le developpement continu de la tetractys

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La loi du gnomon. La géométrie pythagoricienne. Dualité et symétrie. La dyade indéfinie. La monadologie. La doctrine du moteur immobile

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    LA MATHEMATIQUE PYTHAGORICIENNE Volume 3

    Guillaume DENOM

    LE DEVELOPPEMENT CONTINU

    DE LA TETRACTYS

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    I. LA LOI DU GNOMON

    "L'ensemble des gnomons du carr, est gal l'ensemble des gnomons du triangle quilatral, est gal l'ensemble des nombres entiers Impairs."

    La loi du gnomon : G(c) = G(t.e) = I, expose, sur notre premier blog, dans les trois premiers articles de la deuxime section, est une loi importante de la mathmatique. Son anciennet, dans les termes o elle formule ici, est atteste par divers tmoignages, comme celui de Jean Philopon, selon qui les anciens appelaient "gnomons" les nombres impairs. Sil peut paratre tonnant qu'elle ne soit pas reconnue sa juste valeur, et plus encore que, sous sa forme rigoureuse, elle semble mme inconnue de la littrature mathmatique contemporaine, il y a en ralit cela des raisons prcises et pour ainsi dire naturelles.

    La loi du gnomon est une loi synthtique, dont les applications se rpartissent entre trois domaines de la mathmatique : arithmtique, gomtrie, logique. Pourtant, ce nest pas une loi gnrale, c'est--dire quelle ne surplombe pas ces diffrents domaines partir dune position extrieure et dominante, mais, bien au contraire, elle agit lintrieur de chacun deux dune manire spcifique.

    La mathmatique moderne n'est gure synthtique. Son geste le plus caractristique est la gnralisation, geste qui est bien diffrent de la synthse, et en quelque manire oppos; puisque, si la synthse est une action qui consiste abstraire les proprits intrinsques que diffrents objets dtiennent en commun, la gnralisation consiste, elle, partir

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    d'une forme d'objet particulire (telle que la fraction, le nombre dcimal, etc.), dfinir une extension de cette forme ou formule particulire l'ensemble du domaine dobjets dont elle dpend, par une action qui se qualifie elle-mme de "conventionnelle". Par exemple : tous les entiers peuvent tre considrs comme des nombres dcimaux ; ou encore : les entiers peuvent tre considrs comme des fractions.

    En rsum, si la synthse consiste en une connaissance sur des objets, la gnralisation, elle, consiste en l'exploitation intensive d'une forme d'objet, - forme tenue en dfinitive pour l'"objet" le plus essentiel, alors mme que, par sa nature, elle ne reprsente pour l'objet authentique dont elle est le moule ou la matrice - dans notre exemple : le nombre - qu'une possibilit de formulation parmi une indfinit d'autres.

    La gnralisation, lorsqu'elle est pratique, comme elle l'est dans la mathmatique moderne, de faon pour ainsi dire machinale, entrane une double tendance de l'esprit mathmatique, d'une part, considrer comme "premire", au sens de plus ontologique, la forme d'objet qui est la plus tard venue, ou la plus rcemment dfinie, telle que le nombre rel ou le nombre complexe, d'autre part, considrer qu'il nexiste pas de naturalit mathmatique, mais que la mathmatique est une faon de dfinir les choses qui est "conventionnelle" par essence, qui peut tre "librement choisie".

    Mais sans plus attendre, commenons par dtailler les trois premiers domaines dapplication de la loi du gnomon.

    1. En arithmtique, la structure du gnomon est la triple articulation, intgralement coordonne, du nombre impair (gnomon), du nombre entier (ct du polygone), et du nombre carr (polygone gnomonique).

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    Dans cette structure, on a, sur laxe horizontal, (ou plus gnralement, sur le ct du polygone), la srie indfinie des nombres entiers ordinaux (1, 2, 3, 4, ...) ; sur la diagonale (ou, pour le triangle, la mdiatrice verticale), la srie des impairs cardinaux (1, 3, 5, 7, ...) ; enfin, sur laxe des rsolutions, la srie des nombres carrs ordinaux : (1, 4, 9, 16,...) ; en prcisant que, dans la logique du gnomon, on dfinit comme cardinaux les nombres qui possdent une existence individuelle, en ce que chacun d'eux survit la suppression de tous les autres membres, infrieurs et suprieurs, de la srie laquelle ils appartiennent, et ordinaux, les nombres qui ne subsistent qu'au sein d'une chane, ou d'un ensemble, dont chaque lment est une partie constitutive de son successeur. La structure arithmtique du gnomon est donc une application biunivoque qui, chaque cardinal impair, associe une paire d'ordinaux, respectivement entier et carr : I (E, C), cette application permettant de reprsenter chaque objet gnomonique par un triplet de nombres. Si, par exemple, on assigne l'impair la position mdiane (par analogie avec la fonction qu'il exerce dans l'objet gomtrique, o l'axe de symtrie directeur de la structure, qui est celui de la progression des gnomons impairs, est dtermin par son angle d'origine, dont il est la bissectrice), et l'entier la position initiale, la srie indfinie des objets gnomoniques peut tre formule par une matrice (E, I, C), dont les premiers triplets sont : (1, 1, 1); (2, 3, 4); (3, 5, 9); (4, 7, 16); ... - ce systme de coordonnes tant, rappelons-le, consistant et complet aussi bien pour le triangle que pour le carr gnomonique. (1)

    2. En gomtrie, le polygone gnomonique de rang 2, triangle ou carr, est la formulation minimale (ce qui implique : quantifie) du principe gomtrique qui est recouvert par les notions modernes dendomorphisme et dautosimilarit; et qui est, en langage courant, la proprit d'un objet, d'tre constitu de parties semblables au tout qu'elles composent.

    polygones gnomoniques de rang 2

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    3. La thorie du gnomon est la plus fondamentale des thories mathmatiques contenant une application biunivoque des notions de nombre entier et de figure entire, et pour cette raison elle est l'interface la plus troite qui puisse exister entre arithmtique et gomtrie. Le gnomon est un objet mathmatique dans lequel arithmticit et gomtricit sont coproduits : car le gnomon est un nombre; le gnomon est le nombre de figures, que l'on doit ajouter une figure, pour la reconstituer. En tant quinterface la plus troite possible entre nombre et figure, entre arithmtique et gomtrie, le polygone gnomonique de rang 2, triangle ou carr, est le plus petit espace logique qui puisse exister : en prcisant l encore, que lon parle dun espace quantifi, permettant une construction quantifie de la logique, telle que la logique des tables de vrit.

    4. Cest seulement dans un quatrime temps, aprs avoir dtaill la liste de ses applications dans chacun des domaines de la mathmatique, que la loi du gnomon peut tre envisage synthtiquement, et que peut tre value sa place particulire dans lappareil de la mathmatique pythagoricienne. La thorie du gnomon permet de donner un sens prcis la notion de ttractys : "clture quatre", ou si lon prfre, "clture quaternaire"; cette clture correspondant la quantit d'espace ncessaire et suffisante pour que puisse se dployer la structure du gnomon, dans laquelle : graine + gnomon = 4.

    La ttractys et le gnomon se dduisent en effet l'un de l'autre de la faon la plus simple, en ce que les tages de la structure triangulaire de la ttractys correspondent, biunivoquement, aux distances qui s'tablissent entre les centres des blocs, au fur et mesure que se remplit le gnomon du carr. Autrement dit, la mme action qui, dans le gnomon du carr, se dveloppe sous forme ordinale, est rcapitule, dans la ttractys, sous forme cardinale.

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    Sous cette armature logique, la notion de ttractys devient une notion mathmatique utilisable, rendant possible une vritable mise en ordre des concepts mathmatiques pythagoriciens.

    La notion de clture est indispensable, en ralit, pour comprendre l'unit synthtique de ces diffrents concepts, et par suite, pour exposer de faon rigoureuse les applications contenues, sur notre premier blog, dans les trois premiers articles de la premire section, savoir : ttractys = base arithmtique (inclues dimensions dcimale et ngative) ; ttractys = dimensions de lespace et objets premiers de la gomtrie ; ttractys = accords musicaux = noyau du systme des mdits, (en deux applications).

    Par hypothse, un trait, ou une thorie, de mathmatique pythagoricienne, est un trait, ou une thorie, dont tous les axiomes sont dduits des proprits mathmatiques de la ttractys.

    La mathmatique pythagoricienne n'a a priori besoin d'aucune autre notion mathmatique que celles qu'elle produit elle-mme. Dans l'absolu, mme les signes utiliss devraient tre justifis par la ttractys. Les chiffres arabes pourraient tres remplacs par des ttractys points triangulaires, les oprations logiques par les logons binaires, etc. En pratique, c'est videmment difficile et un peu contre-productif, mais dans la vise qui est la sienne, la mathmatique pythagoricienne n'utilise pas de signes conventionnels , mais produit les signes dont elle a besoin.

    Ceci n'est qu'un horizon, mais qui peut servir de guide.

    Au dpart, la ttractys est une ide qui n'est pas dfinie, mais qui est montre, qui est prsente dans la pense. La mathmatique pythagoricienne ne fait que rpter indfiniment ce geste premier, ou plutt le prolonger, le poursuivre par un dveloppement continu.

    La mathmatique pythagoricienne est le dveloppement continu d'une structure constante qui est la ttractys, dont la fonction est de dplier successivement, application par application, toutes les parties de la mathmatique. Dans lidal, toutes les applications de la ttractys peuvent s'enchaner par un mouvement continu, entirement coordonn, au moyen d'un seul et unique oprateur topologique qui est le retroussement d'une structure : mouvement par lequel le dessous

  • passe au dessus, et le dedaqui est en relation avec des objets topologiques tels que le ruban ou la bouteille de Moebius. La questionprsentation crite de la mathmatique pythagoricienne n'est pas lforme prfrable. Une animation en 3D avec une voix off serait plus parlante, parce quelle permettrait d'avoir, au lieu d'images arrtes, unmouvement rellement continu o l'on ne perdrait jamais de vue la structure ponctiforme 10 points produite au

    (1) Cette "triangularit" arithmtique semble apparenterd'autres structures arithmtiques connues, telle que, par exemple, la clbre formule de Ramanujan associant les nombreshorizontal, la srie des impairs; sur l'axe vertical, la srie des entiers; et du ct de la

    rsolution, la racine carre, opration duale de l'opration "carr".

    Axe horizontal : srie des impairs (1, 3, 5, 7, )(1, 2, 3, 4, ...)

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    passe au dessus, et le dedans au dehors, par une pousse continuelle, et qui est en relation avec des objets topologiques tels que le ruban ou la

    La question est complexe, mais, dans l'idal, la prsentation crite de la mathmatique pythagoricienne n'est pas lforme prfrable. Une animation en 3D avec une voix off serait plus parlante, parce quelle permettrait d'avoir, au lieu d'images arrtes, un

    rellement continu o l'on ne perdrait jamais de vue la structure ponctiforme 10 points produite au dpart.

    Cette "triangularit" arithmtique semble apparenter la structure du gnomon d'autres structures arithmtiques connues, telle que, par exemple, la clbre formule de Ramanujan associant les nombres pi et e, dans laquelle on retrouve, horizontal, la srie des impairs; sur l'axe vertical, la srie des entiers; et du ct de la

    rsolution, la racine carre, opration duale de l'opration "carr".

    Ct rsolution

    : srie des impairs (1, 3, 5, 7, ) Axe vertical : srie des entiers

    ns au dehors, par une pousse continuelle, et qui est en relation avec des objets topologiques tels que le ruban ou la

    est complexe, mais, dans l'idal, la prsentation crite de la mathmatique pythagoricienne n'est pas la forme prfrable. Une animation en 3D avec une voix off serait plus parlante, parce quelle permettrait d'avoir, au lieu d'images arrtes, un

    rellement continu o l'on ne perdrait jamais de vue la

    la structure du gnomon d'autres structures arithmtiques connues, telle que, par exemple, la clbre formule

    dans laquelle on retrouve, sur l'axe horizontal, la srie des impairs; sur l'axe vertical, la srie des entiers; et du ct de la

    : la racine carre

    : srie des entiers :

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    II. LA CONSTRUCTION PYTHAGORICIENNE DE LA GEOMETRIE.

    En dehors de la thorie du gnomon, l'un des aspects les plus importants de la mathmatique pythagoricienne rside dans la faon de dfinir les dimensions et les objets premiers de la gomtrie, par une mthode qui est foncirement diffrente de celle d'Euclide, en ce qu'elle consiste associer de faon rigoureuse, chacune des dimensions ou des objets qu'elle dfinit, la quantification des oprations de pense correspondantes ces objets, comme ces dimensions. Le rfrent absolu n'est autre que le temps, mais pas n'importe quel temps, le temps des oprations mathmatiques; ici, l'opration : "poser un point dans une nouvelle dimension".

    1 2 3 4

    4 objets, 4 dimensions. Le mot "dimension" dsignant le fond indfini des conditions de possibilit propres chacun de ces objets, il est logiquement impossible, ici, de dnombrer moins de dimensions que d'objets. Objets et dimensions sont dtermins, produits les uns par les autres, dans une relation de rciprocit et de dpendance dont chaque ralit tire sa dfinition mme; sauf donner de ces ralits une dfinition ambige, mathmatiquement non pertinente, comme c'est le cas dans la reprsentation courante qui ne compte dans l'espace que trois dimensions, o l'on entend par "dimension" une ralit qui peut tre parcourue par un quelconque instrument de mesure, alors qu'il n'entre pas dans la nature d'une dimension de pouvoir obligatoirement l'tre.

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    Il est possible de ressaisir le principe de cette mthode dans un cadre pistmologique moderne et rigoureux, qui est la thorie de la forme logique de Granger. Dans le systme de Granger, la relation partir de laquelle est dfini tout contenu de science mathmatique, est prcisment la liaison entre une opration de pense, (pour nous, un mouvement de la ttractys, une application), et un objet de pense : l'objet mathmatique qui est dfini chaque nouvelle application. C'est exactement le sens qu'il faut attribuer la sentence pythagoricienne : "Une figure, un pas." A chaque objet dfini, correspond une opration de pense qui est quantifie et engramme de faon rigoureuse. Ainsi, dans la construction des objets gomtriques, les 4 objets premiers sont d'abord construits synthtiquement, comme dans l'illustration ci-dessus, en utilisant les dix points de la ttractys, puis analytiquement - construction 24 units-points -, au moyen cette fois des factorielles des quatre premiers nombres.

    1x1 2x1 3x2x1 4x3x2x1

    Granger appelle dualit cette corrlation, qui est une relation de cogense, de coengendrement, entre une opration mathmatique, et un objet mathmatique.

    Quant l'archtype de cette relation, sa formulation la plus gnrale, elle est rechercher, selon toute apparence, dans la dualit des solides rguliers, qui sera voque au chapitre suivant.

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    A nos yeux, il n'y a que dans la mathmatique pythagoricienne que cette mthode de dfinition conjointe des objets et des oprations mathmatiques - mthode dont la rquisition est contenue de faon implicite, pour Granger, dans la notion bien comprise de dualit, - s'avre applicable de faon immdiate, et gnralisable l'ensemble du domaine de la mathmatique; sans qu'il soit ncessaire pour cela d'ajouter une abondance de matriel nouveau aux axiomes lmentaires de l'arithmtique et de la gomtrie classiques.

    Pour le comprendre, il faut, en revanche, se poser la question de ce quest lacte premier, lacte fondateur de la mathmatique.

    Et pour claircir cette question, dont les racines sont historiques, il n'y a pas d'autre moyen que de revenir aux dfinitions qui ont t donnes, ds la plus haute antiquit, de l'objet le plus lmentaire de la mathmatique : le point.

    Dans cette perspective, comparons le dbut dEuclide avec le dbut de Pythagore.

    Le point euclidien

    Euclide :

    "Le point est ce qui n'a pas de partie".

    On veut dj donner une dfinition logique. On veut dfinir l'lment premier partir d'un lieu de la science qui est ultrieur lui, puisque c'est lui, le point, qui doit permettre de construire tout le reste. On est dj dans la conception des modernes, o tout doit tre produit partir de ce qui vient en dernier : la logique.

    Or la logique n'est que le vide dont la mathmatique est le plein; elle n'est que la forme dont la mathmatique est le contenu; elle est incapable de produire un contenu par ses ressources propres.

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    A l'vidence, la proposition d'Euclide constitue au mieux une dfinition logique du zro gomtrique, ou du bord topologique d'un objet. Ainsi, si l'on considre par exemple un segment, la proposition d'Euclide ne peut, en aucune faon, dsigner le premier point de ce segment, mais uniquement le "rien" qui est juste avant et ct, qui est au contact immdiat de sa "peau" si l'on peut dire; autrement dit la bulle de vide dont ce point s'est prcisment soustrait, en tant qu'unit.

    Dans la mesure o tout point peut tre dvelopp, par projection, dans une indfinit de directions de l'espace, il parat hautement risqu de soutenir, comme Euclide, que ces diffrentes possibilits qui sont toutes constitutives de sa nature, puissent ne pas correspondre diffrentes parties de ce point. De fait, la proposition d'Euclide conduit rapidement des consquences absurdes.

    Si, partir d'un point, on commence tracer, dans toutes les directions de l'espace, une srie indfinie de droites manant de lui, et si en cours de route, on retranche de ce processus ce point lui-mme, le "trou" form au sein du continuum adopte progressivement la structure d'une bulle ou d'un petit sphrode; toutefois le contour de ce sphrode ne saurait tre compltement dfini avant que l'ensemble des rayons manant du point aient t tracs, - ensemble qui se perd bien videmment dans l'indfini. D'ici l, la forme du sphrode ne sera donc qu'en partie dfinie. Or, comment une chose qui n'a pas de partie pourrait-elle tre en partie dfinie?

    Voila que nous avons nettement distingu, dans le point, au moins deux parties, une qui est dj dfinie, et une qui ne l'est pas encore; mais on comprend que, par induction, ce raisonnement nous contraint distinguer dans le point une indfinit de parties, dont chacune est individuellement bien dfinie par le bord intrieur de chacun des rayons aboutissant ce point. Le fait que ces diffrentes parties ne puissent tre distingues au sein du point lui-mme par un acte de discrimination spatiale, pour la raison qu'elles s'y trouvent toutes "replies", confondues et runies "au mme endroit", n'implique en aucune manire qu'elles n'existent pas.

    La formule d'Euclide : "ce qui n'a pas de partie" quivaut donc dire : "ce qui ne peut tre dvelopp dans aucune direction"; ce qui est toujours une dfinition du vide logique ou du zro gomtrique.

    Autrement dit, Euclide confond le point avec l'interstice logique purement virtuel, et rigoureusement nul, qui se situe topologiquement entre deux points.

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    Celui qui nonce : "Il existe un ensemble, appel zro, qui ne contient pas d'ensemble", ne fait l'vidence que rpter la proposition : "Le point est ce qui n'a pas de partie." Comme la proposition d'Euclide, la dfinition du zro qui, dans certaines versions de la thorie des ensembles, prsente cet "ensemble vide" comme l'ultime contenu de la mathmatique, sur lequel s'appuie la dfinition, ontologiquement ultrieure, de l'unit, (elle mme dfinie comme le premier ensemble qui contient zro), est sans consistance mathmatique. Sans mme tre fausse, elle ne peut, par sa nature, donner matire aucun contenu mathmatique digne de ce nom.

    Ces deux propositions qui, dans leur comprhension juste, dsignent respectivement le "zro" gomtrique et le "rien" arithmtique, (deux notions qui, en mathmatique pythagoricienne, concident elles-mmes dans celle du vide logique, qui en est la runion synthtique), ne sont pas consistantes mathmatiquement; parce que l'on n'a en rien russi produire l'lment premier de la mathmatique, lorsqu'on s'est content de dfinir l'une de ses conditions de possibilit, d'ailleurs particulire, en ce qu'elle ne concerne, dans chaque cas, que l'un de ses aspects.

    D'une faon plus gnrale, le point commun de nombreuses approches modernes de la mathmatique, qu'elles soient logicistes, ensemblistes ou axiomatisantes, aura t d'admettre comme "pari" ou comme "foi" scientifique originelle, le postulat que la mathmatique est une phrase, que son tre consiste dans une phrase, et que donc on peut le prsenter dans une phrase : une proposition logique; prsuppos qui tait dj manifestement celui d'Euclide. Or l'tre de la mathmatique ne peut pas consister dans une proposition logique, (comme il sera montr plus loin de faon vidente), parce que la mathmatique ne devient une proposition logique qu' partir d'un certain moment, quon qualifiera volontiers de moment opportun. Et il est impossible de dgager, de dfinir correctement ce moment opportun, si l'on na pas compt les diffrents mouvements qui ont d tre accomplis auparavant.

    Si lon compte lenvers, - la manie des modernes, - ou si l'on essaie d'engendrer les premires oprations partir des dernires, on chouera chaque fois; et lon parviendra toujours des conclusions du genre : "Ce sont les irrationnels qui engendrent les rationnels".

    Voil quelques unes des raisons qui peuvent expliquer que le moment logique, - le gnomon - soit rest jusquici inaccessible lintelligence des modernes.

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    Le point monadologique ou "arithmo-gomtrique" pythagoricien

    Dbut de Pythagore :

    Dix points sont prsents dans la pense :

    Pythagore est conscient que l'atome, l'lment premier de la mathmatique, ne peut tre dfini par rien de plus originaire que lui-mme, sans tomber dans d'insolubles paradoxes, mais quil peut seulement tre produit, montr, ou prsent dans la pense. Encore n'est-ce possible qu'en l'articulant sous la forme dune structure, dun champ. Ce n'est que de la considration des relations existant entre ces points, telles que symtries ou homothties, qu'une dfinition plus prcise de l'lment, ou de l'objet premier pourra se dgager; et celui-ci reoit alors un statut bivalent, la fois arithmtique et gomtrique, qui est celui d'"unit-position", ou "unit ayant position".

    De cette manire, on vite de construire la mathmatique, comme Euclide, partir d'une dfinition qui n'a pas de sens mathmatique. La force de la mathmatique pythagoricienne consiste toute entire dans cette sagesse, dans cette prudence du commencement. Mais aussi dans l'application rigoureuse, jusqu' l'chelle la plus lmentaire, de la rgle qui consiste dfinir les objets mathmatiques, partir des seules oprations de pense qui les engendrent. Une figure (un objet), un pas (une opration) : et lon quantifie.

    Un point de l'espace, un coup de temps.

    Une position du continuum, une unit arithmtique.

  • 14

    Une monade.

    *

    Au fondement de la pense pythagoricienne, il y a cette conviction que l'essentiel, en mathmatique, ne peut tre voqu que de manire allusive et mtaphorique, - que ce puisse tre en image ou en mots ne changeant, fondamentalement, pas grand chose au problme; - et cela, au moyen d'une balance trs prudente entre "ce qu'il nous importe profondment de montrer" et "ce qu'il est rellement possible de faire".

    La science, pour Pythagore, consiste dans un rapport rflchi entre le visible et l'invisible, entre le dicible et l'indicible, qui d'une part, lui impose d'intgrer dans ses mthodes, dans sa faon de faire, le problme des limites concrtes de la reprsentation, qu'elle puisse tre figurale, symbolique, ou langagire, et d'autre part, lui impose d'installer ou d'instituer, dans ses axiomes, ct de la dimension du dfini, (qui est la dimension de ce qui importe mathmatiquement, de ce qui est dj runi, recueilli et connu dans le "secret", la "certitude" ou la "foi" de l'intelligence, et sur lequel va s'appuyer avec une confiance aveugle tout le reste : "les points sont quidistants", "au nombre de dix", "distribus en symtrie hexagonale", "forment un triangle quilatral", etc.), la dimension de l'indfini, de l' peu prs et du vague; dimension que la mathmatique ne refuse ni ne refoule aucunement par principe, mais qu'elle assume au contraire rgulirement dans sa pratique quotidienne, et que la mathmatique pythagoricienne se contente de revendiquer de faon plus affirmative, sur un plan plus radical, qui est celui des principes fondamentaux.

    C'est dans l'assomption de cette limite absolue de la reprsentation que rside l'originalit de la ttractys. Sur le plan du langage logique, l'quivalent du point monadologique ou "arithmo-gomtrique" pythagoricien, ce point qui a comme proprits apparentes d'tre plat et assez gros, et comme proprit essentielle d'tre de dimension indfinie, n'est donc pas l'identit, (identit qui, en elle-mme, n'est videmment susceptible d'aucune reprsentation, puisque toute reprsentation, toute forme, suppose un processus de diffrenciation matrielle, qui est contradictoire avec l'identit) mais plutt une certaine image de l'identit, dj forcment diffracte. L'essentiel, ce qu'aucune image ne peut montrer, le langage logique ne peut lui-mme l'exprimer qu'allusivement, et de manire

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    alternative, (donc ncessairement contradictoire, puisque l'identit vritable est ce qui ne tolre, quant soi, aucune sorte d'"altrit"), au moyen des connecteurs "ni..., ni...", d'une part, et "et", d'autre part - ce dernier terme devant tre compris dans son sens synthtique d' la fois ou d'en mme temps, c'est dire en tant qu'il se rapporte un objet unique possdant deux proprits.

    Toute proposition logique qui tenterait de dfinir l'identit ne peut, par nature, qu'tre contradictoire ou inconsistante; et donc, ne peut pas tre au sens propre une proposition logique, mais, au mieux, une image ou une mtaphore. Le langage logique ne contient pas, en lui-mme, la possibilit d'une dfinition de l'identit sur laquelle s'appuie sa propre consistance, et dont il ne peut faire mieux que de produire, au commencement des choses, des exemples lmentaires diffrencis tels que "blanc" et "noir", "p" et "q", qui par la suite serviront de rfrence. Le langage logique possde seulement deux images, forcment paradoxales, non pas prcisment de l'identit, mais de deux diffrents mouvements vers l'identit, mouvements dont l'un est ouvrant ou centrifuge, le connecteur "ni..., ni..." ("une boule ni blanche ni rouge") et dont l'autre est fermant ou centripte, le connecteur "et" synthtique ("entrant"), qui attribue deux proprits (et pas davantage, sauf renouveler l'opration) un tre ou objet unique, ("une case rouge et rectangulaire"); - diffrencier du "et" analytique ("sortant" ou "ouvrant", donc essentiellement analogue au "ni..., ni..." en tant qu'oprateur de sparation formelle), ("un homme et un chien se rendaient au march"), qui est, quant lui, un processus plutt comparable l'addition.

    NI......................ET.....................NI

    De la mme manire exactement, le point monadologique pythagoricien pourra, trs avantageusement, tre considr comme un processus "fermant-ouvrant", ou "inhibiteur-activateur", comparable au mcanisme d'un parapluie, (en langue mathmatique, un tenseur binaire, quantitativement indfini), dont l'axe "ni..., ni..." ci-dessus reprsenterait le diamtre, et la position "et" la coordonne mathmatique, dfinie par la relation que ce point entretient avec les autres membres de la constellation, quelque soit la mthode choisie pour paramtrer cette dernire.

  • 16

    L rside, peut-tre bien, le fond de la foi mathmatique, dans la confiance que l'identit "insaisissable" se repose, trs paisiblement, dans la runion synthtique des connecteurs "ni..., ni..." et "et".

    L'essentiel n'est ni la proprit "a", ni la proprit "b", (proprits qui sont nanmoins, par hypothse, les seules que l'on sache ou puisse concrtement montrer, et qui sont prcisment toujours des proprits telles que "plat", "noir", "rond", "assez gros" ou " gauche"), mais l'tre qui, sans tre deux, les contient l'une et l'autre en mme temps (" la fois" ou "ensemble"), et n'est rien d'autre que leur compossibilit mme.

    Formule qui n'est pas une dfinition de l'identit, mais qui est en revanche une dfinition en mode logique de la synthse, en tant que mthode de rgression intellectuelle progressive, prudente et patiente, du visible indfini l'invisible dfini, d'abord, puis, de ce connu, de ce dfini, l'ensemble des possibilits mathmatiques qui sont nes avec lui, parce qu'elles sont contenues dans sa dfinition ou dans son tre mme; - mthode que l'on peut caractriser par des expressions telles que : "retroussement", ou : "dveloppement continu", dans laquelle, aucun moment, ne peut tre perdu le contact avec l'image installe au dbut dans la pense, et reste depuis prsente au fond de celle-ci, comme une pierre de tmoignage.

    *

    Ce sont d'autres dfinitions de la synthse, plus mathmatiques celles-l, qui seront voques au chapitre suivant.

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    III. DUALITE MATHEMATIQUE ET SYNTHESE A PRIORI

    La notion de dualit constitue pour Granger une catgorie philosophique, dont l'acception est drive des dfinitions mathmatiques de ce terme, elles-mmes varies, sans se confondre avec l'une d'entre elles en particulier. Citons l'une des dfinitions donnes par Granger de cette notion, - dfinitions qui, pour tre non seulement diverses, mais souvent, comme ici, prudentes et programmatiques, ne doivent pas masquer le caractre urgent et imprieux qu'elles revtent, sans nul doute, pour leur auteur.

    "Au sens o nous l'entendons, la notion de dualit comme catgorie philosophique conduirait formuler le principe de la ncessit d'une dtermination rciproque de tout systme d'objets de pense et d'un systme d'oprations intellectuelles associ."

    A cette dfinition liminaire, il faut ajouter cette prcision tout aussi essentielle, que, dans le dveloppement de la mathmatique, ce qui tait objet d'un certain point de vue antrieur, peut, son tour, devenir oprateur d'un point de vue nouvellement formul, - la dualit devenant ainsi le vecteur, non seulement de la continuit du raisonnement ou du discours mathmatique, mais de la constance d'une certaine forme logique.

    La dualit grangrienne a vocation se substituer la notion kantienne de "synthtique a priori", dont elle reprend toutefois les rquisitions. Un systme oprations-objets dual et consistant peut tre considr comme un "ensemble" synthtique a priori de vrits mathmatiques. Mais la notion de dualit est aussi intimement lie celle de nature mathmatique, et la dfinition de ce que peut tre un objet mathmatique naturel, dans la mesure o elle tend associer la dfinition des objets mathmatiques, autant des lois physico-chimiques de la nature, qu' des actions concrtes de l'homme, qu'elles soient d'ordre psychique ou physique, - sans exclusion du musculaire, - d'un caractre assez universel, ide qu'avait dj thmatise, en son temps, la thorie de la forme, ou mme la pense formelle en gnral.

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    Concernant cette catgorie, ce que l'on peut remarquer d'abord est son caractre moniste, d'une part, parce qu'elle ne s'inscrit pas dans un ensemble de catgories de mme niveau, mais se prsente comme un vritable "singleton" catgoriel, d'autre part, parce que la dualit elle-mme est rellement une, mme si elle contient le deux, en ce qu'elle s'exprime, comme on l'a dit, par le maintien ou la constance, d'application en application, d'une certaine forme logique; en quoi elle se veut prcisment synthse; et par o se justifie aussi sa prtention singulire tre apparemment, pour Granger, la catgorie ultime de la science

    Dans un cadre diffrent, qui est celui - mtaphysique - de la dfinition du symbolisme et de la pense symbolique, Ren Gunon a, lui aussi, donn de brillantes dfinitions de la synthse et du synthtique, qui ont plusieurs traits congruents avec celle esquisse ici.

    Dualit des solides rguliers

    Polydres inscrits : ttradre octadre icosadre

    Polydres circonscrits : ttradre cube dodcadre

    Le ttradre, gauche, est le dual de lui-mme. Dans cette relation gnralise, l'ensemble des relations de dualit entre solides rguliers considrs par paires, est dductible, ou drivable, du dveloppement gnomonique tridimensionnel d'une seule et unique

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    structure gomtrique : le triangle quilatral. En effet, les trois polydres primitifs - ici en couleurs et inscrits, dont ceux en arrtes rouges et circonscrits (dans la succession desquels on retrouve les valeurs 3 - 4 - 5 du triangle isiaque) sont les duaux; - ces trois polydres inscrits peuvent tre construits au moyen de triangles gnomoniques de rang 2 : 1 pour le ttradre, 2 pour l'octadre, 5 pour l'icosadre. Autrement dit : les polydres rguliers sont contenus de manire synthtique a priori dans les seules proprits intrinsques de dveloppement gnomonique, d'une part, et de clture gomtrique tridimensionnelle, d'autre part, qui sont celles du triangle quilatral. Ou encore, le triangle gnomonique de rang 2 est la constante logique du systme oprations-objets dans lequel consiste et se dploie ici la nature, la dfinition mme des polydres rguliers.

    ttradre + octadre + icosadre = (1 + 2 + 5) x triangle gnomonique de rang 2

    Quant la srie des polydres rouges : ttradre, cube, dodcadre, elle s'obtient par la transformation des premiers polydres, d'objets qu'ils taient, en oprateurs, les sommets de ces polydres devenant les centres de rfrence des faces des polydres circonscrits, mathmatiquement suffisants les dfinir. A leur tour, ces polydres rouges peuvent devenir les oprateurs de la construction des trois premiers, par une transformation duale de la prcdente.

    La synthse duale revient, comme on le voit, demander qu'une multitude d'objets et d'oprations mathmatiques soient reconduits, ensemble, l'unit d'un seul principe, d'une seule pense. En gnralisant cet exemple l'ensemble de la science, on peut le traduire par la rquisition suivante : "S'il y a unit de la science, alors cette unit doit consister en une pense", - rquisition qui constitue une bonne dfinition de ce que reprsente, pour la pense pythagoricienne, la ttractys.

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    Dualit et symtrie, deux aspects de la biunit du nombre

    Dans sa comprhension profonde, la notion de dualit s'enracine dans la notion pythagoricienne de symtrie, en son sens littral et originel de commensurabilit, de commune mesure. Une relation de dualit est une relation qui mesure ensemble deux aspects d'une mme ralit, qui les tient et les produit ensemble dans un mme geste, partir d'une position "neutre", non polarise, depuis laquelle ils se transforment l'un en l'autre, - partir d'un statut originel unique qui n'est, vritablement, ni celui d'oprateur, ni celui d'objet, mais la pure potentialit d'tre indiffremment l'un ou l'autre.(1)

    Une relation de dualit n'est qu'une relation de symtrie forte, dveloppe jusqu'au point o elle est auto-suffisante, (la langue moderne dit avec justesse consistante), c'est dire productrice, par sa seule potentialit, d'objets et d'oprateurs mathmatiques originaux ou "naturels", d'ailleurs indfinis en quantit.

    "Symtrie" et "dualit" ne sont donc que diffrents noms mathmatiques, correspondant diffrents degrs de dveloppement, d'une seule et mme ralit profonde, qu'on pourrait appeler la biunit du nombre naturel; cet "tat" primordial et synthtique du nombre, en lui-mme insaisissable, que la logique reprsente alternativement par les connecteurs "ni... ni...", et "et", dans lequel il n'est, ni objet ni opration, mais l'un et l'autre la fois, ni cardinal ni ordinal, mais l'un et l'autre la fois, ni monade ni dyade, mais l'un et l'autre la fois, voire en pythagorisme consquent, ni nombre ni figure, mais l'un et l'autre la fois; biunit dont le principe nous est prsent, par la notion de symtrie, sous son aspect purement arithmtique, et par celle de dualit, sous un aspect gomtrique, topologique, et plus gnralement structurel, mathmatiquement plus dvelopp.

    (1) Bien que le sujet ne puisse tre abord dans ces pages, on peut remarquer que, du point de vue gnral de la science, la notion de dualit est presque aussi importante en physique qu'en mathmatique; et la description qui en est faite ici pourrait faire penser lune des dualits les plus clbres de la physique, la dualit onde-corpuscule, au fondement de la mcanique quantique, avec dautant moins de surprise que la thorie ondulatoire est elle-mme directement issue de spculations pythagoriciennes, notamment archytennes.

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    IV. SYMETRIE MODERNE / SYMETRIE PYTHAGORICIENNE

    La diffrence entre mathmatique moderne et mathmatique pythagoricienne pourrait, en guise d'approche, tre caractrise par la faon dont chacune apprhende en quelque sorte navement, spontanment, de par le style mathmatique qui lui est propre, le problme de l'espace et de sa reprsentation. La mathmatique moderne semble considrer comme rel, et mme comme unique rel, le "substrat" ou le fond indfini de l'espace intelligible, quelque soit le nombre de dimensions qu'elle veuille lui prter, indpendamment des objets que l'on peut dfinir l'intrieur de lui. Cet espace a pour elle l'apparence d'un donn objectif, dj dvelopp, au sein duquel rgnent, en tout point, l'"isotropie" ou l'quivalence ontologique, et la symtrie, au sens moderne et satur d'indiffrenciation. Enfin, cet espace est conu comme indpendant de la situation native, ou naturelle, de l'homme. L'espace pythagoricien est, au contraire, un espace originellement dual, o la dfinition du fond indfini est insparable de celle d'objets dfinis, et o rgnent, de ce fait, la diffrence, la singularit et la polarisation en tout point. La gomtrie pythagoricienne, y compris la plus fondamentale, intgre de plein droit les notions naturelles de l'orientation et de la chiralit.(1) Mais plus important encore, l'espace pythagoricien est un espace qui a une histoire, un dveloppement; c'est un espace dont la structure profonde est chronogntique, faite de temps et de nombre, et o rgne de ce fait aussi la diffrence en tout point du temps. - Ces remarques, toutefois, appellent quelques claircissements complmentaires.

    La dfinition moderne de la symtrie, synonyme d'uniformit ou d'indiffrenciation absolue (la symtrie moderne est en effet "ce qui ne change pas" pour tels mouvements de l'objet), est une extension mathmatique correcte, lgitime, de la dfinition "traditionnelle", ou pythagoricienne, synonyme de commensurabilit, ou de commune mesure. Entre les deux, il n'y a pas de relle rupture. La moderne n'est qu'une maximisation de l'ancienne, obtenue par amplification

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    progressive de son concept; - mouvement de gnralisation qui est en lui-mme naturel en mathmatique, et dont le moment dcisif aura t, ici, la thorie des groupes de Galois. Cependant, dans la nouvelle dfinition, le rfrent ultime du concept de symtrie n'est plus la symtrie d'objets, mais celle de l'espace. La saturation du concept joue donc bien ici le rle de liquidateur de contenu ou de dterminit ontologique, au bnfice de la seule puissance du signe, qui est caractristique des gnralisations de la mathmatique moderne. Le tort de la mathmatique moderne n'tant pas, fondamentalement, de pratiquer ces gnralisations, mais plutt, en vertu d'une politique de la "table rase" intellectuelle, de considrer systmatiquement comme plus essentiel cet aspect final de la vie du concept, qui est celui de son dtachement et de sa transformation en signe-outil, au mpris du chemin entier de la pense qui a produit ce signe et l'a conduit, par des mouvements compts, jusqu' cet tat, ou cette phase particulire de son dveloppement. Il en rsulte un certain appauvrissement, car, force de privilgier l'espace au dtriment de l'objet, la rflexion sur la symtrie finit par prendre les allures d'une spculation sur les proprits hypothtiques d'un "contenant absolu", d'un espace en soi et pour soi, - tenu de ce fait pour l'espace "rel", - qui nous semble tre une ide sans pertinence mathmatique, dans la mesure o la notion mme de "contenant" implique, selon nous, qu'il ne peut s'agir que d'une certaine forme, d'une formulation parmi d'autres possibles, (ft-elle la forme spciale de notre univers), - sans aucun des caractres "d'absoluit" que cette conception moderne voudrait qu'elle puisse possder.

    Il revient Jean-Luc Prilli d'avoir pleinement rhabilit, sur le plan philosophique, la notion pythagoricienne de symtrie, dans sa signification littrale et originelle de commensurabilit, de commune mesure, ou plus simplement encore, de proportion; mais aussi, d'avoir montr sa position centrale dans la mathmatique pythagoricienne, qui en fait un vritable trait d'union entre les diffrents concepts mathmatiques voqus sur ce blog.

    La symtrie apparat, dans la gense du nombre, lorsque celui-ci se fait mesure, "logos"; lorsqu'il s'affranchit du mutisme de sa condition monadique originelle, pour se dployer en tant que rapport.

    Dans sa dfinition la plus rigoureuse, la symtrie pythagoricienne est la commune proportion des diffrentes parties d'un tout, entre elles aussi bien qu' l'gard de ce tout.

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    Cette dfinition peut, naturellement, tre illustre par des oprations gomtriques trs simples, dont les plus originaires sont, sans le moindre doute :

    1- Le partage d'un segment en deux parties gales.

    2- Le partage d'un segment en "extrme et moyenne raison", (c'est dire : tel que la plus petite partie soit l'gard de la plus grande, comme la plus grande est l'gard du tout), opration dont on sait qu'elle permet de dfinir gomtriquement le nombre d'or.

    Si l'on considre la position des 3 points de rfrence du segment, (Origine, Moyen et Extrme), chacune de ces oprations correspond une mdit particulire : la mdit "arithmtique" dans le premier cas, mdit dont le pprm (plus petit rapport mineur) est celui qui prsente l'envergure maximale, puisqu'il est gal 1; et la mdit Nicomaque 10 ("de Fibonacci") dans le second, dont le pprm est celui qui prsente l'envergure minimale, puisqu'il est gal zro.(2)

    Du point de vue qui est gomtriquement le plus originaire, la mathmatique pythagoricienne tient tout entire dans cet intervalle, dans le paradigme mathmatique dfini par ces deux cas particuliers de symtrie, que l'on peut lgitimement qualifier de saturs, puisqu'ils correspondent aux limites naturelles indpassables de ce concept.

    Quant la source arithmtique la plus profonde de cette notion, elle est rechercher, selon toute apparence, dans la symtrie qui est en quelque manire la plus intrieure la mathmatique : celle qui se dploie dans la relation que les oprations arithmtiques entretiennent entre elles. Symtrie qui se prsente, de prime abord, comme une interrelation gnralise, de nature organique, entre toutes les oprations primitives de l'arithmtique, de laquelle procde finalement, comme une expression renverse du mme processus, le nombre naturel lui-mme.

    La symtrie inter-arithmtique

    Dans la conception pythagoricienne, - du moins ce qu'on peut en dduire du cadre mathmatique a priori qu'est la thorie du gnomon -

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    les relations de symtrie primordiales semblent se rduire un appareil de structure biternaire, correspondant au ternaire des "lois de composition" de l'arithmtique :

    1. addition - soustraction (nombres monadiques) 2. multiplication - division (logo) 3. puissance - racine (puissances) Appareil dans lequel une symtrie de translation "haut-bas" se superpose aux symtries de rotation axiale "gauche-droite", qui sont les relations de rciprocit arithmtique : toutes symtries que l'on trouve illustres dans les structures les plus simples de la thorie du gnomon, telles que les polygones et polydres gnomoniques, ou les spirales logarithmiques. La symtrie inter-arithmtique relve d'un registre de primordialit mathmatique dans lequel le statut mme d'"oprateur" ou d'"objet" demeure, dans une certaine mesure, irrsolu encore; car il est vident que les oprations dont il s'agit ici peuvent tout moment, par la vertu d'un nom mathmatique, se transformer en autant d'objets, (au prix par exemple d'un simple classement des nombres en "positifs" et "ngatifs"), objets qui pourront apparatre gaux en primordialit aux actions qui les ont engendrs; et qui du reste, leur tour, pourront se retransformer en autant d'oprations; la question de la primaut se rduisant ds lors celle toute formelle et strile, de "la poule et de l'oeuf". Le nombre est par excellence, l'tre dans la nature duquel les catgories de l'opration et de l'objet sont comprises synthtiquement; - proposition qui pourrait tre reprise de bien des manires, telles que : "le nombre est une opration qui se prend elle-mme pour objet", ou : "le nombre est un objet produit par son opration mme".

    Le premier rang de la structure ternaire ci-dessus, est celui des processus les plus gnraux mis en oeuvre par la mathmatique pythagoricienne, les uns additifs, comme la ttractys ou la thorie des objets premiers, les autres soustractifs, comme les mdits, - soustraction qui, dans sa forme la plus pure, la plus immdiatement diffrentielle, est rendue accessible la sensibilit humaine par les rapports familiers de l'harmonie musicale, comme il peut parfois tre utile de s'en souvenir. Le second rang est celui des logo, ou rapports d'entiers - terme qui, dans sa comprhension profonde, dsigne aussi bien les fractions que, par induction, les produits d'entiers. Le rapport rationnel, symbolis aujourd'hui par la fraction (x/y), est la base le cadre dans lequel la notion de sym-mtrie reoit son complet dveloppement, aussi bien technique que conceptuel. La qualification de logo pour les objets de ce rang est des plus importantes, et se rfre la question du nom mathmatique qui, comme on peut tenter de l'exposer ici en

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    quelques traits, est pistmologiquement profonde en science pythagoricienne. Les logo sont des rapports fonctionnels entre nombres; autrement dit quelque chose qui n'est dj plus nombre, mais mesure, "raison", non plus seulement perception et sensibilit, mais comprhension et intelligence, et qui se produit entre les nombres. Ils correspondent un moment o le nombre, pour exhiber ce qu'est son opration profonde, doit se tourner vers autre chose que lui-mme, rvler une partie plus importante de ce sur quoi, comme de ce grce quoi s'exerce cette opration; - et par suite recevoir, du fait de cette exposition lui-mme, de nouveaux noms mathmatiques. Ce second moment du nombre peut donc tre caractris comme celui o apparaissent, dans son sein, de nouvelles fonctions productrices de noms et de langage,(3) contrairement aux processus monadologiques du niveau infrieur, qu'ils soient additifs ou soustractifs, dont la nature propre implique, au contraire, de pouvoir tre montrs de faon mathmatiquement suffisante, sans mots ni langage, mais avec d'autres vtements matriels en quelque manire quivalents, tels que des boules, des jetons, ou tout autre objet pouvant faire office de monade. Ce que l'on pourrait dvelopper de manire un peu triviale, en remarquant qu'il est possible d'offrir des fruits, comme de faire entendre de la musique, un individu qui ne connatrait pas mme les noms des nombres "1" et "2" ou des notes "do" et "sol", sans tre oblig de supposer qu'il ne saisit absolument rien, ni de la quantit de fruits qu'on lui donne, ni de la musique qu'on lui fait entendre. Il est bien vident que les objets du premier rang peuvent, rtrospectivement, tre envisags de l'une ou l'autre manire, sensible ou intelligible; ainsi, dans une phrase musicale, une note est une soustraction en tant que monade, - en tant que phnomne physique individuellement apprhensible par les sens, forme sensible individuelle,(4) - mais un logos, ou une raison, - "ratio" - en tant qu'lment compris dans une chane signifiante, c'est dire en tant qu'opration intelligible. Enfin, le troisime rang est celui des puissances, terme qui, anciennement, tait gnrique et pouvait dsigner aussi bien les exposants que les racines, (prcisment runis par ce terme dans une catgorie synthtique) domaine illustr notamment, sur le plan le plus fondamental, par la relation de dualit qui existe entre la spirale de Thodore et le carr gnomonique.(5) Ce troisime moment peut tre regard comme la runion, ou l'addition des deux premiers; puisque la puissance est une opration qui retient, comme proprit du premier niveau, l'identit monadologique, le rapport l'objet "soi-mme", et comme proprit du second, la fonction : "produit", qui est comprendre ici dans son sens littral de production. En tant que coordination des moments 1 et 2, ce moment peut donc, de fait, apparatre comme celui o les objets des premiers rangs, monades et logo, dveloppent leur pleine potentialit, leur pleine puissance. C'est l,

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    en particulier, que la notion de dualit reoit son ultime dveloppement, et se prsente comme une interface complte, "auto-suffisante", non seulement entre nombres et figures, (entre rapports arithmtiques et rapports gomtriques au sein d'un mme objet), comme c'tait le cas dans la thorie des objets premiers, dont l'aboutissement est la construction du ttradre, mais, plus universellement, entre objets et oprations mathmatiques, considrs comme potentialits pures, continuellement convertibles et rversibles les unes en les autres, comme c'est le cas dans la thorie du gnomon, et plus prcisment, au coeur de cette dernire, dans l'quation de la dualit des solides rguliers, dont le ttradre est cette fois l'objet le plus simple, la pice de construction la plus lmentaire. Le ttradre, - structurellement : le triangle gnomonique de rang 2, - apparat donc ici comme le vecteur de la transition et de la continuit logique entre un ordre et l'autre, entre l'ordre monadologique "interne", constitutionnel, qui est celui des objets premiers, et l'ordre "externe" qui est celui de la croissance "puissancielle", (originellement carre ou gnomonique) et celui de la dualit exhaustivement dveloppe des solides rguliers. Le moment mdian, ou "intermdiaire", le logos, (reprsent ici par le gnomon et sa fraction de 1/3) apparaissant ds lors comme la simple paroi, (l'"interface"), comme la forme et la solution vide de cette transition, de cette bascule entre un ordre et l'autre; et l'on saisit par ce chemin que ce fameux logos correspond bien alors au concept de la logique dans sa comprhension la plus vraie, qui dfinit cette science comme la forme vide de la mathmatique. (6)

    C'est prcisment par la vertu de cette viduit, par la frustration intellectuelle qu'elle suscite, si l'on peut dire, que la logique est gnratrice, non de contenu mathmatique - ce dont elle est parfaitement incapable, - mais de contenus linguistiques.

    Concernant le troisime tage, on peut encore remarquer que les "puissances" - racines ou exposants - carrs et cubiques se distinguent, par une certaine primordialit ontologique, (mais aussi, par une certaine analogie avec la structure biternaire qui est celle du systme gnral), des ensembles indfinis d'objets auxquels ces mmes lments participent d'autre part, dans le cadre d'une quelconque relation de famille avec leurs successeurs. Racines et exposants carrs et cubiques forment, de ce fait, une catgorie arithmtique indpendante, et close en tant que telle : en raison l encore de ses implications gnomoniques, illustres au niveau le plus simple - et mathmatiquement originaire - par l'exemple des gnomons du carr et du cube, dont ces puissances tirent leurs noms mmes.

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    (1) Mme si, de faon plus juste, la ttractys n'intgre pas par un acte particulirement "dcisoire" les catgories du haut, du bas, de la droite et de la gauche, mais se contente plutt de les accueillir par une attitude "non-agissante".

    (2) Sur ce sujet, voir, en page 2 de ce blog, les gloses 1 et 2 de l'article : Rectangle de Fibonacci.

    (3) La mathmatique pythagoricienne admet donc la ncessit, pour toute mathmatique, de sortir du nombre et de sa "puret", pour s'tablir dans la loi du Nom, un moment de son dveloppement qui, mme si il n'est pas premier, est plus prcoce que ne le voudrait, en gnral, la mathmatique moderne, avec ses prtentions un peu vaines et superficielles, finalement appauvrissantes, qu'elles puissent tre "formalisantes" ou "axiomatisantes", vouloir survivre indfiniment en dehors de tout langage naturel, au nom d'on ne sait quel dfi adolescent que la science se serait, sans but particulier, lanc elle-mme.

    (4) En effet, si l'on attribue l'octave la valeur "1/2" au lieu de la valeur "2" (les deux procds, obtenus par renversement de "logo", - de fractions, - tant mathmatiquement quivalents) l'ensemble des tons de la gamme peuvent s'exprimer comme des portions soustraites de l'entier de la note tonique de valeur "1", qui prend alors la valeur de position maximale et sature, ou encore de "plein" logique, mais qui peut elle-mme, sans aucun inconvnient logique, tre considre comme le rsultat d'une soustraction bien particulire : la soustraction : (1 - 0) (= 1). (Avec ce procd, on obtient ainsi 2/3 et 3/4, respectivement, pour la quinte et la quarte). Mme si du point de vue technique, les deux procds, additif et soustractif, sont quivalents, et peuvent, au dpart, tre choisis de faon indiffrente comme paradigme de base pour paramtrer le continuum tonal, il semble que, selon la nature, la monte tonale s'accompagne toujours d'une diminution, d'une soustraction quantitative, aussi bien dans l'exprience de la corde pince en diffrents endroits, qui se raccourcit, que dans celle du verre rempli de diffrentes quantits d'eau, qui se vide, ou dans les expriences percussives sur des disques ou des maillets mtalliques, dont l'paisseur ou le poids diminuent - dans la proportion o la note s'lve. En outre, la formulation soustractive apparat seule pertinente pour ce qui est de dcrire, de faon universelle, une ralit phnomnologique plus profonde qui est celle de la perception de l'harmonie. La formulation soustractive dcrit fidlement, en effet, ce qui se produit dans la sensibilit de l'auditeur, en raison, essentiellement, de sa nature monadologique, qui correspond, par une analogie relle, aux proprits de la monade "note", impression sensible dont la forme individuelle ne se "rsout", ne se prcise dfinitivement que de faon tardive et rtrospective, en fonction de sa relation avec ses voisines. C'est le temps lui-mme qui "enlve" ou "dgage" ce qu'il faut de l'impression initiale de chaque note entendue, pour qu'elle acquire sa vritable forme, qui est une rsonance, c'est dire une impression et une dformation "en retour". Grce cette analogie, les diffrents tons de la gamme peuvent tre reprsents comme autant de "sculptures", c'est--dire de prlvements quantitatifs ou d'videments, raliss partir d'un modle sous-jacent la formule, qui n'est autre que la boule pleine correspondante la note tonique. D'une faon plus profonde encore, la formulation soustractive correspond la nature des choses, puisque les

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    mdits sont rellement, arithmtiquement, un processus soustractif, comme l'est, en pythagorisme bien compris, le processus appel Temps lui-mme, qui procde en sens inverse et dual du processus additif qu'est l'Espace; le temps tant, comme l'exprime le symbolisme du sablier, un rcipient qui se vide, qui "fuit" vers son terme et son puisement, au fur et mesure qu'un autre rcipient, le rcipient de l'espace et du monde manifest, se remplit, atteint les limites de son dveloppement; mais ces considrations, on le voit, nous entranent dj un peu loin de notre point de dpart.

    (5) Sur la correspondance un peu plus gnrale entre spirales et gnomons gomtriques pythagoriciens, voir, en page 2 de ce blog, les articles : Spirale de Thodore, Rectangle de Fibonacci, et la glose : Pentagone de Padovan.

    (6) Dans le dveloppement de la physique moderne, les logo ou rapports d'entiers pythagoriciens ont trouv la confirmation clatante de leur pertinence thorique, en tant que principes de mouvement d'abord, (fonction qui tait dj la leur dans les spculations cosmologiques et "musicales" dont le Time offre l'exemple, comme certains lont rcemment redcouvert), puis plus gnralement, en tant que principes de charge nergtique; cela dans deux domaines essentiels : la cosmologie, o les mouvements des astres se laissent souvent rduire des rapports d'entiers, - ainsi les mouvements de Mercure (3/2) ou de la Lune (1/1), identiques, respectivement, aux rapports de la quinte et de l'unisson; - et la physique quantique, o ces mmes rapports d'entiers ont une valeur paradigmatique, dans la quantification des spins, aussi bien que des charges lectriques affectant les diffrentes particules. Malgr ces divers succs en science physique, la notion pythagoricienne de logos attend toujours d'tre rhabilite dans le domaine philosophique, o personne ne s'est encore risqu entreprendre, en sa faveur, une tentative de justification systmatique.

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    V. LA DYADE INDETERMINEE ET SES DIFFERENTS ASPECTS

    La dualit Objet/Opration revt, dans l'ide de Granger, la fonction d'"arch", ou de principe irrductible, correspondant "ce qui reste, une fois qu'on a tout enlev", une fois qu'on a fait abstraction, ou soustraction, de toutes les oprations et tous les objets particuliers. Cette notion n'est donc pas elle-mme d'ordre mathmatique, mais mtamathmatique.

    La tradition pythagoricienne connat une notion analogue, que la modernit traduit habituellement, en franais, par l'expression : "dyade indfinie", mais que l'ont choisit ici de nommer "dyade indtermine", pour viter de la confondre avec une notion de niveau infrieur. Cette notion a, en effet, ds l'antiquit, et plus gravement encore de nos jours, donn lieu diverses mprises, du fait que chacun des termes qui la composent peut tre interprt dans un sens moins universel que celui, mtamathmatique, et d'ordre vraiment primordial, qui est le sien en ralit. Ainsi, le terme "indtermin" peut tre confondu avec une notion de niveau infrieur, qui est le second terme, ngatif, d'un cas prcisment dtermin de la "dyade indtermine" : la dyade "Dfini - Indfini". De mme le terme "dyade" a pu, dans cette mme expression, tre compris tort comme dsignant "l'ide du nombre 2", c'est--dire comme un oprateur intervenant dans la construction de l'arithmtique, ce qu'il ne signifie en aucune manire dans cette expression, o sa porte est plus universelle, puisque antrieure la dfinition mme du nombre, comme de l'arithmtique. Dans les deux cas, l'erreur provient, comme on le voit, de la confusion du mathmatique et du mtamathmatique.

    La langue franaise s'est, l'poque moderne, trouve pareillement embarrasse, pour donner un nom un "reprsentant" historique particulier de cette dyade, objet d'un fragment inestimable de Philolaos, devenu canonique faute de source plus haute. Trois solutions ont t adoptes. Fini - Infini, Limite (ou "Limitant") - Illimit, Dfini - Indfini. Tous ces termes ont reu, en mathmatique moderne, des dfinitions prcises, entre lesquelles existe un cart de signification important. Pourtant, seule la premire de ces traductions, qui tait celle en usage au

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    XIXe sicle, peut tre considre comme impossible, la notion de l'infini ne pouvant relever, en pythagorisme comme dans toute doctrine au sein de laquelle on se refuse mlanger les genres, que du domaine exclusif de la connaissance mtaphysique, et n'ayant pas sa place en mathmatique; n'en dplaise l'habitude hyperbolique contracte par les modernes, - habitude qui n'a pas de justification plus profonde, que le fait que la vritable notion de l'infini leur soit, en rgle gnrale, inconnue, ou trangre, aussi bien que toute autre notion de mtaphysique vritable.

    A ce premier noyau d'ides mathmatiques, on peut d'abord relier la dyade logique du Mme et de l'Autre du Time de Platon (Identit - Diffrence), dans la mesure o la partie centrale du Time peut, selon toute vraisemblance, tre considre comme un ouvrage de l'cole de Philolaos-Time, dont Platon n'est que l'diteur. On peut, de mme, remarquer que la dualit du Discret et du Continu, bien qu'elle coure le risque de se voir taxer d'anachronisme (1), constitue, pour le sens, qui seul importe ici, une traduction galement lgitime, et peut-tre la plus clairante, de la dyade de Philolaos. Enfin, toutes ces dyades, on peut encore associer une varit de notions qui se rapportent, elles, la polarisation caractristique de la structure gomtrique du gnomon; ainsi, le gnomon prsente un ct Ferm et un ct Ouvert; un ct qui est l'Origine, ou l'Ombilic, et un ct auquel sont lies les ides de Croissance ou d'Augmentation.

    Dans toutes ces situations, le terme "dyade indtermine" se rapporte donc la paire d'universaux irrductibles qui reste au fond de la pense mathmatique, une fois qu'on l'a dleste de ce qu'elle contenait. Plus prcisment, la doctrine pythagoricienne suppose que, par del la varit d'aspects sous lesquels cette dyade se prsente, il existe une forme ou un moule absolument universel, absolument vide et inconditionn, qui, comme tout ce qui est vraiment premier dans l'ordre intellectuel, demeure en lui-mme insaisissable. L'essentiel demeurant toutefois que, si l'on s'attache avec sincrit l'un de ses aspects, on est contraint, par un chemin ou un autre, de rcuprer les autres.

    La dualit grangrienne Objet/Opration peut donc apparatre comme un aspect particulier de la dyade indtermine, adquat un certain moment de la pense, ou de la ralisation mathmatique particulire qui est celle de la mathmatique moderne, sans qu'on doive estimer pour cela qu'elle l'emporte sur les autres de manire absolue ou catgorique, en terme de primordialit, ou de fondamentalit. On peut d'ailleurs remarquer que, chez Granger lui-mme, la dyade Forme - Contenu

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    apparat plusieurs fois comme une dyade concurrente et complmentaire de la dyade Opration - Objet.

    Les diffrents aspects de la dyade indtermine ne sauraient donc donner lieu une "table des catgories" prtendant la compltude; et la fameuse "table des opposs" transmise par la tradition pythagoricienne sous le nom d'Alcmon de Crotone, que nous rappelons plus loin pour mmoire, ne fait, cet gard, pas plus autorit que celle que nous proposons ici, en guise de rcapitulation de ce chapitre. Les notions qui suivent n'ont t choisies que parce qu'elles nous paraissent avoir un sens bien tabli dans un contexte dtermin, qui est, pour nous, celui de la mathmatique moderne et de son expression mtamathmatique. Les aspects de la dyade indtermine sont par dfinition "indtermins" dans leur nombre mme, parce qu'ils relvent de la nature, de la dterminit mme de l'homme, dterminit qui est d'ordre spatio-temporel, historico-gographique, mais aussi, s'agissant d'une table de ce genre, linguistique. La doctrine pythagoricienne est, du reste, la seule que nous connaissions formuler dans les termes les plus clairs ce principe de la contingence, notamment linguistique, du commencement de la science - au contraire de la science moderne qui s'imagine toujours pouvoir disposer d'un fondement ou mme d'un objet absolu.

    "Le plus sage est le Nombre, et aprs lui vient celui qui donne leur nom aux choses", nonce un acousmate pythagoricien. Le nombre n'est principe de connaissance, que pour autant qu'il s'applique originairement quelque chose d'autre; quelque chose qui n'est pas de la nature du nombre, mais qui est de la nature "exemplaire" et "permutante" (ou encore : paradigmatique), des choses nommes, des choses qui reoivent de l'homme leur nom.

    Mme la ttractys n'a pas, en pythagorisme, le statut de commencement absolu, mais seulement celui de commencement excellent. (2)

    Cette contingence du commencement n'implique, bien videmment, aucune espce de "relativisme" concernant la connaissance qui en est le rsultat. Ce qui distingue les pythagoriciens des autres philosophes ou scientifiques, rside, principalement, dans la possession d'une certitude inbranlable, certitude qui n'est autre que la foi scientifique, et qui est par nature incommunicable, puisqu'elle ne consiste qu'en la pure intellection de ce que l'on a dans la pense.

    Limite - Illimit

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    Dfini - Indfini

    Discret - Continu

    Nombre - Figure

    Identit - Diffrence

    Objet - Opration

    Contenu - Forme (Contenant)

    Graine - Gnomon

    Ferm - Ouvert

    Origine - Croissance

    Cardinalit - Ordinalit

    Un - Multiple

    Impair - Pair

    La table d'Alcmon

    Ce qui se montre avec vidence dans cette image ancienne de la doctrine, c'est que la dyade indtermine a beaucoup moins de rapport avec le nombre 2 qu'avec le principe universel de l'ordinalit, en tant qu'il s'oppose la cardinalit de la monade. L'appellation "table des opposs" semble donc fcheusement insuffisante, en ce qu'elle omet de prciser que ces opposs prtendent, dans la table d'Alcmon comme dans celle ci-dessus, se prsenter d'une faon qui est toujours la mme, selon une loi d'orientation ou de polarisation constante, ou encore, comme une suite ordonne dans laquelle chaque terme se voit attribuer une position d'ordre : 1 ou 2.

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    Ce qui, en outre, distingue ces deux tables, aussi bien de celle d'Aristote, que de celle de Kant - malgr le mrite minent de ces dernires - est leur absence de prtention la compltude, prtention qui serait illusoire, tant donn le caractre d'exemplarit non close que revt, dans sa nature mme, tout paradigme linguistique.

    Limite - Illimit

    Impair - Pair

    Un - Multiple

    Droite - Gauche

    Mle - Femelle

    Non m - M

    Droit - Courbe

    Clart - Obscurit

    Bien - Mal

    Carr - Rectangle (3)

    Parmi les reprsentations symboliques les plus loquentes de la dyade indtermine figurent, outre le prtendu symbole du soleil, qui est plus

    originairement celui du centre du monde, de l'ombilic, ou du ple, le cne, ainsi que diverses adaptations prosaques de cet objet, telles que l'entonnoir ou le sablier, ou encore, tout naturellement, la lettre V de

    notre alphabet, ou l'accent circonflexe franais ^.

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    On peut conclure en remarquant qu'en raison de sa "viduit" et de son extrme universalit, la dyade indtermine recle la capacit de se comprendre elle-mme de faon autologique, en tant que cas particulier, sans entraner de paradoxe manifeste, de sorte qu'on peut sans doute admettre comme cas ultime de la dyade indtermine le couple "monade-dyade". Cette capacit autologique est une des raisons qui expliquent les confusions, dont certaines sont anciennes, que cette doctrine a suscites; comme le fait qu'on ait cherch voir dans la dyade un oprateur exclusivement arithmtique, alors qu'elle ne l'est que secondairement, dans la mesure o le nombre naturel est un cas particulier d'ordinalit, tandis que le domaine complet dans lequel agit la notion d'ordinalit est, quant lui, d'un degr plus profond et plus universel la mathmatique, et tel qu'on ne peut le qualifier que de mtamathmatique, puisqu'il est antrieur au nombre lui-mme.

    (1) Sauf par quelques mathmaticiens aviss : "Le problme du continu, qui mriterait le nom de problme de Pythagore..." Hermann Weyl, Le continu et autres crits, Vrin, 1994.

    (2) Car la ttractys n'est que cela : une forme logique consistante, parce que dote d'un contenu mathmatique; ce qui veut bien dire une forme particulire, parmi d'autres possibles. Si, sur le plan du dveloppement historique et contingent de la science, la ttractys a pu ou peut encore revendiquer le statut de forme idale ou parfaite, (en tant qu'elle serait, en particulier, la Pense et l'Outil permettant d'entrer dans le secret des lois de la Nature), c'est donc titre de rivale d'autres formes concurrentes, auxquelles elle propose un dfi que l'on pourrait formuler ainsi. Toute science, toute connaissance vraie, devant consister dans une pense, et donc dans le rapport d'un Contenant, d'une reprsentation ou d'une forme, son Contenu, l'ide mme qu'il contient, la meilleure science, la meilleure connaissance, peut ds lors tre caractrise comme la plus synthtique, c'est dire comme la pense qui recle le contenu le plus riche, le plus abondant, sous le contenant le plus maigre, la forme la plus dpouille.

    (3) Au sens gnomonique, o ces notions signifient : "galit - ingalit" des cts du quadrilatre, et ne sont donc qu'une variante gomtrique de la dyade logique "Identit - Diffrence" ou "Mme - Autre". En remarquant que ces notions, ici, peuvent galement tre drives des catgories arithmtiques "Impair - Pair" et "Un - Multiple".

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    VI. LA MONADOLOGIE

    Objets premiers et objets monadiques

    A la srie des objets premiers de la gomtrie, construits par l'addition de monades, correspond, dans son ordre, la srie des objets monadiques, construits, eux, par diffrentes dformations ou transformations de la monade; srie dans laquelle s'applique, l aussi, la contrainte pythagoricienne de dualit, exigeant que soit corrle la dfinition des objets gomtriques, celle des actions, ou des oprations de pense qui les engendrent.

    1. poser - point

    2. tirer - segment

    3. taler - disque

    4. gonfler - boule topologique

    Cette srie d'objets se distingue de la premire par deux traits essentiels, d'une faon qui est totalement indpendante du fait que les deux sries possdent deux objets en commun. D'une part, ses lments ne peuvent tre appels "objets" qu'en un sens relatif, et par une transposition analogique, puisque, au sens strict, et au regard de leur commune unit arithmtique, ces objets ne correspondent pas rellement des tres mathmatiques diffrents, mais bien plutt diffrents tats d'un seul et mme tre qui est la monade : "monade pose", "monade tire", "monade tale", "monade gonfle"; de sorte que la srie entire des objets monadiques peut apparatre comme un dveloppement particulier qui ne concerne, en somme, que le seul premier lment de la srie des objets premiers. En second lieu, dans cette srie, les actions 3 et 4 ne sont pas dpendantes de celles qui les prcdent immdiatement, mais sont

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    conduites directement partir de la premire. Ce second point entrane d'importantes consquences.

    La contrainte pythagoricienne de dualit revient, en pratique, attribuer chaque objet gomtrique une coordonne de temps. Or, alors que la srie des objets premiers se dveloppe et parvient saturation en quatre temps d'action enchans, la srie des objets monadiques sature chaque fois, elle, en 2 temps d'action seulement. Les objets 2 4 pouvant tous tre dploys, en un coup de temps, par l'expansion isomtrique d'un point partir de son "lieu" d'origine, (car la mme logique doit prvaloir, pour la construction monadologique du segment, que celle qui prvaut pour les autres membres de la srie, de sorte que les limites de cet objet doivent tre conues comme se dployant partir du point qui est son centre) le systme ne contient que des positions satures de type "1" (point) ou "2" (toutes les autres), et relve donc d'un mode d'expression plus immdiat de la dyade indtermine, dans lequel le "dyadique" se rsume chaque fois un choix binaire.

    L'ide revient de faon insistante dans la tradition pythagoricienne, que la monade et la dyade indtermine engendrent tous les nombres, ce qui, en bonne comprhension pythagoricienne, revient presque dire : tout le reste de la mathmatique. Concernant, toutefois, l'antriorit hypothtique de l'une par rapport l'autre, il convient d'tre plus circonspect. Pour la mathmatique, elles apparaissent coternelles, du fait qu'elles relvent d'un ordre plus universel. Dans l'ordre dont il s'agit, on peut simplement admettre que la dyade reprsente le principe de l'Ordinalit, et la monade, celui de la Cardinalit; or ces deux notions ne sont rellement au nombre et la mathmatique - comme cette tradition le dit - rien de moins qu'une mre et un pre, de sorte qu'il est impossible cette science de les isoler l'une de l'autre sans y perdre son contenu premier, sa substance mme, comme l'illustre de faon exemplaire la structure du gnomon, o chaque cardinal impair est associe une paire d'ordinaux, respectivement entier et carr.

    La synthse des objets monadiques et la reprsentation mathmatique de la situation naturelle de l'homme

    Tout comme la srie des objets premiers peut tre rassemble synthtiquement dans les dix points de la ttractys, o chaque objet correspond biunivoquement un tage ou un rang dtermin de cette structure, la srie des objets monadiques peut, elle aussi, tre recueillie

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    synthtiquement dans une seule pense, mais il est remarquer que, parmi les formes que peut revtir cette reprsentation synthtique, il en est une qui l'emporte sur les autres de faon dcisive, de par sa relation avec une certaine description mathmatique de la situation naturelle de l'homme. Et ce, comme on va le voir, selon trois modes de gnralisation diffrents de cette situation ou "nature" humaine, correspondant trois degrs successifs de son dveloppement cosmologique universel.

    Un point de mathmatique prcis par Ren Gunon revt ici une grande importance, qu'il convient de remmorer.

    En tout point de l'espace, il ne passe qu'une seule droite verticale, mais une indfinit de droites horizontales; tandis que, dans le mme point de l'espace, il ne passe qu'un seul plan horizontal, mais une indfinit de plans verticaux. Ce qui signifie pour nous que les dimensions 2 et 3 de l'espace pythagoricien, ou encore les objets 2 et 3 de la srie des objets monadiques, se trouvent, dans la situation de l'homme, dj montrs, distingus, voire exemplifis par la structure de l'espace lui-mme.

    La reprsentation synthtique la plus naturelle de la srie des objets monadiques consiste donc matrialiser, dans une sphre de dimension indfinie (objet 4), d'une part, un axe polaire vertical (objet 2), et de l'autre, un plan discodal horizontal orthogonal celui-ci (objet 3), sans oublier le point central (objet 1), situ l'intersection de ces deux derniers objets, qui est la fois l'origine et le centre gomtrique de chacun des trois autres membres de la srie.

    De ce point de vue, la boule peut apparaitre comme le seul objet monadique dont on puisse dire de plein droit qu'il est le gnomon du point qui est son centre - en supposant que ce point puisse tre soustrait

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    du volume de celle-ci -, puisqu'il est le seul dans lequel les possibilits de dveloppement du point s'expriment en tant que totalit clture.

    C'est le mme symbolisme mathmatique qui est ensuite transport, naturellement, dans la reprsentation de la situation de l'homme par rapport la terre, selon les diverses applications que peut prendre le paradigme des 6 directions de l'espace, o l'axe vertical correspond tantt l'axe "haut-bas", tantt l'axe "znith-nadir", tandis que le plan horizontal correspond celui dtermin par la structure d'une croix, forme, dans un cas par les axes "droite-gauche" et "devant-derrire", dans l'autre par les axes "nord-sud" et "est-ouest". Ce symbolisme se reporte ensuite, de manire identique, dans les reprsentations de l'orientation de la terre dans l'univers, o alors l'axe vertical pourra tre soit celui de la rotation de la terre, soit celui de sa rvolution autour du soleil, tandis que le plan horizontal sera, selon le cas envisag, celui de l'quateur, celui de l'cliptique, ou tout autre plan de mme nature. Dans toutes ces reprsentations sont donc privilgis un certain axe polaire vertical, reprsentant en quelque sorte lectif de la dimension pythagoricienne "2" ou de la droite, et un certain plan discodal et horizontal correspondant (qui n'est au fond horizontal qu'en vertu de la verticalit hypothtique de son prdcesseur "polaire", par une dpendance purement logique et relative), plan habituellement divis en quartiers au moyen de deux axes orthogonaux entre eux et formant une croix horizontale, qui se prsente de faon similaire comme un reprsentant lectif, ou suprieurement exemplaire, de la dimension pythagoricienne 3. Ces ralits sont en effet privilgies parce qu'elles correspondent, trs simplement, et sans aucun reste, au tableau logique quaternaire de la situation de l'homme, et son transport ou sa transposition analogique diffrentes chelles de la nature cosmique. Chacune de ces reprsentations a pour rsultat de dfinir un espace "euclidien" clos et complet, entirement paramtrable, concidant avec la possibilit d'expansion indfinie du sphrode de rang 4, en fonction d'un point qui est son centre (objet de rang 1), point qui peut lui-mme tre dfini par l'intersection des objets de rang 2 (axe vertical polaire) et 3 (plan discodal horizontal). Ceci mritait d'tre prcis pour ceux qui se demanderaient encore si cette reprsentation synthtique des objets monadiques, constituant une application de la ttractys, pouvait d'aventure relever d'une quelconque "convention". Car en effet, la ttractys n'est pas une construction intellectuelle forge par un quelconque acteur individuel de "l'histoire des sciences", mais une ralit naturelle dans laquelle l'homme se reconnat plong chaque fois qu'il y pense, parce qu'il la rencontre la racine des ides qui sont en lui.

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    Bien qu'il soit impossible de leur donner ici un dveloppement plus dtaill, on peut donc recomposer comme suit les moments logiques selon lesquels se forme la notion mathmatique de l'espace naturel.

    Niveau 0. Mathmatique. Degr de la possibilit pure a priori (vertical) - (horizontal)

    Niveau 1. Situation gravitationnelle et chirale de l'homme (haut-bas) - (droite-gauche-devant-derrire)

    Niveau 2. Situation de l'homme par rapport la terre (znith-nadir) - (nord-sud-est-ouest)

    Niveau 3. Situation de la terre par rapport l'univers (tout axe polaire de rotation ou de rvolution) - (tout plan horizontal correspondant)

    Il faut remarquer que ce qui est premier dans l'ontogense, savoir le degr zro qui est celui de la possibilit universelle, ne l'est pas dans la chronogense, c'est--dire dans l'histoire effective de la connaissance humaine, puisque ce n'est que de la considration des conditions

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    naturelles dtailles aux niveaux 1 et suivants, qu'a pu se former, dans la culture intellectuelle de l'homme, la notion du degr de la possibilit a priori, qui est celui exprim par le point de vue mathmatique. Dans l'ordre naturel qui est celui de la formation de la connaissance, le degr zro n'est donc qu'un rsultat exprim, ou abstrait de la seule consistance ou concidence synthtique de la suite hypothtique des moments qui lui succdent, suite dont le dpart est seul connu de faon familire, mais qui, l'chelle o nous l'envisageons ici, demeure bien videmment indfinie quant aux possibilits d'extension ou de clture offertes par son dveloppement cosmologique. (1)

    En raison mme de sa quotidiennet, on ne remarque pas assez le caractre profondment original de ce symbolisme, puisqu'en dfinissant l'homme comme un segment vertical, il a pour consquence de faire de lui un cousin de l'arbre, voire, sa limite idale, du fruit, et en tous cas un tre davantage plac sous le rgime de la croissance vgtale, qu'une forme apparente la gnralit du rgne animal; - moins de remonter, dans celui-ci, jusqu' un degr de primordialit qu'on qualifiera de "cytologique", la cytologie ayant d'ailleurs rellement ce caractre d'une monadologie applique. On peut mme dire de la cytologie qu'elle est, relativement la monadologie (pythagoricienne, s'entend, c'est--dire "indfinitsimale"), ce qu'est la cristallographie relativement la thorie des objets premiers, et plus gnralement la notion pythagoricienne de symtrie d'objets construits par addition de monades : un exemple d'application quasi immdiate de la nature mathmatique, la nature physique. Nous disons "quasi immdiate", car naturellement, ces applications physiques de la loi mathmatique n'ont, dans un cas comme dans l'autre, qu'un degr d'exactitude statistique, " gros grains"; ce qui n'affecte en rien leur validit, car, comme l'a montr Granger, et comme le savait aussi Pythagore, le vague, l'-peu-prs et le grossirement dfini, ne sont pas pour la mathmatique des maladies originelles, mais des conditions aux limites positivement institues, et assumes de l'intrieur par cette science, en tant que ncessaires l'expression mme de ce qui importe, avant mme qu'elle ne s'avise de lgifrer sur les conditions de possibilit de la nature physique.

    Concernant cette application de la monadologie au niveau le plus lmentaire de la biologie, et donc par dduction, l'embryologie ou la cytologie, Aristote nous a transmis, dans son De Anima, ce qui constitue, sans doute possible, un authentique enseignement pythagoricien,(2) et que l'on pourra retenir en guise de rcapitulation de ce chapitre, du fait de son caractre profondment synthtique : "Le Vivant lui-mme procde de l'ide de l'Un (1), de la longueur (2), de la largeur (3) et de la profondeur (4) premires." Les dimensions "euclidiennes" de l'espace

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    (dimensions pythagoriciennes 2, 3 et 4) y sont dfinies, de faon trs caractristique, comme trois diffrents rapports de coordination l'unit-point originelle, qui, du fait de cette relation organique, sont maintenus lis ensemble dans l'unit. Mais l'unit originelle comprenant elle-mme un rapport, qui est l'identit, on est contraint, comme de juste, de dnombrer quatre temps dans la gense de l'espace, comme dans celle de l'individu vivant en lui.

    Dans le mme ordre d'ides, et pour ne pas nous limiter aux seules autorits anciennes, le pythagoricien d'Arcy Thompson a entrepris une tude systmatique des formes de la nature, aussi bien vivantes qu'inanimes, partir de leurs seules conditions de possibilit mathmatiques, ventuellement soutenues par quelques principes lmentaires de mcanique, en ngligeant toutes les conditions de ralisation intermdiaires pouvant relever de la chimie, de la biologie ou de la gntique, et au moyen des seules catgories mathmatiques de forme et de croissance, pour la dfinition desquelles il recourt, de faon constante, aux notions pythagoriciennes de gnomon et de mdit (logarithmique, notamment). Cette entreprise a laiss sceptique une partie du public scientifique, en raison de son apparente absence d'application pratique immdiate, et de son caractre de pure thorie, au sens ancien d'intelligence directe, de contemplation du possible. Cependant, comme l'a remarqu Alain Prochiantz, les dcouvertes rcentes de la gntique ont, rtrospectivement, donn raison d'Arcy Thompson, en tablissant que la forme de l'homunculus tait bel et bien reprsente sur l'ADN.

    La physique pythagoricienne est un domaine dans lequel l'ancien et le moderne se tiennent souvent la main, dans une certaine indiffrence des volutions ou des progrs scientifiques qui sont supposs les sparer. Les noms de Pythagore et de Philolaos sont couchs sur la premire et la dernire page de Forme et croissance; et il n'y a pas une bien grande diffrence entre la dmarche d'Eurytos, entreprenant de reprsenter les formes de l'homme et du cheval au moyen d'assemblages gomtriques bidimensionnels de points monadologiques ou de "gros points" pythagoriciens, - apparemment affects de valeurs arithmtiques ou "pondrales" diffrentes, reprsentes par des jetons de diffrentes couleurs, - et celle de Turing, reproduisant les motifs des pelages de diffrents mammifres au moyen d'agents chimiques purement thoriques et imaginaires, inspirs de la logique et de l'informatique, (mais avant tout de la dcouverte merveille de l'oeuvre de d'Arcy Thompson), et que la chimie molculaire, en retard sur la simulation informatique, devait mettre quelques dcennies pouvoir, son tour, raliser exprimentalement.

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    (1) C'est un sujet d'tonnement, pour certains historiens, que ces fondateurs de la cosmologie moderne que sont Copernic, Kepler et Newton, aient t des pythagoriciens, inclue la dimension sotrique de cette pense. Mais il faudrait commencer par rappeler que la notion mme de cosmos est d'origine pythagoricienne, - du moins si on la considre en tant que fondement d'une science positive : la cosmologie, dont la notion et le projet se sont apparemment conservs jusque dans le cerveau de Stephen Hawking, et donc abstraction faite de l'tymologie, par laquelle ce mot se rattache une tradition immmoriale, relative aux rites de fondation de villes, dans laquelle il dsigne, comme le mot latin mundus, ("monde" - antonyme : immonde) un lieu consacr et purifi("cosmtique") au centre du village, symbolisant le centre du monde. Or, le problme de l'analogie du microcosme et du macrocosme, est un problme qui, bien compris, prsente prcisment deux cts qui n'ont aucune vocation tre confondus : un ct symbolique et sotrique par lequel il chappe en gnral aux capacits de l'intellectualit moderne, et un ct qui est minemment positif et pratique, par lequel il se confond avec la question de la continuit des lois de la nature toutes ses chelles, qui est la question mme de la science, dans la conception d'ailleurs assez limite que s'en font les modernes. De ce point de vue, il n'y a en effet aucun moderne dont la mentalit ressemble davantage celle d'un prsocratique, que Newton.

    (2) Comme l'ont remarqu divers auteurs, tels que Paul Kucharski et, plus rcemment, Enrico Barazzetti.

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    VII. LA DOCTRINE DU MOTEUR IMMOBILE DE LA NATURE

    La dialectique de l'Un et du Multiple

    On peut remarquer que, dans la srie des objets monadiques, c'est l'objet qui est toujours le mme, et l'opration chaque fois diffrente; tandis que, dans la srie des objets premiers, l'objet est chaque fois diffrent, mais l'opration : "poser un point dans une nouvelle dimension", demeure toujours la mme. Donc, d'une part, la srie monadique et la srie additive des objets premiers peuvent nous paratre constituer, ensemble, un cas d'application des plus universels de la dyade indtermine, dans lequel la srie monadique occupe la position de l'un et du mme, et celle des objets premiers, celle du multiple et du diffrent; mais d'autre part, chacune de ces sries se prsente elle-mme individuellement comme une application secondaire de cette mme dyade indtermine, dans une situation cette fois, o chaque terme, chaque ple de la dyade, change dialectiquement sa position avec celle de son antagoniste.

    srie monadique (objets monadiques).............UN (mme)

    objet un - oprations multiples

    srie additive (objets premiers).....................MULTIPLE (diffrent)

    objets multiples - opration une

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    Le tenseur binaire empdoclen

    Cette dialectique de l'Un et du Multiple est au coeur de la pense pythagoricienne. Le mme processus qui est, ci-dessus, attach la construction des objets fondamentaux de la connaissance gomtrique, se retrouve sur le plan de la science physique, associ la doctrine du "premier moteur", ou du moteur immobile de la Nature. Un tmoin cl de cette antique doctrine est le dbut du trait De la Nature d'Empdocle, o cette dialectique universelle est voque plusieurs reprises.

    "Et il en va ainsi, dans la mesure o l'Un

    a appris comment natre partir du Multiple;

    et lorsque, de nouveau, de l'Un dissoci le Multiple surgit,

    l les choses renaissent pour une vie prcaire; et,

    dans la mesure o elles pourvoient sans cesse leur mutuel change,

    elles demeurent ainsi, en cercle, immobiles."

    Dans cette dialectique, les catgories qui taient prcdemment celles, mathmatiques, de l'Objet et de l'Opration, sont remplaces (par une transposition analogique qui se traduit aussi par une gnralisation), par celles de l'Espace et du Temps - qui sont logiquement implicites, bien que non nommment dsignes dans le fragment ci-dessus - en tant que cadre gnral de la science physique. Bien que cette thorie "empdoclenne" du moteur immobile soit relativement mconnue de nos jours, son importance doctrinale est de tout premier ordre, puisqu'elle se rattache aussi bien aux spculations de Philolaos sur la dyade Limite-Illimit, qu' la dialectique du Mme et de l'Autre du Time de Platon, avec l'ensemble de spculations cosmologiques qui l'accompagne, - ces deux thories ne constituant d'ailleurs que deux rameaux voisins d'une mme branche de la tradition. L'importance de cette doctrine pour les anciens ne fait pas de doute, puisque la notion

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    s'est conserve, du moins en tant que rquisition logique de la science physique, dans les systmes de Platon et d'Aristote, malheureusement sans bnfice sur les ides physiques de ce dernier.

    La doctrine du moteur immobile est, en effet, le cadre dans lequel la notion pythagoricienne de symtrie reoit son dveloppement physique e