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- 1 - Institut Montaigne - Le G20, et après… - Mars 2009 Le G20, et après… Document complémentaire du briefing paper de l’Institut Montaigne « Reconstruire la finance pour relancer l’économie », Mars 2009 « There is not a lot of adult supervision out there » Barack Obama, le 18 décembre 2008, à propos des marchés financiers adult supervision » signifiant « contrôle parental »)

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- 1 - Institut Montaigne - Le G20, et après… - Mars 2009

Le G20, et après…

Document complémentaire du briefing paper de l’Institut Montaigne « Reconstruire la finance pour relancer l’économie »,

Mars 2009

« There is not a lot of adult supervision out there »

Barack Obama, le 18 décembre 2008, à propos des marchés financiers (« adult supervision » signifiant « contrôle parental »)

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Première Partie : Favoriser la renaissance d’un capitalisme de long terme

1. Pourquoi le court-termisme doit être combattu en priorité

2. Supprimer les bonus annuels dans la finance

3. Encourager les banques à financer le long terme

4. Abolir les pratiques comptables favorisant le court-termisme

5. Primer les actionnaires durables

6. Ralentir le rythme de publications des résultats financiers

Deuxième Partie : Pérenniser le financement des Etats Souverains

1. Le besoin de financement urgent du FMI

2. La « Contribution Montaigne » : principe et mécanismes

3. La création d’un marché souverain des euro-émissions

Troisième Partie : Les grands débats du G20 et la position de l’Institut Montaigne

1. Le système monétaire, source première des déséquilibres financiers

2. Résoudre la question des paradis fiscaux

3. Réorganiser le marché des produits dérivés

4. Organiser la traçabilité des produits financiers

5. Réguler les hedge funds et les prime brokers

6. Mieux sanctionner les agences de notation

7. Renforcer les moyens de régulation, à l’échelle nationale et au niveau

international

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Contexte de nos propositions

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D’un sommet de Londres à l’autre : de 2009 à 1933 Le 2 avril 2009, les chefs d’Etat des pays membres du G20 se réuniront à Londres pour discuter et décider de mesures nécessaires à l’endiguement de la crise économique et financière actuelle. Le contexte de ce sommet est à la fois dangereux, inattendu, et propice aux réformes les plus ambitieuses. Un contexte dangereux : la dislocation du système financier mondial s’accompagne d’un effondrement de l’économie américaine, moteur de la croissance mondiale, du retour des nationalismes et du protectionnisme économique, en réponse à la montée rapide du chômage dans toutes les grandes économies du monde (particulièrement aux Etats-Unis et en Chine). De nombreux pays anticipent ou redoutent des désordres sociaux significatifs en 2009. Un contexte inattendu : sans l’avoir voulu, et sans y être préparés en termes d’idéologie, de compétences humaines, techniques ou juridiques, les pays du monde entier –Etats-Unis en tête – sont actuellement obligés de reprendre en catastrophe les manettes de leurs économies, et en premier lieu les activités de crédit.

Un contexte propice aux réformes les plus ambitieuses : la conscience partagée du caractère violent, systémique et mondial de la crise, l’élection d’un nouveau président américain porteur d’un mandat de changement, l’émergence d’un exécutif européen enfin capable d’initiatives concertées (en dehors d’une Commission européenne absente ou à contre-emploi, notamment sur les questions de concurrence), l’inclusion des pays émergents dans la gouvernance mondiale, sont autant de promesses et d’attentes pour le sommet du 2 avril.

Ces attentes sont telles que de nombreux observateurs comparent ce sommet à un « Bretton Woods II ». Il est plus juste de comparer le prochain sommet de Londres avec celui de juin 1933, quelques semaines après l’entrée en fonctions de Franklin Delano Roosevelt à la présidence des Etats-Unis, en pleine Grande Dépression. Les puissances européennes voulaient enfermer la conférence dans un agenda contraire aux intérêts américains, M. Roosevelt boycotta la conférence, avec les conséquences que l’on sait sur l’économie et la paix mondiales. Quelle que soit la responsabilité des Etats-Unis dans la crise actuelle, ce risque doit être évité à tout prix. Dans cette perspective, l’Institut Montaigne formule trois séries de propositions spécifiques pouvant être soumises au G20, dans un esprit de concertation prenant en compte les intérêts américains, première puissance économique mondiale et qui devrait le rester longtemps. Les propositions ci-après succèdent aux mesures d’urgence que nous préconisons dans le briefing paper1 de mars 2009, en particulier le moratoire sur les pratiques de marché qui contribuent à l’aggravation de la crise. Elles s’inscrivent aussi dans notre anticipation d’un programme coordonné, nécessaire et temporaire de nationalisations des grandes institutions financières américaines et européennes. 1  Reconstruire la finance pour relancer l’économie, briefing paper, Institut Montaigne, mars 2009. 

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Contexte de nos propositions

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L’Institut Montaigne pour le G20 L’Institut Montaigne formule deux séries de recommandations qui lui sont propres : 1. Favoriser la renaissance d’un capitalisme de long terme Afin de lutter contre le court-termisme d’acteurs financiers s’étant sensiblement éloignés des rythmes, réalités et obligations de nos économies et de nos sociétés, l’Institut Montaigne formule les propositions suivantes : - Remettre à plat le système d’incitations financières des opérateurs de marché - Réorienter les banques vers le long terme - Abolir les pratiques comptables favorisant le court-termisme - Favoriser les actionnaires durables plutôt que les actionnaires de passage - Inciter à ne plus publier de résultats trimestriels pour les sociétés cotées 2. Pérenniser le financement des Etats souverains tout en réorganisant les marchés dérivés Dans un contexte de pénurie croissante des capitaux disponibles pour des pays en développement durement touchés par la crise, le fonds de réserve du FMI (250 milliards de dollars à ce jour) risque de se révéler rapidement insuffisant pour subvenir aux besoins croissants des pays émergents. Pour combler cette insuffisance, l’Institut Montaigne propose la création d’une contribution assise sur les transactions de produits dérivés, à commencer par les Credit Default Swaps. L’Institut Montaigne propose aussi la création d’un marché souverain des euro-émissions afin d’apporter une réponse à la situation préoccupante du financement de la dette souveraine des pays de l’Eurogroupe et des pays voisins de la zone euro. 3. Les grands débats du G20 et la position de l’Institut Montaigne Au-delà de ces recommandations propres a l’Institut Montaigne, nous reprenons dans la troisième partie de ce document les débats qui animent aujourd’hui les principaux think tanks mobilisés autour du G20 et donnons notre propre position sur chacun des sujets évoqués. Nous identifions sept domaines de discussion: - La nécessité de repenser le système monétaire international, principale source des

dérèglements financiers depuis 1971 - La lutte contre les paradis fiscaux - La réorganisation du marché des produits dérivés - L’organisation de la traçabilité des produits financiers - La régulation des hedge funds et des prime brokers - La réforme des agences de notation - Le renforcement des moyens de régulation à l’échelle nationale et internationale

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I. Favoriser la renaissance d’un capitalisme de long terme

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1. Pourquoi le court-termisme doit être combattu en priorité La crise actuelle est, à de nombreux égards, le produit d’un système financier qui repose essentiellement sur des incitations et des financements de court terme, au détriment du long terme. Omniprésence du court-termisme Une culture du court-termisme s’est logée dans tous les compartiments de la finance, qu’il s’agisse : ‐ du financement d’actifs de long terme par des instruments de court-terme (CMBS,

CDOs, actifs titrisés, et pots-pourris d’actifs) ; ‐ des primes annuelles des banquiers d’affaires, traders, courtiers, etc., étrangers à

l’intérêt de leur entreprise et de leurs clients ; ‐ des rendez-vous trimestriels imposés aux sociétés cotées ; ‐ des méthodes de mark-to-market utilisées pour valoriser des actifs ayant vocation à

être détenus sur plusieurs années (portefeuilles immobiliers, private equity, portefeuilles d’assurances) ;

‐ de la courte vue des investisseurs institutionnels, pour qui l’horizon de long terme semble s’arrêter chaque année le 31 décembre ;

‐ de la durée moyenne de détention d’une action de société cotée, qui se comptait hier en années, aujourd’hui en mois ou en semaines.

Or, autant la recherche du profit et du gain individuels sont légitimes et souhaitables pour créer de la richesse collective, autant la captation de richesses la plus immédiate possible nous paraît porteuse de danger pour la pérennité même du système. Dopage Le court-termisme incite, entre autres choses, les entreprises comme les investisseurs au « dopage » de leurs performances. Ce dopage se traduit notamment par des stratégies et des communications financières souvent agressives, parfois trompeuses, rarement soucieuses de la stabilité du système. L’Institut Montaigne recommande de saisir l’occasion de cette crise systémique pour remettre à plat un grand nombre de ces pratiques court-termistes. Impensable dans un univers stable et prospère, la remise en cause d’ « acquis » tels que les bonus annualisés dans la finance de marché, les résultats trimestriels, les approches comptables en « mark-to-market », les ratios prudentiels de Bâle II et de Solvabilité II, l’égalité de traitement entre simples actionnaires de passage et vrais actionnaires durables dans les entreprises, apparaît aujourd’hui nécessaire, possible, urgente.

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2. Supprimer les bonus annuels dans la finance En 2007, au titre de l’année 2006, les cinq premières banques d’affaires américaines et mondiales, à savoir Lehman Brothers, Goldman Sachs, Bear Stearns, JPMorgan et Merrill Lynch, ont versé 38 milliards de dollars de bonus à leurs 186 000 employés, en rétribution de leurs excellentes performances individuelles, et notamment dans les activités de marché. Par employé, ces versements représentent quatre fois la rémunération annuelle moyenne d’un salarié américain (source : Bureau of Labour). Sans polémiquer sur la contribution de ces institutions à l’économie et à la société dans son ensemble, force est de constater que, deux ans après ces versements de bonus, trois de ces cinq banques ont fait faillite ou n’ont dû leur survie qu’à leur rachat in extremis par des acteurs plus solides, tandis que Goldman Sachs a obtenu in extremis le statut de banque commerciale pour bénéficier de diverses aides et garanties de la Fed pour survivre. Ce comportement invite à ouvrir une réflexion sur le bien-fondé comme sur l’efficacité du système d’incitations en vigueur sur les marchés financiers. Un débat commence à s’ouvrir sur la légitimité même de ces rémunérations variables, qui, vues depuis le monde de l’entreprise, paraissent insensées et disproportionnées. Signe et facteur de déséquilibres économiques et sociaux, ces rémunérations variables ne doivent-elles pas être purement et simplement abolies ? Ne faut-il pas plafonner le niveau de rémunération des opérateurs de marché ? Le « cap » Obama à 500 000 dollars : une mesure dangereuse et inefficace L’administration Obama a déjà répondu à ces questions en annonçant que les salaires annuels des dirigeants des banques qui feraient appel aux fonds fédéraux seraient désormais plafonnés à 500 000 dollars. Cette mesure nous paraît dangereuse et inefficace. Dangereuse, car elle brise le principe essentiel de récompenser non seulement le travail, mais la performance, moteur d’une émulation nécessaire à la création de richesses. Inefficace, car le plafonnement des salaires des dirigeants des grandes banques, mandataires sociaux, alors qu’un grand nombre de leurs employés (traders) sont nettement plus rémunérés avec de moindres responsabilités, manquera l’objectif visé. Et détournera les meilleurs talents loin des directions générales de banques, au moment où elles ont le plus besoin d’attirer les compétences en vue de leur renouvellement. Le dysfonctionnement des systèmes de bonus dans la finance tient essentiellement dans la rémunération de la performance sur le court terme. L’annualisation des primes pousse les financiers, qu’ils soient banquiers d’affaires, conseils en fusions-acquisitions, courtiers en prêts immobiliers, traders sur produits dérivés, gérants de hedge funds, etc., à faire prendre des risques démesurés à leurs employeurs et clients, avant l’octroi de leurs primes de fin d’année. Quitte à changer d’employeur – ou de segment de marché – l’année suivante, si les opérations initiées se révélaient néfastes sur la durée.

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Lisser performance et rémunération sur le long terme L’Institut Montaigne propose de mettre fin à ce système dangereux, générateur d’instabilité systémique et de comportements mercenaires, en obligeant les institutions financières à octroyer des primes à leurs employés, mais exclusivement sur le long terme. Le système de carried interest donne un exemple d’intéressement à la performance sur le long terme, en même temps qu’il permet un alignement des intérêts des gestionnaires du fond, et des investisseurs :

‐ cette rémunération est calculée sur la performance réalisée des fonds ; ‐ les gestionnaires ne commencent généralement à recevoir du carried interest

qu’après que la performance du fonds a déjà permis aux investisseurs de recevoir un intérêt prédéfini sur leur investissement ;

‐ cette rémunération permet un engagement à long terme des gestionnaires puisque, par construction, le carried interest ne commence à être versé qu’en fin de vie du fonds et jusqu'à sa clôture (4, 5, 6, 7 ans après le démarrage du fonds) ;

‐ un gestionnaire quittant la société avant la liquidation du fonds perd tout ou partie du bénéfice des futures distributions de carried interest ;

‐ le gestionnaire est d’autant plus attentif à la performance du fonds et à ne pas prendre de risque inconsidéré qu’il a a priori investi lui-même dans le fonds pour pouvoir bénéficier du carried interest.

Ce système permet donc un réel engagement à long terme du manager. Le fait qu’il soit effectivement en position risquée sur son patrimoine personnel permet de limiter le niveau de risque qu’il fait prendre à ses clients et à ses investisseurs, et plus globalement au système. D’autres initiatives ont été récemment prises par les banques d’affaires elles-mêmes, notamment UBS et Morgan Stanley, visant à encourager des systèmes de bonus-malus et de clawbacks (mécanisme permettant de récupérer tout ou partie des sommes versées). Nous estimons que ces systèmes de rémunérations, au lieu d’être cantonnés à quelques activités d’investissement, mériteraient d’être étendus à l’ensemble des professions financières, et de façon urgente aux professions des activités de marché. Le montant du patrimoine personnel mis en jeu pourrait aussi être corrélé au montant de l’endettement et du risque que l’opérateur fait subir a son institution ou a ses clients. Ces dispositions seraient d’efficaces garde-fous pour les institutions comme pour le système financier. Elles permettraient enfin de faire émerger une nouvelle génération de financiers, plus « entrepreneurs » voire plus responsables, car capables de prendre des risques pour eux-mêmes plutôt que de les faire prendre aux autres. La crise actuelle fournit l’occasion de généraliser leur application.

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3. Encourager les banques à financer le long-terme Un amendement des normes de Bâle II : revoir les ratios de capitaux dans une logique contracyclique La crise actuelle a montré l’insuffisance et surtout le caractère procyclique et déstabilisateur des règles prudentielles de Bâle II comme de Solvabilité II. Les premières sont obligatoires pour les établissements de crédit dans l’Union européenne depuis janvier 2008 ; les secondes, propres aux compagnies d’assurance, le deviendront dès janvier 2012. Les États-Unis devaient en principe l’adopter à partir de janvier 2009 pour leurs banques internationales. Dans un briefing paper publié en mars 2009, l’Institut Montaigne recommande la suspension des ratios de capitalisation des banques et de solvabilité des assureurs en attendant que ces institutions, éventuellement assistées de différents comités d’experts (Bâle, etc.), proposent aux Etats de nouvelles règles de capitalisation. Avant de définir ces nouvelles règles, il est important de rappeler que ces ratios de capitalisation représentent l’ultime sécurité pour l’investisseur (en actions ou en obligations) comme pour le déposant d’une banque. C’est pourquoi, devant l’urgence et la gravité de la crise actuelle, nous recommandons que ces ratios soient maintenus. S’ils ne devaient pas être respectés, les juridictions nationales compétentes se chargeraient de susciter des plans de redressement afin d’assurer la continuité d’exploitation des institutions financières, mais en dehors des soubresauts paniques des signaux de marché. L’industrie du crédit est une affaire trop sérieuse pour être confiée aux humeurs des marchés financiers. Dans un second temps, lorsque les marchés et les esprits se seront ressaisis, nous recommandons que les normes qui régissent le capital minimal des banques soient amendées pour mieux tenir compte des effets de cycle et éviter que les banques se retrouvent sous-capitalisées en cas de retournement du marché. De cette manière, les nouveaux ratios de capitaux permettraient d’absorber les chocs liés à des retournements cycliques au lieu de les amplifier. Un Glass-Steagall Act moderne Au delà d’une révision des normes de Bâle II, nous recommandons d’aller plus loin et de retrouver la dynamique vertueuse du Glass-Steagall Act de 1933 qui instaurait une stricte séparation entre les métiers de banques de dépôt et de banques d’investissement. Suite à un intense lobbying des professions financières, l’Act avait été supprimé en 1999 et avait permis aux banques commerciales de se développer dans les activités de marché où elles ont pris des risques inconsidérés ou mal appréhendés, dont on prend toute la mesure aujourd’hui.

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Pour encourager les banques à irriguer à nouveau l’économie et les décourager d’investir à nouveau dans les activités de spéculation pure, l’Institut Montaigne recommande donc que les reprivatisations de banques se fassent dans le cadre d’un nouveau Glass-Steagall Act mondial, décidé de façon cordonnée au niveau des Etats du G20. L’objectif est de dissocier par la loi les banques de crédit des banques de marché ; séparer les banques commerciales, qui financent les entreprises, les ménages et les collectivités, des banques dites d’investissement. Cette dissociation permettrait de mieux allouer un capital devenu rare vers les activités nourrissant directement la croissance économique future. Nous ne sous-estimons pas la difficulté d’organiser une telle « partition » entre des activités qui ont été superficiellement juxtaposées ou amalgamées depuis la suppression du Glass Steagall Act en 1999. Paul Volcker suggérait début mars 2009 lors d’un colloque à la New York University, pour la publication du livre « Restoring financial stability : How to repair a failed system » (ouvrage collectif auquel ont notamment collaboré Viral Acharya, Matthew Richardson, Nouriel Roubini, Thierry Philippon, Anthony Sanders), de distinguer les activités où les clients sont identifiables et au contact « physique » de la banque (entreprises, ménages, collectivités publiques, etc.) des autres (activités de banques de marché, etc.). Faire payer les banques en contrepartie de la garantie « gratuite » que leur donnent les Etats La crise actuelle le montre splendidement, avec les plans de sauvetage, de nationalisations et de recapitalisations (à l’exception dramatique de Lehman Brothers), les grandes banques bénéficient de facto d’une garantie des Etats leur empêchant de faire faillite. On peut le regretter au nom du principe de « moral hazard », mais la réalité contemporaine est celle-là : les grandes banques ne font plus faillite. Ce faisant, elles bénéficient d’une garantie d’Etat à coût zéro, leur permettant de bénéficier d’un coût du capital artificiellement bas. Ce qui leur permet d’irriguer l’économie, mais aussi de prendre des risques inadaptés, que doit in fine supporter le contribuable. Il convient donc d’ouvrir un débat sur l’opportunité, après la crise, de rendre payante la garantie offerte aux banques, afin de permettre aux Etats de financer leurs plans de sauvetages lorsque celles-ci ne sont plus capables de faire face à leurs obligations. Ce dysfonctionnement, source de déséquilibres, mérite d’être abordé rapidement. L’Institut Montaigne, pour sa part, considère qu’il faut dans un premier temps inciter les banques à ne pas thésauriser davantage leurs capitaux et à produire des crédits au moment où l’économie en a le plus besoin. Nous recommandons donc que les Etats du G20 appliquent, pour une durée établie à l’avance, un taux d’imposition nul sur les activités de banques finançant l’économie non spéculative (banques « commerciales », financements de projets, etc.). Cette politique agressive, pouvant durer de 3 à 5 ans, créera une incitation forte pour les banques à prêter rapidement à l’économie réelle. A l’issue de cette période de fiscalité nulle, les banques se verront appliquer un taux d’imposition a priori supérieur à ceux actuellement pratiqués.

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En revanche, concernant les banques finançant les activités de spéculation, nous recommandons que l’émergence d’un Glass-Steagall Act 2.0, applicable aux Etats du G20, soit immédiatement accompagnée d’une fiscalité renforcée pour ces activités. Un taux d’imposition de 60, 75 ou 80% pourrait ainsi être envisagé. Cette politique fiscale différenciée permettra ainsi de réduire à sa portion la plus congrue des activités financières devenues dangereuses pour nos économies et nos sociétés. La principale difficulté de cette mesure sera d’établir la liste précise des activités financières devant être soumises à une telle taxe. Ceci pourrait faire l’objet d’un groupe de travail ad hoc émanant du G20. Nous estimons que les activités de trading sur fonds propres, de courtage, de production et distribution de produits dérivés et structurés, de titrisation, de financement des hedge funds peuvent rentrer dans cette catégorie. En revanche, les activités traditionnelles de banques d’affaires (fusions-acquisitions, underwriting (prise en garantie ferme), etc.) méritent de rester attachées aux banques commerciales, car elles servent directement les entreprises. Enfin, rappelons que l’efficacité d’une telle mesure passe par la neutralisation de la menace que représentent encore les paradis fiscaux qui pourraient profiter de la mesure pour attirer sur leur territoire toujours plus de filiales de banques d’investissement (voir III.2).

Pistes alternatives à la solution fiscale Si une telle politique d’incitation fiscale pour les banques se révélait trop difficile à mettre en place (à cause de la compétition fiscale entre grands Etats notamment), deux pistes alternatives pourraient être poursuivies afin d’aider les banques à ne plus dilapider un crédit devenu rare, pour l’orienter vers l’économie : - pour brider les activités de banques de marché, et réduire le risque systémique lié à un

excès de titrisation, toute institution cherchant à titriser un de ses actifs (créance immobilière, actions de sociétés, obligations d’Etat, etc.) serait obligée de conserver au moins le tiers de la valeur de l’actif dans son bilan. Ce faisant, le niveau maximum de levier de ces institutions (banques, hedge funds, tables de trading, etc.) serait de 3 (et non de plus de 30, comme c’était le cas des Lehman Brothers, Bear Stearns ou Merrill Lynch) ;

- pour encourager les banques commerciales « reprivatisées » à prêter aux entreprises

et aux ménages, un système de garanties émises par les Etats et/ou les banques centrales sur certains prêts pourrait être développé, à côté ou en remplacement d’une politique fiscale incitative (par exemple refinancement de prêts obligataires).

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4. Abolir les pratiques comptables favorisant le court-termisme Dans son briefing paper de mars 2009, l’Institut Montaigne recommande, pour les marchés insuffisamment liquides, la suspension de l’utilisation du « mark to market » durant une période de moratoire à définir. Nous détaillons ci-dessous quelques propositions techniques pouvant être proposées à l’issue de ce moratoire. Mettre fin au caractère procyclique de la « fair value » La crise actuelle a relancé le débat autour de l’entrée en vigueur des normes IAS/IFRS en Europe, effective depuis le 1er janvier 2005. Le débat s’est particulièrement concentré sur la question de la juste valeur dont la généralisation constitue, à terme, l’objectif de l’IASB (International Accounting Standards Board), très influent lobby privé basé à Londres. La comptabilisation en juste valeur consiste à attribuer à chaque actif sa valeur actuelle et non celle qu’il possédait au moment de son achat (comptabilité historique). La comptabilité en juste valeur peut se faire de deux manières :

‐ en référence à la valeur de marché si celle-ci est observable directement ou indirectement : c’est le « mark to market » ;

‐ en référence à un modèle d’évaluation financière dans les autres cas : c’est le « mark-to-model ».

Sur un marché liquide, rationnel et non fébrile, on peut éventuellement penser que comptabiliser un instrument financier à sa cote (« mark-to-market ») donne une information relativement fiable pour que les investisseurs puissent prendre leurs décisions. La difficulté liée à la juste valeur (dénomination qui relève de l’abus de langage) s’intensifie quant il s’agit de valoriser des actifs sur des marchés irrationnels, paniques, peu liquides voire illiquides, comme c’est le cas aujourd’hui. Un cercle vicieux peut ainsi très rapidement s’enclencher dès que le prix d’un actif diminue. Les intermédiaires financiers doivent alors reconstituer leurs fonds propres afin de respecter les règles prudentielles. S’ils ne réussissent pas à lever de nouveaux fonds, ils doivent revendre des actifs, faisant baisser les cours et entraînant l’ensemble des intermédiaires financiers dans une spirale de destruction de valeur. Ainsi, l’évaluation comptable en « juste valeur » peut conduire à amplifier de manière systémique les mouvements de marché à la hausse ou à la baisse, en particulier si l’ensemble des acteurs de marché utilise ce mode d’évaluation pour leurs comptes publiés. Compte tenu de l’ampleur de la crise actuelle, il y a des raisons de craindre que la généralisation de l’évaluation en juste valeur voulue par l’IASB, n’entraîne de nouveaux cycles spéculatifs (émergence, inflation puis éclatement d’autres bulles financières).

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Encourager une multiplicité des méthodes de valorisation des actions Si le mark-to-market peut avoir sa place sur des marchés liquides, profonds et « rationnels » ce n’est pas le cas sur des marchés excessivement euphoriques ou craintifs, ou peu liquides. L’adoption de normes comptables plus nuancées, reflétant plus fidèlement le régime de liquidité propre à chaque marché d’actif, doit être recherchée. On peut ainsi imaginer l’adoption d’une technique intermédiaire qui peut apporter un éclairage plus juste : l’utilisation d’une fenêtre coulissante – moyenne mobile des cours des transactions comparables intervenues pendant une période donnée – atténuerait, à la hausse comme à la baisse, les effets de volatilité au bilan, ralentirait les variations des actifs gagés, déposés en contrepartie d’une position financière en attente de règlement, et aurait un effet stabilisateur sur l’activité des participants. La largeur de cette fenêtre (30 jours, 6 mois, un an) pourrait être allongée en cas de crise financière, comme aujourd’hui. Ainsi, dans un univers « stable », la valeur serait donnée par une moyenne de marché sur 30 jours. Et dans un univers instable, la moyenne serait étendue a 3, 6, 12 mois ou plus. Changer les règles comptables qui poussent les banques à la faute La non-consolidation au bilan de nombreuses transactions a crée un système bancaire « de l’ombre » (shadow banking), ou plus personne ne connaissait la vraie solvabilité et donc les risques de ses contreparties. Par ailleurs, la possibilité offerte aux banques de pourvoir au financement à court terme de leurs clients en gageant des titres structurés complexes a joué un rôle central dans l’effondrement du marché du crédit. Cette opacité a été une grande source de défiance, encourageant rumeurs et spéculations. L’effondrement de Bear Stearns, Lehman, AIG etc., en quelques séances de Bourse en fut un exemple saisissant. A la base de ce système de l’ombre, on trouve les conduits. Outils de titrisation2, les conduits sont des véhicules d’investissement dédiés – structured investment vehicles (SIV) – constitués par une institution financière pour le compte d’un tiers. Ce véhicule reçoit en gage des créances de long-terme (des instruments financiers ou d’autres actifs) en contrepartie desquelles sont émis des titres de dette à court-terme (commercial paper). La banque a la charge, moyennant une commission, d’assurer le placement et le refinancement de ces titres. La banque contracte, ce faisant, une obligation de résultat et s’engage si nécessaire à refinancer elle-même les émissions du conduit. Deux problèmes graves font surface. Tout d’abord, l’impact potentiel (par nature, incertain) de telles opérations n’apparaît pas au bilan de la banque et masque l’étendue de ses astreintes financières. Un assèchement des marchés du crédit commercial aurait pour effet immédiat de détériorer dangereusement la capitalisation de ces institutions. Plus grave peut-être : l’émission massive de titres de dette hypothécaire par les conduits 2 Opération financière qui consiste à transformer des prêts bancaires normalement illiquides en titres aisément négociables sur des marchés, par l’intermédiaire d’une entité juridique ad hoc.

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épuise ce marché, renchérissant l’accès au financement à court terme de l’ensemble des emprunteurs. Or la qualité des actifs gagés est loin d’être homogène : des défauts de paiements inciteraient les investisseurs à la défiance, les éloignant durablement des marchés du commercial paper et aggravant ainsi une crise de liquidité aux conséquences particulièrement préoccupantes. Le financement, en toute opacité, d’actifs de long terme par de la dette à court terme n’a dû sa survie qu’à des taux d’intérêt particulièrement faibles et à l’envolée des prix d’actifs. Une première vague de défauts, observée dès 2007, entraîna l’effondrement de cet équilibre précaire. L’assainissement du système financier et la réanimation des marchés hypothécaires exigent, dans les plus brefs délais, d’organiser la traduction comptable de tout engagement direct ou indirect des institutions financières. La notion même de hors-bilan doit, d’une certaine façon, être assimilée à un vide juridique encourageant les institutions financières à produire des états financiers partiels, peu représentatifs de leur situation financière réelle, et que d’aucuns qualifieraient de faux bilans. Ce « droit à faux bilan », qui sera probablement jugé comme une aberration dans quelques années, doit être aboli non pas dans les mois, mais dans les semaines qui viennent. Sans cette forme d’opération-vérité sur les établissements financiers, le retour de la confiance dans le système financier est une gageure.

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5. Primer les actionnaires durables Un dogme étrange (l’égalité de traitement entre actionnaires, quels qu’ils soient) soutient que les actionnaires volages, invités de dernière minute dans le capital d’une entreprise, devraient avoir les mêmes droits de vote et droits à dividendes qu’un actionnaire présent depuis des décennies, ayant accompagné l’entreprise, son risque et son management. Cette asymétrie dans la prise de risques et la récompense n’a aucun sens, ni moralement, ni économiquement. Elle favorise de facto les actionnaires « zappeurs » les plus volatiles, nourrissant l’instabilité de tout le système, au détriment de ses acteurs les plus stables et les plus sérieux (fonds de pension, caisses de retraites, etc.). Il convient de mettre un terme à ce dysfonctionnement, en attribuant aux actionnaires de long terme des droits de vote et des droits à dividendes accrus selon la durée de détention de leurs titres. La ventilation du capital en plusieurs classes d’actions – ordinaires et préférentielles –, instrument de gouvernance encore diversement utilisé, pourrait trouver ici une utilité immédiate. Ainsi, l'action à droit de vote double (France) voire à droit de vote multiple (Scandinavie, Suisse, Pays-Bas, Etats-Unis), permet d'affermir le contrôle des actionnaires fidèles (depuis une durée minimum comprise entre deux et quatre ans pour les sociétés cotées en France) tout en enterrant le principe hasardeux selon lequel le nombre de voix attaché aux actions devrait être proportionnel à la quotité de capital qu'elles représentent à l’instant t. On retrouve cette pratique dans de nombreuses sociétés cotées : les familles Arnault et Pinault maintiennent leur contrôle respectif sur LVMH et PPR en partie grâce à cette technique ; aux Etats-Unis, la Berkshire Hathaway mais aussi Google fonctionnent sous le dual-class shares system (en général, une action « B » donne droit à dix droits de vote d’une action « A »). C’est un moyen utile d’avantager à la fois les dirigeants soucieux de développer leur entreprise dans le long terme et de primer les actionnaires durables. Cela permet aussi de protéger l’entreprise contre d’éventuelles prises de participations aussi hostiles qu’éphémères, ou simplement déstabilisatrices, volens nolens. La réalisation de cet objectif peut aussi prendre la forme, dans un premier temps, d’incitations fiscales, la taxation des dividendes et des plus-values faisant l’objet d’un traitement allégé par distribution progressive de crédit d’impôt au-delà d’une certaine durée de détention. D’une manière générale, il s’agit de privilégier un actionnariat stable. En effet, pour créer de la valeur, et ce durablement, une entreprise a besoin de maîtriser le temps et son horizon stratégique. De ce point de vue, un actionnariat stable, que symbolise le plus parfaitement l’actionnariat familial, constitue un formidable avantage comparatif. Dans une étude publiée en 2006, les économistes David Thesmar et David Sraer ont démontré qu'entre 1990 et 2000, les entreprises familiales françaises avaient, en moyenne, affiché un taux de rentabilité des capitaux propres entre 2 et 10 points supérieurs aux entreprises «impersonnelles». Ce surcroit de rentabilité s’explique, selon les auteurs, par une vision de plus long terme des dirigeants des groupes familiaux. De plus,

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sur le plan social, les entreprises familiales sont considérées comme plus avancées bien que les salaires soient en moyenne entre 0 et 5% moins élevés qu'ailleurs (en contrepartie d’un emploi davantage protégé). Pour privilégier un tel actionnariat stable par rapport à des investisseurs « zappeurs », nous recommandons non pas une séparation du capital en plusieurs classes d'actions, mais la mise en place de droits à dividendes et de droits de vote qui augmentent avec la durée de détention des titres par l'investisseur. Sans fixer à ce stade une échelle précise (à définir après avoir auditionné des associations d'actionnaires minoritaires telles que l’ADAME, Proxinvest, etc.), nous partons du principe que des droits à dividendes et des droits de vote peuvent doubler, tripler, quintupler par rapport aux droits que devraient détenir un simple actionnaire « de passage ». Pour que de telles mesures soient effectives, et pour décourager les pratiques dangereuses de ventes à découvert (qui rémunèrent la destruction du capital), les investisseurs prêtant leurs titres à des tiers (i.e. des investisseurs institutionnels prêtant des titres à des hedge funds) perdront ces droits accrus. Cette proposition sera vivement contestée par bon nombre d’acteurs financiers se nourrissant de la volatilité des marchés (opérateurs d’infrastructures et de places de marché, hedge funds, traders sur dérivés etc.). Il conviendra de leur opposer le primat de l’intérêt économique des entreprises, pourvoyeuses d’emplois et créatrices de richesses, sur l’intérêt de financiers de marché, pourvoyeurs d’instabilité.

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6. Ralentir le rythme de publications des résultats financiers Mettre fin au court-termisme financier impose de freiner la course à la publication de résultats trimestriels pour les sociétés cotées: elles créent de faux rendez-vous pour la communauté financière, obligent les dirigeants d’entreprises à pratiquer une politique de courte vue, voire à « doper » leur performance au mépris des risques accrus pour leurs actionnaires. Par ailleurs, les économies que créeront ces limitations de publications (frais d’audit, relations investisseurs, communication financière) permettront aux émetteurs de redéployer des ressources humaines et financières vers des fonctions plus créatrices de richesses durables pour l’entreprise et ses actionnaires. La communication d’informations semestrielles sur les résultats (moins détaillées que les publications annuelles) est sans doute, pour la plupart des industries, le rythme le plus adapté à l’horizon des entreprises.

Sans mésestimer la déception des professions se nourrissant de publications financières très rapprochées (cabinets d’audit, analystes financiers, courtiers, traders, etc.), on leur rappellera que la multiplication de ces publications, à l’instar de l’inflation des réglementations tatillonnes auxquelles sont soumises les sociétés cotées depuis Sarbanes Oxley, n’a pas, à la lumière de la crise actuelle, donné de résultats très probants pour l’ensemble du système financier.

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II. Pérenniser le financement des Etats souverains

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1. Le besoin de financement urgent du FMI La crise actuelle a placé le FMI au centre de l’architecture financière mondiale. Remis en cause avant la crise par les pays émergents qui doutaient de la pertinence de ses recommandations et de sa structure de gouvernance, certains pays doutaient même de son utilité dans un monde où les besoins de financement étaient désormais assurés par les marchés de capitaux. La crise financière actuelle a totalement changé la donne. L’assèchement en cours du marché des dettes des Etats (« souveraines »), aggravé par les émissions massives d’obligations du Trésor américain, et l’inversion des flux de capitaux, ont sévèrement touché les pays émergents. Augmenter les ressources du FMI pour venir en aide aux pays émergents touchés par la crise doit être une priorité du G20. Les réserves actuelles du FMI sont actuellement de l’ordre de 250 milliards de dollars. Pour venir en aide d’urgence à des pays et des régions tels que la Turquie, le Pakistan, l’Afrique, l’Europe de l’Est, l’Ukraine, l’Amérique du Sud hors Brésil, la Corée du Sud, l’Indonésie, l’Inde, etc., ce chiffre paraît bien faible. Surtout en regard des plans de relance américain (plusieurs milliers de milliards de dollars) ou chinois (600 milliards de dollars). De nombreuses suggestions ont été faites afin d’augmenter les ressources du FMI : doublement des quotas, nouvelles émissions de DTS… Ces initiatives, dont l’effet sur la gouvernance du FMI reste incertain, se sont récemment traduites par un projet clair, annoncé par les ministres des finances des pays membres du G20, visant à doubler les dotations du Fonds. A l’heure où les endettements nationaux atteignent des sommets, portés par le creusement des déficits que provoque immanquablement la multiplication des investissements publics, l’immobilisation de plus de 250 milliards de dollars supplémentaires relève d’un arbitrage lourd de conséquence. Pour éviter cela, et pour répondre pleinement aux objectifs annoncés du G20, nous proposons la création d’une « Contribution Montaigne » sur les produits dérivés de crédit. Ce mécanisme aurait pour double objectif de (i) financer l’action du FMI sans remise en cause de sa gouvernance et de (ii) stabiliser le marché des produits dérivés de crédit. 2. La « Contribution Montaigne » : principes et mécanismes Une Taxe Tobin 2.0 ? Pas tout à fait L’idée d’une taxe sur le négoce des produits dérivés n’est pas nouvelle. Longtemps évoquée par certains courants de pensée économique, elle n’a jamais pu se dégager de la nasse idéologique dans laquelle ses partisans la maintenaient. La réinterprétation des propositions avancées par l’économiste James Tobin – dont l’unique objectif était de contenir les distorsions engendrées par les fluctuations locales les plus violentes des

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II. Pérenniser le financement des Etats souverains

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changes – condamnèrent peu à peu toute initiative aux yeux d’une communauté financière d’abord soucieuse de préserver la liquidité, rouage essentiel mais fragile des marchés. Victime de ce détournement idéologique, l’idée de canaliser puis de rediriger le puissant flux des transactions financières à des fins stabilisatrices – par introduction d’une contribution aux effets incitatifs correcteurs – doit être remise à l’ordre du jour. Une expérimentation par étapes La mise en place de cette contribution doit se faire par étapes, pour valider sa faisabilité sur un segment du marché des produits dérivés, avant éventuellement de l’étendre à tous les produits dérivés. Dans un premier temps, nous recommandons de limiter le périmètre d’une telle contribution aux marchés d’actifs les plus risqués et les plus susceptibles d’engendrer des déséquilibres économiques, au delà de la sphère financière. Les credit default swaps, instruments hybrides de protection et de spéculation, constituent sans doute une première cible de choix. Leur fonctionnement est détaillé en note de bas de page.3 Priorité à la stabilisation du marché des CDS sur dettes souveraines La spéculation active sur le marché des CDS est sans doute au cœur des turbulences traversées par certaines entreprises mais aussi, ce qui est incomparablement plus grave, par certains États : l’achat spéculatif de protection contre le défaut éventuel d’un pays contraint les vendeurs à supporter une pression considérable – menaçant leur solvabilité – et soumet toute nouvelle émission à des taux pénalisants. Le service d’une dette souveraine de plus en plus lourde et l’impossibilité d’un refinancement sont souvent le prélude à une crise de changes et peuvent conduire à des troubles économiques, politiques et sociaux graves. 3 Apparus à la fin des années 1990, les produits dérivés de crédit sont des instruments financiers dont la valeur est liée à celle d’un titre de dette émis par une entreprise ou par un État. Les credit default swaps – mieux connus sous l’acronyme CDS –, de loin les plus largement répandus, ont pour vocation de protéger leur acheteur contre un défaut de paiement sur un titre précis : en cas de réalisation d’un tel événement, l’autre partie au contrat, le vendeur du CDS, sera contraint de dédommager intégralement l’acheteur par versement d’espèces en échange du titre déchu. L’accroissement massif des niveaux d’endettement – souhaité par les Banques centrales de l’époque, Federal Reserve en tête – eut donc pour catalyseur le marché, alors naissant, des dérivés de crédit. A de lourds emprunts vinrent s’ajouter des garanties plus lourdes encore, dont les notionnels (égaux chacun au montant total des dettes couvertes par un contrat donné) crurent plus rapidement que leurs titres sous-jacents – chaque euro, chaque dollar ou chaque yen emprunté étant couvert simultanément par plusieurs contrats. L’essor des marchés dérivés de crédit, tant qu’il dura, ne fit qu’exacerber la gravité latente du retournement qui menaçait une croissance économique artificiellement entretenue par des taux d’intérêt historiquement bas. Il faut noter aussi que l’asymétrie persistante entre les profils de risque à l’achat et à la vente fut mise en lumière par la crise actuelle dont les CDS permirent la propagation et l’amplification. L’achat d’un CDS permet de réaliser un gain potentiel théoriquement illimité pour un risque latent limité ; sa vente, inversement, ne laisse entrevoir qu’un profit potentiel limité obtenu au prix d’un risque latent illimité.

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Une réforme du marché des CDS s’impose pour prévenir les chocs de liquidité auxquels les participants doivent régulièrement faire face (voir III.3. Réorganiser le marché des produits dérivés en pages suivantes) mais aussi pour endiguer les effets pervers d’une spéculation désordonnée. La Contribution Montaigne, décrite dans les paragraphes suivants, a pour fonction d’appuyer la réorganisation de ces marchés par redéfinition du périmètre de syndication des risques et alignement du négoce de dérivés sur le régime des produits d’assurance (dont ils sont, par construction, des produits similaires, plus liquides, moins spécifiques, librement échangeables). Instrument de politique monétaire, outil de contrôle de l’effet de levier, de lutte contre les crises internationales et de soutien au développement, la Contribution Montaigne est l’une des clefs des recommandations de l’Institut pour le G20.

Modalités de la Contribution Montaigne L’existence de cette Contribution Montaigne dépend notamment du nécessaire réagencement de l’architecture des marchés dérivés de crédit par la création d’une chambre unique de compensation, et l’introduction d’un système de cotation continue et d’un carnet d’ordres transparent (tel que décrit en III.3). Le mécanisme de la Contribution prend directement sa source dans les risques de contrepartie du marché des CDS, comme suit : Il est d’usage parmi les courtiers d’associer la taille des appels de marge (garantie servant de gage au remboursement d'un prêt dans le cas où l’emprunteur ferait défaut) au risque associé à l’ensemble du portefeuille. De la même façon, le niveau de levier implicite que supporte un acteur donné déterminerait le montant en gage à déposer auprès de la chambre de compensation : plus le ratio d’endettement serait grand, plus important serait le facteur de couverture requis. Les encours, (sujets à des incréments périodiques, fonction de l’accroissement du levier accumulé par chaque acteur) seraient placés à un taux d’intérêt variable4, et libérés une fois atteinte une durée minimale de détention (dépendante de la maturité du sous-jacent couvert) et une fois la transaction soldée. Les montants ainsi accumulés permettraient non seulement de prémunir la communauté contre un risque systémique de contrepartie (rôle d’une chambre de compensation) mais aussi de doter le teneur de marché (rôle qu’endosserait alors plus explicitement le FMI) d’un mode de financement remarquable par la faiblesse de son coût et par sa profondeur. 4 Fixé périodiquement par les autorités monétaires internationales – ou éventuellement en référence à un taux hybride calculé suivant une pondération identique à celle des special drawing rights (DTS).

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Un spectre d’intervention comprenant aussi bien les dérivés5 que les actifs sous-jacents, c’est-à-dire les finances publiques de l’émetteur souverain donnerait au FMI toutes les garanties d’efficacité nécessaires. Plusieurs centaines de milliards de dollars pour le FMI Un exemple chiffré permet de mieux apprécier la mesure proposée. L’estimation de la somme qui serait ainsi mise à disposition du FMI dépend de deux paramètres très variables : le calcul du ratio de couverture requis, dépendant du levier accumulé par chaque acteur sur l’ensemble de son portefeuille (et donc indirectement seulement de l’instrument traité) ; et la mesure de l’impact de ce dispositif sur la spéculation – le notionnel du marché diminuant par disparition de la fraction la plus hautement spéculative des acteurs. Pour contourner cet obstacle, nous fixerons la fraction de couverture moyenne à 1 % du notionnel total6, somme immobilisée sur une année par exemple. Le niveau du notionnel du marché des CDS s’établissait à environ USD 30,000bn à la fin de l’année 2008 : le montant libéré pour le FMI aurait ainsi été de USD 300bn, à comparer aux 250 milliards de dollars de réserves actuelles. Cet exemple est simplement indicatif, car le ratio de couverture correspondant au levier implicite de chaque agent, la durée d’immobilisation des actifs seront fixés par le régulateur. Mais il offre des perspectives intéressantes sur la façon dont l’ensemble des marchés mondiaux de produits dérivés (d’un montant notionnel de 600 000 milliards de dollars, source Banque des Règlements Internationaux, décembre 2007) pourrait contribuer à l’intérêt général, et non plus seulement à l’intérêt de quelques grappes de traders sans supervision rigoureuse. Une contribution permettant d’atteindre plusieurs objectifs La réorganisation des marchés dérivés de crédit autour d’une chambre unique de compensation pourrait donc s’accompagner d’un apport collatéral stabilisateur, instrument d’une politique de développement international, courroie de contrôle du levier financier et mécanisme d’amortissement des crises spéculatives. Enfin, la Contribution Montaigne présenterait l’avantage d’augmenter les ressources du FMI sans réintroduire le sujet très sensible de son mode de gouvernance qui ne 5 Dont les spreads pourraient être contenus statiquement – par simple prise de position – et dynamiquement – par augmentation ponctuelle des contraintes de collatéral, brisant tout emballement spéculatif dangereux - 6 Le calcul étant le suivant : le montant de transaction correspond au spread coté appliqué au notionnel e.g. 50bps en moyenne et USD 30,000 bn respectivement pour une valeur de transaction de USD 150bn; le portefeuille de chaque agent comprend un niveau de levier donné, auquel correspond un ratio de couverture, e.g. levier de 2 et ratio correspondant de 2 ; la somme immobilisée par cet agent sera égale au taux de couverture multiplié par le montant de transaction – somme égale, dans ce cas, à USD 300bn.

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manquerait pas d’être soulevé dans le cadre de nouveaux financements par augmentation des quotas ou de prêts par pays. 3. La création d’un marché souverain des euro-émissions

Si la création d’une Contribution Montaigne pour financer le FMI est une urgence prioritaire, la création d’un marché souverain des euro-émissions l’est au moins autant.

Introduction Le 11 février dernier se produisit un phénomène inconcevable il y a encore peu : pour la deuxième fois consécutive, le Trésor allemand ne parvint pas à placer la totalité de l'adjudication des obligations de l’Etat fédéral, titres pourtant très prisés par les marchés. Cet événement est révélateur d'une tendance de fond particulièrement inquiétante. A l'heure où les gouvernements mondiaux multiplient les programmes de relance budgétaire, les capitaux vont-ils manquer à l'appel ? Les difficultés rencontrées aujourd'hui par l'Allemagne pourraient bien préfigurer celles, plus aiguës, du Trésor américain – en passe d'émettre plus de 1 800 milliards de dollars de titres[1] en 2009. De plus, un trop fort volume de court terme, en Europe, aux États-Unis comme au Japon, étouffe le marché du papier commercial et congestionne les canaux du crédit. Un marché des obligations souveraines plus dense et mieux échelonné est une condition nécessaire au financement et donc à l’existence même des programmes de relance économique. Une offre obligataire plus condensée Euro-émissions souveraines. A monnaie commune, mode de financement commun. L’idée d'une obligation souveraine partagée par les pays de l'Eurogroupe vit le jour avec l'apparition de l'ECU, auquel succéda l'euro. Les lignes qui suivent s'attachent à décrire une version possible – la plus simple et probablement la plus prometteuse, à défaut d'être la plus aisée à mettre en place – d’un système envisagé dès l’origine de l’idée d’une monnaie commune européenne. Une agence commune aurait la charge d'émettre et de placer des titres dont le produit serait ensuite reversé aux gouvernements nationaux en conformité avec leurs projections budgétaires. Une réserve de garantie pourrait, par ailleurs, être constituée. Évidemment, la réalisation d'un tel mécanisme peut être progressive : il est possible – et peut-être même souhaitable – de limiter ces émissions (i) à la fraction de la dette publique nationale correspondant aux maturités les plus longues et (ii) à un groupe d'États économiquement homogène (ne comprenant donc pas la totalité de l'Eurogroupe).

[1] Porteurs de coupons, i.e. hors T-Bills et instruments cash.

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Avantages. Les avantages d'un tel système sont nombreux et peuvent être rangés en quatre catégories :

· Avantages monétaires : instrument de référence, l'Eurobond constituera une alternative crédible aux bons des Trésors américain et japonais. On peut même imaginer que les trois pôles obligataires souverains facilitent l’émergence d’un nouvel équilibre entre trois zones monétaires, l’une en dollar (Amériques), l’autre en euro (Europe, Méditerranée, Afrique.), la troisième en yen et yuan (Asie) - voir partie III.1;

· Avantages opérationnels : des émissions communes agrégeront des marchés dont la liquidité, aujourd'hui moins bien assurée[3], est parfois défaillante. Des teneurs de marché plus solides endigueront toute variation brusque avec une efficacité accrue. Une offre plus régulière atténuera les heurts liés à des émissions intermittentes. Une offre unique permettra un pilotage plus précis du calendrier et devra ouvrir la voie à une coordination étroite de l'agence européenne avec le Trésor américain et le Ministère des Finances japonais ; · Avantages budgétaires : un marché moins fragmenté drainera davantage de liquidités, augmentant ainsi la capacité d'endettement des États membres, émetteurs indirects, tout en ramenant le taux de financement à un niveau plus faible que leur moyenne antérieure[4] ; · Avantages politiques : tout en assurant le financement des plans de relance nationaux, ces émissions auront l'immense intérêt de donner à Bruxelles un contrôle effectif sur les dérives budgétaires des États membres. Une plus grande crédibilité des politiques nationales favorisera la croissance et les gains de productivité, limitera les déficits, engageant une dynamique vertueuse qui, à terme, amoindrira le coût de financement de la zone.

Une demande obligataire mieux canalisée Maturités. Une caractéristique essentielle de la crise actuelle est sans doute l'effondrement des marchés du crédit. Si la politique de quantitative easing menée par la Réserve Fédérale depuis plusieurs mois paraît en mesure de stabiliser les marchés hypothécaires et de rétablir, à terme, la solvabilité des ménages, son efficacité sur les marchés du papier commercial reste, pour l'heure, incertaine. Étranglé par l'étau concurrentiel des titres souverains à court-terme (U.S. T-Bills, cash management instruments et autres titres d'une maturité inférieure à douze mois dépourvus de coupon),

[3] Comme le démontra la tentative (réussie) de déstabilisation des marchés obligataires souverains, nommée « Dr. Evil » par leurs auteurs, alors cadres de Citigroup (2004). [4] C.f. Rapport du groupe Giovannini - Report on the co-ordinated issuance of public debt in the euro area, novembre 2000.

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le papier commercial peine à attirer des investisseurs devenus extrêmement averses au risque. Un échelonnement des maturités et l'utilisation de canaux temporairement mis à la disposition des autorités publiques peuvent largement contribuer à réanimer ce marché et à franchir ainsi une étape décisive vers le retour à la croissance[5]. Séniorité et échelonnement. Les intermédiaires de papier commercial sont ceux-là même qui interviennent sur le marché de la dette souveraine à court-terme. Un recours moins systématique à ces instruments – prélude, peut-être, à leur quasi-disparition – au profit de titres de maturités plus longues desserrerait immédiatement l'étreinte publique qui handicape une large frange de la dette privée – notamment, donc, le papier commercial. La route à parcourir reste longue : en 2006, les titres à moins d'un an représentaient plus de 50 % des émissions françaises et italiennes brutes, 30 % des émissions allemandes et plus de 60 % des émissions américaines. La planification conjointe d'émissions communes et de plus longue maturité (trente voire cinquante ans), la multiplication des références au milieu et au bout de la structure à terme apporteront un important surplus de liquidité – par sollicitation de chaque compartiment de l'habitat – tout en libérant un levier d'intervention supplémentaire sur la courbe des taux. Conclusion Les graves dysfonctionnements qui frappent aujourd'hui les marchés souverains et menacent le financement des plans de relance ne cesseront qu'avec l’extension de l’échelonnement des maturités souveraines. L'émission d'une série de titres communs à l'Eurogroupe drainerait efficacement les marchés de capitaux tout en fournissant un appui solide aux politiques monétaires et budgétaires des États membres.

[5] Mode de financement courant par les entreprises, la désaffection dans laquelle est tombé le papier commercial est une menace directe pour l'emploi et la consommation.

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III. Les grands débats du G20 et la position de l’Institut Montaigne

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L’état du débat autour du sommet du G20 à Londres le 2 avril 2009 est déjà bien avancé. Depuis le déclenchement de la crise à l’été 2007, de nombreux rapports et commentaires ont analysé les causes de la crise, proposé les meilleures pratiques et les futures réformes à effectuer : renforcement de la régulation et de la supervision prudentielle sur les marchés financiers, nouvelles politiques de corporate governance et de gestion des risques au sein des banques, réforme du fonctionnement des agences de notation, régulation des hedge funds… L’Institut Montaigne propose donc dans cette troisième partie de faire un état des lieux des principaux débats autour du G20 et de voir où se situe leur avancement. Sur chacun des sujets abordés, l’Institut Montaigne donne sa position. Nous avons regroupé ces éléments du débat en sept catégories : - la nécessité de repenser le système monétaire international, principale source de

dérèglements financiers depuis 1971 ; - la lutte contre les paradis fiscaux ; - la réorganisation du marché des produits dérivés ; - l’organisation de la traçabilité des produits financiers ; - la régulation des hedge funds et des prime brokers ; - la réforme des agences de notation ; - le renforcement des moyens de régulation a l’échelle nationale et internationale.

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III. Les grands débats du G20 et la position de l’Institut Montaigne

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1. Le système monétaire, source première des déséquilibres financiers L’Institut Montaigne estime, avec des économistes de premier plan tels Maurice Allais, Joseph Stiglitz, et Paul Krugman, que le système actuel de changes flottants, autour d’un « étalon-dollar » en crise, est la source des principaux désordres financiers mondiaux : déséquilibres des balances de paiements courants, surplus de capitaux cherchant à s’investir ‘coûte que coûte’, générant inflation, bulles financières, excès de crédits, surendettements, puis crises de crédit. Nous soldons aujourd’hui les déséquilibres accumulés depuis 1971, et le moment où le dollar s’est détaché de l’or : en 38 ans, le PIB américain a augmenté de 3 % par an en moyenne, pendant que la masse monétaire américaine augmentait de 8,5 % par an. Autrement formulé, le PIB américain a été multiplié par 3 en 38 ans, mais cette croissance a nécessité de multiplier la masse monétaire en circulation plus de 21 fois (source : Fed) ! Dans ce décalage sont venus se loger l’inflation et l’excès de crédit, propagés dans le monde entier, contribuant à une forme de désordre permanent du système bancaire et financier mondial. En illustration de ce point, dans un rapport publié en décembre 2008, le FMI rappelle que depuis 1971, ses membres dans le monde entier ont connu 124 crises bancaires, 205 crises de crédit, 63 crises d’Etats souverains, et une cinquantaine de crises cumulant ces phénomènes. Ainsi, la fluctuation des changes qui prévaut depuis la fin du système imaginé à Bretton Woods n’a fait que conforter, contrairement à son effet attendu, la suprématie du dollar. Le billet vert bénéficie effectivement du privilège exorbitant traditionnellement associé aux monnaies de réserve : pouvoir émettre de la dette de façon illimitée, à très faible coût, les banques centrales du monde entier étant obligées de détenir la monnaie de réserve. Le remplacement d’une ressource limitée par la monnaie américaine au bilan des banques centrales du monde, transfère le poids significatif de la dette contractée par les États-Unis au cours du dernier demi-siècle à l’ensemble de ses créditeurs. La consommation des ménages américains, alimentée par une épargne négative, aura soutenu la croissance de ces dernières années, en creusant les déficits américains tout en favorisant la constitution de réserves de changes considérables dans certains pays émergents.7

7 Une balance commerciale américaine déficitaire aura longtemps permis aux partenaires commerciaux des États-Unis d’amasser de considérables réserves en dollars. La préservation de cet équilibre dynamique imposait la neutralisation des effets de change et le financement du déficit-client – objectifs réalisés par rachat systématique des titres émis par le Trésor. Certains pays, au premier rang desquels figure la Chine, loin devant le Japon, la Russie et les pays du Golfe, bénéficièrent pleinement de ce mécanisme, souvent renforcé par une importante épargne individuelle. Le contraste atteignit son comble, en 2007, entre les États-Unis, d’une part, – consommant à crédit au mépris d’un niveau endettement déjà vertigineux – et

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Dans ce contexte, les déclarations de Vladimir Poutine et du Premier ministre chinois Wen Jiabao, durant la 39ème édition du Forum Economique Mondial à Davos, fin janvier 2009, ont été remarquées. Le président russe a considéré l’excessive dépendance à une seule monnaie de réserve, le dollar, comme « dangereuse », et a plaidé pour la mise en place d’un système monétaire international multidevises. M. Jiabao, plus mesuré, a appelé à un renforcement de la supervision des taux de change mais n’a pas plaidé pour la fin du monopole du dollar comme principale monnaie de réserve. La Chine, qui détient 2 trillions de dollars de bons du Trésor américain, n’a, à l’heure actuelle, pas vraiment intérêt à soutenir une réforme qui pourrait affaiblir la valeur du dollar. Ainsi, malgré les nombreux éléments qui jouent contre lui (la plus violente crise financière et économique aux Etats-Unis depuis la Grande Dépression, l’explosion des déficits et du poids de la dette américaine), le dollar résiste et continue à jouer son rôle de pivot du système monétaire international. Mais jusqu’à quand ? Propositions pour un nouvel ordre monétaire Nombreux sont les appels à la tenue d’une nouvelle conférence de Bretton Woods d’où pourrait émerger un projet de réorganisation monétaire comparable par son ampleur à celui de 1944. Plusieurs propositions ont ainsi été formulées. La première de ces propositions consisterait à rétablir un système d’étalon-or. Cette solution n’en est pas une. Elle vise en effet à un retour à la fixité des changes sans apporter de réponse cohérente à plusieurs interrogations pourtant capitales. Tout d’abord, le niveau auquel les taux de conversion seraient fixés reste arbitraire : arrêter les cours des devises à un instant donné cristalliserait des distorsions économiques seulement transitoires sous un régime de cotations flottantes. Elle imposerait, par ailleurs et sous peine d’implosion, une convergence des politiques monétaires – ce qui, au regard de la diversité des endettements, des niveaux d’inflation et des situations financières, n’est ni souhaitable ni même pratiquement réalisable. Une alternative8 plus crédible prend appui sur des instruments nés en 1969 au Fonds monétaire international, les DTS ou SDRs, droits de tirage spéciaux ou special drawing rights, qu’il s’agirait d’ériger en monnaie de compte internationale.9 Aujourd’hui (modérément) utilisés pour faciliter le commerce international, ces titres pourraient aussi servir de devise de réserve universelle dont les atouts principaux seraient d’offrir aux banques centrales et aux fonds souverains un instrument de diversification, d’augmenter leurs financiers, de l’autre – accumulant une épargne pléthorique (savings glut) et sujets, pour certains, à des poussées d’inflation de plus en plus préoccupantes. 8 Avancée par le financier et philanthrope américain George Soros. 9 Actuellement, une quantité de DTS est allouée à chaque pays membre du Fonds proportionnellement à sa quote-part, celle-ci correspondant à peu près à la taille relative de son produit intérieur brut dans l’économie mondiale. La valeur d’un DTS, mixte de dollar, d’euro, de yen et de livre sterling9 est actualisée quotidiennement.

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les liquidités mises à disposition d’un FMI devenu banque centrale internationale (en vertu de son pouvoir discrétionnaire d’émission de DTS).10 La réalisation de ce projet laisse néanmoins entrevoir plusieurs difficultés. Une croissance rapide de la quantité de DTS en circulation poserait inévitablement le problème de sa couverture : totale, une couverture en devises serait inefficace ; partielle, elle ferait des DTS un facteur mondial d’inflation.11 Enfin, reste la question de l’opportunité, pour les pays détenteurs de réserves en dollar, d’acquérir des instruments qui ne leur offriraient pas une meilleure couverture contre l’inflation : bon nombre d’entre eux préféreront sans doute, à terme, se tourner vers des actifs moins vulnérables12. Une troisième proposition, celle que nous privilégions, consiste à organiser un système de changes flottants autour de trois grands blocs de devises, l’un américain (dollar), l’autre euro-méditerranéo-africain (euro), le troisième asiatique (yen + yuan). Dans leur immédiat voisinage graviteraient des zones monétaires semi-autonomes, fluctuant lâchement autour d’un niveau de référence clair mais ajustable. L’intérêt de cette proposition est double : accompagnement et affermissement d’un processus politique naturel (comme en témoigne la formation de la zone euro, émanant de l’Union européenne) ; promotion du développement économique des pays constituant ces trois pôles (par moindre coût de financement, grâce à la tacite garantie de leur dette) sans renoncement à une souplesse monétaire ponctuellement utile dans l’application des politiques conjoncturelles. L’harmonieuse réalisation d’un tel projet présuppose une participation active des États-Unis.13 Tout d’abord, une érosion coordonnée face aux autres grandes devises

10 Cette proposition n’est pas sans mérite et se rapproche du projet britannique soutenu par J. M. Keynes à Bretton Woods. L’attrait d’une monnaie internationale, encadrant la quantité de devises en circulation, canalisant les investissements internationaux pour aplanir les déséquilibres monétaires est certain. 11 Une couverture totale (par adossement de chaque DTS placé sur le compte d’un membre du Fonds à une certaine quantité de dollars, d’euros, de yens et de livres) limiterait drastiquement l’intérêt de cet instrument monétaire nouveau en réduisant le rôle du FMI à celui d’un courtier et en faisant porter au marché le plein impact de la diversification. Une couverture partielle (ou nulle), ferait du DTS un étalon réel, mais aurait des effets induits plus pernicieux. Chaque émission de DTS ferait subir aux monnaies constitutives une charge absolue d’inflation égale – concession d’autonomie monétaire aux conséquences peut-être handicapantes, en tout cas incertaines. 12 Titres obligataires indexés (ILBs), actifs réels – capital investissement, infrastructures –, matières premières, peut-être, quand un rebond des cours se dessinera. 13 Or, un regard porté sur l’actualité pourrait conduire l’opinion à rapprocher hâtivement la situation américaine présente de celle de l’Empire britannique au début du XXème siècle : forte inflation (anticipée), déficit budgétaire prononcé, incapacité de maintenir sa devise au centre de l’échiquier monétaire se traduisant (ou accompagnée) par un déclin économique et politique. Si une lecture historique unifiée, d’inspiration braudélienne, excède le cadre de cette étude, il reste utile de souligner certains facteurs plus immédiats dont la compréhension encouragerait les États-Unis à soutenir un partage du rôle de monnaie de réserve.

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minimiserait la probabilité d’effondrement : tout changement serait donc nécessairement mesuré. Les États-Unis conserveraient donc pour un temps la libre utilisation du levier qu’est l’inflation. Corrélativement, ce partage n’empêcherait pas non plus l’Administration américaine de financer ses déficits à l’envi et à des taux records. Ainsi, le dollar ne serait pas dépouillé rapidement des deux principaux privilèges liés au statut de monnaie dominante.14 S’ensuivrait une plus grande efficacité de la politique monétaire de la Réserve fédérale. Libéré du joug pesant des artifices de change (pegs) et de l’impact induit par des transactions financières effectuées en devise américaine hors du périmètre économique des États-Unis (comme c’est encore le cas sur les marchés des matières premières), les variations des cours du dollar, moins coûteuses à contenir ou à appuyer, joueraient plus sûrement leur rôle stabilisateur. Recommandation Pour enclencher ce processus historique d’établissement d’un système monétaire international multi-devises, organisé autour de trois pôles (les Amériques, l’Asie, et l’Europe-Méditerranée-Afrique), les pays membres du G20 pourraient utilement s’appuyer sur l’expérience de la construction de l’euro il y a dix ans, s’inspirant de ses succès passés et tirant les leçons de ses imperfections actuelles (notamment illustrées par la situation en Europe de l’Est et en Grèce).

Deux séries de facteurs encourageraient cette participation. Une première série de facteurs garantit une relative permanence des avantages acquis caractéristiques du « privilège exorbitant » dont a bénéficié le dollar pendant près d’un siècle. 14 Au-delà de ces garanties, les États-Unis amélioreraient vraisemblablement leur situation économique d’ensemble en acceptant de voir le dollar partager son rôle avec d’autres devises.

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2. Résoudre la question des paradis fiscaux La question des paradis fiscaux est une des priorités déclarées du G20. Les paradis fiscaux ne vendent pas seulement de l’opacité aux criminels ou à des contribuables désireux de s’affranchir du paiement de leurs impôts, ils en vendent aussi aux grands acteurs de la finance internationale : 2/3 des hedge funds seraient logés dans les paradis fiscaux et de grandes banques internationales ont des filiales situées dans les centres offshores (selon le UK Trade Union Congress, HSBC a 529 filiales logées dans des paradis fiscaux, RBS 238 filiales et Lloyds 125). En effet, certains centres offshore accueillent des structures juridiques ad hoc qui ont pour mission de faciliter les montages des établissements financiers visant à sortir certaines opérations des bilans, à diviser les risques financiers ou à permettre l’évasion fiscale. Les paradis fiscaux ont donc une part de responsabilité dans la crise actuelle en contrariant les efforts de surveillance des régulateurs et en contribuant au développement du risque systémique. Pour le moment, les gouvernements ont surtout abordé la question des paradis fiscaux sous l’angle d’un manque à gagner fiscal dans une période où les recettes diminuent et les dépenses augmentent. On soulignera l’importance de cette question, tant du point de vue de la crise financière mondiale que du point de vue de l’agenda américain : la lutte contre les paradis fiscaux, qui abriteraient plus de 10 000 Md$ de patrimoine de High Net Worth Individuals, était un engagement de campagne fort de Barack Obama (en février 2007, le sénateur Obama et les sénateurs Levin et Coleman avaient présenté le « Stop Tax Heaven Abuse Act » devant le Congres Américain: "We need to crack down on individuals and businesses that abuse our tax laws so that those who work hard and play by the rules aren’t disadvantaged."). Compte tenu de la prise en charge par les Etats-Unis de déficits considérables liés à la crise (le déficit public américain sera d’au moins 1750 Md$ en 2009), une initiative forte sera très probablement proposée. De son coté, le Royaume-Uni prévoit de résoudre le problème des paradis fiscaux de manière très différente. En effet, le gouvernement envisage d’établir une loi d’amnistie pour les détenteurs britanniques de comptes offshore dans les principales banques britanniques. Cela permettrait aux citoyens britanniques de déclarer leurs revenus financiers sans craindre le risque de poursuites judiciaires. Surtout, cela permettrait au Trésor Britannique de récolter des ressources supplémentaires alors que la crise économique alourdit considérablement les déficits et la dette du Royaume-Uni. Face à ces initiatives britanniques et américaines, l’Institut Montaigne estime que les initiatives actuelles de la France et de l’Allemagne contre les pays encourageant l’opacité des flux financiers au cœur même de l’Europe, si elles sont suivies de décisions concrètes, permettraient de fournir une réponse à la hauteur de l’enjeu. Rappelons

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que les trois paradis fiscaux dans leur sphère d’influence (Monaco, le Liechtenstein et la Principauté d’Andorre) sont les Etats les moins coopératifs parmi les 40 paradis fiscaux identifiés par l’OCDE. Les derniers développements, et notamment l’évolution des positions de la Suisse et du Lichtenstein sur la question du secret bancaire, sont encourageants de ce point de vue. Concernant les pays les plus récalcitrants, les menacer de blocus commerciaux, de gel des avoirs financiers de leurs ressortissants, ou de mises au ban de la communauté internationale (suppression des représentations à l’ONU, au FMI, etc.), permettrait peut-être d’accélérer la résolution de cette question, à un moment où les économies de nombreux pays sont dévastées par la crise, au point de ressembler à des économies de guerre. Dans un tel contexte, l’existence même des paradis fiscaux n’est plus justifiable.

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3. Réorganiser le marché des produits dérivés Le rôle de pivot joué par l’effondrement des marchés dérivés de crédit dans la crise financière actuelle n’est plus contestable. Certaines voix, et non des moindres (Warren Buffet), se sont élevées à partir de l’automne 2008 pour demander la suppression pure et simple de ces « armes financières de destruction massives » (financial weapons of mass destruction). L’Institut Montaigne souscrit à cette analyse, tout en y apportant certaines nuances. Certes, les produits dérivés, et même les dérivés de crédit, peuvent être des instruments utiles pour couvrir un risque. Après tout, une police d’assurance automobile, habitation etc., n’est rien d’autre qu’un produit dérivé. Mais la réalité des faits est que le montant notionnel de ce marché (600 000 milliards de dollars !) indique sa nature essentiellement spéculative, et marginalement liée a l’économie réelle et à la couverture de risques directs (risques de changes, de défaut d’entreprise, etc). En effet, quand bien même toutes les institutions financières du monde voudraient se couvrir contre 100% du risque représenté par l’activité économique de la planète, comment ces produits dérivés pourraient-ils représenter, comme c’était encore le cas début 2008, dix fois le PNB de la planète ? Il est malheureusement impossible de supprimer sine die le marché des produits dérivés. En effet, sa suppression (très théorique) empêcherait d’un coup les institutions financières de se couvrir contre des risques qu’elles n’ont pas choisi de prendre en totalité. C’est le cas des produits dérivés de crédit, pour lesquels nous proposons un encadrement et une réorganisation plus stricte de leur marché, et non pas une suppression. Objectifs et propositions de correction des marchés dérivés de crédit Trois mesures prioritaires peuvent être prises, à un niveau de coordination mondiale. a. Régime juridique des produits dérivés de crédit. Les dérivés de crédit, dont l’apparition demeure récente aux yeux du législateur, ne bénéficient toujours pas d’un régime juridique propre. A défaut d’une prompte et conjointe intervention des législateurs nationaux et supranationaux, la vague attendue de litiges pourrait rapidement se muer en un raz-de-marée de contentieux inextricables. Il faut donc au plus vite créer un régime juridique simple, contraignant, universellement applicable pour ces produits potentiellement dangereux. b. Organisation des marchés dérivés de crédit. Le négoce des produits dérivés de crédit s’effectue depuis leur apparition par transactions de gré-à-gré, passées directement entre les deux parties au contrat, sans obligation de contrôle ou de notification. Il paraît urgent de créer une chambre de compensation pour isoler le risque de marché, propre au

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titre sous-jacent, du risque opérationnel, consécutif à une possible mésentente lors de la conclusion du contrat, et du risque de contrepartie, caractérisant la possibilité de non exécution de la garantie par un cocontractant insolvable. Une telle réorganisation de ces marchés permettrait de laisser les deux dernières dimensions citées au seul ressort de la chambre – donc de la communauté toute entière. Des mesures ont déjà été annoncées de part et d’autre de l’Atlantique : hâtivement conçues, elles ne sauraient toutefois apporter une réponse adéquate sans un profond remaniement. c. Cotation de contrats standards. La standardisation des contrats, suivant un protocole commun (répondant par exemple aux critères de l’International Swaps and Derivatives Association) pourrait ouvrir la voie à une cotation régulière. Accompagnée d’un carnet d’ordres – agrégat instantané des offres d’achat et de vente classés par prix requis, ordre d’arrivée et volume souhaité – visible par tous, cette cotation permettrait de mesurer régulièrement le niveau de liquidité d’un marché, en vue d’anticiper et de prévenir toute menace d’assèchement.

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4. Organiser la traçabilité des produits financiers A l’image de la chaîne alimentaire, l’industrie financière conçoit, vend et distribue des produits « vitaux », mais potentiellement toxiques. Nous proposons une série de mesures permettant de tracer efficacement les produits financiers (en obligeant les institutions financières à renseigner le risque sous-jacent, la nature de l’effet de levier, et le risque de liquidités associé à chaque produit ; ces mesures impliquent notamment l’obligation faite aux institutions financières de renseigner leurs activités de hors-bilan). Une autorité de suivi et de contrôle du risque systémique mériterait d’être créée dans cette perspective. Transparence vis-à-vis des marchés de capitaux Les institutions financières doivent informer de manière précise et détaillée les marchés de leur niveau consolidé (bilan et hors bilan) d’exposition, par classe d’actifs, de leur effet de levier et de leur liquidité. Un processus similaire à celui mis en place par les Etats-Unis pour la certification par les sociétés cotées de leurs comptes (loi Sarbanes-Oxley) pourrait être mis en place, mais pour les institutions financières en ce qui concerne leur exposition et leur levier par classe d’actifs. Le document de certification serait signé par le PDG et le directeur financier de l’institution concernée après certification par chaque responsable d’unité opérationnelle quant au niveau de risque induit par l’activité de son département. Corrélativement, les mandataires sociaux doivent expliquer (dans les rapports annuels notamment), sous leur responsabilité, pourquoi et dans quelle mesure ils ont utilisé telle ou telle méthodologie de quantification du risque et dans quelle mesure ils ont exercé leur jugement propre. Cette obligation pourrait leur être imposée au titre d’une « fiduciary duty » renforcée. De cette façon, il ne leur serait plus possible de se défausser entièrement sur les agences de notation. Afin que le niveau de transparence soit le même pour tous, les sociétés d’investissement (hedge funds et fonds de private equity) devraient relever du même régime, et devraient être tenues de fournir cette information à leurs investisseurs. Comme dans la règlementation Sarbanes-Oxley, de lourdes peines seraient prévues en cas de déclaration inexacte. Transparence vis-à-vis des investisseurs institutionnels et des épargnants La crise actuelle a montré que de nombreux investisseurs institutionnels et épargnants ne savent pas ce qu’ils achètent et ne comprennent pas les risques auxquels ils s’exposent (effet de levier implicite, et risque de liquidité notamment).

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Il en va ainsi s’agissant lorsque des investisseurs s’adressent à : ‐ des fonds qui se présentent comme des fonds monétaires alors que leur sous-jacent

comportait des produits dérivés exposés à des classes d’actifs risqués tels que les subprimes ;

‐ des CLOs ou CDOs vendus aux clients institutionnels sans que ceux-ci sachent vraiment à quels risques ils s’exposaient. Autant d’exemples de produits opaques auxquels dans l’enthousiasme d’une bulle du crédit mondiale et de la quête de rendement diverses catégories d’investisseurs se sont exposés aveuglément. Dès règles spécifiques doivent donc protéger les contreparties non financières, notamment les épargnants. Les institutionnels gérant l’épargne publique (caisses de retraite, mutual funds) doivent également être protégés. Il faut accroître la transparence en ce qui concerne les produits vendus par le système financier pour imposer une véritable « traçabilité » des produits commercialisés auprès du public. Il ne suffit plus de faire signer au client un document général et vague – ou au contraire excessivement technique, juridique et complexe – sur les risques encourus au moment de l’ouverture d’un compte en cas d’utilisation de produits dérivés. Pour les épargnants individuels on pourrait imaginer un système obligeant le vendeur d’un produit financier à expliciter le risque du produit numériquement et à appliquer au produit une notation de risque, en fonction du levier, de la liquidité et du sous-jacent. Cette échelle de risque serait mondiale et établie selon des critères uniformes : par exemple sous-jacent à niveau de risque maximal, niveau de levier très élevé, risque de liquidité modéré, avec risque de pertes de x dans un scénario extrême à définir. Il faut faire en sorte qu’il y ait un risque encouru par le vendeur et une sanction si un produit financier est vendu sans que le risque réel n’ait été au préalable clairement explicité. Un tel ensemble de règles devrait limiter la création de produits incompréhensibles sur lesquels il est difficile de mettre un prix dans certains scénarios de marché. Création d’une autorité de contrôle de la transparence Pour s’assurer de la bonne application de ces règles, une autorité de contrôle méritera d’être créée. Cette autorité, pour être respectée, devra être dotée de réels pouvoirs de sanction ainsi que de ressources humaines et financières appropriées. Plusieurs possibilités existent : l’ONU serait l’organisation la plus légitime pour prendre en charge la création de cette autorité mais l’ONU n’est pas en prise avec la crise financière actuelle et n’est pas outillée pour cela. Le FMI serait l’organisation la plus compétente mais sa priorité, à l’heure actuelle, doit être la résorption des problèmes de

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financement des Etats. Le Forum de Stabilité Financière, en tant qu’émanation du G7, n’aurait pas la légitimité politique suffisante pour assumer une telle tâche. C’est pourquoi nous pensons que l’autorité de contrôle de la transparence devrait être une création ex-nihilo sous l’autorité du G20.

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5. Réguler les hedge funds et les prime brokers Avant la crise financière, on dénombrait plus de 10,000 hedge funds représentant un encours total d’environ 2000 milliards de dollars. Leur place croissante sur les marchés mondiaux ainsi que leurs stratégies d’investissement agressives contribuent à augmenter le risque systémique par les pertes qu’ils sont susceptibles de faire peser sur leurs contreparties, à savoir les prime brokers. Or ce service de courtage est surtout assuré par les grandes banques d’investissement américaines et européennes. La chute d’un ou plusieurs fonds pourrait donc mettre à mal l’industrie bancaire dans son ensemble et créer une crise internationale de liquidité. C’est pourquoi un consensus se forme aujourd’hui pour réclamer une plus grande régulation des hedge funds mais aussi des prime brokers. L’Institut Montaigne s’associe aux positions suivantes sur la nécessaire régulation des hedge funds: - Assurer une gestion transparente des fonds d’investissement : les institutions

financières non-bancaires, à partir du moment où elles font un usage élevé de l’effet de levier (ce qui est le cas des hedge funds) doivent s’enregistrer auprès du régulateur du pays approprié. Au mois de février dernier, deux sénateurs américains (Carl Levin et Charles E. Grassley) ont présenté un projet de loi allant dans ce sens. Le texte « The Hedge Fund Transparency Act » obligerait les hedge funds à s’enregistrer auprès de la SEC, à rendre publiques leurs valorisations de portefeuilles, fournir les coordonnées de tous leurs investisseurs.

- Renforcer les exigences des contreparties : la gestion du risque au sein des prime

brokers est aussi essentielle pour se protéger contre le risque systémique que crée potentiellement l’activité des hedge funds. L’importance des revenus générés par les services de courtages ainsi que la concurrence acharnée à laquelle se livrent les prime brokers ont pu contribuer à une moindre vigilance dans leur exigence de garanties et dans leur gestion des risques (réduction des marges exigées). Les autorités prudentielles devraient donc intervenir pour exiger un renforcement de la gestion des risques parmi les contreparties.

D’autre part, la question des hedge funds soulève celles des produits dérivés et du short-selling – ou vente à découvert15. Jusqu'à la crise actuelle, cette pratique était courante dans la plupart des pays. Le séisme financier de l’automne 2008 a profondément remis en cause cette pratique : certains l’accusent de favoriser la chute des cours boursiers et d’alimenter la hausse des niveaux de volatilité. Le 18 septembre 2008, la SEC a aussi décidé d’interdire cette pratique pour 799 entreprises cotées, ne levant cette interdiction que le 8 octobre. Le Royaume-Uni et le Japon sont allés plus loin puisqu’ils ont déclaré un moratoire sur le short-selling jusqu'à la stabilisation des cours. Seul un consensus

15 Consistant à emprunter un titre pour le vendre immédiatement dans l’espoir de le racheter, à terme, à prix moindre et de le restituer à son propriétaire.

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portant sur l’interdiction du « naked » short-selling (possibilité de vendre le titre sans l’avoir emprunté au préalable) semble se dégager au sein de l’opinion publique. Quel est le rôle exact de la vente à découvert ? Cette pratique est-elle intrinsèquement nuisible ? Le rôle de la vente à découvert peut, à bon droit, paraître ambigu. Violemment critiquée depuis la fin de l’année 2008, cette pratique a pourtant le double avantage, dans des conditions normales, de faciliter la formation efficace des prix cotés et d’accroître la liquidité disponible sur le marché. De nombreux commentateurs lui ont toutefois prêté un impact déstabilisateur lors de la dernière crise – particulièrement en ce qui concerne les valeurs bancaires. Une analyse statistique permet de nuancer le lien intuitif si solidement établi entre short selling et vagues baissières. Le graphique ci-dessous présente une comparaison entre les rendements historiques de l’indice S&P 500, baromètre du New York Stock Exchange, et du poids agrégé des vendeurs à découvert sur cette plate-forme (exprimé en fraction du nombre total d’actions émises par les sociétés cotées) entre mars 2001 et mars 2009. (Source : Bloomberg LP)

Si la chute récente des cours fut clairement accompagnée par une augmentation des positions à découvert, cette relation n’est pas nettement vérifiée avant la deuxième moitié de l’année 2007. Fait plus étonnant, peut-être, la corrélation (annuelle, calculée de mois en mois) entre ces deux séries est très variable, pendant les périodes de hausse aussi bien que pendant les périodes de baisse des marchés d’actions (cf. graphique ci-dessus - source : Bloomberg LP). Ce fait peut s’expliquer simplement : la vente à découvert est un rouage essentiel des marchés dérivés. En l’absence de short selling, il serait impossible aux vendeurs de

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certaines options ou de certains contrats à terme de se protéger contre les risques auxquels ils sont exposés. La croissance des notionnels sur les marchés dérivés peut être citée comme l’une des causes majeures de cette coïncidence entre phase haussière sur les marchés d’actions et augmentation (ou maintien à un niveau élevé) des ventes à découvert.

L’interdiction du short selling induirait nécessairement la fermeture de marchés dérivés, pourtant si nécessaires à la couverture des risques financiers. Un moratoire brutal et prolongé laisserait les opérateurs dans l’incapacité de stabiliser l’exposition de leur portefeuille et ne tarderait pas à se traduire par des faillites d’une ampleur au moins égale à celle de Lehman Brothers. La suppression de la vente à découvert n’est donc ni souhaitable, ni même possible. Son emploi excessif peut néanmoins avoir des conséquences graves sur la stabilité des marchés financiers. L’exemple récent de Volkswagen est particulièrement éclairant. La vente à découvert massive dont le titre du constructeur faisait l’objet s’est brusquement interrompue après que Porsche AG, actionnaire de référence, eut annoncé détenir près de 75% des actions de l’entreprise. Dans l’incapacité de couvrir leurs positions à découvert du fait de cette subite raréfaction des titres, les spéculateurs poussèrent les cours au-delà de mille euros en séance, entraînant une hausse brusque de la volatilité sur les marchés (par recomposition des portefeuilles).

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Donc, si l’interdiction totale de la vente à découvert est inenvisageable, son emploi agrégé doit être scrupuleusement encadré. L’uptick rule, supprimée en 2000 par la SEC, limitait la vente à découvert aux seules phases de transaction caractérisées par des prix en hausse. Sa réintroduction aurait l’avantage de prémunir les marchés contre les excès précités. L’Institut Montaigne recommande la publication des prêts de titres consentis par tout acteur institutionnel (banques, fonds de pension ou compagnies d’assurances vers des hedge funds, notamment). De même, les institutions ayant financé l’accès au levier des investisseurs les plus actifs du marché (hedge funds, traders sur fonds propres d’institutions bancaires, etc.) devront déclarer nominativement ces prêts. Les prêts de titres permettant de prendre temporairement le contrôle d’une assemblée générale d’actionnaires seront également soumis à des règles strictes pour éviter la répétition de certains abus, qui virent les dirigeants des entreprises – et donc, les projets de long terme dont ils sont porteurs – tomber à la merci d’actionnaires de passage, plus désireux de préparer la prompte liquidation de leur participation que de soutenir une quelconque politique stratégique. Cette mesure anticipe la gêne de certaines institutions, obligées d’avouer qu’elles ont amélioré leur compte de résultats, en permettant à des hedge funds de vendre à découvert les titres phares de la cote (blue chips), ou d’exercer une pression insistante sur des titres de dette souveraine. Cette obligation de publicité, étalée sur plusieurs semaines, devrait circonscrire l’utilisation du short selling à des fins de protection et non de déstabilisation.

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Conscient de l’utilité de la vente à découvert en matière de couverture des risques – et, partant, de la nécessité impérative de son maintien –, l’Institut Montaigne préconise néanmoins la réintroduction de l’uptick rule. L’Institut soutient, par ailleurs, un renforcement des règles encadrant l’activité des hedge funds et des prime brokers, lequel permettra, selon toute vraisemblance, de réduire le risque systémique et la probabilité de futures crises financières.

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6. Mieux sanctionner les agences de notation État des lieux Sur les quinze dernières années, les principales agences de notation (Moody’s, Standard & Poors, Fitch) n’auront vu venir aucune des trois dernières grandes crises financières (crise asiatique de 1997, crise de 2000-2001 et crise des subprimes en 2007). Or, le rôle des agences de notation a pris une importance croissante au cours des dernières années. Dans un contexte de désintermédiation, d’internationalisation des marchés et de complexification des instruments financiers, la fonction des agences de notation est double. Elle permet d’abord le traitement d’une information éparse et privilégiée sur l’émission de titres, dans le but d’atténuer l’asymétrie d’information entre les investisseurs. Les agences de notation ont également, depuis Bâle II, des prérogatives réglementaires puisque leurs évaluations du risque crédit sont prises en compte dans le calcul des ratios prudentiels (certains fonds sont, par exemple, seulement autorisés à investir dans des titres notés AAA). Elles certifient donc la qualité de cette information et créent du « bien public ». L’objectif est de rationaliser les comportements des investisseurs par une information de qualité, d’optimiser l’allocation des ressources, donc la liquidité du marché. Cependant, les notes émises sont apparues comme le résultat des mécanismes de marché et les agences comme un substitut des autorités de régulation alors que les agences s’affranchissaient des principes fondamentaux du fonctionnement de l’un et de l’autre. Avant tout, le système de notation comprend, sous sa forme actuelle, un élément déstabilisateur : chaque changement de rating s’accompagne manifestement d’effets secondaires néfastes. Le franchissement de certains seuils – celui, par exemple, qui sépare la dette recommandable (investment grade) de la dette spéculative 16 – entraîne non seulement un surcoût de financement considérable pour l’émetteur, mais aussi une chute souvent violente de ses actions, vendues en masse par des investisseurs institutionnels17.Ainsi, l’utilisation de cette échelle discrète de notation provoque-t-elle des externalités de marché indésirables. En effet, le marché de la notation est marqué par une absence criante de concurrence, ce qui crée une course à la surévaluation pour obtenir plus de parts de marché, et par des contraintes fortes pesant sur les relations établies entre émetteurs et agences de notation (phénomène de lock-in).

16Ce fut notamment le cas en 2005, lors de la chute de la dette émise par General Motors sous la barre des titres dits investment grade, quelques mois avant la faillite (mise sous le régime de protection du Chapitre 11 de l’United States Bankruptcy Code) de Delphi – l’équipementier automobile. 17 Lesquels ne peuvent détenir certains actifs jugés trop risqués.

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Cette rente de situation, entretenue par un statut de quasi-régulateur, ne souffre cependant d’aucune contrepartie coercitive. Comme on l’a vu au niveau européen, « une adhésion volontaire au code de conduite de l’Organisation Internationale des Commissions de Valeur (OICV) ne constitue pas une solution appropriée et fiable aux déficiences structurelles du secteur »18. Les agences n’ont donc pas de contraintes de qualité ni de transparence quant à leurs méthodes d’analyse. Ce qui explique peut-être une énorme proportion des notes revues à la baisse depuis 2007. Dans la crise des subprimes, le rôle des agences de notation est donc important, puisqu’elles ont (i) causé l’irrationalité et la volatilité des marchés par leurs analyses erronées (manque de concurrence) et auto-réalisatrices (agissant comme un étalon valeur ou une autorité morale), (ii) accentué également ces phénomènes par des réajustements a posteriori disproportionnés ou trop tardifs alors qu’elles se sont affranchies elles-mêmes à la fois des règles fondamentales du marché et des règles de déontologie et d’indépendance que s’imposent leurs vrais clients, investisseurs institutionnels. Propositions Un certain consensus se dégage quant aux pistes d’amélioration du fonctionnement des agences de notation. Tout d’abord, en ce qui concerne le système de notation et la méthodologie adoptée :

- Il est d’abord bon de rappeler que les investisseurs et les marchés ne devraient pas s’appuyer aveuglement sur les recommandations des agences de notation. C’est pourquoi une plus grande transparence sur les méthodologies adoptées par les agences de notation est nécessaire afin de permettre aux investisseurs d’effectuer parallèlement leur propre évaluation des risques.

- Les agences de notation doivent mieux intégrer les risques de liquidité et les

risques opérationnels à côté des risques de défauts dans la mesure où ces risques sont étroitement liés et sont tout autant susceptibles de diminuer la valeur du titre considéré.

- Les agences devraient revoir leur échelle de notation. En particulier, un symbole

de notes différent devrait être adopté pour la notation des produits structurés (recommandation du FSF dans son rapport du 12 avril 2008) afin de ne pas donner l’illusion aux investisseurs qu’ils traitent des produits simples. Les agences pourraient aussi communiquer sur les intervalles de confiance des ratings afin que les investisseurs en mesurent la significativité.

18 Proposition de Règlement du Parlement et du Conseil sur les Agences de notation de crédit. Les agences ne sont pas non plus contrôlées par un organe de supervision, ni en France par l’AMF ni aux États- Unis par la SEC.

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En ce qui concerne le problème du conflit d’intérêt permanent des émetteurs qui rémunèrent les agences pour être notés, sa résolution est délicate. Une rémunération des agences de notation par les investisseurs, non plus par les émetteurs, semble difficile. En effet, le caractère du bien public de la notation fait que chaque investisseur voudrait avoir accès à la notation sans avoir à en payer le prix (phénomène de passager clandestin). Les solutions alternatives pourraient être les suivantes :

- Un système de notation des agences de rating par les investisseurs et visant à

mesurer la performance de ces agences pourrait être intéressant. A l’instar des classements annuels des bureaux d’analyse sell-side (classements Thomson-Extel, etc.), cet exercice de ‘notation des notateurs’ est de nature à stimuler l’excellence et à mieux différencier les bons professionnels (sur une industrie, une catégorie de titres financiers, etc.).

- Pour éviter des conflits d’intérêt majeurs, nous recommandons par ailleurs

d’interdire que les analystes des agences de notation puissent à la fois délivrer des notes et conseiller les émetteurs sur la meilleure façon de construire leurs produits.

Enfin, il paraît important de rééquilibrer le marché de la notation. En effet, cette industrie souffre d’une concentration excessive dans la mesure où les trois grandes agences (Moody’s, Standard & Poors et Fitch) accaparent 90% du marché mondial. Certaines voix s’élèvent pour recommander la suppression ou la mise sous tutelle publique (i.e. sous l’égide d’une institution mondiale telle le FMI) de ces acteurs. L’Institut Montaigne estime au contraire que, dans un univers financier où les repères de valorisation et les mesures du risque financier sont particulièrement instables, incertains et flottants, l’existence d’agences de notation professionnelles, reconnues par le marché, est primordiale. Par ailleurs, placer ces agences sous tutelle publique reviendrait à faire prendre des décisions et appréciations de marché par des comités technocratiques ou bureaucratiques, dont l’agenda peut sensiblement s’éloigner des exigences économiques et financières. L’Institut Montaigne recommande plutôt de stimuler davantage la performance et le professionnalisme des agences de notation, en augmentant le caractère concurrentiel de ce marché. Depuis 2006, la SEC est la seule autorité de régulation à délivrer un label des agences de notation (le label NSRO, Nationally Recognized Statistical Rating Organization). De fait, la SEC détient un monopole de labellisation des agences à l’échelle mondiale. On peut se demander pourquoi la SEC, à aucun moment de la crise, n’a envisagé la suspension ou le retrait de ce label à telle ou telle agence.

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- L’institut Montaigne soutient la création d’un label européen visant à labelliser

les agences de notation dans l’espace unique. Cela permettrait un meilleur équilibre entre les Etats-Unis et l’Europe sur le marché du rating. Ce label pourrait être délivré (comme l’a proposé l’ancien ministre italien des Finances Tomaso Padoa-Schioppa) par le CESR (Committee of European Securities Regulators), le comité européen des régulateurs financiers nationaux. Il faudrait cependant donner un pouvoir décisionnel au CESR, ce qui n’est pas le cas à l’heure actuelle.

- Afin que les agences de notation respectent effectivement le code de bonne

conduite adopté en 2004, qui ne manquera pas d’être renforcé, il faut faire peser sur elles des possibilités de sanction. La suspension ou le retrait des labels décernés par les autorités de régulation paraissent des sanctions appropriées.

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7. Renforcer les moyens de régulation, à l’échelle nationale et internationale Que cela soit à l’échelle nationale ou internationale, la crise a clairement fait état des faiblesses existant au sein des autorités nationales de régulation et de supervision, banques centrales et institutions internationales. Comment améliorer le fonctionnement de la régulation et de la supervision à l’échelle nationale et au niveau international ? A l’échelle nationale Tout d’abord, à l’échelle nationale, il convient de renforcer la capacité de réponse des autorités face aux risques. Sur ce sujet, l’Institut Montaigne rejoint la plupart des recommandations déjà entendues : - Les autorités de régulation et de supervision des marchés financiers doivent avoir des

moyens financiers renforcés ainsi que l’expertise humaine suffisante afin de remplir leurs rôles respectifs et de suivre le rythme de l’innovation financière. La fraude pyramidale organisée par Bernard Madoff sans qu’il n’ait jamais été inquiété par la SEC devrait encourager la nouvelle administration Obama à renforcer les moyens alloués aux régulateurs (+13% pour le budget de la SEC dans le projet de budget 2010). Dotée d'un budget proche du milliard de dollars, la SEC emploie aujourd'hui quelque 3.500 salariés. Quant à la France, le budget annuel de l’AMF n’est que de 74 millions d’euros pour 340 employés. L’Institut Montaigne recommande donc que les grandes institutions de régulation et de contrôle, européennes et internationales, ne prennent pas dans ce domaine un retard préjudiciable à la régulation future des marchés non-américains.

- Une meilleure coopération entre les régulateurs nationaux afin d’éliminer les

brèches (gaps) existant entre les différentes législations nationales permettrait d’éviter certains arbitrages déstabilisateurs de la part des acteurs financiers.

A l’échelle internationale - Un meilleur partage des informations et une plus grande coopération entre les

autorités de régulation est nécessaire à l’échelle internationale. Contraintes par la crise, les autorités ont démontré qu’elles pouvaient coopérer entre elles. La création d’un collège des différents régulateurs nationaux (« college of supervisors » proposé par le Forum de stabilité financière dans son rapport d’avril 2008 et qui sera défendue par Gordon Brown lors du sommet du G20 à Londres) permettrait de maintenir cette coopération en temps normaux et de définir une charte des bonnes pratiques pour le futur.

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- L’Institut Montaigne soutient la mise en place d’un système d’alerte avancé qui

pourrait être confié au Forum de Stabilité Financière comme l’a proposé récemment le Premier Ministre britannique Gordon Brown. Le FSF serait chargé de suivre l’effet de levier à travers le système financier mondial par classe d’actifs (en collaboration avec les autorités de régulation, les banques centrales, la BRI et le FMI) et de prévenir l’éventualité de crises. L’analyse du levier dans le système financier mondial par classe d’actifs combinée avec l’analyse de la valorisation de cette classe d’actifs est l’élément crucial d’un système de prévention. Les régulateurs nationaux, les banques centrales et les institutions internationales (FMI) coopéreraient étroitement avec le FSF afin de collecter et d’agréger les informations permettant de piloter le degré de levier utilisé et d’identifier les marchés sur lesquels existent des risques de liquidité. La déclaration par les institutions financières (et les entités aujourd’hui non régulés tels que les hedge funds ou les fonds de private equity) de leurs niveaux de risque, le cas échéant par la création d’un Registre International du Crédit (proposition du « working group on highly leveraged institutions » du Forum de Stabilité Financière), serait l’élément central permettant la mise en place d’un nouvel outil statistique consolidé d’appréciation du risque systémique.

Pérenniser l’autorité nouvelle du G20, notamment pour endiguer le protectionnisme Ce n’est pas faire insulte au FMI, à la Banque Mondiale, à l’ONU, ou à l’OMC, de souligner que ces institutions nées de l’après-guerre, malgré leurs moyens et missions considérables, n’ont pas été capables d’anticiper, de corriger, ou de réguler la crise actuelle. Alors que le consensus autour des travaux du G20 plaide pour un renforcement de ces institutions, nous estimons par contraste que la priorité doit être donnée aux acteurs les plus immédiatement légitimes – les Etats –, et aux efforts nouveaux de coordination qu’ils entreprennent actuellement. Dans cette perspective, nous recommandons qu’une émanation du G20 (au niveau des ministres des finances et/ou des affaires étrangères) se réunisse régulièrement (rythme provisoirement hebdomadaire) pour coordonner les réponses des Etats face à la crise. En effet, les initiatives récentes, parfois mal comprises, toujours unilatérales, des Etats-Unis, de la Chine ou de l’Europe autour de leurs plans de relance, peuvent être perçues comme des actes nationalistes ou protectionnistes. Ainsi des plans de sauvetage d’industries automobiles, ou de dispositions législatives, invitant à privilégier des fournisseurs locaux dans les plans de relance. Pour éviter un retour du protectionnisme, qui fragiliserait dangereusement la prospérité comme la paix mondiales, nous recommandons la constitution d’un comité de pilotage hebdomadaire (provisoirement) émanant du G20. Dans le cadre de ce comité pourraient notamment être discutées les modalités du programme de nationalisations bancaires, mentionnés dans le briefing paper publié par l’Institut Montaigne.

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Afin d’éviter toute confusion, il faudra veiller cependant à ce que soient clairement définis les périmètres d’intervention respectifs de l’OMC et du G20. De même, l’Institut Montaigne recommande une coordination entre le G20 et l’OMC afin d’obtenir un alignement des pratiques au sein des principales zones de libre-échange (Union Européenne, ALENA, ASEAN).