujet, voir notamment Kathleen BURK., « American Foreign Economic Policy and Lend-Lease", dans Anne LANE (éd.), The Rise and FaU of the Grand Alliance. En ce qui concerne l'aide britannique, voir Joan BEAUMONT, Comrades in Arms: British Aid to Russia, 1941-1945.

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d'habiles imitateurs des tactiques allemandes, ils commencèrent même à adapter les

méthodes du Blitzkrieg aux qualités particulières de l'Armée rouge. Le haut

commandement soviétique avait acquis la flexibilité qui lui faisait cruellement défaut lors

des premiers mois de la guerre et se trouvait maintenant en mesure d'élaborer des

offensives à grande échelle. Ainsi, aux échelons supérieurs à tout le moins, le corps

d'officiers soviétique n'avait plus rien à envier à celui de la Wehrmacht. 121

La relation entre Staline et les militaires avait également changé pour le mieux.

Peu à peu, une relation de confiance s'était établie entre le Vojd et les principaux

commandants de l'Armée rouge. Staline se résolut à créer une structure de

commandement centralisée et à faire de Joukov le commandant suprême des forces

armées. Il s'efforça de donner aux militaires des signes tangibles de sa confiance en

octroyant forçe grades et décorations. Les commissaires politiques et les agents du

NKVD furent écartés des postes de commandement et des états-major. L'état-major

général, sous la direction de Vassilievski, commença enfin à fonctionner efficacement,

affranchi de l'influence néfaste de Mekhlis et Koulik, qui y remplissaient les fonctions

détestables de policiers politiques lors des premiers mois de la guerre. 122

Le plus important, cependant, était que Staline acceptait maintenant de prêter

l'oreille aux conseils des professionnels. De plus en plus, des officiers supérieurs de

talent tels que Vassilievski, Rokossovski et Joukov purent faire entendre leur voix et

influer sur la conduite de la guerre. De ce fait, l'Armée rouge fut de plus en plus soumise

à l'autorité et à l'expertise des militaires. Ce qui est le plus remarquable et aussi le plus

caractéristique du régime stalinien, toutefois, fut l'aisance avec laquelle Staline réussit à

exploiter le professionnalisme des militaires sans abdiquer la plus petite parcelle de son

autorité vis-à-vis des forces armées. C'est ainsi qu'en termes de pouvoir réel, la distance

séparant Staline de Joukov demeura toujours aussi considérable que celle séparant le

commandant suprême des forces armées d'un simple soldat.

121 Albert SEATON, op. cit., page 501. 122 Mekhlis, «les yeux et les oreilles» de Staline au front, fut sans doute -et de très loin- la figure la plus haïe au sein de l'Année rouge (voir notamment 1. T. ZAMERTSEV, «Mekhlis » dans Seweryn BIALER, op. cit., pages 447 à 451). Vannikov, Voronov et Starinov, dans leurs mémoires, dressent également un portrait extrêmement peu flatteur de Koulik et de ses immersions indues dans les affaires militaires (ibid., pages 153 à 166).

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Koursk La destruction du potentiel militaire allemand

Après la défaite de Stalingrad, la Wehnnacht se vit forcée de reculer sur

l'ensemble du front. Les forces déployées au Caucase retraitèrent à vive allure pour

éviter de se faire barrer la route par l'Armée rouge. Afin de prévenir une détérioration

majeure de leurs positions, les Allemands lancèrent toutefois une offensive limitée dans

la région de Belgorod. Cette opération permit la reconquête de Kharkov et la destruction

de forces soviétiques importantes. Ce fut pour l'Armée rouge une défaite très sévère,

ainsi qu'une conclusion décevante à l'hiver glorieux de Stalingrad.123

Après cette offensive, une période de calme relatif s'établit sur l'ensemble du

front. Chacun des deux camps entreprit de rassembler ses énergies en prévision d'un

affrontement décisif. Par la victoire de Stalingrad, l'URSS avait gagné l'initiative

stratégique et son effort de guerre surpassait maintenant de beaucoup celui de

l'Allemagne. La question était de savoir si l'Armée rouge pourrait concrétiser ces

avantages stratégiques et industriels en remportant une victoire majeure sur le champ de

bataille. Il s'agissait également de savoir lequel des belligérants prendrait l'initiative de

déclencher l'épreuve de force pour laquelle chacun se préparait hâtivement.

Hitler et les officiers de son état-major se mirent d'accord sur la nécessité

d'adopter une stratégie défensive en URSS. Ce dont le Führer avait grandement besoin

toutefois, c'était d'une victoire spectaculaire -quelque chose qui pût être comparé à la

victoire soviétique de Stalingrad. Un gigantesque encerclement, avec des centaines de

milliers de prisonniers et des milliers de tonnes de matériel à la clé. Un triomphe

militaire qui capterait l'imagination du monde entier.

Le saillant de Koursk, enfoncé comme un coin entre Orel et Belgorod, semblait

l'endroit le plus approprié pour infliger à l'Armée rouge cette défaite sensationnelle. La

réputation militaire de l'Allemagne serait ainsi rétablie, en même temps que la foi

chancelante de ses alliés. Hitler espérait également s'assurer par ce moyen une meilleure

position sur le front russe avant que les Alliés occidentaux ne puissent monter une

123 Cette contre-attaque allemande fut admirablement dépeinte par von Manstein dans ses mémoires, traduites en anglais en 1994 sous le titre Lost Victories. Pour le point de vue soviétique, voir David M. GLANTZ, Kharkov 1942 : Anatomy of a Military Disaster Through Soviet Eyes.

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offensive d'envergure en Europe. Ce qui importait avant tout, dans cette optique, c'était

de priver temporairement l'Armée rouge de ses capacités offensives en détruisant de

grandes quantités d'hommes et de matériel. Un tel accomplissement pouvait sans doute

modifier temporairement la situation stratégique dans un sens favorable à l'Allemagne.

D'un autre côté, le coût d'un échec pouvait s'avérer énorme. Les armées prévues pour

l' «Opération Citadelle» représentaient en effet la totalité des réserves stratégiques

allemandes. Il s'agissait d'un capital humain et matériel irremplaçable. S'il était gaspillé

dans une entreprise infructueuse, l'Allemagne s'en trouverait dangereusement affaiblie.

En prévision de l'énorme opération qu'il comptait mettre sur pied, Hitler rappela

Guderian (qu'il avait sommairement congédié après la bataille de Moscou) et le nomma

inspecteur général des forces blindées. À ce titre, Guderian supervisa la mise au point et

la production industrielle de différents modèles de tanks ainsi que l'élaboration des

tactiques motorisées. De nouveaux modèles de chars furent développés, le Tigre et le

Panther. Ils se révélèrent supérieurs à tout ce dont l'Union soviétique disposait. La

production allemande augmenta également beaucoup au cours des premiers mois de

1943. Ce n'est toutefois qu'en juin que furent introduits les Ferdinand, qui étaient en fait

de puissantes pièces d'artillerie de 88 mm montées sur des chassis de Tigre. Il s'agissait

d'une arme médiocre en raison de son extrême lenteur, de sa tourelle fixe et de l'absence

de mitrailleuses qui la rendait impropre au combat rapproché. 124 En adoptant ce tank,

Hitler succombait une fois de plus à sa faiblesse pour les armes nouvelles. Contre l'avis

de ses conseillers, il décida par ailleurs d'impliquer dans l'Opération Citadelle tous les

tanks lourds qu'il pouvait rassembler, même si ceux-ci n'avaient pas subi tous les tests de

fiabilité. La plupart des nouveaux modèles qui sortaient des usines étaient ainsi envoyés

directement sur le front russe. Au bout de quelques mois, le Führer disposait cependant

de 50 divisions complètes et de plus de 2 500 tanks pour lancer son offensive.

Initialement prévue pour le mois de mai, l'attaque fut repoussée à de multiples

reprises. Les Soviétiques mirent à profit ce délai. Comme la production soviétique

surpassait de beaucoup celle de l'Allemagne, chaque semaine qui passait était en effet à

l'avantage de l'Armée rouge. Un nouveau modèle de chasseur, le Yak-9, fut mis au

point. L'artillerie fut entièrement motorisée. Le T-34, bien qu'inférieur aux nouveaux

124 Voir notamment Heinz GUDERIAN, Panzer Leader, page 299.

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modèles de tanks allemands, était toujours supérieur au seul tank lourd allemand produit

en grande quantité, le Panzer IV -et comme il l'a été mentionné précédemment, cinq fois

plus de chars sortaient mensuellement des usines soviétiques que de celles du Reich.

En somme, les Allemands auraient dû tout simplement annuler l'offensive. En

effet, si la Wehrmacht avait réussi à assembler 2 700 tanks et 1 800 avions en prévision

de l' attaque 125 , l'Armée rouge disposait pour sa part de plus de 3 000 tanks et 2 000

avions de combat. 126 À cela s'ajoutaient 20 000 pièces d'artillerie, 6 000 canons anti­

tank et 920 lance-roquettes «Katioucha ».127 La formidable concentration d'armements

dans le saillant de Koursk peut être appréciée par le fait qu'en moins de trois mois, 500

000 wagons remplis de toutes sortes d'équipements avaient été déchargés dans cette

région. 128 Plus grave encore, les Soviétiques connaissaient le plan de l'offensive dans ses

moindres détails. La preuve en est qu'ils avaient concentré les deux tiers de leur artillerie

et de leurs tanks, en plus de leurs meilleures unités d'infanterie, dans les secteurs prévus

pour les deux percées allemandes. 129 Selon la plupart des historiens occidentaux, le plan

de l'offensive aurait été révélé à Staline par les Britanniques, qui en avaient obtenu copie

grâce au décodage de la machine à chiffrer allemande Enigma. 130 Erickson, cependant,

soutient que l'URSS bénéficia également de la présence d'une taupe au quartier-général

de Hitler. Cette thèse semble confirmée par le fait que Staline fit parvenir un message

urgent aux trois principaux commandants de la région de Koursk au lendemain de la

conférence de bataille de Hitler. Dans ce message, le plan de l'offensive, tel que discuté

la veille par les Allemands, était révélé jusque dans ses moindres détails. 131

Joukov et Rokossovski firent le pari de la défensive. Leur objectif était d'user au

maximum la force de frappe des tanks allemands, avant de jeter des réserves fraîches

dans la mêlée et de passer à l'offensive sur un large front. La première ligne de

résistance avait entre trois et cinq kilomètres de profondeur et comportait autant de lignes

de tranchées fortifiées. Des lignes secondaires plus ou moins semblables avaient été

125 Mark REAL Y, Kursk, 1943 : The Tide Turns in the East, pages 19-20. 126 Edwin P. ROYT, Stalin 's War, page 162. 127 Mark REAL Y, op. cit., page 31. 128 Ibid. 129 David M. GLANTZ, The Battle of Kursk, page 103. 130 Voir entre autres Martin GILBERT, «Winston Churchill and the Soviet Union, 1939-1945 », dans John et Carol GARRARD, World War II and the Soviet People, page 247. 13l John ERICKSON, The Road to Berlin, page 97; Mark REAL Y, op. cil., page 27.

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aménagées à des profondeurs de dix et trente kilomètres. Derrière celles-ci, trois autres

lignes fortifiées constituaient la zone de défense du front. Chaque village, chaque colline

de la région avaient été fortifiés et plus de 40 000 mines disséminées dans les champs.

Le nombre moyen de mines soviétiques par kilomètre de front atteignait 3 200 au début

de la bataille. l32 Sur la recommandation de Rokossovski, le haut commandement

soviétique avait déployé ses principales réserves stratégiques immédiatement à l'est du

saillant de Koursk, d'où celles-ci pouvaient être jetées dans la bataille au moment

opportun pour repousser les troupes allemandes, sans risquer cependant de se voir

impliquées prématurément dans les combats pour le saillant proprement dit. Cette force,

placée sous le commandement du général Konev, comportait cinq armées d'infanterie,

une armée de tanks, une armée d'avions et six corps de réserve, dont deux blindés. 133 Les

forces soviétiques concentrées dans la région totalisaient plus de 1,5 million hommes,

contre seulement 435 000 pour les Allemands. 134

Contrairement aux années précédentes, le moral au sein de l'Armée rouge était

excellent. Les soldats étaient très bien entraînés. Bref, tout indiquait que les Allemands

seraient battus à plate couture. Les positions des Soviétiques semblaient solides. Ils

étaient mieux équipés et plus nombreux. Enfin, la nature du terrain se prêtait davantage à

la défensive et là où ce n'était pas le cas, de grandes quantités de mines avaient été

disséminées. Dans ces conditions, déclencher l'offensive constituait une grave erreur.

L'attaque fut néanmoins lancée au matin du 5 juillet. Dès les premiers jours de la

bataille, deux choses transparurent avec clarté: des forces sans précédent étaient

impliquées des deux côtés, et les Allemands subissaient des pertes colossales sans obtenir

grand chose en retour. De chaque côté du saillant, de véritables armadas de tanks étaient

projetées l'une contre l'autre, regroupées en escadrons de 100 ou 200 engins. Au plus

fort de la bataille, 3 000 tanks allemands et 4 000 tanks soviétiques furent impliqués dans

les opérations. 135 Les explosions simultanées de milliers de bombes et de projectiles de

tous calibres se fondaient en un rugissement ininterrompu. Il s'agissait d'un spectacle de

destruction sans précédent dans l'histoire de l'humanité.

132 David M. GLANTZ, When Titans Clashed, page 163. 133 MarkHEALY, op. cit., page 31. 134 David M. GLANTZ, When Titans Clashed, page 163. 135 Robin CROSS, Citadel : The Battle of Kursk, page 234.

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Les Allemands ne progressaient pas aussi rapidement qu'ils l'avaient escompté.

Les pertes dues aux mines étaient élevées, et les Soviétiques continuaient à augmenter la

densité des champs de mines au fur et à mesure de l'avancée allemande. L'infanterie, à

laquelle incombait la tâche pénible de nettoyer les villages et les forêts dans le sillage des

blindés, subissait de très lourdes pertes. Finalement, même en maintenant un ratio de

3 000 sorties par jour, la Luftwaffe n'arrivait pas à établir sa suprématie dans les airs. Il

s'agissait là d'une situation inédite. l36

Bref, il ne fallut qu'un temps très court pour réaliser que l'offensive s'avérerait un

échec complet. Les Allemands ne réussirent qu'à enfoncer légèrement les lignes

soviétiques et le 12 juillet, leur progression fut définitivement stoppée. Plus de 150

kilomètres séparaient encore les deux tenailles allemandes. C'est ce moment que

choisirent les Soviétiques pour lancer leurs réserves dans la bataille et contre-attaquer

dans la région d'Orel, juste au nord du saillant. Ils renversèrent la situation à leur

avantage et le 24 juillet, Staline pouvait ordonner la liquidation de l'offensive allemande

d'été et la recapture de tous les territoires conquis par la Wehrmacht depuis le début de

l'offensive. La victoire soviétique était sans équivoque. Les magnifiques préparations

défensives de l'Armée rouge, le travail exceptionnel des services de renseignement

soviétiques et la supériorité matérielle écrasante de l'URSS étaient à l'origine d'une

victoire militaire plus déterminante encore que celle de Stalingrad. Guderian lui-même

reconnut après la guerre que l'échec de l'Opération Citadelle s'était avéré une «défaite

décisive ».137 Au moins la moitié de toutes les forces blindées de l'Allemagne avaient été

détruites ou rendues inutilisables. Les pertes de la Wehrmacht furent établies à environ

70 000 hommes, 2 800 tanks, 195 canons d'assaut Ferdinand, 1 000 pièces d'artillerie,

1 400 avions et plus de 5 000 véhicules motorisés. l38

Les pertes de 1'Armée rouge dans le saillant étaient elles aussi très élevées. Elle

dilapida environ la moitié de ses forces blindées dans l'affrontement. Les pertes en

canons et en hommes s'avéraient également préoccupantes. Quoi qu'il en soit, il

s'agissait à n'en point douter d'une victoire retentissante. Malgré les lourdes pertes

encourues, l'Armée rouge était en mesure de lancer sa première offensive d'été sur un

136 Earl F. ZIEMKE, Stalingrad to Berlin, pages 135 et 136. 137 Cité par John ERICKSON dans op. cil. , page 112. 138Ibid.

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front très large, avec des réserves nettement supérieures à celles dont disposait la

Wehrmacht. Après Koursk, l'Union soviétique disposait de deux fois plus d'hommes,

trois fois plus d'avions et quatre fois plus de tanks que l' Allemagne. 139

Hitler avait voulu réaliser un coup d'éclat militaire et rétablir le prestige

international de l'Allemagne; son entreprise infructueuse confirma plutôt la victoire de

l'URSS. Koursk fut la dernière offensive allemande sur le front russe. À la fin du mois

d'août, les Soviétiques avaient d'ailleurs récupéré tous les territoires conquis par les

Allemands lors de l'Opération Citadelle et progressaient sur l'ensemble du front. En à

peine cinquante jours, 30 des meilleures unités allemandes avaient été détruites, dont

plusieurs divisions blindées. Les pertes de la Wehrmacht au oours de ces deux mois

s'élevaient à 500 000 hommes, 3 000 tanks, 3 000 pièces d'artillerie et 2000 avions. Ces

pertes ne pouvaient être compensées par la production allemande. Hitler se vit même

forcé de transférer en Russie 24 divisions du front occidental. L'Allemagne nazie se

retrouvait exsangue et à ce stade de la guerre, sa défaite n'était plus qu'une question de

temps. 140

La victoire de Koursk permit à l'URSS de prendre l'initiative dans un autre

domaine crucial: celui de la guerre psychologique. Après Koursk, les propagandistes

soviétiques détenaient en effet plusieurs avantages sur leurs homologues allemands. Ils

pouvaient exploiter aisément le souvenir de l'occupation nazie et la foi presque

douloureuse des peuples soviétiques en une amélioration de leur sort après le retour de

l'Armée rouge. Avec la certitude de la victoire, le taux de désertion au sein de l'armée

chuta dramatiquement, et les effectifs des mouvements partisans augmentèrent à un

rythme fulgurant. Finalement, la défaite de Koursk plaçait la propagande nazie dirigée

vers les militaires et les civils allemands dans une position très pénible. À moins de faire

preuve d'un fanatisme aveugle, les promesses de victoire avaient en effet perdu toute

crédibilité et le moral de la nation s'en ressentit fortement.

En plus de surclasser l'Allemagne en ressources humaines et matérielles et de

bénéficier de l'initiative stratégique sur le front russe, l'Union soviétique s'imposait ainsi

fermement dans le domaine-clé de la propagande. En termes militaires et politiques,

139 Earl F. ZIEMKE, Stalingrad to Berlin, pages 144 à 146. 140Waiter S. DUNN, Kursk : Hitler's Gambie, 1943, pages 354-355.

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Staline détenait indubitablement l'avantage sur le front dont il avait la charge. Cette

nouvelle donne améliorait grandement sa position, à la veille d'une série de conférences

tripartites où il serait appelé à négocier le sort du monde avec ses alliés anglo-américains.

Ainsi, en remportant la victoire de Koursk, l'Union soviétique avait non seulement gagné

la guerre, mais aussi préparé la table pour l'annexion des pays de l'Est.

Conclusion

Au cours des années 1942 et 1943, la situation militaire sur le front russe se

trouva profondément altérée en faveur de l'Union soviétique. Deux affrontements

décisifs ponctuèrent ce revirement stratégique: Stalingrad et Koursk. La question la plus

intéressante qui se pose ici est celle de l'importance relative de ces deux victoires. En

d'autres termes, laquelle de ces batailles se révéla la plus déterminante pour l'issue de la

guerre? Il s'agit là en fait d'une question-piège, puisque les deux batailles revêtirent une

importance également cruciale, mais de nature différente. Stalingrad marque un point de

rupture incontestable, un tournant psychologique dans l'évolution du conflit. À Koursk,

cependant, la perte de milliers de tanks et de centaine de milliers de fantassins anéantit le

potentiel militaire de l'Allemagne et la priva définitivement de l'initiative sur le front

russe. Ainsi, Stalingrad consacra l'échec de la seconde campagne de la Wehrmacht en

Russie, mais c'est Koursk qui sonna le glas de l'Allemagne nazie. La plupart des

historiens s'entendent d'ailleurs sur ce point: si Stalingrad fut le point tournant politico­

psychologique de la guerre, la bataille de Koursk en fut le tournant militaire. 141

Le véritable tournant, cependant, se situe dans une autre sphère: celle des

ressources humaines et matérielles. Les années 1942-1943 virent en effet le renverse­

ment des figures de production respectives des belligérants en faveur de l'Union soviéti­

que. Les usines de l'Oural atteignirent un rythme de production phénoménal et les

immenses ressources humaines de l'URSS furent pleinement mobilisées, ce qui fit de la

patrie du socialisme une puissance plus formidable que l'Allemagne hitlérienne. La

contribution des Alliés occidentaux se fit également sentir davantage à partir de 1943.

141 Voir notamment Alexander WERTH, op. cit., page 687; Edwin P. HOYT, Stalin 's War, page 169; Walter GOERLITZ, Paulus and Stalingrad, page 312.

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Ainsi, Stalingrad et Koursk ne furent que la concrétisation sur le champ de bataille d'une

profonde altération du rapport de forces économique sur le front russe. L'Armée rouge

bénéficiait en outre d'un avantage considérable sur la Wehrmacht: celui de se battre sur

un seul front et à proximité de ses bases d'approvisionnement. À Stalingrad et à Koursk,

elle mit à profit l'ensemble de ces avantages pour faire enfin l'expérience de la victoire.

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Yalta, le partage du monde et la satellisation des pays de l'Est

On a souvent écrit que les Alliés avaient procédé à un partage du monde à Yalta.

La plupart des historiens, toutefois, se sont accordés pour dire qu'il s'agit là d'une

affirmation injustifiée. De fait, tant dans leur esprit que dans leur lettre, les accords

signés à Yalta par les trois Grands rejettent expressément toute forme de partage selon le

schéma classique des « sphères d'influence ».

Il n'en demeure pas moins que trois ans après Yalta, l'Europe se trouve de facto

divisée en deux blocs irréconciliables. Comment expliquer ce développement fâcheux?

À vrai dire, il n'est besoin que de regarder une carte de l'Europe en 1945 pour préjuger

de la suite des événements. Partout où un soldat soviétique a posé le pied - à l'exception

notable de l'Autriche-, une Démocratie populaire est appelée à naître. C'est donc dire

que l'engagement solennel qu'a pris Staline à Yalta de faciliter l'établissement de

régimes démocratiques et authentiquement populaires dans les pays occupés par l'Armée

rouge n'a pas été respecté (et c'est probablement là, en définitive, l'aspect le plus cynique

et le plus troublant de l'appellation «Démocratie populaire »).

D'un point de vue géopolitique, on doit cependant reconnaître qu'il s'agit d'une

victoire incontestable pour Staline, puisqu'il est parvenu à conserver les conquêtes qu'il a

faites au cours de la guerre. Il s'agit également d'un succès diplomatique, puisqu'il a

réussi, en concluant un marché de dupes avec ses alliés anglo-américains, à éviter une

guerre qui se serait avérée désastreuse pour l'Union soviétique, déjà durement éprouvée

par quatre années d'un conflit d'une ampleur inégalée.

Ce chapitre se veut une description sommaire des principaux mécanismes qui, de

Yalta jusqu'au coup de Prague de 1948, ont permis à Staline d'établir l'hégémonie

soviétique sur l'Europe orientale. Il s'articule en deux parties principales. Dans la

première, il sera question de la politique étrangère menée par Staline à la fin de la

Seconde Guerre mondiale et, plus particulièrement, de la conférence de Yalta, qui en est

le point culminant et l'aboutissement. Dans un second temps, nous analyserons en détail

la façon dont furent établis en Europe de l'Est des régimes communistes obéissant au

doigt et à l'oeil aux diktats de Moscou.

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Staline, Yalta et le « partage du monde»

Conduite avec résolution, la politique étrangère mise en œuvre par Staline à la fin

de la Seconde Guerre mondiale comporte deux aspects complémentaires et bien définis.

D'une part, le premier souci du dictateur soviétique est d'assurer la protection de son État

contre toute agression future, de garantir à la patrie du socialisme la plus large sécurité

possible (le terme russe qu'on traduit ainsi, bezopasnost, signifie littéralement « absence

de danger »). Pour ce faire, la meilleure stratégie consiste à établir autour de la citadelle

soviétique un glacis protecteur, en faisant des pays est-européens occupés par l'Armée

rouge des États dont la politique étrangère s'alignera directement sur celle de Moscou.

Le second objectif de Staline, plus machiavélique, consiste à éliminer

définitivement la possibilité de surprises désagréables à l'intérieur de cette zone tampon

en procédant à la « soviétisation» des États qui la composent. À vrai dire, les deux

objectifs s'épaulent réciproquement et, aux yeux de Staline, la mise en œuvre du second

est la meilleure garantie de la réalisation du premier. Il est par ailleurs probable que la

perspective d'étendre le communisme soviétique à l'extérieur du foyer qui l'avait vu

naître en 1917 souriait intérieurement au Vojd.

C'est dans cet esprit qu'il faut se l'imaginer à Yalta: ses deux objectifs bien en

tête et résolu à mettre en œuvre tous les moyens nécessaires pour les atteindre. À l'issue

de la conférence, il peut s'estimer comblé. S'il a dû abandonner la Grèce, il a obtenu un

droit de regard exclusif sur tous les autres États de l'Europe orientale et balkanique, en

plus d'arracher une portion considérable de l'Allemagne. La table a été mise pour la

mise au pas et la vassalisation des pays occupés par l'Armée rouge. De ce point de vue,

Staline apparaît indubitablement comme le grand vainqueur de Yalta, puisqu'il a réussi à

contraindre ses alliés occidentaux à avaliser ses conquêtes.

Bien sûr, dans les textes des accord de Yalta, il n'est nul part question d'un

partage de l'Europe. Il n'en demeure pas moins que ces accords impliquent fatalement

un tel partage. Celui-ci commence avec le démembrement de l'Allemagne, que Staline a

réussi à faire inscrire en toutes lettres dans les termes de capitulation du Reich. Trois

zones d'occupation sont prévues, une pour chacun des trois Grands. Roosevelt et

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Churchill ont tenté, en vain, de faire admettre à Staline l'octroi d'une quatrième zone à la

France (ils devront finalement découper une zone française à même leurs propres zones

d'occupation).

Ainsi, il semble que les guerres majeures du vingtième siècle aient été destinées à

naître et à mourir en Allemagne. Ce fut le cas des deux guerres mondiales. Ce sera

maintenant celui de la Guerre froide. De fait, si on n'occupe pas en commun le territoire

allemand, si on le partage en deux vastes zones, l'une sous autorité soviétique, l'autre

sous contrôle occidental, la suite des événements paraît rétrospectivement inéluctable. Il

est clair, en effet, que Staline ne laissera aucune marge de manœuvre à «son»

Allemagne; il affrontera une nouvelle guerre plutôt que de la perdre, et de risquer ainsi la

résurgence d'une grande Allemagne, qu'il a toutes les raisons de craindre par-dessus tout.

Poussons plus loin encore ce raisonnement. Si Staline tient la portion orientale de

l'Allemagne, il ne pourra jamais lâcher, par exemple, le territoire polonais. La situation

géographique de la Pologne, entre Berlin et Moscou, interdit en effet de s'en remettre à la

fortune quant à son statut futur -ceci d'autant plus que tout gouvernement polonais issu

d'élections libres serait nécessairement hostile à l'Union soviétique. Ainsi, le

démembrement de l'Allemagne ne pouvait manquer de déboucher sur la satellisation de

la Pologne. En réponse à une harangue enflammée de Churchill sur le sujet, à Yalta,

Staline exprima clairement sa position: «Pour la Grande-Bretagne, la question de la

Pologne est avant une question d'honneur; pour l'Union soviétique, il s'agit d'une

question à la fois d'honneur et de sécurité. »142 Pour quiconque est familier des

euphémismes staliniens, le futur de l'État polonais ne fait d'ailleurs plus le moindre

doute, dès lors que le dictateur soviétique s'exclame: «Vous savez, à Varsovie, nous

accepterons tout, même quelques ministres amis des Anglo-Saxons, choisis sur une liste

que vous établirez; mais nous ne l'accepterons qu'aussi longtemps que le gouvernement

de Varsovie demeurera un gouvernement amical pour Moscou. »143

De la Pologne, on passe rapidement à la Tchécoslovaquie et à la Hongrie, puis à

l'ensemble des territoires occupés par l'Armée rouge. Dans l'esprit de Staline, en effet,

tous les États «libérés» par les troupes soviétiques sont nécessaires à l'établissement du

142 Alexander WERTH, op. cit., page 974. 143 Arthur CONTE, L'après-Yalta, page 96.

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cordon sanitaire qui protégera l'URSS des futures agressIOns du monde capitaliste.

Comme la plupart de ces États ne s'aligneront pas spontanément sur Moscou, il faudra les

y contraindre. À ce jeu, Staline est le maître incontesté et il dispose, en outre, des

instruments de terreur et de contrôle politique les plus efficaces qui soient.

Ce portrait du dictateur soviétique et de ses intentions peut paraître excessivement

tranché à certains. Somme toute, il faut admettre que l'on sait fort peu de choses au sujet

des pensées qui l'animaient au moment de la conférence de Yalta et du «partage du

monde ». Staline était un homme de peu de mots, prudent, excessivement discret quant à

la nature de ses intentions. Il faisait par ailleurs montre d'une extraordinaire propension à

faire exactement le contraire de ce qu'il disait. Comme le souligne avec justesse Jean

Elleinstein : « c'est cette dichotomie totale entre les paroles et les actes [ ... ] qui constitue

l'une des originalités de Staline. Il ne fut ni le premier ni le dernier sans doute à la

pratiquer, mais rarement fut-elle aussi profonde. »144

Il n'empêche que l'étude du personnage et des décisions jalonnant sa carrière

politique ne laisse planer aucun doute quant à son cynisme, sa brutalité et son appétit

immense du pouvoir. Il est presque impossible d'imaginer Staline envisageant

sérieusement de laisser les États d'Europe de l'Est occupés par l'Armée rouge décider

librement de leur sort. La seule considération susceptible de faire fléchir un homme de

cette trempe eût été la menace d'une guerre contre les Anglo-américains. Cette menace,

il l'a écartée à Yalta en concluant un marché de dupes avec ses alliés, en prenant de

vagues engagements au sujet de l'établissement de régimes démocratiques en Europe de

l'Est. Le grand drame des populations de cette région du monde fut que le président

Roosevelt, le seul homme capable d'exercer des pressions efficaces sur Staline grâce à la

formidable puissance américaine, fut profondément subjugué par le rusé potentat

géorgien.

De toute évidence, Roosevelt se faisait bien des illusions au sujet de Staline et du

régime terrifiant dont il était l'artisan et le maître. Pour le président américain, Staline

était Oncle Jo, un bon diable moustachu tirant pensivement sur sa pipe, empreint d'une

indéniable sagesse et éminemment raisonnable. Si la conception de la démocratie chérie

144 Jean ELLEINSTEIN, op. cit., page 520.

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par Oncle Jo s'avérait quelque peu différente de celle des Pères fondateurs, il n'en était

pas moins un brave homme avec lequel on pouvait s'entendre. En bon démocrate

américain, le président attachait une grande valeur à la parole donnée, aux engagements

solennels, aux conventions signées et ratifiées. Tout naturellement (et un peu

naïvement), il semble qu'il ait imputé les mêmes préoccupations éthiques à Staline, c'est­

à-dire à un homme qui, tout au long de sa carrière politique, s'était distingué par sa

propension inouïe à renier les engagements les plus sacrés et à renverser ses politiques en

fonction des impératifs du moment. 145

Comme seul rempart contre les ambitions staliniennes, Roosevelt avait fait inclure

dans les accords de Yalta une «Déclaration sur l'Europe libérée », dans laquelle les trois

Grands s'engageaient à «constituer des autorités gouvernementales provisoires

largement représentatives de tous les éléments démocratiques [des territoires occupés] et

qui s'engageront à établir, dès que possible, par libres élections, des gouvernements qui

soient l'expression de la volonté de ces peuples ».146

Roosevelt ne semblait pas réaliser que Staline ne comprenait que le langage de la

force. Les mots et les engagements signés n'avaient pour lui aucune valeur. Ils n'étaient

jamais plus que' des concessions tactiques. Ce qu'il retenait de la conférence de Yalta,

c'était que les Alliés lui avaient laissé un droit de regard exclusif sur les territoires

occupés par l'Armée rouge. Autrement dit, les puissances anglo-saxonnes s'étaient

inclinées devant la fortune des armes et, plutôt que de risquer un affrontement direct en

réclamant une participation active à la reconstruction politique est-européenne, s'en

étaient remis à ses bonnes intentions.

Pour l'homme d'acier, en somme, seuls les faits avaient force de loi. Et le fait

majeur, dans les circonstances, c'était que l'Armée rouge avait conquis une grande partie

du continent européen. C'était là le résultat à la fois de la défaite allemande et d'une

politique délibérée. En 1944, plutôt que de la lancer directement à l'assaut de Berlin,

Staline avait en effet décidé de détourner l'Armée rouge sur Budapest et sur Vienne, dans

le but évident de se constituer une énorme zone d'influence et de contrecarrer les projets

145 Le célèbre transfuge soviétique Andreï Vlassov confia un jour à l'un de ses collaborateurs: « On dit de Churchill qu'il est le plus grand antibolchevique d'Occident. Mais qu'y connait-il? Il en sait encore moins à propos de notre pays que Hitler lui-même. Quant à Roosevelt -il ne sait même pas ce qu'est le bolchevisme.» (Source: Jürgen THORWALD, op. cit., page 157) 146 François FEJTO, Histoire des démocraties populaires (tome 1), page 28.

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britanniques dans cette région de l'Europe}47 Dans le même but, Staline avait insisté à

Téhéran pour que le débarquement allié ait lieu en Normandie plutôt que dans les

Balkans, au grand dam de Churchill dont l'insistance avait poussé Roosevelt à confier à

son fils: «Vois-tu, l'ennui est que Churchill pense trop à l'après-guerre ».148 Ce que le

président américain ne semblait pas en mesure de comprendre, c'est que Staline y pensait

au moins autant que Churchill en s'assurant de «libérer» lui-même la plus grande partie

de l'Europe orientale et balkanique. 149

Ce dont les Soviétiques s'étaient assurés, entre 1943 et 1945, c'était de

l'occupation de pratiquement tous les territoires à l'est de l'Elbe par l'Armée rouge. Or,

du fait Armée rouge, on pouvait passer rapidement au fait accompli puisque dans les

territoires qu'elle occupait, aucune intervention des alliés occidentaux n'était admise.

Autrement dit, Yalta n'a pas été à l'origine d'un «partage du monde », mais a plutôt

consacré un partage déjà établi par la force des armes. C'est ce que veut dire Hélène

Carrère d'Encausse lorsqu'elle écrit (avec toutefois une pointe d'exagération

caractéristique): «L'histoire de Yalta n'est pas l'histoire d'un marché cynique passé

avec l'URSS, mais celle d'une négociation ardue pour convaincre un pays victorieux

d'arrêter sa marche en avant et de ne pas abuser de sa victoire. »150 La vérité, c'est que

les Alliés ont abandonné l'Europe de l'Est à Staline parce qu'ils auraient dû entrer en

guerre contre l'Union soviétique pour l'en déloger.

En somme, Yalta consacre le triomphe militaire et politique de Staline. Non

seulement conserve-t-il tous les pays d'Europe de l'Est occupés par l'Armée rouge, mais

il a maintenant l'assurance que la Grande-Bretagne et les États-Unis n'interviendront pas

dans sa zone d'influence. Les alliés occidentaux se sont inclinés devant le fait accompli,

et le marché de dupes qu'ils ont conclu avec Staline ne change rien au fait qu'ils se sont

écrasés devant son coup de force. 151

Après Yalta, Staline a donc acqUls la certitude que son premier objectif -

l'établissement d'un glacis de protection autour des frontières occidentales de l'Union

147 Stephen S. KAPLAN, Diplomacy of Power. Soviet Armed Forces as a Po/itical Instrument, page 65; Geoffrey A. HOSKlNG, op. cil., page 264. 148 Cité par Arthur CONTE dans op. cit., page 93. 149 Seweryn BIALER, op. cit., page 466. 150 Cité par Pierre BARRAL dans Il y a trente ans, la Guerre froide, page 13. i51 Herbert FEIS, Churchill, Roosevelt, Stalin. The War They Waged and the Peace They Sought, chapitres 54 à 56.

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soviétique- pourra être atteint sans difficulté. Plus encore, il s'est assuré des conditions

de réalisation de son second objectif. Pour la première fois, l'expérience communiste

sera portée hors des frontières de l'URSS. En un peu plus de quatre ans, tous les États de

la sphère d'influence soviétique deviendront des Démocraties populaires.

La seconde partie de ce chapitre s'attachera à analyser en détaille processus par

lequel ces régimes communistes, entièrement soumis à la volonté de Moscou, ont pu être

mis en place dans l'espace est-européen. Seuls les cas exceptionnels de la Yougoslavie et

de l'Albanie -où la libération s'est effectuée sans le concours de l'Armée rouge- seront

laissés de coté, de même que celui de la RDA, qui mériterait à lui seul une étude

approfondie étant donné sa spécificité. À l'issue de cette analyse, le lecteur devrait

cependant être en mesure de comprendre les mécanismes par lesquels la Pologne, la

Tchécoslovaquie, la Bulgarie, la Roumanie et la Hongrie ont été placées dans l'orbite de

Moscou et façonnées sur le modèle stalinien.

La naissance des Démocraties populaires

La prise du pouvoir par les partis communistes d'Europe de l'Est ne s'annonce

guère aisée en 1945. Dans cette partie de l'Europe, les communistes sont en effet très

minoritaires, et ce pour deux raisons principales. D'une part, l'économie de ces pays

s'avérant essentiellement rurale, il n'y a encore que peu d'industrie et le développement

d'un prolétariat urbain en est encore au stade embryonnaire. D'autre part, pendant

l'entre-deux-guerres, la plupart de ces pays ont été dominés par des régimes autoritaires,

pour lesquels le communisme représentait un mal qu'il fallait éradiquer à tout prix. Les

partis étaient interdits, leurs dirigeants traqués, jetés en prison ou exécutés. On

comprendra sans difficulté, dans ces circonstances, que les partis communistes est­

européens émergent de la guerre dans un état lamentable. Cette faiblesse est toutefois

compensée par la tutelle diplomatique et militaire exercée par l'Union soviétique sur cette

partie de l'Europe et, au premier chef, par la présente écrasante de l'Armée rouge et des

forces armées de la résistance antifasciste, fortement noyautées par les communistes.

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La faiblesse des partis communistes est néanmoins telle que la conquête du

pouvoir ne peut s'opérer qu'en plusieurs étapes. Staline ordonne donc à ses vassaux de

jouer dans un premier temps le jeu des gouvernements de coalition. Autrement dit, il

ordonne aux partis communistes d'Europe de l'Est de proposer à leurs partenaires de la

Résistance, aux partis socialistes, démocratiques, libéraux, voire aux partis conservateurs

de petits propriétaires et de paysans, de former des gouvernements de coalition sous une

appellation générale du type Front patriotique ou Front national. C'est d'ailleurs là, pour

la propagande soviétique, un excellent exemple de pratique démocratique orchestrée par

les communistes. Staline incite également ses protégés à modérer leurs exigences, en se

contentant d'un nombre restreint de ministères choisis avec discernement: Intérieur,

Police, Justice, Armée. La détention de ces ministères-clés permet aux communistes de

renouveler la composition des appareils militaire, policier et judiciaire dans un sens qui

leur est favorable, poursuivant ainsi avec zèle les épurations entreprises par l'Armée

rouge et le SMERCH.

Une fois cette épuration suffisamment avancée, Staline met en œuvre la seconde

partie de son plan en ordonnant aux partis communistes de proposer aux autres partis

socialistes l'unité organique, c'est-à-dire de mettre un terme à la division des forces

ouvrières en fusionnant au sein d'une formation politique unique, parti ouvrier ou

socialiste unifié. Les partenaires hésitent, mais les communistes ont les moyens de

précipiter leur décision. Ils exercent une pression de la base, prennent appui sur les

syndicats et les milices populaires qu'ils contrôlent et profitent du noyautage qu'ils ont

effectué au sein des autres partis de gauche. L'opération aboutit, fatalement, à

l'unification. En un temps très court, les communistes s'emparent des leviers de

commande du nouveau parti unifié, qui s'approche du pouvoir par étapes, en écartant un

à un ses opposants. Les adversaires conservateurs et libéraux sont diffamés, acculés à la

démission ou tout simplement bannis de la vie politique. On leur reproche le plus

souvent de ne pas avoir suffisamment résisté au fascisme ou à l'occupation allemande.

C'est la stratégie dite du « salami », consistant à «débiter jour après jour, tranche par

tranche, la réaction qui se dissimule dans les autres partis politiques ».152

152 Citation attribuée au communiste hongrois Matyas Rakosi par Jean François SOULET dans L'Empire stalinien. L'URSS et les pays de l'Est depuis 1945, page 31.

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Lorsque les communistes se sentent suffisamment forts, ils entament dans tous les

pays une véritable chasse aux sorcières. Leurs derniers adversaires sont victimes de

campagnes de salissage éhontées et de persécutions innombrables, sous l' œil bienveillant

des autorités policières et judiciaires passées depuis peu sous contrôle communiste.

Lorsque les attaques publiques et l'intimidation ne suffisent pas à écraser les partis

ennemis, on les noyaute pour les abattre de l'intérieur. Une telle manœuvre réussit

particulièrement bien en Bulgarie, où se développent des factions pro-soviétiques à

l'intérieur du Parti agrarien et du Parti social-démocrate. Soutenues par le Parti socialiste

unifié, qui s'emploie à discréditer les autres factions en les qualifiant de

« réactionnaires », ces factions pro-soviétiques acquièrent peu à peu une position

dominante dans leurs partis respectifs. 153 Grâce à la neutralisation progressive de leurs

opposants, les partis communistes est-européens s'assurent ainsi de la réalité du pouvoir.

Une fois le pouvoir conquis de facto par ses fidèles, il ne reste plus à Staline qu'à

donner à ses conquêtes l'un de ces sordides vernis de légitimité dont il a le secret, en

s'assurant que la prise du pouvoir par les communistes soit sanctionnée dans tous les pays

par un immense succès électoral. Partout en Europe de l'Est, les «partis frères» sont

donc mobilisés afin de remporter par tous les moyens nécessaires les consultations

populaires que Staline a promises aux alliés occidentaux à Yalta.

Selon le contexte et leur poids dans l'échiquier politique local, les méthodes des

partis communistes diffèrent légèrement. Néanmoins, elles demeurent grosso modo les

mêmes partout. Parmi les pratiques les moins agressives, la propagande électorale

occupe une place importante. Disposant le plus souvent de généreux subsides

soviétiques, les communistes bénéficient à ce chapitre d'un avantage considérable sur

leurs opposants. Grâce à la bienveillance des instances administratives qu'ils contrôlent,

ils ont également les moyens de saborder les campagnes de leurs adversaires par des

méthodes plus radicales (limitation du papier pour les journaux et les tracts, entraves aux

réunions, tracasseries policières et juridiques, etc.)

Partout, on veille à la modification de la législation électorale dans un sens

favorable aux communistes. En Bulgarie, les listes indépendantes de celles du Front

national ne sont pas autorisées. En Roumanie, la nouvelle loi électorale écarte tous les

153 Ibid., page 32 et suivantes.

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candidats ayant combattu sur le front soviétique aux côtés de l'Allemagne (soit la plupart

des candidats des partis «historiques »). En Pologne, toute candidature des socialistes

indépendants doit être cautionnée par les signatures d'au moins mille électeurs. 154

Parallèlement à ces pratiques déloyales, les activistes communistes s'efforcent

d'instaurer un climat de terreur et organisent des fraudes massives. Les résultats à eux

seuls en témoignent. Alors que les observateurs internationaux avaient prévu une victoire

des forces anticommunistes aux élections législatives roumaines de 1946, le bloc agrégé

autour du PC remporte 347 sièges, contre seulement 67 pour l'ensemble de ses rivaux.

Aux élections polonaises de janvier 1947, même type de résultat, étonnamment favorable

à la coalition socialiste contrôlée par les communistes qui, selon les prévisions, ne devait

pourtant pas recueillir plus du quart des suffrages. 155

Il n'empêche que la manœuvre de Staline a parfaitement réussi. Une fois ses

conquêtes légitimées par les «consultations populaires» qu'il a promises aux Anglo­

américains, les deux objectifs fondamentaux de la politique étrangère qu'il a poursuivie

avec résolution depuis 1944 ont été atteints. Dans un premier temps, ils s'est assuré de

l'établissement d'un glacis de protection le long des frontières occidentales de l'URSS -

glacis qu'il a . solidifié par une série de traités qui tisse un réseau reliant à Moscou la

Tchécoslovaquie (1943), la Yougoslavie et la Pologne (1945), la Roumanie, la Hongrie et

la Bulgarie (1948). Dans un second temps, le dictateur soviétique est parvenu à mettre en

place, dans chacun des États appartenant à cette sphère d'influence, des régimes

communistes obéissant au doigt et à l'œil aux diktats de Moscou. D'un point de vue

géopolitique, il s'agit d'un succès total et d'un chef-d'œuvre machiavélique, devant

lequel les Occidentaux n'ont d'autre choix que de s'incliner.

Staline, pourtant, ne s'arrête pas là. Pour assurer la pérennité du «cordon

sanitaire» dont il a entouré l'Union soviétique, il lui faut encore faire des États qui le

composent des répliques miniatures du modèle soviétique. Les impératifs de sécurité

sont ici renforcés par la perspective exaltante de porter l'expérience communiste hors des

frontières de l'URSS.

154 Henry BOGDAN, Histoire des pays de l'Est, pages 401 à 412. 155Ibid.

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Rapidement, les États satellites sont donc forcés de transformer leurs structures

politiques, économiques et militaires pour les calquer sur celles de l'URSS -avec un tel

zèle et une telle horreur dans le mimétisme que l'histoire n'avais jamais rien vu de

semblable. En effet, si dans l'histoire des empires les métropoles furent toujours offertes

en exemple aux colonies, il n'est guère de cas où, comme dans l'empire stalinien, on ait

tenté à ce point un véritable clonage. De la méridionale et primitive Albanie aux États

modernes qu'étaient la Tchécoslovaquie et l'Allemagne avant la guerre, un seul et même

système est mis en place, système régissant aussi bien les institutions et les pratiques

politiques que l'ensemble des activités économiques, sociales et culturelles. Ce système,

c'est celui de l'URSS stalinienne -un système qui a engendré des abominations rarement

égalées dans l'histoire. Ces abominations (terreur généralisée, culte de la personnalité,

Parti contrôlant tous les aspects de la vie sociale et privée, idéologie promue au rang de

vérité absolue, etc.) seront reproduites à une moindre échelle dans toutes les Démocraties

populaires. Pour Staline, qui impose cette uniformisation forcenée par la violence, cette

méthode de gouvernement est éprouvée et c'est là, du reste, le meilleur moyen de

s'assurer de la fidélité de ses vassaux. Une fois l'Europe de l'Est « soviétisée », rien ne

pourra plus l'extraire de la sphère d'influence soviétique et le «Petit Père des peuples »,

enfin, pourra s'estimer pleinement satisfait.

Conclusion

Au seuil de la mort, Staline devait trouver dans l'empire européen qu'il s'était

constitué la source d'une intense satisfaction. La politique étrangère qu'il avait

poursuivie avec ténacité depuis 1943 avait été couronnée de succès. L'Union soviétique

avait garanti la sécurité de ses marches occidentales et s'était, de surcroît, hissée au rang

de seconde puissance mondiale et de première puissance européenne. Le prestige qui

l'auréolait, en tant que porte-flambeau du communisme international et principal

fossoyeur du nazisme, était immense. Au vrai, le Vojd avait toutes les raisons de se

réjouir. Grâce au triomphe de ses armées et à l'habileté de sa politique étrangère, il avait

porté le communisme au cœur de l'Europe et fait de l'URSS une très grande puissance.

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Il ne pouvait se douter qu'un jour, son empire européen s'écroulerait comme un

château de cartes. Parions que lorsque la chose s'est produite, lorsque Mikhail

Gorbatchev a « échappé» cet empire conquis au prix de tant de sacrifices -y compris

celui de plus de vingt millions de vies humaines-, le «montagnard du Kremlin» s'est

retourné violemment dans sa tombe en maudissant le sort d'avoir doté l'URSS d'un chef

aussi maladroit. Il aurait sans doute été vain de lui expliquer que l'erreur de Gorbatchev

fut de croire qu'il était possible de redonner un visage humain à un système dont lui,

Staline, avait fait l'une des aberrations politiques les plus terrifiantes de l'histoire.

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Staline

Le bilan de la « Grande Guerre Patriotique» Staline, le décompte des pertes soviétiques et le rôle de l'Armée rouge dans la défaite des forces de l'Axe

Le rôle joué par Staline au cours de la «Grande Guerre Patriotique », plus

qu'aucun autre aspect de son règne despotique, lui conféra cette aura de divinité qui lui

pennit de dominer l'imagination de son peuple -peut-être davantage qu'aucun autre

dirigeant politique au XXe siècle. Le culte de la personnalité, limité jusqu'alors aux

cercles officiels, devint après 1945 un phénomène de masse authentique, qui persista

longtemps après la mort du Vojd.

Staline et son système avaient défendu avec succès la forteresse communiste et

hissé l'Union soviétique au rang de grande puissance. La question de la réussite du

système stalinien dans la guerre, cependant, se pose avec acuité, car l'Union soviétique a

commencé par perdre la guerre avant de se mettre à la gagner. De quelle façon -et dans

quelle mesure- Staline et le système qu'il avait façonné au cours de la décennie

précédente influèrent-ils sur le déroulement du conflit? Dans un pays où les victimes de

la Seconde Guerre mondiale se comptent par dizaines de millions, cette question a fait

l'objet, depuis 1945, d'un débat aussi passionné que déchirant.

La responsabilité de Staline dans la débâcle de 1941 a été établie de façon

convaincante. Il fut l'instigateur des purges sanglantes qui décimèrent le haut comman­

dement de l'Année rouge à la veille de la guerre. Le funeste poker du pacte Ribbentrop­

Molotov, ainsi que l'incapacité du dictateur à préparer l'Union soviétique à l'agression

allemande, en dépit des renseignements précis à sa disposition, sont également

accablants. Sa conduite des opérations au cours des dix-huit premiers mois de la guerre

fut pire encore. Même lorsque les troupes allemandes franchirent la frontière en masse, il

ordonna de ne pas riposter, croyant à une simple «provocation ». En conséquence, la

plus grande partie de l'aviation de combat soviétique fut détruite au sol dès le premier

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jour de la guerre. Au cours des mois suivants, Staline refusa d'accorder aux troupes

soviétiques la permission de se replier et leur intima de contre-attaquer à la moindre

opportunité. Étant donné la rapidité de l'avance allemande, il s'agissait d'une stratégie

parfaitement stupide, qui eut pour résultat direct l'encerclement et la capture de près de

quatre millions de soldats soviétiques au cours de la seule année 1941 -soit un nombre

supérieur à celui de la totalité des troupes allemandes déployées en Russie. 156 En 1941 et

1942, l'entêtement de Staline fut à l'origine de certains des plus grands désastres

militaires de l'histoire, particulièrement ceux de Kiev et de Viazma. Bref, si quelqu'un

doit porter le blâme pour les défaites catastrophiques subies par l'Armée rouge au cours

des dix-huit premiers mois de la guerre, c'est d'abord et avant tout le Vojd.

Cependant, si on peut légitimement lui jeter la pierre pour les défaites de 1941-

1942, on doit également, en toute justice, décerner à Staline une part importante du crédit

pour les victoires sensationnelles de 1943 et 1944 -dont certaines, selon Albert Seaton,

doivent être «classées parmi les plus extraordinaires victoires de l'histoire militaire

mondiale ».157 Staline apprit de ses erreurs et devint, à partir de 1943, un chef de guerre

extrêmement compétent. Il débarrassa l'Armée rouge de certains dinosaures incompé­

tents comme Boudienny et Voroshilov, ainsi que des impopulaires chiens de garde

politiques Mekhlis et Koulik, qui cédèrent le haut du pavé à de talentueux stratèges tels

que Joukov, Rokossovski et Vassilievski. L'institution néfaste des commisaires

politiques fut judicieusement supprimée à la fin de 1942. Staline lui-même en vint

progressivement à maîtriser certaines sphères complexes de la stratégie, de l'art

opérationnel et de la tactique.

À partir de 1943, il excella particulièrement dans le domaine de la grande

stratégie. Il conserva une vision extrêmement lucide des avantages politiques qu'il

pouvait retirer du conflit, et il sut ajuster la conduite des opérations militaires aux

impératifs de sa politique étrangère. 158 Il se révéla également très qualifié dans le

domaine de la tactique, de la mémorisation des détails et de l'expertise technique.

Plusieurs observateurs occidentaux furent d'ailleurs frappés par l'intelligence militaire de

156 Mikhaï1 HELLER et Alexandre NEKRITCH, Utopia in Power: The History of the Soviet Union from 1917 to the Present, chapitre 8. 157 Albert SEATON, Stalin as Warlord, page 271. 158 RAACK, Richard C., Stalin's Drive to the West, 1938-1945; MASTNY, Vojtech, Russia's Road to the Cold War. Diplomacy, Waifare and the Politics ofCommunism, 1941-1945.

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,Staline. Après l'avoir rencontré en octobre 1944, le Genéral Alanbrooke, l'un des plus

brillants commandants britanniques de la Seconde Guerre mondiale, revint «plus que

jamais impressionné par la compétence du dictateur» qui s'avérait, selon lui, «un esprit

militaire du plus haut calibre ».159 A verell Harriman, émissaire personnel de Roosevelt

en Union soviétique au cours de la guerre, fut lui aussi profondément impressionné par

«la grande intelligence [de Staline], sa fantastique compréhension des détails et sa

perspicacité ». Selon lui, le Vojd était en définitive « le plus efficace des chefs de guerre

alliés ».160

Il n'est guère de doute qu'à partir de 1943, Staline se révéla un commandant tout

à fait capable dans les domaines de la stratégie et de la tactique. Cependant, le génie

particulier du commandant militaire se situe essentiellement à un autre niveau, entre les

sphères élevées de la stratégie et la simplicité brute de la tactique. Cette zone mitoyenne

est celle du commandement opérationnel. Elle implique la planification et la direction

d'opérations de grandes échelles telles que les batailles et les campagnes militaires. Or,

les mémoires des généraux soviétiques indiquent clairement que Staline n'apporta aucune

contribution réelle dans ce secteur particulier de la conduite de la guerre. 161 Plus encore,

lorsqu'il s'impliqua directement dans les opérations militaires, il commit des erreurs

majeures qui menèrent à des catastrophes telles que celles de Kiev ou de Kharkov. Si les

opérations de l'Armée rouge se firent plus efficaces à partir de 1942-1943, c'est

essentiellement parce que Staline accepta d'en confier le planification et le

commandement à ses meilleurs généraux. Dans ce domaine, le principal atout du Vojd

fut son habileté à reconnaître les commandants les plus talentueux et à leur octroyer la

marge de manœuvre dont ils avaient besoin. Dans une très large mesure, l'amélioration

de Staline comme chef de guerre fut donc tributaire de la qualité croissante du groupe

d'officiers supérieurs qui l'entouraient et conduisaient en son nom les opérations de

l'Armée rouge.

La contribution personnelle de Staline s'avéra néanmoins déterminante dans un

domaine où il excellait plus que quiconque: celui de l'organisation. Bureaucrate zélé et

infatigable, Staline avait toujours trouvé sa plus grande satisfaction dans l'administration

159 Arthur BRYANT, Triumph in the West: The War Diaries of Field Marshal Alanbrooke, page 77. 160 William HARIMAN et Elie ABEL, Special Envoy to Churchill and Stalin, 1941-1946, pages 535-536. 161 Seweryn BIALER, op. cit.; Guéorgui JOUKOV, op. cit.; Konstantin ROKOSSOVSKI, Soldatski dolg.

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de l'immense bureaucratie militaire et civile de l'Union soviétique. Or, c'est précisément

cet aspect de l'effort de guerre qui scella le sort de l'Allemagne hitlérienne. Les

ressources humaines et matérielles de l'URSS se révélant largement supérieures à celles

de l'Allemagne, la gestion méthodique, patiente et efficace de ces ressources, bien

davantage que la direction brillante des opérations militaires, était en effet la clé de la

victoire.

La stratégie allemande sur le front russe était un véritable coup de dés, tablant tout

sur la possibilité d'une victoire rapide et décisive. Si les Soviétiques pouvaient résister

assez longtemps pour faire jouer le poids de leurs ressources supérieures, l'Allemagne

n'avait à toutes fins pratiques aucune chance de l'emporter. Une fois la campagne

allemande essoufflée et les industries soviétiques transférées à l'est de l'Oural -sans

doute l'accomplissement le plus extraordinaire du système stalinien au cours de la

guerrel62-la défaite de l'Allemagne n'était qu'une question de temps. C'est pourquoi en

évaluant la performance de Staline comme chef de guerre, le poids de son rôle en tant que

commandant militaire, paradoxalement, semble secondaire. C'est précisément dans la

sphère cruciale de la mobilisation optimale des ressources soviétiques qu'il put exercer

ses talents hors pairs d'administrateur et d'organisateur. C'est ce que veut dire Seweryn

Bialer lorsqu'il écrit: « Ce n'est pas un jugement moral mais un jugement des réalités du

pouvoir de dire qu'une fois que la guerre avait commencé, la centralisation de l'autorité

entre les mains de Staline servit à faire jouer progressivement le poids supérieur des

ressources humaines et matérielles soviétiques. »163 En définitive, l'administration

méthodique des ressources nationales par Staline et ses associés ainsi que le poids

écrasant des chiffres scellèrent l'issue de ce conflit.

162 Voir notamment A. M. BELIKOV, « Transfert de l'industrie soviétique vers l'est (juin 1941-1942) », Revue d'histoire de la Deuxième Guerre mondiale, 11 (1961), page 48; Holland HUNTER, « Successful Spatial Management» dans Susan J. LINZ, The Impact of World War II on the Soviet Union, pages 47 à 58; S.R. LIEBERMAN, « The Evacuation of Industry in the Soviet Union during World War II », Soviet Studies, 35 (1), 1983; M. 1. LIKHOMANOV et al., Partiïnoe roukovodstvo evakouatsieï v pervy period Velikoï Otetchestvennoï Voiny, 1941-1942 gg., Léningrad, 1985; A. NIKITINE, art. cit. 163 Seweryn BIALER, op. cit., page 44.

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Le coût de la victoire

La victoire soviétique fut achetée avec une quantité inimaginable de sang humain.

Encore aujourd'hui, on ignore le nombre exact des victimes de la Seconde Guerre

mondiale en Union soviétique. Pendant longtemps, Moscou a gardé ces chiffres secrets

et empêché toute recherche historique sérieuse. L'absence de recensement entre 1939 et

1959 a également compliqué le travail des historiens. Un consensus de plus en plus large

s'est toutefois établi au cours des dernières années autour d'une approximation terri­

fiante : 27 à 28 millions de victimes civiles et militaires -soit environ la moitié des pertes

subies par l'ensemble des pays belligérants au cours de la Seconde Guerre mondiale. 164

Environ 15% de la population soviétique aurait péri au cours de cette guerre, contre à

peine 0,9% pour la Grande-Bretagne et 0,3% pour les États-Unis. 165 Dans le seul siège

de Léningrad, les pertes civiles ont été estimées à un million de personnes -ce qui

dépasse largement les pertes combinées des États-Unis, de l'Angleterre ainsi que des

colonies et dominions britanniques pour toute la durée de la Seconde Guerre mondiale. 166

Quant aux ravages économiques subis par l'URSS au cours de la guerre, ils

surpassent aisément ceux de tous les autres pays participants mis ensemble. 167 Plus de

70 000 villages et 1 700 villes furent littéralement effacés de la surface du globe, en plus

de 32 000 usines et 64000 kilomètres de voie ferrée. Un tiers de la richesse soviétique

fut réduit à néant.168 Selon Susan J. Linz, le coût économique de la guerre fut supérieur à

la richesse totale générée par les campagnes d'industrialisation forcée des années 1930.169

Au sortir de la guerre, l'Union soviétique était, dans tous les sens du terme, un pays

saigné à blanc.

164 L. RYBAKOVSKI, « Dvatsat millionov ili bolche? », Polititcheskoe Obozrenie, no 10, 1989; B. V. SOKOLOV" « The Cost of War: Human Losses of the USSR and Germany, 1939-1945 », Journal of Slavic Military Studies, 9, 1996, pages 156 à 171; V. E. KOROL, « The Priee of Victory: Myths and Realities », Journal ofSlavic Military Studies, 9, 1996, pages 417 à 424. 165 V. T. ELISSEEV et S. N. MIKHALEV, « Tak skolko je lioudeï my poteriali v voïne? », Voenno­IstoritcheskiJournal, 6-7,1992, page 31. 166 Dimitri V. PAVLOV, Leningrad 1941: The Blockade, xiv. Sur le siège de Léningrad, voir aussi John BARBER, Life and Death in Besieged Leningrad, 1941-1944 ainsi que David M. GLANTZ, The Siege of Leningrad, 1941-1944: 900 Days ofTerror. 167 John BARBER et Mark HARRISON, The Soviet Home Front, 1941-1945, page 207. 168 Mikhai1 HELLER et Alexandre NEKRITCH, op. cil., pages 462-463. 169 Susan J. LINZ, op. cit., pages Il à 38; voir également James R. MILLAR et Susan J. LINZ, « The Cost ofWorId War II to the Soviet People », Journal afEconomic History, 38, 4, décembre 1978, p. 959 à 962.

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La part de l'URSS dans la victoire alliée

Les pertes colossales subies par l'Union soviétique au cours de la guerre

soulèvent la question légitime de l'importance du rôle joué par ce pays dans la défaite du

nazisme. Depuis i 945, et particulièrement au cours de la Guerre froide, ce rôle a été

constamment diminué en Occident, en même temps que la contribution des Anglo­

américains était exagérément magnifiée. Aussi récemment qu'en 1994, pour souligner le

cinquantième anniversaire du débarquement de Normandie, un célèbre magazine

américain arborait en couverture une photographie du général Eisenhower, qu'il

présentait sans sourciller comme « l'homme qui vainquit Hitler ».

Ce mythe tenace mérite d'être dénoncé -ne serait-ce que pour faire justice aux 27

millions de citoyens soviétiques qui payèrent de leur vie cette victoire historique contre le

nazisme. L'Union soviétique joua un rôle sans équivalent au cours de la Seconde Guerre

mondiale. Jusqu'au 6 juin 1944, 90% de la force de frappe de la Wehrmacht fut

concentrée sur le front russe. 170 Même après le débarquement de Normandie, les forces

allemandes déployées sur ce front excédèrent toujours largement celles qui étaient

déployées sur le front occidental. l71 Comme le dit avec justessse Alan Clark, «pour les

Allemands, « la guerre» signifiait la guerre à l'est. Les bombardements stratégiques, la

campagne sous-marine, le glamour du Afrika Corps, tout cela était secondaire lorsque

plus de deux millions de pères, de maris et de frères étaient engagés jour et nuit dans une

lutte à mort contre le Untermensch. »172

La bataille de El-Alamein -célébrée comme une victoire décisive par la presse

anglo-américaine- coûta à l'Allemagne 75 000 hommes, 500 tanks et 1 000 pièces

d'artillerie. La bataille de Stalingrad, dont l'issue fut scellée à-peu-près au même

moment, entraîna pour les forces de l'Axe des pertes en hommes et en matériel environ

dix fois supérieures. 173 Sur les 13,6 millions de soldats allemands blessés ou tués au

cours de la guerre, plus de 80% tombèrent sur le front russe. 174 Même en faisant

abstraction des pertes en hommes et en matériel, ce fut en Union soviétique que la

170 John BARBER et Mark HARRISON, op. cit., page 40. 171 David M. GLANTZ, When Titans Clashed, page 283. 172 Alan CLARK., Barbarossa: The Russian-German Conflict, page 192. 173 John BARBER et Mark HARRISON, op. cit., page 40. 174 John GARRARD, op. cit., page 2.

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Wehrmacht subit ses défaites stratégiques les plus détenninantes -particulièrement celles

de Moscou, de Stalingrad et de Koursk. Cette dernière bataille condamna l'Allemagne à

une défaite inéluctable et ce, près d'un an avant le débarquement allié du 6 juin 1944.

Il convient toutefois de ne pas trop diminuer le rôle joué par les Anglo-américains

dans l'effort de guerre allié. En plus de leur contribution dans le domaine des opérations

militaires proprement dites, les Alliés menèrent en effet une campagne de

bombardements stratégiques majeure contre l'Allemagne qui, particulièrement à partir de

1944, éloigna du front russe la plus grande partie des forces de la Luftwaffe et infligea

des dommages considérables à l'industrie allemande. D'autre part, l'importance de l'aide

matérielle fournie à l'URSS par les puissances anglo-saxonnes au cours de la guerre ne

saurait être sous-estimée.175 Les centaines de milliers de camions de transport de troupes

livrés à l'Union soviétique par les États-Unis procurèrent notamment à l'Année rouge

une mobilité cruciale, sans laquelle plusieurs offensives soviétiques -dont celle de

Stalingrad- se seraient rapidement essoufflées, pennettant aux forces allemandes

d'échapper à l'encerclement et à la destruction.176 Sans les véhicules, la nourriture, les

vêtements, les matières premières et les médicaments livrés par les Alliés aux tennes du

prêt-bail, l'Union soviétique aurait sans doute pu venir à bout de l'Allemagne, mais il lui

aurait fallu essuyer des pertes encore plus colossales et la destruction du nazisme aurait

nécessité au moins douze mois d'efforts supplémentaires. l77 Cependant, le résultat

ultime aurait probablement été le même -à ceci près: en s'assurant lui-même de la

« libération) du continent, Staline aurait pu tenter d'étendre le communisme· à

l'ensemble de l'Europe. Ce fut sans doute cette perspective troublante qui convainquit

les alliés de la nécessité d'organiser un débarquement massif en Nonnandie. Selon de

nombreux témoignages, l'ouverture tardive de ce deuxième front ne visait en effet pas

tant à précipiter la chute de l'Allemagne hitlérienne qu'à prévenir la soviétisation du

vieux continent.

175 Boris SOKOLOV, "The Role of Lend-Lease in Soviet Military Efforts, 1941-1945", Journal of Slavic Military Studies, 7, 3, 1994. 176 David M. GLANTZ, When Titans Clashed, page 285. 177 Dans ses mémoires Gamais publiées en URSS), Khrouchtchev reconnaît l'importance de la contribution économique des alliés à la victoire soviétique et condamne la distortion de la vérité effectuée par Staline sur ce point (Khrushchev Remembers, pages 224 à 226).

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Conclusion

Dans le cadre de ce mémoire, plusieurs aspects du conflit germano-soviétique ont

été discutés. Dans un premier temps, il a été démontré que les préparatifs du

gouvernement soviétique à l'aube de la guerre s'avérèrent totalement inadéquats et furent

à l'origine des désastres encourus par l'Armée rouge au cours des premiers mois du

conflit. Les purges de 1937-1938, combinées à une expansion trop rapide et à un

programme d'armement chaotique, firent de l'Armée rouge une force qualitativement

inférieure à la Wehrmacht. Le pacte Ribbentrop-Molotov se révéla également une erreur

monumentale, agravée par l'incrédulité de Staline vis-à-vis des irtformations relatives aux

préparatifs de l'agression allemande qui lui furent communiquées. Il a été démontré, par

ailleurs, que 'la stratégie offensive adoptée par l'Armée rouge à la veille du conflit s'était

révélée totalement inadaptée à la situation militaire créée par l'offensive allemande.

Les Allemands, toutefois, ne surent mettre à profit l'état de faiblesse de l'Armée

rouge. Le Plan Barbarossa s'avéra beaucoup trop ambitieux pour les capacités limitées

de la Wehrmacht. Il reposait sur une sous-estimation majeure du potentiel soviétique et

des difficultés particulières posées par la géographie et le climat de la Russie occidentale.

Hitler commit également des erreurs stratégiques de taille au cours de la campagne. Son

erreur la plus grave fut toutefois de balayer du revers de la main, au nom d'un racisme

fanatique et intransigeant, toute forme d'alliance avec les populations slaves de l'Union

soviétique dans sa lutte à mort contre le régime stalinien.

L'échec de l'Opération Barbarossa transforma le conflit germano-soviétique en

une guerre d'usure excessivement ruineuse pour les deux parties, mais que les

Soviétiques avaient toutes les chances de remporter étant donné la supériorité de leurs

ressources humaines et matérielles. En 1942-1943, cet avantage objectif se matérialisa

sur le champ de bataille avec les victoires de Stalingrad et de Koursk, qui consacrèrent le

revirement complet de la situation stratégique sur le front russe et sonnèrent, près d'un an

avant le débarquement de Normandie, le glas de l'Allemagne hitlérienne.

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Après Koursk, la Wehnnacht se vit forcée de reculer pas à pas jusqu'à Berlin, et

Staline put s'assurer au passage de la «libération» de l'Europe de l'Est par l'Année

rouge. Il légitima par la suite cette conquête militaire au moyen de la diplomatie,

contraignant les Alliés anglo-américains à s'incliner devant la fortune des annes. Après

Yalta, le «Petit Père des Peuples» avait la certitude que ses alliés d'hier

n'interviendraient pas à l'intérieur de la sphère d'influence qu'il s'était forgée, et il en

profita pour procéder à la satellisation et à la soviétisation des États qui la composaient.

Finalement, il a été démontré que le rôle de Staline dans la «Grande Guerre

Patriotique» fut à la fois positif et négatif. Si son apport s'avéra essentiellement négatif

au cours des dix-huit premiers mois du conflit, sa direction de l'effort de guerre

soviétique s'améliora considérablement par la suite, au point de devenir un facteur décisif

dans l'organisation de la victoire. Le coût de celle-ci se révéla néanmoins extrêmement

élevé. L'Union soviétique sacrifia, au cours de la Seconde Guerre mondiale, autant de

vies humaines que tous les autres pays belligérants mis ensemble. Ces pertes sans

équivalent nous ont amené à poser la question de l'importance du rôle joué par l'URSS

dans la victoire alliée. Devant la proportion élevée des pertes allemandes subies sur le

front russe, ainsi que l'importance stratégique cruciale des batailles de Moscou, de

Koursk et de Stalingrad, force nous a été d'admettre l'unicité de la contribution

soviétique à la défaite des forces de l'Axe.

L'issue de la Seconde Guerre mondiale fut décidée sur le front russe. Si nous

avons tant insisté sur ce point dans le cadre du présent travail, c'est avant tout pour

honorer la mémoire de ces dizaines de millions de citoyens soviétiques qui payèrent de

leur vie la destruction du nazisme. Pour la plupart, ces hommes et ces femmes ne se

distinguèrent pas particulièrement par leur bravoure ou leur noblesse de caractère. En

définitive, ce ne furent pas tant leurs qualités propres qui les rendirent dignes de mémoire

que leur participation involontaire au conflit anné le plus tragique et le plus sanglant de

l'histoire. Un sujet qui mérite encore aujourd'hui d'être discuté et que l'ouverture

progressive des archives soviétiques devrait nous pennettre, d'ici quelques années, de

comprendre moins imparfaitement.

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