le mwalimu yerere julius kambarage · forme, pour julius kambarage nyerere, un agrégat compact,...

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Le Président Nyerere est l’une des figures emblématiques de la vie poli- tique africaine, par la contribution qu’il y a apportée en sa qualité d’hom- me d’action et de pensée. La pensée guide et règle son action. Parfois bien plus, elle continue son action. À cet égard, on est souvent tenté de penser que le Mwalimu – professeur ou maître – s’évertue beaucoup plus à éduquer son peuple et par-delà, lui procurer un mieux être matériel étalé dans l’espace et dans le temps selon la capacité que mettra ce peuple à inté- grer les différents enseignements qu’il lui prodigue. Ainsi se cristallisera l’idée de la nation dans la conscience de chaque citoyen, pour paraphraser Platon. L L ’homme d’action et de pensée forme, pour Julius Kambarage Nyerere, un agrégat compact, inamovible. À ce stade, la conséquence de cet état de choses est qu’elle déborde le cadre bien précis de la Tanzanie, pour s’égayer de façon objective, philosophique et politique en une contribution qui inté- resse l’Afrique dans son ensemble, de ma- nière non négligeable. Et non seulement, il écrit sur l’ensemble du continent africain, mais sa réflexion, et ce à juste titre, rejoint celle, générale, sur la nature de la société, de la Cité et naturellement de la politique. Si de notre lecture de Hobbes nous dé- duisons que celui-ci trouve l’homme dange- reux et que laissé à lui-même, il remet en cau- se le pacte social, il faudrait donc un censeur de gouvernement nanti de tous pouvoirs et de l’autorité qui devra s’y rattacher, pour rame- ner à l’ordre le trublion qui oserait imposer son diktat au reste de la société tant qu’il ne l’aurait pas (le pouvoir) reçu en dépôt de par la volonté des membres de la société. Cela à n’en point douter conduirait à sé- vir durement et à s’attribuer plus de pouvoir encore. Ce qui serait la condition de tel ou tel régime africain actuel. 58 l’arbre à Palabres # 13 - Mai 2003 P Po or r t t r r a ai i t t N YERERE BENOIST LHONI JULIUS KAMBARAGE Le Mwalimu L’art de forger le destin ou

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Page 1: Le Mwalimu YERERE JULIUS KAMBARAGE · forme, pour Julius Kambarage Nyerere, un agrégat compact, inamovible. À ce stade, la conséquence de cet état de choses est qu’elle déborde

Le Président Nyerere est l’une desfigures emblématiques de la vie poli-tique africaine, par la contributionqu’il y a apportée en sa qualité d’hom-me d’action et de pensée. La penséeguide et règle son action. Parfois bienplus, elle continue son action.

À cet égard, on est souvent tenté depenser que le Mwalimu – professeurou maître – s’évertue beaucoup plus àéduquer son peuple et par-delà, luiprocurer un mieux être matériel étalédans l’espace et dans le temps selon lacapacité que mettra ce peuple à inté-grer les différents enseignements qu’illui prodigue. Ainsi se cristalliseral’idée de la nation dans la consciencede chaque citoyen, pour paraphraserPlaton.

LL’homme d’action et de penséeforme, pour Julius KambarageNyerere, un agrégat compact,

inamovible. À ce stade, la conséquence de

cet état de choses est qu’elle déborde lecadre bien précis de la Tanzanie, pours’égayer de façon objective, philosophiqueet politique en une contribution qui inté-resse l’Afrique dans son ensemble, de ma-nière non négligeable. Et non seulement, ilécrit sur l’ensemble du continent africain,mais sa réflexion, et ce à juste titre, rejointcelle, générale, sur la nature de la société,de la Cité et naturellement de la politique.

Si de notre lecture de Hobbes nous dé-duisons que celui-ci trouve l’homme dange-reux et que laissé à lui-même, il remet en cau-se le pacte social, il faudrait donc un censeurde gouvernement nanti de tous pouvoirs et del’autorité qui devra s’y rattacher, pour rame-ner à l’ordre le trublion qui oserait imposerson diktat au reste de la société tant qu’il nel’aurait pas (le pouvoir) reçu en dépôt de parla volonté des membres de la société.

Cela à n’en point douter conduirait à sé-vir durement et à s’attribuer plus de pouvoirencore. Ce qui serait la condition de tel ou telrégime africain actuel.

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D’autre part, la démarche de JohnLocke suppose qu’on accepterait plutôtl’idée qu’il faut à la société civile, un chefde police et des armées pour protéger lapropriété privée contre les dangers inté-rieurs et extérieurs.

Dans la polis Rousseauiste, le peupleest dépositaire du pouvoir suprême, anni-hilant de ce fait toute éventualité de perpé-tuer une politique qui encenserait une re-crudescence des éléments contribuant àl’oppression de l’individu dans le cadre dela société ou du pacte social plus exacte-ment.

De ces trois conceptions des rapportssociaux hâtivement brossées, la dernièrenous parait la plus proche de la conceptionde Nyerere pour qui la communauté est unlieu où les hommes sont frères, s’aiment etcollaborent au bien de tous et de chacun.Le gouvernement d’une telle société seradonc au service de son peuple. Comme lepatriarche de la société traditionnelle, il nesera que le dépositaire des biens de toutela communauté 1. Il sera chargé de les re-distribuer équitablement à tous lesmembres, en donnant à chacun selon sesbesoins et sa contribution. Le peuple exer-ce sa souveraineté par la voie de ses re-présentants librement choisis et peut, à toutmoment, remplacer ceux-ci ainsi que sesleaders dès qu’il ne lui donne plus satis-faction.2

C’est à travers ses œuvres 3 que l’onpeut le mieux appréhender sa pensée ou saphilosophie politique. Dans Freedom andUnity, c’est l’invite au peuple à s’intéres-ser à la chose publique. Pour lui faireprendre conscience de la réalité coloniale,et pour le préparer de manière adéquateaux problèmes du développement écono-mique et social. Freedom and socialism,faisant référence à l’époque comprise entre1965 et 1967, est un recueil de documentsles plus importants pour comprendre soncombat politique. Il diffère du premier ence sens que l’on perçoit dans celui-ci, lavolonté d’innovation et de pousser sa ré-flexion plus loin, en termes clairs et précisface au défi que pose l’édification, après

l’accession à l’indépendance et la mise surpied des institutions régulant l’activité po-litique, économique et sociale du pays,d’une société socialiste.

Les discours publiés entre 1968 et1973, ainsi que certains articles, constituentla trame de Freedom and Development etne constituent pas en soi une nouveauté.C’est le prolongement de la réflexion com-mencée dans Liberté et socialisme. Cettepermanence est à mettre à son crédit et jus-tifie que l’on retrouve des thèmes deFreedom and socialism dans Freedom andDevelopment, d’autant plus que ce systèmen’existait pas plus en Tanzanie en 1973qu’en 1967 4. À la réalisation de ce systè-me, Nyerere y consacre une large part desa vie. Ceci explique en grande partie l’uni-formité thématique de Liberté et socialis-me d’avec Freedom and Development. Ilvoulait atteindre ce système parce qu’iltrouvait que le self-government allait bienplus loin que le simple transfert de pou-voirs autogérés par un gouvernement co-lonial (ou même africain) fortement cen-tralisé. La quête de liberté et l’applicationdu socialisme à son avis, étaient les gagespour une stabilité politique et les moyensde donner au développement socio-écono-mique, une marque tout africaine. De là,nous allons apprécier les différentes ac-ceptions que revêtent pour Nyerere, le na-tionalisme, le socialisme et l’étape char-nière entre le néocolonialisme et le socia-lisme.

Nyerere est de tout temps resté un par-tisan du nationalisme. Dans sa pensée pro-fonde, la Nation est un tout, un forum quiserait le miroir qui transcende ceux de seséléments qui la composent comme lepeuple au premier chef. Tout ce qui entra-verait l’établissement des priorités natio-nales, relèverait simplement de l’agitationfactieuse voire de la trahison (Potholm).

D’autre part, il ne demande pas de so-lidarité puisqu’il pense qu’elle s’établit au-tomatiquement, étant entendu que le na-tionalisme n’était pas étranger à la menta-lité africaine : il en était le prolongementnaturel. En outre lui s’appuie sur une par-

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1 - ...Chacun se donnant à tousne se donne à personne et resteaussi libre qu'avant le contrat so-cial...(Rousseau) de ce fait le dé-positaire devra en tenir compte sil'on ne veut pas atteindre l'état defait auquel pourrait faire suitecette conception de Rousseau...toute autorité constituée estressentie comme un mal à com-battre...(J.MFOULOU Op. Cit.)Dans la mesure où cette autoritése subst i tue à la volonté dupeuple sans plus jamais y faireréférence et domestique le pou-voir à son seul profit.2 - J. MFOULOU, Op. Cit.3 - J. K. NYERERE in Freedomand unity , Londres, OxfordUniv.Press, 1967 et Freedom andsocial ism, Londres Oxford0niv.Press 1968.4 - J. K. NYERERE in Freedomand unity, Op.Cit., p.197

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5 - Ibid. p.1066 - Ibid.7 - Ibid.8 - Ibid.

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tie de ce que nous venons d’analyser dansla première partie de notre chapitre, à sa-voir que dans les sociétés africaines tradi-tionnelles, il n’y a pas de conflits d’intérêtsentre les vœux individuels et les impératifsdu groupe social. Ce qui lui fera dire qu’ilest totalement inutile d’instaurer un systè-me reposant sur des partis politiques char-gés de représenter des intérêts divergents.Et que dès lors qu’il y a consensus favo-rable aux intérêts nationaux, il est mal ve-nu qu’il y ait des partis d’opposition car ilsne seront qu’au service des intérêts privés.À cet égard, il affirme que la politique d’unpays gouverné par le système bipartite,n’est pas et ne peut pas être une politiquenationale. C’est la politique de groupedont les querelles sont la plupart dutemps, dénuées d’intérêt pour la majoritédu peuple 5. Il leur accole le sens de fac-tions et leur refuse toute légitimité. Seul lesystème monopartisan serait compatibleavec la tradition africaine de prise de déci-sion. Un seul centre de décision, end’autres termes, un seul parti pour repré-senter l’unanimité massive et endogène àla Nation Africaine, est préférable. Maisconfrontée aux exigences de la démocratietelle qu’elle est perçue en Occident, cetteformule est de ce fait antidémocratique.Nous sommes à la limite du centralismedémocratique puisqu’il y a accord sur lesobjectifs définis par le noyau dirigeant.

Les élections se limitent, à l’intérieurdu parti unique, au choix des individusaptes par leurs qualités techniques et leurhabilité politique, étant entendu qu’ils sontcensés défendre les mêmes idées.Cependant, Nyerere ne rejette pas l’idéeque se cristallisent des oppositions dont ilqualifie les meneurs d’inoffensifs excen-triques et accepte l’idée selon laquelle tou-te société qui se prétend démocratique estconfrontée à de tels phénomènes. 6

Une fois sorti du cadre de l’ÉtatTanzanien, la conception nationaliste deNyerere se répercute à l’ensemble ducontinent africain en butte au colonialisme.Il déclare que le combat pour se libérer dela domination étrangère est un combat pa-

triotique qui, par la force des choses, nelaisse pas de place aux divergences. Il ras-semble tous les éléments de la Nation desorte que, non seulement en Afrique maisdans toutes les parties du monde confron-tées à un défi analogue, ces pays soientanimés par un mouvement nationaliste etnon pas par un groupe de partis poli-tiques.7

Mais qu’on ne s’y trompe pas. La dé-mocratie monopartite s’inscrit simplementdans le cadre de la lutte pour l’indépen-dance et après ce stade, Nyerere admetl’émergence éventuelle d’un système fon-dé sur le bipartisme. Mieux, il a réussi à in-troduire dans un système monopartisan, lacompétition électorale ainsi que nousl’avons apprécié plus haut.

D’un autre côté, Nyerere souscrit à lathéorie de la non-violence commeNkrumah, dans la forme que devait assu-mer l’opposition au colonialisme. Mais ilrefuse d’emprunter les mêmes cheminsque ceux de Nkrumah ou de Fanon car ilva très loin dans son appréciation du faitcolonial. Pour lui, le colonialisme procèded’un système englobant les secteurs socio-économiques et politiques, puisant dansune source ayant un pôle d’ancrage bienau-delà des frontières du continent africain,et le simple fait de ne s’en prendre qu’à sesreprésentants locaux ne réglerait pas laquestion. Ce qu’il résume en ces termes :L’africain voit bien que ce n’est pas auxnon-africains se trouvant sur son sol qu’ilen a mais au système colonial lui-même. 8

S’attaquer aux seuls colons serait s’attaquerau mal superficiellement. Mais après les in-dépendances de la quasi-totalité des paysafricains, sa conception de la non-violences’émousse quelque peu. Si l’autorité colo-niale encore présente dans certains pays afri-cains, notamment dans les pays lusophones,refusait une décolonisation pacifique, il nes’embarrassa pas de préjugés pour accorderune assistance matérielle et même le droitd’asile aux nationalistes africains duZimbabwe, du Mozambique et de l’Afriquedu Sud qui menaient des actions de guérillaponctuelles entre les années 1960-1970.

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Un autre rapprochement avecNkrumah se retrouve dans l’une des thèsesde Freedom and Unity, l’indépendance.Aucun pays africain ne peut se retrouvertotalement indépendant, si on ne réalise pasune unité, une solidarité de tous les Étatsafricains face au colonialisme. Cette indé-pendance ne pourra se retrouver consacréetant que le panafricanisme ne sera pas de-venu une réalité tangible. (Potholm). Cettevision voudrait également préserverl’Afrique afin qu’elle ne se retrouve pasprise entre deux feux dans le cas de conflitsEst-ouest. L’unité panafricaine contribue-rait dans ce sens à atténuer les tensionspouvant permettre cet éclatement interna-tional.

Puis, contrairement à Nkrumah,Nyerere pensait, à juste titre d’ailleurs,qu’avant la consécration de l’unité africai-ne, l’unité de son propre pays devait avoirété réalisée. Mais cependant, il a le mêmeréflexe que Nkrumah, en ce qui concerneles liens de son pays avec les anciens co-lonisateurs après les indépendances.Devant l’absence des cadres africains et fa-ce à la misère, la maladie et l’analphabé-tisme de ses concitoyens, il était hasardeuxde rompre les liens existant entre leTanganyika – avant qu’il ne devienneTanzanie de sa fusion avec Zanzibar – etles puissances occidentales. Et mieux, il vaplus loin que Nkrumah. En acceptant l’ai-de économique et les investissementsétrangers, il pensait que cela aurait eu pourconséquence de dépassionner les rapportssociaux entre les autochtones et les non-africains, ceux-ci étant selon lui en droit dedemeurer au Tanganyika, écartant de ce faitles risques d’un éclatement social. Mais ilavait aussi un esprit de discernementlorsque son éthique politique était confron-tée aux impératifs des relations entre lespuissances occidentales et la démarche po-litique de celles-ci. Il a refusé de signer desaccords économiques avec les puissancesoccidentales, alors que la Grande-Bretagneacceptait la présence de l’Afrique du Sudau sein du Commonwealth. À ce propos ildéclarait que pour établir un minimum

d’unité en Afrique, le Tanganyika renon-cerait à son appartenance au Common-wealth 9. Il n’alla pas jusqu’à cette extré-mité car les membres du Commonwealthse rangèrent à sa vision et exclurentl’Afrique du Sud de ses rangs.

C’est d’ailleurs dans Freedom andSocialism que les rapports économiquesavec les puissances économiques occiden-tales font l’objet d’une analyse circons-pecte et très élaborée.

En attendant, le socialisme africain estla clef de voûte de la pensée du MwalimuNyerere. C’est l’autre thème de Freedomand Unity. La perception de cet artefact serapporte à la notion de propriété. La formeélémentaire de la propriété est la terre quiest un don de Dieu à toutes les créatures vi-vantes. Ce qui, en d’autres termes, voudraitdire que tous les hommes quels qu’ilssoient, ont le droit de jouissance en ce quiconcerne la terre et ses produits. Et qui tra-vaille la terre doit l’occuper en tant qu’usu-fruitier, ses droits sont précaires et se jus-tifient si la propriété est exploitée dans l’in-térêt de tous. Nous sommes ici loin de larépublique de Hobbes qui pourvoit à la dis-tribution de la terre par le biais du pouvoirsouverain et que là où la République est in-existante, c’est la guerre perpétuelle dechaque homme contre son prochain : tou-te chose y appartient donc à celui quil’obtient et la garde de force : ce qui n’estni propriété ni communauté, mais incer-titude. C’est si évident que dans un plai-doyer public, un défenseur passionné dela liberté comme Cicéron fait défendretoute propriété de la loi civile : que la loicivile, dit-il, soit un instant abandonnée,ou seulement gardée avec négligence(pour ne rien dire des cas où elle seraitétouffée) et il n’est rien qu’aucun hommepuisse être assuré de recevoir de son an-cêtre ou de laisser à ses enfants. Et de mê-me : supprimez la loi civile, et nul ne saitce qui est à lui et ce qui est à autrui. Parconséquent, étant donné que l’introduc-tion de la propriété est un fait de laRépublique, qui ne peut agir que par lapersonne qui la représente, cette intro-

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9 - Thomas HO B B E S, LeLeviathan, traduction françaisede François TRICAUD, publiéeavec le concours du Cnrs, Éd.Sirey, 1971, pp. 262-263.

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duction est l’acte du seul souverain ; el-le repose sur les lois, que nul ne peut pro-mulguer s’il ne dispose du pouvoir sou-verain.

Cela, les anciens le savaient bien quiappelaient répartition, ce que nous appe-lons loi : et qui définissaient la justicecomme la répartition par laquelle chacunreçoit ce qui lui appartient 10.

Cet esprit d’individualisation, Nyererele récuse au nom du socialisme et en réfé-rence à la tradition africaine basée sur lacommunauté car, dit-il, lorsqu’une sociétéest organisée de telle sorte qu’elle a à cœurles intérêts de chacun de ses membres,alors, à condition qu’il soit disposé à tra-vailler, aucun individu de cette sociétén’aurait à s’occuper de ce qu’il devrait de-main s’il amassait des fortunes aujour-d’hui... Chacun pouvait compter sur lesliens de la communauté dont il étaitmembre.

Pourtant cet esprit a cours en Afriquetraditionnelle autant que moderne. Lesschémas ne sont pas unilatéraux et ne pro-cèdent pas des mêmes calculs. L’héritagepar exemple a de tout temps existé, et la tra-me sociétaire basée sur l’intérêt collectif nel’a jamais remis en cause. Mais alors ?

C’est vers l’aboutissement de la doc-trine socialiste que Nyerere voudrait bienarriver et les contradictions avec une réa-lité sociale sans cesse renouvelée au fil desans et en regard de la mutation mondiale,émoussent quelque peu son raisonnementauquel pourtant il s’accroche. Il nie l’exis-tence du capitalisme et ce partant, mêmedu propriétaire terrien exploiteur, alors quecette dernière forme a encore cours dans laplupart des pays africains. Il propose unsystème d’affermage selon la maxime quenul ne peut occuper plus de terre qu’il nepeut en cultiver. Ni autant de temps qu’ilne soit capable de le faire, pour faire obs-truction au colonialisme. Cela se révèle ef-ficace. Pour y parvenir, il puise dans la phi-losophie des principes en cours dansnombre de sociétés segmentaires deTanzanie touchant à l’usage de la terre(Potholm). Comme nous le disions tantôt,

son aversion pour la propriété individuel-le ou privée procède de sa volonté de sup-planter les risques d’éclatement et de su-bordination totale de son peuple aux non-Africains. C’est à dire que non seulementle droit à la propriété privée donne la fa-culté au propriétaire de disposer de la ter-re à sa discrétion, cela lui donne la possi-bilité de brader ladite terre à des riches etsouvent non-africains, ce qui est fort pré-judiciable. Ce sera le début de la différen-ciation sociale, les colonialistes devenantdes puissants propriétaires fonciers et lesafricains étant relégués à l’état de salariésindépendants (Potholm). Pour Nyerere, cetétat de fait aboutirait en ce qu’un tel pou-voir économique transcende une hiérar-chisation sociale qui aboutirait fatalementà la confiscation de la chose publique.

Les classes se trouveraient ainsi consa-crées et peut-être consolidées. La classequi ne maîtriserait pas le pouvoir serait àla merci de l’autre, sans espoir de renver-ser les tendances et/ou sans espoir d’amé-liorer sa condition. Pour éviter pareille évo-lution, l’affermage donne à la communau-té la faculté de contrôler le don de Dieu. Et,en remplacement de la RépubliqueHobbésienne, c’est le gouvernement quipréside à la distribution des terres et qui oc-troie des crédits d’exploitation. La seuleobligation, c’est le reversement à l’Étatd’une redevance qui sert à réaliser d’autresprojets. La propriété collective prime doncpar rapport à la propriété privée et l’affer-mage est le reflet de la prospérité de l’afri-cain et du pays ; de l’absence de classes so-ciales distinctes ; de la politique de souve-raineté et d’indépendance vis-à-vis de lapuissance coloniale.

Comme il l’a toujours indiqué, l’ac-ceptation du modèle socialiste n’exclut pasles non-africains du Tanganyika. Dans lamesure où ils ne reçoivent pas de leur pa-trie d’origine, les attributs qui leur per-mettraient d’influer de manière considé-rable sur la politique nationale. Les pou-voirs constitués de ce fait ont une assiseafricaine largement prépondérante.

Tant que les intérêts de la minorité

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10- Ibid.

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blanche sont en adéquation avec le déve-loppement du Tanganyika, et ne nuisentpas au pays tout entier, ils seront sauve-gardés.

Cette sauvegarde ne s’appliquait pasaux intérêts de la communauté blanche dis-tincte de la population autochtone, mais auxintérêts individuels de chacun d’eux. Cecipour empêcher l’adoption des politiquesfondées sur la différenciation raciale.

Si Nyerere trouve que le développe-ment de l’Afrique devra se reconnaître desbases de tradition africaine, c’est l’apolo-gie du concept de négritude tel qu’il estperçu par Fanon.

Mais cela ne se limite qu’à cette simpleperception. Nyerere, contrairement àFanon, a foi en la résistance de l’Africainface aux influences occidentales. Face à larupture, Nyerere prône la synthèse de l’hé-ritage africain avec les valeurs euro-péennes.

Il fait confiance à la puissance du pas-sé de l’Afrique pour annihiler et/ou tem-pérer l’impact de la culture occidentale. Ilsort ici des sentiers battus des théoricienspolitiques africains en prônant l’ouvertureet la tolérance, en prévision de l’évolutiondu continent. Nul ne peut prédire avecexactitude comment s’exprimeront les dif-férentes pressions dans l’Afrique de l’an2000 11.

C’est à travers UJAMAA - The basis ofafrican socialism 12 que l’on ressent l’im-pact vivace de la tradition africaine surNyerere. Si en Europe occidentale, l’idéede la fraternité humaine a connu quelquesrevers, en Afrique, la notion de fraternité aune réalité historique concrète. La philo-sophie de l’unité du groupe à travers toutesles réalisations et toutes les priorités ex-cluait l’existence de différenciations fon-dées sur la richesse individuelle et le pres-tige social qui en découlerait. Il n’existaitpas de relations de commandement-obéis-sance en ce qui concerne le travail. La dif-férence n’était pas manifeste entre un em-ployé et un employeur. Ainsi que nousl’avons rapporté ci haut, le traitement estégal et la répartition des richesses se fait

équitablement.À ce stade de l’intérêt collectif, C.

Potholm ne peut que constater dans son ap-proche fort intéressante de la pensée deNyerere, dont nous avons usé fréquem-ment, que : tant dans le domaine spirituelque dans le domaine pratique, cela vabeaucoup plus loin. Après des siècles d’ap-plication, nous pouvons comprendre queces notions soient devenues un cadre men-tal. Ou, pour reprendre l’expression deNyerere, que le socialisme africain soit uneattitude intellectuelle. Et un cadre mentalne disparaît pas du fait de la coercition co-lonialiste, il ne cède pas aisément la placeà l’esprit de concurrence acharnée et àl’égotisme inséparables du développementsocio-économique capitaliste.13

Au socialisme, en Afrique nous n’au-rions point besoin d’être convertis ni desuivre des cours de démocratie. Ce sont lesréférences du passé, la manière d’être dansnos sociétés traditionnelles. Le socialismeafricain moderne peut puiser à la sourcedes mentalités africaines traditionnelles,pour la reconnaissance de la société com-me un élargissement de la cellule familia-le de base. Elle impose un dépassement re-fusant ainsi de ne prendre en considérationque la tribu, même la nation d’ailleurs, etfera que le socialisme africain ne se fixepas de limites précises. Il ne pourra pas enregardant une carte par exemple dire : Lesgens en deçà de cette ligne sont mes frères,mais ceux qui vivent au-delà n’ont aucundroit sur moi.

Tout homme sur ce continent est sonfrère. C’est l’apologie de l’unité, la forcevitale pour briser le carcan du colonialis-me et du néocolonialisme, et à une échel-le plus étendue : la nation.

Nyerere extrapole et voudrait bienétendre ce système à la société humainetout entière. C’est la seule conséquence duvrai socialisme.14

UJAMAA fait aussi référence aux fac-teurs économiques. Et Nyerere est persua-dé qu’un pays africain peut s’industrialiseret se moderniser comme une société extra-africaine. Nyerere œuvre pour l’aboutisse-

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11 - J. K. NYERERE, UJAMAA : Thebasis of african socialism, copy-right 1962.D'autre part, UJAMAA ou Espritde famille, serait traduit par lemot français Fraternité dans lesens qu'il recouvre dans la devisefrançaise.12 - Christian POTHOLM, Op.Cit.13 - J. K. NYERERE, UJAMAA : Thebasis of african socialism, Op.Cit.14 - Nyerere refuse de se recon-naître de Marx ou d'Adam Smithparce qu'il estime qu'on n'a pasbesoin de lire Karl Marx ouAdam Smith pour nous rendrecompte que ni la houe ni la terrene produisent vraiment les biens.Il fallait simplement travailler etdans la société africaine chacunétait travailleur. À telle enseigneque même si on était l'hôte dequelqu'un pour un long moment,on s'interdisait d'être inactif. Demême que celui qui recevait don-nait la houe à son hôte au boutd'un moment ainsi que le rappor-te ce proverbe Swahili : Mgeni si-ku mbili, siku ya tatu mpe jembe(traite ton invité en hôte pendantdeux jours, le troisième jour,donne lui la houe) si de bien en-tendu, il ne la réclame pas.

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ment du système socialiste, la différence netiendra pas aux méthodes de productionmais aux principes qui régissent la distri-bution de la richesse et qui déterminentl’objet de la production.

Le Tanganyika veut réaliser son systè-me socialiste. Il a été accoutumé à deuxsystèmes diamétralement opposés : le sys-tème traditionnel et le système capitalisteprocédant de la colonisation britannique.

Le premier système ne constitue pas unobstacle dans la réalisation du socialisme,étant entendu qu’il se réfère à ses attributs.C’est de l’évolution de ce système et deson extension sur une grande échelle (na-tionale ou continentale) que devra naîtreune nation socialiste moderne. La confron-tation de deux types d’idéaux – le systèmesocialiste avec pour base les traditions afri-caines 15 et le système colonial de type ca-pitaliste – est révélatrice quant à la penséeprofonde de Nyerere. C’est le passage dunéocolonialisme au socialisme.

Freedom and Socialism borne les étapesde la pensée de Nyerere. Second recueil desécrits et des discours composés entre 1965et 1967, il est l’expression de l’évolution dela pensée politique du Mwalimu et l’effortqu’il développe pour définir la société so-cialiste vers laquelle il tend.

La tâche ardue qu’elle suppose au len-demain des indépendances n’a absolumentrien de comparable à celle qu’imposel’émancipation, car elle exige une compré-hension positive et des actions construc-tives, pas simplement le refus du colonia-lisme ou la volonté de coopérer dans lanon-coopération.16

À la suite de Liberté et Socialisme, ilest un texte qui retient l’attention c’est, ladéclaration d’Arusha, ou la Tanu et sa po-litique socialiste d’indépendance. C’estune profession de foi, à travers laquelle leTanu fait du socialisme africain sans équi-voque, l’idéologie nationale. C’est laconsécration en un corpus bien structuré,d’objectifs politiques, socio-économiques,d’une philosophie jusque là abstraite etn’ayant de concret que la référence aux tra-ditions africaines.

À ce niveau de la théorie, le fait le plusmarquant c’est le caractère ouvert de la so-ciété pour laquelle Nyerere milite. L’ordresocialiste est susceptible d’assumer desformes institutionnelles d’une grande di-versité. Un large éventail de modalités etd’organisations est possible et acceptable.La structure économique peut être forte-ment centralisée ou au contraire, décentra-lisée. L’économie peut être agricole ou in-dustrielle ou la combinaison des deux. Lesocialisme africain peut intégrer des tech-niques de production issues des sociétésoccidentales. Il peut s’inspirer des com-munes chinoises pour la réforme agraire,adopter les principes d’éducation cubains,ou prendre comme modèles les schémasorganisationnels des villages coopératifsdanois, suédois ou israéliens. Il n’y a pasun type idéal unique de la société socialis-te, souligne Nyerere. L’universalité de cesystème s’établit de ce fait. Dans chaquecas, la référence à l’ordre social existantdoit être le catalyseur déterminant. L’ordresocial qui naît ne doit pas être la copieconforme du système appliqué dans tel outel autre pays. Si dans les Etats issus de lacolonisation on trouve déjà une ribambel-le d’ethnies qu’on a du mal à intégrer, il estplus difficile d’adhérer à une option poli-tique sans tenir compte des spécificités descomposants d’une société. Le mimétismeservile aboutirait à un échec compte tenudes différences radicales, fondamentalesentre la population de deux pays. Si lestechniques, les méthodes, les stratégiespeuvent venir des pays capitalistes, ancienscolonisateurs ou des pays communistes, ondevra s’en tenir au stade expérimental. Iln’y a pas qu’une seule carte routière du so-cialisme, il n’y a pas de lois naturelles dontpuisse se prévaloir une nouvelle société. Iln’y a pas de socialisme à l’état pur 17.Mais en dehors de la variété socio-poli-tique internationale, il existe pour tous lesrégimes, des attributs communs : pour lesrégimes socialistes la caractéristique com-mune est l’homme considéré comme va-leur certaine et but suprême du socialisme.Les hommes devront dans la possibilité

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15 - J. K. NYERERE in Freedomand socialism, Op. Cit.16 - Ibid.17 - Albert TEVOEDJERE, op.cit.

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que leur offre leur environnement, faireéchec aux contraintes de quelque natureque ce soit (politique, sociale, et écono-mique) dans le processus du libre déve-loppement de leurs facultés respectives.

C’est le premier point de frictionentre Nyerere et la conception de typecapitaliste du rôle de l’homme. Dans cesens, il apparaît que le capitalisme s’estsouvent préoccupé de donner à l’hommele réflexe de perpétuer les aptitudes quicontribuent à l’augmentation du rende-ment industriel et de la productivité ma-térielle. Pour Nyerere, il est besoin d’in-suffler une certaine lenteur à la produc-tion qui enclenche et accélère le proces-sus de modernisation, quand elle com-mence à modifier considérablement l’en-vironnement. Si la quête d’harmonieentre l’homme de Nyerere et la nature faitque l’on débouche sur un appauvrisse-ment du socialisme africain et bien que lapauvreté devienne une vertu socialiste !La formule de Teveodjere se trouveraitainsi consacrée : La pauvreté, richessedes nations 18. L’autre implication socia-liste pour l’Africain est le recours àl’égalité absolue. Donc dépassement dela notion des classes, et la suppression detoutes les formes d’exploitation. Nul nepeut jouir du fruit du travail de quel-qu’un d’autre sans y apporter une contri-bution équivalente en tout point de vue.L’inviolabilité des libertés individuellesest également à inscrire dans la concep-tion socialiste de Nyerere. Cela se tra-duira par le fait que l’État laissera au pe-tit propriétaire, africain ou non-africain,la jouissance de ses biens personnels etprotégera les droits naturels et inalié-nables de chacun d’eux. Dans ces droits,il y a par exemple la liberté religieuse quiest acquise au citoyen. Ce qui est unecontradiction fondamentale avec ce quise passe couramment dans les sociétéssocialistes ou communistes de l’Europede l’Est, (le cas polonais en particulier).Le socialisme africain devra être tolérantpour que chacun des citoyens pratique lareligion de son choix, et s’interdit le

droit d’imposer un credo particuliercomme religion d’État. Le socialismedoit être laïque.

Dans la société de Nyerere, la consti-tution et la loi préserveront et protége-ront tous les droits de l’homme sans ex-clusive, officiellement. L’UJAMAA estdonc …en opposition avec le capitalismequi cherche à construire le bonheur de lasociété grâce à l’exploitation de l’hom-me par l’homme. Il prend également lecontre-pied du socialisme doctrinairequi cherche à parvenir au même résultaten s’appuyant sur le principe de l’iné-luctabilité du conflit entre les hommes 19.

L’évolution vers une société socialis-te se mesure à travers les prises de posi-tion de Nyerere dans Liberté et socialis-me. Cette évolution n’a pas été atteinte,puisque tous les objectifs recensés jus-qu’ici n’ont pas trouvé d’application etparfois n’ont pas connu de début. La réa-lité est plus complexe dans ces cas.Comme il le reconnaît d’ailleurs en sejustifiant quelque peu : la marche vers lesocialisme se fera graduellement. Il aune idée précise de la façon dont se ferale passage en Tanzanie. Délaissant vo-lontiers l’industrialisation massive avecles contraintes que cela suppose, parceque ne maîtrisant pas la technologie etn’ayant pas les cadres pouvant efficace-ment répondre aux besoins de ce secteur,pour éviter le risque de dépendre d’unepuissance extra-africaine sitôt sorti de lacolonisation, c’est sur l’agriculture qu’iljette son dévolu, en affirmant que l’agri-culture est la base du développement 20,d’ailleurs, le fait est probant. Une grandepartie des ressources économiques dupays est utilisée pour le perfectionne-ment et le développement des techniquesagricoles. Ce qui a abouti à la création en1965, d’un collège agricole à Morogaro.Pour la formation pratique, les élèves dece collège, avant de recevoir leur diplô-me, allaient dans les campagnes tanza-niennes, amélioraient non seulement laproduction agricole mais, véhiculaienten même temps, leur savoir en en faisant

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18 - J. K. NYERERE in Freedomand unity, Op. Cit. p. 17019 - et la seule voie qui nous per-mettra d'assurer le développe-ment de notre pays, Ibid., p.24420 - Ibid. p. 405.

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bénéficier les paysans. Cette dispositionachevait de ramener ceux qui étaient ins-truits à l’esprit du terroir, basé sur lacompréhension mutuelle et la non-exis-tence de hiérarchie fondée sur le rang etle prestige. Ce qui justifiait en partie lalutte de Nyerere pour l’établissementd’une société socialiste.

Les villages UJAMAA devraient êtreorganisés en coopératives créées et orga-nisées par les paysans et ouvriers et ser-vir de base aux activités productives de(leurs ) membres 21. Avec ceci, la possibi-lité d’être de grands ensembles à voca-tion industrielle.

William DUGGAN et John CIVILE ontdéfini le village UJAMAA comme ...unecombinaison du Kibboutz israélien, de lacommune chinoise type et de la familleélargie africaine traditionnelle 22. Satâche est de stimuler le peuple à acquérirun cadre politique et socio-économiquequi transcende le système socialiste queles élans naturels de la part des Africainsne peuvent rendre que possible.

Cependant, le peuple n’est pas aban-donné à lui-même, puisque le gouverne-ment propose, explique et persuade desprogrammes de développement. La per-suasion n’est pas souvent verbale, ce quien limite la portée démocratique confor-mément à la notion de socialisme venantde la base. Il est parfois arrivé que legouvernement joue son va tout pour quetelle culture soit abandonnée au profit detelle autre. Le peuple n’est plus maître deson jeu. Ceci procède du fait que Nyere-re s’était fixé comme objectif de hisser laTanzanie dans leXXe siècle par un pro-gramme de modernisation pertinentayant pour base une économie et une or-ganisation pour le moins primitives. Etcomme il avait foi en l’essence du socia-lisme africain, l’UJAMAA, il pensait quecela seul suffirait à la Tanzanie pour ac-complir en un temps relativement court,ce que d’autres nations, plus précisémentles nations européennes, avaient mis dessiècles à accomplir 23. Puis son désir dene pas hypothéquer l’indépendance de la

Tanzanie s’affirmait de plus en plus. Ilavoue alors que le premier plan de déve-loppement élaboré en 1964 était à mi-réalisation, qu’il avait dû refuser cer-taines aides et des assistances écono-miques étrangères, compte tenu desconditions politiques dont elless’émaillaient. Il ne rejetait pas en totalitétoute assistance économique, ce qui au-rait constitué une atteinte aux droits deson peuple à vivre décemment. L’espèced’autonomie que cela supposait devaitêtre comprise dans son désir d’assurer àla Tanzanie des moyens de se développermême en l’absence de toutes formesd’aides et d’investissements étrangers 24.C’était le prix dont il fallait s’acquitterpour s’affranchir du néocolonialisme.

Les objectifs nationaux ne lui fontpas perdre de vue l’ensemble des préoc-cupations africaines. Il fallait en substan-ce, une coopération de tous les pays afri-cains pour mettre à mal le colonialisme.De la réussite de ce front, la Tanzanie en

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Binadamu Wote Na Ndugu Zangu, Na Africa Ni Moja

Je crois en la fraternité des Hommes et à l’unité africaine

Julius K. Nyerere

21 - William DUGGAN et John CI-VILE in Tanzania and Nyerere : Astudy of Ujamaa and Nationa-lism, Maryknoll, Md, 0rbis books,1976, p.12822 - J. K. NYERERE in Freedomand Socialism, Op. Cit.23 - Ibid.24 - Ibid.

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tirerait des bénéfices. Elle n’aurait plusqu’à se préoccuper de la réussite du sys-tème socialiste que Nyerere appelait detous ses vœux. Aussi, il faut qu’il choi-sisse entre les exigences africaines et lesexigences nationales.

Nyerere sera devant un conflit d’inté-rêts : soit œuvrer pour que le colonialismen’étende pas son influence sur toutel’Afrique, au nom de la sacro-sainte al-liance. Soit ne pas imposer à son peuple delourds sacrifices toujours au nom de l’uni-té africaine sans courir à dessein à l’insta-bilité de son peuple faute d’adhésion po-pulaire. C’est ce qu’il appelle dilemme dupanafricanisme et qu’il définit simple-ment comme le conflit entre le nationalis-me et l’internationalisme Africains. Unconflit qui échappait à Nkrumah.

Pour juguler ce conflit, il proposeune vision, une solution prudente ouquelque peu conservatrice mais quis’inspire grandement de l’esprit de l’éta-pe transitoire prônée dans le socialismetanzanien. Pour Nyerere, le manichéismene doit pas présider à la résolution de cedilemme. Il pense à juste titre que tousles États africains doivent œuvrer pour ledéveloppement d’un nationalisme, nonpas exacerbé, qui les rendra économi-quement et politiquement forts sans reje-ter aux calendes grecques les avantagesd’une coopération internationale carNyerere ne doute pas que l’unité africai-ne n’est pas forcément une chimère, etqu’elle peut être une flamme de vie quiinspire les Africains 25.

D’autre part, dans Freedom and So-cialism, Nyerere est du même avis queFanon en ce qui concerne l’emprise desvaleurs capitalistes sur les Africains, mê-me après les indépendances. La solutionpréconisée ici par Nyerere est d’éradi-quer le mimétisme des attitudes anti so-cialistes héritées de la colonisation et an-crées considérablement dans les mentali-tés. L’acceptation de ces valeurs aquelque peu terni l’image des indépen-dances. Puisque pendant qu’on se libéraitdu gouvernement étranger, on se mainte-

nait dans la condition du colonisé par lebiais de l’assimilation presque intégraleaux valeurs des colonisateurs. C’est, affir-me-t-il, à travers ces contacts avec l’OutreMer, que s’est développée l’idée que lavoie du confort et de la prospérité, quetout le monde recherche, passe parl’égoïsme et le progrès individuel 26. Cetattrait du confort a drainé les masses ru-rales sur les zones urbaines où elles pen-saient trouver les conditions idéales devie, les commodités et la sécurité contes-tables 27.

Ce transfert de population rendrait, àla longue, impossible une économie detransition préparant l’instauration d’unsocialisme fondé sur l’UJAMAA. Ceci de-venait du ressort de l’éducation qui nedevait pas se limiter à enseigner les tech-niques et les programmes de base, maisdevait également être un instrument depédagogie sociale.

Un effort devait de ce fait êtreconsenti pour une cohabitation harmo-nieuse des traditions africaines que l’ondevait dynamiser à nouveau, sur lesbancs de l’école, avec les techniquesnouvelles venues de l’Occident.

Une telle approche du problème estintéressante. Les traditions s’apprennentpar expérience. L’étudiant qui travailledans les villages en même temps qu’ilfait ses études, est mis en contact avecles deux mondes. L’émulation qui en dé-coule ne peut que servir la société.

La sagesse du passé rejoint les mé-thodes du présent, de sorte que lesidéaux associés à l’UJAMAA ne sont pasabstraits. Ils sont le lot quotidien de lamémoire africaine. Pour Nyerere, êtresocialiste, c’est se souvenir.

Dans Freedom and Development, re-cueil des textes et des discours composésentre 1968 et 1973, c’est la suite logiquede Freedom and Socialism ou les idéesdirectrices. Nyerere à travers ce troisiè-me souffle, cherche à préciser l’impor-tance de l’autonomie et de la décentrali-sation administrative, la prépondérancedu peuple et l’obligation du parti d’œu-

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25 - Ibid.26 - Ibid.27 - Ibid.

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vrer pour son rapprochement permanentavec le peuple.

Le Panafricanisme y tient égalementune place de choix puisqu’ici, il réaffir-me sa volonté de dépasser le nationalis-me. Il y fait également une sorte deconstat ou bilan, de l’impact, de l’empri-se de son système socialiste sur la Tan-zanie et les premiers résultats de cet édi-fice. Les sociétés privées ont été nationa-lisées selon le plan établi. Malgré unecertaine opposition rurale, qui est le faitde quelques conservateurs, le nombre devillages UJAMAA a considérablementaugmenté. Un programme de planifica-tion de grande envergure touchant l’in-dustrie et l’agriculture, a été élaboré. Enprévision de l’instauration de la sociétésocialiste.

La seule innovation de Freedom andDevelopment concerne les relations in-ternationales.

Des relations spécialement orientéesvers les Démocraties Populaires aux-

quelles il demande une aide pour les paysen développement, pour leur permettre dese développer et de faire échec au colo-nialisme dans leurs efforts pour mettre surpied une économie autosuffisante. Ce quia pour conséquences une radicalisation deson attitude face aux pays occidentaux. Iltrouve qu’il y a incompatibilité entre lesocialisme et le capitalisme, le seconds’étant spécialisé dans l’exploitation del’homme pour survivre.

En dehors des problèmes auxquelss’est heurtée la conception de Nyerere etau regard de l’évolution des problèmesinternationaux qui avaient une incidencesur la réalisation de la société socialisteen Tanzanie, il ne s’est jamais écarté dela valeur suprême qui est le couronne-ment de sa pensée politique, et ce but ul-time est l’homme 28.

Cependant, la déclaration d’Arusharésume bien en tant que profession de foide la TANU, toutes les questions que nousvenons d’évoquer. q

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28 - Christian POTHOLM Op. Cit.

Et si nous allions à la découverte de quelques mots swahili !On peut considérer le swahili comme un idiome qui aura puisé ses sources dans d’innombrablesinfluences telles que le persan, l’arabe, l’anglais, le portugais, l’allemand avec cependant une pré-dominance des langues bantu dont elle est une composante essentielle. Le Swahili est parlé dans lapartie orientale de l’Afrique.

Swahili Prononciation Français

BabaMamaMvulana MsichanaRafikiTafadhali Asante asana KaribuKwaheriHujamboHabari Gani

BAH-bahMAH-mah Mvou-LAH-nah Msee-CHAH-nah RA-fi-ki Tah-fah-DHAH-li Ah-SAN-te ah-SAH-nahKA-ri-bouKWA-he-riHou-DY-amboHa-BA-ri GA-ni

PapaMamanGarçonFilleAmiPardon, S’il vous plaîtMerciBienvenueAu revoirBonjourComment allez-vous ?

Une incongruité qui a la vie dure :En effet Bwana ne veut pas dire blanc mais simplement Monsieur !!!!!!